Origine Celtique de La Civilisation de T

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 559

A propos de ce livre

Ceci est une copie numérique d’un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d’une bibliothèque avant d’être numérisé avec
précaution par Google dans le cadre d’un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l’ensemble du patrimoine littéraire mondial en
ligne.
Ce livre étant relativement ancien, il n’est plus protégé par la loi sur les droits d’auteur et appartient à présent au domaine public. L’expression
“appartenir au domaine public” signifie que le livre en question n’a jamais été soumis aux droits d’auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à
expiration. Les conditions requises pour qu’un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d’un pays à l’autre. Les livres libres de droit sont
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont
trop souvent difficilement accessibles au public.
Les notes de bas de page et autres annotations en marge du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir
du long chemin parcouru par l’ouvrage depuis la maison d’édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.

Consignes d’utilisation

Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages appartenant au domaine public et de les rendre
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine.
Il s’agit toutefois d’un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées.
Nous vous demandons également de:

+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l’usage des particuliers.
Nous vous demandons donc d’utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un
quelconque but commercial.
+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N’envoyez aucune requête automatisée quelle qu’elle soit au système Google. Si vous effectuez
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer
d’importantes quantités de texte, n’hésitez pas à nous contacter. Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l’utilisation des
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.
+ Ne pas supprimer l’attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet
et leur permettre d’accéder à davantage de documents par l’intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en
aucun cas.
+ Rester dans la légalité Quelle que soit l’utilisation que vous comptez faire des fichiers, n’oubliez pas qu’il est de votre responsabilité de
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n’en déduisez pas pour autant qu’il en va de même dans
les autres pays. La durée légale des droits d’auteur d’un livre varie d’un pays à l’autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier
les ouvrages dont l’utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l’est pas. Ne croyez pas que le simple fait d’afficher un livre sur Google
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous
vous exposeriez en cas de violation des droits d’auteur peut être sévère.

À propos du service Google Recherche de Livres

En favorisant la recherche et l’accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le frano̧ais, Google souhaite
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l’adresse http://books.google.com
3 9015 00231 140 8
B University of Michigan BUHR
FA
IR
E IR
TA ET E
E
S
СВ
206
C13
|
11
1
1
ORIGINE CELTIQUE
DE LA

VI VILISATION
DE TOUS LES PEUPLES

THÉORIE NOUVELLE
PAR

THÉOPHILE CAILLEUX

PARIS
MAISONNEUVE ET C , ÉDITEURS
LIBRAIRIE ORIENTALE
25 , QUAL VOLTAIRE , 25

1878
TOUS DROITS RÉSERVES
3
138

ORIGINE CELTIQUE

DE LA

CIVILISATION
DE TOUS LES PEUPLES
CH
EN BRU
WE ISS
GRAPHIE
TYPO DE M *

IMPRIMEUR DU ROI
RUE DU POI
NÇ , 45 , A BR
ON UXE
LL
ES
ORIGINE CELTIQUE

DE LA

CIVILISATION
DE TOUS LES PEUPLES

THÉORIE NOUVELLE
You B
PAR

THÉOPHILE CAILLEUX
-

PARIS
MAISONNEUVE ET Cie, ÉDITEURS
LIBRAIRIE ORIENTALE
25 , QUAI VOLTAIRE , 25

1878
TOUS DROITS RÉSERVÉS
and
Vignaud hib ,
L - 12-28

li

2
EXPOSÉ PRÉLIMINAIRE.

La recherche de la vérité a passionné dans tous


les temps les hommes qui ne se contentent point
des idées vulgaires; mais jusqu'ici leurs tentatives
ont été vaines, parce qu'aux abords de la science
ils rencontrent des erreurs séculaires qui les
déroutent et les jettent dans de faux systèmes .

Dissiper ces erreurs, tel est l'objet que je me


propose dans cet ouvrage. Il n'est donc qu'une
introduction à des questions plus hautes; mais,
comme la nature du sujet demande que je touche
à des sciences nombreuses et très- disparates , je
place au commencement de ce livre le tableau
des matières qui y sont traitées. Elles se répartis

425275
VI EXPOSÉ PRÉLIMINAIRE

sent en vingt-quatre thèses qui s'enchaînent dans


l'ordre suivant :

DES CELTES .

fre THÈSE. – Les peuples de l'Europe occidentale sont aujour


d'hui les dominateurs du monde ; ce qui est dû à la supé
riorité de la race celtique.
2e THÈSE . – Cette supériorité s'est manifestée à toutes les
époques ; dans les temps modernes, dans le moyen âge,
dans les siècles les plus reculés.
3e THÈSE . Les Celtes sont les peuples qui habitent autour des
bouches du Rhin , c'est-à-dire les Gaulois, les Bretons,
les Allemands ; à partir de ce centre , l'espèce humaine va
se dégradant jusqu'aux extrémités du monde.
4° THÈSE. – En déterminant les principaux caractères de la
civilisation , l'on voit que la race celtique est la seule qui
les réunisse .

DES COLONIES ÉTRANGÈRES .

5e THÈSE . -- Marseille, ville gauloise, n'a point été fondée par


des Phocéens venus d'Orient; elle se rattache au grand
système de navigation fluviatile qui mettait en com
munication toutes les parties intérieures de l'ancien
monde.
6e THÈSE . Aucune
.
colonie phénicienne n'est venue d'Asie
répandre la civilisation orientale sur les rivages cel
tiques.
7° THÈSE . – L'influence des Romains dans l'Europe occidentale
a été exagérée ; ils tenaient leur civilisation des Grecs qui
la devaient aux anciens Celtes.
8e THÈSE . Les Arabes sont entrés barbares en Espagne, et les
Espagnols ne leur doivent aucune partie de leur civilisa
tion .
EXPOSÉ PRÉLIMINAIRE VIE

DES ÉMIGRATIONS CELTIQUES .

ge THÈSE . -
Les Celtes ont colonisé la Scandinavie et l'Ibérie .
104 THÈSE . Les Celtes ont envoyé leurs colonies en Thrace, et
les mystères de ce pays nous donnent une idée de la
manière dont se sont formés les anciens cultes .
11 THÈSE . – De Thrace , les mythes occidentaux furent pro
pagés dans l'Asie centrale par les Celtes qui y prirent le
nom de Chaldéens ; ce que constatent les ruines de Baby
lone et de Ninive .
124 THÈSE . – Les mystères, se répandant toujours vers l'Orient,
pénétrèrent par une double route et une double forme de
symbolisme au fond de l'Asie, au fond de l'Océanie, lais
sant partout des marques de leur origine celtique.
DES ANTIQUITÉS CELTIQUES.

13- THÈSE. – On voit par l'étude des langues anciennes qu'elles


ont une origine celtique, et qu'elles se sont propagées au
moyen des mystères.
14e THÈSE . Les découvertes géologiques faites dans ces der
niers temps semblent montrer que la plus ancienne race
est celle des Celtes .
154 THÈSE.- L'histoire de la civilisation primitive nous explique
par quels moyens les Celtes ont acquis la supériorité qui
les distingue, et nous fait connaître en même temps le
nom et l'origine des peuples.
16. THÈSE . — A toutes les époques de l'antiquité, l'industrie et
les arts ont brillé dans les pays celtiques, et c'est de là
qu'ils se sont répandus dans le reste du monde.

DU BERCEAU DE LA CIVILISATION .

170 THÈSE . On a cherché sans succès le berceau de la civilisa


tion en différents pays, ais surtout dans la Palestine,
la Grèce , l'Asie centrale.
VIII EXPOSÉ PRÉLIMIMAIRE

18e THÈSE .. – La race celtique ayant propagé ses institutions


civiles et religieuses dans tous les pays, on les trouve, par
conséquent, en Asie ; ce qui fit croire, dans ces derniers
temps, que c'est de là qu'elles nous sont arrivées ; mais
on peut s'assurer par une règle certaine qu'elles viennent
d'Occident et non d'Orient .
19• THÈSE . — L'Inde fut colonisée par différents peuples, mais
surtout par les Phrygiens, venus des régions pyré
néennes .
20 THÈSE . -- L'Amérique fut colonisée d'abord par les peuples
-

septentrionaux, puis par les Phéniciens, venus également


du voisinage des Pyrénées.
214 THÈSE . -
Les Phéniciens allaient en Amérique par une
route directe à travers l'Océan .
220 THÈSE . -- Quand les Phéniciens pénétrèrent en Amérique,
elle était déjà prospère ; ils en tirèrent des éléments de
civilisation qui se répandirent jusqu'en Orient, jusque
dans l’Indoustan .
-

23€ THÈSE . – Ceux qui prétendent que la civilisation est origi


naire de l'Asie ne peuvent alléguer aucun ouvrage savant
qui appuie leur système.

CONCLUSION .

24e THÈSE . Toutes les théories précédentes seront démontrées


au moyen des ouvrages d'Homère. On peut prouver par
des arguments de précision que le seul théâtre de ses
poëmes, c'est l'Atlantique, et que c'est des bords de
cette mer que la civilisation s'est répandue dans le reste
du monde .
ORIGINE CELTIQUE

DE LA

CIVILISATION DE TOUS LES PEUPLES

PREMIÈRE THÈSE

DES PEUPLES CELTIQUES

En lisant l'histoire des derniers temps, l'on est forcé


de reconnaître l'étonnante prépondérance que possède
l'Europe occidentale sur toutes les autres contrées du
monde.
Placée aux confins de la terre et de l'océan, ses
nombreuses flottes armées de la foudre, soustraites
par la vapeur au caprice des vents, courent dans l'im
mensité des mers chercher des terres nouvelles ,
d'autres climats , d'autres cieux ; arrivent en maî
tresses chez les nations les plus lointaines , portant sur
tous les rivages sa domination , ses moeurs , ses colons .
Pour atteindre aux régions orientales, une disposition
providentielle lui a tracé au nord et au midi deux
1
2 PREMIÈRE THÈSE

longs bassins ? qui , prenant ses vaisseaux dans l'Océan,


les conduisent sans peine jusqu'à ces vastes contrées
où commence l'Asie. Là, comme en Occident, des
empires puissants et fameux qu'une autre civilisation
avait élevés et que protégeait une antique vénération
étaient endormis dans une confiante sécurité, ne voyant
aucun danger dans leur vaste voisinage. Des routes
improvisées , des armes nouvelles nous transportent au
centre de leur domination, et partout comme frappés
à notre approche, ils achèvent de mourir sous notre
main toutę-puissante, essayant à peine de nous disputer
leur dernier souffle.
La race celtique, dégageant ainsi peu à peu la supé
riorité de sa nature , se substitue partout aux autres
nations tombées de vétusté et tient désormais dans ses
mains les destinées du monde entier .
D'où vient à cette race une si grande puissance de
développement?
Quand il arrive à un peuple de grandir, de s'élever
au-dessus de ses voisins , l'on entrevoit souvent les
causes qui ont préparé ce progrès ; un ciel heureux
favorise en lui cet essor qui multiplie les ressources et
fait produire des merveilles; ou bien à ses portes
s'ouvre une mer étendue qui invite ses flottes à cher
cher dans un trafic lointain de nouveaux éléments de
prospérité; ou encore, placé sur un sol qui répond mal
à ses besoins , il doit, à force d'industrie et de persévé
rance , aider une nature incomplète et demander aux
1 La Baltique et la Méditerranée.
? Le Mexique, le Pérou, l'Inde, la Chine.
DES PEUPLES CELTIQUES 3

peuples mieux avantagés une part de leurs richesses .


Mais, d'un autre côté , combien de nations dans toutes
les régions du globe n'ont pas trouvé réunis autour
d'elles ces éléments de prospérité propres à leur don
ner, avec le temps, la consistance d'un grand peuple
et cependant sont restées, après des efforts plus ou
moins soutenus , aux différents degrés d'une civilisa
tion inachevée ? Quelques-unes, après s'être élevéesu n
moment à une hauteur de prospérité qui nous étonne ,
sont bientôt rentrées dans une impuissance qui nous
étonne plus encore .
Comme tous les autres , les peuples rangés le long
des bords atlantiques doivent beaucoup à des causes
étrangères ; la nature bienveillante aa aidé leur progrès
et surtout leur a départi deux précieux avantages :
des ressources insuffisantes pour leurs besoins, mais
suffisantes pour aller réclamer d'ailleurs ce qui leur
manque .
Pourtant, en dehors de ces considérations , il n'est
pas possible de méconnaître dans cette race un prin
cipe de vie, une action secrète et puissante qui anime
ses mouvements , lui donne un empire qui n'appartient
qu'à elle et semble être un élément constitutif de sa
nature. Et en effet, des races d'un sang vulgaire peu
vent bien , quand il leur arrive un souffle civilisateur , se
former en nation, acquérir de la puissance , soutenir
quelque temps ce rôle trompeur ‫ ;ܪ‬mais bientôt, épuisé
par des efforts au-dessus de sa nature, cet État impro
visé s'affaisse sur lui-même ou tombe au moindre choc
des événements politiques .
4 PREMIÈRE THÈSE

Quand ce phénomène se présente dans l'histoire ,


c'est, le plus souvent, chez des peuples formés de races
diverses et inégales . On comprend , en effet, que , dans
>

les temps primitifs, les grands peuples durent souvent


épancher dans d'autres contrées leur excès de popula
tion . Ces émigrations successives avançant de proche
en proche parmi des races inférieures et sans résis
tance formaient dans les pays envahis la caste domi
nante. Les nouveaux maîtres , laissant en paix le fond
de population qu'ils ont trouvé sur le sol et qui devait
1
les nourrir, se réservaient à eux seuls le privilége de
faire les guerres et , partant, celui de se ruiner les uns
les autres . Les habitants primitifs dont le joug s'allége
par ces destructions réciproques, relèvent peu àà peu
la tête et redeviennent les maîtres souvent pour passer
à de nouveaux asservissements , mais toujours pour
rester dans leur infériorité première .
Les peuples de l'Europe occidentale , purs de tout
mélange étranger, ne connaissent point ces inégalités
de races , ces couches superposées et de nature diverse
que l'on remarque chez les autres nations . Il nous est
bien arrivé des profondeurs obscures du passé des
classements entre les hommes d'un même pays, les uns
jouissant de priviléges héréditaires, les autres subis
sant une forme de servitude traditionnelle, tous res
pectant une inégalité de condition dont l'origine leur

| Les Romains, Grecs, Perses, Égyptiens , Hébreux et autres ont


duré tant que dura la caste étrangère et régnante. On voit par les
ruines américaines qu'il dut en étre de même dans le nouveau
monde .
DES PEUPLES CELTIQUES 5

était inconnue et que le temps avait rendue sacrée ;


mais on sent que ces divisions nées de causes diverses
sont tranchées dans le bloc d'une même population .
Aussi , par l'action lente du temps et le froissement
inévitable des faits, ces différences factices et transi
toires s'effacent peu àà peu ; les rangs se rapprochent;
tandis que les castes supérieures , fatiguées d'avoir
soutenu si longtemps le premier rôle , sentent échapper
de leur main le glaive de la puissance et ont commencé
à rendre à la nation le dépôt sacré de la gestion
publique; les derniers rangs , remontant à leur tour,
ressaisissent peu'à peu l'autorité et , frais encore du long
sommeil dont ils avaient dormi, s'apprêtent à pour
suivre avec le même empire, le même éclat , la carrière
si noblement tracée par leurs devanciers '. Ainsi l'État,
toujours un et toujours variable comme le corps de
l'homme, conserve cette virilité qui est un gage de
durée et de force .
Tel est donc le secret de la supériorité des peuples
celtiques. L'homme à tous les degrés de l'échelle
sociale est apte par sa nature à régir ses semblables, à
faire triompher au dehors la cause publique , à réparer
les brèches que les malheurs font parfois au pays.
Chaque révolution politique n'a pour effet que d'amener
au jour de nouveaux hommes dont les circonstances
pourront faire de nouveaux héros . Ainsi radicalement
constitué, un peuple tire de ses revers une nouvelle vie
et , inébranlable aux variations du sort, il reste debout
Ce mouvement violemment accompli en France se poursuit plus
pacifiquement dans les autres pays celtiques .
6 PREMIÈRE THÈSE

au milieu des États plus faibles que l'histoire voit dis


paraître chaque jour.
Les trois empires que séparent la Manche et le Rhin
constituent le fond de la race celtique. Fixés sur leur
base séculaire, ils occupent aujourd'hui les mêmes
positions où l'histoire les a trouvés . La science ne peut
ni sonder leur origine ni prévoir leur décadence . Par
fois ils se sentent pris de ces accès révolutionnaires,
de ce besoin de mouvement qui fatigue, qui abat une
nation vulgaire ; mais toujours il leur est donné de
renaître du désordre et , reparaissant sous une autre
forme, de reprendre leur rang dans la puissante triade .
L'industrie , le crédit que donne la force leur apportent
l'or des nations , et souvent avec lui les arts corrup
teurs, la mollesse qui énerve les ressorts du pouvoir ,
un commencement de dissolution qui tente l'avidité du
voisin . Surpris dans ce sommeil, ils payent un oubli
momentané , et bientôt, retrempant leurs armes , ils
s'apprêtent à rétablir parmi les trois peuples la balance
éternelle de la paix et de la guerre.
Plus au nord , plus au midi , les peuples celtiques
reconnaissent aux extrémités de l'Europe deux autres
branches dont les liens de famille ne sont pas retrou
vés , mais qui auraient la domination si eux-mêmes
n'étaient les maîtres. Le Scandinave dans les glaces du
pôle, l'Ibère sous son climat séducteur savent se main
tenir libres de toute domination étrangère , et souvent ,
sortant de leurs limites , ont forcé les grands peuples
à les avouer pour frères.
DEUXIÈME THÈSE

ANCIENNE CÉLÉBRITÉ DES CELTES

Si nous remontons le cours de l'histoire , nous retrou


>

vons à tous les âges la race celtique telle que nous la


voyons aujourd'hui.

Temps modernes.

Il y a quatre siècles, les Celtes parurent comme se


réveiller d'un long sommeil. Une étincelle a couru du
nord au midi, et toutes ces nations électrisées se préci
pitent d'un commun essor dans toutes les découvertes,
dans les recherches de tous les genres. L'océan et ses
balancements éternels n'effrayent plus leur courage; les
hommes du Nord arrivent au nouveau monde par des
routes qu'ils essayaient patiemment depuis plusieurs
siècles; les hommes du Sud , dans un coup hardi, y
pénètrent par des voies qu'ils se frayent à travers les
abimes. Vers l'Orient, on savait qu'il existait au loin des
empires fondés sur l'or et les pierreries ; pendant que ,
pour y arriver , on s'apprêtait à franchir des espaces sans
limite, et avant tout la barrière impénétrable des Turcs
alors dans la plénitude de leur puissance, tout à coup
8 DEUXIÈME THÈSE

l'on apprend qu’un hardi Portugais , tournant tous les


obstacles, avait pénétré dans ces régions idéales et nous
révélait les noms inconnus de la Chine et du Japon.
Restait encore dans le monde opposé au nôtre une
moitié inexplorée du globe ; Magellan , sur son esquif,
pousse vers le Couchant, s'élance dans les espaces,
tourne tout l'arrière de notre planète et reparaît en
Orient , achevant ainsi de nous faire connaître l'étendue
de notre domaine .
Les trois grandes nations sortaient alors de leurs
luttes féodales et dynastiques , propres à ramener
l'homme à sa barbarie primitive , et entraient dans la
période des guerres de frontière et de civilisation qui
maintiennent dans un peuple toute la hauteur de son
caractère ; elles ne purent donc que plus tard se mêler
au mouvement colonisateur . Si , venues les dernières ,
elles s'arrogèrent peu à peu la plus forte part de ces
conquêtes lointaines , elles payèrent avantageusement
leur usurpation en ajoutant au travail fait le fruit de
leur audace et de leur génie . Le globe était conquis,
elles voulurent l'asservir à leurs besoins ; un essaim
d'observateurs , se répandant partout, forcent l'abîme à
nous révéler ses secrets, ses courants, ses écueils, tous
ses dangers ; d'autres, abaissant le ciel pour en étudier
les rouages à leur gré , voient les astres rouler devant
leurs yeux , en poursuivent algébriquement toutes les
déviations et les appellent ainsi en aide à la boussole
pour éclairer nos courses.
La cupidité, précédée de la force, nous conduit au
sein des nations riches ; une curiosité persévérante nous
ANCIENNE CÉLÉBRITÉ DES CELTES 9

fait arriver au centre des contrées pauvres et surtout


de cette ingrate et brûlante Afrique.
Encore un pas et l'homme, forçant la nature dans
son dernier réduit, aura, malgré les glaces, planté sur
le pôle son drapeau triomphant et se demandera s'il
est enfin un terme à notre audace. Coelum coeli domino,
terram autem dedit filiis hominum . Ce globe, nous
l'avons mesuré, sondé , pesé ; il tourne entre nos mains ;
c'est nous , peuples celtiques, qui en sommes seuls les
maîtres et les rois .

Moyen âge.

Avant cette période, nous trouvons, avec le moyen


>

áge, un spectacle bien différent; toute l'image de l'im


puissance et du désordre, toute l'apparence d'un travail
de régénération où la race des Celtes, quittant sa vieille
civilisation druidique , subissait patiemment une mue
de quinze siècles pour renaître au souffle d'une anima
tion nouvelle. Cette phase nous fait remonter au temps
de la puissance de Rome.
La république romaine, après avoir promené ses
conquêtes dans les régions orientales aussi loin que
purent aller ses troupes, tourna enfin contre les races
celtiques qui étaient à ses portes. Une rancune de trois
siècles lui rappelait que, seuls de tous les peuples , les
Gaulois avaient brisé ses faisceaux et foulé aux pieds
la ville éternelle. Au plus fort de son unité , Rome les
surprit dans leurs divisions et resta maîtresse. Il lui
fallut, pour l'île de Bretagne, un siècle de tentatives .
10 DEUXIÈME THESE

Contre les Germains, la lutte, qui ne se termina jamais,


fut pour elle, suivant le mot de Tacite ' , une longue
défaite .
Ébranlée elle-même du coup qu'elle a porté, elle
tomba et resta à jamais dans ses ruines . Pendant quatre
siècles , il lui faut subir une série de maîtres qui s'arra
chent un sceptre avili et dont les règnes ensanglantés
forment toute l'histoire de ses derniers moments . Puis ,
les peuples étrangers , ne trouvant plus de barrières qui
les arrêtent, accourent de tous les points de l'horizon,
foulent et refoulent ses débris, et elle n'a pour ven
geance que de les appeler du nom de barbares. Depuis
lors, l'Italie n'est plus qu'un lambeau que l'on se dis
pute ; et enfin ,de nos jours, quand elle n'eut plus rien à
offrir à la cupidité des autres peuples et que , délaissée
de tous , elle crut pouvoir, comme ses voisins , s'ériger
en royaume , la force lui manqua ; il lui fallut l'aide
d'une main étrangère ; mais vainement elle se débat
contre la destinée, elle est rentrée tout entière et pour
toujours dans sa condition ; le sol qui recouvre ses
ruines ne lui rendra ni les Scipion , ni les César.
Il en fut tout autrement chez les nations occiden
tales. Un moment étonnées de l'agression romaine, elles
ne tardèrent pas à se remettre de ce choc inattendu.
Toutes les institutions étaient bouleversées , mais la
vieille société, se ranimant , retrouva dans ses entrailles
de nouveaux hommes, de nouveaux principes et bientôt
de nouveaux éléments de force et d'agression, et l'avenir
s'élabora peu à peu .
1 Tamdiù victi sumus.
ANCIENNE CÉLÉBRITÉ DES CELTES 11

Les trois peuples dans toute cette période de trans


formation se tinrent en éveil par des luttes intermit
tentes, s'avertissant ainsi réciproquement de ne point
faillir à la mission civilisatrice qui leur est départie .
Leurs barrières furent fermées à toute tentative étran
gère; Huns , Hongrois, Maures , toutes races ne par
lant point notre langage, signalèrent leurs apparitions
par d'éclatantes déroutes. Les trois nations voulaient
seules refaire avec le temps leur fortune passée ;; mais ,
pour arriver aux merveilles de notre époque , elles
suivirent des routes très-diverses . Nées toutes trois du
système antique de vassalité, leur histoire intérieure
n'est quela lente disparition de cette forme vieillie. En
France, la féodalité, domptée par ses maîtres, resta
sous leur main jusqu'à la fin ; triomphante chez les
Anglais, elle -même choisit et gouverna ses rois ; elle
balança en Allemagne le pouvoir d'un seul et remplit
ce pays de troubles . Malgré ce mélange confus, cette
répartition inégale d'indépendance et de servage , où
tant d'autres nations ont trouvé leur ruine, la supério
rité de la race sut se démêler de tous les désordres , et
nous ne saurions dire laquelle des trois nations arriva
le plus haut dans la prépondérance qu'elles exercent
aujourd'hui.

Temps anciens.

Comme il est naturel de le penser, les hommes


qui, de nos jours, ont sondé tous les secrets du temps
et de l'espace, ont dû donner aussi une large part
12 DEUXIÈME THÈSE

de leurs travaux à la recherche de leurs aïeux . Les


Celtes n'ont point laissé d'annales et, pour leur recon
struire une histoire , on a recueilli les échos des peu
ples voisins , on a essayé , par l'étude des langues, de
retrouver leurs liens de parenté avec les autres nations,
on a prétendu lire sur leurs monuments sans inscrip
tions leurs usages, leur antiquité; mais chacun des
savants travaux émis sur cette matière vient chaque
jour ajouter un nouveau degré à notre ignorance .
L'homme des hautes nations se sent à l'étroit dans
les limites du présent ; l'avenir, plaçant devant ses yeux
une barrière impénétrable, il se rejette sur le passé ;
les choses dont l'origine se perd dans un lointain mys
térieux deviennent sacrées pour lui et déterminent ses
actes . Les grands peuples sont ceux où les hauts faits
des premiers hommes, ornés , agrandis par des poètes
inspirés , forment tout le corps d'histoire . Les généra
tions , bannissant la savante exactitude des chroniques ,
grandissent à cette école fictive. La Chine, le Japon
dans l'extrême Orient ' , n'ont que des annales et ram
pent sur ce stérile enchaînement de faits ; les peuples
méditerranéens se sont nourris longtemps des gran
deurs d'Homère et sont arrivés aux merveilles de tous
genres que nous étudions aujourd'hui; mais lorsque ,
chez les Grecs d'abord , chez les Romains ensuite , on
en vint à étudier non plus les grands poëmes , mais les

i Ce qu'on appelle le style oriental ne se rencontre que chez les


Mahometans et ne se remarque en Asie que depuis qu'ils y ont pénétré,
venant des régions méditerranéennes.
ANCIENNE CÉLÉBRITÉ DES CELTES 13

annales du pays, ces peuples descendirent de toute


cette hauteur et ne se relevèrent plus.
En Occident, César et Tacite , nos premiers histo
riens, nous font connaître les poëmes fameux par les
quels les Taliesin , les Ossian, évoquant sous les yeux
des peuples les ombres des anciens héros, ont main
tenu si haut le caractère de la nation et ceux par les

quels les druides communiquaient à leurs disciples


l'enseignement des sciences , c'est-à-dire , d'après César
et Méla ' , le mouvement des astres, la forme de la terre ,
la grandeur de l'univers, la nature des choses, la puis
sance et la volonté des dieux .
Les prêtres de ces temps , nous dit César, faisaient
usage des lettres grecques ?, mais ils auraient cru pro
faner la sainteté de leur doctrine et de leurs rits s'ils
eussent confié à l'écriture le dépôt sacré de leurs tradi
tions. L'enseignement était oral, c'est-à-dire , se faisait
religieusement dans la forme où il fut établi . La reli
gion chrétienne s'enseigne dans une langue vieillie
pour la foule qui ne l'entend plus , parce qu'elle fut
fondée dans cette langue. Les rits des Égyptiens,
Mexicains et autres anciens peuples , sont restés hiéro
glyphiques, non pour se soustraire à la curiosité des
profanes, mais pour se conserver fidèlement tels qu'ils
furent établis. Chez les Celtes, le maître parlait au

Mela , liv. III, ch. 2.


De la Baltique à la Méditerranée, les inscriptions antiques sont en
lettres grecques ; on retrouve ces lettres sur les statues fossiles du
Mecklembourg, sur des autels aux bords du Rhin, sur le cercueil
de l'archidruide Chyndonax en Bourgogne , etc.
14 DEUXIÈME THÈSE

disciple sans l'intermédiaire d'aucune écriture, comme


durent faire les premiers hommes qui entreprirent de
propager une doctrine ; ce qui reporte l'origine de leur
enseignement aux temps antérieurs à toute institution
graphique et jusque dans l'antiquité primitive.
En voyant ainsi ces peuples sans annales puiser dès
les temps les plus reculés la science et le courage au
sein de la poésie , l'on n'est point surpris qu'ils aient
rempli l'ancien monde de leurs émigrations conqué
rantes et que celles des autres nations qui ont écrit
leurs propres histoires les retrouvent toutes à leur
berceau . On sait comment un coup d'audace leur donna
Rome naissante . Deux cents ans auparavant ’ , ils fran
chissaient le Rhin et les Alpes pour se répandre en
vainqueurs dans les régions orientales. Aussi , les plus
anciens historiens que l'on connût en Grèce, Hérodote
et Hécatée de Milet, avaient-ils déjà une connaissance
familière de cet extrême Occident, et ces deux Asia
tiques , cinq siècles avant l'ère chrétienne, savent- ils
nous dire que les sources du Danube 2 sont voisines du
pays des Celtes , que Marseille 33 se trouve dans la Cel
tique.
Mais, nous dit Tite-Live * , lontemps auparavant ,
multo ante, les Celtes avaient?déjà soutenu de longues
guerres contre les peuples du nord de l'Italie ; or , pour
| Tite - Live, liv. V, ch. 33. Les Bituriges, dont parle l'auteur latin,
sont les Celtes en général ; les Bituriges d'Avaricum n'en étaient qu'une
fraction .
2 Hérodote .
3 Hécatée de Milet. Fragm . de Kreutzer.
4 Tite - Live, liv . V , ch . 33.
ANCIENNE CÉLÉBRITÉ DES CELTES 15

comprendre combien cet événement nous reporte loin


dans les annales de l'ancien monde, il faut savoir que,
dans cette lutte , il s'agit de la nation des Tyrrhènes ,
dont l'histoire et surtout les tombeaux, explorés de nos
jours, révèlent l'ancienneté et la puissance. Hérodote ,
énumérant les peuples des régions occidentales , ajoute
souvent à leur nom quelque courte légende ; en Italie,
où il ne nomme même pas la ville de Rome qui, alors ,
n'était rien , il parle avec détail de l'importante nation
des Tyrrhènes, et en reportant leur origine au delà de
l'histoire dans la région des légendes , il nous montre
l'égale ancienneté de ces deux peuples rivaux.
Ainsi, dans les mystères du passé, où notre flambeau
s'éteint, nous retrouvons les Celtes tels qu'ils sont
aujourd'hui, cultivant les sciences dans leurs frontières
respectées et assez puissants pour porter aux autres
peuples leurs institutions et le fruit de leurs études . Des
milliers d'années nous séparent de ces temps insaisis
sables à nos recherches , et une si longue induction nous
trace le tableau de ce qu'ils durent être non-seulement
dans les temps antérieurs à l'histoire, mais jusque dans
cette antiquité toute primitive où l'homme commençait
à bégayer les premiers éléments de ses connaissances.
I Polybe , liv . II , ch . 3 .
TROISIÈME THÈSE

SUPÉRIORITÉ DE LA RACE CELTIQUE SUR LES AUTRES


RACES

Nos livres sont pleins de recherches sur la détermi


nation précise du pays celtique . Des contrées fort éloi
gnées les unes des autres ont été appelées de ce nom
par les anciens , et les notions vagues qui nous en restent
ne nous permettraient guère de décrire ses limites .
Toutefois, si on parcourt les nombreux monuments où
les Celtes sont mentionnés, il semble que cette dénomi
nation appartienne , avant tout, aux peuples groupes
autour de cette région antique où trois fleuves fameux ,
le Rhin , la Meuse et l'Escaut, confondant leur cours ,
tombent ensemble dans l'Océan.
C'est aux bouches sacrées des grands fleuves "1 que
les nations les plus anciennes ont placé leurs mystères .
Les îles que forment leurs deltas étaient une retraite
naturelle facilement accessible aux populations primi
tives ; elles y déposèrent leurs objets vénérés, en inter
dirent l'accès aux profanes et les déclarèrent Tabou.
C'est ainsi que l'ile Scaldia ?, la plus centrale de celles
7

1 Rhin , Nil, Tibre, Boetis, Danube , Euphrate, Gange, etc.


2 Auj . Schouwen . Debast.
SUPÉRIORITÉ DE LA RACE CELTIQUE 17

que forment les jonctions complexes de ces trois fleuves,


fit surnommer l'Escaut Tabuda ?.
Les habitants primitifs de ces contrées, développant
ce premier élément religieux , élevèrent, selon les be
soins de leur culte, ces pierres mystérieuses que l'on
rencontre dans tous les pays où ils ont passé, puis ces
temples druidiques dont les vestiges se voient à côté
des chefs- d'oeuvre d'architecture élevés par leurs des
cendants comme pour montrer la série de siècles que
les arts ont parcourue ; et , enfin , ces camps retranchés
construits de pierres brutes antérieurement à toute
histoire et que l'on trouve sur les roches qui bordent le
fleuve du soleil ?, aujourd'hui appelé la Meuse .
Mais le Rhin surtout est entré en grande part dans
les destinées de ces peuples . Il était la divinité suprême
des Celtes. Ses statues retrouvées portent pour inscrip
tion : Deo Rheno 3. Les armées s'animaient au combat,
dit Tacite, sous les auspices du Rhin et des autres dieux
de la Germanie ". La grande nation qui habitait ses
bords, voulant se conserver pure55 de toute altération,
lui confiait le soin de démêler parmi les enfants qui
venaient de naître ce qui était de bon aloi. Le nou
veau-né , exposé dans une targe6 aux bouches du fleuve,
I Géographie de Ptolomée.
* Tacite, Pline, Ptolomée , Homère appellent la Meuse Hélion , soleil.
3 Voy. BANIER, Mythologie, etc.
* Rhenum et Germaniæ Deos in conspectu, quorum numine capes
serent pugnam . Tac, histor ., liv. V.
5 Rein , pur. Le Rhin tire de là son nom.
6
• L'anthologie, Claudien, Julien, dans son Misopogon, nous appren
nent ces détails .

2
18
TROISIÈME THESE

était entraîné par le courant dans la mer ou repoussé


à l'intérieur par le flux qui le déposait sur la rive ;
les Celtes le reconnaissaient dans ce dernier cas pour
noble et héritier .
Toute la région qui environne ces trois fleuves est
donc pleine de mystères ; creusez sous ces antiques
monuments , traversez ces nombreuses couches amas
sées par les ruines de la nature et des hommes, vous
trouverez à toutes les profondeurs les ossements de nos
aïeux toujours accompagnés de leurs armes, depuis le
simple silex taillé en hache jusqu'à l'acier le mieux
trempé. C'est donc là que le peuple des Celtes a sa
racine ; c'est là qu'il a grandi , qu'il s'est fortifié dans
la lutte, qu'il s'est fait tel que nous le voyons.
Trois nations jumelles occupaient cette région : les
Gaulois étaient Celtes ; il en est de même des Bretons,
puisque les peuples qui habitaient des deux côtés de la
mer étaient de même nom, de même religion, de même
race ' . Quant aux Germains , ce nom leur était aussi
donné, comme l'attestent Dion Cassius ? et tous les
autres écrivains.
Il est remarquable que les nations qui avoisinent le
pays des Celtes , tout en conservant quelques-uns des
caractères de ce peuple , laissent déjà voir un commence
ment d'infériorité; selon les circonstances , elles s'élève
ront à la hauteur d'un empire menaçant ou subiront
sans trop de répugnance une dépendance étrangère ; si
elles ne marchent point en tête du mouvement et du
1 Commentaires. César.
2 Liv. LIII .
SUPÉRIORITÉ DE LA RACE CELTIQUE 19

progrès, elles savent suivre et aiment à s'associer à


l'impulsion commencée ; mais, dans l'état le plus ordi
naire, elles vivent et se soutiennent du voisinage de la
grande nation .
Tel est le Russe : Scythe autrefois, Slave aujour
d’hui, il a su à différentes époques de l'histoire montrer
des titres de haute race ; très-habile à s'assimiler nos
inventions et nos arts , il marche sur nos pas et suit
notre progrès : longo sed proximus interrallo.
Le Musulman aurait pu tenir une grande place dans
‘ notre voisinage; mais , captif dans l'étroite mesure de
son Coran qui ne lui permet aucun essor, il se livre
tout enchaîné à notre merci ; il ne vit plus que du
souffle qu'on lui laisse .
Les peuples méditerranéens , Romains et Grecs ,
sont aussi nos voisins. Ils n'ont brillé qu'un moment ,
mais, dans ce court espace, ils ont fait de beaux ouvrages
qui servent à perpétuer parmi nous la civilisation de
l'ancien monde. Leurs histoires , faites par eux-mêmes ,
sont les premières qui aient été mises entre nos mains
et nous ont accoutumés à ne voir de grandeur que chez
eux. Nous les admirons dans les ruines qui couvrent
leur pays, sans songer que les peuples véritablement
grands et prospères n'ont point de ruines, les débris du
passé étant repris et retravaillés à chaque âge pour
s'approprier au besoin changeant des générations.
Les nations africaines du nord viennent ensuite ;
nulles aujourd'hui, elles nous rappellent dans le passé
le commerce et la puissance de Carthage, la civilisation
homérique des Atlantes.
| Diodore de Sicile.
1

20 TROISIÈME THÈSE

Afin d'achever le pourtour, nous devons citer les


races milésiennes ' , refoulées par l'exubérance de la
puissance celtique dans les îles et péninsules de l'Ouest.
Énergie, poésie, arts, rien ne leur manque si ce n'est
l'espace pour grandir et tenir leur rang.
En parcourant cette zone de peuples limitrophes, on
sent encore le voisinage de la race celtique; mais si
vous poussez au delà, l'homme baisse , les nationalités
ne sont plus que de vaines formes attendant le coup de
vent qui doit les faire disparaître.
Quand nous arrivâmes en Amérique , les populations
en étaient encore aux haches en pierre pour défendre
le pays, et aux quipos en guise d'écriture . Un monceau
de cailloux aiguisés était leur arsenal ; un trousseau de
noeuds et de cordes était leur Iliade. Elles n'avaient
donc rien ajouté aux instruments des premiers âges , et
nous en étions arrivés aux chefs -d'oeuvre de destruction
que tout le monde connaît. On battit, on dédaigna ces
peuples sans progrès, on s'empara de leur sol ; on y
ressema tous les arts de la paix et de la guerre , tous
les éléments d'une puissante civilisation. La même
nature, ingrate pour eux, devint riche entre nos mains .
Nous avons été injustes à l'égard des peuplades afri
caines . Le nègre , dévoré par son sable et son soleil ,
est naturellement condamné à la dégradation humaine ;
aussi, ne le reconnaissant plus pour notre semblable ,
l'avons -nous mené avec nos bestiaux sur nos marchés
d'exportation .
| Les Irlandais sont toujours appelés Milésiens ; et eux-mêmes ,
dans leurs poésies , appellent leur pays Milidt .
SUPÉRIORITÉ DE LA RACE CELTIQUE 21

En Orient, le spectacle est peu différent. Plusieurs


fois, des conquérants fameux ?, venus du fond de l'Asie ,
apparurent sur nos frontières européennes , et l'effroi
qu'ils nous causèrent nous fit entrevoir dans ces régions
lointaines des empires de haute civilisation ; les débris
de leurs palais recueillis dans nos musées retracent des
triomphes , des prisonniers enchaînés ; leurs livres
sacrés étaient pour nous , dans notre éloignement, des
trésors où nous espérions trouver les secrets de toutes
choses et jusqu'à nos propres origines. En arrivant sur
leurs parages, les peuples celtiques se hâtèrent de mettre
à l'essai ces formidables apparences , mais ils n'eurent
aucune peine à faire reconnaître leur droit d'aînesse .
Les Asiatiques avaient la poudre, l'acier trempé , la
boussole , des souvenirs antiques, le nombre , des cli
mats de toutes ressources , et pourtant telle fut notre
supériorité , qu'il n'y eut pas même dans nos succès de
quoi faire un triomphe . Ils avaient fait dans la civilisa
tion un pas de plus que les Indiens de l'autre monde et
en étaient restés là . Aujourd'hui même qu'ils voient nos
arts, nos industries, rien ne les invite à sortir du moule
où ils ont été jetés il y a plusieurs milliers d'années.
Est-ce seulement aux animaux que l'homme doit com
mander ? N'est -il pas aussi des races humaines faites
pour servir ?
Les Indous , enlacés dans les plis et replis de leurs
castes, sont invariablement maintenus dans une inac
tion consacrée, et pour tout ce qui vit l'inaction est la
mort. Les Chinois, sur les pas de leur Confucius, se
1
Xerxes, Sapor, Gengiskan , Tamerlan .
22 TROISIÈME THESE

sont affranchis de toute contrainte superstitieuse ; les


hommes furent déclarés libres et égaux ', et que nous a
donné cette liberté tant de fois séculaire ? Des poteries
de la meilleure pâte, des colifichets habilement laqués .
La même nature qui a refusé à l'Africain les moyens de
prospérer a tout donné aux peuples de l'Asie, et s'ils
sont aujourd'hui sous notre main , c'est à l'infériorité de
l'homme qu'il faut attribuer l'infériorité des nations .
Si nous pénétrons au delà des régions continentales
que nous venons de décrire , nous arrivons, à travers les
iles océaniennes , aux limites et de notre monde et de la
dégradation humaine . Là commence la bête .
Telle est la loi invariable qui règle le classement des
peuples . Des bords de la Manche et du Rhin , centre de
la vie et du mouvement , nous avons descendu de nation
en nation toute l'échelle de l'humanité, depuis le Celte
jusqu'à l'Australien ,depuis l'homme jusqu'à la brute .
>

i Ce sont les seuls des peuples anciens où les fonctions s'obtiennent


par un concours égalitaire fort ressemblant à nos examens.
QUATRIÈME THÈSE

DU PRINCIPE CIVILISATEUR CHEZ LES CELTES

Il est une loi à laquelle tout obéit, dont les éléments


nous échappent , mais que les progrès de la science
viennent chaque jour confirmer. Elle nous montre, sous
une apparence de désordre, la nature poursuivant sans
dévier une élaboration intelligente qui a commencé à
l'origine des choses, se révèle à chaque âge de notre
monde et, sans doute , ne finira qu'avec lui . Les couches
géologiques du globe sont les tablettes irrécusables où
nous lisons, tout à la fois, les révolutions qu'il a subies
jusqu'à notre âge et, en même temps , le développement
continu de l'être organisé ' . Rien n'arrêtant ce travail
éternel et mystérieux , il se poursuit de nos jours par
les secousses , les profondes agitations de l'histoire , et
fait ainsi que l'humanité avance et que, peu à peu , du
milieu des hommes l'homme se dégage .
L'histoire n'est donc pas un simple enchaînement
de faits qui naissent au hasard les uns des autres ; seu
lement , le ressort d'où se déroulent ses longues pertur

1 La vie, commencée à l'origine du globe , s'est progressivement


continuée jusqu'à nous et les débris laissés par cette chaine d'êtres
forment ce vaste tombeau que nous appelons la terre.
24 QUATRIÈME THÈSE

bations ne se voit pas. Si des nations brillent et


s'éteignent, montent et descendent, si des empires
apparus avec orgueil sont retombés avec fracas, lais
sant au désert, au temps et à nos recherches leurs
vastes débris , tous ces coups de branle sont mesurés
par une main secrète et toute- puissante pour pousser
en avant le mouvement initial et consommer dans
l'avenir le règne intellectuel de l'homme .
Il est donc une tendance indéfinie de l'humanité ; si
nous en cherchons les caractères, nous en trouverons
trois principaux , que nous allons exposer successive
ment en montrant la part qui revient aux peuples cel
tiques dans ce mouvement civilisateur du monde :
1° D'abord , sur l'idée rationnelle que nous nous
sommes faite de l'homme et de ses droits , nous avons
peine à admettre les étranges inégalités, les capri
cieuses déformations auxquelles sa race est assujettie
selon les différents points du globe . Pour bien entendre
sinon pour justifier cette anomalie , il est nécessaire de
considérer que l'homme, dans sa double nature , est tout
à la fois animal et raisonnable. Nous comprenons que
l'animal répandu sous tous les climats les plus divers,
у subisse les transformations les plus variées . Selon la
température, l'humidité , la productivité du sol , le même
être deviendra grand , petit, précoce , blanc, noir ; et
les races qui naissent de toutes ces causes seront
semées au hasard sur le globe, sans autre raison que
les influences locales qui auront opéré cette transfor
mation .
Le Lapon , de la race des Hongrois , dont il parle la
DU PRINCIPE CIVILISATEUR CHEZ LES CELTES 25

langue, a la taille du Samoyède, errant comme lui


autour de notre pôle ; la colonie hollandaise du Cap'a
acquis la haute taille du Patagon , relégué comme elle
aux extrémités du Sud .
Mais la raison dans l'homme n'est point soumise à
l'action matérielle des climats et des éléments . Les
inégalités qu'elle nous offre doivent procéder de causes
prises dans un autre ordre de choses . Comme nous
l'avons vu ” , la force intelligente va toujours dimi
nuant dans une proportion régulière du pays des
Celtes aux extrémités du monde, et cette dégradation
suit invariablement son cours sans être troublée par les
influences variables qu'elle rencontre. Quelle que soit
la déformation climatérique du corps , l'homme s'ap
proche de la haute raison s'il s'approche du berceau de
toute civilisation ; sa capacité intellectuelle baisse à
mesure qu'il tend vers l'autre point du globe.
C'est à ces deux pôles rationnels du monde que
nous trouvons le Celte et l'Océanien. Le Celte , dans
son attitude , semble dédaigner la terre , son corps se
déploie avec aisance dans toute sa grandeur, son front
que la pensée rehausse se porte, par un noble instinct,
vers les régions de l'espace. Par l'impulsion irrésis
tible imprimée à sa nature dès l'origine , il marche en
tête du genre humain à la conquête de vérités nou
velles. L'Océanien , au contraire , sort à peine de la
nature brute ; sa marche tient encore de l'animal ;

Malte-Brun , liv . XLI .


2 These Ille.
26 QUATRIÈME THÈSE

courbé vers la terre, où il cherche sa pâture, il n'a


aucun souci au delà de ses besoins.
Comment expliquer ce double phénomène si l'on
n'admet que les émigrations anciennes, partant du
pays celtique , ont propagé de proche en proche , mais à
des degrés différents, leurs institutions civilisatrices sur
le reste du globe ?
2° Un second caractère, tout aussi remarquable, est
le suivant.
Les races lointaines de l'ancien et du nouveau
monde ont été trouvées réunies en grandes nations ;
depuis des milliers d'années , elles roulent sur une civi
lisation toute faite. Point de progrès , point de déca
dence . Le trésor d'institutions rationnelles qu'elles pos
sèdent est toujours le même ; sans initiative depuis
leur origine , qui osera dire qu'elles ont inventé ce
qu'elles ne savent que conserver ? Telle est l'Inde, si on
consulte ses anciennes poésies ; telle est la Chine, si
on en croit ses propres annales ?.
Les peuples les plus voisins de la région celtique,
Grecs , Romains, Hébreux , nous offrent un autre
spectacle . Sortant inopinément de leur obscurité, ils
ont paru un moment, ont ajouté leur part au dépôt
traditionnel des sciences humaines ; puis, leur destinée
remplie, se sont dissipés sans laisser de traces . Vaine
ment essayerait-on de les rappeler à une seconde vie ,
le sommeil dont ils dorment est éternel.
i Indiens , Chinois, Mexicains, Péruviens.
? La première dynastie chinoise commença l'an 2197 avant l'ère
chrétienne. Les védas des Brames datent du xve siècle avant la
même ère.
DU PRINCIPE CIVILISATEUR CHEZ LES CELTES 27

Mais il en est tout autrement des nations celtiques .


Après avoir poussé en avant dans les temps anciens
l'oeuvre civilisatrice du monde , elles se sont peu à peu
lassées ; puis , après un repos temporaire, sont remon
tées au faite de la puissance pour donner au mouve
ment intellectuel un nouveau coup d'impulsion. Il
semble, par ces faits, n'être pas dans la nature qu'une
même nation prospère et avance d'un pas continu ; le
développement humain se fait par secousses , par
crises , et celles des nations qui n'ont pas eu ces crises
n'ont point mis leur apport dans la civilisation univer
selle ; elles tiennent des grands peuples le peu de
culture qu'elles possèdent : et quels sont ces grands
peuples ? Ceux qui , comme la race celtique, ont déjà eu
plusieurs de ces éveils civilisateurs .
3. Passons à la dernière considération .
Quand l'ère de civilisation et de grandeur est arrivée
pour un peuple , tout est merveilleusement disposé
pour le succès de la mission momentanée qui lui est
dévolue. D'abord , un esprit nouveau , des tendances
irrésistibles semblent s'être emparés de l'homme . La
science des arts pratiques ne suffit plus à l'essor de son
ame ; il aime à se perdre dans les recherches de l'ab
solu , dans les routes de l'infini; il s'approche peu à
peu du centre abstractif, principe et fin de tout ce qui
est ; des notions nouvelles rapportées de ces médita
tions profondes sont ajoutées au dépôt sacré des
sciences , pour être encore amplifiées, lorsqu'après de
longs siècles un rayon créateur reviendra luire sur le
monde. Un essaim d'hommes habiles , se précipitant
28 QUATRIÈME THESE

sur les pas des hommes de génie, reprennent en sous


oeuvre ces théories idéales pour en tirer des éléments
pratiques qu'ils appliquent aux arts , à l'industrie, au
bien -être de chacun , aux relations des peuples .
Or, à côté du génie qui amasse ces idées , se trouve
toujours, à la même époque, l'audace qui les propage!
dans le monde , et le même peuple puise d'une main la
science qu'il répand de l'autre. S'il est puissant, la con
quête ; s'il est populeux, l'émigration ; s'il est pauvre,
la colonisation ; tous les moyens sont bons , pourvu
qu'il sorte de ses limites, qu'il propage ses découvertes,
qu'il remplisse sa destinée . C'est par ce double jeu,
que, d'âge en âge , s'est accru le règne intellectuel de
l'homme et qu'il ira s'accroissant jusqu'au dénouement
final, aux limites inconnues de l'avenir.
Quand la Grèce, au plus beau temps de sa gloire, se
répandait partout, des côtes ibériques au fond de
la mer Noire , c'est alors que les Thalès , les Pytha
gore?, les Platon, laissant à la foule les applications
matérielles , recherchaient l'origine et les destinées du
monde , les merveilles des nombres , l'essence de l'âme ;
et les colons allaient sur tous les rivages semer ces
ouveaux germes de doctrine qui devaient fructifier
avec le temps. Cette époque passée , recherches, colo
nisations , tout cessa . Quand les Romains se sentirent

| La nature est constante dans ses lois ; les vents d'automne arri.
vent à propos pour transporter au loin les germes volatiles des plantes
et des arbres .
? Je ne considère Thalės, Pythagore, que comme des noms repré
sentatifs d'un système scientifique.
DU PRINCIPE CIVILISATEUR CHEZ LES CELTES 29

comme poussés aux conquêtes les plus lointaines , c'est


alors qu'ils se livrèrent aux études les plus indépen
dantes ; Cicéron , en prose , cherchait la vérité sur ces
dieux qu'on lui faisait adorer et leurs légendes contra
dictoires ; Virgile, en vers, voulait pénétrer les secrets
de toutes choses : rerum cognoscere causas . Efforts
timides sans doute ; mais ni avant ni après cette
époque, les Romains n'ont jamais montré plus d'au
dace dans la recherche.
Quant aux Celtes, ce sont les historiens de Rome
qui nous les font connaître. Comme ils ne parlent d'eux
que par circonstance, on comprend qu'ils les peignent
sous les traits qui ont le plus vivement frappé leur
attention ; or, dans César, ils nous apparaissent comme
livrés aux recherches de pure speculation ; dans Tite
Live, ils franchissent leurs barrières pour répandre au
loin leurs émigrations et leurs idées. C'est tout ce que
les Romains savent de ces peuples. Recherches spécu
latives, émigrations lointaines : voilà toute la nation
celtique et à cette époque et vingt siècles après .
En effet, ce qu'ils faisaient alors, nous le faisons
1
aujourd'hui. Le passage déjà cité est encore le tableau
de nos études spéculatives . Ils recherchaient le mou
vement des astres. Or, de nos jours l'Allemand Kepler, à
force de patience, trouva les trois lois qui régissent les
mouvements des corps célestes ; l'Anglais Newton , à
force de génie , les concentra dans le seul principe d'at
traction ; le Français Laplace , à force de talent, nous

| Thèse Ile.
30 QUATRIÈME THÈSE

donna l'exposé complet du mécanisme de l'univers .


-La forme de la terre : Qui ne connait les travaux de
Fernel, de Picard , de Delambre sur le même sujet? -
La grandeur de l'univers : Pour nous également,
l'espace s'est agrandi ; nous arrivons, par nos paral
laxes , à d'inconcevables distances et puis , par nos cal
culs ,, aux dernières limites de l'univers.- L'essence des
choses : Aujourd'hui encore , les Celtes, non contents
d'user de la nature et de faire servir ses propriétés à
leurs besoins , se plaisent à rechercher ses lois , à la
dégager de la matière pour n'en voir que l'essence . —
Les perfections des dieux :: L'homme se distingue de
la béte par la faculté de concevoir en dehors de lui
un être d'une nature supérieure auquel il donne diffe
rents noms qui reviennent à celui de Dieu ; mais le
Celte se distingue des autres hommes par sa tendance
à le rechercher en dehors de la matière , sans s'aider
de formes visibles ; soit dans le passé, soit dans le
présent , il laisse aux races qui l'entourent les belles
images , les statues bien taillées ; vain escabeau dont il
n'a pas besoin pour s'élever à l'être suprême et étudier
ses perfections.
Disons donc que nul peuple, à aucune époque , n'a
élevé plus haut ses recherches et propagé plus loin
ses découvertes .
En résumé , nous avons constaté que la civilisation
part constamment d'un même point du globe , qu'elle
a ses mouvements et ses repos , que les époques où elle
crée sont aussi celles où elle propage . On peut con
clure de ces considérations que la civilisation celtique ,
DU PRINCIPE CIVILISATEUR CHEZ LES CELTES 31

désignée par ces caractères , est pure de tout élément


étranger; elle est née d'elle -même, elle se complète
d'elle-même.
Pour mettre cette vérité hors de doute, je vais recher
cher ce que nous devons aux colonies diverses établies
sur les côtes celtiques , aux Romains dont les ou
vrages, grecs d'origine, ont donné le premier essor à
notre éducation ; aux Arabes d'Espagne qui , eux
aussi, auraient eu quelque part à notre mouvement
intellectuel.
CINQUIÈME THÈSE

ERREURS HISTORIQUES SUR LES PHOCÉENS DE MARSEILLE

Quand on ne se propose , en écrivant l'histoire, que de


charmer les loisirs de la foule, on se préoccupe fort peu
de l'exactitude des faits ; les aventures les plus mer
veilleuses , soigneusement choisies , prennent sous une
main habile toutes les apparences de la réalité et devien
nent, dans l'esprit du lecteur, l'expression fidèle du passé;
il lui en coûte de rejeter comme faux des récits qui lui
ont procuré une lecture agréable ; il se fait ainsi une
histoire factice, dénuée de toute base, mais qui avec le
temps , acquiert une certitude qui ne souffre plus de dis
cussion . Vainement la science arrive-t-elle ensuite avec
son inexorable contrôle, pour peser une à une dans sa
juste balance les raisons sur lesquelles repose tout cet
édifice d'emprunt ; les préjugés sont la science de la
foule, qui laisse à l'érudit ses vaines critiques et persiste
dans sa foi ignorante .
Il s'est fait, au temps de nos premiers aïeux aussi bien
qu'à toutes les époques, de nombreuses migrations de
peuples ; dans nos régions européennes , les Celtes , par
leurs expéditions conquérantes, les Phéniciens et les
PHOCÉENS DE MARSEILLE 33

Grecs'? par leurs colonies , ont pénétré au loin , laissant


partout des souvenirs de leur passage et de leurs éta
blissements . Les uns et les autres apportaient aux
nations encore barbares leurs sciences , leurs arts , leurs
découvertes , tiraient, au contraire , des peuples plus
policés ce qui manquait à leur propre civilisation . Par
ces emprunts réciproques, les éléments partiels de per
fectionnement se fondirent en une civilisation de plus
en plus homogène . Aujourd'hui, après tant de siècles,
quand nous abordons le débrouillement de cette période
formative, il semble difficile de rendre à chacun des
peuples colonisateurs la part qui lui revient de cette
élaboration progressiste , tant sont nombreuses et accré
ditées les légendes par lesquelles les anciens ont défi
guré ces faits simples et primitifs et qui , de livres en
livres, se sont reproduites jusqu'à nous sans discussion .
Les Grecs et les Phéniciens semblent avoir eu pour
théâtre principal de leurs mouvements la mer Méditer
ranée. A aucune époque de l'histoire on ne les trouve
réunis en grandes nations. Disséminés sur tous les
rivages, ils y occupaient des points fortifiés; là était
leur centre d'échange entre les marchandises qui
venaient de terre et celles que leurs vaisseaux appor
taient des pays lointains. En étudiant à fond leurs insti
tutions réciproques, il serait peut-être difficile d'établir
1

Les principaux souvenirs laissés par ces deux peuples sont des
inscriptions. Les Occidentaux écrivirent d'abord en boustrophédon ,
puis les Grecs écrivirent de gauche à droite et les Phéniciens , de droite
à gauche. Nous avons aujourd'hui le tort de juger de la différence des
races par la différence des écritures .
3
34 CINQUIÈME THESE

une différence réelle entre les uns et les autres . Toute


fois, ceux que nous appelons Grecs avaient plutôt leurs
établissements sur les rivages européens et les autres
sur la côte africaine. Les Grecs se répartissaient en
tribus nombreuses , mais parmi eux les Phocéens sont
ceux qui ont poussé le plus loin le génie de la naviga
tion et en même temps les seuls qui nous intéressent ici
par les villes nombreuses et puissantes qu'ils possé
daient sur les rivages celtiques .
Là était Marseille , la plus florissante des cités qui
furent appelées phocéennes. Une belle rade , creusée
par la main de la nature , mettait ses vaisseaux à l'abri
des pirates et des vents , et lui formait une clôture qui
ne demandait plus qu'un peu d'art pour être achevée.
Placée près des bouches d'un grand fleuve, elle accu
mulait les richesses de l'un et l'autre élément . Le Rhône
lui arrivait du sein de la riche nation des Celtes ; une
ceinture de collines le séparait, il est vrai , de la Loire ,
de la Seine , du Rhin et du Pô ; mais , par un antique
système de navigation intérieure , tous ces bassins étaient
reliés entre eux . Donnons une idée de ce système.
Quand les barques qui remontaient le cours de l'eau
étaient arrivées au point où la rivière , devenue trop
étroite , les forçait de s'arrêter, les marchandises dépo
sées à terre étaient reprises par des bêtes de somme et
charriées à travers les défilés ? des montagnes jusqu'au
bord du fleuve voisin , ou bien la barque elle-même était

1 Sur tous ces défilés il s'établit des caravansérails qui , à l'appari


tion du christianisme, se changèrent en abbayes .
PHOCÉENS DE MARSEILLE 35

tirée hors de l'eau et des hommes la traînaient par terre.


ou la transportaient sur leurs épaules ?.
Ainsi , le plateau du Morvan , intermédiaire tout à la
fois à la Saône , à la Loire et à la Seine , servait à relier
commercialement ces trois fleuves, et un système de
charroi puissamment organisé et pratiqué pendant une
longue suite de siècles a formé dans ces montagnes
cette race fameuse de beufs à qui seuls encore de nos
jours sont confiés tous les lourds travaux de cette partie
de la France . Pour relier la Saône et la Moselle, la
ligne séparatrice a retenu de cette navigation pho
céenne le nom de monts Faucilles. Par ce système de
communication, le Rhône et le Pô se touchaient malgré
les Alpes ; quand Annibal arriva au pied de ces mon
tagnes, les mulets organisés pour la communication
des deux versants transportèrent sans peine tout le
matériel de cette même armée qui allait battre les
Romains .?. Mais là , l'autre moyen de communication
était aussi en usage ; les barques étaient portées de la
Duria dans la Durance , à travers les montagnes qui en
ont conservé le nom d'Alpes grecques . J'explique ainsi
l'étrange erreur d'Apollonius de Rhodes , qui , devant
faire passer son vaisseau Argo du Pô dans le Rhône,
paraît croire que ce sont deux affluents d'un même
fleuve. Enfin, le long des Pyrénées, les marchandises
? Sur toutes les lignes de navigation phocéenne on trouve des anti
quités : tombes, dolmen, abbayes, fragments de barques.
2 Azijn, vinaigre, en celtique ; asinus, âne, en latin. De lá naquit cette
étrange légende qui suppose qu'Annibal s'était ouvert au moyen du
vinaigre un passagedans lesAlpes. Tite-Live le raconte ainsi.Montes
rupit aceto, dit Juvénal.
36 CINQUIÈME THÈSE

passaient d'une mer à l'autre ; par l'Aude, elles arri


vaient de la Méditerranée jusqu'à Carcassonne , et par
l'Arriége, elles remontaient de l'Océan jusqu'à Foix,
dont le nom antique, Phocea , prouve que la navigation
phocéenne faisait communiquer à travers les Cévennes
ces deux villes, mettant ainsi en relation, bien long
temps avant le canal du Languedoc, deux mers vaine
ment séparées par des montagnes. Strabon , visitant le
midi des Gaules, remarqua ce moyen de transport et,
le décrit comme nous venons de le faire.
Ce réseau fluviatile n'était point borné à nos pays;
il s'étendait dans le reste de l'Europe et pénétrait
jusqu'au fond de l'Asie ; il se retrouve en Afrique, où
les barques étaient portées du Niger dans le Nil, ce
qui fit supposer si longtemps que ces deux fleuves n'en
faisaient qu'un ; il se retrouve même en Amérique, où,
sur les Cordillères qui courent entre le golfe du Mexique
et le grand Océan, l'on a récemment déterré une barque
portative attestant que la navigation phocéenne s'y
faisait d'une mer à l'autre par-dessus les montagnes.
Les différentes corporations de bateliers qui se for
mèrent ainsi sur tous les grands fleuves reçurent des
dénominations appropriées à ce mode amphibie de navi
gation.
On les appela Phocéens, du nom de l'animal connu
qui vit sur l'eau et sur terre. Dans le Cornouailles, ils
furent nommés Silures , du mot Seal ”, qui signifie éga

I L'ile de Seal-sea, qui est près du Cornouailles, est appelée, dans


Bède, Vituli insula, ile du Veau marin, c'est-à-dire du phoque.
37
PHOCÉENS DE MARSEILLE

lementphoque ? ; là, ils faisaient communiquer le canal


de Bristol avec la Manche par les deux Avon et trans
portaient ainsi d'une mer à l'autre , à travers les mon
tagnes, les métaux provenant des mines de cuivre et
de fer exploitées anciennement dans le pays de Galles .
Ailleurs , on fut plus frappé de leur ressemblance
avec le cygne, apte également à passer d'un élément
dans l'autre. Le mot Schwan , qui signifie cygne, fit
appeler Sequanais ces peuples si fameux dans les com
mentaires de César , qui , habitant entre la Seine et
l'Arar, faisaient passer par terre les marchandises de l'un
à l'autre fleuve; la Seine , dont le nom véritable et pri
mitif est Sena ?, en fut appelée Sequana et l'Arar,
Socoana, que nous prononçons Saône . L'oie, qui est
une espèce de cygne, se dit Ghanse en celtique, Anser
en latin , Hansa en ibérique et en sanscrit ; ayant aussi
l'habitude de vivre sur les deux éléments , elle donna
pour ce point de similitude son nom à la Hanse , à cette
fameuse association nautile qui fut non pas créée , mais
renouvelée au moyen âge . Cette Hanse avait pour
patronne une déesse dont les emblèmes se rapportent
à ce genre de navigation ; ainsi , aux bouches de la
Meuse , cette protectrice se nommait Nehal Ennia, et
dans ses statues elle est souvent représentée 3 posant un
pied sur une proue de navire ; dans la Baltique, elle
1 La ville de Phocée en Asie a dans ses médailles un phoque , ce qui
montre l'ancienne confusion de phoque et de Phocéen .
? Les Senones , situés sur la Seine , tirent leur nom de Sena.
3 Sur cette proue de navire on trouve souvent ces deux lettres :
D. B. Dea Batavorum . De GRAVE. République des champs élysées.
T. I, p. 264.
38 CINQUIÈME THÈSE

s'appelait Herta et , selon Tacite ' , elle était figurée


par une liburne ; or, une liburne est une barque qui ,
selon le besoin , vogue sur l'eau ou est portée sur les
épaules , et ce qui le prouve, c'est que liburnus, dans la
langue même de Tacite , signifie tout à la fois batelier
et porte -faix ; aux bouches du Nil , la même déité que
nous venons de voir s'appelle Isis ; elle tient un vaisseau
à la main ; mais , ce qui est important dans la question
présente , c'est que sur ce vaisseau était une oie sculptée ?;
étrange symbole qui nous montre l'ancienneté et l'éten
due de la Hanse . Le vulgaire canard , également amphi
bie , ne pouvait être oublié ; il se dit Sluyf ? dans la
langue des peuples du Rhin, et les Slaves , qui faisaient
le commerce par terre et par eau entre les versants de
la Baltique et de la Méditerranée , tirent de là leur
nom 4.
D'autres dénominations furent prises des barques
portatives elles-mêmes ; elles s'appelaient chez les dif
férents peuples Schuyte , Struse ; ce qui nous donne
l'origine du nom des Scythes et des Étrusques et nous
fait connaître en même temps les relations fluviatiles de
ces deux peuples que l'Europe séparait. Les Scythes ne

1 Germania .
2 Ane d'or, liv. II . De goes , oie , les membres de la Hanse ont aussi
été appelés Gueux.
.

3 Sluyf, canard de rivière . DARSY . Dict . flam . De là vient slepen ,


voiturer en traîneau ; slave, forçat qui traîne les barques et que nous
nommons esclave ; slabbing, fourrures que la navigation phocéenne
rapportait du nord .
4 De reisen , voyager , ces peuples qui allaient de Lithuanie en Italie
+

urent nommés Russes , Rasena .


PHOCÉENS DE MARSEILLE 39

sont autres que les Slaves ' ; appelés Schot, en Calé


donie, ils reliaient la Clyde et le Forth ; la barque à
double usage dont ils tiraient leur nom est aussi appe
lée chez les Grecs Schedia ’, et la navigation phocéenne
à laquelle elle servait nous est confirmée par le pas
sage de l'Iliade où le poète appelle Schedios le chef
des Phocéens. Quant aux Étrusques, la science a con
staté avec surprise les étranges rapports de leur langue
avec celle des Lithuaniens “, ce qui s'explique par le
système de communication dont nous parlons et qui,
dans ces contrées , s'est perpétué même jusqu'à notre
áge. Il n'y a pas deux siècles , nous dit Thévet ", que
les Moscovites transportaient encore leurs struses de
la Duina dans la Bérésina et , par conséquent, de la Bal
tique à la Méditerranée .
Le commerce , par ce système, embrassait tout l'an
cien monde ; les fourrures de la mer Blanche arrivaient
à la mer Noire, qui , par contraste, fut ainsi nommée ;
l'ambre recueilli chez les Vénètes du Nord passait, de
fleuve en fleuve, chez les Vénètes de l'Éridan 6 , l'étain

1 Les Huns, non plus que les Scythes, les Slaves , n'étaient point
une nation distincte ; ils appartenaient aussi à la Hanse ; leur nom
Hung désigne, en Corée , une oie sauvage. Siebold. Voyage au Japon,
tome V.
? Quelques -unes de ces barques avaient des rouleaux , raedt, et
furent appelées rates par les latins ; d'autres glissaient sur deux
tringles parallèles , comme nos patins qui, de même, sont appelés, en
anglais , skate.
3
II., ch . 2.
4 BOPP. Grammaire comparée.
5 Cosmogr. univ .
6 On trouve, le long de la Baltique , beaucoup de noms qui appartien
40 CINQUIÈME THÈSE

du Cornouailles était amené au Havre des Grecs , dont


l'ancien nom , Caracotinum , rappelle le mot anglais tin ,
qui signifie étain ; là, il était repris par la circulation
batelière , qui le transportait par la Seine dans le
Rhône, dans le Danube et jusqu'aux extrémités du
monde . Il ne faut donc pas s'étonner que, dans les
fouilles récentes faites à Ninive , on ait retrouvé le frag
ment d'une cloche ', dont l'étain , analysé, fut reconnu
être du Cornouailles. L'édredon , apporté de Thulé ? par
Marseillais , venait former la molle couche du Syba
rite , et la litière sacrée des dieux , pulvinar Deorum .
C'est ainsi que dans la région celtique , à toutes les
bouches des grands fleuves, on trouve d'antiques et
puissantes cités ; Bordeaux , Nantes , Rouen , Anvers,
Brouwershaven , Hambourg , Londres , Marseille ,
étaient les vastes entrepôts des richesses de l'ancien
monde .
Les habitants de ces villes formaient toujours deux
classes distinctes : les membres de la cité réunis autour
du port et les habitants de la banlieue ; un mur de
clôture séparait les uns des autres ; les premiers, que
le commerce avait enrichis, dominaient par leur puis
sance et une civilisation plus étendue ; la langue qu'ils
parlaient était surtout celle des peuples avec lesquels
ils trafiquaient; eux seuls étaient inscrits au rôle des

nent aussi à la Méditerranée ; Vénètes, Éridan, Sithones, Duina. Le


Tarquin des Étrusques n'est que le starchina des Slaves ; l'emblème de
Cérés à Rome, de Freia dans la Baltique , est une truie.
1 Revue des Deux Mondes. Année 1862, ler novembre.
2 Aussi , l’édredon est appelé tulé en gallois, en grec et en sanscrit.
PHOCÉENS DE MARSEILLE 41

citoyens et en avaient les priviléges ; les habitants des


faubourgs n'étaient autres que les gens du pays , groupés
autour de la cité pour y exercer des arts utiles .
A Marseille, la région du port appelée Al Cothon ?
était la ville phocéenne; là , comme dans tous les ports
commerçants de la Méditerranée , on parlait la langue
grecque. Dans tous ces parages, on appelait Grao un
port aux bouches d'un fleuve ; d'où les hommes de la
cité furent appelés Graii, Græci , Gravii par les peuples
occidentaux. L'expression celtique Vor , hors d'ici, était
appliquée à ceux qui, n'ayant pas droit de cité, étaient
rejetés en dehors des barrières ; les Grecs , redoublant
ce mot de mépris, en firent, selon leur prononciation ,
le mot Bar -bar, qui servait à désigner la population
du pays.

D'après cela , si nous traduisons en langue moderne


le 3
passage où Strabon parle de Marseille , nous trou
vons tout le tableau d'une commune du moyen âge *.
La ville se régissait elle -même; douze échevins, ayant
à leur tête un président et deux assesseurs , dirigeaient
les affaires courantes ; un conseil communal de six

" Haf, en celtique, cothon, en grec, signifient bassin . On trouve ces


deux noms indifféremment appliqués aux ports du commerce celtique;
on préférait le mot cothon à Marseille, Carthage, Cadix , Codanusia,
Carthagène d'Amérique ; le mot haf se reconnait dans le Havre, Brou
wershaven , la Havane.
* Silius Italicus, parlant de Tyde en Espagne, appelle ses habitants
Gracii, c'est- a -dire occupant le Grao de cette ville ; c'est, dit-il, la patrie
de Diomede .
3 Strabon , liv. IV.
* Les communes du moyen âge, bien plus anciennes que Rome, ne
doivent rien à cette ville . Voy. thèse VIIe .
42 CINQUIÈME THESE

cents membres nommés à vie , se réservait la haute


administration .
Le sort de cette puissante et antique commune était
lié à celui de la race celtique ; elles naquirent et gran
dirent ensemble . Quand les Celtes envoyaient par terre
des émigrations au delà des Alpes et du Rhin, les
villes phocéennes de la Gaule , Marseille surtout,
répondaient à ce mouvement par des expéditions colo
niales dans toute la Méditerranée . Aussi retrouve - t-on
dans les autres villes phocéennes des souvenirs de la
cité mère . Par exemple , dans la Phocide , on voyait
un mont Galatel et, dans son voisinage, le temple de
Delphes, où se célébraient , comme on sait, les orgies
des Grecs ; or, Marseille était dans le pays des Galates;
on y voyait le temple que les anciens appellent
Delphicum templum , dans lequel avaient lieu ces flo
rales si célèbres dont parle Trogue-Pompée et qui fit
donner au pays entier le nom de Dauphiné. Ainsi
encore , Pline nomme une île de Phocée non loin de
la Crète ; mais , là aussi , on remarque dans le voisinage
une rivière nommée Massalia. Enfin , il se trouvait sur
les côtes de l'Asie Mineure des villes portant le nom
de Phocée ; or , elles-mêmes se déclaraient une colonie
de Marseille. Dans l'un et l'autre pays , on parlait la
langue ionienne , on adorait Diane , on célébrait les
mystères de cette déesse avec le même cérémonial;

| Voy. , pour ces noms, Encycl. méth. Géogr. ancienne.


Les mystères de Cotytto, sous les auspices de Diane ; de méme
que , dans les régions chinoises, on voyait les mystères du Koutouctou,
sous les auspices de Thian .
PHOCÉENS DE MARSEILLE 43

mais les prêtresses des temples asiatiques étaient


tenues de faire un voyage à Marseille, comme pour
faire hommage à la cité mère et reconnaître son
autorité primatiale. Par exemple, à Éphèse, dans les
ruines du temple de Diane, on a découvert ?, sur la
tombe d'une prêtresse , une inscription qui témoignait
qu'elle avait accompli le voyage de Marseille. Ainsi
des caravanes vont chaque année à Jérusalem , à la
Mecque, parce que les chrétiens et les musulmans
tirent respectivement de ces deux villes leur religion .
Cependant, je lis partout que des colonies pho
céennes sont venues d'Asie fonder Marseille. Voyons
sur quoi s'appuie cet étrange système.
Hécatée de Milet?, cinq siècles avant l'ère chrétienne,
est le plus ancien auteur qui nomme Marseille ; il l'ap
pelle une colonie des Phocéens3. Vers le même temps,
Hérodote nous conte que les Phocéens d'Asie , chassés
par les Perses , s'enfuirent, vinrent dans l'ile de Corse ,
qu'ils quittèrent encore pour venir se fixer définitive
ment à Hélia, près de Rhegium , au fond de l'Italie.
Tels sont les deux textes qui, commentés bien des
siècles après par les écrivains de l'empire romain, ont
enfanté les systèmes les plus bizarres .
Trogue-Pompée imagina de faire arriver ces Pho
céens fugitifs“ sur les côtes des Gaules où , selon
lui, ils fondèrent Marseille , contredisant ainsi le texte
BESCHERELLE. Application de la géographie à l'histoire.
2 Fragm . de Creuzer .
3 Il n'est point question là des Phocéens d’Asie.
* Selon Hérodote, les Phocéens sont fagitifs ( fugere, fuir); les
Lydiens ont inventé les jeux ( ludus , jeu ).
44 CINQUIÈME THÈSE

d'Hérodote ; il place l'événement sous Tarquin l'Ancien ,


sans songer qu'alors Cyrus et, par conséquent, le
royaume des Perses n'existait pas encore ; sa légende
se trouve confirmée par Athénée, qui cite Aristote;
mais Aristote connaissait si peu ces parages qu'il place
les Pyrénées en Italie et que son école ' parle de
Rome comme d'une ville voisine de l'Océan . Sénèque ”,
pour parer à toutes ces difficultés, fait partir ses colons
non point de Phocée , mais de la province de Phocide ,
qui est en Grèce , oubliant que les Phocidiens qui habi
taient les régions montagneuses de Delphes n'étaient
nullement navigateurs. Aulugelle», puisant à la fois
dans les deux systèmes, suppose avec Sénèque que
les fondateurs de Marseille sont les Phocidiens de
Delphes , et avec Hérodote que , menacés par les Perses,
ils s'enfuirent à Hélia ; puis , il imagine qu'une partie
d'entre eux se sera détachée pour venir fonder Mar
seille .
En définitive, les anciens ne savent pas nous dire
lequel de ces deux petits pays nous a civilisés ; mais
Trogue-Pompée accompagnant sa fondation de Mar
seille d'une jolie légende , les modernes n'ont pas
manqué de se déclarer pour Trogue-Pompée. Selon
lui , Protis , chef de l'escouade phocéenne, aborda près
des bouches du Rhône, sur le rivage occupé par les

1 Heraclide de Pont, disciple d'Aristote, dit que les Hyperboréens


(les Gaulois) prirent une certaine ville appelée Rome , voisine de
l'Océan .
2 De consolatione ad Helviam .
3 Liv. IV, ch . 16.
PHOCÉENS DE MARSEILLE 45

Segobriges. Le roi allait marier sa fille Gyptis, et,


suivant l'usage du temps, tous les prétendants étaient
réunis dans un festin où la jeune fille devait mani
fester son choix en présentant un verre d'eau à celui
qu'elle préférait. L'étranger y fut invité. Gyptis,,
charmée de son bel extérieur et de ses manières gra
cieuses, lui présenta la coupe. Protis accepta l'hymen,
devint gendre du roi et fonda Marseille.
Les Marseillais ayant oublié de faire de cette
esquisse un roman, nous en avons fait une histoire.
SIXIÈME THÈSE

ERREURS HISTORIQUES SUR LES COLONIES


PHÉNICIENNES .

Les anciens ne connaissaient vulgairement dans


leur voisinage qu'une seule contrée portant le nom de
Phénicie ; c'est pourquoi ils ne nous ont transmis sur
la patrie originaire des Phéniciens qu'un seul système ' .
Selon eux, c'est uniquement de ce petit coin du globe
que sortent ces navigateurs fameux qui , dès les anciens
temps , couvrirent de leurs colonies les côtes de la Médi
terranée et de l'Atlantique ; qui ont inventé l'écriture et
nous l'ont apportée ; qui ont trouvé la teinture de la
pourpre dont le coquillage abonde sur la côte tyrienne .
Parmi les grands peuples, en est-il un qui puisse se
flatter d'avoir rempli dans le monde une destinée aussi
brillante ? Malheureusement, d'aussi beaux titres n'ont
pour appui que des légendes admises par les écrivains
de l'empire romain et répétées par les modernes.
Homère nous décrit les courses maritimes des
Phéniciens et leur port de commerce , qu'il nomme
1 Tout ce qui nous est conté des Phéniciens vient des Grecs ; la
Bible ne les nomme nulle part.
PHÉNICIENS 47

Phénice ; mais il ne connaît dans ces parages aucune


ville du nom de Tyr ' ou de Sidon . Ceux qu'il appelle
Sidoniens sont des peuples fort éloignés de là , puisque
Ménélas ?, énumérant par ordre les pays qu'il a visités ,
dit : J'ai vu Phénice, l'Égypte, l'Éthiopie, les Sido
niens; il est évident qu'il ne peut être ici question du
pays que nous appelons Phénicie. A l'époque homé
rique , on ne connaissait donc pas encore ce canton de
l'Asie, d'où l'on imagina, par la suite , de faire partir
ces innombrables stations semées sur les rivages occi
dentaux.
Quelques siècles plus tard , Hérodote, courant par
tout interroger les prêtres des temples dépositaires
des antiques traditions, vint à Tyr. On lui apprend
que les Phéniciens sont originaires de la mer
Erythrée ?, Quant à Carthage, à Gadès , villes puis
santes , bien connues d'Hérodote , dont la colonisation ,
selon les modernes , est due aux Tyriens , les prêtres ne
paraissent pas soupçonner qu'elles aient la moindre
relation avec Tyr ; Hérodote lui-même , dans les détails
qu'il nous donne sur ces deux villes , ne mentionne rien
>

qui tienne à une origine asiatique.


Ainsi, Tyr est inconnue à Homère ; elle est elle
même dans Hérodote une simple colonie ; où donc les
érudits de Rome ont-ils pris que c'est de là qu'est
Tyr n'est pas un nom particulier à une ville ; on appelait de ce
Dom un rocher à l'embouchure d'un fleuve ; l'hébreu Tzur a cette
signification ; à l'embouchure de la Guadiana est le rocher de Tyro,
tout couvert de monuments antiques.
: Odyss. ch. 4 , v. 84.
3 L'ile de Gadės est appelée Erytheià dans Hésiode. Théog.
48 SIXIÈME THESE

parti tout ce mouvement commercial et civilisateur


que nous attribuons aux Phéniciens ? Ce sont encore
des légendes qui ont déterminé à cet égard notre foi
historique. Trogue-Pompée nous conte que Pygma
lion, roi de Tyr, possédait de grands trésors ; son
frère le tua pour s'en emparer ; mais la reine Didon
eut le temps de prendre ces richesses et de s'enfuir en
Lybie, où elle fonda Carthage. Diodore de Sicile nous
apprend , à son tour, qu'Hercule ' partit de Tyr sur une
flotte et vint en Ibérie, attiré par les trésors de tous
genres que la renommée plaçait dans cette région
lointaine , et telle serait l'origine des établissements
phéniciens de Gadès . Ces fables romaines, répétées de
siècle en siècle , ont fini par prendre toute la consis
tance de la vérité ; il faut ainsi que partout la science
se trouve aux prises avec la légende .
Parlons d'abord du commerce de ces peuples.
Le centre du mouvement maritime des Phéniciens
paraît être dans la région des Baléares ; ces îles sont
couvertes de pins ” propres à la marine et qui s'appellent
encore aujourd'hui Alerce, comme au temps des Phé.
niciens ; dans aucune partie de la Méditerranée, ces
peuples n'ont laissé autant de traces de leur puis
sance ;; outre ces iles, toute la côte ibérique, toute la
côte africaine, Malte, la Sicile, la Corse, ne sont qu'un
enchaînement continu de leurs stations; Barcelone,
Malaga, Carthage, Utique, Panorme, Pont-Mahon,
I Les Phéniciens appelaient leur dieu suprême Hélioun. On a ru
plus haut que Hélion est le nom de la Meuse.
2 MALTE-BRUN, liv. CLXXXIX.
PHÉNICIENS 49

Palma en sont les principaux points . En s'avançant


vers l'Orient, leurs établissements deviennent de plus
en plus rares, au point que , sur la côte asiatique, ils ne
possèdent plus que le petit canton où est Tyr. Il en est
de même sur les rivages atlantiques où leur commerce
s'étendait au midi jusqu'aux dernières scales décrites
dans le périple d'Hannon et au nord jusqu'au Cor
nouailles; Schlegel prétend même qu'ils poussaient
jusqu'en Suède ; et si , en outre , on admet, avec le
savant Huet ' , qu'ils ont été en Amérique , où le port
mexicain de Panuco serait encore un vestige de leur
nom , il faut avouer que le monde leur était livré .
Veut-on un exemple de la puissance de leur marine ?
Dans le périple d'Hannon, nous les voyons transporter
sans peine trente mille colons à l'île lointaine de
Cerné. Veut- on connaître le caractère de ces hommes ?
Des Phéniciens allant pour le commerce de l'étain au
Cornouailles s'aperçurent qu'ils étaient épiés par des
navigateurs romains ; ils se firent couler bas pour
dérober à ces étrangers la connaissance des riches
mines dont eux seuls , dit-on , avaient le secret.
Pour comprendre le ridicule du système qui fait de
Tyr l'origine de cette puissance commerciale, donnons
une idée de cette ville. Tyr occupait une presqu'île
d'une superficie de 40 arpents ; les fondements du mur
qui la séparait de la mer dessinent encore aujourd'hui
son contour ; un aqueduc qui passait par l'isthme lui
amenait l'eau de trois bassins creusés à une époque

Histoire du commerce et de la navigation des anciens.


4
50 SIXIÈME THÈSE

fort ancienne en dehors de la ville et que l'on appelait


même puits de Salomon ' . Les montagnes qui l'avoi.
sinent sont sans végétation ; mais , à quinze lieues de là,
près du monastère du mont Liban , se trouvent un
bouquet de 14 cèdres et un autre d'environ 300";
les premiers, plus anciens , ressemblent à celui qui se
voit à Paris ; les autres, plantés depuis peu , sont d'une
espèce différente. Or, d'après ce que nous disent les
Grecs , Tyr était une grande île qu'Alexandre joignit
au continent par une digue ; et les fastueux détails
qu'ils nous donnent sur son port, sur ses flottes ali
mentées par les hautes forêts du voisinage , sont incon
ciliables avec la description que nous font tous les
voyageurs .
Je dis un mot de sa pourpre.
Plusieurs teintures en rouge sont célèbres parmi les
anciens; mais Tyr avait seule , disait-on , le secret de
la pourpre que produit le murex . On a vainement
cherché , dans ces derniers temps , ce mollusque sur les
rivages tyriens , et l'on est réduit à dire qu'il a disparu
de ces régions ; ressource ordinaire des antiquaires
déçus .
Les Phéniciens n'ayant que la station de Tyr sur
la côte asiatique, c'est par cette voie seule que la
pourpre passait pour aller jusqu'au fond de l'Orient
parer le faste des rois . Rare en Asie , elle était com
mune dans ces mêmes régions où nous avons placé le
1 Histoire universelle des Anglais , t. II , p . 56.
1
-
- ( Voy , aussi
MAUNDREL , Voyage d'Alep à Jérusalem .)
2 Voyage en Syrie. Mislin.
PHÉNICIENS 51

centre de l'empire maritime des Phéniciens . Elle fai


sait l'ornement des rois étrusques; les Espagnols por
taient des tuniques blanches bordées de pourpre '; de
semblables bordures embellissaient à Rome le lati
clave du haut fonctionnaire et jusqu'à la robe du simple
patricien ; or les Romains, comme nous l'assurent
Eustathe et Strabon ?, tiraient le laticlave des îles
Baléares ; et, en effet, les plus savants géographes
parmi les anciens et les modernes font venir la pourpre
de cette région. Strabon prétend qu'on la recueillait à
Carteia , près du détroit de Gibraltar; selon Büs
ching “, la pourpre des anciens venait du murex que
la mer jette à Murgis et Almeria , villes situées chez les
Pæni ou Phéniciens , sur la côte ibérique .
En suivant au moyen âge l'histoire de la disparition
successive de la pourpre, on voit qu'elle fut peu à peu
remplacée par le velours ; les Ibères avaient la pourpre
de Tyr, et leurs descendants portent la mantilla de
tira ; c'est un manteau de soie dont le velours forme la
bordure ; or une bordure se dit Tiraº en espagnol ; ce
qui nous donne le secret du nom par lequel les anciens
désignaient la pourpre.
En effet, la plupart d'entre eux , bien loin de voir

Tite-Live, Dec. 3 , liv. III .


. Voy. Encycl. méth . Sect. des antiquités .
3 Strab . liv. III. Confusion de noms ; la pourpre se recueille près
de Cartago, dans le golfe de Salinas en Amérique, comme on le verra
plus loin .
. Le plus célèbre géographe de l'Allemagne.
5 Les Pæni habitaient entre Murcie et Malaga.
* Le latin Tiro vient de là.
52 SIXIÈME THÈSE

dans ce mot une ville, donnent constamment pour


patrie à la pourpre des régions fort éloignées du rivage
tyrien. Virgile, dans ses Géorgiques , la suppose origi
naire d'Assyrie :
Alba nec Assyrio fucatur lana veneno.

Selon Lucrèce ?, c'était de la Thessalie qu'on la


tirait :
Purpura thessalico concharum tincta colore.
2
Nous apprenons par Ezéchiel que Tyr elle-même
la faisait venir d'un pays lointain et inconnu : Tes
vêtements, dit le prophète parlant à cette ville, sont
teints de la pourpre d'Elisa 3. O

Les Phéniciens, dit-on encore sont venus d'Asie


nous apprendre à lire .
La science courante, déterminée par les beaux vers
de Lucain et de Brébeuf, s'accorde assez sur ce point ;
mais on lui demanderait vainement quel fut cet
alphabet élémentaire ; le grec, selon les uns , l'hébreu ,
selon d'autres . Dans ces deux langues , les caractères
ont des formes complexes et arrondies ; or l'alphabet
primitif des Celtes dut se composer simplement de
lignes droites ; une lettre se dit buchstave , et stave
signifie bâton “. Ce mot nous explique le nom de Ste
1 Liv. II , v. 500 .
2 Ch. 27 , v. 7.
3 La Bible joint ensemble Tharsis et Élisa (Genèse); les flottes
phéniciennes mettaient trois ans pour aller en Tharsis. (Rois et
Herodote.)
4 Ces bâtons furent primitivement des flèches ; d'où sagitta, saga,
sage.

1
PHÉNICIENS 53

phanos que Pline donne à tous les lieux fameux par


leur magie, à Samos, à une montagne de Phtiotide, et
surtout au temple de Préneste. Cicéron nous apprend ,
en effet, que, dans cette dernière ville, les prédictions
se faisaient par des caractères anciens marqués sur
des tablettes qu'un enfant tirait au hasard .
Les Celtes reconnaissent devoir l'art de l'écriture à
Ogmius; dans ses statues , nous dit Lucien , on voyait une
chaîne d'or et d'ambre qui , partant de sa bouche, allait
s'attacher aux oreilles d'une foule d'auditeurs. En Ir
lande, on trouve encore, dans les inscriptions et sur les
rochers, les vestiges des lettres qui , de son nom , ont été
appelées Ogham et ne se composent que de lignes
droites ; le mot pélasgique ogmos, qui signifie ligne
droite, en est resté comme un souvenir. L'alphabet
formé de ces lettres est lui-même évidemment primitif,
sans aucune apparence d'importation ; il n'a pas encore
de voyelles et sa première lettre est beth ? qui signifie
l'écorce de bouleau sur laquelle on a commencé à
écrire. De plus, les peuples chez lesquels on rencontre
ces rochers, où pour la première fois l'homme essaya
de peindre la parole et de parler aux yeux , sont les
Feningi, et partout, en latin, en grec, en sanscrit, en
chinois, la racine fen : désigne l'écriture. Ce système

DE PETITY . Biblioth . des artistes, t. III.


? Les Grecs disaient comme nous a, b, c, ce qui fit appeler Abas
la planchette sur laquelle on écrivait. Le Erse dit: Beth, Luis, Nion.
3 Vena, en latin ; phoné, en grec ; fan , en sanscrit ; ven, en chi
nois. Phénix apprit à lire à Achille. Les légendes irlandaises recueil
lies par Flaherty surnomment Fenisius, l'inventeur de l'alphabet
Ogham .
54 SIXIÈME THESE

qui remplaçait les hiéroglyphes se répandant ainsi


vers l'Orient, alla former ces inscriptions cunéiques de
l'Atropatène et de Ninive que nous cherchons à déchif
frer aujourd'hui; puis, passant jusqu'au fond de l'Asie,
il devint la langue écrite de la Chine et du Japon,
laquelle n'est autre que ces mêmes bâtons combinés de
toutes manières.
En Chine, l'on a retrouvé un souvenir des lignes élé
mentaires du système Ogham dans cette fameuse arith
métique binaire que démêla Confucius et qui occupa
Leibnitz ; mais nos langues en ont aussi conservé des
traces dans le mot combinaison.
Pour en revenir à l'écriture que nous nommons
phénicienne, elle n'appartient point à ce système;
l'écriture phénicienne telle qu'elle est exposée dans
Josèphe ?, l'hébraïsant Bochart, l'abbé Barthélemy: qui
s'est surtout occupé de cette question, est peu différente
de l'hébreu ; et les monuments qui nous en restent se
trouvent encore concentrés dans la région des îles
Baléares. Les médailles de l'art phénicien, dit Winc
kelman, se rencontrent seulement à Malte, en Sicile,
à Valence. Selon l'encyclopédie méthodique, il ne nous
reste des Phéniciens que des médailles frappées en
Espagne, à Malte , en Sicile; il s'en trouve dix de la
ville de Valence dans le cabinet du Grand - Duc, à

1 Chez les Atrébates , à Rigiacum, était l'abbaye druidique des


Vedastes. C'est de l'Atropatene que les Brames paraissent tirer le
Rig-Védas, le plus ancien des quatre livres .
2 Josèphe citant, contre Appion, le vieux poëte Chærile.
3 DE PETITY . Biblioth . des artistes, t. III .
PHÉNICIENS 55

Florence ; toutes pièces qui peuvent être comparées aux


plus belles de la Grande -Grèce . Celles qui ont été frap
pées en Sicile ont une inscription punique. L'abbé
Barthélemy' traça son alphabet phénicien d'après des
inscriptions trouvées à Malte, en Sicile, à Carpentras
et en Chypre. Ce ne sont donc pas les Phéniciens qui
nous ont donné notre alphabet primitif, et, si l'écriture
que nous avons dérive de la leur , elle ne vient point
du canton asiatique de Phénicie .
Les Phéniciens reconnaissent descendre de Bel ; or,
Baléares signifie terre de Bel dans leur propre
langue ?, et les souvenirs qui se rattachent à ce der
nier mot existent encore dans les Baléares, surtout la
fameuse pyramide élevée à l'orient de Minorque . Elle
est en blocs cyclopéens ; on y monte par des gradins
ménagés en dehors comme dans les monuments de ce
genre qu'Hérodote nous peint en Asie et que nous avons
retrouvés en Amérique. Les inventeurs de la fronde
sont les Phéniciens , selon Pline3 ; d'après Végèce , ce
7

sont les Baléares, tant on considérait à Rome ces deux


noms comme identiques . On sait que les colonies ont
généralement dans leurs médailles des emblèmes qui
rappellent la mère patrie ; or, sur les médailles de Tyr
et de Carthage, on voit un palmiers, étrange symbole
que la science n'a jamais pu expliquer , mais la capi
I DE PETITY, Biblioth . des artistes .
2 522 Bål; 37 % , (Areth) terre.
3 Pline . liv. VII, ch. 56 .
- Végèce, liv. I, ch. 16.
5 Encycl. méth. Sect. des antiquités.
56 SIXIÈME THÈSE

tale des Baléares est Palma, les Tyriens viennent donc


des Baléares ; chez les Grecs , un palmier se dit
Phoenix , les habitants de Tyr furent donc nommés
Phéniciens .
Ainsi les Phéniciens n'étaient point un peuple à
part; ils se rattachaient à la grande association nau
tique qui , sur mer et sur terre, remplissait toute l'Eu
rope occidentale . La Hanse de la Baltique , les Pho
céens du rivage marseillais , les Phéniciens de la côte
africaine, les Scythes des régions fluviatiles de l'Orient,
appartenaient à la même ligue que les Celtes de l'At
lantique . Hambourg, Marseille, Carthage , séparées
par la terre et la mer , étaient soeurs et ne différaient
que par les moeurs de la population suburbaine.
Nous appelons Marseille une ville grecque , mais
jamais on n'a retiré de son voisinage autant d'inscrip
tions en lettres grecques que dans la région baltique
située entre Hambourg et Stettin , comme on peut le
voir dans les MONUMENTS ÉTRUSQUES de d'Hancarville ".
D'un autre côté , à Carthage , où Arrien ne trouve que
des colonnes ioniques , Annibal et Magon ont écrit en
grec, l'un sur la guerre, l'autre sur l'agriculture, et les
Latins ont traduit leurs ouvrages .
En un mot , toutes ces villes , quel que soit leur nom ,
quelle que soit leur langue , formaient autant de cor
porations dont l'ensemble composait la grande ligue
commerciale et civilisatrice ; la métropole de cette
vaste organisation était aux bouches du Hélion ; elle se
1 La plupart de ces monuments sont au musée de Weimar.
% Mon. Etr ., t . V.
PHÉNICIENS 57

nommait Scaldia , et ce mot prononcé Schelde dans la


langue du pays fut l'origine du mot Celte que les Grecs,
les Latins, les modernes donnent aux peuples au sein
desquels se formaient ces associations.
SEPTIÈME THÈSE

ERREURS HISTORIQUES SUR L'INFLUENCE DE LA


DOMINATION ROMAINE .

La domination romaine dans nos contrées n'a pu


disparaître sans laisser de traces ; avec elle étaient
venus d'Italie des hommes nouveaux , des institutions
nouvelles , et ces éléments étrangers, en pénétrant dans
l'essence de la nation envahie, lui ôtent-ils le caractère
celtique qui la distingue ? Pour tout résumer en deux
questions, sommes-nous une race latine '? Qu'avons-nous
pris des institutions romaines ?
Le Latium , petite contrée au centre de l'Italie, éga
lait à peine en étendue la Bretagne française ; tout le
reste de la péninsule était rempli par la Gaule cisal
pine et la Grande-Grèce. A l'époque où les Romains
entrèrent dans la Gaule , ils formaient environ la quaran
tième partie de l'étendue de la République ; le nombre
des soldats d'origine latine dut donc être à peine appré
ciable dans les armées conquérantes ; le nombre de
· Cette dénomination a été donnée , surtout dans ces derniers temps,
aux peuples qui habitent aujourd'hui l'ancienne Gaule.
2 Environ 58 ans avant l'ère chrétienne.
GRECS ET ROMAINS 59

ceux qui, par suite de la conquête, y vinrent à diffé


rents titres, ne saurait non plus s'élever bien haut ; et
ce ne sont pas quelques gouttes de sang étranger qui
peuvent déterminer une nouvelle race . Il ne faut pas
considérer laGaule comme une province tranquillement
exploitée, où les Romains pouvaient à leur gré envoyer
leurs hommes et leurs institutions; dans le désordre où
fut jeté l'Empire, fort peu de temps après la conquête,
on trouve en Gaule, comme dans les autres provinces ,
un enchaînement continu d'empereurs indigènes en
révolte, ayant des armées recrutées sur place et repous
sant du pays toute entreprise romaine . Enfin, l'Afrique,
la Grèce, l'Asie Mineure 1 ont été bien plus longtemps
que les Gaules sous le joug de Rome ; qui jamais appel
lerait les peuples de ces contrées une race latine ? Ne
nous laissons pas égarer par les apparences ; les Gau
lois, pour avoir plus que d'autres peuples, plus que la
Grande-Bretagne, par exemple, latinisé leur langage ,
n'en sont pas moins restés invariablement une race
celtique.
Il en est de même des institutions que les Romains
nous auraient léguées. Lorsque l'Empire , épuisé par
ses désordres , dut succomber , il mourut avec toutes ses
institutions,et les peuples envahis , après une interrup
tion momentanée , reprirent le cours de leurs usages
séculaires. La race celtique avait antérieurement à
Rome son empreinte nationale, sa forme d'être que
des institutions passagères n'auraient jamais su ni

Ces pays ont été conquis environ un siècle avant la Gaule.


60 SEPTIÈME THÈSE

détruire ni entamer ; elle redevint, après l'incident


romain , la race maîtresse et de l'Italie et du monde.
Quelles institutions les Romains nous auraient - ils
léguées ? Ils arrivèrent républicains et, par conséquent,
amenėrent avec eux dans les pays envabis les formes
de Rome républicaine ; bientôt vint l'Empire et tout
s'engagea avec lui dans une nouvelle phase de licence
et d'autocratie ; puis , enfin, l'Empire se transporta à
9

Constantinople , et le monde romain n'offrit plus en


spectacle que le faste des cours et la servilité des peu
ples . Que pouvaient ces moeurs changeantes contre les
mours persistantes des antiques nations de l'Occident?
Aussi , à l'époque où disparurent les derniers vestiges
de la domination romaine , rien dans les régions celti
ques ne dénonce le passage d'un peuple étranger. La
religion nouvelle que les Celtes venaient d'accueillir
était proscrite par les lois impériales ; leurs temples
gothiques n'avaient rien qui rappelât ceux de Rome ;
leur organisation féodale était inconnue au delà des
Alpes ; ils se gouvernaient par leurs propres lois qu'ils
appelaient des usages ; ces traditions chevaleresques,
qui remplissent toute leur histoire , ne sont certainement
pas une importation du dehors, elles ne rappellent en
rien les milices bourgeoises venues d'Italie. L'idiome
qui se parle en France pourrait peut-être passer pour
une variété du latin ; mais ne commettons pas l'erreur de
croire qu'il nous ait été importé par la conquête ; c'est
la langue des premiers missionnaires de l'Évangile ; ils
· Constantin reconquit l'Empire avec une armée de Gaulois et de
Bretons . C'est ainsi qu'il dédaigna Rome pour Byzance.
GRECS ET ROMAINS 61

prêchaient en latin, leurs livres sacrés étaient en latin ,


l'administration ecclésiastique s'est toujours faite en
latin. C'est ce latin qui pénétra dans nos habitudes et
finit par devenir notre langue; aussi les locutions que
l'on y remarque ne sont point de Cicéron , mais de la
Bible ? Les Bretons , les Germains , qui ne reçurent
l'Évangile que fort tard ?, et qui méme, pour ainsi dire,
ne l'acceptèrent qu'à demi , ont conservé leur langage
pur de toute influence latine.
Il y a un demi-siècle, une école se forma qui, dans de
savantes leçons données à la Sorbonne sur l'émancipa
tion des peuples au moyen âge, parut attribuer aux
Romains l'origine de nos institutions communales .
D'après cet enseignement, un fond de liberté munici
pale serait resté de l'époque romaine dans plusieurs cités
des Gaules ; d'autres villes , aidées par les rois de
France, s'organisèrent sur ce modèle ; la première com
mune qui parvint ainsi à se former fut Cambrai , dont
la constitution primitive mérite d'être remarquée : la
ville, maitresse d'elle -même, avait pour se régir douze
échevins sous l'autorité d'un président et de deux asses
seurs, et en outre un conseil communal; ce qui est le
3
tableau de la ville antique de Marseille 3 et n'a rien de

? Nos tours de phrase sont du latin de la Bible ; nous disons en


vain ; in vanum est une expression des psaumes ; nous disons
le monde en parlant de la multitude profane des hommes, ce qui est
le mot mundus vingt fois répété dans l'Évangile de saint Jean ; nous
disons sauver l'état ; salvare est une locution toute biblique; etc.
? Les Bretons au vile siècle ; les Germains au ixe siècle. Il s'agit des
Germains des bords du Rhin (Hollandais , Flamands). 2

3 Voy. plus haut, thèse IIIe.

1
62 SEPTIÈME THÈSE

commun avec Rome. Parmi les villes qui avaient con


servé des temps anciens leur forme communale, on cite
Metz, Rouen et d'autres, qui toutes étaient situées sur
les routes phocéennes décrites plus haut; qui toutes,
comme Marseille , n'avaient jamais perdu, mais avaient
temporairement interrompu l'exercice de leur droit de
bourgeoisie ? . Ainsi , Rome, bien loin de revivre dans
nos institutions , a péri tout entière et n'a laissé aux
peuples que des ruines et le souvenir historique de son
passage.
Débarrassé de ces deux questions incidentes, j'aborde
une difficulté d'un autre intérêt.
A mesure que Rome descendait dans l'oubli,, les ves
tiges de ses institutions s'effaçaient dans toutes les
provinces ; ses oeuvres les plus durables , ses temples,
ses routes tournaient en ruines. De leur côté, les peu
ples occidentaux, une fois la tourmente passée , relevè
rent peu à peu la tête et , recueillant les débris de leurs
anciennes nationalités , se créèrent une existence nou
velle , confuse, où les éléments du passé, se mélant
imparfaitement aux nécessités du présent, préparèrent
une transformation que le temps devait achever.
Vers le xve siècle , quelque chose d'inconnu se mani
festa au sein de ces peuples , les yeux se tournaient
à l'horizon et semblaient chercher un éclair civilisateur,
un souffle plus vaste pour une nation qui commençait à
se refaire . Il se trouva que , dans la poussière des vieux

1 Les chartes de communes n'étaient que des ligues entre les rois et
les villes pour se soustraire au pouvoir des hauts barons.
GRECS ET ROMAINS 63

cloîtres, étaient entassés des rouleaux ' latins et grecs ,


machinalement transcrits d'âge en âge. On se précipita
sur cette nouvelle pâture; on retira ce que le temps et
les rongeurs en avaient épargné; on raviva ce germe
qui allait périr, et de la sortit une civilisation com
plète , une image de l'ancienne Rome . Ne prenons
point le change sur le mouvement qui s'opéra dans
cette circonstance . Depuis quinze cents ans, la nation
celtique avait entre les mains ces ouvres des Romains
et des Grecs ; elle les copiait et les recopiait sans se
douter qu'elle maniait des trésors, sans cesser d'être ce
que nous appelons barbares; on ne saurait donc dire
que ce sont ces mêmes cuvres qui ont préparé la renais
sance intellectuelle qui se fit à cette époque .
L'antique race des Celtes renferme dans ses entrailles
un principe de vitalité qui toujours la ramène de la
caducité à la jeunesse, ne la laisse point descendre
jusqu'à la mort et maintient ainsi sa durée depuis
les premiers âges. Elle -même , par la force de sa
propre nature, a préparé sa transformation ; quand
tout fut prêt pour l'évolution finale , elle se dépouilla
tout à coup de son vêtement usé ; les écrits des
Latins, des Grecs , des Hébreux , étaient là ; elle se
ranima de leur esprit et les reproduisit sous une forme
nouvelle .
Mais cette forme civilisatrice , puisqu'elle ne nous
appartient pas, à qui la devons-nous? Les Romains qui
nous l'ont transmise déclarent la tenir des Grecs .

| Les arts figuratifs vinrent des Grecs ; le génie de la littérature vint


surtout d'Homère et de la Bible.
64 SEPTIÈME THÈSE

Poésie , prose, arts, philosophie, la Grèce tout entière


était passée à Rome et lui avait procuré un siècle de
haute civilisation . C'est donc aux Grecs qu'il faut main
tenant demander le secret de cette brillante forme de
l'humanité .
Dans toute la Grèce, les Romains nous ont habitués
à ne voir que la ville d'Athènes ; c'est elle qui leur apprit
à penser, à polir des périodes , à faire respirer le mar
bre et l'airain ; la Grèce commerçante était partout, la
Grèce pensante était à Athènes . Mais cette ville elle
même comment possédait- elle ce dépôt intellectuel? Ici
nous sommes arrivés aux limites de l'histoire , et nous
n'avons pour pénétrer plus loin que des recherches dis
cursives .
La ville d'Athènes était un de ces nombreux établis
sements fondés sur les rivages de la Méditerranée, pour
y exercer le commerce et la piraterie. Autour de cette
mer, les contrées riches et fertiles étaient occupées par
des nations puissantes, civilisées, liées entre elles par
un commerce régulier ; c'était la Celtique, l'Égypte, la
Cyrénaïque, l'Ibérie, l'Étrurie, la Thrace, la Perse '.
Leurs vaisseaux , chargés des richesses que la naviga
tion phocéenne' amenait des contrées éloignées , se croi
saient en tous sens dans ce vaste bassin pour répartir
entre elles les produits de tous les climats . Excitées
par cet appât, des associations de pirates se formèrent,
et, cantonnées dans le voisinage de quelque port qui
leur servait de retraite , elles pillaient tous ces charge
1 Toutes ces nations nous ont laissé leurs antiques ruines .
2 Voy , thèse Ve .
GRECS ET ROMAINS 65

ments attaquaient les villes opulentes, situées trop près


des côtés, et amassaient quelquefois assez de richesses
pour former elles -mêmes une petite république de
quelque importance.
Athènes eut ce sort ; elle fortifia son Pirée , se retran
cha à deux lieues de là pour se garantir des attaques
par mer ; l'aridité de son sol était sa défense des autres
côtés ; c'est pourquoi, nous dit son historien " , aucun
Élat ne s'accrut aussi rapidement par l'affluence des
étrangers; de toute la Grèce on voyait accourir à
Athènes, comme dans un asyle sûr, les plus puissants
de ceux que la sédition forçait à l'exil ; ils y acquéraient
le droit de cité. C'est à la piraterie qu'elle dut son ori
gine et sa fortune; des chefs puissants 2? commandaient
les entreprises de ce genre ; tombant sur les villes sans
murailles , ils les pillaient ; le métier n'emportait aucune
honte et même n'était pas sans gloire.
Ce tableau d'Athènes, littéralement copié de son
propre historien Thucydide, fait de cette cité une répu
blique de circonstance, qu'improvisa une population
adventice. Point de passé , point d'avenir ; mais sa
courte existence fut pleine d'éclat.
Tout à coup apparurent à ces hommes de commerce
les poëmes homériques apportés de régions lointaines
et inconnues . Sous cette influence magique, les carac
tères s'agrandissent, les esprits sont transportés dans
les régions de l'idéal , il s'éveille dans ce peuple une soif
| Thucydide, liv. I , ch . 3. Thucydide fait d'Athènes, sa patrie ,
une ville barbare, et rabaisse en tout ce qu'en dit Hérodote.
2
? Thucydide, liv . I , ch . 5.
5
66 SEPTIÈME THÈSE

de tout voir, de tout connaître ' . Pour répondre à ce


besoin nouveau , Périclès appelle à Athènes les sciences,
les arts de tous les pays. Anaxagoras , venu d'Asie,
s'y rencontre avec l'Italien Zénon d'Élée pour y ensei
gner la philosophie ; Aspasie de Milet et Gorgias de
Léontium, en Sicile, y apportent l'art de l'éloquence ;
un Africain , Théodore de Cyrène, vient apprendre à
Platon les sciences mathématiques ; Callistrate de
2
Samos ? complète l'alphabet qui ne se composait que de
seize lettres .
D'abord , les Athéniens s'effarouchèrent, en voyant
arriver ces hommes de science ; ils jetèrent en prison
Anaxagoras , qui ne se tira de leurs mains que par l'in
tervention toute-puissante de Périclès ; mais ils s'assou
plirent peu à. peu , et finalement ils allèrent eux-mêmes
chercher la science au loin . Platon vint en Italie 3, pour
y connaître les philosophes et étudier à fond leur doc
trine ; il résida longtemps àà Cyrène *, et ses ouvrages
ne font que refléter les systèmes scientifiques de ces
deux pays .
Comme on le voit, les sciences, bien avant qu'il ne
fût question d'Athènes , florissaient sur tous les points de
la Méditerranée. Il en est de même des arts .
Les trois ordres d'architecture grecque avaient par
1 Athènes sous Périclès , comme Florence sous les Médicis, n'a
brillé que dans les arts.
2 Nouvelle diplomatique.
3 CICÉRON, Tuscul, I. 17.
* On le fait séjourner en Égypte, voyager en Palestine et dans
l'Inde ; rien de tout cela n'est prouvé. C'est à Cyrène qu'il a connu
les juifs.
GRECS ET ROMAINS 67

tout des monuments ; depuis trois siècles , le temple


dorique de Pæstum était fameux en Italie par ses mys
tères : Rosaria Pesti. A une autre extrémité , on allait
admirer à Éphèse la merveille de l'ordre ionique. Ces
chefs -d'oeuvre, auxquels se joignirent les brillantes
formes corinthiennes, servirent de modèles pour em
bellir la prospérité d'Athènes . Dans la sculpture,
Phidias eut aussi un maître étranger; ce fut Homère .
La peinture, importée comme les autres arts dans cette
ville, n'y put trouver de modèles pour ses personnages ;
elle fut forcée de les emprunter aux autres nations;
Cicéron · , trompé comme nous par le prestige du nom
d'Athènes, déclare que dans la foule de jeunes gens
qu'il vit dans cette ville, il avait remarqué fort peu de
belles figures ?. Ces beautés fameuses, qui ont ému jus
qu'au sévère aréopage, étaient des étrangères ; Phryné
était de Thèbes , Glycère de Thespies , Aspasie de Milet,
Laïs de Sicile , et quand Zeuxis voulut se procurer un
modèle pour sa Vénus, il dut aller prendre sept jeunes
filles à Crotone, en Italie. Enfin , la musique elle -même
fut aussi apportée du dehors ; Métellus d’Agrigente
initia les Athéniens aux secrets de cet art divin, et
Platon fut son disciple . Telle fut Athènes ; ville de pas
sage, elle jeta son éclat et rentra dans l'oubli .
Ainsi, cette civilisation de laquelle nous vivons
aujourd'hui, que les Romains ont eue avant nous, qui
éclaira un instant la ville d'Athènes , était déjà ancienne
quand cette ville parut ; et, antérieurement à l'histoire
CICÉRON, de Natura Deor. , liv. II, ch. 79.
2 Les Athéniens modernes ont exactement le type des anciens .
68 SEPTIÈME THÈSE

elle remplissait d'un bout à l'autre les régions méditer


ranéennes . De quel côté nous tourner maintenant pour
trouver son berceau ? Athènes , placée entre les pays
atlantiques et les rivages orientaux , reçut également
de ces deux régions extrêmes les éléments des sciences
et des arts ; mais on peut remarquer que tout ce qui lui
vient d'Occident dénote constamment une origine plus
ancienne et semble , par conséquent , indiquer de ce
côté la source primitive de cette antique civilisation .
Aujourd'hui, nous pouvons étudier dans leurs ruines
les colonnes de Postum ' , d'Agrigente , de Syracuse,
de Métaponte , du cap Sunium ; on voit qu'elles procédent
toutes de la même pensée ; mais de tous ces temples , le
plus ancien est celui de Pæstum , en Italie ; il est bien
antérieur aux oeuvres grecques ; Poinsinet de Sivry y
découvrit , sur d'énormes blocs nouvellement mis à jour,
des inscriptions étrusques ; Vitruve le déclare le plus
ancien monument de l'ordre dorique . Pausanias ? assure
que l'on fit plus tôt des statues de bronze en Italie que
dans la Grèce ; il cite à Sparte : une statue de Jupiter
faite de ce métal; c'est, dit-il , la plus ancienne de
cette espèce, et elle est l'ouvrage de Léarque de Rhegium .
Nous avons vu Gorgias venir de Sicile à Athènes pour
y enseigner l'art oratoire, mais avant lui , Corax de
Syracuse avait composé sur la Rhétorique le plus ancien
traité que connussent Cicéron et Quintilien . Anaxagoras,
emprisonné par les Athéniens , s'occupait dans son

i Voy. tous les ouvrages d'antiquités.


