L'afrique Est Notre Avenir
L'afrique Est Notre Avenir
L'afrique Est Notre Avenir
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014
<
RAPPORT D´INFORMATION
FAIT
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Louis Carrère, président ; MM. Christian Cambon, Jean-Pierre
Chevènement, Robert del Picchia, Mme Josette Durrieu, MM. Jacques Gautier, Robert Hue, Jean-Claude Peyronnet, Xavier Pintat,
Yves Pozzo di Borgo, Daniel Reiner, vice-présidents ; Mmes Leila Aïchi, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Gilbert Roger, André
Trillard, secrétaires ; M. Pierre André, Mme Kalliopi Ango Ela, MM. Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, René Beaumont, Pierre
Bernard-Reymond, Jacques Berthou, Jean Besson, Michel Billout, Jean-Marie Bockel, Michel Boutant, Jean-Pierre Cantegrit, Luc
Carvounas, Pierre Charon, Marcel-Pierre Cléach, Raymond Couderc, Jean-Pierre Demerliat, Mme Michelle Demessine, MM. André
Dulait, Hubert Falco, Jean-Paul Fournier, Pierre Frogier, Jacques Gillot, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Gournac, Jean-Noël
Guérini, Joël Guerriau, Gérard Larcher, Robert Laufoaulu, Jeanny Lorgeoux, Rachel Mazuir, Christian Namy, Alain Néri, Jean-
Marc Pastor, Philippe Paul, Bernard Piras, Christian Poncelet, Roland Povinelli, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Claude Requier, Richard
Tuheiava, André Vallini.
-3-
SOMMAIRE
Pages
10 PRIORITÉS ET 70 MESURES ........................................................................................................ 9
POUR RELANCER LES RELATIONS DE LA FRANCE AVEC LES PAYS AFRICAINS FONDÉES SUR
DES INTÉRÊTS COMMUNS DANS UN PARTENARIAT RÉNOVÉ
3. Une amélioration de la situation sociale................................................................................. 84
B. LE CHOIX D’UN MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT INCLUSIF ET DURABLE : UN ENJEU MAJEUR
POUR L’AFRIQUE ET POUR SES PARTENAIRES ............................................................................ 144
C. LES ÉTATS, LES ENTREPRISES PRIVÉES ET LES SOCIÉTÉS CIVILES : TROIS PORTES D’ENTRÉE
DU DIALOGUE AVEC L’AFRIQUE ................................................................................................. 148
CHAPITRE 2 : HIER IGNORÉE, AUJOURD’HUI CONVOITÉE, L’AFRIQUE AU CENTRE DES
RIVALITÉS MONDIALES .................................................................................................................. 151
B. UNE INSERTION CROISSANTE DANS LES FLUX MONDIAUX DE MARCHANDISES ET DE
CAPITAUX .................................................................................................................................. 156
A. D’ANCIENNES PUISSANCES COLONIALES ENCORE TRÈS PRÉSENTES, CINQUANTE ANS APRÈS
LES INDÉPENDANCES ................................................................................................................. 162
B. LES DEUX SUPERPUISSANCES DE LA GUERRE FROIDE TOUJOURS LÀ VINGT ANS APRÈS LA
CHUTE DU MUR. ........................................................................................................................ 167
IV. L’AFRIQUE AU COEUR D’UNE REDISTRIBUTION DES CARTES ENTRE ANCIENNES
PUISSANCES COLONIALES ET NOUVELLES PUISSANCES ÉMERGENTES ..................................... 202
A. APPROVISIONNEMENT CONTRE INFRASTRUCTURES : DES MOTIVATIONS D’ABORD
ÉCONOMIQUES ......................................................................................................................... 203
V. LE REVERS DE LA MONDIALISATION : TRAFICS ILLICITES ET RÉSEAUX TERRORISTES................. 212
B. UNE POLITIQUE TÉTANISÉE PAR LE DÉBAT SUR LA « FRANÇAFRIQUE » ET LE MANQUE DE
MOYENS .................................................................................................................................... 301
1. Un discours sur l’Afrique obnubilé par le passé ....................................................................... 301
2. Une stratégie introuvable pour une politique éclatée ............................................................. 307
3. Un réseau diplomatique en réduction ..................................................................................... 311
4. Une aide au développement écartelée entre ses ambitions et ses moyens ............................. 316
5. Un dispositif militaire inadapté .............................................................................................. 331
A. LA FRANCE PEUT APPARAÎTRE MOINS MENACÉE QU’ON NE LE CROIT........................................ 366
B. SANS DOUTE LA LUNE DE MIEL AVEC LES NOUVEAUX PARTENAIRES ÉMERGENTS EST‐ELLE
TEMPORAIRE ............................................................................................................................. 370
1. Les nouveaux pays émergents : une contribution essentielle à la croissance africaine ? ......... 370
2. Un partenariat gagnant perdant ? ......................................................................................... 372
3. Tabler sur l’échec des pays émergents : une stratégie perdante ............................................. 373
C. MAIS, DANS LE NOUVEAU CONTEXTE STRATÉGIQUE, IL Y A POUR LA FRANCE UN
IMPÉRATIF AFRICAIN ................................................................................................................. 377
1. Avec la montée des interdépendances, l’échec de l’Afrique serait un cauchemar ................... 377
2. Nous jouons une partie de notre future croissance en Afrique ................................................ 378
3. Sécuriser nos approvisionnements face à une nouvelle géopolitique de la pénurie ................. 381
4. La France et l’Europe ont intérêt à tirer l’Afrique vers un modèle de développement
équilibré ................................................................................................................................. 384
5. L’Afrique n’attendra pas ......................................................................................................... 386
II. FAIRE DE L’ÉCONOMIE UNE PRIORITÉ........................................................................................ 410
B. INTÉGRER NOS INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES FRANÇAIS DANS LES MISSIONS DE NOTRE
COOPÉRATION ........................................................................................................................... 416
1. Relier l’aide : une fausse bonne idée ....................................................................................... 416
2. Prendre pleinement en compte la promotion des intérêts économiques dans notre
politique de coopération ........................................................................................................ 418
C. PROMOUVOIR UNE CONCURRENCE ÉQUITABLE SUR LES MARCHÉS LIÉS À LA COOPÉRATION
AU DÉVELOPPEMENT ................................................................................................................ 421
D. SÉCURISER NOS APPROVISIONNEMENTS STRATÉGIQUES TOUT EN GARANTISSANT
L’ÉQUITÉ ET LA TRANSPARENCE DES CONTRATS MINIERS ET ÉNERGÉTIQUES ........................... 423
A. S’INSCRIRE DANS LE SENS DE LA CONSTRUCTION D’UNE ARCHITECTURE DE SÉCURITÉ
AFRICAINE OPÉRATIONNELLE .................................................................................................... 430
C. REDRESSER LES MOYENS DE LA COOPÉRATION STRUCTURELLE AU SERVICE DES FORCES
AFRICAINES DE DEMAIN ............................................................................................................ 435
A. POUR UN MINISTÈRE DE LA COOPÉRATION INTERNATIONALE DE PLEIN EXERCICE ET UN
RÉSEAU RESSERRÉ ..................................................................................................................... 442
1. Un ministère de la coopération internationale de plein exercice ............................................ 442
2. Unifier le réseau de la coopération au développement en achevant la réforme de 1998 ........ 443
3. Rationaliser le réseau des opérateurs de recherche pour le développement français ............. 446
-8- L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
F. CRÉER UNE ALLIANCE AVEC LES PAYS AFRICAINS EN VUE DES PROCHAINES NÉGOCIATIONS
SUR LE CLIMAT .......................................................................................................................... 457
G. MISER SUR LA COOPÉRATION TRIANGULAIRE EN CAPITALISANT SUR NOTRE COMPÉTENCE
PARTENARIALE AVEC LE SUD ..................................................................................................... 460
B. ASSOCIER DES FINANCEMENTS PUBLICS ET PRIVÉS AU DÉVELOPPEMENT DE SYSTÈMES DE
FORMATION PROFESSIONNELLE ................................................................................................ 463
A. REMETTRE DE LA COHÉRENCE ENTRE NOTRE POLITIQUE D’INFLUENCE ET NOTRE
POLITIQUE DES VISAS ................................................................................................................ 467
10 PRIORITÉS ET 70 MESURES
POUR RELANCER LES RELATIONS DE LA FRANCE AVEC LES PAYS
AFRICAINS FONDÉES SUR DES INTÉRÊTS COMMUNS DANS UN
PARTENARIAT RÉNOVÉ
Première priorité : Tenir un autre discours sur l’Afrique et définir une
stratégie ambitieuse et cohérente : il s’agit de quitter le « vieux récit » sur une
Afrique du passé, comprendre et mettre en valeur les mutations économiques en
cours, développer un narratif plus juste des liens unissant la France à des pays
africains qui ne sont pas seulement partie prenante de notre histoire, mais aussi
des éléments clés de notre avenir.
1) Définir la relation de la France aux pays africains d'abord en fonction de
nos intérêts partagés : des millions de Français qui sont d'origine africaine, ou
vivent ou ont vécu en Afrique, des intérêts économiques et stratégiques, un enjeu
pour la sécurité de la France comme de l’Afrique.
2) Se départir des préventions postcoloniales et assumer le fait que
l’Afrique n’est pas seulement partie prenante de notre histoire, mais aussi un
élément clé de notre avenir.
3) Établir une stratégie africaine de la France sous la forme d’un Livre
blanc sur l’Afrique en associant des membres représentant le Parlement, les
administrations, les opérateurs, les ONG intervenant en Afrique et des
personnalités qualifiées françaises, étrangères et notamment africaines.
4) Créer un programme de soutien « pour une écriture franco‐africaine
d’une histoire partagée » afin de promouvoir le travail d’équipes mixtes franco‐
africaines sur l’étude de notre histoire commune.
5) Poursuivre l’ouverture des archives sur la période coloniale.
Deuxième priorité : Améliorer le pilotage de la politique africaine et la
cohérence des actions menées sur le terrain.
Devant le constat d’une politique éclatée à tous les niveaux, le groupe de
travail souhaite renforcer le pilotage de la politique africaine. En dehors du Livre
blanc dont l’objectif est de fédérer toutes administrations sur des objectifs
communs, il propose :
6) De créer un ministère de la coopération internationale et du
développement de plein exercice rassemblant les services concernés du ministère
des affaires étrangères et du ministère des finances.
- 10 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
7) D’instaurer une structuration régionale de notre dispositif diplomatique
avec la nomination d’ambassades chefs de file régionaux et la mise à jour régulière
de «stratégies‐régions» validées au niveau interministériel.
8) D’étudier la possibilité dans certains pays de mutualiser notre dispositif
diplomatique avec certains partenaires européens afin de constituer des
ambassades communes.
9) De mettre en place une cellule de haut niveau en charge de la gestion
civilo‐militaire des situations de crise afin d’assurer une véritable coordination
entre les responsables du développement et de la sécurité là où la France est
présente. Cette cellule aura pour fonction de coordonner les actions de prévention
des crises ou de gestion des situations post‐crises afin de favoriser le
rétablissement des services publics et privés essentiels au fonctionnement normal
d’un pays.
Troisième priorité : Renforcer nos liens économiques avec l’Afrique qui
décolle.
Le groupe de travail estime qu’il faut désormais accentuer notre regard
sur les opportunités économiques qu’offre le décollage d’une partie du continent
africain. Pour cela, il propose de :
10) Structurer une démarche internationale par géographies et par
secteurs qui correspondent aux besoins des marchés africains, renforcer nos
moyens de soutien aux entreprises dans les pays les plus dynamiques tels que
l’Afrique du Sud, le Nigéria, la Côte d’Ivoire, et le Kenya, mais également l’Éthiopie,
le Ghana, le Botswana, la Tanzanie ou le Mozambique
11) Développer la pratique du portage des PME par les grands groupes
présents sur le continent dans une démarche adaptée aux réalités africaines.
12) Développer des stratégies de conquête des marchés africains par le
bas de la Pyramide et créer avec Proparco un fonds d’investissement en partenariat
public privé sur ce type de stratégie « le bas de la Pyramides » impliquant des
nouvelles technologies et des entreprises françaises.
13) Mettre fin à l’hémorragie des services économiques en Afrique, établir
des stratégies régionales avec l’ensemble des services intervenant dans le domaine
économique, renforcer les synergies entre Ubifrance, les Missions économiques, les
Chambres de Commerce et d'Industries (CCI), en France et à l'étranger (Uccife), les
conseillers du Commerce extérieur de la France (CCEF), Oséo, Coface, Pacte PME
International, et les Opérateurs spécialisés du commerce international (OSCI).
Soutenir les postes dépourvus de service économique ou de soutien commercial.
14) Inscrire dans le COM de l’AFD un mandat dans le cadre de sa mission
au service du développement de dialogue avec les entreprises privées et les
bureaux d’études français et de promotion de l’économie française autour de
l’expertise.
10 PRIORITÉS ET 70 MESURES - 11 -
15) Fixer à PROPARCO des objectifs de co‐investissement avec des
entreprises françaises et soutenir son développement en renforçant ses fonds
propres et lui garantissant une plus grande autonomie organique par rapport à
l’AFD.
16) Plaider au sein de l’OCDE et du G20 pour une clause de réciprocité sur
l’ouverture des marchés financés par l’APD afin de pousser les pays émergents à
délier leurs financements ou, le cas échéant, à exclure leurs entreprises des appels
d’offres financés par l’APD.
17) Renforcer les exigences environnementales et sociales dans les
dossiers d’appel d’offres pour les marchés financés par la coopération française
afin de permettre aux bénéficiaires de ces financements d’éliminer, au stade de la
pré‐qualification et de l’évaluation des offres, des entreprises ou des propositions
qui ne seraient pas conformes techniquement sur le volet responsabilité sociale et
environnementale et de sanctionner une entreprise qui ne respecterait pas ses
engagements lors de l’exécution de son marché.
18) Faire établir par le Comité pour les métaux stratégiques (COMES) et le
SGDSN une étude des intérêts de la France en Afrique en matière
d’approvisionnement stratégique et prendre en compte les conclusions de cette
étude dans la définition de notre stratégie africaine.
19) Engager le processus formel d’adhésion à l’initiative sur la
transparence dans les industries extractives (ITIE).
20) Engager la transposition par la France des dispositions des directives
comptables concernant certaines obligations pour les entreprises extractives
européennes de publier pays par pays et projet par projet les revenus tirés de
l’exploitation des ressources extractives versés à des Etats et définir une stratégie
d’exemplarité des entreprises publiques françaises intervenant dans ce domaine en
Afrique.
21) Soutenir les initiatives et les programmes des banques multilatérales
de développement dans le domaine des industries extractives.
22) Renforcer notre coopération en faveur du renforcement de capacité
au profit des programmes de l’UEMOA et notamment du Programme Économique
Régional (PER).
23) Veiller à ce que la conclusion des Accords de partenariat économique
(APE) ne nuise pas à l’intégration régionale, inviter la Commission européenne à
faire preuve de plus de souplesse dans les négociations d'accords de partenariat
économique régionaux afin de déboucher sur un aboutissement positif et un
renforcement de la coopération européenne en faveur de l’intégration.
- 12 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Quatrième priorité : Contribuer à la stabilité et la sécurité du continent.
Le groupe de travail demande le maintien, en accord avec les États
concernés, des points d’appui existants en Afrique pour les forces déployées dans
la bande sahélo-saharienne et sur les façades est et ouest africaines afin de
contribuer activement à la sécurité de ce continent. Il souhaite que des actions de
coopération structurelle et opérationnelle permettent la consolidation des
capacités militaires et des architectures de sécurité sous‐régionales africaines dans
le cadre de l’Union africaine et, le cas échéant, la mise en œuvre des résolutions
des Nations unies et la protection des ressortissants français. Il propose que ces
déploiements soient adaptés afin de disposer de capacités réactives et flexibles en
fonction de l’évolution des besoins. Il préconise que soit dédiés de façon visible
quatre pôles à la coopération avec les quatre organisations régionales, à Libreville
avec la brigade centre de la CEEAC, à Dakar avec la brigade de l’ouest de la
CEDEAO, à la Réunion avec la brigade sud de la SADC et à Djibouti face l’IGAD afin
d’afficher aux yeux des opinions publiques africaine et française le sens africain de
la présence militaire française sur ce continent. Cette priorité se traduit donc par 7
mesures :
24) Maintenir huit points d’appui militaire en Afrique : Abidjan, Dakar, la
zone (Mali, Niger, Burkina‐Faso), Libreville, Ndjamena, Bangui, Djibouti, et l’île de la
Réunion.
25) Dédier quatre points d’appui militaire à la coopération avec les 4
organisations régionales, à Libreville avec la brigade centre de la CEEAC, Dakar avec
la brigade de l’ouest de la CEDEAO, la Réunion avec la brigade sud de la SADC et
Djibouti avec l’IGAD, afin d’afficher clairement la volonté française de participer à
l’architecture de sécurité africaine.
26) Ouvrir les pôles de coopération français à des participations de
partenaires européens et internationaux à l’instar de ce qui a été fait pour les
écoles nationales à vocation régionale (ENVR).
27) Dépasser la distinction entre OPEX et forces prépositionnées au profit
d’un dispositif global où les effectifs de chaque base évoluent en fonction des
besoins avec un repositionnement autour du Sahel et dans les pays accueillant une
forte présence de ressortissants français.
28) Doter chaque point d’appui de moyens de coopération structurelle et
opérationnelle aussi bien en bilatéral qu’au niveau régional ainsi que la possibilité
d’une projection en cas de crise.
29) Renforcer les crédits de la direction de la coopération de sécurité et de
défense (DCSD) et développer les ENVR avec des financements croisés de
l’ensemble des ministères concernés et un recours croissant aux financements
européens, multilatéraux, voire à des partenariats avec des pays qui partagent
notre vision de l’Afrique, comme le Canada, ainsi qu’à des financements des pays
africains qui en ont les moyens.
10 PRIORITÉS ET 70 MESURES - 13 -
30) Renforcer les moyens de suivi et de coopération avec l’Union africaine
en redéployant des effectifs vers l’ambassade d’Addis Abeba et en consacrant de
l’assistance technique ou des projets bien ciblés de renforcement de capacité.
Cinquième priorité : Promouvoir le pluralisme politique.
Tout en conservant à l’esprit les exigences de stabilité du continent, le
groupe de travail estime que, sur le long terme, la démocratie, les droits de
l’homme, le pluralisme, et l’éthique sont des facteurs d’épanouissement des
populations et de cohésion sociale et politique. C’est pourquoi il propose dans le
prolongement du discours de la Baule de renouveler le discours français sur la
démocratie en centrant ce discours non sur la procédure formelle d’élections, mais
sur la notion de pluralisme et de contre‐pouvoirs. Il souhaite également tirer les
leçons pour notre diplomatie des printemps arabes et d’un dialogue trop
exclusivement centré sur l’Etat. Pour cela il propose de renforcer le dialogue avec
les sociétés civiles, notamment à travers les ONG et les collectivités territoriales
françaises. Ces deux derniers acteurs ont tissé des liens sans équivalent avec les
populations et les territoires africains.
Cette priorité se traduit donc par 4 mesures :
31) Intégrer dans les discours français sur l’avenir de l’Afrique un discours
renouvelé sur la notion de pluralisme et de contre‐pouvoirs.
32) Aider à la constitution de fondations en faveur de la vigilance
citoyenne, des contre‐pouvoirs, des médias, des parlements, et de la « société
civile ».
33) Renforcer le dialogue avec les sociétés civiles et poursuivre
l’engagement de doublement du montant de l’aide qui transite par les ONG.
34) Soutenir les actions de coopération décentralisée en faveur de
l’Afrique et étendre le dispositif de la loi Oudin‐Santini aux ordures ménagères pour
financer des actions de coopération dans ce domaine dans une Afrique en
urbanisation rapide.
Sixième priorité : Moderniser notre coopération au développement.
Constatant que l’enjeu n’est pas de construire une coopération d’héritage,
mais de construire une coopération dont la France et l’Afrique ont besoin, le
groupe de travail propose à la fois une réallocation des moyens et une
rationalisation du dispositif.
S’agissant des moyens : le groupe de travail estime qu’il faut redresser
l’équilibre des contributions bilatérales et multilatérales de façon à retrouver un
niveau d’intervention bilatérale sous forme de subventions supérieur à 500 millions
à la fin du triennum budgétaire par redéploiement et développement des
financements innovants. Il propose également un renforcement des fonds propres
de l’AFD et la suppression du plafond des effectifs d’un établissement qui ne
- 14 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
bénéficie d’aucune subvention de fonctionnement et finance son activité grâce à
son résultat bancaire.
Sur le plan institutionnel, en dehors de la création d’un ministère de plein
exercice, qui exercerait la responsabilité des programmes budgétaires, qui sont
actuellement gérés, l’un par Bercy, l’autre par le Quai d’Orsay, le groupe de travail
propose de simplifier l’organisation du réseau de coopération, de poursuivre la
réforme de 1998 et de la mener à son terme, en poursuivant les transferts de
compétence opérationnelle au profit de l’AFD et en mettant fin à la double
compétence des SCAC et des agences de l’AFD, afin de renforcer la cohérence des
actions à mener et de réduire le coût du réseau.
Cette priorité se traduit donc par 14 propositions :
35) Confier à un ministère de la coopération internationale et du
développement la responsabilité des programmes 110 et 209 et les services qui les
gèrent.
36) Simplifier l’organisation du réseau en mettant fin à la double
compétence des Services de coopération et d’action culturelle (SCAC) et des
agences de l’AFD et réduire ainsi son coût en s’appuyant principalement sur les
agences de l’AFD sous l’autorité des ambassadeurs.
37) Poursuivre les transferts de compétence opérationnelle au profit de
l’AFD de façon à ce que les Fonds de solidarité prioritaire (FSP) (hors domaine
strictement régalien (police et justice)) soient gérés par l’AFD.
38) Mutualiser des fonctions support entre les représentations des
instituts de recherche pour le développement dans un même pays des opérateurs
du développement.
39) Resserrer le réseau des opérateurs de recherche pour le
développement autour de représentants régionaux, responsables d’une agence.
40) Mieux intégrer les besoins opérationnels dans la programmation des
organismes de recherche pour le développement.
41) Redresser l’équilibre des contributions bilatérales et multilatérales de
façon à retrouver un niveau d’intervention sous forme de subventions supérieures
à 500 millions à la fin du triennum budgétaire.
42) Accroître la part de la taxe sur les transactions financières (TTF)
française affectée à la coopération.
43) Achever le processus d’adoption de la taxe sur les transactions
financières européenne et s’assurer qu’une partie sera consacrée à la solidarité
internationale.
44) Poursuivre le travail de conviction pour l’adoption d’une transactions
financières au niveau mondial.
45) Consacrer le rééquilibrage de l’aide bilatérale en partie à de l’aide
projet sous forme de dons destinés aux pays pauvres prioritaires et en partie aux
financements d’expertises en amont des projets.
10 PRIORITÉS ET 70 MESURES - 15 -
46) Procéder à un renforcement comptable des fonds propres de l’AFD.
47) Intégrer un nouvel accord sur une diminution de la distribution des
dividendes dans le prochain contrat d’objectifs et de moyens.
48) Supprimer la détermination en valeur absolue des effectifs de l’AFD.
Septième priorité : promouvoir l’expertise technique française.
L’Afrique bénéficie aujourd’hui d’un afflux de capitaux privés et publics, si
bien que l’avantage comparatif de bailleurs de fonds relativement modestes
comme la France est aujourd’hui la diffusion à travers ces financements d’une
expertise pertinente, performante, compétitive et adaptée aux enjeux de
développement de l’Afrique. Cette expertise est un enjeu de développement et
d’influence. Elle permet de déployer dans ce continent des normes, des habitudes
et des valeurs qui peuvent nous lier aux pays africains et favoriser les échanges à la
fois intellectuels et commerciaux. Or, dans ce domaine, la France avance en ordre
dispersé aussi bien en matière de financement que d’opérateurs.
Le Groupe de travail propose de :
49) Créer un fonds dédié à l’expertise internationale géré par l’AFD et
destiné à des opérateurs privés ou publics français qui rassemblent l’ensemble des
financements dédiés à l’expertise à l’international, mieux articuler les instruments
d’aide liée et définir une stratégie géographique et sectorielle pour les assistants
techniques.
50) Regrouper dans un groupement d’intérêt public tous les opérateurs
d’expertise technique publics.
Par ailleurs, le groupe de travail propose en matière de coopération au
développement :
51) D’établir un bilan de nos modes d’intervention dans les pays fragiles à
faible maîtrise d’ouvrage et de définir une méthodologie adaptée.
52) De relancer les dispositifs de capital investissement dans les PME en
redynamisant le Fonds d’investissement et de soutien aux entreprises en Afrique
(FISEA).
53) De créer une alliance avec les pays africains en vue des prochaines
négociations sur le climat.
54) De développer des coopérations triangulaires en collaboration avec
des partenaires sans passé colonial (Canada, Australie…), avec les émergents
démocratiques (Afrique du Sud, Brésil, Inde), comme avec la Chine.
- 16 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Huitième priorité : Renforcement de notre action en faveur de la
francophonie.
