ROUVIERE Mouvement Folk 2sur4

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Valérie ROUVIÈRE

LE MOUVEMENT FOLK EN FRANCE


(1964-1981)
Document de travail/FAMDT/MODAL 45

Valérie ROUVIÈRE
LE MOUVEMENT FOLK EN FRANCE (1964-1981)

INTRODUCTION

I - L’AVENTURE FOLK
1. GENESE DU FOLK

Le folk, enfant de la contestation

Fuir la société de consommation


Le « monstre » capitaliste
La société du spectacle
Non à la « coca-colonisation » du monde !
La France au « nez pincé »
Le réveil des minorités
Et que fait le gouvernement ?

Un modèle importé d’outre-Atlantique : le folk-song

« The times they are a-changing »


La contre-culture des folk-singers

La genèse du folk en France

Le folk-song : une bouffée d’air frais dans le paysage musical français


Lionel Rocheman et le Centre américain

2. CHANGER LA VIE

Une musique faite par et pour le peuple

S’approprier la musique traditionnelle : le collectage


A l’assaut des campagnes
Le choix des chansons : un engagement
Pour une musique populaire traditionnelle
Les clés des musiques traditionnelles
Que le spectacle disparaisse au profit de la vie !
Une pratique instrumentale à la portée de tous
Changer la vie
Par-delà des frontières
Querelle de chapelles
Le spectre de la récupération
Polémiques

La lutte du pays contre l’Etat

Le réseau breton
Le réseau alsacien
Le réseau occitan
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Les moyens d’action

Les festivals
Le folk est dans la rue
Production et diffusion : circuits parallèles ou traditionnels ?
Le circuit des disques

3. EPILOGUE

II – LES FIGURES DU FOLK

1. FOLKEUX DES RÉGIONS DE FRANCE

Le Bourdon, le temple du folk français acoustique


Catherine Perrier et John Wright
Grand-Mère Funibus Folk
Mélusine
Phil et Emmanuelle
La Chanterelle, La Bamboche et autres groupes lyonnais
La Bamboche
Le Claque Galoche
Le Grand Rouge
La Kinkerne
Malicorne
René Werneer : de l’Habit de plumes à Keris
Lyonesse
La Confrérie des fous
La Chifonnie

2. LES AMERICANOPHILES

Bill Deraime, le fondateur


Alain Giroux
Eric Kristy
Mick Larie et Jean-Marie Redon
Jean-Jacques Milteau
Youra Marcus
Gérard Dole

3. LES INCLASSABLES

Marc Robine
Marc Peronne
Pierre Bensusan
Deux profils d’inclassables : Dominique Maroutian, Denis Gasser

4. ALAIN STIVELL, TRI YANN ET AUTRES BRETONS

Alan Stivell ou la naissance du folk celtique

Alan Stivell
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Diaouled ar Menez
Ar Sonerien Du
An Triskell
Dan ar Braz
Gwendal
Satanazed

Le folk du Pays gallo

Tri Yann
La Mirlitantouille
La Godinette

5. MONT JOIA, PERLINPINPIN FOLC ET AUTRES ACTEURS DU REVIVALISME


OCCITAN

Dague
Grop Rosamonda
Lambrusc
Miqueu Montanaro
Mont Loia
Rosina de Peira
Perlinpinpin Folc
Riga-Raga
Los del Sauveterre

6. LE CIRCUT ALSACIEN

Roger Siffer, l’instigateur


Géranium
Les Luschtiga Malker
La Manivelle

7. LA DEUXIEME VAGUE DU FOLK

Chalibaude
La Chavannée d’Montbel
Ellébore
Maluzerne
Tarentule
Café-Charbon

ANNEXES

Lettre ouverte du folk-singer américain Pete Seeger


« L’esprit folk »
« La mort de l’esprit folk »
Chronologie du folk

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE

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II – LES FIGURES DU FOLK


1. FOLKEUX DES REGIONS DE FRANCE

Le folksong, importé d’Outre-Atlantique, engendre la création de multiples ramifications du


folk en France. Si tous les musiciens reprennent dans un premier temps les folksongs d’un
Dylan ou d’un Seeger, la plupart d’entre eux le délaissent progressivement pour ne plus
s’intéresser qu’aux musiques des régions françaises. Ils ont été précédés par quelques
pionniers parmi lesquels nous retiendrons surtout Serge Kerval dont nombre de chansons
seront reprises par des membres du Bourdon.

Le Bourdon, le temple du folk français acoustique.

C’est à un petit groupe d’habitués du Centre Américain que l’on doit la création de ce lieu
atypique, parmi lesquels Catherine Perrier, son compagnon John Wright, Jean-François
Dutertre et Jean-Loup Baly, futurs membres de Mélusine, mais aussi Ben, personnalité
incontournable du mouvement. Tous ont en commun le désir de créer un lieu entièrement
dévolu au folk francophone, très minoritaire au Centre américain. Les premières soirées du
Bourdon sont organisées au Café de la Gare en décembre 69 : Romain Bouteille leur prête
gracieusement ses locaux chaque lundi, jour de relâche des théâtres parisiens. C’est
l’époque de l’Indicible Folk, un groupe qui réunit une grande partie des musiciens du
Bourdon, soit une dizaine d’artistes ! Deux mois plus tard, l’équipe s’installe rue de la
Sourdière. Le succès est immédiat. En moins d’un an, près de 1 000 cartes d’abonnements
sont vendues. Le Bourdon fonctionne exactement comme les folk-clubs anglais que John et
Catherine fréquentaient Outre-Manche. Certainement plus organisée, plus sérieuse que ses
acolytes, la jeune femme assure le bon fonctionnement de la structure pendant de
nombreuses années. Pour Marc Robine, elle est « la caution sérieuse du folk ». C’est
également à Catherine que l’on confie la programmation : au Bourdon, l’on écoute du folk
français, bien sûr, mais aussi anglo-saxon, ainsi que des musiques « d’ailleurs » (tambours
haïtiens, luth nord-africain…). Des musiciens de tradition comme les sœurs Goadec ou les
joueurs de cabrette de la Galoche d’Aurillac — le repère des Auvergnats de Paris — seront
invités. Plus sectaire que le Centre Américain, le Bourdon refuse cependant les auteurs
compositeurs, dont la démarche est différente de celle du folk.

L’ouverture des soirées musicales est réservée aux membres du folk-club. Puis comme dans
tout hootenanny, la scène est ouverte à qui le souhaite : habitués, chanteurs d’un soir ou
floor-singers (invités). Yvon Guilcher de Mélusine se rappelle de sa première soirée au
hootenanny : « J’étais venu interpréter des chants bretons avec Donatien Laurent. Passait
également Marc Robine avec sa voix nasillarde (un mauvais tic du folk). J’avais l’impression
que de jeunes bourgeois voulaient s’emparer d’un truc qui ne leur appartenait pas, en
s’affublant de tenues paysannes et en chantant d’une façon bien particulière. En revanche,
Catherine Perrier m’a séduit en interprétant une version de la Perdriole. Il y avait aussi le
Grand Mère Funibus Folk des frères Ben. Ceux-là tenaient leur archet par le milieu et leur
violon sur l’avant-bras. Sans doute pour ne pas avoir l’air classique ! En fait, je suis resté
longtemps en marge du folk, j’étais assez critique, mais j’ai peu à peu découvert que le
Bourdon était un lieu incroyable. Lorsque quelqu’un entonnait une chanson, tout le monde
sortait ses instruments pour l’accompagner et ça dégénérait en bœuf. Je me rappelle aussi
de Michel Hindenoch, un type très sympa, réservé, modeste, qui chantait et racontait des tas
d’histoires. Il y avait un sacré climat au Bourdon ! ».

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Dès 1970, les membres du folk-club organisent des ateliers d’initiation aux instruments ou à
la lutherie, et des stages de danse ou de musique traditionnelle à la campagne. Passionnés
par le collectage, ils inaugurent en 1972 une phonothèque ouverte au public. Leur but ?
Mettre à la disposition du plus grand nombre, les trésors musicaux dont regorgent nos
campagnes. Car, au-delà du simple attrait pour le folk, c’est une même conception de la
musique que partagent les artistes du Bourdon : « faites par le peuple et pour le peuple »
(sorte de slogan du folk), les musiques traditionnelles doivent retrouver leur place dans le
quotidien des gens (cf. troisième partie). Organiser des ateliers, des stages en pleine
campagne, animer des fêtes de village et de mini festivals… Toutes ces actions font partie
intégrante de l’esprit « Bourdon ». Par ailleurs, fidèles à la formule de John Wright, « mieux
vaut jouer cent fois devant dix personnes, plutôt qu’une fois devant mille », ils évitent au
maximum les festivals-événements et les grandes scènes. En effet, chaque manifestation
doit être, avant tout, l’occasion de rencontrer les populations locales et de les sensibiliser au
folk. Voilà aussi pourquoi le Bourdon défend une musique traditionnelle acoustique : il est
plus aisé d’inciter les gens à tâter d’un instrument acoustique que d’une guitare électrique.
L’électrification, c’est bon pour le studio ou pour jouer devant un public important !

La première séance

Jean-François Dutertre raconte ainsi la séance inaugurale du Bourdon : « Le lundi 15


décembre 1969, dans une ruelle aujourd’hui disparue du quartier de Montparnasse appelée
l’Impasse d’Odessa, le Café de la gare, un nouveau lieu de spectacle créé par Romain
Bouteille et son équipe, était exceptionnellement ouvert. Comme on le sait, le lundi est le jour
habituel de relâche des théâtres et les spectateurs qui se pressaient ce soir-là n’étaient pas
venus pour goûter aux joies alors nouvelles du café-théâtre. Une équipe anxieuse avait
installé une table à l’entrée et distribuait des cartes d’adhésion bricolées avec des fiches
bristol. On y retrouvait une petite bande qui s’était constituée en fréquentant le Hootenanny
que Lionel Rocheman organisait le mardi soir au Centre américain du boulevard Raspail et
quelques amis d’enfance qui hantaient la MJC de la Porte Brancion dans le XVe
arrondissement. Quelques mois auparavant, ils avaient même réussi à convaincre le
directeur de cette MJC d’organiser un concert en plein air qui avait rassemblé plus de 500
personnes au théâtre de verdure du square Saint-Lambert. Sans renier l’importance du
rendez-vous de Rocheman et des longues soirées de discussions et de musique au Raspail
vert, le café où se retrouvaient tous les musiciens après le Hootenanny, ils aspiraient à créer
leur propre soirée régulière dédiée au folk, ce nouveau courant musical né dans la
mouvance des mouvements américains et britanniques. Les discussions avaient été âpres
pour déterminer la forme qui convenait à leur rêve. John Wright et Catherine Perrier avaient
alors longuement expliqué l’organisation du mouvement en Grande-Bretagne et tout
particulièrement le développement des folk-clubs. Le principe avait plu et l’équipe qui
s’agrégeait peu à peu autour de cette idée avait donc décidé de créér à Paris un folk-club sur
le modèle de qui se faisait là-bas. Comme j’avais été animateur d’un ciné-club et que j’avais
connaissance du fonctionnement des associations loi 1901, j’étais parvenu, non sans mal, à
les convaincre de fonder une association. Il faut se représenter les réticences que pouvaient
soulever parmi une bande de jeunes gens formés par l’expérience de mai 68, l’idée d’une
déclaration à la préfecture de police… Finalement l’association avait été créée et des statuts
rédigés. John proposa d’appeler ce folk-club Le Bourdon et c’est lui aussi d’ailleurs qui
dessina quelques temps après l’espèce de mouche-vielle à roue qui devint l’emblème du
club. On comptait au titre des membres fondateurs : Catherine Perrier, John Wright, Jean-
Pierre Morieux, Jean-Loup Baly, Jean-François Dutertre, Jacques Ben Haïm (Ben), Christian
Leroi-Gourhan, Jean-Claude Haineman (Emmanuel), Claude Roussel, Jean-Pierre
Chavannaz, Claude Besson, Christian Becquet, Philippe Fromont, Trân Quang Haï, Marie-
Hélène Sardina, Youra Marcus, Gabriel Yacoub, Steve Waring, Roger Mason, Alan Stivell,
Emmanuelle Parrenin, Claude Lefebvre, Martine Habib et Dominique Maroutian. Catherine
Perrier en était la présidente. Il avait ensuite fallu trouver un lieu dans Paris, quête difficile

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pour une jeune association dépourvue de toutes ressources. Mais la chance avait joué en
faveur de ce dénuement. Romain Bouteille et sa jeune équipe de comédiens parmi
lesquelles figuraient Miou-Miou, Patrck Dewaere et Coluche, venaient d’ouvrir à Paris une
petite salle de spectacles et lançaient le concept de café-théâtre. Ils avaient demandé le
concours de John Wright, Roger Mason et Steve Waring pour assurer quelques intermèdes
et sketchs musicaux dans leur spectacle. Les débuts étaient difficiles et Bouteille accepta,
sur la demande de ces musiciens, de louer sa petite salle le soir de relâche. Nous
acceptâmes la gageure en nous apprêtant à payer de notre poche le déficit probable qui
résulterait de ces soirées. Le prix de la carte de membre fut arrêtée à 3 F et la participation
aux frais pour chaque séance à 2 F. Le lieu étant trouvé, une date fut fixée pour la première
soirée et nous nous mîmes à en parler à toutes nos connaissances. Un tract fut tiré et
distribué un peu partout, notamment au Centre américain. Fidèle au modèle britannique, les
musiciens fondateurs du Bourdon devaient prendre en charge le programme musical et
interpréter chacun deux ou trois chansons. D’autres musiciens, proches de l’équipe initiale,
furent contactés et acceptèrent de venir jouer. Le programme serait bâti le soir même, de
façon impromptue et en fonction des musiciens présents. Le principe retenu fut donc celui
d’une forme de « scène ouverte », principe en partie hérité de la conduite des hootnannies
de Rocheman. Il devait présider pour longtemps au fonctionnement du Bourdon. Ce ne fut
qu’au cours des mois suivants que l’idée de bâtir certaines soirées autour d’un invité
s’imposa. Ce changement n’empêchait pas de conserver le système de la programmation
improvisée pour le reste de la soirée. Ce fut René Zosso qui eut l’honneur de l’inaugurer. On
vit entre autres, cette année-là, Donatien Laurent présenter les sœurs Goadec, en présence
d’Alan Stivell qui les accompagna sur une chanson, Djamchid Chemirani et son zarb, Trân
Van Khé et ses multiples instruments vietnamiens, Pierre Fénélus et ses percussions. Par la
suite, des dizaines d’invités firent les beaux soirs du club. Ils furent si nombreux qu’il serait
fastidieux de les citer ici. Le soir fatidique arriva enfin. Jean-Pierre Morieux, qui officiait avec
Jacques Ben Haïm, plus connu sous le nom de Ben, au sein du groupe The Philarmonic
Back Country Folk Group, avait confectionné deux panneaux que nous accrochâmes à
l’entrée de l’impasse d’Odessa et à la vitrine du Café de la Gare. A notre grande surprise, il
vint beaucoup de monde et le cahier des adhérents se couvrit de noms et d’adresses. Il vint
en tout près d’une centaine de personnes ce soir-là. Nous avions largement de quoi payer la
location de la salle pour cette première séance. Catherine Perrier à qui avait été confié le
soin de confectionner le programme passait de groupe en groupe et ordonnait les ordres de
passage en les consignant sur un petit bout de papier. Enfin quand tout le monde se fut
installé sur les étranges gradins du Café de la Gare, la soirée put commencer. Ce fut Bill
Deraime qui ouvrit le programme et débuta cette aventure qui devait durer près de quinze
ans. Alan Stivell clotura la soirée durant laquelle tous les membres fondateurs du club eurent
l’occasion de jouer ou de chanter. Par la suite, les relations avec l’équipe de Romain
Bouteille se tendirent. Les comédiens souhaitèrent récupérer la jouissance de la salle le
lundi soir pour répéter. Nous dûmes nous résoudre à chercher un autre lieu et le Bourdon
connut alors cette existence nomade qui ne devait se stabiliser que plusieurs années plus
tard grâce à l’installation au Petit théâtre de la Cité universitaire. Nous trouvâmes une cave
rue de la Sourdière, dans le quartier de l’Opéra, qui appartenait à la paroisse Saint-Roch et
nous nous y installâmes à partir du 17 février 1970. Nous étions les seuls à l’occuper et nous
pûmes investir en moquette pour adoucir le contact avec le sol disjoint et froid de la cave, en
l’absence de tout siège. Nous n’avions aucune contrainte horaire et les soirées de la rue de
la Sourdière, se prolongeant souvent très tard dans la nuit, furent les plus magnifiques de
l’histoire du Bourdon. Ce fut lors d’une de ces soirées qu’un petit tract fut affiché sur une
paroi de la cave. On y apprenait que quelques fondateurs du Bourdon appartenant à la
mouvance américaine, notamment Gabriel Yacoub, Phil Fromont, Youra Marcus, Claude
Lefebvre et Bill Deraime venaient de créer avec d’autres musiciens un nouveau folk-club, le
Traditionnal Mountain Sound que l’on appela très vite, plus simplement, le TMS. Ils
souhaitaient ouvrir un lieu dédié aux musiques traditionnelles américaines alors que le
Bourdon apparaissait comme plutôt orienté ves les musiques du domaine français. J’ai

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parfois lu, sous la plume de personnes mal informées, que le TMS aurait été le premier folk-
club en France. En réalité, sa création a été postérieure de plusieurs mois à celle du
Bourdon, l’organisation de ce dernier ayant servi de modèle. On a aussi parlé de rivalités
entre les deux clubs, il faut plutôt parler de différences. Les musiciens du TMS fréquentaient
régulièrement le Bourdon et réciproquement. Quelque temps après, un troisième folk-club, à
l’initiative de musiciens comme Pierre Kerhervé et Jean-Marie Redon, ouvrit à Paris, La
Vieille Herbe, qui se voulait rassembleur de tous les courants. Le Bourdon posséda très vite
une petite sœur à Lyon, la Chanterelle, créée par Jean Blanchard et ses amis, puis les clubs
ouvrirent rapidement dans toutes les grandes villes. Ce fut Le Rigodon à Grenoble, à
l’initiative de Patrick Mazelier, La Courtepaille des frères Cazade et Cadeillan à Bordeaux et
bien d’autres encore. Le Bourdon avait essaimé, le mouvement des folk-clubs prenait son
envol ».

Catherine Perrier et John Wright.

Catherine Perrier : chant / John Wright : violon, guimbarde

« De toutes les chansons traditionnelles, elle connaît plusieurs versions, les histoires et les
gens qui s’y rapportent », écrit Jacques Vassal dans Rock & Folk. Et, en effet, lorsqu’elle ne
vaque pas au bon fonctionnement du Bourdon, Catherine Perrier sillonne la France à la
recherche de chanteurs de tradition. Reconnue pour ses talents de chanteuse, elle l’est
aussi pour son travail de collectage. Elle est par ailleurs l’une des rares femmes à s’être
lancée avec autant d’énergie dans l’aventure folk. Enfin, on ne peut parler de Catherine
Perrier sans évoquer son mari John Wright, d’origine anglaise. Celui-ci a également joué un
rôle de premier plan dans la genèse du folk français : habitué des folk-clubs, il franchit la
Manche avec, dans ses bagages, une guimbarde, un violon, et surtout l’état d’esprit du folk.
Pour Jacques Vassal, « John est une espèce de répertoire ambulant, le violoniste qui joue
tout le temps, de tout et avec tout le monde ».

La rencontre de ce couple n’est pas dénuée de romantisme. Catherine, alors étudiante en


histoire de l’art à la Sorbonne, est fascinée par un cours sur l’art irlandais. A l’été 1964, elle
part pour l’Irlande où elle découvre, outre les monuments anciens, le chant des pêcheurs et
paysans. C’est le début d’une véritable passion pour la musique traditionnelle. Il faut dire
que, petite fille, elle adorait chanter les vieilles chansons que fredonnaient ses parents, à
Angers, et, vers 5 ou 6 ans, possédait déjà son propre répertoire. En 1965, elle repart en
Irlande avec, cette fois, un magnétophone dernier cri (un des tout premiers modèles à
cassettes), bien décidée à enregistrer les musiques entendues dans les pubs, les Fleadh
Ceoil, le Fiddler’s Club de Dublin. Après les campagnes irlandaises, elle gagne l’Ecosse. Au
Woolpack, à Edimbourg, elle rencontre un charmant garçon, chanteur et joueur de
guimbarde : John Wright. C’est le coup de foudre. La journée s’achève en musique dans un
appartement d’Edimbourg. Manque de chance, Catherine repart le soir-même pour la
France. John et Catherine se chantent des chansons de troubadours, Reis Glorios, Quan vei
la lauzeta mover…, sur le quai de la gare. Mais ce n’est que partie remise. En 1967, il décide
de s’installer en France.