2 Encycl. méthod . Art. Grèce.
3 Pausanias, liv. III, ch . 17.
GRECS ET ROMAINS 69

1
cachot de la quadrature du cercle ; il était d'Asie ;
mais Proclus' nous avertit que Pythagore, dans l'Italie
méridionale, fut le premier qui donna à la géométrie
une forme scientifique; il cite après lui une série de
dix-huit mathématiciens, laquelle commence à ce même
Anaxagoras 3 et finit à Euclide ; dans cette liste , deux
seulement ont vécu à Athènes . Enfin , comme nous
l'avons dit, Platon, non content des systèmes modernes
de philosophie enseignés dans sa patrie, alla prendre
cette science à sa source , au fond de l'Italie, au berceau
du pythagorisme.
Ainsi , plus nous remontons à l'origine des sciences ,
plus nous nous rapprochons de l'extrême Occident, des
mêmes régions où elles fleurissent encore aujourd'hui.
Nées dans ces parages celtiques, elles sembleraient
avoir été bannies des grandes terres par les ravages
des conquérants et s'être réfugiées dans les îles de la
Méditerranée comme dans une retraite sûre ; elles s'y
transformerent, s'y embellirent, s'y conservèrent , et
rappelées aujourd'hui dans leur ancienne patrie, elles
y reprennent, après un long exil, le cours de leur déve
loppement.
1

La quadrature du cercle, la duplication du cube, la trisection de


l'angle sont des problèmes fameux chez les anciens.
: Proclus, liv. II, ch. 4.
3 Pythagore n'est qu'une dénomination générique. Il vécut a Crotone,
dit-on ; et on montrait à Crotone la grotte qu'il occupait.
HUITIÈME THÈSE

ERREURS HISTORIQUES SUR LES ARABES D'ESPAGNE ET


LEUR CIVILISATION .

Parmi les peuples qui ont travaillé à notre civilisa


tion , il est d'usage de compter les Arabes . Soulevés à
la voix de Mahomet, ils s'étaient répandus comme un
torrent hors de leur presqu'île , propageant partout leur
nouveau culte . En moins d'un siècle, ils atteignaient
l'Espagne. Vers 711 , ils conquirent ce pays sur le roi
Rodrigue et, après l'avoir possédé pendant près de huit
siècles , ils en furent définitivement expulsés , en 1492 ,
par Isabelle .
Il est admis que ces peuples ont complété la civili
sation espagnole , déjà ébauchée par les Romains, et
que leurs savantes institutions , franchissant les Pyré
nées , rayonnèrent sur les Gaules et les pays celtiques.
Mais il est une observation simple qui déroute tout
d'abord ce système .
Avant que les Arabes ne vinssent en Espagne , ils ne
passaient pas pour un peuple de haute civilisation ;
eux -mêmes ignorent ce qu'ils étaient antérieurement à
cette époque ; jamais les Grecs, jamais les Romains ,
ARABES D'ESPAGNE 71

qui nous donnent tant de détails sur les nations limi


trophes, n'ont mentionné ni quvres de génie , ni inven
tions utiles, ni travaux d'art parmi ces peuples ; de
toutes les contrées que les conquêtes romaines nous
ont fait connaître, la moins avancée était sans nul doute
l'Arabie. En second lieu , depuis près de quatre siècles
qu'ils ont quitté l'Espagne et repassé le détroit, ils se
retrouvent avec leur ignorance primitive. Quel savant
Arabe a aidé notre progrès dans ces derniers temps ?
Qui songerait à aller chez les Maures, Arabes , Syriens,
chercher des documents utiles pour le développement
de notre civilisation ? Avant comme après la conquête,
ces peuples ne sont à nos yeux que des barbares ;
arrivés sur le sol ibérique , nous les voyons instantané
ment transformés en civilisateurs . N'auraient-ils pas ,
au contraire , trouvé sur le sol envahi les institutions
dont nous leur faisons honneur ? N'est -ce point l'Espa
gnol qui serait le civilisé ? N'est-ce point l'Arabe qui
serait le barbare ?
Un bras de mer fort étroit sépare l’Espagne de
l'Afrique. Dès la plus haute antiquité , les peuples des
deux rivages durent , par des relations de tous genres,
confondre peu à peu leurs moeurs, leurs races ; ce qui
remplit l'Espagne de noms africains et l'Afrique
de noms espagnols . A l'époque de la conquête , à
mesure que les hordes mahometanes s'avançaient vers
les régions occidentales, elles se recrutaient en route
chez les nations conquises, en sorte que quand elles
? Le détroit de Gibraltar a 15 kilomètres dans sa partie la plus
resserrée .
72
HUITIÈME THÈSE

passèrent le détroit, le gros de l'armée envahissante


était composé non plus d'Arabes, mais de Maures ; ces
peuples retrouvaient donc en entrant sur le sol ibérique
des souvenirs mauresques , jadis introduits par leurs
aïeux et que nous avons coutume d'attribuer aux
Arabes .
Ainsi , beaucoup de villes en Espagne et en Sicile
sont appelées Calata, comme Calatayud, Calatagirone;
vestige du séjour des Arabes, dit-on ; or , bien antérieu
rement aux Arabes , tous les anciens connaissaient la
puissante Calata en Sicile, Calathe en Numidie et
d'autres villes du même nom en Espagne ' ; quand les
Arabes pénétrèrent dans cette dernière contrée , ils y >

trouvèrent le riche palais de Kalat-al-Amra ? , qui


portait déjà ce nom , et leur offrit un spécimen d'ar
chitecture qu'ils n'eurent plus qu'à développer. En outre,
quelques-unes de ces gracieuses vallées, que la nature
a favorisées de tous ses dons , sont appelées Bastanº;
mot qui , chez les Arabes , signifie, dit-on , jardin de
plaisance, et rappelle le séjour d'un peuple sensible à
tous les genres de poésie ; mais la vallée de la Bidassoa
portait ce nom , et elle se trouve en Biscaye, où les
Arabes n'ont jamais pénétré ; le royaume de Murcie
était appelé par eux El Bastan “, mais c'est au souvenir
>

des Bastitans 5, qui occupaient ce pays enchanté avant


1 Hérodote cite les Galatæ d'Espagne qu'il écrit Gletu.
2 L'Alambra . Murray's handbook .
3 Le Bostan est le nom d'un des plus beaux ouvrages du poëte
persan Saadi.
4 Murray's handbook.
5 Géographie de Ptolemée .
ARABES D'ESPAGNE 73

les Arabes et les Romains ; la patrie de Martial et de


Lucain n'a pas attendu l'arrivée des rigides sectateurs
de Mahomet pour apprécier les beautés de la nature.
Je vais plus loin. La pierre noire de la Mecque est,
comme on sait , le palladium de l'islamisme ; une sem
blable pierre, également vénérée, se trouvait à Pessi
nonte, en Asie Mineure , et une autre se voit encore à
5 Rénarės, sur le Gange ; or, ces pierres se rencontrent
par toute l'Espagne, où elles sont appelées Piedrahita ',
pierre noire; Tite-Live, qui en parle , leur donne le
1
même nom, Lapides atria. Il est déjà évident par ce
témoignage qu'elles sont plus anciennes que les Arabes .
Mais quelle est leur origine ? D'abord, la pierre noire
de Pessinonte était vénérée des Galates, que l'on sait
être partis des bords de la Garonne pour émigrer vers
les régions orientales ; son origine atlantique ne saurait
donc être douteuse ; elle représentait la déesse Béré
cynthe, Idea mater, adorée dans tout le midi des
Gaules , comme l'atteste Grégoire de Tours. En second
lieu , à Bénarès , outre la pierre noire ? , un taureau
également en pierre attire la vénération des peuples ;
or, ce double culte fut introduit dans ces contrées loin
taines par les émigrations ibériques; il existait chez les
anciens Ibères ; les taureaux de Guisando “ , répandus
>

par toute la péninsule, mais plus nombreux dans le


voisinage de cette ville, sont un reste de cette antique

| Hito, noir. Dict. esp . de QUINTANA.


‫ ܕ‬Encycl. méthod. Sect. de géog. Art. Mentesa.
3 MALTE - BRUN . Géographie .
• Murray's handbook.
74 HUITIÈME THÈSE

religion ; ils sont en granit ; on n'en compte plus


aujourd'hui que trente-sept. Bénarès, où nous retrou
vons ces deux mêmes idoles , est situé dans la région
du Gange où Ptolémée place les Iberingi, ce qui ne
laisse aucun doute sur le pays d'où ils sont originaires.
L'analogie seule nous porterait donc à croire que la
pierre noire de la Mecque n'a pas d'autre patrie que
l'Espagne; elle est appelée, dans le texte du Coran,
Alyta , c'est-à-dire Al Hita , la noire ', ce qui est en
réalité le mot espagnol. On voit, par tout ce qui précède,
que les Arabes modernes ne nous ont pas apporté cet
objet des anciens cultes , mais que leurs aïeux , dans
des temps antérieurs à l'histoire , l'ont reçu de nous .
C'est surtout comme civilisateurs qu'on nous peint
les conquérants islamistes . Quand ils sortirent de
l'Arabie pour s'avancer vers l'occident, ils rencontrèrent
tout d'abord dans leur marche Alexandrie et brûlèrent,
dit-on ? , sa bibliothèque , traitant de même toutes les
villes savantes qui se trouvèrent sur leur passage. En
arrivant en Espagne, ils apportaient donc la destruction;
pourtant les antiques institutions des Ibères furent
non - seulement à l'épreuve de cette secousse , mais
encore faillirent civiliser le vainqueur lui-même. Nous
allons, du reste, montrer par une étude de détail que
l’Espagne , dans les sciences, les arts, le commerce,
tout ce qui fait la prospérité d'un peuple, n'a rien pris
de la domination arabe.
1 La pierre lancée par Hector contre Ajax dans l'Iliade est appelée
par Homère uidas 11005.
2 Les chrétiens accusent les Arabes et les Arabes accusent les chré
tiens d'avoir détruit cette bibliothèque.
ARABES D'ESPAGNE 75

Chiffres arabes .

Pour compter, nous avons nos chiffres ; les Arabes


ont les leurs qui en diffèrent complétement; nos chiffres
ne viennent donc point d'eux. Ils nous ont été apportés
d'Espagne au moyen âge, છેà une époque où l'on appelait
arabe tout ce qui venait de ce pays. Probablement, ils
ont existé de tous temps dans nos contrées ; on les a
attribués à Pythagore ', et ils en ont même porté le
nom. Vers le ve siècle , Boèce , en Italie, paraît s'être
servi de chiffres très -ressemblants aux nôtres ?
Au reste, les Arabes, en Espagne, ont montré une
incapacité remarquable pour les sciences mathéma
tiques. Ils avaient entre les mains , parmi les livres
9

sauvés du désastre d'Alexandrie, les ouvrages de Dio


phante, d'Euclide, de Pappus, c'est-à -dire les éléments
de l'algèbre, de la géométrie et des trois courbes ;
après huit siècles , ils nous les ont fidèlement transmis
tels qu'ils les avaient reçus, et les progrès des mathé
matiques datent du moment où ces peuvres sont passées
de leurs mains dans les nôtres.
L'Italie entra la première dans cette nouvelle re
cherche ; nous voyons, vers le xn ° siècle, Leonardo
s'occuper de travaux algébriques, justement dans cette
même Calabre où Pythagore , des milliers d'années
auparavant, avait fait de la géométrie une science ;
pendant quatre siècles , les Italiens cherchèrent dans les
chiffres les secrets des nombres et la métaphysique des
· Encycl. méthod. Sect. des antiquités, art. Chiffres .
? Ces chiffres servant aux sortiléges restèrent longtemps secrets.
76 HUITIÈME THÈSE

problèmes ; c'est alors que l'algèbre, ainsi ébauchée,


passa les Alpes. D'abord , Viète la détache du sol,
idéalise les grandeurs et les nombres , remplace les
chiffres par des lettres, donnant ainsi à la science
mathématique son plus puissant levier; puis , Descartes,
armé de ce nouvel instrument, l'applique aux trois
courbes de Pappus ', jusque-là tranchées sur le cône ,
les concentre dans une seule formule qui donne à
volonté l'ellipse, la parabole , l'hyperbole , c'est-à-dire
tous les mouvements des corps libres dans l'espace ;
enfin , Neuton ? paraît qui pousse à l'infini toutes les
découvertes faites avant lui ; c'est ainsi qu'en trois pas ,
en moins d'un siècle , les arrière-neveux des druides
arrivent aux limites du monde spéculatif. Que me
parle -t-on des Arabes en présence de toutes ces gran
deurs ?

Lames damassées .

Le califat avait son siége à Damas quand se fit la


conquête d'Espagne ; devenu maître des ports dans
cette partie de l'Asie, il s'était empressé de tourner
toutes les marines à son usage ; ses vaisseaux se répan
dant librement le long de la côte africaine, conquise
tout entière à l'islamisme, allaient jusqu'en Espagne
et apportaient aux pieds du maître les richesses , les
produits amassés par cette vaste circulation.
| Pappus n'est que le commentateur d'Apollonius de Perge.
? Je n'entre point dans la question de priorité entre Leibnitz,
Neuton et Fermat.
ARABES D'ESPAGNE 77

Un peuple qui fonde sur le sabre sa foi et sa puis


sance devait mettre au premier rang, dans ses échanges
et son industrie, la fabrication des armės . L'Espagne
avait, dans cette spécialité, une haute renommée chez
les anciens; les Arabes ne manquèrent pas d'emprunter
ses secrets et de les transporter en Syrie ; aussi , lorsque
les croisades nous donnèrent lieu de visiter cette
contrée, nous fâmes surpris d'y trouver nos sabres
d'Espagne; la trempe , le moiré , ils possédaient toutes
les propriétés dont on avait toujours fait un secret des
Celtibères. Cette ressemblance a pu faire croire à
quelques modernes que cette industrie était née en Asie
et que nous l'avions reçue des Arabes; mais un simple
exposé des faits suffira pour assurer à l'Europe occi
dentale son brevet de priorité.
Les événements provoqués par l'agression d'Annibal
permirent aux Romains d'atteindre à la fois l'Espagne
et la Syrie et d'apprécier comparativement les armes
de ces deux contrées. Annibal avait envahi l'Italie avec
une armée tout entière recrutée en Espagne . Les
Romains, voyant cette contrée dégarnie de troupes,
crurent l'occasion favorable pour s'en emparer. Les
deux Scipion partirent donc avec une flotte, débarquè
rent, pénétrèrent dans le pays ; mais en deux combats
toute cette armée fut exterminée. Tite -Live nous effraye
en nous décrivant le carnage que le glaive espagnol
faisait des soldats ennemis : Gladio hispanensi detrun
cata corpora brachiis abscissis, ac tota cervice desecta ,
divisa a corpore capita viderunt. Les Romains, forcés
de fuir d'un pays sans armée , comprirent aisément la
78 HUITIÈME THÈSE

cause du désastre ; comme si l'Espagne ne pouvait être


vaincue que par elle-même, Rome lui emprunta le
redoutable glaive et en arma ses troupes ; c'est alors
qu'elle put songer à venger ses défaites et à poursuivre
ses succès .
Passons à l'autre extrémité de la Méditerranée .
Annibal , après ses malheurs , s'était retiré en Asie
où Antiochus le Grand parut le protéger. Rome , tou
jours poursuivie par le fantôme de cet Espagnol ,
déclara la guerre au roi de Syrie; Lucius, frère du
grand Scipion , peu exercé au métier de la guerre, fut
chargé de cette expédition lointaine ; quoiqu'il eût
affaire à des généraux héritiers de la tactique d'Alexan
dre , la seule bataille de Magnésie le rendit maître de
tout le pays , qui fut immédiatement réduit en province
romaine. Le vainqueur laissa leurs armes à tous les
Orientaux , aux Syriens de Damas , aux Phéniciens, si
renommés parmi nous pour leur métallurgie, aux Grecs,
que nous regardons comme nos maîtres dans tous les
arts.
Polybe , contemporain de ce double événement , ne
fait aucune mention des armes des Asiatiques, mais il
connaît la trempe supérieure du fer espagnol : « Les
Celtibères ' , dit-il , excellent dans la fabrique des épées ;
car celles qui sortent de leurs ateliers sont très-avanta
geuses pour frapper d'estoc et de taille. C'est pour cela
que, vers le temps des guerres d'Annibal, les Romains
renoncèrent à leurs anciennes épées et adoptèrent celles

| Suidas, au mot Máyzupe, cite ce passage, que Casaubon et Juste


Lipse attribuent à Polybe .
ARABES D'ESPAGNE 79

des Espagnols'; mais jamais ils ne purent amener le fer


au même degré de pureté et de perfection . » Deux siècles
plus tard , Diodore de Sicile disait des mêmes peuples :
• Telle est la dureté de leurs armes, qu'il n'y a ni bou
clier ni casque qui puisse leur résister . »
Dans la suite, lorsque la prospérité eut donné aux
Romains le goût du luxe, il leur fallut damasquiner ces
mêmes armes , et pour cela, c'est encore aux procédés
espagnols que l'on eut recours. Bilbilis, sur le Xalon,
et Tolède, sur le Tage, avaient dans cet art une répu
tation établie. Martial, né à Bilbilis , vante sans cesse
les armes damasquinées de sa patrie et les veines métal
liques qui les enluminaient.
Pugio, quem curvis signat brevis orbita venis,
Stridentem gelidis hunc Salo tinxit aquis .

A Rome , on appelait ces travaux de damasquinurè


opera barbarica, et le soldat qui portait des armes
ainsi travaillées, miles barbaricarius. Ce mot des
anciens Ibères se perpétua dans la fabrique de Tolède ,
et les Espagnols, le transformant suivant le génie de
leur religion , en firent Santa Barbara " , patronne de
cet établissement. Le Tage , dont les eaux semblaient
merveilleuses pour la trempe du fer, fit donner à ces
armes le nom de Daga ?, en allemand , Degen .
Primitivement, la damasquinure se faisait par des
lignes croisées formant un échiquier ou , comme nous
disons, un jeu de dam . Ce dernier mot , dans le langage
1 Murray's handbook.
2 Dag, tuer, en sanscrit. – Daigh, meurtre, en gaélique.
80 HUITIÈME THÈSE

des Celtes , est l'origine du mot Damassé. La routine


qui veut à tout prix faire venir ces armes de Damas , en
Asie , imagina différents expédients afin d'expliquer
pourquoi , dans cette ville , il ne se rencontre aucun
vestige d'une pareille fabrication . Pour sauver le sys
tème , les uns prétendent, sans plus de détours, que le
secret s'en est perdu ; d'autres , se rappelant que Tamer
lan ' , dans sa grande expédition , a dû passer en Syrie ,
aiment mieux dire qu'il a emmené dans son pays tous
les ouvriers de Damas.

Agriculture.

L'Espagne était renommée chez les anciens par son


inépuisable fertilité et la perfection de son agriculture.
Martial disait aux Italiens : Ici , vous devez nourrir
votre sol ; chez moi, c'est le sol qui nous nourrit.
Pascitur hic, ibi pascil ager.

Le plus bel ouvrage d'agronomie qui nous soit venu


des Latins est dû à l'Espagnol Columelle; il yy décrit les
méthodes savantes employées dans son pays pour les
différents genres d'agriculture et l'amélioration des
races d'animaux . Après la lecture de cet auteur, on se
demande ce qui restait à faire aux Arabes, si les Arabes
eussent été agriculteurs. Entrons dans quelques détails.
L'olivier a toujours été l'arbre caractéristique de
l'Espagne ; il est représenté dans ses médailles ?
1 Vers l'an 1400 .
2 Encycl. méthod . Sect. des antiquités, art. Espagne.
81
ARABES D'ESPAGNE

antiques sous la forme d'une femme assise sur un


rocher, tenant dans sa main une branche d'olivier. Les
procédés décrits par Columelle pour la culture de
l'arbre et le pressage des olives ont à peine varié
depuis cet auteur et ne doivent, par conséquent, rien
aux Arabes .
Nous félicitons ces peuples d'avoir laissé en Espagne
quelques bouquets de palmiers africains, celui d'Elche
surtout, visité et admiré par tout homme qui voyage ;
mais quand je vois Martial, loin de sa patrie , soupirer
après ses beaux bois de palmiers et son Espagne , j'en
conclus qu'avant qu'il n'y eût des Arabes, il y avait des
palmier.
L'Espagne était, au temps de Pline, fameuse par
son lin ; les toiles de Sætabis, selon cet auteur ?, tenaient
le troisième rang dans le commerce ; mais, d'après
l'Espagnol Silius Italicus ?, elles laissaient bien loin
d'elles les toiles des Arabes :
Sætabis telas Arabum sprevisse superba.
Des recherches ont été faites relativement à la cul
ture du coton en Occident. M. Delaborde prétend qu'il
fut introduit en Espagne par les Arabes. Cette plante
s'appelle en sanscrit Carbasi; or, il y avait dans la
région de l'Ebre des peuples appelés Carpesii 3 ; les
écrivains latins et grecs font venir constamment de là
des tissus qu'ils appellent Carbasum . N'était-ce pas le
coton ?
.

1 Pline , 19. I. - Sætabis est la moderne Xativa.


* Silius Ilalicus, liv . III , v. 373.
3 Tite - Live .
6
82 HUITIÈME THÈSE

Quant au blé, Pline déclare sans détour que celui


d'Espagne était le meilleur que l'on connût .
On ne dira point que les vins ont été introduits en
Espagne par les Musulmans. Comme tous les autres
produits , ils sont cultivés dans ce pays depuis les temps
les plus anciens. Martial les compare à ceux d'Italie,
si vantés d'Horace :

Tarraco , campano tantum cessura Ly@ o,


Hæc genuit luscis æmula vina cadis .

La haute agriculture doit aussi des soins à l'élève


des animaux utiles . Les moutons ont fait de tous temps
la gloire de l'Espagne ; dans le pays de Cadix surtout,
on n'oublia rien pour en améliorer la race ; un bélier s'y
vendait jusqu'à un talent'. Les Trashumantes , qui reve
naient chaque hiver sur les monts Mariani ”, en ont
pris le nom de Mérinos; leur laine rivalisait avec
celles d'Italie et de Milet 3. Outre les étoffes brutes, dit
M. Delaborde “, l'Espagne envoyait en Italie des vête
ments tout faits, tels que des robes prétextes et les lati
claves dont Strabon attribue l'invention aux Espagnols,
des lacernæ callaïcæ , des lacernæ boelicatæ . Il est
prouvé, dit-il ailleurs, par d'anciennes chroniques, que
les rois d'Afrique et de Perse envoyèrent à Charle
magne, entre autres présents d'une grande valeur, une
quantité de laines de brebis espagnoles et que le calife
i Strabon . Liv. III , ch . 1 . - Le talent valait 5,300 francs. (Note des
traducteurs de Strabon .)
2 Auj. Morena.
& PitiscUS. Lexic , antiq. roman .
4 Académicien, auteur d'un grand ouvrage sur l'Espagne.

1
ARABES D'ESPAGNE 83

d'Orient fit également à Charles le Chauve un présent


d'un très -beau drap de laine d'Espagne, fabriqué à
Cordoue vers l'an 860. Nous voyons par cet exemple
que les Arabes, transportant en Asie les produits euro
péens, nous ont souvent fait admirer chez les Orientaux
nos propres dépouilles.
Les chevaux andalous auraient sans doute aussi été
universellement considérés comme d'origine arabe ;
mais il se trouve que les Vandales ont séjourné en
Andalousie , avant de passer en Afrique; comme ils
venaient du Mecklembourg, ils ont pu , dit-on , amener
avec eux les chevaux célèbres de cette partie de l'Alle
magne ; ce qui forme un double système sur l'origine
de la race andalouse ; mais avant qu'il ne fût question
de ces deux peuples, les chevaux des Ibères avaient la
même réputation qu'ils ont aujourd'hui. Ils étaient
fameux par leur agilité : Equorum pernices greges .".
Dans tout l'empire romain, les deux villes qui livraient
aux armées le plus grand nombre de chevaux étaient
Rome et Cadix ? ; Rome en fournissait mille et Cadix
cinq cents . D'un autre côté , Strabon dit qu'il n'y a point
de chevaux en Arabie, et dans ces derniers temps 3, les
Wahabites , maîtres de ce pays , furent battus par
Méhémet -Ali, parce qu'ils n'avaient que cinq cents
chevaux à opposer à la cavalerie égyptienne.
Enfin , on veut que les Arabes aient importé en
| Trogue- Pompée, 44 , 1. Cet auteur était né en Gaule , dans le
voisinage de l'Ibérie.
2 Encycl. method. Sect. de géogr. , art. Cadix.
3 En 1818 .
84 HUITIÈME THÈSE

Espagne les soieries . Le premier dans notre Europe


qui porta des vêtements de soie fut Néron ; Justinien
fit venir d'Orient, par les missionnaires catholiques, le
ver à soie qui, dès lors, se répandit par toute l'Europe
et sans doute en Espagne , dont une partie relevait
encore à cette époque des empereurs de Constanti
nople . Les Arabes ne vinrent que deux siècles après,
et aucun document ne leur attribue cette importation.
Par tous ces détails nous voyons en Espagne, avant
l'arrivée des Arabes , une agriculture florissante, une
haute prospérité également due à l'industrie et à la
nature ; depuis leur départ, nous nous récrions sans
cesse contre le délabrement où se trouve cette contrée !.
Nous avouons par là méme que c'est à ces étrangers
que l'Espagne doit, non sa civilisation , mais sa déca
dence .

Architecture.

Qui pourrait dire à quel âge du monde commence


l'architecture espagnole ? Les murs de ses anciennes
villes reposent sur des enceintes de blocs cyclopéens ;
Tarragone, Lérida, Sagonte , Salamanque et une mul
titude d'autres , depuis des milliers d'années , tombent,
se relèvent suivant les révolutions des temps , toujours
rebâties sur leur même et éternelle base . Les Romains ,
dans les autres pays, construisaient des ponts ; en
Espagne , ils entretenaient ceux des anciens Ibères ;
I L'Espagne, prospère avant les Romains, le fut moins après leur
départ et moins encore après la retraite des Arabes.
ARABES D'ESPAGNE 85

Trajan fit réparer le vieux pont de Salamanque qui


avait 1,500 pieds de long et 26 arches ; il faisait suite
à la via plata , chaussée antique qui , partant de Merida,
traversait une grande partie de l'Espagne. Les Romains
sont encore venus à temps pour voir les derniers ves
tiges de constructions d'une autre nature ; Strabon est
émerveillé du phare élevé sous le nom de turris
capionis, aux bouches du Guadalquivir ; il le pro
clame un ouvrage admirable, et le compare au phare
d'Alexandrie ; sur un autre point de l'Espagne , on
voyait à Dianeum ?, en face des Baléares, le célèbre
Héméroscope, tour pyramidale servant, selon la religion
>

de ces anciens peuples , à déterminer l'instant précis


de l'arrivée du soleil aux tropiques, Tootad helio.o 3.
Mais la gloire de l'Espagne était dans ses temples “,
où il n'entrait que des bois de cèdre incorruptible 5.
Celui de Cadix me paraît le plus fameux des anciens
temps ; son antiquité remontait à l'ère des légendes .
Des navigateurs de Samos , nous dit Hérodote , reve
nant du pays des Hyperboréens , arrivèrent à Gadès ,
où ils firent des bénéfices inespérés ; par reconnais
sance , ils consacrèrent au Dieu du temple une coupe
merveilleuse, sur laquelle étaient sculptés des griffons.
Philostrate le fait entrer dans sa légende d'Apollonius

Pitiscus. Les Ibères en attribuaient la construction à Hercule.


2 Les Latins disaient Dianeum et les Grecs Artemisium ; Palma, qui
est en face, est de même appelée Phenice par les Grecs.
3 Odyssée .
• Ils ont été détruits longtemps avant les Romains, comme on le
verra plus loin.
5 Pline, Vitruve.
86 HUITIÈME THÈSE

de Tyane ; on y voyait, dit -il, des colonnes chargées


d'hiéroglyphes, un olivier en or dont les fruits étaient
des émeraudes ; aux côtés du portique étaient, comme
aux temples de Jérusalem et de la déesse Syrienne ,
deux colonnes en bronze hautes de huit coudées . Les
temples de Sagonte, de Tolède étaient bâtis sur ce
même modèle et pouvaient presque rivaliser pour l'art
et la richesse. Les Arabes , en entrant en Espagne ,
retrouvèrent des traces de ces anciennes merveilles,
à Hispalis, à Kalat-al -Ahmra, partout . Quand ils vou
lurent se construire une mosquée , ils relevèrent de ses
débris un vieux temple de Janus ? que les Goths
2

devenus chrétiens avaient laissé tomber en ruine ;


pour lui donner plus d'étendue, ils allèrent chercher
par toute l'Espagne , et jusque dans le voisinage de
Nismes , les colonnes anciennes que le temps n'avait
pas entièrement délabrées ; c'est ainsi qu'ils construisi
rent la mosquée de Cordoue , tunnel long et écrasé , sou
tenu par une forêt de huit cents colonnes disparates .
D'où nous auraient -ils apporté des modèles d'architec
ture ? A Damas , la mosquée est construite à la grecque ,
et ses colonnes sont corinthiennes . A Jérusalem , la
mosquée d'Omar a des colonnes en granit , dont les cha
piteaux , d'après un visiteur célèbre , sont d'un travail
grossier , comme tous les ouvrages d'architecture maho
métane .

i Ces deux colonnes s'appelaient Bozės, Jakin , mots célèbres dans


les sociétés se es .
2 DELABORDE, t. II . Not. hist.
3 DE GÉRAMBE. Voyage à Jérusalem . Lettre 30. – On pourra voir
ARABES D'ESPAGNE 87

Poésie .

D'où vient cet air de poésie que respirent les régions


fortunées où coulent le Bætis et le Tage, où fleurissent
Séville et Grenade, où se content, d'âge en âge, ces
légendes merveilleuses qui nous transportent dans la
sphère des rêves et des plaisirs ? Les grands poëtes de
l’Espagne moderne ont cependant vécu loin de ces
cantons, dans le voisinage des cours ; et en outre, ils ont
pris chez les Latins leurs plus belles inspirations. Les
Arabes, ne connaissant que le Coran et le sabre , n'ont
jamais su embellir leur fougue religieuse des charmes
de la poésie. Avant eux , la littérature latine fit éclore ,
il est vrai , dans l'Andalousie , des poëtes connus :
Lucain, Silius Italicus, Sénèque ; mais ceux -ci ont
vécu à Rome et se sont rendus étrangers à leur patrie .
Le cachet de poésie empreint sur ces régions est donc
plus ancien . Strabon, le plus judicieux voyageur de
l'antiquité, a vu ces contrées et nous donne la révéla
tion de ce mystère. Les peuples qui habitent la vallée
du Bætis, dit -il, sont les plus civilisés de toute l'Es
pagne ; ils ont des lois fort remarquables, des annales
anciennes, des poésies qu'ils chantent depuis six mille
ans. Où sont ces lois , ces annales , ces poésies ? En
attendant que nous les retrouvions, contentons-nous
de dire que l'Andalousie , malgré le contact prolongé
1
des Arabes, brille toujours de l'ancienne gloire poétique
des peuples de Boetis.
par la suite que ce que nous appelons style oriental prit naissance
dans cette région fortunée .
NEUVIÈME THÈSE

ÉMIGRATION DES CELTES DANS LA SCANDINAVIE


ET L'IBÉRIE .

Plusieurs siècles avant l'ère chrétienne , les sciences ,


les arts, chassés des grandes terres par les révolutions
et les conquêtes , semblent s'être réfugiés dans les îles
de la Méditerranée , où ils trouvaient un abri contre
les envahisseurs. Vers cette époque, en effet, on y
remarque non des systèmes complets , tranquillement
élaborés, mais des débris disparates de sciences qui
ont été cultivées ailleurs et importées dans ces régions .
Les contrées lointaines, les grandes nations devenues
plus barbares , cessèrent peu à peu d'y être connues et
il ne s'en conserva qu’un souvenir vague et dispropor
tionné . La civilisation qui résulta de cet ensemble et
que nous appelons grecque , recueillant les souvenirs
incomplets qu'elle avait conservés de ces origines
diverses , en fit une science nouvelle consistant dans
la recherche et le classement des nationalités .
Vers 400 avant l'ère chrétienne, Éphore de Cumes ,
historien célèbre ! , cherchant une division du genre

1 Il fit une histoire du Péloponèse que nous n'avons plus.


SCANDINAVIE ET IBÉRIE 89

humain, yу reconnut quatre grandes races : les Celtes,


les Scythes, les Indiens, les Éthiopiens; c'étaient à cette
époque les quatre noms les plus retentissants parmi
les Grecs. Les Celtes occupent dans leur esprit le même
rang que les trois autres races ; mais , pour nous , le
temps a corrigé l'insuffisance de ce classement . Les
Éthiopiens devenus les Maures ont cessé d'être ; les
Indiens, qui ne changent point, n'étaient pas alors plus
qu'ils ne sont de nos jours; les Scythes ou Slaves, nation
plus vivace, tirent aujourd'hui de leur nombre leur
plus grande importance . La race celtique, vieux tronc
que le temps ne fait que raviver, est toujours debout
au milieu de toutes ces ruines, tenant par elle-même
une grande place et par ses émigrations une place
plus grande encore .
Les Grecs qui vinrent après Éphore, étendant plus
loin leurs relations , trouvèrent partout des Celtes .
1
Plutarque n'hésite pas à dire que la Celtique " s'éten
dait depuis l'Océan jusqu'au Palus-Méotide ; en Italie ,
ils occupaient les bouches de l'Éridan ?, les Apennins 3,
les environs de Naples ; il s'en trouvait en Épire “,
parmi les Grecs ; ils habitaient tout le cours inférieur
5
du Danube 5 et s'avançaient jusqu'au Bosphore Cimmé
rien. Voilà pour l'orient ; mais au nord et au midi ,
nous retrouvons encore cette interminable race ; au

2
Encycl. méth. Sect.de géographie, art. Celtica.
Apollonius de Rhodes .
3 Strabon .
4 Antonius Liberalis .
5 Strabon .
90 NEUVIÈME THÈSE

nord, sous le nom de Scaldes, ils remplissent la Scan


dinavie ; au midi, sous leur nom identique de Celtes,
ils se trouvent disséminés par toute l'Espagne.

Scaldes du Nord .

Au milieu des fictions contradictoires qui remplissent


la mythologie des peuples du Nord, on trouve un fais
ceau de traditions plus généralement admises et qui
constitue le fond de leur croyance. Les Scandinaves
n'ont rien de plus sacré que la cité mystérieuse d'As
gard. Là est le palais d'Odin , où sont reçus les guer
riers morts glorieusement dans les combats , où les
Valkyries distillent tous les plaisirs, où les trois
Nornes , Urda, Véranda, Skalda, déroulent les desti
nées des hommes ; des poëtes inspirés, appelés Scaldes,
y chantent, sur leur harpe d'or , les louanges des
dieux et des héros .
Ce symbole de la foi des Scandinaves a donné lieu
à d'interminables recherches . La nation a cru y trouver
le secret de ses origines . Asgard, le grand mot de
cette croyance , étant remis en ses racines , donne
As -Gard ' , la ville des Ases ; Gard , que l'on écrit Gorod
chez les Slaves et Cariath chez les Phéniciens , signifie
ville ; quant au mot As , on se souvint que parmi les
villes que Strabon nomme, vers l'embouchure du Don,
il s'en trouve une nommée Aspurgium , c'est-à -dire,
i Gard, Ward , montrent que les premières villes furent des
enceintes où l'on gardait les femmes, les enfants, les ossements des
morts .
SCANDINAVIE ET IBÉRIE 91

As-Burg, le bourg des Ases ; les antiquaires du Nord ,


partant de là, purent ainsi se donner une origine orien
tale. La légende fut bientôt trouvée . Des Ases conduits
par Odin vinrent à travers toute l'Europe coloniser la
Scandinavie. On comprit sans peine qu'il fallût des évé
nements graves pour déterminer ces émigrants à s'en
foncer dans les régions stériles et neigeuses de la
Suède. Ce que l'on trouva de mieux pour justifier cette
anomalie, ce fut la guerre que Pompée fit à Mithri
date, laquelle, livrant aux Romains tout ce royaume
du Bosphore, où devait être Aspurgium, força ainsi
les habitants de cette ville à s'enfuir.
Il est une difficulté qui devait cependant arrêter les
inventeurs de ce système; depuis déjà un demi-siècle ,
les régions de la Baltique, où l'on fait arriver cette
colonie, répandaient sur l'Europe ces flots de peuples
voyageurs que nous connaissons sous le nom de Cim
bres, Teutons, Goths, Vandales, et l'on comprend diffi
cilement que des contrées se laissent coloniser quand
elles ont assez de force pour pousser sur le monde
d'aussi puissantes émigrations.
Pour trouver l'origine réelle des Ases, il faut partir
d'un autre principe. As signifie unité centrale, comme
on peut en juger par les mots des différentes langues
qui ont conservé cette racine : As, unité monétaire chez
les Romains; Asche , Axis, Axôn , essieu ; aspunt, le
pôle; As, point unique dans différents jeux. Asgard
signifierait donc le bourg central ; et comme ce mot ne
se rencontre que dans les mythologies des peuples, on
doit en conclure qu'il s'agit d'un centre religieux, d'une
92 NEUVIÈME THÈSE

Jérusalem mystique. D'après les poésies scandinaves,


les braves sont reçus dans l'Asgard , les lâches sont
rejetés dans l'Uitgard ; uit, qui veut dire au dehors , est
donc opposé à As, qui, par conséquent, signifie au
centre. Or, en Zélande , dans le voisinage du Rhin , on
voyait, selon Tacite !, Asciburgium bâti par Ulysse et
vénéré des Germains ; plus à l'orient se trouve
Asbourg, dans le voisinage de Cologne et, plus loin
encore , l’Aspurgium de Strabon ; si nous pénétrons
jusqu'en Asie, les poëmes sanscrits connaissent ce lieu
sous le nom analogue de Midgard ? Au midi , nous
rencontrons sans altération le nom scandinave d'As
gard , dans ce coin fortuné de la Mauritanie où des
anciens plaçaient le jardin des Hespérides 3. Il semble ,
d'après ce qui vient d'être dit , que l'Asciburgium de
Zélande dut être le type sur lequel les Celtes, en se
répandant partout, figurèrent tous les autres lieux du
même nom ; et , en effet, nous pouvons constater que
c'est là qu'il faut chercher la patrie originaire des Ases
du Nord .
D'abord , nous y retrouvons sous des formes à peine
déguisées toute la mythologie scandinave : l'ile des
Valkyries, nommée identiquement Valcheren ; Middle
bourg, qui en est la capitale et dont le nom , bourg du
milieu , est la traduction exacte d'Asciburgium , d’As
gard, de Midgard ; l'île Scaldia, c'est-à-dire l'ile des
I TACITE. Germania .
2 Mid , milieu . Dans les poésies sanscrites , on trouve Midgard ,
Midihama, Asgartha ; tous mots équivalents à Middlebourg. - Hama
est le celtique Heim , séjour .
3 Aux environs de Larache et du Lixus.
SCANDINAVIE ET IBÉRIE 93

Scaldes, aujourd'hui Schouwen ; des statues repré


sentant Odin et qui furent trouvées au fond de l'Es
caut ; le fameux canal d'Odin ?, qu'une constante tra
dition s'acharne à placer dans ces parages et qui a été
l'objet de tant de dissertations ; enfin , les trois Nornes
elles -mêmes ; et, en effet, si nous considérons que dans
toutes les mythologies, les oracles sont rendus par les
divinités des eaux, les ondines, les vierges de Ton
gres, les Sirènes , Protée, l'Oannès de Bérose , nous
retrouverons ces trois déesses fatidiques dans les trois
fleuves vénérés des Celtes, le Rhin , la Meuse et l'Es
caut, comme il est facile de s'en convaincre par une
étude comparative.
D'abord le Rhin , comme nous l'avons déjà vu , était
le fleuve baptismal; son nom Rein 3 signifie pur ; à son
embouchure se trouvait le peuple appelé Batave et ce
mot formé de Badt, bain et Aw , terre , désigne la terre
du bain sacré . La renaissance mystique opérée dans les
eaux du fleuve était le dogme fondamental de la foi
primitive; au point que toutes les religions , quelque
défigurées quelles soient par le temps et les réformes,
en ont conservé d'ineffaçables vestiges. A ce titre, le
Rhin était le grand dieu des Celtes ; ils l'invoquaient
dans les combats , portaient avec eux son image pro
tectrice qui le représentait avec deux cornes au front :
Extremique hominum Morini, Rhenusque bicornis;
et surtout ils en appelaient à sa décision, pour connaître
Les statues portent le nom de Wodan.
2 Vulgairement appelé canal d'Othon . De Bast.
3 Même en grec, Rainein signifie purifier.
94 NEUVIÈME THÈSE

les enfants de paternité douteuse ; or, ce jugement


suprême s'appelait Oordeel ; les générations suivantes
prononcèrent Urda ou , en y joignant le mot Bach,
qui signifie fleuve, Bach-Urda. C'est ainsi que l'on
découvrit à Cologne un autel érigé au dieu du Rhin et
qui avait pour inscription ' : BACURDO SACRUM . C'est
ce même nom d'Urda que porte la première des trois
Nornes .
La Meuse vient ensuite avec ses étranges monu
ments qui datent des premiers essais de la civilisation
humaine , et dont les vestiges , retrouvés dans ces der
niers temps , bordent son cours. Ce sont d'abord des
2
enceintes ? fortifiées, bâties en pierres brutes sur les
hautes roches et qui furent comme les cloîtres primitifs,
où s'opérait une transformation mystique; ce sont sur
tout des grottes où les corps des justes de l'ancienne
religion semblaient en quelque sorte muer 3, pour
reparaître par la métempsycose sous une nouvelle
forme. Muer ainsi se dit Mausen, d'où le nom de la
Meuse, et Veranderen , d'où le nom de la seconde Norne ,
qui s'appelle Véranda.
Enfin, l'Escaut , que Ptolémée nomme Tabuda ,
semble , comme ce second nom l'indique , traverser une
région interdite aux profanes; et, en effet, à en juger
par les fouilles faites chaque jour pour les besoins de
l'industrie , l'Escaut semble traverser dans son long
1 Encycl. Méthod . Antiquités .
2 Jorfe, enceinte formée de blocs sans ciment ; d'où les Grecs ont
appelé Bios Orphicos cette vie disciplinée. Dict. esp.
3 Cette théorie sera expliquée plus loin.
SCANDINAVIE ET IBÉRIE 95

cours tout un vaste cimetière; quelque part que l'on


creuse, la pioche ramène des charbons, des ossements
brûlés, des fragments d'urnes cinéraires que l'on ne
prend plus la peine de recueillir. Pourtant, des deux
noms du fleuve, Schelde fut celui qui, en Scandinavie ,
passa à la troisième Norne et la fit appeler Scalda ?.
Comme on le voit, cette trinité des fleuves celtiques
retraçait la triple phase de la vie humaine :: la nais
sance, la vie et la mort 3 ; ce que figuraient également
les trois déesses scandinaves : Urda désignait le passé ,
Véranda le présent, Scalda l'avenir. Quand les poëtes
ajoutent qu'elles résident sous le frmne où les dieux ont
leur séjour, ils désignent par ce nom la cité sainte
d'Asciburgium , dont le radical asch signifie également
frêne.

Par tout ce qui précède, on voit que la mythologie


scandinave a pour point de départ la Zélande ; aussi ,
dans ces régions reculées, peu dérangées par les enva
hisseurs, les noms des lieux rappellent encore aujour
d'hui ceux des bouches du Rhin. On y voit 4
Seeland ( Zeeland ).
Schonen ( Schouwen).
Elseneur (Elseneur , dans l'ile de Schouwen ).
La Swine (Le Zwin ).
IDEBAST.
* Outre ces trois feuves, leurs sept embouchures sont aussi figurées
dans les mythes scandinaves ; on y voit Odin qui, avant de mourir, se
fait sept blessures par lesquelles coule son sang.
3 Ces trois Nornes s'appellent dans l'Inde, Brama, Vischnou, Schiva.
4
* Voy . toutes les géographies.
96 NEUVIÈME THÈSE

Le Pène (Le Pénée)..


Halland (Holland ).
Reinbeck, Rhena , Reinfeld (Rhin) .
Hunte (Hont).
Skagen (Schagen).
Sion ( Sion , dans l'ile de Schouwen).
Moen (Menapii ).
Lilla (Lillo).
Breitenbourg (Breitenborg ).
Nous avons prouvé que les Scaldes du Nord sont
partis des bouches du Rhin ; prouvons que les Celtes
dominateurs de l'Espagne ont la même origine .
Celtes d'Espagne.

Les Celtes étaient trop voisins de la péninsule Ibé


rique pour avoir négligé de réclamer leur part des
richesses de cette contrée . Les positions qu'ils y pri
rent étaient celles qui conviennent à un grand peuple.
Laissant l'or , la pourpre, les beaux sites aux Phéni
ciens et aux Grecs , ils s'étaient assuré le bassin de
l'Èbre ' , où ils avaient remarqué d'inépuisables gise
ments de fer et des eaux merveilleuses pour la trempe .
Les Celtibères fournissaient, de là , aux Celtes et aux
Ibères ces armes acérées qui ont ouvert aux premiers
la route des contrées les plus lointaines et ont rendu
les autres si redoutables aux Romains . Implantés dans
ces régions, ils tenaient tout le pays sous leur main ;
1 La méthode catalane usitée dans ces régions est toujours celle des
anciens Celtiberes.
SCANDINAVIE ET IBÉRIE 97

mais leur empire se serait trouvé incomplet s'ils


n'eussent été en même temps maîtres de l'Océan ; c'est
pourquoi les trois grands ports de la Péninsule, la
Corogne, Lisbonne et Cadix , étaient à eux.
La routine qui , depuis environ deux siècles, fait inter
venir partout des Phéniciens, n'a pas manqué de leur
attribuer l'origine de ces ports. La Corogne a été
fondée par eux, nous dit-on ' ; il en est de même de
Lisbonne, qui, placée près de la rade que forme le
Tage à son embouchure, tirerait son nom , si on en
croit Bochart, de deux mots phéniciens signifiant
belle rade ? ; quant à Cadix, colonie des Tyriens, selon
les uns , des Carthaginois, selon les autres, elle ne
pouvait échapper d'être phénicienne. Une étude simple
sur chacune de ces villes nous montrera qu'elles sont
entièrement celtiques .
La Corogne est le port de la Galice ; les peuples qui
habitaient cette province, quoique appelés Callaïci et
non Galli, sont indubitablement des Celtes ; le cap le
plus proche est connu des Latins sous le nom de Pro
montorium celticum .

Bochart et son école ont toujours le tort de recher


cher les origines des peuples sur des racines isolées et ,
c'est par des com
par conséquent, toujours arbitraires ; c'est
paraisons d'ensemble que l'on peut , avec le plus de
certitude, déterminer le sens radical des dénomina
tions.

Founded by the Phenicians. Murray's handbook .


• Bochart. Phaleg. Olis ubo, d'où Ulisippo, selon lui.
n
98 NEUVIÈME THESE

Depuis le fond de l'Écosse jusqu'aux extrémités de


la Mauritanie, toutes les péninsules avancées dans
l'Océan renferment le radical Corn : la pointe calédo
nienne était occupée par les Cornabii; on appelait
Coronis l'extrémité occidentale de l'Angleterre; les
Gaules ont, à l'ouest, le Cornouailles breton ; en Galice
est la Corogne nommée par les Latins eux-mêmes
Corunium ' ; le cap Saint- Vincent était le tombeau d'un
ancien héros, resté célèbre chez les Maures, sous le
nom de Caron ?, lequel avait ouvert aux Orientaux la
route de l'Océan, en écartant les deux rochers de
Gibraltar ; le périple d'Hannon nomme le point le plus
occidental de la Mauritanie Hesperidum . Cornu . On
voit que , sans avoir recours à des racines orientales,
la Corogne tient sa place dans cette énumération toute
celtique.
Si nous passons à Lisbonne, nous trouverons d'abord
que le nom du Portugal est loin d'avoir une conson
nance phénicienne ; cette ville se trouvait dans la
région océanique occupée par les Celtici; elle était
placée sur la partie inférieure et fluctuante du Tage,
qui a porté de tout temps le nom purement celtique
d'Estramadure, stream door, entrée du flux 3 ; tous
les environs de cette ville étaient remplis de monu
ments druidiques ; Strabon a vu au cap Saint-Vincent
des dolmen comme en possèdent les deux Bretagnes ;

I MURRAY's handbook .
2 THÉVET. Cosmographie universelle.
3 Stream , flux ; door , entrée. Lexicologie .
SCANDINAVIE ET IBÉRIE 99

de l'autre côté de Lisbonne , Richard Twiss nous


décrit, sur la route de Porto à Almeïda, des amas de
pierres semblables, dit-il, au Stone henge. Que faut- il
de plus pour que Lisbonne soit une ville celtique?
Enfin, Cadix est classée sans détour, par Ptolémée lui
même , au nombre des villes celtiques que ce géographe
décrit aux bouches du Betis, et les Celtes, dont elle
était la capitale , tenaient, selon Pline, le premier rang
dans la juridiction d’Hispalis . Je ne nomme que ces
trois ports ; mais si , prenant en main Ptolémée, Pline,
Méla ? et complétant l'un par l'autre, nous parcourons
tout le littoral ibérique depuis Gadės jusqu'au cap
Nerium , au nord de la Galice, nous trouverons toute
cette étendue de côtes, sauf de rares intermittences,
occupée par des peuples que ces géographes appellent
constamment celtiques .
Après avoir constaté la domination qu'ils exerçaient
sur toute la Péninsule , par leurs nombreux établisse
ments , il nous reste à retrouver leur patrie. Ils n'en
avaient qu'une, c'était la Zélande, aux bouches du
Rhin, et pour arriver à cette conclusion , nous n'avons
qu'à suivre notre système d'études comparatives.
Les émigrants, en quittant la mère patrie, empor
taient avec eux l'image de ce lieu sacré ; arrivés au pays
où l'oracle déclarait qu'ils devaient arrêter leur course ,
sistere fanum , ils y reproduisaient, autant que les dis
positions locales pouvaient s'y prêter, toutes les parti
cularités, tous les noms de la métropole , mais avant
· Richard Twiss. Voyage d'Espagne et de Portugal en 1772.
? Méla était Espagnol.
100 NEUVIÈME THÈSE

tout les emblèmes les plus sacrés de la religion mère ;


les mystères célébrés dans les îles de la Meuse furent
ainsi transportés aux bouches des autres grands
fleuves, jusqu'aux extrémités des deux mondes ; ils
doivent donc avoir laissé des traces dans la région cel
tique, où le Guadalquivir se joint à la mer.
Ce fleuve est le Rhin de ces contrées ; son nom ,
Boetis, est le même qui entre dans le mot Batave; l'un
et l'autre viennent de Badt ?, ce qui fait du Bætis un
fleuve régénérateur, le Gange des Brames, le Para
nambouco des Caraïbes. Bochart fait dériver son nom
du phénicien Lebitsin ”, marécage ; mais, si nous pro
cédons encore par similitudes , nous rencontrerons jus
qu'au fond de l'Orient ce même nom appliqué à des
fleuves sacrés où n'ont jamais pénétré les Phéniciens :
en Italie est le Padus, qui traverse le pays des Celtes ,
forme l'ile historique du Rhéno et se jette à Patavium
dans l’Adriatique ; on trouve de même en Élide le
Bady, en Colchide le Bathys , dans la Batanée , qu'ar
rose le Jourdain, Béthanie , où baptisait saint Jean ,
aux bouches de l'Oxus les Bateni, aux bouches de
l'Euphrate le Badis , aux bouches de l'Indus la Pata
lène qui en forme le Delta , aux bouches du Gange les
Padæi d'Hérodote ; et jusqu'en Corée, la marée qui
remonte le cours des fleuves se dit Pata 3 ; or , cet
ensemble de noms n'a rien de phénicien .

1 Badt, bain , bain sacré, baptême, fleuve baptismal.


2 THÉVET, 21-5. Cosmographie universelle.
3 BOCHART . Phaleg.
4 SIEBOLD . Voyage au Japon , t . V.
SCANDINAVIE ET IBÉRIE 101

Toutefois , le Bætis ayant ses embouchures dispo


sées autrement que celles du Rhin , les noms des trois
fleuves celtiques n'ont pu qu'imparfaitement s'y
adapter ; l'on n'y trouve point le nom de Rhin, mais
le mot Riña, qui, dans la langue ibérique, signifie
débat , est resté , comme souvenir de la contestation
ordalique tranchée par le grand fleuve ? ; les Massieni ,
selon Avienus , habitaient la ville de Gadès , où ils rap
pellent la Meuse ; l'Escaut se retrouve , par son nom de
Schelde , dans les Celtes de ce canton .
Le nom de Oued -el-kébir, que les populations ont
conservé au Boetis, désigne , comme ce dernier, les
Vertus purifiantes du fleuve; Wade, Water, Vadum ,
sont des mots occidentaux qui signifient eau cou
rante ”; Kébir dérive de Kipour, qui est le terme dont
3
se servent encore les Hébreux 3 dans leurs expiations;
ainsi fut appelé Cavare le peuple qui, aux bouches du
Rhône , servait aux orgies des Phocéens ; ainsi , les
mystères expiateurs des Thraces avaient lieu sur les
bords du Kebrus, qui traversait la Moesie ; ainsi encore,
jusqu'au fond de l'Inde , les Vischnouïtes se baignent
chaque matin dans les eaux saintes du Cavery.
Oued-el-kébir signifie donc fleuve expiateur, et les
Cabires, si fameux dans les anciens mystères , ne sont
autres que ceux qui avaient puisé dans ses eaux une

I Voy. thèses IIIe et XIII .


? Vadere, aller, dérive de là.
3 Kiberon, insulé par la haute mer, Cabarne, prêtre purificateur de
Cérés , dérivent dụ même mot.
102 NEUVIÈME THESE

i seconde naissance . L'interprétation vulgaire veut que


le Oued-el-kébir ait été ainsi nommé par les Arabes
à cause de sa grandeur, Kébir signifiant grand, dans
la langue de ces peuples; mais d'abord, le Tage eût
mieux mérité ce nom que le Bætis ; et ce qui achève
de montrer que le mot Kebir appliqué à un fleuve
n'a pas le sens qu'on lui donne, c'est qu'en Syrie, dans
le voisinage du grand fleuve Oronte, il s'en trouve deux
plus petits mais fameux dans les anciens mystères
et qui portent ce nom ; l'un , simple ruisseau , est le
Nahr -el-kébir, où se célébraient les éleuthéries ; l'autre
est le Jourdain, appelé également Schériat-el -kebir.
Aux bouches du Betis était la ville de Gadès, qui
étendait son éclat sur tous ces parages et sa célébrité
dans le monde entier. Elle tire son nom du celtique
Gat, qui désignait dans l'ancienne religion l'embou
chure des fleuves sacrés ; ainsi , les Gaut du Gange
sont les seuls endroits de la rive où les ablutions soient
valables ; ainsi encore , le Gat de l'Oxus a fait donner
aux Aryas ?, qui y célébraient leur culte, le nom de
Massagètes ; on appelle également Gat : le goulet par
lequel la Vistule * orientale se rend à la mer, traversant
*

1 Les trois fleuves celtiques avaient sept embouchures ; c'est pour


quoi les Cabires sont au nombre de trois, selon quelques -uns, et au
nombre de sept, selon Sanchoniaton.
2 Ils ont laissé leur nom au lac Aral ; le mot Massagetes dérive de
Maes-gat, comme je le dis ailleurs .
3 Le mot gat a souvent été traduit par des équivalents ; gad en
hébreu signifie fortune; à l'embouchure du Tibre était, à Antium, le
temple de la fortune.
We elen , Cangiare, Veranderen , Heylen , qui tous signifient
changer, ont fait Weichsel, Gange, Véranda, Hélion.
SCANDINAVIE ET IBÉRIE 103

un sol qui fourmille d'antiquités religieuses ; or, si nous


nous reportons aux bouches de l'Escaut , c'est encore
là que nous retrouverons et l'origine de ce mot, et ses
mystères. Le delta de ce fleuve forme deux îles que
le Hont, son embouchure moyenne, sépare en se jetant
à la mer ; l'une , à droite, est celle de Walcheren et , par
conséquent, des Houris ; le nom de Gat's anthe , donné
à l'autre, montre que l'on y célébrait les florales.. Ce
mot de Gat passa donc avec les Houris des bouches
du Hont à celles du Boetis, et les bayadères ? de Gadès,
devenues fameuses chez les Romains , en reçurent le
nom de Gaditanæ , lequel se transformant peu à peu en
Gaëtanæ , devint finalement Gitanos, ainsi que nous
appelons aujourd'hui ces derniers vestiges des anciens
mystères .
On voit donc que si nous voulons trouver des preuves
plus frappantes de l'origine celtique des peuples et des
institutions du Boetis, c'est dans les mystères qu'il faut
les chercher.
La région de Gadès est pleine des souvenirs d'Her
cule ; c'est là qu'il sépara l'Europe de l'Afrique, en
écartant les deux rochers qui portent son nom ; on l'y
adorait dans le temple :3 le plus ancien , le plus somp

Vulgairement Cadsant. En grec, anthos, fleur, florales; de là fut


nommé Anthesterion le mois où tombe le commencement de Mai,
époque des florales.
? Les Walkyries du Nord et les Gaditana du Midi ne différaient
donc point.
3 Le dieu de ce temple était appelé Melcarth par les Ibères et Her .
cule tyrien par les Grecs . Annibal y vint prier avant d'entreprendre
son expédition contre Rome.
104 NEUVIÈME THÈSE

tueux de l'antiquité ; mais surtout ces parages étaient


célèbres par son combat contre Géryon. Hésiode , bien
avant l'origine de l'histoire, décrit cet événement et
nomme Érythie l’île où il se passa ; aussi , chaque fois
que les Grecs conduisent Hercule à quelque aventure ,
c'est de là qu'ils le font partir. Hérodote raconte que
le héros, après sa victoire , alla chez les Amazones et
qu'il y devint père des trois grandes nations scythiques .
Selon Diodore de Sicile ' , quand il eut défait Géryon,
il vint dans la Celtique et là, pendant qu'il bâtissait la
ville d'Alise, il s'éprit de la fille du roi et de leur union
naquit Galatès ; d'autres prétendent, avec Parthenius ?,
qu'en quittant l'ile d'Érythie, il se rendit chez Bretanus ,
épousa sa fille Celtine et la rendit mère de Celtus .
Comme on le voit, c'est à Gadès que les anciens en
reviennent toujours quand il s'agit des fables d'Her
cule ; mais est-ce bien là que ces fables ont pris nais
sance ? Et les Ibères eux-mêmes ne les ont-ils point em
pruntées d'ailleurs ? Examinons cette dernière question .
Géryon 3 était fils de l'océanide Calirrhoë, et possé
i Liv. V.
2 Ce passage se trouve dans la préface du Recueil des historiens des
Gaules, par Dom BOUQUET.
3 Gier, guira , en celtique et en garanis, désigne le plus redoutable des
oiseaux de proie ; et à ce titre ce mot fut appliqué au flux qui remonte,
en grondant, le cours des fleuves. Pline et Claudien appellent Gir un
fleuve de Mauritanie :
... Et Gir notissimus amnis
Æthiopum ...
Calirrhoë signifie, en grec, beau fleuve. Les boufs dans les mystères
désignent le reflux, par la confusion de vacca , vaccus avec back qui
signifie à reculons. Quant au genre de l'animal :
Vacca sit an taurus non est dignoscere promptum .
OVIDE .
SCANDINAVIE ET IBÉRIE 105

1
dait des boufs qui avaient la faculté de marcher en
1
arrière; Hercule, l'ayant vaincu , les lui enleva. Il est
1
facile de reconnaître dans ces mots purement océani
1
ques le phénomène double de la marée qui remonte le
cours d'un fleuve et du fleuve qui la fait rétrograder ;
ce qui peut s'appliquer à l'embouchure du Bætis .
Mais, dit Hésiode ?, Géryon avait trois têtes ? et un
chien défendait ses abords . Ces nouveaux détails nous
reportent bien loin de Gadès , et nous ramènent encore
au sein du pays celtique ; ces trois têtes , nous les
retrouvons dans les trois embouchures de l'Escaut, et
l'une d'elles, la moyenne, est celle du Hont , c'est -à - dire
du chien . Là, les anciens connaissent un camp d'Her
cule, que Julien fit réparer 3 ; là surtout fut trouvée,
aux bords mêmes du Hontº, la statue du héros , sur
laquelle on lit en toutes lettres son nom : HERCULI
MAGUSANO ;; le dauphin qu'elle porte d'une main désigne
un fleuve, et le trident qu'elle tient de l'autre , marque
ses trois embouchures . Or, en remontant aux légendes
des anciens peuples qui nous ont été transmises par les
Grecs, nous reconnaîtrons sans peine que ce qu'ils
appelaient Hercule n'était qu'une idole hiérogly
Hésiode dit : Tricarenos. Théog., 287 .
? D'autres disent que le domaine de Géryon était gardé par un
dragon à sept têtes; ce qui rappelle les sept bouches des fleuves cel
tiques ; l'Escaut en a trois, la Meuse deux, le Rhin deux.
3 Ammien Marcellin nomme Castra Herculis une des sept places que
Julien fit réparer dans le pays des Bataves.
• En 1514. DE GRAVE. République des champs Élysées, t. I.
5 Nous verrons plus loin, thèse XIIe, que cette même figure est le
Siva des poèmes sanscrits.
106 NEUVIÈME THÈSE

phique , représentant le cours de ce même fleuve et son


éternel triomphe sur le flux de l'Océan .
Voici comment ils figuraient ce mythe : Hercule
naquit à Thèbes, en Béotie . Le tonnerre se fit
.

entendre à sa naissance. - Jeune encore , il mit en


pièces un amphisbène envoyé pour le dévorer. - Il
portait sur le bras gauche une peau de lion , et tenait
de la droite une massue . Il combattit l'Hydre de
Lerne. — Il prit le sanglier d'Érymanthe. — Il étrangla
-

le géant Anthée. — Il s'égara dans la Mysie, en pour


-

suivant le jeune Hylas. — Il descendit aux enfers pour


en retirer Thésée . Il enleva la ceinture de la reine
des Amazones . Il lutta contre Acheloüs pour Déia
nire. - Il se brûla sur un bûcher. Il fut enfin
transporté au séjour des bienheureux , où il épousa
Hébé. - Descendons maintenant le cours de l'Escaut
.

et nous y retrouverons la même suite .


Thèbes n'est autre que Tabuda, qui est, selon Pto
lémée , l'ancien nom de l'Escaut ; la Béotie et ses
Amphictyons rappellent le pays des Bataves et ses
Ambacten 1
L'Escaut naissant rencontre bientôt une ile autour
de laquelle se forma Tournai. Le nom de cette ville est
Doornik ?, c'est-à-dire , ile de Thorn ; or, Thorn, dans

| Ampt, magistrature ; acht, vénérable. De ces deux mots se forma


ampt-achten , les vénérables de la magistrature, que les Celtes écri
vent ambacten et les Grecs Amphictyon ; et par là on désignait le
corps des magistrats chargés de juger les contestations entre les
métiers de leur ressort. Baedt a formé Batave et Béotie.
Thorn -aeghe, lle de Thorn . Darsy. Dictionnaire flamand .
SCANDINAVIE ET IBÉRIE 107

la langue des Runes et Taran, dans celle des Gaulois ,


signifie tonnerre .
L'amphisbène était vénéré des peuples de ces can
tons, et dans la tombe célèbre de Childéric, retrouvée ,
il y a deux siècles, sur les bords de l'Escaut, était un
amphisbène en bronze.
En descendant le fleuve, on trouve sur sa gauche
la Lys et sur sa droite le Rupel. La Lys se dit en cel
tique Leie , et , par confusion de mots , le lion , Leeuw ,
a toujours été le symbole de la Flandre ? ; déjà César
donnait à ses habitants le nom de Leuaci et , comme le
même auteur place aux sources de la Lys un lieu
célèbre appelé Nemetacum ?, nous avons dans ces deux
mots l'explication du lion de Némée . Quant au Rupel ,
son nom passa chez les Grecs , dans toute sa crudité ,
et ils appellent Ropalon la massue d'Hercule ; ce terme,
entièrement étranger à leur langue, nous fait connaître
par ses racines celtiques pourquoi ce choix d'une
massue pour figurer un fleuve ;; Roh signifie brut ,
Pael signifie bâton, d'où Roh - pael désigne un bâton
noueux, la massue d'Hercule.
La Lys se joignait à l'Escaut par sept branches
marécageuses; près de la dernière se trouve encore
aujourd'hui Loerne, qui donna autrefois son nom à cette
hydre aux sept têtes dont parlent les légendes grec
ques : Loerne, dit Pausanias , est séparée du marais
? Le sceau de Robert le Frison, bien antérieurement aux croisades,
était un lion .
? Nemetacum n'est point Arras, qui est appelée Rigiacum dans
Ptolémée.
3 Voy. Encycl, méthod , antig.
108 NEUVIÈME THÈSE

par un bois consacré à Cérès; le bois subsiste toujours,


il est entre Lærne et l'Escaut, et même il s'appelle
encore Nonnen -bosch , le bois de Cérès.
La première bouche de l'Escaut que l'on rencontre
est le Zwin ; or , Zvoin désigne un sanglier. Le nom
d'Érymanthe qu'on lui donne dérive de Jar-mundº,
mot fréquent dans ces parages, pour désigner une
embouchure de fleuve. Ce sanglier était envoyé par
Diane ; c'est-à-dire que , sous l'influence de l'attrac
3
tion lunaire , le flux remontait le Zwin et arrivait mou
rant jusqu'à l'Escaut , d'où il était repoussé dans la mer .
En suivant la série des légendes, nous arrivons à
Anthée ; en suivant le cours du fleuve, nous arrivons à
Antwerp, que nous prononçons Anvers . Anthée , roi
d'Irasa, était un géant qui , s'étant proposé d'élever un
temple avec des crânes humains , étranglait tous ceux
qui passaient aux bords de son domaine ; Hercule , fils
d'Amphi-truon, le saisissant, le jeta par terre, mais
inutilement ; il le souleva alors et l'étouffa en le serrant
à la gorge de ses deux mains . Passons maintenant à
Ant-werp . Là était un géant que l'on dit enterré sous
le vieux monument appelé Het Ruys 5 ; s'étant posté au
1 Bois des Nonnes, des vierges consacrées à Cérés. Je vois dans
saint Jérôme : Nonna, mère ; or Cérés est appelée De Meter.
2 Yar -mouth en Angleterre ; Yar-mund en Flandre.
3 Le flux et le sanglier se confondent dans les mystères . Bore,
boar, flux et sanglier en anglais; de même yeor en phénicien, yaro en
ibérique, signifient flux et sanglier .
Voy. tout ce détail et tous ces noms dans GUICHARDIN. Description
des Pays -Bas, article Anvers .
5 Het Ruys, le géant. Chaque année la procession du géant Anti
gone rappelle aux Anversois le souvenir de ce mythe.
SCANDINAVIE ET IBÉRIE 109

lieu qui se nomme le Crane , il y tyrannisait ceux qui


passaient par là ; ce monstre , qu'on appelait Druon,
coupait et jetait dans le fleuve les mains de ses vic
times. On voit qu'il existe une légère variante entre ces
deux récits également basés sur l'interprétation du
mot Ant-werp ; Werpen signifie jeter ; dans l'un , c'est
une main, Hand, que l'on jette ; dans l'autre, c'est
Anthée
Un bras écarté de l'Escaut va rejoindre la Meuse ,
c'est -à -dire le fleuve connu des poëtes sous le nom de
Hélion, d'où la légende suivante : Hylas s'égara dans
la Mysie, en allant puiser de l'eau; Hercule, quittant
ses compagnons, courut le rechercher en l'appelant à
haute voix :

. . Ut littus, Hyla, Hyla, omne sonaret.


Ce bras de l'Escaut que je viens de citer rejoint le
Hont par le canal que l'on appelle Hell-gat ”, chemin
de l'enfer, et qui commence à Campé 3. En effet, Her
cule, selon la légende, descendant aux enfers, trouva
d'abord Campé, qui en garde les abords pour empêcher
les Titans * de sortir; puis il attaqua le Chien , c'est -à
dire le Hont, et ramena des enfers Thésée , laissant
Pirithoüs assis sur une pierre 5. Mais un incident inat
Anthée signifie fleurs, florales; on verra plus loin la liaison qui
existe entre les florales et ces géants promenés en procession .
2
Voy.tous ces noms dans le vieil atlas de Fischer.
* L'abbé Banier, qui a expliqué toute la mythologie grecque , déclare
ne rien
por compre r. à ce Campe queles
tes de l'enfendre anciens placent toujours aux
4 Tidt , flux .
5 Pier , pierre , tronçon de colonne. Dict . angl.
110 NEUVIÈME THÈSE

tendu signala cette aventure ; Hercule, si l'on en croit


Servius , était descendu aux enfers portant sur la tête
une couronne de peuplier ; au sortir du sombre abîme,
le dessus des feuilles s'était noirci , de sorte que , depuis
ce jour, le peuplier, naturellement celui de Hollande,
possède seul l'étrange particularité d'avoir ses feuilles
blanches par dessous et brunes par dessus .
Après ces événements , Hercule va chez les Ama
zones , où il fait prisonnière Antiope ' , et prend la cein
ture de Ménalipe; de son côté , le Hont passe entre les
îles Cadsant et Walcheren , dont les noms annoncent
respectivement des florales et des houris, c'est -à -dire
les mystères des Amazones.
Nous arrivons maintenant à l'embouchure fluctuante
de l'Escaut. Les anciens qui la nommaient Schel ? la
figurèrent ainsi . Le fleuve Achéloüs , disent-ils , entra
en lutte avec Hercule, au sujet de Déianire; Hercule
repoussa son adversaire qui , se changeant en taureau,
lui laissa une corne . Déianire est une corruption de
Diane-haer, la vierge Diane , la Lune , dont l'influence
attractive fait remonter la marée océanique contre le
cours du fleuve ; le taureau , comme nous l'avons
expliqué , désigne le reflux ; il se dit Vaccus , et un
| Anthos, florales, hof, jardin ; d'où Antiope désigne la terre des
florales, le Gat's anthe . Minne, amante, liebe, chérie ; d'où le mot
grec Ménalipe pour désigner les houris de l'ile Walcheren .
? L'Escaut est appelé Tabuda pour le grand nombre d'urnes ciné
raires sur lesquelles il roule et qui l'ont rendu Tabidus, comme on
disait à Rome, Tabou , commeon dit en Océanie ; il est appelé Schel
dans la partie fluctuante de son cours , et la cloche qui imite le balan
cement de ses eaux fut appelée du même nom dans les mystères,
comme on le verra plus loin.
SCANDINAVIE ET IBÉRIE 111

Aeuve qui recule se dit Bach ; quant à la corne d'abon


dance, sa forme évasée figure une embouchure de
fleuve, son nom , Rhytion' , marque le mouvement océa
nique de son courant. Au reste, toute cette interpré
tation est confirmée par les nombreuses statues de
Déianire retrouvées aux bouches du Hont ; elles por
tent le nom de Nehal Ennia ?, ce qui fit dire aux Grecs
qu'Enée était son père ; dans plusieurs de ces images,
elle tient à la main une corne d'abondance 3.
Le fleuve, avant de finir, passe près d’Asciburgium “ ,
où étaient déposées pour les florales les cendres des
morts ; Hercule aussi , pour terminer son existence
mortelle, se brûla lui-même . Il est remarquable que
chez les Celtes du Boetis , comme chez les Scaldes du
Nord, on rencontre sur ce mythe la même croyance ;
les premiers appellent Weta le lieu où Hercule monta
sur le bûcher, les autres racontent que Wodan réduisit
lui-même son corps en cendre et vint habiter le palais
d'Asgard 5. La légende de ces deux héros a son point
1 Rauda en ibérique, Roth en zend , désigne le double courant aux
bouches d'un fleuve océanique. Rothomagus vient de là ; l'Erytheia de
Géryon n'a pas d'autre origine; le Rhodanus tire figurativement son
nom du même mot ; mais ce terme fut souvent confondu avec rood qui
signifie rouge; ce qui fit appeler mer Rouge le goulet de plusieurs
golles où se manifeste le mouvement du flux et du reflux , comme le
Bab -el-Mandeb , l'Ormus .
· Voy. DE GRAVE. République des champs Élysées, t. I.
3 Id ., ibid ., t . Jer, p. 264 .
* Asch d'où Asciburgum , le bourg des cendres ; comme ce lieu sacré
était au centre des populations, asch en vint aussi, comme nous l'avons
dit, à signifier centre.
5 Asgard est synonyme d'Asbourg, d'Asciburgium , d'Asgartha (chez
les Indiens), de Middlebourg.
112 NEUVIÈME THÈSE

de départ à l'embouchure du Hont ; là, au milieu des


eaux, on retrouva ' leur commune idole , portant le
nom de Wodan ?
Enfin , au delà des bouches de l'Escaut, au sein même
de l'Océan , lorsqu'il arrive qu'un fort vent d'est, se joi
gnant au reflux , chasse la mer loin du rivage , les habi
tants vont voir sur la grève , mise à nu , une forêt de
pieux fichés en terre et qui supportaient une antique
cité , des jardins suspendus , l'île des Hespérides 3 ; ils
retrouvent parmi ces ruines des objets de tous genres ,
mais surtout des statues portant l'inscription : HERCULI
MAGUSANO ET HAVÆ4. Hercule , en effet, transporté au
céleste séjour, y reçut Hébé pour son éternelle com
pagne .
Tel est le mythe d'Hercule ; quant à ses douze tra
vaux et aux contes de tous genres qui ont été imaginés
sur ses attributs , ils ne pourraient être compris qu'à
l'aide des mystères , dont nous donnerons une idée dans
les thèses suivantes .

On voit par tout ce qui précède que les mêmes peu

1 Des antiquaires de Middlebourg m'ont dit avoir vu plusieurs de ces


statues portant le nom de Wodan .
2 Wodan est Odin ; c'est Mercure (Wednes- day est le même mot
que mercre -di). C'est Boudha , qui naquit à Kapila- Wistou , c'est - à -dire
à West-kapel , dans l'ile Walcheren , où ces statues ont été trouvées .
( Lalita Vistara .)
3 Près de cette cité dans l'ile de Walcheren , on voit, dit Guichardin ,
un jardin délicieux qui s'appelle encore West-hoven , ce qui est exac
tement : jardin des Hespérides ; il a toujours appartenu à l'abbaye de
Middlebourg.
4 Je n'ai pas besoin de dire que notre V est remplacé par le ß chez
les Grecs . DE GRAVE. République des champs Élysées, t. I, p . 262 .
SCANDINAVIE ET IBÉRIE 113

ples, appelés Celtes en Ibérie et Scaldes dans la


Baltique, ne forment qu'une seule famille et tirent éga
lement leur nom de l'ile Scaldia . Nous allons maintenant
suivre leurs émigrations vers les contrées orientales,
où nous les retrouverons sous un troisième nom , celui
de Chaldéens.

8
DIXIÈME THÈSE

ÉMIGRATIONS DES CELTES EN THRACE ET ORIGINE DES


MYSTÈRES.

Les Celtes, tenant sous leur main , du nord au midi ,


les plus riches mines de fer, étaient non-seulement
armés contre toute insulte du dehors, mais pouvaient
même disposer en maîtres des autres contrées ; aussi,
aux premières lueurs de l'histoire , les trouvons-nous
déjà en pleine voie d'émigration vers les régions orien
tales. Leurs mouvements , quoique commencés dans
l'obscurité des temps primitifs, ne sauraient échapper
à nos investigations ; en effet, avançant de colonie en
colonie, indéfiniment, ils ont dû laisser dans chacune
d'elles des souvenirs de leur passage, et si nous sui
vons leur piste, nous arrivons des bouches du Rhin
aux extrémités de l'Orient.
Sur cette longue route, la première station où nous
les voyons établis est le pays de Cologne ; là, en effet,
on trouve Asbourg, Batava castra et tout un groupe de
noms qui ne se rencontrent qu'aux bouches de la Meuse.
Les Ubiens habitaient cette contrée. Ce peuple , répandu
MYSTÈRES DE THRACE 115

sur le cours du Rhin, était ainsi nommé de Uben ”,


discipliner, et, par conséquent, nese distinguait point des
Germains et des Gaulois entre lesquels il était placé. Le
pays que nous appelons Germanie tire son nom indi
gène de Tucht, discipline, et se nomme en conséquence
Tucht-land ; la Gaule était le pays des Druides, et Der
widt signifie discipliné ?. Chez les Ubiens, en effet, on
voyait ces mêmes monuments druidiques qui caracté
risent les deux contrées voisines, et surtout ce fameux
dolmen , bien connu de l'histoire sous le nom de Ara
Ubiorum .
En
avançant plus loin , nous rencontrons le Noricum ;
son nom primitif Neu -rick, nouveau royaume, montre
que c'est une colonie ; son nom plus récent Ost-rich 3,
royaume de l'Est, montre que cette colonie vient de
l'Occident; c'est pourquoi nous y retrouvons le Sabus ,
Batava castra , Namare, les Belgites et d'autres appel
lations de source évidemment moséenne .
La Thrace vient ensuite avec ses mystères établis
par Orphée et qui ont, dit -on , civilisé la Grèce. Impor
tés des bords de la Meuse , ils donnèrent le nom du
fleuve sacré à toute cette région qui se nomme Moesie
en Europe et Mysie au delà du détroit. Ce détroit est
Nousverrons ailleurs sur la même racine les Ubisci ou Druides de
l'Aquitai
tiquaien ne,
t
les Wabena ou Ubieni qui, dans l'Amérique du Nord , pra
la vi régulièr
e e.
1.Derwidt, discipline. The imperial Dictionary César donc traduit
littéralement ce mot lorsque,parlantdes Bretons,. il dit : aLe druidisme
vient
Dr avidde chez eux : Disciplina apud eos reperta. Derwidt, Derviche ,
as sont un même mot .
3 Autriche .
116 DIXIÈME THÈSE

appelé Hellespont, Bosphore , et ces mots , ridiculement


interprétés par les Grecs , n'ont de sens raisonnable
que dans la langue des Celtes . Hellespont ? est une
déformation de Heil's pond , fleuve du Hélion. Quant
au Bosphore de Thrace , Buyse , Ford , Dracht, le
tractus des Latins , sont tous mots de nos contrées qui
signifient détroit.
Le reste du pays offre de même une série de noms
dont l'origine celtique est à peine déguisée :
Rhyndacus . . . . . Le Rhin .
Morena . . . . Morini .
Bryges . O .
Bruges .
Mattiaci . . Mattiaci .
Margus . Merghen .
Lilous . . . Lillo .
Hebrus Eburones .
Nervii . . Nervii.
Sassones , près du Chalusus . Saxones , près du Schal.
>

Chatto . . . Catto .
Pitane sur l'Evenus . Piéton sur l'Yve.
Uscudama . . . Schiedam.
Germeni . Germani .
Choana . . Schouwen .
Valachia . . . Valcheren .
Patavium . . . . Batave .
Balcan .. . .
Belgium.
Britannica regio . . Britannia .

i Gat, nom du détroit, fut confondu avec Geyte, chèvre; et les Grecs
ont appelé ce détroit Aigos potamos, fleuve de la chèvre.
MYSTÈRES DE THRACE 117

Abrettana.. . . Britones .
Tenedos . Tanet .
Rhodope . . . .
Rutupiæ .
Tomes . . . Tamise .
Granique. . . . Greenwich .
Scepsis, près du Granique. Scheppy, près de Green
wich .
Syebi . . . . Suevi .
Roches cuanées . .
Coünos , nom de Tanet ,
dans Ptol.

Si maintenant, passant à la théorie des mystères , nous


essayons de soulever le voile qui les couvre, nous y
reconnaîtrons de même une image de la région celtique
d'où ils sont venus . Donnons-en d'abord une idée géné
rale.

Origine des mystères.

Le berceau des anciennes religions est aux bouches


de la Meuse, au centre de l'antique pays des Celtes ;
c'est de là qu'elles se propagèrent dans les autres
régions.
Quand les émigrants allaient fonder au loin des
colonies, leur premier soin était de choisir un lieu qui ,
par sa nature, reproduisît autant que possible la mère
patrie; mais trois fleuves, sept embouchures, douze
iles, un flux et reflux étaient des conditions trop com
plexes pour qu'on pût espérer jamais les trouver réu
nies dans une autre contrée ; on prenait dans les dispo
sitions locales ce qui s'offrait et on achevait de simuler
118 DIXIÈME THÈSE

l'établissement de la nouvelle église par des tracés


artificiels et des symboles portant sacramentellement
les noms mêmes des objets figurés; cette partie factice
du culte devait être nécessairement exercée par des
hommes, mais ces hommes , par la consécration sacer
dotale , furent identifiés avec les agents naturels qu'ils
remplaçaient et considérés comme produisant les mêmes
effets .
De tous ces agents , le plus puissant, le plus mer
veilleux, celui où la présence des dieux se manifestait
par les indices les plus marqués , était le flux de l'Océan,
dont les eaux , poussées comme par une main invi
sible , remontaient le cours des fleuves, puis reculaient,
établissant ainsi une forme de lutte entre deux élé
ments , dont l'un venant d'une source pure était l'em
blème de la vie et l'autre imprégné de sel était le sym
bole de la stérilité et de la mort . Quand le développe
ment de l'homme en vint à sentir que l'âme aussi peut
avoir ses souillures et à comprendre qu'un agent surna
turel peut seul les effacer, on demanda au fétiche caché
dans les flots cette purification , cette renaissance
morale .
Tel est le baptême primitif ; mais quand les popula
tions , quittant les bords de l'Océan , arrivèrent dans des
contrées où les fleuves versent leurs eaux dans des
mers sans flux, un homme déifié représenta le dieu
océanique, et, placé aux bouches des fleuves, levait arti

1 Le culte, né de l'idée d'une vie future, est antérieur à cette


époque, comme on le verra plus loin .
MYSTÈRES DE THRACE 119

ficiellement l'eau baptismale, et ce flux factice avait les


mêmes vertus purifiantes que le flux naturel de l'Océan .
Plus tard encore , lorsque ces ablutions durent se faire
loin des embouchures des fleuves, le même ministre
prenait pour épancher l'eau figurative une coquille
marine ? , toujours pour conserver l'identité du baptême
océanique.
L'embouchure oscillante des fleuves atlantiques ser
vait encore à révéler aux hommes la connaissance de
l'avenir et la volonté des dieux ; on crut voir leur appro
bation ou leur désaveu dans le flux ou le reflux de la
mer. Une question étant proposée, on abandonnait à la
marée un objet flottant; s'il s'arrêtait au rivage, le dieu
répondait : Qui ; s'il était repoussé dans la mer, le dieu
répondait : Non.
Les modernes ont retrouvé sur différents points du
globe des souvenirs de cette pratique ; ainsi , dans les
Guyanes, on voit souvent arriver aux bouches des
fleuves : une mère éplorée qui vient consulter le dieu
pour son enfant malade ; elle place sur l'eau une corbeille
pleine de fruits de toute espèce que la marée emporte
dans l'intérieur des terres; si ces présents sont déposés
par le flot sur la rive, ils sont acceptés du dieu et portés
religieusement aux prêtres Caraïbes 4;mais s'ils revien
? En grec, Prochoè signifie flux et aiguière.
2
Voyage à Surinam. BENOIT .
3 Les noms de ces fleuves rappellent les mystères celtiques ; le
Maroni, Paramaribo (sur le Surinam), l'Oyapok montrent à nu les
racines Maer , Bahr, Ebbe , Beck (Oya-Pek , wei-beck , sainte ri
vière).
> >

* Keeren, purifier ; Ebbe, reflux ; d'où Caraïbe.


120 DIXIÈME THÈSE

nent au point de départ, le dieu les a repoussés et la


malheureuse mère voit dans ce refus un présage funeste
pour son enfant.
Cette divination naturelle dut également être rem
placée, dans les contrées éloignées de l'Océan, par des
procédés artificiels et forma une autre branche du
ministère sacerdotal, la consultation augurale des
dieux. On suivit pour cela différents systèmes.
Ainsi, pour figurer le balancement du fleuve à son
embouchure, on façonna des idoles à têtes 1à mobiles,
déclarées par la consécration identiques avec le fleuve
primitif, et les oscillations ? de ces têtes , comptées , par
exemple, en nombres pair ou impair 3, servaient à 9

découvrir les choses cachées ; le mot Neusis “, qui


désigne en grec ce mouvement de tête , fit nommer
l'idole Dionysos, que les auteurs latins ont traduit par
Bacchus. Par une autre méthode, considérant que le
flux présente l'image de deux courants qui se repous
sent, on faisait battre deux animaux sacrés , mais lut
teurs, et surtout deux coqs , deux taureaux , deux
béliers ; on avait soin de les placer dans la direction
du flux et du reflux , c'est- à -dire de l'ouest à l'est, et
l'on augurait comme si l'on était aux bouches d'un fleuve
atlantique. Le plus souvent et surtout chez les Ger
1 Dans un fleuve, la tête est toujours l'embouchure.
2 En latin Oscillo ; ce mot auquel on ajoutait Ebbe faisait Esculape ,
dont les oscillations servaient surtout à guérir.
3 Numero deus impare gavdet. Le fleuve primitif avait rendu sacrés
les nombres un , trois, sept.
4 Le premier chant de l'Iliade appelle Neusis le mouvement appro
bateur de Jupiter consulté par Téthys. ( Tidt, flux.)
MYSTÈRES DE THRACE 121

mains et les Perses, le cheval seul tenait lieu de deux


animaux ; cet animal marchant en avant , ruant en
arrière, parut une image naturelle du flux et du reflux;
et,conformément à ce que nous avons dit plus haut ,
on l'appelait Nizéen ' , comme nous l'apprend Hérodote .
Afin de maintenir l'identité sacramentelle, l'animal figu
ratif prit le nom du phénomène dont il était le sym
bole; c'est pour cela que le même mot Mare ?, qui
signifie mer, désigne aussi la jument consacrée aux
présages ; Kavel, divination, fut de même l'origine du
mot cavale 3; Ebbe, flux, a été transformé par les
Grecs en Hippos , cheval, et là-dessus ils nous content
qu'à l'origine d'Athènes, Neptune et Pallas, voulant
tirer l'horoscope de la nouvelle ville , firent paraître
sur le rivage l’un un cheval, l'autre un olivier ; ce
cheval est Ebbe “, Hippos ; l'olivier est le Hélion ” ,
Elaion ; ce qui nous apprend qu'on avait figuré sur
l'Ilissus, qui passe à Athènes, le mystère atlantique du
flux et du reflux.
Ces principes se sont répandus dans le monde entier;
ainsi, en Moesie coulait le Srymon ; son nom dérive évi
demment de Stream , qui , dans la région de la Meuse ,
? Du mot Neusis .
? De maer, jument, et schalk, devin, on fit Maerschalk, maréchal .
3 Le mot Cabale vient aussi de là.
* On voit dans l'ancien monde Olis-ippo, Bel-ippo, Ippo-regius ; on
voitdans le nouveau monde Paramar-ybo, Maraca - ybo , Mescha's-ebbe ;
on voit de même chez les Grecs l'Euripe, les légendes d'Hippolyte, de
l'Hippocrène, etc. Rac. Ebbe.
5 Les attributs de Minerve sont une hampe (Hille) , un olivier ( Oil) ,
une chouette (Huyl), un casque (Helm) ; son protégé dans les poëmes
homériques est Ulysse ( Heil) .
122 DIXIÈME THÈSE

signifie flux et reflux ; lorsque Xerxés, dit Hérodote ",


arriva à son embouchure, les mages s'arrêtèrent pour
immoler des chevaux. En Chine, l'ancien alphabet ? de
soixante-quatre lettres sert, comme on sait, à la pro
nostication ; un dieu marin, disent les légendes du
pays, remontant le fleuve Jaune , l'apporta sur son
dos 3 et le déposa à terre; or, cet étre mystérieux por
tait un nom qui le rattache à toutes les légendes que
nous avons mentionnées plus haut ; il se nommait
Loung -Mâ, serpent-cheval * .
C'est ainsi que chaque peuple eut sa façon de se
passer du flux océanique , soit pour les opérations
sacramentelles que je viens de décrire, soit en général
pour tout autre du même genre.
Les noms que portèrent ces premiers prêtres rappel
lent toujours l'origine atlantique de leur ministère;
ainsi Pontifex vient de Pond5, mer , et Vegen , purifier;
les Phéaciens d'Homère , les Faycas des îles Canaries ,
les ministres de Baal-Veger chez les Moabites, le
1 Hérod ., liv. VII.
2 Ce sont ces caractères qu'on trouve dans les almanachs chinois ,
qui ont, comme les nôtres , des pronostics. Ce mot même d’Almanach ne
vient point des Arabes d'Espagne ; on le trouve dans Eusébe , qui écrit
Almenikiaca ; Saumaise le croit persan.
3 C'est la légende d'Oannės, de Cécrops, de Dagon , d'Atergatis, des
mermaids saxonnes. Back, qui signifie dos , signifie aussi fleuve océa
nique et rétrogradant.
4 Ce serpent est l'amphisbene qui marche en avant et en arrière.
Må, cheval en chinois, signifie eau en arabe ; de là vient le latin Meare,
couler et le quichua Mayu, fleuve. La Magdalena est appelée Amaril
mayu , serpent- fleuve. GARCIL. Histoire des Incas.
5 Pour tous les mots celtiques de cet ouvrage, voyez les diction
naires se rapprochant de la langue zélandaise .
MYSTÈRES DE THRACE 123

· Veachi, prêtre purificateur dans la Nouvelle-Zélande,


n'ont pas d'autre origine; le pontife mongol s'appelle
Lama, mot qui signifie également mer dans la langue
de ce peuple ; le pontife des Caraïbes est Mair-monan ".
Le mot hébreu Yeor ?, que l'on traduit par fleuve,
signifie spécialement son embouchure oscillante; d'un
autre côté, le mot ibérique Jarro désigne un vase à
une anse servant pour le baptême factice ; on voit donc
que ce vase et cette embouchure ayant un même nom
sont mystiquement une même chose et que cette racine
a pu former chez les Grecs le mot Iereus, prêtre.
Il en est de même de toutes les autres fonctions du
ministère sacerdotal, de celle, par exemple, qui a pour
objet la divination .
Ainsi, chez les Celtes , on appelle Ebbe le flux et le
reflux ; on fit de ce mot Eubages “,“ désignant par là
ceux des Druides qui employaient ce moyen pour con
naître la volonté des dieux . Dans les autres contrées
où le flux n'existe pas, les prêtres tiraient leurs noms
des emblèmes divinatoires qui le figuraient; ainsi, les
mots Calx en latin , Kalki- en sanscrit , désignent la
ruade du cheval ; de là le nom celtique Schalk , qui
i Voy. Thévet. Cosmogr. univers.
? Jar-mouth, Jari-moth, Jar-dan ont cette racine.
3 Bochart et d'autres ont montré les relations de l'hébreu, de l'ibé
rique, du phénicien. QUINTANA , Dict. espagnol.
* La lune, maen , forme le flux ; de là les Eubages dans d'autres pays
sont appelés Mannus , Minos , Manou , Ménès.
Vischnou chez les Brames doit s'incarner un jour et devenir le
cheval Kalki ; il brisera alors le monde d'un coup de pied ; de là ses
prêtres sont appelés Gozaïm , du mot ibérique Coz, ruade de cheval,
reflux. QUINTANA. Dict. espagnol.
1
124 DIXIÈME THÈSE

signifie devin dans la langue des Celtes et que les .

poëmes homériques écrivent Calchas. Ceux qui se ser


vaient de têtes oscillantes , surtout pour guérir des
maladies, furent nommés Thérapeutes, du mot Théra
phim ? , qui se rencontre souvent dans les livres des
Hébreux et d'où les Grecs ont fait Therapeuô , guérir ;
ce sont ces mêmes figures que d'autres peuples ont
appelées Talismans ?, c'est-à -dire hommes parlants.
Quant aux augures des Romains et des Grecs, ils
opéraient comme il suit : assis sur leur chaise augu
rale et tournés vers le nord ?, ils traçaient avec leur
crosse * un cercle dans le ciel ,, et selon que le premier
oiseau qui traversait cette ligne allait vers l'orient dans
la direction du flux ou vers l'occident dans le sens du
reflux, le destin était favorable ou contraire 5.
On voit par ce peu d'exemples que tant de noms dif
férents donnés aux prêtres des anciennes religions
n'ont qu'une même origine et que cette origine est cel
tique .
Les mystères avaient pour objet la réformation de
l'homme ; ils le prenaient brut, et, le travaillant à neuf,
s'attachaient à retrancher de son coeur jusqu'aux der
nières fibres de la vie sensuelle, à lui enlever sa pre
mière âme ; et quand ils en avaient fait un cadavre , ils

1 Rac. Teer, goudron . Ces figures étaient goudronnées. These XIVe.


2 Tael, parole ; man , homme. De man, les Grecs firent Máveis.
3 Les anciens augures étaient tournés vers le nord ; plus tard, par
un autre système , ils se tournèrent vers l'orient.
- Lituus, crosse. Voy. thèses IXe et Xe.
5 Geier en celtique, agur en hébreu , guira en garanis, sont la racine
du mot augure et signifient Vautour.
MYSTÈRES DE THRACE 125

lui inspiraient un souffle créateur qui lui rendait une


seconde vie ? . Les hommes qui avaient subi cette mue
formaient une génération mystique, une famille de
frères qui, nés d'une mère commune , anéantis dans sa
volonté , ne vivant plus que de son âme, lui apparte
naient de tout leur être ; aussi ne se présentaient-ils
jamais devant la grande déesse sans étre parés d'un
signe de dépendance . Le siége de cette puissante trans
formatrice était aux bouches du Hélion ; désignée sous
l'emblème de Nehal Ennia ?, sa fécondité mystique était
figurée par les fleurs et les fruits qui remplissaient son
giron ; autour d'elle étaient ses enfants dévoués , les
Druides , portant comme marque de servitude un collier
d'or, qui était, selon Strabon 3, leur principal attribut .
Quand les émigrations celtiques propagèrent au loin
cette religion, les colonies fondées relevaient toujours
de l'Église originaire ; elles en faisaient une statue hié
roglyphique, et l'hommage rendu à cette déité figura
tive s'adressait à la primitive et véritable Sion . Cette
image se composait de symboles exprimant les opéra
tions virtuelles de Nehal Ennia ; ainsi , Cybèle, aux
apparences d'imminente maternité, rappelait sa fécon

Dans les Dionysies, Iacchus, le nouveau fidèle, est nommé Bimater;


de même que les poésies sanscrites parlant des Brames les nomment
les deux fois nés, Dwitja. Dans le même sens, Circė appelle Ulysse
deux fois mort.
? Sa statue a été découverte en 1647 dans l'ile de Walcheren ; nous
la retrouverons avec Homère, sous un autre nom, celui de Circé,
Kirke, et nous comprendrons ce que nos pères appelaient le giron de
l'Église.
3 Strabon, liv. 4.
126 DIXIÈME THÈSE

dité mystique ; la Lune, qui pare le front d'Isis, de


Diane, de Méni , ou qui était sous leurs pieds, marquait
>

le mouvement purificateur des flots que soulève cet


astre ; les cloches qui paraissent dans les mystères, la
roue de la Fortune , la balance de Thémis , l'escarpolette
d'Erigone ' , figuraient par leur libration l'embouchure
>

oscillante des trois fleuves celtiques .


Dans l'ile baltique de Codanusia, pour exprimer le
cours océanique du fleuve Hélion , on portait en pro
cession la déesse Herta ?, et à son retour on la baignait
9

dans un lac qui représentait l'Océan ; on faisait de


même à Rome pour la statue de Cybèle , que les Galles
promenaient et plongeaient ensuite dans l'Almon 3. Ces
figures ambulantes, pour mieux représenter le va -et
vient du flux , s'avançaient d'elles -mêmes, puis s'arrê
taient, de sorte qu'il fallait retourner en arrière. Un
fait dont j'ai été témoin oculaire, dit Lucien ", c'est que,
dans les processions de la déesse Syrienne, la statue
portée sur les épaules des prêtres s'élevait tout à coup en
l'air et avançait sans étre soutenue.
Les images de ces déesses ne différaient point de
Nehal Ennia ; et , comme cette dernière, elles avaient

1 La fête de l'escarpolette se pratique encore dans les temples des


Brames. Cette fête chez les Grecs s'appelait Aiðrai ; pour désigner la
mer, on plaçait à côté de l'escai polette une chienne appelée Mæra.
Cette fête est supprimée depuis longtemps dans nos temples ; mais nos
traditions ont conservé des vestiges du croissant, des trois coups de
cloche , de la roue , de la balance .
2 TACITE. Germania. Dans l'ile de Rügen, en Pomeranie.
3 Al maen , la lune, la marée lunaire.
4 De Dea Syrå .
MYSTÈRES DE THRACE 127

leurs fidèles dévoués ; ainsi, Herta était l'idole des


Suèves et jamais, dit Tacite, aucun homme ne parut
en sa présence , nisi vinculo ligatus, sans porter le col
lier de l'ordre ; c'est dans le même sens que d'autres
lui donnaient le nom de Diane, qui dérive de Dienen,
servir, qui désigne la déesse dont on était l'esclave ?
Les mystères des anciens, antérieurs à l'art d'écrire,
étaient représentés par des jeux, des figures mimiques .
A chaque fête, des troupes spécialement exercées retra
çaient ainsi dramatiquement le sujet qui rassemblait
les croyants ; ces bandes héréditaires se transmettaient
fidèlement de génération en génération le rite sacra
mentel de ces représentations ; mais, plus tard, quand
les mystères passèrent du delta des fleuves dans des
temples de marbre et que la religion se spiritualisant
sentit que, pour approcher des dieux, il fallait des minis
tres purs et choisis , ces troupes négligées se dissipè
rent peu à peu, mais elles n'ont jamais entièrement
disparu. Les scènes religieuses dont elles avaient établi
l'usage dans la foule formaient la principale partie du
culte des anciens. Quand le moine Augustin ? vint
apporter dans nos contrées la religion du Christ, il
échoua contre la ténacité de ces usages ; le pape Gré

goire le Grand lui écrivit une lettre que Bède nous a


conservée et qui l'autorise à laisser à ces peuples leurs

Meisse signifie jeune fille. La déesse Herta fut appelée Hertameisse


par les peuples de la Méditerranée qui écrivaient Artémise. Mais
comme Hert signifie cerf, on donna à Diane cet animal pour emblème.
2 Vers l'an 600. Gildas et Bede sont les deux plus anciens historiens
de l'Angleterre.
128 DIXIÈME THÈSE

fêtes dramatiques et même leurs repas dans les églises ;


les fêtes des fous, des ânes au moyen âge étaient des
vestiges de ces anciennes jongleries. Quant aux jon
gleurs eux-mêmes , voyons ce qu'ils sont devenus .
Les mystères étant nés dans l'île Scaldia, aux bou
ches de la Meuse, durent de même , en se répandant
ailleurs , chercher les deltas des fleuves; les jongleurs y
établirent leurs jeux symboliques , et quand cette forme
antique de religion tomba en désuétude , ils se disper
sèrent, mais sans quitter entièrement le voisinage de
leur ancien séjour.
Or, il est parmi nous une race antique et mystérieuse
d'hommes qui nous ressemblent assez par la physiono
mie et dont l'origine est inconnue ; ils sont quelquefois
errants , mais plus souvent ils se rencontrent à l'embou
chure des grands fleuves. En France, on ne les aa guère
vus que par bandes voyageuses, et comme ils exerçaient
leurs opérations magiques au moyen du tambour, qui
se dit en langue celtique Bom ", le peuple leur a donné
le nom peu altéré de Bohémiens . Dans l'Inde, on les
appelle Zangani , du mot ibérique Zanganear, qui
signifie errer. Aux bouches du Danube étaient les
Zigaunes , nettement nommés et placés là par Hérodote
et Apollonius de Rhodes ; leurs mystères se célébraient
à Histropolis , ce qui les fit appeler Histrions par les
Tyrrhènes, tandis que les populations danubiennes,
1 DARSy. Dict. fam . Les Taphiens dérivent de tof, tambour ; les
Maragatos, de Maraca qui a le même sens. Mentès , roi des Taphiens,
prédit le retour d'Ulysse ; les Maragatos d'Espagne ont toujours le
tambour basque .
MYSTÈRES DE THRACE 129

même encore aujourd'hui, ne les connaissent que sous


le nom de Zigaunes ', que leur donnent les deux auteurs
grecs. Aux bouches du Boetis sont les Gitanos , et la
ville où ils célébraient leurs jeux , Spel, en prit le nom
d'Hispalis. Aux bouches du Rhône étaient, pour les
florales de Marseille, les Gypsies ; ce qu'ignoraient les
Latins en nous contant la fable de Gyptis. Aux bouches
de l'Oder étaient les Suèves , et parmi eux Tacite ’ appelle
Semnones ceux qui pratiquaient le culte de Herta ; or,
ces Semnones se retrouvent par toute l'Asie sous le
nom de Schamanes ; en certains cantons 3, on les sur >

nomme Boyès ; et , en effet, comme les Boïens de l'em


>

bouchure de la Garonne ”, ils ont un tambour basque ,


guérissent, prédisent l'avenir ; et s'ils adorent le Soleil ,
c'est qu'ils n'ont point oublié le primitif Hélion , d'où sont
sortis tous les mystères.
Au temps de Martial et de Pline , les Gitanos étaient

Le Sicanes , dit Thucydide, viennent du fleuve Sicanos en Espagne.


A Babylone, on appelait Zogane l'homme qui , dans les fêtes nommées
Sacées, était sanctifié, placé sur un trône, puis mis à mort. Le Guèze,
chez les Muiscas d'Amérique, était de même immolé à Sogamozo .
Pour représenter cette fête expiatrice, les histrions étaient 13 ; le sort
désignait le treizième qui servait de victime , et ses douze compagnons
(Gesell) procédaient sur lui à la cérémonie sanglante. Le mot Easter
désigne encore chez les Saxons la fête de Pâques.
2 Germania,

3 Chez les Tongouses, rappelant par leur nom les Tongres du


Hélion ; une prophétesse tongrienne, tongria virgo, prédit à Dioclétien
qu'il serait empereur.
Boïens de Bohio , tente, en ibérique .
5 Près de la Garonne et de son mascaret, appelés dans les livres
sanscrits Varuna et Makara, étaient les Boii, les Ubisci , les Médoaci ,
c'est- à -dire les Boyès, les Druides, les Médes.
9
130 DIXIÈME THÈSE

déjà fameux à Rome par leurs danses ; au temps d'Hé


rodote, il y a plus de deux mille ans, les Zigaunes du
Danube étaient connus des Grecs ; ce n'est donc point
Tamerlan qui , comme l'ont prétendu des modernes, a
refoulé de l'Inde dans notre Europe ces races errantes;
elles ne sont donc point appelées bohémiennes pour étre
passées par la Bohême en arrivant en France ; elles
sont les restes des anciens bateleurs chargés de jouer
les mystères.
Avant la période que nous venons de décrire, il exis
tait une religion ancienne, brute dans ses moeurs, n'ad
mettant d'autre expiation que celle du sang . Les mys
tères , bien loin de l'abolir, la conservèrent tout entière,
mais en représentant par des symboles équivalents tout
ce qu'elle avait d'inacceptable ; il naquit de là une
science nouvelle, le mysticisme , qui consistait à con
server le sens de ces mythes et à savoir à quel point de
l'antique religion ils se rapportaient. Les Hiérophantes,
les Rabbins , les Rapsodes , les Riphous ' perdirent
avec le temps la tradition de ces figures ; il fallut les
rechercher par la science , et c'est aujourd'hui l'oeuvre
des docteurs dans toutes les religions et la nôtre dans
cet ouvrage .

Mystères des Thraces.

En exposant la théorie précédente , nous avons décrit


les mystères de Thrace. Les colonies celtiques établies
dans cette contrée y avaient transporté l'image du
1 Les Riplous sont les rabbins des Védas dans l'Inde.
MYSTÈRES DE THRACE 131

Hélion avec ses noms , ses emblèmes , tous ses acces


soires ; quand par la suite des temps on eut perdu le
sens de ces détails , on les interpréta, et les mille
légendes imaginées sur ce sujet forment ce que les
;
anciens nous apprennent de la religion de ces peuples.
Elle se résume tout entière dans le culte de Bacchus.
Le mot celtique pour signifier rivière est Bach ' , et
comme ce même mot signifie également à reculons, on
voit que le fleuve dont il s'agit offre à son embouchure
le phénomène du va -et -vient de la marée ; Bacchus est
donc le fleuve purificateur, le Nehal Ennia ? des
Thraces.
Les Grecs nous disent qu'il fut enfermé dans la cuisse
de Jupiter ; ils ont joué sur le mot marée qui , prononcé
१ en grec méros, veut dire cuisse . Le Hélion a deux
cornes, on donna deux cornes à Bacchus comme à tous
les fleuves . Jeune, il fut mis dans un coffre de bois ,
dans un bac 3, et abandonné aux flots qui le transpor
tèrent en Laconie; le mot Lacus , loch “, ne désigne point
>

l'eau tranquille d'un lac, mais l'estuaire oscillant d'un


Heuve atlantique . Il fut nourri par les Hyades, ráões;
altération insensible du mot Wade, qui signifie rivière .
Il mit en pièces un serpent amphisbène ; l'amphisbène " ,
Bach , rivière , en celtique et en zend ; à reculons, en anglais. Les
Latins en ont pris vacillare, et les Grecs Inn , appliqué aux fontaines
sacrées .
2 Nehal, fleuve, en hébreu ; ein , un , primitif.
3 Bac, coffre . Darsy . Dict. flam . PERNETTY . Fables égyptiennes.
* Luctari vient de là, ainsi que le sanscrit Loka , qui signifie flux . On
Ferra plus loin Loka Varuna. Thèse XVIII.
$
Voy. PERNETTY. Fables égyptiennes , liv . 3, ch. XIV. See, ebbe, qui
signitient marée en celtique, ont formé zia en chinois-japonais, et hebi
132 DIXIÈME THESE

l'écrevisse, le cheval sont dans les mystères les princi


paux emblèmes du flux et du reflux ; dans le tombeau
de Childéric, retrouvé à Tournai dans ces derniers
temps , était un amphisbène . Sollicité par Rhéia , il
combattit les Titans ; Re est la rivière , Tidt est le flux
qui la refoule à son embouchure . Il s'avança jusque
dans l'Inde ' ; Einde signifie fin , Hind 2? signifie en
arrière ; le dieu victorieux , à la fin de sa course, avait
donc entièrement repoussé les Titans , le flot montant
de la mer .
Il n'est aucun des contes imaginés sur Bacchus qui
ne procède de quelque abus du même genre . Pour
défendre les dieux , il se changea en lion et attaqua les
agresseurs , horribili mala 3, dit Horace ; en effet, Back
signifie mâchoire. Ses Bacchantes sont souvent appe
lées Monades, nom qu'elles tirent de Maen qui , signi
fiant Lune , désigne mystiquement la marée lunaire ;
le Thyrse , au contraire, vient de Te erse “, l'arrière,
c'est-à-dire le recul des eaux . Orphée, dans son hymne
à Bacchus , va jusqu'à nous donner le nom du fleuve
en japonais, ces deux mots ifiant serpent. Souvent on donnait à
ce serpent sept tétes, pour figurer les sept embouchures du fleuve pri
mitif ; les Grecs alors l'appelaient Hydre, Udor, en grec, Water, en cel
tique, signifiant eau .
1 Bacchus , Osiris vont dans l'Inde ; ces deux dieux sont un même
mythe ; la plante flottante appelée Lotus que tient ce dernier montre
qu'il s'agit d'un fleuve.
2 Hinder, en allemand, behind, en anglais , signifient en arrière.
3 Mala, mâchoire. Back , mâchoire. Darsy. Dict. flam .
• Contracté en t'erse, terse . De la dérivent Dorsum , chez les Latins,
Tarsis qui , chez les Phéniciens, désigne la mer d'arrière, l'Atlan
tique.
MYSTÈRES DE TARACE 133

que ce dieu représente en le comparant au soleil ,


Hélion, et en l'appelant Misès , la Meuse .
Ces mystères sont donc identiques avec ceux de la
Meuse ; il y avait donc en Thrace ,comme aux bouches
de ce fleuve, toute une famille de fidèles qu'un même lien
attachait à une commune divinité . Le nom de Bendis
que l'on donne à cette image, à cette fille de Nehal
Ennia, dérivant de binden , lier, marque l'esclavage
volontaire des peuples voués à son culte et a laissé à
leurs descendants les noms de Serves , d'Esclavons .
On sait que le nom d'Orphée se mêle aux mystères
de Thrace. Tout ce que nous venons de voir roule sur
le mot Bach ; toutes les légendes d'Orphée forment une
série parallèle sur le mot Hélion . Ainsi Orphée, iden
tifié avec le fleuve, était, dit-on , fils du Soleil , parce que
Hélion, nom de la Meuse, est aussi celui du soleil , en
>

grec ; il descend aux enfers, ce qui provient de ce que le


mot llel signifie aussi enfer et qu'un des bras du fleuve,
celui qui mène dans la région des Houris , porte même
le nom de Hel -gat ?; son nom se trouve mêlé dans les
légendes à celui d'un héros nommé Sabas , comme dans
la réalité le Hélion reçoit la rivière appelée Sabus > ;
enfin, Orphée a chanté Apollon, dieu du soleil , et les
Muses, et ce souvenir que le temps a respecté peut se
voir encore au lieu même où la Sambre et la Meuse

Silène est Séléné , la lune ; l'âne est Borraga , confondu avec Bore ,
flux ; le lierre, Hiest (Darsy) figura l’Hister ; l'Hèbre fut transformé
en Ebrius, ivre ; ainsi du reste .
2 Chemin de l'enfer. Le Hel-gat mène à l'ile Walcheren.
3 La Sambre. Voy. thèse IXe.
134 DIXIÈME THÈSE

mêlent leurs eaux ; c'est un monument druidique


formé de neuf dolmens rangés en cercle autour d'un
autre plus grand et paraissant figurer dans le style
des temps primitifs Apollon au milieu des neuf sceurs.

Populations modernes de la Thrace.

Après les Grecs vinrent les populations modernes


qui , continuant à dénaturer les institutions de leurs
aïeux, multiplièrent les incohérences, de sorte que l'on
peut encore, mais avec peine, distinguer dans leurs
traditions quelques reflets des mystères d'autrefois . Les
Serves ' , qui sont les habitants de l'ancienne Moesie,
continuent toujours à chanter le fleuve primitif et
sous son nom de Meuse , et sous celui de Hélion . Ils
racontent que leurs aïeux, partis de régions lointaines,
eurent pour guide une souris qui coupait les monta
gnes, pontait les rivières et les établit finalement dans
le pays qu'ils occupent ; or, maus signifie souris en cel
tique , en latin , en grec. Leurs poésies, parfois sublimes ,
reviennent continuellement sur la rivalité de Mousa et
Marco, deux héros fameux dans les anciens temps, et
vous voyez aux détails de ces combats qu'ils veulent
décrire la lutte des eaux de la Meuse contre le flot
montant de la mer” . Le grand saint, la divinité tuté
laire , le palladium de la nation est Hélie , dont le nom ,
au premier abord , semble être religieusement pris des
souvenirs bibliques; mais on sent bientôt, en parcourant
1 Voy. Poésies serbes, par Mme ELISE VOYArt.
2 Maerke , diminutif de Maer , d'où Marco.
MYSTÈRES DE TURACE 135

les poésies serbes , qu'il s'agit toujours du fleuve Hélion ,


et l'on en est encore plus convaincu quand on lit dans
Métaphraste, l'historiographe byzantin , que le saint
hermite Sabas se noya chez les Goths dans le fleuve
Musæus ; traduction légendaire de cette phrase : la
Sambre a son embouchure dans la Meuse.
Enfin, les Thraces, depuis les temps les plus
reculés jusqu'à nous , ont toujours vénéré la même
déité, le Hélion ; et leur inféodation à son culte était
exprimée par le mythe de Bendis ?; leurs chefs , dans la >

suite des siècles, admettant savamment tous les sys


tèmes religieux, se sont faits tour à tour Ariens , Catho
liques, Grecs , mais la foule resta dans ses anciennes
habitudes, et c'est par des concessions réciproques
qu'elle se laissa imposer des croyances étrangères .
Ainsi nous pouvons remarquer que plus nous avan
çons vers les régions orientales , plus sont nombreux
dans les masses populaires les vestiges restés des
institutions d'autrefois . Chez les Thraces, au seuil de
l'Asie, nous avons pu démêler, dans les nouvelles
croyances, des lambeaux de la foi primitive apportés
par les anciens Celtes ; si , franchissant cette barrière,
nous continuons de suivre leur marche civilisatrice ,
nous pourrons retrouver dans cette Asie qui ne change
point les éléments peu altérés de la religion de nos
pères ; c'est ainsi que nous arriverons avec eux sur les

1
Sabus, Sambre. Gat, embouchure, est confo avec Goth .
? Binden , lier ; dienen, servir ; d'où on voit que Bendis et Diane sont
un même mythe.
136 DIXIÈME THÈSE

bords de l'Euphrate et du Tigre , d'où ils ont propagé


à toutes les extrémités leurs institutions, et où , pour
nous conformer au style des Grecs , nous les appellerons
Chaldéens.
ONZIÈME THÈSE

ÉMIGRATIONS DES CELTES OU KALDÉENS DANS


L'ASIE CENTRALE.

Hérodote est le plus ancien auteur qui nomme à la


fois les Celtes et les Chaldéens; il trouva les uns au
fond de l'Europe et les autres au fond de l'Asie. Igno
rant la liaison qui existait entre des peuples aussi éloi
gnés, il ne se préoccupa point de l'altération que la
distance et le temps avaient dû apporter à ces noms ;
il les écrivit comme il crut les entendre prononcer :
Keltai, Khaldaioi; et les deux nations restèrent ainsi
désignées dans tous les auteurs qui vinrent après lui ;
de sorte que les Celtes de l'Ibérie , les Scaldes de la
Baltique , les Chaldéens ? de l'Asie centrale , quoique
formant une même famille, sont traités dans le cours de
l'histoire comme peuples entièrement distincts d'origine
et de nom .
En suivant la marche de ces peuples vers l'Orient ,
nous sommes arrivés des bouches du Rhin au Bosphore
de Thrace; là, le nom de Celtes expire et fait place à
>

Aucun de ces trois noms ne se rencontre dans la Bible.


