Ce document décrit l'évolution historique de la notion de culture en sociologie et en anthropologie. Il explique comment la culture est devenue un concept central dans ces disciplines, défini comme l'ensemble des connaissances, croyances et modes de vie acquis et partagés au sein d'un groupe social.
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Section 2
II. La notion de culture en sociologie et en anthropologie
Introduction Quand on aborde la question de la culture du point de vue sociologique et anthropologique on parle de la culture de l’homme « en tant que membre de la société », ou «ce qui est commun à un groupe d'individus » c'est-à-dire ce qui est appris, transmis, produit et créé. Ainsi, pour une institution internationale comme l'UNESCO : « Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels, matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts, les lettres et les sciences, les modes de vie, les lois, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances ». Parler de la société, c’est parler des groupes, des familles, des clans, des communautés, des classes, etc. qui apparaissent et se différencient lorsque des hommes se rassemblent et auxquels ils se rattachent lorsqu’ils vivent ensemble, dépendent les uns des autres, s’organisent, voire s’opposent, se dominent et se hiérarchisent. La sociologie se propose donc d’étudier ces groupes, d’expliquer comment ils se forment, ce qui les caractérise et quelles sont leurs relations. Le sociologue et l’anthropologue, tiennent à se distinguer entre eux, mais ils partent du même principe lorsqu’ils veulent envisager la culture. Ils reconnaissent la validité de la définition qu’en a donnée Edward Burnett Tylor, anthropologue anglaise, dans son livre Primitive Culture (traduit par Civilisation primitive) en 1871 : «La culture ou la civilisation, entendue dans son sens ethnologique étendu, est cet ensemble complexe qui comprend les connaissances, les croyances, l'art, le droit, la morale, les coutumes, et toutes les autres aptitudes et habitudes qu'acquiert l'homme en tant que membre d'une société». Cette définition pose un rapport entre la culture et la société. Qu’est- ce qui les distingue et quel est ce rapport ? 1. Rappel historique de la notion de culture en sociologie et en anthropologie De toutes les sciences humaines, l'anthropologie est la discipline qui a étudié le plus extensivement et en profondeur le fait culturel. En retraçant les développements de l'anthropologie, on pourrait éclairer la réalité et la notion même de la culture. L'anthropologie, ou science de l'homme, remonte loin dans l'histoire intellectuelle de l'humanité, toujours intéressée à observer les groupes dans leurs diversités. Hérodote (484-425 av. J.-C.) faisait déjà de l'anthropologie en décrivant les mœurs, les coutumes, la langue, les lois, les croyances des peuples étrangers à la Grèce. Certains font remonter le mot anthropologie à Aristote, mais il apparaît plus probable que les trois termes « anthropologie », « ethnologie », « ethnographie » firent leur apparition dans les langues européennes entre les années 1785 et 1815. De fait, c'est au dix-neuvième siècle que l'anthropologie se constitua comme discipline grâce aux chercheurs britanniques, américains et allemands. La notion anthropologique de culture était reprise par les premiers anthropologues anglais et américains, tels que Malinowski, Wissler, Sapir, Boas. Aux États-Unis, l'anthropologie en est même venue à se définir comme la science de la culture; alors qu'en Angleterre on distingue entre anthropologie physique (étude du développement et de la croissance du corps humain) et anthropologie «sociale», les Américains opposent plutôt l'anthropologie «culturelle» à l'anthropologie physique. En effet, jusqu’au début des années 1930, le concept de culture est partagé par l’anthropologie britannique et l’anthropologie nord-américaine. Des deux côtés de l’Atlantique, la définition d’Edward Tylor de la culture comme « un tout complexe qui inclut les connaissances, les croyances, l’art, la morale, les lois, les coutumes et tout autre disposition ou usage acquis par l’homme vivant en société », est à l’origine de la plupart des essais de définition disciplinaire. En 1930, Franz Boas, un américain d'origine allemande, signe ainsi l’article « Anthropology » dans l’Encyclopédie des sciences sociales, où il écrit : « La culture embrasse toutes les manifestations des habitudes sociales