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LE LICENCIEMENT DES « SALARIÉS PROTÉGÉS » DANS L'ŒIL DU JUGE

ADMINISTRATIF

Katia Weidenfeld

Éditions juridiques associées | « Droit et société »

2003/3 n°55 | pages 717 à 741


ISSN 0769-3362
ISBN 2275023593
DOI 10.3917/drs.055.0717
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe1-2003-3-page-717.htm
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Études
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Le licenciement des « salariés protégés »
dans l’œil du juge administratif

Katia Weidenfeld *

Résumé L’auteur

Pour protéger certains salariés (délégués du personnel et syndicaux, Professeur à l’Université de


membres des CE et CHSCT, conseillers prud’hommes notamment), le Caen, elle participe à l’activité
législateur a subordonné leur licenciement à une autorisation adminis- du Laboratoire de sciences so-
ciales (École normale supé-
trative. Depuis une décennie, l’insuffisance de ce dispositif est cepen-
rieure). Ses principaux travaux
dant dénoncée. Cet article l’analyse à partir des 256 contentieux jugés de recherche portent sur
par les tribunaux administratifs de Paris depuis 1997 et de Caen de- l’histoire du droit administratif
puis 1995. Ceux-ci informent sur le respect du droit par l’adminis- et de la justice administrative ;
tration et les employeurs, et sur les difficultés posées par son applica- elle a en particulier consacré sa
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tion. S’ils prouvent l’efficacité du recours juridictionnel, ils soulignent thèse aux Origines médiévales
aussi l’insuffisance de sa portée pratique. Ils révèlent en outre certains du droit administratif (Paris, De
effets pervers de la compétence du juge administratif. Boccard, 2001).

Effectivité du droit – Inspection du travail – Licenciement – Représen-


tants du personnel – Tribunal administratif.

Summary

The Layoff of Workers’ Representatives in the Eyes of Administrative


Judges
To protect workers’ representatives, French law requires the employer
to seek authorization from the labor administration. For the last dec-
ade, however, this legal purview has been sharply criticized. This arti-
cle analyses some of these failures by studying 256 recent cases
judged by the administrative courts of Paris since 1997 and of Caen
since 1995. These decisions provide information about how the ad-
ministration and employers respect the law and about the difficulties
of its application. They show the theoretical efficiency of a claim, but
they stress the frequent lack of concrete results. They also reveal some
perverse effects of an administrative judge’s competence. * École Normale Supérieure,
Laboratoire de Sciences Sociales,
Administrative court – Labor administration – Layoff – Legal efficacy – 48 boulevard Jourdan,
Workers’ representatives. F-75014 Paris.
<[email protected]>

Droit et Société 55/2003 – 717


K. WEIDENFELD Dès l’immédiat après-guerre, l’essor du droit social a conduit à inventer
des formes de protection de la représentation élue et syndicale de l’entre-
prise 1. Celle-ci comporte un volet répressif : tout obstacle au fonctionne-
ment des institutions représentatives constitue un délit d’entrave 2. Par ail-
leurs, le licenciement des représentants du personnel a été soumis à une
procédure dérogatoire au droit commun, dont le pivot est l’autorisation de
l’administration du travail. Longtemps limitée par la jurisprudence de la
Chambre sociale – qui permettait à l’employeur de demander la résolution
judiciaire du contrat de travail d’un « salarié protégé » 3 –, la nécessité d’un
contrôle administratif préalable au licenciement a été consacrée par la loi
du 28 octobre 1982. Les salariés des institutions représentatives légales, ou
de même nature 4, dont le licenciement – ou le transfert – a été prononcé
sans autorisation peuvent en conséquence obtenir leur réintégration dans
l’entreprise.
Depuis le début des années 1990, l’efficacité de ce dispositif protecteur
est cependant mise en doute, tant par la doctrine 5 que par les acteurs 6. Les
informations publiées annuellement par la DARES 7 révèlent effectivement
une dégradation de la condition des salariés protégés. La progression du
nombre de représentants du personnel licenciés ne peut s’expliquer entiè-
rement ni par l’augmentation de leur nombre, ni par la conjoncture. Les li-
cenciements induits par la crise économique les ont en effet plus atteints
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que les salariés de droit commun. Au cours de la décennie 1990, la propor-
tion de salariés protégés dans l’ensemble des licenciements pour motif éco-
nomique a ainsi fortement augmenté (de 1,37 % en 1989 à 4,3 % en 2000).
Parallèlement, le taux de licenciements autorisés par les inspecteurs du tra-

1. Cf. Claude-Albert COLLIARD, « La stabilité de l’emploi et les autorisations administratives de-


vant le contrôle juridictionnel », Droit social, 1951, p. 237-346.
2. Jean PÉLISSIER, Alain SUPIOT et Antoine JEAMMAUD, Droit du travail, Paris, Dalloz, coll. « Précis.
Droit privé », 21e éd., 2002, p. 680 et suiv.
3. Les arrêts Perrier (Cass. ch. mixte, 21 juin 1974, Recueil Dalloz, 1974, 593) y ont mis fin. Sur
ce revirement de jurisprudence, voir notamment Hélène SINAY, Recueil Dalloz, 1974, chron.,
p. 235 ; Roger LATOURNERIE, Recueil Dalloz, 1975, chron., p. 103.
4. Sur le refus de la jurisprudence d’étendre la protection à l’ensemble des représentants
conventionnels, cf. Pierre O RTSCHEIDT, « Pour un renforcement de la protection pénale des repré-
sentants conventionnels », in Mélanges en l’honneur du professeur Hélène Sinay, Francfort, Berne,
Peter Lang, 1994, p. 247 et suiv. Pour une confirmation récente, cf. Cass. soc., 29 janvier 2003,
n° 00-44933 (à paraître dans le Bulletin civil de la Cour de cassation).
5. Voir not. Jean-Maurice VERDIER, « Représentants élus ou syndicaux des salariés : un droit posi-
tif chargé d’équivoques », Revue de jurisprudence sociale, 12, 1999, p. 824 et suiv. ; Gérard LYON-
CAEN, « À la recherche des concepts de base du livre IV du Code du travail (réalités et illusions) »,
in Droit syndical et droits de l’homme à l’aube du XXIe siècle. Mélanges en l’honneur de Jean-
Maurice Verdier, Paris, Dalloz, 2001, not. p. 89-90.
6. Des abus sont dénoncés : cf. le témoignage d’une déléguée syndicale CFDT de Marks & Spen-
cer (L’Humanité, 20 janvier 2000) et celui d’un délégué syndical CGT de Pizza Hut (L’Humanité, 8
décembre 2001).
7. Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, ministère des Affaires
sociales, du travail et de la solidarité.

718 – Droit et Société 55/2003


vail est en hausse et atteint un niveau très élevé (entre 84 % et 88 % de 1994 Le licenciement des
« salariés protégés »
à 2000) 8. dans l’œil du juge
administratif

RAPPEL JURIDIQUE SOMMAIRE

Le mécanisme protecteur s’applique à diverses catégories de salariés, no-


tamment aux délégués du personnel, membres des comités d’entreprise et des
comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, délégués syndi-
caux, représentants syndicaux auprès des comités d’entreprise, représentants
des salariés aux conseils d’administration, représentants des salariés des en-
treprises en redressement judiciaire, conseillers prud’homaux, conseillers du
salarié, délégués à la délégation unique du personnel et salariés mandatés.
Soumis à des procédures en partie variables, le licenciement de ces salariés ne
peut intervenir qu’après autorisation administrative. L’employeur souhaitant
licencier l’un d’eux ou le transférer dans un autre établissement, doit donc
saisir l’inspecteur du travail. La décision d’autorisation ou de refus
d’autorisation prise par l’inspecteur du travail est susceptible de recours hié-
rarchique devant le ministre, qui peut la confirmer ou l’annuler et y substituer
sa propre décision. La décision de l’inspecteur du travail et, le cas échéant,
celle du ministre peuvent également faire l’objet d’un recours contentieux de-
vant le tribunal administratif, avec appel devant la cour administrative
d’appel et cassation devant le Conseil d’État.
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La compétence exclusive des juridictions administratives pour apprécier
la légalité de l’autorisation de licenciement, ou de son refus, laisse diverses
attributions aux juges judiciaires. Sous le contrôle de la cour d’appel et de la
Cour de cassation, le juge prud’homal est notamment compétent pour se pro-
noncer sur le droit aux indemnités de licenciement du salarié protégé ; si la
rupture du contrat de travail est intervenue sans autorisation, ou si
l’autorisation a été annulée par le ministre ou le juge, il lui appartient égale-
ment de statuer sur la réintégration et/ou l’indemnisation du salarié.

Cet article se propose d’analyser certains dysfonctionnements du mé-


canisme de protection des représentants du personnel face au licenciement,
à partir du contentieux jugé par les tribunaux administratifs au cours des
dernières années. Pour des raisons essentiellement pratiques, les tribunaux
de Paris et de Caen ont été choisis pour observatoires 9. Leur activité invite

8. Premières informations (revue de la DARES), novembre 2001, n° 47.1, p. 2 ; Premières informa-


tions, novembre 2002, n° 48.2, p. 2.
9. Les jugements rendus au cours des dernières années par ces deux juridictions sur recours
pour excès de pouvoir contre des décisions d’autorisation, ou de refus d’autorisation, de licen-
ciement des salariés protégés, émanant des agents du ministère du Travail (ou éventuellement
d’autres ministères), ont ainsi été étudiés. L’exhaustivité a été recherchée mais les ordonnances de
non-lieu ou de désistement et les jugements d’irrecevabilité ont cependant été exclus, car les faits
n’y étaient généralement pas suffisamment précisément rappelés pour être exploitables. Pour
prendre en compte la durée de l’instance devant le tribunal administratif de Paris, deux critères
alternatifs de sélection temporelle ont été adoptés : tous les jugements rendus entre 1997 et 2002
ont été retenus ainsi que ceux (même antérieurs à 1997) concernant des décisions administratives

Droit et Société 55/2003 – 719


K. WEIDENFELD en premier lieu à s’interroger sur l’effectivité du droit administratif du li-
cenciement. Elle semble en effet indiquer une insuffisante utilisation des
garanties juridiques par les salariés et l’existence de stratégies de contour-
nement du droit chez les employeurs (I). Par ailleurs, les jugements rendus
par ces deux tribunaux attestent de certaines carences du droit du licencie-
ment des salariés protégés et des fréquentes incertitudes qui l’entourent (II).

I. Des pratiques contraires au droit


La contestation, par voie hiérarchique ou contentieuse, des décisions de
l’inspecteur du travail est relativement rare. Depuis 1993, le taux de recours
hiérarchique a ainsi oscillé entre 5 et 7 % 10. Les recours juridictionnels sont
moins fréquents encore. Environ 2 % des décisions prises par les inspec-
teurs du ressort du tribunal administratif de Paris donnent lieu à un juge-
ment au fond 11, et 3,5 % dans le ressort du tribunal de Caen 12. Devant le
juge, comme devant le ministre 13, les décisions contestées concernent ma-
joritairement les licenciements pour motif « personnel », qui représentent
pourtant moins de 30 % des demandes d’autorisation.

