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Anthropoctonie

Ce document présente un débat sur l'interprétation des rituels impliquant la mise à mort d'êtres humains dans différentes cultures anciennes. L'auteur souligne la nécessité d'éviter les modèles d'interprétation trop influencés par la pensée judéo-chrétienne et d'analyser ces rituels dans leur propre contexte culturel.

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Anthropoctonie

Ce document présente un débat sur l'interprétation des rituels impliquant la mise à mort d'êtres humains dans différentes cultures anciennes. L'auteur souligne la nécessité d'éviter les modèles d'interprétation trop influencés par la pensée judéo-chrétienne et d'analyser ces rituels dans leur propre contexte culturel.

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160

160

Les auteurs de ce volume, historiens des religions, anthropologues et


archéologues, étudient des rituels traditionnellement appelés « sacriices
humains », choisis dans leurs domaines respectifs de recherche
–  des tombeaux royaux d’Ur aux rites anthropoctoniques égyptiens, SacrificeS humainS
grecs, romains ou indiens, et des mises à mort rituelles des Gaulois

Sciences religieuses
et anciens Mochica aux crimes d’honneur des rapports onusiens. Dossiers, discours, comparaisons
Leur questionnement tourne autour de problèmes méthodologiques
fondamentaux pour l’histoire des religions : quand et pourquoi ces rites
ont-ils été décrits comme des «  sacriices humains  » ? Est-il possible,
souhaitable, voire nécessaire d’interpréter autrement de telles mises à
mort ? Au il des diverses interventions, on se rendra compte combien ces

Dossiers, discours, comparaisons


SacrificeS humainS
« sacriices barbares » hantent notre imaginaire scientiique, aujourd’hui
comme par le passé. Il s’agit en fait d’un concept opératoire, hérité de


l’Antiquité classique et consolidé par la culture judéo-chrétienne, qui sert

Bibliothèque de l’École des hautes Études


indiféremment de grille de lecture pour expliquer les rites les plus variés.

Àgnes A. Nagy est collaboratrice scientiique en Histoire des Religions de la Sous la direction de
Faculté des lettres de l’Université de Genève. Elle a notamment publié dans
la BEHE,SR Qui a peur du cannibale ? Récits antiques d’anthropophages aux Àgnes a. nagy et francesca Prescendi
rontières de l’humanité, Tournhout 2009.
Francesca Prescendi est professeur boursier FNS en Histoire des religions à la
Faculté des lettres de l’Université de Genève. Elle est l'auteur de Décrire et
comprendre le sacriice. Les rélexions des Romains sur leur propre religion à partir
de la littérature antiquaire, Stuttgart 2007.
Àgnes A. Nagy et Francesca Prescendi ont dirigé récemment Victimes au féminin,
Genève 2011.

Publication de l’École Pratique des Hautes Études - Sciences religieuses

H F
SacrificeS humainS
DoSSierS, DiScourS, comparaiSonS
BiBliothèque de l’école des hautes études
sciences religieuses

Volume

160

illustration de couverture : « certaines peuplades ont des mannequins de proportions


colossales, faits d’osier tressé, qu’on remplit d’hommes vivants : on y met le feu, et les hommes
sont la proie des lammes » (César, Guerre des Gaules Vi, 16). dessin du xixe siècle d’après
F. Graf, Menschenopfer in der Bürgerbibliothek, dans Archéologie suisse 14, 1991-1, p. 138.
SacrificeS humainS
DoSSierS, DiScourS, comparaiSonS

Actes du colloque tenu à l’Université de Genève,


19-20 mai 2011

édité par
Àgnes a. nagy, Francesca Prescendi

H
F
la Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences religieuses

la collection Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences


religieuses, fondée en  1889 et riche de plus de cent cinquante volumes,
relète la diversité des enseignements et des recherches menés au sein de la
Section des sciences religieuses de l’École Pratique des Hautes Études (Paris,
sorbonne). dans l’esprit de la section qui met en œuvre une étude scienti-
ique, laïque et pluraliste des faits religieux, on retrouve dans cette collection
tant la diversité des religions et aires culturelles étudiées que la pluralité des
disciplines pratiquées : philologie, archéologie, histoire, philosophie, anthro-
pologie, sociologie, droit. avec le haut niveau de spécialisation et d’érudition
qui caractérise les études menées à l’ePhe, la collection Bibliothèque de
l’École des Hautes Études, Sciences religieuses aborde aussi bien les religions
anciennes disparues que les religions contemporaines, s’intéresse aussi bien
à l’originalité historique, philosophique et théologique des trois grands
monothéismes – judaïsme, christianisme, islam – qu’à la diversité religieuse
en inde, au tibet, en chine, au Japon, en afrique et en amérique, dans la
Mésopotamie et l’Égypte anciennes, dans la Grèce et la Rome antiques.
cette collection n’oublie pas non plus l’étude des marges religieuses et des
formes de dissidences, l’analyse des modalités mêmes de sortie de la religion.
les ouvrages sont signés par les meilleurs spécialistes français et étrangers
dans le domaine des sciences religieuses (chercheurs enseignants à l’EPHE,
anciens élèves de l’École, chercheurs invités…).

directeur de la collection : gilbert Dahan


secrétaire de rédaction : cécile GuivarCh
secrétaire d’édition : anna WaiDe
comité de rédaction : denise aiGle, mohammad ali amir-moezzi,
Jean-Robert armoGathe, hubert Bost, Jean-Daniel DuBois, michael
houseman, alain le BoullueC, Marie-Joseph Pierre, Jean-Noël roBert.

4
obServationS Sur L’anthropoctonie.
Le Débat Sur LeS « SacrificeS humainS »
en égypte ancienne.

Youri Volokhine 1

alors même qu’il éditait un ouvrage appelé à faire référence sur le sacri-
ice dans le monde grec, Marcel Detienne attirait l’attention sur un aspect
problématique de la recherche comparatiste :
[…] il semble important de dire que la notion de « sacriice » est bien une caté-
gorie de la pensée d’hier, conçue aussi arbitrairement que celle de totémisme
– dénoncée naguère par Lévi-Strauss – à la fois pour rassembler en un type
artiiciel des éléments prélevés ici et là, dans le tissu symbolique des socié-
tés, et pour avouer l’étonnant empire que le christianisme englobant n’a cessé
d’exercer secrètement sur la pensée de ces historiens et sociologues convain-
cus qu’ils inventaient une science nouvelle 2.
Il ne s’agissait sûrement pas de nier l’évidence : il y a, en Grèce, des
actes rituels nommés thusiai – « l’acte central du culte » 3 ; on y fait couler le
sang ; on y tue des animaux (par exemple) ; on y pratique une sorte de cuisine
rendant licite et communautaire la consommation des viandes, dont une part
monte en fumée vers les dieux, et dont l’autre est distribuée aux hommes.
Mais il importe, en Grèce ou ailleurs, de comprendre le déroulement de ces
actes sans être englué dans les modèles interprétatifs entourant tout ce qui
touche, de près ou de loin, au « sacriice », dont le modèle théorique, celui
d’Hubert et Mauss, semble (à l’insu des auteurs ?) faire la part belle au vieux
schéma paulinien (le sacriice du Christ). Pour certains, cette catégorie sacri-
icielle est néanmoins indispensable pour comprendre le « fait religieux », tout
comme le sacré, le mythe, le rite, et j’en passe. En efet, si une partie du
vocabulaire « incantatoire » de l’histoire des religions du xxe  siècle puisait

1. Youri Volokhine est maître d’enseignement et de recherche en histoire des religions à la


Faculté des lettres de l’Université de Genève.
2. M. Detienne, dans m. Detienne et J.-P. Vernant (éd.), La cuisine du sacriice en pays grec,
Paris 1979, p. 34-35.
3. J. ruDharDt, Notions fondamentales de la pensée religieuse et actes constitutifs du culte
dans la Grèce classique, Genève 1958, p. 249 et s.

39
Youri Volokhine

encore dans le vaste tiroir des catégories naguère édiiées par la vieille
ethnologie (« mana », « totem », « tabou », etc.), l’autre versant du vocabu-
laire conceptuel de cette discipline était (et est encore) largement constitué
par des termes issus de la pensée gréco-romaine et chrétienne : « sacré »,
« profane », « mythe », etc., que l’on utilise faute de mieux, et qui semblent
s’être rendus (presque) indispensables. Ainsi, le « sacriice » fait bien partie de
ces « critical terms » réunis il y a quelque temps par une équipe américaine 4.
Et c’est encore plus précisément au « sacriice humain » que se consacrait le
premier numéro de l’Archiv für Religionsgeschichte 5, un « fait religieux » qui
attire l’enquête collective, mais un fait décidément « étrange » 6, surtout si l’on
s’avise d’en déconstruire l’édiication. Il faut dire que le débat a très largement
dépassé celui déini jadis par Henri Hubert et Marcel Mauss dans le cadre
de leur fameuse théorie sur le sacriice, pour rejoindre de façon très large
la vaste afaire de la « violence » – car le sacriice, de façon générale, détruit
quelque chose 7. une « violence sacrée 8 » pour certains, et aussi meurtrière 9 ;
on pensera bien entendu aux contributions de René Girard 10 ou de Walter
Burkert 11. Et efectivement, lorsque l’objet du sacriice n’est ni un végétal ni
un animal, mais serait bien un être humain, voilà que le débat se passionne et
se complique encore, produisant une abondante littérature, édiiée en partie,
à mon avis, sur une catégorie qui devrait plutôt, désormais, faire partie de
cette « pensée d’hier » qu’évoquait Marcel Detienne. Une catégorie qu’il s’agit
précisément d’explorer et de déconstruire.
Venons-en à présent au sujet que je souhaite traiter ici : l’examen (en
résumé) d’un peu plus d’un siècle de littérature égyptologique autour du
« sacriice humain », constituant un débat qui, ici comme ailleurs, fut large-
ment mal fondé ; un débat qui, pour cette raison, est éclairant pour une
rélexion critique et méthodologique. Mais il m’importe de souligner d’emblée,
avant même de traiter du cas des « sacriices humains », que la catégorie du
« sacriice » demande d’abord d’être repensée ou redéinie dans le champ de la
culture de l’égypte pharaonique. À coup sûr, cela nous entraînerait trop loin,
mais disons seulement qu’un rapide regard sur les sources suit à réaliser
un fait important : si l’ofrande est fondamentale dans les processus rituels

4. J. RoBBins, s.v. « Sacriice », dans M. C. Tylor (éd.), Critical Terms for the Religious Studies,
Chicago 1998, p. 285-297, où l’horizon comparatiste est néanmoins limité.
5. ARG 1/1 (1999).
6. J. Bremmer (éd.), The Strange World of Human Sacriice, Louvain 2007 (“Studies in the
History of Religions” 1).
7. Le sacriice humain serait selon G. Bataille « le plus haut degré d’un déchaînement de la
violence intérieure », Théorie de la religion, édition établie par t. k lossoWki, Paris 1973, p. 82.
8. Cf. K. MCClyMond, Beyond Sacred Violence. A Comparative Study of Sacriice, Baltimore
2008.
9. Cf. le vaste champ de questionnement, à la conluence des approches (anthropologie,
psychanalyse, histoire, etc.), parcouru par exemple par le séminaire de F. Héritier, De la
violence, 2 vols., Paris 2005 (1996-19991).
10. notamment : r. girarD, La violence et le sacré, Paris 1972 et Le sacriice, Paris 2003.
11. W. Burkert, Homo Necans. Rites sacriiciels et mythes de la Grèce ancienne, Paris 1997
(le livre, en allemand, est paru en 1972).

40
Le débat sur les « sacriices humains » en Égypte ancienne

égyptiens, en revanche, l’acte amenant à cette ofrande (notamment en ce qui


concerne les ofrandes carnées) ne paraît pas du tout avoir été ressenti comme
un moment culminant par les égyptiens 12. les mises à mort ne semblent pas
être ici des « actes centraux » du culte. Il y a boucherie, certes, et même la
représente-t-on en détail, mais celle-ci n’est pas un moment culminant du
processus 13. sur cette base, on comprendra ce qu’il y a de délicat ou d’embar-
rassant à déinir de façon préétablie ce qu’est le champ du « sacriice humain »
en Égypte. Cela posé, ce thème me servira à élaborer quelques propositions
sur la démarche anthropologique en histoire des religions, et à proposer
non pas de nouvelles idées en la matière, mais plutôt à encourager à garder
un cap, déjà suivi par plusieurs, et à le poursuivre tranquillement, tout en
laissant derrière nous l’encombrant bagage des théories réductrices. Ainsi,
à la catégorie de « sacriice humain », je préférerai celle d’« anthropoctonie »,
que j’utilise ici dans le sens plus neutre de « mise à mort d’êtres humains lors
de procédures ritualisées ».
Il en va du dossier du « sacriice humain » en Égypte comme de bien
d’autres thèmes : l’histoire de sa constitution par les savants est très fortement
liée à des idées préconçues, à une catégorie très formatée au préalable. Et
selon les critères retenus, les cas forment un ensemble plus ou moins vaste. À
la diférence des fameuses « preuves » archéologiques, fort peu nombreuses et
jamais probantes, le « discours égyptologique » du sacriice humain est assez
bien fourni. Par chance pour l’historien des religions, il se trouve que tout
ceci a été abordé et admirablement commenté par un éminent savant, Jean
Yoyotte, qui en a tout dit, ou presque, dans une étude fameuse 14. de surcroît,
une excellente équipe d’égyptologues, d’anthropologues et d’archéologues
a publié il y a peu une monographie sur le sujet 15 ; enin, cette question a
été encore récemment réexaminée avec pertinence par H. Te Velde dans un
volume collectif 16. c’est donc sur ces études que je me baserai, et j’invite le
lecteur à s’y reporter, pour avoir une vision bien plus complète du sujet que ce
que les présentes lignes pourront retracer.
L’afaire de la constitution du dossier du « sacriice humain » en Égypte
remonte au xixe siècle, et se noue au conluent des interprétations des données
archéologiques, de la compréhension des images et des textes égyptiens. Les
premières pierres de cet édiice furent d’ailleurs posées déjà par les auteurs

12. Cf. C.  BouaniChe, « Mise à mort rituelle de l’animal, ofrande carnée dans le temple
égyptien », dans S. GeorGouDi, r. koCh P iettre, F. sChmiDt (éd.), La cuisine et l’autel.
Les sacriices en question dans les sociétés de la Méditerranée ancienne, Turnhout 2005
(“BEHE, SR” 124), p. 149-158.
13. Y. Volokhine, « Approcher les dieux en Égypte ancienne », dans Ph. BorGeauD,
F. PresCenDi (éd.), Religions antiques. Une introduction comparée, Genève 2008, p. 53-73.
14. J. Yoyotte, « Héra d’Héliopolis et le sacriice humain », AnEPHE Ve section (1980-1981),
p. 31-102.
15. J.-P. AlBert, B. Midant-r eynes (éd.), Le sacriice humain en Égypte ancienne et ailleurs,
Paris 2007.
16. H. te velDe, « Human Sacriice in Ancient Egypt », dans J. Bremmer (éd.), The Strange
World of Human Sacriice, p. 127-134.

