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René-Maurice Dereumaux
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ISSN 1779-3572
ISBN 2747212540
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LE LUXE ET L’IMAGE
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DE MARQUE
René-Maurice Dereumaux *
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* Docteur en sciences de gestion de l’Université de Nice-Sophia-Antipolis, Executive MBA HEC, Mastère spécialisé en
Diplomatie, 7 mandats sociaux en qualité de gérant du Groupe Roche Bobois, Président de la Commission Finances de
la CCI Nice Côte d’Azur.
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marchand qui s’oppose à un point de relations de marché ou de contrat,
vue historique, que certains préfèrent alors toutes les personnes capables de
appeler le point de vue « aristocratique ». payer ont droit au luxe. Ainsi, la dis-
Malgré les divergences qui leur sont tinction se fait selon de nouveaux cri-
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inhérentes, le luxe se distingue, dans tères, plus quantitatifs cette fois, qui
ces deux définitions, en tant qu’écart ; il reposent principalement sur la capaci-
permet la distinction par rapport aux té des individus à payer. Cette évolu-
standards et aux produits normaux ou tion a profondément changé la ges-
banals. Pourtant selon le parti pris - tion des entreprises de luxe. Les
commercial ou traditionnel - l’élément entreprises basées sur le principe
du produit qui sera à l’origine de la dis- « aristocratique » ont du faire face à
tinction ne sera pas le même. cette modification tout en conservant
Dans le luxe traditionnel, la différen- leur ancrage traditionnel. Mais ce
ce repose essentiellement sur le type changement s’est effectué sereine-
de consommation. Pour reprendre ment grâce aux groupes financiers,
l’image aristocratique, la consomma- qui sont venus épauler les maisons de
tion de luxe doit exprimer cet écart de luxe dans ce nouveau défi du marché
pouvoir, de potentiel, entre « l’élite et le global. Ces groupes ont jugé que le
peuple » 1. La distinction qui se cristal- patrimoine culturel et social des mai- 71
lise dans l’achat de bien de luxe sons était une assurance de réussite et
montre à la fois la différence écono- donnait une caution suffisante aux
mique et la différence culturelle. maisons de luxe pour progresser. Et
Ce modèle « culturel » est celui du luxe cela, notamment, parce que ce patri-
français, notamment dans la haute cou- moine était concrétisé par l’image de
ture, vitrine la plus visible du luxe. Le marque, le produit commun à toutes
luxe s’organise autour du créateur et de les maisons de luxe, leur bien le plus
la création originale, une structure précieux.
concentrique qui s’impose à la produc- Pour bien comprendre le rôle de
tion, au management et même aux ins- l’image de marque dans le luxe, nous
titutions. Ce modèle a été et reste l’étudierons dans un premier temps à
aujourd’hui très efficace pour diffuser le travers le rôle du marketing dans le
luxe « à la française » à travers le monde, luxe, avant de présenter la réalité de
pourtant il s’est fragilisé au fil du temps l’image et de conclure par les fonde-
car sa philosophie tombe petit à petit en ments de cette richesse.
désuétude.
1. C. Barrière, « Luxe aristocratique et luxe marchand : de Cristobal Balenciaga à Nike » in Les cahiers de la recherche
Luxe-Mode-Art, n° 1, Paris, 2002.