d’une communauté, les réactions de l’individu affecté par les habitudes du groupe dans lequel il vit, et les produits des activités humaines en tant qu’elles sont déterminées par ces habitudes. » Pour Malinowski, qui rédige peu après l’article « Culture » dans la même encyclopédie, la culture se définit ainsi : « Cet héritage social est le concept clef de l’anthropologie culturelle. C’est ce que l’on appelle en général culture. […] La culture comprend des objets, des biens, des procédés techniques, des idées, des habitudes et des valeurs. » Ces deux définitions sont extrêmement proches, Boas et Malinowski considérant la culture comme tout ce qui est acquis sous forme matérielle ou sous forme d’habitudes. Le fonctionnalisme de Malinowski et le particularisme historique de Boas convergent donc au moins sur une chose : l’un et l’autre pensent la culture comme concept central de l’anthropologie. En sociologie, le terme culture fut aussi rapidement adopté par les premiers sociologues américains, en particulier Albion Small, Burgess et Ogburn. Il fut cependant plus lent à s'y frayer un chemin qu'en anthropologie, vraisemblablement parce que les grands précurseurs de la sociologie, Marx, Weber, Durkheim ne l'ont pas employé. Mais il fait maintenant partie du vocabulaire de la sociologie aussi bien que de l'anthropologie. Après plus d'un demi-siècle, les anthropologues tendent à atténuer leurs différends pour souligner les complémentarités de leurs approches. Les cultures et les structures sociales ne se comprennent finalement que dans la réciprocité de leurs dynamismes. Tous, pratiquement, reconnaissent l'utilité d'étudier les modèles culturels qui sont à la base des structures sociales, des familles, des villages, des tribus, des castes, des villes, des régions. La culture s'incarne dans des institutions sociales, et les institutions, à leur tour, sont révélatrices et créatrices de culture. R.W. Firth (1951) a bien exprimé la complémentarité des deux points de vue : « Si la société est vue comme une organisation d'individus ayant son propre style de vie, la culture est précisément ce mode de vie. Si la société est vue comme un ensemble de relations sociales, alors la culture est le contenu de ces relations. La société accentue la composante humaine, l'ensemble des personnes et leurs relations réciproques. La culture insiste sur la composante des ressources accumulées, immatérielles ou matérielles que le groupe reçoit en héritage, qu'il utilise, transforme, enrichit et transmet ». En d'autres termes, culture et structure sociale ne peuvent exister indépendamment l'une de l'autre dans une société humaine, car elles sont mutuellement dépendantes, manifestant à la fois les comportements des individus et le dynamisme du système social. Cette ouverture à la totalité du « fait social » a favorisé une interdisciplinarité de l'anthropologie, comme l'avait déjà laissé entrevoir la méthode compréhensive de Marcel Mauss (1872-1850), fondateur de l'Institut d'Ethnologie de l'Université de Paris, qui cherchait à étudier les sociétés humaines dans l'intégralité de leur système social et culturel et de leur histoire : c'est-à-dire en respectant le phénomène social total dans ses composantes géographiques, économiques, politiques, esthétiques, religieuses. Dans ce même esprit, les anthropologues empruntent désormais à la linguistique, à la paléontologie, à la préhistoire, à la biologie, à la psychologie, à la psychanalyse, à l'esthétique, à l'histoire des religions, à l'écologie, les éclairages qui permettent de mieux saisir le secret des cultures. Au début du XXe siècle, les théories universalistes avaient été évacuées par les tenants d'une anthropologie relativiste, monographique, historiciste, influencée par le pionnier, très fécond par ailleurs, que fut Franz Boas. Mais, aujourd'hui, par un retour paradoxal des choses, la thèse de l'unité du genre humain redevient actuelle. Elle avait déjà été postulée par Edward Tylor dans sa définition de la culture, comme nous l’avions souligné. Pour Tylor, il faut « considérer le genre humain comme naturellement homogène, quoique placé à des niveaux différents de civilisation ». Cette approche universelle a fait son chemin, et elle suscite, en anthropologie et en sociologie, une abondante littérature qui permet maintenant de mieux entrevoir les rapports qui existent entre la multiplicité des formes culturelles et la culture humaine tout court. Lévi-Strauss l'explique