Temps Bachelardien, Temps Einsteinien. La Critique de La Durée Bergsonienne
Temps Bachelardien, Temps Einsteinien. La Critique de La Durée Bergsonienne
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DURÉE BERGSONIENNE
Daniel Parrochia
in Frédéric Worms et al., Bachelard et Bergson
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steinienne de la durée objective. Il nous apparut très rapidement évident
que cette critique détruit l’absolu de ce qui dure, tout en gardant, comme
nous le verrons, l’absolu de ce qui est, c’est-à-dire l’absolu de l’instant. »1
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Temps bachelardien, temps einsteinien
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Ceci a conduit à exprimer les changements de coordonnées
associés au passage du repère R(x, y, z, t) au repère R′(x′, y′, z′, t′)
en tenant compte de l’invariance de la lumière dans tous les repè-
res, par de nouvelles relations nommées « transformation de
Lorentz » :
x′ = (x – vt)/䊐
y′ = y
z′ = z
t′ = (t – v/c2) x/䊐
avec 䊐 = √1 – v2/c2.
Il en résulte, pour des vitesses v non négligeables par rapport à c,
des déformations de l’espace et du temps appelées « effets relativis-
tes », qui ne permettent plus de considérer les longueurs et les
durées comme invariantes.
Concernant les durées, Bachelard en tire les conclusions qui
s’imposent :
« Ce que la pensée d’Einstein frappe de relativité, c’est le laps de temps,
c’est la “longueur”, du temps. Cette longueur, elle se révèle relative à sa
méthode de mesure. On nous raconte qu’en faisant un voyage aller et
retour dans l’espace à une vitesse assez rapide, nous retrouverions la terre
vieillie de quelques siècles alors que nous n’aurions marqué que quelques
heures sur notre propre horloge emportée dans notre course. Bien moins
long serait le voyage nécessaire pour ajuster à notre impatience le temps
que M. Bergson postule comme fixe et nécessaire pour fondre le morceau
de sucre dans le verre d’eau. »1
1. Ibid., p. 29-30.
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« Mais voici maintenant ce qui mérite d’être remarqué : l’instant, bien
précisé, reste, dans la doctrine d’Einstein, un absolu. Pour lui donner cette
valeur d’absolu, il suffit de considérer l’instant dans son état synthétique,
comme un point de l’espace-temps. Autrement dit, il faut prendre l’être
comme une synthèse appuyée à la fois sur l’espace et le temps. Il est au
point de concours du lieu et du présent : hic et nunc ; non pas ici et
demain, non pas là-bas et aujourd’hui. Dans ces deux dernières formules,
le point se dilaterait sur l’axe des durées ou sur un axe de l’espace ; ces for-
mules, échappant par un côté à une synthèse précise, donneraient prise à
une étude toute relative de la durée et de l’espace. Mais dès qu’on accepte
de souder et de fondre les deux adverbes, voici que le verbe être reçoit
enfin sa puissance d’absolu. »1
1. Ibid., p. 30-31.
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— Si s2 = 0, c’est-à-dire si x2 + y2 + z2 = c2 t2, cette forme est
l’équation d’un hypercône à quatre dimensions (définissant une
région du genre lumière). Le sommet, de coordonnées (0, 0, 0, 0) de
l’hypercône est un point qui satisfait évidemment cette équation.
— Si s2 < 0, c’est-à-dire si x2 + y2 + z2 < c2 t2, on est à l’intérieur
de l’hypercône (région du genre temps).
— Si s2 > 0, c’est-à-dire si x2 + y2 + z2 > c2 t2, on est à l’extérieur
de l’hypercône (région du genre espace).
Pour se donner une représentation visualisable de la situation, il
suffit de se ramener à trois dimensions : x, y et ct. L’équation
(s2 = x2 + y2 – c2 t2) se réduit alors à celle d’un cône, avec les trois
situations possibles :
• s2 < 0 : la quantité est du genre temps ;
• s2 > 0 : la quantité est du genre espace ;
• s2 = 0 : la quantité est du genre lumière.
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table par l’homme car, si peu qu’on s’écarte de lui (même d’une
quantité infinitésimale dx, dy, dz ou dt), on tombe dans un
domaine (spatial ou temporel) relatif. Par ailleurs, seuls les pho-
tons lumineux constituent la surface du cône (appelé, du reste,
cône de lumière).
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Temps bachelardien, temps einsteinien
Première conséquence
Chez Bachelard, on ne part pas d’une durée qui serait un
continu global et dont les instants seraient des coupures, autrement
dit, on ne part pas des réels pour aller vers les rationnels ou les
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entiers, on fait l’inverse.
