Pharm 0035-2349 1987 Num 75 273 2883
Pharm 0035-2349 1987 Num 75 273 2883
Pharm 0035-2349 1987 Num 75 273 2883
Jazi Radhi. Aphrodisiaques et médicaments de la reproduction chez Ibn al-Jazzar, médecin et pharmacien maghrébin du
Xe siècle. In: Revue d'histoire de la pharmacie, 75ᵉ année, n°273, 1987. pp. 155-170.
doi : 10.3406/pharm.1987.2883
http://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1987_num_75_273_2883
de la reproduction
du Xe siècle
NOUS
d'Ibn avons
al-Jazzar,
eu l'occasion,
médecin etdans
pharmacien
cette revue
maghrébin,
1, d'évoquer
qui alevécu
millénaire
à Kai-
rouan au Xe siècle (898-980).
Ibn al-Jazzar peut être considéré comme le « père de la pharmacie
arabe ». Il est l'un des premiers à avoir séparé l'acte médical de l'acte
pharmaceutique, tout en maintenant leur complémentarité. Dans son domicile, la salle de
consultation et la pharmacie sont aménagées dans des salles indépendantes.
L'uvre d'Ibn al-Jazzar est imposante. On n'a cependant retrouvé que 10
de ses ouvrages sur les 43 titres recensés. Ils traitent de la médecine et de la
pharmacie et ont été traduits, dès la fin du Xe siècle, dans les langues
scientifiques de l'époque : latin, grec et hébreu.
Nous étudions ici quelques médicaments rapportés dans les ouvrages
d'Ibn al-Jazzar et leurs effets sur les organes de la reproduction. Nous aurons
l'occasion de constater que nombre d'entre eux, notamment parmi les «
simples », sont encore utilisés de nos jours, souvent pour les mêmes indications, et
que beaucoup figurent dans la pharmacopée française ou y ont été réinscrits
entre 1974 et 1976, en raison de leur activité thérapeutique ; d'autres
continuent à faire partie de notre pharmacopée traditionnelle.
3. En arabe: " * L^L" f>** f*^1 f-£*U» ^V»« |j_L~Ls y^Shz '
Cette notion démographique se retrouve dans les 2 autres religions monothéïques, l'Islam en
étant le continuateur. Le Christ dit : « Multipliez et croissez ». Chez les Juifs de Jerba (Tunisie)
orthodoxes en matière de religion l'homme fait « lit à part » durant la lre moitié du cycle de
l'épouse ; l'abstinence est de rigueur. Mais, dès le 1 5e jour, il doit se remettre dans le lit conjugal et
reprendre ses activités sexuelles à une période où les chances de la fécondation sont maximales.
C'est donc le même esprit de procréation et d'accroissement démographique qu'on retrouve dans
les trois religions monothéïques.
158 REVUE D'HISTOIRE DE LA PHARMACIE
I. LES APHRODISIAQUES
4. Ce mot vient du grec, et dérive d'Aphrodite, déesse de l'amour, identifiée à Vénus. Dans la
mythologie grecque, Aphrodite est tantôt la fille de Zeus et de Dioné, et tantôt la fille d'Ouranos (le
Ciel) dont les organes sexuels tranchés par Cronos son plus jeune fils qu'il eut de Gaïa (la Terre)
tombèrent dans la mer et engendrèrent la Déesse, la « Femme-née-des-vagues » ou bien « née-
du-sperme du Dieu ». A sa sortie de la mer, Aphrodite fut portée par les Zéphyrs jusqu'à la côte de
Chypre.
Aphrodite eut plusieurs amants. De ses amours avec Ares nacquirent Eros, Antéros et d'autres
enfants (cf. P. Grimai, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, P.U.F., 1976).
5. Joundisapur est une ville du Khourassan, en Perse. Son école médicale a été fondée par le
médecin chrétien Nestorius, en 435. En l'an 765, le calife Al-Mansour fait venir à Bagdad Georgius
Baktichou qu'il engage comme médecin personnel. Le fils de celui-ci sera le médecin de Haroun
al-Rachid.
