Emploi Et Territoire
Emploi Et Territoire
Emploi Et Territoire
Il existe une relation étroite entre l’emploi et les territoires. Ce lien est évident pour l’ensemble des
acteurs locaux, qu’ils soient publics ou privés : c’est dans les territoires que la question de l’emploi,
de son développement ou de son maintien, se pose en premier lieu, et c’est à l’échelle de chaque
territoire qu’il est pertinent d’y apporter des réponses. Les lois de réforme territoriale qui ont
redéfini les compétences des collectivités ont pris en compte cette relation, dans le contexte plus
global des bouleversements induits par la mondialisation des économies, les mutations
technologiques et ceux, plus récents, résultant de la crise économique et des finances publiques.
Recul de l’industrie et de l’agriculture, progression des services, métropolisation, polarisation de
l’emploi, crise économique : de profondes évolutions de l’activité et de l’emploi impactent très
inégalement les espaces, et remettent en question la garantie d’égalité des territoires et d’égalité des
possibles pour les citoyens qui y résident. Lutter contre ces inégalités passe par la préservation et le
renforcement de la capacité de chaque territoire à construire des politiques adaptées au contexte
local, en fixant un cadre national permettant à des actions décentralisées de se développer dans les
directions les plus appropriées
Depuis plus de quinze ans, des élus locaux se sont engagés et pour cela ont mobilisé les ressources
de leur collectivité, afin de tenter de contribuer à la résorption du chômage. Les initiatives multiples
qu’ils ont ainsi prises, rarement dispendieuses, n’ont probablement pas toujours démontré leur
efficacité ; pour autant elles ont généralement été appréciées des acteurs économiques locaux
autant que des personnes en recherche d’emploi. Cette implication spontanée des collectivités
territoriales à côté des institutions du service public de l’emploi était par ailleurs diversement
ressentie du fait de supposées tentations que certains élus locaux auraient pu avoir, de se substituer
à la souveraine compétence de l’Etat. Il fut largement démontré, à cet effet, qu’il n’en était
généralement rien et que la motivation de cet élan reposait sur le simple souci de mieux répondre
aux besoins communs des entreprises et des chômeurs de leur territoire. Voici donc une quinzaine
d’années que se développent des organisations locales dont certaines sont depuis, devenues des
dispositifs élaborés reconnus et dupliqués à volo sur tout le territoire national. Certains dispositifs
ont ainsi largement prouvé leur efficacité et disposent dorénavant d’appuis financiers divers
(Conseils généraux, régionaux, Etat, Europe). La Loi de cohésion sociale, reconnaissant aux
collectivités cette capacité à innover au plus prés des besoins des territoires, confirma ainsi la
compétence qu’elles avaient acquise de fait, en stipulant que dorénavant ces mêmes collectivités
concourraient au service public de l’emploi. Faut il aujourd’hui en déduire que les remèdes contre le
chômage seraient entre les mains des élus locaux ? Tout d’abord, il faut poser comme hypothèse
qu’en quinze ans le paysage économique a considérablement changé. Les entreprises qui gagnent
des parts de marché font l’objet de toutes sortes de convoitises, opérations de séduction, de la part «
d’investisseurs » (bien que ce terme ait perdu de son sens), fonds de pension étrangers ou encore
sont la cible d’attaques multiples dans des domaines souvent bien éloignés de leur cœur de métier.
Entreprises mondialisées donc, capitaux voyageurs et profits gigantesques extrêmement volatiles,
résultats sans précédents dont les montants quasi outranciers, pourraient, pour certains, largement
financer -par exemple- l’ensemble des maisons de l’emploi du plan de cohésion sociale, voici donc la
réalité économique à l’horizon 2008 telle qu’elle s’impose aux territoires et donc aux élus à la tête
des collectivités.
L ’implication des territoires, – régions, départements, communautés d’agglomération – constitue
aujourd’hui un des maillons essentiels de la politique de l’emploi. Depuis les années 80, l’action
publique a changé d’orientation : destinée auparavant à accompagner la croissance et à diminuer les
inégalités d’accès à l’emploi, elle est devenue réparatrice. Dans ce mouvement, elle s’est
territorialisée : elle appelle la mobilisation des acteurs locaux, en particulier dans une phase de
mutation profonde de l’industrie française, avec d’importantes disparités entre les bassins d’emploi.
