Article Petit Riparia Quebec Version Definitive
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LA NECESSITE D’UNE APPROCHE INTERDISCIPLINAIRE ET INTEGREE
Olivier PETIT
Centre Lillois d'Etudes et Recherches sociologiques et économiques (CLERSE, UMR 8019, CNRS-Univ. Lille 1)
Université d'Artois, France
Résumé
Cet article vise à identifier un ensemble de notions qui entourent le concept de Riparia tel qu'il est présenté dans
l'ouvrage de synthèse de Robert J. Naiman, Henri Décamps et Michael Mc Clain, Riparia. Ecology,
Conservation, and Management of Streamside Communities paru en 2005. Le concept de Riparia est d'abord
succinctement présenté comme un système socio-écologique influencé par un certain nombre de dynamiques
spatiales et temporelles, mais aussi écologiques et anthropiques. Les notions mobilisées par les auteurs pour
qualifier la gestion des systèmes socio-écologiques ripariens sont alors présentées comme formant une
constellation d'idées et de concepts qui invitent à adopter une démarche interdisciplinaire et intégrée.
Abstract
This article aims at identifying a set of notions gravitating around the Riparia concept, as defined in the book of
Robert J. Naiman, Henri Décamps and Michael Mc Clain, Riparia. Ecology, Conservation, and Management of
Streamside Communities published in 2005. We present briefly the Riparia Concept as a socio-ecological system
influenced by spatial and temporal dynamics as well as ecological and anthropic ones. The set of notions
mobilized by the authors of this book to address the management of riparian socio-ecological systems are
presented as forming a constellation of ideas and concepts. These concepts invite us to adopt an integrated and
interdisciplinary perspective.
1
Je souhaite vivement remercier Henri Décamps et Elly Hermon pour leurs commentaires sur une version
antérieure de ce texte. Je reste évidemment seul responsable des erreurs subsistantes.
sans être nécessairement exhaustif, des notions de vulnérabilité et de résilience des systèmes
socio-écologiques, de gestion adaptative, de gestion intégrée des ressources naturelles et de
services écosystémiques. Tous ces éléments concourent, dans l’ensemble, à faire de l’objet
Riparia, un lieu d’échanges féconds sur les avancées les plus récentes de la science écologique
dans ses relations avec les disciplines de sciences sociales. Vu sous cet angle, les travaux sur
la notion de Riparia ne peuvent se développer qu’à partir du moment où s’établit un dialogue
interdisciplinaire, reconnaissant le caractère transversal et intégré des questionnements sur les
systèmes ripariens.
Afin d’analyser la notion de Riparia et de qualifier le positionnement épistémologique des
chercheurs qui travaillent sur la gestion de ces systèmes socio-écologiques, il convient
d’abord de revenir brièvement sur cette notion et sur ses caractéristiques générales. Nous
analyserons ensuite les concepts mobilisés et nous identifierons quelques enjeux de l’étude
des systèmes ripariens, du point de vue de la recherche interdisciplinaire.
Les zones ripariennes se situent à l’interface entre le lit des rivières et les terres connexes
régulièrement envahies par l’eau douce lors des épisodes de crues. Les écosystèmes des rives
des cours d’eau ont des caractéristiques spécifiques qui permettent la préservation d’un
habitat pour la faune et la flore. Ces écosystèmes ont cependant été sans cesse modifiés et
façonnés par l’intervention humaine, depuis l’établissement des premières sociétés aux bords
des cours d’eau : ce sont des éco-socio-systèmes (Walker et al., 2002) en continuelle
évolution, jamais stabilisés. Cette instabilité est une caractéristique majeure des zones
ripariennes. Dans la mesure où la notion de Riparia prend en compte simultanément un
ensemble de paramètres spatio-temporels, elle constitue un objet complexe qui se prête assez
bien aux analyses contemporaines touchant à la gestion des systèmes socio-écologiques.
