Le Dernier Exorciste

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Père Gabriele Amorth et Paolo Rodari

MOI, LE DERNIER EXORCISTE

Traduction de l'italien par Hélène Tordo

City
© City Editions 2013

© Father Amorth, Paolo Rodari, 2012

Publié en Italie par Piemme sous le titre L'ultimo esorcista.

ISBN: 9782824640402

Dépôt légal : mai 2013 Imprimé en France


« Ce n’est pas moi qui ai peur du diable,
c'est lui qui a peur de moi. »

« Soyez sobres, veillez. Votre adversaire,


le diable, rôde comme un lion rugissant
cherchant qui il pourra dévorer. »

1 PIERRE 5 : 8
SOMMAIRE

Réveillons-nous avant qu’il ne soit trop tard

« Je te nomme exorciste »

II

« C’est ton tour »

III

La vengeance mortelle du diable

IV

Des enfants-tueurs

Le diable aime les hommes et les femmes de foi

VI

Sai Baba, le fils préféré de Satan

VII

« Nous savons bien tous deux que Satan n'existe pas »

VIII

Satan au Vatican

IX

Gloria Polo : un aller-retour pour l’enfer

L’ultime combat : Dieu contre Satan libéré de ses chaînes


Ré veillons-nous avant qu’il ne
soit trop tard

Je dois demander aux lecteurs de bien vouloir m’excuser si,


après avoir écrit tant de livres sur Satan et les exorcismes,
j’ai la prétention de me présenter à nouveau à eux, mais je
dois préciser qu'il ne s'agit pas de me répéter, mais de com-
pléter ce que j’ai déjà écrit.
Je tiens d’abord à remercier mon ami, le journaliste Paolo
Rodari, qui, avec patience et fidélité, a organisé mes ré-
flexions et mes souvenirs, et m’a aidé à les coucher sur le
papier.
Je tiens surtout à apporter une précision à propos du titre.
Le Dernier Exorciste est un titre délibérément provocateur :
il est évident que je ne suis pas le dernier exorciste de ce
monde. Il y en a d’autres, des jeunes aussi, et, après moi, il y
en aura d’autres, mais nous sommes si peu nombreux dans
le monde que chacun de nous, dans son combat quotidien, a
inévitablement l’impression d’être le dernier, le dernier
exorciste appelé à lutter contre le grand adversaire, le prince
de ce monde, bref, Satan.
Aujourd’hui encore, l’Église ne contribue guère à former une
nouvelle génération d’exorcistes, et les évêques ne font pas
grand-chose. C’est là mon inquiétude, et c'est pour cette
raison que j’ai accepté que le livre soit publié sous ce titre.
J’espère ainsi que tous les autres exorcistes, à commencer
par mes amis de l'Association internationale des exorcistes,
dont je suis le président honoraire, n’en seront pas offensés
et comprendront la raison de cette provocation. Je ne me
sens pas supérieur à eux ; je suis, comme eux, un humble
serviteur du royaume du bien, un combattant du Christ
contre le royaume du mal.
Mon propos s’appuie sur l’Évangile, saint Paul et la Vierge
Marie.
Commençons par l’Évangile. Par trois fois, Jésus nomme
Satan « le prince de ce monde ». Saint Jean précise que le
monde entier « est sous la puissance du malin » et affirme
que Jésus est venu au monde pour détruire les œuvres de
Satan. Satan est l'adversaire inlassable de Dieu.
Saint Paul va jusqu’à appeler Satan « le dieu de ce monde »
et affirme que notre lutte quotidienne n’est pas tournée vers
un être de chair et de sang, mais contre Satan et ses anges
qui nous entourent en toutes occasions.
Aujourd’hui, dans nos églises, on évoque rarement Satan et
autres, au point que même le clergé ne croit pas à son exis-
tence. Dans cet ouvrage, j’ai cependant relaté une série
d’exorcismes pour faire comprendre, à travers ces cas ex-
trêmes, que Satan existe bel et bien.
Certes, il n’est pas visible, puisqu'il est pur esprit, mais il
n’en est pas moins extrêmement actif et contre tous. Il suffit
d’assister aux exorcismes ou d’en lire les témoignages, no-
tamment lors des dialogues entre l’exorciste et le démon,
pour en avoir la preuve irréfutable.
Enfin, je m'appuie sur la très Sainte Vierge.
Trente années se sont écoulées depuis les apparitions de
Medjugorje, cette stupéfiante catéchèse sur la foi que la
Vierge adresse au monde entier.
Dans la ligne droite des messages de Fatima, c'est une pro-
phétie formidable, comme l'histoire de l'humanité n’en a
jamais connu.
Justement, la Madone parle continuellement de Satan libéré
de ses chaînes ; elle veut arracher les hommes aux griffes de
Satan pour les confier de nouveau à Dieu. Nous vivons une
époque terrible, à laquelle semble avoir triomphé
l’athéisme, c'est-à-dire le démon.
Nous voyons la dislocation de la famille, le divorce,
l’avortement, la débâcle de la jeunesse ; mais aussi le
triomphe de l’égoïsme, de la recherche du plaisir,
l’avènement de tous les vices.
Nous sommes à une époque où l’on combat la présence
même des crucifix, ce qui revient à vouloir refuser de croire
au Jésus Sauveur qui a vaincu Satan.
Que propose donc la Vierge ? Elle évoque inlassablement les
plans de Dieu et les plans de Satan. Dieu veut l’amour, la
paix, le salut éternel ; Satan veut la destruction du monde.
Notre-Dame est en train de recruter une armée sur toute la
planète.
Avec la force de la conversion, du rosaire, du jeûne, cette
armée vaincra l’armée de Satan, qui veut la guerre, la des-
truction, la damnation éternelle et cherche notamment à
parvenir à ses desseins par le biais de la possession.
Si l’on ne met pas Dieu à la première place, la famille, la
société, l’entente entre les nations ne seront plus que ruines,
mais, par-dessus tout, le projet de Dieu qui a créé l’homme
pour la félicité éternelle n’aura plus cours. Si l’on ne croit
pas à la vie éternelle, on ne peut pas comprendre quoi que ce
soit à la manière dont se déroule notre vie sur la terre.
Mon propos est d’aider le lecteur à réfléchir à sa propre
existence, qu’elle retrouve son harmonie avec le dessein de
Dieu qui lui en a fait don.
Réveillons-nous avant qu’il ne soit trop tard.

Gabriele Amorth
I
« Je te nomme exorciste »

Nous sommes le 11 juin 19 86, je suis dans les appartements


du cardinal Ugo Poletti, cardinal-vicaire de Rome. Comme
tout le monde le sait, c'est le pape qui est vicaire titulaire de
Rome, mais, depuis le XVIe siècle, le pontife délègue le
gouvernement pastoral à un cardinal.
Poletti a l’habitude de recevoir les prêtres sans fixer de
rendez-vous. Ce jour-là, je me conforme à l'usage et me
présente sans rendez-vous.
Le cardinal me reçoit sur-le-champ. Je n’ai pas de requête
particulière à adresser à mon vicaire, je souhaite seulement
bavarder un peu avec lui. Souvent, c’est la raison pour la-
quelle les prêtres s’adressent à Poletti. Il en est conscient et
ne prétend pas exiger une raison importante pour ouvrir sa
porte.
Il me demande de lui parler de mon travail au sein de la
Société Saint-Paul. Je suis, en effet, un prêtre paulinien,
juriste, passionné de mariologie, journaliste professionnel
et directeur de Madre di Dio (une revue mensuelle dédiée à
la Vierge Marie). Je ne saurais expliquer pourquoi, mais, à
un certain moment, la conversation tombe sur le père Can-
dido Amantini, celui qui, depuis trente-six ans, est
l’exorciste officiel du diocèse de Rome.
— Vous connaissez le père Candido ? me demande Po-
letti d'un air surpris.
— Oui, dis-je. Par curiosité, je suis allé à l’endroit où il
pratique ses exorcismes, au sanctuaire de la Scala Santa, à
quelques pas d'ici. J'ai fait la connaissance du père et, de
temps en temps, je lui rends visite.
Poletti est un cardinal capable de gouverner - et de prendre
des décisions. Et, lorsqu’il prend une décision, il la met
immédiatement par écrit, avec autant de paraphes clairs et
nets et de timbres au bas de la feuille.
Sans plus d’explication, il ouvre sous mes yeux surpris un
coffret posé sur sa table de travail et en sort un feuillet à
l'en-tête du diocèse pour se lancer aussitôt dans sa rédac-
tion.
Au bout d’une minute, il sort un tampon dont il donne un
coup sec, en bas à droite, sous les quelques lignes écrites à
l'encre noire sur le papier vergé.
Un pressentiment commence à se dessiner dans mon esprit,
mais je n’ose l’interroger. Je sens que je dois attendre qu’il
reprenne la parole.
— Parfait, dit le cardinal en pliant le feuillet pour le
glisser dans une enveloppe qu’il me tend sans la fermer.
— Cette enveloppe vous est destinée. Mes compliments
! Je sais que vous ferez ce qui est bien.
Pendant quelques secondes, je ne sais que dire. Je tends la
main vers l’enveloppe, et il me vient à l'esprit ce que me
disait toujours mon père spirituel à l'époque du séminaire :
« Comment savoir si l'on agit selon la volonté de Dieu ? Ce
n’est qu'en obéissant à son propre vicaire que l'on est sûr
d’être dans la bonne voie. »
***
J’ai toujours été habitué à obéir. L'idée de devenir prêtre
m’est venue à l’âge de douze ans, en 1937. J’y cédai donc,
obéissant à l’appel de Dieu.
Je n’ai jamais été attiré par d'autres voies. Même si j’avais
toujours eu des relations extrêmement cordiales avec les
jeunes filles, je me sentais porté vers le sacerdoce. J’ai donc
opté délibérément pour l’habit le plus rude, mais cela m’a
donné de la force, car, entre le mariage et le sacerdoce, j’ai
fait un véritable choix et non pas un choix théorique.
À la fin de mes études secondaires, je dus décider dans quel
séminaire postuler. Je me sentais plutôt porté vers la vie en
communauté des ordres religieux. À l'époque, j'étais attiré
par les passionnistes de la congrégation de la Passion de
Jésus-Christ, mais j’ai fini par opter pour les pauliniens.
Pour plusieurs raisons, je me trouvais un jour à Rome.
Comme je logeais pour la nuit chez le père Giacomo Albe-
rione, fondateur de la Société Saint-Paul, je lui confiai mon
souhait de devenir prêtre.
— Je dirai demain une messe pour toi, me dit-il.
Le matin, je me précipitai à la messe.
À la fin, je lui demandai :
— Dieu t'a-t-il éclairé ?
— Oui. Il m'a dit que tu devais venir chez nous. Tu dois
entrer chez les pauliniens.
Je me fie au père Alberione et je décide d’entrer chez les
pauliniens. Pas tout de suite, non. Je prends d'abord part à
la guerre et je m’enrôle dans la Résistance. Je décrocherai
d’ailleurs une médaille militaire, puis je passe mon diplôme
de droit et j'entre à la Fédération des universitaires catho-
liques italiens. Je fais la connaissance de Giuseppe Dossetti
qui me prédit un avenir radieux en politique, au sein du
Parti démocratie chrétienne.
Mais, fidèle à l’idée qui grandit en moi depuis l'adolescence,
j'entre au séminaire. Je deviens bientôt prêtre et, pendant
trente-deux ans, je travaille au sein de la Société Saint-Paul,
où j'assumerai diverses charges jusqu’en juin 1986, lorsque
le cardinal Poletti bouleverse brusquement toute mon exis-
tence.
Je décide d’ouvrir l’enveloppe et de la lire devant le cardinal.
Comme je m’y attends, le texte est concis, mais des plus
éloquents :

Rome, 11 juin 1986,


Moi, cardinal Ugo Poletti, archevêque-vicaire de
la cité de Rome, par la présente, je nomme exor-
ciste du diocèse le père Gabriele Amorth,
membre de la Société Saint-Paul. Il accompa-
gnera le père Candido Amantini chaque fois que
nécessaire.
In Fede
Card. UgoPoletti
Archevêque-vicaire de Rome

— Éminence, je...
— Mon cher père Gabriele, il n'est pas nécessaire que
vous disiez quoi que ce soit. Ainsi, j’ai décidé, et ainsi, cela
doit être. L’Église a désespérément besoin d’exorcistes, no-
tamment à Rome. Il y a trop de personnes qui souffrent
parce qu'elles sont possédées et que personne ne se soucie
de les délivrer. Il y a déjà un certain temps, le père Candido
m’a réclamé un assistant, et j’ai toujours hésité. Je ne savais
pas qui lui envoyer. Lorsque vous m’avez dit que vous le
connaissiez, j’ai compris que je ne pouvais temporiser da-
vantage. Vous réussirez, n'ayez crainte. Le père Candido est
un maître exceptionnel. Il saura comment vous pourrez
l’aider.
Je restai sans voix. Je connais mon Évangile et je sais que le
Christ a donné le pouvoir de chasser les démons aux apôtres
et à leurs successeurs, les vicaires, qui, à leur tour, peuvent
déléguer ce pouvoir à de simples prêtres. Je sais que l'Église
ne peut se passer d’exorcistes tant il y a dans ce monde de
cas de possession.
En revanche, je me demande si je me montrerai à la hauteur
de la tâche. Pourquoi moi ? Pourquoi justement est-ce à moi
que l’on confie une mission si difficile et dangereuse ?
Les racines de la lutte entre le bien et le mal, entre le Christ
et Satan, remontent à la nuit des temps. Depuis toujours,
deux armées combattent pour dominer le monde : l'armée
du Christ et l'armée de Satan. Comment se fait-il que Satan
existe ? Pourquoi l’un des plus beaux et des plus nobles
anges du paradis a-t-il décidé à un moment de se rebeller
contre Dieu et devenir le prince des ténèbres ? Personne ne
le sait. Le fait est que Satan il y a, et que son seul objectif est
d’entraîner le monde à sa propre perte, d’entraîner les
hommes à la damnation éternelle.
Dans ce combat apparemment sans fin, le pape occupe une
fonction clef : c’est lui, peut-être avant et plus que tout
autre, qui doit lutter pour que les enfers ne l’emportent pas
sur l’Église. Avec le pape, il y a tous les hommes de bonne
volonté qui appartiennent à l’Église et, parmi ces hommes,
les exorcistes jouent un rôle particulier.
Ils sont comme autant de pointes dures comme le diamant
qui montent au front pour opposer le bien au mal : des
prêtres choisis afin de chasser de l'homme et, donc, du
monde, la présence extraordinaire de Satan et de son armée,
les démons hiérarchiquement soumis à Satan.
Mais cela ne répond pas à ma question : pourquoi moi ?
Je sors du bureau du cardinal Poletti la lettre de nomination
à la main, et mille doutes et mille craintes dans la tête. Après
quelques pas, je comprends qu’une seule réaction censée
s'offre à moi pour le moment, et je m’exécute sur-le-champ.
La basilique Saint-Jean-de-Latran est la plus ancienne et la
plus noble de Rome. L’une de ses chapelles latérales con-
tient toujours le Corps saint du Christ. J’entre et je m'age-
nouille sur l’un des nombreux bancs en bois, et c’est là que
je fais ma demande au ciel. Ou plutôt à la Vierge Marie.
— Sainte Mère de Dieu, j'accepte cette charge, mais je
t'implore de me protéger sous ton manteau.
C’est une prière simple, quelques mots seulement, mais
mon sentiment est intense. Je veux obéir à mon vicaire et
mettre entre les mains de la Vierge toutes mes craintes.
Qui suis-je pour oser combattre le prince des ténèbres ?
Je ne suis personne, mais Dieu est tout. Le démon ne se
combat pas avec des forces humaines, mais avec les forces
du ciel.
Un jour, peu de temps après cette prière, je me retrouverai à
exorciser un possédé. À travers sa voix, c’est Satan qui me
parlera, qui m'agonisera d’injures, de blasphèmes, d'accu-
sations et de menaces, mais, à un moment, il me dit :
— Prêtre, va-t'en. Laisse-moi tranquille.
— Toi, va-t’en ! je réponds.
— Je t'en prie, prêtre, va-t’en. Contre toi, je ne peux
rien.
— Dis-moi, au nom du Christ, pourquoi tu ne peux
rien?
— Parce que tu es sous la protection de ta Sainte Mère.
Ta Vierge étend son manteau sur toi et m’empêche de t'at-
teindre.
Jusqu’en 1986, je ne peux pas dire que je croyais à
l’existence de Satan. Bien entendu, j’avais entendu parler de
lui. J'avais soigneusement étudié le catéchisme et la doc-
trine de l’Église catholique ; je savais qu’au bien s'opposait
toujours le mal ; qu’au Christ et à son royaume s’opposaient
toujours Satan et son royaume.
Mais je n'avais jamais eu, comment dire, d’expérience di-
recte avec Satan. Je n’avais jamais dû l'affronter face à face.
Le mal avait simplement toujours fait partie de mon exis-
tence comme de l'existence de tout un chacun.
Quand j’étais petit, j’assistais à la messe avec mon père et
ma mère à Modène, la ville où je suis né. Souvent, il
m’arrivait de m’endormir sur le sol, sous le banc, aux pieds
de mes parents.
Lorsque je dormais ainsi au lieu de courir dans les allées de
la nef de l’église, ma mère me donnait une récompense, en
général un bonbon. En revanche, si je m’agitais sans cesse et
que je faisais du bruit, je n’avais droit à aucune récompense.
Pour moi, c’était cela le bien et le mal ; c'étaient les sourires
de ma mère et mes caprices ; les gifles et les caresses de mon
père ; les pleurs et les consolations.
J’eus cependant une perception plus claire du mal lorsque je
me confessai pour la première fois. C’est là que je compris
que le mal était une chose sérieuse dont il fallait s'amender.
On m’enseigna à me confesser toutes les semaines et on me
disait :
— Sais-tu quel est le meilleur remède contre le mal ? La
confession une fois par semaine.
Ils avaient raison et, encore aujourd’hui, en effet, j’affirme
qu’une confession sincère donne de meilleurs résultats
qu’un exorcisme. La confession remet l’homme entre les
mains de Dieu. Lorsqu’une personne se réconcilie avec
Dieu, cela rend Satan fou de rage.
Il se sent vaincu. Il devient furieux. La confession terrasse
ses plans démoniaques. Satan a beaucoup de mal à s'empa-
rer du corps de ceux qui sont en état de grâce. Dieu est avec
eux. La Madone est avec eux. Et Dieu et la Madone sont plus
forts que Satan.
Je confiais mes péchés à mon confesseur. Je lui confiais
mon mal, certes, mais je n’avais pas en moi une perception
aussi nette du fait que, derrière ce mal, il y a un esprit vi-
vant, actif, toujours aux aguets. Je le savais, mais d’une ma-
nière toute théorique et, même lorsque, après l’adolescence,
je choisis de devenir prêtre, je pensais à tout sauf au fait que,
pour moi, devenir prêtre serait un jour comme être une
épine dans le flanc de Satan.
À l’époque, la prêtrise m'apparaissait être la réponse à un
désir venu du plus profond de mon cœur d’enfant, et, en
même temps, une renonciation à la carrière politique que
l’on m’avait fait clairement - et brillamment - miroiter.
À vingt et un ans, en 1946, je fus nommé vice-délégué na-
tional de Giulio Andreotti, président de l'époque du mou-
vement des Jeunesses démocrates-chrétiennes. J'étais ad-
hérent du groupe politique qui rassemblait des hommes
comme Giorgio La Pira, Giuseppe Dossetti, Amintore Fan-
fani et Giuseppe Lazzati. Lorsqu’Andreotti fut promu au
poste de secrétaire de la présidence du conseil, on me pro-
posa de prendre sa place. Je n’y songeai pas un seul instant.
J’abandonnai la politique et je cherchai ma place parmi les
fidèles de Dieu. J’arrivai ainsi jusqu'au père Alberione et je
devins paulinien. Je fus ordonné prêtre en 1954 et, de 1954 à
1986, soit pendant trente-deux ans, je fus un simple prêtre
paulinien qui assuma diverses charges à divers niveaux du
directoire de la confrérie.
Au cours de toutes ces années, je n’eus jamais de rapport
direct avec Satan.
Sauf une fois.
J’étais alors prêtre depuis peu ; je ne me souviens pas exac-
tement depuis combien de temps. Pendant une semaine,
j'allai prêcher dans une paroisse à une dizaine de kilomètres
de Brescia.
Le curé s’appelait Faustino Negrini et il officiait là depuis
quarante ans. Il était extrêmement apprécié par les deux
mille âmes qui l'adoraient et le suivaient en tout. Un jour, il
me dit :
— Viens avec moi !
Et il m'entraîna vers la sacristie où se trouvait une femme
qui se présenta ainsi :
— Bonjour, je suis Agnese Salomoni.
Je n’ai plus jamais oublié son nom et, encore aujourd’hui, je
me souviens du timbre de sa voix.
Je ne sais pas pourquoi Don Faustino le fit. Il voulait
peut-être me faire participer à tous les événements impo-
sants de sa paroisse. Quoi qu'il en soit, il voulait qu’Agnese
me raconte elle-même son histoire. Je demeurai donc à
l’écouter pendant longtemps et je fus atterré.
Agnese avait seize ans lorsque Satan était entré en elle.
Pourquoi la tourmentait-il ? Le père Faustino, qui avait ob-
tenu du vicaire de son diocèse l'autorisation de pratiquer
l’exorcisme, posa - au cours d'une séance d’exorcisme sur
Agnese justement - la même question à Satan.
— Pourquoi es-tu entré en elle ? Réponds-moi au nom
du Christ.
Quand je pense encore aujourd’hui à la réponse que Satan
nous a donnée ce jour-là, je reste à nouveau sans voix :
— Parce qu’Agnese est la plus sainte de toute la pa-
roisse, la plus pure, la plus vierge. Et c’est pour cela que je
l'ai faite mienne.
C’est là un grand mystère. Il est vrai que ceux qui bénéfi-
cient de la grâce de Dieu n'ont rien à craindre. Que Satan ne
peut pas grand-chose contre ceux qui vivent dans la grâce de
Dieu.
Mais il est également vrai que Satan est puissant et qu’il
désire surtout faire siens les plus saints, ceux dont le corps
et l’âme sont entièrement voués à Dieu.
Les séances d’exorcisme pour délivrer Agnese furent parti-
culièrement ardues : des heures et des heures de lutte âpre,
et ce, pendant des années.
Un jour, le père Faustino la conduisit jusqu’au père Pie1 de
Pietrelcina, n'hésitant pas à parcourir des centaines de ki-
lomètres pour lui demander de l'aide. Sur le trajet qui les

1 Padre Pio en italien.


conduisit en voiture de la Lombardie jusque dans les
Pouilles, tout leur arriva.
La voiture ne cessait de tomber en panne alors qu’elle était
en parfait état de marche. Don Faustino fut contraint à plu-
sieurs reprises de s’arrêter et de vérifier le moteur pour es-
sayer de comprendre ce qui n'allait pas. Ce n’est que lors-
qu’il récitait une prière que l’automobile repartait comme
par magie, pour s’arrêter net, parfois seulement au bout de
quelques kilomètres. Dans l'ensemble, ce fut un voyage ex-
ténuant et interminable.
Le père Pie n’était pas exorciste, mais il parvenait à chasser
quelques démons à coups de simples bénédictions et
prières. Satan craignait le père Pie. Tous les arrêts de la
voiture pendant le trajet, l’attitude craintive ou parfois fu-
ribonde de la possédée étaient autant d’indices significatifs
quant à la crainte que Satan entretenait à l’égard du frère
originaire de Pietrelcina. Le père Pie ne fit rien ou presque,
et, s'il exorcisa Agnese, il ne la délivra pas.
Au cours du voyage de retour, Satan était euphorique, et il
se mit à railler le père Pie. À travers la bouche d’Agnese, il
hurlait : « J’ai réussi ! J’ai réussi ! » Il riait et hurlait ; il était
ivre de joie ; et la voiture parcourut tous les kilomètres qui
séparaient San Giovanni Rotondo de Brescia sans faire une
seule halte. Plus aucune panne. Satan n’avait plus besoin
d’entraver le voyage, mais, ce qu’il ignorait, c’est que
l’exorcisme du père Pie avait été efficace à sa manière.
Après quelque temps, Agnese fut, en effet, délivrée. Le père
Faustino demanda à Satan de lui dire, au nom du Christ,
quand il s’en irait du corps de la possédée, et Satan fut con-
traint de lui en révéler l’heure et le jour.
Les paroissiens furent tous convoqués sur le parvis de
l’église et, à peine le rite fut-il entamé, c'est devant toute la
foule des paroissiens qu'Agnese fut délivrée en l’espace d’un
instant. La joie et le soulagement régnèrent alors dans tout
le village.
J’ignore la raison pour laquelle Dieu me fit croiser le chemin
d’Agnese Salomoni peu de mois après mon ordination. Il
voulait peut-être me donner un échantillon de ce que j'au-
rais à combattre quelques années plus tard. Il reste que, du
jour où je suis né jusqu'en 1986, Agnese Salomoni demeura
l’unique expérience d’un contact direct que j’eus avec le
démon.
Les voies de Dieu sont impénétrables - et ses desseins le
sont davantage. À soixante ans, il est encore possible de
changer de vie brusquement. Dieu peut envoyer une vio-
lente secousse à n’importe quel moment de la vie d’un
homme.
Quelques jours après mon entretien avec le cardinal Poletti,
je me rends chez le père Candido Amantini. Je lui tends la
lettre de ma nomination, qu'il lit et, sans émotion particu-
lière, déclare :
— Bien, commençons tout de suite. Tu as deux choses à
faire. Premièrement, procure-toi le rituel des exorcismes. Il
est en latin. Lis les vingt et une règles qui précèdent le rite et
apprends-les par cœur. Sans ces règles, tu seras vaincu.
Deuxièmement, entraîne-toi chez toi, seul.
J’obéis au maître et étudie les vingt et une règles. Les pre-
mières me font grande impression.
Il s’agit d’enseignements d’ordre général, qui expliquent
qu’il n’est pas nécessaire de croire que tous ceux qui affir-
ment être possédés le sont réellement. La majeure partie des
individus souffre seulement de graves problèmes psycholo-
giques.
Elles précisent également que le diable a tendance à vouloir
se dissimuler et que, par conséquent, il faut être extrême-
ment prudent, mais aussi extrêmement rusé. Il faut débus-
quer le diable.
Quels sont les signes de la présence du démon Parler cor-
rectement des langues inconnues ou comprendre ceux qui
les parlent ; connaître des faits lointains ou secrets ; mani-
fester une force supérieure à l’âge et à la condition naturelle,
et autres phénomènes du même genre.
Je commence donc à pratiquer des exorcismes seuls.
J’apprends les formules du rituel et, une fois que je les maî-
trise, je commence à intervenir sur les possédés, d’abord aux
côtés du père Candido, puis seul.
Mais c'est le père Candido qui m’a appris tous les trucs du
métier.
Personne ne peut pratiquer un exorcisme s’il ne connaît pas
les vingt et une règles. Elles n’existent que dans une seule
langue, le latin, et ne sont pas accessibles à tous. Elles ne
sont utiles qu'aux exorcistes.
Elles affirment que, pour acquérir une meilleure connais-
sance de la personne que l’on a devant soi, après une ou
deux séances, il faut interroger le possédé sur ce qu’il per-
çoit, dans son esprit ou dans son corps, pour repérer quelles
sont les paroles qui perturbent les démons. Ensuite, il faut
insister et répéter lesdites paroles de plus en plus souvent.
Il faut également déceler les artifices et les ruses dont les
démons usent pour décourager l'exorciste. Leurs réponses
sont souvent mensongères, et les démons peuvent continuer
à mentir sans relâche, jusqu'à éreinter l'exorciste qui risque
alors de renoncer ; ou bien, la victime feint d’être souffrante
et non pas possédée par le démon.
Il arrive que, après s'être manifestés, les démons se dissi-
mulent et laissent le corps libre de tout tourment, au point
que le possédé croit être totalement délivré, mais l'exorciste
ne doit pas pour autant cesser son œuvre avant de constater
les signes tangibles de la délivrance.
Il arrive également que les démons mettent en œuvre toutes
les entraves possibles pour que le possédé ne se soumette
pas aux exorcismes ou qu'il finisse par se convaincre qu’il
souffre d’une maladie parfaitement naturelle. Parfois, au
cours des séances, le possédé s'endort, et les démons lui
montrent une vision, en se dissimulant, au point que le
malade semble délivré.
Certains possédés affirment avoir été l’objet d’un maléfice,
c'est-à-dire qu'ils sont capables de désigner celui qui en est
responsable et de quelle manière ils peuvent en être libérés.
Dans ce cas, il faut veiller à ne pas se tourner vers les mages,
les voyants et autres charlatans au lieu de privilégier les
ministres de l’Église. Il ne faut jamais avoir recours à
quelque forme de superstition que ce soit ou autres mé-
thodes illicites.
D'autres exemples montrent que le démon laisse au possédé
des temps de pause plus ou moins longs, lui permet même
de recevoir la communion sans se manifester, au point que
la victime paraît délivrée.
Les artifices et les fourberies du démon pour tromper
l’homme sont innombrables. Il est du devoir de l’exorciste
de se montrer d’une prudence extrême pour ne pas se laisser
tromper par cette perfidie.
Jésus dit que « cette sorte de démon ne sort que par la
prière et par le jeûne ».
C’est pourquoi, fort de ces paroles, l’exorciste doit s’efforcer
d’exploiter ces deux remèdes d'une extrême puissance pour
implorer l'assistance divine et expulser les démons en sui-
vant, personnellement ou en chargeant un autre de prier et
de jeûner, l’exemple des Pères de l'Église dans la mesure du
possible.
Si la chose est commode, les possédés doivent être exorcisés
dans l’église ou un autre local religieux accessible, et tou-
jours loin de la foule. Toutefois, si le possédé est malade (ou
pour tout autre motif valable), l’exorcisme peut également
être exécuté dans sa maison.
Il faut demander au possédé de prier pour son âme, et, s’il
en est capable physiquement et mentalement, de jeûner, de
recevoir régulièrement la confession et la communion pour
lui apporter davantage de soutien. Bref, de suivre les indi-
cations du prêtre en la matière.
En outre, pendant la séance, la victime doit se recueillir, se
tourner vers Dieu avec une foi ferme et une humilité sans
défaillance pour implorer Son salut. Enfin, malgré la puis-
sance de ses tourments, le possédé doit supporter avec pa-
tience la présence du démon sans douter un seul instant du
soutien de Dieu.
Le possédé doit tenir le crucifix entre ses mains ou l'avoir en
vue. Si possible, il peut aussi avoir recours aux reliques des
saints et doit les tenir avec fermeté, enveloppées dans un
linge qui peut être posé sur sa poitrine ou sur sa tête.
Toutefois, ici encore, il est essentiel d'être des plus vigilants
: les articles sacrés ne doivent pas être traités de manière
indigne et ne doivent pas risquer de subir des dommages à
cause du démon.
Plus précisément, il ne faut jamais poser l'eucharistie sur la
tête du possédé ou sur une autre partie de son corps, car, en
effet, le risque d’irrévérence est immense.
Par ailleurs, l'exorciste ne doit pas se laisser aller à pronon-
cer trop de paroles, pas plus que de questions superflues ou
suscitées par la simple curiosité, notamment en ce qui con-
cerne des faits cachés ou futurs qui ne concernent pas son
office.
Il est là pour imposer à l’esprit immonde de se taire sauf
pour répondre à ses questions.
En outre, il ne doit jamais croire le démon qui affirme,
comme cela se produit souvent, être l’âme d’un saint ou d'un
défunt, ou encore d’un ange bienveillant.
Certaines questions sont nécessaires, et l'exorciste doit les
connaître et les poser. Il doit demander au démon : « Qui
es-tu ? Es-tu seul ou êtes-vous plusieurs ? Combien
êtes-vous entrés dans cette personne ? Pourquoi avez-vous
décidé de posséder cette personne ? »
En ce qui concerne les autres manifestations du démon (les
ricanements, les blasphèmes, les insultes, les objets qui jail-
lissent inexplicablement de la bouche des possédés, les
inepties), l’exorciste doit les ignorer ou chercher à les arrê-
ter. Il doit également avertir ses assistants (un petit nombre
de personnes soigneusement préparées) qu’ils ne doivent
prêter aucune attention à toutes ces manifestations et ne
jamais parler au possédé.
En général, ils ne sont là que pour implorer Dieu avec hu-
milité et persévérance.
Les exorcismes doivent être déclamés ou lus avec la plus
grande autorité, une foi indestructible, humilité et ferveur.
Au fur et à mesure que l'exorciste remarque que ses paroles
tourmentent l'esprit malin, il insistera et donnera encore
plus de force à ses déclamations.
Lorsque l’exorciste décèle que le possédé souffre en quelque
partie de son corps, qu'il est frappé ou qu'apparaît en
quelque endroit de son corps un bubon, il doit faire le signe
de la croix et asperger l'endroit d'eau bénite qu’il doit tou-
jours avoir à portée de main.
L’exorciste doit également apprendre à observer quels sont
les mots auxquels le démon réagit le plus vivement afin de
les répéter inlassablement, parfois jusqu’à la fin de la
séance. Et lorsqu’il reprend le contrôle de la situation, il doit
continuer à répéter ces mots afin d’augmenter la punition.
S’il repère une évolution, il doit continuer pendant deux,
trois, voire quatre heures et plus, jusqu’à ce qu’il obtienne
du succès.
L’exorciste doit se garder d’administrer ou de conseiller un
traitement médical quel qu'il soit, et laisser cette tâche aux
médecins.
Pour les exorcismes de femme, il faudra prévoir la présence
d'une personne loyale, qui maintiendra la possédée lors-
qu’elle est agitée par le démon. Si possible, il vaut mieux que
cette personne appartienne à la famille de la possédée. En-
fin, l'exorciste doit se garder au mieux de dire ou de faire
quoi que ce soit qui engendre de mauvaises pensées chez lui,
chez la possédée ou les autres personnes.
Au cours de l’exorcisme, on usera régulièrement des paroles
de l’Écriture sainte, mais aussi d’autres sources et des pa-
roles adaptées à chaque cas. Cela impose de faire dire au
démon s’il est entré dans le corps par le biais de la magie, de
maléfices ou encore parce que le possédé pourrait avoir in-
géré des produits maléfiques.
Dans ce cas, il faut le faire vomir. En revanche, s’il s'agit
d’articles externes à la personne, l’exorciste doit obliger le
démon à indiquer où ils sont afin de les retrouver pour les
brûler ensuite. Il faut avertir le possédé de révéler à l'exor-
ciste toutes les tentations auxquelles il est soumis.
Si le possédé est délivré, il faut l’admonester soigneusement
de se garder du péché afin de ne pas offrir au démon
l’occasion de revenir. Dans ce cas, sa condition peut être
encore pire qu’elle ne l'était avant sa première délivrance.
Voilà donc les règles générales que l’on peut lire dans le
manuel ancien du rituel écrit en latin. Ce sont les règles que
le père Candido me demanda d’apprendre par cœur avant
de commencer à pratiquer les exorcismes.
Il s’agit de règles fondamentales. Cependant, il faut ajouter
que, pendant la bataille, tout peut arriver ; et il peut no-
tamment arriver que tout ce que l'on a appris ne soit guère
utile, voire pas du tout.
Dans ce cas, la seule solution consiste à implorer l’aide de
quelqu’un de plutôt spécial.
Je ne saurais dire combien de fois la Sainte Vierge est venue
à mon secours. Elle s'est tenue à mes côtés depuis le premier
exorcisme, et encore auparavant, depuis toujours, pendant
toute ma vie.
La guerre éclata avant mon ordination et, comme tous les
hommes de bonne volonté, je quittai ma famille et mes
proches pour m'engager dans le conflit.
Je savais que le père Alberione avait consacré par un vœu
ses fils spirituels à Marie, afin qu’elle les protège tous. Je fis
de même. Je demandai au père Alberione de me consacrer
ainsi que tous les miens à Marie-Reine des apôtres.
La guerre s’acheva, mais je n'en subis aucune blessure et je
ne fus même jamais frôlé par une seule balle. Mes frères, qui
furent exposés à de terrifiants dangers, s’en sortirent éga-
lement indemnes.
C’est une chose qui a eu une grande signification pour moi.
Jusqu’à un peu de temps avant d’être ordonné prêtre, il
demeurait dans mon esprit un doute inhérent non pas tant à
l’ordination elle-même, mais plutôt à l'endroit où Dieu
voulait que je sois prêtre.
Je pensais : Est-ce le bon choix de vouloir entrer chez les
pauliniens ? Est-ce vraiment là que Dieu veut que je sois ?
Ou veut-il que j’aille ailleurs ?
Je repoussai tous mes doutes le jour même de mon ordina-
tion. En saluant Don Alberione, ma mère lui tint ce dis-
cours:
— C’est grâce à votre consécration à la Madone que mon
Gabriele et ses frères doivent leur salut.
Je pleurais de joie : d’un simple constat, ma mère m’avait
confirmé que la Madone m’avait protégé grâce à la consé-
cration du père Alberione et que c'était chez les pauliniens
qu'elle voulait que j’entre. La Madone m'avait sauvé de la
mort durant la guerre afin que je devienne prêtre et pré-
cisément paulinien.
Je dois cependant dire que le fait de consacrer une personne
au Cœur immaculé de Marie signifie que l'on érige autour
d’elle un bouclier invisible, mais tout aussi impénétrable.
Pourquoi les mères d’aujourd’hui ne consacrent-elles plus
leurs enfants à la Vierge ?
Il suffirait de peu, d'une simple prière faite avec un prêtre
dans cette intention. Tous les enfants devraient être consa-
crés au Cœur immaculé de Marie et ils bénéficieraient d’une
protection exceptionnelle.
Le bouclier de la Vierge me protège encore aujourd’hui. Sa-
tan lui aussi le sait bien puisque, lors d'un exorcisme, lors-
que je nomme la Sainte-Mère, il se met à trembler et à
pleurer comme un petit enfant.
Conscient que Notre-Dame constitue la meilleure protection
dont je puisse me doter, je le laisse pleurer. Je sais que, d’un
simple battement de cils, la Sainte Vierge est capable de
chasser Satan pour le précipiter là où il mérite de demeurer,
c’est-à-dire en enfer.
Ma vie a toujours été placée sous le signe de la Vierge. Je l’ai
compris de manière inexorable en 1959, le 13 septembre,
lorsque l’Italie fut consacrée au Cœur immaculé de Marie.
Cela se passait à Catane, en Sicile, lors de la conclusion du
XVIe Congrès eucharistique national, une admirable sym-
phonie entre le culte eucharistique et la vénération de Ma-
rie. Cet événement avait pour but de restituer la nation à la
Vierge afin de réveiller la ferveur chrétienne, augmenter les
vocations et la fréquentation du culte, et inciter à un nouvel
engagement de la pratique chrétienne dans la société.
À ma grande surprise, on me confia l’organisation de
l’événement. Je devais commencer à le préparer des mois à
l’avance, afin de faire venir dans tous les chefs-lieux italiens
la statue de la Madone de Fatima.
Ce fut une année de dur labeur ; une année dédiée à la Ma-
done, au royaume de la lumière. Je n’aurais jamais imaginé
que, par la suite, j’aurais à prendre les armes à nouveau
pour la Madone et ce royaume de lumière, mais dans un
autre uniforme, celui d’exorciste.
II
« C’est ton tour »

