Ce document discute de la distinction entre l'analyse au niveau de la phrase et l'analyse au niveau transphrastique. Il explique que cette distinction trouve son origine dans la nécessité pour les sciences du langage de décomposer un texte en éléments plus simples avant de pouvoir analyser le texte dans son ensemble. Le document présente les fondements épistémologiques et historiques de cette distinction méthodologique.
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La distinction phrastique
-transphrastique comme assomption méthodologique Cette distinction - dont l’origine transparaît au
travers de sa dénotation même - c’est un problème qui tient aux sciences de la littéralité ou, pour essayer d’être plus précis dans l’expression, à toutes les sciences visant la notion de “texte”, dans n’importe quelle de ses acceptions. Ce préjugé - car nous pensons qu’il y a préjugé - voile un peu les modalités de fonctionnement de cette distinction dans des espaces cognitifs des plus divers, et plus précisément dans les démarches scientifiques qui créent les instruments élémentaires de travail pour les sciences de la littéralité: la démarche logique, par exemple, la démarche sémiotique, la démarche psychologique, et d’autres encore. Il serait peut-être le cas de nous expliquer quant à la “largeur” de notre vue sur la distinction phrastique-transphrastique. Dans quelque domaine de la connaissance humaine que ce soit, l’image du “tout” est accablante. Devant cette image d’un tout qu’on devrait faire entrer dans une matrice explicative, l’esprit humain a probablement ressenti, au début, un sentiment d’impuissance; mais, il a vite récupéré et il a essayé de trouver la voie la plus “profitable” pour aboutir à une explication vraiment adéquate et plausible du “fait scientifique” qui se présentait comme un tout, comme une intégralité. Qu’est-ce qu’il a fait, l’esprit humain? Il s’y est pris en manière cartésienne, c’es-à-dire comme se le proposait le grand savant français: “diviser chacune des difficultés que j’examinerais en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour les mieux résoudre; [...] conduire par ordre mes pensées, en commançant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusques à la connaissance des plus composés, et supposant même de l’ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres”9 . Les sciences dont nous venons de parler - et d’autres encore - s’y sont pris de la même façon, dans l’esprit d’une “méréologique” intéressante et profitable du point de vue scientifique. 9 R. Descartes, Discours de la méthode, suivi des Méditations métaphysiques, Paris, Flammarion, 1927, p. 14 La logique a été incapable d’étudier l’enchaînement de raisonnements présents dans des argumentations, des explications, des démonstrations, comme si c’était un “donné” qu’on peut saisir d’un coup. C’est pourquoi elle a suivi les exigences cartésiennes, c’est-à- dire qu’elle a distingué et analysé avec extrême précision les divers types de raisonnements et en a tiré les lois de ces raisonnements pour voir ensuite comment ils participent au tout. La psychologie s’est souvent retrouvée “agressée” par l’entité psychique de la personnalité humaine, ce qui a fait qu’elle l’ait étudiée “chaque section à la fois” et c’est à peine après une étude minutieuse qu’elle a procédé à la reconstruction explicative de la personnalité humaine comme un tout10. La sémiotique a fait de même, mais nous pensons que ce n’est pas le lieu pour insister là-dessus. La conclusion s’impose: l’étude de tout “fait scientifique” est dominée par l’idée de segmenter le fait jusqu’à en obtenir les dimensions des segments les plus avantageuses pour le but de la recherche. La science du texte - ou science de la littérature - a fait de la sorte et il en a résulté la distinction entre phrastique et transphrastique, qui occupe aujourd’hui une place importante dans les discussions sur la littéralité ou sur la discursivité. Cette dernière a pour objet, généralement parlant, le discours littéraire, or celui-ci ne peut être analysé qu’en considérant chaque composant principal séparément pour voir ensuite la manière dont il participe à la construction et au fonctionnement du discours comme totalité. Il en résulte deux fondements pour le fonctionnement de la distinction phrastiquetransphrastique dans tout domaine de la connaissance