Beaux Arts Magazine #443. Mai 2021
Beaux Arts Magazine #443. Mai 2021
Beaux Arts Magazine #443. Mai 2021
LIVRE ÉVÉNEMENT
L’autobiographie
sulfureuse
et fascinante
d’ORLAN
SPÉCIAL DESIGN
La folie du vintage
Notre sélection de canapés, fauteuils,
bureaux, luminaires…
Piero della Francesca
La Flagellation du Christ [détail],
vers 146O
www.tectona.fr 01 47 03 05 05
L’art du temps
L’ÉDITO
de Fabrice Bousteau
C
ombien d’images voyons-nous chaque jour ? l’expression même de son patronyme, Joyeux,
Je n’ai malheureusement pas réussi à identier par sa générosité, son attention à tous, des stagiaires
une source able pour vous donner une réponse. aux pigistes, et jusqu’aux personnalités accueillies
En revanche, les scientiques s’accordent sur le fait dans nos locaux ou aux lecteurs et abonnés qu’elle
que notre œil ne pourrait pas en enregistrer plus avait au téléphone. On ne le dira jamais assez,
de 60 par seconde. Certains experts estiment que mais un journal, une entreprise, une école comme
nous serions soumis à plus de 15 000 stimuli visuels un musée n’existent que par la passion, l’énergie,
de produits de consommation par jour ! Ce qui est sûr, la personnalité des gens qui y travaillent. Cathy
c’est que par rapport aux années 1970, la multiplication est décédée ce 6 avril, à la suite d’une opération
des outils numériques a considérablement accru du cœur. Son intelligence, sa joie de vivre, sa passion
notre consommation d’images. Car on peut les voir, pour l’art et pour les autres, son contact et son regard
mais aussi les dévorer. En témoigne, dans ce numéro, nous manqueront à jamais. J’aime imaginer que,
une enquête passionnante, issue du travail très sérieux de là où elle repose, elle pourra lire ces lignes et vous
d’un universitaire, consacrée aux mangeurs d’images, imaginer, vous lecteurs, penser à elle. J’aurai toujours
ces «iconophages» qui se sont nourris d’œuvres en moi son image, non pas comme une icône mais
(au sens premier du terme), de l’Égypte des pharaons comme un être exemplaire qui a tant fait pour notre
aux moines napolitains du XVIe siècle (ces derniers magazine. Il y a des images qui deviennent des pensées
donnaient par exemple à leurs dèles des effigies et des guides de vie. Cathy est de celles-ci.
de la Vierge à ingurgiter pour guérir de la lèpre),
en passant par des artistes contemporains mordant
rageusement la peinture de leurs tableaux !
Nous publions chaque mois dans ces pages au moins
200 images soigneusement sélectionnées – parmi
les quelque 5 000 réunies par nos iconographes –
pour leurs qualités esthétiques, techniques, leur
originalité, mais aussi leur signication dans l’œuvre
des plasticiens, designers, architectes… Souvent,
le choix de tel ou tel cliché suscite d’âpres discussions
au sein de notre rédaction.
Il y a cependant une image que nous souhaitons
unanimement partager avec vous : celle de Catherine
Joyeux-Brouxel. Assistante de la rédaction depuis 1989,
soit six ans seulement après la création de Beaux Arts
Magazine, elle en était la doyenne, la mémoire et un peu Catherine Joyeux-Brouxel à la rédaction
l’âme. Cathy, comme tout le monde l’appelait, était de Beaux Arts Magazine, en 2019.
Beaux ArtsI3
D E
2 EXPOSITIONS
MA
SAISON
7 MAI 2021
CONTEMPORAIN
0 JANVIER 2022
UN PARCOURS D’ART
NAPOLÉON
MI
NG
#SaisonNpoleon
#NpoleonEncore
#NpoleonNestPlus
Visuel Napoléon n’est plus : © Paris, musée de l’Armée Dist. RMN-Grand Palais / Emilie Cambier. Design graphique : Doc Levin / Jeanne Triboul
Visuel Napoléon ? Encore ! : Napoléon Ier sur le trône impérial, Jean-Auguste-Dominique Ingres, détail. © Paris, musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Anne-Sylvaine Marre-Noël. © Graphisme Wijntje van Rooijen & Pierre Péronnet
SOMMAIRE N°443 MAI
EN COUVERTURE
Piero della Francesca
La Flagellation du Christ
Tout semblait déjà avoir été écrit sur cette
œuvre majeure et ô combien mystérieuse
de Piero della Francesca, conservée à Urbino,
en Italie. Et pourtant, un historien se risque
à une nouvelle lecture, en prise avec le
contexte culturel contemporain du peintre,
celui du Quattrocento, pétri de religion.
Explications détaillées dans votre magazine…
Vers 1460, tempera sur bois de peuplier, 58,4 x 81,3 cm.
6 I Beaux Arts
VU
par Daphné Bétard
Beaux ArtsI7
VU
par Pierre Morio
Branché post-humanité?
Gros plan sur le visage d’une jeune femme. En lieu et place de sa pupille, une prise vidéo ; des petites
touches apparaissant sur le contour de son œil laissent deviner les fonctions d’une télécommande.
Un câble est sur le point d’être «pluggé» à cet être hybride. Mais à quelles ns ? Ce visage impassible
est-il en train de se transformer en machine, ou bien est-ce l’inverse ? Si l’ère numérique s’est
construite sur le vœu pieux de mettre la technologie au service de l’humain, il semble que nous
nous soumettions de plus en plus à elle dans une inversion des rôles inéluctable. Le travail
de la jeune photographe ukrainienne Hanne Zaruma, au programme du festival Circulation(s) 2021,
Hanne Zaruma met en lumière cette altération progressive. Aurions-nous déjà abandonné notre libre arbitre ?
Série No Name, 2021 Aucun titre, ni commentaire ne répondra à nos interrogations : l’artiste nous laisse le soin d’élaborer
festival-circulations.com nos propres analyses. Quitte à se faire peur avec l’avenir qui nous est promis ici.
8IBeaux Arts
VU
par Malika Bauwens
Beaux ArtsI9
DIOSCORIDE DE CIBO
ET MATTIOLI
1564–1584
TRAITÉ D’ALBUMASAR
(Liber astrologiae)
Moitié du XIVe siècle
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12IBeaux Arts
Par Françoise-Aline Blain
Beaux ArtsI13
SUR LA PLANÈTE Par Françoise-Aline Blain
Norman
ALLEMAGNE
Rockwell
We, Too, Un millier de bronzes royaux
Have a bientôt restitués au Nigeria?
Job to Do, Avec près d’un millier d’œuvres conservées notamment
1943 au Humboldt Forum de Berlin, l’Allemagne recèle la deuxième plus
grande collection au monde de bronzes de l’ex-royaume du Bénin
(après celle du Royaume-Uni). Elle pourrait être le premier pays
à procéder à la restitution de ce trésor, pillé en 1897. Des discussions
sont en cours avec le Nigeria qui prévoit de les accueillir dans
un futur musée conçu par l’architecte star David Adjaye à Benin City.
Le retour de ce patrimoine, aujourd’hui dispersé dans divers Tête commémorative
musées européens, est réclamé depuis des années par les de reine mère, ex-royaume
autorités nigérianes. humboldtforum.org/en du Bénin (XVIIIe siècle).
ÉTATSUNIS
Après le scandale, Boy Scouts
of America vend sa collection
Secouée par un énorme scandale d’abus
sexuels révélé en 2012, l’organisation
Boy Scouts of America s’apprête à vendre
une partie de sa collection d’art. Centré
sur la thématique du scoutisme, cet
ensemble de 350 pièces (de Walt Disney
à J. C. Leyendecker), évalué autour de
110 M€, comprend 65 peintures de Norman
Rockwell, qui fut directeur artistique
de la revue du mouvement (Boys’ Life).
Elles sont à elles seules estimées à 84 M€.
Le produit de la vente servira à alimenter
le fonds d’indemnisation des victimes
(80 000 témoignages ont été recueillis)
créée par l’organisation, dissoute en 2020.
medicimuseum.artscouting.org
GRÈCE
Un bicentenaire de toute beauté
Pour célébrer le 200e anniversaire
de l’indépendance grecque, l’assemblée
nationale française prête la tapisserie l’École
d’Athènes, tissée d’après la célèbre fresque
de Raphaël au Vatican, à la Vouli, le parlement
hellénique. Réalisée par la manufacture
des Gobelins entre 1779 et 1785, cette tenture
TURQUIE
de laine et de soie (où gurent notamment LIBYE
Platon et Aristote) y sera accrochée de Le pays condamné
Cri d’alarme pour l’antique Cyrène
cinq mois à un an. Autre événement marquant, pour violation de
Classées au patrimoine mondial de l’Unesco, ses ruines
l’achèvement du chantier de la National la liberté d’expression
comprennent un sanctuaire dédié à Apollon, un temple de Zeus
Gallery-Alexandros Soutsos Museum après Il avait passé trois jours
plus vaste que le Parthénon sur l’Acropole, un amphithéâtre,
sept ans de rénovation et d’agrandissement. en détention provisoire, avant
un viaduc et une nécropole qui abritait près de 1 200 caveaux…
d’être condamné à une
nationalgallery.gr/en jusqu’aux récentes destructions. À l’est de Benghazi, Cyrène,
amende de plus de 3 000 €
l’«Athènes africaine» est victime de pillages, d’actes de
en 2010 pour avoir exposé
GHANA vandalisme, de fouilles sauvages, avec pour conséquence
à Istanbul un collage montrant
des œuvres d’art «exhumées et expédiées hors des frontières»,
Noldor, une résidence en or Recep Tayyip Erdoğan, alors
selon l’AFP. Sans oublier l’urbanisation «anarchique qui
Fondée en novembre 2020 par Joseph Awuah- Premier ministre, avec un
empiète» sur la cité hellène fondée au VIIe siècle avant J.-C.
Darko, un jeune entrepreneur et philanthrope corps de chien tenu en laisse
spécialiste de l’art contemporain africain, la Noldor par un drapeau américain.
Residency, à Accra, est la première résidence La cour européenne des droits
indépendante du Ghana. Chaque automne, elle de l’Homme a estimé que
accueille durant quatre semaines un plasticien la condamnation par la justice
africain émergent. Elle poursuit actuellement turque de l’artiste britannique
son développement en agrandissant ses locaux Michael Dickinson constituait
et en lançant un programme de bourses d’un an une violation de sa liberté
pour des artistes d’Afrique ou de la diaspora. d’expression.
Parmi les premiers invités : Gideon Appah, Abigail
Aba Otoo et Joshua Oheneba-Takyi.
noldorresidency.com
Le site
archéologique de
Cyrène, ancienne cité
grecque, au nord-est
de la Libye.
14 I Beaux Arts
E X P O S I T I O N
26 MAI - 24 JUILLET 2021
M A X I N G R A N D - G E O R G E S J O U V E - M AT H I E U M AT É G O T - S E RG E M O U I L L E
ALEXANDRE NOLL - CH ARLOTTE PERRIAND - JEAN PROUVÉ - JEAN ROYÈRE
©Hervé Lewandowski - ©Adagp, Paris, 2021 - ©CA Consulting - Courtesy Galerie Jacques Lacoste
Conçu comme un iceberg urbain, le bâtiment de Qaumajuq est l’œuvre de l’architecte américain Michael Maltzan.
16IBeaux Arts
Martin Guillaume
1764-1843
BIENNAIS
L’orfèvre de Napolon Ier
proprietecaillebotte.com
ARCHITECTURE Par Philippe Trétiack
CIDESSOUS
En 2013-2015, les architectes
ont l’idée de dupliquer une
ancienne halle à bateaux du
port de Dunkerque pour
y implanter le Frac Nord-
Pas-de-Calais. «Le bâtiment
neuf se juxtapose
délicatement sans rivaliser
ni s’effacer», explique le duo,
qui a voulu exprimer ainsi
une «réponse attentionnée
envers l’identité de la halle».
Passant de 9000
à 22000 m2, le Palais
de Tokyo, à Paris,
devient en 2012-2014
le plus grand site
européen dédié à la
création contemporaine.
Coût de la rénovation:
20 M€.
18 I Beaux Arts
PARIS GRENIER SAINTL A ZARE
25 mars - 19 juin 2021
GÉRARD GAROUSTE
Correspondances
Gérard Garouste ¥ Marc-Alain Ouaknin
Alt-Neu-Shul sur le Pont-Neuf, détail, 2020
Huile sur toile, 160 x 220 cm
Aura salutaire
Physx • 2020 • Rotterdam
Cosimo Scotucci
Qui aurait pu imaginer que la distanciation
sociale serait le nouveau sujet de recherche
des architectes et designers ? Parmi eux,
l’architecte Cosimo Scotucci a développé
le dispositif Physx, prévu à l’origine pour le
parvis de la gare de Rotterdam. Il est question
d’une plateforme sur laquelle serait tendue
une membrane intelligente capable
de matérialiser une zone colorée autour
de l’individu, correspondant à la distance
de sécurité en vigueur. Diérentes intensités
de couleur, du jaune au rouge, indiquent
les niveaux de danger quand deux personnes
s’y trouvent et interagissent.
Feu jaune!
Reprendre une activité normale dans la joie et la bonne distanciation sociale? C’est ce que
proposent les auteurs de ces dispositifs survitaminés à partager en toute sécurité.
Le cercle En raison de la pandémie, de nombreux restaurants ont été contraints de fermer ou de repenser
leurs modalités d’accueil. Une équipe d’architectes tchèques a imaginé un concept simple de
des gastronomes zones sécurisées de restauration qui peuvent s’installer rapidement et à moindre coût à proximité
des restaurants ou des bars. Il s’agit d’un espace matérialisé au sol par un cercle ou un carré coloré
Gastro Safe Zone • 2020
dans lequel une table immobile de trois places permet de déguster son plat ou sa boisson en toute
Brno (République tchèque) Václav
sécurité. Le dispositif s’adapte et se modifie selon les contextes.
Kocián (HUA HUA Architects)
20IBeaux Arts
Tableouverte sur 100 m
TULIP-Prenez place! • 2020 • Montréal
ADHOC Architectes en collaboration
avec Maude Lescarbeau et Camille Blais
Montréal a connu au printemps dernier plusieurs semaines
de confinement. Au terme de cette période, la métropole s’est
lancée dans un programme ambitieux d’aménagements publics
permettant aux habitants de se réapproprier le centre-ville
en toute sécurité. Parmi les projets réalisés, l’installation éphémère
Prenez place! se présente comme une table jaune géante
de 100 mètres de long qui serpente joyeusement entre les arbres
du parc Hydro-Québec. Des objets recyclés, liés aux arts
de la table, jalonnent le plateau afin de concrétiser judicieusement
les repères de distanciation sociale de rigueur pour les 80 convives
qui peuvent s’y retrouver. Autre souhait affiché ici: soutenir
les nombreux restaurateurs à proximité du dispositif.
DESIGN L’OBJET CULTE Par Pierre Léonforte
N
é à Turin et installé à Rome, autodidacte et crayon sur papier (exécuté sur le verso Numéroté et proposé
assumé, Giacomo Balla sera dès 1910 de tous de deux photos). Annotée, cette esquisse indique dans deux combinaisons
de couleurs, le 330
les élans et oukases tonitruants du futurisme, l’usage et l’association possible des couleurs Paravento Balla s’oriente
théorisé par le poète Filippo Tommaso Marinetti. en vue de réaliser un paravent. Chose faite grâce dans toutes les directions
Peintre et sculpteur majeur de ce mouvement à Cassina, qui, avec la bénédiction des héritiers grâce à des charnières
en laiton spécialement
d’avant-garde, Balla n’a pas fait que s’intéresser et ayants droit de Balla, a matérialisé ce projet conçues par Cassina.
au mouvement et à la vitesse, il s’est aussi passionné plus que centenaire. Inscrit dans le cadre de
par la dynamique de la couleur. En 1929, avec la prestigieuse collection «I Maestri», le 330 Paravento
Marinetti et quelques autres, il participera au Balla laisse promettre une future édition d’autres
second futurisme avec la publication du Manifeste objets dessinés par Balla. Composé de trois volets
de l’Aéropeinture futuriste, où le culte de l’automobile articulés en contreplaqué, il s’orne de motifs
et de la machine est supplanté par celui de l’avion. sérigraphiés double face selon deux gammes
de couleurs : bleu/vert ou jaune/orange. Dûment
À Rome, la Casa Balla s’ouvre à la visite numéroté, chaque exemplaire est produit sur
Cette même année, Balla emménage dans son commande au prix de 7 000 €. Sinon, à partir
nouvel appartement de la via Oslavia, situé dans Prati, du 26 mai, à l’occasion d’une exposition consacrée
un quartier moderne urbanisé selon un strict plan à l’artiste au MAXXI de Rome, la mythique
de larges rues à angles droits. Il en décore les pièces Casa Balla de la via Oslavia, 39b, totalement
de motifs colorés, ne laissant pas un centimètre carré restaurée, sera ouverte au public (sur réservation).
de libre, du sol au plafond. Jusqu’en 1958, Balla En 1991, sous la plume d’Elisabeth Vedrenne,
vivra là, en famille, travaillant, créant, prenant Beaux Arts publiait un reportage sur cette
ses distances avec un futurisme étiolé, pour se tourner adresse légendaire. Vingt ans après, la voilà À VOIR
vers l’abstraction, puis le guratif, célébré de son qui reprend ses esprits et ses couleurs. «Casa Balla – Dalla casa
vivant, exposé à la première Documenta de Kassel cassina.com all’universo e ritorno»
en 1955, trois ans avant sa disparition. En 1968, du 26 mai au 24 octobre
MAXXI Museo nazionale
paraît Balla : ricostruzione futurista dell’universo,
delle arti del XXI secolo
ouvrage signé Maurizio Fagiolo Dell’Arco, dans Via Guido Reni, 4/A • Rome
lequel gure, daté de 1917, un dessin à la gouache +39 06 320 1954 • maxxi.art
22IBeaux Arts
making
places *
* habiter les lieux
usm.com
Eau précieuse
L
e Centre d’innovation et de design au Grand-Hornu,
en Belgique, aborde une question majeure des nouveaux
enjeux climatiques : l’eau. Initiée à Amsterdam par
Transnatural, à la fois éditeur d’objets et plateforme visant
à mettre en relation design et science, l’exposition «Après
la sécheresse – L’état aquatique» s’empare des dés posés
par la pollution, la montée des eaux et la désertication à travers
les projets de 24 artistes et designers. Certains apportent
des solutions concrètes pour rendre l’eau potable, la récupérer,
la dépolluer ou lutter contre les îlots de chaleur en ville.
D’autres invitent à s’interroger sur des questions aussi
fondamentales que celle de la qualité de l’eau.
«Après la sécheresse – L’état aquatique» jusqu’au 25 juillet
Site du Grand-Hornu • Rue Sainte-Louise, 82 • Hornu (Belgique)
+32 65 65 21 21 • cid-grand-hornu.be • ouvert sur réservation
Clams
Marco Barotti • 2019 Aéro-Seine #2
Isabelle Daëron •2016/2020
Clams consiste en une collection de sculptures sonores et cinétiques
fabriquées à partir de plastiques issus des mers et recyclés. Leur forme En été, entre Paris et les zones rurales d’Ile-de-France, la diérence
renvoie très directement à la coquille Saint-Jacques, mollusque connu de température peut atteindre jusqu’à 10 degrés. Pour faire baisser
pour être un détecteur de polluants. L’ensemble est installé dans des le mercure dans l’espace public de la capitale en cas de forte chaleur,
lieux baignés par l’eau d’une rivière, d’un lac, d’une mer, etc. Intégrant Isabelle Daëron a imaginé une «bouche de rafraîchissement». Elle
un haut-parleur et des capteurs de mesure de la qualité de cette eau, utilise le réseau d’eau non potable de la ville en provenance du canal
chaque coquillage en convertit les données en sons et en mouvements. de l’Ourcq et de la Seine, conçu au milieu du XIXe siècle pour l’arrosage
marcobarotti.com des espaces verts et le nettoyage de la voirie. Le système fonctionne
par débordement sur un sol constitué d’un matériau poreux. Il a été mis
en place rue Blanchard, dans le XXe arrondissement. studioidae.com
24IBeaux Arts
Par Claire Fayolle
EOD04
Frederik De Wilde avec l’université de Hasselt • 2008
L’artiste belge Frederik De Wilde a imaginé un dispositif qui permet
de rendre visible la qualité de l’eau d’après les signaux émis par
un poisson. Celui-ci, intégré dans un tube en Plexiglas, perçoit son
environnement par électroperception et communique avec ses
congénères en émettant de petites décharges. Ces signaux sont saisis
par des capteurs, convertis en sons par un logiciel relié à deux haut-
parleurs. Des diodes électroluminescentes s’actionnent également
en fonction des déplacements de l’animal dont les impulsions créent
un véritable spectacle son et lumière. frederik-de-wilde.com
Eliodomestico
Gabriele Diamanti • 2011
Rendre l’eau potable accessible à tous, tel est l’objectif de ce système
de désalinisation de l’eau de mer libre de droits. Facile à fabriquer avec
un matériau disponible partout – la terre –, il opère grâce à l’énergie
solaire par évaporation et condensation. L’objet est constitué de deux
contenants superposés. Celui du haut, rempli d’eau salée le matin, est
fermé et chauffé au soleil. Le récipient inférieur reçoit la vapeur d’eau.
