Duels Et Duellistes Par (... ) Roger de Bpt6k63940954
Duels Et Duellistes Par (... ) Roger de Bpt6k63940954
Duels Et Duellistes Par (... ) Roger de Bpt6k63940954
Roger de Beauvoir
ROGER DE BEAUVOIR
M'L
PARIS
MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES ÉDITEURS
EUE VIVIENNE, 2 BIS, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 15
c4 LA LIBRAIRIE NOUVELLE
1864
CHEZ LES MÊMES ÉDITEURS
OUVRAGES
DE
ROGER DE BEAUVOIR
Format grand in-18.
MORTS. -
COURTISA.NES.
1
Y. 1
AVENTURIÈRES ET
LE CABARET DES 1
LE CHEVALIER DE CHARNY
SAINT-GEORGES. --- 1
1
LE CHEVALIER DE
CAVALIÈRES
LESCOMBAT
HISTOIRES -
-
1
LA
CHOISY. -
DIABLE.
LIDO.
1
MADEMOISELLE DE
D'HEILL
LE MOULIN
LE PAUVRE
-- 1
1
ROHAN
LES SOIRÉES DU
LESTROIS
-
i -
1
1
DUELS
ET
PA ltIS
MICHEL LÉVY FRÈUE3, LIBRAIRES ÉDITEURS
RUE VIVIENNE, 2 BIS, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 15
A LA LIBRAIRIE NOUVELLE
1864
Tous droits réservés
,\oasnesaurionsmiea.rplacerersdicers
épisodes quesonslepalrona;/et/'intdenos
pluschersamis,de l'un des pluscruditsni
cellemalière,(lesplusconcilianls à lu foiscl
desjilus fermes
LÉON GATAYES
LhV LM li IhKI»I.SSttOMia
DUELS ET DUELLISTES
I
RICHELIEU
Damjs et Richelieu. — L'alchimie. — La boîte de coton.
— La duchesse de Bourgogne.
— A la Bastille. — Mous-
quetaire. — La cicatrice. — Duc à dix-neuf ans. — La
duchesse de Berry. — Premier duel avec Gacé. — Riche-
lieu et sa femme. — Un mot du régent. — Quatre af-
faires. — Un coup de coude. — Le prince de Lixen. —
Duel suivi de mort. — La haine d'uneveuve. — Madame
de Mh'epoix. — Deux rivaux.
— Mort de M. de Peule-
rieder.
ou soyez mousquetaire!
— Raccommodez-vous, monsieur le duc,
!
Choisissez
Le duc (il avait seize ans) préféra Mars à
Vénus, et le voila parti pour la campagne
de 1712.
La jeune duchesse était pourtant jolie ,
mais à cet homme que rien ne pouvait
dompter, l'avenir ouvrait des routes trop
vastes, et puis il était temps déjà pour Ri-
chelieu de quitter les boudoirs princiers.
Recommandé au maréchal de Villars, il
fut à même de le voir opérer de près. «Jeune
lion près d'un vieux renard,» disaient les
troupes. Il fut blessé d'un éclat de pierre à
Fribourg.
!
Cicatrice au front, glorieuse et belle Le
;
duc la garda toute sa vie la poudre, cette
neige si charmante, la couvrait à peine. C'é-
tait un écusson qui valait bien celui des Du-
plessis.
Louis XIV, avant de mourir, put embras-
il
III
préséance:
roueries diplomatiques. Il s'était arrogé la
il pensa la conserver.
Ses instructions l'enhardissaient. Riche-
lieu, dans un souper l'avait déjà traité de fa-
quin devant quelques amis qui ne manquè-
rent pas de lelui redire. Il ne pouvait sup-
porter le ton et les manières de Riperda; il
eut le soin d'éviter toute affaire de cour à
cour, mais il en imagina une d'ambassadeur
à ambassadeur. L'occasion ne tarda pas à
s'en présenter. Un jour, le comte de Riperda
voulut le devancer pour entrer chez l'empe-
<
reur, il était encore sur l'escalier; Richelieu,
plus alerte, passe avant lui, et lui donne un
coup de coude si vigoureux qu'il le fait tom-
ber sur l'escalier. Il prit ensuite son rang.
Croyant avec raison que cette marche ré-
trograde de Riperda aurait des suites, il se
rend le soir à l'hôtel de l'ambassade d'Es-
pagne, Riperda fait dire qu'il était sorti. Le
lendemain matin, Richelieu envoya savoir
des nouvelles de sa santé, le valet de pied
revint sans réponse. Enfin il rencontre l'am-
bassadeur, à qui il témoigne sa surprise de
ne pas lui avoir fait donner de ses nouvelles
après avoir envoyé chez lui et s'y être pré-
senté lui-même, Riperda balbutie quelques
mots et le quitte promptement. -
IV
:
plaisanta beaucoup le prince de Lixen sur
une intrigue qu'on lui soupçonnait le duc
de Richelieu surtout s'amusa longtemps à
ses dépens. Le prince prit mal la plaisante-
rie du duc, l'aigreur s'en mêla. Richelieu
;
avait commandé le soir même un détache-
ment il n'avait été libre qu'au moment de
souper où il était arrivé chez le prince de
Conti; il avait transpiré beaucoup, et avait
encore quelques traces de sueur au front.
Le prince de Lixen, dont l'humeur augmen-
tait, lui dit de s'essuyer, en ajoutant qu'il
était étonnant qu'il ne fut pas entièrement
décrassé après l'avoir été en entrant dans sa
famille.
Richelieu, furieux, se modéra; il jura tout
bas qu'il se décrasserait encore mieux, mais
que ce serait dans son sang.
Le souper fini, il joint Lixen et lui donne
un rendez-vous à la queue de la tranchée. Il
était minuit; ils se battirent. Le prince fut
tué sur la place.
MM. de Duras et de la Vallière, qui seuls
s'étaient aperçus de leur disparition au sou-
per, coururent pour les séparer, mais il n'é-
tait plus temps, le prince expirait.
On crut que son frère, le prince de Pont,
qui s'exhalait en transports de colère, allait
le venger; il se contenta d'enlever le corps
de l'infortuné Lixen (1).
;
une haine éternelle à Richelieu. Quelque temps après, elle
épousa cependant le comte de Mirepoix, qu'elle aimait mais
son antipathie fut toujours la même à l'endroit du meurtrier
de son premier époux. Elle était poussée au point que, deux
ans après, étant à un bal à Monaco; elle se trouva mal pour
Une autre mort plus sensible au roi devait
succéder à celle-ci. Le maréchal de Berwick,
commandant le siège, fut tué d'un coup de
canon. Une mort rivale de celle de Turenne.
— Richelieu rapportait la cornette du duc,
le crêpe au bras !
Pour en revenir au duel du prince de
Lixen, il était incontestable que la race des
Guise et la maison de Lorraine (d'origine
carlovingienne), valait un peu mieux que
celle des Richelieu (Vigneron Duplessis);
mais toute vérité, à souper surtout, n'est pas
bonne à dire.
;
(1) Celle de Richelieu était loin de l'être alors leluxe qu'il
étalait le força plus d'une fois à recourir à des emprunts.
Voltaire, avec lequel il était lié, qu'il voyait souvent chez
madame Duchâtelet, Voltaire, que le duc recevait chez lui et
qu'il admettait dans sa pelile maison avec ses maîtresses,
tait à même de satisfaire tous ses goûts et
de voir la société la mieux choisie. Il avait
entendu parler chez le prince de Conti de la
beauté de madame de la Martelière. Son pre-
mier soin fut de chercher à la connaître; il
amoureux :
fut admis chez elle et en devint éperdument
soins, fêtes, cadeaux et galas,
tout fut employé pour lui plaire. Richelieu,
qui n'avait pas été très-content de lui dans
son ambassade de Vienne, le vit de mauvais
;
était instruit de l'état de gène où se trouvait Richelieu. Il
vint un jour le trouver il lui dit qu'il lui donnait la préfé-
rence pour placer chez lui, en viager, 40,000 livres qu'il
avait; que sa santé était faible; qu'il prévoyait dès lors qu'il
en hériterait bientôt, et qu'il aimait mieux que ce fut lui
qu'un autre qui en profitât. Richelieu, que le besoin d'ar-
gent pressait, n'hésite pas à prendre celui du poëte, en lui
répondant qu'il ne désire pas sa mort, mais qu'il sent bien
qu'il ne peut aller loin lui-même (sa santé se dérangeait), et
que ce sont ses héritiers qui le paieront. On sait que Vol-
taire est mort à quatre-vingt-quatre ans, et l'autre à quatre-
;
vingt-douze ans la rente viagère fut payée quarante-cinq
ans au bon ami Voltaire, qui ne devait pas vivre et qui en
prêtant son argent, voulait en faire profiter le duc.
œil; il n'était pas jaloux, mais l'Allemand
donnait des preuves si publiques de sa pas-
sion, que cette conduite lui déplut. Madame
de la Martelière, de son côté, était excédée.
des déclarations sans fin de M. de Peuterie-
der, et il fut décidé entre les amants que la
financière fermerait sa porte à l'importun.
L'Allemand, avec le sang-froid d'un philo-
sophe, essuie assez patiemment les premiers
:
refus quelques jours après, il apprend que
M. de Richelieu a des droits ;
sur cette belle
il soupçonne que l'ordre vient de lui.
;
Il se présente de nouveau chez madame
de la Martelière il est encore éconduit.
Ne pouvant croire à son absence et vou-
lant s'en assurer, il quitte sa voiture au coin
de la rue, et revient à pied se cacher dans
une allée noire en face la maison d'où il est
banni. La jalousie lui donne la patience d'at-
tendre; il voit enfin arriver M. de Richelieu;
devant qui le suisse tire son bonnet, et qu'il
introduit sans difficulté. La fureur s'empare
;
de lui il veut punir son rival à sa sortie ;
mais plusieurs heures s'écoulent sans le
;
voir paraître la lassitude, l'ennui font reti-
rer M. de Peuterieder.
Sa vengeance n'est que suspendue ;; il pro-
jette la plus terrible des repressailles il
tuera plutôt le duc à la porte de son ingrate
maîtresse.
Le lendemain matin, en allant faire une
visite au faubourg Saint-Germain, le carosse
du duc de Richelieu et le sien se croisent
sur le pont Royal. M. de Peuterieder n'est
pas maître de son premier mouvement; il
fait signe à Richelieu d'arrêter; ils se par-
lent, leur explication devient vive, et l'ordre
est donné aux deux cochers d'aller sur-le-
champ derrière les Invalides. Le combat ne
;
fut pas long animés tous deux de la même
fureur, ils firent coup pour coup. Le mal-
heureux Peuterieder expira sur la place, en
prononçant le nom de la Martelière, et Ri-
chelieu eut la poitrine percée de part en part.
VI ,
;
longues; l'arme du gentilhomme vengeait
son honneur séance tenante il n'était pas
nécessaire, avant de se battre, de courir,
trois jours durant, à la recherche de té-
moins. Les deux cochers de Richelieu et de
Peuterieder en servirent à leurs maîtres
dans cette occasion; l'un ramenait un blessé,
l'autre un mort; mais le tribunal d'hon-
neur, que le maréchal présida plus tard,
après avoir évoqué l'affaire, la mit au néant
d'une voix commune.
Si Richelieu ne se fut montré habile que
dans le grand duel de la guerre, où certes il
cueillit assez de palmes, nous n'eussions pas
encadré sa physionomie connue dans ces
pages; elle nous a semblé leur revenir de
droit par son insouciance frondeuse et sa
grâce chevaleresque. Un homme qui prenait
Mahon avec des violons râclant des ars de
la Courtille et donnait ainsi la musique aux
ennemis, est, pour nous, le type le plus
;
français et le plus gascon depuis Henri de
Béarn il a l'énergie du comte de Saxe et la
grâce du chevalier de Gramont. Il a com-
mandé la maison du roi à Fontenoy sans
quitter un instant le champ de bataille; il a
vu trois règnes sans quitter jamais la cour.
Un seul trait pour compléter cet homme
unique. Louis XVI le voit un jour à son jeu,
et, lui rappelant les trois époques dont la
dernière n'est pas encore fermée pour lui, il
demande au vieux maréchal ce qu'il en
pense.
— Sire, répondit Richelieu, sous Louis XIV
on parlait peu; sous Louis XV on parlait
bas; sous Votre Majesté l'on parle tropI
Après un tel mot, on aime à relire Tacite.
II
SAINT-FOIX
Grimm et Saint-Foix. — Les auteurs d'hier et ceux d'au-
jourd'hui. — Coups de crayons biographiques. — Le
duel à la bavaroise. — Le déjeuner au premier sang. —
Le duel au tricorne.
taphe.
- v
Deux bottes pour une. — Épi-
A
!
la bonne heure, au moins, voilà un au-
teur qui n'y va pas de main-morte Ecoutez
Grimm, il vous en apprendra de belles sur
l'auteur de l'Oracle!
«Saint-Foix déclarait l'autre jour au café,
qu'il couperait les oreilles à celui qui serait
assez osé pour critiquer ses ouvrages. »
Dans ce temps-là il n'y avait guère que
deux à trois journaux, le Mercure en tête;
mais si,l'irascible Saint-Foix eût vécu de
nos jours, grand Dieu!
Il aurait percé d'outre en outre Jules Janin,
Coupé une oreille à l'impitoyable Darthe-
nay,
Pourfendu Théophile Gautier,
Scalpé Méry,
Assassiné Paul de Saint-Victor !
