Cours de Philosophie Sur La Morale de Kant
Cours de Philosophie Sur La Morale de Kant
Cours de Philosophie Sur La Morale de Kant
Plan
Introduction
B- La réponse kantienne
Bibliographie
Cours
Introduction
Qu’est-ce qui fait que mon action peut être qualifiée de morale ? Kant, dans ses
Fondements de la métaphysique des mœurs, tente de répondre à cette question. Il
y répond d’une manière double : d’abord, en définissant la moralité. Ensuite, en
donnant un critère permettant de savoir si mon action est morale. Nous allons
analyser séparément ces deux parties de l’analyse kantienne, avant d’en tirer les
conséquences générales (quel genre de philosophie morale est-ce donc ?). Puis,
enfin, nous en ferons une analyse critique (la philosophie morale de Kant est-elle
acceptable ?).
A dire vrai, à l'origine, les deux termes désignaient grossièrement la même chose :
tous deux dérivent du mot "mors", qui signifie les mœurs, la manière de vivre de
façon réglée. La seule différence entre eux, c'était que le terme d'éthique était
grec, et que le terme de morale était latin. Ce n'est que par la suite, et surtout
aujourd'hui, qu'ils se sont scindés en deux significations différentes.
La morale dit, par exemple : "il ne faut pas tuer". L'éthique demande : "pourquoi ne
faut-il pas tuer ?", "sur quoi est fondé ce précepte en l'homme ?". Et, plus
généralement, elle pourra se demander : comment définir une action bonne,
qu'est-ce qui fait qu'une action est morale, … ainsi que, pourquoi pas : d'où vient la
morale (cf. Nietzsche) ? La morale ne se prononce pas sur ces questions. On peut
dire que, alors que l'éthique est philosophique (= philosophie morale), la morale ne
l'est pas.
Ici, nous allons donc réfléchir éthiquement. Nous allons nous demander, avons-
nous dit, ce qui rend une action "bonne". Cette question est synonyme de la
question suivante : qu'est-ce qui fait qu'une action est dite "morale" ?
Tout le monde sait que l'action moralement bonne, c'est l'action qui est conforme
aux "règles", aux "lois". La loi dit : "il ne faut pas tuer". Mais est-ce si facile que ça
de déterminer si une action est bonne moralement ? Ce qui fait qu'une action est
moralement bonne, est-ce vraiment la conformité aux règles ?
Est-ce une bonne loi ? Est-il moral d'obéir à cette loi ? S'il est illégal (contraire à la
loi écrite, au droit "positif") de ne pas y obéir, il est peut-être moral de ne pas y
obéir (car conforme à la déclaration des droits de l'homme, qui stipule que "tous
les hommes sont égaux en droit"). La morale correspond plus à une idée, à un
idéal, qui se trouve dans une "conscience morale". Elle se veut également absolue,
non relative.
Mais si l'action bonne moralement est donc celle qui n'est pas strictement
conforme aux règles/ lois, alors, qu'est-elle ?
B- La réponse kantienne
Kant, dans les Fondements de la Métaphysique des Mœurs, tente d'y répondre.
Reprenons notre propos : il nous paraît facile de déterminer quand une action est
moralement bonne. Il y a action moralement bonne, quand cette action est en
conformité avec ce qui est bien, tout simplement. C'est un truisme, certes, mais
c'est comme ça. Ainsi, celui qui est honnête, celui qui porte secours à son
prochain, etc., accomplissent des actions moralement bonnes.
Kant va critiquer cette opinion communément admise : ces actions ne sont pas,
ou en tout cas pas automatiquement, moralement bonnes. Ce n'est pas, en effet,
par la conformité avec ce qui est bien, qu'une action est rendue moralement
bonne.
Par exemple, il est sans doute conforme au devoir que le débitant n'aille pas
surfaire le client inexpérimenté, et même c'est ce que ne fait jamais dans tout
grand commerce le marchand avisé ; il établit au contraire un prix fixe, le même
pour tout le monde, si bien qu'un enfant achète chez lui à tout aussi bon compte
que n'importe qui. On est donc loyalement servi; mais ce n'est pas à beaucoup
près suffisant pour qu'on en retire cette conviction que le marchand s'est ainsi
conduit par devoir et par des principes de probité; son intérêt l'exigeait (…) Voilà
donc une action qui était accomplie, non par devoir, ni par inclination immédiate,
mais seulement dans une intention intéressée.