En se condensant, elle produit une eau propre à la consommation
Aquatecture
Studio Sway • Shaakira Jassat • 2019
– jusqu’à cinq litres par jour. gabrielediamanti.com
Les sécheresses qui ont touché la région du Cap, en Afrique du Sud,
entre 2015 et 2018 sont à l’origine de ce projet destiné à recueillir
l’eau de pluie en milieu urbain dense. Utilisable sur les façades d’un
bâtiment existant, Aquatecture fonctionne aussi indépendamment,
pour constituer une station de collecte. L’eau s’écoule à travers
les orifices des panneaux vers un réservoir. Elle peut ensuite être
collectée dans le système d’eau grise du bâtiment support
ou stockée et assainie pour un usage ultérieur. studio-sway.com
Indus
Shneel Malik • 2019
Imitant la structure d’une feuille, la surface de chacune de ces tuiles
en céramique est couverte d’un hydrogel à base de micro-algues
qui élimine les toxines des eaux usées quand celles-ci s’y écoulent.
Élaboré dans le cadre d’un laboratoire de recherche – le Bio-ID Lab
de la Bartlett School of Architecture (Londres) –, ce système a été
conçu pour être produit facilement, avec des matériaux disponibles
localement et selon des techniques artisanales traditionnelles. Le but:
traiter les eaux usées pour les réutiliser. Tout simplement brillant !
ucl.ac.uk
MODE Par Selvane Mohandas du Ménil
C
hristopher Wylie, jeune lanceur d’alerte
de l’affaire Cambridge Analytica en 2018,
est catégorique : «La mode et la politique,
c’est presque la même industrie.» Ce scandale,
rappelons-le, avait révélé le vol massif de données
personnelles que la société de gestion britannique
Balenciaga
avait siphonnées de dizaines de millions de comptes
Track Sculpture, 2021
Facebook an d’optimiser les campagnes de Donald
Trump et du Brexit. Hormis le fait que le jeune data
scientist est désormais consultant pour des maisons
de prêt-à-porter, quel est rapport avec la mode ?
La réponse se trouve dans l’exposition «I Will Survive»
que le Centre Pompidou consacre à Hito Steyerl.
Première femme désignée «personnalité la plus
influente de l’année» par la revue ArtReview en 2017,
l’artiste allemande déploie sa pensée politique
dans de stupéantes installations immersives.
Telle Mission accomplished: Belanciege – créée en 2019
avec Giorgi Gago Gagoshidze et Miloš Trakilović
pour les 50 ans du Neuer Berliner Kuntsverein –,
qui interroge l’utilisation des algorithmes par la mode
à des ns marketing. Face à des gradins bleu Europe
– couleur que Balenciaga avait utilisée comme toile
de fond à son délé printemps-été 2020 –, un
triptyque d’écrans montre comment la mode a évolué
depuis la chute du Mur, jusqu’à se confondre avec
l’identité politique individuelle.
du sac Ikea – considéré comme un «exemple parfait et rappelle que «l’identité est devenue un produit». «Hito Steyerl – I Will
Survive» jusqu’au 5 juillet
de ready-made» –, ses sabots compensés Crocs Gvasalia le sait parfaitement, mais se veut rassurant : (sous réserve) • Centre
vendus vingt fois le prix d’une paire originale en réinventant la mode et en la dépoussiérant, Pompidou • centrepompidou.fr
ou encore ses sneakers Toe à cinq doigts. Sa dernière il illustre son dicton (d’origine russe) favori : LE JEU INTERACTIF
collection, visible exclusivement en ligne, se «L’espoir est la dernière chose qui disparaît.» «Afterworld—The Age
of Tomorrow»
présentait sous la forme d’un jeu vidéo accessible
sur videogame.balenciaga.com
à tous et qui permettait de suivre un lapin blanc
LA COLLECTION
à la rencontre de la peintre et mannequin Eliza AUTOMNEHIVER 2021
Douglas, habillée en Jeanne d’Arc. Du jamais-vu. En magasin et en ligne ce mois-ci
26IBeaux Arts
Découvrez des objets
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Aude Fonlupt
Expert art
Privé d’une véritable sortie au cinéma, ce lm virtuose a remporté de nombreux prix.
Toto et Madeleine, dans leurs propres rôles.
O
et des années après. Sorti en 1953,
ui, Brandon est bien le ls de David Cronenberg. Un rejeton très
le film, resté longtemps invisible, est enfin
talentueux qui, loin d’imiter le grand déniaiseur de la SF horrique, disponible en version intégrale.
prolonge plutôt son travail et le réinvente. Après Antiviral (2012),
Hiroshima (1953) par Hideo Sekigawa
fantasmagorie autour d’un trac de virus vendus comme de la came, voici éd. Carlotta • DVD et Blu-ray 19,99 €
Possessor, titre qui sonne comme un clin d’œil à Terminator. Dans une époque
indéterminée, une société secrète et puissante organise des assassinats pour le Sang pour sang Joann Sfar!
compte de clients richissimes. Elle le fait à partir d’une machine permettant le On n’est jamais mieux servi que par soi-même.
transfert du tueur à l’intérieur du cerveau de n’importe quel hôte, lequel se Joann Sfar a donc adapté lui-même sa propre
retrouve donc sous contrôle. Bonne idée : le tueur est ici une femme (Andrea BD culte sur les aventures du petit héros volant.
Riseborough, sobre et troublante), par ailleurs épouse et mère. Une travailleuse Trué de clins d’œils cinéphiles, hommage
consciencieuse, mais mise en danger lorsque son «possédé» entre en résistance. au gothique comme à la Riviera, ce conte
initiatique mené sur un rythme endiablé ravira
Des visages à faire peur petits et grands, à partir de 7 ans.
Petit Vampire (2020) par Joann Sfar
On retrouve cette qualité rare qu’on avait tant aimée dans Antiviral : la polysémie.
éd. Studio Canal • DVD 14,99 € et Blu-ray 19,99 €
Mine précieuse à métaphores diverses, Possessor peut s’interpréter de diverses
façons, tout en respectant la loi du genre, à savoir faire peur. Il illustre aussi bien
le pouvoir dévorant de n’importe quel géant du numérique capable de nous
surveiller que le fantasme d’endosser le corps et l’identité d’un autre. À la fois
ultraviolent, conceptuel et cérébral, il a surtout la saine intelligence d’aller
à rebours de la surenchère visuelle. Pas de délire high-tech, mais des décors
discrètement rétrofuturistes ; pas d’effets spéciaux numériques, mais des effets
manuels (à base de prothèses). La consistance ou le mou, la texture, le style
s’en retrouvent rehaussés – on a cru voir un moment le visage qui fond du Cri
d’Edvard Munch. Dernier atout : l’ironie, éloignant toute vanité. Pour preuve,
cette réplique savoureuse que lance un moment la femme à son mari «possédé» :
«Tu as l’air bizarre aujourd’hui, je te trouve informe.»
28IBeaux Arts
ART CONTEMPORAIN
5 ventes par an
Mai, juin, août, octobre et décembre
Bernar Venet (né en 1941). Position of Two Indeterminate Lines, 1984. Graphite sur bois, 207 x 360 cm
Proposé à la vente du Tour Auto Aguttes le 30 août 2021
Prochaine vente : 18 mai 2021, 14h30 Expertises gratuites et confidentielles sur rendez-vous
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Ophélie Guillerot Bernard Buffet, Alexander Calder, Christo et Jeanne Claude,
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+33 (0)1 47 45 93 02 - [email protected] Robert Combas, Olivier Debré, Sam Francis, Hans Hartung,
Yves Klein, André Lanskoy, Georges Mathieu, Henri
Ventes en préparation : 28 juin et 30 août 2021
Michaux, Yan Pei-Ming, Pablo Picasso, Kazuo Shiraga,
1ère maison de ventes aux enchères indépendante en France* Niki de Saint-Phalle, Pierre Soulages, Chu Teh-Chun,
Neuilly-sur-Seine • Paris • Lyon • Aix-en-Provence • Bruxelles Walasse Ting, Bernar Venet, Claude Viallat,
aguttes.com | Suivez-nous Fabienne Verdier, Zao Wou-Ki, Huang Yong Ping...
LIVRES
«Corrompue, l’image
devient corruptrice»
Le titre de votre livre, Ceci tuera cela, de Pline l’Ancien sur l’origine de l’image, apparaissant
reprend celui d’un chapitre de Notre-Dame avec le geste d’une jeune femme qui dessina le contour
de Paris de Victor Hugo, pouvez-vous nous de l’ombre de son amant appelé à partir, la révèle
expliquer pourquoi ? même comme la forme née de l’étreinte du désir
Ce titre renvoie à une réflexion du personnage Frollo, et de l’imagination. L’analyse de Walter Benjamin
l’archidiacre de la cathédrale, qui, contemplant concernant l’œuvre d’art à l’époque de sa
l’édice au moment même où l’imprimerie est reproductibilité mécanique (1936) montrait déjà
en train de naître, estime que le livre imprimé va comment la reproduction de l’image spoliait celle-ci
anéantir le livre d’images constitué par les sculptures de son aura, mais sans pour autant atteindre
des chapiteaux. Hugo fait allusion à une crainte son contenu. Avec la distribution exponentielle
qui se manifeste à chaque fois qu’une révolution de l’image, mise à la portée de tous – ne serait-ce
technique touche les moyens d’expression. que par les smartphones, reliant production
C’est une angoisse récurrente que l’on a vue aussi et distribution –, son contenu importe moins
bien chez Baudelaire, quand il parle de la que le nombre de fois où elle va être vue. Arrachée
photographie menaçant de mort la peinture, de son contexte, elle ne montre plus : elle se montre.
que chez Umberto Eco suggérant que l’informatique Elle est soumise à la dictature de la visibilité,
allait tuer le livre… Manifestement, avec la révolution où contrôle et prot se confondent. Il ne s’agit plus
numérique, quelque chose disparaît. Mais c’est de la perte de l’original, mais de son anéantissement.
en vain qu’on chercherait cadavre ou criminel, Tel un ver dans le fruit, le nombre s’est introduit
pour la simple raison qu’Internet ne tue rien ; dans l’image et n’a cessé d’y croître, jusqu’à en faire
au contraire, il intègre tout. Tel a été le point une sorte d’agent du capital. Et même un agent
de départ de notre réflexion, avec Juri Armanda : double, misant sur l’équivoque de sa force de
trouver ce qui était en train d’être annihilé. séduction pour camoufler son asservissement
Sur ce point, les critiques du numérique, aussi au monde numérique.
pertinentes fussent-elles, nous paraissaient
insuffisantes. Jusqu’à ce que nous nous apercevions Comment se traduit ce dévoiement de l’image ?
qu’elles avaient fait une sorte d’impasse sur l’image. L’épisode de l’autodestruction, en direct, devant
Pourtant, plus nous réfléchissions, plus l’image caméras et smartphones du monde entier, de l’œuvre
nous paraissait être le lieu où se jouait l’essentiel. de Banksy, Girl with Balloon, à Londres en octobre
Quelque chose d’inquiétant est en cours : 2018 lors de sa vente aux enchères par Sotheby’s,
le nombre a pénétré l’image pour la vider est édiante. Au moment même où elle est adjugée
de son sens, de son contenu, de son être. 1,2 million d’euros, la toile est découpée en lamelles
par un mécanisme intégré au cadre censé la protéger.
En quoi l’image serait-elle menacée ? La scène devient virale, tout comme la vidéo
Depuis toujours, l’image est ce qui nous permet que Banksy met en ligne quelques jours plus tard.
d’être ailleurs, c’est une donnée fondamentale Érigé comme un geste subversif, l’acte est en réalité
de la pensée humaine, en même temps que la plus tout le contraire. Les experts ne s’y trompèrent pas
juste expression de la liberté. Le récit mythique en expliquant que, loin de détruire son œuvre,
30IBeaux Arts
l’artiste en avait créé une nouvelle, en choisissant
de le faire sur son lieu de vente, avant de la renommer
Love Is in the Bin. Plus que la naissance d’une œuvre,
il s’agissait de la destruction de l’image en tant
que telle. N’existant plus que pour être distribuée,
elle est dénie par le nombre de ses visionnages.
Moment fondateur qui consacre l’équivalence
de l’image et de l’argent. Ce qui pouvait passer
pour symbolique s’est trouvé entériné le 11 mars
dernier avec le record de vente d’une œuvre
entièrement numérique acquise 69,3 millions de
dollars chez Christie’s, opération rendue possible
grâce à une nouvelle technologie d’authentication,
utilisant la blockchain des cryptomonnaies.
L’intrusion de la technologie dans l’image une surveillance accrue par le biais de l’image. * Étude du regard basé sur
ses points et temps de xation
serait-elle en train de recongurer nos modes Les techniques de l’eye tracking* ou du pixel utilisée dans le domaine
de pensée ? tracking**, elles-mêmes invisibles, rendent le regard du marketing.
Oui, et c’est ce qui est dramatique. Chacun peut visible. Corrompue, l’image devient corruptrice.
désormais zoomer dans une image, moduler son ** Utilisation d’une image invisible
pour collecter des informations
rapport au monde, abolir les notions d’échelle, Comment y échapper ? Le salut pourrait-il venir sur les activités des internautes.
de perspectives, de distance. Privé de point de fuite de la confrontation directe avec l’œuvre d’art ?
et de la possibilité d’un horizon inni, ne reste C’est la grande question que nous continuons
que Moi. L’image, devenue virale, d’Hillary Clinton, de nous poser avec Juri Armanda. D’autant que
alors candidate à la Maison Blanche, à l’aéroport la crise sanitaire n’a fait que conrmer des
d’Orlando en septembre 2016, est éloquente : hypothèses que nous jugions au départ improbables.
une foule de jeunes gens réunis pour la soutenir Nous restons néanmoins convaincus qu’au point
lui tournent le dos an de se prendre en sele le plus sombre du paysage, une étincelle peut
avec elle, de sorte qu’elle se retrouve isolée. toujours surgir. Les manifestations à Hong Kong
Il n’y a plus qu’une profusion de regards parallèles, qui ont vu fleurir les parapluies multicolores
comme s’il était désormais socialement impossible et des grimaces sur les visages pour tromper
de trouver un point de vue commun. Dépourvu les caméras de surveillance et la reconnaissance
d’enjeu émotionnel, le sele est la première image faciale, ont signié que, pour un temps, l’imagination
de l’Histoire qui n’est porteuse d’aucun secret. et l’humour parvenaient à déjouer la pire
En fusionnant le fait de regarder et celui de se sophistication technologique. Et cela au point
montrer, il abolit l’espace collectif et occulte de confluence entre totalitarisme marchand
l’espace réel. L’œuvre d’Anish Kapoor, Cloud Gate, et totalitarisme policier. On peut espérer que,
gigantesque sculpture miroir installée en 2006 devenue insupportable, la pandémie fasse voir
dans le Millennium Park de Chicago, illustre ce la nécessité d’échapper au présent sans présence,
phénomène : au lieu d’être ouverte, cette soi-disant auquel nous condamne la prison d’images
porte est une structure hermétique qui nous qui s’est refermée sur nous. Tout peut faire
renvoie à notre propre image. Comme le Cloud brèche en ce sens. Du rire à la grande insurrection
numérique, le Cloud de cet artiste chéri du marché lyrique, c’est par l’imagination que la vie n’a Ceci tuera cela
Image, regard et capital
nous referme sur nous-mêmes sans possibilité peut-être pas encore ni de reprendre vie.
par Annie Le Brun
d’embrasser le lointain. Nos vies semblent nous et Juri Armanda
échapper de plus en plus. Cela va de pair avec Propos recueillis par Daphné Bétard éd. Stock • 290 p. • 20 €
Beaux ArtsI31
LIVRES
Brunelleschi en perspective
Cet ouvrage aussi savoureux qu’érudit réunit
deux récits du Quattrocento dont le héros
commun est le brillant architecte et inventeur de
la perspective, Filippo Brunelleschi (1377-1446).
Le premier, Nouvelle du menuisier qu’on appelait
le Gros, relate une farce, devenue célèbre
à Florence, que Brunelleschi fit à un menuisier,
le persuadant qu’il était devenu un autre.
Il est suivi de la première traduction française
Nouvelle du menuisier de Vie de Brunelleschi, un texte jusqu’alors
qu’on appelait le Gros, connu des seuls spécialistes de la période, qui
suivie de précède de près d’un demi-siècle celui de
Vie de Brunelleschi Giorgio Vasari (qui a fixé le genre de la biographie
par Antonio Manetti
d’artiste)… Écrit par le mathématicien et savant
éd. Trente-trois morceaux
152 p. • 21 € florentin Antonio Manetti (1423-1497) vers 1485,
ce diptyque permet d’appréhender la
personnalité, l’ingéniosité et l’œuvre complexe
de Brunelleschi, pour qui l’architecture
n’est «pas seulement une question d’idéal
et de savoir, mais de ruse et de stratégie».
Une sentence que la lecture de cet ouvrage
ne contredira pas. Solène de Bure
Polar arty
Zanele Muholi Bhekezakhe, Parktown, Johannesburg, 2016 Seymour est un homme qui prend son temps,
surtout quand il a bu la veille… Pourtant,
Zanele Muholi
immédiatement. Le dénommé Gordji, un escroc
notoire qui évolue dans le monde de l’art,
l’envoie à Genève pour faire l’acquisition de
À
l’occasion de la rétrospective que la Maison européenne de précieux tableaux avant leur vente aux enchères.
la photographie consacre à la Sud-Africaine Zanele Muholi, Les toiles sont entreposées dans un endroit
qui suscite curiosité et fantasmes : un port franc.
Delpire & Co frappe fort en coéditant un livre très attendu,
Port franc Manuel Benguigui signe un quatrième livre
déjà classique aux États-Unis. Somnyama Ngonyama («Salut à toi, par Manuel Benguigui original, dans lequel il s’approprie le genre du
Lionne noire», en zoulou) réunit 96 autoportraits d’une intensité éd. Mercure de France polar de son écriture à la fois fluide et nerveuse.
rare, superbement imprimés en trois tons. L’«activiste visuelle», 168 p. • 15 €
Le lecteur se retrouve plongé dans le milieu
comme elle se dénit, apparaît sur la couverture de l’ouvrage coiffée des ventes de tableaux de maîtres, qui
d’une couronne évoquant celle de la statue de la Liberté. Mais se chirent en millions d’euros. Et si le côté
la sienne ne rayonne guère : elle est faite d’éponges à récurer. Seuls excentrique de cette aventure est assumé,
les yeux de l’artiste parviennent à percer l’obscurité pour éclairer on sent bien que l’auteur, qui fut longtemps
le monde. Majestueux hommage à sa mère, ce cliché rend justice galeriste, connaît le sujet et le milieu. S. d. B.
à celle qui aura passé sa vie à élever des enfants blancs loin des
siens et dont aucune photo n’a documenté l’existence, hormis
celles, humiliantes, imposées par le régime d’apartheid. Opérant Dans le secret des sciences
un glissement de sens entre maid («employée de maison») et myID occultes
(«mon identité»), notre Lady Liberty, inlassable militante LGBT+, Dans un monde uniformisé par le tout
entend produire son propre récit et sa propre archive visuelle, où son numérique, dominé par une approche
image vaudrait pour toutes celles et ceux qui s’y reconnaîtront, qu’ils/ rationaliste et contraint par l’idée de progrès,
elles soient noir(e)s, queer ou non binaires. Avec, pour toute parure, rien d’étonnant à ce que les sciences occultes
des pinces à linge, des serre-câbles (ces nouvelles menottes) ou connaissent un regain d’intérêt dans nos
autres petits riens, «l’autoportrait fournit à Muholi l’occasion de sociétés sentimentales malmenées. De la magie
mésopotamienne aux formes contemporaines
se purger de siècles de poison, de se réconforter
du «néopaganisme», ce livre pas comme
par l’ironie, tandis qu’elle se dénit selon Occulte – Sorcellerie,
ses propres termes», formule très justement magie et alchimie de les autres vous initie aux pratiques ésotériques
l’Antiquité à nos jours les plus troublantes, avec pour compagnons de
M. Neelika Jayawardane, l’une des 24 auteures par Christopher Dell voyage Dürer, Goya, Burne-Jones, les mosaïstes
et poètes ayant participé à cette puissante éd. Cernunnos de Pompéi et pléthore d’illustres inconnus
introspection collective. Natacha Nataf 398 p. • 39,95 € qui ont tenté d’en percer les mystères. Les rites
32IBeaux Arts
Sean Scully
Entre ciel et terre
Paris Marais
Mai—Juin 2021
Thaddaeus Ropac
London Paris Salzburg
CULTURE NUMÉRIQUE Par Lea Schiavo et Charlotte Ullmann
TÉLÉVISION
VIDÉO
Masterclass de photographes
Un poisson d’avril très sérieux
Que peuvent bien se dire six photographes entre eux ? Réponse avec (dans l’ordre
«Mieux vaut en rire qu’en pleurer», c’est sûrement ce que se
d’apparition ci-dessous) Karim Sadli, Patrick Chauvel, Charlotte Abramow, Véronique
sont dit les équipes du musée des Arts asiatiques- Guimet,
de Viguerie, Paolo Roversi et Jane Evelyn Atwood, réunis par Antoine de Caunes.
en ces temps de fermeture des musées, en réalisant ce film
Photographes de mode, correspondant de guerre, portraitiste ou photojournalistes,
d’environ sept minutes. Présentée comme un compte rendu
ils ont chacun une vision singulière
de recherches archéologiques très sérieuses, où il est
de la photographie et une manière propre
question de percer le mystère de rencontres mystiques dans
«d’éclairer le monde». Tous partagent
des lieux secrets appelés «musées» ou «expositions»,
cette quête insatiable de l’humain et de
cette vidéo, parue le 1er avril, se regarde avec délectation !