Quant à Fiorentino, il lui eût fait prendre
une bavaroise à la pointe de son épée !
Genus irascibile vatum!
Aujourd'hui les écrivains sont plus rassis !
Et puis nous avons la police correction-
!
nelle
Poulain de Saint-Foix(Germain-Fran-
çois), était né à Rennes en Bretagne, le 25
;
février 1699 il fit ses études au collége des
Jésuites, et devint ensuite lieutenant de ca-
valerie dans le régiment de la Cornette-
Blanche.
Né avec un caractère fougueux, notre hé-
ros sentit de bonne heure l'amour des let-
;
tres ses premiers pas le portèrent vers le
théâtre. A vingt-trois ans, il donnait sa pe-
tite comédie de Pandore dont il n'a laissé
qu'une analyse. Il faisait jouer en 1726, aux
Italiens, sa Veuve à la mode. Il faut lui attri-
buer encore, à ce qu'il paraît, le Contraste
de rAmour et de l'Hymen, pièce au titre naïf
dont le manuscrit ne s'est pas retrouvé.
Au premier bruit de guerre (1733), il sui-
vit le maréchal de Broglie en Italie en qua-
lité de son aide de camp. A la paix, il solli-
cita une compagnie, qu'il n'obtint pas, et,
dans la crainte de subir de nouveaux refus,
il quitta le service dès que les circonstances
le lui permirent.
La réforme de son régiment lui fournit un
prétexte honnête de se retirer; il acheta alors
une charge de maître particulier des eaux et
forêts, qu'il exerça durant quelques années;
mais l'amour des lettres le ramena bientôt à
Paris, le seul endroit où un homme de quel-
que valeur puisse se produire avec éclat.
Inquiet, ombrageux, tenace comme un
Breton, Saint-Foix ne manqua pas de s'atti-
rer bon nombre de querelles. Toutefois, en
parcourant son histoire, on aura lieu d'être
étonné qu'avec un esprit aussi difficile, il
ait pu jouir paisiblement, pendant près de
soixante ans de sa réputation (i). Cette âcreté
ne l'empêcha même pas d'arriver aux
places et aux pensions destinées aux gens de
il
;
Le tricorne du cadet était loin de valoir
celui de Saint-Foix il était aussi déformé
qu'un chapeau de casseur d'assiettes.
On prit la distance, on examina les armes.
Les quatre témoins riaient sous cape.
L'un d'eux, celui du cadet, s'avança vers
Saint-Foix.
— Vous êtes un brave à trois poils, lui
dit-il, nous vous connaissons depuis long-
temps. Nous serions désolés qu'il arrivât
malheur à ce jeune homme; il ne connaît
rien aux armes, pas plus à l'épée qu'au pis-
tolet, arrangeons l'affaire.
—Soit, dit Saint-Foix, mais dépêchons.
LACLOS
;
Celui-ci ne perdait pas de vue les allées et
venues des marmitons il y avait fête évidem-
ment au château, à voir ces airs empressés.
Au bout d'une demi-heure, un domes-
tique de bonne mine vint dire à Laclos que
M. de Saint-Maur l'attendait derrière les
murs de l'orangerie.
En y arrivant, Laclos fut surpris de trou-
ver son adversaire seul et sans armes. Son
feutre était rabattu sur ses yeux, à son bras
gauche il avait son manteau, à sa main
droite un petit coffret de velours bleu.
— Chevalier, dit-il, je vous ai provoqué,
c'est Bien moi. Vous avez sans doute vos
armes? Pardonnez-moi seulement d'avoir
changé le lieu du rendez-vous. C'est un re-
tour de chasse, une collation que me don-
nent quelques amis, et madame Du Barry
doit y paraître.
— Madame Du Barry ! Mais c'est une tra-
hison 1
Il ajouta, en observant son adversaire ;
— Voudrait-on me faire arrêter ?
— Pas le moins du monde, lui fut-il ré-
pondu; la preuve, c'est que votre témoin va
chercher vos armes.
De Bièvre laissa Laclos avec son singu-
lier adversaire.
— Monsieur, dit Laclos en s'adressant au
jeune homme, vous avez une sœur char-
mante.
— Vous trouvez ?
— Je n'ai fait que l'entrevoir; elle a avec
vous un tel air de ressemblance.
Pour toute réponse, le jeune combattant
jeta loin son feutre, et laissa voir au cheva-
lier une figure mutine et des dents d'une
merveilleuse beauté. L'inconnu avait au
;
plus seize ans il entrait à peine dans la
vie et semblait déjà l'aspirer par tous les
grâces de la femme
d'homme à
;
pores. Son équipement accusait toutes les
il portait un frac
grandes almarges d'argent sur
,
un fond de couleur paille. Ses yeux émeril-
lonnés, ardents avaient l'air de défier La-
clos.
Il en avait fait la rencontre sous le pé-
ristyle même de la Comédie, à la sortie du
spectacle. Ce défenseur nouveau de la Du
Barry était certes fait pour l'intriguer.
L'examen que lui fit subir le chevalier ne
;
fut pas long il tomba à ses genoux en pous-
:
sant ce seul cri
— Mademoiselle !
— Eh bien oui, reprit celle-ci, je suis une
femme! Aussi, chevalier, est-ce par esprit
de corps que je les défends. Je n'ai jamais
vu madame Du Barry, c'est là ce qu'il ya
?
de plus étrange, n'est-ce pas Mais je sais
qu'elle doit passer ici et s'arrêter quelques
instants au château de ma tante, la baronne
de Blancart. Or, pour que vous le sachiez,
j'ai plus besoin que vous de sa clémence.
- Comment cela?
doute. Mon cousin, en véritable
— Sans
étourdi, a encouru sa disgrâce. Une in-
trigue de cour. Ce serait trop long à vous
conter. Je me bats avec vous son détrac-
teur, c'est superbe!
— La bonne folie 1
Du tout, blessez.
—
I
car vous me
— Par exemple n'y comptez pas.
-J'y compte, au contraire. Mon bras en
écbarpe, je me présente à la portière du
carrosse de madame Du Barry. J'obtiens
la grâce de mon cousin.
Et
— moi, la Bastille!
— Non pas, nous vous garderons l'inco-
gnito. Vous assisterez à notre collation sur
l'herbe si bon vous semble, ou vous, vous
cacherez tout auprès, dans un kiosque com-
mode, pour observer. dès que la voiture
de la Du Barry paraîtra.
— Vous me faites jouer un rôle !
;
— Périlleux, c'est vrai mais jene veux
-être blessée que de votre main, c'est mon
plan. Allons vite, dégainons,voilà votre ami
qui revient!
De Bièvre, en effet, apparut avec les épées.
Il poussa un cri d'admiration en voyant
notre héroïne. — Ses cheveux débouclés ne
la trahissaient que trop.
— En !
garde dit-elle à Laclos.
— Eh bien, soit, répondit-il.
Et il eut soin de ne pas présenter son bras
à l'effacement. Il reçut le coup en riant.
— Cela ne vaut-il pas mieux, ma belle
amie? reprit-il en pansant son bras, vous di-
rez à la DuBarry que vous avez blessé Laclos.
baronne de Blancart ,
voiture, et soutenue au bras de sa tante, la
osa présenter une
lettre à la favorite. Cette lettre, habilement
combinée et qu'elle venait d'écrire à la mi-
nute, demandait deux grâces, celle du jeune
de Servan et de Laclos. A ce dernier nom la
comtesse pâlit.
Mademoiselle de Saint-Maur expliqua à la
favorite que Laclos l'ayant blessée, c'était
le moins qu'elle lui présentât son adver-
saire.
— Après tout, madame
sauf et je vous ai vengée
,!
l'honneur est
;
se vit depuis mêlé à toutes les tragédies ré-
volutionnaires il avait une influence mar-
quée sur la conduite du prince, qui l'ad-
mettait habituellement dans son conseil.
S'il faut en croire les Mémoires du temps, il
était, dès le mois de juillet, membre du club
qui se tenait au village de Montrouge, près
Paris, où des personnages importants déli-
béraient sur le sort du royaume. Ce fut lui
qui, conjointement avec Brissot, rédigea la
,
fameuse pétition qui provoqua le rassemble-
mentdu champ de Mars où l'on deman-
dait que le roi fût mis en jugement, et l'on
put le voir à la tête des séditieux qui la col-
portaient.
Et c'est alors qu'un mauvais emplâtre sur
l'œil, un sabre traînant le pavé à sa gauche,
lavoixrauque, avinée, ce même Laclos par-
,
courait Paris avec l'émeute à sa solde!!
Plus de duels, plus d'éclats! C'est un
!
émbaucheur des d'Orléans que ce romancier
de la rue, — quelque chose qui promène
:! ;
dans Paris sa réputation fourbue et sa va-
leur d'antichambre un homme qui écrit
aux clubs Allez! à Louis-Philippe Égalité,
sire futur
Ce sont là de ces plaies que les révolu- -.
;
vint-il avant d'expirer de tous les complots
inconnus où l'avait mêlé son maître peut-
être vit-il à son chevet des ombres implaca-
bles comme celle de Pinel, l'agent de
changeassassiné sur la route du Raincy;
ses fabriques de piques, de canons et de
pamphlets à lui Laclos, recevant en pleine
assemblée l'approbation de ses brigands, de
ses satellites à lui!
!
Quelle mort et quel baisser de rideau
IV
,;
de Lorraine il est mort à son service. Se
trouvant naturellement vaillante elle se
mit en tête de conserver ses terres cela
;
l'obligeait à monter souvent à cheval in-
;
sensiblement, elle s'y accoutuma, et peu à
peu,, elle s'habilla enguerrière elle a, d'or-
dinaire, un chapeau avec des plumes bleues :
le bleu est sa couleur, elle porte ses cheveux
comme les hommes, un justaucorps, une
cravate, des manchettes d'homme, un haut-
de-chausse, des souliers d'homme et fort
bas, car, quoiqu'elle soit petite, elle ne veut
point passer pour plus grande qu'elle est,
et elle est si brusque qu'elle ne pourrait pas
sans danger, se chausser comme les femmes ;
chausse;
elle porte une pipe par-dessus son haut-de-
a toujours l'épée au côté et les pis-
;
tolets à l'arçon de la selle mais quand elle
monte à cheval, elle quitte sa jupe et prend
des bottes. On ne saurait être plus vaillant
qu'elle; elle a pris ou tué de sa main plus
de quatre cents hommes.
« C'était cette même madame Saint-Bal-
seigneur d'Angoulême ,
de sa selle. Du vivant de son mari, mon-
alors comte d'Au-
vergne en fut amoureux, et quand il fut
arrêté par M. d'Heure, capitaine d'une com-
pagnie de chevau-légers entretenue, à la-
quelle ce prince faisait faire montre, elle
jura de se venger de ce M. d'Heure. Quand
elle fut veuve, elle eut un autre galant qu'on
nommait M. de Cadière; par jalousie elle
,
l'appela en duel. Il y fut, et comme il pen-
sait badiner, elle le pressa de sorte que -
tout ce qu'il put faire fut de passer sur elle,
et, tout d'un train, il la jeta à terre et fil la
paixde lamaison.
«La fin de cette héroïne devait être cruelle
pourtant. Un jour, elle rencontra à la chasse
des gentilshommes de son voisinage, nom-
més MM. de Gane, un gentilhomme qui était
à elle et qui lui servait d'écuyer, lui dit :
« Retirez-vous, madame, ils sont trois contre
un. — N'importe, répondit-elle, il ne sera
pas dit que je les aye rencontrés sans les
charger.» Elle les attaque, ils répondent, ils
furent assez lâches pour la tuer, mais non
sans qu'elle eût fait une résistance de
lionne. »
Telles étaient les mœurs fanfaronnes et
quelque peu soldatesques de cette époque.
La sœur de cette même madame de Château-
Guy avait épousé un gentilhomme nommé
La Douze, elle était plus jeune que l'autre.
;
Son mari la battait tout d'un coup il tombe
goutteux. Elle, grande et forte, le battit alors
à son tour, il mourut, elle épousa Bonneval
de Limousin. Elle en voulut faire de même
avec lui et elle l'appela en duel. Il lui en
voulut faire passer son envie; les voilà tous
deux dans une chambre dont il avait bien
fermé la porte. Ils se battent, et lui donna
trois à quatre bons coups d'épée pour la
rendre sage. Ce second mari mourut, elle
était déjà vieille, mais se fardait.
« Un gentilhomme de Touraine, nommé la
Citardie, qui avait le vol pour pies chez le roi
;
vint la voir comme amusement, elle lui fit
passer toute l'après-soupée à moucher une
chandelle à coups d'arquebuse, et parce qu'il
avait tiré mieux qu'elle, elle lui fit rompre
son arquebuse pendant qu'il dormait,
»Elle poursuivit trois lieues durantundeses
parents qui avait passé devant chez elle sans
lui rendre ses devoirs, elle l'appela en duel. j)
à de plus nobles résultats ,
Quelquefois ces ardeurs viriles arrivaient
témoin cette
vieille femme qui voyant dans ce même
siècle, à Montauban, un jeune soldat s'expo-
ser au péril pour mettre le feu à une galerie,
lui ôta le flambeau de la main en lui disant:
«Mon enfant, tu pourras rendre d'utiles
services à la patrie, pour moi je lui suis
inutile, j'ai assez vécu. »
Et elle s'en alla mettre le feu à la galerie.
il
III
Au xvme siècle ,
corrigeait ces vaillantises féminines ,
l'élégance des mœurs
di-
gnes au plus des jours de la duchesse de
Longueville. Si les dames s'entreprenaient
dans les salons, c'était d'abord avec une
courtoisie ironique, le vocabulaire de la
langue française leur fournissant assez de
mots pour se faire bien comprendre. La cour
du régent, en mettant ses maîtresses sur un
;
avoir cédé à ses poursuites, elle exigeait du
duc le sacrifice entier de ses maîtresses Ri-
chelieu promit et ne voulut pas tenir sa pa-
role. Cette princesse, dont le cœur n'était
pas toujours d'accord avec la raison, triom-
pha à la fin de sa passion en abandonnant
l'ingrat; elle eut la gloire, assez rare à cette
époque-là, d'être la seule femme qui n'eut
point à se reprocher une seconde faiblesse.