138 ONZIÈME THÈSE

celui de Galates ; plus loin , sur les bords de l'Euphrate


et du Tigre , ces derniers sont de nouveau appelés
Chaldéens ; mais, sous cette dénomination , ils occupent
deux contrées entièrement distinctes : l'une aux bouches
de ces deux fleuves dans le voisinage de Babylone,
l'autre à leur source dans la région arménienne. Héro
dote est le seul qui trouve des Chaldéens sur l’Euphrate
inférieur; Xénophon , Strabon , Constantin Porphyro
génète sont unanimes pour placer ces peuples sur le
cours supérieur de ce fleuve. Quoi qu'il en soit, la civi
lisation qu'ils déposèrent au centre de l'Asie y germa
et propagea ses racines à toutes les extrémités de
l'Orient . Assurons ces principes par quelques études de
détail.

Celto -Galates .

Si le nom de Galatie n'est resté qu'à la partie cen


trale de l'Asie Mineure, gardons-nous de croire que les
émigrations celtiques n'aient occupé que ce petit canton;
elles ont rempli toute la Péninsule , et les provinces
maritimes, quoique désignées dans les populations par
d'autres noms , ne laissent pas d'être galatiques ; leurs
institutions , leurs légendes, leur déesse patronale sont
les mêmes que chez les Galates , chez les Thraces, chez
les peuples des bouches du Rhin ; leurs mystères se
résument tous dans le symbole d'une même déité qui
revient à Cybèle, patronne des Galates, à Bendis , à
Nehal Ennia. Si cette personnification de l'Église pri
mitive s'appelle Diane à Éphèse , Cérés à Milet , Mábog
CHALDÉENS 139

en Syrie, Anaïtis à Comane, Méni dans le Pont , Nana


chez les Élymiotes, Isis en Égypte, Sémiramis à Baby
lone, Mama-Koïa à Cusco , c'est que chaque nation a
désigné son idole par celui de ses attributs qu'elle a
le plus remarqué?; mais, sous des noms différents,
ces attributs sont les mêmes dans toutes les déesses ;
c'est toujours la fécondité mystique , les ablutions
fluminales , la divination , la servitude volontaire ou
tout autre élément constitutif des mystères atlantiques.
Nous devons donc nous attendre à trouver chez les
Celto -Galates les mêmes mythes que nous avons déjà
étudiés chez les Celtes de la Thrace.
La fécondité mystique de Cybèle? est désignée par
les symboles de maternité qui la distinguent.
Son pouvoir baptismal et purificateur se trahit par
les légendes mêmes qui ont été imaginées sur elle . Son
nom mystique est Rhéia® ; elle repoussa l'attaque des
Titans, prit Ménos pour son pontife et s'enfuit chez
Janus ; or, Rhéia est une rivière ; Tidt qui signifie flux,
c'est- à -dire la marée remontant contre le cours du
fleuve, nous donne l'explication de ces prétendues
guerres que les Titans firent aux dieux ; Ménos est
sans altération maen , la lune ; Janus à deux visages
marque le flot avançant et reculant. Pour comprendre
ce dernier mythe, il faut savoir qu'aux bouches des
| Ces noms appartiennent à différentes langues et sont difficiles à
interpreter ; on voit pourtant dans Méni la déesse lune, dans Mà la
déesse mère, etc.
? Kuh, vache ; bele, fée, déesse. Darsy. Dict. flam .
3
Apollonius de Rhodes , décrivant les mystères de l'Asie Mineure,
appelle toujours la déesse Rhéia ou Méni .
140 ONZIÈME THÈSE

trois fleuves celtiques , l'ordalie se faisait non-seule


1
ment pour le berceau des enfants ' suspects , mais
encore pour la bière des guerriers dont le courage était
contesté . Le brave victorieux de l'épreuve était déposé
par le flux même dans la crypte du temple , et là au prin
temps se faisaient les orgies qui devaient le rappeler
à la résurrection sadducéenne ; celui , au contraire , que
le reflux entraînait dans l'abîme était considéré comme
lâche et gémissait sous les eaux. Dans les contrées où
il n'y a point de flux, on figura de différentes manières
ce jeu de la nature . Par exemple , à l'entrée du temple,
était le char qui portait la relique du mort ; on le tirait
en avant et en arrière et , sur ce flux factice, la victoire
se décidait comme aux bouches des fleuves. A Rome,
le temple de Janus ? servait ainsi à décider de la valeur
dans les combats ; c'est pourquoi on ne l'ouvrait qu'en
temps de guerre . Généralement, on employait des
chevaux sacrés pour cette épreuve ; mais , chez les Bir
mans , ce sont des prêtres qui s'attellent au char ; et
pour mieux se reporter aux bouches du Rhin , ils sont
eux-mêmes appelés Rahan .
La servitude volontaire doit se retrouver chez les
Galates, comme parmi les Thraces et les Druides . En
effet, ces peuples, en émigrant des Gaules vers l'Orient,
avaient eu des luttes à soutenir sur leur passage, spé
cialement contre les habitants de l'Italie ; or, le plus
grand triomphe qui pût illustrer les soldats de Rome,
1 Voy. thèse lle. L'ordalie pour la bière des morts se faisait aux
bouches du Hont où se trouve l'ile des Valkyries.
2 On a trouvé des figures de Janus chez les peuples de la Baltique.
CHALDÉENS 141

c'était d'enlever à un Gaulois le collier qui le vouait à


la grande déesse , et le surnom de Torquatus 1 était la
récompense accordée au héros qui avait obtenu ce
succès . La déesse des Galates , dans ce cas , portait le
nom de Mater idea ; ce qui se rapporte au serment
que lui prêtaient ses féaux sur le dolmen ; Eedt signifie
serment et Mito ? pierre noire .
Les temples de Cybèle avaient aussi leursjongleurs
que l'on appelait Corybantes. Koor , qui commence ce
mot, désigne l'enceinte où se faisaient les florales ; ce
temple rudimentaire, transformé suivant les progrès de
la civilisation , devint le choeur de nos églises ; quant à
l'autre mot Band , il signifie confrérie ; les Corybantes
étaient donc la troupe chargée de jouer les mystères ;
trois ? de ces danseurs , distingués par des emblèmes
particuliers, avaient pour fonction de figurer dans les
ballets le cours des trois fleuves, et cette cérémonie se
retrouve fort peu altérée sur tous les points du globe ;
les trois bayadères indiennes qui figurent le Notch ,
les trois laonas * qui , dans les mystères des Caraïbes ,
décrivent leurs gracieuses danses , sont les derniers sou
venirs des Corybantes de Cybèle .
· Torques, collier en latin.
2
Voy. thèse Ville. Apollonius de Rhodes , décrivant les mystères de
Cybèle dans l'Asie Mineure, signale la pierre noire qu'il appelle melas
lithos . A Hierapolis , on l'appelait Helio -Kepel, pyramide du Hélion . En
jurant sur cette pierre, on jurait donc par le Hélion, le fleuve sacré du
Soleil .
3 C'est de la que plusieurs ont avancé qu'il n'y avait que trois cory
bantes.
* Théret, qui parle de ces danseuses du nouveau m
monde, les appelle
laonas , Ioniennes . Cosmographie universelle.
142 ONZIEME THÈSE

L'origine atlantique de la religion des Galates ne


saurait être douteuse ; ces peuples venaient de la
Gaule , ils avaient donc apporté avec eux leur culte ;
c'est pourquoi de plus longs détails sur cette question
seraient superflus.

Des mythes orientaux .

Plus nous nous écartons du pays celtique , plus nous


remarquons la tendance des peuples à figurer avec
exactitude, à diviniser le fleuve primitif des mystères .
Voyons quelques -uns des symboles qu'ils ont employés.
Les anciens savaient , comme nous , que c'est la lune
qui soulève deux fois par jour les flots de l'Océan et
leur fait remonter le cours des fleuves ; aussi , dans tous
les mystères, la déesse représentative du baptême atlan
tique porte -t-elle dans son nom ou ses emblèmes un
souvenir figuratif de cet astre . C'est de la lune , Maen ,
que parle le prophète quand il reproche aux Hébreux
d'adorer Méni , la reine du ciel; dans les mystères, on
lui donnait le surnom de Titanis ?, déesse du flux; les
idoles à tête mobile qui, comme nous l'avons dit , figu
raient la marée lunaire, en furent appelés Manitous ?.
La figure de cet astre fut aussi prise pour servir d'em
blème aux déesses; le croissant? fut placé sur la tête
1 Apollonius de Rhodes. Argon, liv. III , 55. Tidt, flux.
2 C'est pourquoi les Américains distinguaient deux divinités de ce
nom ; elles étaient opposées et s'appelaient l'une Kitchi Manitou,
l'autre Watchi Manitou ; le flux et le reflux .
3 En celtique, le croissant se dit Wassende ; or Waschen signifie
croitre et laver ,> la lune étant la cau première de cette purification
naturelle .
CHALDÉENS 143

de Diane , d'Isis, de Méni , et quelquefois sous leurs


pieds; la lune, dans son plein, orna l'égide de Minerve.
Plus souvent , on figura à la fois par une image com
plexe le flux et le reflux. Tel est le mythe d’Apollon et
Diane dans le temple d'Éphèse . Ces jumeaux sont en
deux personnes ce que Janus est en une seule . Apollon
couronné de rayons est le Hélion , fleuve du soleil ;
Diane parée du croissant est la marée lunaire ; la mère
qu'on leur donne ne laisse aucun doute à ce sujet; elle
s'appelle Latona, c'est- à -dire Ledona ' , mot ibérique
qui signifie flux et reflux; mais Apollon est fils de
Jupiter qui, dans Homère, Hésiode et tous les vieux
poëtes, est appelé le dieu des fleuves, et Diane est fille
de Méon, lequel n'est autre que la lune, en celtique
Maen . On ajoute qu'ils naquirent à Délos, que cette ile
était d'abord flottante, mais que Neptune la fixa d'un
coup de son trident ; en effet, nous avons vu qu'aux
bouches des fleuves celtiques se pratiquait la grande
épreuve, Oor -deel ; là elle se faisait sur une embou
chure flottante; mais , transportée dans la Méditerranée;
elle dut se faire nécessairement sur une eau fixe et
sans flux ; du mot Deel on fit Délos ,mais , pour marquer
9

un souvenir plus explicite du Rhin, on donna mystique


ment le nom de Rhéné au canal qui sépare Délos de

| Dictionnaire espagnol.
? Oor, grand ; deel, jugement . Le mot français Ordalie vient de lå.
Le mot allemand est Urtheil.
3 Comme le jugement à Délos était factice, des juges remplaçaient le
dieu du fleuve ; le mot kritès, juge, fit dire que des Crétois desservaient
le temple d'Apollon.
144 ONZIÈME THÈSE

l'île voisine ' . Chez d'autres peuples , les deux jumeaux


sont éternellement en lutte ; tels sont, chez les Perses ?,
Oro-maez et Ahri-maen , qui se repoussent tour à tour
et nous révèlent par leur nom tout le mystère de leur
origine . A Carthage , ce même mythe était représenté
par deux seurs jumelles , Dido et Anna , le flux Tidt
et le fleuve Ennia .
Le fleuve primitif avait un triple cours , on employa
pour le désigner des figures à triple forme. Ainsi
Diane seule , sans Apollon , représenta souvent les trois
fleuves, ce qui la fit appeler Ilithye, c'est- à -dire déesse
du Hélion . Comme elle retrace l'action lunaire , c'est le
flot montant qui est décrit dans ses emblèmes ; c'est
pourquoi on place à sa gauche un rennes et à sa
droite un chien ; et dans ce mythe il est facile de recon
naître le flux du Hélion ayant à gauche et à droite le
Rhin et le Hont. La déesse est souvent aussi repré
sentée avec trois têtes d'animaux qui tous figurent le
flux ; ce sont le cheval , le sanglier , le chien *.
Dans le temple syrien de Mâ-bog, les trois fleuves
étaient figurés par trois statues formant un groupe et
dont les emblèmes s'interprètent sans peine ; ainsi celle
du milieu correspondant au Hélion avait une colombe

i L'ile en prit elle-même le nom de Rhéné.


2 Les Perses avaient aussi un souvenir plus marqué du Rhin dans
leur grande divinité Aka -Rana.
3 Le renne ayant disparu fut remplacé par le cerf hert, d'où Herta,
Herta meisse, Artémise, c'est-à-dire Diane; le chien en celtique se dit
hont .
4 Hippos, cheval , Boar, sanglier, Hont, chien , sont homologues de
Ebbe, Bore, Unda , qui signifient flux .
.
CHALDÉENS 145

sur la tête, comme le fleuve forme à son embouchure


l'ile de la Colombe , Duve -land ".
Aux bouches du Nil , pour figurer la triade celtique ,
on a employé, comme en Syrie, trois idoles : Hamon -re,
Mouth, Chonts 2. Hamon-re est le Rhin ; en effet, Re
signifie rivière, et quant au dieu Hamon, nous voyons
dans Hérodote qu'aux jours de fête on le revêtait d'une
peau de bélier, et dans les sculptures égyptiennes nous
le retrouvons encore aujourd'hui représenté sous la
figure de cet animal; or, le celtique Hamel, comme le
grec Amnos, signifie bélier , et une peau de bélier se
dit Rheno 3 ; ce qui explique pourquoi, dans les
anciens cultes , le grand pontife figurant le baptême
du Rhin portait une toison “ . Mouth est la Meuse.
Chonts est le Hont", le bras moyen de l'Escaut.
Comme le Nil n'a point de flux, pour figurer cette
partie fondamentale des mystères , on fit une idole
com posée d'un corps humain et d'une tête d'ibis , l'un
représentant le flux Tidt, l'autre le reflux Ebbe , et réu
nissant ces deux mots dans une seule locution , on
nom ma l'idole Thot Ibiocéphale® ; mais pour rappeler
| Dure, colombe .
: Voy. l'Egypte. Champollion .
3 Voy. César, Salluste, tous les lexiques .
• On appelait Rhénophoreus le prêtre de Bacchus. A Séville, le Péla
qui représente, dans la procession de la Fête-Dieu, l'ancien prêtre
Jean , le Janus du temple de Cordoue, est toujours revêtu d'une peau
de bélier.
5 Ce Hont est le type d’Anubis , de Cerbère dont les trois têtes figu
rent les trois bouches de l'Escaut .
6 Le Thot des Égyptiens est les Teutatės des Gaulois. Les Grecs
traduisaient Thot par Hermès, Mercure, et, en effet, selon César, Mer
care était la grande divinité des Gaules .
10
146 ONZIÈME THÈSE

que la montée des eaux se fait dans trois fleuves, on le


surnomma Trismégiste ; en outre, la déesse du système
primitif était Nehal , la colonie égyptienne appela son
fleuve Nil ' et , pour compléter le symbolisme , lui donna
sept embouchures ? .
Quant aux noms mêmes des trois fleuves sacrés , on
les retrouve, mais violemment appliqués au Nil qui ne
s'y prêtait d'aucune manière; ainsi une de ses branches
3
rappelait le Rhin par son nom de Rhinocura ' qui ex
prime en langage purement celtique l'ordalie du fleuve
primitif ; sur un autre bras était Héliopolis “ , la ville
du Soleil , la ville du Hélion ; le Schelde se recon
naît dans le nom de Keltès qui fut aussi donné au
fleuve5.
La colonie celtique , qui apporta avec elle toutes ces
traditions , a laissé dans l'histoire quelques traces qui
1 Niel est resté dans notre blason pour signifier une croix ansée .
Cette croix se retrouve également dans les tombeaux égyptiens,
accompagnant l'image de la lune. Ce symbole dans les ruines égyp
tiennes est appelé Po , nom également gaulois, comme je le dis ailleurs.
Les prêtres dans les deux pays s'en servaient pour appliquer les
vertus magiques du flux lunaire de Nehal Ennia. Voy. LACOMBE.
Dictionnaire du vieux langage .
2 Septemplicis ostia Nili. Le Nil n'a jamais eu sept embouchures.
Don Calmet, dans son Dictionnaire de la Bible, rapporte des chiffres
très -différents énoncés par les auteurs anciens. Ce fleuve s'écoule aujour
d'hui dans la mer par vingt-deux canaux.
3 On écrit aussi Rhinocorura ; Rhino, Rhin, Keur, épreuve.
4 Dans le fameux temple de cette ville était une statue couronnée des
rayons du soleil , et un boeuf sacré , appelé Mnévis, qui portait sur lui ,
comme on sait , l'image de la lune ; c'étaient donc Apollon et Diane,
Chrisna et Rada, Oro-Maez et Ahri-Maen, le fleuve Hélion et la marée
lunaire . Ces boufs sacrés étaient appelés Bakis ( Beck ).
5 Voy. Rabaut- Saint-Etienne et Encycl. méthodique. .
CHALDÉENS 147

permettent de remonter à leur origine. Manéthon


parle d'un peuple d'émigrants qui arrivèrent tout à coup
aux bouches du Nil et se rendirent maîtres du pays . Il
les appelle Hycsos ; ils avaient pour roi Boïeos , et
pour capitale Abaris . Ce sont les Bituriges ' . Abaricum
2
dans les Gaules était leur capitale ; les Boïens ’ sem
blent ne former avec eux qu'une même nation ; la reli
gion qu'ils propageaient avait pour principe la trans
formation de l'homme par le bain sacré du baptême ;
c'est pourquoi les noms qui leur furent donnés par les
populations reviennent généralement à celui de magi
cien ; or, un magicien se dit en celtique Hecses , d'où
Hycsos. Ces peuples , appelés Bituriges Cubi dans les
Gaules, laissèrent en Égypte ce dernier nom aux
Coptes qui , en effet, ont toujours été considérés comme
les anciens maîtres du pays. Comme ils étaient Celtes ,
ils avaient leurs mystères dans les forêts ; or , l'itiné
raire d'Antonin , nommant les premières étapes que l'on
rencontre en venant de Thèbes , cite Vicus Appollinis,
Coptos , CHENOBOSCIO , c'est-à-dire le bois de chêne.
Toutes ces traditions existaient chez les Romains, et
leur religion entière reposait sur ces mêmes chiffres
purificateurs.
Josèphe cite ce passage de Manéthon pour prouver à Appion que
ces Hycsos sont les Hébreux.
2 Les Romains ont plusieurs fois combattu dans les Gaules contre
des3 rois portant le nom de Boïorix, c'est-à-dire de roi Boïeos.
Hecse, Unger, Brujo, Boyės, Bithyes signifient magicien ; d'où
Hycsos, Hongrois, Phrygiens, Boïens, Bithyes. Ces derniers sont les
pretres de Papios, pontife des Scythes, selon Hérodote. Voy. Dict .
flam , et esp.; Encycl. méthodique.
148 ONZIÈME THESE

La triade fluminale s'y retrouve dans les trois idoles


adorées sous les noms de Jupiter, Neptune , Pluton. De
même que les fleuves, ils naissent sur une montagne;
Kronos ' et Rhéia , leurs deux parents,signifientsource
et rivière ; ils repoussent les Titans , c'est-à-dire , le
flux Tidt . Les trois déités répondent séparément aux
mystères des trois fleuves ; ainsi Jupiter ? , dans les
poëmes homériques, tient une balance en main et pèse
les destinées des hommes , ce qui nous rappelle le juge
ment ordalique* du Rhin ; Neptune est le fleuve purifi
cateur , le Hélion ; Pluton , comme la Tabuda, règne
sur l'odieux séjour des morts .
Les Romains avaient aussi la tradition de la marée
septuple qui remonte le cours de l'eau ; mais les histo
riens firent de ce renflement sept collines sur lesquelles
d'après eux était bâtie la ville de Rome . Or, jamais
dans cette ville on n'a pu trouver sept collines
réelles et distinctes ; et voici ce qui a causé l'erreur :
Le 25 décembre , les Romains célébraient la naissance

1 Kronos , Krounos, Kréné, sont trois mots signifiant source.


PERNETTY. Fables égyptiennes. Liv. 3, ch. III .
2 Dans Homère ce n'est pas l'aigle, c'est la balance qui caractérise
Jupiter ; les fleuves, la pluie; les nuages sont les seuls éléments de sa
puissance. Les fleuves sont appelés enfants de Jupiter. Odyssée, '
ch. IV , v. 477.
3 Les anciens , parlant de l'ordalie du Rhin , emploient le verbe peser ;
ainsi on lit dans l'Anthologie : Les Celtes pèsent (talanteuousi) leurs
enfants sur le Rhin . Notre mot talent vient de là .
* Eddy, en anglais, signifie flux et reflux ; les Grecs ont fait de cette
marée montante un mont Ida ou naquit Jupiter.
5 On trouve à Tolède la légende des sept collines , de la roche Tar.
pienne, de la porte murée (la puerta lodada) . MURRAY's handbook.
CHALDÉENS 149

de Mithra ' et le cérémonial, comme nous l'apprenons de


Varron , consistait à élever sept autels au voisinage du
Tibre et cela afin de figurer au fleuve les sept embou
chures : mystiques par lesquelles le flot monte ; c'est
pourquoi on conserva à la fête , et on donna à la ville
un nom qui signifie sept embouchures , ce qui fut
prononcé Septimontium .
La double ordalie des fleuves celtiques se reconnaît , >

quoiqu'altérée, dans le mythe de Romulus et Rémus :


les deux jumeaux sont exposés sur le Tibre à leur
naissance ; à la fin de leur course, l'un est rejeté dans
la mer par le reflux, l'autre que le flux déclare héri
tiers est, par conséquent, déposé sur la rive et obtient
l'empire .
Ce qui suit complète le symbolisme .
Romulus , fils d'Ilias, naquit au mont Alban , fut
allaité par une louve ; un berger le trouva au lieu
appelé Germanos ; devenu grand , il lutta contre Tatius ,
vainquit les habitants de Cénina , et mourut au marais
de la Chèvre. Romulus n'est autre que le fleuve pri
mitif et purificateur, tirant son nom du celtique
1
Encyclopédie méthodique.
? Varron , 50-5 .
3 Balaam élève également sept autels sur trois collines ; les Ibères
avaient de même bâti Septem arce au lieu où s'arrête le flux du Tage .
Itinéraire d'Anton .
4
* Mund , embouchure, confondu avec Mons.
5 Le flux balançant détermine l'héritier Heir ; d'où Hærere, ba
lancer .

6 Nommée aussi Rhéia, rivière. Les deux jumeaux sont souvent


appelés Iliades, flux et reflux du Hélion , Janus.
150 ONZIÈME THÈSE

Ruymen , purifier ; Ilia est le Hélion ; le mont Alban


existe toujours sous le nom de Saint-Aubin , à l'angle
du Hélion et du Sabus ; la louve est le Sabus lui-même ,
Zab ? signifiant loup en phénicien et autres langues ;
Germanos rappelle la Germanie ; Tatius est le flux Tidt
qui repoussa d'abord Romulus jusqu'au temple de
Jupiter Stator et fut ensuite repoussé lui-même ; les
habitants de Cénina sont les Caninéfates qui habitaient
aux bouches du Hélion ; la chèvre se dit en celtique
Geyte qui est souvent confondu avec Gat, embou
chure .
Toute l'histoire de Rome primitive a la même ori
gine . Name ?, le Sabus , le Hélion, Ennia, les Belgæ ,
les Nervii , laissent aisément reconnaître Numa, les
Sabins, le fleuve Allia, l’Anio, les Volcæ , les habi
tants du Nar . Près du fleuve des Nerviens “, il y avait
des mines de soufre que Guichardin a vues ; or , cette
particularité fut transportée aux eaux du Nar qui ont ,
disent les anciens 5 , une odeur de soufre. Sur les bords
du Hélion et du Sabus sont des enceintes cyclopéennes
6
dont la géologie moderne nous a retrouvé les ruines 6

1 Le mont Alban est dans Namur ; on y voit encore l'église Saint


Aubin .
2 Zab, louve en phénicien , prostituée ( Zabbe. Darsy) en celtique.
Les mots Sabine, Sævus, viennent de là. Une église de Namur se
nomme encore Saint-Loup.
3 Namur en français, Name dans les plus anciens livres du pays .
4 Description des Pays- Bas, art. Liége . GUICHARDIN.
5 Dictionnaire de l'antiquité. BOUILLET.
6 De Namur à Hastière , dans une étendue de six lieues, on en a exploré
dix . LEHON . L'homme fossile.
=
CHALDÉENS 151

ces castels , dans la langue du pays, sont appelés Vest;


on appela Vestales les Héliades, les Sabines qu’on y
formait à la vertu . Vous chercheriez en vain autour
de la ville de Numa les noms qui remplissent les
légendes anciennes des Latins , vous ne les trouverez
qu'aux environs de Name, et toujours dans le voisinage
de quelque monument druidique ou fossile ; par
exemple : Velinus (Vélen) , Sempson (Samson ), Ponthia
(Ponthy), Fescinna ( Vésin ), Sestinum (Sestine), Vesidia
(Viset), Bovianum (Bouvignes) , Antemnæ (Andenne),
Falisci (Falays), Corioli ((Corioule) , Véie (Hoei) ' .
Chacun de ces noms est aujourd'hui fameux par quelque
grotte funéraire des anciens Celtes, et souvent même
par la vénération constante des populations ; ainsi
Hoei est près d'un pèlerinage des anciens temps appelé
aujourd'hui Notre-Dame de la Sarte et toujours fré
quenté ; or, ce lieu est clairement désigné dans la
légende de Romulus ; voici ce qu'écrit Plutarque :
Romulus ayant défait le vieux roi de Véie le mena en
triomphe ; depuis lors, quand on offre un sacrifice de
victoire, on conduit au capitole un vieillard vêtu de
pourpre et un héraut crie à haute voix : Sarde à vendre.
Ainsi encore Corioule est dans le voisinage de
Poluasche et d'Hastière, où l'on trouve des traces de
forteresses primitives ? ; ce dernier était surtout un
3
très -ancien lieu de passage sur la Meuse ; or, les
En français, on écrit Huy. Passérius dit que Véie, en étrusque,
signifie, comme Uva , raisin.
? Voy. LEHon . L'homme fossile .
3 Hastière dérive de Stuyr, péage .
152 ONZIÈME THESE

légendes latines nous apprennent que Coriolan ayant


battu les Volcæ leur prit la ville forte de Polusca,
ainsi que Corioli qui était dans le voisinage du fleuve
Astura .
D'après tout ce qui vient d'être dit, on comprendra
sans peine que les rapprochements que nous avons
établis s'étendent jusqu'aux noms et aux attributs des
divinités ; c'est ainsi que dans la région du Sabus ,
comme dans le pays des Sabins,, on vénérait la même
déesse, sous le même nom d'Arduinna ?; sa statue
retrouvée dans l'Ardenne nous la représente avec sa
biche et son chien précisément sous la même image que
sa soeur des bords du Tibre .
Les émigrations celtiques avançaient de colonie en
colonie, emportant de chacune d'elles quelque nouveau
mythe ; de sorte que plus elles se perdaient dans le
lointain, plus l'image de la mère patrie s'altérait par
ces différentes accessions. Ainsi, par exemple , Nehal
Ennia se retrouve à Rome et en Phrygie sous le nom
de Cybèle; mais une partie de ses mystères roule sur
ses étranges aventures avec Atys. Recherchons dans
quelle station intermédiaire le culte primitif se sera
chargé de ces nouveaux détails .
Cybèle est représentée sur un char traîné par des
lions ; elle a pour couronne une tour ? et tient dans sa

i Voy. Encycl. méthod . Arduinna était la patronne des chasseurs


chez les Éburons; elle avait dans le voisinage du Hélion une chapelle
où chacun des affiliés apportait le tribut marqué pour chaque pièce de
venaison,
2 Tour à triple étage, Turrita Cybele ; c'est la Tiare.
CHALDÉENS 153

main une clef double ; on voit à ses pieds un tambour et


près d'elle Atys appuyé sur un globe; dans ses mys
tères célébrés par les Galles, on remarque surtout un
pin porté en cérémonie et une pierre mystérieuse
appelée Agdus ; sa statue, disait- on , avait été amenée
de Pessinus à Rome , mais le navire qui la portait ne
pouvant entrer dans l'embouchure du Tibre , une vestale
le tira avec sa ceinture sans effort et lui fit remonter le
cours du fleuve; enfin, les légendes nous montrent
Cybèle et Atys se cherchant toujours et ne pouvant se
rencontrer .

Pour reconnaître les lieux d'où viennent ces détails ,


remarquons que les Volcæ remplissaient tout le midi
des Gaules ; dans la région qu'ils occupaient entre
Toulouse et Nîmes , la science a retrouvé les mêmes
grottes? que nous avons mentionnées dans le Belgium ,
et de nombreuses statues de Cybèle , de Mithra, de
Nehal Ennia . Ce pays est arrosé par l'Héraut et l'Aude
qui s'approchent sans se confondre et dont les sept
embouchures fictives lui ont fait donner le nom de
Septimanie. Ces deux fleuves ne seraient - ils pas Cybèle
et Atys ??
Cybèle, dans les mystères, porte le nom de Rhéia ,
rivière ; l'Aude dans l'antiquité est appelé Atax . Le
lion, la tour, le globe sont le golfe du Lion , l'étang de
>

3
Taur où se rendaient les deux fleuves , l'Orb qui
" A Massat, Pontil, Bise, Bruniquel et ailleurs,
? On lit ordinairement sur ses statues : Matri ideæ , et sur celles de
Mithra : Invicto mithræ . Encycl. méthod .
3 Nous écrivons Thau, mais cet étang est toujours appelé Taurus
chez les anciens.
154 ONZIÈME THESE

coule auprès de l'Aude et dont les Latins ont fait Orbis,


globe; quant au pin et à l'Agdus , on peut se rappeler
que l'Héraut reçoit pour principal affluent le Peyn et
se jette à la mer près du rocher volcanique d'Agde ;
sur le fleuve on trouve Piscennæ et à son embouchure
Saint- Tibéry, c'est- à -dire le Pessinus et le Tiberis de
la légende . Les autres éléments s'interprètent sans
peine ; ainsi de cette ceinture qui, en celtique, se dit
Riem ?, on a fait Rome ; Cybèle porte deux clefs comme
Janus avait deux faces pour figurer l'entrée et la sortie
du flot purificateur; le tambour se composait d'une
3
peau d'âne sur laquelle étaient dessinés tous les em
blèmes de Mithra et servait à la magie * ; or, comme en
ibérique un magicien se dit Brujo, on appela Phry
giens les ministres de la déesse , et Phrygie le pays
soumis à son empire . Ces ministres venaient de la terre
des Druides ; ils portaient donc le nom germain de
Teutsch ; mais les Latins , y ajoutant leur mot Sagax,
| Pline la nomme ainsi ; nous disons Pézenas.
2 Tout ce canton est un lieu de florales ; elles se célébraient surtout
dans la grotte mithriaque appelée aujourd'hui la Bauma de las Dama
sellas. A Rome, Cybèle se nommait Damia et, en Phrygie, ses mystères
se célébraient à Dymes .
3 Parce que Borraga , ânesse, est une allusion à Bore, flux; de
même chez les Lapons, on se sert d'une peau de renne dont le nom
rappelle le Rhin .
4 Le Phrygien jetait trois bagues sur un tambour, lui donnait sept
coups de baguette et devinait l'avenir d'après les figures dont les
bagues s'étaient rapprochées ; ainsi fait encore aujourd'hui le Lapon.
Le tambour magique se dit en hébreu Tof, d'où le celtique toover, sor
cier ; il se dit en vieux saxon Bom, d'où Bohémien ; le mot Américain
Maraca montre que sa destination est de remplacer pour la divination
le flux de la mer.
CHALDÉENS 155

en firent Tectosages ; cette dénomination complexe


passa aux Galates de Phrygie, mais n'arriva point
entière au fond de l'Orient, où la Cybèle des Brames
est simplement appelée Sagti.
Les détails qui précèdent suffisent pour nous faire
connaître le mythisme oriental relativement au mouve
ment purificateur des flots ; on trouverait chez tous les
autres peuples des vestiges qui , interprétés comme
nous venons de le faire , nous reporteraient con
stamment aux ablutions atlantiques des bouches du
Hélion .
Quant aux autres éléments des mystères , nous les
retrouvons également autour des déesses que nous
renons de décrire ; elles avaient toutes un peuple
d'affidés qui portaient sur eux à découvert les emblèmes
de leur dévouement. A Milet, la marque de servitude
consistait à avoir la tête rasée ; en Syrie, au temple de
Mabog, on rasait également la tête aux initiés , mais ,
en outre, on leur imprimait au cou la marque du collier.
Les membres de cette famille mystique portaient le
nom de frères ; c'est ainsi que les peuples ligués contre
Troie sont appelés dans Homere, καρηκόμοοντες Αχαιοί 1 ,
les frères à tête rasée .
Dans ce voisinage de l'Asie , on voit déjà se multi
plier pour la célébration des orgies , les Corybantes, les
Almées ?, les Héliades, les Amazones. Ce dernier mot
Achéen vientde Ach qui, en hébreu , signifie frère . Keipe , raser.
Ils étaient rasés en signe de servitude volontaire.
: Ce mot signifie vierge en hébreu ; les Latins n'en ont conservé que
l'adjectif Alma. Les Héliades tirent leur nom de Hélion.
156 ONZIÈME THÈSE

est le plus fréquent dans les auteurs grecs. Les Ama


zones ne sont autres que les laonas américaines dont
parle Thévet. Chez les Caraïbes , dit cet auteur ', dans
la province de Panuco ?, on forme une enceinte circu
laire autour de l'autel où brûle le feu sacré, et là ces
filles du Soleil , ces laonas, tenant en main un tambour,
exécutent leurs danses . Dans notre ancien monde, nous
retrouvons ces mêmes fêtes. Les Amazones paraissent
également dans les villes ioniennes d'Athènes, d'Éphèse,
de Milet 3. Elles étaient, comme leurs seurs d'Amé
rique , filles du Soleil ; elles avaient, comme elles, pour
temple , selon Apollonius de Rhodes “, une enceinte
cyclopéenne au milieu de laquelle était une pierre
noire, où, par conséquent, brûlait le feu de Vesta '.
Leur nom d'Amazone vient du mot grec Aimasia qui
désigne, dans le langage des mystères, ces pierres
brutes dont on avait formé les antiques castels re
trouvés, comme nous l'avons dit ’ , sur les bords de la
Meuse.
L'étude des mystères atlantiques nous a donc con
1 Cosmographie universelle, XXIII , 1 .
2 Voy. thèse Vje. Les Phéniciens, Punici , allaient en Amérique, selon
Huet .
3 On disait qu'elles avaient fondé Milet, Éphèse, et qu'elles s'étaient
avancées jusqu'à Athènes .
4 Liv. 2 , vers 386 et 1172.
5 C'étaient les vestales de Rome, les sabines de Cures, les vierges
choisies du temple Curicancha à Cusco .
6 La Meuse fit nommer ces castels Aimasia chez les Grecs et Maoz
chez les Hébreux . Homère appelle Aimasia le castel que construit
Laerte. Odyssée, ch, XXIV, v. 224 .
7 Voy . thèse Ille.
CHALDÉENS 157

duits jusque sur les rives de l'Euphrate; les émigrations,


poussant au delà de ce fleuve, ont laissé dans l'Asie
centrale leur nom à un grand nombre de lieux dont
nous allons étudier l'origine celtique.
Celtes de l'Asie centrale .

Les colonies celtiques avançant vers l'Asie centrale


semblent s'être partagées en deux courants ; l'un , sui
vant les côtes méditerranéennes pénètre au delà de
l'Euphrate par la Syrie; l'autre, longeant la mer Noire,
s'étend, par la Colchide, vers les sources de l’Euphrate
et du Tigrel . Pour constater cette double marche , il
suffit de suivre la piste des établissements qu'elles ont
formés sur leur passage .
Tous les environs du temple de la déesse syrienne
sont arrangés autant que la nature s'y prête sur le
plan de la Zélande ; on y voit le Chalus , qui est l’Es
caut, en celtique Schel ; il arrose la Chaonie, comme
l'Escaut baigne l'île de Schouwen ; près de la Chaonie
était Deva ?, la terre des colombes , de même que dans
le voisinage de Schouwen est Duve-land ; mais , comme
Ey: signifie à la fois ceuf et terre, on y contait que la
déesse fut trouvée dans un oeuf que couvèrent deux
colombes, et on appela ces oiseaux Chaoniæ aves ; non
loin de là est l'Oronte et, dans le voisinage , le mont
Casius, ce qui nous représente le Hont et le Castellum
Ce sont les deux régions chaldéennes que nous avons signalées au
commencement de cette thèse .
? Duve , colombe .
3
Ey, oeuf; aya, aw, ai,terre. Eyland, ile.
158 ONZIÈME THÈSE

Morinorum ; on y voit aussi un lieu nommé Rena, qui


rappelle le Rhin, une rivière nommée Tamyra qui rap
pelle le Démer. Enfin , je citerai le fleuve Adonis sur
lequel se célébraient les mystères de Vénus ; à son
embouchure était taillé en marbre un chien '1 dont les
aboiements enchantés attiraient les barques et les
faisaient remonter le cours du fleuve ; or , tout cela est
un tableau figuratif du flux qui , à l'embouchure du
Hont”, portait les barques dans la région des Valky
ries , des florales.
La Syrie touchant à un repli de l’Euphrate, les colo
nies celtiques se répandirent par ce point dans l'Asie
méridionale ; mais l'autre embranchement partant de
la mer Noire laissa également sur son passage des
traces d'origine atlantique que nous allons suivre .
La Colchide , contiguë à cette mer , semble être le
point de départ d'où l'émigration s'épancha dans la
haute Asie . Les Grecs , qui ont tout défiguré, ont trans
porté dans ce canton la légende des Argonautes ; mais
3
le plus ancien des trois poëmes qui décrivent cette
expédition signale dans leur route lerné qui est l'Ir
lande , le Promontorium sacrum qui est en Portugal,
les Alpes qui sont des montagnes gauloises ; ces noms
désignent donc notre Océan pour théâtre des voyages
argonautiques ; mais , pour nous convaincre que c'est
en Zélande qu'il faut chercher la Toison d'or , il suffit de
montrer que la Colchide n'est qu'une image de ce
1 Cette rivière est appelée aujourd'hui Kelb, chien, en syriaque.
2 Hont , cbien , thèse XII .
3 C'est celui d'Orphée que quelques - uns attribuent à Onomacrite.
CHALDEENS 159

pays. La Colchide était arrosée, disent les poëtes , par


le Phase, le plus grand fleuve de l'Asie; mais , malgré
les poëtes, la population de ces contrées lui a obstiné
ment conservé le nom de Rhioni qui rappelle le Rhin,
le plus grand des trois fleuves celtiques ; et, comme il
n'a point de flux, on y suppléa dans les mystères en
nommant Hippos ? son embouchure. Selon Diodore de
Sicile, le plus ancien roi du pays s'appelait Helios que
nous savons être la Meuse . La vallée de l'Escaut, en
celtique Schel, était un lieu de sépulture ; on nomma de
même Scalingia ? le canton où étaient les tombeaux des
rois. Les trois fleuves celtiques ne sont donc que figurés
en Colchide , et pour achever la copie, l'île sacrée de
Scaldia : fit appeler le pays Chaldée . Les noms des
lieux du voisinage sont , en effet, empruntés à la vallée
de l'Escaut; ainsi Choana est Schouwen ; Tamasa est
Tamise "4 sur l'Escaut près de son embouchure ; Cadu
siorum vallum est le Cadsant sur le canal du Hont ; le
fleuve Soanès est le Zwin , un des trois bras de l'Escaut ;
Samarobria est sans changement le nom que portait la
ville d'Amiens ; Belcania n'est autre que le Belgium ;
l'Atropatène rappelle le pays des Atrébates ”. On voyait
dans l'Atropatène les Legæ , Morunda sur un lac , les
Gele, les Mattieni, les Gordueni , le lac Maragha ; on
1
Ebbe, flux. Voy. these Xe.
2

3
Voy. thèse IX , et Moréri au mot Mingrélie .
Aujourd'hui Schouwen . Voy . Debast, Guichardin, de Grave.
4 On y découvrit une statue de Jupiter .
5Les peuples de l'Atropatène, les Atrebites d'Égypte, les Atribioques
de l'ile Haïti sont sortis du pays des Atrébates.
160 ONZIÈME THÈSE

trouvait de même chez les Atrebates la Legia, les


Morini dans un pays de lacs, les Gelduni , les Mattiaci,
les Gorduni, le Clairmarais.
D'après tout ce qui vient d'être dit, soit par la Syrie,
soit par la Colchide , les émigrations nous ont conduits
au centre des régions orientales ; là, une simple énu
mération de noms nous reproduira tous les lieux qui
nous sont familiers dans nos contrées .
Dans la région de l'Oxus était l'Arie ; elle n'est
environnée que de noms qui se retrouvent autour de
Aire sur les bords de la Lys. Au nord , l'une avait la
Margiane, l'autre Merghen ; au sud , l'une avait le
Bagoas , l'autre le Becke , affluent de la Lys . On voit,
en outre , dans les deux contrées , le même groupe de
noms ?:

Gariga , Gar-beck .
Borgi, Berch .
Cotace , Cottes .
Chaurina, Hauringen .
Fanek près Erzen , Winox près Herzel .
Sarmagana , Sarmezelles .
Thaua , Douhen ,
Monapia , Monapii .
Astanda, Estain-beck .
Bogadia , Petit-Beck .

1 En celtique Arien. L'ancienne Arie se dit aujourd'hui Iran ; la


capitale se nomme te Iran, d'où on a fait Téhéran .
2 Voy. tous ces noms dans l'atlas de l'Encycl. méthod., et dans la
Géographie ancienne du même ouvrage .
CHALDÉENS 161

Tomerus , le Démer.
Ambrodax, Lambres.
Borru, Borre .

Dans la région du Tigre, on reconnaît aux noms


suivants toute la vallée de la Meuse et celle de l'Es
caut :

Le Mosceus, la Meuse .
Le Zab, le Sabus.
Le Rauer , la Roër .
Le Niris, lac, la Nère .
Le Margus, le Merck .
L'Ortiana , l'Ourthe.
La Stura , Sturii , peuple.
Le Maru , la Merwe .
La Needha , la Nethe.
Le Tomerus , le Démer.
1
La Diala , la Dyle.
La Senn , la Senne .
Le Tonderus, le Dender.
Le Mandeli, le Mandell.
Le Hezare , l'Yser.
La Samira, Samara , la Somme.
Athis, ville, Ath , ville .
Bethura , Bituriges, peuple.
Choana, ville sainte, Schouwen.
Massaga, près du Gu- Maseck près du Ghoer.
rous ,
11
162 ONZIÈME THÈSE

Kerkuf, Kerkhove , cimetière.


Thuran , Taruana.
Belciana, Belgium.
Lar, Lier (antiquités).
Holuan, Hollain (dolmen ).
Plagia, Plachy.
Bauma , Boom (antiquités).
Kerka, Carchesium , Église .
Hoya, Huy .
Caspienne (mer) , Caspingium.
Deilam , Dalem .
Kiele, dans le Deilam , Geule près de Dalem .

Dans la région de la mer des Indes , mêmes souvenirs


des colonisations antiques ; ainsi , dans la vallée de
l'Indus, on voit :

Samarobriæ , Samarobriva , Amiens.


Sugambri , les Sicambres .
Taxilæ , Texel .
Rin , marais , Rhin .
Oxidraques, Ossendracht .
Mallorum oppidum , Malle , ancien castel.
Belochi , Belgæ .
Sambruceni , peuples de la Sambre .
Moruni , Morini .
Aornos , Aorne.
Cauchæ campi , Cauchi.
Musicani , peuples de la Meuse .
CHALDÉENS 163

Bardaotis, ville des Bardes.


Lilzeus mons , Lillo .

Nous joindrons à ces rapprochements des détails


sur Babylone et les antiquités de l'Asie centrale.

Babylone.

Cette ville n'a rien que nous n'ayons déjà étudié en


Occident. Sa tour de Bélus rappelle , dans sa forme et
dans son nom , celle qui est encore debout à l'orient
des Baléares '. Son écriture cunéiforme emploie les
traits rectilignes de nos lettres Ogham ?. Son dieu
marin , qui toujours remontait et descendait l'Euphrate,
tranchant les questions litigieuses, s'appelait Oanès,
c'est -à -dire Janus , ayant comme lui deux faces et s'ar
rêtant à Borsippa, dont le nom purement celtique
signifie reflux de la marées. L'Euphrate est un mot
étranger à l'Asie , mais qui , dans la langue des Celtes ,
se décomposant en Hof-rath * signifie fleuve des jardins ,
c'est-à- dire de ces jardins suspendus qui ont rendu si
fameuses les florales de Babylone et que nous appelle
i Thèse Vie .
? Thèse Vle. Les premières lettres furent des bâtons écorcés, les
quels, jetés au hasard , formaient en tombant différentes figures qui
servaient à connaitre l'avenir. Les Celtes de Germanie en faisaient
usage, selon Tacite (Germania) ; Nabuchodonosor mêlait aussi consul
tativement des flèches. (Ezéchiel, ch. XXI.)
3 Bor, marée ; ebbe, reflux ; d'où Bor's-ebbe , Borsippa ; c'est le
Jupiter Stator de Tatius.
* Hof, jardin ; Rauda en ibérique , roud en zend , srotas en sanscrit,
sroth en erse, signifie fleuve.
164 ONZIÈME THÈSE

rons , plus loin, cités lacustres. Les lagunes intermit


tentes que forme la marée en remontant le cours du
fleuve rappellent celles des Bataves et se nomment de
même Béthai's '. La religion des Chaldéens était le
sabéisme qui consistait avant tout à adorer le soleil
sous le nom de Hel ?; ce qui nous ramène encore une
fois à ce Sabus qui rejoint le Hélion, et nous montre ,
comme nous allons voir, que le mythisme chaldéen fait
suite aux autres religions propagées par les émigra
tions celtiques .
Le point où ces deux rivières se rencontrent était
sacré chez les Celtes, à en juger par les merveilles
fossiles que la géologie y découvre chaque jour. C'est
ce coin mystérieux qui se trouve le plus constamment
rappelé dans les traditions chaldéennes . A Babylone,
le Tigre et l'Euphrate s'approchent, mais sans se
toucher ; on eut donc recours à des tracés artificiels
pour figurer qu'ils se rencontrent et, par ce symbolisme ,
le Bir Nemroud se trouva disposé comme l'Alban de
Namur . En effet, le Sabéisme en Orient , le Sabus en
Occident nous offrent la même déesse patronale ; qu'elle
s'appelle Sémiramis ou Arduinna , c'est toujours le
Hélion . Le Hélion se hausse et se baisse ; de même
Sémiramis: tantôt met l’Euphrate à sec, tantôt féconde

I MALTE -BRUN . Géographie, liv. 51.


2 Servius interprétant Virgile dit que la divinité de Babylone était
Hel et non point Bel.
3 Sous le nom de Nitocris , elle dessèche l'Euphrate ; sous le nom de
Sémiramis, elle le fait déborder. Sémiramis est représentée sous la
forme d'une femme se terminant en queue de poisson.
CHALDÉENS 165

les terres par l'épanchement des eaux de son fleuve '.


Le Hélion rencontre l'île des Colombes , Duveland ?;
ce sont des colombes qui ont élevé la déesse syrienne
et Sémiramis . Le flux se fait par l'influence de la lune ,
Maen ; Sémiramis épousa Ménonº. Le Hont et ses trois
branches nous sont déjà connus ; Sémiramis perça
l'Oronte pour yy faire passer un canal de trois coudées .
Le fleuve sacré , arrivé à sa fin , lutte contre le flux
qui le repousse en arrière, et cette fin s'appelle Einde,
cette lutte se dit Streit, ce fleuve est celui des Balares ;
or, ces trois mots sont littéralement reproduits dans la
légende de Sémiramis ; Ctésias rapporte que cette reine
s'étant avancée trop loin , fut repoussée par le roi de
l'Inde , Stratobatis .
Comme on le voit , les mystères des Chaldéens ne
sont autres que ceux de Samos, de Rome , et se trouvent,
par conséquent, reproduits dans le nom de Sam - ruym4
que portait la déesse et dont les Grecs ont fait Sémi
ramis .
Si l'on réunit en groupe les noms que nous offre le
voisinage de Namur, les mêmes se retrouvent au voisi
nage de Bir Nemroud 5. Autour de Namur se voient le

Selon une inscription trouvée par l'armée d'Alexandre et rapportée


par Polyen .
2 Duve, colombe .
3 Ces colombes, ce Ménon, cet Oronte, cette Assyrie, sont des mots
qui se retrouvent dans les mystères de la déesse syrienne.
Sam se retrouve dans Şamos, Samothrace ; ruymen , comme nous
l'avons vu en parlant de Rome, veut dire purifier. Voy. thèse XIII.
5 Bir Nemroud n'est pas un mot particulier à Babylone ; on trouve
un Djebel Nemroud a Édesse, en Arménie et ailleurs.
166 ONZIÈME THÈSE

faubourg de Jambe , la Meuse , Achin, Orchimont,


près des fameuses grottes explorées par la géologie
moderne, Andenne , avec son vieux cloître druidique ',
et , comme nous le savons , le Hélion et le Sabus; autour
de Babylone on trouve le faubourg de Jambe, Messène,
Achem , Orcheni, Andanis , Hillah, nom indigène de la
ville elle-même , et enfin les Sabéens que l'on se pressa
trop d'appeler chrétiens de Saint-Jean , mais qui ne sont
autres que les prêtres de ce Oanès ? dont nous avons
parlé plus haut.
Quant au nom même de Namur , je comprends que
l'on hésite à le reconnaître dans le Nem-roud des
Sabéens ; nous allons , par la discussion suivante, justi
fier ce rapprochement.
Le plus impénétrable de tous les symboles qui nous
sont venus des âges primitifs, est celui de Mithra. Son
nom , son culte remplissaient tout l'ancien monde, et
aujourd'hui, son image se voit encore gravée sur
quelques rochers et surtout se retrouve dans nos
fouilles. La science possède ainsi une douzaine de
tablettes qui reproduisent le dieu entouré de nombreux
emblèmes. Le fond du tableau est toujours un jeune
homme couronné des rayons du soleil et monté sur un
taureau . Le jeune homme , tenant en main un poignard,
vient de faire au taureau une large blessure qu'en effet
1 Andania était également un lieu sacré dans la Messénie des
Grecs .
2 Ils se disent disciples de Johannès. Le baptême est le point fon
damental de leur culte. Ils immulent une poule, Henne (Ennia) ; un
bélier, Ram (Ruym).
CHALDÉENS 167

on remarque sur son flanc; le taureau accroupi retourne


fièrement la tête, comme s'il menaçait de revenir en
arrière. Des figures de tous genres, au nombre d'une
trentaine ', accompagnent le groupe principal et sem
blent dispersées au hasard ; mais nous verrons que
cette confusion n'est qu'apparente.
Des monuments de Mithra ont été découverts dans
le voisinage de la Moselle. On connaît en Bourgogne
ce tombeau antique sur lequel se lit en deux vers grecs
l'inscription suivante : Dans ce bocage de Mithra
respectez le cercueil du grand prêtre Chyndonax , car
les Dieux gardent sa cendre. Aux bords du Rhône,
au -dessus de la fontaine de Tourn , on peut voir encore,
parmi les ruines d'un temple gaulois ?, la figure de
Mithra sculptée sur un roc . A Arles, cette figure
portait l'inscription : Soli deo invicto 3. La plupart des
monuments de Mithra que possèdent les musées
viennent des fouilles faites à Antium , près du Tibre . Plus
loin , vers l'Orient, ces monuments deviennent rares ;
mais le nom du dieu est dans toutes les mythologies.
En Égypte, Mithrès, nous dit Pline, éleva le premier
obélisque à Héliopolis “. Les Persans, les Indiens le
Ces différents monuments se complétant l'un l'autre peuvent offrir
une trentaine de figures.
2
Voy. MALTE-BRUN . Liv . 177. Article Ardèche.
3 Soli deo, signifie au Dieu soleil . Le latin invictus est la traduction
de onover winbaar, qui signifie invincible, chez les peuples de la
Meuse ; on a fait un mot mystérieux et oriental de ce Honover ; les
Amschaspands, dit M. de Lamennais, à la fin du monde, entonneront
les chants du Honover . OLINGER. Dict, holl.
* Pline, liv, 36, dit : In urbe solis, dans la ville du soleil .
168 ONZIÈME THESE

comptent parmi leurs divinités : Tous les Dieux , disent


les livres sanscrits ', se rapportent à un seul, soit qu'on
le nomme Indra , Varuna, Agni, Mithra .
On voit donc que ce mythe est ancien dans nos pays
celtiques, et l'on peut se convaincre par les détails
suivants que c'est de là qu'il s'est propagé dans la région
de l'Euphrate .
Les monuments de Mithra forment une descrip
tion du pays des Nerviens ?; seulement cette carte,
faite antérieurement à l'art d'écrire , est hiérogly
phique. Mithra ’, couronné des rayons du soleil, est
évidemment le Hélion ; le taureau , qui veut retourner
en arrière , est le reflux ; les nombreuses figures, qui
accompagnent ce mythe, sont tous les lieux sacrés de
la Zélande. Vous y voyez , par exemple , un arbre , un
scorpion, une étoile, une flèche, une toison suspendue
à une branche, un dragon , un épervier , un corbeau , un
>

crabe, un dauphin , un aigle, une colombe , une tête de


boeuf sur un frêne. Or, tous ces noms désignent des
lieux situés aux bouches du Hélion et dont voici , dans
la langue du pays , la suite correspondante : Boom,
Schaerpens , Sterre , Doel , Vlies-sinke “, Dracht ,

1 Dans le grand hymne de Dirghatamas.


2 La Zélande , comme nous le disons ailleurs , dérive de Ziel- land ,
terre des âmes. Les Marabouts appellent Zala le zele religieux ; les
Brames le nomment Nirvana.
3 Mausen , muyten signifient transformer, mutare. Du premier dé
rive Meuse, Muse, Musée ; du second dérive Muyter (transformateur ) ;
de la Mater, De Meter, Démétrius , Mithra .
4 Vlies, toison ; zincke, branche. Flessinghe.
CHALDÉENS 169

Valkenesse ?, Lug-dunum ?, Krabbe , Delft, Arents


kerke 3, Duveland , Ossenesse *.
L'on y voit souvent un caducée , ce qui rappelle les
nombreuses statues de Mercure trouvées dans ces
parages . L'on y remarque un autel ; c'est l'autel
d'Ulysse 5. L'ordre le plus élevé parmi les initiés aux
mystères de Mithra était celui des Lions ; la Zélande
a toujours eu pour emblème le lion sortant des eaux .
Au rocher de Tourn , un chien est représenté s'appro
chant comme pour mordre au cou le taureau de
Mithra, de même que le Hont, en allant se jeter à la
mer, s'avance effectivement vers l'embouchure du
Hélion . Mais remarquons le détail suivant . Le flanc
du taureau est percé, avons-nous dit, d'une large bles
sure ; également le Hélion a une large entaille faite à
sa rive pour y recevoir le Sabus®, et là se trouve Name ";
or, dans plusieurs monuments de Mithra, ces deux
mêmes noms, Name et Sabus , ont été gravés au-dessus
de la blessure du taureau où on lit en toutes lettres :
NAMA - SABASIO 88.
Lorsque nous voyons ce nom de Mithra répandu
jusque dans la région de l'Euphrate et du Gange , l'on
· Valck , faucon , épervier.
2
Lugdunum Batavorum. Lug, corbeau ; dunum , colline. Lueghe,
corbeau . Dict, du vieux langage . LACOMBE.
3
Arent, aigle .
• Ossen bæuf ; esse, frène .
5 Thèses IXe et XXIVe .
6
Sahus, la Sambre.
* Name, dans l'ancienne langue du pays, Namur , en français.
deux mots BANIER, Mythologie, etc. , et surtout HYDE,
8 Voy. sur cesPers
Hist , rel . veter . ar .
170 ONZIÈME THÈSE

n'est plus étonné d'y rencontrer aussi un souvenir


de Name et du Sabus, et par conséquent Nem-roud ' et
le Sabéisme . .

Il me reste à trouver l'origine du mot Babylone.


Les villes qui ont porté ce nom sont généralement
près de l'embouchure d'un fleuve où tout annonce des
mystères. Babylone est à la jonction figurative du
Tigre et de l'Euphrate. Une autre Babylone était sur
le Nil, au sommet du Delta . Séville, dans l'ancien lan
gage des gitanos, est aussi appelée Babylone : et se
>

trouve au lieu où le Bætis s'ouvre figurativement en


deux branches. A l'embouchure de l'Ombrone , chez les
Étrusques , on voyait Populoniæ aquæ, dans une région
où le souverain s'appelait Assur4. A l'endroit où la
rivière de Mithra ", c'est-à-dire la Marne, rejoint la
Seine®, était une ancienne abbaye druidique qui con
tinua sous le Christianisme à s'appeler Saint-Babolein .
I Roud , fleuve. Nem-Roud , fleuve de Name .
2 Ce sabéisme que nous avons passé aux Orientaux n'a pas entière
ment péri chez nous. Le Sabus (zab) a son embouchure (gat) dans le
Hélion ; or zab signifie loup et gat, chèvre. Dans le Morvan , se trouve
l'antique pèlerinage du mont Sabo. Là , dit-on , dans la chapelle était
une chèvre ; un loup sur qui cherchait aventure ; la chèvre s'enfuit
et ferma la porte, de sorte que le loup fut pris et tué .
3 MURRAY's handbook.
4 Asar et assur sont un même mot ; or Suétone , dans la Vie de César,
dit que chez les Étrusques Æsar signifie souverain.
5 Matrona , c'est-à-dire Mitra-ain , rivière de Mitra .
6 Nous parlerons ailleurs des mystères de la Seine et des Sénonais.
De même que le mot Rein , le mot Sen signifie pur , Sanus. Sen en chi
nois-coréen signifie fleuve sacré ( SIEBOLD. Voyage au Japon , t. V) :
sin , dans les inscriptions cunéiformes de Babylone, signifie lune ; ce
radical sin désigne donc le flux lunaire et purificateur.
CHALDÉENS 171

Enfin, le premier pontife chrétien, saint Pierre, datait


ses lettres d'une Babylone inconnue, laquelle, d'après
ce que nous disons ailleurs, ne peut être que Rome .
Or les embouchures sacrées que nous connaissons
déjà sous le nom de Gat se disent aussi dans d'autres
langues ? Bab. De Bab, porte, et de Ain , fleuve, on fit
Bab-el-ain ?, que, depuis Hérodote, on écrivit Babylone'.
Ruines de l'Asie centrale .

Il y a quelques années “, M. Botta , agent consulaire


à Mossul, cherchant des ruines dans le voisinage,
trouva, sous un tas de décombres, Ninive, et annonça
au monde savant son étrange découverte . L'éveil une
fois donné , des explorateurs accoururent , creusèrent,
recueillirent ce qui restait encore de cette ville,
passèrent de là à Babylone, à Tchil -Minar, à tous les
lieux marqués par d'antiques souvenirs, et rapportèrent
dans nos musées une ample matière pour nos recher
ches et nos systèmes. L'étude de ces monuments , faite
avec impartialité, achève d'établir l'origine celtique des
nations qui les ont construits . On en jugera par les
considérations suivantes .
L'homme eut pour premier abri une grotte où il se
logea avec ses dieux ; plus tard, sortant de là, il se
façonna une hutte qu'il couvrit de terre et de paille
En arabe, en scythique.
? Ainsi Bab -el-mandeb , Bal-el-Tor.
3
Dans les inscriptions trouvées sur les ruines de cette ville, on
lit non point Babylone, mais Babilou ; la Bible écrit Babel.
4
* En 1843 .
172 ONZIÈME THESE

contre les intempéries ; bientôt des blocs de pierre


venant s'ajouter à ces constructions primitives formerent
un commencement de palais qui , d'abord brut, puis
dégrossi , puis taillé avec art, se compléta enfin de toute
l'ornementation dont est capable le peuple construc
teur . Cette progression de la nature ne se trouve point
dans l'Asie centrale ; tous les édifices dont nous explo
rons les ruines y sont d'un même jet et appartiennent
à la période finale que nous avons décrite . D'où
venaient donc les architectes ? Évidemment de la
contrée où se trouvent les essais d'architecture par
lesquels ils se sont préparés aux palais des régions
chaldéennes. Ils ont commencé par les temples drui
diques, les pyramides de Mimizan, les Noraggi de
Sardaigne, les Héméroscopes de l'Ibérie ; puis , se
répandant , plus perfectionnés, vers les régions orien
tales, ils bâtirent en passant Tadmor, Tchil-Minar,
Ninive, Babylone . Ces villes étaient faites comme
toutes celles de nos colonies que nous construisons à
neuf sur un plan régulier, comme Washington, Pondi
chéry. Babylonel n'est plus aujourd'hui qu'un amas
de briques ; mais Hérodote , qui parait l'avoir vue , nous
apprend qu'elle était de forme carrée , ayant ses rues
tracées au cordeau et se coupant à angles droits. Aussi ,
quand ces villes furent tombées avec les peuples qui
les avaient construites, les gens du pays laissèrent là
des ruines qui leur étaient fort étrangères et tout rentra
I D'après Quinte - Curce, Babylone avait 90 stades de pourtour , c'est
à-dire environ 16 kilometres . L'enceinte murée de Paris est de 39 kilo
mètres.
CHALDÉENS 173

dans le repos. Aujourd'hui, quand on parcourt ces


régions de souvenirs, il semble
Que l'on contemple en songe, à travers le passé,
Le fantôme d'un monde où la vie a cessé .

Avant qu'on ne sût écrire, l'homme sculpta sa pensée


sur les rochers et le granit, et l'exprima généralement
I. pardes symboles. Chaque animal , selon son type déter
minatif, eut une signification et , par les attributs qu'on
I lui ajoutait, devint une phrase tout entière . Ainsi , le
lion marquait l'impétuosité ; mais , en lui donnant deux
ailes,on en faisait le Lion mystique , le flux baptismal
et écumeux ? qui remonte de la mer . D'un bout à l'autre
de l'ancien monde , dans les fouilles étrusques,
grecques, syriaques, chaldéennes, on trouve pour
symboles ailés ? les mêmes animaux ; ce qui indique
une origine commune et peut nous aider à remonter
au pays d'où l'institution est partie . L'Orient aurait pris
pour emblèmes les animaux d'Orient, tels que le cha
; meau à deux bosses , l'éléphant d'Asie ; mais , au lieu de
cela, les fouilles de Ninive ont ramené dans nos musées
nos animaux d'Europe, le Hébon 3 des Étrusques,
l'Hippocampe des Celtes, en un mot, le taureau et le
1 Cette écume du torrent et du lion mystique se disait Spuma, ce
qui peut expliquer pourquoi Puma et Pom en Amérique et en Corée
signifient lion .
* Ala dérive de Hélion .
3 Le taureau à tête humaine est fréquent dans les fouilles étrusques,
il s'appelait Hébon. Le cheval des Celtes, qui est l'Hippocampe des
mystères , se retrouve souvent dans les médailles avec une tête
d'homme. (LELEVELL. Étud . numism .)
Ordinairement ces animaux sont ailés . Tous ces dé se rencon
trent dans les ruines assyriennes.
174 ONZIÈME THESE

cheval. Pas un chameau , pas un éléphant. Les emblèmes


de l'Asie centrale sont donc venus des pays celtiques.
Plusieurs peuples anciens, pour prouver la haute
antiquité de leur origine , montraient des listes inter
minables de rois dont les règnes , ajoutés ensemble,
formaient des milliers d'années , et toujours, comme on
le pense bien , le premier de cette série était Hélios ?.
La science n'a jamais discuté ces monuments ; tout
peuple peut se créer une pareille liste . D'autres se sont
prolongés dans le passé par des titres plus réels en
apparence, mais toujours d'une fabrication facile.
Ainsi les Chaldéens avaient, dit-on , une suite d'obser
vations astronomiques ? qui remontaient fort loin, et, de
tous ces faits observés, on ne cite guère que les éclipses ;
or, tout le monde sait qu'à l'aide du cycle de Méton ,
qui reproduit les mêmes éclipses dans une période de
dix -neuf ans , un enfant peut retrouver celles des temps
passés et déterminer le jour où elles ont eu lieu.
Quant au cycle lui-même , d'où venait-il ? Les Athé
niens qui en faisaient usage l'ont-ils tiré des Celtes ou
des Chaldéens ?
Les Grecs connaissaient à l'Occident une île des
Hyperboréens; cette terre merveilleuse était située,
d'après les auteurs anciens , dans l'Océan, en face de la
Celtique et par conséquent, dit Malte- Brun , répondait
1 En Égypte, en Colchide, à Rhodes, à Cusco.
2 Callisthène, qui accompagnait Alexandre, envoya de Babylone à
Aristote les observations astronomiques des Chaldéens, lesquelles
remontaient à 1,903 ans.
3 Liv. 2. Ces légendes sont nées en Ibérie, ce qui fit placer au nord
l'Hyperborée .
CHALDÉENS 175

à la Grande- Bretagne. Dans cette île , selon Diodore de


Sicile, Apollon descend tous les dix -neuf ans, durant
lesquels les astres achèvent leurs révolutions; la lune
s'y montre à peu de distance de la terre, de sorte qu'on
distingue des montagnes sur son disque'. Selon
d'autres ?, le dieu a, dans ce même pays, un monu
ment formé de grosses pierres, et les Celtes racontent
que l'ambre que les Hyperboréens y recueillent, ce sont
les larmes que le Dieu versa en pleurant son fils Escu
lape qu'il avait eu de Coronis . Ce dernier nom est celui
du Cornouailles. Dans le Cornouailles est le fameux
Circle of stones de Biscawen , qui se compose de dix
neuf pierres druidiques; dans la même région, on voit
la célèbre fontaine d'Apollon , nommée dans l'Itinéraire
d'Antonin, Fons solis ; sur la côte voisine 3, les enfants
vont encore aujourd'hui recueillir l'ambre. Comme ce
cromlech servait à mesurer les mouvements luni
solaires au moyen d'une aiguille qui avançait d'une
pierre chaque année , de Meten, mesurer “, on l'appela
Cycle de Méton ; la dix-neuvième et dernière année
était célébrée par des fêtes ou, comme disent les Saxons ,
par des Gildes ; et , comme ce dernier mot signifie aussi
doré, la période de dix-neuf ans fut appelée Nombre
d'or. On pourra retrouver à Babylone , sur quelque
I Ce passage de Diodore est un des arguments que Bailly emploie,
dans son Histoire de l'astronomie , pour prouver que les anciens con
naissaient le télescope.
2 Selon Apollonius de Rhodes, liv. 2 , vers 694 et liv. 4 , vers 611 .
3 Surtout dans le Norfolk .
4 Veten , en celtique, Mathein, en grec, signifient mesurer astrono
miquement ; d'où le mot mathématiques.
176 ONZIÈME THESE

monument taillé, le Cycle de Méton ; mais , en attendant,


on le trouve dans le monument brut de Biscawen.

Inscriptions cunéiformes.

Les inscriptions recueillies dans les monuments de


l'Asie centrale sont appelées cuneiformes. Rien dans
nos alphabets ne ressemble à ces signes composés
uniquement de flèches, et quant à la langue ainsi
écrite , il faut la deviner plutôt que la traduire. Nos
savants se jetant au travers des obstacles ont cherché
à pénétrer ces secrets d'un autre âge et, tant par des
combinaisons habiles que par des théories arbitraires,
se sont hasardés à nous retracer dans nos langues le
sens de ces énigmes. Donnons d'abord quelques détails
sur l'histoire de cette écriture.
Les peuples , en s'éloignant des bords atlantiques,
avaient cherché, avons -nous dit, par différents moyens,,
à se passer du flux océanique pour augurer l'avenir.
Le procédé le plus usuel consista dans les baguettes?
divinatoires ; une consécration ? les déclarait identiques
avec le flux qu'elles devaient représenter ; c'est pour
quoi elles étaient au nombre de trois , de sept ; et pour
orienter leur direction , on les avait effilées par un bout
en forme de flèche et arrondies par l'autre en forme
i Ces bûchettes se disaient en saxon Log, d'où dérive le pélasgique
Logos. Par suite de cette transmutation , muyten a formé mot, vertere å
formé wort.
2 Le mot celtique qui signifie consacrer est Eenigen , unifier ,
identifier .
CHALDÉENS 177

d'anneau '; jetées au hasard par le Chamane sur l'autel


druidique, elles formaient des figures différemment
interprétées selon que les pointes se dirigeaient vers
l'orient dans le sens du flux, ou vers l'occident dans
le sens du reflux . Deux systèmes d'écriture se fon
dèrent sur ce jeu : premièrement, le système assyrien
par lequel les diverses figures qui résultaient de ces
flèches constituèrent un nombre indéfini de lettres
ayant chacune sa signification déterminée; deuxième
ment, le système ionien qui, ne considérant que le
double mouvement du flux augurateur, ne prit de la
flèche que la tige et la tête , c'est-à-dire les lettres
primitives I O , et, en les combinant de vingt-cinq
manières ?, on en forma ainsi un alphabet limité , le même
dont nous nous servons. Il n'est point dans le monde
entier de religion , de féerie, de prestiges, où l'on ne
retrouve et cette baguette et cette bagues, l'une servant
aux magies de Circé, l'autre scellant les décrets du
pontife de Janus. Ce second système se développa
puissamment en Europe, et quand il pénétra dans l'Asie
centrale, les grandes cités dont nous cherchons à lire
les inscriptions n'existaient déjà plus ; elles n'ont,
par conséquent, jamais connu que les lettres cunéi

Annulus, anneau , dérive de Ennia, Ring, de Rhenus. En espagnol,


bague se dit Sortija, magicienne.
? Les anciens alphabets ont tous un nombre carré de lettres : seize,
vingt-cinq, trente-six, soixante -quatre.
3
Bague est un mot purement mystique ; figurant le cours incessant
d'un fleuve, Back, on comprend qu'il en ait pris le nom. Une vague et
une bague sont donc deux mots de la même famille.
12
178 ONZIÈME THÈSE

formes. Il nous reste donc à voir d'où leur venaient ces


lettres.
Les caractères cuneiformes sont répandus dans
l'Asie centrale du pays de Babylone à la région Cas
pienne ; c'est justement dans ces contrées du Nord que
l'Asie semble voir le berceau de ses institutions et ,
sans nul doute , de son écriture. Là se trouvent, en
effet, deux grands noms civilisateurs , Zoroastre et
Abaris'; l'un né dans l’Atropatène, l'autre surnommé
Etrobatės?; tous deux rappelant par leur nom les
Atrebates de Bretagne et par leurs prestiges le trans
formateur Merlin?. Si l'on étudie en détail les légendes
des deux Asiatiques, c'est toujours à la patrie de Merlin
qu'elles nous ramènent. Ainsi Zoroastre déclare dans
le Zend -Avesta que les prêtres Chaldéens sont origi
naires d'un pays où la nuit la plus longue est double
du jour le plus court; or, sur ces données , Bailly
reconnaît que l'auteur désigne le 50e degré de latitude;
en Asie , cette latitude nous plonge dans les contrées
sauvages de la Tartarie, et en Europe, elle nous reporte
dans la région des Atrebates ; là , en effet, au solstice
d'hiver, le jour est de huit heures et la nuit de seize .
Quant à Abaris, il nous retrace, sous d'autres formes ,

| L'origine des mots Abaris, Ibères , Hebræi , Abares est Yver,


pieux .
2 Les Grecs écrivant Ethrobates ont supposé par une fausse étymo- .
logie qu’Abaris voyageait dans l'Æther.
3 Le mot Mair - lin , comme nous le disons ailleurs, signifie le
transformateur Linus ; remarquons que, selon les Grecs, ce même
Linus apprit à lire à Hercule, qui lui cassa même son alphabet sur
la tête .
CHALDÉENS 179

la même patrie ; on le disait hyperboréen ; il était


prétre d'Apollon, et le dieu lui avait donné une flèche
au moyen de laquelle il opérait toutes sortes de pres
tiges ; cette flèche ou plutôt ces caractères magiques ,
en forme de flèche, nous ramènent donc dans cette
même Hyperborée où nous venons de trouver le temple
cyclique d'Apollon, et où, dans une autre thèse, nous
avions placé l'origine des lettres Ogham .
Voyons maintenant quel degré de confiance on peut
accorder aux inscriptions cuneiformes pour connaître
les choses de l'ancien Orient. Dans cette région où les
rois étaient les descendants des dieux, leurs palais
étaient des temples ' . Leurs peuples n'avaient évidem
ment d'autres usages que ceux des nations environ
nantes ; comme elles , ils inscrivaient dans ces temples
royaux non pas les faits profanes dont ils avaient été
les témoins, mais les actes des ancêtres , leurs triomphes,
leurs légendes rendues sacrées par de longs souvenirs .
Dans le monde entier, on retrouve l'application de ce
principe ; en Amérique, tous les grands monuments
avaient été faits par les anciens Toltèques et les
exploits de ces héros imaginaires se lisaient en hiéro
glyphes sur les murs des temples ; dans l'Inde, tout ce
qu'il y a de merveilleux est l'oeuvre des Pandos ; les
sources qu'ils ont fait jaillir, les rochers qu'ils ont
fendus d'un coup de hache , portent des inscriptions qui

· Nous ne trouvons en Égypte que de temples et en Assyrie que


des palais ; mais ces palais et ces temples étaient deux mots pour
désigner une même chose.
180 ONZIÈME THÈSE

attestent cette origine ; l'histoire fabuleuse d'Isis que


nous conte Hérodote était copiée des temples ; chez
les Grecs , Phidias, inspiré par Homère, fit redire au
marbre du Parthenon toute la vie de Minerve qui,
dans des temps fort reculés , avait fondé Athènes.
Quant aux monuments de l'Asie centrale, Sémiramis
a tout fait ; elle construisit Babylone; l'armée
d'Alexandre trouva, jusque chez les Scythes, son nom sur
une inscription ', probablement cuneiforme, qui rappelle
ses grands travaux ; certaines légendes, la reportant à
une autre extrémité , la font naître à Ascalon et, la
confondant avec Derceto , en font une femme terminée
en queue de poisson ; on lui voit tous les attributs de
la déesse Syrienne, d'Isis , d'Omorga ; c'est donc un
étre fictif et les peuples , en élevant les constructions
assyriennes , y ont inscrit les légendes non point d'une
reine de leur époque , mais d'un ancien mythe person
nifié ; l'analogie nous force à croire que les faits dont
on composa son histoire, que les héros , les dieux dont
on y trouve les noms, n'appartiennent point à l'époque
où les monuments furent construits, mais à ces temps
mystérieux où se forma la mythologie de tous les
peuples; en un mot , ces mythes, nés dans le pays des
Celtes , sont venus avec eux s'inscrire sur les monu
ments des Chaldéens .
Les traductions rédigées d'après les inscriptions
cunéiformes ne retracent, me dira -t-on, que des faits

i L'inscription que Polyen nous a transmise et que nous avons citée


plus haut .
CHALDÉENS 181

asiatiques et réels ; comment expliquer cette ano


malie ?
Lorsque les savants arrivèrent en Asie pour exploiter
ces richesses scientifiques, ils apportaient avec eux des
idées préconçues sur cet ancien Orient ; ils en savaient
ce que leur avaient appris Hérodote , Ctésias , Syncelle,
Trogue-Pompée, les interprètes hébreux . Mais la plus
grande discordance régnant entre ces auteurs , toutes
les dates étaient bouleversées ; les noms ne se rappor
taient point, et, n'était-ce le mot de Babylone ' qui res
tait le même , on n'eût su dire de quelle nation ? chacun
d'eux voulait parler. Les orientalistes se mirent donc
à l'ouvre, prédisposés chacun à trouver la preuve de
son système; on pouvait, en effet, tout faire d'un texte
dont on ignorait et l'alphabet et la langue ; on ressem
blait à ces écoliers qui , connaissant deux mots d'une
page à traduire, bâtissent sur ces deux mots l'histoire
qui leur paraît la plus vraisemblable . Aussi le résultat
fut étrange.
Au delà de Babylone , nous ne connaissions que peu
de pays ; mais en deçà les Grecs nous avaient appris
les noms et les histoires d'un grand nombre de peuples ;
ce sont ces noms et ces histoires que l'on se hâta natu
rellement de retrouver dans les inscriptions ; de sorte
que les conquêtes lointaines, les travaux de tous
genres attribués aux héros assyriens, auraient été exé

1 Encore la bible des Hébreux, au lieu de Babylone et des Chaldéens


écrit Babel et Chasdim.
? Je dis ailleurs que Bérose, sous le nom de Babylone, décrit Bogota ,
ville des Muiscas .
182 ONZIÈME THÈSE

cutés presque uniquement dans les régions qui sont


tournées vers nous , qui nous sont connues par les
Grecs et les Talmudistes . Pour peu qu'un mot s'y
prêtât, on y reconnaissait instinctivement la légende
qu'on désirait y trouver, le nom des héros . qui devaient
avoir brillé dans ces régions . Quant aux pays énoncés
dans leurs conquêtes, on ne vit que l'Arménie, la
Perse, l'Égypte, la Syrie, la Phénicie, toutes contrées
voisines de notre Europe ; quelques noms seulement,
que l'on trouva trop rebelles , furent rejetés au delà de
Babylone et appliqués à des conquêtes inconnues. Par
exemple , Tiglat et ses successeurs soumettent Kharia,
Moskaias , Arama , Komouka , Khamana ; or, des mots
approchant de ceux-là se trouvent dans le monde entier
et , par conséquent , dans l'Asie ; on y connaissait la
Carie , les Mosches , les Araméens , la Comagène, le
mont Amanus en Syrie ; on fit venir là les conquérants
assyriens , on s'efforça d'harmoniser ces faits avec
ceux que nous connaissions et la confusion en fut aug
mentée d'autant .
Ainsi , dans les temples chaldéens comme dans tous
les temples du monde , les légendes inscrites étaient

i Ces travaux sont, dans Hérodote , attribués à des femmes et surtout


à Sémiramis et à Nitocris ; et dans les inscriptions on les attribue à
des hommes , et surtout à Nabopolassar , à Nabuchodonosor. M. Oppert
lui-même admet que par Nitocris c'est Nabopolassar qu'il faut
entendre. C'est ainsi que, dans nos mythes occidentaux, les mémes
actes ont indistinctement pour auteurs Diane ou Apollon, Minerve ou
Neptune.
2 Dans l'Amérique centrale, on trouve Coro, les Muiscas , Arima,
Comaguia , Cumana .
CHALDÉENS 183

celles des âges primitifs et les mystères de Babylone


étaient ceux des autres nations. Ils avaient pénétré
dans cette ville par la Syrie et l'Égypte, comme il est
facile de le constater .
En effet, de la Syrie à Babylone, c'est toute une
chaine de noms qui décèlent une même forme de culte .
On trouve d'abord la ville syrienne de Bambyce ', avec
sa déesse Atergatis qui, comme la divinité de Baby
lone , se terminait en queue de poisson ; puis Charree,
l'on adorait Méni , que les Latins appellent tou
jours Lunus?; puis encore Mygdonies, nommée Anthé
musie par les Grecs, ces deux mots désignant des
houris et des florales ; et enfin Babylone .
Quant à l’Egypte, on peut remarquer que la triade
mystique dans les deux pays est la même ; Osiris, Isis
et leur fils Horus rappellent sous d'autres noms Ninus ,
Sémiramis et leur fils Ninyas. Osiris est le même mot
qu'Assur, et le Nénuphar qu'il porte en main se dit, en
Orient , Nien , dont on fit Ninus . Isis et Sémiramis
offrent les mêmes légendes, les mêmes symboles ; Dio
dore de Sicile , parlant de la première, dit qu'elle bâtit
des temples tout en or ; parlant de la seconde, il dit
également qu'on lui doit les merveilles des palais de

? Notre mot Bamboche est un souvenir des florales de Bambyce.


2 Maen est masculin, d'où les Latins, au lieu de Luna, ont écrit
Lunus. Ils appellent Lunus la déité de Comane et celle de Charrce.
3 Magd, fille ; Dunum , bourg ; d'où Myg.don est la traduction exacte
de Magd-bourg.
* Nien , nénuphar en chinois-coréen. SIEBOLD. Voyage au Japon ,
t . V.
184 ONZIÈME THÈSE

Babylone. Horus et Ninyas sont un même système de


filiation
Diodore de Sicile a copié sur les murs des temples
égyptiens l'inscription suivante : « Je suis Osiris, roi ;
j'ai parcouru tout l'univers jusqu'aux extrémités des
déserts de l'Inde et ensuite d'autres parties du monde,
jusqu'à l'Océan , jusqu'aux sources de l'Ister“ ; j'ai visité
toutes les nations pour leur apprendre tout ce dont je
suis l'inventeur. » C'est sur ce modèle que sont rédigées
les inscriptions des deux Babylones. Dans l’une , Osiris
raconte ses exploits ; dans les autres, Assur raconte
les siens , tous deux dans le même style, tous deux dans
les mêmes exagérations. Quand nous reconnaissons que
les uns sont fictifs , comment osons-nous dire que les
>

autres sont réels ?

Des mystères chaldéens.

Comme on vient de le voir, par la Syrie et l'Égypte,


nous remontons des légendes de Babylone aux autres

i Ce qui prouve que c'est par l'Égypte que les mythes celtiques
étaient passés en Asie , c'est que le Nil était pour les Orientaux le
fleuve sacré. Les rois de Perse, nous dit Athénée (Liv. 2), se faisaient
apporter tous les ans d'Égypte du sel ammoniac et de l'eau du Nil.
2 Voy. sur cette inscription , BANIER, Mythologie, t . I , et le béné
dictin PERNETTY, Fables égyptiennes, liv. 1 , ch. IV.
3 Remarquons ce double emploi : Osiris va conquérir jusqu'au delà
de l'Inde ; et Sargon , roi de Ninive, dit dans une inscription qu'il
s'avança jusqu'au delà de l'Égypte, jusqu'à Méroé.
• Hérodote, surpris que les prêtres égyptiens ne connussent pas les
sources du Nil, dit que tout le monde connaissait celles de l'Ister, au
pays des Celtes.
CHALDÉENS 185

religions de l'Europe, au berceau des émigrations cel


tiques. On peut donc s'attendre à retrouver , dans les
traditions chaldéennes, des souvenirs égarés qui rap
pellent les mystères de la mère patrie.
Ainsi , d'abord dans la Babylonie, la triade fluminale
n'a pu
pu évidemment s'adapter à la nature des lieux ; mais
plus ou moins déformée , elle se laisse reconnaître dans
les légendes chaldéénnes : Nitocris, nous dit Hérodote,
fit faire à l'Euphrate un triple circuit, de sorte que le
fleure passe trois fois par Ardericca et que les bateaux
quile descendent rencontrent ce bourg trois fois en trois
jours. On sent bien que le vaste bassin de l’Euphrate
ne se laisse pas replier comme un petit ruisseau ; c'est
pourquoi il faut admettre là une figure que l'historien
grec aura dénaturée , laquelle cependant peut servir à
nous montrer qu'il y est question des trois fleuves cel
tiques.
Voici maintenant une mention des sept embouchures.
Nabuchodonosor, dans une inscription ' , raconte que
c'est lui qui a construit Babylone , ses murs, ses portes,
ses forts, et il ajoute qu'il termina la tour des sept
lumières de la terre; cette tour était à Borsippa; il y
travailla sous les auspices des dieux Nébo et Méro
dach ; mais il n'en fit que le toit, lequel n'avait jamais
été achevé.
Que faut- il d'abord entendre par ces sept lumières ?
Nous avons dit que le fleuve primitif refoulait la
* Interprétée par M. Oppert.
? Dans une inscription trouvée à Bir Nemroud et interprétée par
M. Rawlinson .
186 ONZIÈME THÈSE

marée atlantique par sept embouchures, mais que ce


flux dans les pays écartés de l'Océan avait été différem
ment figuré. Souvent ce symbolisme consista dans le
double sens d'un mot. Ainsi Ebbe signifie flux, on en
fit Ippos, cheval, et dans la Susiane ', sept chevaux
nizéens , au lever du soleil , déterminaient par leur hen
nissement l'élection du roi ; Peel désigne la stagna
tion ’ d'un fleuve océanique, mais le grec Pylé signifie
porte, d'où l'on donna sept portes à Thèbes qui, outre
cela , pour des causes analogues, fut attaquée et
défendue par sept chefs 3 ; Maer veut dire marée, Maur
veut dire muraille et , sur cette apparence amphibolo
gique , la légende , au lieu de sept marées , donna sept
murs à Egbatane * ; Bach détermine le recul d'un fleuve
océanique , et ce mot, confondu avec Vacca ”, fit naître le
songe des sept vaches grasses et des sept vaches mai
gres ; Yeor , fleuve, est presque Yaer , qui signifie tout
à la fois épi et année ; et on explique par là les sept
épis pleins des histoires égyptiennes et les sept années
qui reviennent sans cesse dans les mystères anciens.
Quelquefois, c'est sur le nombre trois que porte le figu
risme ; ainsi , dans la mythologie des Birmans , on voit

1 Cheval se dit en hébreu Sus et en celtique Paerdt ; d'où Susiane et


Parthes. Les chapiteaux des palais de Persépolis sont des têtes de
cheval.
2 Stagnum , partie fluctuante d'un fleuve .
3 Amphion bâtit ses murs au son d'une flûte à sept tuyaux ; l'autre
Thèbes, celle d'Égypte, était dans l'Heptanomide.
4 On ne sait où placer les sept murs fantastiques d'Egbatane.
5 Taurus a de même été confondu avec Door ; l'un signifiant tau
reau , l'autre porte.
CHALDÉENS 187

que le séjour des dieux est une montagne sainte que


soutiennent trois rubis , et d'où s'écoulent sept grands
fleuves.
Après cette énumération , que j'aurais pu rendre bien
plus longue ' , on comprendra sans peine comment la
tour des sept lumières de la terre , placée en quelque
sorte à l'embouchure d'un fleuve, peut désigner les sept
branches figuratives de ce fleuve, les mots qui signi
fient Aux , comme Loch , Fluctus , Tidt, sont souvent
confondus dans les mystères avec ceux qui signifient
lumière , comme Lux , Phlox ?, Tæda.
Dans la même inscription Nabuchodonosor, pour
récompense de ses travaux, demande une faveur que
l'on attend d'un fleuve et non d'un flambeau , c'est- à
dire une fécondité septuple. Encore aujourd'hui, les
Israélites ne célèbrent aucune de leurs grandes fêtes
sans avoir traditionnellement, au milieu d'eux , une
figure aux trois angles qu'ils suspendent et un candé
labre aux sept branches qu'ils placent sur un autel.
En Laconie , aux bords de l'Eurotas 3, Pausanias dit
avoir vu sept colonnes qui avaient été élevées en l'hon
neur, disait- on , des sept planètes; or, dans cet exemple
aussi bien que dans celui de Nabuchodonosor, il ne

1
Byzance était aussi appelée Bal-el-Ain, la porte du canal ; le mot
Porte en est un souvenir ainsi que le Château des sept tours.
? Phlox , lumière, en grec. Dans plusieurs monuments de Mithra, on
voit en avant du taureau deux jeunes gens tenant chacun un flambeau
(Toeda, Tidt) , l'un élevé, l'autre baissé ; figure de la marée haute et de
marée basse .
• Rood, Rauda , flux et reflux, comme nous le disons ailleurs.
188 ONZIÈME THÈSE

peut être question des planètes' qui courent dans le


ciel , puisque , selon Sénèque ? , les Orientaux n'en
admettaient que cinq.
L'inscription, après avoir mentionné la Tour des sept
lumières, ajoute des détails qui confirment l'interpré
tation précédente . Ainsi , cette tour était à Borsippa ; or,
Borsippa ?, par l'étymologie de son nom , était le point
naturellement désigné pour l'ébranchement figuratif du
fleuve. Ainsi encore , des deux divinités invoquées dans
l'inscription , l'une, avons-nous dit , est Nébo , l'autre
Mérodac; mais ce mythe, si nous l'expliquons d'après
la langue celtique , rentre dans la théogonie des autres
peuples ; il exprime en deux mots tout l'ancien ponti
ficat; Neap 4 signifie marée descendante, Maer-dick
signifie marée montante ; c'est, en d'autres termes, Oro
6
Maez et Ahri-Maen ® ; c'est ce que les Étrusques expri
maient par le seul mot de Neptune ? ; c'est la figure
double que partout on appelait d'un nom approchant
de celui de Janus , Janoa, Oanès ; c'est le fleuve et son

i Planaein , aller et venir, s'applique à la marée des sept bouches du


fleuve primitif ; on l'a abusivement appliqué aux astres errants.
2 Xerxés logea chez Démocrite et lui laissa des mages pour l'ins
truire. Démocrite, dans ses ouvrages, parle des astres errants ; mais,
dit Sénèque, il nous en dit peu de chose, parce que le cours des cing
planètes n'était point connu . Quest. natur. Liv. 7.
3 Bor's -ippa, littéralement reflux de la marée ; cet ippa est l'ipo des
Phéniciens, dans Belippo , Olisippo , Maracaibo.
• Neap, bas ; neaptide, basse marée. Dict. anglais.
5 Maer, mer ; dick, haute. C'est le même mot que Sy-dick, qui est,
selon Sanchoniaton , père des sept cabires .
6 Maez, Meuse ; maen , lune, flux lunaire.
7 Duyn , Duyninge, flux. Darsy. Dictionnaire flamand . 1
CHALDÉENS 189

flux. L'inscription elle -même laisse voir cette différence


lorsqu'elle dit que Nébo exalte Mérodac et lorsqu'elle
appelle ce même Mérodac le dispensateur de la domi
nation ?
Quant à cette bizarrerie d'un temple qui reste pen
dant quarante-deux générations sans avoir de toit, c'est
un souvenir confus des temples celtiques qui sont à
découvert et dont l'un , celui d'Avebury , renferme deux
cromlechs composés chacun de quarante-deux pierres .
En général, les inscriptions cuneiformes sont rem
plies de traits inexplicables en Asie , mais qui se com
prennent dans la théorie que nous avons donnée des
mystères celtiques . Ainsi, le Hélion , près d'arriver à la
mer, traverse un pays qui fourmille d'antiquités géolo
giques et qui s'étend du Sabus à l'embouchure, c'est-à
dire au Gat, et ce dernier mot se trouve même repro
duit dans toute la région maritime du fleuve; on y voit
le Cadsant, le Katten -dick , et surtout les peuples que
Tacite appelle Cattæ ; or, Tiglat- Pileser ?, dans une
inscription 3 trouvée à Ninive, raconte en toutes lettres
qu'il a étendu son empire * du Zab jusqu'au pays des
Catti vers la mer du couchant. J'en cite un autre

" La marée en déposant l'héritier sur le rivage lui donne la domi


nation .

Te Galat Peel Æsar. Peel, comme nous l'avons dit, signifie flot
poussant la vague ; d'où le latin Pellere ; ce qui fait rentrer ce nom
barbare dans notre théorie . C'est le Lama, le Pontifex , le flot puri
ficateur.
3 Interprétée par M. Oppert .
* Il conquit 42 pays. La tour de Borsippa avait été sans toit pendant
42 générations. On connait en Égypte les 42 livres d'Hermès, et en
Asie les 42 préceptes de Tsong -Kaba.
190 ONZIÈME THÈSE

exemple.. Le royaume d'Assyrie, en poussant au loin ses


conquêtes , a pu atteindre vers l'occident la Méditer
ranée ; mais , vers les régions orientales , il n'y a point
de mer ; ce ne sont jusqu'au Japon que des espaces
habités. Cependant Belochus, dont le nom semble déjà
fort étranger à ces contrées , dit dans une autre inscrip
tion 1' tirée des ruines de Babylone : J'ai régné de la
grande mer du soleil levant, jusqu'à la grande mer du
soleil couchant. C'est toujours le même système ; la mer
confondue avec la marée, le soleil confondu avec le
Hélion et des légendes incohérentes imaginées sur ces
figures mal comprises.
On voit , par ce qui précède, qu'il y a dans nos études
modernes une étrange aberration. Nous rapportons
d'Asie des noms mystérieux que nous nous efforçons de
ne point reconnaître pour leur laisser cette teinte orien
tale qui rehausse la science, ce poétisme auquel la
foule se prend . Parmi nous se trouve l'ile Scaldia 2, d'où
relevaient les peuples qui bordent l'Atlantique, soit que
dans le nord on les nomme Scaldes, soit que dans le
midi on les nomme Celtes. Ce n'est sur toute cette
lisière qu'une chaîne de monuments en ruines. Plus
anciens que ceux de l'Asie , ils n'ont pas encore d'in
scriptions, mais les traditions des peuples leur ont inva
riablement laissé les mêmes noms que nous allons
chercher savamment dans les contrées orientales.
Voyons-en quelques exemples .
Les noms mentionnés dans les traditions chal

i Interprétée par M. Oppert.


? Aujourd'hui Schouwen.
CHALDÉENS 191

déennes sont généralement accompagnés des deux qua


lificatifs Nabo , Æsar ; Nabu - Chodon -Osor en est un
exemple.
Nabo, comme nous l'avons vu , désigne le fleuve
dans son décours. Le prêtre qui augurait l'avenir par
l'auscultation du fleuve était appelé Neve ' . Lorsque
les peuples s'éloignèrent de l'Océan et qu'il fallut avoir
recours à des symboles, les Ibères se servirent de
cartes, leur conservant religieusement le nom de
Naipe ?; les devins de Rome employèrent le jeu de
Croix et Pile , qu'ils appelèrent également Navia 3 ;
le Novius, qui devinait les pensées de Tarquin , tire de
là son nom “ ; dans toutes nos contrées plus encore
qu'en Orient, le mot Nabo désignait autrefois le dieu
des oracles; ainsi, dans les Gaules, les Helviens avaient
>

pour principale divinité Nabahas ; ainsi encore, on peut


voir dans Muratori une inscription trouvée en Espagne
et sur laquelle on lit :
BOUTIUS
ANTUBEL
Et D. NABI
V. S. L. M.

1 Nete, jongleur, bateleur, devin. Darsy. Dict. flam . Beytel signi


fiant une pierre branlante ; on appela bateleurs les devins qui augu
raient l'avenir par le nombre d'oscillations que faisait cette pierre et
se passaient ainsi du flux.
Ordin, Dict. espagnol.
3 Encycl. méthod . Antiquités.
4 Novius devina que le roi coupait un caillou avec un rasoir ;
légende fondée sur le mot ibérique Navaja, qui signifie rasoir.
5 MURATORI. Thes. inscript., p. 100. Antubel est le même mot que les
Romains prononçaient Annibal.
192 ONZIÈME THÈSE

Quant au mot Æsar , il caractérise dans l'épreuve


ordalique le flot montant qui déposait l'enfant sur le
rivage, le déclarant ainsi héritier de la maison, Haus
heir, Assur, Æsar ' . La foudre, étant tombée à Rome
sur le fronton d'un temple , y effaça la première lettre
du nom de Cæsar ; le mot Æsar qui restait est Etrus
que , selon Suétone ?, et signifie souverain et là-dessus
les augures consultés annoncèrent au général romain
l'empire du monde . Ce terme comme tous les autres
passa en Orient et nous voyons , par Apollonius de
Rhodes 3 7 que la région du Pont -Euxin où coule le
Halys , s'appelait Assyrie 4. Ainsi , les deux qualifi
catifs Nabo , Æsar appartiennent à nos contrées , à
nos anciens cultes et Nabu-Chodon-Osor signifie le
pontife Chodon , suzerain ; c'est le prêtre Jean ; c'est
l'archidruide Chyndonax 5 ; c'est le grand lama des
Celtes .
Les noms propres de ces souverains orientaux appar
tiennent également à nos contrées et surtout se retrou
vent partout où sont des monuments druidiques. Ainsi
les peuples des deux Bretagnes chantent toujours, dans
leurs antiques ballades, un monarque des temps pri
?

1 La garance a toujours été la culture spéciale de l'ile Scaldia que


baigne le Hélion. C'est la pourpre primitive ; c'est pourquoi, réservée
au vainqueur de l'épreuve ordalique, à Assur, elle s'appelle en Orient
Isari ,
% Vie de César.
3 Argon ., liv. II , v. 946.
4 Cette Assyrie fut étrangement traitée par les légendes ; ass oor
signifie oreille d'âne; on donna des oreilles d'âne à Midas, roi
du pays.
5 Dans une inscription , il est appelé Archiereus.
CHALDÉENS 193

mitifs qu'elles nomment quelquefois simplement Conan ',


le roi, mais souvent aussi Codon ?; la ville saxonne de
Caen s'appelle, de son nom primitif, Cathom ; le mot
Catanes ?, aujourd'hui encore en Ibérie , ne s'applique
qu'aux grands personnages ; tandis qu'aucun des histo
riens grecs , dont nous avons les ouvrages , ne cite en
Asie le nom de Nabu - Codon - Æsar. Strabon, voyageant
en Espagne, l'y trouve et nous écrit en toutes lettres
le nom de cet ancien monarque dont lui parlent les
Ibères. Il en est de même pour Conan Mériadec qui
jouit en Bretagne de la même considération que le roi
Mérodac en Assyrie. Au fond de l'Armorique étaient
les anciens Agnotès, c'est-à-dire les sectateurs d’Agni “,
ayant leur temple dans la ville antique qui se nomme
encore Saint-Polº; or, ces deux mêmés noms remplis
sent l'Orient : Agni, dans les livres védiques , désigne la
divinité ; Pol se retrouve dans Nabo -Pol-Assar, dans
Sardana -Pal. Au milieu des temples du Carnac était
Dario -rick , c'est -à - dire la ville du Daïriº, de Darius .
· En Irlande, on voit la montagne de Kallen toute couverte d'in
scriptions Ogham , et sur cette montagne la tombe de Conan.
? Dans les légendes armoricaines, il est appelé Cadon, Codon ,
Cathom , Cothan, etc. La Bretagne, etc. PITRE-CHEVALIER.
3 Catanes, celui qui fait partie d'un ordre et en porte la chaîne,
Catena.

• Isis, Cybèle sont appelées Agné dans les mystères .


5 Les histoires de Saint-Pol se retrouvent en Orient. Saint- Pol avait
perdu une clochette sacrée ,> indispensable pour son ministère ; un
poisson la lui rapporta du fond de la mer . En Orient, le Koutouctou
De peut commencer ses fonctions sans avoir miraculeusement retrouvé
sa clochette. Thèse XII.. Nabopolassar était un Koutouctou.
• Il y a en Bretagne un royaume de Daïri, en Perse un roi Darius,
au Japon un pontife appelé Daïri.
13
191 ONZIÈME THÈSE

Les peuples des deux Cornouailles ont toujours appelé


leurs prêtres Belech ; or, Belochus est un nom commun
aux rois d'Assyrie . Est-il rien qui ait une apparence
plus orientale que le nom , que la ville de Ninus ? Ce
mot semble refléter toute l'antiquité asiatique ; l'histoire
ne le connaît point dans nos régions ; mais la géologie,
plus ancienne que l'histoire , est là pour rectifier sa
longue ignorance. Le sol gaulois nous a conservé des
médailles nombreuses en tous métaux , en bronze , en
argent, en or, où se lit le nom de Ninno ?. Ce nom de
Ninus est donc de ceux que nos émigrations gauloises
ont portés sur les bords du Tigre .
Voilà pour la Gaule ; mais soit au nord , soit au
midi de cette contrée , nous pouvons faire les mêmes
rapprochements .
Près de Emden?, parmi de nombreux monuments
druidiques , se trouve le golfe de Dollart , c'est-à-dire
de l'impôt, et dans ce golfe, une ile nommée Nasser ou
le mob4 de West-Phalie venait payer son tribut ; du
nom de l'île le suzerain fut appelé Nabo-Nassar et , du
nom de la province, Phul , et ces deux mots sont com
1 Encycl. méthod. Antiquités . La ville de Nem - roud est à l'embou
chure du Zab, Namur est à l'embouchure du Sabus ; Namar, en phéni
cien , signifie Tigre.
2 Emden est le même mot que Hamadan ; et les Saxons de ces con
trées se retrouvent dans les Sassanides de la Perse.
: Doll, tribut ; erd , terre. Doll -art est le nom celtique de l'ile ; Naser,
florales, est son nom phénicien.
4 Mob , mof, moab, paysan corvéable de West -Phalie. Cette corvée
est le Robod , c'est- à -dire la taille payée pour le rachat du droit de
prémices . Rabat Ammon ; Rabat Moab.
5 Il y avait Est et West-Phalie .
CHALDÉENS 195

muns dans les antiquités assyriennes . Chez les Scan


dinaves et surtout dans l'ile Codanusia , le nom d'Odin
est gravé partout en lettres runiques ; c'est le même qu
s'écrit Eude, Othon , Eddin , Hatun ? chez différents
peuples, et Assar-Adon dans les ruines orientales .
Si, des régions du Nord , nous passons à celles du
Midi, mêmes observations .
L'Espagne est , comme l'Assyrie , remplie de tau
reaux sculptés » ; ceux de l'ancienne Carthage “, décou
verts récemment , ont quatre yeux ; Salamanque , bâtie
sur une assise cyclopéenne, a un taureau sur son vieux
pont et un autre dans ses armes , et il semble que c'est
le nom de cette ville qui se retrouve dans le Salman
Æsar des temples assyriens.
Je citerai encore la Sardaigne dont les souvenirs
remplissent l'Orient ; ses palais funéraires, appelés
Noraggi, sont mentionnés dans les poésies sanscrites ,
sous le nom de Naraga" ; le pays des Sardes et le
Lydius amnis sont en face l'un de l'autre; or, ils sont
également réunis en Orient , où l'on voit ensemble Sardes
et la Lydie. On peut donc croire que Sardana- Pal,
Nabu -Sardan sont d'anciens noms de nos contrées
passés en Orient.
Sala -Eddin ; Nour-Eddin ; Assar-Eddin.
? Hatun, grand, au Pérou. Hatun Cusco, Cusco la haute.
3 Ce sont les taureaux de Guisando. Thèse VIII .
• Carthago retus dont les ruines sont près d'Olerdola, aux environs
de Barcelone. DELABORDE. Descrip. pitt. de l'Espagne.
5 Les Noraggi sont des palais cyclopéens où l'on plaçait les momies ;
on en compte environ 250.
• Le Tibre appelé Dehebris, selon Varron, c'est-à-dire De Bebrus,
l'Hebre, De Yver, le pur.
196 ONZIÈME THÈSE

Cela expliquerait une étrange statue que l'on voit à


Rome et qui représente un homme debout ; on y lit au
bas ! : ÇARDANAPALOÇ. Si cette statue vient d'Assyrie,
pourquoi ces lettres italiques ? Si elle vient de nos con
trées , pourquoi aurions-nous fêté par des statues un
roi asiatique que nous méprisons pour ses débauches?
Il en est de même de Sargon, dont le nom se lit dans
une inscription trouvée en Chypre; on veut en faire le
nom d'un roi assyrien ; mais Serge, commeje l'explique
ailleurs , est un mot des mystères celtiques , et non loin
de Chypre dans le langage des anciens Samothraces
Sergius a toujours désigné un saint.

Appendice.
La Bible ancienne s'impose à notre admiration par la
hauteur de sa poésie qui rejette bien au-dessous d'elle
tout ce qui nous vient des Romains , des Grecs, des
Orientaux . Née des mystères antiques , faite dans un
monde qui n'est plus le nôtre , cent fois interprétée,
copiée , traduite, elle nous apporte naturellement des
noms méconnaissables que chacun s'efforce de tourner
à son système . Elle nous parle d'Assur, et les savants,
croyant que ce mot se rattache à celui d'Assyrie, me
paraissent faire un étrange amalgame des traditions
hébraïques et des mythes babyloniens. Nous avons

1 Voy. Encycl. méthod. Section des antiquités. L'incendie de Sardes


par les Ioniens, l'incendie du palais de Sardanapale sont également
fabuleux ; ce sont des souvenirs de la destruction des cités lacustres
dont il sera parlé plus loin.
CHALDEENS 197

décrit la Babylone de la science , voyons si celle de la


Bible est bien la même .
Dans les livres hébraïques, il est question d'une ville
nommée Babel et jamais Babylone ; ce mot ne se
trouve que dans les traductions.
La ville de Babel était la capitale des Chasdim et on
supposa que ces peuples devaient être les Chaldéens
d'Hérodote.
Babel et Nino ? se trouvaient dans les montagnes ;
et, en effet, le Seigneur dit en parlant à la première? :
Je viens à toi, montagne de perdition , et je te ferai des
cendre de tes rochers ; quant à la seconde, d'où était
partie l'armée d'Holopherne, Judith”, dans son chant
de victoire, s'écrie : Assur est venu des montagnes de
l'Aquilon ; les fils de Titan ne l'ont point frappé, mais
Judith l'a perdu par la beauté de son visage. Or, les
ruines que nous explorons sont, comme dit Hérodote,
dans une raste plaine.
La Bible cite souvent un fleuve qu'elle appelle Fart;
elle le nomme d'abord parmi les quatre qui ont leur
embouchure dans le paradis terrestre 4 ; nulle part elle
ne le fait passer à Babel . Les Juifs, menés en captivité

Ninive est le mot des traductions ; la Bible dit Nino. Le roi de


Nino, selon le livre de Judith, régnait du pays de Hodu au pays de
Cos ; d'après les traductions, c'était de l'Inde à l'Éthiopie.
? Jérémie, LI, 25 .
· Le livre de Judith n'est pas mis par les juifs au nombre des livres
sa
crés .

* Les quatre fleuves sont le Phison , le Gihon , le Chidkel et le Phart.


La description biblique ne désigne donc point la Babylonie qui n'a que
deux tétes de fleuves.
198 ONZIÈME THÈSE

super flumina Babylonis, étaient , soit avec Ézéchiel',


dans le pays des Chasdim , près du fleuve Hobar, soit
avec Baruch ?, dans Babel méme sur les bords du
Sodus ; ces fleuves ne sont point l'Euphrate.
Babel était située près de la mer et avait une grande
flotte. Tantôt, nous dit Jérémie , la mer monte sur
Babel et la couvre de ses flots ; tantôt Dieu baisse cette
mer et la dessèche ; quant à sa flotte, Isaïe “ nous la fait
connaître par ces paroles qu'il met dans la bouche du
Seigneur : J'ai renversé les Chaldéens fiers de leurs
vaisseaux . Or, cette position maritime que nous venons
de décrire n'est point celle de Babylone et, en outre,
les inscriptions cuneiformes , comme elles sont interpré
tées , relatent bien des exploits merveilleux racontés
par les héros eux -mêmes, mais toujours sur terre ;
jamais elles ne parlent d'expéditions sur le golfe Per
sique où se rend le fleuve de Babylone.
Les peuples auxquels commandait Nabuchodonosor
sont les Kethimº; ils habitaient des îles?; leur ville
était surnommée Ssachs, et lui-même est appelé Iona ;
or , jamais on ne reconnaîtra dans ce tableau la Baby

1 Ch . I , v.3.
2 Ch . I , v. 4. Baruch n'est point dans le canon des Hébreux .
3 Ch . LI , passim .
4 Ch . XXXXIII , v. 14 .
5 Babylone est sur l’Euphrate, à 500 kilomètres de la mer. Le flux ne
remonte qu'à 140 kilomètres, c'est - à-dire jusqu'à Korna où le Tigre et
l'Euphrate se joignent.
$ Isaïe, XXIII , 1.
7 Isaïe, II , 18 .
8 Jérémie, LI , 41 .
CHALDÉENS 199

lone de nos savants modernes. Il y a plus ; Tyr étant


prise par les Chaldéens , sa flotte fit voile vers les
Kethimet, par conséquent, au pays du vainqueur ; or,
une flotte ne peut aller de Tyr à Babylone ?. Nous
avons donc établi dans toutes nos interprétations un
étrange désordre .
Mais voici une autre difficulté. Le même vainqueur
qui renversa Tyr et Jérusalem venait des extrémités
de l'Aquilonº . Isaïe, Jérémie, Ézéchiel, Joël, Sophonie,
Zacharie sont unanimes sur ce point. Je lis dans
Ézéchiel* : Le Seigneur a dit : J'amènerai à Tyr, de la
terre d'Aquilon , Nabuchodonosor, roi de Babel , avec
un grand peuple. Je lis dans Jérémies : Voici qu'un
peuple vient de la terre de l'Aquilon et un grand peuple
s'élère des extrémités de la terre . Dix-sept textes sem
blables se trouvent dispersés dans les prophètes que je
viens de citer ; aucun ne fait venir le vainqueur des
régions orientales”; or, la Babylone de nos explora

Isaïe, XXIII , 12. La terminaison im est un pluriel.


? Elle le pourrait maintenant depuis le percement de l'isthme de
Suez.

3 L'hébreu Tsaphon signifie Aquilon. On lit dans Job (chap. XXXVII ,


1. 9;: La tempéte vient du midi, les frimas viennent de l'Aquilon
(Tsaphon
4 Ch. XXVI , v. 7 .
5 Ch. VI , v . 22 .
6 Quelques-uns ont cru , dit Menochius , que, par Nabuchodonosor ,
il faut entendre Alexandre ; mais Alexandre n'a point pris Jérusalem ,
* Quand un vainqueur devait venir de l'Orient, les prophètes savaient
bien désigner ce point de l'horizon ; ainsi Ezéchiel prévient les Ammo
nites que leur vainqueur viendra de l'Orient. Ezéch ., XVI, 4.
200 DIXIÈME THÈSE

tions est exactement à l'orient de Tyr et de Jérusalem '.


Il est admis dans l'enseignement courant que les
Hébreux se servaient primitivement d'un alphabet qui
leur était propre , mais qu'en ayant perdu l'usage dans
leur longue captivité, ils finirent par prendre et
l'alphabet et la langue des Chaldéens. C'est pourquoi ,
quand ils furent de retour à Jérusalem , Esdras ? dut
leur traduire l'ancien texte de la loi dans leur nouveau
langage. Cette écriture d'emprunt est, dit-on, ce que
nous appelons l'hébreu ; or, nous n'avons trouvé dans
les ruines de Babylone rien qui ressemble à cet hébreu ;
tous les caractères étaient cunéiformes.
Enfin Babel , objet de la vengeance céleste , dut périr.
Dieu suscita contre elle les rois des Mèdes pour la ren
verser, et , ajoute le prophète , elle restera éternelle
ment détruite ; les générations ne la verront pas rétablie.
Or, cette Babylone, dont nous explorons aujourd'hui
les ruines, était encore debout que les Mèdes n'exis
taient déjà plus ; elle était dans toute sa prospérité,
lorsque Alexandre, après avoir détruit la puissance des
Mèdes , vint y mourir. Babel n'est donc point Baby
lone.
On voit par cet exposé que les Rabbins , en nous pas
sant leur ancienne Bible, nous ont transmis avec elle
un système d'interprétation fort discutable ; les orienta
listes , par une méprise qui se commet tous les jours ,

1 Tyr est au 33e degré de latitude ainsi que Babylone . Ces deux
villes sont respectivement placées à peu près comme Paris et Vienne.
2 Nehemias, VIII, 9.
3 Jérémie , ch . LI , passim .
CHALDÉENS 201

croient s'appuyer sur cette Bible et ne s'appuient que


sur les interprétations qu'on en a faites; quel que soit
donc sur cette matière l'enseignement de nos écoles ,
les ruines que l'on explore aux bords de l'Euphrate
sont complétement étrangères aux livres sacrés des
Hébreux .
DOUZIÈME THÈSE .

ÉMIGRATIONS DES CELTES DANS L'ASIE ORIENTALE


ET L'OCÉANIE .

