LE de Segregation ET Dans Le: Processus Sociale Spatiale Grand Tunis
LE de Segregation ET Dans Le: Processus Sociale Spatiale Grand Tunis
LE de Segregation ET Dans Le: Processus Sociale Spatiale Grand Tunis
M.C. FERJANI
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Avec pres de 1 400 O00 habitants soit plus du Mede la population totale de la Tunisie (7O00 O00
d'habitants), laissant loin derriere les autres villes dont la plus importante (SFAX)ne compte que pr6s de
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321 O00 habitants Tunis offre un parfait exemple de macrocephalie. Tout y est concentre. Le pouvoir
regional ne correspond pas B grand chose. Les dimensions du pays y aidant, (presde 600 km du nord au
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sud, et une largeur depassant rarement les 200 km)Tunis bien que dbcentree par rapport au pays est -
a la port6e des habitants du village le plus recule. Cette situation explique la grande attraction qu'exerce la
capitale sur la population de tout le pays et dont les effets n'ont et6 allBg6s ces dernieres annees que
grâce & une politique soutenue de maillage administratif de plus en plus fin, et une lutte contre l'exode
rural de plus en plus variee.
Cependant, l'allegement des effets de ce phbnombne est loin d'avoir Enraye ces consequences
irreversibles sur la structure socio-spatiale de la ville. Bien au contraire, nous assistons B un
approfondissementet B une aggravation de ces consequences a un point tel qu'il est permis de dire que
le droit a la citadinitb (et aux services de la vie urbaine) est devenu de plus en plus un corollaire de
l'appartenancea des couches sociales plus ou moins aisees.
Cette r6alite est illustrtie par un phhomene "d'exode urbain" qui se traduit par un rejet du centre vers la
pbripherie de la ville des populations les plus defavorist2es,et par le contraste de plus en plus criant entre
l'est et l'ouestde l'agglom6ration.Le sort des deux lacs, entre lesquels la ville de Tunis a vu le jour et s'est
developpbe au fil des annees, est B cet egard tres significatif:
- B l'est,le lac de Tunis fait l'objet d'un grandiose projet d'amhagement, pour lequel on a mobilise la
puissance financiere saoudienne, l'experience néerlandaise et les techniques occidentales les plus
developpbes.L'objectif est den faire - avec le projet des berges du lac - une luxueuse station balnbaire.
- a l'ouest,le lac Séjouni, dont les alentours marécageux et inondables offrent un site idéal pour les
"déchets" de la ville (au sens propre et figuré) : au milieu des décharges publiques poussent les
"gourbis-villes",avec les conditions de vie les plus inhumaines.
Bref,l'agglomération de Tunis offre de plus en plus un tissu urbain contrasté, qui va des "gourbis-villes"
aux cités résidentielles les plus luxueuses,qui n'ont rien a envier aux plus belles stations balnéaires de la
Côte d'Azur et aux résidences les plus riches et les plus modernes des classes les plus aisées des pays
occidentaux, en passant par toute une hiérarchie de qualité de site et de bâti correspondant plus ou moins
à la hiérarchie sociale,aux contrastes grandissant avec les années.
Cette ségrégation sociale et spatiale dans I'agglomeration de Tunis n'est ni un fait du hasard, ni un
phénomène récent. Elle est le résultat d'un processus historique,oÙ le pouvoir de l'argent et celui de la
politique ont joué et jouent de plus en plus un rôle déterminant. Pour mieux cerner cette réalité, il est
peut-être intéressant de s'arrêter sur les deux grands moments de la cristallisation de cette ségrégation :
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t I'évolution urbaine du temps de la colonisation
II - I'évolution actuelle -
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I L'EVOLUTION URBAlNE DU TEMPS DE LA COLONISATION
I
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1 La situation avant la colonisation
Avant la colonisation,Tunis offrait l'aspect de toutes les villes arabes traditionnelles. II y avait la Médina,
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avec dun c6té l'espacedu pouvoir la Casba et le quartier résidentiel de l'aristocratie Beyllicale, avec les
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grandes "Dars" véritables palais plus ou moins grands selon le rang et la richesse du propriétaire (les
fameuses Dar Ben Abdallah et Dar Lassam en offrent des exemples), et, de l'autre côte, les souks et les
résidences plus ou moins populaires selon la proximité du centre.
L'espace était égaiement divis4 ethniquement :il y avait l'espace propre à la communauté juive avec la
Hara pour les juifs locaux et le quartier des juifs Livournais,plus proche des souks et de la porte de mer
.