41
Youri Volokhine

grecs. avant que l’archéologie de terrain ne soit mise à contribution, c’est la


lecture des textes classiques qui a inscrit le motif de l’Égyptien anthropoctone
dans le cadre de la pensée occidentale. c’est donc sur cette double tradition
(grecque d’abord, puis moderne) que j’aimerais revenir dans un parcours
synthétique, pour proposer enin quelques éléments de rélexion sur le thème
de la mise à mort des êtres humains en égypte ancienne.

1. Le discours grec sur le sacriice humain égyptien : du roi Busiris


aux Boukoloi
Busiris
Ce sont les auteurs grecs qui inventent le thème du « sacriice humain »
en Égypte, dans le sillage d’un récit autour d’un roi impie, sacriicateur
d’étrangers, qui recevra dans la tradition littéraire le nom de Busiris 17. ce
nom est déjà associé aux aventures d’Héraklès dans un fragment attribué à
hésiode 18. le nom grec Busiris est forgé à partir d’un toponyme égyptien :
Per-Ousir « La Demeure d’Osiris » 19, connu notamment pour désigner la
métropole du 9e nome de Basse Égypte ; un nom qui n’est donc certainement
pas, en égyptien, un anthroponyme, et encore moins un nom de pharaon. quoi
qu’il en soit, d’un nom de ville les Grecs irent celui d’un tyran. Hérodote
rapporte qu’Héraklès, une fois venu en Égypte, y fut capturé puis amené sur
un autel pour être sacriié à Zeus ; trouvant l’afaire peu à son goût, il s’en
fâcha et massacra les impies Égyptiens qui s’apprêtaient à le mettre à mort 20.
Cette afaire est située dans un temps révolu, et il est bien clair que pour les
auteurs grecs ce mythe ne concerne pas (ou plus) les pratiques égyptiennes
qu’il leur était éventuellement donné d’observer 21. néanmoins, il se pose le
motif d’une xénophobie égyptienne particulièrement exacerbée ; laquelle
conduit au crime, et plus exactement au crime rituel ou sacriiciel. Cela se lit
ainsi chez Apollodore : Héraklès arrive en Égypte où règne Busiris (ils de
Poséidon) ; suite à une prophétie d’un certain Phrasios, un Chypriote, le roi
sacriie chaque in d’année un étranger sur l’autel de Zeus pour mettre in à
la famine (ayant frappé l’Égypte durant neuf ans). Le devin sera la première
victime. Héraklès est amené à l’autel, mais il rompt ses liens, tue Busiris
ainsi que son ils 22. Pour Diodore, Héraklès tue le roi Busiris qui sacriiait
« tous les étrangers arrivés dans le pays 23 ». Il en ressort évidemment que

17. On verra à ce propos l’essentiel des sources réunies et analysées par J.-G. Griffiths,
« Human Sacriice in Egypt: the Classical Evidence », ASAE 48 (1948), p. 409-423.
18. Pour Théon de Smyrne (Progymnasmata), ce qu’on lit chez Hésiode à propos d’Héraklès
et de Busiris serait invraisemblable, puisque Busiris serait vieux « de plus de onze générations »
qu’Héraklès ; cf. R. MerkelBaCh, M. L. West, Fragmenta Hesiodea, Oxford 1967, p. 183 (le
fragment est considéré comme douteux).
19. J. von BeCkerath, s.v. « Busiris », LÄ I (1975), col. 883-884.
20. II, 45. Cf. Chr. FroiDefonD, Le mirage égyptien dans la littérature grecque d’Homère à
Aristote, Gap 1971, p. 178-180. J. yoyotte, « Héra d’Héliopolis », p. 31-32.
21. J. Yoyotte, « Héra d’Héliopolis », p. 31.
22. a PolloDore ii, 51.
23. DioDore IV, 18.1.

42
Le débat sur les « sacriices humains » en Égypte ancienne

cette tradition grecque faisant de ce prétendu roi d’égypte une sorte d’ogre
est purement littéraire, et on pourrait bien admettre qu’elle se construise
uniquement dans la perspective d’une vision particulière de l’Égypte, et ne
corresponde aucunement à une quelconque réalité égyptienne. isocrate 24, en
contraste avec cette tradition, fait de Busiris un éloge, et le prend paradoxa-
lement comme roi modèle, philosophe et législateur 25. Dans ce bel exercice
de rhétorique, isocrate n’oublie pas de préciser que les accusations dirigées
contre un Busiris meurtrier sont évidemment des mensonges. strabon, quant
à lui, qui relate l’afaire (placée sous l’autorité d’ératosthène), pense que
cette xénélasie busirite n’est qu’une calomnie, qui serait née d’une vieille
expérience négative des rivages hostiles du Delta 26. Parallèlement à cette
tradition littéraire sur laquelle je ne m’arrêterai pas d’avantage, une tradition
iconographique se met en place 27, dont l’un des témoignages les plus fameux
est « l’Hydre de Busiris » de Vienne 28, datant environ de 520 av. J.-C. On y
voit Héraklès (légitimement) furieux, renversant l’autel et ses desservants,
étranglant des égyptiens et mettant à mal un personnage manifestement
couronné, qui pourrait être donc le pharaon Busiris lui-même. En quelque
sorte, l’image montre un Héraklès qui « massacre les Égyptiens » hostiles.
Bien que j’aie évoqué le fait que cette tradition appartient entièrement au
« regard grec » sur l’Égypte, et qu’iconographiquement elle s’inscrit aussi dans
une série plus large dénotant d’un questionnement iconique sur les « limites
du système 29 », on serait tenté de lire derrière cette mise en littérature et en
image, une façon de réponse grecque face à l’autorité du roi d’égypte. et
comme le fait remarquer christian Froidefond, il y aurait lieu de penser que
« les premiers contacts entre égyptiens et grecs avaient corroboré cet ancien
mythe 30 ». Il est, à mon avis, vain de soutenir l’absence de regard sur une
Égypte « réelle » en arguant du fait que les Égyptiens ne pratiquaient pas de
sacriice humain 31 ; aussi, ce n’est pas un fait historique ou cultuel qu’il s’agit
de rechercher si l’on s’avise de réléchir sur la genèse du motif, mais bien une

24. Cf. Chr. froiDefonD, Le mirage égyptien, p. 260-263.


25. Sur toute cette question, voir le traitement très complet du sujet (abordant aussi le thème
du sacriice humain en Égypte) par Ph. vasunia, The Gift of the Nile. Hellenizing Egypt from
Aeschyllus to Alexander, Berkeley – Los Angeles – Londres 2001, p. 183-215.
26. XVII, 19 ; J. Yoyotte, P. charvet, Strabon. Le voyage en Égypte, Paris 1997, p. 114-115.
Voir encore le paragraphe suivant, pour le lien avec l’afaire des Boukoloi.
27. J.-L. DuranD, F. lissaraGue, « Héros cru ou hôte cuit : histoire quasi cannibale d’Héraclès
chez Busiris », dans F. LissaraGue et F. thélamon (éd.), Image et céramique grecque, rouen
1983, p, 153-167 ; id., « Mourir à l’autel. Remarques sur l’imagerie du sacriice humain dans la
céramique attique », ARG 1/1 (1999), p. 83-106, spécialement p. 85-88. Cf. A.-F. laurens, s.v.
Busiris, LIMC III/1, p. 147-152 et LIMC III/2, p. 126-131.
28. Vienne, Kunsthistorisches Museum 3576 (LIMC III/2 Bousiris no  9, p. 128). On comparera
cette image notamment à la pelikè attique à igures rouges du « peintre de Pan » (Athènes, Musée
archéologique national, no 9683).
29. Comme le montrent J.-L. DuranD, F. lissaraGue, « Mourir à l’autel », p. 106.
30. Chr. FroiDefonD, Le mirage, p. 179. Héraklès massacrant Busiris et ses serviteurs se lit
aussi chez Phérécyde (Fr. Gr. Hist 17) et Panyasis (Fr. 24 Dübner).
31. Ph. Vasunia, The Gift of the Nile, p. 191-192, mais voir n. 20.

43
Youri Volokhine

perception grecque du roi égyptien. À ce propos, on peut penser que l’image


du pharaon – dont l’autorité militaire fut très anciennement exercée dans le
Proche-Orient (et très afaiblie, si ce n’est annihilée, au cours de la première
moitié du ier millénaire av. J.-C.) – put donc être internationalement connue,
mais aussi fondamentalement mal perçue hors frontières, si l’on veut bien
admettre que telle est aussi l’image néfaste du pharaon, tortionnaire voire
meurtrier dans la tradition juive de l’Exode. Il y a évidemment un change-
ment total de perspective avec l’image véhiculée en Égypte, où le pharaon
s’aiche ièrement avec une puissance monumentale sans pareille, comme
un « massacreur d’ennemis » (qu’il saisit, en grappe, par la chevelure), massa-
creur « d’étrangers » donc, dans cette scène si fameuse de la « propagande »
royale, reproduite par les égyptiens sur de multiples supports, du petit bijou
au pylône monumental des temples 32. dans une lecture grecque, on pourrait
conjecturer que l’acte de piété du roi protecteur de son pays devient un acte
démesuré, que le geste apotropaïque devient un geste hostile (xénélasie).
Mieux encore : c’est un grec « civilisateur » qui mettrait in à cette sauvagerie.
Les Boukoloi
Le motif du sacriice humain apparaît dans le cadre du roman grec, autour
de l’évocation de la igure des Boukoloi (les Bouviers), farouches pasteurs des
zones mal famées du Delta. Ce discours se construit, comme l’a bien montré
ian rutherford, en relation avec un épisode du cycle légendaire démotique
d’Inaros-Pétoubastis 33 (ce rapprochement avait déjà été signalé au xixe siècle
par gaston maspero 34) : le « combat pour la barque d’amon 35 ». En efet, tout
se passe comme si les farouches « bouviers » des textes grecs correspondaient
à des personnages connus dans les sources égyptiennes, mais nommés cepen-
dant de façon toute autre : les Aamou (‘3m.w), c’est-à-dire, originellement 36,
les « Asiates », groupe de populations venant du monde ouest-sémitique, qui,
dans la pensée égyptienne, ne sont pas des personnes forcément recomman-
dables – et que l’on risquait fort de rencontrer, en bandes, dans les régions
reculées des limbes du Delta du Nil. Dès le Nouvel Empire, le mot désigne

32. E. SWan hall, The Pharaoh Smites his Enemies. A Comparative Study, münich – Berlin
1986 (“Münchner Ägyptische Studien” 44).
33. I. rutherforD, « The Genealogy of the Boukoloi: How Greek Literature Appropriated an
Egyptian Narrative-Motif », JHS 120 (2000), p. 106-121.
34. G. Maspero, Les Contes populaires de l’Égypte ancienne, Paris 1992, p. xxxix-xl. en
copte, le toponyme namèué (*na-aâmou « (région des) Asiates / pasteurs »), désigne la région
nommée ta Boukolia en grec.
35. W. SPieGelBerG, Der Sagenkreis des Königs Petubastis, Demotische Studien t. 3, Leipzig
1910. Cf. la traduction française par D. aGut-laBorDère et m. chauveau, Héros, magiciens
et sages oubliés de l’Égypte ancienne. Une anthologie de la littérature en égyptien démotique,
Paris 2011, p. 71-94 (spécialement p. 79, = 4.10-5.1 et passim).
36. Cf. W. VyCiChl, Dictionnaire étymologique de la langue copte, Louvain 1993, p. 9. cf.
Wb I, 167.19 ; cf. D. B. ReDforD, Egypt, Canaan and Israel in Ancient Times, Princeton 1992,
p. 32, 100.

44
Le débat sur les « sacriices humains » en Égypte ancienne

aussi des ouvriers, domestiques ou autres corvéables 37. en démotique,


le mot ‘3m a également le sens de « pasteur », « berger », ou « bouvier », et
ne fonctionne plus comme ethnonyme 38. Xénophon d’éphèse nomme
« pasteurs » (poimenes) 39 les brigands du delta oriental qui capturent son
héros, habrocomes. dans le roman grec, il faut constater plusieurs modula-
tions dans la igure des Boukoloi. si, avec héliodore, ce sont de rustres
habitants des marais, guerriers féroces, chevelus et mangeurs de poissons
crus (signe d’extrême barbarie), du moins sont-ils aussi, de façon ambiguë
peut-être, du côté de la justice 40. Mais chez Achille Tatius (iie  siècle), qui
fait de « l’île de Nikochis » le repaire de ces fourbes brigands, l’afaire est
plus terrible : ces brigands pratiquent le sacriice humain et le cannibalisme,
dévorant les entrailles de leucippé mise à mort sur un autel 41. Or, cette afaire
« rebondit », si l’on ose dire, hors du « roman ». En efet, à propos des troubles
de 171, Dion Cassius relate que des rebelles Boukoloi auraient attaqué les
autorités romaines (sous Marc-Aurèle) et auraient sacriié, et même mangé,
un centurion 42 (ou plus exactement : ils mangèrent ses entrailles, après l’avoir
sacriié). Le récit est horriique à souhait, et on aurait nulle peine à le mettre
au même rang que d’autres accusations de sauvageries cannibales relatées
dans les campagnes égyptiennes, notamment par Juvénal 43. mais tout de
même : un singulier « efet de réel » est ici à l’œuvre ; le thème littéraire semble
s’incarner dans la réalité. on notera que strabon, qui en relatant le mythe de
Busiris, auquel il ne croit pas, pense que son origine pourrait bien être le fait
que les rivages hostiles du delta étaient « surveillés par des bouviers brigands
qui attaquaient ceux qui tentaient de jeter l’ancre 44 ». Chez Achille Tatius,
« l’île de Nikochis » était le chef-lieu des brigands. Or, voilà en outre que
des documents papyrologiques (datant, comme le roman, du iie siècle) jettent
une lumière particulière sur cette bourgade : plusieurs documents ont en efet
conservé des plaintes émanant des habitants du nome mendésien à propos des

37. Cf. par exemple : D. Meeks, Année lexicographique. Égypte ancienne, t.  2, Paris 1998
(19781) : 78. 0640.
38. W. EriChsen, Demotisches Glossar, Copenhague 1954, p. 55 ; le mot devient ame en
copte, cf. W. Crum, A Coptic Dictionary, Oxford 1939, p. 7a, et J. Černý, Coptic Etymological
Dictionary, Cambridge 1976, p. 5.
39. Le même mot de « pasteur » est employé par la tradition manéthonienne, relayée notamment
par Joseph, pour désigner les « Hyksos », eux aussi Asiates, et ressentis comme impies dans la
tradition égyptienne.
40. Éthiopiques (ive siècle).
41. Cf. aChille tatius, Le roman de Leucippé et Clithophon, texte établi et traduit par
J.-Ph. GarnauD, Paris 1991 ; cf. notamment livre III, 15 (mise à mort de Leucippé) ; livre IV, XII
(bouviers dans leur repaire de Nikochis). Cf. p. IX.
42. Histoire Romaine, 72.4. Cf. J. Winkler, « Lollianus and the desperadoes », JHS 100 (1980),
p. 155-181.
43. Juvénal, Satires, XV, 35-71. Sur les détestations « interreligieuses » dans la chora
égyptienne, cf. cl. trauneCker, « La revanche du crocodile de Coptos », dans Mélanges Adolphe
Gutbub, Montpellier 1984, p. 219-229. également, cf. s. cauville, « l’impossible serment de
main ou la pax romana à Dendara », RdE 58 (2007), p. 29-40.
44. straBon XVII, 9 ; J. yoyotte et P. charvet, Strabon, p. 114-115.