La justification est mathématique : une fraction n’est pas la divi-
sion d’un numérateur par un dénominateur. Bachelard critique
cette représentation commune des rationnels1 à laquelle il substitue
(via la théorie des fractions de Couturat) la « bonne » représenta-
tion mathématique qui est qu’on construit les rationnels à partir des
entiers et les réels à partir des rationnels et pas l’inverse.
La Dialectique de la durée (1936) confirmera ce point de vue, à
partir de trois arguments qui semblent se contredire, mais qui, en
fait, se complètent :
1 / Le temps est lié à l’existence d’événements. Ceci entraîne
automatiquement que l’absence d’événements implique une absence
de temps. Il en résulte que le temps est forcément discret, donc que
le temps est bordé par du non-temps : « Quelle que soit la série
d’événements étudiés, nous constatons que ces événements sont
bordés d’un temps où il ne se passe rien. »2
2 / Deuxième argument : en réunissant des ensembles discrets,
même s’il y en a beaucoup, on n’atteint pas forcément au continu ;
« Additionnez autant de séries que vous voudrez, rien ne prouve
que vous atteindrez le continu de la durée. »3
3 / Troisième argument : le continu, qui est une construction,
présuppose souvent sinon toujours du discontinu à sa base. Il est
imprudent de supposer un continu premier « surtout lorsqu’on se
souvient de l’existence d’ensembles mathématiques qui, tout en
étant discontinus, ont la puissance du continu. De tels ensembles
discontinus peuvent remplacer à bien des égards l’ensemble
continu. Inutile de descendre plus avant »4.
1. Ibid., p. 43.
2. G. Bachelard, Dialectique de la durée (1936), Paris, puf, 1950, p. 28.
3. Ibid.
4. Ibid.
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On a affaire à des séries d’éléments discrets séparées par du vide.
Donc un ensemble discret de séries discrètes. Supposons qu’il y en
ait une infinité. Quelle est la puissance d’un ensemble infini discret
constitué d’ensembles finis discrets ? Dans le cas de P(N) comme
dans le cas du célèbre ensemble triadique de Cantor :
z = S c1/n avec cj = 0 ou 2
Deuxième conséquence
Les différences ou hétérogénéités qui peuvent se manifester dans
les durées ou dans les rythmes reçoivent alors des explications arith-
métiques. Ainsi :
— Des phénomènes peuvent être plus ou moins finement
scandés :
.................
... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ...
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Temps bachelardien, temps einsteinien
Troisième conséquence
Il y aura donc, pour Bachelard, des durées plus ou moins plei-
nes, des temps plus ou moins lacuneux. Ces temps seront alors asso-
ciés à différentes régions de la matière, de la vie ou de la pensée.
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Ainsi, il y aura des compositions d’instants plus ou moins denses
selon qu’on considérera, par exemple, le temps de l’atome, celui de
la cellule ou celui d’un être pensant.
« ... l’atome rayonne et existe souvent, il utilise un grand nombre d’ins-
tants, il n’utilise cependant pas tous les instants. La cellule vivante est déjà
plus avare de ses efforts, elle n’utilise qu’une fraction des possibilités tem-
porelles que lui livre l’ensemble des atomes qui la constituent. Quant à la
pensée, c’est par éclairs irréguliers qu’elle utilise la vie (...). »1
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Philosophie des sciences
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complexes. Mais il y a eu, avant le processus compliqué de l’élan, l’instant
simple et criminel de la décision. »1
conclusion
1. Ibid., p. 36.
2. Ibid., p. 110-111.
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Temps bachelardien, temps einsteinien
construit, ce qu’on structure par nos actes, nos projets, nos réalisa-
tions, etc.
Bachelard aurait probablement répondu à ces objections en fai-
sant valoir que sa théorie des groupements d’instants rend déjà par-
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faitement compte de la diversité des aspects des durées.
Quant à la dimension existentielle du temps comme construc-
tion personnelle, réalisation de projets, accomplissement de
soi, etc., c’est la Dialectique de la durée, c’est-à-dire le projet d’un
« bergsonisme discontinu » qui le prendra en charge, notamment
avec la théorie – inspirée d’Émile Dupréel – de la consolidation.
D’où, finalement, une philosophie qui, certes, n’a cessé de dialo-
guer avec celle de Bergson, mais dont la différence essentielle
demeure tout de même qu’elle est fondée sur une base épistémolo-
gique, à la fois physique et mathématique, très prégnante dont se
déduisent des conséquences complètement opposées à la première.