Le territoire « pertinent » est sans doute de taille relativement modeste, inférieure à celle d’un
département mais supérieure à celle d’une agglomération. Pour autant, ce mouvement de
décentralisation des politiques de l’emploi n’est pas une panacée
Travail, emploi, chômage : une approche nécessairement conjointe Le travail peut être défini comme
une activité humaine qui répond à des besoins sociaux, l’emploi lui confère un statut et y rattache
une rémunération. L’activité, elle, recouvre l’ensemble des occupations humaines. C’est à partir d’un
débat sur les termes du questionnement, qu’une base commune a pu être définie. L'approche
territoriale permet de dégager la question de l’emploi de l’offre de services, de dispositifs et de
mesures inévitablement spécifiques, pour travailler à l'émergence d'un objectif commun entre les
personnes en recherche d’emploi, les entreprises, le territoire et ses acteurs. Plusieurs éléments,
soulignés par les participants à la Veille, montrent l’existence de cet intérêt partagé, « ni proprement
social, ou économique mais un enjeu de bien commun, un enjeu politique territorial »5 . Ainsi, la
présence d’une main d’œuvre formée dans un territoire dont les équipements, les services, le degré
de cohésion sociale offrent un cadre de vie propre à une installation pérenne, est un facteur
d’implantation des entreprises. Elles-mêmes participent à la valorisation des capacités des personnes
vivant sur ce territoire et renforcent l’attractivité de ce dernier. Les conditions de travail et les choix
faits par l’entreprise6 en matière d’emploi (statuts, rémunérations, carrières,…) conditionnent la
capacité d’intégration et le maintien dans l’emploi, les parcours professionnels et les récurrences au
chômage. C’est un élément clé de sortie de la pauvreté par la stabilité éventuellement privilégiée par
l’entreprise, et les revenus perçus si les temps partiels restent choisis. Au contraire, le recours
systématique à l’intérim, aux temps partiels subis, aux horaires fractionnés… sont autant d’éléments
qui fragilisent les compétences humaines d’un territoire mais également celles des entreprises. De
même, le recrutement parce qu’il reste une opération de tri dont les critères peuvent être
discriminatoires, peut conduire à la mise à l’écart des personnes, en dépit de leurs qualités,
fragilisant par ailleurs les capacités et le tissu social d’un territoire. Ces intérêts partagés dessinent un
espace de travail commun engageant plusieurs acteurs : entreprises, acteurs de la formation, de
l’insertion et partenaires sociaux, pour une démarche en termes de « ressources humaines » qui
permet d’appréhender conjointement les besoins des entreprises, ceux des territoires et des
personnes qui y vivent, et de travailler, dans le même temps, à la valorisation de leurs capacités
Quels sont les cadres publics d’intervention ? Le partage des compétences entre l’Etat, la Région, les
Départements en matière d’emploi, appréhendé au sens large, dessine un paysage institutionnel
complexe. C’est un premier constat. Les incertitudes et les évolutions récentes interrogent aussi la
cohérence des fondements de cette action publique, la conception de l’accès à l’emploi qui la sous-
tend, et la cohésion du cadre de l’intervention publique, censé soutenir les acteurs locaux. La
persistance de certaines inconnues et la qualité de certaines évolutions laissent en effet les acteurs
locaux dans une expectative inquiète : questions soulevées par la concomitance entre la signature de
la convention tripartite (entre l’Etat, l’ANPE et l’UNEDIC) et la mise en place des Maisons de l’emploi7
, émergence des contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) et de leur volet emploi-développement
économique, engagement en cours des Conseils généraux dans l’acte II de la décentralisation, arrivée
à terme du contrat de plan Etat – Région, incertitudes concernant les PLIE en 2008… La cohérence du
cadre de l’intervention publique paraît se fragiliser un peu plus encore. La mise en œuvre de la LOLF
(Loi organique relative aux lois de finances), et la nécessité de flécher les crédits sur des lignes
comptables précisément définies, posent d’autres questions, certaines actions ne trouvant pas les
lignes de financements correspondantes. Les participants au groupe régional décrivent les réunions
qui se multiplient, les questions relatives aux financements des projets locaux qui restent sans
réponse, l’absence d’orientation claire ; et des acteurs qui se lassent et désertent. La MRIE posait la
question de la capacité des logiques d’action et de partenariat développées au niveau local, à
surmonter les contradictions institutionnelles. Or, les différentes interventions ont montré les
difficultés rencontrées par les acteurs locaux à travailler dans un cadre éclaté, un système encore
trop cloisonné, sans beaucoup de visibilité des compétences, des responsabilités et des moyens de
chacun pour agir. Beaucoup parlent d’« essoufflement ». Cette déficience des cadres publics, telle
qu’elle est analysée par les acteurs, freine aussi la construction de cadres locaux d’intervention, qui
ne trouvent pas l’espace de légitimité et les étayages suffisants pour mobiliser de façon cohérente les
différents partenaires impliqués dans le domaine de l’emploi .