Notre conduite n’est moralement bonne que si elle est animée par le seul souci de
respecter la loi morale elle-même, et non pas parce que nous y aurions intérêt, ou
parce que cela serait favorable à notre bonheur. Ce qui confère à une action sa
valeur morale, c’est l’intention qu’on a d’agir par devoir, et seulement par devoir. Ie :
une action moralement bonne, c'est une action qui est mue par le seul souci de
faire le bien.
On dira ici : oui, mais ce que nous dit Kant, c'est abstrait, quand même ! Il nous dit
en quoi consiste une action moralement bonne, mais on n'arrive pas à se
représenter ce que donne concrètement ! Comment effectuer une telle action ?
C'est quoi, une action accomplie seulement dans l'intention d'agir par devoir ?
C’est ce qu’il nous explique dans la deuxième section de son œuvre, en nous
donnant la formulation du devoir. Comment bien agir, et comment savoir si on agit
bien ? En fait, on va le voir, c'est assez simple : il suffit de partir du fait que l'action
moralement bonne, donc, l'action faite uniquement par devoir, est une action
complètement désintéressée.
Kant fait ici une analogie avec les lois de la nature, afin que l'on puisse se
représenter concrètement ce qu'est une action moralement bonne. Les lois de la
nature sont générales (puisque ce sont des lois) : i.e., elles sont les mêmes à
toutes les époques et en tous les lieux, autrement dit, dans tout l'univers ; et elles
ne rencontrent aucune exception (universelles). Autrement dit : ce que cette
analogie, et donc, cette formule, signifie, c'est que pour établir ce que nous devons
faire, pour agir moralement, nous devons soumettre notre maxime (maxime =
principe subjectif, particulier, d’après lequel un sujet veut agir) à un test
d’universalisation. Il faut, pour être impartial (car il ne faut pas oublier qu’il faut
agir sans prendre en compte aucun intérêt, aucun désir), exclure toute
considération matérielle relative à la vie bonne d’un sujet empirique particulier.
L’impératif catégorique donne donc un critère formel, de cohérence, qui
commande de vérifier s’il est possible d’universaliser notre maxime sans
contradiction. Il faut se demander si une règle d’action qu’on se donne peut
devenir la règle de tout homme placé dans la même situation. Si oui, c’est qu’on
est en présence de la loi morale ; dans le cas contraire, cela signifie qu’on veut
faire une exception pour soi.
Ce qui fait qu’une action est morale n’est donc pas son contenu mais sa forme (=
elle doit se présenter avec le caractère d’une obligation inconditionnelle).
–Kant appelle ainsi les impératifs non moraux, des impératifs conditionnels. Ces
derniers stipulent : " si tu veux… alors tu dois… ". Ce sont encore des impératifs de
l'habileté. Ils disent comment atteindre telle fin. Ils ne s'occupent que des moyens,
pas des fins.
Ces impératifs sont non moraux au sens où ils n'appartiennent pas au domaine de
la morale (on emploie alors le terme d'"amoral"), mais pas au sens où ils seraient
contraires à la morale (on emploie alors le terme d'"immoral"). Toutefois, ils
peuvent très bien glisser de l'amoralité vers l'immoralité, et c'est pour cela qu'ils
sont disqualifiés par Kant.
Exemple : "Les prescriptions que doit suivre le médecin pour guérir radicalement
son homme, celles que doit suivre un empoisonneur pour le tuer à coup sûr, sont
d'égale valeur, en tant qu'elles leur servent les unes et les autres à accomplir
parfaitement leurs desseins."
Dans cet exemple, se présentent deux sortes de fins opposées : dans un cas, il
s'agit d'une fin positive, la santé, dans l'autre, d'une fin négative, et cela,
doublement, puisque cette fin est la mort, et même, le meurtre. L'impératif
hypothétique commande comment il faut faire pour tuer quelqu'un, donc, pour
atteindre une fin moralement négative : il est donc explicitement immoral. Le
premier indique comment il faut guérir un malade, donc, comment atteindre une
fin bonne... mais pas, pour autant, moralement bonne : la santé n'a rien à voir avec
la morale, au sens où elle ne ressort pas de son domaine (on n'est pas "bon"
moralement parce qu'on est en bonne santé !); cette fin est donc amorale, comme
l'impératif.
