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© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 26/03/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)
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L’objectif de cet ouvrage est de « mettre en évidence l’unité d’un phéno-
mène généralisé : la présentation de soi dans sa dimension verbale » en
en explorant « le fonctionnement, les fonctions sociales et les enjeux »
(p. 209). Ruth Amossy s’attache avec minutie et clarté à apporter des
éléments de réponses théoriques, abondamment illustrées par des
exemples et des analyses, à la question qui structure le livre : comment
les moyens verbaux et discursifs sont mis au service de stratégies qui
ont pour fonction de dire et de construire (en confirmant, infirmant
ou réifiant) des positionnements qui deviennent des composantes dis-
cursives de l’identité du locuteur.
L’ouvrage, est structuré en deux grandes parties, précédées d’une
introduction qui en présente les objectifs et les grandes lignes.
La première partie est constituée de 3 chapitres dont les deux pre-
miers proposent un cheminement dans le temps, les approches et les
disciplines pour poser les bases théoriques de la réflexion. Dans le pre-
mier chapitre, l’auteure croise et assimile des outils conceptuels en
apparence aussi éloignés que la notion aristotélicienne d’ethos et celle,
centrale dans l’œuvre et la microsociologie d’E. Goffman, de présenta-
tion de soi (désormais PdS) qu’elle combine à la notion d’image de soi
dans les discours de D. Maingueneau.
Le chapitre deux ancre les comportements verbaux et les discours,
empiriquement appréhendables au niveau de leur production indivi-
duelle, dans les toiles de significations sociales partagées que constituent
les représentations sociales. Parmi ces connaissances socialement élabo-
rées et partagées (Jodelet, 1989) certaines se cristallisent parfois en sté-
réotypes qui fondent des attentes en termes de ligne de conduite verbale
ou interactionnelle. Dans ce chapitre, RA aborde ainsi le rôle que joue
la convocation de certaines figures ou ethos prototypiques dans les PdS
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questionne les rapports dialogiques, historiquement et culturellement
situés entre discours et interdiscours et entre parole, statut de l’énoncia-
teur, crédibilité, autorité et pouvoir. À la croisée de différentes traditions
disciplinaires, l’auteure apporte des éléments de réponse à la question de
savoir comment la PdS est le lieu d’une négociation entre position (état)
et positionnement (processus) (p. 85). Ce chapitre est ainsi l’occasion
d’une confrontation entre la position de Bourdieu (pour qui l’autorité
tient essentiellement au statut et à la fonction du locuteur ainsi qu’à
l’adéquation de sa parole à ses caractéristiques statutaires) et la tradition
rhétorique, selon laquelle le discours peut emporter l’adhésion quelle
que soit l’identité préalable de l’énonciateur.
Loin de spéculations « purement » théoriques, cette partie dans
laquelle l’auteure construit les fondements de sa thèse est abondamment
illustrée par des exemples et des d’analyses de discours politiques, de
conversations amicales, de posts sur des forums ou encore de pratiques
langagières de jeunes banlieusards.
La seconde partie débute par un quatrième chapitre qui, en revenant
aux origines de la problématique énonciative chez Benveniste, s’intéresse
aux relations dialogiques et constructivistes au sein de l’indissociable
couple interlocutif je/tu. Amossy y revient sur la question de la dialec-
tique entre subjectivité – déterminée à la fois par la langue et ses poten-
tialités dénotatives, par la constitution du sujet dans son énonciation et
par les conditions sociales (larges et immédiates) de l’énonciation – et
la PdS comme manifestation de l’agentivité et de la responsabilité du
sujet. Différentes configurations énonciatives au sein desquelles s’opère
la PdS sont présentées et analysées.
