Couderette - 2016 - Enseignement de L'algorithmique
Couderette - 2016 - Enseignement de L'algorithmique
Couderette - 2016 - Enseignement de L'algorithmique
MICHELE COUDERETTE
Abstract: In 2009, the high school curricular reform introduced algorithms in mathematics
teaching. This is a new hybrid object, at the crossroads of mathematics and computer
science, for which most teachers are not trained. Therefore, how do teachers approach this
part of the program? To answer this question, we observed a mathematics teacher in a
second grade in high school, for one year school. In order to conduct an analysis, we
articulate two theoretical frameworks: the anthropological theory of didactics (ATD) and
the joint action theory in didactics (JATD). The ATD provides tools for analyzing the tasks
proposed by the math teacher to the students against the background of the concept of
mathematical praxeologies. The JATD allows to put in view the expectations of the
institution with what is actually taught in the classroom over several sessions of algorithm
teaching. The results show the difficulties of teaching a knowledge that has its references in
two disciplines. The co-constructed knowledge developed in the class is referred either
under their mathematical specificity or their computer specificity. As a result of that,
students do not really learn algorithmic knowledge.
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2 MICHELE COUDERETTE
Introduction
Cet article traite de l’introduction de l’algorithmique en mathématiques en classe
de seconde. Des recherches ont déjà été menées sur ce sujet (Modeste, 2012 ;
Modeste, Gravier, Ouvrier-Buffet, 2010 ; Haspekian, Nijimbéré, 2012) mais peu
ont porté sur l’analyse de pratiques ordinaires d’enseignement. Nous rendons
compte ici d’une recherche s’appuyant sur l’observation d’une classe de seconde
lors d’un enseignement d’algorithmique en mathématiques au moment de son
introduction dans les nouveaux programmes (MEN, 2009a)
L’enseignement de l’algorithmique, en tant qu’objet d’étude, a été introduit dans
les universités françaises dans les années 1950 (Chi Thanh N’Guyen ; 2005). En
2009, cet enseignement est ensuite apparu dans les programmes scolaires de lycée
dans le cours de mathématiques. Auparavant, outil au service des autres domaines
enseignés dans la discipline mathématique, l’algorithmique est devenu un objet
d’étude.
A la suite d’une enquête (Couderette, 2013) auprès d’enseignants en classe seconde
montrant leur difficultés à enseigner cet objet d’étude et compte tenu de la
complexité et du caractère interdisciplinaire de ce dernier, nous avons pensé utile
de documenter la manière dont un enseignant mettait en œuvre cette partie du
programme1. Pour effectuer cette analyse des pratiques ordinaires en classe, nous
avons dans un premier temps fait une étude épistémologique à propos du savoir
algorithmique. Ceci nous a permis de mener une analyse critique du curriculum tel
qu'il a été proposé en 2009. C'est ce qui fera l’objet de la première partie de cet
article. Dans un deuxième temps, fort de l'analyse épistémologique et curriculaire
effectuée, nous sommes allé observer une enseignante participante à l’enquête
ayant accepté de nous recevoir dans sa classe durant l'année scolaire 2010-2011.
Cette étude de cas fera l'objet de la seconde partie de cet article.
1. De l’analyse épistémologique aux choix curriculaires actuels
Ainsi que le souligne Artigue (1988), une analyse d’ordre épistémologique est un
préalable nécessaire à l’analyse de curriculums et de pratiques enseignantes. Les
travaux de Knuth (1968), auteur faisant référence dans la communauté des
mathématiciens informaticiens, permettent d’éclairer la manière dont cet objet est
transposé dans les textes d'accompagnement en vigueur ainsi que dans les pratiques
de classe sur le terrain.
répondants, [mais que] plus de 40% des répondants ne sont pas satisfaits de son
écriture dans le programme officiel ; c’est la partie du programme qui est jugée la
moins explicite. Les entretiens laissent penser que les relations entre
algorithmique, mathématiques et programmation ne sont pas clairement perçues. »
(MEN-DGESCO, 2014). Si les recherches de Haspékian et Nijimbéré confirment
les observations du ministère, ils relèvent par ailleurs que « les textes officiels
n’aident pas les enseignants à faire la part des choses précisément entre ces
différents points de vue, à délimiter clairement ce qui relève de l’algorithmique au
niveau des raisonnements de ce qui relève des nécessités de son implémentation
technologique » (2012, p. 270). Il apparait donc ici que l’introduction de ce nouvel
objet d’enseignement parait complexe. En quoi l'analyse épistémologique peut-elle
éclairer cette complexité ?
