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LE CONCEPT DE RIPARIA FACE AUX ENJEUX CONTEMPORAINS :

1
LA NECESSITE D’UNE APPROCHE INTERDISCIPLINAIRE ET INTEGREE

Olivier PETIT
Centre Lillois d'Etudes et Recherches sociologiques et économiques (CLERSE, UMR 8019, CNRS-Univ. Lille 1)
Université d'Artois, France

Résumé
Cet article vise à identifier un ensemble de notions qui entourent le concept de Riparia tel qu'il est présenté dans
l'ouvrage de synthèse de Robert J. Naiman, Henri Décamps et Michael Mc Clain, Riparia. Ecology,
Conservation, and Management of Streamside Communities paru en 2005. Le concept de Riparia est d'abord
succinctement présenté comme un système socio-écologique influencé par un certain nombre de dynamiques
spatiales et temporelles, mais aussi écologiques et anthropiques. Les notions mobilisées par les auteurs pour
qualifier la gestion des systèmes socio-écologiques ripariens sont alors présentées comme formant une
constellation d'idées et de concepts qui invitent à adopter une démarche interdisciplinaire et intégrée.

Abstract
This article aims at identifying a set of notions gravitating around the Riparia concept, as defined in the book of
Robert J. Naiman, Henri Décamps and Michael Mc Clain, Riparia. Ecology, Conservation, and Management of
Streamside Communities published in 2005. We present briefly the Riparia Concept as a socio-ecological system
influenced by spatial and temporal dynamics as well as ecological and anthropic ones. The set of notions
mobilized by the authors of this book to address the management of riparian socio-ecological systems are
presented as forming a constellation of ideas and concepts. These concepts invite us to adopt an integrated and
interdisciplinary perspective.

La protection de l'environnement et la gestion des ressources naturelles fait l’objet d’un


intérêt croissant de la part des pouvoirs publics, des secteurs économiques et des citoyens. Cet
intérêt est le fruit d'une prise de conscience de la finitude des ressources naturelles ; il traduit
aussi la nécessité de préserver ces ressources pour le bien-être des sociétés humaines actuelles
et à venir.
La prise en compte des interactions natures-sociétés a imposé un certain nombre de mesures
réglementaires, notamment dans le domaine de la protection de la diversité biologique et de la
gestion de l'eau, reconnaissant aux écosystèmes des fonctions spécifiques. Le programme
Natura 2000 en Europe est un exemple d'action visant à inventorier les écosystèmes fragiles
pour ralentir l'érosion de la diversité biologique. La directive cadre européenne sur l'eau
(DCE) affirme pour sa part la nécessité d'une gestion par bassin-versant, à la fois globale et
intégrée. Ces mesures témoignent des progrès de la compréhension du fonctionnement des
écosystèmes depuis une trentaine d’années, et de l’application de cette compréhension à la
gestion.
L'ouvrage de Naiman, Décamps et McClain (2005) sur la notion de Riparia s'inscrit dans cette
dynamique. La notion de Riparia telle qu’elle est définie chez ces auteurs s’appuie sur un
certain nombre de principes de gestion des écosystèmes aquatiques et terrestres qui ont été
développés ces dernières décennies et figurent aujourd’hui dans de nombreux discours sur la
gestion intégrée des ressources naturelles et de l'environnement. Les auteurs insistent en
particulier sur quatre principes : la nécessité d’une évaluation économique, la prise en compte
des dimensions sociale et culturelle, l’importance des institutions, la collecte des informations
sur les systèmes socio-écologiques ripariens et leur diffusion la plus large possible (Naiman,
Décamps & McClain, 2005, p. 235-245). Mais au-delà de ces quatre principes, un certain
nombre de notions viennent appuyer la proposition des auteurs de cet ouvrage – notions qui
gravitent dans le champ de l’écologie, mais qui se nourrissent d’emprunts ou de relations
continues avec bien d’autres champs disciplinaires des sciences humaines et sociales. Il s’agit,