Le chapitre suivant traite de la PdS dans ce qui constitue en quelque
sorte le « droit commun » des échanges verbaux, c’est-à-dire les discours
polymères, en interaction, configuration communicative qui implique
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lesquels la présentation d’un soi individuel est partiellement ou tota-
lement mise en retrait, suspendue ou diluée, soit parce que l’énon-
ciateur entend inscrire sa parole dans un discours attribuable à une
entité collective, soit parce qu’il s’efface ou se dissimule en tant que
producteur du discours, comme dans le cas du discours scientifique
ou philosophique. S’appuyant sur des analyses de discours aussi variés
que ceux contenus dans le rapport d’une commission gouvernementale
israélienne, dans les discours du PCF, ou encore une pétition contre
le travail dominical, l’auteure aborde de façon détaillée les liens parfois
problématiques entre la PdS individuelle et la production discursive
d’ethos collectifs. Après être revenue sur la polysémie du pronom nous,
elle en examine les diverses fonctions (capacité à fusionner des « je »,
à inclure des « tu ») dans les discours. Puis Amossy observe comment
l’inscription du sujet parlant dans une entité collective peut servir
l’énonciateur dans la construction d’éléments de son propre ethos
discursif.
Dans le chapitre 7, sont particulièrement examinés les rapports entre
la dissimulation des scripteurs/locuteurs, autorité et responsabilité.
RA y analyse dans quelle mesure les habitus discursifs journalistiques,
scientifiques et philosophiques – actualisés dans des discours monogé-
rés et ancrés dans une matérialité scripturale – satisfont à la fonction
première de l’ethos qui est de « rapporter le discours à une source fiable
et à un locuteur digne de confiance » malgré ou grâce à l’effacement
énonciatif du sujet.
Dans sa conclusion, Amossy offre une synthèse des travaux présen-
tés. Elle y souligne la diversité des domaines dans lesquels se manifeste
la PdS, ce qui justifie l’approche transversale et le dialogue entre des
disciplines et des champs de sciences humaines et sociales qui s’igno-
rent souvent, malgré des objets et des préoccupations partagés. Outre
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Press.
Irvine, J. T. & Gal, S., 2000, « Language ideology and linguistic differentia-
tion », in P. V. Kroskrity (ed.), Regimes of language: Ideologies, polities
and identities, Oxford, James Currey, 35-83.
Jodelet, D. 1989, Les représentations sociales, Paris PUF.
Ben Gourion (mai 1948), Robert Schuman (mai 1950), Jean Monnet (avril
1952), Abbé Pierre (février 1954), Nikita Krouchtchev (février 1956), Mao
Zedong (février 1957), Martin Luther King (août 1963), André Malraux
(décembre 1974), Anouar El-Sadate (novembre 1977), Jacques Chirac
(décembre 1978), Robert Badinter (mai 1981), Jean-Paul II (octobre
1986), Aimé Césaire (février 1987), Yasser Arafat (décembre 1988), Nelson
Mandela (mai 1994), Dominique de Villepin (février 2003) et Vladimir
Poutine (février 2007). Une brève présentation par Christophe Boutin
précède chaque discours en précisant les circonstances historiques générales
et des événements locaux qui le précèdent, l’accompagnent, éventuellement
lui succèdent.
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Boutin est l’auteur d’une importante introduction intitulée « L’ultime
magie du politique » (p. I-IV), elle lui permet de préciser la portée d’en-
semble de ces discours comme l’indique le titre de ses trois parties : « Au
cœur de la cité : l’homme et la foule », « Discours opportunistes et dis-
cours visionnaires », « La fabrique du discours : de l’inventio à l’incar-
nation ». Les grands discours politiques sont indéniablement le fruit
du moment et ceux présentés au lecteur dans cet ouvrage scandent les
temps forts du XXe siècle, ils sont le fait de l’homme politique moderne
qui ne peut ignorer l’opinion publique, qui esquisse, voire fait appel à un
choix de société auquel ceux à qui il s’adresse peuvent parfois participer
directement, par leur vote. Un tel discours politique n’a rien à voir avec
ce discours sur la politique que chacun de nous peut se plaire à tenir.