45
Youri Volokhine

« impies (anosioi) Nikochites » 45. En efet, en 166/167, ceux-ci auraient attaqué


plusieurs villages du mendésien ; et en 168/169, les Nikochites auraient même
détruit le village de Kerkenouphis, et massacré ses habitants. On peut rélé-
chir assurément sur les passages, ou passerelles, qu’il s’agit de tracer ou non
entre faits « avérés » et motifs littéraires. L’exercice n’est pas si simple, à vrai
dire. Bien que les Boukoloi sauvages, impies et cannibales soient le produit de
l’imaginaire romanesque, rien ne nous oblige à penser que ces actes atroces et
ces crimes qu’on leur prête n’aient jamais pu se produire, sous quelque forme
que ce soit, dans la chora égyptienne ; on ne peut airmer que les auteurs des
romans grecs puisent une part de leur inspiration dans des « ragots » liés à des
faits divers, mais l’on ne peut l’exclure totalement non plus. Cela dit, le « fait
divers », qui est en quelque sorte un « fait diférent 46 », quel beau sujet pour
l’historien des religions 47 !
Les Typhoniens
À propos du sacriice humain en Égypte, les sources « les plus sérieuses »,
comme l’écrit Jean Yoyotte, datent de l’époque lagide 48. c’est à cet auteur
que l’on doit d’avoir tiré au clair les curieuses allusions de manéthon 49, de
diodore 50 et de Plutarque 51 à propos de la mise à mort de rouquins en égypte,
considérés comme des ennemis du fait de cette couleur de peau qui les place

45. S. k amBistis, Le papyrus Thmouis  1. Colonnes  68-160, Paris 1985, p. 28-29 ; cf.
P. Thmouis 1, 104, 9 et s., (et n. 13 p. 99), 114, 3 et s., 115, 21 et s. Cf. également S. k amBitsis,
« Un nouveau texte sur le dépeuplement du nome mendésien », CdE LI (1976), p. 130-140.
46. Formule d’Alain Monestier, dans Le fait divers. Musée national des arts et traditions
populaires, Paris 1982, p. 50.
47. Historiens et anthropologues ne s’y sont pas trompés : cf. par exemple Moi, Pierre Rivière,
ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère… Un cas de parricide au xixe siècle, présenté par
m. fouCault, Paris 1973 ; également : A. CorBin, Le village des « cannibales », Paris 1990.
48. J. yoyotte, « Héra d’Héliopolis ».
49. « La loi prescrivant de tuer des hommes à. Héliopolis d’Égypte fut supprimée par Amôsis,
comme l’atteste Manéthon, traitant de l’ancienne pratique et de la religion (eusebeia). des
hommes étaient sacriiés à Héra ; ils étaient examinés comme le sont les veaux purs que l’on
sélectionne et que l’on marque. On en sacriiait trois par jour. À leur place, Amôsis ordonna de
substituer autant d’images de cire » : Manéthon frag. 85 WaDDell = Porpyhre, De Abstinentia ii,
55 (traduction personnelle), cf. EusèBe, Préparation Évangélique, iV, 16.
50. « […] Pour les bœufs roux, on a consenti à leur sacriice parce qu’on croit qu’ils ont la
couleur qu’avait Typhon qui attenta à la vie d’Osiris et qui reçut le châtiment d’Isis pour le
meurtre de son mari. Les hommes de même teinte que Typhon étaient aussi sacriiés dans
l’Antiquité, dit-on, auprès du tombeau d’Osiris ; au reste, on ne trouve que peu d’Égyptiens
roux, tandis que la majorité des étrangers le sont ; aussi s’est développée chez les Grecs la
fable du meurtre des étrangers par Busiris, alors que ce n’est pas le roi nommé Busiris mais le
tombeau d’Osiris qui est ainsi appelé dans le dialecte local » : DioDore I, LXXXVIII, 4-5 (trad.
m. casevitz, dans m. Casevitz, F. Bizière et al., Bibliothèque historique / Diodore de Sicile,
Paris 2006).
51. « quant à la ville d’ilithye, on brûlait vif, à ce que rapporte manéthon, des hommes
appelés typhoniens, et passant ensuite leurs cendres dans un crible, on les faisait disparaître
en les semant au vent. ce rite se pratiquait en public, à une seule époque, pendant les jours
caniculaires » : Plutarque, De Iside, 380 D (trad. Chr. froiDefonD, isis et Osiris / Plutarque,
Paris 2003).

46
Le débat sur les « sacriices humains » en Égypte ancienne

sous l’autorité du dieu honni, seth 52. Partant sur la piste de la déesse « héra
d’Héliopolis », Jean Yoyotte est parvenu à montrer que celle-ci devait corres-
pondre à une forme particulière de la Mout héliopolitainne, que les textes
(égyptiens) associent à des rites d’exécration qui, s’ils ne conirment pas
directement les dires des auteurs grecs et de manéthon, du moins ne ferment
pas la porte à la possibilité de l’existence ponctuelle de pratiques de cet ordre.
On ne saurait le dire mieux que Jean Yoyotte lui-même :
On supposera […] que la Troisième Période Intermédiaire aura remis en usage
une vieille coutume tombée en désuétude, en condamnant d’une part à être
brûlés pour Mout […] les rebelles politiques qui, par leur insoumission sacri-
lège au pouvoir établi, s’avéraient les « enfants de bdšt » 53 et en prescrivant
d’autre part la recherche de malheureux individus en qui la moschosphra-
gistique 54 pouvait déceler des complices nés d’Apopis ; l’exécution rituelle
d’êtres humains et leur crémation dans le « brasier de Mout » ont pu survivre à
l’époque saïte, pour être inalement abolie par Amasis dans la seconde moitié
du vie siècle […] 55.
On remarquera que ce n’est que dans ce cadre-là que l’on est parvenu
à trouver un point d’accrochage précis entre la tradition grecque sur la
mise à mort sacriicielle d’êtres humains en Égypte et une réalité cultuelle
égyptienne.

2. à la recherche des indices archéologiques.


interprétations, mésinterprétations et réajustements
autour du tékénou
« les anciens égyptiens n’auraient pas été des anciens s’ils avaient totale-
ment ignoré ou proscrit les sacriices dans lesquels l’homme est pris pour
victime 56 ». C’est par ces mots qu’Eugène Lefébure commence l’article qu’il
consacre, en 1900, à la question du « sacriice humain » en Égypte ancienne.
selon lui, les terribles histoires colportées par les grecs, à propos du cruel
Busiris, ont bel et bien un support dans la réalité cultuelle. une réalité
partagée, d’ailleurs, et Lefébure d’énumérer la « noyade des Argiens » à Rome,
les enterrements des « Gaulois et des Grecs » au forum boarium, ou encore le

52. Cf. Y. volokhine, « Des Séthiens aux Impurs. Un parcours dans l’idéologie égyptienne
de l’exclusion », dans Ph. BorGeauD, th. römer, Y. VoloKhine (éd.), Interprétations de Moïse.
Égypte, Judée, Grèce et Rome, Leyde – Boston 2010 (“Jerusalem Studies in Religion and
Culture” 10), p. 199-243.
53. « Enfants de l’aliction », ou encore « enfant de l’impuissance » ; désignation mythologique
relative aux adversaires des dieux, voulant contrarier la marche du monde. Sur ces divinités, cf.
d. m eeks, Mythes et légendes du Delta d’après le papyrus Brooklyn 47.218.84, Le Caire 2006
(“MIFAO” 125), p. 199-202.
54. Sur ces prêtres spécialistes de l’examen des victimes sacriicielles, cf. Fr. von k änel, Les
prêtres-ouâb de Sekhmet et les conjurateurs de Serket, Paris 1984 (“BEHE, SR” 87).
55. J. Yoyotte, « Héra d’Héliopolis », p. 102.
56. e. leféBure, « Le sacriice humain d’après les rites de Busiris et d’Abydos », Sphinx  3
(1900), p. 164.

47
Youri Volokhine

(prétendu) « Moloch » des Carthaginois. Selon Lefébure, le sacriice humain


serait un rite qui, plus ou moins latent, semble intrinsèquement lié aux divers
paganismes et renvoie à leurs genèses sauvages. Pire, il serait même associé
à l’anthropophagie, pour laquelle les égyptiens auraient carrément une
« tendance atavique 57 ». Sur ces prémices, Lefébure constitue le dossier du
sacriice humain en Égypte, en s’appuyant d’une part sur les textes classiques
(autour de Busiris, sur l’Héra de Manéthon et les rouquins-typhoniens de
Diodore, etc.). Lefébure s’emploie à chercher dans les textes égyptiens des
conirmations : et il en trouve, ou du moins le pense-t-il. Dans une tombe
thébaine (TT 20, Mentouherkhepeshef), il rencontre une série de tableaux
intrigants liés à l’enterrement, associé au « Tat » d’Osiris (le Djed). ce rite
curieux, dans lequel Gaston Maspero avait déjà reconnu une sorte de sacri-
ice humain 58, paraît efectivement impliquer le sacriice de prisonniers, des
Nubiens, en lien (selon l’auteur) avec ce qu’il interprète comme le simulacre
d’une mise à mort (le « tekennu »), lors de rites découlant de « vieilles
coutumes barbares ». Pour Lefébure, ces personnages nommés « tekennu »
doivent être compris comme des anciennes désignations ethniques, renvoyant
à des étrangers oasiens ou libyens : des hommes probablement blonds ou roux.
étrangers sacriiés pareillement, dans un antique rituel osirien, à Abydos ou
à Busiris. dans le Livre des Morts, la cérémonie du « piochage de la terre »
(khebes-ta) illustrerait également l’immolation sanglante de seth et de ses
suivants 59. Voici donc, pour l’auteur, que la fameuse xénélasie égyptienne
serait conirmée par des sources bien plus anciennes que les textes grecs.
Quant au fameux pilier « Tat » (le Djed), en voici une description frémissante :
Cette forme [barbare] c’est l’échine surmontant une tête sans nez, toute en
bouche et en joues énormes ; le corps est vêtu d’une robe tachetée, et tient
d’une main le crochet, et de l’autre le fouet : tel était, pour les grecs et les
égyptiens le cruel Busiris, qui passait pour se nourrir de la chair des étrangers
sacriiés.
une description qu’il s’agit de comparer, selon l’auteur, à celle que Bernal
Diaz donnait de « l’efroyable » Hichilobos (Huitzilopochtli) :
tête et buste énormes, les yeux grands et terribles […] tout son corps resplen-
dissant d’étoiles. de grands serpents d’or et de pierreries s’enroulaient autour
de ses lancs […] les murs de cet oratoire étaient noirs et ruisselants de sang,
et de même que le sol sentaient horriblement mauvais 60.

