Dynamique Des Relations Interpersonnelles en Santé Mentale: Travail de Bachelor
Dynamique Des Relations Interpersonnelles en Santé Mentale: Travail de Bachelor
Dynamique Des Relations Interpersonnelles en Santé Mentale: Travail de Bachelor
Travail de Bachelor
«Ce travail de Bachelor a été réalisé dans le cadre d’une formation en soins infirmiers à la
Haute Ecole de santé - Genève en vue de l’obtention du titre de Bachelor of Science HES-SO
en soins infirmiers. L’utilisation des conclusions et recommandations formulées dans le
travail de Bachelor, sans préjuger de leur valeur, n’engage ni la responsabilité des auteurs, ni
celle du directeur du travail de Bachelor, du juré et de la HEDS.
Nous attestons avoir réalisé seuls/seules le présent travail sans avoir plagié ou utilisé des
sources autres que celles citées dans la bibliographie».
II
Un grand remerciement
À notre directrice de travail de Bachelor Françoise Maillard Struby, pour son aide
précieuse.
Aux différents infirmiers, qui ont accepté de partager leurs expériences afin de
contribuer à l’évolution de la science infirmière.
Aux patients, qui nous offrent la possibilité de partager leurs expériences.
À toutes les personnes qui nous ont soutenues et encouragées tout au long de cette année.
III
Résumé
Notre travail s’inscrit dans le cadre de l’obtention du diplôme de Bachelor en soins infirmiers.
Deux études de cas sont présentées, concernant des personnes qui vivent des difficultés
prenant forment dans la dynamique de leurs relations interpersonnelles et sociales. Des
modèles théoriques infirmiers (King, Travelbee, Peplau, Watson) centrés sur la relation sont
présentés en référence à la connaissance infirmière spécifique ainsi que l’art de la pratique
congruente avec ces modèles conceptuels théoriques.
Mots-clefs
Interpersonal relationship; nursing science (King, Peplau, Travelbee, Watson); case study
attitude; anorexia; borderline personality; vulnerability.
IV
Table des Matières
1.
Introduction..................................................................................................................................1
1.1
Nos
motivations.................................................................................................................................. 1
1.1.1
Motivations
de
chacun
des
auteurs .......................................................................................................2
1.1.2
Motivation
Charlotte ....................................................................................................................................2
1.1.3
Motivation
Etienne........................................................................................................................................4
1.1.3
Lectures..............................................................................................................................................................5
1.2
Référentiel
de
compétences........................................................................................................... 5
1.3
Cadre
de
modalité.............................................................................................................................. 6
1.4
Objectifs
d’apprentissage................................................................................................................ 6
1.5
Évolution
de
notre
questionnement ........................................................................................... 7
2.
Problématique .............................................................................................................................9
2.1
Hypothèses........................................................................................................................................... 9
2.2
Buts
et
objectifs .................................................................................................................................. 9
2.4
Les
limites
de
notre
travail........................................................................................................... 10
5. Recommandations ................................................................................................................... 86
6. Conclusion .................................................................................................................................. 89
6.
Bibliographie............................................................................................................................. 90
V
7.
Annexes ....................................................................................................................................... 96
VI
1. Introduction
Lors de notre formation en Bachelor of Sciences Hes-so en Soins Infirmiers nous avons tous
deux rapidement été interpellés par la dimension humaine des soins. Au fur et à mesure de
nos échanges s’est dessinée une vision de la posture soignante dans laquelle nous
souhaiterions nous investir dans notre pratique future du métier d’infirmier.
Par la dimension humaine des soins, nous entendons par définition tout ce qui constitue
l’humain; ses mécanismes, ses forces, ses vulnérabilités, sa capacité à interagir avec son
environnement, à le juger, l’exploiter, l’utiliser, l’améliorer; sa capacité à s’interroger sur sa
propre existence et à œuvrer pour le bien-être de sa personne. Ceci rejoint les quatre concepts
clés du métaparadigme de Fawcett (2005): être humain, santé, environnement et soin.
Ainsi, selon nous, une des manières de mener à bien cette perspective passe par la nécessité
de se questionner sur la dynamique de la relation soignante. Ces interrogations ont été
intensifiées par nos différentes expériences de stage dans le contexte du travail en équipe
interprofessionnelle et interdisciplinaire.
1
1.1.1 Motivations de chacun des auteurs
Le choix de mes études a été largement influencé par ma fascination de l’être humain
et par la valeur que j’attache à la possibilité de comprendre une autre personne. C’est cela qui
quelques années plus tard, m’a amené à m’intéresser au contact qu’un soignant peut avoir
avec une personne souffrant d’une maladie mentale et à chercher les comportements qui
soutiennent le développement d’une relation de confiance et de croissance pour les deux
personnes.
Je pense que ce mémoire est né de la tristesse que j’ai éprouvée en entrant dans le
monde de la santé, lorsque j’observais les relations humaines. Pour moi, ce monde était un
monde de relations, nous étions là pour aider l’autre et le bien-être de celui-ci était la priorité
absolue. J’ai malheureusement été choquée de voir à quel point la communication et les
connexions n’étaient pas le point fort de ce milieu. J’assistais à un paradoxe à mon avis
central: dans un milieu où l’être humain est dans une situation de grande vulnérabilité, les
soignants optent souvent pour un comportement froid et distant. Je ressentais un sentiment de
violence et de maltraitance psychique. J’étais impuissante et révoltée. Je voulais comprendre
ce qui pouvait amener un soignant à adopter ce comportement. Cela se passait comme si la
vision de la vulnérabilité d’autrui faisait écho en eux et les renvoyaient à quelque chose
d’insupportable. Alors je me suis posé la question de savoir ce qui pouvait bien être aussi
insupportable pour que plusieurs personnes adoptent le même comportement distant.
Évidemment, il y a les situations diverses que vivent les patients qui peuvent être difficiles à
affronter. Mais au fond, qu’est-ce qui se cache derrière les apparences de ces situations? Pour
moi, la réponse est simple, la vulnérabilité de ces personnes est si visible, qu’elle renvoie les
soignants à leur propre vulnérabilité. La vraie question est: qu’est-ce qui nous pose problème
dans le fait de voir ou de montrer notre vulnérabilité? La peur, la honte, la culpabilité, le
manque de confiance en soi?
Ayant vécu une expérience personnelle m’ayant amené à côtoyer le monde de la santé, je ne
connaissais pas sur quoi était basé le rôle infirmier, par contre, je vivais une expérience en
tant que patiente. Alors que je me sentais vulnérable, je désirais simplement que quelqu’un
soit là, et qu’il m’écoute «avec son cœur, et non pas avec sa tête». Cela explique pourquoi ce
fut si difficile pour moi d’observer certains soignants adopter une attitude distante avec des
personnes vivant des difficultés. Pour moi, soigner était un art qui demandait de nombreuses
connaissances, mais avant tout la capacité d’être authentique et à l’écoute de ce que vit la
2
personne. À mon sens, cette difficulté qu’on les soignants à se montrer vulnérables, à se
laisser voir, est un obstacle à la connexion avec autrui, à la relation.
Dans le contexte d’un stage en salle de réveil de gynécologie obstétrique (Annexe, I),
j’ai été particulièrement marquée par une situation. Une patiente venait d’accoucher d’un petit
garçon prématuré qui se trouvait en néonatologie pour recevoir des soins aigus. Cette maman
m’apparaissait perdue, démunie. Par ailleurs, j’avais eu connaissance par l’équipe que
Madame souffrait de schizophrénie et était dépendante de nombreuses substances, même si
selon elle, elle avait arrêté l’héroïne pour mener à bien sa grossesse désirée. Au cours d’une
discussion informelle, elle parlait en intériorité, lorsqu’elle leva les yeux pour me regarder:
«J’ai peur de faire faux, tout à l’heure je lui ai mis ses petits chaussons à l’envers et j’ai senti
le regard des soignants autour de moi, je ne suis pas capable de m’en occuper, je ne sais pas
comment faire». Au cours de la journée, j’avais entendu quelques remarques négatives vis-à-
vis de cette patiente, quelques mots lancés en l’air: «violente, psy, toxico, manipulatrice,
etc.». Un soir, j’entendis une anesthésiste parler de cette patiente en disant que «les psy» sont
dangereux et manipulateurs. Je me suis alors interrogée sur ces préjugés. Je voyais une
femme, maman d’un bébé prématuré qu’elle visitait dans l’unité des soins intensifs. Elle
suivait divers traitements liés à sa dépendance aux substances, mais surtout, elle était là parce
qu’elle venait de donner naissance à un bébé prématuré. La priorité était pour moi de lui offrir
des moments de relations significatifs pour elle, avec l’espoir que cette maman puisse
développer sa confiance à s’occuper de son bébé. Or, le bien-être psychique de la mère en lien
avec son enfant semblait être de peu d’importance pour quelques soignants, pour qui les
apparences avaient pris le dessus sur l’idée du soin à une personne en souffrance, vivant des
circonstances inattendues.
À travers cette expérience, j’ai remarqué que les propos de différents membres de
l’équipe interprofessionnelle rejoignaient des commentaires stéréotypés concernant les
personnes qui vivent des maladies psychiatriques, révélant probablement des représentations
fondées sur la peur de la différence et une stigmatisation automatique représentée par une
pseudo curiosité sans intention de bienveillance. J’ai pris conscience que ces attitudes de
jugement créaient une barrière entre les soignants et le patient, et qu’elles participaient à
l’isolement et à la détresse de ce dernier, plutôt qu’à une évolution favorable de sa personne.
Cet épisode a été l’un des moteurs qui m’ont donné l’envie de rechercher des manières
d’éviter les formes de maltraitances et de développer des relations aidantes, notamment dans
le domaine de la psychiatrie.
3
1.1.3 Motivation Etienne
J’ai effectué mon stage de pédiatrie dans l’unité des bébés, prenant en soins
principalement des nouveau-nés âgés de 2 mois à 2 ans présentant des problématiques de
médecine interne. Cette unité est géographiquement voisine de l’Unité de Développement,
unité dédiée à l’accueil des bébés nés dans des contextes sociaux compliqués, souvent pour
une prise en charge tant somatique, relevant de problématiques de sevrage aux toxiques
(enfant de mères souffrant de toxicomanie), que psychologiques et relationnelles.
Cette unité comportant un nombre limité de lits, il arrive que certains patients soient confiés à
l’unité des bébés, ce qui fût le cas lors de mon stage.
J’ai donc eu l’occasion d’observer l’équipe de mon unité prenant en soins une jeune maman
de 16 ans ainsi que son bébé, pour une « observation de la relation mère/enfant.
Durant les deux semaines de cette prise en soins, plusieurs faits que j’ai pu observer ou
entendre lors des transmissions infirmières m’ont amené à me poser un certain nombre de
questions:
• Comment peut-on objectivement juger de la bonne ou mauvaise manière d’entrer en
relation avec son enfant?
• Les soignants se basent-ils sur des «standards» de relation, des protocoles, leurs
propres expériences, leur propre vison de la relation, leur considération de la cellule
familiale, une conception idéale et personnelle de ce que doit être une «bonne mère»?
• Se basent-ils sur leurs propres expériences, leurs propres représentations, sont-ils
conscients de l’influence de leur histoire personnelle?
• Finalement, en ce concentrant de manière exclusive sur leur observation d’un schéma,
ont-ils encore à l’esprit qu’il s’agit de relations purement humaines, et non de simples
relations de sujets à sujets? Qu’au-delà du jugement qu’ils portent sur la personne
concernée, l’une de leurs missions est d’entrer en relation avec elle afin non pas de
simplement la juger, mais de considérer ses compétences d’être humain et de maman
en devenir.
Si ces questions me sont venues à l’esprit c’est avant tout parce que j’avais le
sentiment que la position que m’offrait mon statut d’étudiant me permettait de prendre un
certain recul, me fiant non seulement à mes acquis théoriques enseignés à l’école, mais
également à la vision que je me faisais à ce moment-là du rôle et du positionnement de
l’infirmier en tant qu’être humain à proprement parlé.
Ce qui m’a principalement posé problème dans ce cas est le fait que j’avais l’impression que
l’équipe était focalisée sur le fait qu’elle était trop jeune pour être maman, qu’elle n’avait
aucune perspective d’avenir et qu’elle n’était pas apte à être maman. À titre d’exemple, sous
4
prétexte que la patiente s’absentait quelquefois le soir pour rejoindre ses amis, et qu’elle
allaitait son enfant, une des infirmières a réussi à faire une toxicologie dans les urines du
bébé, émettant l’hypothèse qu’elle consommait des toxiques en dehors de l’hôpital. Cette
analyse d’urine a été présentée à la maman comme étant un test de routine et à aucun moment
elle n’a été mise au courant des soupçons encourus.
1.1.3 Lectures
Toutes ces lectures nous ont orientés vers plusieurs modèles conceptuels et théories de
science infirmière s’articulant autour de la dynamique des relations interpersonnelles et
offrant une méthodologie de pratique congruente avec les concepts théoriques annoncés, et
ayant inspirés des recherches dans le domaine de la science infirmière. Aussi, une partie de ce
travail sera vue sous l’angle de l’école de l’interaction, et plus particulièrement au travers du
modèle système conceptuel de King (1971-1997) et de sa théorie de l’atteinte des buts (1971).
Une seconde partie de ce travail abordera les modèles théoriques préparadigmatiques de
Peplau (1952-1992), Travelbee (1978) ainsi que le modèle du Caring de Watson (1979-1988-
2008) plus particulièrement les valeurs en lien avec les processus caritatifs (Watson, 2008).
5
• Promouvoir la santé et accompagner la clientèle dans son processus de gestion de la
santé (compétence 3)
• Contribuer à la recherche en soins et santé (compétence 5)
• Exercer sa profession de manière responsable et autonome (compétence 9)
• Évaluer ses prestations professionnelles (compétence 4)
• Participer aux démarches qualité (compétence 8)
Ces compétences sont illustrées dans le contexte de la Santé Mentale et Psychiatrie.
Dans le cadre de la modalité, ce travail s’appuie sur de nombreux écrits. Proche d’une revue
de la littérature, il prend forme dans un projet de groupe (deux étudiants en Soins Infirmiers)
qui souhaite répondre à un questionnement de recherche en incluant une phase empirique.
Le projet de groupe, accompagné d’une professeure, s’articule autour de deux études de cas.
Ce travail (HES, 2007) intègre les deux visées d’un travail de recherche en formation, soit:
une visée de formation personnelle théorique ainsi qu’une visée de formation personnelle
d’ordre méthodologique.
Ce travail de bachelor a pour but de développer un sujet en lien avec nos intérêts particuliers,
et d’orienter notre future pratique professionnelle.
Les objectifs d’apprentissage font référence à l’article 12 des «Directives de filière du
Bachelor of Science HES-SO en soins infirmiers» du 8 septembre 2006:
En regard de ces compétences, nous avons mené ce travail avec un cadre de référence
spécifique à chacun, tout en conservant notre questionnement commun et en nous inscrivant
tous deux dans le paradigme de la totalité (Parse,1997, 2011). Nous souhaitons enraciner
notre pratique dans le métaparadigme (Fawcett, 2005) et les concepts de: être humain - santé -
6
environnement - soin, particulièrement selon la perspective de King (1971-1997) Peplau
(1952-1992), Travelbee (1978) et Watson (1988).
Notre objectif commun est de fortifier notre future pratique, en s’interrogeant sur la posture
infirmière. Au fil de notre questionnement nous avons valorisé le lien théorie, pratique,
recherche interprofessionnelle et interdisciplinaire et élaboré une étude de cas à partir de notre
expérience en pratique lors de nos stages.
Au fil de ce travail, nous souhaitons développer nos connaissances et nourrir nos compétences
en pratique de manière à être au cœur de ce qui fait sens pour nous, la dynamique de relation-
personne-groupe-infirmière. Nous sommes intéressés par l’atteinte des buts de la personne et
nous essayons de comprendre quelles sont les conditions favorisant une relation de confiance
propice à la croissance ou au maintien de l’état de santé de la personne.
7
À force de parler des représentations et de nos propres représentations, nous nous sommes
aperçus que ce qui nous passionnait était la qualité de la relation avec les personnes en
situation de soin. Nous avons passé beaucoup de temps à discuter, échanger, analyser nos
expériences et notre ressenti, et peut-être que le fait de pouvoir dire et redire ce que nous ne
voulions pas être ou faire, nous à finalement ouvert la porte pour aller vers ce que nous
voulions être, c’est-à-dire être en relation avec autrui. Nous avons constaté que si notre
formation contenait des connaissances et des théories variées et riches dans les domaines des
sciences biomédicales et humaines, l’enseignement en science infirmière était restreint en ce
qui concernait le la congruence des liens théorie - recherche - pratique et l’évolution dans la
discipline. Aussi, désirant fortifier notre posture, nous avons privilégié dans ce travail la
découverte du lien ontologique – épistémologique – méthodologique (Doucet & Maillard,
2011.)
Ce travail est en quelque sorte le prolongement de notre recherche, sur ce que c’est
que d’être en relation, comment être en relation, comment créer un lien de confiance et
comment ne pas entraver ce lien. Pour cela, nous voulons essayer de montrer les
connaissances avec lesquelles les infirmiers et les infirmières peuvent nourrir leurs
expériences pour pouvoir avoir une compréhension globale et complète de la personne
soignée. À travers plusieurs auteurs, nous voulons mettre des nuances dans les notions de soin
et montrer la diversité et la richesse des théories de soins en science infirmière.
Nous avons tous deux fait notre dernier stage en psychiatrie, ce qui a influencé nos choix
concernant l’étude de cas. Tout en restant ciblé sur la relation, l’un d’entre nous s’est intéressé
à la personne ayant une personnalité borderline, ainsi qu’aux notions d’enfermement, et de
rétablissement, tandis que l’autre a développé autour de la maladie de l’anorexie en se
centrant sur les relations interpersonnelles. Nous avons donc décidé de nous intéresser à
l’expérience de la maladie mentale au sein de deux institutions psychiatriques et non pas dans
des services de soins généraux.
Nous aimerions préciser que nous sommes dans une démarche d’apprentissage, nous
cherchons à connaître et à comprendre les expériences de santé des personnes en nous
appuyant surtout sur des théories et recherches infirmières ainsi que sur des connaissances en
psychologie humaniste, en sociologie et en philosophie. Nous ne souhaitons en aucun cas
faire passer le message qu’il n’y a qu’une seule manière d’être ou de faire. Nous interprétons
plusieurs réalités, à la recherche d’un sens pour notre future pratique.
8
2. Problématique
2.1 Hypothèses
À l’inverse, certaines attitudes peuvent être un frein, la cause d’une non-entrée en matière,
voir mettre un terme prématurément à une relation.
C’est en renforçant notre potentiel à développer des attitudes aidantes que l’on renforce ou
sollicite le potentiel de la personne aidée. C’est en étant ce que nous sommes et ce que nous
sentons de façon limpide que l’autre arrivera peut-être à être ce qu’il est.
L’éclairage théorique, associé à notre propre expérience, peut élargir les choix pour une
posture infirmière satisfaisante.
Le but de ce travail de Bachelor of science/soins infirmiers est d’élargir nos connaissances sur
les théories et les recherches en science infirmière qui traitent le sujet de la relation afin de
donner un sens à nos expériences vécues antérieurement, ainsi qu’à notre future pratique
infirmière.
Nous voulons discuter les théories et les concepts qui gravitent autour du thème des relations
interpersonnelles. En étudiant nos expériences de stage à la lumière des théories infirmières et
9
des recherches, nous espérons trouver des outils qui nous aident à mettre en place une posture
soignante qui nous permette d’entrer dans une relation d’aide qui soit favorable à la santé
mentale du patient, mais aussi à la nôtre, et qui nous permette d’éviter le piège des contres
attitudes.
Finalement, l’objectif de ce travail est probablement de montrer l’importance de se
questionner, mais aussi de développer notre curiosité en allant à la recherche d’informations,
tout au long de notre parcours, pour ajuster notre comportement aux diverses situations.
Au début de la réalisation de notre travail, nous avions très peu de connaissances sur les
théories en science infirmière. Étant donné qu’une grande partie du travail réalisé par les
théoriciennes touche à la relation d’aide, nous nous sommes plongés dans ces nombreuses
lectures. Il n’a pas été facile par la suite de réduire et de cibler le sujet, au sein même de la
relation d’aide.
Certains livres et de nombreux articles sont en anglais, ce qui rend parfois difficile la
compréhension des concepts abstraits. De plus, certaines théoriciennes ont développé leur
propre vocabulaire pour décrire de nouveaux concepts. Nous avons pu comprendre le sens de
certains mots grâce aux explications de notre directrice de mémoire ou simplement en
persévérant dans la lecture et dans la compréhension de leurs idées.
Nous avons aussi fait des recherches sur nos thèmes de départ, mais il y a avait très peu
d’articles précisément liés à ce que nous voulions. De plus, nous trouvons très peu de
recherches faites sur des études de cas dans la littérature, ce qui rend la compréhension de la
perception du patient de sa propre maladie ou des soins difficiles d’accès. Aussi, lorsque nous
trouvions un article de recherche susceptible de nous intéresser, souvent il n’était pas
accessible, ou alors il fallait faire plusieurs démarches pour le commander.
Nous avons chacun effectué un seul stage en psychiatrie, notre expérience de la relation
d’aide dans ce domaine est courte et il n’a pas été facile à la fois de se faire confiance sur ce
qui nous semblait juste dans notre pratique, mais aussi de pouvoir avoir un esprit critique sur
celle-ci.
Enfin, les relations humaines sont complexes, la relation d’aide l’est tout autant, le sujet est
vaste et cela demande de trouver ce que l’on veut réellement dire sur le sujet de la relation.
Pour finir, assembler et relier toutes les parties de notre travail pour former une ligne
directrice compréhensible a été un exercice difficile.
10
3. Le cadre de référence
3.1 Introduction
Le cadre de référence s’appuie sur des concepts, mots clés, issus de la problématique, et de
nos hypothèses de recherche ainsi que sur de nombreux ouvrages publiés en sciences
humaines, en science de la santé, en sciences exactes et en science infirmière.
Mots-clefs:
Relations interpersonnelles; science infirmière (King, Peplau, Travelbee, Watson); étude de
cas; attitude; anorexie; personnalité borderline; vulnérabilité; perception; interaction;
enfermement psychique; nursing psychiatrique; souffrance psychique.
En utilisant CINAHL et MEDLINE, nous avons fait une recension des écrits en lien avec
notre thématique. En utilisant les mots en anglais «vulnerability; interpersonal relationship;
psychiatric nursing», nous avons obtenu 1 résultat: «A vulnerability-stress framework for
evaluating clinical intervention in Schizophrenia» (O’Connor, 1994). En mettant seulement
les mots «vulnerability; interpersonal relationship», nous obtenons 555 résultats. Si nous
rajoutons «mental health», nous obtenons 79 résultats. Nous constatons qu’il y a de
nombreuses recherches dans les autres disciplines et très peu en science infirmière. Dans ces
79 résultats, il y a une recherche qui utilise le modèle conceptuel de King et Peplau (2007).
En utilisant les mots «vulnerability; interpersonal relationship; anorexia», nous n’avons aucun
résultat. En tapant uniquement «vulnerability; anorexia», nous avons 222 résultats. Si nous
rajoutons «relationship», nous avons 31 résultats. Par contre si l’on ajoute «interpersonal
relationship», nous n’avons aucun résultat.
En mettant les mots «anorexia; vulnerability; Peplau and King», nous n’avons aucun résultat.
En enlevant Peplau et en laissant «King » nous avons 9 résultats. Mais ce ne sont pas des
recherches en lien avec Imogène King. Si nous remplaçons «King» par «King, I», nous
obtenons 1 résultat. Par contre avec les mots «anorexia; vulnerability; Peplau», nous n’avons
aucun résultat.
11
3.2.2 Recension des articles en référence à une étude de cas
En utilisant CINAHL et MEDLINE, nous avons prolongé notre recherche, en ciblant sur les
études de cas.
Nous avons commencé par taper les mots «case study; mental health; relationship», nous
avons 1992 résultats. Avec «case study; mental health; interpersonal relationship», il y a 114
résultats. Si l’on remplace «interpersonal relationship» par «vulnerability», nous obtenons 0
résultats. Avec «case study; nursing psychiatric; interpsonal relationship», nous avons 0
résultats. En laissant seulement «case study; nursing psychiatric», nous avons 3 résultats. En
tapant «case study; mental health; nurse-patient», nous avons 39 résultats. Avec «case study;
psychiatric; nurse-patient», nous obtenons 49 résultats.
Ensuite si nous écrivons «case study; psychiatric; King», nous avons 55 résultats, mais si nous
remplaçons «King» par «King, I», nous avons 1 résultat.
Avec «case study; psychiatric; Peplau», nous obtenons 2 résultats. Un article de 1994 en lien
avec les personnes âgées et un autre article de 1997, en lien avec les personnes qui souffrent
de sérieuses maladies mentales. En tapant «case study; psychiatric nursing; stigmatization»
nous avons 16 résultats.
En essayant avec les mots «case study; psychiatric nursing; anorexia», nous avons 1 résultat.
C’est une recherche sur les droits des patients et les dilemmes éthiques, notamment pour les
personnes qui ont des rhumatismes. Si l’on tape «case study; psychiatric nursing; borderline
personality», nous avons 5 résultats. Si l’on change le dernier mot pour «borderline», nous
obtenons 6 résultats. Si l’on remplace le dernier mot par «borderline et anorexia», nous avons
0 résultats. En utilisant les mots «case study; pychiatric nursing; attitude», nous avons 23
résultats. Une de ces études est en lien avec les élèves et la stigmatisation.
En laissant uniquement «case study; attitude», nous avons 13'646 résultats. En mettant «case
study; attitude; anorexia», nous avons 24 résultats. Dans ces résultats, de nombreuses études
sont liées aux soins à travers d’autres cultures, et l’une est en lien avec le déni.
À travers ces recherches, nous pouvons constater qu’il existe peu de recherches liées
directement au vécu des patients et de leur ressenti vis-à-vis des infirmières.
12
3.3.1 Perspective en science infirmière
Pour alimenter et valoriser la pratique en lien avec les deux études de cas, nous avons choisi
différents modèles conceptuels comme la théorie de l’atteinte des buts de King (1971-1997),
la théorie des relations interpersonnelles de Travelbee (1978), ainsi que la théorie de Peplau
(1952-1992) et Watson (1988).
Le système conceptuel de King (1971-1997) ainsi que sa théorie de l’atteinte des buts se
situent dans le paradigme de la totalité (Parse, 1997-2011), et sont considérés comme étant une
théorie à large spectre.
King (1971) décrit sa théorie comme dérivant de son cadre conceptuel. Pour elle,
[sa] théorie se focalise sur le processus d’interaction entre le patient et l’infirmier, conduisant
à l’interaction et ensuite à l’atteinte des buts. Cette atteinte des buts est destinée à aider les
patients à atteindre un état de santé dans lequel ils peuvent fonctionner à nouveau dans leurs
rôles habituels (traduction libre, p. 86).
King, au travers de l’analyse de la dynamique des Soins Infirmers, nous invite à «… considérer les
relations interpersonnelles ainsi que la perception de ces idées fondamentales dans un cadre de
référence pour les soins infirmiers».
Au travers de son cadre conceptuel, l’auteur attache une attention toute particulière au
processus interactif entre l’infirmier et la personne, et à la capacité de l’infirmier à clarifier
ses valeurs et à utiliser sa propre personne de façon thérapeutique, en s’engageant dans le soin
comme étant une action humaine et non mécanique et en laissant place à l’intuition ainsi qu’à
la subjectivité. Dans ce contexte, considérant que l’homme et son environnement sont au
centre du cadre conceptuel pour les soins infirmiers, elle propose de redéfinir sa vision de
l’être humain, sous trois grands axes.
13
composite de l'esprit et du corps réagit comme un organisme total et ses expériences sont
considérés comme un flux d'événements temporel» (traduction libre, p. 88).
14
propres obstacles, de réagir aux différentes situations et d’être à même d’élaborer une
planification réaliste pour l’avenir.
Cette recherche du savoir du patient, considérant que ce dernier est à la fois, «un être de
réactions, un être temporel orienté et un être social» (traduction libre, p. 88), nous emmène
tout naturellement à la théorie de l’atteinte des buts proposée par l’auteur.
Trois phases sont développées par Imogène King au travers de sa théorie de l’atteinte
des buts. Le processus qu’elle met en avant se résume au travers de trois étapes: la perception
propre à chaque partie et conduisant à une réaction, l’interaction et la transaction. Ce système
se base au départ sur des perceptions et des jugements propres à l’infirmier et au patient quant
à la situation ou la problématique de santé dont il est question, pour ensuite fusionner au
travers du processus d’interaction et enfin mener à l’étape transactionnelle.
Pour mieux représenter ce processus, King propose un schéma résumant ces principales
phases:
Feedback
Perception
Infirmier Jugement
Action
Action
Patient Perception
Jugement
Feedback
(traduction libre, p.92)
Afin de comprendre comment s’opèrent la perception et les actions qui en découlent, il est
nécessaire de s’interroger sur la subjectivité des ressentis et des actes.