1
Je souhaite vivement remercier Henri Décamps et Elly Hermon pour leurs commentaires sur une version
antérieure de ce texte. Je reste évidemment seul responsable des erreurs subsistantes.
sans être nécessairement exhaustif, des notions de vulnérabilité et de résilience des systèmes
socio-écologiques, de gestion adaptative, de gestion intégrée des ressources naturelles et de
services écosystémiques. Tous ces éléments concourent, dans l’ensemble, à faire de l’objet
Riparia, un lieu d’échanges féconds sur les avancées les plus récentes de la science écologique
dans ses relations avec les disciplines de sciences sociales. Vu sous cet angle, les travaux sur
la notion de Riparia ne peuvent se développer qu’à partir du moment où s’établit un dialogue
interdisciplinaire, reconnaissant le caractère transversal et intégré des questionnements sur les
systèmes ripariens.
Afin d’analyser la notion de Riparia et de qualifier le positionnement épistémologique des
chercheurs qui travaillent sur la gestion de ces systèmes socio-écologiques, il convient
d’abord de revenir brièvement sur cette notion et sur ses caractéristiques générales. Nous
analyserons ensuite les concepts mobilisés et nous identifierons quelques enjeux de l’étude
des systèmes ripariens, du point de vue de la recherche interdisciplinaire.

I. La notion de Riparia : au centre d’une constellation de concepts socio-écologiques

Les zones ripariennes se situent à l’interface entre le lit des rivières et les terres connexes
régulièrement envahies par l’eau douce lors des épisodes de crues. Les écosystèmes des rives
des cours d’eau ont des caractéristiques spécifiques qui permettent la préservation d’un
habitat pour la faune et la flore. Ces écosystèmes ont cependant été sans cesse modifiés et
façonnés par l’intervention humaine, depuis l’établissement des premières sociétés aux bords
des cours d’eau : ce sont des éco-socio-systèmes (Walker et al., 2002) en continuelle
évolution, jamais stabilisés. Cette instabilité est une caractéristique majeure des zones
ripariennes. Dans la mesure où la notion de Riparia prend en compte simultanément un
ensemble de paramètres spatio-temporels, elle constitue un objet complexe qui se prête assez
bien aux analyses contemporaines touchant à la gestion des systèmes socio-écologiques.
Plusieurs notions sont mobilisées par les auteurs de l’ouvrage Riparia et viennent en appui à
leur analyse. Elles constituent, selon nous, une constellation de notions qui doivent être
éclairées afin de comprendre les relations qu'elles entretiennent les unes avec les autres. La
figure 1 résume un certain nombre d’éléments qui doivent être pris en compte dans l’étude
des systèmes ripariens.
Figure 1 : Une synthèse des approches de la notion de Riparia selon Naiman, Décamps et
McClain (2005)

[Source : Naiman, Décamps & McClain (2005), p. 15]


Les systèmes ripariens, au centre de la figure, sont influencés par quatre éléments principaux.
Les deux premiers (en dessous) décrivent les dynamiques spatio-temporelles à l’œuvre d’un
point de vue biophysique : les processus naturels ; les deux suivants (au dessus) indiquent
l’influence de l’action humaine et la perception sociale des phénomènes.
On observe tout d’abord que les dynamiques spatio-temporelles fonctionnent à deux niveaux :
de manière lente et à grande échelle ; de manière rapide et à petite échelle. De fait, les
processus géomorphologiques (érosion, transport, dépôt) et hydrologiques (flux, infiltration,
évapotranspiration) dépendent de plusieurs variables dont les échelles de temps, la magnitude
et l’espace sur lequel elles opèrent sont très différentes : transformations géologiques,
tectonique, climat, fréquence des inondations, recharge des aquifères, etc. Les variables qui
opèrent à long terme ont également une influence sur les variables de court terme dont les
dynamiques sont beaucoup plus rapides. Les systèmes ripariens fournissent par ailleurs des
biens et services écosystémiques qui ont à la fois un impact sur le bien-être humain (facteurs
de production, facteurs esthétiques ou récréatifs) et sur les dynamiques biophysiques à
l'œuvre. Enfin, la reconnaissance des biens et services écosystémiques délivrés par les Riparia
conduisent à opérer des arbitrages en termes de gestion et de conservation – arbitrages qui
interfèrent nécessairement sur les dynamiques environnementales et sur le choix d'instruments
pour l'exploitation, la conservation et/ou la réhabilitation des systèmes ripariens. Dès lors,
plutôt qu'un écosystème envisagé indépendamment de toute action humaine, la notion de
Riparia met en jeu les interactions entre des processus biophysiques et des processus sociaux,
soulignant le caractère coévolutif de ces processus au sein d'un système socio-écologique.