L’homme politique qui le tient destine généralement son discours à un
large public, il entend influer directement sur la vie de la cité et marquer
son temps et les mémoires en visant les fondements même de la société
par la question du « vouloir vivre ensemble » : « volonté de nouveau
départ, de changement… mais sans rupture, bref ce jeu subtil entre une
cohésion à maintenir et de nouvelles orientations à définir » (p. V). Qu’il
arrive aux hommes politiques « de contribuer à certains choix, certes,
qu’ils en créent à eux seuls les conditions, sans doute pas [...] C’est toute
leur ambiguïté, et c’est toute l’ambiguïté du politique » (p. VII).
Il convient de se féliciter de disposer de ces sources en précisant que
l’ouvrage ne peut être vendu : il est offert pour l’achat de deux volumes de
la collection « Champs ». Renseignements pris, il s’agirait de problèmes
de copyright. Les tâches qu’un tel recueil appellent sont étendues, les deux
suivantes s’imposent : soumettre les textes à une analyse de discours cri-
tique, les situer par rapport à leur historicité. L’analyse de discours critique
devrait entre autre, permettre de dégager les traits communs à l’ensemble
des discours comme la répétition, voire le martèlement de mots chocs
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1992, p. 1206, cité d’après Hartog, op. cit., p. 260).
Ma propre lecture qui s’étale sur trois mois, me laisse sans recul immé-
diat : une impression d’extrême hétérogénéité entre les continents, les
périodes, les idéaux, les hommes et leurs ambitions, les enjeux politiques,
la quasi permanence de conflits armés, le peu de paix. Ressort pour
moi par la tenue et la rigueur de son analyse le discours de Roosevelt
de mars 1933, je cite : « Face au manque de crédit, ils n’ont rien trouvé
de mieux que de prêter d’avantage » (Les grands discours, 2009, p. 39).
À l’époque, le pronom « ils » représente « les cambistes sans scrupules »,
des professionnels qui assurent la négociation des opérations de change ;
chacun aujourd’hui pourra le préciser en des termes contemporains,
par exemple par « nos hommes politiques ». Ressort encore le texte du
rapport secret de Krouchtchev de février 1956 : pas un mot de trop, pas
une seule concession par rapport au titre de ce rapport « Abolir le culte
de Staline ». Enfin, ressort l’émotion suscitée par le discours d’investiture
de Nelson Mandela de mai 1994. Voilà un homme qui est en prison
depuis 1962, en résidence surveillée depuis 1988, et qui ne recule pas
devant l’immense défi d’en finir avec l’apartheid, d’établir un régime de
transition et puis d’instaurer un régime démocratique d’égalité des droits
en Afrique du Sud. Presque vingt ans après, cette ambition est encore
partiellement en chantier.
Bibliographie
Hartog François, 2012, Régimes d’historicité. Présentisme et expérience du
temps, Paris, le Seuil, Collection « La librairie du XXIe siècle ».
Péguy Charles, 1992, Œuvres en prose complètes, Clio. Dialogie de l’histoire
et de l’âme païenne, Paris, Gallimard, Collection « Bibl. de la Pléiade »,
III, p. 1206.
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notre époque. Important enfin et peut-être surtout pour les questions
que posent les différents contributeurs à la sociolinguistique en général.
En ce sens, Language in Late Capitalism constitue une première publica-
tion prometteuse pour la collection ‘Critical Studies in Multilingualism’
(Routledge) dirigée par Marilyn Martin-Jones.
Ce compte rendu de lecture proposera un résumé des enjeux dégagés
dans l’ensemble de l’ouvrage avant de proposer une discussion critique.
Les onze chapitres du livre sont structurés autour de deux notions, que
les directeurs de la publication identifient comme pride (fierté) et profit.