ainsi : « Ce que l'on appelle une culture est un fragment d'humanité qui, du point de vue de la recherche en cours et de l'échelle à laquelle elle est menée, présente, par rapport au reste de l'humanité, des discontinuités significatives »1958. L’anthropologie, à l’époque de Weber, c’est-à-dire au début du XXe siècle, était conçue comme une science humaine composée de deux branches : - l’anthropologie « physique » ou étude des races humaines et des origines de l’espèce; - l’anthropologie culturelle, c’est-à-dire l’étude des cultures sans écriture, en Occident et, dans les sociétés non occidentales, parfois qualifiées de « sauvages », « primitives » ou «naturelles », même si cette terminologie est devenue bien désuète. Weber rejette l’anthropologie des races, mais a recours, à sa manière, à l’anthropologie culturelle, souvent en association étroite avec la sociologie. Anthropologie et sociologie sont inséparables d’une approche historique : la sociologie de Weber est à la fois anthropologique et historique. Ce qui les distingue n’est pas tant la méthode ou les objets – religion, normes sociales, famille – que le type de société/communauté étudiée. Cependant, plusieurs concepts wébériens peuvent faire l’objet d’un usage tantôt sociologique, tantôt anthropologique. C’est le cas du concept de « charisme » et de celui de « magie » : en analysant son rapport avec la croyance dans les esprits caractéristiques des sociétés où prédomine « un naturalisme préanimiste », Weber semble suggérer une approche anthropologique ; mais quand il se réfère à la magie comme une « profession » qui permet de gérer une « entreprise », ou quand il pointe la persistance de pratiques magiques dans les activités du prêtre catholique dans les sociétés modernes, nous sommes plutôt sur un terrain sociologique. Il est donc souvent difficile, voire impossible, de distinguer clairement les deux « disciplines » dans les écrits de Weber. Par cette interdisciplinarité anthropo-sociologique, Weber pourrait être comparé à Émile Durkheim. Cependant, on peut difficilement imaginer deux approches aussi radicalement distinctes, voire opposées : contrairement à l’auteur des Règles élémentaires de la méthode sociologique, Weber ne pense pas que « les faits sociaux » « sont des choses » pas plus qu’ils « doivent être traités comme des choses » (Durkheim, 1896); partisan d’une méthode compréhensive, fondée sur la distinction entre sciences de la culture et sciences de la nature, il s’intéresse avant tout aux intentions des acteurs, au sens subjectif de l’action sociale. En outre, sa méthode résolument historiciste se distingue aussi bien de la morphologie sociale que de l’anthropologie évolutionniste de Durkheim. La démarche de Weber prend ses distances envers la caractérisation des cultures prémodernes et non occidentales comme « naturelles », « primitives » ou immobiles. Il s’agit pour lui de sociétés en mouvement, complexes, avec une histoire et des traversées de conflits. Son historicisme méthodologique fondamental conduit Weber à critiquer ouvertement toute tentative de présenter la condition sociale des « peuples primitifs » comme un univers non historique et culturel. L’approche compréhensive de Weber est sans doute la principale source d’inspiration de l’anthropologie dite interprétative de Clifford Geerz et de sa définition de la culture : « Croyant, comme Max Weber, que l’être humain est un animal suspendu à des réseaux de signification qu’il a tissés lui-même, je considère la culture comme étant ces réseaux, et son analyse comme étant, par conséquent, non pas une science expérimentale à la recherche d’une loi mais une science interprétative à la recherche de signification. » Ce bref rappel historique sert peut-être déjà à éclairer un peu le sens qu'on donne maintenant en sociologie au terme culture. Emprunté au français, retraduit de l'allemand à l'anglais, le terme se voit chaque fois ajouter une connotation nouvelle, toujours par extension ou par analogie, sans perdre son sens original, mais en revêtant de nouveaux sens toujours plus éloignés du premier. Ce qui c'est là le fruit d'une évolution qui s'est opérée d'une façon que l'on pourrait appeler cohérente sans solution de continuité. 