Compte-tenu des caractéristiques que nous venons d'énoncer, les systèmes ripariens doivent
faire l'objet de mesures de gestion spécifiques permettant de préserver leurs propriétés, dans
une perspective de long terme. Un certain nombre de principes affichés dans l'ouvrage de
Naiman et al. (2005) sont précisés – principes sur lesquels nous souhaitons revenir
brièvement. Il s'agit de la prise en compte de la vulnérabilité de ces systèmes et de la nécessité
de favoriser leur résilience (II), de la conservation des systèmes ripariens pour les services
écosystémiques qu'ils délivrent (III) et enfin de la reconnaissance d'une gestion intégrée des
ressources en eau (IV).

II. Réduire la vulnérabilité des systèmes ripariens en favorisant leur résilience

Les systèmes ripariens sont soumis à un certain nombre de risques aussi bien d'origine
naturelle qu'anthropique. Nous qualifions l'ensemble de ces risques de risques
environnementaux, dans la mesure où bien souvent, le caractère « naturel » des risques
envisagés est à relativiser car l'impact de l'activité anthropique est rarement neutre (Morel et
al., 2010). Ces risques environnementaux concernent les phénomènes d'érosion, d'inondation,
de submersion marine et d'intrusion saline pour les rivières et les aquifères situés à proximité
des côtes, de pollution, etc. Étant donnée la complexité des relations qu'entretiennent les
espèces les unes avec les autres, avec leurs habitats et avec les communautés humaines,
l'ensemble de ces risques rendent particulièrement vulnérables les systèmes ripariens. La
vulnérabilité d'un système socioécologique, à l’instar des systèmes ripariens, peut être définie
comme la propension de ce système à être endommagé par un événement, compte-tenu de son
exposition à cet événement, ou encore comme le degré d'exposition à un risque (Décamps,
2007). Les enjeux en termes de gestion des systèmes ripariens consistent à réduire au
maximum cette vulnérabilité, en permettant leur résilience. La réduction de la vulnérabilité
dépend de la capacité à faire face du système dans son ensemble, c'est-à-dire à la fois de la
capacité intrinsèque d'absorption de l'écosystème (capacité d'absorption de la pollution par
exemple), mais aussi de la capacité de la collectivité à répondre aux risques. D'Ercole et
Pigeon (1999) estiment ainsi que la vulnérabilité « traduit la fragilité d'un système dans son
ensemble et de manière indirecte sa capacité à surmonter la crise provoquée par l'aléa ». La
notion de résilience, initialement apparue en physique (Lallau, 2008) où elle désigne la
résistance et l’élasticité des métaux, puis appliquée en écologie (Holling, 1973) et aujourd'hui
dans bien d'autres domaines (la psychanalyse par exemple avec les travaux de Boris
Cyrulnik), désigne de manière générale la capacité d'un système à revenir à un état stable
après une perturbation, tout en conservant ses fonctions et ses variables de contrôle. Le succès
de la notion de résilience en écologie tient à la prise en compte de l'impact de l'activité
humaine dans la dynamique des écosystèmes. Plutôt que de voir les activités humaines
comme extérieures aux écosystèmes (vision dominante de l'écologie jusque dans les années
1980), l'idée était de lier les deux en s'intéressant ainsi aux systèmes socio-écologiques. Selon
cette vision, les systèmes socio-écologiques doivent donc pouvoir s'adapter aux perturbations,
et les mesures de gestion qui peuvent être définies pour les systèmes ripariens doivent être
adaptatifs. Dans un contexte de prise en compte croissante des effets des changements
climatiques, l'adaptation est devenue l'objet elle aussi de nombreux travaux (IPCC, 2007) et la
nécessité de prendre des mesures réversibles de gestion pour pallier les risques
environnementaux, générés ou accompagnant les changements climatiques, gagne du terrain.

