Beaux Arts Magazine #443. Mai 2021

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Mai 2021

LIVRE ÉVÉNEMENT
L’autobiographie
sulfureuse
et fascinante
d’ORLAN

PIERO DELLA FRANCESCA


Révélations NAPOLÉON
sur un artiste mystique
Révolutionnaire
de la Renaissance des arts et de
l’architecture฀?

SPÉCIAL DESIGN

La folie du vintage
Notre sélection de canapés, fauteuils,
bureaux, luminaires…
Piero della Francesca
La Flagellation du Christ [détail],
vers 146O
www.tectona.fr 01 47 03 05 05

L’art du temps
L’ÉDITO
de Fabrice Bousteau

Des images que l’on voit,


que l’on oublie, que l’on dévore
ou que l’on sanctuarise…

C
ombien d’images voyons-nous chaque jour ? l’expression même de son patronyme, Joyeux,
Je n’ai malheureusement pas réussi à identi฀er par sa générosité, son attention à tous, des stagiaires
une source ฀able pour vous donner une réponse. aux pigistes, et jusqu’aux personnalités accueillies
En revanche, les scienti฀ques s’accordent sur le fait dans nos locaux ou aux lecteurs et abonnés qu’elle
que notre œil ne pourrait pas en enregistrer plus avait au téléphone. On ne le dira jamais assez,
de 60 par seconde. Certains experts estiment que mais un journal, une entreprise, une école comme
nous serions soumis à plus de 15 000 stimuli visuels un musée n’existent que par la passion, l’énergie,
de produits de consommation par jour ! Ce qui est sûr, la personnalité des gens qui y travaillent. Cathy
c’est que par rapport aux années 1970, la multiplication est décédée ce 6 avril, à la suite d’une opération
des outils numériques a considérablement accru du cœur. Son intelligence, sa joie de vivre, sa passion
notre consommation d’images. Car on peut les voir, pour l’art et pour les autres, son contact et son regard
mais aussi les dévorer. En témoigne, dans ce numéro, nous manqueront à jamais. J’aime imaginer que,
une enquête passionnante, issue du travail très sérieux de là où elle repose, elle pourra lire ces lignes et vous
d’un universitaire, consacrée aux mangeurs d’images, imaginer, vous lecteurs, penser à elle. J’aurai toujours
ces «iconophages» qui se sont nourris d’œuvres en moi son image, non pas comme une icône mais
(au sens premier du terme), de l’Égypte des pharaons comme un être exemplaire qui a tant fait pour notre
aux moines napolitains du XVIe siècle (ces derniers magazine. Il y a des images qui deviennent des pensées
donnaient par exemple à leurs ฀dèles des effigies et des guides de vie. Cathy est de celles-ci.
de la Vierge à ingurgiter pour guérir de la lèpre),
en passant par des artistes contemporains mordant
rageusement la peinture de leurs tableaux !
Nous publions chaque mois dans ces pages au moins
200 images soigneusement sélectionnées – parmi
les quelque 5 000 réunies par nos iconographes –
pour leurs qualités esthétiques, techniques, leur
originalité, mais aussi leur signi฀cation dans l’œuvre
des plasticiens, designers, architectes… Souvent,
le choix de tel ou tel cliché suscite d’âpres discussions
au sein de notre rédaction.
Il y a cependant une image que nous souhaitons
unanimement partager avec vous : celle de Catherine
Joyeux-Brouxel. Assistante de la rédaction depuis 1989,
soit six ans seulement après la création de Beaux Arts
Magazine, elle en était la doyenne, la mémoire et un peu Catherine Joyeux-Brouxel à la rédaction
l’âme. Cathy, comme tout le monde l’appelait, était de Beaux Arts Magazine, en 2019.

Beaux Arts฀I฀3
D E
2 EXPOSITIONS

MA
SAISON

7 MAI 2021

CONTEMPORAIN
฀0 JANVIER 2022
UN PARCOURS D’ART
NAPOLÉON

MI
NG
#SaisonN฀poleon
#N฀poleonEncore
#N฀poleonNestPlus

Visuel Napoléon n’est plus : © Paris, musée de l’Armée Dist. RMN-Grand Palais / Emilie Cambier. Design graphique : Doc Levin / Jeanne Triboul
Visuel Napoléon ? Encore ! : Napoléon Ier sur le trône impérial, Jean-Auguste-Dominique Ingres, détail. © Paris, musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Anne-Sylvaine Marre-Noël. © Graphisme Wijntje van Rooijen & Pierre Péronnet
SOMMAIRE N°443 MAI

EN COUVERTURE
Piero della Francesca
La Flagellation du Christ
Tout semblait déjà avoir été écrit sur cette
œuvre majeure et ô combien mystérieuse
de Piero della Francesca, conservée à Urbino,
en Italie. Et pourtant, un historien se risque
à une nouvelle lecture, en prise avec le
contexte culturel contemporain du peintre,
celui du Quattrocento, pétri de religion.
Explications détaillées dans votre magazine…
Vers 1460, tempera sur bois de peuplier, 58,4 x 81,3 cm.

JOURNAL GRAND FORMAT GUIDE


6 Vu Arrêt sur images 40 Spécial design 111 Musées & centres d’art
La folie du vintage 112 Quoi de neuf฀?
12 L’essentiel de l’actualité en France 114 Le Quai Branly encapsule la collection
Une goutte d’eau bientôt sur Seine 58 Entretien avec ORLAN d’un généreux mécène฀!฀
13 À Versailles, le cabinet de travail «Toute ma vie, j’ai tout fait
du Roi retrouve son éclat pour sortir du cadre฀!» 118 L’enfance de l’art
14 Sur la planète Serge Bloch฀: «L’architecture
66 EN COUVERTURE déglinguée du Centre Pompidou
L’actualité dans le monde
16 L’art inuit a enfin son musée Livre-enquête de Franck Mercier m’a toujours fasciné»฀

18 Architecture Piero della Francesca


Le Pritzker Prize sacre deux Français sous un nouveau jour
20 Feu jaune฀!
74 Analyse d’œuvre
22 Design La Flagellation du Christ
Quand Giacomo Balla fonçait MARCHÉ & POLITIQUE CULTURELLE
dans le décor 76 Rencontre
24 Eau précieuse 121 À la une
Les couleurs superlatives
Salons et foires se réinventent
26 Mode de Harry Gruyaert
Balenciaga฀: la mode d’après 122 Elle fait l’actu
88 Livre฀: les Iconophages
Françoise Pétrovitch,
28 Cinéma Bienvenue chez les mangeurs d’art฀!
entre lavis et la vie
Tueuse et innocente 96 Événements du bicentenaire
123 La tribune d’Olivier Waltman
30 Livres de la mort de Napoléon Ier
Peinture, orfèvrerie, architecture… Et si l’herbe n’était pas plus verte
Entretien avec Annie Le Brun ailleurs฀?฀
32 Monumentale Zanele Muholi Les arts sous l’emprise de Napoléon
124 Salon Menart Fair
34 Culture numérique Un nouvel œil sur la planète
482฀000 œuvres réunies
sur le nouveau site du Louvre 126 Bientôt sous le marteau
Les ventes à ne pas manquer
36 Philo
La nuance, de toute urgence 127 Adjugé฀!
3 enchères fraîches
37 La chronique de Nicolas Bourriaud
Faut-il avoir les jetons฀?
128 La visite en BD
38 La cuisine de l’art d’Alain Passard de François Olislaeger
Kandinsky au rayon fraises Sandlines, un film de Francis Alÿs

RETROUVEZ NOS OFFRES D’ABONNEMENT


EN PAGE 125 DE CE NUMÉRO
VU
par L aurène Flinois

Faire l’amour à son canapé


Pour cette image saisissante, Kenny Dunkan a peut-être puisé son inspiration dans l’Antiquité
et ses divinités masculines aux proportions parfaites. L’homme nu affiche en effet une plastique
de statue grecque. Mais là s’arrête l’hommage à la tradition. Ici, le héros disparaît, englouti par
Kenny Dunkan
un monstre de cuir marron. Ne restera bientôt que cette paire d’élégants mocassins vernis, derniers
A฀nities Are
Miracles, 2019 résidus de l’identité de ce dandy sans visage, en proie à un rite profane. On retrouvera ailleurs
À voir : «Keep Going!» ses vêtements, bijoux et chapeaux, exposés comme des totems dans la vitrine de la galerie Les Filles
jusqu’au 22 mai du Calvaire. L’artiste, ancien pensionnaire de la Villa Médicis, y exhibe ses pièces fétiches, glanées
Galerie Les Filles au ฀l du temps depuis son arrivée à Paris il y a quinze ans. Celles qui permettront au jeune
du Calvaire • 17, rue
Guadeloupéen de remodeler son image pour mieux se fondre dans la jungle parisienne, ou en sortir.
des Filles du Calvaire
75003 Paris Avec l’exposition «Keep Going!», il s’affranchit en฀n de ce diktat de la parure, alliée illusoire, et
฀llesducalvaire.com parvient à exister selon ses propres règles, sa propre perception de soi. En mocassins, tout de même.

6 I Beaux Arts
VU
par Daphné Bétard

Au pays des surréalités


Un petit drink sous l’arbre en fleurs ? Rose poudré, suspendu au ciel comme par miracle,
ce rêve en chamallow ressemble à un remake du traditionnel bouquet qui orne nos intérieurs,
devenu soudain immense et inversé. À moins que ce ne soit nous qui ayons rétréci et,
comme Alice dans la fable de Lewis Carroll, pris la clé des champs pour basculer de l’autre
côté, dans la douceur d’un ailleurs intemporel. Où, enfouis dans le chiendent des sables
et bientôt confortablement installés dans une chaise longue sous ce gigantesque bosquet
Visual Citizens
vaporeux, nous contemplerons l’horizon in฀ni d’un bord de mer en sirotant un verre de vin…
(Shali Moodley
et Adam Kelly) Les auteurs de cette image onirique mais numérique, sont, eux, bien réels, officiant pour
Plant Based le studio de design Visual Citizens, spécialiste des «surréalités». Ils envisagent dans leurs
Safari, 2021 créations virtuelles un «monde futur» qui renouvellerait l’espace intérieur pour en faire
visualcitizens.com un havre de paix ouvert sur d’in฀nis possibles.

Beaux Arts฀I฀7
VU
par Pierre Morio

Branché post-humanité฀?
Gros plan sur le visage d’une jeune femme. En lieu et place de sa pupille, une prise vidéo ; des petites
touches apparaissant sur le contour de son œil laissent deviner les fonctions d’une télécommande.
Un câble est sur le point d’être «pluggé» à cet être hybride. Mais à quelles ฀ns ? Ce visage impassible
est-il en train de se transformer en machine, ou bien est-ce l’inverse ? Si l’ère numérique s’est
construite sur le vœu pieux de mettre la technologie au service de l’humain, il semble que nous
nous soumettions de plus en plus à elle dans une inversion des rôles inéluctable. Le travail
de la jeune photographe ukrainienne Hanne Zaruma, au programme du festival Circulation(s) 2021,
Hanne Zaruma met en lumière cette altération progressive. Aurions-nous déjà abandonné notre libre arbitre ?
Série No Name, 2021 Aucun titre, ni commentaire ne répondra à nos interrogations : l’artiste nous laisse le soin d’élaborer
festival-circulations.com nos propres analyses. Quitte à se faire peur avec l’avenir qui nous est promis ici.

8฀I฀Beaux Arts
VU
par Malika Bauwens

La ferme des célébrités


Une cabane au milieu de grands séquoias, des lamas, des golden retrievers, un cheval,
des biquettes, des poneys, des poules… Ce qui ressemble à un rêve de citadin en période
de pandémie est le quotidien d’habitants de Colombie-Britannique, au sud-ouest du Canada.
Là, des amoureux de la nature vivent en harmonie avec leurs animaux dans une sorte d’Éden
que les urbains pensaient à jamais perdu. Originaire de la région, la photographe Tasha฀Hall
s’est installée depuis quelques années dans ces bucoliques campagnes qu’elle a parcourues
pour en tirer des Farmily Portraits empreints d’un charme naïf. Son secret pour capturer
Tasha Hall ces modèles d’ordinaire peu enclins à rester en place ? Les฀shooter un par un, puis recomposer
Série Farmily numériquement ces chaleureux «portraits de famille à la ferme». Tout plaquer pour aller
Portraits, 2021 faire du fromage dans le Cantal ? Ce n’est peut-être pas si bête.

Beaux Arts฀I฀9
DIOSCORIDE DE CIBO
ET MATTIOLI
1564–1584

Beaucoup plus qu’un simple herbier,


chaque feuillet de ce volume nous rappelle
le long chemin que l’humanité a parcouru
pour comprendre le monde végétal et
ses bienfaits pour la santé. Un trésor
bibliographique qui réunit le savoir médical
ancien, les découvertes botaniques de la
Renaissance et l’art italien à son apogée.

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L’ESSENTIEL FRANCE

Une goutte d’eau bientôt sur Seine


lle ฀gure avec
Modélisation d’Éther, projet
de l’agence Danae et de Kohei Nawa,
prévu pour 2022 sur l’île Seguin
à Boulogne-Billancourt (92).
E élégance le lent
écoulement
d’une goutte. À l’été 2022,
Éther (Égalité), sculpture
de Kohei Nawa, sera érigée
«à la proue de l’île Seguin,
comme sur celle d’un navire
dont la Seine Musicale
serait le corps et sa sphère
la voile et l’étendard»,
explique l’artiste japonais.
Cette colonne de 25 mètres
de haut a remporté le
concours international
lancé par le département
des Hauts-de-Seine. Une
œuvre qui incarne l’idée
d’égalité, en écho à la statue
de la Liberté d’Auguste
Bartholdi, installée au pied
du pont de Grenelle, à Paris.

L’art refleurira-t-il aux Serres de la Milady฀?


Fondées en 1857, les Serres de la Milady, à Biarritz, étaient à l’origine dédiées à l’horticulture
Chanel lance un «Culture Fund»
ornementale. Depuis 2006, elles accueillaient une pépinière d’artistes. Mais aujourd’hui,
pour les artistes
les héritières des terrains sur lesquels sont implantées les serres ont décidé de s’en Un fonds mondial venant en aide aux artistes
séparer. Un sous-seing de vente a même été signé avec un promoteur immobilier. contemporains qui développent des projets innovants,
L’association, qui n’occupe que 5 % du terrain, a jusqu’au 8 mai pour vider les lieux. c’est le dernier projet de Chanel. Ouvert à toutes
Un préavis qu’elle conteste. Pour pérenniser leur activité, les Serres de la Milady envisagent les disciplines (musique, danse, performance, arts
de créer une fondation et de travailler avec la mairie et d’éventuels promoteurs pour visuels…), le Chanel Culture Fund se compose de
«s’accorder sur un projet commun, qui intègre la culture». Et le projet pourrait voir le jour, deux volets : le Chanel Next Prize, doté de 100 000 €
puisque la Ville et la communauté d’agglomération du Pays basque viennent d’annoncer et destiné à dix artistes qui réinventent leur discipline,
leur volonté de préempter l’ensemble des terrains pour y installer Ocean Start, futur pôle et une série de partenariats internationaux, noués
d’innovation autour du biomimétisme marin. À suivre. lesserresdelamilady.com notamment avec le Centre Pompidou (Paris) ou
l’Underground Museum (Los Angeles). Avec l’ambition
de créer de nouveaux programmes autour des
questions liées à la visibilité des femmes dans l’art,
l’accès à la culture ou encore l’écologie. chanel.com
Espace d’exposition
aux Serres de la
Milady, à Biarritz,
en décembre 2020. LE CHIFFRE DU MOIS

4,5 M€ C’est l’aide exceptionnelle


accordée par l’État pour sauver le domaine de Chantilly
(Oise), qui abrite la deuxième collection d’art ancien
de France. Fin janvier, l’administrateur général du site,
Christophe Tardieu (aujourd’hui à France Télévisions),
avait lancé un SOS, soulignant que les fermetures
de 2020 avaient occasionné 5 à 6 M€ de pertes.
Le domaine n’avait pu en effet béné฀cier d’aucune
aide mise en place par le gouvernement, du fait de
son statut de fondation abritée.

12฀I฀Beaux Arts
Par Françoise-Aline Blain

À Versailles, le cabinet de travail du Roi


retrouve son éclat
C’
est une splendeur de
boiseries sculptées, de dorures
à l’ancienne et de mobilier
d’exception. Il aura fallu dix-huit mois
de restauration pour que le cabinet de
travail de Louis XV, l’un des plus beaux
décors rocaille du château de Versailles,
retrouve tout son éclat, grâce au mécénat
de Rolex France. Une trentaine de
personnes sont intervenues pour
la restauration à l’identique de cette pièce
emblématique du château qui servit
également de bureau à Louis XVI.
En en฀lade de la chambre Objet phare du cabinet : le secrétaire
à coucher et du salon
de la Pendule, le cabinet à cylindre en bois précieux commandé
d’angle était la dernière en 1760 à l’ébéniste Jean-François Œben
pièce de l’appartement et qu’acheva Jean-Henri Riesener,
intérieur du Roi à
«sans doute l’un des meubles les plus
présenter des dorures
et des peintures ternies. célèbres au monde», souligne le château.
Du grand art à la française. chateauversailles.fr

Gratte-ciel Villeurbanne élue


à Villeurbanne première capitale Une souscription pour sauver le théâtre
(Rhône). française de la culture฀! du château de La Roche-Guyon
Le jury a fait le choix de la jeunesse. Il est à l’état de ruines. En cause : l’humidité et le manque
Villeurbanne a reçu le label «Capitale d’aération pendant plus de deux siècles. En partie troglodytique,
française de la culture», décerné le théâtre du château de La Roche-Guyon (Val-d’Oise) est
pour la première fois, a฀n d’encourager l’un des rares petits théâtres aristocratiques du XVIIIe siècle
«son projet culturel urbain», a annoncé encore existants. Il nécessite aujourd’hui un chantier d’urgence.
le ministère de la Culture. La ville Sélectionné en 2019 par la mission Stéphane Bern, le projet
de l’agglomération lyonnaise a été de restauration-restitution du théâtre fait l’objet d’une première
préférée à huit autres concurrentes phase de travaux qui devrait permettre «d’arrêter la
et recevra une dotation de 1 million dégradation». La remise en état nécessite d’injecter 1,3 M€.
d’euros. Son projet de faire porter Pour soutenir le projet, une campagne de mécénat a été
la future programmation culturelle relancée. L’objectif est de collecter 90 000 €.
aux jeunes a séduit le jury. Parmi chateaudelarocheguyon.fr • soutenir.fondation-patrimoine.org/
les temps forts : une troisième troupe projects/theatre-du-chateau-de-la-roche-guyon-fr
éphémère pour le Théâtre national
populaire, un festival créé par des
12-25 ans ou encore l’inauguration
de mini-centres artistiques dans
les 25 groupes scolaires de la cité
rhodanienne. Au total, une trentaine de
festivals et près de 600 événements
sont prévus d’ici la ฀n de l’année 2022.

Un millier de chênes abattus pour Notre-Dame


Ce sera donc une charpente en chêne massif, selon un dessin proche
de l’original, sans être pour autant un «pur fac-similé». Le Comité national
du patrimoine et de l’architecture a tranché pour le projet de restauration
en chêne de la charpente de Notre-Dame, deux ans après l’incendie qui
a ravagé la cathédrale. «Nous allons maintenant pouvoir avancer», s’est félicité
le général Georgelin, président de l’établissement public à l’AFP. Pour lancer
Construit en 1769 par la duchesse d’Enville, le théâtre souterrain
le chantier, un millier de chênes ont déjà été offerts et abattus, destinés au
du château pouvait accueillir 40 à 50 spectateurs.
tabouret de la flèche, ainsi qu’aux charpentes du transept et travées adjacentes.

Beaux Arts฀I฀13
SUR LA PLANÈTE Par Françoise-Aline Blain

Norman
ALLEMAGNE
Rockwell
We, Too, Un millier de bronzes royaux
Have a bientôt restitués au Nigeria฀?
Job to Do, Avec près d’un millier d’œuvres conservées notamment
1943 au Humboldt Forum de Berlin, l’Allemagne recèle la deuxième plus
grande collection au monde de bronzes de l’ex-royaume du Bénin
(après celle du Royaume-Uni). Elle pourrait être le premier pays
à procéder à la restitution de ce trésor, pillé en 1897. Des discussions
sont en cours avec le Nigeria qui prévoit de les accueillir dans
un futur musée conçu par l’architecte star David Adjaye à Benin City.
Le retour de ce patrimoine, aujourd’hui dispersé dans divers Tête commémorative
musées européens, est réclamé depuis des années par les de reine mère, ex-royaume
autorités nigérianes. humboldtforum.org/en du Bénin (XVIIIe siècle).

ÉTATS฀UNIS
Après le scandale, Boy Scouts
of America vend sa collection
Secouée par un énorme scandale d’abus
sexuels révélé en 2012, l’organisation
Boy Scouts of America s’apprête à vendre
une partie de sa collection d’art. Centré
sur la thématique du scoutisme, cet
ensemble de 350 pièces (de Walt Disney
à J. C. Leyendecker), évalué autour de
110 M€, comprend 65 peintures de Norman
Rockwell, qui fut directeur artistique
de la revue du mouvement (Boys’ Life).
Elles sont à elles seules estimées à 84 M€.
Le produit de la vente servira à alimenter
le fonds d’indemnisation des victimes
(80 000 témoignages ont été recueillis)
créée par l’organisation, dissoute en 2020.
medicimuseum.artscouting.org

GRÈCE
Un bicentenaire de toute beauté
Pour célébrer le 200e anniversaire
de l’indépendance grecque, l’assemblée
nationale française prête la tapisserie l’École
d’Athènes, tissée d’après la célèbre fresque
de Raphaël au Vatican, à la Vouli, le parlement
hellénique. Réalisée par la manufacture
des Gobelins entre 1779 et 1785, cette tenture
TURQUIE
de laine et de soie (où ฀gurent notamment LIBYE
Platon et Aristote) y sera accrochée de Le pays condamné
Cri d’alarme pour l’antique Cyrène
cinq mois à un an. Autre événement marquant, pour violation de
Classées au patrimoine mondial de l’Unesco, ses ruines
l’achèvement du chantier de la National la liberté d’expression
comprennent un sanctuaire dédié à Apollon, un temple de Zeus
Gallery-Alexandros Soutsos Museum après Il avait passé trois jours
plus vaste que le Parthénon sur l’Acropole, un amphithéâtre,
sept ans de rénovation et d’agrandissement. en détention provisoire, avant
un viaduc et une nécropole qui abritait près de 1 200 caveaux…
d’être condamné à une
nationalgallery.gr/en jusqu’aux récentes destructions. À l’est de Benghazi, Cyrène,
amende de plus de 3 000 €
l’«Athènes africaine» est victime de pillages, d’actes de
en 2010 pour avoir exposé
GHANA vandalisme, de fouilles sauvages, avec pour conséquence
à Istanbul un collage montrant
des œuvres d’art «exhumées et expédiées hors des frontières»,
Noldor, une résidence en or Recep Tayyip Erdoğan, alors
selon l’AFP. Sans oublier l’urbanisation «anarchique qui
Fondée en novembre 2020 par Joseph Awuah- Premier ministre, avec un
empiète» sur la cité hellène fondée au VIIe siècle avant J.-C.
Darko, un jeune entrepreneur et philanthrope corps de chien tenu en laisse
spécialiste de l’art contemporain africain, la Noldor par un drapeau américain.
Residency, à Accra, est la première résidence La cour européenne des droits
indépendante du Ghana. Chaque automne, elle de l’Homme a estimé que
accueille durant quatre semaines un plasticien la condamnation par la justice
africain émergent. Elle poursuit actuellement turque de l’artiste britannique
son développement en agrandissant ses locaux Michael Dickinson constituait
et en lançant un programme de bourses d’un an une violation de sa liberté
pour des artistes d’Afrique ou de la diaspora. d’expression.
Parmi les premiers invités : Gideon Appah, Abigail
Aba Otoo et Joshua Oheneba-Takyi.
noldorresidency.com
Le site
archéologique de
Cyrène, ancienne cité
grecque, au nord-est
de la Libye.
14 I Beaux Arts
E X P O S I T I O N
26 MAI - 24 JUILLET 2021

M A X I N G R A N D - G E O R G E S J O U V E - M AT H I E U M AT É G O T - S E RG E M O U I L L E
ALEXANDRE NOLL - CH ARLOTTE PERRIAND - JEAN PROUVÉ - JEAN ROYÈRE
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L’ESSENTIEL MONDE Par Françoise-Aline Blain

Conçu comme un iceberg urbain, le bâtiment de Qaumajuq est l’œuvre de l’architecte américain Michael Maltzan.

L’art inuit a en฀n son musée


Nouvelle aile de la Winnipeg Art Gallery (dans la province de Manitoba, au sud du Canada),
Qaumajuq est dédié à la culture des peuples autochtones du nord. Une première historique฀!
e 25 mars dernier, la Winnipeg Art Gallery des recommandations de 2015 de la Commission

L (WAG), inaugurait son extension de 3 700 m2


consacrée à l’art, la culture et l’histoire
des Inuits. Le nom de ce nouvel espace ? Qaumajuq
de vérité et réconciliation, qui vise notamment
à reconnaître le passé colonial du Canada, ce centre
d’art espère relier le nord et le sud du pays.
(prononcez «Kow-ma-yourk»), ce qui signi฀e «En partageant, en comprenant et en faisant
«c’est lumineux, c’est éclairé» en langue inuktitut. la promotion des arts inuits, ce pavillon rassemble
Avec 14 000 œuvres de quelque 2 000 artistes, les communautés grâce au langage universel
ce «musée dans le musée», unique en son genre, de l’art», explique Stephen Borys, directeur exécutif
rassemble la plus grande collection d’art inuit de la WAG. Un lieu où l’histoire et la voix des Inuits,
au monde, constituée dès les années 1950 par longtemps bafouées, sont désormais mises
la Compagnie de la Baie d’Hudson (HBC), principal en lumière. Tout au long du projet, des conseillers
dépositaire d’œuvres des peuples autochtones des différents peuples autochtones du Nord canadien
de l’extrême nord du Canada.  ont ainsi participé, avec l’équipe du musée, à la
conception du lieu, des expositions, des programmes
«Rassembler les communautés éducatifs, mais aussi au choix des noms des salles. David Ruben Piqtoukun
grâce au langage universel de l’art» Les langues inuites – cri, ojibwé ou inuktitut – Airplane, 1995
Pour la réalisation de ce bâtiment tout en courbes «ont désormais une présence puissante dans tous
et à l’allure d’iceberg, l’architecte américain les espaces qui accueillent les visiteurs au WAG»,
Michael Maltzan s’est inspiré de la lumière explique la direction de l’établissement. Une grande
et des paysages de l’Arctique. L’élément central première pour une institution canadienne !
de Qaumajuq est une voûte ondulée de trois étages Pour son exposition inaugurale intitulée «Inua»
(sur les quatre que compte ce nouvel espace) («Esprit» ou «Force vitale»), les commissaires,
visible dès le hall d’entrée. Baptisée Visible Vault, représentant les quatre régions de l’Inuit Nunangat
l’installation permet de rendre accessibles aux (la patrie des Inuits au Canada), ont réuni des œuvres
visiteurs plus de 5 000 sculptures tirées des réserves. de 90 artistes originaires du nord du pays, mais
Financé en grande partie par des fonds publics aussi de l’Alaska et du Groenland, qui s’étendent sur
du gouvernement canadien et de la province près d’un siècle. Au ฀l de la visite, le traditionnel
du Manitoba (dont Winnipeg est la capitale), et le contemporain se côtoient, battant en brèche
ainsi que des programmes de soutien aux peuples quelques idées reçues sur l’art inuit. Une bouffée
autochtones, l’ajout de cette aile a coûté plus d’air frais annonciatrice d’une juste reconnaissance
de 43 millions d’euros. Des mécènes privés ont des peuples autochtones et de leur apport culturel.
également contribué, et le gouvernement du Nunavut
(territoire inuit du nord) a consenti un prêt wag.ca/qaumajuq
à long terme de 7 400 objets. Élaboré à la suite

16฀I฀Beaux Arts
Martin Guillaume

1764-1843
BIENNAIS
L’orfèvre de Napol฀on Ier

29 mai 3 octobre 2021


Propriété Caillebotte
฀erres Essonne
20 min. de Paris RER D
Photo Studio Verdier

proprietecaillebotte.com
ARCHITECTURE Par Philippe Trétiack

CI฀DESSOUS
En 2013-2015, les architectes
ont l’idée de dupliquer une
ancienne halle à bateaux du
port de Dunkerque pour
y implanter le Frac Nord-
Pas-de-Calais. «Le bâtiment
neuf se juxtapose
délicatement sans rivaliser
ni s’effacer», explique le duo,
qui a voulu exprimer ainsi
une «réponse attentionnée
envers l’identité de la halle».
Passant de 9฀000
à 22฀000 m2, le Palais
de Tokyo, à Paris,
devient en 2012-2014
le plus grand site
européen dédié à la
création contemporaine.
Coût de la rénovation฀:
20 M€.

Le Pritzker Prize sacre deux Français


Lauréats de la plus haute distinction en architecture, Lacaton & Vassal prouvent qu’à moindre
coût on peut atteindre à la grâce. Démonstration, du Palais de Tokyo au Frac de Dunkerque.
e qui enchante dans l’attribution du que son apparence de bric et de broc fournisse

C Pritzker Prize 2021 aux Français Anne Lacaton


et Jean-Philippe Vassal, c’est la promesse
qu’elle véhicule et le débat qu’elle introduit.
des arguments à tous ceux qui rêvent de réduire
l’architecture à son moindre coût. C’est un risque
car beaucoup copiée, la méthode de ce duo
Car loin des architectures démonstratives, des grands hors normes exige, sous son apparente simplicité,
gestes des «starchitectes», l’œuvre de ce duo est tout énormément de talent, de temps d’attention et pour
à la fois participative, audacieuse et d’une esthétique tout dire de modestie, entendue ici non comme
à la limite de… l’inesthétique. Formé à Bordeaux un renoncement mais comme une éthique de combat.
puis en Afrique où Vassal exerça cinq années, En vérité, ce très prestigieux Pritzker Prize attribué
cet attelage brut de décoffrage a signé des villas quasi pour la troisième fois à des Français, après Christian
expérimentales nichées dans la nature, la subtile de Portzamparc (1994) et Jean Nouvel (2008), vient
réhabilitation du Palais de Tokyo en deux phases, con฀rmer, au-delà de la discipline qu’il honore, la
le magni฀que Frac de Dunkerque, l’École nationale bonne tenue de la pensée française de par le monde.
supérieure d’architecture de Nantes et bien entendu Lacaton & Vassal béné฀cient d’un engouement dans
Associés depuis 1987, la réhabilitation, à Paris, de la tour Bois-le-Prêtre toute l’Europe et même outre-Atlantique, un peu
Jean-Philippe Vassal
et Anne Lacaton conjuguent
(avec Frédéric Druot), opération urbaine récemment à la manière dont Michel Foucault, Pierre Bourdieu,
comme nul autre approche réitérée à plus grande échelle, et avec succès, à Alain Badiou et la French Theory enthousiasment
écologique, économie de Bordeaux (avec Frédéric Druot et Christophe Hutin). encore les cercles intellectuels des universités.
moyens et sens de l’écoute. Pour le dire simplement, les deux architectes sont
Davantage célébrés à l’étranger bien plus célébrés à l’étranger que dans leur pays
que dans leur propre pays où leur nom est parfaitement ignoré du public,
En transformant des logements sociaux de bord malgré le Grand Prix national d’architecture remporté
de périph’ en habitat plein ciel, Lacaton & Vassal en 2008. Cela va changer. Reste qu’en couronnant
ont démontré qu’à moindre coût on pouvait atteindre ces sexagénaires, le Pritzker Prize récompense un duo
à la grâce, pourvu que l’on consacre suffisamment d’auteurs dont l’activisme vise à nier le statut même
de temps à écouter les uns et les autres. Chez eux, d’auteur, pour mieux donner la parole aux usagers
l’écologie, loin d’être con฀te dans des considérations des bâtiments qu’ils édi฀ent. Ce courant, très en vogue
techniques, s’avère inhérente aux projets. Généreux, en France, l’est désormais aussi au sein d’une des
ils savent ajouter à de l’existant, souvent de piètre institutions les plus chics de la planète. L’architecture
allure, un luxe d’espace forgé de balcons et de pièces y gagnera beaucoup si elle n’oublie pas qu’au-delà
en plus, tout ce qui d’ordinaire est refusé aux de son utilité, elle doit aussi réenchanter l’espace.
humbles. Mais cette démarche, aujourd’hui encensée,
paradoxalement inquiète. Car il ne faudrait pas

18 I Beaux Arts
PARIS GRENIER SAINT฀L A ZARE
25 mars - 19 juin 2021

GÉRARD GAROUSTE
Correspondances
Gérard Garouste ¥ Marc-Alain Ouaknin
Alt-Neu-Shul sur le Pont-Neuf, détail, 2020
Huile sur toile, 160 x 220 cm

28 RUE DU GRENIER SAINT-LAZARE 75003 PARIS | +33 (0฀1 85 76 55 55


[email protected] | www.templon.com
ARCHITECTURE Par Céline Saraiva

Aura salutaire
Physx • 2020 • Rotterdam
Cosimo Scotucci
Qui aurait pu imaginer que la distanciation
sociale serait le nouveau sujet de recherche
des architectes et designers ? Parmi eux,
l’architecte Cosimo Scotucci a développé
le dispositif Physx, prévu à l’origine pour le
parvis de la gare de Rotterdam. Il est question
d’une plateforme sur laquelle serait tendue
une membrane intelligente capable
de matérialiser une zone colorée autour
de l’individu, correspondant à la distance
de sécurité en vigueur. Di฀érentes intensités
de couleur, du jaune au rouge, indiquent
les niveaux de danger quand deux personnes
s’y trouvent et interagissent.

Feu jaune฀!
Reprendre une activité normale dans la joie et la bonne distanciation sociale฀? C’est ce que
proposent les auteurs de ces dispositifs survitaminés à partager en toute sécurité.

Le cercle En raison de la pandémie, de nombreux restaurants ont été contraints de fermer ou de repenser
leurs modalités d’accueil. Une équipe d’architectes tchèques a imaginé un concept simple de
des gastronomes zones sécurisées de restauration qui peuvent s’installer rapidement et à moindre coût à proximité
des restaurants ou des bars. Il s’agit d’un espace matérialisé au sol par un cercle ou un carré coloré
Gastro Safe Zone • 2020
dans lequel une table immobile de trois places permet de déguster son plat ou sa boisson en toute
Brno (République tchèque) Václav
sécurité. Le dispositif s’adapte et se modifie selon les contextes.
Kocián (HUA HUA Architects)

20฀I฀Beaux Arts
Table฀ouverte sur 100 m
TULIP฀-฀Prenez place฀! • 2020 • Montréal
ADHOC Architectes en collaboration
avec Maude Lescarbeau et Camille Blais
Montréal a connu au printemps dernier plusieurs semaines
de confinement. Au terme de cette période, la métropole s’est
lancée dans un programme ambitieux d’aménagements publics
permettant aux habitants de se réapproprier le centre-ville
en toute sécurité. Parmi les projets réalisés, l’installation éphémère
Prenez place฀! se présente comme une table jaune géante
de 100 mètres de long qui serpente joyeusement entre les arbres
du parc Hydro-Québec. Des objets recyclés, liés aux arts
de la table, jalonnent le plateau afin de concrétiser judicieusement
les repères de distanciation sociale de rigueur pour les 80 convives
qui peuvent s’y retrouver. Autre souhait affiché ici฀: soutenir
les nombreux restaurateurs à proximité du dispositif.
DESIGN L’OBJET CULTE Par Pierre Léonforte

Paravent (2020) d’après une œuvre de Giacomo Balla

Quand Giacomo Balla fonçait dans le décor


L’artiste futuriste italien (1871-1955) avait esquissé des éléments décoratifs hauts en couleur,
que Cassina s’apprête à produire sur commande. Premier de la liste, un paravent inédit de 1917.