Plusieurs notions sont mobilisées par les auteurs de l’ouvrage Riparia et viennent en appui à
leur analyse. Elles constituent, selon nous, une constellation de notions qui doivent être
éclairées afin de comprendre les relations qu'elles entretiennent les unes avec les autres. La
figure 1 résume un certain nombre d’éléments qui doivent être pris en compte dans l’étude
des systèmes ripariens.
Figure 1 : Une synthèse des approches de la notion de Riparia selon Naiman, Décamps et
McClain (2005)
Compte-tenu des caractéristiques que nous venons d'énoncer, les systèmes ripariens doivent
faire l'objet de mesures de gestion spécifiques permettant de préserver leurs propriétés, dans
une perspective de long terme. Un certain nombre de principes affichés dans l'ouvrage de
Naiman et al. (2005) sont précisés – principes sur lesquels nous souhaitons revenir
brièvement. Il s'agit de la prise en compte de la vulnérabilité de ces systèmes et de la nécessité
de favoriser leur résilience (II), de la conservation des systèmes ripariens pour les services
écosystémiques qu'ils délivrent (III) et enfin de la reconnaissance d'une gestion intégrée des
ressources en eau (IV).
Les systèmes ripariens sont soumis à un certain nombre de risques aussi bien d'origine
naturelle qu'anthropique. Nous qualifions l'ensemble de ces risques de risques
environnementaux, dans la mesure où bien souvent, le caractère « naturel » des risques
envisagés est à relativiser car l'impact de l'activité anthropique est rarement neutre (Morel et
al., 2010). Ces risques environnementaux concernent les phénomènes d'érosion, d'inondation,
de submersion marine et d'intrusion saline pour les rivières et les aquifères situés à proximité
des côtes, de pollution, etc. Étant donnée la complexité des relations qu'entretiennent les
espèces les unes avec les autres, avec leurs habitats et avec les communautés humaines,
l'ensemble de ces risques rendent particulièrement vulnérables les systèmes ripariens. La
vulnérabilité d'un système socioécologique, à l’instar des systèmes ripariens, peut être définie
comme la propension de ce système à être endommagé par un événement, compte-tenu de son
exposition à cet événement, ou encore comme le degré d'exposition à un risque (Décamps,
2007). Les enjeux en termes de gestion des systèmes ripariens consistent à réduire au
maximum cette vulnérabilité, en permettant leur résilience. La réduction de la vulnérabilité
dépend de la capacité à faire face du système dans son ensemble, c'est-à-dire à la fois de la
capacité intrinsèque d'absorption de l'écosystème (capacité d'absorption de la pollution par
exemple), mais aussi de la capacité de la collectivité à répondre aux risques. D'Ercole et
Pigeon (1999) estiment ainsi que la vulnérabilité « traduit la fragilité d'un système dans son
ensemble et de manière indirecte sa capacité à surmonter la crise provoquée par l'aléa ». La
notion de résilience, initialement apparue en physique (Lallau, 2008) où elle désigne la
résistance et l’élasticité des métaux, puis appliquée en écologie (Holling, 1973) et aujourd'hui
dans bien d'autres domaines (la psychanalyse par exemple avec les travaux de Boris
Cyrulnik), désigne de manière générale la capacité d'un système à revenir à un état stable
après une perturbation, tout en conservant ses fonctions et ses variables de contrôle. Le succès
de la notion de résilience en écologie tient à la prise en compte de l'impact de l'activité
humaine dans la dynamique des écosystèmes. Plutôt que de voir les activités humaines
comme extérieures aux écosystèmes (vision dominante de l'écologie jusque dans les années
1980), l'idée était de lier les deux en s'intéressant ainsi aux systèmes socio-écologiques. Selon
cette vision, les systèmes socio-écologiques doivent donc pouvoir s'adapter aux perturbations,
et les mesures de gestion qui peuvent être définies pour les systèmes ripariens doivent être
adaptatifs. Dans un contexte de prise en compte croissante des effets des changements
climatiques, l'adaptation est devenue l'objet elle aussi de nombreux travaux (IPCC, 2007) et la
nécessité de prendre des mesures réversibles de gestion pour pallier les risques
environnementaux, générés ou accompagnant les changements climatiques, gagne du terrain.