57. Ibid., p. 139.


58. G. MasPero, Tombeau de Montouhikopshouf, dans Mém. Miss. Fr., Le Caire 1891,
p. 435-468. Pour Maspero, le sacriice de victimes humaines dans les rites funéraires doit se
comprendre comme une pratique visant à pourvoir au défunt des serviteurs dans l’Au-delà. Les
victimes sont des étrangers, surtout nubiens, considérés comme des suivants de seth. l’analyse
de lefébure s’inscrit dans la même ligne.
59. Sur ce rite, cf. notamment J. assmann, Images et rites de la mort dans l’Égypte ancienne,
Paris 2000, p. 42-44.
60. e. leféBure, « Le sacriice humain », p. 164. L’auteur se base sur la lecture du texte de
Bernal Diaz que donnait Andrew lanG dans Myth, Ritual and Religion, Londres 1899, p. 91,

48
Le débat sur les « sacriices humains » en Égypte ancienne

la tombe thébaine sur laquelle lefébure base ses interprétations sera


publiée à nouveau peu après, par Norman de Garis Davies 61 dans une édition
bien plus iable que celle de Maspero : à propos de la scène de la mise à mort
des nubiens, notons que de garis davies se détachent des interprétations
antérieures « it’s of course conceivable that the tableau expresses no more
than abject submission, as with the historic burghers of Calais 62 ». Quelques
années plus tard, Alexandre Moret consacrant un livre à « quelques-uns des
problèmes les plus intéressants, mais les plus diiciles à résoudre que nous
ofre l’Égypte », s’arrête de nouveau sur la même documentation 63. il était
d’avis, comme ses prédécesseurs, que « jusqu’à tard dans la période histo-
rique, on immolait réellement des victimes humaines, qui iguraient Seth,
l’ennemi de tout être osirien 64 ». Moret développe par ailleurs l’idée de la
substitution d’un rite originellement exécuté auquel se seraient substituées
des pratiques magiques : la peau du tékénou évoquerait dès lors un embryon
humain (enveloppe placentaire), et inscrirait la procédure dans un rite
de renaissance. Au cours des siècles, le rite « se simpliie » (comme l’écrit
Moret), et le sacriice humain disparaît, au proit d’un rite symbolique. Qu’en
est-il, au juste ? Rappelons que J.-G. Griiths a montré que le rite du tékénou
comprend efectivement un sacriice, mais que celui-ci concerne plutôt un
taureau ; l’objet tékénou (une sorte d’outre en peau plus ou moins informe,
mais parfois partiellement anthropomorphisée) contient quant à lui probable-
ment les résidus de l’embaumement 65 ; quant aux mises à mort de prisonniers
(rien, toutefois, ne permet de les lier directement au tékénou), sans doute
sont-elles envisageables très ponctuellement ; chez Montouherkhepesef il est
plus vraisemblable d’imaginer qu’elles concernent un simulacre symbolique
qu’une exécution réelle 66. En efet, l’image des prisonniers liés et étranglés
sous la iguration d’une forteresse 67 s’inscrit dans les igurations d’ennemis
soumis, et ne commémore pas directement la mise en exécution d’un rite

qu’il compare à une représentation du pilier djed copiée dans Manners and Customs of
the Ancient Egyptians de J. g. Wilkinson (Londres 1878). Pour ce passage, cf. B. Díaz Del
Castillo, Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle-Espagne, t. ii, trad. d. JourDanet,
Paris 2003 (Maspero 19801), p. 100-101.
61. N. De Garis Davies, Five Theban Tombs, Londres 1913, p. 1-19 (« The Tomb of Mentu-
Her-Khepesh-Ef »).
62. Ibid., p. 16.
63. A. moret, Mystères égyptiens, Paris 1923, p. 42 et s.
64. Ibid., p. 43. Notons que pour James G. Frazer, les victimes des sacriices humains en
Égypte (cf. Manéthon) représentaient en fait Osiris lui-même, le « dieu qui meurt ». Cf.
J. g. frazer, Le Rameau d’Or, Paris 1983, p. 462.
65. e. hornunG, L’esprit du temps des pharaons, Paris 1996, p. 184-185 ; J. assmann, Mort et
au-delà dans l’Égypte ancienne, Paris 2003, p. 453. Cf. W. h elCk, s.v. « Tekenu », LÄ VI (1986),
col. 308-309.
66. J.-G. Griffiths, « The Tekenu, the Nubians and the Butic Burial », Kush 6 (1958), p. 106-
120, ici p. 106-107.
67. N. De Garis Davies, Five Theban Tombs, pl. VIII ; la lecture précise du nom inscrit dans
l’enceinte n’est pas certaine ; J.-G. Griffiths, « The Tekenu, the Nubians and the Butic Burial »,
p. 106-107, propose notamment de comprendre Késhyou en tant que nom de localité en nubie.

49
Youri Volokhine

punitif consistant à mettre à mort des vaincus. L’ensemble des scènes consi-
dérées par les égyptologues français (Maspero, Lefébure, Moret) relève des
pratiques funéraires de la XVIIIe dynastie, et concerne tout spécialement
la région thébaine. Les igurations du dit tékénou (un mot qui résiste à une
analyse déinitive, mais qui signiie quelque chose comme « Celui/ce-qu’on-
approche »), comme je viens de le rappeler, n’ont aucune connexion avec des
mises à mort efectives ; celles-ci, comme dans le cas particulier de la tombe
thébaine de montouherkehephsef, ne sont pas avérées, mais l’on ne peut
rejeter a priori la possibilité de l’existence de rites d’exécrations impliquant
des mises à mort réelles, dont je dirai encore quelques mots plus bas.
Les imaginaires sacriices « sémitiques » à Tanis
ce qui faisait défaut à ces théories étaient les preuves archéologiques. or,
c’est précisément ce que Pierre montet crut trouver, dans les années trente,
lors de ses fouilles de Tanis, au prix d’une méprise complète 68. auteur d’une
des plus extraordinaires découvertes de l’égyptologie – les tombes royales de
tanis –, montet avait basé malheureusement toute son interprétation du site
selon l’équation Avaris = Pi-Ramsès = Tanis, qui était fâcheusement erronée,
tous ces sites proches demandant en fait d’être soigneusement distingués 69. or,
Montet pensa avoir trouvé des sacriices humains dans les fondations tanites :
sacriices qu’il interpréta comme des pratiques sémitiques importées, car,
toujours selon lui, la pratique était courante dans le « pays de Canaan ». Jean
Yoyotte 70 et Philippe Brissaud ont totalement démonté les bévues de montet,
qui avait considéré comme « sacriices de fondation » ce qui n’était, en fait,
que des inhumations tardives sans rapport avec les structures plus anciennes
contre lesquels elles étaient appuyées 71. la question tanite réglée, voyons à
présent sur quelles autres « preuves » ou témoignages peut se construire le
dossier du sacriice humain égyptien.
Les « morts d’accompagnement »
avant d’aller plus loin, il faut bien, encore une fois, se mettre d’accord sur
l’objet de la discussion. Comme le rappelait à juste titre J.-P. Albert, le problème
principal n’est même pas la question de savoir si des victimes humaines
sont à dénombrer dans certains rites, mais bien de savoir ce que l’on appelle
« sacriice » 72. et à ce propos, tout se passe comme s’il était impossible de faire
s’accorder deux orientations distinctes : (1) une conception « étroite » du sacri-
ice humain, posant que celui-ci est un acte s’adressant à une entité surnaturelle
et impliquant donc un sacriiant, un sacriié (une victime humaine) et un tiers
(auquel s’adresse le sacriice) ; (2) une conception « élargie », admettant comme
sacriice humain tout ce qui relève aussi des « morts d’accompagnement » ou

68. En dernier lieu, P. montet, Les énigmes de Tanis, Paris 1952, notamment p. 17-19.
69. Avaris = Tel el Dab’a ; Pi-Ramsès = Qantir ; Tanis = Sân el-Haggar.
70. « Héra d’Héliopolis », p. 35.
71. Ph. BrissauD, « Les prétendus sacriices humains de Tanis », CahTanis 1 (1987), p. 129-144.
72. J.-P. a lBert, B. Midant-reynes (éd.), Le sacriice humain, p. 12.

50
Le débat sur les « sacriices humains » en Égypte ancienne

des massacres de prisonniers, voire des exécutions judiciaires 73. À cet égard, je
pense de la même manière que J.-P. Albert, pour qui la notion de sacriice – et
qui plus est de sacriice humain – est une catégorie qui pose problème. C’est-
à-dire : elle ne nous permet pas de mieux comprendre les données que nous y
attachons. Et le problème qui se pose ici en Égypte semble être analogue à ce
que l’on dit à propos d’autres cultures, notamment celles du monde celtique ; en
efet, diférents chercheurs tendent à ne pas considérer les restes humains très
nombreux attestés par l’archéologie des sanctuaires gaulois comme des « sacri-
ices humains », surtout parce que le modèle choisi pour leur déinition d’un
sacriice ne permet pas de les y ranger. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas ici l’espace
de discuter de l’ensemble du dossier égyptien des « morts d’accompagnement »,
dont j’ai exposé les prémices, d’autant plus que je ne pense pas que cela soit
nécessaire, étant donné que les récentes études font le point sur la question.
Cependant, reprenons simplement, en mentionnant les axes principaux qui se
dégagent de la problématique, les « pièces à conviction » versées au dossier. En
premier lieu, les pratiques funéraires. ces pratiques font connaître des enterre-
ments multiples de contemporains que l’on nomme donc « morts d’accompa-
gnement ». Cette pratique est décelable dans l’Égypte des dynasties archaïques
et des époques prédynastiques. « L’afaire » avait été lancée par la découverte
par Petrie de la nécropole prédynastique de Nagada, en Haute Égypte, où se
manifestaient diférentes marques de manipulations de cadavres, que l’on tenta
de mettre en relation avec des éléments apportés par des textes postérieurs 74. car,
si ces pratiques ne sont plus connues aux époques plus récentes, on a pu penser
que le texte connu sous le nom d’« hymne cannibale », que l’on trouve dans les
Textes des Pyramides (formule 273-274) 75 puis dans les Textes des Sarcophages,
gardait traces (sous formes métaphoriques) de certaines pratiques de démembre-
ment des cadavres 76, voire de mises à mort rituelles. mais tracer un lien entre
cet imaginaire de la « boucherie sacriicielle » et les pratiques plus anciennes
est voué à l’échec. En ce qui concerne les mises à mort « d’accompagnement »,
relevons qu’à Adaïma des découvertes récentes relancent apparemment la
question 77 ; mais, comme le pensent B. Midant-Reynes et É. Crubézy, tout se
passe comme si la mise à mort rituelle d’une victime semble, dès le prédynas-
tique, « une question sans réponse », voire d’emblée une réminiscence d’un rite

73. A. testart, « Doit-on parler de sacriice humain à propos des morts d’accompagnement »,
dans J.-P. AlBert, B. Midant-r eynes (éd.), Le sacriice humain, p. 34-57, pose une diférence
« radicale » entre « sacriice et accompagnement ». Cette distinction découle pour partie d’une
déinition préétablie (et étroite) du sacriice.
74. W. M. flinDers P etrie, Naqada and Ballas. 1895, Londres 1896. é. cruBéZy, B. miDant-
r eynes, dans Le sacriice humain, p. 59.
75. Sur ce texte, cf. Chr. eyre, The Cannibal Hymn. A Cultural and Literary Study, liverpool
2002.
76. Cf. G. WainWriGht, dans W. M. flinDers P etrie, G. WainWriGht, e. maCKay, The
Labyrinth. Gerzeh and Mazguneh, Londres 1912 (“ERA”  18), p. 11-15. Sur les pratiques
funéraires gerzéhenne cf. dernièrement A. Stevenson, The Predynastic Egyptian Cemetery of
El-Gerzeh: Social Identities and Mortuary Practices, Louvain 2009 (“OLA” 186).
77. É.  CruBéZy  et B. Midant-r eynes, « Les sacriices humains à l’époque prédynastique.
L’apport de la nécropole d’Adaïma », dans Le sacriice humain, p. 58-80.

51
Youri Volokhine

lointain, encore plus ancien, dont la signiication exacte se serait perdue. Rien
n’est plus délicat, en efet, pour un archéologue d’évaluer la inalité d’un geste
qu’il observe sur le terrain, des traces qu’il observe sur un os ou des corps.
Le matériel d’Adaïma montre que, vers 3500 av. J.-C (Nagada Ic), on pratique
des mises à mort dans un contexte funéraire. En tout cas, on peut s’accorder
sur l’existence de « mises à mort cérémonielles » durant la première dynastie,
non pas seulement en contexte guerrier (nous en reparlerons ci-dessous), mais
encore funéraire 78. elles concernent, dans le premier cas, des victimes repré-
sentant sûrement des forces hostiles. Aux époques ultérieures, les mises à mort
en contexte funéraire disparaissent ; en revanche, dans un cadre répressif ou
guerrier la question se pose encore, mais là, on comprendra que l’appréciation
comme « sacriice » de ces pratiques se discute, comme je viens de le rappeler.
En dernier lieu, rappelons que des afaires comparables ont été étudiées dans le
cadre de la culture méroïtique au Soudan, qui atteste notamment le massacre de
prisonniers 79 et les morts d’accompagnement 80. dans ces cas, l’interprétation des
données archéologiques ne peut être appuyée directement par d’autres sources.

3. mises à mort virtuelles versus mises à mort réelles :


le motif de l’anthropoctonie et du roi exécuteur
Conigurations prédynastiques
Il ne fait aucun doute que l’Égypte ancienne, dès le prédynastique, promeut
dans le cadre régalien un discours sur l’anéantissement de l’ennemi passant par
la représentation de son anéantissement. iconographiquement, la mise à mort
d’êtres humains est un élément d’une symbolique où l’on voit convié aussi le
monde de la chasse. Emblématiquement, la fameuse « palette de Narmer »
(env. 3100 av. J.-C.) 81, le premier artefact où le souverain porte alternativement
la couronne blanche de haute égypte et la couronne rouge de Basse égypte,
c’est-à-dire que l’autorité d’un seul roi s’exerce désormais simultanément sur
la Vallée et le Delta, révèle des scènes de mises à mort. Mises à mort specta-
culaires : des ennemis liés sont montrés décapités, la tête exposée entre les
jambes, et probablement castrés, le phallus posé sur la tête 82. auparavant,
dès la plus ancienne peinture connue en Égypte (la « tombe peinte » no 100

78. M. BauD, m. etienne, « Le vanneau et le couteau. Un rituel monarchique sacriiciel dans


l’égypte de la ire dynastie », dans Le sacriice humain, p. 96-121, et B. m enu, « mise à mort
cérémonielle et prélèvements royaux sour la I re dynastie (Narmer-Den) », dans Le sacriice
humain, p. 122-135. Cf. H. Junker, Gîza XII, Vienne 1955 (« Das Problem der Menschenopfer
bei der Königsbegräbnissen der 1. Dynastie »), p. 6-12.
79. P. LenoBle, « Le ‟sacriice humain” des funérailles impériales de Méroé : un massacre de
prisonniers », dans Le sacriice humain, p. 164-179.
80. J. van DiJk, « Retainer Sacriice in Egypt and Nubia », dans The Strange World of Human
Sacriice, p. 135-156.
81. Musée du Caire, CG no 14716 ; objet abondamment commenté, cf. B. Midant-r eynes, Aux
origines de l’Égypte, Paris 2003, p. 355-357.
82. W. V. Davies, r. F. frieDman, « The Narmer Palette: An Overlooked Detail », dans
m. eldaMaty, m. traD (éd.), Egyptian Museum Collections around the World, vol. I, Le Caire
2002, p. 342-246.