«l’instant décisif». Ils se racontent avec
passion dans une masterclass captivante. «Guimet Underground – C’était quoi un “musée”?»
À voir sur YouTube
«Profession: photographe»
Une collection animée par Antoine de Caunes
Rediusion le samedi 24 avril à 11 h 25 PODCASTS
sur Canal+
Dans l’intimité des Monuments
JEU EN LIGNE Le Centre des monuments nationaux (CMN) se raconte avec
une saison de podcasts : «Les Monuments sur le divan».
Meublez votre intérieur avec des pièces de musée Que voit-on, qu’entend-on, lorsqu’on se promène dans un édifice
Avec «Une histoire des styles et des tendances», le musée des Arts décoratifs à l’histoire millénaire ? Le premier épisode, Plongée dans
(MAD) ore une plongée ludique dans l’histoire du mobilier. Pour tous, la personnalité de l’abbaye de Cluny, donne la parole aux agents
amateurs ou experts, le jeu propose d’associer chaque meuble (il y en a 100) de Cluny, qui nous en confient les secrets les plus intimes.
à la période stylistique qui lui correspond, du Moyen Âge aux années 2000. Les couleurs, les sons, les «cicatrices» de l’abbaye y sont évoqués
Le tout est accompagné de fiches rédigées par l’équipe scientifique du musée. comme si on lui prêtait une existence humaine. Avec ce podcast,
En prime, un mode freestyle permet de constituer l’intérieur de ses rêves, le CMN propose une approche sensorielle de son patrimoine,
en faisant fi des règles historiques et décoratives. Créatif ! une proximité avec l’auditeur, augmentée grâce à une réalisation
soignée et un habillage sonore évocateur.
«Une histoire des styles et des tendances»
À partir de 11 ans • histoiredesstyles.madparis.fr «Les Monuments sur le divan» Disponible sur Apple Podcasts,
Deezer, Google Podcasts, Spotify et YouTube
34 I Beaux Arts
Siège d’André & Cie, Lausanne (1959-1962). Sous-face de l’escalier du hall © Christian Richters – Design graphique : Benoît Cannaferina © Cité de l’architecture & du patrimoine
12.05
CITEDELARCHITECTURE.FR
EXPOSITION
ARCHITECTE
TSCHUMI
19.09.21
PHILO Par François Cusset
U
ne société où la surenchère fait rage
entre les fous de Dieu et les paranos
du «grand remplacement», un monde
où l’hystérie populiste étouffe tout dialogue,
des réseaux où les algorithmes privilégient
toujours l’insulte et l’extrémisme, un pays
dont la ministre de l’Enseignement supérieur
estime que «l’islamo-gauchisme gangrène»
l’université… autant de signes qu’aujourd’hui
les vertus de la prudence et de la modération
cèdent le pas devant ce que Georges Bernanos
appelait, il y a un siècle, «le patois des propagandes».
Une langue triste, morte, mais hurlée si fort qu’elle
recouvre toute autre parole. Ce début de millénaire
obsédé de clashs, de descentes en ammes
au lieu d’arguments, a de quoi faire se retourner
dans leurs tombes, comme un mauvais rêve,
les quelques esprits libres qui osèrent défendre,
dans l’incendie du XXe siècle, cet «héroïsme
de la mesure» et ce «goût de la franchise» qu’on
n’entend plus dans le concert des sourds et des
stéréotypes. Citons Albert Camus et son «devoir
d’hésiter», George Orwell et sa «décence ordinaire»,
Hannah Arendt et ses dialogues d’amitié,
Roland Barthes debout contre les idéologues
et leur pensée «ventouse»…
multiséculaire déjà, a son pendant chez les artistes. Joseph Beuys
Julien Prévieux plutôt que Je Koons Aux provocations trop littérales de certaines stars Capri-Batterie, 1985
Au moment où ces valeurs d’honnêteté et de de l’art contemporain (Paul McCarthy et Jeff Koons
fair-play, d’écoute et d’équilibre, semblent peu en tête), d’autres (Julien Prévieux, Shirin Neshat…)
compatibles avec les tweets et les nouveaux préfèrent un art de l’ambivalence et du décalage.
boucs émissaires, Jean Birnbaum leur consacre N’oublions pas non plus qu’aux amboyances
un petit essai revigorant, sous le noble patronage des peintres pompiers et aux contrastes trop appuyés,
de ces grands solitaires du siècle passé. Et le fossé, les Nabis (Pierre Bonnard, Édouard Vuillard, Félix
comme hier, entre un tel «courage de la nuance» Vallotton…) opposèrent la nuance chromatique
et les aboiements environnants est décidément et l’ésotérisme discret. Et que durant la guerre froide,
abyssal. Imagine-t-on Orwell, sur un plateau télé, en plein dialogue de sourds entre le vitalisme yankee
féliciter sincèrement, comme il a pu le faire, des expressionnistes abstraits et le sacerdoce docile
un critique féroce de son œuvre ? Ou Arendt, des réalistes-socialistes, l’art conceptuel se déploya
sur un réseau social, opposer un à un ses arguments dans l’ombre, en visant la sensation ténue,
à un complice dont elle ne partagerait pas l’expérience ambiguë, le sens caché, non imposé,
les conclusions ? Ou encore Derrida répondre qui reste à construire. C’était pareil, déjà, de la
calmement, comme il le faisait encore en 2001, statuaire antique aux primitifs amands, du
que le dialogue et la vie, les livres et l’action, Quattrocento italien à la fresque libertine : certains
les étagères pleines d’idées et le sentiment n’ont pas eu besoin d’une frontalité agressive,
d’exister sont une seule et même chose, et jamais d’une surenchère visuelle, d’une opposition
ne devraient être séparés ? Alors que la langue systématique à leurs prédécesseurs pour arriver
de bois est désormais managériale, que le mensonge à déplacer le regard et à stimuler la pensée.
et la novlangue sont produits avant tout par Autant de leçons, simples, que le brouhaha ambiant
la mondialisation néolibérale, on peut se demander tend à faire oublier – pour le pire.
si convoquer contre nos excès contemporains
ce cortège de belles âmes antitotalitaires est
À LIRE
aussi pertinent que l’aimerait Birnbaum. Mais
Le Courage de la nuance
il n’en a pas moins raison de conclure qu’«il n’y a par Jean Birnbaum
pas plus radical que la nuance». Cette logique-là, éd. Seuil • 40 p. • 14 €
36IBeaux Arts
LA CHRONIQUE
de Nicolas Bourriaud
Beaux ArtsI37
LA CUISINE DE L’ART
d’Alain Passard
L
es premières couleurs qui aient fait sur moi une grande
« impression étaient du vert clair et plein de sève, du blanc,
du rouge carmin, du noir et de l’ocre jaune. Ces souvenirs
remontent à ma troisième année. J’ai vu ces couleurs sur différents
objets que je ne me représente pas aujourd’hui aussi clairement que
les couleurs elles-mêmes.» Comme il l’explique dans son ouvrage
Regards sur le passé (1913), la mémoire joue un rôle central dans l’œuvre
de Vassily Kandinsky (1866-1944). Après avoir pioché dans le répertoire
du folklore russe de son enfance et exploré toutes les possibilités
des grands courants de la modernité (de l’Art nouveau au fauvisme
et aux Nabis) à la veille de la Grande Guerre, le peintre s’en remet
aux dissonances du monde chromatique et à la «nécessité intérieure»
de la gure pour faire advenir l’art abstrait. Affranchies du réel,
les formes dansent sur la toile dans des compositions harmonieuses,
rythmées et pensées à l’image de partitions musicales pour faire
vibrer l’âme du spectateur. Enseignant au Bauhaus de Weimar à partir
de 1921, Kandinsky accorde plus d’attention encore aux formes
géométriques pures, avec une prédilection pour les cercles et lignes
droites qui se rencontrent, se frottent et s’entrechoquent dans une
œuvre qu’il dénit alors comme «un grand calme avec une forte tension
intérieure». En témoigne cette ronde de 1923, où les éléments semblent
s’agiter dans un mouvement limité par un puissant cerceau noir.
L’ŒUVRE Vassily Kandinsky Cercles dans un cercle, 1923 Daphné Bétard
LA RECETTE
38IBeaux Arts
658-Une idée sur le toit
Design
La folie du Hissé au rang du culte, le vintage
relève autant du collector muséal
40IBeaux Arts
Jeu d’équilibre entre
un fauteuil Tubo, de Joe
Colombo, édité en 1969
par Flexform, et une lampe
Arco, d’Achille et Pier
Giacomo Castiglioni, éditée
depuis 1962 par Flos.
Beaux ArtsI41
SPÉCIAL DESIGN l LA FOLIE DU VINTAGE
D
érivé du mot français «vendange», vintage est À ce jeu de cadavres exquis, les Italiens furent des cham-
un mot anglais servant à désigner une année pions. De Cassina à Zanotta, d’Artemide à Flos, de B&B Ita-
ou une époque de référence pour des vins et lia à DePadova, la plupart des fabricants et éditeurs déci-
spiritueux, et par extension, d’autres biens tels deront de la remise en production de leurs références
que les voitures, motos et vélos de collection, historiques en puisant légitimement dans leurs archives.
mais aussi la photographie (pour les tirages originaux Une opération bénie soit par les architectes et les designers
d’époque). Vénérable, classique, ancien, le vintage est par – encore vivants – qui en étaient les créateurs, soit par leurs
essence indissociable d’une certaine notion d’authenticité. ayants droit ou les fondations attitrées, souvent exigeantes.
En matière de mode, le vintage fut de prime abord utilisé Seules des différences de traitement (peinture, couleur,
pour désigner l’engouement, à partir des années 1980, pour détails techniques) permettront de différencier alors les
des vêtements féminins datés de plus vingt ans. Après la rééditions des originaux. Visant le grand public, ce marché
mode, le vintage s’est emparé du design, autour du mobi- sera méprisé par les puristes qui ne considèrent que les
lier d’après-guerre jusqu’aux années 1980. séries originales, unique facteur de l’estimation des prix.
Ce sont Peter et Deborah Keresztury, inventeurs et pro- Quoique. Au réjouissant et pervers petit jeu des spécula-
moteurs des Vintage Fashion Shows à San Francisco, qui tions entre initiés, certains estiment désormais que la pre-
furent au début des années 1990 à l’origine de l’expression mière série/année d’une pièce officiellement rééditée
vintage western, pour décrire le mobilier, les arts de la table, depuis 1999 suscite sa propre valeur sur le marché du col-
la céramique, les tapis, les tissus d’ameublement et la ver- lector. Valeur d’autant plus gonflée si la pièce en question
rerie décorative des années 1940 à 1960, produits en série et a été rééditée en série limitée ou numérotée.
en masse pour le marché américain ou importés à foison de
Scandinavie et d’Italie. Historicisant et générique à la fois, Du «vintage neuf» au «vintage ressuscité»
le design vintage, qui exige une belle culture et un certain Aujourd’hui confondue avec la réédition, la reproduc-
culot, sera métabolisé sur le terrain par les marchands éclai- tion porte sur la remise en production par un éditeur ou un
rés des Puces de Saint-Ouen et les galeristes visionnaires de industriel tiers d’une pièce de design historique, dont la
Paris, Milan, Londres et Copenhague. Rétro-design pour les fabrication originale a été interrompue ou abandonnée,
uns, antiquités modernes pour les autres, ce vintage mobi- voire demeurée à l’état prototypal. Pour exemples connus,
lier et décoratif possédait un grenier inépuisable : l’Italie. le fauteuil Barcelona, conçu par Ludwig Mies Van der Rohe
Focalisée sur le design industriel du boom économique (et sa partenaire Lilly Reich) pour le pavillon allemand de
(jusqu’au début des années 1980), cette vogue estampillait l’Exposition internationale de 1929, et la chaise Wassily
dans un même élan meubles, objets, luminaires, électromé- dessinée par Marcel Breuer pour Kandinsky en 1925, repro-
DE GAUCHE nager, vaisselle, hi-, accessoires de bureau et de cuisine, duits quelques décennies plus tard par Knoll. Aujourd’hui,
À DROITE la planète design carbure au «vintage réédité», vaste terrain
mobilier de collectivités, jouets et gadgets. À cet inventaire
Ludwig Mies bois-plastique-plexi-contreplaqué-verre-acier-textile se générique où la confusion est totale. Il y a là le «vintage
van der Rohe juxtaposeront les signatures, les attributions, les éditions, neuf» qui englobe tous les meubles et objets embléma-
Siège Barcelona
les datations, travail en général mené par des marchands tiques du XXe siècle et édités par la même rme sans dis-
1929, édité
par Knoll sérieux qui verront d’un mauvais œil les rééditions et continuer depuis leur création. Ainsi de la collection Tulip
International. remises en production industrielle amorcée à la n du d’Eero Saarinen (chez Knoll), des sièges d’Arne Jacobsen
XXe siècle. Muté en phénomène de mode, le design vintage (Fritz Hansen) ou ceux de Pierre Paulin (Artifort).
Marcel Breuer ressuscitera ces sièges, tables et autres lampes symboliques Il y a aussi le «vintage ressuscité» qui concerne la réédi-
Fauteuil Wassily
de l’idée radieuse que l’on se faisait de l’avenir voilà plus de tion industrielle ou artisanale de pièces des années 1940 à
1926, édité
par Gavina. quarante ans. D’où leur statut d’icônes. 1970 par des rmes réinventées, réanimées ou reçues en
héritage et par escalier. Ainsi de la marque Burov relancée
en 2015, de Sentou avec Roger Tallon, de Dino Gavina avec
Paradisoterrestre, des luminaires Rispal rallumés par un
descendant de la troisième génération, des lampes Gras par
DCW Éditions ou de la petite structure Ligne de démarca-
tion qui réédite les lampes de Michel Buffet. Avec pour cible
une clientèle urbaine qui répugne à se salir les mains en
chinant et qui dispose d’un budget médian, le design réé-
dité, quand il sait rester raisonnable dans ses tarifs, vaut
pour statut social, instagrammable à l’envi. Les plus capri-
cieux se reporteront à des formules de location, telle la pla-
teforme à succès yourse.co. Paradoxe du marché : alignées
sur la cote de l’ancien, les rééditions exagérément chères
ne se vendent pas, malgré un snobisme de crête agité par
des chasseurs de trophée. Ce qui laisse tout loisir aux mar-
chands d’explorer et réhabiliter ce que la réédition ignore
encore, arguant qu’il y a encore «beaucoup à sortir». Jusqu’à
parfois, et c’est heureux, extirper des limbes des dahus
improbables, anonymes et coupés de toute référence, ce
qui en augmente le coefficient «curiosité». QQQ
42IBeaux Arts
Terje Ekstrøm
Fauteuils Ekstrem
Édités depuis 1984
par Varier.
Beaux ArtsI43
SPÉCIAL DESIGN l LA FOLIE DU VINTAGE
Pierre Paulin
Fauteuil 582
dit Ribbon Chair
Édité depuis 1964
par Artifort.
Jean Prouvé
Chaise
Vers 1942.
Guillerme et Chambron
Banquette Grand repos
Vers 1950, éditée par
Votre Maison.
Beaux ArtsI45
SPÉCIAL DESIGN l LA FOLIE DU VINTAGE
Fauteuils et canapés
Privilégier les sixties-seventies élégants et audacieux
Encore roides et convenues dans les années 1950, les assises de salon connaissent un apogée inouï dans les années 1960-1970. Mario Bellini
Canapé
Au ras du sol, creusées en alvéoles, nichées dans des bulles Plexi, gonflées, gainées de cuir, toujours plus confortables et sexy,
Camaleonda
elles deviendront des objets à la créativité débridée. Abondance de références sur le marché, rhabillages textiles réparant 1971, édité par C&B,
l’outrage du temps, chahuts provoqués par les rééditions, les fauteuils s’en tirent avec superbe. Les canapés ne sont pas en reste. puis par B&B Italia.
Vintage pur et vintage neuf remportent un franc succès, tel le Camaleonda de Mario Bellini, lancé par C&B en 1971. Best-seller Prix sur
d’une époque révolue, il réapparaît aux Puces rhabillé de neuf et vendu jusquà 18 000 €, quand une nouvelle version, éditée par demande
B&B Italia, a vu le jour en 2020. S’ils étaient réédités aujourd’hui, le canapé et les fauteuils Soriana d’Afra et Tobia Scarpa (Cassina,
1970) connaîtraient le même sort. Les archives seventies des fabricants Artifort, Steiner et Thonet regorgent aussi de ces pièces
distinguées, fauteuils de Geoffroy Harcourt ou Jean-Pierre Laporte, ou encore les étranges coques Mercurio de Claude Courtecuisse,
plus artiste que designer. Plusieurs créations de Jean Royère, dont la réédition est prévue pour n 2021, sont également une belle
illustration de ce retour du vintage, ainsi du sofa Ours polaire dont la cote sur le marché est simplement stellaire. Clientèle visée :
les prescripteurs et décorateurs œuvrant pour les milliardaires de la planète. Dans une autre sphère, l’enseigne Ligne Roset a initié
une opérationde recyclage pilote autour de son Togo [lire ci-contre].
Tous les prix
À ÉVITER donnés dans
Les horreurs en mousse et en skai des années pop, les fauteuils italiens débarqués des paquebots, ces pages le sont
les canapés cosy style Crozatier/Ségalot et les chaueuses en jersey modulables. à titre indicatif.
46IBeaux Arts
Tables basses
Revival des gigognes
et des modulaires
Dite aussi table de salon, la table basse est, avec la lampe,
l’exercice de design vintage le plus facile et le plus abordable.
C’est d’ailleurs souvent l’amorce d’un ameublement
thématisé. Vient ensuite l’espace disponible. Toujours
désirable et produite en série, la table en verre et à roulettes
de Gae Aulenti pour Fontana Arte (1980) exige 1 m2 a minima.
Préférer la table Blok de Nanda Vigo, éditée en 1970 par
Acerbis. Tous les modèles avec pied inox ou tubes et verre
fumé (Paul Le Geard, Patrice Maffei, Paul Tuttle…) restent
acceptables, mais le vent tourne. Retour aux gigognes Paul Tuttle
danoises en contreplaqué plié (signées Grete Jalk, en 1963) Table Anaconda
ou italiennes, plus précieuses, en acajou (par Ico Parisi), 1971, édition Strässle international.
À ÉVITER
Les rustiqueries en bois de charrue avec plateau
en grès et motifs oraux incrustés ; les plastiqueries pop
empilables à la sauce Prisunic, même si elles sont
signées Vico Magistretti ; les bidules bois-formica
en forme de rognon à la Modeste et Pompon (faux à gogo),
et tout ce qui ressemble à un tabouret. Gianfranco Frattini
Table basse Marema
Éditée depuis 1966 par Cassina.
Environ 3500 €
TOGO: LE BESTSELLER Lancé en 1973, en même temps que Ligne Roset fondait sa propre
identité, le canapé Togo créé par Michel Ducaroy est le best-seller
DU DESIGN FRANÇAIS
absolu du design français, avec près d’un million et demi d’exemplaires
vendus dans le monde. Idée : proposer à ceux qui en possèdent un
de le renvoyer chez l’éditeur, moyennant un bon d’achat de 350 €
à valoir sur l’acquisition d’un article neuf en catalogue ou en magasin.