III. Conserver les Riparia pour les services écosystémiques


La prise en compte de la valeur sociale des bénéfices procurés par les services délivrés par la
nature date de la fin des années 1970. Dans un article paru dans la revue Science, Westman
(1977) suggère que la liste de ces services (qu'il qualifie de nature's services) puisse être
dressée afin de mener des politiques de protection de la nature mieux informées et plus en
adéquation avec les besoins humains. C'est finalement au début des années 1980 que
l'expression ecosystem services est pour la première fois utilisée (Ehrlich & Ehrlich, 1981),
même si certains auteurs ont pu montrer que l'histoire de cette idée pouvait débuter au milieu
du XIXème siècle (Fisher, Turner & Morling, 2009). Cependant, l'intérêt pour cette notion
commence véritablement à partir de la parution de l'ouvrage coordonné par Daily (1997),
ainsi qu’avec la parution d'un article collectif paru la même année dans la revue Nature et
tentant d'évaluer la valeur totale des bénéfices annuels procurés par les écosystèmes à travers
le monde (Costanza et al., 1997). Le flux annuel monétaire des valeurs des écosystèmes
globaux est ainsi estimé à 33 trillions de dollars US. Cette question de l'évaluation monétaire
des services écosystémiques est précisément un des points de débat. L'idée d'une protection
des services écosystémiques du point de vue du bien-être humain va être reprise à l'échelle
internationale dans le cadre de l'évaluation des écosystèmes pour le Millénaire (Millenium
Ecosystem Assessment) – l'équivalent du panel international d'experts sur l'évolution du climat
(IPCC) pour les questions relatives à la biodiversité et aux écosystèmes.
Cet exercice scientifique et politique a permis notamment de dresser une liste de fonctions
remplies par les services écosystémiques (MEA, 2003) en distinguant quatre types de services
(le premier type servant de base aux trois autres):
- les services d'auto-entretien (développement du cycle nutritionnel, production
primaire, etc.)
- les services de prélèvement (eau, nourriture, bois de feu, ressources génétiques, etc.)
- les services de régulation (régulation des maladies, régulation du climat, épuration des
eaux, etc.)
- les services culturels (spirituels et religieux, écotourisme, beauté écologique, etc.)
L'intérêt de cette notion de services écosystémiques pour la gestion des systèmes ripariens est
assez évident. Comme nous l'avons rappelé plus haut, les systèmes ripariens peuvent être
qualifiés de systèmes socio-écologiques complexes mettant en évidence les interdépendances
entre les écosystèmes et les sociétés humaines. La conservation des systèmes ripariens s'avère
indispensable pour les services écosystémiques car les Riparia permettent, du point de vue de
l'environnement aquatique, de stabiliser les berges des cours d'eau et protègent dès lors les
sols de l'érosion de surface. Ils réduisent ainsi la quantité de sédiments générés par les
phénomènes d'érosion. En réduisant la pénétration de la lumière, ils limitent l'accroissement
de la température de l'eau et réduisent la formation d'algues. En outre, ils permettent le
maintien d'un stock de poissons grâce à leur effet sur la température de l'eau. Du point de vue
de l'environnement semi-terrestre, la formation de corridors le long des cours d'eau facilite le
mouvement de certaines espèces dont les populations peuvent être fragmentées dans l'espace,