6. Nous pouvons ajouter ici le nom du Cheik Mohammed al-Nefzaoui qui a vécu à Tunis, au
XVIe siècle : il a écrit, à la demande du 1er ministre du Sultan Abdelaziz al-Hafsi qui gouverna
l'Algérie et la Tunisie, sous la dynastie des Hafsides un ouvrage intitulé : « Ar-raoudh al-ater »
ou « Le jardin parfumé » qui traite des aphrodisiaques et des divers modes de faire l'amour. Ce
livre continue d'être régulièrement édité à Tunis, où il connaît toujours une grande vogue dans les
milieux populaires : c'est un fascicule de 84 pages, vendu sur les étalages des libraires ambulants.
Signalons que cet ouvrage a été traduit en français par le Baron de R..., capitaine d'état-major
à Alger, en 1850 (Bibliothèque des Curieux, 4, rue de Furstenberg, Paris VIe). Il est cité dans
l'article de A. Marcailloux d' Aymeric sur Les Aphrodisiaques dans l'ancienne médecine arabe (cf. Bulletin
des Sciences Pharmaceutiques, juin 1935. t. XLII, p. 140.
APHRODISIAQUES ET MÉDICAMENTS DE LA REPRODUCTION 159
B. MÉDICAMENTS APHRODISIAQUES
7. Cf. « Traité des simples » d'Ibn al-Baytar, traduction du Dr Lucien Leclerc (vol. II, p. 264).
Cependant, Kazimirski, dans son dictionnaire arabe-français, a bien donné le nom d'Iscancor à ce
reptile (t. I, p. 1960).
APHRODISIAQUES ET MÉDICAMENTS DE LA REPRODUCTION 161
8. Ibn Sina, « Al-Canoun fi-tib » (texte arabe), vol. 1, p. 389, Édition Librairie Al-Muthanna,
Baghdad et Dar-Sader, Beyrouth (sans date).
162 REVUE D'HISTOIRE DE LA PHARMACIE
Cette plante a des appellations variées, selon l'image que s'en fait
l'observateur : pour les Arabes, c'est « Testicules de renard » (traduction de
« Khousa athaâlab ») ; pour les Français, c'est « Testicule de chien » ou encore
« Grand testicule de chien » ; les Anglais la nomment « Lizard orchis ».
Quelle que soit la comparaison, tout le monde est d'accord que le satyrion
évoque les testicules, organes de la virilité. Ceci expliquerait peut-être le
recours à cette drogue.
Son odeur est également évocatrice : odeur de sperme pour les uns, de
bouc pour les autres.
Pour Ibn al-Jazzar, le satyrion est un aphrodisiaque puissant. Cette
propriété lui est reconnue depuis l'Antiquité. Se référant à Dioscoride, Ibn
al-Jazzar dit : « il suffit de tenir à la main la racine de satyrion pour provoquer le
désir sexuel » ; il en indique la posologie, dans 1' « Intimad » : « pris à la dose
de 2 mithqals (8,24 g), le satyrion donne une forte envie de coïter » (f° 201 v°).
Avicennereprend cette vertu d'aphrodisiaque puissant dans le « Canon »
(Vol. I, p. 454) et ajoute une curieuse propriété, comparant pudiquement
le satyrion à « deux olives superposées », il dit : « si l'homme consomme la
grosse olive, il engendrera des garçons ; si la petite olive est mangée par la
femme, elle donnera naissance à des filles ».
Et la tradition continuera. Lémery dira, huit siècles plus tard, que la
« racine » de satyrion est « propre pour exciter la semence et pour disposer à la
conception ».
2. Gingembre : J «jy; (Zenjabil), Zingiber officinalis Roscoe, Zin-
gibéracées.
Ibn al-Jazzar recommande le gingembre dans ses deux ouvrages : « Zad
al-mousafir » (Viatique) et l'« Itimad ». Il le conseille sous forme de
médicament simple ou de médicament composé.
« Le Gingembre, dit-il dans l'« Itimad », est digestif et aphrodisiaque ; il
entre dans de nombreux confits... Il est excellent pour le coït... Le rob de
gingembre engendre un sperme abondant et fait durer le plasir ». En cas de
pénurie, le gingembre provenant de l'Inde et autres contrées lointaines, l'auteur
dit : « on peut lui substituer le poivre blanc ou le poivre noir » (f° 175 v°).
Commentaire
Connu des Anciens et cité par Doscoride, le gingembre occupe une place
importante dans la pharmacopée arabe. Il est cité dans le Coran 9, il revêt un
caractère sacré. La tradition religieuse, selon Abou Saïd al-Khoudhari,
compagnon du Prophète, rapporte que l'empereur de Byzance aurait offert au
Phrophète une jarre pleine de gingembre. Il en aurait alors offert à toutes les
personnes présentes.