Neuf, un Togo deux places coûte aujourd’hui 3 000 €. Par cette opération
lancée fin avril 2021 en France, la marque initie son programme
Ligne Roset RE, qui cible le recyclage mais aussi l’upcycling (recyclage
de qualité supérieure). En clair : soit le Togo rapporté est en piteux état,
il sera alors dépecé, trié, étrillé et envoyé à la casse via Éco-mobilier ;
soit il présente encore beau, et il sera déhoussé et rhabillé de tissu PET
recyclé. Direction la plateforme de revente en ligne, à -45 % du prix neuf.
À la tête de ce nouveau circuit, Antoine Roset, fils de Pierre Roset,
Michel Ducaroy confesse s’être inspiré du projet cordonnier piloté par le chausseur
Chaueuse et pouf Togo J.M. Weston. Si le parc de Togo concernés reste une inconnue,
Édités depuis 1973 par Ligne Roset. Ligne Roset RE envisage pour son premier exercice annuel l’upcycling
À partir de 135O € (le pouf) d’une trentaine d’exemplaires, tous gabarits compris.
Beaux ArtsI47
SPÉCIAL DESIGN l LA FOLIE DU VINTAGE
1 Egon Eiermann
Paire de chaises
SE42
Éditées depuis 1949
par Wilde & Spieth.
À partir de 600 €
2 Gio Ponti
Chaise
Superleggera
Éditée depuis 1956
par Cassina.
1
À partir de 800 €
2
3 Eugenio Gerli
Chaise S83
1962, éditée par Tecno.
À partir de 1500 €
4 Vico Magistretti
Chaise Selene
1968, éditée par
Chaises Artemide.
Autour de 200 €
À ÉVITER
Les réalisations de Philippe Starck pour Kartell,
mais aussi celles de Friso Kramer et de Pierre
Guariche et leurs innombrables copies.
48IBeaux Arts
Carlo Scarpa
Table Sarpi
Éditée depuis 1974
par Cassina.
Prix sur demande
À DROITE
Eero Saarinen
Table Tulip
Éditée depuis 1957
par Knoll.
À partir de 2000 €
Superstudio
Table Quaderna
À ÉVITER
La table ronde de Warren Platner chez Knoll, mal commode
en diable ; les tables de salle à manger danoises, banales
et génériques; les tables en plateau verre fumé et
piètement inox qui ressemblent à des balcons renversés.
Beaux ArtsI49
SPÉCIAL DESIGN l LA FOLIE DU VINTAGE
À ÉVITER
Giancarlo Parodi
Pierre Cardin Les machins en plastique thermoformé,
Cabinet Palladiana
Bar roulant style open bar au ras du sol, comme le bar 1955, édition Fornasetti.
Années 1970, édité par Pierre Cardin Évolution. Bacco (1967) de Sergio Mazza ou le Rotobar Autour de 50000 €
Entre 2500 et 3000 € orange roulant (1970) de chez Curver.
50IBeaux Arts
Luminaires
Miser sur des pépites insolites
Vaste programme… De la baladeuse au lustre 16 feux, de la lampe de bureau au lampadaire de salon, et jusqu’à l’outdoor,
le luminaire est le secteur le plus sollicité par le vintage. Normal : sa création et sa production furent prolifiques, avec
garantie d’export à la clé. Tous les styles, tous les courants, toutes les typologies, de l’applique
à la suspension, font leur eet. Verre de Murano, opaline tchèque, acier inox, plastique : la table des matières aime
les mélanges. Fiat lux assuré avec les Orgues de la Maison Charles, les lumières articulées de Tito Agnoli pour
Oluce, firme fondée par Giuseppe Ostun lui-même, avec son fils Angelo, créateur notable. Méprisés par
les puristes, adorés par les pervers, les luminaires «médical chic» d’Oscar Torlasco pour Lumi
(années 1960) sont des curiosités du luxe bizarre. Quant aux lampadaires des années 1980 de
Gilles Derain pour Lumen (sa propre firme), ils ont gardé intacte leur brutalité. Au signé,
systématiquement plus cher, préférer la production ouest et est-allemande
anonyme des seventies en inox et verre, aux formes insolites et aux prix
moulinés.
À ÉVITER
Tout ce qui ressemble à du Serge Mouille, trop copié,
du Boris Lacroix ou du Gino Sarfatti.
Oscar Torlasco
Lampe de bureau
modèle 555
Années 1960, édition Lumi.
Autour de 4000 €
Beaux ArtsI51
SPÉCIAL DESIGN l LA FOLIE DU VINTAGE
Joëlle Ferlande
Bibliothèque Zig Zag
Vers 1970, édition Kappa.
Autour de 4000 €
Bibliothèques et étagères
Opter pour les formes très architecturées
Formant la sainte trinité du design vintage
avec les fauteuils et la table basse,
la bibliothèque ou étagère joue un double
jeu : effacée et pratique, elle doit être
remarquable et remarquée. Composable,
évolutive ou d’une seule pièce, collée
au mur ou faisant cloison, échafaudée
ou caissonnée, elle exprime illico la culture
par ce qu’on en fait et ce qu’on y dispose.
Tout sauf des livres, qui se mettent
sur la coee table ou s’empilent jusqu’à
ressembler à un meuble de Shiro Kuramata.
Outre les «memphiseries» (Carlton, Max,
Suvretta) signées Ettore Sottsass, il faut
viser plus rationnel avec les éléments
muraux multipliables de Dieter Rams
(Formes Nouvelles, 1970), la très seventies
Zig Zag en acier inox de Joëlle Ferlande
(Kappa, 1971), les exercices cubiques en
contreplaqué blanc de René-Jean Caillette
(Charron, 1970) ou les architectures
italiennes sol-plafond à la Franco Albini
(passe-partout, mais toujours ecaces).
À ÉVITER
Les modèles vitrés, en plastique moulé,
tout ce qui relève du mobilier de bureau
en tôle vert-de-gris.
René-Jean Caillette
Bibliothèque modulaire
1970, prototype pour Charron.
Prix non communiqué
52IBeaux Arts
Eileen Gray
Tapis la Ronde et la Méditerranée
Édités depuis 1978 par Ecart international.
À partir de 2000 €
Tapis
Un choix
d’abord arty
Périmé par le lino et la moquette,
il a repris du poil de la bête avec
le concept du tapis d’auteur, formulé
au mitan des années 1980. Fouler ici
les tapis d’Eileen Gray, encore relativement
abordables, reproduits par Andrée Putman/
Écart International. Nouveau support
d’expression des stylistes, le tapis de designer
relancera la maison familiale Toulemonde
Bochart avec, dès 1985, des créations signées
Jean-Michel Wilmotte, Pascal Mourgue, Didier
Gomez, Christian Duc, Zoa Rostad et Hilton
McConnico et ses tapis Cactus, best-sellers
de l’époque. Garder aussi un pied sur les tapis
Signatures de Sam Laik créés par Olivier Gagnère,
Garouste & Bonetti, Sylvia Corrette, Alberto Pinto
et Robert le Héros. Reste à les trouver en bon état…
À ÉVITER
Tous les tapis tuftés mécaniquement.
Beaux ArtsI53
SPÉCIAL DESIGN l LA FOLIE DU VINTAGE
Bureaux
Le confort de travail avant tout
Typologie de la sphère familiale autrefois réservée aux enfants et aux adolescents, et autour de laquelle
tous les designers des années 1950 à 1970 ont planché, le bureau reprend du galon avec le télétravail.
Et réclame de l’espace et du rangement. Pas grand-chose en magasin à moins de favoriser un retour
Joe Colombo
au plateau inox sur tréteaux acier à la Jean Garçon, ou plateau verre sur tréteaux en Plexi comme ce fut
Chariot Boby
Édité depuis 1968
tant à la mode en 1975. À compléter d’un caisson-chariot à tirois Boby par Joe Colombo ou, dans un style
par B-line. radicalement différent, par une des indémodables compositions modulaires au cordeau de chez USM,
À partir de 300 € toujours éditées en colorama. Sans tomber dans les délires
mégalomaniaques des bureaux
présidentiels revus par Maurice Calka
(Boomerang), Fabio Lenci ou Max Ingrand,
mieux vaut prendre en compte
le travail de Joseph-André Motte, produit
à la n des années 1950 par Charron,
ou d’Étienne Fermigier, édité à la même
époque par Meubles & Fonction, et
redonner sa chance au Big Boss de Marco
Zanuso Jr. (Artelano, 2008). Vintage
également, l’étonnant Bureau Pettit (1985)
de Martin Szekely par Neotu, cellule de
création et d’édition fermée il y a vingt ans.
À ÉVITER
Les trop petits bureaux à la Pierre Paulin
des débuts, pas faits pour travailler ;
Martin Szekely
ceux qui font secrétaire / coieuse
Bureau Pettit
ou ressemblent à une console. 1985, édition Neotu.
Entre 20000 et 25000 €
Commodes
Survitaminées
ou très austères
La chanteuse Jeanne Aubert y posait son cul dès 1937.
La commode est à trois, cinq ou sept tiroirs – on
parle alors d’un semainier. Signée Raymond Loewy
avec son habillage en plastique coloré, elle fait toujours
la blague en intérieur. Celles de Michel Mortier et
d’André Monpoix, très Reconstruction (période de
l’après-guerre), ne sont en rien des fonds de tiroir.
À ÉVITER
Tout ce qui fait style «Louis Caisse», selon la Raymond Loewy
formule de l’abbé Pierre, autrement dit les Commode DF 2000
commodes en bois de cageot des Galeries Barbès 1965, édition Doubinsky Frères.
ou Manufrance. Le vintage a ses limites. À partir de 2000 €
54IBeaux Arts
High-tech et électroménager
Plutôt déco que fonctionnel
Tous les secteurs sont concernés, des premiers téléphones portables Motorola StarTAC aux Walkman
et Discman Sony en passant par les télés et radios italiennes Brionvega signées Achille Castiglioni
ou Richard Sapper et Marco Zanuso (rééditées avec technique adaptée aux nouveaux standards),
les écrans Téléavia dessinés par Roger Tallon (juste pour le look), les radios Braun dessinées par
Dieter Rams et Hans Gugelot, les chaînes hifi Bang & Olufsen par Jacob Jensen, les enceintes en plâtre
Elipson, les tourne-disques spatiaux Weltron, les machines à calculer Olivetti dessinées par Mario Bellini
ou Ettore Sottsass, etc. Sous-tendance à la hausse: les lecteurs de K7 audio Philips et l’adaptation
Bluetooth par Arthur Verne des postes et meubles radio des années 1950 en bois, bakélite, Schaub
Lorenz, Radiola… (a-bsolument.fr). Sinon, gros faible quand il marche encore pour le pèse-personne T111
de Marco Zanuso pour Terraillon (1968).
À ÉVITER
Le petit électroménager SEB, Tefal (yaourtières, etc.), les grille-pain, les ventilos et les séchoirs,
sources d’incidents et d’incendies.
Marco Zanuso
Radio TS 502
1964, édité par Brion-Vega.
Entre 200 et 500 €
Roger Tallon
Téléviseur portable P111
1963, édité par Téléavia.
Autour de 200 €
Tourne-disque enregistreur
modèle 2007
1971, édité par Weltron.
Autour de 800 €
Beaux ArtsI55
SPÉCIAL DESIGN l LA FOLIE DU VINTAGE
Céramiques
À adopter de toute urgence
Discipline universellement pratiquée depuis la nuit des temps, la céramique est LE courant vintage du moment, raffiné
par le galeriste Thomas Fritsch, thuriféraire de Roger Capron, Georges Jouve, Pol Chambost, Vera Székely. Toutes écoles
(Vallauris, Paris, Bourges, Ratilly), courants et époques confondus, la céramique a supplanté le verre. Entre 1947
et le milieu des années 1980, il y a de quoi faire: Jacques Blin, Paul Pouchol, Mado Jolain, Jacques & Dani Ruelland,
Colette Gueden pour les plus connus; Ettore Sottsass, Olivier Gagnère, Christian Ghion pour les plus récents. Intérêt
inédit pour les céramiques de Jean Marais. Il faut garder un œil sur les céramiques mécaniques ouest-allemandes des
années 1950 et sur les italiennes des années 1960. Pour les années 1970, faveur au grès. Capter aussi tous les meubles,
petits et grands, sertis de céramiques décoratives, même les plus kitsch. Autres trésors: les céramiques régionales
(Provence, Bretagne…) à visée touristique et les assiettes Monaco noires avec langoustes, crabes, poissons, etc.
À ÉVITER
Les tables basses en fer noirci avec plateau en carreaux de céramique baveuse des années 1970,
et celles en bois massif avec carreaux en grès à motifs «fougère». Toutes hideuses, à de rares exceptions.
Jacques & Dani
Ruelland
Suite de six vases
dits Bouteilles
Vers 1960.
5200 €
56IBeaux Arts
Georges Martin
Chat et Éléphant, collection DAD
1946, collection rééditée depuis 2018
par les éditions Georges Martin.
179 € chaque
Jeux et jouets
Place aux mascottes de designers
Rien à voir avec la miniaturisation de sièges pratiquée notamment par Vitra. Il s’agit
de vrais jeux et jouets dessinés et destinés aux enfants. Voire aux adultes, si ce sont
des jeux de société. Ainsi du Scrabble, créé en 1938 par l’architecte américain Alfred
Mosher Butts, ou des jeux de cartes dessinés par Jean Garçon pour Knoll, Lanvin
et Pierre Cardin (entre 1968 et 1973). Si les jeux de cartons «éducatifs» imaginés
en 1952 par Charles & Ray Eames sont des classiques, les mascottes ludo-animalières
sont à apprivoiser sur-le-champ. Du singe grimpeur en bois articulé du designer danois
Kay Bojesen à la mythique guenon en latex Zizi de Bruno Munari (prix Compasso d’Oro
en 1954), de l’hippopotame bleu Pippo d’Armando Testa, doudou publicitaire des
couches Lines en 1966, à la vache parlante Pistache dessinée au carré par Patrick Jouin
en 2002 pour Fagoë, le bestiaire fait mouche dans la niche. À cette arche de Noé,
ajouter, plus récents, le cheval à bascule Rocky de Marc Newson, les sièges-jouets
d’Eero Aarnio pour l’Italien Magis et les animaux en bois coloré Dad de Georges Martin,
réédités par ses petites-lles, déjà collectors. Rayon petites voitures, échelle 1/43
comme 1/10, miser sur les Studebaker dessinées par Raymond
Loewy et les Adler par Walter Gropius. Corollaire au jouet,
symbole «junior» des Trente Glorieuses, le mobilier d’enfant
vintage entre dans le jeu de cette même gaieté nostalgique
avec les pupitres de Marcel Gascoin, les tabourets de Luigi Colani,
les fauteuils de Jean-Louis Avril, les chaises Diamond d’Harry
Bertoia, réduites par Knoll à l’échelle «kid».
La Bible – La Cote
du design du XXe siècle
par Jean-Michel Homo
(9e édition) • éd. Retro
Design • 636 p. • 75 €
Beaux ArtsI57
ENTRETIEN
ORLAN
«Toute ma vie,
j’ai tout fait pour
sortir du cadre!»
ORLAN s’écrit en lettres capitales : tel est le mot d’ordre de la plasticienne
française mondialement connue pour son Baiser de l’artiste qui t scandale
en 1977 et pour ses chirurgies en direct. Ce personnage hors du commun
a créé une œuvre fascinante. Iconoclaste, féministe, elle publie chez
Gallimard une autobiographie sulfureuse et passionnante, qui est aussi une
histoire de l’art depuis les années 1960. On y croise les plus grands artistes,
galeristes et directeurs de musées, des scientiques, des philosophes…
Elle y raconte également le monde de demain. Propos explosifs !
Pourquoi avoir écrit maintenant une autobiographie ? extrêmement timide, cette émotion me provoquait une urti-
Tout d’abord, sachez que l’écriture fait partie de ma vie et caire géante qui me faisait ressembler à un crapaud. C’est
de mon œuvre. Je suis un générateur de texte. J’ai toujours pour cette raison que j’ai commencé une psychanalyse. Lors
écrit, chaque nuit depuis mon adolescence – notamment de la troisième séance, le médecin m’a avertie : «Dorénavant,
ce que je nomme mes «prosèsies» et mes «peauaimes», que vous ne me paierez plus par chèque, mais en espèces.» Puis
j’ai déclamés dans les rues ou lors de «marches au ralenti», il s’est ravisé au moment même où je signais mon chèque :
à partir de 1964. Ensuite, c’est le philosophe Donatien Grau «Réflexion faite, vous me signerez de nouveau un chèque,
qui m’a incitée à écrire mon autobiographie comme une la prochaine fois.» De retour chez moi, je ne comprenais plus
forme de rétrospective qui permettrait de tout regarder avec rien à ce message totalement contradictoire. Juste avant la
du recul. Le connement m’a offert cette opportunité, car séance suivante, j’ai fait ce que font la plupart des patients :
auparavant, je ne faisais que sauter d’un avion à l’autre pour essayer de compenser en allant m’acheter – comme par
assister dans le monde entier à mes expositions ou à mes hasard – des souliers, histoire «d’être bien dans mes
conférences. Je n’avais jamais eu le temps de me poser pour pompes». Au moment de signer mon chèque pour payer
revenir sur ma vie et mon œuvre. mes souliers, j’ai compris ce que le psychanalyste avait vu :
en toutes lettres, je signais d’un nom qui n’était pas le mien.
Je suis frappé par le fait que cette autobiographie, Personne, ni mes parents, ni mes amants et amantes, n’avait
dans laquelle vous racontez avoir compris, auparavant remarqué que je signais en grosses lettres :
adolescente, dans le cadre d’une psychanalyse, «Morte.» En arrivant, j’ai donc prévenu le psychanalyste :
être «habitée par la mort», est publiée un peu «Je ne serai plus jamais “morte” !» Et j’ai choisi «or», la seule
moinsde deux ans après que vous avez lancé syllabe positive dans ce mot, pour décider de m’appeler
unePétition contre la mort. Ce livre est-il lié «ORLAN» – alors que j’aurais pu choisir «Orapide» !
àuneobsession delamort ?
Toute ma vie, j’ai ressenti de terribles angoisses de mort. Et pourquoi cette Pétition contre la mort ?
Adolescente, j’avais parfois l’impression que j’allais mourir L’idée m’est venue après avoir lu de nombreux textes sur
d’une seconde à l’autre. Et c’était comme si toutes mes par- le transhumanisme. Certaines espèces de baleines peuvent
ticules se révoltaient à l’idée de la mort. Et comme j’étais vivre 320 ans, les homards eux aussi vivent très longtemps, QQQ
58 I Beaux Arts
ORLAN dans son atelier à Paris, 2021.
Beaux ArtsI59
ENTRETIEN l ORLAN
tout comme les tortues et les séquoias géants qui peuvent ments, à partir de 22 000 mots que j’ai enregistrés. Il peut
atteindre 4 000 ans. Je veux être hybridée avec l’une de ces lire avec ma voix et me traduire simultanément mes confé-
espèces ! Il doit être possible de trouver une solution à l’hor- rences en anglais, et bientôt dans d’autres langues. C’est un
loge biologique. Notre espèce humaine a tant à dire et à work in progress développé avec la Science Gallery du Tri-
faire. Si l’on me donne 300 ans de plus, je ne les passerai pas nity College à Dublin, il va devenir très interactif, sera
à absorber du plancton, je créerai beaucoup d’œuvres. capable de signer à ma place, de dessiner mon autoportrait,
de chanter, etc. En revanche, après ma mort, je ne souhaite
Votre travail a toujours manifesté un fort intérêt pas donner mon corps à la science mais le placer dans un
pour la science, pourquoi ? musée en le momiant. Il serait alors la pièce maîtresse
Cela vient de loin. Enfant, j’étais fascinée par la biblio- d’une installation technologique et interactive…
thèque de mon père, fermée à clé, dans laquelle je n’avais
pas le droit d’entrer. S’y trouvaient de nombreux ouvrages Après avoir parlé du futur, évoquons le passé,
de sciences occultes, de méthodes médicales prétendument vos origines : cette jeune lle née dans une famille
scientiques, etc. J’ai toujours été une grande lectrice de ouvrière de Saint‑Étienne, ville industrielle, et qui,
textes relatifs aux évolutions de notre société et ces sujets à 17 ans, dans les années 1960, s’affirme comme
me passionnent. Je suis ainsi en train de travailler avec des artiste, crée des œuvres, dans un milieu de l’art qui
chercheurs en biotechnologies pour créer un steak d’ORLAN existe à peine. Comment cela a‑t‑il été possible ?
à partir de mes cellules, malgré les très nombreuses J’ai justement essayé de comprendre tout ça à travers mon
contraintes juridiques que cela pose, puisque nous ne pou- autobiographie. Ma sœur est très différente de moi. Pour-
vons disposer librement de notre corps. Il faut que je sache quoi, alors que nous avons reçu la même éducation, ai-je
si j’ai bon ou mauvais goût ! J’ai d’ailleurs offert à Madonna voulu être artiste ? Je crois que c’est dû en partie à mon père.