Puisqu'une des fonctions d'une infirmière est d’aider l'individu à identifier ses besoins et
d’établir des buts réalistes afin de répondre à ses besoins, l'infirmière est responsable
d'utiliser des méthodes permettant de gagner des informations sur la perception d'un
15
individu de la situation. Au travers de la communication, l’infirmière observe et
enregistre ce que le patient dit et ressent d’une situation particulière.… Généralement,
l'infirmière et le patient réagissent à ce que chacun dit ou fait en plus de ce qu'ils
pensent que l'autre perçoit. Les valeurs, les attitudes et les croyances des infirmières et
des patients influencent leur évaluation de la situation. En d’autres termes, la perception
influence son évaluation d'une situation et l’évaluation influence la perception. Pour que
les infirmières interprètent les actions et les réactions des autres, il est essentiel qu'elles
reconnaissent les éléments dans le milieu perceptif qui motivent ou entrave la
réalisation des objectifs. Quelles sont les préoccupations des patients? Comment
définissent-ils la situation? Quels sont les faits subjectifs existants pour eux dans cette
situation? Comprenons-nous l'espace de vie du patient, la personne, et l'environnement
psychologique qui existent pour lui? Quelles sont les préoccupations privées des
infirmiers, des médecins, et autres personnes concernées? Comment définissent-ils la
situation ici et maintenant? Quels sont les faits subjectifs et objectifs et sont-ils liés aux
patients? Dans quelle mesure leurs faits subjectifs sont-ils en accord ou en opposition
avec les faits subjectifs du patient, et cherchent-ils à les comprendre et à les aider?
(traduction libre, pp. 94-95).
16
Pour elle, «La perception de l'infirmière des besoins fondamentaux du patient, grâce à
l'observation et à la communication ciblée, détermine souvent la relation établie entre
l'infirmière et le patient» (traduction libre, pp. 96-97).
S’agissant de l’interaction entre l’infirmière et le patient, la communication est naturellement
au cœur du concept.
La communication est un échange de pensées et d'opinions entre les individus et cette
communication verbale est efficace quand elle satisfait les désirs de base de
reconnaissance, de participation et de réalisation de soi au travers de contacts personnels
directs entre les personnes. La communication est le moyen par lequel l'interaction
sociale et l'apprentissage auront lieu. Pour une personne incapable de parler avec
aisance, clarté et assurance, et qui est incapable d’écouter en comprenant et en
assimilant, il peut en résulter une difficulté d’adaptation sociale. Pour être efficace, la
communication doit s’inscrire dans une atmosphère de respect mutuel, et de désir de
compréhension.... Chaque profession a développé son propre langage et suppose que
l’auditeur – par exemple un patient – comprend le sens des mots. Pour les
professionnels de santé devant communiquer des informations de santé, il est essentiel
qu'ils utilisent un langage qui a un sens pour le public et qui peut être compris dans son
cadre de référence. Si les infirmières sont concernées par les soins centrés sur le patient
et continuent à explorer les aspects psychosociaux des soins, une approche structurée de
communication orale et écrite pouvant être comprise par les patients est suggérée.
L'infirmier apparait comme l'élément constant entre l'environnement immédiat du
patient et exerce un certain contrôle sur le processus décisionnel relatif au plan de soins.
Ceci demande une prise de conscience de l'infirmier des facteurs de la situation pouvant
favoriser ou entraver l'efficacité des soins.
Par conséquent, la perception de l'infirmier, du patient, du médecin, et des autres
professionnels, sont des éléments essentiels dans une situation de soins infirmiers.
Les perceptions sélectives à la fois de l'infirmier et du patient, aboutissant à des actions,
des réactions et des interactions sont influencées par les variables de la situation.
Certaines de ces variables sont les besoins, les buts, les attentes, les ressources internes
et externes, et les valeurs de la classe sociale des individus en interaction.
Par conséquent une certaine compréhension des différents systèmes sociaux au sein
desquelles grandissent et se développent les individus apparait essentielle, si l'objectif
de parvenir à un état de santé possible ou approprié pour les personnes ou les groupes
doit être atteint (traduction libre, pp.101-102 -127).
17
D’un point de vue systémique, les systèmes sociaux dans lesquels grandissent les personnes
ont toute leur importance à compter de la famille, qui pour King (1971) représente la première
institution sociale. C’est cette dernière qui initie le processus de socialisation et c’est au sein
d’elle-même que la communication et les modes d’interaction sociale se développent.
Ainsi, au même titre que l’enfant se tournera vers un membre de la famille plutôt qu’un autre,
ou à l’ensemble de sa cellule familiale, pour répondre par exemple à un besoin de base
concernant la vie quotidienne, il en sera de même qu’au cours d’une relation d’aide. Un
processus d’interactivité se produira et pourra être élargi à d’autres interlocuteurs selon la
situation, et ce dans la famille comme dans l’équipe pluridisciplinaire.
Ainsi,
La communication verbale et non verbale est un facteur essentiel dans l'établissement
d'une relation interpersonnelle. Initialement, la relation peut être dyadique. Comme les
besoins du client sont évolués, plusieurs individus peuvent entrer dans la relation,
comme le médecin, la famille, des personnes professionnelles et non professionnelles.
Ainsi, un groupe hétérogène, appelé groupe de santé, remplit des fonctions distinctes de
chaque groupe. Des fonctions similaires, comme l'éducation à la santé, peuvent se
chevaucher (traduction libre, pp. 127-128).
18
Afin d’appuyer le fait que la science demeure en constante élaboration et que l’ensemble des
connaissances constitue une base fondamentale de l’avancée de cette dernière, King démontre
une fois de plus, au cours d’une discussion regroupant plusieurs théoriciennes en science
infirmière, que les théories et définitions ne doivent pas rester figées. Elle déclare ainsi,
Je pense que je vais changer un mot dans ma définition de la santé d’il y a dix-huit ans.
Parce que j'ai le mot État dans celle-ci, et c'est assez statique. Donc, je dirais que la
santé est un cycle de vie dynamique. Et plusieurs d'entre les philosophes et les
théologiens dont j'ai passé en revue la littérature m'en ont récemment donné un aperçu.
Vous pouvez difficilement conceptualiser l'être humain. Je suis retourné à mon livre de
1971, et figurez-vous que j'ai dans mon schéma sur la santé, l'homme comme concept
primordial, global? Je suis tellement heureuse d'avoir eu confirmation de tout cela dans
la revue de la littérature récente. J'ai décrit mon concept de la santé, et les
caractéristiques de la santé. Une caractéristique pour moi décrit la nature de quelque
chose. Et les caractéristiques sont que la santé est génétique, elle est perceptive, c'est
subjectif, c'est culturel, c'est relatif, elle est fonctionnelle, la santé est dynamique et elle
est influencée par des situations environnementales (traduction libre. p. 33).
Le travail de Peplau (1952) a été considéré comme une figure dans l’histoire de la
science infirmière et bien que définie comme pré-paradigmatique, il est classifié comme
«middle-range theory» (Parker & Smith, 2010) et annoncé par Fawcett (2005) comme la
théorie des relations interpersonnelles (traduction libre, p. 528) et analysé en référence aux
assises philosophiques, à son inspiration du modèle conceptuel de Sullivan (p. 531) et au
concept multidimensionnel de la relation infirmière-patient (p. 532). Peplau présente sa
théorie organisée en référence aux différentes phases des relations interpersonnelles entre un
patient et une infirmière qui ensemble tentent de résoudre des problèmes de santé.
Tout en considérant les sciences biomédicales comme nécessaires et complémentaires, Peplau
a voulu valoriser le rôle infirmier en mettant l’accent sur l’interaction entre le patient et
l’infirmière qu’elle définit comme une interaction de personne à personne.
De manière générale, elle voit la relation entre une personne malade et l’infirmière comme un
continuum, sur lequel deux personnes étrangères et différentes apprennent à se connaître et à
travailler ensemble pour un but commun. Il ne s’agit pas de voir la relation comme une ligne
droite sur laquelle les personnes se déplacent d’un point A à un point B, mais plutôt comme
un processus dynamique, complexe et en perpétuel mouvement. Ceci pourrait se rapprocher
de certains des facteurs caratifs de Watson (1988) qui pourtant, s’inscrivent dans une autre
perspective infirmière, celle du Caring. Il est vrai que Watson est centrée sur le prendre soin,
et décrit des facteurs caratifs (1988) renommés processus cliniques caritatifs (2008) ainsi que
les valeurs clefs sur lesquelles reposent sa théorie, l’empathie, la congruence et l’authenticité
(Watson, 1988) ainsi que les assomptions au sujet de la relation transpersonnelle de caring
(Fawcett, 2005, p. 556) et l’art de la relation transpersonnelle de caring (p. 561).
Peplau (1952-1992) nous dit:
La démarche de soins est éducative et thérapeutique lorsque l’infirmière et le patient en
arrivent à se connaître et à se respecter mutuellement en tant que personnes semblables,
bien que différentes, et en tant que personnes partageant la résolution de problèmes
(Peplau, 1988, p. 9).
Dans ce processus, les représentations du patient ont un impact sur la relation avec
l’infirmière et inversement. C’est pourquoi, il importe que l’infirmière soit consciente de la
20
manière dont son comportement affecte le patient, mais aussi de ce qui l’affecte venant du
patient. Ainsi, elle pourra commencer à différencier ce qui est aidant et ce qui ne l’est pas
dans le processus de relation.
21
Si l’on regarde la maladie mentale sous l’angle des addictions, Goodman (Annexe, III) a
défini des critères qui aident les professionnels de la santé à émettre un diagnostic qui selon
Travelbee correspond à un jugement de valeur, même si la personne est un professionnel
compétent, puisque ce que l’on considère normal ou anormal est relatif, impermanent, et varie
selon les normes des sociétés, les cultures et les époques. Mais sans dénigrer l’utilité de poser
un diagnostic, elle nous invite à le considérer avec prudence et humilité et surtout à ne pas se
laisser obnubiler par cette étiquette. Selon Travelbee, si l’on suivait la théorie de la norme,
«tous ceux qui ne s’y conforment pas seraient, à des degrés divers, des malades mentaux»
(p. 14). Nous pouvons donc supposer qu’à l’inverse tous ceux qui s’y conforment seraient
«normaux». Ne croyant pas à cette théorie, Travelbee nous suggère donc de relativiser,
d’apprécier les différences humaines et de préserver un esprit critique, tout en étant attentifs à
nos jugements de valeur.
22
Dans son livre, Travelbee nous donne la définition suivante de la relation d’aide:
La relation d’aide est un but à atteindre. Elle consiste en une série d’interactions
planifiées et réfléchies entre deux personnes, l’infirmière et le malade. Elle constitue, en
outre, une série d’expériences d’apprentissages pendant lesquelles les deux participants
développent des capacités interpersonnelles de plus en plus grandes (Travelbee, 1978,
p. 47).
Dans le deuxième postulat de la relation d’aide, Travelbee nous dit:
Une relation existe lorsque chaque participant perçoit l’autre comme une personne
humaine…. En effet, ce type de relation n’est possible que lorsque l’on va au-delà des
rôles respectifs du malade et de l’infirmière et que chacun d’eux se perçoit comme un
être humain possédant son authenticité propre (p. 46).
Elle perçoit la relation comme un processus qui provoque des changements psychologiques
chez les deux personnes et qui a pour but de rendre la personne malade «de plus en plus
capable d’affronter la réalité et de découvrir des solutions avantageuses à ses problèmes»
(p. 47). Dans cette rencontre, l’infirmière apprend à se connaître elle-même, à modifier son
comportement, à développer ses connaissances et à trouver de nouveaux outils (Annexe, IV)
pour mieux aider le patient à progresser dans ses relations sociales.
Dans le processus de la relation d’aide, le patient doit être considéré non pas comme
un objet, mais comme un sujet qui entre en relation avec un autre sujet, le soignant. Pour
aiguiser son observation, l’infirmière utilise ses connaissances théoriques qu’elle cherche
toujours à adapter à la personne soignée en lui demandant de confirmer la justesse de ses
observations.
Mais ce processus engage l’infirmière en tant que personne, car selon l’auteur:
Il demande une bonne connaissance de soi, de l’humilité, le courage de reconnaître et de
contrôler ses propres sentiments ainsi que sa motivation. Il serait évidemment beaucoup
plus facile d’ignorer ou de nier ses propres émotions et de se centrer uniquement sur le
comportement du malade; on ne doit pas s’abstraire d’une telle relation, d’autant moins
que la neutralité soi-disant objective est chose impossible (p. 19).
C’est une association entre de bonnes connaissances théoriques et des capteurs ouverts et
sensibles afin de pouvoir observer et interpréter les besoins du patient, respecter son rythme,
parler ou agir au moment opportun, ceci dans un rôle de «conseillère» qui est propre à la
psychiatrie (p. 23).
23
L’observation est la première étape pour mener à bien la suite de la relation, car elle
permet de connaître le patient en tant qu’être humain unique et «irréductible» (p. 24), et dans
un deuxième temps de planifier la suite des soins. Pour Travelbee, observer le vécu dans le
processus d’une relation interpersonnelle, c’est tout d’abord réunir les données sensorielles
brutes, puis porter son attention sur leur contenu. Nos sens nous permettent de capter des
milliards d’informations, que nous transformons ensuite selon nos propres perceptions, et
nous formons ainsi notre interprétation d’une réalité. C’est pourquoi, avant d’interpréter une
donnée, l’infirmière doit décrire «ce qu’elle a réellement vu et entendu» (p. 25). Car ce sont
ces informations qui nous serviront à identifier les besoins et les problèmes de la personne
malade. Les besoins du patient doivent être en première ligne dans nos préoccupations,
cependant ils se placent souvent après la recherche des signes et des symptômes de la
maladie. L’auteur ajoute la précision suivante:
L’infirmière praticienne ne fait pas qu’observer les signes de la maladie: elle observe un
être humain malade qui peut éprouver ou non les symptômes d’une maladie donnée et
tente de lui faire exprimer, si la chose est possible, ce qu’il vit, ce qu’il ressent, ce qu’il
éprouve.… Il y a un danger de fragmentation de l’être humain quand on se concentre
exclusivement sur les problèmes de soins, sur les comportements psychologiques, sur
les signes et les symptômes de la maladie: celui de ne pas saisir l’humain de façon
expérientielle et de ne pas tenir compte de son entité totale (pp.24-26).
L’expérience vécue est un autre aspect important de l’observation, car elle «précède
l’interprétation et l’analyse de ce qui est vécu» (p. 26). C’est le moment où l’on peut être avec
l’autre dans le moment présent, car «le vécu comporte une sorte de plénitude, une
immédiateté, une intimité, et une perception de l’autre personne vraie, qui n’est pas
exactement la même personne que celle dont on a scruté et catégorisé le comportement»
(p. 26). Dans la relation, l’art de la pratique consiste à interagir de personne à personne, à
égalité, afin que l’autre puisse manifester sa personnalité avec authenticité, c’est à dire sous
un angle différent de ce que l’on connaît déjà de lui, puisque l’être humain est par essence
impermanent. Il y a donc à la fois un travail de recueil de données, et un travail ou plutôt une
expérience d’écoute de ce que peut révéler l’autre dans toute sa singularité.
Dès notre naissance, nous développons nos sens afin d’interpréter les données pour
pouvoir les organiser, les étiqueter, ou les classifier. Les données abstraites sont plus difficiles
à percevoir, et à comprendre puisqu’elles ne sont pas visibles. D’après Travelbee,
«l’interprétation consiste à expliquer les données brutes et à tenter de les insérer dans un
24
ensemble significatif» (p. 29), en restant centré sur la réalité du moment présent. L’hypothèse
peut être vérifiée soit par le patient lui-même, soit par un autre membre de l’équipe, ce qui
augmentera les chances d’une interprétation juste. L’infirmière doit avoir une bonne
connaissance de soi afin d’éviter l’utilisation du mécanisme de la projection. Pour cela, elle
peut noter ce qu’elle vit, pense et ressent, afin d’être au clair sur ce qui lui appartient et de
faire la différence avec ce qui appartient au patient. Enfin, l’humilité est une qualité presque
indispensable à toute interprétation efficace, elle nous permet d’avoir conscience de ce que
l’on doit encore apprendre et nous aide à réaliser que les jugements que l’on porte sur les
autres peuvent être inexacts, car personne ne peut parvenir à la vérité absolue.
25
Pour Travelbee, «la relation d’aide est un but à atteindre; elle est l’aboutissement
d’une série d’interactions planifiées et conformes à des objectifs fixés entre une infirmière et
un malade» (p. 111).
26
Cette phase se termine quand les deux acteurs de la relation se perçoivent comme des êtres
humains singuliers ayant une authenticité propre. Au début, il est recommandé que
l’infirmière ait une vision globale du patient et de son environnement et si possible, qu’elle ne
porte pas de jugements hâtifs sur sa personne. Il est essentiel d’essayer de percevoir le patient
tel qu’il est, car ceci représente la première étape du processus de la relation d’aide, à travers
laquelle l’infirmière pourra relever les données brutes et les interpréter, grâce à l’observation.
Aussi, Travelbee insiste sur la notion de choix, en relevant l’importance de laisser le choix au
patient en ce qui concerne son expérience de santé, à commencer par la participation à la
relation suggérée par l’infirmière. Elle relève tout de même l’idée que dans certaines
situations, c’est une obligation morale de prendre une décision pour le patient (suicide,
autoagressivité, apathie, etc).
Simultanément, le patient se fait lui aussi une idée de l’infirmière en réunissant ses propres
données. C’est pourquoi chaque interaction est «un processus de réciprocité, continu et
circulaire» (p. 119).
27
L’auteur décrit ce que représente pour elle une relation authentique. Ainsi, elle nous dit qu’à
travers une telle relation, la personne malade peut vivre une série d’interactions significatives
avec une personne sensible, à l’écoute, qui ne la juge pas, qui n’a pas peur de lui manifester sa
sympathie, et qui n’attend rien en retour. Pour cela, les deux personnes doivent être capables
de passer au-delà des apparences sociales, au-delà de la position et du rôle de chacun. D’où
l’importance pour l’infirmière de percevoir la relation de personne à personne et non pas
d’infirmière à malade.
De plus, il importe qu’elle se considère comme une personne humaine, sous-entendue,
imparfaite et susceptible de commettre des erreurs. Dans ce contexte, il est particulièrement
intéressant qu’elle soit capable de reconnaître ses erreurs et d’aller s’excuser auprès du
patient, car elle lui montre ainsi que l’on a le droit de se tromper, que ce qui compte c’est
l’humilité de le dire, car c’est cela qui nous permet de maintenir de bonnes relations.
Admettre ses erreurs est une liberté que l’on se doit de s’offrir par souci d’honnêteté, mais
aussi pour soulager la pression qui peut s’accumuler lorsque l’on veut bien faire. Ne pas
pouvoir le faire peut nous amener à toujours reporter la faute sur les autres et à travailler sur la
défensive.
Finalement, au cours de cette phase, l’essentiel est que le patient puisse vivre une expérience
«d’acceptation inconditionnelle» (p. 126) de la part de quelqu’un qui ne s’attend pas à
recevoir quelque chose en échange de l’attention qu’on lui a apportée. Ces éléments sont très
importants pour la croissance personnelle du patient, car si le soignant l’accepte sans exiger
quelque chose en retour, cela signifie qu’il l’accepte uniquement pour ce qu’il est, ce qui
probablement renforce la confiance et l’estime qu’il a de lui-même.
Lors de la dernière étape, normalement le patient aura déjà été prévenu de manière
claire de l’approche de la fin de la relation d’aide afin qu’il puisse s’y préparer
psychologiquement. Dans cette phase, l’infirmière porte son attention sur l’état psychologique
du patient et l’accompagne dans son appréhension du retour dans le milieu familial, et l’invite
à en parler. En parallèle, elle observe son propre état psychologique et se prépare à accepter la
fin de la relation. Elle aide aussi le malade à faire une transition douce en l’incitant à
participer aux groupes.
Lors de la dernière interaction, ce qui se passe dépend de ce que chacun ressent et comment
ils perçoivent ce que l’autre ressent. Il est utile que l’infirmière comprenne que cela est
important que le patient soit capable de se séparer d’elle. Il doit pouvoir faire l’expérience
d’une rupture qui se passe dans le calme et de manière constructive. Cette expérience sera
aussi un apprentissage pour l’infirmière, car il n’est jamais facile de vivre une rupture. Les
28
séparations du passé peuvent être de mauvais souvenirs et réactiver des sentiments de peur,
d’abandon ou d’angoisse pour l’infirmière et pour le patient. C’est pourquoi, les deux doivent
intégrer l’idée que le moment présent n’est pas une répétition de ce qu’il s’est passé dans leur
passé.
30
vie du patient, la personne, et l'environnement psychologique qui existent pour lui?»
(traduction libre, pp. 94-95).
Cette dernière question m’est apparue d’emblée comme importante à prendre en considération
du fait de l’histoire de vie des patients de l’unité.
La démarche que j’ai alors choisie dans les deux premières semaines de mon stage a été
effectivement d’approfondir mes acquis théoriques et d’en découvrir certains autres, puis
également de prendre le temps d’observer le fonctionnement et l’organisation de l’unité au
travers du travail des soignants ainsi que de la vie quotidienne des patients, pour essayer de
comprendre la dynamique de cet environnement et pouvoir par la suite m’y inscrire. Mon
objectif était également de détecter quels étaient les différents outils qu’utilisaient les
infirmiers dans leur pratique quotidienne, et particulièrement lors d’entretiens infirmiers ou
médico - infirmiers (entretiens menés en présence du patient, du médecin référent et d’un
infirmier, si possible l’infirmier référent).
Ainsi, cette démarche me permettait déjà de m’inscrire dans le modèle conceptuel de King,
dans le sens où
les perceptions sélectives à la fois de l'infirmier et du patient, aboutissant à des actions,
des réactions et des interactions sont influencées par les variables de la situation.… Par
conséquent une certaine compréhension des différents systèmes sociaux au sein
desquelles grandissent et se développent les individus apparait essentielle, si l'objectif
de parvenir à un état de santé possible ou approprié pour les personnes ou les groupes
doit être atteint (traduction libre, pp.101- 102 -127).
Cette phase, que je pourrais nommer phase de préparation, ou d’appréhension de la pratique,
m’a également conduit, et ce de manière assez naturelle, vers des recherches plus ancrées
dans le domaine des sciences humaines, et ce en rapport avec les questions d’enfermement
tant physique que psychique, notions que me renvoyaient les patients du fait de leur histoire
de vie.
Cette période m’a alors permis de clarifier et de poser les assises de la posture que je
souhaitais adopter dans une relation d’aide, et à, de mon point de vue, contribué à la légitimer
auprès de l’équipe soignante et des patients.
J’ai finalement souhaité, en accord avec les infirmiers du service et la personne concernée,
entamer une relation d’aide avec une patiente que je nommerais ici Mlle Amo. Mon choix
s’est porté assez naturellement vers cette personne, d’une part parce qu’une amorce de lien
s’est créée assez rapidement entre nous, et d’autre part parce que Mlle Amo semblait être une
des patientes les plus ouvertes à entreprendre une relation d’aide avec une personne arrivée
depuis peu dans le service.
31
De façon naturelle, elle me parlait assez ouvertement de son parcours en prison et au sein de
l’institution et des objectifs qui l’animaient, en rapport avec son processus de réhabilitation.
Un premier entretien s’est donc déroulé, en compagnie de son infirmière référente, au cours
duquel je lui ai expliqué ma démarche, mes objectifs d’apprentissage au travers de notre
relation thérapeutique, lui précisant que je souhaitais avant tout avoir son accord et pouvoir
compter sur sa collaboration.
Mlle Amo a répondu favorablement à ma proposition, me donnant par là même son accord
pour utiliser tout le matériel infirmier et médical la concernant nécessaire à notre travail. Nous
avons également convenu d’un prochain rendez-vous pour un entretien, afin de rediscuter
ensemble de sa situation actuelle, en vue de faire ensemble une ébauche des objectifs qu’elle
souhaiterait atteindre et des stratégies pouvant l’y aider.
Afin de comprendre plus en détail la situation de Mlle Amo, et les raisons qui faisaient qu’elle
se trouvait actuellement hospitalisée dans cette unité, j’ai parcouru son dossier médical et
infirmier, en essayant d’en dégager les principaux éléments.
Mlle Amo, est une jeune femme Suisse, dans la trentaine, ayant été admise dans cette unité de
soins pour une 34ème hospitalisation, en entrée non volontaire. Elle est donc, à ce titre placée
sous mesure de l’article 59 al.2 du nouveau Code pénal Suisse.
Un peu plus de dix ans auparavant, Mlle Amo est hospitalisée pour la 1ère fois en entrée
volontaire dans la même institution et présente une symptomatologie dépressive, des attaques
de panique et des conduites de jeux pathologiques. Le diagnostic alors retenu, en référence à
la CIM-10 est un «trouble de la personnalité émotionnellement labile de type borderline».
(Annexe, VI).
Le parcours de vie de Mlle Amo est un parcours complexe et difficile, débutant avec une
petite enfance qu’elle décrit elle-même comme ayant été très malheureuse, avec de la
maltraitance verbale et physique, de nombreuses disputes entre ses parents en lien avec
l’alcoolisme de son père, un parcours scolaire tout aussi difficile du fait de sa dissipation et de
ses difficultés de concentration avec pour conséquence une rupture scolaire, le redoublement
de sa 8ème, puis l’abandon de ses études en 9ème.
C’est au cours de cette période que la patiente commence à consommer de l’alcool et du
cannabis à but anxiolytique et à expérimenter divers produits de consommation, entraînant un
épisode d’overdose à l’ectasie l’année de ses 17 ans. Elle développe en parallèle un trouble du
comportement alimentaire composé de phases de boulimie avec vomissements entraînant
alors une prise pondérale de 30 kg, et fait ses premières fugues du domicile familial.
Elle fait, durant cette période, la connaissance de son compagnon, un jeune homme de 23 ans
d’origine étrangère, sans-papiers, avec qui elle se fiancera 2 ans plus tard.
32
L’année de ses 20 ans s’opère une rupture totale de lien avec son père qu’elle accuse alors de
viol l’année de ses 16 ans. Cet évènement sera qualifié plus tard par la justice comme abus
sexuel sans viol et elle dira regretter cette accusation dans le sens où cela lui a valu d’être
rejetée par sa famille. Cette année marque pour Mlle Amo le début d’une période durant
laquelle elle résidera dans différents foyers pour des périodes de plusieurs mois et sa mise
sous tutelle volontaire, ainsi que le renvoi de son compagnon dans son pays d’origine, suite à
des délits. C’est à partir de ce moment-là, que la patiente effectuera de nombreux allers-
retours avec l’institution psychiatrique.
Lors d’une période d’hospitalisation, la patiente, suite à des frustrations en liens avec sa
structure de personnalité de type borderline est transférée en maison d’arrêt, pour des délits
d’incendies volontaires dans les unités de soins. Elle effectuera une période de détention de 6
mois, et à sa sortie, elle suit alors le programme CARE (Annexe, VII) et réintègre une unité
au sein de l’institution.
Durant ses nombreuses périodes d’hospitalisation, la patiente se mettra très souvent en
danger, toujours en lien avec le feu, qu’elle décrit comme étant un agent anxiolytique. Elle dit
aimer contempler les flammes, sans être totalement consciente du danger que cela représente.
Elle a aussi des comportements d’automutilations, s’insère des objets étrangers dans le corps,
et tente de s’étrangler à plusieurs reprises.
Suite à sa première incarcération, Mlle Amo refera deux séjours en maison d’arrêt pour les
mêmes motifs, ainsi que pour délit manqué de meurtre commis en milieu hospitalier. Les
deux peines prononcées alors seront chacune suspendues par la cour au profit d’un
internement en milieu fermé au sens de l’article 59 du Code pénal Suisse. Depuis quatre ans,
Mlle Amo a été hospitalisée en milieu ouvert au sein de l’institution psychiatrique plusieurs
fois. Selon le dossier infirmier, depuis son entrée, Mlle Amo a progressé au niveau de sa
relation aux autres, de la gestion de son anxiété et des acquisitions éducatives. Elle gère
mieux les émotions difficiles, est moins vulnérable. Le programme a été élargi à des sorties
sur le domaine de l’institution, accompagnée, puis seule et par la suite hors du domaine. Elle
reprend également contact avec sa famille, elle voit sa mère 2 fois par semaine et a
régulièrement la permission de dormir chez elle.
Depuis deux ans, elle ne présente plus d’épisodes psychotiques ni de gestes auto ou hétéro
agressif, et les contrôles toxicologiques sont négatifs. Mlle Amo bénéficie d’un cadre de soins
structuré d’une part d’un EMI (entretien médico-infirmier) hebdomadaire, un EI (entretien
infirmier) structuré de 30 minutes hebdomadaires, ainsi que d’un programme groupal, qui
inclut différents groupes à visée de médiation (groupe cuisine, musicothérapie, lecture et
écriture, sport), de réhabilitation (groupe affirmation de soi, hygiène santé, bilan et
33
organisation de la journée, repas thérapeutique), et d’expression (groupe parole, théâtre, santé,
lecture et écriture, ainsi que d’un programme d’enseignement structuré au patient, au sujet du
traitement).
L’histoire de vie et de maladie de Mlle Amo, ainsi que le diagnostic médical ayant été
retenu à ce jour, à savoir une «personnalité émotionnellement labile de type borderline»,
laisse entrevoir l’hypothèse d’un travail autour du lien et de la gestion des émotions.
Effectivement, il est à noter que durant son parcours de vie, la patiente à reproduit des
schémas plus ou moins récurrents autour de l’abandon et de la problématique relationnelle,
caractérisés par un climat de maltraitances verbales et physiques durant son enfance, de
nombreuses disputes entre ses parents et enfin le divorce de ces derniers l’année de ses 10
ans. À noter également une forme «d’abandon» au travers du décès de son grand-père,
personnage qui semble avoir beaucoup compté pour elle.
Les relations ayant suivi se sont également souvent soldées par des échecs, comme avec son
compagnon. Les abus sexuels de son père, dont elle aurait été victime ont également mis un
terme définitif à leur relation. Il est également important de relever des épisodes précoces de
fugues du domicile familial, des placements dans différents foyers avec ce que cela peut
impliquer à chaque fois dans la reconstruction d’un tissu social relationnel.