Des démarches ascendantes qui ne trouvent pas les conditions de leur développement Les
démarches territoriales dans le domaine de l’emploi doivent être en prise avec les besoins et les
ressources des territoires. Or, la fonction de diagnostic est faible, peu portée, mal outillée. Si des
démarches de diagnostic existent sur certains territoires, il apparaît que les besoins et les
caractéristiques des publics en recherche d’emploi, les besoins des entreprises, leur analyse
prospective, les potentiels en termes de création au regard des besoins sociaux des territoires, sont
rarement étudiés de façon conjointe, à l’aide d’une méthodologie qui garantisse à la fois la crédibilité
et le partage du diagnostic par les différents acteurs. Ce travail est également rarement mis en
perspective avec les dispositifs, les projets et les actions déjà en place, dont l’inventaire est peu
réalisé. La place centrale donnée au diagnostic dans la démarche de mise en place des contrats
territoriaux emploi formation (CTEF) impulsée par le conseil régional apparaît ainsi comme un facteur
de progrès essentiel. Fondées sur les besoins et les ressources des territoires, les démarches
devraient conduire à la conception et à la mise en œuvre d’approches globales. On ne peut en effet,
segmenter les individus ou les organisations, selon les besoins et les ressources qu’ils portent : un
même individu peut être à la fois porteur d’un projet professionnel, riche d’une idée ou d’un projet
de création d’activité, candidat à une formation, travailleur précaire, mal logé…Une entreprise peut
dans le même temps s’interroger sur son organisation, être fragilisée par une pénurie de personnel
ou un turn-over important de ses salariés et porteuse d’un projet de développement ou de
restructuration … Histoire, identité, infrastructures de transports, projets culturels, centres de
formation, dynamiques sociales, habitudes de coopérations…les ressources d’un territoire se croisent
et se renforcent aussi par leur étayage mutuel. Or, l’émergence et la mise en œuvre de démarches
globales sont confrontées à une diversité d’obstacles analysés par les participants à la réflexion : - Les
leviers pour l’action dépendent majoritairement de la mobilisation des dispositifs publics qui
conditionnent le financement des projets et des structures qui les portent. Or, ces dispositifs
s’inscrivent majoritairement dans une logique d’offre de services, rarement dans une logique de
développement. Les dispositifs publics restent très cloisonnés et peu adaptés, et adaptables, aux
spécificités des publics et des territoires. Définis au niveau national, parfois aménagés en fonction de
données locales parfois partielles ou dépassées, les acteurs peinent à façonner les dispositifs en
fonction des besoins et des ressources spécifiques des publics ou des territoires. Ces dispositifs et ces
mesures s’inscrivent sur les champs de compétences des acteurs publics qui les conçoivent et les
financent. Ces logiques institutionnelles construisent ainsi de véritables murs entre action sociale,
insertion, développement économique, économie sociale et solidaire, sans compter les domaines du
logement, de la santé, des services à la personne (eux-mêmes subdivisés en fonction des publics
ciblés, petite enfance, personnes âgées…).