Qui est John ? Issu d’une banlieue industrielle de l’Angleterre, il se passionne très tôt pour le
violon. Anecdote amusante, à l’âge de 4ans, il faisait déjà mine d’en jouer : à défaut de
violon, il disposait d’un ukulele déglingué (petite guitare hawaïenne à quatre cordes) retrouvé
dans son grenier, d’une tringle à rideaux pour tout archet, et de sa bouche pour imiter le son
du violon ! Plus tard, il suit quelques cours avec un professeur talentueux, dont la maison est
envahie de violons de toutes sortes. Il ne se met vraiment à l’instrument que bien plus tard,
lorsqu’il intègre les Beaux-Arts de Wolverhampton. C’est là qu’il découvre la chanson
traditionnelle. Il déniche des recueils de collectages, dont l’irremplaçable English folksongs,
some conclusions, l’ouvrage de référence de Cecil Sharp. John s’enthousiasme pour la

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beauté des mélodies traditionnelles anglaises, pour l’ancrage de leurs textes dans la réalité.
Devenu professeur d’art plastique, il enseigne deux ans durant avant de mener une vie de
bohême. Son désir ? Chanter, jouer, vivre de la musique. Au Singer’s club de Londres, un
des folk-clubs les plus connus d’Angleterre, il rencontre Ewan Mc Coll, Bob Davenport et les
Stewart de Blairgowrie, une famille de « voyageurs » écossais au superbe répertoire qui
laisseront sur lui une empreinte durable. Il tourne dans les pubs et dans les clubs, où chaque
soir la parole est donnée aux folksingers, participe aux premiers folk-festivals (Keele,
Edimburg). En Ecosse, il part en quête d’un vieux joueur de guimbarde, entendu sur un
enregistrement de l’English Folk and Dance Society, dont la phonothèque est
impressionnante. Une après-midi passée en compagnie du vieil homme va permettre à John
de mieux comprendre la guimbarde et de trouver son propre style.

John et Catherine ne se lancent pas dans la création du Bourdon à la légère. Ils sont
déterminés à en faire un lieu clé du renouveau des musiques de tradition orale francophone,
un espace de création et de convivialité à l’image des folk-clubs anglo-saxons. C’est aussi
l’occasion pour eux de tester leur répertoire devant un public. Ils jouent souvent en duo :
Catherine chante, John l’accompagne au violon ou à la guimbarde. John contribuera à
populariser cet instrument auprès des folkeux du Bourdon et fera des émules : Christian
Leroi-Gourhan, Phil Fromont, Ben…. Quand on ne les trouve pas au Bourdon, John et
Catherine sont en vadrouille : opérations collectage ou animations de fêtes de villages, de
stages — John enseigne la guimbarde et le violon, Catherine, le chant —, organisation de
festivals… Toutes ces actions, outre le plaisir qu’elles leur procurent, relèvent d’un véritable
militantisme, d’un esprit de croisade pour la popularisation du folk.
Catherine Perrier se passionne pour le collectage depuis ses séjours en Irlande. Ayant
découvert qu’il existe Outre-Manche, en particulier dans les campagnes, une tradition
musicale bien vivante, elle se dit que peut-être la France connaît un phénomène similaire. La
Galoche d’Aurillac, un bar restaurant, qui fait aussi charcuterie et boutique de galoches, du
côté de Bastille, éveille sa curiosité dès son arrivée à Paris en 1963. Régulièrement, ce
repère d’Auvergnats organise des cours de cabrette (cornemuse auvergnate) et
d’accordéon. C’est donc bien qu’il existe une tradition musicale spécifique dans le centre de
la France. John et Catherine fréquentent aussi les festou-noz de la région parisienne
organisés par Nevezadur ou le Cercle celtique de Sceaux. Ce n’est toutefois pas avant
l’année 68, qu’elle part en compagnie de John, en quête des derniers musiciens de tradition
en Anjou. Ils ne tardent pas à rencontrer de vrais chanteurs traditionnels qu’ils enregistrent
aussitôt. C’est ainsi, au fil des rencontres et des années que Catherine se constitue un
impressionnant répertoire de chansons. John poursuit par ailleurs ses recherches sur la
guimbarde. Le Musée de l’homme est une précieuse banque d’informations. Intéressés par
sa démarche, André Schaeffner, puis Gilbert Rouget lui font obtenir une convention du
CNRS pour la réalisation d’un catalogue des guimbardes du Musée. John et Catherine font
de fructueuses rencontres en Vendée, où ils entament une longue série de collectages. C’est
cette passion pour l’enquête de terrain que le couple transmet aux autres membres du
Bourdon. Et lorsqu’ils donnent des concerts en province, ils n’omettent jamais, à la fin de leur
prestation, d’inciter le public à pratiquer le collectage.

Proches de l’ethnomusicologie, artistes de contact plus que musiciens de studio, John et


Catherine ont laissé peu de traces discographiques. Ils ont en revanche participé à bon
nombre d’albums (disques de festivals, anthologies). Et il est vrai que dans le microcosme
folk, on n’hésite pas à faire appel aux amis à l’occasion d’un enregistrement. Cela fait partie
du rituel. Qu’il s’agisse de John ou de Catherine, vous ne trouverez pas plus d’un album de
chacun des artistes : pour le premier, la Guimbarde, un disque instrumental ; pour la
seconde, Chansons traditionnelles françaises, auxquelles s’ajoute toutefois aux USA John
Wright et Catherine Perrier, Traditionnal Music of France (Green Linnet, 1978). Ce dernier
traduit bien le goût de Catherine pour les musiques « toutes nues », épurées. Celle-ci chante
a capella ou accompagnée par les musiciens du Bourdon : John et Phil Fromont au violon,

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Youra Marcus au banjo et Emmanuelle Parrenin au dulcimer, rejoints pour un morceau par
Ben, Christian Leroi-Gourhan et Jean-François Dutertre. Les chansons, issues des
collectages de Catherine en Anjou, Vendée et Berri, ont été sélectionnées en fonction de
leur beauté mélodique et de la signification du texte. Ainsi, à l’heure où la loi Weil divise
l’opinion, la chanteuse déclare à l’Escargot-Folk ?, « Lorsque je chante une histoire de fille
engrossée, suivi d’un sombre récit d’infanticide (cf. La Fille de Lyon), c’est pour affirmer ma
solidarité avec les mouvements qui luttent pour la liberté des femmes de faire ou non des
enfants. ». Cette démarche n’est pas toujours bien comprise du public. Catherine se
rappelle d’un soir où, alors qu’elle chantait la Fille de Lyon, quelqu’un s’est mis à hurler un
absurde « Mais, c’est sexiste ! » … Dans cet album, on évoque également l’amour, la
séduction, les désagréments du mariage, ainsi que la conscription militaire. Catherine
interprète par ailleurs Le Premier mois de l’année, une chanson à répétition, plus connue
sous le nom de La Perdriole, et une version berrichonne de La Claire Fontaine, En revenant
des noces. En somme, bien que daté, cet album a la fraîcheur des débuts ; il s’agit là du tout
premier enregistrement de folk français au féminin.

Discographie
Perrier Catherine, Chansons traditionnelles françaises. CDM LDX 74500.
Wright John, La Guimbarde. CDM LDX 74434.

Grand Mère Funibus Folk.

Ben : chant, violon, guitare, dulcimer, tambourin, grelots / Christian Gour'han : chant, violon,
vielle, guitare, mandoline, guimbarde / Croqui : guitare, triangle, cuillères, derbouka, tambour
iranien, métallophone / Michel Hindenoch : chant, violon, guitare, banjo, guimbarde, cuillères.

Le folk doit une fière chandelle au GMFF. Créé dans l’enceinte du Bourdon, autour du
mythique Ben, ce groupe a suscité bon nombre de vocations et entraîné une partie de la
jeunesse dans l’aventure folk, comme en témoigne Nicolas Cayla dans l’Escargot-Folk :
« Les musiciens du GMFF ont su créer un véritable mouvement social autour de la musique
folk. Ils sont parvenus à réconcilier deux cultures : celle des hippies qui, à priori,
considéraient le folk comme un mouvement réac et celle des folkloristes. » Le GMFF est
sans doute le groupe le plus caractéristique du mouvement folk des débuts. Il comprenait, à
l’origine, le guitariste américain Roger Mason.

Jacques Benhaïm, dit Ben, d'origine égyptienne, est l’aîné d’une famille de musiciens ;
polyinstrumentiste, comme ses frères et sœurs, Daniel (Dany), Michel et Mireille (celle-ci
deviendra la chanteuse attitrée du groupe Lyonesse). Il passe son adolescence dans le XVe
arrondissement de Paris où il a pour condisciple de collège Jean-François Dutertre et Jean-
Pierre Morieux. Il fonde avec ce dernier et un autre ami, un groupe de folk américain, le
Philarmonic Back Country Folk Group qui se produit souvent à la MJC de la Porte Brancion.
Il y entraîne le groupe de folksong de Dutertre, puis tout ce monde au Centre américain où
s’effectue la rencontre avec John Wrigtht, Carherine Perrier, Christian Leroi-Gouhan et
Dominique Maroutian, Claude Besson, bref le noyau de base du Bourdon.
Ben a joué un rôle essentiel dans le développement du folk : il en est à la fois le leader
musical, le représentant itinérant et le « penseur » dans le début des années 70. Son
charisme naturel, l’intensité de son talent d’interprète rallient autour de lui tout le mouvement.
Il aura une influence déterminante sur nombre de musiciens, comme Gabriel Yacoub, par
exemple. On cherchera constamment à l’imiter sans jamais y parvenir. Il reste, aujourd’hui
encore, gravé dans la mémoire de nombreux folkeux. À Paris, Bordeaux ou Lyon, il y a
toujours quelqu'un pour le citer, faire référence à son passage dans le folk-club local. C’est
après l’avoir rencontré, que Marc Robine, émérite joueur de dulcimer, s’est lancé dans le
folk. Il se rappelle : « Ce clochard céleste semblait tout droit sorti d'un bouquin de Kerouac.

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Enveloppé d'un halo de mystère, Ben colportait une certaine image du folk, celle d'un éternel
voyageur, tourné vers autrui, ouvert à la musique, défenseur malgré lui d'un trad évolutif et
métissé. Il est l'élément fondateur du folk en France, celui sans qui rien ne se serait passé.
Saltimbanque-magicien, il a donné envie à des tas de gens d'abandonner tout ce qu'ils
faisaient et de le suivre. »

Avec le GMFF, Ben anime les premières soirées du Bourdon, inaugure les tournées de
l'association Folk Song International, et participe au premier festival folk (Lambesc, 1970).
Le premier 33 tours du groupe sort chez Barclay en 74. Il s'agit d'un disque chaleureux, où
se côtoient différentes influences : traditionnels français (Pierre de Grenoble), cajun
(Travailler c'est trop dur), blues (Baby please don't go, interprétée à la guimbarde, aux
percussions et à la guitare), old-time (Charlie), folk irlandais (Romano jig), ainsi que des
compositions du groupe (la Création du monde, Danse Papillon). La qualité d’interprétation
allie fabuleux esprit d'ouverture et simplicité. Ici, on se ne prend pas au sérieux, on passe
d’un répertoire à l’autre sans problème. Quant à la couleur sonore, notons l’omniprésence de
toutes sortes de percussions — tambourin, grelots, cuillères, derbouka, tambour iranien —,
et d’un violon. Pour le reste : guitares, banjo, guimbarde, vielle et dulcimer apparaissent et
disparaissent au gré des titres.

Cet album est l’unique trace discographique laissée par le GMFF. Et pour cause, dès l'année
73, la formation éclate. Mais, la vie continue, chacun poursuit son chemin. Aux côtés de ses
frères Daniel et Michel, d’Hal Colomb et de Diane Holmes Brown (voir à Chifonnie), Ben
rejoint le Grelot Bayou Folk, un groupe spécialisé dans le traditionnel francophone. Il y
restera jusqu’en 1976, date à laquelle la formation disparaît. En parallèle, Ben, continue sa
vie de baroudeur : toujours par monts et par vaux, avide de rencontres et d’échanges
musicaux, collaborant ici ou là à l'enregistrement d’un album. Quant à Michel Hindenoch
(voir à ce nom), il participe à différents groupes avant de développer une carrière solo. Il est
aujourd’hui conteur alors que Croqui s’est mis à la facture de percussions. Quant à Christian
Leroi Gour'han, malade depuis sa jeunesse, il est mort au milieu des années 90.

Discographie.
Grand Mère Funibus Folk, Barclay 920451, 1974.

Mélusine

Jean-Loup Baly : chant, pipeau, accordéon, épinette, bouzouki, cuillers, bodhran / Jean-
François Dutertre : chant, épinette, vielle à roue, bouzouki, cuillers, bodhran / Yvon Guilcher :
chant, flûtes, hautbois, cromorne, chalémies, clarinette, cornemuses, cuillers, bodhran.

S’il fallait ne mentionner que trois groupes dans l’histoire du folk, Mélusine en ferait
assurément partie, aux côtés de Malicorne et de la Bamboche. Ardent défenseur d’une
musique acoustique, au prix de polémiques parfois virulentes, il est avant tout reconnu pour
la beauté de ses polyphonies.

L’histoire de Mélusine est intimement liée au parcours musical de deux amis d’enfance :
Jean-François Dutertre et Jean-Loup Baly. Après avoir fait les quatre cents coups dans le
XVe arrondissement, nos deux compères, accompagnés de Ben, découvrent tout
naturellement un lieu magique situé à deux pas de chez eux : le Centre américain. Ils créent
en 1968, avec Ben, le groupe Les Escholiers qui sera l’archétype de Mélusine. De fil en
aiguille se constitue l’équipe du Bourdon, puis le groupe l’Indicible Folk, dont ils feront aussi
partie. Première ébauche de Mélusine, le groupe Les Escholiers est né en partie de la
volonté de Jean-Loup de travailler de manière approfondie le répertoire de France et du
Québec. Les polyphonies émergent peu à peu, et, tout comme le répertoire choisi, seront
conservés par Mélusine. En revanche la vielle, l’épinette et autres instruments traditionnels

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étant encore méconnus, nos folkeux optent pour un accompagnement sobre à la guitare et
au banjo, sur lequel se greffent quelques envolées de flûte.
Lambesc 70. Au premier festival folk français, le public, ouvert à toute musique nouvelle et
emprunte de tradition, réserve un accueil enthousiaste à L’Indicible Folk, aux Escholiers et à
toute l’équipe du Bourdon. Deux ans plus tard, Jean-Loup emménage à Strasbourg ; les
Escholiers disparaissent, ne laissant derrière eux aucun enregistrement.
Jean-François, quant à lui, poursuit son bonhomme de chemin. Il décide de rompre le contrat
de travail qui le lie au département d’ethnomusicologie du Musée de l’homme pour se
consacrer pleinement à la musique. Professionnel en 1972, il intègre le Grelot Bayou Folk, le
groupe de Daniel Ben Haïm, le frère de Ben, et d’Hal Colomb. Chanteur et vielleux, Jean-
François accompagne le Grelot Bayou sur les routes de France, via les maisons des jeunes.
La même année, il participe au stage de vielle qu’organise le maître sonneur berrichon
Georges Simon, à Pontchrétien. Il y retrouve René Zosso, le violoncelliste Dominique Regef,
avec qui il débute un travail portant sur l’alliance des instruments classiques (le violoncelle)
et traditionnels (la vielle) et son ancienne compagne, Emmanuelle Parrenin. Après le stage,
Jean-François quitte peu à peu le Grelot Bayou.
Durant l’été 1973, Jean-Loup Baly, Jean-François Dutertre, Dominque Regef et Emmanuelle
Parrenin s’enferment deux mois durant dans une vieille maison ardéchoise sur le plateau du
Coiron pour créer Mélusine. Tout s’enchaîne alors très vite, le répertoire de Mélusine est en
place, les musiciens descendent dans la vallée pour tester les réactions du public. L’épopée
« mélusinienne » est en marche ; elle mène nos musiciens sur les routes de France dès l’été
73. En Bretagne, ils croisent Malicorne, qui, comme eux, inaugurent leur première tournée,
et deviendront avec Mélusine, les représentants du folk français. A Pons, toutefois, le public
réserve un accueil mitigé à Mélusine, dont la musique est jugée trop classique : l’usage du
violoncelle ne passe pas. Pourtant, Hugues de Courson, producteur de Malicorne et du
Grand Mère Funibus Folk, ne partage pas ce point de vue, bien au contraire. Enthousiasmé
par Mélusine, il recommande le groupe à Barclay, essuie un refus, et frappe à la porte de
Polydor qui accepte de produire Mélusine, à une condition : l’enregistrement de leur premier
disque doit être refait. Nos musiciens, réfractaires à toute forme d’autorité, rejettent la
proposition et cet album sortira quelque mois plus tard chez Chant du Monde sous le titre Le
Galant Noyé.
Entre temps, un nouvel individu s’est glissé dans l’univers mélusinien : Yvon Guilcher. Lors
d’une partie de campagne en Normandie, le courant passe immédiatement entre Jean-
François et Yvon, qui se retrouvent à chanter des chants traditionnels français en duo.
Surprise d’Yvon qui n’avait guère entendu de telles chansons et mélodies hors du giron
familial et des milieux paysans bretons. Lorsqu’il avait essayé de chanter de la sorte devant
ses copains admiratifs de Joan Baez ou de Dylan, tous, sans exception, lui avaient ri au
nez : seul le folklore anglo-saxon semblait digne d’intérêt. Yvon avait été initié au chant
traditionnel par son père, ethnologue de renom, celui-ci l’emmenait au fin fond des
campagnes bretonnes, où il enquêtait sur le rapport des paysans à la musique. Le kan ha
diskan, la danse, le sens villageois de la fête, tout ce que les folkeux cherchaient à
réactualiser, il l’avait vécu. A la maison même, la musique avait sa place au quotidien et,
chaque soir, l’on avait coutume de pousser la table de la salle à manger pour laisser place à
la danse.
A partir de là, Yvon et Jean-François prennent l’habitude de chanter ensemble. Ils
enregistrent en 1973 un premier album, Pré-folk : la préhistoire du folk, chansons à
répondre, que la critique accueille fort bien. Ainsi, Jacques Marquis souligne dans
Télérama l’audace des interprètes : « Deux voix qui se répondent et se chevauchent sans le
moindre accompagnement, il fallait oser. Yvon Guilcher et Jean-François Dutertre s’en tirent
à merveille. ». Par ailleurs, Yvon fait une entrée remarquée au Bourdon ; ses « chants à
répondre » (Le terme, inspiré de l’expression vendéenne « Chanson à répouné », est une
invention d’Yvon) ne tardent pas à conquérir l’auditoire. C’est d’ailleurs le titre de Chansons
à répondre et à danser qui est choisit pour un second album réunissant plusieurs musiciens
du Bourdon (dont Phil Fromont et Dominique Maroutian) autour du premier Mélusine et

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d’Yvon. L’année suivante, Yvon rejoint Mélusine au festival de Saint-Laurent-en-Berry. Pour


la première et la dernière fois, la formation à cinq s’offre au public. Peu de temps après, la
rupture entre Dominique et Emmanuelle fait éclater le groupe ; ne reste de Mélusine que
Jean-François et Jean-Loup, qui, loin de déclarer forfait, font appel à Yvon : Mélusine II est
né.

Sans perdre de temps, la nouvelle formation retravaille son répertoire ; Jean-Loup convainc
ses acolytes de le rejoindre au stage de musique ancienne qu’organise Bernard Têtu à
Chapeau-Cornu durant l’été 1974. C’est l’occasion rêvée pour le trio d’approfondir un travail
vocal à peine entamé. Les échos des polyphonies envahissent les allées de Chapeau-
Cornu, donnant, au passage, naissance à quelques unes des chansons phares du groupe,
comme le Matin au point du jour. Fin prêts, nos amis entament alors leur première tournée
française, non sans quelques difficultés. En effet, Yvon qui n’est pas musicien professionnel,
enseigne l’allemand au lycée militaire de Saint-Cyr, situation plutôt paradoxale pour un
folkeux, ancien militant Unef de surcroît ! Mélusine se présente donc au gré des
circonstances comme un groupe comprenant tantôt deux, tantôt trois musiciens. Ce qui ne
l’empêche pas de séduire un public toujours plus avide de folk et d’obtenir, peu après, un
contrat d’exclusivité chez Polydor.