STRUCTURE DU CONTENTIEUX PAR MOTIF DE LICENCIEMENT


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Tribunal administratif de Paris

Nature du licenciement Nombre %

Motif économique 72 36

Autre motif (faute, perte de confiance, insuffisance pro- 126 63


fessionnelle, inaptitude)

Motif inconnu 2 1

intervenues depuis 1995. Tous les jugements rendus par le tribunal administratif de Caen entre
1995 et 2002 ont été retenus. Les données se composent ainsi de 200 jugements parisiens et de
56 jugements caennais.
10. Premières informations, novembre 2002, n° 48.2, p. 6.
11. La DARES ne disposant pas de données désagrégées, il est toutefois difficile de déterminer
précisément le nombre des décisions prises par les inspecteurs du travail du ressort du tribunal
administratif de Paris. Les inspecteurs du travail de la région Ile-de-France ont rendu, entre 1995
et 1999, 22 130 décisions d’autorisation ou de refus d’autorisation.
12. Les inspecteurs du travail de Basse-Normandie ont rendu 351 décisions en 1997, 223 en 1998,
et 324 en 1999.
13. La répartition des recours hiérarchiques est à peu près la suivante : 55 % concernent des li-
cenciements pour motif personnel et 45 % des licenciements économiques (circulaire DRT n° 03,
1er mars 2000).

720 – Droit et Société 55/2003


Tribunal administratif de Caen Le licenciement des
« salariés protégés »
dans l’œil du juge
Nature du licenciement Nombre % administratif

Motif économique 24 43

Autre motif (faute, perte de confiance, insuffisance pro- 31 53


fessionnelle, inaptitude)

Motif inconnu 1 4

Peu fréquent, le contrôle juridictionnel n’est cependant pas purement


formel. Le taux d’annulation des décisions administratives est en effet rela-
tivement élevé. Le juge annule 29 % des décisions qui lui sont déférées à Pa-
ris et 30 % à Caen. C’est sensiblement plus que le ministre qui ne réforme,
selon les années, qu’entre 16 et 28 % des décisions de l’inspecteur du tra-
vail. Comme le ministre, le juge annule plus souvent les autorisations de li-
cencier que les refus. À Paris, 33 % des autorisations de licenciement sont
annulées contre 23 % des refus d’autorisation. L’écart s’accroît encore si l’on
considère les seuls licenciements économiques : le juge parisien annule ain-
si 46 % des autorisations de licencier pour motif économique et seulement
19 % des refus. Le recours juridictionnel profite davantage encore aux sala-
riés dans le ressort du tribunal administratif de Caen, qui annule 48 % des
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autorisations de licenciement contre 18 % des refus. Si le juge caennais est
parfois moins rigoureux que les juridictions supérieures à l’égard des sala-
riés protégés 14, il est difficile de mettre en évidence de véritables divergen-
ces avec le tribunal administratif de Paris. Les comportements des em-
ployeurs locaux expliquent peut-être la forte proportion d’annulation des
autorisations par le tribunal administratif de Caen 15.

ORIGINE ET ISSUE DES RECOURS

Tribunal administratif de Paris

Nature de la décision Nombre Rejet de la requête Annulation

Refus d’autorisation de licenciement 78 60 18

Autorisation de licenciement 122 82 40

14. Voir, par exemple, la différence de jurisprudence avec la cour administrative de Nantes relati-
vement à la participation de salariés protégés à une action collective dans l’affaire S.A. Sameto
Technifil évoquée infra.
15. Le plus faible taux d’autorisation des demandes de licenciement par les inspecteurs de la ré-
gion Basse-Normandie (inférieur à 80 %) que par ceux d’Ile-de-France (autour de 87 %) (Premières
informations, novembre 2002, n° 48.2, p. 4) reflète peut-être des attitudes différenciées des em-
ployeurs ; mais il peut aussi, à l’inverse, s’expliquer par une prise en compte par l’administration
des pratiques du juge « local ».

Droit et Société 55/2003 – 721


K. WEIDENFELD Tribunal administratif de Caen

Nature de la décision Nombre Rejet de la requête Annulation

Refus d’autorisation de licenciement 33 27 6

Autorisation de licenciement 23 12 11

ISSUE DES RECOURS PAR MOTIF DE LICENCIEMENT

Tribunal administratif de Paris


Licenciement pour faute et perte de confiance

Nature de la décision Nombre Rejet de la requête Annulation

Refus d’autorisation de licenciement 49 38 11

Autorisation de licenciement 69 52 17

Licenciement pour motif économique

Nature de la décision Nombre Rejet de la requête Annulation


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Refus d’autorisation de licenciement 26 21 5

Autorisation de licenciement 46 25 21

Tribunal administratif de Caen


Licenciements pour faute et perte de confiance

Nature de la décision Nombre Rejet de la requête Annulation

Refus d’autorisation de licenciement 19 17 2

Autorisation de licenciement 12 8 4

Licenciements pour motif économique

Nature de la décision Nombre Rejet de la requête Annulation

Refus d’autorisation de licenciement 13 9 4

Autorisation de licenciement 11 4 7

722 – Droit et Société 55/2003


En dépit de leur rareté, les recours contentieux, comme administratifs, Le licenciement des
ont ainsi tendance à renforcer, dans une certaine mesure, la protection des « salariés protégés »
dans l’œil du juge
représentants du personnel face au licenciement. Si l’issue des recours est administratif
peu informative quant à l’activité des inspecteurs du travail en général, elle
semble toutefois indiquer que les salariés se défendent de manière plus ac-
tive devant le ministre ou le juge que devant ceux-là.
L’effet concret des décisions juridictionnelles éveille cependant quel-
ques interrogations. La longueur de la procédure contentieuse, dépourvue
d’effet suspensif, limite en premier lieu la portée du recours au juge. C’est
particulièrement vrai devant le tribunal administratif de Paris où l’âge
moyen des dossiers jugés entre 1997 et 2001 était supérieur à trois ans.
Même si aucune donnée précise n’est disponible, on peut supposer qu’après
un tel délai l’annulation d’une autorisation de licenciement conduit plus
souvent à une indemnisation qu’à une réintégration.

DURÉE DES PROCÉDURES 16

Tribunal administratif de Paris

Décision ➙ 1994 1995 1996 1997 1998 1999 Total


Jugement ➘
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1996 0 5 0 7 0 0 (12)

1997 23 18 1 0 0 0 42

1998 5 13 10 0 0 0 28

1999 2 5 26 1 0 0 34

2000 0 2 12 2 4 1 21

2001 0 3 17 11 12 0 43

2002 0 0 2 6 5 0 (13)

Total (30) 46 68 (27) (21) (1)

16. Les parenthèses indiquent que la totalité des décisions ou jugements rendus l’année concer-
née n’a pas été étudiée.

Droit et Société 55/2003 – 723


K. WEIDENFELD Tribunal administratif de Caen

Décision ➙ 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 Total
Jugement ➘

1995 2 0 0 0 0 0 0 0 0 (2)

1996 0 5 1 0 0 0 0 0 0 6

1997 0 1 1 4 0 0 0 0 0 6

1998 0 0 0 3 10 0 0 0 0 13

1999 0 0 0 0 0 8 1 0 0 9

2000 0 0 0 0 0 0 11 2 0 13

2001 0 0 0 0 0 0 0 5 1 6

2002 0 0 0 0 0 0 0 1 0 (1)

Total (2) 6 2 7 10 8 12 8 (1)


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Mais l’efficacité de l’intervention du juge n’est pas seulement une ques-
tion de rendement. Elle est aussi limitée par sa fréquente impuissance à
mettre un terme définitif au différend opposant un salarié et son em-
ployeur. À Paris comme à Caen, le taux d’appel est supérieur à 40 %, même
si des désistements – indice d’un règlement transactionnel du conflit ? – in-
terviennent souvent.
L’exercice des voies de recours n’explique cependant qu’en partie
l’« immortalité » des contentieux : un jugement ou un arrêt définitif n’éteint
pas toujours le litige. Les conflits, qui durent depuis maintenant plus de
quinze ans, au sujet du licenciement d’un salarié cégétiste de la société Sa-
nyo France Calculatrices Électroniques en sont particulièrement symptoma-
tiques. En 1985, l’inspecteur du travail et le ministre refusent à la société
l’autorisation de licencier M. F. pour faute : la matérialité des faits – la falsi-
fication de bons de délégation – qui lui étaient reprochés ne paraissant pas
établie. Mais le 12 mai 1987, le tribunal administratif de Paris annule ces
décisions. À la suite de ce jugement, l’inspecteur du travail refuse de nou-
veau l’autorisation de licencier et sa décision est confirmée par le ministre.
Mais le juge pénal constate que les falsifications de bons de délégation sont
effectivement imputables à M. F., contrairement à son affirmation. Lié par
ce constat, le Conseil d’État rejette l’appel interjeté du jugement du tribunal

724 – Droit et Société 55/2003


administratif 17. Saisi une nouvelle fois après la décision du Conseil d’État, Le licenciement des
« salariés protégés »
l’inspecteur du travail accorde finalement l’autorisation de licencier le sala- dans l’œil du juge
rié le 6 octobre 1992. Mais à la demande de l’Union départementale des administratif
syndicats CGT des Hauts-de-Seine, cette autorisation est annulée par juge-
ment du 3 mai 1995 18, confirmé par le Conseil d’État le 29 octobre 1997 19.
Si l’inspecteur du travail ne pouvait sans méconnaître l’autorité de la chose
jugée dénier aux faits reprochés à M. F. le caractère de faute suffisamment
grave pour justifier le licenciement, il était néanmoins tenu d’examiner si la
procédure de licenciement n’était pas en rapport avec le nouveau mandat
détenu par le salarié et si un motif d’intérêt général ne s’opposait pas à son
licenciement. Suite à cette annulation, le salarié est réintégré dans son en-
treprise le 18 septembre 1995. Mais dès novembre 1995, une nouvelle pro-
cédure de licenciement est engagée pour motif économique. Le 27 février
1996, l’inspecteur du travail refuse l’autorisation de licencier mais le 26
août 1996, le ministre fait droit au recours hiérarchique et autorise le licen-
ciement. Cette autorisation est cependant annulée par un jugement du tri-
bunal administratif du 15 novembre 2000, qui – relevant l’interdiction faite
au salarié de quitter son bureau et de parler avec ses collègues – retient
l’existence d’un lien avec le mandat 20.
Cette « résurrection » de litiges relatifs au licenciement d’un même sa-
larié ne peut qu’être illustrée par des exemples. Mais leur nombre invite à
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penser que le phénomène n’est pas purement anecdotique. À Paris comme à
Caen, pour la période considérée, ils représentent près de 10 % du conten-
tieux du licenciement des salariés protégés.
L’existence de conflits « à répétition » entre les mêmes parties ne peut
certes être systématiquement regardée comme une résistance de l’em-
ployeur au droit. Elle reflète dans certains cas la complexité des procédures.
Les conséquences exactes d’un refus d’autorisation, ou de l’annulation
d’une autorisation, sont parfois difficiles à mesurer pour l’employeur et le
salarié 21, voire pour l’administration et le juge 22. Un contentieux, long et

17. CE, 17 avril 1992, M. F., n° 89834.


18. TA Paris, 3 mai 1995, Union départementale des syndicats CGT des Hauts-de-Seine, 9306887.
19. CE, 29 octobre 1997, Société Sanyo France Calculatrices Électroniques, n° 172137.
20. TA Paris, 15 novembre 2000, M. F., n° 9617049. Un appel a été interjeté (requête
n° 01PA00332).
21. Après le dépôt de bilan d’une société du groupe espagnol Pescanova, la S.A. Industrielle Ali-
mentaire Mondeville, à l’été 1998 (sur les tensions provoquées par ce dépôt de bilan, cf.
L’Humanité, 22 juillet 1998), l’inspecteur du travail du Calvados a refusé en février 1999
d’autoriser le licenciement pour motif économique de plusieurs salariés protégés, faute d’efforts
suffisants de reclassement. Le liquidateur judiciaire a introduit des recours pour excès de pou-
voir, assortis de demandes de sursis à exécution à l’encontre de ces décisions. Les secondes ont
été rejetées en application de la jurisprudence, aujourd’hui abandonnée, interdisant au juge ad-
ministratif d’ordonner le sursis à exécution d’une décision de rejet qui ne modifie pas la situation
de droit ou de fait existant antérieurement (ord. Caen 21 avril 1999, Me Alain Lize, n° 99444 et
99446). Le tribunal a ensuite rejeté les requêtes au fond (TA Caen, 14 décembre 1999, M e Alain
Lize, n° 99443 et TA Caen, 13 juin 2000, Me Alain Lize, n° 99445). Une nouvelle demande de licen-
ciement concernant une représentante CGT, Mme R., a été autorisée en mars 2000 par l’inspecteur

