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Psychiatrie Phénoménologique Et Existentielle 2014

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 37-815-A-10

Psychiatrie phénoménologique
et existentielle
G. Charbonneau

La psychiatrie phénoménologique et existentielle est l’une des composantes de la psychiatrie contem-


poraine. Elle peut être dite aussi « psychiatrie phénoménostructurale ». Il est légitime de lui accorder
un statut de l’ordre d’une véritable « théorie de l’esprit », bien qu’elle soit aussi bien une « théorie du
corps ». Elle s’appuie sur l’idée de structure, de rapport forme/fond, contenant/contenu, tout/partie et
plus encore sur le principe de cohérence organisationnelle, et donc de niveau de déstructuration. L’unité
et la continuité du phénomène sont ce qui s’expose dans cet « accident phénoménologique » qu’est la
psychose. Cette quasi « théorie de l’esprit » porte implicitement la notion unique de psychose, mais consi-
dère aussi des troubles non psychotiques comme les addictions et les personnalités pathologiques. Elle
tient implicitement le rôle de théorie centrale minimale, commune à toutes les pratiques psychiatriques.
L’exposé soumet à évaluation ses principaux paradigmes (altération de la structure d’ipséité, dislocation
de l’unité de l’expérience, perte de l’évidence naturelle, altération des structures de projection de soi
dans la mélancolie et la manie, échec à la reconnaissance des formes, etc.), différencie l’autisme des
psychoses et veut montrer comment ils peuvent être lus conjointement dans une perspective cognitiviste
ou psychanalytique. Cette psychiatrie associe un versant phénoménologique propre (analyse de la forme
de la présence dans les moments psychotiques) et un versant existentiel. Ce second versant explore la
signification de la rencontre de sa propre existence et de l’existence d’autrui (son apprésentation) telle
qu’elle s’éprouve dans la souffrance mentale. Cette psychiatrie pense ce qui unit et différencie l’existant
et le vivant, et comment l’un et l’autre s’articulent dans certaines expériences psychotiques.
© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Phénoménologie ; Psychose ; Ipséité ; Soi ; Structure prépsychologique de l’expérience ;


Architectonique

Plan  Introduction
■ Introduction 1 La psychiatrie phénoménologique et existentielle va bientôt
■ Présentation d’ensemble : situation générale 2 connaître sa cinquième génération de théoriciens, de prati-
Généalogie 2 ciens et de commentateurs. Elle a vu le jour avec les travaux

d’E. Minkowski, L. Binswanger et H. Tellenbach, avec la Gestalt
Plan macrostructurel ou architectonique 3
théorie et la pensée de Rorschach, elle a pris un essor avec les
■ Notion de soi et altération de la structure d’ipséité 5 apports de H. Ey et de R. Kuhn, par l’œuvre de W. Blankenburg
■ Rôle de l’autisme dans la psychose 6 et sa célèbre thèse sur la perte de l’évidence naturelle, par
■ Du soi, tel qu’en lui-même 7 les textes de B. Kimura et H. Maldiney, de J. Schotte, M. Boss,
G. Gondrau, R. Mucchielli, M. Richir, B. Callieri, de L. Calvi et
■ Psychiatrie existentielle : l’existant et le vivant 8 A. Ballerini, d’Y. Pelicier, P. Wiener, A. Fernandez-Zoïla, G. Lanteri-
Exister n’est pas vivre 8 Laura, J. Garrabé, J. Oury, et surtout de A. Tatossian [1] . Ce dernier
Existentialité et monde de la vie 9 a eu et a encore, bien après sa mort, une influence considérable
Dasein transgénérationnel 9 sur une nouvelle génération de psychiatres et de psychopatho-
■ Évolution des concepts nosographiques logues. Après A. Tatossian, J.-M. Azorin, D. Pringuey, J. Naudin,
et de la phénoménologie 10 Y. Totoyan, T. Milech, P. Jonckheere, M. de Boucaud, B. Pachoud,
Personnalités pathologiques non névrotiques 11 M. Gennart, L. Sass, G. Stanghellini, S. Gallagher, P. Janody, L. de
Conscience de rôle 11 Vooght, F. Leoni, J. Chamond, F.-S. Kohl, B. Leroy-Viémon, J.-
■ Conclusion 12 L. Griguer, G. Risbec, C. Gros, F. Jover, B. Verrecchia, F. Madioni,
B. Martin, M.-A. Piot, G. Di Petta, G. Di Piazza, R. Dalle-Luche,
G. Messas, V. Moreira, P. Cabestan, M. Wolf-Fédida, J. Englebert et
de nombreux autres auteurs d’une égale importance poursuivront
son œuvre [2, 3] .

EMC - Psychiatrie 1
Volume 11 > n◦ 3 > juillet 2014
http://dx.doi.org/10.1016/S0246-1072(14)60805-1
37-815-A-10  Psychiatrie phénoménologique et existentielle

“ Point fort
Caractères généraux de l’approche phénoménostructurale et existentielle
• Elle est marquée par trois influences distinctes mais convergentes :
◦ c’est une anthropologie fondamentale : son cadre excède celui d’une seule « psychologie » pour englober une conscience
générale, notamment corporelle de soi et du monde ;
◦ elle ne tient son nom que partiellement du projet phénoménologique husserlien : celui-ci a voulu fonder une science de la
conscience permettant de garantir l’évidence (la réalité de la réalité). Pour cela, Husserl entendait décomposer les actes constitutifs
de cette conscience. Cette ambition se dédouble du projet heideggérien (analyse de la relation soi-monde par le Dasein) et
merleau-pontien (comprendre comment la corporéité organise notre relation spatiale et temporelle au monde) ;
◦ c’est aussi un existentialisme (non philosophique et philosophique). Il met à jour les modalités et moments où l’on rencontre
ou pas notre existence toute entière. Le fondement de cet existentialisme est posé ici par la distinction entre l’« exister » et le
« vivre ».
• La psychopathologie phénoménologique décrit le « comment » et non le « pourquoi ». Son ambition n’est que descriptive et
explicitative. Elle permet de voir ce qui est, sans le recouvrir immédiatement par le discours causal (cause et motif). Elle donne la
cohérence de la clinique en retrouvant la trace structurelle de ce qui la tient ensemble. C’est une analyse intégrative de la clinique
des psychoses et des événements de vie.
• Science de l’expérience, du « ce qui se passe ». La notion de phénomène suppose un « à qui » le phénomène va survenir et
un « quoi ». Tout phénomène est la rencontre entre une structure de permanence, stable ou précaire, avec des événements. Ces
événements ne sont des événements que s’ils peuvent affecter (menacer) ou conforter (attester, valider, révéler) cette structure
de permanence. L’ipséité s’éprouve dialectiquement avec l’idemité (les identités de rôles) et se constitue avec l’altérité. En termes
cognitifs, elle suppose la capacité métareprésentative et la capacité d’actualisation.
• Paradigme phénoménostructural (H. Ey, R. Mucchielli, M. Richir) : la psychiatrie phénoménologique recourt à la notion de niveau de
déstructuration faisant à chaque fois émerger, dès qu’il est altéré, un niveau d’organisation sous-jacent ou un essai de réorganisation.
• Sa méthode est « catégorielle » : c’est une analyse des catégories constituantes : de la temporalité constituante, de la spatialité
constituante, de la corporéité, matérialité, etc. Elle offre aussi une analyse structurelle de l’action (pour comprendre l’impulsivité et
les addictions par exemple).
• Elle rencontre la psychopathologie fondamentale en utilisant le repère distinctif entre trouble primaire (de premier rang) et trouble
secondaire (de second rang) de K. Schneider et K. Jaspers. Les symptômes réalisent une intrication entre manifestations primaires et
tentatives de réparation de ce trouble.

 Présentation d’ensemble : • elle n’est en rivalité ou incompatibilité avec quasiment


aucun discours. Cela non pas par faiblesse de pensée ou
situation générale inconsistance épistémologique, mais parce qu’elle n’est pas
explicative, mais seulement descriptive–explicitative. Expli-
La psychiatrie phénoménostructurale est sans doute le dernier citer (dire le « comment ») n’est pas expliquer (dire le
lieu capable de produire une certaine vue d’ensemble de l’édifice « pourquoi »). On peut la retrouver à l’interface de la cli-
mentalopsychologique et des modalités de sa dislocation dans la nique psychiatrique avec les neurosciences, avec la théorie
clinique des syndromes et des symptômes psychiatriques. On peut générale des systèmes, la neurobiologie et la psychophar-
lui donner le nom « d’anthropologie philosophique générale de la macologie, avec les thérapies systémiques ou familiales (les
clinique ». Elle a l’ambition de restituer un certain sens anthropo- apports de G. Pankow [4] et de G. Benedetti [5] en témoignent)
logique perturbé en amont de toute « psychopathologie ». ou la psychosomatique, les thérapies corporelles, avec la
Elle a trois caractéristiques très « postmodernes » : psychomotricité, etc.
• elle vit sans aucune institution ni structure préservant son
orthodoxie. C’est une institution sans état. Son discours
s’expose dans diverses revues, maisons d’édition, colloques et Généalogie
congrès, sans aucune exclusive. Elle s’est préservée de tout mili-
tantisme. A. Tatossian avait conçu ainsi sa place, modeste mais Pour les grandes lignes de sa filiation, cette psychopathologie
cohérente. Chacun puise et dépose en elle ce qu’il souhaite, est issue de l’idéalisme philosophique. Cet idéalisme est désigné
cela d’autant mieux qu’elle n’est pas une « théorie totale ». Le par un long chemin qui vient de la pensée d’E. Kant (l’idée de
fait qu’elle ait ses domaines de forte pertinence, les psychoses structure apriorique de l’expérience, les notions de formes et struc-
(elle est porteuse indirectement de l’unité du concept de psy- tures sont directement issues de son œuvre. Le transcendantal
chose et, avec elle, de la notion de trouble mental (de niveau désigne ce travail préparatoire de forme et de structure permettant
mind). La barrière psychose/non psychose la constitue. Elle ren- à la conscience de rendre manifeste ses contenus) et de J. Fichte
voie à celle du maintien de l’unité de l’expérience et donc de la (l’apport de ce dernier à l’idée de structure est méconnu. Sa pen-
capacité à appréhender une certaine réalité, ne l’obligent pas à sée est déterminante en ce qui concerne deux thèmes : l’unité de
produire systématiquement un discours sur tous les sujets ; l’expérience et la mienneté de soi) vers l’idée structurelle, telle
• elle ne prétend pas dicter des applications thérapeutiques qu’elle s’exprime par la pensée de E. Husserl, la Gestalt, l’idée du
directes. Elle pense qu’un certain recul et une médiation anthro- schéma corporel, la pensée de M. Heidegger et de M. Merleau-
pologique sont toujours nécessaires entre tous les discours Ponty, l’organodynamisme ou la pensée d’A. Tatossian. Elle utilise
conceptuels, étiologiques, les paradigmes et leurs applications la référence idéaliste centrale qui peut s’énoncer ainsi : l’esprit
pratiques. Elle n’a jamais obéit au schéma théorie/application (la fonction mentale) a besoin de prérequis pour pouvoir appré-
thérapeutique structurée, laissant à chaque thérapeute ses res- hender des objets de conscience. Le premier de ces prérequis
sources habituelles : appréhension et restitution structurante du (aprioriques) est la constitution nécessaire d’un cadre formel
niveau de crise, psychothérapie de tous niveaux et pharmaco- d’expérience. Une unité de l’expérience est nécessaire « avant
thérapie (avec une tentative de penser l’effet des psychotropes), toute chose ». Nous sommes sur ce point à la naissance de l’idée de
prise en charge institutionnelle, etc. ; structure ou de forme (rapport forme/fond, contenant/contenu).