En septembre 1975, sort le premier album de Mélusine. Au dos de la pochette, quelques


notes présentent le groupe : « Une fée autrefois s’appelait Mélusine. Sa légende court la
France d’Est en Ouest. Mariée à un riche seigneur, une malédiction chaque samedi la
transforme à moitié en serpent. A moins qu’elle ne soit plus simplement fée des sources et
des étangs. Par exemple, en Franche-Comté, elle est la vouivre. Elle apparaît comme un
des personnages principaux du folklore français. Pour nous, elle est un nom et une image.
Comme elle, qui est de partout et de nulle part, notre musique emprunte à toutes les
provinces de France. Maintenant que sont morts ceux qui ont connu la fée Mélusine,
autrefois et ailleurs, nous pensons que l’héritage de la musique traditionnelle parle au même
titre à toutes les sensibilités d’aujourd’hui, qu’elles soient rurales ou citadines. Notre musique
n’est pas du passé : elle a notre âge comme Mélusine. ».
On retrouve ici la chanson qui fit le succès de Mélusine, le Matin au point du jour, chanson à
la fois très sombre et très belle, contant l’histoire d’un soldat qui assassine son officier.
Mélusine nous offre une version de Pierre de Grenoble, bien différente de celle de Malicorne
par son aspect épuré, ainsi que deux plages de polyphonies a capella, dont une
extraordinaire version de la Peronnelle. Quant aux Filles qui entrent en danse dont Yvon est
l’auteur et à la Ronde du Tournebout, composée par Jean-Loup, elles semblent directement
issues de la tradition. Ce premier album alterne harmonieusement des danses et des
chansons tirées de recueil ou provenant de collectages. Les critiques sont enthousiastes :
« Ce disque est beau, il est bien fait, sans tricherie ; une réussite colorée », affirme Nicolas
Cayla dans Rock & Folk.
L’année 1975 est décidément productive pour le groupe qui sort deux autres albums au
Chant du Monde : le Galant Noyé et le Roi Renaud.
Au Festival de musique traditionnelle et non-écrite de Châlons-sur-Saone, Yvon inaugure le
premier atelier de danse d’envergure, aux côtés d’André Dufrêne, considéré comme
l’inventeur du bal folk en France. Yvon, pour avoir fréquenté le milieu paysan breton dans
son enfance, s’impose rapidement comme un des spécialistes de la danse traditionnelle.
Dès cette époque, il se consacre chaque été à l’animation de stages de danse qui
enchantent le public folk, au même titre d’ailleurs que les stages instrumentaux auxquels
Jean-François et Jean-Loup participent régulièrement depuis 1972. Formés au contact
auprès des derniers musiciens de tradition ou en autodidacte, Mélusine se fait un devoir de
transmettre son savoir. C'est que malgré leur réputation de joyeux fêtards et de buveurs
invétérés, nos trois musiciens ont construit une démarche qu'ils suivent à la lettre. Pour
preuve, ces quelques notes tirées du second album de Mélusine, La Prison d'amour, sorti en
1976 : « Nous avons opté pour une musique acoustique. Sans condamner par principe
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d'autres tentatives plus progressives, nous pensons qu'un répertoire qui releva naguère
d'une culture populaire, ne répond valablement à un besoin d'aujourd'hui que s'il peut trouver
sa place dans une cuisine, un préau d'école ou dans la rue et non pas seulement sur une
scène ou sur un disque. C'est pourquoi le spectacle n'est qu'un aspect de notre travail. Outre
le collectage auprès des anciens, nous nous efforçons, lors de stages et d'animations, de
mettre notre expérience de chanteurs, d'instrumentistes et de danseurs à la disposition de
quiconque veut faire lui-même une telle musique. Notre but, ce faisant n'est pas de favoriser
la naissance d'une hypothétique culture populaire, mais d'encourager une pratique commune
de la musique, qui ait pour cadre la vie quotidienne de tout un chacun. » La démarche de
Mélusine relève en somme d'un véritable engagement, d'un choix qu'Yvon qualifie encore
aujourd'hui de politique. Mélusine se définit comme un groupe de rue. Le jardin du
Luxembourg, les écoles, les mariages sont autant de lieux où nos trois musiciens ont choisi
de s'exprimer, afin de transmettre au public leur passion commune pour les musiques
traditionnelles des régions de France. Même si, comme l'exprime Yvon dans la revue de folk
Gigue, le festival « reste le signe de la volonté universelle du mouvement folk », même s’il
offre une occasion exceptionnelle pour les folkeux de se rassembler. Utopie que cette
volonté forcenée de « mettre de la musique dans la vie des gens » ? Peut-être, mais en
attendant, c'est ce qui fait avancer le groupe et ce qui justifie son choix de l'instrumentation
acoustique. « Il faut inciter les gens à pratiquer et non pas les en dissuader » explique Yvon
à l'occasion d'une interview accordée à L'Escargot Folk ? en Mai 80. Mélusine tient à rester
fidèle à l'esprit de la musique traditionnelle fait de qualité et de simplicité, ce qui n'exclut pas
l'innovation. Et nous l'avons exprimé, Mélusine est avant-gardiste, en particulier dans le
domaine du chant (polyphonies, chant à répondre). Cette démarche n'est pas comprise de
tous ; à une époque où l'on ne mâche pas ses mots pour dire ce que l'on pense, le groupe
est régulièrement attaqué, qualifié de passéiste et de puriste du folk. Les passions se
déchaînent de tous côtés, Yvon, Jean-François et Jean-Loup ne se privent pas du plaisir de
lancer quelques pics en direction de ceux qui ne partagent pas leur point de vue et qui
considèrent que le meilleur moyen de briser le système du show-business et des médias est
de le pénétrer de l'intérieur. La Tribune Libre de Gigue tient lieu de ring où s'affrontent en
particulier Yvon Guilcher et Alan Stivell.
La Prison d'amour, sorti en 1976, est peut-être le plus bel album de Mélusine. Il est composé
de chansons traditionnelles provenant de collectages. Les mélodies et les harmonies
vocales sont splendides, les textes sont magnifiques. Les chansons sont interprétées à
capella ou accompagnées sobrement ; Mélusine conforte sa réputation de groupe vocal.
Outre diverses chansons de conscrits malheureux ou rebelles comme le Déserteur ou les
Trois gens d'armes, issues du répertoire comtois, on trouve quelques chansons d'amour : la
Belle est en prison d'amour et les Métamorphoses. Notons au passage qu'à l'inverse des
albums de Malicorne, les disques de Mélusine ne sont jamais conçus en fonction de fils
directeurs, démarche qui supposerait un travail pensé de studio. Le groupe enregistre
spontanément ce qui constitue le répertoire de sa tournée du moment, sans trop se poser de
questions. Hostiles à toute forme de hiérarchie, les gars de Mélusine n'ont pas de chef et
chantent selon leur bon plaisir ce qu'ils veulent quand ils le veulent. Comme dirait Jean-
Loup, doué pour résumer simplement les situations : « Nous, on fait la musique qu'on aime
parce qu'on la préfère à celle qu'on n'aime pas. » Si Mélusine enregistre des disques, c’est
uniquement pour se faire connaître d’un public. Et les ventes du groupe n’ont jamais excédé
les 20 000 exemplaires. Pour La Prison d'amour, les critiques de revues aussi différentes
que Rock & Folk, France-Soir où Télérama sont positives et se transforment presque en
éloge sous la plume de Jacques Marquis (Télérama) : « Même avant que Mélusine existe,
j'ai toujours souligné combien le renouveau de la chanson traditionnelle française devait à
Baly, Dutertre et Guilcher. Aujourd'hui je suis comblé. Leur association atteint des
perfections vocales et musicales uniques dans l'histoire de notre folk acoustique. »
En juin 1976, c'est au premier festival folk de Ris-Orangis que nous retrouvons Mélusine.
Cette manifestation très hétéroclite rassemble des gens comme le Bluegrass Long Distance

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ou le Claque-Galoche. Le mois suivant, ils se produisent au festival folk, country et musique


traditionnelle de Saint-Florent sur Cher. Le mélange de styles y est encore plus détonnant :
musiques américaines, cajun, groupes lyonnais…
1977 voit l'avènement du troisième album de Mélusine dont le titre Lève-toi et danse ! est un
reflet du contenu du disque : celui-ci est en effet dédié aux airs et chansons à danser, à
répondre (Trifaladridondaine et La petite lingère). Notons au passage la participation de
Marc Rapillard, violoneux hors pair, à l'élaboration de cet album de danses. D'autre part, la
pochette traduit un effort de pédagogie de la part des musiciens : riche en explications sur
les danses, elle comporte en outre une intéressante interview du groupe sur le thème : « des
danses traditionnelles, pourquoi, pour qui et comment ? ». Celle-ci apporte quelque
éclaircissement quant à la démarche de Mélusine :
« — Pourquoi un disque de bal ?
— Parce que le bal est un aspect important de notre musique. Tous nos concerts se
prolongent par un bal quand la salle le permet. [...]. Maintenant où qu'on aille les gens
demandent à danser.
— Comment expliquez-vous cette demande ?
— Elle exprime un besoin. Besoin de faire quelque chose avec son corps (c'est un
moyen parmi d'autres), besoin de vivre une musique qui est souvent musique de danse,
besoin aussi d'une danse qui manifeste une communauté. [...].
— N'avez-vous pas l'impression d'être quelque peu passéistes ?
— Non. Ce qui fait la valeur de ces danses, ce n'est pas qu'elles soient anciennes,
bretonnes ou berrichones, ni qu'elles aient été populaires ; c'est qu'elles aient une qualité en
tant que danses. Ce qui compte, c'est le plaisir de la danse éprouvé par une communauté
qui accomplit les mêmes gestes ensemble. »
En somme, Lève-toi et danse ! entérine le succès de la danse traditionnelle dans le milieu du
folk français. Après des débuts difficiles — il y avait deux personnes au premier stage de
danse donné par Yvon et André Dufrêne en 1973 —, le stage et le bal folks s'imposent et
gagnent le cœur d'individus décidés à vivre quelque chose ensemble, à partager des
moments de convivialité au rythme endiablé des danses de nos ancêtres.
A l'été 78, nous retrouvons Mélusine au festival folk de Saint-Georges sur la Prée, dans le
Berry. Entourés de leurs amis lyonnais, La Bamboche et Le Claque-Galoche, de groupes
plus jeunes tels Emmaline ou Folle Avoine, et de vieux routards comme Bill Deraime ou
Roger Mason, Mélusine s'adonne à son occupation favorite : faire danser les foules.
Bien différent de l'album précédent, La Treizième heure, sorti en 1979, offre un ensemble de
chansons traditionnelles dont certaines remontent au Moyen Age. C'est le cas de Aussi
comme unicorne suis, chanson de trouvère datant du XIII° siècle et d'un poème galant, fort
joli au demeurant, Douce dame jolie. Plus sophistiqué que les albums précédents, emprunt
d'harmonies médiévales, ce disque est le fruit d'un travail vocal particulièrement soigné. Les
notes de pochette sont, comme à l'accoutumée, extrêmement complètes, et nous livrent
quelques informations précieuses quant au répertoire choisi par le groupe.
Décidément porté par la musique médiévale, c'est accompagné de La Maurache, groupe de
musique ancienne, que Mélusine réalise l'album Un Bal Renaissance en 1979 chez Unidisc.
Il s'agit d'un disque de danses tirées de recueils datant de la Renaissance et spécialement
conçu pour les danseurs. Comme de coutume, les critiques et particulièrement celles du
Monde de la Musique saluent l'initiative de Mélusine et la qualité de l’album.
Les tournées se poursuivent ; le folk, toujours populaire, a sa place dans toutes les
manifestations musicales. Et Mélusine, sous la pression de Polydor, accepte de jouer à
l'occasion d'un concert en plein air organisé à La Défense. Situation plutôt cocasse, Jean-
François, Jean-Loup et Yvon sont programmés juste derrière un groupe de musique disco —
et oui la vague disco eut, elle aussi, ses heures de gloire — et autant dire que leurs
accoutrements dénotent très clairement des costumes en lamé et du style clinquant de leurs
prédécesseurs qui, de surcroît, chantent en play-back ! Yvon se trouve projeté sur scène, le
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micro du présentateur glissé entre son bodhran et sa batte. Et catastrophe, le son ne sort
pas, les instruments acoustiques font l'effet d'ancêtres dans cet univers survolté ! Hués par
la foule, les musiciens se précipitent dans les coulisses et tombent dans les bras du directeur
de la communication de Polydor qui leur lancent : « C'était très bien les gars, l'essentiel, c'est
d'être venus ! ». Mais leurs péripéties ne s'arrêtent pas là. Poussés par les effets de la
boisson qui ne fait jamais défaut lors des concerts, Jean-Loup se présente au stand de
Renaud ; le célèbre chanteur vient de sortir un tube, mais son visage est encore méconnu du
public. Une annonce au micro clame : « Renaud dédicace son disque ! ». Une foule de
jeunes filles surexcitées se ruent au stand et Jean-Loup les accueille à bras ouverts, à
grands renforts de baisers et d'autographes, encouragé par les rires de ses deux acolytes !
Autant dire que cette anecdote plutôt comique ne fait pas figure d'exception. Les membres
de Mélusine ont très vite acquis une réputation de provocateurs et de semeurs de trouble,
somme toute bien fondée.
Avec Voulez-vous que je vous dise, enregistré en 1980, nos trois musiciens ressuscitent la
fée Mélusine, « fée des bois et des fontaines, qui était femme la semaine et quand venait le
samedi, [...] serpent, à demi, jusqu'au dernier coup de minuit ». Elle prend forme humaine
sur la pochette de l’album. Une mystérieuse jeune femme à la chevelure rousse semble
sortie d'un arbre flanqué d'une affiche de concert du groupe. La légende traditionnelle se
transforme alors sous la plume des musiciens en fable urbaine : « le monde a changé. On a
fait un axe routier, qui passe à travers la forêt, avec des arbres pour la cacher. Les gens qui
suivent cette route ne s'arrêtent jamais. Ils ne savent pas où elle mène, mais dans
l'ensemble ils pensent qu'elle va plus loin. Dans leur peau, ils se sentent bien, se donnent
des mines importantes. Et voilà que soudain la route serpente... » et au dos de la pochette,
la même jeune femme rousse fait du stop, les musiciens, qui l'accompagnent, sont cachés
derrière un arbre. Petit clin d'œil à la philosophie mélusinienne selon laquelle la tradition
française véhiculée par les légendes et chansons d'autrefois vit toujours aujourd'hui et
qu'elle résonne quelque part au plus profond de chaque être. Pour ce qui est du contenu de
l'album, les airs et chansons médiévales se partagent les plages avec des chansons et
mélodies plus récentes souvent issues de collectages au Québec. L'accompagnement est
sobre dans La Courteboise, chanson de marins accompagnée à l'épinette. Il est inexistant
dans La Surveille de mes noces ; chantée a capella, celle-ci évoque la condition féminine
autrefois. Mais, dans l’ensemble, les arrangements sont très sophistiqués. Ce qui fait dire à
Nicolas Cayla dans L'Escargot Folk ? : « Ce sera peut-être le seul reproche que l'on peut
faire à Mélusine : c'est très, presque trop esthétique. »
En 1981 Mélusine réalise un album au sous-titre évocateur : Ut consommatores radices
identitatem recuperent atque pedem prendant audiendo de baflis stereofonicis laléno ouap
dou ouap ! Traduction : « Pour que les consommateurs récupèrent leurs racines et leur
identité et qu'ils prennent leur pied aux lanéno wouap dou ouap de leurs baffles stéréo. »
C'est que l'on ne se refuse rien chez Mélusine ; l'album se compose pour moitié de mélodies
médiévales et de textes écrits en vieux français. Chansons de trouvères issues de
manuscrits et chansons d'amour galant, airs et textes plus récents (XVII-XIII° siècles) se
partagent les plages. Fidèles à leur conception du folk, les musiciens avertissent l'auditeur
de ce qu'il trouvera dans le disque par quelques notes de pochette:
« Ce sont chansons, diront certains aigris,
Se gabellant ou faisant la bobine
Chansons d'hier et guère d'aujourd'hui,
Chansons d'amour, ne parlant point d'usine,
Ni du travail, non plus que du profit
Ni des soudards, qui vivent de rapine.
Point de synthé, cet infernal outil
Que des palus ramena Proserpine,
Rien que des voix, le vent et le voir dit
Ainsi que jadis la fée Mélusine. »
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Il ne s'agit ni plus ni moins que d'une allusion aux querelles intestines qui déchirent le
mouvement folk de la fin des années 70 ; le fossé se creuse entre ceux qui souhaitent
introduire des paroles contemporaines aux musiques d'influence traditionnelle et ceux qui,
comme Mélusine, demeurent fidèles aux origines du folk : il faut conserver les textes
traditionnels.
Ce disque est une belle réussite, tant par la variété du répertoire choisi que par la diversité
des interprétations et des arrangements mélodiques. Polyphonies, chansons à répondre,
chant à capella agrémentent joliment l'univers mélusinien. Mentionnons également la
participation de La Maurache à quelques uns des titres de l'album.
Il s'agit d'un bel adieu : ce disque clôt la fin d'une époque – il faudra attendre 1985 avant que
Mélusine, augmenté du violoneux Jacques Mayoud, ne réalise un nouvel album. Avec à son
actif un nombre impressionnant de concerts, de stages et d'animations, que ce soit en
France ou dans les pays européens limitrophes, Mélusine a énormément tourné. Fidèles
jusqu’au bout à leur conception du folk, les musiciens sont allés très loin dans leur rencontre
avec le public et dans leur désir de communiquer leur passion et leur connaissance. En
ouverture de l'année 1980, déclarée Année du Patrimoine, Jean-François Dutertre se voit
décerner le Grand Prix de l'Académie Charles Cros pour l'Anthologie de la Musique
Traditionnelle, collection de disques de collectages qu'il dirige et produit au Chant du Monde
depuis 1975. En 1990, Mélusine signe un ultime album chez Adda, rééedité en 1998 par
Buda Musique, entièrement consacré à ses polyphonies.
Je laisse le mot de la fin aux musiciens de Mélusine, à qui j’ai demandé ce qu’ils retenaient
de cette époque. La réponse, accompagnée d’un sourire complice, fut unanime : « ce qui est
sûr, c'est qu’on s'est bien marrés ! »
Aujourd'hui, Jean-François Dutertre est secrétaire général de l’Adami tout en continuant une
carrière de chanteur soliste (plusieurs albums chez Buda Musique). Yvon Guilcher est à la
retraite, mais il continue à enseigner la danse et le chant. Détenteur d'une thèse portant sur
les cultures traditionnelles et les danses anciennes, il continue à animer des stages de
danses. Enfin, Jean-Loup Baly a élu domicile près de Besançon, où il s'est recyclé dans un
métier vieux comme le monde, celui de conteur.
Discographie.
Cette discographie comprend les albums de Mélusine et les disques réalisés avec la
collaboration avec d’autres musicens, notamment du Bourdon (ceux-ci sont mentionnés par
un astérisque).

1973. * Pré-Folk. Pathé-Marconi 2C062 12483.


* Chants à répondre et à danser. Chant du Monde LDX 74515.
1975. Le Galant Noyé. Chant du Monde LDX 74576.
Mélusine. Polydor 2393119.
* Le Roi Renaud. Chant du Monde LDX 74568.
1976. La Prison d'amour. Polydor 2293143.
* Chansons à danser. Chant du Monde LDX 74641.
1977. Lève-toi et danse ! Polydor 2473074.
1979. La Treizième Heure. Polydor 2473090.
Mélusine et La Maurache, Un Bal Renaissance Unidisc UD 301419.
1980. Voulez-vous que je vous dise... Polydor 2473107.
1981. Le seul groupe au monde Polydor 2393304.
1985 Mélusine, Passionnément (Auvidis AV 4517)
1990 Mélusine, Voix contrevoix (Buda Musique 92706-2, réédition 1998)

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Phil et Emmanuelle.

Philippe Fromont dit "Phil" est le violoniste du folk par excellence. Personnalité
incontournable du mouvement, il apporta sa contribution de musicien talentueux à de
nombreux groupes, et créa « Phil et Emmanuelle » avec sa compagne, Emmanuelle
Parrenin. Celle-ci éclaira le petit monde du folk d’une touche de féminité et s'illustra dans
diverses formations par son chant clair et limpide. Elle fut membre de la première formation
de Mélusine et par ailleurs l'une des premières musiciennes à jouer de la vielle à roue, de
l'épinette et du dulcimer. Enfin, détail d’importance, la belle chanteuse fut, en quelque sorte,
l'égérie du microcosme : aucun folkeux ne résistait à son charme et à la fascination qu'elle
exerçait !
Phil Fromont : violon et tous types d'instruments à cordes / Emmanuelle Parrenin : vielle à
roue, épinette des Vosges, dulcimer, chant.
Le parcours de Phil s'avère sinueux, parcouru de méandres où se côtoient les influences les
plus diverses, du folk français traditionnel à l'électrique, en passant par l'old-time et le
québécois. Né en 1949 à Navarrenx dans les Pyrénées Atlantiques, d'une famille mélomane
depuis plusieurs générations, — son père fut pianiste et chanteur classique à l'opéra de
Lyon dans les années 30 —, est autodidacte. Mises à part quelques leçons de solfège, il
apprend seul à jouer du banjo puis du violon, et ce dès 1967. Fasciné par des groupes
comme les New Lost City Ramblers, Phil écoute en boucle les vinyles des labels Folkways et
Chant du Monde, travaille d'oreille et se constitue, de la sorte une culture musicale.
Tout commence véritablement en 1969, au moment où Phil découvre le milieu folk parisien.
Il participe tout d’abord à la création du TMS. L'aventure américanophile du violoniste
débouche sur la constitution d'un trio old-time, le New Ragged Company, aux côtés de
Youra Marcus (banjo) et de Gabriel Yacoub (guitare). Phil se sent cependant plus proche
des musiciens francophones du Centre Américain (Catherine Perrier, etc.) : « La musique
traditionnelle française en général, auvergnate et bretonne en particulier, la musique celtique
internationale aussi me paraissait plus près de ce que je voulais défendre et interpréter », se
rappelle-t-il. Débute alors la grande aventure du Bourdon ; Phil en garde d'excellents
souvenirs : « Mon plus gros coup de cœur fut le passage au Bourdon des soeurs Goadec,
escortées par Alan Stivell qui les avaient fait monter spécialement à Paris pour un concert.
L'état de choc total ! C'était juste avant la vague de la celtomania ! ». Dès lors passionné de
musique celtique, Phil intègre Dremwell, un groupe de musique irlandaise et bretonne, aux
côtés du guitariste Pierre Kerhervé. L'expérience ne dure pas plus de quelques mois et, en
1972, Phil (violon) et Emmanuelle (vielle, chant) s'associent et donnent naissance à un duo
en même temps qu'à... un fils, Matthieu (aujourd’hui musicien professionnel !).
Emmanuelle joue déjà fort bien de la vielle à roue, cet instrument encore nouveau dans le
paysage musical français. C'est qu'elle n'a pas été formée à n'importe quelle école. Elle est
issue d’une famille de musiciens : sa mère est harpiste et son père est le premier violon d’un
des quatuors français les plus prestigieux, le Quatuor Parrenin. Rencontrée au Centre
américain par Jean-François Dutertre, dont elle partagera la vie pendant deux ans, elle
s’embarque avec lui pour le premier voyage au Québec d’une partie de la future équipe du
Bourdon en 1969 (voir La Chanterelle). Elle a aussi bénéficié de l'enseignement du maître-
sonneur berrichon Georges Simon, au stage de Pontchrétien en 72. D'autre part, la jeune
femme possède une expérience musicale puisqu'elle a fait partie en 70 des Escholiers,
ancêtre du groupe culte Mélusine (voir à ce nom). Elle participe d'ailleurs à la création de
Mélusine en 73, mais quitte rapidement la formation, pour des raisons personnelles. C'est
auprès de Phil qu'elle trouve une certaine stabilité musicale ; le duo tourne régulièrement de
72 à 76, dans des conditions matérielles qui ne sont pas toujours faciles à assumer.
Désormais, fini la vie de château à Neuilly-sur-Seine. Phil, du fait de ses origines
bourgeoises, a subi les sarcasmes de ses amis. Mais il ajoute : « Les copains se
souviennent sans doute, malgré tout, du frigo accueillant et toujours plein qu'ils trouvèrent
chez mes parents ». La bohème commence alors, entérinée par le voyage au Québec de 70,