ce qui accroit la diversité des espèces aquatiques et terrestres régionales. Les écosystèmes
ripariens servent aussi d'habitat pour de nombreuses espèces de mammifères, d'oiseaux et
d'invertébrés. Ils fournissent enfin du bois de feu, du fourrage de complément pour les
animaux et limitent la pollution des cours d'eau par les pesticides et par les nitrates en
piégeant ceux-ci (Naiman et al., 2005).
La prise en compte des services rendus par les Riparia doit amener à considérer différemment
les projets d'infrastructures (barrages, canalisation des cours d'eau) ainsi que plusieurs
activités extractives comme l'extraction de sables et de graviers. L'un des enjeux réside dès
lors dans l'évaluation économique des services écosystémiques, évaluation qui doit servir
d'élément pour la prise de décision.
Néanmoins, de nombreux débats persistent sur les finalités d'une évaluation monétaire des
services écosystémiques. Certains avancent ainsi que donner un « prix » à la nature s'avère
une position délicate à défendre. Le Millenium Ecosystem Assessment (2003) prend bien soin
de préciser que plusieurs méthodes alternatives d'évaluation doivent être mobilisées, allant de
l'évaluation monétaire - grâce à la méthode d'évaluation contingente - aux méthodes
d'évaluation multicritères et à l'évaluation intégrée (integrated assessment).
L'évaluation monétaire des services rendus par les écosystèmes est cependant devenue un
élément incontournable dans la plupart des politiques de protection de la nature.
Le besoin de valorisation des écosystèmes est apparu assez tardivement (à partir des années
1960), dans la mesure où, pendant longtemps, on a assimilé la nature à un bien libre,
disponible pour tous et sans prix. L’érosion de la diversité biologique, la reconnaissance des
atteintes de l’homme aux écosystèmes, et de manière générale, la prise de conscience des
problèmes environnementaux à toutes les échelles ont conduit les économistes à proposer
différents concepts, susceptibles de « rabattre » dans la sphère marchande, ce qui, jusqu’alors,
était considéré comme non marchand. Les notions qui vont servir de cadre de référence à cette
entreprise sont d’ailleurs tout à fait évocatrices puisque on arguera par exemple de la
« richesse » des écosystèmes et de la diversité biologique, soulignant les « services » rendus
par la nature aux collectivités humaines, dans le cadre d’analyses faisant état des coûts et des
bénéfices engendrés par l’exploitation des ressources naturelles. Donner un prix à la nature
peut dès lors renvoyer à différents faisceaux de valeurs qui décrivent, si on les additionne, une
« valeur économique totale ». Chacune de ces valeurs, pour reprendre le découpage opéré par
Vivien (2005), renvoie à une question corrélative :
o Une valeur pour quoi ? pourrait-on d’abord se demander, ce qui permet, suivant la
théorie économique standard de distinguer des « valeurs d’usage » et de « non-
usage ». Les premières renvoient aux bénéfices retirés par les individus de la
« consommation » de nature (chasse, pêche, etc.), tandis que les secondes ont trait aux
fonctions écologiques remplies par la nature, qui aurait une valeur indépendamment de
tout usage, ce que certains désignent sous l’expression de « valeur d’existence ».
Tableau 1 : Classification de la valeur économique totale des zones humides
Valeurs d'usage Valeurs de non-usage
Valeur d'usage direct Valeur d'usage indirect Valeur d'option et de Valeur d'existence
quasi-option

