Histoire DE LA TUNISIE

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Histoire DE LA TUNISIE

Article détaillé : Histoire de la Tunisie.


Au travers des siècles, le territoire de l'actuelle Tunisie a successivement été sous
influence carthaginoise, numide, romaine, byzantine, vandale, omeyyade, aghlabide, fatimide, no
rmande de Sicile, almohade, hafside, ottomane et française.
Ces circonstances, ainsi que la position de la Tunisie à l'intersection entre le Bassin
méditerranéen, l'Europe et l'Afrique, ont influencé la diversité culturelle du pays.

Préhistoire et protohistoire
Article détaillé : Préhistoire de la Tunisie.
Les premières traces de présence humaine en Tunisie datent du Paléolithique. C'est à vingt
kilomètres à l'est de Gafsa, dans l'oasis d'El Guettar, que se rassemble une petite
population nomade de chasseurs-cueilleurs moustériens32. Michel Gruet, l'archéologue qui
découvre le site, relève qu'ils consomment des dattes dont il retrouve le pollen aux alentours de
la source33 aujourd'hui asséchée34.

Mégalithes près de Makthar.

Squelette capsien en position repliée.

À une culture ibéromaurusienne, répartie sur le littoral35 et relativement minime en Tunisie36,


succède la période du Capsien, nom créé par Jacques de Morgan et issu du latin Capsa, qui a
lui-même donné le nom de l'actuelle Gafsa37. Morgan définit le Capsien comme étant une culture
allant du Paléolithique supérieur au Néolithique, couvrant ainsi une période qui s'étend
du VIIIe au Ve millénaires av. J.-C.38. D'un point de vue ethnologique et archéologique, le Capsien
prend une importance plus grande puisque des ossements et des traces d'activité humaine
remontant à plus de 15 000 ans sont découverts dans la région. Outre la fabrication d'outils
en pierre et en silex, les Capsiens produisaient, à partir d'ossements, divers outils dont des
aiguilles pour coudre des vêtements à partir de peaux d'animaux.
Au Néolithique (4500 à 2500 av. J.-C. environ), arrivé tardivement dans cette région, la présence
humaine est conditionnée par la formation du désert saharien, qui acquiert son climat actuel. De
même, c'est à cette époque que le peuplement de la Tunisie s'enrichit par l'apport
des Berbères39, issus semble-t-il de la migration vers le nord de populations libyques40 (ancien
terme grec désignant les populations africaines en général41). Le Néolithique voit également le
contact s'établir entre les Phéniciens de Tyr, les futurs Carthaginois qui fondent la civilisation
punique, et les peuples autochtones de l'actuelle Tunisie, dont les Berbères sont désormais
devenus la composante essentielle.
On observe le passage de la Préhistoire à l'Histoire principalement dans l'apport des populations
phéniciennes, même si le mode de vie néolithique continue un temps à exister aux côtés de celui
des nouveaux arrivants. Cet apport est nuancé, notamment à Carthage (centre de la civilisation
punique en Occident), par la coexistence de différentes populations minoritaires mais
dynamiques comme les Berbères, les Grecs, les Italiens ou les Ibères d'Espagne. Les nombreux
mariages mixtes contribuent à l'établissement de la civilisation punique42.

De la Carthage punique à la Carthage romaine


Article détaillé : Histoire de Carthage.

Articles connexes : Civilisation carthaginoise et Afrique romaine.

Capitole de Dougga.

Buste du général carthaginois Hannibal Barca.


Ruines du site archéologique de Carthage.

Mosaïque découverte à Sousse représentant Virgile tenant L'Énéide et entouré de deux muses43, Musée du
Bardo.

Arc de Dioclétien dédié aux empereurs de la première tétrarchie et situé sur le site archéologique de
Sbeïtla.

Ruines de la basilique de Damous El Karita à Carthage.