Nous voici arrivés aux dernières limites des régions


connues de nos pères . Sur les notions qu'ils nous ont
laissées , nous avons pu démêler, parmi des erreurs
séculaires , les traces de leurs pas jusqu'aux abords du
monde oriental. Là, une barrière de montagnes, que la
nature a jetées en travers de l'Asie , a longtemps arrêté
les investigations de la science . Lorsque , après quinze
siècles d'attente, nous avons pénétré enfin dans ce pays
exotique , l'on put constater que les restes des institu
tions propagées par les émigrations de nos aïeux sont
encore reconnaissables. J'en donne sans détail quelques
exemples .
Dans les anciens mystères, le pontife suprême était
un dieu . La mort n'étant pour lui que le passaged'un
corps dans un autre, les orgies avaient pour objet de
préparer cette renaissance . On déposait dans une crypte
les os et, par conséquent, les mânes du défunt; puis, sur 9

1
l'aire qui les recouvrait, les florales, la virginité,les
| Vloer est le nom de cette aire, d'où florales. Dansy. Dict.flamand.
CELTES EN OCÉANIE 203

ténèbres, l'inconnu rendaient aux voeux des peuples


l'enfant du mystère , Ninus ' , Assur, Sakia Mouni.
Tels étaient dans les temples de Marseille , de Thrace ,
de l'Asie Mineure, les orgies de Cotytto ; les orgies du
Koutouctou pratiquées à Ourga, au nord de la Chine,
pour la ranimation du pontife mongol n'en différaient
point. Là, comme dans les temples de Méni, les pré
tres s'appelaient Galls, ce que nous apprend leur nom
de Mon - gol; le lieu des orgies se nommait également
3
Kouré ?; la cloche de Dindymène : y était aussi repré
sentée; en effet, aujourd'hui encore , quand les popula
tions sont assemblées pour l'intronisation du nouveau
pontife, on lui présente plusieurs clochettes ; il cherche
et s'écrie : Je ne vois pas ma clochette 4 habituelle . A
cette marque , il est reconnu pour être l'ancien , le vrai
Koutouctou dont l'âme reparaît au milieu des hommes
sous un nouveau corps.
A une époque plus récente, on a substitué aux florales
un autre système ; sur une liste dressée de tous les
enfants mâles nés après la mort du pontife, on désigne
par le sort celui dans lequel est passée l'âme du défunt
et c'est celui-là que l'on proclame .
Dans l'archipel Japonais se trouve l'île de leso , c'est
à -dire des Ases, d'Asciburgium ; et, en effet, les habi
| Nino, enfant; haus herr, maitre de la maison ; Saquear, verser
d'une outre dans une autre, transmigrer. Dict. espagnol et flam .
? Ourga en est quelquefois appelé Kouré.
3 Tintinnabulum , tamtam , d'où Dindymène, c'est-à-dire Cybèle.
* Schell signifie cloche et Escaut ; c'est donc une figure de l'ordalie
funéraire : la bari poussée par le flux a déposé le corps du juste dans
le temple des florales, et c'est lui qui renait.
204 DOUZIÈME THÈSE

tants, antiques enfants d'Ennia , s'appellent encore


Aïnos, et au souvenir du Hélion et de son flux lunaire ,
ils adorent toujours le soleil et la lune. Leur code reli
gieux nous fait l'histoire de leur origine , histoire entiè
rement atlantique et qui nous rappelle la Zélande avec
tous ses mystères. Quand le monde , y est -il dit , fut
sorti de l'eau , une femme arriva sur un navire qui
venait de l'occident et habita un jardin de fleurs dont
on n'a jamais su retrouver la trace . Un jour, revenant
de la chasse , elle se baigna dans la rivière qui limite
son domaine ; là, elle aperçut un chien qui vint la
caresser et c'est de la que sont nés les Aïnos. On recon
naît sans peine dans cette légende tout le mythisme de
Nehal Ennia ? , son ile , son flux venant de l'Occident,
sa proue de navire , son giron rempli de fleurs, son arc
qu'elle porte sous le nom d'Arduinna 3, et enfin le Hont
qui l'avoisine.
Au Japon , dans le temple de Miaco , l'on aperçoit au
fond du sanctuaire , au lieu même où chaque religion
place l'objet le plus sacré de son culte, un taureau qui
frappe de la corne. Ce symbole se retrouve d'un bout à
l'autre de l'ancien monde. On le voit sur les médailles
de Marseille 4, de Postum , de Corocondama, de Baby
lone , et c'est ce même mythe qui fut porté jusqu'au
Japon.
En Chine, à la pleine lune de Mars, l'empereur, fill
| Revue des Deux Mondes, 1863, ler août.
2 DE GRAVE. République des champs Élysées.
8 Thèse XI .
4 Voy. Encycl. méthod. Sect. des antiquités .
CELTES EN OCÉANIE 205

du Soleil , se rend traditionnellement dans un champ


voisin de la ville et là , après avoir adoré Thian , la divi
nité des cieux, il s'incline neuf fois jusqu'à terre, puis
il met la main à la charrue et, pendant qu'on immole un
taureau, il trace un premier sillon . On sait qu'une céré
monie analogue se pratiquait à Cusco, en Amérique , où
les enfants de l'Inca, à la fête du printemps, défrichaient
avec une bêche le champ sacré; or, là également l’Inca
était fils du Soleil et son trône s'appelait Tiana ?.
Peut-on ne pas reconnaître à ce double mythe Apollon
et Diane ? Ne sommes-nous pas ramenés des deux extré
mités de notre monde aux mystères de nos contrées ?
Même les termes dont ces deux peuples lointains se ser
vent dans leur auguste cérémonie appartiennent à nos
régions . Le soleil , dans cette tradition des Chinois , n'est
9

autre que le Hélion ; or, dans leur langue , le soleil se dit


Jil ; de même, en Amérique , le refrain de l'hymne qui
se chante pendant le défrichement, est Hailly 3, et
l'Inca, fils du Soleil, est, dit-on, sorti d'un lac qui
baigne le pays d'Apolo-bamba 4.
Gardons-nous de croire que ce premier sillon ne soit
qu’un encouragement agricole; il désigne la cérémonie
la plus sacrée de la religion matérielle de nos premiers
aïeux et que la civilisation croissante a remplacée dans
les mystères par l'emblème que nous avons décrit. C'est
cette prérogative que les Hébreux de Moïse poursui
Diane est Nehal Ennia. Ennea, neur.
? GARCILAS. Hist. des Incas .
3 Railly, Allah, notre exclamation Hélas sont un même mot.
• Voy. Atlas de l'Encycl. méthod.
206 DOUZIÈME THÈSE

virent dans l'amorrhéen Og , roi de Basan ?; près


d'Athènes , était le champ de Cérès , appelé Rharia ” ,
où les Héliades pratiquaient le symbole de la charrue;
encore aujourd'hui les Baskirs 3, de race esthonienne ",
ont la cérémonie du premier sillon , et , ce qui complete
l'analogie , les prémices des fruits sont consacrés au
5
Soleil ; enfin, dans notre Gaule , quelques statues ',
oubliées des anciens cultes et que l'on retrouve dans les
recoins de nos vieux temples , portent encore la bêche
symbolique, attestant un droit primitif et seigneurial dont
nos mours civilisées ne connaissent plus que le nom.
C'est surtout au sein des hautes montagnes de l'Asie
centrale, dans cette région de précipices et de neige où
n'arrivent point les révolutions , que l'on peut s'attendre
à retrouver, avec le moins d'altération , nos anciennes
croyances . Les Celtes , dans leurs émigrations vers
l'Orient, y pénétrèrent par plusieurs points . Ceux qui
étaient partis de l'Ibérie donnèrent à cette région
éthérée le nom de Sérique ®, mot espagnol qui signifie
montagne. Ceux qui arrivèrent par le nord sont les
Essédons , lesquels venus des bords de la Tabuda ' por
1 Besana, premier sillon. QUINTANA. Dict. espagnol.
2 Abbreviation de aer (épi) et haer ( jeune fille) formant aer-haeria,
d'où Rharia.
3 MALTE - BRUN. Liv. 142. En Corée , Paskar signifie tracer un
sillon et Paskur échanger, symboliser. Voy. SIEBOLD. Voyage au
Japon, t. V.
* La déesse des Esthoniens a , comme Cérès, un sanglier pour em:
blème.
5 Ces statues portent une bêche, un manche ou un soc de charrue.
6 Serra , montagne ; les peuples du Thibet sont connus des anciens
sous le nom de Sères .
? Ptolémée appelle l'Escaut Tabuda .
CELTES EN OCÉANIE 207

taient devant eux l'image de ce fleuve qu'ils appelaient


Tabiti ' , et laissèrent, par conséquent, aux vallées qu'ils
occupèrent dans ces montagnes le nom de Thibet .
Tout dans cette contrée rappelle, en effet, le voisi
nage de la Tabuda. Ainsi le plus grand lac du Thibet
se nomme Tengri Nor, littéralement, la fontaine de
Tongres, consacré comme cette dernière à une divinité
qui rend des oracles?; le plus grand fleuve s'appelle
lar- Wade 3, mot purement celtique que nos géogra
phes ont fort peu défiguré en écrivant Iraouadi, et il
s'échappe des montagnes par un ravin qui a toujours
conservé le nom également celtique de Singhian Kielº,
gouffre du ravin .
Ce n'est plus guère que dans ces régions lointaines
que l'on trouve encore des pontifes adorés comme
incarnation perpétuelle d'un dieu . Prêtres purifica
teurs , ils portent le nom de Lama ', mot du pays, qui
signifie mer, c'est-à -dire flux et reflux ; celui d'entre eux
qui est le plus vénéré a son temple dans une vallée ,
et comme une vallée se dit en celtique Dale, on le dis
tingue des autres en le surnommant Dalaï Lama .
La province dans laquelle sont les mystères de cette

Selon Hérodote, les Scythes adoraient le dieu Papios et la déesse


Tabiti , lesquels nous allons retrouver au Thibet.
* Tout près on voit le mont Niantsin Tangla, ou de la déesse de
l'oracle. La prophétesse de Tongres (Pou-hon, à Spa) prédit à Dioclé
tien qu'il serait empereur .
3
leor, embouchure ; wade, courant.Dict. hébr . et celtique.
• Sincke, ravin ; kiel, gouffre. Dict. celtique.
5 Limné, en grec ; on dit en français une lame d'eau ; on connait les
lamaneurs de l'embouchure de la Loire.
208 DOUZIÈME THÈSE

déité terrestre se nomme Oueï ; on y voit Hu'lasseï' , ou


est son autel, et, tout près, l'abbaye fameuse de Botalo
où il réside ; à l'entour se trouvent quatre couvents , un
mont sacré , appelé Lang -Lou , et de nombreuses sta
tues de Boudha ; le fleuve qui avoisine ces lieux se
nomme Kaldiao Mouren , et comme, dit-on, il est sujet
à s'enfler , on a construit la digue sainte pour arrêter
ses débordements .
Ce tableau, retrouvé dans le Thibet , décrit la contrée
qui est aux bouches de la Tabuda. Là se trouve le pays
de Waes ’ , l'autel d'Ulysse , l'antique abbaye de Bau
deloos, les quatre offices qui l'entourent, le mont
Lang-Lu ” que connaissent tous les habitants du pays,,
des statues de Wodan retrouvées dans le fleuve même;
plus près de l'abbaye, on voit un vaste étang ' maré
cageux qu’alimente le flux de l'Escaut et qui se nomme
Moer, ce qui explique le Kaldiao Mouren, et là est un

i Vulgairement H'lassa, ville sainte du Thibet.


2 Ouei, wei, signifient lieu sacré ; wyen , consacrer. OLINGER. Dict.
hollandais. Aux bouches de l'Escaut, près de Tamise, on voit l'abbaye
druidique de Waesmunster ; primitivement Wei's munster ; le pays en
fut appelé Weis et de la Waes.
3 Baudeloo est près de Waesmunster. Baudeloo , riche abbaye el
digne de mémoire. Description des P. B. Guichardin .
4 Vier ambachten .
5 Les populations citent traditionnellement trois montagnes aux
bords de l'Escaut qu'elles appellent monts de la Trinité ; le mont
Lang -Lu en est une .
6 Le jour que nous appeloos Mercurii dies, Wednes day, est appelé
jour de Boudha dans l'Asie centrale .
7 Ces étangs sont devenus aujourd'hui des marécages, mais, en creu
sant, on trouve des urnes cinéraires.
CELTES EN OCÉANIE 209

canal sacré ' , mystérieux, creusé de main d'homme,


appelé canal d'Othon , c'est- à -dire d'Odin , de Wodan ,
de Bouddha .
Le détail suivant n'est pas moins circonstancié.
On voit au Thibet une autre déité , mais féminine,
adorée comme une incarnation de la déesse Bhavani ;
et si nous recherchons comme plus haut les accessoires L

de son culte, nous nous trouvons encore ramenés aux


bords de la Tabuda . Bhavani habite dans une île ?;
Bavon fonda la ville de Gand dans le delta de la Lys 3
et l'on y voit encore les fondements cyclopéens de son
antique abbaye. Près du séjour de la déesse est un
mont sacré appelé Minaba ; altération insensible de la
Menapia et du Castellum Menapiorum , qui étaient au
voisinage de Gand. La divinité de Bhavani se compose
d'une série indéfinie de prêtresses ; il en est de même
aux bords de l'Escaut, où les antiques légendes signa
lent , sous le nom de Bavon , une longue suite de per
sonnages qui se succèdent à Gand et semblent ne
former qu'un même être. La déesse est surnommée
Dordzi Po Mou“ , c'est-à -dire la sainte mère5 au sanglier ;
or, Zwin en celtique signifie sanglier, et c'est en même
temps le nom de celui des trois bras de l'Escaut qui part
Sur ce canal , voyez De Bast.
2 Dans une ile du lac Jar- Brok.
3 C'est - à- dire à l'embouchure de la Lys ; cette embouchure se dit
Thur, porte, ou en vieux celtique Tyr; les légendaires font venir Bavon
de la ville de Tyr, en Phénicie.
* Dordzi, sanglier ; Pó, saint, comme on verra plus loin.
5 Herta était aussi appelée Sainte -Mere ( Mæra, Dece Mære) , Pó
mair , d'où le nom de Pomeranie.
14
210 DOUZIÈME THESE

de Gand et qui est figuré, comme nous l'avons vu dans


une autre thèse , par le sanglier d'Erymantheł; ce
mythe du sanglier se retrouve dans le culte de Saint
Cyr, patron de Nevers ’, de Freya, déesse des Scandi
naves ; plus loin, on le remarque chez les Esthoniens où
la mère des dieux , dit Tacite, a un sanglier pour
emblème ; plus loin encore, nous venons de le voir
chez les habitants du Thibet ; et même en poussant au
delà , nous le reverrons chez les Areioïs de l'île Taïti .
En considérant la sainte mère au Tibet, il est facile
de voir ce que furent, dans les temps druidiques, les
abbesses de nos monastères. Bhavani habite un palais
tout entouré de chapelles et de couvents ; quand elle
sort, on la porte sur un trône ; des thuriféraires la pré
cèdent; une foule pieuse et dévote se prosterne devant
elle pour baiser le sceau qui sanctionne ses décrets .
Elle possède donc encore , dans toute leur plénitude , les
immortelles prérogatives de la divinité. Ses antiques
seurs des pays occidentaux , au contraire , sont depuis
longtemps dépossédées de leur premier état; rentrant
peu à peu dans la simple nature humaine , elles n'étaient
plus dans ces derniers temps , malgré le faste qui les
entourait, que des femmes mortelles.
L'abbesse de Maubeuge était primitivement d'une
nature divine , comme la prêtresse de Mâ -Bog 3, la
| Le Zwin est représenté démesurément grand dans les cartes du
moyen age ; le Hont, au contraire, semble n'être qu'un ruisseau.
2 Sur le temple de Cérès , à Nevers , était la déesse avec son sanglier.
On voit aujourd'hui ce sanglier dans la cathédrale dédiée à saint Cyr .
3 Må, mère ; Bog, embouchure fluctuante ; c'est-à-dire Diane, Isis,
la déesse lunaire. Maubeuge est une altération de Mabog.
CELTES EN OCÉANIE 211

célèbre déesse de Syrie ; elle a disparu avec le siècle


passé; mais depuis longtemps déjà ce n'était plus en
réalité qu'une simple supérieure de couvent . L'abbesse
de Nivelle ' ne put sauver des ravages révolutionnaires
que sa crosse et voulut mourir avec ce dernier débris
d'un grand souvenir. L'abbesse de Remiremont ? fut
celle qui , parmi nous, conserva jusqu'à la fin les plus
beaux reflets de sa primitive déité ; elle ne remit qu'à
la révolution ses antiques droits; jusque -là, les portes
de la ville ne s'ouvraient, ne se fermaient que sur ses
ordres; ses décrets étaient souverains; les peuples aussi
se prosternaient sur son passage et baisaient la trace
de ses pas .
Comme on le voit, nos antiques institutions, restées
debout au Thibet , nous montrent toute la longueur du
chemin que nous avons parcouru '.
Les émigrations celtiques, en formant ainsi au loin
des établissements, restaient toujours en relation avec
la mère patrie et se maintenaient dans son obédience ;
ce qui constitua, à cette époque bien antérieure à nos
histoires, la plus vaste centralisation que l'homme ait
jamais vue ; d'un bout à l'autre du monde , on échangeait
les produits rares ; notre étain , notre ambre , notre jeu
des échecs arrivaient sur les crêtes neigeuses de l'Asie
centrale, d'où également on nous envoyait des chapelets
1 Rac. Nevel. Voy. thèse XVe.
: Sur la Moselle, S. E. d'Épinal . La racine de ce mot est la même
que celle de Romerias, mot espagnol qui désigne les anciennes orgies.
3 Les mots orientaux sont fondus dans notre langage; Lama se
reconnait dans Lambert ; Mouni se retrouve dans Mon’ster. ( Tera au
Japon signifie temple bouddhique.)
212 DOUZIÈME THESE

en lapis-lazuli, des turquoises dont les druides étrus


ques se faisaient des colliers qu'ils appelèrent Torques.
Mais voici un exemple remarquable de ce genre de
cadeaux. On sait que la licorne existe au Thibet'et
n'existe que là ; ailleurs les naturalistes ne l'ont trouvée
dans aucun pays, les géologues ne l'ont rencontrée dans
aucune fouille. On comprend que les moines thibétains
se soient empressés d'envoyer à leurs frères d'Occident
cet animal curieux, inconnu , grand comme une antilope
et qui portait une corne noire, effilée, longue d'un demi
mètre sur le front. Et, en effet, une de ces licornes soi
gneusement embaumée s'est conservée jusqu'à nos jours
dans un monastère de nos pays , lequel , étant à cette
époque sous le patronage de la déesse Belisana , est
encore aujourd'hui le couvent de Bilsen ?. Guichardin 3
a vu cette licorne , et nous apprend qu'elle était de la
taille d'un homme et que personne ne savait comment
elle était arrivée dans ce monastère .
Dans toutes les régions de l'Asie centrale, ce que les
peuples ont retracé avec le plus de soin , c'est la divi
nité primitive des mystères , c'est-à-dire le fleuve au
triple cours et aux sept embouchures . Ainsi , dans le
Boutan , ce mythe est figuré par trois statues. L'une ,
beaucoup plus grande que les deux autres , désigne le
Rhin et porte un nom qui , en celtique, signifie baptême “;
1 M. Hodgson a envoyé à la société de Calcutta la peau d'une licorne
du Thibet.
2 Entre Liége et Maestricht, sur le Démer.
3 Description des Pays -Bas.
4 Sedja -Toba. Sitte, discipline ; Sitones , disciplinés , éthiopiens,
druides (thèse XVIII). 1 aube, baptême. Dict. celtique.
CELTES EN OCÉANIE 213

la seconde désigne la Meuse et , chose remarquable!


c'est autour de celle -là que l'on place les images des
lamas défunts, ce qui, évidemment, se fait au souvenir
des grottes à momies qui sont de chaque côté du fleuve,
et peut nous mettre sur la voie pour connaître quelles
sont ces momies ? ; la troisième statue désigne l'Escaut
et, ainsi que ce fleuve funéraire, elle est entourée de
tous les emblèmes de la destruction et de la mort ?.
Pour montrer qu'il s'agit de fleuves dans ces trois
idoles, on a placé devant chacune d'elles un vase d'ai
rain rempli d'une eau que l'on entretient toujours pure ,
et pour rappeler le pays de ces fleuves, les ministres
du culte se nomment Gailong 3.
Ailleurs, par exemple dans la magnifique pagode de
Jikadze “, ce sont les sept bouches du fleuve que l'on a
figurées avec le plus de soin ; on y voit sept statues
bouddhiques dont chacune est parée d'un emblème dési
gnatifs, mais qui toutes s'appellent Erdeni, déformation
à peine sensible du nom de notre déesse Arduinna.
On aa fait de longs recueils des usages bizarres que
nos voyageurs ont trouvés sur tous les points du globe,
aussi bien chez les nations civilisées que parmi les peu
plades que nous traitons de barbares. On a voulu voir
de la philosophie dans ces vestiges du passé ; mais ils
On ne rencontre d'anciens squelettes que dans les grottes où néces
sairement ils ont été momifiés.
: Pluton, Scalda, Chonts, Siva, Aidoneus, Adonai.
9

3 Les ministres de Mâ-bog, de Cybèle, se nomment Galli ; ceux de


Parvati se nomment Gailong .
* Dans le' petit Thibet.
5 Ainsi Dzan -Erdeni, Morin - Erdeni, etc.
214 DOUZIÈME THESE

ont une origine plus simple. Les émigrations primitives,


antérieures à l'écriture, je dirais presque au langage,
n'ont exprimé que par symboles les réalités du pays
celtique d'où elles étaient sorties ; ces symboles se sont
conservés religieusement au fond des populations dans
tous les pays, mais nulle part on n'est plus en mesure
de dire ce que tout cela représente ; ainsi, par exemple,
chez les Kalmoucks , le système le plus honorable de
sépulture consiste à livrer le corps du défunt à des
chiens élevés pour cette destination ; pour expliquer
cette bizarrerie repoussante , il suffit de nous reporter à
la patrie originaire de ces peuples.
L'Escaut , le troisième fleuve de la triade celtique, tra
versait la région des florales ? ; les barques cinéraires
abandonnées à son embouchure sans mât, sans gou
vernail, sans rame ?, étaient portées par la marée
lunaire dans cet asile des bienheureux où les ossements
attendaient des orgies leur régénération ; or, cette
embouchure fluctuante s'appelle Hont, mot que la plu
part des peuples ont traduit dans leurs mystères par
chien, et pour rester fidèlement dans les termes du
dogme primitif, plusieurs n'ont pas craint de livrer
réellement à ces animaux les corps de leurs sembla
bles.
Ce système passa avec les mystères celtiques jusqu'à
l'embouchure de l'Oxus, où il fut connu des écrivains
1
1 Il passe entre Cadsant et l'le des Valkyries. Voy. thèse Ve.
2 Voyager ainsi se dit en anglais to hull.
3 Cerbère, Anubis. Un chien précédait le cercueil en Égypte et au
Mexique .
CELTES EN OCÉANIE 215

IS OF de Rome ; nous voyons par eux que l'on avait con


servé aux chiens jusqu'à leur nom de Hont, et Stra
bon , employant, sans respect , les lettres grecques pour
écrire ce mot flamand , les appelle en effet dreapistas',
chiens enterreurs. D'autres peuples cités par Cicéron
et Trogue-Pompée ont pris cet usage ; aujourd'hui il
ne se rencontre plus guère chez les Kalmoucks .
Depuis plus d'un siècle que nous avons pénétré dans
les temples des Brames, nous n'avons pas encore réussi
à démêler le chaos théogonique de leur religion ; des
noms inconnus à l'Inde , des emblèmes qu'ils ne savent
point expliquer, des contradictions bizarres, des légendes
lues pieusement chez eux et qui chez nous sont contées
par nos vieilles tantes au foyer d'hiver, voilà leur culte .
Vous voulez voir une de leurs solennités religieuses ;
vous apercevez une escarpolette ; on y place un jeune
garçon et une jeune fille ?, et les Brames , pendant un
>

ternps marqué par le rituel , font balancer ces deux


enfants au milieu de la foule qui assiste à la cérémonie
avec recueillement . Suivez -les à un de leurs pèlerinages ;
là un Joghi vous lit un chapitre de leur bible sanscrite,
te celui, par exemple, où il est parlé du renoncement à
soi-même; vous restez stupéfait en apprenant du livre
sacré que le plus sûr moyen pour arriver à cette haute
perfection est d'exercer ses deux yeux à apercevoir le
bout de son nez . Si vous cherchez des points de ressem
STRABON. Liv. 2, ch . XIV. Hont, chien en flamand et non en grec ;
taphistas, enterreurs ; d'où Hont-taphistas, chiens enterreurs.
co'mCes
me
deux enfants sont Chrisna et Rada, Apollon et Diane, ou ,
nous l'avons dit, le flux et le reflux. Rada, en zend , Rauda , en
espagnol, signifie torrent, flux .
216 DOUZIÈME THESE

blance avec nos religions d'Occident, écoutez l'histoire


de la passion de Chrisna qui se fit homme pour le salut
des Indiens ; s'étant égaré dans les montagnes, un chas
seur qui le prit pour une antilope , le tua '. Et nous aussi
nous avons l'admirable histoire de Geneviève, de Golo
et de la biche , mais nous laissons ces contes à nos
enfants et nous lisons Job , l’Iliade, Neuton.
Chez les Brames , Dieu n'est rien , le Gange est tout ;
c'est au Gange, non à la divinité, qu'ils demandent le
bien suprême, c'est-à -dire le salut dans la vie future.
Or, si vous discutez les fondements de cette adoration ,
vous remarquerez sans peine que ce n'est point au
fleuve indien que s'adressent ces hommages, mais à un
autre dont celui-ci n'est qu'une figure.
En effet, comme nous l'avons vu , les colonies celti
ques , parties des bords du Rhin , retraçaient son image
dans tous les pays où elles s'établissaient. Rhen 2 signi
fiant agneau , le pontife nouveau , pour s'identifier avec
le fleuve originel, se couvrait d'une toison 33 de bélier et

I L'escarpolette, comme nous l'avons dit, est la figure mystique du


flux et du reflux. La recommandation de loucher vient du mot Scheel
que Jacob mourant emploie pour désigner le Messie attendu, le Christ,
Chrisna ; ce mot en celtique signifie louche ; les Grecs en ont fait
Oxyle, qu'ils supposent borgne ; les Braines en ont tiré le précepte de
Joucher. L'antilope est la Gazelle, le Guazu , le Guèse, l'Agneau victi
maire. Voy. thèse XIV .
2 Pớv en grec signifie agneau , mais seulement dans les mystères ;
ce mot confondu avec le Rhin est la racine du mot Rhenophoreus.
3 Gulden signifie or et confrérie, et cette confusion nous révélera
tout le secret de la toison d'or. Le principal souvenir qui nous soit
resté de ces mystères est le Pallium, cette toison faite de laine
d'agneau que le pontife chrétien décerne aux personnes d'un haut
mérite .
CELTES EN OCÉANIE 217

en même temps portait dans son nom un souvenir de


cet animal. Le grand -prêtre des Thraces , avons -nous
dit,en fut appelé Rhenophoreus '; ces pontifes, que nous
&
avons vus en Asie , sont vulgairement connus sous le
2
nom de prêtre Jean , et lang · dans ces langues orien
tales signifie agneau . On trouverait ailleurs le même
symbolisme 3 ; mais , en nous bornant aux peuples de
?

l'Inde , on peut remarquer que , dans leurs plus anciens


livres , le dieu suprême auquel s'adressent tous les hom
mages est Agni', et que le fleuve indien qui le représente
s'appelle Boura Ganga ; or , Agni et Borra signifient
agneau 5 .
I L'on comprend ainsi d'où viennent les nombreuses
contradictions que l'on remarque entre la bible des
Brames et le fleuve indien . Je me borne aux deux sui
vantes .

D'abord le Gange n'a qu'un seul cours et les poésies


TE sanscrites lui en donnent constamment trois ; ainsi , par
exemple , le dieu Rama®, avant de marcher à la des
truction des monstres, dut recevoir le baptême ; arrivé

C'était le prêtre de Bacchus non-seulement chez les Thraces ,mais


partout où ce dieu était adoré .
* lang, agneau, en coréen. SIEBOLD. Voyage au Japon.
3
Amnis, fleuve, Amnos , agneau ; Bore, flux, Borra , agneau (espa
gnol) ; Lama, mer (mongol), Lamm, agneau ; Ruymen, curer un fleuve,
Ram , bélier ; See, mer, Seh, agneau pascal (hébreu) ; Arno, fleuve
des Étrusques, Arna, agneau ; Ay, eau courante, Agnus. Tout cela fait
comprendre que Rhen signifie fleuve et agneau.
• La trinité indienne n'est pas clairement marquée dans les Védas ;
ils ne connaissent que le dieu Agni.
5 Agni en latin, Borra en ibérique. QUINTANA. Dict, espagnol.
6 Dans le poëme de la Ramayana .
218 DOUŽIÈME THÈSE

près de la cellule du saint religieux Mitra, il se baigna,


dit le poëte, dans le Gange au triple cours.
Ce symbolisme nous reporte donc de nouveau aux
bouches des trois fleuves celtiques ; là, le baptême était
réel, et Pétrarque, comme il nous l'assure lui-même, a
pu voir encore , la veille de Saint-Jean, les populations
germaniques attendre sur la berge le flux purificateur
qui devait les baigner et emporter dans la mer les
souillures de toute une année ; mais en s'éloignant du
centre de l'antique religion, les peuples durent user
d'artifice pour rester dans les conditions triples du
fleuve océanique. Par exemple , les Lybiens n'ayant
qu’un lac sans flux pour leurs ablutions y plaçaient une
idole qui portait sur son bouclier l'image de la lune et
qu'ils appelaient Tritonia Pallas ' , obtenant par ce
subterfuge et la marée lunaire et la triade fluminale.
Le Sintoïste, au Japon, se lève le matin, se baigne,
mais pour retrouver les trois fleuves et leur oscillation
sanctificatrice, il sonne trois fois la cloche sacrée et ce
symbole donne à l'eau contenue dans un simple bassin
les vertus du flux océanique . Quant au Brame, comme
les prêtres de Syrie, de Rome, d'Égypte, du Boutan,
du Japon ? , il a figuré par trois statues les trois fleuves
celtiques, et lorsqu'il va chaque matin faire ses ablu
tions au bord du Gange, il doit prononcer les trois
noms Brama, Visnou , Siva, se reportant ainsi sans le

Homère et Hésiode l'appellent Tritogeneia. Dans le même sens


Apollon. de Rhodes nomme le Nil, potamos tritaios , le fleuve au triple
cours. Apollon . de Rhodes, IV, 269.
? A Nara , dans le temple de Koubosi
CELTES EN OCÉANIE 219

savoir aux bouches du Rhin , de la Meuse et de l'Es


3.
caut, dont le Gange n'est qu'une figure. En effet, tout
dans ces trois idoles annonce des fleuves. D'abord elles
ont pour emblème commun le nénuphar, fleur aqua
tique, qui, portée sur la surface de l'eau, monte, baisse
selon le niveau du courant, et dont le nom Padma '
désigne par sa racine même les fleuves bataves ? ; mais,
en outre, chacune des trois figures a des caractères qui
répondent à chacun des trois fleuves. Ainsi Brama a
pour emblème fluviatile un cygne qui l'accompagne tou
jours et, comme le Rhin 3 , il fixe, disent les livres
sanscrits , la destinée de l'enfant qui vient de naître.
Visnou, surnommé Narayana “, le dieu flottant, est
re présenté dans une nacelle sur un fleuve ; mais les
Védas, lui donnant pour char le soleil, montrent que ce
fle uve est le Hélion . Siva est d'une interprétation plus
facile, sa statue ayant été retrouvée aux bouches de
l'Escaut, tenant un dauphin de la main droite et un tri
dent 5 de l'autre .

1 L'emblème du Nénuphar est connu dans les deux mondes ; en chi.


dois- japonais il est appelé Ren ; chez les Garanis, son nom est Agape,
Ag- ebbe, le flux de l'eau, Voy. SIEBOLD. Voyage au Japon , t. V et
DUGRATY. Républ. du Paraguay.
? Baedt, bain' sacré, a formé Batave, Bætis, Padus, Padma.
DO 3 Voy. l'ordalie du Rhin . Thèses IIIe et XIII.
• Nar et ford sont deux anciens mots celtiques désignant l'estuaire
d'un fleuve.

5 Cette statue fut retrouvée en 1514 près du Hont. Elle avait pour
inscription : Herculi magusano ; or, Siva, dans les livres sanscrits, est
appelé Mahesa. Ces mêmes livres le nomment aussi quelquefois Trilo
chana
Siva e c'est-à -dire Tre-loch, les trois bouches lacustres du fleuve dont
la figure.
220 DOUZIÈME THESE

Les trois mythes de la Trimourti indienne sont donc


les trois fleuves celtiques ; on voit donc que le Brame
exilé de la terre des Druides se reporte chaque matin
par une aspiration mentale dans le pays de ses aïeux,
sur les bords du véritable fleuve au triple cours .
L'autre difficulté, énoncée plus haut, est relative aux
sept bouches que les livres sanscrits donnent au Gange,
quoique ce fleuve s'éparpille dans la mer par une mul
titude de filets d'eau qu'il serait difficile de compter.
Ils appellent également l'Indus Septa Sindu ; l'Eu
phrate ' , le Nil, le Danube, l'Éridan , le Tanaïs ?, le
Timave et jusqu'à notre Rhône 3, tous dans le lan
gage des mystères ont sept embouchures ; vainement
les géographes anciens, décrivant ce que leurs yeux
ont vu , trouvent des nombres différents ; vainement
Pline compte, appelle par leur nom les trois branches
4
par lesquelles le Rhône * s'écoulait à la mer, les prêtres,
dans l'exercice de leurs fonctions, ne connaissent que
le chiffre sept, parce que le fleuve primitif, triple par
son cours, rejoint la mer par sept bouches. Les Brames ,
voulant peindre par une image ce nouveau mythe,
représentaient Vischnou monté sur un animal figuratif
du flux et auquel ils donnaient sept têtes, comme , par
exemple, le cheval, l'éléphant, le serpent 5 .
1 Encyclopédie méthodique.
* SÉNÈQUE. Troade.
3 Hepta dia stomatón . A pollon , de Rhodes, IV, 634.
4 Pline appelle ces trois branches Hispanicum , Metapinum , Massa
lioticum. Strabon ne donne de même que deux bouches au Po : Olana
et Padua .
5 Ebbe, reflux, a formé le grec Hippos, cheval, et le japonais Hebi,
CELTES EN OCÉANIE 221

Tels sont donc les peuples de l'Inde ; sortis autrefois


de nos régions pour aller coloniser les bords du Gange,
ils y portèrent notre civilisation naissante ; leur des
tinée était d'y croître à l'écart séparés de nous par
l'espace et les siècles ; lorsque nous avons été , dans ces
derniers temps , rechercher par tout le globe le travail
de chaque peuple et son apport dans la civilisation ,
nous les avons trouvés en pleine caducité ; ils ne
s'étaient point élevés de terre ; tout avait péri en eux
jusqu'au germe qui fait revivre ; ce sont donc des
nations finies .

Les Celtes en Océanie.

Les émigrations celtiques arrivées en Asie Mineure


avaient pris, avons-nous dit, une double route , l'une
au midi, l'autre au nord, pour contourner le bloc cen
tral de l'Himalaya et se retrouver ensemble dans les
profondeurs de l'Orient; la première partant de Syrie
semblait tracée par la main de la nature pour faciliter
la marche des colons; le beau fleuve de l'Euphrate leur
prêtait sa longue et riche vallée; arrivés dans le voisi
nage de Babylone et de la mer des Indes , ils n'avaient
plusqu'à pousser de rivage en rivage au delà de l'Indus,
au delà du Gange indéfiniment, semant partout les
institutions sacrées dont ils avaient le dépôt. Par la
serpent. On trouve Vischnou dans l'Inde et Amida au Japon montés
surun cheval à sept têtes. Le serpent à sept têtes sur lequel est sou
vent assis Vischnou se nomme Adisseha ; il est aussi quelquefois
monté sur un éléphant à trois tėtes .
222 DOUZIÈME THÈSE

route du Nord , au contraire, les émigrants quittant la


Colchide ne trouvèrent devant eux qu'une nature sau
vage et rebelle, des montagnes, des déserts arides, des
fleuves qui n'atteignent point la mer ; mais une fatalité
les poussait, la nature devait céder. Ils mirent en
Quvre toutes les ressources de la navigation phocéenne
que nous avons exposée plus haut; employant tour-à
tour les struses, les chariots de toute espèce, descen
dant, remontant, ils avançaient toujours, ils passaient
des eaux de la Meuse dans celles du fleuve Jaune. Aussi
toutes les espèces de voitures dont se servaient les peu
ples étaient empruntées aux Belges : Le Covinus, le
Rheda, le Carpentum , le Pilentum , le Sarracum , le
Petorritum , l'Essedum ' sont constamment attribués à ce
peuple par les auteurs latins .
Mais c'est l’Essedum surtout que nous trouvons le
plus fréquemment employé pour les longues pérégrina
tions ; César , Strabon, les poëtes le connaissent et ne le
citent jamais sans y joindre le nom de la nation belge,
à laquelle il était dû ; Virgile le décrit :
Belgica vel molli melius feret esseda colle.

A partir de la Colchide jusqu'aux bouches de l'Oxus


habitaient, selon Hérodote et Pline, des peuples scythi
ques que ce mode de transport avait fait nommer Essé
dons ; ce long fleuve se prêtait à la navigation, mais, au
delà , on voit recommencer une autre ligne d'Essédons,

1 Le plaustrum est un char en général. Voy. tous ces nums dans


l'Encycl. méthodique. Antiquités.
CELTES EN 'OCÉANIE 223

connus de Ptolémée et qui se prolongeait jusque dans


la Chine actuelle ; arrivés là, ils nous échappent par
leur éloignement, mais ils sont repris par les géographes
chinois qui , traduisant leur nom, les appellent Kao
Tche ', les hauts chariots.
Dans cette longue route, les plus grands obstacles
durent se rencontrer aux abords de la Chine où les
Altaï semblent établir entre deux mondes une infran
chissable barrière. C'est là que nos aïeux formèrent leurs
plus vastes stationnements et organisèrent avec le plus
d'ampleur leur système belge de voiturage ; en effet,
tout est gaulois dans ces contrées : Les rois Tatares,
nous dit un vieil auteur?, sont enterrés au mont Altaï,
nommé par Hayton arménien la montagne de Belgian .
Les peuples restés dans cette région perdue, Mongols ,
Kalmoucks , Kalkas, Eleuths, rappellent en tous points
l'antique race des Boïens et des Bituriges 4. Parlant la
langue complète et organisée des régions celtiques d'où
ils étaient originaires, ils appelèrent bégayeurs ou
Tatares5 les sauvages parmi lesquels ils vivaient.
Les colonies celtiques avaient apporté avec elles des
institutions puisées à une même source ; mais s'étant
formées, comme nous l'avons dit, en un double courant,
elles les avaient différemment modifiées .

1
Voy. DANVILLE. Rech. géogr. sur la Sérique.
? Les États et Empires, etc., par un anonyme, p. 840.
3 Maech , famille, d'où Gall-maech. Schalk , devin, a fait Kalckas. Les
Éleuths et les Leudes sont un même mot.
* Les Boyės , les Avares , rappellent Boii, Avaricum .
5 Tateren, bégayer. OLINGER. Dict. hollandais.
224 DOUZIÈME THÈSE

Dans les religions du Midi, le point fondamental du


culte primitif , le flux baptismal, fut généralement
figuré par une triple déité ; on trouve ainsi, en allant
vers l'Orient , la triade des Homérites , des Latins , de
Syrie, de Mylasa, d'Égypte, des Brames, du Boutan ,
du Japon , de Java ', de Sumatra ; dans l'Asie septen
trionale , au contraire, le même principe fut représenté
par l'unique symbole de Diane . Ovide , jeté par l'exil au
milieu des Scythes de la mer Noire, nous apprend que
ces peuples la vénéraient comme leur principale divi
nité :

Consortem Phæbo gens colit illa Deam .

Plus loin sur les bords de l'Oxus étaient d'autres


Scythes, chez lesquels se retrouve la même déesse. Ce
fleuve dans les mystères était la figure de la Meuse, ce
qui fit donner aux peuples qui habitaient à son embou
chure le nom de Massagetes ? ; dans Pline il est appelé
Sonus, comme dans toutes les traditions la Meuse est
appelée Zonne Maers, mer du soleil ; d'un autre côté, les
peuples lui figurant dans les mystères une maréelunaire,
dont il est dépourvu , le nommèrent Amun Daria “, fleuve

1 MALTE -Brun, liv. CXXV. On verra que c'est par cette voie du midi,
que les dogmes celtiques pénétrèrent dans l'Océanie, où ils introdui
sirent le système Trinitaire .
2 Maes- gat, embouchure de la Meuse.
3 Zonne, soleil ; maer, mer. L'embouchure occidentale de la Meuse,
appelée Hélion dans Tacite et Ptolémée , porte le nom de Zonnemaer
dans les plus vieilles cartes du pays. Voy. l'Atlas de Fischer.
4 Amun pour maen , lune. On voit à l'entrée du golfe persique les
mêmes noms , Oman et Maskate. Les Phéniciens qui avaient pour
CELTES EN OCÉANIE 225

de la Lune ; et les Turcs, ces descendants des anciens


Massagètes, ont jusqu'à nos jours conservé ce double ;
.

point de l'antique religion, en invoquant le Hélion sous


le nom d'Allah et en portant au souvenir de Diane
le croissant lunaire '. Plus loin encore, les Essédons ?
ont laissé à la plus importante chaîne des Altaï le nom
de Mouz - Dagh , montagne de la Meuse , que d'autres
ont également appelé Thian Chan , montagne de Diane;
et cette mention de la déesse scythique passant plus
loin devint , comme nous l'avons vu , le Thian des Chi
nois, la divinité unique adorée des savants et de la
cour.
Au reste, les traditions des Chinois confirment les
détails que nous venons de donner sur leur origine . Ils
comptent dans leur histoire vingt-deux dynasties ; la
troisième , qu'ils nomment Tcheou était féodale; on y
voit , comme dans nos contrées , des ducs, des comtes ,
des barons” ; elle venait, disent les Kings, de loin , de
la terre occidentale ; d'autres émigrants qui arrivèrent
ensuite étaient partis du royaume de Nili, c'est-à-dire
de Nehal ; ils voyageaient sur des Young, sur des jon

dieu Hélioun, le soleil , comme on sait, adoraient également la lune


-

sous le nom de Smun , Esmun . – Derrie, fleuve. Darsy. Dict. flam .


Le Darius d'Hérodote tire de la son nom, ce qui en fait le pontife des
Perses, le Lama, le Teutatès, le Daïri, le prêtre Jean, le Dieu purifi
cateur, le Hélion.
i Les Turcs avaient donc ce culte avant de le retrouver dans l'isla- ,
misme ; c'est toujours le culte de Dejanire dont nous avons parlé
these IX.
? Les Grecs appelaient ces Essédons Amazobii, c'est - à -dire hommes
vivant sur des chariots.
3 Koung, Pé, Tseu.
15
226 DOUZIÈME THÈSE

ques ' d'osier et, par conséquent, de fleuve en fleuve,


au moyen de la navigation phocéenne ; ils étaient pré
cédés par une nuée ambulante, l'auteur confondant les
Volcæ avec Wolcke, nuage. Les Chinois de ces pre
miers temps sont constamment appelés les cent familles;
et, en effet, dans l'extrême Occident d'où ils étaient
venus, les Bretons ont toujours été divisés en Hun
dreds et les Suèves du culte de Herta sont nommés dans
Tacite centum pagi; ces peuples voyageurs étaient des
Ases , c'est pourquoi ce dernier mot resta avec la signi
fication de cent chez plusieurs nations de l'Orient,
comme , par exemple , dans la langue des Géorgiens3.
Les Ases avaient pour centre religieux Asciburgium ";
leurs colonies arrivées au fond de l'Asie y établirent de
même l'empire du milieuº.
Le mouvement commencé aux bords atlantiques,
après avoir mesuré plus d'un quart de notre sphère , ne
s'arrêta point aux limites du monde continental et se
poursuività travers les mers , se propageant d'un archipel
à l'autre. Partout on rencontre dans les moindres îlots

1 Chez les Romains aussi , il y avait à l'origine cent familles, des


Volcæ, une déesse appelée Diane , des jonques , le mot juncus signifiant
osier.
2 Sweden , Wandelen , voyager. Darsy. Dict. flam .
3 Bibliot , des art . DE PETITY . En géorgien , Asi, cent.
4 Les Ases adoraient Diane sous le nom de Herta ; ce mot signifiant
Biche, on voit, en effet, dans leurs légendes qu'une biche les conduisit
dans le pays où ils sont, c'est- à - dire en Chine.
5 Asciburgium en Zélande , Asgard sur les bords du Rhin , Aspur
gium sur la mer Noire, l'empire du Milieu, se font suite. Voy.
thèse IXe .
6 L'empire céleste s'appellerait plus régulièrement empire de
Diane .
CELTES EN OCÉANIE 227

de l'Océanie des noms , des débris qui appartiennent aux


mystères de nos aïeux ; on y retrouve le même système
d'initiation que nous avons vu chez les Druides , les
Thraces, les Orientaux.
Dans les livres sanscrits, les Indiens sont appelés Aryas
et les Grecs, je ne sais pourquoi , ont toujours divisé ces
peuples en sept castes. A Taïti ' existe également la
corporation mystique des Areioïs ; ils forment sept
classes ; un rude noviciat prépare à la cérémonie des
vaux, et l'initié, comme nous l'avons vu dans les mys
tères des Thraces , devenant un autre homme, prend un
nom nouveau ; à la dédicace annuelle de cette institu
tion, comme si le culte de Cérés avait passé du Thibet
dans ces parages , c'est une truie que l'on immole . La
divinité à triple forme, dont nous avons suivi les traces
jusqu'à Sumatra , se retrouve au fond de l'Océanie ; à
Taïti elle s'appelle Tan , Oro, Taaroa . Tan règle les des
tinées humaines, ce qui nous reporte à l'épreuve ordalique
du Rhin ; et, en effet, ce dieu a pour ministre dans cette
fonction Hiro ?, qui habite une caverne3: Un jour,disent
les Taïtiens, les enfants de Dieu étaient exposés à un
monstre marin ; Hiro, qui se reposait dans une caverne
au bord de l'Océan, en sortit, repoussa le monstre et
les mit en lieu sûr ; légende qui retrace clairement,
comme on le voit, tout le mystère du Rhin. Oro , qui
tend l'arc -en - ciel, rappelle Apollon, dieu de l'arc, du

1 Prévost. Histoire des voyages. CLAVEL. Histoire pittoresque des


religions.
Yeor , Yar, Yaro signifient fleuve océanique. Yeor est phénicien.
3 Hol, creux ; land, terre. Interprétation poétique du mot Hollande.
228 DOUZIÈME THÈSE

soleil , du Hélion . Taaroa est l'Escaut ; le nom indi


gène de ce fleuve est Schel, mot qui signifie coquille, et
sa déesse est Ennia ; or, Taaroa, selon les traditions du
pays , était enfermé dans une coquille avec sa femme
Hina ; l'ayant brisée, ils formèrent l'île Taïti .
Les navigateurs anglais du second voyage 'de Cook
remarquèrent avec surprise la conformité qui existait
entre les orgies de ces peuples et celles des anciens
Bretons; on sait qu'au fond du Cornouailles on peut
voir encore , dans le voisinage de Saint-Yve et en dépit
des lois anglaises, une image des florales que prati
quaient les Silures ; or , à Taïti , le nom même de ces
orgies est Heiva ; le tamtam des Corybantes, le tam
bour basque, la promiscuité de Cotytto, tous les détails
des mystères de nos aïeux se retrouvent à cette extré
mité de notre globe .
Mêmes souvenirs dans les autres îles . A la nouvelle
Zélande, les trois idoles s'appellent Reinga , Mouha et
Pô- Tiki, désignant presque par leur nom le Rhin , la
Meuse et même l'Escaut ; en effet, ce dernier fleuve
que Ptolémée nomme Tabuda , le fleuve Tabou , traver
sait tout un vaste cimetière rempli d'urnes sépulcrales;
sur chacune d'elles était le signe désignatif, l'épitaphe
du défunt, ce qui s'appelle en vieux saxon Teeke ’, et en
océanien Tiki3; Pô * signifiant sacré, on nomma Pô - Tiki
1 Journal du sec , voy. de Cook. Amst. 1777 .
2 Les Anglais disent Ticket, les Français Étiquette.
3 Ces Tiki sont les idoles, les images des aïeux, comme à Rome ,
comme dans la ville d'Atua-tica Tungrorum .
+ Pó signifie sacré chez tous les anciens peuples : Pou-on , sainte eau ,
à Spa ; Pou -Oggi, id . en Lithuanie ; Pou, sortilége, en Chine ; Po,nom
CELTES EN OCÉANIE 229

le dieu du fleuve. Les insulaires ajoutent même que


Reinga est le plus grand des Dieux , et que les deux
autres sont égaux et frères. Par un souvenir confus de
l'ordalie pratiquée aux bouches du Rhin et de la
Tabuda, les braves plongent dans les eaux du Reinga
pour arriver au séjour du bonheur, tandis que les
lâches sont condamnés à errer sur les bords du Pouke
Tabou '. Ce que nous appelons magie , ces peuples
l'appellent Makatou ; un devin se nomme chez eux Heko
et dans nos langues Hecho ?.
A Noukha -Hiva ", la marée lunaire , comme dans le
mythe de Janus, décide de la destinée du défunt; la
barque dans laquelle il est déposé s'appelle Pâh, qui est
un ancien mot de nos contrées ; abandonnée au flux, elle
s'engage dans un détroit au milieu duquel est un rocher ;
selon qu'elle est poussée à gauche ou à droite , l'âme périt
ou est reçue dans la région des bienheureux.
Les îles océaniques sont, à l'Orient, le terme des émi
grations celtiques ; aussi loin que nous avons pu ren
contrer un rocher et des êtres humains , nous y avons
retrouvé les traces des institutions de nos pères ; nous
nous arrêtons où la terre nous manque :

Sistimus hic tandem , nobis ubi defuit orbis,

de la marée lunaire, dans les ruines égyptiennes ; Pah, barque funé


raire d'épreuve, eu Océanie .
Beck-Tabuda ..Beck , fleuve; Tabuda, Escaut.
2 Hecho, devin. Dict, esp . OUDIN.
3 Revue des Deux Mondes. Oct. 1859. These XIe.
TREIZIÈME THÈSE .

ANTIQUITÉS PHILOLOGIQUES DES CELTES .

Après les recherches opiniâtres de nos savants dans


ces derniers siècles, les empires les plus inabordables,
les contrées les plus lointaines, n'ont plus de secrets
pour nous . Nous avons étudié partout les monuments
élevés par les anciens peuples , nous avons essayé de
reconstruire ceux qui ne se laissent plus deviner que
par leurs ruines, nous avons redemandé à la terre ces
stèles chargés d'annales, que le temps et les décombres
y tenaient cachés , et finalement, nous avons cherché
par ces éléments divers à remonter toute l'échelle des
transformations que l'homme a dû parcourir, depuis son
état rudimentaire jusqu'à son point le plus avancé de
développement .
Ce qui surprend dans cette étude , c'est que chez les
peuples auxquels nous accordons une antiquité, une
civilisation, les ouvrages émis par les générations de
tous les âges paraissent nés d'un seul jet ; point de jeu
nesse , point de vieillesse ; ils sont comme fixés à un
même niveau de perfectionnement. Et pourtant, en
Égypte, en Chine, à Babylone, dans l'Inde, dans
PHILOLOGIE 231

l'Amérique centrale, partout, avant d'arriver à cette


forme sociale , les hommes sont nécessairement passés
par un état primitif et brut dont les débris doivent
encore subsister quelque part . Comme on ne peut sup
poser qu'ils soient sortis de terre pourvus d'une langue
toute faite, munis d'armes tout aiguisées, abrités de
palais tout construits , en un mot, en pleine civilisation ,
il est naturel de croire que les peuples de ces contrées
viennent des régions où se retrouvent les débris de
l'homme primitif; considération qui va nous ramener
au berceau déjà trouvé de la civilisation universelle.
Commençons par une étude sur les langues.
Généralités.

Les langues sont un trésor où se conservent les secrets


du passé ; elles sont nées avec l'homme, ont grandi
avec lui , reproduisant toutes les formes de sa civilisa
tion croissante ; les générations vieillissent et meu,
rent , mais elles laissent dans les mots dont elles se
sont servies des vestiges de leurs impressions , de
leurs usages , de leurs travers, de leurs religions ; pré
cieuses dépouilles que la science recueille pour se
refaire une image des temps qui ne sont plus . L'homme
primitif n'apportait avec lui que la faculté de varier, au
moyen des lèvres et de la langue , le cri animal dont se
trouvent
pourvus les êtres vivants ; mais les mots eux
mêmes, la nature dut les lui fournir. Quand, pour la
première fois, il vit passer sur sa tête un oiseau criant :
1 Muojono i regni, muojono le città. LE TASSE.
232 TREIZIÈME THÈSE

Kra , Kra , il lui donna ce nom et le corbeau continua


de s'appeler : crow , corax , carasu '. Lorsqu'il entendit
l'enfant redire à celle qui l'allaitait : Ma , Ma, il prit
naturellement ce mot pour désigner une mère. En
étendant ce système à tous les sons de la nature, on
voit qu'il se forma ainsi , dans le répertoire du langage
humain, une première assise de mots qui ne sont plus
de la bête, mais qui ne sont pas encore de l'homme. La
nature qui les fournit à nos premiers aïeux étant la
même dans les différentes régions du globe, les mêmes
noms se retrouvent partout, sans qu'on puisse en con
clure que les hommes les aient tirés d'un centre commun ;
ce ne sera donc pas cette première classe de mots qui
nous aidera à revenir au berceau des institutions
humaines .
Ces mots primitifs ainsi recueillis dans le creuset de
la mémoire, étant soumis à l'influence abstractive de
l'âme, se détachèrent peu à peu des sens , se spirituali
sèrent et créèrent à l'homme un monde nouveau , inté
rieur, immatériel, où se recombinent les principes élé
mentaires des choses. Le langage qui suit toutes les
variations de l'humanité se remplit insensiblement de
termes qui désignaient non plus des objets, mais des
idées. Sur le témoignage des sens on avait appelé le
corbeau : Kara ; puis , vu la couleur de l'oiseau , lemême
mot se généralisant signifia noir ; plus tard, l'esprit
humain suivant toujours sa tendance progressive arriva
à l'idée métaphysique de noirceur ; enfin, quand les
:

· En anglais, en grec, en japonais.


PHILOLOGIE 233

principes de morale achevèrent l'homme, il flétrit, de ce


même mot, les idées contraires à l'ordre et son langage
accepta comme locution : Une noire calomnie, une
action noire. A ce degré de perfectionnement l'homme
possédait donc une double nature, l'une qui restait
matière, l'autre qui devenait esprit.
C'est à cette phase de l'évolution humaine que com
mence la haute civilisation , celle qui prend l'homme sur
terre et lui montre les cieux . Son âme , fécondée par cet
instinct sublime , réveilla en lui tout un essaim d'idées
et d'expressions nouvelles. Il avait des mots , il eut un
langage. Les mystères naquirent, s'élaborèrent, se
répandirent partout, apprenant aux hommes non - seule
ment à croire, mais à parler. Les locutions qu'ils pro
pagèrent et que nous allons aujourd'hui rechercher dans
les différentes langues ne sont plus générales comme
celles que nous avons mentionnées précédemment , mais
désignent un point de départ et celles -là nous rappel
leront au berceau commun des mystères , de la civilisa
tion et du langage. Faisons quelques applications de
détail.

Noms de nombre .

Les mystères, en se répandant chez les différentes


nations, y avaient apporté les éléments d'une croyance
nouvelle, factice, mais respectée. Les nombreux articles
dont elle se composait durent avec le temps se déna
turer profondément, comme nous le voyons dans cette
variété de cultes que nous offre le monde ; mais les
234 TREIZIÈME THÈSE

dogmes fondamentaux restèrent inaltérés. Le plus


immuable de ces dogmes, le pivot sur lequel roule
tout le système religieux des premiers temps , était la
renaissance dans l'eau océanique ". Un seul fleuve
jouissait de cette vertu régénératrice, et si tant d'autres
paraissent avoir eu la même faveur, c'est qu'ils étaient
9

considérés comme identifiés avec lui . Outre ce carac


tère d'unité, il était triple dans son cours ; il joignait à
cela de tomber à la mer par sept ? embouchures.
Ces trois nombres : un , trois, sept devinrent ainsi
empreints d'un caractère mystique et, dans le monde
entier, les peuples , sans savoir pourquoi, les ont comme
divinisés ; des vertus magiques furent attachées à
chacun d'eux ; les autres nombres étaient profanes,
ceux-là furent sacrés . Il ne faut donc pas s'étonner que
les mots , par lesquels les Celtes désignent ces trois
nombres , se retrouvent avec le même sens chez tous les
peuples où ont pénétré leurs mystères .
D'abord , pour marquer l'unité , nous disons Un, le
Erse dit Aen , le Lithuanien Vena, le Coréen Hana, le
Aïno Hine . Ce même mot , chez tant de peuples qui sem
bleraient ne s'être jamais connus , n'est autre que le
nom même d'Ennia ”, la déesse de l'unité baptismale.
En effet, si on consulte ses nombreuses statues retrou
vées en Zélande et en Angleterre , on remarque que ,

1 Voy . les trois thèses précédentes.


2 L'Escaut a trois embouchures : le Zrin , le Aont, le Vere ; la Meuse
en a deux : le Hélion et la Meuse orientale ; les deux embouchures du
Rhin sont le Vahal et le vieux Rhin .
3 Voy. République des champs Élysées, t. I. DE GRAVE.
PHILOLOGIE 235

dans trois de ces monuments , elle est accompagnée du


9

dieu Neptune ; le Rhytion qu'elle tient souvent à la


main figure une embouchure de fleuve; son nom est
toujours précédé du mot Nehal? qui se retrouve dans la
langue hébraïque avec la signification de rivière .
En outre , son nom même d'Ennia ne saurait laisser
aucun doute sur cette question : Ein en hébreu , Eyn
en mandchou , Von en chinois-coréen , Ain dans le
saxon fount-ain désignent un cours d'eau ; mais les
mémes mots, dans d'autres langues, montrent que ce
cours d'eau est océanique et baptismal; ainsi en chinois
Inº signifie aller et venir, ce que fait le flux de la mer ;
la déesse des Esthoniens* que nous savons être Nehal
Ennia était appelée chez plusieurs de ces peuples,
comme par exemple chez les Votiaques, In-mar, c'est
à -dire fluctuante mer ; et même en grec, c'est à cause
de la racine phénicienne Inº, que le verbe Inaein signifie
tout à la fois verser et purifier ?.
Un raisonnement analogue nous mènera aux mêmes

| Rauda, torrent. Dict. esp. QUINTANA.


? Nehal Ennia signifie donc a la lettre fleuve primitif.
3 54e caractère chinois .
. On sait les rapports de la langue de ces peuples avec le latin .
Æstus en latin signifie flux . La déesse des Æstoniens est donc la déesse
du flux .
5 Voy. MALTE-BRUN. Liv. 141.
6 In est le mot Ain qui, en phénicien, signifie fleuve. Homère écrit
Ino.

7 D'autres mots signifiant eau courante ont été pris pour unité ;
ainsi Ag signifie eau courante et de la dérive Eka qui , en sanscrit,
signifie un ; Badt a formé Bat, qui veut dire un chez les Basques et les
Garanis.
236 TREIZIÈME THÈSE

conclusions relativement au chiffre trois. La plupart des


peuples ont conservé ce mot avec sa signification numé
rique ; il se dit dans le erse Tri, dans le lithuanien
Trys, dans le zend Tri, dans le sanscrit Tréja , dans
le aïno Rhé, dans le taïtien Atoru . L'origine celtique
de ce mot n'est point douteuse ; en effet, la racine Ré,
modifiée suivant les différentes langues, signifie dans
nos contrées occidentales une rivière, une eau courante
en général; elle existe dans le verbe grec Rheô ',' couler ;
elle se retrouve bien plus explicitement dans la langue
ibérique où Ria désigne l'embouchure d'un fleuve qui
se jette dans la mer. L'article Te placé devant ce mot
forme Te -re que l'on prononça. Tre par abréviation.
Cette dernière locution , ainsi expliquée par ses racines,
signifie donc littéralement le fleuve, et comme le Fleuve
dont il est question est triple, Tre resta dans les lan
gues comme désignation du nombre trois.
Enfin , les sept bouches du fleuve mystique ont éga
lement prêté un terme de compte au langage des peu
ples. Pour exprimer sept, les poésies erses disent Secht,
les Lithuaniens Septyni, les livres zends Haptan , les
poëmes sanscrits Sapta , l'hébreu Tsaba, le dialecte
2
chinois-coréen ? Tsip . La racine de tous ces mots est
évidemment le celtique Sypen , absorber ; de la dérivent
le latin Sipho, le phénicien Zyp3, qui signifie le flux et

i Rheo a formé le celtique Rein , pur, et le grec Rhainein , purifier


par le baptême.
2 SIEBOLD .
3 Ce que nous appelons mer Rouge est appelé mer de Zyp (dans
l'hébreu) ou mer de Zuf.
PHILOLOGIE 237

reflux de la mer, le grec Zophos qui désigne la mer


occidentale '; or, cet harmonisme semblerait indiquer
que le fleuve primitif par ses sept bouches absorbe et
rend alternativement l'eau de la mer ' , image qui ne
peut être prise que de l'éléphant et du jeu de sa trompe ;
et ce figurisme remonterait ainsi à l'époque où le mam
mouth était familier dans nos contrées. Il est bien
remarquable, en effet, que son nom primitif, c'est-à-dire
Elf, signifie fleuve , et que, des deux mots par lesquels
nous désignons son organe aspirateur, l'un s'écrive
Trompe dérivant de Strom , flux ; l'autre Rotel “ , déri
vant de Roth , qui signifie également flux.
Et , en effet, c'est sous cette image d'aspiration que ,
dans toutes les religions , on a figuré la marée septuple
du fleuve mystique; ainsi , sur les plus vieux monuments
de l'Inde , on peut remarquer des éléphants à sept
trompes ; ce qui est , selon moi , la plus ancienne figure
que les hommes aient employée pour peindre le fleuve
i Odyssée; passim. On a confondu Zophos et Sophos, et au lieu des
sept embouchures fluctuantes, on trouve les sept sages.
2 Éléphant est le véritable nom de l'animal que nous appelons mam
mouth. La racine Elf est de la plus haute antiquité ; les Elves sont les
anciennes fées de nos rivières ; Aleph est la première lettre de nos
plus anciens alphabets. Quand le mammouth disparut, on continua
d'appeler Elf les grands animaux ; ainsi Alef, taureau, en phénicien,
Elaphos, cerf, en grec, Alfena, cheval, en ibérique. C'est Behemoth
qui , selon Job, ne redoute point le flot montant .
3 EU , fleuve, en Scandinavie ; Alvus, en latin ; Alphée, dans le Pélo
ponnèse ; Ebbe, en Germanie. Albus , blanc , purifié, lavé , vient de là ;
nous comprenons ainsi le culte de l'éléphant blanc.
* Rotel, trompe. Dict. flam . Roud, Rauda, flux , en zend , en ibérique.
L'éléphant se dit en latin Bos Lucas (Loch , flux ), en chinois Siang
( See, flux ).
238 TREIZIÈME THÈSE

primitif et ses bouches absorbantes. Dans le même pays,


les livres sacrés donnent au Gange sept embouchures
et racontent à ce sujet l'anecdote suivante : Un jour le
saint hermite lanoa !, étant en prière, fut distrait par le
bruit des eaux du fleuve; il le huma tout entier, et
quand il eut fini, il le rendit tout entier . Les Scythes
ont transporté aux bords du Tanaïs les mystères de
nos régions ; Nehal Ennia y fut nommée Vénus
Tanaïtis ?; ce fleuve, que nous appelons le Don, eut ,
comme tous les fleuves des mystères , sept embou
chures ; or, les poëtes, pour décrire ce mythisme, n'ont
pas d'autres termes que ceux que nous venons d'indi
quer : Le Pont-Euxin , dit Sénèque ', hume par sept
bouches les eaux du Tanaïs “..
Septena Tanaïm ora pandentem bibit.

Ces exemples montrent comment la racine Zyp a pu


rendre usuel le chiffre sacré Sieben .
5
Pourquoi Ume 5 chez les Astèques , Humor chez les
1 lanoa, Oanès , Janus sont des mots qui ne se rencontrent qu'aus
embouchures des fleuves : Ianoa aux bouches du Gange , Oanés aux
bouches de l'Euphrate et de l'Amazone, Janus aux bouches du Bætis
et du Tibre .
2 Les auciens appellent Venus Tanaïtis la déesse des esclaves, mais
des esclaves volontaires , des Slaves.
3 SÉNÈQUE . Trag. Troade, scène lre , v. ge .
4 La Tanaïs se jette dans la mer de Zuf ( flux en hébreu que nous
prononçons A 30f. Les peuples se nomment Cosaques ; or, Cosates est
un ancien mot des bords de la Meuse signifiant vassal; les vassaus
du duc de Brabant se nommaient Cosates . ( DARSY. Dict. flam .).
L'ancien mythisme est resté dans le pays sous le nom de Mazeppa
(Maes-ebbe).
5 THÉVET. Cosmographie universelle.
PHILOLOGIE 239

Latins, Iam chez les Hébreux , Umi chez les Japonais


signifient-ils la mer ? Si ce n'est parce que dans le style
des mystères les fleuves, ayant une embouchure , une
bouche, semblent humer l'eau de la marée montante ; les
mystères n'ont connu de la mer que la marée ; les noms
qu'ils lui ont donnés ne s'appliquent qu'au flux; mais ,
changeant de sens à mesure que l'antique religion
s'éteignait , ils finirent par exprimer l'immensité et tous
les phénomènes généraux de l'Océan .
On trouverait que les autres noms de nombre se rap
portent également à quelque point des mystères; ainsi ,
pour n'en citer qu'un exemple, quatre dans les langues
celtiques se dit Vier, parce que la religion primitive, ne
connaissant que quatre fêtes aux deux équinoxes et
aux deux solstices , les célébrait par des feux , Vyer ', et
ce mot passa au chiffre. Un souvenir de cette origine
est resté chez les Romains dans le terme Feria qui
signifie fête ; et même aujourd'hui, dans beaucoup de
contrées, ces quatre grandes époques de l'année se célè
brent encore par des feux de joie ” .
Langage.

Les colonies celtiques étaient disséminées partout ;


mais, comme nous l'avons dit, un lien commun les rat.
tachait à la mère patrie et, malgré les distances qui les
séparaient, elles ne formaient toutes qu’un même corps .
Il résulta de cette assimilation factice un principe nou
1 Jusque dans la Nouvelle -Guinée le feu se dit vor. The imperial dic.
tionary.
? Dans les langues germaniques, fêter se dit de même Feyern .
240 TREIZIEME THESE

veau dont les éléments pénétrèrent dans le langage ;


ainsi Sam ' signifie aujourd'hui équivalent ; parce que ,
dans l'ancienne religion , ce mot désignait les fleuves
qui , pour l'initiation aux mystères, étaient assimilés au
primitif Hélion ; il signifiait, comme lui , soleil ” ; il était,
comme lui , un , triple , septuple : Sam signifie un chez
les Bulgares, trois en Corée et en Géorgie, sept dans
les mystères de Samos ?. Au lieu de Sam , les Latins
disaient Idem * et Cybèle, la déesse de leurs orgies ,
s'appelait la mère idéenne ; les Grecs disaient Isos et
célébraient, comme les Égyptiens, selon Hérodote, les
mystères d'Isis . Sam , Idem , Isos sont donc trois mots
signifiant identique et constatant chacun dans son
idiome que recevoir l'initiation baptismale dans les
fleuves de Samothrace ", de la mère Idéenne, d'Isis , c'est
la recevoir dans le Rhin lui-même.
Le grand mot des mystères était la renaissance pro
mise aux initiés ; et comme , dans les cas douteux , c'était
| Same en anglais , Sama en sanscrit, Similis en latin signifient
semblable .
2 Le fleuve primitif est le Hélion , c'est-à -dire, en grec, fleuve du
soleil ; or , en phénicien , Samès signifie soleil.
3 Les Grecs trompés par ce mot ont fait naître Pythagore dans l'ile
asiatique de ce nom. D'après la doctrine samienne de ce philosophe ,
Lucius , comme nous le voyons dans Apulée, fut initié en plongeant la
téte sept fois dans l'eau. Dans les mystères de Samothrace, le Cabire
n'entrait à la vie nouvelle que par un bain sept fois répété ; il devenait
alors Neu -man, un nouvel homme ; Naaman, par ordre d'Élisée, se
baigna sept fois dans le Jourdain.
4 Ce mot est le même que le grec Idios. Le baptême se faisait à la
pleine lune, lorsque les syzygies donnentles plus hautes marées ; de la
on appela Ides le milieu du mois lunaire. Les mystères des Crétois se
faisaient sur un mont que son identité fit appeler Ida .
5 Les Serbes implorent toujours Notre-Dame de Samodreschi.
PHILOLOGIE 241

l'oscillation du flux qui jugeait en dernier ressort, l'em


bouchure elle-même du fleuve dut être un objet sacré, et
les mots qui l'expriment entrent, en effet, en grande >

part dans le vocabulaire des peuples .


Une embouchure de fleuve se dit Gat dans les lan
gues celtiques ; de là vient le mot hébreu Gad que l'on
traduit par fortune ' et qui , prononcé God, est le nom que
les Saxons donnent à Dieu . Cette fortune est le sort
consulté aux bouches des fleuves ; la roue qu'on lui
met entre les mains est une confusion mystique des
mots Raedt? et Rauda, dont l'un signifie roue et l'autre
flux; et cela nous explique pourquoi , dans la Bible, le
dieu Gad et la déesse Méni se trouvent réunis dans un
méme culte ; c'est l'embouchure et la marée lunaire
divinisées ; Isaïe3 dit aux Hébreux : Vous dressez des
tables à Gad et vous faites des libations à Méni.
Dans les mystères , pour figurer l'embouchure du
fleuve baptismal, on employa quelquefois le chat dont
le nom ibérique est Gato ; ainsi Péluse était située sur
une des bouches du Nil ; mais pour marquer que cette
bouche était sacrée , en un mot, que c'était un Gat“ , on
| La Fortune était adorée à Antium ; mais cette ville était à l'embou
chure du Tibre. On donnait souvent à cette Fortune le nom de Némésis,
du mot Nema, sceau (QUINTANA. Dict. esp .) qui devait être marqué
sur cette roue par le pontife pour être identique avec le fleuve pri
mitif.
2 Raedt signifie divination, ce qui s'explique par ce qui précède, et a
formé Radamanthe .
3 Qui ponitis mensam Gad, et libatis Meni. Maen , lune, Isaïe,
ch . LXV .

• Gat, en celtique, Gaut, en sanscrit, ne s'appliquent qu'à une em


bouchure sacrée .
16
1

242 TREIZIÈME THÈSE

y nourrissait des chats , comme nous l'apprend Hérodote;


et lorsque Cambyse vint pour prendre la ville , il y
trouva ces étranges protecteurs . La chèvre, qui se
dit Geyte, a également produit par cette ressemblance
de nom des erreurs analogues ; par exemple , les Goths
habitaient près des bouches du Don ; les Huns , qui
étaient de l'autre côté du fleuve, voyant une chèvre tra.
verser l'eau , la suivirent, surprirent et culbutèrent les
Goths ; ceux -ci, dans leur fuite, menacèrent Constan
tinople, saccagèrent Rome , envahirent l'Espagne et
tout cela par la confusion du mot Gat, qui signifie tout
à la fois Goth , embouchure , chèvre ' .
Souvent les symboles se compliquèrent. Ainsi on
essaya de triplifier le cours du fleuve primitif, et au
souvenir du mot Meuse , on imagina la musette à trois
notes qui se dit Gaita en espagnol ; pour figurer les
sept embouchures par où remonte le flux, on prit dans
les mystères la flûte ? à sept tuyaux.
Les termes qui , dans les différentes langues , dési
gnent la bouche ont souvent été appliqués à l'embou
chure des fleuves océaniques ; c'est ainsi que s'explique
le mot latin Mundus , pur , qui se dit en grec Kosmos ;
et , en effet, l'un vient du celtique Mund, bouche d'un

1 Le détroit, le Gat de Messine, fut par la même confusion appelé


Sainte-Agathe des Goths.
2 Vloet, flux ; fluyte, flûte . Orphée , Amphion , Pån exerçaient leurs
enchantements au moyen de la flûte à sept tuyaux. Il en est de même
du fleuve Marsyas ; Marsyas ayant lutté contre Apollon sur la flûte à
Sept tuyaux , le dieu vainqueur lui enleva la peau . (Peel, peau et
marais . )
PHILOLOGIE 213

fleuve purificateur, et l'autre de l'ibérique Coz ”, reflux ;


Yeor, en hébreu , désigne un cours d'eau et forme la
racine du nom de lardan ? que portent un grand
nombre de fleuves; or, cette même racine signifie tout
à la fois bouche et fluctuation : Ora , en latin , désigne
une bouche '; Aiorein “, en grec , veut dire fluctuer; ce
qui montre que le Jourdain primitif est un fleuve dont
l'embouchure est océanique.
Par une autre image , les termes qui signifient porte
furent aussi appliqués à l'entrée des fleuves dans la
mer ; tels sont surtout Janua et Bab . Janua fit appeler
.

Janus le dieu fluminal; et , en effet, ce nom ne se ren


contre qu'à l'embouchure des fleuves, à celle du Tibre ,
par exemple. Également Bab a formé Papios, qui était,
a

selon Hérodote, la grande divinité des Scythes et avait


son culte figuré à l'embouchure du Tanaïs . D'après
cela, Janus et Papios sont donc un même personnage ,
et les noms de leurs pontifes se trouvent souvent con
fondus ; ainsi, dans ces mêmes contrées scythiques, au
lieu de Papios , les modernes ont trouvé un prêtre Jean ,
QUINTANA . Dict , esp . Les Brames , dans les parties supérieures du
Gange ou le flux n'arrive pas, ont tapissé la berge d'une herbe équiva
lente qu'ils nomment par conséquent Cusa ;.les victimes volontaires
sont déposées sur cette herbe , puis roulées dans le fleuve. L'herbe
Cusa a les propriétés salutaires du reflux Coz.
2 Jourdain. On cite un lardan en Elide , en Crète, en Palestine, en
Italie où il est appelé Eridan , dans l'ile de Wight où il est appelé
Yarmouth , ce qui équivaut à Iardan .
3 Yuri, en garanis, signifie aussi bouche.
4 L'escarpolette sacrée, destinée chez les Grecs à remplacer figu
rativement le flux , s'appelait Aiorai , c'est-à - dire balançoire. Rac .
leor .
244 TREIZIÈME THÈSE

tandis que , dans la région italienne, les Étrusques


donnaient au pontife de Janus le nom de Pape.
Mais c'est surtout le va-et-vient de la marée qui,
plus difficile à figurer, introduisit dans le langage les
mots les plus déterminatifs. Les Latins , par exemple,
sont éloignés de l'Océan ; d'où viennent, dans leur
langue , tant de termes océaniques ? Ils disent Titubare, 1

chanceler, et la racine de ce verbe est Tidt, flux; ils


disent Ciere, ébranler, mot évidemment tiré du celtique
See qui désigne la mer, c'est-à-dire la marée ; ils disent
Vagari, et il n'y a de vagues qu'au bord des mers
sujettes au flux ; ils disent encore Vacillare, de Bach,
fleuve qui avance et recule . Toutes ces racines mon
trent que la langue latine s'est formée, non point en
Italie , mais dans des régions au bord de l'Atlantique.
Ainsi encore, le baptême océanique s'appelle Doop’dans
la langue des Celtes , et , comme il est fondé sur la fluc
tuation en quelque sorte indécise de la marée, les
Romains en ont tiré le mot Dubius, douteux. Les
légendes latines citent une fontaine Égérie où Pompi
lius consultait le sort ; les racines celtiques de ces deux
mots nous révèlent tout le mystère de cette consulta
tion ; Eager ?, dans nos langues occidentales, désigne la
marée montante, comme Bambalear3 signifie osciller;
et pour montrer qu'il s'agit ici d'un flux figuratif où une
fontaine remplace mystiquement le fleuve, les héri
Doop signifie baptême et colombe.
? Eager, flux. Dict. angl. C'est l'Eagrius Hebrus d'Orphée.
3 Bambalear, osciller. Dict. esp .
• En jetant des dés dans une fontaine sacrée et interprétant les
figures qu'ils laissent apercevoir quand ils sont au fond.
PHILOLOGIE 245

tiers de la science augurale de Numa en ont toujours


conservé le nom de Titii, devins par le flux, Tidt.
Si d'Italie nous passons en Grèce , nous retrouverons
les mêmes applications. Les mers helléniques n'ont
point de flux, et pourtant, les Grecs, pour dire flotter,
balancer, ébranler, ont les verbes Mermerizein ,
Titainein , Seiein , dérivant des mots celtiques Maer ,
Tidl, See, qui tous désignent l'oscillation de la marée ;
ce qui montre également l'origine atlantique de cette
langue. Leurs oracles sont rendus par une Sibylle, ceux
des Saxons par une Merminne ; or, ces deux mots sont
également celtiques et signifient fille de la mer ,
annonçant l'avenir par l'alternance de la marée. Enfin ,
aussi loin que nous pouvons aller, nous rencontrons
les mêmes mythes ; pour n'en citer qu'un exemple , dans
nos antiques monuments, on trouve l'Océan représenté
sous la forme d'une écrevisse pour désigner son recul
Ebbe ; or, ce même mot prononcé lebi, dans la langue
japonaise, signifie écrevisse.
Ce qui vient d'être dit montre que c'est dans nos
régions atlantiques que l'homme apprit à parler et que
les mots dont il forma son langage passèrent ensuite
aux autres peuples . Mais il n'est pas aussi aisé de
déterminer l'antiquité absolue de cette langue primi
tive. Voici pourtant un point de repère.
La géologie , en creusant très- profondément dans
notre sol , y trouve des ossements d'animaux dont les
races ont disparu depuis des milliers d'années, et au
| Boel et Minne signifient fille, d'où See - boel et Maer-minne, fille de
la mer. DARsy. Dict. fam .
246 TREIZIÈME THÈSE

milieu de leurs débris des vestiges de l'industrie


humaine . A l'époque où ces races existaient encore , il
semble que l'homme de nos pays savait déjà parler,
que déjà il avait à son usage les mêmes mots dont nous
nous servons encore .

Ainsi nous avons cité l'éléphant ; Elef est toujours


resté dans la langue gauloise jusqu'au moyen âge pour
signifier flux et reflux ?. Le renne ne pourrait plus vivre
dans nos contrées, mais il y a vécu ; c'est, comme on
sait, l'animal de la course rapide , il ne connaît que le
grand galop ; or, courir le grand galop se dit toujours
rennen . Le castor , en Amérique , est un animal bâtis
seur, mais avant que nous ne connussions l'Amérique ,
il avait déjà parmi nous son nom qui , dérivé de l'ibé
rique Casador ?, montre que nous avions une langue
au temps où il construisait parmi nous des maisons sur
nos étangs . Pourrait-on bien dire ce que c'est que
l'être mystérieux, ailé , menaçant , long , indéfini, dont
tout le monde parle , que personne n'a vu et qui s'appelle
dragon ? Que l'on examine attentivement quelques-uns
des squelettes retrouvés dans la terre, comme , par
exemple , ceux des Plésiosaures, Pterodactyles et
autres êtres à formes bizarres , on restera convaincu
que le mot Dragon * est un vague souvenir de ces races
de l'ancien monde qu'ont vues disparaître nos premiers
aïeux et dont ils nous ont transmis les noms .

1 Elef, flux et reflux . LACOMBE . Dict, du vieux langage.


2 Casa, maison . Dict. ibérique.
3 Biever, en celtique, signifie étang et castor.
* Ces animaux sont lacustres, et Dreck , signifie boue , bourbier.
PHILOLOGIE 247

Il remonte donc bien haut ce travail de l'homme


pour créer les racines de nos langues ; peu à peu , les
liant entre elles , il en forma ce vaste réseau que nous
appelons le langage. Ses institutions nées au sein de la
nature vieillirent, subirent des réformes, se pénétrèrent
insensiblement d'éléments plus modernes ; mais les mots ,
primitivement créés pour l'usage des mystères, restèrent
appliqués aux mêmes objets devenus plus profanés et
formèrent peu à peu la langue usuelle . Si donc nous
nous sommes fait un système véritable de l'origine du
parler, on peut espérer qu'en prenant au hasard un
mot de nos vocabulaires et remontant la filière de ses
dérivations, on arrivera à quelque point des anciens
mystères .

Excemples.

En Angleterre , la femme de qualité , la maîtresse de


la maison , se distingue des autres par le titre de Lady,
et dans le vieux jargon ibérique , elle se nomme Luda ' ;
or, je remarque que les Romains , qui admettaient trois
espèces de mariage, ne reconnaissaient cependant de
femme vraiment légitime que celle qu'ils appelaient
Ducta uxor; Uxor vient du celtique Haus hoer ?, femme
de la maison , ce qui montre déjà l'origine celtique de
ces institutions ; mais , en outre, Dricta, en latin , Lead , en
anglais, ont le même sens et signifient également con
duite ; la ducta uxor des Latins revient donc à la Lady
1 OUDIN . Dict . esp .
? Haus, maison.
>
248 TREIZIÈME THÈSE

des Bretons, étant l'une et l'autre conduites au domicile


conjugal.
Cette interprétation nous reporte aux premiers
efforts des hommes pour réformer l'homme, à ces
enceintes orphiques ? que nous avons retrouvées sur les
bords de la Meuse ”; là, des jeunes filles, que la main
sage et pure du pontife avait choisies , croissaient à
l'abri des dangers sous l'influence de la religion et de
la vertu ; aux fêtes que les Ibères appellent encore
Romeria arrivaient les jeunes héros parés de leurs
trophées ; eux seuls pénétraient dans l'asile de l'inno
cence , désignaient pour leur compagne une de ces
Sabines 3, se l'attachaient par des neuds indissolubles
que consacrait le pontife et conduisaient, avec eux ,
celle qui devait être l'Uxor, la maîtresse de la maison .
Nous disons sonner une cloche ; d'où vient ce mot
sonner?
La cloche était sacrée dans les anciens mystères ;
son balancement remplaçait par une fiction mystique le
mouvement oscillatoire du flux aux bouches des trois
fleuves primitifs. Le nom celtique de ces trois fleuves
était Rhin, Sonne “, Schell. Dans un grand nombre de
contrées, chez les Celtes , les Bouddhistes , les Japonais,
1 Dans les provinces voisines de la Meuse , des enceintes formées en
terrassement se nomment Hurées ; ailleurs on les appelait Boelwart ;
Hoer et Boel signitient fille. DARSY. Dict. flam .
2
Voy. thèses III° et IX .
3 Ces castels, dont on explore aujourd'hui les ruines , se trouvaient
principalement sur le fleuve Sabus. Thèses Xe et XIVe.
• Sonne, soleil , Hélion . Sur les vieux atlas on lit : Sonne Maer.
FISCHER. Atlas des Pays- Bas.
PHILOLOGIE 249

on obtient le chiffre sacré en employant trois cloches ,


ou, si l'on n'en a qu'une , en la sonnant trois fois; on a
soin que leur balancement se fasse de l'est à l'ouest ,
comme le flux atlantique; puis , pour achever l'identi
fication, on les plonge dans une eau consacrée, ou ,
comme nous disons, on les baptise . Mais , les peuples
occidentaux ont mieux conservé encore le symbolisme,
lorsque, pour désigner le brandillement de la cloche, ils
ont pris le nom même des trois fleuves ; les Anglais
disent to ring, les Français, sonner ? , les Allemands,
zu schellen . Le mot sonner , comme tant d'autres , vient
donc des mystères celtiques.
Je prends dans la langue allemande le mot Wahrheit;
les Latins écrivent Veritas, mais il est facile de voir
que la terminaison heit ne vient point de itas, et que
de ces deux mots c'est le latin qui est le dérivé ; or,
heid ?, ajouté à un terme, lui donne une idée d'abstrac
tion ; ce qui nous reporte à l'époque ancienne où les
Druides , tirant l'homme de la matière , le formèrent à
saisir non -seulement les objets par les yeux du corps,,
mais leur essence par l'intuition abstractive de l'âme .
C'est sur le charbon que se mesure aujourd'hui la
grandeur, la prospérité d'un peuple . D'où vient son
nom ?

Kar signifie noir, alb signifie blanc ; si l'on ajoute à


ces deux mots bone qui signifie os , on retrouve deux
" La cloche se dit Sensen en égyptien. En garanis , la cloche et la
coquille marine portent le même nom ,Ita. Dugraty. En phénicien, les
cloches se disent Misloth (Maes).
? Eidos, en grec, signifie apparence. Nous disons Cycle et Cycloïde.
250 TREIZIÈME THESE

locutions que l'étude des mystères permet de rappro


cher, c'est- à - dire carbone et alban, os noirs, os blancs ;
les os noirs étaient ceux qui, ayant été brûlés et rassem
blés en masse au fond de la crypte ’, n'avaient dans les
orgies qu'une espérance confuse de régénération ; les
os blancs étaient ceux des pénitents ou des héros qui
avaient mérité à leur mort d'être embaumés ; leurs
ossements , réduits par le temps ou par des procédés
artificiels à leur blancheur native , étaient recouverts
d'une onction sainte et religieusement gardés dans ces
caveaux qui en ont retenu le nom d'Alban “ ; ils avaient
pour eux seuls une orgie préparée qui leur assurait
une brillante renaissance . Les Eleuths sont toujours
restés divisés en deux classes, les os blancs et les
os noirs.

1 A Saragosse , l'on voit encore des souvenirs de ces cryptes ; les


reliques y sont toujours, même sous le christianisme, appelées saintes
masses .

2 Cette crypte fut souvent appelée Wolbe, voute ; de là le grec Olbios


et les nombreuses villes nommées Olbiopolis.
3 Homére, dans les funérailles d'Hector, de Patrocle , d'Achille, ap
pelle cette onction Aleipha , du grec leibein oindre ; le même mot leben ,
vivre, montre que les os ne devenaient des germes de renaissance que
quand ils avaient été ainsi préparés. Cet onguent est resté dans nos
langues sous le nom d'Élixir, du mot ibérique Oliscar, oindre ; il se
nomme en celtique Zalve, d'où les Latins ont fait Salous, sauvé ; il se
dit en hébreu Messiac dérivant de Al- maciga, le lentisque ; le fruit de
cet arbre servait dans la haute antiquité à mastiquer ces ossements , et
les Celtes appelaient Messie l'enfant attendu de cette onction vivi
fiante et de la vertu des mystères ; l'onguent lui-même est encore
célèbre en Orient sous le nom de Ben. (Ben , ossement. )
* De là le mont Albano, mont Auban, Saint-Alban , aujourd'hui Namur.
En espagnol, Albanil signifie maçon et Albanado endormi. OUDIN.
Dict. espagnol.
5
5 Voy . MalTE -BRUN , et thèse XIIe .
PHILOLOGIE 251

Cette théorie nous explique pourquoi le même mot


Kol signifie ossement en chinois - coréen 1 et charbon en
anglais . Dans les iles de l'Océanie, ce qu'ambitionnent
i les mourants , c'est d'entrer dans le Tiburon ” où des
: êtres mystérieux râpent et blanchissent les os des
morts. L'homme renaissant ainsi de ses os , on com
prend que chez certains peuples , chez les Arabes, par
exemple , le mot ben * en soit venu à signifier enfant; le
double sens de ce terme , intraduisible en latin , nous fera
comprendre l'évocation vengeresse de l'Africaine Didon :
Exoriare aliquis nostris ex ossibus ultor.
Enfin, qu'on lise dans César la destinée affreuse du
coupable que le grand lama des Druides avait frappé
d'excommunication ; ce dernier mot nous le représente
déjà, par son étymologie latine, retranché de l'unité
mystique ; mais pour me servir du mot des Celtes , il
était BANNI ; c'est - à -dire que ses os , bein, étaient exclus
de la crypte , brûlés, jetés au vent , sans espoir de
retour à la vie 5
Il y a encore de l'écho en France quand on y fait
entendre les mots d'honneur et de patrie. » Le grand
orateur qui prononçait ces paroles avait raison de dire
.. Voy. SIEBOLD. Voyage au Japon ,t. V. Ces ossements brûlés étaient
déposés dans des antres. Asch signifiant cendre, le mot grec Anthrax
(Antre-asch) signifia charbon.
? Tibor est un mot des anciens Ibères signifiant urne ; de la les
Grecs appelaient Téphra la cendre qu'elle contenait.
3 Les mots grec Konis et latin Cinis dérivent du celtique Kene, en
chinois Kuen , qui signifie germe. Darsy. Dict. flam .
* Le Ben des Arabes est le Van des peuples germaniques.
5 Ils étaient aussi jetés au reflux de la mer qui les emportait au
fond des eaux , au fond de l'abime, in profundum laci, comme dit Job.
252 TREIZIÈME THÈSE

que la patrie n'est plus qu'un mot . Les Romains eux


mêmes, qui invoquaient, en toutes circonstances, cette
divinité fictive, n'en connaissaient que le nom .
Primitivement, les colonies celtiques , parties des
bouches du Hélion , erraient indéfiniment précédées
par un drapeau qui représentait l'image de la contrée
mère ; de sorte que toujours voyageant , ils étaient
toujours dans leur pays . Quand les émigrants étaient
arrivés à leur destination , ils fixaient en terre ce Palla
dium ' , lui bâtissaient un pavillon qui du mot celtique
Vaen fut appelé Fanum , et traçaient à l'entour un
Pomerium pour tenir à l'écart le profanum vulgus. Ce
symbole , figurant toujours la contrée qui avait donné
naissance à la colonie, reçut des noms empruntés à cette
fiction . Il était appelé, chez les Espagnols, El Padron ;
chez les Grecs , De Meter 3, la mère .
Les Romains lui donnèrent différentes dénomina
tions ; ils l'appelaient la Bonne Déesse , montrant par
ce mot qu'il y en avait une mauvaise , les deux ensemble
formant le mythe double de Janus; ils l'appelaient
Anna Perenna”, ce qui est exactement Nehal Ennia,
1 Pael, en celtique, Palo , en espagnol, signifient pieu, pal, limite.
9

La colonie romaine fixa ce pal sur le mont Palatin, Mango Capac au


lieu où fut bâtie Cusco.
2 L'ancien mythe de Iago a été confondu par les Espagnols avec
l'apôtre saint Jacques. Voy. these XVIIIe .
3 Les Grecs écrivent Anurienp, en latin Cérès.
* C'est par une tradition analogue que nous disons le Bon Dieu.
5 On l'a confondue souvent avec Thémis, sans doute parce qu'elle
avait une balance; en effet, Wage signifie flux et balance, ce qui prouve
que cet attribut désigne un fleuve oscillant, et par conséquent, Nehal
Ennia.
PHILOLOGIE 253

comme il est facile de le conclure par le nom de Pirène !


donné anciennement aux fleuves sacrés et spécialement
aux sources du Danube et à la fontaine de Pégase.
Ces différentes dénominations appartenaient au secret
des mystères , mais le nom véritablement romain de la
déesse était figuré sous la forme bigénère de Patria .
Le mot accusation se trouve largement inscrit dans
nos codes ; comment remonter par les mystères à son
origine ? Le latin Accusatio est formé du verbe Accu
sare; or, celui-ci dérive de Causa qui vient de l'ibé
rique Coz, reflux. En effet, l'épreuve judiciaire , dans
les cas de doute , se faisait aux bouches du Rhin pour
la crèche* des enfants et aux bords de l'Escaut pour la
bière des morts. Si le prévenu était entraîné dans
l'Océan par le reflux, Coz, alors sa cause était mau
vaise , il subissait l'accusation d'illégitimité ou de
felonie ; si , au contraire, le fleuve l'attirait à lui et le
déposait sur le rivage , il était accepté comme pur.

I Ce mot est habituel en Amérique pour désigner un fleuve bap


tismal ; tout enfant qui nait est baigné chez les Caraïbes dans le
Paranam -buco, dans le Parana-beck , dans le fleuve Parana. THÉVET .
Cosmogr. univers .
2 Voy. Hérodote qui place cette source au pays des Celtes .
3 Coz, reflux. QUINTANA . Dict. esp . De cette racine dérive le verbe
Cassare, casser un jugement.
• Le nom celtique de cette crèche d'épreuve est cribbe ; de la le
crible porté en procession dans les mystères ; de là cette allusion :
Erpetirit vos satanas ut cribraret ; de la le nom de Siva, Sieve signi
fiant crible.
5 Cette bière des morts se dit Bari dans les mystères égyptiens; ce
mot n'est autre que la Barre, Bahar, flux.
& Cette épreuve se faisait ainsi chez les Nerviens qui occupaient la
partie flottante du Rhin et de l'Escaut ; mais dans la région supérieure ,
254 TREIZIÈME THÈSE

Les Athéniens étaient sur une mer sans flux; quand


ils devaient soumettre à l'ordalie un accusé , pour se
retrouver mystiquement aux bords des fleuves océa
niques , ils écrivaient son nom sur une écaille d'huitre
marine et du mot Ostracon ', qui signifie écaille d'huître,
cette accusation fut appelée ostracisme .
Chez les peuples germaniques on employait pour
l'épreuve ordalique le cheval Nizéen ; lâché au lever
du soleil, si son premier mouvement était de hennir, la
cause était favorable ; si c'était de ruer, ruinam facere,
la cause était mauvaise . Ce hennissement et cette
ruade ont reçu dans toutes les langues des noms en
rapport avec cette théorie ; ainsi Wichelen signifie
hennir , mais il signifie aussi augurer ; Coz veut donc
dire tout à la fois ruade et reflux .
Dans ces différents cas , lorsque la chance avait été
heureuse , l'enfant soumis à l'épreuve était déclaré
héritier de la maison , haus heir , Assur ; le défunt
était placé dans la grotte aux florales pour y attendre
son réveil sous le nom d'Achille .
Cette dernière théorie sera mieux comprise par la
thèse suivante .

ou du mot Uber les peuples étaient appelés Éburons, l'épreuve se fai


sait par pondération. C'est de cette dernière que parlent Julien et
l'Anthologie .
1 Oister, Wester, l’West.
QUATORZIÈME THÈSE.

ANTIQUITÉS GÉOLOGIQUES DES CELTES .

Le sol que nous foulons recèle les dépouilles de nos


aïeux; leurs restes , les débris des objets qui ont servi
à leurs usages, y subissent leur lente et silencieuse
destruction sous cette lime éternelle que nous appelons
le temps . Les générations qui nous ont précédés ,
bornant leurs soins aux choses présentes , se sont
montrées peu soucieuses d'interroger des ruines dont
elles ne voyaient point l'avantage ; mais de notre temps
les peuples celtiques, avides de tout connaître, péné
trant dans cette région de mort , ont ramené à la
lumière du jour tout ce qui n'avait pas encore atteint
son entier anéantissement , et , classant ces précieuses
reliques dans des musées , ils étalèrent sous nos yeux
une esquisse des annales primitives du genre humain .
Quand l'histoire apparut et nous fit le tableau des
institutions humaines telles qu'elle les trouva , nous
remarquons que la société , à cette époque, possédait
déjà des langues, des cultes, des traditions portées à
un certain degré de perfectionnement. Des éléments
aussi avancés de civilisation avaient donc une origine
256 QUATORZIÈME THÈSE

fort reculée , ils avaient donc été élaborés antérieure


ment à l'histoire par ces mêmes hommes dont nous
allons rechercher les dépouilles dans la terre; ces
dépouilles géologiques et ces moeurs traditionnelles,
étant les vestiges d'une même vie sociale, ont, par
conséquent , entre elles une connexion nécessaire, et
l'étude des unes doit aider à la recherche des autres.
Les débris matériels, laissés par les premiers
humains, ne portent point malheureusement sur les
objets qui pourraient le mieux nous faire connaître leurs
institutions, mais sur ceux qui offrent le plus de résis
tance au travail destructeur de la nature , comme par
exemple les ossements ?, les armes ; cependant, quelque
incomplets que soient ces documents , cherchons à les
interpréter .
L'homme préhistorique.

Si , à l'aide des monuments qui nous restent du passé,


nous essayons de retrouver les institutions de nos
pères , nous conviendrons sans peine que, plus nous
remontons le cours des âges , plus aussi nous voyons
développé parmi les peuples le culte des tombeaux;
on dirait que c'est du sein de la mort que naquit la
religion .
Les premiers humains , attribuant aux âmes échap
pées du corps les phénomènes de la nature et surtout
1 Les ossements conservés ne sont que ceux des tombeaux; dans
toutes les funérailles décrites par Homère, les os qu'il appelle
Leuka, blancs, sont recouverts d'un enduit incorruptible appelé
Aleipha.
GÉOLOGIE 257

ceux qui paraissent déroger aux lois communes, hono


rèrent,apaisèrent, consultèrent ces agents invisibles,
et cette relation , établie entre les deux mondes, donna
naissance aux plus anciennes pratiques du culte. En
même temps , l'esprit observateur de l'homme remarqua
que souvent les traits des ancêtres morts reparaissent
dans leurs descendants , phénomène que nous appelons
atavisme?; il en conclut que l'enfant n'estque l'âme d'un
de ses aïeux reprenant un nouveau corps , et, faisant
de cette observation un système, il ajouta à la croyance
primitive la branche la plus importante de la religion,
celle qui avait pour objet d'assurer, de préparer le
retour de l'homme à la vie.
On voit donc qu'en nous approchant de l'origine
des peuples, les plus anciens mystères sont ceux du
sépulcre.
L'Égypte est couverte de ruines, mais vous n'y
trouvez ni palais, ni habitations profanes, ni murs pour
défendre les villes 3 ; tout y est temples, pyramides,
sépulcres, momies ; il semblerait que ce sont des morts
qui ont habité ce pays. Confucius ne proposa aux
hommes, pour toute religion, que les règles naturelles
de la morale ; près de mourir, il s'agenouilla tourné
vers le nord “, adora ses pères et expira. Si nous vou
| Les Israélites, même encore aujourd'hui, ne donnent à l'enfant
nouveau-né que le nom d'un de ses aïeux morts ; supposant que c'est
le défunt lui-même qui revient à la vie.
? Voy. thèses XIIe et XIII .
3 Diodore a déjà fait remarquer et nos savants ont constaté que
Thebes aux cent portes n'avait ni portes ni murailles.
4 En Chine , le se dit Pe ; ces anciens peuples du Nord voyaient,
comme Ossian, leurs pères dans les aurores boréales.
17
258 QUATORZIÈME THÈSE

lons connaître nos moeurs d'autrefois, c'est parmi les


sauvages que nous les retrouverons; qu'ils admettent
ou non un grand esprit, tout ce que nous remarquons
de culte chez eux , sacrifice, tabou, divination , s'adresse
aux âmes des ancêtres .
Dès que l'homme eut compris qu'après sa mort il
continuait d'exister, mais qu'il pouvait se dérober aux
horreurs du tombeau par l'espoir de renaître, on tira
parti de cette croyance , on exagéra ses frayeurs pour
le porter aux actes héroïques; on fut ainsi conduit à
ranger les morts en trois catégories distinctes .
La première comprenait les héros auxquels on con
servait par les artifices de l'embaumement une appa
rence de vie ; on supposait que, plongés dans un
sommeil extatique, leur âme active était transportée au
séjour des bienheureux, tandis que leur âme intelli
gente restait inhérente au corps . Cette momie , consi
dérée comme Génie tutélaire, était placée dans un lieu
honorable et secret d'où elle étendait sur le voisinage
son influence patronale et rendait des oracles . Les
légendes mythologiques des anciens nous expliquent
tous ces mystères quand elles nous peignent les dieux
immortels se nourrissant, dans l'Olympe, de nectar ? et
d'ambroisie ; elles désignent par ces deux mots les deux
}

élixirs dont se servaient les embaumeurs pour main


tenir dans leur forme vivante les corps des saints et
retarder l'æuvre de la mort. Nec-tar signifie goudron

1 Ainsi , au chant XIe de l'Odyssée , Hercule est au séjour du bonheur,


mais son idole, Eidolon , est dans la caverne des morts.
2 Nekken, tuer ; tar, goudron. DARSY . Dict fam .
GÉOLOGIE 259

des morts ; l'ambroisie n'est autre chose que cette


ambre, si fameuse encore au temps des Romains , qui
pourtant avaient oublié sa destination déifique.
Comme ce point de religion nous reporte à l'anti
quité la plus reculée, les constructions faites dans cet
esprit doivent nous offrir les ruines les plus anciennes .
En effet, parmi les édifices que nous nommons cyclo
péens , il en est quiprésentent une particularité étrange;
le rez -de -chaussée est formé de deux murs laissant
entre eux un espace vide assez large, assez haut pour
qu'on puisse y placer une rangée d'hommes debout; les
mieux conservés de ces monuments sont les Noraggi de
Sardaigne ; mais on reconnaît cette même forme dans
le palais de Tyrinthe en Argolide, dans celui de Tyrone,
qui existe encore en Irlande et que les poésies erses
nomment Tara ; Tyrone, Tyrinthe, Tara nous indi
quent, par leur nom même, que c'est là que l'on plaçait
les corps goudronnés des héros . Ces corps , rangés
circulairement et debout ? sous la voûte ", ont été rem
placés peu à peu par des piliers, taillés en forme
humaine et que nous appelons cariatides 4 ; en Grèce ,
1 La ville souterraine de Véléia , retrouvée récemment au nord de
l'Italie , avait un de ces temples à double mur, un de ces tarichées.
? Body, corps. De la dérivent le mot japonais Daibout (de Body)
pour exprimer la statue droite de Bouddha, et le mot français Debout .
3 Vloer, voûte, plancher, d'où florales. Les latins disent Area ; et,
encore aujourd'hui , les Bretons , aux jours de fête, dansent sur l'aire
neute ; les Gaulois disaient Board, racine d'un mot connu .
4
* Caraya , singe, en Amérique. (République du Paraguay. DUGRATY. )
Ces cariatides singeaient, pour ainsi dire, le patron ; d'où , dans nos
langues, Avus, aïeul ; Af, singe;Mom , corps (en coréen ); Mom, singe;
Pitheyke, aïeul (en flamand. DARSY) ; Pithecos, singe (en grec).
260 QUATORZIÈME THÈSE

on donnait à ces colonnes figurées le nom d'Atlante, et,


comme l'étage qui paraissait reposer sur leur tête était
le théâtre des florales, on imagina la légende d'Hercule
se substituant à Atlas pour supporter le ciel ; Vitruve
les nomme Télamon , ce qui est le mot celtique
Dolmen .
Les monuments que nous appelons druidiques ont été
élevés dans le même esprit , mais supposent une pratique
différente ; ils sont formés de pierres rangées en cercle
autour d'une autre plus grande, et les saints étaient
placés sur chacune d'elles . Sur la pierre du centre
était le grand lama ; l'ambre l'avait rendu immortel ;
c'est pourquoi , après tant de siècles , il est toujours
célèbre dans les traditions du pays sous le nom d'Am
brosius ; les légendes bretonnes le représentent construi
sant le Stone henge ? et protégeant de son ombre ces
vastes ruines.
Ce mythisme est passé dans d'autres contrées ; ainsi ,
dans l'Armorique , ces trônes où siégeaient les immortels
forment le vaste.cromlech du Carnac . En Ibérie, on
retrouve les monuments de Carnata , que nous pronon
çons Grenade ; or, là aussi , le beau temple construit
par les anciens Ibères s'appelait Kalat-al-Ahmra, le
château de momies ambrées. Chez les Étrusques,
I L'Angleterre fut appelée anciennement ile des dieux et, plus tard,
ile des saints .
2 Le monument circulaire de Old Sarum porte ce nom. Le mot
Hinge, qui signifie gond, ne s'applique qu'à la pierre du centre. Les
Etrusques disaient Cardo ; le cercle, divisé en quatre parties, formait
un quadrant, et ces quatre parties orientées sont appelées points
cardinaux .
GÉOLOGIE 261

..
comme nous le voyons par les tables iguviennes , le
personnage déifié par l'ambre , dans les temples sculptés
de Corneto ',, se nommait Embratur, mot que les latins
prononçaient Imperator ; et, en effet, les druides des
Bretons et les Tusci? des Étrusques ne différaient en
rien, ces deux mots signifiant disciplinés .
Au temps de Strabon, il y avait déjà bien des siècles
que ces monuments étaient hors d'usage ; il a vu celui
du Promontorium sacrum , au fond du Portugal, et
les gens du pays, n'ayant plus qu'un souvenir légen
daire des anciennes momies, lui disaient que , chaque
nuit ?, les immortels venaient s'asseoir sur ces pierres
pour y tenir leur conseil.
Au reste , l'immortalité de ces dieux n'était point
absolue; lorsque, après un laps de temps , les corps mo
mifiés avaient perdu leur apparence humaine et tour
naient au squelette, les florales “, réunissant les deux
âmes, les faisaient renaître sous une autre forme; les
ossements étaient enlevés et de nouveaux saints , Neu

' En Bretagne, où il y a de l'ambre, la momie était ambrée ; plus


loin, l'ambre manquant , on le remplaçait par le goudron ; ainsi, en
Égypte, les momies n'étaient que goudronnées, et le Tarichée, ou on
les déposait, tire ce nom du celtique Tar, goudron.
? Tucht, Derridt, signifient discipline. Thèse Xe. De Tucht
dérive le latin Docere, Doctus, ainsi que le grec Thugater ( Tucht
haer .
3 Les Lords ( Lert, instruit, discipliné) tiennent encore leurs séances
de nuit.
- Les florales se font encore à Helstown le 8 de mai ; à Rome , elles
avaient lieu le 4 ; en Gaule, on les célébrait aux calendes de mai ; de
Calendæ maiance , le peuple a fait Colin-mayar.
262 QUATORZIÈME THÈSE

Richis ?, prenaient leur place; c'est de là, et non point


de Norax , fils d'Hercule , comme le racontent les Grecs ,
que les monuments de Sardaigne ont porté jusqu'à nos
jours le nom de Noraggi.
Tels sont les saints de l'ancienne religion ; voyons
maintenant ce que l'on faisait des morts qui avaient
des fautes à expier .
Cette seconde catégorie , bien plus nombreuse que la
première, entrait dans la tombe avec des souillures;
mais la déesse mère suivait ses enfants au delà du
trépas et avait des ressources pour dégager leur âme
des restes matériels qui retardaient leur renaissance.
On s'adressait pour cette oeuvre aux éléments naturels,
agents mystérieux de la divinité .
On employait premièrement le Vent.
Le cadavre était transporté sur le haut des mon
tagnes et le souffle de l'air ? le réduisait à ses osse
ments ; c'est de là que les monts Ventoux , en Dauphiné,
Vindhia , en Ibérie et dans les poésies sanscrites,
tirent leur nom ; c'est d'après ce souvenir également
que Virgile nous peint les âmes pénitentes flottant dans
les airs , suspensæ ad vontos.
Un second élément purificateur était l'Eau .
Les morts étaient enterrés sous la berge battue par
les flots ; le nom de Strand que portait cette berge est
i Richis, en sanscrit, Roch, en celtique , signifie religieux parfait;
c'est de la que dérive le mot français Rochet, pour désigner un surplis
ailé , angélique .
2 C'est dans ce sens que, dans les poëmes sanscrits, Siva , dieu de
la mort, est appelé le roi des Maruts, c'est-à-dire le roi des vents.
263
GÉOLOGIE

encore connu sur les bords de la Tamise et joue , dans


ce sens, un grand rôle dans les poésies scandinaves ; le
mot celtique Zoom , qui signifie bord , et le mot latin
Sumnus, qui signifie sommeil, appartiennent à ce même
>

mythe et nous représentent l’initié dormant sous le bord


du fleuve océanique son sommeil expiateur.
A l'embouchure du Borysthène 2 se trouvait un de
ces nombreux promontoires ou les anciens , sous la
vague, plaçaient les corps des justes ; il était donc
appelé Schill's droom 3 , sommeil du dormeur ; les Grecs
>

n'ont pas manqué de traduire Droom par Dromos , qui


dans leur langue signifie course, et en ont fait un lieu
géographique appelé Course d'Achille4. Souvent on
enterrait le défunt dans le lit même du fleuve dont on
avait momentanément détourné le cours , comme il
arriva pour les ossements de Joseph ", pour Moïse,
pour Alaric , pour ce squelette retrouvé sous le cours
de l'Oronte, pour ce personnage mystérieux enseveli
dans la fameuse vallée des Batuecas º, en Espagne , au
fond d'une rivière qui en a retenu le nom de El cuerpo
del hombre .

Dans les mystères, le sommeil et la mort sont toujours pris l'un


pour l'autre. Bed signifie tombeau et lit. L'expression étrange, lit d'une
rivière, dérive des anciens mystères.
? Borysthène, Bore's -tania . Bore, flux est ici figuratif; ce mot est
saxon , mais là étaient les Sassones.
3 Droom , sommeil ; schuylen, dormir (être momifié) dans une
grotte.
* Appelé ainsi dans la Géographie de Ptolémée.
5 Selon Flavius Joséphe.
* Les idioles de ce personnage sont les anciens pataiques, que les
Phéniciens plaçaient comme génies protecteurs sur leurs vaisseaux.
264 QUATORZIÈME THÈSE

Enfin , on employa pour troisième agent le Feu .


Ces dernières purifications étaient celles des Ammo
nites dans la Bible ; ils appelaient leur dieu Moloch et
lui consacraient leurs enfants en les faisant passer par
le feu ; pratique bizarre dont le souvenir s'est conservé
dans nos traditions ; la salamandre se nomme aussi
Molck ' et le peuple , sur cette ressemblance de nom,
regarde toujours cet animal comme incombustible.
Quant aux ossements des fidèles, lorsqu'ils étaient
brûlés, on les déposait dans une urne que l'on plaçait
sous un tertre, dans une ile voisine du rivage , et sou
vent au fond des eaux. L'Escaut roule sur un lit de ces
cendres funéraires; les colonies , parties de là en Scan
dinavie, y propagèrent la même religion, et là , sous
les collines , sous les cours d'eau , partout, on retrouve
des corps brûlés; en Amérique, au centre du lac Nica
ragua , est l'ile d'Homole, toute remplie d'urnes exacte.
ment semblables à celles que l'on rencontre à chaque
pas en Suède : les Holmèques habitaient ces cantons
et leur nom, qui signifie insulaire , est un mot suédois ;
les peuples de ces contrées , coinme les Suèves de la
Baltique , immolaient un homme dans leurs fêtes et
gardaient sur leur tête rasée une touffe de cheveux.
Tous ces noms, tous ces détails nous ramènent d'Amé

1 Molck, salamandre. Darsy. Dict. flam . Près de Thebes est la vallée


de Biban-el-Molouck , pleine de momies qui muent comme la sala
mandre. Les Égyptiens étaient Ammonites.
2 Neckar -aeghe, lle des morts. Hom -hel, grotte secrète. Holm , ile
de lac ou de rivière. Darsy . Dict. flam .
3 TACITE . Germania .
GÉOLOGIE 265

rique au pays des Scaldes, de là aux bords de l'Escaut,


en un mot, en plein pays celtique.
Les deux catégories de morts que nous venons de
voir appartiennent aux mystères; leurs ossements,
recueillis dans la cale, in orco , attendaient des orgies
la renaissance ; mais c'était le petit nombre ; les autres,
n'étant point initiés , n'avaient rien à espérer ; ils for
maient le bas peuple loo, kaós ; ils étaient la foule,
volcke, vulgus; après leur mort, on les enterrait sous le
gazon ', turf, turba ; leurs restes étaient destinés à la
pourriture, rot?, dont nous avons fait roture .
Comme on le voit, l'ancienne religion , admettant deux
1

âmes dans l'homme, appelait mort leur séparation , elle


appelait vie leur réunion. Les saints, jouissant de la
béatitude, ne désiraient point rentrer de sitôt dans un
nouveau corps; les pénitents n'aspiraient qu'à revivre ;
les bannis ne pouvaient plus espérer de renaitres ; telles
étaient les trois espèces de génies auxquels était livrée
l'administration du monde.

Sépulcres antiques.

Les usages funéraires datent de l'antiquité la plus


haute ; ils sont aujourd'hui retracés dans nos rituels en
lettres courantes , mais, avant l'écriture, on se servait
1 J'aurai sous l'herbe une tombe à l'écart. BÉRANGER.
2 Rot, pourri; Rudis, brut, non initié.
3 Ils renaissaient dans les animaux inférieurs, avec l'espoir de
redevenir hommes par une série de transmigrations. Il n'existe
aucune religion qui n'ait conservé des vestiges de ce pythagorisme
antique.
266 QUATORZIEME THESE

de peintures symboliques que nous appelons hiéro


glyphes ; si nous pénétrons encore plus loin , à cette
époque toute primitive où naquirent ces mêmes tradi
tions, au lieu des figures c'étaient les objets eux -mêmes
qui étaient employés pour retracer autour du mort la
croyance des peuples . Dans cette triple période , les
monuments que la science a recueillis , c'est-à - dire
inscriptions, hiéroglyphes, objets en nature, n'expri
ment tous qu'une même pensée, la résurrection.
Ainsi les épigraphes tumulaires, trouvées dans nos
contrées , portent souvent cette simple locution : SUB
ASCIA ” , indiquant par là que le défunt est mort en
union de sentiment avec Asci-burgium ?, centre mys
tique d'où émane la vertu régénératrice des florales ;
on y lit aussi quelquefois : SIT TIBI TERRA LEVIS , que
la terre te soit légère , et n'arrête pas le retour de l'âme
dans un nouveau corps .
Dans la période antérieure , celle des hiéroglyphes,
ces mêmes voeux étaient déjà exprimés , mais hiérogly
phiquement. Sur les tombes , qui datent de cette époque,
on dessina les animaux qui muent pendant l'hiver,
comme les serpents , les tortues , les salamandres,
figurant par ces emblèmes l'initié qui laisse au fond du
cercueil sa vieille dépouille “, pour reparaître dans les
i Voy. Encycl. méthod . On a fait de nombreuses hypothèses pour
expliquer ce mot.
2 Voy. thèse IX .
3 On voit le serpent et tous ces animaux muants sur les cercueils à
momies qui viennent d'Égypte.
4 Le mot des anciens Celtes était Défroque, c'est-à-dire De frog,
la grenouille, le saurien .
GÉOLOGIE 267

florales sous une forme nouvelle; on y peignit de même


le hanneton ? qui, dans le langage scientifique, s'appelle
scarabée, parce qu'il arrive vers le premier du mois de
mai, époque des florales;on y grava le Tau , T, et l'Aspa , >

X ; dans Ézéchiel, la mort frappe ceux qui n'ont point la


marque du Tau sur le front; l'Aspa ’ se compose de deux
os placés en croix , et de cet emblème de l'espérance les
latins ont formé Spes, c'est- à -dire espoir de renaître de
ses ossements , et les Grecs ont formé Speos, c'est-à-dire
caverne où ces ossements étaient gardés ;; et le christia
nisme, héritier de toutes ces traditions, plaça sur ses
tombes : IN SPEM RESURRECTIONIS .
Ce n'est pas seulement dans nos contrées que les
anciens peuples ont attaqué la mort par tous ces sym
boles ; la science les retrouve dans les tombes , sur les
monuments des Égyptiens, des Abyssins, des Mexi
cains ; mais on les rencontre surtout dans les contrées
occupées par les Piaches , ces druides du nouveau
monde .