Le groupe de travail constate qu’il n’y aura pas de dividendes
démographiques automatiques si nous ne formons pas des maîtres d’école dans les
pays francophones. C’est pourquoi il estime qu’il faut absolument établir un
véritable diagnostic sur l’état de la Francophonie en Afrique et renforcer notre
participation au partenariat mondial pour l’éducation, et promouvoir des
partenariats public‐privé en faveur du développement de systèmes de formation
professionnelle francophone qui répondent directement aux besoins des pays
africains. Cette priorité se traduit par 5 propositions :
55) Renforcer sa participation au Partenariat Mondial pour l’Education.
56) Promouvoir des partenariats public‐privé en faveur du développement
de système de formation professionnelle en Afrique.
57) Créer une université francophone pilote à l’image de l’université Paris‐
Sorbonne‐Abou Dhabi.
58) Encourager le développement de thèses en cotutelle franco‐africaine.
59) Développer des universités numériques en coordination avec les
partenaires francophones.
Neuvième priorité : rétablir une cohérence entre notre politique
d’influence et notre politique migratoire
Il y a eu ces dix dernières années une incohérence entre notre politique
d’influence, qui visait à former et à tisser des liens forts avec les élites africaines, et
notre politique migratoire qui a détourné de la France non seulement des
étudiants, mais également des artistes et des hommes d’affaires.
Le groupe de travail propose d’assouplir le code de l’entrée et du séjour
des étrangers de façon à instaurer des visas pluriannuels calqués sur la durée des
études, à permettre l’exercice d’une première expérience professionnelle pour les
étrangers juste diplômés d’un établissement d’enseignement supérieur français, et
enfin d’accorder un visa illimité aux étudiants ayant obtenu un doctorat en France.
Ces réformes doivent être accompagnées notamment d’une
redynamisation de la politique d’accueil des personnalités d’avenir, de la gestion du
réseau des anciens élèves des lycées français à l’étranger.
S’agissant de l’immigration économique, ou de celle en provenance de
zones désertées par le développement ou soumises à des régimes autoritaires
comme l’Erythrée, le groupe de travail souligne que la solution de long terme
réside dans le développement harmonieux de l’Afrique, mais qu’en attendant, il
faut renouer le dialogue avec les pays d’origine sur les questions migratoires et
adopter des positions et des politiques cohérentes au niveau européen.
10 PRIORITÉS ET 70 MESURES - 17 -
60) Modifier le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit
d'asile (CESEDA) visait à favoriser les conditions d'exercice des premières années
d'expérience professionnelle –expérience qualifiante– pour les étrangers tout juste
diplômés d'un établissement d'enseignement supérieur français.
61) Instaurer des visas pluriannuels, calqués sur la durée des études.
62) Élaborer dans chaque ambassade un plan d’accueil des demandeurs de
visas.
63) Redynamiser la politique d’accueil de personnalités d’avenir
64) Développer le dispositif « Quai d’Orsay/Entreprises »
65) Entreprendre une gestion dynamique du réseau des anciens élèves des
Lycées français à l’étranger et des anciens boursiers etc.
66) Relancer le dialogue avec les pays d’origine sur les questions
migratoires, avec la constitution de groupes de suivi paritaires et définir des
positions et des politiques cohérentes au niveau européen.
67) Redéfinir une stratégie de promotion du développement solidaire.
Dixième priorité : Définir une stratégie africaine de la France dans les
instances multilatérales et européennes.
Le groupe de travail estime qu’il faut convaincre nos partenaires
européens qu’une Afrique de 2 milliards d’habitants à 14 km du sud de l’Europe
avec autant d’opportunités et de risques devrait être une préoccupation centrale
de l’Europe. Il souligne que la France n’a pas de stratégie globale dans les instances
européennes et multilatérales, ce qui l’empêche évidemment d’avoir une stratégie
concertée sur les questions africaines :
68) Définir une stratégie africaine de la France dans les instances
européennes.
69) Définir une stratégie française en faveur de l’Afrique dans les instances
multilatérales.
70) Promouvoir la voix de l’Afrique dans la gouvernance mondiale.
En conclusion, le groupe de travail a la conviction qu’une partie de
l’avenir de la France est en Afrique. C’est pourquoi il a intitulé ce rapport :
« L’Afrique est notre avenir ».
- 18 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
INTRODUCTION - 19 -
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Ce rapport est né d’une interrogation : d’abord sur l’évolution de l’Afrique,
hier présentée comme un continent perdu, aujourd’hui louée comme le prochain
continent émergent, ensuite sur la présence de la France dans ce continent hier
ignoré, aujourd’hui convoité et, enfin, sur l’adaptation de notre politique étrangère
à la transformation de pays africains qui furent longtemps un axe majeur de notre
diplomatie.
Ce rapport est né d’une préoccupation, celle d’enrayer le déclin de
l’influence de notre pays dans le monde en général et en Afrique en particulier. Il
est animé par une priorité : favoriser la croissance et l’influence d’une France qui
doute en dépit de ses nombreux atouts et notamment de cette connaissance, de
cette intimité avec un continent africain en pleine transformation qui par ailleurs
exprime souvent une « demande de France ».
Car la situation est paradoxale à plus d’un titre.
D’un côté le 50e anniversaire de l’Union Africaine en 2013 a été l’occasion
pour l’ensemble des chefs d’Etat africains d’affirmer collectivement leur conviction
que le temps de l’Afrique était arrivé. Et force est de constater que, dans de
nombreuses capitales africaines et occidentales, les responsables politiques et
économiques mondiaux, notamment asiatiques, se bousculent pour annoncer le
décollage d’une nouvelle Afrique, soulignant haut et fort des taux de croissance qui
font pâlir l’Europe.
De l’autre, les innombrables défis posés par la croissance démographique,
le niveau de la pauvreté qu’une croissance, même élevée, n’arrive pas à enrayer,
l’état souvent médiocre des infrastructures, des systèmes sanitaires et éducatifs,
en un mot la faiblesse des Etats, notamment au Sahel, comme en témoigne la crise
malienne, laisse penser que ce continent présente tout autant, sinon plus, de
risques que d’opportunités.
Nous avons voulu comprendre les deux faces de ce même visage.
A cinq ans d’intervalle, deux analyses témoignent du chemin parcouru :
l'une, de Stephen Smith, en 2004, dans son livre « Négrologie », arborait comme
sous‐titre « Pourquoi l'Afrique meurt », l'autre, de MM. Jean Michel Severino et
Olivier Ray dans « Le temps de l'Afrique », prenait à contre‐pied la vision
misérabiliste de l'Afrique pour souligner son émergence et se demandait si l'Europe
et la France n’étaient pas en train de rater le tournant pris par ce continent.
Sont‐ce les regards qui ont changé ou est‐ce la réalité ?
- 20 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Face à la formidable progression de la présence des pays émergents, la
Chine en tête, l'Inde ensuite, mais aussi le Brésil, la Turquie, les pays du Golfe,
Israël ou même certains pays du Maghreb, la France se cherche et hésite : entre la
tentation du retrait et la volonté de maintenir des liens privilégiés avec le
continent ; entre la « normalisation » et le maintien de relations personnalisées ;
entre des tendances à l’européanisation avec des partenaires au demeurant plus
ou moins intéressés, et le souci de conserver une politique d’influence bilatérale ;
entre la conservation d’un pré carré francophone et l’affermissement des liens avec
de nouveaux partenaires politiques et commerciaux ; entre la modernisation de
notre appareil de coopération militaire et le maintien de forces d’intervention
rapide ; entre conditionnalités démocratiques et tolérance à l’égard des régimes
autoritaires, entre aide‐programme et aide‐projet, etc.
La France semble tétanisée par des procès d’intention liés à son passé
colonial, incapable de se projeter sur le long terme, avec un continent qui, quoiqu’il
arrive, avec 2 milliards d’habitants en 2050, sera un partenaire majeur de la France
et de l’Europe pour le meilleur ou pour le pire.
A cette hésitation correspond l’ambivalence des Africains francophones
eux‐mêmes à l’égard de la France, qui oscillent entre attirance et répulsion. A la
politique française du « ni ingérence, ni indifférence » répond l'accusation africaine
d'immixtion ou d'inaction suivant la posture adoptée.
L’opération Serval marque‐t‐elle un nouveau départ ? L’histoire jugera.
Mais il suffit de lire la presse, qui après avoir salué l'opération Serval,
présente bien souvent le sommet France‐Afrique comme une survivance du passé
tandis que n’importe quel Sommet Afrique‐Chine annonce l'avenir pour
comprendre que le sens même de la politique africaine fait encore débat.
Nous avons essayé de saisir pourquoi, mais, surtout, comment sortir de
cette situation : en prenant conscience des enjeux de la transformation en cours
sur le continent, mais aussi en mesurant nos atouts et nos faiblesses dans une
Afrique de plain‐pied dans la mondialisation, qui multiplie les partenariats.
À un moment où le monde est en train de fermer la parenthèse de la
domination européenne ouverte au XVIe siècle, nous avons tenté d’analyser en quoi
une politique africaine rénovée portée au niveau national et européen pouvait
constituer un élément structurant pour l’avenir de notre politique étrangère. Pour
cela, la commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées a
constitué un groupe de travail composé de sénateurs de toutes tendances
politiques qui ont en commun un intérêt pour l’Afrique.
Chacun a apporté son expérience.
En tant que vice‐présidents et rapporteurs, nous avons mis à disposition
du groupe notre expérience de l’Afrique, acquise pour Jeanny Lorgeoux (PS) au
début de sa carrière professionnelle au Zaïre puis dans ses fonctions de député
proche du Président de la République François Mitterrand et enfin au Sénat où il
préside les groupes d’amitié interparlementaires avec le Congo‐Brazzaville, la
- 22 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Mauritanie et le Sud‐Soudan, pour Jean‐Marie Bockel (UDI‐UC) pendant de
nombreuses années dans le cadre de la coopération décentralisée à la mairie de
Mulhouse, en tant que secrétaire d'État chargé de la Coopération et de la
Francophonie, puis à la Défense et aux Anciens combattants.
Les autres membres du groupe ont également largement contribué à la
réflexion, Robert Hue (RDSE) grâce à une expérience approfondie de l’Afrique et
notamment de l’Afrique du Sud dont il préside le groupe d’amitié
interparlementaire, Jean Claude Peyronnet (PS) qui est notamment co‐rapporteur
du budget de l’aide au développement et membre du conseil d’administration de
l’Agence française de développement, Kalliopi Ango Ela (EELV), sénatrice des
Français de l’étranger qui a habité plus de 20 ans en Afrique, René Beaumont
(UMP) qui est notamment Président du groupe d’amitié interparlementaire France‐
Djibouti ainsi que les autres membres du groupe d’amitié : Jean‐Pierre Demerliat
(PS), Bernard Piras (PS), Gilbert Roger (PS), Jacques Gillot (PS), Jean‐Paul Fournier
(UMP), Jean‐Pierre Cantegrit (UMP), Christian Namy (UDI‐UC).
Le groupe de travail a procédé, tous les jeudis matin, pendant huit mois, à
des auditions d’acteurs de haut niveau : économistes, démographes, financiers,
diplomates, universitaires, militaires. Pour ne pas être prisonnier d'une vision
exclusivement française, le groupe de travail a auditionné aussi bien des
personnalités françaises qu’étrangères susceptibles de les éclairer sur les attentes
des responsables africains. Ces rendez‐vous hebdomadaires, attendus par ses
membres, ont été l’occasion de nombreux échanges particulièrement riches, grâce
à l’engagement de chacun et à la qualité des personnes auditionnées qui doivent ici
être remerciées.
Les membres du groupe de travail se sont également rendus sur le
terrain : en Afrique du Sud, puissance continentale, en Éthiopie, acteur majeur de
la Corne de l’Afrique et siège de l’Union Africaine, et en Côte d’Ivoire, pays influent
s’il en est de l’Afrique de l’Ouest, de la Francophonie et de la CEDEAO. Nous
n’avons pas pu multiplier autant que nous l’aurions souhaité les déplacements
faute de moyens et de temps. Mais nous sommes conscients que parler de l’Afrique
est une gageure et souvent un raccourci intellectuel tant les différences sont
nombreuses entre l’Afrique de l’Ouest et la Corne de l’Afrique, l’Afrique australe et
l’Afrique centrale, mais également entre pays voisins. Nous n’avons pas voulu
ignorer la diversité ethnique et culturelle des pays africains, mais tenter une
réflexion d’ensemble en s’appuyant sur la diversité des expériences nationales.
Toutefois pour illustrer la diversité du continent, le groupe de travail a fait produire
par l’Atelier de cartographie de l’Institut d’Études politiques de Paris de
nombreuses cartes qui témoignent des différences entre pays africains, mais
également des caractéristiques communes du continent. La qualité des cartes
produites par l’équipe de l’Atelier de cartographie de l’IEP mérite d’être soulignée
et ses membres remerciés.
Dans chaque pays visité, les membres du groupe de travail ont rencontré
universitaires, ministres, diplomates, journalistes, officiers généraux. Ils ont eu
l’occasion de confronter les points de vue en rassemblant, lors de déjeuners de
travail, l’ensemble des ambassadeurs africains et européens en poste. Ces
INTRODUCTION - 23 -
échanges informels et des visites de terrain nous ont permis de croiser les regards
sur la politique africaine de la France. Le groupe de travail a également pu
bénéficier de l’éclairage des membres qui se sont déplacés en Afrique dans
différents cadres, en Mauritanie, à Madagascar ou au Mali. Le groupe de travail
s’est également enrichi des travaux des deux autres groupes de travail créés par
notre commission, sur le Mali, co‐présidé MM. Jean‐Pierre Chevènement et Gérard
Larcher, et sur la Méditerranée, co‐présidé par Mme Josette Durrieu et M. Christian
Cambon, ainsi que des nombreuses auditions organisées par la commission dans le
cadre de la préparation du Livre blanc et de la loi de programmation militaire.
A quelques semaines du prochain Sommet de l’Elysée, ces travaux nous
ont permis d’apporter notre contribution aux réflexions en cours sur l’avenir de la
politique africaine de la France. Quelle place la France peut‐elle jouer dans l’avenir
de l’Afrique ? Quelle place l’Afrique doit‐elle occuper dans l’avenir de la France ?
Voilà, au fond, les questions que nous nous sommes posées en essayant d’observer
le présent et d’anticiper l’avenir. Car il n’y a de stratégie que sur le long terme.
Souvent empêtrée dans les querelles du passé, la réflexion sur l’Afrique doit
aujourd’hui se tourner vers le futur d’un continent dont la population est
composée pour moitié de femmes et d’hommes de moins de 25 ans qui n’ont
connu ni la colonisation, ni la décolonisation, sont nés avec un portable et Internet
et se préoccupent avant tout de l’avenir.
En résumé, il y a eu, dans l’histoire des relations entre la France et les pays
africains, la période coloniale, la décolonisation, la période postcoloniale ou
néocoloniale avec ce que certains ont appelé la Françafrique ; nous avons voulu
dessiner les contours de ce que devrait être demain une relation adaptée à un
continent en pleine transformation, une relation adulte, revisitée, renouvelée
autour d’un partenariat fondé sur des intérêts respectifs assumés. Nous avons
voulu dessiner le visage d’une nouvelle stratégie pour l’Afrique avec à la clef une
réflexion d’ensemble mais aussi des propositions concrètes.
- 24 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
CHAPITRE 1 : - 25 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
CHAPITRE 1 :
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA FRANCE ET L’EUROPE
Longtemps, l’Afrique a vécu en marge du monde européen. L’Europe y a
certes fait des incursions durables. Sa présence y est ancienne. Et de nombreux
Européens ont voué au continent noir une véritable passion. Mais, depuis 50 ans,
l’aventure coloniale avait laissé place à la décolonisation, la décolonisation à la
guerre froide, sans que les soubresauts de l’histoire africaine n’infléchissent le
cours de l’histoire européenne.
Depuis les indépendances, l’évolution du Nord et du Sud de la planète
semblait si disjointe que certains ont pu croire que la césure des deux hémisphères
du Nord et du Sud constituait un nouvel ordre mondial. Succédant à la
confrontation Est/Ouest, la séparation de l’empire et des nouveaux barbares, pour
reprendre l’expression du livre de Jean‐Christophe Rufin, passait par la
Méditerranée.
Or voilà que deux décennies plus tard, avec la mondialisation et
l’éclatement du Sud lié à l’essor des pays émergents, l’étendue des transformations
en cours au sein du continent africain bouleverse la donne. Les phénomènes
migratoires, la menace terroriste et le développement des épidémies à l’échelle
planétaire ont mis en évidence l’interdépendance de l’Europe et l’Afrique. La
guerre au Mali en témoigne.
Mais ces interdépendances ne concernent pas seulement les risques et les
menaces, elles portent en elles des opportunités. L’explosion démographique et le
décollage économique de l’Afrique sont une bonne nouvelle pour l’Europe comme
pour les pays émergents qui y investissent massivement. Dans un monde dont le
centre de gravité est en train de se déplacer vers l’Asie, l’Europe et la France
peuvent‐elles éventuellement trouver dans l’Afrique un moteur de leur croissance
future ?
Le temps où nous pouvions rester indifférents à ce qui se passait à
quatorze kilomètres au Sud de la France de l’autre côté de la Méditerranée est
révolu. Dans ce monde globalisé et multipolaire, les transformations en cours sur le
continent africain portent une partie de notre avenir pour le pire ou le meilleur.
- 26 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
I. VERS UN CONTINENT DE 2 MILLIARDS D’HABITANTS AUX PORTES DE L’EUROPE
« L’Afrique a l’avenir devant elle, parce qu’elle sera dans 50 ans le
continent le plus peuplé du monde, composé pour moitié de jeunes en âge de
travailler et de plus en plus formés » : voilà ce que nous a dit Madame Nkosazana
Dlamini‐Zuma, Présidente de la Commission de l’Union africaine, dans son grand
bureau d’Addis Abeba, au 18e étage d’un impressionnant bâtiment de verre et
d’acier flambant neuf offert par les autorités chinoises pour la modique somme de
200 millions de dollars.
Il est vrai qu’un continent de deux milliards d’habitants est en train de se
constituer aux portes de l’Europe au‐delà de cette Méditerranée qui n’a jamais été
une frontière, mais un trait d’union entre nos deux continents.
A. UNE EXPLOSION DÉMOGRAPHIQUE INÉLUCTABLE
Entre les détroits de Gibraltar et de Sicile qui séparent les deux rives de la
Méditerranée de quelques dizaines de kilomètres se font face deux continents aux
évolutions démographiques opposées. D’un côté, une Europe vieillissante dont la
population va diminuer, de l’autre une Afrique jeune qui lancée tel un éléphant en
pleine vitesse double sa population tous les 26 ans.
Dans l’histoire, cela n’a pas toujours été ainsi. De 1500 à 1900, alors que la
population européenne était multipliée par 5, la population africaine avait quant à
elle diminué, notamment en raison du commerce triangulaire.
Pendant ces quatre siècles, la part de l’Afrique dans la population
mondiale est passée de 17 % à 7 % avec une des plus faibles densités au km2 de la
planète, 15 fois moindre que l’Europe.
Depuis un siècle, nous avons vécu progressivement un grand rattrapage.
Dans les 40 ans à venir nous assisterons à une explosion démographique.
1. Une Afrique à deux milliards d’habitants
1
United Nations, Department of Economic and Social Affairs, Population Division (2011). World
Population Prospects: The 2010 Revision, Highlights and Advance Tables. ESA/P/WP.220.
http://esa.un.org/wpp/Documentation/pdf/WPP2010_Highlights.pdf
CHAPITRE 1 : - 27 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
Autrement dit, au siècle dernier, la population du continent a été multipliée par
sept ; elle va doubler d’ici 2050.
L’Afrique d’hier, le continent vide, cette Afrique‐là est en train de
disparaître. En 2050, la population africaine sera, d’après les prévisions, supérieure
à celle de la Chine ou de l’Inde, trois fois supérieure à celle de l’Europe, comme
l’illustre le graphique ci‐dessous.
Source : ONU
2. Une transition démographique qui se fait attendre
L’Afrique n’a, en effet, que partiellement entamé la deuxième phase de sa
transition démographique.
La baisse de la fécondité amorcée dans la quasi‐totalité des pays africains,
même si elle reste à un niveau élevé, résulte d’une multiplicité de facteurs dont
l’urbanisation et le niveau de scolarisation. Comme en Europe au XXe siècle, les
enquêtes montrent que les femmes africaines résidant en milieu urbain, ayant un
niveau d’instruction secondaire ou plus et un revenu élevé, ont un taux de
fécondité nettement inférieur à celles du monde rural. L’instruction du conjoint est
également un facteur important de l’adhésion du couple à la pratique
contraceptive. L’éducation intervient ainsi directement sur la fécondité par le biais
de la transformation des systèmes de valeurs, par l’information et l’incitation à
utiliser des méthodes contraceptives efficaces.
Tous ces indicateurs progressent en Afrique à grande vitesse. En 40 ans,
l’indice de fécondité de l’Afrique subsaharienne a baissé de 1,3 enfant en moyenne.
La situation est cependant variable selon les régions et à l’intérieur des régions
selon les pays. La diminution du taux de fécondité a ainsi été de 3,4 enfants en
Afrique australe, de 1,4 en Afrique de l’Est, mais il n’a été que de 1,2 enfant pour
l’Afrique de l’Ouest.
En Afrique de l’Ouest même, la diminution de la fécondité est manifeste,
elle demeure cependant très inégale selon les pays. Assez nette dans certains
(Bénin, Cap Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Mauritanie, Nigeria, Sénégal,
Togo), elle est à peine amorcée dans d’autres (Burkina Faso, Guinée, Mali, Niger,
Libéria).
Le Niger conserve, par exemple, avec un taux de fécondité de 7,2 enfants
par femme, le taux le plus élevé du monde. Les conséquences, à terme, sont tout à
fait frappantes. Le Niger, pays de 15 millions d’habitants, passera à 53 millions
d’habitants en 2050. La population du Mali, 10 millions d’habitants en 2000, près
de 15 millions aujourd’hui, passera à 50 millions en 2050.
Les hypothèses d’un doublement de la population se fondent sur une
diminution du taux de fécondité à 2 enfants par femme contre 5,5 actuellement.
CHAPITRE 1 : - 29 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
Avec cette hypothèse, la population aura été multipliée par plus de 10 en
un siècle, de 170 millions en 1950 à 1,9 milliard en 2050. Mais, il s’agit bien de
l’hypothèse la plus basse. Le scénario médian pour la même date est 2,4 milliards,
si les tendances actuelles se poursuivaient, les projections s’élèveraient à plus de
2,9 milliards, soit un milliard de plus, la bagatelle !
Sur le fondement d’une hypothèse qu’on pourrait qualifier de mesurée,
l'explosion démographique africaine prendra au cours de ces prochaines décennies
une dimension dont on a du mal à prendre la mesure.
L'équivalent du sous‐continent indien est en train de se constituer aux
portes de l'Europe. Cela peut être un cauchemar ou une opportunité.
La première conséquence de cette explosion est de renverser le rapport
entre le nombre d’actifs en âge de travailler et les personnes dépendantes à la
charge de la société soit parce qu’ils sont trop jeunes soit parce qu’ils sont trop
vieux.
Les trajectoires des pays émergents ont montré l’importance, dans
l’accélération de la croissance économique, du rôle joué par la structure par âge, et
en particulier de la diminution du rapport entre le nombre de personnes à charge
- 30 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
de moins de 15 ans et de plus de 65 ans par rapport au nombre d’actifs. Ce rapport,
que l’on appelle « taux de dépendance », est resté très élevé en Afrique du fait du
poids des enfants. Dans cette phase de transition, il est amené pendant plusieurs
décennies à diminuer.
Tous nos interlocuteurs, dans le cadre du groupe de travail, ont souligné
que la transition démographique permettra à l’Afrique de bénéficier pendant une
courte période de son histoire d’un dividende démographique.
3. Le dividende démographique : mythe ou réalité
L’Afrique est devenue un vaste chantier, avec
des échafaudages de fortune, des buildings immenses
Et comment ne pas être frappé, quand on parcourt les villes du continent,
par ce vaste chantier qu’est devenue l’Afrique ? On y construit partout ! Avec des
échafaudages de fortune, des buildings immenses. Car il faut loger chaque année
des millions de nouveaux habitants.
Nous nous sommes rendus à Addis Abeba, à Pretoria, au Cap ou à
Abidjan : on y construit çà et là, partout, des logements, des écoles, des universités,
des dispensaires et des hôpitaux. Cela sera insuffisant pour loger tout le monde,
mais il y a un tel effet de masse. Pas étonnant que le BTP africain constitue un
moteur de la croissance. Dans beaucoup de pays, les nouveaux milliardaires
africains sont des rois du béton, à l’image de M. Aliko Dangote du Nigéria, l’homme
le plus riche d’Afrique, qui pèserait 16,1 milliards de dollars, à la tête d’un empire
industriel fondé sur la cimenterie.
Le bâtiment n’est pas le seul secteur soutenu par la croissance
démographique, car c’est l’ensemble des secteurs de la consommation qui
bénéficie de cet élan. Là encore, il y a un effet de taille. Avec 2 milliards d’individus,
si seulement 20 % de cette population accède à un pouvoir d’achat suffisant pour
acheter des biens de consommation manufacturés, c’est un marché de plus de 400
millions de consommateurs. Avec le développement des classes moyennes, des
secteurs comme la banque ou la grande distribution sont en plein essor et
expliquent un afflux d’investissement direct étranger.