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organisé par le Bourdon. Phil, initié au collectage, rencontre des musiciens du terroir qui lui
apprennent à la fois un répertoire et un style.
Le violoniste participe également aux stages instrumentaux que le Bourdon organise sur tout
le territoire français et dans les pays limitrophes. En région parisienne, Bretagne, Lozère ou
Suisse, il met à la disposition du plus grand nombre ses connaissances en la matière et
essaye, en priorité, de transmettre sa conception de la musique. Phil défend envers et contre
tout un mode d'apprentissage bien éloigné de celui du conservatoire, axé sur l'écoute et
l'observation des musiciens traditionnels : c’est ainsi que, progressivement, le débutant
apprivoise son instrument, et développe un style unique, reflet de sa personnalité. Dans
Gigue, Phil déclare : « J'ai refusé de n'être que l'interprète d'une œuvre fixée à tout jamais,
figé dans une recherche de technique pure. J'ai préféré laisser libre cours aux
vagabondages de mon imagination et à mon sens créatif. »
En 75, Phil et Emmanuelle enregistrent leur premier album, La Maumariée. Après un bref
passage dans le Doctor Jug & Mr Band d'Alain Giroux (voir à ce nom), Phil fait à nouveau
appel aux talents d'Emmanuelle ainsi qu'à ceux de l'excellent guitariste folk Claude Lefebvre.
Le groupe Parrenin, Fromont, Lefebvre disparaît un an plus tard ; c'est pourtant là que la
musique de Phil et d'Emmanuelle prend toute son ampleur. En atteste le disque Château
dans les nuages, paru en 76 chez Cézame, où le trio combine diverses influences. Sur des
chansons et instrumentaux de leur propre composition, les musiciens élaborent un folk
français acoustique où les sonorités indiennes, moraves et roumaines se mêlent à quelques
effets hérités du rock « planant ». Les invités Patricio Villaroel aux tablas et Radu Radulescu,
roumain d'origine, au cymbalum, ne sont certes pas étrangers à ce mélange. S'ajoutent enfin
Denis Gasser au piano et François Mechali à la contrebasse. Pour le reste se côtoient la
vielle à roue et l’épinette des Vosges d'Emmanuelle, le violon et les autres instruments à
cordes de Phil, ainsi que les guitares, mandole et violoncelle, de Claude. Phil reste très
attaché à cette création, « sans doute un des tout premiers disques de world-music avant la
lettre. ». « Je l'écoute encore avec plaisir et me souviens particulièrement d'un beau concert
au Carré Sylvia Montfort, fin 76. » Ce disque est tout bonnement merveilleux. Fort original, il
se démarque indéniablement du reste de la production folk. Les airs celtiques instrumentaux
(Château dans les nuages, Berceuse pour Rosemary) et roumains (Gourabadidaï) côtoient
les chansons françaises d'inspiration plus ou moins traditionnelles (Voulant cueillir la rose).
Dans ces dernières, il est question de Sirène, de Sorcière et de Ballade en forêt au cours
desquelles on croise des lutins qui sont en fait des champignons (à mon avis, ils ne se
contentaient pas de fumer de la ganja à l’époque !) ! La voix d'Emmanuelle se glisse dans la
peau de différents personnages avec beaucoup d'aisance. Les instruments à cordes,
originaires d'Europe de l'Ouest, de l'Est ou d'Inde, sont omniprésents et les musiciens se
lancent dans les improvisations les plus folles (cf. Taffetas, composition d'Emmanuelle).
Parfois criardes, celles-ci peuvent être planantes voire psychédéliques. Dans la Ballade en
forêt, les Pink Floyd ne sont pas loin. La Sirène transporte l'auditeur au pays des légendes
marines interprétées à la mode... indienne et accompagnées au sarangui par Phil. Dans
quelques passages, la vielle à roue d'Emmanuelle se déchaîne ; celle-ci définit d'ailleurs
Château dans les nuages comme « un morceau de vielle orageux ». Les musiciens se
payent même le luxe d'interpréter un tango !

C’est par ailleurs à Phil que l’on doit la création de Gentiane, un groupe auquel participe
également Emmanuelle (voir à Gentiane). En 1977, Phil collabore à La Veillée Québécoise
de Francine Reeves, épouse d'un certain Hubert (l’astronome), puis au prolongement de ce
même groupe, Les Mauditz Français, qui perdure jusqu’en 1980. La Québécoise s'entoure
de personnalités incontournables du folk français telles que Michel Hindenoch, Denis
Gasser, Marc Peronne ou bien encore les frères Desaunay. Malheureusement, il ne reste
aucune trace discographique de cette époque.
Phil l'insatiable ne se satisfait pas d'une unique formation ; de 78 à 80, le violoniste crée
avec Philippe Huzinger (guitare, bouzouki, guitare électrique, contrebasse) et Bénédicte
Lécroart (chant, guitare), le trio Plume et Goudron : « Sur les traces de Parrenin, Fromont,

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Lefebvre, nous n'interprétions presque que des chansons et titres personnels, mais je ne
retrouvais pas ici la magie de mon groupe fétiche. » Le manque de motivation auquel
s'ajoutent de nombreux problèmes annexes, débouchent sur la disparition du trio, qui part
sans laisser d’album. D'après Phil, « le seul résultat positif de Plume et Goudron réside dans
la constitution du couple Bénédicte-Philippe Huzinger. » ! Dans tous les cas, Plume et
Goudron marque le début de la période électrique de Phil. En 78, un groupe de bal original
s'il en est, puisque proposant une partie danse folk et une autre rock & roll pur et dur, voit le
jour : Les Requins Drôles. Le folk côtoie Chuck Berry, les Beatles et les Rolling Stones, sans
aucune hésitation. Comme on pouvait l'imaginer, cette démarche novatrice est assez mal
accueillie par « un public divisé en tribus sectaires pro-folk ou pro-rock. » C'est ainsi que Phil
explique l'échec du groupe, qui, de ce fait, ne fit que de brèves apparitions sur scène. Pierre
Kerhervé (basse), Michel Aubert (guitare, chant) et le batteur du groupe poursuivent leur
route indépendamment de leurs acolytes, Phil et Gérard Lavigne (basse, guitare électrique).
Mais ces derniers ne comptent pas s'arrêter en si bon chemin et fondent un nouveau groupe,
Après l'Turbin, formation qui perdure jusqu’en 86 : « Après s'être appelé quelques mois Sous
les Pavés la Valse, ce groupe créé avant mon départ de La Veillée Québécoise en
collaboration avec Laurent Vercambre, visait à fournir des soirées de bal folk, musette, rock
au grand public. » Traduisons en somme qu'il s'agit d'un groupe original et délirant, dans
l'esprit de ce que sait faire un Laurent Vercambre déchaîné (voir à Confrérie des Fous). A
géométrie variable, Après l'Turbin changeait sa composition en fonction des disponibilités de
chacun ; une vingtaine de musiciens se sont ainsi relayés, parmi lesquels Denis Gasser
(piano, guitare), Alain Eynier (accordéon), Laurent Vercambre (guitare), Claude Lefebvre
(guitare), Philippe Huzinger (guitare, bouzouki), Marcel Bel (drums)... Groupe de plaisir,
Après l'Turbin ne s'embarrasse pas de répétitions à outrance : « Les arrangements et les
répétitions étaient réduits au maximum, tout ou presque se faisait au feeling sur scène. Une
base de répertoire était disponible sous forme de grilles harmoniques et chaque musicien
avait la responsabilité des morceaux ou chansons qu'il amenait. »
Au début des années 80, le duo acoustique Fromont, Lefebvre se reconstitue et offre un
répertoire de chansons du début du siècle, augmenté d'instrumentaux à coloration
newgrass. Enfin, de 87 à 95, Phil et son épouse la pianiste Marianne Guignard forment le
Duo des Salons Chics, qui, avec son répertoire de « musique de salon début du siècle un
tantinet kitsch », officie en tenue de soirée. Aujourd'hui, Philippe Fromont ne se produit qu'en
de rares occasions, au détour de sessions traditionnelles en Irlande et en Ecosse, ou pour
accompagner son fils Mat "Bo Weevil" Fromont.
Le parcours d'Emmanuelle Parrenin est moins sinueux que celui de Phil, bien qu'elle ait été
appelée à contribuer à bon nombre d'enregistrements en tant que vielleuse ou chanteuse.
Après avoir participé à la naissance du Bourdon et de Mélusine, tourné en duo avec Phil,
puis en trio avec Phil et Claude Lefebvre, et enfin collaboré à Gentiane, la musicienne
enregistre en 77, le premier et unique album en son nom. Dans Maison rose, sorti chez
Ballon Noir, Emmanuelle joue de la vielle, de l'épinette, chante, et se fait accompagner par
plusieurs musiciens. Elle élabore ici un folk électro-acoustique et son goût pour
l'électrification n'ira qu'en s'accentuant. L'année suivante, Emmanuelle (vielle), Patrick
Lemercier (guitare électrique) et Gérard Lavigne (basse) tournent en trio. Malheureusement,
ils n’ont jamais enregistré. La vielleuse et ses deux musiciens rejoignent alors la Confrérie
des Fous de Vercambre (voir à Confrérie). Emmanuelle s'illustre dans cette formation par
son chant et par un travail vocal extraordinaire accompli avec Beline et Valérie Terrell.

Discographie.
Phil et Emmanuelle. La Maumariée, Sonopresse 36600, 1975.
Fromont, Parrenin, Lefebvre, Château dans les nuages, Cézame CEZ 1016, 1976.
Emmanuelle Parrenin, Maison rose, Ballon Noir BAL 13001, 1977.

La Chanterelle, la Bamboche et autres groupes lyonnais.

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On ne peut aborder le folk français sans évoquer la Chanterelle et le rôle capital que jouèrent
les musiciens lyonnais dans le développement du folk. La Chanterelle compta autant pour
les Lyonnais que le Bourdon pour les Parisiens. Animé par une bande de joyeux drilles, il
contribua à l’essor du mouvement, organisa de nombreux événements régionaux et participa
au bon déroulement des festivals phares de la mouvance traditionaliste. Les musiciens de la
Chanterelle partagent l’état d’esprit de leurs homologues du Bourdon : défenseurs d’un folk
acoustique, proche du peuple, ils privilégient les animations locales et s’adonnent aux
plaisirs du collectage.
Parmi les personnalités charismatiques du folk lyonnais, citons Jean Blanchard. Celui-ci fut à
l’origine de la Chanterelle, créée en 1972, puis il fonda le célèbre groupe la Bamboche. Né
en 1948, originaire du Cher, Jean Blanchard découvre dès l’enfance la musique
traditionnelle. A l’âge de 8 ans, il entre dans le groupe folklorique de Bourges qu’il ne quittera
que 10 ans plus tard ! « On apprenait à danser, il y avait les filles et les spectacles à l’autre
bout de l’Europe ; j’en garde un excellent souvenir ; on se marrait bien ! », se rappelle-t-il.
Cette aventure enrichissante prend fin en 66 lorsque Jean entre à l’INSA de Lyon pour suivre
un cursus d’ingénieur en génie civil. Ne pouvant se passer de musique, il monte, dès la
première année, un groupe, se met à la guitare, au banjo, et participe à plusieurs formations
de folksong, un genre qu’il découvre à l’époque. En 69, il apprend que ses amis folkloristes
de Bourges participent à un voyage au Québec. Il embarque donc au mois d’août en qualité
d’enquêteur de terrain. Si à l’époque, les groupes folkloristes ne pratiquent ni le collectage, ni
l’étude ethnologique fouillée en milieu rural, en revanche, ils organisent des rencontres
musicales dans les villages par le biais d’informateurs. Or, ce voyage a été organisé par une
bande de musiciens parisiens dont tous se retrouveront bientôt parmi les fondateurs du
Bourdon. C’est dans ce contexte que Jean fait la connaissance de Jean-François Dutertre,
Jean-Loup Baly, Emmanuelle Parrenin, Claude Lefebvre, Claude Besson et Ben. Cette
rencontre fortuite lui donne des idées, et, quelques temps après la création du Bourdon, il
crée à Lyon avec quelques amis le folk-club la Chanterelle, directement calqué sur le modèle
du Bourdon : « Très vite, il y eut une activité bouillonnante. Dès la première année, jusqu’à
3000 adhésions furent souscrites ! La Chanterelle était un lieu furieusement désorganisé,
mais très créatif. Par exemple, j’ai acheté un violon le lundi, et le mercredi, je suis venu jouer
quelque chose devant les potes. C’était pas terrible mais tout le monde était ravi et a
applaudi ! On fonctionnait comme ça, dans une ambiance joyeuse et informelle. ». Jean et
les musiciens de la Chanterelle commencent par reprendre des morceaux irlandais, cajuns
ou même bretons. « On avait maximum 6 chansons au répertoire », se rappelle-t-il. Et c’est
en cherchant de nouveaux airs que le traditionnel berrichon lui revient à l’esprit. Il dégote un
violon aux puces de Lyon, puis un accordéon diatonique et travaille son répertoire.
En 70, Jean part enseigner à l’IUT d’Egletons, son diplôme d’ingénieur en poche. Il s’ennuie
ferme dans cette petite ville de Corrèze et parvient tout de même à monter un groupe de
folksong avec ses étudiants. Un jour, l’un d’entre eux l’emmène chez un papi violoniste. Et
là, c’est la révélation : « J’ai découvert que ce qu’il jouait était tout simplement magnifique.
C’était riche, complexe, je ne comprenais pas bien, mais je savais qu’il y avait dans ce style
de violon quelque chose d’inédit, d’unique. ». Désormais, le collectage devient une passion
pour Jean et ses élèves. Il partent armés de leur magnétophone Philips, en quête des vieux
de tradition : « On rigolait bien, on allait boire des coups avec les vieux, on était émus
lorsque ces grands-pères à chemise à carreaux et à lunettes sécurité sociale, jouaient
comme des virtuoses. »
En 71, Jean rentre à Lyon avec plusieurs dizaines d’enregistrements qu’il s’empresse de
diffuser à la Chanterelle. Tout à coup, c’est la révolution ; chacun veut partir à l’assaut des
campagnes pour trouver d’aussi prodigieux trésors ! Rapidement des missions de collectage
se montent en région Rhône-Alpes et dans le Massif Central. « Il y avait une véritable
émulation », se rappelle Jean ; « C’était la chasse au trésor. On arrivait ensuite à la
Chanterelle et on faisait le bilan : tu connais ce morceau, non ? Je te l’apprends ? » Peu à

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peu, les formations se créent dans le folk-club : le Grand Rouge, le Claque-Galoche, mais
surtout : La Bamboche.

La Bamboche

Jacky Bardot : guitare, bouzouki, épinette des Vosges, mandoloncelle, chant / Bernard Blanc
: vielles, cabrette, cornemuse bechonnet, flûte, guitare, tin-whistle, chant, sonailles / Jean
Blanchard : épinette des Vosges, mandoline, musette berrichonne, cornemuse bechonnet,
violon, accordéon diatonique, concertina, percussions, chant / Jacques Boisset : violon,
épinette des Vosges, basse, percussions, chant.
La bande des joyeux lurons « bambochards » compte parmi les leaders du folk français, au
même titre que Mélusine ou Malicorne. Elle interprète un répertoire axé sur les régions du
centre de la France, dans un style traditionnel acoustique jusque 78.
Groupe amateur, la Bamboche commence par animer les soirées de la Chanterelle, avant de
descendre dans les bars étudiants, les MJC du coin, puis les festivals folks. Jean confie :
« On avait un look pas possible. Des cheveux de 3 m de long, une barbe de 1 m 50, des
pattes d’éph’ et des sandalettes, une chemise cintrée près du corps ! Et on jouait un peu
partout. C’était l’insouciance joyeuse. ». La Bamboche acquiert rapidement une petite
notoriété régionale, et, le metteur en scène Roger Planchon, directeur du TNP, les contacte
un beau jour pour jouer dans sa dernière création, Le Cochon noir : « Il s’était déplacé
jusqu’en Ardèche pour nous voir dans un petit festival, fait de bric et de broc : 3 planches, 2
micros, 4 projecteurs et des hippies qui fumaient des joints dans l’herbe ! ». Nos musiciens
se retrouvent donc salariés du TNP en 73, n’ayant aucune idée de l’importance de cette
institution. Ils ont pour mission de créer un univers musical conforme aux souhaits de
Planchon, basé sur la musique traditionnelle ardéchoise (la pièce se passe en Ardèche). Un
univers fascinant s’ouvre à eux, et, d’un seul coup, ils troquent leurs rôles de joyeux drilles
pour celui de musiciens professionnels ! La troupe tourne, empruntant le circuit des grands
théâtres nationaux. En 75, à la Porte Saint-Martin, les musiciens croisent un certain Hugues
de Courson, directeur artistique chez Hexagone, la maison de Malicorne. Celui-ci leur
propose d’enregistrer. L’affaire est conclue, l’album est enregistré en 3 nuits et vendu à 50
000 exemplaires !
Tout à fait traditionnel, il alterne les chansons et les danses tirées de recueils ou issues de
collectages. Les arrangements, sobres, sans artifices, sont fidèles aux traditions musicales
du Berry, du Rouergue, de Corrèze ou du Limousin. Les voix sont claires, distinctes, et les
chanteurs ne recourent pas aux nasillements symptomatiques d'un certain folk. D'autre part,
les chansons sont toujours accompagnées très sobrement, ce qui permet aux voix d'être
entendues correctement. Le Tailleur de pierre, chanson de compagnon, presque interprétée
a capella par les chanteurs, est soutenue par un violon discret et par quelques percussions.
Dans le même esprit, la Complainte de Cartouche, conte l'histoire d'un Lorrain exécuté en
place de grève, sur fond d'épinette et de roulements de tambours. Bois n'en donc, chanson à
boire très courte, est interprétée a capella. Elle ne représente d'ailleurs qu'un maigre
échantillon du répertoire de La Bamboche, qui, de ce point de vue-là, est certainement
imbattable : le groupe, dont la réputation de joyeux fêtards et d'amoureux de la boisson est
de notoriété publique, connaît un grand nombre de chansons d'ivrogne. Dans ce premier
album, en figurent déjà trois : Bois n'en donc, Regret et le Buveur. Pour le reste, histoires de
filles d'autrefois, Filles qui êtes à marier, les Cent quatre vingt pucelles, les Trois mineurs du
chemin de fer, et danses diverses (marches, bourrées, gigues, rondes, mazurka, rigaudon)
se partagent les plages. Dans l'ensemble, les sonorités d'instruments traditionnels comme la
vielle, l'épinette et la cabrette — la cornemuse auvergnate —, dominent et confèrent une
couleur spécifique au groupe. Sobriété de l'interprétation et respect de la tradition sont les
maîtres mots de la formation. A cet égard, la Bamboche et Mélusine sont très proches,
partageant la même conception du folk. En revanche, les premiers mettent en avant leur

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qualité de polyinstrumentistes, tandis que les seconds ont fondé leur réputation sur la qualité
de leurs prestations vocales.
La Bamboche connaît à partir de 75 un immense succès. Un manager est embauché, les
tournées se multiplient dans toute l’Europe de l’Ouest : MJC, festivals, fêtes de soutien aux
partis de gauche et d’extrême gauche, manifestations écolo. Parmi les expériences les plus
marquantes, Jean se rappelle de « L’Auvergne qui chante », à l’été 75 et 76, avec
l’accordéoniste Jean Ségurel, le pianiste Philippe Manoury et un groupe folklorique
auvergnat. Ce spectacle ambulant joue sous chapiteau, 30 fois entre juillet et août, dans les
villages du Massif Central. La population locale se déplace en masse pour accueillir la star
auvergnate : Jean Ségurel. Celui-ci, looké comme un chanteur de country, compose sur le
mode traditionnel, et écrit des textes nostalgiques, avec, en toile de fond, l’Auvergne
« jolie ». Pour la Bamboche, c’est l’occasion de rencontrer les ruraux, de jouer, d’échanger,
mais aussi, il faut bien le dire, de rigoler ! L’accordéoniste qui double Ségurel (trop piètre
musicien !) viendra plus tard jouer dans l’album Quitte Paris : « la Chanson de Craone » sera
un véritable succès radio !
Le second album des Lyonnais, sorti en 76, est plus instrumental que le précédent.
Bourrées, marches, branles, polkas, scottish se taillent la part du lion. Plus travaillé
musicalement, l'album introduit en outre la musette berrichonne dont la Bamboche fera
désormais grand usage. Ce 33 tours reste extrêmement traditionnel. Quelques chansons se
glissent entre les danses. Le Petit Marcelot, chanson du Nivernais, se distingue par
l'originalité de son texte : le marcelot ou colporteur de bijoux, d'articles de mercerie,
d'almanachs et de journaux, confirme la mauvaise réputation de son corps de métier, en
enlevant une jeune fille... dans sa valise ! La Bamboche nous livre également une chanson
de laboureur, sobrement accompagnée à la cabrette et au violon, le Pauvre laboureur. Dans
le Conseil de guerre, un condamné à mort s'exprime avant de mourir, sur une mélodie douce
et belle, successivement accompagnée au concertina, au violon et à la musette. Un vent de
révolte souffle sur le Joli mois de mai , où quelques jeunes filles regardent leurs amoureux
s'éloigner et entrer en guerre contre les gendarmes du village. L'arrivée d'un nouveau venu
dans l'équipée lyonnaise, Jacques Mayoud (violon, mandoloncelle, percussions, chant),
remplaçant de Jacques Boisset, n'a, dans tous les cas pas nui à l'ensemble.
Le troisième album du groupe, Quitte Paris, sorti en 1977, traduit le début d'un changement
d'orientation de La Bamboche. Il est moins traditionnel que les précédents, plus varié. La
chanson titre nous compte les péripéties d'un jeune homme quittant sa province natale pour
gagner la capitale. Son entourage le prie de quitter Paris, ville de misère, et de rentrer au
bercail, le tout sur un air de valse musette emprunté au répertoire des années 20. A noter la
participation de René Joly à l'accordéon chromatique, instrument pourtant banni du folk, sur
deux titres de l'album, Quitte Paris et la Chanson de Craonne. Cette dernière, empruntée à
la chanson de l'après première guerre mondiale, évoque le ras-le-bol des conscrits face à un
Etat qui les envoie à la boucherie. Les paroles sont de Paul Vaillant-Couturier. Le Sergent
nous livre de magnifiques polyphonies a capella, en même temps qu'il révèle le goût de La
Bamboche pour la chanson engagée ; il est ici question d'un sergent pilleur du petit peuple.
Sur une musique de Jacques Mayoud, J'ai fait une maîtresse se présente comme un
mélange des innombrables versions traditionnelles du thème des métamorphoses.
L'expérience s'avère positive, l'instrumentation toujours sobre, allie flûte et guitare. La
Complainte du bambocheur et Amis buvons reprennent, chacune dans un style différent, le
thème cher à nos musiciens de la boisson et de l'ivrognerie. Enfin, les danses traditionnelles
du centre de la France, toujours nombreuses, sont traitées sur un mode plus original que
dans les albums précédents (cf. le Roc de Carlat, ou le Bal d'Abzac). Quant à la cabrette et à
la cornemuse, elles sont comme d’habitude, reines. En fait, il faut attendre l'album suivant
pour observer une franche évolution dans l'orientation du groupe, évolution qui n'ira pas sans
choquer une partie du public de La Bamboche.

