Tomber Sept Fois, Se Relever Huit (PDFDrive)
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Tomber Sept Fois, Se Relever Huit (PDFDrive)
ISBN : 978-2-226-23459-9
« Je ne sais pas ce que j’ai » est une phrase inexacte. Il faudrait dire : je ne
sais pas ce que je suis. Comment je suis devenu cet éparpillement, cette
réduction d’homme. J’ai du mal à comprendre comment cela a commencé.
J’essaie de déterminer le moment où les choses se sont détériorées, mais je ne
trouve pas.
On dirait que c’est venu petit à petit, que ça s’est infiltré, matière noirâtre et
verdâtre, dans ma vie de tous les jours. Je ne me suis pas découvert d’un seul
coup, un matin, dans cet état de liquéfaction. Ça a dû prendre des semaines, j’ai
du mal à fixer une date, une heure, une raison. C’est arrivé en douce,
subrepticement, sournoisement, sans prévenir, une vraie saloperie, une lente et
insidieuse pénétration comme un reptile glisse en silence autour d’une proie,
comme l’encre se répand sur un buvard. C’est une prise de possession, ça m’a
saisi, happé, ça m’a asservi. Je suis l’esclave d’une chose indéfinissable qui est
en train de me détruire et je lui obéis sans aucune résistance.
La poitrine vous serre. Vous étouffez. C’est à la hauteur du cœur, ça retentit
en vous comme si on vous avait battu, comme la présence d’un hématome sur la
cage thoracique. Alors, comme la douleur persiste, vous vous dites : j’ai peut-
être fait un infarctus sans le savoir. Sinon, pourquoi cette sourde peine taperait-
elle sur cette cicatrice ouverte ? Il paraît que ça arrive comme ça, dans certains
cas : dans la nuit, on fait un petit infarctus et on continue de fonctionner. Vous
décidez d’aller voir un cardiologue. Notre amie Danièle en connaît un très bien.
– Il est génial, ce mec, en plus il est gentil et sympa, tu peux y aller en toute
confiance, il ne te parlera pas de nous, même si en ce moment il s’occupe de
mon père, et donc on le voit beaucoup – c’est devenu un ami. Vas-y !
Je vais y aller. J’y vais. Soudain, ça devient l’urgence. C’est la chose à faire
aujourd’hui, la seule nécessité, il faut tout annuler, rendez-vous, réunions, coups
de fil. Cela fait trois ou quatre matins que, au petit déjeuner, je dis à Françoise :
– J’ai mal à la hauteur du cœur, et puis je respire mal, j’ai le souffle court, je
suis sûr que c’est le cœur.
À peine arrivé au bureau, j’ai pris un rendez-vous sur une ligne directe. J’ai
fait comprendre au docteur que je ne pouvais pas attendre, j’ai insisté, j’ai
nommé Danièle. « Bon, venez, je vous prendrai entre deux consultations. » J’ai
fait ça sans en parler à ma collaboratrice. Je n’osais pas lui dire qu’il fallait
appeler un cardiologue, je ne voulais pas qu’elle sache. Aveugle et sourd au
spectacle de ma propre brisure, je m’imagine que je donne encore le change et
que personne n’a rien remarqué, alors que d’ores et déjà la rumeur traîne dans
les couloirs de la station de radio que je dirige, RTL :
– Il ne va pas bien du tout – il est malade. Vous avez vu sa gueule ?
Mais je comprendrai ça plus tard. Pour l’instant, je déguise, je crois pouvoir
déguiser, je joue devant les équipes, collaborateurs et visiteurs, je fais le type qui
va très bien. Je crois que je le fais. Je ne vois pas qu’ils ont déjà tous vu. Je joue
la comédie. J’ai l’habitude. Ça va ? Oui, oui, ça va très très bien, et vous ?
– J’ai une course à faire. J’en ai pour une heure. Je reviens. Vous pouvez
toujours m’appeler sur le portable.
La jeune femme, Anne, m’a regardé, accompagnant mon départ par un
sourire bienveillant. Ça n’est pas que je ne lui fasse pas confiance, au contraire.
Elle est d’une loyauté et d’un mutisme exemplaires sur mes faits et gestes,
depuis les premiers jours de notre collaboration, il y aura bientôt dix ans. Dans
cette profession et cette entreprise où le métier de la parole fait qu’on y exerce en
permanence une parole – et que cela ressemble à la place principale d’un petit
village où tout se dit, se déforme, se transmet et se transforme, tout désinforme,
tout se sait, même si ce tout est parfois infondé – la jeune femme a toujours
respecté une loi du silence qui l’a sensiblement séparée de ses collègues –
comme si on lui en voulait de ne pas avoir, au moins une ou deux fois, livré
quelques confidences, quelques anecdotes sur son patron. C’est un modèle de
fidélité et de discrétion. Pourtant, je ne lui dis rien. J’ai tellement honte de mon
état que je m’évertue à le masquer en cette première étape de l’étrange voyage.
Pauvre clown, en proie à tant de symptômes reconnaissables pour qui voit clair –
mais comment, lui, pourrait-il voir clair ?
Le cardiologue porte de fines lunettes, il a un nez pointu, des yeux vifs, il
sourit sans ostentation, sa voix est douce et posée. C’est aujourd’hui seulement,
maintenant que je fais le récit de cette visite, que je peux me souvenir de son
aspect physique. Dans l’instant, je n’ai pas remarqué un seul trait de son visage.
Moi, l’observateur professionnel, le scruteur, le guetteur, le preneur de notes,
l’écrivain-journaliste qui se vante de savoir respecter la « chose vue » du maître
Victor Hugo, je ne m’arrête pas une seconde sur la personnalité d’un homme. Je
ne cherche dans ses yeux rien d’autre que la réponse à mon angoisse. À peine lui
ai-je serré la main et à peine dit merci en le quittant. On dirait que ce qui m’a
envahi a éliminé toute courtoisie chez moi, tout intérêt pour les autres. Leurs
visages et leurs expressions m’échappent, m’indiffèrent. Rien ne m’intéresse que
la douleur qui est en train de m’isoler et dresser un mur de verre entre les autres
et moi.
– Voilà, j’ai mal là, dis-je au docteur. Au niveau du cœur. Ça fait quelques
jours, ça n’arrête pas, je me lève le matin avec cette sensation qu’un trait a été
tiré à cet endroit et qu’il a dû se passer quelque chose de violent ou bien que
quelque chose est en train de se passer. J’ai besoin de savoir. Je prends des petits
trucs le matin, des machins, des pilules qui désénervent, des trucs à base de
plantes qu’on m’a vaguement recommandés, il paraît que ça calme, mais ça ne
sert strictement à rien, alors je crains et je crois bien qu’il s’agit d’un cœur qui
flanche. J’ai peut-être fait un infarctus.
Le docteur M. va m’examiner avec méthode, compétence, en silence. Je me
suis allongé. Position qui me convient, j’ai de grandes difficultés à rester
longtemps debout, il faut que je sois assis ou couché, comme un vieux, comme
un handicapé. Il va passer ses appareils de mesure, développer des petits
rouleaux jaunes qu’il va consulter, vérifier, il va prendre des repères et des
marques, comparer variations en pointes et en lignes, ce dessin familier de
l’électrocardiogramme, cette espèce de bande dessinée dont j’avais déjà une ou
deux fois, au cours d’examens de routine, contemplé les cheminements. Il me
posera ensuite plusieurs questions simples et nettes. Il va prendre son temps.