Demain, les Nigérians devraient être sensiblement moins nombreux
que les Américains en 2050, et presque deux fois plus nombreux que les Brésiliens.
Plus que tout autre secteur, la téléphonie illustre les effets conjugués de la
croissance démographique et économique. En 2000, il y avait 16 millions de
mobiles actifs en circulation pour une population africaine de 800 millions
d'habitants. Un téléphone pour 50 personnes.
A la fin 2011, selon une étude de Wireless Intelligence, le nombre
d'abonnés africains au téléphone portable atteignait 620 millions (supérieure à
celui de l'Europe et en passe de devenir le deuxième marché continental de la
planète après l'Asie, et devant l'Amérique) pour une population totale ayant
désormais franchi le cap du milliard d'individus. Un téléphone pour moins de deux
personnes ! Avec une population de 2 milliards d’habitants, ce chiffre pourrait
doubler.
De ce point de vue, l'Afrique est bien un nouveau géant. Ces dernières
années, la Chine, l'Inde, le Brésil et de nombreuses autres économies émergentes
ont été présentés comme les futurs poids lourds de l'économie mondiale. Le
facteur démographique représente une des principales hypothèses de départ de
ces prévisions. Dans cette perspective l'Afrique peut aussi se comparer à ces pays.
La population du continent est comparable en nombre à celles de la Chine
et de l'Inde, et représente presque deux fois plus d’habitants qu'en Amérique latine
- 32 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
et dans les Caraïbes. Et à la fin de ce siècle, la population africaine devrait être
quatre à cinq fois plus nombreuse que celle d'Amérique du nord ou d'Europe.
La situation de certains pays mérite d’être soulignée. Ainsi aujourd’hui le
Nigéria est le septième pays le plus peuplé au monde et sa population était estimée
l'année dernière à 162 millions d'habitants, contre 196 millions pour le Brésil. On y
recense plus d'habitants qu'en Russie. Demain, les Nigérians devraient être
sensiblement moins nombreux que les Américains en 2050, et presque deux fois
plus nombreux que les Brésiliens. Les projections pour la fin du siècle seraient de
plus de 700 millions d'habitants. Les populations de Tanzanie et de RDC devraient
toutes deux être plus nombreuses que celle du Brésil.
La vitalité démographique du continent est un
atout. C’est aussi un défi, une course contre la montre.
En un siècle, entre 1950 et 2050, la population africaine aura décuplé.
Cette évolution démographique, exceptionnelle par son ampleur et sa rapidité,
représente un vrai défi pour le développement économique et social du continent,
défi alimentaire, défi en matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme, défi
en matière d’éducation et d’accès aux soins.
En matière d’infrastructures collectives, les décennies à venir
s’apparentent à une course contre la montre.
Quant au dividende démographique, il ne produira ses effets que dans le
temps et à condition qu’il y ait une maîtrise de la démographie et des politiques
publiques adaptées.
Dans la phase de transition actuelle, la croissance de leur population
inactive, jeune en très grande majorité, reste plus forte que celle de la population
active, ce qui génère des coûts d’infrastructures croissants, ne serait‐ce que dans le
domaine scolaire.
C’est pourquoi les politiques publiques doivent réduire le rythme de la
croissance démographique en favorisant une baisse de la fécondité.
Comme le souligne Jean‐Pierre Guengant, directeur de recherche à
l’Institut de recherche pour le développement (IRD) : « le maintien d’une forte
croissance démographique en Afrique subsaharienne pendant encore plusieurs
décennies n’est pas soutenable et compromet leur ambition légitime de devenir à
leur tour des pays émergents ».
Une diminution de la fécondité est une condition préalable à la
possibilité pour l’Afrique de bénéficier du « dividende démographique.
La population jeune en Afrique ne sera le moteur de la prospérité
économique que s’il existe non seulement des politiques nécessaires pour
renforcer les opportunités qui s’offrent à cette jeunesse, mais aussi des incitations
pour encourager des familles moins nombreuses.
Ces politiques de maîtrise de la démographie, de contrôle, d’espacement
ou de régulation des naissances touchent les fondements même des sociétés, leurs
CHAPITRE 1 : - 33 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
structurations sociales, leurs traditions. Elles sont cependant au cœur de la
modernisation du continent.
C’est pourquoi la planification familiale est aujourd’hui en Afrique intégrée
dans une approche globale de la santé, fondée sur la promotion des femmes et le
respect des droits sexuels.
De nombreux Etats ont mis en place des programmes de planification
familiale avec un certain succès.
Ainsi le Rwanda, qui est l’un des pays les plus densément peuplés
d’Afrique, marqué par l’histoire tragique du génocide, a fait de la planification
familiale une priorité nationale avec une politique contraceptive volontariste et
une amélioration sensible des services de santé.
L’environnement politique positif en matière de planification familiale et
le soutien de la communauté des donateurs ont contribué à une forte
augmentation de l’utilisation des contraceptifs modernes chez les femmes mariées.
En 2004, 10 pour cent des femmes mariées utilisaient des contraceptifs.
En 2010, 45 pour cent des femmes mariées utilisaient des contraceptifs modernes,
l’une des augmentations les plus rapides dans l’utilisation de contraceptifs jamais
enregistrée !
Pour l’ensemble des bailleurs de fonds qui interviennent aux côtés des
Etats africains dans ces domaines, derrière les problématiques de santé et de droit
des femmes, il y a cet objectif de maîtrise de la démographie.
Une partie de la maîtrise de la fécondité se joue en effet dans les
inégalités de rapport entre les hommes et les femmes. Il est emblématique que la
préservation des droits des femmes ait été au cœur des débats des Etats membres
- 34 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
des Nations unies lors de la conférence internationale sur la population et de
développement organisée au Caire en septembre 1994.
Fournir aux jeunes femmes des moyens de se prémunir contre des
grossesses précoces permet à nombre d’entre elles d’avoir une scolarité plus
longue, et, la fertilité chutant, d’accéder plus facilement au marché du travail.
La maîtrise de la fécondité se joue également dans la mise en place de
politiques nationales de planning familial et leur décentralisation au niveau local,
comme l’a souligné la conférence de Ouagadougou1, « Population, développement
et planification familiale en Afrique de l’Ouest : l’urgence d’agir » en février 2011,
qui a rassemblé les représentants de huit pays francophones d’Afrique de l’Ouest
(Bénin, Burkina Faso, Guinée, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Togo).
Les pays d’Afrique subsaharienne ont adopté des programmes de ce
genre, mais avec vingt ou trente ans de retard. Les résultats ont été décevants,
pour diverses raisons : multiplicité des problèmes auxquels les pays sont confrontés
(urgences obstétricales, forte mortalité maternelle et infantile, épidémie du sida),
mais aussi faible mobilisation des autorités, des sociétés civiles.
C’est un enjeu qui mobilise les bailleurs de fonds publics et privés
comment témoigne la tenue du Sommet pour la planification familiale organisé en
2012 par le Royaume‐Uni et la Fondation Bill & Melinda Gates, avec le Fonds des
Nations unies pour la Population auquel la France a participé. Ce sommet a
rassemblé plus d’une centaine de pays et d’institutions du Sud et du Nord avec
pour objectif de dégager les fonds et les méthodes pour permettre à 120 millions
de femmes supplémentaires dans les pays les plus pauvres d’accéder à la
contraception d’ici 20202.
La planification familiale constitue un axe fort de la stratégie française de
réduction de la mortalité infantile et maternelle et de lutte contre le VIH‐SIDA. Se
situant parmi les premiers contributeurs mondiaux, la France a pris l’engagement
de consacrer 100 millions d’euros supplémentaires entre 2011 et 2015 à la santé
reproductive en Afrique de l’Ouest, qui doit faire face à de nombreux défis en
matière de santé de la femme et de l’enfant.
Un exemple de projet est celui initié en 2002 par l’AFD en Mauritanie avec
l’appui de la Coopération française et du ministère de la Santé, consistant à mettre
en place un forfait obstétrical permettant à chaque femme enceinte qui paye une
faible cotisation d’assurer l’ensemble des soins liés à la grossesse, l’accouchement
et le suivi post‐natal.
Les ONG, tout comme les bailleurs publics, adoptent une approche globale
qui inclut les activités de planification familiale au sein de politiques plus larges
1
La conférence « Population, développement et planification familiale en Afrique de l’Ouest
francophone : l’urgence d’agir » relève d’une initiative conjointe de la France et des Etats‐Unis
visant à repositionner la planification familiale dans l’agenda des Etats de l’Afrique de l’Ouest
francophone.
2
Le Sommet pour la planification familiale du 11 juillet 2012 :
http://www.londonfamilyplanningsummit.co.uk/about.php
https://www.gov.uk/government/news/family‐planning‐london‐summit‐11‐july‐2012
CHAPITRE 1 : - 35 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
ayant trait à la santé de la reproduction : santé maternelle et infantile, maladies
sexuellement transmissibles, stérilité, inégalités hommes‐femmes, etc. Ainsi, une
organisation comme l’International Planned Parenthood Federation (IPPF), qui se
limitait à l’origine à une fédération d’associations de Planning familial présentes
dans plusieurs pays africains, s’occupe aujourd’hui de santé reproductive, de droits
des femmes, de lutte contre le SIDA, de maîtrise de la fécondité ou encore
d’éducation sexuelle des jeunes.
Au‐delà de la maîtrise de la fécondité, cette exceptionnelle dynamique
démographique sera, quel que soit son niveau, l’élément déterminant des
politiques publiques des Etats africains.
Même si les États africains parviennent à maîtriser l’évolution de la
fécondité, l’Afrique ne bénéficiera de ce fameux dividende démographique que si
des politiques publiques adaptées assurent aux populations une sécurité
alimentaire, un cadre de vie décent et, surtout, un investissement éducatif de
qualité et une insertion économique des travailleurs en surnombre
Le doublement des populations de ces pays qui est déjà acquise, imposera
ainsi aux Etats de prendre les mesures pour le développement d’agricultures plus
productives, d’infrastructures accessibles et par la mise en place de services publics
essentiels.
Mais, surtout, un enchaînement d’impacts positifs peut découler d’une
population active plus vaste, mieux éduquée, avec moins d’enfants à charge,
enfants qui seront à leur tour mieux éduqués et plus employables, à condition que
les institutions en charge de la jeunesse soient renforcées et que des politiques
économiques viables soient mises en place pour lutter contre le chômage des
jeunes.
B. UNE URBANISATION VERTIGINEUSE ENTRE VILLE ET BIDONVILLE
Cette dynamique démographique s’accompagne de dynamiques spatiales,
tant en termes de migration de population que d’urbanisation.
L’Afrique a longtemps été le continent le plus faiblement urbanisé de la
planète, c’est encore aujourd’hui le cas avec 35 % de citadins contre 80 % en
Amérique latine. En revanche, la dynamique d’urbanisation est en marche avec des
taux de croissance allant jusqu’à 35 % par an, comme l’illustre la carte suivante.
- 36 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Le taux d'urbanisation de l'Afrique est cependant déjà supérieur à celui de
l'Inde. Le continent compte aujourd'hui trois mégapoles, comme l'Inde, et presque
autant que l'Amérique latine, qui en a quatre, alors que la Chine en héberge le
double.
Quelque 400 millions d’Africains vivent en ville, soit près de 35 % de la
population, contre 3 % il y a un siècle.
CHAPITRE 1 : - 37 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
1. « L’exode rural est en marche »
L’Afrique rurale est en train de procéder à une vaste migration vers les
villes. Des centaines de millions de ruraux sont concernés.
En 2030, le continent comptera environ 760 millions de citadins (soit plus
que la population de l’ensemble de l’Europe), soit plus de la moitié de sa
population.
En 1950, il n’y avait aucune ville de plus de 1 million d’habitants en
Afrique subsaharienne. En 1960, seule Johannesburg atteignait ce seuil. Elles sont
53 actuellement; dans dix ans, elles seront plus de 70. A Kinshasa la population a
été multipliée par dix depuis 25 ans. Lagos a vu sa population multipliée par 40.
Le défi est à la dimension de l’Afrique. Selon les dernières projections de
l’ONU1, en 2050, les villes africaines accueilleront plus d’un milliard d’habitants !
2. Les villes : locomotives du développement ou chaudron urbain
L'histoire des villes nous enseigne que le même processus s'est répété sur
tous les continents: lors des révolutions industrielles et des phases de décollage
économique, les villes ont été les locomotives du développement territorial. Ce
phénomène est d'autant plus important dans une économie mondialisée. Shanghai
ou Séoul en sont de belles illustrations.
Dans les grandes métropoles du littoral ouest‐africain, comme Dakar,
Abidjan ou Lagos, les capacités d'attraction et de rayonnement, héritées d'un
positionnement géographique, géopolitique ou encore administratif
particulièrement favorable, commencent cependant à être sérieusement remises
en question par l'accumulation des dysfonctionnements résultant d'un urbanisme
désarticulé, d'un étalement non régulé et d'un retard en matière d'équipements
urbains, en particulier dans les infrastructures de transport.
Les grandes villes africaines sont encore loin d'être les moteurs
économiques qu'elles devraient devenir.
20 % des urbains disposent d’eau potable et
moins de 10 % ont accès à un réseau d’égouts.
C’est pourquoi, face à cette pression démographique, le développement
équilibré des villes et des territoires devra être placé au cœur des politiques
publiques.
1
United Nations, Department of Economic and Social Affairs, Population Division: World
Urbanization Prospects, the 2011 Revision. Final Report with Annex Tables. New York, 2012,
http://esa.un.org/unpd/wup/Documentation/final‐report.htm
- 38 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Une population qui double en trente ans et qui s'urbanise à grande vitesse
met nécessairement l'offre de services publics sous fortes tensions – des tensions
qui pénètrent au plus profond des sociétés et des systèmes politiques.
Imaginez qu’aujourd’hui, on estime que seuls 20 % des urbains disposent
d’eau potable et moins de 10 % ont accès à un réseau d’égouts.
Dans de nombreux pays, les autorités ont à faire face à de vastes
« chaudrons » urbains où une jeunesse pléthorique et sans emploi est susceptible
de poser des problèmes de sécurité d’une échelle inégalée.
Dans des villes riches comme le Cap, des quartiers entiers naissent et
croissent de 5 % par an dans la pauvreté et la tôle ondulée pour accueillir en
quelques décennies plusieurs centaines de milliers d’habitants.
A l’est du Cap, nous avons pu voir le long de la route vers la région de
Stellenbosch et de Franshhoek, la terre de Huguenots français, le « Town ship » de
Khayelitsha qui compterait plus d’un million d’habitants.
Ces milliers de cabanons juxtaposés, éclairés par de rares lumières
alimentées par des branchements pirates aux quelques poteaux électriques qui
surplombent une mer de tôles ondulées, sont devenus en quelques années des
villes, l’urbanisme en moins. Ces favelas africaines héritées de l’apartheid ont
grossi dans l’anarchie sans que les pouvoirs publics n’y puissent rien, sinon
accepter un urbanisme de la nécessité, sans schéma, ni direction, sans
infrastructure, ni réseau, sinon des rangées de toilettes préfabriquées : de
monstrueux synœcismes que rien ne semble pouvoir arrêter.
Mais on aurait tort de penser que l’Afrique du Sud a le monopole des
Township. A Kinshasa, la population a été multipliée par dix depuis 25 ans. Lagos a
vu sa population multipliée par 40. Ces villes, à l’instar d'Abidjan, de Nairobi ou de
Lagos, sont entourées de bidonvilles tentaculaires.
Comme l’a fait observer un responsable de la coopération française : « La
démographie de ce continent ne sera un atout que si elle ne se traduit pas par des
hordes de jeunes analphabètes campées dans des bidonvilles insalubres. ».
Dans les villes, la pauvreté s’accroît, même si, parfois, l'intense circulation
des biens et des hommes en atténue la rigueur. La ville constitue un fantastique
terreau pour une remise en cause et une réinterprétation de valeurs héritées, et
pour l'émergence de nouvelles valeurs. Une culture urbaine se forge peu à peu. La
ville favorise des processus d'individualisation propices à l'émergence de nouveaux
rapports sociaux et, peut‐être, à de nouveaux comportements économiques.
3. Urbanisme et aménagement du territoire : des politiques d’avenir
L’Afrique de demain se dessine dans les villes et aujourd’hui trop souvent
dans le chaos.
Face à cette pression démographique, le développement équilibré des
villes et des territoires devra être placé au cœur des politiques publiques.
Il s’agit de répondre aux questions d’aménagement du territoire, entre
milieu urbain et milieu rural, mais également en intra‐urbain, aujourd’hui marquées
par le dualisme entre la ville « structurée» et la ville « informelle», potentiellement
déstabilisateur pour l’avenir. Cette expansion des villes s’accompagne de
demandes croissantes en services, en infrastructures et en approvisionnement
alimentaire. Apporter des réponses à ces demandes permettrait aux villes de
constituer un atout majeur dans les dynamiques de développement, plutôt que de
cristalliser les frustrations d’une pauvreté et d’inégalités croissantes.
Pour faire face à ces mutations, les États et les collectivités ont mis très
longtemps à anticiper les besoins, mais aujourd’hui force est de constater que,
malgré des efforts encore très inégaux, les politiques de la ville s’organisent et les
plans d’aménagement et de développement urbain deviennent la règle.
Définition d’orientations stratégiques de la part des États et des autorités
locales, élaboration de politiques foncières, de normes et de règles de
constructions réalistes, mise en œuvre de plans directeurs… Les gouvernements (et
les collectivités locales lorsqu’elles y sont associées) font de l’aménagement et du
développement urbain une priorité.
Les investissements, publics et privés, sont considérables, logements,
infrastructures de base (pour l’approvisionnement en électricité et en eau,
l’assainissement), équipements publics, routes, ponts, immeubles d’affaires,
programmes résidentiels pour la diaspora, le tourisme, etc.
Ces politiques ne sont plus exclusivement centrées sur les capitales, mais
élargies à leur agglomération et déclinées à l’échelle des villes plus petites. À
l’instar du modèle sud‐africain, l’idée de métropolisation fait en effet son chemin
(après le Grand Casa ou le Grand Dakar s’ébauchent les plans du Grand Alger, du
Grand Abidjan, du Grand Libreville…).
Enfin, longtemps oubliées dans les schémas globaux, les villes moyennes
s’aménagent elles aussi, s’équipent et se relient les unes aux autres. Une tendance
plutôt inspirée, sachant que la moitié des citadins du continent vit dans des villes
de moins de 200 000 habitants et que c’est au sein de ces dernières, selon les
projections de l’ONU‐Habitat, qu’est attendue la majeure partie de la croissance
urbaine en Afrique dans les dix prochaines années.
Ces politiques s’articulent dans le meilleur des cas autours de trois axes.
D'abord, réguler et maîtriser la croissance urbaine à la source, celle de
l'exode rural, par des politiques d'aménagement du territoire renforçant les villes
moyennes, afin de répartir l'expansion urbaine en différents points.
Ensuite, poursuivre et amplifier l'équipement et la modernisation des
infrastructures de communication et de transport, des réseaux de fourniture
- 40 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
d'énergie, et continuer également à sécuriser le cadre d'action des opérateurs, qu'il
s'agisse de l'accès au foncier constructible, de la réglementation administrative et
fiscale ou de la justice.
Enfin, reconnaître l'enjeu du développement économique urbain comme
prioritaire au sein des politiques nationales, mobiliser les grands bailleurs de fonds
sur des programmes de développement intégrés, associer davantage les acteurs
économiques et démultiplier à l'échelle de chacune des grandes villes les cadres de
concertation entre les autorités publiques et le secteur privé existant au niveau
national.
La prise de conscience des enjeux au niveau des bailleurs de fonds est
réelle. Le développement urbain occupe désormais une place centrale dans les
politiques de développement des principaux bailleurs.
Les engagements de la Banque mondiale dans le secteur, en faveur des
pays les plus pauvres par l’intermédiaire de l’Association internationale de
développement (AID), ont ainsi considérablement augmenté ces dernières années.
D’une moyenne de 0,6 milliard de dollars sur la période 2003‐2007, ils ont presque
triplé pour s’établir à 1,6 milliard de dollars sur la période 2008‐2012. La Banque
mondiale finance les services de base, le logement, les infrastructures,
l’assainissement des lotissements précaires, la gouvernance municipale,
l’amélioration et l’adaptation environnementale, le développement économique
local.
Dans ce domaine, la France engage depuis longtemps des coopérations,
forte de son expérience en matière d’urbanisme et de décentralisation. Ces projets
sont soutenus au niveau national notamment par l’AFD et, au niveau local, par les
très nombreuses initiatives de coopération décentralisée avec des collectivités
locales ou des syndicats mixtes.
L’AFD finance des projets de politiques publiques d’accompagnement en
faveur des populations les plus vulnérables des villes afin de leur offrir un accès aux
services de base essentiels (eau, logement, électricité, transport, santé, éducation)
et de soutien aux activités économiques (politique de l’habitat, marchés, gares,
zones commerciales et industrielles, etc.).
En 2012, les projets liés aux infrastructures et au développement urbain
représentaient un tiers des autorisations de financement accordées par l’AFD en
Afrique subsaharienne, devant des secteurs comme l’agriculture, l’éducation ou la
santé.
Ces projets se font en collaboration avec les Etats centraux, mais aussi les
collectivités territoriales.
Au cours des vingt dernières années, le transfert de compétences au
niveau local s’est accentué dans les pays en développement, dans le but de
rapprocher pouvoirs politiques et populations. Les collectivités locales deviennent
des interlocuteurs privilégiés en matière de politique de développement. Le rôle de
l’AFD est alors d’accompagner ces collectivités dans la maîtrise de leurs territoires,
en adoptant une approche globale qui prend en compte les principales fonctions de
CHAPITRE 1 : - 41 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
C. UNE JEUNESSE ENTRE ESPOIR ET RÉVOLTE
Avec près de 200 millions d’habitants âgés de 15 à 24 ans, l’Afrique
possède déjà aujourd’hui la population la plus jeune du monde1.
Une nouvelle Afrique qui n’aura connu ni la colonisation, ni la
décolonisation est en train de naître. Ainsi au Niger, un habitant sur deux à moins
de 15 ans et les personnes âgées de 60 ans et plus n’y représentent que 4% de la
population.
Cette Afrique‐là qui est née avec la télévision, Internet et les mobiles ne
regardera pas le monde de la même façon que les générations d’hier. Cette
Afrique‐là aura de ce fait un regard différent de nos continents en voie de
vieillissement.
Les chiffres parlent d’eux‐mêmes. La part des jeunes de moins de 15 ans y
représente 40 % de la population totale, contre 27 % dans l’ensemble de la
population mondiale. La jeunesse africaine de moins de 25 ans constitue plus de
50 % de la population du continent, alors que, dans plusieurs pays d’Europe, ils ne
représentent que 17% de la population.
1. 50 % des Africains ont moins de 25 ans
1
L'emploi des jeunes ‐ Perspectives économiques en Afrique, OCDE, 2012,
http://www.africaneconomicoutlook.org/fr/in‐depth/Emploi_des_Jeunes/
- 42 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Cette jeunesse explique les besoins des pays africains en matière de
formation, d’éducation et de santé. Elle détermine également les conditions
d’exercice de la vie politique dans des pays où l’essentiel de l’opinion publique est
composé de jeunes de moins de 25 ans.
Cette jeunesse‐là, née dans les années 90, est nécessairement partagée
entre tradition portée par leurs parents et la modernité véhiculée par la télévision
et par Internet.
Comme dans beaucoup de pays en développement, la jeunesse africaine
vit de plein fouet les mutations des sociétés traditionnelles où meurt le vieil ordre
alors que le nouveau ne parvient pas à éclore. Dans cet interrègne, la jeunesse est
CHAPITRE 1 : - 43 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
ballottée entre les croyances traditionnelles et la foi dans la technologie
occidentale, entre les rites et les cyberespaces, entre le village et la ville.
De nombreuses études soulignent une jeunesse en quête d’identité dans
un « entre deux » qui explique des épisodes violents entre refondation identitaire
et combats démocratiques.
Cette jeunesse est l’avenir de l’Afrique, non seulement parce qu’elle va
accroître les effectifs des forces actives en âge de travailler et de consommer, et
qui constituent le moteur de la croissance économique, mais également parce
qu’elle est de plus en plus éduquée.
Partout, en effet, malgré les insuffisances des systèmes éducatifs, le
niveau d’instruction progresse.
Depuis une dizaine d’années, des progrès considérables ont été faits en
termes d’accès à l’école primaire. L’Afrique subsaharienne a enregistré les résultats
les plus importants ces dix dernières années. Entre 1998 et 2009, l’effectif scolarisé
a augmenté de 31% (soit 58 millions d'élèves supplémentaires). En dépit de ces
résultats, 1/4 des enfants qui devraient être à l’école n'est toujours pas scolarisé.
C’est désormais aux autres cycles d’enseignement qu’il faut améliorer l'accès,
notamment le cycle secondaire. Seuls 34% des enfants y parviennent à l'heure
actuelle malgré des progrès continus.
