Synthèse Philosophie Moderne

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Sébastien Gustin 2020-21

Histoire de la philosophie moderne1


Descartes
1. Au-delà du cogito : l’enjeu des Méditations métaphysiques
1. Le problème de la certitude des connaissances
- Il s’agit de Méditations : l’auteur propose l’histoire d’un sujet qui médite, en
première personne ; et qui découvre progressivement un certain nombre de thèses ; et qui
résout au cours des six méditations, présentées comme ayant lieu au cours de six journées
successives, un certain nombre de difficultés ; et qui, finalement, change sa manière
d’aborder le problème de la connaissance, et reconsidère ce qu’il tenait pour le plus
immédiat et le plus évident, la connaissance sensible. Les Méditations sont un exercice
spirituel que le lecteur est invité à accomplir lui-même. Et ce lecteur-méditant est, en même
temps, l’auteur et l’objet des Méditations : il s’agit pour lui d’examiner ses propres pensées,
ses propres contenus mentaux. Ce sont des méditations religieuses -> introspection, regard
sur sa propre vie, exercice spirituel en 1ère personne, examen de ses propres idées (il publie
en petit format comme les livres religieux) -> demander que le lecteur fasse le trajet
jusqu’aux conclusions.
- Ce sont aussi des méditations métaphysiques ou touchant la philosophie première :
Descartes reprend ici un terme d’Aristote (philosophia prima), qui engage une certaine
conception de la métaphysique comme étant une science plus fondamentale que toutes les
autres en ce qu’elle cherche à établir les principes ou fondements les plus essentiels de
celles-ci. Descartes ne reprend pas à son compte le contenu de la métaphysique d’Aristote,
mais il en reprend l’approche fondationnaliste de la connaissance : la conception selon
laquelle toute connaissance doit reposer sur une fondation sûre, par exemple un petit
nombre de principes incontestables. Descartes illustre cette approche par l’image d’un arbre
: « Toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc
est la physique, et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences, qui se
réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale ». Descartes,
Préface aux Principes de la Philosophie (1644).
- Conformément à cette approche fondationnaliste, l’enjeu du texte est très clair dès
le premier paragraphe : il s’agit, pour le sujet des Méditations, « d’établir quelque chose de
ferme et de constant dans les sciences » (MM1, 1). Et il a même prévenu dans la préface que
les raisons qu’il présente « égalent, voire surpassent en certitude et évidence les
démonstrations de géométrie » (p. 38). Autrement dit, les Méditations ne partent pas de la
certitude des sciences déjà constituées pour s’interroger sur une possible extension de
l’intelligibilité physico-mathématique hors de son domaine d’origine ; mais Descartes y pose
le geste radical d’interroger le fondement de la certitude de toute connaissance, y compris
les mathématiques.
- Conformément à cette même approche, les propositions de métaphysique que
Descartes annonce dans le titre (Méditations dans lesquelles l’existence de Dieu et la
distinction réelle de l’âme et du corps de l’homme [et partant la possibilité de l’immortalité

1
Remarque : il s’agit du syllabus complété avec les notes du cours
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de l’âme] sont démontrées) n’ont de sens que relativement à ce qu’elles permettent de


fonder, à savoir, la physique mathématique de la nature. C’est en raison de cette approche
fondationnaliste que Descartes peut avancer que la certitude métaphysique va égaler, et
même surpasser, la certitude mathématique (Lettre-préface). En effet, les mathématiques
s’appuient sur des principes, mais ne les justifient pas. Descartes est un des plus grands
mathématiciens de son époque : il sait ce que c’est que la science, mais il ne sait pas ce qui
fait que les mathématiques sont certaines -> analyse métaphysique.
- Même si cet enjeu n’apparaît pas clairement au fil des Méditations, qui vont porter
successivement sur l’examen de l’esprit, de Dieu, des corps, etc., Descartes cherche pourtant
principalement à garantir la certitude d’une physique quantitative de la nature qui doit se
substituer à la physique qualitative des Aristotéliciens. Ce renversement anti-aristotélicien
s’atteste en réalité à la fin des Méditations, lorsque la connaissance de l’essence des choses
(Méditation cinquième) est garantie avant même la connaissance de l’existence des choses
(Méditation sixième). En effet, pour être absolument certain des sciences physico-
mathématiques, il faut établir un fondement avec l’existence de Dieu et la distinction de
l’âme et du corps, mais cela n’est pas si simple à ce temps où la physique d’Aristote règne
toujours. Il reprend des termes aristotéliciens pour en terminer avec sa physique.
- Il faut donc savoir lire entre les lignes puisque Descartes « écrit entre les lignes » :
démontrer la distinction réelle de l’âme et du corps, c’est avant tout établir que l’on peut
connaître les corps indépendamment de toute âme (ou forme aristotélicienne), et c’est donc
établir une autre physique des corps.
- Pour bien situer le problème de la certitude, il faut distinguer successivement : Les
choses (les êtres existants) : c’est le niveau ontologique ; les énoncés sur les choses : c’est le
niveau sémantique, à savoir le fait de formuler des propositions ayant un sens à propos des
choses ; la vérité des énoncés (sur les choses) : c’est le niveau aléthique, à savoir le fait
d’attribuer le prédicat ‘vrai’ ou ‘faux’ à un énoncé ou une proposition ; la certitude de la
vérité (des énoncés (sur les choses)) : l’assentiment subjectif de la vérité.
- Ce que les Méditations veulent donc établir, c’est un moyen de garantir la certitude
des connaissances : que cette certitude ne soit pas prise en défaut, autrement dit qu’on ne
prenne pas le faux pour le vrai. Bien entendu, le sujet des Méditations, qui n’est rien d’autre
qu’un lecteur ayant quelques connaissances élémentaires en sciences, est pétri de certitudes
pratiques et théoriques qu’il ne remet pas en question : sans même parler des croyances
personnelles, qui sont le plus susceptibles d’être éphémères ou inconstantes, le sujet semble
bien disposer d’un certain nombre de certitudes constantes, concernant par exemple les
mathématiques ou l’existence d’un monde extérieur. La question est alors : qu’est-ce qui
garantit la constance de ces certitudes ? Comment m’assurer que cette certitude ne sera pas
prise en défaut ? Descartes soulève ainsi le problème d’une auto-fondation de l’esprit.
- L’enquête métaphysique doit marquer le moment irréversible, une fois dans sa vie
(semel in vita), de l’instauration de la certitude des sciences. En toute rigueur, sans elle il n’y
a pas de science proprement dite.
2. La fiction du doute hyperbolique et la recherche d’un point fixe
- En proposant les Méditations, il propose de changer notre manière de voir les
choses. C’est le sujet qui vient méditer avec Descartes.
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- Afin d’établir un tel point fixe dans les sciences, Descartes imagine l’expérience de
pensée du doute hyperbolique (ou doute radical, ou méthodique), càd d’un doute exagéré, «
extravagant », et qu’il finira par qualifier de « ridicule » (MM6, 43) : il s’agit de rejeter
comme fausses toutes les connaissances pour lesquelles on peut imaginer qu’il y ait une
possibilité d’erreur, même si, du point de vue de la certitude psychologique, le sujet n’en
doute absolument pas et pense que le risque d’erreur est presque nul. Insistons : il ne s’agit
pas d’un doute psychologique. Autrement dit, le sujet ne doute pas, en pratique, qu’il a des
mains, par exemple. Mais la question est : en ai-je une justification infaillible ou indubitable
? C’est à cela que sert le doute hyperbolique : écarter toute possibilité d’erreur, bien au-delà
de nos certitudes présentes. Il s’agit donc de « commencer tout de nouveau dès les
fondements », ce qui peut s’entendre des fondements des sciences, mais aussi des
fondements mêmes de l’esprit. C’est la raison pour laquelle la Méditation Seconde
examinera en premier lieu la nature de l’esprit. C’est de là qu’il faut partir. Redonnons
l’argument.
- Peut-on imaginer une possibilité d’erreur dans nos connaissances sensibles ? Oui,
les illusions de sens en témoignent.
- Peut-on imaginer une possibilité d’erreur quant à l’existence des choses extérieures
? Oui, les expériences du rêve ou de la folie indiquent que la distinction entre des
perceptions véridiques et hallucinées n’est peut-être pas si claire.
- Peut-on, enfin, imaginer une possibilité d’erreur dans nos connaissances
intellectuelles, par exemple en mathématique ? Chacun en a déjà fait l’expérience.
- Le sujet des Méditations fait alors intervenir une généralisation de la
possibilité d’erreur sous la forme d’un mauvais génie « qui emploie toute son industrie à me
tromper » (MM1, 12) : c’est l’hypothèse d’un dérèglement constant du fonctionnement de
mon esprit, et par conséquent des contenus mentaux. Le mauvais génie ne doit pas être
pensé comme externe à moi-même : c’est l’hypothèse d’un mauvais esprit, càd d’un esprit
dont la nature est de se tromper en permanence et qui semble incapable de parvenir à une
quelconque vérité (quelle que soit l’origine de cette nature : un dieu, un génie, le hasard ou
la liaison naturelle des choses dit MM1, 10). Il apporte également l’hypothèse d’un Dieu
trompeur, càd l’idée selon laquelle j’ai été créé par un Dieu qui ne cesse de me tromper. La
formulation du problème est si radicale qu’il semble désormais insoluble : comme puis-je
garantir la certitude constante de mes connaissances, idées ou contenus mentaux si je fais
l’hypothèse d’un dérèglement constant de l’esprit ? Autrement dit : dispose-t-on d’un
moyen pour rejeter tout à fait l’hypothèse du « mauvais génie » et écarter toute possibilité
d’erreur ? Ou encore : est-il possible de trouver un « point fixe » malgré l’hypothèse d’un
dérèglement complet de l’esprit ?
- Il faut noter toutefois qu’un élément décisif échappe au doute hyperbolique et à
l’hypothèse du génie trompeur : « Je demeurerai obstinément attaché à cette pensée [d’un
génie trompeur] ; et si, par ce moyen, il n’est pas en mon pouvoir de parvenir à la
connaissance d’aucune vérité, à tout le moins il est en ma puissance de suspendre mon
jugement (MM1, 12) ».
- Le doute hyperbolique concerne ainsi les contenus mentaux : je perçois, par
exemple, que j’ai des mains et un corps ; mais je fais l’hypothèse que je suis trompé et que
c’est ainsi une fausse perception ; par conséquent je n’ai d’abord aucune certitude
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indubitable d’avoir des mains et un corps. Mais le doute hyperbolique ne concerne (1) ni le
fait que j’ai des idées ou des contenus mentaux en mon esprit, (2) ni le fait que je peux
librement suspendre mon jugement à propos de ceux-ci. Ces deux éléments seront décisifs
pour lever l’hypothèse du mauvais génie. Retenons pour l’instant que les Méditations sont
l’œuvre de la liberté du sujet : celui-ci s’applique « sérieusement et avec liberté » à détruire
ses anciennes opinions (MM1, 2) ; il conçoit librement l’expérience du doute hyperbolique ;
et il garde la liberté de suspendre son jugement, càd non seulement la liberté « usuelle » de
ne pas se prononcer lorsqu’il n’est pas certain, mais aussi la liberté « radicale » de considérer
comme faux ce en quoi il peut imaginer le moindre doute.
- Il n’a donc aucun plan, aucun guide, aucune méthode -> cela justifie la forme du
livre : méditation -> nous n’avons aucune méthode pour atteindre une première vérité, nous
n’avons qu’un esprit qui est attentif à ses propres pensées. L’ensemble des Méditations peut
donc être considéré comme la recherche d’un point fixe, indubitable, qui permette d’écarter
toute possibilité d’erreur. Descartes le compare au point fixe archimédien, càd à un point
fixe qui permette de fonder les vérités de la (physique) mécanique : rappelons que le levier
est traditionnellement considéré comme une « machine », et qu’il n’est pas donc pas
insignifiant que Descartes cherche une « machine » pour fonder la nouvelle « philosophie
mécanique ». Bien plus, le développement des Méditations confirme que ce n’est pas tant le
premier point fixe qui importe que le levier qu’il permet de soutenir :
- En MM2, le sujet découvre le cogito (« je suis, j’existe ») comme le premier
énoncé indubitable, càd comme constamment vrai : « Cette proposition : Je suis, j’existe, est
nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit »
(MM2, 4).
- Ce premier énoncé indubitable ne permet cependant pas à lui seul
d’acquérir de nouvelles vérités, de sorte que le sujet est contraint de revenir
momentanément sur l’hypothèse du doute hyperbolique pour considérer à nouveau les
perceptions sensibles (ce que Descartes appelle « relâcher la bride » de l’esprit en MM2, 10).
- Par contre, les propriétés ou qualités logiques de l’énoncé (à savoir sa clarté
et sa distinction) mettent sur la voie d’une règle d’abord appelée « règle générale » : ce qui
se conçoit clairement et distinctement est vrai (MM3, 2).
- Pour que cette règle soit valide dans sa généralité, il faut à la fois s’assurer
(1) qu’il existe une garantie de sa validité (la garantie divine en MM3) et (2) qu’il est possible
de suspendre son jugement lorsque les critères de C&D ne sont pas remplis (MM4).
- Une fois que ces conditions sont remplies, le sujet dispose d’une règle qu’il peut
alors appeler « règle de vérité ». Cette règle constitue le véritable point fixe ou, plutôt, le
véritable levier pour garantir la certitude et la vérité des connaissances.
- Autrement dit, le sujet établit successivement plusieurs points fixes au cours des
Méditations : le fait de pouvoir suspendre librement son jugement ; le fait de disposer
d’énoncés indubitables acquis avant toute règle de vérité, par exemple le cogito ; enfin le
fait que la véracité divine, ou, dans une perspective déflationniste, la structure même de
l’esprit, garantit la généralité de la règle. Mais tous ces points fixes ne servent qu’à établir le
levier de la règle générale, dont le premier effet est de lever l’hypothèse du malin génie.
- La structure argumentative de la recherche de « quelque chose de ferme et de
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constant dans les sciences » peut ainsi être illustrée de la manière suivante :

3. Au fil des Méditations : l’évolution des idées vraies du sujet


- Une fois qu’un certain nombre de propositions ont été rejetées comme fausses par
le doute hyperbolique (à savoir : l’ensemble des propositions des sciences empiriques et
mathématiques, ainsi que les propositions portant sur notre expérience sensible, lesquelles
constituent l’essentiel de notre vie mentale, mais non pas toute notre vie mentale,
autrement le doute hyperbolique ne pourrait jamais être levé), les Méditations se
présentent comme une découverte et reconquête progressive des propositions vraies. Voici
le relevé de la situation épistémique du sujet à la fin de chaque méditation :

Propositions vraies Propositions fausses Doute


(hyperbolique)
Au début de MM1 - expérience sensible est
(avant le doute fiable
- physique
hyperbolique) - astronomie
- médecine
- arithmétique
- géométrie
A la fin de MM1 - un Dieu bienveillant
(après le doute existe
- expérience sensible
Hyperbolique, ou - physique
l’hypothèse du malin - astronomie
génie) - médecine
- arithmétique
- géométrie
A la fin de MM2 - Je suis - J’ai un corps
- Je pense (= j’ai des - Il y a des choses
actes de pensée : je matérielles en dehors de
doute, je veux, j’affirme, moi
je nie, j’imagine, etc.) - un Dieu bienveillant
- l’entendement est existe
l’essence de l’esprit - expérience sensible
- l’esprit est connu plus - physique
distinctement que le - astronomie
corps - médecine
- arithmétique
- géométrie
A la fin de MM3 - Je suis - un malin génie existe et - J’ai un corps
- Je pense peut me tromper - Il y a des choses
- l’entendement est - ma connaissance est matérielles en dehors de
l’essence de l’esprit limitée moi
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- l’esprit est connu plus - un Dieu bienveillant


distinctement que le existe
corps - expérience sensible
- Dieu existe - physique
- Dieu n’est pas - astronomie
trompeur - médecine
- Ce qui est clair et - arithmétique
distinct (C&D) est vrai - géométrie
A la fin de MM4 - Je suis - un malin génie existe et - J’ai un corps
- Je pense peut me tromper - Il y a des choses
- l’entendement est - ma connaissance est matérielles en dehors de
l’essence de l’esprit limitée moi
- l’esprit est connu plus - je ne peux échapper - un Dieu bienveillant
distinctement que le aux erreurs existe
corps - expérience sensible
- Dieu existe - physique
- Dieu n’est pas - astronomie
trompeur - médecine
- Ce qui est clair et - arithmétique
distinct - géométrie
(C&D) est vrai
- Je peux m’abstenir de
juger ce que je ne
connais pas C&D
A la fin de MM5 - Je suis - un malin génie existe et - J’ai un corps
- Je pense peut me tromper - Il y a des choses
- l’entendement est - ma connaissance est matérielles en dehors de
l’essence de l’esprit limitée moi
- l’esprit est connu plus - je ne peux échapper - un Dieu bienveillant
distinctement que le aux erreurs existe
corps - expérience sensible
- Dieu existe - physique
- Dieu n’est pas - astronomie
trompeur - médecine
- Ce qui est clair et - arithmétique
distinct (C&D) est vrai - géométrie
- Je peux m’abstenir de
juger ce que je ne
connais pas C&D
- arithmétique
- géométrie
A la fin de MM6 - Je suis - un malin génie existe et - J’ai un corps
- Je pense peut me tromper - Il y a des choses
- l’entendement est - ma connaissance est matérielles en dehors de
l’essence de l’esprit limitée moi
- l’esprit est connu plus - je ne peux échapper - un Dieu bienveillant
distinctement que le aux erreurs existe
corps - l’esprit ne peut survivre - expérience sensible
- Dieu existe au corps - physique
- Dieu n’est pas - les idées des sensations - astronomie
trompeur ressemblent aux choses - médecine
- Ce qui est clair et extérieures (qui les - arithmétique
distinct (C&D) est vrai causent) - géométrie
- Je peux m’abstenir de (2) - expérience sensible
juger ce que je ne
connais pas C&D
- arithmétique
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- géométrie - il y a des choses


- J’ai un corps matérielles hors de moi
- physique si C&D (3)
- astronomie si C&D
- médecine si C&D
- l’expérience sensible,
bien que confuse (donc
non C&D) m’enseigne un
certain nombre de
commodités pratiques
fiables
- Il y a des choses
matérielles en dehors de
moi (1) (3)

(1) Dans l’ordre des Méditations, les propositions qui ont rejetées en premier sont celles qui
seront justifiées en dernier : c’est bien l’argument du rêve (et la mise en cause des choses
extérieures) qui est levé en dernier.
(2) Les Méditations ne se contentent pas de justifier l’ensemble initial des propositions : non
seulement d’autres propositions sont établies comme vraies (« je suis, j’existe » ; « Dieu
existe », laquelle proposition est comprise cette fois-ci comme une idée innée de la raison et
non comme une idée fictive de l’imagination comme au début de MM1), mais d’autres
propositions sont aussi établies comme fausses (ainsi la thèse empiriste de la ressemblance
des idées des sensations avec des choses extérieures). L’ouvrage est bien conçu comme une
entreprise de conversion d’une position empiriste initiale à une position rationaliste.
(3) L’existence des choses matérielles reste problématique à la fin des Méditations : la liaison
de mes perceptions sensibles ne m’en donnera jamais qu’une certitude morale, non une
certitude métaphysique. L’argument du rêve est levé en pratique, non en théorie. Il n’y a
donc pas de démonstration de l’existence des choses matérielles qui soit comparable à une
démonstration mathématique : le scandale philosophique n’est pas qu’il n’y en ait pas, mais
que l’on veuille en chercher une. Le doute, en ce cas, se révèle bien « hyperbolique et
ridicule » (MM6, 43).
4. Autour des Méditations…
- Les Méditations paraissent en 1641 en latin et en 1647 en français. Elles sont
composées d’une épitre, d’un texte du libraire au lecteur, et de l’auteur au lecteur, un
abrégé, des Méditations Métaphysiques, et des objections et réponses.
- Il ouvre le texte par l’épitre car il cherche l’approbation de la Sorbonne, car elle
censure vite (par exemple, avec Galilée en 1633).
- Dans la préface, on remarque que le titre des Méditations annonce l’existence de
Dieu, et la distinction réelle de l’âme (possible immortalité) et du corps. Il annonce qu’il va
les démontrer. Les théologiens prennent ces 2 énoncés comme des connaissances de la foi
(elles n’ont pas besoin de plus d’explication que la foi elle-même). Et les athées ? Il leur faut
une démonstration et il va leur donner une justification rationnelle. 2 justifications :
croyance et démonstration -> on ne peut lire les Médiations si on monopolise nos idées de
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Dieu, du corps et de l’âme. En effet, il est marqué sur le livre « philosophie ». Chacun se croit
légitime de faire de la philosophie. Chacun va raconter sa petite expérience, opinion -> il faut
s’en défaire.
- Discours de la méthode (1637) : le bon sens est la chose du monde la mieux
partagée, car chacun pense en être si bien pourvu… » -> tout le monde peut avoir du bon
sens et ne pense pas qu’il lui manque quelque chose : le bon sens serait peut-être de
comprendre que l’on n’en a pas assez. Avec nos opinions on peut juger tout et n’importe
quoi -> il faut prendre compte de nos propres préjugés. Par exemple, le préjugé empiriste
est que les sens sont les fondements de nos connaissances. Tout discours a un angle mort,
càd des aspects qu’ils n’abordent pas.
- « On ne peut jamais être totalement sûr de la mathématique ». Il faut comprendre
Descartes dans la totalité de ses Méditations, la raison pour laquelle on ne va pas le
comprendre, c’est parce que cela va sembler bizarre -> les expériences sensibles ne sont pas
les plus certaines. Il fait appel aux théologiens pour que son texte soit pris au sérieux. -> on
n’échappe pas à ses préjugés, mais on peut les mettre de côté.
2. Le cogito
- Le titre de la Deuxième Méditation est aristotélicienne, car pour les gens, c’est le
corps qui est le plus connaissable -> or l’esprit est plus facile à connaitre que le corps.
- Les Méditations sont un examen récursif des idées du sujet méditant. On parle alors
souvent de Descartes comme l’initiateur d’une « métaphysique du sujet » (Ferdinand Alquié)
ou d’une « philosophie de la conscience ». Ce n’est toutefois pas le vocabulaire de Descartes.
Dans les Méditations, qui est son exposé métaphysique le plus développé et le plus
systématique, il n’emploie le terme latin de « sujet » (subiectum) que deux fois pour
désigner non le sujet qui a des pensées (sens 1) mais le sujet sur lequel porte les pensées
(sens 2). En français, il n’emploie le terme de « sujet » qu’une seule fois au sens. Enfin, il
n’emploie l’expression « je suis conscient » (conscius sum) qu’une seule fois, laquelle est
d’ailleurs traduite en français par « penser et en avoir connaissance ». Il faudrait mieux alors
considérer qu’il propose une « métaphysique de l’esprit » ou qu’il initie une nouvelle
manière de comprendre la métaphysique comme « réflexion de l’esprit sur lui-même »
(Pierre Guénancia). Si Descartes va examiner d’une manière radicalement neuve l’esprit
humain, on se gardera toutefois d’en faire l’inventeur de la « subjectivité » ou de la «
conscience » : ce qui n’a, historiquement et philosophiquement, que peu de sens.
1. La recherche d’un critère : caractère ou règle de la vérité ?
- Dans cet examen, l’énoncé « Je suis, j’existe » va être reconnu comme le premier
énoncé vrai et indubitable, ou indubitablement vrai : un énoncé dont la certitude qu’il est
vrai ne peut être mise en question. En effet, les autres critères, plus usuels, de la vérité ont
été invalidés par l’hypothèse du malin génie (ou la situation du doute hyperbolique) :
- le critère de la vérité-correspondance (qui est le critère traditionnel des
connaissances sensibles et qui détermine le vrai par un rapport de conformité ou similitude
entre la représentation et la chose) ne peut s’appliquer puisque l’existence même des
choses sensibles est mise en doute ;
- le critère de la vérité-cohérence (qui est le critère traditionnel des
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connaissances intellectuelles ou, dans un langage cartésien, des vérités éternelles qui
concernent l’essence des choses indépendamment de leur existence) ne s’applique pas non
plus puisque toute cohérence est remise en cause par l’hypothèse d’une perturbation
permanente de l’esprit.
- Ces deux critères usuels de la vérité ne sont pas rejetés comme faux ou inutiles (ils
seront d’ailleurs légitimés par après) mais ils ne sont pas ici pertinents car, dans la fiction du
malin génie, les conditions de leur applicabilité ne sont pas réunies : ce n’est pas tant le
problème de la vérité qui est posé ici que celui de la certitude de la vérité. La situation à la
fin de MM1 est donc celle-ci :
- le sujet dispose d’une marque du faux (à savoir est considéré comme faux ce
qui est dubitable, parce qu’on peut imaginer la possibilité d’une erreur) ;
- il ne dispose plus d’une règle opératoire de vérité ;
- mais il dispose d’une marque du vrai (à savoir l’indubitalité) qui ne procure
en elle-même aucun critère, aucune règle pour s’assurer de l’indubitabilité.
- Par conséquent, dans le dispositif du doute hyperbolique, la seule manière de savoir
si un énoncé est vrai est d’essayer, de manière récursive, d’imaginer une raison d’en douter.
L’indubitabilité serait alors obtenue comme l’indivisibilité des nombres premiers, puisqu’il
n’y a pas d’autres manières de s’en assurer que d’essayer de diviser les nombres. Mais il y a
une différence entre les deux procédés : l’indivisibilité peut être obtenue au terme d’une
récursivité finie (par exemple, pour savoir si 173753 est un nombre premier, il n’y a qu’à
essayer de le diviser par tous les nombres compris entre 1 et 173752) et pourra donc être
tranchée ; par contre, il se pourrait bien qu’il existe un nombre infini de raisons possibles de
douter d’un énoncé, raisons auxquelles je ne penserais pas nécessairement, de sorte que la
question de l’indubitabilité ne pourra être tranchée. En réalité, il suffit d’une seule raison de
douter à laquelle je ne pense pas pour que l’indubitabilité supposée se révèle toute relative
(et donc fausse). On peut ainsi reformuler l’hypothèse du mauvais génie : c’est l’incarnation
de l’infinité des raisons possibles de douter d’un énoncé.
- Le problème se pose alors : à quoi sert le caractère de l’indubitabilité si on risque de
ne pas pouvoir le prédiquer d’un énoncé à défaut d’une règle qui puisse garantir cette
indubitabilité comme absolue et non comme relative ? Il faut noter la radicalité du dispositif
cartésien.
- Le sujet méditant part à la recherche d’une première vérité sans règle de vérité ni
règle pour initier cette recherche. Il n’y a en effet pas d’autre manière de s’y prendre que
d’examiner, sans ordre préalable, sans guide, sans méthode, ses contenus mentaux : la
forme de la méditation n’est pas l’objet d’un choix littéraire (qui serait plus accessible au
lecteur que, par exemple, un traité more geometrico), mais elle est nécessairement
impliquée et imposée par le dispositif du doute radical.
2. Le cogito
- Au cours de leur examen, tous les contenus de l’esprit sont pris en défaut et rejetés
par le doute, jusqu’à ce que l’esprit tombe sur l’énoncé « Je suis, j’existe » (Ego sum, Ego
existo). La reduplication est à comprendre au sens où « je suis » renvoie ici au fait de
l’existence (« j’existe ») et non pas au contenu d’une essence, par exemple « je suis un
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homme » (MM2, 4).