J’attends, la main sur le côté gauche de ma poitrine, comme pour atténuer la
douleur. Puis, après avoir prononcé le routinier :
– Vous pouvez vous rhabiller maintenant,
il va me dire :
– Votre cœur est en excellent état. Je peux vous garantir que ça se passe très
bien de ce côté-là. Il faut chercher ailleurs. Vous pouvez m’appeler quand vous
voulez, voici mes numéros, je suis toujours prêt à vous aider. Mais croyez-moi,
ça n’est pas là que ça se passe. C’est ailleurs.
J’ai l’impression que ça me soulage de savoir qu’il n’y ait rien au cœur, mais
ce soulagement dure quelques secondes, puisque, de toute manière, plus rien ne
semble pouvoir me soulager. Bientôt, au contraire, à peine aurai-je fait quelques
pas sur le trottoir, je serai à nouveau capturé par l’angoisse, accroché par les
pinces du truc invisible qui enserre mon corps et je regretterai que le docteur
M. n’ait rien trouvé « au cœur ».
Au fond, j’aurais préféré savoir qu’il s’agissait du cœur. Parce qu’à ce
moment-là, n’est-ce pas, on aurait su ce qu’il fallait faire. J’aurais été pris en
charge. On aurait observé un protocole. Tandis que là, avançant à faible allure
vers la voiture qui m’attend au coin de la rue, courbé, jambes molles, poitrine
compressée par la chose inconnue, je n’entrevois aucune solution. Rentré au
bureau, je vais m’enfermer à clé : qu’on ne me dérange pas, j’ai besoin de
réfléchir, ne me passez aucun appel – et je vais m’étendre sur le canapé que
j’avais installé quelques années auparavant, lorsqu’on avait décidé de refaire la
décoration de ce vaste bureau. Le lieu était devenu clair, reposant et élégant, un
bel espace où j’avais été actif et heureux, sûr de moi, prolixe avec mes visiteurs
et mes confrères, patrons de médias, invités, personnalités de tout bord, où
j’avais été si fier d’étaler la certitude de mes expériences et le jaillissement de
mes idées. Si convaincu que ces hommes et femmes m’aimaient et
m’admiraient, si satisfait de recevoir les ondes de leur affection. Je vais donc
m’étendre et déposer sur ma poitrine un sweater qui me protégera du froid et je
vais fermer les yeux, en plein jour, en plein centre de ce bouillonnement
permanent qu’est un lieu de communication, d’information et de spectacle, je
vais me couper de cette fébrilité créative qui a été si longtemps ma passion, ma
vocation – je vais m’abandonner pour la deuxième fois dans la même journée à
la poussière et au sable de mes paupières et à l’impossible espoir que, lorsque je
me réveillerai, ça ira mieux.
Mais, bien sûr, ça n’ira pas mieux. Ça ira même un peu plus mal. Ça va, tout
le temps, un peu plus mal. Et puis, ça va très mal. Et puis le mot « mal » lui-
même n’a plus de sens. Il faudrait trouver un autre mot.
3
Elle ne le reconnaît plus. Elle croit voir le visage d’un autre homme.
Cet être courbé et amaigri – il perd quelques kilos chaque semaine –, cet
interlocuteur qui n’interlocute plus, ce quasi-muet, voix basse et lente, cette
absence de toute affection, cette perte de désir, cette incapacité d’un seul geste
de tendresse, d’un seul regard chaleureux ou complice, cette dévalorisation de
lui-même – ces mots qu’il prononce à chaque maladresse car il tombe, il casse et
il perd des choses ou il en oublie – à chaque fois, ces mots qu’il murmure, tête
baissée vers le sol :
– Quel con je fais !
Accentuant ainsi son autodépréciation. Cette fuite dans les yeux, cet arrêt de
toute activité créatrice. Ce spectacle, matin et soir, d’un homme que rien
n’intéresse ni n’amuse, dont rien n’avive la curiosité, l’appétit, ni même cet
amour qu’il énonce régulièrement mais sans conviction, avec monotonie, et dont
il ne donne désormais plus aucune preuve, prisonnier qu’il est de son angoisse.
Ce spectacle qu’il livre sans retenue ni orgueil à ses enfants. Qui est cet
homme ? Est-ce le même avec qui elle a tant partagé, tant vécu d’années et
d’instants, d’heures et de minutes ? Qui est cet étranger ?
Tout l’irrite. Le moindre bruit, le son de la radio, du CD, c’est trop fort, il
faut baisser le volume. Les cris de petits enfants dans la cour, cinq étages plus
bas. C’est insupportable, il faut les faire taire, ils sont odieux, ces gosses, j’ai
besoin de silence, enfin, quoi !.. Tout le froisse. Son fils, qui a pratiqué avec lui
dès le début de son adolescence le jeu de l’ironie, la fausse insulte qui n’est
qu’une dissimulation de l’amour, ce garçon avec qui il a construit une relation de
connivence, d’émulation et de stimulation, et qui, pour forger sa propre
personnalité, a joué de la critique et de la contestation, ce que le père acceptait et
encourageait même ! – son fils donc, va continuer à l’interpeller, le moquer, le
singer. Mais le père ne peut plus accepter ce jeu. C’est cruel, on l’attaque, on
veut le détruire, on se ligue contre lui. Il est convaincu que sa femme et ses
enfants ont formé une alliance pour le ridiculiser, l’humilier. Il lève les yeux au
ciel, engrange l’amertume et le ressentiment : personne ne me comprend, tout le
monde veut ma perte...
Lorsque son fils a quitté la cuisine se dirigeant vers sa chambre pour y
travailler, sa femme l’interroge :
– Tu te rends compte de ce qu’il voit ? Ce qu’il pense et quel effet ça a sur
lui ? Il est en pleine année du bac, il a besoin de calme et de certitudes. Est-ce
que tu penses à lui ? Est-ce que tu penses à moi ? Est-ce que tu penses aussi à
notre fille, qui s’apprête à repartir seule à l’étranger ?
Il y a des soirs, comme ça, où elle ne peut plus retenir ses larmes. Il la
regarde. Lourd d’une culpabilité qu’il ne parvient pas à exprimer, il se lève pour
la prendre dans ses bras et ne peut que murmurer :
– Je te demande pardon. Ne m’en veux pas. Ça va aller, crois-moi. Je vais
faire des efforts. Je te le jure.
Mais ça n’ira pas. Il a menti. Il n’a fait aucun effort. Ça n’est pas qu’il ne
veuille pas. Il voudrait bien. Mais il ne peut pas. Il s’enfonce.
5
C’est une chance. Il y a des gens qui n’ont personne. Et même s’il y a
quelqu’un, ce quelqu’un n’est personne. J’ai connu, depuis, quand ils venaient
me raconter leur douleur, sachant que je l’avais éprouvée avant eux, des gens à
qui je demandais :
– Tu as quelqu’un qui t’aide, qui t’écoute et te parle, et te comprend ?