Mon premier duel contre Satan

Chaque fois que je pratique un exorcisme, je me lance dans


une nouvelle bataille, et, avant de combattre, j'endosse ma
cotte de mailles : une étole violette dont les pans sont plus
longs que ceux de l'étole que portent habituellement les
prêtres pour dire la messe. Souvent, j'enveloppe l’étole au-
tour des épaules du possédé, une technique efficace qui
permet notamment d’apaiser les possédés lorsque, au cours
de l’exorcisme, ils se mettent en transe, bavent, hurlent,
acquièrent une force surhumaine, voire attaquent directe-
ment.
J’emporte aussi le livre de latin contenant les formules
d'exorcisme, de l’eau bénite dont j'asperge parfois le possé-
dé, et un crucifix incrusté de la médaille de saint Benoît, une
médaille très particulière qui plonge Satan dans
l’épouvante.
Le combat dure généralement plusieurs heures, et il ne se
termine pratiquement jamais par la délivrance. Pour déli-
vrer un possédé, il faut, en effet, compter plusieurs années,
parfois très nombreuses. Satan aime se dissimuler et il est
particulièrement difficile à débusquer. Il fait tout pour ne
pas se dévoiler, et tout le travail de l’exorciste est de le
pourchasser. Il doit d’abord l’obliger à révéler son nom,
puis, au nom du Christ, il doit l’obliger à sortir.
Pour se défendre, Satan utilise tous les moyens. L'exorciste
peut se faire aider par des assistants qu'il chargera notam-
ment de maintenir le possédé en cas de crise. Attention :
aucun de ces assistants ne doit parler avec le possédé sous
peine de voir Satan les attaquer.
Seul l’exorciste est autorisé à parler avec le possédé ; les
assistants ne sont pas là pour dialoguer avec Satan : leur
seule tâche est d’obéir aux ordres ; s’ils dialoguent avec Sa-
tan, il les plongera dans la confusion jusqu'à les dominer
totalement.
Désormais, je pratique de cinq à six exorcismes par jour,
mais il y a encore quelques mois, j’en pratiquais bien da-
vantage, jusqu'à dix ou douze.
Je pratique tous les jours, dimanche compris, ainsi qu'à
Noël. Au point qu’un jour, le père Candido me dit :
— Tu dois prendre quelques jours de repos. Tu ne peux
pas exorciser sans cesse.
— Mais je ne suis pas comme toi, répondis-je. Tu pos-
sèdes un don que je n’ai pas. Il te suffit de recevoir une
personne pendant quelques minutes pour être capable de
dire si elle est ou non possédée. Moi, je n’ai pas ce don.
Avant de comprendre, moi je dois recevoir la personne et
tenter un premier exorcisme.
Avec les années, j’ai acquis beaucoup d'expérience, certes,
mais cela ne signifie pas que le « jeu » est plus facile.
Chaque exorcisme est un cas en lui-même. Les difficultés
que j’éprouve aujourd’hui sont les mêmes que celles aux-
quelles j’ai dû faire face la première fois lorsque, après des
mois d’essais, seul chez moi, le père Candido me déclara :
— Courage, c'est ton tour. Aujourd’hui, tu te lances
dans la bataille.
— Es-tu vraiment sûr que je sois prêt ?
— Personne n'est jamais prêt pour ce genre de choses,
mais tu es suffisamment préparé pour commencer. Rap-
pelle-toi simplement que chaque bataille comporte ses
risques propres. Ne livre qu'une bataille à la fois.
***
L’Antonianium, l’université pontificale de Saint-Antoine, est
un grand complexe de bâtiments situés via Merulana, à
Rome, à peu de distance de la place Saint-Jean-du-Latran.
C’est là, dans une salle à laquelle peu de personnes ont ac-
cès, que je pratiquai mon premier grand exorcisme, le 21
février 1987.
Le père Massimiliano, un frère franciscain d’origine croate,
avait demandé de l’aide au père Candido pour le cas d'un
paysan de la région de Rome qui, à ce qui lui semblait, avait
besoin d’être exorcisé. Le père Candido lui avait répondu en
ces termes :
— Je n’ai pas le temps. Je t’envoie le père Amorth.
J’entrai seul dans la pièce de l’université. J’avais quelques
minutes d’avance et je ne savais pas à quoi m’attendre.
J’avais pratiqué encore et encore, et j’avais étudié tout ce
qu’il était possible d'étudier, mais le fait d'opérer sur le ter-
rain est une autre chose. Je ne savais pas grand-chose de la
personne que je devais exorciser, car le père Candido était
resté plutôt vague.
C’est le père Massimiliano qui pénétra le premier dans la
pièce, suivi par un individu fluet de vingt-cinq ans environ,
maigre, dont on remarquait aussitôt les humbles origines.
On voyait que, chaque jour, il devait s’atteler à un labeur
d’une grande beauté.
Ses mains étaient osseuses et ridées, des mains qui travail-
laient la terre. Avant que nous commencions à parler entra
une troisième personne que je n’attendais pas.
— Qui êtes-vous ? demandai-je.
— Je suis l’interprète, répondit-elle.
— L’interprète ?
Je me tournai vers le père Massimiliano pour lui demander
des explications. Je savais qu’il ne fallait pas laisser assister
une personne non préparée à un exorcisme : cela pouvait lui
être fatal. Durant les séances, Satan attaquera plus volon-
tiers les personnes présentes qui ne savent pas à quoi
s’attendre.
Le père Massimiliano me rassura :
— Je ne vous en avais pas parlé ? Lorsqu’il est en transe,
il ne parle que l’anglais. Il nous faut donc un interprète, si-
non, nous ne pouvons pas comprendre ce qu’il dit. Cet in-
terprète a été préparé : il sait comment se comporter et ne
commettra aucune bévue.
J’endossai mon étole, je pris le bréviaire et le crucifix dans
mes mains, après avoir placé l’eau bénite à ma portée, et je
commençai à réciter l'exorcisme en latin.
— Ne te souviens pas, Seigneur, de nos fautes, ni de
celles de nos proches, et ne tire pas vengeance de nos pé-
chés. Notre Père qui es aux cieux [...] et ne nous soumets pas
à la tentation, mais délivre-nous du mal.
Le possédé était aussi immobile qu’une statue de sel. Il ne
parla pas plus qu’il ne réagit. Il demeura immobile sur la
chaise en bois où je l'avais fait asseoir.
Je récitai alors le psaume 53 (54) :
— Ô Dieu ! Sauve-moi par ton nom et rends-moi justice
par ta puissance ! Ô Dieu, écoute ma prière, prête l’oreille
aux paroles de ma bouche ! Car des étrangers se sont levés
contre moi. Des hommes violents en veulent à ma vie ; ils ne
portent pas leurs pensées sur Dieu...
Pas plus de réaction. Le paysan demeurait silencieux, le
regard rivé au sol.
— Voici, Dieu est mon secours, le Seigneur est le sou-
tien de mon âme. Le mal retombera sur mes adversaires ;
anéantis-les dans ta fidélité ! Je t'offrirai de bon cœur des
sacrifices ; je louerai ton nom, ô Éternel ! Car il est favo-
rable, car il me délivre de toute détresse, et mes yeux se ré-
jouissent à la vue de mes ennemis. Gloire à Notre Père...
Sauve ton serviteur ici présent, qui n’espère qu’en toi, ô
Dieu. Seigneur, sois pour lui une forteresse inexpugnable !
Contre tout ennemi, que cet ennemi ne l'emporte en rien sur
lui. Et que le fil du mal ne puisse jamais lui nuire. De ton
sanctuaire, ô Seigneur, envoie à son aide, et de Sion pro-
tège-le. Seigneur, exauce ma prière. Et que mon cri monte
vers toi. Le Seigneur soit avec vous et avec votre esprit.
C’est à ce moment-là que, brusquement, le paysan leva la
tête pour me fixer. Dans le même instant, il laissa échapper
un hurlement épouvantable de rage. Il était devenu rouge et
se mit à lancer des invectives en anglais, mais il demeurait
assis et ne s’approcha pas de moi, comme s'il me craignait.
Cependant, dans l'ensemble, toute son attitude était ef-
frayante.
— Mon père, arrêtez ! Taisez-vous ! Taisez-vous donc !
Il poursuivit par des blasphèmes, des injures et des me-
naces.
J’accélérai le rite.
— Seigneur Jésus-Christ, qui a rejeté aux feux de la
géhenne ce maître transfuge et apostat : toi qui as envoyé
dans ce monde ton Fils unique, pour écraser cette bête ru-
gissante ; hâte-toi, fais attention, empresse-toi d’arracher à
la ruine et au démon de midi cette créature faite à ton image
et à ta ressemblance. Jette, Seigneur, toutes tes terreurs sur
cette bête féroce, qui veut ravager ta vigne. Donne force et
courage à tes serviteurs pour combattre cet abominable et
maudit dragon, de peur qu’il n’en vienne à mépriser ceux
qui mettent en toi leur confiance et qu’il ne dise comme au-
trefois Pharaon a déjà dit à Moïse : « Je ne connais point
l’Éternel, et je ne laisserai pas partir Israël. » Que ta main
puissante le force à se retirer de ton serviteur, et qu'il n’ait
pas l’audace de retenir plus longtemps captif celui que tu as
daigné créer à ton image et que tu as racheté par ton Fils.
Qui vit et règne avec toi dans l’unité du Saint-Esprit dans
tous les siècles des siècles.
Le possédé continuait à hurler :
— Tais-toi ! Tais-toi ! Silence !
Il se jeta sur moi, fou de rage, et me fit penser à un lion prêt
à bondir. De toute évidence, il me considérait comme sa
proie.
Je compris que je devais poursuivre et j’arrivai jusqu’au
Præcipio tibi (« Je te commande »).
Je me souvenais parfaitement de ce que m’avait dit le père
Candido lorsqu’il m’avait enseigné quelques astuces : «
N'oublie jamais que le Præcipio tibi est souvent la prière
résolutive. Souviens-toi qu'il s'agit de la prière que les dé-
mons craignent le plus. Je crois vraiment qu'elle est la plus
efficace. Lorsque le jeu se fait plus difficile, lorsque le dé-
mon est furieux, qu’il paraît fort et invincible, n’hésite pas à
y venir le plus vite possible. Tu en tireras de nouvelles forces
pour la bataille. Tu constateras combien cette prière est ef-
ficace. Récite-la à voix haute, avec autorité. Lance-la sur le
possédé et tu en verras les effets. »
— Je te commande, qui que tu sois, esprit immonde, et
je commande à tes compagnons, à vous tous qui obsédez ce
serviteur de Dieu, que, par les mystères de l’Incarnation, de
la Passion, de la Résurrection et de l’Ascension de
Notre-Seigneur Jésus-Christ, par la mission du Saint-Esprit
et par l'avènement même de ce même Notre-Seigneur qui se
fera au jour du Jugement, tu me dises ton nom, le jour et
l'heure de ta sortie par un signe quelconque, et qu'à moi,
serviteur de Dieu, quoique indigne, tu obéisses à l’instant
même en tout ce que je te commanderai. Enfin, que tu ne
puisses faire du tort en aucune manière à cette créature de
Dieu ou à ceux qui sont autour de nous, pas plus qu’à tout ce
qui lui appartient.
Le possédé continuait cependant à hurler, mais sa lamenta-
tion ressemblait à un hululement qui paraissait venir des
viscères de la terre.
J’insistai.
— Je t’exorcise, esprit très impur, ainsi que toute en-
treprise de l’ennemi, toute illusion, toute légion ; au nom de
Notre-Seigneur Jésus-Christ, arrache-toi d’ici et va-t'en
hors de cette créature de Dieu.
Le hurlement se fit plainte, de plus en plus forte et presque
comme si elle n’allait jamais cesser.
— Écoute donc, Satan, et tremble, ennemi de la foi,
ennemi du genre humain, fournisseur de la mort, voleur de
vie, détrousseur de justice, source de tous les maux, séduc-
teur des hommes, traître des peuples, entreteneur de jalou-
sie, montre d’avarice, cause de discorde, inventeur de toutes
les douleurs.
Le possédé roula les yeux. Sa tête pendait derrière le dossier
de la chaise, et il continuait de hurler de manière de plus en
plus forte et épouvantée. Le père Massimiliano tenta de le
maintenir pendant que l’interprète reculait de quelques pas,
effrayé. Je lui fis signe de se placer davantage en retrait.
Satan était en train de se déchaîner.
— Pourquoi restes-tu là et fais-tu de l’opposition, quand
tu sais que le Christ, qui est le maître, ruine toutes tes en-
treprises ? Tremble devant celui qui a été immolé dans
Isaac, vendu en Joseph, tué comme un agneau, crucifié
comme un homme, et qui triomphe sur tous les enfers.
Va-t’en au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Le démon ne semblait pas vouloir céder, mais son cri s’était
atténué. Il me regardait ; un peu de bave lui sortait de la
bouche. Je le harcelai. Je savais que je devais le contraindre
à se révéler, à me dire son nom. S'il me disait son nom,
c’était le signe qu'il était pratiquement vaincu. Le fait de se
révéler correspondait, en effet, à jouer à cartes découvertes.
— À présent, esprit immonde, dis-moi qui tu es !
Dis-moi ton nom ! Dis-moi, au nom de Jésus-Christ, ton
nom !
C’était la première fois que je m’attaquais à un exorcisme
d’importance, et c’était donc la première fois que j’exigeais
d’un démon qu’il me révèle son nom.
Sa réponse me glaça.
— I’m Lucifer, dit-il d’une voix basse en insistant sur
chaque syllabe tour à tour. Je suis Lucifer.
Je ne devais pas céder ; ce n’était pas le moment de me
rendre ; je ne devais pas montrer ma frayeur. Je devais
poursuivre l’exorcisme avec toute l'autorité due : c’était moi
qui menais la danse, pas lui.
— Je te conjure, antique serpent, par le Juge des vivants
et des morts, par ton Créateur, par le Créateur du monde,
par celui qui a la puissance de te rejeter dans la géhenne,
que ce serviteur de Dieu, qui se jette avec confiance dans les
bras de l’Église, tu te retires promptement avec tout le cor-
tège de tes tremblements et de tes fureurs. Je t’adjure de
nouveau, non pas moi qui ne suis que faiblesse, mais par la
vertu de l'Esprit saint, de sortir de ce serviteur de Dieu, que
le Dieu Tout-Puissant a créé à son image. Obéis donc, obéis
non à moi personnellement, mais à moi serviteur du Christ.
Car elle te presse, elle te force à partir, la puissance de celui
qui t'a lié sous sa croix. Tremble sous la force de ce bras, qui
a vaincu les hurlements de l’enfer et a amené cette âme à la
lumière.
Le possédé se remit à hululer, la tête de nouveau penchée en
arrière sur le dossier de sa chaise, le dos courbé. Il s’était
écoulé plus d’une heure.
Le père Candido m’avait toujours dit : « Continue tant qu’il
te reste assez d’énergie et de force.
Il ne faut jamais céder. Un exorcisme peut durer toute une
journée parfois. Tu ne céderas que lorsque tes forces ris-
queront de t'abandonner. »
Je repensai à tout ce que m’avait dit le père Candido.
J’aurais tant voulu qu'il soit là, près de moi ; mais j’étais seul
et je devais me débrouiller.
— Que le corps de cet homme te terrifie. Que cette
image de Dieu te fasse trembler. Ne fais pas de résistance,
ne mets aucun retard à t’en aller de cette personne, parce
qu’il plaît au Christ de demeurer en lui. Et ne crois pas
pouvoir te moquer de moi, parce que tu sais trop bien que je
ne suis qu'un pécheur. C’est Dieu qui te commande. Elle te
commanda la Majesté du Christ. Dieu le Père te commande.
Dieu le Fils te commande. Dieu le Saint-Esprit te com-
mande. Il te commande le grand mystère de la Croix.
Avant de commencer, je ne pensais pas réellement réussir,
mais, brusquement, j'eus la nette sensation de la présence
démoniaque devant moi. Je sentais que ce démon me fixait,
me scrutait. Il faisait un froid terrible, et le père Candido
m’avait bien averti de ces chutes de température, mais c'est
une chose d’en parler et une autre de les éprouver. Je tentai
de me concentrer sur ma tâche. Je fermai les yeux et, de
mémoire, je poursuivis ma supplique.
— Va-t’en donc, violateur de toutes lois. Va-t'en, séduc-
teur, plein de malices et de perfidies sans nombre, ennemi
de la vertu, persécuteur de l'innocence. Hors d’ici, la plus
cruelle des bêtes féroces ; hors d’ici, monstre d’impiété ; fais
place au Christ, en qui tu n’as pu jamais rien trouver pour y
exercer ton œuvre néfaste : lui t’a dépouillé, lui t'a vaincu et
enchaîné et a mis en mille pièces ton attirail infernal : c'est
lui qui t’a rejeté dans les ténèbres extérieures, où t’attend
pour toi et tous les ministres une mort qui ne finit pas. Mais
à quoi bon renâcler si violemment ? Pourquoi si impru-
demment refuses-tu d’obéir ? Tu es coupable envers Dieu
Tout-Puissant, dont tu as transgressé les ordres. Tu es cou-
pable envers son fils Jésus-Christ Notre-Seigneur, que tu as
eu l’audace de tenter et la sotte présomption de faire mettre
en croix. Tu es coupable envers le genre humain, à qui tes
conseils perfides ont fait boire un poison mortel.
À cet instant se produisit un fait inattendu, un fait qui ne se
répétera jamais plus dans ma longue carrière d’exorciste.
Le possédé se transforma en véritable morceau de bois, les
jambes tendues vers l’avant, la tête allongée en arrière.
Et il se mit en lévitation.
Il l’éleva à l’horizontale d’une cinquantaine de centimètres
au-dessus du dossier de la chaise et demeura ainsi, immo-
bile, suspendu dans l’air, pendant plusieurs minutes. Le
père Massimiliano recula, mais je demeurai à ma place, le
crucifix bien serré dans la main droite, le rituel dans l'autre.
Je me rappelai la présence de l’étole et je la pris en laissant
un pan toucher le corps du possédé. Celui-ci ne cilla pas et
demeura raide et silencieux. J'essayai de lui donner un
nouveau coup d’étole.
— Sors de cet homme. Oh ! Cela te semble bien dur de
vouloir résister. Oui, c’est bien pénible pour toi de regimber
contre l'aiguillon. Mais plus tu tarderas à partir, plus gran-
dira son supplice, car ce n’est pas l’homme que tu outrages,
tu insultes le Souverain Maître des vivants et des morts,
celui qui les jugera tous et purifiera le monde par le feu.
Va-t'en donc, méchant impie, va-t’en, grand scélérat, va-t’en
avec toutes tes perfidies, car Dieu veut que cet homme de-
vienne son temple. Mais que fais-tu ici à tarder si longtemps
? Rends gloire à Dieu le Père Tout-Puissant, devant qui tout
genou fléchit. Fais place à Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui
pour cet homme a répandu son sang très précieux. Tu mé-
rites le mépris de celui qui domine les vivants et les morts ;
celui qui viendra juger les vivants, les morts et les temps par
le moyen du feu. Fais place à l'Esprit saint, qui par son
bienheureux apôtre Pierre t’a fait tomber à terre en plein
public avec Simon le Magicien ; qui a condamné ton men-
songe dans Ananie et Saphire ; qui t'a frappé dans Hérode
refusant d’honorer Dieu ; qui par son apôtre Paul t’a plongé
dans les ténèbres de l'aveuglement avec le mage Élimas ; et
qui, par le même apôtre, d’un seul mot impératif t’a ordonné
de sortir de la Pythonisse. Sors donc maintenant, pars, vil
séducteur. Ton séjour est le désert ; ta demeure est un ser-
pent. Humilie-toi et prosterne-toi. Bientôt, il ne sera plus
temps de remettre. Car voici que bientôt approche le Sei-
gneur ton dominateur, et un feu ardent marchant devant lui
et dévore, tout autour, tous ses ennemis. Si tu peux tromper
un homme, tu ne pourras jamais te moquer de Dieu. Celui
dont l'œil pénètre les choses les plus cachées te rejette. Celui
à qui tout est soumis dans l'univers te repousse. Celui qui t'a
préparé, à toi et à tes anges, une géhenne éternelle te chasse
: un glaive terriblement aiguisé sort de la bouche de celui
qui, un jour, viendra juger les vivants et les morts, et purifier
le monde par le feu. Amen.
Mon amen fut ponctué par le bruit sourd du possédé qui
retombait sur la chaise en bafouillant des paroles que je ne
compris pas.
Puis, en anglais, il annonça :
— Je sortirai le 21 juin à quinze heures. Je sortirai le 21
juin à quinze heures.
Enfin, il leva les yeux vers moi, avec le regard d’un pauvre
paysan, et laissa jaillir ses larmes.
Je compris qu’il était revenu à lui et je l'étreignis avant de lui
dire :
— Ce sera bientôt terminé.
Je décidai alors de répéter l’exorcisme toutes les semaines
et, chaque fois, la même scène se reproduisit. La semaine du
21 juin, je ne le convoquai pas. Je ne voulais pas interférer
avec le jour où Lucifer avait annoncé qu’il sortirait.
Je sais que je ne dois pas m’y fier, mais il est des cas où le
diable est incapable de mentir.
La semaine qui suivit le 21 juin, je convoquai à nouveau mon
paysan. Comme de coutume, il se présenta en compagnie du
père Massimiliano et de l’interprète. Il avait l'air serein, et je
commençai l'exorcisme. Pas de réaction : le sujet demeurait
calme, lucide, tranquille.
Je l’aspergeai légèrement d’eau bénite. Aucune réaction. Je
lui demandai de réciter avec moi l’Ave Maria, et il récita la
prière sans frissonner une seule fois. Je lui demandai de me
raconter ce qui s’était passé le jour où Lucifer avait prévu de
le quitter.
Voici son récit :
— Comme tous les jours, je suis allé travailler seul dans
les champs. Au début de l’après-midi, j’ai décidé de faire un
tour avec le tracteur et, à quinze heures, je me suis mis à
hurler à pleins poumons. Je crois que c'était un hurlement
terrifiant, mais, lorsque je cessai de hurler, je me sentis dé-
livré. Je ne sais pas comment l’expliquer, mais j’étais enfin
libre.
Je n’aurais plus jamais à traiter un cas semblable et je
n’aurais plus jamais la chance de délivrer un possédé ainsi,
en l'espace de quelques séances sur un laps de temps de
quatre mois seulement. Un véritable miracle.
Les exorcismes suivants dureront des années.
Je ne sais expliquer pourquoi mon premier exorcisme fut si
facile - terrifiant, mais facile. Je ne sais pas pourquoi ce fut
le seul cas où le sujet entra en lévitation sous mes yeux. Je
ne comprends vraiment pas ce que Dieu a voulu me dire.
Peut-être a-t-il voulu me faire voir toute la perfidie de Satan
tout en me donnant du courage parce que j'ai compris ce
dont j'étais capable.
J’en ai longuement parlé avec le père Candido, et il m’a
donné une tout autre version des faits.
Je passai avec le père Candido quinze jours inoubliables à
San Remo. Pour mon avenir d'exorciste, ce furent des jour-
nées précieuses.
Je posai d’innombrables questions au père Candido et,
comme je n’avais pas de quoi enregistrer ses réponses, j’en
oubliai la majeure partie, mais je gardai dans ma tête
l’empreinte indélébile de nos conversations.
Je lui relatai notamment l’exorcisme que j’avais pratiqué sur
le paysan romain. De ma réussite et de mes tentatives de
comprendre ce que Dieu avait voulu me dire, il fit le com-
mentaire suivant :
— Tu fais erreur en te posant tant de questions. Ce n’est
pas Dieu qui te parlait, mais Satan. Ne te demande jamais si
c'est Dieu qui est derrière un exorcisme. Certes, c’est Dieu
qui terrasse Satan, mais il le terrasse grâce à l'exorcisme.
Évite de te poser des questions auxquelles tu ne peux ré-
pondre. Ne pèche pas par suffisance. Fais ce que tu dois
faire et ne cherche pas trop de réponses. Ne sais-tu pas que
nous ne sommes que des serviteurs commodes ?
Avec le père Candido, je discutai des « outils » qui seraient
utiles lors d’un exorcisme. C’est lui qui m’avait déjà suggéré
d’emporter toujours la médaille de saint Benoît. C’était lui
qui m’avait conseillé de porter l’étole violette, dont la cou-
leur est celle de la pénitence, plus longue que celle qu'utilise
le prêtre lorsqu’il dit la messe, et aussi l'aspersoir d’eau bé-
nite.
C’est lui alors, à San Remo, qui me rappela une chose que
j'avais oubliée : le petit flacon contenant une huile particu-
lière.
— Lors des exorcismes, tu dois toujours avoir avec toi
une huile spéciale, dit-il. Tu l’obtiendras en mélangeant
l’huile des catéchumènes que l’on utilise pour les baptêmes
et l’huile des malades que l'on utilise pour le sacrement de
l’onction des infirmes. Tu dois toujours faire le signe de
croix sur le front et les sens, les yeux, les oreilles, les narines,
la bouche et la gorge. Puis, tu réciteras la prière du rituel. Si
tu parviens à l’apprendre de mémoire, tu n’auras pas besoin
de tenir le livre entre tes mains. Tu devras t’approcher da-
vantage du possédé et, si possible, lui poser une main sur la
tête. Exécute toujours le signe de la Croix sur lui. N’oublie
pas. La prière de délivrance la plus efficace, c’est la sœur
Erminia Brunetti qui me l’a apprise. Cette religieuse, qui
appartenait aux Filles de Saint-Paul, est morte en odeur de
sainteté. Elle disait :
« Esprit du Seigneur, Esprit de Dieu, Père, Fils,
Saint-Esprit, Sainte-Trinité, Vierge immaculée, anges,
archanges, saints du paradis, descendez sur cette per-
sonne. Fusionne avec elle, Seigneur, modèle-la, rem-
plis-la de toi, use-la, chasse le mal de toutes tes forces,
anéantis-le, détruis-le pour qu'elle puisse être bien,
œuvrer pour le bien ; chasse d’elle les maléfices, les
sortilèges, la magie noire, les messes noires, la sorcel-
lerie, les liens, les malédictions, le mauvais œil,
l’infestation diabolique, tout ce qui est mal, péché, en-
vie, jalousie, perfidie, la maladie physique, psychique,
morale, spirituelle, diabolique. Brûle tous ces maux
dans l'enfer pour qu’il ne puisse plus toucher aucune
autre créature dans le monde. J’ordonne et je com-
mande par la force du Dieu Tout-Puissant au nom de
Jésus-Christ Sauveur, par intercession de la Vierge
immaculée, avec le pouvoir que m’a donné l’Église,
bien que j'en sois indigne, à tous les esprits immondes,
à toutes les présences qui l'importunent, de la laisser
immédiatement, de la laisser définitivement et d'aller
en enfer éternel, enchaînés par l’archange saint Mi-
chel, par saint Gabriel, par saint Raphaël, par nos
anges gardiens, écrasés sous le talon de la très Sainte
Vierge immaculée. Amen. »
Tu verras alors comme les damnés réagiront lorsqu’ils en-
tendront cette prière ! Ils réagiront comme des forcenés. Tu
ne dois pas prendre peur si, au début de l’exorcisme, les
possédés adoptent des réactions étranges. Tu ne dois pas te
laisser impressionner par les sanglots convulsifs, les mou-
vements de rage, les crachats. Laisse le sujet se jeter à terre
s'il souhaite ramper comme le serpent. Si tu le peux, fais-toi
aider par tes assistants pour le maintenir. Une fois que tu as
commencé l'exorcisme, tu dois interroger le démon.
L'interrogatoire du démon est une chose essentielle, mais il
ne s’agit pas de poser des questions de curiosité, mais des
questions utiles à la délivrance.
La première est : « Comment t’appelles-tu ? » Comme le
démon fait tout pour se dissimuler, le fait de révéler son
propre nom constitue un effort incommensurable, car il est
obligé de se démasquer. Il arrive toujours un moment où il
ne peut plus résister à la puissance des exorcismes et où il
est contraint de donner son nom. « Quand es-tu entré ? » «
Comment es-tu entré ? » « Quels sont les desseins que tu
t'es fixés avec cette personne ? » « Quand sortiras-tu ? »
Voilà les principales questions. Si le diable ne répond pas, il
faut répéter encore et encore les mêmes questions jusqu'à
obtenir des réponses.
« En outre, tu ne dois pas oublier que le diable aime mentir
et qu’il maîtrise parfaitement la parole. Un jour, j’ai eu af-
faire à un cas extrêmement difficile, une jeune fille que je ne
réussissais pas à délivrer. Je demandai au démon : « Quand
sortiras-tu ?» et il me répondit : « Le 8 décembre », une
date significative puisque c’est la fête de l’immaculée Con-
ception. Le 8 décembre, je convoque la jeune fille et je pra-
tique un long exorcisme, mais elle n’est pas délivrée. Au
bout de cinq heures et demie de séance, elle paraît soudain
libre. Elle saute et pleure de joie, elle est libre. Au bout d’une
semaine, elle revient, à nouveau possédée. Je demande au
démon : « Pourquoi n’es-tu pas parti ? Tu avais dit que tu
sortirais le 8 décembre. Pourquoi n’es-tu pas parti ? » Et lui
de me répondre d’un ton railleur : « Je ne t'avais pas dit que
j'adorais faire des farces ? On ne t'a pas enseigné que
j’aimais mentir ? » Pourquoi le Seigneur permet-il certaines
choses ? C’est difficile, sinon impossible de te répondre,
père Gabriele. Nous estimons beaucoup cette terre, et Dieu
estime beaucoup la vie éternelle ; par conséquent, il est
probable qu'il permet les possessions pour que les âmes
puissent obtenir un bénéfice qui leur vaudra l'éternité. Ne
crois jamais que la délivrance est une chose facile. Il faut
souvent très longtemps. Tu dois lutter contre le mal absolu,
le mal aveugle. Cela ne peut pas se réduire à une petite
promenade de santé.
« Le malin est un pur esprit. C’est une force qui pénètre le
corps, mais, parfois, cela peut être simplement un esprit qui
agit sur une personne sans toutefois la posséder. Il faut que
tu sois attentif à ne pas croire que tous sont véritablement
possédés. Nombre des cas sont des personnes qui sont sim-
plement soumises à une influence négative, certes causée,
peut-être, par un maléfice, sans pour autant qu’elles soient
possédées. Le père Pie de Pietrelcina, par exemple, a subi
des attaques et des vexations du démon pratiquement tous
les jours. Il a été frappé, piétiné, mais ce n’étaient là que des
vexations : il n’était pas possédé.
C’est également ce qui est arrivé au curé d’Ars, Jean-Marie
Vianney, des vexations sérieuses, mais rien à voir avec la
possession. D’autres personnes ont vu leur maison subir des
dégâts : des craquements, des coups, des lumières qui
s’allument et s’éteignent sans raison, des lampes qui explo-
sent. Chez un ingénieur, il arriva que jusqu’à trente ou qua-
rante lampes explosent chaque mois. Ce sont des phé-
nomènes que l'on élimine par des exorcismes, mais il ne
s’agit pas de possession. Il est plus souvent probable que,
par le passé, telle ou telle maison a été habitée par un mage
qui s'adonnait à des séances de spiritisme ou par quelqu’un
qui se livrait à des rites sataniques. Ou bien, le terrain où est
construite la maison fut autrefois un cimetière.
Dans tous les cas, je le répète, il ne s'agit pas de possession,
même si ces cas présentent aussi leurs difficultés. On peut
pratiquer des exorcismes, mais il ne faut pas oublier que l’on
n’a pas en face de soi le démon en personne. Les exorcismes
se font, en effet, sur les individus possédés, mais aussi sur
les res, les choses comme les maisons, les objets ou les
animaux.
« Souvent, Satan n’est pas seul dans le corps des personnes
qu’il possède et, parfois, les démons sont extrêmement
nombreux. Jésus évoque régulièrement de véritables « lé-
gions ». Un jour, j’ai exorcisé une religieuse : une possession
épouvantable ; elle vomissait à foison. « Combien êtes-vous
? » demandai-je. « Des légions, des légions, des légions »,
répondirent-ils. Pendant la séance, elle se démenait furieu-
sement et bondissait d'un mur à l’autre comme un singe ;
impossible de la faire tenir en place. Satan n'a pas de visage.
C’est un pur esprit et, s’il veut se rendre présent, il doit in-
vestir un corps vulnérable en fonction de ce qu’il veut dé-
terminer. Au père Pie, le démon se présentait sous la forme
de Jésus, d’autres fois sous celle de Marie, de son supérieur
ou de son confesseur. Le père Pie allait voir son supérieur et
lui disait :
« Vous êtes venu me voir pour me dire de faire... » et le su-
périeur répondait : « Mais non, pas du tout. Je ne suis pas
venu te voir. » Et ce n'était pas lui, mais le démon qui utili-
sait un stratagème relativement répandu en se montrant
sous un visage et un corps qui n’étaient pas réels. Contre le
démon, chacun doit trouver sa propre méthode. Les exor-
cistes doivent découvrir quelle voie choisir au fur et à me-
sure des séances pour que leur action soit la plus efficace
contre Satan. On peut avoir un exorciste qui, en nommant le
père Pie, provoque une réaction violente chez le possédé
alors qu’un autre exorciste qui le nommerait n'obtiendrait
aucune réaction. Chacun doit trouver sa voie et la trouver
seul. Ce sera ta voie. Souviens-toi toujours de saint Léopold
Mandic. Il vivait à Padoue et demeurait tout au long du jour
dans son confessionnal. Souvent, les exorcistes avaient re-
cours à lui pour lui demander de l'aide. Il se présentait, as-
sistait sans dire un mot à la séance et, à la fin, il lançait : «
Allez, allez, dehors, dehors » et le démon disparaissait
comme par enchantement. C'était sa méthode. Toi aussi tu
devras trouver la tienne. Quoi qu'il en soit, ne discute pas
avec le démon et n’accepte aucun dialogue. Il doit répondre
à tes questions et non le contraire. Les personnes qui parti-
cipent à un exorcisme ne doivent pas parler avec le démon ;
seul l’exorciste doit l’interroger, parce que seuls les exor-
cistes sont protégés. Le démon te menacera. Souvent, la
nuit, il fait des bruits dans ma chambre. N’aie crainte. Si tu
es avec Dieu, c’est le démon qui aura peur de toi. L'exor-
cisme est un combat, et il y a la fatigue, beaucoup de ten-
sion. Il te faut mettre en jeu une énorme force intérieure,
mais la force doit venir du fond de toi. Tu dois agir avec
l’esprit plus qu’avec le physique. Concentre-toi. Prie. Il faut
de la foi parce que Dieu récompense la foi. Te souviens-tu de
l’Évangile ? « Va, ta foi t’a guéri. » Ne pense pas que Dieu ou
que la Vierge te parlent ou qu'ils te suggèrent que faire.
Pense plutôt qu’ils sont avec toi, de même qu’il y a avec toi
quelqu'un qui ne te quittera jamais : ton ange gardien.
Je n’ai regroupé là que quelques souvenirs épars de tout ce
que le père Candido a pu me dire, mais ce sont des souvenirs
précieux. Le père Candido était mon maître. Il est impor-
tant, pour un prêtre qui commence à pratiquer des exor-
cismes, d’avoir quelqu'un avec qui échanger, quelqu’un avec
qui parler. Il est important parce que cela permet de com-
prendre tant de choses. Par exemple, que chaque exorcisme
est composé de six étapes, six pièges à éviter, chacun avec
ses difficultés spécifiques.
Dès que l’exorciste met le pied dans la pièce où se trouve la
personne possédée, il sent une présence. Toute personne
qui se trouve dans la pièce sent nettement cette présence.
Qu’est-ce donc ? C’est quelque chose qui n'est pas humain,
voire qui est antihumain. Quelque chose que l’on ne peut
expliquer, mais qui est.
C’est la première étape, la première difficulté qui s’offre à
vous : la reconnaissance inéluctable de cette présence si-
nistre. On ne la voit pas, on ne l'entend pas, mais elle est là.
Et elle est partout : devant, derrière, au-dessus ou
au-dessous, à côté des personnes. Elle englobe tout.
Elle n'est ni féminine ni masculine, elle n’a pas de genre.
Elle est, tout simplement. Alors, elle commence aussitôt à
agir. Elle cherche à détruire l'essence même des personnes
présentes. Elle frappe au cœur, à l'esprit.
Il faut alors demeurer extrêmement calme et avoir une foi
puissante, c’est-à-dire trouver en soi-même les énergies
positives pour réagir, pour contre-attaquer, pour faire sentir
à cette présence que c'est vous qui commandez, que c’est
vous qui menez le jeu.
Au début de l’exorcisme, le démon fait tout pour se dissi-
muler. Il est bien présent puisque tout le monde le sent,
mais il se cache. C’est la deuxième étape de la bataille ; il
faut débusquer l'adversaire. Je me souviens de m’être trou-
vé une fois à exorciser une personne profondément pos-
sédée et avec de nombreuses ramifications. Au début, le
diable ne bronchait pas, et le visage de la femme demeurait
de pierre. Une statue.
Un diable muet. C'était tout simplement le moyen que le
diable avait trouvé pour prolonger sa présence dans la per-
sonne possédée.
La tâche de l'exorciste consiste à contraindre le diable à se
révéler, à sortir au grand jour. C'est ce qui se produit no-
tamment lorsque celui-ci se nomme : le nom est important
en ce qu’il est très révélateur du genre de diable que l’on
affronte. Si un diable a, par exemple, un nom biblique (Sa-
tan, Asmodée, Belzébuth, Baël, Lucifer ou autre), il est plus
puissant. Dans l’enfer aussi, il y a une hiérarchie, et les
diables sont plus ou moins hauts selon le nom qu'ils portent.
Donc, le diable se cache. Souvent, s’il parle, il le fait avec la
voix du possédé et feint d'être la personne qu’il possède. Il
parle de tout et de rien, surtout au début, et ne sort pas tout
de suite de ses gonds.
Il cherche à susciter la compassion de l’exorciste ; il cherche
à le convaincre que lui est du côté du bien alors que
l’exorciste est du côté du mal. Il faut compter plusieurs se-
maines, voire plusieurs mois pour révéler la feinte, pour
contraindre le diable à parler. Si l'exorciste ne réussit pas, il
perd la bataille. Dans ce cas, il vaut mieux abandonner la
tâche à un autre exorciste.
Au fur et à mesure que la feinte se dévoile, le diable se fait de
plus en plus violent. C'est la troisième étape, que l'on ap-
pelle souvent « le point de rupture ». Au cours de cette
étape, le démon cesse de feindre et sort au grand jour.
Comme l’éruption d’un volcan qui, de son cratère, vomit
toutes sortes de choses, le possédé se démène, bave, hurle,
comme si, d'un seul coup, toute la haine présente dans le
monde sortait de son corps. Le diable attaque l’exorciste par
tous les moyens possibles, tangibles, physiques, mais aussi
spirituels ; il attaque la personne de l’exorciste tout entière,
corps et âme. Lorsque l'exorciste oblige le diable à dévoiler,
au nom du Christ, son propre nom, le point de rupture est
atteint, et le diable se met à parler avec sa propre voix, une
voix déshumanisée, avec des accents et un timbre qu’aucun
être humain n’a jamais eus. Lorsque le diable fait entendre
sa propre voix, cela signifie que la quatrième étape est at-
teinte.
Parfois, les paroles du diable ne sont pas compréhensibles ;
parfois, il ne s’agit que d’un long hululement, une plainte
féroce. C’est à ce moment que l’exorciste doit imposer son
autorité et prendre l’initiative en exigeant le silence. Au nom
de Jésus et avec l’autorité que le Fils de Dieu et l'Église lui
confèrent, l’exorciste doit faire taire le diable et mener la
bataille là où il l’entend.
Alors, la voix du démon se tait, et l'on atteint la cinquième
étape du processus, celle de la rencontre. Le diable se tait, et
c’est l’exorciste qui mène le jeu. La bataille est ouverte, to-
tale, sans règles. Tout l'esprit du mal se jette sur l’exorciste
qui, seulement armé de sa foi en Jésus-Christ, doit résister
et contre-attaquer. L’exorciste ne doit pas chercher à
échapper à l'affrontement.
Au contraire, il doit le provoquer, parce qu’il ne pourra
achever son œuvre que si la défaite du diable est totale.
L’exorciste doit continuer à poser ses questions au démon :
« Quand partiras-tu ? » « Qui es-tu exactement ? » « Que
veux-tu ? » « Pourquoi fais-tu du mal à cette personne ? »
Au bout d’un moment, incapable de continuer à se taire sous
les assauts, le diable commencera à répondre aux questions,
à toutes les questions. Plus il répondra, plus le démon
s’affaiblira et plus le moment de la délivrance sera proche.
Pourquoi le démon ne veut-il généralement pas sortir du
corps des possédés ? C’est très simple : parce qu’il ne sait
pas où aller. Souvenez-vous de l'Évangile : « Où de-
vons-nous aller ? demandent les esprits mauvais à Jésus.
Nous aussi devons avoir une habitation. » Le corps du pos-
sédé est une maison où l'esprit mauvais a emménagé, une
maison qu'il ne veut pas quitter.
Or, il devra bien la quitter un jour, ne serait-ce que lorsque
le possédé mourra. La mission de l'exorciste est d’essayer de
lui faire quitter la maison avant la mort du possédé. C’est
pour cette raison que, lorsqu'il comprend qu’il doit partir, le
diable attaque l’exorciste de manière extrêmement féroce.
Souvent, une odeur nauséabonde se répand dans la pièce où
a lieu l'exorcisme, et une sensation d’angoisse envahit tout
et tous. C’est comme si l'essence pure du malin était pré-
sente. Deux mondes s’affrontent : le monde du bien et le
monde du mal. Deux mondes qui correspondent à deux
possibilités.
Si l’exorciste ne cède pas et s’en remet au Christ, il atteint le
dernier piège, la dernière et sixième étape, l’expulsion.
Soudain, la présence maléfique disparaît. Elle n’est plus là,
et la paix règne. Souvent, lorsqu'il revient à lui, le possédé
ne se souvient plus de rien si ce n’est qu’il se sent libre et
heureux.
Au cours de mes vingt-cinq années d’exorcisme, j’ai lutté
tant et tant de fois contre le démon. Parfois, il s’agissait de
Satan ; parfois, il s’agissait de l’un de ses sujets plus ou
moins importants, voire de plusieurs de ses sujets. Les
exorcismes que je pourrais vous raconter sont si nombreux !
Et je m’en souviens souvent en détail.
Il en est un, cependant, vers lequel je reviens souvent encore
aujourd’hui pour l'étudier, y réfléchir et réfléchir à mon sa-
cerdoce.
Ce n’est pas moi qui ai pratiqué cet exorcisme, mais il s’agit
d’un incroyable face-à-face avec Satan qu’un de mes frères
prêtres a voulu relater intégralement, il y a de nombreuses
années, dans Orizzonti, la revue de notre communauté.
L’histoire fut ensuite reprise par d’autres journaux, no-
tamment dans Segno del Soprannaturale (« Signe du Sur-
naturel ») et l’essai Cronista all'inferno (« Un chroniqueur
en enfer ») de Renzo Allegri.
Ce duel, qui s’est déroulé à Plaisance, en Italie, en 1920, est
un véritable trésor d’enseignement pour tous les exorcistes.
C’est un dialogue terrible, grave, qui ne dura cependant que
quinze séances.
Un exorcisme qui eut des conséquences dramatiques : après
la délivrance, le diable est revenu se venger et a tué plu-
sieurs des proches de la personne possédée.
III
La vengeance mortelle du diable

C’est un soir du début du mois de mai 1920.