Madame de Nesle qui aima aussi le duc de
Richelieu quelque temps après son ambas-
sade, était loin d'avoir autant d'empire sur
elle-même; sa tête s'égarait à la moindre
fantaisie de cet homme que toutes les
femmes se disputaient. Le duc, qui conser-
vait son sang-froid dans les circonstances
;
épineuses, avait beau redoubler pour elle
-d'attentions l'illusion une fois détruite,
madame de Nesle retombait. Amie de ma-
dame de Guébriant, elle se rappelait toutes
les trahisons successives dont Richelieu l'a-
vait abreuvée; madame de Sabran n'avait
pas eu meilleure fortune. Que de fois noyée
de larmes, elle avait contemplé le médaillon
;
de son infidèle que de fois elle lui avait
!
adressé de sanglants reproches Madame de
Nesle était belle, mais très-romanesque.
Élevée dans un vieux château de l'Anjou,
;
elle avait de bonne heure rêvé les grandes
aventures être aimée de Richelieu la com-
;
blait. Le duc d'Orléans venait d'être nommé
régent du royaume les soupers de la nou-
velle cour faisaient fureur; c'était à qui bri-
guerait l'honneur de se voir inscrite sur la
liste de Dubois, l'instigateur de ces royales
orgies. Madame de Nesle y parut la pre-
mière fois en bacchante, entre madame de
Mouchy et madame Daverne, maîtresse alors
du régent. Le souper était des plus animés ;
Riom:
la duchesse de Berry présidait la table avec
pendant tout le temps que dura le
repas, Richelieu n'eut d'yeux que pour ma-
dame de Nesle. Il avait au doigt un magni-
fique diamant, ille lui fit porter le lendemain
par madame de Tilly. Mademoiselle de
; ;
Charolais le sut elle en écrivit à Richelieu
elle avait toujours des droits sur lui. Riche-
lieu n'en tint compte; il continua ses as-
siduités près de madame de Nesle.
! disait celle-ci à madame de Yen-,
— Ah
,
rendue à la maréchale d'Estrées, fête toute
en vue de Richelieu, fête donnée pour le
ramener à cette même madame Daverne;
elle avait choisi Finstant d'un feu d'artifice
sur l'eau pour accaparer le héros de cette
nuit et lui faire jurer des amours invipla-
bles. Au sein de ces jardins d'Armide, illu-
minés, radieux, te duc avait promis, il avait
signé avec madame de Nesle un pacte d'é-
ternité. mais à mesure que parlait le pré-
varicateur amoureux, les fusées retombaient
autour de lui en pluie d'or comme ses ser-
ments, la nuit faisait place aux gerbes et
aux bombes lumineuses, le même vide qui
se faisait dans la fête s'était fait au cœur de
madame de Nesle; elle venait de voir le duc
s'enfuir entre mesdames de Mouchy et de
Polignac.
?
— Laquelle des deux se demandait-elle
en proie aux tourments jaloux qui l'obsé-
daient. Et elle pressait le pas dans ces allées
où les verres de couleur se mouraient aux
branches des arbres, où l'archet ne résonnait
plus" sur l'onde émue et troublée.
Madame de Mouchy était dame d'hon-
neur de cette même duchesse de Berry, dont
les mœurs étaient peu faites pour rassurer
madame de Nesle; elle était jolie, elle ne
pouvait pas rester cruelle.vOn,soupçonnait
le comte de Riom de s'en accommoder par
intervalles. Madame de Nesle devançait déjà
Tinstant de sa vengeance, elle irait trouver
la fille du régent, et lui dévoilerait les arti-
fices de sa dame d'honneur.
Mais, si elle s'était trompée, si c'était ma-
dame de Polignac !
Celle-ci était plus régulièrement belle que
madame de Mouchy, rien n'était compa-
rable à la langueur de ses grands yeux d'un
bleu de ciel vaporeux et doux. M. de Melun
et le comte de Nocé soupiraient en vain
;
pour elle en vain les plus charmants sei-
gneurs de la cour affectaient de se trouver
sur son passage ; rebelle à toutes les agace-
ries, elle affectait une humeur presque sau-
vage depuis qu'un insolent, — le. marquis
de Parabère, — lui avait un soir parlé gros-
sièrement entre deux vins. Colombe timide
qui se débattait dans la cage du régent, elle
n'attendait sans doute qu'un défenseur au
sein de cette cour dépravée.
Les espions, mis sur sa trace par ma-
dame de Nesle, ne tardèrent pas à convaincre
cette dernière de son infériorité. Richelieu,
passionnément épris de madame de Poli-
gnac, avait mis déjà tout en œuvre pour son
œuvre infernale de séduction; il voulait
plaire, et il avait plu. Quel coup de foudre
pour madame de Nesle! Il faut avoir connu
ces blessures pour les comprendre. Madame
de Nesle relut d'abord toutes les lettres de
l'ingrat, elle chercha vainement à y retrem-
per son courage. Les protestations du duc
lui parurent impies, dérisoires, peut-être
copiait-il la même lettre pour toutes les
femmes. Elle apprit bientôt que le régent
en personne, étonné des progrès que faisait
Richelieu dans le cœur de madame de Po-
pre abandon;
lignac, avait gourmandé le duc sur, son pro-
avait souri.
le duc pour toute réponse
:
Le premier mouvement de la jeune femme
fut de répondre — J'irai!
Le messager n'avait pas tourné les talons
qu'elle commençai se reprocher elle-même
son imprudence. Premièrement elle se bat-
tait pour Richelieu, secondementelle ne sa-
vait pas se battre.
:
S'afficher pour le duc lui semblait une
audace répréhensible leurs amours étaient
secrètes., — autant que Richelieu pouvait
garder le secret, — elle ne pouvait que per-
dre à cette divulgation forcée.
Madame deNesle, au contraire, jouait Je
tout pour le tout. Elle allait forcer le public
à se prononcer entre elle et l'amant qui la
;
délaissait elle allait se poser sur un véri-
table piédestal. Elle frappait un grand coup,
la chance pouvait dès lors lui revenir.
Madame de Polignac passa la nuit dans
une réelle agitation. Elle se leva vingt fois
et courut à la boîte de pistolets de son
cousin de Mailly, que ce dernier l'avait
priée de garder avec ses livres et ses lettres.
S'il était là, il m'apprendrait du moins
—
comment je dois faire demain matin !
Il lui prit alors une sueur froide, et elle
pensa, pour la première fois, la belle jeune
!
femme, à la mort Mourir n'était rien, mais
laisser une place à une rivale !
Le sein palpitant, la figure pâle, elle sonna,
vers l'aube, sa femme de chambre, une mu-
lâtresse du Cap, qui avait nom Cora; cette
jeune soubrette répondit vite à l'appel.
— Cora, mes !
pistolets et cours vite pré-
venir M. de Nocé! Tu lui diras que c'est
pour me donner une leçon !
Les yeux de Cora s'allumèrent d'un feu
étrange.
—
En fait de professeur, répondit-elle,
si madame voulait m'essayer.
—Toi?
— Moi, madame la comtesse. Je n'avais
pas onze ans qu'on me faisait tirer à la co-
lonie aux jours de fête, et je m'en acquit-
tais à la satisfaction de tous. Voyez plutôt!
Y penses-tu ? Ces pistolets sont char-
—
gés.
— C'est bien pour cela, madame, répliqua
l'espiègle enfant, qui ouvrit alors la fenêtre,
tenez, regardez un peu ce moineau sur cette
branche.
Avant que madame de Polignac eût pu ré-
pondre, le coup partit, le moineau tomba.
— Descendons le chercher, dit-elle, le jar-
din est grand, nous aurons nos aises pour
nous essayer. C'est tout de même une drôle
de fantaisie qui passe par la tête à madame la
comtesse!
Madame de Polignac se confia à sa chère
mulâtresse; il fut convenu que la voiture
serait prête à neuf heures et s'arrêterait à
quelques pas de la porte Maillot.
A l'heure dite, les deux carrosses débou-
chaient par l'avenue.
Madame de Nesle salua madame de Po-
lignac; madame de Polignac rendit le salut
à madame de Nesle.
Deux écuyers de ces dames servaient de
témoins.
Les armes chargées, il fut contenu que
les deux rivales marcheraient l'une sur
l'autre en ayant la faculté de tirer ensemble
dès qu'elles arriveraient à une écharpe pla-
cée au milieu de la distance.
Madame de Nesle tira très-vite; madame
de Polignac un peu après, elle blessa son
adversaire à l'épaule.
Cora s'élança de la voiture de madame de
Polignac, elle était plus morte que vive.
combat singulier donna bien quelque
Ce
;
célébrité à madame de Nesle mais il ne lui
ramena pas Richelieu.
;
Il fallut qu'elle en prît son parti elle re-
nonça à le disputer à ses rivales les armes
à la main.
v
FLEURY
;
pour cela le moins du monde duelliste, mais
il avait le sang chaud il vivait au sein d'un
,
Et cependant beaucoup de ces hommes,
leurs -modèles moururent sur un théâtre
plus sanglant! A ce moment cruel, à cette
heure lugubre et suprême, la gaieté ne les
;
abandonnait pas, on le sait ils revêtaient
pour ce grand jour le frac à pluie d'argent
dont ils se pavanaient jadis à rOEii.fde-bœu.f,
sans oublier d'offrir, en vrais marquis, une
prise au bourreau dans leur tabatière. Ainsi
mouraient-ils, quand ils ne mouraient pas
comme Condorcet avec le poison de Caba-
nisl
La jeunesse de Fleuryotîrebeaucoup d'in-
térêt. Ses premiers pas au théâtre sont cu-
;
rieux. Son père putatif exerçait la profession
de cardeur de matelas
!
Molière avait bien
retourné ceux du grand roi Ce bonhomme
;
de père n'était pourtant pas celui de Fleury
c'était un pauvre artisan qui s'était même
adressé au parlement pour l'adopter, tant
il le trouvait espiègle et gentil. Une nour-
rice infidèle l'avait mis aux Enfants-Trou-
;
vés
;
mais il était le fils du directeur des
spectacles de Nancy il était donc né sujet
ud roi de Pologne.
Aussi débutait-il à sept ans dans le petit
laquais du Glorieux, et cela devant la cour
de Stanislas, où le jeune Bouffiers faisait
;
;
déjà parler de lui tous deux se riaient de
l'abbé Porquet, de mémoire grotesque tous
deux s'aimèrent vite, et firent leurs pre-
mières armes en commun. Le père Fleury,
ancien militaire, ne manquait jamais de
citer ses campagnes; il avait servi avant
d'être comédien. Il développait ainsi chez
son fils une humeur martiale, que labelle
reine de cette cour, la marquise de Bouf-
fiers, tempérait par des croquignoles et des
bonbons. Comédien de province, il apprit
tout au plus à son fils à savoir lire et
écrire; l'abbé Porquet fit le reste. A quinze
; ;
ans, Fleury était déjà un joli garçon il rê-
vait l'éclat, le luxe, la fortune il se souriait
à lui-même dans toutes les glaces du châ-
teau, et cependant son père voulait faire de
lui un valet!
Jouer un pareil emploi, quand, matin et
;
soir, on hume un parfum de cour porter
la livrée quand on serait si bien en frac à
!
paillettes
;
Notre héros s'enfuit d'une traite
jusqu'à Genève il vit Voltaire à Ferney.
La même bénédiction que donna le patriar-
che au fils de Franklin, il la concéda au
fugitif qu'il voulut faire répéter lui-
même. Il avait un très-beau théâtre à -sa
terre; la sœur et le beau-frère de Fleury s'y
montrèrent sous un jour qui plut au grand
homme. Plus tard, on le sait, Marie-Antoi-
nette s'attacha mademoiselle Fleury, que
l'abbé Vermond remplaça un beau jour
comme 'professeur.
La troupe dont Fleury faisait alors partie
était loin d'être montée comme une troupe
de premier ordre.Le magasin des cos-
tumes était d'une pauvreté désespérante ;
on y suppléait souvent par des gilets à
fleurs de papier peint. Un jour, le bruit se
Nancy;
répand qu'une actrice célèbre doit passer par
elle retournait à un théâtre de pro-
vince, où elle faisait la pluie et le beau
;
;
temps. Fleury veut la voir il veut saisir
l'instant du relai de ses chevaux il lui par-
lera; il sait déjà son nom, c'est mademoiselle
Clermonde. En jetant les yeux sur ses ha-
;
bits, il s'aperçoit tout d'un coup qu'il n'est
pas présentable sa culotte ressemble à celle
de l'enfant de chœur de Gresset :
Déjà la brèche augmentant tous les jours,
Démantelait la place et les faubourgs,
Vous m'entendez. La culotte trop mûre,
Se trahissait par mainte déchirure.
