Poème de BAUDELAIRE."Le Cadre"

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Pistes de l’explication linéaire : BAUDELAIRE, “le cadre”.

Introduction : la question du sujet en peinture au XIXs rompt avec l’esthétique traditionnelle et


semble vouloir imposer de nouvelles thématiques ; cette interrogation se retrouve en Littérature. Le
coup de génie de BAUDELAIRE est de s’emparer de cette question et de l’étendre à la question plus
générale de la représentation : en quoi le cadre permet-il de faire ressortir la singularité du sujet
représenté. Le poème ”le cadre” interroge le détournement du Beau en jouant sur un sujet
d’inspiration issu de la catégorie du Laid. Le poème se décompose en trois temps : les six premiers
vers mettent en place les accessoires indispensables à la représentation du sujet ; les 4 vers suivants
insistent sur la réception du sujet, ainsi placé dans ce cadre, entouré de ces accessoires ; les 5
derniers vers créent le retournement, en jouant avec l’effet de surprise. Nous sommes en droit de
nous demander : en quoi ce poème, mise en situation d’un sujet moderne, joue-t-il avec les libertés
du sonnet ? Dans un premier nous nous interrogerons sur le pouvoir de suggestion de la mise en
scène ; nous évoquerons ensuite les effets de réception ; enfin dans un dernier temps nous nous
amuserons, tels BAUDELAIRE, sur le pouvoir libérateur de l’image.

Premier mouvement :

Le cadre d’évocation, introduit par une comparative, disposé sur les six premiers vers, laisse le
lecteur rêveur : le poète joue avec le lecteur. L'enchâssement des propositions crée un effet
d’attente : la comparative, amorcée au vers 1 ne trouve sa résolution qu’au vers 4 ; entretemps,
BAUDELAIRE dispose des propositions concessives, une indépendante et une participiale pour
révéler syntaxiquement le prodige qui va se produire à l’intérieur du cadre. Le lexique mélioratif
employé d’entrée de jeu , l’adjectif “beau” qualifiant “cadre” , l’intensif + participe passé adjectivé
“très vanté” affecté pinceau installe un dispositif pour le moins enchanteur; mais ceci ne saurait
durer ; en effet les deux vers suivants créent un choc auditif par leur rapprochement sur le même
vers : le sublime à l’oeuvre , introduit par la forme verbale négative “je ne sais quoi” interroge la
particularité du sujet représenté ; sont associés les adjectifs ”étrange “ et ”enchanté” , non
seulement grâce au coordonnant mais aussi grâce à l’assonance dominante : cette réunion crée un
effet inattendu : en soi c’est la visée du nouveau sujet qui est ici défini. BAUDELAIRE, grâce à ce seul
vers, définit le sujet de sa poésie, le mélange de l’étrange et de l’enchanté. Ceci ressemble
étrangement à un habillage habile d’Art poétique. Plus étrange encore, si l’on suit les pensées de
notre poète, ce serait davantage ce qui entoure le sujet que le sujet lui-même qui serait à l’origine
de cette surprise ! De quelle manière : “en l’isolant de l’immense nature » : tout est dit sur la
méthode de création du poète qui prélève à l’intérieur de la nature ce qui lui servira de matériau
poétique. Nous ne pouvons que rattacher la dernière assonance en [an] des deux précédentes : la
nouvelle matière poétique sera l’objet d’un traitement autre que celle habituellement employée ;
aussi est-il nécessaire de l’isoler. Mais comment peut-on l’évaluer ? Le poète nous fournit un indice,
dans le second mouvement de la comparative “ainsi bijoux, meubles, métaux, dorure/s’adaptaient
juste à sa rare beauté : sur le mode des correspondances, tous les éléments qui peuvent constituer
le cadre, qui peuvent servir à mettre en lumière, à délimiter le sujet, se répondent ; le lien qui
semble unir ces différents termes est celui de l’éclat, du choc visuel qui celui produit par leur réunion
sur ce même vers. Ce que suggère le verbe duquel ils dépendent tous, qui grâce à la souplesse de
l’imparfait, introduit le nouveau rapport au monde, tel imaginé par Baudelaire, où tous les éléments
se répondent les uns aux autres, dans un seul but, célébrer ce nouveau rapport au monde, à la
beauté.
Deuxième mouvement :