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culturelle contemporaine.
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Bernard Blanc et Jackie Bardot quittent la Bamboche en mars 77 par choix de vie. Jean
explique : « On ne savait pas dire non aux concerts ; on passait donc une grande partie de
notre temps sur la route, plusieurs mois s’écoulaient sans que nous repassions par Lyon. Ça
n’est pas facile à vivre ! ». C’est donc l’occasion pour la Bamboche de passer à autre chose.
Et effectivement, le cinquième album de la Bamboche, La Saison des Amours, est sans
commune mesure avec les précédents. Il sort en 78 chez Ballon Noir, le label d’Hugues de
Courson. La Bamboche a franchi un pas décisif, celui de l'électrification, déchaînant sur son
passage les foudres des puristes du mouvement folk. Quant au public du groupe, il
n’apprécie pas du tout ! Pourquoi un tel revirement ? Jean s’explique : « On avait envie de se
frotter à une musique moderne, de notre époque, d’essayer les instruments électriques. Et
puis, on regardait du côté de Malicorne et l’on constatait qu’ils vendaient beaucoup plus que
nous ! On ne cherchait pas l’argent mais plutôt la notoriété. ». La nouvelle formation se
compose de Jean Blanchard (violon, cornemuse béchonnet, accordéon, épinette, chant) et
de Jacques Boisset (basse, percussions, chant), d'Evelyne Girardon dite "Beline" (chant,
vielle), de Bernard Beps Chauchat (batterie), de Daniel Olivier (guitare). Dans l'ensemble, le
disque propose de belles mélodies, des textes traditionnels bien choisis, ainsi que quelques
compositions. Les instruments électrifiés, traditionnels ou modernes, ne couvrent pas les
voix et ne se déchaînent que dans les parties instrumentales. Les danses, en nombre moins
importants que sur les précédents albums, font la part belle à la cornemuse, en particulier
dans M'en revenant de l'Italie et Bourrée de Jenzat. J'ai peur du loup et Derrière chez moi,
deux branles du Berry endiablés, sont interprétés à grand renfort de cornemuse, de vielle à
roue et de roulements de batterie. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, l'électrification
n'a pas entraîné La Bamboche dans un folk rock pur et dur. Si le groupe s'apparente
désormais plus à Malicorne qu'à Mélusine, les musiciens privilégient cependant la beauté
des mélodies, les ballades poétiques au détriment de la rythmique. Les exceptions ont pour
nom Le Marinier et la Fille d'usine. Le premier de ces titres alterne les passages aériens
joués à la guitare acoustique, à la basse, à la cornemuse, et les passages rapides et
énergiques, où le rythme syncopé se couvre de sonorités de guitares électriques, façon
Malicorne. La voix claire de Béline se pose admirablement sur la musique ; elle interprète
par ailleurs la majeure partie des chansons de l'album, cédant, de temps à autre, sa place à
Jean Blanchard. La Fille d'usine nous conte l'histoire contemporaine d'une ouvrière
s'échinant à la fabrique. Un soir, elle part danser au bal avec un garçon et se tue dans un
accident de voiture sur le chemin du retour. Interprétée sur le mode traditionnel par Béline, la
chanson s'accompagne d'une rythmique rock, tout à fait adaptée au tragique du texte. Les
paroles et la musique sont de Jean. Du côté des ballades, la Fille mère, complainte du
Morvan et la Feuille verte, chanson savoyarde, sont toutes deux le fruit de collectages. La
première offre une mélodie de toute beauté, accompagnée de guitares aériennes et de
passages à la flûte. Elle raconte l’histoire d’une jeune femme engrossée qui tue son enfant
de manière atroce, et, dévoilée, est condamnée à mort. Nous irons en Flandre, chanson de
berger et d'amour d'origine berrichonne, est interprétée par Jean et accompagnée
sobrement (guitare, basse, violon, flûte, carillon). La mélodie s'orne de choeurs lyriques. La
Bamboche perpétue la tradition folk dans une autre chanson berrichonne sur la désertion,
intitulée comme il se doit le Déserteur. En clôture de l'album, les musiciens nous offrent un
petit détour du côté de la country music, avec l'Autoroute, chanson satyrique écrite et
composée par Jean : une famille de fermiers délogée par la construction d'une autoroute, est
relogée en HLM et se voit contraint d'emprunter la nationale afin d'éviter cette même
autoroute trop coûteuse pour son maigre budget ! En somme, le premier microsillon de La
Bamboche 78 est de qualité. Varié et agréable à écouter, il propose un folk électrifié
personnalisé, dans la lignée de Malicorne, sans en être une simple copie. Il traduit l'évolution
d'un groupe qui a su digérer les influences traditionnelles et trouver sa propre personnalité,
dans une musique bien contemporaine. Plus moderne que les précédents, il s’écoute aussi
plus facilement.
Avec Née de la lune, sorti en 1980, La Bamboche entame une nouvelle évolution. Le batteur
Bernard Chauchat est remplacé par un musicien venu du jazz, Pierre Guignon. Celui qui
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écoute le premier et le dernier album du groupe ne manquera pas d'être surpris ! La


Bamboche semble quitter le folk à pas feutrés pour entrer dans un nouvel univers musical
teinté de rock, de pop, de chanson et, malgré tout, de traditionnel. Les musiques sont, dans
l'ensemble, des compositions des artistes et les textes, poétiques et réalistes, sont signés La
Bamboche. La pochette, oscillant entre le bleu nuit et le blanc, reflète l'ambiance quelque
peu mystérieuse de l'album ; les musiciens presque invisibles, se tiennent debout en demi-
cercle, dans la pénombre d'une pièce carrelée. Au milieu, une vielle à roue flotte dans un
halo de lumière blanche. L'album débute par la chanson titre de l'album, interprétée par
Béline, accompagnée d'une musique au tempo lent et d'envolées de cornemuse. Sur le
mode traditionnel et poétique, le texte parle d'amour et le sens des mots n'est pas dénué de
mystère. Dans le même style, Béline évoque des histoires de rossignol, de belle et de
jalousie sur Laissez faire. Serait-ce une version modernisée de la Claire Fontaine ? Le
mystère demeure là aussi, mais on se laisse aisément prendre au jeu de magie de Béline.
Choeurs et violon électrique agrémentent la mélodie. Deux titres instrumentaux de folk
psychédélique clôturent chacune des faces, En passant par Lyon et la Route de Padoue.
Dans ce dernier, un violon étrange déroule sa musique en flots étranges et continus tandis
que la basse et la guitare aériennes se baladent. Quelques danses traditionnelles
interprétées façon rock parsèment l'album : Les Chavans et la Scottish des Réaux. La
Bourrée infernale porte bien son nom : riffs de guitares électriques, batterie, violon
électrique, cornemuse et percussions se déchaînent, sans compter les choeurs
véritablement diaboliques de Béline. Présentée comme un antidote à la déprime, la Bourrée
du diable rappelle la Confrérie des Fous, à laquelle participe d'ailleurs Béline. Avec Romarin,
La Bamboche ose un hard rock folk détonnant. A d'autres moments, comme dans C'est à
vous les jeunes filles, chanson à répondre très énergique, le guitariste ose des soli à la Jimi
Hendrix ! Enfin, dans la Gare de Moulins, la chanteuse évoque un quotidien banal et
routinier, sur une musique aérienne. Voici donc un album folk, si tenté que l'on puisse encore
le classer dans cette catégorie, hors du commun, tout en contrastes, planant ou au contraire
proche du rock le plus sauvage, saupoudré de quelques pincées de traditionnel (danses,
instruments ou paroles). Dans tous les cas, il n'est pas déplaisant de l'écouter et constitue à
sa manière un adieu des musiciens au petit monde du folk. Il s'agit du dernier album de La
Bamboche qui, électrifiée, n’a pas su conquérir un nouveau public.
Dans les années 80 et 90, Jean Blanchard et Béline poursuivent leur carrière ensemble. Ils
montent des spectacles musicaux et fondent la Compagnie du Beau Temps qui perdure
jusqu’en 99. Jean fonde un quintet de cornemuses. Sa virtuosité lui vaut la reconnaissance
du milieu traditionnel. Il dirige par ailleurs le Centre de musiques traditionnelles Rhône-Alpes.
La Chanterelle existe toujours, mais elle s’est, au fil du temps, spécialisée dans la danse
traditionnelle et, il faut bien le reconnaître, institutionnalisée. Jean y donne des cours et y
anime quelques ateliers.
Jackie Bardot est chargé de la musique à la mairie de Saint-Priest. Bernard Blanc est facteur
de cornemuses dans l’Allier depuis 77. Jacques Boisset est directeur technique du cirque de
Chalons-en-Champagne. Jacques Mayoud est musicien professionnel. Il s’est spécialisé
dans le métissage musical entre tradition française et africaine.

Discographie
La Bamboche. Hexagone 883003. 1975.
La Bamboche. Hexagone 883005. 1976.
Quitte Paris. Hexagone 883012. 1977.
La Saison des amours. Ballon Noir BAL 13007. 1979.
Quintessence. Hexagone 883032. 1980.
Née de la lune. Hexagone 883037. 1981.

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Le Claque Galoche.

Anatole Benoit : concertina, violon, mandoline / Alain Cluzeau : chant, mandole, bouzouki /
Christian Oller : violon, accordéon diatonique, guitare, chant / Patrick Perroton : cabrette,
flûte, vielle, chant.
Alain Cluzeau, leader du groupe, est né en 1949 à Poitiers, d'un père imprimeur. Il partage
son enfance entre la cité poitevine et les Deux-Sèvres où résident ses grands-parents. Bien
qu'aucun de ses proches ne joue d'un instrument, Alain baigne dans un milieu rural où la
tradition paysanne a encore droit de cité et son grand-père, qui parle le patois, a pour
coutume de chanter de vieilles chansons de la région. Ce n'est qu'à l'âge de 15 ou 16 ans
qu'il fait l'acquisition d'un électrophone. Ses goûts musicaux portent sur la chanson Rive
Gauche et sur Georges Brassens, qu'il interprète en s'accompagnant à la guitare. Inscrit au
Conservatoire de Poitiers, Alain suit des cours de solfège et de violon, mais ne persiste pas
dans cette voix dont l'enseignement, trop rigide, ne lui convient pas. En 70, il entre en école
d’ingénieur à Lyon et fait la connaissance d'un petit cercle de "gratteux" amateurs et de Jean
Blanchard, futur fondateur de la Bamboche. C’est ensemble que nos joyeux drilles
découvrent l'univers du folk. Ils adhèrent aussitôt à l’état d’esprit contestataire du
mouvement, et participent aux premiers festivals, ceux de Lambesc et de Malataverne. En
72, le folk-club la Chanterelle devient leur quartier général. Ils se passionnent dans un
premier temps, pour le cajun et le folksong. Alain fait partie du noyau dur du groupe la
Chanterelle — à l'époque, la formation musicale avait pris le nom du folk-club — où il joue du
violon. Il tâte aussi de la mandole, de la mandoline, du bouzouki et de la cornemuse,
instruments qui lui sont totalement méconnus. Deux ans passent, au rythme de la vie
communautaire en appartement, des cours à l'école d'ingénieur et des soirées du folk-club.
A l'été 74, La Chanterelle organise le festival de Saint-Laurent, en collaboration avec le
Bourdon. Alain en garde un souvenir inoubliable, celui d'une époque où tout est possible, où
l'on peut réunir 10 000 personnes, faire la fête, proposer des concerts, dans le plus grand
désordre et sans le moindre problème. Alain, trésorier de La Chanterelle, a pour mission de
récolter l'argent des entrées du festival et opte pour la solution du vélo qui lui permet de se
rendre rapidement d'une entrée à l'autre ! Autre souvenir marquant d’Alain : « Nous avions
invité un groupe irlandais du nom de Boys of the Lough. Les musiciens du groupe étaient
vraiment incroyables. Ils jouaient 24 heures sur 24. J'ai le souvenir d'avoir quitté le violoniste
tard dans la nuit. Je suis allé me coucher dans la tente, et, quand je me suis réveillé le
lendemain, le type était toujours là, assis dans l'herbe, à jouer inlassablement. » Ce festival
fait office de révélation pour Alain qui voit désormais le traditionnel français d'un œil
nouveau. De retour à Lyon, il est formellement décidé à faire du folk français. D'ailleurs, La
Chanterelle éclate ; Jean Blanchard, Jacky Bardot et Jacques Boisset fondent La Bamboche,
avec l'idée bien précise de créer leur propre folk, enraciné dans les terroirs du Centre de la
France. Alain a terminé ses études, il enseigne désormais en tant que professeur de math-
électricité, dans un collège technique. C’est à cette époque qu’il fonde le Claque Galoche,
avec un autre membre fondateur de la Chanterelle, Christian Oller, violoniste et
accordéoniste. Si l'idée du groupe, quant à la manière d'aborder le répertoire traditionnel
français, n'est pas aussi précise que celle de la Bamboche, Alain sait néanmoins que le
Claque Galoche sera un groupe de scène, de spectacle et de chansons. Brigitte Perroton
rejoint le groupe. Elle sera l'unique chanteuse de l'équipée lyonnaise en majorité composée
d'hommes. Autre nouvel arrivant, son frère, Patrick, apporte au Claque Galoche la
composante traditionnelle qui aurait fait défaut : il joue de nombreux instruments traditionnels
et en particulier de la vielle à roue. C'est le début d'une aventure collective, de
cheminements insensés les conduisant un jour à Lille, le lendemain à Marseille, et comme le
remarque Alain, d'un air amusé : « Nous n'étions pas très organisés, et par conséquent
faisions beaucoup de Jacques Borel, ces restaurants d'autoroutes infâmes. » Festivals, bals
folks, salles des fêtes de villages, folk-clubs, etc… Le Claque Galoche sillonne la France, la
Suisse et la Belgique en 2 C.V. Partout, le groupe est bien accueilli et ne manque jamais de

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conforter sa réputation de joyeux fêtard, amateur de « bibines » en tout genres. « Nous


étions plus piliers de bistrots que fumeurs de joints », déclare Alain Cluzeau. Avant chaque
intervention musicale (stages instrumentaux, concerts ou animations de villages), le groupe
défile dans les rues et va à la rencontre du public n'hésitant pas, au passage, à glisser des
instruments dans les mains du public.
En 1975, le Claque Galoche enregistre un premier album à Lyon, distribué par la petite
maison de disques bretonne Arfolk. Brigitte Perotton n’y figure pas. Ayant quitté le groupe,
elle a cédé sa place à Anatole Benoit, étudiant en architecture à Lyon, violoniste et joueur de
concertina. Folk traditionnel français comprend diverses chansons à boire (Passant par
Paris), de métier (Le Roulier de Nantes et Le Roulier), satiriques (L'Anesse raille les notables
à la manière des fables de La Fontaine), de mal mariée (Maniotte conte l'histoire tragique
d'une jeune fille condamnée à épouser un vieillard). Dans l'ensemble, si le disque laisse à
désirer tant d'un point de vue musical que vocal, l'on peut, cependant, apprécier le choix du
répertoire. D'histoires de bergères, il n'est pas question, les chansons interprétées sont
gaillardes ou engagées et donnent le ton d'un groupe qui ne tombera jamais dans la
niaiserie. Bien au contraire, l'esprit satirique et contestataire de ses membres transparaît
dans une oeuvre qui va en s'améliorant. Dans tous les cas, le Claque Galoche ne se prend
pas au sérieux et présente l'image d'un groupe « léger ».
Le répertoire du Claque Galoche se compose de chansons traditionnelles issues, pour
certaines, de collectages réalisés par les membres du groupe : « On partait généralement à
deux, armés de nos magnétophones, en pleine campagne. On rendait visite à un vieux dont
on avait entendu dire qu'il possédait tel instrument, que l'on retrouvait couvert de toiles
d'araignées. » Alain réalise quelques collectages en Berry, en Auvergne, du côté de son
Poitou natal, ou accompagne Patrick aux confins du Massif Central. Dans tous les cas, les
musiciens choisissent méticuleusement leurs chansons, en fonction de leur symbolisme.
L'antimilitarisme, thème classique du répertoire folk, se retrouve de façon prégnante tout au
long des albums du Claque Galoche. Il faut préciser que la petite bande lyonnaise,
particulièrement politisée, représente toutes les tendances de la gauche révolutionnaire ;
Alain est affilié à Lutte Ouvrière pendant deux ans, au terme desquels il est remercié : « En
tant que musiciens, nous étions considérés comme des saltimbanques de la révolution ! ».
L’armée, le Larzac dont Alain achète 5 m2, constituent les luttes chroniques d'une jeunesse
rebelle à toute forme d'autorité et de répression. Et, pour certains, les luttes payent ; Alain,
après deux mois d'objection de conscience passés au Ministère de l'Agriculture, se fait
réformer. Par ailleurs, le choix d'enregistrer chez Arfolk constitue un engagement en soi. Le
Claque Galoche ne signe pas de contrat avec sa maison de production, — une démarche
que les musiciens regretteront quelques années plus tard — ; aucun droit ne lui sera jamais
versé. Enfin, le groupe boycotte la Sacem, considérée comme une entreprise du « Grand
Capital ».
75, le Claque Galoche, au sein de l'équipe de La Chanterelle, et le Bourdon organisent le
festival de Saint-Laurent, participent à celui de Saint-Florent-sur-Cher et de Ris-Orangis
l'année suivante. Les gars de Mélusine et les Lyonnais se retrouvent fréquemment pour
jouer et faire la fête. Ils partagent une conception à peu près similaire du folk et un
radicalisme dans leur opposition au showbiz' et au monde du fric. Toutefois, Alain précise :
« Quand on jouait au Bourdon, on était dans nos petits souliers », car même s'ils rigolent
bien avec Mélusine, il n'en reste pas moins que le Bourdon est le repère des « papes » du
folk et que le jugement va bon train.
Le Claque Galoche enregistre son second album en 76, dans la salle des fêtes de Lorient.
Bal folk auvergnat est, comme son nom l’indique, un disque de bal centré sur le répertoire
auvergnat, dans la lignée de Gentiane (voir à ce nom).
Quant au troisième 33 tours du groupe, il est enregistré à la rentrée 77, au studio parisien
Acousti. Il apparaît comme le plus abouti et le plus politique d'entre tous et dénote d'une
certaine fantaisie. L'Escargot Folk? le définit, en mars 77, de la façon suivante : « anti-flics,
anti-militaristes, anti-phallocrates, anti-curés et pro bon vin ! ».