2. La culture individuelle et de la culture collective Le rappel historique précédent nous amène maintenant à aborder la question de la culture individuelle et de la culture collective. En langue française, le mot culture désigne tout d’abord l’ensemble des connaissances générales d’un individu. C’est la seule définition qu’en donne en 1862 le Dictionnaire national de Bescherelle, et connaissances scientifiques y sont présentées au premier plan. C’est ce que nous appelons aujourd’hui la « culture générale ». Après le milieu du XXe siècle, le terme prend une seconde signification. Par exemple, le Petit Larousse de 1980 donne, en plus de la conception individuelle, une conception collective : ensemble des structures sociales, religieuses, etc., des manifestations intellectuelles, artistiques, etc., qui caractérisent une société. Le terme peut alors revêtir l’un ou l’autre sens, mais la proximité des domaines d’utilisation de chacun en fait une source d’ambiguïté. Il y donc actuellement en français deux acceptions différentes pour le mot culture : la culture individuelle de chacun, construction personnelle de ses connaissances donnant la culture générale ; la culture d'un peuple, l'identité culturelle de ce peuple, la culture collective à laquelle on appartient. Ces deux acceptions diffèrent en premier lieu par leur composante dynamique : la culture individuelle comporte une dimension d’élaboration, de construction, et donc par définition évolutive et individuelle; la culture collective correspond à une unité fixatrice d’identités, un repère de valeurs relié à une histoire, un art parfaitement inséré dans la collectivité ; la culture collective n’évolue que très lentement, sa valeur est au contraire la stabilité, le rappel à l’Histoire. C’est dans cette dichotomie que ces deux significations peuvent s’opposer : La culture collective comporte une composante de rigidité pouvant s’opposer au développement des cultures individuelles, ou pouvant conduire à des contre-cultures, concept qui est inimaginable avec le sens individuel, la connaissance ne pouvant être que positive. Mais c’est par l’art et l’histoire que les deux concepts se rejoignent. La culture individuelle inclut la connaissance des arts et des cultures, celle des différentes cultures humaines, mais bien évidemment celle affiliée à la culture (collective) à laquelle appartient l’individu. C’est là le point d’amalgame entre les deux acceptions : la culture (individuelle) est comprise comme connaissance de la culture (collective) dont on dépend. Fusionnant ainsi deux acceptions différentes, le terme culture tend actuellement, en France, vers un compromis dans son acception courante, où il désignerait essentiellement des connaissances liées aux arts et à l’Histoire, plus ou moins liées à une identité ethnique. Les deux sens doivent cependant être analysés distinctement : la culture collective et la culture individuelle se recoupent en réalité, non seulement par leur homonymie, mais aussi par l’appartenance d’un individu à une entité culturelle. La culture, au sens anthropologique et sociologique du terme, bien qu'elle s'individualise, n'est cependant pas individuelle de sa nature; on la reconnaît d'abord et principalement à ce qu'elle est commune à une pluralité de personnes. Nous avons vu précédemment comment la notion de culture, qui ne pouvait d'abord s'appliquer qu'à des individus, en est venue à prendre une nouvelle signification collective. On voit aussi du même coup que la notion de culture ne s'applique pas qu'à une société globale. Les sociologues parlent volontiers de la culture d'une classe sociale, d'une région, d'une industrie, d'un «gang». Ou encore, il arrive qu'on emploie l'expression «sous-culture» pour désigner une entité partielle au sein d'une société globale (la sous-culture des jeunes) ou lorsqu'on veut faire état des liens entre une culture et une autre plus étendue dans laquelle elle s'inscrit. Pour reprendre la formule de Durkheim, nous parlons de la culture comme «manières de penser, de sentir et d'agir» partagées par une pluralité de personnes. Cette formule présente l'avantage de souligner que les modèles, valeurs, symboles qui composent la culture incluent les connaissances, les idées, la pensée, s'étendent à toutes les formes d'expressions des sentiments aussi bien qu'aux règles qui régissent des actions objectivement observables. La culture s'adresse donc à toute activité humaine, qu'elle soit cognitive, affective ou conative ou même sensori-motrice. Cette expression souligne enfin que la culture est action, qu'elle est d'abord et avant tout vécue par des personnes; c'est à partir de l'observation de cette action que l'on peut inférer l'existence de la culture et en tracer les contours. En retour, c'est parce qu'elle se conforme à une culture donnée que l'action des personnes peut être dite action sociale. 