D’après les tendances actuelles, en 2030, 59 % des 20‐24 ans auront reçu
un enseignement secondaire, contre 42 % actuellement. On aura donc, pour cette
tranche d’âge, 137 millions de jeunes diplômés du secondaire et 12 millions du
tertiaire. Même si de graves problèmes de qualité demeurent, cette tendance
créera des opportunités uniques pour le développement économique et social.
Cette jeunesse est une opportunité mais aussi un défi redoutable. Elle
porte l’avenir, préfigure le futur, concentre les anciens espoirs et les nouveaux
défis. Elle est, selon la formule de M. Ramtane Lamamra, Commissaire pour la Paix
et la Sécurité de l’Union Africaine rencontré à Addis Abéba, « un atout et un talon
d’Achille ».
2. Une opportunité mais aussi un défi redoutable
L’absorption par le marché du travail de cette jeunesse exigerait selon
l’OCDE des taux de croissance de l’économie non pétrolière de l’ordre de 6 à 7 %
pendant plus d’une décennie.
Le maintien des taux actuels de chômage chez les jeunes, qui s’élèvent
dans certains pays à 40 %, fait courir des risques très importants. Si l’Afrique ne
parvient pas à créer des opportunités économiques et d’emplois suffisantes pour
offrir des conditions de vie décentes à ces centaines de millions de jeunes, la
cohésion sociale et la stabilité politique s’en trouveront fragilisées.
La première conséquence de cette situation est aujourd’hui l’extrême
pauvreté d’une partie de la jeunesse africaine. D’après le Programme des Nations
- 44 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
unies pour le développement (PNUD), 72 % des jeunes Africains vivent avec moins
de 2 dollars (USD) par jour.
Le chômage, la pauvreté qui en découle mais aussi l’élévation du niveau
de formation et l'effacement des valeurs traditionnelles conduisent nombres de
jeunes à se révolter contre l’autorité de leurs aînés.
Comme l’a souligné devant le groupe de travail M. Maurice Enguéléguélé,
Coordonnateur des Programmes IAG (Institut africain de la gouvernance), « on a vu
ce processus à l’œuvre dans le Maghreb : l'inversion des pyramides des âges, le fort
taux de scolarisation couplé à celui de jeunes diplômés non ou sous‐employés et un
accroissement des inégalités génèrent des mouvements sociopolitiques, mais il n’est
pas moins présent en Afrique subsaharienne même s’il n’a pas donné les même
résultats ».
Au Sénégal, par exemple, lors de l’élection présidentielle de 2012, la
mobilisation des jeunes qui s’est multipliée à Dakar et dans les centres urbains a
joué un rôle important dans la défaite d’Abdoulaye Wade, sur lequel les jeunes
avaient fondé leurs espoirs en 2000.
Les jeunes urbains ont été les acteurs principaux de ces expressions
protestataires, investissant d’une manière nouvelle l’espace public et la scène
médiatique. Le collectif « Y’en a marre » (YEM) créé par un journaliste et plusieurs
rappeurs, qui porte un projet de « conscientisation citoyenne » et de
« remoralisation de l’espace politique », a connu un essor spectaculaire.
On a pu voir en Côte d’Ivoire, au cours de la dernière décennie, la face
sombre de cette mobilisation et de son instrumentalisation possible à travers le
mouvement des « Jeunes patriotes », relayant souvent des doctrines intolérantes
et xénophobes. A contrario, le mouvement YEM a fait montre à plusieurs reprises
d’une importante capacité de mobilisation pacifique, notamment dans ses appels à
l’inscription sur les listes électorales et dans sa définition du « nouveau type de
Sénégalais ».
En Afrique du sud on se souvient des «jeunes lions» héroïques qui furent
les précurseurs de la démocratie et de la fin de l’apartheid.
Cette capacité de rébellion s’incarne cependant dans une réalité parfois
plus cruelle. Cette jeunesse en colère instrumentalisée participe aux luttes armées
et contribuent à l’instabilité du continent.
Rappelons‐nous dans les années quatre‐vingt des enfants‐soldats du
Mozambique et de la Sierra Leone, quintessence même de la désintégration civile.
Et comment ne pas remarquer la jeunesse des mouvements rebelles qui sont
illustrés ces dernières années en Centrafrique, au Mali ou en RDC. En témoigne la
Seleka qui vient de renverser le Président Bozizé en Centrafrique composée pour
une large part de jeunes. En témoigne, au Mali, Ansar Eddine, le Mujao et Al‐Qaida
au Maghreb islamique (AQMI), qui ont recruté, entraîné et utilisé plusieurs
centaines de jeunes et d'enfants au sein de leurs forces depuis le début de
l'occupation du nord du Mali, mais aussi en République démocratique du Congo,
CHAPITRE 1 : - 45 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
dans le Nord‐Kivu, où des milliers de garçons et filles déscolarisés ont rejoint,
généralement contre leur gré, les rangs des groupes armés.
Il ne s’agit pas seulement d’exemples ponctuels, mais d’un vaste
mouvement qui touche la majeure partie des États africains où l’absence d’emploi
des jeunes constitue désormais un des principaux risques pour la stabilité des pays.
Ainsi la Banque mondiale, dans un rapport consacré au lien entre conflits,
sécurité et développement sur l’ensemble du continent, souligne à l’issue de
nombreuses études de terrain qu’« une cause majeure du ralliement des jeunes à
un mouvement rebelle ou un gang urbain qui revient systématiquement dans les
enquêtes d’opinion est le chômage. »1. Parmi les jeunes qui rejoignent un
mouvement d’insurgés, un sur deux déclare que le chômage constitue sa principale
motivation.
L’enrôlement des jeunes dans des mouvements rebelles conduit
inévitablement à l’utilisation des enfants dans les conflits armés. Les images de ces
jeunes nombreux, pauvres, désœuvrés et donc dociles, du Libéria ou du Congo,
condamnés par des chefs de guerre sans merci à se faire chair à canon le temps
d'une campagne militaire, sont devenues des images récurrentes d’une Afrique en
déshérence.
L’année 2012 marque le dixième anniversaire de l’entrée en vigueur du
Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant
l'implication d'enfants dans les conflits armés. Mettre un terme à l’utilisation
d’enfants, tant par les forces armées gouvernementales que par les groupes armés
non‐étatiques, est malheureusement, encore aujourd’hui en Afrique, un défi.
3. L’emploi des jeunes au cœur de la stabilité du continent
De leur déplacement en Afrique, les membres du groupe de travail ont
retiré la conviction largement partagée que s’ils ne modernisent pas rapidement
leur économie, les pays africains risquent de gaspiller l’immense potentiel qu’offre
leur population jeune.
Avec la forte croissance démographique de l’Afrique et la compression
nécessaire du secteur public dans de nombreux pays, un secteur privé vigoureux
constitue la principale source d’emplois pour les jeunes.
L’incapacité de la croissance forte de cette décennie en Afrique à créer des
emplois en nombre suffisant constitue de loin le plus grand obstacle auquel sont
confrontés les jeunes Africains aujourd’hui.
Pour maximiser l’impact sur l’emploi des jeunes d’une croissance plus
vigoureuse du secteur privé et de l’économie, il faut mettre en œuvre des mesures
adaptées reposant sur une bonne compréhension des problèmes que rencontrent
1
Rapport sur le développement dans le monde, Conflits, sécurité et développement, Rapport sur le
développement dans le monde 2011. Banque internationale pour la reconstruction et le
développement / Banque mondiale. : wdronline.worldbank.org/worldbank/a/langtrans/3
- 46 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
les jeunes qui veulent trouver un emploi décent et le conserver. L’éducation, la
formation professionnelle, l’université et la recherche devront faire l’objet d’une
priorité massive et déterminée. L’accès à la culture, l’élargissement des
opportunités personnelles, le développement des capacités collectives et leur
adaptation à l’économie en découleront.
Dans de nombreux Etats africains, la crise de l’Etat va de pair avec la perte
de confiance dans le capital scolaire comme garantie d’un avenir meilleur. Certes,
la plupart de ces jeunes rêvent de poursuivre des études mais une complainte
revient fréquemment : « plus on a de diplômes, moins on trouve de travail ».
L’inadéquation de plus en plus flagrante entre les systèmes d’enseignement et les
besoins réels des économies africaines méritent d’être soulignée. L’abandon des
secteurs sociaux par les bailleurs de fond dans les années 1990 fut de ce point de
vue une regrettable erreur.
Sur ces sujets, la France a une expertise, notamment dans le domaine des
formations professionnelle et universitaire, dans une langue qu’elle partage avec
une grande partie de l’Afrique. Dans ce domaine, l’AFD, notamment, soutient la
mise en place de centres de formation demandés par les pouvoirs publics africains
et dédiés aux secteurs productifs moteurs des économies nationales impliquant
directement les branches professionnelles concernées.
Il y a, à l’évidence, dans ces domaines, un intérêt partagé pour une
coopération plus intense : les pays africains qui voudraient bénéficier du savoir‐
faire français, la France qui aimerait former des enseignants et des institutions plus
enclines à regarder vers l’Hexagone.
La question de la jeunesse n’est, enfin, pas seulement une question sociale
ou économique, mais également une question politique.
La sous‐représentation des jeunes dans toutes les instances de décision
économique ou politique est frappante dans un continent dont 50 % de la
population a moins de 25 ans.
Dans tous les pays dans lesquels le groupe de travail s’est rendu, la
jeunesse africaine aspire à prendre sa part de responsabilité dans la vie politique.
Elle rejette le statut d’immaturité sociale dans lequel elle se sent enfermée. Elle
revendique sa part de gestion des affaires publiques.
La Capacité de mobilisation de la jeunesse
africaine crée un nouveau contexte politique
Paradoxalement, cette jeunesse africaine cherche moins à refaire le
monde qu’à y trouver sa place. Elle se méfie des utopies sans lendemain dont elle
paraît se lasser. Comme l’a souligné Richard Banégas devant le groupe de travail,
« cette jeunesse aspire avant tout à être une consommatrice de la mondialisation
et à se construire individuellement un parcours de réussite sociale. Bill Gates
exerce sur elle plus de fascination que Che Guevara ».
Les jeunes Africains veulent gagner de l’argent, partir à l’étranger, revenir
au pays, monter une entreprise, etc. Ils n’attendent pas grand‐chose de l’Etat, juste
CHAPITRE 1 : - 47 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
qu’il leur donne les moyens d’une réussite qui sera d’abord une trajectoire de
réussite individuelle.
La disqualification de l’action de l’Etat et des idéologies politiques a par
ailleurs favorisé le foisonnement religieux auprès des jeunes. Au Sénégal où l’islam
a été un élément essentiel de la stabilité politique et sociale reposant sur ce qu’on
a nommé le « contrat social sénégalais », qui organise depuis la période coloniale
des relations de type clientéliste entre l’Etat et les grandes confréries musulmanes,
on constate l’investissement nouveau par une partie de la jeunesse urbaine des
confréries religieuses de l’islam soufi comme nouveaux modèles de référence et
espaces de réalisation de soi.
Au Mali qui est depuis l’indépendance une république laïque, l’islam
malékite, traditionnellement modéré et tolérant, s’est vu concurrencé par des
groupes « réformistes » wahhabites et salafistes, notamment sous l’influence de
missionnaires venus du Pakistan et du Golfe. Un nombre croissant de jeunes en
quête de repères et sensibles à leurs actions humanitaires et sociales, ont ainsi
rejoint différents mouvements radicaux comme la secte fondamentaliste Dawa ou
des organisations non gouvernementales comme le Croissant rouge qatari ou
Qatar’s charity.
Une même effervescence existe en Afrique dans l’orbite des « Eglises du
Réveil » pentecôtistes, avec parfois une grande similarité dans les méthodes de
prédication et dans la conception de la « réalisation de soi » avec les mouvements
islamistes.
Au fond, la majorité des jeunes Africains des villes demande avant tout,
comme leurs cousins du Maghreb, la liberté et la justice, le respect et la dignité.
L’ensemble de ces processus fait de la jeunesse un élément structurant de
l’avenir de l’Afrique.
A l’heure où la France tente de redéfinir ses relations avec le continent,
l’enjeu de demain réside précisément dans la capacité que l’on aura de renouer le
dialogue avec les jeunesses africaines qui se tournent actuellement vers d’autres
pays. La France doit savoir parler à cette jeunesse qui suit par ailleurs avec passion
le championnat français de football.
Pour beaucoup, en particulier en Afrique francophone, la France reste une
référence. D’abord parce que de nombreux concitoyens y habitent, ensuite parce
qu’une partie d’entre eux souhaite y étudier ou commencer leur vie
professionnelle, enfin parce que notre pays reste une référence d’émancipation, de
culture et des droits de l’homme. Certains, cependant, dans la jeunesse
francophone, ont le sentiment d'être délaissés, voire de ne pas être payés en
retour de cette polarisation vers une France en repli, à la politique d’accueil des
étudiants restrictive.
La France a pris le risque réel que les jeunes générations se détournent
d’elle pour rejoindre de nouveaux partenaires. Notre diplomatie a depuis
longtemps identifié cet enjeu. Chacun se souvient du 23e sommet Afrique‐France
- 48 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
II. UNE TRANSFORMATION RAPIDE, DES SOCIÉTÉS SOUS TENSION
A l’horizon 2050, le doublement de la population africaine, avec un
milliard d’habitants supplémentaire, aura des conséquences majeures sur un
environnement jusqu’ici préservé et un marché du travail qui devra accueillir des
dizaines de millions de nouveaux arrivants chaque année.
À eux seuls, ces deux facteurs auront à leur tour un impact sur les
mouvements migratoires, d’abord en Afrique, puis en dehors du continent,
notamment en Europe.
A. UNE PRESSION SUR L’ENVIRONNEMENT SANS PRÉCÉDENT
1. Un modèle de croissance verte n’est pas un luxe pour l’Afrique
Comme l’écrit Nasser Zammit dans un ouvrage intitulé L’Afrique et la
question environnementale 1 : « L’Afrique est le continent de la pauvreté. Cela se
traduit par le fait que sa consommation en ressources naturelles est de loin la plus
faible du monde ».
Cette situation est en passe de changer.
L’empreinte écologique de l’Afrique a augmenté, selon la Banque Africaine
de développement, de 240 % entre 1961 et 20082 – résultat de l’accroissement des
populations et de la progression de la consommation par habitant. Certaines des
dégradations de l’environnement qui en résultent sont particulièrement visibles,
comme l’assèchement du Lac Tchad dont la surface a diminué de 90 % depuis les
années 60.
Qui a traversé les villes africaines et leurs alentours sait que, bien souvent,
les sacs plastiques et les immondices jonchent le paysage. Nous avons parcouru la
lagune d’Abidjan qui était autrefois la fierté des Ivoiriens et qui est aujourd’hui un
cloaque qui a pollué jusqu’aux nappes phréatiques qui alimentaient hier la capitale.
À l’avenir, et en supposant que les contraintes de ressources ne limitent
pas la croissance, l’empreinte écologique de l’Afrique devrait doubler à l’horizon
2040.
1
L’Afrique et la question environnementale, Nasser Zammit, Editions Connaissance et savoirs, 2012.
2
Stratégie de la BAD pour la période 2013‐2022
- 50 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Les économies africaines sont en effet avant tout orientées vers
l’exploitation de ce capital naturel, qu’il s’agisse de l’agriculture, de la pêche ou de
l’exploitation des ressources minérales et pétrolières.
Le dernier rapport de l’OCDE sur les perspectives économiques de
l’Afrique en 2013 témoigne : « Toutes catégories confondues, les ressources
naturelles (produits agricoles de base, bois d’œuvre, métaux, minerais et
hydrocarbures) contribuent à hauteur d’environ 35 % à la croissance de cette région
depuis 2000. Les matières premières et produits semi‐transformés ont constitué
quelque 80 % des exportations de l’Afrique en 2011, contre 60 % au Brésil, 40 % en
Inde et 14 % en Chine. De même, l’essentiel de l’investissement direct étranger (IDE)
en Afrique a été consacré à des activités liées aux ressources naturelles. »1
Cette incroyable richesse de la nature africaine dans ses sols et ses sous‐
sols est un des atouts du continent qui est aujourd’hui exploité sans avoir toujours
en tête sa durabilité.
Cette situation n’est pas près de changer tant la croissance
démographique, l’exode rural, le développement économique vont inévitablement
accentuer la pression sur les ressources naturelles des pays africains.
L’Afrique ne doublera pas sa population sans bouleverser son équilibre
écologique. Il est d’ailleurs compréhensible qu’à l’instar de l’Europe le
développement des activités économiques et des villes conduise à empiéter sur la
nature. « On ne peut pas refuser à l’Afrique son décollage économique sous
prétexte de préserver la nature ». L’enjeu est de faire en sorte que cette croissance
économique ne s’effectue pas trop au détriment de la durabilité des ressources
naturelles.
Cette situation est enfin en passe de changer parce que le développement
de la demande de matières premières de la part des pays développés et des pays
émergents est de nature à bouleverser la donne. Comme le disent Jean‐Michel
Severino et Olivier Ray : « L’Afrique entreprend son décollage à l’heure où
l’humanité découvre la finitude de la planète »2.
Dans de nombreux domaines, les marchés des matières premières
commencent à montrer des signes de tension, signes d’un décalage croissant entre
l’offre et la demande, voire d’une pénurie. L’Afrique constitue de ce fait une
réserve déterminante, notamment pour de nombreux minerais rares. Les pays
occidentaux et émergents ne s’y trompent pas et investissent massivement dans
ces secteurs avec des méthodes d’extraction qui ne seraient souvent pas tolérées
dans leur pays.
Dernier facteur : le changement climatique. Le continent africain apparaît,
nous le verrons, comme l’un des plus vulnérables au changement et à la variabilité
climatiques.
1
Les perspectives économiques de l’Afrique, OCDE, 2013
2
Le temps de l’Afrique, Jean Michel Severino, Olivier Ray
CHAPITRE 1 : - 51 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
Ces quatre facteurs : concentration de la croissance sur le secteur
primaire, décollage démographique et économique, croissance de la demande
mondiale dans un contexte de pénurie et changement climatique vont exercer dans
les 30 ans une pression considérable sur l’environnement.
Et nous n’en sommes qu’au début. Comme le souligne le dernier rapport
de l’OCDE : « La comparaison avec d’autres régions montre qu’une grande partie du
potentiel de ce continent reste inexploitée ».
La préservation de l'environnement est parfois présentée comme un luxe
dans un continent qui doit avant tout se développer. Mais les périls climatiques,
l’épuisement des sols, la pollution des villes et des sous‐sols constituent autant
d'hypothèques sur la croissance économique de l'Afrique.
Là où d'autres sociétés rencontrent la crise environnementale à un
moment où elles disposent des ressources pour y faire face, l'Afrique y est
confrontée sans avoir encore les moyens d’y faire face. Le continent africain, moins
bien doté en moyens financiers, humains, techniques et institutionnels, devra
payer un prix supérieur encore. La protection de l'environnement et l'adaptation à
la crise environnementale globale ne sont donc pas un luxe de pays développés,
mais une question essentielle pour l’avenir du continent.
2. Un capital en ressources naturelles érodé par la démographie
Une des principales ressources naturelles de l’Afrique est l’étendue de son
couvert forestier et, notamment, les 220 millions d’hectares de forêt tropicale du
bassin du Congo. La forêt africaine joue un rôle essentiel tant dans la préservation
du climat que dans le maintien de la biodiversité.
Un couvert forestier menacé
Ces forêts constituent le deuxième massif forestier tropical du monde
après l’Amazonie. Elles abritent la plus importante biodiversité d’Afrique : près de
10 000 espèces de plantes, 400 espèces de mammifères, dont les fameux grands
singes, et 1 000 espèces d’oiseaux. Partagé entre six pays d’Afrique centrale, le
bassin du Congo compte 80 millions d’habitants, pour lesquels il est une source
d’énergie et d’alimentation essentielle.
Or ces forêts africaines font face à de multiples menaces : pressions
démographiques, agriculture, activités minières, urbanisation, déforestation,
autant de facteurs qui pèsent sur sa conservation et sur celle de toutes les espèces
animales qu’elles abritent.
Entre 2000 et 2010, ce continent a déjà perdu 4 millions d’hectares de
forêts par an, « ce qui représente près d’un tiers de la superficie déboisée dans le
monde », selon la FAO1. La conversion des zones forestières en zones d’agriculture
permanente est la cause principale de ce déboisement.
1
Evaluation des ressources forestières mondiales 2010, FAO
- 52 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Le taux annuel moyen de déforestation en Afrique était de plus du triple
de la moyenne mondiale. La déforestation est très rapide en Afrique de l’Ouest et à
Madagascar, mais c’est également un phénomène réel en Afrique centrale. En
Afrique de l’Ouest, près de 80 % des forêts denses humides vierges ont été
défrichées, et les poches de forêts restantes se sont sérieusement dégradées.
Aujourd’hui, l’Afrique ne représente plus que 16% de la superficie
forestière mondiale. Un pourcentage qui pourrait encore baisser à l’avenir. « Les
pertes de forêts devraient se poursuivre au rythme actuel. La demande croissante
de denrées alimentaires et d’énergie ainsi que la hausse de leurs prix aggraveront
la situation », prévoit la FAO.
Les défis environnementaux pèsent également sur le sort des forêts
africaines. Sécheresses, inondations, diminution des ressources en eau… Le
changement climatique devrait entraîner un besoin d’expansion des zones de
pâturage. Et de plus en plus d’Africains vont avoir recours au bois de feu pour se
chauffer.
Jusqu’au milieu des années 1980, les politiques forestières nationales
permettant une exploitation à bas prix du capital forestier se sont accompagnées
d’un gaspillage de la ressource et d’impacts importants sur l’environnement. Aux
usages traditionnels de la forêt dense, se sont ajoutées l’agriculture d’exportation,
les plantations de café, cacao et autres produits tropicaux qui ont largement
entamé les forêts d’Afrique de l’Ouest.
Le bois de feu est la principale source d'énergie des populations des pays
en développement. Le bois représente 80 % de la consommation énergétique
totale dans les pays africains et l'Afrique est le seul continent où la consommation
de bois énergie devrait continuer à s'accroître dans les prochaines décennies. Les
forêts, et principalement les forêts périurbaines, jouent un rôle déterminant dans
la fourniture de bois de feu et de charbon. De ce fait, la récolte de bois de feu a un
impact majeur sur la déforestation et la dégradation dans les zones densément
peuplées.
En raison de la limitation persistante de l'accès à des technologies
agricoles améliorées, les paysans continuent à pratiquer une exploitation itinérante
dans la grande majorité des communautés d'Afrique tropicale. Ce type d'agriculture
s'est maintenu en symbiose avec l'écosystème pendant des siècles. Elle est
devenue problématique à mesure que les périodes de jachère ont été réduites pour
répondre aux besoins accrus de terres arables afin d'augmenter la production
agricole, entraînant un déclin de la régénération des arbres, de la fertilité des sols
et des rendements agricoles. C’est ainsi le cas dans certaines régions de
Madagascar, où la déforestation affecte les écosystèmes de l’île, provoquant des
glissements de terrain meurtriers et perturbant les régimes de précipitations.
En l’absence d’amélioration des systèmes de production alimentaire au
profit de ces communautés, les menaces que ces systèmes font peser sur les forêts
augmenteront immanquablement à l'avenir.
CHAPITRE 1 : - 53 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
Or, dans un contexte de raréfaction des ressources pétrolières, l’utilisation
et la valorisation économique des ressources renouvelables issues des forêts
redeviennent un enjeu majeur. D’après la FAO, la forêt humide reculerait en
moyenne d’environ 1 % par an, plus rapidement en Afrique occidentale qu’en
Afrique centrale. Là encore, la situation est très contrastée selon les pays et selon
les régions.
Le défi consiste donc à concilier préservation de cet espace naturel et
développement économique, en privilégiant une gestion durable de ces forêts.
De nombreuses initiatives ont été prises aux niveaux national et
international pour mieux encadrer les exploitations forestières. Toutefois la
capacité des États à faire respecter les réglementations demeure très inégale, en
particulier dans les États en crise comme en Côte d’Ivoire ou en RDC.
Le programme des Nations unies pour la réduction des émissions liées à la
déforestation et la dégradation des forêts, dit REDD+ devrait contribuer à aider ces
États à promouvoir une exploitation des forêts compatible avec un développement
durable.
Ce programme, auquel s’associe la Banque mondiale à travers son Fonds
de partenariat pour le carbone forestier (FCPF), prévoit de réduire de moitié la
destruction des forêts des pays en développement à l’horizon 2020.
Le but est notamment de donner une valeur financière au carbone stocké
dans les forêts, en incitant les pays en développement à réduire leurs émissions et
investir dans des technologies à faibles émissions de carbone pour un
développement durable. Au Sud‐Est du Kenya, le projet du Couloir de Kasigau,
lequel se situe entre deux parcs nationaux, protège 200 000 hectares de forêts
sèches et préserve biodiversité et vie sauvage. Depuis 2009, la population locale
bénéficie de la vente de crédits carbone par les partenaires privés du projet.
La France, là encore, est très présente, via l’Agence française de
développement et le Fonds français pour l’environnement mondial. Elle contribue
notamment à la gestion durable des forêts du Bassin du Congo dans une démarche
de coopération triangulaire entre l’Amazonie brésilienne, les partenaires africains
et français sur ces sujets.