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Entre l'enregistrement du disque et sa sortie, un événement est venu chambouler l'équilibre


du Claque Galoche. Alain Cluzeau quitte le groupe en octobre 76 : « Le Claque Galoche
était un groupe épuisant au niveau des rapports humains. J'en avais marre d'être le
chauffeur, le secrétaire et le psychologue de tout le monde. Et puis, je ne savais pas si
j'avais vraiment envie de poursuivre dans cette voie. Je commençais à sentir mes limites de
musicien. » Alain apprend que le studio Acousti recherche un assistant, il postule et obtient
le poste. N'ayant rien annoncé au préalable, il quitte l'appartement communautaire de Lyon
du jour au lendemain, laissant sous le choc la « famille » et vient s'installer à Paris.
Aujourd'hui, Alain travaille toujours au studio Acousti. Après le départ de son fondateur, le
Claque Galoche vivotte, Christian Oller quitte le groupe quelques mois plus tard pour
rejoindre le Grand Rouge (voir à ce nom).

Folk traditionnel français. Arfolk SB 342, 1975.


Bal folk auvergnat. Arfolk SB , 1976.
Le Claque Galoche. Arfolk SB 354, 1977.

Le Grand Rouge.

Olivier Durif : violon, accordéon, chant / Pierre Imbert : vielle à roue, guitare, mandoline,
mandole, tambourin, chant / Eric Montbel : cabrette, laud, chabrette, musette-bechonnet,
épinette, vielle à roue, flûtes, clarinette, chant / Christian Oller : violon, épinette, guitare,
concertina, tambour, chant.

C’est en 1976 que naît le Grand Rouge dans l’enceinte de la Chanterelle. Il résulte de
l'association du violoneux Olivier Durif, du cabrettaire Eric Montbel, du vielleux Pierre Imbert
et de l’ancien violoneux du Claque Galoche, Christian Oller.
Peu après sa fondation, le Grand Rouge signe chez Cezame et sort son premier album. A
dominante instrumentale, il se compose d’un échantillon de danses (mazurkas, marches,
bourrées et branles), issues de recueils ou de collectages et limitées aux régions du Centre
et de la Haute-Loire, ce qui est assez classique chez les groupes lyonnais. Aux chansons de
conscrit, s'ajoutent une chanson de compagnon contant l'histoire d'un papetier d'Angoulême
(C'est un Picard) et l'évocation tragique de la Belle dans la tour, enfermée par son père pour
avoir « mal aimé ». Notons pour cette dernière, l'accompagnement sobre de Bruno de la
Salle à la harpe de Cristal. Le style brillant et très original du jeu de vielle de Pierre Imbert et
la technique de cornemuse d’Eric Montbel retiennent l’attention. Le travail sur les violonneux
du Massif Central trouve ici une décisive illustration avec Olivier Durif et Christian Oller. Bien
que moins connus que leurs confrères de la Bamboche, les musiciens du Grand Rouge
tournent beaucoup dans la région lyonnaise où ils bénéficient d'une véritable notoriété. Ils
sont également très demandés par les organisateurs des festivals folks : à l'été 77, on les
retrouve à Saint-Georges-sur-la-Prée, à Saint-Florent-sur-Cher, à Saint-Chartier, à Sainte-
Livrade, etc. Nos musiciens sont de toutes les manifestations.
Traverser du pays sort en 1979 chez Hexagone. Ce second album sera un événement dans
le monde du folk. Plus perfectionné du point de vue musical et vocal, le Grand Rouge nous
offre, de surcroît, quelques compositions comme Parlons d'aimer (texte et musique du Grand
Rouge). Cette chanson exprime « le triste sort du musicien qui roule soir et matin pour
quelques airs, quelques refrains » et les avantages du concubinage : « Parlons d'aimer et
non de marier ». Des paroles, donc, bien en phase avec les mentalités de l'époque, à l'heure
où l'on reproche au folk de vivre hors de son temps. Ni soleil ni lune est une composition
d’Eric, dans laquelle est abordé, sur le mode traditionnel, le thème de la répression : « Si je
suis pris c'est par ma faute, d'avoir pas su me taire assez, [...], d'avoir parlé du
gouvernement sur la place de Vienne ». Pour le reste, de nombreux airs traditionnels de
Corrèze (comme cette Bourrée du Trech interprétée à plusieurs violons), d'Auvergne, du
Limousin, parfois accompagnés de chants traditionnels en français ou en dialecte local,
occupent les plages. Une place de choix est, là encore, dévolue à Eric Montbel, qui joue
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dans Nos la tenem de la chabrette (cornemuse du Limousin caractérisée par son gros
bourdon porté sur le bras). Il s'agit, en somme, d'un disque varié et intéressant, auquel ont
participé des musiciens traditionnels de Corrèze et de Toulouse. Aujourd’hui, Eric Montbel et
Christian Oller continuent à faire de la musique, Olivier Durif est directeur du Centre des
musiques traditionnelles du Limousin (ce qui ne l’empêche pas de continuer une carrière
artistique). Pierre Imbert, installé depuis plusieurs années au Canada, est mort subitement
d’un infarctus en août 2001.

Le Grand Rouge. CEZ 1029. 1977.


Traverser du pays. HEX 883025. 1980.

La Kinkerne
La Kinkerne (terme savoyard signifiant "vielle à roue") inaugure le genre "folk savoyard ».
Elle élabore une musique résolument acoustique, parfaitement fidèle à la tradition.
Christian Abriel : chant, flûte, percussions, basina / Marc Charbonnel : violon, violoncelle,
potets / Jean-Marc Jacquier : chant, accordéon, basina / Diego Abriel : kinkerne, potets,
companne / Jean-Michel David : chant, violon, mandole, clochette.
Née en 75 à Viuz-en-Sallaz (Haute-Savoie), la Kinkerne a pour leader Jean-Marc Jacquier.
Celui-ci entraîne ses camarades dans les deux Savoie ainsi qu'en Suisse, d’où il ramène des
airs et des chansons typiques mais aussi une grande variété d'instruments de bergers :
potets, companne, clochette. Le deuxième album de La Kinkerne, Chants et danses de
tradition savoyarde, enregistré en 77 à Strasbourg, s'ouvre sur les cris de bergers des
Alpages, immédiatement suivis du Ranz des vaches, véritable hymne des villages de
Savoie. Dans ce ranz, les musiciens jouent des potets, des compannes et des clochettes. Ils
mettent en place une méthode improvisée et fort originale : « pour donner la résonnance
d'un gros troupeau, nous faisons rouler une pièce de cinq francs dans un plat en terre à
écrémer le lait, dit basina », expliquent les notes de pochette. Car si vous voulez tout
connaître au sujet des traditions savoyardes, ne cherchez plus, procurez-vous les albums de
la Kinkerne. Chants et danses de tradition savoyardes est extrêmement fidèle à la tradition,
ce qui ne prive pas les musiciens de donner dans la diversité : suites de monfarines (danse
populaire par excellence de la Savoie), polyphonies a capella sur le thème de l'amour
berger, Noël de Bessan interprété au violoncelle, au violon et à la mandole, sans compter les
innombrables valses dans lesquels les violons et les vielle s'en donnent à cœur joie. Tirées
de recueils ou émanant de collectages, les airs de danses composent la majeure partie de
l'album. L'album apparaît en somme comme un morceau d'anthologie des traditions
musicales savoyardes.

Discographie.
La Kinkerne. 1977.
Chants et danses de tradition savoyarde. Discovale WM19Y, 1978.

Malicorne

Gabriel Yacoub : guitare acoustique et électrique, vocaux / Marie Yacoub : vielle à roue,
épinette des Vosges, dulcimer acoustique et électrique, vocaux / Hugues de Courson :
guitare électrique, basse, cromorne, percussions, vocaux / Laurent Vercambre : violon,
psaltérion à archet, vocaux.

S’il reste aujourd’hui un nom de folk français gravé dans les mémoires, c’est bien celui de
Malicorne. Cette formation fut la première à opter pour l’électrification, après Alan Stivell. Elle
a donc été perçue dès le départ comme résolument moderne, tout en étant profondément
ancrée dans la tradition musicale des régions de France. Ses tentatives audacieuses de
modernisation, inspirées de groupes anglo-saxons comme Steeleye Span, lui valurent
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d’âpres critiques de la part des puristes du folk. D’autant plus qu’à l’heure où le système du
show-business était décrié, il ne faisait pas bon lui faire des concessions. Or, Malicorne n’a
jamais dédaigné l’utilisation des médias ; bien au contraire, il les voyait comme un moyen
efficace de populariser les musiques traditionnelles.

L’histoire du groupe se confond, à ses débuts, avec celle de Gabriel Yacoub. Né à Paris en
1954 d’un père ouvrier imprimeur d’origine libanaise et d’une mère native du Loiret, Gabriel
ne grandit pas dans un environnement familial particulièrement propice à la musique.
Néanmoins, le déclic musical se produit très tôt chez lui ; dès l’âge de 12 ans, il se
passionne pour les Beatles, les Kinks et autres groupes de rock anglais. Quelques années
plus tard, il découvre le folksong — Woody Guthrie, Bob Dylan, Donovan — puis le blues et
l’old-time. Aux alentours de 68-69, il forme justement un petit groupe d’old-time avec deux
amis du lycée : Youra Marcus et Phil Fromont. Gabriel et Youra sont tous deux munis d’une
guitare et d’un banjo, tandis que Phil affirme d’ores et déjà ses qualités de violoniste hors
pair. Le New-Ragged Company joue dans les MJC de banlieues, au Centre Américain et
participe aux premiers festivals folks : Lambesc en août 70, puis Malataverne, l’été suivant.
Gabriel évolue ensuite vers le folk irlandais et anglais. Il joue en duo avec son ami flamand
René Werneer, violoniste de formation classique. Leur répertoire se compose de ballades et
de chansons anglaises ainsi que d’airs irlandais. Il faut dire qu’à cette époque, Gabriel
effectue régulièrement des virées en Angleterre, où le folk revival a déjà commencé depuis
55. Ses errances à Londres le conduisent tout droit aux folk-clubs ; il y découvre, fasciné, la
musique de folksingers d’envergure comme Ewan Mac Coll, Martin Carthy et Planxty, dont il
rapporte les disques rarissimes, introuvables en France. La chanson traditionnelle française
ne l’interpelle toujours pas, et, à la fin de l’année 71, Gabriel, accompagné de son ami René
Werneer, embarque cette fois pour l’aventure bretonne aux côtés d’Alan Stivell. C’est lors
d’une soirée au centre Américain qu’a lieu la rencontre ; Stivell, en quête de musiciens,
propose à Gabriel de rejoindre son groupe en gestation. Pendant près de deux ans, Yacoub
joue de la guitare, du banjo, du dulcimer et chante dans la formation Stivell. Il participe à
l’enregistrement de deux albums d’Alan, l’Olympia et Chemin de terre. Il est également
présent sur la scène de l’Olympia, le 28 février 1972, qui entérine le succès de Stivell, et au
premier festival pop celtique de Kertalg, le 13 août suivant. Gabriel devient alors
professionnel, sans être entièrement satisfait : « Je me suis retrouvé pro à 18 ans sur les
scènes nationales et internationales à faire le zazou en breton, en gallois, en gaélique,
irlandais et écossais, que je répétais phonétiquement selon les indications du barde. ».
Parachuté au cœur d’une communauté culturelle qui revendique parfois violemment son
identité, Gabriel s’expose aux moqueries des « fanatiques ». Ceux-ci lui font bien
comprendre qu’il n’a pas sa place dans une formation de musique celtique. D’ailleurs, durant
toute cette période, flirtant avec les musiques anglaises, américaines et bretonnes, Gabriel
ne se sent pas en accord avec lui-même. Il a acquis une solide formation musicale, certes,
mais il se sent coupable de ne pas chanter dans sa langue maternelle jusqu’au jour où… Le
folksinger Pete Seeger met en garde la jeunesse européenne contre les méfaits de
l’impérialisme culturel américain, dans une lettre ouverte que publie Rock & Folk. Il termine
par ces mots : « Votre pays devrait engendrer ses propres Bob Dylan ». A la lecture de cette
lettre, Gabriel a l’impression de recevoir un « coup de pied au cul ». L’idée de réaliser un
album de folk français germe dans son esprit. Non satisfait de ce qui existe déjà dans ce
domaine, il effectue ses premières recherches sur le répertoire traditionnel français. Il tombe
sous le charme de quelques chansons et fait appel à des amis pour les mettre en musique :
Gérard Lhomme (harmonium), Christian Gour’han (vielle), Dan Ar Bras, (guitare électrique),
Gérard Lavigne (basse), accompagnent Gabriel (guitare acoustique, chant), et sa femme
Marie (chant, dulcimer) sur l’album révolutionnaire Pierre de Grenoble. Pour tous ces
musiciens, il s’agit avant tout d’un défi : faire de la musique française traditionnelle et
moderne. Cependant aucun d’entre eux ne fera partie de Malicorne, à l’exception de Marie
que Gabriel a rencontré peu de temps auparavant, lors d’une chaude soirée de folk-club.
Hugues de Courson, un autre ami de Gabriel, venu du rock et qui ne connaît rien au folk

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s’improvise producteur ; il signe chez Barclay. L’album, sorti en octobre 73, marque un
véritable tournant dans l’histoire du folk français : intervenant à l’apogée du mouvement —
73 est la grande année du folk — il inaugure l’utilisation des instruments électriques dans la
musique traditionnelle française. L’album surprend par sa cohésion et sa richesse
instrumentale. La chanson titre, en particulier, est un régal d’inventions heureuses et de
sonorités magiques : vibration de la guitare électrique entre deux couplets, improvisations à
la vielle, accélération du cromorne à la fin. Malgré l’étrangeté des voix, l’ensemble dégage
un parfum de spontanéité et respire la fraîcheur. Grâce à Pierre de Grenoble, la musique
trad. que l’on avait jusque-là jugée désuète ne semble dès lors pas moins digne d’intérêt que
le folk anglo-saxon. Et les ondes commencent à diffuser la musique de Malicorne. Réaction
émue de Marie : « Un jour, nous nous sommes entendus au Pop club de José Arthur ! Tous
groupés autour de l’autoradio du camion, nous écoutions, émus, le Prince d’Orange sur les
ondes ! Ça nous a fait de l’effet ! J’en ai toujours gardé un immense respect pour José
Arthur. ». Pierre de Grenoble bénéficie très vite d’une immense audience, y compris auprès
du public non averti.
Cette heureuse expérience donne à Gabriel l’envie de fonder un véritable groupe de folk
français. Il se rappelle : « En parcourant les recueils de chansons traditionnelles, j’ai été
séduit, comme envoûté par la dimension mystique des textes. A la fin de l’été 73, j’ai donc
quitté le groupe de Stivell, juste après la manifestation du Larzac, pour voler de mes propres
ailes et me lancer dans ma nouvelle passion. ». Malicorne naît en septembre 73. Il comprend
Gabriel, Marie, Hugues de Courson et Laurent Vercambre, excellent violoniste de formation
classique. Dès le départ, les orientations du groupe sont claires : « L’idée de Malicorne,
c’était de créer une musique nouvelle, moderne, ancrée à quelque chose de solide, de vrai
et de différent des Anglo-Saxons. S’ils avaient fait leur rock & roll avec le blues, la country et
les ballades irlandaises des Appalaches, on ferait la même chose avec nos musiques
traditionnelles », explique Gabriel. Les musiciens se plongent dans des recueils de chansons
et tentent d’imaginer ce que la musique traditionnelle serait devenue si elle avait continué
d’exister après la révolution industrielle. En autodidacte, ils se familiarisent avec la vielle à
roue, le dulcimer, l’épinette des Vosges, le bouzouki… Autant d’instruments tirés de l’oubli
par les folkeux et réactualisés à coup de décharges électriques par Malicorne. Le groupe
suscite dès sa création, les plus grands espoirs ; en novembre 73, jacques Vassal écrit dans
Rock & Folk : « Malicorne a des chances d’être le premier groupe à faire sortir le folk
français des circuits spécialisés (folk-clubs, festivals) pour amener à une diffusion de plus
grande envergure. ».
D’ailleurs, la sortie de l’album Malicorne I, en 74, est un événement. Hugues de Courson
(guitare électrique, basse, cromorne) et Laurent Vercambre (violon, bouzouki, psaltérion,
harmonium, mandoline) apportent à Malicorne une nouvelle dimension : Laurent avec sa
formation classique et Hugues parce qu’il vient du rock. D’où un élargissement du répertoire
et de la palette des styles, des versions remaniées et un clin d’œil aux sonorités ronflantes
de Steeleye Span (La Fille soldat). La même année, Malicorne inaugure sa première tournée
française via le réseau folk (MJC, festivals, etc…). Les musiciens sont accueillis à bras
ouverts partout où ils se produisent, et particulièrement en Bretagne.
Malicorne II , sorti en 75, leur rapporte un disque d’or. C’est un véritable tour de force
que Gabriel et ses acolytes réalisent : rares sont les groupes de folk dont les ventes
excèdent les 100 000 exemplaires. Cet album, plus dépouillé que le premier, entérine la
recherche de sonorités personnelles et revalorise les harmonies vocales. Dans Marion les
Roses, hymne au mois de mai et au renouveau de la nature, nos quatre musiciens chantent
a capella. La Fille aux chansons évoque une tragique histoire de jeune fille qui rejoint un
jeune et beau pirate sur son bateau avant de se planter une épée dans le ventre. L’auditeur
se laisse volontiers charmer par les chants à la fois lointains et limpides de Gabriel et de
Marie. Cortège de noces aborde un thème bien dans l’air du temps, celui de la femme au
foyer qui ne rêve que de s’émanciper : « Ah si j’étais fille à marier, j’aurais encore cœur à
chanter ! / Belle épousée, on vous demande d’être bien sage, obéissante. / Et dans la
maison, vous allez tâcher de bien nous contenter. ».

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Document de travail/FAMDT/MODAL 75

A partir de 75, Malicorne part à la conquête de l’étranger. A cet égard, l’accueil que leur
réserve le public du Cambridge Folk Festival, point de ralliement des folkeux d’Europe
occidentale, est des plus encourageants. Le groupe ne néglige cependant pas les scènes
nationales. A la demande du folk-club lyonnais la Chanterelle, il accepte d’animer le festival
de Saint-Laurent-en-Berry, en collaboration avec la Bamboche et le Perlinpinpin Folc. Puis,
c’est à Alice Festival I que nous retrouvons la formation, aux côtés des « stars » du folk
français, dont Alan Stivell. La campagne de contre-publicité orchestrée par Le Bourdon,
criant à la mainmise du show-business sur le folk, n’épargne pas Malicorne, accusée de
récupération. En juin 75, Gabriel expose clairement sa conception du folk à Nicolas Cayla,
rédacteur en chef de l’Escargot Folk : « Le rêve de beaucoup de musiciens, le nôtre entre
autres, est de faire redevenir cette musique populaire parce que tout le monde peut en jouer,
peut chanter, peut l’écouter facilement, mais de plus cette musique appartient à ces gens-là,
alors que la variété, la grande variété, n’est pas du tout spontanée. Elle est imposée aux
gens. En Bretagne, la musique folk est une musique populaire ; en France, elle ne l’est pas
encore, mais j’espère qu’elle le sera un jour. ». Gabriel a choisi son camp ; comme Stivell, il
estime qu’il faut attaquer le système de l’intérieur, faire en sorte que les groupes de folk
trouvent leur place dans le circuit des médias. A cet égard, le traditionnel se doit d’être
moderne, à savoir électrifié. Cette conception progressiste place Malicorne à des années
lumières des musiciens du Bourdon, prônant les vertus de l’acoustique et le circuit alternatif,
hors médias, hors show-biz’. Si Gabriel s’évertue à rester à l’écart des polémiques, il ne
manque jamais de rappeler sa volonté de faire sortir le folk du « ghetto des spécialistes » et
son désir de fuir l’étiquette « passéiste » qui colle au genre.
Le succès de Malicorne va croissant. Les éloges fusent ; en mars 76, Nicolas Cayla écrit
dans Rock & Folk : « Malicorne ou l’irrésistible avènement du folk. Il est le premier groupe
ayant réussi à faire aussi bien de la musique traditionnelle de cette façon-là. Après trois ou
quatre ans d’existence, il est le plus souvent cité des groupes de folk. ». Il obtient d’ailleurs
un second disque d’or pour Almanach. Dans cet album, l’enchantement de Gabriel pour
l’univers des musiques traditionnelles transparaît largement. En première page de la
pochette, il précise sa démarche : « J’ai essayé de dégager principalement les pratiques
magiques qui sont en rapport direct avec les douze mois de l’année […]. Je pense que la
connaissance de ces coutumes aide à mieux comprendre le fond spirituel des chants
traditionnels, et c’est à mes yeux ce qui compte le plus. ». Des notes de pochette très
complètes guident l’auditeur et le transportent dans un univers magique où les sorciers et
les mauvais esprits, les rossignols et les pies du diable apparaissent et disparaissent au gré
des chansons et des saisons. Almanach dénote en somme d’un véritable travail de
recherche sur les traditions populaires. Il présente en alternance des chansons très
électriques, au rythme soutenu, et des ballades lyriques, magiques, accompagnées
d’arrangement étranges (cf. Le Luneux).
Durant l’été 76, Malicorne transporte son univers d’un festival à l’autre : Cambridge,
Liverpool, Vlaardingen (Pays-Bas), Concarneau (Bretagne).
En 77, sort Malicorne IV. Le groupe s’est enrichi entre temps d’un cinquième musicien,
Olivier Zdralik (chant, guitare basse, percussions), et de nombreux instruments (orgue,
synthétiseur, piano, cuivres, timbales), ce qui accroît considérablement les possibilités
d’arrangements. Cet album a des allures de conte médiéval fantastique ; entre légende
celtique (La Blanche biche) et poésie populaire (Misère), l’univers de Malicorne est toujours
plus riche et féerique.
La Grande Féerie Malicorne, tel est d’ailleurs le nom d’un événement que le groupe organise
à l’hippodrome de Paris, en novembre 77. Une troupe de saltimbanques déambule entre les
stands les plus variés sur fond de Malicorne, ou entre deux concerts de groupes folks. 77 est
également l’année de naissance du festival international de Nyon, alors consacré au genre
folk ; Malicorne est, bien entendu, présent, aux côtés de groupes de toutes origines : Kolinda
(Hongrie), Bill Keith (USA)…
L’année 78 est moins productive pour Malicorne, qui se contente de sortir une compilation de
ses albums précédents, Quintessence. Si la formation apparaît sur les scènes du Printemps

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de Bourges et à la fête de l’Humanité, Gabriel tourne également seul dans les folk-clubs et
enregistre son premier album en solo, Trad. Arr.. De son côté, Laurent Vercambre quitte
Malicorne pour se lancer dans une autre aventure : la Confrérie des Fous. Tout cela est bien
le signe d’un essoufflement et d’une lassitude, qui n’empêche pourtant pas les musiciens de
partir en tournée au Québec en 79. Un album est tiré de cette aventure : En Public à
Montréal est produit par Ballon Noir, le label d’Hugues de Courson.
Tout comme Almanach, L’Extraordinaire tour de France d’Adélard Rousseau, également
sorti en 79, est un album à thème. Il évoque les pérégrinations d’un compagnon charpentier,
renouant par là même avec une tradition vieille de plusieurs siècles. Les critiques du folk
l’accueillent plutôt bien, même si Nicolas Cayla écrit dans l’Escargot Folk ? : « A quand les
paroles d’aujourd’hui, les amis ? ».
Avec Le Bestiaire, sorti en 80, Malicorne aborde un autre thème, celui des animaux
symboles de la tradition populaire. Si le groupe bénéficie toujours d’une large audience, de
son public de fidèles, l’enthousiasme des musiciens s’est évanoui. Ceux-ci ont l’affreux
sentiment de tourner en rond, d’avoir épuisé le répertoire traditionnel, et de manquer
d’inspiration. En fait, Malicorne n’échappe pas à la morosité ambiante ; le folk vit là ces
dernières heures. Le groupe joue une ultime fois dans le théâtre antique d’Orange où sont
réunis les « grands » du mouvement (Stivell, Tri Yann…). Cet événement a un arrière-goût
d’adieu. En 81, Malicorne signe son dernier album, Balançoires en feu, qui comprend
quelques compositions originales. Peu après, le groupe mythique du folk, symbole de tout un
mouvement, se saborde.