Droit et Société 55/2003 – 725


K. WEIDENFELD complexe, entre la Société de protection et de gardiennage de l’Ouest (SPGO)
et le chef de son agence caennaise, M. P., le montre. En 1996, celui-ci fait
l’objet d’une première procédure de licenciement ; plusieurs fautes lui sont
reprochées dans l’accomplissement de son travail. L’inspecteur du travail
refuse l’autorisation, mais sur recours hiérarchique, le ministre l’accorde le
27 juin 1996. Par jugement du tribunal administratif de Caen 23, confirmé
en appel 24, cette autorisation est cependant annulée au motif que les négli-
gences dans le suivi de la clientèle ne sont pas établies et que les faits rele-
vés pour prouver l’insubordination du salarié ne sont pas d’une gravité suf-
fisante pour justifier le licenciement. Contrainte à réintégrer M. P., la SPGO
décide de l’affecter à l’établissement de Gravelines. Mais le conseil des
prud’hommes ordonne, le 16 janvier 1998, la réintégration de M. P. sur son
poste initial à Caen ; le 4 mai 1998, la cour d’appel de Caen réforme cepen-
dant le jugement prud’homal, estimant que l’employeur pouvait légalement
ne réintégrer le salarié que dans un emploi équivalent à celui occupé avant
son licenciement irrégulier. Avant cet arrêt, une nouvelle procédure de li-
cenciement pour faute avait débuté contre M. P. qui avait été mis à pied. Le
29 mai 1998, l’inspecteur du travail refuse l’autorisation sollicitée. M. P. of-
fre alors par courrier de se remettre à la disposition de l’entreprise ; mais,
n’ayant reçu aucune réponse, il ne se présente pas à son lieu de travail.
Quelques mois plus tard, invoquant l’absence de M. P. de son poste de tra-
vail de Gravelines depuis 1997, la société sollicite une nouvelle autorisation
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de licenciement, refusée le 16 décembre 1999. Pour rejeter le recours formé
à son encontre, le juge administratif a considéré qu’il appartenait à
l’employeur de proposer une nouvelle affectation précise à son salarié après
l’arrêt de la cour d’appel 25. Dans cette affaire, l’ambiguïté des effets de la
procédure judiciaire sur les procédures administratives paraît avoir été ex-
ploitée tant par l’employeur que par le salarié.

du travail. Mais cette fois, le recours formé à son encontre a été rejeté car les possibilités de re-
classement, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du groupe, semblaient avoir été effectivement re-
cherchées (TA Caen, 21 novembre 2000, Union locale des syndicats CGT de Caen, n° 00535 et
001001).
22. Les conséquences de l’annulation par le juge d’une décision ministérielle annulant
l’autorisation de licencier un salarié et lui substituant un refus sont par exemple délicates lorsque
l’inspecteur du travail, à nouveau sollicité après l’annulation administrative mais avant l’annu-
lation juridictionnelle, s’est déclaré incompétent pour autoriser le licenciement, en considérant le
contrat de travail comme rompu. En rejetant le recours contre une telle décision, le tribunal ad-
ministratif de Paris semble avoir considéré que l’annulation par le juge de l’annulation de la déci-
sion de l’inspecteur par le ministre faisait renaître la décision primitive (TA Paris, 2 décembre
1997, Société Citroën, n° 9511332 et 19 décembre 2001, Société des automobiles Citroën,
n° 9607625).
23. TA Caen, 8 juillet 1997, M. P., n° 961260.
24. CAA Nantes, 11 mai 2000, Sté SPGO, n° 97NT02196.
25. TA Caen, 17 octobre 2000, Sté SPGO, n° 0082. Un appel a été interjeté devant la cour adminis-
trative d’appel de Caen.

726 – Droit et Société 55/2003


Mais la pluralité des procédures juridictionnelles révèle souvent une Le licenciement des
tentative de celui-là pour échapper aux effets d’un refus ou de l’annulation « salariés protégés »
dans l’œil du juge
d’une autorisation. Si la multiplication des procédures de licenciement ne administratif
constitue pas à elle seule un indice de discrimination 26, les conflits « à ré-
pétition » font fréquemment apparaître des licenciements « non dépourvus
de tout lien avec le mandat ».
En dépit de l’obstacle juridique qu’il élève, le double contrôle, adminis-
tratif et juridictionnel, se révèle en effet souvent impuissant à protéger effi-
cacement le salarié contre les discriminations et les pressions. Les diffi-
cultés rencontrées par Mme S. D., recrutée en 1986 par la société CFEB Si-
sley en qualité de démonstratrice en poste fixe, à partir de sa désignation
comme déléguée syndicale par la CFTC en 1994 puis de son élection en tant
que déléguée du personnel et membre du CHSCT, en attestent. En 1995,
l’autorisation de la licencier est demandée et sa mise à pied prononcée ; il
lui est reproché d’entretenir un mauvais climat au sein de la société,
d’utiliser abusivement les heures de délégation et d’avoir refusé une nou-
velle affectation justifiée par la baisse de ses résultats. L’inspecteur du tra-
vail puis le ministre refusent cette demande. Saisi par l’employeur, le tribu-
nal administratif de Paris confirme ces décisions de refus par jugement du
16 juin 1998 : les fautes reprochées tombent sous le coup de la loi d’amnis-
tie du 18 mai 1995 et l’insuffisance professionnelle n’est pas clairement
établie 27. Avant ce jugement, la société avait toutefois sollicité une nouvelle
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autorisation de licenciement pour faute, la salariée ayant refusé l’affectation
au stand des Galeries Lafayette que la société voulait lui imposer.
L’inspecteur du travail refuse son accord le 10 avril 1996 ; mais, saisi par
voie hiérarchique, le ministre l’accorde car, selon lui, la modification du
contrat de travail proposée n’est pas substantielle et le lien avec le mandat
retenu par l’inspecteur du travail n’est pas établi. Cette décision est cepen-
dant annulée par le tribunal administratif de Paris le 8 septembre 1998.
Après avoir analysé le changement d’affectation comme une sanction disci-
plinaire déguisée – provoquée par le refus de collaborer avec le chef de
stand, de porter l’uniforme et par des performances en baisse –, il relève
son caractère injustifié ou disproportionné. Dès lors, le refus de la nouvelle
affectation ne constituait pas une faute d’une gravité suffisante pour justi-

26. TA Paris, 18 novembre 1997, M. Y., n° 9506043 : un refus, la même année, d’autoriser le licen-
ciement économique de l’intéressé, délégué titulaire CFDT, et les licenciements, au cours des deux
années précédentes, d’un délégué du personnel et d’un membre du comité d’entreprise ne suffi-
sent pas à révéler l’existence d’un lien avec le mandat faisant obstacle à l’autorisation de licencier
l’intéressé pour faute. TA Paris, 3 mars 1998, M. G., n° 9509268 : le refus opposé, l’année précé-
dente, au licenciement pour insuffisance professionnelle d’un délégué du personnel et membre
du comité d’entreprise de la société Compagnie Corporate ne peut être retenu comme indice du
fait que la procédure de licenciement économique engagée à son encontre l’année suivante n’était
pas dénuée de lien avec le mandat.
27. TA Paris, 16 juin 1998, Société CFEB Sisley, n° 9515331.

Droit et Société 55/2003 – 727


K. WEIDENFELD fier le licenciement 28. Mais on ignore si la salariée a demandé, et obtenu, sa
réintégration.
Les salariés « protégés » doivent en effet parfois faire preuve d’une vé-
ritable ténacité pour conserver leur emploi et leur mandat, comme
l’illustrent les conflits qui opposent la société de livraisons express Bunny
Courses à un de ses coursiers, M. E.-D., unique délégué syndical (CGT) et
membre du CHSCT. En mars 1995, la société entreprend de licencier ce der-
nier pour les trois motifs suivants : refus d’accepter le nouveau système de
rémunération justifié par les difficultés financières de la société, refus
d’utiliser un véhicule de société et insuffisance professionnelle. L’autori-
sation est refusée par l’inspecteur du travail le 14 mars 1995, puis par le
ministre le 12 septembre 1995. La société introduit alors deux nouvelles
demandes d’autorisation de licenciement pour faute, fondées, d’une part,
sur l’utilisation d’un scooter personnel sans assurance professionnelle,
d’autre part, sur le fait de ne pas avoir fourni certains documents. Deux re-
fus lui sont opposés le 3 avril 1996, pour la première procédure, et le 24
septembre 1996 avec confirmation ministérielle le 21 mars 1997, pour la
seconde. Un recours contre les décisions de 1995 est jugé par le tribunal
administratif de Paris en décembre 1997 ; considérant que le ministre n’a
pas répondu quant à la demande de licenciement pour motif économique et
que l’administration n’a pas rapporté la preuve de l’intérêt général attaché
au maintien de M. E.-D. dans l’entreprise, il annule les refus d’autorisation
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de licenciement 29. Le recours contre le refus d’avril 1996, jugé en mars
1998, est en revanche rejeté 30. Les appels de ces deux jugements sont vidés
le même jour par la cour administrative de Paris en novembre 2000 ; le
premier est annulé – aucune pièce du dossier ne paraissant en effet établir
le refus de M. E.-D. de voir appliquer les nouvelles modalités de rémunéra-
tion à son contrat de travail 31 – et le deuxième confirmé – le défaut d’assu-
rance étant lié à un malentendu entre l’employeur et son salarié 32. Mais ce
n’est qu’en avril 2002 que le tribunal administratif juge le recours relatif à
la troisième procédure ; relevant la pluralité des demandes de licenciement,
leur concomitance avec la désignation de l’intéressé comme délégué syndi-
cal, les procédures menées contre d’autres salariés protégés de l’entreprise
et le délit d’entrave établi par jugement du tribunal de Nanterre du 27 jan-
vier 1997, il reconnaît alors l’existence d’un lien entre la demande d’auto-
risation de licenciement et le mandat 33. Dans cette affaire, la lenteur de la

28. TA Paris, 8 septembre 1998, Mme S.D., n° 9614312. Le sursis à exécution de l’autorisation
avait été refusé par le juge, faute de « conséquences irréversibles » (ord. TA Paris, 22 octobre
1996, Mme S. D., n° 9614314).
29. TA Paris, 16 décembre 1997, S.A. Bunny Courses, n° 9517295.
30. TA Paris, 24 mars 1998, Société Compagnie Financière de Courses, n° 967811.
31. CAA Paris, 21 novembre 2000, M. E.-D., 98PA00448.
32. CAA Paris, 21 novembre 2000, Société Compagnie Financière de Courses, 98PA02897.
33. TA Paris, 3 avril 2002, S.A. Compagnie Financière de Courses, n° 9707412.