- L’énoncé « je suis, j’existe » est désigné comme le « cogito » (latin : « je pense »)
cartésien par les commentateurs. La raison en est que dans des formulations parallèles de
l’argument, Descartes fait intervenir la formule devenue plus célèbre « je pense donc je suis
».
- Si l’énoncé en MM2 est le seul qui n’affirme pas je pense donc je suis, les
Méditations renvoient bien à deux vérités successives : (A) je suis et (B) je suis pensant, ou
une chose qui pense.
- Le début du passage énonce : « J'étais sans doute (certe), si je me suis persuadé, ou
seulement si j'ai pensé quelque chose ». Il s’agit donc bien d’une première vérité indubitable
(certe), qui est une vérité conditionnelle : il n’est pas affirmé que l’énoncé « je suis » est
indubitable ; mais qu’il est indubitable … toutes les fois que je pense quelque chose. En quel
sens est-elle indubitable ? L’argument peut être reconstruit de la manière suivante :
- quelles que soient mes pensées (et en particulier si leurs contenus sont tous
tenus pour faux dans le cadre du doute radical), le fait même de l’existence des pensées, et
même : de mes pensées, est, lui, indubitable.
- L’énoncé « je suis » explicite donc le présupposé existentiel, ou la condition
de possibilité, de l’existence même de mes pensées. Pourquoi ? Parce qu’il ne peut en être
autrement, que le contraire serait manifestement inconsistant, ce qu’énoncent les Secondes
Réponses : « il ne se peut pas faire qu’il pense, s’il n’existe ». Il est donc inconsistant de
penser : « Je n’existe pas » car, dans ce cas, le contenu de l’énoncé (ne pas exister)
contredirait la condition même de l’acte même d’énonciation (pour penser, il faut être).
- L’argument énonce simplement la conscience d’impossibilité de nier la vérité de la
proposition « je suis » quand je la dis ou que je la pense : l’énoncé « je ne suis pas »
contredirait performativement la condition même de l’énoncitation.
- L’argument repose sur deux éléments : d’abord l’expérience que j’ai des pensées ;
ensuite la liaison essentielle entre le fait d’avoir des pensées et qu’il y ait sujet des pensées
(ce que Descartes résumé parfois dans la maxime « pour penser, il faut [déjà] être ».
- Le fait que je suis (= que j’existe) n’est pas conclu par l’argument : c’est au contraire
une prémisse. Par contre, l’énoncé « je suis » est bien formulé comme la conclusion d’une
inférence (qui s’appuie sur les deux éléments mentionnés plus haut).
- L’argument du cogito n’a donc pas la forme d’une déduction qui conclurait des
prémisses à une conséquence (à la manière d’un syllogisme), mais il a la forme d’une
inférence du conditionné à sa condition [que l’on qualifierait aujourd’hui d’argument
transcendantal].
- On s’est beaucoup interrogé sur la manière dont cet énoncé est justifié : dans les
Secondes Réponses, Descartes dit que c’est « une chose connue de soi ; [et qu’] il la voit par
une simple inspection de l’esprit » [3] ; dans d’autres, qu’il est le résultat d’un raisonnement.
Dans un article célèbre, un commentateur s’est ainsi demandé si le cogito est un acte
performatif ou un acte inférentiel, une intuition ou une inférence. Il faut de fait tenir deux
aspects qui ne sont pas incompatibles :
- Il s’agit bien d’une inférence, ou d’une liaison qui enveloppe, ou relie, une
multiplicité d’éléments (et que l’on peut analyser après coup de manière discursive par un
Sébastien Gustin 2020-21

syllogisme – cf [3]). En tant qu’inférence, le cogito n’est pas instantané mais enveloppe une
certaine durée, celui de son énonciation : l’énoncé est vrai « autant de temps que je le pense
» (MM2, 7). En effet, les pensées supposent une temporalité. Pour penser, il faut une liaison
temporelle (rétentions et protentions), mais il faut aussi une liaison spatiale.
- Mais cette inférence, bien que complexe, est tellement évidente ; cette liaison est
tellement impossible à défaire, qu’elle est. Saisie intuitivement : Descartes l’appelle en
d’autres contextes une « intuition », comme lorsque l’on voit une chose tout d’un coup
(intuere signifie regarder).
- Il faut rappeler que l’enjeu du cogito n’est en aucune manière de prouver l’existence
du sujet méditant, mais d’établir une première vérité indubitable : l’argument consiste
précisément à partir de l’évidence de l’existence des pensées et du sujet des pensées pour
en formuler une première vérité (il n’emploie jamais le terme « conscience »). Autrement dit
: [l’acte d’avoir des pensées] suppose que [j’existe], de sorte que l’énoncé « je suis » est
indubitable (A). Mais il n’est indubitable que pour autant que je pense quelque chose, de
sorte que la deuxième vérité indubitable est bien « je suis pensant » (B). Le chemin de
l’argumentation du fait de la pensée à l’énoncé « je pense » est le suivant :

- Le point de départ de l’argument est donné par n’importe quel acte de pensée (tout
ce qu’il y a dans l’esprit), indépendamment de son contenu, mais non pas par n’importe quel
acte d’existence. Du fait que je respire, je ne peux tirer la certitude que « j’existe » ; par
contre de la pensée que « je respire », je peux formuler le cogito. Ou encore : du fait que je
me promène, je ne peux conclure à la certitude de mon existence ; par contre, de la pensée
que « je me promène », je peux tirer que « j’existe » est indubitable.
- Le cogito énonce ainsi une première vérité saisie de manière indubitable : la
certitude que l’esprit se sait exister, que je suis une chose qui pense. Il reste encore à
expliciter les critères de cette indubitabilité : le clair et le distinct, en tant que modes
d’apparaître de certains contenus mentaux. Cela sera l’objet de la méditation suivante.
- Pour l’instant, nous avons une première vérité. Son énoncé n’est pas original : Saint
Augustin remarquait déjà la certitude que l’esprit se sait exister. Mais, d’une part, Descartes
en fait le premier principe de la métaphysique, elle-même fondement des sciences. Tout le
problème est de savoir comment d’autres vérités pourraient-elles être, d’une manière ou
d’une autre, fondées sur celle-ci. Et, d’autre part, cette première vérité est conquise par le
sujet lui-même, sans poser autre chose : ni l’existence des choses, ni l’existence de Dieu.
Comme tel, ce point de départ peut aussi être accepté par les « infidèles » mentionnés dans
l’épitre dédicatoire.
Sébastien Gustin 2020-21

3. Le morceau de cire ou pourquoi l’esprit est plus aisé à connaître que le corps
- Une fois que la première vérité a été établie en MM2, et avant qu’il ne s’interroge
sur la possibilité de parvenir à d’autres vérités en dehors du cogito, le sujet des Méditations
éprouve comme un scrupule, un malaise, une « situation étrange » (MM2, 10), qui lui fait «
relâcher la bride » du doute radical : comment se fait-il que nous croyons connaître
distinctement les corps que nous voyons et touchons (MM2, 11) ? Comment se fait-il que
l’évidence des choses extérieures, pourtant frappée par le doute, nous semble plus certaine
que celle des actes de la pensée ? Bref, qu’y a-t-il de si distinct dans la connaissance sensible
?
- Certes, dans l’expérience de pensée du doute, la connaissance des corps sensibles a
été récusée dès MM1 comme n’étant pas infaillible ou indubitable : et pourtant c’est bien
cette certitude empirique la plus ordinaire qui nous semble ce qu’il y a de plus évident, de
plus immédiat, de plus ferme, à tel point que c’est bien sur une telle certitude que s’appuie
la position empiriste. Comment se fait-il que nous succombions spontanément à l’illusion
réaliste qui nous fait croire que les corps sensibles que nous touchons sont ce qu’il y a de
mieux connu, alors même que les sensations se modifient en permanence ? Bref : Que
connaît-on distinctement dans les corps, et comment avoir une connaissance scientifique
des objets, si toutes les sensations changent ?
- Le sujet prend alors l’exemple d’un corps en particulier : un morceau de cire qui
fond sous l’épreuve du feu jusqu’à devenir, littéralement, méconnaissable. Les propriétés
sensibles de la cire se modifient toutes : ce qui paraissait être le plus évident pour connaître
ce corps disparaît maintenant.
- Quel attribut reste-t-il quand on « éloigne ce qui n’appartient pas à la cire » ? Quel
peut être l’identité (stable) du corps (changeant) ? L’exemple permet d’établir que ce qui est
le plus distinctement senti à première vue dans un corps (couleur, odeur, forme, figures
apparentes) n’est pas ce qui nous donne une connaissance distincte : ce qu’il y a de plus
évident, de plus convaincant n’est pas ce qu’il y a de plus vrai. Par contre, ce que nous
connaissons le plus distinctement (par l’entendement) dans la perception sensible est
l’étendue des corps, ou plus exactement une substance qui fait subsister le corps en tant
qu’étendu. Percevoir ainsi que c’est la même cire qui demeure suppose que nous
concevions, par l’entendement, au-delà des sensations, l’idée d’une substance qui perdure
au-travers des sensations. Nous disons voir la même cire, mais en fait nous la jugeons être la
même. La connaissance (sensible) n’est ainsi pas un acte passif qui relève des sens (ou de
l’imagination) mais elle implique toujours un acte de l’entendement, « l’inspection de l’esprit
» qui détermine de manière a priori tout corps comme étendu. Ce qui est certain, c’est le
jugement que la même cire perdure. Il n’y a donc pas de sensation qui ne soit accompagné
d’un jugement intellectuel. Le pur sentir est une illusion -> liaison intellectuelle des
sensations.
- De nouveau, l’argument a une portée anti-empiriste : si nos connaissances de corps
dépendaient uniquement de nos sensations singulières, elles seraient, littéralement,
impossibles. L’activité de l’esprit au cœur même de la perception sensible rend ainsi possible
une connaissance scientifique des objets de l’expérience sensible.
- Un commentateur a ainsi résumé le triple enjeu méthodologique du passage sur le
Sébastien Gustin 2020-21

morceau de cire :
« 1. Il clarifie la distinction qui s’esquisse entre l’âme et le corps en montrant
ce que peut et ce que ne peut pas un corps, une imagination ou sens commun limitée à une
mécanique corporelle : nul corps ne peut dépasser une combinatoire du fini pour s’élever à
la visée ou idée de l’infini, ni même de l’indéfini ou innombrable.
2. Il clarifie l’idée de substance en montrant comment, dès la connaissance la
plus naïve ou spontanée des corps, toute affirmation portant sur le ‘corps lui-même’
implique la position implicite d’un terme non-imaginable, dont l’étendue essentiellement
imaginable se révélera plus tard l’attribut essentiel.
3. Il contribue à clarifier la place éminente de l’entendement, intellectus, dans
l’esprit, mens, en montrant comment, même s’il est d’autres modes de la pensée qui ne
peuvent être absorbés en lui, comme la sensation et l’imagination, l’intellection est par
rapport à eux privilégiée ».
- Il est donc apparu dans la Deuxième Méditation : 1) le cogito (aussi longtemps que
je le pense) ; de là, je suis une chose qui pense (la nature même de l’esprit est de penser) ; 3)
il y a plusieurs modes ; 4) et parmi ceux-ci, il y en a un qui définit le mieux la pensée :
l’entendement.
- L’essence de l’esprit c’est l’entendement, le fait de produire des idées
représentatives. Penser, c’est produire l’idée (représentation d’une chose) que…
- Ce que je connais le mieux, c’est ce que je peux concevoir.
- Ce qui nous parait le plus immédiat, ce sont les sensations.
4. La preuve apagogique de la « règle générale » : le début de la Troisième Méditation
- Comment, à partir de là, déterminer d’autres vérités (MM3 -> MM6) ?
- Le seul point qui résiste au malin génie, c’est qu’il y a des pensées, et il y a un acte
performatif -> il ne peut rendre l’énoncé « je suis » faux. On en peut penser « je ne suis
pas ».
- L’établissement du cogito a fait intervenir la certitude à deux niveaux :
- La certitude d’avoir des actes de pensée (i.e. douter, concevoir, imaginer,
sentir, aimer, etc.) : il est évident (manifestum est : MM2, 9) que c’est moi qui doute, qui
imagine, etc. On peut alors appeler conscience la certitude que ces actes m’appartiennent.
La conscience (terme que Descartes n’emploie pas) n’est pas l’essence de l’esprit (puisque
MM2 établit que l’essence de l’esprit est donnée par l’entendement) mais un critère pour
identifier les actes de l’esprit, du moins certains.
- La certitude de la vérité de l’énoncé « Je suis, J’existe ».
- Mais le sujet méditant ne sait-il pas alors ce qui constitue la certitude qu’il a
convoquée deux fois : « Ne sais-je pas aussi ce qui est requis pour me rendre certain de
quelque chose ? » (MM3, 2). Autrement dit : lui est-il possible d’expliciter les raisons qui lui
ont fait dire que « j’étais sans doute si je me suis persuadé de quelque chose » (MM2, 4) ?
- La réponse de Descartes est que j’en suis certain non en raison d’une quelconque
règle de vérité, mais parce que cela est évident (manifestum) ou, en langage plus technique,
parce que ce sont des pensées absolument claires et distinctes. La clarté et la distinction
sont des caractères du cogito à partir desquels il est possible, enfin, de formuler une « règle
Sébastien Gustin 2020-21

générale » (MM3, 2) de la vérité, qui sera dite « règle de vérité » (MM5) : Tout ce qui se
conçoit clairement et distinctement est vrai.
- La justification indirecte (ou preuve apagogique) qu’en donne Descartes est la
suivante (MM3, 2) :
1. « Je suis certain que je suis une chose qui pense ».
2. Il ne se rencontre en (1) « rien d’autre qu’une claire et distincte perception
» (ou idée, qui est le fait de se représenter une chose).
3. La clarté et la distinction ne pourraient suffire à garantir la vérité de (1) si la
clarté et la distinction s’appliquaient également au faux.
4. Or le cogito atteste que je perçois clairement et distinctement que « je suis
».
5. Conclusion : « que toutes les choses que nous concevons fort clairement et
fort distinctement, sont toutes vraies ».
Remarque 1 : La règle établit une implication du C&D au Vrai, non une équivalence.
Remarque 2 : Il s’agit d’une preuve apagogique ou indirecte car elle repose en (3) sur
la négation de l’énoncé selon lequel le faux peut être clair et distinct.
- On pourrait objecter que des énoncés faux semblent parfaitement clairs et
distincts, et c’est d’ailleurs ce qui expliquerait nos erreurs. Mais Descartes maintient qu’il n’y
aurait dans ce cas, en réalité, qu’une apparence de clarté et distinction : une illusion n’est
donc jamais parfaitement claire et distincte (voir remarque 3).
- L’identification de la clarté et de la distinction comme des critères du vrai
tient à l’énoncé (2) : la simplicité du cogito atteste qu’il n’y a « rien d’autre qu’une claire et
distincte perception » : sans cela, on pourrait douter que la vérité du cogito ne repose sur
quelque autre propriété.
Remarque 3 : Le texte n’explicite pas ce que sont la clarté et la distinction. La clarté
concerne l’identification d’un objet de la pensée (qui a un sens très général chez Descartes
car elle recouvre tous les contenus mentaux). Par exemple, une vive douleur sera dite
perçue clairement. Par contre, de nombreuses perceptions sensibles, qui ne sont pas aussi
vives qu’une douleur, ne sont pas perçues clairement. La distinction, quant à elle, concerne
l’identification complète d’un objet, de telle sorte qu’il soit entièrement différenciable de
tous les autres : la distinction n’est pas une donnée immédiate de la conscience comme les
pseudo-évidences des opinions pseudo-claires et pseudo-distinctes ; mais elle est
essentiellement le produit d’un travail logique de l’entendement : la règle ne vaut que si l’on
peut concevoir quelque chose clairement et distinctement. Ainsi, pour être claires, de
nombreuses douleurs ne sont pas distinctes : je sais que j’ai mal, mais je ne sais pas
exactement où j’ai mal et ce qui provoque cette douleur. Clarté et distinction sont donc liées
dans l’opération d’analyse : plus la clarté du concept augmente, plus la distinction augmente
également. On comprend dès lors que cette règle, formulée au début de MM3, nécessitait
d’avoir établi la nature de l’esprit en MM2 : non seulement que l’entendement est la nature
de l’esprit, mais aussi que « l’esprit est plus facile à connaître que le corps ».
Sébastien Gustin 2020-21

3. Les idées de Dieu


- Le terme de ‘Dieu’ est l’exemple paradigmatique d’un terme qui peut recevoir
différentes déterminations conceptuelles chez Descartes, selon son articulation à différents
problèmes. Il faut donc être attentif au fait que Descartes en donne diverses caractérisations
et lui associe différentes fonctions. Autrement dit, lorsqu’on explique un passage des
Méditations, il faut s’assurer des propriétés du concept qui sont en jeu : l’argument s’appuie-
t-il sur la bonté divine ? sur l’omnipotence créatrice ? sur l’idée d’infini ? etc. L’idée
fondamentale (et fondatrice) de Dieu est celle d’un être infini : Descartes fera ailleurs de
l’infinité ce qu’il appellera l’attribut principal de la substance divine, càd la propriété à partir
desquelles ses autres propriétés, s’il y en a, peuvent être pensées. Dans notre texte, il
importe surtout de comprendre ce que signifie « avoir (en acte) l’idée d’infini », ce que cela
dit de la nature de l’esprit, et de son dehors.
- Il est peut-être utile de rappeler, à titre préliminaire, que la caractérisation de Dieu
comme infini inscrit Descartes dans une tradition qui remonte au XIIIe siècle. En effet, le
Dieu des Écritures reçoit plusieurs noms qui disent sa transcendance (par exemple « l’Éternel
»), mais il n’est jamais dit « infini ». La propriété de l’infinité divine a été introduite au terme
d’un débat théologique concernant la possibilité de connaître ou de saisir l’essence divine.
Thomas D’Aquin, après bien d’autres, tenait que l’homme ne peut saisir l’aspect (la species)
de Dieu ; alors que Duns Scot tenait qu’il y a une species claire et distincte de Dieu. Une
condamnation célèbre de la première thèse intervient en 1241, qui va jouer un rôle décisif
dans l’introduction de l’infinité : d’un côté, il est affirmé que l’on peut avoir une vue de
l’essence divine ; de l’autre côté il est affirmé que cette essence est infinie, et transcende
donc toute saisie qu’on peut en avoir. Il faut avoir ceci en tête pour apprécier la proposition
cartésienne selon laquelle l’idée d’infini est C&D.
1. Quelle idée de Dieu ?
- Il y a quatre caractérisations majeures de l’idée de Dieu dans les Méditations :
- MM1 : le sujet méditant trouve en lui, héritée de la tradition qu’on lui a
transmise, une certaine opinion d’un Dieu qui peut tout (1), par qui il a été créé tel qu’il est
(2), et qui est souverainement bon (3).
- MM3 : idée de Dieu comme substance infinie (4), éternelle, immuable,
indépendante, qui connaît tout et peut tout.
- MM3 : idée de Dieu comme auteur de mon existence et de sa préservation
(2)
- MM5 : idée de Dieu comme être souverainement parfait (4)
- MM6 : idée de Dieu comme être souverainement bon (3)
- On peut noter :
1) Que les Méditations semblent s’appuyer sur les caractères
traditionnellement attribués à Dieu, tel qu’on les retrouve en MM1, où Dieu n’est qu’une
opinion parmi d’autres dans l’esprit du sujet méditant. Mais il n’en est rien puisque les
énoncés (2) et (4) vont être établis de manière a posteriori en MM3 (rappel : dans le langage
scolastique pré-kantien, un argument a posteriori remonte de l’effet à sa cause ; un
argument a priori conclut de la cause à l’effet) ; et puisque les énoncés (1) et (3) vont être
Sébastien Gustin 2020-21

déduits de (4).
2) Que le statut de ces idées n’est donc pas le même : l’opinion de Dieu en
MM1 est une idée factice (ou inventée) ; l’idée de Dieu comme étant infini, en MM3, est une
idée innée.
3) Que l’opinion de départ n’a pas encore explicité le caractère essentiel de
Dieu comme substance infinie (infinité qui justifie la souveraine bonté, la souveraine
perfection et la souveraine puissance de Dieu). On dit que l’infinité est l’attribut principal (ou
essentiel) de Dieu, tout comme l’étendue est l’attribut principal des corps (substances
étendues), et la pensée est l’attribut principal des âmes (substances pensantes).
4) Que l’infinité divine détermine Dieu comme fondamentalement
incompréhensible (MM3, 28) càd comme au-delà de toutes les représentations que je peux
en avoir. Dieu ne se réduit pas à ce que nous en pensons, et est toujours en excès sur nos
concepts.
- Avant d’entrer dans le détail, il faut noter que l’idée véritable de Dieu sur laquelle
tout le raisonnement repose :
- n’est évidemment pas une idée du Dieu de la foi, que ce soit une idée
adventice (à savoir transmise par des témoignages ou des textes : le « Dieu d’Abraham,
d’Isaac et de Jacob » dont parle Blaise Pascal) ou une idée feinte (imaginée)
- est principalement, ou essentiellement, l’idée de l’infini
- laquelle est, en toute rigueur, incompréhensible : ce que l’on peut concevoir
distinctement en elle est précisément son incompréhensibilité.
- Le point difficile, et qui a été évidemment discuté par après, concerne l’énoncé de la
présence en moi d’une idée claire et distincte de Dieu comme infini (qui est aussi une idée
simple et une idée innée) alors même que Descartes affirme l’incompréhensibilité divine.
Toute la force de son argumentation repose dessus. Détaillons :
- l’idée de Dieu comme infini est une vraie idée (MM 3, 24) en ce qu’elle n’est
pas une idée obtenue par la négation du fini (auquel cas on ne concevrait rien positivement
de l’infini) mais l’affirmation du non-fini (auquel cas, on conçoit positivement que l’infini est
ce qui dépasse ce que l’on peut en concevoir) ;
- l’idée de Dieu est donc une idée vraie qui ne renvoie pas à un contenu
négatif ou privatif (et donc à un non-être) mais un contenu de pensée positif (ou réalité
objective) ; et elle est même l’idée la plus vraie (MM3, 26) en ce qu’elle contient plus de
réalité que n’importe quelle idée, càd que toute idée est contenue dans l’idée de Dieu ;
- l’idée de ce maximum de réalité ou de perfection dans l’idée de Dieu est
précisément ce que j’en conçois clairement et distinctement, de sorte que je conçois
clairement et distinctement que mon esprit ne peut pas la saisir intégralement.
L’incompréhensibilité ne limite pas l’idée de Dieu, mais au contraire la constitue.
- En fin de compte, l’idée de Dieu comme être infini n’est pas le produit fictif d’une
négation de tout ce qui est fini ; mais elle est posée au contraire comme le contenu maximal
de pensée à partir duquel toute pensée peut être délimitée : « J’ai en quelque façon
premièrement en moi la notion de l’infini que du fini, càd de Dieu que de moi-même »
(MM3, 24).
Sébastien Gustin 2020-21

2. Les fonctions argumentatives de l’idée de Dieu


- L’intuition (saisie immédiate) du cogito en MM2 a fourni à la fois :
- une première vérité qui résiste au doute (càd au doute hyperbolique,
compris comme hypothèse d’un dérèglement général de l’esprit, figuré par un « génie
trompeur ») ;
- et des caractères logiques de cet énoncé (la clarté et la distinction) qui
semblent garantir sa vérité (puisqu’il n’y a rien d’autre dans le cogito si ce n’est que je
perçois clairement et distinctement que « je suis »), qui permettent de formuler une « règle
générale », qu’il s’agira ensuite de garantir dans tous les cas : « ce qui se conçoit clairement
et distinctement est vrai ».
- Tout le problème est de savoir si, à partir de là, le sujet peut s’assurer d’autres
vérités en dehors du cogito malgré l’hypothèse du mauvais génie. Cela suppose :
- (a) de s’assurer qu’il peut y avoir des choses en dehors de mon esprit (ou en
dehors de moi : extra me dit MM3,1), à propos desquelles je pourrais formuler des énoncés
susceptibles d’être vrais (conformément à la caractérisation traditionnelle de la vérité
comme « adéquation de la chose et de l’esprit »).
- Le sujet cherche ici des contenus mentaux en moi (apud me) qui attestent
d’un « extérieur de l’esprit » (extra me), et il va au bout du compte trouver l’idée de Dieu de
deux manières :
(1) s’il existe une idée dont je ne peux être la cause, elle doit avoir sa
cause en dehors de moi (MM3, 19) -> 1ère preuve a posteriori de Dieu par l’idée d’infini
(2) si je ne peux être cause de mon existence (càd cause de mon ego,
qui pense en particulier l’idée d’infini), elle doit avoir sa cause en dehors de mo -> 2ème
preuve a posteriori de Dieu par la conservation de mon existence (ego)
- (b) de s’assurer que la clarté et la distinction des représentations
garantissent la vérité des autres propositions (et viennent donc se substituer à la
caractérisation traditionnelle de la vérité) -> 3ème preuve (a priori) de Dieu
- Les preuves de l’existence de Dieu ne valent donc pas par elles-mêmes mais avant
tout par ce qu’elles permettent d’établir : l’existence d’une cause (infinie) en dehors de mon
esprit ; la garantie de la règle générale de vérité (C&D=>V).
- Mais comment le sujet en vient-il à cette idée de Dieu comme être infini, qui joue
un rôle central dans l’argumentation ? Dans l’ordre de la méditation :
(1) Le sujet se rappelle d’abord la possibilité d’un « Dieu trompeur », qui avait
été évoquée en MM1, et qu’il dit être une « opinion bien légère et pour ainsi dire
métaphysique » (MM3,5). Elle se révèlera plus tard être une opinion mal formée (car, bien
compris, Dieu ne peut être trompeur).
(2) Pour écarter une telle opinion comme fausse, il se propose de réexaminer
toutes ses pensées pour voir lesquelles sont susceptibles de vérité (MM3,6). Autrement dit,
le préalable à l’enquête est de fournir une description des contenus mentaux : idées,
volitions, jugements ; et parmi les premières : idées innées, idées adventices et idées feintes
(MM3, 7-11).
(3) A partir de là, l’idée d’un Dieu trompeur (qui est en fait une idée feinte,
une fiction) n’intervient plus, et le sujet n’examine que trois types d’idées :
Sébastien Gustin 2020-21

- Les idées qui semblent « venir de dehors » (MM3, 11) et qui sont les
idées sensibles qui nous poussent à croire non seulement à l’existence de choses en dehors
de nous, mais de choses qui sont en outre semblables aux idées que l’on en a. Or, si nous
n’échappons à cette « inclination » ou « impulsion » (MM3, 13 et 15) de « notre nature »
(càd de la constitution particulière de notre esprit et de notre corps), ces idées sont rejetées
par le doute. Aucune de ces idées n’attestent d’un dehors de l’esprit.
- Les idées que je ne peux absolument pas rejeter par le doute, et qui
m’apparaissent C&D par la raison (ou par la « lumière naturelle », que l’on ne confondra pas
avec ma nature) : c’est le cas de l’idée que je suis une chose qui pense, qu’un corps est
étendu, mais aussi des idées de durée et de nombre (MM3, 21). Quoique vraies, aucune de
ces idées n’attestent non plus d’un dehors de l’esprit.
- Ne reste enfin que l’idée de Dieu en tant qu’être infini (MM, 23).
C’est elle qui va permettre d’attester d’une extériorité à soi.
3. La première preuve a posteriori de l’existence de Dieu (MM3, 16-19, 23)
- Dans le vocabulaire scolastique que reprend Descartes :
- une preuve a priori part des causes (C) pour en déduire des effets (E) ; une
preuve a posteriori part des effets (E) pour remonter aux causes (C)
- une cause formelle est la cause immédiate d’une chose, qui contient en acte
l’effet à produire, dans l’être, et qui contient déjà en elle l’effet à venir (par exemple une
boule venant en heurter une autre) ; une cause éminente (qui contient son effet en
puissance) est ce dont cet être même tire sa réalité (et, typiquement, un Dieu créateur est
cause éminente de la création).
- La preuve a posteriori peut aussi être nommée « preuve par les effets » puisqu’elle
remonte d’un effet à sa cause. Elle peut s’énoncer simplement : J’ai en moi l’idée de la
substance infinie, qui doit être causée par une substance infinie.

- Une fois cette distinction posée entre ces deux aspects des idées (la RF d’une idée
est d’être un mode de la pensée ; sa RO est son contenu représentatif), Descartes leur
applique le principe de causalité :
- l’esprit humain peut bien être la cause directe du fait qu’il y a des idées : la
pensée est cause formelle des modes de la pensée ;
- mais l’esprit humain, qui est fini, ne peut pas de lui-même produire un
contenu de représentation qui soit véritablement infini : un être infini doit alors être la cause
Sébastien Gustin 2020-21

infinie de mon idée de l’infini.