Les projets d’intermédiation entre l’offre et la demande d’emploi développés à Feyzin, dans le
Rhône8 , sont une illustration intéressante des potentiels existants et des difficultés à adapter les
dispositifs pour trouver les soutiens adéquats. - Le foisonnement des dispositifs, leurs croisements et
leurs superpositions forment un cadre de travail peu lisible, complexe à mobiliser : un espace de
travail difficile à partager. La compréhension de ces outils requiert souvent des compétences
d’archéologue, capable de reconstituer la logique des strates formées par les empilements successifs
de mesures et de dispositifs. Exigeant des compétences de spécialistes, le partage de ces outils avec
des acteurs ne relevant pas du champ concerné est difficile, et rend les coopérations transversales
très complexes à mettre en œuvre. - Le système d’acteurs dans le domaine de l’emploi apparaît
fortement divisé. La multiplicité des acteurs et des professionnalités en jeu met en présence une
grande diversité de valeurs, de représentations, de références doctrinales, et de pratiques, qui ont du
mal à s’accorder pour construire des coopérations de projet. La distance est particulièrement grande
entre les acteurs inscrits dans le champ social et ceux relevant du domaine de l’économie. Les
acteurs se connaissent mal, l’information circule peu, la confiance est faible. Les espaces d’échanges,
de concertation pour des diagnostics partagés ou d’élaboration collective de projets, sont rares. -
Cette difficulté à se dégager des dispositifs pour développer d’autres modes de faire est renvoyée au
cloisonnement des procédures mais également au défaut de professionnalisation d’une partie de ces
acteurs. Manque de prise de responsabilité, résistance au changement, à l’innovation… sont pointés
comme des facteurs de blocage. Plusieurs éléments d’analyse de cette situation. Tout d’abord, les
professionnels intervenant dans le domaine de l’emploi, notamment ceux en relation directe avec le
public, apparaissent souvent fragilisés. Leur statut parfois précaire, la faible reconnaissance dont ils
font l’objet, leur niveau de rémunération, rend leur position difficile à tenir. Le conditionnement des
financements à la mobilisation des dispositifs, les exigences de résultats qui y sont attachés,
l’urgence, la surcharge de travail et la faiblesse des moyens disponibles, sont aussi des facteurs qui
pèsent sur leur capacité d’initiative, d’ouverture, de coopération. La professionnalisation des acteurs
est certainement un axe de progrès mais elle n’est pas seule en cause (Cf l’encadré de M. Nekaa :
Accompagnement à l’emploi : une précarité pour tous ? p. 52.) - Les pratiques, les méthodes
d’accompagnement à l’emploi ne sont pas toujours orientées vers un renforcement des potentialités
des personnes en recherche d’emploi, elles contribuent parfois à invalider ces capacités, à «
infantiliser » les individus, selon les mots employés par le groupe demandeurs d’emploi9 . « On ne
nous considère pas comme des adultes capables de penser », l’accompagnement ne vient pas en
appui mais « nous prend par la main », « on nous promène », « on n’a pas le choix ». Les étapes sont
imposées, « on ne nous écoute pas, on ne nous entend pas ». La relation peut même être violente
comme la décrit Farida Hasnaoui dans sa contribution10. L’opacité et la complexité des dispositifs
tendent à priver les personnes d’une capacité d’action autonome et induisent des obligations
auxquelles il s’agit de se soumettre. Robert Solazzi, dans son article11, pointe
les difficultés d’un accompagnement qui respecte les désirs de l’autre, ses recherches, ses
revirements, et souligne les enjeux en termes de professionnalisation des accompagnants et
d’évolution de leurs cadres de travail. - Des moyens rares pour financer l’innovation,
l’expérimentation. Une grande partie des financements des acteurs du champ de l’insertion et de la
formation sont conditionnés par les dispositifs (PLIE, RMI…) et laissent peu de liberté, ou une liberté
démunie, sans réels moyens supplémentaires, pour développer des projets qui ne seront pas
financièrement valorisés dans ce cadre. Plusieurs cas de figures : o Peu de financements existent
pour démarrer ou soutenir des projets innovants ou expérimentaux ; o Ces financements sont
disponibles mais mal connus ou exigent, pour être mobilisés, une ingénierie dont ne disposent pas
les acteurs. o Lorsque ces moyens sont enfin mobilisés et permettent le développement d’un projet
et de nouvelles pratiques, ce sont les conditions de leur diffusion qu’il est difficile de réunir. - Une
difficulté de l’action publique à accompagner l’émergence de démarches locales sans standardiser
des projets et/ou créer de nouveaux dispositifs. Ainsi, les intentions du Ministère de l’emploi et de la
cohésion sociale12 fondent les projets des maisons de l’emploi sur les politiques locales et leur
ancrage territorial. Or, dans certains territoires, les modalités de mises en œuvre font de ces maisons
de l’emploi un dispositif supplémentaire, conçu sans les acteurs locaux, à partir du cadre élaboré au
niveau national. Un questionnement proche mais plus nuancé concerne les CTEF (contrats
territoriaux emploi formation)13 mis en place par la Région. Ils viennent proposer, voire compléter
un cadre d’intervention et des moyens d’actions, lorsque le territoire est porteur d’un projet de
développement intégrant l’emploi. Inversement, ils tendent à imposer un cadre institutionnel
supplémentaire, lorsque le territoire n’est pas prêt à porter une politique locale dans ces domaines.