L'entrée de la Tunisie dans l'histoire se fait par l'expansion d'une cité issue d'une
colonisation proche-orientale44. La Tunisie accueille progressivement une série
de comptoirs phéniciens comme bien d'autres régions méditerranéennes. Le premier comptoir
selon la tradition est celui d'Utique45, qui date de 1101 av. J.-C.46. En 814 av. J.-C., des colons
phéniciens venus de Tyr47 fondent la ville de Carthage48. D'après la légende, c'est la reine Élyssa
(Didon pour les Romains), sœur du roi de Tyr Pygmalion, qui est à l'origine de la cité49. Ouverte
sur la mer, Carthage est également ouverte structurellement sur l'extérieur. Un siècle et demi
après la fondation de la ville, les Carthaginois ou Puniques étendent leur emprise sur le bassin
occidental de la mer Méditerranée.
Cette présence prend diverses formes, y compris celle de la colonisation48, mais reste d'abord
commerciale (comptoirs de commerce, signature de traités, etc.)50. La mutation vers un empire
plus terrestre se heurte aux Grecs de Sicile puis à la puissance montante de Rome48 et de ses
alliés massaliotes, campaniens ou italiotes. Le cœur carthaginois qu'est la Tunisie, à la veille
des guerres puniques, possède une capacité de production agricole supérieure à celle de Rome
et de ses alliés réunis, et son exploitation fait l'admiration des Romains. La lutte entre Rome et
Carthage prend de l'ampleur avec l'essor des deux cités : ce sont les trois guerres puniques, qui
faillirent voir la prise de Rome mais se conclurent par la destruction de Carthage, en 146 av. J.-
C., après un siège de trois ans50. À l'issue de la Troisième Guerre punique, Rome s'installe sur
les décombres de la ville48. La fin des guerres puniques marque l'établissement de la province
romaine d'Afrique dont Utique devient la première capitale, même si le site de Carthage s'impose
à nouveau par ses avantages et redevient capitale en 1448,51.
En 44 av. J.-C., Jules César décide d'y fonder une colonie romaine, la Colonia Julia Carthago52,
mais il faudra attendre quelques décennies pour qu'Auguste lance les travaux de la cité. La
région connaît alors une période de prospérité où l'Afrique devient pour Rome un fournisseur
essentiel de productions agricoles40, comme le blé et l'huile d'olive, grâce aux plantations
d'oliviers chères aux Carthaginois48. La province se couvre d'un réseau dense de cités
romanisées dont les vestiges encore visibles à l'heure actuelle demeurent impressionnants : il
suffit de mentionner les sites de Dougga (antique Thugga), Sbeïtla (Sufetula), Bulla Regia, El
Jem (Thysdrus) ou Thuburbo Majus. Partie intégrante de la République puis de l'Empire avec
la Numidie48, la Tunisie devient pendant six siècles le siège d'une civilisation romano-africaine
d'une exceptionnelle richesse, fidèle à sa vocation de « carrefour du monde antique ». La Tunisie
est alors le creuset de l'art de la mosaïque, qui s'y distingue par son originalité et ses innovations.
Concurrents des dieux romains, des dieux indigènes apparaissent sur des frises d'époque
impériale, et le culte de certaines divinités, Saturne et Caelestis, s'inscrit dans la continuité du
culte voué par les Puniques à Ba'al Hammon et à Tanit, sa parèdre53. Le « carrefour du monde
antique » voit aussi l'installation précoce de communautés juives52 et, dans le sillage de celles-ci,
des premières communautés chrétiennes. L'apogée du IIe et du début du IIIe siècle ne va toutefois
pas sans heurts48, la province connaissant quelques crises au IIIe siècle av. J.-C. : elle est frappée
par la répression de la révolte de Gordien Ier en 23854 ; elle subit de même les affrontements entre
usurpateurs au début du IVe siècle.
La province est l'une des moins touchées par les difficultés que connaît l'Empire romain entre
235 et le début du IVe siècle. Avec la Tétrarchie, la province recouvre une prospérité que révèlent
les vestiges archéologiques, provenant tant de constructions publiques que d'habitations privées.
Cette époque est aussi le premier siècle du christianisme officiel, devenu religion licite en 313 et
religion personnelle de l'empereur Constantin48.

Christianisation
Dans un espace ouvert sur l'extérieur comme l'est alors la province d'Afrique, le christianisme se
développe de façon précoce55 grâce aux colons, commerçants et soldats, et la région devient l'un
des foyers essentiels de la diffusion de la nouvelle foi, même si les affrontements religieux y sont
violents avec les païens. Dès le IIe siècle, la province applique aussi les sanctions impériales, les
premiers martyrs étant attestés dès le 17 juillet 180 : ceux qui refusent de se rallier au culte
officiel peuvent être torturés, relégués sur des îles, décapités, livrés aux bêtes féroces, brûlés
voire crucifiés.
À la fin du IIe siècle, la nouvelle religion progresse dans la province car, malgré une situation
difficile, la nouvelle foi s'implante plus vite qu'en Europe, notamment en raison du rôle social joué
par l'Église d'Afrique qui apparaît dans la seconde moitié du IIIe siècle, aidé en cela par une très
forte densité urbaine. De plus, une fois l'Édit de Thessalonique publié par
l'empereur Théodose Ier en 381, la christianisation devient automatique, puisque aucun autre
culte n'est permis dans l'Empire. Ainsi, au cours du Ve siècle et sous l'action dynamique
d'Augustin d'Hippone et l'impulsion de quelques évêques, les grands propriétaires terriens et
l'aristocratie citadine se rallient au christianisme, où ils voient leur intérêt, l'Église intégrant alors
les diverses couches sociales. Rapidement, la province d'Afrique est considérée comme un
phare du christianisme latin occidental.
Cyprien de Carthage, évêque de Carthage.