Et qui me répondaient :
– Non, il n’y a personne.
Ma chance, ma providence, devrais-je écrire, s’appelle Françoise. Elle a tout
supporté depuis les premiers réveils à trois heures et demie, quatre heures du
matin. Elle n’a pas plus dormi que moi, mais je ne le sais pas. Elle a parlé,
interrogé, elle m’a secoué, encouragé, admonesté, puis elle a à nouveau tenté, en
vain, de me valoriser. Elle a appelé les amis indispensables. Elle a alerté mon
frère. Elle a organisé leurs visites. Elle a adapté son temps, ses occupations, ses
obligations à mon temps et à ma vacuité. Elle a failli y perdre son activité, voir
exploser ses propres fonctions, mais je ne le sais pas. J’ignore ce qu’elle endure.
Elle a réduit ses voyages, annulé des sorties en commun, inventant des excuses,
ou bien, selon l’ami, disant la vérité : « Ça ne va pas bien. » Elle a fait front,
s’occupant du difficile et important transfert de notre fille, Clarisse, d’un collège
de Londres à un collège aux États-Unis, mais je n’ai pas conscience de ces
efforts.
Déjà, quelques années auparavant, quand j’avais failli mourir d’une bactérie
inconnue qui avait ravagé mon système respiratoire, elle avait tout tenu : la
maison, les enfants, son travail. Après cette épreuve, elle avait cru avoir connu le
plus dur. Elle m’avait vu revivre, nous en étions sortis allégés – et moi, plus
proche des choses tendres et simples. Peut-être avait-elle entretenu, en elle-
même, la notion secrète que c’était presque trop beau. Peut-être, avec cette
prescience et cette science de la vie qui rendent les femmes plus fortes, au-delà
de leur fragilité apparente, avait-elle redouté une rechute, quelque autre accident
de parcours.
La vie lui avait appris ça, sa vie. La mort prématurée de sa mère, la
disparition trop rapide de son père lui avaient appris, encore plus qu’à moi,
l’impermanence et la précarité de toute chose. Pourtant, elle avait tourné cette
page et me croyait solide, mieux à même de discerner ce qui est grave de ce qui
ne l’est pas, d’exploiter le sens de la relativité, donner sa valeur à
l’irremplaçable : expression et manifestation du geste d’amour quotidien. Je
l’avais cru aussi.
Et voilà que, sans crier gare, sans signes avant-coureurs, au retour d’un
séjour sur l’eau, sur un bateau au large des calanques de Cassis, elle avait décelé
le début d’une mutation dans ma voix, deviné une perte d’étincelle dans mes
yeux, l’annonce d’une fracture dans mon comportement. L’accélération avait été
impressionnante. Quelques jours plus tard, j’entamais le marathon de mes nuits
de sueur, le rendez-vous de trois heures du matin, la douleur psychique.
Maintenant que la faille était ouverte, elle se retrouvait aux prises avec quelque
chose de plus incompréhensible qu’une bactérie mortelle, quelqu’un de plus
pathétique qu’un comateux entubé à une machine respiratoire sur un lit de
réanimation à l’hôpital Cochin.
Elle ne reconnaissait plus son homme.
Elle l’avait connu éloquent, choix des mots, choix des moyens. Il ne
s’exprimait plus, ou presque. Quelques onomatopées, quelques formules plates :
« Ça va pas, je sais pas, j’y arrive pas. » Ou alors : « Je te demande pardon,
je vais faire un effort, tu vas voir », promesse qu’il ne tenait jamais.
Son visage même, qu’elle avait chaque soir face à elle, lui semblait perdre de
sa composition. Des petits creux apparaissaient, des sillons infimes. Au haut des
joues, sous les paupières, on aurait dit qu’un acide avait entamé la peau. Les
couleurs avaient changé. On était dans du gris, du pâle. Il traînait les pieds, cela
devenait pitoyable et, parfois, tout bonnement désespérant. Elle était partagée
entre la colère et la révolte, la volonté de le comprendre et le secourir. Où était
passée son énergie ? Son désir ? Et d’ailleurs, ces deux mots n’exprimaient-ils
pas la même vérité, puisque le désir c’est une énergie, et l’énergie c’est du désir.
Elle choisissait, d’une part, de fouetter son orgueil, faire appel à son sens des
responsabilités, sa position de père de famille et d’adulte, d’autre part,
d’invoquer et rappeler leur histoire intime, la construction de leur couple et de
leur bonheur, l’exemple qu’ils avaient donné à leurs enfants, le modèle qu’ils
avaient voulu être, les études que Clarisse était en train de réussir. Elle pensait
aux jours anciens.
– Tu m’as toujours dit dès notre première rencontre, lui rappelait-elle, qu’il
ne faut jamais se déprécier. Tu ne vaux pas rien, tu n’es pas nul, tu as fait des
choses, tu t’es exprimé dans tant de domaines et avec tant de réussite.
Il ne répondait pas, ou peu. Il tournait autour du même étroit périmètre de
l’appartement quand il ne collait pas à elle, car elle avait remarqué qu’il la
suivait de pièce en pièce lorsqu’elle se déplaçait pour s’habiller, s’activer. Ça
l’oppressait, elle en aurait suffoqué, elle en aurait sangloté, aussi, si elle n’avait
pas eu le réflexe de cacher son chagrin et dissimuler le sentiment qui la
taraudait :
– Ça ne peut pas durer, et pourtant ça dure, et on dirait que ça durera
toujours.
« Il n’y a rien de plus déprimant que de vivre avec un déprimé », devait lui
dire, plus tard, un spécialiste. Elle luttait contre ce risque : je ne craquerai pas, se
disait-elle, je ne peux pas craquer. Mais l’alarme sonnait trop fort tout le temps
pour qu’elle ne prenne pas les choses en main, puisqu’il en était incapable.
Puisque, c’était étrange, il n’avait jamais prononcé le mot devant elle. Le mot
vrai. Dépression.
10
J’essaie de lui dire l’impasse dans laquelle je me trouve, mais comme je suis
face à un inconnu qui, néanmoins, m’explique qu’il sait très bien qui je suis, ce
que j’ai fait, publié, écrit, un petit sursaut de comédie sociale va me reprendre et,
dans la même phrase, je lui exprime mon souci de préserver ma situation, la
sauver, et donc la nécessité de fonctionner malgré tout – cette idée tenace que je
ne dois pas m’arrêter, qu’il doit me soigner, certes, tout en me permettant
« d’aller au bureau ».
Car je n’ai pas encore tout à fait renoncé. Je nourris encore la conviction que
je ne dois pas lâcher ma position. Je n’ai pas encore compris ce qui, plus tard,
apparaîtra aussi transparent que l’eau de la roche : c’était fini, il fallait tourner la
page. Mais je m’accroche au vestige de mon titre présent, à la perspective d’un
titre futur, à mes avantages acquis, à cette routine confortable, la douce odeur du
pouvoir, le rôle valorisant de patron de média. J’aime ça, mais je ne l’aime plus,
mais je n’arrive pas à admettre que je ne l’aime plus. Il y a conflit interne : si tu
accèdes au fauteuil présidentiel, tu peux tirer un trait sur l’écriture, le
journalisme de terrain, la créativité dont tu te réclames, l’éclectisme que tu as
toujours pratiqué. Tu ne seras plus toi-même. Cependant, tu l’as voulu ce
pouvoir, putain ! Tu l’as voulu, ce petit galon de plus, il s’offre à toi – mais
quelque chose de fort et d’inattendu est venu tout figer. Il y a un obstacle, un
refus. Et comme tu es encellulé dans ton orgueil, tu refuses ce refus. Alors tout
est bloqué et il y a crise. Et comme tu ne peux la résoudre, tu plonges dans la
maladie.