N
é à Turin et installé à Rome, autodidacte et crayon sur papier (exécuté sur le verso Numéroté et proposé
assumé, Giacomo Balla sera dès 1910 de tous de deux photos). Annotée, cette esquisse indique dans deux combinaisons
de couleurs, le 330
les élans et oukases tonitruants du futurisme, l’usage et l’association possible des couleurs Paravento Balla s’oriente
théorisé par le poète Filippo Tommaso Marinetti. en vue de réaliser un paravent. Chose faite grâce dans toutes les directions
Peintre et sculpteur majeur de ce mouvement à Cassina, qui, avec la bénédiction des héritiers grâce à des charnières
en laiton spécialement
d’avant-garde, Balla n’a pas fait que s’intéresser et ayants droit de Balla, a matérialisé ce projet conçues par Cassina.
au mouvement et à la vitesse, il s’est aussi passionné plus que centenaire. Inscrit dans le cadre de
par la dynamique de la couleur. En 1929, avec la prestigieuse collection «I Maestri», le 330 Paravento
Marinetti et quelques autres, il participera au Balla laisse promettre une future édition d’autres
second futurisme avec la publication du Manifeste objets dessinés par Balla. Composé de trois volets
de l’Aéropeinture futuriste, où le culte de l’automobile articulés en contreplaqué, il s’orne de motifs
et de la machine est supplanté par celui de l’avion. sérigraphiés double face selon deux gammes
de couleurs : bleu/vert ou jaune/orange. Dûment
À Rome, la Casa Balla s’ouvre à la visite numéroté, chaque exemplaire est produit sur
Cette même année, Balla emménage dans son commande au prix de 7 000 €. Sinon, à partir
nouvel appartement de la via Oslavia, situé dans Prati, du 26 mai, à l’occasion d’une exposition consacrée
un quartier moderne urbanisé selon un strict plan à l’artiste au MAXXI de Rome, la mythique
de larges rues à angles droits. Il en décore les pièces Casa Balla de la via Oslavia, 39b, totalement
de motifs colorés, ne laissant pas un centimètre carré restaurée, sera ouverte au public (sur réservation).
de libre, du sol au plafond. Jusqu’en 1958, Balla En 1991, sous la plume d’Elisabeth Vedrenne,
vivra là, en famille, travaillant, créant, prenant Beaux Arts publiait un reportage sur cette
ses distances avec un futurisme étiolé, pour se tourner adresse légendaire. Vingt ans après, la voilà À VOIR
vers l’abstraction, puis le ฀guratif, célébré de son qui reprend ses esprits et ses couleurs. «Casa Balla – Dalla casa
vivant, exposé à la première Documenta de Kassel cassina.com all’universo e ritorno»
en 1955, trois ans avant sa disparition. En 1968, du 26 mai au 24 octobre
MAXXI Museo nazionale
paraît Balla : ricostruzione futurista dell’universo,
delle arti del XXI secolo
ouvrage signé Maurizio Fagiolo Dell’Arco, dans Via Guido Reni, 4/A • Rome
lequel ฀gure, daté de 1917, un dessin à la gouache +39 06 320 1954 • maxxi.art

22฀I฀Beaux Arts
making
places *
* habiter les lieux

usm.com

Dimensions, couleurs, aménagements : les meubles USM s’adaptent


à vos envies en permanence et de manière unique.
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Showroom : 23, rue de Bourgogne 75007 Paris – +33.1.53.59.30.37 – [email protected]


DESIGN

Eau précieuse
L
e Centre d’innovation et de design au Grand-Hornu,
en Belgique, aborde une question majeure des nouveaux
enjeux climatiques : l’eau. Initiée à Amsterdam par
Transnatural, à la fois éditeur d’objets et plateforme visant
à mettre en relation design et science, l’exposition «Après
la sécheresse – L’état aquatique» s’empare des dé฀s posés
par la pollution, la montée des eaux et la déserti฀cation à travers
les projets de 24 artistes et designers. Certains apportent
des solutions concrètes pour rendre l’eau potable, la récupérer,
la dépolluer ou lutter contre les îlots de chaleur en ville.
D’autres invitent à s’interroger sur des questions aussi
fondamentales que celle de la qualité de l’eau.
«Après la sécheresse – L’état aquatique» jusqu’au 25 juillet
Site du Grand-Hornu • Rue Sainte-Louise, 82 • Hornu (Belgique)
+32 65 65 21 21 • cid-grand-hornu.be • ouvert sur réservation

Filtering Glass Straw


Ulysse Martel •2018
Projet open source (libre de droits), cette paille en verre permet de filtrer
l’eau non potable. Composé d’éléments naturels – coriandre séchée,
poudres de charbon actif et de graines de moringa séchées – , son filtre
est maintenu par deux disques poreux de verre fritté et s’insère dans
deux tubes de verre emboîtés l’un dans l’autre. Alternative aux pailles
filtrantes en plastique, cette proposition a été finaliste du concours
A/D/O Water Futures Design Challenge, auquel plus de 2 000 designers
de 30 pays ont participé. ulyssemartel.com

Clams
Marco Barotti • 2019 Aéro-Seine #2
Isabelle Daëron •2016/2020
Clams consiste en une collection de sculptures sonores et cinétiques
fabriquées à partir de plastiques issus des mers et recyclés. Leur forme En été, entre Paris et les zones rurales d’Ile-de-France, la di฀érence
renvoie très directement à la coquille Saint-Jacques, mollusque connu de température peut atteindre jusqu’à 10 degrés. Pour faire baisser
pour être un détecteur de polluants. L’ensemble est installé dans des le mercure dans l’espace public de la capitale en cas de forte chaleur,
lieux baignés par l’eau d’une rivière, d’un lac, d’une mer, etc. Intégrant Isabelle Daëron a imaginé une «bouche de rafraîchissement». Elle
un haut-parleur et des capteurs de mesure de la qualité de cette eau, utilise le réseau d’eau non potable de la ville en provenance du canal
chaque coquillage en convertit les données en sons et en mouvements. de l’Ourcq et de la Seine, conçu au milieu du XIXe siècle pour l’arrosage
marcobarotti.com des espaces verts et le nettoyage de la voirie. Le système fonctionne
par débordement sur un sol constitué d’un matériau poreux. Il a été mis
en place rue Blanchard, dans le XXe arrondissement. studioidae.com

24฀I฀Beaux Arts
Par Claire Fayolle

EOD04
Frederik De Wilde avec l’université de Hasselt • 2008
L’artiste belge Frederik De Wilde a imaginé un dispositif qui permet
de rendre visible la qualité de l’eau d’après les signaux émis par
un poisson. Celui-ci, intégré dans un tube en Plexiglas, perçoit son
environnement par électroperception et communique avec ses
congénères en émettant de petites décharges. Ces signaux sont saisis
par des capteurs, convertis en sons par un logiciel relié à deux haut-
parleurs. Des diodes électroluminescentes s’actionnent également
en fonction des déplacements de l’animal dont les impulsions créent
un véritable spectacle son et lumière. frederik-de-wilde.com

Eliodomestico
Gabriele Diamanti • 2011
Rendre l’eau potable accessible à tous, tel est l’objectif de ce système
de désalinisation de l’eau de mer libre de droits. Facile à fabriquer avec
un matériau disponible partout – la terre –, il opère grâce à l’énergie
solaire par évaporation et condensation. L’objet est constitué de deux
contenants superposés. Celui du haut, rempli d’eau salée le matin, est
fermé et chauffé au soleil. Le récipient inférieur reçoit la vapeur d’eau.
En se condensant, elle produit une eau propre à la consommation
Aquatecture
Studio Sway • Shaakira Jassat • 2019
– jusqu’à cinq litres par jour. gabrielediamanti.com
Les sécheresses qui ont touché la région du Cap, en Afrique du Sud,
entre 2015 et 2018 sont à l’origine de ce projet destiné à recueillir
l’eau de pluie en milieu urbain dense. Utilisable sur les façades d’un
bâtiment existant, Aquatecture fonctionne aussi indépendamment,
pour constituer une station de collecte. L’eau s’écoule à travers
les orifices des panneaux vers un réservoir. Elle peut ensuite être
collectée dans le système d’eau grise du bâtiment support
ou stockée et assainie pour un usage ultérieur. studio-sway.com

Indus
Shneel Malik • 2019
Imitant la structure d’une feuille, la surface de chacune de ces tuiles
en céramique est couverte d’un hydrogel à base de micro-algues
qui élimine les toxines des eaux usées quand celles-ci s’y écoulent.
Élaboré dans le cadre d’un laboratoire de recherche – le Bio-ID Lab
de la Bartlett School of Architecture (Londres) –, ce système a été
conçu pour être produit facilement, avec des matériaux disponibles
localement et selon des techniques artisanales traditionnelles. Le but฀:
traiter les eaux usées pour les réutiliser. Tout simplement brillant !
ucl.ac.uk
MODE Par Selvane Mohandas du Ménil

Balenciaga : la mode d’après


Qu’il s’intéresse à la sculpture, à la politique, au jeu vidéo ou aux accessoires les plus banals,
le directeur artistique Demna Gvasalia se rapproche, saison après saison, du futur.

C
hristopher Wylie, jeune lanceur d’alerte
de l’affaire Cambridge Analytica en 2018,
est catégorique : «La mode et la politique,
c’est presque la même industrie.» Ce scandale,
rappelons-le, avait révélé le vol massif de données
personnelles que la société de gestion britannique
Balenciaga
avait siphonnées de dizaines de millions de comptes
Track Sculpture, 2021
Facebook a฀n d’optimiser les campagnes de Donald
Trump et du Brexit. Hormis le fait que le jeune data
scientist est désormais consultant pour des maisons
de prêt-à-porter, quel est rapport avec la mode ?
La réponse se trouve dans l’exposition «I Will Survive»
que le Centre Pompidou consacre à Hito Steyerl.
Première femme désignée «personnalité la plus
influente de l’année» par la revue ArtReview en 2017,
l’artiste allemande déploie sa pensée politique
dans de stupé฀antes installations immersives.
Telle Mission accomplished: Belanciege – créée en 2019
avec Giorgi Gago Gagoshidze et Miloš Trakilović
pour les 50 ans du Neuer Berliner Kuntsverein –,
qui interroge l’utilisation des algorithmes par la mode
à des ฀ns marketing. Face à des gradins bleu Europe
– couleur que Balenciaga avait utilisée comme toile
de fond à son dé฀lé printemps-été 2020 –, un
triptyque d’écrans montre comment la mode a évolué
depuis la chute du Mur, jusqu’à se confondre avec
l’identité politique individuelle.

Sneaker en laiton massif


Pourquoi un tel choix ? À la tête de la création chez
Balenciaga depuis 2015, le Géorgien Demna Gvasalia
s’est fait connaître par son approche ironique de
la consommation avec la marque qu’il avait lancée
précédemment, Vetements, surjouant la mise en Non content d’investir le gaming, Demna
scène de logos occidentaux sur des vêtements banals, Gvasalia se paie le luxe d’empiéter sur le monde
réminiscence de son adolescence post-soviétique. de l’art en vendant une sneaker grandeur
Avec Balenciaga, ses prises de position se font nature en laiton massif – œuvre qui, selon lui, met
radicales : il détourne le logo de la campagne en avant «la valeur sentimentale et le statut de
présidentielle de Bernie Sanders, critique les attributs trophée» de ses produits. Hyperactifs et multifacettes,
du pouvoir véhiculés par la mode dans un décor Gvasalia et Steyerl se répondent à la croisée des
pastichant le parlement européen, parle d’apocalypse chemins et des pratiques. L’un a réussi à faire de
climatique en faisant dé฀ler des mannequins sur Balenciaga une plateforme, voire un média,
un podium inondé… Il rajeunit la clientèle, qui dépassant la création de biens de consommation
plébiscite son approche iconoclaste : ses produits pour produire du signi฀ant culturel à l’état brut.
sont des hits, comme son luxueux détournement L’autre, à l’unisson avec Wylie, s’en inquiète À VOIR

du sac Ikea – considéré comme un «exemple parfait et rappelle que «l’identité est devenue un produit». «Hito Steyerl – I Will
Survive» jusqu’au 5 juillet
de ready-made» –, ses sabots compensés Crocs Gvasalia le sait parfaitement, mais se veut rassurant : (sous réserve) • Centre
vendus vingt fois le prix d’une paire originale en réinventant la mode et en la dépoussiérant, Pompidou • centrepompidou.fr
ou encore ses sneakers Toe à cinq doigts. Sa dernière il illustre son dicton (d’origine russe) favori : LE JEU INTERACTIF
collection, visible exclusivement en ligne, se «L’espoir est la dernière chose qui disparaît.» «Afterworld—The Age
of Tomorrow»
présentait sous la forme d’un jeu vidéo accessible
sur videogame.balenciaga.com
à tous et qui permettait de suivre un lapin blanc
LA COLLECTION
à la rencontre de la peintre et mannequin Eliza AUTOMNE฀HIVER 2021
Douglas, habillée en Jeanne d’Arc. Du jamais-vu. En magasin et en ligne ce mois-ci

26฀I฀Beaux Arts
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CINÉMA Par Jacques Morice

SORTIES DVD ET BLU-RAY


Toto, le héros marcassin
Ex-ouvrier agricole devenu cinéaste, Pierre
Creton est un drôle de zèbre, mi-peintre
paysagiste de la Normandie, mi-chroniqueur.
Va, Toto฀! est comme un album d’images,
de notations et d’impressions, sur des motifs
variés : le quotidien du village, un amant
paysan, de vieilles amies, la flore, les animaux.
Jamais mièvre et plein de charme.
Va, Toto฀! (2017) par Pierre Creton
éd JHR Films • DVD 26 €

Privé d’une véritable sortie au cinéma, ce ฀lm virtuose a remporté de nombreux prix.
Toto et Madeleine, dans leurs propres rôles.

Tueuse et innocente Quand le ciel s’est déchiré


Alain Resnais en avait intégré quelques
séquences dans Hiroshima, mon amour (1959).
Une société secrète organise des meurtres à distance Entre reconstitution réaliste et allégorie
en prenant possession des gens. De la SF très originale, de l’enfer, Hiroshima, réquisitoire déchirant
violente et conceptuelle, signée Brandon Cronenberg. d’Hideo Sekigawa, retrace la tragédie
du bombardement atomique, le jour J,

O
et des années après. Sorti en 1953,
ui, Brandon est bien le ฀ls de David Cronenberg. Un rejeton très
le film, resté longtemps invisible, est enfin
talentueux qui, loin d’imiter le grand déniaiseur de la SF horri฀que, disponible en version intégrale.
prolonge plutôt son travail et le réinvente. Après Antiviral (2012),
Hiroshima (1953) par Hideo Sekigawa
fantasmagorie autour d’un tra฀c de virus vendus comme de la came, voici éd. Carlotta • DVD et Blu-ray 19,99 €
Possessor, titre qui sonne comme un clin d’œil à Terminator. Dans une époque
indéterminée, une société secrète et puissante organise des assassinats pour le Sang pour sang Joann Sfar฀!
compte de clients richissimes. Elle le fait à partir d’une machine permettant le On n’est jamais mieux servi que par soi-même.
transfert du tueur à l’intérieur du cerveau de n’importe quel hôte, lequel se Joann Sfar a donc adapté lui-même sa propre
retrouve donc sous contrôle. Bonne idée : le tueur est ici une femme (Andrea BD culte sur les aventures du petit héros volant.
Riseborough, sobre et troublante), par ailleurs épouse et mère. Une travailleuse Tru฀é de clins d’œils cinéphiles, hommage
consciencieuse, mais mise en danger lorsque son «possédé» entre en résistance. au gothique comme à la Riviera, ce conte
initiatique mené sur un rythme endiablé ravira
Des visages à faire peur petits et grands, à partir de 7 ans.
Petit Vampire (2020) par Joann Sfar
On retrouve cette qualité rare qu’on avait tant aimée dans Antiviral : la polysémie.
éd. Studio Canal • DVD 14,99 € et Blu-ray 19,99 €
Mine précieuse à métaphores diverses, Possessor peut s’interpréter de diverses
façons, tout en respectant la loi du genre, à savoir faire peur. Il illustre aussi bien
le pouvoir dévorant de n’importe quel géant du numérique capable de nous
surveiller que le fantasme d’endosser le corps et l’identité d’un autre. À la fois
ultraviolent, conceptuel et cérébral, il a surtout la saine intelligence d’aller
à rebours de la surenchère visuelle. Pas de délire high-tech, mais des décors
discrètement rétrofuturistes ; pas d’effets spéciaux numériques, mais des effets
manuels (à base de prothèses). La consistance ou le mou, la texture, le style
s’en retrouvent rehaussés – on a cru voir un moment le visage qui fond du Cri
d’Edvard Munch. Dernier atout : l’ironie, éloignant toute vanité. Pour preuve,
cette réplique savoureuse que lance un moment la femme à son mari «possédé» :
«Tu as l’air bizarre aujourd’hui, je te trouve informe.»

Possessor de Brandon Cronenberg • en VOD ou DVD et Blu-Ray


éd. Joker Films • 16,99 € et 19,99 € Avec les voix de Camille Cottin, Alex Lutz, Joann Sfar…

28฀I฀Beaux Arts
ART CONTEMPORAIN
5 ventes par an
Mai, juin, août, octobre et décembre

Bernar Venet (né en 1941). Position of Two Indeterminate Lines, 1984. Graphite sur bois, 207 x 360 cm
Proposé à la vente du Tour Auto Aguttes le 30 août 2021

Prochaine vente : 18 mai 2021, 14h30 Expertises gratuites et confidentielles sur rendez-vous
Catalogue et informations sur aguttes.com en France et dans toutes les grandes villes d’Europe.
Spécialiste Nous recherchons les signatures : Fernando Botero,
Ophélie Guillerot Bernard Buffet, Alexander Calder, Christo et Jeanne Claude,
*sans actionnaire extérieur

+33 (0)1 47 45 93 02 - [email protected] Robert Combas, Olivier Debré, Sam Francis, Hans Hartung,
Yves Klein, André Lanskoy, Georges Mathieu, Henri
Ventes en préparation : 28 juin et 30 août 2021
Michaux, Yan Pei-Ming, Pablo Picasso, Kazuo Shiraga,
1ère maison de ventes aux enchères indépendante en France* Niki de Saint-Phalle, Pierre Soulages, Chu Teh-Chun,
Neuilly-sur-Seine • Paris • Lyon • Aix-en-Provence • Bruxelles Walasse Ting, Bernar Venet, Claude Viallat,
aguttes.com | Suivez-nous Fabienne Verdier, Zao Wou-Ki, Huang Yong Ping...
LIVRES

ENTRETIEN AVEC ANNIE LE BRUN

«Corrompue, l’image
devient corruptrice»

Commissaire de l’exposition magistrale «Sade – Attaquer le soleil» en 2014, elle prépare


une rétrospective consacrée à la peintre surréaliste Toyen. Écrivaine, poète et critique d’art,
Annie Le Brun publie un essai, coécrit avec Juri Armanda, sur «les images sans imagination,
le regard sans yeux, la liberté domestiquée» à l’ère numérique. Une ode à l’insurrection.

Le titre de votre livre, Ceci tuera cela, de Pline l’Ancien sur l’origine de l’image, apparaissant
reprend celui d’un chapitre de Notre-Dame avec le geste d’une jeune femme qui dessina le contour
de Paris de Victor Hugo, pouvez-vous nous de l’ombre de son amant appelé à partir, la révèle
expliquer pourquoi ? même comme la forme née de l’étreinte du désir
Ce titre renvoie à une réflexion du personnage Frollo, et de l’imagination. L’analyse de Walter Benjamin
l’archidiacre de la cathédrale, qui, contemplant concernant l’œuvre d’art à l’époque de sa
l’édi฀ce au moment même où l’imprimerie est reproductibilité mécanique (1936) montrait déjà
en train de naître, estime que le livre imprimé va comment la reproduction de l’image spoliait celle-ci
anéantir le livre d’images constitué par les sculptures de son aura, mais sans pour autant atteindre
des chapiteaux. Hugo fait allusion à une crainte son contenu. Avec la distribution exponentielle
qui se manifeste à chaque fois qu’une révolution de l’image, mise à la portée de tous – ne serait-ce
technique touche les moyens d’expression. que par les smartphones, reliant production
C’est une angoisse récurrente que l’on a vue aussi et distribution –, son contenu importe moins
bien chez Baudelaire, quand il parle de la que le nombre de fois où elle va être vue. Arrachée
photographie menaçant de mort la peinture, de son contexte, elle ne montre plus : elle se montre.
que chez Umberto Eco suggérant que l’informatique Elle est soumise à la dictature de la visibilité,
allait tuer le livre… Manifestement, avec la révolution où contrôle et pro฀t se confondent. Il ne s’agit plus
numérique, quelque chose disparaît. Mais c’est de la perte de l’original, mais de son anéantissement.
en vain qu’on chercherait cadavre ou criminel, Tel un ver dans le fruit, le nombre s’est introduit
pour la simple raison qu’Internet ne tue rien ; dans l’image et n’a cessé d’y croître, jusqu’à en faire
au contraire, il intègre tout. Tel a été le point une sorte d’agent du capital. Et même un agent
de départ de notre réflexion, avec Juri Armanda : double, misant sur l’équivoque de sa force de
trouver ce qui était en train d’être annihilé. séduction pour camoufler son asservissement
Sur ce point, les critiques du numérique, aussi au monde numérique.
pertinentes fussent-elles, nous paraissaient
insuffisantes. Jusqu’à ce que nous nous apercevions Comment se traduit ce dévoiement de l’image ?
qu’elles avaient fait une sorte d’impasse sur l’image. L’épisode de l’autodestruction, en direct, devant
Pourtant, plus nous réfléchissions, plus l’image caméras et smartphones du monde entier, de l’œuvre
nous paraissait être le lieu où se jouait l’essentiel. de Banksy, Girl with Balloon, à Londres en octobre
Quelque chose d’inquiétant est en cours : 2018 lors de sa vente aux enchères par Sotheby’s,
le nombre a pénétré l’image pour la vider est édi฀ante. Au moment même où elle est adjugée
de son sens, de son contenu, de son être. 1,2 million d’euros, la toile est découpée en lamelles
par un mécanisme intégré au cadre censé la protéger.
En quoi l’image serait-elle menacée ? La scène devient virale, tout comme la vidéo
Depuis toujours, l’image est ce qui nous permet que Banksy met en ligne quelques jours plus tard.
d’être ailleurs, c’est une donnée fondamentale Érigé comme un geste subversif, l’acte est en réalité
de la pensée humaine, en même temps que la plus tout le contraire. Les experts ne s’y trompèrent pas
juste expression de la liberté. Le récit mythique en expliquant que, loin de détruire son œuvre,

30฀I฀Beaux Arts
l’artiste en avait créé une nouvelle, en choisissant
de le faire sur son lieu de vente, avant de la renommer
Love Is in the Bin. Plus que la naissance d’une œuvre,
il s’agissait de la destruction de l’image en tant
que telle. N’existant plus que pour être distribuée,
elle est dé฀nie par le nombre de ses visionnages.
Moment fondateur qui consacre l’équivalence
de l’image et de l’argent. Ce qui pouvait passer
pour symbolique s’est trouvé entériné le 11 mars
dernier avec le record de vente d’une œuvre
entièrement numérique acquise 69,3 millions de
dollars chez Christie’s, opération rendue possible
grâce à une nouvelle technologie d’authenti฀cation,
utilisant la blockchain des cryptomonnaies.

Quel impact cela a-t-il sur notre propre regard ?


Bercés par l’illusion d’une plus grande liberté, nous
sommes en réalité prisonniers d’un système dominé
par la marchandisation de tout, à commencer par
notre regard. Le nombre de visionnages de l’image
se substitue au regard. Le remplace, en effet, le regard
sans yeux du monstre technologique, obéissant Banksy
au principe de similarité qui régit les algorithmes. Love Is in the Bin,
précédemment
La première victime en est l’imagination. Car,
intitulé Girl with
à travers cette immense masse d’images, nous ne
Balloon, 2018
cherchons plus qu’à nous reconnaître. De regardeurs
nous sommes devenus des suiveurs.

L’intrusion de la technologie dans l’image une surveillance accrue par le biais de l’image. * Étude du regard basé sur
ses points et temps de ฀xation
serait-elle en train de recon฀gurer nos modes Les techniques de l’eye tracking* ou du pixel utilisée dans le domaine
de pensée ? tracking**, elles-mêmes invisibles, rendent le regard du marketing.
Oui, et c’est ce qui est dramatique. Chacun peut visible. Corrompue, l’image devient corruptrice.
désormais zoomer dans une image, moduler son ** Utilisation d’une image invisible
pour collecter des informations
rapport au monde, abolir les notions d’échelle, Comment y échapper ? Le salut pourrait-il venir sur les activités des internautes.
de perspectives, de distance. Privé de point de fuite de la confrontation directe avec l’œuvre d’art ?
et de la possibilité d’un horizon in฀ni, ne reste C’est la grande question que nous continuons
que Moi. L’image, devenue virale, d’Hillary Clinton, de nous poser avec Juri Armanda. D’autant que
alors candidate à la Maison Blanche, à l’aéroport la crise sanitaire n’a fait que con฀rmer des
d’Orlando en septembre 2016, est éloquente : hypothèses que nous jugions au départ improbables.
une foule de jeunes gens réunis pour la soutenir Nous restons néanmoins convaincus qu’au point
lui tournent le dos a฀n de se prendre en sel฀e le plus sombre du paysage, une étincelle peut
avec elle, de sorte qu’elle se retrouve isolée. toujours surgir. Les manifestations à Hong Kong
Il n’y a plus qu’une profusion de regards parallèles, qui ont vu fleurir les parapluies multicolores
comme s’il était désormais socialement impossible et des grimaces sur les visages pour tromper
de trouver un point de vue commun. Dépourvu les caméras de surveillance et la reconnaissance
d’enjeu émotionnel, le sel฀e est la première image faciale, ont signi฀é que, pour un temps, l’imagination
de l’Histoire qui n’est porteuse d’aucun secret. et l’humour parvenaient à déjouer la pire
En fusionnant le fait de regarder et celui de se sophistication technologique. Et cela au point
montrer, il abolit l’espace collectif et occulte de confluence entre totalitarisme marchand
l’espace réel. L’œuvre d’Anish Kapoor, Cloud Gate, et totalitarisme policier. On peut espérer que,
gigantesque sculpture miroir installée en 2006 devenue insupportable, la pandémie fasse voir
dans le Millennium Park de Chicago, illustre ce la nécessité d’échapper au présent sans présence,
phénomène : au lieu d’être ouverte, cette soi-disant auquel nous condamne la prison d’images
porte est une structure hermétique qui nous qui s’est refermée sur nous. Tout peut faire
renvoie à notre propre image. Comme le Cloud brèche en ce sens. Du rire à la grande insurrection
numérique, le Cloud de cet artiste chéri du marché lyrique, c’est par l’imagination que la vie n’a Ceci tuera cela
Image, regard et capital
nous referme sur nous-mêmes sans possibilité peut-être pas encore ฀ni de reprendre vie.
par Annie Le Brun
d’embrasser le lointain. Nos vies semblent nous et Juri Armanda
échapper de plus en plus. Cela va de pair avec Propos recueillis par Daphné Bétard éd. Stock • 290 p. • 20 €

Beaux Arts฀I฀31
LIVRES

Brunelleschi en perspective
Cet ouvrage aussi savoureux qu’érudit réunit
deux récits du Quattrocento dont le héros
commun est le brillant architecte et inventeur de
la perspective, Filippo Brunelleschi (1377-1446).
Le premier, Nouvelle du menuisier qu’on appelait
le Gros, relate une farce, devenue célèbre
à Florence, que Brunelleschi fit à un menuisier,
le persuadant qu’il était devenu un autre.
Il est suivi de la première traduction française
Nouvelle du menuisier de Vie de Brunelleschi, un texte jusqu’alors
qu’on appelait le Gros, connu des seuls spécialistes de la période, qui
suivie de précède de près d’un demi-siècle celui de
Vie de Brunelleschi Giorgio Vasari (qui a fixé le genre de la biographie
par Antonio Manetti
d’artiste)… Écrit par le mathématicien et savant
éd. Trente-trois morceaux
152 p. • 21 € florentin Antonio Manetti (1423-1497) vers 1485,
ce diptyque permet d’appréhender la
personnalité, l’ingéniosité et l’œuvre complexe
de Brunelleschi, pour qui l’architecture
n’est «pas seulement une question d’idéal
et de savoir, mais de ruse et de stratégie».
Une sentence que la lecture de cet ouvrage
ne contredira pas. Solène de Bure

Polar arty
Zanele Muholi Bhekezakhe, Parktown, Johannesburg, 2016 Seymour est un homme qui prend son temps,
surtout quand il a bu la veille… Pourtant,

Monumentale lorsqu’on lui propose une mission


aussi périlleuse que crapuleuse, il accepte

Zanele Muholi
immédiatement. Le dénommé Gordji, un escroc
notoire qui évolue dans le monde de l’art,
l’envoie à Genève pour faire l’acquisition de

À
l’occasion de la rétrospective que la Maison européenne de précieux tableaux avant leur vente aux enchères.
la photographie consacre à la Sud-Africaine Zanele Muholi, Les toiles sont entreposées dans un endroit
qui suscite curiosité et fantasmes : un port franc.
Delpire & Co frappe fort en coéditant un livre très attendu,
Port franc Manuel Benguigui signe un quatrième livre
déjà classique aux États-Unis. Somnyama Ngonyama («Salut à toi, par Manuel Benguigui original, dans lequel il s’approprie le genre du
Lionne noire», en zoulou) réunit 96 autoportraits d’une intensité éd. Mercure de France polar de son écriture à la fois fluide et nerveuse.
rare, superbement imprimés en trois tons. L’«activiste visuelle», 168 p. • 15 €
Le lecteur se retrouve plongé dans le milieu
comme elle se dé฀nit, apparaît sur la couverture de l’ouvrage coiffée des ventes de tableaux de maîtres, qui
d’une couronne évoquant celle de la statue de la Liberté. Mais se chi฀rent en millions d’euros. Et si le côté
la sienne ne rayonne guère : elle est faite d’éponges à récurer. Seuls excentrique de cette aventure est assumé,
les yeux de l’artiste parviennent à percer l’obscurité pour éclairer on sent bien que l’auteur, qui fut longtemps
le monde. Majestueux hommage à sa mère, ce cliché rend justice galeriste, connaît le sujet et le milieu. S. d. B.
à celle qui aura passé sa vie à élever des enfants blancs loin des
siens et dont aucune photo n’a documenté l’existence, hormis
celles, humiliantes, imposées par le régime d’apartheid. Opérant Dans le secret des sciences
un glissement de sens entre maid («employée de maison») et myID occultes
(«mon identité»), notre Lady Liberty, inlassable militante LGBT+, Dans un monde uniformisé par le tout
entend produire son propre récit et sa propre archive visuelle, où son numérique, dominé par une approche
image vaudrait pour toutes celles et ceux qui s’y reconnaîtront, qu’ils/ rationaliste et contraint par l’idée de progrès,
elles soient noir(e)s, queer ou non binaires. Avec, pour toute parure, rien d’étonnant à ce que les sciences occultes
des pinces à linge, des serre-câbles (ces nouvelles menottes) ou connaissent un regain d’intérêt dans nos
autres petits riens, «l’autoportrait fournit à Muholi l’occasion de sociétés sentimentales malmenées. De la magie
mésopotamienne aux formes contemporaines
se purger de siècles de poison, de se réconforter
du «néopaganisme», ce livre pas comme
par l’ironie, tandis qu’elle se dé฀nit selon Occulte – Sorcellerie,
ses propres termes», formule très justement magie et alchimie de les autres vous initie aux pratiques ésotériques
l’Antiquité à nos jours les plus troublantes, avec pour compagnons de
M. Neelika Jayawardane, l’une des 24 auteures par Christopher Dell voyage Dürer, Goya, Burne-Jones, les mosaïstes
et poètes ayant participé à cette puissante éd. Cernunnos de Pompéi et pléthore d’illustres inconnus
introspection collective. Natacha Nataf 398 p. • 39,95 € qui ont tenté d’en percer les mystères. Les rites

Somnyama Ngonyama («Salut à toi,


druidiques, mystiques kabbalistiques, l’alchimie,
Lionne noire») par Zanele Muholi le chamanisme, le vaudou, la sorcellerie d’hier
ouvrage collectif traduit par Sylvie Schneiter et d’aujourd’hui n’auront plus de secrets pour
coéd. Delpire & Co / Aperture • 212 p. • 72 € les lecteurs de cet ouvrage bientôt culte ! D.฀B.

32฀I฀Beaux Arts
Sean Scully
Entre ciel et terre
Paris Marais
Mai—Juin 2021

Thaddaeus Ropac
London Paris Salzburg
CULTURE NUMÉRIQUE Par Lea Schiavo et Charlotte Ullmann

NOUVEAU SITE DU LOUVRE

482฀000 œuvres réunies฀!


M
algré la fermeture, le musée du Louvre
ouvre grand ses portes virtuelles
en donnant accès à environ 75 % de
ses œuvres (exposées, prêtées ou en dépôt
dans ses réserves). Lancée en mars, la base
de données Collections.louvre.fr permet d’accéder
à 482 000 notices d’œuvres et objets, soit plus
de 680 000 photos. Elle rassemble également
la collection du musée national Eugène Delacroix,
les sculptures du jardin des Tuileries, ainsi
Détail de la Paix ramenant l’Abondance (1780) de Louise-Élisabeth Vigée-Le Brun, que toutes les œuvres récupérées après la Seconde
sur la page d’accueil du site Collections.louvre.fr
Guerre mondiale et placées au Louvre dans
l’attente de leur restitution aux familles spoliées,
les fameux MNR (Musées nationaux récupération).
Pour explorer cette masse extraordinaire
d’informations, plusieurs outils et ฀ltres sont
disponibles : par médium (peintures, objets,
meubles, textiles…), thématique (l’art du portrait ;
rois, reines et empereurs ; nouvelles acquisitions…),
etc. On déplore quelque peu le manque
de textes descriptifs des œuvres, dont seules
des caractéristiques techniques (dates, pays
d’origine, dimensions) sont renseignées.
Mais le plan interactif, qui permet de localiser
une œuvre à peine aperçue dans le plus
grand musée du monde, est des plus réussi.
collections.louvre.fr

TÉLÉVISION
VIDÉO
Masterclass de photographes
Un poisson d’avril très sérieux
Que peuvent bien se dire six photographes entre eux ? Réponse avec (dans l’ordre
«Mieux vaut en rire qu’en pleurer», c’est sûrement ce que se
d’apparition ci-dessous) Karim Sadli, Patrick Chauvel, Charlotte Abramow, Véronique
sont dit les équipes du musée des Arts asiatiques- Guimet,
de Viguerie, Paolo Roversi et Jane Evelyn Atwood, réunis par Antoine de Caunes.
en ces temps de fermeture des musées, en réalisant ce film
Photographes de mode, correspondant de guerre, portraitiste ou photojournalistes,
d’environ sept minutes. Présentée comme un compte rendu
ils ont chacun une vision singulière
de recherches archéologiques très sérieuses, où il est
de la photographie et une manière propre
question de percer le mystère de rencontres mystiques dans
«d’éclairer le monde». Tous partagent
des lieux secrets appelés «musées» ou «expositions»,
cette quête insatiable de l’humain et de
cette vidéo, parue le 1er avril, se regarde avec délectation !
«l’instant décisif». Ils se racontent avec
passion dans une masterclass captivante. «Guimet Underground – C’était quoi un “musée”฀?»
À voir sur YouTube
«Profession฀: photographe»
Une collection animée par Antoine de Caunes
Redi฀usion le samedi 24 avril à 11 h 25 PODCASTS
sur Canal+
Dans l’intimité des Monuments
JEU EN LIGNE Le Centre des monuments nationaux (CMN) se raconte avec
une saison de podcasts : «Les Monuments sur le divan».
Meublez votre intérieur avec des pièces de musée Que voit-on, qu’entend-on, lorsqu’on se promène dans un édifice
Avec «Une histoire des styles et des tendances», le musée des Arts décoratifs à l’histoire millénaire ? Le premier épisode, Plongée dans
(MAD) o฀re une plongée ludique dans l’histoire du mobilier. Pour tous, la personnalité de l’abbaye de Cluny, donne la parole aux agents
amateurs ou experts, le jeu propose d’associer chaque meuble (il y en a 100) de Cluny, qui nous en confient les secrets les plus intimes.
à la période stylistique qui lui correspond, du Moyen Âge aux années 2000. Les couleurs, les sons, les «cicatrices» de l’abbaye y sont évoqués
Le tout est accompagné de fiches rédigées par l’équipe scientifique du musée. comme si on lui prêtait une existence humaine. Avec ce podcast,
En prime, un mode freestyle permet de constituer l’intérieur de ses rêves, le CMN propose une approche sensorielle de son patrimoine,
en faisant fi des règles historiques et décoratives. Créatif ! une proximité avec l’auditeur, augmentée grâce à une réalisation
soignée et un habillage sonore évocateur.
«Une histoire des styles et des tendances»
À partir de 11 ans • histoiredesstyles.madparis.fr «Les Monuments sur le divan» Disponible sur Apple Podcasts,
Deezer, Google Podcasts, Spotify et YouTube

34 I Beaux Arts
Siège d’André & Cie, Lausanne (1959-1962). Sous-face de l’escalier du hall © Christian Richters – Design graphique : Benoît Cannaferina © Cité de l’architecture & du patrimoine

PALAIS DE CHAILLOT. PARIS ฀ TROCADÉRO


JEAN

12.05
CITEDELARCHITECTURE.FR
EXPOSITION
ARCHITECTE
TSCHUMI

19.09.21
PHILO Par François Cusset

La nuance, de toute urgence


Contre la «brutalisation» du débat public, le journaliste Jean Birnbaum appelle à la modération
en relisant Camus, Arendt et autres esprits libres du XXe siècle. Excessivement stimulant฀!