Cette expansion rencontre toutefois des obstacles, en particulier lors du schisme donatiste48 qui
est condamné de façon définitive au concile de Carthage. Ce dernier accuse les schismatiques
d'avoir coupé les liens entre l'Église africaine et les Églises orientales originelles.
En dépit de cette lutte religieuse, la conjoncture économique, sociale et culturelle est relativement
favorable au moment du triomphe du christianisme56, comme en témoignent les nombreux
vestiges, notamment de basiliques à Carthage et de nombreuses églises aménagées dans
d'anciens temples païens (comme à Sbeïtla) ou même certaines églises rurales découvertes
récemment. Le 19 octobre 439, après s'être rendus maîtres d'Hippone57, les Vandales et
les Alains entrent dans Carthage, où ils installent leur royaume pour près d'un siècle58. Les
Vandales sont adeptes de l'arianisme59, déclarée hérésie au concile de Nicée, ce qui ne facilite
pas les relations entre eux et les notables locaux majoritairement chalcédoniens. Or les Vandales
exigent de la population une totale allégeance à leur pouvoir et à leur foi. En conséquence, ceux
qui tentent de s'opposer aux Vandales ou à l'arianisme sont persécutés : de nombreux hommes
d'Église sont martyrisés, emprisonnés ou exilés60 dans des camps au sud de Gafsa. Dans le
domaine économique, les Vandales appliquent à l'Église la politique de confiscation dont doivent
pâtir les grands propriétaires. Cependant, la culture latine reste largement préservée61 et le
christianisme prospère tant qu'il ne s'oppose pas au souverain en place.

Baptistère de l'église de Vitalis située sur le site archéologique de Sbeïtla.

Dans ce contexte, le territoire, enserré par des principautés berbères, est attaqué par les tribus
de nomades chameliers : la défaite, en décembre 533 à la bataille de Tricaméron62, confirme
l'anéantissement de la puissance militaire vandale. Carthage est prise facilement par
les Byzantins dirigés par le général Bélisaire40, envoyé par Justinien63, le roi vandale Gélimer se
rendant en 53463. Malgré la résistance des Berbères, les Byzantins rétablissent l'esclavage et
instituent de lourds impôts64. Par ailleurs, l'administration romaine est restaurée. L'Église
d'Afrique est mise au pas et Justinien fait alors de Carthage le siège de son diocèse d'Afrique. À
la fin du VIe siècle, la région est placée sous l'autorité d'un exarque cumulant les pouvoirs civil et
militaire, et disposant d'une large autonomie vis-à-vis de l'empereur. Prétendant imposer le
christianisme d'État, les Byzantins pourchassent le paganisme, le judaïsme et les hérésies
chrétiennes64. Pourtant, à la suite de la crise monothéliste, les empereurs byzantins, opposés à
l'Église locale, se détournent de la cité. Or, avec une Afrique byzantine entraînée dans le
marasme, un état d'esprit insurrectionnel secoue des confédérations de tribus sédentarisées et
constituées en principautés. Ces tribus berbères sont d'autant plus hostiles à l'Empire byzantin
qu'elles ont conscience de leur propre force. Avant même sa prise par les Arabes en 69865, la
capitale et, dans une certaine mesure, la province d'Afrique se sont vidées de leurs habitants
byzantins. Dès le début du VIIe siècle, l'archéologie témoigne en effet d'un repli, ceci étant
particulièrement évident à Carthage66.

Ifriqiya dans le Moyen Âge arabo-musulman


Article détaillé : Tunisie à l'époque médiévale.

Ribat de Monastir.