Rien de tout cela, au moment où je fais enfin face à ce dont j’ai besoin, un
psychiatre, un professionnel, rien de ces évidences ne m’est apparu dans un
ordre logique. J’ai livré en vrac, avec parenthèses, contradictions, ce qu’autrefois
j’aurais pu concevoir et énoncer clairement.
Il a tout écouté. Il interrompt, se renseigne, puis il dialogue et interroge.
Chacune de ses questions appelle de ma part une réponse brève et je m’aperçois
que rien de ce que je dis ne semble le surprendre. J’essaie, avec lui, de préciser
le jour et le moment où j’ai senti le mal surgir. On remonte le temps, les
anecdotes, les confrontations, les dates clés, celles d’hier et on pense à demain –
ce qui va se passer, dont je ne sais pas si je pourrai le supporter. Tout ça ne lui
semble pas très original. On dirait qu’il a entendu ça cent fois : tous les
symptômes sont là, il est en territoire familier.
– Vous avez des vertiges, quand vous descendez du lit le matin, vous
manquez tomber ?
– Oui.
– Vous vous réveillez en sueur vers, quoi, trois ou quatre heures du matin ?
– Oui.
– Et vous ne pouvez plus retrouver le sommeil ?
– Non, je ne peux plus.
– Vous avez envie de manger, boire, sortir, voir des gens, parler, rire ?
– Non.
– Vous n’avez plus aucun désir, aucun intérêt pour la vie sexuelle, aucune
pulsion sexuelle ?
– Non, aucune.
– Vous avez des idées de mort ?
– Ça m’a traversé.
– Vous arrivez à communiquer avec votre femme ?
– Non, pas vraiment.
– Mais vous avez besoin d’elle, de lui parler ?
– Oui.
– Montrez-moi vos mains, là, mettez-les à plat au-dessus du sol, écartez les
doigts et tendez-les.
Je me lève et m’exécute. Ça tremble, que dis-je, ça tremble, ça branle à la
façon des os des foires foraines, ça grelotte, ça trémule, ils ont la danse de Saint-
Guy, les doigts, ils font la gargouillarde. Il y en a un, en particulier, le petit doigt,
qui s’agite tellement que je me demande si je ne vais pas le perdre, s’il ne va pas
tomber de lui-même par terre, sur le carreau de la salle impersonnelle où me
reçoit le toubib. Je n’avais pas remarqué ce dernier avatar, jusqu’ici. Pourtant
j’avais à peu près recensé toutes les anomalies, j’avais passé du temps à me
contempler dans le miroir de la porte de la chambre. Je m’étais tellement regardé
comme si, narcisse de ma maladie, ça me plaisait d’observer les inédites
apparitions de la décadence physique. Comme si le dégoût du déprimé n’interdit
pas une sorte de fascination pour la transformation de son corps et de son visage.
Comme si, stupéfait de découvrir un nouvel homme, un autre moi, on éprouve
une manière de délectation à l’accueillir et à le laisser envahir son enveloppe
d’autrefois. Il peut arriver qu’un déprimé tombe obscurément amoureux de sa
brisure. C’est une des perversités de ce mystérieux fléau, avec ce corollaire : le
symptôme même de la dépression vous déprime. Voilà le vice absolu : la
dépression se nourrit de sa propre nuisance. C’est un monstre qui s’autodévore.
Déprimé donc, le mot est là, il me soulage, il me fallait l’entendre prononcé par
un praticien en blouse blanche dans la petite salle d’un immense hôpital.
– Déprimé. Vous faites une dépression nerveuse. Vous y êtes en plein, très
profond. Mais on va vous en sortir. Si vous le voulez bien, je vais appeler votre
femme, puisqu’elle a pris rendez-vous pour vous avec moi. Nous sommes
convenus que je lui dirai les choses devant vous.
C’est très bien, ça me va, qu’ils s’occupent donc de moi tous les deux, qu’ils
me prennent entièrement en charge, qu’ils soient mes béquilles, ma chaise
roulante, qu’ils pensent et agissent à ma place, qu’on me décharge de tout, très
bien !
Il a pris quelques notes. Il rédige une longue ordonnance. Il a dit à ma
femme :
– Donnez-moi trois semaines.
Il n’a rien promis, mais je crois comprendre qu’il a besoin (pas plus ?) de
trois semaines pour que je commence à remonter la pente. Il l’a dit sur un ton
assez sûr de lui. C’est un homme d’une quarantaine d’années, de taille moyenne,
il a déjà du ventre et le visage est mi-mou, mi-carré, épais, pas très bien rasé. Il
sent le tabac, il a les yeux clairs derrière des gros verres de lunettes sans style. Il
sourit assez souvent, plutôt cordial et rassurant, on ne se connaît pas, mais moi je
vous connais, on ne va pas se raconter d’histoires tous les deux, on va se parler
sans simagrées, je ne vous promets rien mais donnez-moi trois semaines, ça ira
mieux. C’est ce qu’il a répété à ma femme sur ce téléphone mobile dont il me
donne le numéro, je peux l’appeler à n’importe quelle heure. Nous ferons
régulièrement le point et je ne dois pas hésiter à lui rendre compte de l’effet des
antidépresseurs et des anxiolytiques. Je ne dois pas hésiter à l’appeler, on va très
vite monter les doses. Au bout de six jours, on passera à un stade supérieur, il
faut frapper fort, il faut d’abord arrêter la spirale, ensuite on va y arriver, il
répète :
– On va y arriver.
Il y a une certaine douceur dans cette voix, malgré le graillonnement de sa
gorge. Il me tend l’ordonnance.
– Toute affaire cessante, en sortant d’ici, vous achetez ces médicaments, il
faut commencer le traitement dès ce soir.
Il ajoute :
– Vous n’êtes pas un cas unique. J’ai été consulté par d’autres responsables
de votre calibre, certains même bien supérieur au vôtre, j’ai connu d’autres gens
« importants » qui ont subi ce que vous vivez. Vous n’imaginez pas le nombre
de gens qui en passent par là.
Il fait presque nuit dehors lorsque je sors du dédale vétuste de ces bâtiments
gris avec autant de difficulté que j’ai eu à y entrer. Il faut faire vite pour
rejoindre, avant qu’elle ne ferme, la pharmacie de mon quartier, face à la rue où
j’habite. Nous en sommes les clients depuis des années. Quand je soumets la
longue et éloquente ordonnance à la brune propriétaire, elle lève de temps en
temps ses yeux bruns vers moi et je crois y lire le constat : « Alors, lui aussi, ça
lui arrive à lui aussi... » Aucune surprise dans son regard, comme si cette
maladie extraordinaire appartenait à l’ordinaire des jours des hommes et des
femmes, comme si venir acheter des antidépresseurs faisait partie d’une routine
quotidienne nationale. Nous sommes, après le Japon, le peuple du monde qui
consomme la plus grande quantité de tranquillisants, somnifères, anxiolytiques.