U
ne société où la surenchère fait rage
entre les fous de Dieu et les paranos
du «grand remplacement», un monde
où l’hystérie populiste étouffe tout dialogue,
des réseaux où les algorithmes privilégient
toujours l’insulte et l’extrémisme, un pays
dont la ministre de l’Enseignement supérieur
estime que «l’islamo-gauchisme gangrène»
l’université… autant de signes qu’aujourd’hui
les vertus de la prudence et de la modération
cèdent le pas devant ce que Georges Bernanos
appelait, il y a un siècle, «le patois des propagandes».
Une langue triste, morte, mais hurlée si fort qu’elle
recouvre toute autre parole. Ce début de millénaire
obsédé de clashs, de descentes en ฀ammes
au lieu d’arguments, a de quoi faire se retourner
dans leurs tombes, comme un mauvais rêve,
les quelques esprits libres qui osèrent défendre,
dans l’incendie du XXe siècle, cet «héroïsme
de la mesure» et ce «goût de la franchise» qu’on
n’entend plus dans le concert des sourds et des
stéréotypes. Citons Albert Camus et son «devoir
d’hésiter», George Orwell et sa «décence ordinaire»,
Hannah Arendt et ses dialogues d’amitié,
Roland Barthes debout contre les idéologues
et leur pensée «ventouse»…
multiséculaire déjà, a son pendant chez les artistes. Joseph Beuys
Julien Prévieux plutôt que Je฀ Koons Aux provocations trop littérales de certaines stars Capri-Batterie, 1985
Au moment où ces valeurs d’honnêteté et de de l’art contemporain (Paul McCarthy et Jeff Koons
fair-play, d’écoute et d’équilibre, semblent peu en tête), d’autres (Julien Prévieux, Shirin Neshat…)
compatibles avec les tweets et les nouveaux préfèrent un art de l’ambivalence et du décalage.
boucs émissaires, Jean Birnbaum leur consacre N’oublions pas non plus qu’aux ฀amboyances
un petit essai revigorant, sous le noble patronage des peintres pompiers et aux contrastes trop appuyés,
de ces grands solitaires du siècle passé. Et le fossé, les Nabis (Pierre Bonnard, Édouard Vuillard, Félix
comme hier, entre un tel «courage de la nuance» Vallotton…) opposèrent la nuance chromatique
et les aboiements environnants est décidément et l’ésotérisme discret. Et que durant la guerre froide,
abyssal. Imagine-t-on Orwell, sur un plateau télé, en plein dialogue de sourds entre le vitalisme yankee
féliciter sincèrement, comme il a pu le faire, des expressionnistes abstraits et le sacerdoce docile
un critique féroce de son œuvre ? Ou Arendt, des réalistes-socialistes, l’art conceptuel se déploya
sur un réseau social, opposer un à un ses arguments dans l’ombre, en visant la sensation ténue,
à un complice dont elle ne partagerait pas l’expérience ambiguë, le sens caché, non imposé,
les conclusions ? Ou encore Derrida répondre qui reste à construire. C’était pareil, déjà, de la
calmement, comme il le faisait encore en 2001, statuaire antique aux primitifs ฀amands, du
que le dialogue et la vie, les livres et l’action, Quattrocento italien à la fresque libertine : certains
les étagères pleines d’idées et le sentiment n’ont pas eu besoin d’une frontalité agressive,
d’exister sont une seule et même chose, et jamais d’une surenchère visuelle, d’une opposition
ne devraient être séparés ? Alors que la langue systématique à leurs prédécesseurs pour arriver
de bois est désormais managériale, que le mensonge à déplacer le regard et à stimuler la pensée.
et la novlangue sont produits avant tout par Autant de leçons, simples, que le brouhaha ambiant
la mondialisation néolibérale, on peut se demander tend à faire oublier – pour le pire.
si convoquer contre nos excès contemporains
ce cortège de belles âmes antitotalitaires est
À LIRE
aussi pertinent que l’aimerait Birnbaum. Mais
Le Courage de la nuance
il n’en a pas moins raison de conclure qu’«il n’y a par Jean Birnbaum
pas plus radical que la nuance». Cette logique-là, éd. Seuil • 40 p. • 14 €

36฀I฀Beaux Arts
LA CHRONIQUE
de Nicolas Bourriaud

Faut-il avoir les jetons฀?


La vente récente d’une œuvre médiocre au format JPEG pour près de 60 millions d’euros
laisse perplexe. Pire, elle ringardise les arts numériques au lieu de les valoriser.
ous avez certainement entendu parler

V des NFT, acronyme anglais pour «jetons


non cessibles», les non-fungible tokens *.
Vous avez été surpris d’apprendre qu’un «jeton
non cessible» avait été récemment adjugé à près
de 60 millions d’euros, faisant d’un dénommé
Beeple l’un des artistes les plus chers au monde,
après Jeff Koons et David Hockney. Pas mal
pour un inconnu, dont le marché de l’art estimerait
donc l’œuvre comme aussi importante que 
celles de Picasso, Hokusai, Botticelli ou Vermeer.
Quand on y regarde de plus près, le chef-d’œuvre
en question, d’une rare innocuité, se résume à une
compilation de vignettes au mieux sympathiques,
des mèmes que ne sous-tend aucune vision du
monde, sans parler de pensée. Une huile de vidange
de disque dur. Ce qui nous frappe, c’est la prétention
d’un vague faiseur d’images à rivaliser, par la grâce
d’une enchère, avec David Hockney : autant publier
les mémoires d’Annie Cordy dans la Pléiade,
ou donner le salaire de Kylian Mbappé à un joueur
de National 2. Cela dit, la question des NFT,
avant de constituer un fait esthétique, se présente
comme une évolution du marché. Il est évident
que la crise sanitaire a joué un rôle dans cette
soudaine ubérisation, qui se manifeste par des objets fongibles ou non fongibles, mais Beeple
l’apparition d’un mode d’accession à la propriété se passionnaient pour des œuvres. Un investisseur Everydays: the First
5000 Days, 2021
évacuant tout «présentiel». sans projet culturel n’est pas un collectionneur d’art ;
pour ce genre de compulsifs, on ne peut que
Pourquoi les étrons d’ornithorynque souhaiter la réouverture des casinos et des salons
ne valent rien nautiques. Car c’est la collection qui fait le
La vérité, c’est que les NFT témoignent d’un retard collectionneur et qui légitime son éventuelle autorité
de l’art numérique sur l’art contemporain : dans sur le marché de l’art. Le NFT n’est qu’une fausse
les années 1970, Lawrence Weiner et Daniel Buren nouveauté, mais ce qui nous frappe dans sa
négociaient déjà leurs œuvres sous forme de tonitruante promotion, c’est son statut de cheval
«jetons non cessibles», qui étaient alors des contrats- de Troie pour des mutations bien plus inquiétantes.
modes d’emploi sur papier. Ces artistes n’avaient D’une part, il nous habitue à percevoir l’œuvre d’art
attendu personne pour contrôler les protocoles sous l’angle unique d’une appropriation, reléguant
de monstration et de circulation de leurs travaux. du même coup l’art numérique au rang des biens
Ils estimaient que cela faisait partie intégrante mobiliers : c’est la revanche du notaire sur la critique
de leur pratique, et l’on ne peut que regretter d’art. Au lieu d’en souligner les spéci฀cités, le NFT
que leurs successeurs s’en remettent à un marché ringardise le pixel. D’autre part, il fait passer au
arti฀ciel apparemment peuplé de margoulins second plan les vraies préoccupations des artistes
sans discernement. Il s’agit de «créer de la rareté d’aujourd’hui, et notamment les problématiques
numérique», lit-on. Mais si le diamant est rare, écologiques. Artnet News, sous la plume de
les étrons d’ornithorynque le sont tout autant. Tim Schneider, rappelle ainsi l’impact désastreux
* Ces jetons virtuels permettent
Pourquoi ne valent-ils rien ? Je vous laisse la réponse. de la blockchain** – sur laquelle reposent de vendre des œuvres diffusées
Il suffirait pourtant qu’un individu, dont les critères les NFT –, qui «consomme autant d’énergie à l’année sur Internet, via des titres de
propriété uniques, infalsi฀ables
de choix nous sont tout aussi inconnus que qu’un pays comme l’Équateur». En฀n, comme et non interchangeables.
les œuvres constituant sa supposée collection, le déplore Dean Kissick dans la revue Spike, il est
y investisse 60 millions d’euros. Les eût-il versés le symptôme d’une «hallucination collective ** Technologie de stockage
pour acquérir un Beeple, cela ne nous émouvrait dans laquelle un art fatigué, le pop recyclé, le et de transmission
d’informations transparente,
pas davantage. Les grands collectionneurs, mauvais goût et l’hyperspéculation tourbillonnent sécurisée et fonctionnant
un Chtchoukine ou un Barnes, n’achetaient pas et se rejoignent dans la vie moderne».  sans organe central de contrôle.

Beaux Arts฀I฀37
LA CUISINE DE L’ART
d’Alain Passard

Kandinsky au rayon fraises


Inspiré par une toile du pionnier de l’abstraction, le chef trois-étoiles Alain Passard a composé
spécialement pour Beaux Arts une salade fraîche aux couleurs du printemps.

L
es premières couleurs qui aient fait sur moi une grande
« impression étaient du vert clair et plein de sève, du blanc,
du rouge carmin, du noir et de l’ocre jaune. Ces souvenirs
remontent à ma troisième année. J’ai vu ces couleurs sur différents
objets que je ne me représente pas aujourd’hui aussi clairement que
les couleurs elles-mêmes.» Comme il l’explique dans son ouvrage
Regards sur le passé (1913), la mémoire joue un rôle central dans l’œuvre
de Vassily Kandinsky (1866-1944). Après avoir pioché dans le répertoire
du folklore russe de son enfance et exploré toutes les possibilités
des grands courants de la modernité (de l’Art nouveau au fauvisme
et aux Nabis) à la veille de la Grande Guerre, le peintre s’en remet
aux dissonances du monde chromatique et à la «nécessité intérieure»
de la ฀gure pour faire advenir l’art abstrait. Affranchies du réel,
les formes dansent sur la toile dans des compositions harmonieuses,
rythmées et pensées à l’image de partitions musicales pour faire
vibrer l’âme du spectateur. Enseignant au Bauhaus de Weimar à partir
de 1921, Kandinsky accorde plus d’attention encore aux formes
géométriques pures, avec une prédilection pour les cercles et lignes
droites qui se rencontrent, se frottent et s’entrechoquent dans une
œuvre qu’il dé฀nit alors comme «un grand calme avec une forte tension
intérieure». En témoigne cette ronde de 1923, où les éléments semblent
s’agiter dans un mouvement limité par un puissant cerceau noir.
L’ŒUVRE Vassily Kandinsky Cercles dans un cercle, 1923 Daphné Bétard

LA RECETTE

Carpaccio de fraises et de navets


en transparence
Ingrédients pour 4 personnes
Ò 1 douzaine de fraises Gariguette ou Mara des bois
Ò 4 petits navets nouveaux
Ò Quelques feuilles de jeunes plants de salade
Ò Huile d’olive
Ò Jus de citron (ou vinaigre de framboise)
Ò Fleur de sel
Ò Poivre noir de Penja ou de Sarawak

➊ Avec la mandoline, trancher finement


les navets, en transparence.
➋ Couper les fraises au couteau.
➌ Sur une assiette, faire délicatement couler
un trait d’huile d’olive en zigzag. Puis alterner
les tranches de navet et de fraise en les disposant
à moitié les unes sur les autres.
➍ Ceinturer le carpaccio d’un petit mélange
de salades de saison, type mesclun.
➎ Ajouter quelques gouttes de citron ou de vinaigre
de framboise et, au dernier moment, une pointe
de ฀eur de sel et un petit tour de moulin à poivre.
฀Servir avec un pain au pavot.
Suggestion de vin฀: champagne rosé Fabrice Pouillon 1er cru.

38฀I฀Beaux Arts
658-Une idée sur le toit

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La folie du Hissé au rang du culte, le vintage
relève autant du collector muséal

vintage que de la seconde main. D’époque,


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aux enchères, il s’est imposé comme
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40฀I฀Beaux Arts
Jeu d’équilibre entre
un fauteuil Tubo, de Joe
Colombo, édité en 1969
par Flexform, et une lampe
Arco, d’Achille et Pier
Giacomo Castiglioni, éditée
depuis 1962 par Flos.

Beaux Arts฀I฀41
SPÉCIAL DESIGN l LA FOLIE DU VINTAGE

D
érivé du mot français «vendange», vintage est À ce jeu de cadavres exquis, les Italiens furent des cham-
un mot anglais servant à désigner une année pions. De Cassina à Zanotta, d’Artemide à Flos, de B&B Ita-
ou une époque de référence pour des vins et lia à DePadova, la plupart des fabricants et éditeurs déci-
spiritueux, et par extension, d’autres biens tels deront de la remise en production de leurs références
que les voitures, motos et vélos de collection, historiques en puisant légitimement dans leurs archives.
mais aussi la photographie (pour les tirages originaux Une opération bénie soit par les architectes et les designers
d’époque). Vénérable, classique, ancien, le vintage est par – encore vivants – qui en étaient les créateurs, soit par leurs
essence indissociable d’une certaine notion d’authenticité. ayants droit ou les fondations attitrées, souvent exigeantes.
En matière de mode, le vintage fut de prime abord utilisé Seules des différences de traitement (peinture, couleur,
pour désigner l’engouement, à partir des années 1980, pour détails techniques) permettront de différencier alors les
des vêtements féminins datés de plus vingt ans. Après la rééditions des originaux. Visant le grand public, ce marché
mode, le vintage s’est emparé du design, autour du mobi- sera méprisé par les puristes qui ne considèrent que les
lier d’après-guerre jusqu’aux années 1980. séries originales, unique facteur de l’estimation des prix.
Ce sont Peter et Deborah Keresztury, inventeurs et pro- Quoique. Au réjouissant et pervers petit jeu des spécula-
moteurs des Vintage Fashion Shows à San Francisco, qui tions entre initiés, certains estiment désormais que la pre-
furent au début des années 1990 à l’origine de l’expression mière série/année d’une pièce officiellement rééditée
vintage western, pour décrire le mobilier, les arts de la table, depuis 1999 suscite sa propre valeur sur le marché du col-
la céramique, les tapis, les tissus d’ameublement et la ver- lector. Valeur d’autant plus gonflée si la pièce en question
rerie décorative des années 1940 à 1960, produits en série et a été rééditée en série limitée ou numérotée.
en masse pour le marché américain ou importés à foison de
Scandinavie et d’Italie. Historicisant et générique à la fois, Du «vintage neuf» au «vintage ressuscité»
le design vintage, qui exige une belle culture et un certain Aujourd’hui confondue avec la réédition, la reproduc-
culot, sera métabolisé sur le terrain par les marchands éclai- tion porte sur la remise en production par un éditeur ou un
rés des Puces de Saint-Ouen et les galeristes visionnaires de industriel tiers d’une pièce de design historique, dont la
Paris, Milan, Londres et Copenhague. Rétro-design pour les fabrication originale a été interrompue ou abandonnée,
uns, antiquités modernes pour les autres, ce vintage mobi- voire demeurée à l’état prototypal. Pour exemples connus,
lier et décoratif possédait un grenier inépuisable : l’Italie. le fauteuil Barcelona, conçu par Ludwig Mies Van der Rohe
Focalisée sur le design industriel du boom économique (et sa partenaire Lilly Reich) pour le pavillon allemand de
(jusqu’au début des années 1980), cette vogue estampillait l’Exposition internationale de 1929, et la chaise Wassily
dans un même élan meubles, objets, luminaires, électromé- dessinée par Marcel Breuer pour Kandinsky en 1925, repro-
DE GAUCHE nager, vaisselle, hi-฀, accessoires de bureau et de cuisine, duits quelques décennies plus tard par Knoll. Aujourd’hui,
À DROITE la planète design carbure au «vintage réédité», vaste terrain
mobilier de collectivités, jouets et gadgets. À cet inventaire
Ludwig Mies bois-plastique-plexi-contreplaqué-verre-acier-textile se générique où la confusion est totale. Il y a là le «vintage
van der Rohe juxtaposeront les signatures, les attributions, les éditions, neuf» qui englobe tous les meubles et objets embléma-
Siège Barcelona
les datations, travail en général mené par des marchands tiques du XXe siècle et édités par la même ฀rme sans dis-
1929, édité
par Knoll sérieux qui verront d’un mauvais œil les rééditions et continuer depuis leur création. Ainsi de la collection Tulip
International. remises en production industrielle amorcée à la ฀n du d’Eero Saarinen (chez Knoll), des sièges d’Arne Jacobsen
XXe siècle. Muté en phénomène de mode, le design vintage (Fritz Hansen) ou ceux de Pierre Paulin (Artifort).
Marcel Breuer ressuscitera ces sièges, tables et autres lampes symboliques Il y a aussi le «vintage ressuscité» qui concerne la réédi-
Fauteuil Wassily
de l’idée radieuse que l’on se faisait de l’avenir voilà plus de tion industrielle ou artisanale de pièces des années 1940 à
1926, édité
par Gavina. quarante ans. D’où leur statut d’icônes. 1970 par des ฀rmes réinventées, réanimées ou reçues en
héritage et par escalier. Ainsi de la marque Burov relancée
en 2015, de Sentou avec Roger Tallon, de Dino Gavina avec
Paradisoterrestre, des luminaires Rispal rallumés par un
descendant de la troisième génération, des lampes Gras par
DCW Éditions ou de la petite structure Ligne de démarca-
tion qui réédite les lampes de Michel Buffet. Avec pour cible
une clientèle urbaine qui répugne à se salir les mains en
chinant et qui dispose d’un budget médian, le design réé-
dité, quand il sait rester raisonnable dans ses tarifs, vaut
pour statut social, instagrammable à l’envi. Les plus capri-
cieux se reporteront à des formules de location, telle la pla-
teforme à succès yourse.co. Paradoxe du marché : alignées
sur la cote de l’ancien, les rééditions exagérément chères
ne se vendent pas, malgré un snobisme de crête agité par
des chasseurs de trophée. Ce qui laisse tout loisir aux mar-
chands d’explorer et réhabiliter ce que la réédition ignore
encore, arguant qu’il y a encore «beaucoup à sortir». Jusqu’à
parfois, et c’est heureux, extirper des limbes des dahus
improbables, anonymes et coupés de toute référence, ce
qui en augmente le coefficient «curiosité». QQQ
42฀I฀Beaux Arts
Terje Ekstrøm
Fauteuils Ekstrem
Édités depuis 1984
par Varier.

Beaux Arts฀I฀43
SPÉCIAL DESIGN l LA FOLIE DU VINTAGE

Hier épiphénoménal, le vintage


est aujourd’hui durable, louable,
paré de vertus relevant de l’économie À la hausse…
circulaire, du sain recyclage. À la baisse
En ce qui concerne le design historique, il importe d’en Le baromètre
circonscrire le domaine. Aux Puces, les marchands
évoquent «l’ancien XXe», qui englobe tout le design moderne
du vintage
original signé, de l’après-guerre à 1999. Les salles des ventes,
des plus huppées (Artcurial, Piasa…) aux plus modestes en
Ça bouge, ça bougera, ça eut bougé,
région, multiplient les ventes «Design et arts décoratifs du
ça ne bouge plus. C’est mort.
XXe siècle». Ici et là, merci de ne jamais employer le mot vin-
On n’en veut plus. On n’en peut plus.
tage ; préférer l’ancien, plus noble. Même pour du plastique.
Y’en a partout. Comme tous les marchés
Éviter aussi antiquités du futur, abusé par ceux qui tentent
de faire entrer au chausse-pied Christian Liaigre, Hugues parcourus par les tendances, le design
Chevalier ou Armani/Casa dans une dimension vintage vintage fabrique ses propres baromètres,
totalement farfelue. plus arbitraires que visionnaires et surtout
Si la seconde moitié du XXe siècle fut radicalement indexés sur les gisements et stocks encore
moderne, si son ameublement, élitiste comme populaire, en couveuse. On croyait Pierre Chapo
fut tourné vers le futur et vécu comme une pulsion vers frémissant : c’est fini. Pareil pour Guillerme
l’avenir, il n’aura pas échappé à la massi฀cation. À sa suite, & Chambron, dont Starck avait rempli
la postmodernité sera marquée par un retour à l’archaïsme, le premier étage de Ma Cocotte aux Puces
aux tribus, un attachement au passé, au dépassé, au pat- – le restaurant a d’ailleurs été récemment
chwork, au sampling. Mode, musique, décoration : le vin- revendu au duo Juan Arbelaez-Benjamin
tage est devenu l’expression majeure des sociétés postmo- Patou. Willy Rizzo et Gabriella Crespi ?
dernes. Rien de nouveau : en son temps, la Renaissance ne Par pitié, les mondains, ça suffit ! Oublier
fut pas autre chose. Hier épiphénoménal, le vintage est Jean Prouvé-Charlotte Perriand-Pierre
aujourd’hui durable, louable, paré de vertus relevant de Paulin et les autres, et s’intéresser enfin
l’économie circulaire, du sain recyclage. À l’aune des sérieusement aux Allemands Luigi Colani
grandes valeurs érodées par les crises économiques et sani- (mobilier et voitures) et Hans Scharoun,
taire, il est impossible de décréter que le vintage tiendra à l’Anglais Geoffrey Harcourt et à l’ébéniste
trois siècles. Nulle ligne nette d’horizon pour le dire, car le
italien Pierluigi Ghianda, qui, dans les
vintage procède par spirale, comme une foreuse lancée à
années 1970 à 1990, a œuvré pour Dior
la recherche des racines.
et Hermès – et avec Vico Magistretti,
Les quatre vies du design vintage Bob Noorda, Richard Sapper, Max Bill,
Gianfranco Frattini, Cini Boeri, Ettore
Véritable jalon de mémoire, maillon affectif d’une chaîne
Sottsass ou encore Gae Aulenti. Diriger
de souvenirs clairement identi฀és ou perdus dans l’anony-
mat industriel, à de rares exceptions, le design vintage ne aussi son radar vers le mobilier des
s’hérite pas. Deux, trois, quatre vies : il se chine, se couturiers – Pierre Cardin, Jean-Charles
débusque, s’achète, se revend. À vil prix comme à prix d’or. de Castelbajac, Hedi Slimane… Et sur les
À chaque passage, un fragment d’histoire. Pas donné à tout talents oubliés ou ignorés : les Autrichiens
le monde, qu’on soit fortuné ou non. Certains résultats de Roland Rainer et Johannes Spalt, le Tchèque
vente laissent pourtant songeurs. Quand il ne fait pas l’objet Bo฀ek Šípek, l’Italien Giancarlo Piretti,
d’une spéculation frénétique attisée et par les marchands inventeur de la chaise pliante en Plexiglas
et les décorateurs, le design vintage est un exemple réussi fumé ; enfin, mention spéciale à Jean Garçon,
de réinsertion formelle et sociale. À condition d’éclectisme. pour son mobilier en acier inoxydable
À l’instar de la mode, le total look design vintage est une édité par Martine Dufour entre 1966 et 1969
faute de goût impardonnable, un blister historicisant ฀gé, et acquis par Dani et par Karl Lagerfeld,
un piège tendu par maints marchands des marchés puis ses accessoires domestiques
Paul Bert et Serpette, aux Puces de Saint-Ouen, qui ont en plastique thermoformé moulés par
muté leurs stands en show-rooms à prétention galeriste. Formag entre 1969 et 1971.
Cet avatar a toutefois pour conséquence que le rôle et la
présence tutélaires de ce vintage modasseux traduisent
comme une mise en échec du design contemporain, lequel,
souvent, entre hommages serviles, inutilité patentée et
copies honteuses, se prend les pieds dans le tapis. n QQQ
44฀I฀Beaux Arts
Roland Rainer
Chaise empilable
modèle 3/4/3
Créée vers 1952.

Luigi Colani Borek Sipek


Tabouret / Chaise
bureau d’enfant Ota Otanek
Zocker Éditée en 1988
Édité en 1972 par Vitra.
par Top-System
Burkhard Lübke.

Pierre Paulin
Fauteuil 582
dit Ribbon Chair
Édité depuis 1964
par Artifort.
Jean Prouvé
Chaise
Vers 1942.

Guillerme et Chambron
Banquette Grand repos
Vers 1950, éditée par
Votre Maison.

Beaux Arts฀I฀45
SPÉCIAL DESIGN l LA FOLIE DU VINTAGE

Comment se meubler en vintage


> Nos conseils et les erreurs à éviter
À chiner ou à commander, ces collectors sont soit des classiques, soit des pièces encore
sous-estimées. Beaux Arts vous dit tout pour faire de votre intérieur un lieu de vie et de rêve.

Fauteuils et canapés
Privilégier les sixties-seventies élégants et audacieux
Encore roides et convenues dans les années 1950, les assises de salon connaissent un apogée inouï dans les années 1960-1970. Mario Bellini
Canapé
Au ras du sol, creusées en alvéoles, nichées dans des bulles Plexi, gonflées, gainées de cuir, toujours plus confortables et sexy,
Camaleonda
elles deviendront des objets à la créativité débridée. Abondance de références sur le marché, rhabillages textiles réparant 1971, édité par C&B,
l’outrage du temps, chahuts provoqués par les rééditions, les fauteuils s’en tirent avec superbe. Les canapés ne sont pas en reste. puis par B&B Italia.

Vintage pur et vintage neuf remportent un franc succès, tel le Camaleonda de Mario Bellini, lancé par C&B en 1971. Best-seller Prix sur
d’une époque révolue, il réapparaît aux Puces rhabillé de neuf et vendu jusquà 18 000 €, quand une nouvelle version, éditée par demande

B&B Italia, a vu le jour en 2020. S’ils étaient réédités aujourd’hui, le canapé et les fauteuils Soriana d’Afra et Tobia Scarpa (Cassina,
1970) connaîtraient le même sort. Les archives seventies des fabricants Artifort, Steiner et Thonet regorgent aussi de ces pièces
distinguées, fauteuils de Geoffroy Harcourt ou Jean-Pierre Laporte, ou encore les étranges coques Mercurio de Claude Courtecuisse,
plus artiste que designer. Plusieurs créations de Jean Royère, dont la réédition est prévue pour ฀n 2021, sont également une belle
illustration de ce retour du vintage, ainsi du sofa Ours polaire dont la cote sur le marché est simplement stellaire. Clientèle visée :
les prescripteurs et décorateurs œuvrant pour les milliardaires de la planète. Dans une autre sphère, l’enseigne Ligne Roset a initié
une opérationde recyclage pilote autour de son Togo [lire ci-contre].
Tous les prix
À ÉVITER donnés dans
Les horreurs en mousse et en skai des années pop, les fauteuils italiens débarqués des paquebots, ces pages le sont
les canapés cosy style Crozatier/Ségalot et les chau฀euses en jersey modulables. à titre indicatif.

Geo฀rey Harcourt Jean-Pierre


Fauteuil modèle 504 Laporte
Édité par Artifort
Fauteuil Girolle
dans les années 1960. 1969, édité par Thonet.

À partir de 2฀000 € 12฀000 €

46฀I฀Beaux Arts
Tables basses
Revival des gigognes
et des modulaires
Dite aussi table de salon, la table basse est, avec la lampe,
l’exercice de design vintage le plus facile et le plus abordable.
C’est d’ailleurs souvent l’amorce d’un ameublement
thématisé. Vient ensuite l’espace disponible. Toujours
désirable et produite en série, la table en verre et à roulettes
de Gae Aulenti pour Fontana Arte (1980) exige 1 m2 a minima.
Préférer la table Blok de Nanda Vigo, éditée en 1970 par
Acerbis. Tous les modèles avec pied inox ou tubes et verre
fumé (Paul Le Geard, Patrice Maffei, Paul Tuttle…) restent
acceptables, mais le vent tourne. Retour aux gigognes Paul Tuttle
danoises en contreplaqué plié (signées Grete Jalk, en 1963) Table Anaconda
ou italiennes, plus précieuses, en acajou (par Ico Parisi), 1971, édition Strässle international.

voire en bois laqué comme les Marema de Gianfranco À partir de 375 €


Frattini pour Cassina (premières séries 1967). Modulables,
les tables basses du collectif ARP (Atelier de recherche
plastique) fondé en 1954 par Pierre Guariche, Joseph-André
Motte et Michel Mortier, restent tutélaires d’un design
pratique : leur piétement ฀laire, retournable, faisait passer
la table basse en table haute, sans mécanisme aucun.

À ÉVITER
Les rustiqueries en bois de charrue avec plateau
en grès et motifs ฀oraux incrustés ; les plastiqueries pop
empilables à la sauce Prisunic, même si elles sont
signées Vico Magistretti ; les bidules bois-formica
en forme de rognon à la Modeste et Pompon (faux à gogo),
et tout ce qui ressemble à un tabouret. Gianfranco Frattini
Table basse Marema
Éditée depuis 1966 par Cassina.
Environ 3฀500 €

TOGO฀: LE BEST฀SELLER Lancé en 1973, en même temps que Ligne Roset fondait sa propre
identité, le canapé Togo créé par Michel Ducaroy est le best-seller
DU DESIGN FRANÇAIS
absolu du design français, avec près d’un million et demi d’exemplaires
vendus dans le monde. Idée : proposer à ceux qui en possèdent un
de le renvoyer chez l’éditeur, moyennant un bon d’achat de 350 €
à valoir sur l’acquisition d’un article neuf en catalogue ou en magasin.
Neuf, un Togo deux places coûte aujourd’hui 3 000 €. Par cette opération
lancée fin avril 2021 en France, la marque initie son programme
Ligne Roset RE, qui cible le recyclage mais aussi l’upcycling (recyclage
de qualité supérieure). En clair : soit le Togo rapporté est en piteux état,
il sera alors dépecé, trié, étrillé et envoyé à la casse via Éco-mobilier ;
soit il présente encore beau, et il sera déhoussé et rhabillé de tissu PET
recyclé. Direction la plateforme de revente en ligne, à -45 % du prix neuf.
À la tête de ce nouveau circuit, Antoine Roset, fils de Pierre Roset,
Michel Ducaroy confesse s’être inspiré du projet cordonnier piloté par le chausseur
Chau฀euse et pouf Togo J.M. Weston. Si le parc de Togo concernés reste une inconnue,
Édités depuis 1973 par Ligne Roset. Ligne Roset RE envisage pour son premier exercice annuel l’upcycling
À partir de 1฀35O € (le pouf) d’une trentaine d’exemplaires, tous gabarits compris.

Beaux Arts฀I฀47
SPÉCIAL DESIGN l LA FOLIE DU VINTAGE

1 Egon Eiermann
Paire de chaises
SE42
Éditées depuis 1949
par Wilde & Spieth.
À partir de 600 €

2 Gio Ponti
Chaise
Superleggera
Éditée depuis 1956
par Cassina.
1
À partir de 800 €
2
3 Eugenio Gerli
Chaise S83
1962, éditée par Tecno.
À partir de 1฀500 €

4 Vico Magistretti
Chaise Selene
1968, éditée par

Chaises Artemide.
Autour de 200 €

Mixer l’iconique 5 Verner Panton

et l’inattendu Chaise Vilbert


1993, éditée par Ikea.
3 À partir de 250 €
Avec la lampe, la chaise est au designer ce que
le macaron est au pâtissier. Un exercice obligé.
Fabriqués en série et en quantité, les modèles
les plus manifestes relèvent de la collectivité
– la Fourmi d’Arne Jacobsen (1952), la Standard
de Jean Prouvé (1934). À trois ou quatre pieds,
monopivotante, roulante, en bois, fibre de verre,
plastique moulé, tapissée, paillée, signée, imitée
ou copiée, quels que soient le style, la nationalité
et le designer, la chaise vintage se vend le plus
souvent par deux ou par lot. Si solo, en profiter
4
pour jouer le dépareillé, à condition que chacune
des autres chaises soit en bel et bon état. Icône
absolue du genre฀: la Superleggera de Gio Ponti, 5

et hommage à son inspiratrice vernaculaire


et générique, la Chiavari ou Campanino (la «chaise
de mariage» fabriquée par Fratelli Levaggi,
dans les années 1950). D’autres références, moins
galvaudées, méritent qu’on s’y arrête฀: la SE42
tripode d’Egon Eiermann, la S88 d’Osvaldo Borsani
et la S83 d’Eugenio Gerli, usinées respectivement
en 1957 et en 1962 par Tecno, une René-Jean
Caillette de 1955 par Steiner, la Selene en plastique
monobloc empilable de Vico Magistretti,
la météorique Vilbert de Verner Panton pour Ikea,
ou la très oubliée Lolita de Pascal Mourgue (1993)
pour Artelano, éditeur parisien disparu. Autrement,
asseoir une caution arty avec Gaetano Pesce,
Andrea Branzi, Günter Beltzig, Maria Pergay…

À ÉVITER
Les réalisations de Philippe Starck pour Kartell,
mais aussi celles de Friso Kramer et de Pierre
Guariche et leurs innombrables copies.

48฀I฀Beaux Arts
Carlo Scarpa
Table Sarpi
Éditée depuis 1974
par Cassina.
Prix sur demande

À DROITE
Eero Saarinen
Table Tulip
Éditée depuis 1957
par Knoll.
À partir de 2฀000 €

Superstudio
Table Quaderna

Tables Éditée depuis 1971 par Zanotta.


À partir de 3฀500 €

Penser pratique et chic


Rien de plus bête qu’une table. Ce qui explique que les plus
grands s’y soient cassé les dents. On tourne autour en rêvant
à la grande Tulip d’Eero Saarinen chez Knoll, piètement laqué
noir et marbre vert pour se distinguer du blanc. Pléthore
de copies ici aussi. Si la vintagerie ambiante se contente
de tables de cuisine en Formica jaune ou bleu ciel, la table
mérite pourtant quelques recherches. Bien que toujours
produite par Zanotta, la célèbre Quaderna de Superstudio
(1971), avec son motif de quadrillage imprimé possède
son lot de premières séries ; celles dessinées par Carlo Scarpa
et éditées par Simon au début des années 1970 sont des
petites merveilles (si certaines sont rééditées depuis 2013
par Cassina, d’autres circulent encore sur le marché en restant
«abordables»). Côté français, explorer le travail d’Alain Richard,
designer proli฀que dont plusieurs créations au milieu
des années 1950 furent produites par la ฀rme Meubles TV.
Y ฀gure une belle table, enviable, avec son plateau en
palissandre. Marié à la ฀lle du décorateur Paul Iribe et souvent
sollicité par le Mobilier national, son aura intrigue plus encore.
Filon négligé : les immenses tables de réunion en bois vernissé
sorties des bureaux de direction…

À ÉVITER
La table ronde de Warren Platner chez Knoll, mal commode
en diable ; les tables de salle à manger danoises, banales
et génériques฀; les tables en plateau verre fumé et
piètement inox qui ressemblent à des balcons renversés.

Beaux Arts฀I฀49
SPÉCIAL DESIGN l LA FOLIE DU VINTAGE

Cabinets, bars, tables roulantes


Viser la sophistication française ou italienne
Purs produits d’ébénisterie, les cabinets
et les bars reviennent en force après
un purgatoire injuste. Raffinés, hédonistes,
précieux, ils circulent au compte-gouttes
en exhalant un parfum de vie de patachon.
Un graal à l’italienne s’ils sont signés
Fornasetti, une aubaine s’ils sont réalisés
par Paolo Buffa, Ico Parisi, Ignazio Gardella
ou Gio Ponti. Muet fermé, prolixe ouvert,
c’est une conversation piece qui mérite
un investissement. Ceux de Pierre Cardin
Évolution Ceux de Pierre Cardin Evolution, eux en
pur plastique, sont à saisir séance tenante.
La table roulante, elle, aura connu tous
les supplices (ceux de la roue folle ou de
la roue bloquée). Priorité ici aux dessertes
en métal perforé de Mathieu Matégot,
sous réserve que ce ne soit pas des faux.

À ÉVITER
Giancarlo Parodi
Pierre Cardin Les machins en plastique thermoformé,
Cabinet Palladiana
Bar roulant style open bar au ras du sol, comme le bar 1955, édition Fornasetti.
Années 1970, édité par Pierre Cardin Évolution. Bacco (1967) de Sergio Mazza ou le Rotobar Autour de 50฀000 €
Entre 2฀500 et 3฀000 € orange roulant (1970) de chez Curver.

Quand les armoires furent remplacées


Buffets et en฀lades par les placards KZ, les buffets,
en฀lades, crédences et autres bahuts
Oser le carrossé futuriste assurèrent un emploi précaire jusqu’à
leur disparition dans les années 1970
et 1980, troqués pour les étagères
Métro et l’industriel loftisé. Le vintage
aura eu pour béné฀ce de réintroduire
l’usage de l’en฀lade et du buffet
de rangement à condition qu’il soit
signé Florence Knoll. Suivront
les scandinaves, avec kyrielle de faux.
Puis les italiens, laqués et vitrinés,
assez kitsch pour amuser la galerie.
Rayon français, les buffets hauts
à portes coulissantes de Roger
Landault fabriqués en 1955
par Meubles ABC sont des musts.
Quant à Bertrand, le buffet bolidiste
de Massimo Iosa Ghini pour Memphis,
Massimo Iosa Ghini il casse la baraque.
Bu฀et Bertrand
1987, édité par Memphis. À ÉVITER
Autour de 7฀000 € Les crédences, malgré le revival.

50฀I฀Beaux Arts
Luminaires
Miser sur des pépites insolites
Vaste programme… De la baladeuse au lustre 16 feux, de la lampe de bureau au lampadaire de salon, et jusqu’à l’outdoor,
le luminaire est le secteur le plus sollicité par le vintage. Normal : sa création et sa production furent prolifiques, avec
garantie d’export à la clé. Tous les styles, tous les courants, toutes les typologies, de l’applique
à la suspension, font leur e฀et. Verre de Murano, opaline tchèque, acier inox, plastique : la table des matières aime
les mélanges. Fiat lux assuré avec les Orgues de la Maison Charles, les lumières articulées de Tito Agnoli pour
Oluce, firme fondée par Giuseppe Ostun lui-même, avec son fils Angelo, créateur notable. Méprisés par
les puristes, adorés par les pervers, les luminaires «médical chic» d’Oscar Torlasco pour Lumi
(années 1960) sont des curiosités du luxe bizarre. Quant aux lampadaires des années 1980 de
Gilles Derain pour Lumen (sa propre firme), ils ont gardé intacte leur brutalité. Au signé,
systématiquement plus cher, préférer la production ouest et est-allemande
anonyme des seventies en inox et verre, aux formes insolites et aux prix
moulinés.

À ÉVITER
Tout ce qui ressemble à du Serge Mouille, trop copié,
du Boris Lacroix ou du Gino Sarfatti.