La première expédition arabe sur la Tunisie est lancée en 65067, à l'époque du calife Othmân ibn
Affân. Commandée par Abd Allâh ibn Saad, l'armée arabe écrase l'armée byzantine
du patrice Grégoire près de Sbeïtla. En 666, une deuxième offensive menée par Mu'awiya ibn
Hudayj à l'époque du calife omeyyade Muʿawiya Ier se termine par la prise de plusieurs villes
dont Sousse et Bizerte67. L'île de Djerba est prise en 66767. La troisième expédition, menée en
670 par Oqba Ibn Nafi al-Fihri, est décisive : ce dernier fonde la ville de Kairouan au cours de la
même année64 et cette ville devient la base des expéditions contre le Nord et l'Ouest du
Maghreb40. L'invasion complète manque d'échouer avec la mort d'Ibn Nafi en 68368, à la suite
d'une embuscade tendue par le chef berbère Koceïla au sud de l'Aurès69. Après la mort d'Ibn
Nafi, les Arabes évacuent Kairouan, où s'installe Koceila qui devient le maître de l'Ifriqiya : les
Byzantins ne sont plus, selon les historiens arabes, que ses simples auxiliaires69. Envoyé en 693
avec une puissante armée arabe, le général ghassanide Hassan Ibn Numan réussit à vaincre
l'exarque et à prendre Carthage70 en 695. Seuls résistent certains Berbères dirigés par
la Kahena70.
Les Byzantins, profitant de leur supériorité navale, débarquent une armée qui s'empare de
Carthage en 696 pendant que la Kahena remporte une bataille contre les Arabes en 69770. Ces
derniers, au prix d'un nouvel effort, finissent cependant par reprendre définitivement Carthage en
698 et par vaincre et tuer la Kahena68. Contrairement aux Phéniciens, les Arabes ne se
contentent pas d'occuper la côte et entreprennent de conquérir l'intérieur du pays. Après avoir
résisté, les Berbères se convertissent à la religion de leurs vainqueurs68, principalement à travers
leur recrutement dans les rangs de l'armée victorieuse. Des centres de formation religieuse
s'organisent alors, comme à Kairouan, au sein des nouveaux ribats. On ne saurait toutefois
estimer l'ampleur de ce mouvement d'adhésion à l'islam. D'ailleurs, refusant l'assimilation,
nombreux sont ceux qui rejettent la religion dominante et adhèrent au kharidjisme, courant
religieux musulman né en Orient et proclamant notamment l'égalité de tous les musulmans sans
distinction de race ni de classe71. La région reste une province omeyyade jusqu'en 750, quand la
lutte entre Omeyyades et Abbassides voit ces derniers l'emporter71. De 767 à 776, les kharidjites
berbères sous le commandement d'Abou Qurra s'emparent de tout le territoire, mais ils se retirent
finalement dans le royaume de Tlemcen, après avoir tué Omar ibn Hafs, surnommé Hezarmerd,
dirigeant de la Tunisie à cette époque72.
La Grande Mosquée de Kairouan, plus ancien lieu de culte musulman du Maghreb, est le principal
monument religieux de la Tunisie.

En 800, le calife abbasside Hâroun ar-Rachîd délègue son pouvoir en Ifriqiya à l'émir Ibrahim ibn
al-Aghlab73 et lui donne le droit de transmettre ses fonctions par voie héréditaire74. Al-Aghlab
établit la dynastie des Aghlabides, qui règne durant un siècle sur le Maghreb central et oriental.
Le territoire bénéficie d'une indépendance formelle tout en reconnaissant la souveraineté
abbasside74. La Tunisie devient un foyer culturel important avec le rayonnement de Kairouan et
de sa Grande Mosquée, un centre intellectuel de haute renommée75. À la fin du règne de Ziadet
Allah Ier (817-838), Tunis devient la capitale de l'émirat jusqu'en 90976. Appuyée par les
tribus Kutama qui forment une armée fanatisée, l'action du prosélyte ismaélien Abu Abd Allah
ach-Chi'i entraîne la disparition de l'émirat en une quinzaine d'années (893-909). En décembre
909, Ubayd Allah al-Mahdi se proclame calife et fonde la dynastie des Fatimides, qui déclare
usurpateurs les califes omeyyades et abbassides ralliés au sunnisme. L'État fatimide s'impose
progressivement sur toute l'Afrique du Nord en contrôlant les routes caravanières et le commerce
avec l'Afrique subsaharienne. En 945, Abu Yazid, de la grande tribu des Ifrenides, organise sans
succès une grande révolte berbère pour chasser les Fatimides. Le troisième calife, Ismâ`îl al-
Mansûr, transfère alors la capitale à Kairouan et s'empare de la Sicile65 en 948. Lorsque la
dynastie fatimide déplace sa base vers l'est en 972, trois ans après la conquête finale de la
région, et sans abandonner pour autant sa suzeraineté sur l'Ifriqiya, le calife Al-Muʿizz li-Dīn
Allāh confie à Bologhine ibn Ziri — fondateur de la dynastie des Zirides — le soin de gouverner la
province en son nom. Les Zirides prennent peu à peu leur indépendance vis-à-vis du calife
fatimide65, ce qui culmine lors de la rupture avec ce suzerain devenu lointain et inaugure l'ère de
l'émancipation berbère.

Minaret de la mosquée Zitouna de style almohade.