La pharmacienne a discrètement souri et je suis rentré à la maison pour
m’étendre, épuisé par cette nouvelle étape dans un chemin sans lumière.
16
« Sans lumière. »
Je marche, les yeux vers le sol – pourquoi baisse-t-on toujours les yeux
lorsqu’on est déprimé ? Honte de soi, crainte de rencontrer les regards des autres
même si ce sont des inconnus ? – j’avance sur le trottoir sale et mouillé.
Il flotte dans l’air de la rue cette grisaille, cette sensation qu’une pluie noire
s’est abattue sur vous et sur la ville et que cela ne s’arrêtera pas. À cette heure-ci,
en cette période de l’année, tout paraît fatal. La dépression, c’est le novembre de
l’âme, le décembre du désir, le janvier du dérèglement. La lumière, je l’avais
toujours cherchée, trouvée, entretenue. À chaque fois que l’on me demandait –
banalisation du questionnaire de Proust – quel était mon mot favori de la langue
française, je répondais « lumière ». Je disais parfois aussi « rivière ». Les deux
mots riment, c’est naturel, ils ne sont jamais que deux affirmations de la vie, du
mouvement, du beau mystère des choses. Lumière ! J’en ai même fait le prénom
d’une jeune fille, héroïne d’un de mes romans autobiographiques. J’ai aimé la
lumière de tous les matins d’Algérie, du sud-ouest du Colorado, du sud-ouest du
Tarn-et-Garonne, des Costwolds, celles de New York, Venise, Los Angeles, et
de ce Paris illuminé quand j’avais vingt ans, celle des visages et regards des êtres
chers. Au cœur de ma déroute, je m’en suis dissocié, je la fuis, je récuse la
lumière comme je récuse le son. D’ailleurs, je n’aime plus écouter de la
musique. J’ai tellement aimé la musique. Une soirée à Pleyel, au Théâtre des
Champs-Élysées, au Châtelet, à Berlin, à Vienne, à Salzbourg, à écouter Verdi,
Bach, Mozart, Schubert, Mahler, à écouter mon instrument favori, le messager
de mes rêves, le piano, nulle autre émotion ne remplace cette entrée dans un
autre monde – ai-je aussi perdu cela ? Qui a dit : « sans la musique, la vie serait
une erreur » ? Sans la musique, alors, ta vie ou ce qu’il en reste, se résume à
cela : une erreur ?
Comment se fait-il qu’un homme, qui a vécu quelques années auparavant
une sorte d’ascension vers une bienfaisante lumière irréelle et qui en est revenu,
et qui, sur son lit de convalescence, versait des larmes de joie lorsqu’il voyait le
bleu du ciel apparaître par la vitre d’une chambre du service de pneumologie de
l’hôpital Cochin, puisse aujourd’hui nier tout ce qu’il a célébré ? Un homme qui
avait décidé de raconter sa « traversée » et d’affirmer le miracle quotidien de la
vie, la beauté d’un grain de sable, d’un brin d’herbe, d’une luciole, d’un feu de
bois de cheminée en plein été. Et qui reçoit, après la parution de ce récit, des
milliers de lettres de reconnaissance ou de connivence et qui répond en
solidarité, en sympathie, à chacune d’entre elles et qui, lorsqu’il participe à
quelques séances de dédicaces de cet ouvrage, utilise une fois sur deux la
formule : « Ce voyage qui m’a mieux fait aimer la vie. » Comment se fait-il ?
Les lecteurs de mes propres livres s’y reconnaîtraient-ils ? Pas plus que mes
amis, sans doute. Ils ne comprendraient pas. C’est presque comme une trahison,
n’est-ce pas, de passer aussi violemment de la lumière aux ténèbres. Alors il n’y
a qu’une réponse : il ne s’agit pas du même homme, voilà la vérité. C’est
précisément ce que m’a confié, plus tard, ma femme : « Tu étais un inconnu. » Il
est tout à fait possible que personne ne sache qui il est, que personne ne le sache
avec certitude.
17
Il y a près de trois mois que je suis sur Effexor, Tercian, Lysanxia, et autres
gouttes, comprimés et pilules. Il ne faut pas écrire « sur Effexor » mais plutôt
« sous ». Vous êtes recouvert par l’antidépresseur, dominé, chapeauté et plombé.
Il s’est assis sur vous, il vous a habillé d’une camisole engourdissante et
abrutissante, il vous permet de vaguement résister, il vous a « tassé », comme dit
le docteur.
Ces effets secondaires, dont on vous a dit qu’on s’y habitue, qu’ils ne durent
pas, n’ont rien perdu de leur force, ils ont encore réduit vos moyens. Pas
question d’écrire, à peine question de fonctionner dans des fonctions qui vont
m’être retirées, pas question d’avoir repris goût à quoi que ce soit, la vie, la
table, les amis, le spectacle, la lecture. Seul réconfort vigilant et patient,
Françoise et Jean me procurent sinon le plaisir d’être à leurs côtés, du moins un
rempart de sécurité et de chaleur. Même si je suis incapable de répondre à leur
amour, de leur exprimer ma reconnaissance, il m’est utile par petits moments.
À d’autres moments, plus fréquents, je n’entends pas le son de cet amour, je n’en
vois pas le visage. Je m’isole. Je ne suis pas « joignable ».
Je suis « tassé », mais ce tassement n’apporte aucune délivrance. Je
comprends bien, d’après le docteur que cela a permis de freiner la pente dans
laquelle je glissais. Mais on la remonte quand et comment, la pente ? Il avait dit :
« Donnez-moi trois semaines. » On n’en parle plus de ces trois semaines, ce
délai si rapide qui devait suffire à me rendre vigueur. Je n’ai aucune raison de le
reprocher au docteur P. Il sourit avec son air rassurant et compétent : – On va y
arriver.
On n’y arrive pas. On n’y arrive tellement pas que j’y perds mon
intelligence, mes intuitions. J’oublie, je confonds, je ne sais plus ce que j’ai
déclaré, ce que j’ai accepté comme accord ou compromis, je ne sais pas si j’ai dit
oui à tel ou tel, lâché telle concession, si j’ai trop confié mon désarroi, ce dont on
a profité pour m’enfoncer un peu plus.
Et puis un nouveau phénomène a vu le jour et a augmenté en puissance. Je
pose sans cesse la même question, à quelques minutes d’intervalle : – Mais tu as
déjà posé cette question, me disent ma femme et mon fils.
– Pas du tout, dis-je, pas du tout, ou alors on ne m’a pas répondu.
– Mais si, tu ne te souviens pas ?
– Non, je ne peux pas m’en souvenir puisque je n’ai rien demandé.
– Ce n’est pas vrai, tu m’as posé la question.
– Non !