!
un cri en voyant les combattants; c'était
mademoiselle Clermonde Sa chaise de poste
roulait déjà; elle fit arrêter le postillon.
Ce duel sans témoins l'épouvantait. Elle
eût bien ri si elle en eût connu le motif. A
sa vue, les deux adversaires quittèrent leur
jeu.
!
— Deux
épaules ;
enfants dit-elle en levant les
!
voulez-vous bien en finir
Tous deuxn'eurent qu'une excuse, celle-ci:
— C'était pour vous que nous nous bat-
tions !
Mademoiselle Clermonde les força à s'em-
brasser; elle détacha deux fleurs de son
bouquet, et les jeta par la portière de sa
chaise.
;
— A la bonne heure, nous avons chacun
la nôtre, dit Fleury ce n'est pas comme la
culotte!
Que devint cet amour de Fleury pour ma-
?
demoiselle Clermonde L'auteur de ses mé-
moires, en homme d'un esprit aussi agile
que charmant, M. Laffitte, pourrait seul
;
vous le raconter Fleury reçut un jour à Ver-
;
sailles un cartel en règle de M. de Tréville,
amant en titre de la belleactrice on se bat-
tit à l'épée; Fleury fut blessé au bras. Je
n'ai pas sous la main les mémoires que je
me plais à citer, mais je crois me souvenir
que mademoiselle Clermonde récompensa
le blessé; c'était le moins. Il n'avait pas en-
core débuté à Versailles, mais il avait une
protectrice puissante dans mademoiselle
Dangeville. Mademoiselle Dangeville, à qui
le père de Fleury l'avait recommandé, avait
alors soixante ans. Nous avons vu made-
moiselle Mars à cet âge; c'était la même
grâce, le même organe enchanteur chez ma-
demoiselle Dangeville. Ses charmes lui
avaient fait donner dans le temps le nom de
-
la belle Hortense, Fleury s'en éprit comme le
fils de Ninon s'éprit jadis de sa mère. Ma-
demoiselle Dangeville eut toutes les peines
1
du monde à lui persuader qu'elle n'avait
plus trente ans.
« Je suis
vieille, lui écrivait-elle (1); je
crains que vous n'ayez oublié, mon cher
Fleury, la fable des Bâtons flottants du bon
La Fontaine. L'heure de ma retraite a sonné,
depuis longtemps. Vous me reprochez de
vous avoir rudement traité dans ma der-
nière lettre, c'est que vous devez songer à,
vos chères études; oui, je voulais blesser
votre amour-propre, mais vous paraissez
plus triste que fâché, j'ai manqué mon but.
J'en suis affligée. Plus il y a en vous de déli-
catesse et de sensibilité, plus je regrette
sincèrement que ce fantôme, auquel vous
avez donné mon nom et qui me ressemble
si peu, se soit emparé de votre imagination.
;
cher Fleury, notre correspondance estfinie;
ille faut absolument que cela ne vous fâche
;
pas je vous le répète, et pour la dernière
fois, ce que vous perdez ne vaut pas un re-
gret.
» MARIE-ANNE DANGEVILLE. »
;
Fleury fut longtemps à se consoler de cette
rupture il avait besoin de se sentir aimé
de bonne heure par une femme supérieure.
Il n'était pas de ceux qui se retirent comme
Rousseau, dans la profondeur de leur âme;
il s'abandonnait avec charme aux émotions.
Le trouble se mettait dans ses pensées il ré-
solut d'en finir par une étude acharnée il;
prit corps à corps son répertoire, et travailla
sept heures durant, et n'alla plus voir ma-
demoiselle Dangeville à sa maison de Vau-
girard. Mademoiselle Clairon le retint un
; ,
soir à souper Fleury ne toucha à aucun
plat. Une très-piquante actrice mademoi-
;
selle Besse, assistait, à vrai dire, à ce" repas
Fleury n'avait des yeux que pour elle. Cette
jolie personne appartenait à la troupe de
Versailles.
Les chevau-légers de la maison du roi
avaient leur quartier dans cette ville. Frin-
gants, dissipés, hardis, ils étaient de plus
bretteurs en diable, jeunes et braves, cela
va sans dire. Pour qui connaît l'amateur ou
l'abonné de spectacle en province, les pré-
tentions de ces messieurs eussent paru certes
raisonnables, ils voulaient n'applaudir que
leurs maîtresses; seulement, ils avaient jeté
leur dévolu sur toutes les actrices. On con-
nut bientôt le sentiment de Fleury pour ma-
demoiselle Besse, on en fit des gorges chau-
des. Les officiers qui envoyaient des bou-
quets à cette actrice adressaient en revanche
à Fleury des sifflets immérités. L'artiste s'en
émut, mais il se contint; un soir, seule-
ment5 qu'il venait de jouer Tancrède, et qu'il
accompagnait mademoiselle Bosse à la sortie
du théâtre, la pluie vint à tomber, et force
lui fut de prendre pour camarade une
chaise à porteurs. Il l'accompagnait à la por-
tière avec déférence, et aussi avec l'onglée,
car le froid était fort -vif. Tout d'un coup; et
Réservoir,
lorsque les porteurs remontaient la rue du
Fleury se trouve devant une
vingtaine d'hommes couverts en entier de
leurs manteaux.
Notre comédien pressent le guet-ajJens ;il
saisit à bras le corps mademoiselle Besse
l'emporte dans une maison dont la porte
est entrebâillée, puis tirant la porte sur lui,
il s'y adosse en véritable César.
i
Fleury, l'épée nue, Fleury contre une
vingtaine d'hommes c'était là à coup sûr un
duel extravagant.
Il leur crie avec rage :
— Voulez-vous m'assassiner?
Son domestique, qui lesuivait à distance,
demande du secours, des bourgeois sur-
viennent armés de lanternes et de fallots.
Cinq chevau-légers furent arrêtés et mis en
prison; Fleury reçut aussi l'ordre de se con-
stituer captif.
Les coupables étaient de la maison du
;
roi un rapport devait s'en suivre.
Louis XV répondit :
— Que la justice ait son cours.
Puis Fleury se vit mandé chez M. le duc
de Duras.
— Depuis quatre jours, lui dit-il,jces jeunes
;
gens gardent les arrêts ils appartiennent
aux meilleures familles du royaume; vou-
lez-vous les perdre?
-Je veux les voir, répondit Fleury, et les
voir devant vous, monsieur le duc !
Le lendemain, en effet, Fleury se rendait
à leur prison.
:
les rôles de son emploi, il eut d'abord des
partisans, puis des ennemis c'est le sort de
tous ceux qui se destinent à la scène. Avant
d'être sociétaire, il devait boire la ciguë.
des comédiens ;
Versailles était alors le théâtre véritable
c'était de là que partait
la grande fusée; la cour jugeait les ac-
teurs à petit bruit, mais ses arrêts étaient
sans appel. L'une des plus grandes tragé-
diennes du monde, la Clairon, y jouait de-
vant cette assemblée choisie; elle y appor-
tait le secret des nobles émotions; on eût
;
sous le péristyle Dugazon plaisante ;
et Vestris se disputent en bons camarades
La
Harpe raille, et Monvel observe. Bellecourt
et Préville s'habillent déjà dans leurs loges;
le duc de Duras se montre partout; Molé
tortille ses manchettes. Il s'agit d'un début
au théâtre de la cour, de celui de Fleury,
comédien ordinaire du duc de Lorraine, un
!
petit bout d'homme qui a bien peur Il dit
les premiers vers de la tragédie et on l'é-
coute; il est jeune, il est timide. Patience!
un jour, ce même homme jouera Moncade !
Les chevau-légers étaient devenus ses
amis, et tous se faisaient un devoir de l'ap-
plaudir.
Cependant, et dès ses débuts à la Comé-
die française, soit à Versailles, soit à Paris,
notre comédien avait compté sans son hôte,
c'est-à-dire sans Dugazon.
Dugazon, le mystificateur par excellence,
était un rival d'autant plus terrible pour
Fleury que leurs deux natures s'excluaient
mutuellement.
Fleury était né marquis, Dugazon singe;
son talent d'imitation et surtout de parodie
défiait l'analyse et les railleurs.
Il sautillait comme le perroquet Vert-
;
Vert de bâtons en bâtons; il éblouissait à
coups d'esprit, d'audace, de sarcasme il ne
se contentait pas comme Bellecourt, Molé
et Monvel, d'être contre Fleury que Le-
kain, brave nature, soutenait seul; il le per-
siflait souvent avec cruauté.
Le 7 mars 1774, Fleury débute par Egis-
;
the il était mort sans la Dumesnil, car lui-
même perdait la tête, —le naufrage commun
!
aux débutants — Dugazon fut le seul qui
ne le rassura point. Préville lui avait serré
la main, c'était son chef naturel; il donna
du cœur à Fleury. Le marquis de Villette
vint bien un peu le complimenter, mais
notre héros n'en tint compte. Pour Marmon-
tel, il faillit s'attirer un vain duel avec lui,
mais comme l'auteur des Incas ne se bat-
tait qu'avec la Sorbonne, force fut à Fleury
de rengainer. Les esprits étaient d'ailleurs
tournés vers une phase peu joyeuse, —
Louis XY venait de mourir, Fleury vit ce
cercueil et plus tard celui de Voltaire, deux
royautés auxquelles il put jeter un peu l'eau
bénite du diable. Louis XV avait régné par
le plaisir, -droit divin s'il en fut,-Voltaire,
par le sophisme. Lekain avait précédé Vol-
taire, par pure étiquette funèbre; Lekain
avait à peine cinquante ans quand il mourut.
La littérature dramatique avait fait son
temps. Ducis tâtonnait Shakspeare. Mettez
La Harpe à la queue de ces gens-là, et il
sera à sa place.
C'était Dugazon qui avait dit des amis
:
dudit La Harpe peuplant seul le parterre
pendant sa pièce des Barmécides «Ce sont
les pères du désert! » Il en avait dit bien
!
d'autres, cet infernal Dugazon Agile, amu-
sant, frondeur avant tout, il était chargé de
rappeler aux sociétaires qu'ils étaient hom-
mes. Plus d'encens, plus d'éloges à tant la
»
contrôle de Dugazon !
ligne, tout cela tombait devant l'inflexible
Surtout ce n'est pas
lui qui eût souffert, le taquin, une infrac-
!
tion aux droits de sociétaire Or, pour Du-
gazon, le premier droit était celui de se bat-
tre, il disait que les comédiens ne devaient
pas être comme les perruquiers qui portent
l'épée sans s'en servir (1). Leste, réjoui,
gouailleur, il donnait vraiment envie de
croiser le fer avec lui, le délicieux rodo-
mont!
Ce maudit homme avait quelque chose du
baron de Fœneste, et un peu aussi de ceux
que Tallemant des Réaux met en scène avec.
;
un si ardent coloris il se serait battu pour
un ruban, une fraise ou un éperon tordu.
Malheureux dans ses affections conjugales,
il n'y allait pas de main morte, cet époux-
là! Il apprend un jour que M. Decazes (2)
est l'amant en titre de sa femme.
— Parfait! se dit-il, j'aurai au moins le
plaisir de lui demander ses lettres !
La chose était d'autant plus aisée pour
Dugazon, qu'il donnait lui-même des leçons
(1) LaChroniquescandaleuse.
Alors, seulement, M. Decazes se ravise, il
:
se penche sur la rampe de l'escalier, il crie
à ses laquais r
!
— Arrêtez-le, c'est un voleur
Les gens de M. Decazes se précipitent sur
les pas du comédien.
Mais lui, sans se déferrer le moins du
monde et s'adressant du bas de l'escalier au
jeunehomme
A
:
merveille, monsieur, bien, très-bien,
—
c'est cela, du feu, de la chaleur, parfait!
Continuez et vous entrez dans l'esprit du
!
rôle
Et les laquais de M. Decazes de rester la
bouche béante. Tous sont convaincus que
c'est une scène que répète leur maître, une
scène convenue entre Dugazon et lui. Ils
voyaient Dugazon lui donner souvent des
leçons, et Dieu sait s'il y mettait, de la cha-
leur!
1
A ce sujet, les mémoires du temps (1) font
honneur à un militaire, fils d'un autre M.
Decazes (fermier général) de l'anecdote sui-
vante.
« M. Decazes s'est battu en duel au pistolet
avant-hier avec le fils de M. de la Reynière
(ancien fermier général) et voici pourquoi :
M. de la Reynière, étant au parterre de
l'Opéra à une des dernières représentations
d'Armide, se sentit extrêmement poussé par
la foule.
» — Qui est-ce donc, s'écria-t-il, qui
?
pousse de cette manière c'est sans doute un
garçon perruquier.
» M. Decazes, qui
était là, lui répondit :
« — C'est moi qui pousse, donne-moi ton
:
Dugazon vint à entrer. Après quelques mo-
ments, il dit à sa femme »
» Madame, souhaitez le bonsoir à M. le
comte, aujourd'hui je reste ici.»
» La belle, toute tremblante, bégaye un
ques antécédents.