Ces deux notions sont à la fois distinctes et profondément imbriquées l’une
dans l’autre comme le montrent l’ensemble des contributions. La fierté liée
à la connaissance d’une langue ou à des pratiques langagière spécifiques
serait un produit de la construction des État-nations aux XVIIIe et XIXe
siècles, et résulterait de la nécessité de reconfigurer les frontières en vue de
faire naître un marché national. La construction de la fierté nationale, dans
laquelle la langue nationale joue un rôle crucial, permet de transcender en
apparence d’autres catégories, classes sociales, genre, âge, pour fabriquer
des citoyens – dans le même temps elle oriente les comportements des
consommateurs vers le marché national. Le contrôle des ressources langa-
gières qui commandent les mécanismes de fierté, et de la langue légitime,
est donc un élément essentiel de la construction de positions de pouvoir
au service d’un groupe social particulier, dans le cas des État-nations les
bourgeoisies nationales. Pour Heller et Duchêne, le capitalisme tardif se
caractérise (entre autres éléments) par un déplacement du discours tradi-
tionnel de fierté vers un discours plus complexe dans lequel les notions
de fierté et de profit sont plus intimement mêlées. Ainsi, on constate que
les défenseurs de langues minoritaires articulent de manière croissante un
discours de valorisation économique de ces langues, en plus d’un discours
régionaliste plus traditionnel qui exalterait les vertus propres de la langue
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ce soit dans le monde du travail, dans celui du sport, dans le maintien
d’États-nations ou dans la défense de langues minoritaires. L’ensemble de
ces contextes permet aux différents contributeurs du volume d’explorer
le rôle de plus en plus important du langage et de la communication
aujourd’hui à travers le monde.
Le chapitre de Gal constitue un quasi-complément à l’introduction,
en ce sens qu’il tente de retracer d’un point de vue historique les formu-
lations de discours sur le langage en termes de fierté et de profit, que
Gal considère comme un axe de différentiation, en remontant jusqu’aux
débats philosophiques qui traversent l’époque moderne (en particulier
à travers les figures de Locke et Herder). Gal applique en outre à cet
axe de différentiation une analyse en termes de récursivité fractale, pour
montrer qu’au sein d’un même contexte idéologique une opposition
saillante à un niveau donné peut être projetée à l’intérieur d’un des
termes de la distinction initiale : ainsi, dans un discours de profit, qui
semble a priori exclure la fierté telle qu’elle était auparavant conçue,
l’opposition initiale peut se projeter au sein de la catégorie de profit et
y recréer le couple fierté/profit. Ainsi, Gal retrace-t-elle une généalogie
de discours autour des langues en Europe depuis le XVIIIe siècle jusqu’à
la construction européenne, en s’intéressant en particulier à la manière
dont est construit le multilinguisme par les institutions européennes.
Duchêne et Del Percio étudient ensuite le rôle du langage dans la
commodification de la fierté qui existe autour du club de football de
Bâle, en posant les questions suivantes : à qui appartient la fierté ? Qui
en profite ? Qui profite de sa marchandisation ? Quelles tensions ces
processus mettent-ils en œuvre ? Urla pose des questions similaires à
propos de la langue basque, et montre comment certaines techniques de
management appelées ‘total quality management’ ont été adoptées par
des militants basques en Espagne au cours des années 1990, alors même
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en s’intéressant cette fois à la persistance d’idéologies langagières natio-
nales chez des descendants de migrants du Bangladesh en Angleterre.
Daveluy d’une part, et Heller et Bell de l’autre, s’interrogent sur
le rôle du langage dans le maintien d’une certaine idée d’un Canada
bilingue, en se focalisant respectivement sur la marine royale canadienne
et sur les migrations saisonnières de travail dans les Territoires du Nord-
Ouest. Heller et Bell se centrent sur la tension entre mobilité et fixité
dans la construction d’une communauté francophone permanente et
légitime dans ces régions canadiennes, en dressant un parallèle entre la
mobilité contemporaine et celle qui existait dans d’autres provinces au
début du XXe siècle. Elles montrent notamment comment la nouvelle
économie déstabilise la reproduction de la catégorie de ‘francophone’
dans son sens traditionnel.