2 EMC - Psychiatrie
Psychiatrie phénoménologique et existentielle  37-815-A-10

Par la notion de structure, la psychiatrie phénoménologique a une permet de penser la relation contenance-contenu et les rapports
identité épistémologique précise qui la différencie de l’empirisme possibles entre les contenus. Aux altérations des structures de
et du positivisme. contenance (en l’occurrence de ce que le monde anglo-saxon
Qu’est-ce à dire précisément ? nomme le phenomenological mind [10] ) correspondent des mani-
La psychiatrie phénoménologique est épistémologiquement festations critiques d’un certain niveau. De même, lorsque ces
une « théorie de l’esprit » et pourrait s’opposer effectivement de ce structures de contenance sont respectées, on se trouve en face de
point de vue à d’autres théories mentales. On peut citer celles des troubles proprement psychologiques, donc d’un niveau structurel
troubles mentaux empiristes élémentaristes (décrivant des altéra- différent.
tions de circuits élémentaires) de C. Frith [6] ou de N. Andreasen [7] , Cette phénoménologie va connaître ensuite une évolution cer-
pour qui la schizophrénie est la manifestation d’un trouble taine : l’identité narrative et le soi (ipséité) avec son ouverture vers
lésionnel affectant le circuit « cortico-cérébello-thalamo-cortical », les neurosciences.
créant une dysmétrie corticale. Cependant, cette opposition est C’est peu dire que la psychiatrie phénoménologique et exis-
plus théorique que pratique, car ces théories de l’esprit partagent tentielle est devenue une philosophie du soi, ce qu’elle n’était
aussi des intuitions communes. Ainsi, le modèle de C. Frith n’est pas explicitement dans la première génération de phénoméno-
pas sans marque « phénoménologique », cela dans la mesure où logue (E. Minkowski, L. Binswanger, E. von Gebsattel, E. Straus).
il conçoit le trouble fondamental de la schizophrénie comme Deux auteurs vont aider ce courant de pensée à se recentrer sur
un trouble de haut niveau informationnel, celui de la métare- le soi : W. Blankenburg et A. Tatossian. W. Blankenburg, psychiatre
présentation, autrement dit « du soi », dans sa capacité à tenir et de Heidelberg (Allemagne), dans sa thèse de la perte de l’évidence
actualiser sa distance à lui-même. La « théorie du soi » de la phé- naturelle, montre bien, ne serait-ce que dans l’étymologie de cette
noménologie suppose cette capacité métareprésentative. Celui de « évidence » (selbstverständlichkeit : ce qui va de soi) que celle-ci
N. Andreasen n’est pas incompatible non plus avec le discours est formellement liée à la structure formelle du soi. Le soi est
de la phénoménologie, même si l’importance qu’elle accorde à donc le porteur de la continuité de l’expérience. A. Tatossian,
la mémoire personnelle est peu compréhensible dans l’attitude lisant P. Ricœur, établit un parallèle entre structures du récit et
phénoménologique ; celle-ci ne peut distinguer l’ipséité de sa les modes d’organisation des grandes pathologies psychiatriques.
mémoire. Il faut remarquer également que ces deux modèles La philosophie du soi de P. Ricœur [11] est alors portée à ses plus
se situent à un niveau précisément explicatif, ce sur quoi la hautes conséquences. Les psychoses peuvent être ainsi comprises
phénoménologie ne se prononce pas. Pour autant, il n’est pas comme des altérations de la structure d’ipséité, désorganisant
aisé d’utiliser le terme phenomenology pour « phénoménologie » l’architecture de forme à la fois de la conscience et des rela-
en français. En anglais, de tradition empiriste, il signifie le tions entre les différentes composantes de l’identité humaine. Les
recueil des données symptomatiques. En français, il porte le sens symptômes manifestés s’inscrivent dans une compréhension cli-
d’« isostructurel », c’est-à-dire de niveau d’organisation interne. La nique profonde comme les effets immédiats de cette dislocation
phénoménologie ne vise qu’à décrire la cohérence structurale- ou menaces de dislocation et les tentatives pour réparer, colmater
organisationnelle d’un ensemble de troubles. Elle suit la trace ou sauvegarder ce qui peut l’être de cette ipséité.
et voit la cohérence–incohérence de ce qui se tient ensemble
dans un certain niveau d’organisation. En cela, elle fait une cri-
tique tacite de l’empirisme pur en psychiatrie [8] . Elle suggère cette  Plan macrostructurel
idée qu’on ne peut pas penser sans modèle représentationnel,
sans une théorie d’ensemble, de structure, de l’esprit ou de la ou architectonique
conscience.
La structure est l’autre nom de la conscience et du self, du Quel plan de savoir, quelle attitude, quelle position discur-
soi. Depuis que les travaux d’E. Husserl ont été connus, il a été sive cette psychiatrie phénoménologique prétend-elle assumer ?
possible de rendre moins ambiguë la notion de conscience, en Il s’agit de répondre précisément à cette question.
lui assignant le sens de structure d’expérience. Rien ne peut Cette phénoménologie psychiatrique se définit donc comme
advenir à la conscience sans une préorganisation, d’un pré- une discipline formelle (structurelle). Elle analyse les affectations
formatage, rendant manifestable cet objet de conscience ; les des structures de formes permettant l’investissement de ses conte-
troubles mentaux vont être définis par la défaillance de ce nus : les troubles mentaux sont compris comme des affectations de
niveau structurel–expérientiel prérequis (ou apriorique). Ils pro- ces structures de contenance et de continuation de l’expérience,
cèdent d’une affectation de ce niveau spécifique. En termes cela distinctement de ses contenus. Elle assume ainsi un plan de
cognitifs, ces structures expérientielles sont de haut niveau savoir macrostructurel. De fait, elle propose une théorie minimale
informationnel. de la conscience ou de l’expérience, ce qui est désigné dans la tradi-
Et quelles sont les propriétés fondamentales déterminées par tion anglo-saxonne comme une « théorie de l’esprit », bien qu’elle
cette structure d’expérience ? À un niveau élémentaire, elle doit concerne aussi bien le corps.
reconnaître et dénommer, en termes logicosyntaxique, les élé- La phénoménologie psychiatrique veut assumer la connais-
ments (les doter d’une structure d’action qui est en même temps sance d’un plan macrostructurel, autre nom plus précis du plan
langagière) et, à un niveau plus global, cette structure d’expérience de conscience. À ce plan se définissent la structure unitaire et
doit composer une unité de l’expérience. Cette unité formelle est la cohérence interne du champ de conscience telles qu’elles per-
nécessaire à la production d’un sens. La conscience produit du mettent d’organiser une relation de réalité. Le propre de ce niveau
sens, si flou soit-il, si troublé soit-il (ce sens n’est pas toujours d’analyse est la mise à jour des propriétés de champ et la capacité
appréhensible en termes de logos. Il peut être un mouvement, intégrative de la conscience à rencontrer ses objets de conscience
un vecteur, une direction, une tension, une dilatation ou une (son intentionnalité de champ et d’objet) et à les traiter.
compression. La notion de direction de sens est alors fondamen- Le travail de conscience est tout d’abord de faire champ. Faire
tale pour cerner le caractère de ce sens) [9] , et cela par le fait même champ doit se comprendre d’une double façon : faire continuité
qu’elle a rassemblé l’expérience en une unité. Par cette mise en de l’expérience et faire que l’être que nous sommes puisse exten-
forme unitaire, il devient possible de distinguer forme et fond, sivement se projeter dans son unité de présence. Le champ de
contenant et contenu (on doit à M. Wolf-Fédida [université Paris- l’expérience porte alors la continuité ipséique de notre être. Ce
VII-Denis-Diderot], marquée par la Gestalt et l’œuvre de V. von champ doit être à la fois ouvert et « intégré ». Cette capacité
Weizsäcker, d’avoir défini la phénoménologie comme une ana- intégrative, dite « architectonique », permet à la conscience de
lyse des contenus à partir de la transformation de la structure de faire corps psychique [12] . On comprend bien qu’une analyse du
contenance). phénomène hallucinatoire commence par ce point précis, de
La notion de structure autorise un formalisme qui reste épis- l’impossibilité de l’intégration d’une sensation en perception ou
témologiquement rassurant (ce formalisme ne concerne pas du phénomène inverse : la perception (processus d’intégration) se
seulement les structures mentales, perceptives, identitaires mais disloque et fait réapparaître des données non consciemment inté-
aussi celles du vivant. Le vivant a ses propres structures de péren- grées [13, 14] sous-jacentes. Ce qui survient dans l’hallucination est
nisation [dispersion et recel]). Tacitement, l’idée de structure extranée, hors champ.

EMC - Psychiatrie 3
37-815-A-10  Psychiatrie phénoménologique et existentielle

“ Point fort
Les principaux paradigmes de la phénoménologie des psychoses
• Altération de la structure d’ipséité (A. Tatossian, B. Kimura, W. Blankenburg). Échec à fonder la continuité formelle de l’expérience.
Dans les psychoses, le soi ne peut se reconnaître lui-même (dépersonnalisation : déipséisation partielle), ni reconnaître la réalité en
tant que réalité.
• Dislocation de l’unité de l’expérience. Dislocation de l’unité intégrative du « sentir » et du « se mouvoir » (E. Straus) et du champ
sensoriperceptif. Dislocation de l’unité psychomotrice de l’expérience : du schéma corporel, de l’intégration du mouvement, de la
possibilité d’une mélodie kinétique. De là, la tension catatonique.
• Dislocation de l’unité diachronique de l’expérience. Altération des structures de rétention et de projection du soi (mélancolie et
manie).
• Altération de la spatialisation humaine (direction de sens) et disproportion anthropologique. Captivité spatiale dans une position
ou une certaine direction de sens : perte dans le haut, le bas, vécu de « trop près », perte dans le « on », l’être en deçà de soi (phobie),
au deçà de soi (hystérie), en devant de soi ou en arrière de soi (manie et mélancolie).
• Altération des contacts élémentaires (préintentionnels) avec le monde. Dislocation des accords élémentaires et de la sensorialité
archaïque : arché-aïda, sens oral, confiance originaire, atmosphérique, etc.
• Perte de l’évidence naturelle (W. Blankenburg). Perte de toute présomptivité de l’expérience. Incapacité du soi à laisser-être les
événements. Plus rien ne va de soi. Vécu de perplexe. Perte de l’évidence post-traumatique.
• La compacité psychotique (H. Maldiney) ou l’abolition des distances ipse-alter et ipse-idem. Incapacité à fonder les distances entre
ipséité, altérité et idemité. Abolition des distances intrasubjectives et intersubjectives.
• Affectation de la mienneté de soi. Incapacité à s’approprier (schizophrénie et autisme) ou se désapproprier (paranoïa) les données
de son identité personnelle ou de sa corporéité. Démiennisation de soi.
• Altération de l’intentionnalité phénoménologique. Abolition de la distance entre le visé et ce qui est apprésenté. Incapacité à viser
isolément des objets de conscience. Incapacité à rendre muet ce qui est apprésenté. Dislocation des « horizons de significations »
et tentative de recomposition de ces horizons dans le délire. Délitement une à une des différentes couches de ces « horizons de
significations ».
• Échec à la reconnaissance des formes et défaut méréologique. Incapacité à fonder la relation tout-partie et à dégager le sens des
formes (exemples : test du Rorschach, trouble de la reconnaissance des visages, surreconnaissance, délire de sosie, etc.). Échec à la
déposition stable du sens des formes. Échec à la réactualisation (redistinction) forme-fond et au maintien de la tension dynamique
fond-thème (ou forme).