Contrainte de temps, contraintes financières, valeurs, représentations et pratiques des acteurs
publics en charge de ces projets sont autant de facteurs qui rendent difficiles de véritables
démarches d’accompagnement, de soutien aux territoires et aux acteurs locaux. Ils conduisent, a
contrario, à formater des projets dans des démarches qui deviennent descendantes, en dépit des
objectifs définis. - Pour surmonter la segmentation institutionnelle de ce champ de l’emploi, réunir
les conditions de coopérations entre les acteurs, d’évolution des postures et des pratiques, encore
faut-il qu’un objectif soit défini en ce sens et qu’un pilotage de la démarche ainsi élaborée puisse être
décidé et légitimé. Or, il est rarement possible d’identifier un pilote pour conduire une démarche
dans le domaine de l’emploi. Cloisonnement institutionnel, difficile convergence des valeurs et des
pratiques des acteurs en présence, échelles d’organisation ou de représentations éloignées du local
(notamment pour les syndicats et les entreprises)…, l’identification d’un pilote légitime ou d’une
maîtrise d’ouvrage partagée est un défi important. Ainsi, les contrats territoriaux emploi formation
impulsés par la Région proposent et consolident un espace de collaboration entre les différents
acteurs impliqués sur les questions de l’emploi. La structure porteuse a une légitimité pour piloter la
démarche de diagnostic et de définition du plan d’action, mais n’est pas légitime pour conduire sa
mise en œuvre. Il peut parfois manquer un chef de file.
Enfin, les techniques d’entretien ne sont pas toujours adaptées. Elles ne permettent pas toujours aux
personnes de présenter l’ensemble de leurs compétences et de leur savoir-faire, en lien avec les
qualités requises pour le poste ouvert au recrutement. Les entretiens sont parfois tendus, les
questions sont fermées, expliquent les participants du groupe de demandeurs d’emploi15. La qualité
des courriers ou des contacts téléphoniques en cas de refus de l’entreprise permet rarement de
comprendre les critères de recrutement et les raisons du rejet de la candidature. Ces analyses
pointent fortement la difficulté, pour certaines entreprises à qualifier leurs besoins en personnel. Le
PLIE Uni Est de l’agglomération lyonnaise a ainsi mis en place une équipe de onze chargés de mission
Insertion développement économique qui propose un réel service aux entreprises – identification et
qualification des besoins en ressources humaines, définition des profils de poste… – et permet
ensuite de proposer des candidatures pertinentes et de travailler dans une relation de confiance sur
les critères de recrutement. Sur le territoire de Feyzin dans le Rhône, le PLIE constate cependant que
les offres d’emploi des entreprises paraissent avec des délais de recrutement de plus en plus courts,
ne laissant pas le temps de travailler avec l’entreprise à la définition précise des profils de poste, pas
le temps non plus de repérer, préparer les candidats, encore moins d’organiser des formations
préalables. Une analyse prospective est ainsi nécessaire, de façon à organiser une gestion
prévisionnelle de l’emploi sur un territoire. Une collaboration entre les différents acteurs de
l’entreprise, les partenaires sociaux, les intermédiaires de l’emploi et les financeurs des mesures
d’accompagnement et de formation est alors indispensable. Les articles de Florence Perrin16 ou de
Marie Blandine Niveau17 illustrent ou posent les enjeux de telles démarches. - L’intégration dans
l’entreprise constitue un enjeu déterminant dans la lutte contre le chômage. Le groupe régional avait
pointé la fréquence des ruptures de contrats de travail au cours de la première période d’intégration
dans l’entreprise et souhaitait approfondir l’analyse avec le groupe de demandeurs d’emploi. Ce