L'envoi depuis l'Égypte de tribus arabes nomades sur l'Ifriqiya marque la réplique des Fatimides
à cette trahison. Les Hilaliens suivis des Banu Sulaym — dont le nombre total est estimé à
50 000 guerriers et 200 000 Bédouins — se mettent en route après que de véritables titres de
propriété leur ont été distribués au nom du calife fatimide. Kairouan résiste pendant cinq ans
avant d'être occupée et pillée. Le souverain se réfugie alors à Mahdia en 1057 tandis que les
nomades continuent de se répandre en direction de l'Algérie, la vallée de la Medjerda restant la
seule route fréquentée par les marchands. Ayant échoué dans sa tentative pour s'établir dans la
Sicile reprise par les Normands, la dynastie ziride s'efforce sans succès pendant 90 ans de
récupérer une partie de son territoire pour organiser des expéditions de piraterie et s'enrichir
grâce au commerce maritime.
À partir du premier tiers du XIIe siècle, la Tunisie est régulièrement attaquée par les Normands de
Sicile et du Sud de l'Italie, basés dans le royaume normano-sicilien, qui finissent par conquérir
l'ensemble du littoral tunisien et y fonde le Royaume d'Afrique. Celui-ci est une extension de la
frontière siculo-normande dans l'ancienne province romaine d'Afrique (alors appelée Ifriqiya), qui
correspond aujourd'hui à la Tunisie ainsi qu'à une partie de l'Algérie et de la Libye. Les sources
primaires ayant trait au royaume sont en arabe77 alors que les sources latines (chrétiennes) sont
plus rares. Selon Hubert Houben, étant donné qu'« Afrique » n'a jamais été officiellement ajouté
aux titres royaux des rois de Sicile « on ne devrait pas parler d'un ‘Royaume Norman d'Afrique' à
proprement parler »78. L'« Afrique normande » est plutôt une constellation de villes gouvernées
par les Normands sur la côte ifriqiyenne79.

Royaume d'Afrique (Regno d'Africa) entouré en rouge.

La conquête sicilienne de l'Ifriqiya commence sous le règne de Roger II en 1146-1148. Le règne


sicilien consiste en des garnisons militaires dans les principales villes, des exactions sur les
populations musulmanes, la protection des chrétiens et le monnayage de pièces de monnaie.
L'aristocratie locale est largement gardée en place et des princes musulmans se chargent des
affaires civiles sous surveillance normande. Les relations économiques entre la Sicile et l'Ifriqiya,
qui étaient déjà fortes avant la conquête, sont renforcées, tandis que les échanges entre l'Ifriqiya
et le Nord de l'Italie sont étendus. Sous le règne de Guillaume Ier de Sicile, le Royaume d'Afrique
tombe aux mains des Almohades (1158-1160). Son héritage le plus durable est le réalignement
des puissances méditerranéennes provoqué par sa disparition et la paix siculo-almohade
finalisée en 1180. L'ensemble du territoire de l'Ifriqiya finit par être occupé par l'armée du
sultan almohade Abd al-Mumin lors de son expédition depuis le nord du Maroc en 115980.
L'économie devient florissante81 et des relations commerciales s'établissent avec les principales
villes du pourtour méditerranéen (Pise, Gênes, Marseille, Venise et certaines villes d'Espagne).
L'essor touche également le domaine culturel81 avec les œuvres du grand historien et père de la
sociologie Ibn Khaldoun ; le siècle almohade est considéré comme l'« âge d'or » du Maghreb81.
De grandes villes se développent et les plus belles mosquées sont érigées à cette époque82. Les
Almohades confient la Tunisie à Abû Muhammad `Abd al-Wâhid ben Abî Hafs mais son fils Abû
Zakariyâ Yahyâ se sépare d'eux en 1228 et fonde la nouvelle dynastie berbère51 des Hafsides83.
Elle acquiert son indépendance dès 123684 et dirige la Tunisie jusqu'en 157473, ce qui en fait la
première dynastie tunisienne par sa durée85. Elle établit la capitale du pays à Tunis73, et la ville se
développe grâce au commerce avec les Vénitiens, les Génois, les Aragonais et les Siciliens65.

Tunisie ottomane
Article détaillé : Régence de Tunis.
Carte maritime ottomane du XVIe siècle représentant la côte sud-est de la Tunisie dont Djerba.

Nouvelle armée beylicale vers 1840.

Proclamation du Pacte fondamental en 1857, précurseur de la Constitution de 1861.