(et aussi à Jean-Jacques Aillagon lorsqu’il était ministre de Ouvrier électricien, il gagnait très mal sa vie et il lui arrivait,
la Culture) un bijou en résine contenant quelques milli- certains soirs, de faire des heures supplémentaires comme
mètres de ma chair. C’était lors d’une émission de télévision éclairagiste au Théâtre Éden de Saint-Étienne. Entre 8 et
et elle m’a remerciée en disant «c’est très beau, cela res- 13 ans, quand j’avais été sage, il m’y emmenait. Je me cachais
semble à du caviar !» En 2018, j’ai créé un ORLANoïde, c’est- tout en haut dans les cintres, ou derrière les pendillons, pour
à-dire un robot qui me ressemble, doté d’une intelligence voir le spectacle. Ce que je trouvais extraordinaire, c’est tout
articielle. Il possède un générateur de textes et de mouve- ce qui se passait en coulisses. Le trac des danseurs, les comé-
Dans l’atelier
d’ORLAN. Au mur,
Vierge blanche
sur fond de briques
jaunes ou Sainte
ORLAN en
Assomption sur un
moniteur vidéo n°2
(1983), la Liberté
en écorchée (2013)
et Self-Hybridation
Précolombienne
n°35 (1998).
60IBeaux Arts
Le Corps- diens qui répètent leur texte, qui s’échauffent de toutes les
sculpture manières possibles, qui nissent de se faire maquiller, habil-
ditORLAN
ler, la transe qui les anime. C’est ce qui, sans doute, m’a
accouche
donné envie de faire des performances.
d’elle-m’aime
La vraie
naissance, Vous êtes née en1947 mais vous considérez être plutôt
quand née, réellement, en 1964… Qu’est que cela veut dire ?
l’adolescente
Je suis née en 1964, année où ORLAN accouche «d’elle-
révèle qui elle est
et choisit de créer m’aime». À l’époque, je suis une adolescente rebelle, très cri-
toute sa vie. tique envers le monde adulte, qui commence à se prendre
1965, photographie pour la Nina Hagen du coin en s’habillant et en se maquillant
noir et blanc,
de façon extravagante. Je ne voulais pas me fondre dans la
9 x 10 cm.
masse, les stéréotypes, dans ce que l’on m’avait dit de faire et
comment. J’ai donc tenté de me dérober à ce cadre qui
m’avait formatée, en l’exprimant frontalement par une série
de photographies d’où je sors littéralement d’un cadre de
tableau et accouche de moi-m’aime. Je voulais faire de ma
vie quelque chose d’extraordinaire, m’émerveiller moi-
même. Avec cette œuvre, j’ai commencé à avoir conscience
de moi-même, à me situer sociétalement et artistiquement.
62IBeaux Arts
«Je travaille à créer un steak à partir de mes cellules, malgré
les contraintes juridiques (nous ne pouvons disposer librement
de notre corps). Il faut que je sache si j’ai bon ou mauvais goût !»
interroger le corps ainsi que son statut dans la société, par- Déguration-Reguration,
ticulièrement le corps des femmes, via toutes les pressions Self-hybridation précolombienne n°16
culturelles, traditionnelles, religieuses et politiques. C’est Se confronter à des cultures non occidentales
et mettre en évidence la beauté comme une perception
pour cela que j’ai créé en 1975 un Manifeste de l’art charnel, imposée par l’idéologie dominante.
très différent de l’art corporel de Michel Journiac, Gina Pane 1998, cibachrome, 150 x 100 cm.
ou VALIE EXPORT, car je rejette la douleur. Je travaille
actuellement sur des slows dont j’écris les paroles et que j’ai
proposés à de nombreux musicien.ne.s et chanteur.e.s
comme Ornette, Catherine Ringer, la Femme, Les Tétines
Noires, Twin Twin, Charlemagne Palestine, Thibaut Barbil-
lon, Les Sans Pattes, Régis Campo, Mai Lan Chapiron, les
Chicks On Speed et bien d’autres. Je veux relancer le slow et
sentir la chaleur d’un corps dans ce corps-à-corps. Il y aura
des 33 tours et un album complet nal, le Slow de l’artiste.
Sourire
de plaisir,
Vous expliquez que dans votre vie, il y a un avant
7e Opération
chirurgicale- et un après le Baiser de l’artiste (à la Fiac, en 1977),
Performance tant cela a été une déagration médiatique mondiale.
dite Cette œuvre a alors été considérée comme
Omniprésence une performance improvisée alors qu’il s’agissait
ORLAN d’une sculpture et d’une performance très rééchie
sourit durant
l’opération et organisée. Pouvez-vous nous raconter ?
retransmise Toutes mes œuvres sont nourries par des lectures, des
en direct. réflexions très élaborées, je ne suis jamais dans le spontané
Elle a choisi
et l’improvisé. Concernant le Baiser de l’artiste, j’ai d’abord
une femme
chirurgien, écrit un texte manifeste intitulé Face à une société de mères
qui a accepté et de marchands dont la première phrase était : «Au pied de
ses demandes la croix deux femmes, Marie et Marie-Madeleine, deux sté-
consistant cette
fois à transformer
réotypes de femmes auxquels il est difficile d’échapper
radicalement quand on est femme.» J’ai construit une sculpture constituée
son visage avec d’un piédestal, de 2 mètres, sur lequel était installée une effi-
des implants. gie de moi grandeur nature détourée et collée sur bois. On
21 novembre 1993,
cibachrome en diasec,
pouvait faire brûler un cierge à sainte ORLAN pour 5 francs,
165 x 110 cm. et, ou bien, recevoir un french kiss avec moi. Je me tenais
était illégal), traitée de pute dans la rue et mise en couverture L’atelier d’ORLAN
de nombreux magazines. La presse qui évoquait la Fiac par- avec notamment,
au mur, l’Origine
lait du Baiser de l’artiste, et cette œuvre a été achetée par la de la guerre (1989).
collection du Frac des Pays-de-la-Loire.
64IBeaux Arts
«J’ai créé un ORLANoïde,
un robot qui me ressemble doté
d’une intelligence articielle.
Il peut lire avec ma voix
et traduire simultanément
mes conférences. Il pourra
signer à ma place, dessiner
mon autoportrait, chanter, etc.»
ORLANoïde
Lors de l’exposition «Artistes & Robots» en 2018
au Grand Palais, l’installation Strip-tease
artistique, électronique et verbal faisait aussi
appel à l’intelligence collective et sociale
pour générer textes et mouvements.
5 avril 2018, performance au Grand Palais.
Intelligence articielle et robot.
Beaux ArtsI65
COMMENTAIRE D’ŒUVRE
MATHEUX ET MYSTIQUE
66IBeaux Arts
Beaux ArtsI67
COMMENTAIRE D’ŒUVRE l PIERO DELLA FRANCESCA
U
ne nouvelle enquête. Un suspect : le très mys- la période de maturité de Piero della Francesca, peinte sur
térieux Piero della Francesca. Un objet du un panneau de peuplier de taille moyenne (58,4 x 81,3 cm)
crime : son chef-d’œuvre, la Flagellation du et concentrant à elle seule maintes problématiques. Redé-
Christ. Et une cohorte de témoins : d’autres couverte seulement dans les années 1830 par la critique
tableaux du maître, mais aussi ses écrits, d’art et conservée encore aujourd’hui à Urbino (Marches),
dont un fameux traité sur la perspective. Résoudre au sein de la Galerie Nationale des Marches, hébergée
l’énigme de cette affaire est la mission que s’est assignée dans l’ancien palais ducal, elle est a priori d’un sujet
Franck Mercier, spécialiste du simple, même si le décentrement de sa composition peut
XVe siècle européen, normalien et surprendre [ill. pp. 72-73]. On y identie, dans sa partie
Qui était Piero
della Francesca ? agrégé d’histoire, qui propose dans gauche, sous une loggia à l’antique, le Christ à la colonne.
son dernier ouvrage une relecture Étrangement impassible, il reçoit les coups de fouet de
Grand maître de la perspective, très audacieuse de l’œuvre de l’artiste son bourreau sous le regard de Ponce Pilate, trônant sur
le peintre du Quattrocento fut que tout le monde appelle Piero une estrade. Un homme de dos, vêtu de blanc, observe la
aussi un mathématicien réputé. – d’après Giorgio Vasari (1511-1574), le scène. À droite, un second groupe de gures, totalement
Vers 1412 Naissance à Borgo San Sepolcro
premier biographe des artistes de la étrangères au supplice, paraît converser sans que leurs
(aujourd’hui Sansepolcro), en Toscane. Renaissance, son patronyme (della regards ne se croisent.
1439 Présent à Florence, où il découvre l’art Francesca) lui viendrait de sa mère.
de Brunelleschi, Fra Angelico ou Masaccio. Si l’on sait à quel point la littérature Sujet politique ou objet mathématique ?
Années 1440 Travaille à Ferrare, Urbino (et abonde sur le peintre, auteur entre Thème classique de l’iconographie chrétienne, la fla-
sûrement à Bologne et Ancône), puis Rimini. autres du cycle de fresques de la basi- gellation du Christ a rarement été gurée de la sorte, sauf
1452 Cycle de fresques de la Légende lique d’Arezzo (Toscane), ce livre peut-être chez Luca Signorelli, l’un des rares suiveurs de
de la Vraie Croix pour la basilique
San Francesco d’Arezzo.
complexe et précis entend «résoudre Piero. Elle s’inscrit d’ordinaire dans un cycle plus vaste,
l’une des énigmes picturales les évoquant la Passion du Christ (à 80 % des scènes de cette
1459 Peint pour le pape au Vatican.
mieux gardées du Quattrocento ita- époque, selon les estimations de Franck Mercier). La
1460 Plusieurs commandes importantes
(dont la Résurrection), puis circule à nouveau lien». Pour cela, la démonstration de scène est aussi totalement dénuée de violence et pro-
entre Pérouse, Urbino, Arezzo et Borgo. l’historien s’appuie sur cette célébris- voque «un sentiment d’atemporalité», surtout lorsqu’on
1492 Meurt dans sa ville natale. sime Flagellation du Christ, œuvre de la compare, de manière délibérément anachronique, avec
68IBeaux Arts
certaines peintures postérieures (chez Ludovico Carracci
La scène représentée ou Caravage au XVIIe siècle ou plus encore chez William
par Piero della Francesca Bouguereau, au XIXe), images donnant l’impression de se
délecter du vérisme de ce corps supplicié. Là n’est pas le
est dénuée de violence sujet de Franck Mercier. Le sagace historien s’attache sur-
et provoque «un sentiment tout à l’incongruité de l’existence dans une même image
de deux groupes si indifférents l’un à l’autre. Qui sont-ils
d’atemporalité». d’ailleurs, ces trois hommes du premier plan qui semblent,
à tout point de vue, hors de l’action principale ? Cette
façon de déroger aux règles iconographiques, souvent très
codiées, n’est-elle pas une invitation à regarder autre-
ment le tableau ? L’importance de la littérature à son sujet
conrme la perplexité qu’il a toujours suscitée, avec une
kyrielle d’analyses très diverses et souvent très brillantes,
dues aux plus éminents historiens de l’art (Roberto Lon-
ghi, Carlo Ginzburg, Kenneth Clark, Hubert Damisch…).
Ces interprétations sont volontiers politiques. Cer-
CIDESSUS, DE GAUCHE À DROITE
Piero della Francesca La Flagellation du Christ [détail]
taines mettent le tableau en rapport soit avec la famille
des Montefeltre, les mécènes urbinates de Piero, soit avec
Luca Signorelli La Flagellation [détail]
un projet de croisade contre les Turcs. Des aspects vesti-
Vers 1482-1485, tempera sur bois, 84 x 60 cm.
mentaires et une «certaine ressemblance» entre le per-
Ludovico Carracci La Flagellation du Christ [détail]
sonnage barbu (debout) et l’un des membres de la déléga-
Vers 1589, huile sur toile, 189 x 265 cm.
tion grecque au Concile de Mantoue de 1459, convoqué
William Bouguereau La Flagellation du Christ [détail]
après la chute de Constantinople en 1453, y auraient été
Au l des siècles, les représentations de Flagellation ont pris
des tournures plus dramatiques. Pourquoi Piero a-t-il peint perçus comme des indices… D’autres auteurs, résignés
un Christ si impassible ? probablement face à la difficulté de la tâche, n’ont trouvé
1879-1880, huile sur toile, 310 x 213 cm. dans cette savante composition qu’un magnique objet
Beaux Arts I69
COMMENTAIRE D’ŒUVRE l PIERO DELLA FRANCESCA
Le bras levé
du bourreau
occupe le centre
géométrique
du tableau et le bras
du agellateur
en est le point le plus
lumineux. Ces
indices conduisent
donc l’œil du
spectateur vers
«ce geste de refus
de Dieu».
70IBeaux Arts
trique. Franck Mercier démontre que celle-ci est loin d’être
«Il est permis de se demander gratuite. Au contraire, dans l’esprit du Quattrocento, elle
si la découverte relativement récente ne tend que vers un but : la mystique, née d’une lecture
directe ou indirecte des Confessions (vers 397-401) de saint
de Piero ne s’est pas accompagnée Augustin, dont on oublie trop souvent qu’il était aussi une
gure tutélaire de l’humanisme du XVe siècle. Faute de maî-
du refoulement de sa part mystique.» triser suffisamment le latin, Piero n’aurait d’ailleurs peut-
être pas su lire saint Augustin dans le texte, mais aurait
trouvé un passeur via Nicolas de Cues, théologien majeur
qu’il aurait pu rencontrer à Rome vers 1460. Sa théorie ? Que
L’énigme est-elle pour autant irréductible ? Pas si sûr… les mathématiques «donnent accès à une réalité supérieure
Notre auteur se risque à une autre interprétation, en prise à celle des sens» et permettent d’entrevoir la vérité divine.
avec l’histoire culturelle du Quattrocento. D’après lui, Comme Piero della Francesca, Nicolas de Cues usait de
une erreur majeure a été commise : dans une démarche l’énigme à la manière d’un rébus philosophique. «Ce n’est
d’extase esthétique face à un tableau si étrange et fasci- plus seulement Dieu qui se manifeste dans le monde sous
nant, d’une grande «modernité», la peinture de Piero a une forme symbolique, c’est-à-dire cachée, mais l’homme
trop facilement été placée hors du temps. La démarche qui par les pouvoirs de son intellect peut s’approcher de
n’a d’ailleurs pas concerné la seule Flagellation, mais Dieu. Les gures mathématiques se substituent alors aux
aussi le stupéant Baptême du Christ, où cette fois le sujet symboles analogiques traditionnels (allégories…) pour
semblait si évident qu’il relevait, selon Roberto Longhi, voir Dieu en énigme», explique Franck Mercier. En
d’une «simplicité rustique». somme, les mathématiques auraient pour fonction d’être
L’auteur égratigne gentiment ses prédécesseurs – il une «initiation intellectuelle aux choses divines».
aurait pu citer notre André Chastel national, qui lui aussi y
voyait du «paysan» et de «l’épique» –, pour soutenir que «À un moment, la peinture se lève»
la Flagellation, tout comme une bonne partie de l’œuvre On comprend mieux la méticulosité de la composition de
du peintre toscan, pourtant largement religieuse, a été tota- l’œuvre. Surtout lorsque l’on se rend compte que Piero, l’un
lement déthéologisée. «Il est en effet permis de se deman- des premiers après les Grecs à user et théoriser le nombre
der si la redécouverte relativement récente de l’œuvre de d’or, élabore son tableau sur un module de construction, une
Piero et sa valorisation croissante aux yeux des modernes divine proportion qui est aussi la mensura christi, c’est-à-
ne s’accompagnent pas du refoulement de sa part religieuse dire la taille supposée du Christ (1,78 m), ce qu’avaient déjà
et mystique, pour ne pas dire médiévale.» Le raisonnement noté plusieurs auteurs. Cette nouvelle analyse, vertigineuse,
se tient solidement dès lors que l’on admet que Piero n’était explique en somme que l’opacité du tableau – qui aurait pu
pas un peintre comme les autres, à la fois artiste de cour et être une œuvre de dévotion personnelle pour le peintre lui-
artisan libéral et libre, sûr de son art. Un véritable même – serait délibérée, dans le but de dissimuler une vérité
«monarque de la peinture» comme l’avait qualié son théologique «dont la clef est donnée par la perspective
camarade Luca Pacioli, lui aussi originaire de Borgo San mathématique». «N’en déplaise à ceux qui annoncent trop
Sepolcro. Celui-là même qui s’est ensuite attribué ses tra- vite l’avènement d’un monde déthéologisé, la science de la
vaux de mathématicien. De récentes études sur les traités perspective conduit encore au XVe siècle à la célébration
de Piero ont en effet conrmé qu’il fut bel et bien l’un des paradoxale de l’invisible», relève Franck Mercier. La pers-
plus grands mathématiciens de son temps, lecteur d’Eu- pective guide donc le regardeur non dans la profondeur de
clide et d’Archimède, capable lui-même de problématiser champ mais vers l’au-delà, dans la profondeur spirituelle.
des équations. Le plus célèbre de ses textes, De prospectiva L’auteur, qui n’a rien d’un illuminé, cite cette phrase des
pingendi («De la perspective en peinture») est ainsi un frères Goncourt face à un tableau de Chardin: «À un moment,
savant manuel de mathématiques à l’usage des peintres. la peinture se lève.» Dans notre cas, elle pourrait provoquer
La Flagellation, dans laquelle tout n’est que travail de très un jeu de chamboule-tout dans la lecture de l’œuvre de Piero,
haute voltige, conrme cette extrême précision géomé- qui n’en a peut-être pas ni avec les exégèses. n
Analyse de la Flagellation du Christ pp. 74-75 QQQ
Pour aller plus loin
À LIRE À VOIR À ÉCOUTER
Piero della Francesca L’épisode de la série Palettes «L’art est la matière»
Une conversion du regard par Alain Jaubert • intégrale en DVD, 18 volumes, sur France Culture
par Franck Mercier éd. Montparnasse • édité en Folio chez Gallimard
› Podcast de l’émission
éd. EHESS • 360 p. • 28 € › Même ancien, et donc ne tenant pas compte de Jean de Loisy consacrée
Saint Augustin de cette analyse, ce décryptage reste un grand plaisir. au livre, avec Franck Mercier.
Œuvres philosophiques complètes
éd. Les Belles Lettres
2 vol. sous coret • 95 € L’essentiel sur Piero della Francesca en 2 minutes chrono?
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Beaux Arts I71
72IBeaux Arts
Piero della Francesca
La Flagellation du Christ
L’ensemble du tableau,
clairement composé
en deux parties, est baigné
d’une atmosphère étrange,
comme juxtaposant
deux mondes distincts.
L’un temporel et l’autre
spirituel ?
Vers 1460, tempera sur bois
de peuplier, 58,4 x 81,3cm.
Beaux ArtsI73
COMMENTAIRE D’ŒUVRE l PIERO DELLA FRANCESCA
Une poutre
dans un œil…
Chose amusante
relevée par Franck
Mercier : la rampe
de l’escalier gurée
derrière Pilate semble
lui entrer dans l’œil,
lorsqu’on y regarde
de plus près. Or celle-ci
à la même longueur
que l’idole… En d’autres
Leurre de vérité termes, Pilate se met
Un élément peut facilement tromper le spectateur : l’idole dans l’œil…
la petite idole chée au-dessus de la colonne. Justement, «Le détail de la rampe
selon Franck Mercier, tel est son rôle. Induire en erreur… de l’escalier plantée
pour mieux révéler le sens du tableau. Car ce n’est pas comme une écharde,
à partir de ses proportions qu’est construite l’œuvre. plutôt comme
Logique : cette idole, païenne, serait en réalité l’«étalon une poutre, dans l’œil
de la fausse mesure du monde». Or, c’est bien elle de Pilate visualise
que regarde le gouverneur Pilate, c’est bien à partir cette idée de l’aveuglement spirituel qui menace toujours celui
de cette idole qu’il établit son jugement erroné sur qui ne prête pas assez attention à Dieu.» On est là bien loin des
le Christ (il tient d’ailleurs la même baguette qu’elle). précédentes lectures politiques du tableau.
74IBeaux Arts
Entre Pilate et le Christ, exactement
Voilà un étrange et magnifique détail, de 35 millimètres
de diamètre seulement, auquel Piero a manifestement
prêté beaucoup d’attention puisqu’il l’a précédé de dessins
préparatoires. En témoigne les traces du spolvero, petits
trous dans le dessin préparatoire servant à souffler le
graphite sur la toile. Un turban d’une blancheur immaculée
porté par un homme placé face au Christ et vu de dos, vêtu
d’un manteau blanc également, «soufflé dans la lumière
comme une capsule d’albâtre», écrivait Roberto Longhi.
