La Diversité Linguistique Est-Elle Un Danger Pour L'unité Du Maroc

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Nation

Opinion & Débat

La diversité linguistique est-elle un danger


pour l'unité du Maroc ?
 LE MATIN 28 Décembre 2008 à 10:24

Moha Ennaji Chercheur marocain, Rutgers University, USA.

La plupart des pays sont en effet plurilingues car rares sont


les ceux qui utilisent une seule langue ou un seul dialecte. Au
Maroc, les locuteurs peuvent employer six idiomes et
dialectes différents : le berbère (ou l'amazigh), l'arabe
marocain, l'arabe standard, l'arabe classique, le français,
l'espagnol et récemment l'anglais. Ces variétés linguistiques
sont utilisées pour des fins différentes et pour des besoins de
communications variés. De prime abord, nous pouvons
distinguer entre langues nationales (le berbère, l'arabe
marocain, l'arabe standard, l'arabe classique) et langues
étrangères (le français, l'espagnol et l'anglais). Ces dernières
ont été introduites par les colonisateurs français et espagnol ;
cependant l'anglais a été introduit surtout par le biais de
l'enseignement depuis l'indépendance.

La diversité linguistique au Maroc est donc marquée par


quatre ingrédients importants: le berbère, l'arabe, le français,
et l'Islam. Le berbère et l'arabe dialectal traduisent la culture
populaire, tandis que l'arabe classique, le français et l'Islam
représentent la culture du savoir. Dans ce contexte multilingue
et multiculturel, la légitimité de l'Etat est largement basée sue
la culture écrite qui est étroitement liée au pouvoir. Durant les
premières années de l'Indépendance, l'élite au pouvoir avait
adopté le bilinguisme arabe-français comme option politique
dans le cadre de ses efforts pour moderniser le pays.
Aujourd'hui, la tension existe non seulement entre les valeurs
françaises (occidentales) et les croyances arabo-
musulmanes, mais également dans le contexte marocain,
entre les langues et cultures berbères et arabes. Cette
situation linguistique reflète des conflits d'intérêts et des
tensions idéologiques qui elles-mêmes reflètent la lutte pour
le pouvoir à des niveaux différents. L'interaction entre les
langues et les cultures au Maroc est caractérisée par des
contrastes et des paradoxes.

La construction de l'Etat dans les années 1960 et 1970 avait


donné la priorité à l'arabe standard, langue officielle et de
religion, et au français, comme langue des affaires et de
l'administration. Les deux langues sont liées aux domaines
publics où les hommes ont plus de voix et de choix que les
femmes. Quant à l'arabe dialectal et au berbère, ils étaient
pratiqués au foyer et à la maison, c'est-à-dire au domaine
privé. La diversité linguistique n'est pas un danger pour l'unité
nationale pour les raisons suivantes. Premièrement, elle
caractérise la majorité des pays, car rares sont les sociétés
monolingues. Deuxièmement, elle est aussi une richesse
linguistique et culturelle, car plus on connaît de langues, plus
on connaît de cultures et plus on est ouvert et tolérant.
Troisièmement, elle nous permet l'ouverture sur d'autres
langues et cultures et la communication avec d'autres peuples
et sociétés. Quatrièmement, elle peut, si elle est bien gérée,
renforcer le processus de démocratisation dans notre pays.
Cinquièmement, c'est un grand avantage parce qu'elle peut
jouer un rôle prépondérant dans le développement humain.

Il y a aussi des arguments contre la diversité linguistique. Les


détracteurs de cette diversité pensent qu'elle constitue un
danger pour l'unité du pays pour les raisons suivantes.
D'abord, elle encourage le conflit entre les langues et les
ethnies. Il y a beaucoup de pays comme l'Algérie où la
diversité a été jusqu'à présent une source de problèmes
politiques, ethniques et sociaux. Deuxièmement, la diversité
linguistique est très difficile à gérer politiquement,
socialement et culturellement. Troisièmement, elle est très
coûteuse, car il faut un budget colossal pour enseigner toutes
les langues en usage au Maroc, l'amazigh inclus.
Quatrièmement, cette diversité peut diviser le pays surtout si
chaque région cherche son autonomie ou son indépendance
aux dépens de l'Etat central. Enfin, celle-ci encourage la
division plutôt que l'union, car les gens commencent à se
concentrer sur les différences entre les langues et les régions
plutôt que sur les similitudes et l'unité du pays.

A mon sens, la diversité linguistique favorise les échanges


réciproques entre les groupes et aide les membres des
différentes communautés ethnoculturelles à dialoguer et à
surmonter les obstacles, et à leur pleine participation à tous
les aspects de la société marocaine. Cette approche
contribue à l'égalité des chances et à la compréhension
interculturelle, en éliminant les discriminations et en aidant les
institutions à devenir plus attentives à la diversité culturelle au
Maroc et en veillant à ce que tous les Marocains et
Marocaines aient une place dans la société. Par conséquent,
aujourd'hui, les Marocains sentent un attachement profond
aux diverses facettes de leur identité, qu'elles soient relatives
à la langue ou à la culture. La réponse est donc la diversité
linguistique, loin d'être un danger, est un atout pour l'unité de
notre pays.

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