2
Groupe de travail sur le cadre conceptuel de l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire, 2003, p. ii.
écosystèmes. La valeur intrinsèque d’une entité est la valeur de cette entité en elle-même et
pour elle-même, indépendamment de son utilité pour quelqu’un d’autre. »3 Néanmoins, le
caractère opérationnel de l’évaluation n’est pas toujours clairement défini et les méthodes
d’évaluation mobilisables font apparaître un large spectre allant de l’analyse coût-bénéfice, en
passant par l’analyse multicritères, jusqu’aux méthodes participatives (focus groupes,
conférences de consensus, etc.) :
« A variety of frameworks and methods can be used to make better decisions in the face of
uncertainties in data, prediction, context, and scale. Active adaptive management can be a
particularly valuable tool for reducing uncertainty about ecosystem management decisions.
Commonly used decision support methods include cost-benefit analysis, risk assessment,
multicriteria analysis, the precautionary principle, and vulnerability analysis. Scenarios also
provide one means to cope with many aspects of uncertainty, but our limited understanding of
ecological systems and human responses shrouds any individual scenario in its own
characteristic uncertainty » (Millenium Ecosystem Assessment, 2005, p. 99)
IV. Adopter une gestion intégrée des rivières, des bassins versants et des Riparia
Tous les domaines de la gestion de l'environnement et des ressources naturelles sont
aujourd'hui traversés par l'idée de gestion intégrée. On parle désormais régulièrement de
gestion intégrée des forêts, de gestion intégrée des zones côtières ou encore de gestion
intégrée des ressources en eau. Cette idée d'une gestion intégrée, fortement ancrée dans une
perspective systémique, appelle à prendre en compte simultanément un ensemble de
paramètres longtemps traités de manière cloisonnée. Les processus de décision sont
également mobilisés au travers de cette notion, dans la mesure où la gestion intégrée repose
souvent sur une démarche participative où toutes les parties-prenantes doivent pouvoir
s'exprimer et décider collectivement. La dimension économique est aussi généralement
mobilisée avec la notion de recouvrement complet des coûts qui apparaît plus ou moins
ouvertement dans les politiques de gestion intégrée.
Dans l'ouvrage de Naiman, Décamps et McClain (2005), la gestion des Riparia est présentée
comme devant être nécessairement liée à la gestion des rivières et des bassins versants. Si la
notion de gestion intégrée n'est pas mobilisée explicitement par ces auteurs, un certain nombre
de principes énoncés nous permettent de faire ce lien. En effet, l'échelle du bassin versant est
présentée comme l'échelle pertinente pour mettre en œuvre une gestion des systèmes
ripariens. Les auteurs insistent par ailleurs sur la nécessité d'une coopération entre les parties-
prenantes (industries, citoyens, agences gouvernementales, institutions privées, organisations
scientifiques) et sur la coexistence des activités humaines et des dynamiques écologiques.
Ces idées rappellent les fondements historiques des politiques de gestion intégrée au niveau
des bassins des grands fleuves et rivières. Rappelons que la création, dans les années 1930, de
la Tennessee Valley Authority, dans le cadre des politiques de New Deal du Président
américain Franklin Delano Roosevelt, avaient précisément pour ambition de permettre la
production hydroélectrique, la navigation fluviale, le développement de l'agriculture, mais
également la préservation des écosystèmes. Cette idée d'une gestion intégrée des ressources
en eau au niveau des bassins hydrographiques s'est progressivement développée jusqu'à
devenir aujourd'hui l'objectif principal des politiques de l'eau à l'échelle internationale. En
effet, la Gestion Intégrée des Ressources en Eau (GIRE) constitue désormais un cadre de
référence posé à l’échelle internationale comme un objectif pour les politiques nationales de
gestion de l’eau (Petit, 2009). Proposée à la conférence de Rio en 1992 et réaffirmée à la
conférence de Johannesburg en 2002, la mise en place de Plans de gestion intégrée des
ressources en eau et de gestion efficace de l’eau dans tous les pays était affichée comme un
3
Ibid., p. 4.