Mademoiselle Raucourt avait débuté à la
;
Comédie à l'âge de dix-huit ans elle était
élève de son père et de Brizard. — Jamais
;
débuts ne furent plus vifs, plus brillants,
plus applaudis elle fut d'abord sage, long-
temps sage. Peu à peu, à force de billets
doux et d'hommages, la tête lui tourna;
;
elle fit plus de cent mille écus de dettes elle
eut des pierreries, des chevaux et même
un abbé. Cet abbé lui persuada de fuir un
;
jour en Belgique, terrain neutre après trois
années d'absence, elle revint comme l'enfant
prodigue à la Comédie, qu'attristait le départ
précipité de la Sainval. Ce fut alors que
Fleury s'employa vraiment pour elle. Ma-
demoiselle Raucourt avait été rayée de la
liste des sociétaires; elle n'avait, en revenant
à Paris qu'un seul protecteur, Fleury, — la
reine elle-même ne vint qu'après. La reine
la vit jouer à Fontainebleau, là; sa rentrée
fit grand effet. Madame Campan voulut dès
lors purifier Raucourt et lui trouver un mari;
c'est sur Fleury qu'on jeta les yeux. Décli-
nant un pareil honneur, celui-ci d'abord fut
prêt às'envoler vers la Trappe.
;
elle m'avait lié à son char par un contrat
onéreux cela jurait trop avec mon humeur
et.mon étourderie de mousquetaire. M. de
•
Sartines, sur ma plainte, a examiné les
formes et le fond de l'affaire; j'ai été mis
hors de cour; c'est tout ce que je voulais.
Les jeux et les ris n'en doivent pas moins
;
voltiger sur ses traces vous êtes jeune, mon
ami, mais elle a du talent, elle promet de
s'amender. Eh bien, mon cher, soyez pour
elle un mari à l'essai, étudiez-la, mettez-la.
par exemple en charte privée pendant un
mois.
Et comme Fleury hésitait ;
— Justement, tenez
;
répliqua le marquis,
j'ai une campagne à Sceaux je l'ai achetée
;
d'hier Raucourt ne peut donc la connaître.
Demain, je pars pour Bruxelles et vdus en-
voie par mon cocher les clefs de cette villa
mystérieuse. Allons, est-ce dit?
Fleury se résigna; le lendemain même il
recevait les clefs du marquis.
Décider Raucourt n'était pas chose fa-
cile.
Une seule chose pouvait la poussera quit-
:
ter Paris c'était une légion de créanciers,
véritable bande de corbeaux qui la guettait.
Elle accepta, tout en se gardant bien d'avouer
à Fleury les motifs de sa décision. Fleury
ne cherchait guère le mariage dans Rau-
court; il le fuyait au contraire. Mais il la
trouvait belle, bien belle. dans Mon sur-
!
tout Qui dira ces airs passionnés et pleins
de langueur des comédiennes d'autrefois,
comédiennes à vingt ans, comédiennes pour
?
la cour et les grands seigneurs A coup sûr,
!
ce n'est pas moi J'aime mieux vous ren-
voyer aux intrigues et aux charmilles ani-
mées de Versailles, à ces chaussures de soie
criant sur l'herbe, à ces corsages de rubis
et de dentelles, à toutes ces magiciennes que
peignit la Rosalba. La peau de Raucourt dé-
fiait le marbre, ses dents étaient blanches
comme celles d'une jeune louve. Ce fut
par un beau soleil de mai que Fleury, de son
plein consentement, l'enleva et la conduisit
à Sceaux dans cette campagne du damné
marquis. Là, dans cette thébaïde il espé-
rait vivre en ermite, mais en ermite qui a
nement,il
;
fait des vœux car, s'il eût cédé à son entraî-
était perdu., je veux diremarié.
Et de tous les duels, — convenons-en,
celui-là était le plus alarmant, le plus péril-
leux pwur notre acteur, vivre auprès d'une
;
Le lendemain de leur installation à Sceaux,
la sonnette est agitée violemment il pouvait
être dix heures du matin.
?
— M. le chevalier de Pressac demande
un homme noir, que sa tournure ne désigne
que trop pour un recors.
— Il est loin d'ici, répond la Raucourt
avec aplomb, il est à Arras.
— Pourtant, nous avions pensé, mademoi-
selle.
Se levant alors, Raucourt met l'importun
à la porte; elle se dispose à déjeuner avec
Fleury; elle est en peignoir à fleurs, son
bonnet un peu sur l'oreille et à la dragonne,
c'est vrai, — mais enfin, elle est charmante.
Fleury lui verse une tasse de thé exquis.
Un second coup de sonnette interrompt le
déjeuner au moment même où Fleury va lui
demander des explications à propos de ce
visiteur inattendu.
— M. le baron d'Hervey?. Nous avons
contre lui prise de corps. nous sommes en
règle, voyez!
Et un nouveau recors de se montrer aux
yeux de la tragédienne stupéfaite.
— Allez au diable! dit-elle en se remettant
et en assaisonnant sa phrase d'un juron vi-
ril; le baron d'Hervey voyage en Suisse !
—
Cependant, mademoiselle.
Raucourt se débarrasse promptement du
personnage. Fleury commence à com-
prendre,
Friponne! c'est à vous que revient
—
l'honneur de tous ces travestis, lui dit-il ;
vous n'empruntez jamais aux usuriers que
sous les habits de notre sexe. Vous vous
nommeriez demain Richelieu ou Soubise si
le roi n'y mettait ordre!
Raucourt allait répondre quand un troi-
sième coup de sonnette, plus aigu, plus criard
que les deux premiers, retentit.
— Ouvrons toujours, dit-elle à ;
Fleury
cette fois peut-être ils se lasseront!
C'était une vieille, vieille revendeuse à la
toilette, coiffée d'un pouff poudré qui lui
donnait l'air d'un oranger qu'on rentre pour
l'hiver.
- Mademoiselle Raucourt ? demande-t-elle
d'une voix chevrotante.
— C'est moi, madame, moi-même, dit
Raucourt, enchantée cette fois de ne pas
reconnaître une créancière dans son inter-
?
locutrice. Que me voulez-vous parlez !
— Mademoiselle, fit la vieille, je viens
vous apprendre une nouvelle qui va vous
porter un coup sensible. M. le marquis de
Bièvre. feu M. de Bièvre.
— Comment?
-Oui, mademoiselle, il n'est plus, il
vient de décéder en Prusse, et vous laisse
pour rente annuelle dix mille livres.
— Dix mille livres, mon Dieu ! mais c'est
plus qu'il n'a jamais voulu me donner de
!
son vivant fait Raucourt en comprimant
une envie de rire.
Par exemple, il y met une condition.
— Laquelle ?
— C'est que vous épouserez, demain,
M. Fleury.
;;
de ma villa est à l'épreuve des coups les
plus furieux elle tintera souvent, je vous
en préviens vous croirez entendre celle du
régisseur à la Comédie.
- Bonté divine!
Ah ! cela dérangera un peu vos chères
—
études, mais vous êtes philosophe.
— C'est selon.
— Puis, vous aurez les tailleurs d'habits
et de robes, les carossiers, les selliers, et,
vous le voyez, même les revendeuses à la
toilette.
— A la condition qu'elles seront plus belles
que vous, marquis, répliqua vivement Rau-
court. Regardez-vous à la glace! Allez, ras-
surez-vous, j'aimerai Fleury quand je vou-
drai, mais je n'ai, pas plus que lui de vo-
cation pour le mariage.
!
L'Hymen n'est pas toujours entouré de flambeaux
avec Dazincourt.
Le motif de la querelle qui avait eu lieu au
théâtre était des plus simples. Les deux
comliattants se disputaient la casaque, la
grande casaque, la casaque
rouge des co-
miques.
Dazincourt etDugazon la voulaient comme
autrefois Fleury et Polin Goy, son ami,
avaient convoité la même culotte !
Mascarille, en d'autres termes, se battait
contre Labranche, Crispin contre Gros-René!
Les témoins de Dazincourt étaient Auger,
l'un des bons comiques du Théâtre-Fran-
:
çais, et Pierre Boucher, ancien militaire et
musicien de son état.
Ceux de Dugazon: Fleury et Dessessarts.
Tout s'y passa dans les règles; l'impé-
tuosité des deux rivaux fut telle, que tous
deux furent blessés.
La casaque rouge leur fut adjugée; chacun
put se dire comme Auguste, dans Cinna :
Préfères-en la pourpre à celle de mon sang !
On se quitta bons amis, et après un déjeu-
ner où Dessessarts mangea trois volailles et
!
un civet à lui seul il paya la carte et deux
chaises cassées sous lui.
MARTAINVILLE
LE ,
LE GARÇON. — A la minute, colonel.
s'animant. — Est-elle assez
COLONEL
!
de papier, des girouettes à tout vent Gar-
çon, un journal!
LE GARÇON.
monsieur.
- Voici le Drapeau blanc,
LE COISNEL.
diable I
- Une loque! Va-t'en au
MARTAitfviLLE, à son jeu. — Gagné (Se le-
!
— Soit, demain ;
là, colonel, vous allez me rendre raison.
voici ma
assez voir clair quand je me bats.
carte; j'aime
(1)Chez Trouvé.
qu'un journaliste doit se soigner comme
Labbey de Pompières ?
Labbey de Pompières passait pour être
encore plus curieux de sa santé que Garat,
qui mettait deux spencers et deux carricks
pour chanter.
Martainvillfi avait Garat en horreur.
- Un
soir que celui-ci laissait attendre le
public, d'après sa louable habitude, et que,
de guerre lasse, le régisseur venait de faire
lever le rideau pour haranguer le parterre,
Martainville lui coupe la parole, et se tour-
nant vers les loges:
— Citoyens et citoyennes, excusez m'si eu
Gaat, il n'en est encore qu'à sa trentième
cravate ! -
,
béciles irrécusables.
Martainville fidèle à l'ordonnance du
docteur Andry, en reçut la moitié, puis il se
fatigua vite.
Le docteur revint.
Chardon;
Un jour, Saint-Georges faisait assaut avec
celui-ci nia ses coups d'une façon
inconvenante. Poussé par la mauvaise hu-
meur, le chevalier saisit Chardon à la gorge
et"à la ceinture, l'enleva de terre, et le te-
nant renversé la tête en bas et les jambes
en l'air, il lui fit faire ainsi le tour de la
salle, puis le remit sur ses pieds.
Martainville était loin d'être aussi robuste,
mais il était adroit comme un singe. Il des-
sinait, il dansait, il patinait même, exercice
revenu de mode aujourd'hui. Sa taille
était ordinaire, son tempérament sanguin et
nerveux, il était aussi gourmand queDésau-
giers.
Il avait une mémoire telle qu'il lui suffi-
sait d'entendre une pièce pour en répéter
plusieurs passages. A Marino Faliero de Ca-
simir Delavigne, il citait de six à huit vers
dans les entractes, autant de la Marie de
Brabant, d'Ancelot, dont il devait rendre
compte. Il signait ses feuilletons en toutes
lettres.
Voici, — entre mille, — un spécimen de
sa manière, fort contestable à coup sûr :
« Lundi 12 septembre 1825, Comédie-fran-
,
çaise première représentation de Sigis-
mond de Bourgogne par M. Viennet.
» Si M. Viennet est toujours en correspon-
dance avec Sidy-Mahmoud, il peut écrire
à l'amateur tunisien que, le samedi 10
septembre, on a joué à la Comédie-Fran-
çaise , avec l'apparence d'un succès qui
ne tirera pas à conséquence, une tragédie
très - médiocre qui n'enrichira ni la caisse
ni le répertoire. »
D'autres fois, il commente ainsi une pièce
de circonstance :
« Théâtre de la Porte-Saint-Martin: M. Charles
ou une matinée à Bagatelle, par MM. Merle
et Dupeuty.
» La scène se passe en 1755. Lecomte
d'Artois, se dérobant au bruit et aux plai-
sirs de la cour, vient souvent à Bagatelle
pour y trouver le calme et s'y livrer à cette
bienfaisance ignorée qui donneplus de prix
aux bienfaits (phrase digne de La Pa-
lisse). Le suisse de Bagatelle est un vieux
serviteur nommé Zurich, auquel le prince
a confié ce poste, à la suite d'une aven-
ture fort plaisante qui est contée dans la
pièce, mais que nous ne pouvons détail-
1er, vu les bornes de cette analyse (sic)!»
Après quelques autres traits de la même
force, il ajoute:
« On voit que cette pièce est toute par al-
Dupeuty. »
Souvent aussi, cette façon bonhomme de
rendre compte cache un piège. Ainsi, il
n'est pas permis de croire que Martainville
trouva de son temps, — et c'est pourtant ce
qu'il dit, — ce couplet de M. Crosnier sur
Charles X, excellent :
Du bonheur, quand Charles paraît, -
Pour nous sa présence est le gage,
Chacun pour le fêter voudrait
Se rencontrer sur son passage,
Et si l'on voyait en ces lieux,
Guidés par la reconnaissance,
Venir tous ceux qu'il rend heureux,..
On y verrait toute la France!
Quelle belle épigramme sur d'Aigrefeuille,
commensal acharnée de Cambacérès :
D'Aigrefeuille, de monseigneur
Ne pouvant plus piquer l'assiette,
Pour en témoigner sa douleur,
A mis un crêpe à sa fourchette.
Quoi !
vous nommez Baour P — Mon cher il le mérite,
Eh! mon Dieu, je le sais, mais nous voulons Auger
On peut oublier le mérite,
I
,
Mais jamais qui dpnne à manger
:
sarmer. On l'attendait à un succès, il en eut
un des plus éclatants le Pied de Mouton.