À ce niveau fondamental des propriétés de champ, indépen- rapporte ce qui advient. Cela signifie que tout sujet doit avoir
damment de tous thèmes ou de tous contenus, deux types la conscience de s’appartenir quelles que soient les détermina-
d’événements pathologiques (psychiatriques) peuvent se pro- tions qu’il emprunte ou les identités de rôles qu’il revêt. Dans le
duire : d’une part, une surintégration rigidifiant l’expérience au registre de ce « travail préparatoire de conscience », si on peut le
point qu’elle ne puisse rencontrer et traiter ses objets de cons- nommer ainsi, la dépersonnalisation est le trouble le plus élé-
cience et, d’autre part, une déstructuration, une désintégration, mentaire et le plus connu qui se rencontre en psychiatrie. Il
une dissociation faisant perdre à ce corps psychique la capa- en est bien d’autres, ceux notamment qui font que l’on perd
cité d’exercer sa fonction de viser ses objets et de produire une le sentiment de s’appartenir à soi devant certains événements
relation stable de réalité. On comprend alors l’importance de (traumatismes par exemple) ou certaines affectations de notre
ce niveau macrostructurel pour l’appréhension des troubles dits corps telles les dysmorphophobies. Dans de tels troubles, on
« mentaux ». La notion de troubles mentaux peut ainsi être défi- ne parvient à se reconnaître comme soi ou à reconnaître autrui
nie comme les troubles qui affectent la forme et la continuité de comme lui-même (délire de reconnaissance, etc.). Cette consti-
la présence. tution d’un pôle d’appartenance à soi est tout autant corporelle
Un terme ancien dans la philosophie (E. Kant, E. Husserl, que mentale.
repris par M. Richir), largement utilisé par H. Ey, vient désigner • Elle doit organiser un champ de conscience en un champ
une caractéristique de ce niveau : « architectonique ». Il signi- unique rapporté à ce soi, de sorte qu’une impression d’ensemble
fie la structure qui couvre et tient ensemble l’expérience, de se dégage et que s’instaurent des propriétés d’ensemble. Ainsi,
sorte qu’elle puisse s’appréhender elle-même. L’architectonique l’existence de relations tout-partie à l’intérieur de ce champ de
suppose une topographie symbolique (celle de l’arché ou l’expérience est possible et cette dynamique contenant-contenu
du là de la présence) et une énergie de cohésion (tecto- devient fluide, capable d’incorporer des éléments nouveaux.
nique) tenant cette topographie. Sans cette architectonique, Cette mobilité tout-partie est la condition du caractère vivant de
rien ne peut advenir à soi (l’architectonique est plus qu’une cette Gestalt (le soi) que nous sommes. Il convient de noter que
propriété de la conscience, c’est une de ses conditions de l’identité narrative de P. Ricœur est un autre nom de cette rela-
possibilité. La philosophie d’H. Maldiney retranscrit cette idée tion tout-partie. Elle est à ce titre éminemment herméneutique.
d’architectonique en donnant à la constitution de ce « lieu- Ce champ de conscience n’est pas plus mental que corporel.
d’être » son véritable sens) [15] . La phénoménologie psychiatrique L’intégration corporelle des sensations dans un schéma corpo-
étudie principalement les affectations de cette architectonique rel qui permet d’accueillir et de discriminer le non-soi du soi
dans les psychoses. L’architectonique est l’un de ses principaux se fait autant dans le champ psychomoteur que dans celui des
« mystères ». contenus psychologiques de conscience. Dans le champ corpo-
S’agit-il des prérequis nécessaires à la constitution du champ de rel, cette unité de l’expérience a un nom : le style. C’est une
conscience ? Que recouvre plus précisément cette élaboration pré- façon d’articuler et de moduler nos éprouvés, nos mouvements
paratoire de sorte que de l’expérience puisse advenir à une certaine involontaires et volontaires, de coordonner nos gestes et de res-
conscience ? tituer une tension de repos. En regardant un exercice de danse,
• Elle doit organiser la continuation la plus élémentaire de tout par exemple, en considérant sa grâce ou sa maladresse, on peut
soi. Toute conscience ou toute manifestation se fait sur fond dire que des données de son ipséité ont été manifestées à un
d’une continuité virtuelle préétablie de lui-même, à qui se moment donné.

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Psychiatrie phénoménologique et existentielle  37-815-A-10

• Une théorie minimale de la conscience doit pouvoir différen-


cier le statut des données de fiction (tel celui d’un centaure
 Notion de soi et altération
joueur de flûte) de celui des objets réels. Elle doit doter la de la structure d’ipséité
réalité d’une garantie de validité, d’une réalité de la réa-
lité, autrement dit d’une évidence (l’idée est husserlienne. Le soi, comme entrevu précédemment, est devenu un concept
Sans entrer plus loin dans le projet phénoménologique phi- central de la psychiatrie et de la psychopathologie phénomé-
losophique, on peut retenir que la phénoménologie a pour nologique. La philosophie du soi ou du self constitue l’horizon
ambition de fonder l’évidence de la réalité en décomposant subjectif de toute la phénoménologie psychiatrique.
méthodiquement les actes de conscience qui la détermine. Le soi doit être considéré comme un concept épistémologi-
Ainsi formulé, c’est dire qu’un tel projet ne pouvait pas ne quement « dur » et, en l’occurrence, le nouveau concept central
pas rencontrer la psychiatrie). Cette garantie est bien ce qui de la subjectivité humaine pouvant être médicalement mis en
vacille dans les troubles psychotiques soit sous la forme d’une cause dans les psychoses. Il est entré en psychiatrie par la plume
perte de l’évidence naturelle (W. Blankenburg), soit sous la de quelques grands psychiatres. On note tout d’abord celle
forme d’une surévidentialité, comme on en trouve dans certains d’A. Tatossian [1] , de W. Blankenburg [16] ou de B. Kimura [17] . Tous
délires, notamment paranoïaques. Dans certaines expériences utilisent une formule très simple : les psychoses résultent d’un
délirantes, cette néoréalité émerge sous la forme de vécus trouble ou d’une affectation de la structure d’ipséité, quelle que
de révélation, voire d’illumination où le sujet semble « tout soit l’origine de cette affectation.
comprendre » en un seul moment ; le monde alors vient de Les psychoses sont des altérations de la structure d’ipséité.
lui être « révélé » dans sa vérité, transparente à elle-même. L’ipséité est le nom phénoménologique du soi. L’ipséité est le
Vécus de révélations et vécus de perte d’évidence peuvent pôle ontologique de chaque individu, par lequel chacun peut
se succéder, s’alterner ou s’entremêler dans les expériences s’éprouver comme même (au sens de selbst, self) au décours
paranoïdes. des nécessaires conjugaisons (altérité, corporéité, etc.), accidents,
Ces trois points réalisent une théorie minimale de la consci- drames et métamorphoses de son existence. On peut décrire les
ence : cela signifie qu’aucune expérience ne pourrait se dispenser psychoses comme un accident phénoménologique dans lequel
de ces prérequis élémentaires pour rencontrer du sens. Cela per- la réidentification ipséique (autre nom de la réactualisation de
met d’isoler la relation générale de réalité indépendante de ses la mémoire ipséique dans les sciences cognitives), nécessaire au
contenus et les affectations de cette relation (sa déstructura- maintien de l’unité de l’expérience, ne s’effectue plus. Dans
tion, ses rigidifications, sa dissociation, ses capacités d’extension une formulation cognitive, on peut décrire cet accident comme
infinies, etc.) dans les troubles mentaux. C’est aussi par une une impossibilité à réactualiser la relation contenant-contenu. Le
théorie et des modèles conscientiels ou expérientiels que la contenant (l’ipséité) doit pouvoir se dégager en permanence de
psychiatrie et la psychopathologie des psychoses peuvent assu- ses contenus, ce qui ne se produit pas dans cet accident phéno-
mer son articulation avec les neurosciences, notamment dans ménologique que sont les psychoses.
l’articulation entre le précortical (la relation du précortical [struc- À la suite de Tatossian [18] , la nouvelle phénoménologie psy-
ture archaïque de présence au monde, lien entre émotions et chiatrique a donné le schéma simple permettant de caractériser
le pôle élémentaire de subjectivité] avec le cortical [élaboration la psychose comme un accident phénoménologique. Il y a
discriminative des contenus] ne peut être analysée ici tant elle trois configurations canoniques qui assument bien le cœur
est complexe. Il est certain cependant que le lien du précorti- des relations entre troubles primaires et secondaires, même si
cal avec le pôle le plus intime de notre être est privilégié, si A. Tatossian ne reprend pas cette perspective terminologique,
flou soit-il. Maintien de soi et émotions fondamentales sont, à voisine traditionnellement de la phénoménologie psychiatrique.
leurs points asymptotiques, archaïquement et indissolublement La troisième concerne spécifiquement les psychoses de forme
liés) et le cortical (quant à lui, même s’il est infiniment plus thymique.
évolué, il ne fait que donner les moyens au précortical de se La psychose est un accident phénoménologique, empêchant la
penser [l’être se pense lui-même : il pense un soi en lui-même] réidentification du soi. Cela de diverses façons :
et d’investir opérationnellement le monde). Dans cette pers- • soit l’ipséité ne parvient pas à rassembler assez d’énergie pour
pective, la pensée critique, discriminante, apparaît bien comme s’investir dans les rôles, se manifeste alors un vide dissocia-
un instrument au service de son pôle ontologique (ipséique). tif, un défaut d’engagement dans les contenus d’existence.
Il n’y a de pensée qu’à la condition d’une continuité ontolo- C’est cliniquement la schizophrénie simple, la passivité psy-
gique déjà là, si problématique ou si en péril soit-elle. Cette chotique, etc. Dans ces situations, la relation de réalité n’est
antériorité de la conscience ontologique vis-à-vis de toute pen- pas assez déterminée pour produire des investissements thé-
sée était inscrite dans le cogito cartésien. La thèse jacksonienne matiques par le jeu des rôles, ou l’éventuel désengagement
et l’organodynamisme, qui ont été des expressions concrètes d’une identité de rôle préalable nécessaire à la recomposition
de cette phénoménologie, ont établi l’importance centrale de d’autres rôles. Cette dernière perspective reflète bien le diffi-
ce niveau hiérarchique organisationnel pour toute la psychia- cile « désengluement des histoires » que ne parvient pas à faire
trie. celui qui souffre de psychose. Il faut aller plus loin dans cette
Ce niveau précis peut être défini de plusieurs façons : il est tout description. Les difficultés cognitives de la schizophrénie sont
d’abord prépsychologique (la phénoménologie psychiatrique est des difficultés à tenir ensemble le contenant et le contenu et à
d’inspiration kantienne [cf. le chapitre « Généalogie »]). La notion maintenir l’investissement simultané de l’autre par l’un. C’est
de structure apriorique peut se traduire en termes contemporains un phénomène non pas d’identification mais de réactualisation
cybernétiques : une sorte de préformatage est donc nécessaire synthétique qui se manifeste. La tension contenant-contenu,
pour que de l’information soit conscientisée, c’est-à-dire puisse qui permet d’ordinaire l’élection de thèmes de vie, requiert trop
s’appréhender elle-même, et de haut niveau informationnel. d’énergie et se trouve donc figée. L’intentionnalité husserlienne
Haut niveau signifie, analogiquement aux propriétés hardware participe de cette tension contenant-contenu. En visant à vide
d’un système numérique, qu’il permet l’avènement de données et en retenant l’horizon de signification (l’empêchant de sub-
software (tels que des logiciels), les atteste dans leurs compatibi- merger la scène), l’intentionnalité maintient cette tension entre
lité ou plus précisément dans leur relation d’évidence possible. l’ensemble et sa partie. Les troubles cognitifs de la psychose
Une information (un vécu de quoi que ce soit) a besoin d’un sont proprement méréologiques : l’énergie qui permet de tenir
arrière-plan de niveau supérieur (macrostructurel) à cette infor- ensemble (et donc d’opposer dynamiquement) tout et parties
mation élémentaire pour être intégrée dans un certain ensemble n’est pas rassemblée ;
vivant. • soit l’ipséité, craignant de se disjoindre (ce qui constitue son
On voit ainsi que la notion de structure et de niveau péril premier) se surinvestit dans une identité de rôle pour
d’organisation inhérente à l’approche phénoménostructurale n’a la saturer à outrance, comme pour y chercher une conti-
jamais perdu son sens. nuité qu’elle n’atteint plus. Cette inflation d’une identité