(Porte de France). Les faubourgs de la Medina abritaient les populations les plus pauvres et de citadinité
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plus récente. Par ailleurs, le Bey et sa cour avaient des résidences secondaires :les unes pour l'hiver loin
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de la mer (a I'Asiana,au Bardo, A Mohammadia et dans les vergers de Mannouba), les autres pour l'éte (a la
Marsa et A Hammamtif).
La croissance de la ville se faisaitB partir de ses faubourgs essentiellement vers le sud (Babel,Jaziza,Bab
Alíoua, Bab El Fella, Bab EI Jadi, Bab EI Minara, etc..) et vers le nord (Bab Souikha,Halfaouine,Bab El
Khadra, Bab SaBdoun,etc...)
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2 L'avènement de la colonisation
La colonisation a commence par creer sa propre ville entre la Medina et le lac de Tunis, et m G m e sur une
grande partie de celui-ci,y implantant son administration,ses lieux de culte (la catharale en face de la
Residence Genitrale) et les differents symboles de son pouvoir : les banques, les grands magasins
modernes, les cafes,les restaurants, les hbtels,les salles de cinema,ses Btablissements scolaires,etc...
Par son activite florissante,la ville europeenne a concurrence la Medina et elle est devenue le centre de la
ville. Petit petit, l'espacede la ville europeenne s'est segregue,donnant trois types d'habitat :
- Au centre de la ville s'est developp4 un habitat collectif dans des immeubles plus ou moins riches,dans
le style des villes françaises du 19e sihcle, mais aussi avec une grande influence du style italien
(notamment dans ia petite Sicile et dans le quartier compris entre la rue de Madrid et la rue Berthelot).
Hormis les grands immeubles de l'avenue de France et de la rue de Rome, la masse de la population
habitant ce quartier est composee surtout des couches inferieuresde la population coloniale (les siciliens,
les corses,les sardes,les italiens et les français travaillant dans le petit commerce, la couture,la reparation
et l'entretien mécaniques, les petites industries alimentaires, ou des ouvriers bénBficiantdu tiers colonial,
etc.....)Il y avait dgalement une large part de la communaute juive qui s'est plus ou moins integree la
population coloniale.La résidence d'et6 de ces populations était plutôt A la Goulette,et son extension au
nord vers Carthage,et un peu¡ moins a la Marsa et A Hammamtif.
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- Les couches intermédiaires de la colonisation se sont installees soit en plein centre de la ville,dans les
meilleurs immeubles de l'avenue de Paris et de la rue de Rome, soit dans un habitat pavillonnaire plutôt à
l'ouest et au sud,mais dans les meilleurs sites : France-Ville (El Omrane), Monfleury,Mathilde-Ville,
Belle-Vue,Saint-Jacques(Benarous),Mégrine-Coteaux,Saint-Germain(Ezzahra),etc...
Imitant la population coloniale, l'aristocratie Beyllicale et les classes aisées ont quitte la Médina pour
s'installer dans les nouveaux quartiers résidentiels respectant - a quelques exceptions pres - lâ même
hiérarchie :les plus riches vers le nord,et les moins riches au sud,mais plutôt A l'est (du côté de la mer)
qu'a l'ouest.
En même temps que se développaient a l'est et au nord la ville européenne et les quartiers résidentiels,
les gourbis-villesont commencé - notamment dans l'entre-deux-guerres- a se développer aux portes de la
ville,du côte de Séjoumi,à l'ouest. La destructuration de la campagne par l'introduction de l'exploitation
coloniale de type capitaliste et de l'economie du marché a affecte les regions aux terres fertiles,
convoitées et accaparéespar les colons,entraînant un exode rural qui est reste limité avant de connaître,
après la décolonisation,un bond qualitatif a l'image de l'ensemble des phénomènes urbains decrits plus
haut.
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II L'EVOLUTION ACTUELLE
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collectif a souvent et6 B titre de location - presque symbolique soit aupres des anciens proprietaires qui
cznt gard4 la propr%t8 de leurs biens en attendant une solution pour te transfert de leurs valeurs (ce qui
n'est pas encore totalement résolu),soit aupres de nouveaux propriétaires qui etaient bien placés au
moment de la decolonisation, pour contracter des affaires onéreuses, profitant des possibilités qu'ils
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avaient et qu'ils ont toujours pour transferer frauduleusement les fonds necessaires A de telles
transactions.