groupe a identifié plusieurs facteurs à l’origine de ces départs prématurés : o le décalage entre le
profil de poste annoncé et la réalité du poste occupé (le poste requiert des compétences et un
savoir-faire dont la personne récemment recrutée ne dispose pas), o la rareté des formations à la
prise de poste, o l’absence d’accompagnement de la part de l’encadrement, o la dureté des
conditions de travail et/ou l’insuffisance de moyens pour atteindre les objectifs fixés o et enfin les
tensions au sein de l’équipe de travail, notamment lorsque cohabitent des statuts différents (CDI ou
fonctionnaire / CDD / intérimaire ou vacataire) au sein d’une même équipe de salariés. Ces différents
facteurs conduisent à faire porter sur le salarié récemment recruté, l’entière responsabilité de
l’intégration dans l’entreprise. Alain Charvet18 apporte d’autres
éléments d’analyse à partir d’études conduites dans le cadre d’Aravis19 et souligne le rôle clé du trio
– salarié, employeur, chargé d’accompagnement – pour favoriser l’intégration dans l’entreprise et
donc le maintien dans l’emploi. - Autre levier d’action : la création d’emploi. L’analyse des besoins
non satisfaits sur les territoires, les opportunités proposées par la commande publique, l’examen des
modes de production de certaines entreprises sous l’angle de l’emploi, sont autant de supports de
création ou de consolidation d’emplois « durables ». Les participants au groupe de travail ont relevé
plusieurs expériences intéressantes à ce titre. La démarche menée par les sites de proximité
présentée par Eric Chosson20 allie accompagnement à l’emploi, prospection d’activités et appui à la
création d’activité. Marlène Bissardon21 décrit le groupement d’employeurs du Lyonnais et du Forez,
la mutualisation des besoins en recrutement et d’emplois à temps partagés. La coopérative
d’activités Cap Ondaine, propose un accompagnement spécifique à la création d’activité, davantage à
l’écoute des besoins de porteurs d’idée, de projets encore en recherche. Sandrine Vernières22 s’en
fait l’écho. Thierry Escudero23 analyse les difficultés et les potentiels portés par la commande
publique et la nécessité d’inscrire les modalités d’applications des clauses d’insertion dans des
stratégies territoriales d’insertion. Un autre intervenant pointait la nécessité de revisiter les modes
de production des entreprises, au regard de l’exigence de création ou de consolidation d’emploi
durable. Un exemple était donné : lorsque dans un quartier 14 personnes travaillent une heure par
jour pour sortir des containers à poubelle, une réorganisation du travail permettrait de créer des
emplois à temps plein, condition pour sortir de la pauvreté. Sans doute une plus grande participation
des acteurs de l’économie sociale et solidaire aurait-elle permis de valoriser d’autres pistes.
Intervention en amont sur l’accès à l’emploi, la qualification de l’offre et l’intermédiation avec la
demande, prévention et lutte contre les discriminations, accompagnement de l’intégration dans
l’entreprise, repérage de potentiels, construction de supports d’activités, accompagnement des
créateurs…. Autant de démarches de reconnaissance et d’appui aux personnes qui s’inscrivent dans
une approche territoriale, qui exigent la collaboration d’une pluralité d’acteurs parmi lesquels figure
le territoire et qui reposent sur une alliance entre l’économique et le social. La démarche de
diagnostic menée par les acteurs investis dans la réflexion de la Mrie a ainsi exploré deux niveaux
d’intervention, celui des cadres publics et des cadres locaux qui orientent, légitiment, étayent l’action
; et celle de l’action elle-même, inscrite dans des dynamiques territoriales, en s’interrogeant, à la fois,
sur ses contenus et ses conditions d’amplification.