3. Modes d'acquisition et de transmission de la culture Rien de culturel n'est hérité biologiquement ou génétiquement, rien de la culture n'est inscrit à la naissance dans l'organisme biologique. L'acquisition de la culture résulte des divers modes et mécanismes de l'apprentissage. Les traits culturels ne sont donc pas partagés par une pluralité de personnes de la même façon que peuvent l'être des traits physiques; on peut dire que les derniers fruits sont le fruit de l'hérédité, tandis que les premiers sont un héritage que chaque personne doit recueillir et faire sien. Plusieurs auteurs ont d'ailleurs défini la culture comme étant un «héritage social»; d'autres ont pu dire que c'est «tout ce qu'un individu doit apprendre pour vivre dans une société particulière». Afin de rendre plus sensible cette opposition entre le point de vue sociologique et celui du philosophe, que nous avons vu précédemment, voyons ce que devient l’idée de l’éducation dans la notion sociologique. Marcel Mauss, dans l’article Sociologie de la Grande Encyclopédie, déclare que l’éducation « est le procédé grâce auquel l’enfant est rapidement socialisé » (1901). Il précise que «L’éducation est précisément l’opération par laquelle l’être social est surajouté en chacun de nous à l’être individuel ». Autrement dit elle ne consiste pas à instruire : elle n’est pas une instruction mais une « acquisition » ; c’est le mot de Tylor qui, dans sa définition, parle de tout ce qui est « acquis par l’homme en tant que membre de la société ». La tâche de l’éducation serait de former un homme apte à vivre en société en lui faisant acquérir tout le bagage nécessaire, connaissances, savoir-faire, usages, croyances, valeurs à respecter, bref, une culture, celle de la société où il devra vivre. Que signifie que l’on voit dans l’éducation l’acquisition d’une culture ? Cela sous- entend que la culture est quelque chose que l’on « reçoit du dehors » et qui ne se trouve pas dans l’homme mais à l’extérieur de lui, dans la société où on la « trouve déjà formée » et «comme instituée », selon Marcel Mauss. Il faut donc comprendre que la culture d’un homme ne vient pas de lui. Il n’en est pas l’auteur ; il doit l’acquérir et il faut qu’on la lui transmette. Il ne la trouve pas en lui, dans sa pensée et par sa pensée, en pensant par lui-même, c’est-à- dire en réfléchissant et en travaillant sur ce qu’on lui apprend. Il faudrait donc admettre que la culture n’est pas ce qu’il forme lui-même en s’interrogeant sur ce qu’il apprend, en le clarifiant, en l’analysant, en se l’expliquant, en se demandant ce qu’il a compris et s’il l’a bien compris, voire en le critiquant, en le contestant, en en doutant, bref, en étudiant et en s’instruisant. Dire que la culture consiste en une acquisition et que l’éducation n’est que la voie par laquelle se fait cette acquisition ne veut pas seulement dire que la culture est extérieure et préétablie, mais aussi qu’elle s’impose aux individus, qu’elle constitue des normes, qu’elle représente des obligations. Il n’y a pas seulement un rapport purement intellectuel de savoir entre un homme et sa culture, il y a aussi un rapport affectif, viscéral, une attitude d’adhésion provoquée et entretenue par la pression sociale qu’exerce sur lui cette culture. Pour rendre compte de cet aspect de la culture, l’anthropologie dite « culturelle » américaine de l’entre deux guerres a forgé la notion de « modèle culturel ». L’éducation, c’est-à-dire l’acquisition d’un modèle culturel, ne se fait pas par l’instruction mais par le « learning » : l’apprentissage ou plutôt les apprentissages. Entendons par là, des processus qui ne sont pas purement intellectuels – il ne suffit pas d’apprendre les règles pour qu’elles deviennent des normes – mais qui sont des processus d’intériorisation, d’adhésion et même d’incorporation, formant et modelant l’homme jusque dans son physique et ses fonctions vitales, et cela dès les premiers soins prodigués au petit enfant. En simplifiant on peut se représenter de deux façons cet «apprentissage » par lequel la culture façonne et modèle un type d’homme. Ou bien on se le représente sur le mode du dressage avec stimulations et interdits, comme le verrait un behaviorist, ou bien on y voit l’action de processus psychiques