728 – Droit et Société 55/2003


procédure juridictionnelle – aggravée par une disjonction chronologique du Le licenciement des
« salariés protégés »
traitement des contentieux 34 – conjugue ses effets avec les efforts de dans l’œil du juge
l’employeur pour obtenir le départ d’un salarié gênant. administratif
Ce conflit invite également à souligner que les entreprises concernées
par ces contentieux « immortels » poursuivent souvent, devant l’adminis-
tration puis devant le juge, le licenciement de plusieurs représentants du
personnel 35. C’est le cas de la société GLP Vins qui, en 1995 et 1996, tente
de procéder au licenciement pour faute de plusieurs salariés protégés, res-
ponsables de magasin, auxquels elle impute une baisse du chiffre d’affaires.
En 1999, le tribunal administratif de Paris confirme les refus d’autorisation
de l’inspecteur du travail 36 et en particulier ceux opposés le 11 octobre
1995 et le 15 septembre 1996 au licenciement du chef du magasin de Cor-
beil, M. P., délégué syndical 37. Ce jugement n’apaise cependant pas les rela-
tions entre l’employeur et son salarié. En 1998, une nouvelle procédure de
licenciement, fondée cette fois sur la perte de confiance, est engagée ; elle
aboutit à son tour à un refus d’autorisation le 6 octobre 1998. Le juge re-
jette le recours formé contre cette décision le 22 février 2000 38.
Ces procédures répétées contre différents salariés protégés apparais-
sent parfois comme une réponse de l’employeur à la dégradation du climat
social dans l’entreprise. Il paraît en aller ainsi dans les affaires qui opposent
la société Gibert Jeune à plusieurs représentants du personnel entre 1992 et
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1998. M. G., inspecteur surveillant, délégué syndical et représentant syndi-
cal au comité d’entreprise, est le premier concerné, chronologiquement. Une
première demande d’autorisation est fondée sur la faute commise en se
présentant à son lieu de travail le 20 novembre 1991, jour où il était mis à
pied ; elle est refusée par l’inspecteur du travail puis par le ministre le 14
septembre 1992, qui ne considèrent pas la seule présence temporaire du sa-

34. Celle-ci ne paraît pas exceptionnelle. Le traitement des contentieux entre la société Bleu Azur
et un de ses cadres M. D. en est un autre exemple. Une première demande d’autorisation de licen-
ciement pour insuffisance professionnelle est refusée le 5 mars 1996. Parallèlement à son recours
juridictionnel, la société sollicite une nouvelle autorisation de licenciement, fondée cette fois sur
la faute, qui est refusée le 28 mai 1996, toujours au motif que les faits – similaires à ceux invo-
qués dans la première demande – ne sont pas clairement établis. Tandis que le premier recours
est vidé par un jugement d’avril 1998 – frappé d’appel –, l’autre ne l’est qu’en décembre 2001 ;
dans les deux cas, les refus d’autorisation sont annulés pour erreur de fait (TA Paris, 28 avril
1998, Société Bleu Azur n° 9606720 et TA Paris, 12 décembre 2001, Société Bleu Azur,
n° 9611280).
35. Outre les exemples suivants, voir les contentieux relatifs à la S.A. Hôtel Commodore : concer-
nant M. C.B.Y., TA Paris, 29 mars 1995, Société Hôtel Commodore S.A., n° 9216161 (confirmé en
appel et en cassation, CE 28 juillet 1999, Société Anonyme Hôtel Commodore, n° 189266) et TA
Paris, 18 octobre 2000, S.A. Commodore, n° 9904967. Concernant M. M.L., plongeur, et M. B., sous-
chef de cuisine, TA Paris, 18 octobre 2000, S.A. Commodore, n° 9904969 et n° 9916741.
36. Sont également concernés M. G., chef du magasin de Choisy-le-Roi (TA Paris, 28 décembre
1999, n° 9618682 Sté GLP Vins) et M. N., chef du magasin de Chevilly-la-Rue (TA Paris, 28 décem-
bre 1999, n° 9618683, Société GLP Vins).
37. TA Paris, 28 décembre 1999, Société GLP Vins, n° 9608487 et n° 9617556.
38. TA Paris, 22 février 2000, Société GLP Vins, n° 9824885. Un appel a été interjeté (requête
n° 00PA01327).

Droit et Société 55/2003 – 729


K. WEIDENFELD larié dans le magasin ouvert au public comme une faute de nature à justi-
fier un licenciement. Le 3 mars 1993, le ministre confirme un nouveau refus
de l’inspecteur du travail à une demande motivée par un incident qui aurait
opposé le salarié à un cadre de la société et aurait justifié sa mise à pied le
17 juillet 1992 ; la demande d’autorisation du licenciement n’a en effet été
formulée que le 26 août 1992, soit après l’expiration du délai de dix jours
prévu par le Code du travail (art. R 436-8). Un mois plus tard, l’employeur
sollicite une nouvelle autorisation motivée par le comportement du salarié
entre le 19 mars et le 25 mars 1993 ; elle est refusée par l’inspecteur du
travail le 17 mai. Invoquant une violente altercation survenue le 17 juin
1993 avec l’inspecteur de la société de surveillance en charge du magasin, la
société saisit encore une fois l’inspecteur du travail ; sa décision de refus
est confirmée sur recours hiérarchique le 10 août 1993. Les recours contre
les décisions de 1992 et mars 1993 sont rejetés par le tribunal administratif
en décembre 1993 39. Concernant les deux procédures suivantes – de mai et
août 1993 –, un supplément d’information est ordonné en 1995 40. Les re-
cours sont finalement rejetés en 1997 au motif que les faits reprochés ne
sont pas établis et que « la bagarre alléguée par l’employeur a été le fruit de
manœuvres mises en œuvre par les membres de la direction pour créer des
incidents susceptibles de servir de motif au licenciement de M. G. » 41. Dans
les années qui suivent, la société est à nouveau partie dans plusieurs
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contentieux relatifs à Melle C. P., caissière depuis 1991 et déléguée du per-
sonnel. En 1994, l’autorisation de la licencier est demandée ; il lui est repro-
ché de ne pas avoir respecté la procédure prévue pour l’annulation d’un tic-
ket de caisse, ce qui lui aurait permis – mais l’employeur n’en rapporte pas
la preuve – de détourner à son profit des ouvrages pour une valeur de 600
francs. L’inspecteur du travail refuse l’autorisation. En 1997, tenant la faute
pour insuffisamment grave et, au surplus, amnistiée, le tribunal administra-
tif rejette le recours pour excès de pouvoir formé à l’encontre de ce refus 42.
Mais en 1998, la société Gibert Jeune demande à nouveau à l’inspecteur du
travail d’autoriser le licenciement de Melle C. P., désormais déléguée du per-
sonnel suppléante et membre du comité d’entreprise ; il lui est reproché
d’avoir soustrait au produit de sa caisse une somme de 544 francs et 80
centimes. L’inspecteur du travail, jugeant la procédure liée aux mandats, lui
oppose un nouveau refus. Relevant que d’autres salariés de la société

39. TA Paris, 22 décembre 1993, Société Gibert Jeune Copac, n° 9216856 et 9305714.
40. TA Paris, 3 mai 1995, Société Gibert Jeune Copac, n° 9400672 et 9404900.
41. TA Paris, 20 mai 1997, Société Gibert Jeune Copac, n° 9400672 et 9404900. En revanche, en
mai 1994, l’inspecteur du travail autorise le licenciement de M. P., membre élu CGT du comité
d’entreprise ; sa décision est confirmée par le ministre en novembre 1994 et le juge administratif
rejette le recours formé à son encontre le 7 juillet 1998. La reprise du service au retour de vacan-
ces avec trois jours de retard, en invoquant pour seule excuse une panne automobile, est d’une
gravité suffisante pour justifier le licenciement (TA Paris, 7 juillet 1998, M. J.P., n° 9500502).
42. TA Paris, 9 décembre 1997, 9509446/6, Société Gibert Jeune Copac.

730 – Droit et Société 55/2003


avaient conservé leur poste en dépit de détournements beaucoup plus im- Le licenciement des
« salariés protégés »
portants, le tribunal confirme cette appréciation le 12 décembre 2001 43. dans l’œil du juge
Le tribunal administratif de Caen juge également des procédures multi- administratif
ples contre les représentants du personnel de certaines entreprises. En
1994, la S.A. Sameto Technifil sollicite à deux reprises, en vain, l’autori-
sation de licencier pour faute M. L., délégué du personnel, membre du comi-
té d’entreprise et du CHSCT. Les refus de l’inspecteur du travail et du mi-
nistre sont contestés devant le tribunal administratif de Caen qui, le 25
juin 44 puis le 31 juillet 1996 45, rejette les recours : les faits reprochés par
l’employeur à son salarié (des propos et des gestes injurieux, semble-t-il)
sont soit amnistiés, soit mal établis. Après ces jugements, le climat social
de l’entreprise se dégrade encore. Le 20 mai 1997, vers 18 heures, le direc-
teur de l’établissement de Saint-Germain-de-Livet est retenu dans l’usine par
un groupe de salariés ; il n’est libéré que vingt-quatre heures plus tard. À la
suite de cet incident, trois représentants du personnel – au moins – qui ont
pris part à l’action collective font l’objet d’une procédure de licenciement 46.
M. L. en fait partie. L’autorisation de licencier est toutefois refusée par
l’inspecteur du travail et par le ministre. Décisions que confirme le tribunal
administratif de Caen, en relevant que la seule présence de M. L. dans le
groupe de salariés qui se trouvaient dans l’usine au moment des excès ne
suffit pas à caractériser la faute grave dans la mesure où il n’avait pas joué
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un rôle de meneur ou pris une part active dans le déclenchement et la pour-
suite de l’opération 47.

La protection offerte aux représentants du personnel ne paraît ainsi pas


pleinement effective. Plusieurs indices laissent penser qu’une meilleure ex-
ploitation par les salariés des ressources que leur offre le droit – et qui ne
semblent réellement mises en œuvre que devant le ministre, voire devant le

43. TA Paris 12 décembre 2001, 9809979/3 Société Gibert Jeune rive gauche.
44. TA Caen, 25 juin 1996, S.A. Sameto Technifil, n° 958848.
45. TA Caen, 31 juillet 1996, S.A. Sameto Technifil, n° 951135.
46. Une procédure est diligentée à l’encontre de M. C.B., délégué du personnel, membre titulaire
du comité d’établissement et membre suppléant du comité central d’entreprise. Un refus
d’autorisation est également opposé par l’administration du travail à l’employeur qui porte le li-
tige devant la juridiction administrative. La décision administrative est confirmée (TA Caen, 1er
décembre 1998, S.A. Sameto Technifil, n° 980194). Une demande de licenciement de M. A.M., délé-
gué syndical et délégué du personnel, membre du comité d’établissement et du comité central
d’entreprise, est également refusée par l’administration. Considérant que la S.A. Sameto Technifil
n’était pas l’employeur à la date d’introduction de sa demande, le tribunal administratif de Caen a
jugé son recours irrecevable (TA Caen, 1er décembre 1998, S.A. Sameto Technifil, n° 98193) ; la
cour administrative d’appel de Nantes annule ce jugement et les décisions administratives refu-
sant l’autorisation de licenciement au motif que M. A.M. n’a joué aucun rôle modérateur dans le
déroulement des événements (28 mars 2002, S.A. Sameto Technifil, n° 99NT00149).
47. TA Caen, 1er décembre 1998, S.A. Société Sameto Technifil, n° 980192. Cette affaire paraît
avoir ensuite trouvé une issue extra-juridique comme le suggère l’absence d’argumentation des
appels interjetés par la société (CAA Nantes, 11 avril 2002, S.A. Sameto Technifil, n° 99NT00150 et
99NT00151).