et surtout dans la connaissance et l’analyse de la discursivité: le premier est un fondement d’ordre épistémologique, le deuxième est un fondement d’ordre historique. Du point de vue de la connaissance scientifique - on en est donc au fondement épistémique - il est bien connu que l’analyse précède la synthèse. Il faut d’abord “décomposer” un tout à expliquer en éléments pour passer ensuite à l’investigation minutieuse de chaque composant; bref, une connaissance en détail des articulations du tout. Or, tout cela tient à l’opération d’analyse logique. Lorsque le but poursuivi par l’analyse est atteint, c’est le tour à la synthèse logique, laquelle, prenant pour base les éléments mis en évidence dans l’étape précédente, refait l’image du tout, c’est-à-dire qu’elle refait l’intégralité du “fait scientifique”. Voici une observation de Titu Maiorescu à ce sujet: “[....] l’étude de l’argumentation, qui est l’objet de la logique, comporte deux recherches: l’une qui défait les éléments dont toute argumentation est composée, qui les analyse un par un et qui met en évidence les relations partielles existant entre eux, telles qu’elles résultent de l’analyse qu’on a faite. Cela s’appelle logique élémentaire ou analytique. L’autre opération - la synthèse - a en vue l’engencement de ces éléments dans l’acte d’argumentation, et elle montre les diverses voies que l’intelligence humaine prend pour faire passer à d’autres la conviction acquise relativement à une idée; or, puisque ces voies 10 Pour montrer que ce n’est pas par hasard que nous avons parlé de l’apport en “instruments de travail” de la psychologie (entre autres) pour les sciences de la littéralité, nous convoquons, en support, les démarches du “nouveau criticisme” (voir, par exemple, I. A. Richards, Principles of Literary Criticism, où l’auteur se propose d’abandonner les procédés traditionnels d’investigation de la littéralité et propose aussi la fondation d’une pratique d’investigation basée sur les recherches de la psychologie moderne). s’appellent avec un terme venu du grec “méthodes”, cette partie de la logique s’appelle <>”11 . Nous nous devons de préciser que cette “refonte” n’est ni la somme des éléments discernés par l’analyse, ni l’éludation complète de leurs mécanismes, mais une mise en évidence des modalités de fonctionnement de l’entier (ou tout), et ce fonctionnement dépend de ses composants. L’analyse du texte littéraire est donc passée à la “décomposition” du texte en éléments (et c’est comme ça qu’on est arrivé à son niveau phrastique); la synthèse du texte littéraire s’est employée à dévoiler le fonctionnement du texte en tant qu’intégralité (et c’est comme ça qu’on est arrivé au niveau transphrastique du texte). Voyons un peu l’argument historique. Dans tout domaine de la connaissance, les premiers pas dans l’investigation du <> sont hésitants, ils sont faits à propos de faits extrêmement simples et capables d’assurer aux généralisations une certaine “intuitivité”. Les généralisations, telles qu’on peut obtenir grâce à ces investigations, sont elles aussi hésitantes. Autrement dit, dans tout domaine, la connaissance débute par l’investigation des “unités minimales” - l’investigation du “phrastique” - pour proposer ensuite, après maintes hésitations et enthousiasmes incontrôlés, des visions d’ensemble - plus précisément, une explication du “transphrastique”. Ça va pour tous les débuts, dans tous les domaines de la connaissance scientifique. Dans ce qui suit, nous allons essayer de trouver des réponses à certaines questions, par le biais d’exemples. Première question: pourquoi, dans la logique traditionnelle, la théorie des notions était un chapitre essentiel de l’analyse logique? C’est parce que les notions étaient (dans la conception de ces temps-là) les éléments les plus simples auxquels on pouvait arriver en décomposant les raisonnements et dont l’analyse pouvait dire des choses quant à leur fonctionnement. Le niveau phrastique de l’analyse était essentiel. Mais pourquoi est-ce que la théorie des notions a perdu de nos jours son importance? Parce que la logique d’aujourd’hui c’est une logique au niveau de la synthèse, ou au niveau d’analyses d’ordre transphrastique, tenant à la théorie des systèmes axiomatiques où, évidemment, le rôle tenu par la notion est insignifiant. Et encore, pourquoi est-ce que, dans la Grammaire