Il est en réalité l’homme que regarde Piero (sous les traits
du personnage habillé de brocart), figuré comme un
spectateur, placé à la croisée des choix, à égale distance
entre Pilate et le Christ. Face à lui se trouvent deux portes.
«Entrez par la porte étroite. Large et spacieux est le chemin
qui mène à la perdition, et nombreux ceux qui s’y engagent ;
combien étroite est la porte et resserré le chemin qui
mènent à la vie, et peu nombreux sont ceux qui le trouvent»
(Matthieu 7, 13-14). Or cette porte verrouillée se trouve
justement derrière le Christ, ce qui implique de passer
par lui. Alors que le superbe escalier derrière Pilate ne mène
en réalité nulle part. Tel est le choix offert à l’homme.
Trois personnages
du monde temporel
Dans quel temps doit-on se placer ?
Celui du palais à l’antique du supplice,
où Pilate arbore un curieux chapeau
à la byzantine, ou celui du milieu
du XVe siècle du trio d’hommes ?
Selon Franck Mercier, c’est ce trio
qui donne la clef : leurs décalages
spatiaux et les regards qui
ne se croisent pas ne sont pas dûs
au hasard. Ils figureraient
une savante réexion sur le temps
issue notamment d’une maxime de
saint Augustin : «Je me rassemble en suivant l’Un», signifiant que l’homme serait déchiré entre
le passé, le futur et le présent, trois temps qu’incarne chacun des personnages. «Ces figures
représentent bien l’expérience douloureuse et fracturée du temps humain qui est aussi
le signe de l’éloignement de Dieu.» Une inscription perdue aurait pu confirmer cette hypothèse.
Un certain Johann David Passavant rapporte en 1839 qu’aurait été écrite sur l’œuvre
cette formule, disparue probablement lors d’une restauration : «Convenerunt in unum»
(«Ils se sont rassemblés pour ne faire qu’un»).
EN CONCLUSION
«La Flagellation de Piero della Francesca est donc simultanément
le tableau de l’aveuglement et de la lucidité, de l’erreur et de la vérité,
de la dispersion et de l’unité, car tout reste inscrit dans le réseau
impeccable des lignes et des angles de la perspective.» Franck Mercier
Beaux ArtsI75
RENCONTRE
BELGIUM.
National Road #01.
Near Mechelen, 1988
Le paysage urbain
est au cœur de
la réexion d’Harry
Gruyaert. Routes,
panneaux lumineux,
automobiles,
signalisation…
Il utilise le
vocabulaire de la
ville comme prétexte
pour faire vibrer
les tons et agencer
les formes.
76IBeaux Arts
Les couleurs superlatives
de Harry Gruyaert
Depuis plus de cinquante ans, le photographe belge dessine les contours du monde
en couleurs. De l’Irlande au Maroc, de la Russie aux États-Unis, ce voyageur
insatiable traque le pastel bleu pâle d’un bord de mer, les reets ocre d’un désert
ou les néons rouges d’une ville. Rétrospective aux Pays-Bas.
Beaux Arts I77
RENCONTRE l HARRY GRUYAERT
orsqu’il nous reçoit dans pour mon père la photographie n’était pas très sérieuse, il
BELGIUM. Boom.
Waterloo Battle
Commemoration,
1988
Visages engloutis
et personnages
posés dans l’ombre.
Rouge aussi rouge
que possible, noir
intense et jaune
claquant. Ici,
les objets, qu’ils
soient humains
ou non, s’ordonnent
comme par magie.
Beaux Arts I79
SPAIN. Extremadura. The Picnic, 1998
Familier de la peinture de Bruegel autant
que de celle de Bonnard ou de Matisse,
Gruyaert se sert de l’objectif comme
d’un pinceau, et compose une fresque
vivante et pittoresque, où la lumière
éclaire la fugacité des choses.
RENCONTRE l HARRY GRUYAERT
INDIA. François Hébel, ami de longue date et commissaire de sa leur. Il y voit une source d’aliénation prophétique et tente
Rajasthan, rétrospective en 2015 à la Maison européenne de la photo- de ger, à la manière d’un Nam June Paik, l’essence d’un
Pushkar, 1976
graphie, parlera de cette «spontanéité animale» qui l’ha- quotidien vulgarisé, sans nuance. Pendant plus d’un an, il
Cette photo
est une
bite. Harry Gruyaert a besoin de faire des photos de tout, capture l’écran armé de son appareil photo. «C’était comme
des premières tout le temps. Sans jamais chercher à conceptualiser, ni faire du reportage dans la rue, mais depuis ma chambre.»
qu’il réalise couvrir un sujet. Il se mée d’ailleurs de la presse et de l’exi- En résulte la série TV Shots, qu’il expose chez Delpire deux
en Inde. gence de la double page. Une posture qui lui vaudra les ans plus tard, sous forme d’immenses affiches aux cou-
Il y perdra
tout repère, foudres d’une partie des membres de l’agence Magnum leurs stridentes et au pointillisme assumé.
et dès lors lorsqu’il intègre le prestigieux collectif photojournalistique Le pop art est passé par là, qui a fait du banal un terrain
n’aura de cesse en 1982, mais au sein duquel il nira par trouver sa place. de jeu artistique. Un bouleversement des valeurs qui lui
d’explorer
permettra de se tourner de nouveau vers la Belgique, et
ce pays complexe, «La beauté de la laideur»
qui «impose d’apprécier la «beauté de la laideur» de ce pays où tout lui
une remise Photographe de l’instinct et de l’instant, Gruyaert docu- semblait gris. «J’ai pu y travailler car je n’y vivais plus, j’y
en question mente pourtant malgré lui. En témoigne sa série à l’atmos- étais devenu étranger.» Il y suit le calendrier des fêtes
permanente».
phère saturée du Las Vegas de la n des années 1980, qu’il locales, processions religieuses et carnavals, sources iné-
fait dialoguer avec la palette essoufflée d’une Union sovié- puisables de faciès rugueux et de reflets pittoresques. En
tique chancelante. Précieux document chromatique et noir et blanc au début, la couleur y apparaît au milieu des
sensible d’une époque. «Par accident», insiste-t-il. La seule années 1970 et électrise ce quotidien qu’il avait fui. Il flotte
digression admise dans sa quête de l’esthétique pure aura dans les photos de son pays d’origine, réunies en 2000
lieu à Londres en 1972, lorsqu’il découvre la télévision cou- dans un ouvrage devenu culte, Made in Belgium (éd.
Delpire), un parfum d’enfance oubliée, une cacophonie de
joie et de solitude. Dix-huit ans plus tard, il décide d’in-
MOROCCO.
Erfout, 1986
Au Maroc, le sujet
devient la texture
d’un mur ou
la matière d’un
tissu, et la quête,
celle de
l’imprévu.
Comme ici
avec cet enfant
endormi
qui s’ore à lui,
par accident.
Beaux Arts I83
84IBeaux Arts
JAPAN.
Tokyo. Crossing in the Ginza District, 1996
À l’ombre de ses gratte-ciel, Tokyo abrite
une galaxie urbaine dont l’électricité ne pouvait
qu’attirer l’œil de cet amoureux de la ville.
Au carrefour d’une rue, le ballet chromatique
des parapluies et des voitures rythme un décor
quasi mécanique, qui n’est pas sans rappeler le lm
Playtime, de Jacques Tati.
Beaux ArtsI85
RENCONTRE l HARRY GRUYAERT
86IBeaux Arts
BELGIUM. Ostend. 1988 [détail]
Les rivages n’appartiennent à personne, mais le coloriste belge parvient à capturer l’essence de ces paysages entre ciel et mer,
sublimés par les rayons du soleil qui transpercent des horizons chargés de nuages bas. On y touche la mélancolie des premières heures
comme des derniers feux du jour, au bord du monde.
Rona Pondick
Little Bathers [détail]
Avec son invasion
de bubble-gums voraces,
balles de plastique
pourvues d’effrayants
dentiers prêts à dévorer
le monde, l’artiste
poursuit son exploration
de nos peurs et désirs
troubles.
1990-1991, plastique, 500pièces,
6,4 x 12,1 x 10,2cm chacune.
88IBeaux Arts
Bienvenue
chez les
mangeurs d’art!
Et si dévorer des œuvres rendait sage? C’est ce que pense l’étrange
cohorte des «iconophages», qui, depuis l’Égypte ancienne, ingèrent
de l’art pour s’en approprier la force vitale. Explications sur cette
drôle de superstition dans un essai aussi bizarre que savoureux.
Beaux ArtsI89
LIVRE l LES ICONOPHAGES
CICONTRE
Maître Où il est bien question
de la Bible
des Capucins d’un rapport organique,
Ézéchiel
mangeant
viscéral à la création.
le parchemin
Ézéchiel
mangeant le Livre
pour s’en
approprier
le savoir est
une iconographie
classique
des lettrines
enluminées,
au Moyen Âge.
XIIe siècle,
enluminure.
is-moi ce que tu manges, je te dirai montre tout l’intérêt, révélant, loin des sentiers battus de
«D
CIDESSOUS
Diego del Cruz ce que tu es.» La citation de l’écri- sa discipline, et en flirtant avec d’autres telles que la philo-
Messe de saint
vain gastronome Jean Anthelme sophie, la sémiologie, l’anthropologie ou la médecine, ce
Grégoire [détail]
Elément clé Brillat-Savarin (Physiologie du goût, que l’iconophagie dit du rapport au corps, à l’objet et à l’art,
de l’eucharistie, 1825) prend une saveur particulière des croyances, peurs, pulsions et obsessions.
cette hostie face aux «iconophages» dont parle Jérémie Koering dans Avec Montaigne en guise de mise en bouche – «C’est tou-
estampée
son dernier essai. L’historien de l’art des temps modernes, jours à l’homme que nous avons affaire, duquel la condition
d’une scène
de la Passion actuellement détaché auprès de l’université de Fribourg, est merveilleusement corporelle» (Essais, livreII, 1595) –,
suggère la conte les pratiques étonnantes de ces mangeurs d’images Koering entraîne ses lecteurs dans une histoire sans début
transsubstantation qui eurent la drôle d’idée d’ingérer des œuvres, de les gri- ni n, où il n’est pas question d’évolution, d’un cadre chro-
(transformation
du pain et du vin gnoter par morceau, les avaler tout rond, les dissoudre pour nologique précis ou de grands noms d’artistes, mais bien
en corps et sang les boire ou juste les lécher, les goûter, espérant s’approprier d’un rapport organique, viscéral, à la création. Il s’agit,
du Christ). un peu de leurs forces intrinsèques. Les fonctions de notre explique-t-il, de «sortir les images des livres, des vitrines,
Vers 1490, huile organisme liées à l’ingestion étant jugées viles, indignes, pour les observer en acte», «dans la bigarrure de leurs
et or sur panneau,
116,8 x 70 cm. le sujet avait été jusque-là négligé. Jérémie Koering en usages et des sociétés qui les ont vues naître», et «lever les
verrous épistémologiques qui contribuent à maintenir les
œuvres d’art, et plus largement les images, dans le seul
registre de l’optique». En un mot, s’éloigner de cette
approche trop cartésienne du monde qui nous rassure,
mais bride l’esprit et contraint l’imaginaire.
Beaux ArtsI91
En pénétrant directement
l’organisme, ces images
pieuses donnent l’illusion
d’une union, comme
s’il devenait soudain possible
de partager la sourance
du saint et de recevoir sa
grâce…
Beaux ArtsI93
Pour les plasticiens,
ingurgiter, dévorer
ou mâcher équivaut
encore à une
attitude excessive,
outrancière,
agressive, qui met
d’emblée mal à l’aise.
94IBeaux Arts
Anselmo Fox Zartbitterzart… (Sweetbittersweet) [détail]
Jouant sur l’opposition entre la douceur apaisante d’un morceau de chocolat et la stupeur de perdre une dent gâtée
par le sucre, cette tablette truée de molaires et incisives fait mal rien qu’à la regarder.
2000, barre de chocolat, dents humaines, dim. variables.
Beaux ArtsI95
ÉVÉNEMENT l BICENTENAIRE DE LA MORT DE NAPOLÉON
Napoléon
Art et pouvoir font-ils bon ménage ?
Sous Napoléon Ier, la question ne se pose pas.
Du peintre Gérard aux architectes Percier
et Fontaine, de la manufacture de Sèvres
à celle des Gobelins, tous ont été les artisans
d’un renouveau économique et artistique,
stimulés par un Empereur avide de montrer
au monde la grandeur de la France.
Pavel Pepperstein
Napoléon à Moscou [détail]
Napoléon continue d’interroger
les artistes, comme en témoigne
le peintre russe Pavel Pepperstein,
qui fait entrer la gure de l’Empereur
dans son monde onirique.
2017, huile sur toile, 180 x 180 cm.
96IBeaux Arts
Beaux ArtsI97
ÉVÉNEMENT l BICENTENAIRE DE LA MORT DE NAPOLÉON
« S
auf pour la gloire, sauf pour l’art, il eût
probablement mieux valu que Napo-
léon n’eût pas existé.» Telle est la
conclusion de l’historien Jacques
Bainville (1879-1936) s’interrogeant
sur le sens de l’aventure napoléonienne. À Napoléon sont
associées les images de brillant chef de guerre, d’exception-
nel organisateur ou de bourreau de travail mais guère celle
de mécène éclairé. Le style Empire, longtemps dédaigné
pour la lourdeur de ses proportions et la richesse de ses
décors, ne ferait que traduire son goût de parvenu. Mais
surtout, la plus vive critique se rapporte à son despotisme.
Dès son arrivée au pouvoir comme Premier consul, en 1799,
Bonaparte n’hésite pas à convier les artistes à la mise en
œuvre du nouveau régime. Beaucoup n’y voient que sa
volonté de réduire l’art à un simple outil de propagande.
Qu’en est-il vraiment ? Une chose est certaine, les arts n’ont
pas été laissés de côté par Napoléon qui les englobe dans
son œuvre de réorganisation de la France. Selon lui, ils
doivent servir à l’essor économique du pays, à exprimer un
message politique et à affirmer le prestige de l’Empire. Créa-
tion et artistes se retrouvent donc entraînés dans un projet
qui, peut-être les dépasse, mais en tout cas les stimule.
Louis-Pierre
Baltard
Arc de triomphe
du Carrousel,
côté de la terrasse
des Feuillants
Bâti par Percier
et Fontaine entre
1806 et 1808 pour
célébrer les victoires
napoléoniennes
de 1805, il fut conçu
à l’origine comme
une monumentale
porte d’entrée au
palais des Tuileries.
1815, crayon, encre et lavis,
40,4 x 50,3 cm.
Beaux ArtsI99
ÉVÉNEMENT l BICENTENAIRE DE LA MORT DE NAPOLÉON
100IBeaux Arts
présents nourrie par les luxueuses productions des manu-
factures impériales, en particulier celle de Sèvres. La géné-
Charles Percier et Pierre Fontaine,
rosité du souverain s’exerce lors des cérémonies dynas- les architectes de l’Empereur,
tiques, des visites ponctuelles ou bien en conclusion
d’importantes négociations diplomatiques. Le 7 janvier ont un rôle essentiel dans
1810, juste après son divorce, Napoléon écrit à Joséphine :
«J’ai ordonné que l’on te fasse un très beau service de por-
l’élaboration et la diusion de
celaine. L’on prendra tes ordres pour qu’il soit très beau.» ce qu’il sera convenu de désigner
Elle commande aussitôt à Sèvres la réédition du service à
thé égyptien que l’Empereur avait envoyé au tsar comme comme le style Empire.
cadeau diplomatique. Ces pièces impressionnantes, pri-
sées par les cours et les collectionneurs, contribuent à dif-
fuser le goût et le prestige français dans toute l’Europe.
L’œil de l’Empereur
Cette propagande artistique repose sur une administra-
tion nouvelle, chargée d’orchestrer les prémices de la poli-
tique culturelle. Dominique Vivant Denon, «œil de Napo-
léon», en est le maître. Ancien diplomate de Louis XVI,
membre de l’expédition d’Égypte et grand amateur d’art, il
cumule les fonctions de «directeur général des musées,
directeur de la Monnaie des Médailles, administrateur des
manufactures impériales». Rien ne lui échappe et il exerce
sur les créateurs une inuence considérable, par les choix
iconographiques, la sélection des artistes et les récom-
penses qui leur sont données.
Deux autres personnages se révèlent cruciaux : les archi-
tectes Charles Percier et Pierre Fontaine. Nommé premier
architecte de l’Empire, Fontaine est l’homme des concep-
tions générales et du suivi des chantiers, tandis que Percier
exécute les dessins. Leur rôle est essentiel dans l’élabora-
tion et la diffusion de ce qu’il sera convenu de désigner
comme le style Empire. Attachés à l’harmonie entre l’exté- QQQ
Charles Percier
Athénienne ou lavabo
Dessinée par Percier,
cette athénienne
destinée à l’Empereur
témoigne de l’extrême
raffinement des
productions de
Martin-Guillaume
Biennais, orfèvre
tabletier, fournisseur
officiel de la cour
impériale.
1800-1814, pieds, base
et étagère en bois d’if,
montures en bronze doré.
Beaux ArtsI101
ÉVÉNEMENT l BICENTENAIRE DE LA MORT DE NAPOLÉON
rieur et l’intérieur, ils rédigeront dès 1801 un premier contre 559 en 1812. Outre la rencontre avec le public, le CIDESSUS
recueil de décorations réunissant un nouveau type de Salon offre aux artistes l’occasion de recevoir des com- Louis-François
Lejeune
mobilier et d’objets d’art à l’origine d’un style néoclassique mandes mais surtout la possibilité de voir leur œuvre
La Bataille
amené à dominer l’Europe entière. Dernier homme à exer- reconnue par de hautes distinctions. Le geste de Napoléon des Pyramides,
cer une inuence déterminante dans la constitution de épinglant sa propre croix de la Légion d’honneur sur la poi- 21juillet 1798
l’image officielle : Louis David. Nommé premier peintre de trine d’Antoine-Jean Gros au Salon de 1808 témoigne d’une [détail]
l’Empereur, il est aussi sénateur, officier de la Légion d’hon- période de irt entre les artistes et les décorations. Elle n’en C’est au Salon de
neur, membre de l’Institut. Il règne sur le monde de la pein- est pas moins féconde, chacun cherchant à se surpasser. 1806 que Lejeune
présente cette
ture, entre autres via le prix de Rome. En 1803, le Premier De cette émulation artistique émerge un goût nouveau, toile. La lumière
consul crée au sein de l’Institut une nouvelle classe dite des certes puissant et monumental, mais plus subtil qu’il n’y unissant ciel et
beaux-arts, dont la principale mission est de décerner le paraît et nourri par nombre d’inspirations. désert ainsi que
l’exotisme
fameux prix de Rome, fondé par Louis XIV, concours
L’impératrice Joséphine du site et de sa
réservé aux hommes de moins de 30 ans déjà admis à végétation
l’École des beaux-arts. L’enjeu de ce prix touche à la forma- et ses collections folles annoncent les
tion des artistes alors que le Salon permet un contrôle de Contrairement aux idées reçues, opposant bien souvent grandes heures
de l’orientalisme.
la production. Hérité de la monarchie, cet événement est le XVIIIe siècle et le style Empire, les artistes, pour la plu-
1806, huile sur toile,
devenu accessible au public et gratuit avec la Révolution. part nés et formés sous l’Ancien Régime, adaptent aux nou- 180 x 258 cm.
Un jury d’admission, présidé par le directeur des musées, velles commandes les motifs, les sujets ou les formes d’une
choisit les œuvres à exposer. Le succès du Salon est consi- époque révolue. Le paysage, profondément ancré dans la
dérable, tant par le nombre de visiteurs que par celui des tradition classique, reste très présent. Joséphine, grande
artistes présentés, qui ne cesse d’augmenter : 240 en 1799 collectionneuse, maîtresse des arts de l’Empire, maintient QQQ
102 I Beaux Arts
La campagne d’Égypte
de Bonaparte favorise
la redécouverte de l’Orient
méditerranéen. Les scènes
de bataille commémoratives
ouvrent la voie à une peinture
lumineuse et colorée.