- 54 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Les ressources halieutiques surexploitées
L’Afrique dispose d’environ 37 500 km de côtes, avec un nombre varié de
zones de pêche marines et d’écosystèmes, y compris des récifs coralliens, des
mangroves marécageuses, des estuaires, des zones humides côtières et des rivages
rocheux. Le continent dispose également de nombreuses zones de pêche
intérieures. Il ressort des données disponibles que les zones de pêche à travers le
monde, y compris en Afrique, s’épuisent à des taux pouvant faire penser à
l’épuisement de toutes les zones de pêche marines d’ici à 2060.
Selon les estimations, au moins 70 % des réserves halieutiques sont soit
pleinement exploitées, soit surexploitées, soit encore en cours de reconstitution
après leur épuisement. En Afrique, la plus grave menace pour la durabilité a été la
surexploitation des ressources halieutiques dans le cadre de la pêche artisanale, de
la pêche à petite échelle et surtout de la pêche industrielle. Dans bon nombre de
cas, les prises dépassent les niveaux viables de rendement. Dans la plupart des
zones, la règlementation de la pêche s’est révélée difficile, et les ressources
halieutiques locales se sont épuisées.
Les Etats africains manquent bien souvent de capacités techniques en vue
de négocier sur un pied d’égalité avec leurs partenaires, notamment l’Union
européenne. Par ailleurs, beaucoup de propriétaires de chalutiers étrangers n’ont
pas conclu d’accords avec les pays côtiers africains et pêchent illégalement dans
leurs eaux territoriales. Ces chalutiers, originaires surtout d’Europe de l’Est et de
l’Ouest et d’Extrême‐Orient, opèrent pour l’essentiel sans contrôle, étant donné
que peu d’États côtiers disposent d’avions et de navires à même de lutter contre
les intrusions.
En 2002, le Sommet de la Terre de Johannesburg s’engageait en faveur de
la création d’aires marines protégées à l’horizon 2012. L’objectif de 10% d’aires
marines protégées est aujourd’hui reporté à 2020. En 2005, la Banque mondiale
crée PROFISH, un programme mondial sur les pêches durables. Au sein de ce
programme, notons la création d’un fonds d’investissement pour des pêches
durables dans les grands écosystèmes marins en Afrique Subsaharienne, un projet
initié de manière conjointe avec le Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM).
PROFISH reçoit aujourd’hui des dons de l’Organisation des Nations unies pour
l'alimentation et l'agriculture, de la Banque mondiale, et de pays comme la
Norvège, la Finlande, l’Islande, le Japon ou encore la France.
La France est en effet très impliquée dans la préservation des ressources
halieutiques. C’est un enjeu de premier plan en Afrique de l’Ouest, où la pêche
représente un secteur très important à l’exportation, notamment au Sénégal.
La France soutient le Réseau des aires marines protégées d’Afrique de
l’Ouest, créé en 2002 par les Etats de la région avec le soutien des ONG. Depuis
CHAPITRE 1 : - 55 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
2008, des subventions de 1,6 et 5 millions d’euros sont versées respectivement par
le Fonds Français pour l'Environnement Mondial (FFEM) et l’AFD.
A l’est du continent, au Mozambique, l’AFD et le FFEM ont appuyé la
création en 2002 du parc national des Quirimbas au Mozambique (5,2 millions
d’euros à eux deux), un projet qui a également bénéficié de l’appui d’ONG
(notamment du WWF). La France est également présente comme « voisin de
l’Afrique » avec le parc naturel marin des Glorieuses à Mayotte, au milieu du canal
du Mozambique, qui nécessite une surveillance d’autant plus forte qu’il est situé
dans une zone particulièrement prisée par les pirates.
La gestion de l’eau : un enjeu
majeur pour la sécurité alimentaire
Une des menaces les plus préoccupantes est la pénurie prévisible d’eau
dans de nombreuses zones.
L’Afrique est l’un des continents les plus secs. Elle abrite environ 22 % de
toutes les terres du monde et environ 14 % de la population mondiale, contre 9 %
seulement des ressources en eau renouvelables du monde. Environ 82 % des terres
sont considérées comme arides ou semi arides. Un indicateur courant de rareté de
l’eau est une disponibilité d’une source d’eau renouvelable de moins de 1 000 m3
par habitant par an. Sur la base de cet indicateur, il y a une rareté d’eau physique
dans la majeure partie de l’Afrique du Nord, ainsi que dans de nombreux pays
d’Afrique de l’Est et d’Afrique australe.
Les pays nord africains comptent essentiellement sur les eaux
souterraines, et beaucoup d’entre eux pompent les ressources en eaux
souterraines à une cadence plus rapide que leur rechargement. La consommation
d’eau augmentera pour chacune des principales utilisations : irrigation, besoins
domestiques et besoins industriels.
En Afrique subsaharienne, les prélèvements d’eau moyens et la
consommation totale d’eau augmenteront au moins jusqu’en 2025. Au regard des
tendances actuelles de la croissance démographique et de l’utilisation de l’eau, les
conclusions des recherches montrent qu’un certain nombre de pays dépasseront
les limites de leurs capacités pour ce qui est des ressources en eau intérieures d’ici
à 2025.
Les projections donnent à penser que le nombre de personnes vivant dans
les zones où l’eau est rare en Afrique s’établira entre 350 et 403 millions d’ici à
2025, même sans changement climatique. Avec le changement climatique, le
nombre de personnes pouvant être touchées par l’accentuation du stress hydrique
devrait être de l’ordre de 350 à 600 millions. L'agriculture africaine, longtemps
caractérisée par une très faible maîtrise de l'eau, a des besoins croissants. On
observe, autour des points d’eau, des cultivateurs du Sahel empiétant sur les zones
de pâturage.
Les tensions sur l’eau risquent d’avoir des conséquences géopolitiques
importantes et d’être, à défaut de stratégies proactives, un des facteurs essentiels
- 56 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
de conflits du XXIe siècle comme elle le sont ou l’ont été en Egypte et au Soudan, en
Ethiopie et en Somalie, en Afrique du Sud et au Lesotho, dans les pays voisins du Nil
ou du fleuve Niger.
L’eau était déjà, lors de la Conférence de Berlin, au centre des discussions
sur la libre circulation des fleuves Congo et Niger. Les sociétés africaines, sauf rares
exceptions, ne sont pas des civilisations hydrauliques. 4 % seulement des terres
cultivées sont irriguées : en Afrique du Sud, dans la zone de l'Office du Niger au
Mali, dans la moyenne vallée du Sénégal, dans le périmètre des barrages La Gézireh
au Soudan. En revanche, les fleuves et les lacs (Niger, Congo, Zambèze, Orange)
jouent un rôle central de délimitation des frontières et de dénomination des États.
L’eau est très inégalement répartie et conduit à opposer une Afrique en
manque d'eau et une en excès d'eau. La plupart des pays souvent en aval des
fleuves sont dépendants d'autres pays : Botswana, Gambie, Mauritanie, Niger,
Soudan. On constate une raréfaction croissante, une baisse tendancielle de la
pluviométrie et un assèchement des lacs (exemple du lac Tchad).
Les coopérations régionales entre les pays frontaliers des ressources
hydrauliques seront ainsi déterminantes pour la prévention des conflits aussi bien
pour le Bassin du Nil, que pour l'aménagement du fleuve Sénégal, ou le bassin du
lac Tchad.
Nous avons pu constater en Éthiopie la détermination des autorités à
achever la construction du barrage de la Renaissance sur le Nil bleu, à la frontière
soudanaise. Ce projet pharaonique (6000 MW soit deux fois Assouan, retenue de
240 km de long, plus de 5 milliards de dollars d'investissements hors connexions
électriques), pour lequel chaque fonctionnaire éthiopien doit verser un mois de
salaire, est pour les autorités une nécessité pour répondre à la demande
d’électricité qui croit à rythme supérieur à 10 % par an. Mais il pourrait avoir des
conséquences au niveau environnemental au Soudan et en Égypte. Ces pays
craignent un impact sur la productivité agricole mais surtout sur la réduction de
l’approvisionnement en eau douce.
Dans ce contexte, il faut toutefois noter que, pour les populations, la
situation n’a pas empêché des progrès considérables ces dernières années en
matière d’approvisionnement et d’assainissement d’eau.
L’Objectif du millénaire pour le développement (OMD) visant à réduire de
moitié la part de la population n’ayant pas accès durablement à l’eau potable et à
un assainissement de base d’ici à 2015 est en passe d’être atteint.
La Banque mondiale reste très active dans ce domaine en finançant
localement des projets avec les acteurs privés. Ce type de projet semble prendre le
pas sur les interventions internationales massives.
La France est également pleinement impliquée dans la coopération en
matière d’accès à l’eau et d’assainissement. Après avoir doublé le montant de
l’aide consacrée à ce secteur entre 2003 et 2007, elle compte engager dans ce
secteur, sur la période 2010‐2015, par l’intermédiaire de l’AFD, 300 millions d’euros
chaque année en Afrique subsaharienne.
3. L’Afrique : une des premières victimes du réchauffement climatique ?
Ainsi constate‐t‐on des pertes de rendements agricoles particulièrement
importantes dans les régions sahéliennes. Elles sont dues à la chute de fertilité des
sols, mais aussi à une pluviométrie de plus en plus irrégulière, et en baisse globale
en Afrique du Nord et dans certaines parties du Sahel. On en mesure déjà les
impacts sur le taux de malnutrition dans un pays comme le Niger.
Le réchauffement climatique se traduit dans les zones semi‐arides, où vit
un tiers de la population africaine, par une irrégularité croissante des précipitations
qui augmente le stress hydrique et diminue les terres arables. Ces zones risquent
ainsi d'enregistrer une diminution de 26 % de leur productivité d'ici 2060 selon les
estimations de la Banque mondiale.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur le changement climatique
(GIEC) estime que, d’ici 2080, six cents millions de personnes supplémentaires
pourraient être exposées à des risques de famine, dans leur plus grande part en
Afrique subsaharienne.
CHAPITRE 1 : - 59 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
D'après les experts en évolution climatique, l'Afrique sera le continent le
plus affecté par les changements climatiques.
Ainsi, d'après le GIEC, sur la base des prédictions des experts, « vers l'an
2020, 75 à 250 millions de personnes seront exposées à un stress hydrique accru en
raison des changements climatiques. Couplé à une demande en augmentation, le
mal aura des incidences néfastes sur les moyens d'existence et aggravera les
problèmes d'accès à l'eau.
Dans de nombreux pays et régions d'Afrique, on s'attend à ce que la
production agricole et l'accès à la nourriture soient sérieusement compromis par la
variabilité et l'évolution du climat. »1
Les prévisions alarmistes des changements climatiques n'épargnent pas la
santé des populations. « Les expositions liées aux changements affecteront
probablement la santé des millions de personnes et, en particulier, celles qui ont
une faible capacité d'adaptation », prévoient les experts. Pis, « à l'horizon 2080, la
population à risque par rapport au paludisme pourrait s’accroître de 80 millions. Á
cela correspondront des risques plus élevés d'augmentation de la malnutrition,
d'épidémies de méningites et de dengue. »
En Afrique, 250 millions d’Africains vivent le long de côtes exposées à
l’élévation du niveau des mers. Ainsi, la conurbation quasi continue entre Abidjan
et Lagos compte plus de 25 millions d’habitants vivant à un mètre en dessous du
niveau de la mer, derrière une dune qui, vraisemblablement, ne résistera pas à une
élévation du niveau de la mer.
C’est pourquoi une des préoccupations de la politique de coopération doit
être de concilier développement et développement durable.
Comme l’a souligné le ministre délégué au développement lors de son
audition devant la commission : « Prendre en compte le développement durable,
c’est même une condition de réussite économique. Nos partenaires s’endettent
aujourd’hui pour construire des barrages. Or, moins de pluies, plus de sécheresse,
débouchent rapidement sur des infrastructures surdimensionnées qui tournent au
ralenti. C’est déjà le cas de certains barrages au Kenya. L’impact du changement
climatique modifie donc la rentabilité économique de ces ouvrages. Or, si ces
infrastructures se révèlent impossibles à rentabiliser, au lieu d’être un vecteur de
développement, elles se transforment en un poids supplémentaire pour les
générations futures. »2
Comme le montre la Banque mondiale dans son récent rapport3, en
aggravant les sécheresses, le réchauffement climatique contribue déjà à accentuer
1
Contribution du Groupe de travail II au quatrième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts
intergouvernemental sur l’évolution du climat. http://www.ipcc.ch/pdf/assessment‐
report/ar4/wg2/ar4‐wg2‐spm‐fr.pdf
2
Audition de M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères chargé du
développement, du 24 juillet 2012 http://www.senat.fr/compte‐rendu‐commissions/20120723/etr.html
3
Turn Down the Heat: Why a 4°C Warmer World Must be Avoided, word Bank 2012
- 60 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
l'insécurité alimentaire. Au final, c'est l'ensemble des progrès en termes de
mortalité infantile qui pourrait être effacé du fait d'un réchauffement incontrôlé.
Autrement dit, un monde à plus 4 degrés, c'est aussi un monde où plus
d'enfants mourront avant l'âge de 5 ans.
Avec 4°C de plus, 35 % des terres cultivées devraient devenir impropres à
la culture. Une grande partie de la récolte et les pâturages de l'Afrique sub‐
saharienne peuvent s'attendre à éprouver d'importantes réductions dans la durée
de la saison de croissance. Dans le cas d'un tel réchauffement, les rendements des
cultures pour la production de maïs devraient être réduits de 13 à 23 % dans
différentes régions africaines. Les pertes de récolte des haricots devraient être
sensiblement plus élevées. La santé humaine en Afrique subsaharienne sera
affectée par les températures élevées et la disponibilité réduite de l'eau, en
particulier à la suite de modifications dans les modes de transmission des maladies.
Certaines régions de l'Afrique sub‐saharienne pourraient faire face à une
augmentation de 50 pour cent de la probabilité pour le paludisme.
Ces conditions devraient augmenter l'échelle de déplacements de
population et la probabilité de conflits au fur et à mesure que les ressources
deviendront plus rares.
B. UNE TENSION CONSIDÉRABLE SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL
De 2000 à 2008, la population en âge de travailler (15‐64 ans) est passée
de 443 millions à 550 millions, soit une hausse de 25 %.
En moins de 10 ans, l’Afrique s’est ainsi accrue de 100 millions d’actifs
grâce à l’arrivée des jeunes générations sur le marché du travail.
Si cette tendance se poursuit, la main‐d’œuvre du continent sera d’un
milliard de personnes en 2040. Ce sera la plus nombreuse population active au
monde, dépassant celle de la Chine et de l’Inde
Cette période charnière qui correspond aux 20 à 30 prochaines années,
pendant laquelle la population s’accroît encore rapidement alors que les emplois
ne suivent pas, est celle de tous les dangers.
En moins de 10 ans, l’Afrique
s’est ainsi accrue de 100 millions d’actifs.
Aujourd’hui déjà, malgré dix ans de croissance continue, les emplois créés
ne sont pas suffisants pour répondre à la demande des jeunes en recherche
d’emploi. Selon les estimations de l’Organisation internationale du Travail (OIT), de
2000 à 2008, quelque 73 millions d’emplois ont été créés en Afrique pour plus de
100 millions de nouveaux entrants et seulement 16 millions d’emplois pour les 15‐
24 ans.
Les travailleurs pauvres et la précarité de l’emploi demeurent une réalité
pour une majorité de jeunes Africains.
CHAPITRE 1 : - 61 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
Le chômage des jeunes est aujourd’hui une des principales menaces pour
la cohésion sociale au Nord comme au Sud du continent. Quelque 60 % des
chômeurs africains sont des jeunes, soit 40 millions d'individus à la recherche d'un
emploi. Dans la plupart des pays africains, le taux de chômage des jeunes est deux
fois plus élevé que celui des adultes.
Le continent connaît désormais un nombre croissant de personnes sans
emploi. Cette situation paraît d'autant plus inacceptable que l'Afrique dispose d'un
potentiel impressionnant de jeunesse, de talents et de créativité.
L’Afrique de l’explosion démographique est en proie à une fracture
générationnelle.
En Afrique du Sud, la mission du groupe de travail a pu constater que le
chômage des jeunes s’établissait à 48 %. Le chômage des jeunes est 2,5 fois
supérieur à celui des adultes. Quand ils travaillent, les jeunes sont nettement plus
nombreux que les adultes à travailler dans le secteur informel, dans des conditions
plus précaires, pour des salaires moins élevés.
Au total on constate que les situations de stagnation économique dans des
contextes de forte démographie sont éminemment instables et dangereuses
comme l’illustre le cas de la Côte d’Ivoire : la crise politique qu’a traversée ce pays
depuis 1999 est largement liée au choc démographique et à l’échec économique
qu’a connu ce pays depuis 1980.
Comme le souligne un récent rapport du bureau international du travail, la
population croît particulièrement dans les régions où il existe peu d’opportunités
de travail. La différence entre la situation de l’Afrique et de l’Asie mérite d’être
soulignée.
De 2011 à 2015 le marché du travail africain devra accueillir en moyenne
2,1 millions de jeunes travailleurs supplémentaires par an alors que pendant la
même période la moyenne annuelle en Asie du Sud sera de 465 000 nouveaux
entrants.
C. UNE CROISSANCE IRRÉSISTIBLE DES MIGRATIONS
Si la croissance africaine n’est pas au rendez‐vous, la constitution d’un
continent de deux milliards d’habitants au sud de l’Europe sera à terme un risque
majeur pour la stabilité de la zone méditerranéenne.
D’ici 2050, d’un côté, le nombre d’actifs européens va diminuer de
90 millions, de l’autre, l’Afrique subsaharienne va gagner 700 millions d’actifs.
Regardons les tendances à l’œuvre à partir des hypothèses de la Banque
mondiale : d’un côté de la Méditerranée, la population européenne diminuant de
57 millions d’habitants avec une population active en décroissance d’environ 90
millions de personnes en âge de travailler, mais conservant un des pouvoirs d’achat
le plus élevé au monde ; de l’autre, une Afrique subsaharienne qui aura gagné 950
- 62 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
millions d’habitants dont 700 millions en âge de travailler avec un pouvoir d’achat
qui risque de demeurer un des plus faibles du monde.
Changements prévus de la taille de la population en âge de travailler dans les régions mondiales
sélectionnées, 2005‐50 (en millions)
Source: Optimisation du phénomène migratoire pour l’Afrique Envois de fonds, compétences et
investissements Banque Mondiale 2011
La croissance des mouvements migratoires qui résultera de cette pression
démographique sera sans précédent. Déjà, les drames frontaliers aux portes de
l'Europe interpellent : à la fois problème politique complexe et délicat et tragédies
qui en appellent à la morale la plus élémentaire.
Entre les deux rives de la Méditerranée se trouvent aujourd’hui les
inégalités les plus fortes au monde. Les drames à Ceuta et Melilla dans le nord du
Maroc ou au large de l'île de Lampedusa au sud de la Sicile illustrent l’attractivité
de l’Europe, l’énergie et le désespoir qui animent les candidats à l’immigration.
Demain, cette pression migratoire est susceptible de redoubler
d’intensité. Elle concernera cependant d’abord l’Afrique elle‐même.
1. Une intensification des migrations régionales.
Promenez‐vous au Cap ou à Pretoria dans les boutiques et les restaurants,
on y parle français plus souvent qu’on pourrait s’y attendre tant les Camerounais et
les Gabonais y sont présents.
Les migrations appartiennent à l’histoire et à la géographie africaine. Elles
sont aussi anciennes que les transhumances saisonnières que l’on rencontre aux
quatre coins du continent et notamment dans les zones sahéliennes au Niger et au
Burkina Faso, mais aussi au Bénin, au Togo ou encore au Tchad.
Ces transhumances pastorales traversent les frontières nationales comme
d’ailleurs nombre d’implantations ethniques qui se sont vu divisées par les
frontières coloniales étroites créées ex‐nihilo entre 1885 et 1910 et confirmées aux
indépendances selon des tracés arbitraires.
Paradoxalement, le renforcement des constructions étatiques et des
frontières, quand il a lieu, a revigoré des traditions migratoires précoloniales, celles
des Luba en Afrique centrale, des Tchokwe entre le Zaïre et l'Angola, des Fang
entre le Cameroun, le Gabon et la Guinée équatoriale, alors que se réactivent les
traditions nomadiques des Somali, dans la Corne de l'Afrique, des Masaï et des
Turkana en Afrique orientale.
Aux migrations volontaires s’ajoutent les départs forcés, ceux des réfugiés
dont les déplacements ont été provoqués par les conflits ou les catastrophes.
On estime à 11 millions le nombre de personnes déplacées à l'intérieur de
leur propre pays en Afrique à la fin de 2010, notamment au Soudan (4,5 à
5,2 millions), en République démocratique du Congo (1,7 million) et en Somalie
(1,5 million). A ces déplacés s’ajoutent 2 à 3 millions de réfugiés autour du Mali, au
Kenya, au Tchad, au Soudan1.
Regardons les cartes de ces migrations. Sur 30 millions de migrants, 7 se
dirigent vers l’Europe, 6 vers d’autres destinations extra‐africaines, 15 au sein du
continent.
1
The State of the World’s Refugees: In Search of Solidarity Haut Commissariat des Nations unies
pour les réfugiés (HCR).
- 64 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
CHAPITRE 1 : - 65 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
Pas étonnant dès lors que l’Afrique soit l’un des continents qui accueille le
plus grand nombre de migrants. Sur ces 30 millions, plus de la moitié vivent en
Afrique. Les migrations intra régionales en Afrique de l’Ouest subsaharienne
représenteraient déjà actuellement près de dix fois les migrations de la zone vers
l’Europe.
La majorité des migrants restent dans leurs sous‐régions, avec des
différences notables selon les différentes parties du continent. En Afrique de
l’Ouest, par exemple, plus de 70 % de l’émigration intra‐africaine se situaient dans
la sous‐région. À l’opposé, plus de 90 % des migrants provenant d’Afrique du Nord
émigrent vers des pays en dehors de la région1.
Sur 30 millions d’immigrés provenant de pays
africains, plus de la moitié reste sur le continent
Ces migrations parfois massives suscitent des difficultés significatives pour
les gouvernements. Des politiques répressives, voire des expulsions en masse, ne
sont pas rares et suscitent en retour ressentiment et violence.
Ces mouvements sont d’autant plus difficiles à gérer que l’Afrique est un
continent fragmenté composé de multiples petits pays. 51 % des habitants sont
répartis dans 46 pays, le reste étant regroupé dans six États dont le Nigéria avec
433 millions d’habitants, l’Ethiopie (174), la Tanzanie (138), la RDC (149), l’Egypte
(123) et l’Ouganda (106).
Avec une population supérieure, l’Inde connaît des mouvements
migratoires de grande ampleur entre états, mais au sein d’un même pays, d’une
même entité juridique. En Afrique, rien de comparable. Ces mouvements parfois
très rapides constituent des défis politiques importants pour les gouvernements et
des coûts plus élevés pour les migrants qui font face à des systèmes juridiques et
réglementaires différents et parfois à l’hostilité des populations d’accueil.
De la capacité à organiser cette respiration naturelle du continent que
sont les migrations régionales dépendra une bonne partie de la stabilité du
continent.
Comme l’a souligné Jean Christophe Rufin devant le groupe de travail
« Cette aptitude à la libre mobilité a toujours joué un rôle d'équilibre. Le drame
aujourd'hui, responsable de la naissance de nouveaux archipels de la misère, ce
n'est pas le mouvement mais son blocage. Le déracinement ne naît pas du
déplacement mais du fait que ce déplacement soit dévié vers des destinations sans
retour, sans avenir et sans liberté. » Deux grands obstacles ont été dressés en
Afrique sur le libre chemin de la migration, la frontière et la ville.
Le niveau de la croissance, sa répartition dans l’espace, l’intensification ou
la réduction des conflits armés, l’incidence du réchauffement climatique sur les
zones arides, le niveau d’intégration du continent, la plus ou moins grande
1
Optimisation du phénomène migratoire pour l'Afrique, Banque Mondiale, 2012
- 66 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
diffusion des théories xénophobes détermineront à leur tour la capacité du
continent à faire face au doublement de sa population.
Dans ce contexte, les progrès de l’intégration régionale, la
défragmentation du continent, mais aussi les coopérations transfrontalières
joueront un rôle important.
L’augmentation de la population et la hausse rapide du taux d'équipement
en moyens de communication et de transport vont conférer aux régions
frontalières, des régions déjà peuplées, une fonction croissante d'interface. Il sera
donc impératif d'encourager les coopérations transfrontalières d'initiative locale.
Les organisations régionales ont un rôle essentiel pour favoriser la libre
circulation, pour réduire le temps d'attente à la frontière et équiper en services les
agglomérations frontalières.