Knuth (1968) nous met en alerte sur la présentation de processus de vie courante
comme des algorithmes : une recette de cuisine, qui si elle respecte bien la
propriété de séquentialité, les critères d’entrée, de sortie et de finitude, ne respecte
pas les critères de « définition précise » et d’« effectivité». Un algorithme doit
fournir un même résultat quelque soit l’opérateur le traitant.
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Pour des commodités de langage, nous écrirons « mathématique » lorsque nous
désignerons tout ce qui relève exclusivement des mathématiques (c’est à dire ne relevant
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en autres, Chevallard (1985), Kieran (1994), Gascon (1994), Artigue (2002) et plus
récemment Knuth et al. (2006).
et curriculaire permet de préciser les questions de recherche : (i) quel est le savoir
réellement mis à l’étude dans le cours d’algorithmique ? (ii) comment ce savoir
évolue t-il au sein du système didactique ? (iii) comment les enseignant jouent-ils
avec les contraintes d’un enseignement sous couvert de deux disciplines ?
Cette problématique suppose deux niveaux d'analyse, celle des praxéologies ici de
type interdisciplinaires et celle des pratiques en classe.
l’augmentation ou de la remise. Or, ainsi que nous le développerons plus loin dans
l’analyse de l’action conjointe, l’enseignante écarte la deuxième technique au profit
de la première technique qui vient juste d’être revue dans le cours de
mathématiques.
antérieures (passage par le calcul de la remise) et l’enseignante qui veut leur faire
utiliser une formule factorisée, formule établie lors d’un cours sur les fonctions
affines.
Premier épisode : intrusion de la calculatrice dans l’écriture de l’algorithme
Les élèves ont écrit et implémenté avec succès un premier algorithme (calcul du
montant de la remise à partir du prix et du taux de réduction). Pour écrire le second
algorithme qui permet d’obtenir le prix remisé, plusieurs élèves souhaitent écrire
les deux opérations qu’ils utilisent habituellement : calculer la remise, puis
effectuer une soustraction pour obtenir le résultat escompté.
Ayant trouvé dans un des menus de la calculatrice le symbole « = », l’élève E3
pense pouvoir l’utiliser pour les calculs intermédiaires, comme il le ferait en
mathématiques et stocker le résultat final dans une variable :
5
Tdp : tour de parole
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Deuxième épisode :
En réalité, l’enseignante reste concentrée sur un objectif : écrire le traitement en
une seule opération, opération qu’elle cherchera à conforter plus tard dans une
phase de régulation :
Tdp 1 E12 ah moi je sais pas comment on fait le « égal », je n’ai pas compris
Tdp 2 P Le « égal », je te dis, vous utilisez le stockage là.
(Le professeur montre le tableau ci-contre : )
Tdp 3 E12 ouais mais…[E12 se prend la tête dans les mains]
Tdp 4 P vous mettez dans… [Le professeur écrit au tableau]. Si vous avez
20 % de remise, comment vous avez fait pour calculer ? Vous avez
fait 32 - 20 % de 32. E12, toi tu veux faire en deux opérations. Si tu
veux faire en une seule opération. Tu fais 32 - 20 % de 32. On est
d'accord ?
[E12 hoche la tête.]
On peut mettre 32 en …? En facteur ! Ça c'est ce qu'on va voir
jeudi. Hein ? Quand on fait une remise de 20 %, on peut multiplier
directement le prix initial 32 par 1 - t %. J'ai vu qu'il y en a qui
avaient mis la formule.
[…]
)*
Bon, E13, tu n'y as pas pensé ? À écrire 32 &1 − +**,, c'est-à-dire
32 × 0,8.
Vous avez directement le prix remisé, comme ça. Et vous avez une
seule opération si vous ne voulez pas faire l'étape « je calcule la
remise et j'enlève la remise »… C'est ce qu'on va voir demain, pour
terminer le cours. Ou plutôt jeudi…
Pensez bien que plutôt que le faire en deux opérations, vous
pouvez utiliser ça. (Le professeur montre le tableau). Diminuer,
c’est faire, c’est multiplier par 1- t%. Diminuer de t%. Et donc on
revient avec une seule opération.