52
Le débat sur les « sacriices humains » en Égypte ancienne

d’hiérakonpolis) 83, s’observe le motif du massacre de l’ennemi, qui sera encore


d’actualité à l’époque romaine, et dont nous avons déjà parlé. les thématiques
qui y sont impliquées (chasse, domination de l’ennemi, attitude « héroïque »,
présence du « maître des animaux », déilé d’animaux, prêtres vêtus de peaux
animales, etc.) seront ensuite attestées aussi à l’époque dynastique, mais relèvent
d’abord dans ce cadre précis d’une « mythologie hiérakonpolitaine » 84 à laquelle
nous n’avons évidemment pas réellement accès, liée à un système régalien qui
difère probablement sensiblement de celui des dynasties ultérieures. Nous
avons vu qu’à la première dynastie, des mises à mort efectives semblent bien
être attestées en contexte régalien et funéraire. Mais l’on constate ensuite que
ces pratiques, à l’issue de la ire dynastie, cessent : on a pu évoquer « une crise
du rite 85 ». Nonobstant, le motif du roi dominateur et massacreur demeure un
élément fort de l’aichage de la puissance du pouvoir central ; dans l’iconogra-
phie, le motif de la « chasse à l’homme » s’allie à celle des bêtes et des fauves 86.
En ce qui concerne la représentation du « massacre des ennemis », on a montré
bien entendu tout ce que cette scène pouvait avoir de virtuel et d’intemporel 87.
ou encore que la représentation du geste menaçant du roi le montre elliptique-
ment en instance de frapper, en l’absence du « coup décisif », toujours masqué 88.
mais que le massacre soit habituellement symbolique n’implique pas forcément
qu’il le soit toujours 89.
L’envoûtement
Les pratiques dites « d’envoûtement » comprennent essentiellement l’anéan-
tissement de igurines d’ennemis lors de rites apotropaïques. On peut considérer
que ces rites sont des formes « atténuées » – c’est-à-dire virtuelles ou symbo-
liques – de pratiques bien plus rares, voire exceptionnelles, mais pourtant qui
semblent avoir été parfois accomplies : en l’occurrence la mise à mort cérémo-
nielle d’un prisonnier dans un rite magique ou guerrier. que ces derniers rites
doivent être considérés comme des sacriices humains ou non n’est pas, comme
je l’ai déjà laissé entendre, susceptible de mieux nous les faire comprendre. Il
s’agit d’une forme d’anthropoctonie ritualisée, et c’est ce point-là qui demande

83. J. E. QuiBell, F. W. Green, Hierakonpolis II, Londres 1902 (“ERA”  5) ; cette tombe
est considérée actuellement comme étant détruite. cf. B. Midant-r eynes, aux origines de
l’Égypte. Cette unique représentation peinte prédynastique a été très souvent commentée, cf.
surtout h. case et J. CroWFoot  Payne, « Tomb  100: the Decorated Tomb at Hierakonpolis »,
JEA 48 (1962), p. 5-18 ; pour la scène du « massacre », cf. p. 13 ; J. CroWFoot Payne, « Tomb 100:
The Decorated Tomb at Hierakonpolis Conirmed », JEA 59 (1973), p. 31-35.
84. B. Midant-r eynes, Aux origines de l’Égypte, p. 336.
85. é. cruBéZy, B. Midant-r eynes, dans Le sacriice humain, p. 72.
86. H. Junker, « Die Feinde auf dem Sockel des Chasechem-Statuen und die Darstelleung von
geopferten Tieren », MDAIK 29 (1955), p. 162-175.
87. Pour l’anéantissement des ennemis comme « image intemporelle », cf. E. HornunG, L’esprit
du temps des pharaons, Paris 1996, chapitre IX (« L’histoire comme célébration », p. 147-163).
88. W. Davies, Masking the Blow. The Scene of Representation in Late Prehistoric Egyptian
Art, Berkeley – Los Angeles 1992, p. 161-200, sur la palette de Narmer.
89. Question que se pose, par exemple, E. Winter, Untersuchungen zu den ägyptischer
Tempelreliefs der griechisch-römischen Zeit, Vienne 1968, p. 3.

53
Youri Volokhine

d’être pris en considération. Mais, habituellement, le rite d’exécration à l’égyp-


tienne ne tue personne : il prévoit néanmoins la fabrication de statuettes, de
igurines plus ou moins grossières, censées représenter l’ennemi, étrangers ou
égyptiens révoltés 90 voués à la destruction. on écrit aussi des imprécations sur
des bols, brisés ensuite. toutefois, l’archéologie a révélé au moins un unique cas
d’exécution rituelle 91 : un crâne décapité, posé sur une coupelle, associé à un
dépôt de vases inscrits de textes d’envoûtement, trouvé au Soudan, à Mirgissa,
non loin d’une forteresse militaire égyptienne. les preuves de mises à mort
dans le cadre de procédure magique de cet ordre sont donc exceptionnelles.
En revanche, celles de l’exécution cérémonielle des ennemis vaincus, d’une
part, et des criminels, d’autre part, sont un peu mieux attestées. En ce qui
concerne ces derniers, on aurait tort, à mon avis, de les exclure de l’analyse
des « mises à mort cérémonielles » sous prétexte qu’elles appartiendraient au
domaine juridique plutôt que religieux : cette distinction n’a pas de sens en
Égypte. Et inalement, elle n’a pas de sens anthropologiquement parlant, si l’on
veut comprendre fondamentalement ce qu’est l’anthropoctonie dans une culture
donnée. C’est efectivement cette position que je souhaite défendre.
Exécutions cérémonielles
En premier lieu, il y a donc le cas des exécutions de criminels, sur lesquels
je ne vais pas m’étendre 92. cependant, j’aimerais souligner que leur destin,
qui passe notamment par le pilori 93, les associe dans la pensée religieuse aux
destinées des dieux honnis. Le dieu Seth est lui aussi puni par des liens 94,
menacé du feu ou du couteau. La punition extrême de Seth est plusieurs
fois détaillée dans des compositions religieuses : s’il avait lui-même tué et
découpé osiris, seth sera à son tour lourdement puni : découpé lui aussi,
écorché 95, brûlé 96. Les igurines qui le représentent dans des rites d’exécration

90. G. Posener, Princes et pays d’Asie et de Nubie. Textes hiératiques sur des igurines
d’envoûtement du Moyen Empire, Bruxelles 1940 ; id., Cinq igurines d’envoûtement, le caire
1987 (“Bibliothèque d’étude” 101).
91. A. Vila, « Un dépôt de textes d’envoûtement au Moyen Empire », Journal des Savants
(1963), p. 135-160 ; iD., « Un rituel d’envoûtement au Moyen Empire », dans L’homme d’hier et
d’aujourd’hui. Recueil d’études en l’honneur de André Leroi-Gourhan, Paris 1973, p. 625-639 ;
Y. koeniG, « Les textes d’envoûtement de Mirgissa », RdE 41 (1990), p. 101-117 ; cf. M. etienne,
Héka. Magie et envoûtement dans l’Égypte ancienne, Paris 2000, p. 45.
92. D. lorton, « The Treatment of Criminals in Ancient Egypt through the New Kingdom »,
JESHO 20 (1970), p. 2-64 ; H.  Willems, « Crime, Cult and Capital Punishment (Mo’alla
Inscription  8) », JEA 76 (1990), p. 27-54 ; L. Bazin, « Enquête sur les lieux d’exécution dans
l’Égypte ancienne », Égypte, Afrique & Orient 35 (2004), p. 31-40.
93. N. Beaux, « Ennemis étrangers et malfaiteurs Égyptiens. La signiication du châtiment au
pilori », BIFAO 91 (1991), p. 33-53.
94. Par exemple : Ph. DerChain, « À propos d’une stèle magique du Musée Kestner à
Hanovre », RdE 16 (1964), p. 19-23.
95. Ainsi dans le texte remarquable du papyrus Jumilhac (X.10 et s.), un véritable « rite
sacriiciel » est accompli à son encontre : Seth est lié, brûlé et écorché. Sa peau, marquée par
le fer d’Anubis, sera la peau (de panthère) du prêtre-sem (dont le nom est réinterprété comme
signiiant « Seth est là » : st jm) ; cf. J. vanDier, Le papyrus Jumilhac, Paris 1960, p. 114.
96. Sur Seth, cf. H. te velDe, Seth. God of Confusion, Leyde 1977.

54
Le débat sur les « sacriices humains » en Égypte ancienne

connaissent ce traitement. Par ailleurs, les compositions funéraires révélant


les supplices que l’Au-delà réserve aux mauvais 97 – ainsi l’exécution des
« damnés » qui y est si souvent représentée – témoignent aussi de ce que
signiie, au juste, en Égypte, le fait de brûler 98 ou de couper en morceaux une
victime humaine. il y a en égypte tout un discours sur la découpe des corps,
laquelle passe par des conigurations théologiques fort diférentes. En outre,
la présence symbolique de l’ennemi vaincu est nécessaire à diférents rituels,
concernant l’exercice de la royauté, et aussi le culte divin. Cette présence
symbolique peut être assurée par des igurines, jetées au feu (voir ci-dessous)
ou alors représentant le vaincu, lié, humilié 99. Examinons à présent quelques
exemples où, dans le cadre des actes cérémoniels prévus dans l’exercice de
la royauté, il est fait allusion à une mise à mort d’ennemis. le dit « rituel
archaïque de fondation des temples » est attesté dans deux inscriptions de
la XVIIIe dynastie : une inscription du temple de thoutmosis iii à medinet
Habou et une version parallèle d’Amenhotep III à Louqsor 100 ; ce texte (et
particulièrement ce passage) pose plusieurs problèmes, tant de vocabulaire
que de compréhension générale 101.
Puisse prospérer là le sanctuaire, qui (se trouve) en avant des deux
(col. 8, M.H.)

lacs 102, de l’Horus « Taureau-puissant-qui-paraît-dans-Thèbes » ; la massue-hedj


(?) 103 (est brandie) devant Horus « Au-bras-levé » (Djéser-â) 104, alors qu’il équipe
sa barque avec des Iountiou (9) de nubie, des Mentiou d’asie, et des chefs du

97. J.  ZanDee, Death as an Ennemy According to Ancient Egyptian Tradition, Leyde 1960
(“Studies in the History of Religions”, Suppl. Numen 5).
98. A. Leahy, « Death by Fire in Ancien Egypt », JESHO 27 (1984), p. 199-206.
99. Par exemple : M. verner, « Les statuettes de prisonniers en bois d’Abousir », RdE 36
(1985), p. 145-152.
100. P. BarGuet, « Le rituel archaïque de fondation des temples de Medinet-Habou et
de Louxor », RdE 9 (1952), p. 1-22. Barguet, sur la base de plusieurs graphies ou tournures
archaïsantes, pense que la rédaction initiale date de l’Ancien Empire. En revanche, la théologie
d’Amon qu’on y lit dans le passage hymnique est bien celle de la XVIIIe dynastie (considéré
comme un addendum par Barguet).
101. Pour le passage qui suit, cf. P. BarGuet, « Le rituel archaïque de fondation des temples »,
p. 13-14, et S. aBD el-a zim el-adly,  « Das Gründungs- und Weiheritual des Ägyptischen
Tempels von der frühgeschichtlichen Zeit bis zum Ende des Neuen Reiches » (thèse), Eberhard-
Karls-Universität, Tübingen 1981, p. 122-142, (p. 124 pour l’extrait en question).
102. P. BarGuet, « Le rituel archaïque de fondation des temples », p. 13 : « la pièce de choix des
tissages » ; mais cf. el-adly, « Das Gründungs- und Weiheritual », p. 134 n. 44.
103. P. BarGuet, « Le rituel archaïque de fondation des temples », p. 13 et note  5 lit « la
bandelette blanche » (nmns / menekhet hedj) ; mais on peut supposer, avec el-adly, « das
Gründungs- und Weiheritual », p. 134 n. 45 (dont je suis ici l’interprétation, cf. aussi n. 25 et
26, p. 129-130), qu’il faut plutôt lire dans ce cas une référence à l’arme royale, la massue-hedj
(Wb II, 206.10-13) que le roi empoigne dans le rite de massacre.
104. Le nom signale une entité protectrice ; cf. P. BarGuet, « Le rituel archaïque de fondation des
temples », p. 19-20 ; Chr. leitz et al., Lexikon der ägyptischen Götter und Götterbezeichnungen,
t. VII, Louvain 2002 (“OLA” 116), p. 654-655 (p. 18). Barguet (qui interprète cette entité comme
un horus libyen) la rapproche également de Neb-Djéser-â, divinité faucon liée à djêmé, connue
dans deux attestations à Karnak, cf. Chr. Leitz, LGG III, p. 798-799 : voir R. ParKer – J. leClant 
– J.-Cl. goyon, The Ediice of Taharaqa by the Sacred Lake of Karnak, Londres 1979, pl. 22 et

55
Youri Volokhine

Tjehenou – que tu les abats en tête des jardins qui sont dans ces domaines,
(après) que tu t’es emparé de sa pointe-seped (?) 105 à son front (10) […].
selon Barguet :
il faut rapprocher ce passage de notre texte de la scène si courante igurant
le roi en train de massacrer un groupe d’ennemis […]. Ce sacriice rituel est,
en principe, représenté sur le pylône des temples, plus spécialement sur sa
face d’entrée : il avait donc lieu à l’extérieur du temple, et notre texte précise
que la scène se déroulait dans les jardins entourant le temple, à l’intérieur de
l’enceinte […] [ce sacriice a] pu avoir lieu réellement, à l’origine, puis le fait
de le représenter sur les pylônes du temple fut suisant par lui-même 106.
Que faut-il en penser ? L’association entre la barque « équipée » avec
les peuplades traditionnellement ennemies (Nubiens, Asiates, Libyens), la
mention d’un « massacre » situé, semble-t-il, dans une espace jouxtant le
temple proprement dit, celle d’un Horus belliqueux (« Au-bras-levé »), oriente
efectivement vers une transposition du thème du « massacre des ennemis »,
motif iconographique qui agit par virtualité symbolique. En efet, l’exécution
cérémonielle, ou « massacre des ennemis », est déclinée sur de multiples
supports, notamment au Nouvel Empire, qui en fait un très large usage ; la
scène sur le pylône (mais pas seulement) des temples en est la plus marquante
concrétisation 107. Sur le pylône, la scène est en quelque sorte projetée hors
du temple 108. mais cette virtualité peut, dans des circonstances précises,
s’incarner dans les cérémonies de l’exercice du pouvoir. Ainsi, toujours à la
XVIIIe dynastie, une inscription d’amenhotep ii, nous introduit également à
une évocation de la puissance royale, associée dans ce cas à une performance
punitive clairement revendiquée. il s’agit d’une inscription à amada, en
Nubie, commémorant la campagne victorieuse de l’an 3 en Syrie 109 :

p. 54 (30) et p. 50 n.  17 ; également dans la chapelle d’Osiris Héqa-Djet, cf. G. LeGrain, « le


temple et les chapelles d’Osiris à Karnak », RecTrav 22 (1900), p. 126-136, ici p. 133.
105. Il pourrait s’agir d’une parure de tête ou de couronne divine (laquelle n’est pas autrement
connue semble-t-il), comme le suggère P. BarGuet, « le rituel archaïque de fondation des
temples », n. 6, p. 14. Pour l’amulette seped, cf. r. hanninG, Ägyptisches Wörterbuch II. Mittleres
Reich und Zweite Zwischenzeit, Mainz 2006, p. 2184. Cf. en outre, I. SChumaCher, Der Gott
Sopdu. Der Herr der Fremdländer, Freiburg – göttingen 1988 (“OBO” 79), p. 8-11.
106. P. BarGuet, « Le rituel archaïque de fondation des temples », p. 14, n. 4.
107. E. SWan hall, The Pharaoh Smites his Enemies ; le motif apparaît sur des stèles :
a. r. sChulman, Ceremonial Execution and Public Reward, Freiburg – göttingen 1988
(“OBO” 75).
108. Cette tournure utilisée dans les textes de Medinet Habou et de Louqsor, litt. : « en tête
des jardins », m tep hesepout, signale sans doute un espace extérieur au temple proprement dit,
mais encore dans l’enceinte.
109. Le texte est connu en deux copies : une version est gravée dans le temple d’Amenhotep II
à Amada ; l’autre, une stèle conservée au Caire, vient probablement d’Éléphantine ; voir
h. gauthier, Le temple d’Amada, Le Caire 1913, p. 20-23 et pl. X ; pour la stèle provenant
d’Éléphantine et conservée au Caire (CG no 34019), cf. P. LaCau, Stèles du Nouvel Empire,
Le Caire 1909, p 38-40 ; des fragments sont aussi conservés à Vienne (Vienne AS 5909). Voir
note suivante.