Le monastère de Santa Maria di Campagna, qui se trouve
juste en dehors de la ville de Plaisance, en Italie, abrite de
jeunes frères connus et estimés de tous. D’une manière gé-
nérale, les monastères sont autant de lieux bénis par le ciel,
des lieux qui attirent de nombreux fidèles, des âmes pures,
bref, des lieux de Dieu et, pour cette raison, des lieux que
Satan hait particulièrement.
Un frère, le père Pier Paolo Veronesi, est en train de ranger
la sacristie et les objets liturgiques, lorsqu’une dame se
présente et demande à être bénie. Elle souhaite que la bé-
nédiction soit faite devant l’autel de la Madone. Après la
bénédiction, la dame demande à parler avec le frère et lui
confie de sombres secrets.
Malgré sa stupéfaction, le père Pier Paolo l’écoute patiem-
ment, et elle lui raconte qu’à certaines heures du jour, une
force mystérieuse, à laquelle elle ne peut résister, s’empare
de son corps et de son âme, et que, dans ces circonstances,
malgré ses réticences, elle danse le tango pendant des
heures jusqu’à s’écrouler, épuisée, à terre. Elle déclare
qu’elle chante d'une voix superbe des chansons populaires,
des chansons d’amour, des passages d'opéras qu'elle n’a
jamais entendus.
Elle affirme également qu’elle est capable de tenir de longs
discours en langue étrangère devant un public imaginaire et
qu’elle fredonne des vers sur sa fin imminente ainsi que
celle de toutes ses sœurs. Elle raconte aussi que, souvent,
elle déchire avec les dents tout ce qui lui tombe sous la main
et qu'elle a ainsi abîmé tout son linge.
Elle explique que, lorsqu'elle est chez elle, elle rampe
comme le serpent sous les lits et les meubles ou rugit
comme le lion, hurle comme le loup, miaule comme le chat.
Elle ajoute qu’elle a acquis de nouveaux dons, notamment
de prévoir ce qui va se produire, ou encore qu’elle est ca-
pable de rapporter des discussions auxquelles elle n’a pas
assisté et qui se sont déroulées à des centaines de kilomètres
de distance.
En outre, elle se dit capable d’exécuter de véritables acroba-
ties en sautant d’un meuble à l'autre. Enfin, elle soutient
qu’elle est devenue différente et qu'il lui arrive de penser à
des choses terribles, comme à la mort et au suicide.
— Ne voyez-vous pas, mon père, dit-elle au frère, que
ma vie est devenue un véritable enfer ? Malgré mes deux
enfants, je pense à la mort comme à une fuite, une déli-
vrance.
Le père Pier Paolo a déjà entendu des témoignages extrê-
mement surprenants, d'autant qu’il exerce aussi la fonction
de chapelain de l’hôpital psychiatrique de Plaisance. Il
pense d’abord à quelque névrose et conseille à la femme
d’aller consulter un médecin pour commencer. La dame lui
explique qu’elle a rendu visite à tous les médecins de sa
connaissance et que tous ont posé le diagnostic de « cas
typique d’hystérie », un cas qui « dure généralement sept
ans ». Mais la femme n’est pas convaincue.
— Je ne suis pas hystérique, mon père, pas plus que
folle, affirme-t-elle.
— Et alors ?
— Alors, puisque je ne peux espérer recevoir d’aide des
hommes, j’ai senti le besoin de me tourner vers Dieu et de
me recommander à lui. Malgré une certaine répugnance, je
suis allée prier dans toutes les églises de la ville ; j’ai de-
mandé la bénédiction. J’avoue que la bénédiction m’a per-
mis, au moins pendant quelques jours, de me sentir mieux.
Mais je suis allée désormais si souvent et dans tant d’églises
que je n’ai plus le courage de m’y présenter à nouveau, car je
crains que les prêtres ne me déclarent folle aussi.
Le père Pier Paolo commence à trouver l’histoire plus
qu’intéressante.
— On m'a alors dit que, sur les collines de la région, il y
avait un curé célèbre pour ses bénédictions. Impatiente de
lui demander sa bénédiction, un dimanche après le déjeu-
ner, je me suis fait prêter une calèche pour effectuer le
voyage en compagnie de mon époux et de mes parents. Le
cheval qui nous conduisait était un excellent trotteur et il
dévora les premiers kilomètres à belle allure. Toutefois,
alors que je commençais à me sentir mal, il s’arrêta d'un
coup. On eut beau le fouetter jusqu’au sang, la pauvre bête
raidit les jambes et allongea le cou, se cabra sous les coups,
mais ne bougea pas. Alors, presque hors de moi, je sautai de
la calèche et j’échappai aux étreintes de ma famille et, en
volant à près de cinquante centimètres au-dessus du sol, je
traversai les champs et je montai la colline en direction de
l’église où j’avais prévu d’aller. C’était l'heure où les gens
sortaient de la messe de l’après-midi et, en me voyant bon-
dir, les voiles et les cheveux au vent, en train de hurler et de
gesticuler, ils commencèrent à murmurer leurs inquiétudes.
Certaines femmes se mirent à crier ; des chiens aboyèrent.
D'épouvante, les poules s’envolaient sur mon passage pour
regagner leur poulailler. J'atteignis enfin la place et je me
faufilai sans hésiter dans l'entrebâillement de la porte de
l'église pour aller m’étendre directement au pied du grand
autel sur lequel était exposée une image de saint Expédit.
Suivi par la foule de ses paroissiens, le curé accourut et,
sentant la chose, me bénit. Je revins à moi et, pendant plu-
sieurs jours, je me sentis extraordinairement bien.
Pendant tout le récit, le père Pier Paolo écoute la femme
sans ciller. Quand elle lui demande son opinion, il demeure
persuadé que le cas relève davantage de la médecine et lui
répond en restant vague.
— Certes, j’avoue que ce sont là des phénomènes ex-
trêmement étranges. Écoutez, ajoute-t-il, si vous pensez que
la bénédiction vous fait du bien, n’hésitez pas à nous rendre
visite autant de fois que vous le souhaitez. Si je ne suis pas
là, il y aura toujours un de mes frères pour vous accueillir.
Quelques jours plus tard, voilà que la femme est de retour.
Alors que le père Pier Paolo a l’intention de lui accorder la
bénédiction devant l'autel de la Madone, la femme s’installe
à côté d’une colonne du chœur (elle a demandé la permis-
sion de s’asseoir) et, sans ouvrir la bouche, se lance dans un
hululement étouffé, comme un chien qui se serait lamenté
dans son sommeil.
Puis, elle incline la tête pour l’appuyer contre la colonne et,
les yeux fermés, les mains sur son giron, elle se met à chan-
ter, un chant d'une richesse extraordinaire, passionné, su-
perbe. Ensuite, elle demeure dans la même position et, avec
une violence telle qu'elle évoque une malade prise d’une
crise de démence, elle se met à parler dans une langue in-
connue pour invectiver quelqu'un d’invisible.
Un autre frère, le père Apollinare Focaccia, qui sort du
chœur et traverse l'église, entend le chant et les impréca-
tions indéchiffrables. Le soir même, il aborde le sujet avec le
père Pier Paolo.
— As-tu remarqué cette dame ?
— Mais oui, pourquoi ?
— Tu n'as pas été impressionné ?
— À dire vrai, non. Tu sais qu'en tant que chapelain de
l’hôpital psychiatrique, je suis désormais habitué à certaines
scènes.
Pour le père Pier Paolo, la condition de la femme n’est pas
une surprise. Elle jure et chante, mais elle ne bouge pas.
— Mais tu ne crois pas, continue le frère, que cette
femme est possédée par le démon ?
— Il ne faut pas exagérer, rétorque le père Pier Paolo. Il
ne faut pas céder si facilement à ces superstitions populaires
qui veulent voir la main du diable dans tout ce qui leur est
difficile d'expliquer. Si la science des hommes n’est pas ca-
pable de tout expliquer, nous ne devons pas pour autant
négliger nos forces de ratiocination. Ce que la science ne
peut expliquer aujourd’hui, elle l’expliquera sans doute de-
main.
Le père Apollinare est loin d’être convaincu.
— Soyons francs. Je ne veux pas paraître crédule, mais
je dois avouer qu’il m’est difficile de comprendre pourquoi,
en restant sur le plan purement humain, une femme pour-
rait adopter des comportements si peu ordinaires. Com-
ment est-il possible qu’elle parle une langue inconnue ? Je
n’arrive pas à trouver d'explication, même en tenant compte
du concept du subconscient et de ses réactions ou de
quelque structure psychologique exceptionnelle. L'esprit
humain ne peut exprimer en termes de logique ce qu’il n'a
pas appris. Il ne s’agit pas simplement d’une intuition inex-
primée, mais d’un nouveau monde logique et mystérieux
parce qu’il n’est connu ni de nous ni de cette femme. En fait,
on pourrait dire que c’est un monde nouveau qui vient
remplacer le monde actuel.
— Père Apollinare, vous devriez venir avec moi à l'hô-
pital, et je vous montrerai toutes sortes de cas extrêmement
intéressants dont la science n’est pas encore venue à bout.
— Je viendrai et j’essaierai de comprendre.
Mais, dites-moi, avez-vous déjà observé un cas qui ressem-
blât de près ou de loin à celui de cette femme ?
— Franchement, non.
— On pourrait alors admettre, par pure hypothèse,
sans remettre en cause la science, la possibilité d'une inter-
vention diabolique. La dame est une personne tout ce qu’il y
a de plus normal, si ce n’est que, parfois, elle adopte une
personnalité différente de la sienne, une personnalité nou-
velle qui s’impose à son corps et qui en joue comme d’un
instrument docile. Avez-vous entendu sa manière de chan-
ter ? Aucun des plus célèbres sopranos de notre siècle n’est
capable de chanter aussi bien qu’elle. Et sans compter ces
injures étranges déclamées dans une langue si bizarre. Non,
mon père, je vous assure qu'il y a de quoi réfléchir. Pour
moi, cette femme est possédée, et c’est un cas exceptionnel.
Saint Pierre dit que les diables furent attachés « avec les
chaînes de l'enfer pour être tourmentés et réservés jusqu’au
jour du Jugement ». Par conséquent, il n’y a pas de doute, ils
appartiennent à l’enfer. Toutefois, dans la Lettre aux Éphé-
siens, saint Paul dit qu’ils sont dans l'air. Selon le récit de
Matthieu, Jésus déclare également une fois qu’ils séjournent
en enfer, et, selon le récit de Luc, que c’est dans le désert.
Tout ceci nous autorise à croire ici à une présence diabo-
lique. Du reste, la possession est un phénomène largement
connu, et il suffit de lire l’Évangile pour nous en assurer. En
outre, on a recours à l'exorcisme depuis les premiers temps
du christianisme pour délivrer les âmes. Dans le temps, les
exorcistes constituaient un ordre particulier de l'Église.
Dans le monde païen, les actes diaboliques étaient extrê-
mement vivaces, et nos missionnaires disent la même chose
du monde païen actuel. C’est la raison pour laquelle, autre-
fois, on pratiquait souvent un exorcisme à l’occasion du
baptême. Mais ceux qui étaient déjà baptisés avaient éga-
lement droit à l’exorcisme lorsqu'on pensait qu’ils pouvaient
être possédés par le diable. Bien entendu, il ne s’agit pas
d'exagérer, et saint Thomas nous en avertit clairement.
Toutefois, il est également vrai que nous avons trop ten-
dance à oublier que Satan est le prince de ce monde, que
Satan a soumis Jésus à la tentation. C’est à ce moment-là
qu’il a été chassé du nouveau royaume de la grâce, et on
peut penser qu’il essaie donc de toutes ses forces de retrou-
ver sa supériorité. Comment tout cela est-il possible con-
crètement ? Cela reste un mystère, mais il ne faut pas pour
autant le nier. De même, il est impossible de nier certaines
possibilités quant à l’empire que le démon exerce sur la na-
ture, tant physique qu'humaine. Et là, tous les évangélistes,
saint Paul compris, nous en avertissent avec une grande
clarté.
Très attentif aux paroles de son frère, le père Pier Paolo lui
répond en ces termes :
— Tout cela est exact, mon cher père, mais je ne discute
pas le principe : je remets en question le fait que cette dame
soit effectivement possédée par le démon.
Refusant de s'avouer vaincu, le père Apollinare insiste en-
core. Tant et tant que, le lendemain, le père Pier Paolo
s’éveille recru de doutes et se rend chez l’évêque du diocèse.
Son intention est surtout de taire les scrupules de cons-
cience que les paroles de son frère ont soulevés en lui.
L’évêque de l’époque, Mgr Giovanni Maria Pellizzari, est un
homme profondément bon et compatissant, mais il possède
également un caractère résolu.
Il se fait relater l’affaire en réclamant d'innombrables préci-
sions, réfléchit longuement et annonce sans autre forme de
préambule :
— Mon cher père, pratiquez un exorcisme sur cette
personne. C'est un ordre.
Le père Pier Paolo, qui est loin de s’attendre à une telle ré-
action, sursaute comme s’il avait été frappé en plein visage.
— Excellence, pardonnez-moi, mais pensez-vous que
cela soit nécessaire ?
— Bien sûr.
— Et je devrai m’en charger moi-même ?
— Absolument.
— Je ne pourrai pas en charger quelqu'un d’autre ?
— Vous ou monseigneur Mosconi, mais il vaudrait
mieux que ce soit vous, car vous connaissez déjà la per-
sonne.
— Mille excuses, excellence, mais je crois bien avoir
entendu dire que le démon, dans les exorcismes, s’attaque
au prêtre-exorciste, inventant sur son compte des rumeurs
tout sauf agréables. Et si la dame est vraiment possédée par
le démon...
— Mais qui voulez-vous qui croie la parole du démon ?
Ne savez-vous donc pas que le démon est le père du men-
songe ?
— Je le sais, oui, en théorie, mais, en pratique, ceux qui
m’assisteront, croiront-ils que le démon ne dit que des
mensonges ?
— Chargez-vous de l’exorcisme, mon père, répéta
l'évêque avec le ton de celui qui n’admet plus de réplique.
Et il se lève pour mettre fin à l'entretien.
Le père Pier Paolo quitte l’évêché dans un état d’esprit plu-
tôt sombre. Il pense : Et si le démon se manifeste ? Que se
passera-t-il ? Confessera-t-il mes péchés devant tous les
présents ? Et s’il en invente d’autres ?
Le père Pier Paolo a peur, peur de parler avec le démon,
peur de le voir à l’œuvre, de se retrouver en face de lui. Il ne
veut pas croire à l’existence du démon parce que le démon
l’épouvante. Dans l'ensemble, c’est un frère bon, mais il
croit être un grand pécheur, ce qui le rend plutôt timoré.
Il pense : Et si la femme n’était qu’une hystérique ? Si,
après l’avoir tourmentée avec des exorcismes, elle devenait
encore plus malade, plus folle qu’avant ?
Quelles en seraient les conséquences ?
À ce stade, il est quasiment prêt à retourner voir l’évêque
pour lui faire part de ses doutes lorsqu’il entend une voix qui
s'élève en lui et qui dit :
— Ne crains pas. Fais ce que l’on te demande. Ne crains
pas. Crois seulement.
C’est ainsi que le père Pier Paolo se décide. Il convoque plu-
sieurs personnes en qui il a toute confiance pour leur de-
mander de l'assister dans l'exorcisme. Parmi elles se trouve
un certain Dr Lupi, directeur de l’hôpital psychiatrique,
connu et estimé dans tout Plaisance. Pier Paolo se présente
à son cabinet de consultation.
— Docteur, il m’arrive un cas des plus extraordinaires.
En quelques minutes, il met le médecin au courant, et ce-
lui-ci répond :
— En effet, cela paraît extraordinaire. J’assisterai vo-
lontiers aux séances, mais à une condition : une fois
l’exorcisme terminé, nous garderons chacun nos conclu-
sions, sauf si les faits sont évidents au point que nous arri-
vions tous deux à la même.
Outre ces quelques assistants, le père Pier Paolo convie un
autre frère, le père Giustino, qui maîtrise la sténographie. Il
lui demande de consigner par écrit les minutes précises des
échanges.
C’est, pour ainsi dire, la première fois qu’un exorcisme va
être ainsi consigné, un événement incroyable à l’époque.
Mais l’exorcisme sera également incroyable par la manière
dont les choses se dérouleront, de même que par la violence
inouïe qui s’y produira.
C’est à 14 h, le 21 mai 1920, que débute la première séance.
La dame en question, pâle, élégante, arrive en compagnie de
son mari, de sa mère, d'un ami de la famille et de deux fil-
lettes. C’est le père Pier Paolo qui les reçoit, avec le père
Giustino et le Dr Lupi. La pièce réservée à l’exorcisme se
trouve au premier étage du sanctuaire.
C’est une belle salle spacieuse, aux grandes fenêtres expo-
sées au sud. Au fond de la pièce se dresse un petit autel
portable sur lequel on a exposé, entre deux chandelles, le
reliquaire du bois sacré de la Croix.
Devant l’autel, deux chaises serviront à l'exorciste et à son
assistant qui pourront s’y agenouiller pour les prières pré-
liminaires. Un peu en arrière, un fauteuil en osier est desti-
né à la dame et, sur les côtés, en demi-cercle, d’autres
chaises attendent les assistants et les témoins. À droite de
l'autel se trouve le fauteuil du médecin, et, à gauche, un
banc pour le sténographe et une petite table sur laquelle
reposent l’étole, le surplis, le rituel romain, l’aspersoir d’eau
bénite et la coupe d’eau sainte.
On fait asseoir la dame et, à ses côtés, plus bas, les assistants
qui doivent être prêts à toute éventualité. Les hommes
s’installent sur les sièges en demi-cercle, et les deux pères, à
genoux devant le petit autel, commencent à réciter les lita-
nies des saints. Puis, comme le prescrit le rituel, ils se tour-
nent vers la dame et entament les prières préliminaires.
— Exorciso te, immundissime spiritus, omne phan-
tasma, omnis legio, déclame le père Pier Paolo.
Aussitôt, la femme qui était jusqu’alors demeurée assise,
s'étire et écarte les bras comme un félin qui s’éveille. Brus-
quement, elle pose les mains sur la pointe de ses pieds et se
lance avec une grâce stupéfiante dans les airs pour retom-
ber, comme une couleuvre, au milieu de la salle où elle de-
meure allongée. Son corps paraît métamorphosé, et son
visage a pris une allure terrifiante. Immédiatement, elle
s'adresse à l'exorciste en hurlant d’une voix basse et gron-
dante :
— Mais qui es-tu, toi qui oses venir m'affronter ? Ne
sais-tu pas que je suis Isabeau, que j’ai les ailes longues et
les poings robustes ?
Et de lancer à l’adresse du prêtre des monceaux d’injures.
Saisi par l’émotion, l’exorciste a d'abord l'impression
d’étouffer, mais une nouvelle force déferle bientôt en lui, et
il se sent alors porté par un esprit combatif qu'il ne saurait
humainement expliquer. Il impose à la femme de se taire.
— Moi, serviteur du Christ, je te conjure à toi, qui que tu
sois, et je te commande au nom des mystères de
l’Incarnation, de la Passion et de la Résurrection de Jé-
sus-Christ, par son ascension au ciel, par sa venue devant le
juge universel, de demeurer tranquille et de ne pas tour-
menter, ni cette créature de Dieu, ni ses proches, ni leurs
possessions, et d’obéir en tout à ce que je te commande.
C’est là que débute ce dialogue terrible entre le démon et
l'exorciste, un dialogue à couper le souffle.
— Au nom de Dieu, dis-moi qui tu es ?
— Isabeau ! hurle la femme au visage rouge et aux yeux
froncés.
— Que signifie Isabeau ?
— Tu as des ennemis qui...
— Que signifie Isabeau ?
La femme semble tenter de dévier les questions, mais le
prêtre ne cède pas.
— Que signifie Isabeau ?
La femme se mord les bras et les mains. Elle cherche à
agripper l’habit de l’exorciste et hurle :
— Cela signifie être lié si bien que l’on ne peut plus se
détacher !
Le terme « lié » renvoie évidemment à l’art de la sorcellerie.
— Quel pouvoir possèdes-tu ?
— Le pouvoir qu’ils me donnent.
— Quel pouvoir te donnent-ils ?
— Beaucoup de force.
— De qui reçois-tu ces forces ?
— De la personne dans laquelle je sais me déconjurer.
— Ce mot n’existe pas !
La femme frissonne de dédain.
— Je ne suis pas italienne, moi ! hurle-t-elle d’un ton
sarcastique avant de cracher une vague de nouvelles injures,
comme elle le fera à plusieurs reprises.
Imperturbable, le prêtre poursuit son interrogatoire.
— D'où viens-tu ?
— Tu me commandes comme si j’étais ton serviteur !
— Dis-moi d'où tu viens ! Au nom de Dieu, de ce Dieu
que tu connais bien, dis-moi d’où tu viens.
En entendant le nom de Dieu, la femme détourne le visage
et demeure immobile pendant plusieurs secondes.
— Au nom de Dieu, par son sang, par sa mort, dis-moi
d’où tu viens ?
— Des déserts lointains.
— Es-tu seul ou es-tu accompagné ?
— J’ai des compagnons.
— Combien ?
— Sept.
— Pourquoi es-tu entré dans ce corps ?
— Pour un amour puissant qui ne m'est pas payé de
retour.
— Qui ne te rend pas cet amour ?
— Tu es un imbécile.
— Réponds ! Qui ne te rend pas cet amour ?
— Ce corps ! hurla la femme en se donnant un coup de
poing sur la poitrine.
— Et pourquoi ne te l’a-t-il pas retourné ? Fière, hau-
taine, la réponse de la femme résonne fort dans la pièce :
— Parce que ce n’est pas juste.
— Alors, ce corps n'est qu’une de tes victimes. Les pa-
roles du prêtre sont accueillies par un rire glacial : la femme
rit, mais sa bouche reste close, et elle ressemble désormais à
un porc, un spectacle qui fait passer dans toute l’assistance
un frisson d’épouvante.
— Quand es-tu entré dans ce corps ?
Contrainte par l’exorciste, entre des sursauts d’une violence
inouïe qui mettent à dure épreuve les muscles des assistants
tentant de la maintenir, la femme répond :
— En 1913, le 13 avril, à cinq heures de l’après-midi.
Selon la déclaration de la femme, l'esprit étranger a pénétré
son corps suite au sort jeté par une sorcière qui a utilisé un
verre de vin, un peu de viande salée et quelques gouttes de
sang.
— As-tu envahi seulement ce corps ou les autres
membres de la famille aussi ?
— Aussi les autres membres de la famille.
— Donne-m'en la preuve.
— Lorsque ce corps est malade, la famille est-elle aussi
indisposée ?
— Combien de temps as-tu employé pour pénétrer
dans ce corps ?
— Sept jours.
— Où cela s’est-il passé ?
— Dans une maison d’ici.
— Quelle maison ?
— Ne me le demande pas ! hurle la femme, soudain
alarmée. Je ne peux pas le dire.
— Alors, va-t'en !
— Non, jamais.
Le père Pier Paolo renouvelle l’exorcisme.
— Je te commande de sortir.
— Je ne sors pas. Je suis Isabeau.
Dans un sursaut de rébellion, la femme se débarrasse des
assistants et s’élance contre le prêtre pour agripper son ha-
bit et lui arracher son étole en criant :
— Il leur a fallu sept jours pour me faire entrer, et tu
voudrais me faire sortir de ce corps en une seule séance
d’exorcisme ?
Le moment est critique. Tous cherchent à maintenir la
femme en place.
Impassible, seul le médecin ne bouge pas. Avec l'eau sainte,
le prêtre bénit la femme qui se jette à terre en se contor-
sionnant comme si elle venait d’être brûlée par des flammes.
— Quand sortiras-tu ?
Une expression de profonde tristesse voile le visage de la
femme.
— Comment le puis-je ? Pendant que tu œuvres à mon
départ, d’autres sont en train d’œuvrer pour que je reste.
— Au nom de Dieu, réponds-moi ! Quand sortiras-tu ?
— Je sortirai quand j'aurai rejeté la boule que j’ai dans
le ventre.
De quoi s’agit-il ? Cette boule de viande salée employée pour
le maléfice ? Doit-on préparer un bassin ?
— Rejette-la !
D'un bond formidable, la femme s’approche du bassin et
vomit quelque chose.
— Dis-moi, esprit immonde, quels sont les mots qui te
font souffrir le plus ?
Le prêtre veut obliger la femme à rejeter toutes les choses
maléfiques. Sous l'effet de la terreur, la possédée se tourne
vers l’exorciste, mais ne répond rien. Ce n'est que lorsque le
père répète la question qu'elle se met à hurler tout en exé-
cutant un bond incroyable de recul :
— Non !
Le démon semble parti pour se battre âprement. Après un
moment d’hésitation où son visage est tout de terreur, la
femme scande le même mot qui résonne dans le silence de
la salle :
— Sanctus ! Sanctus ! Sanctus !
L’exorcisme dure désormais depuis trop longtemps, et la
femme est épuisée. Après avoir imposé à l'esprit malin de ne
causer de mal à personne, le prêtre met fin à la séance.
La nuit est tombée.
Le père Pier Paolo n'a plus aucun doute. D'ailleurs, son vi-
sage l'exprime clairement : il est bouleversé. Son corps ne
semble plus le porter, mais les muscles de son visage sont
contractés. Bien qu'il n’ait pas envie de parler, il parvient à
déclarer :
— Il est inimaginable à quel point l’esprit du mal est
capable de résister aux armes du salut et aux ordres du
prêtre.
Il est arrivé plusieurs fois que Satan résiste à mes ordres ! Le
Christ est plus fort que lui, mais souvent, il réussit à lui ré-
sister. Parce que Satan, tout en étant assujetti au Christ,
n’en est pas moins une figure dramatiquement puissante. Il
a démontré sa puissance à de nombreuses reprises, sa
hargne, la cruauté, son enracinement dans les corps des
hommes.
De nombreux signes indiquent souvent qu’une possession
est particulièrement puissante et enracinée. L’un d’eux est le
silence du diable : plus le silence dure longtemps, plus le
démon est profondément enraciné dans le corps dont il s’est
emparé.
Simon est un petit garçon de sept ans qui est venu me voir
un jour avec son père. C’est un enfant constamment dépri-
mé, et les médecins n’ont rien pu faire pour l’aider. Quant
au père, son diagnostic est que son fils est sous l'effet d’un
maléfice. À l'observer, je juge qu’il ne s’agit vraiment que de
dépression, mais, comme je l’ai déjà dit, je n’ai pas, con-
trairement au père Candido, le don de comprendre au vol si
une personne est possédée ou non. Pour le comprendre, je
dois en passer par une séance d’exorcisme.
— Simon ne parle jamais. Il reste silencieux toute la
journée, me raconte le père.
— Depuis combien de temps est-ce ainsi ?
— Ça fait un an. Tout à coup, un beau jour, il a cessé de
parler.
— Et que disent les médecins ?
— Les médecins affirment qu'il s'agit d'une dépression
profonde. Ils le gavent de médicaments, mais il n’a jamais
manifesté aucun signe d’amélioration.
Je m’approche de Simon et je le fais s’asseoir sur une chaise
au milieu de la pièce. Je demande à son père de s'écarter.
J’enfile l’étole, je prends l'eau bénite, le rituel, l'huile sainte
et je commence l'exorcisme.
Simon baisse la tête et ne réagit pas. Il ne parle pas, pas plus
qu’il ne me regarde.
Je continue l’exorcisme pendant près de trente minutes.
Rien. Pas de réaction.
— Je ne pense pas que votre fils soit possédé, dis-je au
père, mais, si vous voulez, vous pouvez revenir la semaine
prochaine pour que nous fassions un autre essai. Ensuite,
nous aviserons.
La semaine suivante, fils et père reviennent me trouver. Je
les installe comme précédemment et je reprends
l’exorcisme. J’essaie plutôt d'utiliser les prières les plus
dures en latin. Je le signe plusieurs fois sur le front.
Je l’asperge d'eau bénite. Rien. Silence total.
Je suis sur le point de les reconduire à la porte lorsque de la
bouche de Simon sort un très faible bougonnement, à peine
perceptible, mais qui semble durer indéfiniment.
Je ne dis pas un mot, pas plus que le père de l'enfant.
Le bougonnement se prolonge pendant au moins cinq mi-
nutes, et l’enfant semble ne pas avoir besoin de reprendre
son souffle.
— Mmmmmmmmm...
— Qui es-tu ? dis-je d’une voix forte. Réponds, qui
es-tu ?
Simon ne dit rien, mais il n’en poursuit pas moins son bou-
gonnement. Je décide alors de continuer mes questions.
— Parle ! Au nom de Jésus-Christ ! Parle et dis-moi qui
tu es !
Après un moment, Simon lève la tête.
Ses yeux me traversent.
Je sens son mal se jeter sur moi.
Je sens que son mal est quelque chose de vivant qui force
pour me pénétrer, mais je reste solidement planté sur mes
pieds. J’oppose à cette force celle du crucifix.
— C’est moi qui commande, esprit immonde.
Parle-moi. Qui es-tu ?
Mais Simon a déjà baissé de nouveau la tête et cessé de
bougonner. Il est redevenu lui-même, silencieux, vague-
ment mélancolique.
Je termine la séance et leur dit de revenir me voir chaque
semaine. Pendant cinq ans, Simon n’émettra que des bou-
gonnements - de longs bougonnements entrecoupés de
quelques regards chargés de haine pure dans ma direction.
C’est véritablement l'une des possessions les plus difficiles
que j'aie combattues, non seulement parce que le diable n'a
jamais parlé, mais à cause de ces regards.
Chacun de ces regards était comme un coup de couteau qui
me pourfendait. Il faut savoir que l'exorciste ne sort jamais
indemne des exorcismes. Comme toutes les batailles, celle
contre le démon provoque des blessures. Simon m’avait
laissé de nombreuses blessures, invisibles, mais réelles.
Je ne parviendrai jamais à comprendre pourquoi Simon
était possédé, et pourquoi ou comment la possession a dé-
buté. Je sais seulement que, après de nombreuses et diffi-
ciles séances d’exorcisme au cours desquelles le diable n’a
fait que bougonner, Simon a réussi un jour à s’en libérer. De
manière inexplicable, le démon a disparu.
Bien qu’il n’ait jamais prononcé un mot, le diable m’a fait
beaucoup de mal. Combattre un démon qui demeure silen-
cieux malgré les injonctions est une chose difficile. Cela si-
gnifie que la présence est puissante et bien enracinée.
Le cas de Simon me renvoie clairement, de par les difficultés
des exorcismes et la profondeur de la possession, à celui que
dut traiter le père Pier Paolo en 1920. Comme à Plaisance, le
duel a été rude et terrible, et il a duré longtemps.
Le père Pier Paolo, tête basse, s’en retourne à sa cellule pour
tenter de prendre un peu de repos.
Le père Giustino paraît moins atteint, ce qui est logique
puisque c'est l’exorciste qui subit la plus grande fatigue.
Il s’adresse alors aux autres frères de la congrégation pour
leur fournir un compte rendu sommaire de ce qui vient de se
produire.
— Si vous voulez mieux comprendre notre cas, je pro-
pose de vous relire saint Augustin. Augustin dit que, après le
péché originel, la première pénitence est la mort. Mort phy-
sique et mort spirituelle parce que l'âme n'a plus droit à la
grâce. Eh bien, la mort donne au démon une sorte de supé-
riorité sur nous. Il en jouit de plein droit, et le fait que
l'humanité décadente cède à ses immondes pouvoirs advient
en toute justice. Le péché n’a-t-il pas chassé Dieu du cœur
de l’homme ? Alors, en se retirant, il a cédé la place au dé-
mon. Le démon peut exploiter la nature décadente de
l’homme, dans les limites de l'ordre divin, pour en faire ce
qui lui plaît. C’est ce qui explique qu’il y a tant de cas de
possession dans le monde païen. Jésus lui-même a croisé
sur son chemin une quantité non négligeable de possédés. Il
est justement venu pour combattre et extirper du monde le
démon et son royaume. Dieu s’est fait homme pour com-
battre Satan.
« Une des issues de ce combat essentiel et décisif est celle
que, cet après-midi, le père Pier Paolo a menée contre
l’esprit de la possédée. Par un effet mystérieux de la mé-
chanceté, et parce que le Seigneur l'a permis, un sortilège a
aidé le malin à prendre possession de cette pauvre femme.
Nous ne pouvons juger les voies de Dieu et nous ne pouvons
même pas tenter de comprendre pourquoi il a permis ce cas
de possession. Il est un fait que le diable paraît s’être em-
paré de ce corps avec joie, voire volupté, comme pour re-
vendiquer un droit ancestral en l'arrachant aux mains du
Christ et de l'Église. C'est une force formidable, épouvan-
table, celle qui parvient à s’emparer d'un corps qui a été
consacré par le baptême et par les sacrements. Dieu sait ce
qu’il fait et ce qu'il permet. Tout est au service des objectifs
de la divine providence.
Il permet le mal pour en tirer le bien. Et c’est une chose que
nous devons nous répéter devant un cas comme celui de
cette femme. Satan n’est pas une force passive, massive et
inerte ; non, c'est une force active à un point terrifiant. Le
père Pier Paolo finira par vaincre, et il en résultera un grand
bien, ne serait-ce que pour l’immense signification que
l'épisode aura aux yeux des gens en leur montrant ce qui est
possible. Mais son combat sera cruel et difficile. Jésus, le
premier, a combattu toutes les tentations et le pouvoir du
démon. Le père Pier Paolo combattra lui aussi et, comme
Jésus a vaincu les forces du mal, le père Pier Paolo les vain-
cra - mais après une dure bataille.
Peut-on dire que le père Pier Paolo en sortira vainqueur ?
Tout dépend de ce que l’on entend par victoire.
Le deuxième exorcisme a lieu l’après-midi du 2 3 mai sui-
vant, en présence de tous ceux qui ont assisté au premier,
sauf la mère de la dame qui, terrifiée par le spectacle qui
s’est déroulé sous ses yeux, n’a pas eu le courage de venir
assister à ce nouveau supplice.
Après les prières préliminaires rituelles, le père reprend les
conjurations, mais l’esprit, toujours aussi dédaigneux, re-
fuse de sortir. Il prétend que d’autres œuvrent pour qu’il
reste, ces autres étant les sorciers qui l’ont fait entrer dans le
corps de la femme.
Au cours des jours suivants, les autres séances d’exorcisme
sont toujours aussi violentes et terrifiantes. Lors de la qua-
trième séance, l’après-midi du 1er juin, l'exorciste tente de
préciser la question des plantes.
— L’autre jour, tu m’as parlé de trois plantes. Où les
trouve-t-on ?
— Ce n’est pas moi qui dois t'enseigner ces choses.
— Au nom de Dieu, dis-moi où on les trouve.
La femme hésite, comme si elle était retenue par un puis-
sant scrupule de conscience, puis, elle déclara résolument :
— Dans le jardin de X, la deuxième dans un jardin près
de la maison d’Y, et la troisième dans la vallée du Pô.
— Avec quoi sont-elles attachées ?
— Avec un fil de laine blanche.
— Qui les a attachées ?
— La première, c’est celui qui a demandé le maléfice.
La deuxième, c’est un sorcier. La troisième, celle qui est
dans la vallée du Pô, ces mains mêmes.
— Quand seront-elles dénouées ?
— Deux sont déjà dénouées.
— Quand sera dénouée la troisième ?
— Pas tant qu’existera le dépôt [c’est-à-dire la boule
que la possédée n’a jamais digérée], la plante ne se dénouera
pas.
— Et quand sortira le dépôt ?
— Quand tu le décideras.
— Je le décide maintenant. Lève-toi et jette-le.
Il faut insister un peu, mais la possédée finit par obéir et, au
bout d'atroces spasmes, rejette quelque chose. Le père sus-
pend l’exorcisme pendant quelques minutes et en profite
pour demander à la possédée si elle a déjà attaché des
plantes.
— Oui, une fois.
— À quel endroit ?
— Au fond du Pô.
— Qu’avez-vous utilisé ?
— Un fil de laine blanche.
— Et pour quelle raison ?
— C’était pour m’assurer qu'avec ce fil, je liais mon mal
à la plante.
— Et c'est ce qui s'est passé ?
— Au contraire. À peine ai-je attaché la plante que je
n’ai plus été en mesure de me détacher. Par la suite, les
choses sont allées de mal en pis. Mais pourquoi me po-
sez-vous toutes ces questions ?
— Parce que, pendant l’exorcisme, vous avez parlé de
cette plante.
— Je n’ai pas eu raison de l’attacher ?
— Absolument pas. Il s’agit d’une superstition. Sa-
vez-vous que, alors que vous attachiez cette plante au fond
du Pô, d’autres en attachaient deux autres ?
— Mais non !
Lors de la huitième séance d’exorcisme, le père Pier Paolo
demanda au diable :
— Les sorciers existent-ils vraiment ?
— Oui.
— Que font-ils ?
— Ce sont des personnes capables de faire du mal aux
autres.
— Ont-ils des pouvoirs sur toi ?
— Oui.
— Communiquent-ils directement avec toi ?
— Oui.
— Qui a donné à cette créature la chose maléfique ?
— N. N. [nom du donneur]
— Où l'a-t-il donnée ?
— Chez elle, à Plaisance.
— Qui a apporté la chose ?
— Une femme.
Il s’agit d’une petite vieille que le démon décrit avec force
détails en précisant qu'elle s'est présentée vêtue de noir avec
un châle noir également.
— Avant qu’on te chasse dans ce corps, où étais-tu?
— Dans une bourse.
— Où étais-tu avant d’entrer dans la bourse ?
— Dans un désert.
— Qu’y faisais-tu ?
— Nous allions derrière les chevaux.
— Derrière les chevaux ?
— Oui, dans le désert, avec l’omnibus de quart.
La chose est incompréhensible. Il est vrai que les assistants
ne sont pas obligés de croire tout ce que dit l’esprit, mais il
est également vrai que cette histoire compliquée de
porte-monnaie, de désert et de chevaux suscite une vive
curiosité chez tous, et ce, malgré l’absence de logique. C’est
pour cette raison que le père Pier Paolo cherche à aller au
fond des choses.
Il suspend l’interrogatoire et, pendant cet intervalle, dès que
la possédée reprend connaissance, il lui pose certaines
questions.
— Avez-vous déjà porté une bourse autour du cou ?
Après un instant d'hésitation, la femme répond !
— Oui, une fois.
— Qui vous l’a donné ?
— N. N. [le premier sorcier]
— Mais vous connaissez N. N. ?
— Oui, je l’ai vu de nombreuses fois.
— Pardon, mais pour quelles raisons ?
La femme rougit légèrement.
— Pour qu’il me soigne.
— N. N. est médecin ?
— On dit que c'est un saint parce qu’il a guéri de nom-
breux malades.
— Et il vous a guérie ?
— Non, mais il m’avait assurée que, si je portais la
bourse autour du cou, je serais guérie rapidement. Au con-
traire, j’ai été de plus en plus mal.
— Pendant combien de temps avez-vous porté la
bourse autour du cou.
— Pendant peu de temps, simplement du village de N.
N. jusqu’à mon retour à la maison, parce que le contact de la
bourse me brûlait terriblement et me paralysait. Mon mari
voulait absolument que je la garde et que j’essaie de sup-
porter les douleurs, mais, au bout d’un temps, je ne la sup-
portais plus. J’ai donc retiré et jeté la bourse.
— Avant de la jeter, avez-vous regardé ce qu’elle con-
tenait ?
— Bien sûr. Il n’y avait rien. Je croyais y trouver
quelque image sacrée, une relique de saint, mais il n’y avait
qu’un peu de papier.
À la reprise de la séance, la possédée est relativement calme,
mais lorsque l'exorciste entame le Sanctus, elle bondit en
l'air de manière indescriptible en menaçant Pier Paolo de
hurlements tonitruants.
Le père Giustino abandonne sa tâche de sténographe pour
tenter d’attraper la femme, mais il n’y parvient pas. Les yeux
de la possédée étincellent d’une lueur de haine terrifiante.
Lors de la séance suivante, le 3 juin, l’esprit se manifeste de
manière aussi puissante et offensive que la fois précédente.
Plus il perd de terrain, plus il se venge en injuriant le prêtre.
— Rejette-le ! lui ordonne celui-ci.
— Je ne le peux pas, répond l’esprit.
— Au nom de Dieu.
— Je ne le peux pas, imbécile.
— Au nom de Dieu, insiste l’exorciste.
Alors, le démon semble obéir.
— Qu’as-tu rejeté ?
— La bave de tous les fils.
La femme lève les yeux vers le prêtre d’un air empreint de
tristesse.
— Sous peu, je rejetterai tout.
— Rejette tout !
La possédée est toujours penchée sur le bassin.
— Qu’as-tu rejeté ?
— Tu m'as fait rejeter presque tout le dépôt.
— Pourquoi ne l’as-tu pas rejeté entièrement ?
— Parce que je ne le peux pas.
— Est-ce la vérité ?
— Oui.
— Imposteur ! Pourquoi m’as-tu affirmé l’autre jour
que tu avais tout rejeté ? Tu n'es qu’un imposteur qui dit une
chose et en fait une autre.
Face à cette injonction, la femme s’élance vers le prêtre,
mais les assistants, qui sont désormais sur leurs gardes, la
retiennent aussitôt.
Une bagarre furieuse s’engage, et le père Giustino se préci-
pite pour aider les assistants. En passant à côté du père Pier
Paolo, il lui conseille de dire quelque chose. Bien qu’elle soit
pratiquement immobilisée par les assistants, la femme se
débat en hurlant :
— Lâchez-moi, je veux frapper celui-là !
La bave aux lèvres, elle paraît dotée d’une force surhumaine,
au point que les assistants et le père Giustino semblent avoir
du mal à la retenir. Les femmes accourent à la rescousse,
mais, malgré les nombreuses mains qui la retiennent, la
possédée ne cesse de lutter et de se débattre.
À ce stade, le père Pier Paolo décide d’interrompre la séance
afin de ne pas épuiser la femme.
Les choses se poursuivent ainsi pendant des semaines,
d’autant que, si l’on en croit le diable, les sept autres dé-
mons combattent pour ne pas être contraints d’abandonner
le corps. Il va jusqu’à préciser que l’un des sorciers a enterré
quatre œufs sur lesquels il a posé une pierre en prononçant
des paroles mystérieuses signifiant : « Vous ne serez pas
délivrée tant que vous ne viendrez pas à moi. »
Les jours passent, et le père pratique de nouveaux exor-
cismes. Si la femme n'est pas délivrée, elle commence à pa-
raître en meilleure condition. L'exorciste comprend alors
que, outre Isabeau, il y a deux autres diables plus féroces
dans le corps de la possédée, Marie Stéphan et Erzelaïde, et
que diverses autres forces sont en jeu, certaines qui sont
parties et d’autres encore solidaires d'Isabeau. La lutte doit
durer encore longtemps, très longtemps.
Au cours des sept années qui se sont écoulées depuis qu'elle
est possédée, la femme a adopté, dans ses diverses trans-
formations, une voix virile mais affectueuse, ébranlée mais
cordiale.
Une voix qui affirme provenir de l’âme sainte de son
grand-père et donne d’excellents conseils qui, lorsqu’on les
applique, calment immédiatement, au moins sur le mo-
ment, les fureurs de la pauvre malade. Toute la famille en-
tretient d’ailleurs une grande vénération pour le grand-père,
et sa voix, malgré l’étrangeté de la situation, est symbole de
protection et de sérénité.
— C’est grand-papa qui l’a dit !
Cela suffit pour que tout le monde accepte les déclarations
et s’apaise. Il arrive que la mère de la femme annonce au
père Pier Paolo :
— Heureusement qu’au milieu de toutes ces diableries
et de tous ces diables, il y avait l’âme sainte du grand-père
pour conseiller toujours pour le meilleur.
Le père Pier Paolo est résolu à aller au fond de la question.
Au cours d’une séance, il déclare au démon :
— Tu as dit que tu n'étais pas seul, que tu avais plu-
sieurs compagnons. Eh bien, parmi ces compagnons, il doit
se trouver une belle âme, une âme sainte, l’âme du
grand-père de cette femme. Elle donne du courage à cette
femme. Elle l'exhorte à supporter patiemment ses maux, à
s’en remettre à Dieu, à se recommander à lui.
D'un air sournois, la femme écoute le père.
— Connais-tu cette âme ?
La possédée ne pipe mot. Perdant patience, le père Pier
Paolo ajoute :
— Imposteur ! C’est toi le grand-père ! Esprit im-
monde, trompeur ! Toi, camouflé, déguisé !
La femme adresse un regard émerveillé au prêtre et plonge
ses yeux dans les siens avec un air hésitant. Soudain, elle
laisse échapper un éclat de rire sonore, grossier, qui évoque
une ivrogne et fait frémir toute l’assemblée.
Le père Pier Paolo comprend que c’est alors la dernière ré-
ponse que la « sainte âme du grand-père » donnera.
La voix du grand-père n’est autre que la voix du diable.
Les séances se suivent les unes après les autres, et l'esprit
est toujours arrogant, même s’il ne paraît plus aussi sûr de
lui qu'au début. Dans les moments les plus critiques,
l’exorciste brandit la relique du bois sacré de la croix. Lors-
que le duel entre le prêtre et le démon atteint des sommets
d’intensité, les scènes sont effroyables. Si la fureur de
l’esprit est particulièrement intense, la femme se recroque-
ville sur elle-même, comme un sac vide, pour, tout à coup,
sembler animée par un être qui bondit et saute sans répit,
désespérément. Mais la haine de l’esprit se heurte cons-
tamment à des barrières insurmontables.
— Que devons-nous faire pour te faire sortir plus rapide-
ment ? demande le père Pier Paolo au démon.
Dans le silence qui envahit toute la pièce retentit la réponse
calme et solennelle de l’esprit :
— Prier.
Au cours de la neuvième séance, le prêtre demande :
— Où sont tes compagnons ?
Il fait allusion aux autres esprits qu’Isabeau a avoué avoir
éloignés du corps de la femme suite aux conjurations de
l’exorciste.
— Je n’en sais rien.
— Sont-ils dans cette pièce ?
— Oui, deux.
— Alors, je les chasse.
— Eh bien, chasse-les. Que m'importe cela ?
— Je les chasse dans le désert, tu comprends ?
— Et chasse-les donc dans le désert.
De toute évidence, le démon nourrit une certaine indiffé-
rence, voire du mépris pour ses compagnons.
Le père Pier Paolo répète son ordre :
— Va-t’en !
— Tu crois pouvoir me traiter comme un chien, mais tu
te trompes.
L’orgueil du démon est parfois si aigu qu’il parvient, à cer-
taines occasions, à s’imposer.
— Si tu as peur, va te coucher !
Il insiste sur la peur du prêtre, ce qui est le plus facile pour
lui.
Au cours de la dixième séance, Isabeau s’exclame d’un ton
triomphant !
— Tu sais quoi ? J’ai pris possession de X !
— Je ne te crois pas ; donne-m'en la preuve.
— Je vais te la donner, mais pas comme tu le crois.
— Donne-moi un signe suffisamment clair pour moi et
pour toutes les personnes ici assemblées.
— Laisse tomber les personnes assemblées. Je ne te
donnerai qu’un signe visible de toi.
— Lequel ?
— Pendant la nuit, tu verras une ombre près de ton lit.
Tu verras ma forme.
— Va en enfer. Je ne veux pas de ce rêve.
L’esprit éclate d’un rire moqueur.
— Alors, que veux-tu ?
— Donne-moi un signe.
— Je ne peux te donner un signe sans te faire mal.
— Donne-moi un signe.
Sur ce, le corps de la possédée commence à se gonfler, et son
visage se voile d’une teinte rouge cuir, puis, avec un effort
considérable, elle ouvre la bouche et laisse échapper un son
strident, persistant, qui évoque celui d’une sirène.
— C’est le signe ? demande le prêtre.
— Oui.
— Quel signe est-ce donc ?
— Le sifflement d’une sirène.
— Cela ne me suffit pas. Je veux entendre un signe plus
clair.
— Je vais te faire entendre une voix.
— Quelle voix ?
— Une voix.
La possédée se met à chanter d’une voix si stridente qu’elle
déchire les oreilles de l’assemblée.
— Arrête et donne-moi un signe plus clair.
— Alors, je t’apparaîtrai la nuit, à côté de ton lit.
— Tais-toi ! hurle l’exorciste.
Suivant l'idée du père Giustino, il se tourne vers les autres
femmes présentes et déclare :
— J’ordonne à l’esprit d’apparaître ici. Êtes-vous assez
courageuses ?
— Oui, répondent les femmes.
Le père se retourne vers la possédée et reprend :
— Tu veux m'apparaître de nuit, et moi, je te com-
mande d'apparaître ici, devant tout le monde. Allez !
Dans la tension palpable, le père s’est raidi et il serre da-
vantage dans son poing le manche de l'aspersoir.
Avec l’eau sainte, il a l’intention de tracer une ligne de dé-
fense imprenable contre les éventuelles velléités du démon.
Le moment est grave.
— Apparais ici, répète le prêtre dans le silence qui
semble peser de plus en plus lourd.
— Apparais ici, dit-il une troisième fois.
Enfin, d’une voix sourde et honteuse, l'esprit répond :
— Je n’en ai pas l'autorisation.
Et un frisson très visible dévoile à quel point son orgueil est
atteint.
Il arrive d’autres fois que le démon rencontre des forces
supérieures à sa volonté, ce qui est le cas lorsque le père lui
demande :
— Que doit-on faire pour éviter les maléfices ?
Le démon se rebelle violemment à plusieurs reprises, mais il
est ensuite obligé de répondre :
— Placer sur la poitrine une croix bénie.
Les exorcismes finissent par affaiblir toujours plus la force
du démon. Parfois, on dirait que l’esprit peine à trouver les
mots pour répondre et il arrive seulement à balbutier.
Alors, de la bouche contractée et des narines dilatées de la
possédée sortent comme des coups secs, des bruits évo-
quant les pierres du chemin qui, en heurtant les voitures,
leur font faire une embardée, mais il cherche toujours à
masquer sa faiblesse avec un ton des plus arrogants.
— Si tu veux que je sorte, dit-il au dixième exorcisme,
tu dois aller chercher ton compagnon qui ne croit pas.
— Qui ne croit pas à quoi ? À ton existence ?
Il était vrai qu’un frère du père Pier Paolo avait exprimé de
vifs doutes sur la réalité de la possession diabolique.
— Jusque-là, il n’y a rien de mal, dit le père.
— Où est-il ?
— Dans le monastère ?
— Où ?
— Dans sa cellule.
— Laquelle ?
— Alors, ce serait aussi bien de te dire son nom !
s’exclame l’esprit avec un haussement d’épaules.
On entend des pas derrière la porte. C’est certainement le
Dr Lupi qui s’approche : il est en retard et, après l’avoir at-
tendu un moment, le père a débuté la séance sans lui.
Le praticien arrive donc à la double porte qui sépare la salle
du palier de l’escalier, il ouvre le premier panneau et attrape
la poignée du second.
— Entrez donc, docteur, invitent les deux frères.
Le docteur ouvre et ferme la porte, mais on dirait qu’il ne se
décide pas à entrer. Dans tous les cas, on ne le voit pas.
— Quelle est cette plaisanterie ? demande quelqu'un.
D'un bond, le père Giustino se lève de son banc, se précipite
vers la porte et l'ouvre grand.
— Il n'y a personne, déclare-t-il.
Tout le monde se lève et se précipite dans l'escalier. Au
rez-de-chaussée, la grosse porte en chêne à lourdes ferron-
neries est, comme d'habitude, fermée à clef. Ils ne l'ouvrent
pas. Au-delà de la porte se tient le frère Antonio qui, pen-
dant toute la durée des exorcismes, monte la garde afin que
personne ne puisse entrer sans y être invité.
Le frère Antonio est consciencieux et il n’a pas quitté son
poste.
— Tu as vu le docteur Lupi ?
— Non.
— Quelqu’un d’autre est venu ?
— Non, personne.
— Tu n'as pas quitté ton poste ?
— Naturellement que non ! Pourquoi ?
Personne n’a le courage de lui répondre. Ils sont l'objet de
quelque plaisanterie invisible. Eslénder, peut-être ?
Ils remontent dans la salle pour reprendre l'exorcisme.
Le père attaque le Sanctus. L’esprit s’agite frénétiquement,
au point que le visage de la femme se tord de manière ef-
frayante.
— Tu as encore la force de danser et de chanter, oui ou
non ?
— Non.
— Alors, ce n'est pas toi qui la fais chanter, danser ou
s’agiter au cours des jours qui séparent une séance de
l’autre.
— Je le sais bien, répond l’esprit d’un air mystérieux.
— Rejette-le !
— Je ne peux pas.
— Au nom de Dieu, au nom de la Sainte Vierge.
— Laisse-moi tranquille, répond une voix plaintive.
— Non, je veux te tourmenter comme tu as tourmenté
pendant sept ans cette créature.
— Laisse-moi tranquille. Ce n'est pas ma faute si je l'ai
tourmentée. On m’a chassé ici.
— Par le sang du Christ, par la mort du Christ, re-
jette-le !
La possédée finit par obéir.
— Qu’avons-nous là ?
— J’ai fait sortir une partie de la boule.
Il s’agit de la boule maléfique.
— Combien en reste-t-il encore ?
— Plus d’un tiers.
— Pourquoi as-tu fait davantage souffrir cette femme
ces jours derniers ?
C’est, en effet, ce qui s’est produit. Toutefois, comme il se
fait tard, le père juge qu’il vaut mieux clore la séance.
D’ailleurs, l’esprit semble s’être enfermé dans un mutisme
buté.
— Je te commande, à toi, esprit immonde, pour les
jours à venir...
Un ricanement l’interrompt.
— … de rester tranquille. De ne pas... De ne pas appa-
raître devant moi, conclut l’esprit en riant.
Au cours d’une autre séance, l’esprit se rebelle, comme
d’habitude, contre le prêtre.
— Je ne sors pas!
— Pourquoi ?
— Pour te faire enrager.
— Mais je suis plus puissant que toi et, aujourd'hui, je
veux te chasser de ce corps !
— Et je ne sors pas aujourd’hui.
— Pour quelle raison ?
— Aujourd’hui, tu as déjà obtenu trop de moi.
— Et pourtant, l’autre jour, tu voulais t’en aller, dans
une plante et deux jambes, c’est-à-dire dans un homme.
— Je te répète qu’aujourd’hui, tu as déjà trop obtenu.
— Au nom de Dieu, au nom de l’hostie sainte qui ce
matin est passée haut et solennelle au milieu de tous2, qui
est descendue dans l’âme de cette créature, sors de ce corps !
— Je ne pars pas ! hurle le diable d’une voix vibrante
de colère.
— Mais le Christ, notre Dieu, ne doit pas céder devant
toi, esprit immonde ! Sors de ce corps.
L’esprit continue à hurler.
— Tu dois sortir aujourd’hui, jour de fête du Corpus
Domini.

2 C’était, en effet, le jour de la Fête-Dieu.


— Aujourd’hui, je ne m'en vais pas.
— De quel droit restes-tu dans ce corps ? Cette créa-
ture que Dieu a faite un jour à son image et à sa ressem-
blance. Pour elle, il s’est incarné, pour elle, il a souffert et il
est mort sur la Croix. Alors, elle est sienne.
L’exorciste s'interrompt, attendant en vain une réponse.
— Cette créature est le véritable temple de l'Esprit
saint, c'est la véritable maison de Dieu, et seul Dieu peut y
loger. Dehors, esprit immonde.
Les paroles du prêtre ne sont accueillies que par le silence.
L'esprit ne répond pas.
— Écoute, l’heure de la bénédiction s'approche. Les
clochent sonnent, l’orgue accompagne le chant du Tantum
ergo, le peuple est agenouillé devant le très Saint-Sacrement
exposé. À cette heure, tous les fronts s’inclinent. Toi aussi,
tu dois t’incliner et sortir.
Toujours aucune réponse.
— Dis-moi, dis-moi, au nom de Dieu, de Jésus-Christ,
il ne te gêne pas ce jour, le jour du Corpus Domini ?
Enfin, une réponse survient :
— Oui.
— Alors, va-t'en.
— J’étais dans les déserts lointains, et ils m'ont appelé,
ils m’ont conjuré. Je suis venu et, à présent, je ne peux plus
m'en aller.
Sa voix évoque un gémissement.
— Mais Dieu notre Seigneur est grand, il est
tout-puissant. Devant ce Dieu, Pharaon capitule, Paul
tombe à terre et toi aussi tu dois céder et t'avouer vaincu.
L’esprit adresse au prêtre un regard empli d’une angoisse
inexprimable, mais il ne répond pas. À cet instant, on en-
tend résonner les cloches et la bénédiction.
— Satan, c'est l’heure de la bénédiction. À présent, le
Christ, sous forme de pain, s’élève parce qu’il veut bénir tout
son peuple. À cet instant, avec toutes les autorités et toute la
puissance qui me sont conférées par Dieu, je te répète les
paroles du Sauveur divin : Exi ab ea, exi ab ea. Satan, rends
honneur à Dieu le Père, donne sa place à Jésus-Christ,
donne sa place à l'Esprit saint par le moyen de l'apôtre
Pierre. Exi ab ea !
L’ordre tombe dans un silence qui forme un contraste en-
core plus lugubre avec le son joyeux des cloches. L’esprit ne
bronche pas ; il est comme fourbu, mais inexorablement
enchaîné à ce corps.
D'autres séances encore suivent.
— Au nom de Dieu, je t’ordonne de m’obéir dans tout
ce que je te commande.
La femme ne répond rien.
— Tu as compris ?
Silence.
— Je te l’impose au nom de Dieu, de la très Sainte
Vierge.
Silence.
— Si tu as compris, lève un bras, sinon lève les deux.
Lentement, péniblement, la femme lève un bras.
— Aujourd’hui devrait être le grand jour de ton départ.
Partiras-tu vraiment ? Si tu pars, lève deux bras ; si tu ne
pars pas, n’en lève qu’un.
Après un moment d'hésitation, la femme lève les deux bras.
— Et tu partiras à cinq heures précises ? Si tu pars à
cinq heures précises, lève les deux bras ; si tu pars plus tard,
ne lève qu’un seul bras.
Elle lève les deux bras.
— Quand tu seras parti, cette créature se sentira-t-elle
mieux ? Si oui, lève les deux bras ; sinon n’en lève qu’un.
Elle lève les deux bras.
— Lève-toi et rejette.
La femme se lève et s’approche du bassin.
— Rejette !
Elle se penche et tente d’obéir.
— Rejette !
Mais elle n'y parvient pas. Elle se penche davantage
au-dessus du bassin. Il est 4 h 35.
— Par toute l’autorité que Dieu me confère, je te
commande, esprit immonde, de sortir immédiatement de ce
corps. Si tu sors tout de suite, je te chasse dans le désert, au
cœur du Sahara. Si tu ne sors pas tout de suite, je t’envoie en
enfer.
— Je paaaars...
Un jet de vomi sort du corps de la femme.
— Va, va, va dans le désert et, avant de revenir parmi
nous, attends que moi j’en décide.
Un instant plus tard, les mots suivants sortent de la bouche
de la femme qui a retrouvé sa propre voix :
— Je suis guérie.
— Et la boule ?
— La boule devrait être dans le bassin, intervient le
médecin.
Il se lève et se précipite vers le bassin pour soulever de sa
canne la chose qui a été rejetée. Elle est toute desséchée,
mais il s’agit de la fameuse boule, une boule de viande salée
de la taille d’une petite noix et ornée de sept petites cornes.
C’est ainsi que s’est déroulé cet exorcisme. Après des
séances éreintantes et d'âpres batailles, le 23 juin 1920, la
femme se sent soudain délivrée. Elle est libre.
Alors, cela signifie que tout est terminé ?
Pas du tout. Le démon qui était en elle continuera à agir, à
semer la destruction et la mort. Et ce sont ces destructions
et ces morts qui feront de cet exorcisme un cas unique à
étudier et étudier encore.
Tous les exorcistes doivent savoir que, une fois expulsé, le
diable peut encore attaquer.
Tous les exorcistes doivent savoir qu'ils sont, eux plus que
tout autre, l’objet premier des attaques féroces du même
diable qu’ils ont contribué à chasser du corps d’un possédé.
Quelques jours après la délivrance, M. Cassani, l'un de ceux
qui ont assisté aux exorcismes pour soutenir la possédée, se
présente devant le père Pier Paolo. L’homme est particuliè-
rement agité.
— Mon Père, j’ai besoin de vous.
— Parlez-moi en toute confiance.
— Au cours de ces sept années, en tant que voisin et
ami, j’ai toujours aidé la pauvre femme avec ma fille lors-
qu’une crise survenait. L’esprit m'a annoncé à plusieurs
reprises que je devrai mourir. Et l'esprit ne menace jamais
en vain.
M. Cassani paraît terrorisé. Le prêtre cherche à le rassurer.
— Fallait-il que l’esprit vous le dise pour que vous sa-
chiez que vous allez mourir ?
— Mon père, je vous demande pardon, mais vous ne
m’avez pas laissé finir. L’esprit a déclaré que je devrai mou-
rir dans les trois mois, victime de sa vengeance.
— Vous le croyez ?
— Et comment pourrais-je croire le contraire ?
— Ne savez-vous pas que l’esprit est le père du men-
songe. Et ce n’est pas moi, mais l'Église qui l'affirme.
— Mon Père, la parole est toute-puissante. Nous ver-
rons bien. En attendant, donnez-moi la bénédiction devant
l’autel de Notre-Dame.
Quelques mois après cet entretien, par un glacial après-midi
de novembre, le père Pier Paolo est appelé par la dame,
alors parfaitement guérie.
— Mon Père, venez au plus vite pour recueillir la der-
nière confession de monsieur Cassani.
— Que se passe-t-il ?
— Il est sur le point de mourir.
Le père accourt et constate, en effet, que le sieur Cassani est
dans un état des plus graves. La voix déjà brisée par les
râles, l’homme déclare :
— Vous souvenez-vous, mon père, de la bénédiction
devant l’autel de Notre-Dame ? Vous souvenez-vous de mes
pressentiments ? Je meurs de sa vengeance.
Bien entendu, il fait allusion à l’esprit démoniaque.
Le lendemain, le sieur Cassani, qui avait joui jusqu'alors
d’une santé à toute épreuve, rend son dernier souffle.
Peu de temps après survient un autre épisode lié à cette af-
faire. Un homme de l’entourage de la famille de la possédée
et du père Pier Paolo a manifestement adopté un compor-
tement incrédule. Jusque-là, rien de bien grave, mais le pire
est que son incrédulité se double d’un comportement ou-
vertement railleur. Un jour, afin de défier son entourage, il
se met à parler du cas de la possession en disant ces mots :
— Si c'était un esprit, pourquoi ne vient-il pas me pos-
séder, moi ?
Quelques années plus tard, cet homme sera frappé par la
phtisie. Il fait appeler l’exorciste et lui dit :
— Quelle que soit la maladie qui me tue, ce n’est pas ça.
Et il éclate en sanglots.
Là encore, la terreur n'a pas pardonné.
Par la suite, le père Pier Paolo vivra toujours dans le cau-
chemar de ses souvenirs. Un jour, il aura l’impression de
recevoir un grand coup sur la tête, mais, en regardant au-
tour de lui, il ne verra personne. Son cou ne soutiendra plus
sa tête, et le père Pier Paolo passera son temps penché, le
menton sur la poitrine, affirmant qu’il s’agit là de la ven-
geance du démon :
— Ce n’est que bien peu de chose, car je m’attendais à
pire. Le Seigneur est miséricordieux.
Mais la terreur ne l’abandonnera plus, comme elle
n’abandonnera plus l’évêque de Plaisance, celui qui avait
ordonné au père Pier Paolo de se charger de l'exorcisme. Au
cours des séances, Isabeau avait également annoncé sa
mort, qui se présenta telle qu’annoncée.
Comme le lion rugissant, le diable rôde et trouve toujours
quelqu’un à dévorer.
Comment est-il possible que le diable ait ainsi réussi à se
venger de ceux qui l’ont chassé du corps de la femme ? Est-il
possible que le démon agisse après la possession et nuise à
ceux qui ont participé à l'exorcisme ? Je ne peux ici que dire
ce que je sais sans chercher à aller au-delà.
Le diable est toujours en mouvement, semant le sang, la
mort et la destruction sur son passage. Toujours. Sans in-
terruption. Le fait d'être possédé est un événement qui, pa-
radoxalement, ne s’achève jamais : même une fois délivré, il
reste une empreinte, une blessure, comme un trou noir qui
vous accompagne partout.
Certes, le démon n’est plus une réalité vivante à l'intérieur
du possédé, mais il n’en demeure pas moins une trace op-
pressante qui, d'une manière inexplicable, se fait toujours
sentir.
Nous aussi, exorcistes, portons en nous le poids des démons
que nous avons chassés. Nous les chassons, mais ils ne
meurent jamais, et ils continuent à vivre et à faire le mal. Ils
continuent notamment à importuner ceux qui ont contribué
à les chasser. C'est la raison pour laquelle je choisis toujours
des collaborateurs à la foi indestructible qui prient avec
ferveur. La grâce et la proximité de Dieu sont des remèdes
sûrs contre les attaques du diable.
Les démons nous observent inlassablement pour nous
soumettre tout aussi inlassablement à la tentation. Ils sur-
veillent particulièrement ceux qu’ils ont déjà possédés parce
que le fait de reprendre l’âme d'une personne qui a été déli-
vrée constitue pour eux une immense victoire.
C’est un peu comme lorsqu’un enfant se casse le bras. On lui
met un plâtre, et le bras se répare, mais ce bras ne pourra
jamais plus être comme avant.
Bien que soudée, la fracture demeure présente et, en gran-
dissant, l'enfant continue à la sentir. C’est la même chose
pour la possession.
Je me souviens d’une occasion où j’avais délivré une jeune
femme. Au bout d’une année, elle était revenue me voir, car
elle était à nouveau possédée. J’ai dû recommencer à
l’exorciser, mais, dès que j’ai commencé la première séance,
le diable m’a dit :
— Et que crois-tu pouvoir faire, prêtre ? Ne sais-tu pas
qu'elle est à moi pour toujours ? Elle est revenue vers moi.
C'est moi le vainqueur.
Heureusement, j’ai réussi à la libérer une seconde fois, mais
cela a été encore plus difficile.
Certes, dans l’affaire de Plaisance, le retour du diable s'est
fait sous des formes que je n’ai jamais rencontrées autre-
ment. Il est revenu pour tuer. Il serait bien difficile de tenter
d’expliquer cela.
Souvent, mais pas toujours, certains possédés sont consen-
tants. C’est comme si leur volonté disait à Satan : « Entre en
moi. » Lorsqu’on contracte ainsi un pacte avec Satan, il est
pratiquement impossible de le dénouer.
Si on confie son âme à Satan pour l’éternité, on peut recon-
naître ses torts et vouloir être délivré, mais le pacte de-
meure, et il faut en payer les conséquences.
En somme, on peut sauver son âme, mais le corps, mysté-
rieusement, peut mourir sous la volonté et par les mains de
Satan.
IV
Des enfants-tueurs