que la psychanalyse a découverts, le refoulement, la sublimation, la projection, l’introjection, etc. À partir de ce qui précède, il est maintenant relativement aisé d'expliciter les fonctions sociales de la culture. Sociologiquement d'abord, nous avons vu que la fonction essentielle de la culture est de réunir une pluralité de personnes en une collectivité spécifique. D'autres facteurs contribuent aussi au même résultat: les liens du sang, la proximité géographique, la cohabitation d'un même territoire, la division du travail. Mais des facteurs eux-mêmes, que l'on peut appeler objectifs, sont transposés et réinterprétés dans et par la culture, qui leur donne une signification et une portée bien au-delà de celles qu'ils ont naturellement. La culture apparaît donc comme l'univers mental, moral et symbolique, commun à une pluralité de personnes, grâce auquel et à travers lequel ces personnes peuvent communiquer entre elles, se reconnaissent des liens, des attaches, des intérêts communs, des divergences et des oppositions, se sentent enfin, chacun individuellement et tous collectivement, membres d'une même entité qui les dépasse et qu'on appelle un groupe, une association, une collectivité, une société. Il semble que la définition que donne Hervé Carrier du mot « culture », dans son Lexique de la Culture (1992), rend bien compte de la dynamique du processus que désigne ce terme: « La culture, c'est tout l’environnement humanisé par un groupe, c’est sa façon de comprendre le monde, de percevoir l’homme et son destin, de travailler, de se divertir, de s’exprimer par les arts, de transformer la nature par des techniques et des inventions. La culture, c’est le produit du génie de l’homme, entendu au sens le plus large ; c’est sa représentation propre du passé et son projet d’avenir, ses institutions et ses créations typiques, ses habitudes et ses croyances, ses attitudes et ses comportements caractéristiques, sa manière originale de communiquer, de produire et d’échanger des biens, de célébrer, de créer des œuvres révélatrices de son âme et de ses valeurs ultimes. La culture, c’est la mentalité typique qu’acquiert tout individu s’identifiant à une collectivité, c’est le patrimoine humain transmis de génération en génération. » Conclusion En guise de conclusion, de cette caractérisation sociologique et anthropologique de la culture, il est important de retenir son caractère socialement appris et transmis, plutôt répétitif, de même que le fait qu’elle soit commune à un groupe de personnes. La culture est ainsi cet ensemble lié de manières de penser, de sentir, d'agir et de communiquer en société, plus ou moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, servent, d'une manière à la fois objective et symbolique, à constituer ces personnes en une collectivité particulière et distincte. Et ce sont bien ces deux termes (personne/collectivité ou individu/ société) qui sont à la fois les deux pôles du social par leur opposition, mais également le cœur du questionnement des sociologues. Car la plupart des sociologues se sont rattachés à l’un de ces deux pôles. Les partisans de la méthode « holiste » pour les uns, où le tout explique la partie, et où la société façonne l’individu. Les tenants de la méthode « individualiste » pour les autres où le tout est la somme des parties, où l’individu est l’atome logique de l’analyse sociologique. Les uns, à force de souligner le poids des contraintes sociales, réduisent le sujet à un simple "support des structures", entièrement déterminé par des forces sociales supérieures. Les autres n’envisagent les sujets que de façon autonome, acteurs libres et rationnels capables de choisir l’action optimale hors de toute influence extérieure. Aujourd’hui, on constate un certain dépassement de ce clivage simpliste "holisme/individualisme" pour ne plus former que les deux faces d’une même théorie. En effet, que l’individu soit entièrement soumis au système normatif de la société ou qu’il soit un acteur totalement rationnel, importe peu puisque le résultat semble toujours écrit d’avance. Les comportements sociaux sont compris comme produit par des structures sociales contraignantes pour les uns et comme résultant d’un modèle universel de rationalité pour les autres. Les deux perspectives laissent finalement peu de place à l’imprévisibilité humaine puisque d’un côté comme de l’autre, l’individu est au cœur du social. La différence n’est finalement qu’idéologique.