Tito Agnoli Angelo Lelii


Lampe murale Suspension Sei Lune
modèle 194 Vers 1961, édition Arredoluce.
1954, éditée par Oluce. Environ 15 000 €
Autour de
1฀500 €

Oscar Torlasco
Lampe de bureau
modèle 555
Années 1960, édition Lumi.
Autour de 4฀000 €

Beaux Arts฀I฀51
SPÉCIAL DESIGN l LA FOLIE DU VINTAGE

Joëlle Ferlande
Bibliothèque Zig Zag
Vers 1970, édition Kappa.
Autour de 4฀000 €

Bibliothèques et étagères
Opter pour les formes très architecturées
Formant la sainte trinité du design vintage
avec les fauteuils et la table basse,
la bibliothèque ou étagère joue un double
jeu : effacée et pratique, elle doit être
remarquable et remarquée. Composable,
évolutive ou d’une seule pièce, collée
au mur ou faisant cloison, échafaudée
ou caissonnée, elle exprime illico la culture
par ce qu’on en fait et ce qu’on y dispose.
Tout sauf des livres, qui se mettent
sur la co฀ee table ou s’empilent jusqu’à
ressembler à un meuble de Shiro Kuramata.
Outre les «memphiseries» (Carlton, Max,
Suvretta) signées Ettore Sottsass, il faut
viser plus rationnel avec les éléments
muraux multipliables de Dieter Rams
(Formes Nouvelles, 1970), la très seventies
Zig Zag en acier inox de Joëlle Ferlande
(Kappa, 1971), les exercices cubiques en
contreplaqué blanc de René-Jean Caillette
(Charron, 1970) ou les architectures
italiennes sol-plafond à la Franco Albini
(passe-partout, mais toujours e฀caces).

À ÉVITER
Les modèles vitrés, en plastique moulé,
tout ce qui relève du mobilier de bureau
en tôle vert-de-gris.

René-Jean Caillette
Bibliothèque modulaire
1970, prototype pour Charron.
Prix non communiqué

52฀I฀Beaux Arts
Eileen Gray
Tapis la Ronde et la Méditerranée
Édités depuis 1978 par Ecart international.
À partir de 2฀000 €

Tapis
Un choix
d’abord arty
Périmé par le lino et la moquette,
il a repris du poil de la bête avec
le concept du tapis d’auteur, formulé
au mitan des années 1980. Fouler ici
les tapis d’Eileen Gray, encore relativement
abordables, reproduits par Andrée Putman/
Écart International. Nouveau support
d’expression des stylistes, le tapis de designer
relancera la maison familiale Toulemonde
Bochart avec, dès 1985, des créations signées
Jean-Michel Wilmotte, Pascal Mourgue, Didier
Gomez, Christian Duc, Zo฀a Rostad et Hilton
McConnico et ses tapis Cactus, best-sellers
de l’époque. Garder aussi un pied sur les tapis
Signatures de Sam Laik créés par Olivier Gagnère,
Garouste & Bonetti, Sylvia Corrette, Alberto Pinto
et Robert le Héros. Reste à les trouver en bon état…

À ÉVITER
Tous les tapis tuftés mécaniquement.

Beaux Arts฀I฀53
SPÉCIAL DESIGN l LA FOLIE DU VINTAGE

Bureaux
Le confort de travail avant tout
Typologie de la sphère familiale autrefois réservée aux enfants et aux adolescents, et autour de laquelle
tous les designers des années 1950 à 1970 ont planché, le bureau reprend du galon avec le télétravail.
Et réclame de l’espace et du rangement. Pas grand-chose en magasin à moins de favoriser un retour
Joe Colombo
au plateau inox sur tréteaux acier à la Jean Garçon, ou plateau verre sur tréteaux en Plexi comme ce fut
Chariot Boby
Édité depuis 1968
tant à la mode en 1975. À compléter d’un caisson-chariot à tirois Boby par Joe Colombo ou, dans un style
par B-line. radicalement différent, par une des indémodables compositions modulaires au cordeau de chez USM,
À partir de 300 € toujours éditées en colorama. Sans tomber dans les délires
mégalomaniaques des bureaux
présidentiels revus par Maurice Calka
(Boomerang), Fabio Lenci ou Max Ingrand,
mieux vaut prendre en compte
le travail de Joseph-André Motte, produit
à la ฀n des années 1950 par Charron,
ou d’Étienne Fermigier, édité à la même
époque par Meubles & Fonction, et
redonner sa chance au Big Boss de Marco
Zanuso Jr. (Artelano, 2008). Vintage
également, l’étonnant Bureau Pettit (1985)
de Martin Szekely par Neotu, cellule de
création et d’édition fermée il y a vingt ans.

À ÉVITER
Les trop petits bureaux à la Pierre Paulin
des débuts, pas faits pour travailler ;
Martin Szekely
ceux qui font secrétaire / coi฀euse
Bureau Pettit
ou ressemblent à une console. 1985, édition Neotu.
Entre 20฀000 et 25฀000 €

Commodes
Survitaminées
ou très austères
La chanteuse Jeanne Aubert y posait son cul dès 1937.
La commode est à trois, cinq ou sept tiroirs – on
parle alors d’un semainier. Signée Raymond Loewy
avec son habillage en plastique coloré, elle fait toujours
la blague en intérieur. Celles de Michel Mortier et
d’André Monpoix, très Reconstruction (période de
l’après-guerre), ne sont en rien des fonds de tiroir.

À ÉVITER
Tout ce qui fait style «Louis Caisse», selon la Raymond Loewy
formule de l’abbé Pierre, autrement dit les Commode DF 2000
commodes en bois de cageot des Galeries Barbès 1965, édition Doubinsky Frères.
ou Manufrance. Le vintage a ses limites. À partir de 2฀000 €

54฀I฀Beaux Arts
High-tech et électroménager
Plutôt déco que fonctionnel
Tous les secteurs sont concernés, des premiers téléphones portables Motorola StarTAC aux Walkman
et Discman Sony en passant par les télés et radios italiennes Brionvega signées Achille Castiglioni
ou Richard Sapper et Marco Zanuso (rééditées avec technique adaptée aux nouveaux standards),
les écrans Téléavia dessinés par Roger Tallon (juste pour le look), les radios Braun dessinées par
Dieter Rams et Hans Gugelot, les chaînes hifi Bang & Olufsen par Jacob Jensen, les enceintes en plâtre
Elipson, les tourne-disques spatiaux Weltron, les machines à calculer Olivetti dessinées par Mario Bellini
ou Ettore Sottsass, etc. Sous-tendance à la hausse฀: les lecteurs de K7 audio Philips et l’adaptation
Bluetooth par Arthur Verne des postes et meubles radio des années 1950 en bois, bakélite, Schaub
Lorenz, Radiola… (a-bsolument.fr). Sinon, gros faible quand il marche encore pour le pèse-personne T111
de Marco Zanuso pour Terraillon (1968).

À ÉVITER
Le petit électroménager SEB, Tefal (yaourtières, etc.), les grille-pain, les ventilos et les séchoirs,
sources d’incidents et d’incendies.

Marco Zanuso
Radio TS 502
1964, édité par Brion-Vega.
Entre 200 et 500 €

Roger Tallon
Téléviseur portable P111
1963, édité par Téléavia.
Autour de 200 €

Tourne-disque enregistreur
modèle 2007
1971, édité par Weltron.
Autour de 800 €

Dieter Rams et Dietrich Lubs


Radio-réveil ABR 21
1978, édité par Braun.
Autour de 300 €

Beaux Arts฀I฀55
SPÉCIAL DESIGN l LA FOLIE DU VINTAGE

Céramiques
À adopter de toute urgence
Discipline universellement pratiquée depuis la nuit des temps, la céramique est LE courant vintage du moment, raffiné
par le galeriste Thomas Fritsch, thuriféraire de Roger Capron, Georges Jouve, Pol Chambost, Vera Székely. Toutes écoles
(Vallauris, Paris, Bourges, Ratilly), courants et époques confondus, la céramique a supplanté le verre. Entre 1947
et le milieu des années 1980, il y a de quoi faire฀: Jacques Blin, Paul Pouchol, Mado Jolain, Jacques & Dani Ruelland,
Colette Gueden pour les plus connus฀; Ettore Sottsass, Olivier Gagnère, Christian Ghion pour les plus récents. Intérêt
inédit pour les céramiques de Jean Marais. Il faut garder un œil sur les céramiques mécaniques ouest-allemandes des
années 1950 et sur les italiennes des années 1960. Pour les années 1970, faveur au grès. Capter aussi tous les meubles,
petits et grands, sertis de céramiques décoratives, même les plus kitsch. Autres trésors฀: les céramiques régionales
(Provence, Bretagne…) à visée touristique et les assiettes Monaco noires avec langoustes, crabes, poissons, etc.

À ÉVITER
Les tables basses en fer noirci avec plateau en carreaux de céramique baveuse des années 1970,
et celles en bois massif avec carreaux en grès à motifs «fougère». Toutes hideuses, à de rares exceptions.
Jacques & Dani
Ruelland
Suite de six vases
dits Bouteilles
Vers 1960.
5฀200 €

56฀I฀Beaux Arts
Georges Martin
Chat et Éléphant, collection DAD
1946, collection rééditée depuis 2018
par les éditions Georges Martin.
179 € chaque

Jeux et jouets
Place aux mascottes de designers
Rien à voir avec la miniaturisation de sièges pratiquée notamment par Vitra. Il s’agit
de vrais jeux et jouets dessinés et destinés aux enfants. Voire aux adultes, si ce sont
des jeux de société. Ainsi du Scrabble, créé en 1938 par l’architecte américain Alfred
Mosher Butts, ou des jeux de cartes dessinés par Jean Garçon pour Knoll, Lanvin
et Pierre Cardin (entre 1968 et 1973). Si les jeux de cartons «éducatifs» imaginés
en 1952 par Charles & Ray Eames sont des classiques, les mascottes ludo-animalières
sont à apprivoiser sur-le-champ. Du singe grimpeur en bois articulé du designer danois
Kay Bojesen à la mythique guenon en latex Zizi de Bruno Munari (prix Compasso d’Oro
en 1954), de l’hippopotame bleu Pippo d’Armando Testa, doudou publicitaire des
couches Lines en 1966, à la vache parlante Pistache dessinée au carré par Patrick Jouin
en 2002 pour Fagoë, le bestiaire fait mouche dans la niche. À cette arche de Noé,
ajouter, plus récents, le cheval à bascule Rocky de Marc Newson, les sièges-jouets
d’Eero Aarnio pour l’Italien Magis et les animaux en bois coloré Dad de Georges Martin,
réédités par ses petites-฀lles, déjà collectors. Rayon petites voitures, échelle 1/43
comme 1/10, miser sur les Studebaker dessinées par Raymond
Loewy et les Adler par Walter Gropius. Corollaire au jouet,
symbole «junior» des Trente Glorieuses, le mobilier d’enfant
vintage entre dans le jeu de cette même gaieté nostalgique
avec les pupitres de Marcel Gascoin, les tabourets de Luigi Colani,
les fauteuils de Jean-Louis Avril, les chaises Diamond d’Harry
Bertoia, réduites par Knoll à l’échelle «kid».

Découvrez chaque mois


sur BeauxArts.com
notre série consacrée
Kay Bojesen aux objets culte du design.
Singe
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L’Art du design
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Design • 636 p. • 75 €

Beaux Arts฀I฀57
ENTRETIEN

ORLAN

«Toute ma vie,
j’ai tout fait pour
sortir du cadre!»
ORLAN s’écrit en lettres capitales : tel est le mot d’ordre de la plasticienne
française mondialement connue pour son Baiser de l’artiste qui ฀t scandale
en 1977 et pour ses chirurgies en direct. Ce personnage hors du commun
a créé une œuvre fascinante. Iconoclaste, féministe, elle publie chez
Gallimard une autobiographie sulfureuse et passionnante, qui est aussi une
histoire de l’art depuis les années 1960. On y croise les plus grands artistes,
galeristes et directeurs de musées, des scienti฀ques, des philosophes…
Elle y raconte également le monde de demain. Propos explosifs !

Propos recueillis par Fabrice Bousteau


Photos de l’atelier฀: François Roelants pour Beaux Arts Magazine

Pourquoi avoir écrit maintenant une autobiographie ? extrêmement timide, cette émotion me provoquait une urti-
Tout d’abord, sachez que l’écriture fait partie de ma vie et caire géante qui me faisait ressembler à un crapaud. C’est
de mon œuvre. Je suis un générateur de texte. J’ai toujours pour cette raison que j’ai commencé une psychanalyse. Lors
écrit, chaque nuit depuis mon adolescence – notamment de la troisième séance, le médecin m’a avertie : «Dorénavant,
ce que je nomme mes «prosèsies» et mes «peauaimes», que vous ne me paierez plus par chèque, mais en espèces.» Puis
j’ai déclamés dans les rues ou lors de «marches au ralenti», il s’est ravisé au moment même où je signais mon chèque :
à partir de 1964. Ensuite, c’est le philosophe Donatien Grau «Réflexion faite, vous me signerez de nouveau un chèque,
qui m’a incitée à écrire mon autobiographie comme une la prochaine fois.» De retour chez moi, je ne comprenais plus
forme de rétrospective qui permettrait de tout regarder avec rien à ce message totalement contradictoire. Juste avant la
du recul. Le con฀nement m’a offert cette opportunité, car séance suivante, j’ai fait ce que font la plupart des patients :
auparavant, je ne faisais que sauter d’un avion à l’autre pour essayer de compenser en allant m’acheter – comme par
assister dans le monde entier à mes expositions ou à mes hasard – des souliers, histoire «d’être bien dans mes
conférences. Je n’avais jamais eu le temps de me poser pour pompes». Au moment de signer mon chèque pour payer
revenir sur ma vie et mon œuvre. mes souliers, j’ai compris ce que le psychanalyste avait vu :
en toutes lettres, je signais d’un nom qui n’était pas le mien.
Je suis frappé par le fait que cette autobiographie, Personne, ni mes parents, ni mes amants et amantes, n’avait
dans laquelle vous racontez avoir compris, auparavant remarqué que je signais en grosses lettres :
adolescente, dans le cadre d’une psychanalyse, «Morte.» En arrivant, j’ai donc prévenu le psychanalyste :
être «habitée par la mort», est publiée un peu «Je ne serai plus jamais “morte” !» Et j’ai choisi «or», la seule
moins฀de deux ans après que vous avez lancé syllabe positive dans ce mot, pour décider de m’appeler
une฀Pétition contre la mort. Ce livre est-il lié «ORLAN» – alors que j’aurais pu choisir «Orapide» !
à฀une฀obsession de฀la฀mort ?
Toute ma vie, j’ai ressenti de terribles angoisses de mort. Et pourquoi cette Pétition contre la mort ?
Adolescente, j’avais parfois l’impression que j’allais mourir L’idée m’est venue après avoir lu de nombreux textes sur
d’une seconde à l’autre. Et c’était comme si toutes mes par- le transhumanisme. Certaines espèces de baleines peuvent
ticules se révoltaient à l’idée de la mort. Et comme j’étais vivre 320 ans, les homards eux aussi vivent très longtemps, QQQ
58 I Beaux Arts
ORLAN dans son atelier à Paris, 2021.

Beaux Arts฀I฀59
ENTRETIEN l ORLAN

tout comme les tortues et les séquoias géants qui peuvent ments, à partir de 22 000 mots que j’ai enregistrés. Il peut
atteindre 4 000 ans. Je veux être hybridée avec l’une de ces lire avec ma voix et me traduire simultanément mes confé-
espèces ! Il doit être possible de trouver une solution à l’hor- rences en anglais, et bientôt dans d’autres langues. C’est un
loge biologique. Notre espèce humaine a tant à dire et à work in progress développé avec la Science Gallery du Tri-
faire. Si l’on me donne 300 ans de plus, je ne les passerai pas nity College à Dublin, il va devenir très interactif, sera
à absorber du plancton, je créerai beaucoup d’œuvres. capable de signer à ma place, de dessiner mon autoportrait,
de chanter, etc. En revanche, après ma mort, je ne souhaite
Votre travail a toujours manifesté un fort intérêt pas donner mon corps à la science mais le placer dans un
pour la science, pourquoi ? musée en le momi฀ant. Il serait alors la pièce maîtresse
Cela vient de loin. Enfant, j’étais fascinée par la biblio- d’une installation technologique et interactive…
thèque de mon père, fermée à clé, dans laquelle je n’avais
pas le droit d’entrer. S’y trouvaient de nombreux ouvrages Après avoir parlé du futur, évoquons le passé,
de sciences occultes, de méthodes médicales prétendument vos origines : cette jeune ฀lle née dans une famille
scienti฀ques, etc. J’ai toujours été une grande lectrice de ouvrière de Saint‑Étienne, ville industrielle, et qui,
textes relatifs aux évolutions de notre société et ces sujets à 17 ans, dans les années 1960, s’affirme comme
me passionnent. Je suis ainsi en train de travailler avec des artiste, crée des œuvres, dans un milieu de l’art qui
chercheurs en biotechnologies pour créer un steak d’ORLAN existe à peine. Comment cela a‑t‑il été possible ?
à partir de mes cellules, malgré les très nombreuses J’ai justement essayé de comprendre tout ça à travers mon
contraintes juridiques que cela pose, puisque nous ne pou- autobiographie. Ma sœur est très différente de moi. Pour-
vons disposer librement de notre corps. Il faut que je sache quoi, alors que nous avons reçu la même éducation, ai-je
si j’ai bon ou mauvais goût ! J’ai d’ailleurs offert à Madonna voulu être artiste ? Je crois que c’est dû en partie à mon père.
(et aussi à Jean-Jacques Aillagon lorsqu’il était ministre de Ouvrier électricien, il gagnait très mal sa vie et il lui arrivait,
la Culture) un bijou en résine contenant quelques milli- certains soirs, de faire des heures supplémentaires comme
mètres de ma chair. C’était lors d’une émission de télévision éclairagiste au Théâtre Éden de Saint-Étienne. Entre 8 et
et elle m’a remerciée en disant «c’est très beau, cela res- 13 ans, quand j’avais été sage, il m’y emmenait. Je me cachais
semble à du caviar !» En 2018, j’ai créé un ORLANoïde, c’est- tout en haut dans les cintres, ou derrière les pendillons, pour
à-dire un robot qui me ressemble, doté d’une intelligence voir le spectacle. Ce que je trouvais extraordinaire, c’est tout
arti฀cielle. Il possède un générateur de textes et de mouve- ce qui se passait en coulisses. Le trac des danseurs, les comé-

Dans l’atelier
d’ORLAN. Au mur,
Vierge blanche
sur fond de briques
jaunes ou Sainte
ORLAN en
Assomption sur un
moniteur vidéo n°2
(1983), la Liberté
en écorchée (2013)
et Self-Hybridation
Précolombienne
n°35 (1998).

60฀I฀Beaux Arts
Le Corps- diens qui répètent leur texte, qui s’échauffent de toutes les
sculpture manières possibles, qui ฀nissent de se faire maquiller, habil-
dit฀ORLAN
ler, la transe qui les anime. C’est ce qui, sans doute, m’a
accouche
donné envie de faire des performances.
d’elle-m’aime
La vraie
naissance, Vous êtes née en฀1947 mais vous considérez être plutôt
quand née, réellement, en 1964… Qu’est que cela veut dire ?
l’adolescente
Je suis née en 1964, année où ORLAN accouche «d’elle-
révèle qui elle est
et choisit de créer m’aime». À l’époque, je suis une adolescente rebelle, très cri-
toute sa vie. tique envers le monde adulte, qui commence à se prendre
1965, photographie pour la Nina Hagen du coin en s’habillant et en se maquillant
noir et blanc,
de façon extravagante. Je ne voulais pas me fondre dans la
9 x 10 cm.
masse, les stéréotypes, dans ce que l’on m’avait dit de faire et
comment. J’ai donc tenté de me dérober à ce cadre qui
m’avait formatée, en l’exprimant frontalement par une série
de photographies d’où je sors littéralement d’un cadre de
tableau et accouche de moi-m’aime. Je voulais faire de ma
vie quelque chose d’extraordinaire, m’émerveiller moi-
même. Avec cette œuvre, j’ai commencé à avoir conscience
de moi-même, à me situer sociétalement et artistiquement.

C’est allé très loin, puisqu’au‑delà d’accoucher


de฀vous‑même, vous racontez vous être dépucelée Tentative pour sortir du cadre à visage découvert
vous‑même… L’art d’ORLAN des années 1960, déjà très construit, témoin
Oui. Mon premier amant, Aziz, était superbe ; il m’envoû- de la démarche vers toujours plus de conscience.
tait totalement mais je ne pouvais le laisser me dépuceler. 1966, photographie noir et blanc, 133,5 x 120 cm.

Avec une grande volonté, j’ai été la maîtresse de ma propre


défloration. La semaine suivante, je lui étais ouverte, prête
à absorber son corps et son amour. QQQ
Beaux Arts฀I฀61
ENTRETIEN l ORLAN

Cette autobiographie publiée en écriture inclusive, Peinture


dans laquelle vous rendez, selon votre expression, problématique
géométrique n°21
«femmage» à d’autres artistes féministes comme
1974, peinture
vous, est‑elle une dénonciation de la société glycérophtalique
machiste des années 1960 ? sur bois mélaminé
et objets : casserole,
On n’imagine pas combien il était difficile d’être une
chaîne, porte
femme à cette époque, et plus encore, une femme artiste avec miroir,
libre et exubérante : difficile d’aller seule dans un bar sans 185 x 150 cm.

passer pour une pute, impossible de posséder un chéquier


sans la permission des parents ou du mari, etc. Les jeunes
générations ne se rendent pas compte de ce que cela pou-
vait être. Nous, les femmes, sommes du côté de la peur : peur
de qui nous suit, peur de nous faire agresser…

En vous lisant, j’ai appris que dans ces années 1960,


une jeune ฀lle recevait encore en dot de la part de
sa mère un «trousseau» de draps… que vous vous êtes
empressée de salir dans une œuvre de 1968 intitulée
Plaisirs brodés, qui consistait, lors d’une performance,
à broder la partie des draps sur lesquels vos amants
avaient éjaculé ! Y a‑t‑il plus provocateur et plus fou ?

Mais c’était très artistique… puisque j’utilisais un lavis que


je passais sur les taches de sperme. Or, le lavis n’adhère pas
sur ces taches et le résultat était très beau. Je posais ensuite
un tambourin de brodeuse autour des taches et, selon les
enseignements de ma mère, avec une grande aiguille et un
฀l à broder noir très épais, je brodais, en regardant mes spec-
tateurs, ou avec un bandeau sur les yeux. Cette œuvre
accompagnée d’un texte poétique, Réminiscence du discours
maternel, est ma première œuvre achetée par le Fnac.

Le sexe est très présent dans ce livre, sans bandeau sur


les yeux. Vous affirmez votre bisexualité et racontez vos
expériences multiples : ont‑elles servi votre création ?
Sans doute, mais pour moi, il s’agissait plutôt d’explora-
tion, de voyages, de rapports humains. Avec le sexe, on se
rapproche de quelqu’un qui a un environnement, des habi-
tudes différentes des nôtres. Il existe un échange. Même
dans les grands «baisodromes», que j’ai connus comme
Catherine Millet [auteure de la Vie sexuelle de Catherine฀M.
et directrice d’Artpress], je n’ai jamais eu le sentiment de À GAUCHE
Le Baiser
simplement baiser, mais d’exprimer ma liberté et le plaisir
de฀l’artiste :
sensuel d’avoir un corps.
distributeur
automatique,
Du sexe, passons au corps, l’un des thèmes centraux ou presque !
de votre travail. De nombreuses œuvres sont très La performance
amusantes. Telle la performance S’habiller de sa non officielle
qui ฀nit par
propre nudité, en 1976, pour laquelle vous vous
s’imposer lors
promenez dans un jardin au Portugal simplement de la quatrième
vêtue d’une robe en toile photographique édition de la Fiac
représentant votre corps nu. Et vous êtes arrêtée était avant tout
une installation
pour exhibitionnisme, alors même que vous êtes élaborée et très
habillée… Quel est votre rapport au corps ? réfléchie, à la part
Je ne suis qu’un corps et totalement un corps. Cela veut d’improvisation
minime.
dire que l’on possède un matériau, notre corps, que l’on peut
1977, photographie
utiliser comme n’importe quel autre matériau dans une noir et blanc,
œuvre d’art. Mais cela veut dire également que l’on peut 165 x 110 cm.

62฀I฀Beaux Arts
«Je travaille à créer un steak à partir de mes cellules, malgré
les contraintes juridiques (nous ne pouvons disposer librement
de notre corps). Il faut que je sache si j’ai bon ou mauvais goût !»

interroger le corps ainsi que son statut dans la société, par- Dé฀guration-Re฀guration,
ticulièrement le corps des femmes, via toutes les pressions Self-hybridation précolombienne n°16
culturelles, traditionnelles, religieuses et politiques. C’est Se confronter à des cultures non occidentales
et mettre en évidence la beauté comme une perception
pour cela que j’ai créé en 1975 un Manifeste de l’art charnel, imposée par l’idéologie dominante.
très différent de l’art corporel de Michel Journiac, Gina Pane 1998, cibachrome, 150 x 100 cm.
ou VALIE EXPORT, car je rejette la douleur. Je travaille
actuellement sur des slows dont j’écris les paroles et que j’ai
proposés à de nombreux musicien.ne.s et chanteur.e.s
comme Ornette, Catherine Ringer, la Femme, Les Tétines
Noires, Twin Twin, Charlemagne Palestine, Thibaut Barbil-
lon, Les Sans Pattes, Régis Campo, Mai Lan Chapiron, les
Chicks On Speed et bien d’autres. Je veux relancer le slow et
sentir la chaleur d’un corps dans ce corps-à-corps. Il y aura
des 33 tours et un album complet ฀nal, le Slow de l’artiste.
Sourire
de plaisir,
Vous expliquez que dans votre vie, il y a un avant
7e Opération
chirurgicale- et un après le Baiser de l’artiste (à la Fiac, en 1977),
Performance tant cela a été une dé฀agration médiatique mondiale.
dite Cette œuvre a alors été considérée comme
Omniprésence une performance improvisée alors qu’il s’agissait
ORLAN d’une sculpture et d’une performance très ré฀échie
sourit durant
l’opération et organisée. Pouvez-vous nous raconter ?
retransmise Toutes mes œuvres sont nourries par des lectures, des
en direct. réflexions très élaborées, je ne suis jamais dans le spontané
Elle a choisi
et l’improvisé. Concernant le Baiser de l’artiste, j’ai d’abord
une femme
chirurgien, écrit un texte manifeste intitulé Face à une société de mères
qui a accepté et de marchands dont la première phrase était : «Au pied de
ses demandes la croix deux femmes, Marie et Marie-Madeleine, deux sté-
consistant cette
fois à transformer
réotypes de femmes auxquels il est difficile d’échapper
radicalement quand on est femme.» J’ai construit une sculpture constituée
son visage avec d’un piédestal, de 2 mètres, sur lequel était installée une effi-
des implants. gie de moi grandeur nature détourée et collée sur bois. On
21 novembre 1993,
cibachrome en diasec,
pouvait faire brûler un cierge à sainte ORLAN pour 5 francs,
165 x 110 cm. et, ou bien, recevoir un french kiss avec moi. Je me tenais

derrière un distributeur automatique de baisers. Mon buste,


en photo noir et blanc, était collé sur du bois et détouré. Sur
un sein, il y avait une petite lumière qui clignotait en rouge,
avec une inscription «Ici, mettez la pièce de 5 francs». On
voyait la pièce tomber dans un œsophage en plastique, puis
dans le pubis-tiroir. Quelques amis m’ont aidée à m’imposer
lors du vernissage VIP et les responsables, pour ne pas créer
de scandale, ont prétendu qu’il s’agissait d’une performance
officielle. L’agitation médiatique fut énorme et le deuxième
jour, des homosexuels se sont installés à côté de moi en hur-
lant «1 franc la pipe, 1 franc la pipe» – malheureusement, ils
n’ont eu aucun client. On ne peut imaginer l’impact: des poli-
ciers sont venus me chercher chez moi pour participer à
l’émission de Philippe Bouvard sur Antenne 2, j’ai été virée
de l’école d’art où j’enseignais (par un télégramme, ce qui QQQ
Beaux Arts฀I฀63
ENTRETIEN l ORLAN

était illégal), traitée de pute dans la rue et mise en couverture L’atelier d’ORLAN
de nombreux magazines. La presse qui évoquait la Fiac par- avec notamment,
au mur, l’Origine
lait du Baiser de l’artiste, et cette œuvre a été achetée par la de la guerre (1989).
collection du Frac des Pays-de-la-Loire.

L’autre œuvre qui marque dé฀nitivement à la fois


votre corps et votre histoire, ce sont les opérations
chirurgicales réalisées dans les années 1990 mises
en scène avec des décors et des comédiens mais aussi
de vrais chirurgiens. Quel était votre projet ?
Je tentais de questionner l’idée même de beauté, qui est
imposée par l’idéologie dominante du moment en un lieu
géographique et historique, comme je l’ai montré par la suite
dans mes portraits d’hybridation avec d’autres cultures non
occidentales. Mon travail remet en question les stéréotypes,
les modèles qu’on nous propose. C’est un questionnement
du statut du corps dans la société. Ce sont des pressions que
l’on subit et que j’avais envie de faire sauter. Si je me suis fait
poser sur les tempes des implants que l’on réserve habituel-
lement aux pommettes, ce n’était pas pour être belle. Je vou-
lais faire un geste opératoire qui n’était pas supposé appor-
ter de la beauté mais de la laideur, et questionner ce qu’est
la beauté. Si l’on me décrit, sans me voir, comme une femme
ayant deux bosses sur les tempes, on peut me considérer
comme non désirable, à mettre de côté, un monstre. En
revanche, si l’on me voit, le sentiment peut être différent. Vous êtes l’une des artistes françaises les plus
Pas à tous les coups, mais ces bosses sont devenues des connues au monde. Êtes-vous riche à millions ?
organes de séduction. C’est ma décapotable ! C’est ce que tout le monde croit. Et c’est ce qu’il faudrait
que je fasse croire pour que ma renommée soit plus grande
Vous développez dans le livre un sujet tabou dans encore. Pourtant, mes assistant.e.s peuvent en témoigner :
le milieu de l’art : celui des relations entre les artistes, souvent, je ne sais pas comment je vais les payer, ou payer
les galeries et les musées. Si vous remerciez beaucoup mon storage, ou produire mes œuvres…
d’acteurs, vous n’en dénoncez pas moins certaines
pratiques effrayantes, comme le fait de n’être parfois Lorsque vous étiez jeune, vous et d’autres artistes,
pas rémunérée, la disparition de certaines œuvres… vous ne pensiez même pas à vendre.
Je raconte la face cachée du marché de l’art et ce qui Nous étions des machines désirantes, n’arrêtions pas de
arrive chaque jour à de jeunes artistes comme aux plus créer des choses dans tous les sens, d’inventer ensemble, de
grandes stars. Beaucoup de mes œuvres ont disparu. Par nous autostimuler pour travailler. Mais nous ne pensions pas
exemple, j’ai un grand nombre d’œuvres à Séoul, dans une au prix. Cela a bien changé pour les nouvelles générations.
galerie, mais je ne sais pas si je les reverrai un jour. Tous les
ans, on me dit qu’on va me les rendre… J’en ai d’autres Dans dix ans, mon «bousteauïde» s’entretiendra avec
à Venise, prises en otage, parce que le Palais Pisani n’a pas votre ORLANoïde embrassé par des hologrammes
été payé par un sponsor qui a, soi-disant, fait faillite. sonores et olfactifs… Que répondra-t-il à la question :
On n’imagine pas combien, pour un artiste, ces difficultés «que faites-vous demain ?»
avec les galeries et les musées sont des contraintes pour Il répondra que j’ai toujours beaucoup de chantiers en
«gérer» notre imaginaire. cours absolument charnels, existentiels et conceptuels… Et
aussi que comme je suis «chapeausexuelle», vous devriez
Le monde de l’art est-il, aujourd’hui encore, plus vous mé฀ez, vous qui portez un chapeau.
difficile pour une femme que pour un homme artiste ?
Oui et c’est grave, même si cela s’est amélioré. Toutes les C’est fou. Dans votre autobiographie, vous expliquez
femmes qui devraient être dans le grand marché n’y sont un peu votre côté psychopathe par votre fascination
pas. C’est insupportable. Les Guerrilla Girls disent la vérité : pour les chapeaux.
être une femme artiste, c’est fantastique, parce que notre Je ne suis pas psychopathe ! Chacun a des tocs. Je suis
carrière peut exploser… dès 80 ans ! Combien le Centre Pom- sapiosexuelle, slowsexuelle, artsexuelle et chapeausexuelle.
pidou a-t-il consacré de monographies à des femmes ? J’ai Le chapeau grandit, embellit la personne qui le porte : elle
participé à quantité d’expositions de groupe, mes œuvres tente de diriger son image, elle est le D.A. [directeur artis-
ont été achetées par le musée national d’Art moderne et je tique] de sa propre personne. Le chapeau drague, il est très ORLAN
suis même choisie parmi les dix icônes les plus importantes sexuel. Il met un point sur un «i», il ฀nit une tenue. Il montre Strip-tease
Tout sur ma vie,
de la collection avec la photo d’une de mes œuvres sur les que l’on a de la tenue, que l’on veut maîtriser son image.
tout sur mon art
palissades. Mais je n’ai pas encore eu de rétrospective. Alors Regardez la Reine, elle porte toujours un chapeau. Ma coif- par ORLAN
que beaucoup d’artistes hommes en ont eu. fure haute noire et blanche est une sorte de chapeau. n éd. Gallimard • 25 €

64฀I฀Beaux Arts
«J’ai créé un ORLANoïde,
un robot qui me ressemble doté
d’une intelligence arti฀cielle.
Il peut lire avec ma voix
et traduire simultanément
mes conférences. Il pourra
signer à ma place, dessiner
mon autoportrait, chanter, etc.»

ORLANoïde
Lors de l’exposition «Artistes & Robots» en 2018
au Grand Palais, l’installation Strip-tease
artistique, électronique et verbal faisait aussi
appel à l’intelligence collective et sociale
pour générer textes et mouvements.
5 avril 2018, performance au Grand Palais.
Intelligence arti฀cielle et robot.

Beaux Arts฀I฀65
COMMENTAIRE D’ŒUVRE

MATHEUX ET MYSTIQUE

Piero della Francesca


sous un nouveau jour
Peintre et mathématicien du XVe siècle, le Toscan et sa célèbre Flagellation
du Christ ont très tôt fait l’objet de nombreuses interprétations. Mais qu’a
réellement voulu dire l’artiste à travers ce tableau phare de la Renaissance
italienne฀? Un livre-enquête de Franck Mercier rouvre le débat.

Par Sophie Flouquet

Piero della Francesca


La Flagellation du Christ [détail]
Ce groupe de trois personnages est le point
de départ de la ré฀exion. N’est-il pas troublant
qu’ils soient ainsi autant étrangers au supplice
qui se joue derrière eux ?
Vers 1460, tempera sur bois de peuplier, 58,4 x 81,3 cm.