N° 1/2007
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France. Ce rejet provient largement dent pas de cahiers des charges
d’une ignorance conduisant à une vision capables de recenser toutes ces
erronée du marketing. S’il a pénétré le attentes ; ils se représentent donc un
milieu du luxe, son contenu reste, enco- « client idéal » pour lequel ils vont tra-
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travers le monde entier, notamment pour Un produit de luxe est l’association
les marques de luxe. La marque permet d’un objet et d’une représentation,
aussi le regroupement des objets, son autrement dit d’un élément objectif et
utilisation générique représentant l’en- d’une idée, d’une image subjective. Pour
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N° 1/2007
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consommateurs potentiels du produit. image de marque rapidement pour être
Chaque consommateur porte sa propre autorisées à intégrer le domaine du
conception du luxe, mais l’image luxe. Ainsi, cette création d’image n’est
unique de la marque, même si elle peut pas un critère pour discriminer le « vrai
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être complexe, est capable de les luxe » du « faux » [sic.] comme certains
atteindre tous, surtout si la conception détracteurs des marques de luxe
de cette dernière a été soigneusement récentes aimeraient le faire croire. En
élaborée. effet, la création de marque n’est pas
récente, à l’instar de Worth, Chanel a
La création de l’image de marque joué sur son nom et sur son image
La plupart des marques de luxe tradi- pour s’imposer au cœur des années
tionnelles ont obtenu cette image de folles. De fait, une image crédible ne
marque au fil du temps et plutôt de nécessite pas forcément des siècles
d’expériences et de savoir faire ! Elle
manière inconsciente. En élaborant leur
doit surtout, en plus du préalable de
produit dans les meilleures conditions et
qualité et d’originalité indispensable,
les plus grandes exigences techniques et
répondre à une attente de reconnais-
sociales, c’est leur clientèle qui les a
sance et être en phase, et même un
progressivement différenciées des
peu en avance, avec les évolutions
74 autres producteurs. Le statut de luxe
sociales importantes. Ainsi à travers
s’est donc construit progressivement.
Coco Chanel et sa marque s’illustre
D’ailleurs les marques de mode datent l’évolution du statut de la femme dans
de la deuxième partie du XIXe siècle ; la société du premier XXe siècle. La
jusqu’alors, il n’y avait que des bons fai- marque Chanel capitalise sur le symbo-
seurs, plus ou moins connus, mais pas le toujours actif actuellement de la
véritablement de créateurs, et donc pas femme libre et dynamique. De tels
de marques à proprement parler : seuls exemples existent aujourd’hui : les
les artistes signaient leurs œuvres. jeunes dirigeants se reconnaissent plu-
Hermès, qui a ouvert sa maison en tôt dans le sobre et l’élégant de Gucci,
1837, fabriquait seulement des harnais Ralph Lauren ou encore Armani alors
de chevaux, qu’il ne griffait évidemment que les « bourgeois bohêmes » se sen-
pas. Mais petit à petit, l’idée d’une tent plus proches des univers de
marque et d’une véritable diffusion du Christian Lacroix ou de Kenzo. Les
talent et de l’esprit du créateur s’est marques et leur image sont des signes
imposée. Elle fut concrétisée la premiè- de reconnaissance, en plus des signes
re fois par le « couturier » Charles de confiance. Mais créer une marque
Frédéric Worth qui ouvrit sa maison, rue n’est pas suffisant, il faut également
bien la gérer pour éviter que les efforts Création, gestion, développement ne
dus à la création ne soient vains. sont possibles que si les fondements de
l’image sont solides et maîtrisés.
La gestion de l’image
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Selon l’article L. 711-1 du code fran- Les fondements de l’image
çais de la propriété intellectuelle, une
marque de fabrique, de commerce ou L’image du luxe doit représenter l’ex-
de service est « un signe susceptible de ception, la rareté, la beauté, le raffine-
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représentation graphique servant à dis- ment. Elle doit également refléter cer-
tinguer les produits ou services d’une tains paradoxes du luxe et les sublimer
personne physique ou morale ». Une par des compromis entre la tradition et
définition générique qui s’applique à la modernité, la sobriété et l’éclat. Des
toutes les industries et pas seulement à qualités que l’on ne retrouve que dans
l’industrie du luxe. Elle nous rappelle l’art. C’est pourquoi, d’aucuns considè-
pourtant l’importance de la protection rent que l’art et le luxe ont partie liée.
de la marque. Si la gestion de l’image de Ainsi, lors du lancement de la collec-
marque est importante, le premier tion printemps été 2003 des sacs Louis
combat reste celui contre la contrefa- Vuitton, les sacs vedettes étaient ceux
çon ; les produits contrefaits sont, en signés par l’artiste japonais Takashi
effet, la pire des publicités et contri- Murakami. Le succès créant la pénurie,
buent à la dégradation de l’image en élément crucial du marketing du luxe,
plus de générer des pertes de chiffre une liste d’attente de quatre mille com-
d’affaires. mandes se forma à travers le monde, au 75
En plus de lutter sans merci contre la point que ce modèle de sac représenta
contrefaçon, les maisons de luxe atta- en 2004, 10 % des ventes de sacs Louis
chent une attention particulière à la ges- Vuitton. En sus de la signature de l’artis-
tion de l’image. Dans cette optique, les te, la qualité et la difficulté de la fabri-
maisons font effectuer de plus en plus cation de ces sacs donnèrent une plus
régulièrement des études d’image par value à la création artistique. Cette ges-
des consultants spécialisés distinguant la tion du luxe permit à Vuitton de propo-
notoriété (connaissance et reconnais- ser à ses clients un produit d’exception
sance du nom), l’image, les représenta- à la plus value incontestable.