Après mon premier exorcisme sur le paysan de la région de


Rome, ma vie s’avéra bientôt des plus mouvementées tout
en étant, paradoxalement, extrêmement monotone. Mono-
tone parce que, après ce premier exorcisme, je ne fis, pen-
dant des années et chacun des jours de ces années, pas autre
chose que des exorcismes. Il m'arrivait d’exorciser dix, voire
quinze personnes par jour. Tous les jours, jours fériés com-
pris.
Ma bataille est une bataille personnelle contre le démon.
Une bataille que je n’ai pas réclamée, un devoir que Dieu
m’a confié par l’intermédiaire du cardinal Poletti et que j’ai
accepté avec l'esprit d’obéissance qui est le mien.
J’ai accepté la bataille, quelque âpre ou terrible qu’elle soit.
Comme lorsque je me retrouvai pour la première fois devant
un cas que je n’aurais pas cru possible : un enfant de
quelques mois.
Il est difficile de comprendre ou d’expliquer quoi que ce soit.
Pourtant, c’est une réalité : parmi ses victimes, le diable
choisit aussi des enfants, des innocents. Ils n’ont commis
aucune faute, mais le diable veut aussi s'emparer de leur
corps. Souvent, il y réussit. Il arrive même que la possession
se fasse alors que l’enfant est encore dans le ventre de sa
mère. C’est terrible, mais c’est ainsi.
Par exemple, un mage ou un sorcier jette un maléfice à une
femme dans l’intention de toucher également l'enfant
qu’elle porte et, parfois, le sort fonctionne. Inexplicable-
ment, le maléfice atteint le fœtus.
De toute évidence, c'est une chose que Dieu permet. Si la
raison en reste mystérieuse, il ne faut pas oublier qu’il arrive
que Dieu laisse les mains libres aux déchaînements du
diable, même sur les plus innocents des êtres humains, à
savoir les enfants.
Ainsi, l’enfant naît possédé. Les signes en sont très clairs :
dès que l'on fait entrer l’enfant dans une église, il se met à
pleurer sans raison ; même chose lorsque ses parents prient,
chez eux.
Au fur et à mesure que l’enfant grandit, ces phénomènes
sont de plus en plus marqués, mais il est souvent possible de
les remarquer très tôt.
C’est pour cette raison que je conseille toujours aux parents
de baptiser leur enfant dès la naissance sans laisser
s’écouler trop de temps. Le baptême constitue un puissant
exorcisme. Le baptême chasse le diable.
Le diable craint le baptême. Ce n’est pas un hasard si, en
effet, parmi les personnes possédées dans le monde, la plu-
part sont des personnes qui n’ont pas reçu le baptême. C’est
surtout avec les personnes non baptisées que le diable a les
mains libres.
Or donc, voici qu’on m'amène un enfant âgé de quelques
mois. Les parents déclarent qu’ils ne comprennent pas cer-
taines de ses réactions insolites : des pleurs qui semblent
venir d’un monde lointain ; des cris anormaux pour son âge.
Les médecins n’ont décelé aucune maladie et ils se sont
contentés de déclarer :
— Attendez qu’il grandisse. Avec le temps, tout devrait
s'arranger.
D'un certain point de vue, ces médecins ont raison. L’enfant
n’a aucun trouble que pourrait guérir la médecine. Si, par
exemple, on lui donne un calmant, il réagit de manière to-
talement opposée et devient plus excité, voire fou de rage.
Sur lui, les médicaments provoquent l’effet opposé à celui
qu'on espère.
Au bout d’un certain temps, le père, catholique pratiquant,
remarque un fait particulièrement étrange : chaque fois qu’il
pénètre avec lui dans une église, son enfant se met à san-
gloter de désespoir.
Il devient tout rouge, ses veines se font visibles, et il paraît
animé d'un feu incontrôlable. C’est ainsi que le père com-
mence à penser qu’il y a quelque chose d’inhumain en jeu et
qu’il décide de me rendre visite.
Je n’ai jamais eu à traiter un enfant si jeune. Je ne suis
qu'un débutant moi aussi, mais je sais bien - puisque le père
Candido me l’a répété maintes et maintes fois - qu’un exor-
cisme ne peut nuire. Au mieux, il fait du bien, sinon il n'a
aucun effet.
C’est ainsi que je me décide à endosser mon étole, à prendre
le rituel, l'huile sainte, l'eau bénite et à entamer la première
séance. Il me suffit de prononcer quelques mots pour que
l’enfant se mette à pleurer et à hurler.
Son père est même obligé de le poser à terre parce que,
malgré son très jeune âge, il semble capable d’échapper à
son étreinte. Je mets rapidement fin à la séance et j'explique
aux parents que je devrai revoir l’enfant au moins trois ou
quatre fois par semaine.
Pendant quelques mois, nous poursuivons l'exorcisme, mais
le diable ne parle jamais. Le seul signe patent est celui des
hurlements terribles de l'enfant pendant toute la durée de
chaque séance.
Puis, dès que nous avons terminé, il n'émet plus un son.
Durant chaque séance, les pleurs brisent le cœur des pa-
rents, et il semble qu’il n'y ait aucune consolation possible
pour leur enfant. Je conseille aux parents de prier le plus
possible, de jeûner et d’assister tous les jours à la messe.
Ils suivent mes recommandations et, au bout de quelques
mois, voilà que se produit une chose que je n’aurais jamais
imaginée possible si vite : les parents arrivent avec l’enfant,
et je commence l'exorcisme. L’enfant demeure calme ; il ne
pleure pas, il sourit même.
Je commence à réciter le rituel, le prie, je l’asperge d’eau
bénite. C'est incroyable : en l’espace de quelques mois, voilà
que l’enfant est déjà délivré.
J’apprendrai à mes dépens à quel point la possession chez
les enfants peut être terrible, violente, frénétique, puissante,
mais je comprendrai grâce à eux à quel point ils sont vul-
nérables dans leur résilience.
Lorsque ces enfants grandissent, un signe très clair té-
moigne de la possession : leur perfidie. Une perfidie qui
dépasse tout entendement et surtout qui ne correspond pas
à l’âge de l’enfant. Il montre alors une réelle volonté de faire
le mal, de détruire, comme s’il s’agissait d’une manifestation
inhérente de sa personnalité, une expression de sa force
contre tout et tous.
Il existe d’innombrables cas, dont l’histoire a été également
consignée, d'enfants ou d’adolescents chez lesquels cette
perfidie a été un signe manifeste de leur possession. On a
invité dans des émissions de télévision foule de psychiatres,
psychologues et autres criminologues pour tenter de donner
une explication à ces atrocités, mais on a oublié les exor-
cistes ! Si on leur avait demandé leur avis, ils auraient résolu
les affaires en l’espace de quelques minutes en affirmant
qu’il s’agissait de « cas de possession diabolique ».
Je me souviens particulièrement de deux cas terribles dont
tout le monde a entendu parler. Ils me serviront à illustrer
mon propos afin que le plus de gens possible ouvrent les
yeux sur ce dont le diable est capable.
Le diable rôde dans le monde en dévorant des vies qui de-
vraient, par leur nature même, être pures, authentiques et
joyeuses.
Le premier concerne l’affaire de l’homicide du petit Anglais
James Bulger ; le second s’est déroulé en Italie et concerne
l'homicide de Susanna Cassini et de son fils Gianluca De
Nardo.
***
James Bulger naît à Liverpool le 16 mars 1990. En 1993, il
n’a donc que trois ans lorsqu’il est enlevé et assassiné par
deux garçons de dix ans, Jon Venables et Robert Thompson.
Le petit garçon est enlevé dans le centre commercial du New
Strand, à Bootle, en Angleterre, où James accompagne sa
mère Denise. Jon et Robert sont là à traîner et à observer les
passants qui fréquentent le centre commercial quand l'un
des deux propose de choisir une cible, de préférence, bien
sûr, un très jeune enfant.
Ils essaient d'abord, sans succès, d’attirer un petit garçon de
deux ans qui joue avec sa sœur, mais la mère récupère les
enfants à temps et chasse les deux voyous.
À l’intérieur du centre commercial, James est en train d'at-
tendre sa mère qui est entrée dans un magasin. Au bout de
quelques minutes, elle sort pour découvrir que son fils a
disparu.
Apparemment, James a accompagné les deux garçons qui
lui avaient dit quelques mots pour le mettre en confiance
avant de l’entraîner par la main jusqu'à l’extérieur du
centre. Les caméras en circuit fermé du centre commercial
montreront nettement la scène.
Jon et Robert entraînent l’enfant sur près de quatre kilo-
mètres malgré ses pleurs et ses appels à sa mère. Ils le con-
duisent jusqu'au bord d’un canal, et Robert plaisante sur la
possibilité d’y noyer le petit.
Puis, l’un des deux prend James par les pieds et le fait tom-
ber, le blessant au front. Réalisant qu'ils ont fait une bêtise,
les deux garçons s’enfuient derrière une haie. Ils font le guet
un moment, mais personne n’apparaît. Ils sortent alors de
leur cachette et récupèrent l’enfant.
Ils se dirigent vers le village, et Jon couvre le front de
l’enfant avec la capuche de son sweat-shirt pour masquer la
blessure. À un croisement, James échappe aux mains de ses
ravisseurs et se précipite sur la route en appelant sa mère.
Robert le rattrape et l'entraîne derrière lui. De nombreux
motocyclistes remarquent le jeune enfant que l'on traîne
pendant qu’il se débat et refuse de marcher, mais personne
n’a l'idée de s'arrêter pour essayer de comprendre ce qui se
passe. Jon attrape James par les jambes tandis que Robert
le porte par les épaules, et ils le transportent ainsi jusqu'au
champ qui se trouve devant un restaurant. Une femme qui a
remarqué la blessure de James s’approche.
— Nous ne savons pas qui c’est, nous l’avons trouvé
dans la vallée, prétendent Jon et Robert en faisant mine de
ne pas le connaître.
La femme indique aux garçons le poste de police le plus
proche et, quand ils se dirigent de l'autre côté, elle leur crie
de s’arrêter, mais ils parviennent à s’enfuir.
Les trois enfants continuent leur chemin jusqu’à une rue
appelée Country Road et ils s’arrêtent dans plusieurs maga-
sins, pour aller ensuite jusqu'à la Walton & Anfield, dans
Walton Lane, une petite gare désaffectée. Ils reviennent
dans la rue principale et se glissent dans une allée avant d’en
ressortir aussitôt.
À droite se trouve le poste de police, à gauche, la maison où
habite Robert. Ils décident de retourner à la gare en évitant
le poste de police.
Pendant tout leur périple, trente-huit personnes les aperce-
vront, mais aucune ne les arrêtera. Pendant qu’ils se diri-
gent vers la gare désaffectée, Jon arrache la capuche du
sweat-shirt de James et la jette dans les fourrés. L’un des
garçons sort la bombe de peinture bleue qu’ils ont volée le
matin et en projette sur le visage de James.
Puis, ils le frappent avec des briques, des pierres, une barre
d’acier et le bourrent de coups de pied. Thompson donne un
coup de pied si fort au visage de James que l’empreinte de sa
chaussure y demeurera. Ils baissent son pantalon, et l'un
des deux garçons lui masse les parties génitales. Ils enfilent
dans la bouche de James des piles également volées. James
présentera des fractures dans de nombreuses parties du
corps.
Ils l’abandonnent encore vivant sur les rails de la voie de
chemin de fer après lui avoir recouvert la tête de cailloux,
dans l’espoir qu’un train lui passera dessus et que sa mort
paraîtra accidentelle. Peu après, le corps est, en effet, coupé
en deux par le passage d’un train, mais, selon l'autopsie, à ce
moment-là, James a déjà rendu son dernier souffle.
Au cours des mois qui suivront, les deux garçons seront
soumis à diverses analyses psychologiques. Elles révéleront
notamment que Thompson, fils d’un alcoolique, a été régu-
lièrement violé par son père qui s’attaque également à ses
frères.
Quant à Venables, fils de parents divorcés qui ont tous deux
un passé de dépression pathologique, il a un grand frère et
une petite sœur qui présentent aussi des problèmes de
comportement ; à l’école, on se moque de lui et on le bous-
cule sans relâche. Les deux garçons se connaissent depuis
l'école, où ils se sont rapprochés parce qu'ils y sont tous
deux maltraités.
Ils ont l'habitude de faire l’école buissonnière et, poussés
par une force qu’ils sont incapables d’expliquer, ils enlèvent
et torturent le petit James comme si c'était la chose la plus
naturelle du monde.
Comment ont-ils pu en arriver là ? Il n'y a aucune explica-
tion logique, et l'on peut examiner pendant des heures leur
enfance, certes difficile, rien ne suffit à expliquer un tel dé-
chaînement d’atrocités. Une telle perfidie.
C’est la perfidie du diable.
Comment expliquer autrement, en effet, un tel délit si l'on
ne prend pas en compte le diable ? C’est lui qui, d'une ma-
nière ou d'une autre, a réussi à posséder les deux garçons et
à les conduire pas à pas jusqu'à la dépravation la plus irra-
tionnelle et terrifiante qui soit : l’homicide d'un petit inno-
cent.
Car une telle perfidie dépasse l’entendement. Toutefois, il
me faut revenir sur la violence du propre père de Thomp-
son, car elle possède une signification importante. Il faut
savoir que la violence des pères sur leurs enfants est l’une
des voies favorites de Satan pour descendre sur la terre.
Ainsi, il ne faut pas négliger le fait que le jeune Thompson
ait été maltraité inlassablement par son père. Ce n’est pas
un détail : souvent, les jeunes garçons possédés par le dé-
mon ont d’abord été maltraités par leur père. La violence du
père est un véritable canal de transmission d'une efficacité
redoutable pour laisser passer le diable.
La faute des pères retombe sur leurs fils par une transmis-
sion du mal qui a un caractère extraordinaire. Tous les en-
fants violentés par leur père ne finissent pas par être pos-
sédés, mais ils sont plus nombreux. Les pères exercent, en
effet, sur leurs fils une paternité également spirituelle que
les mères n’ont pas. Si un père bénit son propre enfant, sa
bénédiction aura un effet positif, bien plus positif que la
bénédiction de la mère. De même, lorsqu’un père maltraite
son fils, les conséquences peuvent être dramatiques.
Marinella a dix-huit ans lors de sa première visite.
— Pourquoi penses-tu être possédée ?
— Mon Père, me répond-elle, depuis que je suis toute
petite, je ne peux entrer dans une église. Les lieux sacrés me
repoussent. Je veux entrer, mais une force m'en empêche.
— Depuis combien de temps souffres-tu de ces
troubles?
— Plus ou moins depuis l’âge de sept ans.
— Que s’est-il passé lorsque tu avais sept ans ?
— Mon Père, j’ai honte de le dire...
— Tu ne dois pas avoir honte avec moi. Dis-moi tout.
— Mon père a abusé de moi.
— Combien de fois l'a-t-il fait ?
— De nombreuses fois. À présent, il est mort, mais rien
n’a véritablement changé. Je n’ai jamais de chance. Je vou-
drais demander de l’aide à Dieu, mais je ne peux pas. Je
n’arrive pas à prier. Je ne sais pas qui pourrait m'aider.
Si l’on compte que Marinella a dix-huit ans lorsqu’elle se
présente, cela signifie que la possession, si possession il y a,
dure depuis onze ans, c’est-à-dire un laps de temps relati-
vement long. Je décide donc de ne pas commencer l’exor-
cisme tout de suite. Je suis seul chez moi, et mes assistants
ne sont pas là. Je crains, en effet, une réaction très négative,
voire violente. Je lui donne ainsi rendez-vous la semaine
suivante.
Sept jours plus tard, Marinella se présente à l'heure. Avec
moi, il y a dix personnes, neuf laïcs et un jeune prêtre qui
m'a demandé à plusieurs reprises d’assister à mes exor-
cismes.
Je fais asseoir la jeune fille sur un petit lit où on l'attache
avec des sangles. J'enfile mon étole, je prends l’eau bénite et
l’huile sainte, et j'entame les prières en latin.
Marinella réagit sur-le-champ et, malgré les liens qui la
maintiennent, tente de se débattre.
Près de moi, le jeune prêtre suit la scène avec un air
d’appréhension, puis, dans un mouvement spontané de
compassion, il exécute un geste qu’il n’aurait jamais dû
faire. Il s'approche de Marinella, lui pose la main sur
l'épaule en disant :
— Calme-toi, c’est bientôt fini.
Marinella se tourne vers lui et le foudroie du regard en hur-
lant :
— Qui es-tu, petit puceau !
— Je suis le père...
— Silence ! dis-je.
Je demande alors au jeune prêtre de s’écarter, mais le mal
est fait. Le diable prend le jeune prêtre pour cible et lui
adresse ses insultes.
— Et que fais-tu là, petit puceau ? Tu ne devrais pas
être au lit à cette heure ? Ah ! désolé, lorsque les autres
dorment, tu ne te couches pas. La nuit, tu ne dors pas, tu te
masturbes devant la télévision. Ça te plaît de te branler tout
seul, non ? Oh ! oui, c'est bien vrai. Que fais-tu exactement ?
Tu ne réponds pas ? Le pauvre puceau que voilà démasqué
devant tout le monde !
Le diable accompagne sa diatribe d’un éclat de rire reten-
tissant.
Mais je n'ai pas le temps de me soucier de mon compagnon
de voyage, car je dois poursuivre l'exorcisme. Le diable a
pris pour cible le jeune prêtre, et je sais que, pour le mo-
ment, il n’en veut pas d’autres.
Parce qu’à côté du jeune prêtre, je suis là, et mon exorcisme
constitue un tourment terrible pour le démon. Mais c'est ce
tourment qu’il doit absolument affronter. Je hurle :
— Tais-toi, diable ! Tais-toi ! Réponds-moi au nom du
Christ : qui es-tu pour oser importuner cette pauvre enfant ?
Qui es-tu ?
Marinella bave et se débat, puis, d'un coup, elle se met à
trembler de tous ses membres en émettant un long hulule-
ment.
— Tais-toi, prêtre ! Je ne répondrai pas ! hurle-t-elle.
Je ne te répondrai jamais !
— Réponds-moi au nom du Christ ! Qui es-tu ?
Dis-moi qui tu es !
Du fond de la gorge de Marinella, une voix rauque et lu-
gubre lâche :
— Je suis le cauchemar de Marinella. Je suis son dé-
mon et son plaisir. Je suis le diable qui, grâce à son père, l’a
possédée, et je la posséderai pour toujours.
— Tu ne posséderas personne pour toujours.
Le Christ vaincra. Le Christ a vaincu. Le Christ te vaincra.
Je continue l’exorcisme. Les prières en latin semblent être
très efficaces et, pendant trois longues heures, Marinella
manifeste des réactions violentes à mes paroles.
À la fin de la séance, Marinella ne se souvient de rien de ce
qui s’est passé. Je lui demande de me parler de son père.
— C’était un homme violent, et j’étais son jouet. Je de-
vais satisfaire toutes ses exigences, sinon il me battait jus-
qu'au sang et il battait ma mère. Pendant des années,
jusqu’à sa mort, je me suis soumise. Vous savez pourquoi je
n’ai rien dit ?
— Dis-le-moi.
— Je n’arrive pas à le haïr. C'était mon père. C’était
mon père...
Marinella éclate en sanglots. Je la console et je la laisse par-
tir en lui donnant rendez-vous pour la semaine suivante. Je
lui recommande également de se confesser et, chaque jour,
de s’approcher d’une église.
— Même si tu n'arrives pas à entrer dans l’église, tu
dois essayer de rester devant la porte au moins cinq minutes
sans parler. Tu verras que, si tu le fais tous les jours, dans
quelques mois, tu réussiras à entrer.
Après son départ, je dois m’attaquer à une autre tâche tout
aussi importante : parler avec le jeune prêtre.
Les yeux baissés, il m’attend devant la salle où nous avons
pratiqué l’exorcisme. Il semble à la fois craintif et brisé.
— Tu as vu ce qui se passait quand on va trop loin ? Il
faut avoir une certaine expérience avant de traiter avec les
démons, mais, surtout, il faut avoir une vie saine. Sinon, il
lui est facile de te démasquer et de t'humilier devant tous.
— Mon père, je suis désolé.
— C’est bon, mais que cela te serve de leçon.
— Mon père...
— Je t’écoute.
— Puis-je vous demander quelque chose ?
— Allez, parle.
— Puis-je me confesser ?
Le 21 février 2001, à Novi Ligure, en Italie, Erika De Nardo,
seize ans, et son petit ami Mauro « Omar » Favaro, dix-sept
ans, assassinent à coups de couteau de cuisine Susanna
«Suzy» Cassini, la mère d'Erika, et Gianluca, onze ans, le
frère de la jeune fille. Pour le peu qu’on en sache, la dyna-
mique du crime est particulièrement terrifiante.
Suzy rentre à la maison avec son fils vers 19 h 30. Elle
sonne, et c'est Erika qui ouvre la porte. Elles se rendent dans
la cuisine et entament une dispute au sujet des mauvais ré-
sultats scolaires de la jeune fille.
Bientôt, c'est le premier coup de couteau. Erika enfile des
gants. Omar, qui se trouve à la maison, dissimulé dans le
cabinet de toilette du sous-sol où il a déjà mis des gants,
accourt pour prêter main-forte à Erika.
Les deux jeunes gens agrippent la mère par les épaules. L’un
des deux lui met la main sur la bouche pour l’empêcher de
crier, et le second commence à frapper avec le couteau, puis
l'autre s’y met aussi.
En essayant de fuir, la mère va heurter la table de la cuisine
avec une telle violence qu’elle se brise. Les deux agresseurs
continuent à asséner les coups de couteau jusqu’à la mort de
Suzy. Atterré, Gianluca, qui est descendu du premier étage
de la maison, assiste à l’assassinat de sa mère.
Lorsque les deux jeunes gens l’aperçoivent, ils se mettent à
le frapper lui aussi, d'abord au rez-de-chaussée, puis au
premier étage de la villa. Dans la chambre d’Erika, Gianluca
meurt sous cinquante-sept coups de couteau. À ce stade,
Erika et Omar retournent au rez-de-chaussée où ils projet-
tent d’attendre le père pour le tuer lui aussi. Toutefois, ils
seront découverts avant d'avoir pu commettre ce dernier
forfait.
Que peut-on ajouter ?
Peut-on trouver dans le monde plus de perfidie ? Plus de
haine ? Plus de rage ?
Cela paraît difficile tant ce comportement est inhumain.
C’est parce que c’est la perfidie du diable qui en est le mo-
teur, comme celle qui frappera, heureusement pendant très
peu de temps, une jeune fille de Cassino.
En juillet 1988, Laura a quatorze ans et elle vit à Cassino, au
sud de Rome. Un soir, une camarade d’école lui propose de
sortir.
— Où irons-nous ? demande Laura.
— Voir une chose que tu n’as jamais vue, répond l'amie.
Elles sortent de la ville et se glissent dans un bois des envi-
rons pour aller jusqu’à une maison de campagne. Elles en-
trent et, là, découvrent dix personnes encapuchonnées en
train de pratiquer une séance de spiritisme.
Les participants implorent les esprits en leur demandant de
leur parler, puis ils sacrifient au diable un animal capturé
depuis peu.
Malgré sa terreur, Laura n’ose pas s'enfuir. Son amie la tient
fermement et la force à regarder. Le tout dure à peine une
heure et, après ce qui, aux yeux de Laura, ne paraît qu’un jeu
stupide mais inoffensif, les deux amies retournent en ville,
se saluent et rentrent chez elles chacune de leur côté.
Lorsque Laura arrive à la maison, ses parents sont encore
debout et, lorsqu'ils l’accueillent, elle laisse échapper un flot
d’injures. Ses parents sont d’autant plus surpris que Laura
n’a jamais juré et qu'elle n’a jamais eu de comportement
agressif en famille. Or, ce soir-là, il est impossible de la cal-
mer, voire de l'approcher.
Lorsque ses parents exigent des explications sur la cause des
insultes et des blasphèmes qui ne cessent de sortir de la
bouche de leur fille, elle rétorque par une animosité inouïe :
elle crache, elle mord, elle hurle. Bref, on dirait une autre
personne.
Une personne démoniaque ?
Catholique pratiquant, son père a entendu parler du père
Candido, l'exorciste de la Scala Santa et mon maître. Sans
plus tergiverser, au beau milieu de la nuit, il fait monter sa
fille dans sa voiture et prend la route pour Rome. Lorsqu’ils
arrivent à la Scala Santa, l’aube ne s’est pas encore levée. Il
descend et attend que les frères lui ouvrent le portail.
— J’ai besoin de voir le père Candido, dit-il au premier
frère.
— Et pour quelle raison ?
— Je dois lui montrer ma fille, dit-il en indiquant la
jeune fille qui, à ses côtés, se tord et lance des regards hai-
neux vers le religieux.
— Le père Candido est indisposé. Vous devez vous
adresser à son remplaçant, le père Gabriele Amorth. Voici
l’adresse de son domicile.
Père et fille remontent en voiture et arrivent chez moi. Ils
attendent que je sois réveillé avant de me faire appeler. Ce
matin-là, j’ai rendez-vous pour deux exorcismes extrême-
ment difficiles, et je demande à Laura et à son père de
m’attendre à la loge jusqu’à ce que j'aie terminé. Il est déjà
midi lorsqu’on me rappelle que deux personnes m’at-
tendent. Je suis épuisé, mais j’accepte de les recevoir en me
disant : Une petite bénédiction et basta !
— Bonjour, comment s’appelle cette jeune fille ?
C’est le père qui me répond. La tension est palpable, et je
vois bien que mes deux visiteurs sont éreintés. Malgré cela,
je sens aussi qu’il y a autre chose que de la simple fatigue et
je commence par la bénédiction.
Aussitôt, je commets une imprudence pour laquelle je suis
vertement puni : je m’approche trop de Laura qui, d’un
bond, m'attrape par le poignet et me mord. En sentant ses
dents s’enfoncer dans ma chair, je hurle et je me débats,
mais je comprends aussi que le cas est plus sérieux que
prévu.
Je me concentre et me mets à prier avec plus de force et
d’attention. Il suffit de dix minutes pour que Laura s’affaisse
sur elle-même, comme vidée par une fatigue effroyable.
— Laura, comment te sens-tu ?
— Bien, mon père, répond-elle.
— Laura, désormais, tu es délivrée. Va, mon enfant.
La jeune fille se lève, sort dans la cour et se met à courir
derrière un ballon.
Comment a-t-il été possible de la libérer en si peu de temps?
Tout le mérite en revient à son père, voire à l’à-propos de
son père. Lorsqu’elles sont prises à temps, les possessions
ne réussissent pas à s’enraciner. Le diable a essayé de
s’emparer de Laura.
Au cours de la séance de spiritisme, il est entré dans son
corps, mais les quelques heures ne lui ont pas suffi à
s’incruster comme il l’aurait voulu. C’est ainsi qu'il m’a été
facile de la délivrer.
L’Évangile relate également l’exemple d’un enfant possédé.
Jésus est sur le mont Thabor avec trois de ses disciples, et
c’est là qu’advient la Transfiguration. Puis, tous quatre re-
descendent dans la plaine pour retrouver les autres disciples
et les scribes qui se livrent à un débat houleux. Lorsqu’ils
arrivent près de la foule, un homme se jette à genoux devant
Jésus et s’exclame :
— Seigneur, aie pitié de mon fils unique qui est possédé
par un esprit malin muet ! Quand l’esprit s’en empare, c’est
un déchirement. Il écume de rage, grince des dents et de-
vient tout raide. Je l'ai amené à tes disciples, mais ils n'ont
pas pu le guérir.
C’est peut-être cet échec qui a provoqué la discussion avec
les scribes, qui n’ont pas manqué de critiquer les disciples
ainsi que leur maître absent, mais maintenant qu’il est pré-
sent et qu’il sait de quoi il retourne, Jésus rétorque :
— Race incrédule et perverse, jusque quand serai-je
avec vous ? Jusque quand vous supporte-rai-je ? Ame-
nez-le-moi ici.
Puis, cherchant du regard l'enfant possédé, il s’écrie :
— Amenez-le-moi !
Pour Jésus, la foi est la condition essentielle des miracles, et
il en déplore l’absence tant chez les scribes qui la remettent
en cause que chez le père du jeune garçon ou chez les
apôtres, dont l’échec trahit une foi faible et chancelante.
On amène le jeune garçon qui, devant Jésus, est aussitôt
saisi d’une crise paroxystique, s'écroule au sol, se débat, râle
et écume de rage.
Jésus interroge alors le père :
— Depuis combien de temps se comporte-t-il ainsi ?
— Depuis son enfance. L’esprit malin le précipite sou-
vent dans le feu et souvent dans l’eau. Si tu peux faire quoi
que ce soit, viens à notre aide, prends pitié de nous !
Jésus répond ainsi :
— En ce qui concerne le « si tu peux », tout est possible
pour qui a la foi.
Aussitôt, le père du garçon s’écrie en pleurant :
— J’ai la foi ! Viens à mon secours, car ma foi ne suffit
pas !
Jésus s’approche alors de l’adolescent et prononce ces pa-
roles :
— Esprit sourd et muet, je te commande de sortir de
cet enfant et de ne plus entrer dans aucun homme !
Après force cris et luttes, le diable sort, et le garçonnet res-
semble à tel point à un cadavre que tous s’écrient :
— Il est mort !
Mais Jésus le prend par la main pour l’aider à se relever. Les
apôtres s’approchent de Jésus et lui demandent à part :
— Pourquoi n’avons-nous pu chasser ce démon ?
— C’est à cause de votre incrédulité. Je vous le dis en
vérité, si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé,
vous diriez à cette montagne :
« Transporte-toi d’ici là » et elle se transporterait ; rien ne
vous serait impossible.
Jésus est le premier grand exorciste. Cet épisode témoigne
de l'intérêt d’exorciser les enfants le plus tôt possible. Le
diable s’enracine violemment dans les enfants. L'enfant du
pied du mont Thabor n’a été délivré que par la foi intense de
Jésus. Plus le temps passe, plus il est difficile de délivrer un
petit enfant possédé par le démon.
Les enfants sont innocents et, souvent, leurs parents ne
veillent pas correctement sur eux.
Sans doute parce que la vie des parents est trop souvent
tournée vers l'inutile. Le diable détruit tout et cherche tou-
jours à dresser les uns contre les autres.
Et lorsqu’il réussit à dresser une mère contre un père, lors-
qu’il parvient à diviser les familles, il atteint l’un de ses
grands objectifs. Parce que le diable sait que deux parents
qui se séparent provoquent douleur et déchirure autour
d'eux, parmi tous ceux qui les entourent, à commencer par
leurs enfants.
Eleonora est une femme de quarante ans. Elle s’est mariée à
trente ans, mais, aussitôt après son mariage, ses relations
avec son mari ont pris un tour différent.
Avant le mariage, les fiancés avaient le vent en poupe, et
après, tout est allé de travers. Eleonora ne parvient pas à
passer une seule journée sans se disputer avec son mari. Ils
se disputent sans arrêt et depuis des années, lorsqu’elle dé-
cide de venir me rendre visite.
— Mon père, je n'en peux plus, me déclare-t-elle.
— Que se passe-t-il ?
— Je suis mariée depuis dix ans et je peux dire que ces
dix années ont été les plus tristes de toute ma vie.
— Pourquoi donc ?
— Je ne sais pas pourquoi. Je sais seulement que le
matin de mon mariage, j’étais rayonnante. À l'église, tout
s'est bien passé, mais, une fois sortie de l’église, je suis
montée dans la voiture, et mon mari m’a reproché d'avoir
été trop froide avec sa mère lorsqu’elle est venue me saluer
après l'échange des vœux. À partir de ce moment, tout est
allé de travers. Pendant ces dix dernières années, le moindre
détail a provoqué des disputes. Souvent, le sujet principal en
était sa mère. Mon mari n’a de cesse de me répéter, depuis
des années, que je me comporte mal avec sa mère. Avant
notre mariage, tout se passait parfaitement bien ; depuis,
c’est comme s’il y avait un intrus entre nous. Comme si ma
belle-mère nous séparait.
— Sa mère est-elle encore vivante ?
— Oui, elle vit encore.
— Quelles sont vos relations ?
— Nous n’en avons pas. Après le mariage, elle a rompu
toute relation avec moi. Elle n’a plus jamais voulu me voir,
et cela fait presque dix ans que je n’ai pas de nouvelles d'elle.
En revanche, mon mari lui téléphone et la voit souvent,
mais il ne me dit jamais rien.
— Croyez-vous que la mère de votre mari ait pu vous
jeter un sort le jour de votre mariage ?
— Je ne saurais le dire, mais je crains que ce ne soit le
cas. Avant de m’épouser, mon mari m’aimait, mais, du jour
des noces, quelque chose a changé. Je ne sais même pas
comment j'ai fait pour le supporter pendant toutes ces an-
nées. En outre, nous n’avons même pas eu d’enfants, ce qui
aurait pu m'apporter un certain réconfort. Nous n’avons
jamais réussi à en avoir. Mon père, je ne sais que dire, mais
j’ai besoin de votre aide.
— Attention, il s'agit peut-être d’un maléfice, mais je n’en
suis pas sûr. Il arrive aussi que les choses se passent mal
pour une tout autre raison que le mauvais sort. Voici ce que
je vous conseille : rentrez chez vous et, demain matin, re-
venez me voir avec votre robe de mariée.
Le lendemain, Eleonora se présente avec sa longue robe
blanche qu'elle remet entre mes mains. Nous sortons et al-
lons dans un grand champ à la périphérie de Rome. Une fois
descendus de voiture, nous déposons la robe sur le sol. Dans
le coffre de la voiture, je prends un bidon d’essence que j’ai
placé là exprès et j’asperge la robe d’essence avant d’essayer
d’y mettre le feu avec un briquet. Mais rien ne se passe : la
robe ne brûle pas. Je verse davantage d’essence et je re-
commence. Rien. La robe ne brûle toujours pas. Je com-
prends alors qu’il y a quelque chose qui ne va pas : de toute
évidence, un maléfice a été jeté contre la robe de mariée afin
que le mariage soit gâché et qu'Eleonora soit malheureuse.
Incrédule, elle n'en est pas moins terrifiée.
Nous revenons chez moi avec la robe imprégnée d’essence
dans le coffre de la voiture. Je décide de conserver la robe
chez moi et je la cache dans un endroit sûr, bien dissimulée
aux regards de mes frères du monastère. J’ai l'intention de
bénir la robe avec de l’eau sainte, ce que je fais chaque jour
pendant deux mois.
Au bout de ce temps, je téléphone à Eleonora et lui demande
de venir me voir. Nous retournons dans le pré et, cette fois,
la robe prend feu. Elle brûle lentement, mais elle brûle. À la
fin, nous recueillons les cendres, nous dirigeons vers une ri-
vière voisine et jetons les cendres dans l'eau. Il est, en effet,
nécessaire de brûler le vêtement ensorcelé, mais également
opportun de jeter les cendres dans l'eau courante.
Eleonora rentre chez elle, et sa vie de couple s’améliore de
jour en jour. Toutefois, la mère du mari demeure une pré-
sence négative dans la famille, une présence qui, d'après
moi, continuera de gêner le couple tant qu’elle sera en vie.
La perversité de certaines personnes est insatiable, et il est
difficile de combattre leur propension au mal.
Certaines belles-mères savent, en outre, se montrer plus
diaboliques que quiconque avec la femme qui « ose » épou-
ser leur fils chéri. Leur égoïsme, leur amour maladif pour
leur propre fils sont des perversions qui leur viennent de
Satan. Au lieu de souhaiter le bonheur de leur fils, elles
préfèrent l’étouffer.
C’est encore là une grande victoire du démon lorsque ce
dessein se réalise. Un couple divisé laisse, en effet, un grand
sillage de souffrance et, pour autant qu’il soit possible de
régler le problème ou que les choses s'arrangent,
l’empreinte de la souffrance demeure.
Mais il n'y a pas que les familles qui subissent à cause du
démon de véritables déchirures. Il existe une autre manière
terrible de diviser, dont les conséquences sont tout aussi
effroyables.
C’est la séparation que Satan provoque entre les personnes
qui sont consacrées à Dieu et Dieu lui-même.
Un prêtre ou une religieuse possédés, là où la possession est,
d’une certaine manière, voulue et recherchée par le prêtre
ou par la religieuse, répand dans les fidèles de leur entou-
rage une traînée de souffrance et de mort.
V
Le diable aime les hommes et les
femmes de foi