Droit et Société 55/2003 – 731


K. WEIDENFELD juge – permettrait aux inspecteurs du travail d’exercer un contrôle plus
strict sur les demandes d’autorisation de licencier.
Par ailleurs, l’« immortalité » de nombreux contentieux reflète la persé-
vérance avec laquelle certains employeurs poursuivent le licenciement de
leurs salariés protégés et stigmatise l’incapacité fréquente du juge à mettre
un terme aux différends entre employeur et salariés protégés. Si l’existence
d’une discrimination de la part de certains employeurs à l’égard des repré-
sentants du personnel n’est pas un constat nouveau 48, la relative inefficaci-
té de sa reconnaissance par le juge administratif mérite une certaine atten-
tion. L’« autorité sociale » de ses jugements semble en effet devoir être ac-
crue. Dans cette perspective, on peut se demander si une « médiatisation »
des décisions qui signalent une obstruction de l’employeur à l’autorité de la
chose jugée ou qui reconnaissent l’existence d’un lien entre la procédure de
licenciement et le mandat ne serait pas bénéfique. Sans doute ne doit-on
s’aventurer qu’avec prudence dans cette voie qui tend à accorder une fonc-
tion moralisatrice au juge. Moins encore qu’aux jugements civils, il n’y a lieu
de reconnaître « une vertu d’exemplarité » aux jugements administratifs qui
« n’ont pas à désigner à l’attention de tiers les personnes condamnées, pour
l’édification des premiers et à titre de supplément de peine pour les se-
condes » 49. C’est là théoriquement le rôle du seul juge répressif. Cepen-
dant, le droit pénal du travail paraît aujourd’hui peu mis en œuvre. L’insuf-
fisance numérique des inspecteurs du travail (432 inspecteurs pour 15 mil-
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lions de salariés) et des magistrats l’explique en partie. Mais la politique
pénale paraît également en cause ; le faible taux de poursuite et de
condamnation révèle l’attention parfois limitée qui est accordée aux cons-
tats dressés par les inspecteurs du travail 50 et induit un certain découra-
gement chez ceux-ci 51. Ainsi, dans la mesure où le juge judiciaire renonce
dans une large mesure à sanctionner – et même à poursuivre – les infrac-
tions de discrimination dans le monde du travail 52, le juge administratif ne
pourrait-il pas partiellement suppléer sa carence ? Le caractère faiblement
dissuasif d’une condamnation pour délit d’entrave invite par ailleurs à re-
chercher d’autres formes de « sanctions » 53, parmi lesquelles la diffusion

48. Il suffit pour s’en convaincre de feuilleter les témoignages proches des milieux syndicaux : par
ex. les articles de L’Humanité relatifs à la Maison d’accueil spécialisé Canta-Gallet de Nice (30 juil-
let 2001), à la Maison d’accueil spécialisé Le Grand Saule de Montfermeil (24 juin 2002), à la SDI
(23 janvier 2003), ou à l’Institut médico-légal d’Aulnay (18 février 2003).
49. André PERDRIAU, « L’anonymisation des jugements civils », La semaine juridique, édition géné-
rale, 37, 15 septembre 1999, p. 1613 et suiv.
50. Cf. Geneviève COUDRAIS, « La sécurité de l’emploi des salariés dits “protégés”: une jurispru-
dence en peau de chagrin », Droit social, mai 1992, p. 459 et suiv.
51. Sur un million d’infractions constatées en moyenne chaque année, à peine 270 000 sont
consignées dans un procès-verbal et les trois quart sont classées sans suite. Cf. Bruno SILHOL,
« L’inspection du travail et le choix de l’action pénale », Droit social, novembre 2000, p. 959-963 ;
interview de Gérard FILOCHE, inspecteur du travail, L’Humanité, 15 mai 2002.
52. Infostat Justice, n° 40, janvier 1995.
53. Cf. Bernard TEYSSIÉ, « Sur le droit pénal du travail », Droit social, novembre 2000, p. 940.

732 – Droit et Société 55/2003


de l’information sur les violations du droit du travail par l’entreprise pour- Le licenciement des
« salariés protégés »
rait trouver place. En outre, même si elle n’est pas toujours acquise 54, la dans l’œil du juge
collaboration de l’administration du travail avec le juge administratif pour- administratif
rait se révéler plus facile qu’avec le juge judiciaire, en raison notamment de
leur proximité organique et culturelle.
L’activité des juridictions du fond invite également à s’interroger sur
l’adaptation du système actuel de protection des représentants du person-
nel en matière de licenciement.

II. Une protection partiellement lacunaire


L’importance attachée au maintien de représentants du personnel dans
l’entreprise a, très tôt, justifié l’élaboration d’un régime de licenciement
exorbitant. Toutefois, les « discriminations positives » apparaissent au-
jourd’hui relativement limitées, notamment du fait d’une interprétation ju-
risprudentielle stricte. Or l’exemple des tribunaux de Paris et de Caen invite
à penser que les juges du fond ne cherchent pas à devancer la juridiction
souveraine dans la voie d’une extension de la logique statutaire de la pro-
tection des représentants du personnel.
À titre d’exemple, on peut citer la manière dont ils interprètent les
« motifs d’intérêt général » qui permettent à l’administration du travail de
s’opposer, pour des raisons d’opportunité, à un licenciement 55. Les tribu-
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naux de Paris et de Caen semblent en effet rester sourds aux appels d’une
partie de la doctrine 56 qui réclame l’assouplissement de la jurisprudence
du Conseil d’État 57, notamment pour permettre à l’administration de refu-
ser le licenciement du représentant du personnel le plus actif ou du seul dé-
légué d’une organisation syndicale. De manière symptomatique, le motif
d’intérêt général n’a été retenu dans aucune de nos 256 affaires. Les inspec-
teurs du travail de la région parisienne l’avaient invoqué à quatre reprises :
pour s’opposer au licenciement d’un salarié « dont le départ serait préjudi-

54. Dans une affaire jugée par le tribunal administratif de Paris en février 2000, les services mi-
nistériels se sont ainsi refusés à communiquer au juge les attestations au vu desquelles – et
d’elles seules – l’autorisation de licencier une salariée pour faute avait été accordée, alors même
que le juge avait pris soin de demander l’occultation des noms de leurs auteurs et de toute indi-
cation permettant de les identifier. Le tribunal administratif de Paris a annulé l’autorisation, la
preuve du comportement fautif n’étant pas rapportée (TA Paris, 29 octobre 1999 et 22 février
2000, Mme Ermesinda Rodriguez, n° 9701739).
55. CE, 5 mai 1976, SAFER d’Auvergne et ministre de l’Agriculture c/ Bernette, Recueil Lebon,
p. 232.
56. Cf. notamment Michel MINÉ, Hubert ROSE et Yves STRUILLOU, Droit du licenciement des salariés
protégés, Paris, Economica, 2e éd., 2002, p. 569 ; plaidant pour la reconnaissance du caractère de
motif d’intérêt général à la volonté de sauvegarder l’une des composantes syndicales au sein de
l’entreprise, cf. Olivier COUDRAY, « Le juge administratif et le licenciement des salariés protégés »,
Action juridique CFDT, n° 149, 1/07/2001, p. 16.
57. Voir par ex. Marie-Françoise CLAVEL-FAUQUENOT et Natacha MARIGNIER, « La protection des repré-
sentants du personnel », Liaisons sociales, février 2001, suppl. au numéro 13347, p. 75-76.

Droit et Société 55/2003 – 733


K. WEIDENFELD ciable au bon fonctionnement du comité d’entreprise » 58, d’un autre qui
« apportait une contribution efficace au fonctionnement du CHSCT » 59 ou
d’employés qui étaient les uniques délégués syndicaux de leur entreprise 60.
Mais le tribunal administratif de Paris ne s’est pas prononcé sur ce moyen
ou l’a écarté.
Si l’opportunité d’une extension des garanties exorbitantes reconnues
aux salariés « protégés » peut être discutée, il est en revanche indubitable
que la séparation des contentieux ne doit pas conduire à refuser aux repré-
sentants du personnel une protection que les juridictions judiciaires accor-
dent à l’ensemble des salariés. De fait, les jurisprudences de la Cour de cas-
sation et du Conseil d’État se sont mutuellement inspirées au cours des
dernières années 61. Cependant, en dépit de ce mouvement général de
convergence, quelques divergences subsistent dont les effets sont parfois
préjudiciables aux salariés protégés. Les développements suivants cher-
chent à montrer, à partir de quelques exemples et sans prétendre à l’ex-
haustivité, l’étonnante inégalité qu’elles introduisent et l’incertitude juridi-
que qu’elles génèrent. Si certaines de ces « discriminations négatives » pa-
raissent s’expliquer par une adhésion tardive – et parfois peu explicite – du
Conseil d’État à la jurisprudence judiciaire, elles reflètent dans d’autres cas
la différence culturelle du juge administratif, réticent à porter son regard
vers la sphère privée.
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Les premières peuvent être illustrées par les doutes que laisse persister
le rapprochement des jurisprudences administrative et judiciaire relatives à
la preuve de la faute, d’une part, et au licenciement pour perte de confiance,
d’autre part.
Malgré leurs différences théoriques, les régimes de preuve mis en œu-
vre par les juges administratif et judiciaire 62 sont proches. En définitive,
l’un et l’autre se prononcent en effet « au vu des éléments fournis par les
parties » 63. Dans quelques cas d’espèce, le juge administratif a certes paru
laisser au salarié la charge de la preuve de l’absence de faute d’une gravité

58. TA Paris, 18 octobre 2000, S.A. Commodore, n° 9904967. La solution retenue par le tribunal
est conforme à celle du Conseil d’État selon lequel le motif d’intérêt général ne peut pas être tiré
de la nécessité de maintenir un délégué au sein d’une entreprise en raison de son rôle actif, dès
lors que la représentation reste assurée par d’autres salariés (cf. en dernier lieu CE, 29 décembre
1995, Revue de jurisprudence sociale, 3/96, n° 307).
59. TA Paris, 18 octobre 2000, S.A. Commodore, n° 9904969.
60. TA Paris, S.A. Bunny Courses, 16 décembre 1997, n° 9517295 ; TA Paris Centre médico-
chirurgical de Vinci, 20 février 2002, n° 9817340.
61. Gilles BACHELIER, « Licenciement de salariés protégés pour faute ou pour motif économique »,
Revue de jurisprudence sociale, 8-9, 1999, p. 631 et suiv.
62. Bernard PACTEAU, « Preuve », in Répertoire Dalloz de contentieux administratif, Paris, 1997. Le
juge judiciaire joue en outre un rôle de plus en plus actif dans l’établissement de la preuve des
faits, cf. Jean VINCENT et Serge GUINCHARD, Procédure civile, Paris, Dalloz, 25e éd., 1999, p. 505 et
suiv.
63. Cf. Michel M INÉ, Hubert ROSE et Yves STRUILLOU, Droit du licenciement des salariés protégés, op.
cit., p. 466, 479, 528 et suiv.