EMC - Psychiatrie 5
37-815-A-10  Psychiatrie phénoménologique et existentielle

de rôle jusqu’à ses extrêmes détermine la production d’un Comment, sans cette distinction, prétendre faire acte thérapeu-
délire. Le monde n’est vu qu’à travers cette identité de tique ? Si l’on ne voit pas, dans la dynamique de cette Gestalt
rôle déstabilisée, ayant perdu les ancrages de proportion que vivante qu’est la conscience, comment elle tente de se « réparer »
donne d’ordinaire l’ipséité. On décrit alors une ipséité qui ou de se « compenser » elle-même, on ne peut pas appréhender la
fusionne avec des fragments d’identités de rôles, des thèmes fonction thérapeutique soit du psychotrope, des institutions et de
ou encore avec des rôles tout entier (situation de la para- l’acte psychothérapique.
noïa). En d’autres termes, le délire peut être défini comme
la recomposition des horizons de signification, un moment
disloqué par l’accident phénoménologique. Le délire est une
recomposition des pièces manquantes dans l’unité blessée de
 Rôle de l’autisme
l’expérience [19] . dans la psychose
Sur le plan thymique, il en va un peu autrement. D’ordinaire,
l’ipséité, devant tenir permanence d’elle-même, tisse une pro- Historiquement, l’autisme a eu un rôle considérable dans la
jection (qui se fait par une possibilisation de soi et, plus compréhension phénoménologique des psychoses. Son analyse
généralement, par le jeu du possible et de l’impossible intrin- a servi à introduire une première compréhensibilité non explica-
sèque à l’ipséité) antérieure et postérieure de ce qu’elle est. En tive mais explicitative de la présence psychotique, en lui donnant
ce lieu précis, prend naissance le déséquilibre thymique. Dans quelques caractéristiques formelles. C’est une analyse non pas
ce cas, la trame porteuse du soi, qui organise sa permanence psychologique mais anthropologique de la présence autistique au
dans l’équilibre du maintenant avec le passé et le futur, est monde.
désorganisée. S’il en ressort une altération spécifique de la rela- Dans l’analyse anthropophénoménologique de cette question,
tion au futur, on se trouve dans l’expérience maniaque qui il y a deux âges :
est un déplacement pathologique du soi en avant de soi (un • il y a tout d’abord un âge fondateur avec les travaux
être-en-avant-de-soi) qui nourrit le thème de la toute-puissance d’E. Minkowski et de L. Binswanger. Les psychiatres phénomé-
comme, à l’inverse, la rétention de soi dans le passé produit nologues B. Martin et M.-A. Piot [8] ont repris brillamment cette
l’être-en-arrière-de-soi mélancolique, qui appelle le thème de la question. Il est certain que la description de l’autisme par
dette (il est intéressant de considérer comment la situation exis- E. Minkowski a eu une influence considérable sur la conception
tentielle appelle son thème. Le bas-arrière appelle celui de la de la schizophrénie au XXe siècle. L. Binswanger [22] a donné un
honte ou de la dette tandis que le haut-devant, ivre de son sens fort à la compréhension de l’expérience psychotique par le
futur délivré de toute contrainte, appelle celui de la profusion, concept de « contact vital avec le monde », ici rompu, et aussi
de l’insouciance et de la prodigalité) ou de la perte. L’expression de présomption. Il a aidé à dégager la notion décisive de direc-
clinique spécifique de cet être-en-arrière-de-soi est l’inhibition du tion de sens. Chaque épisode pathologique se caractérise par
devenir, à quoi seuls peuvent accéder certains antidépresseurs et une certaine situation « affective spatiale » : elle exprime à la
les antipsychotiques (dans la dépression mélancolique, les anti- fois la position spatiale captive dans laquelle le patient se tient
psychotiques jouent un rôle aussi important que les traitements et aussi le vecteur de mouvement qu’il éprouve quand il ren-
dits « antidépresseurs »). Cet être-en-arrière-de-soi ne se rencontre contre cette affection. Si l’autiste n’est pas présent au monde,
que dans certaines formes sévères de dépression et la plupart des suggère L. Binswanger, c’est parce qu’il se sent tellement au-
troubles dits « dépressifs » ne contiennent pas cet élément qui est dessus de lui que ce monde n’a plus d’importance. Cette fuite
proprement « psychotique ». présomptueuse veut conjurer une éventuelle annihilation onto-
Cette notion d’altération de la structure d’ipséité est à la fois logique. Dans l’autisme, la position de présomption a atteint un
moderne, centrale dans la psychiatrie et traditionnelle dans la tel point qu’elle n’a plus besoin d’être justifiée. De là, le mutisme
psychopathologie occidentale. Elle permet de renouer pour les autistique : l’autisme est tellement au-dessus du monde que,
psychoses avec la notion de troubles primaires et secondaires pour lui, aucun discours ni expression n’ont de sens. L’autisme
(il y a là alors une psychopathologie : toute psychopathologie réalise une posture de laquelle le patient ne peut se départir.
procède d’une recomposition des événements primaires à partir Binswanger va la caractériser, à côté de la présomption, comme
d’éléments divers, d’ordre secondaire). du maniérisme. Ce maniérisme ou cette présomption ne sont
Qu’est-ce à dire précisément ? Les affectations du soi dans son pas toujours présents, mais lorsqu’elles le sont, elles donnent
principe de continuité, quelle que soit la cause de ces affecta- alors du sens, et cela au milieu du désert de sens que constitue
tions, vont réaliser les troubles primaires, ou troubles de premier le silence autistique. Cependant, on peut faire une objection au
rang, selon le vocabulaire de la psychopathologie allemande de sens clinique de ce maniérisme, tel que Binswanger le conçoit.
K. Schneider [20] , inspirée d’E. Kraepelin et de K. Jaspers [21] . Les Le maniérisme décrit par L. Binswanger a changé de paysage.
troubles secondaires (délire, troubles du comportement, actes Il conserve une validité partielle, il ne se révèle pas plus spé-
incongrus, manifestations catatoniques, etc.) sont des tentatives cifique du noyau autistique qu’il ne l’est de la schizophrénie.
inadaptées pour restaurer, parer, reconfigurer en vue de rendre On peut le retrouver dans les troubles graves de la personna-
intelligible de nouveau le monde. Les délires érotomaniaques ou lité, notamment dans des états limites. Il doit être défini, de
de filiations sont composés, eux aussi, de cette esquisse de répa- plus, selon le niveau de l’identité humaine (idem ou ipse) qu’il
ration ou de compensation d’un soi en menace de disjonction ou touche, comme étant soit un maniérisme de l’identité de rôle
de dévalement de lui-même. (comme dans l’hystérie), soit comme un maniérisme plus fon-
Cette distinction est préclinique mais donne à la clinique damental, touchant l’ipséité. Dans ce cas, effectivement, il peut
une certaine cohérence. Ainsi, lorsque l’on observe un tableau aussi bien caractériser certaines formes d’autisme, certains états
clinique, on peut repérer intriqués ensemble le primaire et prépsychotiques de l’enfance ou de l’adolescence, ou certaines
le secondaire. Dans un délire par exemple, on peut percevoir schizophrénies ;
l’effraction immédiate de la structure d’ipséité et les tentatives • dans un second âge phénoménologique, le point central de
de reconstruction de l’unité de l’expérience avec des éléments l’énigme autistique s’est déplacé. Les données de neurosciences,
de l’ordre des identités de rôles mégalomaniaques. En prenant l’efficacité médiocre des antipsychotiques sur le noyau autis-
une image parlante du monde marin, les tableaux cliniques psy- tique (l’effet anti-D2 des antipsychotiques n’affecte pas le
chiatriques apparaissent alors à la fois comme le naufrage du noyau autistique. Cette remarque n’exclut pas de considé-
bateau lui-même et comme toutes les tentatives de réparation, de rer que les antipsychotiques puissent avoir leur place dans le
sauvetages ou d’évacuation pour sauver ce qui peut l’être. Cette traitement de certains comportements associés à ce noyau autis-
perspective proprement macrostructurelle est fondamentale en tique [auto- et hétéroagressivité par exemple]), l’avènement
clinique. Si l’on n’effectue pas ce partage entre ces deux niveaux de données phénoménologiques nouvelles (comme la visa-
de manifestations, on en arrive à tenir « les mécanismes autorépa- géité d’E. Levinas ou la notion d’attribution d’état mental)
rateurs » (les troubles secondaires) comme les propres symptômes ont éloigné un peu l’autisme des psychoses. Il n’est plus cer-
de la pathologie. tain que les manifestations autistiques réalisent un modèle

6 EMC - Psychiatrie
Psychiatrie phénoménologique et existentielle  37-815-A-10

capable d’exprimer le phénomène schizophrénique. En effet, L’actualisation n’est pas une fonction anodine. Si l’on veut bien
dans l’autisme, l’unité de l’expérience n’est pas problématique. lui prêter attention, elle a un sens très phénoménologique. Elle
Il y a abolition de l’interrogation ontologique sur soi, car elle est redéfinit la distance du soi à lui-même et à ce qui n’est pas cette
déjà « suracquise », sans exposition à l’expérience : elle semble ipséité. Cette distance intrinsèque du soi à lui-même exige cette
essentiellement et non pas existentiellement posée. réactualisation vis-à-vis de l’altérité, de la corporéité et des iden-
Cette « essentialité » autistique de la subjectivité fait que la tités de rôles que l’on traverse dans l’existence. Cette distance
présence humaine (Dasein) ne s’expose à rien. Il y a une du soi à lui-même est intrinsèque à tout soi, ce qu’exprime le
certaine « abolition de l’expérience ». Cela rend compte de quant-à-soi de la langue française. Elle rend possible l’expérience
l’aloneness (hyperisolement et absence d’intersubjectivité) et du d’altérité.
sameness (immuabilité). Il n’y a pas dans l’autisme de perte de Bien étrange structure, donc, que celle de ce soi qui doit infi-
l’évidence naturelle ni de reconstruction (délirante ou discor- niment s’éloigner de lui-même pour appréhender le sens qui est
dante) visant à recomposer cette unité d’ordinaire aproblématique le sien ! C’est pourtant ce que doit faire ce soi pour se res-
de l’expérience, qui est le signe de la psychose et sur quoi s’exerce tituer à lui-même. Il ne doit pas fusionner avec lui-même [23] .
l’effet antipsychotique anti-D2. Dans le noyau autistique pur, Un autre nom de l’actualisation de cette distance est celui,
il n’y a aucun espace d’indétermination. Tout est déjà dit. Le psychanalytique, de l’institution symbolique de soi. Par cette
contact autistique s’en ressent de nombreuses façons : il n’y pas institution symbolique, un lieu d’être est donné, quelles que
de méfiance autistique progressive mais un rejet total immé- soient ses références concrètes, qui doit fonder sa différence
diat ou une indifférence. L’autisme a cette caractéristique de ne avec ce qu’il rencontre. Une stance ou un là est posé, autant
pas interroger les visages : la visagéité, telle que E. Levinas [23] l’a spatial que temporel, permettant les projections de soi, dans
formulé, n’ouvre aucune interrogation. Elle est comme transpa- les différentes directions de sens (la philosophie d’E. Levinas est
rente, comme si le jeu esthétique de la reconnaissance des formes fondamentale sur ce point précis. Elle introduit une extériorité
n’existait plus. totale là où chacun penserait que le soi est régit par son inti-
L’autisme est une pathologie pour laquelle la présence ne porte mité) [22] .
aucune énigme. Seul l’apparaître à soi de son propre corps est La hauteur à soi du soi est une des formes de cette distance à
problématique. Le « signe de la main » que certains autistes mani- soi. Le soi, tel qu’en lui-même, est distance non seulement hori-
festent clairement (regarder sa main avec interrogation) interroge zontale mais aussi verticale à lui-même. Le soi est en haute réserve
la mienneté [2] de soi. de lui-même et, tout comme il craint de fusionner dans sa dimen-
On peut dire que l’ipséité autistique est affectée au point qu’elle sion intersubjective, il craint aussi de dévaler, de perdre la hauteur
n’est plus tout à fait une ipséité mais seulement une « chacunité ». qui l’institut. Le thème de la honte ou de la dette mélancolique
Le sujet a indiscutablement le sentiment d’être un « un », un exprime cette hantise de perte de soi en tant que perte de la
« chaque un » (ce qu’atteste certaines réactions immédiates de hauteur de soi. Le dévalement est en ce sens abolition de la dis-
rejet lorsqu’on envahit son espace propre), mais pas un soi. La tance ontologico-ontique (qui est l’autre nom de la dialectique
distance à soi n’est pas l’espace qui négocie la place d’autrui ou ipse-idem. Elle exige une permanente réactualisation qui peut être
de l’événement. Cela se formule en termes husserliens et bins- dite « symbolique » dans la tradition freudienne). La pudeur, entre
wangeriens : il y a un échec dans l’apprésentation d’autrui [24] autres, exprime cette relation complexe à la hauteur (la pudeur est
comme à l’appréhension métareprésentative de soi. Il n’attribue présexuelle en son essence). Avant de se porter sur le sexuel, où
pas d’intention aux autres rencontrés. Autre nom de cet échec : elle a sans nul doute un sens décisif, elle touche un grand nombre
l’autisme n’a pas de « théorie de l’esprit » permettant d’attribuer de domaines allant de l’affectivité (pudeur affective) aux expé-
des intentions mentales à quiconque. La visagéité ne porte pas riences d’existence de chacun (infortune, fortune, mort, accident
l’énigme de l’altérité : l’autiste ne voit dans le visage aucune inten- de vie, etc.). Le panfreudisme de la fin du XXe siècle fut précisé-
tion, aucun regard croisé sur lui, aucun dessein d’acceptation ou ment très impudique de faire de la sexualité le seul lieu intime
de destruction. C’est dire le regard à la fois vide et transversal de du soi dans sa relation avec autrui. La Daseinsanalyse, contre
l’autisme dans son noyau pur. Il n’est en attente ou en escompte cette tendance réductionniste, pense les autres espaces d’intimité
de rien, d’aucun « qui » ni d’aucun « quoi », d’aucune présence d’autrui et de soi-même comme participant à la distance
ni d’aucun thème. L’autisme abolit aussi toutes formes de jeu. intersubjective.
Plus rien n’est en jeu. Rien ne fait événement dans l’autisme : La notion de soi (selfhood, selbst) n’est cependant pas nou-
ni événement ni non plus ennui. Plus encore que sa relation velle dans l’histoire de la pensée philosophique. Elle n’a pourtant
à l’événement, inexistante, son « non-ennui » reste une énigme jamais donné matière à une conceptualisation médicopsycholo-
véritable qui interroge la présence humaine toute entière. gique avant la phénoménologie psychiatrique.
L’histoire du concept du soi, évoquée ici en quelques mots,
passe par les difficultés à utiliser seulement en psychologie celui
d’ego, de moi. Ces difficultés préparent une sorte de désillu-
 Du soi, tel qu’en lui-même sion sur la subjectivité en tant qu’elle se prétendait transparente
à elle-même. La notion de soi échappe à ce reproche. Issu
Du soi, tel qu’en lui-même, que peut-on dire ? En abordant de la philosophie réflexive de J. Nabert (1881–1960) [26, 27] , le
cette question, on s’éloigne un peu de la phénoménologie psy- concept trouve son expression centrale dans la philosophie de
chiatrique pour aller davantage vers la psychiatrie existentielle, à P. Ricœur.
savoir la Daseinsanalyse ou l’ontologie existentielle des psychoses. L’idée de réflexivité contient la notion fondamentale du soi
Bien qu’il soit asubstantiel (il l’est en tout cas au début de notre dans sa distance à lui-même. La philosophie réflexive décrit le
existence, mais le phénomène de la maturation et du vieillis- processus de ce détour, le décalage constitutif du soi au soi, par
sement lui donne des rigidités structurales qui finissent par le lequel la subjectivité s’éprouve elle-même, sans jamais, peut-on
caractériser. Il se typifie. Un typus [ainsi du typus melancolicus ajouter, se connaître ultimement. C’est un effet de cette distance
de H. Tellenbach], est un mode de relation entre des identités que de produire un nécessaire détour pour être appréhendée.
ipse et idem. Cependant, ces typifications ne modifient pas sa La conscience de soi est alors réactive aux événements de vie
« formalité » fondamentale), on peut doter ce soi de différentes découverts par l’incessant travail du récit comme rapportés à
déterminations (ce sont des existentiaux dans le vocabulaire de soi. On connaît bien les relations entre soi et l’identité narra-
M. Heidegger) : son souci de continuité, la distance à lui-même tive. J. Nabert ne revendique pas systématiquement ce concept
(sa capacité métareprésentative), la hauteur à lui-même et son de soi mais, rétroactivement, il apparaît comme central dans sa
institution symbolique. Le soi s’élabore lui-même par ce travail philosophie.
d’une tenue à distance de lui-même ; c’est une autonoïèse au sens Le concept d’ipséité désigne le pôle ontologique le plus élémen-
que J.-M. Danion [25] donne à ce terme. Il y a une certaine idée taire qui soit, faisant que, même si l’on a changé du tout au tout,
de l’ipséité dans la mémoire autobiographique : n’est-elle pas une si l’on se renie, se convertit, etc., une instance demeure la même
« mémoire ipséique » ? L’actualisation de cette mémoire est effec- au sens précisément de cette ipséité. Cette constance à soi du soi
tivement une autonoïèse du soi. est la base de la responsabilité morale, car elle assigne chacun à