On voit déjà , par le peu qui vient d'être dit, que


tout, dans les tombeaux , retrace l'espoir donné au juste
de remonter à la vie. Nous exprimons aujourd'hui cette
pensée par des lettres ; plus anciennement, on se servait
de figures ; mais si, avec le géologue , nous descendons
au plus profond de la tombe, nous remarquerons que
l'on a commencé par les objets matériels eux- mêmes .
1
" Axgos, florales, d'où hanneton , en allemand , Mai kever .
2
Aspa, croix de Saint-André. QUINTANA. Dict. esp. La Corogne a
pour armes l’Aspa, c'est-à -dire deux os placés en croix ; Spö, en Corée ,
signifie os. SIEBOLD .
268 QUATORZIÈME THÈSE

Sur les tombeaux , la religion primitive a souvent


planté des arbres , mais ceux-là seulement qui par
quelque propriété semblent annoncer la reprise d'un
nouveau corps. Le chêne, par son image significative
de fructification , le platane, le bouleau , qui se dépouil
lent périodiquement de leur enveloppe, furent choisis
pour aider de leur ombrage l'initié muant au fond de
sa tombe ; le platane même était, à ce titre, si vénéré
chez les Atrebates, que les empereurs romains crurent
l'occasion bonne pour le soumettre à un impôt ?; en
Amérique, l'on explore tous les jours les antiques
tombes des bords de l'Ohio et l'on remue pour arriver
aux morts des forêts de platanes et de bouleaux qui ,
plantés depuis des milliers d'années, naissent, meurent,
s'entassent sur ce vaste cimetière . L'if?, par son éter
nelle verdure , fut également mis près du défunt, comme
pour signifier que sa mort n'est qu'apparente et qu'il
reverdira un jour par la vertu toute -puissante des
mystères .
Il est une autre espèce d'objets que l'on rencontre
fréquemment dans les tombeaux , ce sont les amulettes ;
la plupart sont en ambre , l'ambroisie étant la nourri
ture des dieux et le gage de l'incorruptibilité ; quelques
uns n'ont pour but que de rattacher le défunt à la mère
patrie, comme par exemple, les haches en silex dont
· Encycl. méthodique.
2 Poy . MALTE-BRUN. Liv. CXI.
3 Le mot Ever, toujours, dérive de là ; l'iſ se dit en espagnol Tejo,
et en d'autres langues, Thuya ; or, en garanis , Tuya signifie vieux,
immortel. DUGRATY. Répub. du Paraguay.
· Heimel-ita , céleste pierre. Voy. thèses Ville et Xle.
GÉOLOGIE 269

le nom , en celtique, est Mes , les coquillages qui se


disent Schel, désignant respectivement la Meuse et
l'Escaut.
Mais les plus remarquables de ces mythes sont ceux
qui se rapportent à l'ile Scaldia elle-même . Son nom
celtique est Schouwen ? qui , entre autres sens, peut
signifier pied . Dans l'Inde orientale , on voit un certain
nombre de pierres sépulcrales portant l'empreinte
gigantesque du pied de Bouddha ou de saint Thomas,
comme d'autres l'appellent; dans l'Inde occidentale,
quand les missionnaires annoncèrent aux indigènes la
doctrine de l'Évangile, ceux-ci, entendant le nom de
saint Thomas , s'écrièrent qu'ils connaissaient ce saint,
et ils montrèrent, sur différentes collines, l'empreinte
du pied de celui qu'ils appelaient du même nom que
les Asiatiques : Pai Thomas ?.
Enfin , toujours dans le même esprit , des animaux
vivants furent ensevelis avec le mort. Au Mexique, on
enterrait un chien, au souvenir du Hont ?, embouchure
funéraire de l'Escaut. Chez les Celtes , les Germains ,
les Massagètes, les Perses, c'était un cheval “, pour
rappeler le flux ordalique du même fleuve. En Égypte,
on retrouve , dans les tombeaux , tous les animaux des

| Schoe, pied, en anglais, flamand, allemand. Dans la série des


émigrations celtiques vers l'Orient, nous avons suivi jusqu'à Téhéran
la chaine des lieux sacrés qui portaient le nom de Choana. Voy.
thèses Xe et XI.
2 Charlevoix ( Hist. du Paraguay) écrit Pai Zoma.
3 Voy. these XII .
* Les médailles retrouvées dans les tombes portent ordinairement la
figure du cheval.
270 QUATORZIÈME THÈSE

mystères : l'ibis , figure du flux, Ebbel; l'ichneumon ",


>

traduction grecque de Schouwen , dans le sens de pied;


le crocodile3, pour remplacer le lézard qui mue pendant
>

l'hiver; le loup et le chat, pour rappeler les deux


canaux qui environnent l'ile sacrée de Schouwen, dont
l'un est Wolferdick et l'autre Cattendick ; enfin les
bæufs Apis , Onuphis et Mnévis , qui , tous trois , figurent
le flux atlantique ; et , en effet, le premier, dont le nom
Apis est une défiguration de Ebb, flux, portait en outre
sur lui l'image de la lune ; on surnommait le second
Bakis, mot celtique qui signifie fleuve ; et on le plaçait
à Hermonthis , autre mot celtique qui, s'écrivant d'abord
Yar -mund , signifie embouchure de fleuve; quant au
troisième, les Égyptiens, au rapport de Macrobe,
assurent que son poil se rebrousse à certaines heures
du jour ; ces peuples confondant mystiquement leor
qui signifie embouchure de fleuve, et Hayr qui signifie
poil .
Tous ces squelettes reparaissent dans les fouilles
sépulcrales qui se font en Égypte ; mais autour de ce
pays rôdent des animaux vraiment africains, la girafe,
l'autruche, le chameau , et leurs dépouilles ne se
retrouvent point dans les tombeaux ; on peut déjà en

1 Voy. le culte d'Isis , dans la thèse XI .


2 Ichnos, empreinte du pied. Mon est le nom du personnage qui a
laissé l'empreinte de son pied ; Mair -Mon en Amérique, Chakia-Jouni
en Asie .
3 Hérodote, disant que le crocodile mue, le confond avec le lézard
et montre que c'est du pays des lézards que viennent les mysteres
d'Égypte .
4 Iar -dan , Yar mouth .
GÉOLOGIE 271

conclure que les objets figurés ne sont point en


Afrique; mais nous allons, de plus, montrer qu'ils
étaient en Europe .
Il y a quelques années, M. Boucher de Perthes fit
remarquer aux savants , à l'embouchure de la Somme?
des squelettes humains, des haches en silex , des osse
ments de mammouth mêlés ensemble . Cet accouple
ment , que l'on ne sut expliquer , ayant donné l'éveil ,
on multiplia les fouilles et on retrouva , dans les tombes
des anciens Celtes , les mêmes mythes que nous avons
>

remarqués chez les Étrusques , en Égypte, au Mexique ,


mais dans des terrains plus profonds, dans un état
plus grand de délabrement , offrant des caractères d'une
antiquité bien plus reculée . Conformément aux théories
émises , ces débris se rencontrent dans le voisinage des
fleuves et surtout de la Meuse , de la Somme , de la
Garonne , de l'Hérault , du Tage?, de la Tamise , du
Wash ; ils se présentent sous forme de squelettes ou de
cendres contenues dans une urne?; ils sont souvent
renfermés dans des cavernes situées à une grande
hauteur; mais il est facile de voir , par la nature des
éboulements et les traces manifestes du passage des
eaux , que des conduits artificiels ont été ménagés pour
introduire dans ces asiles d'expiation l'eau qui vient du
ciel et entraîne les souillures dans le fleuve . Certaines

| A Moulin -Quignon , près d'Abheville, en 1863.


? Aux sources du Tage, est la célèbre Cuera de los Judios, toute
remplie d'ossements .
3 L'urne elle-même, par sa forme, était un symbole de régénération.
Crna vient de Urh -ahn , grands parents. Darsy. Dict. flam .
272 QUATORZIÈME THESE

cavernes à deux issues, dit M. Le Hon ' , reçoivent un


cours d'eau qui, suivant les circonstances, peut déblayer
leur contenu ou remplir leurs cavités de limon et de
débris de tous genres. La grotte de Furfooz renfermait
treize cadavres bouleversés par les eaux à une hauteur
de dix -sept mètres au -dessus de la Lesch, qui coule dans
le voisinage.
Mais, de tous les faits que présentent ces décou
vertes , le plus remarquable est le suivant.
Dans les grottes sépulcrales, on trouve générale
ment , mêlés aux squelettes humains, des ossements de
différents animaux , parmi lesquels on remarque le
mammouth , le lion , l'aurochs , le cheval, le renne,
>

l'ours , le loup , le chien ; mais ce qui surprend, c'est


que ceux d'entre ces ossements qui renferment de la
moelle sont généralement entr'ouverts et fracturés,
toujours d'après un plan uniforme , ce qui semble
annoncer une idée religieuse.
S'il est une solution à ce problème, c'est la suivante.

Théorie sur les ossements des cavernes .

Les premiers humains, placés sans traditions en face


de la nature, étudièrent ses lois , recherchèrent ses
tendances et , réunissant leurs observations , essayèrent
les premiers systèmes de la science que nous appelons
philosophie. Ils remarquèrent sans peine que les qua
lités morales , spécifiquement réparties dans les animaux,
· LEHON , L'homme Ch . III .
2 LEHON . L'homme fossile .
GÉOLOGIE 273

sont confusément réparties dans l'individu humain .


On trouve, en effet, pour caractère déterminatif, dans
l'éléphant? la tempérance, dans le lion la fierté, dans
l'aurochs la force, dans le chien l'attachement, dans le
cheval la docilité, et ainsi pour chaque espèce . Ces
qualités, l'homme les possède toutes, mais un homme
ne les possède qu'en partie. Une fois cette observation
faite, on en vint naturellement à croire que les entités
morales des animaux inférieurs passent, après leur
mort, dans l'homme, dont la valeur se mesure ainsi sur
leur inégale répartition.
On alla plus loin ; l'homme étudiant sa propre essence
chercha à démêler, parmi ses organes accessoires, le
principe de la vie , et fut ainsi conduit à voir, dans la
moelle des os , l'élément primitif de l'être organisé.
Guidé par cette double considération , lorsqu'il déposa
dans les caveaux les corps des justes que les florales
devaient faire revivre, il y joignit les ossements de
ceux d'entre les animaux qui possèdent les qualités les
plus brillantes, il les fractura pour faciliter l'émission
du principe vital contenu dans la moelle, espérant ainsi
que les esprits animaux passeront dans le nouvel être
qui doit résulter du mystère .
Au fond des traditions primitives du genre humain
se retrouvent tous ces souvenirs , si nous savions les
démêler. Les plus antiques de ces cavernes , où dorment
les initiés de l'ancien culte , ont été retrouvées au voisi

· Pour suppléer au manque d'éléphants, de rennes, de lions, d'ani


maux exotiques, on mit dans les tombeaux leur image gravée sur un
schiste .

18
274 QUATORZIEME THESE

nage de la Meuse . Dans la langue parlée sur les bords


du fleuve sacré , Schuylen signifie tout à la fois être
caché et dormir ?; Schyl était donc le nom que l'on
donnait au bienheureux endormi dans sa grotte, au
héros dont on attendait le réveil. Les anciens ont fait
de ce mot Achille ; ce qui explique les nombreux tertres
qui portent ce nom du fond de l'Irlande au Borysthène.
Dans l'Odyssée, Achille est nommé trois fois et
toujours comme habitant des tombeaux. Au premier
chant, Nestor ne le cite que pour dire qu'il dort dans
la plaine de Troie ; au onzième , Ulysse le rencontre
bien loin de là, dans une caverne funéraire, ennuyé de
sa mort et impatient de revivre ; au vingt- quatrième,
il se retrouve dans une autre grotte où se rendent les
3
ombres des rivaux d'Ulysse. Comme Bochica en
Amérique, Bouddha en Asie, Achille est le sauveur
attendu que les florales s'épuisent à ramener sur terre".
Que faisait-il dans sa grotte ?
Les légendes grecques nous apprennent qu'il s'y
nourrissait de la moelle des lions; et c'est d'après cet

I DARsy . Dict. flam .


2 Tertre et Tartare sont un même mot . C'est le caveau des momies
goudronnées. Tar, goudron .
3 Bochica est enfermé dans Ida - Canza ; Bouddha dans le Kailasa, et
les peuples attendent qu'ils en sortent par la vertu des florales pour
venir les sauver. Or, ces deux mots sont celtiques : Schantze, d'où
7

Canza, signifie castel ; Kuyl, d'où Kailasa et le latin Cælum , signifile


grotte mortuaire.
4 Nous retrouvons tous ces mystères dans les mots saxons. Chill, en
anglais, signifie glacé, engourdi, ce que l'ibérique appelle encore
mieux, Albanado.
GÉOLOGIE 275

antique souvenir que l'Iliade, qui le fait revivre, lui


donne le caractère de ce noble animall.
La Bible des Hébreux, dans son langage mystique,
fait également allusion à cette croyance de nos pères,
lorsque Jacob mourant dit à Juda : Mon fils, tu dors
comme le lion , qui osera te réveiller ? Le sceptre ne
2
quittera point Juda jusqu'à ce que Schyl ’ revienne .
Plus tard , lorsque les mystères prophétisés furent
pleinement accomplis, du fond des âges un écho apoca
lyptique répondit aux accents du vieux patriarche :
Ecce vicit Leo de tribu Juda .
Quand le dormeur était un souverain , il fallait,
jusqu'à son réveil, lui donner un substitut pour la
gestion des affaires. On choisissait pour cela un sage ,
et ce dernier mot, qui en celtique se dit weise, en vint, >

chez les différents peuples , à signifier vice-gérant,


rices gerens ; c'est ainsi que s'expliquent les termes
Bello-wèse, Vizir, Vyasa ?; les Aztèques donnent au
représentant de Bochica le nom de Guèze".
Lorsque les florales avaient fait regermer le Schyl,
De là aussi les nombreuses comparaisons tirées du lion dans
l'Iliade, c'est- à - dire dans le poëme qui chante le Schyl ravivé par les
florales. Ces comparaisons sont au nombre de quarante-cinq.
2 Dum veniat Schilo; hebr. bw Gen. IL, 10.
3 Cette racine se trouve dans le français guise, déguisement, dans
l'anglais vise, dans l'allemand weise . Bello-wèse est le remplaçant de
Bel; vizir dérive de weis -herr , vice-maitre ; Vyasa est le sage rem
plaçant le dieu momifié qui lui inspira les Védas.
* Tous les quinze ans, période que nous nommons Indiction romaine,
on promenait le Gueze dans tous les lieux rendus sacrés par la
pénitence de Bochica, puis on l'immolait eu guise de Bochica lui
même.
276 QUATORZIEME THÈSE

il n'était point accepté sans épreuve, et on ne lui accor


dait les honneurs divins que quand il avait montré par
ses actes qu'il était de la race des dieux ; alors on
s'écriait qu'il était véritablement le même qui avait été
ambré, que c'était l'Embratur, ou, comme on disait à
Rome , l'Imperator.
Tsarı, dans les langues orientales, a le même sens
que Schyl; c'est pourquoi les Moscovites appelaient
Tsar celui qui , par ses hauts faits, leur paraissait être
quelque héros endormi renaissant au milieu d'eux.
Jusqu'au fond de l'Asie, on retrouve les mêmes appli
cations ; l'empereur de Chine fut ainsi nommé du mot
oriental Sin ? , dormeur, lequel passant à ses sujets les
fit appeler Sines par les Grecs ?. Des mythes analogues
se remarquent chez les Muiscas d'Amérique ; Bochica*
étant mort fut ravi au délicieux séjour de l'Ida- Canza,
où les mystères devaient le faire revivre ; on attendit
son retour et ceux qui, par leurs exploits, semblèrent le
reproduire furent honorés comme étant le héros rari ;
or, en celtique, Schaak signifie ravi , ravissement ”, et

Tsar, dormeur, en coréen . SIEBOLD. Voyage au Japon , t. V.


2 En chinois, empereur se dit : Té (Thée, Theos, Deus). Sin , en
coréen , signifie dormeur. SIEBOLD. Voyage au Japon, t. V.
3 Il y a bien d'autres exemples : Sluymen signifie sommeiller
(DARSY. Dict. flam .); de la Soleiman, de là aussi Solyme où une
longue suite de rois dormivit cum patribus suis. Eudein , en grec,
signifie dormir ; cette racine Eud se reconnait dans Odin, Othon,
Odysseus, et même Otto-mans (les hommes du dormeur). .
4 On verra plus loin les rapports des Muiscas et des Moscovites.
5 Schaak, ravissement. (DARSY . Dict. flam .)
GÉOLOGIE 277

ce mot lui-même devint le titre de souveraineté chez


les Américains , les Ottomans, les Iraniens, les Tatares,
les Scythes.
Des haches en silex .

A l'époque des mystères que nous venons de décrire,


le monde ne connaissait pas encore l'usage des métaux ;
les armes en silex, en os , en bois durci au feu , formaient
tout l'arsenal d'une peuplade ; or, il faut admettre que
la civilisation ne marche qu'à la suite de la force et que
la nation la mieux armée imposera aux autres ses lois
et ses convictions . On peut donc, en creusant la terre
et comparant les divers armements que nous amènent
les fouilles, retrouver quel était, dans l'âge du silex, le
>

peuple dominateur et par sa puissance et par sa civi


lisation .
Il est aujourd'hui peu de contrées que n'ait sondées
la pioche du géologue . Les armes d'une industrie pri
mitive sont rares en Orient. En Grèce, dans le champ
de Marathon, où deux peuples qu'on nous donne pour
maitres se sont signalés par de sanglantes luttes, nous
n'avons guère trouvé autre chose que des haches en
pierre?. Dans nos contrées elles se montrent en assez
grand nombre ; leurs gisements, leurs ateliers de fabri
cation , dit M. Le Hon , sont très- fréquents à la super
ficie du sol en France , en Belgique, en Angleterre.
Mais le vrai centre d'exploitation était dans la région
1
Saque, chez les Muiscas ; Padi- Schah, chez les Ottomans ; Schah,
chez les Perses ; Chagan, chez les Tatares ; les Scythes royaux
étaient appelées Saces et sont encore nommés Tchèques, aujourd'hui.
Revue des Deux Mondes.
278 QUATORZIÈME THESE

où la Sambre et la Meuse s'approchent pour réunir


leurs eaux. Sous les ruines des castels qui bordent ces
rivières , dans les grottes , au fond des prairies, partout,
les pierres taillées affluent. En 1571, la Sambre grossie
par le dégel en entraîna une telle avalanche que , selon
le langage d'un auteur du temps ”, l'abondance de
ces cailloux fit une petite île qui étoupa la bouche de
la rivière ; il s'y trouva quelques pièces d'argent
d'ancienne monnaie . Dans le voisinage de la Meuse,
en amont de Namur ? , était une série de stations où
se polissait la pierre ; dix de ces ateliers ont déjà
été reconnus ; on y trouve le silex brut, ébauché , taillé,
poli , des ossements d'animaux, des bois de renne prêts
à être ouvrés , des coquilles marines destinées à servir
d'amulettes. Au seul castel de Hastédon 3 on recueillit
1,400 de ces silex ; mais le siége de l'entreprise paraît
avoir été près de Dinant , vers la jonction de la Lesch
avec la Meuse ; dans une seule grotte , on trouva
54 coquilles dont la plupart étaient déjà percées d'un
trou , de nombreux matériaux en ossement parmi
lesquels des dents provenant de 44 chevaux , mais
surtout un énorme dépôt de haches en pierre que l'on a
évaluées à 30,000. Telle est la grotte fameuse qui
porte le nom de Chaleux 4 .
Les noms donnés aux armes dans ces temps primitifs
furent empruntés, comme de nos jours, aux lieux qui

I GUICHARDIN. Description des Pays-Bas. Édit. de 1649.


2 Voy . Le Hox . L'homme fossile .
3 Voy. thèse IXe .
4
Voy . ED. DUPONT. Rapport de 1865 sur la caverne de Chaleux .
GÉOLOGIE 279

les fabriquaient; Mes désigna les haches qui venaient


de la Meuse et signifie aujourd'hui couteau ; le mot
sabre dérive également de Sabus, ancien nom de la
Sambre. La Lesch fournissait la plus grande partie de
ces armes taillées ; aussi, pour désigner une pierre, on
disait en erse Leach ', en ibérique Laja, en latin Silex ?,
en grec Laix .
Nous avons déjà parlé de la Grèce ; les héros de
Marathon , dont les mânes sont si fastueusement invo
3
qués par Démosthène ", se seraient-ils battus avec nos
haches en silex ? Un mot sur cette question .
D'après les poésies homériques “, Ulysse pénètre
dans l'île des Phéaciens porté par la marée qui remonte
le cours d'un fleuve et dépose le héros sur la rive ;
quelques heures après, l'eau baissant par le reflux
laisse à nu la berge couverte de cailloux. Il est évident ,
par ces détails, que le poëte décrit, non les eaux de la
Grèce qui n'ont point de flux, mais notre océan qui en
a un ; or, il appelle ces cailloux Leach, dávy, confir
mant ainsi l'origine atlantique de ce mot.
Je vais plus loin.
Quand les mêmes poëmes nous décrivent les funé
railles de Patrocle ", nous y voyons qu'on recueille ses
>

os blanchise, qu'on les dépose dans un rocher qui


Ce mot a formé le latin Leuca,lieue,que l'on voit dans l'Itinéraire
d'Antonin , en certaines parties des Gaules.
2 Siler, See-leach , caillou de mer.
3 Disc. de la couronne .
* Odyss. ch. VI, v. 95. Exemple d'ordalie fluminale .
3
5 Voy. Iliad ., ch. XXIV; Odyssée, ch. XXIV.
6 Asúax öszta, exactement Alb -bein , os blancs.
280 QUATORZIÈME THÈSE

surplombe le fleuve Hélion ', qu'on immole avec lui des


brebis , des boufs, des chevaux et des chiens?, et que
douze Troyens égorgés l'accompagnent sous son
tumulus, ce qui fait treize cadavres.
9

Tableau exact des grottes funéraires que nous avons


décrites.
Le nom mystique de Namur était Alban , os blancs ;
la Meuse s'appelle, dans les poëtes, Hélion “; les grottes
mortuaires de ces parages sont ordinairement, dit
M. Le Hon ” , dans une presqu'île sur les bords abruptes
des vallées ; elles étaient, comme on sait, remplies de
débris animaux , et , spécialement , la caverne de Furfooz,
près de la Lesch, renfermait, parmi les silex , treize
squelettes humains .
Ce sont donc nos grottes à ossements et à pierres
que les Grecs ont décrites ; la Lesch leur avait déjà
fourni un mot pour exprimer le caillou brut , ils appe
lèrent le silex taillé 6 Chaleux , Xádce, du nom même de
la caverne d'où ils le tiraient.

1 Fleuve du Hélion, en celtique , Heil'spond , d'où Hellespont ; ce qui


est le mot d'Homère.
2 Dans ces poésies , dont nous exposerons plus tard le mysticisme,
on peut déjà remarquer que le disciple d'Achille n'est accompagné que
d'animaux assouplis à la main de l'homme ; le lion, avec son indépen
dante fierté, ne s'y trouve point.
3 Namur, centre de toutes ces grottes , ne laisse plus voir celles sur
lesquelles elle est construite . On y voit encore le mont Saint-Aubin.
4 L'Odyssée qui parle deux fois de la Meuse ne l'appelle que 'Hdeos.
L'Iliade dit Edeñv .
5 L'homme fossile , ch. IX. M. Le Hon était Belge.
6 Cha -leach , caillou poli. Cha est une racine qui se retrouve dans
Etw, polir, dans l'anglais Chero, mâcher, dans le chinois Che, caillou,
dans le phénicien Chalukim , silex .
GÉOLOGIE 281

Appendice sur les cimetières .

Dans la religion primitive que nous venons de décrire,


l'homme ne vivait, ne mourait que pour renaître; mais
pour obtenir cette faveur, une condition indispensable
était la présence des ossements dans la crypte sur
laquelle se faisaient les florales. La rigueur de cette
clause appela bientôt des réformes ; et , par suite des
modifications que le temps apporta, on voit que les
mystères sont passés par quatre phases principales .
La première, nous venons de la décrire . La néces
sité absolue de garder les ossements pour les orgies fit
inventer différents moyens, afin de préserver de
tout détriment ces germes précieux de la renaissance.
On les cacha dans des grottes secrètes dont on déguisa
les entrées ; on pratiqua, pour y parvenir, des laby
rinthes dont les conduits embrouillés égaraient le
téméraire qui n'en avait pas le secret ; on éleva autour
du dépôt sacré ces formidables enceintes cyclopéennes
qu i bravaient toute insulte du dehors ; on fit peser sur
le cercueil une pyramide ?. En effet, à cette époque,
quand les peuples se faisaient une guerre d'extermina
tion, ils n'avaient qu'un but, attaquer le cimetière ,
disperser les ossements et étouffer dans sa racine tout
l'espoir d'une nation .
La seconde période modifia cette désolante rigueur .
1
Labyrinthe vient de Laceren , aller en zig-zag, louvoyer. Dict. flam .
et hou .
? Bare, bière ; Heim , demeure ; Hita, pierre ; d'où , aux bouches du
Bætis, Barrameda et, en Égypte, pyramide. Dict. celt. et esp.

"
282 QUATORZIÈME THÈSE

Les initiés étaient des héros courant aux expéditions


lointaines; quand ils y mouraient , on rapportait leur
corps embaumé dans une arche de cèdre ' , ou , si cela
ne se pouvait, on brûlait leurs restes , et les cendres
déposées dans une fiole ? étaient , sans bruit , trans
mises au lieu des florales ; mais, quand il n'y avait
aucun retour possible, la religion n'abandonnait point
ses enfants dans le malheur ; elle imagina de façonner
en cire , en plâtre, en bois , des statuettes représentant
le héros disparu ; une consécration les déclarait iden
tiques avec le mort et ces idoles, goudronnées comme
les momies , paraissaient aux florales comme si c'était
le héros lui-même. Les Romains appelaient ces figu
rines Lares , Pénates, et les plaçaient comme Génies
tutélaires au Capitole , dans l'atrium de leur maison ,
sur la poupes des vaisseaux . Lorsque le roi de la terre
d'Aquilon , nous dit la Bible, vint pour prendre Tyr, il
trouva , pour protéger les murs, toute une armée de
pygmées ®, lesquels n'étaient que les idoles de la ville
exhumées du temple .
Ces idoles n'étaient considérées comme des dieux

1 El arca , l'arche. Alerce, en espagnol et en hébreu , signifie le cèdre


dont on faisait les arches .
? L'Iliade, ch. 23, vers 253, se sert du mot qizia, fiole .
3 Voy . thèse X.
4 De Laer, vide, on a fait Lares. Penate vient de Bein , qui signifie
os et de Aette, qui signifie père.
5 C'est de la que ces statuettes furent appelées Poupées.
6 L'hébreu dit : Gammadim ; en effet, la gomme d'Afrique a servi
aux embaumements. De ces momies gommées, les Baléares furent
appelées Gymnesiæ . Quant au mot Pygmée, il vient dePick, goudron ;
l'italien Picolo en vient également.
GÉOLOGIE 283

qu'autant que le pontife les avait consacrées ' , c'est-à


dire, identifiées avec le mort en leur apposant sa
marque; de là le nom de Mercure donné , comme nous
l'apprend César, à la divinité suprême des Gaules, dont
la baguette magique faisait d'un morceau de bois un
dieu, et qui ouvrait ou fermait à son gré les portes de
la mort. Le centre de cette puissance souveraine était
au mont Alban ; dans la langue parlée au voisinage de
cette ville , Atta ? signifie père, Teeke signifie marque,
d'où le nom d'Atua - tica qu'elle porte dans César 3. Ces
deux expressions se sont propagées jusqu'au fond de
l'Océanie où l'on vénère encore les Atua 4 et le Tiki,
c'est-à -dire les dieux et leurs images. La même ville
se nommait, dans les mystères, Nama ”, mot qui
signifie Sceau , et les prêtres transformateurs qui l'appo
saient portaient chez les Latins le nom de Nemesiaci.
Par suite de la décadence des mystères, la mort
revétit une troisième forme. Les instincts de l'homme
s'épurant avec le progrès de la civilisation, on avait
élevé des asiles pour la beauté et l'innocence; là , le
jeune héros , qui revenait balafré des expéditions guer
rières, pouvait aller chercher une compagne ; celle-ci

Eenigen , consacrer , signifie littéralement unifier, identifier ; de


sorte que la chose et son image soient Een .
2 Atta signifie père, dans beaucoup de langues. Aette, père (Darsy .
Dict. flam .). Ulysse appelle Eumée , Atta .
3 César dit : Atuatica Tungrorum ; le mot Tong, en chinois-coréen ,
signifie identique. SIEBOLD. Tome V.
• Voy. thèse XIIe et Clavel. Histoire pittoresque des religions.
5 Nema, sceau. QUINTANA. Dict. esp. De là , Nummus, Numen ,
Numa, Nomos, Nemetacum .
284 QUATORZIÈME THÈSE

d'abord le captivait par ses charmes , puis l'initiait aux


douceurs de la vie intim , puis enfin le jeune couple, se
liant à jamais par des serments réciproques , prenait en
abomination le pêle-mêle des orgies. La religion, mora
lisant sa croyance, se prêta à ce nouvel ordre de
choses et sanctionna des nouds resserrés par la vertu.
Il fallait cependant sauver le vieux dogme par lequel :
Hors de la crypte point de régénération ; pour cela on
fit des cryptes individuelles et portatives qu'une consé
cration rendait identiques avec celles des florales.
Quelque part qu'elles fussent, les ossements qu'on y
avait renfermés étaient pour les initiés des germes de
régénération . On donna primitivement à ces enveloppes
sacrées le nom celtique de Zark ; les Grecs en ont fait
le mot sáp , qui signifie chair ; nos cercueils n'ont pas
d'autre origine ; dans nos cloîtres, les religieux qui,
étant morts pour le monde , doivent se revêtir d'un lin
ceul ,, l'appellent serge ; c'est pour la même raison que
le mot Sergius, chez les Slaves , désigne un saint. On
consacra de même les urnes funéraires ; comme elles
transformaient la cendre qu'on y avait renfermée en
1
semence de reproduction , on les appela Samia vasa ;
ce sont ces vases que l'on retrouve sur les bords du
Schal ? et qui de lå se sont répandus en Amérique, chez
les Étrusques.
Ces enveloppes mortuaires et ces vases d'origine
sacrée devinrent en Asie l'objet de la plus haute indus
i Zaem , semence. Toujours trompés par les Grecs , nous avons vai.
nement cherché ces vases dans l'ile de Samos .
2 L'Escaut. Voy. thèses IXe et Xlle.
GÉOLOGIE 285

trie; lors méme que, par suite des réformes que le temps
apporte aux religions, ils cessèrent d'être sacrés , les
Thibétains continuèrent à nous faire admirer leurs
1
schåls ' et les Chinois , leurs vases de Samos.
Avec la religion nouvelle la tombe aa subi sa quatrième
et dernière phase. En effet, l'homme de l'Évangile
compte bien sur une autre vie, mais les mystères qui
doivent la lui rendre n'appartiennent plus à notre
monde ; c'est dans le sein de la divinité qu'il puisera le
germe de sa transformation . Pour obtenir cette faveur ?
il n'a rien à attendre de la tombe , du linceul , de l'urne;
la résurrection dernière prendra l'homme sur son mérite
seul ; aussi n'a-t-il pour son enveloppe mortelle qu'un
superbe dédain et, lorsqu'arrive pour lui le moment
de s'en défaire, peu lui importe qu'on bâtisse une pyra
mide sur sa poussière ou qu'on jette ses restes aux
monstres de l'Océan.
:

1 Tabuda, nom du Schal ou Escaut, a formé Tabiti, la grande déesse


des Scythes, et Thibet.
? Omnes quidem resurgenus, sed non omnes immutabimur.
QUINZIÈME THÈSE.

ANTIQUITÉS ETHNOGRAPHIQUES DES CELTES .

Dans nos régions occidentales, nous pouvons reporter


à deux mille ans environ l'époque où l'histoire nous
éclaira de ses premières lueurs ; le tableau qu'à son
apparition elle fait de nos aïeux éveille naturellement
notre curiosité ; nous nous demandons quelle était ,
dans ces temps reculés, leur organisation , leur mora
lité , leur façon d'être et de se régir ; et surtout par
quelles institutions ils donnèrent à leur race cette pré
pondérance qu'elle a toujours exercée sur le reste du
monde . Si alors nous jetons un coup d'oeil comparatif
sur les autres contrées , nous ne tardons pas à recon
naître dans la race celtique le caractère qui la distingue,
qui n'appartient qu'à elle et semble nous révéler le
secret de ses hautes destinées .
Partout ailleurs , en Asie , en Amérique, chez les
Africains, les peuples vénèrent sous le nom de roi, un
homme qu'ils divinisent ; ils l'appellent fils du Ciel,
frère du Soleil, et reçoivent à genoux ses volontés ;
viendrait-il avec toutes les horreurs de la conquête, c'est
un dieu qui les frappe, ils tremblent et obéissent. Cet
ETHNOGRAPHIE 287

être mystérieux, renaissant éternellement de lui-même,


invisible à la foule, laisse à des mains profanes le soin
de veiller aux intérêts des peuples , de repousser par
les fatigues sanglantes de la guerre les dangers du
dehors ; participant au bonheur des dieux , il coule ses
jours dans les plaisirs illimités du harem ; les grands
qui l'approchent, ceux à qui la fortune permet toute
licence, restent également dans les prescriptions de la
morale en multipliant leurs affections.
Tandis qu’autour de nous des nations autrefois puis
santes s'éteignaientainsi dans le servilisme et la volupté,
les Celtes obéissaient à des instincts plus nobles. Seuls
de tous les peuples , ils séparaient la terre du ciel,
adressaient aux rois leurs respects et à la divinité leurs
adorations; soit qu'ils élussent leur chef, soit qu'ils
acceptassent son hérédité, ils ne voyaient en lui qu'un
homme ; la foi qu'ils lui juraient, libre dans son prin
*cipe, leur laissait toute leur fierté ; ils étaient grands,
parce qu'ils mettaient eux-mêmes le frein à leur indé
pendance. L'homme, le Celte, le roi de la terre et de
l'avenir, ne connaissait donc plus, à l'époque où il nous
apparaît pour la première fois, cette dépendance servile
qui aujourd'hui encore, après bien des siècles, abat
tant d'autres nations et les met à nos pieds .
Si nous descendons dans l'intérieur de la famille, là
où s'élabore tout l'avenir d'un peuple , le spectacle est
tout différent. Le Celte , qui ne souffre point de maître,
a pourtant trouvé là un pouvoir qui le subjugue; une
épouse vertueuse, que des soins assidus lui ont préparée
et qu'il a prise pour partager son coeur et sa fortune,
288 QUINZIÈME THESE

paraît être la seule puissance qu'il reconnaisse sur


terre; lorsque , partout ailleurs, les rois , les grands
refoulaient à l'écart celle que la nature avait faite pour
être leur amie , nos aïeux lui donnaient la première
place ; aussi les autres nations , dans leur existence
incomplète, n'ont-elles pour histoire qu'une longue déca
dence , tandis que les hommes de nos contrées se sont
rehaussés de tous les avantages que la nature a départis
à leur noble compagne .
Remarquons que ce double principe, qui signale sur
tout autre la population celtique, réagit sur les peuples
du voisinage. Ainsi le Romain apprit à connaître la
dignité de l'Homme, à respecter l'Épouse, et acquit
par là des vertus qui faillirent devenir funestes aux
nations auxquelles il les devait. Les cités helléniques
n'étaient que de brillantes bourgeoisies ; l'épouse à
Sparte, la courtisane à Athènes, la bayadère à Corinthe
déterminèrent le genre de célébrité qui illustra chacune
de ces villes, mais ne purent faire un peuple de ces
éléments hétérogènes. Les Scythes royaux, appelés
dans la suite Sarmates et plus tard encore Slaves, ont
conservé quelque chose de l'antique vénération que l'on
vouait au souverain, mais ont banni depuis longtemps
leurs amazones .
Tels sont les peuples qui nous touchent de près. En
pénétrant plus loin dans les contrées où l'influence
celtique n'a pu s'étendre encore , on retrouve toutes les
anciennes meurs ; on y voit les nations descendre
lentement par la servitude et la mollesse à une disso
lution que rien ne saurait plus arrêter..
ETHNOGRAPHIE 289

Il devient donc intéressant de rechercher, dans les


profondeurs des temps primitifs, par quelle série de
transformations nos aïeux, égalisant les droits, abais
sèrent la hauteur du trône, relevèrent la femme du fond
du harem , et arrivèrent ainsi à se fonder dans un état
social qui prépara leur supériorité.

Transformations de la société celtique.

Quand les peuples celtiques , dans les premiers


instincts de leur développement moral , eurent songé à
créer des retraites pour la beauté , ils n'en ouvrirent
l'entrée qu'à la valeur guerrière;des trophées sanglants,
des dépouilles opimes furent les premiers titres que l'on
exigea pour une si haute faveur ; par cette morale
encore brute , par cette animation encore sauvage, la
société marchait insensiblement à une civilisation mieux
définie .
Bientôt, comme ces trophées étaient périssables, on
sentit le besoin de les perpétuer; on les grava d'abord
sur la peau par l'antique cérémonie du tatouage ', sur
les habits par des bandes ? de couleur, sur un boucliers,
et le héros, portant sur lui cette marque éternelle de son
courage, continuait à jouir pendant la paix des privi
Dans l'Amérique du Nord, le tatouage se dit Totem , et dans
l'Océanie, Moko. Le mot Muk sert encore, chez certains peuples,
en Corée par exemple, à désigner l'encre de Chine. Voy. SIEBOLD.
Voyage au Japon .
? En latin Trabea, d'où nous avons fait travaux ; en ibérique Tira ,
d'où le mot Tiro, apprenti .
3:En latin Ancile, ce qui explique le mot Ancilla .
19
290 QUINZIÈME THESE

léges de la guerre . Les historiens anciens ont retrouvé


quelques restes de ces usages dans des pays colonisés
par nos aïeux ; ainsi , au rapport d'Hérodote, chez les
Massagètes , un guerrier pouvait à son gré pénétrer
dans toutes les tentes ; il suspendait son bouclier au
dehors, et à ce symbole respecté , la foule se tenait à
l'écart, appelant bienheureuse celle qu'il avait honorée
de sa visite 1 .
La nécessité de protéger au dehors les intérêts de la
société naissante avait ainsi créé une puissance nou
velle, profane, privilégiée. Des hommes qui étaient
revenus mutilés des nombreux combats qu'ils avaient
soutenus pour le bien du peuple, jouissaient dans leur
nation d'une autorité sans limite ; tous les droits , tous
les honneurs leur étaient prodigués ; la considération
dont ils étaient l'objet se reflétait après eux sur leurs
enfants ; on ne vit aucun mal à laisser à ceux-ci quel
ques-unes des prérogatives de leur père ; et insensi
blement on s'habitua à perpétuer dans une même descen
dance les pouvoirs de la nation . C'est ainsi que par cet
élément mixte de mérite et de tolérance furent fondées
les dynasties héréditaires . Le premier soin de l'usur
pateur fut de garantir son pouvoir contre les regrets
d'un peuple crédule ; il s'ensevelit dans une enceinte
formidable d'où , caché aux yeux des peuples, il éten
dait partout son administration ; bientôt ses sujets,
étonnés de se trouver plus unis, plus forts, plus pros

1 Dans l'Inde , les Nairs jouissent héréditairement de ce droit. Nare,


cicatrice. Darsy . Dict . flom .
ETHNOGRAPHIE 291

pères, regrettèrent moins la perte de leur liberté et se


firent peu à peu à leur nouveau sort . Ce germe d'orga
nisation ne pouvait manquer de croître et de s'étendre ;
les limites reculant sans cesse , le monarque dut songer
à diviser son administration et à confier à des mains
sûres les fractionnements de son empire; de là résulta
ce vaste système d'inféodation dont toutes les histoires ,
à leur origine, nous offrent des traces.
Le suzerain , qui avait créé cette monarchie primi
tive, la regardait comme sa propriété, et ses descen
dants s'y succédèrent comme dans un domaine de
famille; l'extension indéfinie qu'elle acquérait avec le
temps ne pouvait lui faire perdre son caractère patri
monial; elle était partagée entre les enfants comme un
héritage; or, voyons quels étaient ces enfants.
Le souverain , tournant à son profit une institution
créée, comme nous l'avons vu , sous une inspiration
morale, s'était fait un harem choisi , gardé sous sa
main, et dont il se réservait à lui seul les prémices .
De là seulement devait sortir l'héritier , et pour pré
parer cette naissance virginale la religion prêta tous
ses mystères ; sur l'aire qui recouvrait le caveau de
famille s'accomplissait la cérémonie sacrée qui rappelait
à l'existence quelqu'un des aïeux? et le faisait ainsi
rentrer dans son bien. Dans la langue celtique, llaer
est le mot qui désigne ces vierges d'élite ; haer -heim ,
dont on fit harem par abbréviation , signifie donc le
lieu où se faisait l'orgie ; l'enfant du mystère, le primo
| Area , en latin.
? Voy . thèses XIIe et XIV .
292 QUINZIÈME THÈSE

genitus, le fils de la vierge en reçut le nom de lleir,


héritier, qu'il porte chez les Celtes ?, les Latins , les
Grecs , les Hébreux , les Caraïbes , les Indous . L'instant
des florales passé , la vierge devenait une femme com
mune ; les nouveaux enfants qu'elle avait du souverain
sont appelés Ingenui, Inga, cadets, selon les différentes
langues. Quand le prince , au contraire , l'abandonnait
à quelqu'un des siens , il naissait de cette union de
seconde main une race de sujets qui ne tenaient plus
au monarque que par de faibles liens et pourtant lui
restaient attachés à titre de clients .
Le peuple , le vrai peuple , qui était resté entièrement
étranger aux faveurs du maître , avait à ce titre une
existence plus indépendante ; il se composait des habi
tants primitifs du sol , mais qui pouvaient le quitter pour
aller fonder au loin une nouvelle patrie . Ceux qui pré
féraient rester, Bleiben, formèrent la plèbe , ceux qui
s'expatriaient furent appelés colons . Une dernière
classe , composée de prisonniers de guerre , de bannis
ou de pauvres qui vendaient leur liberté pour s'assurer
une existence, fut enchaînée au sol et passait en héri
tage , Erf, avec le champ ; ce qui les fit appeler serfs ?.
Ce système de conquête sociale étendant ainsi au
1 En celtique , Heir ; en latin et en hébreu, Heres . Chez les Grecs
cette racine se montre dans Héros ; elle a formé le mot Aryas qui
désigne les Brames ; et elle entre dans le mot Ariconde, l'Esaü des
Caraïbes. THÉVET . Cosmog . universelle .
2 Un cheval , un taureau portant au front une tache blanche ou une
étoile étaient appelés Kol. Ils passaient pour sacrés et guidaient la
colonie , mot qui dérive de Kol. OLINGER . Dict. holl.
3 Dans le vieux style latin , être vaincu se dit Servire ; c'est-à-dire,
passer en héritage (Erf).
ETHNOGRAPHIE 293

loin ses ramifications, les princes inféodés se trou


vèrent en contact plus immédiat avec le peuple et
purent s'arroger des droits plus usurpateurs . Les popu
lations primitives errant d'un lieu à l'autre, sans
prendre possession d'aucun , semblaient étrangères au
sol qu'elles occupaient ; les feudataires prirent ce sol,
le délimitèrent pour les travaux agricoles , et de cette
manière, le pays tout entier devint insensiblement leur
propriété. Les redevances ne pouvaient se faire qu'en
nature ; c'est pourquoi le tenancier ' , faisant cinq parts
du produit , en gardait quatre pour lui et donnait la
cinquième ? à son seigneur.
Le souvenir de ces quatre lots de travail se laisse
encore reconnaître dans les langues vulgaires : ainsi ,
chez plusieurs peuples de notre voisinage , quatre se
ditArbé;de là s'est formé Arbeit qui , en celtique , signifie
travail et Arabe4 , nom donné à ceux qui étaient soumis
>

à cette redevance ; de même chez les Celtes, où Vyer


signifie quatre, la grange dans laquelle se gardaient
ces quatre parts fut appelée Vyer - heims dont nous
avons fait ferme.

Le vieux mot Tenancier et le latin Tenere ont la même racine


Teen, qui signifie osier, lien. Dict. celtique.
? C'est ainsi que Joseph, à la cour de Pharaon, régla les taxes du
peuple. Ce cinquième se dédoubla dans la suite par la séparation des
pouvoirs civil et religieux ; ce qui produisit la dime. Genèse, XXXXI , 24 .
3 Les Numides, les Arabes, les Hébreux. Arbé, quatre, en arabe,
Herbst, moisson, en celtique, Herba , en latin , sont des mots de la
même famille .
* Arabe n'est pas un nom de peuple , mais un mot générique ; ainsi
les Bretons étaient quelquefois appelés Arbii.
5 Vyer, quatre ; heim , demeure.
294 QUINZIÈME THÈSE

Le souvenir du cinquième lot payé au maître laissa


également des traces ; de Five, qui signifie cinq , on fit
fief; une ferme s'appela, chez les Ibères , Quinta ;
Rome et la Grande-Grèce se touchaient ; or , le mot
grec Penté, cinq , forma le latin Pendere, payer l'impôt ;
et , si nous poussons plus loin , nous trouvons que , dans
la langue géorgienne , cinq se dit Chuthi, ce qui n'est
autre que le celtique Schot, tribut ?, et que , dans la
Corée, il se dit Taset: désignant, par son nom même , la
taxe imposée au tenancier .
Par suite des usurpations dont nous venons de parler,
chaque feudataire finit par devenir seul maître dans sa
province . Imitant l'exemple du suzerain, il n'en trans
mettait les parcelles qu'aux siens par voie d'héritage,,
et, comme il était placé au milieu d'une population
inoffensive, il pouvait, de plein droit seigneurial, choisir
celles qu'il destinait à être mères des futurs tenanciers.
Cependant cette domination nouvelle avait jeté au
sein des peuples un germe de civilisation ; les habitants
se groupaient, acquéraient des meurs , commençaient
à goûter le bien- être de la vie sociale . Fixés sur le sol
où ils erraient auparavant , ils y contractèrent des
habitudes de permanence ; leurs affections, d'abord
passagères , devinrent plus durables , et l’union conju
! Le maître auquel était payé l'impôt s'appelait Fron , le Pharaon des
histoires égyptiennes. La terre de son obédience en prit le nom de
Fron -terre, dont nous avons fait frontière . Darsy . Dict . flam.
2 Le mot Robod est encore usité chez les Slaves pour désigner un
tribut. Te robot, t'robot, tribut sont un même mot .
3 Taxe, tâche , tassa , tasca, sont un ancien et même mot qui ne vient
point du grec Taxis.
ETHNOGRAPHIE 295

gale, qui commença à passer en usage , devint un


obstacle au mode traditionnel d'hérédité; l'ancienne et
la nouvelle prétention transigèrent d'abord et se sou
tinrent ensemble pendant quelque temps ; le droit du
seigneur cueillait les prémices qui constituaient l'héri
tier , et l'union légale achevait le reste de l'existence.
La religion qui est née avec l'homme , qui le suit par
tout , qui marche, qui recule avec lui, consacra cette
coalition mixte ; elle bénit, dans la même union , le fils
des dieux et les enfants de l'homme . On voit facilement
que la société, par cette transformation, était arrivée
à une phase mal définie et pleine de menaces pour
l'avenir .
Le peuple en grandissant commença à trouver bien
lourde sa sujétion. Il travaillait sur un sol dont un
autre héritait , et surtout il regrettait de n'être pour
rien dans une prérogative? qu'il n'osait encore regarder
comme un droit. En effet, l'héritier dont la naissance se
préparait dans le mystère avait parmi les autres
hommes un caractère sacré et ne pouvait naître d'une
paternité vulgaire . Les peuples , dans leurs premières
tentatives de réaction n'osèrent donc toucher au privi
lége de l'aînesse , mais, arrivant par voie subreptice ,
ils pénétrèrent dans les florales, et la confusion, l'obscu
rité laissèrent à l'héritier qui résultait de ces mélanges
assez de mystérieux pour ennoblir sa naissance.
Pourtant la caste héréditaire ne se déposséda pas si
aisément de ses droits ; dans l'impuissance où elle était
1
' Præ rogare. De rogare.
296 QUINZIÈME THÈSE

de distinguer, parmi tous ces nouveaux-nés , le rejeton


noble et l'enfant de fortune, elle eut recours aux dieux;
le Rhin, la grande divinité des Celtes, fit, comme nous
l'avons dit, le triage du vrai et du faux ; et telle fut
l'origine de cette ordalie si célèbre parmi les anciens.
La porte du temple une fois ouverte , l'envahissement
>

n'eut plus de limite ; grands , petits, inconnus, profanes,


sacrés , chacun à l'aide de déguisements put se donner
des droits et établir dans ces orgies un même niveau.
Ce dernier mot, Nerel, en celtique, servit à dénommer
la race nouvelle qui naquit de ce désordre ; lesNéphélim ,
dit la Genèse ' , nés de vierges choisies sont fameux dans
9

les anciens jours ; c'est d'eux que descend ce Оg, roi de


Basan , que combattirent les Hébreux aux abords de
la Terre promise . Aux noces de Pirithoüs , les Cen
taures se présentèrent à la jeune fiancée avec leur
ancien droit, et les Lapythes avec leurs prétentions
nouvelles , d'où résultèrent ces combats fameux décrits
par Hésiode ; or, les Grecs , ne sachant que faire de ce
mot, Nevel ", qui , alors comme aujourd'hui, désignait
parmi nous ces saturnales, nous content que les Cen
taures sont fils de Néphélé ". Les mythes de Tarquinius
i Genèse, ch . VI et Nombres, ch. XXI . Nephelim chez les Hébreus;
Nebulones chez les Latins ; Niebelungen chez les Scandinaves; enfants
de Néphélé, chez les Grecs ( Centaures ).
2 Voy, thèse XIIe.
3 Nevel signifie niveau et rappelle l'égalité des saturnales ; ce mot
se retrouve dans Car-naval. Car est le même mot que le celtique Keer,
tour, périodique. Darsy. Dict. flam .
4 Il y a dans la mythologie grecque d'autres confusions causées
par ce mot . Ixion, s'étant laissé séduire par Néphélé, fut pour son
supplice attaché à une roue et tourne perpétuellement avec elle, mais
ETHNOGRAPHIE 297

Priscus, d'Hélène transportée dans la ville de Priam ,


de Proserpine ravie par Pluton au moment où elle
cueillait des fleurs ", de Sita, la jeune fiancée des poëmes

sanscrits qui est enlevée par le géant Ravana , de


Gala-thée ? que Polyphème dispute au jeune berger
Akis , sont tous de la même inspiration .
En quelques pays, comme à Babylone, à Sicca Venerea ,
dans l'île des Sirènes , au temple de Melcart, la jeune
fiancée attendait sur le parvis du temple un hôte qui
pouvait être un esprit sous une forme humaine ; ou
bien encore , renfermée dans le secret de la Mezquita ",
elle recevait la visite de Bel, de Jupiter Ammon , de
Brama .
Comme on le voit, le peuple s'est débarrassé d'un
joug tyrannique et héréditaire, mais pour se jeter dans
des désordres qui appellent de nouvelles réformes.
Les orgies étaient donc tombées dans le domaine du
peuple. Revêtues d'une apparence religieuse qui en
palliait les désordres , elles gagnèrent facilement du
terrain . Bientôt, grâce à l'industrie qui commençait à
naitre , Vénus eut partout des temples . Ses mystères ,
cherchant l'isolement, s'établirent dans les îles rive
il laissa pour enfants les Centaures. Une roue a un essieu, Axis, un
moyeu , Navel, un fer qui l'entoure, Kant.
1 La rose, la violette, le souci désignent les florales ; les jeux floraux
de Toulouse sont des souvenirs de ce mythe.
? Ces mystères s'expliquent par la racine de plusieurs de ces mots :
Priscus (prick) ; Priam (priem) ; Gala- thée (calar). En grec, Kentrein
signifie enter .
3 Guest, hôte ; Ghost, esprit ; Gustus, prélibation.
* Mosquée. Moscheuein ( enter), masque, Mochari, nous indiquent la
destination primitive de la Mezquita.
298 QUINZIÈME THÈSE

raines , dont le nom Oog ' resta chez un grand nombre


de nations pour signifier demeure ; ils formèrent des
campements transitoires , mille fois maudits par les
prophètes hébreux sous les noms de Socoth Benoth”,
orgies de Baal , fêtes des Sichémites, mystères de
Moab ; plus tard , profitant d'un premier travail de la
nature , ils se fondèrent à l'angle escarpé de deux
rivières dont on clôtura le troisième côté par un mur ",
ce qui donna à ces camps triangulaires le nom de
Candé, Dunum ", Ampa, Castrum , Cazars qu'ils ont
porté en ditférents pays ; enfin, on construisit, jusque
dans les lacs , de véritables hameaux posés sur des
pilotis et auxquels on arrivait du rivage par une
trappee ; de Pyl , pilotis , et Huyske, maisonnette, on a
fait Pelasge ?, nom générique donné aux peuples qui
avaient , à cette ancienne époque , leurs mystères dans
ces iles factices, et surtout aux habitants du lac

i Oog, lle. Dict. holl . Og, oikos , ok en garanis, en grec, en coréen


signifient demeure .
2 Zoco, tente, en espagnol ; ben , ossements ; d'où, au pluriel, Socoth
benoth. Voy. thèse XIIe. Le mot Bal est resté dans nos langues. Sick
heim , demeure des morts , d'où Sichem . Mob, en anglais, Mof, en
hollandais , signifie populace ; ce qui est conforme à la théorie.
3 Un de ces camps triangulaires se remarque à l'angle formé par
l'Oise et la Nonnette, au-dessus des carrières de Saint-Leu ; le parapet
est encore haut d'environ deux mètres .
* L'anglais Town , l'écossais Dun, le grec Dunastès viennent de cette
racine .
5 Anciens mots celtiques.
6 Subbelen , étre pris dans une trappe ; d'où Pons sublicius, dans les
mystères de Rome.
7 Il ne faut pas confondre les Pélasges avec les peuples de la Péla
gonie ; ces derniers tirent leur nom de Belech, druide.
ETHNOGRAPHIE 299

Topoglia', en Grèce ; le mot Staeck, pieu fiché en


terre, a également prêté un nom aux îles Stoechades ?,
où se faisaient les orgies phocéennes 3 de Marseille, au
sinus Astacanus qui baigne Cadix “, aux Aztèques qui
avaient élevé de semblables constructions dans les
lacs du Mexique ; notre mot Pieu , en celtique Pycke,
a fait nommer Pictes différents peuples qui , par
exemple, avaient leurs cités lacustres dans les lacs
d'Écosse, à l'embouchure de la Somme , à celle de la
Loire 6. Hérodote , parlant d'une de ces constructions
insulaires établies dans le lac Prasias, en Thrace, dit
qu'elles avaient été élevées par les Péoniens ; ce qui
montre l'ancienneté de notre mot pionnier.
Cependant, au sein des peuples celtiques, un germe
se formait d'où devait sortir la régénération de la
société . Là , dans l'ile Scaldia ”, la vertu prenait des
formes définies, et des héros , par de rudes initiations,
se préparaient à aller au loin répandre les principes
d'une morale plus pure. Ces ascètes, armés de la flamme
>

et du glaive , détruisirent partout les derniers repaires


d'une civilisation usée , fondèrent partout les éléments
de cette réforme celtique qui a rayonné sur le reste du
| Te poel, le lac. Les Hellènes l'ont surnommé Copaïs.
2 Jles d'Hyères .
3 Ces orgies se faisaient dans le Delphicum templum ; le pays fut
appelé Dauphiné, et, en souvenir du mot Phocée , les fêtes de village y
sont toujours appelées Vogues. Les Vogues de Bresse ont encore le
costume antique .
· Les golfes de Nicée et de Varna portaient aussi ce nom.
5 Picardia, Pick -Erd , terre des Pictes.
6 Pictavi, Pict-aw , terre des Pictes.
7
Voy. theses IX , X , XIº. Scaldia, aujourd'hui Schouwen.
300 QUINZJEME THÈSE

globe. Les castels qu'ils ont renversés ont laissé leurs


ruines sur les escarpements de nos rivières , où leur
ancien nom d'Alcazar les a fait nommer camps de César
par le peuple. Les cités lacustres ? surtout furent vouées
à une implacable destruction ; construites en bois elles
furent toutes livrées aux flammes . Les traces de cette
vaste conflagration ont été seulement étudiées dans ces
derniers temps ; en Suisse, en Italie, en Allemagne, en
Écosse, partout on retrouva au fond des lacs, mais à
demi brûlés , les pilotis qui supportaient ces bourgades ;
cent trente-trois stations ont été reconnues en Suisse
seulement ; celle de Wangen, au lac de Constance, était
construite sur quarante mille pilotis.
On peut du reste démêler, parmi les traditions histo
riques, un souvenir de cette croisade incendiaire . Brûler
se dit en celtique Brennen ; or, ce mot se retrouve dans
toutes les contrées lacustres qui ont été le théâtre de
ces fanatiques embrasements ?.
Près de Constance , les destructeurs formèrent des
établissements connus des Romains sous le nom de
Brennes , et surtout fondèrent une abbaye druidique qui
de leur nom fut plus tard appelée Saint-Gall . Au
centre des Gaules, est un pays de lagunes que traverse
l'Indre, et qui , depuis ces événements, a toujours été

| Les premières explorations de leurs ruines ont été faites en 1853,


au lac de Zurich , par M. Keller.
? Les émigrants arrivaient avec leur étendard, Faen , comme il est
dit ailleurs.
3 Ptolémée appelle cette antique abbaye : Heremia Helvetiorum .
Voy. Encycl. méthod .
ETHNOGRAPHIE 301

appelé Brennes ; les Bituriges , ses dévastateurs, s'y


fixèrent, laissant dans le nom même de leur capitale,
Avaricum , un souvenir de leur zèle ?. La croisade
incendiaire ayant franchi les Alpes, on appela Brenner
le col par lequel elle avait débouché en Italie et Brandis
un monastère fameux qu'elle fonda au voisinage des
lacs. Dès lors le nom de Brennus se joint à tout ce qui
est destruction par le fer et la flamme; un Brennus
brûla Rome ; un Brennus , accompagné de Belgius ,
dévasta Delphes et la Grèce ; en Bresse, se trouve une
petite contrée lacustre où se faisaient, dans des îles
factices, les anciennes vogues ; Polybe , n'ayant qu'une
idée confuse de ces pays éloignés, y fait arriver, avec
un Brennus , des destructions et des incendies *.
En avançant vers l'Orient, on retrouve chez les Phry
giens le sinus Astacanus, ayant, comme son nom
l'indique, des îles sur pilotis ; ce canton, depuis ces
désastres, fut nommé Phrygie brûlée . Plus loin les
dévastateurs , qui , selon Hérodote , sont appelés Perses ,
disent dans leurs histoires ? que leur plus ancien chef
i Ce sont les Brannovices de César. Wick, vicus signifiant bourg,
ce mot signifie Bourgs-brûlés, Brande-bourg.
? Yver, zélé, a formé Iberi, Hebroei, Avari.
3 La Dombe .
4
Polybe y place la ville de Bellica . Ce mot, ainsi que Belgius ,
vient de Belech qui +, comme je le dis ailleurs , veut dire Druide .
These XVI.
5 Staeck , pilotis.
6 Katake kaumené.
? Histoire de Perse par le persan Mirkhond . Les noms de Perses,
de Mèdes nous vie nent d'Hérodote et sont connus aux Asiatiques
qui nomment la Perse, Iran .
302 QUINZIÈME THÈSE

est Kaian ' , c'est- à - dire brûleur, dévastateur des cités


flottantes établies dans les lacs de la Haute-Asie .
Dans les régions méridionales, les Européens trou
vèrent, aux Canaries , mille légendes sur une ile incen
diée et introuvable que l'on désignait sous le nom de
Brandon .
Dans le nord de l'Europe, mêmes mystères, mêmes
dévastations ; l'Écosse est pleine de débris de cités
lacustres , lesquels portent encore des noms incen
diaires : tel est Burnt- Island, sur le Forth , au voisi
nage d'Édimbourg; au delà du Rhin, le Brandebourg
renferme une quinzaine d'étangs où se faisaient les
orgies du ces peuples du Nord ; l'incendie fit tout
disparaître et la province tira de là son nom qui signifie
bourgs-brûlés; dans le Mecklembourg, se trouve,,
parmi d'autres lacs , celui de Tollen , et , sur ses bords ,
une ville qui, appelée aussi Brandebourg, nous révèle
les mêmes mystères , les mêmes fureurs, les mêmes
incendies .
Par suite de ces graves événements , les bourgades
maudites disparurent de tous les lacs ; mais pendant
longtemps le peuple effrayé put encore apercevoir
au- dessus de l'eau leurs hideux squelettes ne présen
tant plus aux yeux qu'une forêt de troncs carbonisés et
informes. La vague , qui venait gémir contre ces noirs
débris , poursuivit sans relâche l'oeuvre de la vengeance ;
peu છેà peu ils descendirent sous l'abîme , puis le silence
couvrit cette vaste tombe . Lorsque le temps eut tout
| Kaió, brûler ; en grec , en garanis, en chinois-japonais.
2 Van , Ormiah , Aral.
ETHNOGRAPHIE 303

effacé, les habitants du voisinage se transmirent d'une


génération à l'autre le souvenir de ce qui s'était passé
là, en montrant de loin la place où furent des crimes
et des malheurs. De nos jours seulement il fut donné à
l'homme d'approcher, et il peut aujourd'hui jeter un
dernier coup d'oeil sur ces tristes restes , avant qu'ils
n'aient achevé de rentrer dans le néant ; il y voit des
tronçons de bois à demi rongés ; il y trouve intact, sous
la vase immonde, tout ce qui reste encore à détruire des
anciennes orgies.
Dans les contrées du Nord , comme partout ailleurs ,
les Zélateurs ont marqué leur passage par des indices
qui ne laissent aucun doute sur leur origine ; ainsi ,
parmi eux, la mère patrie était représentée sous la
forme d'une idole à trois têtes ; cette déité figurative des
trois fleuves celtiques , cette Diane des peuples septen
trionaux, se retrouve dans les traditions et les fouilles
de ces contrées portant constamment le nom de Tri.
glaf-. En outre , un grand nombre d'établissements se
sont fondés dans le voisinage de ces débris pelasgiques
et en ont tiré leur nom ; or ces noms appartiennent à
la seule langue des Celtes , et montrent que tout est
celtique et dans ces ruines et dans ceux qui les ont
faites.
Ainsi Staeck , avons-nous dit , fit appeler Stoechades

1 Ils venaient de la Zélande ; Ziel, Zelus , Zola , chez les Celtes, les
Latins, les Maures signifient zele ; la Seeland danoise, qui est une
colonie de la Zélande du Rhin , s'écrivait anciennement Ziel-land, terre
du zèle . MALTE - BRUN .
2 MALTE - BRUN . Liv. 154 .
304 QUINZIÈME THESE

les iles factices qui servaient aux célèbres florales de


Marseille ' ; ces iles n'existent plus, mais nous nom
mons encore estacades des constructions inoffensives
qui leur ressemblent. Ces sortes de pilotis se nom
maient aussi Perche, d'où le nom de parc ? donné aux
jardins de plaisirs qu'ils tenaient élevés au-dessus de
l'eau ; un grand nombre de villes, placées au bord d'un
étang , laissent voir cette racine ; par exemple , Ber
games est au milieu des lacs italiens; le lac de Cons
tance n'est connu des Latins que sous le nom de Bri
gantinus *; Blankenberg, comme on sait , remplace une
cité détruite dont les piquets ont été vus longtemps ;
on a exploré les pilotages du Brandebourg, dit un géo
logue® , et , parmi ces ruines , on trouve Perleberg,
Spremberg?, Reinsberg, Havelberg 8 ; ces mots ne sont
points nouveaux , puisque Pline cite des îles appelées
Bergi dans ces mêmes parages . Balck , dans la langue
des Celtes, signifie poutre, étançonº pour supporter
une habitation lacustre ; sur cette racine nous appelons
Chez les anciens, on disait par forme de proverbe à un homme qui
se corrompait : Massiliam navigas. ATHÉNÉE, XII, 5 .
2 Berge, Alberca (étang en espagnol) dérivent de là.
3 Berg heim , demeure perchée. Virgile dit Pergama. Percha, en
espagnol, signifie encore Logis. Oudin . Dict. esp.
4 Les Espagnols disent de même Briga pour Berg.
5 La ville se nommait autrefois Scarphout ; de Scharp, escarpé,
Hout , bois.
6 LEHON. L'homme fossile. Liv. 13.
7
Sprem-berg, bourgade sur la Sprée.
8 Berg, en allemand, signifie montagne; mais aucun de ces villages
n'est sur une montagne.
9 Il y a une relation entre les mots qui signifient pilotis et étang ;
ainsi Étang, Étançon ; Palus, Pael ; al Berca, Perche; Polder, Poutre.
ETHNOGRAPHIE 305

encorebalcon une construction aérienne du même genre;


mais ce qui montre que la signification de ce terme
était autrefois plus suspecte , c'est que ce même mot
Balch signifie toujours prostituée ?; les écrivains arabes
appellent Balchis ’ la Sabéenne qui vint corrompre
Salomon ; les Orientaux disent que Sémiramis prit la
ville de Balck , située dans les marais de l'Oxus , et
qu'à Babylone elle se présenta en demi-toilette sur son
balcon pour réprimer une émeute populaire.
Souvent ces îles n'étaient point fixes et flottaient
librement sur l'eau ; c'est pourquoi on les appelait
baraques ou îles flottantes.
Le mot Berle fut un des plus fréquemment employés
pour exprimer ces différentes constructions lacustres .
On peut constater que , dans la région des fleuves cel
tiques, ceux des bourgs ou des vieux castels qui ont
cette racine dans leur nom sont , en général, sur des
étangs qui paraissent façonnés pour des mystères ; le
vieux français en a conservé les mots brèle ", pour
signifier un radeau, et brelan, pour désigner des mai
sons d'une moralité suspecte . Des radeaux réunis se
di sent, en espagnol , Barloas; comme ces berles étaient
ordinairement supportées par des pieux, les Ibères
on t appelé Berlinga un pieu fiché en terre , et Berlingues
| Darsy. Dict . flam .
? Dict. de la Bible . Don CALMET .
3 Zabbe, prostituée ; d'où les mots Saba, Sabine, Sabbat, Sabéens
(dans les florales de Babylone).
4 Bahr ( la barre) signifie mer ; Aeghe signifie île. Darsy. Dict.
flam .
5 LACOMBE. Dict. du vieux langage .
20
306 QUINZIÈME THESE

les îlettes où se faisaient, sur la côte lusitanienne , les


orgies des Vettons,
Au fond de l'Italie se trouvent, dans la Pouille',
Barletta et Brentesium ?, le premier de ces noms nous
annonçant des cités lacustres, l'autre, leur destruction
par les flammes.
Dans la province de Brandebourg, les mêmes noms
nous révèlent les mêmes mystères . Là se trouve
Berlin ; la Sprée , qui l'arrose et qui formait autrefois
de vastes marais, tire son nom de Spar3, qui signifie
pilotis , de Sperre, qui désigne une clôture sacrée inter
dite aux profanes, et nous montre par ces racines tous
les éléments d'une cité flottante, d'un jardin des Hespé
rides , d'un Olympe où étaient admis les héros, c'est-à
dire ceux qui avaient reçu dans les combats une ber
laffe *; en outre , au voisinage de ces retraites aériennes
étaient ordinairement une tour et une cloche ; un guet
teur, à l'approche de l'ennemi , sonnait pour avertir de
rentrer ; or , dans la langue parlée à Berlin , un betfroi
se dit encore Sperglocke.
Dans certaines contrées , pour construire ces bour
gades flottantes, on avait transformé une vallée en étang
par un barrage qui arrêtait l'eau ; les dévastateurs
firent une tranchée au barrage , vidèrent l'étang et arri
vèrent à la bourgade .
1
1 Apulia vient de Pyl, pilotis . D'un côté de ce canal d'Otrante étaient
des cités lacustres, et de l'autre, l'Épire avec ses nombreuses enceintes
cyclopéennes, soigneusement explorées depuis les découvertes de
Petit- Radel .
2 Brindisi.
3 Dict. all. ct holl . De Sper dérive Spurius, Spernere.
+ On écrit aujourd'hui Balafre .
ETHNOGRAPHIE 307

Quand ces jardins de plaisir eurent disparu, il fallut


les remplacer dans les mystères. On figura donc un
autre Olympe où entraient encore ceux qui étaient
vainqueurs, non plus dans des combats sanglants, mais
dans des tournois, des luttes athlétiques '; là , comme
dans l'ancien séjour des dieux, c'était encore la beauté
qui décernait des faveurs, c'est-à-dire des couronnes
de laurier , des armes de luxe , des sourires encoura
geants, des fleurs symboliques. A Olympie, l'athlète
vainqueur recevait, pour prix de sa victoire , la plante
lacustre que nous appelons berle ” , pour figurer ces iles
>

flottantes et voluptueuses qui n'existaient plus , et,


comme jouissance d'un ancien droit, il entrait , par la
brèche, dans la ville où il devait consommer son
triomphe.
Toutes ces destructions, ayant eu lieu avant qu'on
n'écrivít l'histoire, ont laissé dans le souvenir des peu
ples des traces qui ne sont point encore effacées. Ainsi ,
les Bretons n'ont jamais oublié, dans la baie de Douar
nénez 3, l'emplacement de Is-la-Grande et savent sur
elle de tragiques histoires ; les Poitevins vont toujours,
" Les jeux du cirque à Rome , les jeux olympiques des Grecs , les
tournois décrits dans la Mahabarata, nos tournois ont cette même
origine.
? Cette plante était figurative comme le Lotus dans d'autres contrées.
Elle s'appelle berle, apium , sion , en celtique, en latin, en grec ; et,
dans ces mots , on reconnait les racines bahr, ebbe, see. Dans nos
histoires grecques , nous l'appelons Ache. Les Grecs, qui la nom
maient aussi Selinon , en parsemaient les abords des maisons de
plaisir.
Dor en arabe, Aduar en espagnol , Durum en celtique signifie
tente. Les Bretons, au moins partiellement , étaient appelés Arbii.
308 QUINZIÈME THÈSE

dans la nuit de Noël ' , entendre sur les bords du lac


Grand-Lieu le son des cloches de la coupable Her
bauge ; les Étrusques montraient avec effroi la place où
était, dans le lac Vulsinie , la ville du même nom et que
le feu du ciel, selon Pline , avait détruite ; la Palestine
voit encore , au fond de sa mer Morte , les débris de
quatre villes maudites et incendiées .
Des fêtes furent établies pour transmettre aux âges
futurs le souvenir de ces graves événements et, jusque
dans ces derniers siècles , nos aïeux ont célébré vers le
temps du carnaval le dimanche des Brandons ; on arri
vait dans les églises armé de bâtons et de torches, et
l'on figurait des luttes , un embrasement, une vic
toire ?; ailleurs on conduisait un fantôme de paille sur
un étang et, à l'aide d'une échelle posée sur le rivage,
on y mettait le feu, au milieu des acclamations de la
foule ; cette figure, dans le midi de la France, s'ap
pelle Papesuc3, c'est-à-dire île flottante. Quant aux
étangs desséchés , on conte d'un bout à l'autre du
monde la même légende : Une vallée était remplie
d'eau ; une méchante femme avait causé cette inonda
tion ; un homme divin se présente qui fend la roche et
met l'étang à sec ; ce personnage s'appelle Yu en
Chine, Kasiapa à Cachemire, Bel à Babylone , Her
i De Nehal. Les destructeurs étaient les sujets de Nehal Ennia. On
l'appelait Mater Idea, et les Romains, qui lui donnaient le nom de
Mitra , faisaient sa fête le 25 décembre. Encycl, méthod.
2 La fête des lanternes sur les fleuves de Chine ; la fête des torches
éteintes dans un lac à Cusco.
3 Beben, flotter ; Zoca , tente , lieu de fêtes ; d'où Pap-suc. DARSY.
Dict . flam .; OUDIN . Dict . esp.
ETHNOGRAPHIE 309

cule dans la vallée de Tempé , Bochica chez les Muiscas


d'Amérique.
Les peuples celtiques. remplaçaient partout ces des
tructions par des établissements religieux qui, plus
tard , acceptant le christianisme, se sont maintenus
jusqu'à nos jours ; une impulsion nouvelle était donnée
par eux au mouvement civilisateur ; ils avaient dispersé
les femmes, ils avaient créé l'épouse .
Au point où nous sommes arrivés , la race celtique a
donc atteint sa complète émancipation ; les rois ont
perdu leur divinité , et la femme a recouvré ses droits .
Quand l'histoire commença à nous éclairer, ces prin
cipes avaient à peu près conquis les limites de l'Eu
rope. Deux mondes s'étaient ainsi formés ; l'un , fier et
retrempé dans de nouvelles vertus , paraissait en voie
de pousser au loin son empire ; l'autre , amolli et ram
pant, semblait attendre une nouvelle domination . Depuis
cette époque , les siècles marchent et l'espèce humaine
poursuit sa destinée .

Résultats historiques .

Les plus anciennes histoires ont été faites après les


événements que nous venons de décrire et sous les
impressions qu'ils avaient laissées ; il n'y est parlé en
effet que de ligues , de tyrans chassés , de priviléges
abusifs, de réformes morales .
Les traces de ces mouvements se remarquent dans
des contrées fort éloignées ; mais les mots qui s'y rap
portent sont évidemment empruntés à la langue cel
310 QUINZIÈME THÈSE

tique et semblent par là marquer d'où est partie cette


vaste réaction .
Ainsi , à l'origine de l'histoire, on trouve partout le
peuple divisé en deux classes distinctes et qui parais
sent encore se menacer , représentant l'une le principe
>

héréditaire, l'autre le droit personnel; c'étaient les


1
Tiernes et les Leudes chez les Celtes, les Tyrrhènes
et les Lydiens d'après les récits d'Hérodote , les
2
Tyrans et les Ilotes en Grèce, les Touraniens et les
Aryas vers l'Orient, les Troyens et les Achéens dans
les poëmes homériques, les Torys et les Whigs dont
les noms , après être restés pendant longtemps à l'écart
de la domination saxonne , ont reparu , il y a deux siècles,
avec leur signification première. Chez les Hellènes la
classe héréditaire s'appelait aristocratie , du mot cel
tique Erstes qui veut dire le premier-né, et la classe
roturière formait la démocratie, du mot Deem , qui
signifie jugement, c'est - à - dire assemblée délibérante.
Les rivalités de ces deux classes se trouvèrent encore
exprimées sous d'autres noms ; ainsi , dans les poëmes
sanscrits , les Coros traitent avec hauteur les Pandos
qui , forces de fuir, reviennent pour les écraser ; les tra
ditions hongroises parlent également des Corusses
défaits et mis en fuite par les Pandours ; dans les
légendes romaines , les Curiaces cèdent aux Horaces ;

1 En irlandais , Tiarna veut dire un lord, et Lyden, dans les langues


celtiques, signifie bas peuple.
2 Túpavos. La racine tor est restée dans le latin Turris et a péri en
grec. Voyez, plus loin, les tours rondes.
3 En grec , "Apuotos, ainé ; en géorgien, Erthi, premier.
ETHNOGRAPHIE 311

le Cyrus 1? d'Hérodote, d'abord vainqueur, est battu et


tué par les Scythes ; en Arabie, les Coreischites sont
opprimés par les Homérites qui , jusqu'à Mahomet, res
tent maîtres du pays .
Tous ces Corim , comme les appelle la Bible des
Hébreux, ne sont autres que la race des aînés ?; et ce
mot vient de Koor3, lieu sacré de l'orgie héréditaire .
Par exemple, ce Cyrus, ce Kuros, dont nous venons de
parler, était bien un enfant du mystère ; son père se
nommait Cambyse, et Cambux, en ibérique, signifie
masque, bal masqué ; sa mère était une fille d'Astyage,
et Estaca , dans la même langue, veut dire cité la
custre; Cyrus était donc un heir, un aîné , un primoge
nitus ; et les Perses , confondant le mot Mello 4, qui chez >

les Ibères désigne cette priorité , avec Mulo, disaient


au rapport d'Hérodote, qu'ils avaient pour roi un
mulet .
Les Corim sont toujours représentés avec une taille
fort haute que le peuple , fier de sa victoire, s'est plu à
exagérer ; en effet, dans beaucoup de villes , on a con
tinué jusqu'à nos jours à célébrer leur défaite en pro
menant au carnaval des figures gigantesques aux
quelles les Espagnols ont même laissé le nom biblique
de Bausan, au souvenir de ce Og, roi de Basan, dont
nous avons déjà parlé. Les Coréischites arabes sont
En grec, Kuros ; rac. Koor .
? Ainé vient de Ein, un, premier. Les Japonais disent Ani.
3 Corinthe, Kouré chez les Mongols, Cures chez les Sabins, Curi
cancha à Cusco viennent de là .
* Vella , incision. (Dict. ibér .); Mello, prélibation. ( Dict. bibliq .)
5 A Valence, Pampelune, Valenciennes, Mons , Allah-Abad, etc.
312 QUINZIÈME THÈSE

parvenus à reprendre avec Mahomet l'avantage sur


leurs rivaux ; aussi le prophète , qui se donnait la mis
sion de rétablir l'ancien culte , a-t-il , comme nous le
voyons , réouvert les harems pour le temps présent et
replacé les houris dans le ciel pour le temps à venir .
Les Ibères sont ceux qui ont montré le plus de zèle
dans la réaction contre ces Coros ; depuis ces temps
primitifs, ils n'ont cessé de poursuivre les tendances
suspectes et , encore aujourd'hui, le condamné de l'in
quisition , en allant au supplice , est coiffé d'une espèce
de mitre en papier à laquelle on donne toujours le nom
maudit de Coroza .

Peuples modernes.

Les révolutions que nous venons de retracer sont le


germe de notre état social actuel .
Les derniers mouvements , comme nous l'avons vu , se
sont produits par voie d'association égalitaire ; ce qui
détermina les noms qui furent donnés aux réforma
teurs , et dont plusieurs se sont conservés jusqu'à nous.
Les uns furent appelés frères, comme par exemple les
Achéens ' qui forment dans les poëmes d'Homère la
grande ligne des peuples armés contre Troie , les Ger
mains que les Romains nommèrent ainsi du mot Ger
manus? qui signifie frère dans leur langue . D'autres
| Ach , en hébreu , signifie frère, d'où Achéen ; Germanus et Achéen
sont donc deux mots différents pour désigner une même chose.
2 Les Romains seuls ont donné ce nom aux Allemands ; c'est donc
un mot de leur langue.
ETHNOGRAPHIE 313

furent appelés compagnons ; ce mot , Maet en celtique ,


servit à désigner les Sarmates ' , les Mèdes . On voit
facilement l'idée de ligue dans les Lacones ?, les Ligures,
auxquels j'ajouterai les Perses dérivant de Porse3,
société . Le zèle déployé par les réformateurs les fit
aussi appeler Ibères, Brames de Yver *, Barm , zelé ,
miséricordieux .
En jetant, d'après ces données , un coup d'oeil sur nos
régions occidentales, nous pouvons en quelque sorte
mesurer l'étendue de l'influence celtique.
La Germanie, la Bretagne , la Gaule semblent, dans
les parties les plus rapprochées des bouches de la
Meuse ”, entièrement acquises aux nouveaux principes ;
la langue parlée dans ces régions est la même ; les
institutions , comme nous les décrivent César et Tacite ,
portent sans mélange la marque des dernières ré
formes ; les monuments des moeurs antérieures y sont
1 Le mot Sarmate signifie compagnon du Tsar. Tsar en chinois
coréen , comme Schyl en celtique, veut dire dormeur et désigne le
héros attendu que les florales devaient réveiller. Ce mot Tsar, som
meil, le grec Saura , léthargie, ainsi que l'ibérique Zarria, débris
fétides, désignent donc également le sommeil léthargique de la momie.
Dans la Baltique était l'ile de Sarri ; dans la mer Noire était l'Ile
d'Achille, l'une et l'autre renfermant , in spem resurrectionis , les
>

dépouilles du juste ; or, le tombeau qui contenait ces dépouilles était


défendu par les compagnons du dormeur, les Sarmates, les templistes,
les chevaliers du Sépulcre. On trouverait de même, à Old Sarum, les
chevaliers de la Table -Ronde.
? Laço, lien, en espagnol et en vieux français. Le mot Sparte vient
également de l'espagnol Esparto qui signifie aussi lien.
3 Darsy. Dict. flam . Les Germains sont liés au service de Herta ;
les Perses étaient aussi , selon Hérodote , appelés Artæi.
4 Iberi et Hebræi sont du même mot.
5 Voy. thèses Ille , X , XIII .
314 QUINZIÈME THÈSE

rasés et n'offrent plus à nos recherches que des restes


méconnaissables. Mais, en nous éloignant de ce centre
de réforme, le spectacle change ; vers l'Orient, les insti
1
tutions nouvelles pouvant se répandre indéfiniment se
sont fondues plus ou moins avec les usages qu'elles y
ont trouvés ; mais vers l'Occident, il semble que la civi
lisation celtique n'a pu gagner du terrain qu'à la suite
de guerres interminables .
Les légendes , recueillies en Angleterre par les an
ciennes chroniques, reviennent constamment sur les
longues querelles des Asches et des Ecks ; ces deux
mots étranges , dont l'un signifie frêne et l'autre chêne,
sont tout ce qui nous reste de ces antiques souvenirs .
L'arrivée des Romains surprit nos aïeux dans ces
luttes , et en face du danger les dévastations durent
s'arrêter .
Il reste donc sur la frontière celtique tout un groupe
de peuples qui ont pu maintenir plus ou moins intacts
leur nom , leurs traditions, leurs monuments ; tels sont
surtout les Scandinaves , les Calédoniens, les Milésiens,
les Bretons .
Les trois premiers de ces peuples ont conservé, dans
les racines mêmes de leur nom ’ , l'indication figurative
du droit primitial auquel voulaient se soustraire les
agresseurs. Quant à la double contrée que nous appe
lons Bretagne, c'est aussi dans les traditions des mys
tères qu'il faut chercher l'étymologie de son nom .
i Voy. thèses XⓇ, XI , XIII .
? Schende, Cala , Mello sont trois synonymes dont le sens se rap
proche de celui de prélibation . Lexic. esp . et flam . Schende a formé
Schandael, bibliquement Scandalum.
ETHNOGRAPHIE 315

Nulle part ailleurs il n'en est resté autant de souve


nirs que dans ce pays.
C'est ainsi que l'on trouve des deux côtés du détroit
le Curiosopiti ', les Curiosoli, les Coritani, beaucoup
de villes portent toujours le nom de Chester 2; Is *, Isca,
Ischalis , sont des lieux dont les mystères étaient
renommés . Dans la petite Bretagne , les orgies se pra
tiquaient surtout à Is, comme le prouvent tant de
légendes joyeuses contées sur cette île * célèbre , et
dans la Grande-Bretagne, à Helstown, où elles se font
encore aujourd'hui en dépit des lois anglaises. Le bois
sacré réservé à ces orgies s'appelait chez les Grecs
Orgas ”, ce qui est le mot anglais Orchard , qui n'a
plus aujourd'hui que la signification de verger ; l'aire
sur laquelle elles avaient lieu se disait Floor , et ce
mot , qui donne leur nom aux florales, signifie encore
plancher ; cette houe symbolique , que nous avons
retrouvée et en Chine et au Pérou , tire son origine de
ces cantons : Houwe®, d'après les Bretons , fonda les
>

mystères de Is et de Helstown ; et même ce mot , encore

1 Koor désigne le lieu des florales .


2 Le Castrum des Étrusques ; de la vient Cassitéris.
3 Isa en espagnol, ischa en arabe, ischen en mexicain, signifie jeune
fiancée.
4 On trouve à Is les légendes fameuses de Hu et de la belle Coridwen;
on trouve à Helstown les antiques orgies portant encore le nom de
Furry dance , et Furrow , en anglais , comme Besana en espagnol ,
signifie premier sillon.
5 Chyndonax était enterré dans le bocage de Mithra, Mithrès en
Orgadi. Inscript.
6 Dans les légendes bretonnes concernant Is on écrit généralement
Hu, Hoe, You, Yao.
316 QUINZIÈME THÈSE

aujourd'hui, signifie tout à la fois bêche et mariage '.


Les noms donnés aux jeunes filles, si soigneusement
élevées dans les mystérieux enclos dont nous parlons,
confirment ce que nous venons de dire ; on les nomma
Girl, de Girdle qui signifie ceinture ; on les nomma
également Bride, du verbe To breed qui veut dire
élever, instruire , et cette expression, qui n'a plus
aujourd'hui que le sens de fiancée, est celle qui fit
appeler le pays Bridt-tania ?
C'est donc dans ces quatre pays que nous pouvons le
mieux étudier les monuments de l'ancienne civilisation,
détruits partout ailleurs .
Ainsi , par exemple , on y retrouve un nombre consi
dérable de tours rondes d'une forme étrange. Elles se
composent de plusieurs assises ; point de porte au rez
de-chaussée; on remarque seulement au premier étage
une ouverture étroite à laquelle aucun escalier ne con
duit ; on a cru reconnaître , au haut de celles qui sont le
moins dégradées , un objet rappelant par sa forme le
trident de Chiva 3. Le plus ancien auteur * qui en parle
date du XII° siècle etn'en connaissait pas l'origine °;
elles étaient alors très nombreuses ; on en compte
encore aujourd'hui cent dix-sept, en Irlande seulement.

| Houwe, bêche, mariage, incision . Darsy. Dict. flam .


2 La terminaison Tania se retrouve dans Aquitania , Lusitania,
Indoustani, Brid -tania , terre des vierges choisies.
3 An obtuse crescent resembling what is called the trident of Chica.
The english Cyclopedy .
4 GIRALDUS CAMBRENSIS.
5 Ces tours ont été appelées Bir, Baris, Bury , Barra et même tour
de beurre .
ETHNOGRAPHIE 317

Ce simple exposé nous a déjà fait connaître la tour


suzeraine des florales avec sa cale aux ossements ' , son
aire et son emblème seigneurial; en effet, le droit de
3
prémices ? exercé dans ces tours 3 est figuré par le tri
dent'; selon les poëmes sanscrits, le dieu Chiva, dans
ses prouesses lubriques , en est toujours armé ; selon les
mythes occidentaux , lorsque la jeune Proserpine cueil
lait des fleurs dans la vallée d'Enna , Pluton l'enleva,
et, d'un coup de son trident, s'ouvrit la route de son
domaine 6
Ces tours ont porté différents noms ; on les a appe
lées tours de Vésone ?, c'est - à -dire de Bazan ; on les a
appelées Schantzes, et Scandea est encore le nom de la
voluptueuse ile de Cythère; on les a appelées tours de
Calaº, et cette racine nous explique les mystères de
Kalat -al-Ahmra dont nous avons déjà parlé , la gra

1
Stapel, dont les Anglais ont fait Steeple, clocher, est un des mots
qui ont désigné cette cale ; les Boudhistes l'appellent Stoupa. On jurait
par ces ossements, d'où Stipulare.
? Primitiæ , Præmium laissent entrevoir le radical Priem.
3 Le mot Tor a formé Tyrannus, Tyrrhenus, etc.
Un des anciens noms du trident est Furche ; ce mot signifie aussi
premier sillon ; de lå l'infâme mot de Porcus. Dict, allem .
5 Les prémices se cueillaient dans les florales.
6 Les Gaulois, selon César, se disent fils de Pluton.
? On sait que celle de Périgueux porte encore ce nom. Besana, pre
mier sillon . Dict. esp .
8 De là vient Ida - Canza où Bochica est transporté après sa mort ;
de là aussi l'anglais Scant, échantillon .
9 Calar, prælibare. Dict. esp. Dans la mer , à l'embouchure du
Rhin, sont des ruines qui ont toujours porté le nom de tour de Cala.
10 Voy. thèses Ville et XIV . Kalat-al-Ahmra , nom ibérique de
l'Alhambra, signifie château des momies ambrées .
318 QUINZIÈME THÈSE

1
cieuse idylle de Polypheme ? et Gala -thée , l'antique
célébrité de Burdi-gala où se voit encore aujourd'hui
la cale aux squelettes, les Téo- calli : du Mexique; enfin
on les a appelées tours de Mello 3 ; quelle est la ville de
France qui n'a point sa promenade menant au mail? Le
mail et ses mystères ont disparu de nos contrées, et
quelques mots de notre langue * sont tout ce qui nous
en reste ; mais l'Irlande en a retenu le nom de Milidt,
5
et ses habitants, le nom de Milésiens 5.
Les anciens livres bien interprétés nous font con
naître ces détails , ainsi les Hébreux appartiennent
pleinement à cette réaction indépendante et morale ;
nous les voyons partout détruire des forteresses; mais
un de leurs rois voulut revenir à l'ancienne tyrannie;
Salomon , dit la Bible®, ayant reçu la visite de la reine
de Saba, rétablit le Mello ; alors Jeroboam , de la famille
de Serva , se révolta contre le roi.
On comprend , d'après ce qui vient d'être dit, que,
dans les régions celtiques , une même nation porte par
fois des noms différents, dont les uns sont restés des
anciennes meurs , et les autres sont empruntés aux
dernières révolutions.

| Polyphème, fils du Dieu du trident


2 Dans la langue des Garanis , Teo signifie mort. DUGRATY .
3 Voy . these XXe.
4 Les châteaux de la fée Mélusine ; le dicton vulgaire de la lune de
miel . On voit encore des vestiges de ces tours à Saint-Mihiel , à Péri
gueux , dans l'ile de Rhé . L'Angleterre fut appelée Ile de miel. Aug.
THIERRY.
5 L'ancien mot Miles romanus a aussi cette origine.
6 Voy . Rois, liv. III , ch. IX, v. 24 , et ch. XI, v. 26.
ETHNOGRAPHIE 319

C'est surtout dans les contrées d'émigrations germa


niques que les populations ont été désignées par des
mots nouveaux. Ainsi , comme le mouvement était parti
i des bords du Hélion, on appela Hel-man ' , Hel-leen,
Héliou-Basileus , l'homme voué au nouveau culte, et de
là tirèrent leur nom les peuples nombreux situés au
delà du Rhin, qui devinrent ainsi les Allemands , les
Hellènes, les Perses, sur qui régnait le fils du soleil.
Ce fut seulement à l'orient de la Baltique que la ligue
trouva une invincible résistance ; la déesse des Estho
niens avait là ses fidèles dévoués établis pour pousser
en avant la propagation de l'oeuvre ; ils portaient, dit
Tacite, l'image du sanglier pendue à leur cou ; c'est
pourquoi du mot Sus ? ils furent appelés Suiones, et du
mot Boar ils reçurent plus tard le nom de Borusses,
dont nous avons fait Prusse ; ces associations militantes ,
déjà connues des Latins, combattaient encore au moyen
áge sous les noms de chevaliers Teutons , Rose-croix ,
Porte - glaive , Livoniens ; mais , malgré tous leurs
efforts, les peuples purent conserver jusqu'à nos jours
des vestiges de leurs anciens monuments .
Les Gaulois , comme les Callaïques d'Espagne, les
Calédoniens 3 d'Écosse sont , d'après la racine de leur
nom , les habitants primitifs du pays ; bien qu'ils eussent
accepté les moeurs celtiques, les Romains ont toujours
Man, homme ; leen , fief ; basileus, vassal. Hel-man , Hel -leen ,
Heliou-basileus signifient donc également vassal du Hélion. Helios,
comme il a déjà été dit, désigne tout à la fois la Meuse et le soleil.
? Sus, boar, sanglier. Si, en chinois -coréen, Taya - Su , en garanis,
>
ont le même sens .
3 Calar, goûter. Dict. esp .
329 QUINZIÈME THÈSE

continué à leur donner l'ancienne dénomination ; quand


les peuples , longtemps avant César, s'étaient affran
chis de la tyrannie héréditaire , on les avait appelés
libres , frei, Francs ; quand il fallut de nouveau se
débarrasser des Romains , ils reprirent cet ancien nom ,
1
ce qui fit appeler France ' le pays des Gaulois .
En Angleterre ?, le nom le plus ancien est Albion 3 ,
et , jusqu'à nos jours , les poëtes gaëlics n'ont jamais
cessé d'appeler l'Écosse Albanie ; ce mot, comme nous
l'avons vu “, appartient aux anciens mystères; les pro
pagateurs des nouveaux principes , ayant conquis à main
armée la plus grande partie du pays, ainsi que la Cher
sonnèse Cimbrique , se maintinrent dans ces deux con
trées ; les deux peuples portèrent le même nom de
Saxons : qu'ils diversifièrent en s'écrivant Thanes dans
un pays et Danes dans l'autre .
En Espagne , la croisade celtique fut pleinement mai
tresse ; les nouveaux Ibères soumirent les anciens
Espagnols, et le peuple porta indifféremment les deux
noms .

1 Vers l'an 241 on trouve tout à coup les peuples du Nord appelés
Francs ; ce mot n'appartenait à aucune des langues du pays ; il était
donc ancien .
2 Eng-land, la terre triangulaire ; on appelait de même Angli les
peuples qui étaient à l'angle du Jutland .
3 Aristote cite Albion et Ierné; mais Albion était déjà mentionné
dans Pythéas de Marseille, et lerné dans les Argonautiques d'Ono
macrite.
4 Voy . thèse XIII• .
5 Le rivage breton est appelé Littus saxonicum dans la Notitia
dignitatum Imperii, faite en 404, longtemps avant la prétendue inva
sion saxonne. Le rivage occidental du Jutland était habité par des
Saxons , selon Ptolémée.
ETHNOGRAPHIE 321

L'Italie garda sa dénomination primitive ; on s'y


i souvenait d'anciens tyrans exerçant des droits insup
portables, marqués par les noms significatifs de Tar
quinius, Calatinus , Priscus; ils venaient , disait-on , de
la Tyrrhénie et furent chassés par les Latins ; ce qui
est la répétition légendaire de tout ce que nous avons
dit des Tiernes chassés par les Leudes..
Les échappés de toutes ces révolutions , comme nous
le voyons par Thucydide, accoururent dans les îles de
la Méditerranée, vécurent de piraterie, formèrent mille
petites républiques de courte durée , firent des légendes
de tout ce que nous venons de dire, et voilà les Grecs.

Appendice sur les moeurs modernes.

Nos meurs se composent de tous les débris des


transformations successives que la société a subies.
Nos usages , nos peintures, nos dictons , nos fêtes, tout
cela remonte au delà du moyen âge , au delà des
Romains , au delà de toute histoire, et se rattache à
quelqu'une des institutions que nous avons étudiées.
J'en cite quelques exemples :
- Nos vieilles cathédrales , en se reconstruisant d'âge
en âge, conservaient toujours fidèlement les mêmes
symboles et , par eux, le souvenir des plus anciens
mystères. On yl voit , entre autres figures, un Génie,

Ce symbolisme se retrouve chez tous les peuples de l'Asie. Il est


représenté en bas -reliefs dans les cathédrales de Paris, Arles ,
Bourges, Amiens, Chartres ; on le voit sur le tombeau de Paul III, au
Vatican. Bibl. JACOB , Curios. theol.
21
322 QUINZIÈME THESE

tenant en main une balance et pesant les bonnes et


mauvaises actions du défunt; les anges d'une part, les
démons de l'autre, cherchent respectivement à faire
pencher le plateau qui est de leur côté . Image de l'or
dalie funéraire pratiquée sur l’Escaut, où la bière du
défunt, débattue entre les flots montant et descendant,
attendait sa sentence. Schel , nom celtique du fleuve,
fut bizarrement transformé par le peuple en saint
Michel ' .
- Les Hébreux pratiquent, avant le jour du mariage,
une cérémonie qu'à tout hasard nous nommons fian
çailles , mais qui n'a aucun rapport avec ce mot, et
serait complétement ridicule si elle n'était un souvenir
d'une tradition respectable. La famille s'assemble, et
là , en présence de la jeune fille, le personnage le plus
?
vénérable, quelque vieil oncle , brise une cruche en la
laissant tomber par terre . Le symbole de la cruche
cassée remplace , chez cette nation , une réalité ancienne
et tyrannique . Dans les mystères , rien ne périt ; à
mesure que les mœurs s'épurent , les pratiques qu'on ne
peut plus tolérer revêtent une autre forme et se con
servent.
- Nous voyons par l'origine des étrennes comment
l'affranchissement moral fut symbolisé chez les Ro

i Saint Michel , dans la Bible, est étranger à cette idée de balance.


De Ag, qui signifie eau, cette lutte s'appelait Agonia.
2 Krug, cruche ; Krachten , violer. Dict. saxon.
3 Les Hébreux ne savent pas l'origine de ces pratiques ; ils disent
aujourd'hui que plus il y a de fragments dans la cassure, plus nom
breuses seront les années de bonheur.
ETHNOGRAPHIE 323

mains. Nous avons déjà parler de la haute faveur


réservée au brave , Strenuus. Quand les peuples eurent
régularisé l'union conjugale , ce ne fut plus la bravoure
qui étrenna à la renaissance de l'année; la cérémonie
fut mystiquement remplacée par l'offrande d'une fleur
significative, la verveine . Les Romains , ayant perdu
le sens de tous ces mythes, racontaient que Tatius , roi
des Sabins , pénétrant dans le Capitole, offrit une ver
veine à la jeune Tarpéias , et que ce fut là l'origine des
florales et, par conséquent, des étrennes * .
Nos législateurs sont encore sous l'influence de
droits qui depuis bien longtemps n'existent plus . Nous
avons vu que l'héritier, sous une forme changeante ,
était toujours le propriétaire primitif. Quand le mariage
eut obtenu son plein droit, on continua sans aucune
raison d'appeler héritier celui des enfants qui naissait
le premier , quoiqu'il fût du même sang que les autres ;
les Celtes lui donnèrent la totalité des biens , à la charge
de nourrir les cadets ; les Coréens , les Hébreux lui
5
faisaient double part ; et, dans nos Codes , nous inscri
vons toujours que l'héritier continue la personne du
défunt.
- Notre droit social a aussi de profondes marques du
passé. On sait qu'il existe , dans tous nos pays , des
Thèse XVe .
? En celtique, Yzerkruidt, la fleur d'Assur ; or, Assur, Æsar chez.
les Étrusques , dérive de Haus- Herr, le maître de la maison. Darsy .
Dict. flam . SUETONE . Vie de César.
3 Tarbea, tranchoir, grande salle. Oudin. Dict. esp.
* Voy. Encycl. méthod.
• Deutéron ., ch . XXI , v. 17.
324 QUINZIÈME THESE

races d'hommes rejetés de la société , dont l'origine est


inconnue et qui semblent frappés de quelque ancienne
malédiction ; on leur donne différents noms ; on les
appelle Coliberts dans le Poitou , Burins en Bresse.
Kalibaert est le nom que portait le seigneur du village',
et Boer, le puer des Latins , était son sujet. Les noms,
les traditions de ces deux provinces , marquent en effet
que le droit matrimonial a dû tarder à s'y faire jour :,
tandis que, dans le reste du pays , le ridicule poursui
vait tout fiancé qui avait encore la faiblesse de subir
une honte tyrannique; on plaçait son buste à califour
chons sur un âne et on le promenait en dérision .
Évidemment le charivari n'a plus d'à-propos ; mais il est
resté dans nos moeurs comme simple amusement du
peuple .
· Lorsque le christianisme apparut sur la limite de
l'Europe et de l'Asie , il presenta aux deux mondes sa
doctrine ; l'Asie n'était point prête ; elle aima mieux
rester dans ses vieilles moeurs et attendre Mahomet ;
l'Europe, sortie de la fange du passé , regardait vers
l'Orient , d'où elle était avertie que devait venir sa trans
formation. Le christianisme vint et s'y plaça comme
dans, son domaine ; il fit le triage des institutions que
| Kalibaert, seigneur du village ; Boer , paysan . Darsy . Dict. flam .
2 Dans le Bugey, il est d'usage que la jeune épouse , au jour de ses
noces , soit enlevée par un vieil oncle qui la retient durant trois jours.
Pendant ce temps, on ne donne au mari que du pain bis , du vinaigre,
des amertumes de tous genres, tandis que la jeune femme est nourrie
de bisques , de miel , de fruits exquis .
3 Nous avons expliqué les mots Cala , Furche, et leur sens pri
mitial .
ETHNOGRAPHIE 325

les Celtes lui avaient préparées , s'assimilant ce qui l'ai


dait à grandir, rejetant ce qui ne pouvait lui être
d'aucun usage . Le peuple recueillit toutes ces défroques
des anciens cultes et en fit des jeux , des images , des
coutumes, des légendes ; de sorte qu'aujourd'hui, nos
voyageurs qui parcourent l'Orient sont surpris d'y
trouver encore , à l'état de religion , des institutions et
des pratiques dans lesquelles ils reconnaissent tous les
divertissements populaires de nos contrées .
Telles sont nos mours .
SEIZIÈME THÈSE .

ANTIQUITÉS TECHNOLOGIQUES DES CELTES .

Les Celtes se distinguent des autres nations par un


esprit de recherche , une soif de tout connaître . Les
premiers , ils ont pénétré les secrets de la nature et en
ont tiré des applications utiles aux besoins de l'homme,
aux arts, aux fantaisies du luxe. La série progressive
de leurs inventions peut encore s'étudier dans les mo
numents qui nous restent d'eux et nous convaincre que,
depuis les temps primitifs jusqu'à nos jours , bien loin
d'avoir rien emprunté au dehors, ils ont donné aux
autres peuples les principaux éléments de l'industrie et
des arts .

Temps primitifs.
A une époque antérieure à toute tradition , nous
étions dans l'état où sont aujourd'hui les peuples que
nous appelons sauvages. Nous avons vingt fois renou
velé nos moeurs, et ils sont restés stationnaires ; de
sorte que les institutions élémentaires qui existent
encore parmi eux doivent se retrouver chez nous à l'état
de débris .
TECHNOLOGIE 327

Les Péruviens et les Chinois , comme chacun sait, se


servent , pour compter, de nouds faits sur des cordes .
En latin , le mot Nodus, nõud , a fait Notare, noter; le
mot Ligare, lier , a fait Legere, lire . Nous nous sommes
donc autrefois servis de noeuds pour lire et nous les
avons passés d'un côté aux Chinois et de l'autre aux
Péruviens qui les ont gardés jusqu'à ce jour.
Nous avons pu retrouver, dans les tombes de nos
pères , leurs haches en silex ; mais ils avaient aussi des
épieux en chêne dont la pointe était durcie au feu. En
celtique, Hout signifie bois et de là est venu le verbe
grec Outan , qui veut dire blesser ' . Cette expression
.

se rencontre surtout dans Homère et les plus anciens


poëtes .
On sait comment les peuples sauvages se procurent
du feu ; ils forent une planche au moyen d'un bâton
aigu qu'ils font tourner avec une rapidité qui enflamme
le bois ; or, dans nos langues, Brennen , brûler, dérive
de Booren qui signifie forer . Chez d'autres nations,
c'était d'un caillou qu’on tirait le feu ; Key, caillou , a
formé le garanis Caa, le chinois-japonais Kua ?, qui
tous désignent du feu , et le verbe grec Kaiein , qui veut
dire brûler.
Cicéron se glorifie d'avoir reçu à sa table un Druide
des Gaules et d'avoir parlé science avec lui ; mais ces
docteurs des nations avaient commencé , comme tous les
sorciers des peuples primitifs, par dire simplement la

Blesser avec un pieu aiguisé. C'est l'Outis de Polyphème .


2 SIEBOLD .
328 SEIZIÈME THÈSE

bonne aventure. En Amérique, chez les Mongols, chez


les Indiens , un devin étant consulté se tient debout sur
un talon , tourne peu à peu sur lui-même , et bientôt
avec une rapidité qui donne le vertige à ceux qui le
regardent ; il tombe enfin évanoui et , à son réveil, in
terprète les songes qui lui sont venus . Nous avons
abandonné depuis longtemps cette sorcellerie élémen
taire ; mais on reconnaît encore quelques-uns des mots
qui servaient à la désigner. Le jongleur, après son
tournoiement, était comme en délire ; Dul' est le mot
celtique qui exprime cet état, et de là nous appelons
Tol la toupie qui imite le jeu du sorcier, Tolck , le devin,
l'interprète qui révèle les choses cachées ; également
le mot Nabi?, qui signifie prophète , laissa dans nos
langues l'expression Nap ? pour signifier sommeil , c'est
à-dire le sommeil extatique du jongleur.
Nos aïeux durent avoir, dans ces temps primitifs, un
usage que l'on retrouve chez les peuples barbares ,
celui de boire dans le crâne de leurs ennemis ; c'est
ainsi que notre mot Schael", qui veut dire écuelle ,
dérive de Scull, crâne ; Kop signifie tout à la fois une
coupe et une tête ; les Ibères n'ont même pas déguisé
la chose en appelant le crâne Calabera ", littéralement
coupe à boire . En outre , comme les peuples des temps
homériques , comme les Achéens sur la tombe de
i Dul, tol, tolck , mots flamands.
2 Ancien mot celtique qu'on retrouve dans les livres des Hébreux et
des Arabes . Thèse XI ,
3 Nap, sommeil ; Nappy, écumeux, furieux. Dict.angl.
• Schael, coupe. Darsy. Dict. flam .
5 Dans Calabera, cal est pour schael.
TECHNOLOGIE 329

Patrocle, nous avons immolé nos prisonniers de guerre ;


d'où viendraient Ilostia, Victima, si ce n'est de Hostis,
Victus ? Mais il est une accusation plus sérieuse que
semble surtout révéler notre langage ; le vieux mot
gaulois Viande a une étrange ressemblance avec
Viandt", ennemi; et de plus , l'anthropophagie , comme
nous voyons par les peuples qui en ont conservé
l'usage, se dit Poru ?; or, les Grecs semblent avoir tiré
de cette ancienne expression leur mot Bora ? pour dési
gner une gloutonnerie repoussante ; ce qui indiquerait
que nous avons eu , dans toute leur brutalité , les
meurs des premiers humains.

Cités lacustres.

Ces moeurs primitives se sont peu à peu modifiées.


Sans doute , il serait impossible de suivre le progrès de
leurs perfectionnements ; mais un hasard nous a fait
retrouver, dans ces derniers temps , une page isolée de
nos annales industrielles .
Quand les cités lacustres furent livrées aux flammes,
les produits de tous genres qu'elles renfermaient furent
précipités au fond des lacs parmi les décombres ; une
couche limoneuse les recouvrit avec le temps et les
conserva jusqu'à nous sans graves altérations . L'étude
de ce précieux dépôt peut donc nous donner une idée
| Viandt, en flamand, Feind, en allemand, signifie ennemi.
? DUGRATY. République du Paraguay, ch. IV.
3 Bora, en grec, gloutonnerie. Porra, en espagnol , désigne la
massue dont on assommait la victime humaine. Bourreau , en français,
dérive de là.
330 SEIZIÈME THÈSE

de ce qu'était la civilisation de l'homme à une époque


où le reste du monde , l'Italie, la Grèce , l'Égypte, la
Babylonie , le plateau asiatique était encore ou barbare
ou inhabité.
C'est dans les lacs de Suisse que les recherches ont
été conduites avec le plus de soin ? . Là , les cités les plus
anciennes n'offrirent pour armes que des haches en
pierre , des poignards en bois de cerf, des pointes de
flèche en silex ou en os , et cent autres instruments
façonnés des mêmes matières . Dans d'autres bourgades
plus récentes, les armes sont en bronze, ainsi que tous
les objets tranchants qui servent aux besoins vul
gaires ; ce bronze est toujours composé de cuivre et
d'étain ; le bronze des Égyptiens , des Grecs , des Étrus
ques, contient ordinairement du plomb , celui des Hel
vètes , jamais . Enfin , quelques stations plus modernes
avaient , dans leurs décombres , des épées en fer.
A l'époque où paraît ce métal, les géologues ont
remarqué qu'une race forte et guerrière subjugua la
plus grande partie de l'Europe occidentale ; du nord au
midi , partout où elle a étendu ses dévastations, les
épées retrouvées ont entre elles une remarquable ana
logie ; toutes sont du type gaulois , sans garde ni croi
sière. A la Tiefenau, en Suisse , on a découvert tout
un champ de bataille qui peut nous donner une idée des

· Aujourd'hui le géologue creuse partout ; il a trouvé des antiquités


fossiles en Europe et en Amérique, mais point en Asie ; cette contrée
doit avoir été colonisée fort tard .
2 LE Hon . L'homme fossile, passim .
3 Voy. LE Hon . L'homme fossile, et thèse XVe.
TECHNOLOGIE 331

guerres préhistoriques ; on y trouva des épées gau


loises, des roues de chariot, des mors argentés , des
cottes de maille , des monnaies avec l'effigie du cheval
celtique . C'est évidemment dans ces rudes conflits que
furent faites ces ruines cyclopéennes que l'on remarque
partout sous notre sol, et surtout que furent incendiées
les cités lacustres ; et si , après ces destructions , on
retrouve encore quelques établissements de ce dernier
genre , ils ne servaient plus que d'arsenaux en garantie
contre les surprises de l'ennemi .
Après la théorie que nous avons exposée sur la
navigation phocéenne , nous ne devons pas être étonnés
de rencontrer dans nos cités lacustres, quoique placées
au centre des terres , de rencontrer, dis- je, des produits
lointains . En Helvétie arrivaient sans peine l'étain du
Cornouailles, l'ambre de la Baltique , et , en effet, des
9

colliers en ambre ont été retrouvés dans les dépôts les


plus anciens, parmi les débris du silex taillé .
La religion de ces peuples primitifs était toute sym
bolique'; les objets qui la figuraient abondent dans les
débris lacustres ; ils paraissent encore rudimentaires ;
pourtant on voit que ce sont les mêmes qui , dans les
siècles suivants , se retrouvent dans toutes les reli
gions, mais , naturellement, taillés avec plus de re
cherche ; on y distingue surtout des croissants lunaires2
3
en argile ou en bronze , des amulettes trinitaires 3
formés de trois tiges , partant d'un anneau de suspen
| These Xé.
* These Xe .
3 Voyez-en les figures dans LE Hon. L'homme fossile, ch. XVI.
332 SEIZIÈME THÈSE

sion et se terminant chacune par un globule , exacte


ment comme les pendants d'oreilles de Junon , tels qu'ils
furent plus tard décrits dans l'Iliade '.
A cette époque reculée , à cet âge préoriental, les
peuples celtiques avaient déjà une industrie remar
quable ; ils se paraient de bracelets , de colliers fine
ment ornementés, fabriquaient des tissus de lin, des
dentelles , cultivaient le blé , l'orge , les pois , la vigne ,
savaient faire le pain ; et tous ces produits , nous les
retrouvons au fond de nos lacs , parmi les silex taillés,
les ossements de renne, de rhinocéros, de mammouth,
parmi les débris de l'ancien monde .
Les Romains nous ont conté que Lucullus , revenant
de Cérasonte , dans son expédition contre Mithridate,
en avait rapporté la cerise inconnue à l'Europe jusque
là ; saint Jérôme, en envoyant à une personne un
panier plein de ce beau fruit, y joignit une lettre qui rap
pelle cette origine asiatique. Au temps où l'on inven
tait cette fable, étaient déjà, depuis des milliers d'an
nées , au fond de nos lacs , des pots remplis de cerises ,
et que nous avons retrouvés parmi les autres débris ? .

Iles Cassitérides .

Il y avait parmi les peuples orientaux un souvenir


confus d'iles situées dans le voisinage des Gaules , où les
flottes phéniciennes allaient chercher l'étain . Strabon

i Iliade , XIV , 182.