Les accessoires de la représentation visent à produire un seul effet : célébrer la beauté. Dès lors
comment cette dernière est-elle reçue ? l’harmonie semble être de mise : les deux derniers vers du
second quatrain , dans un rythme familier et souple , restitue les conditions d’accueil de cette
beauté ; à souligner la force de l’esprit positif qui règne sur ces deux vers , Baudelaire , par un jeu
grammatical , joue avec la double négation sur le vers 7 pour mieux faire résonner cet esprit positif ,
le coordonnant « et » célèbre les noces du sujet , des accessoires et du cadre : tout semble disposé à
se conformer à ce nouvel usage dans la manière de représenter le Réel. L’adjectif « parfait »
appliqué à la qualification du terme « clarté » traduit bien la tentative du poète à vouloir saisir au
plus près le sujet de la représentation et à le transposer dans le monde de l’Art / de la Littérature.
Les deux verbes, conjugués à l’imparfait « ne s’offusquait » et « semblait », dans leur aspect duratif,
témoignent de ce nouvel état de fait : un nouvel âge est né, tout semble être au service des
nouveaux maîtres.

Mais Baudelaire est prudent : le subjonctif plus-que-parfait vient très rapidement atténuer notre
enthousiasme, renforcé par l’adverbe « parfois » qui ouvre sur la première complétive régie par le
verbe d’opinion « croyait », qui modalise le jugement à travers la seconde qui le suit. La surenchère
de verbes de déclaration et d’opinion, le double système de complétive, tout est à l’œuvre pour
briser le rêve du spectateur ou du lecteur. Baudelaire joue avec notre innocence. Le verbe « aimer »
est comme un dernier cri, comme s’il était nécessaire d’avoir l’accord du spectateur/lecteur pour
exister, comme s’il importait qu’il nous aimât !

Troisième mouvement :

La chute est pour bientôt ! ne soyons pas pressés ! Baudelaire s’amuse du pouvoir d’évocation de la
langue et de sa capacité à produire des effets, à suggérer des phantasmes. Ici il s’agit de poser un
cadre propice à la rêverie  ;pour ce faire il convoque un matériau qui est celui de la sensualité : il
joue avec le rapprochement des termes , l’image du baiser est poétiquement provocatrice « elle
noyait sa nudité dans les baisers du satin et du linge » , ce rapprochement du corps et des étoffes ,
permis par cet interminable enjambement, est un appel à la transgression de la morale qui a cours
en poésie , par ailleurs le satin et le linge renvoient à un univers qui n’est pas nécessairement celui
de la rigueur bourgeoise , davantage celui de la demi-mondaine, et puis ,las ! parler de linge ,
d’étoffe , de nudité de manière aussi crue , comment peut-il se le permettre ! ce n’est pas de la
poésie , Monsieur ! comment osez-vous pénétrer à l’intérieur de nos chambres , devenues chez vous
des alcôves ! la lourdeur de l’adverbe « voluptueusement » , s’il était nécessaire , fait sentir et
éprouver tout ce qui relève de l’univers intime de la chambre. Nous nous faisons voyeurs d’une
scène intime ! et celle que nous épions semble y prendre du plaisir ! pour preuve tout exprime l’air
alangui dans ce verbe « noyait » qui ouvre la description.

Le coup de grâce est porté par les deux derniers vers : le poète semble mimer l’acte physique à
travers l’apposition « lente ou brusque » ainsi qu’à travers le groupe prépositionnel « à chaque
mouvement » : soit ! mais le poète triomphe de la scène , de la rêverie sensuelle de son lecteur (il le
surprend en plein acte de voyeurisme) lorsqu’il dévoile « la grâce enfantine du singe «  de son
personnage féminin.la double expansion du nom renvoie à ce goût de l’ « étrange » et de
l »enchanté » qui semble ravir le poète et le lecteur, pour preuve : ce dernier est resté attentif
jusqu’à la lecture du dernier vers , l’oxymore « étrange/enchanté » traduit le sujet du tableau , ce
que contenait ce cadre(le sonnet) , apriori si innocent.
Conclusion :

Baudelaire joue dans ce sonnet avec le lecteur, il lui donne une belle leçon de modernité : il semble
vouloir s’entretenir avec lui de technique picturale(poétique), il n’en est rien ; l’effet produit dépasse
toute attente : le lecteur peut être choqué. Que peut-on y faire ? C’est cela la suggestion en Arts et
Littérature.

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