66฀I฀Beaux Arts
Beaux Arts฀I฀67
COMMENTAIRE D’ŒUVRE l PIERO DELLA FRANCESCA

U
ne nouvelle enquête. Un suspect : le très mys- la période de maturité de Piero della Francesca, peinte sur
térieux Piero della Francesca. Un objet du un panneau de peuplier de taille moyenne (58,4 x 81,3 cm)
crime : son chef-d’œuvre, la Flagellation du et concentrant à elle seule maintes problématiques. Redé-
Christ. Et une cohorte de témoins : d’autres couverte seulement dans les années 1830 par la critique
tableaux du maître, mais aussi ses écrits, d’art et conservée encore aujourd’hui à Urbino (Marches),
dont un fameux traité sur la perspective. Résoudre au sein de la Galerie Nationale des Marches, hébergée
l’énigme de cette affaire est la mission que s’est assignée dans l’ancien palais ducal, elle est a priori d’un sujet
Franck Mercier, spécialiste du simple, même si le décentrement de sa composition peut
XVe  siècle européen, normalien et surprendre [ill. pp. 72-73]. On y identi฀e, dans sa partie
Qui était Piero
della Francesca ? agrégé d’histoire, qui propose dans gauche, sous une loggia à l’antique, le Christ à la colonne.
son dernier ouvrage une relecture Étrangement impassible, il reçoit les coups de fouet de
Grand maître de la perspective, très audacieuse de l’œuvre de l’artiste son bourreau sous le regard de Ponce Pilate, trônant sur
le peintre du Quattrocento fut que tout le monde appelle Piero une estrade. Un homme de dos, vêtu de blanc, observe la
aussi un mathématicien réputé. – d’après Giorgio Vasari (1511-1574), le scène. À droite, un second groupe de ฀gures, totalement
Vers 1412 Naissance à Borgo San Sepolcro
premier biographe des artistes de la étrangères au supplice, paraît converser sans que leurs
(aujourd’hui Sansepolcro), en Toscane. Renaissance, son patronyme (della regards ne se croisent.
1439 Présent à Florence, où il découvre l’art Francesca) lui viendrait de sa mère.
de Brunelleschi, Fra Angelico ou Masaccio. Si l’on sait à quel point la littérature Sujet politique ou objet mathématique ?
Années 1440 Travaille à Ferrare, Urbino (et abonde sur le peintre, auteur entre Thème classique de l’iconographie chrétienne, la fla-
sûrement à Bologne et Ancône), puis Rimini. autres du cycle de fresques de la basi- gellation du Christ a rarement été ฀gurée de la sorte, sauf
1452 Cycle de fresques de la Légende lique d’Arezzo (Toscane), ce livre peut-être chez Luca Signorelli, l’un des rares suiveurs de
de la Vraie Croix pour la basilique
San Francesco d’Arezzo.
complexe et précis entend «résoudre Piero. Elle s’inscrit d’ordinaire dans un cycle plus vaste,
l’une des énigmes picturales les évoquant la Passion du Christ (à 80 % des scènes de cette
1459 Peint pour le pape au Vatican.
mieux gardées du Quattrocento ita- époque, selon les estimations de Franck Mercier). La
1460 Plusieurs commandes importantes
(dont la Résurrection), puis circule à nouveau lien». Pour cela, la démonstration de scène est aussi totalement dénuée de violence et pro-
entre Pérouse, Urbino, Arezzo et Borgo. l’historien s’appuie sur cette célébris- voque «un sentiment d’atemporalité», surtout lorsqu’on
1492 Meurt dans sa ville natale. sime Flagellation du Christ, œuvre de la compare, de manière délibérément anachronique, avec

68฀I฀Beaux Arts
certaines peintures postérieures (chez Ludovico Carracci
La scène représentée ou Caravage au XVIIe siècle ou plus encore chez William
par Piero della Francesca Bouguereau, au XIXe), images donnant l’impression de se
délecter du vérisme de ce corps supplicié. Là n’est pas le
est dénuée de violence sujet de Franck Mercier. Le sagace historien s’attache sur-
et provoque «un sentiment tout à l’incongruité de l’existence dans une même image
de deux groupes si indifférents l’un à l’autre. Qui sont-ils
d’atemporalité». d’ailleurs, ces trois hommes du premier plan qui semblent,
à tout point de vue, hors de l’action principale ? Cette
façon de déroger aux règles iconographiques, souvent très
codi฀ées, n’est-elle pas une invitation à regarder autre-
ment le tableau ? L’importance de la littérature à son sujet
con฀rme la perplexité qu’il a toujours suscitée, avec une
kyrielle d’analyses très diverses et souvent très brillantes,
dues aux plus éminents historiens de l’art (Roberto Lon-
ghi, Carlo Ginzburg, Kenneth Clark, Hubert Damisch…).
Ces interprétations sont volontiers politiques. Cer-
CI฀DESSUS, DE GAUCHE À DROITE
Piero della Francesca La Flagellation du Christ [détail]
taines mettent le tableau en rapport soit avec la famille
des Montefeltre, les mécènes urbinates de Piero, soit avec
Luca Signorelli La Flagellation [détail]
un projet de croisade contre les Turcs. Des aspects vesti-
Vers 1482-1485, tempera sur bois, 84 x 60 cm.
mentaires et une «certaine ressemblance» entre le per-
Ludovico Carracci La Flagellation du Christ [détail]
sonnage barbu (debout) et l’un des membres de la déléga-
Vers 1589, huile sur toile, 189 x 265 cm.
tion grecque au Concile de Mantoue de 1459, convoqué
William Bouguereau La Flagellation du Christ [détail]
après la chute de Constantinople en 1453, y auraient été
Au ฀l des siècles, les représentations de Flagellation ont pris
des tournures plus dramatiques. Pourquoi Piero a-t-il peint perçus comme des indices… D’autres auteurs, résignés
un Christ si impassible ? probablement face à la difficulté de la tâche, n’ont trouvé
1879-1880, huile sur toile, 310 x 213 cm. dans cette savante composition qu’un magni฀que objet

Beaux Arts I฀69
COMMENTAIRE D’ŒUVRE l PIERO DELLA FRANCESCA

Le bras levé
du bourreau
occupe le centre
géométrique
du tableau et le bras
du ฀agellateur
en est le point le plus
lumineux. Ces
indices conduisent
donc l’œil du
spectateur vers
«ce geste de refus
de Dieu».

géométrique, pure délectation de mathématicien en


Une construction de haute précision somme. Pas question pour autant d’accabler les historiens
La scène est un «univers dessiné au compas et à la règle, ajusté au millimètre de l’art : aucune chronologie exacte du tableau n’est
connue, ni même aucun nom de commanditaire ou de
près», dans lequel toute la science mathématique de Piero della Francesca est
destination, précieuses archives qui souvent orientent
déployée. «Tout devient possible dans un univers soigneusement arpenté, établi
l’étude de manière déterminante. Seule certitude n’ayant
sur la base de nombres finis par un peintre dont par ailleurs les instructions chiffrées
en revanche jamais ébranlé les spécialistes : le caractère
sont si précises.» Sauf que Piero a créé deux espaces distincts et complémentaires
autographe de l’œuvre. En témoignent ses qualités for-
dans un même tableau : la ฀agellation à proprement parler s’inscrit dans
melles intrinsèques, mais aussi une mention lisible sur
un carré, dont la diagonale détermine le format rectangulaire du tableau. Et chacun une marche, sous les pieds de Ponce Pilate, qui vaut signa-
de nos groupes de personnages se trouve dans une de ces formes différentes, ture : «Opus petri deburgo s[an]c[t]i sepulcri » («Œuvre de
imbriquées l’une dans l’autre, chacune régie par sa propre source de lumière. Pierre de Borgo San Sepolcro »). Piero della Francesca s’est
Nul hasard à tout cela. Pour l’auteur, «c’est ici que le Piero mathématicien rencontre toujours désigné du nom de sa ville natale, Borgo San
le Piero théologien». L’œuvre balance ainsi entre «une vision profane qui captive Sepolcro, non loin d’Arezzo, à laquelle il restera attaché
de ses sens mais se trouve frappée de cécité spirituelle ; et une vision mystique malgré ses déplacements entre d’importantes cours prin-
qui désigne la présence de Dieu dans le monde». cières, Ferrare, Urbino, Rimini, et même Rome, quand il
travaillera pour le pape.

Rébus philosophique et mystique


«L’absence de sujet avéré a contribué à faire monter la
฀èvre interprétative», con฀rme Franck Mercier, a฀n d’ex-
pliquer pourquoi la Flagellation est devenu l’un des
tableaux de la Renaissance italienne les plus âprement dis-
cutés. Selon lui, ces échafaudages intellectuels ont surtout
consisté à abstraire l’œuvre de son époque. Reprenant à son
compte la belle formule de l’historien de l’art Daniel Arasse
– «On n’y voit rien» –, le médiéviste se place sur un autre
terrain pour comprendre la logique interne de cette image
d’une «singularité iconographique absolue», pour
reprendre cette fois les mots de Carlo Ginzburg.

70฀I฀Beaux Arts
trique. Franck Mercier démontre que celle-ci est loin d’être
«Il est permis de se demander gratuite. Au contraire, dans l’esprit du Quattrocento, elle
si la découverte relativement récente ne tend que vers un but : la mystique, née d’une lecture
directe ou indirecte des Confessions (vers 397-401) de saint
de Piero ne s’est pas accompagnée Augustin, dont on oublie trop souvent qu’il était aussi une
฀gure tutélaire de l’humanisme du XVe siècle. Faute de maî-
du refoulement de sa part mystique.» triser suffisamment le latin, Piero n’aurait d’ailleurs peut-
être pas su lire saint Augustin dans le texte, mais aurait
trouvé un passeur via Nicolas de Cues, théologien majeur
qu’il aurait pu rencontrer à Rome vers 1460. Sa théorie ? Que
L’énigme est-elle pour autant irréductible ? Pas si sûr… les mathématiques «donnent accès à une réalité supérieure
Notre auteur se risque à une autre interprétation, en prise à celle des sens» et permettent d’entrevoir la vérité divine.
avec l’histoire culturelle du Quattrocento. D’après lui, Comme Piero della Francesca, Nicolas de Cues usait de
une erreur majeure a été commise : dans une démarche l’énigme à la manière d’un rébus philosophique. «Ce n’est
d’extase esthétique face à un tableau si étrange et fasci- plus seulement Dieu qui se manifeste dans le monde sous
nant, d’une grande «modernité», la peinture de Piero a une forme symbolique, c’est-à-dire cachée, mais l’homme
trop facilement été placée hors du temps. La démarche qui par les pouvoirs de son intellect peut s’approcher de
n’a d’ailleurs pas concerné la seule Flagellation, mais Dieu. Les ฀gures mathématiques se substituent alors aux
aussi le stupé฀ant Baptême du Christ, où cette fois le sujet symboles analogiques traditionnels (allégories…) pour
semblait si évident qu’il relevait, selon Roberto Longhi, voir Dieu en énigme», explique Franck Mercier. En
d’une «simplicité rustique». somme, les mathématiques auraient pour fonction d’être
L’auteur égratigne gentiment ses prédécesseurs –  il une «initiation intellectuelle aux choses divines».
aurait pu citer notre André Chastel national, qui lui aussi y
voyait du «paysan» et de «l’épique» –, pour soutenir que «À un moment, la peinture se lève»
la Flagellation, tout comme une bonne partie de l’œuvre On comprend mieux la méticulosité de la composition de
du peintre toscan, pourtant largement religieuse, a été tota- l’œuvre. Surtout lorsque l’on se rend compte que Piero, l’un
lement déthéologisée. «Il est en effet permis de se deman- des premiers après les Grecs à user et théoriser le nombre
der si la redécouverte relativement récente de l’œuvre de d’or, élabore son tableau sur un module de construction, une
Piero et sa valorisation croissante aux yeux des modernes divine proportion qui est aussi la mensura christi, c’est-à-
ne s’accompagnent pas du refoulement de sa part religieuse dire la taille supposée du Christ (1,78 m), ce qu’avaient déjà
et mystique, pour ne pas dire médiévale.» Le raisonnement noté plusieurs auteurs. Cette nouvelle analyse, vertigineuse,
se tient solidement dès lors que l’on admet que Piero n’était explique en somme que l’opacité du tableau – qui aurait pu
pas un peintre comme les autres, à la fois artiste de cour et être une œuvre de dévotion personnelle pour le peintre lui-
artisan libéral et libre, sûr de son art. Un véritable même – serait délibérée, dans le but de dissimuler une vérité
«monarque de la peinture» comme l’avait quali฀é son théologique «dont la clef est donnée par la perspective
camarade Luca Pacioli, lui aussi originaire de Borgo San mathématique». «N’en déplaise à ceux qui annoncent trop
Sepolcro. Celui-là même qui s’est ensuite attribué ses tra- vite l’avènement d’un monde déthéologisé, la science de la
vaux de mathématicien. De récentes études sur les traités perspective conduit encore au XVe siècle à la célébration
de Piero ont en effet con฀rmé qu’il fut bel et bien l’un des paradoxale de l’invisible», relève Franck Mercier. La pers-
plus grands mathématiciens de son temps, lecteur d’Eu- pective guide donc le regardeur non dans la profondeur de
clide et d’Archimède, capable lui-même de problématiser champ mais vers l’au-delà, dans la profondeur spirituelle.
des équations. Le plus célèbre de ses textes, De prospectiva L’auteur, qui n’a rien d’un illuminé, cite cette phrase des
pingendi («De la perspective en peinture») est ainsi un frères Goncourt face à un tableau de Chardin: «À un moment,
savant manuel de mathématiques à l’usage des peintres. la peinture se lève.» Dans notre cas, elle pourrait provoquer
La Flagellation, dans laquelle tout n’est que travail de très un jeu de chamboule-tout dans la lecture de l’œuvre de Piero,
haute voltige, con฀rme cette extrême précision géomé- qui n’en a peut-être pas ฀ni avec les exégèses. n
Analyse de la Flagellation du Christ pp. 74-75 QQQ
Pour aller plus loin
À LIRE À VOIR À ÉCOUTER
Piero della Francesca L’épisode de la série Palettes «L’art est la matière»
Une conversion du regard par Alain Jaubert • intégrale en DVD, 18 volumes, sur France Culture
par Franck Mercier éd. Montparnasse • édité en Folio chez Gallimard
› Podcast de l’émission
éd. EHESS • 360 p. • 28 € › Même ancien, et donc ne tenant pas compte de Jean de Loisy consacrée
Saint Augustin de cette analyse, ce décryptage reste un grand plaisir. au livre, avec Franck Mercier.
Œuvres philosophiques complètes
éd. Les Belles Lettres
2 vol. sous co฀ret • 95 € L’essentiel sur Piero della Francesca en 2 minutes chrono฀?
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Beaux Arts I฀71
72฀I฀Beaux Arts
Piero della Francesca
La Flagellation du Christ
L’ensemble du tableau,
clairement composé
en deux parties, est baigné
d’une atmosphère étrange,
comme juxtaposant
deux mondes distincts.
L’un temporel et l’autre
spirituel ?
Vers 1460, tempera sur bois
de peuplier, 58,4 x 81,3฀cm.

Beaux Arts฀I฀73
COMMENTAIRE D’ŒUVRE l PIERO DELLA FRANCESCA

De quelques détails bizarres…


Une idole païenne, des escaliers qui ne mènent nulle part, des mystères temporels…
Zoom sur cinq curiosités repérées dans le tableau.

Une poutre
dans un œil…
Chose amusante
relevée par Franck
Mercier : la rampe
de l’escalier ฀gurée
derrière Pilate semble
lui entrer dans l’œil,
lorsqu’on y regarde
de plus près. Or celle-ci
à la même longueur
que l’idole… En d’autres
Leurre de vérité termes, Pilate se met
Un élément peut facilement tromper le spectateur : l’idole dans l’œil…
la petite idole ฀chée au-dessus de la colonne. Justement, «Le détail de la rampe
selon Franck Mercier, tel est son rôle. Induire en erreur… de l’escalier plantée
pour mieux révéler le sens du tableau. Car ce n’est pas comme une écharde,
à partir de ses proportions qu’est construite l’œuvre. plutôt comme
Logique : cette idole, païenne, serait en réalité l’«étalon une poutre, dans l’œil
de la fausse mesure du monde». Or, c’est bien elle de Pilate visualise
que regarde le gouverneur Pilate, c’est bien à partir cette idée de l’aveuglement spirituel qui menace toujours celui
de cette idole qu’il établit son jugement erroné sur qui ne prête pas assez attention à Dieu.» On est là bien loin des
le Christ (il tient d’ailleurs la même baguette qu’elle). précédentes lectures politiques du tableau.

… un compas dans l’autre


Pour le peintre, l’œil est un miroir de l’esprit.
Dès lors, il s’agit de voir plus loin que le bout
de son nez. Et c’est ce que nous indiquerait
l’homme au manteau de brocart, que Mercier
identi฀e comme étant un autoportrait
de Piero, étrange d’ailleurs, en artiste mondain
richement vêtu. À l’inverse de Pilate et de
sa poutre dans l’œil, lui a presque littéralement
le compas dans l’œil (expression prêtée
à Michel-Ange par Giorgio Vasari), indiqué par
la présence de la répétition des petites tringles
de l’édi฀ce en arrière-plan, et qui viennent buter
sur son regard. Suivons donc son regard…

74฀I฀Beaux Arts
Entre Pilate et le Christ, exactement
Voilà un étrange et magnifique détail, de 35 millimètres
de diamètre seulement, auquel Piero a manifestement
prêté beaucoup d’attention puisqu’il l’a précédé de dessins
préparatoires. En témoigne les traces du spolvero, petits
trous dans le dessin préparatoire servant à souffler le
graphite sur la toile. Un turban d’une blancheur immaculée
porté par un homme placé face au Christ et vu de dos, vêtu
d’un manteau blanc également, «soufflé dans la lumière
comme une capsule d’albâtre», écrivait Roberto Longhi.
Il est en réalité l’homme que regarde Piero (sous les traits
du personnage habillé de brocart), figuré comme un
spectateur, placé à la croisée des choix, à égale distance
entre Pilate et le Christ. Face à lui se trouvent deux portes.
«Entrez par la porte étroite. Large et spacieux est le chemin
qui mène à la perdition, et nombreux ceux qui s’y engagent ;
combien étroite est la porte et resserré le chemin qui
mènent à la vie, et peu nombreux sont ceux qui le trouvent»
(Matthieu 7, 13-14). Or cette porte verrouillée se trouve
justement derrière le Christ, ce qui implique de passer
par lui. Alors que le superbe escalier derrière Pilate ne mène
en réalité nulle part. Tel est le choix offert à l’homme.

Trois personnages
du monde temporel
Dans quel temps doit-on se placer ?
Celui du palais à l’antique du supplice,
où Pilate arbore un curieux chapeau
à la byzantine, ou celui du milieu
du XVe siècle du trio d’hommes ?
Selon Franck Mercier, c’est ce trio
qui donne la clef : leurs décalages
spatiaux et les regards qui
ne se croisent pas ne sont pas dûs
au hasard. Ils figureraient
une savante ré฀exion sur le temps
issue notamment d’une maxime de
saint Augustin : «Je me rassemble en suivant l’Un», signifiant que l’homme serait déchiré entre
le passé, le futur et le présent, trois temps qu’incarne chacun des personnages. «Ces figures
représentent bien l’expérience douloureuse et fracturée du temps humain qui est aussi
le signe de l’éloignement de Dieu.» Une inscription perdue aurait pu confirmer cette hypothèse.
Un certain Johann David Passavant rapporte en 1839 qu’aurait été écrite sur l’œuvre
cette formule, disparue probablement lors d’une restauration : «Convenerunt in unum»
(«Ils se sont rassemblés pour ne faire qu’un»).
EN CONCLUSION
«La Flagellation de Piero della Francesca est donc simultanément
le tableau de l’aveuglement et de la lucidité, de l’erreur et de la vérité,
de la dispersion et de l’unité, car tout reste inscrit dans le réseau
impeccable des lignes et des angles de la perspective.» Franck Mercier
Beaux Arts฀I฀75
RENCONTRE

BELGIUM.
National Road #01.
Near Mechelen, 1988
Le paysage urbain
est au cœur de
la ré฀exion d’Harry
Gruyaert. Routes,
panneaux lumineux,
automobiles,
signalisation…
Il utilise le
vocabulaire de la
ville comme prétexte
pour faire vibrer
les tons et agencer
les formes.

76฀I฀Beaux Arts
Les couleurs superlatives
de Harry Gruyaert
Depuis plus de cinquante ans, le photographe belge dessine les contours du monde
en couleurs. De l’Irlande au Maroc, de la Russie aux États-Unis, ce voyageur
insatiable traque le pastel bleu pâle d’un bord de mer, les re฀ets ocre d’un désert
ou les néons rouges d’une ville. Rétrospective aux Pays-Bas.

Par Laurène Flinois

Beaux Arts I฀77
RENCONTRE l HARRY GRUYAERT

orsqu’il nous reçoit dans pour mon père la photographie n’était pas très sérieuse, il

L son petit studio du


XIe  arrondissement pari-
sien, on se dit que ce grand
flamand à l’esprit en perpé-
tuel mouvement doit s’y sentir à
l’étroit. La lumière y est pâle, mais
l’endroit propice à un autre tête-à-tête
s’imaginait que c’était le genre de métier où on avait des
maîtresses !» Très tôt, le jeune Harry sait que son salut pas-
sera par l’image. Ses études le mènent à Bruxelles, où les
cours magistraux l’intéressent moins que les salles obs-
cures. Il y découvrira les ฀lms néoréalistes italiens et
Michelangelo Antonioni, dont il admire les silences et l’es-
thétique picturale. C’est la tête pleine de ces images qu’il
avec ses images, plus minutieux : celui arrive à Paris, où il rêve de rencontrer ceux qu’il admire :
du tirage et de la conception de ses François Truffaut, Agnès Varda… La Nouvelle Vague fran-
livres, où la photographie prend en฀n çaise a cet attrait de l’aventure et ce goût de la spontanéité
corps. Le contraste avec la prise de qui l’attirent, mais le cinéma demande des moyens et des
Qui est
vue, qu’il décrit comme une «bagarre connexions que le jeune Flamand n’a pas. Porté par les
Harry Gruyaert ? avec la réalité, une sorte de transe» y images de Richard Avedon et Irving Penn, il s’essaye alors
Pilier de la couleur et de l’agence est saisissant. Pour comprendre cette à la photographie de mode, sous l’égide de Peter Knapp.
Magnum, l’artiste est devenu, lutte, il faut l’observer dans le docu- Le directeur artistique du magazine Elle a du flair, et voit
depuis une quarantaine d’années, mentaire que lui consacre le cinéaste en lui un «petit Saul Leiter», collaborateur régulier pour
Gerrit Messiaen (Harry Gruyaert, Harper’s Bazaar et pionnier de la photo de rue en couleur.
l’un des photographes les plus
photographe). On le voit danser d’un Comme lui, Harry Gruyaert s’intéresse davantage aux
célébrés dans le monde. Dialogue pied sur l’autre dans un tram, happé décors qu’aux modèles. Assistant d’un jour de William
entre les ombres et la lumière, par le rivage qu’il mitraille, indifférent Klein et et après une brève rencontre avec Jeanloup Sieff,
les petites histoires et les grands aux voyageurs. Amateur d’angles inat- deux personnalités aux antipodes mais qu’il reconnaît
espaces, son travail explore tendus, de scènes de rue et d’horizons dans leurs photos – l’Américain brutal d’un côté, l’Euro-
la notion de solitude universelle lointains, Harry Gruyaert est avant péen délicat de l’autre –, il comprend que «ce qui compte,
et prône un rapport sensoriel tout un solitaire de l’image. c’est d’être soi-même».
À l’instar des Américains Stephen
à la photographie. Il est représenté Une «spontanéité animale»
Shore, William Eggleston ou encore
par les galeries Magnum Photos
Joel Meyerowitz, il fait partie de ceux En 1963, l’éditeur Robert Delpire – qui a déjà publié les
(Paris) et Fiftyone (Anvers). qui ont réussi à imposer la couleur en Américains de Robert Frank – le prend sous son aile et lui
1941 Naissance à Anvers. photographie. Un choix audacieux à con฀e plusieurs commandes. Sa carrière est lancée, mais
1969 Premier voyage au Maroc. une époque où les artistes ne juraient le photographe ressent l’envie de poser son regard ailleurs,
1974 Exposition «TV Shots» que par le monochrome. Sans aucune et plus loin. La révélation aura lieu lorsqu’un ami lui pro-
à la galerie Delpire, à Paris. prise de position : «La couleur était pose de réaliser la brochure d’une croisière de Marseille à
1976 Premier voyage en Inde simplement plus naturelle et plus Casablanca. Comme pour d’autres artistes avant lui, de
et Prix Kodak de la critique photographique
pour sa série au Maroc.
amusante que le noir et blanc, qu’on Delacroix à Matisse, la couleur sous le soleil de l’Orient le
voyait déjà partout. Toutes les images fascine. «Je suis tombé amoureux du Maroc comme j’aurais
1981-82 Devient membre
de l’agence Magnum. qui m’intéressaient étaient en cou- pu tomber amoureux d’une femme.» Pendant deux décen-
2015 Rétrospective à la Maison européenne leurs, la peinture, la télévision, les nies, entre deux commandes commerciales, il parcourt
de la photographie, à Paris. ฀lms.» Mais pour devenir ce maître dans son bus Volkswagen les villes et campagnes du
2019 Exposition à l’Hôtel des Arts de Toulon, coloriste que l’on connaît aujourd’hui, Haut Atlas, des côtes de l’Atlantique et de la Méditerranée.
dans le cadre du Grand Arles Express. il lui aura fallu fuir le ciel gris et bas Là-bas, Gruyaert touche à l’équilibre entre le paysage, la
de sa Flandre natale. lumière et ses habitants. La nature et les hommes s’y
Né à Anvers en 1941, il grandit à l’étroit au sein d’une accordent comme par magie, comme dans une peinture
famille catholique stricte, où la ฀gure patriarcale est écra- flamande. En sortiront deux ouvrages, dont les vagues de
sante. «Il y avait d’abord Dieu, puis le pape, et mon père», chaleur abritent la pudeur des gens.
dit-il. C’est néanmoins ce père tout-puissant, employé Autre choc visuel, en 1976, à l’occasion du tournage d’un
chez Gevaert (une société belge qui fabriquait des pelli- documentaire en Inde. Le désordre et l’orgie de couleurs
cules et du papier), qui l’éveille à la discipline en l’initiant sont tels qu’il quitte l’équipe pour poursuivre seul son
aux procédés photographiques et ฀lmiques. «À la maison, voyage. «Il n’y a rien de pire que de manquer une bonne
nous étions entourés de Reflex et de ฀lms 16mm, mais occasion : la photo n’attend pas.» Il y perdra en chemin son
téléobjectif, incident heureux qui, en abolissant la distance,
bouleversera son rapport aux autres. «Le plus important
pour moi, c’est l’inattendu et cette rencontre qui transfor-
Étudiant à Bruxelles, Harry Gruyaert mera l’image en histoire.» Comme au Maroc, avec cette
photo de femme qui se lève pour partir et ne pas être pho-
découvre les ฀lms néoréalistes italiens tographiée. En se retournant, «elle me fera malgré elle le
cadeau fantastique de cet enfant dont je ne soupçonnais
et Michelangelo Antonioni, dont pas l’existence, accrochée à son dos». Ce «moment décisif»
il admire les silences et l’esthétique qui fait le sel de la photo de rue, il parvient à le ฀ger aussi
bien dans le désordre tumultueux de New Delhi que sur
picturale. l’ombre portée du soleil couchant dans un hall d’aéroport. QQQ
78฀I฀Beaux Arts
CI฀DESSUS
USA. Nevada.
Las Vegas.
Caesar’s Palace
Hotel, 1981
En 1982, Gruyaert
explore l’Ouest
américain, qu’il
photographie
à la lumière
du soleil brûlant.
Au-delà de
l’apparente liberté,
c’est la solitude
des gens qu’il
capture, comme
une promesse
non tenue.

BELGIUM. Boom.
Waterloo Battle
Commemoration,
1988
Visages engloutis
et personnages
posés dans l’ombre.
Rouge aussi rouge
que possible, noir
intense et jaune
claquant. Ici,
les objets, qu’ils
soient humains
ou non, s’ordonnent
comme par magie.

Beaux Arts I฀79
SPAIN. Extremadura. The Picnic, 1998
Familier de la peinture de Bruegel autant
que de celle de Bonnard ou de Matisse,
Gruyaert se sert de l’objectif comme
d’un pinceau, et compose une fresque
vivante et pittoresque, où la lumière
éclaire la fugacité des choses.
RENCONTRE l HARRY GRUYAERT

INDIA. François Hébel, ami de longue date et commissaire de sa leur. Il y voit une source d’aliénation prophétique et tente
Rajasthan, rétrospective en 2015 à la Maison européenne de la photo- de ฀ger, à la manière d’un Nam June Paik, l’essence d’un
Pushkar, 1976
graphie, parlera de cette «spontanéité animale» qui l’ha- quotidien vulgarisé, sans nuance. Pendant plus d’un an, il
Cette photo
est une
bite. Harry Gruyaert a besoin de faire des photos de tout, capture l’écran armé de son appareil photo. «C’était comme
des premières tout le temps. Sans jamais chercher à conceptualiser, ni faire du reportage dans la rue, mais depuis ma chambre.»
qu’il réalise couvrir un sujet. Il se mé฀e d’ailleurs de la presse et de l’exi- En résulte la série TV Shots, qu’il expose chez Delpire deux
en Inde. gence de la double page. Une posture qui lui vaudra les ans plus tard, sous forme d’immenses affiches aux cou-
Il y perdra
tout repère, foudres d’une partie des membres de l’agence Magnum leurs stridentes et au pointillisme assumé.
et dès lors lorsqu’il intègre le prestigieux collectif photojournalistique Le pop art est passé par là, qui a fait du banal un terrain
n’aura de cesse en 1982, mais au sein duquel il ฀nira par trouver sa place. de jeu artistique. Un bouleversement des valeurs qui lui
d’explorer
permettra de se tourner de nouveau vers la Belgique, et
ce pays complexe, «La beauté de la laideur»
qui «impose d’apprécier la «beauté de la laideur» de ce pays où tout lui
une remise Photographe de l’instinct et de l’instant, Gruyaert docu- semblait gris. «J’ai pu y travailler car je n’y vivais plus, j’y
en question mente pourtant malgré lui. En témoigne sa série à l’atmos- étais devenu étranger.» Il y suit le calendrier des fêtes
permanente».
phère saturée du Las Vegas de la ฀n des années 1980, qu’il locales, processions religieuses et carnavals, sources iné-
fait dialoguer avec la palette essoufflée d’une Union sovié- puisables de faciès rugueux et de reflets pittoresques. En
tique chancelante. Précieux document chromatique et noir et blanc au début, la couleur y apparaît au milieu des
sensible d’une époque. «Par accident», insiste-t-il. La seule années 1970 et électrise ce quotidien qu’il avait fui. Il flotte
digression admise dans sa quête de l’esthétique pure aura dans les photos de son pays d’origine, réunies en 2000
lieu à Londres en 1972, lorsqu’il découvre la télévision cou- dans un ouvrage devenu culte, Made in Belgium (éd.
Delpire), un parfum d’enfance oubliée, une cacophonie de
joie et de solitude. Dix-huit ans plus tard, il décide d’in-

«L’orgie des couleurs


clure dans l’ouvrage (édité sous le titre Roots par Xavier
Barral et aujourd’hui épuisé) ses premiers petits formats
monochromes. Les visages y sont davantage présents que

de l’Inde.» dans ses autres séries, où les personnages croisés ne sont


le plus souvent que des éléments de décor parmi d’autres.
Même constat lorsqu’il photographie sa famille : le noir et
QQQ
82฀I฀Beaux Arts
CI฀DESSUS
INDIA.
Trivandrum.
National
Communist
Party Congress,
1989
«Il y a en Inde
une énergie
qui naît d’une
impression de
constant chaos.»
Sans tomber
dans l’exotisme
facile, Gruyaert
dresse un tableau
contrasté de ce
pays en tension,
entre modernité
et tradition.

MOROCCO.
Erfout, 1986
Au Maroc, le sujet
devient la texture
d’un mur ou
la matière d’un
tissu, et la quête,
celle de
l’imprévu.
Comme ici
avec cet enfant
endormi
qui s’o฀re à lui,
par accident.

Beaux Arts I฀83
84฀I฀Beaux Arts
JAPAN.
Tokyo. Crossing in the Ginza District, 1996
À l’ombre de ses gratte-ciel, Tokyo abrite
une galaxie urbaine dont l’électricité ne pouvait
qu’attirer l’œil de cet amoureux de la ville.
Au carrefour d’une rue, le ballet chromatique
des parapluies et des voitures rythme un décor
quasi mécanique, qui n’est pas sans rappeler le ฀lm
Playtime, de Jacques Tati.

Beaux Arts฀I฀85
RENCONTRE l HARRY GRUYAERT

BELGIQUE. Flanders. Double exposure. 1975


Depuis ses débuts, Harry Gruyaert travaille en couleurs mais, pour la Belgique, le noir et blanc lui paraît une évidence, révélant
avec plus d’intensité la grisaille de son pays d’origine. Sans s’interdire de jouer avec l’ambiguïté des apparences et des effets de transparence.
Comme ici où il superpose deux images l’une sur l’autre, faisant flirter l’ordinaire avec le cocasse.

blanc, «plus intellectuel et abstrait», est la lumière de l’in­


time. «Sinon la couleur prend le dessus, inexorablement,
et le sujet a tendance à disparaître.»
Fidèle disciple des pellicules Kodachrome dont il appré­
cie la matière brute et l’intensité, mais qui disparaissent en
2010, Harry Gruyaert saura tirer parti de l’avènement du
numérique. Les nouvelles techniques d’impression lui per­
mettront de redécouvrir toutes les subtilités ฀xées sur le
฀lm. Comme Bonnard, qu’il admire pour sa ténacité à ne
jamais être satisfait et qui allait jusqu’à retoucher ses pein­
tures dans les musées. À l’aube de ses 80 ans, ce sont désor­
mais les installations vidéo qui lui permettent d’aller au
bout de ses exigences, et de construire son récit autrement,
pour une «autre lecture, plus complète». L’occasion pour
cet éternel amoureux du cinéma d’explorer en฀n le lien
entre photographie et septième art. Dans les projections de
GERMANY. Munich. Olympic Games TV Shots, 1972 ses séries en Belgique ou au Maroc, réalisées en collabora­
Avec la série néo­pop TV shots, étonnant zapping photographique,
tion avec Valéry Faidherbe, la musique du compositeur
il martyrise les couleurs de soap operas ou de concours de danse, mais aussi
des Jeux olympiques de Munich ou de la mission Apollo 13, diffusés belge Tuur Florizoone exprime toute la palette de ses cou­
en direct. Parasité, sectionné, le récit devient absurde et questionne notre leurs organiques, sans tomber dans l’écueil de la super­
quotidien, comme un spectacle sans ฀n. position sans motif. Le plus touchant restera le petit ฀lm
Growing Up, dans lequel il associe les photos en noir et
blanc de ses ฀lles qui grandissent aux bruits du quotidien
et aux éclats de rire de l’enfance. Preuve en est qu’au­delà
de ses talents de coloriste, Harry Gruyaert a surtout le don
de l’émotion et de la banalité sereine. n

86฀I฀Beaux Arts
BELGIUM. Ostend. 1988 [détail]
Les rivages n’appartiennent à personne, mais le coloriste belge parvient à capturer l’essence de ces paysages entre ciel et mer,
sublimés par les rayons du soleil qui transpercent des horizons chargés de nuages bas. On y touche la mélancolie des premières heures
comme des derniers feux du jour, au bord du monde.

Pour aller plus loin


CINQUANTE ANS DE CARRIÈRE EN 120 CLICHÉS
¢฀ DERNIERS TITRES PARUS
¢฀
Pour cette première exposition monographique aux Pays-Bas, le Museum Helmond India (2020) • éd. Atelier EXB • 208 p. • 45 €
Last Call (2019) • éd. Textuel • 96 p. • 39 €
déroule le tapis rouge au maître de la couleur. Répartis sur 1 000 m2, plus de 120 clichés Rivages (2018) • éd. Textuel • 144 p. • 45 €
éclairent cinquante années de carrière et autant de voyages. Des plages de la baie East/West (2017) • éd. Textuel • 160 p. • 65 €
Maroc (2013) • éd. Textuel • 120 p. • 69 €
de Somme aux rues de New Delhi, la part belle est faite aux territoires et sujets
de prédilection du photographe : les jeux d’ombres et de lumière, les perspectives À VOIR
¢฀
et les pulsations chromatiques des paysages du monde entier, qui se visitent Harry Gruyaert Photographer
The Work and Life of a Pioneer
comme autant de fenêtres graphiques et colorées. Le musée néerlandais achève in Color Photography
ce parcours avec la projection du documentaire Harry Gruyaert Photographer Documentaire de Gerrit Messiaen (2019)
DVD • Dalton Distribution • 15 €
et de trois ฀lms consacrés à ses séries Made in Belgium, Last Call et Irish Summers.
L’occasion de découvrir d’autres facettes de ce passionné de cinéma.
Un beau diaporama à voir et à revoir
«Harry Gruyaert» jusqu’au 19 septembre • Kunsthal Helmond sur BeauxArts.com
F.J. van Thielpark 1 • Helmond • Pays-Bas • +31 492 587716 • museumhelmond.nl
LIVRE

Rona Pondick
Little Bathers [détail]
Avec son invasion
de bubble-gums voraces,
balles de plastique
pourvues d’effrayants
dentiers prêts à dévorer
le monde, l’artiste
poursuit son exploration
de nos peurs et désirs
troubles.
1990-1991, plastique, 500฀pièces,
6,4 x 12,1 x 10,2฀cm chacune.

88฀I฀Beaux Arts
Bienvenue
chez les
mangeurs d’art฀!
Et si dévorer des œuvres rendait sage฀? C’est ce que pense l’étrange
cohorte des «iconophages», qui, depuis l’Égypte ancienne, ingèrent
de l’art pour s’en approprier la force vitale. Explications sur cette
drôle de superstition dans un essai aussi bizarre que savoureux.

Par Daphné Bétard

Beaux Arts฀I฀89
LIVRE l LES ICONOPHAGES

CI฀CONTRE
Maître Où il est bien question
de la Bible
des Capucins d’un rapport organique,
Ézéchiel
mangeant
viscéral à la création.
le parchemin
Ézéchiel
mangeant le Livre
pour s’en
approprier
le savoir est
une iconographie
classique
des lettrines
enluminées,
au Moyen Âge.
XIIe siècle,
enluminure.

is-moi ce que tu manges, je te dirai montre tout l’intérêt, révélant, loin des sentiers battus de

«D
CI฀DESSOUS
Diego del Cruz ce que tu es.» La citation de l’écri- sa discipline, et en flirtant avec d’autres telles que la philo-
Messe de saint
vain gastronome Jean Anthelme sophie, la sémiologie, l’anthropologie ou la médecine, ce
Grégoire [détail]
Elément clé Brillat-Savarin (Physiologie du goût, que l’iconophagie dit du rapport au corps, à l’objet et à l’art,
de l’eucharistie, 1825) prend une saveur particulière des croyances, peurs, pulsions et obsessions.
cette hostie face aux «iconophages» dont parle Jérémie Koering dans Avec Montaigne en guise de mise en bouche – «C’est tou-
estampée
son dernier essai. L’historien de l’art des temps modernes, jours à l’homme que nous avons affaire, duquel la condition
d’une scène
de la Passion actuellement détaché auprès de l’université de Fribourg, est merveilleusement corporelle» (Essais, livre฀II, 1595) –,
suggère la conte les pratiques étonnantes de ces mangeurs d’images Koering entraîne ses lecteurs dans une histoire sans début
transsubstantation qui eurent la drôle d’idée d’ingérer des œuvres, de les gri- ni ฀n, où il n’est pas question d’évolution, d’un cadre chro-
(transformation
du pain et du vin gnoter par morceau, les avaler tout rond, les dissoudre pour nologique précis ou de grands noms d’artistes, mais bien
en corps et sang les boire ou juste les lécher, les goûter, espérant s’approprier d’un rapport organique, viscéral, à la création. Il s’agit,
du Christ). un peu de leurs forces intrinsèques. Les fonctions de notre explique-t-il, de «sortir les images des livres, des vitrines,
Vers 1490, huile organisme liées à l’ingestion étant jugées viles, indignes, pour les observer en acte», «dans la bigarrure de leurs
et or sur panneau,
116,8 x 70 cm. le sujet avait été jusque-là négligé. Jérémie Koering en usages et des sociétés qui les ont vues naître», et «lever les
verrous épistémologiques qui contribuent à maintenir les
œuvres d’art, et plus largement les images, dans le seul
registre de l’optique». En un mot, s’éloigner de cette
approche trop cartésienne du monde qui nous rassure,
mais bride l’esprit et contraint l’imaginaire.