734 – Droit et Société 55/2003


suffisante 64 ou de l’impossibilité du reclassement 65, alors que la Cour de Le licenciement des
« salariés protégés »
cassation la fait supporter à l’employeur 66 ; mais ces divergences semblent dans l’œil du juge
plus formelles que réelles 67. administratif
Le contrôle par le juge de la licéité des moyens de preuve laisse en re-
vanche apparaître certaines différences. Alors que la Cour de cassation
écarte systématiquement les éléments de fait recueillis grâce à un dispositif
de contrôle qui n’a pas été porté à la connaissance des salariés de l’entre-
prise 68, le Conseil d’État s’est parfois montré beaucoup plus souple ; dans
un arrêt de 1997 69, il a ainsi admis la preuve du défaut de probité d’une
caissière grâce à un stratagème de l’employeur qui avait, à son insu, ajouté
deux billets de 50 francs à sa recette 70. L’adoption par le Conseil d’État,
dans sa décision S.A. Roulle du 7 juin 2000 71, d’un attendu d’un arrêt ren-
du quelques mois plus tôt par la Chambre sociale 72 indique sans doute un
rapprochement des juridictions souveraines ; pour l’une et l’autre, « l’em-
ployeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pen-
dant le temps du travail ; […] seul l’emploi de procédé clandestin de surveil-
lance est illicite ». Cependant l’incertitude sur la réalité de cette évolution
donne au juge administratif du fond une option entre le modèle « naturel »
mais ancien du Conseil d’État et l’exemple plus récent mais « allogène » de
la Chambre sociale. Le tribunal administratif de Paris n’a ainsi pas écarté
une faute qu’une société spécialisée dans l’aide à la détection des fraudes
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dans l’entreprise avait établie par surprise 73. Quelques mois auparavant, la

64. Rejet par le tribunal administratif de Caen du recours contre l’autorisation de licencier pour
faute un salarié auquel était reproché des faits constitutifs de harcèlement sexuel : « que si M. R.
conteste la réalité du comportement qui lui est reproché, il n’établit toutefois pas que l’inspecteur
du travail aurait commis une erreur de fait de nature à justifier l’annulation de sa décision ; que
la circonstance que la plainte pénale introduite à son encontre ait été classée sans suite n’est pas
de nature à caractériser une telle erreur » (TA Caen, 19 mars 1997, M.G.R., n° 951542).
65. Rejet d’un recours contre une autorisation de licenciement économique au motif que le salarié
« n’établit pas que la société Moderne Mécanique n’aurait pas respecté à son égard l’obligation de
reclassement qui lui incombait » (CAA Paris, M. Monteiro, n° 98PA02815).
66. En matière de licenciement économique, l’employeur doit rapporter la preuve qu’il a été dans
l’impossibilité de reclasser le ou les salariés concernés (Philippe WAQUET, « La cause économique
du licenciement », Droit social, février 2000, p. 172). L’arrêt Sourdeau de la Chambre sociale du 19
juin 2002 met explicitement à la charge de l’employeur la preuve de la faute grave, qui n’est cer-
tes pas assimilable à la faute d’une gravité suffisante (Philippe W AQUET, « Petite chronique de
droit disciplinaire », Droit social, septembre-octobre 2002, p. 864).
67. Pour une illustration récente de ces difficultés lexicales, cf. Emmanuelle M IGNON, « Licen-
ciement des salariés protégés : précisions sur la charge de la preuve. Conclusions du commissaire
du gouvernement, CE, 13 mars 2002, Mme Bernadac », Droit social, juin 2002, p. 627-630.
68. Cass. soc., 20 novembre 1991, Mme Néocel c/ M. Spaeter, Bulletin de la Cour de cassation, V,
n° 519.
69. Rédigée avant la lecture de cet arrêt, la circulaire n° 96/11 du 3 décembre 1996 recommandait
à l’administration du travail de s’en tenir à la jurisprudence Neocel et à ses suites.
70. CE, 31 janvier 1997, Sté Comptoirs Modernes Major-Unidis, Recueil Lebon, p. 1108.
71. CE, 7 juin 2000, S.A. Roulle, n° 191828.
72. Cass. soc., 14 mars 2000, M. Dujardin c/ société Instinet, n° 98-42090.
73. Un contrôleur s’était rendu à une heure creuse sur le stand où travaillait un salarié suspecté
de détournement de fonds et, feignant d’être un client, avait acquitté le service rendu par une

Droit et Société 55/2003 – 735


K. WEIDENFELD Chambre sociale avait pourtant estimé que l’appel à une société de surveil-
lance extérieure à l’entreprise, à l’insu du personnel, pour procéder au
contrôle de l’utilisation par ses salariés des distributeurs de boissons et
sandwiches situés dans une salle de repos et constamment forcés, consti-
tuait un mode de preuve illicite 74.
Une des principales difficultés que pose l’évolution convergente, mais
dissociée, des jurisprudences judiciaire et administrative paraît en effet être
l’incertitude juridique qu’elle génère. Le régime du licenciement pour perte
de confiance – motif de création prétorienne – en apporte une autre illustra-
tion.
Après avoir admis que la cause du licenciement puisse ne pas avoir un
caractère objectif mais résulter d’une simple perte de confiance 75, la Cour
de cassation a, en 1990, modifié sa jurisprudence pour décider que la perte
de confiance ne constituait pas en soi un motif de licenciement et qu’elle
devait être fondée sur des faits objectifs 76. Tirant les conséquences ultimes
de cette jurisprudence Fertray, la Cour a récemment affirmé que seuls des
éléments objectifs – à l’exclusion de la perte de confiance – pouvaient servir
de cause réelle et sérieuse au licenciement 77. De son côté, le Conseil d’État
a admis en 1992 que la perte de confiance puisse motiver le licenciement
d’un salarié protégé exerçant des fonctions de responsabilité 78. Le récent
arrêt Baumgarth 79, rendu en écho peut-être à la Cour de cassation, ne para-
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ît pas avoir totalement supprimé la possibilité pour un employeur de licen-
cier un représentant du personnel doté de fonctions de responsabilité pour
des éléments qui se rattachent à son comportement « sans toutefois carac-
tériser une faute » 80. Quelques semaines après sa lecture, le tribunal admi-
nistratif de Caen a d’ailleurs reconnu la légalité d’une autorisation de licen-
ciement pour perte de confiance, tout en soulignant le caractère insuffi-
samment grave des faits fautifs imputés au salarié pour justifier son licen-
ciement 81. Dans la sphère restreinte où elle peut fonder une autorisation de
licenciement, la perte de confiance paraît ainsi demeurer un motif bien dis-

somme en liquide, qui n’avait pas été enregistrée dans sa caisse (TA Paris, 19 décembre 2001, M.
T.E., n° 9617560).
74. Cass. soc., 15 mai 2001, Société Transports Frigorifiques Européens c/ Smari, n° 99-42219.
75. Cass. soc., 26 juin 1980, Voisin, Bulletin civil de la Cour de cassation, V, p. 431, n° 573 ; Jean
PÉLISSIER, Alain SUPIOT et Antoine JEAMMAUD, Droit du travail, op. cit., p. 519-521.
76. Cass. soc., 29 novembre 1990, Mme Fertray, Bulletin civil de la Cour de cassation, V, n° 597.
77. Cass. soc., 29 mai 2001, Sté Dubois Couvertures c/ Cardon, Recueil Dalloz, 2002, 921.
78. CE, 1er avril 1992, Société Ladbrocke Hôtels France, Recueil Lebon, p. 149 ; Droit social, 1992,
p. 833-836.
79. CE, 21 décembre 2001, M. Baumgarth, n° 224605 : « La perte de confiance envers le salarié ne
peut jamais constituer par elle-même un motif pouvant servir de base à une autorisation de licen-
ciement. »
80. Conclusions du Commissaire du gouvernement, Mme Prada-Bordenave, citées par Michel M INÉ,
Hubert ROSE et Yves STRUILLOU, Droit du licenciement des salariés protégés, op. cit., p. 104.
81. TA Caen, 12 février 2002, Sté Mabille, n° 011171.

736 – Droit et Société 55/2003


tinct du motif disciplinaire 82. Le tribunal administratif de Paris l’a admis Le licenciement des
« salariés protégés »
implicitement en mars 2002 en ne recherchant pas si les faits retenus par dans l’œil du juge
l’administration du travail étaient de nature à occasionner une perte de administratif
confiance dès lors que le requérant ne contestait l’autorisation de licencie-
ment que sur le terrain de la faute 83.
Or cette différence d’approche peut se révéler préjudiciable aux salariés
protégés. En effet, l’autonomie de la perte de confiance par rapport au motif
disciplinaire conduit à écarter l’application des dispositions légales ou
conventionnelles relatives au licenciement disciplinaire, dès lors que l’auto-
risation est motivée par une perte de confiance, même si celle-ci a été géné-
rée par des fautes légères. Le salarié protégé dont le licenciement est de-
mandé pour perte de confiance ne peut ainsi bénéficier ni des lois
d’amnistie 84 ni des procédures prévues par une convention collective en
cas de licenciement disciplinaire 85. Si la jurisprudence paraît fixée sur ces
points 86, d’autres sont plus incertains. C’est notamment le cas de l’appli-
cation au licenciement pour perte de confiance de l’article L 122-44 du Code
du travail qui interdit à l’employeur d’engager une procédure disciplinaire
plus de deux mois après avoir eu connaissance des faits fautifs. Après
avoir, en 1999, écarté la prescription dans le cadre d’un licenciement pour
perte de confiance née d’une faute (mensonge de la salariée sur ses diplô-
mes lors de son embauche) 87, le tribunal administratif de Paris a jugé
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l’année suivante que le délai de deux mois s’imposait à l’employeur dès lors
que la perte de confiance reposait sur des faits fautifs 88. Si cette solution
écorne l’autonomie de la perte de confiance par rapport au motif discipli-
naire, elle évite qu’un cadre représentant du personnel soit moins protégé
que son homologue dépourvu de mandat 89.

82. Michel MINÉ, Hubert ROSE et Yves STRUILLOU, Droit du licenciement des salariés protégés, op. cit.,
p. 102, n° 163.
83. TA Paris, 6 mars 2002, M. P.F., n° 9821287.
84. CE, 10 juin 1994, S.A. Compagnie Française du Thermalisme, Recueil Lebon, p. 1217.
85. « Considérant, en deuxième lieu, que la cour n’a pas dénaturé les faits qui lui étaient soumis
en jugeant que la demande de licenciement de M. Gendre était uniquement fondée sur la perte de
confiance alléguée par son employeur à son égard et non sur un motif disciplinaire ; que c’est, par
suite, sans erreur de droit qu’elle a jugé que les clauses figurant à l’article 33 de la convention
collective nationale et relatives aux conditions de mise en œuvre du licenciement pour motif dis-
ciplinaire ne pouvaient être utilement invoquées par M. Gendre à l’appui de sa contestation de la
légalité de la décision attaquée » (CE, 31 janvier 2001, M. Gendre, n° 212015).
86. Le tribunal administratif de Caen a ainsi estimé que « les dispositions de la loi d’amnistie sont
inopérantes au regard d’une décision autorisant un licenciement sollicité non en raison d’une
faute commise par un salarié, mais de la perte de confiance de l’employeur vis-à-vis de ce der-
nier » (TA Caen, 16 octobre 1996, M. T.P., n° 952143 et CAA Nantes, 9 mars 2000, M. T.P.,
n° 96NT02292).
87. TA Paris, 16 février 1999, Mme V.R., n° 9604998 et 9614833.
88. TA Paris, 22 février 2000, Société GLP Vins, n° 9824885. Un appel a été interjeté.
89. Le refus de la jurisprudence judiciaire de regarder la perte de confiance comme un motif en
soi de licenciement doit en effet normalement conduire à appliquer l’article L 122-44 dès lors que
les éléments objectifs sur lesquels elle se fonde sont des fautes.