- Autrement dit :
- L’esprit est cause formelle de la réalité formelle de l’idée d’infini (i.e. de
l’idée en tant que mode de la pensée) ;
- Dieu est cause éminente de la réalité objective de l’idée (i.e. du contenu
représentatif de l’idée).
- La preuve peut s’énoncer :
- « Il doit y avoir au moins autant de réalité dans la cause efficiente que dans
l’effet » (MM3, 17).
- Si on applique ce principe aux idées, par exemple à l’idée de fleur : tout ce
qui est contenu dans l’idée de fleur doit avoir pour cause des éléments qui appartiennent
aux fleurs réelles. Autrement dit :
(1) Il y doit y avoir au moins autant de réalité formelle dans la cause d’une
idée qu’il y a de réalité objective dans l’idée (car sinon, d’où viendrait la réalité objective de
l’idée ?), soit : RO (idée de fleur) ≤ RF (fleur réelle)
(2) J’ai l’idée d’infini.
(3) Il doit donc y avoir une cause qui a une réalité formelle infinie qui puisse
rendre compte du fait que j’ai l’idée d’infini : RO (idée d’infini) ≤ RF (substance infinie)
(4) Dieu existe (en tant que cause infinie).
- La RF vient de realitas, concept de Duns Scot -> c’est la concevabilité d’une chose qui
a une certaine forme.
- Res : RF (pierre) ≤ RF (cause de la pierre)
RF (mode) ≤ RF (substance = ousia (cf. Aristote))
=> il y a des degrés de réalités -> réalité selon le quantum ; plus on pense de
caractères, plus la réalité augemente.
- Réalité formelle de l’idée : fait qu’une idée soit un mode de la pensée qui a un
contenu de représentation
4. La deuxième preuve a posteriori de l’existence de Dieu (MM3, 34-40)
- Elle peut s’énoncer simplement, sous la forme d’un argument ad absurdum : si
j’étais la cause de mon Ego, je pourrais le doter de toutes les perfections que je peux penser,
ce qui n’est pas le cas.
(1) J’existe et j’ai en moi l’idée d’un être doté de toutes les perfections.
(2) Je n’ai pas la puissance de préserver / conserver ma propre existence
d’instant en instant, de sorte que cette puissance doit être extérieure à moi-même.
(3) Cette puissance doit être une chose qui pense et qui possède toutes les
idées de perfections de Dieu que j’ai en mon esprit.
(4) Cette puissance ne peut donc être ni mes parents ni un être qui ne serait
pas infini.
(5) Dieu existe (en tant que principe d’existence infini et principe contenant
toutes les perfections dont j’ai l’idée).
Sébastien Gustin 2020-21

Remarque : instant, durée et temporalité de l’esprit


- On voit que l’aspect essentiel des deux preuves ne concerne d’abord pas Dieu
comme tel, mais la compréhension de ce que cela veut dire qu’avoir une idée de l’infini. La
première preuve explicitait deux aspects de toute idée comme telle (réalité objective et
réalité formelle). La deuxième preuve explicite la temporalité de l’esprit qui a une telle idée.
- Contre toutes les interprétations qui pensent dénoncer le cogito comme purement
instantané (et ne valant que pour un instant), un commentateur a particulièrement souligné
que la dernière preuve établit surtout que le présent de l’esprit n’est jamais instantané : « En
prenant son point de départ dans la réalité actuelle ou formelle de ma substance pensante,
et non plus dans la réalité objective d’une idée, la seconde preuve par les effets lève une
équivoque sur la temporalité de l’esprit. Car elle est conduite selon deux exigences,
contradictoires en apparence, qu’on accordera en détruisant l’illusion d’un Cogito
instantané. D’une part, […] l’enquête causale doit être restreinte à mon existence présente.
[…] Mais le métaphysicien, d’autre part, applique paradoxalement, à un effet réduit à son
présent, des principes qui n’ont de sens qu’au regard de la durée : il identifie être ou exister
à être conservé, […] et il parle de conservation et de durée, ce qui implique bien un avant et
un après. Une existence instantanée n’aurait aucun besoin d’être conservée par une cause,
parce qu’elle ne prétendrait à aucune durée : en cherchant la cause qui me conserve, je
prétends déjà à quelque durée, et j’ai déjà dépassé l’instantanéité prêtée souvent au Cogito.
On résoudra la contradiction en reconnaissant que le présent, pour une conscience, n’est
pas un instant, mais un moment, et enveloppe à ce titre quelque durée. L’appel au
témoignage de la conscience […] tout comme l’allongement du moment qui ajoute l’être-
conservé à l’être dans l’instant, ne débordent pas certitude absolue de la première vérité
[scil. le Cogito] : ils la creusent pour en exprimer la richesse implicite. […] La démarche de la
Troisième Méditation établit ce qui, dans la Seconde, restait implicite : le présent de mon
esprit n’est jamais instantané ».
Remarque sur les deux preuves a posteriori (ou preuves « par les effets »)
- En prenant leur point de départ dans les idées du sujet, l’idée d’infini et l’idée d’un
être souverainement parfait, les deux preuves a posteriori renouvellent les cinq voies
thomistes qui, elles, prenaient leur point de départ dans le monde, à savoir : dans l’existence
du mouvement, de la contingence, de l’ordre, etc. Bien que Descartes annonce dès le titre
des Méditations procéder à des « démonstrations », les preuves a posteriori ne sont pas des
démonstrations au sens d’un enchaînement formel de propositions : il s’agit d’appliquer un
principe de la causalité aux idées que nous avons, autrement dit d’expliquer les idées que
nous avons. L’existence de Dieu est donc posée comme le principe d’une explication
suffisante de l’idée de Dieu et de l’existence du sujet qui a cette idée.
- L’attribut d’infinité est, directement ou indirectement par la souveraine perfection,
l’attribut principal de l’essence de Dieu : c’est la raison pour laquelle Descartes a indiqué,
dans l’Abrégé des Méditations qui précède le texte, que la première preuve a posteriori est «
le principal argument dont je me sers pour prouver l’existence de Dieu ».
Sébastien Gustin 2020-21

5. Les modes de la connaissance de Dieu : penser, entendre, comprendre


- Descartes distingue trois modes de connaissance relativement à l’idée de Dieu
(MM3, 26-28) : je peux en avoir une pensée (et Descartes emploie le terme général percipere
ou, simplement, cogitare) ; je peux même l’entendre ou la concevoir clairement et
distinctement (clare percipere ou intelligere) ou je peux l’atteindre (attingere) par la pensée ;
mais je ne peux la comprendre (comprehendere). Entendre l’idée de Dieu, c’est en avoir une
idée claire et distincte (par exemple l’idée d’infini) ; mais pour com-prendre l’idée de Dieu, il
faudrait pouvoir saisir l’ensemble (cum prehendere) des éléments constitutifs de l’idée de
Dieu, ce qui est impossible : l’infini est incompréhensible pour un esprit fini. Il y a donc
toujours des aspects de l’idée de Dieu que je ne peux « aucunement atteindre par la pensée
» ou « toucher par la pensée ». L’idée d’infini révèle quelque chose de la nature de notre
esprit : je peux atteindre, positivement et non par négation, l’idée d’infini, mais ce que
j’atteins, c’est précisément le fait que je ne peux en faire le tour, que je ne peux la saisir.
Ainsi, le plus grand contentement, c’est de comprendre qu’il y a de l’incompréhensibilité
(nature de l’esprit -> il faut prendre au sérieux).
- La distinction entre concevoir et comprendre l’idée de Dieu peut ainsi être lue
comme une lointaine réponse au débat entre Thomas d’Aquin et Duns Scot sur la question
de la possibilité de saisir ou connaître l’essence divine. Descartes dit : on peut l’atteindre, on
peut en concevoir quelque chose ; mais on ne la saisit pas, on ne la comprend pas.
6. La preuve a priori (MM5) - que Kant appellera ‘preuve ontologique’
- MM5, 7 : (1) J’ai l’idée de Dieu comme un être souverainement parfait (car je ne
peux concevoir Dieu comme n’étant pas un être parfait) ; (2) L’existence est une perfection ;
(3) Dieu existe (en tant que souverainement parfait).
- Cet argument a été rejeté par Gassendi puis par Kant comme concluant de manière
illégitime du concept à l’existence de la chose dont il y a le concept. Kant, en particulier,
objecte que l’existence n’est pas un prédicat et que tout concept non contradictoire, que ce
soit de Dieu ou de 100 thalers, n’est que le concept d’une chose possible et non d’une chose
existant effectivement. Autrement dit : l’expression de « souverainement parfait » est
purement verbale, et ne prouve pas qu’une chose lui corresponde dans l’existence.
- Or Descartes a lui-même rejeté cette illusoire déduction de l’existence comprise
comme un prédicat contenu dans le concept : « Ma pensée n’impose aucune nécessité aux
choses » (MM5, 8). Et il nous met en garde contre l’ « apparence de sophisme » (MM5, 7)
que peut avoir son argument : ce n’est un sophisme que si on le lit mal.
- Relisons. Il affirme bien que l’existence de Dieu est impliquée par son concept (ou
essence), ou plutôt que l’existence est inséparable de l’idée de Dieu : « de cela seul que je ne
puis concevoir Dieu sans existence, il s’ensuit que l’existence est inséparable de lui » (MM5,
8). Il faut donc en conclure que Descartes pense une inséparabilité entre un concept (une
essence) et une chose, mais non sous le mode de l’inclusion d’un prédicat (ou ingrédient
conceptuel) dans un concept. Comment alors ?
- Revenons à l’exemple de Kant qui est celui d’une chose sensible : les pièces d’argent
dans ma poche. Kant aurait raison s’il s’agissait de penser l’existence d’une chose sensible :
le concept d’une telle chose déterminerait entièrement cette chose, et l’existence effective
Sébastien Gustin 2020-21

de la chose n’ajouterait rien à sa description conceptuelle. Mais, précisément, Dieu n’est pas
une chose sensible : son existence en dehors de moi (extra me) ne doit donc pas être pensée
sur le mode d’une chose empirique, comme une table devant moi, ou comme une montagne
dans le monde (MM5, 8). Au contraire, Dieu est d’abord connu par l’idée qui est en moi : son
existence est « en mon esprit au moins aussi certaine que celles des vérités mathématiques »
(MM 5,7).
- L’idée de Dieu n’est pas réductible à une idée mathématique mais fonctionne
comme elle, du moins sous un certain aspect : les propriétés d’une idée mathématique sont
vraies, Descartes parle de « natures vraies et immuables » – même si elle n’a aucune
existence hors de ma pensée (extra me, extra cogitationem, in mundo, MM5, 5). Il y a donc
des propriétés du triangle qui existent même si aucun triangle n’existe dans le monde. C’est
en ce sens que l’on parle de démonstration d’existence en mathématique lorsque l’on
démontre, par exemple, que telle propriété appartient nécessairement à telle figure, càd
qu’elle est inséparable du concept de telle figure.
- C’est ce genre d’inséparabilité que Descartes a en vue dans la preuve a priori :
l’existence en tant que perfection existe inséparablement de l’idée de Dieu comme
souverainement parfait. Ce genre d’inséparabilité ne concerne que l’idée de Dieu. Et il
marque sa différence d’avec les autres idées :
- Le cheval ailé (MM5, 8) est une idée fictive, arbitrairement forgée, désignant
un animal impossible selon les lois connues de la zoologie ;
- L’idée de montagne (MM5, 7) est conceptuellement inséparable de l’idée de
vallée, mais elle n’implique absolument pas qu’une telle montagne existe empiriquement ;
- L’idée de triangle (MM5, 5) est inséparable d’un certain nombre de
propriétés conceptuelles, indépendance de l’existence réelle d’un triangle dans le monde.
- Les idées de notre esprit sont une nouvelle fois examinées (la cinquième fois en cinq
méditations !) mais cette fois sous l’angle du rapport entre le contenu représentatif de l’idée
et l’existence des objets représentés : le contenu représentatif d’une chimère implique que
l’existence de la chimère est impossible ; le contenu représentatif d’un concept
mathématique implique que l’existence d’un tel objet est possible ; le contenu représentatif
de Dieu implique que son existence nécessaire :
- Chimère : existence impossible (contradictoire)
- Triangle : existence possible (non contradictoire) car séparable de l’essence
- Dieu : existence nécessaire (contraire impossible) car inséparable de
l’essence.
- Ce que je pense des choses ne leur impose pas d’exister : il ne suffit pas que je
pense à 100 thalers dans ma poche pour que j’aie effectivement 100 thalers. Au contraire, ce
sont les choses qui imposent leur mode d’existence à ma pensée : penser à
Dieu/souverainement parfait, c’est nécessairement penser un Dieu qui existe et ma pensée
n’exprime alors que la nécessité inhérente à la chose que je pense.
- Bref, on pourrait dire qu’il y a trivialement plus de réalité (ou de perfection) dans un
Dieu qui existe que dans un Dieu qui n’existe pas, de même qu’il y a plus de réalité dans une
chose qui existe que dans la simple idée de cette chose. Et l’argument consiste à dire que
dans le cas du Dieu souverainement parfait (càd infiniment réel) (1) l’existence est
inséparable de cette idée de Dieu, alors que pour toutes les autres choses du monde,
Sébastien Gustin 2020-21

l’essence peut être séparée de l’existence, et (2) cette inséparabilité ne doit cependant pas
être comprise comme l’inclusion de propriétés dans un concept, à la manière dont les
propriétés conceptuelles du triangle dérivent de sa définition.
- Il faut ainsi être prudent lorsqu’on se réfère à une ‘preuve ontologique de
l’existence de Dieu’.
- Si l’on appelle ainsi l’argument selon lequel « l’essence de Dieu implique son
existence », cela peut bien s’appliquer à Descartes et à Anselme, mais non de la manière
mise en avant par Kant. En effet, toute la question est de déterminer le type d’implication en
jeu :
- Kant affirme qu’il s’agit de l’inclusion d’un prédicat dans un concept, ce qui
ne s’applique ni à Anselme, ni à Descartes ni sans doute à aucun philosophe ;
- Anselme affirme que ce n’est pas le concept de Dieu qui implique son
existence, mais au contraire l’absence d’un concept de Dieu qui implique ou présuppose une
nécessaire extériorité à ma pensée ;
- Descartes, enfin, pense l’inséparabilité d’une propriété et d’un certain
contenu conceptuel.
7. Le « cercle cartésien » : Dieu et la règle générale de vérité
- Dans les Quatrièmes objections, le théologien Antoine Arnauld (mort à Bruxelles en
1694) soulève une difficulté quant au recours à la garantie divine (thèse de la véracité divine
ou d’un Dieu non trompeur) :
- (1) D’un côté, la lumière naturelle intervient dans la 3ème preuve de
l’existence de Dieu (puisqu’il y a une nécessité structurelle de l’esprit à penser que Dieu
existe, càd qu’il est impossible de penser que l’être souverainement parfait n’existe pas) ;
- (2) D’un autre côté, l’existence de Dieu (vérace) garantit la fiabilité de la
lumière naturelle (en particulier la règle générale de vérité : [C&D=>V]).
- Ce que l’on peut formuler également de la manière suivante :
- D’un côté, c’est la véracité divine qui m’assure de la validité de la règle
générale (2) ;
- De l’autre, je dois d’abord savoir que tout ce que je conçois clairement et
distinctement est vrai pour être assuré de la véracité divine (1).

- Il faut cependant distinguer entre (1) la « découverte métaphysique » des raisons


(Ferdinand Alquié) et (2) « l’ordre des raisons » (Martial Guéroult).
- (1) Selon l’enchaînement des énoncés découverts progressivement par le sujet de la
méditation, il faut bien partir du cogito pour découvrir les critères du C&D, puis chercher les
conditions pour étendre ce critère en dehors du cogito. (2) Mais selon l’enchaînement
doctrinal du système, c’est bien Dieu qui garantit la règle générale [C&D=>V].
- Autrement dit, il n’y a pas de cercle du seul fait que les premières vérités (le cogito,
la nature de l’esprit, mais surtout l’existence de Dieu) ont précisément été établies sans la
Sébastien Gustin 2020-21

règle générale en MM2 et MM3. Les évidences actuelles se passent de la règle générale : la
règle n’est utile que pour garantir les évidences remémorées, par exemple, pour garantir la
certitude d’une longue démonstration mathématique.
- En somme : l’évidence actuelle se passe de règle ; l’évidence passée est garantie
après la règle.
8. Rappels : le rapport entre preuve a priori (MM5) et preuves a posteriori (MM 3)
- Plusieurs éléments peuvent paraître déroutants : Pourquoi faire intervenir autant
Dieu pour établir fermement la science physique ? Pourquoi avoir besoin de plusieurs
preuves de Dieu ? Pourquoi avoir besoin de la preuve a priori en MM5 si, comme Descartes
le dit dans l’Abrégé introductif, la première preuve a posteriori en MM3 est le principal
argument ? Et pourquoi l’argument le plus classique, celui de la preuve a priori, est-il donné
en dernier : n’aurait-il pas été plus direct de commencer par lui ?
- Ces questions se résolvent si l’on arrête de parler, en général, de « preuve de Dieu »
: comme nous l’avons vu, les arguments ne concernent pas la même caractérisation de Dieu,
leur fonction argumentative n’est pas la même et ils ne sont pas établis de la même manière
(càd qu’ils ne reposent pas sur les mêmes réquisits). A l’occasion de ces preuves, ce sont
bien des questions fondamentales pour la connaissance qui sont abordées : quel est le
domaine du vrai ; ce qu’est une idée (parmi toutes nos pensées) ; que l’esprit a une certaine
temporalité ; que concevoir n’est pas comprendre.
- Ce que l’on peut synthétiser ainsi :

4. La Quatrième Méditation ou la fin du problème


- Maintenant qu’il s’est détaché des sens, il est apte à porter sa considération sur des
choses intelligibles. Entre-temps, il a transformé notre regard.
- Il sait qu’il peut avoir une connaissance plus grande en dehors de nos sens ->
réfutation empiriste, et il va faire que son lecteur ne soit pas piégé par les sens. Si l’on refuse
la Troisième Méditation, on est encore attaché aux sens. Dans la Troisième Méditation, il est
apparu que : 1) il y a des connaissances qui vont au-delà de ce que je peux imaginer ; 2) on
parle de Dieu dans le cadre de l’examen de l’esprit humain, de ses puissances (cf. 2 ème
preuve -> être infini dont mon corps dépend, cause de la préservation de mon esprit fini :
Sébastien Gustin 2020-21

puisqu’il est infini, il est infini de réalité, càd qu’il n’a aucun défaut (MM3, 13) et ne se
trompe pas -> véracité divine : mon esprit dans sa nature n’est pas corrompu dès le départ, il
a une certaine puissance, une certaine réalité qu’il faut exercer).
- Dans cette Quatrième Méditation, il va aborder la volonté, le libre-arbitre ou la
puissance de choisir.
- Comment puis-je prouver par mon esprit que mon esprit n’est pas corrompu dès le
départ ? Pour cela, il faut lever l’hypothèse du mauvais génie. En effet, c’est la règle de
vérité qui va réfuter le mauvais génie (ou mauvais usage de l’esprit).
- Il y a erreur quand je me prononce sur ce que je ne comprends pas. Qu’est-ce que je
connais clairement et distinctement ? Ainsi, le domaine de la vérité va être réservé au C&D,
càd aux mathématiques. Comment est-ce qu’on fait pour analyser quelque chose de C&D ?
- Seul un esprit attentif peut parvenir au C&D. Il nous faut un entendement, une
liberté ET une attention (anima/disertere : tourner son esprit vers). Ainsi, faire attention à ce
qui est C&D permet d’approcher la vérité. Mais l’esprit est en permanence tiraillé.
- Pourquoi nous trompons-nous si l’on a la puissance de connaitre ? (MM4, 4-9) : il va
analyser plusieurs réponses de l’histoire de la philosophie :
1) l’erreur est une conséquence inévitable de la finitude, à savoir le fait que
nous ne pouvons pas tout connaitre (Augustin) -> ne pas avoir accès à certaines
connaissances c’est ignorer.
2) L’erreur comme privation : fait de ne pas avoir une connaissance que je
pourrais avoir -> erreur comme contrepartie des vérités à venir.
- (MM4, 9) : volonté, puissance de choisir ou libre arbitre :
- Descartes : puissance (indépendance des causes extérieures) de choisir, c’est
la volonté qui consiste à nier ou à affirmer. Cette puissance de choisir est sans limite, « si
vague et si étendue qu’elle n’est contenue en aucune chose » -> indéfini. Je peux affirmer et
nier n’importe quoi. Ma volonté est finie car je peux affirmer un nombre infini de choses.
- Augustin et Kant : porter un jugement indépendamment d’une cause
extérieure, libre de toute influence.
- Théologiens : ils ont besoin du libre-arbitre : chaque homme est responsable
de ses choix et de ses péchés + question du salut : il faut exclure Dieu du mal -> l’être
humain saurait de lui-même poser un acte, il faut maintenir la possibilité que le pécheur
puisse faire autrement.
- Combien de choses fait-on en connaissance de cause ? La volonté est la plus ample
et la plus étendue -> la volonté considérée comme un acte est exactement la même que
celle de Dieu considéré comme un acte : c’est par là que j’ai une ressemblance avec Dieu, j’ai
formellement la même volonté qu’un être infini.
- Toutes les erreurs viennent de ce que la volonté n’a pas les mêmes limites que
l’entendement. Les erreurs viennent de l’utilisation de l’entendement et de la volonté, non
de la nature de l’esprit. L’erreur repose sur le conjointement de la volonté, de
l’entendement et du libre arbitre.
- Pourquoi ne peut-on s’empêcher de parler de choses lorsque qu’on ne comprend
pas ?
- Pour être libre, il ne faut pas être indifférent.
- Âne de Buridan : un âne est entre 2 sauts d’avoine. Vers lequel il va aller ? Il va
Sébastien Gustin 2020-21

mourir de faim.
- Même si un homme est indifférent, il va devoir faire un choix. Le libre arbitre est
cette capacité à surmonter l’indifférence. Il n’y a jamais de situation d’indifférence. Dans ce
cas-ci, il n’y a d’indifférence que si on coupe l’âne en deux. Il y a des influences de l’univers
qui sont imperceptibles et qui rentrent dans nos choix.
- Je suis libre quand j’ai le plus de raison de me décider pour l’un et pas pour l’autre.
S’il y a une indifférence de choix, c’est le degré le plus bas de liberté.
=> plus je comprends ce que je fais, plus je suis libre.
=> quand je comprends C&D -> mathématiques, raison nécessaire.
- Inclination (propensio) :
- externe : l’esprit est incliné par nos sens, notre histoire, nos préjugés -> il
peut ne pas savoir reconnaitre le vrai.
- interne : entendement, quand on a compris quelque chose on n’en peut pas
ne pas reconnaitre la vérité. -> [RV] est garantie : 2 types de certitude de la vérité -> évidence
actuelle (en acte : cogito ou Dieu) et évidence remémorée ([RV] et sciences).
=> on n’est jamais indifférent, on n’est jamais hermétique à nos idées.
- Tous les passages sont là pour affirmer la [RV] (2 critères externes : vérité-cohérence
et vérité-correspondance), toutes les choses internes, sauf Dieu (externe), mais je le trouve
en mon esprit -> on a surmonté le scepticisme épistémologique.
5. La Cinquième Méditation
- La Cinquième Méditation décrit encore aujourd’hui le mieux la modernité.
- Le cogito permet de garantir le fondement épistémique, mais ce n’est nullement
l’enjeu des Méditations -> enjeu : sortir de l’esprit (apud me/extra me (essence des choses
matérielles)).
- Dans la Métaphysique d’Aristote, l’Ego et Dieu sont liés. Ici, on a besoin de Dieu
pour sortie de l’Ego. Il peut connaitre quelque chose de certain touchant les choses
matérielles -> garantir les choses matérielles par leur essence (nature ou forme), ce que je
peux concevoir des choses matérielles par mes idées.
- La mathesis est vraie même si les choses sur lesquelles elles portent n’existent pas.
Il n’y a pas besoin de garantir l’existence des choses pour garantir des vérités, des idées sur
ceux-ci. Par la règle de vérité, je peux concevoir l’essence d’une chose, même si elle n’existe
pas. La physique quantique, décrite par l’essence, aborde des choses non-existantes. ->
mouvement d’idéalisation de la nature.
- Husserl, dans La Crise de la conscience européenne, dit qu’on traite de l’essence des
choses sans leur existence, mais on ne peut pas tout dire non plus de l’essence.
- Essence de Dieu : il va essayer de trouver une preuve de l’existence de Dieu a priori,
en partant du concept de Dieu.
- Ce qui constitue l’essence des choses, c’est l’étendue, qui est un produit de
l’entendement.
- Percevoir la cire, par exemple, c’est percevoir un changement dans la durée, càd
qu’entre les instants, il y a un déplacement des parties. Percevoir, c’est toujours différencier
des états successifs.
- Kant, dans les Principes Métaphysiques de la science de la nature (1786), dira que la
Sébastien Gustin 2020-21

mobilité de la matière, c’est la propriété fondamentale pour penser la matière.


- Je ne peux pas penser quelque chose des corps sans avoir les 3 concepts. ->
explication mécanique : grandeur, mouvement et forme, situation et durée. Nature
immuable = constance.
- MM5, 5 : « je trouve un nombre innombrable d’idées en moi ».
- Les propriétés du triangle sont immuables et éternelles, nécessaires -> c’est une
idée innée.
- Les sens et l’imagination sont limitées, mais les idées non.
- Les empiristes confondent la manière dont on acquiert l’idée et la reconnaissance
de l’idée.
- Ce sont des rapports de nécessité qui tiennent ensemble (par exemple, comme le
triangle).
- Où sont les idées mathématiques non connues ? Elles existent, mais sont
indépendantes de notre manière de connaitre. Quel type de nécessité est derrière les
propositions scientifique. Les propriétés mathématiques connues et non connues se
trouvent chez Dieu. Elles sont innées au sens où elles sont nées avec mon esprit -> il a la
capacité de découvrir ce qui est conforme à son esprit.
- Modalité : nécessité qui dépend de Dieu ou des hommes ?
- A la fin de MM5, 6, il répond à la question de MM1, 2 : 1) si j’ai l’idée de Dieu
comme infini, càd souverainement parfait (= réalité) ; 2) la conception de l’existence fait
partie de Dieu, car il ne saurait en être autrement puisque l’existence est une perfection.
- Idée du triangle = 3 angles -> 3 côtés -> propriétés incluses dans le concept = la
somme des angles doit faire 180°.
- La propriété d’existence ne doit pas être pensée comme incluse dans l’infiniment
parfait.
=> L’idée de Dieu est la seule dont l’existence est inséparable de l’essence, sans pour
autant être une propriété incluse dans le concept.
- On ne peut s’empêcher de séparer l’essence (propriété conceptuelle) de l’existence.
- Peut-on faire la même chose dans le cas de Dieu ? Non, lorsque je pense le Dieu
infini, c’est le concept qui impose une modalité de l’existence de l’objet qui est pensée.
- Rapport entre le contenu de l’idée et l’objet existant :
essence existence
idée du cheval ailé -> impossible
idée du triangle -> possible
- Modalités, manières d’exister : - nécessité (Dieu)
- réelle (en acte)
- possible (contingence)
- Le contenu de la pensée est inséparable de la nécessité de l’existence
- Existence nécessaire comme modalité de l’esprit
=> il a établit quelque chose de ferme et de constant dans les sciences -> cette
certitude est établie alors que l’existence des corps n’est pas encore établie.
Sébastien Gustin 2020-21

6. Distinction et union de l’âme et du corps


- La Sixième Méditation est la plus longue : le sujet méditant y met un terme à l’usage
du doute méthodique à propos « l’existence des choses matérielles » (1ère partie du titre de
MM6), lequel doute peut donc, à la toute fin du texte, être qualifié d’hyperbolique et
ridicule (MM6, 43) ; mais il soulève en même temps un autre problème. En effet, alors que la
distinction réelle de l’âme et du corps (2ème partie du titre de MM6) est un énoncé
indispensable pour établir « quelque chose de ferme et de constant dans les sciences » (càd,
précisément, une physique mathématique de la nature), le sujet méditant remarque
toutefois qu’une telle séparation dans l’ordre de la connaissance théorique ne correspond
pas à l’expérience que j’ai de l’union de mon corps et de mon âme. Autrement dit :
- d’un côté, je peux affirmer que « mon âme, par laquelle je suis ce que je suis,
est entièrement et véritablement distincte de mon corps et qu’elle peut être ou exister sans
lui » (MM6, 17) ;
- d’un autre côté, je dois reconnaître que « je suis très étroitement conjoint à
mon corps, et tellement confondu et mêlé [à lui] que je compose comme un seul tout avec
lui » (MM6, 25).
- La distinction de l’âme et du corps s’entend du point de vue de la connaissance :
n’ayant aucune propriété commune, on peut les connaître séparément l’un de l’autre, l’un
comme chose étendue et l’autre comme chose pensante, càd comme deux réalités ou deux
substances distinctes. On appelle dualisme la thèse qui pose l’existence de deux types de
réalités. Maintenant, si l’âme peut être sans le corps du point de vue de la connaissance,
j’éprouve toujours l’union de mon âme et de mon corps du point de vue de mon expérience
en première personne. Dans d’autres textes, Descartes parle de cette union de l’âme et du
corps comme d’une notion tout autant primitive que le corps d’un côté ou l’âme de l’autre :
cette union n’est pas pensée à partir de l’âme et du corps, mais elle se donne
immédiatement dans une unité âme-corps dont je peux faire l’expérience.
- Modalités des énoncés : possible, réel et nécessaire -> âme/corps -> dualisme
cartésien : distinction conceptuelle, réelle (et non pas ontologique), dualisme épistémique :
je peux concevoir des choses indépendamment de mon corps
- L’enjeu de la Sixième Méditation est de se débarrasser de l’hypothèse d’un grand
simulateur.
1. De la distinction des corps à la distinction de l’âme et du corps
- L’examen de l’existence des choses matérielles s’opère selon deux lignes de pensée
dans la Sixième Méditation, du fait que les choses matérielles, dont l’essence est d’être
étendues dans l’espace (MM5), renvoient à deux types de corps dans l’espace :
- les corps qui sont posés devant moi comme des objets
- le corps que je suis et qui m’affecte d’une manière particulière, à savoir le
corps organique vivant dont « je dispose immédiatement » : le seul corps qui est mon corps.
- Cette distinction des deux types de corps sera explicitée comme la distinction entre
Körper et Leib par Husserl (Méditations cartésiennes, 5ème : Méditation, § 44) : Parmi les
corps de cette « Nature », réduite à « ce qui m’appartient », je trouve mon propre corps
organique (Leib) se distinguant de tous les autres par une particularité unique : c’est, en
Sébastien Gustin 2020-21

effet, le seul corps qui n’est pas seulement corps, mais précisément corps organique ; c’est
le seul corps à l’intérieur de la couche abstraite, découpée par moi dans le monde,
conformément à l’expérience ; […] c’est le seul corps dont je dispose d’une façon immédiate
ainsi que de chacun de ses organes. Je perçois avec les mains (c’est par les mains que j’ai, et
que je puis toujours avoir, des perceptions cinesthésiques et tactiles), avec les yeux (c’est
par les yeux que je vois), etc. ; et ces phénomènes cinesthésiques des organes forment un
flux de modes d’action et relèvent de mon « je peux ».
- Descartes présente cette expérience des deux types de corps comme attestant à la
fois de la distinction réelle de l’âme et du corps et de leur nécessaire union en l’homme :