Beaux ArtsI103
Parmi les égéries de l’époque, Madame Récamier s’habille
à la grecque et se meuble à la manière étrusque.
la mode du végétal. Amoureuse des plantes et des serres, «troubadour», Valentine de Milan pleurant la mort de son PAGE DE GAUCHE
l’impératrice relance l’art des jardins. La veine florale époux, au Salon de 1802. Le sujet de l’œuvre lui serait François Gérard
Portrait
demeure une grande source d’inspiration pour les décors apparu devant le tombeau de cette dernière conservé au
de Juliette
textiles et la porcelaine. Remise au goût du jour lors des musée des Monuments français. Récamier
fouilles archéologiques d’Herculanum et de Pompéi au Événement plus récent, la campagne d’Égypte de Bona- Gérard représente
milieu du XVIIIe siècle, l’Antiquité s’avère la source d’ins- parte favorise la redécouverte de l’Orient méditerranéen. Juliette Récamier
piration privilégiée des artistes et le fondement même de Les scènes de bataille commémoratives ouvrent la voie à sur une chaise
étrusque, habillée
leur formation académique. À partir de 1804, elle permet une peinture lumineuse et colorée si bien illustrée par Gros «à la grecque»,
en outre de justier qu’un empereur se substitue à une dans la Bataille d’Aboukir présentée au Salon de 1806. Le dans une salle de
République. Le goût antiquisant envahit tous les domaines répertoire ornemental égyptien prend une grande impor- bains à l’antique,
des arts, aussi bien par les formes que par les décors, et tance dans les arts décoratifs : il est transposé dans le mobi- décor signicatif
pour cette icône
touche même le vêtement. Parmi les égéries de l’époque, lier, dans les bronzes d’ameublement de Thomire et dans et muse des arts
Madame Récamier s’habille à la grecque et se meuble à la la porcelaine de Sèvres. de son temps.
manière étrusque. 1802-1805, huile sur
Autre inspiration : le gothique, ou la peinture de style L’art au service de la gloire toile, 257 x 183 cm.
troubadour. L’engouement pour le passé médiéval connaît Ces différentes influences du passé n’excluent pas l’ir-
une vogue nouvelle encouragée par Joséphine. Elle est la ruption du présent, selon la volonté de l’Empereur. «Mon
première à collectionner des tableaux du genre. Certains intention est de tourner spécialement les arts vers des
peintres, soucieux de soustraire leur art aux vicissitudes sujets qui tendraient à perpétuer le souvenir de ce qui s’est
du présent, se tournent vers un Moyen Âge imaginaire, fait depuis quinze ans», écrit-il à Pierre Daru, intendant de
privilégiant les scènes chevaleresques, intimes et senti- la liste civile, dès août 1805. Peintres et sculpteurs sont ainsi
mentales. Fleury Richard expose son premier tableau conviés à donner forme aux hauts faits du nouveau régime : QQQ
Beaux ArtsI105
ÉVÉNEMENT l BICENTENAIRE DE LA MORT DE NAPOLÉON
106IBeaux Arts
CIDESSUS
Jean-Baptiste Mauzaisse
Napoléon Ier couronné par le temps
écrit le Code civil
Cette allégorie de Mauzaisse appartient
au culte napoléonien. L’artiste entend souligner
que l’Empereur et son œuvre ne seront point
oubliés dans le temps.
1833, huile sur toile, 131 x 160 cm.
Beaux Arts I107
À GAUCHE
François Gérard
Marie-Louise
impératrice
des Français
et le roi de Rome
Surnommé par ses
contemporains
«le peintre des rois
et le roi des
peintres», Gérard
fut le portraitiste
attitré de
Napoléon, de la
famille impériale
et des grands
dignitaires du
Premier Empire.
1813, huile sur toile,
240 x 162 cm.
PAGE DE DROITE
Denzil O. Ibbetson
Napoléon
sur son lit de mort
Commissaire
en charge des
approvisionnements
de Sainte-Hélène,
Ibbetson réalise
quelques croquis
de l’Empereur défunt
le lendemain de
sa mort, à l’origine
de ce tableau
«reliquaire».
1821, huile sur toile,
39 x 51 cm.
Dans le mobilier, le souci de somptuosité amène à créer amènent à la création de meubles pliants. Politique et créa-
des lignes nouvelles, parfois imposantes et massives, par- tion sont étroitement liés. Le blocus continental institué
fois audacieuses par leur modernité. Si l’acajou prédo- en 1806 incite les ébénistes à utiliser de nouveaux maté-
mine, il est rehaussé d’une riche ornementation de bronze riaux, bois indigènes et clairs, d’usage courant sous la Res-
doré ou conjugué à des tissus aux coloris francs et dyna- tauration. Dans le domaine des arts, comme dans beau-
miques. De nouveaux meubles bouleversent les usages de coup d’autres, Napoléon a fait preuve d’un volontarisme
la vie quotidienne et répondent à une recherche de confort hors du commun, qui se reète chez les artistes par une
tandis que d’autres répondent à la fonctionnalité – pom- esthétique faite de sentiments, de goût du colossal et de
mier (entre fauteuil et canapé), siège gondole, lavabo… Les la puissance qui fait de l’Empire un moment décisif de
inventions réalisées pour les campagnes militaires l’histoire de l’art. n
108IBeaux Arts
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Les Goûts de Napoléon
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Beaux ArtsI109
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Cours d’été
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DU 21 JUIN AU 30 JUILLET 2021
À la découverte du Bode Museum de Berlin : fragments d’histoires Neville Rowley
Tables du pouvoir Michèle Bimbenet-Privat, Hélène Bouillon, Alexandre Estaquet, Soazig Guilmin, Zeev Gourarier
Irrésistible Matisse Victor Claass
Giotto : l’invention d’un nouveau langage artistique Thomas Bohl
À la découverte du Louvre Abu Dhabi Souraya Noujaim
Artistes et folkloristes, une histoire croisée Marie-Charlotte Calafat, Jean-Marie Gallais
Dans l’atelier : les marbres d’Auguste Rodin Chloé Ariot
Versailles: palace of marble (cours en anglais) Sophie Mouquin
La fabrique de l’Afrique Gaëlle Beaujan, Alexandre Girard-Muscagorry, Sarah Ligner
Luxes Olivier Gabet, Cloé Pitiot
Costumes à la ville comme à la scène, de la Renaissance aux Lumières Mickaël Bouffard
De la parure de Cour à la Joaillerie parisienne : une histoire du bijou Sophie Motsch, Julie Rohou
Picasso, baigneurs et baigneuses Sylvie Ramond
À la découverte de la Frick Collection (New York) : un collectionneur, un lieu, une collection Marie-Laure Buku Pongo
L’amour et son imagerie au XVIIIe siècle Guillaume Faroult, Giulia Longo, Amandine Rabier
Les Olmèques et les cultures du Golfe du Mexique Steve Bourget
L’attrape-rêves : une histoire du pictorialisme Julien Faure Conorton
Artistes, commanditaires, marché. Créer au Moyen Âge, une histoire collective Camille Broucke, Blandine Landau
« Le Grand atelier d’Italie ». L’art à Florence aux XVe et XVIe siècles Matteo Gianeselli
INSCRIPTIONS EN LIGNE
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CHAQUE SÉRIE PROPOSE 5 COURS DE 1H30
N O 443 Mai 2021
MUSÉES
& CENTRES D’ART
112
Quoi de neuf?
114
Le Quai Branly
encapsule la collection
d’un généreux mécène!
L’ENFANCE DE L’ART
118
En mai, lis ce qu’il te plaît
Pour ouvrir
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de porte-èches,
collecté entre
1913 et 1918
en actuelle RDC.
Beaux ArtsI111
L’ACTUALITÉ DES MUSÉES & CENTRES D’ART
Quoi de neuf?
1 La fondation Custodia
se refait une beauté
Créée en 1947 à Paris, près du Palais Bourbon, par le
Néerlandais Frits Lugt (1884-1970) et son épouse Jacoba
Lugt-Klever pour y abriter leur collection d’art ancien, la
fondation Custodia poursuit sa mue, sous la houlette de son
directeur Ger Luijten. Cette année, c’est au tour de la cour
pavée et de la façade de l’hôtel Lévis Mirepoix de retrouver
tout leur éclat. Un chantier au long cours entrepris il y a
dix ans avec la rénovation des espaces intérieurs de l’hôtel
Turgot, complétée par l’agrandissement de la bibliothèque
d’histoire de l’art et l’embellissement de la salle d’exposition
du premier étage de l’hôtel Lévis Mirepoix. Cette valorisation
du patrimoine concerne aussi les collections: la fondation
s’attelle ainsi depuis 2017 à la restauration d’une soixantaine
d’albums de dessins anciens, allant du XVe au XVIIIe siècle.
fondationcustodia.fr
Un écrin datant des années 1950, rénové par l’architecte Charles Zana.
112IBeaux Arts
par Françoise-Aline Blain
4
La maison natale des frères Champollion, en 2004.
aussi peau neuve. Cette nouvelle
Un nouveau musée présentation d’une cinquantaine
d’œuvres, de 1934 à 2019, permet,
Champollion selon le directeur Benoît Decron,
L’ouverture de la maison natale des frères Champollion «de faire évoluer le musée avec
à Vif (Isère), récemment classée musée de France, est annoncée un bel ensemble d’Outrenoirs
pour le 29 mai, au terme d’une restauration longue (cinq ans) et de rendre compte de l’énergie
et coûteuse (6,3 M€). En plus d’une exposition temporaire, une collection créatrice de l’artiste».
permanente sera entièrement consacrée à l’œuvre et au parcours musee-soulages-rodez.fr
de l’égyptologue Jean-François Champollion, et de son frère aîné,
l’archéologue Jacques-Joseph Champollion-Figeac. L’ensemble sera
Deux Outrenoirs
complété par des dépôts de musées nationaux, dont celui de la Marine. du peintre aveyronnais
Le Louvre, dont Jean-François Champollion fut le premier directeur récemment entrés
du département des antiquités égyptiennes, accordera de son côté par donation au musée
un «prêt exceptionnel» de 82 antiquités. musees.isere.fr Soulages de Rodez.
Elles étaient dans un état critique, servant de bancs, de poubelles et même de «supports pour des
7
Le Rhône et la Saône inscriptions». Deux statues des frères Coustou ont quitté la place Bellecour, à Lyon, pour être transférées
ne reviendront pas dénitivement au musée des Beaux-Arts de la ville. Les deux bronzes représentant le Rhône et la Saône
place Bellecour étaient les dernières œuvres datant du début du XVIIIe siècle à être encore exposées à l’air libre en France.
À l’issue de leur restauration, à l’automne, elles seront visibles au sein du musée. C’est en 1714 que les deux
allégories furent commandées aux frères lyonnais Nicolas et Guillaume Coustou, membres de l’Académie
royale de peinture et de sculpture, ayant
DE GAUCHE À DROITE
participé aux travaux de décoration
Guillaume Coustou Le Rhône, 1719
Nicolas Coustou La Saône, 1719
des châteaux de Versailles et de Marly.
mba-lyon.fr
Beaux ArtsI113
MUSÉES
MUSÉES l l EXPOSITIONS
EXPOSITIONS
LE MUSÉE DU MOIS
Véritable prouesse
technique, les
vitrines conçues
par Jean Nouvel
abritent 36 pièces
prestigieuses
oertes au musée
par l’homme
d’aaires et
collectionneur
français Marc
Ladreit de
Lacharrière.
114IBeaux Arts
ou Luluwa, le masque anthropomorphe Dan
(XIXe siècle, Côte d’Ivoire) issu de la collection
Paul Guillaume – le célèbre marchand d’art moderne
fut l’un des premiers à exposer l’art africain –
et un gardien de reliquaire (XIXe siècle), témoin
du grand style classique Fang… Conformément aux
clauses de la donation, toutes ces pièces n’ont pas
rejoint l’ensemble du parcours permanent (ce que
l’on est en droit de regretter) mais sont désormais
magniées dans un espace solennel, bercées par
un éclairage tamisé conçu pour respecter les règles
drastiques de conservation tout en participant
à la mise en scène spectaculaire.
Beaux ArtsI115
Communiqué
« A
frique». Continent aux les deux artistes s’intéressent aux foules dont cune de leurs gures est une synecdoque qui
54 pays et terre natale du personne ne parle, tout en cherchant à remon- vaut pour le tout, une silhouette exprimant une
sculpteur Ndary Lo. Mais ter là où tout a commencé. «L’Afrique n’est-elle origine ou des valeurs communes, en dehors de
aussi titre d’une œuvre pas le point de départ de l’humanité, des pre- tout contexte historique et de tout dogmatisme.
qui s’est imposée à mières migrations encore et toujours ?» s’inter- En témoigne cet homme les bras en croix de
Sybille Friedel «comme roge Sybille Friedel. Étirée et lliforme, cha- Ndary Lo, évoquant la gure christique alors
une nécessité». «Avec mon obsession des pay-
sages, je vois les arbres se transformer en per-
sonnages, des foules se mettent à surgir, je suis
prise dans un cycle de gigantesques délés
humains en marche», dit la peintre, sculptrice
CIDESSUS ET CICONTRE
et calligraphe. À Carpentras, la rencontre de ces
Dans le chœur
deux univers paraît une évidence tant les deux de la chapelle, une partie
artistes s’attachent à représenter les «trajec- de Muraille verte de
toires» d’une humanité prête à se libérer, à se Ndary Lo (prêt de la
Fondation Blachère)
mettre en marche pour se redresser et s’affirmer, dialogue avec Les Migrants,
se révolter et agir. «Mon travail suppose de plus Afrique et l’installation
Têtes calligraphiques
en plus d’engagement, revendiquait le sculp- de Sybille Friedel.
teur sénégalais, disparu en 2017, à l’âge de
56 ans. J’ai envie de servir la société. Je fais de
la résistance à la fois en tant qu’artiste et indi-
vidu.» Loin de dresser une galerie de portraits,
Au premier plan: Ndary Lo, L’Envol,
fer à béton, 300 x 180 cm.
Au mur: Sybille Friedel, Migrants,
encre de Chine sur papier de riz, 120 x 180 cm.
Sybille Friedel, Les Migrants 6, encre de Chine sur papier de riz, 130 x 290 cm [détail].
que lui-même était musulman. Réunies, ces hybrides, mi-humaines, mi-végétales, qu’il bap-
œuvres forment des écritures dynamiques, sur tise Muraille verte. C’est une référence directe à
papier de riz ou à travers le métal, qui se font un projet lancé en 2007 qui consistait à dresser
Sybille Friedel, Les Migrants 11,
superbement écho dans l’espace de la chapelle une muraille d’arbres de Dakar à Djibouti, pour encre de Chine sur papier de riz, 120 x 70 cm.
du Collège de Carpentras. empêcher l’avancée du désert. Pour lui, «un
arbre est fait d’un entrelacement de corps
Forêts de sihouettes humains, les bras au ciel», implorant une divi-
L’exposition «Trajectoires»
Des milliers d’hommes peuplent les paysages- nité, une force supérieure, l’esprit de la nature. En attendant que l’exposition ouvre ses portes
palimpsestes de Sybille Friedel. «De cette masse Ainsi les deux poétiques entrent-elles en dia- au public (dès que les conditions sanitaires
de forêts humaines, j’ai la sensation de peindre logue, autour de l’intemporalité de ces migra- l’autoriseront), une vidéo est accessible sur:
l’eau, les nuages, le ottement de l’air», décrit- tions et célèbrent dans l’architecture monu- https://vimeo.com/532285202/dc7ad54cda
elle. Entre statuaire étrusque et sénoufo, Ndary mentale et lumineuse de la chapelle un élan Chapelle du Collège • 21, rue du Collège • 84200 Carpentras
Lo compose, lui, une forêt de silhouettes spirituel universel. Pour en savoir plus: 06 80 96 97 63 • sybillefriedel.net
L’ENFANCE DE L’ART Par Malika Bauwens
P
Comment parler d’art aux enfants ?
En suivant l’alphabet imaginaire de l’artiste
SamSam (depuis 2000) et de Comme aux adultes, mais simplement.
– un daltonien qui, enfant, souffrait de
la petite sorcière Zouk (depuis 2016), Du moins, c’est la recette que j’ai toujours dyslexie ! – les lecteurs découvrent, via
Serge Bloch est un illustrateur reconnu cherché à appliquer dans mes livres. un QR code à flasher, des œuvres en action.
à travers le monde et multi-récompensé. C’est également ce que j’ai retenu de mes Ils passent aussi à la pratique à travers
Que ce soit à Paris ou à New York, il partage années de directeur artistique de journaux des jeux conçus par ce grand cinétique dont
son activité entre publications jeunesse, pour la jeunesse. Le dessin est un langage, le musée célèbre les 60 ans de carrière !
dessins de presse, expositions personnelles un vocabulaire que l’on peut partager.
et créations publicitaires. Il signe Cela me fait penser à Un monsieur tout
aujourd’hui un réjouissant album qui esquinté [éd. United Dead Artist], un livre
invite les jeunes lecteurs à découvrir extraordinaire que Roland Topor a réalisé
30 chefs-d’œuvre du Centre Pompidou. en 1972 en enrichissant les dessins de
son ls Nicolas, alors âgé de 5 ans. Le trait
Vous avez illustré au moins une des enfants est d’une grande liberté !
centaine de livres pour la jeunesse,
mais cette plongée au cœur Avec la pandémie, la période est parfois Forever Play
du musée national d’Art moderne ne dicile pour eux : des astuces ? par Asdrúbal Colmenárez • coéd. Skira / Musée
serait-elle pas une première ? L’une des armes reste l’humour, mais ce en Herbe • 80 p. et 1 planche d’autocollants • 15 €
> Dès 3 ans
Évidemment en tant que Parisien, je suis n’est pas toujours évident. Si j’arrive à faire
familier du Centre Pompidou – d’ailleurs, sourire avec un dessin, c’est déjà bien.
Il y a un truc social avec les blagues. Rire WHO’S THAT GUY?
mon atelier n’est pas loin ! Son architecture
déglinguée m’a toujours fasciné. De est une liberté, il faut en proter à fond ! Joue-la comme Banksy
nombreuses expositions m’ont marqué,
Son identité reste un mystère, il graffe sur
surtout dans le domaine de la photographie
les murs et… s’en che ! Forcément, Banksy,
ou de la peinture – je songe notamment artiste pas comme les autres, pique la
à celle consacrée à David Hockney. curiosité des enfants. La plume et les dessins
Dans mon panthéon personnel d’artistes pleins de fantaisie de Fausto Gilberti retracent
gure aussi Paul Klee : son rapport à la la carrière du plus illustre des anonymes,
modestie et à la légèreté force l’admiration. de ses fameux pochoirs à son œuvre
Alors, quand on m’a proposé ce livre autour autodétruite sitôt le marteau des ventes
des collections du Centre Pompidou, aux enchères tombé. Avec un beau message :
je n’ai pas hésité ! On y passe de la peinture osez être différent !
Les Chercheurs d’art par Alice Harman (texte)
aux installations, de Marcel Duchamp et Serge Bloch (dessin) • éd. Centre Pompidou
à Sheila Hicks… 96 p. • 14,90 € > À partir de 10 ans
COCORICO
118IBeaux Arts
jusqu’au 27 juin 2021
PEINTRES ET SCULPTRICES
1880 - 1940
VISITE VIRTUELLE SUR
monastere-de-brou.fr Exposition réalisée en partenariat avec
le musée des Beaux-Arts de Limoges.
Suzanne Valadon (1865-1938), La Chambre bleue, 1923, MNAM-
Centre Pompidou, Paris, en dépôt au musée des Beaux-Arts
de Limoges © Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP.
L’avis implique un marché public. Noms des membres du Jury sélectionnés Le nombre de candidats admis à concourir est de 3 maximum par station.
Principale(s) activité(s) de l’entité adjudicatrice : Services de chemin de fer urbains, de 1.Les membres du jury sont précisés dans le règlement de concours. Chaque station donnera lieu à la conclusion d’un marché.
tramway ou d’autobus ; Le règlement de concours et le programme de concours sont librement télé-
Le marché ne fait pas l’objet d’une procédure conjointe. Critères d’évaluation des projets chargeables à l’adresse http://tisseo.marches-publics.info/
La transmission dématérialisée est effectuée via le profil d’acheteur suivant :
Objet : Œuvres d’art 3ème ligne 1.la qualité esthétique de l’œuvre http://tisseo.marches-publics.info
Stations Montaudran Piste des Géants Gare et Toulouse Lautrec 2.la prise en compte des éléments de programme du concours Le Tribunal Administratif peut également être saisi par L’application informa-
Référence : OASV2021 3.la faisabilité du projet au regard des objectifs et des contraintes du maître d’ouvrage tique Télérecours, accessible par le lien: http://www.telerecours.fr
Type de marché : Services 4.le coût de la prestation intellectuelle et le coût estimé de la réalisation de l’œuvre
Mode : Concours restreint
Ce concours est couvert par : la directive 2014/25/EU Renseignements / Correspondre avec l’Acheteur Fonds
Code NUTS : FRJ23
DESCRIPTION : A l’instar des stations des lignes A et B, il est prévu de doter Le marché s’inscrit dans un projet/programme financé par des fonds commu-
les 22 stations de la 3ème ligne de métro et de la connexion ligne B d’œuvres d’art Candidatures nautaires : Non
contemporain. La démarche de conception intégrera les problématiques relatives Adresse à laquelle des renseignements complémentaires peuvent être obtenus
à la maintenance de l’œuvre dans l’objectif d’assurer la pérennité de l’œuvre et de Remise des candidatures le 17/05/21 à 12h00 au plus tard. Tisséo Collectivités (Syndicat Mixte des Transports en Commun de l’agglomé-
maîtriser les coûts de maintenance et de conservation. Date d’envoi des invitations à soumissionner ou à participer aux candidats sélection- ration toulousaine)
Suite au premier concours, aucun lauréat n’a été désigné pour les stations Toulouse nés : 14/06/21
Lautrec et Montaudran Piste des Géants Gare. La procédure de concours porte sur Langues pouvant être utilisées dans l’offre ou la candidature : français. Direction Achats et Commande publique
les prestations intellectuelles de conception et de suivi de réalisation des œuvres d’art Dépôt > Déposer un Pli dématérialisé 7, esplanade Compans Caffarelli
de ces 2 stations. BP 11120 31011 Toulouse Cedex 06
Code CPV principal : 92311000 - Oeuvres d’art Tél : 05 67 77 80 61 - Fax : 05 67 77 80 16
Forme : Division en lots : Non [email protected]
Renseignements complémentaires
Les dépôts de plis doivent être impérativement remis par voie dématérialisée.