Ce que Kant vise ici à montrer, c'est que l'action morale n'est en aucun cas une
action qui viserait à me rendre heureux, et même, nous l'avons déjà dit, que si le
bonheur est notre raison d'agir, alors, notre action ne sera pas morale, mais soit
amorale soit immorale. Ie : le bonheur pouvant mener au pire, et étant lié à nos
désirs personnels subjectifs, il ne peut faire partie de la morale.
- la morale est chez Kant du côté de la raison (appelée raison "pratique", car elle a
à voir avec l'action, non avec la connaissance). En effet, elle suppose une faculté/
capacité d'universalisation, et elle s'oppose à tout ce qui en nous est du domaine
de la sensibilité (inclinations, désirs, sentiments...). C'est d'ailleurs pour cela
qu'elle est exprimée en termes d'impératifs, et qu'elle suppose les notions de
devoir, de loi : elle "contraint" notre sensibilité. Ceci dit, Kant préfère, au terme de
contrainte, celui d'obligation : je suis en effet contraint à obéir quand on me
demande de faire quelque chose d'injuste, d'illégitime, etc. (exemple : "la bourse
ou la vie" : vous êtes contraint à le faire) ; par contre, je suis obligé d'obéir quand je
pense que ce qu'on me demande est légitime, même si je n'en ai pas envie (cf.
payer ses impôts).
- l'action moralement bonne demande la capacité à agir en prenant sur son action
le point de vue des autres (cf. le point de vue universel : puis-je vouloir que tous
fassent comme moi, sans contradiction ?), donc, la capacité à prendre les autres
en compte. On parle alors d'un "sujet moral" (et rationnel...).
En cela, elle s’oppose à la philosophie morale des Anciens, qui n’est pas du tout
une "morale du devoir ", mais une "morale du bonheur ". Par Anciens, il faut
entendre : Platon, Aristote, les stoïciens, les épicuriens, etc. –donc, les
philosophes de l’Antiquité.
La valeur morale d’une action se mesure chez eux à son aptitude à réaliser le désir
naturel de l’homme à bien vivre, à mener une vie bonne. Ils affirment donc
l’identité du Bien (moral), donc, de la valeur suprême, et du bonheur.
Qu’est-ce donc que le Bien ? Il est d’abord identifié comme étant ce que tous les
hommes recherchent, comme étant le but de toutes nos actions, de tout ce que
nous entreprenons (Kant dira la même chose... cf. cours bonheur et politique) :
Comme tout art et toute recherche, ainsi l’action et le choix préférentiel tendent
vers quelque bien, à ce qu’il semble. Ainsi a-t-on déclaré avec raison que le Bien
est ce à quoi toutes choses tendent.
La difficulté de cette tâche est qu’il y a de multiples biens : nous faisons des
exercices de gymnastique pour avoir la ligne, le forme, ou plus généralement la
santé ; nous travaillons à l’école afin de réussir nos examens, etc. Tout cela, ce
sont des biens, relatifs à tel domaine (santé, études, etc.) de la vie. Mais LE Bien,
qu’est-ce que c’est ? LE Bien, c’est-à-dire, le bien absolu, le bien en vue duquel tous
ces biens eux-mêmes tendent ? Aristote parle, plutôt que de Bien "absolu ", de
Souverain Bien, qui est le Bien qui englobe tous les autres biens, et qui renvoie, du
côté de nos actions, à une fin qui ne serait recherchée que pur elle-même il dit
alors qu’elle est "autosuffisante "). Quelle est la fin qui mérite d’être poursuivie
pour elle-même ? (fin dernière de l’homme) : cette question est la même que celle
qui demande : qu’est-ce que le souverain Bien ?
Le bonheur semble être au suprême degré une fin de ce genre (fin dernière), car
nous le choisissons toujours pour lui-même et jamais en vue d’autre chose : au
contraire, l’honneur, le plaisir, l’intelligence, ou toute vertu quelconque, sont des
biens que nous choisissons assurément pour eux-mêmes (puisque, même si
aucun avantage n’en découlait pour nous, nous les choisirions encore), mais nous
les choisissons aussi en vue du bonheur, car c’est par leur intermédiaire que nous
pensons devenir heureux. Par contre, le bonheur n’est jamais choisi en vue de ces
biens, ni d’une manière générale en vue d’autre chose que lui-même.
Le Bien suprême, qui est ici la fin dernière de l'homme, est donc le bonheur : tout
ce que nous faisons est fait, ultimement, en vue de cette fin. Nous cherchons la
santé, en vue d'être heureux. Le bonheur est donc bien un bien absolu, il n'est
relatif à rien d'autre. Ici, le "bien" a donc une signification tout autre que chez Kant !