1. La nécessité de construire de véritables stratégies locales pour l’emploi Ouvrir des espaces
de projet commun et de coordination entre insertion sociale, professionnelle, formation et
économie ; favoriser une approche intégrée entre les politiques menées dans le domaine de
l’emploi et celles conduites dans le champ du logement, des transports, de l’éducation, de la
santé, des services à la personne… ; concevoir et mettre en œuvre des politiques locales de
lutte contre les discriminations, en capacité d’agir sur la coproduction de ces processus par
les différents acteurs intervenant sur l’emploi ; construire une mise en relation de l’offre et
de la demande d’emploi sur le territoire, soutenir la création d’emploi en lien avec les
caractéristiques des territoires et des populations qui y vivent… tels sont les principaux
enjeux de ces stratégies. Quelles sont les conditions d’émergence et d’efficacité de telles
démarches, notamment au regard des personnes qui rencontrent des difficultés ? Une
nécessaire cohérence des fondements de l’action publique en matière d’emploi doit soutenir
le cadre public d’intervention. Au-delà de cette base commune sur les attendus d’un
accompagnement à l’emploi, la définition d’objectifs communs entre les différents acteurs de
cette politique (Etat, départements, région, collectivités locales) apparaît comme la condition
indispensable pour élaborer et mettre en œuvre un projet d’action publique cohérent sur les
territoires. Une maîtrise d’ouvrage partagée des orientations stratégiques et du projet ainsi
défini doit pouvoir se mettre en place. L’assurance de moyens financiers doit garantir la
pérennité des démarches et des actions qui font leurs preuves. Première condition
d’émergence et de déploiement de ces politiques territoriales : l’engagement des élus,
l’existence d’une volonté politique de mettre l’emploi au cœur du développement du
territoire. Enfin, une véritable gouvernance locale doit pouvoir réunir l’ensemble des acteurs
impliqués sur les questions de l’emploi, les acteurs publics compétents sur les différents
champs, les partenaires sociaux, des acteurs de l’insertion, de la formation, de l’économie
dite traditionnelle comme de l’économie sociale et solidaire… Cette gouvernance locale doit
pouvoir associer les personnes en recherche d’emploi, et notamment les plus en difficulté,
condition indispensable pour garantir la prise en compte de leurs réalités dans la définition et
la mise en œuvre de stratégies locales en matière d’emploi. Il ne suffit pas cependant de
réunir dans un même espace des acteurs aux positions aussi différentes pour faire émerger
des décisions collectives intégrant cette diversité de points de vue. Des méthodes spécifiques
doivent être mobilisées, des moyens doivent être disponibles. Au-delà de la nécessité d’une
véritable ingénierie de concertation, la première condition est que l’accompagnement à
l’emploi mis en œuvre sur le territoire vise réellement à reconnaître et à conforter la
capacité des personnes à comprendre, à agir sur leur environnement.
2. Enfin, la capacité de construire une stratégie locale efficace en matière d’emploi repose aussi
sur la cohérence du territoire. L’échelle pertinente d’intervention peut être à géométrie
variable, elle se définit sans doute en fonction des objectifs, du projet et des cadres
institutionnels existants. Mais le territoire n’est pas une variable exogène au projet ; son
histoire, son identité, la qualification des acteurs, leurs habitudes de travail en commun sont
autant d’éléments qui forment un terreau plus ou moins riche, plus ou moins en capacité de
favoriser le développement de projets. D’autres propositions touchent davantage à
l’ingénierie dont les territoires doivent se doter. La construction de politiques territoriales en
matière d’emploi et l’exigence de prise en compte des publics en difficulté nécessitent des
compétences et des moyens en matière d’évaluation, pour aider à leur élaboration, à leur
ajustement et surtout à leur partage par les différents acteurs concernés. Enfin la fonction de
diagnostic doit être organisée et outillée. Cette fonction de diagnostic devrait pouvoir
valoriser le savoir détenu par les différents acteurs, par les demandeurs d’emploi eux-
mêmes, mais aussi par les personnes qui les accompagnent (conseillers insertion, référents
RMI…) dont la parole est rarement entendue. L’identification des besoins et des ressources
des territoires au regard de l’emploi repose sur cette confrontation de points de vue.