Avaler une Vierge pour guérir de la lèpre


Pratique ancestrale selon l’auteur, l’iconophagie connaît
des formes très variées ; certaines images ingérées sont des
œuvres à proprement parler (icônes, fresques, statues,
estampes), d’autres sont comestibles (hosties, ฀gures en
massepain ou mets sculptés). Les premiers signes
remontent à l’Égypte des pharaons où, à partir du Moyen
Empire (vers 2000  ans avant notre ère), des stèles
témoignent de pratiques de guérison consistant à boire
l’eau déversée sur une statue d’Horus couverte de hiéro-
glyphes tandis qu’un prêtre récite des incantations. Un
autre rituel magique égyptien, où cette fois-ci l’image est
directement avalée, invite à lécher une peinture d’ocre exé-
cutée à même la peau d’un individu (les sources ne pré-
cisent pas s’il s’agit d’un vivant ou d’un mort) représentant
les huit génies primordiaux pour béné฀cier de leurs bien-
faits, opération qui doit être réalisée au lever du soleil...
Dans la Grèce antique, le phénomène est également lié
à des pratiques médicales. Des gemmes sont utilisées dans
la préparation de remèdes, à l’image de l’hématite rouge,
dite «pierre de sang», diluée dans l’eau et bue a฀n de soi-
gner les hémorragies, calculs ou hépatites, après que des
฀gures sacrées censées soigner ces maux y ont été gravées. QQQ
90 I Beaux Arts
Alonso Cano Saint Bernard et la Vierge
L’épisode miraculeux de la lactation de saint Bernard, récompensé de sa dévotion en recevant directement du sein d’une statue de la Vierge
des gouttes de lait, incarne au mieux l’idée d’une transmission de la sagesse divine par l’absorption d’une image.
1645-1652, huile sur toile, 267 x 185฀cm.

Beaux Arts฀I฀91
En pénétrant directement
l’organisme, ces images
pieuses donnent l’illusion
d’une union, comme
s’il devenait soudain possible
de partager la sou฀rance
du saint et de recevoir sa
grâce…

tés. La Vierge brune de Santa Maria del Carmine Maggiore,


à Naples, pouvait ainsi à elle seule guérir ses ฀dèles de la
lèpre et du «feu sacré» (intoxication par l’ergot de seigle),
contenir une hémorragie, rendre la vue aux aveugles, tout
en les préservant de la noyade et des animaux sauvages.
Tout un programme.
En pénétrant directement l’organisme, ces images
pieuses donnent l’illusion d’une union, comme s’il deve-
nait soudain possible de partager la souffrance du saint et
de recevoir sa grâce… Cette idée de transmission du savoir
par ingestion n’est pas nouvelle. Dès l’Antiquité, en Égypte,
circule le récit du magicien Nofrekôptah qui vole à Thot,
scribe des dieux, le livre de la connaissance et l’ingère pour
le faire sien, tandis que dans la Bible, Ézéchiel avale le rou-
Godfried Ce genre de procédé ne peut qu’exister dans le monde chré- leau tendu par Dieu. Mais c’est peut-être l’épisode miracu-
Schalcken tien où l’hostie est le symbole du corps du Christ que le leux de la lactation de Bernard de Clairvaux qui incarne au
Garçon avec ฀dèle mange. Dès le VIe  siècle, sont confectionnés des mieux cette idée : ce moine bourguignon du XIIe siècle reçut
un masque
cachets d’argile à l’effigie de Siméon le Stylite, à boire dilués d’une statue de la Vierge au pied de laquelle il priait une
en pâte à crêpe
Quelques coups dans de l’eau a฀n de se soigner. À Byzance, circule l’histoire giclée de son lait maternel en pleine bouche !
de dents bien miraculeuse d’une femme in฀rme guérie après avoir gratté,
sentis et voici recueilli et avalé le pigment d’une fresque ฀gurant saint Un arc de triomphe à engou฀rer
qu’une simple
Côme et saint Damien. Outre ces vertus, l’image ingérée dans le cadre de rituels
crêpe prend
forme humaine Il faut dire qu’à cette époque les icônes déchaînent les a aussi le pouvoir d’unir les individus d’une même commu-
dans le tableau passions. Objet d’une dévotion extrême, elles sont embras- nauté. Les hosties de l’eucharistie représentant le Christ ou
de ce maître sées à pleine bouche, étreintes ฀évreusement, comme si les symboles de la Passion, les petits pains à l’effigie de la
hollandais réputé
pour ses effets
l’image mettait le croyant en connexion directe avec le Vierge ou des saints proposés en période de fêtes, les
de lumière à la saint. Le phénomène prend une nouvelle tournure à la ฀n gaufres (cialde) consommées par les bourgeois et les aris-
bougie saisissants du Moyen Âge et la naissance de l’estampe, qui permet de tocrates dans le cadre de messes privées, tout comme les
de réalisme. diffuser les images de ฀gures sacrées… dont certaines calaveras de dulce, crânes de sucre offerts aux enfants lors
Vers 1670-1680,
peinture sur bois,
฀nissent parfois dans l’estomac de dévots débordant de de la fête des Morts au Mexique, comptent parmi ces
198 x 156 cm. désir. Cela est même recommandé dans quelques traités images-objets citées par Jérémie Koering qui, une fois
médicaux à l’instar de Chirurgia Magna de Guy de Chau- incorporées, consolident les liens familiaux et sociaux.
liac (1363), où le père de la chirurgie médicale conseille, Elles s’invitent sans surprise à la table des princes et sei-
pour venir à bout d’une colique néphrétique, d’avaler une gneurs, qui font appel à de prestigieux sculpteurs pour
image liée au signe astrologique du Lion gravée sur de l’ar- inventer des modèles servant à ériger des statues de sucre
gile à l’aide d’un sceau. À partir du XVIe siècle, les «petites et des pâtés en forme de châteaux, animaux fantastiques,
images à avaler» (Schluckbildchen) et «petits saints comes- personnages mythologiques, dévolus à leur gloire. Et ce
tibles» (santini eduli) se diffusent dans l’aire germanique jusqu’à la démesure : en juin 1629, pour marquer la sep-
catholique et gagnent bientôt toute l’Europe. Mesurant à tième année de son règne, le vice-roi de Naples fait installer
peine quelques centimètres, ces objets dévotionnels et pour son entrée spectaculaire dans la ville un arc de
comestibles, offerts ou vendus par des religieux, sont cen- triomphe composé de victuailles, offertes à son peuple,
sés soigner les maux liés aux saints protecteurs représen- désormais uni à lui par le ventre. QQQ
92฀I฀Beaux Arts
Petits crânes en sucre (Calaveritas de azúcar)
Au Mexique, les calaveras de dulce, têtes de mort en sucre, sont offertes aux enfants et aux défunts le jour des morts (Día de Muertos), le฀2฀novembre.
XXe฀siècle, papier, sucre, 15,5 x 61 x 31฀cm.

Beaux Arts฀I฀93
Pour les plasticiens,
ingurgiter, dévorer
ou mâcher équivaut
encore à une
attitude excessive,
outrancière,
agressive, qui met
d’emblée mal à l’aise.

soudainement une aquarelle de William Blake


dans le cabinet des dessins du Brooklyn Museum.
Les artistes ont fait eux aussi de l’iconophagie
un geste transgressif. Pour libérer l’œuvre du
regard savant et d’une approche convenue, le pop
américain Jasper Johns mord rageusement dans
un tableau enduit d’encaustique, laissant son
empreinte à même la matière, et lui flanque un
titre qui constate simplement les faits, Painting
Bitten by a Man (1961). Il s’en prend ensuite aux
critiques, fustigeant leur voracité et leur manque
Jasper Johns Malgré l’engouement, ce rapport physique à l’image est, de discernement dans une sculpture intitulée The Critic
Painting Bitten de façon générale, méprisé par les autorités religieuses qui Sees, des lunettes laissant voir à la place des yeux deux
by a Man
le rapprochent de l’idolâtrie, de la superstition, voire de la bouches ouvertes effrayantes.
Avec ce
monochrome
sorcellerie. Particulièrement les réformateurs protestants Une exposition intitulée «Sur toutes les lèvres» (“In aller
glauque qu’il a qui voient dans cette pratique la preuve tangible d’un rap- Munde”) en témoigne actuellement au Kunstmuseum de
mordu à pleines port déviant à Dieu. Ils fustigent ces «bigots», «mangeurs Wolfsburg : pour les plasticiens, ingurgiter, dévorer ou
dents, l’artiste d’images», soumis à leurs émotions primaires, incapables mâcher équivaut encore à une attitude excessive, outran-
semble nous dire
qu’un tableau de discernement. «Si l’ingestion a pu constituer l’archétype cière, agressive, qui met d’emblée mal à l’aise. Qu’on songe
ne suscite pas du mauvais usage des images, c’est parce que cette pratique à Rona Pondick et ses boules roses armées de dentiers prêts
seulement l’envie ramène l’expérience tactile et gustative de l’image à une à croquer le spectateur, à Anselmo Fox et son chocolat
de contemplation
dimension purement sensuelle et matérielle», explique fourré avec des dents en guise de noisettes, ou encore à
mais aussi un
désir d’ingestion. Jérémie Koering, rappelant que «depuis Aristote, la classi- Anna Maria Maiolino, qui ฀lme en gros plan des bouches
1961, encaustique ฀cation dans la chaîne des êtres se fait par la supériorité de prétendument anthropophages, ce parcours décalé pro-
sur toile montée sur l’intellect sur la sensation, cela doublé d’une hiérarchisa- voque fascination, dégoûts et frayeurs en tout genre.
plaque signalétique,
24,1 x 17,5  cm. tion des sens où le goût se situe au plus bas de l’échelle». Chantres de l’éphémère, jusqu’au-boutistes, insaisis-
sables, inclassables, les mangeurs d’images dévastent tout
L’homme qui mange une aquarelle sur leur passage. Ingérer une œuvre ne revient-elle pas tout
au Brooklyn Museum simplement à la faire disparaître ? Une idée que Dennis
Ce désir d’ingérer des images non comestibles nous ren- Oppenheim incarne en 1970 dans une performance où il
voie aujourd’hui à la régression, au stade de la petite mange un Gingerbread Man, anéantissant la ฀gurine en
enfance où l’on appréhende le monde par la bouche, à la biscuit pour la transformer en déjection, dont il rendra
maladie de Pica (trouble alimentaire caractérisé par l’in- compte dans des agrandissements de vues microsco-
gestion de substances non comestibles), à une incapacité piques. Dans une veine plus poétique, John Cage, avec ses
de différencier le bon du mauvais. Le livre de Koering dessins comestibles, fait de son régime macrobiotique la
s’ouvre d’ailleurs sur une scène du ฀lm Dragon rouge matière de compositions abstraites, béné฀ques pour la
(2002), trilogie composée autour du personnage psycho- santé donc, nous offrant, comme le souligne Jérémie
pathe culte surnommé «Hannibal le Cannibale», où la folie Koering dans son texte éblouissant, de «vivre l’art en en fai-
d’un nouveau tueur se révèle au grand jour quand il dévore sant le substrat de la vie même». La messe est dite. n

94฀I฀Beaux Arts
Anselmo Fox Zartbitterzart… (Sweetbittersweet) [détail]
Jouant sur l’opposition entre la douceur apaisante d’un morceau de chocolat et la stupeur de perdre une dent gâtée
par le sucre, cette tablette tru฀ée de molaires et incisives fait mal rien qu’à la regarder.
2000, barre de chocolat, dents humaines, dim. variables.

Pour en savoir plus


À DÉVORER À FRÉMIR
Les Iconophages – Une histoire «Sur toutes les lèvres – De Pieter Bruegel à Cindy Sherman»
de l’ingestion des images par Jérémie jusqu’au 6 juin (sur réservation) • Kunstmuseum de Wolfsburg
Koering • éd. Actes Sud • 352 p. • 34 € Hollerplatz • Allemagne • +49 5361 2669 0 • kunstmuseum.de
› Et si, plutôt que la vue, vous vous en › Manger, cracher, vomir, hurler son plaisir ou sa peine… Les artistes réunis
remettiez aux sens du goût et de l’odorat, au Kunstmuseum de Wolfsburg (à 80 kilomètres à l’est de Hanovre)
pour aborder une image ? C’est ce que dissèquent sans tabou les infinies possibilités créatrices de la cavité
propose l’historien de l’art Jérémie Koering buccale. D’Albrecht Dürer à Marina Abramovi฀, en passant par Goya,
dans un ouvrage aussi érudit qu’original. Picasso, Warhol, Louise Bourgeois, Daniel Spoerri, Tony Cragg ou encore
Il y retrace les pratiques étranges de ces Cindy Sherman, la bouche se révèle dans tous ses états. Impressionnantes,
mangeurs d’images qui, loin de se limiter à délirantes, stupéfiantes, certaines œuvres (particulièrement la section
leur contemplation, s’approprient les œuvres consacrée à la langue) laissent bouche bée.
en les ingérant de multiples manières.

Beaux Arts฀I฀95
ÉVÉNEMENT l BICENTENAIRE DE LA MORT DE NAPOLÉON

Les arts sous l’emprise de

Napoléon฀
Art et pouvoir font-ils bon ménage ?
Sous Napoléon Ier, la question ne se pose pas.
Du peintre Gérard aux architectes Percier
et Fontaine, de la manufacture de Sèvres
à celle des Gobelins, tous ont été les artisans
d’un renouveau économique et artistique,
stimulés par un Empereur avide de montrer
au monde la grandeur de la France.

Par Laetitia de Witt

Pavel Pepperstein
Napoléon à Moscou [détail]
Napoléon continue d’interroger
les artistes, comme en témoigne
le peintre russe Pavel Pepperstein,
qui fait entrer la ฀gure de l’Empereur
dans son monde onirique.
2017, huile sur toile, 180 x 180 cm.

96฀I฀Beaux Arts
Beaux Arts฀I฀97
ÉVÉNEMENT l BICENTENAIRE DE LA MORT DE NAPOLÉON

Napoléon voit grand et rêve de faire de Paris, vitrine de l’Empire,


une capitale néoclassique rythmée par d’immenses bâtiments
aux lignes majestueuses.

« S
auf pour la gloire, sauf pour l’art, il eût
probablement mieux valu que Napo-
léon n’eût pas existé.» Telle est la
conclusion de l’historien Jacques
Bainville (1879-1936) s’interrogeant
sur le sens de l’aventure napoléonienne. À Napoléon sont
associées les images de brillant chef de guerre, d’exception-
nel organisateur ou de bourreau de travail mais guère celle
de mécène éclairé. Le style Empire, longtemps dédaigné
pour la lourdeur de ses proportions et la richesse de ses
décors, ne ferait que traduire son goût de parvenu. Mais
surtout, la plus vive critique se rapporte à son despotisme.
Dès son arrivée au pouvoir comme Premier consul, en 1799,
Bonaparte n’hésite pas à convier les artistes à la mise en
œuvre du nouveau régime. Beaucoup n’y voient que sa
volonté de réduire l’art à un simple outil de propagande.
Qu’en est-il vraiment ? Une chose est certaine, les arts n’ont
pas été laissés de côté par Napoléon qui les englobe dans
son œuvre de réorganisation de la France. Selon lui, ils
doivent servir à l’essor économique du pays, à exprimer un
message politique et à affirmer le prestige de l’Empire. Créa-
tion et artistes se retrouvent donc entraînés dans un projet
qui, peut-être les dépasse, mais en tout cas les stimule.

Quarante-six palais réaménagés


en quatorze ans
La Révolution ayant mis à mal les secteurs de l’art et de
l’artisanat, Bonaparte entend par de grands chantiers relan-
cer l’économie et préserver la paix sociale. Dès 1802, il s’ins-
talle au palais de Saint-Cloud qu’il fait réaménager à grands
frais. Les premières à béné฀cier de cette manne sont les
manufactures, notamment les soyeux lyonnais et les ébé-
nistes du faubourg Saint-Antoine. Bonaparte a bien com-
pris qu’il valait mieux occuper un secteur réputé pour avoir
la révolte facile. Jacob-Desmalter devient l’ébéniste star de
l’Empire et le principal fournisseur du Garde-Meuble. Le
seul chantier du palais de Saint-Cloud coûte plus de 1,3 mil-
lion de francs (à titre de comparaison, le salaire annuel d’un
ouvrier est de 400 francs). En quatorze ans au sommet de
l’État, Napoléon fait réaménager 46 palais en France, mais
aussi en Italie, en Belgique et aux Pays-Bas. Avec l’établis-
sement de l’Empire en 1804 et le retour d’une vie de cour
fastueuse, les commandes publiques explosent. Les soyeux
lyonnais doivent non seulement fournir des étoffes pour
Antoine-Jean Gros les palais mais aussi habiller les dignitaires et le personnel.
Le Général Bonaparte au pont
En dix ans, Lyon triple sa capacité de production de soie,
d’Arcole, 17 novembre 1796
tandis que le montant des commandes passées par la Mai-
Le pont d’Arcole n’a pas été franchi.
Qu’importe : avec cette évocation son de l’Empereur aux grandes manufactures dépasse les
idéalisée de Bonaparte, héros 50 millions de francs. Ce sont les luxueux tapis des Gobe-
victorieux, Gros livre son premier lins, les ฀nes porcelaines de Sèvres, les pièces d’orfèvrerie
chef-d’œuvre et une image
fondatrice du mythe napoléonien.
livrées par Nitot, Odiot ou Biennais et les bronzes de
1796, huile sur toile, 130 x 94 cm.
Thomire, à l’origine de la renommée européenne de cette
production typiquement parisienne. QQQ
98฀I฀Beaux Arts
Jean Duplessis-
Bertaux
La Construction
de la colonne
Vendôme
en 1803-1810
C’est au lendemain
de la bataille
d’Austerlitz que
Vivant Denon
propose à l’Empereur
d’ériger, avec
les canons pris aux
Autrichiens et aux
Russes, une colonne
commémorative
dédiée à la Grande
Armée.
Début du XIXe siècle,
gravure.

Louis-Pierre
Baltard
Arc de triomphe
du Carrousel,
côté de la terrasse
des Feuillants
Bâti par Percier
et Fontaine entre
1806 et 1808 pour
célébrer les victoires
napoléoniennes
de 1805, il fut conçu
à l’origine comme
une monumentale
porte d’entrée au
palais des Tuileries.
1815, crayon, encre et lavis,
40,4 x 50,3 cm.

Beaux Arts฀I฀99
ÉVÉNEMENT l BICENTENAIRE DE LA MORT DE NAPOLÉON

Bibliothèque du château de la Malmaison, à Rueil-Malmaison


Peu restaurée, elle a conservé son état d’origine. Aménagée et décorée par Percier et Fontaine, meublée par Jacob, elle demeure une vitrine du style Empire.

Karl Friedrich L’État n’est cependant pas un mécène au geste gratuit.


Schinkel Le luxe doit soutenir l’économie mais aussi asseoir la puis-
Fauteuil
sance du nouveau régime et servir la gloire du souverain.
Le style
néoclassique
Dans cette perspective, les lieux et les symboles de la puis-
mis en forme sance se doivent d’apparaître comme des chefs-d’œuvre
par Percier et d’architecture. Napoléon voit grand en la matière et rêve
Fontaine inspira de faire de Paris, vitrine de l’Empire, une capitale néo-
toute l’Europe,
comme en classique rythmée par d’immenses bâtiments aux lignes
témoigne le majestueuses. Parmi ses projets mis à exécution et encore
travail de visibles aujourd’hui, ฀gurent le percement de la rue de
l’architecte,
Rivoli, l’édi฀cation de la Madeleine, la façade du Palais-
peintre et
décorateur Bourbon, le lancement de l’arc de triomphe de l’Étoile, celui
prussien du Carrousel, la colonne Vendôme, et aussi trois ponts en
Schinkel. fer, témoins de son intérêt pour les nouvelles techniques
Vers 1828, sorbier
de construction. D’autres projets ne verront jamais le jour :
doré, supports
et roulettes en laiton, la jonction du Louvre et des Tuileries, la fontaine en forme
tapisserie d’éléphant sur la place de la Bastille et surtout l’immense
d’ameublement
moderne, palais du roi de Rome imaginé sur la colline de Chaillot, lors
90,2 x 61,6 x 59,1 cm. de la naissance de son ฀ls en 1811, a฀n d’enraciner la dynas-
tie dans la pierre. Les arts sont aussi appelés à servir la poli-
tique extérieure. Restaurés et embellis, les palais ont voca-
tion à accueillir des souverains étrangers qui relateront à
leur entourage la magni฀cence du régime impérial. Dans
cette même perspective est mise en place une politique de

100฀I฀Beaux Arts
présents nourrie par les luxueuses productions des manu-
factures impériales, en particulier celle de Sèvres. La géné-
Charles Percier et Pierre Fontaine,
rosité du souverain s’exerce lors des cérémonies dynas- les architectes de l’Empereur,
tiques, des visites ponctuelles ou bien en conclusion
d’importantes négociations diplomatiques. Le 7 janvier ont un rôle essentiel dans
1810, juste après son divorce, Napoléon écrit à Joséphine :
«J’ai ordonné que l’on te fasse un très beau service de por-
l’élaboration et la di฀usion de
celaine. L’on prendra tes ordres pour qu’il soit très beau.» ce qu’il sera convenu de désigner
Elle commande aussitôt à Sèvres la réédition du service à
thé égyptien que l’Empereur avait envoyé au tsar comme comme le style Empire.
cadeau diplomatique. Ces pièces impressionnantes, pri-
sées par les cours et les collectionneurs, contribuent à dif-
fuser le goût et le prestige français dans toute l’Europe.

L’œil de l’Empereur
Cette propagande artistique repose sur une administra-
tion nouvelle, chargée d’orchestrer les prémices de la poli-
tique culturelle. Dominique Vivant Denon, «œil de Napo-
léon», en est le maître. Ancien diplomate de Louis XVI,
membre de l’expédition d’Égypte et grand amateur d’art, il
cumule les fonctions de «directeur général des musées,
directeur de la Monnaie des Médailles, administrateur des
manufactures impériales». Rien ne lui échappe et il exerce
sur les créateurs une in฀uence considérable, par les choix
iconographiques, la sélection des artistes et les récom-
penses qui leur sont données.
Deux autres personnages se révèlent cruciaux : les archi-
tectes Charles Percier et Pierre Fontaine. Nommé premier
architecte de l’Empire, Fontaine est l’homme des concep-
tions générales et du suivi des chantiers, tandis que Percier
exécute les dessins. Leur rôle est essentiel dans l’élabora-
tion et la diffusion de ce qu’il sera convenu de désigner
comme le style Empire. Attachés à l’harmonie entre l’exté- QQQ

Petite chambre à coucher de l’Empereur au château de Fontainebleau


L’aménagement de cette pièce répond aux choix de Napoléon, tant pour le vert,
sa couleur de prédilection, que pour la fonctionnalité du mobilier.

Charles Percier
Athénienne ou lavabo
Dessinée par Percier,
cette athénienne
destinée à l’Empereur
témoigne de l’extrême
raffinement des
productions de
Martin-Guillaume
Biennais, orfèvre
tabletier, fournisseur
officiel de la cour
impériale.
1800-1814, pieds, base
et étagère en bois d’if,
montures en bronze doré.

Beaux Arts฀I฀101
ÉVÉNEMENT l BICENTENAIRE DE LA MORT DE NAPOLÉON

Théière et soucoupe dites de forme


étrusque Denon, à fond bleu, orné
de hiéroglyphes en or et de cartels
représentant des vues d’Égypte
Entre 1808 et 1813, la manufacture
de Sèvres réalise sept cabarets
égyptiens, dont deux pour Joséphine.
Les décors sont repris de l’ouvrage
de Vivant Denon, Voyage dans la Basse
et la Haute Égypte.
1810, porcelaine dure.

rieur et l’intérieur, ils rédigeront dès 1801 un premier contre 559 en 1812. Outre la rencontre avec le public, le CI฀DESSUS

recueil de décorations réunissant un nouveau type de Salon offre aux artistes l’occasion de recevoir des com- Louis-François
Lejeune
mobilier et d’objets d’art à l’origine d’un style néoclassique mandes mais surtout la possibilité de voir leur œuvre
La Bataille
amené à dominer l’Europe entière. Dernier homme à exer- reconnue par de hautes distinctions. Le geste de Napoléon des Pyramides,
cer une in฀uence déterminante dans la constitution de épinglant sa propre croix de la Légion d’honneur sur la poi- 21฀juillet 1798
l’image officielle : Louis David. Nommé premier peintre de trine d’Antoine-Jean Gros au Salon de 1808 témoigne d’une [détail]
l’Empereur, il est aussi sénateur, officier de la Légion d’hon- période de ฀irt entre les artistes et les décorations. Elle n’en C’est au Salon de
neur, membre de l’Institut. Il règne sur le monde de la pein- est pas moins féconde, chacun cherchant à se surpasser. 1806 que Lejeune
présente cette
ture, entre autres via le prix de Rome. En 1803, le Premier De cette émulation artistique émerge un goût nouveau, toile. La lumière
consul crée au sein de l’Institut une nouvelle classe dite des certes puissant et monumental, mais plus subtil qu’il n’y unissant ciel et
beaux-arts, dont la principale mission est de décerner le paraît et nourri par nombre d’inspirations. désert ainsi que
l’exotisme
fameux prix de Rome, fondé par Louis XIV, concours
L’impératrice Joséphine du site et de sa
réservé aux hommes de moins de 30  ans déjà admis à végétation
l’École des beaux-arts. L’enjeu de ce prix touche à la forma- et ses collections folles annoncent les
tion des artistes alors que le Salon permet un contrôle de Contrairement aux idées reçues, opposant bien souvent grandes heures
de l’orientalisme.
la production. Hérité de la monarchie, cet événement est le XVIIIe siècle et le style Empire, les artistes, pour la plu-
1806, huile sur toile,
devenu accessible au public et gratuit avec la Révolution. part nés et formés sous l’Ancien Régime, adaptent aux nou- 180 x 258 cm.
Un jury d’admission, présidé par le directeur des musées, velles commandes les motifs, les sujets ou les formes d’une
choisit les œuvres à exposer. Le succès du Salon est consi- époque révolue. Le paysage, profondément ancré dans la
dérable, tant par le nombre de visiteurs que par celui des tradition classique, reste très présent. Joséphine, grande
artistes présentés, qui ne cesse d’augmenter : 240 en 1799 collectionneuse, maîtresse des arts de l’Empire, maintient QQQ
102 I Beaux Arts
La campagne d’Égypte
de Bonaparte favorise
la redécouverte de l’Orient
méditerranéen. Les scènes
de bataille commémoratives
ouvrent la voie à une peinture
lumineuse et colorée.

Antoine Béranger, Nicolas-Antoine Le Bel, Pierre-Louis Micaud


Cabaret égyptien de Napoléon Ier [détail]
Ce pot à sucre étrusque, et les 35฀autres pièces du service, fut livré par
la manufacture de Sèvres en 1810 à l’occasion du mariage de l’Empereur
avec Marie-Louise. On peut voir, sur sa face A, la pyramide de Meïdoum.
1809-1810, porcelaine dure.

Beaux Arts฀I฀103
Parmi les égéries de l’époque, Madame Récamier s’habille
à la grecque et se meuble à la manière étrusque.

la mode du végétal. Amoureuse des plantes et des serres, «troubadour», Valentine de Milan pleurant la mort de son PAGE DE GAUCHE

l’impératrice relance l’art des jardins. La veine florale époux, au Salon de 1802. Le sujet de l’œuvre lui serait François Gérard
Portrait
demeure une grande source d’inspiration pour les décors apparu devant le tombeau de cette dernière conservé au
de Juliette
textiles et la porcelaine. Remise au goût du jour lors des musée des Monuments français. Récamier
fouilles archéologiques d’Herculanum et de Pompéi au Événement plus récent, la campagne d’Égypte de Bona- Gérard représente
milieu du XVIIIe siècle, l’Antiquité s’avère la source d’ins- parte favorise la redécouverte de l’Orient méditerranéen. Juliette Récamier
piration privilégiée des artistes et le fondement même de Les scènes de bataille commémoratives ouvrent la voie à sur une chaise
étrusque, habillée
leur formation académique. À partir de 1804, elle permet une peinture lumineuse et colorée si bien illustrée par Gros «à la grecque»,
en outre de justi฀er qu’un empereur se substitue à une dans la Bataille d’Aboukir présentée au Salon de 1806. Le dans une salle de
République. Le goût antiquisant envahit tous les domaines répertoire ornemental égyptien prend une grande impor- bains à l’antique,
des arts, aussi bien par les formes que par les décors, et tance dans les arts décoratifs : il est transposé dans le mobi- décor signi฀catif
pour cette icône
touche même le vêtement. Parmi les égéries de l’époque, lier, dans les bronzes d’ameublement de Thomire et dans et muse des arts
Madame Récamier s’habille à la grecque et se meuble à la la porcelaine de Sèvres. de son temps.
manière étrusque. 1802-1805, huile sur
Autre inspiration : le gothique, ou la peinture de style L’art au service de la gloire toile, 257 x 183 cm.

troubadour. L’engouement pour le passé médiéval connaît Ces différentes influences du passé n’excluent pas l’ir-
une vogue nouvelle encouragée par Joséphine. Elle est la ruption du présent, selon la volonté de l’Empereur. «Mon
première à collectionner des tableaux du genre. Certains intention est de tourner spécialement les arts vers des
peintres, soucieux de soustraire leur art aux vicissitudes sujets qui tendraient à perpétuer le souvenir de ce qui s’est
du présent, se tournent vers un Moyen Âge imaginaire, fait depuis quinze ans», écrit-il à Pierre Daru, intendant de
privilégiant les scènes chevaleresques, intimes et senti- la liste civile, dès août 1805. Peintres et sculpteurs sont ainsi
mentales. Fleury Richard expose son premier tableau conviés à donner forme aux hauts faits du nouveau régime : QQQ

Ernest Meissonier Campagne de France, 1814


Avec ce chef-d’œuvre de l’art napoléonien, Meissonier renouvelle le genre de la peinture de guerre par un sujet
moins centré sur l’action que sur les personnages et leurs émotions.
1864, huile sur bois, 51,5 x 76,5 cm.

Beaux Arts฀I฀105
ÉVÉNEMENT l BICENTENAIRE DE LA MORT DE NAPOLÉON

les campagnes d’Italie et d’Égypte, le Concordat, le sacre


(David), les victoires de la Grande Armée ainsi que le visage
Les peintres et les sculpteurs
du Premier consul puis de l’Empereur. Désormais, les ont exalté la ฀gure du chef de guerre,
artistes délaissent l’allégorie pour représenter le fait. La
glori฀cation du régime ne passe plus par une référence à à commencer par Antoine-Jean Gros,
l’Antique mais bien par la description du présent.
son peintre préféré.
Goût du puissant et du colossal
Plus encore, c’est bien la personnalité de Napoléon qui
fascine les artistes. Les peintres et les sculpteurs ont exalté En rupture avec les représentations traditionnelles, Ingres
la ฀gure du chef de guerre, à commencer par Antoine-Jean présente Napoléon comme une sorte de dieu totalement
Gros, son peintre préféré. Élève de David, celui-ci croise désincarné. Sur le même sujet, au sacré d’Ingres s’oppose
Joséphine en 1796. Elle lui obtient quelques séances de le néoclassicisme de François Gérard, maître incontesté
pose avec son général de mari qu’il suit lors de la campagne du portrait, chacun cherchant à faire valoir sa conception
d’Italie. De là naît son premier chef-d’œuvre, Bonaparte de l’Empereur.
au pont d’Arcole, exposé au Salon de 1801. Fougue, courage Et que dire de la statue colossale de Napoléon en dieu
et volonté émanent de cette toile qui ฀xe la ฀gure du Mars, idéalisé dans une nudité triomphante par Antonio
conquérant héroïque. Bien différente est l’image délivrée Canova ? L’Empereur la refuse pudiquement sous prétexte
par Ingres dans son Napoléon en costume de sacre. L’Empe- qu’il y est trop athlétique. Voilà la force du style Empire :
reur, au visage blême et irréel, est assis sur un trône dont un art inscrit dans le présent et dans le dépassement, entré
le dossier forme comme une auréole au-dessus de sa tête. au service du prince et plus largement à celui de la Nation. QQQ

Ce que les musées


doivent à Napoléon
Plus encore que les institutions artistiques, l’invention du musée
a profondément bouleversé les arts. Tout commence sous
la Révolution, avec la présentation au peuple des collections
royales dans la grande galerie du Louvre. Robespierre y ajoute
des «conquêtes artistiques» réquisitionnées lors de conflits,
selon un droit de la guerre inspiré de l’Antiquité, essentiellement
des œuvres des peintres flamands. La politique de saisie
se poursuit surtout en Italie, où s’illustre le général Bonaparte.
À partir de 1802 (l’année où Napoléon passe de Premier consul
à consul à vie), l’administration du musée est confiée à un
directeur général, Vivant Denon, qui accélère la politique
d’enrichissement, toujours par la réception d’œuvres spoliées
mais aussi par des acquisitions. Le musée, qui à l’instigation
de son directeur prend le nom de Napoléon, rassemble
des chefs-d’œuvre de Rembrandt, Van Dyck, Raphaël, Titien,
Véronèse… Le Louvre n’est pas le seul à profiter des
acquisitions฀: quinze grandes villes de province sont aussi
dotées d’un musée. Le succès est immédiat. Hubert Robert
peint un Louvre parcouru d’une foule de visiteurs et d’artistes
copiant des tableaux. Le musée acquiert un rôle important
dans l’enseignement des arts. Le contact est désormais
direct avec les peintures et les sculptures présentées
selon une classification destinée à souligner la dynamique
artistique. La culture visuelle s’en ressent, le goût devient plus
éclectique. N’en demeure pas moins la question des
«enlèvements». Outre le principe moral, peut-on séparer
des œuvres de leur environnement naturel ou historique฀?
La plupart de celles enlevées à l’étranger furent restituées
après la signature du deuxième traité de Paris, en 1815, qui
Vincenzo Vela Les Derniers Moments de Napoléon Ier à Sainte-Hélène
suivit la défaite de Waterloo. Le musée Napoléon fut le plus beau
Image emblématique d’un empereur déchu, cette sculpture est une véritable
musée du monde mais pour un temps limité seulement. photographie de marbre, conçue un demi-siècle après la mort de Napoléon.
1866, marbre, h. 144 cm.

106฀I฀Beaux Arts
CI฀DESSUS
Jean-Baptiste Mauzaisse
Napoléon Ier couronné par le temps
écrit le Code civil
Cette allégorie de Mauzaisse appartient
au culte napoléonien. L’artiste entend souligner
que l’Empereur et son œuvre ne seront point
oubliés dans le temps.
1833, huile sur toile, 131 x 160 cm.

Nicolas Toussaint Charlet


Épisode de la campagne de Russie
Charlet est l’un des principaux artisans de la légende
napoléonienne. Son tableau de la retraite de Russie
participe tant au romantisme qu’au réalisme et
annonce les développements artistiques modernes.
1836, huile sur toile, 194,7 x 294 cm.

Beaux Arts I฀107
À GAUCHE
François Gérard
Marie-Louise
impératrice
des Français
et le roi de Rome
Surnommé par ses
contemporains
«le peintre des rois
et le roi des
peintres», Gérard
fut le portraitiste
attitré de
Napoléon, de la
famille impériale
et des grands
dignitaires du
Premier Empire.
1813, huile sur toile,
240 x 162 cm.

PAGE DE DROITE
Denzil O. Ibbetson
Napoléon
sur son lit de mort
Commissaire
en charge des
approvisionnements
de Sainte-Hélène,
Ibbetson réalise
quelques croquis
de l’Empereur défunt
le lendemain de
sa mort, à l’origine
de ce tableau
«reliquaire».
1821, huile sur toile,
39 x 51 cm.

Dans le mobilier, le souci de somptuosité amène à créer amènent à la création de meubles pliants. Politique et créa-
des lignes nouvelles, parfois imposantes et massives, par- tion sont étroitement liés. Le blocus continental institué
fois audacieuses par leur modernité. Si l’acajou prédo- en 1806 incite les ébénistes à utiliser de nouveaux maté-
mine, il est rehaussé d’une riche ornementation de bronze riaux, bois indigènes et clairs, d’usage courant sous la Res-
doré ou conjugué à des tissus aux coloris francs et dyna- tauration. Dans le domaine des arts, comme dans beau-
miques. De nouveaux meubles bouleversent les usages de coup d’autres, Napoléon a fait preuve d’un volontarisme
la vie quotidienne et répondent à une recherche de confort hors du commun, qui se re฀ète chez les artistes par une
tandis que d’autres répondent à la fonctionnalité – pom- esthétique faite de sentiments, de goût du colossal et de
mier (entre fauteuil et canapé), siège gondole, lavabo… Les la puissance qui fait de l’Empire un moment décisif de
inventions réalisées pour les campagnes militaires l’histoire de l’art. n

108฀I฀Beaux Arts
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Beaux Arts฀I฀109
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de chef Rurutu polynésien ; des poupées de fécondité Namji ornées
de perles… Issus d’une donation de Marc Ladreit de Lacharrière, ils viennent
enrichir les collections du musée du quai Branly – Jacques Chirac.

Beaux Arts฀I฀111
L’ACTUALITÉ DES MUSÉES & CENTRES D’ART

Quoi de neuf฀?