Il est également évident que ses périodes d’incarcération sont fortement susceptibles d’avoir
entériné cette difficulté à entrer en lien avec les autres, à leur accorder de la confiance et à
vivre les émotions dans le présent, et non pas en perpétuelle projection.
Voilà pourquoi il me paraissait judicieux de poursuivre un travail ancré sur les relations
interpersonnelles entre l’équipe soignante, la patiente elle-même, mais également les autres
patients de l’unité, ainsi que de m’intéresser à l’environnement social direct de la patiente
(son lieu de travail actuel par exemple) ainsi que les différentes structures (d’accueil,
pénitentiaire et hospitalier) par lesquelles Mlle Amo est passée tout au long de son parcours
de vie et de maladie. Effectivement, une compréhension de ces différents facteurs constitue
un élément essentiel dans la construction d’une collaboration et dans l’élaboration d’une
stratégie de prise en soins. Pour renforcer cette proposition, nous pouvons reprendre la
situation de King (1971,1997) déjà citée, concernant les perceptions sélectives de l’infirmier
et du patient et l’importance de la prise de conscience des facteurs de la situation, de
l’environnement et des différents systèmes sociaux par lesquels est passée la patiente et ceux
dans lesquels elle est ancrée aujourd’hui.
Il me paraissait donc d’autant plus nécessaire d’avoir une idée relativement claire et précise
des chemins empruntés par la patiente afin de se représenter le milieu dans le lequel
34
Mlle Amo a évoluer et d’en mesurer les potentielles conséquences. Cependant, outre le fait de
se rendre éventuellement au sein des différentes structures, j’ai pu mettre à profit
l’élargissement de mes connaissances théoriques que j’avais entreprises en début de stage,
ainsi que l’élargissement de mes recherches en sciences humaines.
À noter que dans la présente situation la dimension carcérale invite à se pencher sur la
problématique de l’enfermement, tant physique que psychique et à s’intéresser par exemple
aux travaux de Bentham (1780) et à la notion de panoptique qui selon Laval (2011) «devient
[le panoptique] la figure architecturale de cette technique de pouvoir qui trie les corps, les
isole et par un effet de transparence et de dissymétrie des regards, les discipline».
L’idée du panoptique et de ce que cela suggère à l’époque où Bentham imagine le concept est
largement reprise et analysée par Michel Foucault dans son ouvrage Surveiller et punir
(1975). En référence aux travaux de Bentham, il cite également Julius (1831), qui quelques
années après ce dernier s’interroge sur la question du principe panoptique.
Il disait qu’il y avait là bien plus qu’une ingéniosité architecturale: un événement dans
«l’histoire de l’esprit humain». En apparence, ce n’est que la solution d’un problème
technique; mais à travers elle, tout un type de société se dessine. L’Antiquité avait été
une civilisation du spectacle. «Rendre accessible à une multitude d’hommes l’inspection
d’un petit nombre d’objets»: à ce problème répondait l’architecture des temples, des
théâtres et des cirques. Avec le spectacle prédominaient la vie publique, l’intensité des
fêtes, la proximité sensuelle. Dans ces rituels où coulait le sang, la société retrouvait
vigueur et formait un instant comme un grand corps unique. L’âge moderne pose le
problème inverse: «Procurer à un petit nombre, ou même à un seul la vue instantanée
d’une grande multitude». Dans une société où les éléments principaux ne sont plus la
communauté et la vie publique, mais les individus privés d’une part, et l’État de l’autre,
les rapports ne peuvent se régler (Foucault, 1975, p. 218).
Au-delà de cet aspect, Foucault évoque l’évidence que la prison adopte également un rôle de
transformation des individus en reproduisant, voire en accentuant bon nombre de mécanismes
que l’on retrouve dans la société civile, définissant ainsi la prison comme étant
…. une caserne un peu stricte, une école sans indulgence, un sombre atelier, mais, à la
limite, rien de qualitativement différent.… La prison n’a pas été d’abord une privation
de liberté à laquelle on aurait donné par la suite une fonction technique de correction;
elle a été dès le départ une «détention légale» chargée d’un supplément correctif, ou
encore une entreprise de modification des individus que la privation de liberté permet de
faire fonctionner dans le système légal. En somme l’emprisonnement pénal, dès le début
35
du XIXe siècle, a couvert à la fois la privation de liberté et la transformation technique
des individus (Foucault, 1975, p. 235).
Cette réflexion peut ainsi nous amener à nous questionner sur ce que l’expérience carcérale et
l’image de la prison peuvent avoir comme conséquences, tant sur la vie de la patiente que sur
nos propres représentations de la prison et de l’enfermement; cette démarche reste tout autant
essentielle qu’elle l’était au moment où Foucault lui-même écrivait que
… il fallait faire entrer la prison dans l’actualité, non sous forme de problème moral, ou
de gestion générale, mais comme un lieu où il se passe de l’histoire, du quotidien, de la
vie, des évènements, du même ordre qu’une grève dans un atelier, un mouvement de
revendication dans un quartier, une protestation dans une cité HLM» (Foucault, 1994,
p. 86 cité par Lefeuvre Déotte, 2009).
Ainsi Foucault nous invite à considérer la prison comme une société à part entière,
comportant ses propres règles et ses propres travers, légitimant un certain nombre de
revendications. Émerge alors la question de l’existence au sein même de la prison, de la
possibilité d’entrer en relation avec ses pairs et les instances pénitentiaires, d’accorder de la
confiance, de trouver un champ libre à l’expression de ses émotions. S’agissant de Mlle Amo,
pouvons-nous considérer que la prison à contribuer à accentuer les traits de sa maladie, où la
prison est-elle directement responsable de l’émergence, de l’apparition de ses symptômes?
Sans nécessairement aller au-delà dans l’élaboration ou la vérification de cette hypothèse, il
paraît néanmoins nécessaire d’avoir cette réflexion en tête afin de pouvoir éventuellement
comprendre certains mécanismes propres à la pathologie de Mlle Amo, ou tout du moins
saisir et tenir compte du climat dans lequel elle a évolué.
Si l’on admet, comme Foucault le propose que la prison représente une société, ou tout du
moins une institution sociale à elle seule, et que l’on s’attarde sur ce qu’il décrit comme étant
«[l’hôpital, la manufacture, l’école, la prison, deviennent] d’immenses machines à connaître,
surveiller et modeler les individus» Laval (2011), il est intéressant également de s’attarder sur
les différentes sphères sociales à partir desquelles chaque individu se construit, se laisse
modeler, en admettant que d'une manière générale, selon King (1971) un individu est né dans
sa première institution sociale, la famille.
La famille initie le processus de socialisation à la satisfaction des besoins à charge du
bébé et de l’enfant. La communication et les modes d'interaction sociale sont
développés dans ce système social. Le milieu de perception de l'enfant est bombardé par
des événements, des personnes et des objets. En grandissant, l'enfant commence à
différencier les personnes et les objets et apprend comment établir des relations au sein
de son environnement social. Sa connaissance est développée, d'autant que ses
36
expériences perceptives sont augmentées. L'enfant est considéré en bonne santé si son
développement se déroule selon les schémas de croissance et le comportement conçus
pour être ceux de la norme relative des individus dans la société (traduction libre,
pp. 127-128).
37
Les personnes en bonne santé sentent bien quand leur temps de solitude est passé, et la
nécessité de devoir aller retourner vers les autres pour se nourrir de lien.
La privation de lien qui excède les ressources de la personne entraîne un estompage, puis un
risque de disparition des traces de relation vivante en lui.
L’auteur établit par la suite un lien avec les travaux de René Spitz (1968) qui, dans son
ouvrage De la naissance à la parole donne un tableau précis et saisissant des différentes
phases observées chez des bébés placés en pouponnières, et délaissés du point de vue affectif.
Dans [la] première phase, on sent que cette privation de lien génère un très grand
malaise et l’on peut penser aux angoisses agonistiques, ces états de terreurs sans nom
décrites par Winnicott (2000), Rousillon (1999) et Bion entre autres. Ce sont des vécus
catastrophiques d’angoisse extrême qui envahissent le bébé quand personne n’est là
pour le secourir. Puis vient la phase terrible où les bébés ne pleurent plus, ne réclament
plus, deviennent de plus en plus inertes et finissent par mourir.… Winnicott explique
que le bébé, par son immaturité, s’est trouvé dans l’impossibilité de donner sens ou
même de s’approprier une telle expérience, qu’il n’a pu «survivre» qu’à la condition de
se couper de sa subjectivité. Se trouve ainsi formulé le paradoxe central de l’identité:
pour continuer à se sentir être, le bébé a dû se retirer de lui-même et de son expérience
vitale (Fadhlaoui, 2009, p. 32).
En regard de ces expériences précoces décrites par Spitz et analysées par Winnicott,
Fadhlaoui analyse l’expérience de l’isolement et de la manière dont il peut être vécu et émet
l’hypothèse que
… ces expériences précoces sont également les creusets où se nichent les tentations de
repli quand le lien à l’autre devient trop persécutant.
L’image que je me donne de ces mécanismes complexes de clivage est celle d’une cave
où les vécus les plus terrifiants liés à ces traumatismes précoces sont enfermés, sans être
élaborés. Les affects et les monstres sont toujours prêts à surgir, aussi effrayants qu’à
l’origine, dès que la porte s’entrouvre. La seule échappatoire que trouve le sujet est de
refermer la porte comme si de rien n’était…jusqu’à la prochaine fois.
On tremble à l’idée que la mise en chambre d’isolement puisse prendre la forme de cette
cave obscure pour trop de patients (pp. 32-33).
Revenant à l’idée d’approfondissement des connaissances théoriques larges et distinctes des
connaissances en science infirmière au travers de la littérature, pour moi, l’hypothèse émise
ci-dessus par Fadhlaoui peut conduire à une réflexion plus philosophique au travers du mythe
ou de l’allégorie de la caverne de Platon (Annexe, VIII).
38
Au travers de cette allégorie, Platon met en évidence le fait que nous sommes tous
prisonniers, enchaînés dans cette caverne, esclaves de nos propres représentations, de notre
propre jugement des choses. Notre éducation laisse en nous une empreinte, une image que
nous nous sommes forgées de notre propre monde intérieur et de ce qui nous entoure. Image
influençant l’individu, influençant sa décision de croire ce qu’il a toujours cru savoir ou de
faire confiance en celui qui remet en cause la perception de sa propre existence. Ainsi, il faut
un certain courage pour accepter d’être libéré de ses chaînes, pour aller vers la lumière,
affronter les images telles que nous ne les avons jamais perçues et accepter qu’une autre vérité
existe, au travers de ce que nous percevons de ces images, car en définitive, nous pouvons
considérer que l’Etre est la vérité, tandis que les apparences sont sources d’erreurs et
d’illusions. Reste à chercher en nous les outils, la capacité de revisiter notre jugement et le
creuset de nos représentations. Reste également au soignant la proposition de mettre en lien
direct les notions d’enfermement, d’isolement et de solitude, et ce de tous les points de vue.
L’isolement, l’enfermement ne se résument pas à une position physique, mais bel et bien à
des états psychiques en souffrance.
C’est pourquoi, après avoir esquissé, la notion de “capacité d’être seul” de Winnicott et les
champs de la philosophie au travers de Foucault et Platon, il paraît important de considérer
que les personnes atteintes de troubles psychiques puissent souffrir d’un sentiment de solitude
et par conséquent d’enfermement en eux-mêmes. Ce qui ressort alors, est, me semble-t-il la
nécessité de passer par le lien qui pourrait vraisemblablement faire défaut.
Il ne s’agit évidemment pas de systématiser l’absence de liens affectifs ou de liens tout court,
auprès des personnes souffrant de troubles psychiques, mais bien de tenter de percer la bulle
dans laquelle les patients peuvent se sentir prisonniers.
L’entrée en relation, l’établissement d’un lien dans la situation de Mlle Amo représente une
occasion de lui proposer de la libérer de ses chaînes et de l’accompagner en dehors de la
grotte; lui proposer ainsi de poser un autre regard sur l’extérieur, lui suggérer d’autres
manières d’appréhender les ombres et les voix, lui donner ou lui redonner la possibilité de se
considérer comme étant le siège de sa propre vérité. Car ce qui fait principalement défaut dans
la situation de Mlle Amo, mais qu’elle arrive cependant à verbaliser, est une certaine
méconnaissance des codes sociaux ou à défaut une mauvaise interprétation de ces derniers, un
sentiment de ne jamais être “dans le juste”, de ne pas assez faire parler sa propre vérité, ses
propres instincts.
Mais la question de respect du rythme du patient, au travers de l’écoute et donc de la
perception de la situation par cette dernière m’a révélé d’autres objectifs prioritaires à ses
yeux.
39
Le fait de m‘être concentré sur son passé dans l’idée de mieux appréhender son présent, à sans
doute eu tendance à m’éloigner de ses préoccupations premières, du moment.
Mais le fait d’entrer en relation en suivant les étapes de perception, d’interaction et de
transaction suggérées par King (1971) m’a permis de construire, avec Mlle Amo, une
démarche de soins appropriée, réalisable et correspondant aux attentes réelles de Mlle Amo.
(Annexe, IX). Ainsi, si je n’ai pas eu l’occasion d’apprécier l’ensemble de l’aboutissement
des buts de Mlle Amo, du fait que mon stage se terminait, j’ai tout de même pu constater que
le travail entrepris ensemble portait ses fruits et qu’un réel processus d’échange et de
collaboration s’était produit, et y avait contribué.
4.1.2 Recherche
Murray & Bayer (1996), mettent en avant comment un cadre théorique comme celui
de l’atteinte des buts de King (1981) peut être appliqué dans un service de santé mentale.
Bien que les auteurs présentent des résultats à partir d’un échantillon et qu’ils évaluent
l’efficacité de l’utilisation d’un cadre théorique sur ce dernier, nous pouvons considérer qu’il
s’agit plus d’une étude qualitative que quantitative. Car effectivement, le but premier est bien
de tenter d’appliquer une théorie de soins spécifique, dans un champ d’application lui aussi
spécifique.
Ainsi, l’hypothèse qui est avancée par les auteurs est qu’«une théorie infirmière peut être
appliquée dans le développement des services de santé mentale» (Murray & Baier, 1996,
traduction libre, p. 15).
La structure dans laquelle a été menée cette étude accueille des personnes sans-abri âgées de
19 à 63 ans, souffrant tous de troubles psychiques. Cette structure propose aux personnes un
programme de transition. En d’autres termes, les patients intégrant celle-ci s’engagent dans un
processus de réinsertion et les buts centraux de ce programme sont
[d’] aider les clients à trouver et à conserver un logement indépendant, obtenir des fonds
d'admissibilité, et de développer des relations de soutien, y compris avec les autres
clients et le personnel. Certains résidents veulent obtenir un emploi.… Éviter une ré
hospitalisation à long terme ou répétée sont des objectifs supplémentaires qui ont été
fixés par des résidents (p.17).
L’ensemble de ces objectifs à atteindre est abordé et élaboré au travers des concepts clefs de
la théorie de King (1971) qui sont la communication, l’interaction et la transaction.
Pour les auteurs, «le contexte d'une personne, d'une maladie psychiatrique, la santé et les
problèmes juridiques influencent la façon dont les objectifs sont formulés et rendus
40
opérationnels» (p.16), ainsi, il est nécessaire de s’appuyer sur les différents systèmes
(interpersonnel, social) décrits par King et permettant une entrée en relation basée sur une
entente mutuelle et une compréhension des différents contextes ou systèmes dans lesquels
s’inscrit la prise en soins des personnes. Reprenant l’aspect théorique de King selon qui les
objectifs sont développés au travers de la communication et de l’interaction qui se produit
entre le personnel et les patients, les auteurs relèvent également le fait que «Les résidents
interagissent avec les autres dans la poursuite de la réalisation de certains objectifs, et ces
comportements s'établissent souvent dans un modèle qui devient effectif pour eux» (p. 17).
Les auteurs exerçant au sein de cette structure, ainsi que l’ensemble de l’équipe
pluridisciplinaire (composée principalement de travailleurs sociaux), considèrent chaque
individu comme étant un être social et rationnel et apte à comprendre les règles qui régissent
le programme. Ces règles leur sont transmises par oral puis par écrit lors de l’admission au
programme.
S’il peut arriver que des personnes ne soient pas dans la capacité ou la volonté de
respecter ces règles, le personnel fixe des limites appropriées. Si les règles sont
constamment ignorées, et qu’une révision des objectifs ne peut être faite, il est demandé
au résident de quitter le programme (Murray & Baier, 1996, traduction libre, p.17).
En d’autres termes, il est convenu avec les patients qu’un travail est entrepris avec eux avec
pour but de mettre en place des objectifs propres à chacun. Ces buts sont définis et mis en
place au travers de la communication et de la transaction entre le personnel et les résidents.
Une sorte de contrat est établi entre les différentes parties afin de fixer un certain nombre de
règles à respecter.
Les objectifs sont dirigés dans un délai de 90 jours. Dès lors que la pathologie du patient va
altérer ses perceptions, la communication et les interactions, il devra recouvrir un minimum
de rationalité pour être admis. Il s’agit ici, une fois de plus de tenir compte de
l’environnement interne du patient, d’être à même de le resituer dans son contexte de prise en
soins, afin de poursuivre l’atteinte de ses objectifs ou de modifier ces derniers (King, 1971).
Mais «bien que le personnel puisse aider, faciliter et créer des opportunités, le résident doit
effectuer le travail dans l'espace et les contraintes de temps spécifié» (Murray & Baier, 1996,
traduction libre, p.17).
Ce type d’approche est similaire au travail entrepris avec Mlle Amo. dans le sens où un
contrat était également mis en place avec la patiente. Les entretiens formels et informels entre
la patiente et le reste de l’équipe étaient tous entrepris dans le but de communiquer autour de
la situation de Mlle Amo. et de l’environnement dans lequel elle évoluait et des buts ou
objectifs qu’elle s’était fixés. Un cadre temporel avait également été établi afin de pouvoir
41
juger de l’évolution de la situation et le cas échéant de pouvoir réajuster la pertinence des buts
fixés par Mlle Amo. Outre les entretiens infirmiers, les diagnostics infirmiers mis en place
conjointement par l’infirmier et la patiente représentaient également un outil d’évaluation
journalier, permettant de présenter des résultats écrits et clairs à la patiente, afin de témoigner
de l’efficacité du plan de soins mis en place.
L’ensemble de ces stratégies de soins était inscrit dans une dynamique de communication,
d’interaction et de transaction avec la patiente.
L’application du modèle théorique de King (1981) au sein de la structure à démontrer dans
cette étude qu’il était possible d’obtenir des résultats positifs en termes d’atteintes des
objectifs pour les résidents, bien que ces derniers soient nuancés.
Effectivement, les patients n’ont pour la plupart pas été capables d’atteindre leurs
objectifs dans le cadre qui leur était donné. Pour un tiers de ces derniers, les objectifs
ont été atteints au-delà des 90 jours, tandis que 28,9 % d’entre eux n’ont pas pu
s’adapter à la structure et aux règles du programme. Cependant, les 110 participants
ayant terminé le programme ont démontré une croissance et un développement, un
processus de maturation, ainsi qu’un niveau de santé plus élevé (p. 18).
Les auteurs relèvent au cours de cette étude un fait important: «Lorsque les perceptions
changent dans un sens positif ou réaliste, un sentiment positif de soi est promu» (Murray &
Baier, 1996, traduction libre, p.17).
Ainsi, ils peuvent observer que les patients sont alors capables de suivre les règles et les
attentes, de s'engager dans des comportements et des rôles appropriés, et de gérer le stress de
façon positive au sein d'un programme et d’un espace structuré.
Mais ce qui paraît d’autant plus intéressant et ouvre la possibilité d’affirmer que la théorie de
King est un choix pertinent pour ce type de programme est le constat que les patients
… peuvent avoir des interactions plus harmonieuses, des fonctions plus adaptatives,
participer à des relations avec les autres, et réaliser les tâches de développement plus
appropriées à l'âge [chronologique]. Ces objectifs peuvent être atteints indépendamment
du diagnostic, de la durée du séjour et du nombre d'hospitalisations antérieures (p.17).
L’environnement social et interne des personnes ayant participé à ce programme est un
environnement qui, comme dans le cas de Mlle Amo, serait susceptible de modifier le regard
des soignants sur les problématiques de la situation, et de les inciter à prendre des décisions et
mettre en place des objectifs selon leurs propres perceptions, sans tenir compte de la
perception propre des personnes concernées.
La décision d’appliquer la théorie de King dans ce contexte paraît par conséquent adéquate
dans le sens où cette dernière place le patient au centre de sa propre prise en soins, dans l’ici
42
et maintenant, considérant sa vision de sa propre situation et des perspectives qu’il est en
mesure de projeter.
En conclusion, les auteurs déclarent que «Le modèle de King peut être utilisé comme
un cadre pour évaluer et maintenir la santé d’un système social qui aide les clients à atteindre
leurs objectifs déclarés» (Murray et Baier, 1996, traduction libre, p.17).
Dans cette partie du travail, nous allons essayer de comprendre une situation de soin
en alternant la pratique et la théorie. L’expérience vécue dans un stage de psychiatrie ainsi
que les apports théoriques de Peplau et Travelbee seront les supports de cette étude de cas.
Pour réaliser ce travail, j’ai choisi plusieurs cadres de référence centrés sur la relation
interpersonnelle. Une base commune à tous ces cadres de références est l’existence des
mécanismes de défense mis en jeux dans toutes relations. La théorie de Peplau et sa
méthodologie clinique m’ont servi de guide en m’aidant à prendre conscience de ce qui se
joue dans l’inconscient, à me structurer et à aller plus loin dans la relation (Annexe, X). Cet
43
éclairage n’a pas pu empêcher cette jeune fille à agir des comportements qui mettaient sa vie
en danger dans le contexte de frustration intense et impensable pour elle.
Dans la situation présentée, il est important de reconnaître que la patiente utilise avec intensité
les mécanismes tels que l’introjection (Peplau, 1988, p. 109) et la projection (p. 110) en
rendant fréquemment les autres entièrement responsables de ses problèmes. D’autres
mécanismes intervenaient aussi probablement pour assurer la sécurité, voire la protection de
son moi. Selon Peplau, les mécanismes sont «utilisés en présence d’obstacles à la réalisation
d’un but; ils sécurisent aussi quand les choix sont rendus difficiles en raison de
l’incompatibilité de deux buts» (p. 111).
Lors de mon stage en psychiatrie, au sein d’une clinique spécialisée dans les
addictions et les troubles du comportement alimentaire, j’ai essayé pour la première fois de
développer une relation d’aide avec une patiente, que l’on appellera ici Margaux.
Durant ma première journée là-bas, j’ai lu la phrase suivante, écrite sur une grande page
blanche: «Derrière chaque comportement, il y a une intention positive». Que cette phrase soit
vraie ou non, cela n’était finalement pas important, car elle exprimait avant tout une volonté
de comprendre l’autre tel qui est. De même, dans son livre, Peplau nous dit que «tout
comportement humain a un sens et vise un but en terme de sentiments, de satisfaction et de
sécurité» (Peplau, 1988, p. 84).
Les soignants que j’ai rencontrés là-bas travaillaient de manière très soudée autour d’un projet
thérapeutique toujours personnalisé et basé sur le principe du volontariat du patient, en lien
avec la thérapie cognitivo-comportementale et systémique. Avec toute l’attention de l’équipe
pluridisciplinaire, j’ai pris en soin une jeune fille de 17 ans qui vivait une situation
d’hospitalisation depuis déjà neuf mois et à qui l’on avait posé un diagnostique d’anorexie
mentale restrictive.
Margaux est l’aînée d’une famille de trois enfants. Elle a une sœur de 15 ans, et un petit frère
de 8 ans. Sa mère, infirmière, brésilienne d’origine a été adoptée lorsqu’elle était bébé et a
vécu toute sa vie en Suisse. Son père, dessinateur, d’origine Suisse allemande a toujours vécu
à Genève. Margaux pratique habituellement de multiples activités comme le piano depuis
l’âge de six ans, la danse à raison de cinq heures par semaine au début, puis huit heures par
semaine. Elle participe à une comédie musicale les weekends et fait du ski en hiver. La danse
est sa passion et elle rêve de devenir danseuse professionnelle.
Lors des années du cycle, Margaux avait une meilleure amie avec qui elle passait tout son
temps, jusqu’à ce que celle-ci adopte une attitude plus rebelle et qu’elle l’abandonne pour des
activités plus excitantes. Ensuite, elle vit une deuxième amitié très importante avec une fille
44
qui se montrait très possessive. Lors de cette relation, Margaux a perdu tous ses amis, vivant
une relation exclusive avec cette personne. Mais cette amie a fait une tentative de suicide, puis
s’est éloignée de Margaux, jusqu’à ne plus la voir du tout, ce qui a été vécu par Margaux
comme étant une séparation difficile. Au début du collège, Margaux entre dans une nouvelle
école de danse plus prestigieuse. Petit à petit, Margaux se réfugie dans la danse et dans les
études. Selon elle, c’est à la suite de ces deux évènements et l’entrée au collègue que la
maladie s’est installée. Son attention sur ses activités physiques et intellectuelles devient
totale, ce qui l’isole complètement de ses amis.
Margaux dit être une personne timide et réservée, alors qu’elle perçoit sa sœur et son frère
comme étant deux caractères forts. Elle dit ne pas trouver sa place au sein de sa famille,
surtout auprès de ses frères et sœurs. Elle décrit son père comme quelqu’un de réservé,
renfermé et plutôt distant, et sa mère comme une femme stricte et sévère, dans le contrôle, très
protectrice et qui ne montre pas ses émotions. Elle parle de sa sœur comme une adolescente
en révolte qui cherche à se différencier d’elle. Pour elle, c’est une ambiance familiale tendue,
mais personne ne le montre, on cache ses émotions.
Les personnes qui souffrent d’un trouble alimentaire souffrent aussi souvent d’un
manque de relations sociales, amicales, familiales ou amoureuses. La relation peut poser
problème, car si elle est une source de joie et d’amour, elle peut être aussi une source de
souffrances. L’anorexie est une maladie complexe dont nous n’avons pas encore bien identifié
toutes les causes. Mais ce que l’on sait, c’est que ce n’est pas un seul, mais bien plusieurs
facteurs associés qui vont, dans un contexte de vulnérabilité, déclencher la maladie.
Principalement, il y a le contexte familial et les problèmes d’attachement qui jouent un rôle, la
société et les médias, les facteurs génétiques et éventuellement les traumatismes psychiques
ou physiques peuvent être en cause. Les problèmes d’attachement et séparation, la peur de
grandir et l’évitement de la croissance sont des problématiques liées entre autres à l’anorexie.
L’anorexie mentale (du grec orexis: appétit) signifie qu’il y a une perte d’appétit d’origine
mentale (Grenier, communication personnelle [Polycopié], janvier 2012). Toutefois, ce terme
n’exprime pas bien la problématique, car en réalité, la perte d’appétit n’est que la
manifestation visible du problème et ces femmes anorexiques souffrent souvent d’une faim
dévorante. La maladie est une maladie mentale et la souffrance est une souffrance psychique.
La personne qui souffre de cette maladie à une angoisse, une insécurité interne qui la pousse à
trouver une sécurité dans un objet externe. Pour Jeammet, cité par Corcos (2008, p.36) chez
les adolescentes souffrant de TCA, il y a un échec du processus de séparation-individuation
45
qui se manifeste par une recherche de dépendance à un objet externe, pour éviter la
dépendance affective à un objet libidinal.
Plusieurs études ont démontré l’importance de l’attachement dès la naissance, et dans les
premières années de vie. L’enfant a besoin de s’attacher à une figure maternelle stable, ou a
un substitut maternel, qui lui apporte de l’affection, qui répond à ses besoins par la parole, par
son regard et par le toucher de manière régulière et chaleureuse. Nous savons que sans
affection, un nouveau-né meurt. Car il a besoin d’être contenu et sécurisé de manière
chaleureuse par sa mère, ce qui lui permettrait selon Bowlby (p.36) non seulement de
survivre, mais aussi d’explorer son environnement. Ainsi, un enfant garde le même modèle
d’attachement durant sa vie et l’utilise comme base pour toutes les relations intimes et
sociales qu’il vivra. Alors, un enfant qui n’a pas reçu un attachement sécure pour diverses
raisons (séparation avec la mère, succession de figures maternelles, pauvre qualité des soins,
une mère préoccupée ou détachée) pourrait avoir des difficultés à créer des liens affectifs et
cela pourrait même modifier sérieusement l’adaptation sociale de l’enfant (p.37).
Un des facteurs qui aurait alors une influence sur la personne qui vit avec la maladie de
l‘anorexie serait cette insécurité émotionnelle interne, qui pousserait la personne à chercher
des éléments rassurant à l’extérieur, comme moyen de réguler l’angoisse interne. Cette
vulnérabilité serait d’autant plus fragile à l’adolescence, car c’est une période favorable au
stress de par ses nombreux changements physiques et psychiques.
Cette période serait ainsi susceptible de réactiver le conflit d’attachement-séparation en
réinterrogeant la relation aux parents notamment. L’adolescence est aussi la période à laquelle
les enfants commencent à sortir de leur environnement familial fréquemment, ils font une
transition vers le monde adulte et prennent peut-être conscience que la normalité qui était la
leur n’est pas celle de tout le monde. Constater ses différences, les intégrer et les accepter tout
en acceptant les changements que cela provoque dans sa vie n’est pas une mission facile. Pour
schématiser, l’adolescent voit ce qu’il a toujours été, ce que les autres sont, et il doit décider
de ce qu’il veut vraiment être, en tant qu’être humain, différencié des autres.