Sœur Gisella (c’est le nom que nous lui donnerons) est une
nonne des plus dévotes. Dans son ordre religieux, elle est
estimée de tous, notamment parce qu’elle prie le plus sou-
vent possible, ne manque à aucun de ses devoirs et, en ma-
tière de ferveur, on peut la considérer sans aucun doute
comme l'une des plus assidues de son ordre. Or, du jour au
lendemain, elle se met à adopter des comportements inex-
plicables.
Lorsqu’elle entre dans la chapelle, elle se sent mal, elle a
l'impression d’étouffer, au point qu'elle doit sortir et se ré-
fugier dans sa cellule. En l’espace de quelques jours, elle
n'est plus en mesure de participer aux prières quelles
qu’elles soient. Ses supérieures lui conseillent quelques se-
maines de repos. Elle est peut-être simplement fatiguée,
pensent-elles, et a seulement besoin de se requinquer phy-
siquement.
Les jours passant, la condition de sœur Gisella ne s’améliore
pas, bien au contraire. Désormais, tout ce qui évoque le sa-
cré l’irrite. Dès qu’elle aperçoit un prêtre, elle s’enfuit à
toutes jambes pour éviter de se mettre à crier, voire à hurler
ou à l'agresser.
Même chose lorsqu’elle croise l’une de ses sœurs. La situa-
tion finit par devenir insupportable, au point qu’un jour, le
couvent se décide à m’appeler pour me demander si je peux
recevoir la moniale en question.
J’accepte et, le jour fixé pour le rendez-vous, j’ouvre la porte
pour découvrir trois sœurs. La possédée est au centre :
fluette, maigre, elle a le visage d'un ange. Je les fais asseoir
toutes les trois et leur demande de m'expliquer en détail les
troubles dont souffre sœur Gisella. C’est elle qui prend la
parole.
— Mon Père, je me sens si mal. Lorsque j’entre dans
l'église, la tête me tourne, et une force que je ne saurais ex-
pliquer monte en moi et me dit :
« Fuis, vite, pars ! » La seule manière de me sentir mieux est
de sortir et de me réfugier dans ma cellule. C’est le seul en-
droit où j'arrive à reprendre mes esprits, mais j’ai dû en re-
tirer les croix, les images de la Vierge et les icônes sacrées, y
compris les ouvrages qui évoquent Jésus ou les saints. Je ne
sais pourquoi, mais leur présence m’effraie. J'ai si peur.
Lorsque je vois un prêtre, je sens monter en moi une rage
indicible. Y compris en ce moment, devant vous...
Je comprends qu’il est temps pour moi d’agir. J’enfile rapi-
dement mon étole, j’ouvre le rituel et je commence à prier. Il
suffit de quelques minutes pour que l’exorcisme déclenche
une scène explosive.
Sans doute mal préparées, car elles n’ont jamais vu leur
sœur dans cet état, les deux autres moniales reculent. Elles
ignorent totalement comment réagir.
Sœur Gisella s’est transformée en serpent qui rampe sur les
coudes et les genoux avec une agilité peu humaine. Elle
rampe dans toute la pièce, passe entre les pieds de ses sœurs
et sous les chaises et le bureau ; elle se glisse sous le lit et,
d’une manière cadencée, sort et rentre la tête d'un côté, puis
de l’autre.
Elle est la proie d’une vive agitation et ne cesse pas une se-
conde de bouger, si ce n’est qu’elle n'ose pas s’approcher de
mon surplis. Elle rampe et serpente à vive allure, tournant
autour de moi sans s’approcher et me toucher. Je poursuis
l’exorcisme, mais je comprends rapidement qu’il vaut mieux
interrompre la séance : sœur Giselle a la bouche remplie
d’écume ; elle montre les dents comme un félin sur le point
de bondir sur sa proie ; elle tire la langue comme un serpent
prêt à faire jaillir son venin. Véritable prédateur se prépa-
rant à tuer, elle crache effectivement des clous, des vis, des
ciseaux, des articles en métal de diverses dimensions. Cra-
chant et bavant, elle recommence à ramper.
Dès que la séance est terminée, sœur Gisella revient à elle et
me demande en se levant :
— Que s’est-il passé ?
— Tu rampais comme un serpent, lui dis-je.
— Moi ?
— Oui, toi.
— Je ne m’en suis pas rendu compte.
— Tu ne pouvais pas t’en rendre compte. Tu n’étais pas
toi-même. Une force te poussait, une force que tu dois à tout
prix chasser de toi. Reviens me voir au moins une fois par
semaine, c’est la seule possibilité que tu as de résoudre cette
situation difficile.
Les deux autres moniales échangent un regard sans savoir
que dire, puis elles entraînent sœur Gisella en la prenant par
le bras.
Une fois que je me retrouve seul, je me demande comment il
est possible que le diable soit ainsi entré en une personne
consacrée à Dieu.
Je me souviens alors des enseignements du père Candido :
inutile de se demander pourquoi ; le mal est ; c'est un fait. Il
doit être combattu, pas expliqué ! Il est.
La semaine suivante, notre rendez-vous doit avoir lieu en
début d’après-midi d'un jour férié. À l'heure prévue, j'en-
tends des pas s’approcher de la porte : ce sont les trois reli-
gieuses, mais sœur Gisella paraît avoir vieilli de plusieurs
années. Elle est méconnaissable, et je comprends qu’elle a
dû passer une semaine difficile. Le diable a dû la tourmenter
sans ménagement.
Elle me lance un regard sinistre, et je comprends que le
diable a saisi l’intention de la moniale de se soumettre à mes
exorcismes et a décidé de la perturber davantage. Je ne lui
pose aucune question : la force maléfique qui est en elle a
déjà compris qui elle avait en face d’elle, ce qui signifie que
je dois commencer sans plus attendre.
— Ne te souviens pas, Seigneur, de nos fautes, ni de
celles de nos proches, et ne tire pas vengeance de nos pé-
chés. Notre Père qui es aux cieux [...] et ne nous soumets pas
à la tentation, mais délivre-nous du mal.
Un serpent se met à ramper comme un forcené dans toute la
pièce.
— Qui es-tu ?
Le serpent ne cesse de ramper. Il siffle, mais ne répond pas.
— Au nom de Jésus-Christ, dis-moi qui tu es !
Les genoux et les coudes de sœur Gisella frottent sur le dal-
lage, et rien ne paraît pouvoir l'arrêter. À présent, on dirait
un lézard qui progresse à petits pas vifs comme l’éclair. Elle
ne s’arrête que de temps en temps en oscillant la tête de
droite à gauche avant de repartir comme une furie. Je hurle:
— Je te parle !
Le ton de ma voix semble enfin provoquer une réaction :
tout à coup, la sœur s’arrête de ramper et elle tourne la tête
vers moi tandis que le reste de son corps demeure parfai-
tement immobile. D'un bond, elle se rue sur moi, mais j’ai le
réflexe de brandir devant moi le crucifix que je tiens dans
une main.
C’est un geste providentiel, car son visage vient frapper la
croix et arrête sœur Gisella dans son élan comme une paroi
invisible. Elle demeure alors étourdie pendant quelques
secondes, puis son sifflement se transforme en longue la-
mentation rauque qui dure plusieurs minutes sans que la
sœur ait besoin de reprendre son souffle. Elle se remet à
ramper, mais elle semble être moins agile et, par moments,
je l’entends presque soupirer.
Je n’éprouve aucune pitié.
— Qui es-tu, toi qui oses habiter le corps de cette fille
de Dieu ? Parle ! Dis-moi qui tu es !
Le serpent reprend de la vigueur et rampe pour parcourir
toute la pièce en sinuant. Pétrifiées, les deux autres reli-
gieuses ont reculé jusqu’au mur. Je leur intime de réciter le
rosaire et de ne rien faire d’autre. Elles obéissent
sur-le-champ.
— Scélérat qui ose ainsi importuner cette fille de Dieu !
Ignores-tu que Jésus-Christ t'a vaincu pour toujours ? Inu-
tile de tenter de résister ! Va-t'en, retourne en enfer et ne
reviens plus jamais !
Aucune réponse, pas plus que je n’obtiendrai de réponse
dans les semaines qui suivront. Ce diable est un dur à cuire !
Mais c'est toujours ainsi, d’ailleurs. Lorsqu’un démon pos-
sède un religieux ou une religieuse, il est prêt à vendre cher
sa peau. Ce n’est pas si facile pour le diable de s’emparer
d’un prêtre ou d’une moniale, et c'est pour cela qu’une fois
installé, il fera tout pour ne pas se laisser chasser.
Dans ce cas, sa stratégie est extrêmement simple : il ne me
parle pas ; il ne me dit pas qui il est. Je le sens, mais il de-
meure caché, silencieux. C’est une technique toute bête,
mais qui, d’une certaine manière, est efficace.
Il y a aussi ses autres tactiques, par exemple celle qui con-
siste à m’effrayer en faisant vomir à sœur Gisella toutes
sortes d’objets de formes et de tailles diverses. En quelques
minutes se matérialisent ainsi sur la langue de la moniale
des ciseaux, des clous, des morceaux de verre, qui
s’amoncellent à mes pieds.
Je les ramasse pour les mettre de côté dans une boîte que
j’enferme dans un coffret de ma chambre. Pour moi, ils
n’ont aucune valeur : ce n’est qu’une manière stupide que le
diable adopte pour m’effrayer. En vain.
Au bout de deux mois de séances d’exorcisme, j’attends les
trois religieuses pour un énième rendez-vous, mais per-
sonne ne se présente. On m’appelle au téléphone, et mon
interlocutrice m’indique qu’elle est la mère supérieure de
l'ordre religieux auquel appartient sœur Gisella.
— Mon cher père Amorth, je tenais à vous remercier de
tout ce que vous avez fait pour sœur Gisella, mais nous con-
sidérons qu’il est temps de mettre un terme à l’exorcisme,
me dit-elle.
— Puis-je vous en demander la raison ?
— Nous en avons décidé ainsi. C'est une décision de
toute la communauté. Encore merci pour tout. Au revoir.
À partir de ce jour, je n'entendrai plus parler de la sœur Gi-
sella. Je me demande comment cela s’est terminé pour elle.
A-t-elle réussi à se libérer du démon ou se trouve-t-elle en-
core entre ses mains ? Pour quelle raison ses supérieures
ont-elles décidé d’interrompre les exorcismes ?
Difficile de répondre à tout cela. Je dois cependant préciser
qu’il y a une constante : lorsqu’ils sont possédés par le
diable, les prêtres et les moniales ne réussissent pas souvent
à s’en libérer parce que leurs supérieurs ne permettent pas
que l'exorciste aille au fond des choses.
C’est probablement parce que, lorsque les exorcismes
commencent, la fureur du diable devient encore plus évi-
dente au cours des heures qui s’écoulent entre deux séances.
Souvent, les exorcistes débusquent le diable, et les supé-
rieurs prennent peur et préfèrent arrêter. Heureusement,
cela ne se produit pas toujours ainsi, mais c'est encore trop
fréquent pour le bien des religieux qui sont possédés.
En revanche, dans le cas du père Francesco, les choses se
sont déroulées très différemment.
***
— Entrez.
— Bonjour, père Amorth. Je suis le père Francesco.
Nous nous sommes parlé au téléphone...
— Pour l’exorcisme, oui. D'abord, dites-moi un peu de
quel genre de troubles vous souffrez.
— Eh bien, euh...
— N’ayez aucune inquiétude, vous pouvez tout me
dire. Vous n’avez rien à craindre ; je suis habitué à certaines
choses.
— Bien, alors, je crois que je suis possédé.
— C’est ce que vous m’avez déjà dit au téléphone, mais
il faut bien faire la distinction entre ce que vous croyez et la
réalité. Pourquoi pensez-vous être possédé ?
— Eh bien, pendant la messe, je ne sais pas comment
vous expliquer...
— Que se passe-t-il pendant la messe ?
— Au moment de la communion, je présente l'hostie
et...
— ... et ? Dites-moi ce qui se passe pendant la commu-
nion.
— Eh bien, je dis « Prenez et mangez, ceci est mon
corps », puis « Prenez et buvez, voici mon sang », mais, au
fond de moi, je ne pense qu’à une seule chose - ou plutôt, je
ne me dis qu’une seule chose.
— Quelle chose ?
— Ce n’est vraiment pas facile à dire, père Amorth.
— Père Francesco, je suis exorciste, je parle tous les
jours avec le mal. Rien ne m’impressionne. Allez, crachez le
morceau !
— Très bien. Lorsque je lève l’hostie, au moment précis
où ce morceau de pain devient le corps du Christ, il y a au
fond de moi une voix forte et puissante qui hurle une gros-
sièreté terrible. Je dois me mordre la langue pour ne pas la
prononcer à haute voix. Puis, pendant toute la durée de la
messe, je me sens mal, j'ai envie de m’échapper de l’église, je
veux en sortir et hurler la grossièreté de toute la force de
mes poumons. Je ne sais pas comment j’ai réussi jusqu'à
aujourd’hui à résister, mais chaque jour, lorsque je dis la
messe, j’endure un véritable supplice.
— Vous en avez parlé à quelqu'un ?
— Jamais.
— Père Francesco, dites-moi un peu : depuis quand
dure cette affaire ?
— Depuis un certain temps.
— Et depuis quand exactement ?
— Depuis le jour même où j’ai été ordonné prêtre.
Cela va faire neuf ans.
— Depuis neuf ans ? Et vous n’en avez parlé à per-
sonne ?
— Je ne savais pas avec qui en parler.
— Alors, pourquoi venir m’en parler à moi mainte-
nant ?
— Parce que je ne le supporte plus.
— Dites-moi. Avant de devenir prêtre, auriez-vous
participé à quelque rite satanique ?
— Non, jamais.
— Avez-vous fréquenté un sorcier ou un mage ?
— Non, jamais.
— N'avez-vous jamais été l’objet d'un mauvais sort ?
— Jamais, pour autant que je le sache.
— Avez-vous déjà essayé de donner une explication
logique à ce phénomène ? Avez-vous réfléchi à l’origine qu’il
pourrait avoir ?
— J’y ai beaucoup réfléchi et, je ne sais pas, mais...
— Dites-moi.
— Eh bien, ce n'est pas facile à raconter.
— Mais vous allez me le raconter quand même.
— Peu avant mon ordination, j'allais chaque fin de
semaine dans une paroisse pour donner un coup de main.
Un jour, je vis arriver une femme qui me raconta que, de-
puis des années, elle sentait en elle un « esprit mauvais ». Ce
sont ses mots exacts : « esprit mauvais ». Elle me fit beau-
coup de peine. Elle dit qu’elle avait des enfants et que
l’esprit mauvais la tourmentait sans cesse. Elle ajouta que,
dans sa famille, son mari et ses enfants avaient commencé à
l’éviter, car ils la croyaient folle. Je le répète, elle me fit
beaucoup de peine. Je ne sais pas ce qui me prit alors, mais
tout se passa en un éclair et je criai à l’esprit : « Laisse-la
tranquille ! Viens en moi ! » En un éclair, je vous dis. J’eus
alors la nette sensation que cette chose qui se tenait tapie
dans la femme m’avait obéi sur-le-champ.
— Alors, vous pensez que cet esprit est entré en vous et
vous pensez que c'est cet esprit qui vous tourmente pendant
la messe ?
— Oui, mais je n'ai donné cet ordre que parce que
j’avais trop de peine de...
— Arrêtez, inutile d'en dire davantage. Vous auriez
mieux fait de prier pour cette femme ou de la conduire à un
exorciste. Certaines requêtes ne se font pas, même par jeu.
Les requêtes, les prières, les suppliques doivent s’adresser
uniquement à Dieu. Nous devons, très cher père Francesco,
ravaler notre orgueil. On ne peut pas sauver la vie d’autrui
en supposant réussir à faire des choses qui n’entrent pas
dans nos compétences ou nos forces. La vie d’autrui ne se
sauve que par la prière et beaucoup d'humilité. Il ne faut pas
plaisanter avec le diable, si l’on admet qu’il s’agissait du
diable.
— Mais de quoi d’autre, alors ?
— Père Francesco, fions-nous au bon Dieu.
— D’accord, je...
— Le temps n'est plus aux paroles. Désormais, l'heure
est à l’action. S’il s’agit de possession, neuf années pèsent
lourd. Très lourd. Ce sera extrêmement difficile, d’autant
que vous êtes prêtre, et cela aggrave tout. Père Francesco,
vous auriez dû venir me voir beaucoup plus tôt. As-
seyez-vous donc sur cette chaise. Je vais endosser l’étole,
prendre l’huile sainte, l’eau bénite, le rituel et essayer de
vous exorciser. Voyons un peu... Au nom du Père, du Fils et
du Saint-Esprit. Prince très glorieux de la Milice céleste,
l’archange saint Michel, défendez-nous dans le combat
contre les princes et les puissances, contre les dominateurs
de ce monde de ténèbres, contre les esprits méchants ré-
pandus dans l’air. Venez au secours des hommes que Dieu a
faits à l’image de sa propre nature, et rachetés à grand prix
de la tyrannie du démon. Ainsi soit-il. L’archange saint Mi-
chel, vous que la sainte Église vénère comme son gardien et
protecteur, à vous le Seigneur a confié la mission
d’introduire dans la céleste félicité les âmes rachetées. Priez
donc le Dieu de paix d'écraser Satan sous nos pieds afin qu'il
ne puisse plus retenir les hommes dans ses chaînes et nuire
à l’Église. Présentez au Très-Haut nos prières, afin que, sans
tarder, le Seigneur nous fasse miséricorde. Vous-même,
saisissez le dragon, l'antique serpent, qui est le diable et
Satan, et jetez-le enchaîné dans l'abîme pour qu’il ne sé-
duise plus les nations. Amen.
— Je ne sens rien, père Amorth. Rien du tout. Je vais
bien.
— Cela me fait extrêmement plaisir. Toutefois, je vous
prie de ne pas parler. C’est moi qui parle. Silence, je vous
prie.
— Mais vous n’avez pas besoin de parler. Je me sens
vraiment bien.
— Silence ! Au nom de Jésus-Christ, notre Dieu et
Seigneur, et avec l’intercession de la Vierge Marie immacu-
lée, mère de Dieu, de l’archange saint Michel, des saints
apôtres Pierre et Paul et de tous les saints, dans la foi en-
treprenons la bataille contre les attaques et les embûches du
démon.
Que Dieu se lève et que ses ennemis soient dispersés ! Et
que fuient devant sa face les méchants ! Comme s’évanouit
la fumée, qu’ils disparaissent, Comme fond la cire en face du
feu, ainsi périssent les méchants devant la face de Dieu !
— J’insiste, père Amorth, c'est inutile. Je me sens bien.
— Ma patience a des limites, père Francesco. J’ai dit
qu’ici, c'était moi qui parlais et seulement moi !
— D’accord, mais je ne le dis que pour vous, il n’est pas
nécessaire...
— Je t’exorcise, esprit immonde, qui que tu sois : puis-
sance satanique, invasion de l'ennemi infernal, légion, réu-
nion ou secte diabolique, au nom et par la puissance de
Notre-Seigneur Jésus-Christ ; sois arraché et chassé de
l'Église de Dieu, des âmes créées à l’image de Dieu et ra-
chetées par le précieux sang du divin Agneau rédempteur.
N’ose plus désormais, perfide serpent, tromper le genre
humain, persécuter l’Église de Dieu, ni secouer et cribler
comme le froment les élus de Dieu. Il te commande, le Dieu
Très-Haut auquel, dans ton fol orgueil, tu prétends encore
qu'on t'égale. Lui qui veut que tous les hommes soient sau-
vés et arrivent à la connaissance de la vérité. Il te com-
mande, Dieu le Père ; il te commande, Dieu le Fils ; il te
commande, Dieu le Saint-Esprit. Elle te commande, la ma-
jesté du Christ, Verbe éternel de Dieu fait chair, lui qui, pour
le salut de notre race, perdue par ta jalousie, s'est abaissé et
rendu obéissant jusqu’à la mort ; lui qui a bâti son Église sur
la pierre solide et proclamé que les portes de l'enfer ne pré-
vaudront jamais contre elle, voulant demeurer lui-même
avec elle tous les jours, jusqu’à la consommation des siècles.
Ils te commandent, le signe de la Croix et la vertu de tous les
mystères de la foi chrétienne. Elle te commande, la
Très-Haute Mère de Dieu, la Vierge Marie, elle qui, dès le
premier instant de son Immaculée Conception, a écrasé, par
son humilité, ta tête folle d'orgueil. Elle te commande, la foi
des saints apôtres Pierre et Paul, et des autres apôtres. Ils te
commandent, le sang des martyrs et l’affectueuse interces-
sion de tous les saints et les saintes. Or donc, dragon maudit
et toute légion diabolique, nous t’adjurons par le Dieu vi-
vant, par le Dieu vrai, par le Dieu saint, par ce Dieu qui a
tant aimé le monde, qu’il lui a donné son Fils unique, afin
que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie
éternelle : cesse de tromper les créatures humaines et de
leur verser le poison de la damnation éternelle ; cesse de
nuire à l’Église et de mettre des entraves à sa liberté.
Va-t'en, Satan, inventeur et maître de toute tromperie, en-
nemi du salut des hommes ! Cède la place au Christ, en qui
tu n’as rien trouvé de tes œuvres. Cède la place à l’Église,
une, sainte, catholique et apostolique, que le Christ
lui-même a acquise au prix de son sang. Humilie-toi sous la
puissante main de Dieu. Tremble et fuis, à l’invocation faite
par nous du saint et terrible nom de Jésus, qui fait trembler
les enfers ; à qui les vertus des deux, les puissances et les
dominations sont soumises ; que les chérubins et les séra-
phins louent dans un concert inlassable, disant : « Saint,
saint, saint est le Seigneur, le Dieu des armées. Ô Seigneur,
écoute notre prière. Et que notre cri monte jusqu’à toi. »
— Avez-vous terminé ?
— Je n’ai pas terminé.
— Peut-être n’avez-vous pas compris ma question.
Avez-vous terminé, mon Père ?
— Tais-toi, esprit immonde. Tu n’as pas encore com-
pris ? Ici, c’est moi qui commande. Tais-toi et écoute bien
mes paroles. Parce qu’à présent, c’est ce Dieu qui avec son
Fils t’a vaincu et humilié une fois pour toujours que j’appelle
ici à mon aide. Parce que ce n’est pas moi, mais moi à tra-
vers mon Père que je te chasserai en enfer. Puis, je fermerai
la porte et je jetterai la clef. Parce que c'est là que tu devras
demeurer pour l'éternité. Tes pleurs et tes lamentations ne
seront entendus par personne, et personne ne viendra ja-
mais t'ouvrir. Écoute bien ce que j’ai à te dire, immonde
dragon qui croit tenir le monde dans sa main, alors que ce
que tu tiens devient poussière que le vent disperse et dont il
ne reste rien. Écoute bien parce que voici la prière de Léon
XIII contre Satan et les anges rebelles. Voici la prière la plus
puissante qui soit. Écoute et tremble parce que c’est le Sei-
gneur Dieu que j’appelle ici devant toi : le Dieu du ciel, Dieu
de la terre, Dieu des anges, Dieu des archanges, Dieu des
patriarches, Dieu des prophètes, Dieu des apôtres, Dieu des
martyrs, Dieu des confesseurs, Dieu des vierges, Dieu qui a
le pouvoir de donner la vie après la mort, le repos après le
travail ; parce qu’il n'y a pas d'autre Dieu que vous, et qu’il
ne peut y en avoir si ce n’est vous, le Créateur de toutes les
choses visibles et invisibles, vous dont le règne n’aura pas de
fin. Avec humilité nous supplions votre glorieuse majesté de
daigner nous délivrer puissamment et nous garder sains et
saufs de tout pouvoir, piège, mensonge et méchanceté des
esprits infernaux. Par Jésus-Christ Notre-Seigneur. Des
embûches du démon, délivrez-nous, Seigneur ! Accordez à
votre Église la sécurité et la liberté pour vous servir : nous
vous en supplions, écoutez-nous. Daignez humilier les en-
nemis de la sainte Église : nous vous en supplions, écou-
tez-nous.
Un silence de glace tomba sur nous. Le père Francesco
semblait bouleversé.
— J’ai terminé, père Francesco. Vous pouvez vous lever.
L’exorcisme est achevé. Ne craignez plus rien, vous pouvez
parler désormais, mon cher fils. Allons, courage, levez-vous.
— Que s’est-il passé ?
— Je vous ai exorcisé, mon fils. L’esprit est un peu sor-
ti, mais il est encore un peu là. Nous devons nous revoir
souvent.
— C’est grave ?
— Il ne s’agit pas d’une maladie, père Francesco, mais
d’une possession. Et neuf années, c'est très long. Je ne sais
pas combien de temps il faudra pour vous délivrer, mais,
pour le moment, vous n’avez qu'une chose à faire : tous les
jours, vous direz des messes, réciterez le bréviaire et le ro-
saire. Le vendredi, jeûne absolu. Priez le plus souvent pos-
sible et rencontrons-nous une fois par semaine. Nous ver-
rons alors comment les choses tournent.
Il faudra des années pour délivrer le père Francesco. Un
prêtre possédé, c’est grave ! Pourquoi Dieu permet-il de
telles choses ? Souvent, c’est pour que celui qui est possédé
gagne en sainteté - les souffrances du père Francesco lui
seront bénéfiques -, mais, d’une manière mystérieuse, c’est
aussi utile pour autrui.
Souffrir en silence, souffrir de douleurs si terribles et pren-
dre sur soi les souffrances de son prochain est une manière
efficace de faire le bien. Qui voit cette souffrance ? Per-
sonne.
Elle est cachée dans l’homme, mais bien visible à Dieu. Dieu
la voit et l’utilise pour aider ceux qui ne sont pas capables de
souffrir. Ceux qui vont mal et qui n’arrivent plus à le sup-
porter. Ceux qui pèchent et du péché ne savent pas se déli-
vrer. Ceux qui n’ont pas la foi.
Aujourd’hui, le père Francesco est délivré, mais il devrait
être remercié de toutes les souffrances dont il a pâti. Sa part
de ténèbres, vécue et offerte à Dieu, a permis à beaucoup de
gens de trouver la lumière, j'en suis convaincu.
Certes, il est terrible qu’un religieux, c'est-à-dire quelqu’un
qui a voué son existence à Dieu, tombe entre les mains du
démon, mais cela ne doit pas nous étonner tant que cela.
Personne n’est à l’abri des attaques du mal, pas plus les re-
ligieux, les prêtres, les moines et les moniales, les évêques,
les cardinaux, le pape. Personne n’est à l'abri.
Quand je pense aux cas de possession des hommes d’Église,
je peux dire que je suis persuadé que Satan se déchaîne
d’une manière particulièrement violente contre eux. Lors-
que leur foi n'est pas à toute épreuve, lorsqu’ils ne prient pas
suffisamment, ils risquent de céder à la tentation et, comme
tout un chacun, de se damner.
D'ailleurs, Satan soumet davantage à la tentation ceux qui se
consacrent à Dieu parce que, pour lui, conquérir un homme
de foi signifie, comme par un effet de domino, conquérir
d’innombrables autres âmes, les âmes de ceux qui sont liés à
l'homme de foi. Un prêtre en enfer entraîne avec lui tant
d’autres âmes.
En outre, Satan aime s’attaquer à ceux qui refusent de lui
céder. Parfois, il prend également pour cible des personnes,
prêtres, moines et moniales, voire laïcs, qui sont d’une in-
tégrité à toute épreuve dans leur combat contre le mal.
Satan est le mal et, souvent, le mal est aveugle. Souve-
nez-vous de Jésus. Pensez à ce qu’il a dû endurer avant de
mourir. Il était l'Agneau innocent. Il avait à ses côtés Dieu
même, son père, mais le mal ne l'a pas épargné. Il s’est
abattu sur lui au point qu’il en est mort.
Au fond, on peut aussi interpréter la possession comme au-
tant d'attaques violentes du démon qui, sans discrimination,
frappe également les innocents.
Par ailleurs, la possession, comme le mal en général, n'a pas
toujours de raison. La personne la plus sainte et la plus in-
nocente de ce monde pourrait être frappée par le démon.
C’est là l'un des grands mystères de la vie : la cécité du mal.
C’est pour cette raison que je ne cherche pas trop à donner
des explications aux possessions. Elles sont, c’est tout.
Contre elles, il faut prier Dieu. Prier, prier et encore prier.
Le même genre de mésaventure est arrivé à Mario. Mario
n’est ni prêtre ni même religieux. Avant d’être possédé,
c’était un père de famille tout ce qu'il y a de plus normal qui
avait la foi. Il était un manager respecté, fortuné, et sa fa-
mille se portait le mieux du monde, jusqu’au jour où il dut
prendre sa retraite.
Alors qu’il se trouvait enfin en mesure de consacrer davan-
tage de temps à lui-même et à son esprit, quelque chose
d’étrange s’immisça en lui. C’était Satan en personne.
Par une belle matinée ensoleillée du mois de juin à Berne,
en Suisse, Mario se rend pour la dernière fois à son bureau.
Après quarante années de dur labeur et d’une carrière qui
l’avait conduit au sommet de la médecine du pays, Mario
ferme pour la dernière fois la porte de sa clinique.
Mario n'est pas homme à regarder en arrière. Il ne connaît
pas le mot « nostalgie » : il aime regarder vers l’avant, vers
l’avenir et les années qu’il va consacrer à sa femme Milena et
à Dieu. D'ailleurs, il a le projet de voyager avec son épouse et
de consacrer ensemble du temps à leur âme et à leur esprit.
Mario est un catholique pratiquant qui compte parmi les
fidèles les plus dévots de sa paroisse. Son dernier jour de
travail est aussi un jour de fête qui marque la fin d'une par-
tie de sa vie et la chance d’un nouveau commencement.
Entre les adieux à ses collaborateurs, la journée s’écoule très
vite. Le soir, avant de rentrer chez lui, Mario s’arrête chez un
fleuriste pour prendre un bouquet pour son épouse. Il entre
enfin chez lui, embrasse sa femme et s’installe à table pour
le dîner.
— Mario, avant de commencer, nous pourrions rendre
grâce à Dieu.
Milena récite un Gloria al Padre tandis que Mario, de ma-
nière insolite, ne prononce pas un mot.
— Tu ne veux pas prier avec moi, Mario ?
Au lieu d’arborer comme la minute précédente un visage
plein d'amour pour son épouse, Mario la regarde avec des
yeux chargés de haine.
— Ferme-la ! hurle-t-il.
Il se lève de table et va s’enfermer dans la salle de bains.
Milena est abasourdie.
— Mario, que se passe-t-il ?
Silence.
— Mario, dis-moi quelque chose !
Toujours rien.
Au bout de plusieurs appels, Mario ouvre la porte. Il semble
avoir retrouvé ses esprits.
— Excuse-moi, ma chérie, dit-il. Je ne sais pas ce qui
m’a pris. Retournons dîner.
Les jours suivants, tout semble normal. Les deux époux sont
ravis d'être ensemble et, du moins pour Milena, cette fa-
meuse soirée n’est qu'un mauvais souvenir.
Elle se dit que son mari a dû avoir une dernière journée au
bureau particulièrement stressante, mais elle pense que tout
est rentré dans l'ordre désormais.
En vérité, cela ne fait que commencer. Mario a appris à si-
muler. Il ne veut pas blesser sa femme, mais, lorsqu’elle
prie, cela le rend fou. Il parvient cependant à dissimuler sa
rage, voire à prier avec elle tout en sentant, dans les pro-
fondeurs de son être, quelque chose de tapi, qui serait en
train de se réveiller chaque fois que Milena dit une prière.
Qu’est-ce donc ? se demande-t-il.
Mais, surtout, qui est-ce ?
Il n'est pas toujours facile pour Mario de dissimuler cette
nouvelle présence qu’il sent l'envahir. Le dimanche, à la
messe, c’est une heure de combat forcené contre lui-même :
Mario contre Mario, l’âme de Mario contre l’âme de Mario.
Ou plutôt, Mario contre une présence dans son âme. Mario
le sent. Il sait qu’il est là, mais il ne sait pas lui donner de
nom.
Le dimanche, lorsque le prêtre entame la messe, Mario a
l'impression que toute la haine du monde se concentre en
lui. Une haine qu’il ne peut expliquer. Féroce. Violente.
Homicide.
C’est un sentiment qui provient d’un monde lointain, noir,
isolé. Un monde où le désespoir règne.
Il fait donc mine de rien, mais ce n’est pas facile, d’autant
que, plus les jours passent, plus les assauts sont violents et
difficiles à contenir.
Un jour, les deux époux sont à table, un moment de la
journée que Mario redoute plus particulièrement parce que
Milena tient toujours à prier. Donc, ce jour-là comme les
autres, Mario n’ose pas lui demander de s’en abstenir.
— Mario, disons un Ave Maria.
— D'accord.
Avec un effort surhumain, Mario parvient au bout de la
prière, mais Milena a remarqué son trouble et, dans son
cœur, elle récite une deuxième fois l’Ave Maria en silence.
Mario, ou plutôt celui qui se tapit en lui, entend cette prière
qui sort du cœur de Milena.
Et il attaque !
Mal préparé, puisqu’il n’entend pas la prière silencieuse de
Milena, Mario n’a pas le temps de s’opposer à celui qui est
en lui et qui secoue son corps d’une volonté qui n'est pas la
sienne.
C’est lui qui agit et, en même temps, ce n'est pas lui.
Il se lève d’un bond et donne un grand coup sur la table !
— Ferme-la ! hurle-t-il. Ferme-la donc ! Tu n’as pas
compris que tu devais arrêter de prier ? Arrête, ça suffit. Ça
suffit !
Il rapproche son visage jusqu’à pratiquement toucher celui
de Milena, mais, malgré une pâleur livide, elle ne bronche
pas.
Mario se reprend presque aussitôt.
— Ma chérie, je suis désolé. Je ne sais vraiment pas ce
qui se passe. Je sais seulement que, chaque fois que
quelqu’un prie, je sens monter en moi une aversion dé-
mente. Je dois me retenir pour ne pas hurler ou ne pas at-
taquer celui ou celle qui prie.
Je pensais qu’à la retraite je pourrais me consacrer davan-
tage à Dieu, eh bien, non. Aujourd’hui, s’il y en a un que je
ne peux pas approcher, c’est bien Dieu.
Les deux époux passent ainsi plusieurs mois difficiles. Au
départ, ils consultent les médecins, mais les problèmes de
Mario s’aggravent. Les médecins lui prescrivent des cal-
mants : sur lui, ils ont un effet excitant.
Il passe des heures enfermé dans la chambre d’amis, son
seul refuge où il demeure des journées entières, ne sortant
que pour se rendre aux toilettes.
Pas toujours d’ailleurs, car il lui arrive de déféquer et
d’uriner sur place. Dans ce cas, de plus en plus épuisée, Mi-
lena doit nettoyer les dégâts pendant les quelques minutes
où Mario la laisse entrer.
Un jour, elle décide qu’il est temps de secouer son mari et,
pour la première fois, elle fait irruption dans la pièce sans le
prévenir. Elle ouvre la porte et découvre un spectacle qui la
glace d'effroi.
Mario, qui ne s’est pas rasé depuis plusieurs jours, est al-
longé sur le sol, et sa barbe est si longue qu'elle descend
jusqu’à son torse. La pièce exhale une odeur nauséabonde,
une odeur de porcherie avec quelque chose de plus. Une
odeur inconnue et terrible.
Une odeur de mort. Une puanteur qui semble venir d'un
abîme. Milena lève la tête et, pendant quelques secondes,
elle ne peut en croire ses yeux : sur le mur, écrit en lettres de
sang, elle lit : « Je suis Dieu », et la phrase est surmontée
d'une croix inversée.
— Mario, qu’as-tu donc fait ?
— Qui es-tu ? Hors d’ici !
— Mario, c’est moi, Milena. Mais qu’as-tu fait ?
— Va-t’en ! Je ne sais pas qui tu es ! Va-t’en !
— Je ne sors pas tant que tu ne me dis pas ce que tu as
fait.
Mario se lève et repousse violemment Milena hors de la
chambre avant d'en refermer la porte.
Elle se relève du palier où elle était tombée et se met à
bourrer la porte de coups de poing.
— Mario, Mario ! Arrête ! crie-t-elle avant d’éclater en
sanglots qui dureront plusieurs longues minutes.
Cela ne sert à rien. Mario n'ouvre pas et ne répond pas plus.
Au bout d’un long moment, cependant, Milena entend :
— Je ne suis pas moi.
— Comment, Mario ? Qu’as-tu dit ?
— Ce n’est pas moi, tu comprends ? C'est lui !
— Lui qui ?
— C’est lui qui me possède. C’est lui qui fait tout. Je
t’en supplie, aide-moi !
Cet instant est un « vide », où la volonté de l'homme
cherche encore à se retenir à la vie en reniant la présence
maléfique. C’est ainsi que Milena comprend qu’il est gran-
dement temps d’agir.
Elle quitte la maison et se rend sur-le-champ à la paroisse
où le curé la reçoit.
— Mon père, lui dit-elle, je n’en peux plus. Mario a be-
soin d’aide ou ce sera la fin.
Milena et le curé s’adressent ainsi à tous les évêchés de
Suisse, mais personne ne paraît être en mesure de les aider -
ou peut-être personne ne paraît vouloir les aider.
Il est une vérité bien amère, en effet, c’est que personne ne
croit à Satan. Comme on n’y croit pas, on ne croit pas da-
vantage au pouvoir de l'exorcisme.
C’est ainsi que les deux compagnons finissent par s’adresser
directement à Rome et, après un coup de téléphone, c’est
sur moi qu’ils tombent.
Je sonne à la porte des deux époux quelques jours avant
Noël. Le curé de Mario et de Milena m’a donc contacté en
m’implorant d’intervenir.
Les cas d’exorcisme que je dois traiter ne manquent pas, et
je n’ai pas besoin d’en hériter d’un nouveau, mais le curé a
tellement insisté !
Et quand on insiste, je ne sais pas dire non. J’aurais préféré
qu’ils viennent me voir, mais Milena n’a pas réussi à per-
suader son mari.
— Allez, Mario, allons voir le père Amorth. Il nous ai-
dera vraiment.
— Non. Si tu veux, il n’a qu’à venir. Moi, je ne bouge
pas.
Lorsque la possession est aussi profondément enracinée, il
est difficile de comprendre où finit la volonté de l’homme et
où commence celle du diable.
Je sonne donc à leur porte. Milena est une femme déjà âgée,
aux yeux gonflés comme si elle passait ses journées à pleu-
rer, mais c’est aussi une femme énergique et forte, et, heu-
reusement, elle possède une foi indéracinable.
— Mon père, si vous saviez à quel point je suis soulagée
que vous soyez venu jusqu'ici. Mon mari est dans le salon et
il vous attend.
J’entre dans le salon et je découvre un homme maigre, à la
barbe et aux cheveux longs.
— Bonjour, vous devez être Mario, n’est-ce pas ?
Pas de réponse.
— Mario, voulez-vous bien m’écouter ? Je suis le père
Gabriele Amorth, et on m’a dit que vous aviez besoin de
moi. Pouvez-vous m’écouter ?
Aucune réponse, ni réaction : Mario donne l'impression
d’être une statue de sel, et son regard semble perdu dans le
vide.
— Madame, vous répond-il à vous ?
— Pratiquement jamais. Désormais, quand il
m’adresse la parole, c’est uniquement pour me hurler des
insultes incohérentes. Mon Père, aidez-nous, je vous en
prie.
— Mario, je suis le père Amorth. Je vais dire une prière
pour vous, d’accord ?
Pas de réponse.
Je commence la prière de l’exorcisme, et Mario ne réagit
pas. Il ne bouge pas plus qu’il ne parle.
Je vais jusqu’au bout de l’exorcisme sans aucun problème.
Puis, je salue Milena et lui promets de revenir le lendemain.
— À demain, donc. Si Mario est véritablement possé-
dé, ce diable qui le tient sait vraiment se dissimuler !
Le lendemain, la même scène se répète. Mario est installé
dans le salon avec les mêmes vêtements, la même posture et
le même visage.
Il ne répond pas plus à mes questions et ne réagit pas pour
autant à l'exorcisme. Cela durera un mois. Je lui rends visite
trois fois par semaine, et ses réactions, ou plutôt ses ab-
sences de réaction ne changent pas. Je ne sais que faire, ni
que penser. Je propose alors à son épouse de choisir une
autre voie.
— Pourquoi ne tentez-vous pas d’appeler une autre per-
sonne ? Il y a dans le nord de l’Italie, pas loin d’ici, un ex-
cellent exorciste. Je crois qu'il faut essayer avec une autre
personne. Avec moi, il ne réagit pas. Peut-être le diable est-il
trop intelligent et a-t-il compris que le fait de continuer à se
cacher était la seule issue possible. Or, si quelqu’un d’autre
prend ma place, la réaction peut être différente.
Je prends contact avec ce prêtre qui est également un ami.
Le père Saverio se rend chez Mario dans le mois suivant.
Le lendemain du jour prévu pour leur rendez-vous, j’appelle
Saverio.
— Comment cela s'est-il passé ?
— Une possession terrible.
— Vraiment ? Avec moi, Mario ne réagissait pas.
— Avec moi, si. À peine avais-je entamé l'exorcisme
que ses yeux sont devenus blancs et qu’il s’est jeté au sol, la
bouche écumante. Mais il ne m’a pas parlé, non. Il m'a seu-
lement dit : « Tu ne sais pas qui je suis, moi, le prince des
ténèbres !
Je suis Satan ! Que crois-tu que puisse me faire un prêtre ? »
Je crois que ça va être extrêmement difficile.
Mario et Milena voient ainsi le père Saverio à plusieurs re-
prises au cours des semaines suivantes, mais l’exorciste ne
réussit pas à délivrer Mario de son emprise.
Un an plus tard, je suis chez moi quand le téléphone sonne.
— Bonjour, père Amorth, je suis Milena, l'épouse de
Mario. Vous vous souvenez de moi ?
— Bien sûr. Comment pourrais-je vous oublier ?
Comment allez-vous ?
— Moi, je vais bien.
— Et votre mari ?
Silence.
— Madame, il y a quelque chose qui ne va pas ? Com-
ment va votre époux ?
— Il est mort hier soir.
— Madame Milena, je suis désolé. Comment est-ce
arrivé ?
— Il s’était enfermé dans la chambre, et je l'entendais
hurler. À un moment, il a dit : « Laisse-moi tranquille !
Laisse-moi tranquille ! » Puis, j’ai entendu un bruit sourd.
J’ai ouvert la porte et je l'ai trouvé là, mort. Il avait eu un
infarctus. Père Amorth, il n’a jamais été délivré, il n’a jamais
été délivré...
Inconsolable, Milena sanglote au bout du fil.
— Chère Milena, cela signifie cependant que tout est
terminé. Mario est en paix désormais.
— Comment le savez-vous ?
— Milena, votre mari était un saint homme.
La possession demeure un mystère, mais il est sûr que Dieu
permet ces souffrances pour le salut de son âme et de celle
de nombre d'autres personnes.
— Mon père, mon mari était un vrai saint. Je ne com-
prends pas la raison de cette possession.
— Milena, ne vous faites pas du mal en vous posant
trop de questions. Priez pour Mario et ayez confiance : dé-
sormais, tout s’est résolu pour le mieux pour lui.
Le combat contre le diable en est un rude, que l'on peut
perdre. Nous, exorcistes, le menons au front, mais avec
nous, en première ligne, il y a aussi les possédés.
À leur manière, ils combattent aussi, et dans d’atroces souf-
frances. Ils le font en menant parfois une existence appa-
remment normale, parce que c'est là que réside leur croix :
être possédé tout en étant contraint à vivre comme les
autres.
Avoir en soi un feu qui vous dévore sans pouvoir le dire à
quiconque.
Simone est une femme de quarante ans. Elle est cadre dans
une importante compagnie du nord de l’Italie et, tous les
jours, elle doit gérer des personnes, que ce soit sa secrétaire
personnelle, ses collègues, les clients au téléphone, les réu-
nions, etc. Elle exerce un emploi exaltant, très exigeant,
certes, mais également convoité. Pour parvenir à son ni-
veau, Simone a dû s’adonner à des jeux pas toujours très
nets, c’est le moins qu’on puisse dire.
Elle a conclu un pacte avec Satan.
— Je te vends mon âme et tu m'aides à atteindre les
sommets, a déclaré Simone à Satan lors d'une séance de
spiritisme à laquelle elle avait été invitée par une adepte
d’une puissante secte satanique.
Avant de l’inviter, cette personne lui avait dit :
— Simone, tu veux faire carrière et gagner beaucoup
d'argent ? Vends donc ton âme à Satan. Tu verras que tu en
tireras de nombreux avantages !
Dès le début de la séance, à peine assise, Simone fit exac-
tement ce que son ami lui avait conseillé.
Et que fit donc Satan ? Il accepta sur-le-champ.
En l’espace de cinq mois, Simone franchit tous les niveaux
hiérarchiques décisifs vers les postes les plus enviés de la
direction. De simple employée, elle se retrouve cadre avec
un salaire plus de trois fois plus élevé et des intéressements
à n’en plus finir.
Mais le pacte avec le diable a un prix. Offrir son âme au
démon revient à vivre, en effet, avec une épée de Damoclès
pendue au-dessus de sa tête.
Simone se rend rapidement compte que la présence de Sa-
tan dans sa vie est tout sauf discrète. Il se rend souvent vi-
sible, même sur son lieu de travail. Du reste, pourquoi se
gênerait-il ? L’âme de Simone est sienne, et il peut en faire
ce qui lui plaît !
Comment Satan se manifeste-t-il ? Par des attaques fu-
rieuses, des assauts de haine et de colère qui contraignent
Simone à se réfugier dans les toilettes pour ne pas provo-
quer d’incidents graves dans les bureaux de sa compagnie.
Souvent, c'est lorsqu'elle se retrouve seule avec sa secré-
taire. D’un coup, une vague de haine déferle dans son esprit,
et tout en elle s’écrie : « Jetez-vous sur elle ! Frappez-la !
Tuez-la ! »
Dans ce cas, Simone s'enfuit et s'enferme dans les toilettes
en donnant des coups de pied et de poing sur les murs ou en
se frappant la tête contre le carrelage jusqu’au moment où
elle retrouve son calme.
Les coups sont souvent d’une violence inouïe et, lorsqu’elle
sort enfin des toilettes, il lui est difficile d’en masquer les
traces. Mais elle n’a pas le choix, car, si elle ne s’éloigne pas,
les conséquences sur son entourage pourraient être dévas-
tatrices. Après la crise, tout semble revenir à la normale,
jusqu'à la crise suivante.
Simone découvre bientôt que le pacte avec le diable consti-
tue un véritable boomerang pour sa vie à elle. C’est certain :
elle gagne beaucoup d’argent et occupe un poste important,
mais sa vie est désormais devenue un enfer, dans le véri-
table sens du mot.
Satan ne lui laisse pas un jour de répit et se manifeste même
dans les moments les moins opportuns. Simone réalise alors
qu'elle ne pourra s’en libérer seule.
C’est la raison pour laquelle elle vient requérir mon aide.
Immédiatement, je la mets sous un régime de prière quoti-
dienne. Je lui recommande également de couper toute rela-
tion avec la personne qui l'a incitée à assister à la séance de
spiritisme. Je perçois nettement l’influence négative de cette
personne sur la vie de Simone et je lui conseille de ne plus la
voir. Puis, j’ajoute :
— Une fois par semaine, nous procéderons à un exor-
cisme et nous verrons comment les choses se passent.
— Et lorsque Satan m’attaque sur mon lieu de travail,
mon Père ? Que dois-je faire ?
— D’abord, il faut vous cacher. Pour le moment, con-
tentez-vous de cela. Vous n'arriverez pas à lui résister, mais
essayez de prier tout en restant cachée. Essayez de réciter la
prière suivante : « Ô Marie, conçue sans péché, priez pour
nous qui avons recours à vous. »
Vous savez, c'est la seule prière que la Vierge ait jamais dic-
tée, et c'en est donc une extrêmement importante parce
qu’elle vient directement du cœur de Notre-Dame. Voilà
comment les choses se sont passées. Dans la nuit du 18
juillet 1830, Catherine Labouré, une novice qui appartient à
l'ordre des Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul,
s'entend appeler du pied de son lit :
« Sœur Labouré ! Sœur Labouré ! » Elle se réveille en sur-
saut et aperçoit un enfant resplendissant de lumière, son
ange gardien, qui l’invite à la suivre : « Viens à la chapelle, la
Vierge Marie t’attend. » Catherine s’habille et suit l’ange
dans la chapelle. Dans le chœur, la Vierge apparaît et en-
tame avec Catherine un échange qui durera plus de deux
heures. Avant de disparaître, la Vierge dit à Catherine : « Je
reviendrai, ma fille, parce que j’ai une mission à te confier. »
À un moment, le petit globe que Marie tenait entre ses
mains contre son cœur disparaît vers le haut, et ses mains
s’abaissent pour éclairer le plus grand globe sous ses pieds
de grands rayons lumineux, symboles de sa grâce. La figure
est alors entourée d’un anneau ovale avec les mots de la
courte prière : « Ô Marie, conçue sans péché, prie pour nous
qui avons recours à vous. »
Puis, le tableau paraît se retourner, et la silhouette de la
Vierge s’évanouit en laissant au centre un grand M, initiale
de Marie, surmonté de la Croix, avec, au-dessous, deux
cœurs, celui de Jésus et celui de Marie. Autour du tableau,
douze étoiles. La jeune religieuse entend enfin une voix qui
lui enjoint de faire frapper des médailles en reprenant ces
images, car « tous ceux qui la porteront fidèlement rece-
vront de grandes grâces ».
La médaille de la Vierge, frappée en 1832, fut extrêmement
populaire, notamment pendant l'épidémie de choléra de la
même année, au point qu’elle prendra le nom de « Médaille
miraculeuse » en raison du nombre de grâces spirituelles et
matérielles obtenues par ceux qui s’en remettent à Marie.
Quelques jours plus tard, la Vierge apparaît encore à Cathe-
rine. Cette fois, elle est vêtue d’une robe blanc pur, d’un
manteau bleu vif, d’un voile blanc, et elle se tient sur un
demi-globe autour duquel s’enroule un serpent verdâtre. À
la hauteur du cœur, elle tient amoureusement un globe plus
petit, surmonté d’une croix d’or, qu'elle offre à Dieu avec
une attitude toute maternelle. La jeune fille entend une voix
qui lui dit : « Ce globe symbolise le monde entier et chaque
âme en particulier. » Puis, les doigts de la Vierge se rem-
plissent d’anneaux superbes, ornés de pierres précieuses qui
irradient de lumière.
Après avoir raconté cette histoire à Simone, j’ajoute :
— Voilà, mettez la médaille autour de votre cou et,
lorsque les attaques de Satan sont particulièrement vio-
lentes, récitez la prière de Marie avec toute la foi dont vous
êtes capable.
Simone retourne à ses occupations. Dans l'ensemble, les
séances d’exorcisme s’avèrent plutôt calmes, et le diable
parvient à demeurer caché.
Apparemment, Simone va bien, mais, lorsqu’elle retourne
sur son lieu de travail, voilà qu'il se manifeste dans toute sa
puissance.
Dès le début, j’ai été clair en disant à Simone que tout
n’allait pas se résoudre en quelques minutes.
— Vous avez vendu votre âme à Satan, lui ai-je dit, et,
pour la récupérer, il faudra des années. J'en suis certain.
Au travail, Simone essaie de mettre en pratique ma « tech-
nique ». Lors des crises, elle se réfugie dans les toilettes et
récite la prière que je lui ai enseignée en serrant la Médaille
miraculeuse. Au début, cette prière n’a aucun effet, mais, au
bout de quelques mois, Simone peut constater un premier
résultat.
Lorsqu’elle sort des toilettes, elle n'est plus couverte de
bleus et d’hématomes. Elle continue de frapper le mur de sa
tête, de ses poings et de ses pieds, mais, mystérieusement,
son corps n'en conserve aucune trace.
— Vous avez vu ? lui dis-je. Satan est encore en vous,
mais la Vierge joue également son rôle protecteur. Vous
verrez, tout finira par s’arranger.
Deux années s'écoulent et, au travail, Simone se retrouve
devant un sérieux dilemme : son PDG lui offre sur un pla-
teau d’argent une nouvelle promotion. Ce serait l’apogée de
sa carrière puisqu'il lui propose de devenir vice-présidente,
soit le numéro deux de l’entreprise. Seul écueil, il faut li-
cencier l'actuel vice-président.
Lorsque Simone me parle de cette proposition, je lui ré-
ponds :
— Renoncez à cette promotion. Il s’agit d’une épreuve
que le ciel vous envoie. C'est Satan qui a fait votre carrière.
Maintenant, c'est lui qui vous offre cette nouvelle promo-
tion. Il est évident qu’il s’agit de Satan puisque votre pro-
motion dépend du malheur de l'un de vos collègues. Vous
devez absolument renoncer. Ayez foi en Notre-Dame. Si
vous acceptez, ce sera pour le diable la preuve que vous êtes
toujours de son côté, et il utilisera cette preuve contre la
Vierge et devant Jésus-Christ. Renoncez et gardez foi en
Marie.
— Mais, père Gabriele, si je refuse, un autre acceptera à
ma place, et le vice-président sera quand même licencié.
— D’accord, mais vous aurez la conscience tranquille. Et
le fait de dire non à Satan contribuera de manière non né-
gligeable à votre délivrance.
Simone refuse donc la proposition de son supérieur qui,
incrédule, prend acte de sa décision. À partir de ce moment,
la carrière de Simone commence à dégringoler de manière
vertigineuse et, six mois plus tard, elle est licenciée.
Est-ce la fin ? Pas du tout : c’est le commencement.
Simone reste au chômage pendant deux ans, deux années
très difficiles, au cours desquelles je la soutiens en lui en-
joignant de garder la foi, mais elle finit par être délivrée.
Cela se passe un après-midi alors qu'elle est chez elle avec
une amie. Brusquement, la présence de Satan se manifeste.
Simone sent monter la haine, la haine contre le monde en-
tier et plus particulièrement contre cette amie qu’elle a envie
de tuer. Elle court se réfugier dans la salle de bains, mais, au
lieu de frapper les murs, elle hurle et elle hurle. Lorsque son
hurlement cesse, elle est délivrée. Dans les jours qui suivent,
sa vie change du tout au tout, et elle trouve un nouvel em-
ploi.
La lumière est revenue dans son existence.
Simone découvrira ensuite autre chose. Au cours de ces
années, sans le lui en parler, j’ai demandé à de nombreuses
personnes de prier pour elle, et ces prières lui ont été utiles.
Les gens qui prient pour autrui sont une bénédiction du ciel,
et une bénédiction pour mes exorcismes.
Au cours de ces années, j’ai été soutenu moi aussi par toutes
ces prières et toutes ces personnes qui ont prié. Parmi elles
se trouve une personne particulière, une personne qui pos-
sède un charisme exceptionnel et sans laquelle mon travail
eût été beaucoup, beaucoup plus difficile.
Un beau jour, j’ai la visite d’une jeune pharmacienne qui est
possédée et ne parvient pas à être délivrée. Elle me dit ce-
pendant que sa vie s’est beaucoup améliorée depuis qu'elle a
fait la connaissance du « Professeur ».
— Depuis que vous connaissez qui ?
— Le Professeur, père Amorth. C’est comme ça que tout
le monde l'appelle. Il vit dans un petit village du centre de
l’Italie. C’est lui qui m’a aidée et qui m’a parlé du mouchoir
rouge.
— Je vous demande pardon, mais je ne vous suis pas
bien. Qu'est-ce que c’est que cette histoire de mouchoir ?
— Un jour, une amie, qui était au courant de ma condi-
tion, m’a donné le numéro de téléphone de ce professeur en
me disant qu’il serait capable de m’aider parce qu’il était
médium. Je l'appelai donc et lui racontai mon histoire en lui
demandant s’il pouvait faire quelque chose. Sans m’avoir
vue, au téléphone, il me dit d’aller dans ma chambre et de
regarder dans l’armoire à trois portes. « Au fond du com-
partiment de gauche, continua-t-il, est dissimulé un mou-
choir rouge portant un nœud. Prenez-le et brûlez-le. Ce
mouchoir est maudit. Si vous le faites, votre vie
s’améliorera. » Incrédule, j’allai dans ma chambre et j’ouvris
l’armoire et, en effet, je trouvai au fond du côté gauche ce
mouchoir rouge. Je ne savais pas comment il était arrivé là,
mais il y était. Je l’ai emporté et je l'ai brûlé. Et je me suis
aussitôt sentie bien mieux.
Tandis que j’écoutais cette histoire, je n’imaginai pas une
seconde que, peu de temps après, ce professeur me devien-
drait également indispensable. Je n’imaginais pas que ce
serait lui qui m’aiderait le plus, notamment lorsque je ren-
contrerais des cas de possession que je n’arriverais pas à
résoudre.
Le Professeur est donc un médium du centre de l’Italie. Il
possède ce don particulier qui lui permet de reconnaître,
simplement au téléphone, si la personne qui lui parle est ou
non possédée. Mais pas seulement : il sait aussi dire d’où
vient la possession, si elle est provoquée par un maléfice jeté
par un mage, par un adepte du satanisme ou qui que ce soit
d’autre.
Je l’ai appelé d’innombrables fois, mais je ne l’ai jamais
rencontré en personne.
Ainsi, je me dis que je pouvais lui parler de Gianluca. Gian-
luca est un homme qui subit une possession particulière-
ment profonde et grave. Lors de notre première rencontre,
je lui demande depuis combien de temps il souffre de ces
troubles.
— Depuis ma plus tendre enfance.
— Et pendant toutes ces années, qu’avez-vous fait pour
combattre ces phénomènes ?
— Père Gabriele, je n'ai rien fait du tout.
Gianluca a cinquante ans, et il n’a jamais mis les pieds dans
une église. Il dit qu’il n’est pas croyant et va même jusqu’à se
déclarer athée.
À partir de l’âge de six ans, il commence à souffrir de légers
troubles : la nuit, il a du mal à dormir et entend des voix
dans le noir : « Gianluca, Gianluca, tu ne peux pas dormir.
Nous sommes là, tu dois faire attention. Gianluca, tu ne
peux pas dormir. Nous allons venir te prendre pour t'em-
mener, Gianluca... »
Ses parents, qui ne font pas grand cas de ces phénomènes,
se disent que cela lui passera avec l'âge.
Gianluca essaie également de ne pas y penser, mais les mois
passent, et les voix ne cessent jamais. Pis, les troubles aug-
mentent. L'enfant passe ses nuits sans dormir et, le jour, il
est très agité, toujours furieux contre tout et tous. Ses pa-
rents pensent qu’il souffre de troubles caractériels et le font
suivre par un psychologue.
Mais la situation, au lieu de s’améliorer, empire encore. Plus
Gianluca grandit, plus ces troubles « caractériels » se font
aigus.
À l’école, tout va mal.
Dès les classes élémentaires, il éprouve des problèmes rela-
tionnels : ses camarades l’écartent ou se moquent de lui. Ils
n’ont aucun respect pour lui. Gianluca souffre largement de
cette situation, mais ses parents ne lui sont pas d'une grande
aide, pas plus que les enseignants qui ne savent que dire que
« cela arrive dans toutes les familles d’avoir une pomme
pourrie dans le panier ».
Au fil du temps, Gianluca n'arrive à nouer aucune relation.
Il n’a pas d’amis, pas de fiancée, il n’est jamais amoureux. Il
laisse tomber ses études pour chercher du travail, mais il
n’en trouve pas.
Il demeure ainsi au chômage pendant des années, réussis-
sant de temps en temps à vivre de petits boulots qui ne du-
rent jamais bien longtemps.
Et toujours, les voix sont là. Elles le suivent et le tourmen-
tent sans relâche. À présent, elles ne se font pas seulement
entendre la nuit, mais aussi le jour, de manière incessante.
Elles le dérangent vingt-quatre heures sur vingt-quatre. De
plus, elles sont devenues plus nombreuses, voire in-
nombrables. La vie de Gianluca est un cauchemar infini. Les
médecins ne savent plus que faire de lui, les traitements ne
le calment pas, les psychothérapies ne donnent rien.
— Il est peut-être simplement fou, pensent la plupart
des gens.
La religion, le christianisme sont autant de sujets qui ne
l'intéressent pas. Un jour, sur Internet, il lit l'histoire d’une
personne qui, comme lui, a entendu des voix pendant des
années et qui, après d’atroces souffrances, ne les a plus en-
tendues grâce à l’aide d’un exorciste du nom de Gabriele
Amorth.
Gianluca déniche donc mon numéro de téléphone et
m’appelle pour que je lui fixe un rendez-vous.
— Donc, pendant cinquante ans, vous n’êtes jamais allé
à l'église ?
— Jamais.
— Êtes-vous baptisé ?
— Non.
— Vous savez ce qu'est l’eucharistie ?
— Non.
— Savez-vous ce que cela signifie de vivre éter-
nellement en dehors de la grâce de Dieu ?
— Non.
— Gianluca, pourquoi êtes-vous venu me voir, moi ? Je
suis exorciste de l’Église catholique !
— Je le sais bien.
— Vous comprenez ce qu’est un exorciste ?
— Quelqu’un qui chasse le diable, je crois.
— Vous croyez... Toutefois, il faut que vous sachiez que
c’est quelqu’un qui le chasse non pas en son propre nom,
mais au nom de Jésus-Christ. Vous pensez que le diable est
en vous ?
— Plusieurs diables, peut-être. Les voix que j’entends
sont si nombreuses et si différentes.
— Savez-vous que, si les démons se sont emparés de
vous, et si vraiment ces démons sont là depuis votre plus
tendre enfance, la bataille pour vous en délivrer sera extrê-
mement difficile et peut-être impossible à remporter ? Vous
comprenez bien que vous devrez accepter que ce sera le
Christ qui vous délivrera ? Si ce n'est pas le cas, Jésus ne
pourra rien.
Silence.
— Écoutez, Gianluca, pour vous aider, je dois d’abord
chercher à savoir si vous êtes réellement possédé et, le cas
échéant, quand et pourquoi cette possession a commencé.
La découverte de la cause peut être un bon début. C'est pour
ça que je vous demande de rentrer chez vous et de télépho-
ner à ce numéro. Il s’agit d’un médium. Je pense que vous
êtes suffisamment décidé et courageux pour le faire. Quoi
qu’il en soit, ce n’est qu’un coup de fil. Appelez-le et de-
mandez-lui de vous aider. Demandez-lui aussi s’il pense que
vous êtes vraiment possédé et comment le diable aurait pu
entrer en vous. Puis, demain, revenez me voir pour me ra-
conter tout cela.
Gianluca rentre chez lui, s'assied dans un fauteuil et com-
pose le numéro du Professeur.
— Bonsoir, je vous prie de m’excuser de vous déranger,
mais c’est le père Amorth qui m'a donné votre numéro...
— Dites-moi tout.
— Voilà, je voudrais savoir...
— ... si vous êtes possédé.
— Exact.
— Comment vous appelez-vous ?
— Gianluca.
— Quel âge avez-vous ?
— Cinquante ans.
— Gianluca, vous êtes fils unique, n’est-ce pas ?
— Oui.
— C’est à l'âge de six ans que vous avez commencé à
entendre ces voix la nuit, et ces voix vous empêchaient de
dormir ?
— Exact.
— Vous l’ignorez, mais, à cette époque, une personne
proche de votre famille [le Professeur donne à Gianluca le
nom et le prénom de cette personne] a jeté le mauvais œil
sur votre mère.
Cette personne a payé grassement un mage qui a demandé
de l'aide à Satan, et le sort a réussi. Plusieurs démons se
sont emparés de votre mère, mais aussi de vous. Vous souf-
frez à cause de ce puissant maléfice.
— Je ne sais que vous répondre. Je sais que cette per-
sonne haïssait mes parents, mais je ne pensais pas que...
— Le mal est imprévisible. Il frappe des manières les
plus étranges, mais il frappe. À mesure que vous grandis-
siez, ces voix se faisaient plus difficiles à supporter. Les
médecins n’ont jamais réussi à vous soigner, et vous en avez
pourtant consulté tant et tant ! À l’école, vous avez été mis à
l'écart, et vos camarades se moquaient de vous. Vous n’avez
jamais trouvé d'emploi stable. Les années ont passé, et les
voix n’ont nullement cessé de vous persécuter. Elles sont
devenues toujours plus fortes et plus envahissantes, et, à
présent, vous voulez vous en libérer avec l'aide du père
Amorth.
— Écoutez, je ne comprends pas comment vous faites
pour savoir tout cela ! Avez-vous parlé au père Amorth ? Ou
avec quelqu’un de ma famille ?
— Je n’ai parlé ni au père Amorth ni à vos parents, je
n’en ai pas besoin. Je suis médium : il s’agit d’un don de
Dieu. Faites-vous aider par le père Amorth et dites-lui qu'il
doit mener ses exorcismes dans l’objectif précis de briser ce
maléfice ancien, mais encore extrêmement puissant. Je pa-
rie que ce mage est mort et qu’il ne peut plus nuire, mais il
pourrait également être encore en vie et, d’une certaine
manière, il comprendra bientôt qu'un exorciste est en train
de l’affronter. Faites confiance au père Amorth et saluez-le
de ma part. Au revoir.
Le lendemain, Gianluca revient me voir. Il me relate le coup
de fil, et j'en reste sans voix. Je comprends alors que le Pro-
fesseur peut m’aider beaucoup non seulement avec Gianlu-
ca, mais également avec d'autres possédés.
Pour la délivrance, il est fondamental de découvrir l’origine
de la possession. Ainsi, je peux exorciser Gianluca avec
l'intention précise de retirer ce sort maléfique.
Il ne suffit pas d’une seule séance d’exorcisme pour effacer
quarante années de possession. Quarante années, c’est
beaucoup de temps, énormément, et c’est un temps précieux
pour Satan qui a eu tout le loisir de s’enraciner très profon-
dément. En outre, dans le cas de Gianluca, il ne s’agit pas
d’un seul diable, mais de plusieurs.
L’entreprise est des plus difficiles, d’autant que je com-
prends rapidement que le mage est toujours en vie. Après
plusieurs coups de fil au Professeur, j’apprends que le mage
s’est aperçu que je pratiquais des exorcismes sur Gianluca et
il répète toutes les semaines son maléfice. Toutefois, il faut
savoir que la répétition d’un maléfice en diminue d’autant sa
puissance. C’est comme si je tirais d'un côté tandis que le
mage tirait de l’autre.
Mais c'est moi le plus fort parce que le Christ, qui est de mon
côté, est plus fort que Satan. Christ est Dieu, alors que Satan
n’est qu’un ange qui s’est rebellé contre Dieu pour toujours.
J’exorcise Gianluca pendant des années, au cours d'une ba-
taille extrêmement rude, mais, à la fin, c'est le Christ qui
triomphe. Le mage est vaincu. Sans l’aide du Professeur, les
choses n'auraient pas été aussi « faciles ». C’est ainsi que je
commence à conseiller également à d'autres exorcistes de
s’adresser à lui.
Nombre d’entre eux en tireront un excellent parti. Je me
souviens, par exemple, de ce qui est arrivé au père Gérard,
lorsqu’il dut un jour exercer son talent dans une certaine
maison : c'était la maison qui était possédée.
Le monde compte d’innombrables maisons hantées. Ce sont
souvent des maisons qui ont été habitées pendant des an-
nées par des satanistes, et la présence diabolique continue
de s’incruster bien après le départ de ces adeptes de Satan.
Ce sont parfois de nouvelles maisons construites, dans
l'ignorance de tous, sur un ancien cimetière et dont une âme
défunte, pour une raison ou une autre, peut avoir sur les
lieux une influence négative parfois extrêmement déplai-
sante. Ce sont encore des maisons où ont eu lieu des crimes
et des assassinats.
Le mal laisse toujours une trace derrière lui et, parfois, elle
est comme une blessure à vif d’où peut jaillir à tout moment
la malice, la perversité, la destruction ou la mort.
Le père Gérard avait donc été appelé par les nouveaux pro-
priétaires de ladite maison. Depuis leur emménagement, ils
vivaient dans une terreur continuelle. La nuit, ils enten-
daient des bruits insolites, des toussotements ; les lumières
s’allumaient et s’éteignaient ; les portes s’ouvraient et se
refermaient sans raison.
Une nuit qu'ils furent réveillés par une puanteur de gaz, ils
se précipitèrent dans la cuisine où ils découvrirent un robi-
net de gaz ouvert par on ne sait qui. Il arrivait aussi qu’ils
entendent depuis leur salon des coups frappés sur le sol de
la cuisine.
S’ils étaient dans la cuisine, ils entendaient le même genre
de coups dans le salon. S’ils s’approchaient de la pièce où
résonnaient les coups, le bruit devenait de plus en plus fort,
mais, lorsqu’ils ouvraient la porte, la pièce était toujours
déserte.
Lorsque le père Gérard vint me demander conseil, je
l'adressai au Professeur qui lui dit :
— Je vous laisse mon numéro de téléphone mobile.
Appelez-moi lorsque vous serez dans la maison, je pourrai
peut-être vous aider.
Dès qu’il se présente devant la maison hantée, le père Gé-
rard sent instinctivement que quelque chose ne va pas.
D’une manière étrange, la maison le repousse. Il veut
s’échapper, mais il se retient et va saluer les propriétaires
qui l’attendent devant la porte. Ils lui remettent les clefs et,
suivant ses conseils, ils s’absentent pour au moins deux
heures. Le père Gérard préfère être seul, car les proprié-
taires pourraient gêner sa tâche.
Il n’a jamais « désenvoûté » une maison et il hésite, un peu
effrayé. Avec ses mystères, la maison semble vouloir le re-
pousser et le capturer à la fois.
Ce n’est qu'une petite maison de campagne, avec un jardin
tout autour et, sur l’arrière, un bois épais qui grimpe à
l’assaut d’une haute colline. Très obscur, le bois est situé au
nord et il n’invite guère à l’exploration.
Prudent - et assez effrayé -, le père Gérard décide de ne pas
s’avancer davantage. Il sent dans la maison la présence
d'une force qui cherche à le troubler et qui ne veut pas qu'il
entre. Il s’empare de la clef et la glisse dans la serrure,
tourne deux fois pour déverrouiller la porte et fait deux pas
à l'intérieur.
Il découvre une grande pièce où se dresse une cheminée
éteinte pour le moment. Le sol est recouvert de grandes
dalles sombres. Il appuie sur l'interrupteur, mais la lumière
ne jaillit pas.
La pénombre est à peine troublée par quelques rayons de
lumière qui filtrent des persiennes à demi closes. Le père
Gérard essaie d’ouvrir les fenêtres, en vain : inexplicable-
ment, elles paraissent bloquées.
Une telle expérience est difficile, extrêmement difficile à
expliquer ; il faut la vivre pour comprendre ce que l’on peut
ressentir, mais, lorsqu’un exorciste pénètre dans un lieu tel
que cette maison, il sent tout autour de lui une présence qui
le scrute.
Il se sent transpercé par ce regard, même s’il ne sait pas dire
où sont les yeux qui le regardent.
Il ne sait pas dire comment ils sont, ni à qui ils appartien-
nent, mais il sait qu'ils sont là. Il sait que quelqu'un
l’observe et qui l’observe avec une haine farouche. Toute la
haine du monde semble fondre sur lui.
En son for intérieur, l’exorciste affronte une furieuse bataille
: il voudrait fuir, mais il ne le peut pas ; il voudrait réagir,
mais il sait pertinemment que cela ne fera qu’empirer les
choses. S'il se mettait à se débattre, rejetant sa propre haine
contre la haine de son adversaire, il serait vaincu
sur-le-champ.
La seule issue est de prier.
— Seigneur Jésus-Christ, qui a vaincu le mal pour
l'éternité, prends pitié de moi. Seigneur Jésus-Christ,
aide-moi. Viens à mon secours. Ne me laisse pas seul et
vaincu.
Le père Gérard prie, mais il appelle aussi très vite le Pro-
fesseur.
— Allô, Professeur, ici le père Gérard.
— Bonjour, êtes-vous déjà sur place ?
— Oui. J’y suis. Il n’y a pas de lumière.
— Les lumières ne fonctionnent pas pour le moment. Il
les a bloquées.
— Je n’arrive pas à ouvrir les persiennes.
— Il les a bloquées aussi.
Le père Gérard n’ose pas demander plus d’explications.
Comment le Professeur sait-il toutes ces choses ? Comment
peut-il être aussi sûr de lui
— Que dois-je faire ? demande-t-il.
— Je vais vous guider. Avancez jusqu’à la porte qui se
trouve devant vous et ouvrez-la.
— Elle est ouverte. Il fait noir et je ne vois rien.
— Sur la droite, il y a un escalier. Montez-le.
Le père Gérard monte les marches à tâtons.
À un moment, il entend un grincement, et un tableau lui
tombe sur la tête. Son téléphone tombe aussi et s’éteint. Le
père Gérard trébuche, et sa tête heurte une marche. Il se
touche le front et sent la bosse en train de se former. Il
cherche son téléphone, le récupère, réussit à le rallumer et à
composer le numéro du Professeur.
— Tout va bien ?
— Oui, Professeur, mais un tableau m'est tombé sur la
tête. Je ne sais pas comment ça a pu arriver.
— C’est lui. Mais vous ne devez pas avoir peur. Le ta-
bleau était accroché au mur de l'escalier par un simple clou.
Il a fait sauter le clou, et le cadre est tombé. Essayez de
monter jusqu’en haut.
Le père Gérard reprend son ascension tout en évitant de
faire du bruit afin d’être à même de percevoir les attaques
éventuelles.
Il pense aux paroles du Professeur : « C'est lui. »
Mais qui lui ?
Sa peur s'amplifie. Il arrive cependant au sommet de
l’escalier.
— Père Gérard, vous devez avoir devant vous un cou-
loir. Entrez dans la première pièce, à droite. La porte est
coulissante. Poussez-la.
Le père ouvre la porte, mais elle se referme aussitôt. Il la
rouvre. Elle se referme. Il ouvre et s’élance en même temps
dans la pièce. La porte se referme immédiatement derrière
lui.
— Vous m’entendez, père Gérard ?
— Oui, Professeur, je vous entends. Que dois-je faire
maintenant ?
— C’est très simple. Longez le mur de gauche jusqu’à ce
que vous trouviez, au fond, en bas, un petit placard. C’est là
que se trouvent les câbles électriques. Ouvrez ce placard.
Dans l'obscurité totale, le père Gérard s'exécute. Il trouve le
placard et l’ouvre.
— Je l’ai ouvert, Professeur.
— Bien. Mettez la main à l’intérieur. Au fond, derrière
les câbles, il doit y avoir une petite boîte. Prenez-la et sortez
avec. Sortez le plus vite possible de la maison en emportant
la boîte. À présent, les jeux sont faits et vous n’avez plus le
temps d’hésiter.
Le père Gérard trouve la boîte, la prend et commence à re-
venir sur ses pas. La porte de la maison est encore ouverte,
et il se sent plus léger. Il semble que la présence inconnue,
ce « lui » cité par le Professeur, n’est plus là.
C’est là qu'il se trompe.
Pendant qu’il descend l’escalier, il entend derrière lui
quelqu’un qui le suit de près. Il se met à courir, mais l’autre
derrière lui court aussi. Il pénètre dans la salle, et, dans
l’obscurité, il cherche la porte d’entrée.
Derrière lui, il sent que la présence l'a pratiquement rejoint.
Oui, il est là : il sent son souffle lui mordre les épaules. Le
père Gérard se jette en avant, et ses mains parviennent à
agripper la poignée de la porte. En un bond, il est dehors et
fait volte-face en pensant se retrouver devant le diable. Dans
le même temps, il pense à implorer le Christ de lui venir en
aide.
Il n'y a personne. Seulement la porte d’entrée qui bat vio-
lemment tandis que résonne, de plus en plus faible, un ri-
canement sinistre et furieux.
— Professeur, je suis dehors. Que dois-je faire ?
— Ouvrez la boîte et videz-la à vos pieds.
— C’est fait.
— Elle contient des petits ossements et autres saletés ?
— Exact.
— Bien, écrasez-les avec vos pieds et dispersez-les.
— C’est fait.
— Parfait. À présent, ils ne peuvent plus nuire à qui-
conque. Désunis, ils ont perdu leur force maléfique.
— De quoi s’agissait-il ?
— D'une mixture rassemblée par le mage qui vivait
auparavant dans la maison. Une mixture destinée à hanter
la maison jusqu’à ce que quelqu'un la découvre et la dé-
truise.
— Professeur, dites-moi ce que je dois faire avec lui.
— Avec qui ?
— Eh bien, dans la maison, un diable, je crois, me sui-
vait. Vous aussi, vous disiez qu’il...
— Père Gérard, retournez-vous et regardez la maison.
Le père Gérard s'exécute et en reste bouche bée : les volets
sont grands ouverts, les lumières, allumées. La maison n’est
plus terrifiante.
— Vous savez ce qui s’est passé, père Gérard ?
— Je vous écoute.
— Il est parti.
Je me fie au Professeur parce qu’il n’a jamais fait aucune
erreur de diagnostic, mais aussi parce que je sais, sans pour
autant l’avoir jamais rencontré, que c’est un homme
humble.
Attention ! Cela ne veut pas dire que c’est le Professeur qui
délivre les âmes ; non, c’est bien moi, à travers Jésus.
Je veux dire que les laïcs ne sont pas exorcistes : les exor-
cistes sont des prêtres qui pratiquent par mandat accordé
par l’Église.
Les laïcs ne peuvent disposer de ce mandat, et ils ne peuvent
donc pas exorciser. Toute tentative de leur part présente un
réel danger. Ils ne doivent pas plus dialoguer avec le démon
durant un exorcisme réalisé par un prêtre. Le démon essaie
bien de communiquer avec eux, mais ce n’est qu’une ma-
nière de les attaquer pour détourner l’attention de l'exor-
ciste de lui.
Lors d'une séance, un démon déclara à l’une de mes assis-
tantes qui venait juste de sortir de l’hôpital où son fils avait
subi une grave opération :
— Voilà Notre-Dame-des-Douleurs.
Elle lui répondit :
— Je n’ai pas peur de toi. Le Christ vaincra.
— Notre-Dame-des-Douleurs, cela ne te suffit-il donc
pas, ce qu’ils ont fait à ton fils ? N’en as-tu pas assez ? Tu en
veux davantage ?
À cet instant, je suis intervenu : j’ai ordonné à la femme de
ne pas répondre et j’ai continué mon exorcisme.
Les laïcs ne peuvent exorciser et ne peuvent pas parler avec
le démon. Leur tâche consiste à prier et, s’ils ont été choisis
par l’exorciste avec précaution, à maintenir le possédé
lorsqu’il est en crise. Les laïcs peuvent, en revanche, dire les
prières de délivrance.
Quant aux médecins, leur intervention en matière d'exor-
cisme est encore différente. Certains d’entre eux peuvent
être utiles. Il existe, en effet, des médecins qui travaillent
sur ce territoire inconnu des manifestations surnaturelles.
Je demande parfois de l’aide à ce genre de médecins, mais je
dois faire preuve de discernement.
Ils m'aident notamment à comprendre si certains cas en
sont réellement de possession et non pas seulement de
troubles mentaux.
L’un de ces médecins, Walter Cascioli, est spécialisé en
psychologie clinique à Rome, et j’ai résolu certains cas grâce
à lui.
***
Walter travaille sur des cas de souffrance mentale particu-
lièrement graves. En mettant en pratique ses connaissances
scientifiques et son discernement spirituel, il cherche à ex-
pliquer l'origine des maladies et, dans les cas réels de pos-
session diabolique, il n’hésite pas à s’adresser à un exorciste.
À la différence de nombre de ses confrères, il reconnaît que
certaines manifestations de souffrance sont dues à des
causes surnaturelles ou à quelque chose qui n’appartient ni
à Dieu ni à l'homme. Bref, des causes qui appartiennent à
Satan.
Sans son aide, j’aurais eu du mal à résoudre de nombreux
cas. Souvent, les symptômes qui se manifestent chez les
possédés sont, en effet, similaires à ceux des maladies
mentales. La différence réside dans le fait que, sur les pos-
sédés, les traitements naturels ou chimiques, médicaments
ou thérapies psychiatriques, n'ont aucun effet.
Lorsque Walter reçoit ses patients pour la première fois et
qu’il les questionne au sujet de la genèse de la maladie, il se
concentre sur la manière dont les symptômes se sont mani-
festés. Souvent, il les écoute sans rien dire et, pendant que
lesdits patients parlent, il récite en silence une prière de
délivrance. Sur les possédés, l’effet est immédiat.
Un jour, il voit arriver dans son cabinet un garçon affligé de
troubles divers. Pendant que le patient se met à parler,
Walter récite dans sa tête la prière suivante : « Seigneur
Jésus, délivre cette personne. »
La réaction est immédiate : le garçon se lève de sa chaise, et
son corps se met à gonfler jusqu’à devenir énorme. Puis,
juste devant le visage de Walter, il émet un rugissement
terrible, un rugissement de lion. Walter comprend alors
qu’il ne s’agit pas d’une maladie psychique, mais proba-
blement d'un cas de possession.
Walter fait partie d’un groupe catholique charismatique,
laïque, mais de droit pontifical. Cette Communauté de Jésus
ressuscité a comme principal objectif la prière et
l’évangélisation, et fait partie de la grande famille du Re-
nouveau charismatique catholique, l’un des principaux
mouvements religieux de notre époque, né en 1967, et perçu
comme un don du Saint-Esprit à l'Église, qui s'est rapide-
ment répandu dans tous les continents.
Des millions de chrétiens ont ainsi retrouvé leur foi pour la
vivre dans sa plénitude en retrouvant la parole de Dieu, le
respect de la liturgie et des sacrements. La Communauté,
qui a comme fondement charismatique celui de vivre et
d'annoncer la présence du Christ ressuscité au milieu de son
peuple, accorde une grande importance à la prière de déli-
vrance.
Parfois, c'est moi qui demande de l’aide à Walter et à sa
communauté, dans laquelle je me suis rendu à plusieurs
reprises, pour que les membres disent des prières
d’intercession. Parfois, c’est lui qui m’envoie des patients
qui sont l’objet de maléfices.
Les médecins qui, comme lui, croient en l’existence de Satan
sont rares. Souvent, les médecins sont des sceptiques qui
raillent les exorcismes, mais, lorsqu’ils sont invités à parti-
ciper à une séance, leur visage de sceptique se voile de ter-
reur.
Les médiums n'ont rien à voir avec les médecins. Le Pro-
fesseur, comme bien d'autres médiums, possède des dons
surnaturels qu’il est juste qu'il exerce.
Comment reconnaître un véritable médium d’un charlatan ?
L’humilité est l’une des caractéristiques les plus importantes
des médiums fiables. L’humilité, ainsi que le dénuement et
la discrétion. Pour être fiables, ils doivent, en effet, être
humbles, pauvres et ne pas rechercher la publicité. En Italie,
les médiums sont particulièrement nombreux, mais aussi en
France où on les appelle souvent « rebouteux ». Ils vivent
généralement à la campagne, dans des endroits plutôt iso-
lés. Le Professeur entre d’ailleurs dans cette catégorie.
Je me souviens, par exemple, d'un médium qui avait le don
de guérir la goutte. C’est un don que possède toute sa fa-
mille. On dit qu’il y a deux mille ans, ses ancêtres ont ac-
cueilli pendant un temps chez eux le premier pape, Pierre.
Au moment de son départ, Pierre a légué ce don à tous les
membres de la famille et à leurs futurs descendants.
Un jour que le pape Pie IX souffrait d'une terrible crise de
goutte, on fit appeler au Vatican un membre de cette fa-
mille. Il s’agissait d'une personne si humble et si peu culti-
vée que, lorsqu'elle fut devant le pape, elle répéta simple-
ment ce qu'elle disait à tous ceux qui venaient la voir dans
son village :
— Vous êtes guéri, mais il ne faut jamais oublier de
prier pour le Saint-Père, le successeur de Pierre, qui a tant
besoin de prières.
C’était ce que, dans sa famille, on disait depuis des siècles, et
l’homme se contenta de répéter la formule au pape comme
s’il s’agissait de n'importe quel patient.
— Je n’y manquerai pas, répondit le pape avec un sou-
rire.
VI
Sai Baba, le fils pré fé ré de Satan