Les Hafsides de Tunis s'essoufflent et perdent peu à peu, après la bataille de Kairouan en 1348,
le contrôle de leurs territoires au profit des Mérinides d'Abu Inan Faris84, alors que, frappée de
plein fouet par la peste86 de 1384, l'Ifriqiya continue de subir une désertification démographique
amorcée par les invasions hilaliennes. C'est alors que commencent à arriver
les Maures musulmans et juifs andalous65 fuyant la déchéance du royaume de Grenade en 1492
et occasionnant des problèmes d'assimilation. En une dizaine d'années, les souverains
espagnols Ferdinand d'Aragon et Isabelle de Castille prennent les cités de Mers el-
Kébir, Oran, Bougie, Tripoli et l'îlot situé en face d'Alger. Pour s'en libérer, les autorités de la cité
sollicitent l'aide de deux corsaires renommés, d'origine grecque : les frères Arudj et Khayr ad-Din
Barberousse87.
La Tunisie offrant un environnement favorable, les frères Barberousse s'y illustrent : Arudj reçoit
en effet du souverain hafside aux abois l'autorisation d'utiliser le port de La Goulette puis l'île
de Djerba comme base. Après la mort d'Arudj, son frère Khayr ad-Din se place dans
la vassalité du sultan d'Istanbul. Nommé grand amiral de l'Empire ottoman, il s'empare de Tunis
en 1534 mais doit se retirer après la prise de la ville par l'armada que Charles Quint mène en
153565,. En 1560, Dragut parvient à Djerba et, en 1574, Tunis est reprise par les Ottomans73, qui
font de la Tunisie une province de leur empire59 en 1575. Pourtant, malgré leurs victoires, les
Ottomans ne s'implantent guère en Tunisie.

Première page du Pacte fondamental de 1857.

Au cours du XVIIe siècle, leur rôle ne cesse de décroître au profit des dirigeants locaux qui
s'émancipent progressivement de la tutelle du sultan d'Istanbul88 alors que seuls
4 000 janissaires sont en poste à Tunis. Au bout de quelques années d'administration turque,
plus précisément en 159051, ces janissaires s'insurgent, plaçant à la tête de l'État un dey et, sous
ses ordres, un bey89 chargé du contrôle du territoire et de la collecte des impôts. Ce dernier ne
tarde pas à devenir le personnage essentiel de la régence73 aux côtés du pacha, qui reste confiné
dans le rôle honorifique de représentant du sultan ottoman, au point qu'une dynastie beylicale
finit par être fondée par Mourad Bey en 161390.
Le 15 juillet 1705, Hussein Ier Bey fonde la dynastie des Husseinites85,91. Le 13 mai 1752, Ali
Metzan prend les armes contre son père, le vieux dey qu'il oblige à lui confier la direction de
l'État92. Des troubles éclatent dans la population et des scènes de pillages et de violences
du quartier juif de Tunis ont lieu93.
Quoique toujours officiellement province de l'Empire ottoman, la Tunisie acquiert une grande
autonomie au XIXe siècle73, notamment avec Ahmed Ier Bey, régnant de 1837 à 1855, qui
enclenche un processus de modernisation94.
Sous la pression franco-anglaise consécutive à l'affaire Sfez de 1857, des réformes ottomanes
des Tanzimat interviennent sous la plume de Mohammed Bey qui promulgue le Pacte
fondamental (Ahd El Aman) ou Pacte de sécurité le 10 septembre 1857, document qui s'inscrit
dans l'héritage des idéaux de la Révolution française de 178995,96.
À cette époque, le pays vit de profondes réformes, comme l'abolition de l'esclavage et faisant
suite au Pacte fondamental, l'adoption en 1861 d'une véritable Constitution, remise en 1860
par Sadok Bey à l'empereur Napoléon III96,94,97, et manque même de devenir
une république indépendante. Ces bouleversements s'inscrivent dans un contexte économique
instable, et les musulmans s'en prennent physiquement à leurs voisins juifs accusés de profiter
des réformes, à leurs biens et aux synagogues, jusqu'en 1869 où plusieurs sont tués98.
Influence architecturale
Intérieur de la mosquée Sidi Mahrez.

Il est difficile de mesurer l'importance des influences turques qui demeurent en Tunisie. Quelques
monuments affichent leur filiation ottomane à l'instar de la mosquée Sidi Mahrez à Tunis, édifiée
entre 1692 et 169799. Dans un autre domaine, l'art des tapis, qui existait pour certains avant
l'arrivée des Ottomans, voit les productions de Kairouan présenter au XVIIIe siècle des motifs
purement anatoliens.
Malgré ces influences perceptibles dans l'aspect des objets manufacturés, l'empreinte de l'Italie
voisine se fait de plus en plus manifeste au cours du XVIIIe siècle, tant dans l'architecture que
dans la décoration, marquant ainsi une ouverture du pays à l'Europe.