de Port-Royal, l’énoncé simple était l’élément essentiel de l’analyse? Pourquoi, même quand elle analyse les “figures rhétoriques”, une telle grammaire ne le fait qu’en se référant aux énoncés simples? C’est parce que les analyses étaient à leur début et elles ne visaient que le niveau intuitif, phrastique, du fait scientifique. On parle aujourd’hui de plus en plus souvent des grammaires textuelles, des grammaires du récit, etc., et là tous les renvois sont faits au niveau transphrastique. C’est le moment - après avoir traité des fondements (épistémique et historique) de la distinction entre phrastique et transphrastique, prise comme instrument méthodologique d’analyse - de présenter aussi les critères selon lesquels on peut faire 11 Titu Maiorescu, Scrieri de logic\, Bucure[ti, Editura {tiin]ific\ [i Enciclopedic\, 1988, p. 171. cette distinction, sans quoi il n’y aurait pas la possibilité d’utiliser ladite distinction en tant qu’instrument méthodologique. Il va de soi que l’amplitude de la séquence discursive est un des critères de distinction (en nous tenant, certes, dans les limites des discussions sur le domaine des textes). Comment faire pour dire, sur les alignements de l’amplitude textuelle, où finit le phrastique et où commence le transphrastique? Pour une possible réponse, nous faisons appel aux écrits de Heinrich Plett. Celui-ci se propose de déterminer le squelette méthodologique, l’armature de ce qu’il appelle “la science intégratrice du texte” (“integrative Textwissenschaft”), et il croit la trouver, cette armature, dans la tripartition de Morris - déjà présente, sous une terminologie différente, chez Peirce - entre syntaxe, sémantique et pragmatique. Selon Plett, “cette science du texte porte l’attribut d’<> parce qu’elle met en valeur toutes les possibilités de dimensionner le texte. Son objet primordial c’est la textualité, c’est-à-dire les conditions de constitution du texte. [...] Cette science du texte est englobante et générale à la fois: elle n’admet aucune autre science du texte qu’elle-même, elle est absolue”12 . Construite sur les trois coordonnées principales (la syntaxe, la sémantique et la pragmatique), la science du texte - qui se veut, on l’a vu, intégratrice - est forcée à reconnaître que la distinction niveau phrastique-niveau transphrastique, qu’elle assume comme présupposition méthodologique, n’est en fait qu’une idéalisation de la situation concrète de la discursivité. Et cela parce que le texte se manifeste dans l’intégralité de ses relations inter-sémiques, en même temps comme relation entre les signes (donc, une construction gouvernée par des règles), comme relation entre les signes et leur dénotatum (donc, comme sens) et comme relation entre les signes et le récepteur (donc, en tant qu’intentionnalité). “L’engagement du texte sous la perspective de n’importe quelle des trois dimensions n’arrive à expliciter qu’un seul aspect, certes, important, de celui-ci. Toutefois, isoler tout à fait une des dimensions du texte s’avère impossible. Une syntaxe isolée renonce à la réalité du signe et aussi à celui qui utilise le signe; bref, à la signification communicative du texte. Une pragmatique isolée va négliger la combinaison des éléments textuels et de leur contenu dénotatif. À une sémantique isolée il manque la relation structurale du signe et aussi le concret de son inclusion dans des situations communicatives concrètes de transmission du message.”13 Voyons maintenant comment on peut mettre à profit les ressources de cette “science intégratrice du texte”, fondée sur la tripartition de Morris, pour déterminer un critère de fonctionnnement acceptable de la distinction entre le caractère phrastique et le caractère transphrastique d’un texte. C’est par la mise au travail de chacune des dimensions relevées (syntaxe, sémantique, pragmatique) pour l’analyse du texte que Plett détermine trois niveaux de ce type d’analyse, des niveaux qui ont en vue l’étendue (ou l’extension) du texte, les limites (ou les délimitations) et la cohérence du texte. Évidemment, chacune de ces exigences de l’analyse pourrait avoir un rôle significatif dans notre construction en marge de la distinction phrastique- transphrastique, mais on se rend compte que les deux premières (l’étendue et la délimitation) paraissent être plus 12 Trad. d’après la version roumaine du texte: H. Plett, {tiin]a textului [i analiza de text: semiotic\, lingvistic\, retoric\, Bucure[ti, Editura Univers, 1983, p. 51. 