1 La fondation Custodia
se refait une beauté
Créée en 1947 à Paris, près du Palais Bourbon, par le
Néerlandais Frits Lugt (1884-1970) et son épouse Jacoba
Lugt-Klever pour y abriter leur collection d’art ancien, la
fondation Custodia poursuit sa mue, sous la houlette de son
directeur Ger Luijten. Cette année, c’est au tour de la cour
pavée et de la façade de l’hôtel Lévis Mirepoix de retrouver
tout leur éclat. Un chantier au long cours entrepris il y a
dix ans avec la rénovation des espaces intérieurs de l’hôtel
Turgot, complétée par l’agrandissement de la bibliothèque
d’histoire de l’art et l’embellissement de la salle d’exposition
du premier étage de l’hôtel Lévis Mirepoix. Cette valorisation
du patrimoine concerne aussi les collections฀: la fondation
s’attelle ainsi depuis 2017 à la restauration d’une soixantaine
d’albums de dessins anciens, allant du XVe au XVIIIe siècle.
fondationcustodia.fr

Gustav Klimt Rosiers sous les฀arbres, vers 1905

2 Un Klimt conservé à Orsay


bientôt restitué
Il s’agit du seul tableau de Gustav Klimt présent dans les collections publiques françaises.
Conservé au musée d’Orsay depuis son acquisition dans les années 1980 auprès
de la galerie suisse Peter Nathan, Rosiers sous les arbres, spolié à Vienne en 1938, sera
restitué aux ayants droit de Nora Stiasny, qui fut déportée et tuée en 1942 dans le camp
de Belzec. Nièce des grands collectionneurs Viktor et Paula Zuckerkandl, elle avait dû
vendre l’œuvre sous la contrainte après l’Anschluss, pour un montant très inférieur
au prix du marché. Une décision inédite en France฀: le tableau appartient aux collections
L’hôtel Turgot, dont l’intérieur a été restauré, nationales et est, à ce titre, soumis aux principes d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité,
abrite les collections de la fondation Custodia. à la différence d’une œuvre MNR (Musées nationaux récupération). La ministre de
la Culture a annoncé la préparation d’un projet de loi pour engager cette procédure.

3 La fondation CAB s’implante


à Saint-Paul-de-Vence
Conçue comme une plateforme d’échanges et de rencontres autour de
l’art minimal et conceptuel, la fondation CAB (Contemporary Art Brussels)
ouvrira le 25 juin un second espace à Saint-Paul-de-Vence (Alpes-Maritimes).
Créée à Bruxelles en 2012 par l’homme d’affaires et collectionneur
Hubert Bonnet, la fondation s’installera dans un bâtiment des années 1950,
qui fut notamment occupé par la galerie Guy Pieters (Knokke-Heist).
C’est l’architecte Charles Zana qui s’est chargé de la rénovation. L’espace
accueillera la riche collection de la fondation (Carl Andre, Donald Judd, Sol
LeWitt, Frank Stella, Dan Flavin…) et des expositions temporaires. Le projet
comprend également une librairie, un restaurant et quatre chambres d’hôtes.
fondationcab.com

Un écrin datant des années 1950, rénové par l’architecte Charles Zana.
112฀I฀Beaux Arts
par Françoise-Aline Blain

5 Regard neuf sur la collection


du musée Soulages
Le musée Soulages à Rodez dynamise sa collection permanente grâce
à un nouvel accrochage. On peut ainsi voir pour la première fois des œuvres
récemment entrées par donation, comme Peinture 390 x 130 cm, 17 mars
2019, l’Outrenoir de la troisième donation de Pierre et Colette Soulages peint
par l’artiste dans sa 100e année, et Peinture 324 x 181 cm, 19 janvier 1997,
donnée par le galeriste Karsten
Greve. En partie renouvelé,
le cabinet des estampes fait lui

4
La maison natale des frères Champollion, en 2004.
aussi peau neuve. Cette nouvelle
Un nouveau musée présentation d’une cinquantaine
d’œuvres, de 1934 à 2019, permet,
Champollion selon le directeur Benoît Decron,
L’ouverture de la maison natale des frères Champollion «de faire évoluer le musée avec
à Vif (Isère), récemment classée musée de France, est annoncée un bel ensemble d’Outrenoirs
pour le 29 mai, au terme d’une restauration longue (cinq ans) et de rendre compte de l’énergie
et coûteuse (6,3 M€). En plus d’une exposition temporaire, une collection créatrice de l’artiste».
permanente sera entièrement consacrée à l’œuvre et au parcours musee-soulages-rodez.fr
de l’égyptologue Jean-François Champollion, et de son frère aîné,
l’archéologue Jacques-Joseph Champollion-Figeac. L’ensemble sera
Deux Outrenoirs
complété par des dépôts de musées nationaux, dont celui de la Marine. du peintre aveyronnais
Le Louvre, dont Jean-François Champollion fut le premier directeur récemment entrés
du département des antiquités égyptiennes, accordera de son côté par donation au musée
un «prêt exceptionnel» de 82 antiquités. musees.isere.fr Soulages de Rodez.

6 Artagon fait son nid à Marseille


Son credo : défendre la jeune scène artistique contemporaine. Sept ans
après sa fondation à Paris par les commissaires d’exposition Anna Labouze
et Keimis Henni, l’association Artagon vient d’annoncer l’ouverture, en août,
d’un espace permanent dans le nord de Marseille. Au sein de l’Épopée,
un tiers-lieu consacré à l’innovation éducative et sociale installé dans l’ancienne
usine Ricard de Sainte-Marthe, Artagon Marseille accueillera pendant
dix-huit mois 30 jeunes artistes et 30 jeunes professionnels de l’art. Ceux-ci
pourront disposer d’ateliers et d’espaces de travail déployés sur 1 500 m2. Fidèle
à sa mission, Artagon est notamment à l’origine de l’Exposition internationale
des étudiants en école d’art du Grand Paris, ainsi que de la bourse Horizon, qui
s’inscrit dans la continuité du fonds de soutien créé en juin 2020 pour les
étudiants en école d’art les plus fragilisés par la crise sanitaire.
artagon.org

L’ancienne usine Ricard de Sainte-Marthe accueillera l’association en août.

Elles étaient dans un état critique, servant de bancs, de poubelles et même de «supports pour des

7
Le Rhône et la Saône inscriptions». Deux statues des frères Coustou ont quitté la place Bellecour, à Lyon, pour être transférées
ne reviendront pas dé฀nitivement au musée des Beaux-Arts de la ville. Les deux bronzes représentant le Rhône et la Saône
place Bellecour étaient les dernières œuvres datant du début du XVIIIe siècle à être encore exposées à l’air libre en France.
À l’issue de leur restauration, à l’automne, elles seront visibles au sein du musée. C’est en 1714 que les deux
allégories furent commandées aux frères lyonnais Nicolas et Guillaume Coustou, membres de l’Académie
royale de peinture et de sculpture, ayant
DE GAUCHE À DROITE
participé aux travaux de décoration
Guillaume Coustou Le Rhône, 1719
Nicolas Coustou La Saône, 1719
des châteaux de Versailles et de Marly.
mba-lyon.fr

Beaux Arts฀I฀113
MUSÉES
MUSÉES l l EXPOSITIONS
EXPOSITIONS
LE MUSÉE DU MOIS

Véritable prouesse
technique, les
vitrines conçues
par Jean Nouvel
abritent 36 pièces
prestigieuses
o฀ertes au musée
par l’homme
d’a฀aires et
collectionneur
français Marc
Ladreit de
Lacharrière.

Le Quai Branly encapsule la collection


d’un généreux mécène฀!
É
trange séance que l’inauguration officielle, depuis 1945», complétée ensuite par une dation
le 23 mars dernier, des nouveaux espaces de deux œuvres. Un geste qui s’ajoute au palmarès
du musée du quai Branly – Jacques Chirac, impressionnant du philanthrope : grand mécène
entièrement dévolus à la collection de l’homme du musée du Louvre, ancien président de l’agence
d’affaires et mécène Marc Ladreit de Lacharrière. France Muséums qui œuvra à l’ouverture
En petit comité et masqués, dans le silence et du Louvre Abu Dhabi, créateur de la fondation
l’ambiance feutrée d’un musée désert, on pouvait Culture et Diversité pour favoriser l’accès de jeunes
découvrir sur la mezzanine des collections issus de milieu modeste aux grandes écoles,
permanentes les œuvres offertes à l’établissement sans oublier son titre d’ambassadeur de la diversité
public par l’entrepreneur français milliardaire, culturelle pour l’Unesco.
fondateur et grand patron du groupe Fimalac
(société officiant aussi bien dans la ฀nance que Une mise en scène spectaculaire
dans le luxe et la culture), dans une mise en scène Dans nos colonnes, en 2016, il se félicitait ainsi d’avoir
signée Jean Nouvel. L’architecte qui, il y a une «subtilisé les pièces de [sa] collection au monde
quinzaine d’années, avait donné corps au musée de l’argent». Et nous rappelait comment elle avait été
des cultures du monde, était présent aux côtés encouragée par son ami Jacques Chirac, au moment
du président de l’établissement public, Emmanuel où naissait le projet du Quai Branly, à la ฀n des
Collection Marc Ladreit Kasarhérou, et de celui dont on célébrait la années 1990. Alors membre du conseil artistique
de Lacharrière générosité. Marc Ladreit de Lacharrière avait déjà des musées nationaux, chargé notamment
Musée du quai Branly
eu les honneurs du Quai Branly en 2016, date des acquisitions du futur musée, il put aiguiser
Jacques Chirac
37, quai Branly • 75007 Paris du 10e anniversaire du musée, qui dévoilait au public, son œil en fréquentant conservateurs spécialisés
01 56 61 70 00 • quaibranly.fr dans un parcours intitulé «Éclectique», les 36 pièces et collectionneurs tels que la marchande et
historiques d’art africain historienne de l’art Hélène Leloup ou Jean Paul
et océanien qu’il s’apprêtait Barbier-Mueller, détenteur de la plus grande
à offrir à l’institution collection privée d’art non occidental, à l’origine
sous la forme d’une du musée qui porte son nom, à Genève. Ce qui permit
donation – celle-ci sera à Marc Ladreit de Lacharrière d’acquérir des pièces
officialisée en février 2018. prestigieuses, à l’image du porte-flèches, insigne
L’ensemble était estimé à de prestige du royaume Luba (XIXe siècle, République
plus de 50 millions d’euros, démocratique du Congo), qui inaugure le parcours.
soit «la plus importante Non loin de lui, un masque portrait Ndoma
donation d’œuvres d’art de Côte d’Ivoire (XIXe siècle), brillant de toute
africain et océanien en sa patine laquée, attire l’œil et impressionne.
faveur de l’État français Tout comme les imposantes maternités Sénoufo

114฀I฀Beaux Arts
ou Luluwa, le masque anthropomorphe Dan
(XIXe siècle, Côte d’Ivoire) issu de la collection
Paul Guillaume – le célèbre marchand d’art moderne
fut l’un des premiers à exposer l’art africain –
et un gardien de reliquaire (XIXe siècle), témoin
du grand style classique Fang… Conformément aux
clauses de la donation, toutes ces pièces n’ont pas
rejoint l’ensemble du parcours permanent (ce que
l’on est en droit de regretter) mais sont désormais
magni฀ées dans un espace solennel, bercées par
un éclairage tamisé conçu pour respecter les règles
drastiques de conservation tout en participant
à la mise en scène spectaculaire.

Jean Nouvel révèle les auras


Il faut dire que les nouvelles vitrines imaginées par
Jean Nouvel font sensation. Semblables à des bulles
qui feraient flotter les œuvres dans l’espace muséal,
elles constituent un écrin translucide qui épouse
leurs formes tout en évoquant une aura sacrée,
cette capacité quasi mystique à toucher et émouvoir
le spectateur. Exécutées par des artisans milanais,
ces vitrines inédites constituent une véritable
«prouesse technique, première mondiale», a souligné soin d’éviter, mettant à disposition des visiteurs Dans leurs bulles de verre,
Emmanuel Kasarhérou. Ici et là, sur le sol alternant (sur place et sur le site Internet) pléthore d’informations. un masque anthropomorphe
et une statue protectrice
bois wengé sombre et érable clair (comme tout le Marc Ladreit de Lacharrière s’est même engagé Nkishi, constituée de bois,
mobilier), des canapés moelleux invitent à s’installer à ฀nancer à hauteur de 200 000 euros par an, cuivre, fer, ฀bres végétales,
pour les contempler, dans une atmosphère intimiste et ce pendant au moins cinq années, un programme peaux animales et pigments,
et méditative, rappelant que le musée est l’un des de recherche scienti฀que et culturelle, consacré datant du XIXe siècle.
derniers refuges où il est encore possible de prendre notamment à préciser la datation, la provenance et
son temps et d’échapper au tumulte du monde le contexte d’acquisition des œuvres de sa collection.
extérieur. Et c’est précisément ce qui nous laisse
perplexe. Les œuvres semblent avoir été ฀gées pour Le grand enjeu des restitutions
l’éternité dans leur superbe isolement. Difficile Autant de données essentielles pour aborder
de ressentir le souffle de la vie qui a pu les animer, l’épineux dossier des restitutions ouvert en 2018,
ainsi enfermées dans leurs bulles de verre, qui nous suite au rapport de l’historienne Bénédicte Savoy
évoquent soudain un art plutôt mis sous cloche et de l’économiste Felwine Sarr qui soulignait
– chacun en jugera. Aussi séduisante soit-elle, que près de 90 % du patrimoine des pays d’Afrique
la présentation incarne, malgré elle, ce symptôme subsaharienne, arrivé en Europe dans le cadre du
du musée occidental aux prétentions universelles système colonial, était conservé hors du continent.
qui peine à être en prise directe avec la réalité, Car c’est bien là, sur ces questions de restitution,
à répondre au chaos et aux enjeux d’une actualité d’échanges et de circulation des œuvres, que se
brûlante : coupées de leurs origines, de leur contexte trouvent les grands enjeux à venir du Quai Branly
de création et de leur fonction première pour et de l’ensemble des musées abritant des œuvres
rejoindre le grand corpus de l’art mondial unissant d’art africain. Le fruit des recherches menées autour
les civilisations, les œuvres sont louées pour leurs de la collection Marc Ladreit de Lacharrière sera
seules qualités esthétiques et leur puissance visible dans des expositions-dossiers organisées
intrinsèque. On pense alors au Pavillon des Sessions. dans la galerie adjacente à la collection, de l’autre côté
Inauguré au Louvre en 2000, il présentait pour de la mezzanine. Celle-ci présentera également
la première fois au sein de la vénérable institution des expositions thématiques et monographiques,
des chefs-d’œuvre de l’art africain, océaniens à l’image du parcours consacré à l’artiste Barthélémy
et mésoaméricains, en prélude à l’ouverture Toguo, conçu par la fondation Dapper. Intitulé
du Quai Branly. Conçu à la gloire d’un autre «Désir d’humanité», il fera dialoguer les pièces
collectionneur (Jacques Kerchache, grand ami historiques du musée avec les créations de l’artiste
lui aussi de Jacques Chirac), il n’avait pas su éviter camerounais. Gageons que ses ฀gures humaines
l’écueil du fantasme de l’objet primitif ฀gé dans crachant des extensions végétales, réalisées
sa pureté originelle, notamment parce qu’il était avec rage à l’aquarelle, ses vanités colériques
dépourvu de mises en contexte et d’explications et ses céramiques à l’énergie puissante insuffleront
fouillées sur les œuvres. Un manque de discernement vie et mouvement à ces espaces trop taiseux.
que ces nouveaux espaces du Quai Branly ont pris Daphné Bétard

Beaux Arts฀I฀115
Communiqué

L’exposition de Sybille Friedel et Ndary Lo à Carpentras Trajectoires humaines


Deux continents, deux cultures, mais un langage commun. Portés par un même propos humaniste et engagé,
la plasticienne française et le sculpteur sénégalais (disparu en 2017) évoquent dans leurs œuvres les migrations
qui bouleversent tant de populations à travers le monde. Un dialogue posthume, entre espoir et spiritualité.

« A
frique». Continent aux les deux artistes s’intéressent aux foules dont cune de leurs ฀gures est une synecdoque qui
54 pays et terre natale du personne ne parle, tout en cherchant à remon- vaut pour le tout, une silhouette exprimant une
sculpteur Ndary Lo. Mais ter là où tout a commencé. «L’Afrique n’est-elle origine ou des valeurs communes, en dehors de
aussi titre d’une œuvre pas le point de départ de l’humanité, des pre- tout contexte historique et de tout dogmatisme.
qui s’est imposée à mières migrations encore et toujours ?» s’inter- En témoigne cet homme les bras en croix de
Sybille Friedel «comme roge Sybille Friedel. Étirée et ฀lliforme, cha- Ndary Lo, évoquant la ฀gure christique alors
une nécessité». «Avec mon obsession des pay-
sages, je vois les arbres se transformer en per-
sonnages, des foules se mettent à surgir, je suis
prise dans un cycle de gigantesques dé฀lés
humains en marche», dit la peintre, sculptrice
CI฀DESSUS ET CI฀CONTRE
et calligraphe. À Carpentras, la rencontre de ces
Dans le chœur
deux univers paraît une évidence tant les deux de la chapelle, une partie
artistes s’attachent à représenter les «trajec- de Muraille verte de
toires» d’une humanité prête à se libérer, à se Ndary Lo (prêt de la
Fondation Blachère)
mettre en marche pour se redresser et s’affirmer, dialogue avec Les Migrants,
se révolter et agir. «Mon travail suppose de plus Afrique et l’installation
Têtes calligraphiques
en plus d’engagement, revendiquait le sculp- de Sybille Friedel.
teur sénégalais, disparu en 2017, à l’âge de
56 ans. J’ai envie de servir la société. Je fais de
la résistance à la fois en tant qu’artiste et indi-
vidu.» Loin de dresser une galerie de portraits,
Au premier plan฀: Ndary Lo, L’Envol,
fer à béton, 300 x 180 cm.
Au mur฀: Sybille Friedel, Migrants,
encre de Chine sur papier de riz, 120 x 180 cm.

© Photos Elena Corradi & Michel Bost.

Sybille Friedel, Les Migrants 6, encre de Chine sur papier de riz, 130 x 290 cm [détail].

que lui-même était musulman. Réunies, ces hybrides, mi-humaines, mi-végétales, qu’il bap-
œuvres forment des écritures dynamiques, sur tise Muraille verte. C’est une référence directe à
papier de riz ou à travers le métal, qui se font un projet lancé en 2007 qui consistait à dresser
Sybille Friedel, Les Migrants 11,
superbement écho dans l’espace de la chapelle une muraille d’arbres de Dakar à Djibouti, pour encre de Chine sur papier de riz, 120 x 70 cm.
du Collège de Carpentras. empêcher l’avancée du désert. Pour lui, «un
arbre est fait d’un entrelacement de corps
Forêts de sihouettes humains, les bras au ciel», implorant une divi-
L’exposition «Trajectoires»
Des milliers d’hommes peuplent les paysages- nité, une force supérieure, l’esprit de la nature. En attendant que l’exposition ouvre ses portes
palimpsestes de Sybille Friedel. «De cette masse Ainsi les deux poétiques entrent-elles en dia- au public (dès que les conditions sanitaires
de forêts humaines, j’ai la sensation de peindre logue, autour de l’intemporalité de ces migra- l’autoriseront), une vidéo est accessible sur฀:
l’eau, les nuages, le ฀ottement de l’air», décrit- tions et célèbrent dans l’architecture monu- https://vimeo.com/532285202/dc7ad54cda
elle. Entre statuaire étrusque et sénoufo, Ndary mentale et lumineuse de la chapelle un élan Chapelle du Collège • 21, rue du Collège • 84200 Carpentras
Lo compose, lui, une forêt de silhouettes spirituel universel. Pour en savoir plus฀: 06 80 96 97 63 • sybillefriedel.net
L’ENFANCE DE L’ART Par Malika Bauwens

En mai, lis ce qu’il te plaît฀


Voici nos livres jeunesse préférés, fraîchement imprimés, à dévorer sans tarder฀!

TROIS QUESTIONS À SERGE BLOCH, DESSINATEUR ATTENTION LES YEUX

«L’architecture déglinguée Du plaisir de devenir


daltonien, dyslexique
du Centre Pompidou et cinétique฀!

m’a toujours fasciné» En attendant de retrouver le musée en Herbe,


à Paris, on stimule son imagination
et ses sens en dévorant le livre très ludique
du Vénézuélien Asdrúbal Colmenárez.
ère de Max et Lili (depuis 1992),

P
Comment parler d’art aux enfants ?
En suivant l’alphabet imaginaire de l’artiste
SamSam (depuis 2000) et de Comme aux adultes, mais simplement.
– un daltonien qui, enfant, souffrait de
la petite sorcière Zouk (depuis 2016), Du moins, c’est la recette que j’ai toujours dyslexie ! – les lecteurs découvrent, via
Serge Bloch est un illustrateur reconnu cherché à appliquer dans mes livres. un QR code à flasher, des œuvres en action.
à travers le monde et multi-récompensé. C’est également ce que j’ai retenu de mes Ils passent aussi à la pratique à travers
Que ce soit à Paris ou à New York, il partage années de directeur artistique de journaux des jeux conçus par ce grand cinétique dont
son activité entre publications jeunesse, pour la jeunesse. Le dessin est un langage, le musée célèbre les 60 ans de carrière !
dessins de presse, expositions personnelles un vocabulaire que l’on peut partager.
et créations publicitaires. Il signe Cela me fait penser à Un monsieur tout
aujourd’hui un réjouissant album qui esquinté [éd. United Dead Artist], un livre
invite les jeunes lecteurs à découvrir extraordinaire que Roland Topor a réalisé
30 chefs-d’œuvre du Centre Pompidou. en 1972 en enrichissant les dessins de
son ฀ls Nicolas, alors âgé de 5 ans. Le trait
Vous avez illustré au moins une des enfants est d’une grande liberté !
centaine de livres pour la jeunesse,
mais cette plongée au cœur Avec la pandémie, la période est parfois Forever Play
du musée national d’Art moderne ne di฀cile pour eux : des astuces ? par Asdrúbal Colmenárez • coéd. Skira / Musée
serait-elle pas une première ? L’une des armes reste l’humour, mais ce en Herbe • 80 p. et 1 planche d’autocollants • 15 €
> Dès 3 ans
Évidemment en tant que Parisien, je suis n’est pas toujours évident. Si j’arrive à faire
familier du Centre Pompidou – d’ailleurs, sourire avec un dessin, c’est déjà bien.
Il y a un truc social avec les blagues. Rire WHO’S THAT GUY?
mon atelier n’est pas loin ! Son architecture
déglinguée m’a toujours fasciné. De est une liberté, il faut en pro฀ter à fond ! Joue-la comme Banksy
nombreuses expositions m’ont marqué,
Son identité reste un mystère, il graffe sur
surtout dans le domaine de la photographie
les murs et… s’en ฀che ! Forcément, Banksy,
ou de la peinture – je songe notamment artiste pas comme les autres, pique la
à celle consacrée à David Hockney. curiosité des enfants. La plume et les dessins
Dans mon panthéon personnel d’artistes pleins de fantaisie de Fausto Gilberti retracent
฀gure aussi Paul Klee : son rapport à la la carrière du plus illustre des anonymes,
modestie et à la légèreté force l’admiration. de ses fameux pochoirs à son œuvre
Alors, quand on m’a proposé ce livre autour autodétruite sitôt le marteau des ventes
des collections du Centre Pompidou, aux enchères tombé. Avec un beau message :
je n’ai pas hésité ! On y passe de la peinture osez être différent !
Les Chercheurs d’art par Alice Harman (texte)
aux installations, de Marcel Duchamp et Serge Bloch (dessin) • éd. Centre Pompidou
à Sheila Hicks… 96 p. • 14,90 € > À partir de 10 ans

COCORICO

Jean-Claude Mourlevat récompensé


par le plus grand prix de littérature jeunesse
Le 30 mars dernier, le prestigieux prix suédois Astrid Lindgren a été décerné à Jean-Claude
Mourlevat, qui devient ainsi le premier Français (parmi 262 candidats en lice en 2021)
à recevoir cette distinction depuis sa création en 2002. Exceptionnel raconteur d’histoires, Banksy, l’artiste qui graffait sur les murs
le romancier est récompensé pour l’ensemble de son œuvre. Dernier titre paru฀: Je฀erson (et s’en ฀chait)
(éd. Gallimard Jeunesse), un polar autour d’un hérisson qui ne manque pas de piquant฀! par Fausto Gilberti • éd. Phaidon • 48 p. • 14,95 €
> Dès 4 ans

118฀I฀Beaux Arts
jusqu’au 27 juin 2021

PEINTRES ET SCULPTRICES
1880 - 1940
VISITE VIRTUELLE SUR
monastere-de-brou.fr Exposition réalisée en partenariat avec
le musée des Beaux-Arts de Limoges.
Suzanne Valadon (1865-1938), La Chambre bleue, 1923, MNAM-
Centre Pompidou, Paris, en dépôt au musée des Beaux-Arts
de Limoges © Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP.

AVIS D’APPEL A CANDIDATURES


TISSÉO COLLECTIVITÉS (SYNDICAT MIXTE DES TRANSPORTS DE L’AGGLOMÉRATION TOULOUSAINE)
Mme Stéphanie DOUZAL - Directrice Achat et Commande Publique
7, esplanade Compans Caffarelli
31011 Toulouse - 6
Tél : 05 67 77 80 61
Correspondre avec l’Acheteur

L’avis implique un marché public. Noms des membres du Jury sélectionnés Le nombre de candidats admis à concourir est de 3 maximum par station.
Principale(s) activité(s) de l’entité adjudicatrice : Services de chemin de fer urbains, de 1.Les membres du jury sont précisés dans le règlement de concours. Chaque station donnera lieu à la conclusion d’un marché.
tramway ou d’autobus ; Le règlement de concours et le programme de concours sont librement télé-
Le marché ne fait pas l’objet d’une procédure conjointe. Critères d’évaluation des projets chargeables à l’adresse http://tisseo.marches-publics.info/
La transmission dématérialisée est effectuée via le profil d’acheteur suivant :
Objet : Œuvres d’art 3ème ligne 1.la qualité esthétique de l’œuvre http://tisseo.marches-publics.info
Stations Montaudran Piste des Géants Gare et Toulouse Lautrec 2.la prise en compte des éléments de programme du concours Le Tribunal Administratif peut également être saisi par L’application informa-
Référence : OASV2021 3.la faisabilité du projet au regard des objectifs et des contraintes du maître d’ouvrage tique Télérecours, accessible par le lien: http://www.telerecours.fr
Type de marché : Services 4.le coût de la prestation intellectuelle et le coût estimé de la réalisation de l’œuvre
Mode : Concours restreint
Ce concours est couvert par : la directive 2014/25/EU Renseignements / Correspondre avec l’Acheteur Fonds
Code NUTS : FRJ23
DESCRIPTION : A l’instar des stations des lignes A et B, il est prévu de doter Le marché s’inscrit dans un projet/programme financé par des fonds commu-
les 22 stations de la 3ème ligne de métro et de la connexion ligne B d’œuvres d’art Candidatures nautaires : Non
contemporain. La démarche de conception intégrera les problématiques relatives Adresse à laquelle des renseignements complémentaires peuvent être obtenus
à la maintenance de l’œuvre dans l’objectif d’assurer la pérennité de l’œuvre et de Remise des candidatures le 17/05/21 à 12h00 au plus tard. Tisséo Collectivités (Syndicat Mixte des Transports en Commun de l’agglomé-
maîtriser les coûts de maintenance et de conservation. Date d’envoi des invitations à soumissionner ou à participer aux candidats sélection- ration toulousaine)
Suite au premier concours, aucun lauréat n’a été désigné pour les stations Toulouse nés : 14/06/21
Lautrec et Montaudran Piste des Géants Gare. La procédure de concours porte sur Langues pouvant être utilisées dans l’offre ou la candidature : français. Direction Achats et Commande publique
les prestations intellectuelles de conception et de suivi de réalisation des œuvres d’art Dépôt > Déposer un Pli dématérialisé 7, esplanade Compans Caffarelli
de ces 2 stations. BP 11120 31011 Toulouse Cedex 06
Code CPV principal : 92311000 - Oeuvres d’art Tél : 05 67 77 80 61 - Fax : 05 67 77 80 16
Forme : Division en lots : Non [email protected]
Renseignements complémentaires
Les dépôts de plis doivent être impérativement remis par voie dématérialisée.
Conditions de participation Aucune transmission papier n’est autorisée. Recours
Il est précisé qu’il s’agit d’une remise de candidature uniquement (phase candidature),
Justifications à produire quant aux qualités et capacités du candidat : aucun dossier de consultation n’est disponible à ce stade de la procédure, si ce n’est Instance chargée des procédures de recours :
Critères de sélection des candidatures : le règlement de concours et le programme de concours. Tribunal administratif de Toulouse
• Le professionnalisme du candidat Les candidats doivent remettre les renseignements et les documents suivants: 68, rue Raymond IV
• L’expérience du candidat - Formulaire DC1 Lettre de candidature BP 7007 31068 Toulouse Cedex 07
• L’adéquation de la démarche du candidat avec l’objet de la procédure de - Formulaire DC2 Déclaration du candidat Tél : 05 62 73 57 57 - Fax : 05 62 73 57 40
concours - Dossier artistique comprenant l’identité, l’adresse, l’adresse électronique, le numéro greffe.ta฀[email protected]
Les critères de sélection sont précisés dans le Règlement de Concours. de téléphone portable ainsi que le curriculum vitae du ou des artiste(s),un dossier Précisions concernant le(s) délai(s) d’introduction des recours :
Limites concernant le nombre d’opérateurs invités à soumissionner ou à participer de présentation de l’artiste qui comportera visuels, textes et catalogues d’exposition Toute décision pourra faire l’objet d’un recours :
Nombre d’opérateurs envisagé : 6 permettant la bonne compréhension du travail et de la démarche, si possible, une liste - conformément aux dispositions de l’article R.421-1 du Code de la justice
illustrée de références présentant des projets similaires, en particulier des oeuvres administrative dans un délai de deux mois à compter de la notification de la
d’art conçues dans des espaces publics précisant la nature, les matériaux mis en décision d’attribution ou de rejet
oeuvre, la date, la localisation, le coût, le type de mission effectué et le nom du maître - conformément aux dispositions de l’article L.551-5 du Code de la justice
Récompenses et jury d’ouvrage, une note succincte précisant les compétences établies en adéquation avec administrative avant la conclusion du contrat (référé pré contractuel pouvant
l’objet du concours être introduit depuis le début de la procédure de passation jusqu’à la signature
Une ou des prime(s) sera/seront attribuée(s) : Oui Les formulaires DC1 et DC2 sont disponibles auprès du Ministère de l’économie et du contrat)
Le Maître d’ouvrage propose une indemnisation d’un montant de 4 000,00€ H.T. des finances ou sur le site du MINEFE: http://www.economie.gouv.fr/daj/formulaires- - conformément aux dispositions de l’article L.551-13 du Code de la justice
pour chaque candidat retenu remettant un projet complet et conforme au règlement declaration-candidat. administrative, après la conclusion du contrat
de concours. Cette indemnisation constitue une avance sur rémunération pour le La présente procédure de concours est ouverte aux artistes ou groupements - conformément aux dispositions de l’article L.521-1 du Code de la justice
candidat retenu. d’artistes. Si un groupement est lauréat d’un concours il devra revêtir la forme juridique administrative, dans un délai de deux mois à compter de la publication de l’avis
Contrat faisant suite au concours de «groupement solidaire». S’il s’agit d’un groupement, sa composition ne pourra être d’attribution.
Le lauréat ou l’un des lauréat du concours devra/devront être attributaires(s) des modifiée ultérieurement. Le groupement de deux artistes est interdit postérieurement à
contrats de services faisant suite au concours : Oui la sélection des candidats. Envoi le 12 avril 2021 à la publication
La décision du jury est contraignante pour le pouvoir adjudicateur/l’entité adjudicatrice
: Non
The Time Keeper, 2021, acrylique sur toile, 185 x 280 cm

VERNISSAGE 28 et 29 mai 2021


EXPOSITION 29 mai ฀ — 4 juillet 2021
183 et 200 Rue Haute, 1000 BRUXELLES

AVEC LA COLLABORATION DE

200 rue haute 1050 Bruxelles 53 rue Grignan 13006 Marseille


martineehmer.com david-pluskwa.com | galerie-pluskwa.com
+32 473 590 285 06 72 50 57 31
[email protected] [email protected]
MARSATWORK

martineehmergallery galerie.david.pluskwa
galeriemartineehmer david_pluskwa_art_contemporain
N°฀443 Mai 2021

MARCHÉ & POLITIQUE CULTURELLE Pages coordonnées


par Armelle Malvoisin

Zanele Muholi
Makhosonke
2021, acrylique sur toile,
150 x 120 cm.
Galerie Carole Kvasnevski,
Paris.
> 50฀000 €

SALONS, ETC.

Se réinventer

A
vec la crise sanitaire, les secteurs culturels et événementiels se sont retrouvés parmi
les plus fragilisés. Dans le monde des foires, salons, biennales et festivals, nous nous
souviendrons de 2020 comme de l’année de l’avalanche de reports et d’annulations.
«La cinquième édition physique d’AKAA [foire d’art contemporain axée sur l’Afrique], pourtant
122
ELLE FAIT L’ACTU
repensée pour faire face à la pandémie, n’y a pas échappé. Alors il nous a paru essentiel Françoise Pétrovitch,
de faire preuve de créativité et d’adaptation», lance sa directrice et fondatrice, Victoria Mann. entre lavis et la vie
A฀n de ne pas être absents pendant deux ans sur le marché de l’art et d’entretenir le lien

123
entre les galeries et les collectionneurs, les organisateurs ont «imaginé un nouveau format
qui s’adapte à la situation et qui devient complémentaire à la foire AKAA à Paris, laquelle
ouvrira ses portes du 11 au 14 novembre prochain pour sa 6e édition».
LA TRIBUNE
La foire Also Known as Africa (AKAA) se dédouble à Lyon D’OLIVIER WALTMAN
En collaboration avec Manifesta Lyon (espace privé d’exposition), AKAA propose une Et si l’herbe n’était pas
exposition-vente à laquelle participent des artistes dont le travail répond à une thématique plus verte ailleurs฀?
curatoriale, «Imaginaires émancipés», développée par Armelle Dakouo, directrice artistique
d’AKAA : «Les treize artistes réunis dans cette exposition contribuent à déconstruire
un imaginaire qui persiste sur le continent africain et dans ses relations au monde.
Ils nous donneront à appréhender une autre vision de notre société a฀n d’ouvrir le champ
des représentations et des perceptions. Il s’agira de recentrer les points de vue sur des réalités
124
SALON MENART FAIR
sociales, culturelles ou historiques qui ne nous sont pas contées.» Ouverte au public du Un nouvel œil sur la planète
28 mai au 16 juillet, cette exposition commerciale permettra d’accueillir sur la durée
collectionneurs, institutions et professionnels, en petits groupes ou de manière individuelle,
et d’organiser des événements en comité restreint. Il est proposé par ailleurs aux artistes
participants et à leurs galeries une formule clés en main : l’équipe AKAA, en collaboration
126
BIENTÔT SOUS LE MARTEAU
avec celle de Manifesta, assure la scénographie, l’accrochage, la communication et les ventes Les ventes à ne pas manquer
pendant toute la durée de l’exposition. Pour Victoria Mann, «cette proposition permet

127
ainsi de contourner la question de la mobilité internationale, obstacle auquel font face
de nombreuses structures aujourd’hui, et de ne pas imposer aux participants locaux une
obligation de présence continue. C’est un format pensé pour à la fois minimiser la prise
de risque et maximiser le succès commercial de tous les exposants impliqués, tout en proposant ADJUGÉ฀!
une expérience de visite confortable et privilégiée à nos visiteurs». akaafair.com 3 enchères fraîches

Beaux Arts฀I฀121
POLITIQUE CULTURELLE l LES ACTEURS

Up Elle fait l’actu…


Françoise Pétrovitch
Amélie Simier
Conservatrice générale du
Entre lavis et la vie
patrimoine, experte en sculpture
du XIXe siècle et directrice du musée Lauréate du 14e Prix de dessin de la fondation
Bourdelle, elle pilotera désormais Guerlain, l’artiste envoûte avec ses aquarelles
le musée Rodin, à Paris. Elle succède
aériennes, jusque sur des scènes d’opéra…
à Catherine Chevillot, devenue présidente
de la Cité de l’architecture et du patrimoine. Rétrospective cet été à Landerneau.

lle sait «distiller jusqu’au cœur C’est dès lors leur mutisme qui nous
Jeanne Brun
Elle a débuté au musée
d’Art moderne et contemporain
de Saint-Étienne Métropole
E ou à l’âme des choses et des
êtres»… Ainsi le conservateur
Marc Donnadieu décrit-il l’artiste.
attire, ces larmes d’aquarelle, comme
une radiation de souffrances cachées,
qui vont jusqu’à menacer la texture
(2008-2014) avant de rejoindre Cette qualité rare aurait pu à elle seule même du papier. Un regard qui
la direction du fonds d’art contemporain expliquer qu’elle remporte en ce début toujours nous échappe et que jamais
– Paris Collections, puis celle du musée d’année le 14e Prix de dessin de la le dessin ne cerne ni n’enferme.
Zadkine depuis 2020. Elle a été nommée fondation Daniel & Florence Guerlain. C’est par la couleur seule que Françoise
directrice du développement culturel
À 57 ans, Françoise Pétrovitch s’est Pétrovitch le fait naître : «Je travaille
à la Bibliothèque nationale de France.
affirmée comme l’une des dessinatrices “avec” les aventures de l’encre,
les plus ensorcelantes, de ses micro- pas “contre”, comme dans le cas de
Alexandra McIntosh
Directrice depuis 2015 du Fogo livres à ses aquarelles XXL. Elle l’a dit la gravure.» Formée aux arts appliqués,
Island Arts (FIA), organisme souvent, c’est au moment où elle l’artiste pousse à leur paroxysme
international dédié à l’art les réalise qu’elle aime le mieux ses les techniques dont elle s’empare :
contemporain sur l’île de Fogo œuvres. Le destin qui les emporte aquarelle, lavis à l’encre, peinture,
(Terre-Neuve, Canada), elle prendra la tête loin de l’atelier ne lui importe guère. céramique… Elle s’efforce d’effacer
du Centre international d’art et du paysage
Elle n’en est pas moins ravie de les voir la frontière qui nous séparerait des
de l’île de Vassivière le 21 juin. Elle succède
à Marianne Lanavère, en poste depuis 2012. accrochées bientôt au Fonds Hélène créatures qu’elle engendre. Des
& Édouard Leclerc de Landerneau, animaux parfois hybrides, des insectes
puis à la Bibliothèque nationale plus récemment, et le plus souvent
Joëlle Arches de France en 2022. Deux expositions des enfants, revenus de loin.
Spécialiste d’archéologie repoussées pour cause de Covid, mais
et de préhistoire, elle deviendra Sur les traces de Marco Polo
dont la perspective lui a permis de tenir
conservatrice des musées de
Castres (Tarn) et directrice du musée pendant ce temps en suspension. Depuis quelques années, elle élargit
Goya à compter du 1er juillet prochain. «Dessiner, c’est une façon d’être dans son territoire : ses silhouettes taille
Elle a dirigé le musée de l’Aurignacien le moment avec ce que l’on a à dire» : monstre ont enchanté l’an passé
(Haute-Garonne) de 2014 à 2019. tel est son motto. D’où l’intense la Galerie des enfants du Centre
présence des personnages qui hantent Pompidou ; elles ont voyagé aussi sur
Ariane Thomas son œuvre. Qui sont-ils ? les traces de Marco Polo à l’occasion
Docteure en histoire de l’art Impossible de le savoir, ils de la mise en scène à Rouen d’un opéra
1964 Naissance à Paris.
et archéologie, diplômée sont visages et non portraits, d’Arthur Lavandier. Quelques années
1997 Premier solo show
de la Sorbonne, de l’École du Louvre la quintessence d’un être si plus tôt, c’était au musée de la Chasse
à la galerie Polaris.
et de l’Institut national du patrimoine,
2008 Expose perdu dans ses pensées qu’il et de la Nature qu’elles s’étaient glissées.
la conservatrice prend les rênes
du département des Antiquités orientales au musée d’Art moderne nous devient inaccessible. «Dès que j’atteins un semblant de
et contemporain Mais alors, à quoi tient maîtrise vient l’envie de tester de
du musée du Louvre, pour une période de Saint-Étienne.
de trois ans renouvelable. l’émotion qu’ils provoquent nouvelles choses, de retrouver une
2012 Commence
à travailler avec
dès le premier regard ? À ce position de débutante», reconnaît-elle.
la galerie Semiose. voile, sans doute, dont l’artiste En gardant toujours néanmoins

Down Laurella Rinçon


2020 Scénographie,
décors et costumes
de l’Abrégé des
Merveilles de Marco Polo
d’Arthur Lavandier
les enveloppe. «Ces regards
fermés, ces masques sur
des yeux clos sont comme
dans une double intériorité,
son sens de la réserve, dans tous les
sens du terme : une retenue qui
prévient d’un trop-plein de pathos,
et un art de jouer avec le blanc du
La directrice générale du musée pour l’opéra de Rouen. con฀e-t-elle. Il y a beaucoup papier, acteur à part entière de sa scène.
national de l’esclavage en de silence dans mon œuvre, Elle garde surtout ce souffle qui
2021 Remporte le Prix
Guadeloupe, le Mémorial ACTe, de dessin de la fondation et si l’on se sent tous assaillis emporte son pinceau, sans repentir
a été suspendue de ses fonctions Guerlain. Exposition
en raison d’irrégularités ฀nancières, dont par le bruit du monde, on se possible. Emmanuelle Lequeux
estivale au Fonds Hélène
des frais de taxis, a indiqué le président & Édouard Leclerc, retrouve ฀nalement malgré
du conseil d’administration à l’AFP. Landerneau (Finistère). tout dans un grand silence.»