Protectorat français et lutte nationaliste


Article détaillé : Protectorat français de Tunisie.

Article connexe : Mouvement national tunisien.


Le pays connaît toutefois peu à peu de graves difficultés financières94, en raison de la politique
ruineuse des beys, de la hausse des impôts85 et d'interférences étrangères dans l'économie.
Tous ces facteurs contraignent le gouvernement à déclarer la banqueroute en 1869 et à créer
une commission financière internationale anglo-franco-italienne100. La régence apparaît vite
comme un enjeu stratégique de première importance de par la situation géographique du pays, à
la charnière des bassins occidental et oriental de la Méditerranée. La Tunisie fait donc l'objet des
convoitises rivales de la France et de l'Italie. Les consuls français et italien tentent de profiter des
difficultés financières du bey, la France comptant sur la neutralité de l'Angleterre (peu désireuse
de voir l'Italie prendre le contrôle de la route du canal de Suez) et bénéficiant des calculs
de Bismarck, qui souhaite la détourner de la question de l'Alsace-Lorraine.

Signature du traité du Bardo au palais de Ksar Saïd le 12 mai 1881.

Les combats entre tribus algériennes et tribus khroumirs en territoire algérien fournissent un
prétexte à Jules Ferry pour souligner la nécessité de s'emparer de la Tunisie. En avril 1881, les
troupes françaises y pénètrent sans résistance majeure et parviennent aux abords de Tunis94 en
trois semaines, sans combattre101. Le 12 mai 1881, le protectorat est officialisé lorsque Sadok
Bey, menacé d'être destitué et remplacé par son frère Taïeb Bey102,103, signe le traité du
Bardo104 au palais de Ksar Saïd105. Ceci n'empêche pas les troupes françaises de faire face,
quelques mois plus tard, à des révoltes rapidement étouffées dans les régions
de Kairouan et Sfax. Le régime du protectorat est renforcé par les conventions de La Marsa du 8
juin 1883 qui accordent à la France le droit d'intervenir dans les affaires internes de la
Tunisie106,107. La France représente dès lors la Tunisie sur la scène internationale, et ne tarde pas
à abuser de ses droits et prérogatives de protecteur pour exploiter le pays comme une colonie,
en contraignant le bey à abandonner la quasi-totalité de ses pouvoirs au résident général108.
Néanmoins, des progrès économiques ont lieu, notamment via les banques et les compagnies106,
ainsi que le développement de nombreuses infrastructures (routes, ports, chemins de fer,
barrages, écoles, etc.).

Procès de l'affaire du Djellaz en 1911.

La colonisation permet l'expansion des cultures de céréales et de la production d'huile


d'olive ainsi que l'exploitation des mines de phosphates100 par la Compagnie des phosphates et
des chemins de fer de Gafsa, ainsi que de fer par la Société du Djebel Djerissa, première
entreprise tunisienne et quinzième française109. Un important port militaire est aménagé à Bizerte.
De plus, les Français établissent un système bilingue arabe et français qui permet à l'élite
tunisienne de se former dans les deux langues110. La lutte contre l'occupation française
commence dès le début du XXe siècle avec le mouvement réformiste et intellectuel des Jeunes
Tunisiens fondé en 1907111 par Béchir Sfar, Ali Bach Hamba et Abdeljelil Zaouche. Ce courant
nationaliste se manifeste par l'affaire du Djellaz en 1911 et le boycott des tramways
tunisois en 1912108. De 1914 à 1921, le pays vit en état d'urgence et la presse anticolonialiste est
interdite40. Malgré tout, le mouvement national ne cesse pas d'exister108. Dès la fin de la Première
Guerre mondiale, une nouvelle génération organisée autour d'Abdelaziz Thâalbi prépare la
naissance du parti du Destour108.
Entré en conflit avec le régime du protectorat112, le parti expose, dès la proclamation officielle de
sa création le 4 juin 1920107, un programme en huit points. Après avoir fustigé le régime du
protectorat dans des journaux comme La Voix du Tunisien et L'Étendard tunisien113,
l'avocat Habib Bourguiba fonde en 1932, avec Tahar Sfar, Mahmoud El Materi et Bahri Guiga, le
journal L'Action tunisienne114, qui, outre l'indépendance, prône la laïcité115. Cette position originale
conduit le 2 mars 1934107, lors du congrès de Ksar Hellal112, à la scission du parti en deux
branches, l'une islamisante qui conserve le nom Destour, et l'autre moderniste et laïque, le Néo-
Destour100, une formation politique moderne, structurée sur les modèles des partis socialistes et
communistes européens, et déterminée à conquérir le pouvoir pour transformer la société114.
Après l'échec des négociations engagées par le gouvernement Blum, des incidents sanglants
éclatent en 1937100 et les émeutes d'avril 1938 sont sévèrement réprimées115. Cette répression
conduit à la clandestinité du Néo-Destour, qui incite les nouveaux dirigeants à ne pas exclure
l'éventualité d'une lutte plus active116,117. En 1942, le régime de Vichy livre Bourguiba à l'Italie, à la
demande de Benito Mussolini, qui espère l'utiliser pour affaiblir la Résistance française en Afrique
du Nord115. Cependant Bourguiba ne désire pas cautionner les régimes fascistes et lance le 8
août 1942 un appel pour le soutien aux troupes alliées115. Pendant ce temps, la Tunisie est le
théâtre d'importantes opérations militaires111 connues sous le nom de campagne de
Tunisie100 Après plusieurs mois de combats et une contre-offensive blindée allemande dans la
région de Kasserine et Sidi Bouzid au début de l'année 1943, les troupes du Troisième
Reich sont contraintes de capituler le 11 mai dans le cap Bon, quatre jours après l'arrivée des
forces alliées à Tunis118. Après la Seconde Guerre mondiale, les dirigeants nationalistes
inscrivent la résistance armée dans la stratégie de libération nationale117. Des pourparlers sont
menés après la guerre avec le gouvernement français116, si bien que Robert Schuman évoque en
1950 la possibilité de l'indépendance de la Tunisie en plusieurs étapes107. Mais le gouvernement
français met fin aux négociations avec le gouvernement tunisien par la note du 15 décembre
1951 affirmant le « caractère définitif du lien qui unit la France à la Tunisie »119.