C’est là que l’anorexie s’imposerait (avec une prédisposition) comme moyen de stopper cette
phase de croissance trop difficile à gérer émotionnellement pour l’adolescente.
Alors, en quelque sorte, un comportement ritualisé et sous contrôle prend la place d’un conflit
non réglé, pour former la personne dans une nouvelle identité. C’est une manière d’éviter de
se confronter à une problématique du lien, pour se protéger.
La nourriture, ou l’absence de nourriture est une excellente solution, car elle est facilement
accessible, toujours disponible, elle permet de contrôler l’anxiété, de contrôler la dépression
(souvent corolaire de l’anorexie), de lutter contre l’ennui, le stress et la solitude. Autrement
46
dit, la nourriture déplace le problème, occupe l’attention et permet de réguler les émotions et
de gérer l’angoisse, c’est donc une solution à un problème d’ordre relationnel, émotionnel.
Mais si cette solution apaise la personne momentanément, elle n’arrive pas à la soutenir dans
la durée, car physiquement c’est épuisant et dangereux, et psychiquement c’est une souffrance
énorme avec laquelle il faut se battre chaque jour. Car le corps et l’esprit sont entrés dans une
forme d’automatisme protecteur, qui d’un côté évite à la personne d’être blessée par la
relation aux autres, mais qui est en même temps est extrêmement exigeant.
L’anorexie a pour caractéristique une grande exigence envers soi-même et envers autrui, un
perfectionnisme, un contrôle sur tout et souvent des symptômes dépressifs associés (autres
symptômes: amaigrissement, aménorrhée, anorexie, hyperactivité physique ou intellectuelle,
déni et dysmorphophobie, angoisse, blocage de la sexualité, baisse des investissements
sociaux, obsession concernant la nourriture, irritabilité, sommeil perturbé) (Grenier,
communication personnelle [Polycopié], janvier 2012). C’est un travail de chaque instant,
pour se protéger de son ressenti, et de celui des autres. C’est un véritable enferment,
paradoxalement associé à un besoin irrépressible d’être relié, d’échanger de la nourriture
affective avec les autres. La personne oscille dans des mouvements contradictoires entre le
besoin de dépendance à quelqu’un sur qui elle peut compter, et la menace que cet amour
représente. En attendant, c’est la dépendance au symptôme qui occupe l’esprit, jusqu’à ce
qu’il se soigne.
C’est précisément là, dans cette tentative de prendre soin de soi et de rétablir la
connexion avec les personnes qui l’entourent, que le rôle infirmier intervient.
Selon Peplau, les infirmières ont deux responsabilités face aux désirs de dépendance des
patients: «les aider à apprendre qu’ils peuvent compter sur leur aide quand cela est nécessaire;
cet apprentissage s’effectue en leur manifestant de l’intérêt… les aider à prendre conscience
de leurs besoins et à améliorer la façon de les exprimer» (Peplau, 1988, p. 175). Elle ajoute
que «lorsque l’on satisfait les besoins qui apparaissent, des besoins plus matures peuvent faire
surface» (p. 176). En l’occurrence, l’infirmière dans un rôle de substitut maternel peut
satisfaire un besoin de dépendance, afin que le patient puisse, une fois ce stade dépassé, se
déshabituer de ce substitut maternel à mesure que la relation de personne à personne prend
forme. C’est en permettant l’expression des besoins du patient que l’infirmière montre au
patient qu’elle essaye de l’accepter tel qu’il est. Au contraire, nier ses besoins, c’est lui
montrer que l’on ne s’intéresse pas à lui, que l’on ne l’accepte pas tel qu’il est et qu’il pourra
recevoir de l’attention, s’il se soumet aux règles imposées par l’infirmière. C’est une
47
acceptation conditionnelle. Cela constitue d’après Peplau, le premier apprentissage, celui
d’apprendre à compter sur l’aide des autres.
48
Sachant que Margaux était déjà là depuis plusieurs mois, je me suis informée auprès
de l’équipe pluridisciplinaire pour savoir dans quelle direction ils allaient avec elle et quels
étaient leurs objectifs généraux, afin de pouvoir accorder mes premières impressions avec les
leurs. Cette ligne de conduite commune est nécessaire pour ne pas créer de malaise chez la
patiente et pour pouvoir l’orienter sur certains aspects liés à son problème.
Dès lors, l’infirmière doit faire un double travail. Celui d’avoir conscience que lorsque l’on
rencontre quelqu’un, il est naturel de se faire une représentation de ce qu’il est et que notre
passé, ou des personnes connues, les médias et les stéréotypes propres à notre société peuvent
nous influencer dans cette nouvelle rencontre et entraver ainsi le création d’un lien de
confiance. Il en est de même pour la représentation que le patient se fait de nous. Tout en
étant à l’écoute de ses influences, l’infirmière doit être à l’écoute de ses sentiments afin de
prendre conscience de ses premières impressions et intuitions qui seront la base d’une future
hypothèse en lien avec les besoins de la personne malade. J’avais conscience que je n’étais
pas neutre face à cette situation et que mes expériences passées prenaient de l’espace dans
cette nouvelle expérience avec Margaux. J’essayais de ne pas porter de jugement et tout
emportant mon histoire avec moi, j’essayais de la voir comme une personne unique. Car
intuitivement je savais que la création d’un lien se fait lorsque deux personnes «commencent
à apprécier l’unicité de chacun» (Travelbee,1971, p. 77). Cette démarche fait partie de
l’observation infirmière et il est important de garder à l’esprit que l’on communique avec une
personne qui souffre d’une maladie et non pas que l’on soigne juste une maladie.
L’observation, c’est justement voir la personne qui se cache derrière les symptômes de la
maladie et être capable de voir l’anxiété, et tout autre symptôme comme une tentative de
résolution d’un problème, un mouvement qui a un sens, celui d’apporter une sécurité au
patient, un équilibre.
Mais avant cette observation d’analyse, il y a le vécu lui-même en tant qu’expérience, qui
précède tout jugement ou interprétation. C’est ainsi que Travelbee (1978) décrit le vécu ou
l’écoute:
Le vécu comporte une sorte de plénitude, une immédiateté, une intimité et une
perception de la personne vraie, qui n’est pas exactement la même personne que celle
dont on a scruté et catégorisé le comportement… Il y a un danger de fragmentation de
l’être humain quand on se concentre exclusivement sur les problèmes de soins, sur les
comportements psychologiques, sur les signes et les symptômes de la maladie: celui de
ne pas saisir l’être humain de façon expérientielle et ne pas tenir compte de son entité
totale» (p.26).
49
Lors de l’entretien suivant, j’ai appris à connaître Margaux un peu mieux. Je voulais
comprendre son histoire ainsi que le sens qu’elle donnait à sa maladie. Malheureusement,
mon stress lié entre autres au peu d’expérience que j’avais m’a fait lui poser probablement
trop de questions. Elle répondait facilement, mais je sentais qu’elle n’irait pas plus loin que ce
que je lui demandais et un silence «criant», pesant pour moi s’est installé alors que je la vivais
inatégniable.
Il est vrai qu’une infirmière débutante ou même avisée peut ressentir le besoin de devoir
trouver une réponse, une solution immédiate à une question posée par un patient ou à un
silence. Or, cette réponse automatique empêche le patient de continuer à s’exprimer et nie la
valeur de ses sentiments. Selon Peplau (1988),
L’infirmière qui répond sans conditions au patient, c’est-à-dire en faisant abstraction de
ses propres besoins, invitant le malade à se concentrer sur son problème, lui permet
d’exprimer ses sentiments et, ainsi, de prendre conscience de leur nature….L’écoute
non directive offre au patient une caisse de résonnance qui lui révèle ses sentiments
(pp. 28-29).
Ce travail d’écoute permettra au patient de prendre conscience de ce qu’il ressent et de
réorienter ses sentiments dans le sens d’une évolution plus favorable pour lui-même.
Pour Peplau, «les étapes de l’orientation et de l’identification sont essentiellement les mêmes
que celles de la réceptivité passive et de l’identification de la petite enfance, au début du stade
oral du développement de la personnalité. Du point de vue psychologique, le patient ressent
jusqu’à un certain point les mêmes sentiments que ceux qu’il a éprouvés beaucoup plus tôt
dans sa vie» (p. 32). Sachant que Margaux est encore dans la période de l’adolescence, qu’elle
souffre d’anorexie, et qu’elle émet une difficulté à prendre sa place dans sa famille et à
s’exprimer auprès de ses proches, nous pouvons supposer qu’il est normal qu’elle ne
s’autorise pas l’expression de ses sentiments dans cette situation nouvelle. En effet, ces
facteurs perturbent l’image qu’elle a d’elle-même et nous pouvons faire l’hypothèse qu’il en
résulte une difficulté à avoir confiance en elle et à s’identifier aux autres.
Après le deuxième entretien, j’ai clarifié mes intuitions, devenues des hypothèses, vis-
à-vis des problèmes et des besoins de Margaux et je les ai vérifiées auprès des professionnels
qui faisaient un travail thérapeutique avec elle, mais aussi auprès de la patiente elle-même.
Sur le moment, je percevais cela plutôt en termes d’objectifs de soins qu’il fallait définir.
Évidemment ils étaient liés à la patiente, mais je n’avais pas en tête le déroulement de tout ce
processus et la précision des concepts qui permettent une précision de la pensée et du ressenti.
50
Par exemple, selon Peplau, «…le but de l’observation est l’identification, la clarification et la
vérification des impressions relatives au jeu interactif et aux oscillations de la relation entre
l’infirmière et le patient au fur et à mesure de leur apparition» (p. 254).
Il y avait plusieurs thèmes que j’entrevoyais tels que le besoin d’appartenance et de
reconnaissance lié à ses difficultés avec sa famille, le besoin d’avoir le contrôle sur ses actions
et sur les autres, le perfectionnisme, le besoin de communiquer, de s’exprimer, de s’affirmer,
de reprendre confiance en elle, d’avoir une meilleure estime d’elle même, le besoin
d’affection et d’amour. Mais je savais que Margaux faisait déjà un travail personnel avec les
différents membres de l’équipe, alors je me suis souvenue d’une phrase qui avait retenu mon
attention : «le plaisir pour moi, c’est une perte de temps». Nous avons fait ensemble,
l’hypothèse d’un besoin qu’elle aurait envie d’approfondir: celui d’explorer la notion
de «plaisir» ou «ce qu’elle aime faire, qui a du sens pour elle, en dehors d’une activité de
performance». Ici, nous pouvons noter le besoin de refuser le plaisir pour elle-même.
L’hypothèse est qu’elle se sent plus en sécurité lorsqu’elle se coupe de la notion de plaisir et
donc des relations aux autres, parce qu’elle garde le contrôle.
Lors du troisième entretien, nous étions trois, Margaux, une infirmière qui me
supervisait et moi-même. Nous avions donc comme objectif d’explorer la notion de plaisir
ensemble.
Margaux commence par donner l’exemple du groupe yoga du rire et nous dit les faits
suivants: «Je n’arrive pas à rire aussi bien que les autres, je dois me forcer, ce n’est pas
spontané». On peut observer qu’elle apporte beaucoup d’attention à ce que les autres pensent
d’elle et se sous-estime par rapport à eux. Le sentiment d’infériorité fait vivre à la personne
un sentiment de culpabilité et d’incompétence qui constitue un obstacle à la réalisation des
objectifs. Elle continue ainsi: «le plaisir est une perte de temps pour moi, j’ai l’impression que
je rate quelque chose qui ne va pas et donc l’occasion de travailler ce qui ne va pas. Quand ça
va bien, je ne me sens pas normale. Je n’ai pas l’habitude. C’est plus facile pour moi de parler
de ce qui ne va pas que de ce qui va bien. Sauf quand je dois exprimer ma colère, c’est très
difficile, car j’ai très peur du conflit, j’ai l’impression que si je rentre dans le conflit, les autres
vont moins m’aimer». Dans cet entretien, ayant peur de trop intervenir, j’ai fait l’inverse et je
me suis laissé emporter par son discours en perdant le fil de ce que nous cherchions au départ.
Pour finir, elle termine en disant: «Je m’interdis tous les plaisirs, dans la nourriture, dans les
relations, dans tout». Nous pouvons constater que pour Margaux, le conflit réside entre le
besoin de dire que ça ne va pas, d’oser exprimer ses émotions et la peur de créer une rupture
dans ses liens avec son entourage. Ici, nous constatons que «simultanément à la perception de
51
l’objectif, une menace de punition est anticipée, ce qui inhibe toute action visant la réalisation
de l’objectif» (Peplau, p.88). Exprimer son désaccord ou réaliser des petites activités de
plaisir représente une menace pour elle-même.
Voyant que je ne savais pas comment conclure l’entretien, l’infirmière est intervenue en
suggérant à Margaux d’essayer de se mettre comme objectif de vivre des expériences
minimes de plaisir (exemple: DVD, lire, partager une discussion) d’ici le prochain entretien.
Margaux n’avait pas l’air motivée par ces propositions, mais elle accepta néanmoins.
Après cet entretien, nous avons analysé certains points qui pouvaient être améliorés.
L’infirmière a parlé de ma posture (physique) qui était tout à fait correcte, mais pas
suffisamment semblable à celle de Margaux. En effet, il y a un sens à se positionner d’une
façon plus ou moins similaire à celle du patient, facilitant l’accordage affectif (Stern 1981),
l’effet miroir, souvent cité en programmation neuro-linguistique et emprunté à Satir, afin de
créer une bulle qui renforce le lien entre l’infirmière et le patient. De plus, au niveau de la
communication verbale, nous avons remarqué que je n’osais pas dire que j’avais besoin de
plus d’explications. J’aurai pu par exemple poser la question suivante: peux-tu mieux
m’expliquer, je n’ai pas bien compris? Ou alors j’aurai pu reformuler ce qu’elle avait dit, tout
en lui demandant de confirmer si cela correspondait à ce qu’elle voulait dire. Quelque part, en
allant plus en profondeur, nous cherchons à comprendre à la fois les similitudes entre le
patient et nous, mais aussi les différences. Dans cette situation, nous pouvons faire
l’hypothèse que j’eusse peut-être moi-même peur de déplaire ou d’approcher le conflit de telle
sorte que je n’ai pas osé demander de précisions qui n’allaient pas dans son sens à elle. La
balance entre laisser les paroles de l’autre résonner en nous, sans y interférer notre moi, afin
qu’il continue l’exploration de ses sentiments et savoir quand l’interrompre pour comprendre
la signification de ses pensées n’est pas un travail simple au début, mais il importe avant tout
d’en prendre conscience. À ce propos, Peplau pense que
l’observation participante exige des infirmières un examen d’elles-mêmes rigoureux et
une évaluation honnête de leur comportement dans l’interaction avec le patient. En
observant et en analysant leur propre comportement, les infirmières deviennent plus
pleinement conscientes de leurs besoins, intentions et messages qu’elles communiquent
aux patients (Peplau,1997, traduction libre, p.162).
À travers les paroles de Langer, Peplau nous dit que «l’expérience met en évidence
des indices ou des signes qui retiennent notre attention; la symbolisation est le processus par
lequel ces indices sont réunis, et les connexions, les transformations et la continuité des
52
expériences deviennent le tissu de la réalité» (Peplau, 1988, p. 284). C’est-à-dire qu’à travers
l’écoute et l’intérêt que porte l’infirmière au patient elle relève aussi ce qu’il dit, dans le but
d’approfondir la signification de ses pensées pour qu’il puisse en clarifier le sens pour lui-
même. Autrement dit, elle met des mots sur ses maux dans l’espoir qu’il sera capable de faire
le lien entre ses idées et ses sentiments et sa maladie actuelle.
Il est évident que dans cette situation, j’ai eu la sensation que d’un côté, Margaux parlait
d’elle en donnant une image de quelqu’un qui se connaît et qui sait de quoi elle parle, mais de
l’autre elle ne parlait pas vraiment de ce qu’elle ressentait dans l’instant ni de ses sentiments.
Son discours tendait vers la perfection, comme si elle l’avait préparé. On peut voir que son
attention était en réalité très orientée vers les autres, et que tout son comportement consistait à
ne pas faire de faux pas, pour ne pas perdre l’amour des autres. Mais en même temps, elle
s’interdit ces relations et s’enferme, tout en reportant souvent la faute sur les autres. Lors de
certaines discussions informelles, lorsqu’elle parlait des autres, la faute était fréquemment
reportée sur sa famille, comme si elle avait l’illusion que si les autres changeaient, tout
s’arrangerait comme par magie.
Dans le dernier entretien que nous avons eu, je lui ai demandé où elle voulait aller
pour parler, mais elle n’a pas su me répondre. Sachant qu’elle exprimait souvent des idées
noires ces derniers jours, je lui ai proposé d’aller dehors, marcher au soleil, pour détendre un
peu l’atmosphère.
J’ai essayé d’évaluer si elle avait pu mettre en pratique l’objectif qui avait été fixé, tout en
sachant que cet objectif n’avait plus la même pertinence qu’au début de la relation. Elle dit
avoir pu un peu expérimenter le plaisir dans le ping-pong et dans des discussions avec les
patients. Mais elle dit être toujours beaucoup dans l’anticipation donc même pendant
l’activité, elle rumine sur ce qui ne va pas et ce qu’elle doit faire après.
En réalité, j’aurai dû suivre mon intuition, et changer le cours de l’entretien, car cet objectif
était trop élevé. Mais je me sentais anxieuse de savoir qu’elle nommait des envies de suicide
auprès de certains soignants. Au fond, j’étais inquiète pour elle et je n’ai pas osé le lui dire. À
ce moment, on peut supposer que je me suis mise inconsciemment dans le rôle de substitut
maternel. Face à la menace de la mort, j’étais déstabilisée et je ne savais plus comment
aborder les problèmes. Quelque part, je cherchais à redonner un sens à sa vie, à la réconforter,
alors que l’écouter et lui donner de l’affection étaient des attitudes suffisantes dans ce moment
d’impasse. Dans ce type de situation, il est recommandé que les infirmières développent une
attitude d’humilité et qu’elles admettent l’expérience d’impuissance ou de vulnérabilité, car
en un sens,
53
ouvrir son cœur et son esprit c’est être capable de tolérer la coexistence de problèmes et
de sentiments contraires, sans succomber à la tentation d’éviter le malaise en mettant fin
prématurément à l’expérience ou en offrant une solution immédiate des problèmes.
C’est la capacité de tenir en suspens le processus de la résolution de problèmes, tout en
supputant les différentes manières d’aider le malade hic et nunc, de lui être accessible et
de lui exprimer cette accessibilité (Travelbee, 1978, p. 63).
Au cours de la discussion, elle me dit avoir compris qu’elle ne pouvait pas changer les autres,
mais qu’elle pouvait modifier son attitude, et que cela aurait une répercussion différente.
Cependant, elle dit avoir déjà essayé, mais elle ne comprend pas pourquoi cette répercussion
n’est pas celle qu’elle attendait.
J’essayais de ne pas trop répondre à ses demandes sur ce que je pensais d’elle ou ce que les
autres pensaient d’elle, mais plutôt de lui faire parler d’elle, de son ressenti et de valoriser ses
efforts. Je concentrai mon attention sur deux points. Le premier était de maintenir le lien avec
elle, et le second de la ramener à elle-même, tout en écoutant et en l’acceptant telle qu’elle
est.
Cependant, à ce moment-là, j’ai senti une rigidité dans son discours et une grande
difficulté à parler d’elle. Elle parlait indirectement d’elle, mais en réalité elle parlait des
autres. Elle perçevait les efforts qu’elle avait fait avec la nourriture, mais précisait que
lorsqu’elle relâche un peu le contrôle sur la nourriture, elle le reprend dans ses relations avec
ses proches. Margaux a très peur de prendre du poids, car selon elle, si son poids s’améliore
alors que son état psychologique reste malade, on la mettra dehors alors même qu’elle ne sera
pas prête à sortir.
En nous parlant du Moi organisateur et sélectif de l’expérience, Peplau nous dit qu’il arrive
que les patients «entendent sélectivement en fonction d’expériences antérieures et de leur
besoin d’éviter l’anxiété en limitant leur conscience de ce qui est dit» (Peplau, p.286). Cette
résistance qu’exprime Margaux face changement garantit sa sécurité à travers une attitude
passive, en attente des réactions des autres et dans le refus d’établir des liens significatifs avec
autrui. Paradoxalement, on sent un besoin de reconnaissance immense. En lien avec ce
fonctionnement, Peplau nous parle d’une communication irrationnelle, par opposition à une
communication rationnelle. La personne qui communique de manière irrationnelle n’est pas
consciente des automatismes dans ses attitudes et des relations avec les problèmes sous-
jacents. C’est une manière de se sentir en sécurité, mais cela pousse la personne à vivre dans
le passé et à considérer «la mort comme seul point de repère dans le futur» (Peplau, 1988,
p. 289). C’est pourquoi, nous devons nous souvenir que «dans la petite enfance, les interdits
et les modèles parentaux intégrés à la personnalité ont été transmis personnellement à
54
l’enfant; actuellement, ils sont communiqués par le moi formé d’évaluations reflétées qui,
dans bien des cas, n’ont pas été réexaminées ou rejetées lorsque cela était nécessaire»
(p. 290). Ainsi, notre maturité nous aidera prendre à conscience de ce qui se passe en situation
et à favoriser le développement de la personnalité de la patiente.
55
relation à Margaux avec l’espoir qu’elle puisse en faire quelque chose de positif. Cette
relation montre la difficulté que cela peut être d’aborder le processus de séparation du point
de vue soignant. Nous voyons ainsi que nous n’avons pas pu passer par la phase de résolution
de problèmes après quoi le patient se sent prêt à rentrer chez lui et à essayer de vivre des
relations enrichissantes, ses besoins de dépendances étant généralement satisfaits. Cependant
il est intéressant de prendre connaissance de comment Peplau perçoit ce processus de
libération qui selon elle, peut avoir lieu si les étapes de maternages psychologiques suivantes
ont été respectées:
Accepter le patient sans condition dans une relation soutenue qui satisfait complètement
ses besoins.
Reconnaître des signes de maturation du patient, si minimes soient-ils, et y répondre
quels que soient le moment et la forme de leur expression.
Abandonner progressivement son pouvoir au patient en fonction de sa capacité de
différer l’assouvissement de ses désirs et d’employer ses efforts à la réalisation de
nouveaux objectifs (p. 40).
Enfin, cette citation de Brown vaut la peine d’être employée comme conclusion de cette étude
de cas.
Owning our story can be hard, but not nearly as difficult as spending our lives running
from it. Embracing our vulnerabilities is risky but not nearly as dangerous as giving up
on love and belonging and joy- the experiences that make us the most vulnérable. Only
when we are brave enough to explore the darkness will we discover the infinite power of
our light. Brené Brown, The Gifts of Imperfection
4.2.1 Recherche
À travers ces points de vue, nous pouvons voir que la personne qui souffre d’anorexie
vit une lutte pour être en relation avec les autres, et paradoxalement, cette lutte l’enferme dans
un isolement social. Mais si la personne ressent une perte de liberté, elle possède encore la
capacité de prendre des décisions, et c’est là que nous avons un rôle, afin d’aider la personne à
retrouver sa capacité à faire des choix.
Si l’on accepte l’idée de s’éloigner momentanément du concept de la maladie et du
diagnostic, nous pouvons regarder les choses autrement, dans le but de nous rapprocher de
l’expérience que vit la personne. En effet, depuis cette perspective, «le besoin implacable
n’est ni une maladie, ni une adaptation à des évènements stressants, mais plutôt un noyau de
choix personnels développés, situés dans son propre monde». C’est-à-dire que si tout comme
Peplau, nous admettons que tout comportement à un sens, alors il s’agit de préserver la
capacité de choisir, à l’intérieur même du problème, et ainsi de reconnaître le sens de cette
expérience pour la personne. Car c’est en permettant (dans le sens d’avoir conscience de) à la
personne de faire des choix, qu’elle trouvera la capacité de résoudre ses difficultés. C’est ainsi
que nous pouvons respecter la personne, ce qu’elle est, avec ses choix.
D’après la synthèse, au niveau de la description structurale de Santopinto, vivre le besoin
implacable d’être toujours plus mince est une lutte persistante en direction d'un soi imagé tout
en se retirant et en s'engageant (Doucet & Bournes, 2007, traduction libre, p.26).
Ici, Santopinto nous dit que la personne lutte pour affirmer qui elle est et qui elle n’est pas, en
choisissant librement les opportunités et les limites qui confirment le sens de ses expériences
de moment en moment. Pourrait-on dire alors que c’est grâce à cette lutte avec «être et non-
être», avec être maigre et surtout ne pas être grosse, avec être connectée tout en étant séparée,
que la personne qui vit le besoin implacable d’être toujours plus mince vit son pouvoir de
choisir qui elle veut être et qui elle ne veut pas être en situation? Et c’est au cœur de cette lutte
qu’il y aurait un potentiel de changement.
57
Cette description est similaire à celle de Tustin (1986) dans son livre les états
autistiques chez l’enfant, dans lequel elle consacre un chapitre à l’anorexie. C’est là qu’elle
exprime les difficultés vécues par une jeune fille adolescente à vivre leur relation. Dans un
passage, elle raconte une séance, dans laquelle la jeune fille lui demande de partir plus tôt ce
jour (vendredi) pour aller à un cours de danse, et la séance d’après, par un concours de
circonstances, Tustin doit supprimer les séances du vendredi. Tustin la laisse partir plus tôt,
mais elles se croisent dans le bus, et malheureusement, Tustin est accompagnée d’une amie.
D’après Tustin, la patiente s’est sentie rejetée par elle, car elle l’a laissée partir plus tôt ce
vendredi-là, mais aussi parce qu’elle vivait une relation avec quelqu’un d’autre.
C’est-à-dire que l’idée que Tustin puisse vivre autre chose que ce qu’elle partageait avec elle
lui était insupportable. Intolérable, au point de vouloir tout détruire tellement cela est
insupportable de se vivre distinct. Dans cette situation, cela signifierait, accepter de se
comparer à l’autre, accepter l’envie que cela provoquerait en nous, et accepter notre
dépendance à l’autre, et la peur que cela engendrerait.
Quant à la perspective décrite plus haut au sujet de ce que vit la personne comme
expérience et de notre perception en tant que personne externe, la théorie de Travelbee
s’accorde parfaitement avec cette idée. Lorsqu’elle nous parle d’empathie, elle nous dit que
«l’infirmière commence à voir l’individu au-delà du comportement extérieur et ressent avec
précision l’expérience interne de l’autre à un moment dans le temps» (Travelbee, 1971,
p. 136). C’est aussi cette empathie qui permettrait le développement de la confiance dans la
relation et qui diminuerait ainsi le sentiment de désespoir.
Puis, elle définit une deuxième forme d’observation appelée liens empathiques,
comme la capacité de sentir en soi-même les émotions vécues par une autre personne dans la
même situation. Dans sa pensée, nous voyons le double travail que fait l’infirmière dans
l’interaction, à la fois d’être centrée sur son ressenti, de se connaître suffisamment pour faire
la différence entre ce qui lui appartient et ce qui appartient à l’autre personne, mais aussi avoir
l’ouverture d’esprit et l’engagement nécessaire pour pouvoir se mettre à la place de l’autre,
sans se perdre elle-même.
De plus, en parlant de la working phase, elle met l’accent sur l’importance de se concentrer
sur les réactions des patients à la maladie et précise que le travail doit être fait par les patients
pour le développement de leur compréhension d’eux-mêmes, et pour l’apprentissage de ce
que leur condition actuelle de santé exige d’eux-mêmes.
58
le self-système est très résistant au changement; il fonctionne pour éviter l’anxiété en
acceptant les évaluations à l’intérieur même du système existant, qui sont compatibles
avec les perceptions déjà incorporées. C’est pourquoi, les déclarations de l’infirmière en
lien avec le self-views, devraient porter sur le processus, plutôt que sur le contenu du
self-system (Peplau, 1990, cité par Reynolds, 1997, traduction libre, p. 169).
À travers la relation, l’infirmière tente d’établir une connexion, un lien de confiance. Elle
utilise ses connaissances et ses sentiments pour créer ce lien et elle essaye finalement
d’accomplir l’essence même de la relation, c’est-à-dire de «surmonter la séparation» (p.166).
59
Nous avons parfois l’impression que nous créons une sorte de fantasme qui nous fait penser
que si nous disons les choses qui nous inquiètent, qui nous font mal, qui sont un problème,
nous allons être envahis par celles-ci. Or, il est à supposer que c’est probablement l’effet
inverse qui se produit. Plus nous parlons de ce qui nous touche, plus nous serons au clair avec
nous-mêmes et nos problèmes s’évacueront petit à petit. Comme le dit Lacan: «L’analyse est
une pratique de langage». Mais à travers cette expérience avec Margaux, nous pouvons
constater les difficultés qu’elle avait à mettre des mots sur ses maux. Elle exprimait une
révolte envers tout le monde, elle voulait de l’aide, mais elle n’était peut-être pas encore prête
à nous faire confiance, pour avancer ensemble vers une amélioration de son état de santé . Le
langage est ce qui nous tient les uns avec les autres, il nous relie, il nous permet d’échanger et
de vivre de véritables petits moments d’intégrité, de compassion, de rationalité et d’amour.