Comme l’a souligné Michel Foucher, géographe, ancien ambassadeur et
directeur des études à l’IHEDN : « la « coopération » transfrontalière est déjà une
pratique répandue sur le continent : le dispositif « SKBO » (Sikasso ‐ Korhogo ‐ Bobo
Dioulasso ‐ Banfora), les relations entre le sud du Niger et le nord du Nigéria, les
initiatives prises dans le cadre de la Sénégambie méridionale, les coopérations pour
faire fonctionner les grands corridors de transport (de Kampala à Mombassa, de
Lusaka à Richards Bay, de Johannesburg à Maputo, de Ouagadougou à Tema, de
Djibouti et Berbera à Addis Abeba, demain de Juba à Lamu) »
Il est notable de constater que les activités transfrontalières prospèrent le
long des frontières déjà réglées, comme celles entre la Mauritanie et le Burkina
Faso ou le Nigéria et le Niger. Les relations qui se sont établies entre riverains
autour des rivières et des lacs (Sénégal, Niger, Congo, Oubangui, Okavango, Nil)
vont dans le même sens.
A l'inverse les segments frontaliers qui sont sujets à des tensions bloquent
les relations normales d'échelle locale (Tchad/Soudan, Tchad/RCA). La sécurité
locale et régionale est cruciale non seulement dans les relations entre les États
mais aussi au plan local (Ouganda, Kenya, RDC).
2. Des risques d’instabilité accrus
De la capacité à organiser cette respiration naturelle du continent que
sont les migrations régionales dépendra une bonne partie de la stabilité du
continent.
Le passé récent de la Côte d’Ivoire nous fournit cependant une illustration
dramatique des bouleversements liés à cette évolution démographique.
Il y avait 11 habitants au km² en Côte d’Ivoire en 1960; il y en a 63
aujourd’hui, et il y en aura 110 en 2050 (soit l’équivalent de la densité en France).
Si la France avait connu la même croissance que la Côte d’Ivoire entre 1960 et
2007, elle compterait aujourd’hui 240 millions d’habitants, dont 60 millions
d’étrangers.
CHAPITRE 1 : - 67 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
Les responsabilités des acteurs politiques de la tragédie qu'a vécue la Côte
d'Ivoire au tournant du XXIe siècle peuvent être appréciées diversement. En tout
état de cause, celle‐ci s'est déroulée sur fond d'une équation à quatre facteurs : le
délabrement économique dû à l'effondrement du prix du cacao ; une jeunesse
nombreuse ; une population urbaine multipliée par vingt‐cinq en l'espace de
cinquante ans ; une forte immigration en provenance des pays voisins.
Or trois des quatre termes de cette équation s'amplifieront dans les
décennies à venir. La Côte d’Ivoire devra gérer un nouveau quasi‐doublement de sa
population dans les 50 prochaines années. La ville d’Abidjan est passée de 100 000
à 4 millions d’habitants pendant la même période, et sa population devrait encore
progresser vers 5‐6 millions dans les décennies qui viennent.
Et ces changements concerneront tout autant la Côte d'Ivoire que le
Ghana, le Tchad, la République démocratique du Congo (RDC) ou le Kenya.
Comment ne pas faire le rapprochement entre les pogroms de jeunes patriotes
ivoiriens contre les migrants burkinabés, les exactions des jeunes Kikuyus, Kalenjins
ou Luos des bidonvilles nairobiens lors de l'explosion de violence de janvier 2008 et
les violences urbaines anti migrants à Johannesburg en mai de la même année ?
Plusieurs frontières sont à la limite de la cassure ; un mouvement de
sécessions en cascade, une transformation profonde du paysage géopolitique du
continent et une remise en cause des frontières héritées de la colonisation ne sont
pas à exclure. Frontières coloniales souvent mais pas toujours artificielles, qui ont
garanti, bon an, mal an, une certaine stabilité de la carte de l'Afrique et une paix
toute relative pendant plus d'un demi‐siècle.
On relève depuis 1964 environ quarante‐deux cas de tensions latentes et
conflits ouverts autour de questions frontalières stricto sensu, à l'exclusion des
problèmes internes.
Cette stabilité des configurations territoriales a semblé remise en cause en
Afrique de l'Est avec le précédent érythréen, la quasi‐indépendance du Somaliland
et la sécession du Soudan méridional décidée par ses électeurs lors du référendum
de janvier 2011, sans que des questions cruciales n'aient été résolues : citoyenneté,
droit de circulation entre les deux pays, partage des revenus du pétrole dont le Sud
possède 70 % des gisements, tracé exact de la frontière et sort de la zone litigieuse
d'Abyeï qui doit être tranché par un référendum séparé.
Mais les parties en présence ont accepté les nouvelles réalités. S'agit‐il
d'un tournant dans la politique des États et des puissances extérieures encore
influentes ? Il est trop tôt pour l'affirmer. La vigilance reste requise à l'égard
d'autres situations de tensions, notamment en Afrique centrale, pour éviter que les
deux cas cités ne fassent précédent.
Là encore l’intégration régionale, le recours aux négociations bilatérales
ou à des procédures juridiques seront incontournables pour gérer les crises à venir.
- 68 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
3. L’Afrique à l’assaut de l’Europe ?
Le risque d’un chômage de masse pour les centaines de millions de jeunes
Africains attendus d’ici à 2050 constitue une menace d’abord pour la stabilité d’une
Afrique devenue plus urbaine et soumise aux pressions de migrations renforcées
par la pression démographique, ensuite pour le Maghreb et l’Europe. Le
changement d’échelle dans les prochaines décennies accentuera la mobilité de
population qui sera d’autant plus forte qu’elle sera jeune.
Pour les candidats aux départs, la migration vers l’Europe paraît comme
une fenêtre ouverte vers le monde, la liberté, l'accès à la modernité, vers une vie
meilleure, et parfois vers la survie comme en témoigne le drame récent au large de
Lampedusa.
Et il y a fort à parier que cela le restera, même si la croissance actuelle du
continent africain pourrait limiter cette tendance voire, pour certaines catégories
de la population, sonner l’heure du retour au pays natal.
Pour nombre de pays d'accueil, cela apparaît comme un facteur de
flexibilité, de main‐d’œuvre bon marché, mais aussi de malaise face à une altérité
rapidement considérée comme une menace. Le développement du populisme et de
la xénophobie ces dernières années en Europe, alimenté par la crise économique et
les effets de la mondialisation, s’est appuyé sur la question de l’émigration. Il est
probable que cela restera un ressort d’autant plus puissant que la population
européenne est en déclin et que l’économie européenne aura besoin, pour faire
face à la diminution de sa population active, de faire appel à l’immigration.
Des deux côtés de la Méditerranée vont se faire face un continent
européen dont la population va diminuer d’ici 2014 de 15 % et un continent
africain dont la population va au moins doubler (+115 %).
Dans l’hypothèse où la pression migratoire rencontrerait de trop
nombreux obstacles au sein du continent africain, il est probable que l’immigration
intra‐africaine s’orientera au‐delà du continent. Dans quelle proportion ? Il est
difficile de le savoir.
Un doublement des flux extra‐africains ?
Le seul doublement de la population active, avec 900 millions de nouveaux
entrants en 40 ans, est en soi un phénomène considérable. Le niveau de la
migration venue d’Afrique vers l’Europe en 2050 est très difficile à définir tant les
facteurs en jeu sont nombreux. Certains émettent l’hypothèse d’un doublement
des flux extra‐africains1. Mais, en vérité, personne ne sait.
Les scénarios catastrophes ne manquent pas. En cas d’importantes
modifications des écosystèmes dues au changement climatique, cette mobilité
pourrait se grossir de réfugiés «environnementaux» : selon les estimations de
1
Ces arrivées sont estimées à 14 millions de personnes au début des années 2000 et à 27 millions au
début des années 2030. Benoît FERRY (dir.), L’Afrique face à ses défis démographiques : un avenir
incertain, Karthala, CEPED, AFD, Paris, 2007.
CHAPITRE 1 : - 69 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
l’ONU, le chiffre mondial des réfugiés climatiques pourrait ainsi, en fonction des
scénarios du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat
(GIEC), varier de 50 millions à 1 milliard en 2050 dont la majeure partie
proviendrait d’Afrique.
Tous ces scénarios alimentent une peur d’un péril noir où une Afrique
exsangue et proche alimentera le déferlement de hordes d’affamés et de
demandeurs d’asile africains vers l’Europe. Une même crainte demeurée sans
lendemain avait été suscitée en son temps par les Européens de l’Est après la chute
du mur de Berlin.
Si on ne peut ignorer les tendances de fond qui travaillent le continent
africain, il faut les apprécier à leur juste mesure.
Aujourd’hui, à peu près la moitié des immigrants africains réside en
dehors de l’Afrique, principalement en Europe.
Si l’on considère les pays d’arrivée, les principales destinations
extrarégionales des migrants africains comprennent la France (9 % du total des
émigrants), l’Arabie Saoudite (5 %) ainsi que les États‐Unis et le Royaume‐Uni (4 %
chacun).
Le continent africain est cependant loin d’être celui qui exporte le plus
d’immigrés. En effet, seulement 8,5 % des immigrés dans les pays de l’OCDE
proviennent de l’Afrique, tandis que 16,8 % sont originaires d’Asie, 13,5 % d’Europe
et 25 % d’Amérique Latine.
Comme l’a souligné devant le groupe de travail M. Luc Derepas, secrétaire
général à l'immigration et à l'intégration au ministère de l'intérieur, « les 30 années
à venir seront sans doute marquées par une montée en puissance de l’immigration
africaine ».
Mais les premiers concernés seront les pays du Maghreb.
L’immigration subsaharienne transite par le Maghreb et y reste souvent.
On estime que seuls 20 à 40 % des migrants transsahariens parviennent en Europe.
Le reste se fixe au Maroc, en Algérie ou en Libye.
A l'image des pays du sud de l'Europe, qui sont passés, dans la seconde
moitié du XXe siècle, du statut de sociétés d'émigration à celui de sociétés
d'immigration en provenance de la rive sud de la Méditerranée, le Maghreb est
donc à son tour confronté à une immigration qui ne cesse d’augmenter. De ce point
de vue, l’arrivée en masse de ressortissants africains dépendra largement de
l’évolution économique des pays du pourtour sud de la Méditerranée.
Au‐delà du Maghreb, la France est en première ligne. Le nombre des
immigrés originaires d’Afrique subsaharienne a été multiplié par 40 depuis
1950.C’est à la fois une forte croissance et en même temps une proportion
marginale par rapport à l’ensemble des immigrés africains dans le monde : sur les
15 millions d’Africains subsahariens qui vivent hors de leur pays d’origine,
seulement 3% vivent en France. Mais, demain, la France sera la destination
- 70 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
naturelle de l’Afrique francophone. En effet, deux Africains sur trois en France
proviennent d’anciennes colonies françaises.
Or la population des pays francophones fera plus que doubler, voire tripler
dans le cas du Niger. Ce pays dont la population est encore modeste (16 millions en
2010) et dont les flux migratoires vers la France sont encore restreints, connaît une
croissance rapide sans que la transition démographique n'y soit sensible encore. Un
groupe de quatre pays, Tchad, Mali, Niger et Burkina Faso, est actuellement peuplé
de 57 millions d'habitants. Ils devraient compter ensemble 160 millions d'habitants
en 2040 compte tenu des évolutions démographiques mais aussi économiques. Le
phénomène d'accélération des migrations, déjà sensible pour le Mali, peut donc
s'étendre à ces quatre pays.
Dans un premier temps, la phase de décollage économique n’est pas de
nature à stabiliser les populations. Au contraire, un certain décollage permettra à
une classe moyenne d'émerger, suffisamment riche pour migrer. Le prolongement
tendanciel de la baisse du coût des transports et la constitution d'une diaspora
facilitant l'accueil en France ne feront que soutenir le processus.
Les géants africains, Nigeria, Égypte et RDC (Congo), connaîtront une
croissance absolue spectaculaire. L'effet de masse devrait être perceptible : bien
que faible en proportion de la population nigériane, la population migrante vers la
France pourrait être importante. La probabilité d'un fort accroissement de la
pression démographique est bien plus forte dans le cas de la RDC.
Enfin, en Afrique orientale, Madagascar, qui est une origine bien
représentée en France, verra sa population atteindre 50 millions de personnes
contre 21 millions en 2010.
Migration et développement : des relations complexes
entre fuite des cerveaux et transfert de fonds des migrants
Pour bien comprendre les enjeux de cette immigration, en France comme
en Europe, il faut bien mesurer son rôle paradoxal dans le processus de
développement du continent africain.
D’un côté, elle prive le continent d’une main‐d’œuvre dont elle ne
manque pas, lui soustrait des compétences qui parfois lui font cruellement défaut
et, de l’autre, lui assure une source de financement substantielle.
En effet, les rentrées d’envois de fonds en Afrique ont quadruplé au cours
des 20 dernières années depuis 1990, en atteignant environ 60 milliards de dollars
soit 3 % du PIB africain en 2012. Dans certains pays, ces fonds atteignent près de
15 % du PIB.
Ces envois constituent pour l’Afrique subsaharienne la source la plus
importante de recettes étrangères. La réception de ces envois de fonds présente
des avantages importants pour les pays d’origine des émigrants.
Si le coût des transferts formels a diminué au cours de la décennie, il
demeure encore un frein important (il peut atteindre 25 % du montant transféré)
et varie fortement selon l’origine géographique de l’envoi. C’est pourquoi, la baisse
CHAPITRE 1 : - 71 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
des coûts d’envoi d’argent est une priorité des pouvoirs publics africains comme
des bailleurs de fonds de la coopération pour pouvoir en augmenter massivement
les volumes et rendre formelle la partie «souterraine».
Transferts de migrants vers l'Afrique subsaharienne Mds $
source Banque Mondiale Remittances Factbook 2011
25
20
15
10
0
2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010
Les bailleurs de fonds et les pays partenaires de l’Afrique peuvent
intervenir auprès des différents acteurs concernés : en contribuant à renforcer le
rôle clé des intermédiaires bancaires et financiers et leur donner les moyens de
répondre à cet enjeu, mais également en appuyant la définition et la mise en
œuvre de politiques publiques incitatives par les États d’origine des diasporas.
L’émigration de travailleurs qualifiés comporte pour les pays africains des
avantages non seulement par le biais d’envois de fonds, mais aussi par les contacts
avec les marchés étrangers, les transferts de technologie, et l’amélioration des
connaissances des émigrants de retour au pays.
Cependant, l’émigration hautement qualifiée peut aussi nuire au
développement en limitant la contribution de ces travailleurs au développement de
leur pays.
La perte de travailleurs éduqués aux frais de l’État représente une perte
substantielle, et de nombreux émigrants africains de niveau universitaire, qui ne
peuvent pas obtenir d’emplois qualifiés dans leurs pays, représentent en Afrique
comme ailleurs une perte d’investissement, « une fuite des cerveaux ».
Les taux de migration hautement qualifiée sont particulièrement élevés
en Afrique. En 2000, un Africain sur huit avec un niveau universitaire vivait dans un
pays de l’OCDE, le taux le plus élevé parmi les régions en développement hormis
les Caraïbes, l’Amérique centrale et le Mexique. Dans une enquête sur les cinq
meilleurs étudiants diplômés des 13 meilleurs lycées du Ghana entre 1976 et 2004,
les trois quarts d’entre eux avaient émigré à un moment entre l’école secondaire et
l’âge de 35 ans1.
Le manque d’offres de travailleurs qualifiés dans les économies africaines
révèle les limites des opportunités d’éducation et, dans de nombreux pays, les
faibles retours de ceux qui ont poussé loin leurs études résultent de conditions de
1
Optimisation du phénomène migratoire pour l’Afrique, Rapport de la Banque Mondiale
- 72 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
D. DES RISQUES D’INSTABILITÉ ACCRUS
M. Lamamra, Commissaire pour la Paix et la Sécurité de l’Union africaine,
diplomate algérien aguerri, qui nous a reçus à Addis‐Abeba, nous a dressé un
tableau de la situation sécuritaire de l’Afrique pour les prochaines décennies en
insistant sur son espoir de voir le continent africain désormais se concentrer sur sa
croissance économique.
« Même si la situation du Sahel nous rappelle que la situation politique est
loin d'être stable partout, des progrès notables doivent être notés sur la dernière
décennie, les conflits interétatiques ont presque disparu, les structures collectives
de gestion de crise au niveau continental et régional sont en cours d’élaboration,
des progrès considérables à l’échelle de l’histoire de l’Afrique indépendante ont été
réalisés ».
Longtemps, l'Afrique a été le continent où le nombre de victimes du fait
des conflits armés était le plus élevé du monde. Entre 1945 et 1995, plus d'un quart
des conflits mondiaux ont été localisés en Afrique (48 sur 186). On estime que ces
conflits ont fait plus de 6 millions de morts sur des populations de 160 millions de
personnes (Soudan, Éthiopie, Mozambique, Angola, Ouganda, Somalie, Rwanda,
Burundi, Sierra Leone). Depuis 1990, 19 conflits majeurs africains ont été localisés
dans 17 pays avec un seul conflit interétatique (Éthiopie‐Érythrée).
La baisse des conflits majeurs en Afrique entre 1990 et 1997 a fait place à
une reprise entre 1998 et 2000 (11 conflits par an) avec une réduction au début du
XXIe siècle (5 conflits par an).
Néanmoins, en 2011, une vingtaine de pays étaient dans une situation de
crise d'intensité moyenne à haute. On pouvait différencier huit conflits ouverts :
ceux de la RDC, du Soudan, et des pays voisins, Tchad, RCA et Ouganda, ceux de
Somalie, celui entre l'Éthiopie et l'Érythrée et au Mali. Il faut y ajouter les crises
nationales pouvant dégénérer en conflits ou tensions régionales (mouvements
Touaregs et islamistes dans l'arc saharo‐sahélien, MNED au Nigeria), les
mouvements séparatistes (Polisario au Sahara occidental, Flec à Cabinda, en
Casamance) ; les tensions ethnico‐religieuses pouvant resurgir (Burundi, Kikuyu et
nilotiques au Kenya, Liberia, Sierra Leone, Peuls et Malinké en Guinée, Akan, Bété
et Dioula ou Senoufo en Côte d'Ivoire...).
Longtemps, l’Afrique a été le continent qui a monopolisé le plus grand
nombre d’opérations de maintien de la paix.
Et il est vrai que le nombre de conflits, avec plus d'un millier de morts, a
presque baissé de moitié (4,8 par an pour les années 1990 contre 2,6 pour les
années 2000).
D'une part, les conflits interétatiques ont pratiquement disparu (à
l'exception des conflits larvés entre les deux Soudan, entre l'Éthiopie et l'Érythrée,
entre Djibouti et l'Érythrée). On a plutôt observé la persistance ou l'apparition de
conflits internes aux États dont les causes sont plurielles et qui peuvent avoir des
incidences au‐delà des frontières, voire régionales.
- 74 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
D'autre part, de nouvelles menaces et sources de conflictualité diffuses se
sont imposées ou ont persisté, dont les acteurs entretiennent parfois des liens et
qui s'alimentent (terrorisme islamique, intégrisme religieux, irrédentisme, trafics
des ressources minières et environnementales, accaparement des terres et
déplacements forcés des populations, piraterie maritime, narcotrafic, criminalité
transfrontalière...).
Ces menaces dessinent une nouvelle géographie de la conflictualité qui
traverse l'Afrique en largeur, de la zone sahélienne à l'Océan indien, et fragilise en
longueur la situation sécuritaire dans plusieurs États du continent.
Des avancées en matière de prévention des conflits, de maintien de la paix
et de la sécurité ont parallèlement été observées.
L'architecture africaine de sécurité –et son mécanisme d'alerte rapide–
mise en place sous les auspices de l'Union africaine est entrée en activité.
L'Union africaine déploie désormais ses propres opérations de maintien de
la paix (AMISOM, ...) et une force africaine de défense en attente est en cours de
mise en place. Par ailleurs, toutes les communautés économiques régionales se
sont dotées de dispositifs de prévention des conflits et de maintien de la paix. Les
plus achevés sont ceux de la CEEAC, la CEDEAO, l'EAC, la SADC, qui intègrent des
mécanismes de prévention et gestion des conflits de démocratie. La Conférence
internationale des Pays des Grands Lacs a établi un mécanisme homologue pour ses
pays membres.
Quelles sont les perspectives ? Sans doute les nouvelles formes de
menaces mettront au défi la vulnérabilité structurelle des États africains. Nous y
reviendrons. De nouvelles alliances entre la criminalité organisée, les rébellions
politiques et le fondamentalisme terroriste mettent ainsi en évidence de nouveaux
défis sécuritaires, le sous‐équipement et la faiblesse opérationnelle des armées et
des forces de sécurité du continent.
Mais plus que tout, ce sont le développement économique et la cohésion
sociale du continent qui constitueront la clef de la stabilité du continent.
Dans ce contexte, les évolutions démographique et migratoire auront une
importance majeure.
Le passé récent de la Côte d’Ivoire nous fournit une illustration des
bouleversements liés à cette évolution démographique. Il y avait 11 habitants au
km² en Côte d’Ivoire en 1960; il y en a 63 aujourd’hui, et il y en aura 110 en 2050
(soit l’équivalent de la densité en France). Si la France avait connu la même
croissance que la Côte d’Ivoire entre 1960 et 2007, elle compterait aujourd’hui 240
millions d’habitants, dont 60 millions d’étrangers.
Les responsabilités des acteurs politiques de la tragédie qu'a vécue la Côte
d'Ivoire au tournant du XXIe siècle peuvent être appréciées diversement. En tout
état de cause, celle‐ci s'est déroulée sur fond d'une équation à quatre facteurs : le
délabrement économique dû à l'effondrement du prix du cacao ; une jeunesse
nombreuse ; une population urbaine multipliée par vingt‐cinq en l'espace de
cinquante ans ; une forte immigration en provenance des pays voisins.
CHAPITRE 1 : - 75 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
Or trois des quatre termes de cette équation s'amplifieront dans les
décennies à venir. La Côte d’Ivoire devra gérer un nouveau quasi‐doublement de sa
population dans les 50 prochaines années. La ville d’Abidjan est passée de 100 000
à 4 millions d’habitants pendant la même période, et sa population devrait encore
progresser vers 5‐6 millions dans les décennies qui viennent.
Et ces changements concerneront tout autant la Côte d'Ivoire que le
Ghana, le Tchad, la République démocratique du Congo (RDC) ou le Kenya.
Comment ne pas faire le rapprochement entre les pogroms de jeunes patriotes
ivoiriens contre les migrants burkinabés, les exactions des jeunes Kikuyus, Kalenjins
ou Luos des bidonvilles nairobiens lors de l'explosion de violence de janvier 2008 et
les violences urbaines anti migrants à Johannesburg en mai de la même année ?
Plusieurs frontières sont à la limite de la cassure ; un mouvement de
sécessions en cascade, une transformation profonde du paysage géopolitique du
continent et une remise en cause des frontières héritées de la colonisation ne sont
pas à exclure. Frontières coloniales artificielles, qui ont garanti, bon an, mal an, une
certaine stabilité de la carte de l'Afrique et une paix toute relative pendant plus
d'un demi‐siècle.
On relève depuis 1964 environ quarante‐deux cas de tensions latentes et
conflits ouverts autour de questions frontalières stricto sensu, à l'exclusion des
problèmes internes.
Cette stabilité des configurations territoriales a semblé remise en cause en
Afrique de l'Est avec le précédent érythréen, la quasi‐indépendance du Somaliland
et la sécession du Soudan méridional décidée par ses électeurs lors du référendum
de janvier 2011, sans que des questions cruciales n'aient été résolues : citoyenneté,
droit de circulation entre les deux pays, partage des revenus du pétrole dont le Sud
possède 70 % des gisements, tracé exact de la frontière et sort de la zone litigieuse
d'Abyeï qui doit être tranché par un référendum séparé. Mais les parties en
présence ont accepté les nouvelles réalités. S'agit‐il d'un tournant dans la politique
des États et des puissances extérieures encore influentes ? Il est trop tôt pour
l'affirmer. La vigilance reste requise à l'égard d'autres situations de tensions,
notamment en Afrique centrale, pour éviter que les deux cas cités ne constituent
un précédent.
Là encore l’intégration régionale, le recours aux négociations bilatérales
ou à des procédures juridiques seront incontournables pour gérer les crises à venir.
E. UN CONTINENT TRAVAILLÉ PAR LES FANATISMES
population se définissant comme croyante, les deux religions les plus représentées
étant l’islam et le christianisme.
Le développement d’un intégrisme religieux aussi bien musulman que
chrétien s’est rendu visible de façon plus récente.
La crise que connaît actuellement le nord du Mali illustre la progression du
fanatisme islamique dans la région du Sahel.
Comme la souligné le rapport de MM. Larcher et Chevènement sur le Mali,
« on assiste actuellement à un « couplage », via la contagion du terrorisme et du
radicalisme religieux, entre Maghreb, Machrek, Moyen‐Orient et Afrique sub‐
saharienne ».
Au Nord‐Mali, l’association entre le groupe touareg dissident Ansar Ed‐Din
et Al‐Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et le Mouvement pour l’unicité et le
Jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) illustre les liens grandissants entre le
« djihadisme » armé de cellules terroristes vivant de l’enlèvement d’occidentaux et
les trafiquants de drogue.
Ces organisations procèdent dans l’ensemble du Sahel et dans la Corne de
l’Afrique de la même façon. Elles s’établissent dans un sanctuaire dans des Etats
comportant de vastes « zones grises » mal contrôlées par les forces de police
comme au Nord Mali en Libye ou en Somalie, par lesquelles transitent des hommes,
des capitaux et du matériel. Dans le cas de la crise malienne, le Sahel a servi de
sanctuaire à ces organisations pour développer leur action au Mali dans un premier
temps, puis à l’échelle régionale.