- L’essence des corps, ou choses matérielles, en tant que res extensae, est susceptible
de la « règle de vérité » et de connaissances C&D qui sont fondées sur des catégories, des
concepts fondamentaux, des « idées les plus distinctes » (étendue, figure, mouvement,
durée) ou des « natures simples » (MM5) :
- en MM2 : connaissance distincte de l’esprit en tant que substance pensante
- en MM5 : connaissance distincte des corps en tant que substances étendues
- L’entendement, aidé de l’imagination, et faisant usage des « idées les plus distinctes
» conclut donc à la position de deux types de réalités (ou substances) en tant qu’objets de
connaissance. En particulier, les propriétés mathématiques des phénomènes de la nature
valent indépendamment de l’origine et du statut de ces phénomènes : l’existence est une
donnée extra-conceptuelle, et il n’est pas sûr que l’on puisse avoir une connaissance C&D de
l’existence des choses sensibles. Mais il reste que les fondements de la science
mathématico-physique de la nature sont garantis : le sujet est parvenu « à établir quelque
chose de ferme et de constant dans les sciences » (MM1,1) – par conséquent l’objectif des
Méditations est atteint. De plus, l’esprit de Dieu est capable d’arriver à des propositions
scientifiques.
- C’est ainsi la distinction réelle de l’âme et du corps (des deux substances) qui rend
possible une physique de la chose étendue (enjeu), une physique qui ne soit pas
Sébastien Gustin 2020-21

aristotélicienne, càd une physique qui soit indépendante des qualités de l’âme. Il faut
distinguer trois usages du mot nature : la mathesis est une science rendue possible par la
lumière naturelle (MM5), càd la faculté de connaitre C&D, la raison, et rendue possible
comme science de la nature (ordre des choses tel qu’ils existent) en tant que séparée de ma
nature (propriétés particulières liées à mon esprit) (MM6, 23).
2. De l’union de l’âme et du corps à l’existence du monde
- La difficulté est que, d’un point de vue pratique et existentiel, j’éprouve plutôt
l’union de mon âme et de mon corps que leur distinction : je suis « étroitement conjoint » et
« confondu » à mon corps et lui suis beaucoup plus uni que le pilote à son navire (MM6, 25).
Le corps propre est celui que j’éprouve malgré moi, et qui m’affecte ‘de l’intérieur’, comme
en témoignent la faim et la soif.
- Or, ce sont par les sensations de mon corps que je suis, en pratique, certain de
l’existence des choses matérielles. Descartes rappelle alors un certain nombre de croyances
empiriques qui avaient été rejetées par le doute hyperbolique, ainsi qu’un certain nombre
d’indices qui faisaient pencher vers la croyance en l’existence des choses en dehors de moi
(caractère involontaire, vivacité, liaison des sensations) :
- « Premièrement donc j’ai senti que j’avais une tête, des mains, des pieds »
(MM6, 7)
- « De plus j’ai senti que ce corps était placé entre beaucoup d’autres,
desquels il était capable de recevoir diverses commodités et incommodités »
- « Car j’expérimentais (que ces qualités) se présentaient à (ma pensée), sans
que mon consentement y fût requis, en sorte que je ne pouvais sentir aucun objet, quelque
volonté que j’en eusse, s’il ne se trouvait présent à l’organe d’un de mes sens » (MM6, 8)
- « Les idées que je recevais par les sens étaient beaucoup plus vives, plus
expresses, et même à leur façon plus distinctes, qu’aucune de celles que je pouvais feindre
de moi-même en méditant, ou bien que je trouvais imprimées en ma mémoire, il semblait
qu’elles ne pouvaient procéder de mon esprit » (MM6, 9).
- « Notre mémoire ne peut jamais lier nos songes les uns aux autres et avec
toute la suite de notre vie, ainsi qu’elle a de coutume de joindre les choses qui nous arrivent
étant éveillés » (MM6, 43).
- Il n’y a, en fin de compte, pas d’autre argument en faveur de l’existence des choses
extérieures que de se fier à ces indices-là, càd à nos sensations du corps : et c’est bien ce que
nous faisons tous en pratique. Les perceptions sensibles ne peuvent nous conduire à
l’essence des choses : c’est l’entendement qui nous permet d’atteindre l’essence des choses.
Mais alors qu’en est-il de l’argument du doute qui prenait occasion des illusions des sens
pour rejeter, en bloc, toutes les connaissances issues de sens ? Il faut simplement conclure
que les sens ne sont pas infaillibles. Toutefois, s’ils peuvent être quelques fois trompeurs,
comme dans le cas de l’hydropique (MM6, 32) ou des membres amputés fantômes (MM6,
36), ils ne le sont pas en règle générale, de sorte que l’on peut s’y fier (MM6, 41) -> je peux
établir avec certitude que les corps existent et que j’ai un corps.
- MM6, 32 : Le corps peut être comparé à une machine : malade, elle est déficiente, 2
manière : je considère ce corps par rapport à ma nature ou à la nature, dans ce cas, les effets
produits par le corps sont produits par la nature : il y a une explication causée par les
Sébastien Gustin 2020-21

dérèglements de l’esprit. Concernant le corps malade, on doit penser à un modèle de bon


fonctionnement : on ne peut juger de la déficience par rapport à une fin externe que l’on
pose (cf. Spinoza). Si je regarde un corps malade du point de vue de la nature, c’est que c’est
normal. Mais de ma nature, il faut que je considère les causes finales.
- MM6, 30-31 : ainsi, si Dieu est souverainement bon, comment puis-je me tromper ?
Car les sens dépendent des organes du corps qui sont divisibles (puisqu’ils sont étendus) ->
la production des sensations suit un trajet dans le corps (cf. nerfs) ? J’ai une sensation
déformée car la sensation se trouve dans les nerfs -> on ne peut pas échapper à l’erreur, les
sens sont naturellement trompés (MM6, 40).
- Il faut être attentif aux capacités de l’esprit : pensée est composée de l’idée (sentir,
imaginer et concevoir -> modes de l’esprit), de la volonté et du jugement. C’est l’idée qui
produit notre croyance en des choses extérieures. Ces croyances sont faillibles par définition
car elles dépendent de nos organes. En effet, il y a la médiation d’un corps (chose étendue).
C’est parce que les organes sont étendus qu’il peut y avoir une possibilité de
disfonctionnement, car c’est l’effet de ces corps sur le miens, càd qu’il y une zone de
problème, je subis une modification de mon corps : la sensation, c’est l’extension de mon
corps à tout l’univers. Mais cette constitution des organes assure, la plupart du temps, une
régularité dans mes perceptions : ils fonctionnent de manière régulière. Elle va assurer la
régularité de nos croyances en des choses extérieures -> explication des inclinations de
l’esprit : il est en permanence tiraillé par des croyances.
- De plus, l’imagination (certaine application de la faculté qui connait, certaine
contention d’esprit (MM6, 3) nous persuaderait de l’existence des choses matérielles.
L’imagination c’est quelque chose de plus que la faculté de connaitre, c’est plutôt quelque
chose qui vient s’y ajouter (former des images) -> explication probable de l’imagination. On
peut connaitre quelque chose sans pouvoir l’imaginer.
- 3 arguments (MM6, 7-9) : un vient s’y ajouter -> argument de la ressemblance : les
idées que j’ai des choses réelles ont une certaine ressemblance avec celles-ci (thèse du
réalisme direct). C’est une idée extérieure qui est cause de mes idées -> la sensation que j’ai
des corps est passive et provient d’un donné brut. La sensation que je peux avoir des choses
n’est pas passive -> activité de l’entendement (cf. morceau de cire).
- Il y a de la place pour les sensations, mais ce que je connais C&D provient de
l’entendement (étendue). Ainsi, il n’y a pas d’imagination ou de sensation qui n’enferme de
l’intellection. Au cœur même de la sensation, qui parait passive, il y a une action de
l’entendement. Cette essence de l’esprit c’est l’entendement, dont la sensation et
l’imagination y sont rattachés. C’est donc une pensée sensible : pensée (distincte de
l’étendue) sensible, qui enferme une intellection qu’elle n’est pas. L’esprit est donc composé
de pensées, dont le cœur est l’entendement, et Dieu aurait pu nous faire sans imagination et
sensation, mais pas sans entendement, qui est la faculté de produire des idées innées.
- L’existence des choses matérielles reste ainsi problématique à la fin des Méditations
: la liaison de mes perceptions sensibles ne m’en donnera jamais qu’une certitude morale (à
savoir la certitude d’une vérité qui n’est pas susceptible d’une justification de type
démonstratif), non une certitude métaphysique (portant sur une vérité justifiée de manière
démonstrative, à la manière des mathématiques). L’argument du rêve est levé en pratique,
non en théorie. Il n’y a donc pas de ‘démonstration’ de l’existence des choses matérielles qui
Sébastien Gustin 2020-21

soit comparable à une démonstration mathématique : le scandale philosophique n’est pas


qu’il n’y en ait pas, mais que l’on veuille en chercher une. C’est qu’on ne démontre pas
l’existence des choses comme on démontre les propriétés de leurs essences. Le doute, en ce
cas, se révèle bien « hyperbolique et ridicule ». Il est « hyperbolique » (ou exagéré) parce
qu’il va au-delà de ce qui était recherché : établir quelque chose de ferme et de constant
dans les sciences, et non dans le monde. Et il est « ridicule » (MM6, 43) : l’existence des
choses matérielles ne se connaît que par l’usage de mon corps (ma chair =Leib) sans être
représentée distinctement à l’entendement. En d’autres termes : exiger une démonstration
d’existence est une demande impossible, un faux problème, un problème mal posé. Une
existence, ça s’éprouve.
- La dernière leçon de Descartes est que le scepticisme métaphysique ne peut être
réfuté infailliblement : il n’y a que des présomptions, concordantes, de l’existence des
choses extérieures par la liaison entre nos pensées, mais aussi par la variété et la vivacité de
leur contenu ou encore par leur caractère involontaire. Bref, toutes les connaissances ne
sont pas susceptibles d’une approche fondationnaliste de leur vérité et de leur certitude.
- La position que l’on adoptera alors relativement au scepticisme métaphysique
dépendra, en fin de compte, de la prémisse que l’on adoptera :
- Soit j’affirme savoir qu’il existe des choses extérieures, que j’ai des mains ou
que je ne suis pas un « cerveau dans une cuve », en m’appuyant sur un certain nombre
d’indices concordants et tout en accordant que mais je ne peux le justifier infailliblement de
mon point de vue. L’approche normative de la connaissance est sauvée en la limitant au
domaine de la science de la nature (mathesis).
- Soit je commence par reconnaître que je ne peux rien justifier infailliblement
sur ce sujet, et j’en conclus alors que je ne sais pas s’il existe des choses extérieures, si j’ai
des mains ou si je ne suis pas un cerveau dans une cuve.
- En fin de compte, la certitude de l’existence des choses extérieures repose sur notre
pratique ou notre usage du monde : tout dans mes pensées et dans mes perceptions (et plus
précisément : leur liaison, leur variété, leur caractère involontaire ou frappant) contribue à
renforcer la croyance en l’existence des choses extérieures. Ainsi, le C&D est un produit de
l’entendement. Les perceptions sensibles sont involontaires, je peux en avoir un nombre
innombrable. Les perceptions sensibles sont vivaces, vives. Ou, pour reprendre une
expression de Ludwig Wittgenstein, tout contribue à former une image d’un monde dans
lequel il existe des choses extérieures.
- Évoquons, pour finir, une dernière difficulté. En toute rigueur, les critères invoqués
par Descartes ne justifient pas qu’il existe des choses matérielles en dehors de moi ; ils
justifient seulement qu’il y a quelque chose extérieur à mon esprit : si j’ai des pensées liées,
involontaires, vivaces, etc., c’est parce que quelque chose en dehors de mon esprit les
suscite. Nous pouvons appeler cela la thèse d’une dépendance ontologique externe de mes
pensées. Le philosophe irlandais George Berkeley en tirait la conséquence, très peu intuitive
et pourtant parfaitement logique, qu’il n’existe pas de choses matérielles en dehors de moi
mais seulement un esprit, analogue au mien, qui suscite mes pensées et mes perceptions.
- Toutefois, cette difficulté n’intéresse pas Descartes : ayant reconnu qu’il y a bien
quelque chose d’extérieur à mon esprit, tous les scenarios qui supposent autre chose que
des choses matérielles à peu près ressemblantes aux idées que nous en avons, par exemple
Sébastien Gustin 2020-21

le scenario d’un grand ordinateur relié à mon cerveau (une version de la Matrix) ou d’un
Dieu qui produirait directement les idées des choses en mon esprit, ne peuvent pas être
radicalement écartés, mais ils sont évidemment à la fois invérifiables et infalsifiables, et par
conséquent d’aucun intérêt pour l’argumentation (car quelle raison aurait-on de choisir un
scenario plus improbable ?). C’est un genre de question oiseuse, de mauvaise «
métaphysique » (au sens péjoratif où il est question « d’opinion bien légère et pour ainsi dire
métaphysique » en MM3, 5) : le sujet reste pleinement certain (MM6, 43) de l’existence des
corps extérieurs, de son propre corps, et qu’il n’est pas en train de rêver. En douter serait
céder à un doute « hyperbolique et ridicule », à une mauvaise métaphysique, à une question
mal placée -> argument de la liaison ou de la cohérence des choses de la vie. Ainsi, la totalité
des perceptions sont cohérents les unes, les autres -> il n’y a pas de rupture. Sauf avec les
perceptions sensibles durant le sommeil. Le seul cas où c’est « fiable », c’est quand mes
rêves sont cohérents avec ce que je vis -> cohérence veille  sommeil : on ne pourrait les
distinguer.
- Enfin, tout ce que la nature m’enseigne contient de la vérité. Si je n’avais aucune
vérité, il y aurait une séparation entre ma nature et la nature. Et même les pensées confuses
contiennent quelques vérités, car c’est la nature. En effet, tous ces sentiments attestent de
l’existence des corps extérieurs, mais les perceptions des choses sensibles ne correspondent
pas à leurs qualités (MM6, 26). Mais même au cœur de la perception, il y a de l’absolument
certain. De plus, on ne peut pas conclure des perceptions sensibles à l’essence des choses ->
2 rôles : entendement (ce qui permet de connaitre l’essence des choses (C&D)) et les sens
(mais on ne connait pas le monde -> manière d’une chose, rapport pratique -> avantage,
désavantage). Il ne faut surtout pas faire porter à l’expérience sensible le rôle épistémique et
à l’entendement le rôle ontologique. Mes doutes sont ridicules car il n’y a pas de
démonstrations pour les choses corporelles, pour prouver leur existence. C’est l’image que
j’ai des corps qui me permet d’affirmer leur existence, sur un autre mode que la [RV]. Seules
les démonstrations mathématiques peuvent servir pour l’entendement.
=> le but de Descartes, c’était de faire surgir des certitudes, des vérités.
7. Concepts fondamentaux des Méditations
Cause. Parmi les différentes acceptions aristotéliciennes de la cause, Descartes privilégie la
causalité efficiente qui s’applique entre les corps ; entre l’âme et le corps ; mais aussi entre
Dieu et les créatures ou entre le contenu de mes idées et la source de ce contenu (voir plus
bas : réalité et perfection). En MM3, 18, Descartes fait référence à la distinction entre cause
formelle (qui contient l’effet tel qu’il est et existe réellement : par exemple, le mouvement
d’un corps est la cause formelle du mouvement d’un autre corps) et cause éminente (qui
contient l’effet en puissance : par exemple, Dieu est la cause éminente du monde). Par
ailleurs, on distingue entre un raisonnement a priori lorsqu’il conclut de la cause à l’effet (=
preuve par la cause) et un raisonnement a posteriori lorsqu’il remonte (ou infère) de l’effet à
la cause (= preuve par les effets).
Clarté et distinction. Critères caractéristiques de la vérité. L’énoncé « je suis, j’existe »
(désigné par les commentateurs comme énoncé du cogito en raison des formulations de
l’argument dans d’autres textes) est tel qu’il « ne se rencontre [en lui] rien qu’une claire et
Sébastien Gustin 2020-21

distincte perception de ce que je connais » (MM3, 2). Descartes ne caractérise pas les deux
critères de la clarté et de la distinction, mais reprend le vocabulaire usuel des qualités
logiques des énoncés, qu’il précise dans les Principes de la philosophie (1644), I, art. 45 : « Il y
a même des personnes qui en toute leur vie n’aperçoivent rien comme il faut pour en bien
juger ; car la connaissance sur laquelle on peut établir un jugement indubitable doit être non
seulement claire, mais aussi distincte. J’appelle claire celle qui est présente et manifeste à un
esprit attentif ; de même que nous disons voir clairement les objets lorsque étant présents
ils agissent assez fort, et que nos yeux sont disposés à les regarder ; et distincte, celle qui est
tellement précise et différente de toutes les autres, qu’elle ne comprend en soi que ce qui
paraît manifestement à celui qui la considère comme il faut ». Autrement dit, la clarté
concerne l’identification d’un objet de la pensée (contenu mental). Par exemple, une vive
douleur sera dite perçue clairement. Par contre, de nombreuses perceptions sensibles, qui
ne sont pas aussi vives qu’une douleur, ne sont pas perçues clairement. La distinction, quant
à elle, concerne l’identification complète d’un objet, de telle sorte qu’il soit entièrement
différenciable de tous les autres : la distinction n’est pas une donnée immédiate de la
conscience comme les pseudo-évidences des opinions pseudo-claires et pseudo-distinctes ;
mais elle est essentiellement le produit d’un travail logique de l’entendement : la « règle
générale » ou « règle de vérité » ne vaut que si l’on peut concevoir quelque chose clairement
et distinctement. Ainsi, pour être claires, de nombreuses douleurs ne sont pas distinctes : je
sais que j’ai mal, mais je ne sais pas exactement où j’ai mal et ce qui provoque cette douleur.
En bref : une pensée claire n’est pas nécessairement distincte ; une pensée distincte est
nécessairement claire. Il faut donc reconnaître qu’il y a plusieurs manières de parvenir à des
énoncés ou des idées claires et distinctes : parfois immédiatement (par exemple : le cogito)
et, le plus souvent, médiatement (par exemple dans l’enchaînement d’une démonstration
mathématique).
Doute (hyperbolique). Expérience de pensée qui consiste à tenir délibérément pour faux
tout ce en quoi on peut imaginer la moindre raison de remettre en question la valeur de
vérité d’un énoncé. Le doute est un produit de la liberté (de juger) ; et c’est d’ailleurs la
même liberté de juger (ou de s’abstenir de juger) qui garantit la possibilité d’éviter les
erreurs (en MM4), et qui lèvera donc certaines raisons de douter. Celles-ci sont en fin de
compte dites « hyperboliques et ridicules » (MM6, 43) puisqu’elles excèdent la tâche que
s’est fixé le sujet des Méditations : « établir quelque chose de ferme et de constant dans les
sciences ».
Dualisme (des substances). Thèse selon laquelle il y a deux substances distinctes, la
substance pensante (ou res cogitans = l’âme ou esprit) et la substance étendue (ou res
extensa = le corps). Descartes reconnaît qu’il existe une troisième substance (Dieu comme
substance infinie) et reconnaît aussi que l’âme et le corps sont unis et mélangés en l’homme.
Étendue (ou extension). Les corps (ou substances matérielles, ou substances corporelles)
sont perçus et distingués par des qualités sensibles, mais ils ne sont connus au sens strict que
par leur étendue, à savoir leur étendue spatiale tridimensionnelle en longueur, largeur et
profondeur (qui peut faire l’objet d’une connaissance mathématique). On dit que l’étendue
est ‘l’attribut principal’ des corps : elle constitue l’essence, ou la nature connaissable, des
Sébastien Gustin 2020-21

choses matérielles. [De manière symétrique, l’attribut principal de l’esprit est la pensée ;
l’attribut principal de Dieu est l’infini = l’essence de Dieu est d’enfermer toute réalité.]
Fausseté matérielle. Une idée est matériellement fausse si elle est l’image confuse de
quelque chose qui ne peut être distinctement conçu autrement que comme la privation de
quelque chose de réel. Par exemple : le froid, les ténèbres, le vide. On pourrait dire que ce
sont des idées qui ne sont conçues que négativement (« A n’est pas B » : négation
déterminée) et non positivement (« A est non-B » : affirmation indéterminée).
Fondationnalisme. Conception selon laquelle toute connaissance doit reposer sur une
fondation sûre, par exemple un petit nombre de principes indubitables (et ceux-ci peuvent
être reconnus comme fondements soit relativement à leur contenu, à la manière des
axiomes, soit relativement à la forme qu’ils prescrivent à toute connaissance). Il existe
d’autres conceptions de la justification des énoncés, qui ont souvent été définies par
contraste avec Descartes : le cohérentisme, l’épistémologie sociale, etc.
Idée et pensée. Une pensée (cogitatio) correspond à n’importe quel contenu de notre esprit
(mens) en tant que nous savons que nous le pensons : la conscience est, chez Descartes, un
critère de l’esprit mais non son essence (laquelle est donnée par la pensée ou l’entendement
au sens large). Dans le sens le plus général, Descartes tient pour équivalents les termes de
pensée, esprit, entendement et raison : « Je ne suis donc, précisément parlant, qu'une chose
qui pense, càd un esprit, un entendement ou une raison“ (MM2, 7). En toute rigueur, toute
pensée ne se donne que selon un des modes de la pensée : « Mais qu'est-ce donc que je suis
? Une chose qui pense. Qu'est-ce qu'une chose qui pense ? C'est-à-dire une chose qui doute,
qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent »
(MM2, 11). « Je suis une chose qui pense, c'est-à-dire qui doute, qui affirme, qui nie, qui
connaît peu de choses, qui en ignore beaucoup, qui aime, qui hait, qui veut, qui ne veut pas,
qui imagine aussi, et qui sent » (MM3, 1).
Les pensées (cogitationes) se divisent donc en trois genres de modes de l’esprit (ou
de la pensée) :
1. les idées (ayant un contenu représentationnel, comme des images des
choses) = concevoir, imaginer, sentir
2. les volontés (ou affections) = aimer, haïr, vouloir, ne pas vouloir
3. les jugements = affirmer, nier
Et parmi les idées, Descartes distingue encore, selon leur origine :
- les idées étrangères (adventices) : ce sont les idées des sens (sensations) qui
dépendent de circonstances extérieures présentes
- les idées inventées ou feintes : les fictions qui sont arbitrairement élaborées
par l’imagination à partir des précédentes (par exemple : l’idée chimérique d’une licorne) ou
qui sont simplement remémorées par l’imagination en l’absence des choses matérielles (par
exemple : un souvenir).
- les idées innées : les ‘dispositions’ ou ‘capacités’ mentales à concevoir
quelque chose indépendamment des sens et de l’imagination (cette thèse sur les
‘dispositions’ de notre esprit n’est que la contrepartie épistémologique de la libre création
des vérités éternelles : puisque Dieu a créé arbitrairement les vérités éternelles, comme les
Sébastien Gustin 2020-21

mathématiques, il a dû en inscrire les idées dans mon esprit)


On voit ainsi que les idées sont liées à différents actes de l’esprit : sentir, imaginer,
concevoir. Une même idée peut être saisie sous plusieurs de ces trois modes : ainsi l’idée de
Dieu peut être simplement pensée par imagination ; ou alors elle peut être conçue
distinctement par l’entendement, même si elle ne peut être intégralement comprise en tant
qu’idée de l’infini. Parmi tous ces contenus de l’esprit, les deux facultés principales (et
essentielles) sont l’entendement et la volonté en tant qu’ils sont tous les deux requis pour
établir les vérités et écarter les erreurs.
Infini. L’infini est la première caractéristique essentielle de Dieu (ou son ‘attribut principal’).
« Par le nom de Dieu j’entends une substance infinie » (MM3, 23). « Tout ce que mon esprit
conçoit clairement et distinctement de réel et de vrai […] est contenu dans cette idée »
(MM3, 27). Cette idée d’infini est à la fois positive (c’est une vraie idée et non une fausse
idée : elle n’est pas obtenue de manière négative, par négation) et pourtant
incompréhensible (de sorte que l’on peut concevoir qu’elle est incompréhensible mais qu’on
ne peut imaginer ce qu’elle est).
Nature. Le terme a plusieurs usages. Il est d’abord pris comme un équivalent courant de
l’essence : l’étendue est l’essence du corps ou la nature corporelle ; tout comme la pensée
est l’essence ou la nature de l’esprit. Descartes distingue aussi entre « la nature considérée
en général » (natura generaliter) et « ma nature en particulier » (mea natura in particulari).
La première désigne l’ordre des choses corporelles en tant que déterminées par des lois
mathématiques : la nature, en ce sens, est l’objet de la science de la nature (mathesis) et
n’est rien d’autre que « Dieu ou bien l’ordre et la disposition que Dieu a établie dans les
choses créées » (MM6, 23). Au sens particulier, elle désigne la complexion de mon esprit et
de mon corps (MM6, 23).
Or, parmi les choses que Dieu m’a données, et qui définissent ma nature, il y a un
certain nombre d’idées innées ainsi qu’une certaine « lumière naturelle », à savoir une
disposition ou puissance innée de penser quelque chose (MM3). L’ensemble de ces
dispositions innées (ou naturelles) fournit un certain nombre d’arguments rationalistes au fil
des Méditations :
- l’entendement a une activité propre, y compris dans la perception empirique
: l’inspectio mentis (cet argument aura une lecture empiriste puisque cette inspectio
nécessite des données sensibles) ;
- le cogito est saisi par une intuition (qui n’est pas développée dans MM2, et
sera appelée « lumière naturelle » dans MM3) ;
- certains contenus mentaux (idées) ne peuvent venir de l’expérience : « infini
», « vérité », « substance », « chose », « Dieu », etc. ;
- il existe des nécessités purement logiques de la pensée : il est impossible de
penser un corps sans étendue.
Réalité (Perfection), Réalité objective et réalité formelle de l’idée. Les termes de réalité et
de perfection ne sont pas définis mais leur usage permet de les éclairer plus précisément : la
réalité est associée à ce qui existe de manière positive, en elle-même, et se distingue de ce
qui est simplement une négation. Tout ce qui existe réellement (tel ou tel corps, tel ou tel
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mode, telle ou telle idée) est ainsi caractérisé par une certaine réalité formelle, ou un certain
degré de perfection dans l’être, càd par une certaine essence. En effet, l’origine latine du
terme de realitas est attribuée à Duns Scot (XIIIe siècle) : la realitas, ou encore formalitas, ou
encore réalité formelle désigne ce qui constitue l’essence d’une chose (res). Maintenant, les
idées peuvent être distinguées de deux manières : leur essence commune est d’être des
idées (et, de ce point de vue, elles partagent la même réalité formelle) ; mais elles se
distinguent toutes par leur contenu représentationnel, càd le contenu de l’objet qu’elles
représentent, ce que Descartes appelle leur réalité objective. Le sujet des Méditations, à
force d’examiner ses idées, trouve ainsi trois manières de les décrire et de les différencier :
par leur origine (sens, imagination, entendement) ; par leur qualité logique (claires ou
obscures ; distinctes ou confuses) ; par leur réalité objective.
Ressemblance. Un des fils conducteurs des Méditations, en MM1, MM3 et MM6, est la
critique du fondement de la thèse empiriste, à savoir le principe de ressemblance entre les
idées et les choses (dont elles sont les idées), dont il existe deux versions majeures :
- Empiriste matérialiste (Locke) : chose matérielle extérieure -> idée
semblable
- Empiriste immatérialiste (Berkeley) : chose hors de mon esprit -> idée
semblable
La fiction du doute hyperbolique rend impossible toute application du principe de
ressemblance. Mais c’est par l’idée d’infini que le principe est rendu caduc. En effet, la
Méditation Troisième se conclut sur l’examen de l’origine de l’idée de Dieu : c’est une idée
innée puisqu’elle ni une idée adventice (transmise par les sens) ni une idée fictive (car
j’éprouve que je ne peux rien changer arbitrairement à la constitution intrinsèque de l’idée).
Elle permet donc à la fois d’attester :
- contre la croyance empiriste, qu’il y a bien des idées innées ;
- contre la fiction du doute radical, qu’il y a bien une extériorité de l’esprit et,
partant, la possibilité d’acquérir de nouvelles vérités.
Les preuves de l’existence de Dieu jouent ainsi un rôle central dans la ‘conversion
philosophique’ du sujet méditant, qui découvre progressivement la naïveté de sa position
empiriste de départ. Les idées qui ont le pouvoir de renvoyer à autre chose qu’elles ne sont
pas les idées adventices : les sensations de choses externes ne prouvent aucune extériorité
de choses externes semblables. Seule l’idée d’infini renvoie à quelque chose d’extérieur,
précisément parce qu’aucune similitude n’est pensable entre l’idée et son objet : il n’y a
donc aucune ressemblance ou similitude entre Dieu et l’idée de Dieu, ce qui n’empêche pas
de maintenir un rapport de conformité de l’une à l’autre.
Substances et modes. Descartes ne définit pas la substance dans les Méditations mais il en
donne la caractérisation suivante dans le manuel que sont les Principes de la philosophie (I,
51) : « une chose qui existe en telle façon qu’elle n’a besoin que de soi-même pour exister ».
Une substance est donc une réalité qui existe (à la différence de la realitas comprise comme
un contenu conceptuel) sans avoir besoin d’autre chose (critère d’indépendance
ontologique), au contraire des modes. Par exemple, l’esprit est une substance qui pense et
les différents modes de la pensée (à savoir douter, affirmer, concevoir, aimer, etc.)
n’existent pas indépendamment de cette substance ; ou encore un corps est une substance
Sébastien Gustin 2020-21

étendue et les différentes formes que ce corps peut prendre dans l’espace en sont les
différents modes. Chaque substance est identifiée par un attribut principal qui en constitue
l’essence : l’attribut principal de l’esprit est la pensée ; l’attribut principal du corps est
l’étendue ; l’attribut principal de Dieu est l’infinité.