Donner une féerie en plein temps de tra-
gédie et sous la Restauration, c'était de l'au-
dace. Talma lui-même en pâlit.
Martainville n'en recevait pas moins les
étrennes suivantes :
Gi-gît, bien mort sous le bâton,
Martainville Pied de Mouton !
En ce temps-là Porcher n'était pas encore
CHODRUC-DUCLOS.
;
Goya s'est complu, tout au contraire, à
renchérir encore sur la misère ses pauvres
sont des lépreux, ses mendiants effraye-
raient un infirmier d'hospice, ses voleurs
aux vestes d'amadou tombant en lam-
beaux vous donnent envie de leur faire l'au-
mône;
:
Rassemblez maintenant Callot et Goya, et
soumettez leur peinture à l'alambic vous
aurez Chodruc-Duclos.
Non que celui-ci ait été peintre, — grand
Dieu — mais jamais misère plus parlante
I
;
philosophale, il semblait l'avoir, il dépen-
sait et il empruntait à toutes mains la faci-
lité avec laquelle on lui prêtait dans les
commencements le rendit vite insolent.
A la porte du café du Commerce, par
exemple, il ne manquait jamais de contes-
ter le droit d'un cocher pour faire savoir à
;
tout le monde qu'il n'était pas' venu à pied
il le rouait même de coups au besoin.
C'était, par instants, un Moncade d'assez
bonTair.
Son imagination plaisante, ironique, fé-
conde en incidents surtout, procédait en
droite ligne de Casanova et des chevaliers
de l'ancienne comédie; monté bien vite, et
par ses vices seuls, dans le monde de la
noblesse, il se vengeait par son franc parler
du malheur de n'être pas né.
Son père, notaire à Bordeaux, ne se doutait
guère de la route que suivrait son fils; la
poussière des dossiers convenait peu à Cho-
druc, qui débutait, du reste, dans la vie par
voir monsieur son père, madame sa mère
faire un très-mauvais ménage et se séparer
juridiquement de corps et de biens.
Contraint de fuir sa ville natale, il est
1
élevé chez le curé de la Réole, un oncle à
lui, qui était à la fois prédicateur et méde-
cin; il n'y prit guère soin des intérêts de
;
son âme ni de son corps chaque jour, il se
gourmait avec les bleus de dix à douze ans,
qui jouaient déjà à la petite guerre entre
eux. Le capitaine Chodruc, tel était le titre
qu'il s'était donné, frappait ferme et dru
dans ces escarmouches d'enfants, il avait la
!
main si large
C'est de cette même main que les Borde-
lais devaient dire dix ans plus tard en
voyant Chodruc donner le bras à madame
Latapie, la directrice du Grand-Théâtre :
!
C'est La Tape et Latapie
Cettemadame Latapie, très-bellepersonne,
avait trouvé Chodruc à son gré, il lui prê-
tait l'appui de son épée au besoin, son théâ-
tre était devenu son champ clos.
Il apprend un jour, au Café du Théâtre,
que les loges 42 et 44 sont retenues par la
deaux;
bande jacobine, qui opprimait alors Bor-
il se met sur son trente etun et va
chercher dispute à trois citoyens connus
pour ne pas se moucher du pied. Querelle,
mots échangés,
D'un bras vigoureux, Chodruc prend l'un
des malins par le milieu du corps, le lève
:
au-dessus de la loge et le balance en criant
!
Gare la-dessous
Sans l'intervention d'une femme qui se
suspendit à l'autre bras de Chodruc, le mal-
;
heureux était mort ses camarades n'avaient
!
pas demandé leur reste
Ce théâtre de Bordeaux, chef-d'œuvre de
Louis, était devenu bien vite la vraie mai-
son de Chodruc-Duclos; il y trônait, il y
prononçait ses oracles. Nouveau Jupiter, il
foudroyait l'acteur en tournée ou le prenait
sous sa protection. Il fallait passer sous son
fleuret pour réussir. C'était le muscadin
par excellence, l'homme des repas coûteux,
des bals brillants, des nuits copiées sur celles
de Paris; il applaudissait à tout rompre
les vaudevilles royalistes de M. deMartignac,
et malheur à qui les eût trouvés mauvais !
il eût passé par ses mains !
Chodruc, jeune
encore, s'était battu dix-huit fois en duel
et toujours avec bonheur, quelquefois avec
générosité.
Il croisa le fer un jour pour M. de Pey-
ronnet, qu'un drôle avait appelé faquin, et
il prit M. de Peyronnet lui-même pour se-
cond. Celui-ci ignorait complètement le mo-
tif de la rencontre; il croyait que Chodruc
s'alignait pour son propre compte.
Une fois, se battant avec un capon, qui
avait résolu de se laisser désarmer toujours
dès que le fer serait croisé, il prit une pierre
de la main gauche, et lui dit qu'il. la lui
jetterait à la figure s'il laissait tomber son
fleuret.
—Imbécile ! racontait-il lui-même à ce
sujet, il n'a pas voulu me croire! Il a
maintenant une énorme entaille au nez,
tandis qu'il en eût été quitte pour une sai-
gnée au bras !
Les cafés de Bordeaux payaient une rede-
vance, à ce terrible Mécène; il fallait le voir
y réglementer le jeu, depuis les négociants
de la Teste jusqu'aux merveilleux de Paris.
Il se passait là d'étranges choses
C'était quelquefois un bon de Fouché qui
arrivait et qui délivrait à propos l'adversaire
à qui Chodruc venait de râfler son argent,
tantôt c'étaient des démentis lancés à brûle-
pourpoint et que notre héros relevait de
toute la vigueur de son épée. Il advint
qu'un beau jour Fouché voulut voir Cho-
;
drue il paraît que Chodruc et Fouché ne
purent s'entendre. La conclusion fut que
l'on transféra l'ancien muscadin bordelais à
Bicêtre.
Il y resta peu, et s'enfuit courant jus-
qu'en Vendée.
Dans des Mémoires que nous avons tout
droit de croire apocryphes (1), se place vers
cette époque la relation d'un duel que Cho-
druc aurait eu avec un Larochejacquelein
— (quel Larochejaqueleind'abord?)
C'est ainsi que les auteurs des Mémoires
font parler Chodruc (2) : -
;
dans l'armée du roi il ne voulait pas être
témoin des larmes et des regrets que la
mort d'un Larochejacquelein faisait naître
chez ses concitoyens et amis.
Nous renvoyons le livre et ses assertions
à M. le marquis Henri de Larochejacque-
lein ;
mieux que nous il peut y répondre.
Jusqu'ici, pour nous, rien n'est moins
prouvéque cette anecdote. Les auteurs citent
bien un sergent nommé Romeu qui aurait
voulu arranger l'affaire. Chodruc aurait dit:
— Je ne hais pas L., je l'estime, je le
vénère, mais s'il, ne me descend pas, je le
descendrai (1).
connu ; ;
M. de Peyronnet passait, lui, pour un des
forts tireurs de Bordeaux Chodruc l'avait
il se présenta chez lui dès qu'il fut
nommé ministre.
Dans la pièce des Compagnons de Henri V
:
se présente ainsi Falstaff
— Vieillard, lui dit le prince anglais, qui
es-tu?
— Ton ancien ami, Falstaff.
-Toi?
-- Sans doute.
l
— Ah
:
reprend Henri, j'ai connu jadis un
vieillard qui te ressemblait tu as peut-être
(1)TomeI,p:ige313.
raison. Je l'ai connu ami des tavernes, du
bruitet des jolies filles. Mais, vois-tu bien,
je l'ai oublié. Laisse-moi passer, vieillard !
Nous ignorons si M. de Peyronnet parla
ainsi à Chodruc, si on lui avança unebergère
et quelques écus sur les fonds publics, ou si
on le jeta à la porte ignominieusement.
!
Car la fortune et les flots sont changeants
:
gàrdes-du-corps, par lesquels il se serait
cru insulté rien n'est moins prouvé que
cette anecdote.
Avant 1830, Chodruc-Duclos ne gênait en
rien la police; qu'en eût-elle fait? A quel
propos surtout des gens aussi bien élevés que
MM. les gardes-du-corps l'eussent-ils raillé ?
Le camarade ancien, l'ex-ami de M. de Pey-
ronnet, avait fait ses étapes dans la Vendée,
les haillons ne pouvaient faire oublier le
soldat; jamais d'ailleurs misère ne fut moins
agressive que celle de cet homme, — un
fou d'Athènes.
Après 1830, ce fut tout autre chose.
A tort ou à raison, le gouvernement d'a-
lors crut qu'acheter Chodruc (ne fût-ce que
;
pour peu de jours), ce serait là chose utile
Chodruc ne devait pas faire mal après le
roi-citoyen et les barricades, — au besoin,
il pourrait peut-être parler aussi bien que
la Fayette. Ces héros, déguenillés la veille,
formeraient un beau cortége à l'homme à
la longue barbe. Et puis, on allait traduire
M. de Peyronnet devant la chambre des
pairs, et de quelle importance n'eût pas
été la déposition de cet homme dans le
;
jugement des ministres! Des ouvertures fu-
rent faites à Chodruc il les repoussa avec
hauteur. Un citoyen recommcmdable, il l'a
raconté vingt fois, lui promit même dix
mille francs qu'il lui montra, s'il le mettait
sur la voie de la retraite de M. de Peyronnet ;
Chodruc répondit qu'il ne mangeait pas de
ce pain-là (1). Il fit plus, il quitta, un mois
durant, les galeries du. Palais-Royal pour
échapper aux propositions et aux deman-
des. Dans l'idée de Chodruc, trahir M. de
Peyronnet, savoir le secret de sa retraite et le
vendre, c'eût été ravaler le poëme de sa
vengeance.
Le dégoût qui prenait Paris à la gorge après
1830, - la curée des places si admirable-
(1) Il a toujours désavoué également un mot féroce d'es-
prit qu'on lui a prêté aux trois journées de 1830. Au mo-
ment le plus vif de la fusillade auprès du Palais-Royal, il
aurait dit, prétend-on, à un gamin, qu'il voyait ajuster un
Suisse :
— Tu n'y entends rien, donne-moi ton arme.
Et saisissant le fusil, il aurait ajusté, puis tué le garde-
suisse.
;
Pour toute .réponse, Hubbi passa le pre-
mier la porte et descendit il avait deux té-
moins d'assez méchante mine dans son fiacre.
messieurs ,
— Pour votre gouverne, je vais à pied,
dit ClOdruc, mais, rassurez-
vous, je marche bon train. Vous avez des
armes?
— Vous les verrez tout à l'heure au bois
de Boulogne. Le rendez-vous est Porte-
!
Maillot. A dix heures
Un rire sardonique accompagna ces pa-
roles. Le cocher fouetta ses chevaux dans
la direction du café Lemblin, où quelques
amis d'Hubbi l'attendaient.
Chemin faisant, Chodruc se repentait de
ne pas avoir emmené de témoins.
— Bon! je prendrai les deux garçons de
;
de ne pas y trouver encore son adversaire.
Son attente ne fut pas longue il vit Hubbi
descendre de voiture avec ses deux acolytes,
ils avaient en main un sac énorme.
; ;
figure à l'insolent de façon à le rendre mé-
connaissable ses nobles amis avaient pris
le parti de s'enfuir ce furent les deux gar-
;
çons de Gillet qui le ramenèrent à son logis.
La leçon avait été bonne seulement Cho-
druc y avait mis tant de feu que les dé-
coupures de son pantalon le réduisirent
i
presqu'à nu; il fut obligé d'en emprunter
un au restaurateur.
Il eut aussi un jour affaire à un voleur (
très-émérite de Bordeaux, qui, ne pouvant
rien lui prendre, avait lié conversation avec
lui. Chodruc ne le reconnut pas d'abord,
mais graduellement il se rappela alors ses
traits. C'était un nommé Truchet qui avait
débuté à son encontre par le vol au duel, ingé-
nieuse invention qui consistait pour lui à
s'offrir d'abord comme témoin dans une ren-
contre quelconque qui devait avoir lieu à
l'épée, Truchet discutait la parité de lon-
;
gueur des épées il y trouvait toujours quel-
que chose à redire; bref, il finissait par
mettre les épées sous son bras, et partait
four les changer. On l'attendait une demi-
heure, une heure, à la fin les combattants
s'avouaient eux-mêmes dupes de la mysti-
fication. Truchet revendait à un armurier
les deux épées de combat.
Ce fut au chausson que Chodruc se ven-
d'emprisonnement ;
avait infligé 16 francs d'amende et un mois
cela avait dû mettre de
l'eau dans son vin. Un secours inattendu
qui lui parvint lui permit de modifier un
peu sa toilette; mais Chodruc, en frac
acheté au Temple, était gêné, il ne se recon-
naissait plus, il semblait à cet homme étrange
;
qu'il eût manqué à son vœu. Il reprit bientôt
ses chères guenilles seulement il ne men-
diait plus, il se contentait d'un coup d'oeil
jeté en passant à ses habitués du Palais-
Royal, qui lui tendaient leur pièce dans une
de ces mille et une allées qui servent de pas-
sages; il avait alors donné sa pratique de
charcuterie au marchand établi de la veille,
rue Richelieu, près de la fontaine Molière.
Dans les grands jours, deux plats de côte-
;
lettes de porc frais le reste du temps, quel-
ques œufs chez la fruitière. Il rentrait chez
lui sur les onze heures du soir saluait son
hôtesse, prenait son cinquième de chan-
delle, et jetait silencieusentent sur la table
une pièce de vingt sous avant de grimper à
son taudis.