Habib Bourguiba à Bizerte en 1952.

Ruines à la suite d'une attaque sur Tazarka.

Bourguiba demande à Chenik de porter le différend franco-tunisien devant l'ONU afin


d'internationaliser le problème120. La requête est signée le 11 janvier121 et, le 13 janvier, Salah Ben
Youssef et Hamadi Badra quittent Tunis pour Paris, où ils comptent enregistrer la plainte122.
Cependant, le 17 janvier, le gouvernement français déclare qu'elle ne peut être examinée par
le Conseil de sécurité puisque « la note est signée par des Tunisiens qui n'ont pas le droit de le
faire sans l'accord du Bey, seul dépositaire de la souveraineté tunisienne. La France a la charge
des Affaires étrangères de la Tunisie ; ce document aurait dû être remis au Résident qui est seul
habilité à le transmettre ».
Avec l'arrivée du nouveau résident général, Jean de Hauteclocque, le 13 janvier 1952, et
l'arrestation, le 18 janvier, de 150 destouriens dont Bourguiba, débutent la révolte armée100, la
répression militaire française107 et un durcissement des positions de chaque camp123. Le 26 mars,
devant le refus catégorique de Lamine Bey de congédier le gouvernement qui avait porté cette
plainte à l'ONU, de Hauteclocque fait arrêter Chenik, El Materi, Mohamed Salah
Mzali et Mohamed Ben Salem, placés en résidence forcée à Kébili dans le Sud du
pays124 pendant que Bourguiba est transféré à Remada125 ; c'est le coup de force du 26 mars.
Le 5 décembre a lieu l'assassinat du syndicaliste Farhat Hached par l'organisation colonialiste
extrémiste de la Main rouge126,127, qui déclenche grèves et manifestations, puis leur répression et
des émeutes, grèves, tentatives de sabotage et jets de bombes artisanales117.
Le développement de la répression, accompagnée de l'apparition du contre-terrorisme, incite les
nationalistes à prendre plus spécifiquement pour cibles les colons, les fermes, les entreprises
françaises et les structures gouvernementales117. C'est pourquoi les années 1953 et 1954 sont
marquées par la multiplication des attaques contre le système colonial.
En réponse, près de 70 000 soldats français sont mobilisés pour arrêter les guérillas des groupes
tunisiens dans les campagnes128. Cette situation difficile est apaisée par la reconnaissance de
l'autonomie interne de la Tunisie, concédée par Pierre Mendès France dans son discours de
Carthage le 31 juillet 1954107,129. C'est finalement le 3 juin 1955128 que les conventions franco-
tunisiennes sont signées entre le Premier ministre tunisien Tahar Ben Ammar et son homologue
français Edgar Faure127. En dépit de l'opposition de Salah Ben Youssef, qui sera exclu du parti59,
les conventions sont approuvées par le congrès du Néo-Destour tenu à Sfax le 15 novembre de
la même année123. Après de nouvelles négociations, la France finit par
reconnaître « solennellement l'indépendance de la Tunisie »123 le 20 mars 1956, tout en
conservant la base militaire de Bizerte.

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