Rien à voir avec des lois ou encore une obligation quelconque.
Mais qu’est-ce que le bonheur, hormis le fait qu’il est ce que tous les hommes
recherchent ultimement, i.e., ce en vue de quoi ils font tout ce qu’ils font ? Est-ce
ce sentiment dont nous parle Kant, qui consiste à "être satisfait dans tous les
moments de son existence ?" I.e., est-ce quelque chose de purement subjectif, et,
à la limite, d'égoïste ? Non : ce bonheur ne se résout pas strictement à ce que Kant
entend par là, à savoir, à la satisfaction subjective d’un plaisir, à la recherche de la
satisfaction (égoïste, et parfois immorale) de ses intérêts particuliers, de ses
désirs (cf. cours Bonheur et politique) ; mais il se rapporte à la meilleure façon de
se comporter dans la vie, pour un homme, face aux désirs, aux inclinations
diverses (cf. cours Bonheur et plaisir). Il se rapporte à ce qui fait que votre vie est
vraiment une vie "humaine", conforme à ce qu'on attend de l'homme, donc, à ce
qui vous rend digne de l'humanité.
Si nous posons que la fonction de l’homme consiste dans un certain genre de vie,
c’est-à-dire dans une activité de l’âme et dans des actions accompagnées de
raison ; si la fonction d’un homme vertueux est d’accomplir cette tâche, et de
l’accomplir bien et avec succès, chaque chose au surplus étant bien accomplie
quand elle l’est selon l’excellence (excellence = vertu) qui lui est propre ; -dans ces
conditions, c’est donc que le bien de l’homme consiste dans une activité de l’âme
en accord avec la vertu, et, au cas de pluralité de vertus, en accord avec la plus
excellente et la plus parfaite d’entre elles.
On trouve donc aux côtés du concept-clef de bonheur, une autre notion centrale,
celle de vertu. La vertu est une sorte d’équivalent de la notion de devoir, en tant
qu’elle comporte une norme d’action, mais elle s’en distingue en ce qu’elle n’est
pas entendue strictement comme un commandement, et cela, parce qu’elle
correspond à la nature humaine, qu’elle contribue à réaliser. C'est faire le bien, au
sens de réaliser ce qui est conforme à la nature humaine, digne de l'humanité.
Bien agir, ici, c’est être un homme épanoui, c’est mener une vie dans laquelle
toutes les fonctions de l’homme parviennent à leur réalisation/ perfection.
Le bonheur est chez les Anciens réalisation de soi, non au sens où on se réalise
individuellement, selon nos goûts et nos désirs propres, mais au sens où on se
conforme à l'idéal humain.
Vie bonne = bonheur = détermination morale du bonheur
Et cela implique bien sûr de suivre certaines règles… Cf. questions permanentes
dans tous les écrits des philosophes antiques : que faut-il faire pour être un
homme accompli ? Vaut-il mieux développer sa raison, ou se laisser aller à ses
passions ? Mais, malgré l’existence de ces "règles " (la vertu est une règle qui vous
dit comment il faut se comporter en toutes circonstances, cf. Ethique à
Nicomaque d'Aristote…), l’idéal moral n’est pas vécu comme contraignant mais
comme attractif.
On voit donc à quel point la morale kantienne, dite "morale du devoir ", et la morale
antique, dite "morale du bonheur ", diffèrent : chez Kant, l’idéal moral est vécu
comme contraignant et comme étant irréductible au bonheur : le désir de bonheur
doit chez lui passer après le respect du devoir moral. Chercher son bonheur ou le
bonheur en général, même celui des autres (!) n’a rien à voir avec la moralité, qu’il
peut au contraire fortement menacer. Ici, la vie morale se confond avec la
recherche du bonheur, et ne s'entend pas du tout en termes de devoir.
Cf. fait que dans recherche de vie bonne, du bonheur, nous évaluons nos désirs et
nos préférences, et que pour cela, nous nous référons bien à un point de repère
supérieur. Ceux-ci ne restent plus dès lors purement subjectifs mais conformes à
ce qui est bien pour un homme (pour tout le monde !).