EMC - Psychiatrie 7
37-815-A-10  Psychiatrie phénoménologique et existentielle

son destin sans pouvoir s’en exonérer. Si tel n’était pas le cas, si aux recherches toujours très actuelles de F. Buytendijk [33] ou de
l’on pouvait se « dés-assigner » de ce que l’on a été, il suffirait aux A. Portmann [34] . De ces travaux se dégage une question, celle de
anciens criminels de dire qu’ils sont maintenant « un autre » pour notre relation au vivant dans son ensemble, comme expérience
s’exonérer de leurs responsabilités. Chacun est donc condamné unique.
à une unicité destinale de son existence et ce fil qui relie tous Un existentialisme en psychiatrie ou psychopathologie, pro-
ses actes est bel et bien le soi. Cette ipséité est prééthique : c’est posé ici, n’a de sens rigoureux qu’à pouvoir tendre les rapports
une sorte de serment absolu qui échoit à chacun de s’assumer entre l’« exister » et le « vivre ». Cette distinction est le socle
comme « un », non interchangeable. Exister est assumer cette uni- d’une pensée existentielle. Ce travail ne fait que poursuivre celui
cité jamais objectivable qui nous oblige à porter sans cesse le poids de la phénoménologie qui est une analyse de l’ipséité dans
de nos actes. sa rencontre avec ce qui n’est pas elle : l’altérité, les identi-
Hors ces déterminations du soi tel qu’en lui-même, on n’en tés de rôle, les institutions anthropologiques, le monde, la vie,
sait pas davantage. C’est l’effort des analyses existentielles, celles etc.
de J.-P. Sartre, de K. Jaspers, de G. Marcel, de M. Heidegger ou des
Dasainsanalyses, celles de L. Binswanger et de M. Boss, ou de
H. Maldiney, de F. Dastur et de son école (École française de
Daseinsanalyse, Sorbonne, Paris), d’en expliciter le sens. Le soi Exister n’est pas vivre
reste une énigme à lui-même, mais cela ne l’empêche pas de se
tenir comme tel. Il faut sans doute plus d’une vie pour savoir ce Que l’existentialisme soit un humanisme est une idée sar-
qu’est ou qu’était exister. Son mystère est celui de l’être. Un mys- trienne. Elle dit et redit que l’homme est condamné au temps et à
tère qui est l’énigme fondatrice (positivement ou négativement) l’espace, à l’histoire, à la chair, à la proximité et à la distance,
de toute la philosophie occidentale. à l’altérité, cela contrairement aux essentialismes qui réalisent
un mode d’être sans condition ni contingence. Seuls les dieux
et Dieu, ainsi que, pour E. Husserl, les idéalités mathématiques,
qui ne dépendent d’aucune conscience pour être, ont accès à ce
 Psychiatrie existentielle : régime ontologique de l’essence. De ce fait, ils ignorent l’angoisse,
et ne sont jamais menacés ni surpris.
l’existant et le vivant Cette idée précieuse acquise permet de déplacer la question exis-
tentielle à ce point précis où l’existence se situe devant le « vivre »,
La connaissance est-elle la méthode la plus appropriée à à la fois avec lui et devant lui.
l’apprivoisement de cet objet de pensée dénommé « existence » ? L’existence est devant et avec la vie mais n’est pas la vie elle-
Existerait-il des modes de se rapporter à cet objet qui ne seraient même : c’est par cette distance entre l’existant et le vivant que
pas de l’ordre du savoir ? l’on peut souffrir, jouir, éprouver tous les sentiments du monde,
Ou n’est-elle pas alors condamnée à rester une notion vague, l’étonnement comme la désolation d’y être. Cette distance per-
emphatique, incernable que l’on n’invoque seulement lorsque de met une métareprésentation. Si l’existence était inhérente au
grands événements se produisent, lorsque des fractures de destin « vivre », on n’aurait pas à penser ce qui est en amont ni en
nous affectent, lorsque la naissance et la mort viennent nous rap- aval de nous ni à se soucier de tous les liens collatéraux de
peler les liens étranges et implacables qu’elle entretient avec la l’existence : ceux-là cesseraient aussitôt avec la mort biologique.
vie ? En réalité, il en va autrement existentiellement, on est en souci
En psychiatrie, l’existence peut-elle devenir un objet de savoir du principe de continuité de notre être, et cette continuité, on
substantiel, opposable, avec des contours propres ? Oui, sans l’a reçue, tenue, élaborée, tissée, enrichie et il est important pour
aucun doute si l’on mesure l’importance de la mise en jeu de nous de la restituer. Ce souci est celui de notre être et en même
l’existence toute entière dans la souffrance mentale. La psychose, temps le souci de l’être en général, de l’ontos (lecture partielle-
et pas seulement la mélancolie, constitue une situation où chacun ment stoïcienne de l’être. À travers lui, c’est le monde qui se
en vient à rencontrer « son existence », ou à ne pas la rencon- signifie dans sa naturalité toujours positive), de tous les êtres.
trer ; de même pour l’existence d’autrui qui est soit déniée, soit L’existence porte un certain sens de hauteur de soi (dignité,
surappréhendée. hauteur de soi vis-à-vis de soi) et son dévalement possible, à
Alors comment conduire utilement cette analyse de savoir la perte de la hauteur constitutive de notre être, serait
l’existence ? On n’accuse pas tout d’abord ce terme d’existence plus importante que la relation à la vie elle-même. Le comment
de ne rien désigner, bien au contraire, l’existence désigne plutôt cela se manifeste dans la pathologie mentale est abordé plus
trop et tout. Et l’excès de sens n’est pas un faux problème. Rien loin.
n’est plus difficile que d’expliciter ou d’identifier le contenant Exister n’est donc pas vivre. La nature est notre premier autre ;
ultime simultanément temporel, narratif, éthique dont nous un autre auquel on est pourtant condamné. Et, plus encore, cet
sommes le contenu ou un éventuel contenu. L’existence est un autre parle, tient discours, un discours que l’on peut à peine
contenant temporel, spatial et éthique qui semble n’avoir aucune déchiffrer car seul ce qui est anthropomorphique peut être repéré
norme. et compris. Le non-humain nous parle de son incompréhensibi-
Il faut donc donner à l’existence, indépendamment de lité. On l’écoute indéfiniment pour tenter de suivre en lui une
sa traditionnelle tension avec l’essence, du sens opposable quelconque trace humaine. Il est étrangeté pure. Compréhension
(et avec lui la possibilité d’une dialectique, l’opposable peut et anthropomorphisation vont de pair. La tâche est au limite de
jouer un rôle comparable au réfutable dans le néopositivisme l’accomplissable. Il n’est pas simple de retrouver l’homme dans
anglo-saxon). la nature (par exemple, dans le grondement des volcans ou le
Penser le phénomène d’existence procède d’une méthode : la murmure des ruisseaux) [32] . Par cette distance existence–vie, on
distinguer radicalement de celle de la vie ou du « vivre », qu’il soit peut éprouver (exister) la naissance de la vie, sa renaissance et
non-humain ou humain. La psychiatrie phénoménologique n’a son extinction en nous. C’est par cette distance que le « souffrir »
jamais cessé de poser cette question, que ce fut dans le dialogue prend le sens d’un éloignement de vie, de la rupture des accords
d’E. Minkowski [28] avec la philosophie du vivant de H. Bergson que l’on a avec elle. Avec la souffrance, le vivant nous parle encore
ou dans la rencontre de L. Binswanger [29, 30] avec l’œuvre de plus distinctement. À l’inverse, le jouir nous rappelle le bonheur
W. Dilthey ou de G. Misch [29] . Toute une école de pensée (Le Cercle de cet accord.
de Göttingen [31] ) a nourri la question de la philosophie de la vie Exister impose de se tenir devant le vivant. Comment pourrait-
dans ses rapports avec la question de l’existence. L’intérêt de cer- on dire mieux cela qu’avec l’expérience sexuelle, l’une des plus
tains phénoménologues psychiatres pour le monde animal est à importantes expériences du vivant, avec celle de la mort. Nous
rapprocher de cette attirance fondamentale pour le monde de la existons l’expérience sexuelle : on reçoit son expression et c’est
vie. On pense par exemple aussi bien à E. Straus (dont son précieux peu dire qu’elle manifeste ce lien entre expression et vie. La
ouvrage est nourri d’une réflexion éthologique sur l’approche sexualité est saturée d’expressivité. Mais une fois cette expres-
animale, dans son geste de prédation) qu’à J. von Uexküll [32] et sion sexuelle reçue, une fois acceptée la vie qui vient à travers