Spinoza
1. Le projet Spinoziste : une éthique fondée sur une ontologie naturaliste, et selon l’ordre
géométrique
- Le projet de Spinoza est celui d’une éthique fondée sur une ontologie (théorie de
l’être) -> effort pour étendre l’intelligibilité scientifique aux actions humaines. 2 principes :
1. Une visée éthique est possible, càd qu’il est possible de déterminer ce que
l’on peut faire pour être heureux, ou atteindre la béatitude ou la sagesse, et nous prémunir
des « biens décepteurs ».
2. Hypothèse d’un nécessitarisme naturaliste universel, càd qu’il y a des
relations de causalité nécessaire naturelle, que tout ce qui existe, existe nécessairement :
l’essence d’une chose enveloppe son existence (il n’y a pas de place pour le possible) ->
toutes choses sont soumises aux mêmes lois nécessaires et universelles de causalité
- Point de départ : rien ne fait exception aux lois de la nature -> principe du
mécanisme universel de la science galiléo-cartésienne. Ainsi, Galileo Galilei disait que c’était
par un progrès dans les connaissances des lois de la nature qu’une meilleure compréhension
des Ecritures peut être acquise. Plusieurs conséquences :
- il n’y a qu’une nature ou réalité (monisme ontologique) : « La nature est une
et toujours la même » (E3Pref) ;
- tous les changements naturels s’expliquent par des relations nécessaires de
causalité entre les êtres (déterminisme épistémologique) ;
- toutes les valeurs sont institués relativement à une situation sans référence
à un absolu transcendant (relativisme moral).
=> il n’y a que des causes immanentes -> philosophie de l’immanence : « Dieu est cause
immanente mais non transitive de toutes choses » (E1P18)
- Double réception : 1) « philosophe maudit », à partir du pamphlet de Kortholt, Des
trois imposteurs, 1680) et celle de « l’athée vertueux », selon l’expression de Pierre Bayle
dans le Dictionnaire historique et critique, 1697, par ailleurs adversaire de Spinoza. D’un
côté, Spinoza est tenu pour un auteur dangereux qui abolit toute forme de transcendance :
Deus sive natura, « Dieu, c’est-à-dire la nature » -> immanentisme. Il est à noter que Dieu est
différent de l’idée de Dieu. D’un autre côté, Spinoza est tenu pour le philosophe de
l’intelligibilité rationnelle maximale, et non intégrale -> Henri Bergson : « tout philosophe a
deux philosophies : la sienne et celle de Spinoza ».
- Il s’agit d’écrire une éthique, de proposer un certain mode d’existence et par
conséquent de changer de vie en changeant d’abord notre manière de penser. Mais tout
d’abord, il s’agit de déconstruire les préjugés les plus établis de la métaphysique et les
pseudo-évidences que l’on pense tirer de la perception la plus immédiate : la distinction des
créatures et d’un créateur (transcendant) ; la distinction de l’esprit et du corps ; la possible
maitrise du corps par l’esprit ; la distinction de l’entendement et de la volonté (ou de l’idée
Sébastien Gustin 2020-21

et de la volition) ; la supposition d’une volonté libre ; etc


- Spinoza va tâcher alors de subvertir, càd partir du vocabulaire d’un philosophe pour
établir une autre philosophie, l’usage de la langue et dégager les préjugés qui sont dans la
langue.
2. L’entrée en philosophie (Ethique 1, appendice)
1. Du préjugé qui empêche la lecture de l’Ethique
- C’est dans l’appendice que Spinoza révèle le grand obstacle à la compréhension : il
s’agit du préjugé de la finalité. Celui-ci consiste à substituer aux causes réelles, que l’on
ignore, des causes imagées (ou projetées) que l’on connait. Il distingue 2 plans : le plan des
relations de causalité que l’on perçoit et connait (ici les causes finales), et le plan des
causalités effectives que l’on ignore.
- Il justifie également de 2 manières pourquoi il a adopté la forme mathématique :
1. Il s’agit de prendre connaissance des propositions, directement, in medias
res, sans préalable. Leur vérité et leur pertinence ne se révèlera que progressivement, à la
lecture du traité -> déconstruire un certain nombre de préjugés et d’évidences qui
contaminent la manière de lire : le Dieu abordé ne peut être confondu avec un créateur
poursuivant des fins (E1app)
2. Il s’agit d’écarter toute explication finaliste en philosophie et de privilégier
ainsi l’intelligibilité mathématique des définitions causales ou génétiques -> raison pour
laquelle l’Ethique est rédigée selon la forme des Eléments d’Euclide. Il y a des définitions, des
axiomes (proposition qui est tenue pour vraie, évidente, que l’on demande d’accepter sans
démonstrations), des postulats (uniquement en E2P13), à partir desquels sont formulés des
propositions, des démonstrations, des lemmes (propositions secondes intervenant dans une
démonstration) et des corolaires (explication supplémentaire). Il y a d’autres passages qui
échappent à cette forme mathématique : les préfaces, les scolies (les remarques sur les
propositions) et les appendices -> l’Ethique n’est pas entièrement rédigée more geometrico.
Il faut partir des définitions. C’est dans l’appendice qu’il explique la manière de le lire. Si on
commence par des définitions, on comprendra certaines, d’autres non. Elles ne prennent
leur usage que lors des propositions.
- Spinoza esquisse une philosophie différente. De plus on peut remarquer que
l’Ethique est un dialogue avec Descartes, ce dernier permettant de comprendre la suite.
- Descartes et Aristote ne font que des causes finales, et Spinoza les rejette.
- L’hypothèse de Spinoza est alors qu’il n’y a que des causes efficientes, et rien ne fait
objection à ces causes efficientes nécessaires, et même les hommes lorsqu’ils croient
poursuivre leur fin. En effet, il y a une représentation d’une fin, mais les causes réelles sont
des causes efficientes, et peut-être sans qu’il ne le sache. On ne peut pas échapper au
préjugé de la finalité, mais il ne faut pas en faire un principe explicatif.
- On a donc affaire à un hypo-déterminisme : tout état est cause de l’état suivant,
tout état est une cause nécessaire (qui n’aurait pu en être autrement) de l’état précédent.
- Finalement, il n’y a qu’une seule et même chaine de causalité (ce n’est pas parce
que ça apparait être la cause réelle que ça l’est), et tous les êtres y sont soumis. Ainsi, on
peut étendre l’intelligibilité des sciences de la nature à l’homme, ce que fera l’Ethique
Sébastien Gustin 2020-21

(Spinoza est une référence dans la sociologie (cf. Durkheim)). Cette méthode permettra
d’écarter le préjugé.
- Plan de l’appendice : 1) de l’origine du préjugé de finalité ; 2) de sa fausseté ; 3) et
du fait qu’il est à l’origine de tous les autres préjugés.
1.1 De la différence entre une éthique et une morale
- Dès lors, s’il n’y a que ça, il n’y a pas de Dieu transcendant (pas d’autres causes) :
tous les êtres sont soumis aux mêmes lois -> immanence : tous les êtres restent dans le
même plan. Cela va avoir 2 conséquences :
1. Côté attrayant : comprendre l’Ethique de manière intelligible, géométrique.
Il va répondre à la question du scepticisme moral : 1) incertitude morale, le fait de ne pas
savoir C&D ce qu’il faut faire (Descartes part de là) ; et 2) l’impuissance morale, question de
la faiblesse de la volonté (situation où l’on ne peut savoir ce qu’il faut faire, où nous sommes
impuissants). A cela, il va apporter l’intelligibilité des affects humains comme réponse à ce
scepticisme moral. En effet, les problèmes étaient mal posés car ils reposaient et
embarquaient l’hypothèse des causes finales. Le projet est alors d’établir une éthique et non
une morale.
- Une morale est un discours qui dit ce qu’il faut faire, il énonce des
prescriptions ; alors qu’une éthique est l’examen de ce que je peux faire, l’intelligibilité de
ma puissance : c’est le chemin de la compréhension, de l’intelligibilité d la puissance
d’action. Ce n’est pas un art de vivre, ni un traité de développement personnel. « Spinoza,
philosophe du bonheur » -> il a une ambition plus importante : il va donner les éléments de
l’intelligibilité de la vie affective, il faut tenir compte de l’affectivité. Il n’y a donc pas de
recette générale.
- L’Ethique promet dès lors l’intelligibilité générale -> compréhension, gain de
l’entendement. On écarte alors du bonheur l’imagination (le développement personnel n’est
pas conciliable avec le spinozisme) : c’est la détermination de ce que je peux faire et pas
faire (il y a quelques inclinations morales qui n’auront pas prise sur mes affects). Ainsi, ça ne
sert à rien de dire de changer son comportement -> ca n’a aucun pouvoir sur les affects.
2. Critique de la transcendance : cause de son succès, ou de sa réputation
sulfureuse -> référence de la marginalité de la philosophie. En effet, il fait partie des grands
martyrs de la philosophie. Il fut exclu de la communauté juive et n’a publié que le traité
théologico-politique. Le problème fondamental, c’est le fondamentalisme religieux (différent
d’une croyance religieuse). De fait, nous n’échappons pas à la croyance, aux préjugés et
certains peuvent être bénéfiques. Mais, dans le cas du terrorisme, on utilise des croyances
religieuses à des fins de soumission politique. Spinoza vivait à une époque où il y avait des
attentats (et lui-même le vécu). Ce qui le mènera à la question de l’asservissement politique
par les croyances religieuses. Il se demandera alors : comment un homme peut-il soutenir le
malheur d’autrui ? Comment faire pour éviter ce point de dépression qui fait qu’un homme
devienne un terroriste ?
2. L’origine du préjugé qui est à l’origine de tous les préjugés
- Tous les préjugés du lecteur s’enracinent dans le préjugé de la finalité, puisque ce
dernier rend impossible une connaissance vraie par des causes efficientes. Pour rappel,
Sébastien Gustin 2020-21

Aristote, dans sa Métaphysique, dénombre 4 causes : matérielle (une chose naturelle est
faite), formelle (forme), efficiente (le potier qui a produit le vase), finale (ce en vue de quoi le
potier a fait le vase) -> expliquer un phénomène consiste à en expliquer les causes.
Descartes, apparemment, ne considérait pas les causes finales. Celles-ci sont là quand il y a
une action humaine, une action morale. Descartes, dans ses Méditations Métaphysiques, va
fonder les sciences de la nature, mais il emportera également une certaine morale (cf
préjugés établis), qui sera remise en cause par Spinoza. En effet, dans la 1 ère partie des MM,
le sujet n’a aucune action à accomplir, il laisse de côté l’action morale. De la façon qu’il
résout le doute épistémologique, il y a un paquet de prémisses, comme la distinction entre
Dieu et les créatures, et c’est par la véracité divine que les sciences sont légitimes -> règle de
vérité : lorsque je me sers bien de mon esprit, je peux connaitre par la [Rv].
-> On ne peut échapper au préjugé de la finalité puisque l’on ne connait pas la cause
efficiente.
- Pascal : « tout le malheur des hommes vient de l’imagination
2.1 La naturalité du préjugé
- Point remarquable : analyse de l’engendrement naturel du préjugé, qui explique la
difficulté à l’éradiquer. Les préjugés sont toujours produits par mon esprit -> conscience des
désirs mais pas de leurs causes effectives, et même l’ignorance des moyens pour les réaliser
-> la première fiction ou illusion est alors de croire que ces désirs n’ont d’autre cause que
moi-même, càd que la fin que je leur imagine : je m’imagine en être la cause libre -> illusion
du libre-arbitre.
- Le libre-arbitre de la volonté désigne, depuis le De Librero arbitrio de Saint Augustin,
l’état d’indépendance totale de la volonté par rapport à des déterminations extérieures
(influences, penchants, passions) qui pourraient l’incliner. Accorder à l’homme un libre-
arbitre, c’est ainsi reconnaître qu’il peut être la source active exclusive de ses actes, et qu’il
en est donc entièrement responsable. Pour justifier la possibilité du libre-arbitre, on invoque
l’expérience de pensée de l’âne de Buridan : l’âne, manquant de libre jugement, ne pourra
se décider entre deux déterminations extérieures de force égale ; cette situation étant
réputée absurde pour l’homme, on en conclut à la possibilité humaine de se décider
intérieurement indépendamment des circonstances extérieures. Pour Spinoza, la
conséquence est fausse : l’état apparent d’indifférence face aux différentes inclinations qui
pèsent sur la volonté est un état fictif, qui résulte simplement de l’ignorance des causes
réelles qui agissent sur elle.
- Le préjugé de la finalité est l’obstacle préjudiciel à la vraie connaissance des causes :
les causes efficientes nécessaires -> il n’y a donc dans l’univers spinoziste ni arbitraire, ni
providence, ni hasard, ni fatalisme : il n’y a que des causes efficientes.
- Pourquoi faisons-nous des causes finales ? Car notre connaissance est limitée : il
faut connaitre adéquatement, mais c’est très limité -> l’imagination doit y suppléer, et on va
étendre ce préjugé à la nature entière. L’ordre observé dans la nature ne provient pas d’une
cause finale, mais il y a une chaine causale.
2.2 Les effets néfastes du préjugé
Sébastien Gustin 2020-21

- La thèse du monisme ontologique conduit au refus de toute transcendance. Spinoza


est ainsi exclu définitivement de la communauté juive d’Amsterdam le 27 juillet 1656 et a
fait l’objet d’une tentative d’assassinat par un fanatique religieux. Cela l’a peut-être décidé à
publier en 1670, de manière anonyme, un traité théologico-politique (Tractatus theologico-
politicus), qui est condamné par la cour de Hollande en 1674. La thèse qu’il y défend est que
la liberté de penser s’accorde avec, et est même nécessaire à la théologie (et en particulier la
piété) et la politique (et en particulier la sécurité de l’État). Spinoza dénonce avant tout
l’utilisation de la religion comme un moyen de contrainte politique sur la pensée. De ce
texte, on ne peut en avoir une compréhension littérale de son texte, qui n’est pas non plus
une lecture métaphorique : il faut interpréter l’écriture par elle-même. Il vise à inspirer une
certaine manière d’agir : juste et charitable. Les prophètes cherchent à inspirer un certain
mode d’être.
- Spinoza rapporte le préjugé de l’autorité théologique au préjugé de la finalité.
- En effet, tous les préjugés s’enracinent dans le préjugé de la finalité, puisque ce
dernier rend impossible une connaissance vraie par les causes efficientes. Voici
l’enchainement des préjugés : 1) l’imagination d’une cause finale projetée se substitue
à la connaissance rationnelle des mécanismes effectifs du corps et de l’esprit ;
2) cette explication finaliste est ensuite étendue à la
nature toute entière, et donne lieu à l’idée d’un dieu anthropomorphe ou d’un recteur de la
nature ;
3) la difficulté d’accorder une telle finalité avec les
événements de la nature dont nous faisons l’expérience donne lieu à l’apparition
d’interprètes de la nature, à savoir les prêtres des églises, lesquels finissent par exercer un
rôle politique (voir Éthique 1, Appendice).
- En somme : c’est parce que l’on succombe d’abord au préjugé de la finalité que l’on
finit par reconnaître l’autorité politique des prêtres. L’enjeu de cette déconstruction est
double pour Spinoza. D’une part, il faut comprendre qu’il s’agit d’un asservissement
volontaire découlant d’un préjugé naturel. D’autre part, Spinoza ne vise pas tant le pouvoir
spirituel des Églises que le pouvoir temporel politique qu’elles justifient par leur pouvoir
spirituel.
- Dès lors, il existe 2 fins : 1) fin par indigence : Dieu est ce qui manque à la créature, il
est la fin visée ; 2) fin par assimilation : Dieu est ce à quoi il faut s’assimiler, il est le modèle
auquel s’assimiler. -> ce sont deux manières différentes de penser, mais Dieu est sa propre
fin, il crée pour sa propre fin.
- Si l’on abandonne la lecture finaliste, alors chacun est en droit par sa seule raison, et
pas sa seule liberté de penser, de comprendre les textes sacrés. Dans ce cas, l’autorité des
prêtres ne peut plus être justifiée par une ‘plus grande’ compréhension du sens finaliste des
textes, et l’occasion qu’ils avaient jusque-là d’asseoir leur pouvoir politique sur leur pouvoir
spirituel leur sera ainsi retirée.
3. La conscience des imaginations et la raison du corps : penser autrement la liberté
- Dans l’Éthique, la première mention de la conscience est liée à une illusion : l’illusion
de la finalité et de la volonté libre. La seule vérité de la con-science est de manifester
certaines idées qui sont en moi, càd dans mon esprit. Elle est une idée de certaines de mes
Sébastien Gustin 2020-21

idées. Bref : elle est idée d’idée(s). Par la conscience, je ne peux savoir que telle idée est
vraie ou fausse (adéquate ou inadéquate) : je sais simplement que ce sont des idées en mon
esprit. La conscience appréhende des idées comme des effets en mon esprit ; mais elle
ignore, la plupart du temps, les causes de ces idées.
- Là encore, un contre-exemple est donné par le mathématicien, qui connaît toutes
les causes adéquates de certaines propositions. Mais lorsque nous agissons, nous ne
sommes pas comme un mathématicien qui aurait sous les yeux toutes les prémisses ou
toutes les causes adéquates de nos actes : nous connaissons, plus ou moins adéquatement,
certaines raisons de nos actes, mais non toutes.
- La fiction ou le préjugé de la finalité intervient quand je pense que c’est en vertu de
cette seule représentation consciente que j’agis et que je peux orienter mes actes. Penser
cela, c’est réduire l’esprit à la seule conscience et ramener mes actes à un hypothétique
libre-arbitre dont j’ai conscience. La croyance dans le libre-arbitre, ou le préjugé, est
naturelle : je n’ai conscience que de mes intentions, et même, parfois, je parviens
effectivement à atteindre le but que je m’étais fixé. Mais cela n’exclut pas que d’autres
causes ne se soient exprimées à ce moment-là dans mes actes ; et cela n’empêche surtout
pas, dans bien des cas, et en particulier dans nos choix moraux, que nos représentations se
révèlent inadéquates et/ou noter volonté bien faible.
- Ainsi, ce n’est pas parce que j’ai conscience d’être libre que je le suis réellement (cf.
influence sur les sciences sociales). On n’échappe pas au préjugé de la finalité. En effet, la
conscience ne nous donne qu’un accès très partiel à ce que l’on est. Et puisqu’on ne
comprend pas les fins, on imagine les causes.
- En fin de compte, le point de départ de Spinoza est une proposition qu’il pense
relativement commune, et que tout le monde serait prêt à accepter, à savoir : la conscience
d’être libre – c’est-à-dire d’user librement, sans aucune influence, de sa volonté ou de sa
capacité de choisir – ne suffit pas à garantir que l’on est effectivement libre. Il se pourrait que
l’on ignore bien des causes réelles de nos actes (E1app, p.83). En disant cela, il ne pense pas
dire quelque chose de novateur - mais il fait juste observer que personne n’en tient compte
(E1app, p.93).
- Afin d’échapper aux illusions, Spinoza va partir de l’examen du corps (>< Descartes).
Le corps est une sorte de « grande raison » dont la compréhension permet de déjouer les
préjugés naturels et finalistes de la « petite raison » dont nous avons conscience. Un tel
projet ne peut manquer de changer notre compréhension de la liberté, qui ne sera plus
comprise comme liberté de la volonté mais comme puissance ou essence : cette équivalence
est l’Ethique, la détermination de ce que je peux faire. Mais un tel projet nécessite d’abord
d’expliquer : 1) en quel sens le corps pourrait nous apprendre quelque chose de l’esprit ; 2)
ce qu’est un corps. Tel est l’enjeu commun aux deux premières parties de l’Éthique.
Ainsi, comment penser une éthique si on fait l’hypothèse du
déterminisme nécessitariste ? Comment concevoir une action éthique avec un
déterminisme, une action humaine libre et des lois nécessaires ?
Asservissement ? Restriction de la capacité d’agir, asservissement des corps et des
victimes, des bourreaux : quel entrainement affectif, qu’est-ce qui fait qu’il en est arrivé là ?
Sébastien Gustin 2020-21

3. Comment décrire la réalité ? (Éthique 1)


1. La réforme de la métaphysique
- Éthique 1 propose une réforme de la philosophie reçue, en particulier cartésienne, à
partir d’une déconstruction du préjugé de la finalité. Spinoza conserve le vocabulaire reçu
tout en en subvertissant de l’intérieur le sens. De l’intérieur, càd qu’il va tirer toutes les
conséquences logiques des propositions reçues (à la manière d’une démonstration
mathématique) pour montrer qu’elles conduisent à une autre ontologie et à une autre
éthique si l’on met à part le préjugé des causes finales. Il va ainsi réformer la conception
reçue de la liberté, de Dieu, et de la manière cartésienne de décrire les choses en termes de
substance, attributs et modes. 3 exemples :

Définition/Proposition Conséquences spinozistes tirées de de ces


spinoziste littéralement définitions mais incompatibles avec la
compatible avec la philosophie philosophie cartésienne
cartésienne
Substance E1Def3 : « Par substance, E1P8 : « toute substance est
j'entends ce qui est en soi, et nécessairement infinie »
se conçoit par soi » E1P14 : « A part Dieu, il ne peut y avoir ni
se concevoir de substance »
E1P7 etc.
Dieu E1Def6 : « Par Dieu, j'entends E1P15 : « Tout ce qui est est en Dieu ».
un étant absolument infini, càd E1P18 : « Dieu est de toutes choses cause
une substance consistant en immanente, et non transitive ».
une infinité d'attributs, dont E1P32, etc.
chacun exprime une essence
éternelle et infinie. »
Liberté E1P17co2 : « Dieu est cause E1Def7 : Spinoza distingue 2 sens de la
libre », càd qui existe par la nécessité :
seule nécessité de sa nature. - la liberté est nécessité interne (qui
découle de la nature de l’être)
= « nécessaire en raison de l’essence »
(E1P33sco1)
- la contrainte est nécessité externe (qui
découle de causes extérieures)
= « nécessaire en raison de sa cause »
(E1P33sco1)
Différent de MM4
-> ici l’action devient alors : effet de
l’essence interne d’une chose qui se
déploie

- L’abandon des causes finales modifie immédiatement un certain nombre de


conceptions : 1. Il ne s’agit plus de savoir ce que je dois atteindre, mais ce que je peux faire
pour mener une vie meilleure pour moi (et il faudra déterminer ce que cela veut dire : faire
en sorte que les affects positifs l’emportent sur les affects négatifs).
Sébastien Gustin 2020-21

2. Si l’on abandonne le modèle de la causalité finale, il n’est plus nécessaire de


penser une transcendance : toutes les causes sont alors dites immanentes.
3. S’il n’y a plus que des causes efficientes et immanentes, alors toutes les
causes sont nécessaires. Cette thèse nécessitariste intervient en de nombreux endroits :
E1P16 : De la nécessité de la nature divine doivent suivre une infinité
de choses d'une infinité de manières.
E1P29 : Dans la nature des choses il n'y a rien de contingent, mais tout
y est déterminé, par la nécessité de la nature divine, à exister et opérer d'une manière
précise.
E1P33 : Les choses n'ont pu être produites par Dieu d'aucune autre
manière, ni dans aucun autre ordre, qu'elles ont été produites.
- Pour que le nécessitarisme intégral soit justifié, il faut d’abord établir la thèse du
monisme ontologique.
- En effet, la thèse fondamentale de l’ontologie spinoziste est d’affirmer qu’il n’y a
qu’une seule réalité à laquelle s’applique un même ensemble de lois nécessaires : c’est la
thèse du monisme ontologique, que l’on distingue par exemple des doctrines dualistes.
- Il y a trois manières de justifier une telle thèse :
1) on peut la poser arbitrairement et la justifier par sa fécondité
philosophique ou sa puissance d’explication des phénomènes ;
2) on peut la poser comme l’extension de la compréhension galiléenne de
l’unité des lois de la nature ;
3) on peut enfin, et telle est la voie choisie par Spinoza, montrer que cette
thèse résulte naturellement des propositions classiques de l’ontologie.
- Telle est la grandeur et la difficulté du projet : il s’agit de partir de l’analyse
conceptuelle des énoncés classiques sur la substance et sur Dieu pour établir l’identité
conceptuelle : substance = Dieu = nature = l’ensemble de la réalité en tant que déterminée
par un seul et même système de lois nécessaires ; mais, ce faisant, Spinoza conserve le
vocabulaire classique et les définitions nominales des concepts (par exemple, l’attribut est ce
qui constitue l’essence de la substance ; le mode est une modification de la substance) tout
en en subvertissant le contenu conceptuel.
2. Le point de départ : la substance
- Le terme par lequel les philosophes ont pensé la question de la réalité, ou de ce qui
est réel, est le terme de substance, qui traduit deux termes grecs : ousia et hypostasis.
- On peut en effet rappeler que le terme latin de substantia traduit, d’un côté, chez
Sénèque, l’hypostasis, càd la réalité au sens de ce qui a la teneur d’une chose et qui est
distingué de ce qui est simplement représenté dans l’entendement ou l’imagination ; mais
substantia traduit aussi d’un autre côté, à partir de Marius Victorinus, l’ousia, càd le premier
prédicament aristotélicien qui est distingué, lui, des accidents.
- Spinoza va repartir du double critère d’indépendance (ontologique et épistémique)
de la substance et va les considérer comme des expressions pleines et entière de la réalité
(ou de la substance) mais selon des modalités, des plans de réalité ou des attributs
différents. Il n’y a plus de masque jeté sur le réel : « Ce qui est contenu objectivement dans
l’intellect doit nécessairement se trouver dans la nature » (E1P30 dem).
Sébastien Gustin 2020-21

3. La déconstruction spinoziste
- De ces deux critères, Spinoza tire deux conséquences :
1) Si une substance est en soi, aucun de ses attributs constitutifs ne sera
commun à autre chose : chaque attribut n’appartient qu’à une substance, n’est limité par
rien d’autre, et est donc infini (E1Def2).
2) Si on appelle Dieu un étant absolument infini consistant en une infinité
d’attributs (E1Def6), alors il est la seule et unique substance, càd qu’il n’y a qu’une réalité
- La structure de l’argument de la thèse moniste se laisse ainsi reconstruire :
1) Chaque substance a au moins un attribut par lequel on connaît son essence
(E1Def4)
2) Deux substances ne peuvent avoir un attribut en commun (E1P5)
3) Dieu consiste en une infinité d’attributs, c’est-à-dire tous les attributs
possibles (E1Def6)
4) Dieu existe (E1P11) 5) Il ne peut y avoir d’autre substance que Dieu (E1P14)
= 1ère déconstruction : Substance = Dieu = une seule substance (monisme)
- Rapport entre cette substance qui comprend l’ensemble du réel et les choses réelles
particulières :
- Dieu est cause efficiente de tout (E1P16co), et comme rien n’est extérieur à
la réalité, Dieu (ou la substance ou la réalité) est aussi la cause nécessaire (E1P17) et
immanente (E1P18) de toutes choses.
- E1P28 : chaque chose est déterminée par l’ensemble de ses conditions
d’existence, de sorte qu’il n’y a rien de contingent dans la nature des choses : Dieu est cause
immanente et non transitive, (E1P29) et que connaître l’essence ou la nature d’une chose,
c’est connaître l’ensemble des causes qui la déterminent selon certaines lois nécessaires (ou
nature divine). Reprenant le vocabulaire scolastique, Spinoza traduit : nature naturante (= le
système de lois nécessaires qui s’appliquent à toute la réalité) et nature naturée (l’ensemble
des étants réels qui suivent nécessairement ces lois). Dire que la nature est en ordre, c’est de
Descartes (MM6). Une chose particulière est alors un mode selon un attribut de la substance
ou de la réalité. La substance est alors le nom de ce qui est : 1 seule réalité (E1Def4), où on
peut concevoir différents attributs, mais moi je n’en conçois que 2 (étendue et pensée), mais
il y en a une infinité d’autres.
= 2ème déconstruction : Dieu = Nature (cf E4, préf.)
- Conclusion : il n’y a qu’un type de réalité, déterminée par des lois immanentes
nécessaires. Ce que nous identifions comme ‘choses’ ne sont que des états-de-chose ou des
modes exprimant la substance selon divers attributs constitutifs, dont seuls deux nous sont
connus parmi une infinité : l’étendue (dont les modes sont les corps) et la pensée (dont les
modes sont les idées). En effet, les choses particulières ne sont que des affections, des
modifications ou modes des attributs de Dieu, par lesquels il s’exprime de manière
déterminée (P25co)
Sébastien Gustin 2020-21