Ces departs massifs de la Medina et ses faubourgs ont et6 suivis par I'arriveede nouveaux occupants
moins riches et d'origine turale. Le plus souvent, l'ancienne "Dar",qui abritait une riche famille citadine,se
tranforme en une "Oukala" (un veritable garni) avec une famille par piece. C e mouvement a entraine un
changement important du niveau socio-economiquede la population de la Medina, et une degradation à
vue d'oeil d'un patrimoine architectural irremplaçable. La taudificationde la Medina et ses faubourgs a pris
des dimensions dramatiques telles que des instances internationales ont mobilise des fonds importants
pour la sauvegarde de la Medina de Tunis. En effet, l'UNESCO,avec le concours de la "Fondation Ford,
ont soutenu les efforts de I'A.S.M. (Associationde la Sauvegarde de la Medina) et le district de Tunis,pour
mettre au point tout un programme pour la rtShabilitation de la Médina et ses faubourgs (la Hafia,
Halfaouine,Bab-Suika).
Dans ce cadre, des mesures ont 6tB prises pour "desserrer"la Medina (contribuant a la baisse de la
population du centre ville de 147 O00 en 1975 a 102 O00 en 1984).C e dépeuplement de la Mddina et
de ses faubourgs est le resultat de plusieurs facteurs conjugues, dont notamment :
a) la tres grande degradation du bat¡ et son exiguite ? qui ne correspondent plus aux nouvelles "modes"
de citadinites,engendrant une preference pour les types d'habitats differents de l'habitat traditionnel
(d'oùle delaissement de la maison B patio au profit de la villa et de l'habitat collectif.
b) l'éclatement de la famille traditionnelle (qui est une autre expression de la nouvelle citadinité, et la
tendance de la famille "nucl4aire"B avoir son logement independant.
c) la selectivite de la politique de rehabilitation qui remplace les vieilles maisons d'habitat populaire par des
immeubles de haut standing (comme ceux qui poussent sur le bord de la Medina le long du boulevard 9
avril ?).
d) les grands espaces consommés par les gros equipements réalises - ou en cours de réalisation a la -
place d'un tissu urbain à tres forte densité de logements et de population (comme c'est le cas du projet de
réhabilitation de la place Bab-Suika-Halfaouine).
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2 Le déclin et le dépeuplement de la ville basse (ou la vieille ville européenne):
Nous avons vu plus haut comment le départ de la population coloniale et les émigr_ationssuccessives de la
communauté juive ont engendré un changement important au niveau de la population de cette partie de la
ville, avec une grande proportion de locataires qui rêvent d'accéder un jour a la propriété de leur logement
(c'est là une caractéristique fondamentale de la citadinité : en Tunisie,tout est sacrifié pour l'acquisition
d'un logement. Les propriétaires sont de deux types :
- soit d'anciens colons ou des juifs émigrés qui n'ont pas pu vendre leurs biens en raison du problème du
transfert des valeurs
- soit de nouveaux propriétaires qui se sont trouvés du jour au lendemain en possession d'un vaste parc
immobilier (plusieurs immeubles et des dizaines d'appartements), qu'ils ne connaissent souvent que sur le
papier, et qui ne les intéressent que par les rentrées de loyers à la fin du mois.
Dans les deux cas, l'entretien de ce parc immobilier n'est pas assuré : pour les uns en raison de ,
I'éloignement des propriétaires et pour les autres, en raison de cette mentalité de nouveaux riches qui
veulent gagner plus en dépensant moins. Ainsi, on assiste à une dégradation de ce patrimoine immobilier
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et architectural de grande valeur,aussi bien du point de vue artistique que de celui de la nécessité de faire
face B une demande sans cesse croissante en matiere de logement.
Cette degradation s'est accel6ree avec la tendance de deplacer le centre vers le nord, pour le rapprocher
des quartiers residentiels les plus riches (dans la zone du Belvedere). Malgr6 une volonté affichée de
contre-carrer cette tendance (par la programmation dans les années 70 de trois centres d'équilibre :un au
sud,un B l'ouest et un troishme au nord), elle ne faitque s'affirmeravec le projet des "Berges du Lac",et
avec le passage la realisation du centre urbain nord, pendant que les deux autres restent au niveau des
bonnes intentions.