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Psychiatrie phénoménologique et existentielle  37-815-A-10

elle, une fois son recel établi par la création d’une intimité, L’existentialité, unique et tragiquement insubstituable à toute
notre existence lui assigne un espace de réception, du sens et des autre chacunité, est étrangère à la dynamique du vivant, qu’elle
limites. soit qualitative ou quantitative.
Il va sans dire que la question existentielle est présexuelle. L’existence n’est pas une nécessité du vivant.
Avant que l’on soit sexué, déjà, on est, en tant qu’existant. C’est un défi contre la nature (qu’il ne doive rien au vivant
Le premier instant de vie suffit à instaurer de l’existence, est le signe de son sens anthropologique. Le tenu-ensemble de
sans attendre de nous éprouver comme homme ou femme. l’existence est impensable à partir de la vie. Ce n’est pas une
L’identité sexuelle n’est pas une identité ipséique. La « preuve » région de la vie mais seulement de l’anthropos) qui ne doit, de
en est que l’on peut autoéprouver et interroger notre cons- principe, quasiment rien au vivant. L’existence se tient donc
cience d’appartenance sexuelle (certaines théories ont voulu devant le vivant : elle affronte le vivant et l’indifférence de celui-
abolir la distance entre identité sexuelle et existence, faisant de ci à l’existentialité de chacun, pourvu qu’un « chacun » assume
chaque condition sexuelle un quasi-mode d’existence, une sorte une place (on ne s’attarde pas sur l’intérêt de cette distinction
« sexêtre ». La démarche est hasardeuse, car elle tend la main entre le « un » plotinien et l’ontologie. La question est l’enjeu de
aux défendeurs de l’apartheid sexuel. À l’inverse, d’autres théo- certains débats contemporains, notamment avec la philosophie
ries font du sexe ou du genre une sorte d’option de l’existence, d’A. Badiou).
que l’on pourrait éventuellement choisir, comme si l’on ne rece- Exister et vivre ne sont donc pas synonymes. Voilà l’axiome
vait pas cette condition primordialement du monde du vivant). fondamental de l’existentialisme. L’« entre-naître-et-mourir » [35]
L’expérience d’existence est au-delà de la condition donnée par n’est qu’un moment de notre existence. Si vivre et exister était
l’appartenance à l’un ou l’autre sexe ou genre. Ce qu’il en est du identique, on pourrait terminer notre existence avec notre mort.
principe des souffrances d’existence est identique à l’un ou l’autre Hors, de cela, pour la grandeur humaine, il n’en est rien. Les
sexe. réceptions et transmissions de toutes natures (pas seulement fami-
Nous existons le vivant et, pour l’exister, il faut que celui-ci liales, dans les œuvres, mais aussi celles horizontales de la vie
ne soit pas totalement inhérent à son objet. De la même façon amicale et culturelle, des appartenances nostriques, etc.), les tes-
nous existons notre mort. Celle-ci abolit la vie mais pas exacte- taments affectifs, spirituels, financiers et patrimoniaux légués et
ment l’existence qui passe à travers nous et se continue encore reçus sont là pour dire que nous pensons (pour la revendiquer ou
dans les processus de continuité que l’on a reçus et nous-mêmes la refuser) une certaine continuation de nous-mêmes indépen-
tissés. La mort a un sens qui n’est pas seulement celui de la biolo- damment de notre vie. On appréhende la continuité de notre
gie : elle convoque la possibilité ou l’infirmité de la continuité être en deçà et au-delà de nous, cela dans ce qui passe à tra-
de nous-mêmes, notre éventuel dévalement, la dette éthique, vers nous, le Dasein (ou la présence) transgénérationnel. Nous
etc. sommes existentiellement en souci pour notre amont et notre
Quotidiennement, cette distance entre le vivant et l’existant est aval de vie. Il nous importe que la hauteur du soi et la dis-
virtuelle le plus souvent, il faut en convenir. Un chiasme les unit, tance qui le constitue soit maintenues à tout prix, fut-ce celui
presque indissociablement, mais son sens réapparaît radicalement du délire.
dans les situations de crises et les situations limites au sens de C’est ce que l’on va illustrer avec le Dasein transgénérationnel.
K. Jaspers [21] .

Dasein transgénérationnel
Existentialité et monde de la vie
Le Dasein transgénérationnel (ou ipséité transgénérationnelle)
En lui-même, le monde de la vie n’a pas besoin de l’existence est ce qui se passe en nous et que l’on interroge (plus encore,
pour être. Il est asubjectif mais pas an-individuel. On peut autant que l’on vit, on tente de l’expliciter, de lui donner
fort bien le concevoir sans qu’aucun témoin n’en atteste la sens) dans ce moment de l’existence qu’est « l’entre-naître-et-
manifestation. Voilà qui n’est pas facile à expliciter. La vie mourir ». Le pôle ontologique passe à travers nous et il est en
est décentrée d’elle-même et fait fi de toute continuité exis- notre souci d’en préserver la teneur, la hauteur et la distinc-
tentielle. Elle prolifère sans le moindre souci. Si elle est en tion.
expansion, elle l’est, si elle ne l’est pas, elle sélectionne une nou- Cela n’est pas une abstraction de philosophe, la psychiatrie
velle forme qui elle sera plus favorablement porteuse de sa force donne des exemples précis de ce rapport à l’être que l’on reçoit et
d’expansion. qu’il nous importe de restituer dans sa hauteur et sa distinction.
La vie n’a aucun souci. Le souci, depuis M. Heidegger, est la La transmission générationnelle, que ce soit sous des formes déli-
marque d’une existentialité mais pas du vivant. C’est une inquié- rantes ou non délirantes, est le lieu de ce souci du soi qui se tient
tude sur la possibilité d’une disjonction de soi. Le souci articule aussi en amont et en aval de la vie humaine entre naissance et
une continuité à tout prix, fut-ce parfois celui de la vie. La vie mort.
ne s’attache pas au sens individuel et existentiel de chacun, de
ce lieu-d’être (H. Maldiney), là où se tient une existentialité. Pour
le monde de la vie, que l’un remplace l’autre n’a aucune impor-
Délires de filiation
tance. La vie n’a pas besoin que les individus qui la portent Les délires de filiation en sont un bel exemple. L’existentialité
soient les mêmes au sens de la mienneté (de ce qui est propre est en jeu dans ces délires, dans un lieu d’existence particulier,
et insubstituable à lui-même). La vie est tourbillonnante, floue, en amont de notre « entre-naître-et-mourir ». Ce lieu est celui où
nébuleuse à elle-même et ne pense qu’à sa dispersion. Elle n’attend notre « hauteur d’être » s’institue primordialement. Les délires de
de chacun (quel qu’il soit, celui-là ou un autre) qu’il se repro- filiation, qui sont du registre paranoïaque, sont des manifestations
duise ou s’étende, créant un milieu favorable. Si elle pense son secondaires visant à réparer un accident phénoménologique pri-
recel, ce n’est que globalement, comme une position favorable, maire (cet accident phénoménologique provient, il va sans dire,
mais cette position de recel ne se situe pas au niveau d’un exis- des élaborations existentielles durant « l’entre-naître-et-mourir »)
tant. qui s’est constitué dans ce moment précis de notre existence. Ils
La vie a-t-elle besoin d’un existant ? Non. Elle fait fi de toute procèdent d’une conjuration d’une faillite ontologique pressen-
véritable existence. Elle se satisfait uniquement d’un « chacun », tie. Ils se produisent fréquemment dans des situations objectives
autre nom d’un « n’importe qui ». Son jeu se fait sur une chacunité de naissances de père ou de mère inconnus. Parfois, la cons-
(une individuation) mais pas sur de l’existentialité. La chacunité truction délirante va composer ce flou originaire. Le recours à
est avantageuse à la vie, car elle crée des concurrences sélectives. ce délire se manifeste alors avec de nombreuses variantes scé-
Elle se déploie, qu’importe jusqu’où, qu’importe en reniant quoi ; naristiques (bébé échangé à la naissance, enfant abandonné tel
seule compte sa dissémination, son expansion, son expression. Moïse ou placé plutôt que d’être condamné par un lourd des-
Elle est d’ailleurs artiste en expression. Si un chacun défaille, un tin historique, etc.). Ces délires de filiation sont des fuites dans
autre ou une infinité d’autres accomplissent l’expansion de la vie des destins grandioses pour échapper au risque d’annihilation
à sa place. du soi dans l’existence de cet « entre-naître-et-mourir ». Plutôt

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37-815-A-10  Psychiatrie phénoménologique et existentielle