Droit et Société 55/2003 – 737


K. WEIDENFELD La réticence des juridictions administratives à apprécier des actes ou
décisions « privés » est également à l’origine d’ambiguïtés parfois défavora-
bles aux salariés protégés. L’administration s’interdisant, par exemple, de
sanctionner la violation de l’ordre des licenciements en cas de licenciement
économique 90, le salarié protégé licencié à tort ne pourra obtenir ni sa réin-
tégration, ni même une indemnisation 91. Deux questions seront envisagées
à titre d’exemples : la prise en compte des conventions et accords collectifs
dans l’appréciation de la légalité du licenciement, d’une part, le contrôle de
la cause du licenciement économique et du respect de l’obligation de reclas-
sement, d’autre part.
Si la légalité de l’autorisation de licenciement (ou de son refus) paraît
aujourd’hui devoir être appréciée au regard de l’ensemble des règles régis-
sant le contrat de travail 92 – y compris celles de nature mi-publique, mi-
privée, telles que les conventions et accords collectifs 93 –, l’application de
ces actes pose plusieurs difficultés au juge administratif. En premier lieu,
l’interprétation, souvent délicate 94, des accords collectifs constitue théori-
quement une question préjudicielle 95 qui risque d’allonger la durée de
l’instance. Les juges du fond paraissent toutefois soucieux de célérité,
quitte à adopter une théorie de l’acte clair parfois un peu extensive. C’est
ainsi que le tribunal administratif de Paris a appliqué une disposition de
l’accord national du 26 juin 1989 concernant les licenciements de fin de
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chantier des salariés des entreprises du bâtiment ; au prix d’une interpréta-
tion difficile, il a considéré qu’en dépit de la priorité de réemploi promise,
« il ressort clairement des stipulations » que l’obligation conventionnelle de
reclassement ne dérogeait pas à celle prévue par le Code du travail 96. Sans
allusion à la « clarté » de l’acte privé, le tribunal administratif de Caen a

90. Voir, par exemple, Marie-Françoise CLAVEL-FAUQUENOT et Natacha MARIGNIER, « La protection des
représentants du personnel », op. cit., p. 63-64. Pour une application récente de cette jurispru-
dence par le tribunal administratif de Paris, cf. TA Paris, 6 février 2002, M. D.B., n° 9813353 : « La
vérification du respect par l’employeur de l’ordre des licenciements ne relève pas, en l’absence au
dossier de tout indice d’une discrimination, de l’appréciation de la juridiction administrative. »
91. Le droit positif concernant l’ensemble des salariés reste cependant également lacunaire en la
matière, cf. Jean PÉLISSIER, Alain SUPIOT et Antoine JEAMMAUD, Droit du travail, op. cit., p. 552.
92. Sur les débats relatifs à la question, cf. Dominique CHELLE, « Le licenciement du salarié devant
la Cour de cassation et le Conseil d’État », Droit social, mars 1991, p. 217 et suiv., et les hésita-
tions jurisprudentielles, cf. CE, 12 juillet 1995, Gobber, Revue de jurisprudence sociale, 10, 1995,
n° 1031, p. 20 et CE, 19 janvier 1998, S.A. Sté Nouvelle d’Armement Transmanche, n° 165208.
93. Sur cette image et certaines conséquences de cette dualité, cf. Gilles LHUILIER, « Le dualisme de
la convention collective devant la Cour de cassation. Réflexions sur le contrôle de l’interprétation
des règles conventionnelles de forme du licenciement pour motif personnel », Droit social, février
1995, p. 162.
94. Marc MOREAU, « L’interprétation des conventions collectives de travail : à qui profite le
doute ? », Droit social, février 1995, p. 171-178.
95. CE, 4 mars 1960, Fédération Industrielle Chimique, Droit social, 1960, p. 342.
96. TA Paris, 19 décembre 2001, M. P.D., n° 9821468.

738 – Droit et Société 55/2003


également appliqué l’article 20 de la Convention collective des journalistes, Le licenciement des
« salariés protégés »
dont l’interprétation était contentieuse 97. dans l’œil du juge
Plus fondamentale est sans doute la difficulté liée à la fréquente réfé- administratif
rence des conventions collectives à la notion de faute grave. Le juge admi-
nistratif ne peut en effet qu’apprécier la suffisante gravité de la faute pour
justifier le licenciement, non la qualifier, ce que supposerait l’application de
la clause conventionnelle 98. C’est, peut-être, ce qui a conduit le tribunal
administratif de Caen à écarter l’application de la disposition de la Conven-
tion collective des travailleurs familiaux interdisant de prononcer le licen-
ciement au titre de première sanction 99. La séparation des compétences ju-
ridictionnelles a ici pour conséquence de paralyser, au moins quant à
l’appréciation de la légalité de l’autorisation de licencier, les dispositions
conventionnelles.
Mais c’est peut-être dans le cadre des licenciements les plus fréquents,
ceux reposant sur un motif économique, que s’observent les divergences les
plus nettes.
Le contrôle opéré sur la réalité des causes de licenciement économique
que la jurisprudence a découvertes derrière l’adverbe « notamment » 100 de
l’article L 321-1 du Code du travail 101 diffère en premier lieu sensiblement.
Tandis que le juge judiciaire considère qu’« une réorganisation ne peut
constituer un motif économique que si elle est effectuée pour sauvegarder
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la compétitivité du secteur d’activité » 102, le Conseil d’État, soucieux de ne

97. TA Caen, 20 décembre 2001, Sté d’édition La Manche Libre, n° 011066. L’interprétation de cet
article paraît cependant délicate, cf. Cass. soc., 5 mars 1998, Société La Voix du Nord c/ Monsieur
Destombes et autres, n° 95-45289.
98. La difficulté semble évoquée – mais non développée – dans la circulaire DRT n° 03 du 1er mars
2000 relative aux décisions administratives en matière de licenciement des salariés protégés et au
traitement des recours hiérarchiques formés contre ces décisions : « Si l’inspecteur ne peut se
prononcer que sur le caractère suffisamment grave ou non des faits reprochés, pour autant cette
appréciation tient compte des règles légales ou conventionnelles. »
99. « […] il n’appartient ni au juge administratif ni à l’autorité administrative délivrant l’auto-
risation de licenciement de se prononcer sur la gravité de la faute en cause au regard des stipula-
tions qui régissent les rapports entre Mme Chrétien et son employeur ; que le moyen tiré de la
violation de la convention collective est dès lors inopérant pour critiquer l’autorisation de licen-
ciement », TA Caen, 7 janvier 1997, Mme Liliane Chrétien, n° 951403. Ce jugement a été annulé,
mais la cour administrative d’appel de Nantes ne s’est pas prononcée sur ce moyen (CAA Nantes,
6 mai 1999, Mme Liliane Chrétien, n° 97NT00289).
100. Supprimé dans la rédaction initiale de la loi de modernisation sociale, cet adverbe qui auto-
rise d’autres causes de licenciement que les difficultés économiques et les mutations technologi-
ques a été conservé par l’effet de la décision du Conseil constitutionnel du 12 janvier 2002 (Phi-
lippe WAQUET, « Le licenciement économique dans la loi de modernisation sociale », Droit social,
mars 2002, p. 264-273).
101. « Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un em-
ployeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une sup-
pression ou transformation d’emploi ou d’une modification substantielle du contrat de travail,
consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. »
102. Cass. soc., 1er avril 1992, Madrelle c/ Société Renval, Droit social, mai 1992, p. 481 ; Cass.
soc. 5 avril 1995, Société Thomson Tubes et Displays c/ Mme Steenhoute et autres, et Société TRW
REPA c/ Mme Mabon et autres, Droit social, 1995, p. 488 ; Cass. soc. 7 avril 1998, Revue de juris-
prudence sociale, 5, 1998, n° 580.

Droit et Société 55/2003 – 739


K. WEIDENFELD pas s’ériger en juge de l’opportunité des décisions économiques, s’interdit
d’interdire les licenciements réalisés dans un seul but d’économie 103 ou
d’apprécier les suppressions d’emplois justifiées par une réorganisation 104.
Pour ne pas « s’immiscer dans les choix de gestion des organismes de droit
privé », ni l’administration ni le juge administratif ne contrôlent le but de la
réorganisation justifiant le licenciement 105. Ce sont peut-être les effets per-
vers 106 de cette divergence jurisprudentielle qui ont conduit la Cour admi-
nistrative d’appel de Paris à contrôler la finalité de la mesure de réorganisa-
tion, consistant en la suppression du poste de responsable « mini sys-
tème », décidée par la société Verkade France. Constatant que celle-ci
n’établissait pas que « le passage du système informatique mini IBM 36 au
système micro AS 400 » rendait « nécessaire ou même souhaitable » la sup-
pression du poste concerné, elle a annulé la décision du ministre de
l’Emploi autorisant le licenciement de l’intéressé 107.
Quelques différences persistent également entre les jurisprudences
administrative et judiciaire quant à l’extension de l’obligation de reclasse-
ment incombant à l’employeur. Après la suppression en 1986 de la procé-
dure administrative préalable au licenciement économique des salariés de
droit commun, les juridictions judiciaires ont recouvré leur compétence en
la matière. Acceptant l’héritage du Conseil d’État, la Cour de cassation a
imposé à l’employeur de rechercher les possibilités de reclassement non
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seulement dans l’entreprise mais aussi au sein des autres entreprises du
groupe, le cas échéant 108. S’inspirant à son tour de la jurisprudence judi-
ciaire 109, la Haute Assemblée – dans le cadre du contentieux du licencie-

103. CE, 13 novembre 1981, Ets Louis Langlet, n° 36679.


104. Michel M INÉ, Hubert ROSE et Yves STRUILLOU, Droit du licenciement des salariés protégés, op.
cit., p. 441 et 451.
105. Le tribunal administratif de Paris a ainsi rejeté le recours formé par un délégué du personnel
contre la décision du ministre du Travail qui autorisait la société Asto à procéder à son licencie-
ment économique, suite à son refus d’accepter une modification de son contrat de travail – adop-
tion d’un travail en équipe suivant un horaire 3x8 heures – justifiée par l’utilisation d’un nouveau
matériel de photogravure. Le requérant faisait notamment valoir que l’organisation du travail pro-
jetée ne permettrait pas d’utiliser pleinement le nouveau matériel dans les mois suivant son in-
troduction. Si le tribunal a examiné la conscience qu’aurait eu la société de l’inutilité de la réorga-
nisation, il a en revanche refusé de se prononcer sur le but de celle-ci : « à supposer même que le
projet de réorganisation choisi par l’employeur ne présentait pas un véritable intérêt économique
à court terme, ce qu’il n’appartient pas au juge de vérifier, la demande de licenciement de M. V.
présentée par la société Asto était fondée sur un motif économique », TA Paris, 13 décembre
2000, M. V., n° 9700786. Un appel a été interjeté, n° 01PA00503.
106. Ainsi, en 1996, alors que les salariés sans mandat ont obtenu la condamnation de la société
Marquis Hôtel Partnership à des dommages intérêts, les salariés « protégés », dont le licenciement
avait été autorisé, ont été déboutés, par respect de la séparation des ordres de juridiction (Michel
MINÉ, Hubert ROSE et Yves STRUILLOU, Droit du licenciement des salariés protégés, op. cit., p. 451).
107. CAA Paris, 4 juillet 2001, M. Coclet, n° 98PA03271.
108. Cass. soc., 20 février 1991, M. Daunas c/ société Phocedis, n° 89-45251 ; Cass. soc., 15 mai
1991, M. Gangler c/ société Novatome et autres, n° 89-44928.
109. Cf. Philippe WAQUET, « Le niveau d’appréciation des conditions du licenciement économi-
que », Droit social, mai 1995, p. 482-487. Jean PÉLISSIER, Alain SUPIOT et Antoine JEAMMAUD, Droit du
travail, op. cit., p. 583.