La tertiarisation galopante et les grands projets des capitaux saoudo-koweitiens et des puissances
financieres occidentales, qui tendent B transformer toute cette partie de la ville en un hyper centre à
I'americaine,ont engendre un mouvement de d6molitions massives d'immeubles, de hangars, de dépôts,
de garages,de petites industries et de locaux d'activit6s diverses, pour faireplace A des banques, des
hbtels,de grandes tours de bureaux et des parkings.....
Les petites activites qui faisaient l'animation de la basse ville sont repoussees vers la périphérie. La
population habitant la vieille ville europeenne a connu le m Q m e phenornene de deplacement que celui de
la Medina, et en general suivant la m e m e logique :la creme a rejoint les quartiers residentiels à l'est et au
nord. Les couches moyennes, qui constituent la masse, ont rejoint les habitats collectifs de type
6conomique et les centres des anciens noyaux peripheriques integres B l'espace urbain tunisois. Une
infime minorite a participe B l'exodeurbain en direction des quartiers d'habitat spontané péri-urbain.
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3 L'extension et la densification du tissu urbain dans la région de Tunis
L'agglomération de Tunis est passée de 540 O00 habitants en 1956 A 1 400 O00 habitants en 1984.Cet
accroissement de la population est dÛ B trois facteurs qui se sont conjugues pour contribuer 8 son
triplement en l'espace de trente ans :
- un assez fort taux de croissance démographique
- un exode rural qui a pris une vitesse de croisiere les deux pr6cédentes decennies
- I'integrationB l'espacetunisois de plusieurs petites agglomérations rurales
Pour faire face à cette multiplication de la population de la capitale,un effort de construction a fait jaillir une
multitude de quartiers autour de Tunis et des noyaux urbains qui l'entouraient,remplissant de plus en plus
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les espaces agricoles ou simplement marécageux et impropres à l'urbanisation - qui les séparaient.
a) Une urbanisation planifiée qui a eté, jusqu'a la moitié des années 70,essentiellement le fait des
pouvoirs publics, et depuis, le fait des grands promoteurs immobiliers. Cette urbanisation a profité, au
départ,aux cadres de l'administration et aux couches moyennes. Elle s'est développée autour des axes
routiers à proximité du centre ville,dans les centres des vieux noyaux urbains périphériques et sur des
terrains viabilisés et destines à l'urbanisation.
b) Une urbanisation illégale au départ,légalisée par la suite,et profitant des investissements publics,bien
qu'étant le fait d'initiatives privées et non prévue par la planification urbaine. Elle est le fait des classes les
plus aisées et les plus influentes. Elle se développe sur les meilleurs sites : sur la côte et dans le
prolongement des anciens quartiers résidentiels des classes favorisées,avec le m ê m e type d'urbanisation
caractérisée par les goljts de luxe et le désir de "faire voir" une richesse aussi insolente qu'illicite.
c) Une urbanisation illégale précaire, qui se développe d'une façon anarchique et rapide, dans le
prolongement ,des vieux "gourbis-villes",à l'ouestde la ville, ainsi que dans les espaces intersticiels
impropres à I'uhanisationdans les autres quartiers.
Jusqu'à la moitié des années 70,cette urbanisation était le fait des fournées les plus récentes de l'exode
rural et des couches les plus déshéritées. Depuis cette date, elle est devenue pour une part de plus en
plus importante,le fait de couches moins déshéritées quittant le centre et les vieux "gourbis-villes".
Ceux-cis'installent souvent sur des terrains agricoles,lotis et vendus illégalement,et de plus en plus loin
du centre. Malgré l'absence de viabilisation et d'équipements, ils produisent une urbanisation plus
ordonnée et moins précaire que celle des vieux et nouveaux "gourbis-villes",qui sont le fait de l'exode
rural direct.Ceux-ciconcement des couches encore plus démunis et continuent a pousser sur les terrains
les plus impropres à l'urbanisation (en particulier sur les bords marécageux et inondables de Séjoumi et au
milieu des décharges publiques,sans la moindre commodité).
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- la politique du "bulldozer" A l'est de la ville, dans l'espace des grandes residences, et des projets
grandioses.
- la politique de "l'autruche" a l'ouest, oli l'on laisse cette forme d'urbanisation proliferer dans des
conditions inhumaines,sans equipements et sans infrastructures.
La moitie de la surface construite entre 1975 et 1979 dans l'espace tunisois est le fait de ce type
d'urbanisation,qui concerne aujourd'hui plus du tiers de la population de Tunis. Pendant cette periode, la
surface que couvre cette forme d'urbanisation (plusde 400 ha en 1975)s'est mulipli6e par quatre.