4. Substance, attribut, mode : la réforme de la conceptualité cartésienne


- Spinoza invente ainsi une nouvelle manière de décrire cette unique réalité
déterminée par le même ensemble de lois nécessaires, la difficulté étant qu’il emploie des
concepts cartésiens les plus courants pour en transformer le sens :
- Pour Spinoza, il n’y a qu’un type de réalité, càd une unique substance. Pour
Descartes, il y avait (au moins) deux substances, l’âme et le corps, en tant qu’une substance
est « une chose qui existe en telle façon qu’elle n’a besoin que de soi-même pour exister »
(Principes de la Philosophie I, 51). Or, Descartes lui-même remarque qu’une telle
caractérisation ne s’applique stricto sensu qu’à Dieu seul (et sur ce point, Spinoza est un
cartésien rigoureux).
- Pour Spinoza, on peut cependant distinguer différentes expressions de cette
substance selon ses différents constituants ou attributs. Il existe une infinité d’attributs, mais
l’homme n’en connaît que deux : l’étendue et la pensée. Pour Descartes, l’attribut était
comme un « point de vue » sur une chose inconnaissable (la substance) puisque nous ne
connaissons la substance qu’indirectement comme le support supposé des attributs que
nous connaissons. Spinoza rejette cette manière de décrire le réel en termes de support
(inconnu) et d’attributs (connaissables) : les attributs expriment pour lui directement
l’essence complète de la substance comprise selon un plan de réalité (E1P9sco), càd un
attribut ou constituants du réel. Les attributs sont pour Spinoza des constituants de la
totalité de la substance selon un certain aspect : ils sont superposés comme des plans
parallèles de la substance. De plus, il existe une infinité de plans.
- Pour Spinoza, l’expression particulière que prend une substance selon un attribut
s’appelle alors une affection ou un mode de la substance, une certaine manière particulière :
a) un corps est donc un mode précis, fini et déterminé de la substance selon l’attribut de
l’étendue (E2Def1) ; b) une idée est un mode de la substance selon l’attribut de la pensée
(E2Def3). Alors que dans la filiation aristotélicienne jusqu’à Descartes, les êtres vivants sont
considérés comme des substances, Spinoza les considère comme n’importe quelle chose
singulière, càd comme des modes finis de la substance (selon l’infinité des attributs de la
substance) : en effet, un vivant – comme n’importe quelle chose, n’existe pas par soi-même
puisqu’il dépend de l’ensemble de ses conditions d’existence (E1P128).
- On peut ainsi décrire les choses selon l’ordre de la connaissance : modes connus ->
attributs auxquels les modes appartiennent -> substance à laquelle ces attributs
appartiennent.
- Mais on peut aussi les décrire selon l’ordre de l’être ou de la réalité effective : une
substance ou réalité unique -> constituée d’attributs -> qui s’expriment dans des modes
particuliers.
- La conséquence est que toute modification d’un mode suppose une modification
dans la substance, ce qui en retour implique que tous les modes soient modifiés.
- Pourquoi la réalité est-elle constituée d’une infinité d’attributs ?
- D’un point de vue épistémologique (et ontologique), cette supposition
revient à adopter un « principe de réalisme », à savoir : la réalité ne se réduit pas à ce que
nous pouvons en connaître. En termes spinozistes : il y a donc au moins un troisième attribut
de la substance que nous ne connaissons pas.
Sébastien Gustin 2020-21

- Du point de vue ontologique adopté par l’Éthique, Spinoza prend pour point
de départ la position d’un étant absolument infini (E1Def6). Si E1 remet en cause la
conception anthropomorphique d’un Dieu créateur (2ème preuve cartésienne), il attribue
cependant à la substance (ou réalité) l’attribut essentiel de Dieu selon Descartes : son
infinité. La substance est ainsi une puissance infinie (ou absolue) de production de la réalité
(elle-même infinie). Par définition (E1 Def2 et DEf4), les attributs ne peuvent être limités que
par eux-mêmes : tous les attributs sont donc des expressions « parallèles » d’une même
substance, au sens où ils ne se limitent pas les uns les autres. Les attributs sont donc : 1)
infinis en leur genre et 2) en nombre infini (E1P9). Mais cela ne veut pas dire qu’il y a
plusieurs substances (P8sc2)
- Quant aux attributs de la substance que nous ne connaissons pas, nous n’en
connaissons rien. Spinoza reprend ainsi également le critère cartésien de
l’incompréhensibilité de l’infinité divine : l’infini dépasse non seulement notre imagination
(finie) mais aussi notre entendement (fini).
- Qu’est-ce qui est, en fin de compte, réel ?
1) Il faut considérer ce qui est appelé attribut de la substance : « un attribut
est ce qui exprime la réalité ou l’être de la substance » (E1P10sc) ou les ‘plans de réalité’,
comme l’étendue en général ou la pensée en général : ce sont des ‘manières d’être réel’ qui
sont infinies au sens où elles ne sont limitées par rien d’autre, et dans lesquelles on peut
définir des délimitations. Ainsi, il ne faut pas conclure que la pensée et le corps sont des
réalités différentes, mais des attributs différents, ils sont distincts. Enfin, il y a
nécessairement quelque chose qui répond à un mode de l’attribut de la pensée dans
l’attribut de l’étendue -> parallélisme
2) Le mode de la substance selon un attribut, est une délimitation (ou une
modification ou une affection) finie d’un attribut infini : un corps étendu est bien une
délimitation de l’étendue dans un espace infini ; une idée ou un concept est bien
délimitation à l’intérieur de l’ensemble infini de toute le pensable.
3) Il faut considérer ce qui fait la délimitation d’un mode fini : l’ensemble des
conditions d’existence qui font qu’une chose est nécessairement ce qu’elle est à un instant,
étant données toutes les causes efficientes nécessaires dont elle résulte. Le quantum de ces
causes nécessaires définit sa réalité de chose finie, càd sa puissance d’exister et d’agir : sa
puissance de produire des effets librement ou sous contrainte. Et plus il y a de causes, plus
sa réalité augmente, et ainsi que ses effets, mais cela dépend des autres êtres.
=> Telle est la définition fondamentale de l’essence (ou nature) d’une chose à laquelle
conduit sa théorie de l’efficience généralisée en E1 : « Puisque pouvoir exister est puissance,
il suit que, plus il appartient de réalité à la nature d'une chose, plus elle a de forces par soi
pour exister » (E1P11sc). La chose se définit alors par sa force d’exister : par la totalité des
causes qui la font exister. Dans cet univers en devenir permanent, ce qui définit un être, càd
son essence, n’est rien d’autre que sa puissance d’exister et d’agir, càd une certaine capacité
à produire des effets nécessaires, selon le quantum de forces des choses qui s’exercent sur
elle : cette essence est individuelle, quantitativement graduelle, et instantanée et en devenir
permanent. Et chaque chose coïncide avec l’essence maximale -> nouvelle éthique. En effet,
suivant les circonstances, chaque être développe au maximum sa puissance, càd que chaque
individu est sa propre espèce. C’est donc une éthique de rapport de puissance -> enjeu de
Sébastien Gustin 2020-21

l’Ethique. On doit dès lors faire en sorte que le rapport de puissance soit de notre côté, càd
que les affects négatifs ne l’emportent jamais sur les affects positifs, faire en sorte que les
puissances de dissolution ne l’emportent sur la puissance d’agir.
4. La puissance de l’esprit (Éthique 2)
- La deuxième partie porte sur l’esprit, une doctrine qui est dite utile à « l’usage de la
vie », à la « vie sociale », à « la société commune » (E2P49sc). Un des résultats de cette
partie est de montrer que « la volonté et l’entendement sont une seule et même chose »
(E2P49co) et qu’il n’y a donc aucun sens à distinguer l’idée de la volition.
- L’éthique spinoziste repose fondamentalement sur une physique des corps, ainsi
qu’il l’écrivait dès le 3 juin 1665 à Guillaume de Blyenbergh : « Votre demande
d’éclaircissement porte sur une grande partie de l’Éthique, laquelle a, on le sait, son
fondement dans la métaphysique et la physique ». Ainsi, il va déduire une éthique de l’esprit
à partir de son ontologie des puissances.
1. Comment connaître l’esprit ? Par le corps (E2P1-13)
- Cette première partie achève l’ontologie commencée en E1. Après avoir surtout
distingué la substance et les attributs (E1), il s’agit maintenant de penser les modes selon les
différents attributs. Un corps est ainsi un mode selon l’attribut de l’étendue (E2Def1) et une
idée est un mode selon l’attribut de la pensée (E2Def3). C’est seulement cela à quoi nous
avons accès : « Nous ne sentons ni ne percevons de choses singulières, à part les corps et les
manières de penser » (E2, axiome 5).
- Spinoza prend le contrepied de Descartes, qui partait de l’examen de son esprit,
connu plus distinctement que le corps (MM2) : c’est en connaissant d’abord la nature du
corps que l’on peut connaître l’esprit (E2P13sc.) et peut-être, ainsi, échapper aux illusions de
la conscience. C’est la puissance du corps qui va permettre de juger la puissance de l’Esprit
- Cette stratégie est une conséquence de l’ontologie moniste : « l’ordre et
l’enchaînement des idées est le même que l’ordre et l’enchaînement des choses » (E2P7),
c’est-à-dire qu’il y a une identité des causes réelles, et des lois naturelles qui les régissent,
qui conduisent aux modifications des corps et des idées, qu’il y une chaine causale selon les
mêmes lois de nécessité, expression dans l’ordre des idées et dans l’ordre des corps, des
choses -> corrélation rigoureuse entre esprit et corps en tant qu’ils sont rigoureusement la
même chose (ontologie moniste). C’est ce que l’on appelle l’hypothèse du ‘parallélisme’ de
l’esprit et du corps : l’esprit et le corps ne sont que des expressions phénoménales diverses
(ou modes) d’une seule et même chose (ou substance) selon les divers constituants de la
réalité (ou attributs) -> « L’Esprit et le Corps sont une seule et même chose » (E2P13) : l’esprit
humain est uni au corps. Ce qui implique que l’esprit est connaissable à condition de
connaitre adéquatement le corps.
- Spinoza rejette la maxime Post hoc, ergo propter hoc (« après cela, donc à cause de
cela »). Ce que nous connaissons du monde les effets des choses sur notre corps (E2P13). Il
faut ici distinguer deux registres :
- dans le détail, le fonctionnement des corps est tout aussi inconnu que celui
de l’esprit ou, selon une formule bien connue « personne n'a jusqu'à présent déterminé ce
que peut le Corps » (E3P2) ;
Sébastien Gustin 2020-21

- par contre, il est possible de formuler un certain nombre de « postulats » sur


les corps, qui sont des propositions générales considérées comme les meilleurs principes
explicatifs des corps (les 6 postulats après E2P13).
- Du point de vue de la connaissance, on peut (mieux) connaître l’esprit à partir du
corps, y compris à partir de postulats généraux sur le corps, que réciproquement.
- Spinoza donne trois critères quantitatifs pour différencier les corps entre eux dans
l’ensemble des postulats à la fin de E2P13 (c’est ce que l’on appelle la « petite physique de
Spinoza » qui est le seul passage où il fait intervenir des « postulats ») :
- le corps humain a un plus grand degré de complexité interne, organique, que
les autres (E2P13, post. 1 et 4). Un individu est une chose singulière (E2Def7), c’est ce qui
produit un effet -> il peut y avoir plusieurs choses qui concourent à un effet ; un organe (ou
un orchestre) peut être un individu.
- cette complexité interne et externe rend compte de la possibilité d’être
affecté et d’affecter d’un plus grand nombre de manières que les autres (post. 3 et 6)
- le corps humain garde une plus grande mémoire des affections du corps, des
traces (post. 2 et 5)
- Conclusion : la puissance de l’esprit dépend de, ou plutôt correspond à, la capacité
d’un corps à être affecté de diverses manières. Il n’y a pas de distinction de nature entre une
pierre, une mouche et un homme, qui est un mode fini (l’essence de l’homme fait qu’il existe
de telle ou telle manière), mais essentiellement une distinction quantitative dans la
complexité corporelle (d’où l’insistance sur les comparatifs de quantité : « plus grand que »),
et par conséquent également dans la production des idées dans l’esprit correspondant.
L’esprit perçoit alors un degré de complexité, mais seulement certaines.
- Comment distinguer les corps entre eux ? selon leur mouvement et leur repos,
rapport relatif dans l’étendue, et par leur vitesse et leur lenteur (approche extrinsèque). Les
corps se distinguent alors par leur niveau de complexité. Par exemple, une tique ne réagit
qu’à l’odeur du chien -> on a un corps moins complexe : il ne peut être affecté que de 2
manières (se laisser tomber et sucer le sang).
- Distinction entre corps simple et composé : simple -> détruit si changement en lui ;
composé -> ne sera pas détruit s’il y a une modification. Un corps simple est par exemple
une molécule H2O, car si on arrache un atome, on la détruit : état d’un corps juste avant sa
mort, càd un corps qui a le plus petit degré de complexité. Alors, qu’un corps composé est
par exemple un animal amputé qui continue à vivre -> rapport de mouvement et de repos.
On peut également parler de dur et de mou.
- L’un des arguments courants de Spinoza prend la forme d’une réduction à
l’ignorance : j’ai conscience d’être libre, mais j’ignore en réalité les causes efficientes qui
agissent sur/dans mon esprit et mon corps au-delà de ce que j’en sais. L’argument consiste à
distinguer deux plans : le plan des causes perçues (ou imaginées) et le plan des causes
réellement efficientes (le plus souvent inconnues). L’esprit est l’idée du corps. Cette idée en
contient beaucoup d’autres et certaines sont réfléchies par une autre idée : la conscience
d’une idée est l’idée de cette idée, et en tant que telle n’est pas falsificatrice. Par contre
l’imagination peut donner une interprétation falsificatrice de mes désirs, des événements
qui arrivent, etc. en leur attribuant une cause illusoire, dans l’ignorance qu’elle est des
causes réelles des choses et des idées.
Sébastien Gustin 2020-21

- Autrement dit, en indiquant que notre esprit ne se réduit pas à la conscience que
nous en avons, Spinoza indique simplement que nous ne pouvons pas justifier la thèse du
libre-arbitre par notre seule « conscience d’être libres ». Un argument semblable contre la
thèse métaphysique du libre-arbitre a été renouvelé par l’une des premières expériences sur
l’activité neuronale du cerveau : l’expérience de Libet.
2. Que peut (produire) l’esprit ? Les trois genres de connaissance (E2P13-49)
- Contrairement à Descartes, l’Esprit n’est pas caractérisé par la conscience (ou idée
de l’idée), laquelle est seconde par rapport à l’idée (E2P21). La puissance de l’esprit n’est ni
un pouvoir (postestas) ni une possibilité, mais est toujours en acte en tant que réalisation
d’une essence (E1P34) = la puissance d’une chose est son essence, et fait par conséquent
partie de la puissance de la nature.
- L’esprit est une idée : l’idée d’un corps, d’un objet existant en acte. La proposition
vaut en particulier de l’homme : tel esprit humain est l’idée de tel corps humain (E2P11) : le
corps a le même rapport entre l’idée du cercle et son corps ; un esprit est une idée qui
contient peut-être une infinité d’idées du corps associé dans l’étendue. Le corps subit des
modifications, des affections, des événements de manière continue ; et l’esprit perçoit ces
modifications (E2P12), sans supposer aucune relation de causalité entre les deux modes. Ici
apparait le rapport entre l’esprit et le corps : l’esprit perçoit tout ce qui se passe dans le
corps -> parallélisme : mon esprit, c’est la perception que j’ai de mon corps, qui perçoit des
modifications de mon corps, et ce sont les autres corps qui font effet sur moi. Ainsi, il y a
toujours un fondement de vérité dans la sensation : ce qu’on connait de ce monde, ce sont
les modifications du corps. L’esprit ne perçoit que ces modifications : il ne perçoit pas les
objets en eux-mêmes, mais les effets de ces objets sur mon corps (E2P13).
- Plus un corps est complexe, plus il a d’aptitudes à agir et à pâtir et à en garder
trace(s). La complexité du corps rend raison de la diversité des manières d’agir potentielles :
un corps plus simple aura peut-être une aptitude particulière plus développée qu’un corps
complexe, mais il aura moins de manières possibles d’exercer sa puissance d’agir. Il ne faut
pas croire que Spinoza réintroduirait des possibilités contingentes dans sa nature
déterministe. C’est qu’il faut distinguer entre deux points de vue :
1) du point de vue de l’existence, chaque mode est le produit de causes
nécessaires et réalise son essence à chaque instant de sorte que, étant données les
conditions d’existence de cet être, il n’aurait pas pu être autrement à ce moment-là ;
2) du point de vue de son essence, prise en elle-même et indépendamment
des conditions temporelles d’existence, il y a une infinité d’effets potentiels qui ne sont pas
contradictoires avec cette nature : c’est ce que Spinoza appelle les « modes non existants »
dans l’idée de Dieu (E2P8sc). Ainsi, les idées des modes n’existent pas, càd l’idée d’un
triangle non pensé actuellement (idée formelle de tous les triangles) -> l’essence formelle,
c’est ce qui convient à l’essence de tous les triangles en général. Le cercle existant dans la
nature est alors un mode temporel. Les propriétés valent pour toutes les sécantes, elles sont
inscrites dans l’essence formelle de tout triangle, c’est-à-dire que par réflexion, on peut
penser un certain nombre de modes non-existants -> processus d’abstraction, les modes
non-existants sont des abstractions qui relève de l’essence générale non actualisée. La P8
écarte alors la notion de possible. Par exemple, les feuilles tombent de l’arbre, avec une
Sébastien Gustin 2020-21

certaine trajectoire rigoureusement déterminée : tout est absolument déterminé -> 1


trajectoire possible selon l’ordre donné par la nature. Ainsi, le but de Spinoza va être de
comprendre la trajectoire des affections des hommes. L’homme, en tant que singulier, est
dépendant de la totalité.
- Pour conclure : la complexité d’un corps rend raison de ses actions potentielles ;
mais l’accomplissement des actions réelles dépend d’une série de causes nécessaires.
- Maintenant, il faut rappeler que ce « détour » par les corps, et ce qu’ils peuvent, est
un moyen de comprendre ce que peut l’esprit, càd ses différents types de productions
(idées, connaissances). Spinoza ne pense pas que « l’esprit est plus aisé à connaître que le
corps » (comme Descartes) ; il pose au contraire au départ un certain nombre de grands
principes explicatifs des corps (à savoir les axiomes, les lemmes et les postulats sur les corps
en E2), et il va ensuite rendre raison des trois genres de connaissance par leur rapport à la
disposition des corps. Voici comment :
1) Premier genre (E2P17-36) : idées inadéquates (ou partielles, mutilées) de
l’imagination, et qui naît de la rencontre entre le monde extérieur et mon corps, et qui ne
me permet pas de connaître la structure réelle du monde extérieur. Attention : la
connaissance de l’imagination n’est pas arbitraire ni fictive, elle est seulement une
connaissance incomplète née des effets des corps sur mon corps. Un point essentiel est que
l’esprit est d’abord un flux d’imaginations, représentations partielles ou préjugés, auquel il
n’échappe pas. Il y a bien une « « vérité » de la sensation et des préjugés, mais c’est une «
vérité » partielle, inadéquate, qui témoigne d’une certaine passivité de l’esprit face au flux
de sens idées. On a recours à l’imagination quand les choses sont complexes. Une idée
inadéquate est alors une idée qui ne représente pas totalement la chose, qui ne saisit pas la
cause réelle. Par exemple, le complotisme est une idée inadéquate, on n’en connait pas les
causes réelles et on projette des causes imaginaires : le complot présente une idée trop
simple. L’idée du libre-arbitre est également une idée inadéquate.
2) Deuxième genre (E2P37sc) : idées adéquates de la raison qui me donnent
une connaissance causale des propriétés des choses (la raison n’étant que le développement
des notions communes E2P38). L’idée adéquate est la saisie de la nécessité interne de la
chose (E2Def4) : or la perception de cette nécessité n’est pas donnée d’elle-même dans le
flux passif des idées de l’esprit, mais requiert une activité propre qui réfléchit sur la manière
dont ces idées s’enchaînent. L’idée adéquate me donne alors une représentation adéquate
des causes réelles.
3) Troisième genre (E2P40sc2) : science intuitive ou connaissance adéquate
des essences des choses (et pas simplement de leurs propriétés).
Sébastien Gustin 2020-21

- En E2P40sc2, Spinoza donne trois manières de considérer la règle de trois selon les
trois genres de connaissance :

La connaissance de -> La règle de trois (déterminer Dieu (exemple donné dans


selon une la quatrième proportionnelle le Traité de la réforme de
: A/B=C/D) l’entendement)
idée du premier genre Par un procédé appris sans Dieu anthropomorphique
(opinion ou imagination) démonstration : D = B x C/A imaginé
idée du deuxième genre Par la démonstration des Dieu ou la nature. La science
(raison) propriétés de la proportion des propriétés nécessaires
(Euclide, Éléments VII, 19: des choses comme effets
le produit des extrêmes est des lois de la nature.
égal au produit des
moyens).
idée du troisième genre Par une intuition qui est une Dieu connu par son essence.
(science intuitive) saisie immédiate des
rapports (ou quasi-
immédiate) : lorsque je vois
que 3/6 vaut 1/2.

- Selon le premier genre, il y a une multiplicité d’idées qui surviennent naturellement,


mais aussi passivement, à mon esprit, selon la rencontre fortuite des choses et des corps qui
m’affectent. En ce sens l’esprit qui ne fait que percevoir ces modifications est déterminé de
l’extérieur. Mais il peut aussi déterminer des rapports de convenance et de disconvenance,
de différence et d’opposition entre les idées elles-mêmes : en ce sens, l’esprit fait retour sur
ses propres idées afin de comprendre leur rapports réels – et en cela il se détermine de lui-
même, de l’intérieur, càd qu’il opère selon sa nécessité interne (et est donc libre au sens de
E1Def7). Cette capacité de saisir les rapports réels, et les causes réelles des choses,
détermine la raison, ou connaissance du second genre (rappelons que le terme de ratio
signifie tout autant « raison » que « rapport »). Voir E2P29sc : on a qu’une connaissance
confuse et mutilée -> distinction du dedans et du dehors (cf. def6 nécessité intérieure et
extérieure). Ainsi, lorsque l’on reste à la connaissance du dehors, il reste inadéquat.
Connaitre, c’est alors produire un concept de l’identité et de la différence. Plus je prends des
choses ensembles et plus je peux produire un concept adéquat des causes réelles -> plus
grande amplitude possible. Un concept général est une chose, un être, quelque chose -> à
un certain degré d’abstraction, de confusion, je vais former un concept -> on ne distingue
plus les choses et leurs causalités : les concepts généraux ne nous font rien connaitre. Enfin,
selon le troisième genre, l’esprit saisit immédiatement ou simultanément le rapport des
rapports : que ce soit un rapport mathématique (comme la quatrième proportionnelle
évoquée en E2P40sc2) ou l’essence de Dieu mentionnée dans le Traité de la réforme de
l’entendement.
- Comment passe-t-on du 1er genre au 2ème ? A partir du moment où on comprend, on
saisit ensemble la chose et la cause de la chose -> produire l’idée de causalité. Cela se
produit de manière nécessaire. Mais nous ne savons expliquer pourquoi il y a de telles
inclinations, car c’est très complexe. Une fois qu’on a compris, on peut expliquer ce qu’on ne
Sébastien Gustin 2020-21

comprenait pas : il y a une nécessité. Il y a un moment où on a mit en rapport des éléments.


On laisse des traces dans notre esprit, et à un moment, l’esprit produit des rapports
nécessaires, une idée adéquate. Et puisque l’esprit a produit une idée adéquate, l’esprit va
garder trace de cette idée-là. Ainsi, l’esprit qui semble embrasser le plus de causes sera
capable de produire le plus d’idées adéquates. Au contraire, l’esprit submergé par des idées
inadéquates aura tendance à se refermer sur lui.
- Il ne faut pas oublier que l’esprit perçoit des modifications du corps, mais aussi les
traces sédimentées de toutes les modifications du corps, certaines de manière faible et
certaines de manière plus frappante.
- Il ne faut pas oublier que ces traces peuvent être associées entre elles (comme
lorsque l’on apprend quelque chose de manière empirique, comme la signification d’un mot
: E2P18sc). Aussi, l’histoire de l’esprit le porte à revenir sur ses propres idées : comme si
chacune demandait à être comparée aux autres. En un sens, on pourrait dire que l’esprit ne
produit pas simplement des idées de manière passive, mais qu’il produit aussi une idée de
l’idée – c’est-à-dire qu’il peut considérer une idée « sans relation à l’objet » (E2P21sc), càd
considérer l’idée de l’idée.
- D’un côté, il y a bien un ordre et un enchaînement des idées, qui est exactement
identique à celui des choses (E2P7).
- D’un autre côté, il y a une capacité de l’esprit, garantie par la mémoire et les traces
dans les corps (E2Post6), à rappeler des idées passées en l’absence des objets (c’est le
processus d’imagination par association (E2P17-P18)), et à percevoir ces idées elles-mêmes
sans considérer leur rapport à l’objet : autrement dit, d’avoir une idée de l’idée, qui
correspond à différentes manières de saisir l’enchaînement des idées. Cette idée de l’idée
(ou conscience, ou réflexion) va à l’infini : « Dès que quelqu’un sait quelque chose, il sait par
la même qu’il le sait, et en même temps il sait qu’il sait ce qu’il sait, et ainsi à l’infini »
(E2P21sc). On aura alors des traces mémorielles qui pourront être réactivées
- On comprend donc qu’il faut poser dès le départ :
1) que la nature ou la structure de l’esprit est d’emblée réflexive, et que cette
réflexivité (ou conscience) de l’esprit est capable de différentes intensités (idées
inadéquates, adéquates, intuitives), càd d’accroître sa connaissance vraie ;
2) que cette réflexivité établit qu’il y a bien une différence, et même une sorte
de mise à distance ou de relative autonomie, entre l’esprit (qui est réflexivité à l’infini en
chaque instant) et le corps (qui est quantum de forces dans l’instant).
- L’ordre des idées est le même que l’ordre des choses ; mais l’expression de cet
ordre dans l’attribut de l’étendue (par exemple un corps comme limitation réciproque de
forces) n’est pas identique dans l’attribut de la pensée, où une idée n’est pas simplement
limitée par d’autres idées (E1Def2) mais immédiatement reprise dans une structure réflexive
d’idée (plus ou moins adéquate et globale) de l’idée (plus ou moins adéquate et globale).
- En fin de compte, la puissance de l’esprit (qui caractérise son essence, et qui répond
à la puissance du corps d’exister et d’agir) tient à sa capacité à saisir, de soi-même (càd selon
une nécessité interne, dite libre ou active), la nécessité interne entre ses idées (càd aussi
entre les choses), autrement dit, c’est la puissance de comprendre, avoir une idée adéquate,
saisir la cause réelle des choses. A partir des idées et des rapports qui se sont passivement
sédimentés en lui, l’activité propre de l’esprit consiste à essayer de comprendre, de saisir
Sébastien Gustin 2020-21

ensemble le plus de rapports possibles sans être simplement emporté par l’association
empirique des idées. Sa puissance est alors de produire des idées adéquates des choses, et
transformer son esprit pour produire des connaissances.
- Affirmer un contenu, c’est différent que de vouloir un contenu (Descartes). Pour
Spinoza, on sépare conceptuellement ce qui en réalité n’est pas séparable -> l’entendement,
l’esprit et la volonté n’existent pas. L’esprit, c’est l’idée qui a peut-être en elle une infinité
d’idées. Le concept d’esprit est une abstraction, sauf que mon esprit est une idée, càd un
mode dans l’attribut de la pensée (E2P48).
- L’idée, en tant que produite par l’esprit, implique toujours une affirmation, de sorte
que Spinoza refuse la distinction entre idées et volitions, et plus encore entre des facultés
hypostasiées de l’entendement et de la volonté (E2P49sc) : on ne peut pas distinguer la
représentation (entendement) du consentement à la représentation (volonté). En effet, chez
Descartes, il y avait 3 modalités de l’esprit : idée, volonté et jugement. Spinoza a donc
montré que cette typologie est fictive. En effet, on ne peut distinguer les actes d’affirmer et
de nier -> il faut distinguer les idées suivant leur niveau d’adéquation -> il n’y a que des
degrés d’adéquation parmi les idées. On a vu qu’il remettait en question le fait que la
volonté soit abstraite : il n’y a pas de volonté générale, il n’y a que des volontés particulières.
Il parlera alors de volitions particulières et déterminées. La volonté absolue n’existe pas.
Ainsi, la volonté, le jugement, l’entendement et l’idée sont des abstractions générales. En
effet, un terme général est toujours le produit d’une confusion. Alors que connaitre, c’est
différencier les êtres, et plus on a une amplitude d’esprit, plus on comprend. Là où il y a des
volitions, il y a abstraction.
- E2P49 : Il n’y a pas de volition, à part celle qui est enveloppée dans l’idée -> il n’y a
pas de volition séparée de l’idée. Il va relever 4 objections. Pour lui, Descartes sépare ce qui
n’est pas séparé. Mais, l’idée n’est pas une perception, c’est plutôt un concept. Le concept,
c’est ce qu’on prend (capere) -> toujours actif. Ainsi, il n’y a pas de distinction entre poser un
contenu représentatif et affirmer. Il n’y a pas de volition sans se représenter ce que l’on
veut. -> 1er élément de l’Ethique qui s’établit.
- Il souhaitait quelque chose d’utile à la vie : se débarrasser de la distinction entre
l’entendement et la volonté. Comme tous les préjugés, il est traversé par le préjugé de la
finalité. Il faut s’en débarrasser car tous les moralistes font comme si l’on disposait d’une
volonté qui est capable de gérer, maitriser leurs affects -> explication totalement inutile. Ce
ne sert à rien de supposer qu’il y a une volonté par laquelle on peut tout faire et être la
cause absolue de nos actes.
- Spinoza examine pour finir un certain nombre d’objections à la distinction
cartésienne entre entendement et volonté en MM4. Mais il en poursuit aussi un aspect :
pour Descartes lui-même, l’esprit le plus libre est bien celui qui le plus incliné par des raisons
internes, par exemple lorsqu’il a une idée C&D d’une chose [ce que Spinoza traduit : lorsqu’il
saisit la nécessité interne d’une chose].
Sébastien Gustin 2020-21