que d’accepter qu’on soit un enfant de parents inconnus (sou- psychotropes : s’agit-il d’un effet tantôt ponctuel sur la circuite-
vent dans des périodes de guerre, de famine, d’asservissement des rie neuronale ou d’un effet systémique, c’est-à-dire méréologique
captifs, d’esclavages, de prostitution) ou abandonné, ce qui n’est (de la théorie des relations entre tout et parties ? Un point de
pas aisé à soutenir dans les sociétés où le nom du père octroie vue neurophénoménologique peut exiger d’une théorie qu’elle
un statut quasiment ontologique, le recours au délire de filia- ne produise pas seulement des modélisations concernant des
tion devient « nécessaire ». Il prend la forme d’un déni délirant : la processus pathologiques isolés, tels qu’il s’en manifeste dans les
naissance doit être illustre et il est impossible qu’il en soit autre- hallucinations ou le délire, mais qu’elle rende compte aussi et
ment. surtout du sentiment de continuité de soi), touchant un certain
niveau d’organisation qui se situe bien en deçà de celui de la per-
Intuitions délirantes de damnation ception. Il faut convenir que l’option systémique (structurelle ou
de niveau d’organisation) reste difficilement économisable. Elle
Situation inverse, touchant la descendance et non point
constitue de fait notre modèle tacite et il est utile d’en connaître
l’ascendance. Les intuitions délirantes de damnation sont pré-
toutes les ressources.
sentes et mêmes latentes dans la mélancolie délirante. Le silence
Ce qui est devenu central dans la question des psychoses est la
mélancolique peut porter le sens d’un drame qui n’est pas celui de
thérapeutique concrète : quelles psychothérapies ou psychoédu-
la mort (la crainte de la mort n’est pas mélancolique. La mélan-
cations, quelles modalités de réinsertion, quelles possibilités de
colie n’est pas une introjection de la mort. C’est une crainte
maintien dans la vie professionnelle, quelles réhabilitations sont
ontologique du dévalement et non pas vitale) mais du dévale-
possibles et souhaitables ?
ment à jamais de notre pôle ontologique. C’est la perspective de
Hors psychose, l’angoisse n’a plus du tout le même sens
la faillite du soi et de la perte de sa hauteur qui pétrifie le mélanco-
pour la psychiatrie phénoménologique et existentielle. On ne
lique. Avec le soi en faillite, ce sont trois événements « terrifiants »
peut plus faire de l’angoisse le grand thème de la phéno-
qui s’annoncent :
ménologie ou de l’existentialité, comme cela le fut dans la
• d’avoir trahi tous ceux (aïeux et alliés, collatéraux) dont on
philosophie de S. Kierkegaard et de J.-P. Sartre. Lui donner un
porte un certain sens d’existence, de conduire à la ruine le
sens phénoménologique clinique n’est pas simple. De nombreux
cortège de leurs présences qui passait à travers nous ;
auteurs se sont essayés à la caractériser mais sans grand suc-
• d’être perdu à jamais et que cette faute rejaillisse pour toujours
cès.
sur toute la descendance. C’est alors un vécu de damnation. Ces
Que peut-on en dire phénoménologiquement ? Tout d’abord
idées de damnation sont plus ou moins explicitées, selon que
l’attitude phénoménologique ne regarde pas le contenu de ses
l’idée d’âme qui passe à travers nous ou l’idée des mânes (l’esprit
thèmes mais la considère comme une position spatiale et praxéo-
des ancêtres) sont ou non présentes dans l’héritage culturel des
logique (de l’ordre de la conduite intérieure de l’action).
patients ;
Le devant-quoi de l’angoisse, conceptualisé initialement par
• l’irréparabilité de la faute mélancolique est le phénomène
M. Heidegger [37] puis par B. Verrecchia [38] aide à percevoir
qui la constitue. L’irréparabilité de la faute faite au Dasein se
l’angoisse comme une sorte de mouvement d’arrêt devant,
signifie existentiellement de l’altération du vécu de possible
une anticipation sans possibilité de traiter son objet ou
propre à la mélancolie. Mélancolie et manie (nous sommes
d’agir.
dans la mélancolie vraie et non pas dans de vagues dépressions
Autre nom de cette situation existentielle : le jeté-là sans pou-
ou des paradépressions) sont des pathologies des structures
voir agir. C’est une impossibilité de tenir la chose bien-à-la-main
ontologiques de la projection de nous-mêmes. Dans la mélan-
(au lieu d’être zuhandenheit, la situation de l’angoisse reste celle de
colie, il se produit que lorsque l’on n’a plus ces structures
la vorhandenheit), de l’inscrire dans le monde pratique. En allant
de projection de nous-mêmes, on est acculé à l’arriérité de
plus loin sur ce chemin, on peut lui trouver un sens anthropo-
soi, c’est l’être-en-arrière-de-soi (on est dans la mélancolie vraie
logique plus concret : il y a une relation herméneutique entre
et non pas dans de vagues dépressions ou des paradépres-
le mouvement et l’apparaître de la chose. C’est l’arrêt devant
sions). La situation existentielle de la mélancolie est à la fois
quelque chose qui rend cette chose subitement immense, surdé-
en arrière de soi et en dévalement de soi [9] . Sans vécu de
terminée, monumentale. Il y a dans toute angoisse une tentation
possible, la faute ne sera jamais rachetée ni pardonnée ni
de recul qui fait refuser l’affront de ce « quoi » mis devant lui.
recouverte. C’est l’ultime drame de cette faute infinie, inlas-
L’angoisse appelle à un recul, mais le recul est devenu impossible à
sablement rabâchée sans espoir de pardon pour l’interrompre,
celui qui l’éprouve. Elle inhibe à la fois le mouvement qui va vers
sans historialité pour faire oublier l’époque d’existence où elle
l’avant (la possibilité d’affronter, l’affront de son objet) et aussi
s’est produite.
vers l’arrière, qui permet de reculer ou de fuir (troisième caractéris-
tique du phénomène de l’angoisse : l’angoissé est grave, il se tient
devant. Il n’est pas désinvolte ni indifférent). On retrouve en elle
 Évolution des concepts une sorte d’hyperréalisme ou, plus précisément, un expression-
nosographiques nisme. L’expressionnisme pictural ou cinématographique joue
avec cette saturation expressive immédiate, ce « devant-quoi ».
et de la phénoménologie L’angoisse est quasiment sa « matière » privilégiée. À travers son
modèle expressionniste, l’angoisse se révèle bien comme une
Soyons plus prospectif. La psychiatrie a évolué et, avec elle, pathologie de l’instant, saturée de lui-même, qui ne parvient
la phénoménologie psychiatrique aussi. Les trois grandes ques- pas à initier une résolution dans l’action ou l’acceptation de ce
tions qui la définissaient (psychoses, angoisse et névroses) n’ont qui s’affronte. L’instant angoissée s’hyperbolise et ne trouve pas
plus l’importance théorique qu’elles avaient. Ces questions ont le chemin phénoménal qui lui permettrait d’entrer dans le dis-
été débordées par d’autres problèmes, qui requièrent un nouveau positif narratif et par là-même de fonder sa continuité comme
travail d’élaboration. soi.
Les psychoses restent une énigme relative, mais le paysage L’angoisse se révèle aussi du registre de la psychopatho-
scientifique dans lequel elles surviennent est transformé par logie de l’action. C’est une pathologie de la préparation de
des données nouvelles : l’avènement d’antipsychotiques de plus l’action, de l’initiation de l’action, ou, pour utiliser un terme
en plus efficaces, des possibilités d’exploration neuroscienti- aristotélicien (qui a ses équivalents cognitifs) de la résolution
fiques nouvelles (notamment l’utilisation de l’imagerie cérébrale), de l’action. L’étape de la préparation de l’action se recom-
l’importance des modélisations informationnelles et cognitives. mence indéfiniment et ne produit pas d’initiation. L’action a
Pour autant, la théorie de l’esprit inhérente à la phénoméno- bien été délibérée [39] (préparée, conceptualisée, dotée de moyens
logie n’est pas du tout disqualifiée. La recherche clinique et qui ont été justement évalués, etc.), mais la résolution ne
neurocognitive, notamment celle de B. Pachoud [36] , laisse une s’effectue pas. Le sujet reste devant l’acte sans pouvoir l’initier,
certaine place à l’idée de structure, cela d’autant mieux que les l’accomplir.
modèles cognitifs de la psychose sont loin d’être satisfaisants, L’angoisse a un double sens selon qu’elle met en jeu l’identité
même s’ils ont l’avantage d’aborder la question de l’effet précis des ipséique (c’est alors l’angoisse psychotique et rien ne la contrôle

10 EMC - Psychiatrie
Psychiatrie phénoménologique et existentielle  37-815-A-10

que l’action psychotrope) tant elle est incapable de méta- satisfactions. Ces autres personnalités pathologiques peuvent
représentation, ou l’angoisse de rôle ou des identités idem. manifester une impulsivité, une instabilité d’engagement dans les
C’est alors une sorte d’impressionnabilité de rôle, une figuralité rôles, une ruptivité précoce des implications dans la vie affective
liée à des surreprésentations névrotiques. Que le petit garçon et sociale, des appétences addictives.
ait une peur panique devant la représentation d’une piqûre
intramusculaire qu’il doit subir ou qu’il s’agisse d’une phobie
sociale de devoir parler devant cinq personnes, l’angoisse en Conscience de rôle [3]
jeu met en cause des représentations de rôle, des situations qui
ont été saturées de figuralité. Elles ont été surreprésentées. La C’est une donnée majeure de l’analyse phénoménostructu-
saturation représentationnelle est le processus premier devant relle des personnalités pathologiques. Il faut lui redonner un
quoi l’angoissé va manifester (processus secondaire) ses symp- sens véritable, car elle est constamment en jeu dans la dyna-
tômes. mique transgressive. Cette conscience de rôle (ce thème est
Quant au sens existentiel de l’angoisse, il faut prendre garde d’intuition stoïcienne. On le retrouve avec un statut central
à en contenir le sens et à ne pas lui faire dire à la fois trop dans la philosophie d’Épictète. Ce sont simultanément A. Kraus
et tout. Et finalement rien, thérapeutiquement. Il y a un risque [élève et successeur de H. Tellenbach] et P. Ricœur qui lui ont
de saturation lyrique autour de ce thème qui peut fait perdre à donné un sens renouvelé dans leurs phénoménologies respec-
l’angoisse son sens premier et la possibilité d’y répondre concrè- tives de l’identité humaine) permet de comprendre le phénomène
tement. On l’a sans doute confondu avec celui du souci, celui-là multiforme de l’immaturité. L’immaturité est un phénomène
est un véritable sens existentiel mais n’a que partiellement une pathologique d’une importance pratique et théorique considéra-
tonalité anxieuse. ble. Les psychiatres n’avaient jamais accordé à son phénomène
Il est plus thérapeutique de donner à l’angoisse sa véritable constitutif une authentique importance, le reléguant au registre
dimension, cliniquement bien définie, qu’elle ait un thème ou des névroses ou de la carence intellectuelle. En réalité, cette
qu’elle le cherche sans le trouver, et de ne pas en renfor- immaturité exprime une compétence psychosociale particulière :
cer par un sorte d’hystérie sombre sur son prétendu pouvoir la conscience des rôles affectivosociaux à l’intérieur desquels nous
de dire la vérité de la situation humaine (on peut très utile- nous apparaissons tous. Les immatures (qu’ils soient avec pos-
ment opposer une angoisse qui appartiendrait au vivant [c’est sibilité d’attachement ou sans) ne voient pas la « roléité », l’être
la fonction d’alerte, l’inquiétude devant les dangers vivants, au rôle préalable à la rencontre de chacun. En effet, il n’y a pas
l’inquiétude animale, etc.] de celle qui appartient à l’existant. d’apparaître d’autrui sans rôle. Il n’y a pas de pur « qui » sans que
Cette dernière, et seulement elle, constitue le souci heideggé- celui-ci ne soit déjà attendu par un certain rôle, avec son cahier
rien). de charge, sa norme, etc.
Il faut le dire clairement, en suivant pour cela encore une fois Certaines personnalités pathologiques ne voient pas les rôles
A. Tatossian : l’angoisse d’existence n’est pas celle qui concerne et le cahier de charge que chaque rôle porte. Ils ne discernent
le psychiatre ou le thérapeute. Il n’y a aucune continuité entre pas les rôles à l’intérieur du champ social, à savoir ce qui revient
ces deux types d’angoisse. Une nouvelle réflexion phénoménolo- tacitement à chacun, et notamment à soi, de faire, d’assumer,
gique conséquente viserait à mieux l’identifier et à lui octroyer en tant que porteur de rôle, d’acteur de rôle. Ils ne les voient
des limites cliniques précises. Il est par exemple nécessaire de pas car, souvent, ces rôles sont assumés par des tiers qui pour-
ne pas la confondre avec la dépression avec qui elle entretient voient sans qu’ils ne s’en rendent compte. Ils ne voient pas les
des rapports complexes. Dans les dépressions non psychotiques rôles (immaturité versus névrotique) ou ne veulent pas les voir
(non mélancoliques), elle est très présente et l’effet antidépres- (immaturité égocentrique ; psychopathique par exemple) ou, plus
seur est surtout un effet anxiolytique et réducteur de la tension subtilement, ne veulent pas s’attribuer le cahier de charge des rôles
émotionnelle. Ce qui est pris pour de la dépression est souvent et jouissent de la maîtrise de la connaissance des rôles (immaturité
une association d’angoisse et de troubles corrélatifs du sommeil. perverse).
Dans la dépression mélancolique, l’angoisse peut être massive (elle Cela n’est pas le seul sens de cette conscience de rôle. À l’inverse
est d’autant plus difficile à soutenir qu’elle ne constitue pas une de son défaut d’investissement ou de reconnaissance, les rôles
attente d’événement mais une désolation face à un événement peuvent être douloureusement et pathétiquement investis. C’est
qui a déjà eu lieu, privant le mélancolique de toute ressource la situation de la paranoïa (notamment sous sa forme sensitive) et
d’action. Son besoin d’agir ne peut plus rencontrer d’objet). On aussi dans une moindre mesure du charisme. La paranoïa est une
ne la confond pas non plus avec de l’impatience, de l’impulsivité pathologie de l’adhésion aux identités de rôle, ou à une identité de
ou du besoin d’événement. rôle. L’ipséité colle à l’idemité sans aucun recul. Lorsque le rôle est
En ce qui concerne les névroses, la psychiatrie de ce début de en échec, il entraîne tout l’édifice mentalopsychique. Le charisme
XXIe siècle les a en grande partie démystifiées. Avec le recul de paranoïaque est de cet ordre, qu’il soit sthénique ou sensitif. Cela
bientôt un siècle, on peut se demander si le concept n’aurait pas se manifeste aussi dans la mélancolie médicale, telle que la décri-
été surdéterminé. Au sein des personnalités pathologiques, ce ne vait H. Tellenbach [40] . Le typus melancolicus est la figure type de
sont pas les névroses qui posent le plus de problèmes. Elles ont l’adhésion excessive aux rôles, adhésion qualitativement patholo-
dans de nombreux cas leurs propres équilibres (être moyenne- gique, car elle ne comporte aucune inventivité de rôle, recréation
ment phobique, hystérique, angoissé somatique ou obsessionnel et réhabitation de son sens. Le terme de « normopathie » (excès de
n’empêche pas de conduire sa vie sans en être grandement normalité avec hantises de transgresser les normes habituelles en
pénalisé. Dans certains cas, notamment chez les phobiques et toutes circonstances) a été retenu pour définir cette relation à la
les obsessionnels, la composante névrotique peut être quasi- norme commune. Cette tension interne pour l’accomplissement
ment adaptative. Ceux-là peuvent réussir mieux leur vie que du rôle fonde la fragilité du typus et le risque d’effondrement sous
les « normosés ». Les personnes névrotiques sont fragiles pour la forme de la mélancolie.
les « petites choses » et solides pour les « grandes choses », à Ces personnalités pathologiques ont une caractéristique cli-
savoir les grands événements de l’existence) et connaissent leurs nique particulière : elles présentent une impossibilité à la
véritables limites. Les névroses réalisent un compromis avec dépression de type mélancolique. Cette caractéristique a été
leurs symptômes et ne posent pas (hormis les névroses graves) décrite par G. Di Piazza (psychiatre phénoménologue à Flo-
de véritables problèmes théoriques, thérapeutiques ou adapta- rence [41] ). Pour qu’il y ait dépression, il faut qu’il y ait eu
tifs. préalablement un investissement de rôle profond et ce n’est
pas le cas dans l’ensemble des personnalités pathologiques (à
l’exception des paranoïaques qui réalisent l’inverse). Ces person-
Personnalités pathologiques non névrotiques nalités « dépriment » transitoirement mais ne font pas une franche
et profonde dépression [42] . À sa place, à défaut de poser et de
Elles suscitent des difficultés beaucoup plus importantes. retirer de certains investissements de rôle une satisfaction ou un
Ce sont des problèmes d’adaptation aux espaces sociaux, aux sentiment d’échec, le sujet précipite l’action, agit, fait rupture,
temps sociaux, aux frustrations, aux principes d’exigence et de manifeste de la violence envers autrui ou lui-même. Les addictions