13 Idem, p. 50. liées à la question de l’amplitude textuelle (au fond, la distinction phrastiquetransphrastique tient, grosso- modo, au problème de l’amplitude), tandis que la question de la cohérence ne saurait intéresser que dans le but de rendre les deux premiers critères encore plus discriminatoires. La construction d’un texte (d’un discours, en général) a à la base un principe combinatoire. Il est évident qu’à ce premier niveau agissent les règles de la syntaxe. Les sons de la parole (ou les lettres qui les reproduisent en écrit) sont des éléments primaires (phonèmes-graphèmes), et l’effet de l’application d’une combinatoire à ce niveau c’est des unités de niveau supérieur (unités secondaires) qui sont les mots (les morphèmes). On va même observer que le passage des signes élémentaires, primaires (les sons), aux signes secondaires (les mots) n’est pas une simple combinaison de sons (ça veut dire qu’il ne tient pas seulement au registre syntaxique). Or, l’insertion d’un sens engage le côté sémantique du texte (du mot, dans notre cas). On va donc retenir que le passage du signe primaire (le son) au signe secondaire (le mot) c’est le passage du syntaxique au sémantique. Comment est distribuée “la valeur” de ces registres dans la construction de ce cas spécial de texte qui est le mot? Nous pensons que ça se passe dans l’esprit d’une “coopération égalitaire”, vu que l’existence d’un mot dans une langue dépend en la même mesure des “règles de la bonne formation des mots” dans cette langue (donc, de la syntaxe) et de l’institution d’un sens (donc, d’exigences d’ordre sémantique). Ce n’est que cette unité entre la correctitude syntaxique et la garantie sémantique qui donne au mot un rôle fonctionnel dans une langue donnée et un “statut” bien déterminé14 . L’acte combinatoire ne s’arrête pas là. À l’aide des mots on construit une sorte d’”unités tertiaires” (les phrases) susceptibles de respecter les règles de bonne formation propres à la langue dans laquelle elles sont construites (exigences syntaxiques), d’avoir un sens (de répondre donc à une exigence sémantique tenant à la “référence thématique” du texte), mais, de plus, susceptibles de contenir une intention par rapport au récepteur (de répondre, donc, à des exigences pragmatiques). Nous voilà emmenés à constater un fait significatif et très intéressant pour notre recherche: pour pouvoir exister et remplir ses fonctions, une unité textuelle plus complexe englobe des exigences dont le nombre s’accroît avec le degré de complexité de l’unité, en allant des exigences syntaxiques (dans le cas des unités minimales) aux exigences sémantiques (dans le cas des mots) et aux exigences pragmatiques (dans le cas des phrases). Le son n’a ni sens, ni intentionnalité. Le mot a un sens, mais il manque d’intentionnalité. La phrase a aussi bien sens qu’intentionnalité. On va noter encore qu’il résulte de notre investigation que chaque unité textuelle englobe, pour fonctionner, toutes les exigences du pallier inférieur (du point de vue de la segmentation). Les exigences syntaxiques sont minimales et elles fonctionnent dans le cas de toutes les unités, allant des plus petites jusqu’aux plus grandes: toutes les unités doivent se soumettre aux “lois de construction” propres à une langue quelconque. Les 14 L’affirmation peut paraître une exagération, surtout qu’il est possible de trouver des exemples de situations où des mots sont dépourvus de sens sans pour autant être empêchés de circuler dans une langue (et ils circulent même plus que les mots satisfaisant aux deux exigences). Mais nous prenons Frege en allié: il a montré, en prenant pour base une compréhension bien déterminée de la notion de sens, que, s’il y a des mots sans signification, il n’y a pas de mots dépourvus de sens (normalement constitués à l’intérieur d’une langue). exigences sémantiques, on les retrouve en commençant des mots et allant jusqu’aux propositions (linguistiques15), aux phrases et aux textes de grande étendue. Enfin, les exigences pragmatiques sont signalées à partir du niveau des propositions (linguistiques); on ne va pas avoir affaire à ce genre d’exigences dans le cas des mots. Nous pensons déceler ici un critère de délimitation entre le niveau phrastique