Les enlèvements perpétrés par des organisations terroristes nigérianes
viennent rappeler que la menace terroriste est aussi en expansion au sud du Sahel
et, d’abord, au Nigéria, dans l’orbite de Boko Haram (littéralement, « la culture
occidentale est illicite »), secte dont l’objectif est d’établir la « charia » dans les
différents États du Nigéria et y mettre en place progressivement un émirat
islamique.
La sphère d’influence de Boko Haram ne cesse de s’étendre en « tâche
d’huile ». Partie de Maiduguri et de la région de Borno située à la lisière du lac
Tchad, et initialement active dans seulement deux des trente‐six États du Nigeria,
—le Yobé et le Borno—, la secte est aujourd’hui présente dans toute la zone nord‐
est, jusqu’à Abuja la capitale, et dans le nord‐ouest.
La société nigérienne est elle aussi traversée par un mouvement de
réislamisation à l’œuvre depuis plus d’une génération, qui semble avoir débouché
sur un phénomène de « sunnification », au détriment d’un « islam noir »
syncrétique. Alors que les institutions nigériennes s’appuient sur une constitution
laïque, l’islam a envahi l’espace public depuis la libéralisation du système politique
au début des années 1990. Quoiqu’encore marginale en termes de structures
politiques, la religion musulmane constitue un réservoir moral et symbolique que
les hommes politiques nigériens n’oublient pas de mobiliser. Cependant, le fait
marquant, depuis le début des années 1990, est l’émergence, depuis le Nigeria, du
mouvement Izala.
CHAPITRE 1 : - 77 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
L’importance de la religion en Afrique, qui structure la vie quotidienne et
fédère les sociétés souvent beaucoup plus que le pouvoir politique central, fait du
continent un théâtre d’expression de différents types de retour du religieux, mais
aussi d’un fanatisme qui prend parfois des formes violentes.
Le fanatisme chrétien, tout comme l’islamisme radical, se veut défenseur
d’un mode de vie pur et porteur d’une vérité. Ces modes d’expression religieux
sont, de fait, vecteurs de conflits inter‐confessionnels à l’échelle du continent. Mais
ils ont surtout en commun d’être des forces de résistance à la globalisation libérale
portée par l’occident. Leurs valeurs, primauté du groupe et de la famille
patriarcale, hétéronomie absolue, confusion du public et du privé, du politique et
du religieux, interdits sexuels, etc., les opposent trait pour trait aux sociétés
libérales d’occident. Elles apparaissent, de fait, dans le monde d’aujourd’hui,
porteuses par excellence de la tradition.
III. ET POURTANT UNE PARTIE DE L’AFRIQUE EST BIEN PARTIE
En 1991, Mme Axelle Kabou écrivait dans « Et si l'Afrique refusait le
développement » : « L'Afrique est une sorte de cul‐de‐sac, de terminus, de voie de
garage où aucun espoir de mobilité ascendante n'est permis. Tout paraît y être voué
d'avance à la dégradation, à la détérioration, à l'inertie ».
20 ans après, l’ensemble des institutions économiques multilatérales et
des analystes économiques souligne le décollage du continent.
L’Afrique se trouve à un moment crucial de son développement.
L’évolution démographique, la rapide urbanisation et une envolée
prolongée des cours des produits de base ont aussi provoqué d’énormes
changements.
Au niveau international, les mutations économiques et géopolitiques
survenues au cours des deux dernières décennies ont modifié le rapport de forces
traditionnel du monde et marqué l’émergence de nouvelles puissances issues du
Sud qui investissent en Afrique.
Certes, il existe encore des zones désertée par le développement,
marquée par la pauvreté comme au Sahel ou par des conflits à répétition comme
en Centrafrique. Mais la période qui s’est ouverte avec le 21è siècle semble offrir à
une partie de l’Afrique des possibilités sans précédent de surmonter l’héritage du
passé et d’entrer dans une phase accélérée de transformation.
CHAPITRE 1 : - 79 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
A. UN REBOND ÉCONOMIQUE INCONTESTABLE
1. D’une terre de pessimisme à une terre d’opportunités.
Les chiffres sont là. Après plus d'une décennie perdue, l'Afrique
subsaharienne connaît, depuis le milieu des années 1990, une période de
croissance supérieure à celle du reste du monde.
Cette croissance moyenne a atteint ces dix dernières années 5,5 %, soit
plus du double de ce qu’elle avait enregistré dans les années 80 (2,6 %) ou 90
(2,3 %) quand ces niveaux étaient inférieurs à la croissance démographique.
Ce niveau dépasse celui de l’ensemble de l’économie mondiale (3,7 %).
Au cours de la décennie écoulée, six des dix économies à la plus forte
croissance dans le monde appartenaient à l'Afrique (Angola, Nigeria, Éthiopie,
Tchad, Mozambique et Rwanda).
C’est la fin de l'image d'Épinal d'une Afrique perdante de la
mondialisation : n’en déplaise à René Dumont, l'Afrique noire est enfin bien partie.
Le Docteur Carlos LOPES, Secrétaire exécutif de la Commission
économique africaine de l’ONU, nous l’a confirmé : « En 2012, l’Afrique
subsaharienne a affiché de solides résultats et devrait continuer de le faire. La
croissance de la production a été en moyenne de 5,1 % en 2012 et, d’après les
projections, devrait atteindre 5,4 % en 2013, puis 5,7 % en 2014 ».
« Les chiffres des statistiques africaines sont largement incomplets étant
donné la faiblesse des outils statistiques et l’importance du secteur informel » a‐t‐il
souligné, « mais le cas du Ghana a montré que l’actualisation des statistiques des
- 80 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
comptes nationaux pouvait aboutir à une augmentation de 60 % de la taille
estimative du PIB ! ».
Plusieurs économistes ont fait valoir que le calcul du PIB des pays africains
ne permet pas de refléter la réalité d'un continent où la part de l'économie
informelle est très importante et où les données officielles sont lacunaires. Pour
Alwyn Young, professeur à la London School of Economics, auteur d’un ouvrage sur
le miracle de la croissance africaine : « la croissance de l'Afrique subsaharienne au
cours des vingt dernières années serait trois fois supérieure aux chiffres retenus par
les organisations internationales. »1
Le discours a changé parce que la réalité a changé.
Cette année, d'après les prévisions du FMI, la moitié des 30 pays à la plus
forte croissance seront situés en Afrique. Deux d'entre eux se placent même en
tête de la liste. Certains experts prédisent qu'au cours des cinq années à venir,
l'économie africaine croîtra plus vite que son homologue asiatique.
La Banque mondiale n’est pas en reste ; elle affirme que « l’Afrique
«pourrait être au bord d’un décollage économique, tout comme la Chine il y a trente
ans et l’Inde, il y a vingt ans.»2.
Le pouls économique de l’Afrique s'est accéléré, impulsant au continent
un nouveau dynamisme commercial. Les télécoms, la banque et le commerce de
détail prospèrent.
Certes, l'Afrique a largement bénéficié de l'envolée du cours des matières
premières dans la décennie écoulée. Ainsi, le cours du pétrole est passé de moins
de 20 dollars le baril en 1990 à plus de 145 dollars en 2003. Les cours des minerais,
des céréales et d'autres produits de base ont également grimpé en flèche dans le
sillage de la demande mondiale.
Pourtant la manne des matières premières ne peut à elle seule expliquer
la croissance de l'Afrique. Selon une étude de McKinsey Global Institute, « L'heure
des Lions » : L'Afrique à l'aube d'une croissance pérenne, « à peine 24 % de la
hausse du PIB entre 2000 et 2008 ont été générés par le secteur des ressources
naturelles. Le reste provient de secteurs tels que le commerce de gros et de détail,
les transports, les télécommunications et l'industrie manufacturière. »
Dans le domaine des transports, on constate ainsi une augmentation de
5,7 % d'augmentation par an du trafic passager annuel et des prévisions
d'augmentation du nombre des avions de ligne de 600 à 1400 dans les vingt années
à venir, ainsi qu’une croissance de 10 à 12 % d'augmentation des échanges
commerciaux par voie maritime.
Le secteur des infrastructures terrestres est quant à lui soutenu par de
nombreux projets : la construction du tronçon de 200 km manquant entre
Assamaka (frontière avec l'Algérie) et Arlit au Niger, le projet d'autoroutes
transafricaines entre Dakar et N'Djamena et entre N'Djamena et Djibouti tout
1
A. Young, The African Growth Miracle, London School of Economics, 2009.
2
Africa’s Future and the World Bank’s Role in it
CHAPITRE 1 : - 81 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
comme la construction d'un tronçon ferroviaire entre Dakar, N'Djamena et Djibouti,
la construction d'un gazoduc entre le Nigeria et l'Algérie via le Niger (4300 km), la
construction d'une autoroute entre le Sud Soudan et les bords du Nil,
l’aménagement de la voie ferrée Abidjan‐Ouaga à l'été 2013 (1300km), l’autoroute
Abidjan‐Lagos.
Dans le domaine des télécommunications, en l’espace de cinq ans, le
marché de la téléphonie mobile en Afrique a crû à un rythme de 44 % par an, le
continent recensant aujourd’hui environ 650 millions d’abonnements, chiffre qui le
place devant l’Union européenne et les États‐Unis. Le nombre de téléphones
mobiles dépasse de très loin celui des lignes fixes.
Le rythme de cette croissance est époustouflant. Il suffit de comparer le
nombre de téléphones cellulaires au Kenya en 2000,15 000, à celui d’aujourd’hui,
15 millions, pour s’en rendre compte.
Le développement des services bancaires sur mobile est un exemple
frappant des innovations en Afrique et de la manière dont une pratique adaptée au
contexte local peut générer une vague de solutions innovantes et révolutionnaires.
Au Kenya, plus de 30 % de la population dispose d’un compte virtuel. Les transferts
- 82 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
d’argent entre individus atteignent 17 % du PIB, et la moitié de ces transactions ne
dépasse pas 10 dollars. Les comptes virtuels sont utilisés pour transférer
rapidement de l’argent à des proches dans le besoin ou effectuer des paiements en
s’exonérant des coûts élevés des services bancaires traditionnels.
Au Ghana, les détenteurs d’un compte bancaire mobile sont plus
nombreux que ceux qui disposent d’un compte ordinaire. Dans ce même pays, un
opérateur téléphonique sud‐africain s’est associé à une société d’assurances pour
proposer le versement des cotisations d’assurance‐ vie par téléphone mobile. Les
taux de croissance des banques de détail dans un pays comme le Kenya depuis sept
ans se situent entre 30 et 35 %.
Pour Lionel Zinsou : « Le continent connaît la progression la plus rapide
dans l’histoire des sociétés en matière de bancarisation. ». Une épargne
significative apparaît dans les comptes bancaires et peut désormais être mise à
disposition dans l’économie sur les marchés financiers. En passant désormais par
des circuits professionnels, l’épargne devient active. L’Afrique anglophone est à cet
égard plus rapide dans son évolution que l’Afrique francophone et a déjà mis en
place des systèmes de fonds de pension et des mécanismes de financement long de
l’économie. Plus de 400 milliards de dollars se retrouvent dans les comptes des
fonds de pension en Afrique. Ces ressources d’épargne et d’assurance vie financent
également les Etats qui vont alors sur les marchés. Ces derniers peuvent désormais
émettre des obligations et se financer sur les marchés intérieurs, sans risque de
change. On a donc une activation de l’épargne du continent sous forme moderne.
2. La confiance retrouvée des investisseurs
Compte tenu de la remarquable croissance qu’il enregistre depuis 2000, le
continent est désormais regardé par beaucoup comme une « nouvelle frontière »,
un pôle mondial potentiel de croissance.
« Finie la famine, vive la croissance » semble dire le cortège d'études
menées par des organisations internationales et des cabinets de conseil de premier
plan qui pointent toutes vers un « moment africain ». Ce nouveau narratif a installé
un début de confiance. Et la confiance, à son tour, les investisseurs.
Ainsi les banquiers, économistes et investisseurs entendus par le groupe
de travail ont, à l’unanimité, souligné les opportunités d’un décollage durable du
continent fondé sur des facteurs structurels.
De concert, chacun a souligné que les conflits politiques étaient en recul,
la croissance économique vigoureuse et la gestion économique, la gouvernance et
la stabilité politique améliorées.
Matthieu Pigasse, président de la Banque Lazard, a expliqué son choix
d’ouvrir une branche africaine : « C'est le fruit de notre expérience. Depuis des
décennies, Lazard conseille les gouvernements africains ….. Nous y avons acquis la
conviction que l'Afrique subsaharienne dispose de potentialités extraordinaires. ….
Aujourd'hui, le continent représente 4 % de la richesse mondiale ; en 2030, il en
CHAPITRE 1 : - 83 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
pèsera 7 %, et 12 % en 2050. Il sera alors plus riche que l'Europe et pèsera les deux
tiers des États‐Unis et de l'Europe réunis… » .Et de conclure : « le 21è siècle sera
africain ».
A Addis Abeba, à 15 jours du 50e anniversaire de la création de l’Union
Africaine, on nous a répété que toutes les mutations en cours ont contribué à
modifier profondément la perception que l’Afrique a de son avenir, le pessimisme
cédant la place à un espoir immense et les puissances économiques traditionnelles
comme nouvelles se faisant entendre pour proposer leur partenariat.
Madame Nkosazana Dlamini‐Zuma, Présidente de la Commission de
l’Union africaine, nous a même clairement affirmé que « L’Afrique n’a plus à
attendre que l’initiative vienne de l’extérieur, elle n’a plus besoin d’aide, même si
elle est la bienvenue, mais d’investissement ». Et force est de constater que le
niveau des investissements directs étrangers fait aujourd’hui jeu égal avec les
montants de l’aide au développement.
Abandonner l’aide au profit des investissements ? C’est sans doute aller
vite en besogne. C’est ignorer nombre de fragilités, notamment dans ce qu’on
appelle « l’environnement des affaires » et les infrastructures. C’est ignorer que
dans les PMA, l’intervention des bailleurs de fonds internationaux reste une source
essentielle de financements extérieurs. Reste que poser la question, c’est déjà
changer d’époque et de regard.
Le parcours de deux des plus hauts responsables de l’aide publique
française entendu par le groupe de travail est illustratif de cette évolution. M. Jean‐
Michel Severino, ancien vice‐président de la Banque mondiale, ancien directeur
général de l’AFD est aujourd’hui président d’« Investisseurs et Partenaires pour le
développement », un fonds d’investissements dans les PME africaines. Luc
Rigouzzo, ancien directeur de cabinet du ministre de la coopération, ancien
directeur général de Proparco, filiale de l’AFD, est aujourd’hui président d’une
société de conseil en financement et investissement pour l’Afrique.
Pour beaucoup, il ne s’agit pas seulement d’un changement de rythme,
mais d’un changement de nature, fondé sur des éléments structurels tels que
l’urbanisation, l’émergence d’une classe moyenne, l’éducation et les évolutions
démographiques.
Point de doute pour Luc Rigouzzo : « une grande partie des économies du
continent subsaharien est en passe de se transformer d’économies de comptoirs
assises sur les exportations de ressources naturelles en économies endogènes
diversifiées et nourries par un marché intérieur en croissance continue. »
Force est de reconnaître que les investissements sont là. Des investisseurs
étrangers, qui n’auraient jamais pensé à l’Afrique il y a une décennie, affluent
désormais en quête de nouvelles opportunités. Les échanges s’accroissent plus
rapidement encore avec l’intégration croissante des entreprises aux marchés
mondiaux.
- 84 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
D’après un rapport de la Conférence des Nations unies pour le commerce
et le développement (CNUCED) sur les tendances en matière d’investissements, les
IDE en Afrique ont été multipliés par 7 entre 2000 et 2008 pour atteindre un record
de 62 milliards de dollars en 2008.
Ces investissements restent mal répartis, les dix principaux pays de
destination (Nigeria, Égypte, Afrique du Sud, Maroc, Libye, Soudan, Guinée
Équatoriale, Algérie, Tunisie et Madagascar) en absorbant une très grande partie
destinée aux secteurs du pétrole et des ressources minérales. Leur allocation à des
secteurs porteurs d’une croissance pérenne et fortement créatrice d’emplois est un
enjeu considérable.
Ces prédictions ont généré une certaine euphorie économique, qui est
naturellement bienvenue, mais qui ne devrait néanmoins pas nous faire oublier
l’autre réalité africaine, celle de la pauvreté, celle des défis complexes concernant
la sécurité des populations.
3. Une amélioration de la situation sociale
Le continent africain n’est pas passé de l’ombre à la lumière. Comme nous
le verrons, des poches de sous‐développement et de conflits se perpétuent.
Si l’Afrique s’éveille pour une partie de la classe moyenne africaine
occidentalisée, on ne peut oublier qu’une partie des populations restent plongées
dans l’incertitude et la pauvreté.
Les taux de croissance affichés ne sont pas des illusions, ils sont en
revanche à prendre à leur juste mesure.
Premièrement, l’Afrique part de loin. Il y a quinze ans, quand a débuté la
phase actuelle, le PIB de l’Afrique équivalait à celui de la Belgique ; aujourd’hui il
est comparable à celui de la France. « La vraie question qu’il faut avoir à l’esprit
c’est que, sur la dynamique actuelle, il pourrait être au niveau de la Chine dans
vingt ans » nous a dit Jean‐Michel Severino.
Mais, actuellement, son poids dans le PIB mondial ne dépasse pas 4 %,
contre 6 % pour l’Inde, 15 % pour la Chine ou 9 % pour l’Amérique latine et les
Caraïbes.
Deuxièmement, le rythme actuel de la croissance doit être comparé à celui
de la population. Sur dix ans, le taux de croissance par habitant en Afrique
subsaharienne n’est que de 2 % en raison du fort taux de croissance de la
population. Ailleurs, en Chine, dont la population du continent est comparable en
nombre sur la même période, ce taux de croissance moyen est de 10 %.
CHAPITRE 1 : - 85 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
Il reste que le continent a pris le tournant de la croissance grâce à une
évolution structurelle de ses économies. C’est là la nouveauté. Un retour dans le
temps permet de mesurer les progrès que connaît la région, car les parcours des
émergents montrent combien il est important de s'intéresser aux dynamiques au‐
delà des images figées.
Même à ce niveau, la croissance africaine et les politiques publiques mises
en place ont permis d’améliorer la situation sociale de ces pays.
Les données indiquent que la pauvreté a reculé dans certains pays
africains. Ainsi l’Éthiopie, qui a enregistré pendant les huit années allant de 2000 à
2010 une croissance très élevée a connu une réduction spectaculaire de la
pauvreté ; la proportion de la population vivant avec moins de 1,25 dollar par jour a
baissé, passant de 55,6 % en 2000 à 39 % en 2005 (Banque mondiale, 2010). Au
Mozambique, la croissance a atteint 7,5 % par an pendant 15 ans, faisant plus que
doubler le revenu réel moyen (même si le taux de pauvreté stagnait à 55 % en
2010, contre 69 % en 1997).
Au Mali, l’économie a progressé annuellement de 5,5 % depuis le milieu
des années 90 : la pauvreté a diminué d’un tiers et le taux d’achèvement de l’école
primaire a doublé. Au Cap‐Vert, avec une croissance atteignant en moyenne 6 %
par an pendant près de deux décennies, le taux de pauvreté est passé de 40 % à
20 %. Au Burkina Faso, le taux d’achèvement de l’école primaire est passé de 24%
en 2001 à 54 % aujourd’hui, soit un processus de scolarisation plus rapide que celui
que les États‐Unis ont pu faire au XIXe siècle.
Le tableau suivant illustre les progrès effectués dans les pays en
développement en général, y compris les émergents, et en Afrique subsaharienne
de 1990 à 2010. Ils sont considérables. Mais, en même temps, il permet de mesurer
le retard de l’Afrique subsaharienne sur de nombreux sujets.
- 86 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Bilan des objectifs du millénaire pour le développement, Afrique subsaharienne.
B. DES TRANSFORMATIONS STRUCTURELLES
1. Un environnement plus favorable à la croissance
Si la croissance a été plus forte, c'est aussi parce que la gestion
économique a été meilleure et que les instabilités politiques ont été réduites.
a) Une stabilisation du cadre macro‐économique
Ce dynamisme a été, en effet, d'abord permis par la nette amélioration
des politiques macroéconomiques. L'inflation moyenne pendant la décennie 1990
était de 22 %, alors qu'elle est passée à 8 % dans la décennie suivante malgré la
hausse des prix du pétrole.
De la même façon, sur la même période, l'endettement public extérieur a
été divisé par trois (103 % du PIB pour la période 1995‐2000 contre 34 % pour la
période 2001‐2013).
Cette amélioration des finances publiques est le fruit d'efforts mutuels :
ceux des pays africains, qui ont réduit leur niveau de déficit de 60 % en une
décennie et ceux des partenaires au développement, qui ont procédé à des
allègements de dette considérables depuis le sommet du G7 de Lyon en 1996.
La dette extérieure totale de l’Afrique en proportion du PIB est ainsi
passée de 53,6 % en 2004 à 34,2 % en 2013, un niveau très nettement inférieur au
niveau européen.
Ce mouvement de désendettement s’explique en particulier par les
allègements de dette consentis au titre de l’Initiative PPTE, d’IADM et des efforts
bilatéraux additionnels. La dette de 28 pays africains a ainsi baissé de 83 % après
ces initiatives.
- 88 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Cette amélioration de la situation des finances publiques largement due
au processus d’annulation des dettes ne doit cependant pas conduire à un ré‐
endettement trop rapide des États et des entreprises publiques.
CHAPITRE 1 : - 89 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
Alors que la région achève à peine le processus de désendettement auprès
des bailleurs traditionnels (essentiellement ceux du Club de Paris) et multilatéraux
dans le cadre du processus PPTE, plusieurs pays à revenu intermédiaire sont tentés
de se ré‐endetter à des conditions non concessionnelles auprès de certains
partenaires émergents.
Ainsi M. Ramon Fernandez, directeur général du Trésor, a attiré notre
attention sur ce point en soulignant que : « si l’endettement du secteur public dans
son ensemble est passé de plus de 100 % du PIB en 2001 à 28 % en 2008, il connaît
de nouveau une trajectoire ascendante et atteint 42 % du PIB en 2012. ».
b) Une amélioration de la gouvernance politique
Ensuite, même si la situation du Sahel nous rappelle que la situation
politique est loin d'être stable partout, des progrès notables doivent être notés.
Le nombre de conflits, avec plus d'un millier de morts, a presque baissé de
moitié (4,8 par an pour les années 1990 contre 2,6 pour les années 2000). Même si
des progrès sont encore attendus pour les Africains, la démocratie s'étend et se
renforce. En 1990, année du discours de La Baule, on comptait seulement trois
présidents élus.
Depuis, 36 pays ont évolué de la dictature militaire ou de systèmes à parti
unique vers des formes de multipartisme et de démocratie.
Les pays africains continuent de progresser dans la voie de l'ouverture
politique et les taux de participation électorale ainsi que la participation de la
société civile à la vie politique ont connu une constante évolution. La situation n'est
toutefois pas idyllique. Il reste à institutionnaliser la culture de la démocratie –
notamment par le développement de contre‐pouvoirs – et à renforcer I’État de
droit, étant donné que les vestiges de l'autoritarisme menacent les processus
démocratiques, que la démocratie consensuelle n'est pas encore ancrée au sein de
la classe politique et que des législations restreignant l'espace de participation
politique de la société civile ont été adoptées dans plusieurs pays. De ce fait, les
tensions, les conflits et les crises politiques y sont fréquents.
Des progrès remarquables dans la création et le renforcement
d'institutions et de programmes régionaux de gouvernance politique.
Entre 2000 et 2011, l'Afrique a connu des progrès remarquables dans la
création d'institutions et de programmes régionaux de gouvernance politique. On
peut citer entre autres le Nouveau partenariat économique pour le développement
(NEPAD/NPCA), le mécanisme africain d'évaluation par les pairs (MAEP), le Conseil
économique, social et culturel de l'Union africaine (ECOSOCC), le Parlement
panafricain (PAP), la Cour de Justice des Droits de I'Homme et des Peuples (CJDHP),
la création et la montée en puissance de l'action de cités et gouvernements locaux
unis d'Afrique (CGLUA), le lancement de la conférence africaine des ministres de la
décentralisation (CADDEL) en tant que structure permanente. On peut aussi noter
la reconnaissance par l’Union africaine du rôle joué par les communautés
- 90 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
économiques régionales (CEEAC, CEDEAO, EAC, SADC, COMESA, IGAD, CEN‐SAD) de
pilier de son action et de son développement.
Sur un autre plan, il y a désormais 32 pays africains qui participent de
manière volontaire au processus du Mécanisme d'évaluation par les pairs (MAEP). Il
s'agit d'un dispositif participatif unique dans le monde permettant aux pays
africains et à leurs sociétés civiles d'auto‐évaluer les progrès qu'ils réalisent.