EMC - Psychiatrie 11
37-815-A-10  Psychiatrie phénoménologique et existentielle

peuvent aussi jouer ce rôle, de même que les automutilations et  Références


autres comportements à forte charge corporelle. L’importance des
addictions dans la pathologie réalise un déplacement subreptice [1] Tatossian A. La phénoménologie des psychoses. Argenteuil: Le Cercle
de la psychopathologie du couple angoisse/dépression vers celui Herméneutique; 2001.
d’addiction/impulsivité. La psychopathologie de l’action reprend [2] Charbonneau G. Introduction à la psychopathologie phénoménolo-
du sens pour rendre compte d’une vaste sphère d’attitude ou de gique, tome 1 et 2. Paris: MJW Fédition; 2010.
dispositions vis-à-vis de l’action, dans laquelle on trouve soit le [3] Grenouilloux A. Attitude phénoménologique : la psychopathologie
discours d’ennui, les plaintes d’atonie, les défauts d’implication phénoménologique. Le Cercle Herméneutique 2006;7:11–7.
et de mise en continuité de l’action, les paradépressions, soit [4] Pankow G. L’Être-là du schizophrène. Paris: Flammarion; 2011.
de l’impatience, de l’impulsivité, de la désinhibition, du besoin [5] Fontaine A. Autour de Gaetano Benedetti : une approche nouvelle des
d’événement, etc. Bref, un ensemble de troubles, géographique- psychoses. Paris: Campagne Première; 2008, 214p.
ment situables entre la normalité, les personnalités pathologiques [6] The cognitive neurobiology of schizophrenia. Hove, (East Sussex):
et la véritable pathologie, qui pose au psychiatre et au thérapeute Psychology Press Limited; 1992.
des problèmes considérables, aussi bien thérapeutiques que juri- [7] Andreasen NC. Is schizophrenia a disorder of memory of conscious-
diques. ness? In: Tulving E, editor. Memory, consciousness and the brain.
Philadelphia: The Tallin conference Psychology Press; 1999. p.
243–61.
[8] Martin B, Piot MA. Approche phénoménologique de la schizophrénie.
 Conclusion [9]
Inf Psychiatr 2011;87:781–90.
Chamond J. Les directions de sens. Argenteuil: Le Cercle Herméneu-
tique; 2003.
La psychiatrie phénoménologique et existentielle est l’une des [10] Zahavi D. Subjectivity and selfhood investigating in the first-person
composantes de la psychiatrie contemporaine. Elle peut être dite perspective. Cambridge-London: Bradford book/MIT Press; 2005.
aussi « phénoménostructurale ». Il est légitime de lui accorder un [11] Ricoeur P. Soi-même comme un autre. Paris: Le Seuil; 1990.
statut de « théorie de l’esprit ». Elle est de niveau macrostruc- [12] Richir M. Le corps. Essai sur l’intériorité. Paris: Hatier; 1993.
turel. Celui-ci régit l’idée de structure, de rapport forme/fond, [13] Charbonneau G. Introduction à la phénoménologie des hallucinations.
contenant/contenu, tout/partie et, plus encore, le principe de Paris: Le Cercle Herméneutique; 2001.
cohérence organisationnelle, et donc de niveau d’organisation et [14] Naudin J, Banovic I, Schwartz MA, Wiggins OP, Mishara A, Stanghel-
de déstructuration. Cette théorie phénoménologique de l’esprit lini G, et al. Définir l’hallucination comme trouble de la conscience de
spécifie le niveau mind : il est doté de propriétés internes propres, soi. Evol Psychiatr 2000;65:311–24.
occasionnant des troubles précis lorsqu’il est disloqué (les troubles [15] Maldiney H. Penser l’homme et la folie. Grenoble: J Millon; 1974.
de niveau mental). [16] Blankenburg W. La perte de l’évidence naturelle. Paris: PUF; 1991.
La psychiatrie, plus encore que la psychopathologie, a besoin [17] Kimura B. Écrits de psychopathologie phénoménologique. Paris: PUF;
d’une compréhension générale des phénomènes de ce niveau, per- 1997.
mettant une intégration minimale de la clinique. Elle en utilise [18] Dossier : ipséité et psychose. L’art du comprendre, no 1.
toujours une implicitement. Autant alors la conceptualiser, la tra- Paris: Association Le Cercle Herméneutique; 1994,
vailler, la rendre opposable et l’expliciter. C’est ce que propose http://web.lerelaisinternet.com/hermeneutique/?ref=2.
cette phénoménologie psychiatrique. [19] Thèse défendue par A. Ballerini et G. Di Piazza (Florence-Italie),
Elle tient implicitement le rôle de théorie centrale minimale, no 17. Le Cercle Herméneutique; 2011.
commune à toutes les pratiques psychiatriques. Elle explicite le [20] Schneider K. Klinische Psychopathologie. Stuttgart: Thieme Georg
modèle tacite, le modèle informulé mais effectif requis par la cli- Verlag; 1992.
[21] Gens JC. Karl Jaspers. Paris: Bayard; 2003.
nique psychiatrique en face des psychoses et des troubles graves
[22] Binswanger L. Trois formes manquées de la présence humaine. Argen-
de la personnalité. C’est une philosophie de l’intégration cli-
teuil: Le Cercle Herméneutique; 2002.
nique, la seule qui soit capable de penser sa cohérence et aussi [23] Levinas E. Totalité et infini. La Haye: Nijhoff; 1961.
ses limites. [24] Binswanger L. Mélancolie et manie : études phénoménologiques.
N’occultons pas la réalité de l’évolution de cette psychiatrie Paris: PUF; 1987.
anthropologique et structurale : elle n’a plus le rôle officiel qui [25] Danion JM, Cuervo C, Piolino P, Huron C, Riutort M, Perreti S, et al.
fut le sien historiquement dans la seconde moitié du XXe siècle, Conscious recollection in autobiographical Memory: an investigation
avec l’organodynamisme de H. Ey. in schizophrenia. Conscious Cogn 2005;14:374–88.
Pour autant, elle a trouvé une place nouvelle dans l’évaluation [26] Nabert J. L’expérience intérieure de la liberté. Paris: PUF; 1924.
et la recherche clinique. Elle maintient une exigence de discri- [27] Nabert J. L’essai sur le mal. Paris: Éditions du Cerf; 1997.
minations cliniques : elle veut distinguer les entités cliniques, [28] Minkowski E. Phénoménologie et analyse existentielle en psychopa-
nosographiques, retrouver les cohérences et les oppositions les thologie. Evol Psychiatr 1948;13:137–85.
plus élémentaires, et empêche d’établir une confusion entre toutes [29] Binswanger L. Fonction vitale et histoire intérieure de la vie. In: Intro-
les formes et niveaux de troubles (soit mentaux, altérant le prin- duction à l’analyse existentielle. Paris: Éditions de Minuit; 197149–77.
cipe de responsabilité/soit psychologiques/soit psychiques). Face [30] Gros C. Ludwig Binswanger. Chatou: La Transparence; 2009.
au risque d’un « tout psy » (voire d’un « flou psy ») qui veut rendre [31] Van Kerkhoven G. L’attachement au réel. Mémoire des annales de
équivalent épistémologiquement la question du bien-être, de cer- phénoménologie. Amiens: Association pour la promotion de la phéno-
tains psychothérapies de confort, de la psychose, de l’éducatif et ménologie; 2007, 207p.
des passages à l’acte criminel non médicaux légaux, elle veut pen- [32] Gens JC. Éléments pour une herméneutique de la nature. Paris: Édi-
ser et préserver le sens d’un certain « cœur de métier » autour du tions du Cerf; 2008.
partage structurel psychose/non psychose. Le soin de la psychose [33] Buytendijk FJ. Traité de psychologie animale. Paris: PUF; 1952.
et des troubles graves de la personnalité est son objectif premier [34] Portmann A. La forme animale. Paris: Payot; 1961.
[35] Ricœur P. Temps et récits. Paris: Le Seuil; 1983-1985.
et sa légitimité profonde.
[36] Petitot J, Varela F, Roy M. Naturaliser la phénoménologie. Essai sur
C’est, enfin et surtout, le dernier lieu du sens. Elle n’élude
la phénoménologie contemporaine et les sciences cognitives. Paris:
pas la question du sens, d’un sens anthropologique, un sens CNRS éditions; 2002.
humain qui passe à travers chacun, à quoi chacun veille et [37] Heidegger M. Être et temps (1927). Paris: Authentica; 1985
est en peine de restituer. Elle croit contre tous les nihilismes, [Trad fr. E. Martineau. Édition hors commerce en ligne
les scientismes, les antihumanismes que l’expérience humaine http://t.m.p.free.fr/textes/Heidegger etre et temps.pdf].
produit toujours du sens, c’est-à-dire de la continuité existen- [38] Chamond J. Le Devant-quoi de l’angoisse. In: Les directions
tielle. Et qu’il est possible de le rencontrer dans les moments de sens. http://fr.scribd.com/doc/129864987/Les-Directions-de-Sens-
de souffrance mentale et physique, lorsqu’il ne passe plus, Nouvellebiblio-com.
que ce soit de l’un à l’autre, de générations en générations, [39] Aristote. Éthique à Nicomaque. Paris: Éditions Vrin; 1997 [Trad fr. J.
d’époques en époques, ou de moments en moments de notre Tricot].
existence. [40] Tellenbach H. La mélancolie. Paris: PUF; 1979.

12 EMC - Psychiatrie
Psychiatrie phénoménologique et existentielle  37-815-A-10

[41] Université Paris-VII-Denis-Diderot. Colloque « Immaturité et Pour en savoir plus


conscience de rôle ». Intervention du 16 janvier 2010.
[42] Charbonneau G, Taglialattela C. Désinvolture et conscience de rôle. Le Cercle Herméneutique : www.hermeneutique.fr.
Arch Int Anthropol Phenomenol 2012;(n◦ 20). École française de Daseinsanalyse : www.daseinsanalyse.fr.

G. Charbonneau, Practicien hospitalier, Directeur de recherche, psychiatre des hôpitaux, Directeur de la revue Le Cercle Herméneutique et éditeur de la
collection Phéno ([email protected]).
École doctorale « Psychopathologie fondamentale et psychanalyse », Université Paris-VII-Denis-Diderot, 75251 Paris, France.
Service Fitz-James IV, Centre hospitalier intercommunal de Clermont de l’Oise, 2, rue des Finets, 60607 Clermont-de-l’Oise, France.
Cabinet privé, 8, avenue Gabriel-Péri, 95100 Argenteuil, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Charbonneau G. Psychiatrie phénoménologique et existentielle. EMC - Psychiatrie 2014;11(3):1-13
[Article 37-815-A-10].

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