Il est encore possible d'insister sur le fait que l'action bonne kantienne est
seulement formelle : elle ne se soucie pas du contenu de l'action. Elle est faite
seulement par souci d'obéir à la loi morale. Mais alors, cela signifie que seule
l'intention d'agir moralement compte vraiment. Par conséquent : Kant ne se soucie
pas des conséquences de son action. Cf. p. 128 (op. cit.) : "ce qu'il y a (dans
l'action) d'essentiellement bon consiste dans l'intention, quelles que soient les
conséquences".
N'est-ce pas contestable ? N'est-ce pas à terme risquer d'adopter une attitude qui,
il faut bien le dire, contredit notre "conscience morale" (si tant est que nous en
avons une) ?
Par exemple, imaginons que des terroristes vous demandent où est caché votre
ami, et que vous le savez. Kant dira que vous devez toujours (sans prendre en
considération les circonstances) agir conformément à la loi morale : donc, il n'y a
pas hésiter : vous ne devez pas mentir, et vous devez donc livrer votre ami ! Cf.
D'un prétendu droit de mentir par humanité.
On peut encore prendre l'exemple suivant, bien actuel : un ami cher ou un membre
de votre famille est atteint d'un grave cancer. Doit-on absolument lui dire la vérité ?
On serait tenté de répondre "oui", mais il arrive parfois que certaines personnes
soient trop faibles pour supporter une telle vérité, et en meurent trop rapidement...
Par respect ou plutôt par souci de l'autre, il faut parfois savoir mentir...
1- Pour Kant, il va de soi que l'on ne doit jamais faire de fausse promesse
Pensez-vous que ce devoir peut entrer en contradiction avec les autres formules
de Kant?
Les différentes formulations du devoir :
(1)"Agis comme si la maxime de ton action pouvait être érigée par ta volonté en
loi universelle de la nature"
Loi : un principe objectif (ayant une portée universelle comme les lois de la nature)
d'après lequel un sujet doit agir
Pour agir moralement, il faut se demander si une règle d'action qu'on se donne
peut devenir la règle de tout homme placé dans la même situation. Si oui, c'est
qu'on est en présence de la loi morale. Dans le cas contraire, c'est qu'on veut faire
une exception pour soi (les lois de la nature ne souffrent pas d'exception).
(2) "Agis de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que
dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et
jamais simplement comme un moyen".
La loi morale est une fin en soi. L'être porteur de cette loi ne peut donc se
subordonner à qui que ce soit qui lui soit extérieur. Il est donc lui aussi une fin en
soi. Par conséquent, se demander si on traite un être porteur de la loi morale
comme une fin en soi, c'est un moyen de repérer qu'on agit vis-à-vis de cet être
selon la loi morale.
(3) "Agis de telle sorte que tu puisses toujours te considérer en même temps
comme législateur et comme sujet dans le règne des fins".
Règne des fins : sorte de royaume idéal que constituent les hommes en tant qu'ils
se considèrent et considèrent chacun des autres comme une fin en soi
Nous pouvons considérer que nous sommes en présence de la loi morale quand
nous sommes à la fois les sujets (en tant qu'êtres sensibles) et les auteurs (en
tant qu'êtres raisonnables). Obéir à une loi qui est nôtre, c'est l'autonomie.
Cherchez des situations dans lesquelles cela vous paraît impossible de respecter
cet impératif.
Chacun comprend combien il est louable pour un prince d'être fidèle à sa parole et
d'agir toujours franchement et sans artifices. De notre temps, néanmoins, nous
avons vu de grandes choses exécutées par des princes qui faisaient peu de cas de
cette fidélité et qui savaient en imposer aux hommes par la ruse. Nous avons vu ces
princes l'emporter enfin sur ceux qui prenaient la loyauté pour base de toute leur
conduite.
(…) Au surplus, dans les actions des hommes (…), ce que l'on considère, c'est le
résultat. Que le prince songe donc uniquement à conserver sa vie et son Etat : s'il y
réussit, tous les moyens qu'il aura pris seront jugés honorables et loués par tout le
monde. Le vulgaire est toujours séduit par l'apparence et par l'événement : et le
vulgaire ne fait-il pas le monde?
De notre temps, nous avons vu un prince qui jamais ne prêcha que paix et bonne foi,
mais qui s'il avait toujours respecté l'une et l'autre, n'aurait pas sans doute conservé
ses Etats et sa réputation"
Pourquoi l'auteur dit-il que l'homme politique n'a pas intérêt à respecter cet
impératif ? Cf. surtout premier argument.