Que sont devenus les ex-Malicorne aujourd’hui ? Gabriel Yacoub a poursuivi sa carrière
solo. Il signe chez Boucheries Productions en 86, et enregistre plusieurs albums. Gabriel a
par ailleurs su conquérir un public américain, canadien et européen. Marie Yacoub,
aujourd’hui Marie Sauvet, travaille chez Virgin. Hugues de Courson a produit un certain
nombre de disques traditionnels électrifiés, a fondé son propre groupe, Spondo, avec Ivan
Lantos (Kolinda), avant de devenir compositeur pour de jeunes chorégraphes
contemporains.
Laurent Vercambre fait actuellement une très jolie carrière au sein du Quatuor, une formation
délirante oscillant entre musique et clown.

Discographie
Malicorne I. Hexagone HEX 883002. 1974.
Malicorne II. Hexagone HEX 883004. 1975.
Almanach. Hexagone HEX 883007. 1976.
Malicorne IV. Hexagone HEX 883015. 1978.
Quintessence. Hexagone HEX 883018. 1978.
Collection. Hexagone HEX 889901.
L'Extraordinaire tour de France d'Adélard Rousseau. Ballon Noir BAL 13006. 1979.
En public à Montréal. Ballon Noir BAL 13010. 1979.
Le Bestiaire. Ballon Noir BAL 13015. 1980.
Balançoires en feu. Ballon Noir BAL 130. 1981.

Tous les albums de Malicorne ont été réédités en CD.

René Werneer : de l’Habit de Plumes à Keris.

L’Habit de Plumes
Né du désir de René Werneer, ex-violoniste de Stivell et de Malicorne, de tenter sa propre
interprétation du trad. français, L'Habit de Plumes élabore un folk électrifié de qualité et se
distingue, de par son originalité, de la kyrielle de groupes folks peuplant la scène française.

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René Werneer : chant, violon, claviers (orgue positif, orgue portatif, harmonium) / Claude
Alvarez-Pereyre : chant, violon, guitares, claviers / Jean-Luc Chevalier : guitares, basse /
Claude Le Peron : basse / Jean Chevalier : batterie, timbales, tambours / Brian Gulland :
basson, cromornes, flûtes à bec.
D'origine flamande, René Werneer découvre le folk aux côtés de Gabriel Yacoub. Après
quelques escapades en pays anglo-saxons, tous deux participent à l'organisation des
premiers folk-clubs et festivals français. René se spécialise très tôt dans le violon ; il apprend
sur le terrain, en écoutant les uns et les autres, passe quelques séjours formateurs en
Grande-Bretagne et apparaît rapidement comme l'un des meilleurs violonistes du folk. Ce
n'est donc pas un hasard s'il est enrôlé dans la toute première formation d'Alan Stivell, au
même titre, d'ailleurs, que son compagnon de route Gabriel (voir à Malicorne). Sa
contribution à l’élaboration inédite d’un folk rock celtique assied sa réputation de violoniste
hors pair. Sa renommée dépasse les frontières hexagonales, à tel point que le groupe
irlandais Planxty sollicite son concours et que divers journalistes spécialisés de Montréal,
Londres, Paris, le placent au niveau des meilleurs violonistes mondiaux. Pour Jacques
Vassal, les faits sont là ; Werneer a joué un rôle essentiel dans le mouvement folk : « René
Werneer n'est peut-être pas tout à fait étranger au surprenant engouement qui se produisit
en France vers 1973 pour le violon. » (Rock & Folk, 1978). En 1975, il fonde le groupe Ys
(voir à ce nom), dont le répertoire oscille entre traditionnel breton, irlandais et français.
Pourtant, René n'est pas satisfait ; il souhaite abandonner la musique celte pour se
consacrer à l'exploration d'un répertoire purement français. En désaccord avec les autres
membres du groupe, il quitte Ys et, en septembre 76, rejoint Malicorne. L’expérience dure à
peine un an. En mai 77, il poursuit son chemin, embarquant au passage Claude Alvarez-
Pereyre, violoniste et guitariste de la formation — avant Malicorne, Claude avait été
l'arrangeur, le compositeur et l'accompagnateur de François Béranger. Trois musiciens
nantais, Jean-Chevalier (batterie), Claude Le Perron (basse) et Jean-Luc Chevalier
(guitares), qui composaient depuis plusieurs années le groupe Zig-Zag, d'inspiration jazz-
rock, rejoignent le duo : L'Habit de Plumes est né.
René Werneer devait un album solo à Philips ; le premier album de la formation sort donc en
1978 sous le nom du violoniste : René Werneer, L'Habit de Plumes. Enregistré en Angleterre
pendant l'été 77 avec Jerry Boys, ingénieur du son des premiers albums de Steeleye Span,
le microsillon, d'excellente qualité, allie les influences les plus variées : folk, pop, rock,
musique traditionnelle et médiévale, se côtoient pour le plus grand bonheur de l'auditeur. Il
s'agit certainement de l'un des meilleurs disques de folk français. Les morceaux, d’origine
traditionnelle, ont été remaniés avec beaucoup de talent. Orgues en tout genres, mystiques
ou cléricaux, effets psychédéliques dignes d'un bon vieux Genesis, décharges électriques à
la Malicorne, mais aussi quatuors à cordes, violons irlandais ou airs d'inspiration
moyenâgeuse joués au cromorne… Les instruments et les genres se mélangent à merveille.
L'Habit de Plumes ne tombe ni dans la cacophonie, ni dans la surcharge. L'enregistrement,
très soigné, alterne les passages électriques et acoustiques, classiques et moyenâgeux sans
jamais altérer la beauté du chant de René. De surcroît, le choix du répertoire, issu du
Québec, du pays nantais, du Poitou et d’autres provinces françaises, est excellent. S'il ne
donne pas toujours dans l'originalité, il relève irrémédiablement du domaine poético-lyrique
traditionnel. La chanson l'Habit de Plumes conte l'histoire d'un superbe oiseau, dont le
plumage fait pâlir de convoitise les princesses, les mégères et le chasseur. Introduit par le
son mystique d'un orgue, le chant de René s'accompagne d'une discrète guitare électrique
augmentée d'une basse et, à l'occasion, d'un violon. En milieu de morceau, les orgues se
déchaînent en un étrange concert. Dans la Fille aux dragons, légende du Pays Nantais, une
« belle » exprime son ravissement d'être tenue captive par trois dragons devenus ses
serviteurs et ses amants. La musique d'accompagnement, hachée, électrique, oscille entre
rock et folk, tandis qu'entre les couplets, éclatent les sonorités âpres, du cromorne et
limpides, du quatuor à cordes. Belle je me suis levée, tragique histoire de jeune fille étendue
sur son lit de mort, clôt la première face. Suit une chanson de déserteur, l'Ordre du roi, où

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René donne libre cours à son prodigieux violon. La Basse danse d'Allevans, interprétée
sobrement (flûte, guitare acoustique, tambour), met à l'honneur le basson, au son grave et
magnifique. Avec La Sainte Madeleine, René nous offre une nouvelle chanson de "belle",
très poétique et riche en métaphores. L'Habit de Plumes termine sur une chanson que tout
bon folkeux se doit de connaître, les Métamorphoses, et en propose une version originale.
Démarrant sobrement (orgue, chant), le morceau subit ponctuellement les assauts de
guitares à grosses distorsions, tandis qu'à d'autres moments, une guitare au son cristallin
prend le relais et se répand en sonorités « aquatiques ». Ponctuée d'effets psychédéliques,
la chanson plonge l'auditeur dans une ambiance mystérieuse, en parfaite adéquation avec le
thème qu'elle véhicule. L'art des musiciens éclate ainsi dans toute sa splendeur : ils savent,
tels des magiciens, recréer l'ambiance d'un texte, en diffusant leurs notes dans l'espace.

Discographie.
René Werneer, L'Habit de Plumes. Philips 9101162. 1978.

Ys
Fondé en 75 par René Werneer, Ys propose une tentative originale de folk rock électrique à
la française. Contant des personnalités incontournables de la scène musicale de l'époque, –
René Werneer, Michel Santangeli et Pascal Stive ont tous trois débuté aux côtés de Stivell–,
il axe son répertoire sur le traditionnel celtique.
René Werneer : chant, violon, violon alto, tin whistle, cromorne, dulcimer / Pascal Stive :
chant, claviers / Jacky Thomas : chant, basse / Michel Santangeli : chant, batterie,
percussions / Pierre Chereze : guitares.
L'unique album de la formation sort en 1976, chez Philips. Ce microsillon apparaît comme
franchement avant-gardiste sur la scène folk française. Plus rock que folk, il ne conserve du
traditionnel que l'inspiration mélodique et les bases rythmiques. À grand renfort de guitares
électriques à grosses distorsions et d'une batterie dont la présence ne passe pas inaperçue
— ce qui n'a rien d'étonnant lorsqu’on sait qui est le batteur —, les musiciens d'Ys se
déchaînent, sans souci de choquer les ardents défenseurs d’un folk acoustique. Ys fait ainsi
figure de précurseur puisque le folk rock électrique ne se développe pas avant 78-79.
Néanmoins, Madame la Frontière est loin d’être un excellent disque. Outre le caractère trop
rock de la musique, les vocaux laissent à désirer. Ys aborde un répertoire largement breton,
aussi bien au niveau des thèmes instrumentaux que des textes. On y trouve des chansons
d’amour (Dentu Ganeme), de mariage (Ag Arlane), de jeune fille envoyée au couvent (O ya
laret em ens) ou encore de vieille femme que la beauté et la jeunesse abandonnent (Ar
Gohoni). Quant à la chanson titre de l'album, elle relate l’histoire d’une mère qui tue son fils
dans un bain de sang ; comme le précisent les notes de pochette : « On danse parfois sur de
sanglantes histoires en pays vannetais ! » A noter la participation de Gabriel Yacoub à la
guitare acoustique, sur ce morceau. Du côté des danses irlandaises, Ys interprète un reel
(O'Connell Street) et un slip-jig, (Captain O'Kane). Ce dernier morceau est assez surprenant.
Il s'ouvre sur un clavier, et plonge l'auditeur dans un univers électronique, en adéquation
parfaite avec la pochette de l'album, qui semble tout droit sortie d'un jeu vidéo. Le son
change ensuite, devenant plus limpide. Comment vouloir qu'une personne chante...,
interprétée en français, se situe entre le folk et la variété, et n'apporte pas grand chose à
l'album. Enfin, en clôture de l'enregistrement, Ystor, long instrumental, évoque la légende
d'Ys sur fond d’effets spéciaux et de gouttes de pluie, de clavier et de violon… Les Pink
Floyd ne sont pas très loin.

Discographie.
Madame la frontière. Philips 9101056. 1975.

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Keris
Dans le prolongement d'Ys, Keris se situe à la limite du folk, du rock, de la pop-music et de
la variété française.
Pascal Stive : chant, claviers / Michel Santangeli : chant, batterie / Pierre Chéreze : chant,
guitare / Jacky Thomas : chant, basse : Patrig Molard : cornemuses, uilean-pipe, flûte,
bombardes, tin-whistle / David Rose : violon / Serge Derrien : voix.
Les chanteurs et musiciens ne se prennent apparemment pas au sérieux et leur musique
s'apparente à une clownerie. Les textes satiriques, humoristiques dénigrent la niaiserie
amoureuse, font l'éloge du pays breton et de ses clochers ou content l'histoire d'exilés
bretons qui rentrent au pays tellement enrichis que nul ne les reconnaît ! Alternant les
passages hard-rock aux moments planants, surréalistes, Keris ne fait pas dans la demi-
mesure. Du traditionnel, que reste-t-il ? Pour ainsi dire, pas grand chose, quelques phrasés
de bombardes et de cornemuse dignes de Patrig Molard, le maître de ce genre
d'instruments, un air joué au violon irlandais dans O'Keefe's place, ou bien encore le chant a
capella breton ouvrant Keris. Les morceaux et les textes sont tous ou presque de la
composition des musiciens, qui ne conservent de leur période folk rien de plus que quelques
traces.

Discographie.
Avel Vor. Philips 9101150. 1977.

Lyonesse
Lyonesse fut l'un des tous premiers groupes de folk électrifié. Nulle comparaison ne peut
être établie entre son électrification et celle d'un Alan Stivell ou d'un Gabriel Yacoub.
L'originalité de la formation demeure entière. Entre folk, rock psyché, trad. français, anglo-
saxon ou breton, Lyonesse puise à toutes les sources et crée un folk progressif très
personnel. Ses membres, originaires d'Italie, de France et de Bretagne, choisirent de
s'installer... en Suisse ! Bref, il s'agit bel et bien d'un groupe atypique, ce qui explique peut-
être que l'on entendît peu parler de ces franco-italo-suisses sur le sol français.
Mireille Ben : chant, dulcimer / Pietro Bianchi : clavier, piano, fiddle, percussions / Trevor
Crozier : chant, pandora, harmonica / Gérard Lavigne : guitare électrique, basse / Gégé :
dulcimer électrique, pandora, percussions / Job Philippe : harpe celtique, bombarde, biniou /
André Thomas : bombarde, biniou, bodhran.

Lyonesse est né en 72 à Paris, de la rencontre de quelques personnalités charismatiques du


folk, à commencer par Mireille Ben, la sœur du fantasque Jacques Benhaïm dit Ben.
Compagne de l'Italien Pietro Bianchi (clavier), elle soutient aux côtés du Breton Trévor
Crozier, les parties vocales du groupe. En outre, la formation compte le célèbre bassiste du
folk Gérard Lavigne — lequel ne fera qu'un temps dans Lyonesse —, Gérard L'Homme dit
Gégé, ainsi que les talentueux sonneurs Job Philippe et André Thomas. Le premier album
de Lyonesse, enregistré conjointement dans les locaux des studios parisiens Acousti et
milanais de La Basilica — encore une spécificité « lyonessienne » — sort en 1974 chez
Pathé-Marconi. Ainsi, il n'aura pas fallu plus de deux ans à Lyonesse pour convaincre
l'audacieuse maison de Gwendal, de le distribuer. Ce premier microsillon s'avère surprenant.
Même si les qualités sonores de l'enregistrement laissent à désirer, les arrangements,
inventifs, mettent en valeur une musique particulièrement originale, unique en son genre.
L'usage récurrent du clavier confère une dimension électronique à l'ensemble, aux confins
du psychédélisme. Alors qu'ailleurs une telle démarche choquerait et paraîtrait inadaptée,
l'habilité de Lyonesse fait accepter cette forme d'évolution, non moins novatrice que celle
d'Alan Stivell en son temps. Le clavier ouvre d'ailleurs l'album, en un morceau mystique.
Autre instrument clé de ce microsillon, le dulcimer occupe une place de choix dans la
musique de Lyonesse. Avec Lonesome Boatman, traditionnel irlandais de toute beauté, le
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violon, à l'honneur, diffuse ses sonorités vibrantes et plaintives. Ainsi, un instrument différent
à chaque fois introduit les morceaux successifs ; dans Aimez-moi sans danger, traditionnel
français, une sorte de xylophone au son cristallin s'ouvre sur le chant de Mireille. The Lark in
the morning, introduit par la pandora, allie merveilleusement les sonorités indiennes à celles
du dulcimer et du bodhran. La voix forte de Trévor éclate alors soudainement en un de ces
chants écossais entraînant et bourru. Ensuite, la harpe celtique, qui n'avait jusque-là pas
donné signe de vie, joue une ballade anglaise douce et belle, intitulée Searching for lambs.
Celle-ci se transforme peu après, en une marche : Brian Boru's March, trad. américain,
mélange la harpe aux effets spéciaux du clavier. Pour clôturer l'album, Johnson, trad.
irlandais, donne libre cours à la guitare électrique en un rock psychédélique, où viennent
s'ajouter l'harmonica, le bodhran et la voix de Trévor, qui apparaît, du coup, fort adaptée au
genre psyché. Vous l'aurez deviné, l'album est varié et l'on ne s'ennuie pas une seconde.
Voilà qui change du commun du folk ! La musique de Lyonesse est épurée et mystique.
Le second album de la formation est presque introuvable en France. Par conséquent,
passons au troisième, Tristan de Lyonesse. Enregistré aux studios PDU de Lugano (Italie)
en 1976, le groupe assure désormais sa propre production, tandis que EMI. est chargé de la
distribution. En outre, Lyonesse a subi quelques modifications de personnels et ne comte
plus que quatre musiciens : Mireille Ben (chant, récit), Pietro Bianchi (piano, violon,
percussions, clavier, chant), André Thomas (bodhran, bombarde) et une nouvelle recrue,
Bernard Sever (orgue, piano, clavier). Cet album est moins réussi que le premier. Et, en
effet, le quatuor a souhaité, non pas réaliser une prouesse musicale, mais conter la légende
de Tristan et Iseult. Toutes les musiques, arrangées par Pietro, sont d'essence traditionnelle.
L'ensemble se présente comme sobre, dépouillé, sans fioritures, et la musique a plus un rôle
d'accompagnement que d'élément à part entière. Mireille ponctue les chansons de quelques
phrases destinées à la compréhension du récit. Dans tous les cas, l'auditeur plonge dans un
univers de magie et de poésie du verbe ; les paroles sont parfois obscures, mais qu'à cela
ne tienne, l'esprit des vieilles légendes bretonnes peuplées de druides, d'enchanteurs, de
ménestrels et de héros, transparaît pour notre plus grand bonheur.

Discographie.
Lyonesse. Pathé-Marconi C 06496093. 1974.
Lyonesse.
Tristan de Lyonesse. P.D.U. E.M.I. Pld A6062. 1976.
Live in Milan. P.D.U. E.M.I. Pld 17004. 1980.

La Confrérie des Fous.