740 – Droit et Société 55/2003


ment des salariés protégés – a limité cette recherche aux « entreprises du Le licenciement des
groupe dont les activités ou l’organisation offrent à l’intéressé la possibilité « salariés protégés »
dans l’œil du juge
d’exercer des fonctions comparables » 110. Cependant, ce « groupe de per- administratif
mutabilité » est défini différemment par la Chambre sociale et le Conseil
d’État.
La divergence est en premier lieu spatiale. La Cour de cassation impose
à l’employeur qui licencie de rechercher les possibilités de reclassement
même au-delà des frontières nationales, contrairement au Conseil d’État 111.
Les juges du fond paraissent cependant décidés à sortir des confins hexa-
gonaux. Après le tribunal administratif de Paris en 1994 112, la Cour admi-
nistrative d’appel de Paris a récemment annulé la décision de l’inspecteur
du travail, confirmée par le ministre chargé des Transports, d’autoriser le
licenciement d’un délégué syndical de la société Alpha Flight Services, im-
plantée à Orly Fret, filiale de la société Alpha Airport Group de droit britan-
nique, au motif que celle-ci avait omis de rechercher les possibilités de re-
classement pour l’intéressé dans les entreprises du groupe dont les activités
ou l’organisation lui auraient permis d’exercer des fonctions comparables,
même si certaines de ces entreprises étaient situées hors de France « dès
l’instant que la législation applicable localement n’empêche pas l’emploi de
salariés étrangers » 113. Au tribunal administratif de Caen, une évolution
semblable paraît se profiler 114. La modification récente, par l’arrêt Kerni-
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non 115, du cadre d’examen des difficultés économiques lorsque la société
intéressée appartient à un groupe dont la société mère a son siège à
l’étranger – que le Conseil d’État ne limite plus « aux sociétés ou entreprises
situées sur le territoire national » – s’accompagnera vraisemblablement
d’une évolution parallèle concernant l’obligation de reclassement.
Plus fondamentalement que l’étendue géographique, c’est la notion
même de groupe qui est appréciée différemment. Le juge judiciaire adopte
une définition pragmatique, reposant « non pas sur une notion juridique ou
capitalistique des entreprises, mais sur l’idée de permutabilité des sala-
riés » 116 ; il impose ainsi à l’employeur d’envisager les possibilités de re-
classement au sein d’un groupe constitué comme d’un groupe en voie de

110. CE, 17 novembre 2000, Mme Marie-Louise Goursolas et autres, n° 206976.


111. CE, 22 mai 1995, Société Rimoldi France, n° 157427.
112. TA Paris, 23 février 1994, M. Y.Z., n° 9211145 : « La société Rimoldi France, qui fait partie du
groupe Rimoldi dont le siège est en Italie, n’a pas proposé à M. Z. de poste au sein de ce groupe ;
que la circonstance que le poste éventuellement disponible dans ce cadre ne serait pas situé sur le
territoire français ne dispensait pas l’employeur de le proposer à l’intéressé. »
113. CAA Paris, 24 octobre 2001, Société Alpha Flight Services, n° 94PA03634 et 99PA03464.
114. TA Caen, 13 juin 2000, Sté Benoist Girard, n° 991574.
115. CE, 8 juillet 2002, MM. Kerninon et autres, n° 226471. La position du juge administratif re-
joint ainsi celle du juge judiciaire, cf. Cass. soc. 12 juin 2001, SA Sprague France c/ Beauvais,
n° 99-41.571.
116. Philippe WAQUET, « La cause économique du licenciement », Droit social, février 2000, p. 174.

Droit et Société 55/2003 – 741


K. WEIDENFELD constitution 117. Le Conseil d’État semble retenir une notion plus formelle
du groupe 118 ; il l’identifie à la figure d’une société mère entourée de ses
filiales 119. Dans quelques affaires, le tribunal administratif de Paris paraît
cependant avoir opté pour une définition plus réaliste du groupe, du moins
pour apprécier les possibilités de reclassement des salariés protégés d’une
entreprise en liquidation judiciaire 120. Par jugement du 20 octobre 1998, il
a ainsi annulé la décision du ministre du 7 février 1995 autorisant le licen-
ciement de M. P. E., délégué syndical des sociétés Café de France et Airstore
Maillot, en liquidation judiciaire. Dans la mesure où leur activité avait été
reprise par deux filiales de la S.A. Hôtels Concorde, créées à cet effet, les
possibilités de reclassement devaient être recherchées dans « l’ensemble
constitué par les deux sociétés et les entités en cours de constitution » 121.
Ce même tribunal a rejeté le recours contre les refus d’autoriser le licen-
ciement de M. R., délégué du personnel et délégué syndical, opposés par
l’inspecteur du travail et le ministre au mandataire liquidateur de la SARL
AFIC Gardiennage. Dans la mesure où cette société, en cessation totale
d’activité, « appartenait à un réseau informel de sociétés ayant la même ac-
tivité, à savoir les sociétés AFIC Sécurité, AFIC Investigation, AFIC Services,
ANABAS Surveillance et Émergence Sécurité, détenues et gérées par les mê-
mes actionnaires et dirigeants, les locaux étant communs pour certaines
d’entre elles et le personnel étant fréquemment prêté d’une société à
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l’autre », les possibilités de reclassement devaient en premier lieu être re-
cherchées dans ce cadre 122. Bien que limitée à des cas particuliers, l’utili-
sation par le tribunal administratif de Paris de la notion de groupe de per-
mutabilité paraît inspirée par le souci de rapprocher les définitions admi-
nistrative et judiciaire du groupe.

117. Cass. soc., 23 mai 1995, RSAR c/ Mme Dalmazzo, n° 93-46142.


118. L’employeur n’a aucune obligation de faire des recherches de reclassement au sein d’une
autre société ne faisant pas partie du même groupe, même si des relations étroites sont entrete-
nues entre les deux sociétés (CE, 10 mars 1997, Revue de jurisprudence sociale, 5, 1997, n° 571).
119. Pour déterminer l’extension de l’obligation de reclassement d’un salarié en cas d’inaptitude
physique, la cour administrative d’appel de Douai a ainsi dénié la qualité de groupe à des sociétés
ayant des activités partiellement identiques, disposant du même siège social, ayant des dirigeants
communs et dont le capital social était détenu par les mêmes personnes (CAA Douai, 28 juin
2001, M. Denis Courtecuisse, n° 98DA01952). Au contraire, cf. Cass. soc., 5 avril 1994, Douchet et
autres c/ SARL Constructions Dauga, n° 92-41950.
120. La jurisprudence administrative exige en effet que les possibilités de reclassement soient
recherchées au niveau du groupe, cf. CE, 30 octobre 1985, Garnier, syndic de la liquidation des
biens de la SARL « Engineering et Ouvrages d’art », n° 40203, Recueil Lebon, p. 306.
121. TA Paris, 20 octobre 1998, M. P.E., n° 9505323. Une procédure de licenciement pour faute a
été entreprise quelques mois plus tard contre ce même salarié par l’une des filiales, peut-être
pour conforter la première autorisation. L’autorisation ministérielle, accordée à nouveau le 29
juillet 1996, a cependant été annulée par le juge administratif car les conditions de la convocation
de M. E. à l’entretien préalable ne lui avaient pas permis d’y assister (TA Paris, 28 avril 1998, M.
P.E., n° 9614242 ; solution confirmée en appel, CAA Paris, 23 octobre 2001, Société en nom collec-
tif des restaurants du Palais des congrès de Paris, n° 98PA03017).
122. TA Paris, 19 décembre 2001, Me Marguerite De Thore, n° 9714124.

742 – Droit et Société 55/2003


En dépit de la convergence réelle des jurisprudences judiciaire et admi- Le licenciement des
nistrative, les quelques différences persistantes peuvent ne pas apparaître « salariés protégés »
dans l’œil du juge
minimes. Au-delà des droits refusés aux salariés protégés, l’incertitude ju- administratif
ridique qu’elles génèrent porte atteinte à l’autorité de la décision juridic-
tionnelle et renforce l’ineffectivité du droit. Si le caractère insuffisamment
explicite des jurisprudences du Conseil d’État et de la Cour de cassation en
est parfois la cause, elle révèle également un malaise des juges administra-
tifs face à un objet inhabituel. Défendant les limites du pouvoir de l’admi-
nistration et de son juge, ceux-ci se refusent parfois à apprécier la faute
d’une personne privée dans le cadre de relations purement privées, à analy-
ser des choix de gestion ou à décrypter les structures d’une entreprise pri-
vée.
Certains avantages pourraient ainsi être espérés d’une attribution inté-
grale du contentieux du licenciement des salariés protégés au juge judi-
ciaire. La multiplication des instances – sur le licenciement lui-même, sur
l’indemnisation et sur la réintégration – et les problèmes de compétence ju-
ridictionnelle – pour interpréter les conventions collectives ou pour appli-
quer les lois d’amnistie, par exemple – seraient en partie évités. Par ailleurs,
le parallélisme entre l’évolution du droit du licenciement des salariés proté-
gés et celui des salariés de droit commun serait vraisemblablement accru.
Cependant, le bilan coût-avantage de la suppression du contrôle administra-
tif préalable, impliquée par un tel transfert de compétence, et de son rem-
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placement, par exemple, par une procédure judiciaire semble négatif. Outre
les difficultés de sa mise en œuvre, elle substituerait au contrôle d’une au-
torité de terrain celui d’un juge inévitablement plus lointain et anéantirait la
mission d’arbitrage et de conciliation qui est celle de l’inspecteur 123.
Par ailleurs, les difficultés engendrées par la dualité juridictionnelle ne
sont pas insurmontables. Sur bien des points, les rapprochements entre les
jurisprudences sont en effet amorcés : la « dynamique réformatrice » des
juridictions de premier et deuxième degré est déjà à l’œuvre 124. Le hiatus
entre le rôle traditionnel du juge administratif de censeur et garant de
l’administration et celui de régulateur des relations entre un salarié et une
entreprise privée apparaît comme un simple reflet d’une évolution de la
demande sociale à l’égard des tribunaux administratifs 125.
À défaut de procéder à une réforme d’ampleur, des progrès importants
peuvent cependant être attendus d’un meilleur usage du système actuel.
L’amélioration de la communication, au sein des juridictions d’un même or-

123. Michel M INÉ, Hubert ROSE et Yves STRUILLOU, Droit du licenciement des salariés protégés, op.
cit., p. 823-824.
124. Sur ce point, cf. Christophe COLERA, « Tribunaux administratifs et cours administratives
d’appel : évolution sociologique et effets sur la jurisprudence », Droit et Société, 49, 2001, p. 873-
894.
125. Cf. Claire JEANGIRARD-DUFAL, « La vision d’un membre du corps », in Guy CARDAVAUD et Henri
O BERDORFF (sous la dir.), Le juge administratif à l’aube du XXIe siècle, Grenoble, PUG, 1995, notam-
ment p. 66 et suiv.

Droit et Société 55/2003 – 743


K. WEIDENFELD dre comme entre les juridictions administratives et judiciaires, réduirait
l’incertitude juridique, améliorerait l’homogénéité des jugements et mettrait
sans doute fin à certaines divergences jurisprudentielles. Elle éviterait en
outre que les jugements d’affaires matériellement connexes ne soient sépa-
rés par de longues années. Par ailleurs, la justification de la compétence du
juge administratif – sa connaissance intime de l’administration – pourrait
être davantage exploitée. Le juge administratif paraît en effet susceptible de
pallier en partie l’insuffisante « collaboration » entre l’administration du
travail et le juge judiciaire. La reconnaissance juridictionnelle d’un lien en-
tre une procédure de licenciement et l’exercice d’un mandat pourrait éveil-
ler l’attention du Parquet ou, à défaut, être dotée par elle-même d’une cer-
taine exemplarité. Les jugements administratifs pourraient en effet servir
de vecteur à une forme de « contrôle social » n’empruntant pas la voie des
sanctions pénales classiques 126.
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126. Je remercie très vivement M. Racine, président de la cour administrative d’appel de Paris, M.
Courtin, président du tribunal administratif de Paris, M. Blin, vice-président du tribunal adminis-
tratif de Caen et Mme Jeangirard-Dufal, présidente de la troisième section du tribunal administra-
tif de Paris, pour un accueil chaleureux et des discussions stimulantes.

744 – Droit et Société 55/2003

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