Ce taudis, — par la plus bizarre coïnci-
;
dence, — un poëte de nos jours l'a vu il y
a mieux, il l'a habité une nuit!
La fin de ce rêveur, l'un de nos plus chers,
:
de nos plus regrettables amis, a été lugubre
la rue de la Lanterne et la rue Pierre-Lescot,
quel rapprochement !
;
mais à ce désir s'opposait d'abord sa bourse,
dont les toiles se touchaient puis la petite
fille qui tenait énormément à ce meuble.
le seul qu'eût laissé Chodruc à madame.
!
Thibaut, son hôtesse
— Maman ne l'a jamaisprêtée à personne,
ajouta-t-elle à Gérard; vous êtes le pre-
mierl
Gérard embrassa l'enfant, une larme avait
coulé de ses yeux. La misère appelle la pitié,
et qu'est-ce que la pitié, sinon un retour sur
nous-mêmes ?
Ici se présente encore une question.
Chodruc avait-il aimé pendant cette se-
conde période de sa vie, ou plutôt avait-il
rencontré comme Quasimodo une autre
Ésmeralda. Rien n'a transpiré sur cette
tombe vivante, sur ce trappiste acharné. Il
y eut peut-être une éclaircie dans ce ciel
noir, une femme, — les femmes sont anges
ou démons, — veilla peut-être un jour sur
cette misère implacable, ce suicide lent mais
résolu.
Au nombre des privations les plus poi-
gnantes de cette nature méridionale à
l'excès, celle de ne plus jouer doit passer en
première ligne;
:
Il aimait, il avait aimé le jeu de passion
s'il ne pouvait plus se montrer à Frascatij si
on n'y eût pas admis un pareil joueur en
raison de sa toilette, en revanche, accroupi
souvent comme un sphinx auprès de la
porte d'entrée, on le voyait, cet homme,
écrasé sous le poids des souvenirs, tourner
et retourner machinalement entre ses doigts
livides et décharnés la pièce de monnaie
qu'il avait pu se faire dans sa journée. Il
ressemblait à l'un decesfantômes.du Dante,
accomplissant sa damnation avec un amer
sourire.
Une nuit cependant, il se faufila dans ce
Frascati comme tout le monde, mais cette
nuit là, le glas du Jeu avait sonné, Chodruc
assistait à sa suprême agonie.
Il y était, il l'a dit, il a vu le dernier quart
d'heure de probité des employés de M. Bé-
nazet, les larmes données au creps, les no-
vissima veTbà des croupiers à la roulette!
C'était déchirant, mais pour un joueur
comme lui, déshérité de tout, c'était gai,
Satandut rire ce soir-là!
Il y eut cette même nuit un pauvre diable
de voleur qui, voulant réaliser d'un coup sa
fortune, inventa de prendre à la lettre ce
mot: «Faire sauter la banque.
Armé d'un pistolet dont il lâcha la double
détente sous la table même du tapis vert,
il causa une rumeur inouïe parmi les pon-
tes, chacun s'empressait de retirer son en-
jeu, quelques-uns même celui du voisin,
quand l'autorité vint contenir cette panique
par sa présence.
Le jeu fermé, Ghodruc respira, il était
débarrassé d'ungrand regret, celui de ne
plus pouvoir jouer !
;
A cette époque, il. avait repris ses allures
habituelles il se levait entre deux et trois
heures de l'après-midi, arpentait son palais
après un maigre déjeuner, et continuait jus-
qu'à six heures sa promenade de paria. Été
comme hiver, il prenait ce bain qu'aujour-
d'hui on nommerait un bain russe, il s'épon-
geait avec de l'eau filtrée dans l'étroit repaire
où il vivait. Mais la main de la Douleur
avait déjà rendu chaque jour ses joues plus
osseuses; cette eau, cette ablution quoti-
dienne de son corps, il la payait'souvent au
détriment de sa faim. Ces jours-là, il fuyait
le Palais-Royal, il passait les guichets du
Louvre et se mettait à considérer la Seine.
Je l'ai vu vingt fois accoudé sur le parapet
du Pont-Royal, suivre d'un œil atone ces di-
verses teintes du fleuve. Il mesurait peut-
être la hauteur du pont où tant d'autres se
sont jetés!
Hélas! rien qu'en récapitulant ses der-
nières années, que de choses n'y eût-il pas
trouvées, ce sinistre philosophe ! La révo-
lution de Juillet, le meurtre du changeur
Joseph, l'assassinat odieux du prince de
Condé, Simon Deutz s'entendant avec un
lâche ministre et recevant de lui le prix de
la vente d'une femme, Hégésippe Moreau
mort à l'hôpital, et en revanche la moitié
des gens de lettres décorés par M. de Sal-
vandy! Voilà ce qu'il lui avait été donné de
voir, sans copapter les lois de septembre qui
valaient bien certes la loi d'amour de M. de
Peyronnet?
Aussi, sur la fin, ne demandait-il qu'à
mourir) ce sublime délaissé. Il avait com-
mencé par la cravate de Brummel, il allait
finir peut-être par Clamart ou par la Mûr-
gue. Sa chambre à coucher, c'était la borne.,
son baldaquin de lit le parapluied'une frui-
tière, il ne marchait pas, il glissait; est-ceque
les sandales de lisière font jamais du bruit?
Mais l'ingratitude, la honte, la misère;
tout cela lui mordaitle cœur. 41
Un soir d'hiver qu'il avait respiré pour
tout repas les parfums culinaires des Véfour
et des Véry, il rentra morne, épuisé l on ve-
nait de lui refuser brutalement, — on n'a
jamais su pourquoi, — le droit de se chauf-
ter au poêle du Café de Foy, droit dont il
1
PAR AN 1
FAYOT'
:
fait un plaisir de trancher sur la teinte
neutre elles ont dédaigné les mœurs dou-
ces, accommodantes
une enseigne.
; il leur faut presque
;
tille, qui font de leur vie une lice ouverte,
agressive ils dédaignent les histoires par-
fumées et les saillies anecdotiques. Fréquen-
ter la salle d'armes assidûment, tenir re-
gistre des nouveaux débarqués, rechercher
trois à quatre rencontres par jour, telle est
leur occupation.
Aux époques précédentes et au moindre
mot, on mettait l'épée à la main, souvent le
fer croisé suffisait à la réparation de l'of-
;
fense jusqu'alors, l'épée avait été la seule
arme permise dans les rencontres. La cer-
titude d'être habile à défendre sa vie ren-
dait un homme moins difficile sur les oc-
casions de l'exposer. Le changement qui s'o-
péra sur la manière de se vêtir, sous le
règnede Louis XVI, contribua beaucoup à
introduire l'usage des duels au pistolet,
combat qui n'a rien de noble ni de français
dans la réelle acceptation de ce mot, lutte
sauvage, où le courage ne peut suppléer à
l'adresse. Dans cette passe d'armes, on est
obligé souvent de tuer son adversaire sans
défense, ou de se laisser tuer soi-même
d'une égale façon.
C'est pourtant cette arme qui consolida la
réputation de l'homme auquel nous consa-
crons ici quelques pages de souvenir, à ce
sujet c'est pour nous une bonne fortune au-
tant qu'un devoir de rappeler ce qu'un il-
lustre professeur, notre maître à tous, Gri-
sier, écrivait le 2 décembre 1829 au Journal
de Paris, concernant cet usage anti-chevale-
resque du pistolet qui, grâce à Dieu, com-
mence à passer de mode. (1)
«Il n'appartient pas au caractère et à la
loyauté d'un Français de tirer sur un homme
que l'on doit regarder comme désarmé au
moment où il reçoit le coup fatal. Les Rus-
ses et les Anglais se battent généralement
au pistolet, mais ils n'en viennent à cette
cruelle extrémité que fortement outragés
dans leur honneur ou leurs plus chères affec-
tions. Pour nous, plus ardents, plus faciles
à irriter, nous nous faisons trop légèrement
un point d'honneur de prouver que nous ne
le cédons à personne en fait de bravoure;
mais, on doit l'avouer, ces sortes de com-
II
,
Un homme, que je tenais pour un excen-
trique de première force s'approcha du
groupe où je prenais ma demi-tasse et vou-
lut bien m'initier aux premières rencontres
de Fayot. Cet homme, c'était Saint-Cricq, le
fils de l'ancien ministre des douanes, Saint-
Cricq le fou, comme on l'appelait, mais qui,
certes, n'était pas si fou qu'il se complaisait
à le paraître.
Fayot (Martial), me dit-il, est né à La
Roclie-sur-Yon, près Nantes. En 1815, on
l'appelait déjà Fayot le Petit-Chapeau. Il y
avait alors à Paris, dans la maison de
Staub, le tailleur, une salle d'armes très-
suivie. — Cet hôtel appartenait à M. Henri-
Martin Puech. Fayot s'y rencontrait avec
Dumesnil (de Caen) et Floquin (de Marseille),
lequel fut depuis incorporé en Westphalie
dans les mamelucks du roi Jérôme. MM. de
Bondy, Donadieu, Charlemagne et Godart
(ces deux derniers maîtres d'escrime, comme
on sait) y venaient aussi; Un M. Michel de
,
Saint-Léon excellent tireur protégé par
M. de Bondy, et qui avait été conservateur
des atours à la cour de Stuttgard, y faisait
aussi parfois assaut avec M. Leuzes de l'E-
pinay, lequel a épousé une demoiselle Ber-
trand Geslin. Telle était la galerie admise à
contempler Fayot, non dans l'exercice émou-
vant des armes (Fayot y voyait à peine et
portait par besoin, bien plus que par genre,
un lorgnon à l'œil), mais dans toute la verve
de ses récits méridionaux, car Fayot avait
de l'esprit.
Iii
;
des pantalons collants mis en scène par
M. Etienne M. de Fontanes, qui connais-
sait ce dernier, dut trouver à la fois cette
querelle bien futile et bien sanglante. Ce
fut un glas funèbre sur tous les plaisirs de
Saint-Marcelin;
Paris que le trépas inopiné de ce jeune
on ne manqua pas chez les
universitaires de lui appliquer les vers
charmants de Virgile :
Purpurens veluti cum flos succisus aratro
Languescit moriens, lasso ve paparera collo
Demisere caput, pluviâ cum forte grnrantur.
;
toiser le questionneur inconnu, quand il fut
frappé de l'air décidé de sa physionomie il
chercha machinalement son carnet et écrivit
dessus au crayon l'adresse demandée.
Le jeune homme se rengorgea et prononça
le mot:
— Merci.
Fayot croyait en être quitte, mais il avait
compté sans son hôte.
— Voudriez-vous bien, monsieur Fayot,
me donner aussi l'adresse de votre bottier?
Ce disant, le jeune homme échangea un
nouveau regard avec Fayot, mais un regard
si fin, si acéré que force fut à Fayot de se
courber devant le jeu magnétique de cette
prunelle. Il se résigna donc, déchira une
feuille nouvelle de son carnet, et il inscrivit
l'adresse de son bottier.
Au moment de la passer au jeune homme,
il crut voir dans le groupe voisin des yeux
scrutateurs braqués sur lui. Un rire dédai-
gneux crispa sa lèvre, et, en remettant l'a-
dresse à son interlocuteur, il eut soin de
dire assez haut pour qu'on l'entendît :
— Maintenant, monsieur, il ne vous man-
que plus que la mienne, deux amis auront
demain l'avantage de vous l'apporter si
vous voulez bien me donner la vôtre.
,
Le jeune homme ne se fit pas prier, Fayot
se remit tranquillement à une table, et lut
Je journal du soir, après avoir mis la carte
de son adversaire dans sapoche.
Le jeune homme regagna pensif son hôtel ;
il avait un coup de champagne en tête, mais
l'issue probable de cette rencontre commen-
Ip, dégriser. Arrivé
çait à le Arr* depuis trois jours
à Paris, il n'y connaissait pas d'ami auquel
il pût demander de lui servir de second, et
cependant ceux de Fayot ne manqueraient
pas de venir au point du jour.
Il s'endormit d'un mauvais sommeil, et
froissant encore les deux cartes que lui avait
données Fayot, — celles de son tailleur et
de son bottier. A quoi lui serviraient à l'a-
venir ces adresses de négociants pacifiques?
— Ironie du sort, pensa le jeune homme,
c'est bien plutôt l'adresse d'un maître d'ar-
mes qu'il me faudrait.
A son réveil, il disposa de son mieux les
trois chaises de son appartement,l'une des-
tinée dans sa pensée à un médiateur in-
connu — tombé du ciel, — les autres aux
deux seconds de Fayot.
Dès neuf heures du matin, la sonnette
tinta,
— Monsieur, diront en entrant deux sport-
men irréprochables de mise et de tenue,
nous venons ici pour l'affaire de M. Fayot.
— Il suffit, messieurs, je suis à ses ordres.
L
— Vos seconds?
— Franchement, messieurs, je n'en ai pas.
— Vraiment?
— Débarqué de province depuis trois
jours, je ne connais encore à Paris que mon
correspondant, un banquier très-fort sur
— C'est une ,
mune voix les témoins de Fayot.
mystification reprirent
seconds du jeune homme. Nous nous reti-
les
- ! !
rons.
Jamais jamaiss'écria notre jeune
homme, il me fautdes témoins àtout prix.
- Ma note.