et le niveau transphrastique d’un texte: on est en présence d’un texte de niveau phrastique lorsque le niveau d’analyse est celui de la proposition (linguistique) et lorsque le sens de ladite proposition couvre, à lui tout seul, l’intentionnalité de la relation communicative, et on est en présence d’un texte de niveau transphrastique lorsque le niveau d’analyse (ou de construction) est celui des combinaisons de propositions (linguistiques) et lorsque les différents sens des propositions assurent la réalisation de l’intentionnalité communicative. Comme on peut facilement remarquer, la distinction entre phrastique et transphrastique n’est (et ne peut être) fondée sur le critère syntaxique, mais seulement sur des critères sémantico-pragmatiques (nous tenons à insister sur le fait que seule la combinaison sémantico-pragmatique peut constituer un critère de la distinction phrastique-transphrastique, vu qu’aucune des deux dimensions, à elle seule, ne saurait fonctionner comme critère). Pour nous faire bien comprendre, nous allons encore une fois faire appel à un exemple. Soit la phrase: (1) Tu dois finir aujourd’hui le texte pour le journal. C’est une construction relativement simple. L’opération de segmentation - que nous empruntons à Benveniste16, pour en faire un instrument de travail - met en lumière le fait que nous avons affaire à une phrase composée de plusieurs mots (“tu”, “devoir”, “finir”, ...), lesquels, à leur tour, sont faits d’unités minimales (les sons). La phrase (1) respecte les règles syntaxiques du jeu de la langue (le français) et elle ne pourrait pas être construite autrement. Les règles de la grammaire (règles syntaxiques) sont strictes. Il n’y a pas moyen de remplacer, par exemple, dans le jeu combinatoire que nous sommes en train de pratiquer, “finir” par “finisses”, vu que les règles de la grammaire française imposent l’emploi de l’infinitif et non du subjonctif après le verbe “devoir”. Et ainsi de suite, pour chaque élément (mot) de la construction, une règle de grammaire. Puis, la phrase (1) couvre un sens: de sa construction on déduit facilement la “pensée” exprimée (pour employer la terminologie de Frege). Certes, l’existence du sens et le fait que ce sens puisse être “perçu” dépendent de la correctitude syntaxique de la construction (c’est-à-dire, de la correctitude de la combinaison d’unités linguistiques). Si, avec les mêmes mots, on avait une construction du genre “Le texte finir pour le journal aujourd’hui tu dois”, la saisie du sens serait difficile et l’interprétation du message du texte aurait peu de chances; si l’éludation des règles allait plus loin et que l’on aurait quelque chose du genre “Soid, nifirut ... etc.”, les chances d’avoir un décodage du message chez le récepteur seraient nulles. Le fonctionnement du sens de la phrase 15 L’ambiguïté du terme “proposition” (surtout dans un texte ou le linguistique se mêle au logique) nous pousse à faire cette précision. 16 E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, v.1, Paris, Gallimard, 1966, pp. 119-131. (résultant de la combinaison des sens des mots) dépend donc de la façon dont on respecte les exigences syntaxiques. Troisièmement, la phrase porte en elle une intention dont son sens est le véhicule. Son intentionnnalité est double: l’une, primaire, consiste en la compréhension du sens de la phrase; l’autre, secondaire, consiste en une “invitation” à accomplir l’action véhiculée par le sens (“finir le texte”). Nous avons donc affaire au niveau de la phrase, à l’existence d’un sens que la phrase couvre et à la saisie d’une intention assurée par le seul sens de la phrase. Partant de nos assomptions, nous pourrons dire que nous sommes en présence d’un texte de niveau phrastique. Prenons maintenant la séquence discursive suivante: (2) Tarrou le regarda et, tout d’un coup, lui sourit. Ils suivirent un petit couloir dont les murs étaient peints en vert clair et où flottait une lumière d’aquarium. Juste avant d’arriver à une double porte vitrée, derrière laquelle on voyait un curieux mouvement d’ombres, Tarrou fit entrer Rambert dans une très petite salle, entièrement tapissée de placards. Il ouvrit l’un d’eux, tira d’un stérilisateur deux masques de gaze hydrophile, en tendit un à Rambert et l’invita à s’en couvrir. Le journaliste demanda si cela servait à quelque chose et Tarrou répondit que