122฀I฀Beaux Arts
L’œil des collectionneurs
MARCHÉ l LES ACTEURS
Jean-Pierre Rousseau
La tribune de… & Pascale Rousseau-
Dewambrechies
Olivier Waltman Chef d’entreprise en négoce de vin
& présidente de Comité Bordeaux Atlantique

«
Galeriste à Paris et Miami (Fondation de France Sud-Ouest) et romancière

Et si l’herbe n’était pas Tout a commencé


grâce à la caravane
plus verte ailleurs฀? familiale»
D’où vient votre
Le mercato de l’art contemporain n’aura pas eu lieu cette année. passion pour l’art฀?
J.-P. R.฀: Mes parents
Mais pourquoi la fidélité à long terme d’un artiste envers sa galerie enseignants
ne serait-elle pas tout aussi profitable à sa carrière฀? nous emmenaient
systématiquement,

C
haque année, début décembre, le monde de l’art contemporain se retrouve mes sœurs et moi,
à Miami pour Art Basel et sa kyrielle de foires satellites, la fameuse «Basel Week» visiter les musées
des villes que nous
comme on dit là-bas. À cette époque également, les acteurs du marché guettent
traversions dans
dans la presse les annonces de transferts d’artistes entre galeries. Très gros buzz qui alimente la caravane familiale.
les conversations dans les allées des foires comme dans les soirées courues de la puissante P. R.-D.฀: Je me suis assez tardivement
cité floridienne. L’inépuisable question de la ฀délité entre artiste et galerie ! On ฀nit initiée à l’art. Jeune, j’étais plutôt sensible
généralement par convoquer les antiennes traditionnelles : les artistes, s’ils veulent franchir au spectacle vivant et au cinéma.
des paliers dans leur carrière, ne restent guère plus de cinq ans avec une galerie ; ils vont Mais quand j’ai commencé à vivre avec
volontiers vers celles qui leur apporteront une meilleure visibilité, participent à plus de Jean-Pierre, visiter des foires, des musées
et des galeries est devenu une pratique
foires reconnues, garantissent des publications.
courante. Aujourd’hui, nous sommes
membres de sociétés d’amis de musées
Un couple puissant qui a tout à gagner à évoluer ensemble
d’art contemporain et du Frac Nouvelle-
Mais voilà, en 2020, il n’y a pas eu d’Art Basel. Le microcosme de l’art, d’ordinaire si joyeux Aquitaine, ce qui nous permet de parfaire
et actif, a bien dû marquer le pas. Tout s’est ฀gé (ou presque) ; le volume des ventes a chuté nos connaissances. C’est désormais
et les galeries ont fermé, con฀nement oblige. Nombre d’expositions se sont vues reportées une vraie passion !
voire annulées… Quel impact cette situation sans précédent a-t-elle eu sur les relations
Quels collectionneurs êtes-vous฀?
entre les artistes et leurs galeries ? Nous collectionnons – toujours
Les artistes ont-ils /elles eu ensemble – des peintures et œuvres
la même tentation d’aller voir sur papier, mais aussi quelquefois
ailleurs ? Les galeries ont-elles de sculptures ou des photographies
autant «chassé» qu’à l’accoutumée ? contemporaines. L’un de nous deux
Il y a bien trop de variables peut avoir une plus grande sensibilité
pour une œuvre, mais il n’y a jamais
en présence pour produire une
réellement de désaccord entre nous.
réponse unique. Néanmoins, Nous n’achetons jamais un nom,
artistes et galeristes ont désormais nous achetons une œuvre, fruit d’une
une chose en commun : du temps. rencontre avec elle. Nous allons vers
Bien plus qu’auparavant… des œuvres plutôt abstraites même
Avec lui s’offre l’opportunité si nous restons sensibles à la figuration.
de repenser profondément le sens Nous nous intéressons au travail
de jeunes artistes et nous essayons
des métiers, des engagements,
de soutenir certains d’entre eux
entre passion et choix en suivant leur travail. Ainsi avons-nous
stratégiques. Loin du bruit acquis deux photographies d’une
Jérôme Lagarrigue Besieged, 2020
médiatique qui entretient artiste plasticienne en qui nous croyons
– y compris chez certains collectionneurs – l’illusion que l’artiste «réussit» dès lors qu’une beaucoup, Capucine Vever.
galerie le/la courtise, il est fondamental de redire que le temps reste un modèle de travail
Avez-vous continué à acheter
efficace et la ฀délité professionnelle garde toute sa pertinence. Il avait fallu cinq ans pour
cette année฀?
que Tali Amitai-Tabib, dans le droit-฀l de sa série aux Offices de Florence [Museum, 2007], Pour nous, il est absolument essentiel
soit invitée à venir photographier le musée Camondo, à Paris, puis ฀gure dans l’exposition de soutenir les artistes en général,
«La splendeur des Camondo» au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme (Paris) en 2009-2010. notamment en ces temps di฀ciles.
Et quatre années de collaboration avaient permis à Jérôme Lagarrigue de se voir commander Nous avons récemment acheté un lavis
par le Metropolitan Opera de New York un portrait de Tosca, pour la production mise de Loïc Le Groumellec, une petite pièce
en scène par Luc Bondy en 2009. L’ex-pensionnaire de la Villa Médicis entrait quatre ans représentant une tête du sculpteur
japonais Masanori Sugisaki, et
plus tard dans la Dean Collection (New York) et croisait le chemin de collectionneurs
deux peintures de la jeune artiste
engagés tels que Beth Rudin DeWoody ou Peggy Cooper Cafritz. Artiste et galeriste forment Cassandre Cecchella.
un couple puissant qui a tout à gagner à évoluer, construire et grandir ensemble.

Beaux Arts฀I฀123
MARCHÉ l SALON

Un nouvel œil sur la planète


Paris accueillera ฀n mai la première foire internationale d’art moderne et contemporain
dédiée aux artistes du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Un alléchant panorama.

L
es foires et les salons espèrent rouvrir aux beaux
jours. La toute première est annoncée ฀n mai.
Sous la houlette de Laure d’Hauteville qui, pendant
dix ans, a organisé la Beirut Art Fair au Liban, se crée
Serge Najjar donc Menart Fair (pour Middle East & North Africa Art),
Domino dont le nom désigne son champ artistico-géographique,
2020, photographie comprenant peintres, photographes et sculpteurs
collée sur aluminium,
édition de 5 ex. des pays du Maghreb, du Levant et du Golfe, incluant
+ 2 épreuves d’artiste, l’Iran. «Certains de ces artistes vivant en Occident
87,5 x 70 cm.
Galerie Bessières,
ont déjà la reconnaissance des institutions et des
Chatou. collectionneurs ainsi qu’une véritable cote sur le marché
> De 3฀000 de l’art international : Mona Hatoum, Kader Attia,
à 6฀000 € Etel Adnan, Youssef Nabil, Nabil Nahas, Simone Fattal,
Ahmed Mater, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige,
pour ne citer qu’eux, souligne Joanna Chevalier,
directrice artistique de l’événement. Menart Fair
permettra d’exposer une soixantaine d’artistes,
dont certains con฀rmés, des années 1950, 1960, 1970,
et d’autres moins connus en France.»

Des images qui dialoguent avec l’abstraction


Une vingtaine de galeries venant de 13 pays participent
à cette première édition au format con฀dentiel,
qui prendra place dans l’hôtel particulier de la maison
de ventes Cornette de Saint Cyr. On y découvrira
notamment les toiles colorées quasi abstraites
du Marocain Mohamed Hamidi (Galerie 38, Casablanca) ;
les peintures inspirées du Syrien vivant au Liban
Anas Albraehe (Saleh Barakat Gallery, Beyrouth) ;
les travaux de la photographe d’origine yéménite
Alia Ali (193 Gallery, Paris) ; les paysages à l’acrylique
du Jordanien Zaid Shawwa (Wadi Finan Art Gallery,
Amman) ; ou encore les images du photographe
libanais Serge Najjar qui dialoguent avec l’abstraction,
témoignant d’une influence notoire des avant-gardes
russes et particulièrement de Kasimir Malevitch
(galerie Bessières, Chatou). «L’art du Moyen-Orient
comble le fossé culturel entre l’Orient et l’Occident»,
lance Joanna Chevalier. Cette séduisante foire devrait
en être la lumineuse démonstration. A. M.
Menart Fair du 27 au 30 mai • Cornette de Saint Cyr
6, avenue Hoche • 75008 Paris • menart-fair.com

Alia Ali Rain (Indigo Series)


2021, tirage pigmentaire contrecollé sur Dibond, édition de 5 ex.
+ 1 épreuve d’artiste, 84 x 84 cm. 193 Gallery, Paris
> 5฀000 €

124 I Beaux Arts
AVIS D’APPEL PUBLIC A LA CONCURRENCE
DANS LE CADRE DU 1% ARTISTIQUE
Relatif aux travaux de construction d’un bâtiment d’exploitation
dans le parc de la Villette - Paris
Partez à la découverte
Dans le cadre des travaux de construction d’un bâtiment d’exploitation dans le parc
du monde de l’art !
de la Villette à Paris, l’OPPIC en qualité de maître d’ouvrage mandaté a lancé une
consultation, portant sur la réalisation d’une œuvre du « 1% artistique » en application
du décret no 2002-677 du 29 avril 2002 relatif à l’obligation de décoration des
constructions publiques et les articles L. 2123-1, R. 2123-4 et à l’article R 2142-15 et
suivants du Code de la commande publique.

Date limite de réception des candidatures : 19 mai 2021 à 17h00


Budget de la commande : 65 000 € TTC

Identification de l’organisme qui passe le marché :


Maître d’ouvrage : Établissement public du parc et de la grande halle de La Villette
pourVous
Près de
Maître d’ouvrage délégué : l’Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la

40 %
Culture (OPPIC)

Caractéristiques principales :
L’établissement public du parc et de la Grande Halle de la Villette souhaite commander
une intervention artistique destinée à accompagner un nouveau bâtiment qui s’érigera de
en lieu et place la cité jardin.
Le projet architectural vise à créer des continuités entre l’intérieur et l’extérieur, ainsi
qu’avec le parc.
réduction
Pensée comme une partition ouverte à multiples interprétations, cette création artistique
proposera son protocole, ses rendez-vous réguliers avec le public et les modalités de
sa pérennité.

Retrouvez les informations sur la plateforme PLACE :


https://www.marches-publics.gouv.fr

Les candidats sont invités à télécharger gratuitement le dossier depuis la plate-forme


de PLACE à l’adresse suivante :
https://www.marches-publics.gouv.fr
+ + + +
sous la référence OPPIC21฀La Villette-Artistique
LE MAGAZINE L’ACCÈS AU SITE LA VERSION L’ACCÈS À L’ACCÈS À UNE
PAPIER ENVOYÉ AVEC SES ARTICLES NUMÉRIQUE BEAUX ARTS VISIOCONFÉRENCE
Avis publié sur les sites du Ministère de la Culture, du CNAP, de la FRAAP, de la Maison CHAQUE MOIS RÉSERVÉS AUX DU MAGAZINE SORTIES SUR L’ART PAR MOIS
des Artistes et de l’OPPIC (pro฀il acheteur PLACE). ABONNÉS

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Les ventes à ne pas manquer


Paris • Coutau-Bégarie • Drouot • 28 mai

Le dernier acte d’une épopée Camille Claudel


«Haute Époque» 9, rue Drouot • 75009 Paris • 01 45 56 12 20 • coutaubegarie.com Persée et la Gorgone
«petit modèle»
Cette plaque émaillée provient d’un corpus d’œuvres en émail illustrant l’Énéide, célèbre récit ou Petit Persée
écrit par Virgile entre 29 et 19 avant J.-C. L’ensemble a été réalisé à Limoges au début du Vers 1905, épreuve en bronze,
51 x 30 x 25 cm.
XVIe siècle par un artiste au nom inconnu mais identi฀é dès le XVIIIe siècle comme «le Maître
de l’Enéide». La plaque des Bocages fortunés apparaît sur le marché de l’art en 1892 à > Estimation฀: 220฀000
Londres, lors de la dispersion de la collection Magnac. La vente comptait 21 plaques, acquises à 300฀000 €
par l’antiquaire Goldschmidt qui en revendit 20 au collectionneur français Jules Porgès.
À la mort de ce dernier, en 1921,
sa veuve revendit toutes les plaques
sauf celle-ci, restée depuis au sein
de la famille. Les autres font
aujourd’hui partie de collections
muséales prestigieuses : le Louvre,
le MET de New York, le Los Angeles
County Museum of Art et le Museum
für Kunsthandwerk, à Francfort.

Neuilly-sur-Seine • Aguttes • 4 mai

Maître de l’Énéide Un merveilleux «classique»


Les Bocages fortunés de Camille Claudel
Limoges, vers 1525-1530,
«Impressionniste et moderne»
plaque en émail peint polychrome
sur cuivre et sur paillons d’argent
164 bis, avenue Charles de Gaulle • 92200 Neuilly-sur-Seine
avec rehauts d’or, 22,5 x 19,8 cm. 01 47 45 55 55 • aguttes.com
> Estimation฀:
200฀000 à 300฀000 €
Sculptrice talentueuse, applaudie de son temps par les plus
grands critiques avant d’être injustement réduite à sa
mélancolie puis ฀nalement réhabilitée à la ฀n du XXe siècle,
Camille Claudel a laissé un héritage rare et admirable.
«Persée et la Gorgone est l’une de ses œuvres les plus
classiques, dont la qualité d’exécution lui vaudra d’être
comparée à Jean de Bologne ou encore à Benvenuto Cellini»,
Fontainebleau • Osenat • 5 mai souligne la spécialiste Charlotte Reynier-Aguttes. En 1900,
Des bas aux mouchoirs, Napoléon intime la comtesse de Maigret, principale mécène de l’artiste,
commande un grand marbre de cette sculpture pour orner
«L’Empire à Fontainebleau – La vente du bicentenaire, 1821-2021» l’entrée de son hôtel particulier. Conservé au musée Camille
Hôtel d’Albe • 9/11, rue Royale • 77300 Fontainebleau Claudel, il est aujourd’hui considéré comme l’une de ses œuvres
01 80 81 90 04 • osenat.com majeures. En 1905, Eugène Blot, marchand et fondeur de
l’artiste, en réalise six exemplaires en bronze de plus petite
Deux cents ans après sa mort, Napoléon Ier passionne dimension et présente l’une des épreuves dans la première
toujours autant les collectionneurs, qui s’arrachent exposition personnelle de Camille Claudel qu’il organise dans
le moindre objet lui étant relié, parfois pour sa galerie. Ce bronze, l’un des six, était resté dans la collection
des sommes folles. Dans cette vente historique, personnelle de la comtesse de Maigret jusqu’à ce jour. A.฀M.
on trouvera de nombreux souvenirs intimes liés
à l’Empereur, provenant en grande partie des
collections des ducs de Bassano : une chemise
(est. 30 000 €), une paire de bas tissés en soie teintée
rouge (est. 8 000 €), des chaussettes (est. 3 000 €),
des mouchoirs (est. 4 000 € pièce) ou encore une Traîneau ayant
bandelette tachée du sang de Bonaparte, utilisée appartenu
lors de l’autopsie (est. 10 000 €). Notons aussi à l’impératrice
une rarissime assiette de Sèvres du service particulier Joséphine
de l’Empereur dit «des Quartiers généraux»,
Époque Premier Empire,
emportée lors de son exil à Sainte-Hélène bois peint en vert et doré,
(est. 150 000 €). Pour les fans de Joséphine, relevons longueur : 3 m, largeur : 1,56 m.
le Portrait de l’impératrice Joséphine portant le > Estimation฀:
diadème du Sacre orné de diamants et d’émeraudes 40฀000 à 60฀000 €
par Jean-Baptiste Regnault (1754-1829), estimé
80 000 €, et un traîneau qui lui servait à se déplacer
sur les lacs gelés aux abords du château de
la Malmaison (est. 40 000 €).

126฀I฀Beaux Arts
MARCHÉ l ADJUGÉ !

3 enchères fraîches L’addition


Vente «Collection Hélène Greiner»
Tajan • Paris • 10 mars
Artcurial • Paris • 24 mars
Les peintres congolais au top !
Beau succès pour cette vente consacrée aux peintres
de l’école du Hangar, fondée à Lubumbashi (actuelle RDC)
dans les années 1940 par un marin français qui voulait
encourager les artistes congolais. «Tous liés aux thèmes
de la nature, Bela Sara, Mwenze Kibwanga ou Pilipili Mulongoy
expriment avec un vocabulaire qui leur est propre les scènes
de chasse, de pêche et de cérémonie, à la manière de fables
6฀528 €
Gian Lorenzo Bernini, dit Le Bernin Luciano Frigerio En฀lade
de la savane», explique Christophe Person, directeur Académie d’homme Acajou et placage d’acajou, plaque carrée
du département Art contemporain africain chez Artcurial. XVIIe, sanguine avec de légers rehauts de marbre blanc, 73 x 174,3 x 53,7 cm.
Quatre toiles de Mulongoy ont rejoint les collections de craie blanche, 56 x 42,5 cm.
du musée du quai Branly. La plus haute enchère a été 1,9 M€ frais compris
remportée également par ses Oiseaux, acquis pour 39 000 €
par un collectionneur américain.
Estimation฀: 30฀000 à 50฀000 €
+
Actéon • Compiègne • 20 mars
Record extatique
pour Le Bernin
Récemment découverte par la maison
de ventes Actéon, cette sanguine inédite
du Bernin s’est envolée à près de 2 M€.
«Le record mondial de 139 000 € pour
un dessin du Bernin, qui remontait à 2014,
est pulvérisé. Nous sommes extrêmement
7฀150 €
Philolaos Tloupas
heureux d’avoir joué notre rôle de révélateur Chaise longue berçante Cris
d’œuvres d’art», s’est réjoui le commissaire-
Vers 1962, structure en métal oxydé formée
priseur Dominique Le Coënt. «De son d’éléments fuselés pro฀lés et d’un treillis
vivant, les ฀gures académiques du Bernin de tiges d’acier soudées, 101 x 45 x 112 cm.
étaient particulièrement prisées
par les collectionneurs. Mais beaucoup
de ces dessins ont aujourd’hui disparu.
Les historiens d’art n’en recensent plus que
sept et tous ฀gurent dans des institutions
+
muséales», précise l’expert Patrick de Bayser.
Après une belle bataille d’enchères,
Pilipili Mulongoy Oiseaux
Années 1950, huile sur toile, 131 x 142,5 cm.
cette œuvre du grand maître de l’art baroque
a été remportée par un collectionneur
9฀750 €
Gérard Voisin
39 000 € frais compris Estimation฀: 9฀000 à 12฀000 € américain de dessins anciens. Père et Enfant
1968, sculpture en noyer,
socle en chêne teinté,
Sotheby’s & Mirabaud-Mercier • Paris • 25 mars 203 x 54 x 33 cm.

Un Van Gogh inédit a฀ole Paris


Conservée dans la même famille depuis un siècle, une peinture inédite de Van Gogh, appartenant
à la rare série de ses tableaux montmartrois, a été adjugée 13,1 M€ à Paris chez Sotheby’s sur
«folle enchère», après un précédent coup de marteau frappé (à 16,2 M€), vente rapidement
invalidée pour cause d’acheteur défaillant. L’œuvre, qui avait donc été remise en vente, concerne
=
la période parisienne de l’artiste (1886-1888), alors
que Van Gogh vit rue Lepic, à Montmartre, avec son
frère Theo. Elle témoigne de son contact avec la Ville
lumière, mais aussi avec l’art des impressionnistes
et de l’avant-garde qui l’ont amené à abandonner
les tons sombres de ses premières œuvres pour
développer une nouvelle palette : la couleur apparaît
pour la première fois dans tout son éclat. A.฀M.
23฀400 €
Yann Dessauvages
Vincent Van Gogh Scène de rue à Montmartre Table basse circulaire
(Impasse des Deux Frères et le Moulin à poivre) Bases contournées à structure métallique
1887, huile sur toile, 46,1 x 61,3 cm. gainée de laiton, grande coupe en bois pétri฀é
d’Amazonie serti de laiton, diam. 90 cm.
13,1 M€ frais compris Estimation฀: 5 à 8 M€

Beaux Arts฀I฀127
LA VISITE EN BD de FRANÇOIS OLISLAEGER
Avec des actions minimalistes dans l’espace public, Francis Alÿs développe depuis trente ans
un «art politique» qui interroge les notions de frontière et territoire. Il a pendant plusieurs mois
tourné un ฀lm avec des enfants d’un village d’Irak pour raconter l’histoire du pays. Fascinant !
Sandlines, the Story of History, un film de Francis Alÿs, coréalisé avec Julien Devaux, avec la collaboration de la Ruya Foundation
Pour en savoir plus฀: francisalys.com/sandlines
Le prochain numéro
paraîtra Collections & copyrights
le vendredi 28 mai © Beaux Arts Magazine / Beaux Arts & Cie, 2021. © ADAGP Paris 2021 pour les œuvres de ses membres.
© Succession Henri Matisse, 2021. © Succession Picasso, 2021.

En couverture et P. 5 Coll. Galleria Nazionale delle Marche, Urbino / © Photo Scala,


Beaux Arts & Cie • 9, boulevard de la Madeleine • 75038 Paris Cedex 1 Florence / Courtesy Ministero Beni e Att. Culturali e del Turismo. P. 3 © Paul Rousteau.
01฀87฀89฀91฀00 • fax 01฀87฀89฀91฀49 • beauxarts.com © Inès Boittiaux / Beaux Arts & Cie P. 6 © Kenny Dunkan / Courtesy Galerie Les Filles
du Calvaire, Paris. P. 7 © Visual Citizens. P. 8 © Hanne Zaruma. P. 9 © Tasha Hall. P. 12
> Pour joindre votre correspondant, composez le 01฀87฀89฀91 suivi du numéro de poste indiqué © Kohei Nawa / Sandwich Inc. © Les Serres de la Milady, 2021. P. 13 © Château de
entre parenthèses. Chaque collaborateur dont le nom est assorti d’un astérisque a une adresse e-mail. Versailles, 2021. © Villeurbanne / Photo Gilles Michallet. © Fondation du Patrimoine.
Elle se compose de la manière suivante฀: pré[email protected] P. 14 Courtesy Medici Museum of Art, Warren. © Staatliche Museen zu Berlin,
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Directrice générale et directrice de la publication : Publicité Hary Marwell / MISS3. P. 21 © Raphaël Thibodeau. P. 22 © Cassina. P. 26 © Balenciaga.
Marie-Hélène Arbus * (01) Directrice commerciale : Dominique Thomas  P. 28 © Jokers Films / Lonesome Bear. © andol฀. © Joann Sfar’s Magical Society /
Studiocanal / La Cie Cinéma & Panache Productions / France 3 Cinéma / Story / RTBF.
Directrice générale déléguée : Solenne Blanc 01 87 89 91 43 / [email protected]
P. 30 © Édouard Caupeil. P. 31 © Photo Tristan Fewings / Getty Images via AFP. P. 32
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Éditions & partenariats Bridgeman Images. © H Gallery. P. 46 © B&B Italia. © Bebop. Coll. et © Centre Pompidou,
Chroniqueurs : Philippe Trétiack et Céline Saraiva Directrice des partenariats, directrice adjointe Paris, dist. RMN-GP / Photo Georges Meguerditchian. P. 47 © Wright auction. Photo
[Architecture], Claire Fayolle et Pierre Léonforte des éditions : Marion de Flers * (10) D.R. © Ligne Roset. P. 48 © Christie’s Images / Bridgeman images. © Cassina.
[Design], Selvane Mohandas du Ménil [Mode], Responsable éditoriale : Solène de Bure * (09) © MassModernDesign, Rosendael. Coll. Israel Museum, Jérusalem / © Bridgeman
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et Charlotte Ullmann [Médias], François Cusset Chef de produit partenariats & éditions : Lea Schiavo * (11) Reboul, Saint-Ouen. © Wright Auction. Coll. particulière. P. 51 © Galerie Béton Brut,
[Philo], Nicolas Bourriaud, Alain Passard [La cuisine Londres. © Artcurial. P. 52 © PIASA. © Demisch Danant, Paris-New York. P. 53 © Galerie
Responsable gestion & diffusion : Florence Hanappe * (06)
de l’art], Malika Bauwens [L’enfance de l’art], Écart International, Paris. P. 54 © akg-images / arcaid / G Jackson. © Photo Thibault
Chargée de diffusion : Amélie Fontaine * (04) Breton / Courtesy Galerie Mouvements modernes, Paris. Coll. et © Musée des Arts
François Olislaeger [La visite en BD]
Secrétaires de rédaction : Sophie Ciaccafava, Fabrication décoratifs, Paris / Photo Jean Tholance / AKG images. P. 55 © Bukowskis. © Giancarlo
Photogravure : Key Graphic (Paris) Costa / Bridgeman Images. Coll. et © Musée des Arts décoratifs, Paris / Photo Jean
Stéphanie Damiot et Anne-Gaëlle Kamp Tholance / AKG images. © Wright Auction. P. 56 © Artcurial. P. 57 © Éditions Georges
et Litho Art New (Turin)
Ont également participé à ce numéro Martin. P. 59-60 Photos François Roelants. P. 61 Courtesy ORLAN et Ceysson &
Imprimé en France (printed in France) par Aubin, Ligugé
Laëtitia de Witt, Stéphanie Pioda Bénétière, Paris-Saint-Étienne-New York / Photo G. Copitet. P. 62 Courtesy ORLAN et
Imprimé sur Artipress 75 g/m2, produit par Ceysson & Bénétière, Paris-Saint-Étienne-New York. Coll. Maison européenne de la
Département artistique Kabel Premium, Allemagne photographie, Paris / Courtesy ORLAN et Ceysson & Bénétière, Paris-Saint-Étienne-
Direction artistique : Bernard Borel * (17) Commission paritaire : 1123 K 84 238 New York. P. 63 Courtesy ORLAN et Ceysson & Bénétière, Paris-Saint-Étienne-New York.
Création graphique : Ingrid Mabire * (29) Numéro ISSN : 0757 2271 P. 64 Photo François Roelants. P. 65 Courtesy ORLAN et Ceysson & Bénétière, Paris-
Iconographie Saint-Étienne-New York. P. 66-67 Coll. Galleria Nazionale delle Marche, Urbino / © Photo
Comptabilité Scala, Florence / Courtesy Ministero Beni e Att. Culturali e del Turismo. P. 68 Coll. Galleria
Alexandra Buffet * (36), Laurène Flinois * (37) Malik Bennini * (05), Nazionale delle Marche, Urbino / © Photo Scala, Florence / Courtesy Ministero Beni e
et Pierre Morio * (35), assistés de Lisianne Duval assisté de Judith Nana Menani฀* (07) Att. Culturali e del Turismo. Coll. et © Pinacoteca di Brera, Milan. P. 69 Coll. Musée de la
et Gina Giachino 9, boulevard de la Madeleine • 75038 Paris Cedex 1 Chartreuse, Douai / © AKG images / Erich Lessing. Coll. Cathédrale Saint-Louis, La
Marketing & di฀usion [email protected] Rochelle / © Heritage Images / Fine Art Images / akg-images. P. 70-75 Coll. Galleria
Éditrice déléguée presse et directrice de la diffusion : Nazionale delle Marche, Urbino / © Photo Scala, Florence / Courtesy Ministero Beni e
Comptabilité expertise Att. Culturali e del Turismo. P. 76-77 © Harry Gruyaert / Magnum Photos. P. 78 © Taro
Séverine Saillard * (13) Dauphine Expert • 19, rue du Général Foy Karibe . P. 79-87 © Harry Gruyaert / Magnum Photos. P. 88-89 Coll. The Marc and Livia
Contact diffuseurs : Destination Media (01 56 82 12 06) 75008 Paris • 01 73 54 12 20 • fax 01 73 54 12 36 Straus Family, New York / Photo Courtesy Galerie Thaddaeus Ropac, Paris et Rona
Distribution : Messageries Lyonnaises de Presse [email protected] Pondick. P. 90 Coll. BnF, Paris / © akg-images. Coll. Museum of Art, Philadelphie / Photo
Abonnements & VPC Siret Paris 409 378 908 000 19 J. Koering.P. 91 Coll. Museo del Prado, Madrid / © Bridgeman Images. P. 92 Coll. musée
Tarifs d’abonnement des Beaux-Arts de Hambourg / © BPK, Berlin, Dist. RMN-GP / Elke Walford. P. 93 Coll.
musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris / © musée du quai Branly - Jacques Chirac,
1 an mensuel print seul : 70 € (au lieu de 84 €)
Dist. RMN-GP / Claude Germain. P. 94 Coll. et © Museum of Modern Art, New York /
1 an mensuel print + web : 90 € (au lieu de 105,60 €) Beaux Arts & Cie, c’est aussi :
Photo Scala, Florence. P. 95 Courtesy Anselmo Fox. P. 96-97 © Iragui Gallery / Courtesy
1 an mensuel print + 4 hors-séries : 100 € Le Quotidien de l’Art, le média des professionnels Iragui Gallery, Moscou et galerie Odile Ouizeman, Paris. P. 98 Coll. Châteaux de Versailles
(au lieu de 120 €) de la culture et du marché de l’art et Trianon / © RMN-Grand Palais / Gérard Blot. P. 99 Coll. musée Carnavalet, Histoire
1 an mensuel print + web + 4 hors-séries : 120 € Beaux Arts Institute, le partenaire artistique de Paris / © Paris Musées Collections. Coll. Châteaux de Malmaison et Bois-Préau, Rueil-
(au lieu de 141,60 €) et culturel des entreprises Malmaison / © Bridgeman Images. P. 100 © Arnaud Chicurel / hemis. Coll. & © The
1 an mensuel en version digitale uniquement + web : Beaux Arts Consulting, conseil en innovation Metropolitan Museum of Art, New York. P. 101 © Château de Fontainebleau. Coll. & ©
et ingénierie culturelle The Metropolitan Museum of Art, New York. P. 102 © Fondation Napoléon / Patrice
80 € (au lieu de 93,90 €)
Point Parole, l’agence des guides-conférenciers Maurin-Berthier. P. 103 Coll. Châteaux de Versailles et Trianon / © RMN-Grand Palais-
Pour la France฀: Service abonnement Jean-Marc Manaï. Coll. musée du Louvre, Paris / © RMN-Grand Palais / Stéphane
de Beaux Arts Magazine • 45, avenue du Général Leclerc en histoire de l’art
Maréchalle. P. 104 Coll. musée Carnavalet, Histoire de Paris / © Paris Musées Collections.
60443 Chantilly Cedex • 01 55 56 70 72 > Retrouvez nos offres de services P. 105 Coll. musée d’Orsay, Paris / © Bridgeman Images. P. 106 Coll. Châteaux de
e-mail : [email protected] sur BeauxArts-Cie.com Versailles et Trianon / © RMN-Grand Palais. P. 107 Coll. châteaux de Malmaison et Bois-
Pour la Belgique฀: Edigroup Belgique Préau, Rueil-Malmaison / © RMN-Grand Palais – Daniel Arnaudet. Coll. musée des
Beaux-Arts, Lyon / © Aurimages. P. 108 Coll. Châteaux de Versailles et Trianon /
+32 70 233 304 • fax +32 70 233 414
Bridgeman Images. P. 109 Coll. Comte et Comtesse Charles-André Colonna Walewski /
[email protected] © Musée des Beaux-Arts de Montréal. P. 110 © Pari Dukovik / Universal 2017. © Photo
Pour la Suisse฀: Edigroup Suisse Julien Vidal / Paris Musées, Palais Galliera. © RNM-Grand Palais (musée de la
+41 22 860 84 01 • fax +41 22 348 44 82 Renaissance, château d’Écouen) / Tony Querrec. © Ville de Cabourg. P. 111 © Photo
Fabriqué en France
[email protected] Musée du quai Branly – Jacques Chirac / Thibaut Chapotot. P. 112 Photo Philip Provily.
© Photo Patrice Schmidt. Photo Anthony Lanneretonne. P. 113 © Département de
États de provenance du papier : l’Isère / Musée Champollion. © Photo C. H. © Artagon & L’Épopée. Coll. et © Musée des
Allemagne, Pays-Bas.
Taux de ฀bres recyclées : 0 %. Beaux-Arts de Lyon / Photo Muriel Chaulet. P. 114 © Musée du quai Branly - Jacques
Taux de ฀bres : 100 % ฀bres Chirac / Photo Thibaut Chapotot. © Musée du quai Branly - Jacques Chirac / Photo
Ce numéro comporte un encart la Croix sur les abonnés EFGD. Vincent Mercier. P. 115 Coll. et © musée du quai Branly - Jacques Chirac / Photo Thibaut
France métropolitaine et un hors-série Modernités suisses Eutrophisation :
sur une sélection d’abonnés. Chapotot. P. 118 Photo D.R. P. 121 Photo Valerie Archeno. © DR. P. 122 © Alex Ferko.
PTot = 0,003 kg / tonne
de papier produite.
© BnF. © Agence photographique du musée Rodin / Photo Jérome Manoukian. © Tous
droits réservés. © Musée du Louvre, 2017 / Photo Antoine Mongodin. Photo D.R. © Photo
Hervé Plumet / Courtesy Semiose galerie, Paris. P. 123 © Photo Philippe Calandre.
© Jérôme Lagarrigue / Courtesy galerie Olivier Waltman, Paris-Miami. P. 124 © Serge
Najjar. Courtesy Alia Ali et 193 Gallery, Paris.P. 126 © Coutau-Bégarie / Drouot.
Retrouvez-nous sur BeauxArts.com et © Aguttes. © Osenat. P. 127 © Artcurial. © Actéon. © Sotheby’s / Mirabaud-Mercier.
© Tajan. P.฀128-129 © François Olislaeger pour Beaux Arts Magazine.
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