Les deux chapitres suivants s’intéressent au monde du travail : Lorente
explique comment l’État philippin a encouragé les migrations interna-
tionales de ses citoyens à travers la promotion d’une flexibilité totale, y
compris linguistique, dans le système éducatif, au détriment peut être de
la construction d’une fierté nationale selon le modèle moderniste habi-
tuel. La fierté vient alors se loger justement dans cette flexibilité. Boutet
s’intéresse pour sa part à ces figues emblématiques du capitalisme tardif
que sont les travailleurs dans les centres d’appel, pour lesquels ‘la part
langagière du travail’ est prépondérante. À travers une étude comprenant
une importante partie historiographie, elle montre comment le langage,
d’indésirable dans le travail à la chaîne, est devenu lui-même, par un
processus poussé de standardisation, une composante d’un nouveau type
de travail à la chaîne, le télétravail, opéré par des ‘travailleurs langagiers’.
Cette situation pose à son tour de nombreuses questions en termes de
modification des rapports de domination, et de leur acceptation par ces
nouveaux OS qui semblent souvent s’ignorer tels.
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temps, en plaçant le langage et la communication au centre des processus
actuels de régulation des sociétés capitalistes et de création/reproduction
de leurs inégalités sociales. Mais en le plaçant aussi au cœur de la contes-
tation de ces mêmes processus ou des tensions qui leur sont inhérentes.
Nadège LECHEVREL
Les approches écologiques en linguistique. Enquête critique
Paris, Academia, 2010, 210 pages
Compte rendu de Jacques Guilhaumou, UMR Triangle, ENS-Lyon
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et pragmatique liant histoire des idées linguistiques et histoire sociale
des concepts relatifs à la langue. À la croisée de l’histoire langagière des
concepts et de l’histoire des usages scientifiques, nous prenons connais-
sance d’une façon nouvelle de délimiter des stratégies discursives saisies
dans le contexte de production et de réception des concepts, par le fait
même de singulariser des mises en argument au sein de trajets discursifs.
En tant qu’historien des concepts, nous sommes bien sûr très intéressé
par une démarche qui permet de comprendre l’articulation des usages aux
concepts dans le champ des appellations d’« écolinguistique » et d’« éco-
logie linguistique », « linguistique écologique », « écologie du langage »,
« écologie des langues » au titre d’une approche de plus en plus dyna-
mique des relations entre les hommes, les langues et leur environnement,
et à l’encontre d’une linguistique formelle au contenu certes important
mais adepte d’un métalangage souvent incertain.
Cependant l’état des lieux, appuyé sur une bibliographie imposante à
la fois par son ampleur, et son classement thématique et chronologique
(pages 157-208), ne se réduit pas à un tableau analytique des appella-
tions qui justifie en fin de compte le choix du terme de « linguistique
écologique ». De manière tout aussi informée par un très vaste corpus,
l’enquête s’inscrit dans le champ de l’histoire des idées linguistiques.
Retraçons en les étapes.
Le chapitre 1 construit au sein des sciences sociales l’ex-cursus d’une
discipline hybride, hétérogène, ce qui permet de cerner son objet en
dépit des obstacles actuels à sa diffusion. En son sein, un objet naturel
est spatialement identifiable : l’écosystème apparaît comme un fragment
de la réalité lié par exemple à des espaces multilingues. Et la plupart des
argumentaires défendent l’idée qu’il s’agit de corréler écosystèmes natu-
rels et indexicalisation de l’environnement dans les langues. Il s’agit alors
d’approcher cette hétérogénéité sans tomber dans un nominalisme en
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de l’enquête discursive sur les diverses appellations de la discipline.