Conditions de participation Aucune transmission papier n’est autorisée. Recours
Il est précisé qu’il s’agit d’une remise de candidature uniquement (phase candidature),
Justifications à produire quant aux qualités et capacités du candidat : aucun dossier de consultation n’est disponible à ce stade de la procédure, si ce n’est Instance chargée des procédures de recours :
Critères de sélection des candidatures : le règlement de concours et le programme de concours. Tribunal administratif de Toulouse
• Le professionnalisme du candidat Les candidats doivent remettre les renseignements et les documents suivants: 68, rue Raymond IV
• L’expérience du candidat - Formulaire DC1 Lettre de candidature BP 7007 31068 Toulouse Cedex 07
• L’adéquation de la démarche du candidat avec l’objet de la procédure de - Formulaire DC2 Déclaration du candidat Tél : 05 62 73 57 57 - Fax : 05 62 73 57 40
concours - Dossier artistique comprenant l’identité, l’adresse, l’adresse électronique, le numéro greffe.ta[email protected]
Les critères de sélection sont précisés dans le Règlement de Concours. de téléphone portable ainsi que le curriculum vitae du ou des artiste(s),un dossier Précisions concernant le(s) délai(s) d’introduction des recours :
Limites concernant le nombre d’opérateurs invités à soumissionner ou à participer de présentation de l’artiste qui comportera visuels, textes et catalogues d’exposition Toute décision pourra faire l’objet d’un recours :
Nombre d’opérateurs envisagé : 6 permettant la bonne compréhension du travail et de la démarche, si possible, une liste - conformément aux dispositions de l’article R.421-1 du Code de la justice
illustrée de références présentant des projets similaires, en particulier des oeuvres administrative dans un délai de deux mois à compter de la notification de la
d’art conçues dans des espaces publics précisant la nature, les matériaux mis en décision d’attribution ou de rejet
oeuvre, la date, la localisation, le coût, le type de mission effectué et le nom du maître - conformément aux dispositions de l’article L.551-5 du Code de la justice
Récompenses et jury d’ouvrage, une note succincte précisant les compétences établies en adéquation avec administrative avant la conclusion du contrat (référé pré contractuel pouvant
l’objet du concours être introduit depuis le début de la procédure de passation jusqu’à la signature
Une ou des prime(s) sera/seront attribuée(s) : Oui Les formulaires DC1 et DC2 sont disponibles auprès du Ministère de l’économie et du contrat)
Le Maître d’ouvrage propose une indemnisation d’un montant de 4 000,00€ H.T. des finances ou sur le site du MINEFE: http://www.economie.gouv.fr/daj/formulaires- - conformément aux dispositions de l’article L.551-13 du Code de la justice
pour chaque candidat retenu remettant un projet complet et conforme au règlement declaration-candidat. administrative, après la conclusion du contrat
de concours. Cette indemnisation constitue une avance sur rémunération pour le La présente procédure de concours est ouverte aux artistes ou groupements - conformément aux dispositions de l’article L.521-1 du Code de la justice
candidat retenu. d’artistes. Si un groupement est lauréat d’un concours il devra revêtir la forme juridique administrative, dans un délai de deux mois à compter de la publication de l’avis
Contrat faisant suite au concours de «groupement solidaire». S’il s’agit d’un groupement, sa composition ne pourra être d’attribution.
Le lauréat ou l’un des lauréat du concours devra/devront être attributaires(s) des modifiée ultérieurement. Le groupement de deux artistes est interdit postérieurement à
contrats de services faisant suite au concours : Oui la sélection des candidats. Envoi le 12 avril 2021 à la publication
La décision du jury est contraignante pour le pouvoir adjudicateur/l’entité adjudicatrice
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The Time Keeper, 2021, acrylique sur toile, 185 x 280 cm
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SALONS, ETC.
Se réinventer
A
vec la crise sanitaire, les secteurs culturels et événementiels se sont retrouvés parmi
les plus fragilisés. Dans le monde des foires, salons, biennales et festivals, nous nous
souviendrons de 2020 comme de l’année de l’avalanche de reports et d’annulations.
«La cinquième édition physique d’AKAA [foire d’art contemporain axée sur l’Afrique], pourtant
122
ELLE FAIT L’ACTU
repensée pour faire face à la pandémie, n’y a pas échappé. Alors il nous a paru essentiel Françoise Pétrovitch,
de faire preuve de créativité et d’adaptation», lance sa directrice et fondatrice, Victoria Mann. entre lavis et la vie
An de ne pas être absents pendant deux ans sur le marché de l’art et d’entretenir le lien
123
entre les galeries et les collectionneurs, les organisateurs ont «imaginé un nouveau format
qui s’adapte à la situation et qui devient complémentaire à la foire AKAA à Paris, laquelle
ouvrira ses portes du 11 au 14 novembre prochain pour sa 6e édition».
LA TRIBUNE
La foire Also Known as Africa (AKAA) se dédouble à Lyon D’OLIVIER WALTMAN
En collaboration avec Manifesta Lyon (espace privé d’exposition), AKAA propose une Et si l’herbe n’était pas
exposition-vente à laquelle participent des artistes dont le travail répond à une thématique plus verte ailleurs?
curatoriale, «Imaginaires émancipés», développée par Armelle Dakouo, directrice artistique
d’AKAA : «Les treize artistes réunis dans cette exposition contribuent à déconstruire
un imaginaire qui persiste sur le continent africain et dans ses relations au monde.
Ils nous donneront à appréhender une autre vision de notre société an d’ouvrir le champ
des représentations et des perceptions. Il s’agira de recentrer les points de vue sur des réalités
124
SALON MENART FAIR
sociales, culturelles ou historiques qui ne nous sont pas contées.» Ouverte au public du Un nouvel œil sur la planète
28 mai au 16 juillet, cette exposition commerciale permettra d’accueillir sur la durée
collectionneurs, institutions et professionnels, en petits groupes ou de manière individuelle,
et d’organiser des événements en comité restreint. Il est proposé par ailleurs aux artistes
participants et à leurs galeries une formule clés en main : l’équipe AKAA, en collaboration
126
BIENTÔT SOUS LE MARTEAU
avec celle de Manifesta, assure la scénographie, l’accrochage, la communication et les ventes Les ventes à ne pas manquer
pendant toute la durée de l’exposition. Pour Victoria Mann, «cette proposition permet
127
ainsi de contourner la question de la mobilité internationale, obstacle auquel font face
de nombreuses structures aujourd’hui, et de ne pas imposer aux participants locaux une
obligation de présence continue. C’est un format pensé pour à la fois minimiser la prise
de risque et maximiser le succès commercial de tous les exposants impliqués, tout en proposant ADJUGÉ!
une expérience de visite confortable et privilégiée à nos visiteurs». akaafair.com 3 enchères fraîches
Beaux ArtsI121
POLITIQUE CULTURELLE l LES ACTEURS
lle sait «distiller jusqu’au cœur C’est dès lors leur mutisme qui nous
Jeanne Brun
Elle a débuté au musée
d’Art moderne et contemporain
de Saint-Étienne Métropole
E ou à l’âme des choses et des
êtres»… Ainsi le conservateur
Marc Donnadieu décrit-il l’artiste.
attire, ces larmes d’aquarelle, comme
une radiation de souffrances cachées,
qui vont jusqu’à menacer la texture
(2008-2014) avant de rejoindre Cette qualité rare aurait pu à elle seule même du papier. Un regard qui
la direction du fonds d’art contemporain expliquer qu’elle remporte en ce début toujours nous échappe et que jamais
– Paris Collections, puis celle du musée d’année le 14e Prix de dessin de la le dessin ne cerne ni n’enferme.
Zadkine depuis 2020. Elle a été nommée fondation Daniel & Florence Guerlain. C’est par la couleur seule que Françoise
directrice du développement culturel
À 57 ans, Françoise Pétrovitch s’est Pétrovitch le fait naître : «Je travaille
à la Bibliothèque nationale de France.
affirmée comme l’une des dessinatrices “avec” les aventures de l’encre,
les plus ensorcelantes, de ses micro- pas “contre”, comme dans le cas de
Alexandra McIntosh
Directrice depuis 2015 du Fogo livres à ses aquarelles XXL. Elle l’a dit la gravure.» Formée aux arts appliqués,
Island Arts (FIA), organisme souvent, c’est au moment où elle l’artiste pousse à leur paroxysme
international dédié à l’art les réalise qu’elle aime le mieux ses les techniques dont elle s’empare :
contemporain sur l’île de Fogo œuvres. Le destin qui les emporte aquarelle, lavis à l’encre, peinture,
(Terre-Neuve, Canada), elle prendra la tête loin de l’atelier ne lui importe guère. céramique… Elle s’efforce d’effacer
du Centre international d’art et du paysage
Elle n’en est pas moins ravie de les voir la frontière qui nous séparerait des
de l’île de Vassivière le 21 juin. Elle succède
à Marianne Lanavère, en poste depuis 2012. accrochées bientôt au Fonds Hélène créatures qu’elle engendre. Des
& Édouard Leclerc de Landerneau, animaux parfois hybrides, des insectes
puis à la Bibliothèque nationale plus récemment, et le plus souvent
Joëlle Arches de France en 2022. Deux expositions des enfants, revenus de loin.
Spécialiste d’archéologie repoussées pour cause de Covid, mais
et de préhistoire, elle deviendra Sur les traces de Marco Polo
dont la perspective lui a permis de tenir
conservatrice des musées de
Castres (Tarn) et directrice du musée pendant ce temps en suspension. Depuis quelques années, elle élargit
Goya à compter du 1er juillet prochain. «Dessiner, c’est une façon d’être dans son territoire : ses silhouettes taille
Elle a dirigé le musée de l’Aurignacien le moment avec ce que l’on a à dire» : monstre ont enchanté l’an passé
(Haute-Garonne) de 2014 à 2019. tel est son motto. D’où l’intense la Galerie des enfants du Centre
présence des personnages qui hantent Pompidou ; elles ont voyagé aussi sur
Ariane Thomas son œuvre. Qui sont-ils ? les traces de Marco Polo à l’occasion
Docteure en histoire de l’art Impossible de le savoir, ils de la mise en scène à Rouen d’un opéra
1964 Naissance à Paris.
et archéologie, diplômée sont visages et non portraits, d’Arthur Lavandier. Quelques années
1997 Premier solo show
de la Sorbonne, de l’École du Louvre la quintessence d’un être si plus tôt, c’était au musée de la Chasse
à la galerie Polaris.
et de l’Institut national du patrimoine,
2008 Expose perdu dans ses pensées qu’il et de la Nature qu’elles s’étaient glissées.
la conservatrice prend les rênes
du département des Antiquités orientales au musée d’Art moderne nous devient inaccessible. «Dès que j’atteins un semblant de
et contemporain Mais alors, à quoi tient maîtrise vient l’envie de tester de
du musée du Louvre, pour une période de Saint-Étienne.
de trois ans renouvelable. l’émotion qu’ils provoquent nouvelles choses, de retrouver une
2012 Commence
à travailler avec
dès le premier regard ? À ce position de débutante», reconnaît-elle.
la galerie Semiose. voile, sans doute, dont l’artiste En gardant toujours néanmoins
122IBeaux Arts
L’œil des collectionneurs
MARCHÉ l LES ACTEURS
Jean-Pierre Rousseau
La tribune de… & Pascale Rousseau-
Dewambrechies
Olivier Waltman Chef d’entreprise en négoce de vin
& présidente de Comité Bordeaux Atlantique
«
Galeriste à Paris et Miami (Fondation de France Sud-Ouest) et romancière
C
haque année, début décembre, le monde de l’art contemporain se retrouve mes sœurs et moi,
à Miami pour Art Basel et sa kyrielle de foires satellites, la fameuse «Basel Week» visiter les musées
des villes que nous
comme on dit là-bas. À cette époque également, les acteurs du marché guettent
traversions dans
dans la presse les annonces de transferts d’artistes entre galeries. Très gros buzz qui alimente la caravane familiale.
les conversations dans les allées des foires comme dans les soirées courues de la puissante P. R.-D.: Je me suis assez tardivement
cité floridienne. L’inépuisable question de la délité entre artiste et galerie ! On nit initiée à l’art. Jeune, j’étais plutôt sensible
généralement par convoquer les antiennes traditionnelles : les artistes, s’ils veulent franchir au spectacle vivant et au cinéma.
des paliers dans leur carrière, ne restent guère plus de cinq ans avec une galerie ; ils vont Mais quand j’ai commencé à vivre avec
volontiers vers celles qui leur apporteront une meilleure visibilité, participent à plus de Jean-Pierre, visiter des foires, des musées
et des galeries est devenu une pratique
foires reconnues, garantissent des publications.
courante. Aujourd’hui, nous sommes
membres de sociétés d’amis de musées
Un couple puissant qui a tout à gagner à évoluer ensemble
d’art contemporain et du Frac Nouvelle-
Mais voilà, en 2020, il n’y a pas eu d’Art Basel. Le microcosme de l’art, d’ordinaire si joyeux Aquitaine, ce qui nous permet de parfaire
et actif, a bien dû marquer le pas. Tout s’est gé (ou presque) ; le volume des ventes a chuté nos connaissances. C’est désormais
et les galeries ont fermé, connement oblige. Nombre d’expositions se sont vues reportées une vraie passion !
voire annulées… Quel impact cette situation sans précédent a-t-elle eu sur les relations
Quels collectionneurs êtes-vous?
entre les artistes et leurs galeries ? Nous collectionnons – toujours
Les artistes ont-ils /elles eu ensemble – des peintures et œuvres
la même tentation d’aller voir sur papier, mais aussi quelquefois
ailleurs ? Les galeries ont-elles de sculptures ou des photographies
autant «chassé» qu’à l’accoutumée ? contemporaines. L’un de nous deux
Il y a bien trop de variables peut avoir une plus grande sensibilité
pour une œuvre, mais il n’y a jamais
en présence pour produire une
réellement de désaccord entre nous.
réponse unique. Néanmoins, Nous n’achetons jamais un nom,
artistes et galeristes ont désormais nous achetons une œuvre, fruit d’une
une chose en commun : du temps. rencontre avec elle. Nous allons vers
Bien plus qu’auparavant… des œuvres plutôt abstraites même
Avec lui s’offre l’opportunité si nous restons sensibles à la figuration.
de repenser profondément le sens Nous nous intéressons au travail
de jeunes artistes et nous essayons
des métiers, des engagements,
de soutenir certains d’entre eux
entre passion et choix en suivant leur travail. Ainsi avons-nous
stratégiques. Loin du bruit acquis deux photographies d’une
Jérôme Lagarrigue Besieged, 2020
médiatique qui entretient artiste plasticienne en qui nous croyons
– y compris chez certains collectionneurs – l’illusion que l’artiste «réussit» dès lors qu’une beaucoup, Capucine Vever.
galerie le/la courtise, il est fondamental de redire que le temps reste un modèle de travail
Avez-vous continué à acheter
efficace et la délité professionnelle garde toute sa pertinence. Il avait fallu cinq ans pour
cette année?
que Tali Amitai-Tabib, dans le droit-l de sa série aux Offices de Florence [Museum, 2007], Pour nous, il est absolument essentiel
soit invitée à venir photographier le musée Camondo, à Paris, puis gure dans l’exposition de soutenir les artistes en général,
«La splendeur des Camondo» au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme (Paris) en 2009-2010. notamment en ces temps diciles.
Et quatre années de collaboration avaient permis à Jérôme Lagarrigue de se voir commander Nous avons récemment acheté un lavis
par le Metropolitan Opera de New York un portrait de Tosca, pour la production mise de Loïc Le Groumellec, une petite pièce
en scène par Luc Bondy en 2009. L’ex-pensionnaire de la Villa Médicis entrait quatre ans représentant une tête du sculpteur
japonais Masanori Sugisaki, et
plus tard dans la Dean Collection (New York) et croisait le chemin de collectionneurs
deux peintures de la jeune artiste
engagés tels que Beth Rudin DeWoody ou Peggy Cooper Cafritz. Artiste et galeriste forment Cassandre Cecchella.
un couple puissant qui a tout à gagner à évoluer, construire et grandir ensemble.
Beaux ArtsI123
MARCHÉ l SALON
L
es foires et les salons espèrent rouvrir aux beaux
jours. La toute première est annoncée n mai.
Sous la houlette de Laure d’Hauteville qui, pendant
dix ans, a organisé la Beirut Art Fair au Liban, se crée
Serge Najjar donc Menart Fair (pour Middle East & North Africa Art),
Domino dont le nom désigne son champ artistico-géographique,
2020, photographie comprenant peintres, photographes et sculpteurs
collée sur aluminium,
édition de 5 ex. des pays du Maghreb, du Levant et du Golfe, incluant
+ 2 épreuves d’artiste, l’Iran. «Certains de ces artistes vivant en Occident
87,5 x 70 cm.
Galerie Bessières,
ont déjà la reconnaissance des institutions et des
Chatou. collectionneurs ainsi qu’une véritable cote sur le marché
> De 3000 de l’art international : Mona Hatoum, Kader Attia,
à 6000 € Etel Adnan, Youssef Nabil, Nabil Nahas, Simone Fattal,
Ahmed Mater, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige,
pour ne citer qu’eux, souligne Joanna Chevalier,
directrice artistique de l’événement. Menart Fair
permettra d’exposer une soixantaine d’artistes,
dont certains conrmés, des années 1950, 1960, 1970,
et d’autres moins connus en France.»
124 I Beaux Arts
AVIS D’APPEL PUBLIC A LA CONCURRENCE
DANS LE CADRE DU 1% ARTISTIQUE
Relatif aux travaux de construction d’un bâtiment d’exploitation
dans le parc de la Villette - Paris
Partez à la découverte
Dans le cadre des travaux de construction d’un bâtiment d’exploitation dans le parc
du monde de l’art !
de la Villette à Paris, l’OPPIC en qualité de maître d’ouvrage mandaté a lancé une
consultation, portant sur la réalisation d’une œuvre du « 1% artistique » en application
du décret no 2002-677 du 29 avril 2002 relatif à l’obligation de décoration des
constructions publiques et les articles L. 2123-1, R. 2123-4 et à l’article R 2142-15 et
suivants du Code de la commande publique.
40 %
Culture (OPPIC)
Caractéristiques principales :
L’établissement public du parc et de la Grande Halle de la Villette souhaite commander
une intervention artistique destinée à accompagner un nouveau bâtiment qui s’érigera de
en lieu et place la cité jardin.
Le projet architectural vise à créer des continuités entre l’intérieur et l’extérieur, ainsi
qu’avec le parc.
réduction
Pensée comme une partition ouverte à multiples interprétations, cette création artistique
proposera son protocole, ses rendez-vous réguliers avec le public et les modalités de
sa pérennité.
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MARCHÉ l BIENTÔT SOUS LE MARTEAU
126IBeaux Arts
MARCHÉ l ADJUGÉ !
Beaux ArtsI127
LA VISITE EN BD de FRANÇOIS OLISLAEGER
Avec des actions minimalistes dans l’espace public, Francis Alÿs développe depuis trente ans
un «art politique» qui interroge les notions de frontière et territoire. Il a pendant plusieurs mois
tourné un lm avec des enfants d’un village d’Irak pour raconter l’histoire du pays. Fascinant !
Sandlines, the Story of History, un film de Francis Alÿs, coréalisé avec Julien Devaux, avec la collaboration de la Ruya Foundation
Pour en savoir plus: francisalys.com/sandlines
Le prochain numéro
paraîtra Collections & copyrights
le vendredi 28 mai © Beaux Arts Magazine / Beaux Arts & Cie, 2021. © ADAGP Paris 2021 pour les œuvres de ses membres.
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