56
Le débat sur les « sacriices humains » en Égypte ancienne

[…] C’est avec la joie de (son) père Amon que Sa Majesté est revenue (en
Égypte), après avoir massacré (séma) les sept chefs, avec sa propre massue,
qui étaient dans la région de Takhsy, les ayant (ensuite) placés la tête en
bas [sekhed] à la proue de la barque-faucon de Sa Majesté, dont le nom est
« Âakheperou-Rê établit les Deux Terres ». Alors, six de ces ennemis furent
pendus en face des murailles de Ouaset [Thèbes], et de même en ce qui
concerne les mains. quant à l’autre ennemi, il fut ramené jusqu’en nubie et
il fut pendu aux murailles de Napata 110.
La lecture de ce texte révèle une pratique judiciaire autant que « religieuse »,
au sein de laquelle le corps de l’ennemi vaincu est manipulé, exhibé et mutilé.
Ce type de suprême châtiment réservé aux chefs vaincus, considérés comme
des rebelles bien plus que comme des adversaires respectables, est une
réalité de l’exercice du pouvoir absolu du pharaon. On en trouve encore des
attestations aux époques plus récentes 111. il s’agit certainement d’une mise en
scène publique, d’une performance rituelle, exécutée par le roi en personne.
il n’est pas impossible, du reste, que cet événement précis ait fait l’objet d’une
représentation iconographique de circonstance 112. le corps de l’ennemi vaincu
sert de trophée. Sa main tranchée est exposée 113. on remarquera qu’il est fait
mention de la suspension du corps-trophée à la barque : il s’agit d’un motif
connu aussi dans l’iconographie 114, et attesté déjà auparavant (notons aussi les
igurations de la scène de « massacre des ennemis » dans des kiosques igurés
sur les barques 115) ; en efet, de retour de sa campagne nubienne, Thoutmosis
ier aurait lui aussi exhibé un guerrier ennemi, suspendu la tête en bas à la proue
de sa barque 116. ces éléments incitent à penser que la virtualité symbolique
peut, à l’occasion, s’incarner en une démonstration triomphale, un exemplum

110. ch. kuentz, Deux stèles d’Aménophis II (stèles d’Amada et d’Éléphantine), le caire
1925 (“Bibliothèque d’étude” 10), p. 19-20 ; cf. W. h elCk, Urkunden der 18. Dynastie, Berlin
1984, p. 1297.1-15 ; voir P. Der m anuelian, Studies in the Reign of Amenophis II, hildesheim
1987 (“HÄB” 26), p. 47-56 ; également : A. K luG, Königliche Stelen in der Zeit von Ahmose bis
Amneophis III, Monumenta Aegyptiaca VIII, Turnhout 2005, p. 278-292. La région de Takhésy
n’est pas clairement identiiée, mais sa localisation doit être en Syrie.
111. a. Petigny, « Le châtiment des rois rebelles à Memphis dans la seconde moitié du Ier
millénaire av. J.-C. », dans L. Bareš, F. CoPPens, K. smoláriková (éd.), Egypt in Transition. Social
and Religious Development of Egypt in the First Millennium BCE, Prague 2010, p. 343-353.
112. A. H. Zayed, « Une représentation inédite des campagnes d’Aménophis II », P. Posener-
k riéGer (dir.), Mélanges Gamal Eddin Mokhtar, Le Caire 1985 (“Bibliothèque d’étude” 97/1),
p. 5-17. P. Der manuelian, Studies in the Reign of Amenophis II, p. 80-81, demeure prudent sur
le rapprochement, sans le nier formellement.
113. Sur la mutilation de la main, cf. J. Galan, « Mutilation of Pharaoh’s Ennemies », dans
Z. haWass (éd.), Egyptian Museum Collections around the World I, Le Caire 2002, p. 441-450.
114. S. SChott, « Ein ungewöhnliches Symbol des Triumphes über Feindes Aegyptens », JNES
14 (1955), p. 96-99 ; L. RoBert, « Notes sur un curieux relief du IIIe pylône du temple d’Amon-
Rê à Karnak », Cercle lyonnais d’égyptologie Victor Loret, Bulletin 6 (1992), p. 61-78.
115. Par exemple : Reliefs and Inscriptions at Karnak II, Ramses III’s Temple within the Great
Inclosure of Amun (II) and Ramses III’s Temple in the Precint of Mut, Chicago 1936 (“OIP” 35),
pl. 88. Cf. E. SWan hall, The Pharaoh Smites his Enemies, ig. 82.
116. Inscription d’Ahmès ils de Ibana à El-Kab ; cf. K. sethe, Urkunden der 18. Dynastie
(Urk. IV), Leipzig 1906, p. 9. 5-6 : « […] ce vil Nubien fut (placé) la tête en bas (sekhed) à la

57
Youri Volokhine

du pouvoir royal et de la victoire militaire. amenhotep ii, guerrier accompli


(c’est du moins l’image qu’il donne de lui au travers de la représentation de ses
exploits d’archer ou de cavalier) aurait même pu avoir des penchants particu-
liers pour une certaine cruauté, qui sait 117 ? Cela posé, il est diicile de se rendre
compte de la réalité des performances de ce genre, fussent-elles communes
ou exceptionnelles. En analysant le corpus des stèles du Nouvel Empire où
le motif du « massacre de l’ennemi » était représenté, Alan Schulman avait
proposé de voir dans ces artefacts des stèles commémoratives de cérémonies
lors desquelles la remise de récompense guerrière était associée possiblement
à des exécutions publiques de prisonniers 118. Cela demeure une hypothèse,
comme l’a souligné récemment H. Te Velde (qui y oppose l’absence de textes
conirmant la pratique) 119. En tout état de cause, ces stèles représentent des
scènes notamment propres aux pylônes, lieu de convergence de la dévotion
populaire, si bien que l’on peut penser que ces stèles fonctionnent comme des
« miniatures » de ce lieu bien attesté de « l’écoute des prières » : l’image du
massacre étant comprise dès lors comme l’illustration de la puissance agissante
que l’on veut se rendre propice 120. D’un autre côté, on ne peut nier qu’au Nouvel
Empire de nombreuses scènes montrent qu’en contexte guerrier la mutilation
se pratique largement : des scribes attentifs font le compte des mains coupées
entassées, des pénis sectionnés et jetés en tas 121. la mutilation des ennemis n’est
pas qu’une comptabilité pour connaître le nombre de victimes ; elle participe
aussi d’un système – que l’on jugera cruel (mutilations efectuées sur le champ
de bataille et pas forcément sur des cadavres) – en tout cas punitif et humiliant.
Dans ce cadre, l’exhibition de la tête de l’ennemi (qui n’est pas représentée
forcément comme étant décapitée, mais qui peut être mise en emphase de façon
caricaturale) dénote aussi d’intentions humiliantes 122.
Dans ce système de pouvoir, c’est le roi qui est l’exécuteur modèle, ou
plutôt : suprême. À ce propos, on trouve souvent mention dans la littérature

proue de la barque-faucon de Sa Majesté. (Puis) ils touchèrent terre à Ipet-sout (Karnak) ». La


phraséologie est très proche de celle utilisée par Amenhotep II (cf. ci-dessus).
117. P. Der m anuelian, Studies in the Reign of Amenophis II, p. 53.
118. Cf. A. R. SChulman, Ceremonial Execution.
119. Cf. H. te velDe, « Human Sacriice », p. 133-134.
120. D. DevauChelle, « Un archétype de relief cultuel en Égypte ancienne », BSFE 131 (1994),
p. 38-60.
121. Ainsi : Later Historical Records of Ramses III, Medinet Habu II, The Epigraphic Survey,
Chicago 1932 (OIP IX), pl. 75.
122. Voir par exemple la rangée de têtes d’ennemis sculptées sous la « fenêtre d’apparition » du
roi dans le temple funéraire de Ramsès III à Medinet Habou, U. hölsCher, « erscheinungsfenster
und Erscheinungsbalkon im königlichen Palast », ZÄS 67 (1931), p. 43-51 ; MH II, pl. 111 ; cf.
r. r itner, The Mechanics of Ancient Egyptian Magical Practice, Chicago 1993 (“SAOC” 54),
p. 125, ig.  11a p. 133. également, frises de têtes d’ennemis sur le migdol, cf. g. cavillier,
Migdol. Ricerche su modelli di architettura militare di età ramesside (Medinet Habu), Oxford
2008 (“BAR International Series”), p. 48. Cf., comme usage monumental de la frise de têtes
d’ennemis, P. montet, « Les fouilles de Tanis en 1933 et 1934 », Kêmi 5 (1935-1937), p. 1-18,
ici p. 6-8, et pl. II à VI. Sur le motif du visage de l’ennemi, Y. Volokhine, La frontalité dans
l’iconographie de l’Égypte ancienne, Genève 2000 (“CSEG” 6), p. 41-46.

58
Le débat sur les « sacriices humains » en Égypte ancienne

égyptologique d’un épisode censé illustrer la cruauté du roi, opposée à la


bonté d’un magicien ; ce dernier opterait pour la non-exécution de la peine
de mort, signe d’une répugnance égyptienne face à la mise à mort 123 ; on
trouve cette petite histoire dans un passage du papyrus Westcar (qui remonte
à la XIIe dynastie), dans lequel le magicien djédi est convié à montrer ses
prodiges au roi Khéops (IVe dynastie), lequel le met en l’épreuve :
[…] Puis Sa Majesté demanda :
– Est-ce vrai, ce qu’on raconte, que tu sais remettre en place une tête coupée ?
djédi répondit :
– Oui, je le sais, souverain (puisses-tu vivre, être en bonne santé, et être fort !),
mon maître !
Par conséquent, Khéops dit :
– Faites-moi amener le prisonnier qui se trouve dans la prison, une fois sa peine
exécutée !
mais djédi dit :
– Mais pas pour un humain, souverain (puisses-tu vivre, être en bonne santé, et
être fort !), mon maître ! Vois ! Il n’a pas été ordonné de faire une telle chose pour
le « noble troupeau » !
Alors on lui apporta une oie et sa tête fut tranchée [ensuite, Djédi, parvient grâce
à une formule magique à recoller la tête et à faire vivre à nouveau le volatile ; il
fait de même, enin, avec un bœuf] 124.
or, comme l’a montré Philippe derchain « ce que l’on ne peut faire n’est
pas de couper la tête d’un condamné, mais c’est de la lui recoller ! » 125. on
aurait donc peine à voir là un acte humaniste ; le sage magicien ne proteste
pas contre la décapitation, mais bien contre le fait de ressusciter un mort.
échos chrétiens
Serge Sauneron avait attiré l’attention sur un remarquable texte du
synaxaire copte (version en arabe). Un passage évoque un rite de « sacriice
humain » attribué aux habitants de la région de Sohag, en Haute Égypte :
il y avait là une idole, qui tenait en main un bassin de cuivre de la capacité
d’un ardeb comme mesure. Les prêtres des idoles célébraient le  18 Babéh
[3 décembre] une fête en l’honneur de cette image ; un peuple innombrable s’y
assemblait de tous côtés, et y amenait des enfants dont l’âge était de douze ans
et au-dessous, au nombre de douze. Les prêtres les égorgeaient sur ce bassin
et célébraient la fête. si au matin ils ne trouvaient rien de ce sang, ils s’en
réjouissaient et disaient que leur dieu avait accepté leurs sacriices ; ils pre-
naient aussitôt les corps des enfants, les enterraient, et chacun revenait dans

123. Par exemple : C.  ChaDefauD, « Mise à mort sacrée dans l’Égypte ancienne », dans
Sacriices humains et meurtres rituels, Notre Histoire 61 (no spécial) (1989), p. 19-21 (ici : p. 19).
124. P. Berlin 3033, 8.10-20 ; voir pour le texte A. M. BlaCkman, W. V. Davies, The Story of
King Kheops and the Magicians, Reading 1988 ; traduction : cf. P. GranDet, Contes de l’Égypte
ancienne, Paris 1998, p. 73-74.
125. Ph. DerChain, « La clémence de Khéops déjouée », BSEG 20 (1996), p. 17-18.