J’en deviens agressif, désagréable, irrité. On me donne la réponse, alors, et,
un peu plus tard, je repose la question sans être conscient de la répétitivité de
mon acte. En général, c’est une question triviale qui porte sur le temps, le
courrier, un rendez-vous, une facture, mais elle prend une proportion qui tourne
à l’obsession. Et j’oublie aussi vite que j’ai interrogé. Je perds la mémoire de
certaines choses, des objets laissés sur un guéridon ou un lit, des coups de fil à
renvoyer, des lettres à ouvrir et qui traînent sur mon bureau. Je suis « méchant »
avec ceux qui m’aiment. Des petites bouffées de colère soudaine me montent à
la tête, je crie puis je me calme. Cela devient inquiétant. Je lis l’étonnement et la
perplexité sur les visages. Le phénomène s’accélère et le docteur P. décide, en
accord avec ma femme, de faire vérifier l’état de mes neurones. Après tout, il ne
s’agit peut-être pas seulement d’une dépression : méchanceté plus perte de
mémoire, il y a comme un soupçon d’Alzheimer dans l’air. On m’hospitalise.
21
Le Prozac, cette saloperie, cette catastrophe, n’a rien donné, rien fait d’autre
que prolonger un état dont je ne crois pas pouvoir sortir.
Le printemps est arrivé, rien ne bouge. Autour de moi, on trouve que ça va
plus mal. J’entends dire que, pour certains individus, ce médicament « miracle »,
utilisé par des millions de gens dans le monde, a eu des effets tragiques. Aucun
antidépresseur ne peut agir de façon égale et positive pour qui que ce soit. Le
docteur P. peut toujours me dire : « On va y arriver », je me demande de plus en
plus fréquemment s’il y croit encore, et si je ne suis pas devenu, pour lui, un
patient à très long terme, une bonne rente. C’est peut-être injuste, rapide et
vulgaire, d’envisager ce médecin sous cet angle, mais l’idée me gagne. Depuis le
retour des Caraïbes, nous avons changé nos habitudes. Il ne vient plus à mon
domicile, je me rends dans son cabinet, situé dans une petite rue qui monte, pas
loin du jardin du Luxembourg. Il a insisté :
– Vous êtes capable de vous mouvoir dans Paris. Bougez-vous donc un peu.
C’est au rez-de-chaussée, un étroit bureau où ne pénètre pas la lumière du
jour, les volets de la seule fenêtre sont fermés en permanence. Une odeur
persistante et rance de tabac flotte et le docteur semble faire un effort pour ne
pas fumer devant moi, bien qu’il soit chez lui. Il m’écoute. Je l’écoute. Il m’a
recommandé de parler aussi, parallèlement, avec une thérapeute qu’il a dénichée
pour moi. « Comment ça se passe avec elle ? »
J’ai déjà rencontré cette femme à plusieurs reprises. Elle est brune, fort
maquillée, avec un parfum capiteux qui me dérange tellement que je décide que
ça ne va pas marcher, qu’elle ne m’apportera rien, cette dame à la jupe étroite et
rouge, et je fais une fixation immédiate à l’encontre de cette spécialiste, pourtant
bienveillante, patiente, claire dans ses questions et dans l’affirmation répétée de
ma revalorisation possible, certaine même ! – il suffirait que je suive sa méthode.
Mais quelque chose ne marche pas. Dès la première séance, je ne vais lui
accorder aucun crédit et, malgré la faiblesse de mes pensées, une sorte d’énergie
négative m’anime à son égard, une forme de condescendance. Comme si
j’estimais que son discours était primaire, qu’il ne m’enseignera rien que je ne
sache déjà. Comme si je me disais : « Je suis plus intelligent qu’elle, tout ce
qu’elle me dit sur moi, je le sais déjà, j’en ai fait la matière invisible de tous mes
livres. » Quand je l’écoute parler de thérapie cognitive, quand elle me confie des
petits livres rouges qui expliquent tout cela, et je dois lire ces livres après l’avoir
quittée, quand elle me demande, pour les prochaines séances, de dresser une liste
de ce que je n’aime pas chez moi, ce que je pourrais corriger, ce que je me crois
capable de faire ou ne pas faire – je ne prends pas l’exercice au sérieux. Elle s’en
est vite aperçue et m’en a parlé. Je lui ai menti : « Non, non, tout va bien, je vous
suis, je vous fais confiance. » Elle a continué, luttant contre le courant.
Logiquement, j’aurais dû arrêter, mais j’avais peur de la vexer et de lui dire la
vérité : « Ça ne va pas, je ne suis pas plus fait pour vous que vous pour moi. Je
ne comprends pas bien ce pouvoir de pensée positive que vous m’expliquez. Ou
plutôt, je le refuse, vous me récitez une leçon que je ne peux pas suivre. »
Mais je me dis que, peut-être, la prochaine fois, ça ira mieux. Et puis, je n’ai
rien d’autre à faire. Alors, je continue de lui rendre visite. Mais cette méfiance
envers la dame au parfum violent et à la jupe rouge approfondit les questions que
je me pose au sujet du docteur P. lui-même. Je ne sais plus si je lui fais
confiance, mais je n’ai pas la force de le dire. Encore une fois, ma femme va
faire bouger les lignes.
– On peut parler, me demande-t-elle un soir.
Cette précaution verbale n’est pas inutile, puisque je suis enfermé dans le
silence. Il faut frapper à une porte invisible pour tenter d’y entrer. Sa formule est
d’une extrême politesse, d’une extrême sagesse :
– On peut parler ?
– Bien sûr, dis-je.
En réalité, je n’ai besoin que de cela : parler, et qu’elle me parle. Qu’elle
continue de m’aider, me dire avec lucidité ce que j’ai besoin d’entendre.
– Ton changement de traitement, dit-elle, n’a rien changé, tu ne vas pas
mieux. Tu vas même plus mal. C’est très clair pour moi et pour nous tous.
– Tu as raison, dis-je.
Si l’on considère les visites au docteur P., celles à la dame en jupe rouge et
au parfum insupportable, les siestes de l’après-midi, les insomnies de la nuit, les
tentatives de donner le change au cours de quelques rencontres, l’inaction quasi
totale, l’absence d’initiative, juste les apparences – elle a raison, il est exact que
je suis réduit à un état d’inertie que le Prozac n’a pas dissipé.
– C’est très clair, répète-t-elle.
Il est intéressant de noter qu’elle m’a tenu ces propos vingt-quatre heures
après son retour d’un court voyage. Celui qui vit aux côtés d’un déprimé, s’il ne
déprime pas lui-même peut finir par s’habituer à cet état et sinon s’en
accommoder, du moins en devenir le prisonnier consentant, le codétenu
inopérant, un gardien résigné. On peut se faire piéger, on peut tomber dans la
torpeur de l’atmosphère délétère de la maison du déprimé. Distance et recul
permettent de dessiller les yeux. Revenir de quelque part, ailleurs, redécouvrir
avec un œil neuf le même visage amaigri, entendre le même ton essoufflé,
constater qu’il n’y a aucune modification, saute aux yeux comme aux oreilles :
non seulement rien n’a changé, mais c’est pire. Ma femme continue :
– Tu devrais consulter quelqu’un d’autre. Après tout, peut-être ce docteur
fait-il fausse route.
– Peut-être, dis-je.