- Ma note, répétaient les deux créanciers,
Ce duel tragi-comique finit par un accom-
modement curieux. Le jeune Canais se com-
manda des effets, et l'on signa un pacte d'al-
liance.
Il n'y a que les provinciaux pour ces
!
triomphes-là
IV
DESMOULINS
;
Il eut un duel aux fléaux, des plus curieux;
c'était à coup sûr une arme nouvelle mais
Perrin, de Brichambeau, dit le beau Perrin,
s'était bien battu à la lardoire.
Pour en revenir à Desmoulins, il lui avait
été prescrit, par ordre supérieur émané de
la cour, de se nommer troisfois avant d'a-
voir une affaire. Son adresse nécessitait cette
mesure.
Il descend un soir au Cygne-Blanc, à Va-
lognes, harassé de fatigue, trempé de pluie et
mourant de faim.
Une oie magnifique tournait dans la che-
minée..
— Comme !
ça se trouve pensa-t-il, mais
elle est retenue, j'en ai bien peur!
Il s'enquiert de l'oie près de l'hôtelier, il
apprend que ce sont trois officiers à figure
aussi famélique que la sienne qui l'atten-
dent au premier étage.
— Demandez à ces messieurs s'ils veulent
bien me mettre de moitié dans leur écot. Je
porte l'épée comme eux et entre amis on se
doit secours au besoin.
L'hôtelier revint l'oreille basse dire à Des-
moulins que son offre n'avait pas été accep-
tée.
— Nous allons bien voir, dit Desmoulins.
Il s'empare de l'oie qu'ilpique avec son
épée, puis, la portant victorieusement de-
vant lui, il se montre avec ce trophée aux
trois enfants de Mars qui reculent étonnés.
— Qui êtes-vous ?
— Je suis Desmoulins !
Desmoulins !
Desmoulins
— Assez !
1
Desmoulins!
Desmoulins !
disait notre César au capitaine de la petite
troupe.
— Desmoulins! connais pas, répondit ce-
;
lui-ci allons, et vite en prison!
— Vous
Desmoulins; êtes une oie, mon cher, reprit
mais je vous oublie à la con-
dition que vous me laisserez de nouveau
dire quelques mots à celle-ci. Goûtez-en!
On grisa le capitaine du guet de la bonne
façon.
En rentrant chez lui, il trouva son por-
fier lent à lui ouvrir; il est vrai qu'il lui
:
criait à tue tête
Desmoulins!
Desmoulins!
Desmoulins!
x
CHOQUART
;
instants, vous eussiez cru voir un don Qui-
chotte décharné mais la verve railleuse et
;;
joviale de Fanfan la Tulipe jetait ses pail-
lettes sur Choquart il s'animait alors, et
il racontait à sa manière alors il était vrai-
ment beau.
Un soir qu'il tenait ainsi son auditoire
attentif dans je ne sais plus quel café, un
monsieur, asis à une table voisine, faisait
à tout ce que disait Choquart des gestes de
dénégation.
Choquart vit ce manège dans une glace.
! i
— M'sieu m'sieu s'écria-t-il furieux, ces-
sez votre jeu, ou je vous fais entrer à l'in-
!
stant dans cette carafe
Mais l'autre:
— Vous n'y pensez pas, monsieur; elle est
vide. Je m'y ennuierais.
Les rieurs furent pour le monsieur.
il
donna au régisseur
plaindre.
,
moin d'un bel et bon soufflet que M. Mazères
dont il avait à se
- Diable de !
Mazèresses pièces sont ce-
pendantassez claquées par le public, disait
Choquart; il pourrait se dispenser de les
claquer lui-même sur la joue des autres.
Il abhorrait Ancelot, sans s'expliquer à
lui-même le motif de cette aversion.
Ancelot donnait un soir une pièce, et il
regardait par le trou du rideau, qui était
baissé.
— Peu de monde, peu de monde, affectait
de dire Choquart, qui s'était placé résolû-
ment à l'autre trou de la toile.
— Ce n'est pas
:
étonnant, dit Ancelot à
quelques amis qui survenaient le temps est
beau, mon public est à la campagne.
Ancelot se vantait d'avoir à ses ordres le
noble faubourg.
— Parbleu1 m'sieu, fit Choquart en s'a-
vançant, votre public doit bien se porter,
car il est toujours à la campagne1
Il eut querelle avec Arnal au sujet d'une
pièce de Duvert qui venait couper la sienne
appelée Madame Barbe-Bleue. Il en arriva
avec Arnal, lequel allait jouer la pièce de
Duvert, à un dialogue si inj urieux que celui-
ci, blessé à juste titre d'une épithète de Cho-
quart, prit avec les pincettes une bûche au
feu pour se garer des coups que cherchait
déjà à lui porter l'irascible auteur. Or, Cho-
quart n'avait qu'une petite badine de corne
de cerf qu'un enfant eût brisée, il n'en fai-
sait pas moins avec elle le moulinet,
—
;
En
médien
pouvez!
garde, m'sieu Arnal,
parez-moi cette botte ,
cria-t-il au co-
si vous
nement et compassion ;:
considérait cette ruine humaine avec éton-
;
Gentil déjeunait un jour au café des Va-
riétés avec Choquart un monsieur se chauf-
fait près d'eux au poêle. Visage laid et grelé
comme Choquart.
— Voilà un homme dont la figure me
déplaît, grommela Choquart.
— Es-tu fou? Vois plutôt, il a son para-
t
pluie entre les jambes, tournure d'expédi-
tionnaire inoffensif, un vraiPrudhomme.
— Voilà comme tu es, toi; tu vois des
bourgeois partout. Celui-ci ale regard louche,
et il lit le Siècle. Tu vas voir.
— Que vas-tu faire ?
— Une chose bien simple, lui dire que sa
figure me déplaît?
— Mais tu le lui diras après déjeuner.
— Du tout; ça va me mettre en appétit.
Gentil voulait objecter, mais le moyen de
retenir !
Choquart Il s'avance vers le bour-
:
geois au milieu d'un silence glacial qui se
fait bientôt aux tables environnantes Cho-
quart donnait souvent de pareilles comédies.
— Que me ,
Il est près de l'homme, il touche son coude.
voulez-vous
mande le bourgeois à Choquart.
monsieur? de-
me déplaît.
— Depuis quand ?
-Mais. depuis un quart d'heure, répond
Choquart un peu décontenancé; il y a un
quart d'heure que vous êtes ici.
— Soit. Mais je dois vous déclarer que
vous êtes en retard. — Ma figure vous déplaît
depuis un quart d'heure, et à moi depuis
cinquante ans 1. Jugez!
Choquart en fut pour ses frais; il eut, de
plus, à subir les épigrammes de Gentil et les
applaudissements de la galerie.
— Tas de canailles! murmurait Choquart,
on voit bien qu'il ne vient plus ici que des
!
auteurs Tout s'en va en France, mon cher
!
Gentil Dans mon beau temps je me serais
déjà battu deux fois avant d'avaler cet œuf à
la coque.
III
;
offrirent un soir à souper au directeur et
aux auteurs. Choquart fut très-gai il n'a-
vait jamais pu parvenir à être saisi, n'ayant
jamais eu de meubles. C'était une émotion
qui lui manquait. — Gardes-du-corps et
gardes du commerce marchent souvent en-
semble, disait-il pourtant, mais je n'ai pas
de chance! Une feuille de papier timbré
;-
vaut sept sous — que j'y mette ma signa-
ture, elle ne vaut plus rien !
Quand Bouffé prit en main la direction, il
donna chez Gosselin-Véron un souper à ces
;
;
princes de la saisie ce fut à coup sûr un
festin curieux Choquart en était, privilége
fort rare. Les assignations avaient été lancées
par l'illustre Jacques Fumet, aussi chacun
s'était bien gardé d'y manquer. Les plus pi-
quantes actrices de la place de la Bourse y
faisaient assaut de luxe et de toilettes; il s'a-
gissait pour elles de se ménager des protec-
tions dans cette classe terrible de la société,
connue sous le nom d'Anglais. Après le sou-
per l'on dansa, et on ne se sépara que sur
les cinq heures du matin, c'était en été. Ces
dames logeaient presque toutes aux abords
du Vaudeville. Messieurs de la saisie leur
offraient le bras, puis bientôt retournaient
à leur domicile. On n'entendait plus que
des phrases comme celles-ci :
— !
Diable j'ai une saisie aux Batignolles
ce matin!
!
— Moi un référé au Palais !
— Moi un recollement ! etc., etc.
Eugène Briffaultles avait tous émerveillés
en buvant son champagne dans une cloche
à fromage; il fallait avaler le tout d'une
maison borgne ,
Choquart cerné, assailli à trois pas de cette
tombait bientôt sous les
coups redoublés de ces lâches. Quand on le
releva, il pût à peine indiquer son adresse
aux sergents de ville.
,
Courbé, souffreteux, infirme il n'était
:
pas rare depuis ce temps de le voir se pro-
mener dans une toilette sans nom il por-
tait une casquette grise comme celle de
Brunet dans les Jocrisse, des gants gris fou-
rés et une jaquette dépassant à peine les
hanches. Qui eût reconnu dans cette sil-
houette fantasque l'ancien beau, le garde-
du-corps? L'absinthe, cette morne conseil-
lère du désespoir, vint bientôt le trouver,
et dès lors il fut perdu. Sa parole s'empâta,
ses jambes flageolèrent, il ne marchait plus
qu'en se raccrochant aux tables du café du
Cirque. A la fin, il s'alita rue des Cascades,
à Belleville.
Ayant appris son état de dénûment, la
commission dramatique envoya son agent,
M. Peragallo, dont l'inépuisable bonté pour
les gens de lettres est connue, chercher Cho-
à
quart en voiture pour le conduire l'hos-
pice Lariboisière.
Pendant le trajet, Choquart ne soufflait
mot; en arrivant à l'avenue de l'hospice, il
demanda un verre d'eau à son guide et pen-
cha la tête un peu en arrière.
Quand son désir fut satisfait, il rendit le
verre en disant merci!
La seconde d'après, il était mort!
Il aima mieux mourir en route que d'en-
trer à l'hospice. Quand on le présenta à la
grille, on lui ferma la porte sous prétexte
qu'il n'y avait plus rien à faire pour lui,
Son propriétaire qui l'avait logé vivant pour
rien (il n'avait jamais osé lui présenter sa
quittance de loyer) fut obligé de payer son
enterrement. «Ce diable d'homme, disait-
il, j'hérite de son épée, mais sa vie et sa mort
me coûtent bien cher. »
Son voisin, voulait le faire convenir avant
d'expirer que l'absinthe était un poison.
Choquart le provoqua, se dressa sur son lit
et faillit lui couper la gorge.
Choquart était loin d'être un buveur de
sang, il s'indignait au contraire chaque fois
que l'on vantait devant lui un acte de sauva-
gerie.
— Ces gens-là déshonorent l'épée, disait-
;
il, ils en tuent d'autres qui ne savent pas
même parer un contre de quarte ce sont
des bouchers de chair humaine! Je voudrais
bien rencontrer un de ces spadassins de
profession, je le forcerais à cirer mes
bottes!
A ce propos, il aimait à raconter l'histoire
suivante, nous la tenons Philibert Aude-
brand.
C'était en 1810, dans ces jours d'en-
thousiasme royaliste, et par conséquent de
compression napoléonienne.
Un jeune homme passait sur les quais,
du côté du Louvre, avec un bouquet de vio-
lettes à la main.
Vous savez peut-être qu'il y avait alors
une chanson populaire qui désignait Napo-
léon sous le nom de Père la Violette.
En tout cas, la fleur de l'Attique était
tenue pour séditieuse, mademoiselle Mars
avait étforcée d'en arracher une guirlande
qu'elle avait fait coudre à sa robe dans une
pièce nouvelle. — Tous les petits bouquets
d'un sou étaient proscrits.
Au moment où le jeune homme passait le
pont des Arts, un officier de la garde le
regarda en face avec affectation, et de son
gant il fit ce geste terrible qui consiste à
frapper quelqu'un au visage.
—Monsieur, dit le passant, l'ignore pour-
quoi vous m'insultez, mais c'est assez, c'est
beaucoup trop. Nous allons.nous battre.
— Battons-nous sur-le-champ, c'est ce que
je demande, reprit l'officier.
On alla chercher des armes et des témoins,
ce qui prit un certain temps.
La rencontre eut lieu à. Saint-Mandé.
Après quelques passes, le jeune homme,
quoique bon tireur, était percé de part en
part d'un grand coup d'épée.
Avant de tomber, en pâlissant, il mur-
mura, s'adressant à son adversaire :
!
— Ah monsieur, que vous allez avoir de
regrets de ce que vous avez faitj C'était ce
soir la fête de ma mère, et je lui portais ces
violettes!
On eut toutes les peines du monde à em-
pêcher l'officier de la garde de se tuer à côté
de celui qui venait de tomber.
XI
LA ROSATI ET LA FERRARIS
Souvenir de MarcoSpada.
TRIOLET
FIN
TABLE
I. RICHELIEU 3
SAINT-FOIX
LACLOS
II.
III.
31
51
FLtURY.,
IV. MADAME DE NESLE ET MADAME DE POLIGNAC 73
V.
VI. -
MARTAINVILLE
97
145
VII.
VIII.
IX.
FATOT 211
DDCLOS.
CHODRUC
DESMOULINS.239
167
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8,
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i
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1»JL.
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Par M. GUIZOT. >
édition.
i vol.
1 vol.