but à atteindre à l’horizon 2005. Le Partenariat Mondial de l’Eau s’est fait le promoteur de la
GIRE ces dernières années, en proposant une définition qui fait aujourd’hui office de
référence - « la gestion intégrée des ressources en eau désigne un processus qui favorise le
développement et la gestion coordonnés de l’eau, des terres et des ressources connexes, en
vue de maximiser, de manière équitable, le bien-être économique et social en résultant, sans
pour autant compromettre la pérennité d’écosystèmes vitaux »4.
Malgré les ambigüités que cette définition soulève (Biswas, 2004) et malgré les difficultés
rencontrées pour appliquer le cadre de référence de la GIRE dans plusieurs pays (Petit &
Baron, 2009), les approches en termes de gestion intégrée semblent avoir la faveur de
Naiman, Décamps et McClain. À propos de la restauration écologique des Riparia, ces auteurs
écrivent par exemple: « A catchment perspective is requisite when planning riparian
restoration. Only when an integrated management plan encompassing the river network and
its drainage basin is agreed upon can the restoration needs of Riparia be identified. (…) An
integrated management plan may lead to changes in land use practices that require an
agreement on conditions for sharing future economic sustainability » (Naiman, Décamps &
McClain, 2005, p.292).
4
Global Water Partnership, 2000, p. 24.
Ces obstacles à l'interdisciplinarité ne doivent cependant pas empêcher de développer une
telle démarche, tout en ayant bien conscience des limites d'un tel exercice. S'agissant des
systèmes socio-écologiques ripariens, plusieurs travaux récents menés en France sur les
grands fleuves ont choisi précisément d'adopter une telle démarche avec une visée
opérationnelle significative5. Les travaux sur la restauration du fleuve Rhône (restauration
initiée à la fin des années 1990) ont montré que les objectifs du programme décennal de
restauration du fleuve se sont progressivement transformés, amenant à intégrer des
questionnements sur les débits réservés du fleuve, puis sur la dynamique sédimentaire
(Barthélémy & Souchon, 2009). Le dialogue interdisciplinaire mené entre sociologie et
écologie s'est fondé sur la notion de parcours : « c'est-à-dire la manière dont le programme et
ses objectifs tendent à se transformer, en fonction des conditions sociopolitiques et
économiques dans lesquelles il s'inscrit et en fonction d'échelles de traitement différentes,
affectant directement les rapports entre la production scientifique et l'ensemble des acteurs
sociaux concernés » (Barthélémy & Souchon, 2009, p. 115). Cette transformation progressive
de l'objet de la recherche nous semble parfaitement souligner les interrelations mentionnées
dans la Figure 1 présentée au début de cet article, c'est-à-dire l'idée que les représentations que
la société, les politiques et les scientifiques peuvent se faire des systèmes socio-écologiques
sont différentes et que les enjeux de gestion et de conservation doivent faire l'objet de
délibérations. Ceci plaide donc à la fois pour une gestion intégrée et pour une gestion
adaptative des systèmes socio-écologiques ripariens, malgré les contradictions et les
difficultés de mise en œuvre que de telles options imposent (Barthélémy & Souchon, 2009).
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5
On pense notamment aux travaux sur la restauration écologique du Rhône (Barthélémy et Souchon, 2009) et
sur les stratégies de lutte contre les inondations en Loire Moyenne (projet européen "Freude am Fluss – Mieux
vivre au bord du Fleuve"). La démarche adoptée et l'ensemble des travaux réalisés dans le cadre de ce dernier
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