Comme nous l’avons dit précédemment, soigner exige une certaine authenticité dans
la rencontre avec l’autre. C’est pourquoi il est important de définir ce que cette qualité
représente dans ce contexte. L’authenticité, c’est peut-être d’oser prendre le temps de
vraiment regarder ce que l’on ressent. Puis, de faire avec ce tout, pour agir en cohérence avec
nos sentiments et nos pensées. Si l’on va plus loin dans la réflexion, cela signifie que nous
sommes disposés à prendre conscience des émotions que l’on ressent, à les accepter, et même
à les utiliser. Cela paraît simple par écrit, mais certains d’entre nous, ou peut-être nous-
mêmes, avons parfois grandit en mettant de côté les choses que l’on ne pouvait ou ne voulait
pas voir.
Si nous nous mettons d’accord sur le fait que la seule constante dans ce monde est
l’impermanence, alors l’être humain et un être en perpétuel changement, qui doit s’adapter
aux situations qui l’entourent pour rester en cohérence avec lui-même. S’adapter signifie
accepter le changement.
Or, se transformer intérieurement c’est s’exposer à des risques, c’est aller vers
l’inconnu, c’est rencontrer nos angoisses, c’est reconnaître nos erreurs, se montrer humble,
c’est oser regarder nos plus grandes difficultés dans les yeux, notre désespoir ou encore notre
impuissance face à certaines situations. En résumé, c’est être courageux, voire même très
courageux. Mais notre esprit et notre corps ne sont pas habitués à fonctionner en pilotage
manuel, ils préfèrent voyager en pilotage automatique. C’est plus confortable, «on fait comme
d’habitude, pas de problème!». Mais ces habitudes peuvent être une jolie façade que l’on s’est
construit et qui fonctionne parfaitement, jusqu’au jour où elles présentent plus
d’inconvénients que d’avantages. Ce jour-là on est peut-être prêt au changement, mais encore
faut-il bien vouloir accepter les conséquences de ce changement. Cela peut en effet faire très
peur, car souvent nos mécanismes de défense sont des remparts à des peurs profondes telles
60
que la peur de l’abandon, ou la peur de ne pas être aimé. C’est pourquoi, cela peut nous
déstabiliser d’accueillir cette nouvelle émotion ou attitude, mais c’est aussi réconfortant de
réaliser que l’on gagne en authenticité envers nous-mêmes.
L’authenticité pourrait alors être l’ingrédient essentiel à la relation d’aide, et même à toute
relation, puisque c’est elle qui nous permet de voir ce que l’on ressent, et ainsi de nous sentir
distincts des autres, et de leurs émotions. Alors, le soignant lui-même est rassurant, car non
seulement il inspire confiance, car il essaye d’être lui-même ce qu’il souhaiterait voir chez le
patient, mais en plus il accepte ce que le patient lui montre de lui-même, c’est à dire qu’il
accepte profondément les vulnérabilités du patient.
Malheureusement, nous sommes nombreux à devoir réapprendre à vivre nos émotions et nos
pensées, car enfant, nous avons souvent été habitués à les rationaliser. Nous avons pour
principe d’agir en fonction de ce qui est bien ou pas bien: «ne fais pas ça c’est mal!» «Arrête
de pleurer, tu es un garçon!», etc. C’est pourquoi, nous devons apprendre à nous réapproprier
nos sentiments, afin de pouvoir les distinguer de nos pensées et des celles des autres.
Pour le soignant, savoir distinguer ses émotions de celles de l’autre, le patient, est un
travail qui semble incontournable pour pouvoir continuer à aider l’autre, et cela sans
s’épuiser, sans se mentir sur nos propres forces et faiblesses. C’est peut-être ce qui nous
permettrait de nous laisser aller dans la compréhension de l’autre, sans avoir peur de se perdre
soi-même. Il s’agit un travail de tous les jours et probablement de toute une vie, mais voilà
déjà un grand pas en avant que d’en avoir conscience. Comme évoqué dans la citation de
Brown (2010), c’est lorsque nous aurons le courage de voir la partie d’ombre qu’il y a en
nous, que nous découvrirons le pouvoir de la lumière. Comme si ces deux éléments étaient
intrinsèquement liés. Autrement dit, nous sommes des humains imparfaits, mais parfaitement
capables d’en prendre conscience, et c’est même ce qui nous aiderait à voir notre beauté.
Ce n’est pas une mission facile pour une femme qui souffre de troubles du comportement
alimentaires, maladie souvent caractérisée par un besoin de contrôle absolu, de perfection.
Brown nous parle du perfectionnisme de la manière suivante: “Perfectionism is a self
destructive and addictive belief system that fuels this primary thought: If I look perfect, and
do everything perfectly, I can avoid or minimize the painful feelings of shame, judgment, and
blame”.
En effet, nous savons que l’une des fonctions de l’addiction est l’anesthésie des
sentiments. Le comportement additif occupe l’espace, soulage l’ennui et la souffrance, en
répondant rapidement et efficacement aux émotions négatives. Brown relie le sentiment de
honte directement à la valeur que l’on attribue à notre Moi, contrairement à la culpabilité qui
est plus liée à notre comportement. La honte, c’est le sentiment qui nous fait penser que l’on
61
ne sera jamais assez bon, jamais assez bien. La perfection est destructrice, dans le sens où elle
est inatteignable, ce qui alimente le sentiment de honte, car la personne se sent de plus en plus
incapable d’atteindre ses buts. Ces deux caractéristiques associées diminuent fortement
l’estime de la personne, en l’entraînant dans un cercle vicieux qui la paralyse et l’enferme.
Certaines attitudes comme le silence (dans le sens d’empêcher l’expression des sentiments) et
le jugement sont des réponses fréquentes face à la maladie, car celle-ci nous renvoie à nos
propres hontes, à nos craintes et nos non-dits. À l’inverse, les études montrent qu’un
comportement empathique et une écoute chaleureuse sont des antidotes à ce sentiment de
honte, qui serait à la source de certains comportements figés, ou de maladies mentales.
C’est pourquoi, nous pensons que la possibilité d’exprimer et de montrer nos hontes cachées,
nos vulnérabilités et de les voir acceptées telles qu’elles sont, est un facteur qui favorise le
développement de la personne dans une relation thérapeutique.
Nous vivons dans un monde dans lequel les êtres sont habitués à communiquer de
manière virtuelle. Les outils ne manquent pas: Facebook, Skype, MSN, mails, Twitter,
téléphones portables, WhatsApp, webcam, etc. Nous passons aussi beaucoup de temps avec
des personnages virtuels que l’on trouve dans les séries télévisées, les films, les jeux vidéo,
etc. Si ce mode de vie offre comme avantage de pouvoir communiquer plus vite, de pouvoir
rêver un peu à travers d’autres vies, d’autres personnes toujours disponibles, il n’en est pas
moins un danger pour notre équilibre mental, s’il n’est pas bien dosé. Le déséquilibre
commence lorsque nous nous nourrissons plus de cette nourriture virtuelle que de la
nourriture émotionnelle réelle qui résulte de nos liens sociaux.
Nous pouvons faire la comparaison avec les dépendances (alcool, drogues, comportements)
qui sont la solution première dès qu’il faut soulager un état de stress ou de tristesse, et ceci, au
détriment de nos relations affectives. En effet, la drogue est quasiment toujours accessible et
elle provoque un plaisir ou un soulagement momentané, mais certain.
La dépendance devient la priorité, aux dépens du travail, des amis, de la famille et de la santé.
Ces personnes peuvent alors avoir des difficultés à communiquer et à établir des relations
interpersonnelles significatives.
C’est pourquoi, nous voyons la communication comme le noyau central pour aider le patient à
retrouver des relations interpersonnelles satisfaisantes. En effet, la différence entre la vie
privée et les soins, s’exprime dans le fait que dans les soins le patient s’engage à interagir
avec un soignant et inversement. Ce qui signifie qu’il entre dans une relation (il n’est plus
seul) qui a pour fonction de lui redonner confiance, et de redonner un sens aux relations
humaines et si possibles, à la maladie. Ainsi, le soignant agit dans le moment présent, en
62
essayant de suivre son bon sens, afin de savoir quand il est bon de parler ou de se taire, mais
aussi ce qu’il faut dire et comment le dire.
La relation d’aide est un processus d’ordre expérientiel (conscients de ce qui se passe),
une expérience vécue au moyen d’un dialogue significatif entre deux personnes,
l’infirmière et le malade; c’est une relation au sein de laquelle chacun est sensibilisé à
l’autre et lui ouvre son cœur, son esprit et son intimité, tout en faisant preuve de
compréhension empathique (Travelbee, 1978, p. 62).
Le fait que ces personnes s’isolent et prennent pour habitude de n’avoir recours qu’à leurs
seules ressources intérieures, influence fortement leur caractère et peuvent les conduire à
avoir des comportements rigides ou stéréotypés. Le manque de communication a donc des
effets sur la personnalité, la sensibilité, ainsi que sur l’aptitude à vivre en société. Mais,
puisque la perception qu’à une personne d’elle-même et des autres tient du comportement
acquis, nous avons un rôle essentiel à jouer lorsqu’il s’agit de désapprendre un comportement
pour en adopter un autre. Cela peut se faire au sein de l’interaction avec le patient.
C’est pourquoi, en tant que soignants, nous devons faire preuve de vigilance et d’humilité afin
de pouvoir aider au mieux le patient à cibler ses problèmes, à les accepter et à trouver de
nouveaux modes de comportement.
En effet, comme le souligne Travelbee:
Si les infirmières ne peuvent pas voir leur propre comportement, et de quelle manière il
affecte les autres, on peut alors douter de leur capacité d’aider les individus dont les
problèmes proviennent précisément de l’inaptitude à communiquer et à établir des
relations significatives avec les autres (p.53).
C'est ainsi que les infirmières doivent avoir conscience de ce que leurs propres
représentations d'une situation peuvent signifier comme opportunité d'entrer en relation. Mais
cette perception propre doit avant tout leur servir à discerner de manière claire la perception
du patient, afin de le guider vers un mode d'action adéquat. En d’autres termes, le ressenti des
infirmières doit leur servir à se laisser guider intuitivement, mais sans pour autant mettre de
côté le ressenti du patient.
Effectivement, King (1971) le décrit en ces termes:
Les effets de la propre perception (de l'infirmière) influencent la communication et les
relations interpersonnelles avec d'autres personnes. Les infirmières sont préoccupées par
leurs propres actions et celles des autres. Les éléments de base concernant l'action
conduisent à savoir ce qu'une personne peut faire, ce qu'elle essaie de faire, et ce qu'elle
entend faire au sujet de son problème de santé. Ce qui est perçu par les individus peut
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être jugé par eux comme favorable ou défavorable. Les infirmières influencent la
perception du patient, la communication et les relations, et le motivent soit à agir, soit à
l'en empêcher (traduction libre, pp. 102-103).
Au paravant, les infirmières avaient des lignes de conduite sous forme de directives
(croyances militaires ou religieuses) et cela fut transmis au fil du temps, pour finalement se
transformer en sortes de vérités éternelles. La directive de ne pas s’engager affectivement
auprès du malade est un des meilleurs exemples.
En effet, nous pensons que la distance thérapeutique, comme il est d’usage de la nommée, si
elle est imposée comme une règle ou comme un conseil à une stagiaire par exemple, n’est
plus quelque chose de souple et de naturel. La stagiaire peut prendre peur et adopter un
comportement distant, car au fond, elle ne connaît pas les risques qu’elle prend en ne suivant
pas cette consigne. Par souci de bien faire ainsi que pour être acceptée dans l’équipe, elle
risque de stopper, ou freiner la relation qu’elle entretien avec le patient. Or la distance
thérapeutique est quelque chose de nécessaire certes, mais qui s’apprend avec l’expérience,
avec l’apprentissage de nos propres limites. Nous pensons que la distance thérapeutique peut,
si elle se fait de manière automatique, avoir comme conséquence une relation superficielle
entre le soignant et le patient, et cela peut avoir des conséquences négatives sur ce dernier, car
celle-ci est dénuée de gestes ou de paroles d’affection, de douceur, d’authenticité, qui sont des
actes qui soutiennent le sentiment de confiance et qui amenuisent le sentiment de solitude que
peut ressentir le patient. Visiblement, cette directive de non-engagement est pour certaines
infirmières une solution pour ne pas être trop affectées. Elles pratiquent alors le détachement,
en s’éloignant de la source de leur anxiété qu’est le patient, afin de mieux se protéger.
En réalité, nous pensons que cette distance thérapeutique est un fantasme qui va à l’encontre
de la croissance de l’infirmière et qui est aussi totalement antithérapeutique, particulièrement
dans le domaine de la psychiatrie, où la relation est au centre du soin. S’engager
personnellement consiste à:
D’une part, se reconnaître et s’accepter soi-même comme un être distinct et,
simultanément, percevoir aussi les autres comme des êtres distincts; et, d’autre part,
exprimer ses sentiments ou en contrôler l’expression au cours de l’interaction avec le
malade, au moment opportun (p. 38).
Cela requiert chez l’infirmière «des connaissances, une capacité d’insight, de l’autodiscipline,
de l’ouverture d’esprit et une liberté suffisante pour se manifester au malade telle qu’elle est»
64
(p. 38). L’objectif étant de pouvoir offrir au patient un véritable soutien pour répondre à ses
besoins, sans toutefois le rendre dépendant de cette sollicitude.
D’après Travelbee, nos sentiments influencent notre perception, nos pensées, nos
paroles ainsi que nos actions. C’est pourquoi, l’interprétation de notre propre comportement
ne peut être que subjective, car nous vivons avec nos émotions. Pour confirmer son point de
vue, Travelbee nous dit qu’ «une objectivité totale est impossible. Cependant, ce qui est
possible, c’est d’atteindre un certain degré d’objectivité dans les interactions avec le malade»
(p. 42). L’objectivité, au sens d’une personne neutre, distante ou indifférente, est un obstacle à
une relation significative, car elle est vide de spontanéité, de naturel, de chaleur, d’interaction
et donc de relation. Prendre conscience de notre subjectivité au quotidien est déjà une grande
étape dans l’apprentissage de notre posture soignante.
La compréhension d’une situation permet non pas de tout accepter, mais d’avoir une
réaction rationnelle face à un comportement plutôt anormal pour le soignant, c’est à dire en
portant un regard sur la globalité de la personne sans jugement de valeur. Cependant,
l’infirmière peut toujours ressentir de l’antipathie, de la colère ou de la peur face à la personne
malade. Dans ce cas, c’est à elle d’essayer de reconnaître ses sentiments et d’agir pour en
faire quelque chose de constructif. Auquel cas elle ne serait pas intègre et son comportement
pourrait tendre vers de la maltraitance. Lorsque l’on admet que l’on est humain et que l’on
réagit comme un humain, cela permet une évolution positive et constructive de la situation.
En effet, nous ne sommes pas neutres dans les soins ou ailleurs, et il s’agit alors d’identifier
nos propres émotions et de voir quelle est la part qui nous appartient et sur laquelle nous
pouvons agir. Plutôt que de se donner pour objectif l’absence de jugement, ce qui est une
attitude irréaliste, nous pouvons essayer de limiter nos jugements moraux et prendre
conscience de ceux que nous ressentons.
Nous savons que chaque individu change continuellement. Cependant, «on a tendance
à n’observer que ce à quoi on est habitué et à ne pas enregistrer des perceptions qui s’en
écartent légèrement» (p. 26). Cette tendance à négliger ce qui est familier et perçu comme
acquis est un piège dans la relation. Il s’agit dans un premier temps de prendre conscience de
ce piège et dans un deuxième temps d’essayer d’entretenir une curiosité pour l’autre, en ayant
un regard neuf sur lui. Pour cela, l’effort à faire est dans la transformation de notre perception
afin de rester ouvert à de nouvelles réactions en tant qu’observateur impliqué et non pas
étranger à ce qu’il observe, à ce qu’il vit.
65
La réification peut aussi constituer un obstacle à la relation, car la focalisation des
soignants sur le corps en tant qu’objet est un facteur de négligence qui peut nier la liberté de
la personne ainsi que la personne elle-même. En omettant de porter notre attention sur le
patient en tant que sujet, nous ne pouvons aller à la rencontre de sa personne, ni le soutenir
dans sa souffrance psychique.
Nous pourrions voir cela sous l’angle de la présence vraie. Par exemple, lorsque l’on pose la
question «comment ça va?» de manière sincère et authentique, cela signifie que l’on prend le
risque de prendre sur nous les souffrances de l’autre, lui communiquant ainsi notre intérêt.
C’est entrer dans l’existence de l’autre, pour rendre ou donné un sens à nos actes.
L’anxiété peut avoir plusieurs causes: la peur d’être rejeté ou humilié, la peur de dire
quelque chose de faux, la peur de blesser l’autre, la peur de montrer son incompétence, la peur
d’être attaqué verbalement ou physiquement. En général, ressentir un peu de stress est
souvent un moteur pour la plupart d’entre nous. Cependant, trop de stress peut nous empêcher
de nous focaliser sur les données à observer. Cela peut aussi nous empêcher de leur trouver un
sens, car nous n’avons pas la tranquillité nécessaire à leur compréhension. Le patient aussi
peut avoir de la difficulté à communiquer s’il est trop anxieux. Dans cette situation, nous
pouvons faire l’hypothèse que l’une des causes de l’anxiété pourrait être la peur de l’intimité,
ou la peur de l’inconnu, mais il peut y avoir une multitude d’autres raisons. La peur de
l’intimité avec l’autre peut aussi être un obstacle à la rencontre et les soignants qui ont une
tendance à éviter l’intimité sont en général plus vulnérables à l’anxiété. L’infirmière peut
aussi avoir des difficultés à supporter l’anxiété du malade lorsque celle-ci augmente
fortement. Elle n’arrive peut-être pas bien à gérer sa propre anxiété, donc lorsque celle du
malade est trop forte, elle décide de mettre fin à la relation.
Il est essentiel que l’infirmière comprenne la perception qu’elle a du patient ainsi que
la perception que le patient à d’elle pour pouvoir aller plus loin dans la relation, sans quoi elle
aura un comportement rigide et stéréotypé qui ne sera d’aucun bénéfice pour le patient.
Plusieurs facteurs peuvent influencer notre perception tels que l’âge, la classe sociale, la
position, le rôle, l’anxiété. L’infirmière peut percevoir le malade à travers un préjugé ou alors
en le mettant dans une catégorie en le voyant uniquement à travers le diagnostic.
Effectivement, les différences sociales, l’âge, ou la position peuvent engendrer des difficultés
dans la communication, mais avoir conscience de l’effet de ces facteurs sur notre perception
du malade va plutôt améliorer notre capacité à aider le malade.
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Un des obstacles majeurs à la prise de conscience de ces facteurs sur notre perception du
patient est développé par King (1971), au travers de son concept de système social.
Effectivement, l'exploration de ce système social démontre que le rôle, le statut, l'âge et la
classe sociale influencent les individus et les systèmes de valeur, de culture et de
comportement (traduction libre, p.63).
Les infirmières... ont leurs fonctions déléguées par leur rôle et leur statut, ce qui peut les
empêcher d'utiliser leurs connaissances sur le comportement humain et les soins
infirmiers. Les objectifs de l'infirmière pour les soins aux personnes peuvent être en
conflit avec les objectifs du système de soins de santé. Les jugements indépendants des
infirmières et infirmiers jouent un rôle majeur dans la réalisation des objectifs de soins
infirmiers. Un concept de système social est fondamental pour comprendre les relations
entre les individus, les groupes et la société, et l'influence sur la vie et l'état de santé de
l'homme. En conclusion, ce sont les infirmières qui tissent des compétences humaines,
des équipements techniques et la structure administrative dans une approche unifiée
pour la prestation des soins infirmiers et de la santé au sein des systèmes sociaux
(traduction libre, p. 63).
Nous pouvons par conséquent en conclure qu'il subsiste une certaine influence des institutions
au sein desquelles les infirmières exercent leur profession et qu'il devient de ce fait nécessaire
de raisonner et de mener sa pratique en regard de la science infirmière. Car c'est au travers
d'elle que nous sommes à même de mettre à profit nos connaissances et notre propre capacité
d'action dans les prises en soins, en ayant la possibilité de prendre du recul et d'exercer une
observation et une interaction critique et constructive, susceptibles de se démarquer des lignes
de conduite indirectement ou directement imposées par les établissements de soins.
Tout comme les patients, l’infirmière essaye de résoudre ses problèmes avec les
moyens lui donnant le plus de sécurité émotionnelle. Lorsque l’un des deux voit dans l’autre
une personne qui ne lui est pas indifférente, c’est à dire qui lui rappelle quelqu’un, ce qui
provoque une émotion positive ou négative, il peut reporter sur l’autre des sentiments liés à
cette personne du passé ou du présent. C’est la raison pour laquelle une infirmière peut ne pas
avoir résolu tous ses problèmes, et cela peut devenir un obstacle au sein de la relation d’aide.
Parfois, certaines infirmières cherchent à éviter l’intimité dans la relation à l’autre. C’est
évidemment une barrière à la relation d’aide puisque l’intimité est un ingrédient nécessaire à
la connaissance de l’autre et donc à la possibilité de l’aider.
Il arrive que l’infirmière cherche à satisfaire ses propres besoins aux dépens de ceux du
malade en cherchant des compliments ou des attentions de la part de celui-ci.
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Il est possible que certaines infirmières n’arrivent pas à identifier ce qui leur pose problème
dans la relation, car les défenses qu’elles construisent ne sont pas toujours conscientes. L’aide
d’un superviseur peut les aider à identifier leurs problèmes et à modifier leur comportement.
Si les causes sont trop profondes, il vaut mieux qu’elle cherche à faire une psychothérapie
pour comprendre les raisons de leurs attitudes.
Souvent, la somme des mouvements est telle que je suis obligée, pour des raisons que
j’ignore, de la réduire et de ne laisser que ce qui est authentique. Pina Bausch
Au sein de la perspective infirmière nous allons nous appuyer sur le travail de Peplau
et Travelbee, et concernant la psychologie, nous nous aiderons de Carl Rogers (1961).
Nous souhaitons aborder ce thème en précisant que la relation entre l’infirmière et le patient
est un lien d’égalité, ou de personne à personne dans laquelle l’infirmière ne s’efface pas
derrière le patient, dans le sens qu’elle ne réprime pas ses sentiments, mais qu’elle ne
s’impose pas non plus.
Nous avons fait l’hypothèse que certaines attitudes exercées dans la relation étaient à la base
d’une relation de confiance et de sécurité allant dans le sens de la croissance pour la personne
soignée et pour l’infirmière. Car si les conditions des relations interpersonnelles s’améliorent,
la volonté du patient de découvrir et d’affronter ses problèmes s’améliore aussi, le besoin de
refouler ou de déformer son expérience étant moins puissant. D’une part, ces conditions
aident l’infirmière à connaître le patient, à travers une rencontre, d’autre part, elles favorisent
l’expression réelle des sentiments à l’égard des difficultés présentes pour le patient.
C’est pourquoi nous souhaitons approfondir ces attitudes afin d’éclaircir le sens de celles-ci,
ainsi que leurs effets dans la relation. Il est important d’ajouter que nous pensons que si ces
conditions sont aidantes, elles dépendent en grande partie de la manière dont elles sont
perçues par le patient.
Nous pensons que l’humain est un être d’émotions et qu’il a besoin de relations pour se
construire. La communication est le centre de la relation d’aide et tout au long de la rencontre,
le soignant essaye de distinguer ce qui est aidant dans l’interaction avec le patient de ce qui
est blessant, handicapant, nocif.
Ce que nous allons aborder n’est pas à voir comme une vérité, mais plutôt comme des
ressources pour le soignant, susceptible d’aider le patient à vivre une relation qui lui paraît
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satisfaisante, tout en ne négligeant pas son propre style, et la spontanéité qui en découle. Cette
spontanéité naturelle est précisément ce qui nous intéresse ici, car il s’agit d’essayer d’être au
plus près de ce que nous sommes réellement dans la relation avec l’autre.
Pour Rogers, la personne sera plus souple face au changement «lorsque le psychothérapeute
est ce qu’il est, lorsque ses rapports avec son client sont authentiques, sans masque ni façade,
exprimant ouvertement les sentiments et attitudes qui l’envahissent de l’intérieur à ce
moment-là» (Rogers, 1961, p. 45).
De là découle le concept de congruence et de transparence, car cette authenticité ne veut pas
dire que le soignant soit dans l’obligation de ne rien cacher au patient et de tout lui dire, mais
il se doit par contre de ne rien se cacher à lui-même, et c’est ce que Rogers appelle «la
congruence» (p.45), qui en quelque sorte est l’authenticité intérieure. Par ailleurs, le soignant
a pour tâche de faire part de ses sentiments au patient si ceux-ci persistent. Par exemple, s’il
sent un malaise dans la relation depuis plusieurs entretiens, même s’il n’identifie pas
exactement l’origine de ce sentiment, il se doit de le transmettre au patient, pour débloquer la
situation. Cette démarche serait appelée «la transparence» (p.223) ou l’authenticité extérieure.
De plus, ces concepts ou valeurs ne sont pas inutiles dans les relations avec l’équipe
interprofessionnelle puisque «lorsque l’éducation professionnelle exige des attitudes
conventionnelles et ne permet pas l’expression et l’examen des sentiments authentiques sous-
jacents, les relations de collaboration sont difficiles à établir» (Peplau, 1988, p. 58).
La congruence
Pour décrire ce terme, Rogers nous dit: «J’ai utilisé le terme de congruence pour
désigner l’affrontement précis de l’expérience vécue en pleine lucidité» (Rogers, 1961,
p. 191). Ainsi, le ressenti ou l’expérience, la conscience et la communication doivent être en
cohérence. Il peut y avoir une incohérence à deux endroits, entre l’expérience et la conscience
ou entre la conscience et la communication. C’est au niveau qui se situe entre la conscience et
la communication que nous avons la possibilité de faire un choix. Puisque notre réaction ne
dépend pas de notre besoin de défense, nous pouvons choisir si notre communication est
congruente ou non avec la conscience que nous avons de notre expérience, et ainsi choisir de
l’orientation que prendra la relation.
Le soignant essaye cependant de faire attention à ne pas trop influencer le patient dans
ce qu’il voudrait qu’il soit. Nous pouvons par exemple nous poser les questions suivantes:
suis-je suffisamment stable pour aider une personne dépressive, sans être entièrement anéanti
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par sa tristesse? Suis-je assez fort pour soutenir une personne anorexique, sans être envahi par
la peur de sa mort? Suis-je suffisamment solide, dans mon propre état de séparation, pour ne
pas me sentir enfermé dans sa dépendance? Ainsi, nous devons nous poser la question si oui
ou non, notre propre anxiété a un impact dans l’interaction avec le patient. Même si l’on
suppose que notre influence est inévitable, il n’en est pas moins que le patient est une
personne unique qui désire que l’on sache l’apprécier dans sa différence. Car c’est lorsque le
patient verra ce qu’il y a d’unique en lui, qu’il pourra s’épanouir en étant pleinement lui-
même. C’est pourquoi, le soignant doit oser être lui-même dans la relation. Car dans un
premier temps, c’est ce qui mettra le patient en confiance et par la suite c’est ce qui le
poussera peut-être à être pleinement lui-même. Cette phrase résume bien cette pensée:
J’ai fini par comprendre qu’être digne de confiance n’exige pas que je sois conséquent
d’une manière rigide, mais simplement qu’on puisse compter sur moi comme un être
réel. J’ai employé le mot congruence pour désigner ce que je voudrais être. J’entends
par ce mot que mon attitude ou le sentiment que j’éprouve, quels qu’ils soient, seraient
en accord avec la conscience que j’en ai. Quand tel est le cas, je deviens intégré et
unifié, et c’est alors que je puis être ce que je suis au plus profond de moi-même. C’est
là une réalité qui, d’après mon expérience, est perçue par autrui comme sécurisante
(p. 37).
En effet, la cohérence entre le message implicite et le message explicite inspire la confiance,
tandis que l’inverse nous fait généralement réagir avec méfiance.
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personnellement. Mais si l’infirmière doit tendre vers une objectivité raisonnable, elle a aussi
besoin de sa subjectivité pour entrer en connexion avec la subjectivité du patient.
De plus, avoir cette attitude d’introspection demande une véritable motivation, car si nous
voulons rester reliés de manière cohérente avec le patient, nous devons l’être avec nous-
mêmes, ce qui signifie être capable de vivre aussi ce qui nous dérange, ce qui nous fait peur,
ce qui nous renvoie à nous-mêmes dans ce que nous avons de plus fragile. C’est là que nos
propres mécanismes de défense peuvent être une barrière à la reconnaissance de certains
sentiments, et donc une barrière qui nous empêche de rentrer dans le monde expérientiel du
patient. C’est pourquoi, l’expérience et la maturité sont des facteurs plutôt aidant pour le
soignant qui vit une relation thérapeutique.
Une autre partie de ce travail est d’oser vivre ce ressenti de manière authentique, c’est
à dire en étant nous-mêmes. Cela implique un certain deuil de la perfection, pour pouvoir
faire avec tout ce que nous sommes. Donc, être stupide par moment, être en colère, être
ridicule ou faire la chose qu’il ne faut pas faire, sont des exemples de comportements qui
existent de manière intrinsèque, et qui demandent de l’humilité afin d’oser les montrer
lorsqu’ils sont présents. Il est important de ne pas cacher au patient que nous avons des
réactions fortes, parfois négatives, que nous faisons des erreurs, mais que le monde ne
s’effondre pas pour autant. C’est «OK» d’être soi, c’est même très bien, pour autant que nous
soyons responsables et capables d’admettre nos erreurs et de nous excuser si besoin.
Cette ouverture sur nous-mêmes, en acceptant nos imperfections, nos limites et notre
vulnérabilité, nous rapproche d’une acceptation et d’une confiance plus grande envers le
patient. L’inverse est probable, c’est-à-dire qu’une personne peu congruente aura des
difficultés à accepter l’autre et à lui faire confiance. Par exemple, une personne qui aurait peur
de prendre des risques dans une relation, n’oserait pas dire ce qu’elle pense réellement et
garderait en elle un conflit sous-jacent, alors qu’en l’exprimant, elle pourrait clarifier cela
avec l’autre et ainsi saisir l’occasion de grandir leur acceptation mutuelle.