5. Les mécanismes des affects (Éthique 3)


1. L’essence de toute chose : le conatus
- Deux conséquences doivent être tirées de ce qui a été établi pour l’analyse de la vie
affective : - 1) Toute [notre] vie affective doit pouvoir être expliquée naturellement par
des relations de causalité nécessaire.
- 2) Toute passion ou, plus précisément, tout affect (joie, amour, tristesse,
mélancolie, haine, orgueil, etc.) doit pouvoir être défini tant du côté du corps que du côté de
l’esprit. D’un côté, l’affect est saisi comme modification consciente du corps ; d’un autre
côté, l’affect est une idée, distincte dans le cas des affects actifs et confuse dans le cas des
passions, de la puissance du corps : « Par affect, j’entends les affections du corps qui
augmentent ou diminuent, aident ou contrarient la puissance d’agir de ce corps, et en même
temps les idées de ces affections » (E3Def3) -> variation de la puissance d’agir ; « L’affect,
qu’on dit une passion de l’âme, est une idée confuse par laquelle l’esprit affirme une force
d’exister de son corps, ou d’une partie de son corps, plus grande ou moindre qu’auparavant
» (E3, Def. Générale)
- Dans les deux cas, l’affect n’est pas lié à un état du corps, mais à une variation de sa
puissance d’agir. La typologie qui s’esquisse ainsi entre deux grands types d’affects, les
affects actifs qui augmentent notre puissance d’agir (par ex. la joie, l’amour, etc.) et les
affects passifs qui la diminuent (la tristesse, la haine, etc.), suppose que l’on ait établi :
- 1) le fait qu’un être puisse être caractérisé par sa puissance d’agir, et
- 2) le fait que cette puissance d’agir puisse varier.
- Or, c’est précisément ce qui a été établi par l’hypothèse déterministe : toute chose
singulière est prise dans des chaînes de causalité et est déterminée à exister (comme effet
de causes) et à opérer (comme cause d’effets). Chaque chose est ainsi naturellement
caractérisée par une certaine quantité de puissance propre, laquelle détermine à la fois ce
que la chose est (son essence) et ce vers quoi elle tend (à savoir la persistance dans son
essence). Spinoza appelle conatus ou effort (E3P6) cette puissance qui caractérise l’essence
de toute chose, et qui peut être spécifiée selon les différents modes comme :
- appétit quand elle est rapportée au corps et à l’esprit,
- volonté quand elle est rapportée à l’esprit seul,
- et désir quand l’appétit est conscient (E3P9).
- Volonté, appétit et désir ne sont donc que des noms différents d’une même chose, à
savoir : le conatus qui définit l’essence de chaque chose. Si l’on pense à l’homme en
particulier, il n’y a donc aucun sens à vouloir, comme les moralistes, opposer sa volonté à ses
désirs ou croire que l’on puisse maîtriser ses passions ou ses désirs par la volonté.
- Le désir constitue l’essence même de l’homme chez Spinoza. Aucun désir n’est
mauvais en lui-même, mais l’imagination peut provoquer des désirs erronés, des désirs qui
se retournent contre l’essence même qui les porte et que Spinoza va appeler des affects
négatifs. C’est que, bien que le désir définisse l’essence de l’homme (comme de toute
chose), nous n’avons qu’une connaissance inadéquate de nos désirs : nous croyons que nous
désirons les choses parce qu’elles sont bonnes, alors qu’elles ne sont bonnes que parce nous
les désirons. Et plus la puissance est contrainte, plus elle est limitée, et plus elle est libre,
plus la puissance d’agir augmente. Ce qui fait alors la puissance propre, c’est la puissance
Sébastien Gustin 2020-21

positive.
- E3P8 : Le conatus est une force instantanée liée à des effets dans la durée ->
conatus se traduit par une modification, càd par un affect. De plus, c’est un concept de
l’individualité, même s’il relève de l’infinie complexité.
- E3P9 : c’est relativement à notre puissance que nous allons produire des jugements
de valeur -> relativisme. C’est parce que nous désirons une chose qu’elle est bonne. Comme
dans la Préface de l’Ethique 4, où la musique dépend de la puissance : bonne pour le
mélancolique, mauvais pour l’affligé.
- Qu’est-ce qu’un être qui ne persévère pas dans son âme ? Quelqu’un qui se suicide.
Qu’est-ce qu’un être qui se décompose ? C’est le produit de la plus grande confusion,
passivité de l’esprit -> entièrement submergé par les causes extérieures, ce qui est le
contraire de la liberté, plutôt le degré le plus bas de la puissance -> triomphe de la passivité
en soi (E3P4).
- E3P12 : l’esprit est un effort pour imaginer ce qui peut augmenter sa puissance,
mais ce n’est pas une idée adéquate. L’effort propre se réduit à cette imagination, qui a des
effets.
2. Les mécanismes affectifs
- Dans la préface de la 3ème partie de l’Éthique, Spinoza indique que le problème
éthique central est de définir les affects négatifs ou passions « comme s’il s’agissait de
points, de lignes et de surfaces » (càd d’avoir une compréhension rationnelle de leurs causes
et d’en proposer des définitions génétiques à la manière des géomètres). Pour lui, il faut
prendre la vie affective comme elle est et en chercher les causes réelles. Ainsi, il va parler de
l’origine de nos affects et de leur nature. Toute chose qui existe est un affect naturé et une
chose naturante, et rien n’échappe à cette chaine de causalité -> rien n’est absolu. On
trouve chez les moralistes tout un vocabulaire de domination de soi. Ceux qui croient qu’il y
a un pouvoir sur les affects se méprennent sur la puissance de l’homme : on en vient à dire
qu’il y a des vices, des manquements en fonction d’un « tu dois » -> c’est exiger quelque
chose d’impossible de cette puissance. Et l’Ethique consiste alors à renoncer à cette idée de
pouvoir absolu.
- Un individu c’est une puissance capable de produire des effets. Les effets sont
imputés de manière prédicative, comme produit de la puissance. Toute idée c’est une
information. La société chercher à garantir sa propre puissance ; la justice en tant que
puissance se protège des puissances des criminels. Ainsi, chaque être veut atteindre sa
puissance. Chaque société veut convertir la puissance criminelle en non-criminelle. Et donc
on n’éprouve pas tous les mêmes affects puisque l’on a une puissance différente.
- La compréhension est très complexe et on ne peut pas comprendre ce qui vient à
faire opérer le déclic, parfois ça ne marche pas car c’est hors de notre puissance.
- L’aspect puissamment déconstructiviste du monisme ontologique de Spinoza
semble contre-intuitif au regard de notre expérience : au lieu de percevoir les événements
du corps et de l’esprit comme des expressions d’une seule et même chose, selon la doctrine
dite du parallélisme de l’âme et du corps (E2P7), nous semblons bien percevoir des relations
de causalité entre notre corps et notre esprit : ainsi des phénomènes de douleur, de
placebo, etc.
Sébastien Gustin 2020-21

- Cependant, ce n’est qu’à partir de la 3ème partie de l’Éthique que l’intérêt


proprement scientifique de l’hypothèse du parallélisme prend tout son sens :
- D’une part, du fait que nous percevons des relations de causalité entre l’âme
et le corps, il ne s’ensuit pas qu’il y ait réellement une telle relation dans les choses (E3P2sc.)
: il se pourrait bien que l’on ignore ce que peut le corps d’un côté, et ce que peut l’esprit de
l’autre (car on ignore tout autant comment le corps agirait sur l’âme que l’âme sur le corps).
Au lieu de parler d’une double causalité, il se pourrait que l’esprit et le corps ne soient que
des expressions concomitantes d’une seule et même causalité. En effet, les gens n’ont pas
compris que l’esprit et le corps sont une seule et même chose, qui se conçoit tantôt sous tel
ou tel attribut. Plusieurs exemples : quand il s’agit d’expliquer naturellement l’action de
l’esprit sur le corps, personne ne sait l’expliquer ; s’il y a des bavards, c’est que l’esprit n’est
pas tout puissant ; de la conscience que j’ai, je n’arrive pas à avoir une représentation
adéquate : « regardez le somnambule, on ne sait sa puissance » -> ceux qui ont un libre
arbitre ne comprennent pas les causes qui s’exercent sur eux. Ceux qui disent que l’esprit et
le corps sont distincts, disent cela car cela correspond à notre expérience la plus banale ->
explication apparente par les causes apparentes -> niveau des causes imaginaires. En réalité,
on ne sait pas comment un phénomène mental pourrait avoir un effet sur le corps -> il y a
des corrélations (les sciences contemporaines établissent des corrélations).
Métaphysiquement, on n’aura jamais les moyens d’expliquer cela.
- Pour être apparemment moins plausible ou intuitive, l’hypothèse du
parallélisme (parallélisme des attributs d’une même substance) permet de fonder l’enquête
scientifique de tous les phénomènes de la nature qui sont soumis aux mêmes lois (« la
nature est partout et toujours la même », « l’homme n’est pas un empire dans un empire »
E3Pref.) Par conséquent, il est possible d’aborder les affects du point de vue du naturaliste
puisque l’on peut en déterminer les mécanismes ou les chaînes de causalité comme pour
tout phénomène naturel. L’Éthique ne s’accomplit véritablement que dans une connaissance
scientifique, ou géométrique, des affects.
- E3P3sc : équivalence entre actif et adéquat, entre passif et inadéquat.
- E3P4 : chaque être est déterminé par sa puissance propre -> la décomposition vient
toujours de l’extérieur -> « la mort ou la maladie, c’est toujours une mauvaise rencontre »
(Deleuze). -> Ethique : comprendre les besoins qui échappent à la décomposition.
- L’Ethique permet seulement que la part des idées inadéquates ne l’emporte sur les
idées adéquates. C’est la tentative que certains affects positifs puissent contrebalancer des
affects négatifs.
- Sans entrer dans le détail, Éthique 3 se propose d’exposer un certain nombre de
mécanismes de dérivation et de multiplication des affects à partir des trois affects primaires
(qui sont des variations sans objets) : le désir, la joie (ou augmentation de la puissance
d’agir) et la tristesse (ou diminution de la puissance d’agir) (E3P11sc). Spinoza veut avant
tout convaincre de la nature ‘géométrique’ de la vie affective. La production d’affects
s’opère selon différents mécanismes :
- par représentation d’objets (E3P12-13)
- par association des affects (E3P14-15), fait que des affects surviennent en
nous par accident -> sympathie et antipathie, il y a une association par accident -> il y a un
travail de l’imagination en jeu qu’on ne saurait pas expliquer.
Sébastien Gustin 2020-21

- par ressemblance des objets (E3P16-18), càd qu’on prend les 2 images
(traces + vue) -> tout va se complexifier. Un même objet peut être associé à 2 affects
différents-> on en vient à douter de l’objet, sentiment de contrariété (flottement de l’âme)
-> un même objet peut être affecté de 2 manières.
- par identification des objets (E3P19-26)
- par imitation des affects (E3P27sc), lequel processus repose
fondamentalement sur l’idée d’une similitude avec ceux que l’on imite. L’imagination d’une
ressemblance peut être totalement infondée (ou inadéquate), elle ne nous en fait pas moins
éprouver des affects semblables (cf. E3P27).
- Il définit les affects par la variation de puissance, et ceux-ci ne sont pas
nécessairement conscients -> partie inconsciente de la vie affective. On peut être conscient
de certains affects, mais ce n’est pas nécessaire. Et cette idée de l’idée n’est pas forcément
adéquate : peut-être que je me trompe en permanence. Avoir conscience de ses affects,
c’est seulement avoir une idée de l’idée.
- Il y a un ensemble de puissances qui me mènent à faire ce que je fais -> à l’instant
où l’on fait ce que l’on fait, on est au niveau de ce que l’on peut faire.
- Etant donné les circonstances, on éprouvera certains affects, et pas d’autres.
- E3P54 : l’esprit s’efforce de s’imaginer que ce qui pose sa puissance d’agir, il
imagine sa propre puissance d’agir.
- E3P57 : Il y a quelque chose qui échappera toujours car la puissance et les affects
sont différents chez chacun -> je peux avoir une idée générale.
3. Un exemple de mécanisme projectif de la vie affective : l’amour
- P13co + sc : l’effort propre de l’esprit est non seulement de représenter le corps
mais d’imaginer tout ce qui peut augmenter la puissance d’agir du corps : il s’agit du
fonctionnement naturel de l’esprit en tant qu’expression du conatus. Autrement dit, il y a un
mécanisme d’imagination tout à fait naturel qui va être à l’origine d’un certain nombre
d’affects. Ainsi : « L'Amour n'est rien d'autre qu'une Joie accompagnée de l'idée d'une cause
extérieure ». L’amour est donc cet affect particulier qui naît lorsque l’on rapporte sa joie à
l’idée (la représentation, l’imagination) d’un objet extérieur. L’idée de cette cause projetée
n’est pas nécessairement adéquate. L’imagination à l’origine du processus amoureux peut
donc être trompeuse. Toutefois, bien que l’idée de la cause de l’amour puisse être
complètement inadéquate, un amour illusoire reste tout autant accompli que n’importe quel
autre, précisément en tant que tout affect est par définition un effort à la conservation ou à
la destruction de l’état affectif : « qui aime, nécessairement s'efforce d’avoir en sa présence
la chose, […] qui hait s’efforce d'éloigner la chose qu’il a en haine et de la détruire ».
Autrement dit, si l’affect peut naître d’un simple jeu de l’imagination, il ne consiste pas lui-
même en une simple représentation dépourvue de toute conséquence pratique. En effet,
tout affect est toujours un effort, et l’affect d’amour est un effort de conservation de l’objet
pris pour objet d’amour. En bref : il n’y a donc pas d’amour indifférent. Notons enfin la très
grande généralité de la définition spinoziste qui ne précise pas la nature de la cause
(projetée) ou de l’objet (imaginé) de l’amour : il n’y a donc pas de différence de nature dans
l’amour que l’on peut porter à des personnes, des vivants ou peut-être aussi des choses ou
des idées.
Sébastien Gustin 2020-21

4. Les affects par identification


- Les propositions E3P19 à E3P26 prennent le plus l’apparence de ‘lois affectives’, càd
de ‘processus’ de transfert, de transitivité ou de réciprocité entre les affects.

(1) Affect initial (2) A imagine (3) Affect Nom courant de


de A aussi que produit en A l’affect
E3P19 A aime B B est détruit A est triste ? (tristesse)
E3P20 A hait B B est détruit A est joyeux ? (joie)
E3P21 A aime B B est joyeux A est joyeux ? (joie)
B est triste A est triste pitié
E3P22 A aime B C rend B joyeux A aime C faveur
C rend B triste A hait C indignation
E3P23 A hait B B est triste A est joyeux ?
(Schadenfreude)
B est joyeux A est triste ? (tristesse)
E3P24 A hait B C rend B joyeux A hait C envie
C rend B triste A aime C envie

- Il faut toutefois rappeler que tous les processus se combinent en même temps, en
raison même de la multiplicité des affects (qui relève de la complexité interne du corps et de
l’esprit, laquelle détermine notre capacité à affecter et à être affecté) : en ce sens, il n’y a
pas d’affect ‘pur’ qui occuperait à lui seul tout l’espace de la vie affective (càd toute la
puissance de l’esprit et du corps). Il faut donc bien noter :
- 1) Que la vie affective est aussi complexe que la vie mentale, laquelle est
d’abord une vie de l’imagination avant, peut-être, que des idées adéquates des causes des
affects soient saisies (voir E2). La réflexion sur ses propres affects permettra, peut-être,
d’identifier la source illusoire de certains d’entre eux, mais certainement pas d’avoir une vue
adéquate sur toute sa vie affective. De celle-ci nous percevons avant tout les effets globaux,
càd les affects primaires : la joie lorsque la puissance d’agir augmente ; la tristesse
lorsqu’elle diminue. Ce qui se joue dans ces mécanismes, c’est la représentation de l’objet,
de l’imagination qui est peut-être totalement inadéquate, mais ces représentations
inadéquates produisent des effets.
- 2) Qu’il suffit donc qu’une seule imagination change pour que toute la vie
affective soit modifiée.
- 3) Que ces processus peuvent se dérouler en nous sans que nous puissions
clairement déterminer (par une idée plus ou moins adéquate) les objets d’identification.
- 4) Que l’esprit peut tout à fait éprouver en même temps des affects
contraires (parfois même à l’égard du même objet), ce que Spinoza appelle le flottement ou
la fluctuation de l’âme : E3P17sc ;
- 5) Que des affects peuvent se retourner en leur contraire dans la durée,
lorsque leur sont associés d’autres idées. Spinoza prend l’exemple de la joie prise au
malheur ou à la tristesse de celui que l’on hait (E3P23) : si, avec le temps, me vient l’idée que
cet ennemi haï est aussi mon semblable (et donc qu’intervient l’idée d’une communauté
entre lui et moi), alors je peux aussi être affecté de tristesse en considérant que mon
Sébastien Gustin 2020-21

semblable est triste. A la joie prise au malheur d’autrui succède la tristesse prise au malheur
de mon semblable.
- P20 : la taxonomie, la manière dont on nomme nos affects relève de la culture, mais
il y a toujours les mêmes mécanismes.
- P21 : pitié ? éprouver de la tristesse relativement à la tristesse de quelqu’un ou de
quelque chose de semblable -> imagination et jugement de ressemblance -> notre
semblable, celui que l’on juge nous ressembler (je peux considérer mon chat comme mon
semblable ; le racisme c’est imaginer qu’un groupe d’homme n’est pas notre semblable.
- Conclusion : que faire si on a des idées inadéquates ? Essayer d’avoir un effort de
réflexivité, de prendre prise sur ses affects et ses causes réelles, plus on est submergé par
des causes affectives, plus la soumission s’exerce -> force d’âme (E3P59) : correspond aux
actions qui qui viennent de l’esprit et de leur prise -> béatitude si prise. Cet effort de
réflexivité n’est pas seulement un effort au niveau nécessitariste. -> nous sommes toujours
pris dans le déterminisme universel. Spinoza décrit toutes les difficultés sur la prise sur les
affects. Il ne croit pas à cette idée du travail sur soi. -> puissance propre : affectum ou
affectus.
- Ethique 3 : imitations affectives ; Durkheim : imitations sociales. Le fait social est
chose, càd constitué de puissances. Un objet, c’est ce qu’on représente devant soi. Une série
géométrique est le fondement des sciences-sociales (cf. Frédéric Lordon et Françoise
Jacquelet). Marx reprendra cette idée de déterminisme social, mais ce qu’il appelle
« infrastructure » c’est l’ensemble des puissances qui s’imposent à ces individus.
- Spinoza est le grand penseur du déterminisme au XVIIe, et a pensé la scientificité en
dehors des mathématiques.
6. L’horizon éthique : liberté, béatitude et éternité (Éthique 4 et 5)
1. L’Éthique en régime déterministe
- La description des principes généraux des enchaînements affectifs soulève deux
difficultés déjà rencontrées.
- L’une est que la série des affects qui agissent en moi, tant du côté du corps
que de l’esprit, est infiniment complexe, et que je ne pourrai jamais la saisir parfaitement.
Cela est vrai : je ne perçois que certaines modifications de mon corps, de manière plus ou
moins adéquate, et je peux parfois me tromper dans l’objet ou les causes réelles de ma
tristesse ou de ma joie. La complexité est d’abord celle de la complexion particulière de mon
corps, qui peut être affecté de diverses façons (voir E2 axiomes) : « Des hommes différents
peuvent être affectés par un seul et même objet de manière différente » (E3P51). Et de
donner un exemple, à l’occasion d’une remarque sur la relativité des mots de « bon » et «
mauvais » : « La musique est bonne pour le mélancolique, mauvaise pour l’affligé ; et pour le
sourd, ni bonne ni mauvaise » (E4 préface). A cela, Spinoza répond qu’un aperçu
d’ensemble, comme un « modèle de la nature humaine » que nous pourrions avoir en vue
(E4 Préface), n’est pas sans intérêt, quoiqu’il ne puisse être réalisé parfaitement. Éthique 4
propose un portrait de l’homme libre, càd un modèle de l’homme parfaitement libéré de
toutes les servitudes, même si aucun homme existant ne peut jamais en être totalement
libéré, ne serait-ce que par la part d’impuissance du corps qui rencontre d’autres corps.
Sébastien Gustin 2020-21

- L’autre difficulté est que ces enchaînements affectifs sont nécessaires, et que
l’on peut se demander quelle prise éthique on pourrait bien avoir sur eux : que peut-on faire
? C’est, de nouveau, rencontrer toujours la même objection contre le déterminisme. Le point
a été déjà été abordé en Éthique 2 lorsqu’il s’est agi de penser la réflexion : Éthique 2 est
précisément un traité de la puissance de l’esprit, qui est le véritable préalable à l’éthique.
L’esprit peut saisir de différentes manières la liaison entre deux choses : soit en recueillant
passivement, de l’extérieur, leur liaison ; soit en étant incliné par lui-même, de sa propre
nature, à saisir (plus ou moins) adéquatement ce qui fait la nécessité d’une telle liaison. Dans
le premier cas, la liaison est imaginée ; dans le second, elle est comprise de manière
intelligible. Or chacune de ces saisies incline nécessairement de manière différente, et les
effets d’une saisie rationnelle ne sont pas les mêmes, tant pour la suite des idées dans
l’esprit que pour les mouvements dans le corps, que les effets d’une saisie imaginative.
Chacune détermine des trajectoires différentes. Et un esprit dont la part active (càd la part
des idées adéquates) augmente se différencie progressivement d’un esprit dont la part
passive augmente. Il faut maintenir que tout est soumis au déterminisme. En particulier,
tout processus mental, y compris la réflexivité elle-même. Il y a bien des causes qui font que
tel esprit particulier, à tel moment ou en raison d’une affection passée dont il garde trace en
mémoire, est déterminé à réfléchir (ou non), jusqu’à un certain point d’intelligibilité, et
jusqu’à modifier sensiblement son désir (ou non). Bien entendu, l’action qui a été réfléchie,
et que l’on accomplit « en connaissance de cause » (ce qui n’est jamais totalement le cas
chez Spinoza), apparaîtra comme relevant davantage de ma propre puissance, comme
échappant à la servitude de mon impuissance. Elle peut même apparaître dans mon
imagination comme ne relevant que de moi, et c’est l’illusion du libre arbitre. De fait,
Spinoza la dit : (1) non pas « libre absolument » mais plus libre ; et (2) plus libre au sens de la
Def7 de E1 (« ce qui existe par la seule nécessité de sa nature »). Tel est bien l’enjeu
fondamental. Mais il ne faut oublier que, « plus libre » ou « plus contrainte », l’action est
rigoureusement déterminée dans les deux cas. L’éthique, comme la liberté proposée ici en
modèle, se conçoivent en régime déterministe. Et la réflexion ne fait pas exception au
déterminisme. Spinoza prend pour exemple l’acte d’écrire, qui est l’exemple d’un
mouvement du corps qui semble régi par une intention, ou par un désir, que l’on ne peut
attribuer qu’à moi. L’acte d’écrire, et d’écrire telle chose, est donc rigoureusement
déterminé. Bien sûr, cela n’est pas vécu de l’intérieur, ou cela n’apparaît pas, du point de
vue l’agent : c’est que la série causes qui entrent tout à la fois dans le désir d’écrire et dans
les mouvements du corps est bien trop complexe pour être saisie par mon imagination, et
encore plus par mon entendement. Nous ne savons pas rendre compte de la nécessité de
cet acte, pas plus que de tout autre, y compris la réflexion. Il faut donc, une dernière fois,
lever l’objection contre le déterminisme. Le déterminisme exclut simplement qu’une action
ou un état puissent être sans cause nécessaire ; mais aussi sans effet nécessaire. Il exclut
donc l’imagination d’une extériorité au cours des choses. D’un côté, il exclut l’imagination du
libre arbitre (càd d’un acte qui n’aurait pas de cause nécessaire et qui ferait exception à la
causalité universelle). De l’autre, il exclut l’imagination symétrique du fatalisme (càd d’un
acte qui n’aurait aucun effet, et qui serait là aussi comme extérieur au cours des choses, de
sorte que les événements se produiraient quoiqu’on fasse). La position déterministe dit au
contraire que tout arrive nécessairement à travers la puissance des agents, qui est une
Sébastien Gustin 2020-21

puissance de faire et de comprendre. Tel est le soubassement ontologique de l’éthique


spinoziste : nous ignorons les causes nécessaires qui nous ont conduit à lire ce livre,
l’Éthique, mais cette lecture a nécessairement des effets, qui s’impriment dans les corps, et
qui, selon la réflexion qui s’ensuivra, et selon les rencontres de chacun, infléchiront plus ou
moins, mais toujours de manière nécessaire, la trajectoire de chacun. Le déterminisme
détermine la région de la puissance et de la réflexion, qui n’est pas une région inaccessible,
mais au plus proche de moi : la saisie des affects qui me traversent. En bref, le déterminisme
exclut toute morale transcendante pour une éthique locale, ici et maintenant.
2. La droite manière de vivre (E4, Appendice)
- L’appendice à la quatrième partie expose de manière condensée, pour les
considérer « d’un seul coup d’œil », les 73 propositions précédentes qui dressent le portrait
de l’homme libre, ou ce qu’il appelle : « la règle de vie correcte » ou « droite manière de
vivre ». 2 remarques :
- La première remarque est que les préceptes de cette « manière de vivre »,
loin d’être révolutionnaires, sont extrêmement banals au sens où la plupart correspondent,
dans leur formulation, à des préceptes d’une morale chrétienne : « Les âmes ne se vainquent
pas par les armes mais par l’Amour et la Générosité » (E4chap11) ; « Pour ce qui touche au
mariage, il est certain qu’il convient avec la raison si le Désir d’unir les corps n’est pas
simplement engendré par la forme, mais également par l’Amour de procréer des enfants et
de les éduquer sagement » (E4chap20). Il introduit même le vocabulaire du vice (à ne pas
confondre avec celui du péché, rejeté en E1App) : « Cela n’est vice que chez ceux qui
recherchent les monnaies non par besoin ou à cause des nécessités » (E4chap29). Mais telle
est précisément la révolution : les mêmes préceptes que ceux avancés par les chrétiens
peuvent être justifiés sans recourir à la transcendance, que ce soit celle du Dieu créateur,
des valeurs morales absolues ou du libre-arbitre. Comment parvient-on à de tels préceptes
alors ? En considérant au plus près le fonctionnement de nos affects. Et comment peut-on
les considérer au plus près ? En mettant en œuvre une réflexion dont l’enjeu premier est la
dissolution des imaginations porteuses d’affects réactifs ou de passions tristes.
- La seconde remarque est que le portrait de l’homme libre est
nécessairement mis à distance par la limitation de notre puissance : « La puissance de
l’homme est extrêmement limitée, et infiniment surpassée par la puissance des causes
extérieures ; et par suite nous n’avons pas le pouvoir absolu d’adapter à notre usage les
choses qui sont en dehors de nous » (E4app32). Autrement dit, l’homme qui s’efforce d’être
conduit par la raison peut échouer, tout simplement parce qu’il éprouve, dans son corps, la
résistance des autres corps. Reste alors seulement la « satisfaction » ou le « contentement »
d’une raison qui a essayé, autant qu’il était en sa puissance, de s’acquitter de sa tâche et de
minimiser la part des idées inadéquates de l’imagination.
- Impuissance morale, mais ce n’est pas une impuissance de la volonté, mais de
l’acrasie (ne pas avoir de pouvoir même) -> mention de la fortune, soit comme hasard, soit
comme providence -> pas possible : univers déterminé et nécessaire -> ce qui apparait
comme hasard et providence est une idée inadéquate.
- Deus sive Natura : Dieu, càd la nature -> il n’y a pas de Dieu créateur transcendant.
Chez Spinoza et les stoïciens, nous sommes dans un univers nécessitariste. Mais l’univers à
Sébastien Gustin 2020-21