Extrait 3 : épisode 2 (séquence 1 - séance 2)
A la fin de cette deuxième séance, nous constatons que plusieurs élèves ne
cherchent pas à effectuer le traitement en une seule opération. Pour ces élèves, la
confusion entre le signe « = » repéré dans un des menus de la calculatrice et
l’opération d’affection demeure. L’enseignante, quant à elle, cherche à convaincre
de l’intérêt de l’utilisation du coefficient multiplicateur (1 – t %). Pour cela, elle
rappelle la technologie justifiant cette technique, la factorisation, et use
L’ENSEIGNEMENT DE L’ALGORITHMIQUE EN SECONDE : UNE ETUDE DE CAS 19
d’arguments d’économie (en gras dans l’extrait 3). L’expression «Bon, E13, tu n’y
as pas pensé ? » (tdp 4) suggère qu’en se plaçant en surplomb, elle espère
remporter l’adhésion des élèves. La troisième séance permettra aux élèves
d’affirmer leur point de vue.
Troisième épisode :
Ainsi que le montre l’échange ci-dessous, l’enseignante finit par accepter la
proposition des élèves d’effectuer le traitement en deux étapes, et donc d’utiliser
deux variables. Elle avance cette fois-ci un argument algorithmique : « ça va faire
une ligne de calcul de plus ». On peut supposer qu’elle ne souhaite pas faire
implémenter deux lignes de calculs, ce qui pourrait l’amèner à discuter de la
signification du « = » en informatique, mais du coup ne lui permet pas de saisir
l’opportunité d’approfondir les concepts d’affectation et de variables. Notons
toutefois qu’elle mentionne pour la première fois, sans s’y attarder, l’écrasement
d’une variable.
Tdp1 E5 pourquoi on ne fait pas P - R ?
Tdp2 P alors, si on fait P - R… On peut faire un algorithme où on fait
d'abord calculer la remise, et puis après on va faire P - R. Ça va
rajouter une ligne de calcul. Dans ton algorithme, ce serait un
algorithme où on ferait calculer R, c'est-à-dire on ferait calculer
/
P × +**, et après calculer P - R. Et après, tu le mettrais dans une
autre lettre ou encore dans P et après voilà. Ça va marcher aussi.
Si vous l'avez programmé avec la machine, tu as dû voir que ça
marchait.
Extrait 4 : épisode 3 (séquence 1 - séance 3)
L’analyse de cette séquence nous a conduit à deux constats :
- Elèves et enseignant ne poursuivent pas la même démarche : les élèves cherchent
à écrire un algorithme en réinvestissant des connaissances anciennes alors que
l’enseignante cherche, tout en faisant travailler l’écriture d’un algorithme, à asseoir
un savoir mathématique en cours d’apprentissage, vu précédemment en « papier-
crayon » dans un cours traditionnel. Néanmoins, l’enseignante finit par accepter la
démarche algorithmique proposée par les élèves. Dans cette séquence, ce sont
principalement les élèves qui agissent sur la chronogenèse du savoir algorithmique.
- L’aspect informatique est prédominant : le langage utilisé, et par les élèves et par
l’enseignante, appartient plus au domaine informatique (« stocker », « prompt »)
qu’au domaine algorithmique. Cet aspect est majoré par le fait que élèves
travaillent sur la calculatrice sans passer par l’activité d’écriture « papier-crayon ».
2.4.2 Deuxième séquence : difficultés dans les changements de cadres
conceptuels
Nous présentons ici deux épisodes significatifs de la difficulté des élèves à passer
d’un cadre géométrique à un cadre numérique pour ensuite travailler dans un cadre
algorithmique. L’objectif de l’enseignante dans cette séquence est de faire
travailler l’instruction conditionnelle « Si … alors … sinon ».
Premier épisode :
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peu à peu les élèves à écrire seuls le dernier algorithme. La trace écrite (figure ci-
après) montre la volonté de l’enseignante de dissocier ce qui relève de
l’algorithmique ou de l’informatique.
Remerciements
Je tiens à remercier Chantal Amade-Escot, Gisèle Cirade ainsi que les relecteurs de
la revue pour leur aide précieuse. Sans leur soutien et leurs remarques avisées, cet
article n’aurait peut-être pas vu le jour …
Bibliographie
ARTIGUE M. (2002), Learning mathematics in a CAS environment: The genesis
of a reflection about instrumentation and the dialectics between technical and
conceptual work, International Journal of Computers for Mathematical Learning,
vol 7, n°3, 245-274.
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