D’habitude, lorsque nous comprenons et que nous acceptons quelqu’un, cela atténue
les possibilités de ressentir des sentiments négatifs et favorise le développement d’émotions
positives telles que l’empathie ou l’affection. En ayant moins besoin de se défendre,
l’infirmière fait de la place à l’écoute. Cette écoute ainsi que les sentiments positifs envers le
patient permettent au patient de se sentir «empathiquement compris», ce qui lui permet de
développer une «considération positive» pour le soignant (p. 226).
71
Comme nous l’avons dit, nous comprenons l’autre à travers nous-mêmes, alors l’empathie est
d’une certaine manière interdépendante de la congruence. À l’intérieur de la congruence, elle
est une manière empathique d’utiliser l’expression de soi. Évidemment il y a l’intention réelle
d’être simplement aimable et congruent, mais l’empathie c’est l’art de se mettre sincèrement à
la place de l’autre pour pouvoir le comprendre. C’est avoir suffisamment de bon sens, pour
trouver ce qui est juste de dire, quand le dire et comment le dire.
Concernant la manière de communiquer ses sentiments, il existe ce qui est aussi
communément appelé «l’affirmation de soi». C’est l’idée que la personne s’exprime en
utilisant le «Je», plutôt que le «Vous». De plus, elle parle de ses sentiments plutôt que de ceux
de l’autre et évite ainsi de porter un jugement dans la remarque qu’elle voudrait transmettre.
Cette communication évite de rentrer dans la dualité du bien et du mal en disant par
exemple : «C’est une excellente chose d’arrêter de fumer; ce n’est pas bien de manger trop de
chocolat». C’est intéressant d’imaginer que l’on essaye de transmettre un besoin, plutôt que
de vouloir éduquer l’autre.
Selon Rogers, le non-jugement est un corollaire important du concept de congruence, car une
personne congruente ne peut pas exprimer de fait extérieur dans sa communication. C’est-à-
dire qu’elle ne pourra pas dire «il est stupide», «elle est gentille», car
nous ne faisons jamais l’expérience de faits de ce genre. La conscience exacte de
l’expérience devrait toujours être exprimée sous forme de sentiments, de perceptions, de
déclarations se rapportant à un cadre de référence interne. Je ne sais jamais qu’il est
stupide ou que vous êtes méchant. Je ne peux que percevoir que vous me paraissez
l’être. (p.224).
Enfin, nous pouvons supposer que le patient qui ressent le soignant comme congruent,
empathique et acceptant, aura moins de barrières dans sa communication, ce qui lui permettra
de s’exprimer plus librement et plus authentiquement.
Rogers a défini trois règles qui aident le soignant à ne pas dépasser les limites de la
congruence. Tout d’abord, la congruence est, dans le discours du soignant, une réponse à
l’expérience du patient. C’est-à-dire qu’il ne serait pas pertinent que le soignant exprime
toutes ses sensations, sur la vie en générale ou sur ses propres expériences par exemple. Ce
n’est pas interdit de faire ce que l’on appelle de «la révélation de soi», dans le but de mettre
le patient en confiance ou de montrer son empathie.
La deuxième règle est que la conduite du soignant congruent doit être appropriée au problème
immédiat du patient. C’est-à-dire qu’il ne cherche pas de réponse trop générale ou inspirée de
l’expérience d’un autre patient ayant vécu une situation similaire.
72
Enfin, afin que la relation soit équilibrée, Rogers souhaiterait que le soignant exprime
principalement les sentiments persistants et pouvant poser problème s’ils ne sont pas
communiqués. C’est-à-dire que si le soignant est dérangé, frustré ou irrité par quelque chose,
il ne le dira que si ce sentiment est régulier et ne se transforme pas avec le temps.
Pour Watson (1985), «la congruence est fondée sur la concordance entre ce qu’elle est
vraiment et ce qu’elle donne à voir d’elle-même, sincère et sans façade ou masque
professionnel» (p. 37). Si cet effort ne se fait pas, les sentiments en nous qui sont non
reconnus sont susceptibles d’affecter la qualité des soins de manière négative, même si notre
intention est de nous protéger et non pas de nuire.
À travers Rogers, Carkhuff et Gazda, Watson énonce certains points pour réagir avec
congruence. L’infirmière qui suit ces directives:
…jouera le moins possible de rôles auprès d’autrui, en particulier celui du professionnel
de l’aide. Si elle veut que l’autre personne soit authentique, sincère et ouverte, elle doit
donner elle-même l’exemple de sincérité, d’authenticité et d’ouverture.
sera en mesure de s’informer sur les difficultés qu’elle rencontre avec autrui et de tirer
des leçons de celles-ci. Autrement dit, elle doit essayer honnêtement d’identifier
l’origine de ces difficultés: lui incombent-elles, proviennent-elles d’une source
extérieure, ou bien encore sont-elles le résultat de l’interaction entre les deux parties?
Cela peut nécessiter un travail sur soi par le biais d’un conseil extérieur, d’une thérapie
ou de tout autre effort de croissance similaire. Il s’agit là d’un processus continu
d’expérience de vie.
réagira à ses propres expériences ainsi qu’à celles du patient. L’infirmière doit être
attentive à elle-même comme aux autres (p. 38).
Pour finir, nous aimerions mettre l’accent sur le fait que chacun d’entre nous, pouvons
à un moment donné, par négligence, par fatigue ou autre, faire passer nos besoins et nos peurs
avant celles du patient. Le tout est d’essayer d’en prendre conscience.
L’infirmière doit comprendre le rôle maternel dans sa continuité, sans oublier d’étape, de
l’acceptation et l’attention inconditionnelles jusqu’à la relation de personne à personne
(Peplau, 1988, p. 56).
73
Si l’on se réfère à la théorie, selon laquelle «la maladie est un événement auquel se
rattachent des sentiments provenant d’expériences antérieures qui sont réactivées dans la
relation de l’infirmière au patient» (p. 153), alors l’infirmière se doit de comprendre les
différentes étapes du développement de l’enfant afin de pouvoir décoder les indices qui se
cachent derrière les comportements des patients. C’est pourquoi nous allons faire quelques
liens entre certaines attitudes maternelles et l’attitude de l’infirmière en interaction avec le
patient. D’après Peplau,
les principes qui permettent à l’enfant de se concentrer sur l’apprentissage et de
s’organiser sur des bases toujours plus fructueuses sont: l’amour maternel
inconditionnel, le respect de la capacité biologique de l’enfant qui survient comme un
progrès important nouvellement acquis en direction du contrôle de soi, la confiance qui
modèlera son comportement sur celui des parents s’il existe une relation satisfaisante
entre eux, et l’absence d’approbation ou de réprobation (p. 186).
En effet, une attitude de non-jugement exige l’absence de critique positive ou négative liée au
comportement de la personne. Les deux formes de jugement engendrent une pression, soit
celle de faire mieux, soit celle de ne pas faire moins bien. Selon Peplau, l’amour conditionnel
répond aux besoins de la mère, tandis que l’amour inconditionnel est régulé par les besoins de
l’enfant. Selon elle, «tout enfant requiert d’abord une attention inconditionnelle. Quand il la
reçoit, il peut cultiver son désir légitime d’améliorer ses outils de communication et de lutter
pour maîtriser, à sa façon, le monde matériel» (p. 166).
En parlant de la difficulté que chacun a à accepter les différences des autres, Rogers (1961)
nous fait part de ses sentiments de la manière suivante:
Pourtant, j’ai fini par reconnaître que ces différences qui séparent les individus, le droit
pour chacun d’utiliser son expérience comme il l’entend et de lui donner la signification
qui lui paraît juste, tout cela représente le plus riche potentiel de la vie. Tout être est une
île, au sens le plus réel du mot, et il ne peut construire un pont pour communiquer avec
d’autres îles que s’il est prêt à être lui-même et s’il lui est permis de l’être. Ainsi, ce
n’est que lorsque je puis accepter un autre, ce qui signifie spécifiquement que j’accepte
les sentiments, les attitudes et les croyances qui constituent ce qu’il y a de réel et de
vital en lui, que je puis l’aider à devenir une personne, ce qui me semble très précieux
(p. 18).
Tout d’abord, il y a ce que Rogers appelle «la considération positive» (p. 192), qui est
semblable au prendre soin, et dont les particularités sont la création d’une relation affective et
chaleureuse, tout en recherchant à vivre la relation à l’autre de manière non possessive.
74
L’attention chaleureuse représente l’art d’écouter et d’éprouver de l’affection pour l’autre. En
effet, comme le précise Peplau (1988),
quand les patients sont aux prises avec des buts incompatibles et la difficulté de préciser
un choix qu’ils ne sont pas sûrs d’effectuer sagement, la tâche prioritaire de l’infirmière
consiste à écouter. Elle agit comme une caisse de résonance qui permet au patient de
découvrir et de reconnaître ce qu’il ressent, et de prendre conscience d’éléments qui
l’aideront à fixer son choix…. Un patient ne peut assimiler d’informations nouvelles
sans une relation chaleureuse avec l’infirmière, une relation où chacun a appris à
connaître et à respecter les désirs de l’autre. Une relation chaleureuse se développe si
l’infirmière répond aux besoins du patient d’une façon qui l’autorise à prendre
conscience de ses besoins. Une fois guéri, c’est souvent l’attitude de l’infirmière à son
égard lorsqu’il se sentait dépendant de l’aide des soins infirmiers qui ressortira avec le
plus de force dans l’esprit du patient (p. 107-179).
D’après Watson (1985), «une infirmière efficace est capable d’assurer une atmosphère
non menaçante, sûre, confiante ou sécurisante à travers l’acceptation, la considération
positive, l’importance accordée à l’amour ou à la chaleur humaine» (p. 42).
À travers les propos de Carl Rogers, Watson nous dit que la chaleur humaine est liée à la
considération positive inconditionnelle qui consiste en «un sentiment non paternaliste
(maternaliste), exempt de sentimentalisme, qui n’est pas superficiel sur le plan social, et qui
est agréable» (p. 44). En effet, dans son livre, celui-ci nous parle d’une étude menée sur le
rapport entre les parents et leurs enfants, dans laquelle il est dit qu’une attitude d’acceptation
et d’affection envers les enfants favorise leur développement intellectuel, ainsi que leur
stabilité émotionnelle. À l’inverse, les enfants ayant vécu des attitudes de rejet avaient un
ralentissement de leur développement intellectuel ainsi qu’une instabilité émotionnelle. À
travers cet exemple, nous pouvons suggérer que le patient, tout comme l’enfant, à besoin que
l’on s’intéresse à lui avec chaleur, sans toutefois être excessivement impliqué
émotionnellement.
En parallèle, le soignant tend à adopter une attitude non directive, qui se base sur le
principe de respect. Dans cette perspective, le respect signifie que l’on reconnaît la singularité
du patient et son droit de choisir la direction qu’il veut, avec les moyens qu’il veut, et au
rythme qui lui convient. Comme le décrit Peplau, «respecter l’individu tel qu’il est c’est
accepter qu’il s’égare, croire fermement qu’il profitera de ses erreurs et qu’après avoir
75
suffisamment traversé d’expériences et reçu de preuves, d’où peuvent ressortir de nouvelles
aptitudes, il retrouvera le chemin du progrès» (Peplau, 1988, p. 59).
C’est donc lui qui va modeler sa personnalité et non pas le soignant. Le soignant aura une
influence sur le patient, car il agit en fonction de ses valeurs et de ce qui selon lui amènera le
patient vers plus d’indépendance et de confiance en soi. Donc, tout en comprenant et en
acceptant certains sentiments ou certaines expériences du patient, il peut ne pas les soutenir,
car il pense que cela n’aboutira pas à un développement constructif pour le patient.
76
L’infirmière dans une relation de soins peut aider le patient à prendre conscience de sa
confusion et des problèmes existants, à les exprimer. Cela exige de discerner et
délimiter rapidement les facultés d’extériorisation du patient, d’adopter des réponses
professionnelles aux besoins et aux désirs exprimés, et d’accepter le patient tel qu’il est.
L’acceptation du patient comateux ou complètement impuissant est d’abord
inconditionnelle. La relation de l’infirmière au patient se déplace toutefois sur un
continuum qui va du soin inconditionnel à la participation où tous deux peuvent
collaborer à la résolution des problèmes de soins (p. 113).
La «compréhension empathique» (Rogers, 1961, p. 192) est intrinsèquement liée aux autres
composantes que sont le non-jugement, le respect, l’écoute et l’acceptation. En lien avec cette
capacité recherchée par le soignant pour saisir le sens de ce que le patient éprouve, Rogers se
pose diverses questions telles que:
Puis-je me permettre d’entrer complètement dans l’univers des sentiments d’autrui et de
ses conceptions personnelles et les voir sous le même angle que lui? Puis-je pénétrer
dans son univers intérieur assez complètement pour perdre tout désir de l’évaluer ou de
le juger? Puis-je entrer avec assez de sensibilité pour m’y mouvoir librement, sans
piétiner des conceptions qui lui sont précieuses? (p. 30).
Ces questionnements sont représentatifs de ce qu’implique le sentiment d’empathie, car on
sent que la compréhension de l’expérience d’autrui est une recherche, mais aussi une
sensibilité à développer pour saisir au mieux les idées, sentiments et les comportements du
patient. Par conséquent, une recherche demande que l’infirmière vérifie auprès du patient si la
représentation qu’elle se fait de son expérience est juste.
77
d’essayer de tendre vers ces valeurs, pour pouvoir voir la personne dans sa totalité, sans
rejeter une partie d’elle-même. Ces conditions forment une base de confiance et de sécurité,
mais les facteurs en jeux dans une relation sont nombreux et nous ne pouvons pas tous les
aborder dans ce travail. Évidemment, ces conditions forment un tout et sont interdépendantes
les unes des autres. En plus de ce travail cognitif, le comportement non verbal et les réponses
affectives jouent un grand rôle dans la communication. Nous pensons que cette prise
conscience aide l’infirmière à poser un regard plus ouvert sur les différences de l’autre, pour
que cet autre puisse évoluer comme une personne qui s’aime et se respecte.
Lors du stage que j'ai effectué dans le domaine de la psychiatrie, et au cours duquel j'ai
fait la rencontre de Mlle Amo, j'ai mené des recherches afin, d'une part, de mieux comprendre
les spécificités du service et des personnes qu'y étaient prisent en soins, et d'autre part
d'apporter un éclairage sur les problématiques de l'enfermement physique et psychique. J’ai
rapidement orienté ce travail sur des aspects sociologiques et philosophiques et ai eu
l'opportunité de faire une présentation orale du fruit de mes recherches aux membres de
l'équipe infirmière, ainsi qu'au médecin-chef de service de l'unité. Cette présentation a eu lieu
quelques jours avant la fin de mon stage et a été accueilli de manière positive par l'ensemble
des ces personnes, appréciant l'angle avec lequel j'avais abordé différentes problématiques. Le
fait d’avoir mener des recherches ne faisant pas spécifiquement partie de la recherche
infirmière m’a donner la possibilité d’une part de faire se manifester de l’intérêt de la part du
personnel médical et d’autre part d’élargir les possibilités de réflexion pour les infirmiers au
travers d’une littérature qui n’est pas spécifique au champ de la profession. Avant de quitter
l'unité à la fin de mon stage, une version écrite de mon travail est restée dans l'unité, afin que
les personnes absentes pendant la présentation puissent y avoir accès.
Deux mois après cette présentation, j'ai repris contact avec les deux infirmières ayant
été mes référentes/praticiennes formatrices pendant mon stage et ayant toutes deux assisté à la
présentation orale de mon travail, afin d'avoir un entretien autour de ce dernier. Mon désir
était de savoir quel intérêt avait éventuellement suscité cette présentation au sein l'équipe, si
les soignants en avaient parlé entre eux, et si avec ces deux mois de recul certains aspects que
j'avais pu évoquer résonnaient ou avaient du sens pour elles. Nous avons donc planifié un
entretien qui s'est déroulé dans l'unité. Nous pouvons considérer que cet entretien est un
78
entretien exploratoire, car il nous permet de mettre en avant des questions ou des réflexions
récurrentes par rapport à la présentation, mais aussi à la profession des personnes interrogées,
nous permettant ainsi de récolter un certain nombre de données de terrain, pouvant être
utilisées afin d’analyse. Le but n'étant pas de poser des questions précises sur la pratique de
ces deux infirmières, mais bien d'échanger autour de mon précédent travail en regard de leur
propre expérience.
Nous avons pris la décision de ne pas préparer de grille d'entretien, comportant des questions
préétablies. L'entretien a donc été engagé sous la forme d'une discussion, et nous ne sommes
intervenus que pour approfondir certains points évoqués ou soumettre d'autres angles de
discussion. Par ailleurs, en début d’entretien, nous avons clairement énoncé le but et les
objectifs de ce dernier à savoir le désir de partir d’éléments significatifs de la présentation,
pour mettre en avant les problématiques de l’enfermement, de la création et de la rupture du
lien dans la relation d’aide thérapeutique principalement.
La discussion s'est déroulée sur une heure et demie, pendant laquelle les deux
infirmières se sont partagées alternativement la parole de manière équitable. Beaucoup de
points ont été abordés, partant à chaque fois de concepts ou thématiques abordées dans le
travail initial tels que l’enfermement physique et le parcours carcéral des patients, la théorie
de soins de King (1971), les notions de responsabilité et d’imputabilité ou d’éthique. Ces
points ont à chaque fois été reliés de manière naturelle à leur pratique professionnelle actuelle
ou à leurs expériences antérieures, dans d'autres unités de soins psychiatriques. Une partie de
la discussion s'est axée sur un passage de la présentation présentant la théorie de l'atteinte des
buts de King, mais pour l'essentiel, le reste de notre échange n'y a que peu fait allusion. Ce qui
nous semble ici intéressant, est de relever comment bon nombre de points abordés dans notre
discussion peuvent être analysés sous l'angle de cette théorie, et comment finalement les
propositions émises par King sont autant d'outils que ces deux praticiennes utilisent au
quotidien dans leur travail, sans ne les avoir jamais reliés aux travaux de King, dont elles
ignoraient l'existence jusqu'à présent. Ce qui est d’autant plus intéressant est que King écrit
elle-même à ce propos que
dans les soins infirmiers, peut-être plus que dans d'autres domaines, les concepts et les
hypothèses sont à moitié formulés dans ce que les infirmières savent intuitivement. Une
représentation systématique des sciences infirmières est exigée, en fin de compte, pour
l'élaboration d'une science, pour accompagner un siècle, ou plus, de l'art dans le monde
quotidien de la profession infirmière (traduction libre, p.128).
79
Le premier point ayant d'emblée été mis en avant par les personnes interrogées est la
position adoptée par l’auteur de la présentation pour développer son raisonnement. Elles
parlent de sa position comme étant une «position méta», lui ayant permis de se détacher de
son expérience au sein de l'unité, afin d'expliquer le concept de la présentation, c’est-à-dire les
notions d’enfermement psychique et physique, en rapport avec une réflexion et une position
plus large, empreintes de la théorie au travers de ses différentes recherches. Sur ce point, l'une
d'elles insiste sur l'intérêt que cette réflexion a eu pour l'équipe et particulièrement pour elle
dans le sens ou nous citons «on a un peu le nez dans le guidon, donc on a cette réflexion, mais
on ne l'a pas reliée proprement à l'enfermement, donc ce qui est ressorti, c'est que tu es dans
une position méta, tu as pu te détacher de ton expérience ici, et de la théorie expliquer toi ta
vision de l'enfermement».
Cette réflexion peut être analysée en référence à King particulièrement au travers de ce
qu’elle décrit comme étant les quatre idées universelles, à savoir: les systèmes sociaux, la
santé, la perception et les relations interpersonnelles; et leurs pertinences dans l’ensemble des
situations de soins.
À ce sujet, King (1971) précise que
si les infirmiers ont à assumer les rôles et les responsabilités attendues d'eux par les
employeurs, les patients, les médecins, et les familles (et surtout s'ils ont à s'acquitter de
leurs propres perceptions), la découverte des connaissances doit être diffusée en continu
aux praticiens de telle manière à ce qu'ils soient capables de l'utiliser dans leur pratique.
Une approche de ce problème peut être initiée dans un programme éducatif, où la
recherche s'interrogerait sur la nature des soins, établirait le fondement de la pratique,
une manière de penser la pratique, au travers d'un apprentissage continu. Les
observations qui sont valides et fiables ont été utilisées dans la recherche dans d'autres
domaines d'études au fil des ans. Les observations du comportement humain sont
effectuées quotidiennement par les infirmières dans divers contextes. Des données
descriptives recueillies systématiquement fournissent des indices générant des
hypothèses pour la recherche dans le comportement humain des individus dans des
situations de soins infirmiers (traduction libre, p.128).
Concernant les références à Michel Foucault, une des infirmières ayant une expérience plus
intime avec l'enfermement et le milieu carcéral (mais toujours en rapport avec les personnes
en souffrance psychiques) confirme ce que ce dernier met en avance dans sa réflexion sur
l'enfermement et comment elle a pu le ressentir tout au long de sa pratique dans le milieu
carcéral. Elle reprend une citation de «Surveiller et punir» utilisée dans le travail pour illustrer
80
ce sentiment et le renforce en disant elle-même que «... effectivement il y a une population en
prison qui vit autre chose que la population courante, mais qui est à regarder comme des
individus en souffrance, de la même façon que dans un hôpital ou dans une collectivité
comme une école où il se passe des règles».
On peut remarquer que dans cette situation l’infirmière pourtant habituée au cadre spécifique
dont elle parle et ayant une certaine réflexion sur le milieu de la prison, emploie un
vocabulaire ne paraissant pas totalement adéquat avec le fond de ce qu’elle développe. Ainsi
elle parle de «population courante», «à regarder comme des individus», ce qui peut renforcer
l’idée que le sujet de l’enfermement et du milieu carcéral, même auprès de personnes y
exerçant leur métier de manière bienveillante, préserve sa force stigmatisante et hors de la
normalité, du «courant».
Elle fait ensuite le parallèle avec la notion d'environnement interne développé par King, qui
lui parle justement par rapport à l'enfermement psychique, car pour elle, «... plus qu'ailleurs,
en prison, les gens sont à même de rencontrer cet environnement intérieur. Le fait d'être
enfermé physiquement peut favoriser l'introspection, d'essayer de chercher à l'intérieur quels
sont nos fonctionnements, nos défenses, nos phobies, nos craintes, nos peurs, nos angoisse».
Cette réflexion lui permet de faire un lien direct avec la théorie de King qui l'interpelle, «dans
le sens où elle rajoute (King) la capacité à la prise de décision».
Elle met en avant le fait que «le soignant doit déjà être au clair avec ses valeurs, plus encore
dans des milieux comme la prison où l'on a en face de soi une personne qui va réveiller toutes
sortes de choses, voire même des fantasmes, et des angoisses, des peurs, des jugements. Donc
je pense que l'infirmier avant de proposer une relation d'aide à la personne doit être au fait
avec un certain nombre de choses, notamment ses valeurs, ses réactions face à des
événements.... Il faut accepter d'être surpris dans la relation, mais de toute façon échapper au
jugement».
Ce qui apparait comme flagrant à ce moment de la discussion est le fait que l’infirmière laisse
en partie entendre, sans jamais le nommer, la nécessité d’inscrire sa profession dans la
discipline infirmière à proprement parlé, de conduire sa pratique sous l’angle des différentes
théories. On pourrait dans ce cas suggérer qu’elle se réfère intuitivement dans sa pratique au
paradigme de la totalité (Parse, 1987-2011), selon lequel l'être humain est un organisme ayant
des composantes biologiques, physiologiques, spirituelles, sociologiques, culturelles, en
constante interaction avec un environnement changeant, face auquel il doit s'adapter.
Pour revenir sur le lien avec la théorie de King, et les notions de «perception,
interaction, transaction», l'infirmière précise que dans la relation qu'elle crée avec le patient,
81
elle souhaite lui renvoyer sa responsabilité, afin de se confronter à sa maladie, aux actes qu'il
a pu commettre et à leur gravité, afin de pouvoir entrevoir une collaboration, que ce dernier
puisse participer à la prise de décision, et qu'il devienne ainsi acteur de ses soins et de sa prise
en charge.
Cette observation nous permet d'apporter un éclairage sous l'angle des travaux de Paul
Ricoeur concernant les notions de responsabilité et d'imputabilité sur lesquelles il revient lors
d'une conférence donnée à l'Association des Étudiants protestants de Paris en 1992. Il aborde
dans un premier temps la responsabilité au travers d'une analyse traditionnelle
...selon laquelle la responsabilité consiste à pouvoir se désigner soi-même comme
l'auteur de ses propres actes.... Mais voyez combien cette notion de responsabilité,
survenant dans l'après-coup de l'action, est courte: d'abord elle est tournée vers le passé
et non vers le futur. Et cela reste vrai lors même que nous nous tenons prêts à réparer les
dommages causés par nos actions..., ou que nous assumons les conséquences pénales
d'actions délictueuses.... Certes, les conséquences assumées constituent déjà une tranche
de futur par rapport aux actes eux-mêmes. Mais ces conséquences, elles aussi, ont déjà
eu lieu quand le jugement est porté; c'est donc toujours vers l'arrière que nous sommes
tirés, vers la rétrospection.... La capacité de se désigner soi-même comme l'auteur de ses
actes est affirmée, ou mieux attestée, dans un rapport de soi à soi: je me... ; tu te... ;
il/elle se.... L'appel, l'injonction, la confiance aussi, qui procèdent du fragile, font que
c'est toujours un autre qui nous déclare responsable; mieux, qui nous rend responsable,
ou, comme dit Lévinas, nous appelle à la responsabilité. Un autre, en comptant sur moi,
me rend responsable de mes actes (Ricoeur, 1992).
Pour revenir aux propos de l'infirmière quant au fait de renvoyer le patient à sa propre
responsabilité, en vue de le faire participer à son processus de guérison, nous pouvons de ce
fait rattacher cette approche à ce que Ricoeur développe par la suite en ces termes:
Disons qu'une capacité demande à être éveillée pour devenir réelle et actuelle; et que
c'est en milieu d'altérité que nous devenons effectivement responsables. Inversement,
dès lors que l'autre me marque sa confiance ou, comme on dit, me fait confiance, ce sur
quoi il compte c'est précisément sur ceci que je tiendrai ma parole, que je me
comporterai comme un agent, auteur de ses actes.... N'est-ce pas finalement de mutuelle
reconnaissance qu'il s'agit, d'une reconnaissance où l'autre cessera d'être étranger pour
être traité comme mon semblable, selon la fondamentale similitude humaine? (Ricoeur,
1992).
82
Cette idée de mutuelle reconnaissance et de fondamentale similitude humaine prend par
conséquent toute sa signification dans la théorie développée par King, et dans les propos des
infirmières interrogées, évoquant le fait d'être en tant que soignant au clair avec ses valeurs,
d'accepter de se laisser surprendre par le patient et son environnement et le fait que «... quand
on part de la capacité du patient de pouvoir avoir un insight, de l'amener à l'introspection, je
dirais qu'en tant que soignant il est indispensable de faire la même démarche».
Indispensable donc de ramener chaque personne, patient et infirmier à son statut d'être humain
singulier, de personne à part entière afin d'établir un lien de confiance et de transparence.
Ramener chaque personne à son statut de personne singulière c'est également se donner la
possibilité d'être authentique et de laisser parler sa sensibilité, pour le soignant comme pour le
patient; c'est entrer dans la perception de et avec l'autre, dans l'environnement partagé par
chacun et dans l'environnement interne de l'autre; c'est pouvoir donner l'occasion «de nommer
les émotions, de les valider, et non pas d'être là pour ne mettre que des pansements.»
Encore une fois, si l’infirmière interrogée ne le dit pas directement, elle laisse
supposer l’importance de s’inscrire en tant que soignant dans la discipline infirmière, au
travers d’un cadre théorique, nécessaire à une bonne pratique des soins. Dans la pratique
quotidienne de ces infirmières, la notion d'environnement interne prend d'autant plus son
importance qu'elles travaillent auprès de personnes ayant une culture issue de leur parcours
carcéral, induisant leur propre langage, leurs propres codes, quelque chose que l'on ne peut
leur enlever parce que cela fait partie de leur vie et de leur identité propre. Ils ont tous, à un
moment donné de leur vie fait partie du même groupe, de la même microsociété, et la prison
développe un fort sentiment d'appartenance du fait que les gens retrouvent facilement des
personnes à qui s'identifier. Il est donc nécessaire de pouvoir intégrer cet environnement, afin
de s'accorder avec les modes de vie et de fonctionnement de la personne.
Pour approfondir cet aspect, une des infirmières nous dit que «le soignant c'est l'outil
thérapeutique. Ça doit faire un tour à l'intérieur, et puis ressortir comme très utile pour le
patient.... Et puis ça nous emmène sur le terrain de l'éthique. Disons que l'infirmier doit avoir
sa propre éthique. Il y a l'éthique qui règle la profession, mais je pense qu'au niveau
individuel, quand on est le propre outil thérapeutique, il faut avoir sa propre éthique.
L'éthique c'est ne pas nuire. C'est-à-dire que quand tu as un choix A et un choix A, et bien
c'est difficile parce que ça va être dans la manière que tu as d'amener les choses.... Alors il
faut développer notre capacité d'authenticité».