Le chapitre 3 porte centralement sur la dimension critique initiale de
l’écologie linguistique à partir de l’apport initial, mais très impression-
nant, d’Einar Haugen (1971). Le point central concerne la réflexivité
sur les pratiques des linguistes en ce domaine avec la considération
parallèle de travaux historiques attenants. C’est là où l’enquête critique
prend tout son sens, et se situe à l’intérieur même de la production
scientifique. Alors que la notion d’environnement est centrale dans les
débats, Einar Haugen récuse l’idée d’un critère spatial prédéterminé
associé à cette notion. La question de la territorialisation des langues
est ainsi mise sur le devant du débat, en donnant à la notion d’environ-
nement une dimension cognitive large, par le fait de la prise en compte
de la réflexivité des acteurs de la langue, de l’utilisateur au scientifique,
dans l’environnement social et culturel.
Le mieux sans doute est de citer un extrait traduit par Nadège
Lechevrel de l’article si novateur de Haugen en son temps : « L’écologie
de la langue peut être définie comme l’étude des interactions entre
une langue et son environnement. La définition de l’environnement
pourrait faire penser tout d’abord au monde référentiel auquel la langue
fournit un index. Cependant, ceci ne constitue pas l’environnement de
la langue, mais celui de son lexique et de sa grammaire. Le véritable
environnement d’une langue est la société qui l’utilise comme un de
ses codes. Une langue existe seulement dans les esprits (les cerveaux) de
ses utilisateurs et elle fonctionne en reliant ces utilisateurs les uns aux
autres, et à la nature, c’est-à-dire leur environnement social et naturel.
Son écologie est donc pour moitié psychologique, à savoir son interac-
tion avec d’autres langues dans les esprits de locuteurs bilingues et mul-
tilingues, et sociologique, à savoir son interaction avec la société dans
laquelle elle fonctionne comme moyen de communication. L’écologie
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point de vue méthodologique unificateur de l’espace de ressemblance
entre champs symboliques sans négliger, au contraire, une perspective
diachronique. Il apparaît ainsi l’ampleur de la modification apporté
par une telle approche écolinguistique dans ce qu’elle modifie de la
démarche du sociolinguiste qui se concentre désormais plus sur des
éléments processuels que sur des valeurs formelles. Il est ainsi possible
d’identifier des mécanismes communs, et non de simples items linguis-
tiques attribués au « génie » de tel ou tel linguiste ou à « l’exemplarité »
de tel ou tel terrain. Il est de même possible de sortir d’un point de vue
métaphorique, en promouvant une dimension épistémologique qui sou-
ligne la co-évolution de l’intérieur (l’esprit) et de l’extérieur (la réalité)
par le fait même de l’hétérogénéité, ce qui induit une proximité avec
les systèmes complexes se situant au croisement de l’interactionnisme
et de l’interdisciplinarité.
Nous retrouvons ici une préoccupation propre aux travaux les plus
récents en philosophie de l’esprit, par exemple dans la considération du
trajet de Wittgenstein à Vincent Descombes au plus près d’une philoso-
phie du langage (voir à ce propos Sandra Laugier, Wittgenstein. Les sens
de l’usage, Paris, Vrin, 2009). Les phénomènes du mental y prennent
une importance décisive, sans rompre avec une approche réaliste des
conditions de production de la langue et de l’histoire de son extérieur
même On peut également considérer un lien possible avec la sociologie
cognitive (voir sur ce point La sociologie cognitive, sous la direction de
Fabrice Clément et Laurence Kaufmann, Paris, Éditions de la MSH,
2011) sur l’organisation sociale des systèmes qui évalue la manière
dont les individus répondent à leurs tâches en recourant à des solutions
prises dans le contexte naturel de leur environnement par l’usage, dans
l’action, de toutes sortes d’outils et de concepts. Nous pouvons alors
aussi parler d’une cognition située, distribuée de nature linguistique en
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quement spatialisée de l’environnement, donc du contexte pour entrer
dans la caractérisation de processus dynamiques de manière à la fois
hétérogène, continue et unificatrice, tout en considérant un parcours
qui situe les acteurs et leur histoire au sein même du champ des savoirs
scientifiques.