tions associées. Ces études d’image sont L’art vient à l’appui du luxe, qui déve-
également nécessaires lorsque l’entre- loppe aussitôt son marketing à travers
prise cherche à distribuer une licence de l’image.
son nom. Dans ce cas, l’industriel dis- Parmi les précurseurs de cette interre-
posant de la licence utilise la marque de lation entre le luxe et l’art, Yves Saint
luxe mais ne peut pas le faire à sa guise, Laurent est l’un des plus connus. Il prit,
la marque étant toujours être contrôlée, dès 1965, ce parti avec ses robes
quel que soit son mode de gestion Mondrian dont les coupes strictes et le
direct ou indirect. jeu des couleurs des robes étaient en
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Metropolean Museum de New York lui Synthèse et conclusion
consacrera une exposition en 1983.
Tous les objets cultes du luxe ont un Le métier des entreprises du luxe est
lien, volontaire ou non, avec l’art. Le donc la production d’une image. Celle-
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stratégies, mix, etc. – est aujourd’hui affirment être des créateurs de rêves.
parfaitement maîtrisé par l’industrie du Ainsi, les entreprises du luxe cherchent
luxe. Longtemps rejeté par le milieu – à créer une association d’idées dans l’es-
sous le prétexte qu’une œuvre d’art et prit des consommateurs, potentiels ou
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un produit de luxe n’ont pas besoin de traditionnels. La perception d’un objet et
promotion pour se vendre – le marke- l’évocation d’un nom doivent résonner
ting en tant que fonction de médiation avec un ensemble d’images et de mots
entre l’offre et la demande est bel et estimés et appréciés ainsi qu’avec une
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exceptionnel dans une ville de prestige. AVELINE F., Chanel parfum, Assouline, 2002.
En conséquence, ce sont tous les BAUDRILLARD H., Histoire du luxe privé et public Depuis
L’Antiquité Jusqu’à nos jours, Hachette, 1980.
signaux, signes et indices émis par la
BENJAMIN W., L’Œuvre d’art à l’époque de sa repro-
marque qui doivent créer la différence duction mécanisée, Gallimard, 2003.
et faire sentir au client que son achat
BERGERON L., Les industries du luxe en France, Odile
d’un produit de luxe ne répond pas seu- Jacob, 1998.
lement à un besoin matériel, mais qu’il BOTTON M., CÉGARRA J.-J., Le Nom de marque, Mac
est également le passeport pour un uni- Graw Hill, 1990.
vers d’exception, un univers idéal. Cet BOURDIEU P., La Distinction, critique sociale du juge-
univers est même onirique à en croire ment, Minuit, 1979.
les déclarations des marques de luxe qui CHÉTOCHINE G., La Déroute des marques, Liaison,
1995.
N° 1/2007
BERTRAND D., « Approche sémiotique du luxe : entre MERCILLON H., « Marketing et marché de l’art : vers un
esthétique et esthésie », Revue Française du marke- bouleversement des échanges de biens d’art ? »,
ting, n° 187, 2002. Revue Française du marketing, cahier 132-133,
1991.
DEREUMAUX R-M., « Le luxe, application à l’industrie du
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meuble », Thèse de Doctorat ès Sciences de Gestion, MICHEL G., La Stratégie d’extension de marque,
Université de Nice-Sophia-Antipolis, 2006. Vuibert, 2000.
DUBOIS B., « Qu’est-ce que le luxe ? Une analyse MOULIN R., Le Marché de l’art, Flammarion, 2000.
exploratoire de visuels publicitaires », Revue
PATERNAULT C., Études Risc, Les clients du luxe dans le
Française du marketing, cahier 132-133, 1991.
monde, 2001.
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