59
Youri Volokhine

sa demeure avec joie, disant que leur dieu leur accordait de bonnes récoltes
cette année […] 126.
De façon évidente, ce texte horriique procède de cette littérature d’accu-
sation de « crime rituel » bien connue dans le cadre du christianisme, en
égypte 127 ou ailleurs 128. mais il ne s’agirait pas, pour serge sauneron, « d’une
pure invention sans fondement matériel ». En efet, il y a ici quelques points
de détails qui, comme le propose Serge Sauneron, ofrent une possibilité
d’accrochage avec des pratiques pharaoniques, en l’occurrence des images
mal comprises, une lecture erronée qui serait donc à la genèse de la rumeur.
En efet, d’une part ce « bassin » servant à l’égorgement pourrait renvoyer à
une image qui est connue notamment dans l’iconographie et les textes des
temples ptolémaïques 129 : devant le dieu, l’oiciant menace de son couteau
des représentations d’ennemis, lesquels sont liés et placés dans un chaudron.
On peut penser que ce bassin est de même nature que ce chaudron enlammé
servant à recueillir les igurines d’ennemis séthiens (en cire) qui y sont jetées
lors de rites apotropaïques 130, et dont le « rituel pour abattre Seth et ses alliés »
donne une bonne idée :
rituel pour abattre seth et ses alliés que l’on accomplit dans le temple d’osi-
ris Khenty-Imenet, le grand dieu maître d’Abydos, quotidiennement ; de même
dans tous les temples. On apporte une igurine de Seth en cire rouge, sur la poi-
trine de laquelle est gravé le nom, en disant « Seth, le mauvais » ; puis écrire sur
une feuille de papyrus neuf avec une couleur fraîche ; ou [apporter une statuette]

126. Extrait du synaxaire arabe-jacobite, texte édité et traduit par R. Basset, dans r. graffin,
F. nau (éd.), Patrologie Orientale t. III, Paris 1909, p. 391-392 ; traduction légèrement remaniée
chez Serge Sauneron ; cf. S. Sauneron, Villes et légendes d’Égypte (2e édition), Le Caire 1983,
p. 160-164 (= « Le chaudron de Sohag : comment naît une légende », BIFAO 69 (1971), p. 53-
58). Deux saints locaux vont, par leurs prières, contrarier le miracle (le sang ne disparaît plus),
provoquant la colère des habitants et des prêtres, qui s’en plaignent à l’Empereur Diotlécien en
visite. Les saints seront inalement décapités ; l’eau dans laquelle les soldats exécuteurs de la
sentence lavèrent leurs épées sanguinolentes devient alors miraculeuse.
127. S. Aufrère, « l’égypte traditionnelle, ses démons, vus par les premiers Chrétiens », dans
Actes des sixième et septième journées d’études coptes, (Limoges-Neuchâtel), Louvain 1999
(“Études coptes” 5), p. 63-92 ; spécialement p. 75, 80-81, sur le texte du synaxaire.
128. D. Frankfurter, Evil Incarnate. Rumors of Demonic Conspiracy and Satanic Abuse in
History, Princeton – Oxford 2006.
129. H. Junker, « Die Schlacht- und Brandopfer im Tempelkult der Spätzeit », ZÄS 48 (1910),
p. 69-77. Notons que Junker avait soutenu dans cet article (p. 70) qu’à Philae la cérémonie
ancienne et virtuelle du « massacre des ennemis » s’était peut être muée en réels « sacriices
humains » (Menschenopfer) perpétrés par les sauvages Blemmyes sous le règne de Diotlécien, en
s’appuyant sur un texte de P roCoPe dans le De Bello Persico I, 19 : « […] les Blemmyes ont aussi
coutume de sacriier (thuein) des êtres humains au Soleil », cf. pour ce passage, A. BernanD,
Les inscriptions grecques de Philae, t. I, Paris 1969, p. 20-21. Sur Philae (et les Blemmyes),
cf. en dernier lieu J. h. F. diJkstra, Philae and the End of Ancient Egyptian Religion. A
Regional Study of Religious Transformation, Louvain 2008 (“OLA”  173) et I. rutherforD,
« Island of the Extremity: Space, language and Power in the Pilgrimage Tradition of Philae »,
dans d. Frankfurter (éd.), Pilgrimage and Holy Space in Late Antique Egypt, Leyde 1998
(“Religions in the Graeco-Roman World” 134), p. 229-256 (ici, p. 234-235).
130. A. Grimm, « Fein-Bilder und Bilderverbrennung », VarAeg 4 (1988), p. 207-213.

60
Le débat sur les « sacriices humains » en Égypte ancienne

en bois d’acacias ou en bois-héma. Lier la igurine (de Seth) avec une corde [en
cuir] de taureau rouge. Prononcer sur elle [= la igurine] les paroles ; cracher
quatre fois sur elle ; prononcer sur elle les paroles ; la frapper avec une lance ;
prononcer sur elle les paroles ; la percer avec un couteau ; prononcer sur elle les
paroles ; la jeter au feu ; prononcer sur elle les paroles ; cracher [encore] sur elle
dans le feu, de nombreuses fois ; prononcer sur elle les paroles 131.
Dans l’iconographie ptolémaïque, le motif du chaudron enlammé dans
lequel des ennemis sont jetés est connu, notamment par une scène igurant sur la
« porte de Montou » à Karnak, que Sauneron avait signalée à ce propos 132. là, le
roi (Ptolémée III Évergète) se tient devant « Min-qui-massacre-ses-ennemis »,
et brandit ses armes (lance, massue, hache, épée) au-dessus du chaudron : « j’ai
découpé leurs chairs à l’aide de ton tranchoir, que j’ai rôties dans ton brasier,
au début de l’année, à la néoménie, de sorte que leur graisse monte vers les
cieux 133 ». Assurément, les représentations d’ennemis humains des dieux et de
l’Égypte mis à mort dans les scènes des temples ptolémaïques n’impliquent
pas la performance efective. Du reste, l’archéologie n’apporte aucun élément
concluant ; le rare cas « d’autel » qui aurait pu servir à un « sacriice humain »
(selon son inventeur) 134 est très certainement un socle pour un monument apotro-
païque 135 ; lequel prévoit certes dans son programme égorgement et crémation
d’oies, de veaux, et d’hommes. L’association (signiiante) des ennemis humains
et des animaux s’inscrit dans un vieux programme égyptien 136. À l’instar du
« pylône miniature » de Tôd 137, on peut penser que cet objet a fonctionné dans
des rites impliquant virtuellement la mise à mort des ennemis ou des révoltés.
On ne peut cependant inirmer formellement que quelque criminel ou autre
condamné n’ait jamais été, à l’occasion, impliqué dans une performance réelle
de ce type de procédure. quoi qu’il en soit, selon le principe de virtualité qui
préside à l’exercice rituel égyptien, cette performance n’est pas nécessaire pour
le succès de la procédure. Pour revenir au cas de Sohag, Sauneron supposait
que la personnalité du dieu local a dû peser sur la genèse de la légende copte :

131. S. sChott, Bücher und Sprüche gegen den Gott Seth, Urk. VI. Mythologischen Inhalts,
Leipzig 1929, B 39-48 ; cf. en dernier lieu V. a ltmann, Die Kultfrevel des Seth. Die Gefärdhung
der göttlichen Ordnung in zwei Vernichtungsritualen der ägyptischen Spätzeit (Urk. VI),
Wiesbaden 2010 (“Studien zur spätägyptischen Religion” 1).
132. Voir désormais S. Aufrère, Le propylône d’Amon-Rê-Montou à Karnak-nord, le caire
2000 (“MIFAO” 117), p. 271-233, pl. 44 et 45.
133. S. Aufrère, Le propylône d’Amon-Rê-Montou, p. 274.
134. A. E. WeiGall, « a report on some objects recently found in sebakh and other
diggings », ASAE 8 (1908), p. 29-50 (ici p. 44-46 : « Altar for Human Sacriice, from Edfu ») ;
interprétation très rapidement inirmée, mais pour une interprétation elle aussi contestable :
cf. g. Jéquier, « Un soi-disant autel à sacriice humain », Sphinx 14 (1910-1911), p. 178-181, qui
voyait là un socle d’une statue lié au culte funéraire.
135. J. Yoyotte, « Héra d’Héliopolis », p. 37-38.
136. J. leClant, « La “mascarade” des bœufs gras et le triomphe de l’Égypte », MDAIK 14
(1956), p. 128-145.
137. F. Bisson De la roque, « Notes sur le dieu Montou », BIFAO 40 (1941), p. 1-49, ici, p. 36-42.

61
Youri Volokhine

« Horus-qui-tient-les-liens » 138 assume en efet une forme de dieu punisseur,


bénéiciaire du rite de massacre selon plusieurs sources ptolémaïques 139.
Sauneron supposait donc que dans le temple (disparu) de cette localité avaient
dû igurer de multiples représentations du chaudron enlammé du dieu et du
rite de crémation des igurines : « que l’imagination des Chrétiens du lieu ait
élaboré, à partir de cette image, une légende du dieu attendant des sacriices
d’enfants égorgés dans un chaudron, c’est ininiment probable 140 ». C’est bien de
ce type de « regard sur l’Autre » que procède le discours du « sacriice humain »
dans la pensée chrétienne ; discours qui formate cette catégorie jusque dans
ses expressions savantes modernes, puisque les rites apotropaïques égyptiens
alimentent, comme on l’a vu, la rélexion sur les éventuels cas efectifs de
sacriices humains. Un mythe chrétien, donc, né d’une relecture négative de
l’iconographie pharaonique, bien plus que d’un souvenir quelconque d’une
pratique réelle.

conclusion
H. Te Velde, en conclusion de son article sur le sacriice humain en
égypte, rappelait que tuer un ennemi sur le champ de bataille, mettre à mort
un condamné, tout ceci n’est pas la même chose que de « tuer régulièrement
des gens dans les rituels des temples 141 » ; or, cette dernière situation est
rare, exceptionnelle même, du moins dans nos sources. À l’instar de Jean
Yoyotte, je pense avoir souligné suisamment que le « sacriice humain » est
une « notion bien mal-commode pour l’historien 142 ». Il demeure le fait que
l’égypte ancienne a bel et bien pensé la mise à mort de l’homme, positionnant
celle-ci dans un discours complexe sur la protection de l’Égypte et du monde
face à ses adversaires. quoi qu’il en soit, si la culture pharaonique a « pensé le
massacre », elle l’a pratiqué moins qu’elle ne l’aiche. De façon comparable à
ce que l’on observe dans d’autres cultures du Proche-Orient ancien, et surtout
en mésopotamie 143 (avec, dans chaque cas, des colorations spéciiques), il y
a en Égypte un exercice du pouvoir qui passe par l’exaltation du massacre et
l’écrasement de l’adversaire. Enin, il faut souligner que la pensée égyptienne
s’intéresse tout spécialement aux procédures de destruction : la crémation ;
la réclusion ; le poignardage ; l’étranglement ; et aussi, par exemple, le fait de
« couper en morceaux » un homme, un animal ou un dieu. Cela mène à un statut

138. J.  yoyotte, « Religion de l’Égypte ancienne », Annuaire de l’École pratique des Hautes
Études, Section des Sciences Religieuses  73 (1965-1966), p. 76-85, ici p. 78. H.  te velDe, s.v.
« Horus imi-schenut », LÄ III (1980), col. 47-48 ; E. BresCiani, dans Hommages à François
Daumas I, Montpellier 1986, p. 87-94 ; S. aufrère, Le propylône d’Amon-Rê-Montou, p. 276-277.
139. S. Sauneron, Villes et légendes, p. 162 : Edfou VI, 149.45-46 ; cf. Edfou V, 399.5.
140. S. Sauneron, Villes et légendes, p. 165-166.
141. H. te velDe, « Human Sacriice », p. 134.
142. J. Yoyotte, « Héra d’Héliopolis », p. 39.
143. P. Butterlin, « La igure du massacre dans l’histoire du Proche-Orient ancien : du
stéréotype à la terreur calculée », dans D. el k enz (dir.), Le massacre, objet d’histoire, Paris
2005, p. 49-71.

62
Le débat sur les « sacriices humains » en Égypte ancienne

particulier du cadavre – l’aspect le plus dramatique du devenir du corps 144 –


et de sa représentation : celui de l’ennemi, mutilé sur le champ de bataille ;
celui des « damnés », qui hantent l’Au-delà, etc. Toutes ces procédures, dont
certaines ont déjà ponctuellement fait l’objet d’études ou de commentaires,
fournissent à l’anthropologue ou à l’historien un important matériel pour
réléchir sans restrictions sur l’anthropoctonie égyptienne, thème ouvert sur
des comparables. On ne me contredira pas, je crois, si j’airme que le fait de
« couper un humain en morceaux » est un acte signiiant et puissant quelle que
soit la culture dans laquelle ce geste s’observe. qu’il s’agisse d’une procédure
religieuse ou juridique, guerrière ou autre, que cela se passe dans un temple
ou sur une place publique, cela n’a que inalement peu d’importance. Couper
la tête, les mains, le phallus (et parfois dans un but de déiguration punitive, le
nez 145) : tout ceci se réalise dans la réalité juridico-religieuse, mais se pense
aussi et surtout dans la mythologie, qui foisonne littéralement de ces motifs.
ces mutilations s’inscrivent dans un « régime de traitement du corps 146 »
qu’il s’agit encore de questionner, dans la perspective d’une anthropologie du
corps 147, richement illustrée par les sources égyptiennes 148.
En délimitant des objets anthropologiques précis de cet ordre (par
exemple : le traitement du corps) l’historien des religions se dégage sans doute
facilement des ornières interprétatives et des concepts trop préfabriqués. En
ce qui concerne le dossier du « sacriice humain » en Égypte, je pense avoir
montré, à la suite de plusieurs de mes prédécesseurs, qu’il s’agit à présent de
faire éclater cette catégorie un peu encombrante en de plus petits objets plus
faciles à utiliser. en présentant ces quelques cas d’anthropoctonie – meurtres
avérés ou imaginés – j’espère y avoir contribué 149.

144. L.-V. T homas, Le cadavre. De la biologie à l’anthropologie, Bruxelles 1980.


145. L. Keimer, « Das Bildhauer-Modell eines Mannes mit abgeschnittener Nase », ZÄS 79
(1954), p. 140-143.
146. S. D’onofrio et A.-Chr. Taylor, dans La guerre en tête, Paris 2006 (“Cahiers
d’anthropologie sociale” 2), p. 9.
147. Une exemplaire étude collective récemment parue sous la direction de M. GoDelier et
m. Panoff, Le corps humain. Conçu, supplicié, possédé, cannibalisé, Paris 2009.
148. Dernièrement : R. nyord, Breathing Flesh. Conceptions of the Body in the Ancient
Egyptian Coin Texts, Copenhague 2009 (“CNI Publishing” 37).
149. La rédaction de cet article était achevée quand j’ai pu prendre connaissance de l’étude
de K. muhlestein, Violence in the Service of Order: The Religious Framework for Sanctioned
Killing in Ancient Egypt, Oxford 2011 (“BAR International Series”).