Est-ce seulement une affaire d'intérêt ? N'y aurait-il pas un but plus louable, qui
imposerait au prince de ne pas toujours respecter la parole donnée? -Cherchez le
deuxième argument.
NB : Demandez-vous, pour répondre à ces questions, quelle est la différence entre
la morale et la politique : quel est leur objet ? Pourquoi est-il dangereux de
respecter, par respect pour la loi morale, la morale, quand nous passons dans le
domaine de la politique?
2) Corrigé
1- Réponse de Kant. :
2- Problèmes
a) Un ami à vous est poursuivi par des assassins et se réfugie chez vous. Que
faites-vous s'ils vous demandent si vous avez vu votre ami ?
Problème : on lui répondra qu'ici, il faut choisir : vous allez en l'occurence préférer
mentir à des gens qui violent l'humanité plutôt que trahir votre ami qui lui ne veut
du mal à personne. Sinon, vous ne le respectez pas, et vous le traitez comme un
moyen seulement, dont la vie ne vaut pas grand-chose. Bref : vous aurez un
meurtre sur les bras... Bref : on peut objecter à Kant que dire la vérité n'est un
devoir qu'envers ceux qui ont droit à la vérité ; si les meurtriers y ont le droit aussi,
alors, cela revient à justifier la force, à justifier la violation du droit.
Votre ami a un cancer généralisé ; les médecins disent qu'il ne pourra sans doute
pas vivre longtemps. Que faites-vous ? Allez-vous lui dire la vérité, sans tenir
compte de sa capacité à la recevoir, par pur respect de la loi morale, supposée ne
tolérer aucune exception ? Ou mentir afin de ne pas l'affaiblir et ne pas
transformer sa souffrance en agonie ? Il peut donc y avoir conflit entre le respect
de la loi et le respect dû aux personnes. En fait, si Kant ne l'a pas vu, c'est parce
qu'il avait une conception trop abstraite de l'humanité (censée être commune à
toutes les personnes). Il y a en fait une pluralité de personnes. Et en conséquence,
il faut inventer les comportements justes appropriés à la singularité des cas (ici,
exception à loi morale, en faveur de l'autre, par respect pour lui).
Parfois, le mensonge est au service d'une intention morale : il est ainsi excusable
et nécessaire. Pour sauver une vie humaine, il est légitime : il permet alors de
conserver une valeur précieuse. Il faut savoir sacrifier des principes quand des
fins essentielles sont en jeu.
a) part du constat de ce que sont les hommes, non de ce qu'ils doivent être : les
hommes sont méchants (et aussi, naïfs...). Il ne faut pas attendre qu'ils nous
trompent pour les tromper. Et faire toujours le bien dans un monde de méchants,
c'est dangereux, pas "réaliste" du moins.
5- Politique et morale.
a) morale : se règle sur ce qui doit être (même si les hommes ne sont pas bons,
même s'il n'y a jamais eu sur terre aucun homme bon, il faut être bon). Elle ne se
soucie pas de ce qui est, elle vise un idéal, et ce qui est important, c'est seulement
l'intention d'agir par pur respect pour la loi morale (tu ne tueras point, etc.)
b) politique : si ici on se règle sur ce qui doit être et non sur ce qui est (i.e. : nature
humaine et circonstances changeantes), c'est grave. En effet hommes ne sont
pas tous bons, donc, si politique refuse de contredire la loi morale, il ne pourra
mener à bien sa tâche, qui est de veiller à la sécurité et la liberté des citoyens.
Exemples : refuser par principe d'attenter à la vie d'autrui, de traiter l'autre comme
un moyen, c'est mener à la perte de votre nation, à la mort de milliers de gens, si
quelqu'un vous attaque. Ou encore : en des circonstances exceptionnelles, ne pas
mentir vous mène à perdre le pouvoir et peut-être à empêcher la réalisation d'une
fin qui peut être louable.
Conclusion : la difficulté reste qu'il y a des abus possibles, et que la raison d'Etat
peut servir à justifier tous les abus et atteintes aux droits individuels/de l'homme.
Cf. aujourd'hui le tribunal pénal international : cherche justement à repérer tous
ces abus ; l'usage systématique de la torture par Pinochet (sous prétexte de
Raison d'Etat), etc.
Bibliographie
Aristote, Ethique à Nicomaque
Hume, Enquête sur les principes de la morale ; Traité de la nature humaine, III, iii
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