non, mais que cela donnait confiance aux autres.17 On va suivre la même procédure d’analyse. La segmentation dévoile la possibilité d’aller jusqu’aux éléments ultimes de cette séquence discursive, ce que nous n’avons pas dans l’intention de faire. Nous allons nous arrêter au niveau des phrases qui la composent, vu qu’il est évident qu’il n’y a pas de possibilité de surprendre les distinctions entre phrastique et transphrastique au-delà de ce niveau. Et qu’est-ce qu’on constate? Chaque phrase a un sens (“Tarrou le regarda”, “tout d’un coup [il] lui sourit”, “ils suivirent un petit couloir”’ etc., etc., etc.) et ces sens sont assez éloignés l’un de l’autre. De plus, nous constatons que chaque phrase, considérée en elle-même, a une intentionnalité, parfois différente de celle des autres. Par exemple, la phrase “Tarrou fit entrer Rambert dans une très petite salle, entièrement tapissée de placards” a une intention descriptive, tandis que la phrase “Tarrou répondit que non, mais que cela donnait confiance aux autres” a plutôt une intentionnalité appréciative-prescriptive. La séquence, dans son ensemble, a comme tonalité dominante une certaine intentionnnalité (peut-être, celle de signaler l’inutilité de tout effort lorqu’il s’agit de combattre un fléau comme l’épidémie de peste). Cette intentionnnalité ne se réalise à travers aucune des intentions décelées dans les phrases - quand elles sont prises séparément -, mais il s’agit de la participation de tous les sens et de toutes les intentions des phrases. La séquence est une combinaison de phrases, chacune ayant un sens et une intentionnalité; l’intentionnalité de la séquence est déterminée par le cumul de tout cela. Nous sommes donc là en présence d’un texte de niveau transphrastique. Des remarques sont nécessaires quant aux situations où l’on pourrait avoir “violations” du critère de distinction entre niveau phrastique et niveau trannsphrastique. Il y a des cas où des séquences discursives (“textuelles”) ne sont formées que d’une seule 17 Albert Camus, La peste, Moscou, Editions du Progrès, 1969, p. 254. phrase (parfois réduite à un seul mot), porteuse de plus d’un sens, et pourtant elle doivent être considérées comme “textes transphrastiques”. Des phrases comme (3) Ah, c’est donc toi! ou (4) Le voilà enfin! ou encore (5) Que vois-je? sont des exemples d’énoncés minimaux, lesquels doivent être considérés pour des unités transphrastiques de la discursivité, bien que l’application de notre critère porte à la conclusion que ce sont des unités phrastiques. La multitude des sens que chacune des phrases (3), (4) et (5) porte et à travers lesquels se réalise l’intention de communication de celui qui les met en circulation donne droit à assumer que l’on a affaire au niveau transphrastique. L’énoncé de la phrase (3), par exemple, laisse voir un sens descriptif (on prend connaissance de la personne apparue brusquement), mais aussi un sens valorisant (“cest donc toi, non?!”) ou même un sens affectif (en laissant voir les sentiments éprouvés en contact avec la personne en question). Chacun de ces sens s’ajoute aux autres pour donner le sens global (dénotatif) de l’énoncé de (3). De même pour (4) et (5), où la multitude des sens assure plus de performativité et, donc, un meilleur accomplissement de l’intention du locuteur. Peut-être est-ce justement ce que les logiciens de Port-Royal proposaient à la réflexion en mettant en évidence la distinction entre les idées principales qui sont portées à notre conscience par une séquence discursive et les idées accessoires desquelles se font accompagner les premières et qui nous parviennent surtout à travers ce que l’on appelle langage figuré. Celui-ci apporte quelque chose de plus, en dehors de l’idée principale, dominante, du texte. Que ce soit une allusion, une ironie, une remarque supplémentaire, nous savons qu’il y a quelque chose d’autre, au-delà de l’idée principale. Et il faut dire que parfois ces idées accessoires sont plus importantes, plus performantes que les idées principales dans une intervention discursive. Leur manifestation dans une situation de sémiose met en oeuvre, outre les ressources linguistiques, des ressources d’ordre extralinguistique. C’est ce que l’on trouve exprimé dans la Logique de PortRoyal18:“Quelquefois ces idées accessoires ne sont pas attachées aux mots par un usage commun, mais