 Ressources  Rétention de  Usages  Biodiversité


piscicoles nutriments potentiels  Culture,
 Agriculture  Contrôle des futurs patrimoine
 Bois de chauffage inondations (ressources)  Valeurs de
 Récréation  Protection contre  Valeur future legs
 Transport les orages de
 Chasse  Recharge de l'information
 Tourbe/énergie nappe
 Support externe
des écosystèmes
 Stabilisation
microclimatique
 Stabilisation du
trait de côte

[Source : Barbier et al., 1997 ; traduction in : Longuépée, 2003, p. 259]

o La deuxième question touche à la prise en compte du caractère dynamique : une valeur


pour quand ? Les valeurs d’usage, si elles renvoient généralement à un usage présent,
peuvent aussi être déclinées dans une perspective orientée vers les usages futurs. C’est
là qu’intervient la notion de « valeur d’option », qui renvoie à l’idée d’une
préservation de la nature aujourd’hui, en vue d’un usage demain. Mais, si l’on intègre
l’incomplétude des connaissances sur les usages futurs de la nature (telle plante pourra
servir de vaccin demain alors qu’elle n’a aucun usage reconnu aujourd’hui), on parlera
alors de « valeur de quasi-option ».
o Enfin, on peut s’interroger sur le destinataire final : une valeur pour qui ? demande
Vivien. Si l’usage de la nature est destiné aux autres hommes aujourd’hui, on
désignera souvent cette dimension sous le vocable de « valeur altruiste », mais si on
réserve cet usage aux générations futures, on qualifiera la valeur associée à la nature
de « valeur de legs ».
La « valeur économique totale » des écosystèmes est donc constituée de l’addition des
précédents faisceaux de valeurs, qui ne sont pas toujours mutuellement exclusifs (voir le
Tableau 1 comme exemple d'application). D’ailleurs, il est souvent difficile, lorsque l’on
recherche cette grandeur, de décomposer en autant de catégories le prix qui est délivré à l’aide
des méthodes actuellement en usage.
Le Millenium Ecosystem Assessment semble s’inscrire clairement dans la perspective d’une
évaluation intégrée reposant sur un travail interdisciplinaire qui met en évidence le caractère
multidimensionnel des services rendus par les écosystèmes. Le document de présentation du
cadre d’évaluation reprend ainsi l’appel du Sommet Mondial du Développement Durable en
2002 à « l’utilisation plus fréquente des évaluations scientifiques intégrées, de l’évaluation
des risques et des approches interdisciplinaires et intersectorielles »2. Le positionnement du
cadre de référence est en outre délibérément tourné vers les valeurs de non-usage, dénommées
ici valeurs intrinsèques : « Les objectifs de gestion que les hommes se fixent pour les
écosystèmes et les actions qui en découlent sont influencés non seulement par les
conséquences humaines des changements subis par les écosystèmes, mais aussi par
l’importance qu’accordent les hommes à la valeur intrinsèque des espèces et des

2
Groupe de travail sur le cadre conceptuel de l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire, 2003, p. ii.
écosystèmes. La valeur intrinsèque d’une entité est la valeur de cette entité en elle-même et
pour elle-même, indépendamment de son utilité pour quelqu’un d’autre. »3 Néanmoins, le
caractère opérationnel de l’évaluation n’est pas toujours clairement défini et les méthodes
d’évaluation mobilisables font apparaître un large spectre allant de l’analyse coût-bénéfice, en
passant par l’analyse multicritères, jusqu’aux méthodes participatives (focus groupes,
conférences de consensus, etc.) :
« A variety of frameworks and methods can be used to make better decisions in the face of
uncertainties in data, prediction, context, and scale. Active adaptive management can be a
particularly valuable tool for reducing uncertainty about ecosystem management decisions.
Commonly used decision support methods include cost-benefit analysis, risk assessment,
multicriteria analysis, the precautionary principle, and vulnerability analysis. Scenarios also
provide one means to cope with many aspects of uncertainty, but our limited understanding of
ecological systems and human responses shrouds any individual scenario in its own
characteristic uncertainty » (Millenium Ecosystem Assessment, 2005, p. 99)