J’hésite. Mes faiblesses resurgissent tout de suite : indécision et mauvaise
conscience ! Si je consulte un autre médecin, que vais-je dire à celui qui me
traite depuis si longtemps et avec qui, bons ou mauvais jours, j’ai établi comme
un rapport, une liaison ? Il va m’en vouloir, je me sentirai coupable. Aurai-je
assez d’audace pour le lui annoncer et le quitter ? En même temps, si je ne bouge
pas, si je n’ouvre pas une fenêtre, que puis-je attendre de ces journées qui se
suivent et se ressemblent ? Françoise balaye mes scrupules. Elle agira vite. On
lui a recommandé un autre spécialiste. Il s’est occupé d’une relation commune
qui en avait été satisfaite. Je découvre que le rendez-vous est déjà pris. Le jour et
l’heure sont arrêtés, demain, dix-huit heures, dans le seizième arrondissement.
– Bon, j’irai, dis-je.
C’est un tournant, l’un des premiers, mais je l’ignorais.
Le docteur C. est ferme. Il m’a écouté. Je lui ai tout dit. Au bout d’une heure,
j’ai demandé à le revoir pour une autre consultation. Il m’a dit non :
– Je ne vous prendrai pas comme patient, ou plutôt, disons-le comme ceci :
je vous déconseille fortement de changer d’interlocuteur. Je vous recommande,
au contraire, de continuer à voir mon confrère. Il vous traite et vous suit depuis
de très longs mois, il a donc le dossier en main. Si vous venez auprès de moi, il
me faudrait beaucoup trop de temps pour...
Il observe un silence.
– Et puis, continue-t-il, la manière dont il conduit son travail avec vous
n’appelle aucune critique, ni commentaire de ma part. C’est un homme
compétent, je le connais. Je vais lui parler. Vous ne devez avoir aucun scrupule.
Ça se fait, ces choses-là, on a l’habitude. Personne n’en prend ombrage.
On dirait que ce propos m’a soulagé – j’avais tellement craint de commettre
une sorte d’infidélité, de « tromper » l’homme avec qui s’est construite une
relation ni chaleureuse ni complice, mais une relation tout de même – un homme
à qui l’on donne de l’argent pour lui confier ses peurs et ses secrets et pour qu’il
vous en guérisse. Ce qui me soulage aussi, c’est que le docteur C. confirme ce
que m’a dit fréquemment l’autre psychiatre, mais en utilisant un nouveau terme :
– Vous souffrez de ce que l’on appelle une dépression situationnelle.
C’est un inconnu, un homme neuf qui me le dit, et l’expression utilisée est
inédite. Je ne l’avais pas entendue formulée ainsi. Le docteur C. m’a inspiré
confiance. J’ai cru en son discours alors que j’en avais souvent refusé d’autres.
Après une courte pause, il conclut :
– Je crois que si le Prozac ne marche pas, il vaut mieux l’arrêter. Je vais
m’en entretenir avec mon confrère. Je lui suggérerai une autre molécule. C’est
un antidépresseur des plus anciens, l’un des premiers, et c’est celui-là que
j’essayerais et cela, je peux le suggérer, sans interférer dans l’exercice de mon
confrère.
À force d’avoir lu les notices des anxiolytiques et des antidépresseurs dont
on m’a nourri depuis maintenant ce qui me paraît la durée d’un siècle, à force de
m’être plongé dans les dictionnaires et les encyclopédies médicales, j’ai
l’impression d’être devenu un véritable connaisseur, un spécialiste. Toute
médication m’intéresse, toute pharmacopée. Je demande :
– C’est quoi exactement, ce médicament ?
– Ça s’appelle Anafranil. On s’en est beaucoup servi à une époque et puis on
l’a abandonné. Maintenant, on y revient un peu. En tout cas, pour vous, c’est
celui que je recommanderais.
Je note le nom. J’ai sorti mon carnet et mon stylo. À la vue de ces objets, le
docteur C. ajoute :
– Ne revoyez pas mon confrère avant que je lui aie parlé. Je le ferai dès
demain. Appelez-moi dans l’après-midi.
TROISIÈME PARTIE
« Car tu apprendras d’elle. »
26
Quand j’écris que les choses ne sont pas aussi simples, je veux dire que,
parallèlement au bénéfique travail de l’Anafranil, d’autres éléments étaient, me
semble-t-il, imperceptiblement entrés en action, de façon irrégulière, sporadique,
invisible.
Je dois tout, ou presque, à l’amour qui m’a été prodigué par ma femme, mes
enfants, mon frère aîné et un nombre réduit d’amis intimes. Je dois tout, ou
presque, à ce produit, ce médicament. Je dois tout aussi, bien sûr, ou du moins
quelque chose, aux médecins, certains plus faillibles que d’autres, qui ont fait
leur part du travail. Mais je crois aussi à d’autres ressorts, mystérieux,
insondables, dont on ne comprend jamais assez l’importance.
À tort ou à raison, je crois que nous possédons une dose incalculable de
ressorts internes, de mécanismes salvateurs. Il y a, au fond de nous, dans les
couches sédimentaires de notre identité, une capacité de volonté, un noyau dur
de respect de soi, une notion de dignité qui n’est pas éloignée de l’orgueil, la
fierté d’être ce que l’on est. Ces réflexes ne sont pas rationnels et je les
assimilerais plutôt à des émotions, mais on peut aussi estimer que les émotions
fondent notre conscience et notre âme et interviennent à un moment ou un autre
sans que nous ayons décidé d’aller les chercher. C’est venu tout seul, du plus
profond de notre matrice. C’est la part cachée de notre iceberg, cela commande
nos actions sans que nous en ayons raisonnablement décidé.
Ainsi, lorsque je glisse sur le trottoir de la rue de Varenne et que, le muscle
de l’épaule sidéré, je suis victime d’une « rupture partielle de la coiffe des
rotateurs », le psy me dit : « Si vous êtes tombé, c’est que vous vouliez que cela
vous arrive, c’est une conduite d’échec », d’accord – je veux bien –, mais malgré
tout, dès le lendemain, muni d’une écharpe en Velcro plastique bleue et lourde
et, certes sous différentes pressions et influences, je me suis redressé. L’épaule
infiltrée à la cortisone, handicapé et diminué, la tronche bourrée de
médicaments, calmants et antidépresseurs, me déplaçant comme une espèce de
zombie, je l’ai tout de même fait, le voyage à Luxembourg, j’y ai tout de même
figuré ! Cela ne m’a été d’aucune utilité professionnelle – j’avais, par mon
propre comportement, signé ma propre perte de pouvoir –, je n’en ai rien retiré,
dans ma dépression, que douleur, humiliation, gêne. Mais quelque chose en moi
m’a décidé à le faire. Je n’étais pas complètement un sac vide, une loque.