Valérie Terrell : chant / Emmanuelle Parrenin : chant, vielle, épinette, dulcimer / Gérard
Lavigne : basse, triangle, clochettes, choeurs / Jean-François Leroi : batterie, percussions /
Jean-Yves Lacombe : violoncelle, contrebasse, tuba, choeurs / Patrick Lemercier : guitare
électrique, violon électrique et acoustique, sifflet, choeurs / Laurent Vercambre : chant,
guitare acoustique, violon, mandoline, synthétiseur, nickel harpa / Pierrot Ganem : chant,
alto, trombone à coulisse.
Créée par le charismatique Laurent Vercambre, la Confrérie des Fous est un groupe original,
bien représentatif du folk « délirant » de la fin des années 70. Ses musiciens élaborent un
folk rock, teinté de musique ancienne. Laurent Vercambre, né en 53 à Paris, grandit dans la
banlieue parisienne. Enfant, il n’échappe pas aux leçons de piano, une pratique bien ancrée
dans sa famille. Laurent est extrêmement doué ; ses mains reproduisent à l'identique les
exercices enseignés, pourtant, le cœur n'y est pas. En fait, ces leçons obligatoires et
tellement rigides sont une véritable corvée. Lorsque son père ramène des Etats-Unis les
disques des Weaver et de Bob Dylan, c'est le coup de foudre : « ces deux albums m'ont
fortement marqué parce qu'ils étaient aux antipodes du classique qui, lui, faisait partie des
meubles de la maison. » Laurent se lance alors avec frénésie dans la recherche des disques
Folkways et Chant du Monde. Il craque littéralement pour l'old-time et le bluegrass des
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Country Gentlemen et des New Lost City Ramblers, ces musiciens polyinstrumentistes qui
pratiquent à la fois le collectage et la musique. Vers 69, Laurent rejoint naturellement le clan
des folkeux parisiens ; il se rappelle : « La vague des folksingers nous portait vers une
musique sans chichi, vivante, que l'on pouvait s'approprier. À l’époque, n'importe qui pouvait
se bricoler un instrument et en jouer, même s'il n'y connaissait rien ; il n'y avait aucune honte
à cela, bien au contraire. J'aimais ce côté spontané. » Vers 18 ans, fort de cette découverte,
le jeune homme commence à toucher à différents instruments à corde, mandoline,
mandoloncelle, bouzouki ; c'est cependant le violon qui obtiendra sa préférence. En
autodidacte, bien que servi par un riche passé musical, il développe un jeu personnel et fait
sa place dans l'univers confiné du folk. Les bases musicales qui font souvent défaut à
d'autres folkeux le distinguent et lui valent rapidement une réputation de violoniste
prometteur. Avec son frère, François Vercambre, Laurent fonde un petit groupe et anime
quelques soirées à la MJC du Vésinet et au Pecq. Issus de la génération postérieure à celle
des fondateurs du folk, les garçons font découvrir aux jeunes de la banlieue ouest, les
« vétérans » du folk et, en particulier, l'équipe du TMS. Armés de magnétophones, ils
enregistrent scrupuleusement chaque concert. Denis Gasser, un guitariste qui laissera son
nom dans les annales du folk, est de la partie. Laurent et Denis qui ont usé les bancs du
même lycée, fondent un groupe de folk français, Forlane. La formation comprend également
un flûtiste et une chanteuse. Un soir, Gabriel Yacoub et René Werneer qui tournent en duo
guitare-violon, débarquent à la MJC et présentent leur lot de ballades irlandaises et
celtiques. Véritablement happé par le style de René Werneer, « un style très personnel,
élégant, la grande classe ! », Laurent se pique de passion pour la musique irlandaise. Et, de
son côté, Gabriel qui a écouté attentivement le « son » de Laurent, l'invite à participer à son
projet : Malicorne. Sans hésiter, notre jeune violoniste, assoiffé de découvertes, accepte. Il
se lance avec passion dans Malicorne. Son rôle sera déterminant quant à la recherche de
mélodies et d'arrangements. Pourtant, l'ambiance du groupe le déçoit quelque peu ; naïf,
Laurent pensait jouer 24 heures sur 24 en intégrant Malicorne, à l'image de ces Irlandais qu'il
avait vus en festivals. Or, c'est loin d'être le cas, les Malicornéens sont des gens sérieux (un
héritage de Stivell ?), le groupe travaille en studio et joue rarement en dehors des concerts.
Enfin, Laurent garde le souvenir amusé de son humour « lourdaud », qui ne passe pas du
tout auprès de ses acolytes, si bien que, pour finir, il prend le parti de se taire ! Quoi qu’il en
soit, cette expérience est extrêmement enrichissante… Même s'il avoue ne jamais s'être
entièrement adapté au folk français, qu'il estime « trop monolithique ». Laurent rêve de
fantaisie, sent que Malicorne tourne en rond ; en 78, il quitte le groupe et intègre la formation
plus « légère » de son ami Hal Collomb, la Chifonnie. La personnalité du violoniste, initié dès
lors au théâtre de rue, se précise : « Mon jeu de scène se résumait jusqu'à présent à sauter
comme un cabri tout en jouant du violon. Avec la Chifonnie, j'ai beaucoup appris de ce point
de vue-là. » Un an plus tard, Laurent décide de fonder un groupe proche de l'esprit de la
Chifonnie, alliant à la fois musique et spectacle, la Confrérie des Fous. Créée autour d'un
concept, celui des fêtes de fous du Moyen Age, durant lesquelles la folie devenait légale, la
formation est à géométrie variable. Elle comprend au minimum 8 personnes sur scène, 12
sur l'unique album enregistré par le groupe. Pour Laurent, « Il s'agissait d'un luxe » : « Je
voulais m'entourer de musiciens avec qui j'avais depuis longtemps envie de jouer », précise-
t-il. Parmi ceux-là figurent le bassiste du folk Gérard Lavigne, le guitariste électrifié Patrick
Lemercier, le batteur Jean-François Leroi, l'accordéoniste Serge Desaunay (ancien de La
Chifonnie) et aussi Hugues de Courson (flûte à bec, trombone à coulisse), qu'il connaît bien
pour avoir joué à ses côtés dans Malicorne. Ce dernier sortira l'album de La Confrérie des
Fous en 1979 sous son propre label, Ballon Noir. Les « femmes du folk » que sont
Emmanuelle Parrenin, Evelyne Girardon dite Beline venue de La Bamboche, et Valérie
Terrell d'Equinoxe, réalisent pour l'occasion un important travail vocal, indépendamment des
autres musiciens. Laurent gère, de son côté, les parties instrumentales et l'interprétation des
chansons. Notons au passage l'irruption d'un quatuor à cordes, dans lequel figurent déjà
Laurent Vercambre et Pierrot Ganem au violon. En cela, La Confrérie des Fous préfigure le
futur Quatuor à Cordes monté par les deux violonistes au début des années 80. Pour

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Jacques Vassal, la Confrérie des Fous est une « sorte de super groupe plus ou moins folklo-
médiévo-rythmico-électrico-quatuor à cordes ». ; le journaliste s'avoue incapable de classer
le groupe dans une quelconque catégorie musicale.
L'album enregistré par cette association de musiciens déchaînés est original de par le thème
choisi et les textes. Dans l'ensemble, paroles et musiques sont signées Laurent Vercambre,
exception faite de quelques morceaux traditionnels ou anciens. À la fois sombre et révolté, le
disque évoque tout au long des plages et des chansons, une société où l'homme n'est rien
d'autre qu'un pion sur un Jeu de l'oie, un numéro qui, s'il n'arrive pas à entrer dans le moule,
se retrouve en prison et meurt. La solution ? Se transformer en fou, le fou rêveur et insensé
que l'on oppose à l'armée des savants raisonnables, s'échapper de l'échiquier et engendrer
la panique dans un univers réglé comme du papier à musique (La Valse de l'échiquier). Ou
bien encore se ranger dans le camp du Diable, devenu justicier damnant les notables de la
société. La musique est en adéquation parfaite avec le thème, très électrique, rock,
parcourue de soli de guitares et de violons électriques, de batteries furieuses, dans un
désordre d'instruments classiques (violoncelle, alto, contrebasse, trombone), rock (basse,
batterie, guitare électrique) ou traditionnels (vielle, épinette, dulcimer d'Emmanuelle
Parrenin, nickelharpa et violon de Laurent Vercambre). Les voix acquièrent une importance
toute particulière dans ce contexte. Les chansons interprétées par Laurent, Jacky Bardot
Emmanuelle Parrenin ou Valérie Terrell, cèdent souvent le pas aux choeurs ; les artistes
chantent à l'unisson ou en polyphonies (La Danse des Fous). Les mots fusent au détour
d'une chanson, se répètent à l'infini comme le « fou » dans Il est bel et bon.
Personnellement, j'aime ce disque à la fois délirant et engagé, mais qui, il faut bien le
reconnaître, part dans tous les sens. Laurent avoue : « Je n'étais pas tellement satisfait de
ce travail désordonné. Mais on avait toutes les peines du monde à se réunir sur scène ou en
studio pour répéter. » En somme, il s'agit d'un groupe avant tout « expérimental », de
recherche, traduisant la volonté de certains folkeux — et pas n'importe lesquels — de
s'ouvrir, d'aller vers une forme d'expression plus originale à l'époque où le folk s'éteint à petit
feu. Sur scène, La Confrérie apparaît à grand renfort de costumes et de maquillages, dans
un spectacle humoristique se voulant le reflet des fêtes de fou moyenâgeuses. On peut
aisément imaginer la farce que cela devait être, « le public réagissait d'ailleurs très bien » et
en 79 au festival de Nyon, l'apparition de La Confrérie aux côtés de La Chifonnie fait grand
effet.
En 80, la formation, trop difficile à gérer, éclate. De son côté, Laurent, accompagné de
Pierrot Ganem, est déjà parti sur un autre projet, celui du Quatuor. Dès le début des années
80, le duo augmenté de deux musiciens venus du rock, tourne dans les cafés-théâtres.
Prolongement direct de La Confrérie, « le Quatuor met le côté saltimbanque au service de la
musique, dans un spectacle se voulant le plus total possible. Le rire s'impose comme arme
de conquête du public. » Largement marqué d'influences folk et musique ancienne au
départ, le Quatuor met progressivement en place une histoire surréaliste de séquences se
répondant. Musique, mime et clown se côtoient dans un voyage où évoluent 4 personnages
sur lesquels on aurait greffé des instruments. Après une quinzaine d'années de travail, le
Quatuor, aujourd'hui rôdé, a élargi son champ musical au classique, au vieux jazz, à la
comédie musicale américaine ou bien encore aux musiques de l'Est. Chacun des artistes
chante et joue la comédie à merveille dans son propre style, sans que la personnalité de l'un
ne l'emporte sur celle des autres. Voici en somme un spectacle étonnant et détonnant où les
gags s'enchaînent et provoquent immanquablement le rire !

Discographie.
La Confrérie des Fous. Ballon Noir BAL 13008, 1979.

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La Chifonnie.
Hal Collomb : dulcimer, percussions, spidoline, chant / Diane Holmes Brown : vielle,
darbouka, percussions, concertina, chant / Patrick Desaunay : violon, guitare, banjo,
épinette, chant / Serge Desaunay : accordéon, violon, mandoline, chant.

Originaire de la Drôme, la Chifonnie fait figure d’originale dans le milieu du folk. Ses
musiciens ne se contentent pas de jouer du traditionnel français électrifié, ils se mettent en
scène sur les places de village et se déplacent d’un bout à l’autre de la France à l’intérieur
de leur camion communautaire. L'épine dorsale de La Chifonnie gravite autour d'Hal
Collomb. Né en 45 à Chamblanc (Côte d'Or) de mère italienne, Hal découvre tout à fait par
hasard le folk français. Au festival de Lambesc, en 70, il se frotte, fasciné, à « l'univers de
musique, de provocation et de convivialité de la famille folk ». Sans hésitation, il fait ses
valises, et quitte Lyon pour s'installer dans le squat des frères Ben. Hal, qui n'a jamais appris
la musique, chante tout le temps, dans la rue, dans les couloirs du métro, au Bourdon, puis
fonde avec Daniel Ben Haïm, dit Dany, l’un des frères de Ben, le Grelot Bayou Folk (voir à
Grand Mère Funibus Folk). A l'occasion d'une tournée, Hal découvre, dans la Drôme, un
petit coin de paradis, une vieille ferme sans eau courante ni électricité, en pleine campagne,
et décide de s'y installer avec sa dulcinée, Diane Holmes Brown, étudiante anglaise et
joueuse d'autoharp. Le Grelot Bayou ne dure qu'un temps, drainant sur son passage une
foule de traînards descendant de Paris pour squatter la maison. Hal met un terme au groupe
et fonde, en 74, la Chifonnie.
La Chifonnie se présente avant tout comme une troupe de saltimbanques. Et c’est du côté
des marchés villageois, propices à l’animation de rue, qu’il faut la chercher pendant l’été.
Youra Marcus, banjoïste old-time (voir à ce nom) rejoint le groupe en 77 ; laissons place à
ses souvenirs : « Nous partions trois mois en tournée, une fois les beaux jours revenus,
parcourant les routes à bord de notre camion communautaire. Nous étions constamment les
uns sur les autres et je dois dire que ce n'était pas toujours facile à vivre. » Le reste de
l'année, les musiciens répètent occasionnellement. Il faut dire que Hal Collomb et Diane
vivent dans la Drôme, que Serge et Patrick Desaunay ont élu domicile dans le Limousin et
que Youra vit à ce moment-là en Bretagne ! Peu à peu, le groupe ajoute à son répertoire de
chansons traditionnelles francophones, quelques chansons de Brel.
Le premier album de La Chifonnie sort au printemps 77 chez Hexagone. Youra n'y figure
pas, pas plus que sur l'album suivant d'ailleurs, ce qui deviendra un réel sujet de discorde
entre Hal — prétextant qu'il ne s'agit là que d'une question de hasard — et le banjoïste. Quoi
qu'il en soit, ce disque fort sympathique nous livre un répertoire de chansons traditionnelles
d'Anjou, de la Drôme, du Poitou mais aussi du Québec et de Suisse, ainsi que quelques
compositions des musiciens. La Valse des balançoires, composition de Serge, donne le
coup d'envoi. Précédée sur la pochette de la mention « 1/2 tarif pour les militaires et les
bonnes d'enfant », il reflète d'emblée l'état d'esprit des musiciens. L'air, joué à l'accordéon et
au violon, rappelle les manèges de chevaux de bois. Le reste de l'album est plus sérieux. On
y trouve de belles chansons interprétées « façon Malicorne ». Les voix respectivement
nasillardes et aiguës d’Hal et de Diane, se rapprochent de celles de Gabriel et de Marie
Yacoub. Quant aux arrangements, il n'y a pas de doute ; la touche personnelle d'Hugues de
Courson, producteur de Malicorne et de La Chifonnie, et celle du bassiste de Malicorne sont
identifiables. Dans tous les cas, les arrangements sont « carrés », Gironfla, chanson
traditionnelle sur la guerre, démarre tranquillement au violon, mais la basse électrique et la
batterie de Dino Latorre entrent en jeu, et donnent une connotation très rock à l'ensemble.
Avec Le Vent qui vente la nuit, chanson suisse apprise du vielleux René Zosso, nous
entrons dans la magie et la poésie des textes traditionnels français ; chantée a capella, en
choeur, elle est agrémentée d’effets spéciaux (bruits du vent). La Chifonnie interprète en
outre des chansons lyriques, qui parlent de belles vivant dans l'attente de leur amant de
marin (Mon cher amant, traditionnel du Québec, chanson très douce, accompagnée à la
basse par Hugues), ou encore de mariée enlevée par Trois hommes noirs. Dans l'ensemble,
les sonorités des instruments traditionnels (vielle, épinette, dulcimer, violon, accordéon) se
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mêlent harmonieusement aux instruments électriques, qui, de toute manière, ne sont pas
omniprésents. Les derboukas et les percussions rythment le tout. Bref, il s'agit d'un premier
disque réussi, varié, mais qui manque encore de personnalité.
La tournée de l'été 77 et les premières tentatives de théâtre de rue fonctionnent, le public
accroche. Nos saltimbanques débutent toujours leur show par une parade dans le village, et,
suivis des villageois en haleine, installent en deux temps, trois mouvements, leurs décors sur
la place principale. Les Aventures d'Aristide Nepomulse Aristobule remportent un franc
succès. Hal décide alors d'approfondir cette expérience et de monter une pièce plus
conséquente qui pourrait être jouée en salle. Mais son projet ne fait pas l'unanimité ; Youra
et Serge quittent le groupe. Pat, quant à lui, avait déjà amorcé son départ après s'être
accroché avec Hal — La Chifonnie avait la caractéristique d'être régulièrement traversée de
tempêtes —; « nous étions excessifs aussi bien dans la rigolade que dans l'engueulade », se
souvient Hal. Pat participera toutefois au second album du groupe tout en entamant une
carrière en duo avec son frère. Patrick Perroton (vielle, flûte, cabrette, clarinette, chant)
ancien membre du Claque-Galoche, et Dominique Baracco (accordéon, chant) intègrent
alors le groupe. Hal avait rencontré Dominique en festival et, frappé par son jeu d'accordéon,
l'avait contacté ; Dominique, partagera désormais son temps entre l'armée et la vie de
bohème de La Chifonnie. Musicien et conscrit à la fois, comment arrivait-il à gérer la situation
? Nous lui laissons ce mystère ! Patrick apporte de nouvelles sonorités avec sa cabrette
auvergnate et sa clarinette, deux instruments qui ne figuraient pas dans la Chifonnie. Autre
nouveauté, le violoneux de Malicorne, Laurent Vercambre (violon, violoncelle, guitare,
nickelharpa, chant), et Gérard Lavigne (basse électrique) participent aux prestations
scéniques de La Chifonnie. L'année 78 voit ainsi l'avènement de « la première comédie
musicale folk », baptisée Le Saloon infernal. Cette parodie de western ne lasse pas les
publics de l'Ardèche et de la Drôme, où la Chifonnie aime tourner. Mise en scène,
déguisements et maquillage, sont de rigueur pour les comédiens mais aussi pour les
musiciens.
De ce spectacle est issu un album, intitulé Au-dessus du pont et sorti, comme le précédent,
chez Hexagone. La pochette en dit long puisqu'elle représente des musiciens-marionnettes
dans un théâtre de guignol ; au dos, les artistes se maquillent à la manière des clowns. Hal a
d'ailleurs abandonné son timbre de voix nasillard, symptomatique du folk, pour le transformer
en un timbre clownesque. Et l'on imagine très bien Hal, le conteur, acteur dans l'âme,
capable de captiver n'importe quel auditoire, dans son nouveau rôle de chanteur acteur
comique. Au-dessus du pont est un disque très vivant, bien éloigné du folk traditionnel du
début des années 70, extrêmement imagé. On se représente aisément, à son écoute, la
Chifonnie-Théâtre en action. Dénotant d'une originalité incontestable, plus personnel que le
précédent, il propose des textes contemporains, à la fois émouvants et poétiques, abordant
le thème de l'écologie, omniprésent dans le folk depuis le naufrage de l'Amoco Cadiz en 79.
Dans Au-dessus du pont, Hal évoque l'histoire d'un pont et de sa rivière, d’amoureux venus
s'abreuver à sa source, et... de la disparition de ce chef-d’œuvre de la nature.
Heureusement, un enfant fait irruption et décide de le reconstruire. Le Vieux François,
chanson québécoise interprétée sobrement au concertina, à la flûte et au violoncelle
(excepté quelques passages rock), nous invite à pénétrer l'intimité d'un couple nostalgique,
rêvant de regagner son île natale, « là où y'a pas d'machines » et où la nature est reine. Au-
dessus du pont se présente comme un album varié. On y trouve une valse presque musette,
Frana, des polyphonies interprétées a capella, des danses traditionnelles on ne peut plus
électrifiées, proches du rock : La Mandragore et La Togne, offrent un coktail détonnant de
sonorités traditionnelles (vielle, cabrette, violon, concertina) et modernes (basse de Gérard
Lavigne, batterie de Jean-François Leroy). Relevons également quelques chansons rigolotes
comme La Bourrée Papillon, chanson occitane uniquement interprétée à la vielle, à
l'accordéon et à la cabrette. La métaphore du papillon brûlant ses ailes à la chandelle est
employée pour décrire l'amoureux renonçant à sa liberté. La Valse de l'ivrogne, chanson
écossaise adaptée en français, constitue un véritable hymne à la boisson et à l'alcoolique.
Dans l'ensemble de l'album, les arrangements sont bien faits, influences classiques, jazz,

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traditionnelles se côtoient dans un mélange de sonorités variées. Une mention particulière


sera attribuée à la clarinette de Patrick Perroton, à la basse de Gérard Lavigne, aux violon et
violoncelle de Laurent Vercambre.
Au festival de Nyon de 1979, le succès est total pour La Chifonnie, invitée au même titre que
La Confrérie des Fous (voir à ce nom) en tant qu'ambassadrice du folk français. Alors que le
folk hexagonal meurt à petit feu, entraînant sur son passage la disparition de bon nombre de
groupes, l'humour et le caractère iconoclaste de ce groupe sont toujours d'actualité.
Jacques Vassal écrit d'ailleurs dans Rock and Folk : « La Chifonnie-Théâtre, La Confrérie
des Fous : deux expériences sœurs, deux bons coups de balais dans le ron-ron de la scène
folk française. » De nouvelles pièces voient le jour respectivement en 80 et en 81 : Rendez-
vous à Ramdam et Le Maître du monde conservent l'esprit de dérision propre au Saloon
infernal, dans des créations qui, cela va sans dire, s'avèrent « plus proches du Magic Circus
que de la Comédie Française » ! Emmanuel Pariselle (accordéon, flûtes) est venu, entre
temps, remplacer Dominique Baracco, mais pour peu de temps… Dès 83, La Chifonnie
éclate, déchirée, entre autres, par les divergences d'opinion relatives à l'option théâtrale. Hal
se souvient : « Nous étions fauchés, venions de perdre un copain dans un accident de
voiture et je devenais complètement invivable ! ».
Le temps apaisant les tensions, nos amis se sont remis, progressivement, à travailler
ensemble, par petits groupes. Récemment, Marc Robine a fait appel aux anciens de La
Chifonnie pour contribuer à son Anthologie de la chanson française. Réunis comme au bon
vieux temps, Hal et ses acolytes, Serge et Pat, Laurent Vercambre et d'autres ont rejoué la
première pièce qu'ils avaient montée : Les Aventures d'Aristide Nepomulse Aristobule.
Aujourd'hui, Hal poursuit sa carrière de comédien de rue au sein de la Compagnie de
l'Epouvantail.

Discographie.
La Chifonnie. Hexagone, HEX 883008, 1977.
Au-dessus du pont. Hexagone HEX 883022, 1978.

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