Il faut être extrêmement prudent. À côté des médiums


fiables, il existe des médiums mauvais - pas seulement des
charlatans, mais des gens qui cherchent sciemment à faire le
mal. Comment les reconnaître ? C’est très simple : ils vous
demandent toujours de l’argent.
L’argent, sonnant et trébuchant, constitue la première ten-
tation du démon, parce que l’argent permet de tout acheter :
le sexe, la drogue, le plaisir et le pouvoir. Nombre de mé-
diums actuels sont d’ailleurs de faux médiums qu’il faut
absolument éviter.
Ce sont des gens qui ont fait un pacte avec le diable. Ils vous
demandent sans cesse de l’argent, de l'argent et encore de
l’argent. En fait, c’est parce qu'ils ne sont jamais rassasiés.
— Revenez la semaine prochaine et cela vous coûtera
tant, disent-ils toujours.
En outre, ce sont des gens qui ont pignon sur rue - en fait,
tout simplement parce qu'ils recherchent la publicité. Ils
sont exactement à l’opposé des véritables médiums qui dis-
simulent leur charisme. Ceux-là laissent Dieu conduire les
gens à leur porte. En outre, ils ne demandent jamais
d’argent à leurs visiteurs. Ils savent que l’argent mène droit
à l’enfer et ils l’évitent comme la peste.
« Il est plus facile de faire passer un chameau par le trou
d'une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de
Dieu », a dit Jésus.
Ce ne sont pas des paroles lancées au hasard ; elles doivent
être prises au pied de la lettre : l’argent corrompt l’âme.
Celui qui ne possède rien ne peut que se fier à la providence,
à Dieu. Il implore Dieu, et Dieu lui donne ce dont il a besoin.
Dieu aime les pauvres. Si un médium de Dieu commençait à
rechercher l’argent, Dieu lui retirerait sans hésiter le don
qu’il lui a précédemment confié.
Souvent, ces faux médiums ne sont que des suppôts de Sa-
tan. Ils se livrent à des messes noires ; ils rassemblent au-
tour d’eux des adeptes rares liés par une sorte de loi du si-
lence et se réunissent dans des lieux isolés, souvent dans des
maisons abandonnées. Leur rencontre se résume à une
messe qui suit une liturgie précise, mais une liturgie per-
vertie.
Au lieu de prier Dieu, ils invoquent Satan. Les pièces sont
peintes en noir, et noir est le drap qui recouvre l'autel.
Par-dessus, ils posent un crucifix inversé. Sans oublier une
statue du diable avec sa fausse prothèse. Souvent, il y a aussi
un crâne. Je ne vous raconte pas d’histoires !
Il n'y a pas de lumière, sauf peut-être quelques chandelles
qui projettent leurs ombres sinistres.
Vêtus de noir, les adeptes s’installent en cercle. Certains
dissimulent leur visage sous une capuche. Ils implorent Sa-
tan en latin et lui demandent de venir, de descendre parmi
eux.
La liturgie de ces rituels est tout à l’opposé de la liturgie
catholique. Lors de ces réunions, on note souvent la pré-
sence d'une prêtresse, une jeune fille généralement vierge
qui doit s’étendre, nue, sur l'autel.
Parfois, la jeune fille n'est qu’une proie innocente qui a été
enlevée et droguée pour être contrainte à subir le macabre
rituel. Les adeptes crachent sur l'hostie et boivent un mé-
lange de sperme et de sécrétions vaginales et tous, tour à
tour, possèdent la jeune fille. La drogue et l'alcool abondent.
En échange des plaisirs de la chair, ils donnent leur âme à
Satan. Pour toujours. Qui y gagne ? Il n’est pas difficile de
répondre.
Souvent, les faux médiums et les sorciers ou mages sont
comme un billet d'entrée pour ce genre d’activités. Un billet
pour les pratiques sataniques auxquelles il est ensuite diffi-
cile d’échapper. Extrêmement difficile.
J’irais presque jusqu’à dire impossible, même si on y par-
vient parfois. Ceux qui leur font confiance entrent dans des
cercles sataniques, des cercles homicides, infernaux. Ils
franchissent vraiment la porte de l’enfer. La porte des en-
fers. La porte du néant éternel.
Ce n’est pas par hasard qu’une figure clef de l'histoire du
satanisme soit justement un mage. Edward Alexander «
Aleister » Crowley est né en 1875 et est mort en 1947. C’était
un mage anglais, consommateur de morphine et d’opium,
qui manipulait les gens. Avec Satan, son allié, il a détruit de
nombreuses vies. C'est lui qui a écrit les lois du satanisme.
Parmi celles-ci : « Fais ce que tu veux sera ta loi » ou « Il n’y
a pas d’autre Dieu que l'homme ».
En 1920, Crowley s’installa à Cefalu, en Sicile, où il loua une
ferme pour fonder son « abbaye de Thelema ». Dans la
maison en rase campagne, à côté d’un cimetière, Crowley
chercha à accumuler des énergies magico-sataniques pour
conquérir le monde et le plier sous son joug. Depuis Thele-
ma se serait propagé un feu malfaisant qui aurait conquis et
assujetti le monde.
Crowley vivait dans la ferme en compagnie de deux concu-
bines, l’Américaine Leah Faesi et Ninette Fraux, qu’il appe-
lait « sœur Cypris ». Ils furent ensuite rejoints par d’autres
femmes et de nombreux disciples.
Mais des rumeurs plus ou moins inquiétantes au sujet de
cette « abbaye » se répandirent dans toute la Sicile. Pour
beaucoup, Crowley était « l'homme le plus pervers du
monde » ou « un génie du mal et du péché ».
Dans cette ferme se déroulaient, en effet, d’étranges rituels,
des orgies frénétiques, des incestes et des messes noires en
faveur de la bête de l'Apocalypse, le grand dragon du
monde, bref, Satan.
Après Crowley, il y eut Anton LaVey, pseudonyme de Ho-
ward Stanton Levey, mort en 1997. C’est lui qui fonda, avec
Kenneth Anger, un cinéaste de Hollywood, l’association
Magic Circle qui, en 1966, deviendra l’Église de Satan à San
Francisco. LaVey recherche des disciples déterminés à
vouer toute leur existence à Satan, et plusieurs stars du rock
deviendront des adeptes. (Tout ceci est fort bien relaté no-
tamment par Fabrizio Artale, expert en satanisme.)
Il y a des satanistes partout dans le monde. La plupart rési-
dent cependant à Londres, et, dans l'ordre, Turin, San
Francisco, Chicago et Rome. Quelle en est l'explication ?
C’est que, pour accomplir ses desseins, le diable a mis en
place toute une stratégie. Ces cités sont reliées par de si-
nistres géométries ésotériques qui se réclament du diable et
de l'occulte. Comme Crowley était anglais, il est parfaite-
ment logique que la capitale du Royaume-Uni demeure le
centre où ces groupes démoniaques ont le plus d'emprise.
Ces groupes sont partout, comme le sont leurs chefs, les
mages et les marabouts. Il est indéniable que Satan leur
confère des pouvoirs spéciaux qui les hissent au niveau de la
puissance de Dieu. Pouvoirs et dons tels ceux jadis donnés à
Marco qui, pendant une période de temps assez longue, se
crut être Dieu.
Marco est l’un des nombreux marabouts auxquels j’ai eu
affaire et l’un des rares - peut-être le seul - qui est revenu à
lui et a réussi à échapper à la mâchoire du démon.
Marco a de nombreux dons, mais tous lui ont été confiés par
Satan. C’est son habitude, au diable, de donner le plus de
pouvoirs possible à ses adeptes.
Souvent, il leur fait croire que ces dons ne viennent pas de
lui, pour ne pas les effrayer, mais ce sont eux, ses disciples,
qui se mentent à eux-mêmes. Ils ont confié leur âme au
diable et font mine de ne pas savoir que tout ce qui leur ar-
rive vient de lui. Ils mentent autant que Satan, le grand
menteur, le roi du mensonge.
Marco passe un pacte de sang avec le diable. À plusieurs
reprises, il entre en contact avec lui par le « jeu du verre », et
Satan lui parle. Au départ, Satan lui envoie des messages de
paix et de fraternité. C’est clair : il ne veut pas l’épouvanter.
Non, il souhaite d’abord lui offrir une image bienveillante de
lui.
Les jours passent, et Marco se rend en pèlerinage à Lourdes,
mais son âme est déjà tout entière entre les mains du dé-
mon. Peut-être se rend-il là-bas par provocation : Voyons ce
qui arrive à un serviteur de Satan dans un sanctuaire pa-
reil, se dit-il. Satan décide de se manifester à Lourdes, et
c'est dans l'un des plus significatifs sanctuaires de Marie du
monde que Marco réalise qu'il possède des dons extraordi-
naires.
C’est Satan qui les lui donne. C’est Satan qui choisit mali-
cieusement Lourdes pour les lui donner.
Marco devient clairvoyant. Il sait lire dans les pensées
d’autrui, faire des diagnostics médicaux, se souvenir du
passé de gens qu'il ne connaît pas ou prévoir leur avenir.
Quelques personnes commencent à prendre l'habitude de le
suivre, de l’interroger, de se fier à lui.
Après un certain laps de temps, Satan se manifeste de nou-
veau et offre à Marco un autre talent exceptionnel, celui de
pouvoir éliminer la douleur physique, toutes les douleurs
physiques, par l'imposition des mains.
Marco est désormais entouré d’un nombre non négligeable
de disciples, mais il devient de plus en plus irascible et de
plus en plus mauvais. Rapidement, il maltraite les gens qu'il
guérit, il les insulte, œuvre à les entraîner avec lui dans la
perdition, à détruire leur existence et celle de leurs proches.
Pour Marco, le salut survient lorsqu’un groupe de catho-
liques entend parler de lui. Ces hommes et ces femmes font
sa connaissance et se mettent à prier pour lui, et ils réus-
sissent à lui faire comprendre l’origine diabolique de ses
facultés. Grâce à leurs prières, Marco entame un long travail
pour se libérer de Satan, et il y parvient. Dès qu’il réussit à
rompre le pacte de sang avec le démon, tous ses pouvoirs
disparaissent.
Marco redevient un homme normal, moins puissant, certes,
mais libre. Il n’est plus esclave du prince du mal. Il est libre
parce qu’il est fils de Dieu.
Marco a réussi à se libérer, tout comme Anita, une femme
de la province de Rome qui avait vendu son âme à un ma-
rabout. Il ne s’agissait pas d’un quelconque marabout, mais
de celui que j'affirme avoir été (il est mort il y a quelque
temps) le fils préféré de Satan.
Anita est une jeune femme normale de la région de Rome.
Elle se marie dès sa majorité et donne rapidement naissance
à un fils.
Comme elle exerce la profession d’infirmière dans un hôpi-
tal, elle travaille régulièrement avec des malades et, au quo-
tidien, elle est en contact avec la souffrance et la douleur.
Un jour, son père se voit diagnostiquer un cancer en phase
avancée. Les examens radio sont très clairs : les métastases
ont envahi tout le corps, et les espoirs de guérison sont pra-
tiquement nuis.
Anita conduit son père chez un magnétiseur.
— Le cas de votre père est sans espoir, madame, lui dit
l'homme.
— Je le sais bien, répond Anita, mais que puis-je faire?
— Il n’y a pas grand-chose à faire. Le seul espoir est
peut-être de le conduire à Sai Baba.
— Sai qui ?
— Sai Baba. C’est un guérisseur formidable. Il vit en
Inde, à Puttaparthi. Si vous arrivez jusque-là, il réussira
peut-être à guérir votre père. Sai Baba a des milliers de dis-
ciples qui croient en lui. C’est une preuve.
Anita a confiance en ce magnétiseur et, de plus, elle est dé-
sespérée. Son père est en train de mourir, et le magnétiseur
dit que ce Sai Baba pourrait l’aider.
Nous sommes au début des années 1990 lorsque le père et la
fille atterrissent en Inde et se font conduire à l’ashram de
Sai Baba. Le gourou ne reçoit qu’à certaines heures bien
précises.
En fait, il se contente d’apparaître, parce que, chaque jour,
des centaines de personnes se rassemblent dans une sorte
de grand cloître attenant au logis de Sai Baba, où il fait de
brèves apparitions comme s’il se présentait de manière
surnaturelle : au lieu de marcher, il paraît voler à quelques
centimètres du sol.
Alors, il choisit quelques personnes au hasard pour leur
offrir le « privilège » d’entrer dans ses appartements et de
bavarder avec lui.
Anita hésite. Doit-elle se fier à cet homme. Or, un jour, de-
vant la maison de Sai Baba, une personne attire son atten-
tion. C’est un prêtre catholique qui lui inspire confiance.
Elle s'approche. À sa grande surprise, le prêtre est italien.
— Bonjour, mon Père, je m’appelle Anita et je viens de
la province de Rome. Puis-je vous déranger une minute ?
— Bien sûr, ma fille, dites-moi tout.
— Comment vous appelez-vous ?
— Je suis le père Marco.
— Écoutez, mon père est malade, très malade. Je vou-
drais voir Sai Baba, mais j’ignore si je peux me fier à lui. Je
ne le connais pas et...
— Ma fille ! Bien sûr que vous pouvez vous fier à Sai
Baba ! Vous savez qui il est ?
— Pas vraiment... On m'a dit qu’il pouvait guérir les
gens...
— Ma fille, écoute bien ce que je vais te dire : Sai Baba
est Jésus venu sur la terre.
— Vraiment ?
— Si je te le dis, moi qui suis un prêtre catholique, tu
peux avoir confiance.
Anita est bouche bée. Elle a une foi absolue, et, bien que peu
instruite de religion, le fait qu’un prêtre catholique lui af-
firme que Sai Baba est Jésus descendu sur la terre lui donne
le courage qui lui manquait. Elle se rend donc dans le cloître
dans l'espoir que Sai Baba la recevra.
Anita ignore évidemment que le père Marco est un prêtre un
peu particulier. Cela fait un moment que ses supérieurs du
Vatican l’ont à l’œil en raison de ses positions hérétiques.
Don Marco est fasciné par le personnage de Sai Baba au
point qu’il est devenu l’un de ses disciples. Comment ? Tout
simplement parce que, lorsque le père Marco a réussi à
échanger quelques mots avec lui, Sai Baba l’a convaincu.
— Que veux-tu ? lui a demandé Sai Baba.
— Je veux penser à Dieu vingt-quatre heures sur
vingt-quatre, a répondu Marco.
Sai Baba a pris un anneau, soufflé dessus, et l'anneau a aus-
sitôt changé de forme. Stupéfait, le père Marco se souvient à
cet instant que la Bible dit que Dieu a créé le monde et la vie
avec son souffle.
Il décide d’accepter l’anneau en signe de sa nouvelle amitié
avec Sai Baba. Le père Marco sent l'anneau se serrer autour
de son doigt au point qu’il ne peut plus le retirer.
Pendant un certain temps, il a l’impression d’être protégé
comme s’il était enveloppé par un bouclier métallique. Il se
sent sûr de lui, comme s’il n’avait plus rien à craindre. Que
s’est-il passé ? Eh bien, ce jour-là, Marco a abandonné Dieu
pour offrir son âme et son corps à Sai Baba. En fait, il a of-
fert son âme et son corps à Satan.
Anita pénètre avec son père dans le cloître, où des centaines
de personnes sont déjà à genoux en attendant le gourou.
Entrent alors des éléphants, précédés et suivis de disciples
qui jouent de la musique et chantent des mélopées in-
diennes. Au bout de quelques minutes, une porte s’ouvre au
fond du cloître, et un homme petit, pas plus d’un mètre
cinquante, maigre, aux cheveux crépus très noirs, apparaît.
L’homme est vêtu d’une longue tunique orange et il paraît
voler. Dans le silence général, il parcourt le cloître et, de
temps en temps, il montre une personne de la main :
— Toi... Toi... Toi...
C’est lui, c'est Sai Baba.
Anita l’observe avec une extase qu’elle ne saurait expliquer.
Sai Baba s’approche de la zone où Anita est agenouillée avec
son père.
Il la remarque et la montre. Incroyable : c'est la première
fois qu’ils viennent au cloître et ils ont été choisis ! Anita
pense qu’elle a de la chance, car elle sait que des gens pas-
sent des mois dans le cloître avant d’être choisis.
Elle ne sait pas vraiment à quoi s’attendre, mais, dans sa
tête, elle entend encore les paroles du père Marco : « Tu sais
qui est Sai Baba ? C'est Jésus venu sur la terre. C'est Jésus
venu sur la terre. »
Sai Baba ne retourne pas immédiatement dans son ashram,
mais demeure parmi les siens. Il monte sur une grande ba-
lançoire et se fait bercer pendant des heures. Autour de lui,
tout le monde l'admire et le vénère ; et lui, comme s'il était
vraiment Dieu, ne fait rien d’autre que se laisser vénérer.
Au bout d’un long moment, Sai Baba retourne dans ses ap-
partements, suivi, parmi d’autres, par Anita et son père. Sai
Baba leur demande de s’approcher, il les examine, puis fait
tourner sa main droite sur elle-même et, dans sa paume,
apparaît de la poudre qu’il appelle « cendre sacrée ». Il leur
tend la poudre en leur disant qu'ils doivent l'avaler. Anita et
son père s’exécutent, et la jeune femme est comme ensor-
celée, car elle se jette aussitôt aux pieds de Sai Baba en
s’écriant :
— Je t'appartiens ! Mon corps et mon âme t'appartien-
nent pour l’éternité. Je suis tienne pour toujours.
Sai Baba sourit et s’éloigne dans une autre pièce.
On fait sortir Anita, mais elle reste dans les environs de
l’ashram avec son père pendant un mois entier. Au début,
son père semble regagner des forces, et Anita se dit qu’il est
en voie de guérison.
Ils s’en retournent donc en Italie, à Rome, mais le père
d'Anita voit sa santé s’aggraver de nouveau, et il finit par
mourir. Dévastée, Anita n’en continue pas moins de suivre
les principes de celui auquel elle a donné son âme. Elle
rencontre plusieurs disciples de Sai Baba à Rome même et
découvre qu’ils sont plutôt nombreux, surtout dans le do-
maine de la médecine - des gens qui, comme elle, vivent au
contact quotidien de la maladie et de la souffrance. Pour
eux, Sai Baba évoque miraculeusement une vie nouvelle ; il
est l’illusion même de la fin de la douleur et de la mort.
— C’est Dieu, disent ses disciples. C’est Dieu et il nous
sauvera.
Le fils d’Anita grandit. Il sait que sa mère est dévouée à Sai
Baba, et la chose l'inquiète profondément. Il ne sait pour-
quoi, mais il n’aime pas voir les photos du gourou que sa
mère a accrochées dans la maison, ni les petits autels qu’elle
a fait construire en l’honneur de Sai Baba.
Il ne sait rien de l’homme en question, mais son intuition lui
dit de s’en méfier. C'est ainsi qu’il convainc sa mère de ren-
contrer des membres d'un groupe de prière charismatique
de ses amis.
Anita se rend donc dans une paroisse où le groupe se réunit.
À son entrée dans l’église, elle découvre les membres en
train de prier et réagit sur-le-champ de manière extrême-
ment violente : elle sort en courant de l’église en hurlant à
son fils :
— Je suis possédée par le démon ! Je suis possédée par
le démon ! Je ne veux plus rien avoir à faire avec eux !
Le fils d’Anita est un garçon intelligent : il ne dit rien et
l'éloigne de l'église, mais, quelque temps plus tard, il la
conduit dans une autre paroisse pour rencontrer deux per-
sonnes, mari et femme.
Il s’agit de deux conjoints des plus ordinaires qui animent
depuis longtemps dans cette paroisse un groupe de prière.
Anita sent alors autour d’elle tant d’amour qu'elle décide,
avec une force de volonté colossale, de se faire aider. Au
fond d’elle-même, elle se sent comme dédoublée : il y a
Anita, mais il y a aussi quelqu’un d’autre. Elle sait, elle sent,
elle comprend qu’il y a en elle quelque chose de mauvais.
La partie saine de son âme la pousse à se fier aux deux con-
joints et au groupe de prière qu’ils animent. La partie mau-
vaise, non. Toutefois, pour une raison mystérieuse qu’elle ne
comprendra elle-même que des années plus tard, c’est la
partie saine qui domine. Anita décide donc de se faire aider.
Les difficultés ne manquent pas. Lorsqu'Anita commence à
prier dans le groupe, elle sent monter en elle une grande
aversion, voire de la haine : c'est lui, l’esprit malin, qui la
possède et qui lui fait éprouver cela en instillant dans son
esprit des choses indicibles. Au point qu’Anita ne parvient
pas à aller au bout des prières. Les deux conjoints ne savent
que faire pour l’aider, et il ne leur reste qu’une solution :
m’appeler à la rescousse.
C’est ainsi que je me retrouve, un jour, à me rendre dans
cette paroisse. Dès mon entrée dans l’église, j'aperçois, au
fond, assise sur un banc, une femme maigre aux cheveux
noirs qui me dévisage. C'est Anita. Je comprends immédia-
tement que quelque chose ne va pas. En effet, la jeune
femme bondit sur ses pieds et s’enfuit en hurlant :
— À l’aide ! À l’aide ! Il y a un monstre ! Il y a un
monstre !
Elle me dira ensuite que, cette fois-là, lors de notre première
rencontre, elle m’avait effectivement vu comme un monstre.
Un monstre sans yeux, au visage difforme et qui lui parais-
sait empreint de toute la méchanceté du monde.
Avec beaucoup de réticences, Anita accepte que je pratique
des exorcismes. Les séances durent des années et, au cours
de ces années, je comprends que Sai Baba est un gourou
étroitement lié à Satan.
Pour moi, il reste le fils préféré de Satan sur la terre.
C’est son fils comme il y en a peu dans le monde. Il est ca-
pable de magie, de faux miracles qui ne donnent rien, et de
convaincre des milliers de personnes qu’il entraîne vers la
perdition pour les abandonner ensuite.
Les gens l'admirent parce qu’il est capable de tours de pres-
tidigitation extraordinaires, par exemple de faire apparaître
des objets du néant.
Et il n’est pas donné à tout le monde de marcher à quelques
centimètres du sol. Selon toute apparence, ces actes épous-
touflants sont inexplicables. Moi, je sais que ceux qui de-
viennent les fils de Satan savent exécuter toutes sortes de
tours !
Sai Baba est né le 23 novembre 1926 et est mort le 24 avril
2011. Il disait être un « avatar », l'incarnation d’un dieu sur
la terre sous forme humaine. Il affirmait aussi être la réin-
carnation d’un saint vénéré du nom de Shirdi Sai, mort huit
ans avant sa naissance. Sai Baba prétendait ainsi être ca-
pable de nombreux miracles, mais aussi de pouvoir prédire
l'avenir, même après sa mort (selon lui, elle aurait dû avoir
lieu à l’âge de quatre-vingt-seize ans, mais il est mort âgé de
quatre-vingt-quatre ans). Il déclara également qu'après sa
mort, il se réincarnerait en Prema Sai (Prema signifie «
amour divin absolu » et renvoie de manière claire à Jé-
sus-Christ). Ce fut Sri Aurobindo, philosophe et leader du
mouvement pour l'indépendance de l’Inde, qui, le 24 no-
vembre 1926, c'est-à-dire le lendemain de la naissance de
Sai Baba, déclara qu'il avait senti descendre sur la terre une
entité divine incarnée pour aider l’ascension de l'homme.
Aurobindo s’enferma dans une retraite pour le reste de ses
jours, soit vingt-cinq années. Il prétendit ne plus vouloir
voir personne, car Sai Baba était « né avec tous les pouvoirs
: l’omniprésence, l'omnipotence et l’omniscience ».
Sai Baba prêchait la non-violence, la vérité et l'amour, et ses
disciples pensent encore aujourd'hui qu’il était une puis-
sance divine. Il y a dans le monde des milliers de lieux de
culte à son image. Il savait s'entourer de gens qui, à force de
le côtoyer, adoptaient des comportements de plus en plus
perturbés, une manifestation de leur possession, et ceux qui
venaient dans l’espoir de guérir ne guérissaient pas, en tout
cas pas grâce à lui.
Je n’ai aucun doute à ce sujet : Sai Baba fut le premier fils de
Satan. Il disait du bien de tous, notamment de Jésus, mais il
affirmait qu’il n’y avait qu'un seul Dieu et qu’il était ce Dieu.
Certes, il a contribué financièrement à des opérations ca-
ritatives pour installer des hôpitaux ou améliorer le réseau
d’eau potable dans les villages indiens. Selon toute appa-
rence, c’était un homme de bien.
Mais n'oubliez pas que le diable est extrêmement rusé, et de
nombreux pèlerins venus de tous les pays sont tombés dans
les filets de Sai Baba.
Ainsi, il a été extrêmement difficile de délivrer Anita.
— Crache, crache tout, lui disais-je durant les exor-
cismes. Tu dois cracher toute la poudre, sinon tu ne te déli-
vreras jamais.
Elle a mis des mois à recracher tout le peu de poudre qu’elle
avait ingurgité en Inde. Elle a mis des mois, mais elle y est
arrivée. C'est moi qui lui ai expliqué pourquoi elle avait ré-
ussi à se libérer : c'est parce que la part bonne de son âme a
dominé la mauvaise. Et pourquoi donc ? Pour une raison
très simple que la même Anita ignorait. À sa naissance,
Anita eut la visite à la maternité des dames de
Saint-Vincent. Ces nonnes qui, entre autres choses, aident
les familles en difficulté, la consacrèrent à la Vierge par une
petite prière toute simple.
— Savez-vous ce qui vous a sauvée de Sai Baba et de la
destruction éternelle de Satan, ma chère Anita ? lui ai-je
demandé le dernier jour.
— Non, mon père, dites-le-moi.
— C’est la Vierge qui vous a sauvée, celle à laquelle les
dames de Saint-Vincent, à votre insu, vous ont consacrée à
votre venue au monde.
Bien entendu, le satanisme ne se répand pas seulement sur
le monde par les sectes et les groupes de disciples comme
celui de Sai Baba ; il adopte également toute une méthodo-
logie et un certain nombre d’« outils ». Le rock satanique en
est l'un des exemples.
Je ne veux pas dire par là que toutes les expressions de la
musique rock sont perverties par Satan, ce n’est certaine-
ment pas le cas.
Mais il existe un rock dit satanique qui constitue l'un des «
outils » de diffusion des principes de Satan sur la planète.
Comment fonctionne cet « outil » ? Les paroles des mor-
ceaux prônent le nihilisme absolu, combat la religion catho-
lique et tout ordre social ; elles martèlent que tout est per-
mis et que l'individu est Dieu. En outre, le rock satanique
conduit à la haine de l'Église en tant que telle, et proclame
clairement être l'adversaire du Christ. Son seul but est de
conduire l’être humain à se dévouer à Satan et, partant, à
forger sa propre perte.
Par l’intermédiaire de ce type de musique, de nombreux
jeunes se retrouvent dans des groupes qui précipitent leur
chute dans les ténèbres et l'occultisme.
Je pense, par exemple, à Marilyn Manson, chanteur et ar-
tiste américain, qui est l’esclave absolu du diable, au point
de déclarer : « Le diable n’existe pas. Le satanisme est le
culte de soi-même. »
Vraiment ? Seul Satan est capable de faire dire à l'un de ses
disciples des stupidités de ce genre !
Manson est un esclave, un fils du diable et, si celui-ci lui
permet d’exister, il le manipule. C'est un homme sans foi.
Je voudrais ici prévenir les parents et leur rappeler que, si
leurs enfants écoutent de la musique satanique, il faut qu’ils
les en écartent pour ne pas finir par pleurer sur leur dé-
pouille. Oui, absolument, pleurer sur leur dépouille, car
c’est ainsi que les choses finiront.
Lorsque je fais de telles déclarations, certains se moquent,
et la presse italienne ne manque pas régulièrement de railler
mes « sorties ». Je voudrais dire à ceux que cela prête à rire
d’aller bavarder avec les parents des enfants qui ont quitté
ce monde parce qu’ils avaient été entraînés dans le tourbil-
lon du satanisme. Allez leur parler ! Regardez-les dans les
yeux si vous en avez le courage ! Je le répète : vous, parents
dont les enfants écoutent de la musique satanique, sau-
vez-les en les accompagnant tout au long de leur adoles-
cence. Éduquez-les dans la foi chrétienne. Emmenez-les à
l’église dès leur plus jeune âge, même s’ils pleurnichent ou
courent dans toute l'église. Guidez-les par votre foi, car c’est
par osmose que l’on enseigne le mieux la foi.
Voici un exemple de ce que sème le rock satanique sur son
passage : il s’agit de l’assassinat de sœur Maria Laura Mai-
netti par trois jeunes mineurs de Chiavenna, un village de la
région de Sondrio, en Lombardie, tout au nord de l’Italie, en
juin 2000.
C’est le soir et, vers 22 heures, la mère supérieure Maria
Laura quitte le couvent de Chiavenna, où elle vit, pour ré-
pondre à l’appel d’une jeune fille de dix-sept ans, Ambra
Gianasso. Ambra déclare avoir été violée et être enceinte.
Elle fixe à la religieuse un rendez-vous dans un lieu isolé dit
« le parc de la Marmite des Géants », fréquenté la nuit par
des toxicomanes et des prostitués. L’intention d’Ambra et de
ses deux amies, Veronica Pietrobelli et Milena De Giambat-
tista, est d’offrir sœur Maria Laura en sacrifice à Satan.
Dans leurs aveux, les trois jeunes filles expliqueront qu’elles
avaient d'abord pensé au curé du village avant de l’écarter
en raison de la carrure imposante de l'homme. Elles con-
duisent la religieuse dans un petit chemin mal éclairé, la
frappent avec une brique avant de lui donner dix-neuf coups
de couteau.
Elles affirmeront aussi que, alors qu’elle était en train
d'agoniser, la nonne demanda à Dieu d’accorder son pardon
aux meurtrières.
Dans cette affaire, les médias ont souligné l'intérêt des
jeunes filles pour l'ésotérisme et pour Marilyn Manson.
Quel rôle peut avoir eu cette passion musicale dans leur
geste mortel ? Je ne vais certes pas affirmer que leur mobile
reposait sur une chanson de Manson ou sur la personnalité
même du chanteur, mais une chose est certaine : la musique
satanique est l’un des principaux moyens de diffusion du
satanisme parmi les jeunes. Les messages de cette musique
influencent sans doute aucun leur esprit et leur cœur. À tra-
vers un certain type de musique, ils découvrent des thèmes
inconnus, de véritables territoires du mal encore inexplorés.
De nos jours, la multiplication des chanteurs de rock qui
s’inspirent du diable constitue autant de portes ouvertes sur
des mondes dangereux. Des déclarations comme celles de
Manson, que j’ai déjà cité, ou du type « Satanisme ne signi-
fie pas adorer le diable.
Cela signifie que l’homme doit être son propre dieu sur la
terre » ne sont que des non-valeurs qu'un certain genre de
musique diffuse parmi la jeunesse. Comme un lavage de
cerveau qui conduirait au néant, à l’abomination, à la fureur
homicide, à l'autodestruction.
Le message négatif d’un disque ou d’un morceau est une
graine toxique jetée dans l’âme des jeunes, des âmes pures
et faciles à contaminer. Au cours de ces dernières années, le
rock satanique est devenu une mode qui s’exprime à travers
les courants musicaux extrêmes. Les pochettes des disques
regorgent d’images blasphématoires et les textes sont autant
d’incitations à la haine et à la violence, notamment à l’égard
des chrétiens.
Nombre de ces musiciens et chanteurs sont également liés à
des sectes sataniques. Aux États-Unis, les chanteurs King
Diamond et Acheron œuvrent en lien avec l’Église de Satan
qui se présente comme une religion alternative, parfaite-
ment légale, avec sa bible et ses commandements. Et ce lien
n’aurait pas de signification ? De même, il y a des années,
Marilyn Manson a rencontré Anton LaVey, fondateur de
l'Église de Satan américaine, et a été ordonné prêtre.
Blanche Barton, un disciple de cette secte, est allé jusqu’à
déclarer : « Nous avons reçu de nombreuses questions de la
part de jeunes qui avaient commencé à s’intéresser au sata-
nisme grâce à la musique et au comportement de Marilyn
Manson. »
Flash, revue italienne de musique heavy métal et hard rock,
a fait, dans l’un de ses articles, l'apologie de l’Église de Satan
américaine en la décrivant comme « l’association la plus
sérieuse et la plus fiable vers laquelle peuvent se tourner les
passionnés et les fans des théories occultes. [...]
Si vous pensez que la connaissance du satanisme peut vous
aider, et si vous voulez entrer dans la grande communauté
de pensée qu'est la philosophie satanique, l'Église de Satan
vous attend ».
Parfait. Je ne remets pas en cause la liberté de penser et
d'écrire, mais je me demande si ces journalistes savent ré-
ellement ce qu’ils écrivent. Ont-ils conscience des consé-
quences de leurs écrits ? Mesurent-ils réellement l’effet dé-
vastateur produit sur la jeunesse ?
En 1996, un jeune garçon de La Spezia, dans le nord de
l’Italie, profanait les cimetières pendant la nuit. Lorsqu’il a
été arrêté par la police, il a exprimé ses regrets en déclarant :
« Je regrette. Je me suis laissé entraîner par la musique
black métal que j’écoute depuis plus de dix ans.
En particulier, les textes de certains groupes norvégiens et
suédois, comme Mayhem, les Darkthrone et les Marduk. Ils
m’avaient conditionné au point que je répétais les paroles de
leurs chansons comme un robot.
Cette musique, que j'écoutais jusqu’à dix heures par jour,
me prenait tellement que je ne me rendais pas compte de la
gravité de mes actes. »
Daniele Murgia, inspecteur du commissariat de La Spezia, a
affirmé ensuite que « le fil conducteur qui liait ces per-
sonnes dans leur culte du mal était la musique black métal.
Leurs contacts étaient soit épistolaires, soit lors des concerts
de rock satanique ».
Outre le rock satanique, il existe également d’innombrables
images qui perturbent l’âme des plus jeunes. Je pense, par
exemple, aux nombreuses bandes dessinées qui célèbrent
Satan. Ces images laissent elles aussi leur empreinte, leur
blessure dans l'âme.
Pensons aussi à la télévision, dont les images ne sont pas
toujours éducatives. Au contraire, elles tendent à inculquer
dès le plus jeune âge l’idée que le bonheur sur terre dépend
de l’argent, du sexe et du pouvoir.
Argent, sexe et pouvoir, les trois idoles de Satan.
Il faut enfin parler d’Internet. J’ai essayé de taper « Satan »
sur un moteur de recherche et j’ai aussitôt obtenu toutes les
instructions nécessaires pour devenir un disciple, entrer
dans une secte satanique, bref, sur la manière de disperser
sa propre vie dans le néant.
C’est là tout le problème : Internet a rendu plus accessible
que par le passé toutes les informations sur le satanisme.
Désormais, il suffit d’un simple clic pour entrer en contact
avec des sectes sataniques. Le risque est particulièrement
élevé pour les jeunes en difficulté ou émotionnellement fra-
giles.
Lorsqu’un adolescent qui se sent mal dans sa peau surfe sur
Internet pour chercher des réponses à son malaise, il peut
être rapidement happé par ces sectes. Pour lui, ce peut être
le début de la fin. Parfois, par simple curiosité, on peut avoir
accès à des images ou à des films qu’on aurait mieux fait de
ne pas voir.
Une fois le contact établi, Satan agit. C’est aussi simple que
ça. Il suffit d'un film pour que Satan mette dans le cœur
d'une personne sa graine maléfique. Et, oui, c'est le début de
la fin, le début d’une chute vertigineuse qui vous emmène
toujours plus bas.
Satan peut entrer dans la vie des gens de manière très dis-
crète, presque intangible, mais il conquiert peu à peu du
terrain jusqu’à conquérir l'âme tout entière.
Plus il conquiert de terrain et plus il est difficile et long de
lui échapper.
Cela ne veut pas dire que le Web soit le mal absolu, mais
que, dans le Web, le mal est présent. Le mal est actif. Et
certains se laissent appâter.
Qu’est-ce donc qu’internet, en fait ? En grande partie, c’est
un monde sans Dieu.
Et qui est le roi d’un monde sans Dieu ? Satan. Ce n’est pas
par hasard que Satan a les mains plus libres dans les espaces
où Dieu n’est pas. Comme dans certaines parties du monde
réel, où Dieu n’est pas, le démon règne. Il règne et possède
les humains.
Parmi ces proies, il y a beaucoup de personnes qui n’ont pas
reçu le baptême, mais il y a aussi d’innombrables personnes
qui appartiennent à d’autres confessions : juifs, musulmans,
hindous, mais aussi protestants et orthodoxes - sans parler
de ceux qui n’ont aucune foi ou ne croient en rien.
Je reçois également beaucoup de croyants d’autres religions,
comme Ali, hindou de trente-quatre ans.
— Mon père, aidez-moi.
— Pourquoi avez-vous besoin d’aide ?
— Mon père, je suis possédé. Je le sens en moi.
— Que sentez-vous ?
— Quelque chose de maléfique.
— Vous êtes croyant ?
— Je suis hindou.
— Vous avez déjà entendu parler de Jésus-Christ ?
— Bien sûr, mais je ne sais pas grand-chose de lui.
— Peu importe que vous en sachiez suffisamment. Si
Dieu le veut, vous pourrez vous aussi un jour rencontrer son
fils Jésus-Christ. Mais peut-être pas maintenant. Ce qui
m’intéresse, c’est autre chose. C’est que vous sachiez que, si
vous êtes réellement possédé, les exorcismes que je prati-
querai sur vous le seront au nom de Jésus-Christ. C’est lui
qui délivre, pas moi. Je ne suis qu’un intermédiaire, et c’est
lui qui fait tout.
— Je ne crois pas au Christ, je...
— Je ne vous demande pas de croire à Jésus-Christ, je
vous demande seulement de le savoir. De savoir que c’est le
Christ qui vous délivrera si vous êtes un jour délivré.
J’ai eu ce genre de conversations avec d’innombrables per-
sonnes, d’autant plus que je reçois aussi des
non-catholiques. Je ne demande à personne de se convertir.
La conversion est un don de Dieu. Je leur demande seule-
ment s’ils savent qui va les délivrer. Celui qui les délivre a
pour nom Jésus-Christ, et moi, je les délivre au nom de Jé-
sus-Christ.
De plus, je leur demande aussi s’ils savent qui est celui dont
ils veulent se libérer : Satan, le plus bel ange du ciel qui,
dans un temps où le temps n’existait pas, se rebella contre
Dieu et fut précipité pour toujours en enfer.
Je leur demande de croire à ces deux vérités.
La plupart m'écoutent et acceptent, d’autres, non. D'ail-
leurs, il ne faut pas s’en étonner exagérément : même au
sein de l’Église catholique, il y en a qui ne croient pas à
l’existence de Satan.
Je dois dire que ces catholiques comptent aussi des évêques,
voire des cardinaux. J’ai d’ailleurs eu avec un cardinal un
entretien que j'aurai du mal à oublier. Je croyais trouver
auprès de lui des certitudes et j’ai trouvé tout autre chose.
VII
« Nous savons bien tous deux
que Satan n'existe pas »

— Bonjour, Éminence, je suis le père Gabriele Amorth.


Je suis un prêtre paulinien de Rome. Je suis également
l’exorciste officiel du...
— Je sais qui vous êtes. J'ai entendu parler de vous.
Dites-moi ce que vous voulez.
— J’aurais besoin de vous rencontrer.
— Pour quelle raison ?
— Eh bien, voyez-vous, j’ai rassemblé des exorcistes en
association, et nous nous réunissons à Rome pour discuter
et nous aider mutuellement. Vous savez, nous sommes si
peu nombreux dans le monde.
— Écoutez, en ce moment, je n’ai pas le temps. Mais si
vous voulez, vous n’avez qu'à venir chez moi demain et vous
pourrez me dire ce que vous voulez. Au revoir.
Le cardinal raccroche un peu brusquement le téléphone - ou
c’est du moins ce qu’il me semble. Quelque chose me dit que
je ne lui suis pas forcément sympathique. Et mon intuition
me dit pourquoi. Ce qui ne m'empêche pas de vouloir le
rencontrer quand même. Le lendemain, je me fais annoncer
chez lui à l’heure fixée pour notre rendez-vous.
Un petit prêtre obséquieux entre dans une pièce au fond du
couloir et en sort quelques instants plus tard sans me jeter
un seul regard.
Il s’approche de moi, puis entre dans une autre pièce sans
me dire quoi que ce soit.
— Entrez ! hurle une voix rauque qui semble provenir
de la pièce située au fond du couloir.
J’entre.
Le cardinal est assis dans un fauteuil et, devant lui, un télé-
viseur est allumé. Il tient la télécommande dans sa main et
me fait signe de m’asseoir dans un fauteuil à côté du poste
de télé. Puis, lorsque je suis assis, il éteint l'appareil.
— Vous vouliez me voir. Bien, me voici. Je vous écoute.
— Donc, Éminence, je tenais à vous informer que, en
qualité d’exorciste du diocèse de Rome, j’ai envisagé de
convoquer un petit groupe d'exorcistes. Nous sommes si peu
dans le monde et encore moins nombreux en Italie que j'ai
pensé que cela nous aiderait de nous rencontrer. C’est un «
métier » difficile que le nôtre. C’est pour cette raison que je
suis venu. Je voulais simplement vous en informer.
— Mais vous devez en informer le cardinal Ruini3 et

3 Le cardinal Camillo Ruini est, au moment de cet entretien,


évêque-vicaire du diocèse de Rome, le successeur du cardinal Ugo
non pas moi. Je suis responsable d’un service du Vatican
qui, sur le papier, pourrait avoir les compétences requises,
mais seulement sur le papier. Celui que vous devez infor-
mer, c’est Ruini.
— Éminence, Ruini est déjà informé. Je lui ai écrit
personnellement. Cela me semblait une bonne chose de
vous en aviser vous aussi et...
— Oui, oui, avec plaisir. Vous avez bien fait. Pourtant,
cette histoire de diable...
— Je vous demande pardon ?
— Je dis que... Vous êtes exorciste, mais nous savons
bien tous deux que Satan n’existe pas, non ?
— Que voulez-vous dire par « nous savons qu'il
n’existe pas » ?
— Père Amorth, je vous en prie ! Vous savez mieux que
moi qu’il ne s’agit que de superstition. Vous n’allez pas me
faire croire que vous y croyez vraiment !
— Éminence, je suis stupéfait d’entendre de telles pa-
roles sortir de la bouche d'une personnalité aussi impor-
tante que vous.
— Vous êtes stupéfait ? Mais comment est-ce possible
? Ne me dites pas que vous y croyez !
— Je crois que Satan existe.