63
Youri Volokhine

Mise à mort des ennemis nubiens, d’après N. De Garis Davies, Five Theban
Tombs, Londres, ASE, 1913, pl. VIII (détail).

Le « chaudron » de Min, d’après S. aufrère, Le propylône


d’Amon-Rê-Montou à Karnak-nord, MIFAO 117, Le Caire,
2000, p. 271-233, pl. 44 (détail).

64
tabLe DeS matièreS

introduction
Àgnes A. Nagy, Francesca Prescendi 5

– i – Questions de déinition 19
Le sacriice humain à la croisée des a priori :
quelques remarques méthodologiques
Pierre Bonnechere 21
observations sur l’anthropoctonie. le débat
sur les « sacriices humains » en Égypte ancienne.
Youri Volokhine 39
L’ordalie « primitive » entre sacriice humain
et peine de mort : sur les traces d’un mythe savant
Àgnes A. Nagy 65

– II – Sacriice humain vs sacriice animal 89


Humana, seu potius inhumana sacriicia.
Le sacriice humain à la croisée des discours dans l’œuvre
du polyhistor Johann Wilhelm Stucki (1542-1607)
Marc Kolakowski 91
Des sacriices humains dans l’Inde ancienne
Johannes Bronkhorst 99

– iii – Dossiers archéologiques 107


Gaulois et sacriices humains : des textes antiques
aux observations archéologiques
Gilbert Kaenel 109
Sacriice, violence rituelle et développement
de l’état mochica dans le Pérou ancien
Steve Bourget 117
Le Cimetière royal d’Ur : état de la question
Anne-Caroline Rendu Loisel 133

273
– IV – Sacriice humain et christianisme 147
la tradition du dernier repas de Jésus au i siècle :
er

de la réalité historique à la réalité liturgique


Simon C. Mimouni 149
Early Christian Human Sacriice between Fact and Fiction
Jan N. Bremmer 165
King Aun and the Witches
Bruce Lincoln 177
Sacriice humain et Islande républicaine, le cas d’Óláfr Tryggvason
Nicolas Meylan 195

– v – De l’historiographie à l’imagerie culturelle 207


Histoires de Moloch, le roi efroyable
Sergio Ribichini 209
Du sacriice du roi des Saturnales à l’exécution de Jésus
Francesca Prescendi 231
la pratique du crime d’honneur : entre mythe et réalité
Aurore Schwab 249

Rélexions conclusives 267


Le sacriice des autres
Guy G. Stroumsa 269

274
bibLiothèque De L̓écoLe DeS hauteS étuDeS,
ScienceS reLigieuSeS

vol. 105
J. Bronkhorst
Langage et réalité : sur un épisode de la pensée indienne
133 p., 155 x 240, 1999, PB, ISBN 978-2-503-50865-8
vol. 106
ph. gignoux (dir.)
Ressembler au monde. Nouveaux documents sur la théorie du macro-microcosme
dans l’Antiquité orientale
194 p., 155 x 240, 1999, PB, ISBN 978-2-503-50898-6
vol. 107
J.-L. Achard
L’essence perlée du secret. Recherches philologiques et historiques sur l’origine de la
Grande Perfection dans la tradition ìrNying ma pa’
333 p., 155 x 240, 1999, PB, ISBN 978-2-503-50964-8
vol. 108
J. Scheid, V. Huet (dir.)
Autour de la colonne aurélienne. Geste et image sur la colonne de Marc Aurèle à Rome
446 p., 176 ill. n&b, 155 x 240, 2000, PB, ISBN 978-2-503-50965-5
vol. 109
D. aigle (dir.)
Miracle et Karâma. Hagiographies médiévales comparées
690 p., 11 ill. n&b, 155 x 240, 2000, PB, ISBN 978-2-503-50899-3
vol. 110
M. A. Amir-Moezzi, J. Scheid (dir.)
L’Orient dans l’histoire religieuse de l’Europe. L’invention des origines.
Préface de Jacques le Brun
246 p., 155 x 240, 2000, PB, ISBN 978-2-503-51102-3
vol. 111
D.-o. hurel (dir.)
Guide pour l’histoire des ordres et congrégations religieuses (France, xvie-xixe siècles)
467 p., 155 x 240, 2001, PB, ISBN 978-2-503-51193-1
vol. 112
D.-m. Dauzet
Marie Odiot de la Paillonne, fondatrice des Norbertines de Bonlieu (Drôme, 1840-1905)
xviii + 386 p., 155 x 240, 2001, PB, ISBN 978-2-503-51194-8

vol. 113
S. mimouni (dir.)
Apocryphité. Histoire d’un concept transversal aux religions du Livre
333 p., 155 x 240, 2002, PB, ISBN 978-2-503-51349-2
vol. 114
f. gautier
La retraite et le sacerdoce chez Grégoire de Nazianze
iv + 460 p., 155 x 240, 2002, PB, ISBN 978-2-503-51354-6

vol. 115
m. milot
Laïcité dans le Nouveau Monde. Le cas du Québec
181 p., 155 x 240, 2002, PB, ISBN 978-2-503-52205-0
vol. 116
F. Randaxhe, V. Zuber (éd.)
Laïcité-démocratie : des relations ambiguës
x + 170 p., 155 x 240, 2003, PB, ISBN 978-2-503-52176-3

vol. 117
N. Belayche, S. Mimouni (dir.)
Les communautés religieuses dans le monde gréco-romain. Essais de déinition
351 p., 155 x 240, 2003, PB, ISBN 978-2-503-52204-3
vol. 118
S. Lévi
La doctrine du sacriice dans les Brahmanas
xvi + 208 p., 155 x 240, 2003, PB, ISBN 978-2-503-51534-2

vol. 119
J. r. armogathe, J.-p. Willaime (éd.)
Les mutations contemporaines du religieux
viii + 128 p., 155 x 240, 2003, PB, ISBN 978-2-503-51428-4

vol. 120
f. randaxhe
L’être amish, entre tradition et modernité
256 p., 155 x 240, 2004, PB, ISBN 978-2-503-51588-5
vol. 121
S. fath (dir.)
Le protestantisme évangélique. Un christianisme de conversion
xii + 379 p., 155 x 240, 2004, PB, ISBN 978-2-503-51587-8

vol. 122
alain Le boulluec (dir.)
à la recherche des villes saintes
viii + 184 p., 155 x 240, 2004, PB, ISBN 978-2-503-51589-2

vol. 123
i. guermeur
Les cultes d’Amon hors de Thèbes. Recherches de géographie religieuse
xii + 664 p., 38 ill. n&b, 155x240, 2005, PB, ISBN 978-2-503-51427-7

vol. 124
S. Georgoudi, R. Koch-Piettre, F. Schmidt (dir.)
La cuisine et l’autel. Les sacriices en questions dans les sociétés de la Méditérrannée
ancienne
xviii + 460 p., 23 ill. n&b, 155 x 240. 2005, PB, ISBN 978-2-503-51739-1
vol. 125
L. châtellier, ph. martin (dir.)
L’écriture du croyant
viii + 216 p., 155 x 240, 2005, PB, ISBN 978-2-503-51829-9

vol. 126 (Série “histoire et prosopographie” no 1)


M. A. Amir-Moezzi, C. Jambet, P. Lory (dir.)
Henry Corbin. Philosophies et sagesses des religions du Livre
251 p., 6 ill. n&b, 155 x 240, 2005, PB, ISBN 978-2-503-51904-3
vol. 127
J.-M. Leniaud, I. Saint Martin (dir.)
Historiographie de l’histoire de l’art religieux en France à l’époque moderne et
contemporaine. Bilan bibliographique (1975-2000) et perspectives
299 p., 155 x 240, 2005, PB, ISBN 978-2-503-52019-3
vol. 128 (Série “Histoire et prosopographie” no 2)
S. C. Mimouni, I. Ullern-Weité (dir.)
Pierre Geoltrain ou Comment « faire l’histoire » des religions ?
398 p., 1 ill. n&b, 155 x 240, 2006, PB, ISBN 978-2-503-52341-5
vol. 129
h. bost
Pierre Bayle historien, critique et moraliste
279 p., 155 x 240, 2006, PB, ISBN 978-2-503-52340-8
vol. 130 (Série “histoire et prosopographie” no 3)
L. Bansat-Boudon, R. Lardinois (dir.)
Sylvain Lévi. Études indiennes, histoire sociale
ii + 536 p., 9 ill. n&b, 155 x 240, 2007, PB, ISBN 978-2-503-52447-4

vol. 131 (Série “histoire et prosopographie” no 4)


F. Laplanche, I. Biagioli, C. Langlois (dir.)
Autour d’un petit livre. Alfred Loisy cent ans après
351 p., 155 x 240, 2007, PB, ISBN 978-2-503-52342-2
vol. 132
L. Oreskovic
Le diocèse de Senj en Croatie habsbourgeoise, de la Contre-Réforme aux Lumières
vii + 592 p., 6 ill. n&b, 155 x 240, 2008, PB, ISBN 978-2-503-52448-1

vol. 133
t. volpe
Science et théologie dans les débats savants du xviie  siècle : la Genèse dans les
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472 p., 10 ill. n&b, 155 x 240, 2008, PB, ISBN 978-2-503-52584-6
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Les créances de la terre. Chroniques du pays Jamaat (Jóola de Guinée-Bissau)
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C. Henry
La force des anges. Rites, hiérarchie et divinisation dans le Christianisme Céleste
(Bénin)
276 p., 155 x 240, 2009, PB, ISBN 978-2-503-52889-2
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D. puccio-Den
Les théâtres de “maures et chrétiens”. Conlits politiques et dispositifs de réconcilia-
tion (Espagne, Sicile, xvie-xxie siècle)
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M. A. Amir-Moezzi, M. M. Bar-Asher, S. Hopkins (dir.)
Le shīʿisme imāmite quarante ans après. Hommage à Etan Kohlberg
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Architecturer l’invisible. Autels, ligatures, écritures
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Šāiʿī et les deux sources de la loi islamique
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A. A. Nagy
Qui a peur du cannibale ? Récits antiques d’anthropophages aux frontières de
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306 p., 155 x 240, 2009, PB, ISBN 978-2-503-53173-1
vol. 141 (Série “Sources et documents” no 1)
C. Langlois, C. Sorrel (dir.)
Le temps des congrès catholiques. Bibliographie raisonnée des actes de congrès tenus
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448 p., 155 x 240, 2010, PB, ISBN 978-2-503-53183-0
vol. 142 (Série “histoire et prosopographie” no 5)
M. A. Amir-Moezzi, J.-D. Dubois, C. Jullien et F. Jullien (éd.)
Pensée grecque et sagesse d’orient. Hommage à Michel Tardieu
752 p., 156 x 234, 2009, ISBN 978-2-503-52995-0
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B. Heyberger (éd.)
Orientalisme, science et controverse : Abraham Ecchellensis (1605-1664)
240 p., 156 x 234, 2010, ISBN 978-2-503-53567-8
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F. Laplanche (éd.)
Alfred Loisy. La crise de la foi dans le temps présent (Essais d’histoire et de philoso-
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735 p., 156 x 234, 2010, ISBN 978-2-503-53182-3
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J. Ducor, H. Loveday
Le sūtra des contemplations du buddha Vie-Ininie. Essai d’interprétation textuelle et
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474 p., 156 x 234, 2011, ISBN 978-2-503-54116-7
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La quête du Serpent à Plumes. Arts et religions de l’Amérique
précolombienne. Hommage à Michel Graulich
491 p., 156 x 234, 2011, ISBN 978-2-503-54141-9

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c. borghero
Les cartésiens face à Newton. Philosophie, science et religion dans la
première moitié du xviiie siècle
164 p., 156 x 234, 2012, ISBN 978-2-503-54177-8

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f. Jullien, m. J. pierre (dir.)
Monachismes d’Orient. Images, échanges, inluences.
Hommage à Antoine Guillaumont
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Le croire au cœur des sociétés et des cultures. Diférences et déplacements.
244 p., 156 x 234, 2012, ISBN 978-2-503-54217-1

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J.-r. armogathe
Histoire des idées religieuses et scientiiques dans l’Europe moderne.
Quarante ans d’enseignement à l’École pratique des hautes études.
227 p., 156 x 234, 2012, ISBN 978-2-503-54488-5

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c. bernat, h. bost (dir.)
Énoncer/Dénoncer l’autre. Discours et représentations
du diférend confessionnel à l’époque moderne.
451 p., 156 x 234, 2012, ISBN 978-2-503-54489-2

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n. Sihlé
Rituels bouddhiques de pouvoir et de violence. La igure du tantrisme tibétain.
343 p., 156 x 234, 2012, ISBN 978-2-503-54470-0

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J.-P. Rothschild, J. Grondeux (dir.)
Adolphe Franck.
Philosophe juif, spiritualiste et libéral dans la France du xixe siècle.
234 p., 156 x 234, 2012, ISBN 978-2-503-54471-7

vol. 154 (Série “histoire et prosopographie” no 7)


S. d’Intino, C. Guenzi (dir.)
Aux abords de la clairière. Études indiennes et comparées en l’honneur de Charles
Malamoud.
295 p., 156 x 234, 2012, ISBN 978-2-503-54472-4
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B. Bakhouche, I. Fabre, V. Fortier (dir.)
Dynamiques de conversion : modèles et résistances. Approches interdisciplinaires.
205 p., 156 x 234, 2012, ISBN 978-2-503-54473-1

vol. 156 (Série “histoire et prosopographie” no 8)


C. Zivie-Coche, I. Guermeur (éd.)
« Parcourir l’éternit ». Hommages à Jean Yoyotte
900 p. env., 156 x 234, ISBN 978-2-503-54474-8

vol. 157
e. marienberg (éd. et trad.)
La baraïta de-niddah. Un texte juif pseudo-talmudique sur les lois religieuses
relatives à la menstruation
235 p., 156 X 234

vol. 158
gérard colas
Penser l’icone en Inde ancienne
221 p., 156 X 234
réalisation : cécile guivarch

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