2 LE Hon. L'homme fossile.
TECHNOLOGIE 333

les place au nord de l'Espagne et les nomme Cassite


rides ; dans Ptolémée , elles sont appelées Iles des
Dieux '.
Ce qui surprend , c'est que les auteurs anciens , tout
en citant et décrivant l'Angleterre , parlent encore
d'iles Cassitérides qui sembleraient ainsi en être dis
tinctes . Le savant Camden , après avoir pesé tous les
témoignages, pense que ces îles sont les Sorlingues ;
mais cette opinion est trop évidemment fausse pour
qu'on puisse s'y arrêter ; les Sorlingues n'ont point
d'étain , tandis que l'Angleterre en a des mines inépui
sables. D'où vient donc la confusion ?
Il y a deux Angleterre que Camden n'a point su
reconnaître : l’une , primitive , mystérieuse , se rattache
à la religion antique dont nous avons , plus haut ?, révélé
les secrets; son étain , exploité dès les temps les plus
3
anciens, pénétrait par la navigation phocéenne 3 dans
l'intérieur des terres , en Helvétie , en Asie , chez les
Indiens, en Chine * ‫ ;ܪ‬la Bretagne , pour ses établisse
ments moraux, était appelée Cassitéris 5; c'est pour
quoi l'étain qu'elle produisait fut transporté partout
sous ce nom , et les peuples , tout en s'en servant,
finirent par oublier que c'était le nom du pays d'où il
venait ; l'autre Angleterre est celle de l'histoire; César,

| Les deux Cassitérides, les deux îles des Dieux ne sont autres que
les deux îles bretonnes .
2
Voy. thèse XVe.
3 Voy. thèse Ve.
4
Voy . thèse XII .
5 Voy. thèse XVe. Castrum , castor, cassitéris, chester ont la même
racine .
334 SEIZIÈME THÈSE

en la faisant connaître , avait perdu le souvenir de sa


célébrité primitive ; on la traita comme un pays diffé
rent du premier ; et les auteurs décrivirent la Bre
tagne , citèrent Cassitéris , sans se douter que c'était la
même contrée .
Ici se placent quelques questions du plus haut
intérêt:
Les bronzes des lacs helvétiques sont généralement
composés d'une partie d'étain pour neuf de cuivre ; il en
est de même de ceux que l'on retrouve dans les nom
breux tumulus de Hallstadt ", près de Saltzbourg en
Autriche, ainsi que dans les ruines de Ninive ?. L'étain
arrivait donc dans ces pays éloignés des mers , par la
navigation phocéenne .
L'enseignement courant , n'ayant aucune idée de cette
navigation dont les Grecs n'ont point parlé , prétend
que ce sont les habitants de la petite ville de Tyr, en
Asie , qui allaient chercher ce métal aux îles Cassité
rides et le répandaient dans le monde entier . Mais la
géologie est encore venue placer son mot dans ceite
question . En explorant les tombes des Étrusques , des
Égyptiens , des Grecs, des peuples maritimes , juste
ment de ceux qui devaient être en communication avec
ces Phéniciens, on n'a trouvé qu'un bronze falsifié où le
plomb remplace presque complétement l'étain . Héro
dote nous dit bien que les vaisseaux de Tyr, longeant
la côte de Syrie, allaient jusqu'en Égypte, où ils fai
saient quelque trafic, mais ils ne poussaient pas plus
I LE Hon. L'homme fossile.
2 Et même dans des fouilles faites en Amérique.
TECHNOLOGIE 335

loin, et, d'après le récit de l'historien , il n'est question


ni d'étain , ni des îles Cassitérides .
Au reste , l'école phénicienne, ne pouvant subir le
contrôle de la science moderne , est depuis longtemps
en discrédit ; on s'est porté ailleurs et l'on s'est demandé
si nos arts industriels ne nous viendraient point de
l'Inde ou de la Chine . L'étain est connu dans les
ouvrages sanscrits , mais il y porte le perfide nom de
Castira ; de l'aveu des plus intrépides asiomanes , l'île
Cassitéris est dans l'océan Occidental ; d'où vient donc
ce nom celtique dans les écrits des Brames ? Si les deux
peuples asiatiques que je viens de citer ont été indus
triels , ils ont dû avoir entre eux tout un courant de
commerce maritime , et , par conséquent , visiter et con
naître à fond les îles de la Sonde qui se trouvent sur
leur route ; là se voit la seule mine importante d'étain
qui soit en Asie . Jamais les Asiatiques ne s'en sont
doutés ; ce sont les Hollandais qui , arrivant dans ces
parages , en commencèrent l'exploitation vers 1710.
Aujourd'hui l'étain de Banka alimente l'Asie, et l’étain
du Cornouailles continue à fournir l'Europe .
La Bretagne, pour les mystères de ses monuments
druidiques, fut appelée Ile des Dieux ; or, c'est dans la
région de ces mêmes monuments que se trouvent les
mines d'étain et l'origine de l'industrie métallurgique.
Dans les pays où ont pénétré les colonies des Celtes ,
on doit donc s'attendre à trouver la religion associée aux
arts et le souvenir de l'île mère .
Par exemple, nous avons vu qu'en Bretagne le
druide suzerain, Ambrosius , était placé sur le Stone
336 SEIZIÈME THÈSE

henge , et que les immortels étaient rangés autour de


lui " ; mais ces temples de dolmens n'étaient point tracés
au hasard ; ils représentaient tous quelque phénomène
astronomique dans ses rapports avec les traditions du
calendrier ; c'étaient de vastes cadrans qui servaient à
régler les périodes religieuses . Les grands monuments
décrivaient les révolutions séculaires et annuelles ;
d'autres , comme le cromlech de Biscawen , computaient
les dix-neuf années de la période luni-solaire , ce que
nous appelons nombre d'or ; les petits cercles d'Ave
bury, formés de quarante-deux pierres , servaient à
déterminer les quarante-deux jours de pénitence et de
joie qui, chez les Celtes, en Égypte, à Ninive, à
Mexico , dans tout le monde druidique , précédaient
et suivaient la grande fête de l'expiation ; il en est de
même des autres constructions druidiques .
Les peuples éloignés ont conservé des souvenirs de
ces antiques et solennelles institutions . Ainsi , les Mexi
cains , pour mesurer leur siècle , avaient aussi un
grand cercle composé de 52 pierres ; le soleil était
au centre ; une aiguille , avançant d'un degré chaque
année , les avertissait de l'espace déjà parcouru.
Les Chaldéens avaient, pour calculer le temps , trois
grandes périodes qu'ils nommaient Sos, Nère , Sare,
mais qui laissent aisément voir leur origine celtique ;
en effet, nous savons par Pline 3 que les Celtes comp
taient par générations de trente ans ; or , les trois
I Nous verrons ailleurs que c'est là l'origine de l'olympe homérique.
2 Histoire de la conquête du Mexique. DE SOLIS, III , 17.
3 Liv. XVI .
TECHNOLOGIE 337

périodes chaldéennes sont des multiples exacts de ce


chiffre ; il fallait 2 générations pour un Sos , 20
pour un Nère , 120 pour un Sare ; la base de ce
calcul' asiatique est donc dans la région des Celtes.
Les Grecs et les Romains avaient également de
nombreux souvenirs qui nous reportent aux monuments
de Bretagne . En Bretagne , les constructions druidiques
étaient de véritables cadrans, qui, en conséquence ,
s'appelaient Dial, indicateur ; or, ce mot est congénère
2
du verbe grec Déloein , indiquer ; ce tableau du ciel ?
était, comme nous le voyons encore aujourd'hui, en
touré d'un retranchement sacré appelé Mound, d'où le
mot Mundus, pour désigner l'univers ; sur les pierres
qui formaient cette enceinte olympique , étaient les mo
mies , c'est -à-dire les grands-aïeux , Oor-ahn “; ce qui fit
donner au ciel le nom d'Ouranos ; ces images vénérables
furentimitées en Grèce , et , venues du pays des Bretons ,
elles s'appelèrent Bretas”. Plusieurs légendes mythologi
ques nous ramènent également à l'Ile des Dieux ; ainsi,
Junon, chaque fois qu'elle perdait sa fleur ®, la retrou
vait, dit-on , dans les eaux du Canathe?; ce qui nous

Calculus. Le cercle des douze pierres, élevé par Josué, s'appelait


Galgala .
? Ces pierres, aujourd'hui brutes, ne sont que des vestiges d'une
plus vaste construction ; elles étaient, par l'art des Cyclopes, revêtues
d'airain. C'est le palais des dieux construit par Vulcain.
3 Ce sont les Pitri des livres sanscrits.
• Oor, grand ; Ahn, parent. Dict. celtique.
5 Bretas, statue ancienne. Dict. grec.
• La fleur que Junon tient en main désigne les florales ; d'une fleur
que lui donna la déesse Flore naquit le dieu Mars.
7 PAUSANIAS , II , 38.
22
338 SEIZIÈME THÈSE

retrace figurativement les florales d'Avebury ; au centre


de ce magnifique cromlech est la source du Kenneth ',
qui emportait dans la mer les impuretés de l'ancien
Olympe.
D'après ce que nous avons dit des calendriers mexi
cains , on voit qu'ils ont été copiés sur les monuments
druidiques, et peuvent nous aider à les comprendre ;
ils semblent, avant tout , former une image du monde,
un tableau des révolutions du ciel ; le soleil est tou
jours au milieu et le mouvement se fait autour de lui.
Les langues anciennes ont des mots qui sont inspirés
par cette antique croyance ; ainsi , en latin , sol signifie
soleil , solium désigne son trône, c'est-à-dire le dolmen
central , autour duquel roulent les jours , les mois, les
années , les périodes séculaires .
On était donc alors dans le système qui place cet
astre au centre du monde ; système que les peuples ont
laissé perdre et que l'audace moderne a dû recon
quérir.
Il est encore sur ces mêmes calendriers une autre
observation qui nous fera comprendre ce qu'était la
science chaldéenne. Les degrés que parcourait succes
sivement l'aiguille formaient différentes figures ; ainsi,
les pierres , qui retraçaient circulairement les sept jours
de la semaine et qui sont encore connues dans le Cor
nouailles sous le nom de Seven - Stones, portaient cha
cune l'image d'une divinité ?; celles qui figuraient les

I AMuent de la Tamise ,
2 Lunæ dies, Martis dies , Mercurii dies, etc.
TECHNOLOGIE 339

mois avaient des signes tirés des tables de Mithra ' ,


comme le Bélier, le Taureau , les Gémeaux et le reste ?;
sur celles qui décrivaient les années étaient des
emblèmes analogues, ainsi que nous le voyons par le
calendrier mexicain où les années étaient désignées par
un Lapin, un Roseau, un Caillou , une Maison . Quant
à celles qui correspondaient aux quarante-deux jours 3
d'observation religieuse, on avait inscrit sur chacune
d'elles un emblème moral . A la naissance d'un enfant,
les Eubages , pour parler le langage de ces anciens
mystères , cherchaient l'aspect du ciel “ , et, en combi
nant les différents symboles dont nous avons parlé ,
prédisaient son horoscope .
Toutes les mythologies anciennes ont des souvenirs
de ce que nous venons d'exposer. Le terme, exclusive
ment celtique , pour exprimer ce tracé circulaire est
Keer , qui signifie période , tour qui finit pour recom
>

mencer. Les Grecs en ont tiré le mot Kairos, qui


signifie simplement temps ; les Latins , comme ce retour
annuel est célébré par la grande fête de l'expiation ,
ont fait entrer ce primitif dans leur mot Core-moniao.
1
Voy. le culte de Mithra et la méthode phrygienne de consulter ses
signes avec un tambour. Thèse Xle .
2 Ramekens (Ram , bélier); Ossendracht (Ochs, taureau) ; Tuiston
( Twist, jumeau), etc.
3 C'est-à dire six semaines. L'Église chrétienne a maintenu ces
traditions.
* C'est le mot de De Solis en parlant des calendriers mexicains.
5 Keer, période, tour qui finit. DARSY. Dict. flam . De là Keer-messe,
Keer-nevel, Keer- mon ( Ceremonia ), etc.
6 Keer -mon. Keer, période; maen , lune . L'immolation victimaire
de la Pâque a toujours été réglée sur le cycle lunaire.
310 SEIZIÈME THÈSE

Quand la période cyclique était arrivée à sa fin,


alors , comme nous venons de le dire , se faisait la
grande fête. Primitivement , c'était une victime humaine
que l'on y sacrifiait; mais plus tard elle fut remplacée
par une Gilde ?, c'est- à-dire par un animal équivalent ,
un bélier", par exemple. Le mot Keer, qui désigna
originairement cette victime humaine, se reconnaît
encore dans le latin Caro et dans le grec Kreas, qui
signifient chair. En Amérique , le grand Caraïbe , quand
les Européens sont arrivés dans ce pays , pratiquait
encore en nature cette antique expiation ; le Dévoué
était attaché au gnomon ”, mis à mort et mangé ; mais,
dans notre ancien continent, on a depuis longtemps usé
de substitution ; seulement on conservait à la cérémonie
ses noms primitifs : ainsi les Phéniciens appellent tou
jours le bélier Car ; en celtique Keeren signifie expier ,
purifier ; dans le fameux temple de Mylasa, le pontife
qui immolait le bélier victimaire s'appelait lui-même
Carès .
Chez d'autres peuples le nom est changé , mais le
| Homine primum cæso , dit Tacite, en parlant de l'expiation
annuelle des Suèves , adorateurs de Herta.
2 Gild , équivalent , banquet , prostituée, dorė . Darsy . Dict flam .
Tous ces mots nous expliquent le mystère ; on sait qu'on dorait les
cornes du bélier, du taureau immolés .
3 Au temps ou l'équinoxe commençait au Taureau , c'était un taureau
qui était la victime équivalente, qui servait de Gilde ; d'où le bæuf
gras se nomme, encore aujourd'hui, Gildos ( Gild, équivalent ; os,
taureau ).
4 Devotus, dans Lucain et les autres poëtes , signifie dévoué comme
victime expiatoire.
5 Sur le dolmen central . Nous avons , dans Villemarqué , le chant de
la victime sur le dolmen .
TECHNOLOGIE 341

synonyme qui le remplace laisse voir facilement qu'il


s'agit du même mystère . Ainsi Borro, en espagnol,
veut dire agneau mâle d'un an , et Borrar, effacer;
ailleurs l'agneau de la Pâque ' s'appelle Agnus, et puri
fier se dit Agnizein ? ; Ram , qui dans la langue celtique
signifie bélier, semble être le mot qui se rencontre le
plus généralement; il forma d'abord, dans la même >

langue, le verbe Ruymen , nettoyer, mais surtout il


nous explique les mystères de Rome 3 , aux bords du
Tibre , de la Raymi “ , à Cusco , de Rama ”, dans l'Inde ,
du Ramazan, chez d'autres peuples ; et l'on se prépa
rait ainsi au banquet expiateur pour effacer d'avance
la tache contractée par le dénouement de la ceintureº,
en celtique , Riem .
Le nombre si étrange des 42 dolmens eut aussi son
écho dans tout l'Orient ; c'est, à Babylone , un temple
qui reste sans toit pendant 42 générations ; c'est
l'Amenthi d'Osiris, où siégent, en cercle , les 42 juges des
morts ; c'est Thot qui laisse aux Égyptiens la science
astronomique , les tables du soleil , dont parle Héro

En hébreu, Pesach ; la racine est l'ibérique Paso.


2 En grec .
3
A Rome se réunissaient chaque année quarante -huit tribus latines
pour l'immolation du Ram.
4 On y immolait un agneau noir. GARCILAS.
5 Pendant la cérémonie, la foule répète continuellement : Ram ,
Ram .
6 On déliait la ceinture dans les florales du temple olympique de
Salisbury ; ou , en style légendaire , un ancien roi ramassa , dans un bal ,
la jarretière de la comtesse de Salisbury. Une ceinture mystérieuse
se voit aussi à Tortose en Espagne ; là, l'ancien ordre de la Ceinture
s'appelle aujourd'hui mystiquement : Ordre de la Hache.
312 SEIZIÈME THÈSE

dote, et 42 livres de morale ; c'est Boudha qui donne


aux Asiatiques 42 maximes .
Les peuples au sein desquels se trouvent les monu
ments druidiques des deux Bretagnes sont constamment
appelés Belges dans les auteurs anciens ; mais , par ce
mot, il faut évidemment entendre les Druides . Comme
ces derniers portaient une robe de lin , le Breton qui
appelle le lin Belechl a toujours donné ce même nom
à ses druides autrefois et à ses prétres aujourd'hui.
Ces institutions , élémentaires dans nos pays , nous
allons les retrouver, plus travaillées, en Égypte.
Si vous ouvrez quelqu'un de ces livres qui retracent
comparativement les monuments des différentes nations,
vous trouverez que les temples d'Égypte ne sont autres
que les constructions des Celtes modifiées et embellies ;
les deux régions portent le même nom de Carnac ;
toutes deux offrent des temples à profondeurs mysté
rieuses , élevés avec un art différent, mais par une
même inspiration. Ainsi , aux sources de la Tamise se
trouve le temple cyclopéen d'Avebury ; on y voit
d'abord une enceinte circulaire et vaste ?, formée de
pierres d'une grande hauteurs ; deux avenues y con
duisent , lesquelles sont bordées d'une double rangée
de dolmens sur une longueur d'un mille anglais; on
remarque, dans le grand cercle, deux cromlechs ayant,
au centre, l'un un obélisque, l'autre trois “.
| En phénicien , le lin se dit Bad, en irlandais, père se dit Athair ;
d'où les Belges sont souvent appelés Atrébates .
2 Elle a 1,490 pieds anglais de diamètre .
3 En moyenne, 20 pieds anglais de haut.
4 Dans les temps que nous décrit Homère, nous voyons des portiques
TECHNOLOGIE 343

Comme on le voit, c'est bien là l'ébauche des temples


égyptiens ; c'est de là que sont partis les constructeurs
qui , s'exerçant à travailler la pierre, surent, arrivés en
>

Égypte, tailler des corniches pour les temples et des


sphinx pour les avenues ; or, en Égypte comme en
Gaule , les prêtres étaient revêtus de lin ; c'est pour
quoi les Latins , qui laissaient aux druides des Gaules
le nom de Belges, appelaient les druides d'Égypte
Linigeri; en Gaule , le Belech célébrait ses mystères
à Is, à Isca Silurum , à Isca Dumnoniorum ; en Égypte,
le Linteatus senex , comme l'appelle Tertullien , exer
çait ses fonctions dans les temples d'Isis . On com
prendra ainsi pourquoi le nom de Belge se retrouve
chez tous les anciens peuples , et toujours avec la signi
fication de grand et vénérable ?.
L'Inde a aussi conservé des souvenirs de l'Ile des
Dieux ; elle l'a représentée sous la forme d'un triangle ,
et jouant sur le mot Oog, qui signifie tout à la fois un
wil et une île, elle a placé au milieu de cette figure un
wil symbolique qu'on remarque dans ses temples .
On sait que les Anglais , en arrivant dans ce pays,
trouvèrent, dans la bibliothèque sanscrite de Bénarès ,
une carte représentant l'île Cassitéris , c'est-à-dire
l'Angleterre avec ses trois angles ; la Tamise y est

en bronze, des statues en or ; l'ornementation ne se faisait qu'en


métaux précieux ; c'est dans la dégénérescence de l'art qu'en Égypte et
en Grèce on tailla la pierre.
1 Balch, en Irlande, Balh, en sanscrit , Villca, au Pérou, Velica ,
chez les Slaves, signifient grand et sacré.
? Revue britannique, 1833.
344 SEIZIÈME THÈSE

nommée ; on y compare les temples druidiques છેà ceux


de l'Inde .

Période historique.

Les poëmes homériques citent surtout deux sortes


de haches : AEivn , lehexus; les Celtes, à qui elles
sont empruntées , les appellent encore du même nom :
Axle, Pyl; mais , depuis cette époque primitive , ils en
ont multiplié les formes et les noms ? . Au temps de
la période romaine , Sisenna écrivait : Galli mate
ribus, Sueri lanceis, configunt; or , ces Suèves étant
errants ’, comme leur nom l'indique , ont répandu au
loin l'industrie du fer et son application aux armes.
Ainsi on les retrouve en Afrique sous les noms peu
déguisés de Numidi", Nasamones, Zouaves, c'est-à
dire nouveaux Mèdes, nouveaux Samanes , Suèves ; ils
y ont conservé jusqu'à nos jours les moeurs hospita
lières que Tacite donne aux Germains; comme les
Germains, ils paraissent dans les médailles de Juba et
sur la colonne trajane“ tenant d'une main leur cheval
et de l'autre une lance , la lance de Sisenna. Est-ce de
l'Égypte que l'usage du fer leur serait venu ? Mais,
parmi les ruines journellement explorées dans ce pays,
dit M. de Caylus , on n'a jamais rencontré le pluspetit
morceau de fer.

i L'angon , le cateia , le copis, le materis.


2 Sreren , errer. Darsy. Dict. flam .
3 Neu -maet, Neu - samane.
- Voy. Encycl. méthod, sect. des Antiquités, art . Numides.
5 Recueil d'antiquités, tome 1 , page 239.
TECHNOLOGIE 345

Ce métal , si rare partout ailleurs , abonde dans les


tombelles des anciens Celtes . A Vélu , près de Bapaume ,
on trouva , dans un de ces tumulus , une centaine de
squelettes, des grains de verre, des épées dont le tran
chant était en acier, mais d'une trempe telle que nous
ne pourrions aujourd'hui fabriquer de meilleures
armes '. Le nom de gallo --romains que l'on donne sou
vent à ces tombeaux semblerait faire croire qu'ils sont
postérieurs aux Celtes ; mais il est des preuves cer
taines de leur haute antiquité ; ainsi , la Via Icenia ”,
tracée par les Romains pour aller du Norfolk en Dor
setshire , traverse un de ces tumulus qui , par consé
quent , préexistait à la domination de ce peuple. En
outre, les tombeaux , qui environnent le Stone henge et
qui sont aussi anciens que ce monument , renferment
un grand nombre d'épées , de haches d'armes et d'objets
de tout genre en fer. Cette contrée était voisine du
Cornouailles, le centre métallurgique de l'ancien monde;
là habitaient les Dumnonii ; or , les Grecs, qui avaient
des souvenirs vagues de toutes ces choses, racontaient
effectivement que Damnonée3 était l'inventeur du fer.
Cette industrie se répandit dans tout l'Orient et, à 9

mesure qu'elle se perfectionnait dans nos contrées , les


perfectionnements s'y répandaient de même . Ainsi , au
1 Encyclopédie méthodique, art. Tombeaux.
2 Histoire universelle des Anglais, tome XIII, page 268 .
3 D'après les anciens et les marbres d'Arundel, Celmis et Damnonée
ont inventé le fer. Celme est en Galice, dans le voisinage d'une mon
tagne autrefois fameuse pas ses mines de fer. Les Grecs attribuent
l'invention du fer aux Dactyles ; mais le plus récent d'entre eux, selon
Strabon, était Damnoneus.
346 SEIZIÈME THÈSE

temps des croisades , le moine Ruysbroeck fut envoyé


par saint Louis au fond de l'Asie ; il trouva ' sur toute
sa route des hommes de son pays ; il parla flamand
avec les habitants de la Crimée qui comprenaient son
langage ; il rencontra, dans les pays mongols, des
Allemands et des Français employés à la fabrication
des armes et des objets de toute nature . Par suite de
ces relations, établies entre les deux pays, les Asia
tiques apprirent peu à peu nos arts européens ; des
commandes nous venaient du fond de l'Asie?, Guil
laume Bouchier, de Paris , fabriqua en airain une
fontaine merveilleuse pour le Grand -Khan de Cara
corum , d'autres fondirent des idoles pour ces peuples
orientaux.
Parlons maintenant de l'agriculture .
Les Romains, à l'époque de leur domination dans
nos contrées, avaient visité la Grèce, l'Égypte, l'Asie ;
et pourtant, quand il s'agit d'agriculture , ils ne con
naissent que la Gaule. Columelle , qui a fait le meilleur
traité qu'ils aient eu sur cette matière , était de Cadis,
pays celtique "; Virgile nous fait aimer, dans ses
Géorgiques, la vie agricole des Gaulois cisalpins ; Caton,
écrivant de re rusticâ , n'emploie que des mots de nos
campagnes : Bennæ emantura, dit-il , achetez des

| Nous avons sa relation en latin. Il y est appelé Rubruquis.


2 C'est de là, dit Malte-Brun, liv. XX , que date l'industrie métal
lurgique que nous avons retrouvée chez ces peuples de l'extrême
Orient .
3 Thèse IX .
4 Caton , ch . XXIII . Festus ajoute : Benna, lingua gallicá, genus
vehiculi.
TECHNOLOGIE 347

binots, et son interprète , Festus , ne manque pas de


nous prévenir que c'est un mot des Gaulois .
On cultivait évidemment chez les Celtes les meilleures
espèces de grain , entre autres le Sandalum, qui était,
selon Pline , un blé gaulois rendant la plus grande
quantité de pain , le Far ou blé barbu , qui formait le
pain sacré employé dans les mystères et que l'on
retrouve sur les médailles de quelques villes anciennes
et surtout de Colchester . Columelle appelle l'orge de
qualité supérieure : hordeum galaticum .
La science géologique est aujourd'hui une puissance
avec laquelle il faut compter ; l'âge de la pierre polie
remonte à une antiquité perdue ; dans les débris
lacustres de cet âge on a retrouvé, en Suisse , trois
espèces de froment et deux espèces d'orge formant plus
de cent mesures de grain .
Est-ce de l'Égypte que tout cela nous est venu ? Selon
M. de Pauw, qui a fait les recherches les plus précises
sur ces matières , les Égyptiens n'avaient d'abord qu'un
froment de mauvaise qualité, ce n'est qu'après
Alexandre, sous le premier Ptolémée, qu'ils en eurent
d'une espèce meilleure, l'ayant fait venir des îles Spo
rades ; c'est de ce dernier que provient le froment que
l'on sème encore aujourd'hui en Égypte.
La veille de la grande fête, les vestales préparaient ce pain en
forme de boule. A Cusco , les vierges choisies faisaient exactement la
même chose ; mais , n'ayant que du mais , elles l'appelaient Çarra
( Parra ).
2 Dans la station lacustre de Wangen , sur le lac de Constance.
Voy. Le Hon . L'homme fossile.
3 Voy. Encycl. méthod .* , art. Froment .
348 SEIZIÈME THÈSE

Quant aux procédés de culture, charrues , engrais,


si Pline n’exagère point, tout vient du pays celtique ;
selon cet auteur , la charrue que décrit Virgile ' , ayant
binas aures, currus imos, fut inventée par les Gaulois ;
les Gaulois , les Bretons , dit-il encore , sont les pre
miers qui eurent l'idée d'amender les terres avec de la
marne ’; et , en effet, la petite province de Picardie ,
appelée Santerre, reposant sur un puissant banc de
marne , est toute minée par les vastes excavations 3 qu’y
ont creusées nos aïeux .
Nous avons souvent parlé de Namur et des mystères
de ses environs ; à en juger par ses annales géolo
giques et son musée , on trouve dans son voisinage,
parmi les urnes cinéraires et les antiquités de tous
genres, des faulx semblables à celles dont on se sert
encore dans le même pays et des meules de moulin .
Tous ces perfectionnements devaient avoir pour
résultat une meilleure qualité de pain ; en effet, les
Gaulois et les Espagnols, dit Paucton “, après avoir
réduit le froment en boisson , en prenaient l'écume qu'ils
gardaient pour aigrir la pâte et la faire lever, et de 1

cette manière leur pain était plus sain que celui des
autres nations.
Chaque religion qui disparaît dans un pays y laisse
quelques dépouilles. La race celtique , née du sol qu'elle
i Géorg :, I , 169. C'est la charrue picarde.
2 Pline , liv. XVII , ch . VI. Pline l'appelle Marga ; Margel , en
flamand.
3 Cette petite province est devenue ainsi une des plus riches de la
France par la qualité de sa terre .
4 PAUCTON. Métrologie. Cet auteur parle d'après Pline.
TECHNOLOGIE 349

occupe , s'y développa, y parcourut successivement


toutes les phases de la civilisation humaine, élevant
dans chacune d'elles des monuments dont la terre nous
garde les débris.
On y trouve donc, ce qui ne se voit dans aucune
autre contrée , l'art dans toute sa progression . D'abord
la forme primitive du culte a semé notre sol de
Bétyles ' , de Menhirs, de Cairns; un peu plus de civili
sation amena les Circles? of stones, qui déjà se lient aux
observations astronomiques ; plus tard , pour les besoins
de la morale, s'élevèrent les tours rondes , les palais à
doubles murs , les temples à double étage ; puis arriva
la période des grandes constructions, les dernières qui
nous soient communes avec les nations lointaines ;
comme si les émigrations celtiques avaient cessé là :
ce sont des pyramides, des tours de Bel ' , des héméro
scopes , des monuments ressemblant à ceux d'Égypte , de
la Chine , du Mexique.
Ainsi à Clusium“, en Étrurie, on voyait le tombeau
de Porsenna, dont les Latins nous ont conservé la
description : la base formait un socle carré de
| Bétyle de Beytel, angle. Menhir a formé minaret, Chil-minar ;
Chil en anglais, Rusten en flamand, signifient dormir, et, de la le
monument, appelé en Perse Chil -minar ou Rustem (Rust-heim),
désigne la maison du dormeur, le tombeau. Les Cairns sont des mon
ceaux de pierres amassés sur une tombe ,
? Kuklos , cercle en grec ; d'où monuments cyclopéens.
>

3 Bel, cloche ; Ferté, tour ; d'où Belfort, Beffroi.


* Clusium était un monastère druidique. Kluyse, monastère. DARSY.
Dict. flam .
5
Voy. Encyclopédie méthodique (section des antiquités) , VARRON,
PLINE .
350 SEIZIÈME THÈSE

300 pieds de côté et 50 de hauteur ; sur ce socle s'éle


vaient cinq pyramides , dont quatre aux angles et une
au milieu ; elles étaient hautes de 150 pieds . Au
sommet , on voyait un énorme globe entouré d'autres
plus petits , et , par dessus le tout, un vaste chapeau
d'où pendaient par des chaines une multitude de clo
chettes' que le vent fait sonner .. Sous la base du bâti
ment , était un labyrinthe tellement embrouillé qu'il eût
été téméraire de s'y hasarder sans avoir en main un
fil; mais , ajoutent les Latins , de ce bel édifice il ne
reste plus rien : Nulla vestigia exstant; ces constructions
chinoises étaient déjà en ruines des milliers d'années
avant que la tour de Nankin ne fût commencée.
La dernière forme de construction imaginée par nos
aïeux est celle que nous appelons gothique . Il semble,
à en juger par l'étude de nos ruines , qu'il y eut, à une
époque fort ancienne , une révolution qui , partant du
Nord , traversa toute l'Europe, alla jusqu'en Afrique,
renversant les édifices sacrés et leur substituant les
temples naturels des forêts ?; de là naquit un art nou
veau consistant à tracer des avenues solennelles, à
ménager des fonds mystérieux ; bientôt la lenteur de la
1 Les Osci, les plus anciens représentants de la religion celtique,
appelaient une cloche, Abella. Le flamine, chez les Romains, le Cohen
Gadol , chez les Hébreux, en portaient dans leurs cérémonies, non pour
avertir la foule de leur présence, mais parce qu'ils étaient pontifes
purificateurs, comme nous l'avons expliqué. Les cloches ont toujours
existé dans nos pays ; sous les Celtes , comme aujourd'hui, Schel'stadt
et Bel-fort avaient déjà des cloches et des beffrois .
2 Ces temples étaient en chêne. Quercus, Oak , Drus, ont fait kerke,
ogive, Drysidæ (Amm . MARCEL. , liv. XV) . Gardons-nous de confondre
Druides et Dryside .
TECHNOLOGIE 351

nature pour produire ces temples força à tailler en


feuillages des colonnes de pierre , qu'on appela corin
thiennes , gothiques , tudesques , ogivales ; et la reli
gion finit par accepter pour son culte ces forêts artifi
cielles .
Telle est l'origine de nos églises gothiques ? .
Pendant longtemps cette forme fut restreinte à nos
contrées ; mais les Celtes ont aussi commencé à la
répandre au loin , comme ils avaient fait des autres ; et
aujourd'hui nos temples arborescents ont pris pied dans
le nouveau monde, aux bords du Gange, en Australie ,
au Cap, et bientôt partout.
Les tissus sont indigènes dans les pays celtiques et
ne doivent rien aux autres contrées ; nous avons déjà
mentionné les toiles de lin retirées des lacs helvétiques ;
elles furent trouvées là parmi des haches en silex , des
ossements d'aurochs et d'élan ; elles sont fort remar
quables, dit M. Le Hon, par leur régularité et par des
dessins élémentaires obtenus dans le tissu .
Cet art se développa et, après une longue suite de
siècles , quand les Romains arrivèrent dans nos con
trées , cette industrie était dans toute sa perfection . Il
y avait alors , dans différentes villes , des établisse
ments de femmes qui confectionnaient ces toiles ; Rome
en tira les habillements de ses troupes ; un fonctionnaire
fut créé pour surveiller spécialement ces fournitures,
et c'est ainsi que nous trouvons , dans la Notice de
Elles n'ont rien de commun avec les Goths ; leur nom dérive du
saxon To cut, tailler, sculpter ; de même Acanthe, dans l'ordre corin
thien, dérive de l'ibérique Canto , pierre taillée , sculptée.
352 SEIZIÈME THÈSE

l'Empire ' , un Procurator gynæcei? Tornacensis, Bel


gicæ secundæ. On pourrait croire que ces produits
s'exportaient hors des Gaules ; en effet, à l'époque dite
des Trente tyrans , Gallien, qui régnait à Rome , ayant
appris que la Gaule s'était soustraite à son obéissance ,
s'écria : Nous nous passerons des casaques d'Arras .
Athènes, comme nous l'apprend son historien Thu
cydide, commença par être un repaire de pirates , et
s'accrut ensuite en accueillant les réfugiés des autres
nations; ces étrangers , évidemment, apportaient avec
eux leur industrie , ce qui fit fleurir un moment la cité
hospitalière; mais d'où venaient-ils ?
Tout est celtique dans leurs arts manuels ; les mots
employés , par exemple , pour la confection des tissus ,
appartiennent tous au langage parlé sur les bords du
Hélion . Ils appellent le lin , Linon ; nous disons tra
vailler au métier , ils disent Mitoûn ; le celtique Werke,
le grec Erga : signifient également travail ; coudre ,
dans les deux langues , est Nahen ; les mots qui signi
fient tisser ont la même racine : l'un est Wer-en ,
l'autre est Uf-ainein “; un cardeur s'appelle Guerdèss,
en grec ; les instruments de travail se disent, chez nous,
Tuychen, et de là est venue l'expression Technè, qui,
en Grèce , sert à désigner les arts .

1 Notitia dignitatum Imperii.


2 Ce sont les béguinages. Ceux de Tournai et de Tréves sont men
tionnés dans les documents de cette époque .
3 Erga, pluriel de Ergon. Les mots celtiques perdent leur w en grec ;
wet (loi) , Éthos ; werke, Ergun ; water, Udor.
4 Wev et Uf sont de la même racine .
5 Τερδης .
TECHNOLOGIE 353

Chez les Grecs , chaque corps de métier formait une


association calquée sur les anciennes gildes de nos
contrées ; ils donnaient à cette association le nom de
Fratria , qui est de notre langue et point de la leur ;
ils n'ont ni le mot Ban qui marque le monopole d'une
industrie , ni le mot Haus qui signifie maison , et 1

cependant, pour désigner l'atelier privilégié , ils disent,


comme nous , Ban-haus ' , qu'ils écrivent Banausia.
7

Dans nos anciennes corporations, un artisan , quand le


jury avait accepté son chef -d'oeuvre, pouvait ouvrir un
atelier ; or , Athlos ? est , en Grèce , le nom de ce chef
d'æuvre. Enfin, nos corps de métiers avaient un centre
de réunion ; là était la chapelle de la bannière où l'on
fêtait annuellement la déesse patronale par des jeux que
terminait un banquet ; là aussi était la chambre syn
dicale , où se jugeaient les contestations entre les diffé
rents ateliers , et ces lieux de réunion s'appelaient
Ambachten ; chez les Grecs , à Argos , à Anthèle, à
Delphes , mêmes réunions , mêmes fêtes, mêmes syn
dics, sous le nom peu altéré d'Amphictyons3 : les
Ambachten * étaient aux bords du Hélion ; Amphictyon ,
d'après les légendes grecques, avait pour frère Hellen.
Comme on l'a vu , tout était ligue chez les Grecs ; de
notre mot Fil ils ont fait Philia , amitié ; les deux prin
cipales villes de ces peuples , Sparte et Athènes , tirent
? On dit de même ban vorst, ban oven, forêt banale, four banal , etc.
Ban -haus, maison banale .
2 Ethel, chez les Saxons, Italia, chez les Étrusques, dérivent de là.
3 Le B de nos langues est souvent remplacé par un ø, en grec :
Ambo, Ampho ; Umbilicus, Omphalos, etc.
* Les Ambacti sont déjà nommés dans César et même dans Ennius.
23
354 SEIZIÈME THÈSE

leur nom des deux mots Esparto? et Teen , qui , chez


les Ibères et les Celtes, signifient lien .

Appendice sur le luxe des Celtes.

Est -ce le luxe qui avait donné aux peuples celtiques


cet affaissement temporaire qui fit un moment prévaloir
la fortune de Rome ? Quand la vieille république porta
ses armes de notre côté, ses généraux , ses premiers
empereurs avaient encore quelque chose des mours
sévères et de la rigide pauvreté de leurs aïeux ; ils trou
vèrent partout un luxe qu'ils ne connaissaient pas ; la
prospérité des Gaules leur parut telle, que leurs histo
riens semblent y voir l'origine des arts de parure. La
pourpre , l'ambre étaient parmi les peuples méditerra
néens le symbole de l'opulence ; les Grecs n'en ont
jamais vu ; les Romains, quand ils eurent acquis des
richesses , laissèrent la pourpre aux empereurs et firent,
pour se procurer de l'ambre, des dépenses ruineuses
qui provoquèrent l'indignation de Pline et de Tacite;
c'est aux Celtes et aux Ibères qu'ils avaient emprunté
cet élément de haute splendeur.
La parure d'un Gaulois , comme nous l'avons vu ?,
était son collier® ; il le portait en ambre , en or, ne le
| Esparto, en espagnol , et Teen , en celtique, signifient osier, le lien
de ces temps primitifs. Homère appelle Spurta les liens qui attachent
les vaisseaux . Par ces liens , les Hellènes étaient enchainés au culte
de leur déesse , comme il est dit dans les thèses Xe et XVe.
2 Voy . thèses Xe et XI .
3 Nous disons encore le collier de l'Ordre . La maison mère des
Druides de Bretagne était à Anglesey , et les Romains les appellent
TECHNOLOGIE 355

quittait jamais , et dans les tombes que notre curiosité


explore tous les jours, nous trouvons encore nos aïeux
parés de cette marque de noble servitude, jusqu'au sein
de la mort . La pourpre , abondante chez les peuples
celtiques , n'y est remarquée que par les étrangers ; le
Vergobret d'Autun ', c'est -à -dire le premier magistrat
>

de la ville, était vêtu de pourpre ; c'était également le


costume traditionnel des six consuls du Puy ; des
fleurs de pourpre ’ ornaient le sagum des Gaulois ; sur
celui des Germains elles étaient en argent. Nous com
prenons ainsi que Martial, vivant à Rome, loue la
richesse et le luxe des Gaulois :
Me pinguis Gallia vestit.

Chez les peuples anciens , la frange de l'habillement


distinguait les hauts personnages ; son nom latin ,
Trabea , semble marquer qu'elle avait été primitive
ment méritée par des travaux ; les peuples celtiques
portaient ces franges en dentelles, et les colonies qu'ils
envoyèrent vers l'Orient y introduisirent cette indus
trie 3 ; aussi , chez les Perses , qui ne sont qu'un pro
longement de la nation germanique, cette parure de
distinction se retrouve-t- elle avec son nom celtique ; les
Ordorices. Ordo, en latin , Orthos, en grec, sont les racines de ce mot.
L'emblème de la perfection était l'équerre rationnelle, les deux côtés
étant 3 et 4, l'hypoténuse formant un carré entier et parfait, 25.
1 Voy. Encycl, méthod .
2 DIODORE DE SICILE, liv. V, et HÉRODIEN.
3 On se rappelle que des tissus brodés se retrouvent dans les débris
de nos cités lacustres ; ils ont donc été fabriqués au temps des rennes
et des mammouths , bien des siècles avant la civilisation du vieil
Orient.
356 SEIZIÈME THÈSE

Zélandais appellent ces franges Kant, les Perses les


appellent Kandys.
Pline nous apprend que le savon fut inventé par les
Gaulois ; ils en faisaient, comme aujourd'hui, deux
espèces : l'une liquide, l'autre en boule. Martial ajoute
qu'à Rome on se servait de ces boules de fabrique gau
loise et qu'on les appelait Pilæ mattiacæ ?, du nom du
peuple d'où en était venu l'usage.
Les miroirs des anciens étaient en métal; et, dans
un tumulus des environs de Nimègue ?, on en trouva un
en acier, brillamment embelli de feuilles d'argent.
Les Gaulois réservaient surtout pour leurs armes ,
leurs chevaux, leurs chars, les plus riches ornements;
leurs épées étaient suspendues à des baudriers d'or ou
d'argent .
Mais il est un autre genre d'industrie que Pline leur
attribue, et dans lequel ils ne connaissent point de
rivaux .
« Ce sont les Gaulois , dit cet auteur, qui ont inventé
la manière de couvrir à l'aide du feu un objet en cuivre
avec de l'étain , au point de le rendre difficile à distin
guer de l'argent même ; par un procédé analogue, ils
savent revêtir d'une couche d'argent les harnais et les
mors des chevaux ; les Bituriges ont appliqué aux chars
ce mode d'ornementation ; ce vain luxe a été poussé

1 Gallorum hoc inventum est. Liv. XXVIII , 12.


2 Les Mattiaci habitaient sur le Rhin inférieur.
3 Dict. des origines, art. Miroir .
4 Le Costume. ANDRÉ DE LENS.
5 Liv. XXXIV, ch . 12.
TECHNOLOGIE 357

jusqu'à dorer de la même manière les statuettes des


Dieux . »
A l'époque où écrivait Pline, l'Europe, l'Asie ,
l'Afrique n'avaient plus de secrets pour les savants de
Rome ; Pline avait voyagé dans les Gaules ; pourquoi
cette insistance à faire partir de là toutes les inven
tions ?
DIX-SEPTIÈME THÈSE .

RECHERCHE DU BERCEAU DE LA CIVILISATION .

Nous avons vu les peuples celtiques , à toutes les


époques de l'antiquité , répandre au loin leurs colonies,
leurs mystères , leurs usages , leur langue ; ces éléments,
semés partout , s'y développèrent avec le temps , s'y
modifièrent suivant les circonstances et, de réforme en
réforme, arrivèrent différemment altérés jusqu'à notre
époque. La physionomie que nous présente aujourd'hui
le globe est le résultat final de ces transformations
variées; mais , quelque variées qu'elles soient, on re
trouve toujours dans les institutions des peuples l'em
preinte d'une même origine :
facies non omnibus una ,
Nec diversa tamen , qualem decet esse sororum .
L'histoire ne remonte pas assez haut pour nous ren
seigner sur tous ces faits; quand elle naquit, des per
turbations graves survenues au sein de la région cel
tique avaient , depuis bien des siècles , arrêté le mouve
ment émigrateur et, en même temps , isolé de la mère
patrie les colonies qui en relevaient . Ces événements,
dont l'histoire n'a pu que constater les résultats, sont
HÉBREUX , GRECS , ARYAS 359

surtout les dévastations incendiaires des cités lacustres,


les guerres que se firent pendant longtemps les
Asches 1 du continent et les Ecks de l'île Britannique,
et, en outre, la destruction des temples , exercée , comme
nous l'avons dit ?, par des hommes venus du Nord et
laissant dans toute l'Europe des traces de leur pas
sage . Sur toutes ces ruines arrivèrent les Romains,
contre lesquels les peuples celtiques n'ont cessé de
lutter , jusqu'à ce que leurs armées conduites par
Constantin eussent enfin abattu tout ce qui restait et de
Rome et de son empire .
Évidemment , après une si longue interruption , les
peuples celtiques avaient perdu tout souvenir des
anciennes émigrations. Aujourd'hui que nous retour
nons en explorateurs dans ces mêmes colonies fondées
par nos pères , nous ne les reconnaissons plus ; nous
remarquons avec surprise, dans des pays bien éloignés
l'un de l'autre, des mots , des usages , des légendes, des
symboles qui sont les mêmes et qui se retrouvent éga
lement dans nos contrées. Ignorant que c'est de là que
tout est parti , nous avons inauguré une science nou
velle, naïve , de haute recherche , qui a pour but de
retrouver le berceau de la civilisation humaine .
En le cherchant ainsi partout où évidemment il ne
pouvait être, on entassa systèmes sur systèmes ; on fit
venir notre civilisation de tous les recoins du monde ,
de Rome , de la Grèce , d'Égypte, de Phénicie , de

Voy. thèses XVe et XVIe.


2 Voy . thèse XVIe .
360 DIX - SEPTIÈME THÈSE

Palestine , d'Arabie, de l'Inde , de la Chine , de la Perse,


du Turquestan , de la Scandinavie,, du pays de Galles,,
tournant ainsi autour de la contrée occupée par les
Celtes , étant sur le berceau même et le cherchant au
loin.
Pendant que l'on était ainsi en voie de hautes com
binaisons , un incident inattendu vint jeter quelque
trouble parmi les faiseurs de systèmes . Au delà de
l'Océan occidental, on avait découvert un monde nou
veau ; mais , quand la science porta ses investigations
de ce côté , on fut surpris de trouver là tout ce que l'on
voyait dans l'ancien monde . En plein centre de l'Amé
rique , les populations désignent , comme nous , la
constellation du nord sous le nom de grande Ourse ' .
Au Pérou , comme à Rome, le grand prêtre choisit?
des jeunes filles de huit à dix ans pour les consacrer au
service des autels , et ces vestales , dans les deux
mondes, subissent le même châtiment de leur infidélité,
étant enterrées vives près de la porte Collcampata , à
Cusco , près de la porte Colline , à Rome . Le Mexique,
comme l'Égypte, est couvert de pyramides , d'hiéro
glyphes, de serpents sculptés , de griffons; vous fouillez
sous les forêts, vous trouvez des villes plus grandes
que Londres , Luxor, Ninive , toutes remplies de tem
ples et portant , pour ornements de leurs palais , des

1 Mours des sauvages. LAFITEAU.


2 Histoire des Incas . GARCILAS .
3 La ville de latzalane, dans le Yucatan , fut explorée en 1835, par
M. Waldeck. Elle a , selon lui, 10 lieues de long sur 2 de large.
>

A chacun des angles du principal palais étaient trois têtes d'éléphant.


HÉBREUX , GRECS , ARYAS 361

têtes d'éléphant , ces animaux n'existant point en Amé


rique.
Les amateurs d'origine orientale furent un instant
déconcertés par ces gênantes découvertes . Du centre de
l'ancien continent, d'où , disent-ils , tout est venu , par
où les hommes ont-ils passé pour aller civiliser l'autre
monde ? Deux routes se présentaient, l'une par le nord
de l'Atlantique à travers la région des Celtes , l'autre
par le détroit de Behring à travers les contrées sau
vages de la Sibérie . Hornius pencha pour ce second
système, et les Chinois , qui n'ont point de vestales ,
point de pyramides, point d'hiéroglyphes , qui ne
voyagent que depuis que nous leur avons montré de
nouvelles routes , avaient tout cela à cette époque
reculée et , de plus , des marines de long cours qui, à
travers toute l'Océanie, les transportaient en Amé
rique .
Malgré l'insistance des découvertes journalières à
rapprocher le nouveau monde du pays des Celtes, la
science, pour sauver son système asiatique , tient tou
jours aux idées de Hornius .
Voyons, avec quelques détails , parmi toutes ces
théories, celles qui ont eu le plus de vogue. On peut
en distinguer trois .
Système biblique.
Lorsque les anciennes religions eurent déposé dans
des livres leurs lois, leurs hymnes , leurs traditions ,
| Hornius vivait, il y a plus de deux siècles ; son système, soutenable
à son époque , ne l'est plus aujourd'hui.
362 DIX-SEPTIÈME THÈSE

tous les détails du culte , elles les tinrent précieusement


renfermés dans le secret des temples, loin de la curio
sité profane; des hommes vénérables , initiés aux
saintes lettres , conservant non-seulement le texte écrit,
mais aussi les traditions qui en déterminent le sens,
avaient une voix souveraine pour interpréter le code
sacré et fixer les hésitations du dogme ; eux seuls pos
sédaient l'art de lire et ne croyaient pouvoir , sans une
profanation sacrilége , le communiquer au peuple.
Quand la religion fut suffisamment nouée , des malheurs
furent envoyés qui ruinèrent les temples et jetèrent ces
écrits mystérieux aux mains du public ' . Il y eut, dès
lors , une double science fondée sur les mêmes livres,
l’une sacrée , l'autreprofane;l'une qui restait attachée au
texte écrit pour maintenir la perpétuité de ses dogmes,
l'autre qui cherchait, dans cet antique dépôt des con
naissances humaines , les éléments d'une philosophie
nouvelle , indépendante et bientôt rivale .
La Bible des Hébreux , lorsque ce peuple eut été dis
persé , fut connue des nations , traduite dans diffé
rentes langues et vint enfin prendre sa place dans la
bibliothèque d'Alexandrie , parmi les livres ramassés de
tous pays ; comme elle aborde la question inabordable
des origines , les hommes de science et de recherche
recoururent à son témoignage et s'appuyèrent, les
croyants, sur son autorité divine , les incroyants , sur
son antiquité irrécusable.
? Quand les poésies homériques arrivèrent entre les mains des Grecs,
elles sortaient des temples ; l'Odyssée devint peu à peu un livre pro
fane, la Bible resta sacrée parmi les Hébreux.
HÉBREUX , GRECS , ARYAS 363

L'obscurité inévitable d'un texte tant de fois traduit


et recopié se prêtait admirablement aux interprétations
arbitraires; chacun y trouva tout ce qu'il voulut. Une
école se fonda qui crut pouvoir, au moyen de la Bible ,
déterminer, dans ces régions asiatiques, le point de
départ de toutes les nationalités , de toutes les institu
tions humaines . Josèphe , parmi les anciens , Bochart ' ,
parmi les modernes, attachèrent surtout leur nom à ce
genre de recherche. Josèphe ne discute point ; il retrace ,
comme une histoire avérée et connue, les premières
migrations des peuples , montre le point de l'Asie d'où
ils sont sortis , nomme le pays où chacun est allé se
placer, avec autant d'assurance que s'il relatait un évé
nement contemporain , et tout cela d'après cette même
Bible que nous avons et dans laquelle nous ne trouvons
rien de ce qu'il avance. Les Celtes descendent, selon
lui , de Gomer ?, ayant été anciennement nommés Gomé
rites ; or, jamais dans l'antiquité les peuples celtiques
n'ont été connus sous ce nom . Les Ibères qui habitent
en Asie, près des régions où l'arche , dit-on , s'est
arrêtée , sont, selon lui , les aïeux des Ibères d'Espagne ;
mais il ne connaissait ni l'un ni l'autre de ces deux
peuples ; Strabon 3 , né près de l'Ibérie d'Asie, ayant
parcouru toute l'Ibérie d'Europe , n'hésite pas à dire
que les Asiatiques sont une colonie espagnole.
| Ministre protestant à Caen ; en lutte sur tous points avec Huet,
évêque d'Avranches, hébraïsant comme lui .
? Un des sept fils de Japhet . Josèphe ne parle que des Galates,
mais toute l'antiquité a considéré les Galates comme venus des
Gaules.
3 Né dans le royaume du Pont, à Amasée.
364 DIX -SEPTIÈME THESE

Josèphe , dans son zèle pour sa nation , respecte assez


peu le texte de la Bible ; il rapporte que les pyra
mides ? ont été bâties par les Hébreux ; mais nous
savons tous que les pyramides sont construites en
blocs de pierre , et les Hébreux , selon l'Exode , étaient
condamnés à des ouvrages de mortier et de brique; on
leur fournissait d'abord la paille pour faire ces briques,
mais bientôt on les contraignit de l'aller chercher eux
mêmes.
Quant à Bochart , jamais homme n'a poussé plus loin
l'art d'abuser des mots ; ceux de son école ne connais
sent qu'une manière de procéder : les étymologies.
Donnez-leur un pays, ils trouveront toujours moyen de
contourner son nom au point de le faire dériver d'un
mot quelconque venu de la terre de Chanaan ; vous
leur citez la Chine : Sin , en hébreu , signifie marais;
on trouvera toujours, dans ce grand pays , un marais
qui justifiera cette étymologie. Huet prétendait que
Chus 3 avait peuplé l'Ethiopie, Bochart prétendait que
non ; une conférence eut lieu , et ce dernier tomba mort
dans la chaleur de la discussion .
Donnons une idée des ressources que l'on peut tirer
de la Bible relativement aux origines primitives .
Le peuple hébreu ayant été établi par Abraham
dans le pays de Chanaan , y resta quatorze siècles, après
1

1 JOSÈPHE . Antiquités, liv. II , ch. VII .


2 Exode, ch . I et V.
3 Les versions latine et grecque traduisent toujours l'hébreu Chus
par Ethiopie ; mais Isaïe, ch. XVIII , peint l'Egypte comme un pays
situé au delà des fleuves de Chus, ce qui ne convient plus à
l'Éthiopie.
HÉBREUX , GRECS , ARYAS 365

quoi, il en fut chassé par les armées de Nabuchodo


nosor. Les interprètes sont d'accord sur ces faits.
Depuis Abraham , ce petit peuple eut donc , comme les
autres, son histoire particulière ; les noms d'hommes , de
rivières , de montagnes qu'on y trouve se restreignent
aux limites du pays de Chanaan et n'entrent plus dans
notre thèse générale ; mais les grands événements qui
précèdent ce patriarche , dans quelle région du globe se
sont-ils passés ? Le paradis terrestre, le déluge, la tour
de Babel , sur lesquels on a écrit tant de volumes , ima
giné tant de contradictions, doivent appartenir à des
régions bien éloignées de la Palestine, puisqu'Abraham ,
dont l'origine touche à ces faits mystérieux, paraît venir
de fort loin .
Demandons d'abord aux interprètes à quelle date
remonte la formation de l'homme .
Sur cette question chronologique, 98 systèmes ont
été émis, tous déterminés par des discussions savantes,
tous fondés sur la même Bible , tous donnant des
chiffres différents; l'un place cet événement 3616 ans
avant l'ère chrétienne , tandis qu'un autre le recule à
l'an 69841
Le paradis terrestre vient ensuite . Il faut, si l'on veut
rester dans les termes de la Bible , le placer dans un
1

lieu où se trouvent les embouchures 2 de quatre fleuves ;

I Le chiffre le plus bas est de Lippoman ; l'autre est d'Alphonse de


Castille . Voy. Histoire universelle des Anglais.
? L'hébreu, le grec, le latin disent : Quatre têtes de fleuves; dans les
mystères c'est toujours l'embouchure qui est la tête ; c'est pourquoi
on lui donne souvent deux cornes . L'Escaut était représenté avec un
1

366 DIX - SEPTIÈME THESE

ne pouvant les trouver dans le voisinage de la Pales


tine, les interprètes , par une audacieuse altération du
texte, ont essayé de remplacer ces embouchures par
des sources, et , avec cette aide , les systèmes purent
marcher ' . Voici celui qui fut imaginé en dernier lieu .
Les quatre fleuves sont : l’Hyphase, l'Indus , le Tigre,
l'Euphrate . C'est donc tout le pays qui se trouve entre
la Syrie et l'Inde ; c'est la moitié de l'Asie . Il n'y arait
qu'une source dans le paradis terrestre, dit la Bible ;
l'auteur ne se laisse point arrêter par de semblables
difficultés. Le courant des nuages , dit-il , qui s'élèvent
de l'Himalaya ? dépend en réalité de celui de l'Ararat,
et se confond avec lui ; et c'est là, dans ce système, la
source vaporeuse dont parle Moïse .
Le déluge , plus que tout le reste, a évoqué les théo
ries les plus étranges . Où était Noë quand il bâtit son
arche ? où était-il lorsque, le déluge passé , il mit pied à
terre ? D'après saint Jérôme , l'arche s'arrêta sur le
mont Ararat, et nul ne saurait dire d'où vient ce mot
4
que l'on retrouve dans les vers sibyllins . Bérose * dit
que , de son temps , on voyait les restes de l'arche sur le

voile sur la tête, pour figurer la marée, par la confusion de Welle, flot
montant, et Wiele, voile ; il porte ce voile dans sa statue d'Hercules
Magusanus, retrouvée à son embouchure ; le Nil étant figuré sur
l'Escaut, eut le même symbole. Voy . thèse IX®.
1 C'est le système énoncé dans l'Histoire de la révél. biblique,
par H...
2 On voit que l'auteur a rendu la Bible ridicule en voulant la plier
la manie moderne du plateau asiatique.
3 Hist, univ . des Anglais, t. I , p . 189.
4 JosÈPHE Antiq. jud ., liv. I.
HÉBREUX , GRECS , ARYAS 367

mont ? Gordyen en Arménie ; si on en croit Nicolas de


Damas , c'est sur le mont Baris que se trouvaient ces
débris ; d'après la Bible chaldéenne, cette montagne
introuvable s'appelle Lubar.
D'autres, s'aidant des ressources de la science pro
fane, supposèrent dans les régions arméniennes un
mont Caucase ’ où l'arche dut s'arrêter et d'où partirent
les premières migrations des hommes ; ils connaissent
même le contrat de partage fait entre les enfants de
Noë : Japhet eut l'Europe , Sem, l’Asie, Cham, l’Afrique.
Ce système eut quelque vogue pour sa simplicité ; mais ,
quand on connut mieux les différents peuples , on vit
3
aisément que le nom de Sem ; est un des plus antiques
de l'Europe , tandis qu'au contraire la race blanche des
descendants de Japhet domine dans une partie de l'Asie .
Il fallut donc changer.
Blumenbach dressa un nouveau plan qui , conservant
toujours pour point de départ le Caucase , y laisse la
race blanche de Japhet“, tandis que les autres enfants
de Noë , se répandant au loin , devinrent les Nègres, les
Cuivrés, les Malais et les Américains . La descendance
| Voyez, sur ce mont et cette arche, Pays atlant. , thèse XIVe.
? Cicéron place ce mont parmi les Indiens : Caucasi nives perferunt
Indi sine dolore. Tuscul., XXVII.
3 Ce mot des anciens mystères se retrouve dans Samos, Samo
Thrace, lieux d'antique célébrité; on appelle Samo -thée le père des
Druides ; Pythagore, dans le Brutium, était surnommé Samius ; la
région de la Baltique, où se trouvent les monuments anciens , se nomme
Sam- land.
* Ce système rattache le Japhet de la Bihle au Iapet des Grecs; ce
dernier fut père de Deucalion ; Deucalion fut attaché au Caucase ; cela
suffit à l'auteur pour établir sa théorie caucasienne.
368 DIX - SEPTIÈME THESE

de Japhet se propagea vers notre Europe, et , pendant


un siècle que dura ce système, nous fûmes appelés race
caucasienne. Mais on dut encore renoncer à cette
théorie , parce que , bien qu'elle soit tracée sous l'in
fluence des idées bibliques , elle heurte trop ouvertement
le texte de l'Écriture .
En effet, la dispersion qui suivit le déluge se fit dans
les conditions suivantes : Les peuples partis de l’Orient
vinrent dans la vallée de Sennaar, y construisirent la
tour de Babel ; après quoi ils furent dispersés par toute
la terre .

Or, il est universellement admis que la tour fut


bâtie à Babylone ; comment les peuples purent-ils venir
de l'Orient , puisque le Caucase , où ils étaient, se
trouve vers les régions occidentales ? Cette considéra
tion donna de la défaveur au système , et il fut oublié.
C'est à la suite de toutes ces dispersions qu'Abraham
arriva dans le pays de Chanaan ; il était parti de Ur
Chasdim ; d'après Néhémie ' , cela signifie qu'il fut tiré
du feu des Chaldéens ; d'après nos versions, il naquit à
Ur , ville des Chaldéens . Comme on le voit , son origine
chaldéenne est la seule chose qui ne semble pas con
testée ; et , en effet, tout est chaldéen ? dans les usages
des premiers patriarches : ils élèvent des dolmens , des
pierres branlantes que l'Écriture appelle animées; ils
ont pour temples des chênes sous lesquels ils placent
leurs tombes .

Néhémie , ch. IX . Ur, feu , en hébreu .


2 Voy. thèse Xle, où l'on montre l'identité des Chaldéens et des
Celtes .
HÉBREUX , GRECS, ARYAS 369

Au reste , la Bible , bien loin de donner une impor


tance exagérée à la nation hébraïque , relate très
modestement les emprunts que cette nation fit successi
vement aux autres peuples .. Moïse , selon notre ensei
gnement, alla se former aux sciences égyptiennes; il
reçut de Jéthro la plupart des institutions civiles qui
régirent les Hébreux ; en arrivant aux abords du pays
de Chanaan , il prit sur place deux ouvriers ? d'une
haute habileté pour construire le tabernacle ; des archi
tectes sidoniens vinrent bâtir le temple de Jérusalem ;
les marins de Tyr apprirent aux Juifs la naviga
tion .
La Bible a été écrite par des hommes formés au
langage des mystères ; elle ne peut donc être comprise
que par ceux qui sont initiés à ce langage ; ses récits,
interprétés suivant nos usages profanes, ont produit
les contradictions que nous avons signalées plus
haut .

Système grec .

Il y a dans notre histoire une époque que nous appe


lons la renaissance ; nous étions barbares ; un besoin de
transformation nous poussant à des idées nouvelles ,
nous nous sommes heureusement tournés vers les
sciences et les arts des Grecs , et c'est depuis cette
époque , dit-on, que nous sommes civilisés ; la Grèce fut
dès lors placée à la tête des nations ; tout ce qu'il y
avait de parfait chez les autres peuples venait des
1 Doliba et Bésaléel.

24
370 DIX -SEPTIÈME THESE

Grecs ; les Grecs n'avaient point d'histoire , nous avoni


réuni leurs légendes en un faisceau historique et, de
cette manière , ils eurent une antiquité bien plus haute
que les grands peuples .
Les Grecs ne sont point une race ; disséminés sur
différents points de la Méditerranée, ils avaient l'agence
commerciale des nations riveraines ; comme on ne les a
jamais vus hors de cette mer , il fallut bien avouer qu'ils
ne se sont pas répandus dans les autres contrées par
voie d'émigration , comme firent les Celtes ; alors on
supposa que, des bords de la Méditerranée , leur civi
lisation s'était infiltrée chez les autres peuples ; mais la
science de ces derniers temps est encore venue déranger
cette théorie . Depuis les rivages atlantiques jusqu'au
delà du Gange, on trouve une longue chaîne de peu
ples qui parlent, chacun dans son idiome, une même et
primitive langue, et dont les principales institutions
portent l'empreinte d'une seule origine : ce sont les
Germains , les Latins, les Grecs , les Slaves , les Perses,
les Indous. Jamais l'influence des petites républiques
de la Méditerranée n'a pu s'étendre à d'aussi effroyables
distances . On le comprit enfin , et on chercha d'autres
systèmes .
Maintenant, si nous demandons aux peuples hellé
niques des notions sur leur propre origine, nous ne
trouverons chez eux ni histoire , ni monument qui
puisse nous en instruire. Athènes surtout était sur les
faits passés d'une ignorance à peine admissible. A
l'époque où vivait Thucydide, toute l'histoire de cette
ville , si on en croit cet auteur, se bornait à un seul fait,
HÉBREUX , GRECS, ARYAS 371

la guerre contre les Perses. Par suite d'une émeute où


Hipparque fut tué , ses partisans s'enfuirent d'Athènes
et furent cause que les armées persanes, arrivant en
Grèce, ruinèrent le pays, incendièrent les villes et les
temples . Ce sont là de graves événements, et il n'y
avait pas un demi-siècle qu'ils avaient eu lieu. Or,
quel était cet Hipparque ? Les Athéniens, nous dit Thu
cydide , croyaient qu'il était roi d'Athènes , mais cet
auteur pense qu'il ne l'a jamais été . Même ignorance
sur les détails de cette guerre . On y parle de la vic
toire de Platée comme d'un fait mémorable , et nul ne
saurait dire à quelle date elle fut remportée ; Plu
tarque ?, écrivant la vie d'Aristide qui commandait
l'armée victorieuse , rechercha vainement cette date et
nous fait entendre que les Grecs eux -mêmes n'en sa
vaient rien .

Ce n'est donc que par une discussion intelligente que


l'on se formera une idée de l'antiquité relative de ces
peuples .
Il est d'abord un phénomène qui surprend. Dans
toute l'étendue de la Méditerranée, les noms propres
donnés aux objets appartiennent à la langue celtique et
sont antérieurs aux Grecs qui ne les comprennent
plus.
Citons quelques exemples .
En Crimée , vers l'embouchure du Tanaïs, étaient
les Sassones et, parmi eux, des marécages que ces

| THUCYDIDE. Liv . I, ch. XXI .


2 PLUTARQUE. Aristide, XXXIII .
372 DIX -SEPTIÈME THÈSE

peuples appelaient Bog ' ; les Grecs ne comprenant plus


ce mot , qui n'est point de leur langue , le laissèrent
intraduit, et nommèrent ces marais Buke , attestant
ainsi que les Celtes les avaient précédés dans ces
parages .
Dans la mer Égée se trouvait l'île de Cos et, dans
cette ile , des femmes qui , ayant déplu aux dieux , furent,
dit Ovide , métamorphosées en vaches ; en effet, Koe
veut bien dire vache , mais dans nos contrées et non
point en Grèce ; ce jeu de mot a donc été fait par les
Celtes antérieurement aux Grecs.
3
On voyait " à Argos une énorme pierre ; Thésée , à
qui on contestait la légitimité de sa naissance, la sou
leva et prouva ainsi qu'il était du sang des héros ; il
bâtit ensuite sur cette même pierre un temple à Jupiter
Sthénius, ainsi appelé du mot Stein, qui dans la langue
de Thésée , c'est- à - dire des Celtes , signifie pierre .
On connaît la légende de ce bel enfant qui , aperce
vant son image dans un étang limpide , se pencha pour
l'embrasser, et au contact de l'eau la fit disparaître,
renouvelant toujours ce sot embrassement ; de Narr,
sot, et Kiss, embrassement , les Celtes ont fait Narcisse,
et les Grecs , à qui ces deux mots sont étrangers, leur
ont pris cette légende toute faite.
En celtique, de toute antiquité un cimetière s'est
appelé Kerkhof “, c'est-à-dire cour de l'église ; Ger

i Bog, marécage, chez les Saxons d'Angleterre.


2 Búen dans la géographie de Ptolémée.
3 Voy. PAUSANIAS .
4 Kerk , église , hof, enclos. Les Grecs disent ops pour hof.
HÉBREUX , GRECS , ARYAS 373

govie qu'assiége César chez les Arvernes, l'ile Cercopia


qui, dans Plaute , désigne le séjour des morts , la ville
de Kerkuf ' que nous avons mentionnée parmi les
colonies celtiques jusque sur les bords du Tigre , laissent
aisément entrevoir cette racine . Mais , au lieu de ce
mot, on disait aussi quelquefois Pithécuse ”, demeure
des aïeux ; d'un bout à l'autre de la Méditerranée on
retrouve également ce nom toujours appliqué à des
îles désertes, situées près du rivage , et où se gardaient
les ossements des morts ; on voit des iles Pithécuses 3
sur les côtes d'Espagne , d'Italie , de la Grèce , de
l'Afrique, de la Syrie, de la Propontide " . Or , les Grecs ,
qui n'ont point dans leur langue le mot Cercopes, se
sont rejetés sur le mot Pithecos qui , chez eux , signifie
singe ; là -dessus les uns ont écrit hardiment que les
Cercopes, anciens habitants de l’ile Pithecuse , ayant
irrité Jupiter, furent métamorphosés en singes ; d'au
tres, ne considérant que les pierres tumulaires placées
sur le défunt et qui ordinairement reproduisent son
buste, ont prétendu que c'est en pierres que ces habi
bitants ont été changés, pour avoir injurié Hercule 5.
Lorsque, dans notre enfance, nous eûmes lu les
contes de Perrault et qu'il fallut songer à nous former
1 Voy . thèse XI .
? Pitte, Pitheyken , aïeux . Darsy. Dict. flam . Huys signifiant
demeure, Pithek-huys signifie demeure des aïeux, cimetière. La racine
est Pit, germe, moelle, c'est-à-dire semence de reproduction
de cemotmystères
pour les .
3 Au lieu de Pithecuse , on voit souvent Pityuse .
* La ville pelasgique de Lampsaque fut nommée Pithecuse .
Voy. Encycl.méthodique et tous les ouvrages de mythologie.
374 DIX-SEPTIÈME THÈSE

aux grandes choses , on nous mit en main ces hautes


conceptions du génie grec.
Cependant, au milieu de toutes ces légendes confuses,
on peut démêler parmi les Grecs quelques souvenirs
d'une persistance remarquable. Au delà de toutes leurs
traditions , de toutes leurs poésies, ils parlent de lieux
féeriques, de jardins délicieux , dans lesquels ils réu
nissent tout ce que notre imagination se figure dans le
paradis terrestre; mais , chose étrange ! c'est toujours
dans la région du couchant qu'ils placent ce séjour de
l'âge primitif ; les îles Fortunées, les champs Élysées,
le jardin des Hespérides , l'île des Hyperboréens. les
Cassitérides , la merveilleuse république des Atlantes ,
tout est occidental; les Grecs , si contradictoires sur
toutes leurs autres traditions , sont unanimes sur ce
seul point. Ils n'ont donc jamais oublié dans quelle
région du globe était le berceau d'où ils sont sortis .

Système aryen .

Il est , avons-nous dit , une longue série de peuples


qui , des bords atlantiques jusqu'aux frontières de la
Chine, parlent des dialectes fort rapprochés d'une
même langue . Nous avouons tous que ces idiomes ont
une origine commune ; mais , d'après ce que nous venons
de voir , il faut renoncer à la trouver dans les régions
centrales ' . Est-ce de l'Occident , est- ce de l'Orient que
sont partis les peuples qui ont propagé à d'aussi loin

| En Italie , en Grèce, en Palestine .


HÉBREUX , GRECS , ARYAS 375

taines extrémités leur langue, leurs usages , leurs tra


ditions ?
Les habitants de la Grèce et de l'Italie, placés sur la
route de ces migrations, signalent, à l'origine de leur
histoire , un mouvement continu de colons en marche
vers les régions orientales , et contre lesquels ils ont
eu des luttes à soutenir ; ils n'ont conservé de ces évé
nements reculés qu'un souvenir confus; mais ils
donnent constamment à ces peuples en passage les
noms de Celtes , Gaulois , Bituriges , Belges , Ibères ! .
Il est très-remarquable que ces mêmes Grecs ne
parlent jamais d'émigrations asiatiques , ne citent aucun
nom de peuples qui soient passés sur leurs frontières se
dirigeant vers nos régions occidentales ; et pourtant ils
connaissaient la Perse , la Phrygie, la Phénicie , la
Chaldée , l'Inde .
Les Perses , de race germanique ?, ne viennent que
pour incendier les temples et se retirer ensuite . Les
Phrygiens avec Pélops , les Phéniciens avec Cadmus
ont apporté en Grèce , dit-on , la civilisation orientale ;
mais, d'abord , ces Phrygiens, qui avaient pour patronne
1 En discutant les textes des anciens et surtout de Varron , nous
enseignons que les émigrations des Celtes et des Ibères en Italie
eurent lieu quinze siècles avant l'ère chrétienne . A cette liste de peu
ples émigrants il faut joindre ceux qu'Hérodote appelle Perses et
Mèdes . Voy . Encycl. méthod . Sect . des Antiq .
? Les Germains, dit Tacite, les Perses, dit Hérodote, n'avaient point
de temples abrités ; les uns en Europe, les autres en Asie se sont fait
une religion de renverser les constructions en pierre où l'on préten
dait renfermer la divinité . Les uns étaient disciples de Herta, les
autres appelés Artoi;or, Herta, dit Tacite, n'avait pour temple qu'une
forét.
376 DIX - SEPTIÈME THÈSE

Cybèle, la même déesse que les Galates , avaient, par


conséquent , la même origine ; et , en effet, Hérodote et
Strabon nous assurent positivement qu'ils étaient passés
d'Europe en Asie ; quant aux Phéniciens , les légen
daires grecs nous disent, d'après les traditions locales,
que ce sont eux qui ont appris aux Hellènes à écrire;
mais, à l'autre extrémité de l'Europe , les souvenirs
recueillis chez les Feningi attestent, au contraire, que
cet art fut inventé par Fénisius ; or, me dira-t-on bien
pourquoi , aux contes de l'Irlandais Flaherty, nous
devons préférer ceux du Grec Pausanias ,
... et quidquid Græcia mendax
Audet in historia ?

Ninive, Babylone ne furent pour la Grèce qu'un vain


écho ; ces cités étaient déjà mourantes lorsque les
nations méditerranéennes entendirent leur nom ; mais,
outre cela , Hérodote ? nous assure positivement que les
peuples d'Assyrie étaient une colonie des Phrygiens”.
Pour ce qui est des Indiens , les Grecs ne les connais
sent que comme une nation lointaine ; jamais il n'eurent
l'idée d'en faire le peuple le plus antique; Porphyre,
qui avait en sa disposition tous les renseignements de
la bibliothèque d'Alexandrie, et qui connaissait parfai
tement l'Inde et les Brachmanes, voulant se railler de
1 Hérodote, liv. VII , ch. LXXIII, Strabon, liv. II, parlent des Phry
giens comme descendant des Bryges de l'Europe. Hérodote ajoute
même qu'en Europe leur nom s'écrivait Briges.
2 HÉROD. Liv. VII .
3 Les lois de Manou , selon les livres sanscrits, furent communiquées
aux Brames par Brigou , par les Phrygiens .
HÉBREUX , GRECS , ARYAS 377

la nouveauté du christianisme, lui oppose la plus


ancienne religion qu'il connaisse , celle des Druides ' .
Il y a environ un siècle, Anquetil ? rapporta de l’Asie
l'exemplaire d'un livre attribué à Zoroastre ; son nom
mystérieux de Zend Avesta, son antiquité, la célébrité
de son auteur firent croire que l'on touchait enfin aux
secrets du passé et qu'on allait avoir la révélation de
toutes nos origines .
Vers le même temps, les armes européennes com
mençant à prévaloir dans l'Inde , on se mit aussi à
rechercher les écrits des anciens Brachmanes, et ces
différents ouvrages , commentés de toutes manières ,
envahirent instantanément toute la science . Les études
grecques et hébraïques, les systèmes fondés sur les
antiquités chinoises , phéniciennes , égyptiennes, tout
fut abandonné ; le zend et le sanscrit prirent la haute,
place dans les recherches ; là était le passé, là était
l'avenir. Les légendes que l'on trouva dans ces livres
étrangers, on nous les avait déjà contées dans notre
enfance, au fond de nos vieilles provinces de Bretagne ,
de Picardie , du Limousin ; mais , revenues de loin , elles
nous arrivaient parées d'un nouveau lustre. La Corid
wen des Bretons , courant les montagnes et les vallées ,
accompagnée de sa vache, était ridicule, mais , appelée
Lachmi dans les livres sanscrits, elle parcourt avec la
même vache les régions de l'Inde, et on ne se lasse
d'admirer ce mythe oriental.
Cicéron et Aristote avaient déjà parlé dans le même sens. Voy.
BANIER, Mythologie,
l'histor
etc. , liv. VI , ch. II, et liv. V, ch. VII.
2 Frère de ien .
378 DIX-SEPTIÈME THÈSE

Le monde attendit en silence le système qui allait


éclore de la science nouvelle ; il fut enfin annoncé que
le berceau des nationalités est dans la Perse ; l'homme
d'abord , la civilisation ensuite se répandirent de là
dans toutes les directions.
Aucune nation , quelque primitive qu'elle soit, n'a
dans ses souvenirs le moindre soupçon d'un pareil fait;
depuis que le monde se connaît , nous avons toujours vu
les Asiatiques immobiles ; ils se ravagent entre eux
sans pouvoir jamais pénétrer dans notre Europe. Tout
est mouvement dans nos régions, tout est langueur en
Orient.
Pour parer à cette difficulté et se débarrasser de
l'importune clarté de l'histoire, on rejeta cette émigra.
tion dans l'obscurité des temps préhistoriques. Cette
naïveté scientifique devait déjà nous donner de la
défiance. En se plaçant dans les ténèbres pour cacher
leur jeu , les inventeurs du système s'enlevaient toute
ressource pour appuyer leur assertion. A cette époque
reculée , les monuments , les poëmes, l'écriture, les
symboles religieux' n'existaient pas ; il ne restait donc
que la langue ; un même mot se retrouve en Asie et
en Europe , il faut, sans aucun moyen de discussion,
montrer que ce sont les Orientaux qui nous l'ont
apporté . Bach , en Germanie et en Perse, signifie
| Les grands monuments druidiques n'étaient pas encore construits,
dans ce système, puisqu'on ne les trouve qu'en Occident. Quant aux
poëmes , les légendes dont on les a formés existaient et plus tard
chaque nation les a versifiées à sa manière. Rien ne diffère autant que
les lettres d'un pays à l'autre; elles sont donc postérieures aux émigra
tions. Les Perses n'avaient ni statues, ni temples . (Hérod.)
Nos prétendus civilisateurs étaient donc aussi barbares que nous.
HÉBREUX , GRECS , ARYAS 379

rivière, voilà ce qui a été prouvé ; ce mot vient-il de


Germanie ? vient-il de Perse ? voilà ce qui attend tou
jours une démonstration.
Et pourtant le système nouveau fut accueilli avec
chaleur. La langue grecque avait fatigué notre enfance,
l'hébreu tenait à une religion en discrédit, une tête
puissante ne s'était pas encore emparé des monu
ments américains pour placer aussi de ce côté-là un
système ; on se jeta sur le zend , le sanscrit, les poëmes
indiens , écartant avec soin des yeux du public les mille
turpitudes que renferment ces ouvrages. C'était une
seconde civilisation qui nous arrivait d'Asie et nous
éclairait d'une nouvelle lumière ; nous avions des savants
en Us et en Os, nous eûmes des hommes qui lisaient les
Védas, les Pouranas , la Mahabarata, la Ramayana.
Dės qu'il paraît une science nouvelle , les défenseurs
de la foi chrétienne s'en approchent avec inquiétude,
pour la sonder et discuter ses éléments , faisant valoir
ce qui est favorable à leur cause , attaquant ce qui
semble lui être contraire. Le vieux système caucasien ,
comme nous l'avons vu , renfermait des difficultés ; on
accueillit d'abord avec empressement la nouvelle
théorie qui, plaçant le berceau des nationalités dans
l'Asie centrale , faisait effectivement arriver d'Orient les
hommes à la tour de Babel ; mais , pour gagner sur ce
petit point,que de sacrifices il fallut faire ! En scrutant
davantage les livres asiatiques , on y trouva des dieux
qui se font hommes ?, naissent d'une vierge , sont
| Les principales incarnations de Vischnou sont Chrisna et Boudha.
Voy. Chrisna. JACOLLIor. Voy. aussi : Introduction à l'histoire du
Boudhisme indien . BURNOUT .
380 DIX -SEPTIÈME THÈSE

baptisés dans le Jourdain du pays, font des miracles,


ont douze disciples qui prêchent leur doctrine ; le dieu
qui s'incarne ainsi est la seconde personne de la trinité
indienne. Un grand nombre de partisans trop hâtifs,
s'effrayant du danger , ont , depuis longtemps, fait un
pas en arrière ; leurs adversaires , persistant à accepter
le système entier, soutiennent toujours que les mystères
1
évangéliques sont passés de l'Inde ' en Judée .
La véritable science , celle qui pèse les motifs de sa
foi, se trouvant ainsi prise dans une argumentation
d'une étrange nature , appelle un nouveau Postulatum
et attend . La foule, plus téméraire , s'est de suite jetée
tout entière dans le système asiatique ; elle ne raisonne
point , elle se porte étourdiment où elle voit du mystérieux,
où elle entend un mot nouveau . On se garda bien , en
lui présentant la doctrine , de lui parler de Perse et de
Persans ; ces mots , qui sont ceux de nos manuels
d'étude , ne se prêtent point à une belle origine ; le pays
fut appelé Iran , les colons qui partirent de là pour venir
être nos aïeux formèrent la race Aryenne . La foule
consentit à ne plus être appelée race caucasienne pour
adopter ces nouveaux titres , pour venir du plateau de
l'Iran , pour descendre des Aryas.
La gravité de la question demande que nous parlions
plus en détail de l'origine aryenne; nous reviendrons
donc sur cette matière dans les deux thèses suivantes.

| La grave question des incarnations ne peut venir qu'à la suite


d'une théorie complète sur les mystères .
DIX-HUITIÈME THÈSE .

MÉTHODE POUR PROUVER QUE LA CIVILISATION EST


ORIGINAIRE DE L'EUROPE ET NON DE L'ASIE .

C'est véritablement un caractère particulier aux peu


ples celtiques de se détacher sans regret du sol
paternel , pour aller au loin chercher un autre séjour et
s'y fixer. Des hommes hardis ouvrent le chemin à
travers tous les obstacles; des familles industrielles ,
accourant sur leurs pas , sément dans ces contrées
encore neuves les germes de la prospérité européenne,
les éléments de notre morale, et préparent ainsi pour
l'avenir le fondement d'une nouvelle nation . Est-ce du
Celte que le poëte disait :

Omne solum forti patria est...?

Lorsque les navigateurs européens, dans ces der


niers siècles , arrivèrent sur des rivages lointains et
inconnus, leur premier soin fut de chercher des tré
>

sors , des produits lucratifs ; mais la religion , qui


les suivait, débarquait en même temps ses mission
naires , et ceux-ci , s'engageant dans l'intérieur du pays ,
382 DIX -HUITIÈME THÈSE

seuls, sans appui , poussés par un instinct de race, ne


se souciant ni de la faim , ni des menaces , ni de la mort,
apprenaient aux étrangers les mystères de notre foi.
Plus anciennement, lorsqu'au moyen âge nous com
mencions à nous remettre de nos malheurs passés, ce
fut l'Europe presque entière qui se ligua pour pénétrer
violemment au sein des régions asiatiques et soumettre
à son empire et à sa croyance les fières nations qui
alors dominaient l'Orient ?.
Plus anciennement encore , dans les temps primitifs,
nos émigrations étaient autre chose que de simples
déplacements de peuples allant confusément à la con
quête de nouvelles terres ; elles étaient inspirées par un
sentiment plus noble et se faisaient dans un système
plus hautement organisé. La religion seule marchait
en avant pour propager ses établissements monastiques,
et elle menait à sa suite l'industrie, les sciences, les
principes de société, tous éléments qui furent le germe
de ces mêmes nations que nous voyons aujourd'hui sur
le globe. Les chefs qui les guidaient portaient le collier
d'or, comme nous l'apprennent les auteurs latins ; ils
avaient la robe de lin , comme nous le voyons par le
nom des Belges ? que leur donnent les Grecs ; c'étaient
donc des Druides .

1 C'est alors que le moine Ruysbroeck fut envoyé à Caracorum pour


convertir la famille de Gengis- Khan.
2 Les Druides portaient un collier d'or, Torques ; d'où Torquatus;
thèse XIe. Belech, signifie, en bas breton, lin, et par conséquent
Druide ; or Belgius était chef de l'armée qui attaqua Delphes;
thèse XVIe .
RÈGLES DE DISCUSSION 383

Origine des ordres religieux.

Les Latins et les Grecs n'avaient dans leurs souve


nirs rien de plus antique que la religion ; or , Cicéron
déclare sans détour qu'elle avait pour auteurs les
Druides . Ce sont, en effet, les premiers humains qui se
réunirent, non plus pour une expédition de guerre ou
de chasse , mais pour s'aider en commun à sortir de la
vie matérielle et à pénétrer dans le monde spécu
latif.
Ce premier essai d'organisation, où chacun sacrifiait
une partie de sa liberté pour accroître la jouissance du
reste, fut le germe de la vie religieuse. A mesure que
l'homme se formait, il sentait du plaisir à restreindre
davantage les liens de cette discipline élémentaire , à se
faire esclave de la règle commune, à rendre son âme
étrangère au corps et à l'élever ainsi à une extase que
ne connaît point la satisfaction des sens.
Nous avons encore retrouvé, dans les temps histo
riques, des cités entières qui étaient les restes de cette
vie sociale fondée au sein de la religion et où l'homme
s'éteint dans la communauté.
D'où venait au Spartiate cette volupté à s'enchaîner
toujours davantage dans les rudes lois de ses pères ? Le
Romain des premiers temps , nul pour lui-même , tout
1
Voy. BANIER. La Vythologie et les fables expliquées par l'histoire,
liv. V , ch. VII.
? A Rome, on considérait les Sabins et les Spartiates comme étant
de même race ;‫ ܪ‬les Spartiates se disaient eux-mêmes frères des Juifs et
descendants d'Abraham . Jer Macchabées, ch . XII.
1

384 DIX - HUITIEME THÈSE

pour sa patrie , ne possédait rien en propre ; la société


distribuait entre les pères de famille les lots que cha
cun devait cultiver et , dans les cas de déshérence , elle
reprenait la possession de son bien !. A Marseille et ,
par conséquent , dans les cités gauloises, la vie commune
avait des droits encore plus absolus, et l'homme ne
s'appartenait pas à lui-même ; lorsque, devenu inutile
par son grand âge, il désirait quitter cette vie , il ne le
pouvait sans l'autorisation du grand Conseil ? ; si ses
motifs étaient acceptés , on lui remettait la ciguë que l'on
tenait toujours prête pour cet acte de civisme 3 .
Des républiques ont été puissantes tant qu'un même
lien unit les citoyens entre eux et avec la déesse patro
nale * ; la dissolution commença quand l'individualisme
chercha à reprendre ses droits .
Ce principe de servitude volontaire ne se borna point
au pays des Celtes ; la discipline druidique se répandit
partout jusque sur le continent américain , jusque dans
les ilots les plus reculés de l'Océanie . Le nom de
Druides est resté aux seuls fondateurs, mais il fut géné

1 Le testament des patriciens était fait dans la curie , non , comme


on l'a dit , parce que les testateurs ne savaient pas lire , mais parce
que la curie seule était propriétaire .
2 Le Conseil des six cents , exactement le même que nous nommons
aujourd'hui Conseil communal. Cette anecdote est tirée de Valère
Maxime .
3 Civis, citoyen , à Rome ; Zibbe, famille, en celtique ; Dsip, maison,
en Corée ; Zypa , feudataire, chez les Muiscas . Le Civis était donc
l'homme affilié à la communauté.
4 Toutes ces communes, toutes ces républiques furent primitivement
des associations druidiques de travail , sous les auspices de la déesse
patronale .
RÈGLES DE DISCUSSION 385

ralement traduit dans chaque langue par un mot équi


valent, c'est-à-dire renfermant l'idée de discipline .
Ainsi Zahm signifie discipliné , et c'est de tous les
mots celtiques celui qui s'est répandu le plus loin . Nos
chroniques anciennes ne connaissent le chef des Druides
que sous le nom de Samothée ; si Varron et Diogène
Laerce écrivent Semnothée, c'est sur la fausse idée que
ce mot dérive du grec Semnos , qui signifie vénérable.
Au midi de la Baltique se trouvaient des hommes
menant la vie druidique et liés au culte de Herta ;
Tacite les appelle Semnones, mais plus vulgairement
on les nomme Germains ; et ce qui est plus surprenant,
c'est que ces deux mots sont également synonymes dans
l'Inde où les mêmes religieux , que Clément d'Alexan
drie ? appelle Semni, sont nommés Germanes dans
Strabonº . Le sanscrit ne désigne autre chose que l'écrit
des Samanes , le livre de la discipline ; Samuël , comme
les Druides, sacrait les rois ; et , jusque sur les bords
du Saint-Laurent, on trouva les peuples sous le joug
de l'ordre des Samigas *.
Les Gaulois appellent leurs mages Druides, nous dit
Pline S; et , en effet, ces deux mots peuvent se prendre
Sama, en hébreu, signifie Discere, Audire, Discipulus esse .
Strcm . , liv . III . Porphyre, citant Bardesane de Babylone , les
appelle Samanes et dit qu'ils ont pour dieu, Arughen , qui règne
à l'ombre de l'arbre Asogu. On reconnait dans ces souvenirs les
Semnones de Tacite qui habitaient l'Ile de Rügen , a l'ombre du frêne
sacré, appelé Asch dans la mythologie scandinave.
3 Hist. univ . des Anglais, t. III , p . 57.
• Moréri. Ces Samigas, comme les Brames , se disent les ainés de la
famille .
5
Magos suos quos Druidas appellant.
25
386 DIX-HUITIÈME THESE

l'un pour l'autre , signifiant tous deux civilisés ' .


Dans la langue phénicienne, la discipline se dit
Iaca ”; l'Espagne, qui est remplie d'expressions apparte
nant à cette langue , désigna par ce mot le druidisme.
Iago : est , par conséquent, un ancien nom donné au
symbole patronal des Druides chez les Callaïques; les
initiés au culte du Saint portaient le collier de l'Ordre,
Torques , ce qui est l'origine de la légende populaire
>

qui donne pour disciple au patron de l'Espagne, San


Torcuato .
Les mots qui signifient morale, en celtique, en latin ,
en grec, ont aussi été pris pour désigner la vie drui
dique .
En celtique , Sitten , qui veut dire mours, a fait nom
mer Sitones les druides des iles Scandinaves ; dans la
Thrace , où l'on retrouvait toutes les moeurs gauloises,
ils étaient de même appelés Sithones "; la grande Sidon
tire également son nom de là , ce qui explique pourquoi
toute l'industrie que les Grecs attribuaient à cette ville

i Mak, apprivoisé , civilisé . OLINGER. Dict. holl.


2 Don Calmet. Dict, de la Bible. De ce mot dérive Yugo, joug, ser
vitude volontaire, ainsi que l'oriental Joghi, religieux, et Jacha
Huaca, la maison disciplinaire de Cusco. GARCILAS. Histoire des
Incas .
3 L'Église de Rome a toujours combattu la prétention des Espagnols
qui veulent que leur patron, San Iago de Compostelle, soit l'apôtre des
Evangiles.
4 Ils étaient voisins des Semnones et, comme eux , sous la domination
d'une femme. Tacite . Germania .
5 Orphée et la vie orphique, disait-on, prirent naissance parmi les
Sithones. Le primitif de ces mots est Sithium , abbaye druidique des
Atrébates , appelée aussi Saint-Omer.
RÈGLES DE DISCUSSION 387

se retrouve en réalité dans nos tombes celtiques '.


En latin , Mores veut dire meurs , discipline; or,
depuis la région baltique, où les Mauringi célébraient
leurs mystères, jusqu'en Mauritanie , où étaient les
pénitents que nous nommons Marabouts, de nombreux
établissements cenobitiques ont conservé, même sous le
christianisme, cette racine et se sont appelés Mortagne,
Marmoutiers, abbaye de Saint-Maur, de Saint-Martin ;
déjà les Martini étaient connus d'Hérodote qui les
nomme parmi les habitants de l'Espagne ?.
En grec , le mot que l'on traduit par mours est Ethos,
ce qui fit appeler Éthiopiens les Druides de différentes
contrées. Pline énumère quarante -cinq peuples qui , dans
des pays fort éloignés les uns des autres , portaient ce
nom. Dans l'Iliade, Jupiter s'absente douze jours pour
aller assister aux sacrifices des vertueux Éthiopiens;
dans l'Odyssée , c'est Neptune qui , revenant des fêtes
religieuses des Éthiopiens , se repose en passant sur la
crête du mont Solyme.
Dans la bible hébraïque, il est fréquemment question
d'un peuple qu'elle appelle Keusch “, mais que les textes
La fabrication du verre, la confection des tissus, la broderie, la
pourpre. La ville celtique de Carthage est de même appelée Sidonia ,
et, encore aujourd'hui, le mot Sidi est un terme honorifique qui ne
s'adresse qu'aux personnes de qualité.
? Hérodote nomme six peuples principaux en Espagne, parmi les
quels les Martini ; ce sont les Celtibères, qui ont laissé leur nom au
rio Martin, qui rejoint l'Ebre à Saragosse.
3 On trouve des Éthiopiens en Mauritanie, en Abyssinie, dans diffé
rentes iles de la Méditerranée , en Colchide, etc.
* Selon les Paralipomènes (liv. II , ch . XII) , le roi Ssach, conduisant
les Lubim, les Suchim et les Keuschim , vint du pays de Mesr et ran
388 DIX -HUITIÈME THÈSE

latin et grec traduisent invariablement par Éthiopien.


Or, au centre du pays des Celtes , on retrouve ces
mêmes peuples sous leur désignation biblique, sous leur
nom primitif et véritable . Les Keusch , ou , comme Pline
9

écrit en latin , les Cauchi habitaient, selon cet auteur,


aux bords du Hélion : « In Rheno ipso , nobilissima
Batavorum insula et alice Frisiorum et Cauchorum ",
quæ sternuntur inter Helium et Flevum . ,
Dans la Celtique, Keusch signifie pur . Là en effet,
par la vertu toute puissante du fleuve baptismal , les
souillures de la première vie étaient effacées, et du bar
bare renaissait un homme . Cette création mystique
formait autour de la primitive Sion une racé pure, une
famille d'enfants adoptifs, qui se répandirent partout
sous le nom de Druides , de Cuschites , d'Éthiopiens .
Plus tard , lorsque les républiques commerçantes de la
Méditerranée eurent perdu le sens de ces traditions,
tout ce mystère tourna en légendes . Les mots
Éthiopie et Caucase, l'un en grec, l'autre en celtique,
signifient également terre des hommes purs ; mais sur
ces deux dénominations incomprises on imagina des
çonna la ville de Solyme. Ces trois mots , par leurs racines celtiques,
désignent les prétres de Cybèle , appelés Galli par les Romains et Sarim
par les Hébreux.
1 Aux bouches de l'Indus se trouvaient de même Cauchi campi ; et
les montagnes qui bordent ce fleuve sont encore aujourd'hui appelées
Indou -Kouch .
2 Baedt, bain sacré, baptême. Batave, Batar , Baedt aw , signifie
terre du baptême.
3 Ethos , mæurs ; ops, terre ; d'où Ethiopie, terre des hommes purs.
Keusch , pur ; Haus, demeure ; d'où Caucase , demeure des hommes
purs.
RÈGLES DE DISCUSSION 389

contes de toutes formes ? . Les Éthiopiens, disait-on , .

adoraient le soleil, mais à l'apparition de cet astre


ils se cachaient dans des cavernes ; c'est-à -dire que ces
TA
peuples , originaires du Hélion, vénéraient toujours le
fleuve primitif et sacré dont le nom Hel? signifie soleil
et caverne . Quant au Caucase , la défiguration fut bien
# plus étrange. La renaissance mystique qui s'opérait à
Asci-Burgium , aux bords du Hélion, fleuve du soleil , et
sous la main des hommes purs , Keusch, fut travestie en
une création purement matérielle ainsi qu'il suit :
« Prométhées, fils d’Asia, ayant façonné une statue ,
l'anima d'un rayon de soleil , et pour son châtiment fut
attaché au Caucase ". » Cette légende passa dans l'Inde,
.

où l'on voit , en effet, le récit d'un premier homme maté


riellement créé ; mais là , par une contradiction singu
lière, on laissa à ce premier homme son nom celtique
qui signifie simplement initié ; on l'appela Adimo , de
Eedom ", enfant d'adoption .
La morale, sans doute , était le principal lien de cette
société antique ; mais quelques âmes privilégiées étant
parvenues , à force de luttes, à dompter de fort haut les
désirs terrestres , ne semblaient plus appartenir à la 1

? Au lieu de Ethos, les Grecs supposèrent pour racine Aithos, qui


signifie noirceur, et, sur cette étymologie fictive, ils transformerent
tous les Éthiopiens en nègres .
? Hel, hole, caverne.
I 3 Barm, Fromm, Brame signifient pieux ; d'où Prométhée, le dieu
pur, le fleuve transformateur, le Hélion.
• On trouve huit mon nes appelées Caucase par les Anciens .
5 L'homme qui entre dans une famille à titre d'allié est appelé , en cel.
tique, Eydom , Eedhem , gendre. DARSY . Dict . flam .
390 DIX-HUITIÈME THÈSE

terre ; les peuples eurent de la vénération pour des êtres


qui touchaient à la divinité ; on en fit des saints , et les
noms qu'on leur donna se reflétèrent sur la nation . Ainsi
en Afrique' le mot Pein ?, pénitence , fit nommer les reli
gieux Poeni et la nation, Punique ; ou encore , du mot
Boete , qui a le même sens, ces Maures furent appelés
Marabouts ; et , en effet, voyez dans Salluste le tableau
qu'il nous trace de Masinissa, lisez ce que nos chro
niques nous apprennent sur Abd-el-Kader, vous trou
verez que vingt siècles ni Mahomet n'ont rien changé à
la religion ni aux moeurs de ces peuples .
On comprend que le Celte se soit élevé à cette
domination de soi-même qui fait l'homme ; mais on se
demande comment ces institutions violentes ont pu
pénétrer jusqu'aux extrémités du globe . Au fond de
l'Asie , en Chine, par exemple, on retrouve , pour désigner
cette vertu , cette discipline morale , le même mot dont
nous nous servons en Europe ; les Germains l'appellent
Tucht, et les Orientaux Tök “. En Amérique, nous avons
retrouvé les mêmes ordres, les mêmes initiations que
dans nos contrées . Les nations de la région des lacs
avaient des ordres religieux auxquels on arrivait par

Nos ordres religieux étaient passés en Afrique où l'on retrouve les


nouveaux Médes, Nu midi, les nouveaux Samanes, Na-samons, des
Marabouts, qui ne sont que les Mérobaudes des Germains.
2 Pein , Pona, novos . Pana, en hébreu , Fana, en arabe .
3 Boete, amende, pénitence . Les Boudhistes, les Marabouts, Boudha
Gourou , dont nous avons fait Pythagore, tirent de la leur nom. Gourou ,
curé , en sanscrit.
· SIEBOLD. Voyage au Japon , t. V. Ce mot est usité dans le chinois
coréen .
RÈGLES DE DISCUSSION 391

des épreuves où se retrouvent tous nos exercices ; ils


portaient des noms que nous connaissons ; c'étaient les
Médas , les lésugas, le Wabénas , c'est- à - dire les Mèdes ,
les lazyges, les Ubiens . Les Piaches de l'Amérique du
Sud , ainsi que les Druides , les Brachmanes , les Sages
du mont Athos, du mont Carmel, du mont Serrat, se
préparaient à entrer dans l'Ordre par un noviciat de
deux ans passés dans la solitude des forêts; leur rela
tion avec les ordres européens n'est point douteuse,
puisque nous les voyons exercer leurs enchantements
par la vertu magique de l'Aspa, exactement comme
faisaient les Pictes ? d'Écosse et comme font encore
aujourd'hui les Santiguadores d'Espagne :.
Nous avons parlé des Areioïs de l'Océanie ; c'étaient
les Aryas de l'Inde, ayant comme eux toutes les tradi
tions européennes.

Propagation du druidisme en Asie.

L'ignorance de ces principes a jeté l'exégèse chré


tienne dans une étrange confusion . Depuis tant de

1 Les Mèdes ne sont point une nation ; Maet signifie compagnon ,


et ce nom fut donné aux membres d'une méme corporation, aux
Mèdes, aux Meati d'Irlande, aux Médas. Les lasyges , en Europe, fai
saient partie des Sarmates. Les Ubii du Rhin , les Ubisci de la Garonne
les Ubieni ou Wabenas de l'Amérique sont différentes formes d'un
même mot ; ce mot vient de Üben, discipliner. Les recherches sur ces
druides américains ont été faites récemment par ordre du gouverne
ment de Washington .
2 Saint Andrew est le patron des Pictes, et l'Aspa en fut nommée
Croix de Saint- André .
3 Voy. Revue des Deux Mondes. Année 1858. Jer Avril.
392 DIX-HUITIÈME THÈSE

siècles que les orientalistes et les classiques nous


répètent que nous devons tout aux Romains, aux Grecs,
aux émigrations asiatiques , que leurs institutions nous
ont tirés de l'état sauvage, il est de mode dans nos
histoires de faire dater de Jules César notre civilisation.
Quand les Romains , dans la courte explosion de leur
puissance , eurent envahi nos contrées, sur leurs pas
arriva l'Évangile qui , dit-on , acheva l'oeuvre.
Mais en étudiant à fond les mystères de cette grande
transformation , l'on voit sans peine qu'il ne peut en
être ainsi . L'Évangile n'est point fait pour tirer un
peuple de l'état sauvage et lui donner une existence
sociale et des moeurs . Nous avons sans changement
son texte tel qu'il nous fut apporté ; les Celtes, ses
éternels apôtres, l'ont vainement présenté aux nations
primitives , aux Nègres , aux Caraïbes , aux Samoyèdes;
>

ces peuples n'y comprennent rien ; ces hommes, à


peine formés, ne sont point mûrs pour les principes
qu'il annonce , pour ce dépouillement absolu de soi
même dont est seul capable l'homme qui appartient à
une vieille civilisation . Notre Bible est tous les jours
portée chez des nations plus avancées, chez les Indous,
les Chinois , les Perses , les Arabes ; ces peuples ne
redoutent pas les austérités matérielles ; ils ont un
clergé , des monastères , des livres saints ; ils n'ont
qu'un pas à faire pour être chrétiens ; mais l'Évangile
n'a point prise sur eux ; ces esprits à demi matériels
restent attachés à un culte tout rempli de symboles
qu'ils voient, qu'ils touchent; ils n'entrent point dans ce
spiritualisme absolu qui n'accepte de formes sensibles
RÈGLES DE DISCUSSION 393

que comme un moyen donné aux faibles pour arriver


jusqu'à lui ' . L'Évangile n'est donc point venu chez les
Celtes pour les tirer de la barbarie, mais parce que les
institutions séculaires des Celtes les avaient élevés à
la hauteur de son enseignement ; ces peuples étaient
chrétiens , il ne leur manquait que le Christ ; aussi ,
lorsque l'Évangile, dans toute sa simplicité , arriva
parmi eux , il se revêtit des formes de leur culte ,
comme d'un vêtement fait pour lui ; c'était un souffle
nouveau qui venait d'Orient ranimer l'antique religion .
L'appareil du culte , les formules de la doctrine , tout
cet ensemble qui constitue le corps d'une religion ,
existait donc depuis longtemps chez les Celtes , et dans
leurs émigrations primitives , bien antérieures à l'Évan
gile , ils répandirent partout ce christianisme apparent ,
mais surtout en Asie ; là, en effet, on retrouve en diffé
rentes contrées des analogies étranges avec les usages
de nos églises. Ainsi , des voyageurs vous raconteronta
la surprise qu'ils éprouvèrent lorsque , logeant dans
quelque village de la religion des Boudhistes , ils
furent réveillés , au lever de l'aurore, par le son de
trois cloches ; ils écoutent et entendent le plain-chant
de nos campagnes ; ils regardent et voient sortir du
lieu saint une véritable procession de l'Église romaine,
avec cierges , encensoirs, rochets , chantres, prélat .
Pietro della Valle vous décrira à Ispahan une céré
3

monie, autrefois religieuse chez nous, mais aujourd'hui


Les propter infirmos.
2 Revue des Deux Mondes.
3 Lettres d'Ispahan .
394 DIX-HUITIÈME THÈSE

devenue banale ; les habitants de cette ville, trois


jours avant leur Pâque ?, promènent par toutes les rues
un chameau engraissé , orné de bandelettes et précédé
d'un choeur de musique ; les lieux par où il passe sont
bénis ; arrivé au terme de sa course, il est mis à mort
et on se partage religieusement les lambeaux de l'ani
mal sanctifiés.
Il est évident que ce n'est point depuis l'apparition
du christianisme que ces formes analogiques du culte
sont passées d'une extrémité à l'autre de l'ancien
monde ; mais, préexistant à l'introduction de l'Évangile
dans nos contrées, elles ont pénétré en Asie avec les
colonies celtiques ; aussi l'image d'un dieu sur une croix
ne s'y retrouve jamais .
Pourtant, il est d'autres contrées où le culte paraît
se rapprocher tellement des écrits évangéliques qu’on a
pu douter qu'il remontật jusqu'aux Celtes ; mais il
est facile de voir que cette similitude n'est qu'appa
rente.
Les premiers qui accueillirent la foi du Christ sont
les initiés aux anciens mystères; c'est d'eux que le
Désiré des nations était attendu ; ils appliquèrent le
i Nous avons dit que l'on retrouve chez nous, à l'état de jeux, les
cérémonies les plus sacrées des Asiatiques .
2 La fête du Beïram .
3 Primitivement, c'était un homme que l'on sanctifiait, que l'on
promenait, que l'on tuait et dont on mangeait la chair, pour parti
ciper à sa sainteté. Les Semnones, les Marseillais , les Aztèques ont
conservé ces usages jusque dans les temps historiques. La victime fut
remplacée par un bæuf, un agneau, un chameau , et même par une
figure en pâte ou en beurre. Cette dernière forme s'est conservée chez
les Boudhistes.
RÈGLES DE DISCUSSION 395

langage de leur première croyance à l'enseignement de


leur nouvelle foi; ce qui produisit un mélange confus
de symboles et de dictions qui ne permet plus aujour
d'hui de distinguer facilement ce qui appartient à l'un
ou à l'autre culte .
Par exemple , Joannes ', qui se dit Janus chez les
Latins, Oannès à Babylone, Janoa aux bords du
Gange , est, comme on le voit, un mot ancien qui dési
gnait, dans la religion de nos pères , le substitut de la
divinité fluminale, le prêtre du baptême; ce terme
d'autrefois, ayant une apparence évangélique , se recon
naît encore dans les traditions de plusieurs peuples
anciens, et nos voyageurs ont recueilli en Asie et en
Afrique des souvenirs d'un prêtre Jean constamment
appelé roi des Éthiopiens , c'est-à-dire des Druides ; or
on retrouve, dans sa religion purement druidique,
toutes les apparences de la doctrine chrétienne, la
croix, le baptême, la confession, la crèche, les céré
monies de nos églises.
3
Ailleurs : ces mêmes religieux étaient connus sous
d'autres noms .
Le mot Tam * signifie discipliné ; or, il existe dans
1
Voy. thèses XIe et XII°. Jean, Janus, était le pontife figurant l'em
bouchure oscillante du fleuve primitir qui est toujours le Hélion . Le
prétre Jean porte toujours une croix latine.
· Rubruquis nous donne de grands détails sur le prêtre Jean de
l'Asie, et les Portugais sur celui de l’Afrique. Les prêtres de la Floride
s'appelaient laonas.
3 Parmi nous, les Bégars, les Vaudois, les hommes de Cabrières et
Mérindol sont les derniers vestiges de ces anciens cultes.
* Tam , en hollandais, le même mot que Zahm , en allemand, signifie
privé, apprivoisé, discipline, druide.
396 DIX -HUITIÈME THÈSE

toute l'Asie des peuples pratiquant la discipline drui


dique et qui , sur la consonnance trompeuse du mot ,
9

furent nommés chrétiens de Saint-Thomas !. Les


légendes de leur Saint sont toutes d'origine atlantique ;
par exemple , on dit qu'il mourut à Calamina ; or, pour
comprendre ce mot , il faut se rappeler que la vie com
mune a été souvent, dans le langage mystique , com
parée à une ruche ; une ruche, chez les Ibères , se dit
Colmena et l'on a fait de ce mot incompris la ville
imaginaire de Calamina ; de même, à Ephèse , on don
nait au pontife du temple le nom d'Essen ?, roi des
abeilles , et un prêtre dans les mystères de cette déesse,
se disait Tamias ; en Égypte, on voit des religieux qui,
eux-mêmes , étaient appelés Esséniens ; c'étaient bien
des Druides , car, s'ils eussent été chrétiens, Philon et
Josèphe n'auraient point fait leur éloge ; or, nous dit le
bénédictin Dom Calmet 3 , ces Esséniens vénéraient
saint Thomas et prétendaient avoir son corps. Ce
même Saint, dans nos vieilles églises, a pour emblème
une équerre ; il portait également une équerre chez les
Indiens, et quand les Portugais arrivèrent à Méliapour,
ils y trouvèrent son image parée de ce symbole .
L'équerre4 , à la naissance du druidisme , marquait
que l'édifice de la communauté mystique se bâtissait,
non plus avec des blocs mal taillés, mais avec des
pierres équarries : lapidibus quadris, comme il est dit de
? C'est à cause du radical Tam que les Orientaux prononcent
Thamas .
2 Essen , roi des abeilles ; Tamias, prêtre dans les mystères. Lexic.
3 Dict, de la Bible. Esséniens .
4 Toom , frein, est un mot mystique de la même famille.
RÈGLES DE DISCUSSION 397

la nouvelle Sion ; xestoisi lithoisin , comme il est dit du


temple de Circé .
Quant aux pratiques chrétiennes que nous avons
signalées dans ces cultes asiatiques, elles rentrent
avec tout le reste dans la théorie générale des mystères ;
toutes s'interprètent comme dans l'exemple qui suit .
On dit que la confession existe en Orient ; un pontife
entend les péchés des fidèles et les efface ?. Or, bien
avant le christianisme, aux âges les plus reculés, on
retrouve, dans la religion de nos anciens Celtes , l'exer
cice de ce même pouvoir. Dans les mystères des Cabires ,
l'initié se confessait au Koïès, c'est-à-dire au pontife
suprême, et celui-ci , étendant la main sur le coupable,
prononçait un mot qui le lavait de toutes ses souillures ;
or, voyons si c'est bien de l'Inde que vient ce mythe .
Primitivement, aux bouches du Hélion , l'initié, cou
ché sur la grève , attendait le flot montant qui passait
sur lui et emportait dans la mer toutes ses souillures;
loin du Hélion , le pontife qui tenait la place du dieu
océanique couvrait de sa main le coupable pour figurer
le flux lunaire 4 et disait un mots pour renvoyer les
1
Odyssée. Les prétendus chrétiens de Saint-Thomas, qui occupent
le midi de l'Inde, sont les Boudhistes primitifs et non réformés. Une
équerre se dit Pers, en hébreu.
2 Bor signifie flux ; Borra signifie agneau , en ibérique ; de ce double
mythe dérive l'ibérique Borrar, effacer .
3 De là vient la ressemblance du mot Manus, avec Maen , lune, et
Manare, couler. De même, au fond de l'Orient, Sen signitie, tout à la
fois, main et embouchure de fleuve . SIEBOLD . Voyage au Japon .
* Ce sont les purifications d'Isis, de Diane, c'est-à-dire des déesses
qui ont la lune pour symbole du flux lunaire.
5
Mot, Muthos, dérive de Muyten , changer, transformer ; Wort
dérive également de Vertere, changer, tourner .
398 DIX - HUITIÈME THÈSE

péchés dans l'Océan, remittere peccata. Cette main figu


rative du flux tenait donc une grande place dans l'anti
que religion ; aussi la Main , dans les mystères, eut les
mêmes honneurs que le Croissant ; on portait une main
dans les pompes d'Isis , dans l'antique cérémonie du
sacre des rois francs; on a retrouvé une main ouverte
sur les bords de la Meusel et dans les fouilles de
Carthage ; sur le porche de l'Alambra ?, on voit au
dehors une main et au dedans une clef, double symbole
qui marquait l'entrée et la sortie du flux lunaire aux
portes de l'Océan ". Quant au mot Remittere, il est la
traduction du celtique Werpen " dont s'est formé le
latin Verbum ; c'est le Logos de Philon ; c'est surtout le
Kalki des incarnations Vischnouïtes .
Par tout ce qui vient d'être dit on voit que nos aïeux,
quand ils reçurent le sauveur attendu de l'Orient,
n'eurent pas besoin de prendre des termes nouveaux
pour désigner la confession ; ils gardèrent ceux dont ils
s'étaient servis jusque-là ; ils continuèrent de l'appeler
Beichtes, dérivant de Bach , fleuve océanique ; le péché,
effacé par le pontife, conserva également dans son nom
un souvenir de l'expiation primitive : les Celtes l'appe
lèrent Sunde, les Latins Peccatum , les Grecs Amartema,

1 Près de Sedan. GRIVAUD DE LA VINCELLE .


2 MURRAY's handbook .
3 Janus , à Rome, figurant par sa double forme le va -et- vient du flux
à l'entrée de l'Océan, avait une clef pour emblème. Encycl. méthod. La
clef d'Osiris , de Cybele , a la même origine.
• Werpen , rejeter en arrière, ruer . Le sens primitif de Verbum est
donc sentence. Dict. celt .
5 En allemand Beichten , confesser ; Beichte, confession.
RÈGLES DE DISCUSSION 399

lesquels dérivent respectivement de Sund, Bach , Maer,


tous mots qui signifient marée.
Chez les Hébreux , la confession était collective , mais
se rangeait sans peine dans le système symbolique que
nous venons de retracer . Pour figurer le flux et reflux,
Bach, on prenait deux boucs, Bock ' , que l'on plaçait
au milieu de la foule ; l'un , le flot montant, était immolé
sur place ; l'autre , le flot descendant , était chargé des
iniquités dont chacun s'accusait, puis renvoyé dans le
désert ? . Les détails de cette cérémonie sont entière
ment druidiques . Le prêtre était vêtu de lin ; tourné
vers l'Orient, il aspergeait sept fois les assistants avec
le sang de la victime ; puis ', mettant les deux mains sur

la tête du bouc expiateur, il confessait les péchés des


enfants d'Israël et le lâchait dans le désert ".
Dans d'autres rites, c'était une vache que l'on prenait
pour symbole de l'expiation des péchés ; ainsi , dans
l'Inde occidentale, comme nous l'apprend Valera 5, les
habitants se confessaient de vive voix pour se nettoyer
de leurs péchés; l'Inca º se confessait au soleil ; puis , se
? Le latin Caper, bouc, est le même mot que l'hébreu Kipour, expia
tion, et l'ibérique Caparra , qui signifie gage, caution pour les iniquités
des autres .
? Dans nos contrées atlantiques , le reflux se fait vers l'West ; or
Wuest signifie désert, et ces deux mots sont souvent confondus .
DARSY. Dict. flam .
3 Lévitique, ch . XVI, passim .
* Les juifs d'Espagne, selon Léon de Modène, prenaient, au lieu de
bouc, un coq. Le prêtre lui frappait trois fois la tête ; puis les assis
tants, s'étant confessés et les péchés étant appelés sur la tête de
l'animal , on l'immolait .
5 Voy. Histoire des Incas , liv. II , ch. VI . GARCILAS.
6
Voy. CLAVEL. Histoire pittoresque des religions.
400 DIX -HUITIÈME THÈSE

baignant , il disait au fleuve ': Reçois les péchés que j'ai


confessés à mon père le Soleil, va les porter à la mer;
or, dans les mystères de ce pays, la déesse lunaire et
purificatrice se nommait Koža ?, mot évidemment dérivé
de Koe qui , chez les Celtes , signifie vache; dans l'Inde
orientale, d'après les préceptes des Brames , la bouse de
3
vache dont on se frotte, efface : les péchés ; et si l'on
meurt tenant en main la queue d'une vache , l'on obtient
son salut dans l'autre vie . Cette vache purificatrice
qu'on retrouve dans les deux mondes s'identifie par son
nom celtique , Koe , avec le pontife Koïès “, et, si nous
nous approchons encore plus du centre originaire de
toutes ces institutions , nous sommes ramenés aux mys
tères de la déesse-vache , de Koe-bele ", la Cybèle de nos
aïeux .
On voit par tout ce qui précède que la forme confes
sionnelle pour purifier l'âme de ses souillures, étant
dégagée des symboles qui la masquent, se retrouve dans
les deux mondes et , par conséquent , sur les bords du

1 Ce fleuve s'appelait Titicaca, comme le lac ( Tidt, flux).


? Mango Capac était le soleil et Mama-Koïa la lune, selon Garcilas.
Le fleuve était mystiquement le Hélion , fleuve du soleil .
3 Vacca, bach dont nous avons vu la relation, ont fait les verbes
vegen , effacer.
* Le mot Koïès a été travesti de toutes manières. Cojo, en ibérique,
signifiant boiteux, le prêtre de Vulcain, le prêtre des mystères d'Isis,
dans Apulée , étaient boiteux.
5 Bele, fée, déesse. Darsy. Dict. flam . Cybèle était la déesse à la
vache, Herta -meisse, la vierge à la biche, Dordzi po mou, la sainte
mère au sanglier .
6 Cette déesse fut souvent appelée Jung-wife, jeune fille, mot qui
dégénéra en Geneviève .
RÈGLES DE DISCUSSION 401

Gange où elle fut portée par les émigrations celtiques ' .