Sur le terrain de l’éthique abordé par l’infirmière, et plus particulièrement de «[la] propre
éthique» de l’infirmier, la question d’affirmer sa position d’infirmier au cœur de la discipline
83
se pose. Car effectivement, si les Soins infirmiers répondent à un code éthique dicté pour
chaque soignant, la théorie infirmière nous invite à nous interroger en tant que soignant sur
notre propre pratique, et au-delà des questions d’éthique fondamentales et du code de
déontologie infirmiers, à nous positionner en tant que professionnel, au travers non pas de ce
que l’infirmière nomme comme étant «sa propre éthique», mais bien les valeurs propres aux
sciences infirmières et plus singulièrement à chaque individu.
84
La question de la famille s'est posée au fil de la discussion; ce qui paraît pertinent
lorsque l'on parle de l'environnement du patient. Pour les infirmières interrogées, la famille a
un rôle déterminant à jouer dans l'histoire du rétablissement de la personne, mais une fois de
plus la spécificité de l'histoire de vie des patients de leur unité peut facilement devenir un
obstacle. D'où, encore une fois, la nécessite d'avoir une perception juste du parcours des
personnes hospitalisées et de leur famille. Car les familles ont pour la plupart un vécu
traumatique de la prison, et le désir légitime qu'après la prison les choses rentrent dans l'ordre.
Or, si leurs proches sont sortis de l'enfermement physique, il n'en demeure pas moins qu'ils
restent d'une certaine manière enfermés psychiquement dans la maladie, ce qui peut parfois
conduire à un éclatement des familles. Cet éclatement ne signifie pas nécessairement que
certains membres ne puissent être présents, représentant un ancrage pour le patient, dans le
désir de participer à la reconnaissance de la maladie et de la souffrance. De ce fait «.... la
personne peut se dire: j'ai cette souffrance, mais j'ai cette aide qui peut encore venir de la
famille dont je suis encore le fils, je suis encore le frère, la sœur».
Pour résumer l'ensemble des propos qui ont été explorés concernant l'entrée en relation
et la conservation du lien avec les patients, une des choses ressortant le plus est la
communication et particulièrement au travers de la capacité d’écoute. Comment les propos du
patient sont-ils interprétés, qu’est-ce qui est codé et qui ne l’est pas, la nécessite de
reformuler, de valider les propos du patient, sont autant de points sur lesquelles insistent les
infirmières interrogées. Au travers de cette réflexion, elles se retrouvent de manière claire,
mais sans le nommer, au cœur de la théorie de l’atteinte des buts de King. En effet, cette
notion de capacité d’écoute se retrouve totalement dans les phases de perception, interaction
et transaction développées par King, et bien entendu plus particulièrement dans les deux
premières. La première de toute évidence, car il s’agit bien de développer un échange entre
l’infirmière et le patient, d’entrer en communication, de ne laisser aucun doute possible sur la
compréhension de la situation par les deux parties. Si toutefois une bonne capacité d’écoute à
toute son importance lors de cette première phase de perception, elle n’en demeure pas moins
indispensable lors de la phase d’interaction. Car c’est bien là que peut commencer à s’opérer
un changement dans l’environnement du patient, du fait par exemple qu’il découvre ou aborde
un aspect de son histoire ou de son parcours avec un nouveau regard. C’est alors que «ce qui
est perçu par les individus peut être jugé par eux comme favorable ou défavorable. Les
infirmières influencent la perception du patient, la communication et les relations, et peuvent
le motiver à l'action ou l'empêcher d'agir» (King, 1971, traduction libre p.102, 103).
85
C’est également à ce niveau-là que le patient va pouvoir nommer, mettre en mots ses buts et
objectifs. Cette phase est d’autant plus importante également du fait qu’elle va servir en
même temps de point d’attache, ou de référence, et de tremplin pour entrer dans la phase de
transaction, avec comme finalité l’atteinte des buts du patient. Nous pourrions ainsi conclure
en disant que
La dynamique des soins infirmiers peut être décrite comme une restructuration
constante des relations entre l'infirmière et le patient à faire face à des problèmes
existentiels et d'apprendre les moyens d'adapter ou de s'adapter aux changements dans
les activités quotidiennes.... Les concepts de perception et de relations interpersonnelles
font partie des dimensions dynamiques dans le processus de soins infirmiers. Ce qui
implique que la perception des personnes qui établissent des rapports interpersonnels
avec des individus ou des groupes dans des systèmes sociaux différents influence les
moyens d’accomplir un but de santé optimale pour chaque personne (King, 1971,
traduction libre, p.103).
5. Recommandations
Ce que nous pouvons relever des analyses de nos études de cas, est un manque affirmé
de références aux sciences infirmières. Nous ne souhaitons pas montrer du doigt ou juger des
professionnels en les considérants comme incompétents ou en rupture avec les différents
cadres conceptuels proposés par la discipline. Ce que nous souhaitons mettre en évidence est
le fait que souvent la théorie assimilée par les soignants, aussi bien dans leurs lectures, leur
formation, que dans leur pratique leur permet effectivement de conduire au mieux cette
dernière, mais sans nécessairement faire de lien entre ces trois notions de
théorie/recherche/pratique.
86
Car si les infirmiers agissent parfois de manière intuitive dans leur profession, il doit être
nécessaire de pouvoir, à un moment donné, et ce afin d’asseoir leur posture, de se référencer à
un cadre ou à un modèle conceptuel. Cette nécessité a toute son importance si les
professionnels désirent que la profession soit reconnue en tant que sciences à part entière, et
que par là même elle acquière plus de légitimité auprès des autres professionnels de la santé.
L’importance d’être au clair avec ces notions conceptuelles est d’autant plus forte que la
profession accueille de façon régulière des étudiants en formation, ou des collaborateurs
venant d’horizons différents. Une reconnaissance de la théorie permet alors de mieux se
comprendre, de collaborer de façon plus précise et plus pertinente.
Enfin, les cadres conceptuels et les différentes théories sont autant de possibilités d’élargir nos
connaissances et notre vision des soins et du monde dans lequel nous évoluons. Elles
permettent à un certain moment de mener une réflexion tant sur sa pratique que sur sa propre
position en tant qu’être humain.
Par ailleurs, ce que la théorie propose et qui peut être vécu comme étant des notions et
concepts trop abstraits par les soignants, ne doit pas constituer un frein ou un motif de
désintéressement dans le champ d'application de cette dernière.
Pour résumer cela, King (1991) déclare lors d'une discussion entre plusieurs infirmières
théoriciennes appelée Perspectives on Nursing Knowledge, que
Je pourrais reprendre l'idée que chaque théorie provient de sa propre base
philosophique. Et si vous n'êtes pas d'accord avec les postulats philosophiques de la
théorie, vous ne serez pas d'accord avec la théorie. L'autre commentaire que je voudrais
faire, cependant, c'est que nous disons qu’une théorie de soins infirmiers peut guider la
pratique. Je ne crois pas vraiment qu’une théorie puisse guider une pratique, car une
théorie est une abstraction personnelle sur les soins infirmiers, et une abstraction ne peut
pas être appliquée dans un monde connecté. Je pense que ce que nous appliquons est
notre connaissance (King, 1989, traduction libre, p. 88).
87
intégrante de leur pratique et qu'elle représente un outil riche pour cette dernière. Cependant,
l'obstacle de la langue met à mal la diffusion des découvertes des connaissances aux
praticiens.
Concernant l'avancement de la recherche en Europe, l'hypothèse peut être faite qu'une
méconnaissance de la recherche en soins infirmiers (du fait par exemple de l'obstacle de la
langue) amène les praticiens à considérer que ce champ de la profession ne leur est pas
destiné et qu'il est réservé à une élite de théoriciens.
Or, toujours selon King (1971), il est à noter que bon nombre de recherches, valides et fiables
sont le fruit de l’observation du comportement humain effectué quotidiennement par les
infirmiers. Ces observations, menées dans de nombreux contextes sont à même de fournir des
hypothèses pour la recherche dans des situations de soins infirmiers. Pour elle,
Dans les soins infirmiers, peut-être plus que dans d’autres domaines, les concepts et les
hypothèses sont à moitié formulés dans ce que les infirmiers savent intuitivement. Une
représentation systématique des sciences infirmières est exigée, en fin de compte, pour
l’élaboration d’une science, pour accompagner un siècle, ou plus, de l’art dans le monde
quotidien de la profession infirmière (traduction libre, p. 128).
Concernant notre choix d'aborder la recherche au travers d'études de cas, nous avons
également rencontré un certain nombre d'obstacles du fait qu'il n’en existe que très peu de
recensés dans la littérature existante. Pourtant, ce type d'articles nous paraissaient pertinents
dans le sens où ils offrent la possibilité d'aborder une situation concrète, analysée sous un ou
différents angles de la théorie. Il se trouve également que cela constituerait une manière de
travailler appropriée à notre expérience en stage, nous permettant de nous centrer sur une
situation rencontrée en particulier. Un développement de ce type de recherche serait
également un argument en faveur des praticiens souhaitant s'engager sur le terrain de la
recherche sans toutefois avoir recours à un type d'étude réclamant plus de temps et de moyens
en termes d'effectifs et de coûts.
Nous avons évoqué à plusieurs reprises dans notre travail le fait que nous nous
sommes sentis à un moment de notre formation, en manque significatif de connaissances
théoriques du point de vue de la science infirmière. Le point qui nous semble donc essentiel
au travers de cette recommandation pour la formation, est nous semble-t-il l'introduction
d'apports théoriques liés à la science infirmière plus complets, échelonnés sur l'ensemble de la
88
formation. Ainsi nous considérons qu'arrivés à un certain niveau dans leur formation, il serait
pertinent que les étudiants soient incités, et guidés dans leur démarche de soins pour réaliser
cette dernière au-delà des concepts et des théories jusque-là utilisés, sans toutefois remettre en
cause l'importance et la crédibilité de théoricienne comme Henderson (1960) qui permettent
néanmoins de s'approprier un certain nombre d'outils d'observation et de réflexion.
Cependant, cette démarche doit être appuyée par le corps professoral, et les étudiants
encouragés à assister à des conférences ou des congrès en lien avec la science infirmière, et ce
dans le but d'approfondir le lien entre la théorie, la recherche et la pratique. Il est également
nécessaire, à l'heure où le travail en réseau prend toute sa signification, d'élargir ce dernier
aux différents organismes et associations promouvant la science infirmière. Un autre constat
que nous avons pu faire lors de nos études en soins infirmiers est la réactivité des étudiants,
dans le champ par exemple de la physiopathologie, aux cours structurés autour de vignettes
cliniques. Ces pratiques d'enseignement possèdent une structure relativement proche des
études de cas sur lesquelles nous avons appuyé notre travail et pourraient être à nos yeux un
excellent moyen d'aborder et de s'approprier les théories de la science infirmière en valorisant
l'expérience et la capacité d'expertise des étudiants.
6. Conclusion
89
6. Bibliographie
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Accès http://www.etudes-benthamiennes.revues.org/259
95
7. Annexes
Annexe I
En lisant un article sur la Théorie de Peplau, je suis restée perplexe devant la phrase suivante:
«Peplau was the first nursing theorist to identify the nurse-patient relationship as being central
to all nursing care. In fact, nursing cannot occur if there is no relationship, or connection,
between the patient and the nurse» (p.69, Parker & Smith).
Je me suis dit que c était tout de même étrange d arriver à la conclusion que la relation entre
le patient et le soignant était essentielle à l existence même des soins infirmiers, puisque pour
moi cette relation est l essence des soins infirmiers. J ai pensé en effet que c était une
évidence, tout en sachant que dans la pratique cette évidence n est pas si simple à mettre en
application. Il arrive que certaines unités de soins à l hôpital ne favorisent pas toujours un
climat propice au développement des relations interpersonnelles entre l infirmière et le
patient.
Lors d un stage, j ai travaillé six semaines dans un service de gynécologie-obstétrique, en
salle de réveil. C est un service qui accueille les femmes qui sortent du bloc opératoire pour
toutes sortes de raisons, accouchements, interruptions de grosse, kyste, etc. Ces femmes
restent en moyenne une quarantaine de minutes dans le service, parfois un peu moins, et ça
peut aller jusqu à quelques jours pour certaines d entre elles qui ont besoin d être sous une
surveillance plus rapprochée. Les objectifs principaux sont d éviter les risques principaux
c est-à-dire un risque hémorragique, infectieux ou un risque de douleur aiguë. Cela demande
des surveillances hémodynamiques rapprochées, ainsi qu une présence quasi continue auprès
des patientes pour avoir une surveillance clinique. Je dois dire que l administration des
médicaments antidouleur et anti-inflammatoire et très fréquente.
C est aussi un service qui accueille des naissances et qui travaille la relation entre la mère et
l enfant dans les premiers instants de vie. Cela fait partie du rôle infirmier, mais il m a semblé
que c était plutôt les sages femmes qui venaient dans le service pour introduire la relation
mère-enfant.
C est une petite unité qui en quelque sorte fait le relai entre la salle d opération et le service
de maternité principalement. La communication se fait entre l équipe de l unité, c est-à-dire
médecins, infirmiers, aides-soignants et assistante sociale, mais aussi avec les anesthésistes
infirmiers ou médecins, les chirurgiens, les obstétriciens, les gynécologues du bloc
opératoire ainsi que les sages femmes qui sont, soit indépendantes, soit venant du service de
maternité.C est avec cette équipe que j ai fait la rencontre d une femme qui venait
d accoucher d un petit garçon prématuré, qui se trouvait en néonatologie pour recevoir des
soins aigus. Je ne me suis pas occupée d elle moi-même, mais j ai tout de même fait sa
connaissance. Dans un premier temps, j ai fait sa connaissance à travers son diagnostic, c est
à dire: «elle est schizophrène et toxicomane». À un moment je suis allée dans sa chambre
pour faire un soin, et nous avons discuté. Je ne sais plus très bien comment cela a commencé,
mais elle m a raconté son histoire, sa vie avec sa maladie, sa relation avec l homme qu elle
aime depuis des années, la difficulté que c était pour elle d arrêter de se droguer pour avoir
cet enfant, elle avait tout arrêté sauf la cigarette, c était trop dur. Elle le voulait depuis des
96
années son petit garçon, et elle pensait qu elle n allait jamais pouvoir avoir un enfant à cause
de sa maladie et de ses nombreux traitements. Elle a décidé de l appeler Gabriel, parce c est
un nom d ange. Je ne suis pas restée longtemps dans la chambre, mais suffisamment pour
l écouter et pour comprendre qu elle était terrorisée, à l idée de perdre cet enfant qui n était
pas dans un état viable pour le moment, mais aussi à l idée de ne pas être une mère
suffisamment bonne.
Au cours de la journée, j avais entendu quelques remarques négatives vis-à-vis de cette
patiente, quelques mots lancés en l air: «Violente, psy, toxico, manipulatrice, etc.». Un soir
dans de la même semaine, je me trouve dans le bureau infirmier et j entends une anesthésiste
parler de cette patiente en disant que «les psys» sont dangereux et manipulateurs. Je pense
pouvoir confirmer que la patiente n a eu aucun comportement de ce type-là, sans quoi cela
aurait été dit explicitement lors des transmissions. Cependant, ce sont ces éléments qui ont
été retenus, et qui seront transmis, de manière cachée.
Dans ce service, il y avait des moments où il fallait aller vite, plusieurs patientes sortaient du
bloc et comme le nombre de chambres était réduit, nous devions être rapides et efficaces. À
d autres moments, l atmosphère était calme et nous avions du temps libre. Je n ai pas eu la
possibilité de participer à toutes les interactions entre cette femme, que l on peut appeler
Madame Isabelle, et les soignants. Mais je n ai pas le souvenir d avoir vu ou entendu des
soignants prendre le temps de parler avec elle. Peu de temps après, j ai croisé cette patiente à
la cafeteria, il y avait beaucoup de monde, et nous nous sommes aperçues à travers la vitre
qui faisait la séparation avec le balcon. Elle était seule, elle m a lancé un bref regard, puis elle
a baissé les yeux. Je n aurai jamais imaginé qu elle allait venir me voir pour s asseoir avec
moi à table. Je n osais pas la regarder trop longtemps, car je voyais qu elle n était pas tout à
fait en confiance et que mon regard la gênait. Cependant, elle me parlait. Je me souviens
qu elle parlait de sa mère avec un ton froid, tout en disant que la relation était très
conflictuelle. Au cours de la discussion (elle parlait beaucoup en intériorité), elle leva les
yeux pour me regarder: «J ai peur de faire faux, tout à l heure je lui ai mis ses petits
chaussons à l envers et j ai senti le regard des soignants autour de moi, je ne suis pas capable
de m en occuper, je ne sais pas comment faire». Cette phrase était à la fois une preuve de
confiance et un appel à l aide. Elle était émue, je l étais aussi, il n en fallait pas plus pour
sentir qu elle manquait de confiance, qu elle avait besoin d être rassurée, qu elle avait besoin
de parler. Mais le contexte était difficile, visiblement elle n avait pas bénéficié de l écoute
dont elle avait besoin dans notre unité, son enfant était en néonatologie, et même si elle lui
rendait visite, elle ne pouvait probablement pas être soutenue par les soignants de ce service.
De plus, les quelques interactions qu elle avait eues pour le moment avec les soignants ne
l avaient pas rassurée du tout. J ai essayé de renforcer le positif que je voyais en elle, j ai
nommé les choses constructives qu elle était capable de faire, je lui ai fait un sourire, et j ai
dû repartir travailler. Mais qu est-ce que notre travail si ce n est être présent, ici et
maintenant? Dans cette situation, nous avions de nombreux indices (sa dépendance aux
substances, sa maladie mentale, les conflits avec sa mère, son besoin d être rassurée) qui
nous permettaient de voir que cette femme avait un «désir de dépendance». Selon Peplau,
«un insatiable désir de dépendance se développera chez l enfant si on ne l aide pas à se
différencier d autrui, à reconnaître ses besoins et à lutter pour les communiquer» (Peplau,
p.169). Elle différencie la dépendance et le désir de dépendance. L enfant admet une
dépendance lorsque l expérience qu il fait du monde lui procure une sécurité, une satisfaction
97
et un soutien. À l inverse, il développera un désir de dépendance lorsqu il a acquis une
expérience «de relations interpersonnelles avec des gens qui exigent, dénient, refusent,
marchandent ou font plaisir afin d être en conformité avec les buts et leurs conceptions d un
comportement désirable; les désirs de dépendance se développent lorsqu une mère rejette ou
surprotège son enfant.» (Peplau, p.169). Ainsi, tant que le patient n a pas intégré le fait que la
dépendance est un élément nécessaire pour vivre des relations d interdépendances, il y a un
travail psychologique à faire avec lui, en étant présent, en répondant à ses besoins, en
l écoutant, afin de lui redonner une certaine sécurité et une confiance pour développer des
relations interpersonnelles par la suite.
De retour dans l unité, il m a semblé tout simplement impossible d en parler. Non pas parce
que j avais peur d en parler, mais parce que je ne voyais pas qui pouvait entendre ce que
j avais à dire. Aujourd hui, je me dis que si je n ai pas ressenti la possibilité d en parler, je ne
vois pas comment cette patiente, dans une situation de grande vulnérabilité aurait pu «être
respectée comme personne pouvant faire connaître ses besoins et lutter pour les satisfaire
avec l aide d autrui.» (Peplau, p.171). Cette personne était là parce qu elle venait de donner
naissance à un bébé, et la priorité était de l aider dans cette relation nouvelle. Les premiers
instants après la naissance sont précieux et cette maman n avait à mon avis que de bonnes
intentions envers son fils, mais elle avait besoin de beaucoup de confiance, pour pouvoir la
restituer à son enfant. Cette confiance ne peut s installer qu à travers une certaine proximité
associée à une écoute de qualité afin de donner au patient une chance de clarifier ses
sentiments.
Nous étions en première ligne pour accueillir cette famille pour qui tout était nouveau et nous
avions du temps. Seulement, il me semble que ce qui a été mis en première ligne était le fait
qu elle soit toxicomane et schizophrène. Je n ai pas entendu de discussion ou de projet de soin
spécifique pour cette patiente. Cependant, de par sa maladie et sa dépendance aux substances,
ainsi que la situation de son bébé qui se trouvait entre la vie et la mort, cette patiente était
dans une situation extrêmement vulnérable. D ailleurs, elle m a exposé sa vulnérabilité et son
courage en venant me chercher, en me montrant ses peurs, tout en me regardant droit dans les
yeux. Je crois que cette scène est tout à fait représentative de la difficulté qu ont certains
patients à communiquer avec les autres. Si l on essaye de décoder son langage verbal et non
verbal, il en ressort un double message: Une femme seule, qui fume sur une terrasse, le regard
baissé, elle s approche, mais ose à peine s asseoir, elle n ose pas le contact visuel, elle parle
sur un ton faible, un discours décousu, les épaules en avant, la tête baissée. Mais il y a aussi:
une femme qui se trouve à un moment crucial de sa vie et qui, malgré le manque de
confiance, malgré ses difficultés à établir un contact avec sa mère et avec les soignants,
trouve le courage de venir me parler avec sincérité et de me regarder dans les yeux pour me
dire ce qui lui fait le plus peur en ce moment. Dans son regard, j ai interprété sa peur comme
la peur de la connexion du moment présent, avec moi, mais aussi avec sa mère, avec les
soignants et surtout avec son enfant.
Je pense que l on retrouve ici la complexité dans laquelle sont souvent les personnes qui
souffre d une maladie mentale, qui est d avoir à la fois un terrible besoin d être relié à l autre,
et une peur immense de ce lien. L autre est simultanément une nécessité et une menace. Le
contraste entre le moment ou elle parle les yeux presque fermés, de choses peu significatives
et le moment ou elle lève les yeux pour dire quelque chose qui lui tient à cœur est comme
une ouverture à l autre, un moment d intimité, un moment de confiance, de courage et
d espoir.
98
Annexe II
Fiche de lecture 1
Ruiz, C., Kurkdjian, L. (2007). La santé mentale en population générale: images et réalités.
Premiers résultats en région PACA. L’information psychiatrique, vol. 83, n ° 10, novembre
2007, p. 821-826.
Claire Ruiz est psychologue clinicienne au Centre hospitalier de Cannes, Chargée de mission
CCOMS (Centre Collaborateur de l’Organisation Mondiale de la Santé), Coordinatrice de
l’enquête SMPG PACA (Santé Mentale en Population Générale en région Provence Alpes
Côte d’Azur).
Laurence Kurkdjian est Psychologue clinicienne au Centre hospitalier Edouard-Toulouse,
Chargée de mission CCOMS.
Objet de l article:
Les auteurs présentent les premiers résultats de l enquête SMPG (Santé Mentale en
Population Générale) concernant les personnes interrogées dans le sud de la France, en
région PACA, dans les villes de Marseille Sud, Toulon, Digne-les-Bains et Cannes, en 2006-
2007.
Il est précisé ici qu il s agit de résultats ciblés sur une région étant donné que l étude a été
menée à très grande échelle (sur l ensemble de la France ainsi qu une partie à l étranger, et
ce sur un échantillon très large).
Il est question dans cet article d explorer et d analyser les résultats de la recherche afin de
mettre en évidence d une part la dimension épidémiologique, d autre part la prévalence des
troubles dans la population générale, et enfin d ouvrir un certain nombre de pistes de
réflexion autour de la stigmatisation des personnes atteintes de troubles psychiques et des
actions déjà entreprises à ce sujet.
Méthodologie de recherche:
L initiative de cet article, de l analyse de ces résultats semble avoir été motivé par la tenue du
3ème congrès international de santé mentale organisé par le Centre Collaborateur de
l Organisation mondiale de la santé, «Stigma».
Ce congrès, regroupant nombre de professionnels de la psychiatrie, de chercheurs, de
représentants d usagers, d usagers et d hommes politiques, avait pour objectif de se pencher
sur la question de la stigmatisation des personnes malades mentales, de l état actuel de nos
connaissances et des actions concrètes menées et à mener.
Le cadre théorique sous-jacent à l article s articule autour de concept et d auteurs présents
lors du congrès, comme la question « .des représentations et de leur relation avec la
discrimination et la stigmatisation», posée par Denise Jodelet, ou encore les actions
proposées par l Association pour l Amélioration des Programmes de Santé Mentale de
Genève, présidé par Norman Sartorius.
L analyse des résultats met en évidence une notion de «vision parcellaire ( ), voire quelque
peu erronée, des pathologies psychiques», avec une tendance pour la population interrogée à
associer maladie mentale et violence ou dangerosité. À noter également qu un certain nombre
de personnes ont refusé de répondre à l enquête après avoir été informées de sa nature, ou
ont informé les enquêteurs qu elles ne disposaient d aucune information sur le sujet en
question.
Ce qu il ressort également, et qui paraît pertinent est l écart entre le vocabulaire de la santé
mentale et la compréhension ou l utilisation qui en est faite par les personnes interrogées;
100
ainsi la dépression est décrite comme correspondant plus à un épisode de déprime et
considérée comme plus «acceptable» par la population que la folie ou la malade mentale.
Apports de l article:
Cet article met en évidence un certain nombre de résultats de manière assez claire, en
utilisant des tableaux et des graphiques facilement lisibles et accessibles, rendant la lecture de
ses derniers non contraignante.
L article est bien découpé, reprenant les grandes lignes de l enquête, en allant directement
chercher les résultats pertinents, plus susceptibles de nous intéresser, comparant parfois les
chiffres présentés à la moyenne nationale, afin de les rendre plus lisibles.
Limites de l article:
Fiche de lecture 2
Identité des auteurs: Denise Chevallier, Cadre de santé formateur, Philippe Dunezat, Praticien
hospitalier, chef de service Département d Information Médicale. La promotion 2004-2007
des étudiants infirmiers de Sainte-Marie.
101
L objet de l article:
Les auteurs de l article nous présentent une recherche effectuée sur les professionnels de
santé en soins généraux ainsi que sur des étudiants infirmiers, dans le cadre du module SI4
d initiation à la recherche. Dans cette recherche, les auteurs cherchent à comprendre les
représentations du travail infirmier en psychiatrie chez des soignants en soins généraux, ainsi
que les motivations des étudiants infirmiers à s orienter dans le domaine de la psychiatrie.
Ils se basent sur cette réflexion: «Qui sommes-nous et en quoi le regard de l autre, s il ne
définit pas ce que nous sommes, participe-t-il à la construction de notre identité, de notre
image et donc de notre capacité à exister en tant que sujet?»
Par ailleurs, les auteurs se demandent s il existe «un lien entre le regard porté sur les
soignants travaillant en psychiatrie et celui porté sur les patients, vécu dans les deux cas
comme porteurs de représentations plutôt dévalorisantes». Pour finir, les auteurs et les élèves
ont ciblé leur travail sur la question «du regard porté par les professionnels de santé sur les
soignants travaillant en psychiatrie».
Les objectifs sont divisés en trois phases. Dans la première phase, il s agit de donner une
définition du travail infirmier en psychiatrie, chez les différents professionnels de santé. La
deuxième phase se centre sur une hypothèse qui associerait «la méconnaissance du travail de
l infirmier psychiatrique avec une dévalorisation constatée chez les soignants en soins
généraux, dû au peu d attrait de cette discipline chez les soignants dans leur projet
professionnel, à court et moyen terme». La troisième phase cible sur «les étudiants en soins
infirmiers afin de connaître les futurs professionnels et leur motivation à intégrer le domaine
de la psychiatrie».
Méthodologie de la recherche:
Cette étude quantitative et qualitative a été menée entre mars 2006 et février 2007. Des
entretiens libres ont été faits auprès de 44 infirmiers et cadres de santé dans des services de
médecine, de chirurgie et de gynécologie (MCO). Les 44 infirmiers ont été sélectionnés de
manière aléatoire, par téléphone.
La deuxième phase s est déroulée dans le CHU de Nice et un PSPH (clinique des Sources) au
moyen de questionnaires ainsi qu un entretien face à face comprenant 21 questions fermées,
ouvertes et à choix multiples.
Lors de la première phase, les entretiens débutaient par la question de la signification du
travail infirmier en psychiatrie.
Le premier questionnaire s intéresse au type de formation reçue, à l expérience
professionnelle en psychiatrie, à l existence d un projet professionnel en psychiatrie, aux
représentations du soin, du but de ce soin et de la maladie mentale.
La troisième phase de l enquête concerne 297 étudiants infirmiers de 3ème année du
département des Alpes-Maritimes, dans 5 instituts de formation en soins infirmiers (IFSI).
Les élèves ont dû répondre à un questionnaire de 10 questions fermées ou à choix multiples.
Les sujets abordés sont: «les représentations des étudiants de la psychiatrie et leur évolution
à l issue de la formation, les choix professionnels envisagés à l entrée en formation et à
l issue de la formation, les facteurs invoqués pour justifier le choix professionnel de ceux qui
102
choisissait la psychiatrie, et enfin, le regard des futurs infirmiers en psychiatrie sur l évolution
de la spécialité et son impact sur leur projet professionnel».
Nous n avons pas plus d informations quant aux moyens utilisés pour mesurer les résultats de
ces questionnaires ou de ces entretiens.
Cette recherche a été réalisée dans le cadre du module SI4 d initiation à la recherche. Cette
motivation sur la question de la stigmatisation en psychiatrie semble être en lien avec le
congrès Stigma 2007 et avec le soutien du département d information médicale de leur
institution.
La recherche montre que 77 % des personnes considèrent la psychiatrie comme une
spécialisation. Les résultats concernant les représentations sont en majorité négatifs, les mots
utilisés pour définir un patient en psychiatrie sont par ordre décroissant: la peur, l étrangeté,
l empathie, l échange, la curiosité, la frustration et l échec. Pour 88,63 % de l échantillon, la
violence est une caractéristique de ce genre de lieux. On relève aussi la perte de savoir
technique (72 %) et la perte de savoirs (56 %). La première phase relève aussi des
caractéristiques négatives comme la lisibilité du soin et une charge de travail moins
importante.
