Rei 4317
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Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/rei/4317
DOI : 10.4000/rei.4317
ISSN : 1773-0198
Éditeur
De Boeck Supérieur
Édition imprimée
Date de publication : 15 décembre 2010
Pagination : 127-154
ISSN : 0154-3229
Référence électronique
Michel Ferrary, « Compétitivité de la firme et management stratégique des ressources humaines »,
Revue d'économie industrielle [En ligne], 132 | 4e trimestre 2010, document 7, mis en ligne le 15
décembre 2012, consulté le 02 juin 2022. URL : http://journals.openedition.org/rei/4317 ; DOI : https://
doi.org/10.4000/rei.4317
COMPÉTITIVITÉ DE LA FIRME
ET MANAGEMENT STRATÉGIQUE
DES RESSOURCES HUMAINES
Michel FERRARY
Université de Genève et Skema
L
a contribution de la gestion des ressources humaines à la compétitivité
de l’entreprise est une problématique de recherche explorée de manière
récurrente dans le champ des sciences économiques et du management
stratégique (Besseyre des Horts, 1988 ; Baron et Kreps, 1999 ; Becker et
Gerhart, 1996 ; Boselie et Paauwe, 2005 ; Dyer et Reeves, 1995, Guerin et
Wils, 2002 ; Le Boulaire et Retour, 2008). La mobilisation de la théorie des
ressources (Penrose, 1959 ; Wernerfelt, 1984 ; Barney, 1991) par des théori-
ciens du management stratégique des ressources humaines (Collins et Clark,
2003 ; Lado et Wilson 1994 ; Wright et McMahan, 1992 ; Wright et al., 2001)
ont montré que des ressources humaines créant de la valeur tout en étant insub-
stituables, rares et inimitables pouvaient contribuer à l’avantage concurrentiel
de la firme.
(1) La qualification est appréhendée par le niveau de capital humain accumulé par le salarié
dans le cadre de la formation initiale ou de la formation continue (Gambier et Vernières,
1985 ; Gazier, 1992) et qui est généralement sanctionné par le statut professionnel du sala-
rié : ouvrier ou employé, agent de maîtrise et cadre.
Cette chronique se fonde sur l’analyse des quarante plus grandes entreprises
privées françaises (Axa, Renault, France Télécom,…) du CAC40. Les données
des bilans annuels, notamment les comptes de résultats consolidés relatifs à
l’année 2006 et publiés en 2007 sont utilisés pour définir la typologie des
entreprises en fonction des caractéristiques de leur structure en capital humain
et ensuite, pour analyser les dynamiques d’ajustement des ressources
humaines. Les données sociales (effectifs, contrats de travail, travail temporai-
re, formation,…) publiées par les entreprises dans leurs bilans sociaux depuis
1977 et récemment reprises dans les bilans annuels dans le cadre de la loi
« Nouvelles régulations économiques » du 15 mai 2001 et de son décret d’ap-
plication du 20 février 2002, sont utilisées pour affiner l’analyse. Cependant,
ces données sociales ne sont pas toujours publiées de manière systématique
par toutes les entreprises et, lorsqu’elles le sont, pas nécessairement de nature
identique d’une entreprise à l’autre. Aussi, l’accent sera mis sur quatre entre-
prises en particulier (Carrefour, Sodexo, L’Oréal et la Société Générale) pour
illustrer la typologie ici proposée.
Dans une première partie est explicitée la typologie définissant quatre caté-
gories d’entreprises à partir de l’articulation entre, d’une part, le niveau de
qualification des ressources humaines induite par les formes de compétitivité
et, d’autre part, la nature de l’intensité de la combinaison de ressources pro-
ductives. Dans une seconde partie est exposé en quoi les quatre catégories
d’entreprises correspondent à des contraintes et des enjeux RH différents qui
conduisent à quatre modèles distincts de management stratégique des RH.
D’un point de vue méthodologique, le salaire d’un individu peut être consi-
déré comme révélateur de son niveau de qualification. Cela est cohérent avec
la théorie du capital humain de Becker (1962) selon laquelle les différences de
rémunération entre les travailleurs s’expliquent par les différences de niveaux
de qualification. Plus un salarié est qualifié, mieux il est rémunéré. De même,
Mincer (1974) a montré une corrélation positive entre la formation d’un indi-
vidu et son revenu. Cette hypothèse qui lie le niveau de qualification des tra-
vailleurs et leur rémunération a été validée empiriquement par de nombreux
travaux (Lazear, 1998 ; Cahuc et Zylberberg, 2001 ; Cereq, 2008). Dans cette
perspective, le niveau moyen de rémunération dans l’entreprise révèle le
niveau moyen de qualification de ses salariés. D’un point de vue méthodolo-
gique, le salaire moyen constitue une mesure de la contribution stratégique des
ressources humaines à la compétitivité de la firme.
(2) Le salaire moyen est calculé en divisant les charges du personnel de l’entreprise (définies
dans le compte de résultat consolidé et qui comprennent les salaires versés, les charges
sociales, la participation, l’intéressement et les stock-options) par le nombre de salariés.
(3) Le capital technique est un agrégat regroupant le capital fixe et le capital circulant.
Importance stratégique
des ressources humaines
Coût Qualité
2. Les entreprises intenses en travail qui se caractérisent par une forte intensi-
té en capital humain (la part de la masse salariale dans les coûts opérationnels
est supérieure à la moyenne) et l’emploi de salariés en moyenne faiblement
qualifiés (la rémunération brute annuelle moyenne est inférieure à
51 074 euros). Dans cette catégorie, se trouve des entreprises comme Accor,
Sodexo, ou Véolia Environnement dont la compétitivité est principalement liée
à la faiblesse de leurs coûts et qui investissent peu en R&D (5). Elles mobili-
sent une importante main-d’œuvre peu qualifiée dont elles utilisent essentiel-
lement les capacités physiques.