Poletti.
— Vraiment ? Eh bien, moi, non. Et j’espère que per-
sonne n’y croit. Ce n'est pas toujours une bonne chose de
chercher à affoler les gens...
— Éminence, ce n'est pas à moi qu’il faut le dire !
Toutefois, si j'osais vous suggérer une chose...
— Je vous écoute.
— Vous devriez lire un ouvrage qui vous aidera
peut-être.
— Vraiment ? Et de quel ouvrage s’agit-il, père
Amorth?
— Vous devriez lire l’Évangile.
Un silence glacial tombe sur la pièce. Le cardinal me lance
un regard sévère sans répondre. Alors, je le harcèle.
— Éminence, c'est l’Évangile qui évoque le démon.
C’est l'Évangile qui relate que Jésus a chassé les démons. Et
c’est encore l’Évangile qui affirme que, parmi les pouvoirs
que Jésus a donnés aux apôtres, il y a celui de chasser les
démons. Que voulez-vous faire ? Jeter l’Évangile à la mer ?
— Non, mais je...
— Éminence, je tiens à être franc avec vous. L'Église
commet un grave péché quand elle ne parle plus du démon.
Les conséquences de cette position sont gravissimes. Le
Christ est venu et a livré sa bataille. Contre qui ? Contre
Satan. Et il l'a emportée. Mais Satan est encore libre de sou-
mettre le monde à ses tentations. Aujourd’hui, Éminence,
en ce moment même. Et vous, vous me dites que ce ne sont
que superstitions ? Alors, l'Évangile aussi n'est que supers-
tition ? Comment l'Église peut-elle expliquer le mal sans
parler du démon ?
— Père Amorth, il est vrai que Jésus chasse les démons,
mais c’est seulement une manière de dire pour mettre en
évidence la puissance du Christ ! L'Évangile est une expres-
sion continue de paraboles. Ce ne sont que des paraboles.
Jésus a toujours prodigué son enseignement par des para-
boles.
— Éminence, lorsque Jésus veut utiliser une parabole,
il le dit clairement. L’Évangile dit : « Jésus leur expliqua
cette parabole. » Et il distingue nettement les faits qui se
sont réellement produits, les guérisons, les enseignements,
les reproches, les exorcismes - là encore en distinguant
ceux-ci des guérisons. Lorsque Jésus chasse les démons, il
ne s’agit pas d’une parabole, mais d’un fait. Il n’a pas livré
bataille contre un fantôme, mais contre une réalité, sinon, il
se serait agi d’une farce. Tant de saints ont combattu contre
le démon. Pensez, par exemple, à l’aventure des pères du
désert ! Tant de saints ont pratiqué des exorcismes. Ils se-
raient le produit de l’imagination ? Tous autant d'expres-
sions névrotiques ? Comment faites-vous pour ne pas croire
à l’existence de Satan ?
— D’accord, mais, même si on admet qu’il s’agissait de
faits, et que Jésus a réellement chassé les démons, le fait
demeure que, par sa résurrection, Jésus a vaincu toutes les
forces de la mort, il a donc également vaincu le démon.
— Oui, c'est vrai, Jésus a vaincu toutes les forces de la
mort, mais cette victoire doit être mise en pratique et doit
s'incarner dans la vie de chacun. Le Christ est supérieur en
tout, mais, pour l'homme, sa victoire doit être réaffirmée
jour après jour. Notre condition d’homme nous l'impose.
Les actes des démons n’ont pas été totalement annulés. Le
démon n'a pas été éradiqué. L'Évangile dit que le démon
existe et qu’il a même tenté le Christ. Jésus a donné les
armes, il nous les a données aussi à nous, pour le vaincre. Le
démon peut encore nous tenter, tous peuvent être tentés,
comme le prouve la prière contre le malin que Jésus
lui-même nous a enseignée, dans le Padre Nostro. Jusqu'à
Vatican II, on disait au terme de la messe la prière à
l’archange saint Michel, le petit exorcisme composé par le
pape Léon XIII, et on lisait le Prologue de l'Évangile de saint
Jean justement comme clef de délivrance.
Le cardinal ne sait plus que dire. Il ne parle pas plus qu’il ne
réagit. Je me lève, je le salue et je me retire tout en pensant :
où en sommes-nous arrivés ? Jusqu’au début du Moyen Âge,
il y avait des exorcistes partout, puis, malheureusement,
quelque chose a changé.
Le premier millénaire foisonne de grands prélats de l’Église
qui évoquent le diable. Ils le combattent, ils le voient et ils
en parlent.
En ce sens, leurs témoignages sont uniques. Parmi les plus
évocateurs et les plus vifs, il faut citer celui des pères du
désert. Leur bataille contre Satan a quelque chose d’épique.
En Occident, la tendance à vouloir tout réglementer, qui
s'appuie notamment sur l’impact historique du droit ro-
main, est forte. Dès la fin du IIe siècle, saint Irénée parle
avec admiration des exorcistes comme d’une classe à part,
bien qu’ouverte à tous.
À Rome, le pape Corneille est le premier, dans une lettre de
l’an 251, à parler des exorcistes comme ayant un office sacré.
Je pense que l’on peut considérer l’année 416 comme la date
de fondation du ministère sacré d'exorciste, lorsque le pape
Innocent Ier déclare que les exorcismes ne peuvent être
administrés que sous autorisation épiscopale. C’est toujours
la réglementation en vigueur (avec la précision que l'évêque
ne peut donner la charge d’exorciste qu'aux prêtres).
Avant l’an 416, il faut également citer l'année 313, celle où
l'édit de Constantin fait du christianisme la religion d'État.
Ensuite, l’Église court le grand risque de se séculariser,
c'est-à-dire de voir ses propres fidèles s’adapter aux prin-
cipes du monde, ce qui pouvait avoir des conséquences né-
fastes telles que la décadence de l’engagement évangélique
et l’appauvrissement des valeurs de la tradition chrétienne.
C’est alors que l’on commence à rechercher de nouvelles
voies pour vivre l'Évangile de manière plus conforme à ses
préceptes. C'est le monachisme qui prône de se retirer du
monde, la concentration en soi-même, l’ascèse et la prière.
Les premiers moines apparaissent en Égypte au IIIe siècle
après Jésus-Christ, avec une tradition d’anachorètes ou re-
clus. Au IVe siècle apparaissent deux grandes figures du
monachisme avec Antoine le Grand, considéré comme le
père des moines, qui prône une vie monastique érémitique,
et Pacôme le Grand, fondateur du monachisme cénobitique.
Qu’ont donc en commun ces deux saints ?
Bien des choses, mais surtout leur combat contre Satan.
C’est leur ennemi de prédilection, et, ce dont les moines
témoignent, notamment dans leurs écrits, c'est la meilleure
manière de le vaincre. Si les hommes d’Église s’exprimaient
aussi clairement que ces grands hommes ! S’il y en a, ils ne
sont pas nombreux, et c’est pour cette raison que la vie hu-
maine est sérieusement menacée.
Le combat, comme l’écrira Origène à plusieurs reprises, est
spirituel. Le combat, comme l’écrit Athanase d’Alexandrie,
lorsqu'il relate la vie d’Antoine le Grand, est âpre et terrible.
Pour tenter l’homme, c’est le désert que privilégie Satan.
Pourquoi ? Parce que le désert est également le lieu où Dieu
aime parler avec l'homme. Le désert est, partant, un champ
de bataille où le moine doit lutter et surtout résister aux
tentations du diable. Antoine quitte tout pour aller
s’installer dans le désert, lieu de prédilection, donc, de Sa-
tan. Mais Satan n’est pas d’accord, car il sait quelle menace
Antoine représente pour lui !
Les faits relatés à propos des tentations de saint Antoine
peuvent être considérés comme de l'imagination pure. Pour
ma part, je pense qu’ils sont réels. Le monde surnaturel
existe et nous accompagne constamment.
Pas seulement le monde de la lumière, mais aussi celui des
ténèbres. Seul l'homme à l’esprit particulièrement entraîné
peut se rendre au-delà du monde réel et voir ce qui se passe
dans le monde surnaturel. Seuls quelques hommes réussis-
sent à voir et à vivre au fond d'eux-mêmes la grande bataille
qui se déroule depuis toujours dans le ciel, celle qui oppose
Dieu et Satan.
Les faits racontent un affrontement inouï entre Satan et
Antoine, jeune homme qui s’est retiré dans le désert pour
s’adonner à une vie fruste et prier. Un affrontement très
proche de celui qui oppose Satan et l'exorciste.
Lorsque le diable constate la manière dont Antoine vit, dans
un total dénuement, il commence à le surveiller et à lancer
ses attaques.
Au départ, il fait tout pour détourner le saint homme de sa
pratique ascétique. Il lui rappelle l'époque où le jeune
homme était riche, les temps insouciants avec sa famille et
ses amis.
Il passe ensuite aux tentations de l’argent, de la nourriture,
de la vanité. Pénètrent alors dans l'âme d’Antoine quelques
poussières qui le troublent, signe que Satan obtient de bons
résultats avec lui.
La nuit, Satan envoie toutes sortes de tentations à Antoine ;
le jour, il le maltraite avec des pensées terribles. Satan fait
miroiter à l’esprit d’Antoine toutes sortes de tentations en-
chanteresses, et le moine lutte avec la seule arme à sa dis-
position : la prière. Il répond aux tentations sexuelles par le
jeûne. Prière et jeûne forment assez vite une muraille in-
franchissable pour Satan.
Alors, la nuit, le démon fait apparaître dans la cellule
d’Antoine une femme belle et sensuelle destinée à son seul
plaisir. Une véritable friandise. Antoine réagit par d’autres
prières et une vie encore plus ascétique. Il repousse loin de
lui les charbons ardents de la séduction et de la tentation.
Une nuit, Satan apparaît « sous la figure d’un enfant aussi
noir qu'est son esprit » qui entre dans la chambre d’Antoine
et se met à lui parler.
— J’en ai trompé plusieurs et j’en ai écrasé encore da-
vantage, mais, maintenant, en voulant t'attaquer, ainsi que
je l’ai fait bien d’autres fois, pour te faire sortir du chemin si
laborieux où tu es entré, j’ai éprouvé ma faiblesse.
Antoine demande :
— Qui es-tu qui me parle de la sorte ?
— Je suis l’esprit de fornication, et c’est moi qui cha-
touille les sens des jeunes gens pour les porter à la volupté.
Combien en ai-je trompés qui avaient résolu de vivre chas-
tement ! Combien en ai-je convaincus en les attirant ! Je
suis celui qui t'a souvent troublé et que tu as tant de fois
repoussé.
— Tu es donc bien trop méprisable, puisque tu as l'es-
prit si noir et la faiblesse d’un enfant. Ainsi, je n’ai plus à me
soucier de toi. Car le Seigneur est ma force, et je mépriserai
tous mes ennemis.
À ces mots, l'enfant s’enfuit.
Antoine va vivre dans des sépulcres éloignés de la ville, dans
un lieu que personne ne fréquente.
Il s’enferme dans un sépulcre et entame toutes ses pratiques
ascétiques. Satan met une nouvelle attaque au point en lui
envoyant une multitude de démons qui le battent comme
plâtre. Antoine se retrouve à terre, à moitié mort. Dans un
état de semi-conscience, il se tourne vers les démons pour
leur déclarer :
— Me voici. Antoine n’appréhende point les maux que
tu peux lui faire. Et quand tu m’en ferais encore de beau-
coup plus grands, rien ne saurait me séparer de l'amour de
Jésus-Christ.
Satan est muet de fureur. Il appelle alors ses chiens enragés
et leur dit :
— Vous voyez comment nous n'avons pu dompter cet
homme, ni par l’esprit de fornication, ni par les tourments
dont nous avons agité son corps. Au contraire, il a encore la
hardiesse de nous défier. Préparons-nous donc à l'attaquer
d’une autre manière puisqu'il ne nous est pas difficile
d’inventer diverses sortes de méchancetés pour nuire aux
hommes.
À la suite de ces paroles, la troupe infernale envahi le sé-
pulcre d’Antoine en prenant la forme de toutes sortes de
bêtes sauvages et de serpents, attaquant la nuit en foule
composée de lions, d’ours, de léopards, de taureaux, de
loups, d’aspics, de scorpions et de serpents.
Chacun jette des cris conformes à sa nature et semble vou-
loir qui le dévorer, qui le percer de ses cornes, qui le mordre.
Accablé et perclus de douleurs, Antoine est à terre, et il pa-
raît vaincu, mais son esprit demeure lucide.
— Si vous aviez quelque pouvoir, un de vous suffirait
pour me combattre, mais parce que Dieu anéantit toute
votre puissance, vous tâchez par votre grand nombre de me
donner de la crainte, et rien ne montre davantage votre fai-
blesse que le fait d’avoir été réduits à prendre la forme de
ces animaux déraisonnables. Si vous avez quelque force, et
si Dieu vous a donné la puissance de me nuire, pourquoi
tardez-vous davantage à me la faire sentir ; et si vous n’en
avez point, pourquoi faites-vous tant d’efforts inutilement ?
Ignorez-vous que le signe de la Croix et la foi que j’ai en
Notre-Seigneur sont pour moi comme un rempart inébran-
lable contre toutes vos entreprises et tous vos assauts ?
Soudain, tous les démons disparaissent et tous les tour-
ments cessent.
Vainqueur, Antoine se dirige alors vers une montagne où il
élira son nouveau refuge. Une montagne, lui et Dieu. Satan
voit sa grande ferveur, le surveille d’encore plus près et jette
sur son chemin un plat d'argent d'une taille colossale.
Reconnaissant la ruse, Antoine s’exclame :
— D’où peut être venu ce plat en ce désert où il n’y a
aucun sentier et où l’on ne voit pas trace de pas d’homme ?
Et quand bien même quelqu’un y serait allé et l’aurait laissé
tomber, sa taille le rend très facile à apercevoir, et la solitude
de ces lieux inhabités l’aurait fait retrouver à celui qui,
l’ayant perdu, serait revenu pour le chercher. Mais c’est ici,
ô démon, l’une de tes tromperies ; elle ne retardera pas
l’exécution du dessein que j'entreprends avec tant de joie.
Garde donc ton argent et qu'il périsse avec toi.
Aussitôt ces paroles achevées, le plat s’évanouit comme la
fumée.
De nombreux visiteurs se mettent à venir le voir. Ils sentent
qu'il s'agit d'un homme de Dieu et ils se réclament de lui. La
nuit, personne n’a cependant accès à l’endroit où Antoine
repose et, de là, ils entendent hurler :
— Quitte ce lieu qui nous appartient !
Ou encore :
— Qu’as-tu à faire dans le désert ? Penses-tu pouvoir
résister à nos embûches ?
Certains essaient de s'approcher de l'endroit où dort An-
toine, mais, ayant regardé par une fente, ils ne voient per-
sonne d’autre qu’Antoine.
Lorsque les hurlements se font plus puissants, que les as-
sauts se font plus féroces, on entend résonner, haute et
puissante, la voix d’Antoine qui chante des psaumes :
— Que Dieu se lève et que ses ennemis soient dispersés
! Et que fuient devant sa face ceux qui le haïssent ! Comme
s'évanouit la fumée, qu'ils disparaissent ! Comme fond la
cire en face du feu, ainsi périssent les méchants devant la
face de Dieu !
Le jour, Antoine reçoit quelques personnes auxquelles il
tient toujours le même discours.
— Avec nos prières, nos jeûnes, avec notre foi en Jé-
sus-Christ, nous terrasserons les démons.
Ce n’est pas pour autant qu’ils perdront courage en se
voyant vaincus, et ils reviendront souvent avec encore plus
de force et de ruse. Car, voyant qu’ils ne peuvent ouverte-
ment porter notre cœur à l'amour des voluptés sales et im-
pudiques, ils nous tendront d’autres pièges et tenteront de
nous effrayer en nous faisant voir des fantômes, en appa-
raissait sous figure de femme, de bête sauvage, de serpents.
Mais il ne faut pas craindre des visions parce qu’elles
s’évanouiront vite et qu’elles ne sont rien. Parfois, ils fei-
gnent d’être capables de prédire l’avenir, mais ne connais-
sent pas l'avenir. Seul Dieu connaît l’avenir. Un jour, je vis
arriver un démon de très grande taille qui me dit : « Je suis
la force de Dieu. Que veux-tu que je te donne ? » Pour toute
réponse, je soufflai contre lui en prononçant le nom du
Christ. Une autre fois, alors que je jeûnais, ce diable revint
sous l'allure d’un ermite et il m'offrit du pain en disant : «
Mange et abandonne ces efforts. Tu es un homme. Si tu
continues comme ça, tu finiras par t'affaiblir. » Je répondis
par la prière, et il disparut. Une autre fois, c’est Satan en
personne qui vint me trouver. « Qui es-tu ? » demandai-je. «
Je suis Satan. » « Qu'as-tu à faire ici ? » « Pourquoi les
chrétiens se plaignent-ils de moi ? Pourquoi me donnent-ils
sans cesse des malédictions ? » « Parce que tu leur fais du
mal ! » « Ce n’est pas moi, mais ce sont eux-mêmes qui s’en
font. Je suis devenu faible. Désormais, je n'ai plus d’endroit
où aller, je n’ai plus aucune arme et je ne possède pas une
seule ville. Les chrétiens sont partout. À présent, les déserts
eux-mêmes sont remplis d’ermites. Qu'ils veillent donc sur
eux-mêmes s’ils le souhaitent et ne fassent plus toutes ces
imprécations contre moi. » « Bien que tu sois toujours
menteur et que tu ne dises jamais la vérité, tu viens de la
dire maintenant malgré toi. Car il n’y a pas de doute que
Jésus-Christ, en venant dans le monde, a ruiné toutes tes
forces, t’a terrassé et désarmé. » En entendant le nom de
notre Sauveur, le démon disparut aussitôt.
Ainsi parle Antoine, et les visiteurs sont de plus en plus
nombreux. Ils commencent même à lui amener des proches
possédés par le mal.
D'ailleurs, c’est assez logique : celui qui est capable de prier
et de jeûner plus que les autres doit être meilleur exorciste,
telle est l’intuition du peuple.
C’est la raison pour laquelle, aujourd’hui encore, il suffit,
dans l’Église orthodoxe, de s’adresser à un monastère pour
rencontrer un exorciste.
La pratique des exorcismes est considérée comme un cha-
risme et, comme l’affirment les Constitutions apostoliques
de l’an 380 : « On devient exorciste non par ordre sacré,
mais par décision personnelle, bonne volonté, force d’âme
et grâce. »
Parmi les possédés que l’on conduit à Antoine, il est un
homme célèbre qui souffre d’une possession terrible : il dé-
vore ses propres doigts et se cogne la tête. La nuit, on le
laisse s’allonger près d’Antoine qui prie pour lui. Au matin,
le possédé se jette sur Antoine, qui déclare :
— Ce n’est pas lui qui est responsable de ces actes, mais
le démon qui s’est emparé de lui. C’est pourquoi je lui ai
ordonné de s’en aller dans un lieu désert où il pourra deve-
nir fou, et c’est ce qu’il fera. Glorifiez le Seigneur. Le fait que
cet homme m’ait attaqué est le signe que le démon est en
train de le quitter.
L’homme guérit, en effet, et fut délivré.
Antoine, comme les apôtres, chasse les démons.
Antoine, comme nombre de gens du premier millénaire de
l’ère chrétienne, parle de Satan et nous met en garde contre
lui, parce qu’Antoine, comme beaucoup, croit en l’existence
de Satan.
Au deuxième millénaire et de nos jours, les choses sont un
peu différentes, comme si Satan avait cessé d’exister. Bien
au contraire, il existe.
Et ne pas croire en Satan est une affaire extrêmement grave
qui a des conséquences dévastatrices. C’est un péché dont
sont trop souvent responsables des hommes d’Église.
Tout commence au XIIe siècle, une période malheureuse
pour l’Église. C’est l'époque des grandes hérésies. L’Europe
est secouée par des guerres continuelles, la mort et la des-
truction.
Soudain, les femmes qui souffrent de névroses ne sont plus
considérées comme malades, mais comme envoûtées. Celles
qui, plus que qui que ce soit, mériteraient d’être exorcisées,
sont mises au ban de la société. L’Europe et le monde sont,
comme à chaque époque historique, pleins de possédés.
Ces femmes auraient besoin des exorcismes, mais on leur
refuse le « traitement » pour les brûler comme de la chair
pestiférée.
En 1252, le pape Innocent IV autorise la torture des héré-
tiques et, en 1326, Jean XXII autorise pour la première fois
l’Inquisition contre les sorcières.
La folie gagne toute l’Europe. Avec l’arrivée de l'épidémie de
peste noire, des générations entières meurent entre 1340 et
1450. L’Église est divisée. Le monde est divisé. Les frères se
déclarent la guerre. Les destructions se multiplient. Tous
ces malheurs ajoutés les uns aux autres conduisent l'Église à
voir la marque du démon partout. Sauf que cette diabolisa-
tion ne l’incite pas, comme elle aurait dû le faire, à pratiquer
davantage d'exorcismes, mais on assiste plutôt à la destruc-
tion de plus en plus de vies innocentes.
Avec le temps, le nombre des exorcismes diminuera tou-
jours davantage jusqu’à la période la plus noire. Entre le
XVIe et le XVIIe siècles, la pratique de l’exorcisme disparaît
presque complètement. Certes, il reste quelques exceptions
comme le cas de sœur Jeanne Féry, née en 1559 et morte en
1620.
Cette religieuse du couvent des Sœurs noires, de Mons, en
France, conclut plusieurs pactes avec le démon. Par chance,
on la confie à un prélat compétent et érudit qui, au lieu de
l’envoyer au bûcher, décide de la soumettre à des exor-
cismes. Il s’agit de Mgr Louis de Berlaymont, auquel la sœur
Féry devra son salut. Les exorcismes dureront une année
entière, mais la jeune femme sera délivrée.
Tous les évêques n'ont cependant pas la hauteur de vue d’un
Berlaymont. Parmi eux, Charles Borromée, qui, au XVIe
siècle, participe à la Réforme catholique, fut certainement
un grand saint, mais, en matière de sorcières, il se pliait à
l'opinion générale.
La chasse aux sorcières se répand rapidement dans le
monde entier et plus particulièrement dans les pays où le
protestantisme est plus vif. À Rome, en effet, les sorcières
brûlées sur le bûcher ne comptent que pour un très petit
nombre, tout comme en Irlande et en Espagne.
Puis, brusquement, au XVIIIe siècle, ces chasses aux sor-
cières cessent, et les femmes possédées ne sont plus persé-
cutées.
Toutefois, on abandonne aussi les exorcismes et, pendant
plusieurs dizaines d’années, personne n’en pratique, ce qui
signifie que, à cette époque, le monde est largement dé-
pourvu d’exorcistes. Personne ne croit plus au diable, sauf
comme un croque-mitaine ou un pantin. Souvent, c’est en-
core ainsi qu’on le considère aujourd’hui, avec des consé-
quences terribles pour nous tous.
À partir du XVIIIe siècle, on nie, en effet, toute existence du
démon. À qui la faute ? Sans hésiter, à la culture laïque, à
l’athéisme prôné aux masses, au rationalisme du monde
scientifique et culturel. La conséquence est la détérioration
de la foi que nous connaissons encore aujourd’hui et, si-
multanément, la croissance de toute forme de superstition
et la diffusion de toutes sortes d’occultisme.
Plus que toute autre, l’Église catholique est vulnérable à
cette forte influence, au point que, depuis trois siècles, les
exorcistes catholiques ont quasi disparu. Certes, il y a tou-
jours eu quelques exorcistes, mais, de manière générale,
leur nombre a diminué radicalement pour arriver à un
chiffre proche du zéro.
Sans exorcistes, qui donc prend le pouvoir ? Satan et sa fu-
reur homicide.
Cela fait des dizaines d'années que dans les séminaires et les
universités théologiques on n’étudie plus cette partie de la
théologie dogmatique qui, en parlant du Dieu Créateur,
évoque les anges, les épreuves et la rébellion des démons :
dans les cursus, les démons n'existent plus. On n’étudie plus
(ou si peu) la théologie spirituelle, qui traite des actes ordi-
naires du démon (la tentation), et de ses actes extraordi-
naires (la possession et les maléfices), mais traite aussi des
remèdes, dont les exorcismes. En conséquence, personne ne
croit plus aux exorcismes, d’autant que la plupart n’en ont
jamais fait ni jamais vus. En théologie morale, on n’étudie
plus la partie qui concerne certains péchés contre le premier
commandement : la magie, la nécromancie, le spiritisme,
c’est-à-dire les formes de superstition que la Bible con-
damne le plus et qui sont désormais les plus répandues.
C’est parce qu’on n’a pas instruit le peuple de Dieu que,
lorsque les prêtres se penchent sur ces sujets, ils ne rencon-
trent qu’un rempart d’incompréhension et d’ignorance.
Que coûterait-il aux facultés de théologie d’inclure des
textes consacrés aux combats spirituels de sainte Thérèse de
l'Enfant-Jésus, de sainte Thérèse d’Avila, de saint Jean de la
Croix ? Que leur coûterait-il d'affronter, textes en main, les
combats des pères de l’Orient chrétien contre le démon ?
Rien, mais personne n’y pense. Comme si les autres ma-
tières étaient plus importantes ! Bien sûr qu'elles sont im-
portantes, je ne le nie pas, mais il est d’égale importance de
connaître l’autre partie du ciel, la partie sombre, celle qui
conduit à la damnation éternelle.
Si à ces deux grandes carences, dans les études et en matière
d'expérience directe, nous ajoutons les erreurs doctrinales
de tant de théologiens et d’exégètes, qui parviennent jusqu'à
nier les exorcismes de l'Évangile, en les considérant comme
un « langage culturel » ou des « adaptations à la mentalité
de l'époque », il est facile de comprendre dans quel abîme
nous nous trouvons aujourd’hui. Il est vrai que la voix de
certains pontifes s’est élevée contre ces erreurs, notamment
celles de Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI. De plus, il est
vrai que la congrégation pour la Doctrine de la foi a publié,
le 26 juin 1975, en l’insérant entre les documents officiels du
Saint-Siège, un document consacré à la démonologie.
Mais tout cela ne suffit pas. L’incrédulité à l’égard de
l’existence de Satan reste très répandue et elle ne permet
pas de se défendre contre l’ennemi, d’échapper à ses infer-
nales griffes.
Dans l’Église catholique, la grande faute en revient aux
évêques. N’est-ce pas à eux de nommer au moins un exor-
ciste dans leur propre diocèse ? Oui, c'est à eux que revient
cette décision, mais, souvent, ils n’en font rien. Pourquoi ?
Parce qu’ils sont ignorants en la matière.
Parce qu’ils ne réfléchissent pas. Parce qu'ils ne se fient pas
profondément à ce qui est écrit dans l'Évangile. Mais, sur-
tout - et je suis désolé d’avoir à le leur dire - parce qu’ils
n’ont jamais assisté à un exorcisme.
Je ne comprends pas : les aspirants médecins, qu'ils de-
viennent ou non chirurgiens, doivent assister à des opéra-
tions chirurgicales. Pourquoi la faculté n’adopte-t-elle pas la
même méthode pour les séminaristes ? Qu'elle les fasse as-
sister à des exorcismes ! Qu’importe s’ils ne deviennent pas
exorcistes : au moins, ils verront et se rendront compte de ce
qu’est une possession, de la quantité de souffrance que le
diable peut infliger, une souffrance mortelle. Il est difficile
de croire à l'existence de Satan si l’on n’a pas assisté à un
exorcisme. J’ajoute à cela que cet abandon de trois siècles de
la pratique des exorcismes a également fait que, aux yeux de
la plupart des gens, les mêmes exorcismes apparaissent
comme une pratique abominable, monstrueuse, à laquelle il
faut recourir le moins possible, et il vaut mieux encore ne
jamais s’en servir.
Aujourd’hui, dans l’Église romaine, il est difficile de trouver
un exorciste. Cependant, en Italie, quelque chose a changé.
En revanche, la majeure partie des autres nations n’ont pas
d’exorcistes et, de ce fait, les gens s'adressent plutôt aux
mages, aux cartomanciens et autres satanistes. L'Église ca-
tholique dort, mais elle devrait savoir que Satan ne dort
jamais. Il est toujours réveillé, aux aguets, prêt à attaquer.
Le concile Vatican II, les grandes assises convoquées en
1962 par le pape Jean XXIII et auxquelles participèrent tous
les évêques du monde, déclare par exemple : « L’histoire
humaine tout entière est pervertie par une lutte affreuse
contre les puissances des ténèbres ; une lutte qui a débuté
avec l’origine du monde et qui est destinée à durer, comme
le dit le Seigneur, jusqu’au dernier jour. »
Le 26 août 1986, Jean-Paul II ajoute : « À la victoire du
Christ sur le diable participe l'Église : le Christ a, en effet,
donné à ses disciples le pouvoir de chasser les démons.
L’Église exerce ce pouvoir victorieux par l’intermédiaire de
la foi en le Christ et la prière qui, dans certains cas précis,
peut adopter la forme d’exorcismes. »
« Ceux qui croiront en moi, en mon nom chasseront les
démons [...], ils imposeront leurs mains sur les enfers et ils
guériront », a dit Jésus.
Si au moins les prêtres croyaient aux paroles du Seigneur et
à leur pouvoir, ils ne se lasseraient pas de bénir toutes les
personnes. Je crois que beaucoup de maux disparaîtraient
et qu'une armée d’individus (les mages, les cartomanciens,
les faux médiums et autres) finiraient en prison. C'est l’un
des objectifs que nous, exorcistes, au moins indirectement,
cherchons à atteindre.
Ce qui est bizarre, c’est que les papes croient en l'existence
de Satan, mais, malgré cela, ils ne parviennent pas à faire en
sorte que cette croyance se transforme en décisions con-
crètes qui engageraient l’Église tout entière. En bref, ils ne
parviennent pas à convaincre les évêques du monde de la
nécessité de nommer des exorcistes. Il m’est arrivé plusieurs
fois dans ma « carrière » d’exorciste de m'entretenir avec
des souverains pontifes et, à plusieurs reprises, j’ai été con-
sulté.
Je me souviens notamment d’un véritable grand homme qui
est, lui aussi, devenu pape. Un homme qui, en tant que
souverain pontife, eut le privilège de voir de près le royaume
de Satan. Et de raconter son expérience au monde pour in-
citer - ce qu’il a réussi - toute l’Église à prier et ainsi le con-
jurer. Il s’appelait Gioacchino Pecci.
Qui est Gioacchino Pecci ? Léon XIII, l’un des plus grands
papes de l’histoire, est élu en 18 78. Avant Jean-Paul II, c’est
lui qui détient le record de longévité de pape de l’Église
après son prédécesseur Pie IX.
Le 13 octobre 1884, Léon XIII assiste à une messe. Chaque
fois qu’il en célèbre une, il assiste à une autre messe.
Cette fois, c'est une messe de remerciements.
À un moment, ceux qui se trouvent autour de lui constatent
qu’il lève la tête vers l’autel et balaie les alentours comme s’il
était pris de transe. Que regarde-t-il ? Son visage change de
couleur et vire au rouge. Léon XIII a l’air épouvanté, voire
atterré.
On pourrait croire qu’il s’est retrouvé dans un monde
monstrueux.
Peu après, comme si rien ne s’était passé, il se lève et se di-
rige d’un bon pas vers son bureau.
— Sa Sainteté ne se sent pas bien ? Il est arrivé quelque
chose ? lui demandent ses secrétaires, plutôt inquiets.
— Rien du tout. Laissez-moi seul. Il n'est rien arrivé.
En réalité, il est arrivé quelque chose. Léon XIII s’installe,
en effet, devant sa table de travail et s’immerge pendant de
longues minutes dans une rédaction profonde et intense. Il
écrit, il écrit sans relâche.
Peu après, un de ses assistants survient, le secrétaire d’un
ministère de la curie romaine, la congrégation des Rites.
Sans rien dire, Léon XIII lui tend un feuillet.
— Faites imprimer cela pour le diffuser dans toute
l'Église, ordonne-t-il.
Le secrétaire sort du cabinet de travail, ouvre le feuillet, lit
les quelques lignes qui vont le bouleverser. C’est une prière
à l'archange saint Michel, celui qui, dans le texte sacré, dé-
fend la foi de Dieu des attaques de Satan.
« Archange Saint Michel, défendez-nous dans le combat ;
soyez notre protecteur contre les méchancetés et les em-
bûches du démon. Que Dieu lui commande, nous vous en
supplions, et vous, prince de la Milice céleste, par le pouvoir
divin qui vous a été confié, précipitez au fond des enfers
Satan et les autres esprits mauvais qui parcourent le monde
pour la perte des âmes. Amen. » Pourquoi une telle prière ?
À cause de la vision qu’il avait eue peu avant et qui concer-
nait l'avenir de l’Église, du monde cent ans plus tard, lors-
que la puissance de Satan aurait atteint son apogée. Cent
ans ! C’est-à-dire notre époque actuelle, sans aucun doute !
Léon XIII entendit deux voix, une douce et aimable, l’autre
rauque et âpre, qui lui paraissaient provenir de l'endroit où
se trouvait le tabernacle.
Il comprend aussitôt que la voix douce et aimable est celle
de Jésus-Christ, tandis que la voix rauque et âpre est celle de
Satan.
Satan se vante de pouvoir détruire l’Église, mais, pour cela,
il lui faudrait davantage de temps et de force.
Étrangement, Jésus consent et lui demande de combien de
temps et de combien de force il a besoin. Satan répond qu’il
a besoin d’une centaine d’années et de davantage de pouvoir
sur ceux qui se sont mis à son service.
Jésus accorde à Satan le temps et le pouvoir demandés en
lui donnant toute liberté d’en user à sa guise, mais en lui
faisant promettre de ne pas détruire l’Église.
Léon XIII est si bouleversé par cette vision qu’il rédige une
prière d’exorcisme en l'honneur de saint Michel pour pro-
téger l’Église, cette prière qu'il confie à son secrétaire en lui
demandant de la diffuser.
Le souverain pontife souhaite que cette prière soit récitée au
terme de chaque messe basse, une disposition qui sera sui-
vie jusque dans les années 1970. Alors, avec la réforme de la
messe mise en place par Vatican II, la prière est définiti-
vement éliminée de la liturgie.
Je reviendrai plus tard sur la signification de cette prière.
Je reviendrai à notre époque, aux jours où Satan sent que la
liberté accordée par le Christ lui échappe et où il tente, avec
une force inouïe, de détruire l’Église et le monde. Nous
sommes en pleine bataille ultime, et c'est de cette bataille
que nous devrions parler.
Avant, arrêtons-nous donc un instant au... Vatican.
VIII
Satan au Vatican

Les exorcismes de Benoît XVI et de


Jean-Paul II
Remarques sur l’affaire Orlandi

En ce qui concerne l’incrédulité du Vatican sur l'existence de


Satan, j'en ai eu une démonstration nette lorsque j'ai eu
affaire à une commission de cardinaux chargée de la réé-
criture du rituel des exorcistes.
Au terme de ses travaux, le concile Vatican II avait pris
l'engagement de mettre à jour tous les textes liturgiques.
Toutefois, ce processus se prévalait plutôt d’une recherche
de la nouveauté qui fit que, au lieu de mettre à jour, on
s’imagina qu'il suffisait de jeter les vieux textes et de tout
recommencer à zéro. Une entreprise souvent hypocrite, car
elle fut mise en pratique en partant du principe que, de
toute manière, l’ancien texte était erroné depuis le départ.
Quelle folie !
Le dernier texte sur lequel les « innovateurs » ont mis la
main est le rituel des exorcismes, c’est-à-dire le texte auquel
un exorciste doit se conformer lorsqu’il pratique un exor-
cisme. Pour ma part, comme pour d’autres exorcistes, je
m’étais préparé en pensant que je serais bientôt consulté
par cette commission. Pas du tout.
Au contraire, à ma grande surprise, le 4 juin 1990,
j’apprends la publication d’un nouveau rituel ad intérim
sans qu’aucun de nous n'ait été consulté, pas plus en per-
sonne qu’au téléphone.
Ce n’est pas si grave, un texte provisoire est toujours
amendable, pensions-nous. Au point que, au début, ce
nouveau rituel fut distribué pour être expérimenté par les
exorcistes dont le Vatican aurait dû attendre les observa-
tions. En substance, selon les accords, les exorcistes de-
vaient expérimenter ce nouveau rituel « sur le terrain » pour
le mettre à l’épreuve avant de transmettre leurs ob-
servations à l’évêque de leur diocèse, lequel évêque se serait
hâté de les transmettre à la Conférence épiscopale qui, à son
tour, les aurait transmises à la congrégation pour le Culte
divin, le ministère chargé du renouvellement dudit texte au
sein du Saint-Siège.
En réalité, ce parcours labyrinthique n'était qu'un piège. Le
cardinal Eduardo Martinez Somalo, préfet de la congréga-
tion pour le Culte divin depuis 1998, déclara alors : « Dans
les deux années à venir, les conférences épiscopales du
monde entier sont chargées de nous envoyer un rapport sur
l’usage du nouveau rituel, ainsi que d’éventuels conseils et
suggestions donnés par les prêtres qui en auront fait usage.»
En pratique, rien de tout cela n’eut lieu. Principalement en
raison du côté tortueux du parcours - des exorcistes aux
évêques, des évêques à la Conférence épiscopale et à la
congrégation pour le Culte divin -, aucune observation
n’arriva jusqu’au Vatican. Aucune.
Nous, exorcistes, aurions pourtant eu beaucoup à dire. La
lecture et, surtout, les essais du nouveau rituel furent, en
effet, absolument désastreux pour nous. Il était alors trop
évident que le nouveau rituel avait été élaboré par des per-
sonnes qui n’avaient jamais assisté à un exorcisme de leur
vie, sans parler d'en avoir pratiqué un seul.
C’est ainsi que nous, exorcistes, décidâmes de nous réunir
en assemblée pour élaborer la conduite à tenir. Nous nous
retrouvâmes à dix-huit, originaires de plusieurs pays du
monde, parmi les plus anciens exorcistes vivants. Nous
discutâmes de ce texte provisoire et rédigeâmes un long
rapport que nous intitulâmes « Les Observations des
dix-huit ».
Nous transmîmes notre rapport à la Conférence épiscopale
italienne, à la congrégation pour le Culte divin, et un exem-
plaire fut remis en mains propres au pape Jean-Paul II qui,
sous nos yeux, le prit et nous en remercia.
Les mois passèrent et, un jour, la nouvelle de la publication
définitive du nouveau rituel fut annoncée, en latin, à la date
du 22 novembre 1998. La traduction italienne, effectuée par
la Conférence épiscopale italienne, sortit le 25 novembre [la
traduction française, en février 1999].
Notre déception fut immense. À notre grande surprise, le
texte définitif reprenait pratiquement mot pour mot
l’édition ad intérim, avec cependant l'ajout d’erreurs ma-
croscopiques. Par exemple, le texte interdisait de faire usage
des exorcismes dans les cas de maléfices alors qu’il faut sa-
voir que ces cas constituent plus de quatre-vingt-dix pour
cent des troubles diaboliques.
Autre exemple, le texte interdisait de pratiquer des exor-
cismes lorsqu’on n'avait pas la certitude de la présence du
démon. C'est absurde ! Ce n’est qu'en pratiquant des exor-
cismes que l'on obtient cette certitude qu’il s’agit ou non de
possession ! De plus, ceux qui ont rédigé ce texte ne se ren-
dent pas compte qu’il contredit le catéchisme de l'Église
catholique, qui affirme que les exorcismes doivent être pra-
tiqués soit dans les cas de possession, soit dans les cas de
tourments provoqués par le démon.
Ces troubles ne comportent jamais la possession, le démon
n’est jamais présent dans le corps des personnes, pas plus
qu'il ne l’est lorsqu'on exorcise des animaux, des maisons ou
des objets.
À quoi ont donc servi « Les Observations des dix-huit » ?
Je regrette de le dire, mais je dois le faire : elles n’ont servi
qu’au mépris.
Le secrétaire de la congrégation pour le Culte divin affirma,
devant la commission des cardinaux chargés de rédiger ce
nouveau texte, que les seuls interlocuteurs devaient être les
évêques et non les prêtres ou les exorcistes. Et il ajouta : « Il
fallait prendre acte du phénomène d'un groupe d’exorcistes,
voire de démonologues, ceux qui se sont ensuite constitués
en Association internationale, qu'ils orchestraient une
campagne contre le rite. »
Il parlait de nous ! Nous, les dix-huit !
C’était une accusation scandaleuse !
Nous, exorcistes, avons seulement voulu fournir des obser-
vations après avoir utilisé le rituel ad intérim et en avoir
expérimenté dans de nombreux domaines la totale ineffica-
cité.
Nous avons cru au Lumen gentium, la constitution dogma-
tique sur l'Église issue des travaux du concile Vatican II, qui
déclare : « Selon la science, la compétence et le prestige
dont ils jouissent, ils ont le droit et même parfois le devoir
de donner [...] leur opinion sur ce qui touche le bien de
l'Église [...].»
Nous avons cru au Lumen gentium, mais pas le Vatican. Il
me semble qu’au Vatican, tout le monde n’a pas eu le Lumen
gentium entre les mains.
Par bonheur, in extremis, le cardinal Jorge Arturo Médina
Estévez, qui en 1996 est devenu préfet pour la congrégation
pour le Culte divin, réussit, par une intervention de dernière
minute, à insérer une notification spécifique dans laquelle
on concède aux exorcistes de se servir encore de l'ancien
rituel.
Ce fut notre planche de salut. Nous pouvions continuer à
exercer avec l’ancien rituel, à mon avis le seul qui soit effi-
cace contre le démon.
Il me faut cependant ajouter une chose. Et cette chose con-
cerne Joseph Ratzinger. L’actuel pontife4 était, à l’époque de
l'élaboration ad interim, l'un des membres de la commis-
sion des cardinaux chargée de rédiger le texte. C’est le seul

4 Benoît XVI, à l’heure de la rédaction de cet ouvrage.


qui a tenté de rechercher et d'écouter l’avis des exorcistes
que nous sommes, même si, par la suite, cet avis n’a pas été
partagé par ses collègues.
Un matin de mai de l’an 2009, Joseph Ratzinger est pape
depuis quatre ans. Au cours de son pontificat, il a parlé plu-
sieurs fois de Satan. Je comprends que, pour lui, le démon
est un esprit qui existe, qui se bat et agit contre l’Église. Et
contre lui.
Autrement, comment pourrait-on expliquer des phrases du
genre : « Pour ceux qui continuent à pécher sans manifester
aucune forme de repentir, la perspective est la damnation
éternelle, l'enfer, parce que l'attachement au péché peut
conduire à l’effondrement de notre existence.
C’est le tragique destin qui attend ceux qui insistent à vivre
dans le péché sans implorer Dieu. Seul le pardon divin nous
donne la force de résister au mal et de cesser de pécher. Jé-
sus est venu pour nous dire que tous nous sommes attendus
au paradis et que l’enfer, dont on ne parle pas en ces temps
qui sont nôtres, existe et est éternel pour ceux qui ferment le
cœur à son amour. »
Et encore : « Aujourd'hui, nous constatons avec une douleur
nouvelle qu’il a été accordé à Satan de sélectionner des dis-
ciples à la vue de tous, clairement. Et nous savons que Jésus
prie pour la foi de Pierre et de ses successeurs. Nous savons
que, à travers les eaux agitées de l’histoire, Pierre va à la
rencontre du Seigneur et qu'il risque de sombrer, mais qu'il
est de nouveau soutenu par la main du Seigneur qui le guide
sur les eaux. »
Il fait chaud ce jour-là à Rome, et le printemps est large-
ment avancé. Le soleil brille sur la place Saint-Pierre, où la
foule de fidèles attend le pape. C’est un mercredi, jour de
l'audience générale, et les visiteurs sont venus du monde
entier.
Au fond de la place apparaît un groupe de quatre personnes,
deux femmes et deux jeunes hommes. Les femmes font par-
tie de mes assistants, et elles m’aident durant les exorcismes
en priant pour moi et pour les possédés, et assistent dans
toute la mesure du possible les possédés dans leur long et
difficile chemin vers la délivrance.
Les deux jeunes hommes sont deux possédés, mais, hormis
les deux femmes et eux-mêmes, personne ne le sait.
Ce mercredi-là, les deux femmes décident d’emmener les
deux hommes à l’audience du pape, car elles pensent qu’ils
pourraient en tirer partir. Ce n’est pas un mystère : nombre
des gestes et des paroles du pape font enrager Satan. La
seule présence du pape agace et, d’une certaine manière,
aide les possédés dans leur bataille contre celui qui s’est
emparé d'eux.
Le groupe s’approche des barrières qui protègent l’estrade
d’où Benoît XVI s’apprête à s’adresser à la foule. Les gardes
suisses les arrêtent, car ils n’ont pas les billets voulus pour
franchir les barrières, mais les femmes insistent. Il est im-
portant qu’elles puissent amener les deux possédés le plus
près possible du pape. Les gardes suisses n’admettent ce-
pendant aucune dérogation et leur intiment de s'éloigner.
Alors, l'une des femmes feint d'avoir un malaise, et sa co-
médie porte ses fruits : le groupe est installé en deçà des
barrières, à l'endroit réservé aux handicapés.
— Vous voyez, Giovanni et Marco ? demandent les deux
femmes aux deux possédés. Nous avons réussi. Le pape va
apparaître dans peu de temps, et nous sommes assez
proches de lui.
Les deux jeunes gens ne disent rien, conservant un silence
insolite. C’est comme si ceux qui se sont immiscés en eux (il
s’agit de deux démons différents) commençaient à com-
prendre qui est celui qui va bientôt entrer sur la place.
Dix heures sonnent, et l’automobile blanche apparaît au
portail des cloches, sur le côté de la basilique. Elle est oc-
cupée par trois personnes : le chauffeur, le pape, debout, et,
assis à ses côtés, son secrétaire personnel Mgr Georg
Gänswein.
Les deux femmes se tournent vers Giovanni et Marco. Ins-
tinctivement, elles les soutiennent par les bras, car les deux
garçons commencent, en effet, à manifester d’étranges
comportements.
Giovanni tremble et claque des dents.
Les deux femmes comprennent que quelqu’un est en train
d'agir dans le corps de Giovanni et de Marco. Quelqu’un qui,
tandis que les minutes s’écoulent, devient de plus en plus
nerveux.
— Giovanni, essaie de te maîtriser, insiste l'une des
deux assistantes. Ne te laisse pas dominer. Réagis. Garde le
contrôle.
L’autre femme rassure Marco de la même manière.
Giovanni ne paraît pas écouter les paroles de la femme.
Soudain, il se retourne et, d’une voix lente qui semble venir
d’un monde inconnu, il lui lance :
— Je ne suis pas Giovanni !
La femme se tait ; elle sait que seul un exorciste peut parler
avec le diable. Si elle le faisait, elle se mettrait en danger.
Alors, elle demeure silencieuse et se contente de soutenir le
corps de Giovanni qui est désormais totalement entre les
mains du démon.
La jeep du pape fait le tour de la place. Les deux possédés se
plient en deux et se cognent la tête au sol. Les gardes suisses
observent la scène, mais ils n’interviennent pas. Seraient-ils
habitués à ce genre d’esclandre ? Peut-être. Peut-être ont-ils
déjà assisté aux réactions des possédés devant le pape.
La voiture blanche accomplit lentement le tour de la place
avant d'arriver au sommet, à quelques mètres de la porte de
la basilique vaticane.
Le pape descend alors de l’automobile et salue les personnes
qui l’attendent aux premiers rangs. Ensemble, Giovanni et
Marco lancent un hululement. Allongés sur le sol, ils hulu-
lent de plus en plus fort, jusqu’à hurler.
— Sa Sainteté, Sa Sainteté, par ici ! crie l’une des assis-
tantes en direction du pape pour essayer d’attirer son atten-
tion.
Benoît XVI se tourne vers elle, mais ne s’approche pas. Il
regarde les deux femmes et les deux jeunes hommes à terre,
qui crient, bavent et tremblent, totalement hors d'eux. Il voit
les yeux chargés de haine des deux hommes, de la haine qui
sourd directement vers lui.
De loin, sans se laisser troubler, le pape lève alors le bras et
bénit les quatre personnes.
Un geste qui a pour résultat d'ébranler les deux possédés,
dont le corps est traversé par une secousse telle qu'ils re-
tombent trois mètres plus loin.
À présent, les hurlements ont cessé, mais ils pleurent à n'en
plus finir. Ils continuent de gémir pendant toute l’audience.
Lorsque le pape se retire, Giovanni et Marco reviennent à
eux et ne se souviennent de rien.
Satan craint énormément Benoît XVI. Les messes du pape,
ses bénédictions, ses paroles sont comme autant de puis-
sants exorcismes. Je ne crois pas que Benoît XVI pratique
des exorcismes ou, en tout cas, je ne suis pas au courant,
mais je crois toutefois que tout son pontificat constitue un
grand exorcisme contre Satan. Efficace. Puissant.
Un grand exorcisme qui devrait être enseigné aux évêques et
aux cardinaux qui n’y croient pas. Ils devront cependant
finir par répondre de leur incrédulité. Ne pas croire et, sur-
tout, ne pas nommer des exorcistes là où on a besoin d’eux
de manière explicite est, à mon avis, un péché grave, un
péché mortel.
La manière dont Benoît XVI vit la liturgie, son respect des
règles, sa rigueur, son comportement, tout est d’une grande
efficacité contre Satan. La liturgie célébrée par le pape est
puissante. Chaque fois que le pontife célèbre l’eucharistie,
c'est une nouvelle blessure pour Satan.
Satan a été empli de crainte à l’élection de Ratzinger sur le
rocher de Pierre parce qu’il voyait en lui la poursuite de la
grande bataille qu'a menée contre lui, pendant vingt-six ans,
son prédécesseur Jean-Paul II, le pape qui, lui, pratiquait
des exorcismes.
Il est de notoriété publique que Karol Wojtyla a pratiqué
plusieurs exorcismes alors qu’il était au Vatican. La pre-
mière fois, ce fut le 2 7 mars 1982. Ottorino Alberti, évêque
de Spolète de l’époque, lui présenta Francesca Fabrizi qui,
en le voyant, se mit à hurler, à se rouler par terre, et ce,
malgré le fait que le pape intima plusieurs fois au diable de
sortir de la jeune femme. Ce n'est que lorsque Jean-Paul II
déclara « Demain, je dirai la messe pour toi » qu'elle se
calma.
Quelques années plus tard, la jeune femme fera une nou-
velle visite au pape avec son mari. Elle est sereine et elle
attend un enfant.
— Je n’avais jamais vu cela, confie le pape au préfet de
la maison pontificale, le cardinal Jacques Martin. Une véri-
table scène biblique.
Un autre témoin de la scène est le père Baldino, curé de
l’église Santa Assunta de Cesi :
— La possédée a vingt-deux ans, dit-il, et c'est un cas
extrêmement difficile. Désespéré.
Lorsqu’elle subit l'exorcisme du pape, elle se calme. Au-
jourd’hui, Francesca est heureuse. Elle s’est mariée et ne vit
plus à Cesi. Elle a deux enfants superbes.
Toutefois, l’exorcisme le plus difficile que pratiqua le pape
fut, selon moi, celui de Sabrina.
Il s’agit d’une jeune femme qui ne réside pas dans la région
de Rome, mais elle vient tous les mercredis pour se faire
exorciser par moi. Un mercredi, elle décide d'aller sur la
place Saint-Pierre pour assister à l'audience du pape. Lors-
que Jean-Paul apparaît sur la place, elle se met à hurler, au
point qu’il faut dix personnes pour la maintenir. Elle veut se
jeter sur le pape, et son visage n'est que haine et fureur. Elle
bave et blasphème ; son corps est agité de soubresauts ; elle
est comme une bête sauvage prête à fondre sur sa proie.
Lorsque l’audience s’achève, les compagnons de Sabrina
sont épuisés. Pendant l’audience, le pape a déjà remarqué la
jeune femme et entendu ses hurlements. Il demande alors
de qui il s'agit et invite son secrétaire, le père Stanislaw
Dziwisz, à la lui amener.
La voiture du pape franchit l’arche et s'arrête un peu avant
le portail, sur le côté de la basilique, où les fidèles n’ont pas
le droit de s'approcher et où ils ne voient rien. On traîne
Sabrina jusqu’à la voiture. Elle est en transe, et ses yeux ne
sont que deux orbites blanches ; elle bave et rejette la tête en
arrière. Dès qu’elle approche du pape, elle se remet à hurler
et à trembler.
— Laissez-moi tranquille ! Laissez-moi tranquille !
hurle-t-elle.
Le pape exécute un exorcisme sur-le-champ et la bénit à
plusieurs reprises avant de la laisser partir.
L’après-midi, Sabrina se présente à son rendez-vous avec
moi. Je comprends aussitôt qu’elle est encore possédée (son
cas est celui d’une possession extrêmement profonde, très
enracinée).
Je commence l’exorcisme.
Sabrina est particulièrement agitée. Il n’a pas dû être facile
pour le démon d’affronter le pape.
Je perçois d’ailleurs dès le départ qu’il est furieux et qu'il
veut prouver que c’est encore lui qui commande.
Je commence les prières en disant :
— Va-t’en, esprit immonde. Va-t’en.
— Va-t’en, toi, prêtre, me répond-il.
— Pourquoi es-tu dans une femme ? Pourquoi t'es-tu
rebellé contre Dieu et es-tu devenu un damné ? Pourquoi ?
Réponds au nom du Christ !
— Je me suis rebellé parce que je suis le plus fort. Vous
devez tous m’adorer parce que je suis le plus fort. Je suis le
Seigneur.
Le dialogue se poursuit par des piques et des réponses ex-
trêmement dures. Le diable est enragé par la rencontre avec
le pape, mais, en même temps, il se sent plus fort parce que
l’exorcisme de Jean-Paul II n’a pas réussi à le chasser. Il se
sent fort et veut me prouver qu’il l'est.
Sabrina se lève de la chaise sur laquelle je l'ai fait asseoir.
Elle se dirige vers moi et, sans me regarder, passe à côté de
moi pour aller jusqu’au mur qui se trouve derrière moi.
Alors, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde,
elle se met à marcher sur le mur, le corps à l'horizontale,
pour gagner le plafond en défiant toutes les lois de la gravi-
té.
Puis, elle redescend comme si de rien n’était.
Je suis bouche bée.
Je termine l’exorcisme.
Mais Sabrina n’est pas encore délivrée.
Je lui demande :
— Sabrina, que te souviens-tu de la journée
d’aujourd'hui ?
— Rien, me répond-elle. Je ne me souviens ab-
solument de rien.
Sabrina reviendra me voir pendant des années, car il faudra
beaucoup de temps pour la délivrer entièrement. Toutefois,
je suis convaincu que, d’une manière ou d'une autre, l'exor-
cisme de Wojtyla a laissé une trace en elle.
Au cours de son long pontificat, Jean-Paul II a combattu
Satan à plusieurs reprises, et son combat se poursuit au-
jourd’hui malgré sa mort.
Un exemple : une fois, une possédée m’a dit :
— Pendant que vous m'exorcisiez, j’ai vu à côté de vous
Jean-Paul IL Vous ne vous en êtes pas rendu compte, mais il
était en train de m’exorciser avec vous.
En outre, selon les affirmations de plusieurs exorcistes, il
semble que le fait d'invoquer jean-Paul II ait un impact dé-
vastateur sur le diable.
Par exemple, dans son livre sur les confidences d’un exor-
ciste, Mgr Andrea Gemma affirme que, durant les exor-
cismes, le malin réagit violemment à l'évocation du nom de
Jean-Paul II, dont le pontificat - c’est lui-même qui le dit -
l’a énormément tourmenté. Au cours d’une séance, le diable
aurait même admis que : « Le vieux [c'est ainsi qu’il appelle
Jean-Paul II] nous a fait beaucoup de mal, mais celui qui est
là aujourd’hui est pire... » Des paroles qui confirment éga-
lement la profonde aversion du malin à l’égard de Benoît
XVI.
Une fois, Satan m’a longuement parlé de Jean-Paul II. Je me
souviens encore de la voix rauque du prince des ténèbres qui
me parla un peu avant de quitter la personne qu’il possédait.
Ce fut comme s’il voulait se confesser avant que la puissance
du Christ ne le chasse. Bien sûr, ces paroles pourraient
n’être que de nouveaux mensonges, mais elles méritent ce-
pendant d’être rapportées, car elles nous apprennent une
chose.
— Karol Wojtyla, dit-il, je le hais. Nous le haïssons tous.
Wojtyla détruit tous mes plans.
Je voulais détruire le monde, mais c’est lui qui a précipité la
chute du communisme en Russie et en Europe de l’Est avant
que je n’accomplisse mon projet. Cela faisait des années que
des pays entiers vivaient dans la terreur. J’avais réussi à les
garder dans cet état permanent. La Seconde Guerre mon-
diale a été l'un de mes chefs-d’œuvre. Mais, ce qui a suivi, le
communisme avec ses millions de morts, les famines et la
souffrance de populations entières, était comme une cerise
sur le gâteau qui s’avère être encore meilleure que le gâteau.
Le Polonais a ramené la lumière et puis il m’a retiré beau-
coup de jeunes des mains. Ils étaient à moi ; c'est moi qui les
avais initiés au mal. Ils vivaient pour moi, volontairement
ou dans une totale ignorance. Il me les a enlevés. C'est pour
ça que je le hais. Et je le haïrai pour toujours.
Lorsqu’on nomme Jean-Paul II lors d’un exorcisme, le pos-
sédé écume littéralement de rage. Je crois entre autres que
le démon a beaucoup lutté contre la béatification de
Jean-Paul II et qu’il combattra encore davantage sa cano-
nisation.
Mais il ne réussira pas à l’empêcher, car Satan est le grand
perdant alors que Dieu toujours vaincra.
Le démon s’agite aussi et devient fou de rage lorsqu’on in-
voque le père Pie de Pietrelcina, mais, quand on cite
Jean-Paul II, Satan se fait encore plus brutal et incontrô-
lable. Satan déteste Jean-Paul II, mais il dit souvent :
— Celui pour lequel j’ai le plus de haine est le père Pie.
L’invocation de Pie XII fait également sortir le diable de ses
gonds, parce que chaque pape est le successeur de Pierre et,
donc, comme chef de l'Église, c’est toujours son principal
ennemi.
Frère Benigno, exorciste officiel du diocèse de Palerme,
confirme dans son livre Le diable existe, moi je l'ai rencon-
tré (uniquement en italien) avoir réussi plusieurs déli-
vrances par l’intercession de Jean-Paul II à compter du jour
de sa mort. En appuyant sur la tête des possédés une cou-
ronne du rosaire ayant appartenu à Wojtyla, il obtient tou-
jours de violentes réactions de la part des personnes souf-
frant de maléfices importants.
Enfin, aux côtés de Jean-Paul II, il est également un nom de
femme qui rend le diable particulièrement furieux, c’est
celui de sainte Gemma Galgani.
Pour nous, exorcistes, Jean-Paul II a joué un rôle fonda-
mental en réhabilitant notre place dans l'Église après des
siècles d’oubli. Il disait toujours : « Les hommes d’Église qui
ne croient pas au démon ne croient pas plus à l’Évangile. »
Wojtyla croyait en Satan et se fiait aveuglément au Christ.
Ce qui n’a pas toujours été le cas au Vatican - sans parler de
ce qui se passe aujourd’hui.
Il n'y a aucune preuve pour affirmer que Satan est égale-
ment présent au Vatican, dans le sens où rien ne prouve
avec certitude qu'il est des personnes, au sein même du Va-
tican, qui se livrent à des rites sataniques. Des personnes
qui sont volontairement esclaves de Satan et qui œuvrent à
instaurer son royaume des ténèbres, de mort et de destruc-
tion en ce monde. Moi, en tout cas, je n’ai aucune preuve.
Toutefois, je tiens à préciser deux choses. La première con-
cerne le pape Paul VI.
Le 29 juin 1972, c'est le jour de l’homélie de la fête des saints
Pierre et Paul. Paul VI en sort avec cette terrible dénoncia-
tion : « J’ai le sentiment que, par quelque fissure, la fumée
de Satan est entrée dans le temple de Dieu. Nous voyons le
doute, l'incertitude, l’inquiétude, l’insatisfaction, l'affron-
tement. On n’a plus confiance en l'Église. [...] On croyait
qu’après le concile, le soleil aurait brillé dans l'histoire de
l'Église. Mais, au lieu du soleil, nous avons les nuages, la
tempête, les ténèbres, l’incertitude... Nous croyons qu’une
puissance adverse est intervenue, dont le nom est diable
[...], dont l’action s’exerce aujourd'hui dans le monde pour
troubler, pour étouffer les fruits du concile œcuménique et
pour empêcher l'Église de chanter sa joie d’avoir repris
pleinement conscience d’elle-même. »
Le 15 novembre 1972, il déclare également à l'audience gé-
nérale : « Quels sont aujourd’hui les besoins les plus im-
portants de l'Église ? [...]
L'un de ses plus grands besoins est de se défendre contre ce
mal que nous appelons le démon. [...] Terrible, mystérieuse
et redoutable réalité.
« Ils s’écartent de l'enseignement de la Bible et de l'Église,
ceux qui refusent de reconnaître son existence. [...] Il est
l'ennemi numéro un, le tentateur par excellence. Nous sa-
vons que cet être obscur et troublant existe vraiment et qu’il
est toujours à l’œuvre avec une ruse traîtresse. Il est l'en-
nemi occulte qui sème l'erreur et le malheur dans l'histoire
humaine. »
Enfin, le 3 février 1977 : « Il n’y a rien de merveilleux à ce
que l'Écriture nous rappelle avec sévérité que "tout le
monde est soumis au pouvoir du malin". »
Paul VI mentionne ainsi le démon à plusieurs reprises,
souvent en le reliant à l’Église. Pour quelle raison ?
Peut-être souhaite-t-il simplement réprimander le clergé et
lui demander de faire preuve de prudence, de fuir les tenta-
tions de Satan.
À mon avis, il y a plus. D’une certaine manière, Paul VI s'est
aperçu que Satan était au sein de l'Église, peut-être au sein
même du Vatican, et il sonne l'alarme.
La seconde précision concerne un livre intitulé Via col vento
in Vaticano (« Autant en emporte le vent au Vatican »),
publié en 1999. L’auteur, anonyme, est un monseigneur de
la curie romaine dont le nom sera bientôt connu de tous. Ce
Mgr Luigi Marinelli était, avant la publication de son livre,
venu plusieurs fois se confier à moi. Il n’arrivait pas à se
décider à publier. Pourquoi cette hésitation ? Parce que
l’ouvrage se composait d'une collection d’anecdotes crous-
tillantes, d’histoires de carrières, d’arrivisme, de liaisons
amoureuses, etc., mais aussi de rites et de pratiques assez
flous qui évoquaient le satanisme. Certes, tout ce qui est dit
dans ce livre n’est pas toujours vrai, mais, la majeure partie,
si. Or, à peine publié, ce livre disparut des rayonnages des
librairies. Puis, chose encore plus étrange, les journaux fi-
rent très peu écho à cette publication. Pourquoi donc ?
Comment était-il possible que des révélations aussi explo-
sives n'aient pas déchaîné les commentaires des médias ?
Difficile de répondre. Il est cependant un fait : l’ouvrage
confirme que, pendant que Paul VI évoquait d’une certaine
manière la présence du démon dans l'Église, il n'avait pas
tout à fait tort. Cela aurait dû alarmer l'Église, mais tel ne
fut pas le cas.
Afin d’étayer mon propos, je voudrais citer un seul exemple.
Il s'agit d'une affaire relativement récente dans laquelle, à
mon avis, cette part mineure qui, derrière les murs sacrés,
travaille pour le mal et non pour le bien pourrait avoir pris
le pas sur les autres. C’est l'affaire Emanuela Orlandi.
Emanuela Orlandi est une adolescente de quinze ans, fille
d’un employé du Vatican, plus précisément d’un employé
qui travaille dans la préfecture de la Maison pontificale,
c’est-à-dire dire un homme qui, au cours de son travail, a
souvent l’occasion de voir le pape de près. Le 22 juin 1983,
Emanuela, une enfant vive et intelligente, disparaît subite-
ment à tout jamais après sa leçon de musique.
L’adolescente apprend la flûte dans une sorte de conserva-
toire de musique installé dans la basilique de
Saint-Apollinaire-in-Classe. Selon des informations recueil-
lies par la suite, Emanuela serait montée dans une voiture
noire, mais rien n’est sûr.
Ce qui est sûr, c’est qu’à 19 h 15, elle est vue pour la dernière
fois au cours sur la Renaissance par deux camarades d’école
; après, on ne sait plus rien d’elle. Quelques jours plus tard,
on colle dans toute la capitale italienne des affichettes or-
nées de la photo d’Emanuela afin de lancer un appel à té-
moins.
Pendant les jours, les mois et les années qui suivent, la dis-
parition donnera lieu à toutes les conjectures. Loin de moi
l’idée de dresser le catalogue des innombrables thèses sur la
disparition de la pauvre Emanuela. Je souhaite simplement
exposer mon point de vue. Avant tout, je tiens à préciser que
je ne m’appuie pas sur ma connaissance des faits, mais que
je viens simplement rapporter mes impressions. Les im-
pressions que j’ai aussitôt éprouvées lorsque j’ai appris la
disparition de la jeune Emanuela.
Je pense qu’une jeune fille de quinze ans sait qu'elle ne doit
pas monter dans une voiture sauf si elle connaît bien la
personne qui lui propose de l'emmener. Je crois qu’il fau-
drait mener l’enquête à l'intérieur du Vatican et non à
l’extérieur ou s’interroger sur les personnes qui connais-
saient Emanuela.
Selon moi, en effet, quelqu’un qui connaissait bien la jeune
fille peut l'avoir incitée à monter dans la voiture. Souvent,
c'est ainsi que les sectes sataniques procèdent : elles font
monter une jeune fille dans une voiture, et la jeune fille dis-
paraît. C'est un jeu si facile ! Dans la voiture, on injecte une
drogue à la proie de manière à en faire ce que l'on veut.
Soyons clair : je serais très heureux que les choses ne se
soient pas passées ainsi. Je serais très heureux que, vrai-
ment, s’il s’agit comme je le pense d’une secte satanique,
cette secte n’ait rien à voir avec le Vatican. Je serais très
heureux que cette histoire qui semble n’avoir pas de fin
puisse s’achever bientôt.
Mais cela ne me dispense pas de constater que, partout dans
le monde, des jeunes femmes disparaissent de la même
manière.
Est-il possible qu'une jeune fille disparaisse ainsi près d'un
lieu aussi sacré que le Vatican ?
Oui, absolument : parce que Satan est partout.
Satan s’attaque surtout aux prêtres et aux personnes qui se
sont consacrés à Dieu parce que cela lui permet d’entraîner
beaucoup d’autres personnes à leur suite. Pensons à tous ces
prêtres qui ont souillé leur habit en abusant sexuellement
des mineurs.
Ces actes ne sont-ils pas l’œuvre du démon ? Satan est la
perversion absolue. C'est lui qui s'immisce dans les cœurs et
conduit ces malheureux à exécuter de tels actes. Les prêtres
sont les proies favorites du démon. Leur seule échappatoire
est de prier et de jeûner.
Un prêtre qui abuse sexuellement d’un enfant déclenche un
tsunami de souffrances et de destructions. C’est une faute
extrêmement grave, mais c’est une grande victoire de Satan
sur l'Église, car il manipule des personnes qui devraient être
entièrement vouées au Christ pour qu’elles œuvrent pour le
démon et lui seul.
En 2005 (soit peu avant son élection), lors des méditations
du chemin de Croix au Colisée, Benoît XVI s’est insurgé
contre les « saletés » qui souillent l'Église.
Certes, on ne sait pas précisément à quoi il faisait allusion,
mais il est impossible de ne pas relier ces paroles aux cas de
ceux qui n'entrent dans le clergé que pour faire carrière,
atteindre les sommets, pour s’affirmer, pour satisfaire leur
propre ego. Il est tout autant impossible de ne pas relier ces
paroles aux cas de ceux qui, au sein même de l'Église, exé-
cutent des actes impurs, démoniaques, sataniques.
Dans l’ouvrage Via col vento in Vaticano, que j’ai déjà cité,
Marinelli écrit : « L’alliance de Dieu avec les pauvres et les
humbles est en contradiction avec l’arrogance de
toute-puissance qui condamne et élimine l'innocent gênant.
Ce livre est un écho recueilli dans le désert, une colombe
libre avec un message à la patte, une bouteille à la mer con-
tenant un avertissement. [...] Si Dieu investit un homme de
charisme pour dénoncer les relâchements, les aises, les
machinations, les escroqueries, les licences, les privilèges
d’une certaine classe cléricale, ce dénonciateur doit s’at-
tendre à une réaction particulièrement féroce de ceux-là qui
se drapent dans un zèle mystique afin de paraître défendre
avec ardeur la sainteté de l'Église. »
Qui dénonce Satan doit s’attendre à une réaction féroce : les
exorcistes le savent bien ! Les papes le savent aussi !
Nous voici parvenus à l’ultime combat contre le démon.
Léon XIII l’avait bien compris. Après lui, tous les papes ont
livré leur propre bataille contre Satan. Tous, jusqu’à Benoît
XVI, que Satan hait tant qu’il le considère comme « pire »
que Jean-Paul II.
Dans cette bataille, Dieu et ses anges sont en première ligne,
et ils permettent à quelques personnes de dire ce qu’ils ne
peuvent pas dire. Dieu et les anges accordent à certaines
personnes de parler à leur place de l’enfer, du mal, afin que
tous puissent s’armer pour échapper à Satan et à son
royaume. En somme, Dieu exige de certaines personnes une
épreuve considérable : voir l’enfer et le royaume de Satan
afin d’être en mesure d’avertir tout un chacun du danger
qu’il court quand il ne vit pas selon les préceptes de Dieu.
Une de ces personnes parcourt aujourd’hui les routes de la
planète pour raconter son incroyable expérience. Gloria
Polo a vu l’enfer de près. Elle s’y est rendue. Mais Dieu l’a
sauvée et l'a aidée à revenir dans notre monde. Pour racon-
ter, pour prévenir, pour témoigner. Elle entame toujours
son histoire par les mêmes mots : « J’étais aux portes du ciel
et de l'enfer. »
IX
Gloria Polo : un aller-retour pour
l’enfer