une destinée chez les stoïciens, pas chez Spinoza où l’univers n’a pas de cause finale ; chez
les stoïciens, il n’y qu’une âme, chez Spinoza, il y a des plans de réalité.
- Spinoza propose un modèle de la nature humaine. L’essence de l’homme coïncide à
chaque instant avec sa puissance et est traversé par différentes puissances à chaque instant
-> modélisation au sens scientifique : bon -> réalisation de la puissance ; mauvais -> contraire
(cf. idéal-type chez Max Weber). Le bon peut être l’effet d’une drogue, mais quid de la
durée ? -> toutes les formes d’aliénation vient du désir d’un objet -> un affect qui peut
augmenter la puissance d’agir peut devenir le contraire. Il peut y avoir du bon par accident,
mais le mauvais vient toujours de l’extérieur, est toujours par accident.
- C’est ici que la « droite manière de vivre » proposée dans E4, qui semblait présenter
déjà toute l’éthique, va être redoublée d’une partie qui ne considère que la seule puissance
de la raison (E5 Préface) et qui révèle l’enjeu fondamental de l’éthique : la béatitude.
3. Connaissance et libération (Éthique 4)
- 3 grandes parties : 1 -> 18 : présentation de l’impuissance humaine dû à l’instabilité
des affects (servitude) ; 19 -> 66 : règle de vie rationnelle ; 67 -> 73 : portrait de l’homme
libre.
- Ce qu’il est possible de faire, pour Spinoza, c’est d’abord de se débarrasser des
imaginations inadéquates, qui concernent mes propres affects ici et maintenant. L’Éthique,
comme livre, propose un chemin vers l’éthique, càd la connaissance de ses propres affects.
C’est donc un chemin de libération des servitudes affectives, qui n’est jamais achevé mais se
conquiert par degrés. Quelques points :
- 1) Il faut d’abord distinguer différents concepts du mot « liberté » : « libre
arbitre » ou « puissance d’agir » :
- Spinoza a montré qu’il faut abandonner, dans le cadre d’un
déterminisme généralisé, le concept de « libre-arbitre » comme une illusion née du préjugé
de la finalité (voir l’appendice à la 1ère partie de l’Éthique).
- La première conséquence de cet abandon est que l’on ne peut plus
concevoir une liberté de la volonté qui viendrait s’opposer et combattre nos passions ou nos
désirs (ainsi que le pensent les moralistes). D’ailleurs, volonté et désir ne sont que
différentes manières de considérer une seule et même puissance d’agir (ou essence ou
conatus).
- La deuxième conséquence est qu’il faut identifier sa propre « liberté
» à sa propre « puissance d’agir » : être libre consiste alors à n’agir que selon sa propre
nature. Être soi-même (ou être autonome) consiste à coïncider avec ses propres
déterminismes.
- En ce second sens, la « liberté » n’est absolument pas contradictoire
ou incompatible avec la nécessité. Rappelons enfin que dès E1Def7, Spinoza distinguait deux
types de nécessité, la nécessité interne qui est la détermination à agir par soi-même
(nécessité dite liberté) ; et la nécessité externe qui est la détermination à agir par autre
chose que sa propre essence (nécessité dite contrainte).
- Cette liberté compatible avec une nécessité n’est pas pour autant un
fatalisme. Le fatalisme consiste à ne pas agir en considérant que tout est déterminé par des
causes extérieures contre lesquelles je ne peux rien faire : l’événement fatal arrivera quelles
Sébastien Gustin 2020-21

que soient les circonstances. Au contraire, la « puissance d’agir » de Spinoza est une
nécessité interne qui s’exprime en particulier dans l’affirmation et la détermination des idées
adéquates (càd dans le fait de comprendre complètement les causes réelles des choses).
- 2) En quel sens la connaissance (la plus adéquate) de son essence et de ses
affects peut-elle être une libération ou une augmentation de sa puissance d’agir ?
- Le point fondamental consiste à identifier ce qui relève de son
essence et ce qui n’en relève pas, et par conséquent à se libérer des préjugés (dont les
préjugés de la finalité, du libre-arbitre, de la volonté autonome opposée aux passions, de
l’adéquation de ses passions) et en particulier d’un certain nombre de préjugés propres aux
religions (qu’il faille agir par crainte de la mort ou d’une sanction à venir, que la souffrance
ou le repentir aient une valeur morale, etc.). Bref, connaître ainsi les déterminismes qui nous
traversent, c’est se libérer d’un certain nombre de préjugés qui entravent notre puissance
d’agir.
- Plus précisément, identifier les affects qui ne correspondent pas à
notre essence mais résultent de causes extérieures à celle-ci (au travers d’un certain nombre
de mécanismes affectifs comme celui de l’imitation affective, qui s’exprime concrètement
dans des effets de mode ou de groupe) revient à identifier l’origine de notre servitude
ordinaire (ou de notre aliénation volontaire).
- Enfin, se représenter adéquatement la cause de nos affects négatifs
(par exemple la haine ou la peur) est le réquisit nécessaire pour modifier, càd avant tout
limiter ces mêmes affects.
- Sagesse (E4P67) : prend le contre-pied de Platon dans le Phédon : l’homme se
prépare à la mort. Non ! l’homme se prépare à la vie.
- La liberté, la sagesse et la béatitude sont la même chose : la première est la
puissance de l’esprit qui ne peut être contrarié par des affects négatifs ; la seconde
l’ensemble des connaissances adéquates (2ème et 3ème), et qui est à la source de la liberté et
de la béatitude -> rend l’homme libre et heureux ; et la dernière qui est un affect qui
augmente ma puissance d’agir -> effet qui correspond à la liberté, affect du contentement
ou de la satisfaction de soi, et l’amour intellectuel de Dieu.
- Plan de l’appendice : 1 -> 8 : principes généraux ; 9 -> 25 : conduite envers les
hommes et impuissances ; 26 -> 32 : récapitulation de la conduite avec les choses non-
humaines.
- E4app1-2 : 2 types de puissances : puissance de l’homme ou action (puissances qui
viennent des idées adéquates (raison)) ; puissance des choses du dehors s’expriment dans
l’individu (impuissance car accompagnée d’idées inadéquates).
- Homme = part rationnelle de l’individu
- E4app3 : ce qui relève de ma puissance propre est bon, mais il m’arrive des choses
par accident -> effet des nécessités propres : soit bon (un père qui élève un enfant de
manière externe), soit mauvais
- E4app4 : le bien n’a trait qu’à la puissance propre ; contentement -> avoir fait de
son mieux en usant de sa raison.
- L’ordre géométrique n’est pas total. Cet ordre géométrique est inhérent à chaque
proposition.
- E4app9 : la rencontre la plus utile pour Spinoza est un homme mené par la raison
Sébastien Gustin 2020-21

qui explique un enchainement de manière adéquate. Des hommes qui usent de leur raison
nous sont utiles.
- E4app11 : on peut récupérer le contenu des moralistes chrétiens sans l’appareil
conceptuel des chrétiens.
- E4app13 : envie -> se réjouir du malheur d’autrui, les hommes sont plus vite
envieux.
- E4app14 : les hommes rejettent souvent la libido.
- E4app16 : les hommes se mettent d’accord par crainte, sur un affect négatif.
- E4app17 : les hommes sont vaincus par la largesse. A chaque fois qu’il y a une forme
d’impuissance, c’est lié à un excès.
- E4app19-20 : l’amour sexuel et le désir de l’union, ferment de l’apparence, origine
de la discorde -> produit d’une imagination qui mène à la servitude, car soumission à tout
aspect (amour charnel, ambition, …) -> n’importe quel objet excessif sera inadéquat -> si on
regarde dans l’instant -> servitude. Si l’amour physique est un plaisir momentané ->
servitude ; amour lié à la possibilité d’avoir des enfants -> augmente ma puissance d’agir.
- E4app28-30 : l’argent ne peut être la recherche pour lui-même -> la recherche
d’aisance est spirituelle et matérielle, et sont pour tous -> le soin des plus pauvres ne peut
incomber à la société et ne concerne que l’utilité commune.
- E4app32 : infiniment limitée et surpassé par les puissances de la nature -> il n’y a
pas de pouvoir absolu -> effort constant et constamment contrarié par les puissances de la
nature.
- Ce qui est bon augmente ma puissance d’agir, càd ce qui peut être commun à ma
puissance d’agir, càd les autres hommes qui font usage de leur raison -> les hommes
différents par leur raison ne concordent pas par leur rationalité. Qui peut m’aider ?
Certainement pas un homme qui a les mêmes passions que nous. Celui qui peut m’aider est
celui qui use de sa raison. Seuls d’autres hommes libres peuvent m’aider à augmenter ma
puissance d’agir ; le rapport que je peux avoir avec autrui est de partir de ce qui augmente
ma puissance d’agir : il s’agir de s’élever ensemble.
- Pas de discours sur les imperfections, car ce sont des jugements de valeur -> comme
par la narration, le récit, on peut augmenter notre puissance d’agir
- Ce programme pour établir sa propre puissance va être l’affaire d’une libération
commune, càd que l’établissement de la puissance propre ne se fait pas sans relations
sociales, sans puissances adjacentes -> on n’a jamais fini d’accroitre notre puissance, je ne
serai jamais dans un état continu de puissance d’agir. La libération est alors le fait d’utiliser
sa raison : rien n’est plus utile à l’homme qu’un autre homme qui use de sa raison.
4. Sagesse et béatitude (Éthique 5)
- Il va passer à l’autre partie de l’Ethique, celle qui consiste à regarder les choses avec
un point de vue de l’éternité, et va déterminer ce qu’il faut, car tout n’est pas déterminé à la
fin d’Ethique 4. La réception dans les sciences-sociales tient à l’ensemble de l’Ethique.
L’Ethique 5 est mal comprise.
- Les préceptes de la « droite manière de vivre » en E4 étaient banals ; « les remèdes
aux affects » sont connus de tous (E5, Préface). L’originalité de Spinoza ne tient pas à leur
formulation, mais au fait que les premiers étaient justifiés sans recours à la transcendance,
Sébastien Gustin 2020-21

et que les seconds sont déduits rationnellement : « tout le monde a l’expérience des
remèdes, mais sans les observer avec soin ni les voir distinctement par la seule connaissance
de l’Esprit, et c’est d’elle que nous déduirons tout ce qui regarde sa béatitude » (E5 Préface).
- Commençons donc par les remèdes, dont l’enjeu principal n’est pas d’éradiquer
mais de limiter la part des affects négatifs (lesquels diminuent la puissance d’agir). « D’où il
appert que la puissance de l’Esprit sur ses affects consiste :
1° dans la connaissance même des affects,
2° en ce qu’il sépare les affects d’avec la pensée d’une cause extérieure, que
nous imaginons confusément,
3° dans le temps, grâce auquel les affections qui se rapportent à des choses
que nous comprenons l’emportent sur celles qui se rapportent à des choses que nous
concevons de manière confuse ou mutilée,
4° dans le très grand nombre des causes qui alimentent les affections se
rapportant aux propriétés communes des choses ou à Dieu,
5° enfin, dans l’ordre dans lequel l’Esprit peut ordonner et enchaîner entre
eux ses affects » (E5P20sc).
- La puissance de l’esprit consiste donc prioritairement dans la connaissance des
causes adéquates des affects, connaissance qui manifeste avant tout l’activité de l’esprit
face à la passivité et la facilité que procurent les connaissances inadéquates et confuses de
l’imagination. Le principe général de la ‘thérapie spinoziste’ est ainsi que la vie affective
implique toujours, par définition, des idées ou représentations et que le rapport le plus
immédiat que l’on peut entretenir à ses affects est de les connaître adéquatement. Cette
‘thérapie’ ou ces ‘remèdes’ peuvent paraître bien modestes dans leur portée :
- Spinoza n’affirme pas en effet que les affects puissent être toujours changés
; et il affirme même qu’il est impossible de supprimer tout à fait un affect.
- Par contre, il tient qu’une représentation adéquate de la cause réelle des
affects peut amener à modifier ceux-ci.
- Spinoza n’affirme pas qu’il est aisé ni même toujours possible de parvenir à
une telle connaissance adéquate.
- Par contre, il indique qu’une simple connaissance, même adéquate, ne
pourra jamais combattre ou limiter en elle-même un affect puisque seul un autre affect, plus
puissant, peut limiter l’effet d’un autre affect.
- L’affect supérieur qui seul peut combattre les désirs inutiles (ou les « biens
décepteurs » : les plaisirs, les richesses et les honneurs) consiste selon Spinoza dans la
recherche d’un vrai bien ou dans le désir d’une joie véritable, càd le désir d’accroître sa
puissance d’agir, de rechercher l’utile propre qui pourrait y contribuer. Il s’agit par
conséquent ne pas se laisser dépasser par les affects négatifs, et en particulier ce qu’il
appelle la mélancolie (ou l’état de « dépression » en tant qu’il désigne l’état où les affects
négatifs sont majoritaires par rapport aux affects positifs et rendent ainsi tout changement
de la vie affective encore plus difficile). Spinoza n’indique donc pas de remède qui serait
comme une recette prête à être appliquée, mais il propose avant tout une sorte de
cartographie de la vie affective, en identifiant d’abord ses deux extrêmes :
- D’une part l’état de servitude où le désir constitutif de l’homme est déformé
par l’ignorance, l’imagination trompeuse ou des préjugés (connaissances du 1 er genre), de
Sébastien Gustin 2020-21

sorte que l’homme en état de servitude n’a même pas d’idées adéquates de ses affects. Si
Spinoza identifie l’impuissance de l’esprit dans son manque de connaissance, il indique aussi
que ce manque de connaissance adéquate peut trouver son origine dans les changements
incessants des objets des affects, en particulier de l’amour pour une chose changeante (cf.
E5P20sc). La servitude est alors une aliénation affective qui tient à une trop grande
focalisation sur certains objets. N’importe quel affect qui devient trop dominant peut se
retourner en son contraire.
- D’autre part, l’état de béatitude qui correspond au désir le plus actif
possible, et par conséquent à la « plus haute satisfaction de l’esprit » (E5P27) ou encore à «
la plus haute joie » (E5P32dem). Cette dernière expression peut paraître suspecte puisque la
joie a été caractérisée comme un passage à une perfection supérieure une augmentation de
la puissance d’agir ; de sorte qu’il ne devrait pas y avoir de joie la plus haute. La béatitude
désigne alors la perfection même (E5P33sc). Elle ne correspond pas à un horizon
inaccessible, mais au contraire à la connaissance la plus adéquate de notre désir le plus
profond, càd de notre puissance de vie, de notre propre perfection, de notre propre conatus,
essence ou réalité. La sagesse est donc la connaissance rationnelle (2ème genre) et peut-être
aussi intuitive (3ème genre) de ce qui constitue notre essence propre, une fois que l’obstacle
des passions inadéquates a été au moins identifié si ce n’est surmonté.
- L’un des enjeux de cette cinquième partie est de réinvestir un certain nombre de
concepts classiques de la morale chrétienne (béatitude, amour de dieu, salut), mais pour les
prendre dans la perspective non de la foi révélée mais, au contraire, de l’esprit purement
rationnel. Ce n’est plus sola fides, la foi seule, qui peut sauver, mais bien sola ratio, l’esprit
purement rationnel, comme annoncé dans la Préface. Spinoza propose alors un certain
nombre d’équivalences conceptuelles entre salut, béatitude, liberté et amour de Dieu ; et il
ajoute que cela peut même correspondre à ce qui est appelé Gloire dans les livres sacrés
(E5P36sc). Il faut alors comprendre que tous ceux qui parviennent à de tels concepts
autrement que par la raison, càd par des idées mutilées et par l’imagination, n’en ont pas
une saisie adéquate : l’Éthique amène donc à comprendre la béatitude mieux que ceux qui la
professent ou l’espèrent en supposant un Dieu transcendant (qu’ils ne peuvent
qu’imaginer). Et cela révèle finalement l’un des enjeux de l’écriture de Spinoza, et de la
manière dont il a retravaillé les concepts classiques de l’intérieur, à commencer par Dieu dès
la première partie : il s’est agi non pas de s’opposer frontalement aux morales héritées, mais
de montrer qu’elles peuvent être plutôt intégrées et dépassées lorsque l’on considère les
choses du point de vue de la raison seule. C’est ce que Spinoza appelle : considérer les
choses sous l’aspect de l’éternité. Ainsi, ceux qui parlent de Dieu ont une connaissance
confuse et mutilée, mais je peux les approfondir avec le 3ème genre de connaissance.
- E5P20 : remèdes de l’Ethique -> la capacité de pourvoir expliquer las causes de ses
affects est une puissance. On ne sait pas rendre compte qu’on puisse accéder à des idées
adéquates -> la réflexion n’est pas distincte du déterminisme. Le fait qu’on ne comprenne
pas est entièrement déterminé par des causes précédentes. Nous sommes une puissance à
exercer. Le déterminisme n’est pas un argument par la paresse. Les événements n’arrivent
que parce qu’on exerce notre puissance. Prédéterminisme : tout se produit contre mon gré ;
et déterminisme : tout est déterminé nécessairement -> sciences-sociales : tout ce qui arrive
comme faits est déterminé par un ensemble de causes -> il faut traiter les faits sociaux
Sébastien Gustin 2020-21

comme des choses, càd qu’il y a des causes nécessaires (cf. Durkheim). De plus, la
connaissance adéquate est accompagnée d’un affect et peut ainsi contrer un autre ; une
partie de la vie affective est produite par l’imagination -> ai-je bien identifié l’objet ? On a un
désir interprétatif des signes -> il faut arrêter d’imaginer cela ; dans le corps on peut
imaginer une idée confuse et mutilée car elle peut changer avec le temps ; se rendre compte
qu’il faut se détacher des idées inadéquates ; il s’agit de changer les associations qu’on fait,
et plus la focalisation sur un objet est grande, plus elle va produire des affects négatifs.
- E5P42 : connaissance du 3ème genre : connaissance adéquate de Dieu. Ce qu’on
appelle satisfaction, c’est celle qui est en lien avec le 3ème genre de connaissance. La manière
dont on se rapporte à soi-même, produit un affect. -> à chaque genre de connaissance
correspond un affect : 1er genre -> opinion de soi-même, qui dépend des causes extérieures ;
3ème genre -> connaissance de soi-même en tant qu’on est en Dieu. Le sage est plus puissant
que l’ignorant qui agit par sa seule pulsion. Le chemin qui mène à la satisfaction est très
difficile. L’ignorant cesse d’être et le sage non, car il expérimente l’éternité, en tant qu’il a
des idées adéquates. Il n’y a pas de rapport de cause à effet entre la béatitude et la
réprimande des désirs capricieux -> ils sont la même chose.
- Deleuze : Ethique fondée sur l’ontologie. Mais l’Ethique est la véritable ontologie, ce
qui fait persévérer dans l’être.
5. « Nous sentons et savons d’expérience que nous sommes éternels » (E5P23sco)
- Nous achevons ce parcours par l’examen de cette formule conclusive de l’Éthique
qui, en introduisant la question de l’éternité, a beaucoup fasciné, tout autant que la
proposition 23 qu’elle commente : « L’Esprit humain ne peut pas être absolument détruit en
même temps que le Corps ; mais il en reste quelque chose, qui est éternel » (E5P23).
- La formule peut étonner, et laisser faussement croire que l’esprit lui-même subsiste
après la mort ou la décomposition du corps. Bien entendu, et étant données les définitions
même de l’esprit (E2P11) et du corps (E2Def1), il ne peut être ici question qu’une
quelconque immortalité de l’esprit après la mort du corps. En effet, un esprit exerce sa
puissance dans un temps, qui exprime le corps associé dans le même temps. Par
conséquent, nous ne pouvons pas nous souvenir d’avoir existé « avant le corps », car il n’y
en a aucune trace dans le corps !
- Toutefois, toute l’Éthique nous a appris à distinguer deux plans : celui de l’existence
d’un individu concret (qui est la composition transitoire de rapports de puissance, la
transition d’une essence (considération d’une chose suivant sa nécessité) à une autre,
histoire temporelle, considération des choses suivant leur durée) ; et celui des rapports qui
appartiennent nécessairement à l’essence de cet individu. D’un côté, l’effectuation
temporelle d’une essence. De l’autre, les rapports qui appartiennent nécessairement à cette
essence, indépendamment du fait qu’elle soit effectuée dans le temps. De quoi s’agit-il ?
Précisément de la part active de l’individu qui est constituée des idées adéquates : cette part
active « subsiste » ou « reste », en un sens logique et non temporel, même si l’individu
concret (dont l’esprit comporte beaucoup aussi beaucoup d’idées inadéquates) n’est pas
effectué. Alors qu’une idée inadéquate est une idée mal formée par des idées qui ne
tiennent pas ensemble -> tout ce qui est mal formé ne subsiste pas.
- Bref, si nous nous plaçons en un instant de la vie d’un individu concret (d’un esprit),
Sébastien Gustin 2020-21

il réalise parfaitement son essence, càd sa puissance, en cet instant-là. Mais cette puissance
est un rapport entre une part passive, à laquelle correspondent des idées inadéquates qui
peuvent se décomposer dans le temps, et une part active, à laquelle correspondent des
idées adéquates, qui ne se décomposent pas … et restent éternelles : « nous sentons
cependant que notre Esprit, en tant qu’il enveloppe l’essence du Corps sous une espèce
d’éternité, est éternel, et que cette existence qui est la sienne ne peut se définir par le
temps, autrement dit s’expliquer par la durée » (E5P23sco). C’est ainsi que le vocabulaire de
l’éternité est introduit, qui nous ramène à l’une des toutes premières définitions : « Par
éternité, j’entends l’existence même, en tant qu’on la conçoit suivre nécessairement de la
seule définition d’une chose éternelle » (E1Def8).
- Il faut donc comprendre que l’esprit est dit éternel en tant qu’il conçoit,
adéquatement, la nécessité (éternelle) de certains rapports, qu’il utilise des démonstrations,
qu’il identifie les causes nécessaires, qu’il a des causes adéquates, … : il s’agit bien d’une
connaissance du second ou troisième genre. Aussi, lorsque Spinoza écrit que « nous sentons
et savons d’expérience », il ne faut pas l’interpréter comme une expérience sensible
(connaissance du premier genre) ou un savoir immédiat de type mystique. Il ne s’agit ici que
d’une expérience de compréhension intellectuelle, par laquelle nous n’espérons pas, mais
réalisons effectivement notre salut et notre béatitude. L’éternité consiste à faire
l’expérience de la nécessité.
- Ce qu’on nomme Ethique est cette connaissance par rapport à soi-même. Ce n’est
pas une manière de vivre, ni une manière de relations interpersonnelles.
- Tout est toujours affaire de transition dynamique, comme passages, variations,
différents états.
8. Concepts fondamentaux de l’Éthique
Monisme/Dualisme. Termes de commentaire non employés par Spinoza.
Dualisme : thèse selon laquelle existent au moins deux entités distinctes
irréductibles. Par exemple : l’esprit est distinct du corps au sens où il ne f(er)ait pas partie du
monde physique (et qu’il sui(vrai)t donc des lois distinctes du monde physique).
Monisme : thèse selon laquelle il n’existe qu’un seul type d’entité au monde. Il en
existe deux grandes variantes dans la philosophie moderne : l’idéalisme selon lequel tout est
de nature mentale (par exemple, l’idéalisme immatérialiste de Berkeley soutient que les
objets physiques et la matière n’existent que comme des idées dans notre esprit) ; et le
physicalisme, selon lequel tout ce qui existe est de nature physique (de sorte que les états
mentaux ne se distinguent pas des états physiques). Certains vont soutenir que l’esprit se
réduit donc à des opérations mentales de nature physique (physicalisme réductionniste) ;
d’autres que l’esprit lui-même est un terme sans référent, et qu’il faut donc éliminer
(physicalisme éliminativiste).
Spinoza en propose, lui, une autre variante : corps et esprit sont les deux seules
expressions différentes (selon deux attributs différents de la substance : l’étendue et la
pensée) d’une seule et même réalité – de sorte « l’ordre et l’enchaînement des idées est le
même que l’ordre et l’enchaînement des corps ».
Sébastien Gustin 2020-21

Esprit / âme (mens). Le terme de mens – traduit par esprit – ne renvoie pas seulement aux
pouvoirs cognitifs qui opèrent sur des idées [ce que l’on caractérise communément d’esprit],
mais aussi aux affects [que l’on identifie communément à l’âme] en tant qu’il n’y a
précisément pas d’affects sans idée [cf. Affect]. Autrement dit, le concept spinoziste d’esprit
renverse les concepts communs d’esprit et d’âme et se passe complètement de la
caractérisation cartésienne de l’esprit par la conscience [cf. Conscience].
Idée. Mode de l’esprit (qui est un des deux attributs de la substance). L’idée en tant que
définition (causale d’une propriété, d’une chose) – et quelque soit son degré d’adéquation –
implique une affirmation : définir l’idée de quelque chose, c’est affirmer les effets de son
essence. Avoir une idée, c’est donc en même temps aussi vouloir affirmer quelque chose : il
n’y a donc pas d’autre volition que celle qu’enveloppe l’idée (E2P49sc). L’idée est donc le
terme général pour définir les contenus mentaux, qui sont de trois genres : les idées
inadéquates de l’imagination ; les idées adéquates des propriétés des choses (c’est-à-dire les
idées de leurs causes) ; et les idées adéquates des propriétés des choses.
Conscience. Idée de l’idée. L’esprit ne se confond pas avec la conscience. Un esprit est l’idée
d’une chose singulière – à savoir un corps, qui subit des modifications, des événements : un
esprit ne fait d’ailleurs que percevoir les modifications du corps. La puissance d’un esprit
dépend de la capacité d’un corps à être affecté de diverses manières. La conscience est la
réflexion de cette idée qu’est l’esprit sur elle-même : elle est idée de l’idée. Autrement dit, la
conscience est seconde par rapport à l’esprit (E2P21), et bien plus limitée que lui.
Corps. Mode de l’étendue (qui est un des deux attributs de la substance). Un corps est une
multitude de propriétés instantanées, un état de ce qui est – ou un mode de la substance. Il
est la rencontre entre un esprit et l’étendue.
Affect / affection. Une affection (affectio) est un terme très général qui désigne toute
modification d’un mode (le corps ou l’esprit) : elle est l’effet d’un corps sur un autre (ou
d’une idée sur une autre).
Un affect (affectus) est une variation de la puissance d’agir (du corps et,
parallèlement, de l’esprit). Il peut donc être défini du point de vue du corps (« les affections
du corps qui augmentent ou diminuent, aident ou contrarient la puissance d’agir de ce corps
», E3Def3) ou du point de vue de l’esprit (« une idée confuse par laquelle l’esprit affirme une
force d’exister de son corps, ou d’une partie de son corps, plus grande ou moindre
qu’auparavant », E3, Def. Générale).
Puissance d’agir (potentia agendi). Expression de l’essence en tant qu’elle se manifeste par
ce qu’elle fait. Cf. E1P34 : « La puissance de Dieu est son essence même ».
Effort (conatus). « Chaque chose, autant qu’il est en elle (in se), s’efforce (conatur) de
persévérer dans son être » (E3P6). Le conatus désigne la puissance propre à chaque chose,
c’est-à-dire l’effort interne pour réaliser son essence (esse) et éviter ce qui la détruit. Le
conatus est un terme purement descriptif qui vient signifier la positivité de la puissance de
toute chose : autrement dit, aucune chose, aucune essence ne peut être négativement
définie comme un manque, un vice ou une impuissance par rapport à ce que la chose
devrait, normativement, être. Les termes de volonté et de désir sont souvent opposés dans
Sébastien Gustin 2020-21

la philosophie morale commune mais ils ne sont que deux manières de se rapporter à un
même conatus : la volonté est le conatus rapporté à l’esprit seul, l’appétit est le conatus
rapporté au corps et à l’esprit, le désir est l’appétit conscient (E3P9).
Substance. « Ce qui est en soi et est conçu par soi » (E1Def3). Spinoza radicalise une
remarque de Descartes à propos de la définition traditionnelle de la substance comme
support (hypokeïmenon) des propriétés qui lui sont attribuées : seul Dieu n’a besoin que de
lui-même pour exister (Principes I, 51). Il n’y a donc pour Spinoza qu’une seule substance ou
réalité, absolue, auto-suffisante, intelligible par soi. Cette substance n’est pas un support
d’attributs – elle est l’ensemble infini des attributs infinis.
Mode (ou manière : modum). « J’entends par mode les affections d’une substance,
autrement dit ce qui est en autre chose, et se conçoit aussi par cette autre chose » (E1Def5).
L’affection signifie la passivité ou la dépendance dans l’ordre de l’être (ontologique) et de la
connaissance (épistémologique). Exemple (emprunté à Descartes en MM2) : le mouvement
ne se conçoit pas indépendamment de l’étendue ; alors que l’étendue se conçoit
indépendamment du mouvement et du repos. Le mouvement est un mode de l’étendue.
Nature. 1) Totalité de tous les existants considérés dans leur connexion (causale, temporelle,
spatiale ; ordre des mouvements et de tout ce qui existe). 2) Principe immanent de
production de cette totalité, en tant qu’il produit des effets infinis et nécessaires. La nature
est donc essentiellement caractérisée par une productivité infinie selon des lois nécessaires.
Spinoza, faisant usage des termes scolastiques qu’il n’emploie par ailleurs jamais, appelle la
première nature naturée et la deuxième nature naturante (E1P28).
Nécessité/Liberté. En E1Def7, Spinoza distingue deux types de nécessité : la nécessité
interne dite ‘liberté’ et la nécessité externe dite ‘contrainte’. Est libre ce qui existe par la
seule nécessité de sa nature et est déterminé par soi seul à agir : être libre ne signifie pas
avoir le choix (pouvoir des contraires) mais obéir aux lois de sa propre nature et à elles
seules. Ainsi, la « causalité libre de Dieu » désigne la « nécessité immanente de la nature ».

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