Ces émigrations ne se sont pas faites d'un seul jet ;
mais depuis les temps les plus reculés où les premiers
Atlantes , armés du silex taillé , s'ouvrirent à travers les
ronces , les mammouths , les sauvages , des routes nou
velles pour pénétrer dans d'autres vallées , jusqu'au
jourd'hui où leurs descendants enlacent de leur puis
sante étreinte tout le globe , bien des civilisations se
sont succédé, bien des colonies les ont transportées
au loin , de sorte que , dans les pays les plus divers , on
retrouve à tous les degrés des traces de leur appari
tion . Il n'est même pas besoin d'une recherche bien
profonde pour reconnaître les points de la côte euro
péenne d'où sont parties les principales nations .
Ainsi , on remarquera que les peuples baltiques se
sont surtout portés vers les régions américaines ; les
Chorotèques du nouveau monde , comme les Suèves ?
>

du nord de l'Europe , laissaient sur leur tête rasée une


touffe de cheveux ; de même qu'au voisinage de la Mag
daléna sont les Béraguès, les Muiscas , et leur capitale
Cundina-Marca , vous retrouvez , aux bords de la Balti
que , les Varègues, les Moscovites et je puis dire Kundino
Mark , le margraviat du Kundino 3 ; c'est de ce dernier
nom qu'on appelait le chef de quelques nations suèves .
| Les colonies celtiques ont transporté en Amérique et en Asie les
éléments de l'ancien culte. La région mère n'a conservé que ceux qui
ont été ravivés par la religion chrétienne.
2 Voy. MALTE-BRUN . Les Suèves, dit Tacite, avaient coutume de
crinem nodo substringere .
3 Les Burgundes de la Baltique appelaient leur chef Kundino .
MALTE-BRUN . Liv . XII . Ceux de la Gaule le nommaient Chyndonax ,
Xuvèovaž. Inscript... Voy. Encycl. méthod .
26
402 DIX -HUITIEME THÈSE

Au fond de l'Asie , on trouve surtout trois grandes


formes nationales : en Chine, en Mongolie et dans
l'Inde .
Nous avons suivi jusqu'en Chine la trace des anciens
Belges , et effectivement ce qui distingue la région d'où
ils partaient domine également dans le céleste em
2
pire; les légendes de Merlin ? sont celles de Confucius
et tous deux naissent à Cambalu ; les cloches en bronze
sont, pour l'étain qu'elles renferment, toute la célébrité
du Cornouailles , elles sont de même sacrées en Chine et
y portent des noms occidentaux : Tamtam et Puk ", par
exemple , ne ditfèrent point de Tintinnabulum et Pauke.
Dans l'Inde , où nous savons qu'abordèrent les Ibe
ringi", tout nous ramène dans la région atlantique des
Ibères ; la Trimourtiº, les Brames non organisés sous
un seul chef, les pierres noires de Bénarès?, de Jagre
nat , et tant d'autres similitudes , que nous ne pou
vons encore qu'indiquer, montrent l'Espagne comme la
source du Bramisme .
Le Boudhisme mongol rappelle plutôt l'ancien état
· Les deux Bretagnes , dont les habitants sont appelés Belges par
Ptolémée et Strabon .
2 Lin se dit Belech, en breton, Bad, en phénicien ; d'où Mair-lin,
Belge , Athair-bad signifient vêtu de lin, druide.
3 Puk , en chinois , Pauke , en allemand , signifient cloche.
1

4 Tin, étain , en anglais. De ce mot répété et de Bell, cloche, on a


fait Tintinnabulum .
5 Cosmas nous apprend qu'au nord de l'Inde sont les Magiars et les
Abares (Ibères).
La trimourti indienne ressemble à la trinité homérique qui était,
selon Diodore de Sicile , celle des Atlantes .
7 Les Piedra-hita , pierres noires, qu'on rencontre par toute l'Es
pagne . Thèse VIII .
RÈGLES DE DISCUSSION 403

des Gaules ; les religieux y sont en monastères et un


grand lama; un archidruide, chef de la religion, y pos
sède l'autorité suprême . Cette forme de druidisme , nous
dit César, venait de la Bretagne ; ce sont donc les émi
grations gauloises qui la transportèrent jusqu'au fond
de l'Asie.

De la certitude en matière ethnographique.

Toute la science reconnaît aux deux extrémités de


l'ancien monde une grande similitude dans les institu
tions des peuples et, par là même, une communauté
d'origine. Tout ce qui précède semble insinuer que la
marche civilisatrice est partie d'Occident ; mais dans
une discussion grave, où se balancent des résultats
d'un si grand poids, il faut plus que des insinuations et
des systèmes , il faut plus que des assertions avancées
sur la foi d'un homme . Des documents de tous genres
sont depuis longtemps entre les mains des savants et
se multiplient chaque jour, mais ils ne sont pas tous
recevables.
On s'est basé sur les arts , les usages, les types, les
langues, la religion ; or, en général , ces éléments de
recherche sont insuffisants pour fixer la certitude dans
une question de cette nature ; la ressemblance de deux
objets placés dans des régions différentes ne détermine
nullement leur point de départ.
Ainsi d'abord , parmi les arts , prenons les instru
ments à cordes ; ils sont de ces choses qui se trouvent
partout et que personne n'a inventées . Une corde est
404 DIX-HUITIÈME THÈSE

tendue , on la pince , elle rend un son ; on la tend


davantage, le son devient plus aigu ; au lieu d'une
corde on en met deux , trois , et l'on joue un air ; au lieu
de pincer l'instrument, on le racle avec une tige den
telée, qui bientôt se change en archet , et voilà le
violon trouvé. Aussi tous les peuples ont eu des instru
ments racleurs que les Gaulois nomment Rebec, les
Hébreux Rebiac , les Arabes Rebab , les Indiens Rava
nastron , les Russes Gandok ; chez les Latins , le violo
>

niste se nommait Rasorl. Comme on le voit, il y aurait 9

plus que de la naïveté à chercher pour le violon une


patrie, et l'on se demande comment un savant musicien
de notre époque , pour ennoblir cet instrument, songea à
le doter d'une origine asiatique : C'est de l'Inde, dit-il,
que nous est renu le violon .
Les usages sont tenaces dans les foules, et , aprės bien
des siècles , on les retrouve sans altération chez des
peuples fort éloignés . A l'époque du printemps , au
renouvellement de l'année , l'usage existe parmi les
Persans de se donner réciproquement des oeufs de cou
leur ?, et ces présents échangés s'appellent chez eux
а
Cadaou ; on sait que , de tout temps , le même usage
existé parmi nous ; or, une pareille coutume peut naître
partout où il y a des oeufs.
Les types ne sont pas une plus sûre ressource ; la
nature a des influences locales très-variées et dont nous
ne connaissons pas les secrets . A des distances très

i Rasor vient de Radere, racler ; ce qui prouve que, par le mot


Rasor, Festus veut parler d'un violoniste .
2 CLAVEL. Hist. pitt. des relig. PIETRO DELLA VALLE, Voyages, etc.
RÈGLES DE DISCOSSION 405

grandes, des causes inconnues donneront à deux peu


ples , primitivement les mêmes, une déformation diffé
rente. Sur notre type on nous a appelés Caucasiens ;
me dira-t-on pourquoi les habitants du Caucase ne
seraient pas des Atlantes ?
Les langues surtout ont une élasticité qui se plie å
toutes les interprétations. Les mêmes mots se rencon
trent souvent chez les nations les plus éloignées ; on
voit bien qu'ils ont une origine commune , mais , en
général, rien n'indique quelle est cette origine. Ainsi ,
en sanscrit, Dag signifie tuer ; en allemand , Degen
veut dire une épée ; or, les Allemands prétendent que
c'est le mot asiatique qui est la racine de l'autre ; je
suis prêt à accepter ce système; mais voilà un demi
siècle que nous en attendons la démonstration, et cer
tainement des exemples de ce genre sont loin de mon
trer que c'est en Asie qu'il faut chercher les racines de
nos langues occidentales.
Lorsque Rama reçoit les attributs de la royauté , on
lui met en main le Danda ', c'est-à- dire le sceptre , le
pouvoir de châtier ; c'est donc du sanscrit, nous dit- on ,
que dérive le latin Tundere, frapper ; mais pourquoi
ce verbe n'aurait -il pas pour racine le mot ibérique
Tunda, qui signifie bâton , bastonade?
On sait que le lion d'Amérique se dit Puma ; on sait
aussi que le tigre, en Corée, est appelé Pom ?; et , là
dessus, l'école moderne se met en savantes recherches
pour découvrir comment les peuples de l'extrême Orient
1 Dans la Ramayana.
? SIEBOLD . Voyage au Japon , t. V.
406 DIX - HUITIÈME THÈSE

ont traversé l'Océanie , tourné une, moitié de notre


globe, pour arriver en Amérique, coloniser ce pays et
у laisser le mot Puma. Mais est-il bien démontré que
ce mot n'a point existé autrefois dans nos pays, d'où il
se sera répandu d'un côté chez les Coréens , et de
l'autre chez les Caraïbes ? Par exemple, il y avait dans
le Latium plusieurs villes antiques appelées Suessa ;
l'une était surnommée Pometia , et justement sur ses
médailles ? , que nous avons encore , se voit un lion . Le
mot Pôm a donc existé autrefois chez nous, comme chez
ces deux peuples extrémes.
Jusqu'à ces ogres qui ont tant effrayé notre enfance,
ils durent avoir un nom d'origine orientale . Au fond de
la Mongolie , on découvrit des peuples complétement
inoffensifs, appelés Oigours ; le moine flamand, que j'ai
nommé plus haut , traversa leur pays sans être mangé.
Qu'importe! Je lis dans des livres écrits parmi nous
que c'est de là que vient notre mot Ogre . Mais ce nom
gaulois, ainsi que toutes ces légendes que nous retrou
vons au fond de nos provinces , ont pris racine chez
nous ; ce sont les dernières déjections de nos vieilles
mours . Dans le cours de la transformation sociale que
nous avons décrite , il se rencontra, avons-nous dit ?,
des hommes puissants qui exerçaient du fond de leurs
tourelles des exactions primitiales sur leur voisinage.
Quand le peuple se fut affranchi de leur joug , il repro
duisit son triomphe à sa manière et travestit ce sou
venir sous toutes les formes. Les Hébreux ont désigné
| Encycl. méthod . Antiquités .
2 Voy, these X Ve.
RÈGLES DE DISCUSSION 407

sous le nom de Hog' le chef de cette tyrannie ; et ce


mot, suivant le génie des anciens temps , fut pris dans
ses diverses acceptions pour former toutes sortes de
légendes sur ces hommes fameux. Hoch signifie grand ;
on en fit des géants , et ces combats de géants ? que
tous les peuples racontent ont cette origine ; Oog veut
dire aussi un oeil, et les Homérites jouant sur ce mot
>

donnent au géant Polyphème un seul wil qu'ils placent


3
au milieu du front et qu'Ulysse détruit par un brandon 3
enflammé. Chez nous , c'est dans le langag e et les
contes populaires qu'il faut chercher ces souvenirs tra
ditionnels . Une de nos langues “ a désigné par le mot
Hog l'animal qui est resté comme symbole du droit
5
repoussant 5 auquel les peuples s'étaient soustraits ;
une autre appelle Heuchtidt le jour des noces et Hocke
le pourpoint qui servait aux déguisements pour les
orgies . Le rapprochement de tous ces mots montre que
c'est dans ce groupe que se placent nos ogres , toujours
cachés dans leurs donjons inaccessibles, toujours avides
de chair fraiche.
C'est une erreur de la philologie moderne de croire
que quand la racine d'un mot se trouve dans un pays,
c'est de là que vient ce mot . Par exemple , la flûte pri
10g , roi de Basan , chef de peuples que la Bible appelle tantot
Amorrhéens, tantôt Rephaïm. Voy. thèse XVc.
? Les guerres des Titans n'ont aucun rapport avec ce que nous
disons des géants. Voy. thèses Xe et XI .
3 Souvenir des bourgs brûlés. Thèse X Ve.
* La langue anglaise .
5 Cet animal n'est pas le plus malpropre de la basse - cour ; no
minie que porte son nom date des anciens mystères.
6
Tidt, temps. Dict. flam .
408 DIX -HUITIÈME THÈSE

mitive, simple bâton troué , se dit en grec Surinx et


semble , par conséquent, dériver du celtique Sureau;
cette racine n'existe que dans nos langues , mais elle a
pu exister en Orient et s'y perdre .
Au reste , dans l'Inde, les termes les plus sacrés, les
plus orientaux , sont-ils eux-mêmes à l'abri d'une inter
prétation atlantique ? Les livres saints des Indous ont
été recueillis par le sage Wyasa; mais Wyse, dans nos
langues occidentales , signifie Sage. Dans la Mahaba
rata , la race coupable des Coros étant détruite, leurs
vainqueurs , les enfants des dieux , les Pandos sont
transportés dans la céleste demeure de l'Himalaya;
mais dans nos contrées Heimel aya 1' signifie celeste
demeure ; et quand l'interprétation courante tire ce mot
de lima Laya, pays de neige, elle donne à des héros
vainqueurs une étrange récompense . Le dieu Mouni
est la grande divinité des régions gangétiques; on
l'appelle Mahamouni , Chakiamouni ; or, ce mot pour
rait bien être venu d'Europe avec les Ibères ; en Ibérie,
on a trouvé une inscription antique qu'on peut voir
dans Muratori et sur laquelle étaient gravés ces mots :
DEO Mouno . On connaît dans l'Inde la secte religieuse
et antique des Béraguès ; n'étaient -ils pas les adora
teurs du dieu Baræcus dont le nom se lit sur des
inscriptions trouvées en Espagne ?? Le fleuve sacré des
Indous se dégorge des montagnes par une cataracte

| Heimel, ciel. Aya, en grec, en erse, en hébreu, en celtique, en


indou , signifie terre.
2 Encycl, méthod. Antiquités .
RÈGLES DE DISCUSSION 409

fameuse appelée Vara -moul, mot purement celtique et


qui signifie gueule de la vache ' .
Par cette esquisse , il est facile de voir que ceux qui
se sont appuyés sur les langues , les noms, sans s'aider
d'ailleurs pour retrouver nos origines , ont laissé la
question dans toutes ses incertitudes.
Enfin , la religion ancienne est tout aussi impuis
sante que le reste à nous montrer par elle-même le lieu
de son origine . Née sur un point du globe , elle trans
porta au loin ses mystères et ses légendes ; en sorte
que les mêmes dogmes s'enseignent partout , les mêmes
prodiges ont partout des monuments qui sembleraient
indiquer que c'est là qu'ils se sont opérés. Dans l'ile de
Ceylan, on trouve sur le mont Hamalyi? une pierre où
est marquée l'empreinte du pied de Boudha . Près de
Rome , au bord du lac Régille , fut livré le combat
où les Tarquins ont été défaits ; Castor et Pollux , nous
dit Cicéron ? vinrent du ciel pour assurer la victoire des
Romains , et la forme de leurs pieds resta gravée sur la
pierre où ils se tenaient. Dans les Antilles , au voisi
nage du lac Riquille4 non loin des monts Tarquin , les
Caraïbes montrent, selon Thévet”, une pierre longue
sur laquelle on voit deux traces de pied d'homme qu'ils

Varre, taureau , vache, en celtique et en phénicien . Maul, gueule,


museau .

? Ce mont n'a point de neige, et il porte le même nom que


l'Himalaya.
3 De nat . Deor , III . 5.
4
Voy. les cartes de Haïti et de Cuba, dans l'atlas de l'Encyclopédie
méthodique.
5 Voy. Thévet. Cosmogr. univers, XXI, 5 .
410 DIX - HUITIÈME THÈSE

disaient être du grand Caraïbe Maire Monan, etce fut


le Soleil qui commanda aux Étoiles : d'apporter cette
pierre en terre. Est-ce de Ceylan , est-ce de Rome,
est-ce de Haïti qu'est partie cette croyance ?
Tout ce qui précède montre qu'il faut faire deux parts
dans les monuments à employer pour retrouver nos
origines . Les uns , n'ayant par eux- mêmes aucun
caractère local, aucune marque propre à déterminer le
lieu où l'événement décrit s'est opéré , doivent être
inexorablement rejetés, si l'on veut sortir des systèmes ;
les autres se composant de détails fondés sur un phéno
mène naturel, unique, que la volonté de l'homme ne
peut transporter ailleurs, sont les seuls qui aient une
valeur dans les recherches qui nous occupent .
Par exemple , il est un lieu sur le globe où se trou
vent deux rochers voisins?; une flèche peut dépasser le
sommet de l'un , mais ne saurait atteindre le sommet de
l'autre ; la mer qui les baigne est sujette au flux, et
Ulysse , s'il ne veut s'engraver, doit y passer prompte
ment durant le court espace de la haute marée.
Cette peinture complexe de Charybde et Scylla аa été
décrite sur place par un poëte qui les a vus ; les peu
ples ont emporté ces récits dans leurs dispersions loin
taines ; on se conta d'âge en âge la légende homérique,
on fit ce que nous faisons tous les jours en appliquant
aux lieux où l'on se trouvait la description du poëte qui
ne s'y rapporte pas ; on appela Charybde et Scylla deux
rochers du voisinage et , après bien des générations,
I Castor et Pollux forment la constellation des Gémeaux,
2 Odyssée, ch . XII et XIII .
RÈGLES DE DISCUSSION 411

on finit par se persuader que c'étaient ceux-là qu'Homère


avait décrits. Égarés par cette tradition fictive, nous
remarquons, entre la Sicile et l'Italie, deux promon
toires qui ne sont pas voisins, qui n'ont pas les iné
1 gales hauteurs marquées par le poëte , qui se trouvent
dans une mer sans flux et sans danger , mais qui sont
vulgairement appelés Charybde et Scylla ; la fatalité
des noms nous entraîne , et , malgré la nature , malgré
les doutes de l'antiquité savante , nous nous efforçons
d'y voir les rochers d'Homère .
Mais si , nous débarrassant des préjugés de la routine ,
nous nous demandons où sont réellement ces deux
rochers, nous chercherons non pas ceux qui portent les
noms de Charybde et Scylla (partout on a pu appliquer
ces noms) , mais ceux qui ont la hauteur demandée, qui
sont baignés par le flux, qui offrent, en un mot , des
caractères qu'ils portent seuls , et qui , depuis Homère,
n'ont point changé .
J'ai tracé dans ces derniers mots le tableau de toute
l'antiquité. Les peuples , en se séparant de la mère
patrie, en emportèrent des images qui la reproduisaient
dans tous les détails ; les générations suivantes ne com
prenant plus ces symboles les interprétèrent à leur
façon, créèrent ainsi toutes ces légendes qui constituent
le chaos des mythologies anciennes et les appliquèrent
partout. Notre travail est donc de rechercher par le
principe émis plus haut , par ce que j'appelle des argu
ments de précision , les contrées où s'adaptent les des
criptions réellement tracées par les fondateurs de la
civilisation primitive.
412 DIX - HUITIÈME THÈSE

Exemples.

Faisons ici quelques applications de la règle précé


dente aux prétendues colonies préhistoriques venues
d'Orient.
Il y a entre l'Étrurie et la région de l'Èbre , en
Espagne, de grandes ressemblances ; on trouve dans
les deux pays des monuments souterrains qui semblent
avoir une origine commune, des cités qui portent le
même nom , Ruscelliana " , Terracina , Cosa , Vetulonia,
Vescia, Ausa , des fleuves dont l'un se nomme simple
ment Lebrus, et l'autre De Hebris ? avec l'article, les
mêmes objets du culte , par exemple , cette ceintures
également vénérée à Rome sur le Tibre et à Tortose
sur l'Ebre. Rien dans ces mots ne laisse entrevoir quel
pays a colonisé l'autre, si les constructeurs sont les
Ausones de l'Italie ou les habitants d'Ausa en Espagne.
Les uns et les autres sont surtout fameux par leurs
grottes funéraires; mais je remarque qu'en Ibérie les
plus anciens de ces monuments sont bruts “, sans orne
ments , simplement creusés dans le roc , et qu'en Étrurie
ils sont construits , sculptés , présentant un commence
ment d'architecture . C'est donc des Ibères qu'est venue
l'idée des caveaux étrusques ".
i On reconnait, dans ces mots étrusques, le Roussillon, Tarragone,
Cose -tania , Bætulo, Vesci- tania , Ause-tania .
? Le véritable nom du Tibre, selon Varron , est Dehebris.
3 Appelée à Rome ceinture de Tanaquil.
4 DE LABORDE. Esp. pittor. Monuments d'Olerdola, en Catalogne.
5 Simples en Ibérie , travaillés chez les Étrusques, ornementés en
Egypte.
REGLES DE DISCUSSION 413

– Les anciens avaient des tablettes qui réglaient,


-

pour les besoins de la navigation, le lever héliaque des


étoiles . Aratus nous a donné en vers celles dont se
servaient les Grecs ; or, il se trouve que les heures de
lever marquées dans son poëme ne conviennent point à
la Méditerranée ; elles sont généralement faites pour
d'autres latitudes , et depuis longtemps déjà on en a con
clu que les Grecs avaient emprunté à d'autres peuples
leur science astronomique . Mais à quel peuple ? Les
livres indiens qui sont , comme on nous le répète chaque
jour , d'une haute antiquité ne mentionnent rien qui
touche à ces matières ; au contraire , les monuments
druidiques, qui reproduisent les phénomènes célestes ,
annoncent, par là même, qu'ils ont servi à élaborer la
science des astres et de la navigation.
Il est des noms qui se rencontrent les mêmes à
l'origine de toutes les nations ; il en est un principale
ment que la plupart des peuples civilisés donnent à leur
premier législateur ; c'est Mannus , chez les Germains ,
Minos, en Crète, Ménès , en Égypte, Manès , en Phrygie,
Manis, chez les Scythes, Monan, chez les Caraïbes,
Menou ?, chez les Brames . Leurs lois datent donc de
l'antiquité la plus reculée; le code de Menou , en parti
culier, est donc pratique depuis qu'il existe des Indiens;
>

or, il est dans ce livre un article inexorable qui défend


I C'est-à- dire , quel jour de l'année le lever d'une étoile se fait
une heure après le coucher du soleil . Ce jour varie suivant les lati
tudes .

? Menou ayant pour racine Maen, le flux lunaire et septuple, on


comprend pourquoi les Brames comptent 7 Menou et parlent d'un
déluge arrivé de leur temps.
414 DIX - HUITIÈME THÈSE

aux sujets de la religion bramique de sortir de l'Inde.


Dans ces dernières années, deux brames ' , envoyés en
mission par les Anglais , franchirent l'Indus ; mais bien
tôt, revenant sur leurs pas , ils coururent s'accuser d'un
crime qu'ils prétendirent être involontaire . Ils furent
excommuniés . Si donc nous avons retrouvé chez les
Indous quelques éléments de notre civilisation , c'est
qu'on les leur a portés ; et , en effet, dit Malte- Brun ?,
nous savons aujourd'hui que tous les noms de gros
narires usités dans l'Indoustan sont d'origine arabe,
circonstance qui doit faire rejeter toute idée d'anciennes
navigations exécutées par les Indous.
Les Anglais ont signalé dans l'Inde quelques traces
de science astronomique; mais ces monuments ont été
3
discutés par Laplace et Bailly 3 qui ont reconnu leur
origine occidentale et supposent que les Indous les
auront reçus de l'Europe par leurs relations commer
ciales avec cette contrée . Leur zodiaque, par exemple,
est parfaitement étranger à l'Orient ; il se compose de
douze signes qui sont exactement les mêmes que les
nôtres , formés des mêmes animaux ; on voit sur les
zodiaques de l'Inde, non pas les animaux d'Asie : l'élé
phant , le chameau , le tigre, la licorne ; non pas ceux
d'Égypte : la girafe, l'hippopotame, l'autruche, le cro
codile , mais ceux de nos contrées : le bélier, le tau
reau , l'écrevisse , le lion ", le scorpion, le bouc, les
1 Revue des Deux Mondes.
2 Géogr. , liv. XI .
3 Hist. de l'astron . indienne. The english cyclopedy.
4 Le lion se retrouve dans nos cavernes géologiques ; le tigre est
plutôt chez les Indiens . .
RÈGLES DE DISCUSSION 415

poissons. En outre, le septième signe, qui est la


Balance, s'appelle chez les Indous , Toula , et chez les
Celtes , Schale ; or, les Grecs le nomment Schelai, c'est
à -dire, dans leur langue , bras du Scorpion ', et mon
trent par là qu'ils n'ont fait que copier le celtique
Schale ; c'est donc le zodiaque des Druides et non celui
des Brames qui est passé en Grèce .
Il est remarquable que chez les Saxons , les Latins ,
les Grecs ?, les Indous , les Japonais, le premier signe
du zodiaque soit le Bélierº; ce zodiaque fut conséquem
ment imaginé vers l'époque où le soleil, à l'équinoxe du
printemps , était au milieu du Bélier "; c'est -à -dire,
comme on peut le voir par la théorie de la précession ,
1440 ans environ avant l'ère vulgaire ”. En effet, c'était
alors le siècle de la grande navigation des Phéniciens ,
comme il est constaté par les annales des Hébreux ,
des Chinois, de Ceylan, et par les traditions améri
caines; ce sont donc ces peuples qui sont allés jusqu'au
fond de l'Orient graver notre zodiaque sur les murs
des temples .

| La Balance est voisine du Scorpion .


? Les Grecs ont le même zodiaque que nous ; le signe de la Balance
est le seul qui diffère.
3 Le bélier se dit, en phénicien , Car, et Carear, en ibérique, signifie
guider un troupeau, comme fait le bélier. QUINTANA . Dict. esp .
* Le bélier se dit, en sanscrit, Mæcha ; Macho, en ibérique, signifie
måle .
5 Un peu avant le siècle d'Hipparque, vers 360 av. J.-C. , le soleil , છે.
l'équinoxe du printemps, entrait dans le signe du Bélier ; il avait donc,
depuis l'ère phénicienne , rétrogradé d'un demi-signe ; ce qui demande
1080 ans environ .
6 Thèses Xle , XXe et XXII .
416 DIX - AUITIÈME THÈSE

Quelle que soit d'ailleurs la haute antiquité que l'on


donne aux zodiaques orientaux , la civilisation des peu
ples de l'Occident et, sans doute aussi , leurs émigra
tions sont encore plus anciennes . Les cercles druidi.
ques, la tour des Baléares , les héméroscopes ' des Ibères
dépassent toute antiquité ; ces derniers peuples , nous dit
Strabon qui avait étudié leurs monuments, ont des
poésies qu'ils chantent depuis 6000 ans . Jusqu'ici on
n'a produit aucun document positif qui recule au delà
de cette date les zodiaques de Salsette et des plus
anciens temples de l'Inde .
- C'est une grande erreur de croire que le premier
signe d'un zodiaque puisse , au moyen de la précession,
7

nous faire connaître son antiquité . Les peuples ont pri


mitivement tracé les tablettes de Mithra , sans aucune
considération des corps célestes ; seulement , dans la
suite , lorsque les Phéniciens eurent besoin de se régler
sur les astres, ils donnèrent aux constellations des
noms empruntés à ces tablettes . Ainsi Mithra est
monté sur un taureau , le Taureau est le premier signe
chez plusieurs peuples de l'Orient. Ses tablettes décri
vent la Zélande qui a pour emblème le lion ? ; il en
est4 qui placent le Lion à la tête de leur zodiaque .
D'autres ", au souvenir de Nehal Ennia , ont préféré la
Vierge. On peut compter près d'une trentaine de

1 Thèses VI , VIIIe.
2 Voy. , pour tout ce qui concerne Mithra, thèse XI .
3 Les armes de la Zélande sont le Lion sortant des eaux.
4 Zodiaque de Dendera , en Égypte.
Zodiaque d'Esné , en Egypte .
RÈGLES DE DISCUSSION 417

figures dans les tables mithriaques, on voit des zodia


ques ' composés de 28 signes.
Dans le Mexique, le zodiaque commence au Lapin,
mais parce que les Ibères , qui ont colonisé ce pays,
avaient le lapin pour emblème, ce que l'on verra plus
loin.
On comprend ainsi pourquoi, en Égypte, le premier
signe est le Lion ; cette contrée n'est qu'une image
agrandie de la Zélande . Le plus ancien objet du culte,
3
chez les Égyptiens, d'après un savant ", est le Hélion ;
ils appelèrent leur fleuve Nehal , ils lui donnèrent un
triple * cours, ils lui tracèrent sept embouchures ; puis,
pour achever de copier la Zélande, ils mirent en pleine
évidence la figure du lion. Les Celtes avaient placé les
mystères de cette déité animale sur la Dender " ; les
Égyptiens, transportant dans leur pays cette même
image, en firent un temple qu'ils appelèrent également
Dendera
Remarquons en Égypte la position de Dendera . Cette
ville a dans son voisinage la terre de Memphis , la
grande Oasis, Assouan , la Thébaïde avec ses nombreux
>

monastères, le fleuve qui fit donner au pays le nom de

" Le zodiaque chinois a 28 signes.


2 These Xie .
3 De Rougé. Diodore de Sicile appelle Helios la plus ancienne divi
nité de l'Égypte.
• Tritaios potamos. APOLLON. DE RHODES. On plaçait, à côté de l'image
du Nil, trois cruches pleines d'eau, comme on le voit dans Horus
Apollo, qui ne sait point l'expliquer.
5 Amuent de l'Escaut, rive droite.
. Sur la rive gauche du Nil, sud de Thèbes.
27
418 DIX-HUITIÈME THÈSE

Mesr " , des statues représentant Thot, le Mercure égyp


tien ; or, tous ces mots se pressent autour de la Dender,
>

et tous ils désignent des lieux fameux par leurs ruines


à bases cyclopéennes, leurs urnes funéraires; vous y
trouvez le Memphiscus? pagus,, le pays de Waes, le
Zwin , la Tabuda, dont les bords sont semés d'antiques
abbayes, le fleuve de la Meuse , littéralement Maes-re,
une statue en bronze représentant Mercure, le Thot des
Gaulois , et trouvée à l'embouchure même de la Dender 3.
Les géographes anciens, du reste, aident à ce rappro
chement lorsque, parlant des deux pays, ils placent
dans l'un les Atrébates et dans l'autre les Atrébites.
: En considérant avec soin le monument égyptien de
Dendera, on remarque bientôt que ce n'est pas véritable
ment un zodiaque * et que rien n'y annonce une descrip
tion du ciel ; il se compose d'une soixantaine de figures
en désordre , lesquelles forment un tracé hiéroglyphique
du pays que baigne la Dender ; c'est une tablette faite
comme celles de Mithra . Le Lion , dit-on , y tient le pre
mier rang ; mais si nous prenons la figure tout entière,
nous y voyons une femme ayant devant elle un serpent
sur lequelmarche ce lion ; c'est la déesse de la Dender®;
1 L'Égypte ne se compose que du fleuve.
2 A l'embouchure de l'Escaut est le Memphiscus pagus. Voy.
DE BAST, MIRÆUS. Je lis dans un diplôme cité par ce dernier : Volumus
ut habeat unam mansam ... in Merendrà, in MEMPHISCO. Oper. diplom .
Tom. I , pag. 20.
3 A Termonde. DE Bast.
4 On voit, à Dendera , une autre tablette où le lion est le premier des
douze signes.
5 De ander, D'ander , Dender , le transformateur, Anderen, trans
former.
RÈGLES DE DISCUSSION 419

le flux , sous la forme mystique d'un lion ' à crinière


flottante ”, pénètre dans le fleuve et le parcourt en ser
pentant; et , en effet, on peut constater sur la Dender
de nombreux souvenirs du lion ; ici , c'est une ville qui
elle -même s'appelle Dender-Leeu ; là, c'est un grenat,
un onyx sur lesquels un lion est gravé et que l'on
3
retrouve dans le sol, dit un vieil auteur, parmi des >

antiques tasses de terre et cruches. Sur le monument de


Dendera on distingue aussi un Taureau qui retourne
la tête et qui, par conséquent, n'est autre que le taureau
de Mithra ; un chien qui tient sous sa patte l'image égyp
tienne de l'eau courante * et qui tourne aussi la tête en
arrière, ce qui désigne clairement le Hont et son reflux ;
un bélier qui également regarde derrière lui ; un ours5
qui , plus grand et placé au centre, se tient debout comme
ceux de nos Pyrénées , appuyé sur un bâton .
Mais la figure de la Vierge est à remarquer ; les uns
l'appellent Thémis , d'autres , Uranie, d'autres, Cérès .
Voyons ces mots.
D'abord sur l'Escaut , au voisinage des lieux que nous
décrivons, se trouve Tamise ; les anciens , la personni
fiant sous le nom de Thémis , lui mirent dans une main
un glaive ondulé pour figurer le fleuve, et dans l'autre

? Il ne s'agit que du lion marin qui, dans les tables, porte le nom
égyptien de Menté; le lion d'Afrique s'appelle, en égyptien, Moui.
: En saxon, Mane signifie lune (flux lunaire) et crinière . Il ne faut
point oublier que l'on parle ici du Lion de Zélande, du lion sortant
de la mer pour pénétrer dans les fleuves.
3 GUICHARDIN . Description des Pays -Bas. Alost.
4 Des lignes ondulées. Il ne s'agit donc point de l'étoile Sirius.
5
5 Il n'y a point d'ours au voisinage de l'Égypte.
420 DIX - HUITIÈME THÈSE

une balance qui , comme l'Escaut , se dit Schale ; puis,


pour résumer en elle les mystères du flux et du reflux,
ils lui donnèrent pour mère Tilaia '; ils prétendent que,
dans le ciel, elle est assise à côté de Jupiter ; et , en
effet, au siècle passé, on trouva une statue de Jupiter
sur l'autre rive de l'Escaut, en face de Tamise ? Nous
savons qu'il y avait à Tamise un cloître druidique
nommé Heimel-berg, c'est-à-dire , littéralement, céleste
demeure ; quand les Celtes répandirent leurs institu
tions en Gaule, en Ibérie, chez les Étrusques, dans
l'Égypte, ils laissèrent, sur toute cette route, des noms
qui rappelaient le pays d'où ils étaient partis , et c'est
ainsi que nous retrouvons au centre de l'Ibérie un
Heimel-berg, cloître fameux que les anciens appelaient
Amallobriga; les uns , traduisant Heimel par céleste,
nommèrent la déesse primitiveUranie ; d'autres, croyant
lire Amalla qui, en grec, signifie gerbe, lui mirent en
main un faisceau d'épis ; et c'est avec ce symbole que,
sous le nom de Cérès , elle paraît dans le monument de
Dendera .
Les autres symboles vivants ou sont difficiles à recon
naitre , ou se retrouvent dans les tablettes de Mithra.
Parmi les objets inanimés je remarque la Balance,
Schale, qui est l'Escaut; une massue qui , se disant en
grec Ropalon 3, désigne le Rupel “; une faulx exacte
ment semblable à celles que l'on retire des fouilles au
| Tidt, flux. La lune est aussi appelée T'itaia . APOLLON. DE RHODES.
2 A Bornheim. DE GRAVE. République des champs Élysées. Tome II.
3 Thèse IXe. La massue d'Hercule est appelée Ropalon .
4 Affluent de l'Escaut, rive gauche, au-dessous de la Dender.
5 Ann . archéol, de Namur .
RÈGLES DE DISCUSSION 421

voisinage de la Dender et dont on se sert encore dans


le pays.
Au sujet de ce dernier emblème, je fais la réflexion
suivante. Il y avait deux Égypte, l'une réelle, l'autre
mystique ; cette dernière était le pays idéal d'où
venaient les Égyptiens et dont ils ne connaissaient
plus l'emplacement; mais ils continuaient toujours à la
décrire ; c'était pour eux le pays où se rendaient les
âmes après l'embaumement; ces âmes s'y livraient aux
occupations locales et surtout y pratiquaient l'agricul
ture. Cette scène , décrite dans le Rituel funéraire ', n'a
rien de commun avec la vallée du Nil : Les champs en
culture , y est-il dit , sont arrosés au moyen de canaux
qui prennent l'eau au fleuve primitial; des arbres
s'élèvent sur le sol ; les âmes labourent avec une
charrue tirée par deux vaches qu'elles excitent au
moyen d'un fouet; on sème , on coupe les blés avec
une faulx , et on porte les prémices sur l'autel de
Nehal.
Comme il est facile de le voir, ces irrigations artifi
cielles, ces arbres plantés sur les bords du fleuve, ce
pénible attirail d'une charrue ?, c'est toute l'agriculture
de nos pays .
Enfin, pour en revenir à notre système d'argumenta
tion, parmi ce grand nombre d'animaux répandus sur

i Traduit des anciens hiéroglyphes .


2 En Égypte, il n'y a de culture que sur la rive inondée ; il n'est donc
question ni d'arbres, ni de charrues.
3 Les âmes , dont parle le Rituel, se disent, en celtique, Ziel ; Ziel
land , c'est - à - dire la Zélande , signifie terre des âmes.
422 DIX -HUITIÈME THÈSE

le monument égyptien , on peut remarquer que pas un


seul n'appartient à l'Égypte; aucun ne laisse voir à son
cou allongé qu'il soit une girafe ou une autruche;
j'y cherche vainement une trompe d'éléphant, une bosse
de chameau , une apparence d'hippopotame, de singe,
de crocodile ; ces animaux africains, par leurs formes
étranges, étaient cependant appelés à figurer avant
tout dans un monument de cette espèce fait en Afrique.
Il faut donc avouer que le tableau de Dendera retrace
non pas le pays où étaient les Égyptiens, mais celui
d'où ils venaient .
L'Égypte mystique a parfois des tableaux d'une
étrange précision , comme , par exemple , celui qui se
>

voit dans un temple de Thèbes ' et qui décrit le cours


du fleuve du Soleil. On voit le Soleil qui nait à l'orient;
placé dans une barque, il vogue sur le fleuve sacré qui
l'emporte vers les régions occidentales ; près d'arriver
au terme , il entre dans un vaste bassin , il longe
la terre des âmes , puis il se prépare à lutter contre
l'Océan , où le redoutable Apophis se tient caché; vaine
précaution, car bientôt un contre-courant, partant de la
mer, repousse le Soleil vers l'orient.
Ce fleuve solaire est le Hélion ?. Le Hélion court
vers l'occident ; il rencontre un vaste bassin ; il longe
la Ziel- land , littéralement la terre des âmes ; il affronte
l'Océan et son flux ; il recule vers l'orient.

Dans la vallée de Biban-el- Molouk. CHAMPOLLION.


2 Cette confusion mystique de Hélion, fleuve, et Helios, soleil , existe
dans le monde entier, et, chose surprenante ! c'est sur un mot grec
qu'elle est basée .
RÈGLES DE DISCUSSION 423

C'est ainsi qu'en parcourant toutes les inscriptions


hiéroglyphiques des temples égyptiens, on retrouverait
la géographie complète du pays des anciens Celtes, la
description de nos fleuves, de nos vieux monuments ,
de nos grottes à momies ; on y reconnaîtrait même des
mots restés en usage parmi les populations de nos
contrées . Par exemple , dans la navigation que nous
venons de décrire, le Soleil , à son départ , est figuré
sortant du sein de la brillante Neith ; la barque mysté
rieuse qui le porte est dirigée par une muse qui se
nomme Sori ; or, ces deux mots appartiennent à la
langue parlée aux bords de la Meuse, et signifient éga
lement momie ; le premier est encore vulgaire parmi
les habitants de ces parages ; ils croient toujours qu'il
y a des gnomes dans les grottes qui bordent le cours
du fleuve, et ils les appellent des Nutons ; mais ce qui
prouve que ce mot dérive de Neith , c'est une inscription
trouvée sur les lieux mêmes et où le nom de cette
déesse est à peine défiguré; on y lit ? :

Ex voto NEUTTO TEGAUSI . U. S. L. M.

Ceux que nous appelons rois , en Égypte, étaient des


pontifes, des prêtres Jean , ne faisant qu'un avec le
fleuve primitif et purificateur, avec ce même fleuve idéal
où nous avons vu naviguer le Soleil ; aussi , pour rendre

Nudus, Nood, signifient nu , décharné , momifié, réduit ; Sore,


> >

desséché , momifié. Dicl . lat. et celt.


? Ann . de la Société archéol. de Namur. Neith , comme Nehal Ennia,
est représentée assise.
424 DIX -HUITIÈME THESE

complète l'identification, ils prenaient les noms mêmes


du dieu dont ils tenaient la place ; les uns, dans les
monuments égyptiens, sont appelés Soleil , image du 4

Soleil ; d'autres, Moris, Ram-sée ' , ces deux mots


signifiant marée , flux purificateur; mais la plupart,
précisant davantage, se nommaient sans détour Amasis,
c'est-à-dire Meuse , ou Theut-Mosis ?, flux de la
Meuse.
Comme on le voit, ce sont nos fleuves celtiques qui
arrosent l'Égypte céleste ; mais parmi eux la Meuse
paraît avoir eu les plus grands honneurs . Par exem
ple , les Atrébites , au rapport d'Hérodote , avaient pour
principale divinité un rat ; confusion mystique du mot
Maus, rat, et de Meuse qui est le nom du fleuve d'où
ils venaient. En outre , rien n'est plus sacré chez les
or, cette double
Égyptiens que le mythe d'Osiris et Isis; ,
déité est la figure de la Meuse . Osiris , allant conquérir
l'Inde , part avec un loup et un chien ; l'un est le Zab 3, 5

l'autre le Hont . Il est suivi des neuf muses ; c'est le


cromlech des neuf dolmens qui se voit à Namur 4. Il est
revêtu d'une peau de panthère; Namar signifie pan
thère". Il arrive chez les Éthiopiens; c'est -à -dire, chez
les Cauchi de la Zélande . Il fonde le royaume de

Ruymen , purifier, curer un fleuve. Darsy. Dict. flam .


2 Theut, Tidt, marée. Maes, en celtique , Mos , en japonais, signifient
estuaire par où s'écoule l'eau d'un fleuve. SIEBOLD.
3 Sabus , la Sambre ; Zab, loup, en phénicien. Le loup d'Osiris se
nomme Makedo (Magd , Zabbe, sabines).
4 Thèse X®.
6 Namar, panthère, en phénicien.
RÈGLES DE DISCUSSION 425

Maron; là, en effet, est le pays des Morins ?. Il périt


en arrivant dans l'Inde ; Einde, fin du fleuve. Il est
ramené par Isis, la déesse au croissant lunaire; il est
repoussé par le flux qui a pour cause la lune ?.
On peut voir , sur cette dernière citation , la manière
dont chaque peuple a transformé les souvenirs qu'il
avait emportés du Hélion . Ainsi , par exemple , ce Zab
que nous venons de nommer se retrouve dans tous les
pays où nous avons fait arriver des colonies celtiques,
mais étrangement altéré. En Égypte, c'est un loup
qu'Osiris prend pour son compagnon ; chez les Ro
mains , c'est une louve qui nourrit Romulus 3 ;; à Baby
lone, ce sont les Sabéens dont la divinité principale est
Hel* ; à Ninive, c'est, de même qu'à Namur, l'embou
chure d'une rivière nommée Zab par les gens du pays
et Lycos, loup , par les Grecs ; en Thrace , c'est Bac
chus qui tue Lycurgue 5, fils de Namée , et s'enfuit >

sur un char traîné par une panthère; en Moesie, c'est


saint Sabas ? qui , poursuivi par les Goths , se jette dans
Romulus et Enée (Ennia) se confondent, d'après Ennius ; or, sur le
bouclier d'Enée étaient

Extremique hominum Morini, Rhenusque bicornis.


? La lune, en phénicien, se dit Leban ; saint Lebuin est le patron de
Zircksée, aux bouches du Hélion.
3 Thèse XIe.
4 D'après Servius expliquant Virgile . Sabus et Hélion .
5 Lukos argos, littéralement Loup blanc. Un masque se dit loup ;
les Thraces appelaient leurs orgies Lycurgeia , au Japon , le loup se dit
Oho-kami, grand-esprit. Toutes ces notions nous montrent les mys
tères du Zab et des Sabines .
6 Stace parle d'un Lycurgue , fils de Namée.
7 Thèse X
426 DIX -HUITIÈME THÈSE

le fleuve Mosæus '; à Athènes , les initiés figuraient


par une procession le cours des deux fleuves, et au
souvenir d'Ennia et du Sabus chantaient pour refrain,
comme nous l'apprend Démosthène ?, Enos, Sabos;
enfin je dirai qu'à Namur même on voit , à l'embouchure
du Zab , l'église de Saint-Loup, toujours fréquentée des
pèlerins .
D'où est parti ce vaste ensemble des mêmes tradi
tions ? Les orientalistes scrutent, en ce moment , le sol
où furent Thèbes , Ninive , et ce qu'ils y trouvent de
plus ancien , ce sont des temples avec des sculptures et
des inscriptions ; plus bas rien autre chose que le sol
naturel , rien qui sente l'existence de l'homme. Autour
de Namur le géologue creuse aussi ; mais là , quand il
a dépassé la couche des monuments taillés, il rencontre
encore, par-dessous , des monuments bruts, des gîtes
funéraires tout délabrés , sans inscriptions , perdus dans
toutes les profondeurs du sol , où dorment toujours,
parmi leurs rennes et leurs mammouths , les pères de
la civilisation orientale .
Nous avons vu la science de nos aïeux chez les
-

Atrebites ; voyons- la chez les peuples de l'Atropa


tène .
Tout l'Orient s'est formé sur les connaissances
astronomiques des Celtes qui , dans ces régions , se
nomment Chaldéens . A cette époque ancienne , les
points cardinaux , déterminés avec précision , étaient
i Gat , embouchure, est traduit par Goths .
2 Démosthene reproche à Eschyne d'avoir chanté ce refrain dans les
processions .
RÈGLES DE DISCUSSION 427

figurés par des emblèmes naturels se rapportant au


pays où ils avaient été tracés . Or, il se trouve que ,
dans l'Inde , les symboles des quatre points cardinaux ' ,
en pleine contradiction avec le pays qu'ils doivent
décrire, sont faits pour la Gaule méridionale. Ainsi ,
dans les ouvrages sanscrits , Indra figure l'Orient, et
naturellement ses emblèmes sont ceux du soleil et du
jour. Iama ? désigne le Midi ; il a pour palais funéraire
le Naraga , c'est- à-dire les Noraggi : de Sardaigne, et
ses emblèmes sont des déserts de sable, des palmiers ;
ce qui convient à l'Afrique. Varuna , le Génie de l'Occi
dent, est assis sur un monstre marin appelé Makara“ ; il
tient dans ses mains un faisceau de plantes marines et
son palais se nomme Varuna Loka " ; ce qui fait recon
naitre l'Atlantique, le Mascaret , le flux de la Garonne.
Kourera détermine le Nord ; c'est le dieu du cuivre , des
mines, des gnomes souterrains®; il tient, en conséquence ,
" Sur les monuments astronomiques des Celtes , l'année fut d'abord
divisée en quatre parties, par des rayons de couleur différente ; pour
obtenir géométriquement les douze mois, il fallut diviser chaque
quart en trois angles ; d'où le problème mystique de la trisection de
l'angle.
? Iama, en phénicien , signifie la droite, le midi.
3 Fondés par Norax, selon les Grecs. Ce sont des temples à momies,
d'où le nom de Sar -tania , terre des momies ( Sauros, corps en
léthargie). On compte en Sardaigne plus de 250 Noraggi ; celui de
Tumuli a 6 pyramides, celui de Santi Santinu a 72 chambres réunies
par des corridors .
* Mascaret est le nom spécial du flux de la Garonne ; comme il
remonte aussi la Dordogne, les Bretons, comme les Indous, en ont
fait un monstre qu'ils appellent Dourdoun.
5 On dit également Garumna ou Varumna . Er cl. méthod. Loka
est le celtique Loch , estuaire oscillant. Lucrari vient de là.
6 Dans la montagne de Callova, chez les Finois ; là est Wieland.
428 DIX -HUITIÈME THESE

un marteau à la main, montrant par là les Cassitérides


et la Scandinavie .
Rien de tout cela ne convient à l'Indoustan .
- Si de l'Inde nous passons aux contrées du Nord ,
c'est la Germanie rhénane qui est visiblement décrite;
ainsi , la Chine se nomme elle-même Tchong kouo,
empire du milieu , c'est-à-dire, littéralement, Middle
bourg ', Asci-burgium ; or, c'est pour Asciburgium que
sont faits ses points cardinaux : le Midi est figuré par
le Génie du feu ; l'Occident par le Génie du métal
blanc ?, qui est l'étain des îles Cassitérides 3 ; le Nord
par le Génie de l'eau , c'est-à -dire, la mer du Nord et
la Baltique; l'Orient par le Génie des bois ; or, pour ne
prendre que ce dernier point, à l'orient de la Chine est
une mer, comme chacun sait , et à l'orient de la Zélande
est la forêt charbonnière , la fameuse Silva Carbonaria
des Latins
- Les Coréens ont toutes les traditions de Confu
cius ; c'est pourquoi les quatre mots qui, chez eux , dési
gnent les points cardinaux nous rappellent, comme pour
la Chine , aux bords atlantiques. L'ouest se dit Si, et
See désigne l'Océan ; le nord se dit Pê, mot qui signifie
père ; et, en effet, lorsque Confucius mourant s'age
nouilla tourné vers le nord, ce fut pour adorer ses pères

i Middle, milieu. Middle-bourg est l'Asci-burgium , l'Asbourg de


Tacite .
2 Plumbum album , en latin. Les Coréens l'appellent Si, mot qui
signifie également occidental.
3 On voit que les mêmes Cassitérides sont au nord dans le cas pré
cédent et à l'ouest dans cet exemple.
• Ces points cardinaux appartiennent à la doctrine du Tao- Tsé.
RÈGLES DE DISCUSSION 429

qu'il croyait, ainsi qu'Ossian, voir revivre dans les feux


éthérés des régions boréales ; l'est se dit Tong ; c'est
l'antique pays de Tongre ; le sud , chez les Coréens et
les Saxons, se dit également Nan '.
Ptolémée , faisant la description de l'Inde, cite
trois fleuves qui se réunissent en un seul et qu'il ap
pelle Diumna, Gangès, Sarabus. Cette notion était
évidemment prise des livres sanscrits où , en effet, on
les retrouve sous les noms de Djumna, Ganga, Saras
vati ; or , ce dernier n'a jamais existé chez les Indiens,
si ce n'est dans leurs rituels , et, malgré toutes les
légendes imaginées parmi les Brames pour expliquer
sa disparition , l'on est forcé de convenir qu'il n'y a que
deux rivières ; les uns racontent que la troisième exis
tait autrefois , mais qu’un dieu , dans un accès de colère ,
>

la dessécha ; selon d'autres , elle coule sous terre et on


ne la voit pas. Les rituels sont donc ici en pleine con
tradiction avec les lieux ; les Indous viennent donc
d'un pays arrosé par un fleuve au triple cours , et les
livres sanscrits sont faits par ce pays.

· Noon , midi. Dict, sax .


DIX-NEUVIÈME THÈSE .

COLONISATION DE L'INDE PAR LES ANCIENS CELTES .

En discutant les monuments antiques de l'Inde et


ceux de nos pays et les appréciant suivant la règle que
nous avons posée , on peut jeter quelque lumière sur
les relations qui durent exister entre ces deux extré
mités de l'ancien monde .
On voit, par les traditions des Indous, que c'est de
la vallée de Caehemyr que viennent leurs institutions ;
aussi cette terre a toujours été considérée comme
sainte parmi eux et, de toutes parts , ils s'y rendent en
pèlerinage . Une étude approfondie de leurs livres nous
laisse facilement entrevoir que ces institutions y furent
amenées par le grand courant civilisateur dont nous
avons recherché les sources, et qu'elles rappellent
par de nombreux détails le culte de la déesse phry
gienne .
Ces peuples appellent Manou celui qui leur donna
des lois , Brigou celui qui les leur fit connaître, Nanek '
1
Nanek, Gourou sont des noms antiques que plusieurs réformateurs
modernes ont pris. Les Nanékistes , aujourd'hui réformés, succèdent à
d'autres Nanékistes plus anciens.
ORIGINE DES ARYAS 431

le pontife suprême qui organisa leur culte, et Panda


rons une ancienne secte de Brames tout-puissants sur
le peuple . On ne saurait désigner plus clairement les
Phryges ", Manis , chef de leur race , Nannachus, leur
ancien prophète qui prédit le déluge de Deucalion ,
Pandarus, cet antique défenseur de leurs mystères qui
combattit
pour les Troyens.
La déesse, que les Phrygiens nomment Cybèle, est
nommée Parvati chez les Indous , et ces deux mots sont
une traduction l'un de l'autre, signifiant également :
Déesse à la vache ?; Cybèle était la patronne des
Galli, l'autre est surnommée Cali ; l'une , comme nous
l'avons vu?, est traînée par des lions , l'autre est montée
sur un lion . Les aventures joyeuses de Cybèle et
d'Atys rappellent celles de Parvati et de Cama; ainsi
Atys meurt frappé d'un coup de défense que lui donne
un sanglier, et Cybèle au désespoir le rappelle à la
vie ; Cama“, mis à mort par Siva, dont la tête est
armée de deux défenses de sanglier, ressuscite éga
lement par la vertu de l'Amrita 5 que l'on verse sur lui ..

| Appelés Phrygii, Briges , Allo -Broges , peuples de la Gallia


Bracata .

? En celtique, Koe, vache, Bele, fée (Darsy . Dict. flam .); d'où Koe
bele, fée à la vache .
Dans les idiomes phéniciens, Par, taureau , Fata, fée; d'ou Parvati,
fée à la vache. On sait que Parvati est toujours accompagnée d'une
vache.
3 Thèse XI .
4
Kum , en phénicien , Kiemen , en celtique, signifient ressusciter.
Dict. hébr . et flam .
5 C'est l'ambre , que les livres sanscrits ne connaissent que par leurs
légendes atlantiques.
432 DIX -NEUVIÈME THÈSE

Il y a donc une relation évidente entre les traditions


des Brames et celles des Phrygiens; or , ces Phrygiens
étaient originaires de la Gaule .
En effet, on sait que l'élément le plus sacré, le plus
persistant chez un peuple, c'est son palladium ; les
Phrygiens et les Galates avaient le même palladium,
c'est -à -dire Cybèle ; ces deux nations avaient donc la
même origine . Parmi les peuples qui en faisaient partie
étaient les Boïens et les Tectosages , lesquels, comme
on sait, étaient partis des bords de la Garonne et de
l'Arauris ; c'est donc de là que venaient les Phrygiens
et, par conséquent, les Indous .

Relations de l'Inde arec les régions pyrénéennes.

L'Arauris. et la Garonne étaient deux fleuves sacrés


dans les temps primitifs ; on les retrouve parmi les
3
divinités orientales sous les noms d'Aruéris : et de
Varuna .
A Corinthe, on célébrait les orgies de Cybèle ; on y
abattait un pin", exactement comme dans les mystères
de cette déesse ; on y adorait Aruéris que l'on surnom
mait : Fils d'Osiris et d'Isis . Sur l'Arauris , se trouve

| Les Galates , autrement appelés Phrygiens, étaient divisés en trois


peuples : les Trocmes, les Tectosages, les Tolisto-boïens, c'est-à-dire
Boïens de Tolosa. Hors de la Galatie, on ne connait de Tectosages qu'à
Toulouse .
2 L'Héraut. Voy. thèse XIe.
3 L'Héraut est appelé Aruéris dans les mystères de Corinthe : la
Garonne est appelée Varuna dans les livres sanscrits.
4 ARNOBE. Contra gentes.
ORIGINE DES ARYAS 433

une cascade autrefois vénérée comme celles des fleuves


indiens, et , tout près , la ville de Gangės ; or , Ganga
est un des noms de Parvati, laquelle est représentée,
comme les divinités fluminales, tenant en main une
urne qu'elle épanche . Sur les bords du même fleuve,
la géologie découvre, chaque jour, des cavernes à
momies qui remontent à une antiquité bien anté
rieure aux traditions des Brames ; on y voit surtout la
Bauma de las damisellas, grotte fameuse dont le nom
annonce des corps embaumés : et qui , imprégnés
d'ambre, étaient appelés Ombres par les Romains ; les
gens du pays les nomment Farfadets, ce qui est une
autre prononciation du mot Parvati ?.
En voyant cette série de relations entre nos contrées
et l'Orient, on ne doit pas être surpris que Cybèle,
qui est , comme nous l'avons vu , la personnification de
l'Arauris, porte le même surnom d'un bout à l'autre de
l'ancien monde. Les Gaulois, au rapport de Grégoire
de Tours, la nommaient Bérécynthe ; c'est la même qui,
chez les Phrygiens d'Asie , s'appelait Bérékunthia ; c'est
encore la même que nous retrouvons , sous le nom de
Parkounti, dans les légendes des Aryas, aux extrémités
de l'Asie.
Ce nom d'Aryas est commun aux Perses et aux
Indous, mais il ne vient point d'Orient. Des Alpes aux
1 Balsamo, baume . Ce nom passa aux grottes. Le mot des popula
tions pyrénéennes pour désigner une fée est Hada ; c'est le terme
d'Homère, qui appelle Hadès la grotte funéraire de l'Acheron , ou
Ulysse vint consulter les ombres des morts.
* Vati est le même mot qui se prononce en italien Fata et en latin
Fatum. C'est l'espagnol Hada.
28
334 DIX -NEUVIÈME THÈSE

Pyrénées, il n'est pas un lieu antique qui ne soit une


variante de ce mot ; on y voit l’Arar, Arioricum ,
Arausio , Arelate , Arecomici , Arauris, Castelnau
d'Ary , Armagnac , Aran . Les Aryas ont été nommés
Cebenni ?, Gaures , Aghiam ’, Mèdes ; tous noms qui
rappellent, au midi de la Loire , les Cévennes , la vallée
de Gaure, Aginnum , les Medoaci 3 de la Garonne.
La grande divinité des peuples pyrénéens était la
Garonne , dont nous avons déjà vu une mention dans
les légendes sanscrites . La chaîne des montagnes qui
lui donnent naissance est , plus qu'aucune autre, bordée
de sources chaudes et vénérées par les anciens, et les
inscriptions que l'on y a découvertes nomment Agon
la divinité à laquelle elles étaient consacrées. Ces
sources , appelées Parana5 dans les deux mondes,
firent donner aux montagnes le nom de Pyrénées.
Les émigrations galatiques, en stationnant dans l'Asie
Mineure , laissèrent à une des rivières sacrées de ce
pays le nom de Pyrame º; puis , arrivées dans l'In
doustan , elles appliquèrent au fleuve, où elles s'établis
saient , la dénomination également ibérique de Boura
Ganga ? Les légendes qu'elles apportaient des régions
I HÉRODOTE. Cefen , colline , en bas -breton .
2 PIETRO DELLA VALLE .
3 Le Médoc.
4 Une inscription trouvée aux eaux de Bagnères de Bigorre porte ce
nom .

5 La fontaine de Pégase , la source du Danube (Hérodote) sont


appelées Pirene ; Parana, en Amérique , signifie rivière.
6 Appelée aussi Gihon .
? Borra, agneau ; borrar, effacer . Ganga dérive de Cangear, changer,
7

transformer . Dict . esp .


ORIGINE DES ARYAS 435

pyrénéennes furent recueillies , mises en vers , et, au


souvenir du pays d'où en était venu le germe, furent
appelées Puranas.
Tous les noms antiques , que l'on remarque sur la
Garonne , se retrouvent dans le même ordre sur le
Gange . Ainsi, le fleuve primitif naît dans le Val de
Gari', s'écoule par le port d'Aran ?, rencontre le col de
Néthou ?, longe le pays de Bigerra“,, limite la vallée de
Gaure ”, coupe la ville de Burdigala et enfin affronte le
mascaret de l'Océan . – Le Gange naît à Guer-val , lieu
sacré de pèlerinage , et là se trouve Har-douarº, la porte
de Har , c'est-à- dire d'Aran ; il rencontre ensuite le col
de Niti ' , où les Khasias paissent leurs moutons en
filant, exactement, disent les voyageurs, comme font les
bergers des Pyrénées ; il longe ensuite la vallée de
Baghirati, celle de Gauri- condés , tous lieux vénérés des
Indous ; puis , pour figurer Burdi-Gala et son flux, on
a recours à l'étrange balancement du Bardt, célébré en
l'honneur de Cali sur une corde que l'on tend d'une rive
à l'autre du Gange ° ; quant au mascaret de la Garonne,
1 MURRAY's handbook . Aragon. Gar-ain , Garuna .
? Appelé aussi val d'Aran .
3 La plus haute cime des Pyrénées, appelée aussi Maladetta.
4
Bigerra en Gaule , lac Bigorritis dans le pays des Bryges (Macé
doine), Baghirati dans l'Inde.
5 Traversée par les Gers qui tombe dans la Garonne.
* Har pour Aran . Douar, Door, porte, port.
9

* D'un côté des Pyrénées, on adorait Nétos, de l'autre étaient les


Nitio-briges Galli.
$ Le Gers suit la vallée de Gaure et tombe dans la Garonne, formant
avec ee fleuve un angle ; Condé est le nom générique de ces sortes
d'angles .
9 Les dérots à Cali se suspendent à cette corde et se balancent
436 DIX -NEUVIÈME THÈSE

c'est le monstre si fameux que les Puranas appellent


Makara et sur lequel Varuna ' est monté ; les Puranas,
comme nous l'avons vu , le placent à l'ouest, ce qui est
vrai pour la Garonne et non point pour le Gange .
Les Cévennes , dont nous avons cité le nom , forment
une barrière entre l'Aude et la Garonne . La navigation
phocéenne'avait tracé, à travers ces collines , des routes
par où les marchandises étaient transportées d'une
rivière à l'autre et , par conséquent , de la Méditerranée
à l'Océan . Il уy avait, sur chacun de ces fleuves 3, une
association batelière puissamment organisée . Au com
mencement de chaque année , les deux corporations, se
réunissant sur la crête mitoyenne entre les deux
bassins , saluaient du haut de ces collines le soleil
levant et inauguraient la nouvelle saison par des fêtes
célébrées sous les auspices de la déesse Bérécynthe,
par des festins, des jeux , des cadeaux . Depuis lors,
on a toujours appelé ce lieu le col de Naurouz ’ , c'est-à
dire de la nouvelle année . Ces institutions se répan
dirent en Orient. Les Perses , qui ont fait de Bérékun
thia , Parcounti , ont fidèlement conservé la tradition du
Naurouz ; les présents que l'on y fait s'appellent toujours
Cadaou : Les fêtes de Neurouz ou du Printemps, dit
Dupuy, sont les plus fameuses de la Perse.
en guise de flux sur le fleuve. Il s'agit évidemment du Gange
supérieur.
i On écrit Garumna ou Varumna. Encycl. méthod. Le signe que
nous appelons Capricorne est appelé Makara par les Indous .
2 Voy . thèse Ve.
3 Nous avons des inscriptions qui mentionnent les corporations
batelières de la Seine et de la Saone .
* C'est là que le canal du Languedoc coupe la montagne.

!
ORIGINE DES ARYAS 437

Sur l'autre versant des Pyrénées, nous retrouvons


les mêmes analogies avec l'Orient , mais là les tradi
tions ont plutôt une teinte phénicienne ; pourtant on
peut toujours, à certains caractères, reconnaître leur
origine occidentale .
Là , sur la côte ibérique , près des Pyrénées, était
la plus ancienne de toutes les Carthage ' ; on y voit
encore des montagnes percées de galeries , de grottes ,
de tombeaux, et, aux environs , des ruines entièrement
primitives , des taureaux ayant quatre yeux . Les Phé
niciens, dit-on , furent les premiers qui surent écrire ;
justement les monuments de leur écriture se trouvent ,
avant tout, aux environs de Carthago retus ; en aucun
lieu du monde 3, j'en appelle à tous les musées, on n'a
rencontré un aussi grand nombre d'inscriptions phéni
ciennes ; ce sont des roches gravées , des médailles ,
des tablettes en marbre, en plomb .
On peut remarquer que , dans tous les pays où ces
peuples ont taillé des grottes analogues, les noms
qu'ils leur ont laissés sont ibériques. En Ibérie , ces
roches sépulcrales étaient dans le pays des Cosétans , et
* Carthago vetus de Ptolémée, dont les ruines se voient près d'Oler
dola, entre les Pyrénées et l'Èbre.
2
Type des divinités de Carthage et de l'Egypte, selon De Laborde.
Descript. pitt, de l'Esp.
3 Les inscriptions phéniciennes se rencontrent surtout vers Barce
lone, le mont Serrat, Valence, Grenade, c'est-à-dire entre Carthago vetus
et Carthago nova
• De ces nombreuses inscriptions, les unes sont purement hébraï
ques ; d'autres différent un peu de l'hébreu ; quelques - unes sont appe
lées celtibériennes ; puis vient la nombreuse classe des Desconocidas.
Florès. Medallas de Esp.
438 DIX -NEUVIÈME THÈSE

c'est dans les environs de Cosal que l'on rencontre,


chez les Étrusques, des monuments de même nature.
En Ibérie , elles sont près de la ville de Mataro; or,
Matarieh , en Égypte ?, est une île dont tout le monde
connaît les tombeaux , les animaux sacrés , les souvenirs
ibériques de tous genres . En Ibérie , la région des
grottes se relie à la ville de Tortose par une chaine de
monuments primitifs et à bases cyclopéennes ; memes
monuments au voisinage de Tortose en Phénicie,
mêmes sépultures; seulement , les constructions n'y
sont plus cyclopéennes, mais en assises grossières ; et,
quant aux sépultures , ce sont toujours, dit M. Renan ",
des caveaux taillés dans le roc ; malheureusement ils
ont été dépouillés des objets qu'ils renfermaient et qui
auraient pu fournir des renseignements sur les produits
de la civilisation la plus industrielle de l'antiquité.
Mais voici ce qui est plus remarquable . Ces galeries
ibériques étaient dans un canton que les anciens appe
laient Iluro, et, même encore aujourd'hui, on nomme
Elorio un rocher du pays basque où l'on voit sculptée
une figure gigantesque; en outre , parmi les grottes du
voisinage , il en est une fort célèbre qui se nomme la
Gruta del Elefante “, tirant son nom d'un énorme élé
phant que l'on y voit sculpté et qui porte deux tours ;
| Les villes étrusques où l'on découvre des monuments anciens ont
des noms ibériques; ainsi Cosa (Cosa) , Tarquinia (Tarragone) ,
Vetulonia ( Betulonia), Corneto (Karnata ), Cortone (Cardona), Cære
(Ceretes).
1 ? Dans le voisinage d'Héliopolis , où le taureau Mnéris était adoré.
3 Rapport sur la mission scientifique de Phénicie .
+ A Colbato . MURRAY's handbook .
ORIGINE DES ARYAS 439

en troisième lieu , cette région de galeries souterraines


s'étend jusqu'à Salsona , c'est - à -dire jusqu'à ces
fameuses collines de sel ' qui , dans un jour pur, au
lever du soleil , brillent de tous les reflets et forment
comme des palais enchantés. Est-ce par hasard que les
mémes incidents se trouvent figurés dans l'Indoustan
avec les mêmes noms ? Sur trois points principaux , on
y voit également des rochers taillés en grottes et
sculptés ; l'un est à Ellora ; un autre est à Eléphantine,
ainsi nommée d'une figure d'éléphant que ιl'on y remar
que ; le troisième est à Salsette .
Malgré la distance des lieux , les détails des mêmes
monuments diffèrent à peine dans les deux pays . Ainsi
à Ellora, non loin des grottes, on voit le temple de
Rama , et voici l'histoire tout ibérique de ce héros indien .
Reinoucha fut sa mère ; il chassa de la forteresse de
loudhia les tyrans qui l'occupaient , repoussa loin de
lui les Brames qui n'avaient point su reconnaitre ses
services et , arrivé aux Gâtes ?, qui alors étaient baignés
par les flots, il les écarta de la mer ; il mourut là , et sa
hache resta en vénération après sa mort , ce qui le fit
surnommer Paraçu Rama , le Rama à la hache .
On a déjà pu voir que les dieux des Orientaux ce
sont nos fleuves ; l'Ebre , qui traverse une région où tout
est saint , où l'on n'extrait du sol que des inscriptions
inconnues, des amulettes , des dieux , devait entrer en
1
Appelées collines de Cardona.
2 MALTE -BRUN. Géog. , liv. 74.
* Chaine de montagnes qui longent la cote occidentale, à quelques
lieues de la mer .
440 DIX -NEUVIÈME THÈSE

grande part dans ce culte . Rama, comme nous le


savons ' , désigne un fleuve purificateur; or, ce fleuve
est l'Èbre. En effet, Reynosa est le nom de sa source”;
ilpasse près des grottes de Calata - Youd qu'il rejette
sur sa droite; à la fin de sa course , il repousse le flux
figuratif qui se dit Barm5, en celtique , et il arrive
enfin à son embouchure , Gat; mais les Gâtes , dans
l'Indoustan , sont des montagnes éloignées de la mer,
ce qui constitue le miracle métamorphique du dieu.
Quant à sa hache , la légende est la même dans les deux
contrées : La région de l'Èbre était sous une domina
tion tyrannique ; Ramon®, pour se procurer des res
sources et une armée , vendit les objets des temples , et
les Ibères, irrités , refusèrent de combattre ; les femmes,
s'emparant des haches , coururent à l'ennemi , le repous
sèrent , et Ramon , pour perpétuer le souvenir de ce
zèle, créa l'ordre de la Hache ?; chaque année, à
Tortose , aux bouches de l'Èbre, une hache est portée
en procession , et les affiliés en portent une autre
dessinée sur leur habit.
1 Ruymen , purifier. Voy. thèse XI .
2 Les sources des fleuves sacrés portaient ce nom‫ ;ܪܐ‬la source de la
Seine est aujourd'hui déguisée sous le nom de Sainte-Reine.
3 Les grottes de la Moreria. Les Indiens de la région des temples
souterrains sont appelés, dans Hérodote, Indii Calatii. MALTE- BRUN.
Liv. 74 .
4 Toutes les légendes de cette espèce sont imaginées sur une idole
qui est représentée terrassant un monstre, c'est- à -dire le flux.
5 Barm , onde, flux. DARSy. Dict. flam .
6 MURRAY's handbook . Catalogne .
7 Les légendes ibériques, plus anciennes que les Maures et le chris
tianisme , remontent jusqu'aux temps primitifs, et les Phéniciens les
ont transportées partout.
ORIGINE DES ARYAS 441

Nous trouverions les mêmes rapprochements pour


Eléphanta et Salsette : Eléphanta est dans un canton
qui se nomme Guari-pour , la ville de Guari ; or , en
Ibérie, dans les environs de la Gruta del Elefante, on
conte de toute antiquité la légende du moine Guarin ?
qui , ayant failli, fut changé en bête et brouta l'herbe
pendant sept ans . Salsette est au voisinage de la Ner
beda ; la noire rivière , et Salsona, en Ibérie , est près
du Riu Nègre .
Ces temples orientaux , celui d'Ellora surtout , sont
consacrés au dieu laghan-Nata ; or , dans toute
l'Ibérie on retrouve ces deux mots : le pays a pour
désignation patronale lago ; on y rencontre , dans les
fouilles, de nombreuses statues couronnées de rayons
et qui portent le nom de Nétos “ ; dans les villes de
l'Inde, à Allah - Abad , par exemple , on promène des
figures gigantesques aux fêtes de Rama, exactement
comme on le fait chaque année à Valence , à Pampe
lune . Enfin les différents noms donnés dans l'Inde aux
religieux sont ibériques ; par exemple, les Richis ont
été ainsi nommés de la Rioxa”, pays d'antique disci
pline, déjà connu d'Hérodote qui y place les Martini,
et toujours considéré comme l'Urna de los Santos ® ; les
· MURRAY'S handbook .
? Salsette, Salsona semblent montrer qu'il est question de sel. C'est
donc Salsona qui est le primitif, étant au voisinage des rochers salins
de Cardona .
3 Baedt, Bætis, Padus, etc.
• Encycl. méthod . Antiquités. Nétos n'est autre que Mithra.
5 Vers le midi de Saragosse .
6 MURRAY's handbook .
442 DIX-NEUVIEME THÈSE

Pandarons, affiliés au culte de Cali, ne sont autres que


les Galli des mystères de Cybèle et , comme eux , ils
avaient autrefois des tambours basques dont le nom
ibérique est Pandero ' ; les Faquirs de l'Inde rappellent
les Vaqueros d'Espagne .
Il résulte de tout ce qui précède que l'Orient est plein
d'institutions qui furent aussi les nôtres , ou dont l'ex 1

plication ne peut guère se trouver que dans nos lan


gues. Ainsi les Boudhistes ont une fête solennelle qui
consiste à façonner en beurre de petites figures .

d'hommes auxquelles ils donnent toutes les formes


imaginables; les Brames également emploient le
Soma ? comme partie intégrante de leur sacrifice ; or,
les Ibères , en appelant le beurre Manteca , petit homme,
montrent évidemment qu'ils ont eu ces statuettes , ces
sacrifices . On n'a jamais bien pu expliquer, par les
langues de l'Asie , le mot Zoroastre qui se rattache à la
civilisation primitive de l'Orient ; en ibérique , Zorras
tron : signifie un homme habile , et les racines de ce mot
sont ibériques . Est- ce bien en Asie que vivait cet autre
personnage que nous appelons Esope ? Comment l'his
toire de ces pays , si ignorante sur les choses anciennes ,
a-t-elle retenu qu'il était contrefait? En ibérique , Zopo
signifie contrefait et mutilé, et la légende d'Esope , in
connue en Asie , est un mythe de nos contrées . Il y a
mieux encore . Hérodote raconte que dans le siége d'une
ville , un homme de l'armée d'attaque, voyant que l'af
1 On aa retrouvé le Pandero jusque dans les orgies des Taïtiens.
2 Soma, beurre du sacrifice , chez les Indous , corps , en grec.
3 Zorro, renard ; Zorrastron , rusé , habile . QUINTANA. Dict. esp .
ORIGINE DES ARYAS 443

faire traînait en longu , se fit coupe les oreille ,


eur r s
Pa av le as e f
ssa ec s siégés n eignant 'être ransfug d t ,
fut mis à la tête de l'armée de défense et , au lieu dee
repousser l'ennemi , lui livra la place . Le fait eut lieu ,
dit -il , au siége de Babylone ; mais il appelle ce servi
teur dévoué Zopyre : Zopo , mutilé , Oreja , oreille , sont
les deux racines ibériques de cette légende .
Le jeu des échecs me paraît avoir toujours existé en
Ibérie ; mais on en trouve des traces chez les anciens
Irlandais, les Chinois, les Perses, les Indous et jusqu'au
centre des montagnes Thibétaines . L'on ne manqua
point de dire que c'étaient les Arabes qui nous l'avaient
fait connaître et qu'il était originaire de l'Inde ; on en
attribuait l'invention à Sessa, et l'on contait à ce sujet
1
l'histoire vulgairement connue du grain de blé crois
sant en progression géométrique .
Ici je n'ai rien à réfuter; la Société de Calcutta l'a
fait avant moi ; il se trouve que les Indous ne connais
sant ni Sessa , ni sa légende, le sanscrit qui , depuis
quelque temps se prête à tout, se refusa cette fois à
fournir les éléments de ce jeu ; on en fut réduit , comme
je le vois dans les auteurs anglais qui se sont occupés
de cette matière !, à dire que probablement il vient de
Perse, par la raison que le mot échec , que l'on pro
nonce en mettant le roi en prise, est à peu près le nom
que porte le roi de ce pays .
En partant du même principe , les mots de ce jeu qui
sont le plus généralement admis n'appartiennent qu'à
1 The english cyclopedy .
444 DIX-NEUVIÈME THESE

la langue des Ibères : La racine Check , dans tous les


idiomes atlantiques, signifie chasser, en ibérique Cazar,
en péruvien Chaca ?; Mat vient de Matar, tuer ; Pat
vient de Pato , égal?; Roquer et troquer sont un même
mot, en ibérique, Trocar. Les plus savants traités du
jeu des échecs nous sont venus d'Espagne au moyen
âge , et nous avons peu ajouté aux problèmes qui y
sont contenus ; or , de pareils livres n'ontjamais été vus
dans les pays d'où viennent les Arabes .
En multipliant ces rapprochements , nous aurions
retrouvé dans la religion des Brames toute une topo
graphie du pays des Celtes ; nous aurions vu les Védas
4
sortir de nos grandes abbayes druidiques chez les
Atrebates , puis les Puranas nous décrire les régions
pyrénéennes , puis les grands poëmes nous rappeler la
langue des Ibères , les traditions phéniciennes, les
mythes homériques.
La plupart des nations orientales, par suite de révo
lutions progressives, ont altéré les souvenirs qu'elles
tenaient de l'Occident et ont cherché à avancer sur ces
traditions . L'Indoustan seul est resté moulé dans sa
première forme ; des lois impitoyables interdirent aux
étrangers d'y entrer et aux Indous d'en sortir. Ce
peuple, ne recevant plus la vie du dehors , alla toujours
se desséchant , jusqu'à ce que, vers le xe siècle, il se

1 GARCILAS . Histoire des Incas, liv. VI , ch . VI.


2 Matar, tuer ; Pato, égal. QUINTANA. Dict. esp.
3 The english cyclopedy .
4 Toutes les antiques abbayes de la région de la Meuse et de l'Es
caut sont construites sur des bases formées de blocs sans ciment.
ORIGINE DES ARYAS 445

trouva en face des Musulmans que l'Arabie avait


retrempés dans de nouveaux principes et que l'Occident
avait armés de nouveaux glaives . Les barrières furent
forcées, et, à l'ancien fonds de croyances , vinrent se
méler des éléments d'une foi plus remuante . Les con
quérants, en pénétrant dans ces contrées , y introdui
sirent les traditions qu'ils avaient puisées chez les
Maures et les Ibères et qui étaient imprégnées , comme
nous le verrons dans les thèses suivantes , de légendes
américaines ; de sorte que , soit par les Phéniciens
autrefois, soit par les Musulmans dans des temps plus
modernes , l’Indoustan se trouve plein de souvenirs
ramassés des extrémités occidentales.
VINGTIÈME THÈSE .

COLONISATION DE L'INDE OCCIDENTALE PAR LES


ANCIENS CELTES .

En recherchant les traditions de nos pays, nous en


avons remarqué un grand nombre qui nous reportent
en Orient et nous aident à retrouver les relations qui
existaient dans les temps primitifs entre nos aïeux et
les peuples asiatiques. Mais quelques- unes semblent
étrangères tout à la fois à l'Orient et à nos contrées .
J'en cite un exemple.
Les habitants de la Sicile répétaient souvent le vieux
proverbe : Me kinei Camarinan ; ne touchez point à
Camarina . On expliquait ainsi l'origine de ce mot :
Camarina était un lac dont les exhalaisons pestilen
tielles désolaient , chaque été , la ville voisine ; l'oracle
consulté répondit : Me kinei Camarinan . Les habitants
se résignèrent d'abord ; mais enfin , poussés à bout, ils
imaginèrent l'expédient suivant::: ils ne touchèrent point
à Camarina , mais ils creusèrent un canal par lequel
l'eau communiqua avec la mer voisine . La peste cessa ,
mais les pirates , pénétrant par cette ouverture , arri
PHÉNICIENS EN AMÉRIQUE 447

vèrent à la ville et la saccagèrent. L'oracle passa en


proverbe.
Les anciens citent bien , dans ces contrées , deux
villes portant le nom de Camerinum ', l'une près de Xaca,
l'autre près de Macerata, toutes deux , disait-on, situées
sur un lac ; mais , on a beau chercher , il n'existe dans
leur voisinage aucune trace ni de marais , ni de canal .
De quelle région est donc venue la légende contée en
Sicile ? N est presque démontré, nous dit le plus chaud
partisan de l'origine asiatique, que les institutions
romaines sont venues de l'Inde ; et , dans ce cas , c'est là
qu'il faudrait chercher l'origine du proverbe sicilien ;
mais comme on ne trouve dans aucun livre imprimé
la démonstration dont parle l'auteur , nous avons autant
d'espoir en nous tournant d'un autre côté .
Les monuments occidentaux n'ont jamais été connus
qu'à l'état de ruines , leur origine se cache dans les
mystérieuses profondeurs du passé . Il y a huit mille
ans , au rapport de Strabon , que les peuples de la Bæ
tique avaient déjà des poésies ; une pareille antiquité
dérange tous les calculs modernes, au point que Nie
buhr ne crut pouvoir sauver le vieux système classique
qu'en altérant le texte de l'auteur grec . Il y a douze
mille ans , au rapport des prêtres égyptiens, que les
habitants de l'Atlantide, arrivant sur nos parages,
envahirent l'Espagne , l'Italie, la Sicile ; Diodore de
Sicile ’ ajoute que ces peuples avaient inventé la sphère,
' L'une en Sicile, à l'embouchure du fleuve Géla, l'autre en Ombrie,
et , par conséquent , fort loin de la mer.
2 DIOD. DE SICII E. Liv. IV , ch . V.
448 VINGTIÈME THÈSE

qu'ils fondèrent des villes dans les pays conquis, que


même des familles grecques se glorifiaient de descendre
d'eux . Il paraissait difficile de se débarrasser de cette
gênante assertion ; Bailly ', qui voyait dans l'Orient la
source de toutes nos institutions , en vint à soutenir
que ces Atlantes civilisateurs sont une nation de l’Asie .
Comme on le voit, il faut abuser des notions reçues pour
rabattre la haute antiquité, la vieille civilisation des
contrées atlantiques . Ces documents , quels qu'ils soient ,
semblent insinuer que peut-être nous aurions reçu de
l'extrême Occident quelques éléments de notre civilisa
tion .

Par exemple , la Sicile avait pour emblème le lapinº ;


l'Espagne dans ses médailles est également représentée
sous la forme d'une femme assise ayant un lapin à ses
pieds ; en Amérique, on peut voir, encore aujourd'hui,
à Mexico, ce même lapin sur les monuments astrono
miques des anciens Aztèques . Le choix d'un emblème
aussi bizarre, pour désigner la science nautique , n'est
point naturel ; il indique forcément d'anciennes rela
tions entre les pays que je viens de nommer. Pour
citer un autre exemple , Ulysse, comme nous l'avons
vu', entra dans l'île des Phéaciens porté par le flux et
déposé sur le rivage par le reflux “; il se trouvait donc
incontestablement dans une île atlantique ; le roi Alci
i Dans ses Lettres sur l'Atlantide, adressées à Voltaire .
? L'Espagne et la Sicile avaient dans leurs médailles un lapin . Voy.
Encycl . méthod. Section des antiquités .
3 Thèse XIVe .
4 Odyssée, ch. V , passim .
PHÉNICIENS EN AMÉRIQUE 449

noüs eut l'idée de lui faire conter ses aventures ; car,


ajouta-t-il, nous ne savons encore si notre hôte vient
des peuples qui sont à l’Orient ou de ceux qui sont à
l'Occident '.
Il y avait donc , pour naviguer dans l'Atlantique , des
hommes venus non-seulement de nos régions , mais
d'un monde occidental, des vieilles contrées de l'Amé
rique ; on ne doit donc pas être surpris de trouver au
delà des mers , dans le pays désigné par nos aïeux sous
le nom d'Antilles ?,, des faits que connaissent les peu
ples siciliens. Or, dans l'île de Cuba , on voit, entre la
Havane au nord et la côte des Hibueras3 au sud , un
lac nommé Xagua ; il est à quatre kilomètres de la mer;
sur ses bords sont deux villes anciennes portant encore
les noms de Camarones et Macurites ; un canal taillé à
pic fait communiquer le lac avec l'Océan .
Cet exemple montrerait donc que des éléments de
notre civilisation nous seraient venus des régions trans
atlantiques. Examinons cette question .
1 Ces peuples de l'Occident sont appelés dans le texte d'Homère :
Hespereón anthropôn , les hommes de l'Hespérie.
? Sur l'atlas d'André Bianco , fait en 1436, un demi- siècle avant
Christophe Colomb, on voit à l'ouest des Canaries une terre sur
laquelle on lit Antilia .
3 Hafen , port. Hibueras est l'ancien nom de la côte américaine au
nord du Guatimala ; les Espagnols, n'y reconnaissant plus le nom
des anciens Jbėres , imaginèrent une bizarre légende sur ce mot ;
Hibuera signifie citrouille : On y trouva, disent-ils, des citrouilles ; de là
son nom .

29
450 VINGTIÈME THÈSE

Distinction des deux Indes.

Je remarque dans la science une étrange confusion au


sujet du mot Inde . Nos livres les plus anciens , la Bible,
Homère, Hésiode , ne connaissent point ce nom . A
l'origine de l'histoire, Darius ' fit explorer par Scyllax
le cours de l'Indus , et quand ce fleuve fut connu , il en
fit la limite de ses Etats . Aristote décrivant le monde ,
tel qu'il le connaissait , cite au fond de l'Europe le
Guad - el-Kivir, le golfe Galatique , Albion, Ierné ; mais ,
en Orient, il s'arrête encore à l'Indus , ne sachant rien
des peuples qui sont au delà . Les savants qui dispo
saient de la bibliothèque d'Alexandrie sont les pre
miers , et seulement au temps de l'empire romain , qui
nous parlent clairement de l'Inde et de Boudha , et
leurs notions étaient évidemment prises des livres
sanscrits qu'on avait fait venir du pays pour cette biblio
thèque. Et cependant l'Inde est un nom ancien , qui
remplit toutes nos traditions ; les légendes qui se con
tent chez nous , et qui viennent des temps les plus
reculés , en font un pays féerique , placé à une infran
chissable distance , riche de tous les genres de richesses .
Or , cette Inde connue de nos aïeux , ne serait-ce pas
l'Inde occidentale ? Lorsque la puissance romaine,
étendant ses destructions de notre côté, eut arrêté nos
transactions atlantiques, n'avons-nous point transporté
à une contrée que nous commencions à connaître les
souvenirs d'un pays que nous ne connaissions plus ?
1 HÉRODOTE .
2 Aristote est l'auteur présumé du livre De Mundo .
PHÉNICIENS EN AMÉRIQUE 451

Aristote ' , Sénèque, les hommes du temps de Chris


tophe Colomb croyaient que les rivages d'Espagne ne
sont pas très-éloignés de ceux de l'Inde , et l'un d'eux?
assure qu'il suffit de quinze jours pour faire la tra
versée ; évidemment, il ne peut être ici question de
l'Inde gangétique, puisque le même Aristote, qui sup
pose la circonférence de la terre presques double de ce
qu'elle est, recule, par conséquent, le rivage indien
bien loin au delà des côtes d'Espagne. Voyons à
laquelle des deux contrées conviennent les souvenirs
qui se rattachent à ce nom mystérieux de l'Inde. L'Inde
des Brames , à défaut d'histoire, nous est décrite dans
ses poëmes ; ce sont des combats à coups de massue,
des Joghis exerçant tous les genres de pénitence,, des
aventures lubriques entre ses dieux, des moeurs entiè
rement primitives, la pauvreté partout. L'Inde de nos
traditions, au contraire, ruisselle d'or, de diamants,
d'émeraudes , de perles.
Chez les Indiens, dit Hérodote , des fourmis ramas
sent d'énormes quantités d'or mêlé de sable et on va
chercher ces richesses arec des chameaux " ; dans la
légende d'Apollonius de Tyane, on voit le roi indien
Pharatės , assis sur un trône d'or ; saint Jérôme ",

| Voy. MALTE - BRUN. Liv. IV.


2 SÉNÈQUE. — Büsching. Géog. Amérique.
3 Il donne à la terre une circonférence de 400 mille stades ; d'après
nous , elle n'en a qu'environ 220 mille. Grec , il a dû se servir du stade
usuel parmi les Grecs .
Avec des lamas , comme cela se fait encore aujourd'hui.
5 Ad Indiam pervenitur , montesque auri quos adire propter gry
phos et dracones impossibile est. Epist. XIII , ad Rusticum .
452 VINGTIÈME THÈSE

allant plus loin , parle des montagnes d'or qu'on voit


dans l'Inde ; mais elles sont gardées par des griffons et
des dragons qui empêchent d'en approcher. Or, dans
l'Inde gangétique, les Européens n'ont trouvé d'or
nulle part ; dans l'Inde américaine , ils en ont trouvé
partout : dans les montagnes, dans les sables des
rivières, dans les palais , dans les temples, et ces
monuments sont tout sculptés de griffons ?, de serpents,
de monstres.
Même déception pour les diamants. Les anciens en
plaçaient des mines inépuisables à Curura , mot que les
modernes ont remplacé par Visapour et Golconde ;
mais , en réalité, d'après le témoignage des Anglais?,
les habitants de ces villes n'ont pas le moindre sou
venir qu'on ait jamais trouvé des diamants chez eux ;
on voit bien , dans leur voisinage, une ville insignifiante,
nommée Carore ; mais ce mot, en Amérique, est donné
à deux rivières qui traversent des gisements précieux :
l'une sort des riches montagnes de Quito , l'autre arrose
le district diamantin du Brésil.
Tous les auteurs anciens parlent d'émeraudes ; on a
beau les appeler Indiennes, Égyptiennes, Éthio
piennes ; on n'en connaît plus les mines, dit Buffon ?,
ni en Égypte, ni dans l'Inde ; Chardin et Tavernier, qui
ont exploré tout l'Orient, déclarent que les émeraudes

1 Sur le porche du palais de Montézuma était sculpté un griffon ,


moitié lion , moitié aigle ; autour des temples étaient des figures de
tous genres . De Solis. Conq . du Mexique, liv. III .
2 The english cyclopedy.
3 Minéralogie .
PHÉNICIENS EN AMÉRIQUE 453

des anciens ne peuvent venir que du Pérou ; là, dans


le Choco, sont peut-être les seules mines qui existent
au monde.
L'huître qui donne la perle se dit en grec Margaros;
pourquoi les Étrusques la nomment-ils Margar - ita ? Il
y a des perles en Amérique, comme en Orient ; mais ,
dans la région américaine où on les pêche , Yta signifie
coquille .
Il est évident par tous ces détails qu'il y a dans nos
souvenirs une confusion , et que nous avons pris une
Inde pour l'autre . Mais alors l'Amérique était donc
connue de nos aïeux ? Ce n'est donc pas une décou
verte récente ? Examinons maintenant cette question .

Les Phéniciens en Amérique .

De tous les peuples navigateurs , aucun n'a jamais


eu la renommée des Phéniciens ? ; aucun n'a étendu
plus loin son empire sur les mers. Les Romains et les
Grecs nous parlent sans cesse de leur commerce ; mais
ils ne savent rien des régions où ils allaient. Il est
facile de démontrer que ce sont les Phéniciens qui ,
traversant l'Atlantique , mettaient les deux mondes en
communication , et que c'est de l'Amérique qu'ils nous
apportaient les produits que nous croyions venir de
l'Asie .
Ils allaient, dit Hérodote , faire le commerce au
| Yta, coquille. Dutraty. Rép. du Paraguay.
? Il est inutile de redire que les Phéniciens sont des Celtes.
3 Liv. IV .
454 VINGTIÈME THÈSE

delà des colonnes d'Hercule, et , trafiquant de port en


port, ils mettaient trois ans à faire cette tournée. Effec
tivement, en Amérique, on trouve partout des traces de
leur passage, et toujours à côté de quelque riche pro
duit étranger à l'autre Inde . Ils sont appelés par les
Latins Punici, et par eux-mêmes Edre Anak '; or, ils
abordaient à Panuco ; puis , s'avançant dans les terres,
ils arrivaient dans le pays d'Anahuac où se trouvent
les plus riches mines du monde . Ces montagnes des
Andes , où l'on puise l'or depuis tant de siècles, se di
saient Ant-hill ; mais ce mot signifiant aussi fourmi
lière , comme on le voit par la langue anglaise ?, fut
l'origine de la légende bizarre qui fait amasser l'or par
les fourmis . Du reste, les habitants de ces contrées,
comme s'ils avaient conservé ces souvenirs, appellent
encore une de leurs provinces aurifères Aripa “ , réunion
des grandes fourmis; et , de notre côté , nous savons
aujourd'hui que ce riche canton, qui avoisine le golfe
de Californie, est clairement désigné dans notre vieux
roman , l'Amadis des Gaules .
Dans le Guatimala est la rade de Nicoya, où l'on
pêche , dit Malte-Brun ", le mollusque qui donne la
pourpre ; il paraît être, selon Valmont de Bomare,
le murex des anciens et sert encore à teindre des étoffes
dont se parent les plus riches Indiennes . Or, là , tout
| Plaute, in Penulo, appelle de ce nom le pays de Carthage.
2 Malte- BRUN . Géog ., liv. 114 .
3 Ant, fourmi. Lexiq. angl. Ant-hill, colline des fourmis, four
milière.
4 MALTE-BRUN . Liv, 114 .
5 MALTE .BRUN. Liv . 115.
PHÉNICIENS EN AMÉRIQUE 455

est carthaginois ; le pays tire son nom du lac ' où se


faisaient les orgies et.qui, par une dénomination com
mune en Afrique, s'appelait Guad-i- Mala , le lac du
2
Mella ” ; sur les bords mêmes du golfe où se pêche le
murex , on retrouva deux villes qui avaient encore
toute leur consonnance phénicienne : l'une était Car
thago, l'autre Salinas ; et Ulpien nous apprend que la
déesse des Carthaginois était surnommées Salinensis.
Dans un pourtour très-rapproché , toutes les villes sont
exactement celles que les anciens nomment dans le
voisinage de Carthage ; les voici et, à côté, la cité car
thaginoise * correspondante :

Teguila , Tegula.
Tilapa, Tilabarum .
Mitla, Midla .
Zapatèques , Zabi.
Zagytis, Zachytoe .
Baraca -titlan , Baracum .
Catoche (cap ), Cotuza (cap ).
Mulhuacan , Mulucha ,
Chrorotèques, Churitæ .
Motagua, Mutaga .
Suchitepec , Succhæi .

1 Nicaragua.
2 Mellar, écorner, ébrécher. QUINTANA. Dict. esp. Voy. these XVe.
Le murex venant du Guatimala, Mulleus désigna , chez les Latins, les
vêtements de pourpre .
3 Son nom était Cælestis, chez les Latins ( Inscrip .), et, par consé
quent, Heimel, chez les Celtes.
4
Voy. Encycl. méthod. Géographie ancienne.
456 VINGTIÈME THÈSE

Mescala , Meschala .
Tabasco , Tabaica .
Xalapa, Zalapa .
Mixco , Mizigita.
Balise, Balesanum .
Mazaya, Mazyes.
Irasou, Irasce .

Les flottes de Salomon ' , se joignant à celles des


Phéniciens, faisaient également des expéditions trien
nales au pays d'Ophir et en rapportaient des richesses
inouïes ; la reine de Saba vint elle-même de ces contrées
inconnues et mit aux pieds du roi , de l'or, des pierres
précieuses, des parfums et des bois ocorants . Le nom
de Nicausis , que l'on donne à cette femme célèbre,
montre qu'elle venait du riche canton de Nicoya.
Quelques pas plus loin , se trouve le détroit de
Panama et, dans ce détroit , l'île des Perles. Le mot
ibérique Al lofars, la perle, a fait surnommer ce can
ton Ophir . Panama est une corruption de Pæni-heim “,
demeure des Phéniciens : là , en effet, on voit Acla,
nom que portait le grand faubourg de Carthage, le cap
Gallinas , qui rappelle la première étape de la route de
Carthage à Tunis, et que l'Itinéraire d'Antonin nomme
Ad Gallum Gallinacium .

· Rois . Liv . III , ch . IX et X.


2 BOUILLET. Dict. de l'antiq. On l'a surnommée Balchis, Makeda,
reine de Saba ; tous mots celtiques qui signifient prostituée. Voy.
Balch , Magd , Zabbe ; DARSY. Dict. flam .
3 Aljofar, perle . Dict. esp .
* Poni, Carthaginois. Dict. latin.
PHÉNICIENS EN AMÉRIQUE 457

En avançant vers le Pérou , on rencontre , dans la


région du Choco et des émeraudes ' , une autre Carthago,
ainsi que l'ile enchantée de Puna, où les vergers sous
lesquels on se promenait , les fruits qui pendaient aux
arbres , les oiseaux perchés sur les branches étaient en
or, argent, émeraudes ?. Pline semble avoir désigné
l'une et l'autre lorsqu'il mentionne, parmi les éme
raudes , une espèce appelée Carthaginoise , et quand il
signale au delà de l'Afrique, dans des régions incon
nues, l'ile carthaginoise de Poena . Comme plus haut,
les noms groupés dans ce canton sont les mêmes qui
environnent la Carthage d'Afrique. On trouve ainsi :
Chicuitos , Cuicuti .
Tunja , Tunis .
Popayan , Papua.
Atacama , Tagama .
Gurupi , Curupi.
Culhua , Culla.
Zimiti , Simitu .
Inambari, Perdices .
Cauca, Caucacis .

On peut remarquer qu'en Garanis Inambu : signifiant


perdrix , le nom américain , Inambari, est régulièrement
traduit dans l'Itinéraire d'Antonin par Perdices, per
drix , et que le Cauca , qui baigne Carthago , se trouve
| Parmi les riches produits rapportés d'Ophir , l'hébreu cite des
Chukim : produits du Choco ?
? GARCILAS. Hist. des Incas.
3 Inambu , perdrix . DUGRATY. République du Paraguay.
458 VINGTIÈME THÈSE

exactement rappelé dans Caucacis qui , selon Scylax,


était près de Carthage.
Toutes ces colonies se faisaient suite ; mais le district
diamantin formait dans le Brésil une région séparée
où l'on arrivait par les bouches de l'Amazone, en remon
tant l'Araguay et le Zingu ' ; c'est pourquoi, ces deux
riches fleuves doivent avoir laissé des échos dans le
souvenir des peuples . Par exemple, quand les anciens
citent le Carure ?, ils parlent des diamants qui sont sur
ses bords et nomment Arachotis le golfe où il se jette;
or, dans le district diamantin, le Cururu se jette dans
l’Araguay; quant au Zingu , on le retrouve également
dans de vagues traditions sous le nom de Nar -Singa,
c'est-à-dire, en phénicien, fleuve du Zingu ; et, comme
on ne comprenait pas ce nom étranger, on travestit ce
fleuve en un royaume indien de Narsingue où, disait
on , l'or et les diamants affluent.
Ce sont donc encore les Phéniciens qui exploitaient
ces trésors isolés ; c'est pourquoi, à l'arrivée des Euro
péens , la capitale des mines portait un nom phénicien ;
elle s'appelait Tijuco, or, Tijuco 3 était une ville d'Afri
que , voisine de Carthage et qui fut même un évêché à
l'origine du christianisme .
Les Carthaginois , en Afrique, les Tupis , qui habi
taient ces sables diamantins , avaient le même dieu,
1 La navigation phocéenne existait entre tous ces fleuves; l'arbre,
dont on fait les pirogues, s'appelle Timbo ; de là l'anglais T'imber, qui a
le même sens.
? Carura , chez les anciens, est un nom vague dont on fait tantd
une ville, tantot un fleuve .
3 Encycl. method . Géographie ancienne .
PHÉNICIENS EN AMÉRIQUE 459

également appelé , dans les deux pays , Sumès ' . Ces


Tupis se servaient de tambours ? pour exercer leurs
enchantements ; or, Top, en phénicien , comme Bom ,
7

en celtique , signifie tambour ; ces Tupis sont donc


nos Bohémiens; mais , comme ils étaient sur le fleuve
Zingu, ils ont toujours porté en Afrique le nom de
Zingari .
Les exploitations phéniciennes que je viens de
décrire se faisaient généralement dans l'intérieur des
terres ; on se demande comment les riches métaux
étaient conduits aux fleuves et aux ports ; ce sont
encore les Orientaux qui vont nous l'apprendre.
Ctésias, parlant de l'Inde , nous dit que , dans ce pays,
on voyait des moutons grands comme les ânes de la
Grèce, et qui servaient à transporter tous les gros far
deaux. Ces moutons étaient , au temps des Phéniciens ,
et sont encore, de nos jours , les lamas et les alpacas ;
ils n'existent qu'en Amérique ; eux seuls , comme chacun
sait, font tous les travaux des montagnes ; on les
appelle encore moutons du Pérou 3.
Ces relations transatlantiques durent développer
parmi les Celtes le génie de la navigation et surtout la
1
Voyez, pour les Carthaginois, BANIER, La Mythologie et les
fables, etc. , et pour les Tupis, CLAVEL, Hist. pitt, des religions.
? Ce tambour des Tupis est une gourde creuse, toujours ornée de
deux plumes ; il s'appelle Maraca, en Amérique, Top , en phénicien ,
Doppe, en saxon . Dict. holl.
3 Hercule , nous disent les Grecs , se promenant sur le rivage Tyrien ,
remarqua que son chien , pour avoir touché à certains coquillages,
avait le museau omme ensanglanté ; ainsi fut découvert le murex .
Perro, chien, en ibérique , est confondu avec Pérou , et Tyr , avec Tira .
Thèse Vle.
460 VINGTIÈME THÈSE

science des astres ; c'est pourquoi, dans les monuments


américains , la plupart des symboles sont astronomiques.
Sur la pyramide de Mécamécan , on voit sculpté un
homme ayant à ses pieds un lapin , autour de lui des
signes célestes , et regardant le ciel avec un télescope.
On comprend que les Phéniciens qui traversaient les
grandes mers aient poussé cette étude aux plus minu
tieux détails, qu'habitués à se régir sur les étoiles, ils
aient contracté l'habitude de commencer leur jour au
crépuscule; mais tant de peuples orientaux qui sont au
milieu des terres , ou qui ne naviguent point, n'avaient
que faire de ces habitudes astronomiques ; en continuant
ainsi , religieusement , une étude qui n'était point faite
pour eux , ils montrent qu'ils descendent des peuples
navigateurs, qu'ils viennent des régions atlantiques.

Traditions phéniciennes en Amérique.

Les Phéniciens, comme nous le disons ailleurs, ne


sont point une nation à part, mais se rattachent à la
grande société celtique . Les institutions qu'ils propa
gèrent au delà des mers occidentales doivent donc être
les mêmes que les Celtes ont répandues vers l'Orient.
C'est ainsi que l'on trouve , dans le nouveau monde
>

comme dans l'ancien, les mêmes nombres figuratifs de


la divinité . Par exemple , au temple de Cusco ', le sou
venir du Hélion était clairement marqué par une figure
composée de trois soleils ; au palais de latzalane, on
1 GARCILAS. Hist. des incas, liv. II , ch VI . On sait que la principale
>

divinité des Phéniciens était Hélioun .


PHÉNICIENS EN AMÉRIQUE 461

voit à chacun des quatre angles trois têtes d'éléphant ,


et , conformément aux théories émises plus haut, celles
qui sont vers l'orient ont leurs trompes levées , les
autres les ont baissées ; Maire Monan ' , comme les
divinités mythiques de notre continent, était représenté
>

avec trois têtes , et , d'après ce que Montézuma disait à


Cortès , il tira les hommes de sept cavernes .
>

Si l'on pénétre plus avant dans les antiquités de


l'Amérique, on remarque qu'elle dut avoir avec notre
Europe une double communication ; l'une plus ancienne,
par le nord , nous montre entre ce pays , l'Islande ,
l'Écosse et la Scandinavie , une même série de monu
ments, de duns , de tombelles , d'urnes cinéraires ;
l'autre, par la route que retrouva plus tard Christophe
Colomb , établit à travers l'Atlantique une relation
incontestable entre les monuments de riche architecture
que l'on explore dans l'Amérique centrale , l'Espagne ,
l'Étrurie, le pays de Carthage, l'Égypte, l'Inde. Mais
on peut facilement s'assurer que , dans cette longue
traînée , le point de départ est dans la région des îles
Baléares . On trouve là , en effet, les différentes villes

' Les Mormons tirent de là leur nom et leur doctrine ; cette thèse
peut nous expliquer la relation que l'on a remarquée entre leurs tradi
tions et l'ancienne religion phénicienne .
? Bochica avait trois têtes. D'ORBIGNY. Bochica et Mair Monan sont
un même personnage .
3 Revuedes Deux Mondes, 1858. ler avril.
* Dans les deux Amériques, on rencontre souvent la légende du
Soleil tirant l'homme d'une caverne , comme Hérodote dit des Éthio
piens qu'ils se cachent dans des cavernes, à l'apparition du soleil ; ce
qui provient du mot Hélion dont le primitif, hel, signifie soleil et
caverne.
462 VINGTIÈME THÈSE

phéniciennes qui , comme en Amérique, portent le nom


de Carthage ; Palma ' , d'où partaient les Phéniciens
pour aller par delà l'Océan chercher la pourpre que les
Grecs appelaient en conséquence Phwenix ; les Noraggi
de Sardaigne dont le nom est resté à la tribu des
Noragués qui habitent près des bouches de l'Amazone,
et qui ont conservé toutes les traditions phéniciennes,
relativement à la création de l'homme ; les Ibères dont
le nom se retrouve partout en Amérique : ainsi , comme
nous avons dit , dans le Guatimala on voit la côte des
Ibères ; ainsi encore nous avons signalé ?, en différents
lieux dans l'Amérique méridionale, un grand nombre
de collines où l'on remarque l'empreinte d'un pied; le
saint, qui a laissé ce vestige, est appelé, comme dans
l'autre Inde, Pai Thomas , mais , ajoute Charlevoix ',
d'autres le nomment Pai Abara , le prêtre Ibère.
L'Amérique du centre doit donc avoir, comme l'In
doustan , tous les souvenirs de la Gaule méridionale ;
ainsi le fleuve des Amazones porte dans le pays le nom
de Guiena “, comme la contrée que traverse la Garonne;
ainsi encore les prêtres уy sont nommés Boyės, laonas,
Mair, tous mots où l'on reconnait les Boïens, les
Ioniens , les prêtresses appelées Møress dans de nom
breuses inscriptions découvertes aux bords de la Médi.
terranée .

i Palma en latin, Phoenix en grec signifient palmier. En face de


Palma est également une ville que les Latins appelaient Dianeum et
les Grecs , Artemision .
2 Thèse XVIII .
3 Hist. du Paraguay.
4 MALTE - BRUN . Géog ., liv. 116 .
5 Encycl, méthod.
PHÉNICIENS EN AMÉRIQUE 463

Cybèle était la grande divinité de cette partie de la


Gaule, et nous avons placé' la topographie de son culte
dans la Septimanie ?, aux bouches de l'Héraut et de
l'Aude; ses symboles doivent donc se retrouver au fond
de la mythologie américaine. Mair Monan , le dieu des
Mexicains, par exemple , n'est autre que la déesse
Mère ", c'est-à-dire Cybèle ; ainsi que cette déesse , il
représentait le doubles mouvement de la marée aux
bouches d'un fleuve océanique et, par conséquent, se
composait de deux figures semblables en tout, si ce
n'est que l'une d'elles, appelée Weichsel-buse®, le fleuve
purificateur, paraissait supérieure à l'autre qui se nom
mait Tlaloch ?, le flot montant. Tout ce que l'on voit
dans les mystères de Cybèles, relativement au pin, à
Atys, au globe , au rocher Agdus, se retrouve dans la
figure de Mair Monan : il porte dans une main cinq
pommes de pin, et dans l'autre une couleuvre ondu

1 Thèse XI .
? Origine des sept hommes et des sept cavernes dont parle Mon
tézuma.
3 Voy. THÉVET. Cosmog. universelle, XXI, passim ; DE SOLIS.
Histoire de la conquête du Mexique, liv. III, ch. XIII.
* Par toute la Gaule , on trouve des inscriptions portant : Deabus
Marabus. Le vrai nom est donc Mair, exactement écrit comme dans
Mair Monan.
5 C'est la double clef de Cybèle ; ce sont les deux têtes de Janus .
6 Les premiers conquérants du Mexique prononçaient Huchilo- bos ;
d'autres Wichili-puztli ; or, I'li n'est qu'un suffixe ( Weichsel, transfor
mation ; Buse, canal) .
7 Tla est un affixe, comme les articles réunis De et La . Loch est le
même mot que dans Varuna loka , flux de la Garonne.
8 Thèse XI., Cybèle n'est autre que Méni , qui n'est autre que
Monan .
464 VINGTIÈME THÈSE

lante ” ; la légende d'Atys dans nos contrées , celle de


Monan incarné sous le nom d'Ata nous offrent exac
tement les mêmes aventures , une femme que le dieu
poursuit , qui est prête à devenir mère , qui est aban
donnée dans les bois et recueillie par des paysans ; le
globe sur lequel est posée la statue du dieu rappelle
celui d'Atys ; cette pierre , placée devant l'idole et sur
laquelle on égorgeait les victimes ?, n'est autre que le
rocher Agdus ; la procession de Cybèle se faisait à
Mexico exactement comme dans nos contrées; on y
portait également un pin ; ce qui fit donner à cette fête
le nom européen d'Ipaïna “. Le Mexique a conservé
plus longtemps que l'Europe le souvenir du mythe de
Cybėle; la vache du Mexique se nomme Cibola; on
connait , dans le voisinage , un canton appelé également
Cibola , et qui tire ce nom d'un lac où réside, dit-on,
une fée 5 .
Au centre des régions où nos aïeux allaient chercher
des trésors et surtout la pourpre, l'Amérique étale
1 Les couleuvres, les épées ondulantes , entre les mains d'un Génie
qui terrasse un monstre, désignent toujours le triomphe du fleuve sur
le flux ; le vulgaire les appelle faussement flamboyantes.
2 Voy. toutes les légendes de Mair Ata dans THÉVET. Cosmogr. unir .,
liv. XXI , ch . VI .
3 A Mexico, on égorgeait sur cette pierre des victimes humaines,
pour le salut de l'empereur ; en Europe, ces victimes étaient depuis
longtemps remplacées par un taureau ; on l'immolait sur une pierre
trouée, et la personne , pour qui on offrait le sacrifice, étant placée
dessous , en recevait le sang ; elle était alors , comme nous le voyons
>

par des inscriptions retrouvées dans le midi des Gaules , Renata,


Regenerata .
4 Dict, encyclopédique.
5 MORÉRI, Kne-bele, Cybèle. Koe, vache, Bele, fée. Darsy.
PHÉNICIENS EN AMÉRIQUE 465

aujourd'hui tout le luxe de ses ruines ; nous explorons ,


depuis un siècle, ces vestiges, et nous reconnaissons
sans peine une civilisation qui , à une époque reculée,
dut être la nôtre. Ainsi, dans les débris de l'antique
ville de Culhuacan ' , nous retrouvons toute l'Ibérie,
toute l'Étrurie , toute la Sardaigne, leurs alambra ’,
leurs mosaïques , leurs peintures, leurs labyrinthes.
On fut surpris d'y voir des symboles que nous
sommes accoutumés à considérer comme orientaux : le
Scarabée , le Tau , le Coq , le Lotus ; mais tous ces
emblèmes ont existé dans nos contrées, ils sont dans
nos ruines , ont méme laissé des vestiges dans nos tra
ditions . Nos ruines , à nous , ont toujours été recouvertes
par de nouvelles villes ; soulevez Namur , Nantes , Mar
seille, Barcelone , Cadix , vous découvrirez sous leur
base ce que vous tirez des ruines lointaines ; mais dans
ceux de nos pays où l'on a laissé les antiques cités sans
les reconstruire, chez les Tyrrhènes, par exemple , on
retrouve tous les jours , comme chacun sait, le Sca
rabée , le Tau , tous les mythes que les Phéniciens ont
semés dans les deux mondes . Quant au coq , il couronne ,
en Amérique , le plus remarquable tableau de Cul
huacan, il est en Asie vénéré des Brames sous le nom

| Explorée en 1787, sous le nom de Palenké.


? Comme je le dis ailleurs ( thèses Ville et XIVe), les Arabes ont
trouvé , dans les constructions de Kalat - al - Amra , des vestiges de l'an
cienne architecture ibérique ; les ruines américaines semées le long de
la côte des Hibueras sont de cette même architecture.
3 Le Tou dont parle Ézéchiel ne peut re que le T de forme latine ;
le Tau phénicien , qui s'écrit à peu près comme notre n , ne se ren.
contre nulle part; le T'au latin se rencontre partout (Ézéch ., ch. IX).
30
466 VINGTIÈME THÈSE

de Scanda ' ; or, c'est l'emblème du culte de Cybèle; le


pontife de cette déesse s'appelait Gaela, et Gallus, chez
les Tyrrhènes, signifie coq . Ce coq se rencontre dans
toute la région méditerranéenne, mais toujours sur les
médailles des villes où était le culte de Cybèle , ou qui ,
comme Dardanie, avaient une origine tyrrhénienne .
De tous ces symboles , celui qui paraît le plus exo
tique, est le Lotus ; or, il remplissait autrefois nos
monuments ; il ne se trouve plus guère que dans quel
ques vieilles églises ; on y voit, par exemple , sur un
tableau ' , saint Joachim et sainte Anne ; il sort de leur
cæur deux tiges qui, se réunissant en une seule , sup
portent un Lotus dans lequel , comme dans un berceau ,
sont Jésus , Marie, Joseph . Le lotus est une plante qui
flotte dans l'eau , et caractérise les idoles qui , comme
Brama, Vischnou , Siva, tiennent la place d'un fleuve
purificateur; le mot même a disparu , mais il a laissé
dans nos langues le verbe Louteren *, laver, purifier.
Sous le nom de Lys , il était le symbole des rois celtes ;
Lodwitsch signifie fils du Lotus , et , si on se souvient
que les Asiatiques appellent, comme nous, le lotus
| Les Brames enseignent que Siva dans une de ses incarnations
devint le coq Scanda .
2 Gael, en phénicien , signifie rachat, rédemption. Ce mot est donc
synonyme du celtique Boete, qui a fait Mara -bout, de l'arabe Pana , qui
a fait Pæni, de l'hébreu Enak, qui a fait Eunuque. Mais comme Gael
signifie aussi coq, dans la cérémonie du Kipour, c'est souvent un coq
que l'on prend pour victime, et l'otficiant, jouant sur les mots , dit avant
de l'égorger : Sois mon rachat.
3 Dans une vieille église de Bruxelles.
4 Dict. flam ., holl . Le Lotus se dit Rhen , en japonais. SIEBOLD.
5 Lodwitsch , Lodoix , Ludovicus , Louis .
PHÉNICIENS EN AMÉRIQUE 467

Nien ', on ne sera point surpris que , malgré la distance


des lieux, Louis et Ninus soient deux mots syon
nymes .
Les vaisseaux de Salomon accompagnaient les Phé
niciens dans leurs voyages d'outre-mer, et sans doute
communiquèrent ainsi aux habitants de l'autre conti
nent les traditions mosaïques que nous y retrouvons
aujourd'hui . Mais c'est surtout dans la terre d'Ophir
qu'elles doivent s'être le mieux conservées ; là, en effet ,
les peintures des palais sont des fragments de la Bible .
Je n'en cite qu’un exemple . Moïse, après avoir opéré
des prestiges dans lesquels un serpent et une verge sont
tour à tour changés l'un en l'autre , conduit son peuple
dans le désert et attaque les Amalécites ; pendant le
combat, il se tient sur une colline ?, les bras étendus en
croix , ayant à sa droite le pontife Aaron , à sa gauche
Hour , et par cette figure mystique , il favorise le combat
et achève la victoire . Voici comment, en style hiéro
glyphique , cette scène est retracée sur un panneau de
Culhuacan. Une croix se dit Aspa', et le pénitent , qui
se tient dans la position de Moïse jusqu'à épuisement,
est appelé , dans la langue des Ibères, Aspado ; or , le
milieu du tableau représente une croix ; d'un côté est
un pontife, de l'autre, comme Hour signifie prostituée,
on voit une femme avec un enfant; çà et là , sont tous

1 Thèse XIe. Nien , en Orient (SIEBOLD. Voyage au Japon , tome V),


Nénuphar, dans nos pays , désignent la plante sacrée du lotus.
2 Exod. , ch . XVII.
3 Aspa, croix de Saint-André ; Aspado, pénitent qui a les bras en
croix . QUINTANA . Dict . esp .
468 VINGTIÈME THÈSE

les objets relatifs à l'exode des Hébreux , par exemple ,


un serpent, une verge .
Ce peu de détails suffit pour montrer que si nous
avons trouvé des ressemblances entre les deux conti
nents, nous avions également dans nos souvenirs histo
riques de quoi les expliquer, et qu'il n'était pas besoin
d'avoir recours , comme on l'a fait, à des théories labo
rieuses et bizarres.