elles y sont seulement jointes par celui qui s’en sert; et ce sont proprement celles qui sont excitées par le ton de la voix, par l’air du visage, par les gestes et par les autres signes naturels qui attachent à nos paroles une infinité d’idées qui en diversifient, changent, diminuent, augmentent la signification, en y joignant l’image des mouvements, des jugements et des opinions de celui qui parle.” Quand les séquences discursives plus amples (contenant, donc, plusieurs unités phrastiques) sont considérées comme phrastiques, les choses semblent plus simples, vu que de telles situations sont rares, même très rares. Mais, en général, si les exigeances des critères sont remplis, encadrer le texte est chose facile. Or, un texte de plus grande amplitude répond, en général, aussi aux critères d’ordre syntaxique (c’est une combinaison de phrases, unités phrastiques par excellence) 18 Logique de Port-Royal, suivie de trois fragments de Pascal […], avec une introduction et des notes par Charles Jourdain, Paris, Hachette, 1861, p. 80 et aux critères d’ordre sémantique (chaque phrase a un sens et c’est le cumul de tous ces sens qui assurent l’accomplissement du but de l’intervention discursive), qu’aux critères d’ordre pragmatique (il dévoile une intention générale faite de toutes les intentions spécifiques des phrases). Il serait peut-être bien de traiter également de la situation où une combinaison de phrases ne dévoile qu’un sens à travers toutes les phrases engagées, mais l’existence d’un tel cas est peu probable au niveau concret. En final des considérations ci-dessus, nous tenons à retenir l’attention sur le fait que la signification particulière de la distinction entre phrastique et transphrastique tient plutôt à la discursivité littéraire (dans l’acception la plus large du terme) et elle reste presque insignifiante pour d’autres types de discours (comme le discours scientifique, par exemple). Pourquoi? Parce que les trois critères de distinction (syntaxique, sémantique, pragmatique) fonctionnent ensemble au plus haut niveau seulement dans le discours littéraire et dans les discours similaires. Le discours littéraire doit être syntaxiquement correct et il doit, à la fois, couvrir un sens (ou plusieurs sens) et assurer une intention (autre que l’intention strictement descriptive, qui est quasi-générale). Quant au discours scientifique (et on va faire référence au cas le plus “dur”: la démonstration formalisée), il doit être syntaxiquement correct (il doit respecter les règles de bonne formation des composants), mais nous avons des doutes quant à sa possibilité de couvrir un sens (on parle pourtant des possibles interprétations de la symbolistique d’une démonstration formalisée) et encore moins sommes-nous convaincus de son intentionnalité (c’est-à-dire, sa dimension pragmatique). Et encore, si, dans le cas du discours littéraire, la distinction entre idées principales et idées accessoires est essentielle (pour la fonctionnalité même d’un tel discours), dans le cas du discours scientifique, une telle distinction est superflue. Notons aussi que les représentants du Cercle de Vienne (Carnap, Neurath, Hahn, etc.) ont proposé la méthode de l’<> pour déterminer nettement les théories scientifiques; ils avaient comme principe de travail la décomposition de la théorie en éléments toujours plus simples, jusqu’au niveau des propositions élémentaires (propositions de protocole) intuitivement évidentes, mais ils n’ont pas pensé qu’on pouvait distinguer - à base de critères très nets - entre ces unités minimales et la théorie dans son ensemble (comme domaine du transphrastique). Nous pensons avoir réussi à articuler - sur les alignements de la tripartition sémiotique: syntaxe, sémantique, pragmatique - un critère à l’aide duquel on peut déterminer, dans la pratique concrète des analyses discursives, lesquelles de plusieurs séquences discursives tiennent au domaine du phrastique et lesquelles appartiennent au transphrastique. Certes, nous n’oublions pas que nous nous trouvons dans un champ labile, avec des éléments interpénétrables et que, donc, ce critère n’est (et ne peut être) absolut. Une chose reste certaine, néanmoins: le critère peut mettre en évidence la différence entre phrastique et transphrastique du point de vue de la tonalité dominante
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