Tout arrive le 5 mai 1995, à côté de l’Université nationale de


Colombie, à Bogota. Il est 16 h 30 de l'après-midi lorsque
Gloria, une dentiste diplômée depuis peu, et son cousin de
vingt-trois ans qui étudie pour se spécialiser, sont en train
de se diriger à pied vers la faculté où la jeune femme doit
récupérer des livres.
Il pleut, et ils s'abritent tous deux sous le même parapluie.
Lorsque la foudre frappe, tous deux sont littéralement car-
bonisés.
Selon les autorités, la foudre frappe non pas tant parce
qu’elle est attirée par le parapluie, mais par la médaille que
porte le cousin de Gloria. Le jeune homme tient beaucoup à
cette médaille qui représente l'Enfant-Jésus sur un cristal
de quartz, et il la porte constamment. Il meurt sur le coup,
les viscères entièrement brûlés.
La foudre carbonise également le corps de Gloria, aussi bien
à l’intérieur qu’à l'extérieur.
La jeune femme n’a plus de poitrine, et toute sa chair et une
partie de ses côtes ont disparu. La foudre sort par son pied
droit après avoir brûlé presque entièrement son estomac,
son foie, ses reins et ses poumons. Comme Gloria pratique
la contraception avec un stérilet en cuivre (excellent con-
ducteur d’électricité), ses ovaires sont aussi carbonisés.
Gloria se trouve donc en arrêt cardiaque, étendue à terre,
sans vie, tandis que son corps continue d’avoir des soubre-
sauts à cause de l’électricité.
À cet instant, aux yeux du monde, Gloria est morte.
Mais son âme demeure en vie.
Ailleurs.
L’âme de Gloria se trouve dans un long tunnel de lumière
blanche, empli de joie et de paix. À la fin du tunnel, elle voit
comme un soleil d’où émane une lumière qui l’attire. C’est
une source de paix, de sérénité et d'un immense amour.
Gloria réalise qu’elle vient de mourir et elle commence à
avoir des regrets en pensant à toutes ces journées qu'elle ne
consacrait qu’à elle-même et à son travail, sans jamais
prendre de temps pour ses enfants et son mari.
Elle voit aussi, en un unique instant, toutes les personnes
qu’elle connaissait. Elle les voit comme elles étaient réelle-
ment. Elle les voit de l’intérieur, dans leur âme. Et elle
comprend à quel point l’âme est précieuse et combien le
corps l’est peu.
Gloria monte vers la lumière. Au fond du tunnel, elle dé-
couvre un lac d’une beauté extraordinaire. Toutes les des-
criptions qu’elle fera ensuite de ce lac ne réussiront pas,
dira-t-elle, à en restituer la beauté. C'est à ce moment qu’elle
découvre que son cousin entre dans ce lieu magnifique, le
paradis. Dans le même temps, Gloria sent au fond d’elle
monter une certitude terrifiante : elle ne suivra pas son
cousin. Elle ne le doit ni ne le peut.
Elle sent alors que son âme revient, pour une étrange raison,
au-dessus de son corps. Elle se voit dans une civière, ina-
nimée, tandis que les médecins tentent de la réanimer.
Soudain, sans qu’elle puisse résister, son âme réintègre son
corps. À cet instant, Gloria souffre parce qu’elle veut re-
tourner en arrière et que son corps lui paraît être une co-
quille trop petite pour son âme.
Les médecins hurlent « Revenez ! Revenez ! » et l'entraînent
vers le bloc opératoire. Ils envisagent peut-être d'amputer ce
qu’il reste de ses jambes. Ils commencent à retirer la peau
brûlée, mais ils ne savent pas encore dans quel état sont ses
organes internes.
D'une certaine manière, Gloria est présente, mais, peu
après, son âme doit endurer une épreuve terrible. Pour une
raison tout aussi mystérieuse, elle quitte à nouveau son
corps et regarde ce qui arrive à cette enveloppe charnelle -
sans doute comme c’est le cas pour tous ceux qui meurent.
Gloria est emplie de joie : elle pense peut-être retourner vers
la lumière. Ou non. Elle se souvient de la sensation terrible
qu’elle vient d’éprouver : son cousin a pu y aller, elle, non.
Elle n’a pas droit au paradis.
Tout à coup, elle voit surgir une foule autour d’elle. Ce sont
des figures terribles, les figures des démons.
D’innombrables personnes apparemment communes, nor-
males, qui la regardent avec des visages chargés d'une haine
indescriptible. Gloria comprend alors que tous ces démons
viennent vers elle, car elle leur doit quelque chose : le prix
de ses péchés. Gloria comprend que les péchés commis
lorsqu’elle était dans le monde réel ne sont pas sans consé-
quence. Qu'il y a des blessures qui saignent et dont elle doit
répondre. Des blessures qui ajoutent le mal au mal présent
sur la terre. Que ce sont des actes dont le royaume du mal
tire parti et qui affaiblissent le royaume du bien.
Gloria est épouvantée. Elle veut regagner l'intérieur de son
corps, mais elle ne le peut pas. Son âme est traquée par les
démons qui l'encerclent.
Elle prend la fuite. Son âme traverse le mur du bloc opéra-
toire et contre sa volonté la précipite dans le vide. Elle file
dans une série infinie de tunnels sombres qui la tirent in-
lassablement vers le bas. Errant dans l'obscurité, Gloria finit
par arriver dans un lieu d’une noirceur indescriptible. Une
obscurité qui provoque des gémissements, des pleurs, de la
souffrance.
Une obscurité où règne la puanteur, une odeur abjecte.
Gloria sent cette obscurité l’envelopper et elle réalise qu’il
s’agit d’une obscurité vivante. Une obscurité vivante, pas
morte. Gloria sent autour d’elle une présence oppressante,
et elle est emportée sur une plate-forme.
Elle comprend qu’elle a atteint le fond, le lieu où son âme
devra mourir spirituellement. C’est là que l'âme de Gloria va
demeurer pour l'éternité. Elle est perdue. Perdue et morte
pour de bon. Autour d'elle, c’est le néant et cette obscurité
maudite.
Gloria est arrivée en enfer.
Survient alors un événement totalement inattendu. Au
moment précis où Gloria est sur le point de s’abandonner à
ce lieu qui l’engloutit, elle voit arriver l’archange saint Mi-
chel. Saint Michel le défenseur de la foi de Dieu contre les
hordes de Satan. Celui qui a vaincu Satan. Saint Michel en-
traîne Gloria hors de là, pendant que les démons, tous les
démons, lui empoignent les mains et essaient de la retenir.
Ils l’encerclent, s’agrippent à elle. Mais saint Michel par-
vient à l’arracher à tous ces êtres.
Gloria hurle, hurle et hurle encore.
Sans pouvoir expliquer pourquoi, la jeune femme se met
brusquement à crier les paroles suivantes :
— Âmes du purgatoire, sortez-moi d’ici, par pitié ! Sor-
tez-moi d’ici. Je vous en supplie, aidez-moi !
Autour d’elle, elle perçoit les pleurs des âmes qui sont dans
le purgatoire. Une plainte qui lui déchire le cœur de com-
passion. Une plainte que Gloria n’oubliera jamais plus.
Elle réalise qu’elle se trouve alors à la frontière entre l'enfer
et le purgatoire. Le paradis est en haut, plus haut, très loin
au-dessus. Gloria se trouve à l’endroit le plus bas du purga-
toire, là où se retrouvent les âmes de ceux qui se sont suici-
dés dans un moment de désespoir ou de folie. Ces âmes se
trouvent à côté de l’enfer.
Les démons sont là, féroces, à un jet de pierre. Gloria ob-
serve ces âmes et comprend qu'elles doivent demeurer là au
moins jusqu'à ce que soient écoulées toutes les années
qu’elles auraient dû passer sur la terre.
Ces âmes souffrent d’une manière indicible et éprouvent un
terrible sentiment de culpabilité à l’égard de ceux qu’elles
ont abandonnés dans le monde. Comment les aider ? Seules
les prières des vivants le pourraient.
Gloria perd espoir. Saint Michel l'a guidée jusque-là, mais
elle n’avance plus.
Si près de l’enfer sans savoir ce qu'il adviendra d’elle, elle
continue à hurler et à demander de l'aide.
Et voici que, dans les ténèbres, elle aperçoit une petite, une
minuscule lueur. Elle tourne les yeux vers cette lueur et
aperçoit ses parents. Son père, mort depuis cinq ans, et sa
mère, morte depuis plus longtemps. Tous deux contemplent
Gloria en pleurant. Ils ne peuvent rien pour la sortir de là.
Pourquoi sont-ils là ? Principalement pour une question de
culpabilité, expliquera ensuite Gloria, et parce qu’ils pen-
sent qu'ils ont échoué à éduquer Gloria à l'amour de Dieu.
Gloria hurle et hurle encore :
— Sortez-moi d'ici ! Sortez-moi d’ici ! Je suis catho-
lique!
La supplique de Gloria ne tombe pas dans le vide. Cette fois,
une voix se fait entendre. Une voix douce et claire, qui
transperce l’obscurité. Une voix faisant trembler de joie
l'âme de Gloria, l’âme contrainte de rester loin de son corps
qui, entretemps, est sous les fers des médecins. Lorsque la
voix se fait entendre, les démons qui cherchent encore à
tirer Gloria vers la porte de l’enfer sont contraints, dans les
souffrances les plus insupportables, de se mettre à genoux.
Cette voix est celle de la Vierge. Gloria la voit. Elle voit la
Vierge. Elle la voit pendant la célébration de la messe. Elle
est là, à genoux elle aussi devant l’eucharistie à prier Jésus
pour elle.
La scène dépasse tout entendement. Durant la messe, le
prêtre lève l’hostie vers le ciel ; Jésus fait son apparition, et
tout le monde s’agenouille. Même les démons ! Ils
s’agenouillent tout en écumant de rage.
La Vierge se tourne vers Gloria et lui dit :
— Si tu es catholique, dis-moi quels sont les comman-
dements de la Loi de Dieu.
Gloria ne sait que répondre, car elle ne se souvient que du
premier. Elle commence :
— Le premier commandement est : « Tu aimeras Dieu
par-dessus tout et ton prochain comme toi-même. »
— Très bien, les as-tu aimés ?
— Oui, je les ai aimés, je les ai aimés !
— Non, rétorque la Vierge.
Gloria se sent comme nue face à la Vierge. Nue et sans
masque.
— Non, tu n’as pas aimé le Seigneur par-dessus tout et
toute chose, et encore moins ton prochain comme toi-même
! Tu t'es créé un Dieu que tu as modelé à ta propre vie et tu
t’en servais uniquement en cas d'extrême besoin ou de
souffrance. Alors, oui, tu te prosternais devant lui, tu pleu-
rais, tu suppliais, tu récitais des chapelets, tu promettais
d’aller à la messe, de prier tout en lui demandant des grâces
ou des miracles. Quand tu étais pauvre, quand ta famille
était humble, quand tu désirais faire carrière, alors, oui,
tous les jours tu priais à genoux, des heures entières à sup-
plier le Seigneur ! Tu priais en me demandant de te sortir de
la pauvreté, de te permettre de faire carrière, de devenir
quelqu’un ! Lorsque tu te trouvais dans la pauvreté et que tu
avais besoin d’argent en retour, alors, oui, tu promettais. «
Je prie le Rosaire, mais toi, Seigneur, accorde-moi un peu
d’argent ! »
La voix continua à exposer à Gloria toutes ces ingratitudes,
toutes ces promesses non tenues, tandis que son cœur de-
meurait submergé par des préoccupations sans aucune va-
leur.
Gloria reconnaît le mal de sa vie. Tout le mal. Elle prend
conscience qu’elle n'a pas respecté les dix commandements.
Aucun. L'un après l’autre. Et elle sent en elle monter une
grande honte.
Ses péchés, certains terribles, lui apparaissent impétueu-
sement.
La voix ouvre devant Gloria le livre de sa vie, et Gloria en est
atterrée. Elle pense : Je n’ai pas d’espoir. Elle regarde en
dessous d’elle et, en voyant l'abîme qui s'ouvre, elle pense :
C’est là que les choses doivent se terminer.
Mais non. Gloria se tourne vers le haut. Et voilà que deux
écailles se détachent douloureusement de ses yeux ; ce sont
les écailles de sa cécité spirituelle, et elle voit comme elle n’a
jamais vu auparavant. Et elle peut enfin dire :
— Seigneur Jésus-Christ, ayez pitié de moi ! Par-
donnez-moi ! Donnez-moi une seconde chance !
Jésus se penche alors sur Gloria et la tire de la fosse dans
laquelle elle est tombée. Il la tire littéralement hors de la
fosse et lui dit :
— Oui, tu vas retourner sur terre et tu auras une se-
conde chance. Ce n’est pas à cause des prières de ta famille,
parce qu'il est normal de leur part de pleurer et d’implorer
pour toi, mais c'est grâce à l’intercession de tous ceux qui
sont étrangers à ta chair et à ton sang, et qui ont pleuré, prié
et élevé leur cœur avec un profond amour pour toi.
Gloria ne sait pas à qui Jésus fait allusion, mais elle voit des
milliers de petites flammes s’allumer, des milliers de belles
petites flammes. Ce sont toutes les flammes des personnes
qui prient pour ceux qu’ils ne connaissent pas. Toutes les
personnes qui prient pour les autres.
Parmi toutes ces flammes, il y en a une plus grande. C'est
une personne qui aime Gloria plus que les autres. Jésus lui
dit :
— Cette flamme-là, c’est une personne qui t'aime plus
que les autres, mais qui ne te connaît pas.
Il s’agit d’un homme qui vit dans la Sierra Nevada de Santa
Marta, au nord-est de la Colombie, un pauvre homme qui
n'a pas grand-chose à manger. Il a lu dans un journal
l’article sur Gloria, avec une photo d’elle toute brûlée qu’elle
était. Lorsque l’homme la voit ainsi, il éclate en sanglots et
tombe à genoux pour prier :
— Notre Père, Seigneur, ayez pitié de ma sœur. Sei-
gneur, sauvez-la ! Sauvez-la, Seigneur ! Si vous la sauvez,
Seigneur, j’irai au sanctuaire de Buga5.
Alors, Jésus dit à Gloria :
— Voilà ce que c’est d’aimer son prochain. C’est ainsi
que tu dois aimer ton prochain.
Puis, il ajoute :
— Tu vas retourner en arrière et tu donneras ton té-
moignage, non pas mille fois, mais mille et mille fois. Et
malheur à ceux qui, en t’écoutant, ne changeront pas, car ils
seront jugés plus sévèrement. Comme toi, lorsque tu re-
viendras ici un jour et comme mes oints, les prêtres, car il
n'est pire sourd que celui qui refuse d’entendre et pire
aveugle que celui qui refuse de voir.
C’est ainsi que Gloria échappera à l’enfer et à Satan. Elle y
échappe et, grâce à la miséricorde de Dieu, revient dans son
corps et dans le monde.
Soudain, le bloc opératoire est pris d’une nouvelle frénésie,
car le corps de Gloria a retrouvé son intégrité. Gloria est
comme elle était avant, et, si son corps garde toutes les ci-
catrices, ses organes fonctionnent parfaitement.

Gloria est revenue.


C'est sa seconde chance.

5 Dans le sud-ouest de la Colombie.


À présent, Gloria parle de Dieu.
Mais elle parle aussi de son grand adversaire.

Pourquoi raconter l’histoire de Gloria Polo ? Parce qu’il faut


savoir que Satan existe et que l'enfer existe. Gloria nous
offre un témoignage de plus. L’enfer existe.
C’est un immense trou dans lequel règne l’obscurité la plus
noire.
C’est un lieu de désespoir où l'on demeure pour l'éternité,
sans aucune possibilité de salut. C'est pour entraîner tous
les hommes avec lui en enfer que Satan livre sa bataille. Le
drame est qu’il réussit son forfait avec beaucoup de gens.
Nous sommes d’ailleurs tous menacés si nous ne recon-
naissons pas nos torts, si nous ne changeons pas de vie, si
nous ne préférons pas Dieu à Satan, la lumière aux ténèbres,
le royaume de Dieu à celui du démon.
C’est aussi ce que déclare Faustine Kowalska qui fut envoyée
par Dieu jusqu’aux portes de l'enfer avant de revenir.
« Aujourd’hui, un ange m’a conduite dans les abîmes de
l’enfer. C'est un lieu de grande souffrance, d'une étendue
affreusement grande. Voici les différents tourments que j’y
ai vus : le premier tourment, qui constitue l’enfer, c'est la
perte de Dieu ; le deuxième, les remords permanents de la
conscience ; le troisième, le fait que cet état soit immuable ;
le quatrième est le feu qui dévore l'âme sans la détruire :
c’est un tourment épouvantable, un feu purement spirituel,
allumé par la colère de Dieu. Le cinquième tourment, c'est
l’obscurité permanente et une puanteur abominable. Bien
qu’il fasse nuit, les démons et les âmes damnées se voient les
uns les autres et voient la méchanceté des autres et aussi
leur propre méchanceté. Le sixième tourment est la com-
pagnie incessante de Satan. Le septième, le désespoir
épouvantable, la haine envers Dieu, les médisances, malé-
dictions et outrages.
« Ce sont les tourments que tous les damnés endurent en
commun, mais ce n'est pas tout. Il y a aussi les tourments
particuliers des âmes. Les tourments des sens. Ce par quoi
une âme a péché, c'est par là qu’elle est torturée de manière
épouvantable et indescriptible. Il existe des cavités affreuses
et des abîmes de la torture, où chaque supplice diffère des
autres.
« Au vu de cette souffrance abominable, je serais morte si la
toute-puissance du Seigneur ne m’avait soutenue. Que le
pécheur sache que c’est avec l’organe des sens par lequel il a
péché qu'il sera torturé pendant toute l’éternité. J'écris cela
sur ordre du Seigneur, afin qu'aucune âme ne puisse
s’excuser en prétendant qu'il n’y a pas d’enfer, ou bien que
personne n’y est allé et que l’on ne sait pas ce qui s’y trouve.
« Moi, sœur Faustine, je me suis trouvée dans l'abîme de
l’enfer sur ordre du Seigneur afin de témoigner que l'enfer
existe. Je ne peux pas en parler maintenant, car l'ordre du
Seigneur est que je fasse une déposition écrite. Les démons
étaient remplis de haine à mon égard, mais, par ordre du
Seigneur, ils durent m'obéir. Ce que j'ai écrit n’est qu'un
faible reflet de ce que j'ai vu. J'ai remarqué que la plupart
des âmes qui s’y trouvent sont celles qui n’ont pas cru à
l'enfer.
« Après être revenue à moi, je ne pouvais pas me remettre
de l’effroi causé par la vue des souffrances des âmes là-bas ;
c’est pourquoi je prie maintenant encore plus intensément
pour la conversion des pécheurs. J’implore sans cesse la
miséricorde divine en leur faveur. »
L’argent d’abord, puis le pouvoir et le sexe, voilà les appâts
de Satan. Ce sont les tentations qu'il utilise pour nous sé-
duire, et plus nous cédons, plus il est difficile de lui échap-
per. Nous nous repentons afin de ne pas avoir à pleurer sans
espoir de revenir en arrière.
C’est ainsi depuis toujours que Satan tente le monde. C’est
ainsi qu'il l’a toujours attaqué.
Aujourd’hui, cependant, il attaque autre chose. Son attaque,
comme en témoigne la vision de Léon XIII, est plus puis-
sante.
Nous sommes devant la dernière bataille, l’ultime attaque.
Et ses conséquences dévastatrices se font déjà jour dans le
monde.
Pourquoi cette attaque ?
Parce qu’aujourd’hui, Satan connaît une situation privilé-
giée.
Aujourd’hui, il est libéré.
Libéré de ses chaînes.
X
L’ultime combat : Dieu contre
Satan libé ré de ses chaı̂nes

La lutte entre Dieu et Satan, entre le bien et le mal, prend sa


source dans la nuit des temps. Ce n’est pas une bataille ré-
cente.
On ne sait pourquoi, mais elle existe depuis toujours, en
tout cas depuis que le monde est monde. Ce n'est pas un
hasard si l’Évangile de Jean dit : « Le monde est tout entier
sous la puissance du malin. »
Tout entier - pas une partie du monde : tout.
La lutte entre le bien et le mal a mystérieusement éclaté au
commencement du monde et ne se terminera pas avant que
le monde arrive à sa fin.
C’est une bataille ordinaire, où chaque individu doit affron-
ter ses propres péchés. Mais c’est aussi une bataille ex-
traordinaire, parce que les actes de Satan ne sont rien moins
qu’extraordinaires quand il s’empare des personnes et les
possède. Dans cette bataille, les exorcistes sont en première
ligne.
Enfin, il y a les tentatives de Satan de bouleverser la planète
en fomentant des guerres entre les peuples et les nations.
L’Écriture sainte s’ouvre sur l'irruption du mal dans le
monde. La Genèse évoque le péché originel, la première
scission qui a déchiré le monde. Le péché originel est un
mystère qu’il n’est pas facile d’aborder.
Nous ne savons qu’une seule chose : il y a un avant, une
condition favorable dans laquelle les hommes étaient in-
corruptibles ; il y a un après, notre condition d’être destinés
à mourir et à vivre nos années sous le joug de Satan, le
grand adversaire.
La vision du pape Léon XIII nous le dit, mais elle nous dit
également que l’histoire de l’humanité n’est pas uniforme.
Elle nous rappelle que notre époque est une époque singu-
lière, celle où Satan se voit accorder la possibilité de lancer
une attaque plus rude et plus violente que jamais, proba-
blement sa dernière attaque. Définitive.
La prophétie de la Vierge à Medjugorje confirme ces indica-
tions. Depuis 1981 que la Madone apparaît dans cette région
de Bosnie, l'Église n’a encore fait aucun commentaire, mais,
pour ma part, et je le dis sans crainte, ce sont de véritables
prophéties qui, bientôt, et je dirais très bientôt, s’avéreront
dans toute leur puissante luminosité.
C’est la Vierge et non, comme certains le soutiennent, le
démon qui depuis 1981 s’adresse au monde à Medjugorje.
Le 1er janvier 2001, elle a ainsi fait cette fulgurante déclara-
tion : « Chers enfants, aujourd'hui particulièrement, je vous
appelle à la prière. Satan est délié de ses chaînes, et je vous
invite à vous rapprocher de mon cœur et du cœur de mon
fils. Je vous bénis tous de ma bénédiction maternelle. »
Aujourd’hui, justement aujourd’hui ! Et personne ne parle
plus de Satan !
Alors que même l’Église catholique s’est lassée d’en parler et
s'est lassée de croire en celui qui depuis toujours est son
ennemi, son adversaire, lui, Satan, agit avec une liberté de
mouvement qu'il n’a jamais eue auparavant. Aujourd'hui,
Satan est libéré de ses chaînes. Pourquoi ? Mystère.
Peut-être parce que les temps de l’Apocalypse, les temps de
l'affrontement final sont proches.
L’Apocalypse dit : « Et il fut donné à la bête une bouche qui
proférait des paroles arrogantes et des blasphèmes ; et il lui
fut donné le pouvoir d’agir pendant quarante-deux mois. Et
elle ouvrit sa bouche pour proférer des blasphèmes contre
Dieu, pour blasphémer son nom, et son tabernacle, et ceux
qui habitent dans le ciel.
Et il lui fut donné de faire la guerre aux saints et de les
vaincre. Et il lui fut donné autorité sur toute tribu, tout
peuple, toute langue et toute nation. Et tous les habitants de
la terre l’adoreront, ceux dont le nom n'a pas été écrit dès la
fondation du monde dans le livre de vie de l’Agneau qui a
été immolé. »
Cette bête, c’est Satan, c'est lui que le monde adore. Lui qui
le premier s’est rebellé contre Dieu. Il s’est rebellé en refu-
sant de se soumettre à Dieu, et pour cela il a été précipité en
enfer, un lieu sombre et sans lumière.
Avec lui furent précipités tous les anges qui choisirent de le
suivre. Ces anges qui, subitement, devinrent des démons. Ils
sont si nombreux, si nombreux, des légions et des légions,
au point qu’ils obscurciraient le ciel. C’est ce que m’a dit l’un
d’eux.
C’est depuis cette rébellion de Satan contre Dieu que la
création de Dieu est, en quelque sorte, violée. On ne peut
pas dire grand-chose sur cette rébellion. Pourquoi et com-
ment est-elle advenue ? Pourquoi Dieu l’a-t-il permise ?
C’est un fait qu’elle a eu lieu et que, depuis, rien n’a plus
jamais été pareil.
À partir de ce moment, Satan est devenu le grand tentateur,
le grand séducteur. Il a tenté et séduit nos ancêtres, et nous
continuons à payer les conséquences de cet abandon à la
tentation.
Le péché, la corruption et le mal sont en nous, et, jusqu'à la
fin de notre existence, nous devrons livrer une seule bataille
: résister au mal, résister à Satan et choisir le bien.
Il vaut mieux savoir que nous n’avons le choix qu'entre deux
destinations : l’enfer ou le paradis.
Soit nous allons en enfer, soit nous allons au paradis.
Deux, pas trois. Tertium non datur. Nous n’avons pas de
troisième possibilité. Certes, il y a le purgatoire, mais le
purgatoire n'est pas un choix : c'est une condition provisoire
accordée par Dieu à ceux qui, malgré le mal et les péchés
commis, pourraient accéder au paradis.
Le choix de l'homme est et demeure entre ces deux destina-
tions : l’enfer ou le paradis, Satan ou Dieu, les ténèbres
éternelles ou la lumière éternelle.
L’enfer est le royaume de Satan. Noir, sans lumière. Sans
Dieu. Un royaume de désespoir éternel.
Un jour, alors que je pratiquais un exorcisme, énième
séance sur cette personne, j’avais enfin compris qui la pos-
sédait. Ce n’était pas un diable quelconque. C’était Satan.
Une possession profonde, difficile, presque impossible à
exorciser.
Je demandai à Satan :
— Pourquoi ne quittes-tu pas l’enfer ?
Il avait une voix lugubre et hargneuse, mais également infi-
niment triste.
— Prêtre, dis-moi, toi : où devrais-je aller ?
— Pourquoi ne vas-tu pas chez Dieu ? Pourquoi ne
vas-tu pas frapper à sa porte ? Pourquoi ne te repens-tu pas
et ne reviens-tu pas en arrière ?
Il s'ensuivit un long silence.
Il reprit alors la parole :
— Je ne reviendrai jamais en arrière. Mon choix est
définitif. Irrévocable. Mon refus est pour toujours.
— Tu n’es jamais retourné aux portes du paradis ?
— Moi, je ne fais jamais demi-tour. Je reste toujours
ici. Je suis l’enfer. Et Dieu est mon ennemi pour l'éternité.
Il me semblait entendre cette nouvelle que C. S. Lewis a
écrite à propos du paradis, où il raconte que, arrivés au seuil
du ciel, les damnés refusent d’entrer et préfèrent s’en re-
tourner en enfer.
Les démons ne veulent pas du paradis. Ils se complaisent
dans le mal, et la seule chose qu’ils souhaitent, c’est haïr :
haïr Dieu et l’univers tout entier.
Pour toujours. Entendons-nous bien : je ne discute pas avec
le démon. Cet échange survint pratiquement par hasard, et
il ne faut pas lui donner trop de poids dans la mesure où
Satan est le roi de la tromperie.
Mais je l’ai rapporté parce que, parfois, lorsque Satan parle
avec un exorciste, il est incapable de mentir. L’exorciste est
plus puissant que lui parce que le Christ est de son côté, et il
peut arriver qu'une discussion s'installe et que Satan ne ré-
ussisse pas à mentir.
Le destin de Satan est irrévocable. C’est aussi le cas de ceux
qui choisissent l’enfer. Ce n’est pas Dieu qui nous envoie en
enfer. C’est nous qui sommes volontaires. Notre cœur de-
vient dur comme la pierre.
Notre complicité avec le péché se fait totale. Et nous déci-
dons de partir pour l’enfer. C’est un mystère, un mystère
d’iniquité et, partant, un mystère d’une profondeur inson-
dable : le mystère de la liberté de choisir d’aller contre Dieu.
Satan n'a pas toujours la même force. Aujourd'hui, je suis,
par exemple, persuadé que, la nuit, ses actes sont plus
puissants que le jour. La nuit est le temps du diable.
La nuit, il peut se déplacer sans être dérangé et semer la
mort. En outre, il ne s’agit pas seulement des heures du jour
où la lumière ne brille pas.
La nuit peut aussi être celle de l’âme. Lorsque notre âme vit
dans la nuit, dans les ténèbres, que notre âme est obscure ou
sombre, le diable dispose d’une plus large marge de ma-
nœuvre.
C’est pour cette raison qu’il faut se confesser souvent. La
confession ramène l'homme en pleine lumière. Une confes-
sion est plus puissante qu’un exorcisme. Satan craint da-
vantage la confession que l'exorcisme.
Parce que la confession ramène brusquement l'homme à la
lumière, à la grâce de Dieu, et Satan ne peut rien faire contre
un homme en grâce de Dieu. La confession détruit le mal.
Elle l’anéantit.
Et elle tourne l’homme vers la lumière, vers le bien. Certes,
il faut toujours rester vigilant. Satan est infiniment plus
fourbe et puissant que n’importe lequel d’entre nous. C'est
pour cela qu’il faut toujours rester sur ses gardes et profes-
ser l'humilité.
L’attaque de Satan vise principalement les puissants de ce
monde. Posséder des hommes qui ont de grandes respon-
sabilités permet, par un effet de domino, de s’emparer de
nombreuses autres personnes. Ensuite, les plus attaqués
sont les membres du clergé. La raison en est simple : ils de-
vraient être les saints de Dieu et, s’ils se laissent diriger par
Satan, ils deviennent au contraire les ennemis du Seigneur.
La proie favorite de Satan, c'est le pape. Sa haine pour le
successeur de Pierre est féroce. J’en ai fait l’expérience au
cours de mes exorcismes.
Lorsque j'invoque Jean-Paul II, les démons écument de
rage. D'autres tremblent. D'autres encore hurlent en sup-
pliant de ne plus le nommer. Même chose avec Benoît XVI.
Le moindre geste de Joseph Ratzinger, ses liturgies si claires
et sereines constituent un puissant outil d'exorcisme contre
la fureur du diable.
Après le pape, Satan aime s’attaquer aux cardinaux, aux
évêques et à tous les prêtres et les religieux. C’est normal ; il
n’y a pas de quoi en être scandalisé. Et l’on ne devrait pas
plus se scandaliser si, au sein de l’Église, certains cèdent à
ses attraits et cèdent à la tentation. Les prêtres, les religieux
et les religieuses sont appelés à mener un rude combat spi-
rituel.
Ils ne doivent jamais céder au démon. S'ils ouvrent la porte
de leur âme, même légèrement, il entre et s’empare de toute
leur vie.
Un jour, comme je l’ai déjà raconté, sœur Faustine Kowals-
ka vit clairement l’enfer. Et dans l'enfer, elle vit le lieu que
Satan a réservé aux prêtres, les prêtres damnés pour l'éter-
nité. Voilà son récit : « Alors, le sentier que je suivais s'ou-
vrit, et je me retrouvai dans une autre grotte au-dessus de la
première, et plus horrible encore.
Là se tenaient les prêtres indignes qui avaient eu l'audace de
recevoir de manière sacrilège dans leurs mains et dans leur
cœur le Fils de la Vierge. Ces misérables enduraient de telles
tortures, que toutes celles dont j’ai déjà parlé ne sont rien en
comparaison.
Ils étaient tourmentés en particulier dans les parties de leur
corps qui avaient touché l'hostie consacrée ; de douleur, ils
battaient des mains, devenues comme des charbons ardents
; leur langue paraissait déchiquetée et pendait hors de leur
bouche pour signifier leurs sacrilèges ; tout l'intérieur de
leur corps et plus particulièrement leur cœur était dévoré
par le feu et en proie à d’horribles douleurs.
Là, je vis se dresser, tel un serpent prêt à bondir, un mauvais
prêtre de ma connaissance, qui était mort subitement après
avoir donné lieu à un grave scandale. Il me jeta un regard
plein de rage et retomba aussitôt dans les profondeurs de la
fournaise. »
Moi, j’affirme que la miséricorde de Dieu peut tout. Il n’est
jamais trop tard pour se repentir, pour revenir vers Dieu.
Certes - c'est un fait -, nous ne pouvons oublier les scandales
de pédophilie qui ont éclaté dans le clergé au cours des der-
nières décennies.
Voici venu le temps de la fureur de Satan sur le monde. Une
fureur qui frappe notamment l'Église. Il est bon que les
scandales aient été dévoilés. Parce que cela permet à l’Église
de faire pénitence, de reconnaître ses torts, de cesser de
pécher.
Le monde est aux mains du pouvoir du démon. Satan est
accompagné d’innombrables prophètes.
Quantité de gens que la Bible nomme de faux prophètes.
Faux, car ils conduisent au mensonge et non à la vérité.
Ces personnes existent en dehors, mais aussi au sein de
l’Église. Elles sont faciles à reconnaître : elles prétendent
parler au nom de l’Église et, à la place, elles parlent au nom
du monde. Elles demandent à l’Église de revêtir les habits
du monde.
Ce faisant, elles suscitent la confusion chez les fidèles et
conduisent l’Église dans des eaux qui ne sont pas les
siennes. Ce sont les eaux du malin. Les eaux que la Bible
décrit d’une manière admirable dans son dernier texte, le
Livre de l'Apocalypse.
La rage de Satan existe depuis que le monde est monde.
Mais, depuis que Dieu nous a envoyé son Fils, cette rage
s’est accentuée. Depuis Jésus, l'affrontement entre les deux
armées est ouvert, frontal.
Satan veut soulever le peuple contre le Christ et le persuader
qu’il est nécessaire de le tuer. La mort de Jésus est la victoire
de Satan.
Une victoire apparente parce qu’en réalité, avec la Résur-
rection, c’est le Christ qui triomphe.
Mais son triomphe n’efface pas le mal. Il n’efface pas la
présence de Satan, le dragon, la bête. Ceux-là sont toujours
présents. Cependant, depuis l'avènement du Christ,
l’homme a la certitude que, s’il se fie à lui, il peut triompher.
Malgré les difficultés de la vie, il peut vaincre la mort.
Aujourd’hui, deux mille ans après l’avènement du Christ, la
lutte est plus âpre. Nous sommes arrivés à l’affrontement
final.
D'un côté, l’armée de Satan ; de l'autre, l’armée de Dieu avec
tous ses saints et ses martyrs, ceux qui ont versé leur propre
sang au profit de ceux qui restent à combattre. Dans sa lutte
infinie contre le démon, Dieu utilise chaque goutte du sang
des martyrs.
Le 14 avril, à Medjugorje, la Vierge a déclaré :
« Dieu a permis à Satan de mettre l’Église à l'épreuve pour
un siècle. » Mais elle a ajouté : « Il ne la détruira pas. Ce
siècle dans lequel vous vivez est sous le pouvoir de Satan,
mais, quand se seront réalisées les prophéties que je vous ai
confiées, mes chers enfants, son pouvoir sera brisé. »
Des paroles qui nous indiquent que Satan est déjà à l’œuvre,
mais que la Vierge est aussi à l'œuvre contre lui. Nous sa-
vons peu de chose des secrets qui ont été confiés aux
voyants de Medjugorje, mais nous savons cependant que
lorsque (bientôt, très bientôt) ces secrets s’avéreront, le
dragon sera vaincu, et le royaume de la lumière triomphera.
Dans la guerre contre le démon, l'appel ne concerne pas
seulement les catholiques. Il concerne tous les hommes. Je
pense par-dessus tout qu'il concerne tous les hommes qui
ont la foi.
Je suis convaincu que si un juif ou un musulman vit sa
propre foi en Dieu en l’éclairant de la lueur de la raison,
cette foi authentique et véritable le conduira au salut, mais
conduira également au salut d’innombrables autres per-
sonnes.
Les hommes fidèles à Dieu sont utiles, car ils savent em-
brasser pour lui les armes du jeûne et de la prière, et chasser
ainsi le mal du monde.
Je me souviens d’un jour où j’étais en voyage du côté de la
mer Morte avec un groupe. Nous nous arrêtâmes près du
rivage et, comme la chaleur était difficilement supportable,
nous cherchâmes refuge dans une buvette. Dans le groupe,
un homme s’éloigna. Il était musulman et étendit une petite
natte sous le soleil brûlant, puis, tourné vers La Mecque, il
pria Dieu avec une intensité que j’ai rarement retrouvée
ailleurs.
« Si tout le monde avait sa foi, nous déplacerions les mon-
tagnes, et Satan serait vaincu en un seul coup. »
Il me faut cependant faire une dernière observation. S'il est
vrai que la lutte entre Dieu et Satan a désormais atteint son
stade ultime, il faut également se souvenir que, comme le dit
l’Écriture, aujourd’hui est le temps de l'Antéchrist.
À propos de l’Antéchrist, on a dit tout et son contraire. Qui
est-il ? C’est l’ennemi par excellence du Christ. Une sorte de
fils préféré de Satan qui viendra au monde lorsque l'affron-
tement avec Dieu en sera arrivé au règlement des comptes.
Il viendra pour combattre Dieu, mais il succombera.
Je crois que le temps de l’Antéchrist est notre époque, le
temps du début du troisième millénaire. Il ne sera pas diffi-
cile de reconnaître la venue de cette personne : comme le dit
saint Paul, elle séduira l’homme en feignant d’être l’envoyée
de Dieu et s'assiéra dans le temple de Dieu en se désignant
elle-même comme Dieu.
— Qui es-tu ? demandai-je un jour à un diable qui s’était
emparé d'une jeune femme.
Il la forçait à manger et manger encore. Elle engloutissait
ainsi des kilos de pain et de pizza tous les jours, mais elle
n'était jamais rassasiée. Et surtout, elle ne grossissait pas.
Elle demeurait maigre et fragile comme une brindille. Mais
elle dévorait comme une bête sauvage qui n’a pas mangé
depuis des jours. On lui portait des pizzas entières qu’elle
faisait disparaître dans sa bouche à une vitesse incroyable.
C’était un spectacle affreux, terrible, que de la voir manger.
— Qui es-tu ? Dis-le-moi, au nom du Christ !
— Je suis Dieu.
— Ne mens pas ! Dieu est unique. Et tu le connais bien.
— Non, c’est moi qui suis Dieu. Je suis celui que le
monde adore. Ton Dieu n'est pas Dieu et, bientôt, il n'exis-
tera plus.
— Tais-toi, menteur. Dieu est le Seigneur du ciel et de
la terre, et tu dois lui rester assujetti.
— Tu ne sais rien, prêtre. Regarde autour de toi. Mes
disciples sont partout ! Qui suis-je pour eux ? Je suis Dieu.
— Tu peux dire ce que tu veux, mais Dieu est unique.
Et en son nom, je te commande de sortir de cette femme. De
la laisser libre. Va-t’en Satan.
— Je ne pars pas. Et même si je pars, je reste.
Je reste dans d’autres corps. Je reste dans d'autres vies. Le
monde est à moi et il sera mien pour toujours.
— Le monde est à Dieu. Il a toujours été à lui. Toi, ton
destin est de succomber.
Se désigner lui-même comme Dieu ! C’est ce que Satan fait
depuis la nuit des temps, la nuit où il s’insurgea contre Dieu.
Il lui cracha au visage et lui dit : « Je suis Dieu. »
Depuis cette nuit-là, l'univers est contraint de subir une
terrible bataille.
Nous, exorcistes, sommes appelés à nous battre en première
ligne. Et nous nous battrons pour toujours, tant que l'Église
durera.
Et tant qu'au sein de l’Église, il y aura des évêques qui nous
demanderont de nous battre.
— Père Amorth, je suis le père Andrew. Je n’ai que
trente ans, mais je suis prêtre depuis cinq ans. J’habite aux
États-Unis. Je vous remercie de bien vouloir me recevoir.
Dans mon diocèse, il n'y a pas de prêtre qui ait accepté la
requête de l'évêque de devenir exorciste ; c’est pourquoi il
me l’a demandé à moi, le plus jeune de tous. J’ai accepté et
j’ai commencé les exorcismes, mais ce n'est pas facile.
— N’y a-t-il pas un exorciste plus âgé, dans un autre
diocèse, par exemple, qui pourrait vous former ? Il est im-
portant d’être soutenu par quelqu'un qui pratique les exor-
cismes depuis assez longtemps.
— Non, le plus proche est à cinq heures d'avion. En
voiture, il faut une journée pour faire le trajet.
— Dommage, c’est bien dommage. Je conseille toujours
aux débutants de se faire aider par quelqu'un de plus
aguerri. Il y a tant d’astuces à connaître. Pour ma part, j'ai
beaucoup appris du père Candido Amantini, mon maître...
Il est vraiment dommage que les évêques continuent à ne
pas nommer des exorcistes. Pour ma part, j’en suis arrivé à
la conclusion suivante : ces évêques qui, là où on a besoin
d’exorcismes, n’en nomment pas un seul, sont en état de
péché mortel. Et ils devront répondre de ce péché. C’est un
manquement à une sérieuse obligation, une obligation que
le Christ énonce clairement dans l’Évangile : « Allez chasser
les démons. » Mais, dites-moi, pourquoi êtes-vous venu
jusqu’à Rome ? C’est un long voyage. Que vouliez-vous me
demander ?
— J’ai beaucoup de questions, dont certaines sont sans
doute évidentes, mais je souhaiterais avoir votre avis sur la
question. On me pose certaines questions, et je ne sais pas si
je réponds correctement. J’ai également mes propres ques-
tions. Je les ai en moi, mais personne ne sait y répondre,
même au sein du clergé. Pas plus que mon évêque. C’est un
bon pasteur, mais il n’a jamais pratiqué d’exorcisme.
— Dites-moi, et je verrai si je peux vous aider.
— Qui est Satan ?
— C’est le chef des démons. C'était un ange superbe
qui s’est jadis rebellé contre Dieu.
— Pourquoi ne se montre-t-il jamais ?
— Parce qu’il est pur esprit. Il est invisible. Mais il se
manifeste par des blasphèmes et les tourments dans les-
quels il plonge les possédés. Il peut demeurer caché, parler
des langues différentes, se transformer ou encore se mon-
trer sympathique. Parfois, il se moque de moi, mais j’ai le
Seigneur à mes côtés et je ne me laisse pas intimider.
— Pourquoi pouvons-nous, nous les prêtres, parler
directement avec Satan alors que ce n’est jamais le cas avec
Dieu ?
— Satan se manifeste parce que Dieu le lui permet.
Dieu nous parle d’autres manières et par d’autres voies.
— Que dois-je dire à ceux qui s’effraient lorsque
j’évoque Satan ? Souvent, à l’église, lors des homélies, je
veux avertir les fidèles de la présence du démon, du fait de
son existence. Puis, il arrive qu’à la fin de la messe, ils me le
reprochent. Ils disent :
« Mon père, il y avait aussi des enfants pendant la messe.
Vous ne devez pas les effrayer avec ces choses. »
— Vous devez leur dire de ne pas s'en inquiéter. Que
parler du diable aux enfants est une manière de les aider à
découvrir que, dans la vie, il n'y a pas uniquement le bien,
mais qu’il y a aussi le mal.
— Mais beaucoup ont peur, en effet.
— Vous devez leur dire qu’il est juste d’avoir un peu
peur. Cela nous permet de nous défendre des embûches qui
existent de toute façon. Vous devez également leur dire que
Satan est comme le chien de garde attaché à sa chaîne. Si
l’on ne s’approche pas de son rayon d'action, il ne fera rien à
personne.
— Souvent, lorsque je pratique un exorcisme, je
m’éloigne du rituel. Il m'arrive de l’abandonner pendant
quelques instants parce que je vois que, si je commence à
invoquer l’aide d’un saint, l’exorcisme est plus efficace. Ai-je
raison ?
— Il n'y a pas de règle précise, mon cher père Andrew.
Il est toujours important de suivre le rituel, mais, parfois, il
est possible de faire des pauses. Chacun doit trouver sa
propre mesure avec le possédé. Certains diables deviennent
fous de rage lorsqu’on nomme le père Pie de Pietrelcina ;
pour d’autres, son nom a l’effet d’un verre d’eau fraîche.
— Souvent, je ne sais pas dire quand une personne est
possédée ou non. Il me faut commencer l'exorcisme pour le
comprendre.
— Cela m’est aussi arrivé. Le père Candido avait le don
de comprendre par la seule imposition des mains si une
personne était vraiment possédée ou non. Je n’ai pas ce don.
Je dois exorciser pour comprendre. Vous aussi, vous faites
ainsi. C'est juste et correct. D'ailleurs, il suffit souvent de
peu. Après une seule séance, on a pratiquement tout com-
pris.
— Il m'arrive parfois d’insister pour que le diable ré-
pète : « Ô Marie conçue sans péché, priez pour nous qui
avons recours à vous. » Je lui dis : « Répète ! Répète ! »
— Là aussi, il y a peu à commenter. Si vous voyez que
l'ordre est efficace, n’hésitez pas à le répéter. Sinon,
n’insistez pas.
— Ces derniers mois, j'exorcise une fillette qui, depuis
sa petite enfance, a été abusée par son père...
— Sans aucun doute, il s’agit d’une possession très en-
racinée. Les violences des pères engendrent des possessions
profondes...
— Cela me paraît, en effet, être un cas extrêmement
délicat. Toutefois, pendant les séances, je la vois changer de
visage : elle devient plus sereine, calme, tranquille. Et à la
fin de l’exorcisme, elle me dit qu'à un certain moment, elle a
vu la Vierge qui l’a caressée et qui lui a dit : « Ne crains pas.
Tu dois souffrir encore un peu, mais, bientôt, je viendrai te
délivrer. Tu dois souffrir parce ta souffrance est utile à
beaucoup d'autres, mais, bientôt, tout se terminera. » Je
vous demande ce que je dois lui dire. Et surtout, dois-je la
croire ?
— D’habitude, je préfère toujours croire les personnes.
Même à ce qu’elles me racontent après la séance. Pendant
l’exorcisme, je me méfie énormément de ce qu’elles me di-
sent, mais, si elles m’affirment après qu'elles se sentent
mieux parce qu’elles ont vu la Vierge à leurs côtés ou qu'un
saint les a réconfortées, je crois ce qu'elles affirment.
— Je ne connais que l’anglais, un peu d’italien parce
que j'ai fait mes études à Rome et très peu de latin. Parfois,
les démons me parlent dans des langues que j’ignore. Je ne
sais que leur dire. Que dois-je faire ?
— Cela m’arrive aussi d’avoir affaire à un possédé qui
se met à parler dans une langue inconnue. Une fois, une
femme analphabète s’est mise à s'adresser à moi en ara-
méen ancien. J’ignorais totalement de quelle langue il
s’agissait. J’ai dû demander à des prêtres de différentes na-
tionalités de venir m’assister. Un jour, un prêtre qui avait
étudié l'araméen a reconnu la langue et en a dévoilé le sens.
Ne vous inquiétez pas. Le diable sait bien quelles sont les
langues que vous comprenez ou non. Quand il parle dans
une langue que vous ne connaissez pas, il le fait pour vous
troubler, voire pour vous effrayer. La seule chose à faire est
de rester imperturbable et de continuer l’exorcisme en latin.
Parfois, il faut ignorer Satan.
— Souvent, pendant que je suis en train de pratiquer un
exorcisme, j’ai l’impression d'être tout près de la délivrance,
alors, je crie : « Sors, sors, sors ! » Il me semble que je suis
sur le point d’y arriver, puis, après un moment, rien ne se
passe, et je dois terminer la séance. Je me trompe ? Dans ce
cas, je devrais peut-être continuer le plus longtemps pos-
sible...
— Ce n’est pas une erreur. Souvenez-vous que moi aus-
si, lorsque j’étais au début de ma « carrière » d'exorciste, je
croyais souvent approcher de la délivrance. J’insistais en-
core et encore. Je haussais la voix. Je cherchais à être le plus
dur et le plus efficace possible. Le père Candida, qui, dans
les premiers temps, demeurait toujours à mes côtés, me
laissa procéder, mais, à la fin de la séance, il me dit : « Il est
inutile d’insister. Fais ton exorcisme. Fais-le durer suffi-
samment. Il faudra des années pour délivrer le possédé et,
lorsqu’il sera délivré, ce ne sera même pas en ta présence. »
— Lorsque je fais un exorcisme, j'invite toujours des
laïcs à venir m'aider. La plupart du temps, je les installe à
une distance respectueuse et je leur demande de prier.
— C’est bien. Plus il y a de personnes qui prient autour
de vous, mieux c’est.
— Un jour pourtant, l’une de ces personnes s’est ap-
prochée du possédé et lui a mis la main sur la tête. Peut-être
voulait-elle le réconforter. Apparemment, le possédé n’a eu
aucune réaction.
— Ne laissez plus jamais cela se produire. Les laïcs ne
sont là que pour prier. Certains, mais ils doivent être d’une
foi à toute épreuve, peuvent vous aider à maintenir le pos-
sédé lorsqu'il se débat, mais personne ne doit mettre les
mains sur la tête d’un possédé pendant que l’exorciste est en
train de procéder. C’est très dangereux ! Le diable peut
s’attaquer à un laïc qui s’approche trop de lui, et il est en-
suite très difficile de le délivrer.
— Alors, je dois aussi prévoir quelques laïcs qui
m’aideront à tenir le possédé, mais d’autres à distance qui
prient, exact ?
— Oui, c'est tout à fait ça. En outre, ceux qui tiennent le
possédé ne doivent ni parler ni prononcer une seule parole.
Ils le maintiennent, et c'est tout. De même, les autres doi-
vent seulement prier.
— Père Amorth, dites-moi, est-ce que le diable vous a
déjà fait du mal ?
— À moi ? Non ! Il ne manquerait plus que ça !
— Moi, je reçois parfois des crachats des possédés.
— Oh ! ça, vous devez vous y habituer. Moi, je ne
compte plus les crachats, les agressions verbales, voire
quelques bousculades et coups de pied ou de poing, mais,
dans l’ensemble, je n’ai pas eu à subir de conséquences
graves. Chaque fois que cela se produit, vous devez re-
prendre le contrôle et intimer au démon de cesser au nom
du Christ. Vous verrez, il s’arrêtera immédiatement. J’ai
remarqué une chose, c’est que les exorcismes se déroulent
mieux si je me souviens de commencer par réciter l'acte de
contrition. L’humilité perturbe le diable et plaît à Dieu. Dieu
vous est plus proche si vous commencez l'exorcisme par un
acte de contrition.
Ne l’oubliez pas, c’est important.
— Père Amorth, il m’arrive parfois d'avoir l'impression
d’être le dernier prêtre du monde à pratiquer l’exorcisme,
parce qu’autour de moi, personne ne m’aide. Pourquoi
sommes-nous si peu au sein de l’Église ?
— C’est notre destin. Nous sommes seuls contre Satan.
Nous sommes tous un peu le dernier exorciste du monde.
— Avez-vous peur de Satan ?
— Moi ? Ce n’est pas moi qui ai peur de lui, c'est lui qui
a peur de moi et de tous ceux qui vivent en Jésus-Christ.

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