IV. Adopter une gestion intégrée des rivières, des bassins versants et des Riparia
Tous les domaines de la gestion de l'environnement et des ressources naturelles sont
aujourd'hui traversés par l'idée de gestion intégrée. On parle désormais régulièrement de
gestion intégrée des forêts, de gestion intégrée des zones côtières ou encore de gestion
intégrée des ressources en eau. Cette idée d'une gestion intégrée, fortement ancrée dans une
perspective systémique, appelle à prendre en compte simultanément un ensemble de
paramètres longtemps traités de manière cloisonnée. Les processus de décision sont
également mobilisés au travers de cette notion, dans la mesure où la gestion intégrée repose
souvent sur une démarche participative où toutes les parties-prenantes doivent pouvoir
s'exprimer et décider collectivement. La dimension économique est aussi généralement
mobilisée avec la notion de recouvrement complet des coûts qui apparaît plus ou moins
ouvertement dans les politiques de gestion intégrée.
Dans l'ouvrage de Naiman, Décamps et McClain (2005), la gestion des Riparia est présentée
comme devant être nécessairement liée à la gestion des rivières et des bassins versants. Si la
notion de gestion intégrée n'est pas mobilisée explicitement par ces auteurs, un certain nombre
de principes énoncés nous permettent de faire ce lien. En effet, l'échelle du bassin versant est
présentée comme l'échelle pertinente pour mettre en œuvre une gestion des systèmes
ripariens. Les auteurs insistent par ailleurs sur la nécessité d'une coopération entre les parties-
prenantes (industries, citoyens, agences gouvernementales, institutions privées, organisations
scientifiques) et sur la coexistence des activités humaines et des dynamiques écologiques.
Ces idées rappellent les fondements historiques des politiques de gestion intégrée au niveau
des bassins des grands fleuves et rivières. Rappelons que la création, dans les années 1930, de
la Tennessee Valley Authority, dans le cadre des politiques de New Deal du Président
américain Franklin Delano Roosevelt, avaient précisément pour ambition de permettre la
production hydroélectrique, la navigation fluviale, le développement de l'agriculture, mais
également la préservation des écosystèmes. Cette idée d'une gestion intégrée des ressources
en eau au niveau des bassins hydrographiques s'est progressivement développée jusqu'à
devenir aujourd'hui l'objectif principal des politiques de l'eau à l'échelle internationale. En
effet, la Gestion Intégrée des Ressources en Eau (GIRE) constitue désormais un cadre de
référence posé à l’échelle internationale comme un objectif pour les politiques nationales de
gestion de l’eau (Petit, 2009). Proposée à la conférence de Rio en 1992 et réaffirmée à la
conférence de Johannesburg en 2002, la mise en place de Plans de gestion intégrée des
ressources en eau et de gestion efficace de l’eau dans tous les pays était affichée comme un

3
Ibid., p. 4.
but à atteindre à l’horizon 2005. Le Partenariat Mondial de l’Eau s’est fait le promoteur de la
GIRE ces dernières années, en proposant une définition qui fait aujourd’hui office de
référence - « la gestion intégrée des ressources en eau désigne un processus qui favorise le
développement et la gestion coordonnés de l’eau, des terres et des ressources connexes, en
vue de maximiser, de manière équitable, le bien-être économique et social en résultant, sans
pour autant compromettre la pérennité d’écosystèmes vitaux »4.
Malgré les ambigüités que cette définition soulève (Biswas, 2004) et malgré les difficultés
rencontrées pour appliquer le cadre de référence de la GIRE dans plusieurs pays (Petit &
Baron, 2009), les approches en termes de gestion intégrée semblent avoir la faveur de
Naiman, Décamps et McClain. À propos de la restauration écologique des Riparia, ces auteurs
écrivent par exemple: « A catchment perspective is requisite when planning riparian
restoration. Only when an integrated management plan encompassing the river network and
its drainage basin is agreed upon can the restoration needs of Riparia be identified. (…) An
integrated management plan may lead to changes in land use practices that require an
agreement on conditions for sharing future economic sustainability » (Naiman, Décamps &
McClain, 2005, p.292).