Commentaire
Ce tableau permet de faire les constatations suivantes :1° Sur les 22
drogues simples, il y en a 20 qui sont d'origine végétale et 2 d'origine animale : le
musc et le ramek.
2° Ces drogues sont « chaudes », parfois piquantes, à des degrés divers,
selon la classification de l'auteur qui distingue quatre degrés.
3° Elle sont toutes aphrodisiaques ; certaines sont plus puissantes que
d'autres. Elles ont aussi des propriétés spécifiques. Ainsi, selon Ibn al-Jazzar,
le mangoustan, la luzerne, le musc, l'ortie et le gingembre prolongent le coït,
font « durer le plaisir » : il en est ainsi, selon l'auteur, du sécacul, de l'ortie, du
souchet qui stimulent l'érection et la font durer. D'autres enfin engendrent un
sperme abondant, tels : le mangoustan, le frêne, la luzerne, le musc, la menthe,
les behen, le souchet, le gingembre et le galanga.Ces vertus seront admises
pendant des siècles, et N. Lémery dira de la plupart de ces drogues qu'elles
sont « propres pour exciter la semence », pour « l'augmenter », « fortifier les
parties vitales » et pour « hâter la conception ». Le safran est « hystérique ».
D'une manière générale, on reconnaît actuellement à la majorité des
drogues citées par Ibn-Al-Jazzar des propriétés aperitives, toniques ou
stimulantes ; certaines sont employées comme condiment ou épice, et ceci justifie
amplement les vertus aphrodisiaques qui leur ont été attribuées par l'auteur.
Il est intéressant de constater que 14 drogues sur les 22 de la liste d'« Al-
Itimad » sont inscrites à la Pharmacopée Française.
APHRODISIAQUES ET MÉDICAMENTS DE LA REPRODUCTION 165
Ibn- Al-Jazzar distingue ici les produits « simples » et les « composés ». Ils
sont nombreux, dans le « Viatique ».
a) Produits simples
Il cite les produits suivants, d'origine végétale :
1. Navet: f^ty (Seljem Brassica napus L., Crucifères).
2. Asperge : oi-L» (Helioun Asparagus officinalis L., Liliacées).
Ce sont les semences qu'il emploie.
3. Roquette : -r-**^* (Jarjir Brassica eruca L. ou E. Sativa Mill,
Crucifères). Ce sont les semences, selon l'auteur, qui sont aphrodisiaques.
Avicenne le confirme : le suc de roquette a une « efficacité immédiate » (vol. II,
p. 539). Bien avant, Columelle, auteur latin du Ier siècle, avait déjà écrit, dans
son « De re rustica » : « Excitet ut veneri tardos Eruca maritos » !
4. Carotte: jj-+ (Jazar Sfennaria est le nom vernaculaire en
Tunisie Daucus carota L., Ombellifères).
Pour Ibn-Al-Jazzar, toutes ces drogues sont « chaudes » ; elles sont « à la
fois aliments et médicaments », et il conseille d'en préparer également des
mélanges, dans des proportions variées, « adaptées à chaque cas ».
b) Produits composés
On trouve de nombreuses formules dans le « Zad-al-Mousafir »
(Viatique).
Nous nous limiterons cependant à deux exemples types : l'électuaire
aphrodisiaque de Mesué et l'électuaire dénommé « Préventif des sinistres »,
composé par Ibn al-Jazzar.
Ibn al-Jazzar décrit cet électuaire composé par Jean de Mesué, qui «
stimule l'érection » et est aphrodisiaque.
Formule :
Posologie :
« boire de cet électuaire 2 dirhams ( = 6,16 g), avec de l'eau tiède, 2 fois
par jour : le matin à jeun et le soir avant de se coucher », précise l'auteur.
« C'est un électuaire merveilleux », affirme Ibn al-Jazzar.
Commentaire
Il faut remarquer ici la probité d'Ibn al-Jazzar, qui cite toujours le nom
des auteurs des médicaments rapportés dans ses ouvrages.
Cet électuaire a été composé par Youhanna ibn Massaouih, Jean de
Mesué, célèbre médecin chrétien du IXe siècle qui a vécu et exercé à Bagdad.
L'ensemble des composants a des vertus aphrodisiaques confirmées.