Ainsi, lorsque dans l’hôpital où je suis confiné pendant quelques jours afin
de subir des tests de mémoire, je découvre sur le sol de ma chambre une merde
déposée par l’un des malades mentaux qui habitent le même pavillon où l’on
m’a installé, faute de place ailleurs, une réaction de révolte m’a parcouru. Et j’ai
cette pensée : « Tu ne vas tout de même pas te laisser avoir, te soumettre à cette
dégradation. Fais tes tests, et gicle d’ici, vite fait. » Seul, dans un environnement
que je considérais comme totalement hostile, j’ai eu ce réflexe. Le sursaut n’a eu
aucune suite. À la sortie de l’hôpital, je n’allais pas mieux qu’en y entrant et
j’étais, là encore, si je consulte le calendrier de ma dépression, en plein cœur de
ma nuit. Il n’empêche : le sursaut s’était produit. La ressource souterraine avait
émis un signal, un appel. Ce n’était pas moi qui l’avais décidé. Ou plutôt, c’était
ce moi inconnu qui avait manifesté son existence. Je n’étais pas complètement
un déchet en plastique sur un océan pollué, au large des côtes.
Ainsi encore, lorsque contre toute envie et désir de nager, mais poussé à le
faire par mes compagnons de voyage aux Bahamas, je plonge dans un mince
chenal d’eau vive et me sens pris dans un courant rapide, je suis saisi par la
trouille, mais je ne me laisse pas entraîner. À cette date-là, pourtant, je suis dans
un état de faiblesse rare. Je n’ai plus de résistance physique, mes muscles ont
fondu. Les antidépresseurs ont fini d’achever le travail de sape. Ils m’ont
tellement bien « tassé » que je suis aussi costaud qu’un rouleau de barbe à papa.
Il n’empêche : l’instinct autant que la peur, une force résiduelle qui était là,
quelque part, enfouie en moi, me pousse à lutter contre le courant et je parviens à
rejoindre la rive. J’aurais, en effet, pu crier au secours pour impliquer les autres,
et donc, encore une fois, me reposer sur eux, ou bien m’abandonner à la
tentation de me laisser partir vers le large. Or, j’ai franchi les malheureux
quelques mètres qui me séparaient de la rive tout seul. Je sais, je sais – ce n’était
pas un très grand exploit et il serait indécent de parler de courage à l’aune de ce
que font tant d’autres hommes ou femmes dans des circonstances tellement plus
terribles et dangereuses. Il n’empêche : dans ce minuscule moment d’une vie
quotidienne, alors que j’étais, là encore, au milieu de ma nuit, un feu s’est
réveillé. Je n’étais pas complètement une caricature, une chiffe molle, un ersatz
d’homme.
Ainsi encore, pendant que, au cours de mes séances chez la
psychothérapeute à la jupe courte et rouge et au parfum violent, je me rebiffe et
m’oppose à ce qu’elle me dit. Lorsque, après plusieurs rendez-vous, je viens
finalement lui expliquer que non, décidément, ça ne marche pas, cela ne
m’apporte rien, je ne peux pas voir dans cette attitude seulement le refus de me
faire soigner ou le rejet de la personne qui se trouve en face de moi. Elle m’aura
aidé, cette dame, sans aucun doute, à sa manière, ne fût-ce que par sa douce
insistance à me persuader que je n’étais pas nul, qu’il fallait cesser de patauger
dans la non-estime de soi. Si j’ai autant opposé une résistance à son discours, à
sa méthode, c’était que quelque chose, là encore, venait me dire : « Ça va, tu as
compris, tu n’as plus besoin de cela, ce chemin-là, tu peux le faire tout seul. » Je
suis pourtant revenu la voir, après lui avoir déclaré que je ne souhaitais plus la
consulter. Pour m’excuser, peut-être, par cet esprit de l’escalier qui m’habite
souvent, et aussi pour prolonger le dialogue, après l’avoir refusé. Nous avons eu,
alors, une longue conversation apaisée, bienfaisante. Drôle de rapports, curieuses
rencontres au cours desquelles j’avais fait preuve d’arrogance à l’égard de la
jeune praticienne, presque de la morgue. Comme si je m’étais dit : « Je suis plus
fin qu’elle, tout cela est trop scolaire et trop premier degré ! » Eh bien
précisément, cette arrogance avait sans doute quelque vertu, puisqu’elle
démontrait que je possédais, là encore, des ressources, une réactivité, un peu de
caractère, un semblant d’analyse indépendante. Je m’étais buté face à la dame.
Cela signifiait qu’il me restait une sorte d’énergie, un orgueil bien ou mal placé,
peu importe. Je n’étais pas complètement un raté aux neurones brûlés, une loche,
un type qui avait eu du talent et une pensée abstraite, autrefois. Je n’étais pas
complètement « foutu », comme l’avait généreusement décidé l’un de ceux qui
souhaitaient secrètement ma perte.
Ainsi encore, et pour finir, le tournant du mois de mai : lorsque Françoise me
propose de consulter un autre psychiatre. Bien entendu, l’intelligence de sa
démarche et de ses observations m’interdit pratiquement de me dérober devant
cette initiative. Mais j’ai rencontré des hommes et des femmes qui ont annulé le
rendez-vous du salut, qui, à la dernière minute, face à la possibilité d’une
solution, ont préféré stagner dans leur malaise. Je ne suis ni contraint ni forcé,
mais j’y vais aussi parce qu’un pressentiment me dicte que je dois chercher mon
salut ailleurs. Parce que, au fond de nous, il y a cette parcelle d’espoir, une part
inconnue de foi en un jour meilleur. Il était dix-neuf heures, les jours rallongent
à cette époque de l’année, et une pâle lumière mauve venait mordre sur la partie
non ombragée de l’étroite rue en pente, quartier calme, seizième arrondissement
vétuste, le long d’immeubles cossus et discrets, et je me revois appuyant sur le
bouton de l’interphone du docteur C. C’était une action, un geste, j’essayais
quelque chose. Je n’étais pas complètement perdu, inerte, condamné. Je n’étais
pas une pierre qui roule, une « rolling stone ». J’étais encore une individualité en
train de modifier son propre destin.
Feux clignotants, signaux fugitifs dans la nuit, étincelles éphémères,
pareilles à celles qui jaillissent lorsqu’on veut remettre en marche une batterie
qui n’a plus de jus.
Parallèlement, ou simultanément, ou presque, à partir de l’instant où
l’Anafranil a commencé de produire son effet, d’autres facteurs ont convergé
pour amorcer la remontée. L’histoire de ma dépression, comme celle de ma
guérison, est composée de synchronismes troublants qui font que, sans avoir
communiqué entre eux, des faits, des personnes produisent en même temps le
même résultat. On peut toujours attribuer cette conjonction d’événements au
hasard. On peut aussi estimer que le hasard n’existe pas. Je crois l’avoir déjà
écrit quelques pages plus haut.
29
Ne pas oublier ceux qui furent immondes, les imbéciles et les salauds, mais
se tourner plutôt vers ceux qui, comme l’« Auvergnat » de la célèbre chanson de
Brassens, m’ont « donné quatre bouts de bois Quand dans ma vie, il faisait
froid ».
Elle est donc à eux, cette chanson : à Alain M. et à Pierre H. ; à Pierre B. et à
Jean-François M. ; à Jean-Pierre L. et à Jean-Loup D. ; à Jérôme S. et à Jean C. ;
à Tom W. et au docteur C.
À leurs femmes ou à leurs compagnes.
À Anne B. et à Karine L.
Enfin, encore une fois, à ma femme et à tous mes enfants.
36