V. Pour une approche interdisciplinaire des Riparia: quelques remarques conclusives


Les systèmes socio-écologiques ripariens concentrent, comme nous venons de le voir, une
série d'analyses contemporaines sur la gestion des ressources naturelles et de l'environnement.
Situés au carrefour des travaux de sciences de la vie et de la terre d'une part, et des sciences de
l'homme et de la société d'autre part, toute démarche de recherche prenant pour objet les
systèmes ripariens doit pouvoir appréhender la complexité des relations qui se tissent à
l'intérieur de ces systèmes pour comprendre leur évolution dans le temps et proposer des
mesures de gestion et de conservation tenant compte de leurs caractéristiques intrinsèques. Il
s'agit donc, en somme, de promouvoir des démarches de recherche interdisciplinaires sur les
systèmes socio-écologiques ripariens.
L'interdisciplinarité désigne une démarche méthodologique s'appuyant sur la collaboration et
le dialogue entre disciplines, autour d'un objet commun. Elle possède à la fois une dimension
cognitive (articulation de différents champs disciplinaires) et une dimension empirique
(confrontation de personnes sur des objets hétéroclites) (Billaud, 2003). Elle se distingue de la
pluridisciplinarité qui se limite souvent à une simple concaténation de savoirs disciplinaires
sans réelle mise en dialogue, et de la transdisciplinarité dont les objectifs sont la constitution
d'une méta-discipline (passant par la création de nouveaux concepts transversaux débordant le
cadre des disciplines) et l'ouverture à la discussion entre savoirs scientifiques et non
scientifiques. Les obstacles tant institutionnels qu'épistémologiques au bon déroulement d'une
démarche interdisciplinaire sont nombreux. Pour n'en citer que quelques-uns, mentionnons la
difficile reconnaissance des travaux interdisciplinaires de la part des instances d'évaluation de
la recherche, la temporalité et les contraintes des programmes de recherche contractuelle qui
laissent rarement le temps nécessaire au dialogue entre les disciplines, mais aussi la difficulté
de communiquer avec un langage compris de tous, sur des sujets communs, mais que chacun
verbalise avec le cursus disciplinaire dont il est originaire (Petit, Villalba, Zaccaï, à paraître).
Ces difficultés touchent aussi bien l'interdisciplinarité de proximité (entre disciplines réputées
proches comme la sociologie et l'économie par exemple) que l'interdisciplinarité élargie (entre
sciences de nature et sciences humaines et sociales) pour reprendre la distinction opérée par
Jollivet (2009).

4
Global Water Partnership, 2000, p. 24.
Ces obstacles à l'interdisciplinarité ne doivent cependant pas empêcher de développer une
telle démarche, tout en ayant bien conscience des limites d'un tel exercice. S'agissant des
systèmes socio-écologiques ripariens, plusieurs travaux récents menés en France sur les
grands fleuves ont choisi précisément d'adopter une telle démarche avec une visée
opérationnelle significative5. Les travaux sur la restauration du fleuve Rhône (restauration
initiée à la fin des années 1990) ont montré que les objectifs du programme décennal de
restauration du fleuve se sont progressivement transformés, amenant à intégrer des
questionnements sur les débits réservés du fleuve, puis sur la dynamique sédimentaire
(Barthélémy & Souchon, 2009). Le dialogue interdisciplinaire mené entre sociologie et
écologie s'est fondé sur la notion de parcours : « c'est-à-dire la manière dont le programme et
ses objectifs tendent à se transformer, en fonction des conditions sociopolitiques et
économiques dans lesquelles il s'inscrit et en fonction d'échelles de traitement différentes,
affectant directement les rapports entre la production scientifique et l'ensemble des acteurs
sociaux concernés » (Barthélémy & Souchon, 2009, p. 115). Cette transformation progressive
de l'objet de la recherche nous semble parfaitement souligner les interrelations mentionnées
dans la Figure 1 présentée au début de cet article, c'est-à-dire l'idée que les représentations que
la société, les politiques et les scientifiques peuvent se faire des systèmes socio-écologiques
sont différentes et que les enjeux de gestion et de conservation doivent faire l'objet de
délibérations. Ceci plaide donc à la fois pour une gestion intégrée et pour une gestion
adaptative des systèmes socio-écologiques ripariens, malgré les contradictions et les
difficultés de mise en œuvre que de telles options imposent (Barthélémy & Souchon, 2009).

Bibliographie
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