Précisons que le sésame (Sesamum indicum ou radiatum, Pédaliacées),
jeljelane en Tunisie (non rappelant son deuxième nom français : Jugeoline),
est toujours consommé en Tunisie ; il entre dans la « halwa », pâte sucrée à
base de sésame, en vogue dans les pays arabes ; elle est encore considérée
comme fortifiante et aussi aphrodisiaque d'appoint.
Il en est de même des pignons (senaoubar ou bondouk), qu'on mélange
avec des raisins de Corinthe ; on en fait des pâtisseries et on les ajoute au thé
vert à la menthe fraîche.
On peut donc dire que l'électuaire de Mesué est composé de drogues à
nette prédominance « chaude », et les effets aphrodisiaques qui lui sont
attribués semblent probants.
Formule :
Cannelle de Chine sT~~" +**-j*J
Costus doux y '* » -*
Nard Indien ^ =* J k~ f aâ 7 mithquals =
Safran ob j ( 28'84 «
Graines de fenouil large \j-tj? e-^l» v><
Gingembre J ***~j
APHRODISIAQUES ET MÉDICAMENTS DE LA REPRODUCTION 167
Commentaire
C'est encore un électuaire dont les composants ont des propriétés «
chaudes ».
Une précision nous semble intéressante au sujet du cardamome (Kakila,
Hal ou Hil en arabe, Cardamomum longum, C. medium, Eletteria cardamo-
mum ou Petit cardomome et autres variétés commerciales de Zingibéracées) :
c'est ce fameux « hil » aromatique qu'on ajoute au café dans les pays du
Moyen-Orient ; ses vertus stimulantes, stomachiques et aphrodisiaques sont
toujours « à la mode ».
Les Français, tout en ayant réinscrit le « petit cardamome », le plus
estimé, à la Pharmacopée en 1974, ne semblent guère le connaître. Mais les
168 REVUE D'HISTOIRE DE LA PHARMACIE
Électuaire de Satyrion
Formule :
Racines de Satyrion « bien nourries »
Racines d'Eringyium, confites
Pistaches mondées
Noix muscade > r..
, s confits
Gingembre )
Reins de Scinque (Renum Scincorum)
Priape de cerf
Testicules de cerf (« séchées auparavant à la cheminée »)
Poivre long
Cardamome
Semences de Roquette
Musc
Ambre gris
« Huile » de girofle
Huile de Cannelle
Le tout, préparé jusqu'à « consistance d' électuaire » est conservé dans un
pot de « fayance » bien bouché.
« Cet électuaire, dit Moyse Charas, est propre pour rétablir les forces
abattues ; il fortifie et échauffe ceux que les Latins nomment frigidos et maleficia-
tos, il multiplie la semence et provoque et dispose les personnes au jeu
d'amour. Il sert à l'un et à l'autre sexe... La dose est depuis un dragme jusqu'à
deux... On peut continuer de renouveler l'usage suivant le besoin, et même en
10. R. Fabre et G. Dillemann : Histoire de la Pharmacie, Coll. « Que sais-je ? », n° 19, p. 101.
APHRODISIAQUES ET MÉDICAMENTS DE LA REPRODUCTION 169
**
*
conseils que nous avons donnés et qui sont de nature à favoriser le désir et
augmenter l'activité sexuelle ».
Ces facteurs sont, d'après l'auteur :
a) d'ordre psychologique : l'homme doit se débarrasser de ses soucis, de
ses chagrins, qui sont des inhibiteurs sexuels ;
b) d'ordre physique : il se réfère ici à Polémon, auteur grec du IIe siècle,
célèbre par un traité sur la physiognomonie ; celui-ci conseille une
préparation préliminaire à l'acte, afin de provoquer le désir par le couple. La femme
doit « se faire belle », dit-il. Il évoque le flirt, tel qu'il est pratiqué en ces temps
modernes. Il est clair que l'épouse ne doit pas être négligée, et qu'elle doit
participer activement aux plaisirs de l'amour.
Cependant, nous n'avons pas trouvé dans les ouvrages d'Ibn-al-Jazzar
d'aphrodisiaques féminins, tels que ceux décrits par A. Marcaillou d'Ayme-
ric (1 1), qui admet d'ailleurs qu'il s'agit de produits « empruntés à la
sorcellerie », à l'exception du massage clitoridien.
1 1 . A. Marcaillou d'Aymeric : Les aphrodisiaques dans l'ancienne médecine arabe, article cité
en bibliographie.