(5) En 2007, les investissements en R&D représentent 0,3 % du chiffre d’affaires d’Accor,
0 % de celui de Sodexo et 0,3 % de celui de Véolia Environnement.
(6) En 2007, la R&D représente 3,3 % du chiffre d’affaires de L’Oréal, 2 % de celui de
Vivendi 2 %.
(7) En 2007, la R&D représentait 16,3 % du chiffre d’affaires de Sanofi et 18,7 % de celui
d’Alcatel.
P = L x P/L
ΔL/L
eL = ——————
ΔP/P
ΔPe/Pe
ePe = ——————
ΔP/P
Facteur de compétitivité
Compétitivité-coût Compétitivité-qualité
Industrie intense
Industrie intense
en capital technique
Faible en technologies
GRH optimisatrice
GRH protectrice
Carrefour, Danone,
Total, Axa, L’Oréal
Peugeot
Intensité
en capital humain
Industrie intense
Industrie intense
en connaissances
Forte en travail
GRH innovatrice
GRH flexibilisatrice
Cap Gemini, Publicis,
Sodexho, Accor, Véolia
Société Générale
1. Compétitivité-coût et GRH
Une entreprise optimise sa compétitivité-coût dès lors que ses clients sont
prioritairement sensibles à l’importance du prix lors de leur prise de décision
d’achat. Dans cette perspective, l’objectif stratégique est de proposer des prix
plus faibles que ceux des entreprises concurrentes. Cela est rendu possible par
des coûts de conception, de production et de commercialisation inférieurs aux
autres entreprises du secteur. Dans une recherche de compétitivité-coût qui
confère un avantage concurrentiel par les prix, les ressources humaines sont
principalement appréhendées comme un coût. Dans ce cas, il est stratégique
pour l’entreprise de flexibiliser et de réduire les coûts que représentent les res-
sources humaines pour améliorer la structure des coûts de production (Schuler
et Jackson, 1987 ; Samuelson, 1998). À court terme, la GRH vise à flexibiliser
les coûts salariaux en fonction des variations de l’activité. Dans une perspec-
tive de compétitivité-coût, la flexibilité externe des ressources humaines
constitue le principal mécanisme d’ajustement de court terme aux change-
ments conjoncturels. L’efficience de la flexibilité externe des ressources
humaines suppose un faible niveau de qualification des salariés employés par
l’entreprise qui lui permet une acquisition aisée sur le marché du travail. Cette
forme de flexibilité suppose également un faible investissement en formation
de la part des employeurs (Youndt et al., 1996).
Dans les entreprises intenses en travail, les ressources humaines sont perçues
comme un coût qu’il convient de réduire structurellement en recherchant les
coûts salariaux les plus faibles et conjoncturellement en assurant un ajuste-
ment optimal des charges salariales aux fluctuations de l’activité productive
pour préserver la compétitivité-coût de l’entreprise. Ainsi, pour une entreprise
comme Sodexo dont les coûts opérationnels s’élèvent à 10,9 milliards d’euros
(dont 5,2 milliards d’euros de masse salariale), une baisse de 20 % de la masse
salariale (soit 1,1 milliard d’euros) permet de réduire les coûts opérationnels
d’environ 10 %. Les entreprises intenses en travail qui se caractérisent par des
charges salariales importantes et l’emploi de salariés faiblement qualifiés peu-
vent privilégier la flexibilité externe des ressources humaines pour ajuster leurs
coûts salariaux afin de préserver la compétitivité-coût de la firme. L’efficience
de la flexibilité externe des ressources humaines comme modalité d’ajuste-
ment à court terme des coûts salariaux dépend de la substituabilité des indivi-
dus. En matière de RH, l’intérêt est d’avoir un processus de production le plus
déqualifié possible afin d’assurer une totale interchangeabilité des individus
sur le poste de travail.
Dans une logique d’optimisation des coûts salariaux à court terme, ces entre-
prises n’ont pas de réserve de productivité des salariés (qui signifierait qu’elles
rémunèrent des salariés qui individuellement ne seraient pas proches de leur
niveau optimal de productivité). Aussi, en phase de croissance, l’ajustement se
fait plus par l’emploi que par la productivité moyenne du travail. Ceci explique
la forte élasticité de l’emploi et la faible élasticité de la productivité du travail
aux évolutions de l’activité dans ce type d’entreprise.
2. Compétitivité-qualité et GRH
L’importance stratégique des ressources humaines est induite par les techno-
logies spécifiques de l’outil de production. Du fait de leur importance straté-
gique, ces salariés reçoivent des niveaux de rémunération plus élevés que la
moyenne. Ces rémunérations plus élevées rémunèrent une productivité et un
niveau de qualification plus élevés et constituent un frein à la mobilité exter-
(9) Il convient de noter que les bilans annuels 2007 de Cap Gemini et de Publicis ne donnent
aucune information sur le pourcentage de cadres, les investissements en formation, le
nombre de salariés en CDD et d’intérimaires ; bien que cela soit prévu par la loi. Ceci
illustre le point évoqué en introduction sur l’absence de publication systématique par les
entreprises de leurs données sociales.
CONCLUSION
Enfin, les conclusions portent sur l’analyse d’un échantillon particulier d’en-
treprises, à savoir des grandes entreprises privées françaises. Cela pose néces-
sairement la question, et donc corolairement ouvre des pistes de recherche,
concernant la validité des conclusions pour d’autres types d’entreprises
(publiques et PME) françaises et étrangères.
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