En ce qui concerne les élèves et leur choix professionnels en début de formation, ils placent
la psychiatrie en 4ème choix (8,4 %). Après trois années d étude, 74,7 % d entre eux pensent
avoir une évolution positive de leur représentation de la psychiatrie et 15,2 % ont un projet
professionnel en lien avec la psychiatrie à ce stade de la formation. Cette étude monte que les
élèves ont de moins en moins d attrait pour les spécialisations, ceci est probablement dû aux
connaissances et aux compétences nécessaires, mais aussi au coût.
Les facteurs influençant les choix des futurs professionnels voulant travailler en psychiatrie
(P) et les autres (E.) sont: la cohérence avec la conception du soin (valeurs professionnelles),
62 % pour E. et 91,1 % pour P. Les facteurs d ambiance, 69 % pour E. et 75,6 % pour P. Le
salaire, l interaction vie privée/travail et pour finir l organisation du travail, l environnement
et la possibilité d évolution, 44,1 % pour E et 28,9 % pour P.
Si l on observe des écarts entre les élèves, notamment sur la question des valeurs
professionnelles ou sur l ambiance, il n y a pas d écarts significatifs concernant les
représentations du soin selon les critères suivants: accompagner un patient à évoluer dans un
état de santé (62 % pour E et 66,7 % pour P), être à l articulation d un projet de soin centré
sur le malade (31 % pour E et 33,3 pour P) et aider à guérir une maladie (2 % pour E et 0 %
pour P).
Concernant uniquement les élèves qui se destinaient à la psychiatrie et les facteurs favorisant
ce choix, les résultats montrent que 73,3 % pensent que leur motivation vient des rencontres
avec les professionnels et avec les patients. 57,8 % d entre eux donne de l importance aux
cours des intervenants extérieurs et à l IFSI et aux formateurs. Pour finir, les stages ont une
certaine influence (55.6 %) ainsi que l histoire de vie (33.3 %). Pour 73,4 % d entre eux, la
psychiatrie est en bonne voie d évolution, pour 20 % d entre eux c est sans importance et pour
2,2 % voient une évolution défavorable.
Pour finir, les auteurs mettent en avant une représentation bien connue, celle de la
différenciation entre le somatique et le psychique, de la tâche technique et du relationnel.
L étude montre que 73 % des professionnels interviewés considèrent la psychiatrie comme
103
une technique particulière, les auteurs se posent alors la question suivante: «Qu en est-il de la
qualité des soins effectués quand un patient atteint de pathologie mentale souffre de
pathologies somatiques et est pris en charge dans un service? ». En effet, 89 % des soignants
en soins généraux n avaient eu aucune formation continue sur la maladie mentale, mais 72 %
pensaient que cela serait utile dans leur pratique.
Limites de l article: Cet article n est pas clair sur plusieurs points. Tout d abord, les choses ne
sont pas tout à fait dans le bon ordre, et elles manquent aussi de précision. Dans les premiers
paragraphes par exemple, on trouve de la méthodologie, mais dans la partie méthodologie, il
manque des informations, nous ne savons pas où sont faits les premiers entretiens et nous
n avons pratiquement aucun élément concernant les outils d analyse. Ensuite, un tiers des
résultats se trouve avant la partie «Résultats», un autre tiers est dans cette partie et le dernier
tiers dans la partie «Discussion».
Pour finir, cette étude traite plutôt des choix professionnels des futurs diplômés que des
représentations que ceux-ci se font de la psychiatrie. Il aurait été intéressant d approfondir le
sujet sur la question de la différenciation des soins somatiques et relationnels
Apports de l article: Il est intéressant de voir le sujet des représentations sous un autre angle,
c est à dire pas directement lié aux patients de psychiatrie eux-mêmes, mais aux soignants
pouvant exercer dans cette discipline. Il en ressort que le travail de ces soignants est peu
connu, et mal jugé, voire dévalorisé par les soignants en soins généraux. Les représentations
des soignants en soin généraux, n ayant pas eu de formation continue en santé mentale, sont
finalement proches de celles de la population générale.
Le travail en psychiatrie pourrait se résumer en quelques mots: perte de savoir technique,
violence, charge de travail moindre, peur et étrangeté. Nous pouvons alors nous poser la
question de l’influence de ces représentations négatives des soins en psychiatrie sur un patient
souffrant d’une maladie psychique, mais nécessitant des soins au niveau somatique.
104
Annexe III
105
Annexe IV
Dans son livre, Travelbee analyse trois critères appartenant à la pyramide de Maslow.
À travers la pyramide de Maslow, nous voyons quels sont les besoins nécessaires à la survie
de l’homme. Cependant, celui-ci peut avoir satisfait tous ces besoins sans pour autant être en
bonne santé mentale, car la santé mentale «n’est pas quelque chose que l’on possède, mais
quelque chose que l’on est».
106
Les neuf buts de la relation d’aide:
4: Aider le malade à faire face avec réalisme aux problèmes, à mesure qu’ils surgissent.
La personne malade modifie la perception qu’elle a de ses problèmes, et au fil de la relation
d’aide, elle exprime ses difficultés de manière plus profonde.
Pour cela, il doit pouvoir progresser dans une relation de confiance, afin de se sentir libre
d’exprimer ses sentiments.
107
L’objectif est que celui-ci puisse comprendre les raisons qui l’amènent à vivre ses expériences
de vie et sa souffrance en lien avec sa maladie. Nous pouvons aussi l’aider à comprendre que
la maladie et la souffrance peuvent aussi être une opportunité de comprendre certaines choses,
de grandir, de se reconstruire.
Dans la recherche de la cause de sa maladie, le patient peut passer par une phase dans laquelle
il blâme les autres. Cette phase est souvent nécessaire, mais elle peut aussi devenir un
obstacle pour l’infirmière qui devra alors aider le patient afin qu’il puisse percevoir les choses
sous un autre angle.
Les soignants aussi ont besoin d’être vigilants afin de ne pas blâmer une personne de
l’entourage comme la mère par exemple ou les parents, car cela déresponsabilise le patient et
peut provoquer un fort sentiment de culpabilité chez les parents.
«Une personne émotionnellement troublée à besoin d’une raison de vivre pour supporter en
quelque sorte le comment vivré».
L’infirmière ne peut qu’aider et soutenir le patient dans cette recherche, elle ne peut et ne doit
pas trouver un sens à sa place. «L’infirmière s’applique à comprendre l’attitude des malades
devant la souffrance et leur façon de s’en accommoder».
Aider le malade à s’exprimer oralement: «Grâce à des entretiens avec une praticienne habile,
le malade identifie ses difficultés, apprend à les envisager avec réalisme, entrevoit des
nouveaux comportements possibles et essaie de les vivre».
Aider le malade à préciser ce qu’il dit.
Aider le malade à se concentrer sur un sujet (éviter l’évitement, l’éparpillement et baisser
l’anxiété).
Aider le malade à distinguer la cause de l’effet.
Aider le malade à comprendre qu’il participe à ce qui lui arrive dans la vie.
Aider le malade à envisager des possibilités d’agir autrement.
Ne pas écouter
Selon Travelbee, «savoir écouter est une qualité à développer au cours du processus
interpersonnel et l’on doit entretenir l’espoir que l’infirmière jouit d’une certaine expérience
dans la pratique de cet art, en vérité fort difficile» (p.73).
Cependant, il existe plusieurs raisons qui peuvent modifier la qualité de ce soin tel que: la
fatigue, le stress, le manque d’intérêt pour le malade ou même de l’aversion envers celui-ci,
l’impossibilité de mettre de côté ses propres problèmes, le niveau élevé d’anxiété du malade
ou du soignant, le devoir de faire d’autres tâches (remplir des papiers, transmissions écrites,
etc.). C’est important que les infirmières puissent prendre du temps pour penser. Ce moment
leur permettra de se ressourcer, et d’agir de manière réfléchie.
Si le patient est anxieux, il peut avoir de la difficulté à écouter, c’est pourquoi l’infirmière doit
dans un premier temps l’aider à diminuer son anxiété, afin qu’il puisse être à l’écoute de ce
qu’on lui transmet.
Pour Travelbee, «écouter est un processus actif» (p.74), dans lequel il ne suffit pas d’avoir
l’intention d’écouter, mais à cela s’ajoute un effort quotidien pour exercer et cultiver cet art.
Elle nous dit aussi qu’«écouter, c’est s’impliquer totalement» (p.74), car nous pouvons saisir
l’occasion pour aller véritablement à la rencontre de l’autre ou nous pouvons simplement
entendre ce qu’il dit, sans chercher à comprendre le sens que cela a pour lui. Lorsqu’elle
exerce sa profession, l’infirmière à une obligation morale d’écouter le patient, sans quoi le
108
message implicite qu’elle lui donne est qu’il n’est pas digne qu’une personne lui consacre du
temps.
Nous savons qu’une même phrase peut être interprétée de plusieurs manières
différentes. Mais si les deux personnes se connaissent parfaitement, il y plus de probabilités
qu’ils interprètent le message correctement que s’ils sont des étrangers l’un pour l’autre. Au
début de l’interaction avec le patient, l’infirmière ne connaît généralement pas le malade, c’est
pourquoi elle doit se méfier des conclusions hâtives, car «si son interprétation est mauvaise,
on peut croire que l’intervention manque d’à-propos ou qu’il n’y aura tout simplement pas
d’intervention» (p.76). Pour interpréter au plus juste, elle doit toujours vérifier que ce que le
patient dit est bien ce qu’il a voulu dire. Car cette interprétation découlera sur une
intervention, et si il y a un malentendu, l’intervention sera dépourvue de sens.
Donc nous pouvons dire que plus l’infirmière connaît le patient, plus elle est capable de
décoder le non verbal, et plus elle fera l’exercice de vérifier avec lui la signification de ses
propos, plus l’interprétation sera précise.
Sortir du sujet
109
dans ce cas nous ne devons pas oublier de suivre les besoins du patient, sauf si le sujet choisi
par le patient ne le concerne pas directement.
Enfin, si le patient décide lui-même qu’il n’est pas à l’aise avec un sujet et qu’il change de
discussion, l’infirmière peut mettre des mots sur ce malaise, et en reconnaissant qu’il et
difficile pour lui de parler de ce problème, elle diminue déjà une partie de son anxiété et
relance la possibilité d’un dialogue.
Les patients peuvent utiliser des techniques pour nous faire parler et ainsi éviter que
l’on parle d’eux. C’est à nous d’en prendre conscience et de recentrer la conversation sur eux.
Aussi, une infirmière qui est mal à l’aise face au silence peut avoir envie de combler le vide
par la parole. Mais elle doit apprendre à reconnaître qu’il s’agit de son malaise, afin de savoir
si il est bon de relancer le patient dans la discussion ou si il est préférable d’entretenir un
silence positif. À l’inverse certaines infirmières ne sont pas suffisamment actives dans
l’interaction. Or, «la sensibilité de l’infirmière se communique au malade. Celui-ci se rend
bien compte qu’elle l’écoute, s’intéresse à lui, dirige l’entretien tout en y participant
activement en elle-même» (Travelbee, p.79). Les émotions des infirmières sont leurs outils de
travail. En se montrant insensibles, elles passent non seulement pour des machines
dépourvues de cœur, mais elles se privent d’éléments essentiels au fonctionnement d’une
relation d’aide.
La réassurance inefficace
Ici, Travelbee nous rend attentifs à la notion d’autonomie, que l’on met souvent en
avant en mettant l’attention sur le fait que si les patients sont là, certes ils souhaitent avoir une
certaine autonomie, mais ils ont besoin de l’aide d’autrui. En effet, si la personne malade doit
être actrice de ses soins et autonome si possible, il ne faut pas se désengager de la relation,
car, si le changement doit venir du malade lui-même, il n’en est pas moins nécessaire pour lui
d’être aidé et guidé dans la réalisation de cette tâche. Si il n’avait pas besoin de l’implication
véritable d’une autre personne, il ne serait pas en psychiatrie, c’est pourquoi, nous l’auteur
nous suggère d’éviter de banals encouragements.
110
Annexe V
111
Annexe VI
Trouble de la personnalité caractérisé par une tendance nette à agir de façon impulsive et sans
considération pour les conséquences possibles, une humeur imprévisible et capricieuse, une
tendance aux explosions émotionnelles et une difficulté à contrôler les comportements
impulsifs, une tendance à adopter un comportement querelleur et à entrer en conflit avec les
autres, particulièrement lorsque les actes impulsifs sont contrariés ou empêchés.
(…) type borderline, caractérisé en outre par des perturbations de l’image de soi, de
l’établissement de projets et des préférences personnelles, par un sentiment chronique de vide
intérieur, par des relations interpersonnelles intenses et instables et par une tendance à adopter
un comportement autodestructeur, comprenant des tentatives de suicide et des gestes
suicidaires.
112
Annexe VII
Le programme Care:
113
Annexe VIII
Figure-toi des hommes dans une demeure souterraine en forme de caverne, dont l entrée,
ouverte à la lumière, s étend sur toute la longueur de la façade; ils sont là depuis leur
enfance, les jambes et le cou pris dans des chaînes, en sorte qu ils ne peuvent bouger de place,
ni voir ailleurs que devant eux; car les liens les empêchent de tourner la tête; la lumière d un
feu allumé au loin sur une hauteur brille derrière eux; entre le feu et les prisonniers, il y a une
route élevée; le long de cette route, figure-toi un petit mur, pareil aux cloisons que les
montreurs de marionnettes dressent entre eux et le public et au-dessus desquelles ils font voir
leurs prestiges. Figure-toi maintenant le long de ce petit mur des hommes portant des
ustensiles de toute sorte, qui dépassent de la hauteur du mur, et des figures d hommes et
d animaux, en pierre, en bois, de toutes sortes de formes; et naturellement parmi ces porteurs
qui défilent, les uns parlent, les autres ne disent rien. Penses-tu que dans cette situation ils
aient vu d eux-mêmes et de leurs voisins autre chose que les ombres projetées par le feu sur
la partie de la caverne qui leur fait face? . Et des objets qui défilent n en est-il pas de
même? . Dès lors, s ils pouvaient s entretenir entre eux, ne penses-tu pas qu ils croiraient
nommer les objets réels eux-mêmes, en nommant les ombres qu ils verraient?. Et s il y
avait aussi un écho qui renvoyât les sons du fond de la prison, toutes les fois qu un des
passants viendrait à parler, crois-tu qu ils ne prendraient pas sa voix pour celle de l ombre qui
défilerait? . Il est indubitable qu aux yeux de ces gens-là la réalité ne saurait être autre
chose que les ombres des objets confectionnés. Examine maintenant comment ils
réagiraient, si on les délivrait de leurs chaînes et qu on les guérit de leur ignorance, et si les
choses se passaient naturellement comme il suit. Qu on détache un de ces prisonniers, qu on
le force à se dresser soudain, à tourner le cou, à marcher, à lever les yeux vers la lumière,
tous ces mouvements le feront souffrir, et l éblouissement l empêchera de regarder les objets
dont il voyait les ombres tout à l heure. Je te demande ce qu il pourra répondre, si on lui dit
que tout à l heure il ne voyait que des riens sans consistance, mais que maintenant plus près
de la réalité et tourné vers des objets plus réels, il voit plus juste; si enfin, lui faisant voir
chacun des objets qui défilent devant lui, on l oblige à force de questions à dire ce que c est:
ne crois-tu pas qu il sera embarrassé et que les objets qu il voyait tout à l heure lui paraîtront
plus véritables que ceux qu on lui montre à présent? . Et si on le forçait à regarder la
lumière même, ne crois-tu pas que les yeux lui feraient mal et qu il se déroberait et
retournerait aux choses qu il peut regarder et qu il les croirait réellement plus distinctes que
celles qu on lui montre? . Et si, on le tirait de là par la force, qu on lui fit gravir la montée
rude et escarpée, et qu on ne lâchât pas avant de l avoir traîné dehors à la lumière du soleil,
ne pense-tu pas qu il souffrirait et se révolterait d être ainsi traîné, et qu une fois arrivé à la
lumière, il aurait les yeux éblouis de son éclat, et ne pourrait voir aucun des objets que nous
appelons à présent véritables? . Imagine encore ceci, repris-je; si notre homme redescendait
et reprenait son ancienne place, n aurait-il pas les yeux offusqués par les ténèbres, en venant
brusquement du soleil? . Et s il lui fallait de nouveau juger de ces ombres et concourir avec
les prisonniers qui n ont jamais quitté leurs chaînes, pendant que sa vue est encore confuse et
avant que ses yeux se soient remis et accoutumés à l obscurité, ce qui demanderait un temps
assez long, n apprêterait-il pas à rire et ne diraient-ils pas de lui que, pour être monté là-haut,
114
il en est revenu les yeux gâtés, que ce n est même pas la peine de tenter l ascension; et, si
quelqu un essayait de les délier et de les conduire en haut, et qu ils pussent le tenir en leurs
mains et le tuer, ne le tueraient-ils pas? ‒ Ils le tueraient certainement, dit-il (514 b, 517 c).
115
Annexe IX
Le réseau de l’unité:
Cadre de soins:
La visée principale de ce cadre de soins est une visée de réhabilitation et de réinsertion par le
travail, un retour progressif dans la société et un renouement ou un renforcement des liens
familiaux et sociaux des patients.
À chaque rupture du cadre thérapeutique (selon l évaluation de l équipe soignante), un retour
à un programme pavillonnaire strict est imposé par le médecin intervenant.
Ce programme doit être maintenu jusqu au prochain entretien médico-légal.
Le groupe:
Organisation d un groupe:
Mayo: 1927/1929
Approche psychosociologique du travail: étude sur le moral et les facteurs de rendement
d une équipe de travail.
• Donner envie
• Responsabilité
• But
• Implication
• Créer des liens, renforcer des liens à l extérieur
• Améliorer le moral et le climat dans le groupe
Yalom (1995) :
Facteurs thérapeutiques
• Interaction
• Information
• Universalisation: je ne suis pas seul à vivre ce genre de chose
• Altruisme: rôle de valorisation
117
Anzieu (1974) :
Le groupe possède son propre inconscient et fonctionne comme une enveloppe psychique.
Le groupe devient un seul individu.
Est également engagé un travail sur la séparation; Mlle A. montre dans son parcours que les
séparations (familiales, amicales, compagnons) ont toujours été chaotiques, l'amenant dans le
passé à des passages à l'acte.
Par ailleurs, sur le plan somatique, la patiente présente, en lien avec sa problématique de
trouble alimentaire et de sa prise de traitement, une obésité, avec un poids de 89 kg pour
165cm (BMI=33).
De par sa structure de personnalité borderline, un cadre de soins adapté aux besoins de
Mlle Amo. a été mis en place en accord et avec la participation de la patiente sur les aspects
suivants:
Contrat de soins:
Utilisation, en groupe, d un code visuel convenu, afin de s aider à stopper les manifestations
de l anxiété.
Tenter de parvenir à faire son autocritique sur ses comportements inadaptés et à reproduire
les stratégies qui marchent.
De leur côté, les soignants s engagent à 2 entretiens infirmiers de 30 minutes par semaine
avec comme axes de travail:
1. les comportements inadaptés
2. les facteurs d angoisses ou d anxiété et la gestion de leurs manifestations
Chaque jour un court entretien de 10 minutes afin de centraliser les demandes pour le
lendemain et permettre de déposer la tension en dehors de l espace groupal.
L utilisation en groupe d un code convenu afin d aider Mlle A. à stopper les manifestations de
l anxiété (se gratter le nez).
118
Diagnostics infirmiers:
119
Les autres difficultés exprimées par la patiente n ont pas encore fait l objet d une mise en
place formelle de stratégies avec la patiente.
Cependant, concernant la problématique du sommeil, Mlle Amo. nous dit que depuis un
certain temps, elle arrive parfois à rester dans sa chambre et à occuper sont temps en écoutant
de la musique ou en jouant à des jeux sur son téléphone portable. Reste à évaluer à quelle
fréquence elle parvient à rester seule dans sa chambre, et si elle ne pouvait pas mettre en
place d autres stratégies, au risque que celles déjà en place ne soient pas suffisantes.
Une problématique n ayant pas ressurgit durant les deux entretiens infirmiers, sans doute du
fait qu ils étaient conduits par des hommes, demeure celle de la conduite alimentaire de la
patiente et de ses crises de boulimie sans vomissements. La patiente a pu exprimer ses
difficultés auprès d une infirmière du service, et l équipe ainsi que la psychiatre ont pu
échanger à propos des possibilités qui pourraient s ouvrir à elle pour entreprendre des
démarches afin de travailler sur cette problématique, ressurgissant (rencontre avec une
diététicienne, travail autour de l image corporelle ).
Actuellement, Mlle Amo. est en cours d emploi dans un atelier protégé, à un poste de
conditionnement. Elle travaille à raison de 4 demies-journées par semaine et est rémunérée
selon le deuxième échelon de sa catégorie (ce qui signifie une progression au niveau du
salaire horaire).
Une levée de l article 59 al.2 du CP au bénéfice de l article 59 al.1 du CP à été prononcée
courant février, impliquant une fin d hospitalisation pour Mlle Amo., sous condition d un
suivi en ambulatoire ainsi que d un placement dans un foyer spécialisé.
Mlle Amo. est sur liste d attente dans un foyer, dans lequel elle a déjà effectué un stage. Les
dernières informations concernant une éventuelle disponibilité laissaient entrevoir une place
pour le mois de juin.
Mlle Amo. entrevoit cette finalité de manière très positive, bien que cela constitue une source
d angoisse et d anxiété pour elle. Consciente de sa fragilité et de sa difficulté à rompre les
liens et à appréhender la séparation, elle a émis le souhait de pouvoir faire cette transition de
manière progressive, afin de partir «en douceur» de l unité et de s installer de manière plus
sereine dans son futur foyer.
Ainsi, lors de la confirmation de la date de sortie pour Mlle Amo., un travail sur la séparation
sera nécessaire, afin qu elle puisse vivre cette sortie le mieux possible.
120
Annexe X
Le patient identifie ses besoins et recherche de l aide. L infirmière identifie son propre
rôle ainsi que les paramètres de la relation. Création du lien de confiance. Dans la relation,
l infirmière évalue les besoins du patient et approfondit sa situation. Le patient donne des
informations sur lui afin que l infirmière puisse mieux le comprendre.
Margaux est venue d elle même dans cette clinique pour demander de l aide. Pour travailler
de manière individuelle sur elle-même, elle est entourée d un médecin, d une psychologue,
d un coach, d une diététicienne et d infirmiers. Les objectifs de son hospitalisation on été
fixés avec elle dans le but d améliorer son état psychologique ainsi qu une prise de poids en
dehors de la zone d Anorexie. Après avoir décidé de suivre Margaux dans son parcours pour
quelques semaines, je suis allée lui demander son accord, en lui expliquant quel serait mon
rôle et comment nous allions travailler. Elle a accepté spontanément et nous avons continué
à discuter de manière informelle sur son ressenti du moment présent dans ce lieu de soin.
Nous avons ensuite fixé un prochain rendez-vous pour pouvoir faire connaissance.
Dans cet entretien, Margaux m a raconté son histoire de vie, ses problèmes, ses ressources,
ses envies, ses peurs, etc. Margaux exprime un problème de positionnement au sein de sa
famille. Elle ne trouve pas sa place, elle a du mal à s affirmer et à exprimer ses émotions à
ses proches. Je l écoute, j accepte ce qu elle me dit, je lui pose des questions afin de l aider à
explorer ses émotions. Après l entretien, j ai essayé d identifier ses problématiques
principales ainsi que les sujets qu elle aurait besoin de travailler. Ensuite je me suis informée
auprès de l équipe pour connaître précisément quels sont les points que chacun travaille avec
Margaux et nous avons fait l hypothèse d un besoin qu elle aurait envie d approfondir: Celui
d explorer la notion de «plaisir» ou «ce qu elle aime faire, qui a du sens pour elle, en dehors
d une activité de performance». J ai ensuite vérifié auprès d elle si l objectif que j avais
imaginé lui convenait. Sachant qu il y avait déjà beaucoup de monde autour d elle, je me suis
demandé quelle ressource je pouvais être pour elle et si je n étais pas de trop dans son chemin
thérapeutique. Finalement, les autres soignants ainsi que Margaux étaient d avis qu il était
possible de se fixer un petit objectif et de faire un entretien par semaine. Parallèlement,
j essaye d être consciente de mes propres émotions et de mes pensées en lien avec sa
problématique, afin de voir Margaux comme une personne unique avec un problème qui
s exprime d une manière qui lui est propre, mais aussi pour être consciente de mon ressenti
afin de reconnaître mes limites.
Le patient identifie les problèmes qu il veut aborder avec l infirmière et celle-ci offre
son intervention afin de l accompagner dans ses besoins. C est un partenariat entre l infirmière
et le patient.
Les objectifs d hospitalisation fixés avec Margaux sont: améliorer son estime d elle même,
favoriser l expression de ses émotions (notamment avec sa mère et sa sœur), travailler son
121
schéma de perfection, diminuer le contrôle, la reprise d une vie sociale, se donner du temps,
apprendre à nommer les choses. L objectif que j avais fixé pour le 1er entretien était de
simplement faire connaissance et essayer d établir un lien de confiance. Ensuite, j ai proposé
à margaux d explorer la notion de plaisir avec elle, étant donné que lors du premier entretien
elle avait dit que pour elle, se faire plaisir était une perte de temps, que ça n avait pas de sens
puisqu il n y avait pas de but.
Lors du second entretien, je lui demande ce qu évoque le mot plaisir pour elle. Elle me donne
l exemple du yoga du rire, groupe dans lequel elle a de la difficulté à participer, elle pense
qu elle n y arrive pas aussi bien que les autres, car le rire n est pas spontané, elle doit se
forcer. Elle dit aussi qu elle porte beaucoup d attention à ce que disent ou pensent les autres
d elle et elle s estime moins bien que les autres. Dans cet entretien, elle me dit à nouveau que
le plaisir est une perte de temps, car elle a l impression qu elle rate quelque chose qui ne va
pas et donc qu elle rate une occasion de travailler. Elle me dit aussi: «quand ça va bien, je ne
me sens pas normale, j ai pas l habitude. C est plus facile pour moi de parler de ce qui ne va
pas que de ce qui va bien.» Petit à petit, Margaux change de sujet et je n arrive pas à revenir
au sujet de départ. Elle parle de sa famille et de sa relation avec ses proches, elle dit avoir
peur du conflit et pense que si elle s exprime les autres ne vont plus l aimer. Elle reproche
beaucoup à ses proches de ne pas entendre son problème et de minimiser son mal-être. À la
fin et grâce à l aide de ma référente, nous faisons un rapide résumé de l entretien et nous lui
suggérons de faire l expérience d introduire un moment court de plaisir dans la semaine,
quelque chose qui a un sens pour elle, au choix. Elle est d accord et dit qu elle va essayer.
122
situations avec ses proches (quelle émotion? Quel comportement? pleine conscience) ainsi
que pour l estime d elle-même.
Le lundi suivant, Margaux fait une tentative de suicide et se décide de se jeter sous une
voiture. Je vais la chercher au centre ville et la ramène à la clinique. Elle n a rien de grave,
mais à son retour, elle exprime aux infirmières des idées noires récurrentes. Elle dit qu elle
vit très mal le fait d avoir la sonde, que personne ne l écoute, qu elle n en peut plus et qu elle
veut mourir. Elle est vue par une psychologue qui évalue son risque suicidaire et lui fait
signer un contrat de non passage à l acte d ici le lendemain. Le lendemain, elle est vue par le
médecin spécialiste des troubles alimentaires et en attendant une prise décision avec ses
parents (changement de lieu de soin?), il augmente son traitement de neuroleptiques pour la
protéger d un passage à l acte. Pour le moment, Margaux reste à la clinique et je décide de
maintenir notre entretien. Je dois dire que j étais perturbée par ces événements et je me
demandais comment entrer en lien avec une personne à la fois très à risque, blessée, mais
aussi extrêmement rigide dans sa manière de voir les choses, avec un grand besoin de garder
le contrôle. Je me suis fixée comme objectif de simplement maintenir le lien. C est elle qui est
venue me chercher à l heure, car elle voulait avoir mon avis sur ce qui c était passé, ainsi que
sur la réaction de psychologues, etc. À nouveau, j ai essayé de ne pas répondre à ses
questions, je ne voulais pas faire de clivage et surtout, je voulais qu elle réalise que les
soignants étaient là pour l aider et non pas pour la couler. Ça n a pas été facile de la rassurer,
elle est restée bloquée sur sa peur du conflit avec les soignants et sa peur d être renvoyée de
la clinique.
Phase de résolution
C est une préparation à la fin de la relation. Le patient a des outils pour résoudre ses
problèmes, il recherche de nouveaux buts, il devient de plus en plus indépendant.
Deux semaines avant la fin de mon stage j ai annoncé à Margaux que la fin du stage était
proche. La situation avant les vacances de Pâques n étant pas stable, je ne savais pas si je la
reverrai à mon retour. Cependant, il m était difficile de lui dire au revoir, car la situation était
délicate et on ne savait pas ce qui allait se passer. J avais tout même prévu de faire un
entretien la dernière semaine afin de mettre fin à la relation, mais Margaux a été envoyée
dans un service pour adolescents (le Salève) où elle est plus protégée. Avant son départ,
margaux a menacé à deux reprises de se jeter sous une voiture, puis elle est partie sur la route
pour essayer de le faire. Il ne s est rien passé, mais l équipe a décidé que l on était plus en
mesure de la protéger.
123