SEO3) .
VINGT ET UNIÈME THÈSE .

DES VOIES DE COMMUNICATION ENTRE L'ANCIENNE


AMÉRIQUE ET NOTRE CONTINENT.

Les relations entre les deux continents sont recon


nues et avouées par tous. Les auteurs qui ont à traiter
cette matière ne manquent jamais de faire remarquer
que les constructions du Mexique et celles de l'Égypte
ont une même origine ; que les monuments de l'Ohio
sont identiques avec ceux des Scandinaves; que Bochica
et Brama sont un seul personnage ; que certains usages
se retrouvent à la fois en Chine et au Pérou . Tous
s'accordent à admettre cette analogie; mais quand il
s'agit de l'expliquer, tous diffèrent. L'école asiatique ,
bien loin d'avancer la question , arrête la marche de la
science et n'a rien pour la tirer de cet embarras . Voici
son dernier essai : Depuis plus d'un demi-siècle, dit un
savant", le passage des Orientaux par le détroit de
Behring a été élevé au rang d'une probabilité historique
par les recherches de Fischer , Smith Barton , Vater ,
Alexandre de Humboldt.

MALTE-BRUN. Géogr. , liv. CI.


470 VINGT ET UNIÈME THÈSE

Ainsi , dans ce système, on voit en Égypte des pyra


mides, des embaumements, des hiéroglyphes ; les peu
ples, pour transporter ces institutions dans le nouveau
monde, qu'ils ne connaissaient pas , ont été chercher ,
parmi les glaces du Nord , un détroit qu'ils ne connais
saient pas davantage , et dans cette longue route , où ils
parcouraient les trois quarts de la circonférence du
globe, ils n'ont laissé aucune trace d'antiquités qui rap
pelle l'Égypte : point de pyramides , point d'embau
mements , point d'hiéroglyphes ; arrivés au Mexique,
tout cela revit dans leur mémoire , et ils y reproduisent
tous les monuments de la contrée d'où ils étaient partis
depuis si longtemps .
Voilà ce qu'il faut admettre dans le système mo
derne.
Les partisans des nouvelles doctrines me paraissent
faire un étrange abus du mot de colonie ; c'est une
branche où tous se rattrapent dans les cas de détresse.
Si l'on considère l'universalité , la persistance des rap
ports qui assimilent l'ancien et le nouveau monde , l'on
ne saurait admettre qu'une simple colonie ait opéré un
si vaste ouvrage. La diffusion de l'espèce humaine sur
le globe a des secrets qui ne nous sont pas connus .
Qu’un navigateur, chassé par la tempête , rencontre au
milieu de l'Océan un îlot égaré , toujours il y trouvera
des étres semblables à lui , ayant quelque chose de la
langue, de la civilisation des autres hommes. Comment
y sont-ils venus ?
L'ancien et le nouveau monde se ressemblent dans
les parties qui sont respectivement voisines, comme si
NAVIGATION PHÉNICIENNE 471

aucune mer ne les séparait. Ainsi , d'un côté du détroit


>

de Behring sont les Samoyèdes , de l'autre les Esqui


maux , et ces deux peuplades n'en font qu'une ; même
type, mêmes superstitions. Dans l'Amérique du Nord ,
on voit des camps retranchés , des tumulus , des idoles
accroupies, des ustensiles bizarres ; suivez la ligne que
parcourent ces vestiges , elle vous conduira dans le
Canada, l'Islande , l'ancienne Thulé, l'Écosse et les
pays baltiques , et là vous retrouverez tout ce que nous
venons de voir de l'autre côté de l'Océan. Entre l'Afrique
et l'Amérique du Sud , qui est en face, l'on a signalé
d'étranges rapports ; ainsi les habitants de la Guinée
d'une part , ceux de la Guyena ' de l'autre appellent un
serpent Boa ; et même ce mot, d'apparence américaine ?,
se trouve dans l'histoire naturelle de Pline ; de nom
breux exemples de ce genre montrent que les nations
des deux côtés de la mer communiquaient entre elles .
L'Atlantique, dans son plus vaste renflement, sépare
deux anciens mondes, également civilisés, et qui sem
blent avoir les mêmes ruines ; il faut donc admettre que
les peuples qui les ont habités autrefois, quel que soit
l'obstacle qui les sépare, ont eu entre eux des rapports .
Un nombre infini de systèmes ont été émis pour
expliquer ces dernières relations, et nous les avons
rejetés tous , parce que , d'abord , ils ne se fondent,

i Guyena, l'Amazone. Les navigateurs de Tharsis longeaient la côte


d'Afrique jusqu'au royaume de Juida et passaient de là à la côte des
Tupis, ' en Amérique ; ils revenaient par le nord ; ce age durait
trois ans .
2 Boa , serpent , dans la langue des Tupis. .
472 VINGT ET UNIÈME THÈSE

avons -nous dit , que sur l'insuffisante ressource d'une


émigration fugitive; parce qu'en outre, la route que
l'on fait suivre aux colonisateurs ne laisse apercevoir
aucune trace des institutions , des monuments qu'ils
allaient porter si loin . Or, on peut démontrer qu'à
ce double point de vue, la voie ordinaire de communi
cation entre les deux mondes était à travers l'Atlan
tique.
Quant au premier chef, nous avons déjà entrevu , sur
cette mer, le véritable lien qui unit les deux continents.
Il est admis que les Américains n'étaient point en
mesure de traverser l'Atlantique , de parcourir un tiers
de la circonférence du globe pour arriver jusqu'en
Asie ; il faut aussi admettre que , de leur côté, les Orien
taux qui ont des livres , des monuments d'une si haute
antiquité , n'y trouvent rien qui insinue qu'ils aient
jamais été chercher, au delà des mers , l'or, la pourpre,
les émeraudes , qu'ils soient jamais sortis de leur pays,
même en fuyards; mais , si nous recueillons les pre
miers échos de l'histoire naissante , les plus anciens
livres mentionnent des peuples qui depuis longtemps
parcouraient d'un soleil à l'autre la terre , l'Océan, ser
vant ainsi d'intermédiaires aux nations qui ne voyagent
point ; sur terre , on les appelait Scythes , sur mer, on
les appelait Phéniciens . Les anciens vont jusqu'à nous
apprendre de quelle manière ces peuples découvrirent
l'autre continent. Selon Diodore de Sicile , les Phéni
ciens ayant établi des comptoirs sur les côtes de l'Océan

| Biblioth . hist . , liv. V.


NAVIGATION PHENICIENNE 473

en Afrique, une tempête de plusieurs jours les emporta


vers une île d'une grande étendue et très- éloignée vers
l'Occident. A leur retour , ils en firent des relations
magnifiques, selon le style des voyageurs ; là -dessus, les
Tyrrhènes, qui avaient l'empire de la mer, résolurent
d'y aller fonder des établissements ; ce qui fit naître
de violents débats entre ces deux peuples navigateurs .
Voilà le véritable lien de communication entre les
deux continents .
Les Phéniciens n'ont point disparu . Ces peuples cel
tiques , rangés autour des Baléares , eurent des mal
heurs ; il s'ensuivit un long moyen âge pendant lequel
les Grecs taillèrent des statues , les Italiens troublèrent
les nations voisines, pour le plaisir d'aller triompher
au Capitole , les Musulmans se précipitèrent sur les
peuples occidentaux pour les forcer à revenir à des
meurs abandonnées ; puis , une fois la tourmente passée ,
les Phéniciens reprirent leurs courses interrompues ?;
Christophe Colomb retourna en Amérique , Vasco de
Gama retourna en Asie , et tout rentra dans l'ordre.
Quant à l'autre difficulté, il n'y a qu'une route sur
laquelle on retrouve les traces des institutions que les
nations échangeaient entre elles d'un continent à l'autre ;
c'est celle où circulaient les Phéniciens , dont nous
venons de parler, c'est l'Atlantique.
1 Exactement l'histoire d'Alvarez Cabral poussé par la tempête sur
les côtes du Brésil.
? Les traditions concernant l'Amérique se sont toujours conservées
dans les contrées ibériques ; les Romains et les Grecs , qui ne connais
saient rien en dehors de leur pays , n'ont évidemment pu rien nous en
apprendre.
474 VINGT ET UNIÈME THÈSE

Une critique élémentaire, pour être convaincue ,


aurait désiré voir , sur cette route , des monuments entiè
rement semblables à ceux qui existent dans ces deux
pays extrêmes , des pyramides, des momies , des hié
roglyphes , des dragons , exactement comme en Égypte
et au Mexique ; mais la science réelle , celle qui observe
dans le passé les lois constantes par lesquelles se déve
loppent les institutions des hommes, en juge tout diffé
remment. Les monuments sont semblables en Asie et en
Amérique, mais dans le pays d'où ils sont originaires ,
ils doivent différer; ce pays d'initiative , changeant
toujours pour toujours perfectionner, ne peut offrir
qu'une série de ruines progressives , où se trouvent
enterrés les rudiments de ce que l'on voit dans les
autres régions ; le vulgaire ne connaissant des monu
ments que leur dernière transformation ne trouve plus
aucune analogie ; mais l'observateur sait , par dessous
ces ruines , renouer la chaîne des ressemblances entre
l'Orient et l'Occident .
A une époque reculée où l'homme n'avait encore pour
moeurs que ses instincts , le premier noyau de sociabi
lité se forma dans nos régions atlantiques. Le besoin ,
l'industrie perfectionnèrent avec le temps cet élément
de peuple et lui donnèrent des armes. Ces premiers
hommes purent ainsi étendre au loin leur domination.
La civilisation marchant toujours, ils triomphèrent des
espaces et arrivèrent en Asie et en Amérique , où ils
établirent les monuments , les institutions de leur pays ;;
c'est pourquoi à cette époque l'Asie , l'Europe , l'Amé
rique se ressemblaient ; mais les relations ayant été
NAVIGATION PHÉNICIENNE 475

rompues , chacune de ces régions fut abandonnée à elle


même et resta avec ses souvenirs . L'Asie et l'Amérique,
sorties d'une commune et lointaine patrie, firent de son
image une divinité, se gardèrent bien de dénaturer les
monuments qui la reproduisaient , et, lorsqu'après de
nombreux siècles , nous sommes revenus dans ces deux
contrées, nous fûmes surpris de trouver qu'elles se res
semblaient encore . La mère patrie , au contraire , qui
était pour elle-même sans mystère , continua de se
modifier, de se perfectionner , de pousser en avant le
mouvement auquel elle avait donné la première impul
sion . Les monuments des deux Indes ne ressemblent
donc point aux nôtres, mais ils ressemblent à ce que
furent nos ruines .
D'après ce qui précède , on comprend qu'au centre
des régions celtiques , au foyer de l'ancienne civilisa
tion , où tout est mouvement, tout est progrès , on ne
voie plus rien des établissements primitifs; chaque
génération nouvelle retaille les ruines du passé pour
reconstruire l'avenir ; le bloc de pierre, qui formait la
base d'une pyramide indo-américaine , devint ainsi peu
à peu le trèfle élégant que l'art gothique a semé sur
nos cathédrales. Quant aux constructions en nature,
on ne peut plus guère les retrouver que dans des can
tons écartés et déserts où elles paraissent comme
oubliées : ainsi , les Noraggi ont pu se conserver en
Sardaigne ' ; on rencontre encore des pyramides sur la
côte orientale de Minorque et sous les sables de nos

| Voy . thèses XIVe et XVIe .


476 VINGT ET UNIÈME THÈSE

rivages' ; au fond de l'Irlande , les hommes n'ont jamais


été détruire les épouvantables forteresses de Grianan et
d'Arran ; en Étrurie, on a bien reconstruit les anciens
édifices, mais en déviant peu à peu des formes primi
tives ; le tombeau de Porsenna ? était entièrement amé
ricain , le Palazzo Vecchio , qu'habitaient les Médicis au
moyen âge, rappelle encore passablement le monument
de Palenkė3 : bloc carré , surmonté d'une tour carrée.
Ce que nous avons dit des édifices s'applique égale
ment aux autres monuments . Les bassins de la Garonne ,
de l'Héraut sont une vaste nécropole où chaque coup de
pioche du géologue rencontre quelque antique caveau
plein de momies “ ; elles ont sur elles leurs amulettes et
autour d'elles les ossements des animaux qui , comme
en Égypte et au Mexique, étaient momifiés avec le
défunt. Plusieurs de ces réduits , où furent déposés les
saints des premiers temps, sont restés jusqu'à nos jours
des lieux fameux de pèlerinages.
En voyant des ossements d'animaux dans ces
cavernes , on a pu croire qu'elles n'étaient que des
retraites naturelles pour les bêtes fauves; mais, dans
les îlots de la Méditerranée , il n'y a point de bêtes
fauves, point d'ours , par exemple , et pourtant les
1
| A Mimizan ou , comme dit Homère, à Mimas. Voy. Pays atlan
tiques, thèse XIVe.
2 Voy. thèse XIVe .
3 C'est - à -dire de Culhuacan .
• Voy. thèse XIV .
5 Roca Madour, dans le Lot. Mėme mot que Mataro, Matarieh ,
Mathoura des livres sanscrits. La racine est Vodorra, léthargie, som
meil de la momie . QUINTANA , Dict . esp.
NAVIGATION PHÉNICIENNE 477

grottes mortuaires renferment les débris de ces ani


maux ? qui , par conséquent, y ont été transportés par
les hommes et déposés dans les tombeaux .
Nous avons aujourd'hui une écriture savante qui se
compose de signes alphabétiques;; les runes au nord ,
les caractères phéniciens au midi , les lettres grecques
par toute l'Europe ' servent aux hommes , depuis plus de
trois mille ans , pour communiquer entre eux au moyen
de feuilles mobiles et transmissibles . En remuant
les couches superficielles du sol , nous retrouvons ces
memes caractères plus simples , plus grossiers , gravés
sur la pierre, sur les métaux , en un mot sur des
monuments fixes. Si nous creusons davantage , nous
remarquons tout un système de figures , par lesquelles
l'homme chercha , dans des temps plus anciens , à fixer sa
parole ; elles sont peintes sur les vases étrusques , sur
les urnes funéraires que l'on retrouve aux bords de nos
fleuves expiateurs 3 ; vous y voyez, par exemple , un
homme, une femme, un sanglier, un aigle et une pin
tade, et cette phrase symbolique , traduite en langue
actuelle, signifie : En Ætolie *, Méléagre et Atalante
tuèrent le sanglier de Calydon . Que l'on pénètre encore
plus avant, que l'on descende dans ces mêmes sépulcres
où nous avons vu la mort figurer ses premiers mystères ,
on y reconnaîtra la plus ancienne tentative de l'homme
Au musée de Florence, on voit des ossements de l'Ursus Spelæus,
trouvés dans les grottes funéraires de l'ile d'Elbe .
2
Voy. thèse VI..
3 Principalement au voisinage de l'Escaut.
detos, Meleagris signifient en grec, un aigle, une pintade. Voy.
D'HANCARVILLE. Mon , étrusq .
478 VINGT ET UNIÈME THESE

pour déposer hors de lui sa pensée ; des animaux


sacrés étaient primitivement, comme nous l'avons vu ,
inhumés avec le défunt; mais quand ils commencèrent
à devenir rares , on se contenta de dessiner leur image ,
et ces figures consacrées à remplacerent , près du défunt ,
l'animal qu'on ne pouvait plus que difficilement se pro
curer ; ces tablettes en schiste , en bois de renne poli , en
ivoire, ont été jusqu'ici trouvées uniquement dans le
midi de la France ?, et surtout dans les bassins de la
Garonne et de l'Héraut ; on y voit gravé des aurochs,
des élans , des castors, des combats de rennes et, ce
qui est bien plus surprenant, des mammouths en atti
tude de course 3. Ainsi , les premiers hiéroglyphes
datent de l'âge où le mammouth vivait sur notre sol ;
les traditions du vieil Orient sont loin d'atteindre à cette
- un Mexique , une
effroyable antiquité ! Existait-il
Égypte à l'époque où l'art d'écrire fit parmi nous son
premier essai ?
Si l'on parcourait en observateur la route qui mène
d'une Inde à l'autre par nos contrées , on y retrouverait,
soit conservé à l'état de débris , soit transformé par les
variations croissantes de l'art, tout ce que l'on voit dans
ces régions extrêmes ; les dragons qui surmontaient nos
tours féodales, les griffons, les monstres de toutes
formes qui hérissaient les abords de nos vieilles églises,

I C'est- - dire fées, comme il est dit dans les vieilles légendes .
2 LE HON . L'homme fossile, ch . IV.
3 On les a trouvés surtout dans le voisinage de la Dordogne, à la
Madeleine, à Laugerie. Voy. ces figures dans LE Hon. L'homme
fossile.
NAVIGATION PAÉNICIENNE 479

disparaissent de jour en jour pour faire place à d'autres


ornements. Il en est de même de tout le reste .
Quant à l'obstacle que semble opposer l'Atlantique
à la communication des peuples , nous avons prouvé , par
des faits réels , que cette barrière n'arrêtait point nos
aïeux ; mais nous avons une autre argumentation :: Sur
tous les points solides de cette route flottante, les voya
geurs ont laissé des marques de leur passage ; ainsi ,
les îles Canaries sont toutes minées de grottes funé
raires, semblables à celles de l'Égypte; les momies ren
ferment des plantes ' , des aromates qu'on ne trouve
qu'au Mexique, et souvent sont ornées de bandelettes
qui rappellent les quipos des Chinois et des Péruviens .
Plus loin se trouve Madère où les modernes ont trouvé
des inscriptions phéniciennes ? . En avançant encore
davantage, on rencontre, au milieu de la mer, les îles
Açores , formant comme une halte entre les deux conti
nents ; les plus anciens atlas du moyen âge les nom
3
ment : et citent surtout, dans l'une d'elles “, la statue à
cheval d'un homme montrant du doigt l'Occident ; l'on
possède des monnaies carthaginoises et cyrénaïques ,
trouvées dans ces îles "; Thévet nous apprendº que
les premiers qui les découvrirent aperçurent, dans l'ile
Saint-Michel, une grotte de dix pieds en hauteur et
| Par exemple, le Chenopodium ambrosioïdes.
2 Thévet. Cosmogr, univers., liv. III , ch. XI.
3 Elles sont nommées dans l'Atlas catalan de 1375 .
* Dans l'ile de Corvo. Vers le xie siècle, Edrisi, Ibn -al-Ouardi,
géographes arabes, parlent de cette statue.
5 MALTE -Brun. Géogr. , liv. XXII .
6 THÉVET. Cosmogr. univ ., liv . XXIII , ch VII .
480 VINGT ET UNIEME THÈSE

autant en largeur ; ceux qui l'ont rue , ajoute -t-il, m'ont


assuré y aroir remarqué deux monuments de pierre
autour desquels étaient sculptées deux grandes couleu
vres ; au haut et au bas de chacun de ces monuments, on
lisait une inscription en lettres hébraïques.
La distance qui sépare les Açores des côtes euro
péennes est à peu près égale à la longueur de la France ;
si les anciens allaient jusque -là , il est difficile de dire
pourquoi ils n'auraient pas été jusqu'en Amérique. Au
delà des Açores , on rencontre , à une faible distance , le
banc de Terre-Neuve , lequel semble avoir toujours été
connu des peuples de la Méditerranée; il est désigné,
bien antérieurement à Christophe Colomb , dans l'atlas
d'André Bianco ? qui le nomme ile de Stokafixa, et le
sens de ce dernier mot ne saurait être douteux, lors
qu'on voit, par la relation des frères Zeni '’, que ce pays >

fournissait de poissons la France, l'Angleterre, le


Danemark . Il s'agit donc ici du banc de Terre-Neuve,
et ce qui montre que les Phéniciens ont poussé jusque
là , c'est que dans le voisinage, c'est-à-dire dans le
Massachusetts , on voit des inscriptions phéniciennes
gravées sur des roches 3 .
Chez les peuples ibériques on savait , par d'antiques

1 La carte d'André Bianco se trouve à la bibliothèque de Saint- Marc,


à Venise . Elle fut interprétée par Formaleoni , qui voit dans Stokafixa
le Stockfisch des peuples du Nord . Elle fut faite , avons-nous dit , en
1436, et elle parle de l'Amérique sous le nom d'Antilia .
2 Les deux frères Zeni , Vénitiens , pénétrerent en Amérique par le
N.- 0. de l'Europe, vers 1380 ; ils nomment le pays où est le banc de
Terre-Neuve , Friesland .
3 MALTE -BRUN . Liv. CXI .
NAVIGATION PHÉNICIENNE 481

traditions qu'il existait, au delà de l'Océan , un pays


que les uns nommaient île de la Main et d'autres île
de Satan , et on contait qu'une main en sortait la nuit
pour saisir ceux qui s'approchaient; ce qui se rapporte à
l'ile funéraire d'Homole , laquelle se trouve au centre
des antiquités phéniciennes ? ; elle est dans le lac
Managua , ou ile de la main , appelée aussi Nickara
gua “, ou ile du diable . Enfin, qu'on lise les ouvrages
des Maures et des Ibères au moyen âge , on y retrou
vera tous les plus curieux phénomènes de l'Amérique ,
reproduits sous forme de souvenirs et de légendes, et
aucun n'oubliera de citer l'épouvantable monstre connu
sous le nom de Rouk , lequel n'est autre que le mascaret
de l'Amazone , appelé en Amérique Poro-Roco 5 .
On voit, par ce peu de détails , qu'il exista entre les
deux continents un ancien courant de relations à travers
l'Atlantique et que la tradition ne s'en est jamais
perdue .
Les faits qui précèdent sont positifs, et la question
de boussole ne saurait nous arrêter ; aussi je jette seu
lement en passant quelques soupçons sur cette matière .
Nous avons pris pour règle de concentrer l'origine de

1 En Scandinavie, dans le Smaland , est le champ d'Odin ; une main


en sort la nuit pour saisir ceux qui s'approchent.
2 Près de Carthago, de Salinas, de la pourpre.
3
Man , main ; aeghe, ile ; neckar, diable . Darsy . Dict . flam . Cette
Ile de la main est plutôt l'ile des Mânes.
* La légende du diable Neckar se conte aussi dans le port de
Stockholm et auprès de Malines où l'on voit le Neckerspoel.
5 Poro est le mot Bore, flux; roko est le celtique Rük, en arrière.
Poro-roko est la traduction exacte de Boura-Ganga.
31

!
482 VINGT ET UNIÈME THÈSE

la civilisation dans Athènes et dans Rome , et comme


les citoyens de ces deux villes ne connaissaient rien en
dehors de leurs frontières, nous nous faisons une
science d'ignorer avec eux les institutions des peuples
qui les environnent ; il résulte de là une étrange et jour
nalière déception : ce que nous nous attribuons comme
découverte, les géologues le retrouvent dans leurs
fouilles, les voyageurs le lisent sur les monuments des
peuples lointains. Nous en avons cité bien des exemples.
Les lunettes télescopiques étaient connues dès la plus
haute antiquité ; Ptolémée s'en servait; on les voit
encore sculptées sur les monuments américains'; elles
ont toujours été en usage , et cependant nous avons toute
une histoire concernant leur invention dans les temps
modernes 2. En serait-il de même de la boussole ?
Nous avons dit, en parlant de la Chine, que ses plus
anciennes dynasties venaient de l'extrême Occident ';
or, les livres chinois signalent, à cette époque, les
mêmes institutions auxquelles s'attache parmi nous le
nom de Pythagore , comme , par exemple, le carré de
l'hypoténuse et la boussole . Chacun connaît la légende
traditionnelle, par laquelle Pythagore immola une
hécatombe aux dieux , pour les remercier de la décou
verte de l'hypoténuse ; quant à la boussole , son nom
i Voy. thèse XIe (Ruines de l'Asie centrale ), et Poésies d'Homère,
thèse XIIe.

2 On attribue à Jacques Métius l'invention des télescopes ; il était de


Middlebourg ou Asciburgium .
3 Voy. thèse XII .
4 La doctrine de Confucius est la même que celle des Pythagoriciens
du Brutium . Poésies d'Homère, thèse XIIe.
NAVIGATION PHÉNICIENNE 483

même nous révèle une origine semblable , ayant tou


jours été appelée par les Ibères Bitacora. Le plus
ancien auteur qui , en Occident, cite et décrive claire
ment la boussole, est Guyot de Provins ; c'est, dit-il,
une pierre laide et noire , et il l'appelle Marinette ? ; or,
il vivait en 1190, et, quoique l'on fût alors en pleines
croisades, aucun historien ne nous fait remarquer que
les croisés, auxquels elle aurait été fort utile, s'en
soient servis pour leurs longues navigations .
L'Europe, aussi bien que l'Asie, peut donc revendi
quer ces inventions ; mais le nom que les Chinois
donnent à la boussole me paraît appuyer en faveur de
l'Occident. Elle indique le Sud ; en saxon, Schow
signifie indiquer , Noon signifie Sud , et ces peuples , lui
laissant ses racines atlantiques, l'appellent Chi-nan ,
indicateur du Sud. On peut donc admettre que nos
aïeux connaissaient la boussole ; nous ne saurions dire
ce qu'elle devint par la suite des temps , mais aucun
monument ne nous apprend de quelle manière elle a
reparu parmi nous.
1 Elle servait donc à la marine et l'histoire n'en dit rien .
VINGT-DEUXIÈME THÈSE .

TRADITIONS D'ORIGINE AMÉRICAINE MÊLÉES A NOTRE


CIVILISATION .

Les Phéniciens, en arrivant en Amérique , y avaient


trouvé une population déjà prospère. Elle y était venue
par le nord de l'Atlantique , et sa civilisation devait
étre celle des Scandinaves. S'ils lui portèrent des insti
tutions nouvelles, ils durent également lui faire des
emprunts du même genre . C'est ainsi que l'on trouve ,
non -seulement en Europe , mais même en Asie , des
traditions qui ne peuvent venir que de l'autre conti
nent .

J'en cite quelques exemples .

Traditions américaines en Europe.

Dans le pays des Muiscas , en Amérique , on voit


une vallée sainte appelée Bogota, environnée d'anti
quités de tous genres et traversée par un cours d'eau .
Une muraille de granit semble la fermer, mais il s'y
rencontre une entaille par où la rivière s'échappe et
TRADITIONS AMÉRICAINES 485

tombe dans un abîme de deux cents mètres pour se


rendre à la Magdaléna . Ce lieu est fameux dans les
antiques traditions du pays, et , quand les Espagnols y
arrivèrent, on leur conta la légende suivante : La
vallée était autrefois riche et fort peuplée ; il s'y trou
rait une femme d'une beauté ravissante qui , par ses
maléfices, barra la rivière , la fit enfler et causa un
déluge où périrent presque tous les habitants ; alors ,
apparut un homme vénérable nommé Bochica ; il coupa
la tête de cette méchante femme et la lança dans
l'espace pour en faire la lune ; puis , écartant les roches
qui arrêtaient le cours de l'eau , il fit cette ouverture
que l'on voit aujourd'hui et qui se nomme Tékendama ;
il consacra le reste de sa vie à propager le culte du
Soleil ; enfin , se sentant près de mourir , il monta sur
une colline d'où il s'élança au séjour des bienheureux ,
laissant sur le sol la forme de son pied .
On sait que ce mythe est connu d'un bout à l'autre
de notre ancien monde ; mais il est facile de démêler ,
dans les différents récits qui en sont faits, des traces
d'origine américaine .
Les peuples de la Méditerranée , étant plus voisins
de l'Amérique, ont reçu de première main cette légende ;
aussi l'ont-ils reproduite sous toutes les formes dans
leur mythologie . Ils donnaient généralement aux
régions où le soleil se couche le nom d'Hespérie ; mais
les plus anciens d'entre eux désignent incontestable
ment par ce mot l'autre continent. Hesiode ? place les
| Voy . , entre autres , D'ORBIGNY . Voyage pitt . en Amérique.
2 Théog. r. 215 , 275, 517 .
486 VINGT - DEUXIÈME THÈSE

Hespérides de l'autre côté de l'Océan , aux extrémités


des régions de la nuit, plus loin que le royaume d'Atlas.
Là était une vallée lacustre , émaillée de fleurs, où
habitait la Gorgone '; Persée, étant survenu , lui coupa
la tête et en fit cette face d'apparence humaine qu'on
voit sur la lune et qui , par suite de cette aventure, fut
appelée Gorgonion ?; du sang de la blessure naquit le
cheval Pégase : qui , d'une ruade, ouvrit un rocher et en
fit sortir une source . Persée se retira ensuite à
Chemnis “, où l'on voyait sur une pierre sa sandale
longue de deux coudées. C'est donc la légende des
Muiscas que nous a contée Hésiode 5; il la place peran
Okeanoio ; il n'y a point à se retrancher sur un double
sens des mots ; peran signifie au delà , Okeanoio signi
fie de l'Océan ; au delà de l'Océan est l'Amérique.
Diodore de Sicile , né dans un pays où nous avons
déjà constaté des souvenirs américains, parle évidem
ment encore du même mythe, lorsque, rapportant une
autre tradition , il nous dit que le lac des Hespérides fut
mis à sec par un tremblement de terre 6.

| Une ile de la côte voisine des Muiscas s'appelait la Gorgone, à


l'arrivée des Espagnols.
2 Gorgonion, face que l'on croit voir dans la lune . Lexic.
3 Beck, fleuve, en celtique, a formé Péghé, source, en grec. Hésiode
dit que Pégase tire son nom de là ; c'est donc un fleuve.
4 Bochica, Monan et les autres Génies sont appelés Chemis par les
Caraïbes. Thévet. Cosmog. univers, liv. XXII.
5 Quelques détails de la légende sont pris en dehors d'Hésiode.
6 Tékendama a toute l'apparence d'une fissure violente qui semble
formée par un tremblement de terre . MALTE -BRUN . Liv. CXVII . Dick ,
digue ; Dam, barrage ; d'où Téken-dama, barrage de la digue. DARSY ,
Dict. flam .
TRADITIONS AMÉRICAINES 487

On trouve bien la même légende appliquée à diffé


rentes vallées en Grèce, mais toujours dans des auteurs
qui laissent percer l'origine étrangère ; ainsi, dit-on ,
le lac Copaïs, ayant débordé et causé dans la Béotie un
déluge, on lui ouvrit dans la montagne un canal, par
lequel l'eau s'écoula dans la mer ; or, le mont Ptoüs ,
qui lui barre le passage , n'a jamais eu, même au temps
de Strabon qui le décrit, aucune trace réelle d'un véri
table canal ; en supposant que cette espèce de déluge
ait eu lieu , les habitants auraient fui; ils ne se seraient
pas amusés à percer une montagne pour vider un étang
et regagner quelques pouces d'un terrain aride . Ainsi
encore , on dit que la vallée de Tempé ?, en Thessalie,
était autrefois un lac , et qu'un tremblement de terre lui
ouvrit une issue ; mais le fleuve qui traverse cette vallée
passe naturellement entre deux montagnes qui n'ont
1

aucune apparence d'avoir jamais été réunies. L'on a


donc appliqué à ce canton ce qui convient à un
autre ; le Tempé est donc une contrefaçon du lac des
Hespérides .
Ce lac, en Amérique , présente un phénomène frap
pant. La rivière , au-dessus de la cascade, traverse une
vallée haute, couverte de pins, de chênes , d'arbres des
régions froides ; au-dessous de la cascade , au contraire,
elle arrose un jardin d'été, tout vivant de palmiers,

1 Tout est américain dans cette vallée ; elle se nomme Tempé,


Tempu est la vallée sainte où s'arrêta Mango Capac ; elle est formée
par le Pinde, Pindi, en garanis, signifie palmier ; elle est traversée
par l'Araxe, Iraca est le nom de la vallée où Buchica établit ses
mystères.
488 VINGT -DEUXIÈME THÈSE

tout embaumé d'azaléas ; de sorte que l'eau , disent les


habitants , tombe d'un pays froid dans un pays chaud ;
or, cette particularité était connue en Grèce , et Théo
phraste ', croyant qu'il s'agissait de la Thessalie,
cherche à l'expliquer en disant que le climat de cette
contrée s'est refroidi, et que la cause en était à l'écoule
ment artificiel qu'on avait ménagé aux eaux stagnantes
qui couvraient autrefois les plaines.
La Chimère ?, décrite dans l'Iliades, est une allusion
évidente au mythe que nous venons d'exposer . C'était
un monstre ayant la queue d'un dragon , dit Homère,
un corps de chèvre et une gueule de lion ; ce qui est
l'hiéroglyphe de la vallée de Bogota. La rivière boueuse
qui la traverse en serpentant est figurée par le dragonº;
le mot Gat qui désigne l'ouverture du rocher signifie
aussi chèvre ; l'écume que vomit le torrent est appelée
chez les Tyrrhènes Spuma, et Puma est le lion d'Amé.
rique. Les détails , ajoutés par le poëte, confirment cette
conjecture : Bellérophon naquit à Ephyre, l'Ophir des
Phéniciens ; il dut combattre d'abord la Chimère, puis
les Solymes et enfin les Amazones : c'est exactement
I MALTE -BRUN . Liv . CXXXV et CXVII .
2 Chi-mæra. La femme qui avait causé le déluge se nommait Chia
(MALTE -Brun. Liv. CXVII) ; le mot Mair est usité dans les Gaules et
en Amérique pour désigner la déité fluminale. On trouve de nom
breuses inscriptions en Gaule portant : Deæ Mæræ ( Encycl. méthod. );
on trouve également en Amérique Mair Monan , Mair Pochy, Mair
Ata . ThÉVET .
3 11., VI , 181 .
4 Drek , boue , sédiment . Lexic.
5 Torrens signifie brûlant et coulant. Comparez de même Phlox et
Flux , Brennen et Brünn , Aqua et Ignis, Pur et To pour.
TRADITIONS AMÉRICAINES 489

l'ordre dans lequel il rencontra la cataracte , les


Solymoes et les Amazones ' ; les présents d'hospitalité
qui se font dans sa famille sont la pourpre, des coupes
d'or, des armes d'or, en un mot, l'Amérique dans toute
sa richesse . Jusqu'ici on a interprété ce mythe comme il
suit ? : La Chimère était une montagne de Lycies dont le
sommet était habité par des lions , le penchant cultivé et
.

courert de chèvres, le pied marécageux et rempli de


serpents ; et l'on a pu comprendre comment des lions et
des chèvres peuvent vivre ensemble sur une même
colline , car il n'y a que des collines dans la Lycie .
Mais c'est surtout chez les Phéniciens que l'on doit
s'attendre à retrouver des vestiges de ce mythe . En
effet, la province de Carthage se nommait Byzacium ,
c'est-à -dire, le pays de Bochica ; or , les peuples de cette
contrée rapportaient , comme en Amérique , la légende
des Muiscas; on y contait que Pallas , ayant attaqué la
Gorgone sur le lac Tritonis “, lui coupa la tête et la
plaça sur son égide qui en prit le nom de Gorgonion .
5

D'abord , Pallas est un nom purement américain " ,


réservé aux princesses clôturées dans le palais des rois ;
mais , en outre, Diodore de Sicile , qui connaissait
La vallée de Bogota, le pays de Solymoes que traverse le Rio
Negro, le fleuve des Amazones se font suite. Dans les îles du fleuve
étaient des femmes qui vivaient dans la retraite, la plus grande partie
de l'année. ThÉVET. Liv . XXII.
? BOUILLET. Dict. de l'antiq. Bellerife signifie, en ibérique , archer
chargé de poursuivre les crimes. Oudin. Dict. esp .
3 Lek, fente par où l'eau s'écoule, d'où Lycie. OLINGER. Dict, holl.
• Bochica avait trois têtes ; d'où Tritonis, d'où Tritonia Pallos .
D'ORBIGNY . Voy. pitt. en Amérique .
5 Garcilas . Histoire des Incas, liv. I , ch. XXVI .
490 VINGT-DEUXIÈME THÈSE

mieux que personne les traditions de ces parages , nous


dit quele monstre avait été tué près des monts qu'il
appelle Kérauniens ; c'est désigner presque par leur
nom les peuples chez qui se trouve le rocher
entr'ouvert , c'est- à -dire les Garanis .
Les Phéniciens qui , avons- nous dit, faisaient le com
merce dans l'Inde occidentale, étaient en quelque sorte les
entremetteurs de ces traditions . Ces peuples prati
quaient leurs mystères dans les temples de Melcart ' ;
et ce dernier mot , dans la langue celtique , peut
signifier jardin de pommes . D'un autre côté, dans
nos anciennes légendes, la pomme revient souvent et
toujours comme symbole des prémices que les héros
seuls pouvaient cueillir dans les orgies . Ainsi Junon,
en épousant Jupiter ,, lui donna pour dot un arbre por
tant des pommes d'orº ; la pomme d'or paraît également
lorsque Vénus, sur le mont Ida, accueille les préfé
rences de Paris ; lorsque la rebelle Atalante cède enfin
aux artifices d'un prétendant ; lorsque , dans leur jardin
que garde vainement un dragon, les Hespérides
reçoivent la visite d'Hercule . Le symbolisme de toutes
ces légendes repose sur le double sens du mot Mella ",
qui , outre la prérogative désignée plus haut, signifie
également une pomme . Ce qui montrerait que, de
l'autre côté de l'Atlantique aussi bien que dans nos

Malum , pomme ; Gard (Cariath , en phénicien ) , jardin ; d'où Mel


gard, jardin de pommes .
2 PERNETTY . Fables égyp ., liv. II , ch . II .
3 Mellar, ébrécher, écorner ; Mella , brèche. QUINTANA . Dict. esp .
Mella , confondu avec Malum , avec miel .
TRADITIONS AMÉRICAINES 491

contrées, les orgies ont eu leurs temples , leurs bocages,


leurs îles flottantes, leurs tours de Basan '; et qu'une
partie des joyeux récits qui nous sont venus de cet âge
primitif doivent être mis sur le compte de l'Amérique
ancienne .
En effet, les nombreuses légendes où paraît la pomme
figurative ont des images qui nous reportent au pays de
l'or et des merveilles . Hésiode , justement dans le même
vers où il nous parle des Hespérides, ajoute qu'elles
avaient la garde des pommes d'or et des arbres qui
produisaient ces merveilleux fruits; or, tels ces jardins
fameux ont été décrits par les anciens poëtes , tels ils
ont été retrouvés par les modernes en Amérique.
2
Ovide ' dit en parlant du jardin des Hespérides :
Arboreæ frondes, auro radiante nitentes,
Ex auro ramos, ex auro poma ferebant.

Garcilas 3 dit en parlant du jardin des vierges péru


viennes : Là , tout était en or, les fleurs, les plantes, les
animaux;;; on y voyait des arbres, dont les fruits étaient
tout đ'or et d'argent, faits au naturel. Ces deux auteurs
décrivent évidemment le même pays ; il yy avait donc
aussi, par delà les mers , des temples voluptueux de
Melcart .
La fable d'Atalante touche de même aux mystères
de l'autre continent. La jeune vierge, recherchée par
? Besana, premier sillon ; Quintana. Dict. esp.; Basanos, pierre de
touche. Lex.gr. Voy. thèses XIIe et XVe.
* Mét., liv. IV.
3 Histoire des Incas, liv. III, ch. XXIV.
492 VINGT-DEUXIÈME THÈSE

de nombreux amants, promit sa main à celui qui la


vaincrait à la course ; une foule de prétendants avaient
déjà succombé ; Hippomène enfin , implorant le secours
de Vénus, reçut de la déesse trois pommes d'or et entra
en lice ; chaque fois qu'il se voyait sur le point d'être
dépassé , il jetait une pomme ; Atalante : s'amusant à la
ramasser retarda ainsi sa course et fut prise . Jusque-là
rien ne trahit un pays plutôt qu'un autre ; mais com
ment expliquer le reste de leur histoire ? Les jeunes
époux , ayant profané le temple de Cybėle , furent méta
2
morphosés ? l'un en lion , l'autre en lionne . Nous avons
constaté , au delà de l'Océan, le culte de Cybėle ; on
peut donc espérer y trouver aussi l'interprétation de
ce second mythe. Tout repose sur le double sens du
mot Puma ; Puma, dans nos contrées , signifie pomme ,
et là-dessus fut bâtie la légende des pommes d'or ;
mais , en Amérique, il signifie lion , ce qui donna
l'idée de l'étrange métamorphose que racontent les
poëtes .
Les relations que nous avons décrites avaient donc
établi entre les peuples que sépare l'Atlantique une
grande similitude de moeurs ; c'étaient les mêmes mys
tères , les mêmes orgies . Lorsque, par suite de je ne
sais quels malheurs, toute communication fut inter
rompue entre les deux continents , on conserva de part
et d'autre , on altéra chacun à sa manière ces institu

i Ces fables sont toujours moitié ibériques, moitié américaines ; en


ibérique, Adelante signifie en avant, Adelantar, devancer à la course ;
la légende d'Atalante est fondée sur ce mot.
2 OVIDE . Metam . , liv . X.
TRADITIONS AMÉRICAINES 493

tions primitives ; et quand , il y a quatre siècles , nous


avons reparu sur cette terre lointaine, nous avons pu
retrouver encore, parmi les ruines et dans les noms
restés aux objets, des souvenirs non éteints de cet
ancien état de choses ; on put y démêler que les mêmes
dépravations avaient entraîné les mêmes renverse
ments .
Les indications précédentes nous ont déjà fait entre
voir, dans l'Amérique, deux centres d'anciennes orgies ;
l'un vers le Guatimala, dans la région des palais , de
l'or, des perles , de la pourpre ; l'autre vers la vallée
des Muiscas, ou les mythes du soleil et de la lune nous
rappellent le culte d'Apollon et Diane avec tous leurs
mystères. Mella et Muesca sont synonymes dans la
langue ibérique , et le sens prélibateur de ces mois nous
est déjà connu .
Pour parler d'abord du Guad-i-mala , ce nom signifie
loc du Mella, des cités lacustres, des orgies ; ce qui se
rapporte au bassin du Nicaragua: où se faisaient les
4
mystères des Aztèques . Les îles que l'on y trouve
sont toutes remplies d'urnes cinéraires exactement
pareilles à celles que l'on voit en Scandinavie et sur les
bords de l'Escaut , et d'où, par la vertu des florales, les
1 Voy, thèse XV .
? Bochica propage le culte du soleil et a formé la lune . Mango capac
et Mama Coſa sont le soleil et la lune ; la mythologie péruvienne les
fait sortir du lac Titicaca, comme, dans notre mythologie, Apollon et
Diane sont l'un et l'autre appelés Titanis, les dieux du flux.
3 Necker, mort ; Aeghe, lle. Homole était la plus vénérée de ces
lles .

* Staek, pieux , pilotis. Thèse X Ve.


494 VINGT-DEUXIÈME THÈSE

Walkyries' devaient faire renaître de nouvelles exis


tences . La reine de Saba ”, la reine des Walkyries
>

3
américaines partit de ces jardins enchantés pour voir
la cour de Salomon et le luxe de notre continent ; or,
c'est précisément sur cette visite que le roi se donna un
harem de sept cents femmes , bâtit un temple aux
Génies que la Bible appelle Chamos et lez Aztèques
Cémis “ , y célébra les fêtes d'Astarté et , par consé
quent , de Cybėle " , ces deux mots étant la traduction
l'un de l'autre ; mais surtout, dit la Bible , il rétablit le
Mello®, ce qui excita une révolte parmi ses sujets. Les
>

rois qui vinrent après lui essayèrent, à son exemple,


de se maintenir dans la possession du droit de pré
mices , ce qui fut pour Jérusalem une cause perpétuelle
de troubles , jusqu'à ce qu'enfin Joas ?, le Joas de
Racine , fût tué par le peuple, pendant qu'il exerçait,
dans sa tour de Mello, la prérogative royale.
Quant aux Muiscas , ce nom se retrouve chez tous
les peuples avec une signification peu déguisée ; les
verbes grec Moscheuein 8 et latin Mochari, le celtique
Masque nous ramènent en pleines saturnales . Chez
| Les houris de l'ile Walcheren , aux bouches de l'Escaut.
2 Zabbe, prostituée, sabine. Darsy. Dict . flam .
3 Sep, en phénicien , Sepes, en latin, signifie clôture.
4 THévet. Cosmogr. univers ., liv. XXII , ch. XI.
5 Koe -bele, déesse à la vache ; Stier -thée, déesse au taureau ; Par
vatı , rée au taureau.
6 III , Rois, ch . XI .
7 IV, Rois, ch . XII, verset 20.
8 Moscheia (en grec), ente, marcotte. Mochari, violer. Masche,
cicatrice (Darsy. Dict. flam .), c'est- à - dire cicatrice feinte pour péné
trer dans les florales.
TRADITIONS AMÉRICAINES 495

eux , avons-nous dit, étaient les Gorgones ; les deux


racines de ce mot sont en harmonie avec ce que nous
venons de dire : To gore ', dans la langue des Celtes
signifie, mystiquement, donner le coup de corne ou ,
comme on dit en vieux français, écornifler; Cuna?, en
Amérique et en Europe, signifie femme. Nous voyons
donc que Muiscas et Gorgones 3 sont deux mots diffé
rents pour exprimer les mêmes orgies .
Ce qui précède nous montre dans les régions médi
terranéennes tout un ensemble de traditions chargées
d'éléments américains. Les Phéniciens * , qui dominaient
>

dans cette mer, avaient des stationnements, sur la côte


asiatique, par lesquels ils communiquaient avec les
peuples de l'Orient. Ces points de contact étaient sur
tout l'Égypte qui touchait à l'océan Indien, la Phénicie
où se faisaient par terre les transports 'jusqu'à l'Eu
phrate , enfin la Colchide pour les régions du Nord ; de
sorte que nous pouvons naturellement nous attendre à
retrouver au fond de l'Orient des éléments de civilisa
tion venus des extrémités occidentales .

| To gore, frapper de la corne (Dict. angl.); Gorra , Gorron , écorni


fleur (OUDIN. Dict . esp .). Rac. hébr. , Guhr.
2 Cuna, femme, en garanis, en scandinave, en grec (Gynė). Gore
cuna , Gorgone.
3 Les Gorgones, selon les anciens , étaient filles de Phorcus et de
Kéto .
* Ces peuples avaient le culte de Cybèle ; leurs prêtres étaient autre
fois Galls et plus tard simplement Semigalls ou circoncis. En effet,
conformément à ce que je dis, Hérodote, qui était en Orient, ne connait
que trois peuples ayant la circoncision : les Egyptiens, les Syrophéni
ciens, les Colchidiens .
496 VINGT - DEUXIÈME THÈSE

Traditions américaines en Asie.

A mesure que les légendes atlantiques s'éloignaient


de leur source pour se répandre vers l'Orient , elles se
remplissaient en route de circonstances bizarres, et
acquéraient des proportions démesurées .
Bérose nous retrace une inondation diluvienne en
Orient ; mais , malgré de nombreuses déformations, il
laisse voir , dans son récit, des incidents qui rattachent
ce fait à ceux que nous venons d'étudier. Il nous
apprend qu'à Babylone une méchante femme, nommée
Omorca, ayant causé un déluge , Bel survint, arréta
l'inondation, coupa la tête à cette Gorgone ' , puis créa
les hommes, les animaux , les astres.
Les circonstances dont il accompagne ce récit nous
reportent en pleine Amérique : il parle du monstre
marin Oannės , qui , placé aux bouches du fleuve, rendait
des oracles ; or, Oannès est le nom de la grande ile qui
se trouve aux bouches de l'Amazone ” . Il nous apprend
.

qu'avant l'inondation on voyait, dans le pays , des ani


maux monstrueux , des hommes ailés , des chiens se
terminant en poissons, des serpents, des hybrides de
toutes les formes, et que tout cela périt dans le cata
clysme ; cette même légende se conte aussi en Amé
? To gore, en saxon , Amurcar, en ibérique, signifient donner un coup
de corne. A Séville, la Babylone des Gitanos (MURRAY'S handbook ),
l'usage existe encore qu'à la procession de la Féte-Dieu, un groupe
d'enfants précéde la marche en criant : Gori, Gori.
co on mme
2 Les Indiens avaient pour idole une femme-poisson,
représente la Sémiramis de Babylone. Théver. Cosmog. unir .,
liv. XXIII , ch . III .
TRADITIONS AMÉRICAINES 497

rique, mais les monstres y sont et ils forment peut-être


la plus grande merveille de ce continent ; dans toute la
région qui est au nord de l'Amazone, on voit des rochers
escarpés , taillés à pic , et formant quelquefois une
chaine de plusieurs kilomètres "; ils sont couverts de
figures gigantesques ? représentant des serpents, des
jaguars , des monstres à cinq têtes dont quatre sont
rayonnées et la cinquième porte deux cornes ; souvent
ces sculptures sont placées à une grande élévation et
les habitants , questionnés là-dessus , répondent qu'au
temps du déluge, leurs pères naviguaient en canot jusqu'à
cette hauteur .
Sanchoniaton était un historien de Phénicie, et, à ce
titre , on ne doit pas être étonné de trouver dans ses
écrits des souvenirs d'outre-mer. Les traditions qu'il
nous rapporte sur l'origine de l'homme sont connues
dans les deux mondes ; mais quelques uns de ses récits
ne trouvent d'application que dans l'autre continent. On
connaît en Amérique la vallée d'Icon -onzo 3; les rochers
qui la bordent sont nus , déchirés , comme frappés de la
foudre ; le torrent qui la traverse suit péniblement une
série d'épouvantables crevasses ouvertes par quelque
cataclysme ' . Cette vallée, dit-on ", était habitée par
des hommes pervers ; Dieu déchaîna contre elle les

' Principalement autour de la cataracte Houaraponda, ou de la


mauvaise femme ( Hoer, mauvaise femme; Pond, étang ).
2 Voy. Frag. de BéROSE ; M. DD HUMBOLD ; D'ORBIGNY, Voyage
pitt. en Amérique; MALTE-BRUN .
3 Près de Bogota.
* MALTE -BRUN . Liv. CXVII .
5 Thévet. Cosmogr. univ. , liv. XXI , ch . IV.
32
I

498 VINGT- DEUXIÈME THÈSE

orages et la foudre; puis un saint prophète ayant frappé


du pied la terre, il en sortit un déluge , et l'homme de
Dieu ne se sauva lui-même qu'en grimpant sur un pal
mier ' . Sanchoniaton mentionne cet événement : La
Phénicie , dit-il, ayant été dévastée par des ouragans ,
le feu du ciel réduisit en cendre les forêts; dans ce
trouble , Onsoüs monta sur un tronc d'arbre et le pre
mier il s'aventura sur la mer . On sent d'abord que rien
en Phénicie ne saurait justifier ces détails , mais dans la
mythologie des Aztèques , Icona signifie Dieu ?; l'Icon
Onzo des légendes américaines est donc littéralement le
Diere - Onsoüs de l'auteur phénicien.
En Chine , le cours régulier de l'histoire commence
avec la dynastie Tcheou qui venait , disent les Kings ,
de la terre occidentale . Quant aux faits antérieurs à cet
événement, ils ne font que reproduire sous de nouveaux
noms ceux que l'on attribue à Sémiramis, à Osiris , à
Hercule, à Bochica ; ce sont, comme toujours, des
débordements , des canaux tracés , des hommes véné
rables rassemblant les populations éparses ; mais , ici ,
les légendes sont arrivées à des proportions plus que
fantastiques. Ainsi , la Chine était presque entièrement
sous les eaux ; Yu , écartant les montagnes , ouvrit à
l'inondation un écoulement vers la mer , et créa ainsi le
fleuve Jaune , c'est-à-dire , un fleuve quatre fois aussi
grand que la Seine. Certainement , rien sur les lieux ne
se prête à de semblables imaginations; d'un autre côté ,
1 Il s'enfuit sur un Pindi, c'est-à -dire, sur un palmier, dit Thévet,
et le canton se nomme Pandi . Palmier se dit Phænix, en grec .
2 GARCILAS. Histoire des Incas, liv. II , ch. VI.
TRADITIONS AMÉRICAINES 499

si les dates comparatives sont données avec exactitude ,


la colonie occidentale arriva en Chine vers 1122 avant
l'ère chrétienne, c'est-à -dire, à l'époque où les Phéni
ciens , selon les traditions bibliques ' , avaient déjà mis
en relation les deux continents ; n'aura-t-elle point
apporté avec elle ces traditions que l'on aura monstrueu
sement appliquées à la Chine ?
En retournant vers l'Occident par la route que suivit
la colonie , l'on retrouve, d'un bout à l'autre du monde,
ce même mot, Yu , accompagné de légendes qui semblent
différer entre elles, mais qui ont évidemment une même
origine . Ainsi , en Chine , Yu creuse des rivières ,
lesquelles,, dans nos pays occidentaux ?, se disent Bach .
En Thrace , ces deux mêmes mots se trouvent réunis
dans le refrain mystique lo Bacche, et Bacchus , comme
nous l'avons dit, n'est autre qu'un fleuve. Chez les
Phéniciens , lo 3 se retrouve encore ; c'est, il est vrai ,
une femme, mais , d'après les anciens, elle fut changée
en vache , Vacca , se rattachant par ce mot aux mythes
qui précèdent. Si nous poussons jusqu'à la vallée de
Bogota, nous y trouvons le point de départ de cette
longue chaîne de légendes ; les peuples de ces contrées ,

1 Un siècle après cette date, Hiram envoie à David des trésors venus
d'Ophir, et tout montre dans le contexte que ses peuples faisaient le
commerce d'outre-mer depuis plusieurs siècles .
2 La troisième dynastie, appelée Tcheou, vient de l'Occident, d'après
les Chinois. C'est à celle-là que commence l'histoire réelle.
3 La langue chinoise a les racines d'un grand nombre de nos
légendes. On trouve dans cette langue Jil, pour désigner le soleil , et
Yue, pour signifier lune ; c'est le dieu Hélioun, la déesse Io, des
Phéniciens.
500 VINGT-DEUXIÈME THESE

conformément à tout ce que nous venons de voir ,


appellent Iu -Beca ' la femme changée en lune ; et ce qui
prouve que ce mythe du nouveau monde se rattache à
ceux de l'ancien, c'est que dans la Byzacène, où se
retrouvent tous les mystères de Bogota, ce même mot
était également connu et sacré ; ainsi , au commence
ment du christianisme, nous voyons parmi les signa
taires des conférences de Carthage un évêque du titre ?
de Iu - Beca .
Au Japon , il n'est pas besoin d'un discussion bien
longue pour démêler dans les légendes le mythe amé
ricain , car il se trouve représenté au naturel dans le
temple de Méaco . Au fond du sanctuaire, on voit un
barrage de rochers ; au milieu de ce barrage est une
crevasse , et dans cette crevasse un cuf; un taureau fait
le mouvement de donner un coup de corne dans cet
cuf, comme pour le briser ; les traditions du pays , pour
compléter le rapprochement , ajoutent ? que la Lune, par
sa vertu , tira du fond de la mer cette digue et que
l'auf, d'où les êtres devaient sortir, s'arrêta dans une
crevasse . On a épuisé toutes les ressources de la
science pour expliquer ce mythe. Dupuis voit dans cet
æuf la figure de l'année recommençant sa période au
signe du Taureau ; mais pourquoi des rochers ? Pour
| Yue, lune ; Beck, fleuve. Iu-beca signifie donc primitivement
marée lunaire. Selon les fragments d'Hésiode , lo avait pour père
Pirène , mot américain qni signifie fleuve ; d'autres appellent son
père Iasus ; or, lasi , en garanis , signifie lune. DUGRATY. Rép. du
Paraguay. MalTE-BRUN . Liv. CXVII .
2 La signature est Iubecalidiensis episcopus.
3 Voy . Encycl. méthod . Sect . des ant. , art . Taureau .
TRADITIONS AMÉRICAINES 501

quoi cette crevasse ? Pourquoi une mer ? Pourquoi la


lune ? Et, d'ailleurs, l'année japonaise , comme on le
voit dans le mythe célèbre du Zingu ' , commence non
pas au Taureau , mais au Bélier. La légende du coup
de corne fait donc suite à celles d'Omorca , des Gor
gones, des Muiscas ; cet ouf entamé nous reporte donc
par une confusion mystique de mots ?, au plus secret des
orgies atlantiques .
Dans l'Inde, la ville de Sirinagor nous laisse entre
voir les mêmes traditions. Elle est dans une vallée qui
porte le nom celtique de Dal; là , se voyait autrefois,
>

dit-on , un lac appelé Cachemyr, c'est-à -dire, Keusch


meer 3, la mer des disciplinés ; les gens du pays, nous
traduisant plus clairement ce mot, l'appellent aujour
d'hui Sati saras, les femmes vertueuses . Comme tou
jours, un homme de Dieu ouvrit une tranchée et le lac
s'écoula . Il y a bien , dans le voisinage , quelques étangs ,
mais aucune forme de lac ; il y a bien , dans la rivière ,
quelques engorgements, mais rien qui ait l'apparence
d'une coupure violente .

Comme on le voit , les mêmes légendes se content du


fond de l'Amérique au fond de l’Asie ; mais d'après la
règle de discussion que nous avons posée précédem
ment, il faut en prendre le point de départ où se trouve
|1 Zingu , pour achever sa victoire sur les géants, arrête le soleil et
le ramène au Bélier, c'est-à-dire, au premier signe de l'année. Annales
japonaises.
? Le mot Og, qui nous rappelle les mystères de Bazan (thèse X Ve;,
a été différemment figuré : par Eg, æuf; par Aeghe, lle (des Hespé
rides ): par Auge, oil (de la Gorgone) ; par l'Augias d'Hercule.
3 Keusch, pur, Ethiopien , Druide. Allusion aux cités lacustres
502 VINGT - DEUXIÈME THÈSE

le phénomène local qui y a donné lieu. La vallée de


Cachemyr , le fleuve Jaune ressemblent à toutes les
vallées , à tous les fleuves ; mais, en voyant pour la
première fois la cataracte des Muiscas , on se demande
instinctivement quelle main puissante a écarté ces
rochers.

Appendice sur l'Indoustan .

Nous avons cité en Amérique le golfe de Nicoya; sa


pourpre conserva jusqu'au fond de l'Asie le nom que lui
donnaient les Tyrrhènes; venue du Murex, elle
s'appelle au Japon Murasaki. Le nom du golfe devint
féerique en Orient , et sa racine Naïg s'y trouve par
tout. La victoire , dans la langue des Grecs, se dit
Nikè, parce que le vainqueur était revêtu de pourpre ,
non point chez eux , mais chez les peuples dont ils des
cendent. Dans l’Abyssinie, où se sont transportées
toutes les traditions relatives à la reine Nicausis , le
souverain s'appelle Négush , et il était primitivement
revêtu de pourpre. En Hongrie , mêmes souvenirs, et le
mot Nagy est resté dans la langue pour signifier grand
et royal. Jusqu'au fond de l'Inde, ce mot se rencontre
avec des caractères qui ne laissent aucun doute sur son
origine . Partout où se trouvent des constructions
antiques , des vestiges d'une opulence royale, des figures
gigantesques sculptées sur les rochers , ces ruines
féeriques s'appellent palais de Naïg .
| Les Abyssins content que Nicausis, qu'ils nomment aussi Makéda,
eut de Salomon un fils appelé Ménilek, tige de la descendance royale
des Négush.
TRADITIONS AMÉRICAINES 503

Dans l'ile de Ceylan, on voit un palais de Naïg ;


outre ce nom , tout y est américain , et rappelle les envi
rons de Nicoya. On y remarquer un temple rond en
forme de cirque, des pyramides en briques, seize tou
relles, des groupes gigantesques taillés dans le roc ;
or, en Amérique dans la région de la pourpre , on voit
de même une enceinte circulaire portant le nom euro
péen de Quiriga ”, des pyramides nombreuses qui
toutes sont en briques et dont la plus haute est celle
de Cholula ", des groupes de seize tours au moyen
desquelles le grand prêtre déterminait par l'ombre du
soleil l'instant précis de l'équinoxe 4, pour la fête de la
Raymi"; quant aux rochers sculptés, nous les connais
sons .

On pêche des perles à Ceylan en Asie, et à Panama


en Amérique ; le commerce phénicien , qui s'étendait de
l'un à l'autre, établit entre ces deux extrémités un
échange de produits et d'institutions de tous genres ; et
en effet, l'on ne peut voir sans surprise l'étrange con
formité qui existe entre des pays dont l'un , comme dit
Homère , est où le soleil se lève et l'autre où le soleil
>

se couche . A Ceylan , on vénère comme prophète


I MALTE -BRUN . Liv . LXXV.
2 Près de Coban . -
Circus est le même mot que Quiriga ; en grec,
Kirkos.
3 Plus large de base, mais un peu moins haute que la plus grande
des pyramides d'Egypte.
• GARCILAS. Histoire des Incas, liv. II , ch . XXII .
5 Le 21 mars chez nous ; le 21 septembre à Cusco, de l'autre côté de
l'équateur.
6 Homère appelle ces deux peuples extrêmes Éthiopi ens : Brames en
Asie , Piaches en Amérique.
504 VINGT- DEUXIÈME THÈSE

Chaquia Mouni , à Panama le Xèque Monan ' ; à Ceylan ,


l'homme de Dieu montant au ciel laissa la marque de
son pied ’2 sur une colline, même légende dans l'Amé
rique centrale, et dans les deux pays le même prophète
est surnommé Thomas ; à Ceylan , le mont Hamalyi est
sacré et l'on ne s'en approche qu'en tremblant, dans le
lac Nickaragua est également l'ile sacrée et funéraire
d'Homole ; Ceylan s'écrit Selen-dive , l'île de Salinas ;
or, Salinas est tout à la fois la déesse des Phéniciens et
le nom du lieu d'où venait la pourpre.
Dans le Décan, on voit un royaume d'une haute
célébrité appelé Nag -pour. Ce nom nous annonce déjà
toutes les merveilles des palais de Naïg *, toutes les
richesses américaines de Nicoya ; et , en effet, les
légendes orientales en font un pays d'or et de dia
mants . Comme toujours, ces produits sont figuratifs ;
mais , j'y remarque une ville ancienne, tout entourée de
débris exotiques et que l'on appelle Rattan - pour ; or,
en Amérique, dans la région de Nicoya , de l'or et des
pierreries, se trouve également , mais en réalité , l'ile
ruineuse de Rattan ". Tous ces rapprochements ne saú
raient être l'effet du hasard , et , il est évident que celui
1 On appelle Xèques les prêtres de Mair-monan, de Bochica.
D'ORBIGNY, Voyage pitt. , liv. XVIII .
2 Ces pieds empreints sur une pierre suivent une ligne qu'on peut
reconnaitre d'une Inde à l'autre. On voyait cette empreinte à Chemnis
en Égypte, près du lac Régille en Italie, sur le mont où nait le Tage,
sur le mont Saint-Michel , dans celle des Açores que Bianco nomme
Bentufla .
3 MALTE-BR UN. , liv. LXXV. Diva , ile .
4 Pline appelle Nagia , une ville qu'il place l'Arabie heureuse.
5 Rattan, ile sur la côte des Hibueras, au nord du Guatimala.
TRADITIONS AMÉRICAINES 505

de ces deux pays qui n'a point d'or est une copie de
l'autre .
Mais rien dans les souvenirs des peuples n'égale la
puissance, le faste, les trésors de Golconde ; tout ce
que l'imagination la plus riante , le rêve le plus désor
donné peuvent enfanter de magnificence se trouve réuni
dans ce royaume légendaire ; les traditions le placent
dans un pays lointain, et appellent quelquefois Inde
cette région fortunée . Dans le Décan, on voit une
place forte portant un nom approchant de celui de Gol
conde ; on crut avoir trouvé la cité merveilleuse ; à
défaut d'autres richesses , dont ce pays est dépourvu,
on se rabattit sur les diamants . Il dut y avoir là autre
fois des diamants disent les uns ; selon d'autres , les
diamants se recueillent dans des fleuves fort éloi
gnés ', mais ils viennent se faire tailler et vendre à
9

Golconde ; par un autre système, les joailliers de la


ville voisine , dans les cas de guerre , se retirent dans
la forteresse de Golconde avec leurs bijoux. Enfin, on
ne sut qu'inventer pour donner à cette ville des titres
de gloire auxquels tout se refuse . Avouons donc que
nous avons confondu un pays avec l'autre ; tout ce
que nous cherchons vainement autour de Golconde
se trouve autour de Culhuacan 3. Nous avons parlé
de cette dernière ville ; les trésors que son sol
recèle, le luxe de ses palais, les souvenirs antiques
? La Kistna. On a prétendu que le lieu où on les prend se nomme
Roelkunde, mot qui fut confondu avec Golconde.
2 Haïder -abad .
3 Pline cite dans l'Inde Culiacum.
506 VINGT - DEUXIÈME THÈSE

dont ses ruines portent toujours l'empreinte, répon


dent en tous points au tableau que l'on s'est tou
jours fait de ce royaume de souvenirs . Le Golconde de
nos aïeux , le Culhuacan des Américains sont un même
nom , un même pays, et l'Indoustan n'est pour rien
dans le prestige de ce mot .
En résumé , on voit par ces dernières théories que la
civilisation répandue en Asie est originaire des régions
atlantiques . Après avoir établi ce point, nous devrions
marcher en avant et passer à d'autres vérités; mais
l'origine asiatique de nos institutions est démontrée,
me dit-on , avec évidence dans des ouvrages nom
breux ; nous devons donc un mot à l'examen de cette
question , et à la discussion de ces ouvrages.
VINGT- TROISIÈME THÈSE .

EXAMEN DES OUVRAGES QUI ONT RAPPORT A L'ORIGINE


ASIATIQUE .

Lorsque la science , après avoir essayé tous les sys


tèmes, eut enfin soupçonné dans l'Asie centrale le
berceau des races civilisées , tous les travaux de re
cherche s'arrêtèrent instantanément et se tournèrent de
ce côté. La question ne pouvait se présenter dans des
conditions plus favorables. Les peuples penseurs
étaient maîtres de ce globe qu'il fallait explorer, des
découvertes dans tous les genres mettaient entre les
mains des savants les plus sûrs moyens d'investi
gation .
Aussi, à peine eut-on fait quelques pas dans cette
étude qu'on crut avoir atteint l'insaisissable vérité , et la
nouvelle théorie fut déclarée admise sans avoir été
régulièrement débattue . Cette certitude improvisée a
jeté dans la science des mots nouveaux que , naturel
lement, elle ne réussit pas à faire accepter. Tout
d'abord , chez les Allemands, la race noble du genre
humain, dont on croyait avoir retrouvé les titres en
508 VINGT - TROISIÈME THÈSE

Asie , fut appelée Indo-Germanique. Hors de l'Alle


magne, on se récria contre cette prétention exclusive ,
et le reste de l'Europe, voulant avoir sa part de cette
illustration originaire , s'obstina à la nommer Indo
Européenne. Néanmoins , on ne tarda point à observer
que le pays le plus important, celui des Aryas, juste
ment celui qui renfermait le berceau tant cherché, était
oublié dans cette dénomination et plus généralement ,
en France surtout, on substitue aujourd'hui à tous ces
noms celui de race aryenne .
Ce dernier terme , avec plus d'apparence scienti
fique , n'a pas plus de base que les autres . Dans les
Védas , les aïeux des Brames sont appelés Aryas ; or ,
l'Inde n'a point de contrée d'où ce nom puisse venir.
Quant à la racine Ar, elle se prête à l'arbitraire le plus
effréné; les Aryas étaient prêtres, leur nom vient- il
de Ara, autel? Ils étaient agriculteurs , dérive-t-il de
Arare, labourer ? Ils étaient étrangers , sont-ils sortis
de l'Arie , au nord de la Perse ? Toutes ces hypothèses
ont été essayées .
Enfin , la science moderne , qui triomphait déjà d'avoir
découvert le secret de nos origines, ne sait plus que
faire de son trésor ; elle a épuisé toutes les ressources
que l'on peut tirer surtout des langues et des cultes
pour soutenir son rêve asiatique ; elle a produit dans
1 Les Aryas tirent leur nom de Heir , héritier ; ils étaient donc ceux
que le jugement ordalique du Rhin (thèse XVe) déclarait enfants des
dieux. On lit, en effet, dans les lois de Manou : Le brame, parcequ'il
est l'aîné, est seigneur de cette création , souverain de tous les êtres.
Ce passage répond à tout ce que nous lisons sur le titre d'héritier
dans l'histoire des patriarches hébreux.
ORIENTALISME 509

cette double thèse d'importants travaux ; voyons où


elle est arrivée , d'abord par la philologie .

Question des langues.

Depuis près de trois siècles que les Européens


étaient dans l'Inde, conversant avec les habitants, lisant
leurs livres , aucun n'avait fait remarquer l'étrange
relation qui existe entre la langue de ces peuples et
celles que nous parlons dans nos régions occidentales.
L'abbé Barthélemy eut l'idée d'écrire aux missionnaires
français pour en obtenir tous les renseignements rela
tifs à cette question. Le jésuite Courdoux lui répondit
par une lettre datée de 1763, et qui est le plus ancien
monument où l'on trouve signalée l'identité de langage
entre l'Inde et l'Europe : Dans la langue sanscroutane,
dit-il, on rencontre un grand nombre de mots qui lui
sont communs avec le latin , le grec, l'esclavon , l'alle
mand '. Sur cette observation , l'auteur de la lettre
n'hésite pas à admettre la parenté des peuples placés à
ces deux extrémités de l'ancien monde .
Une vingtaine d'années après , dans un mémoire lu
à la société de Calcutta, Williams Jones exposa scien
tifiquement la question : La parenté du sanscrit, dit-il ,
arec le latin , le grec, ne saurait être attribuée au hasard ;
on ne peut s'empêcher de reconnaître qu'ils sont dérivés
d'une source commune qui probablement n'existe plus .

i Mém . de l'acad . des Inscript. Tome XLIX. Cette citation est tirée
de plusieurs lettres .
510 VINGT - TROISIÈME THÈSE

Le savant orientaliste est considéré comme le fondateur


de la nouvelle école de linguistique ; c'est pourquoi il
est intéressant de remarquer que, dès le début des études
indiennes, le sanscrit est présenté comme la langue
sceur et non comme la langue mère des idiomes parlés
en Occident '.
A partir de cette époque , la nouvelle science prit un
rapide essor ; mais dans la foule des ouvrages qui ont
été faits sur ces questions , l'on a surtout remarqué ceux
de Pictet et de Bopp . Parlons d'abord du premier.
Aux extrémités des îles Britanniques, se trouve, le
long de l'Océan, une lisière de peuples qui n'ont jamais
subi complétement l'intluence de la civilisation celtique;
ils habitent l'Ecosse, l'Irlande, le pays de Galles, le
Cornouailles , la Bretagne. Des moeurs antiques , une
langue ? qui s'éloigne des nôtres par ses racines et ses
formes, ont toujours fait de ces cantons reculés un pays
de mystères. On ne doit pas être surpris d'y rencontrer
des mots qui appartiennent aussi au Chinois, au
Garanis , à l'Hébreu , au Sanscrit, si on songe que la
civilisation des hommes s'est formée sur un même fond
de racines lesquelles ne doivent pas avoir complétement
disparu de leur langage.

i Cette réflexion est du traducteur de Bopp . Introduction.


2 On avait toujours cru que ces peuples parlaient un même langage.
Betham, dans son Gaël and Cymri, prétend que le Gaèlic parlé en
Écosse, en Irlande et dans l'ile de Man, diffère du Welch parlé dans
le pays de Galles , le Cornouailles et l'Armorique. Richard Garnett,
dans le Gentleman's magazine, a calculé que sur vingt-sept mots,
quatorze sont communs aux deux langues .
ORIENTALISME 511

Adolphe Pictet , dans un travail de patiente


recherche, fit une liste comparative de tous les termes
qui sont communs , tout à la fois, au sanscrit et à
l'idiome de ces peuples . Il signale les modifications que
chaque mot a subi en passant du fond de l'Asie aux
extrémités de l'Europe. Il montre comment Ina , soleil ,
est devenu Ion ; comment Tutta , feu, s'est allongé en
Toitean ; comment Bahuzu ?, sanglier, s'est contracté
en Baez ; et le lecteur suit cette longue nomenclature
se demandant , jusqu'au bout de l'ouvrage, pourquoi
c'est le mot asiatique qui est la racine et le mot européen
qui est le dérivé ; pourquoi , par exemple, le sanscrit
Ina , n'aurait point pu être également formé de l'irlan
dais Ion 3.
L'auteur, qui a pleine foi au système asiatique,
touche à peine cette question ; il dit dans une note * en
finissant : La race établie dès les temps les plus anciens
dans l'Europe occidentale, a dû y arriver avant toutes
les autres 5. Un exemple qui pourrait bien fournir une
? Le livre a pour titre : De l'affinité des langues celtiques avec le
sanscrit . Cet ouvrage a été couronné, en 1837, par l'Institut de France.
L'auteur appelle celtiques, les peuples occidentaux que nous avons
énumérés plus haut.
2 Ina est la Meuse appelée Ennia , Helios, Zonne maer. Tutta en
sanscrit, Tata en garanis signifient feu. Le mot sanscrit serait-il aussi
passé en Amérique ? – On trouve un souvenir de Bahuzu , Baez, dans
le mot français Bauge .
3 Homère, dans la légende de Charybde et Scylla , appelle Apollon ,
Hyper ion ; ce qui se justifiera quand nous aurons replacé cette légende
dans la région où Ion signifię soleil .
* Note 3e à la fin de l'ouvrage.
5 Parce que les langues, ayant moins d'inflexions, y paraissent plus
primitives. Nous en avons donné la cause , thèse XVe.
512 VINGT-TROISIEME THÈSE

indication approximative sur la position géographique


du berceau de la race indo -européenne, se trouve dans
le mot irlandais Tolg, lit; gallois, Tyle, identique au grec
Túdir , matelas. Tous ces mots ont une affinité évidente
arec le sanscrit Túlikâ ; or , on peut admettre que ce
substantif est dériré de Túla l'un des noms sanscrits du
coton ', de la racine Tûl, jeter en dehors. On faisait
donc des matelas avec du coton dans la contrée indéter
minée qui a été le berceau de la race . Or, le coton ne
dépasse pas la Perse et même il ne réussit pas dans la
partie septentrionale de ce pays. Le berceau de la
famille serait donc au midi de la Perse . Et c'est sur
cette base aérienne que repose toute la conviction de
l'auteur. Une étude comparative nous mènera plus
sûrement à une autre conclusion .
Les traditions orientales sont remplies de noms
étranges venus des âges passés et qui semblent
dénoncer une origine lointaine et inconnue. Les Brames
lisent depuis bien des siècles dans leurs livres sanscrits
le mot Castira ’ qu'ils savent être de l'étain; mais ils
ont toujours ignoré que les iles Cassitérides , qui le pro
duisent et lui ont donné leur nom , sont, de l'aveu uni
versel , à l'occident des Gaules. Il y est parlé également
de l'Amrita dans des légendes où nous reconnaissons
3.
clairement qu'il s'agit de l'ambre ?; or, ce mot est pris
1 L'édredon manquant dans l'Inde, son nom passa au coton, employé
aux mémes usages .
2 Voy. thèse XVI•. Homère dit de même Kassiteros.
3 Le mot Kiem, en hébreu et en celtique (DARSy. Dict. fam.)
.

signifie ressusciter, renaitre de la pourriture. Or, dans les livres sans


crits, Kama, s'étant épris de Parvati, Siva, le mari offensé, lui Ota la
ORIENTALISME 513

des pays occidentaux ' , des peuples même qui le


>

recueillent, et jamais on ne lui a donné d'autre patrie


que les bords de la Baltique . Les Germains et les
Perses , comme nous l'avons vu , sont une même nation ;
>

leur chef, paré des riches fourrures du Nord , était


appelé par les Romains Arminius, c'est-à -dire l'homme
portant le manteau d'hermine ; mais comme cette
hermine se dit aussi Wesel ?, il fut également nommé
Vassal, ou , comme l'écrivent les Grecs , Basileus; or ,
cette parure noble était apportée de la mer Blanche par
la navigation phocéenne. Je citerai encore la pourpre
qui, par sa rareté en Orient, était l'emblème de la haute
suzeraineté ; le mollusque qui la produisait n'a jamais
été vu sur les côtes asiatiques, et nous avons montré
vers l'Occident sa véritable origine .
Tous ces noms de source lointaine et occidentale
avaient été divinisés par les Orientaux ; il en fut de
même du mot Tülikâ, coussin ; c'est l'édredon recueilli
dans des pays situés au nord de l'Angleterres, lesquels
portaient chez les anciens le nom vague de Thulé . Qui
ne connaît les voyages des Phocéens et , surtout, du

vie ; les dieux le ressuscitèrent en versant sur lui de l'amrita . Voy .


thèse XVle .
' Amber, en allemand , Immer , en celtique, Ummera, chez les
Indous, Semper, en latin , viennent de là.
? On en recueille un peu sur la côte saxonne en Angleterre.
3 Weiss, blanc, a formé Wesel ; Beloe, qui signifie aussi blanc, chez
les Slaves , est la racine du mot belette. Le mot grec Galè a une sem
1

blable origine .
Voy . thèses VIe et XVIIIe .
5 Thulé est en face du pays de Belca, dit Pomponius Méla.
33
514 VINGT-TROISIÈME THÈSE

Marseillais Pythéas' dans cette contrée boréale ? Elle


est restée dans le souvenir des peuples comme étant
l'extrémité du monde ; les poëtes latins ne paraissent
frappés que de son éloignement et mentionnent l'ul
tima Thulé ; les Bretons la nommèrent Féroë , ile loin
taine ?; l'oiseau plongeur qui donne le précieux duvet
fut pris par quelques-uns pour un canard et appelé
Eynde, mot qui , chez les Celtes, signifie aussi extré
mité ; d'autres y virent une sarcelle et la nommèrent
Teal 3 , d'où dérive l'ile merveilleuse de Thulé, le
sanscrit Tula et l'adverbe grec Télé , qui signifie au
loin .
On comprendra sans peine pourquoi ces noms se
rencontrent dans les livres sacrés : l'édredon formait
la couche des dieux + ; l'ambre donnait l'immortalité;
l'étain entrait comme principal élément dans le métal
des cloches ”; l'hermine et la pourpre étaient l'apanage
des princes , des fils du Soleil. Ces produits ne venaient
ni du nord , ni du midi de la Perse ; ils se recueillent
encore aujourd'hui dans les régions occidentales de
l'ancien monde , aux mêmes lieux d'où , aux premiers
âges , ils passaient jusqu'au fond de l'Orient.

1 Voy. Pythéas. LELEWEL.


2 Far, loin ; Ey , ile .
3 Teal, sarcelle . Dict, angl. T'ill, jusque , en dérive .
9

4 Cette couche de duvet se dit, en flamand , Donse . Dict. de DARSY .


Ce mot passa chez les Latins qui appelaient Thensa le coussin sur
lequel reposaient les dieux dans les processions.
5 La cloche était sacrée chez les anciens comme chez les mo
dernes ; elle chassait les esprits; les Grecs l'appelaient ansàźTTLXON TU
μιασματων .
ORIENTALISME 515

Osera- t -on dire sur un pareil document que Pictet a


démontré l'origine asiatique des races occidentales ?
Voyons le travail de Bopp .
Il y a dans les mots deux éléments distincts d'étude
philologique : les racines et les inflexions. Par exemple ,
quatre se dit en sanscrit Çatwar, en lithuanien Keturi,
dans le latin Quatuor ; les racines Cat, Ket , Quat,
malgré l'altération qui les déforme, dérivent évidem
ment d'un même primitif et marquent une certaine
relation entre ces trois langues . Si , étendant ce sys
tème , on compare le grec,, le latin , le saxon , le lithua
nien , l'arménien , l'islandais , le sanscrit, le zend , le
slave , on trouvera sans aucune peine , par la considéra
tion seule des racines , que tous ces dialectes appar
tiennent à une même famille. Bopp ' , laissant donc de
côté les radicaux , ne s'attacha qu'aux inflexions ? et
retrouva avec une merveilleuse sagacité une nouvelle
preuve de parenté , même entre les grammaires de ces
différents peuples . On rencontre , dans les langues
asiatiques, des infinitifs terminés en um , ce qui s'éloigne
fort de nos conjugaisons; les infinitifs latins sont en
re, mais une de leurs formes que nous nommons supin
se termine en um ; Bopp explique et prouve l'identité
de ces deux variantes employées dans des contrées qui
sembleraient n'avoir eu entre elles aucune espèce de
relation. Telle est la nature de son travail.
Après avoir plus qu'aucun autre sondé les secrets de

i Grammaire comparée des langues indo-européennes.


2 Déclinaison , conjugaison .
516 VINGT- TROISIÈME THÈSE

la philologie, il lui appartenait de déclarer que les


rapports de la langue ancienne de l'Inde avec ses soeurs
sont évidents. Il a mis au grand jour ces rapports , il a
vu , dans toutes ces langues , des soeurs et il ne paraît
pas soupçonner que de l'une d'elles soient nées les
autres, que la langue mère soit celle de l'Inde .
Les deux savants que je viens de citer ont épuisé la
question ; les autres n'ont fait que glaner après eux , et
aucun n'a touché à la thèse qui nous occupe ; dans tous
les ouvrages où reviennent ces matières, le principe de
l'origine aryenne est donc accepté comme un dogme
sans discussion . En tout le reste , on réclame la certi
tude, mais ici la science ,
Ne pouvant l'acquérir, apprit à s'en passer.
Prenons pour exemple quelques extraits des écri
vains qui ont été amenés à traiter ce sujet.
Je lis dans un opuscule sur la navigation : Les
nations occidentales appellent un vaisseau Nau ; ce mot,
qui appartient à la langue des Aryas, prouve que ces
peuples sont arrivés par eau dans nos contrées ; mais
on voit en même temps qu'ils ont fait la traversée en
bateau ; car les mâts et les voiles ont chez nous des
noms qui diffèrent du sanscrit . Et l'auteur de ce pas
sage n'a point remarqué qu'il doit en être exactement
de même si les émigrants sont partis du rivage armo
ricain pour aller, sans mâts et sans voiles , dans le pays
des Aryas ?
On voit dans un autre ouvrage : Le sanscrit est la
i Dans la préface de la Grammaire comparée.
2 Dans l'armoricain , vaisseau se dit Nav .
ORIENTALISME 517

plus belle des langues ; les Brames l'ont inventé pour


tenir secrets leurs poëmes et les rites de leur culte. Les
Brames composer une langue ! Mais c'est un événe
ment en France quand il s'agit de fabriquer un mot
pour l'introduire dans le langage.
Un autre nous dit :: Le sanscrit renferme les racines
des langues européennes. Ne prenons qu'un exemple.
De l'Irlande au Gange, les peuples ont tous le même
mot pour désigner la nuit ; l'auteur de l'assertion pré
cédente a -t- il une marque qui fasse reconnaitre si la
racine de ce mot est dans le erse Nocht ou dans le
sanscrit Nischa ?
Enfin d'autres , voyant que l'on peut impunément
tout écrire , ont écrit que les Aryas, partant du plateau
asiatique , suivirent le cours du soleil et arrivant dans
nos contrées devinrent les Celtes dont nous descen
dons .
Quant à l'itinéraire que parcourut cette colonie pré
historique, il se lit partout ainsi qu'il suit ' : Les Tou
raniens, peuples du Nord , ayant envahi le pays des
Aryas, ceux - ci acculés contre la mer se répandirent à
la fois vers l'Orient et vers l'Occident; à l'est ils occu
pèrent l'Inde, à l'ouest l'Égypte ; mais d'autres, s'avan
çant jusqu'en Lithuanie, se répandirent de là dans le
reste de l'Europe 2.
1
Voy. , parmi tant d'autres ouvrages , LE Hox . L'homme fossile,
ch . XVIII .
? Les livres zends désignent souvent, au nord de la contrée où ils
ont été faits , un lieu qu'ils appellent Touran et qui était un centre de
tyrannie pour le voisinage. Les systèmes, comme on le voit, ont mis à
profit cette particularité . Voy. these X Ve.
518 VINGT- TROISIÈME THÈSE

Dans ce voyage en zigzag , on se demande quel


besoin ils avaient de passer par cette Lithuanie ; des
peuples venus de la région enchantée, qui inspira plus
tard les Hafiz et les Saadi , n'ont point dû s'enfoncer
ainsi dans les glaces boréales ; ce n'est point la résis
tance des peuples occidentaux qui les aura rejetés vers
ces parages lointains, puisqu'ils arrivaient , nous dit
on , armés du fer, et que les barbares de nos contrées
n'avaient pour les recevoir que leurs haches en silex .
1
Mais un grand nombre de mots lithuaniens ' ressem
blent au sanscrit ; il fallait donc , à tout prix , faire
passer par là les émigrants .
Après avoir parlé des langues, disons un mot des
cultes.

Question des cultes.

D'après la nouvelle doctrine , la colonie préhisto


rique nous aurait apporté de l'Inde non-seulement les
éléments de nos langues , mais aussi toutes les autres
branches qui caractérisent un peuple policé . Quoi qu'il
en soit , de tous les écrivains qui ont traité ces différents
sujets , les philologues étant ceux qui ont mis le plus
de science dans leur recherche , on se reposa sur eux ,
comme on l'a vu plus haut, du soin de prouver l'origine
asiatique , et tout homme qui fit un livre put ainsi sous
cette garantie faire venir d'Orient tout ce qu'il lui plut.
Quand il s'agit de matières scientifiques, les erreurs
I Voy. la thèse Ve au sujet des struses et de la navigation pho
céenne .
ORIENTALISME 519

sont sans danger et n'intéressent qu'un petit nombre


d'adeptes; que l'architecture , les métaux , les langues
viennent d'un pays ou d'un autre , le sort du genre
humain n'est point lié à cette question ; mais parmi les
importations asiatiques on place les cultes , ce qui
aggrave le débat.
Toute la croyance des peuples celtiques est dans le
Christianisme ; ils l'accueillirent à son origine, le gar
dèrent malgré les lois et les tyrans, le fixèrent parmi
eux en l'associant à leur puissance, le conduisirent
jusqu'à nos jours sans qu'une si longue suite de siècles
lui ait rien ôté de son empire . Les autres cultes, soit
ceux dont la naissance se perd dans l'antiquité , soit
ceux que nous avons vus éclore dans l'histoire , sem
blent tous à bout de force et de durée ; s'ils ont eu à leur
époque une mission à exercer, un élément à jeter dans
la civilisation de l'homme , ils ont rempli leur rôle et
un monde nouveau tend à se former sur leurs débris .
La race celtique, aujourd'hui maîtresse du globe , laisse
donc tranquillement mourir les dieux des nations , et ,
sans effort, achève de semer partout les germes de
croyances plus neuves.
Cet édifice de foi repose pour toute base sur l'Évan
gile , et tire de là son étre , sa vie , sa durée , sa force .
Il y a dans les destinées de ce livre quelque chose
d'inexpliqué . Il naquit du mystère, se perpétua dans le
mystère . Le Pythagorisme essaya vainement de
l'étouffer à son berceau ; échappé du danger, il régna
en maître sur l'esprit de nos pères, fit la guerre et la
paix, remua les peuples , et tout cela sans rien perdre
520 VINGT-TROISIÈME THESE

de son autorité ; arrivé aux siècles où l'on pense , la


raison , bien loin de le méconnaître, se l'arrogea tout
entier, et, par la voix de Luther, se réserva à elle seule
le droit de le comprendre; le temps amassa sur sa
route les sciences , le dédain, l'indépendance de la
pensée , toute une phalange d'incroyants qui lui rede
mandèrent ses titres et le soumirent comme tout autre
livre à la discussion ; il poussa outre et arriva jusqu'à
nous . Il semble que sa destinée soit de vivre dans les
orages ; mais les orages passent, et l'Évangile reste.
En ce moment, la pioche est de nouveau à la racine
de l'arbre . La ruine toujours imminente va- t-elle enfin
se consommer ? Exposons en deux mots l'état de la
question .
En 1835 , David Strauss ' , remettant dans le creuset
tout le dogmatisme évangélique , en tira un système
entièrement neuf qu'il présenta au monde chrétien et
dans lequel toute trace de surnaturel disparaît. Selon
lui , l'Évangile n'est point inspiré, le Christ n'est point
un Dieu , et tout se réduit à un fait de l'ordre commun .
Voici comme il motive sa doctrine. La foi chrétienne
repose sur les miracles ; or, les miracles inconciliables
avec les lois de la nature doivent , par conséquent, être
rejetés comme étant des produits de la crédulité vul
gaire, comme devant être prouvés , bien loin de prouver
eux m- êmes ; en outre , les quatre livres évangéliques
sont pleins de légendes qui se détruisent entre elles et
contredisent l'histoire profane; l'Évangile ne peut donc
Son livre a pour titre : Das Leben Jesu.
ORIENTALISME 521

être considéré comme une ceuvre divine . Comment ,


avec ce vice originel , a-t-il pu naître et s'imposer ainsi
à la crédulité des peuples ? Le voici . Le peuple a
instinctivement l'idée d'un Dieu , mais son intelligence
pour se le figurer a besoin de formes mythiques. Les
anciennes religions avaient laissé , dans la mémoire des
hommes , un souvenir confus de légendes concernant
l'arrivée d'un messie , sa naissance virginale , ses pro
diges , sa mort ; et , comme nous le voyons dans Tacite ,
ce rédempteur attendu devait sortir de la Judée. Or , il
se rencontra à Jérusalem un homme du commun , mais
en qui l'on crut voir du mystérieux ; involontairement
tous ces mythes traditionnels se reportèrent sur lui ; sa
renommée grandissant avec le temps , quatre de ses
sectateurs , sans l'avoir jamais vu , recueillirent tout
ce que l'on racontait à son sujet et en firent les évan
giles.
L'effroi fut grand à l'apparition de ce livre . On crut
d'abord que c'en était fait du christianisme ; le système
nouveau fut attaqué, défendu; on s'agita violemment
et tout subsista comme par le passé. On commençait à
se remettre de cette première secousse , quand un nou
vel orage vint rejeter dans l'incertitude toute la ques
tion .

Ernest Renan ', en 1863, reprit à neuf le débat.


Strauss avait vu dans le Christ un homme sans valeur,
travesti en un dieu par les préjugés populaires; Renan
en fit un homme de bien qui , par son ascendant sur la
i Vie de Jésus. RENAN.
522 VINGT -TROISIÈME THÈSE

foule , arriva à être considéré comme Dieu, et il écrivit


9

sa biographie . Il raconte d'après les évangiles la suite


naturelle des faits et interprète les passages où se
montre le surnaturel . Ainsi le Christ s'appelle lui-même
fils de Dieu : Les grandes âmes, dit M. Renan ', sont
si fortement persuadées que Dieu est en elles, qu'elles ne
craignent nullement de s'imposer aux autres. Jésus
s'envisagea avec Dieu dans la relation d'un fils avec
son père. Quant aux miracles du Christ , Renan les
explique ainsi ? : Jésus était possédé d'un grand amour
pour l'humanité ; convaincu que l'attouchement de sa
robe faisait du bien au malade, il aurait été dur de
refuser ce soulagement à ceux qui souffraient ; il lui
fallut donc choisir entre deux partis, ou renoncer à sa
mission ou devenir thaumaturge ; c'est ainsi qu'il se
décida à paraître faire des miracles . Le livre de Renan
n'étant qu'une simple hypothèse , la perturbation qu'il
causa fut de courte durée ; mais il se préparait un plus
rude assaut .
L'on avait toujours cru que les faits évangéliques
s'étaient passés en Judée , au premier âge de l'empire
romain , et que là fut créée , fut organisée cette religion
qui, de siècle en siècle , arriva jusqu'à nous . Les deux
savants que j'ai cités plus haut , tout en dépouillant le
Christ de sa divinité, placèrent ce qui en restait à cette
même date , et concentrèrent dans cette même Judée et
l'origine et le développement du système religieux dont
il est la source . Mais arriva l'orientalisme moderne.
I Chap. V.
2 Chap. XVI .
ORIENTALISME 523

La magique science, après avoir fait sortir du fond


mystérieux de l'Inde toutes les institutions humaines ,
en vint aussi à rechercher la religion dans ces mêmes
contrées ; elle la trouva semblable à la nôtre ; c'étaient
non-seulement ces formes accessoires du culte, qui se
rencontrent chez tous les peuples , mais même ces
dogmes fondamentaux, sur lesquels tout repose . On y
voit une trinité ; la seconde personne de cette trinité
s'incarne; cette incarnation boudhique ! a pour mère
Maïa ; crèche, baptême , disciples , ascétisme , pénitence,
rien n'y manque , si ce n'est pourtant la mort sur une
croix. Ceux qui , les premiers, avaient remarqué ces
similitudes avec nos croyances, expliquaient tout en
supposant que les disciples de saint Thomas et plus
tard les Nestoriens avaient porté dans ces régions loin
taines la connaissance de notre évangile ; mais Clément
d'Alexandrie, qui connaît et nomme Boudha, en fait une
divinité purement indienne , et la science moderne a
constaté qu'il est antérieur au Christ de plus de mille
ans . De là cet adage répété aujourd'hui dans tous les
livres qui touchent à ces matières : Le christianisme
est originaire de l'Inde.
Ainsi , notre Europe , qui se pose en maîtresse de la
civilisation des peuples, branle sur sa pierre angulaire ;
depuis dix-huit siècles, elle s'est maintenue dans un même
culte , elle est en voie de l'imposer au reste du monde ,
et voilà qu'aujourd'hui elle se demande si celui qu'elle
prenait pour un dieu n'est point un personnage fantas

Voy. Eur . BURNOUF . Introd . à l'hist. du Boudhisme indien .


524 VINGT - TROISIÈME THÈSE

tique , ou peut-être un habile imposteur , ou mieux encore


un fétiche emprunté aux légendes orientales.
Comme on le voit, c'est ce dernier système qui en ce
moment tient toute la science en arrêt, et ses partisans
occupent la haute position avec des arguments qu'il
semble difficile de combattre. Mais la philosophie est
étrange dans ses déduits ; restreinte, elle émet des
systèmes que, généralisée, elle renverse . Ainsi ce
christianisme antique , qu'on se flatte d'avoir découvert
en Orient , nous allons le retrouver en Europe, en Amé
rique , partout où ont pénétré nos aïeux. C'est un nouvel
horizon qui s'ouvre et où vont se perdre toutes les
théories fugitives essayées sur ces matières . L'esprit
public , bercé de systèmes et de déceptions, cherche à
fixer enfin son ancre sur un roc plus solide ; le fatras
asiatique de ces derniers temps n'est arrivé à rien;
nous allons dans la thèse suivante et dernière nous
ouvrir une nouvelle route .
VINGT- QUATRIÈME THÈSE .

HOMÈRE .

Un touriste, voulant de Paris aller visiter l'Espagne ,


se procure un guide du voyageur et se met en chemin .
Égaré par je ne sais quelle hallucination , il prend une
direction fausse, arrive au nord et s'engage sur le train
qui le transporte en Hollande. Là, tenant en main son
livre, il cherche ces merveilles qui distinguent sur
toute autre contrée l'antique Ibérie : un ciel bleu , des
castagnettes , une mer vivante et une mer morte , une
capitale qui a un pont et point de rivière , des cavernes
sans fond , des vallées féeriques, des anfractuosités
de montagne où il espère frissonner aux récits tra
giques qui vont lui être contés. Sa déception est grande
lorsque, au lieu de tout cela , il voit un sol plat , où se
coupent, s'entrecoupent des fleuves , des canaux , des
bras de mer, une brume qui lui cache le ciel , un peuple
qui calcule au lieu d'un peuple qui raconte . Ce voya
geur, sans doute , reconnaîtra son erreur et reviendra
sur ses pas ; accuser son livre d'inexactitude serait peu
raisonnable ; il ne pourrait également , sans folie,
526 VINGT -QUATRIÈME THÈSE

s'imaginer que la description est inexacte parce que la


nature a changé ; mais , assurément , il ne s'obstinera
point à trouver à tout prix son guide fidèle, appelant
montagne ce qui est rivière , faisant d'un brouillard
un ciel d'azur, bouleversant toute la nature pour justi
fier sa bévue .
Voilà trois mille ans que nous possédons l'Odyssée,
et que , ce guide en main , nous errons dans le bassin
étroit de la Méditerranée , cherchant infatigablement
des iles , des rivages , des montagnes, des peuples , des
grottes , des ports qui n'y existent pas . Où la descrip
tion du poëte nous annonce un golfe, nous trouvons un
cap ; pour arriver à un port, nous devons cingler à
droite , et le port est à gauche ; une ile est annoncée
comme séparée du rivage par une grande journée de
navigation, et nous voyons cette île du rivage .
Les Grecs qui avaient des établissements dans toute
l'étendue de la Méditerranée , depuis l'Espagne jus
qu'aux frontières de l'Asie, qui parlaient la langue
d'Homère et le considéraient comme leur poëte , ont
vainernent essayé , même en dénaturant son texte,
d'adapter ses descriptions aux contrées de leur voisi
nage.
Les Romains, qui leur succédèrent dans ce travail
de recherche , arrivèrent à des résultats encore plus
étranges; conduits par la conquête aux bords atlan
tiques , ils furent surpris de rencontrer là ce qu'on
cherchait en Grèce ; Strabon cite , en Espagne, une
ville portant le nom d'Odyssea, et dans laquelle on
montrait, en effet, les agrès du vaisseau d'Ulysse ;
HOMERE 527

Tacite !, décrivant les bouches de la Meuse , que lui


même ainsi qu'Homère appelle Hélion, y signale une
inscription gravée sur une pierre et qui mentionnait
le passage du héros . Plutarque et Solin , sans se laisser
égarer par les fictions des Grecs, assurent que l'ile
d'Ogygie ou habitait Calypso était dans l'Atlantique, à
cinq journées de navigation au delà de l'ile de Bre
tagne ; enfin , lorsque l'on commença à bien connaître
les régions occidentales, on acquit sur les pays homé
riques des notions plus précises ; aux mêmes lieux
où , dans une autre thèse ?, nous avons déposé les cen
dres d'Odin et d'Hercule , le poëte Claudien fait aussi
arriver Ulysse pour y consulter les mânes de ces
mêmes héros : Il y a , dit - il , aux extrémités de la
Gaule, sur les bords de l'Océan , une caverne où Ulysse
attira par des libations sanglantes les ombres des
morts3. Ces documents s'étaient multipliés avec une
telle persistance que , même dans ces temps anciens,
on en vint à avouer qu'Homère était un Atlante +. Le
moyen âge arriva là-dessus et tourna les esprits à
d'autres idées.

I Germania . Dans l'histoire de Civilis , il appelle Helii ostium l'em


>

bouchure occidentale de la Meuse, celle que les anciennes cartes du


pays appellent Zonne-maer, mer du soleil.
? These IXe. Il s'agit d'Asciburgium , aujourd'hui Middlebourg .
3
Est locus, extremum pandit quà Gallia littus,
Oceani prætentus aquis, quo fertur Ulysses ,
Sanguine libato , populum movisse silentum .
In Rufinum , lib . I.
* Suidas, dans son Lexique, dit en parlant d'Hésiode et d'Homère :
« On prétend qu'ils appartiennent l'un et l'autre à la nation des
Atlantes, „ Suidas , au mot : Hésiode.
528 VINGT-QUATRIÈME THÈSE

Dans l'âge moderne , les sciences se sont réveillées


avec un profond mépris pour tout ce qui sentait l'ori
gine occidentale ; on refoula de nouveau Homère et ses
poëmes dans les régions de la Grèce , on déclara que
les auteurs que j'ai cités plus haut et tant d'autres que
j'ai dû omettre se sont tous trompés . Toutes les res
sources de la science , des moyens de discussion in
connus aux Grecs et aux Romains , un véritable achar
nement remua de fond eu comble les régions hellé.
niques pour adapter, enfin, le texte du grand poëte à
une nature rebelle ; tout fut inutile ; Homère n'a rien
de commun avec la Méditerranée .
Les partisans du système durent en passer par
toutes les bizarreries pour se soustraire à la nécessité
d'avouer leur impuissance et défendre jusqu'au bout
leur système . Les uns se sont rejetés sur les boulever
sements que la nature a dû éprouver depuis le siècle
d'Homère ; on a vu , disent-ils , des rivières s'ensabler
et former des ilots ; des volcans grondent dans les
régions italiennes où ils remuent la terre , et il se peut
qu'une île , l'ile de Calypso, par exemple , qui ne se
retrouve pas , ait ainsi disparu . Mais , depuis deux mille
ans que nous connaissons en détail toutes ces contrées,
aucun changement notable ne s'y est manifesté, tout
est généralement à la place que marquent les anciens
géographes .
Plusieurs , n'osant s'engager dans cette théorie,
hasardèrent des explications encore plus malheureuses :
» Homère, disent-ils, a décrit tant de pays qu'il n'a pu
a

les connaître en détail ; de là les nombreuses erreurs


HOMÈRE 529

que l'on remarque dans ses ouvrages » . Ainsi, il fait


arriver Ulysse chez Circé dans une île basse, et on
veut que ce soit le monte Circello, au voisinage du
Tibre ; mais ce mont est un cap et non une île , et ,
bien loin d'être bas , c'est le point le plus élevé de la
côte ; le poëte s'est trompé, dit-on .
J'excuserais l'opinion de ceux qui , en présence de ce
désaccord systématique , ne voient dans tout le poëme
qu'une brillante fiction , tracée dans un monde idéal .
Hérodote le soupçonne , Eratosthène l'affirme. A
l'époque où ces hommes vivaient, les documents que
possédait la science étaient circonscrits au bassin de
la Méditerranée ; ne trouvant point à y placer les
poëmes homériques , ils étaient dans l'impuissance de
retrouver ailleurs la région pour laquelle ils sont
faits. Aujourd'hui que le globe tout entier est livré à
nos recherches , c'est à nous que cette ceuvre est
déléguée .
La Méditerranée s'arrête au détroit de Gadès ; au
delà s'ouvre un Océan sans bornes , qui se balance sous
l'action des astres , où percent dans l'immensité quel
ques groupes d'îles , et dont les bords sont occupés par
la mystérieuse race des Celtes et semés de leurs an
tiques dépouilles . Les Grecs connaissaient cette mer et
venaient à Gadès pour y contempler l'étrange mouve
ment de ses flots et en étudier les causes ; les Romains ,
arrivés à cette limite , ne cherchèrent rien 'au delà , si
ce n'est de nouvelles îles qu'ils pussent conquérir ;
mais aucun de ces peuples ne parut désireux de
sonder les secrets de ces espaces illimités . Dans des
34
530 VINGT- QUATRIÈME THESE

temps plus reculés , les Phéniciens , disait-on , con


naissaient, vers l'Occident , des iles lointaines où ils
allaient faire le commerce ; et , en effet, on a retrouvé,
dans tous les archipels de cette mer , des vestiges
d'anciens peuples et des inscriptions hébraïques '. A
une époque encore plus ancienne, Homère parlant de
Calypso la place dans une île , au centre des mers ?, et
l'appelle une Atlante . Voilà donc le véritable théâtre
des poëmes homériques . Ulysse quitte Troie, se perd
dans des régions inconnues et arrive à Ithaque ; Troie,
ces régions inconnues, Ithaque sont toutes dans l'At
lantique ; les colonnes d'Hercule sont plantées entre les
Grecs de la Méditerranée et les Homérites de l'Océan ;
nous cherchions d'un côté un poëte , et nous allons
trouver de l'autre un barde .
Homère a toujours été un mystère pour le monde
savant . Même à l'époque où son nom se montre pour
la première fois dans l'histoire , il paraît étranger aux
Grecs qui le lisent ; n'ayant de lui que ses oeuvres, ils
les ont commentées, pressurées de toutes manières
pour en tirer des notions sur son histoire et surtout sa
patrie.
Les détails donnés par le poëte sont, il est vrai,
nombreux et variés ; les dieux, les moeurs, les arts, les
noms des peuples , les phénomènes de la nature y sont
parés de tous les charmes de la poésie ; mais ces élé
Surtout à Madère et aus Açores ; ces documents sont discutés
ailleurs .
2
Ομφαλός θαλάσσης. Οdyss. , 1 , 50. "Ατλαντος θυγάτηρ Odyss., 1, 52.
)
HOMÈRE 531

ments n'ont pas entre eux une égale valeur quand il


s'agit de systèmes; plusieurs de ces descriptions sont
vagues et peuvent s'appliquer à tous les pays, à la
Grèce, par conséquent ; il est évident que celles-là ne
nous donneront aucun renseignement sur la patrie du
grand poëte . Mais il en est d'autres ; il en est qui
offrent des caractères tellement spécifiques, tellement
déterminatifs des lieux pour lesquels elles ont été
faites, qu'elles seraient en pleine contradiction avec
tous les autres lieux auxquels on voudrait les appli
quer .
Par exemple , quand le pinceau homérique a retracé
dans tous ses détails un phénomène local et complexe,
un port marqué par une de ces singularités qui n'ap
partiennent qu'à lui , le tableau ne saurait convenir à
aucun autre point du globe et fera reconnaître forcé
ment celui que le poëte a voulu décrire. Ainsi encore ,
Homère nous donne généralement les distances entre
les îles que parcourt son héros, et elles sont calculées
en journées de navigation ; si nous ne pouvons trouver
dans une mer ces distances relatives , c'est que les
poëmes n'ont pas été faits pour cette mer ; si nous les
trouvons avec exactitude dans une autre, c'est qu'ils
ont été faits pour cette autre . Enfin , il est une troisième
mesure de précision qui peut encore aider notre
recherche ; les descriptions homériques nous indiquent
constamment, à l'aide des quatre vents cardinaux, la
direction du navire allant d'une île à l'autre , dans la
Méditerranée, par exemple, dont le bassin est étroit et
entrecoupé , nous ne pouvons pas obtenir ces conditions
532 VINGT- QUATRIÈME THÈSE

complexes , mais , dans la libre étendue de l'Océan, les


vents conduisent sans aucune gêne le vaisseau vers tous
les points marqués ; nous en conclurons que c'est dans
l'Océan qu’ont eu lieu les courses des héros d'Homère .
Or, en choisissant dans ses deux poëmes les seules
descriptions qui offrent ces trois inexorables carac
tères , c'est-à-dire des phénomènes physiques , les dis
tances des lieux entre eux , leur position respective, je
constate que c'est dans l'Océan seul qu'elles trouvent
leur application ; et si tant de détails harmoniques se
rencontrent en double dans la Méditerranée , on me les
montrera .
En tout ce qui a été dit plus haut , j'ai pénétré dans
les secrets d'un grand nombre de sciences très
diverses , pour en tirer les éléments d'un système
unique ; chacune d'elles a sa valeur propre , son ensei
gnement , son empreinte ; mais , créées isolément , toutes
sont entre elles sans harmonie ; le vaste tableau que
j'en ai fait se soutient donc, non par la certitude des
détails, mais par l'ensemble de la conception. Comme
les différentes matières qui y sont indiquées , sans au
cune relation apparente , ont cependant entre elles une
solidarité nécessaire, c'est le système qu'il faut fixer.
On a pu remarquer que toutes les assertions émises
précédemment se rangent autour de deux idées mal
tresses : C'EST AU SEIN DU PAYS CELTIQUE QU'EST NÉE LA
CIVILISATION ; C'EST PAR LES MYSTÈRES QU'ELLE s'est
PROPAGÉE DANS LE MONDE. Toute la question des ori
gines se concentre dans cet énoncé , et pour en con
firmer la démonstration Homère, seul sera notre appui.
HOMÈRE 533

Ses poëmes nous promèneront sur tout le rivage drui


dique depuis le golfe de Wash jusqu'à l'île de Gadès ,
dans tous les archipels de l'Atlantique et même aux
extrémités de cette mer . En même temps , nous déroul
lerons le véritable plan de l'Odyssée , et , écartant le
voile mystique qui le cache , nous y découvrirons tout
un trésor de vérités inattendues . Nous aurons ainsi
retrouvé les véritables liens qui rattachent le nouveau
et l'ancien monde ; nous aurons touché au vif les plus
brûlantes questions que les hommes agitent depuis si
longtemps .
En jetant un coup d'oeil comparatif sur les princi
pales nations , telles qu'elles nous apparaissent depuis
les temps historiques , nous ne remarquons entre elles
que des relations vagues , mais suffisantes cependant
pour nous laisser entrevoir qu'à une époque plus an
cienne le rapprochement était plus intime. Consultez les
Indiens, les Mongols , les Arabes , les Américains , les
Hébreux et leurs histoires , vous soupçonnerez à peine
un reste de parenté entre tous ces peuples ; pénétrez
plus avant dans le passé , vous serez surpris des
étranges relations que leurs livres sacrés ont entre eux
et avec Homère . Les Indiens vous énuméreront des
milliers de dieux et vous raconteront sur eux des mil
liers de légendes; mais les nonıbreuses incarnations
de Vichnou forment cependant le gros de leur mytho
logie ; ils nomment ces incarnations Avatar; or ,
Apollon qui,commeVichnou, est le dieu du soleil " , porte
1 Vichnou et Lachmi chez les Indiens , Apollon et Diane chez les
Grecs , représentent le Hélion ; les noms de Meuse et de Veranda que
534 VINGT - QUATRIÈME THÈSE

ce même nom dans les poëmes homériques , où il est


appelé Afator ? Boudha est adoré dans l'Asie orien
tale ; tout ce que l'école d'Alexandrie connaissait de ce
dieu , c'est que ses os étaient cachés sous une pyra
mide qui portait, comme nous le savons aujourd'hui, le
nom de Séma ; Séma ? est le mot d'Homère pour
exprimer les tumulus qu'on éleva sur les ossements des
héros morts au siége de Troie , et spécialement, pour
désigner la pyramide construite en grandes pierres sur
la tombe d'Hector ?. L'Olympe des dieux, comme celui
4
d'Allah , est peuplé de belles créatures * choisies pour le
service des héros : or, Homère et Mahomet leur don
nent le même nom , les appelant également Houris. La
mythologie des Caraïbes , selon Thévet, n'est qu'une
bizarre déformation de l'Odyssée : Des hommes , après
avoir mangé d'un fruit séducteur, sont changés en
pourceaux , et bientôt rendus à leur première forme;
ils vont aussi , comme les héros de l'Odyssée , dans une
île lointaine où sont de beauc jardins et de beaux bois ;
enfin , ayant à venger une femme, ils font apporter un
arc, comme pour servir d'épreuve , et tuent les cou
pables .
Comme on le voit, la question homérique est d'un
porte aussi ce fleuve signifient transformation , ce qui explique les
formes différentes sous lesquelles se montre Vichnou . Voy . these IX .
| Aphtwo . Iliad . , V , 404 .
2 Enuz . Iliad , XXIV, 801. Voy. CLÉM . D'ALEXANDR . Stromates.
3 Il., XXIV , 801 .
• I., ch. VIII et XXI. Le poëte les appelle *spze ; elles gardent
les portes de l'Olympe , attellent les chevaux de Junon , règlent les
calmes et les tempétes .
HOMERE 535

grand poids dans les mystères du passé ; elle entraîne


avec elle de vastes déplacements , et l'on ne saurait trop
assurer les bases sur lesquelles elle s'appuie.
L'ouvrage que nous terminons ici n'est donc , comme
nous l'avons annoncé, qu'un exposé provisoire ; le sys
tėme qu'il retrace attend sa démonstration complète
des deux volumes qui suivent; ils nous feront retrou
ver, mais dans les régions atlantiques seules , tous les
lieux que décrit Homère et achèveront ainsi de mon
trer l'origine celtique de la civilisation des peuples.
Question grave , dont nous aborderons ensuite les graves
conséquences.

FIN
У
zlor
La question des origines, traitée par THÉOPHILE
CAILLEUX , comprend les trois volumes suivants ,
publiés par la librairie MAISONNEUVE et C'e.

ORIGINE CELTIQUE
DE LAS

CIVILISATION DE TOUS LES PEUPLES

La civilisation est originaire des régions atlantiques : de.


là elle s'est répandue dans les deux continents; le pays des
Celtes n'a jamais reçu aucune colonie des peuples orien
taux .

POÉSIES D'HOMÈRE
FAJTES EN IBÉRIE ET DÉCRIVANT NON LA MÉDITERRANÉE
MAIS L'ATLANTIQUE.

Les deux poëmes d'Homère sont entièrement étrangers


à la Méditerranée : l'lliade retrace une ancienne guerre
faite en Bretagne par les peuples du continent ; l'Odyssée
est une description du pays et de la religion des anciens
Celtes.

PAYS ATLANTIQUES
DÉCRITS PAR NOMÈRE

Les pays décrits par Honnère sont la Bretagne, la Gaule,


l’Ibérie et tous les archipels de l'Atlantique; la religion
que retracent ses poëmes s'est perpétuée dans nos contrées
et se retrouve dans nos croyances.
1

Vous aimerez peut-être aussi