Les changements réalisés vers la mise en place d'un environnement
porteur pour le développement du secteur privé sont restés lents. Les
privatisations des entreprises étatiques se sont progressivement ralenties, peut‐
être parce que la plupart des entreprises rentables ont été privatisées. Peu de pays
disposent d'un régime anti‐monopole bien développé. La réduction des pesanteurs
administratives jouant contre les entreprises a été notable, mais le coût des
transactions est resté élevé et les faiblesses dans l'exécution des contrats, la
protection des droits de propriété et la gestion des entreprises ont été des
difficultés récurrentes dans la plupart des pays.
De façon générale, le contexte institutionnel global s'est aussi largement
amélioré : l'indice CPIA (Country Policy and Institutional Assessment) de la Banque
mondiale à travers lequel elle mesure l’évolution de la qualité de la gouvernance
est passé de 2,6 en 1995, en moyenne, à 3,4 en 2011, et, sur la même période, le
nombre de pays considérés comme ayant des bonnes performances est passé de 5
en 1997 à 21 en 2011 (CPIA>3,5).
2. Cette croissance est tirée par les ressources naturelles
(pétrole, manganèse), de la Guinée (bauxite, alumine, or et diamant), de la Sierra
Leone (diamant) et du Soudan (pétrole et de l'or). Les minéraux et les combustibles
minéraux représentaient plus de 50% des recettes d'exportation du Mali (or), de la
Mauritanie (minerai de fer), du Mozambique (aluminium), de la Namibie (diamant,
uranium, or et zinc) et de la Zambie (cuivre et cobalt).
Une part non négligeable de la croissance des économies africaines repose
donc encore sur des facteurs extérieurs. Le poids dans cette croissance de la
variation des prix des matières premières, de la croissance des émergents ou des
industries extractives ne peut être ignoré. Étant donné que ces éléments
constituent des formes de rentes, le développement africain dépendra de sa
capacité à capitaliser sur les richesses du continent, notamment en développant sa
capacité à transformer les matières premières sur place.
L'Afrique sub‐saharienne est déjà la deuxième région exportatrice de
pétrole au monde et elle représente 10 % des réserves hydrauliques mondiales
économiquement exploitables. Elle concentre également près de 60% des nouvelles
terres arables du monde et une part importante des stocks de certains minerais et
métaux rares s'y trouve également.
- 92 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
CHAPITRE 1 : - 93 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
Si l'on se tourne vers l'avenir, une question essentielle consiste à
déterminer si ce bond en avant restera un épisode exceptionnel ou s'il marquera un
réel décollage économique de l'Afrique. La croissance du continent s'était
également emballée pendant le boom pétrolier des années 70, mais avait ensuite
brutalement ralenti lors de l'effondrement des cours du pétrole et des autres
matières premières dans les deux décennies suivantes. Notre analyse tend à
indiquer que les perspectives de croissance à long terme du continent sont cette
fois solides, même si certaines économies africaines pourraient encore essuyer des
revers. Ces perspectives positives se fondent en effet tout à la fois sur des
tendances globales et sur des changements à l'œuvre à l'échelle des sociétés et
économies du continent.
Tout d'abord, l'Afrique va continuer à bénéficier de la hausse de la
demande mondiale en pétrole, gaz naturel, minerais, denrées alimentaires, terres
arables et autres ressources naturelles. La demande de matières premières est
tirée principalement par les économies émergentes, qui représentent à présent la
moitié du commerce africain.
Dans les années à venir, la place de l’Afrique dans l’industrie minière
devrait augmenter. En effet, les réserves mondiales se trouvent, pour une part non
négligeable, en Afrique dont le sous‐sol a été beaucoup moins exploré qu’ailleurs.
Selon la direction du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), les
dépenses d’exploration par kilomètre carré sont encore cinq fois moins élevées
qu’au Canada ou en Australie.
L’Afrique est ainsi considérée comme la « nouvelle frontière » de
l’industrie minière et les pays les plus explorés sont bien sûr l’Afrique du Sud et la
Zambie, mais aussi la Namibie, la Tanzanie, la RDC, le Ghana et, parmi les pays
francophones, le Burkina et le Mali. Pour le moment, l’Afrique subsaharienne ne
consomme qu’un faible pourcentage de sa production de minerais qui est donc
essentiellement exportée.
Les exportations de minerais de l’Afrique subsaharienne
Milliards de dollars et % du total mondial : 2000 2010
Milliards de dollars
18 12%
12 8%
10
6%
8
6 4%
4
2%
2
0 0%
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010
Source : à partir de Comtrade.
- 94 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
De même, dans le domaine des hydrocarbures, l’Afrique, comme nous
l’ont souligné les dirigeants de Total, offre des perspectives plus qu’intéressantes.
Sur les 2 600 milliards de barils de ressources pétrolières dans le monde,
242 milliards de barils soit 9% sont situées en Afrique. L'Afrique possède également
environ 10 % des ressources de gaz du monde.
Les zones traditionnelles sont l'Afrique du Nord (Algérie, Libye, Egypte), le
Golfe de Guinée (Nigeria, Angola, Guinée Équatoriale, Congo, Gabon). Les nouvelles
zones d’exploitation sont situées en Mozambique, Tanzanie et Ouganda. Les
prospections, quant à elles, se diversifient à l'ouest : Mauritanie, Côte d'Ivoire,
Ghana, au sud Afrique du Sud et à l'est Kenya, Soudan du Sud.
Le secteur minier et pétrolier est au cœur de la croissance africaine mais
également de certains systèmes politiques africains, qu'il les stabilise ou les
déstabilise en fonction de l'évolution des cours et de mystérieux jeux de pouvoir
qui se déroulent, au‐delà du continent, dans des conseils d'administration.
Le secteur minier et pétrolier : une
source de conflits locaux, nationaux et régionaux
Du fait des enjeux de pouvoir qu'il cristallise, ce secteur est aussi une
source de conflits locaux, nationaux et régionaux comme le démontre la situation
de la RDC ou du Darfour. Dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC),
l'exploitation artisanale des minerais bénéficie en partie aux groupes armés : cette
capacité d'autofinancement explique leur effrayante durabilité et est à l'origine de
leur pouvoir. En raison de l'importance des hautes technologies,
l'approvisionnement en minerais critiques est en train de devenir aussi stratégique
que l'approvisionnement en hydrocarbures.
Les conflits armés suscités par les revenus des gisements et des mines ont
été tels depuis l’indépendance qu’on a pu parler de « malédiction des ressources »,
bien que cela soit moins ces dernières qui sont en cause que l’usage qui en est fait.
Malgré cela, ces activités seront un moteur du développement des pays
africains qui peuvent en retirer une source de financement majeur de leurs
infrastructures à condition que ces ressources naturelles soit exploitées de façon
transparente, équitable et optimale.
On observe de ce point de vue, au début de notre siècle, un vaste
changement de paradigme des politiques de développement minier et pétrolier qui
vise à rééquilibrer les contrats, à assurer un meilleur partage de la rente, à
renforcer la transparence et les exigences en matière de responsabilités sociale et
environnementale.
La vague de renégociation des contrats qui a débuté en Amérique latine a
fini par se répandre en Afrique, notamment sur les conseils de la Banque mondiale.
Le mouvement de modification des règles qui lient les États aux firmes
multinationales du secteur minier en est une illustration : projet de hausse de la
fiscalité en Afrique du sud et en Tanzanie, volonté de révision des contrats miniers
au Niger, au Sénégal et au Mozambique, adoption d'un nouveau code minier en
CHAPITRE 1 : - 95 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
Guinée en 2011, doublement des royalties en Zambie. Le Libéria avait ouvert la voie
en 2006, puis la Zambie en 2007. Le Ghana entend réformer le secteur aurifère.
Hausse des impôts et taxes, prises de participations publiques,
renégociation des contrats et investissements d'origine locale sont des voies suivies
déjà par une douzaine d'États africains riches en minerais, et ils le sont
probablement tous.
La renégociation tend à devenir la norme en cas de changement de
régime. Le président nouvellement élu en Guinée‐Conakry a lancé une révision des
contrats miniers qui défraie la chronique et, sitôt son putsch commis en
Centrafrique, Michel Djotodia a annoncé vouloir relire les contrats signés par le
précédent régime avec la Chine et l'Afrique du Sud.
Vers un nouveau partage de la rente minière ?
Parallèlement les sociétés africaines réclament de plus en plus
vigoureusement leur part de la rente et tentent de modifier le circuit de
redistribution. En conséquence, par le haut et par le bas, l'Afrique semble vouloir
exercer un meilleur contrôle sur des acteurs. Cette dynamique triangulaire, dans
laquelle s'immiscent en outre des institutions internationales, connaît une
évolution rapide.
Au‐delà des aspects environnementaux, humains et sociaux, de la gestion
et du partage des recettes minières, les réflexions en cours à la Banque mondiale,
au FMI et à l’Union Africaine se focalisent sur les stratégies pour promouvoir des
partenariats plus axés sur le développement en matière de production et de
création de valeurs, d’infrastructures et de mise en place d’industries connexes.
L’idée notamment de la Vision africaine des mines, que les dirigeants du
continent avaient adoptée en 2009, était d’augmenter la part de la valeur ajoutée
produite en Afrique.
Ce secteur est ainsi au cœur de nombreuses problématiques essentielles
au développement du continent : la mobilisation de ressources fiscales propres,
l’industrialisation des économies par la captation de la valeur ajoutée et
l’intégration au tissu économique local.
3. ..mais aussi par l’émergence d’une classe moyenne africaine
Nombreux sont ceux qui considèrent que, plus que sa richesse en
ressources naturelles, le véritable pilote de la croissance africaine demeurera
l'émergence de sa classe moyenne.
L’industrie extractive représente encore indéniablement une part
importante de l'économie du continent, et les exportations de matières premières
ont soutenu la croissance de manière considérable au cours de la dernière
décennie. Une nouvelle tendance se fait néanmoins jour avec une croissance dans
le domaine agricole, dans l'industrie légère, dans l'informatique et les services, qui
est tirée par la consommation des ménages les plus aisés. Ce phénomène est
- 96 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
d’autant plus important qu’il jette les bases d’une croissance endogène moins
dépendante de la demande extérieure.
Une décomposition plus fine montre que des secteurs à forte croissance
ont émergé en dehors du secteur extractif qui ne représente au total que 32 % du
PIB africain.
Force est de constater que la croissance du secteur manufacturier est
identique à celle du reste du secteur industriel. Il en va ainsi de la vente en gros et
en détail (13 % du changement dans le PIB réel entre 2002 et 2007), de la
construction et des services qui y sont associés (12 %), du transport et des
télécommunications (10 %) ou de l'intermédiation financière (6 %). L’ensemble de
ces secteurs sont responsables de plus d'un tiers de la croissance africaine et
affichaient des taux de croissance de plus de 6% par an.
Ces secteurs sont portés par une demande interne croissante et par
l'émergence de classes moyennes africaines : le PIB total de l'Afrique est
aujourd'hui comparable à celui de la Russie ou du Brésil et le nombre de ménages
avec des revenus de plus de 20 000 dollars par an est déjà supérieur à celui de
l'Inde.
Une classe moyenne africaine
comparable à celle de la Chine ou de l'Inde ?
D'après les calculs de la Banque africaine de développement (BAD), la
classe moyenne africaine rassemble 326 millions de consommateurs qui dépensent
entre 2 et 20 dollars par jour, dont plus de la moitié dans une « classe moyenne
flottante » qui vit avec 2 à 4 dollars par jour.
Avec cette approche, la taille de la classe moyenne africaine serait
comparable à celle de la Chine ou de l'Inde, bien qu'elle soit plus pauvre et moins
homogène.
La définition de cette classe moyenne, selon l’intervalle de revenu retenu,
varie considérablement. Mais ce qui est en jeu c’est l’apparition d’une part
croissante de la population qui sort de l’urgence de la satisfaction des besoins
primaires pour acquérir des biens durables, voire épargner, tout en restant exposée
aux aléas économiques.
Une nouvelle tendance fondamentale apparaît dans les analyses publiées
sur l'Afrique par les grands cabinets de consultants. Ils conseillent à leurs clients
internationaux de réviser leurs stratégies. Ils prédisent que la production mondiale
devra être réajustée pour satisfaire les besoins d'une classe moyenne africaine en
croissance, en partie avec des revenus probablement limités, dans les pays en voie
de développement.
Une stratégie industrielle
gagnante : cibler le bas de la pyramide
D'après Ernst & Young, les futures stratégies d'entreprise devront
absolument être ajustées à l'expansion de la demande des catégories moyennes en
s'assurant que leur modèle économique est « adapté à une clientèle à faibles
CHAPITRE 1 : - 97 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
revenus ». De fait, la stratégie consistant à cibler le bas de la pyramide est
désormais étudiée par de nombreuses multinationales notamment dans l’industrie
pharmaceutique.
Le moteur de la croissance africaine repose désormais en partie sur la
consommation. Nous avons été à Pretoria et au Cap. La dépendance de l'Afrique du
Sud à l'égard des ressources naturelles, par exemple, est tout à fait marginale.
Désormais, son secteur des TIC contribue à plus de 7 % du PIB, à comparer aux 6 %
des industries minières. En Tunisie et en Tanzanie, les TIC atteignent
respectivement 10 et 20 % du PIB.
Le développement de la consommation par les classes moyennes
africaines va être soutenu par les deux processus de long terme que sont
l’urbanisation et l’augmentation des actifs.
Ainsi pour McKinsey Global institute1 : « la croissance à long terme de
l'Afrique va reposer davantage aussi sur des ressorts internes : des tendances
sociales et démographiques interdépendantes qui vont entraîner de nouveaux
moteurs de croissance domestique. Les principales sont l'urbanisation et l'ascension
des consommateurs africains des classes moyennes. En 1980, à peine 28 % de la
population africaine vivait en ville. »
Aujourd'hui, on compte 40 % de citadins, un pourcentage proche de celui
de la Chine et supérieur à celui de l'Inde – et ce taux devrait continuer à progresser.
Lorsque le nombre d'Africains délaissant les travaux agricoles pour des emplois
urbains augmente, leurs revenus suivent la même tendance.
C. UNE CROISSANCE INÉGALEMENT RÉPARTIE
Ces évolutions et ces progrès ne sont évidemment pas uniformes et ne
peuvent pas être considérés comme des acquis immuables. Certaines régions
comme certains pays sont, de fait, restés à l'écart de ces dynamiques. En plus de
connaître des croissances par habitant négatives, ils constituent parfois des foyers
d'instabilité régionale dont les risques ne peuvent pas être sous‐estimés. Les
poches de mauvaise gouvernance sont autant d'endroits où les intérêts mafieux et
idéologiques tentent de s'imposer.
1. Une dynamique qui n’emporte pas l’ensemble du continent
1
« L'heure des Lions » : L'Afrique à l'aube d'une croissance pérenne
- 98 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
investir dans les fondements essentiels des sociétés efficaces — l’éducation, la santé
et les infrastructures vitales » affirmait Kofi Annan, septième Secrétaire général des
Nations unies, en 2011.
Cette renaissance africaine est cependant loin de toucher l’ensemble du
continent. D’abord, les points de départ sont inégaux. Nous avons traversé
l’Éthiopie et l’Afrique du Sud. Ce sont encore deux mondes qui ont peu de choses
en commun. Prenez le revenu par habitant en 2010, il variait de 170 USD au
Burundi à 14 500 USD en Guinée Équatoriale. Ensuite le rythme de croissance, les
processus de développement et leurs conséquences sociales diffèrent très
sensiblement d’une région à l’autre, d’un pays à l’autre.
Un important groupe de pays africains n’a encore pas pu bénéficier des
retombées de cette croissance. Pour des raisons différentes, le Burundi, la
République Centrafricaine dont le PIB a chuté de 30 % depuis l’indépendance, le
Tchad, les Comores, la République du Congo, la République démocratique du Congo
dont le PIB a été divisé par 4 depuis l’indépendance, la Côte d’Ivoire, Djibouti, la
Guinée, la Guinée‐Bissau, la Somalie, le Soudan, le Togo et le Zimbabwe sont restés
plus ou moins à l’écart de cette dynamique.
Inégalités entre pays, inégalités au sein des pays
On estime que plus de 200 millions d’Africains répartis dans 17 pays vivent
dans des pays touchés par le conflit et l’instabilité. Autrement dit 20 % de la
population d’Afrique subsaharienne ne participent pas à cette dynamique positive.
Ces pays fragiles font face à un nombre impressionnant de problèmes de
développement et de pièges causés par la pauvreté. Peu d’entre eux sont sur la
bonne voie pour atteindre ne serait‐ce qu’un seul objectif du Millénaire pour le
développement. Il existe une interdépendance complexe entre les conflits et la
pauvreté. Des pays comme la RDC ou la Centrafrique peuvent être pris dans un
cycle de conflits, dans lequel la mauvaise gouvernance et le sous‐développement
chronique sont à la fois une cause et une conséquence de la violence.
Là où le conflit est devenu un phénomène régional, comme dans la région
des Grands Lacs, il peut s’avérer difficile pour les États pris individuellement
d’échapper au cycle de violence sans une avancée à l’échelle régionale. Il existe
également une étroite interdépendance entre la fragilité, la sécurité alimentaire et
la gestion des ressources naturelles. Ces États fragiles d’Afrique font face à un
énorme déficit en infrastructures et en établissements sanitaires, à cause de
nombreuses années d’inaction.
Sur ces 200 millions d’habitants d’États fragiles, jusqu’à 80 % de cette
population vit de l’agriculture de subsistance et plus de 50 % a un revenu inférieur
à 1,25 dollar par jour.
CHAPITRE 1 : - 99 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
Les situations changent cependant rapidement. En l’Afrique de l’est, le
Mozambique semble aujourd’hui sur la voie d’une croissance continue après des
années d’une guerre civile particulièrement meurtrière. Nous avons vu en Côte
d’Ivoire après dix années de crise une reprise de la croissance qui, d’après les
estimations, s’établit à près de 10 % en 2012.
Inégalités entre pays, inégalités au sein des pays. La croissance africaine
n’est ni suffisamment inclusive, ni suffisamment riche en emplois. A titre
d’illustration, dans l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, 200 millions de jeunes
Africains âgés de 15 à 24 ans sont sans emploi : ils représentent 60 % des chômeurs
du continent. 52 millions d’enfants ne sont pas scolarisés. Parmi les dix pays au
monde où les inégalités sont les plus accentuées, six sont en Afrique (Namibie,
Afrique du Sud, Lesotho, Botswana, Sierra Leone, République centrafricaine).
La croissance n’a pas encore endigué la pauvreté, qui reste, nous le
verrons, un défi majeur pour l’Afrique.
2. Des performances, des profils et un degré de diversification variable
Structurellement, les pays disposant d’une rente pétrolière ou minière ont
bénéficié, sauf exception, d’une croissance économique relativement plus
vigoureuse en moyenne. C’est le cas de l’Angola, du Nigéria ou du Mozambique.
Mais le Congo où 50 % de la population vit avec moins de 1 dollar, alors que les
recettes du pétrole s’élèvent à 2,5 dollars par habitant et par jour, constitue un
contre‐exemple qui s’explique par la captation de la rente pétrolière et minière.
Si on regarde les quatre dernières années, les 11 pays d’Afrique les plus
performants ont atteint le seuil de 7 %, considéré comme étant un préalable à la
réalisation des OMD, l’Éthiopie et la Sierra Leone occupant les deux premières
places.
Le résultat de l’Éthiopie est d’autant plus remarquable que le pays ne
dispose pas de ressources du sol. La croissance en Éthiopie est due à
l’augmentation des investissements publics et privés, à l’amélioration de la gestion
macroéconomique et au rôle accru du secteur manufacturier et des services,
notamment. La croissance en Sierra Leone reflète essentiellement la reprise après
la guerre civile ainsi que la mise en exploitation des ressources naturelles.
La liste des pays les plus performants (Éthiopie, Sierra Leone, Libye,
Ghana, Rwanda, Liberia, Malawi, Zimbabwe, Nigeria, Mozambique) n’en souligne
que davantage l’importance centrale de la production et des exportations de
produits de base. Ces pays sont, dans leur majorité, fortement tributaires du
pétrole et/ou des minéraux.
A l’opposé, le Swaziland, le Soudan, Madagascar, les Comores et l’Afrique
du Sud ont réalisé les performances les plus faibles durant la période 2008‐2012.
L’économie du Swaziland a connu un ralentissement en raison notamment
du déclin de l’industrie textile et du vêtement. Le faible taux de croissance du
- 100 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Soudan est largement dû à une contraction de 11 % en 2012, provoquée par
l’environnement politique, la poursuite de la guerre civile, la sécession du Soudan
du Sud et les tensions frontalières qui en ont découlé, autant de facteurs qui
expliquent la faiblesse de ses taux de croissance moyens. Cependant, en raison de
l’intensification des efforts de paix aux niveaux national et régional, la croissance
dans ce pays devrait rebondir dans le moyen terme.
L’exposition de l’Afrique du Sud aux marchés financiers mondiaux a joué
un rôle important dans sa faible performance de croissance durant les cinq
dernières années. Nous avons cependant été frappés par la faiblesse des
performances de ce géant de l’Afrique dont le PIB représente 30 % du PIB
subsaharien. L’Afrique du Sud n’est pas la locomotive de la croissance africaine que
l’on envisageait dans les années 90.
Une des façons de comprendre la spécificité, en termes d'opportunités et
de défis, des pays africains est de les classer en fonction de leur niveau de
diversification économique d'une part, et de leurs exportations rapportées au
nombre d'habitants d'autre part.
Ceci permet d'évaluer deux dimensions connexes : la capacité à
développer d'autres sources de croissance économique en plus des ressources
naturelles et de l'agriculture, et la capacité à générer des revenus d'exportation
pour financer l'importation de biens d'équipements nécessaires aux
investissements. L'histoire économique montre que des progrès sur ces deux axes
accompagnent généralement le développement des États.
Le modèle résultant de cette classification permet de distinguer quatre
grands groupes de pays : ceux à économies diversifiées, les exportateurs de
pétrole, ceux à économies en transition et ceux à économies en pré‐transition.
Malgré des différences sensibles entre pays au sein d'un même groupe, les
structures et les défis économiques sont relativement homogènes pour chaque
catégorie. Notre modèle permet ainsi de mieux identifier les opportunités de
croissance au‐delà de la variété des situations nationales.
Parmi les économies diversifiées, qui constituent les moteurs de la
croissance, certaines possèdent déjà une industrie manufacturière et un secteur
des services bien développés, comme l’Afrique du Sud.
Au cours des 10 dernières années, le secteur tertiaire (ex. banque,
télécoms et commerce de détail) a représenté plus de 50 % de la croissance de leur
PIB national. Ces économies affichent les taux de croissance les plus stables
d'Afrique et devraient largement bénéficier du renforcement de leurs liens avec
l'économie mondiale.
Toutefois, les économies africaines diversifiées affichent encore des coûts
unitaires de la main d'œuvre supérieurs à ceux de la Chine ou de l'Inde, et doivent
par conséquent chercher à se développer dans des secteurs à plus forte valeur
ajoutée. Elles devront également relever d'autres défis : accroître leurs
exportations, tant sur les marchés régionaux que mondiaux, améliorer l'éducation
afin de disposer de la main d’œuvre qualifiée indispensable dans les secteurs de
CHAPITRE 1 : - 101 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
Les exportateurs de pétrole africains sont aussi confrontés à des défis
partagés par nombre de pays en développement de par le monde, notamment celui
de préserver la stabilité politique et de maintenir le rythme des réformes
économiques ; de résister à la tentation de trop dépenser et de surinvestir, ce qui
les rendrait vulnérables à un recul des cours des matières premières ; et d'établir
un environnement économique permettant aux entreprises de tous les secteurs de
prospérer.
- 102 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Les économies africaines en transition, au nombre desquelles figurent le
Ghana, le Kenya et le Sénégal, affichent un PIB par habitant inférieur à celui des
pays des deux premiers groupes, mais leurs économies se développent rapidement.
Les secteurs de l'agriculture et des ressources naturelles cumulés pèsent 33 % du
PIB et deux tiers des exportations. Toutefois, ces pays exportent aussi de plus en
plus de biens manufacturés, principalement vers d'autres parties du continent : des
combustibles et produits alimentaires transformés, des produits chimiques, des
vêtements et des cosmétiques par exemple. Développer le commerce intra‐africain
et élargir les marchés régionaux est l'une des sources de croissance future des
économies en transition.
Ces pays pourraient également concurrencer des économies émergentes à
bas coûts sur le marché mondial en améliorant leurs infrastructures et leurs
régimes réglementaires. Par ailleurs, même si le secteur tertiaire connaît une
expansion rapide, les taux de pénétration de certains services comme les télécoms,
la banque ou le commerce de détail formel restent largement inférieurs à ceux des
pays où l'économie est diversifiée, d'où une opportunité pour les entreprises de
répondre à une demande insatisfaite. Enfin, plusieurs économies en transition vont
probablement accroître leurs exportations de ressources naturelles dans les années
à venir, ce qui pourrait stimuler leur croissance. Grâce aux nouveaux gisements
pétroliers récemment découverts, le Ghana et l'Ouganda, par exemple, vont
engranger des recettes supplémentaires qui, judicieusement investies, pourraient
accélérer aussi leur diversification.
3. La croissance est‐elle anglophone ?
Il est devenu coutumier de dire que les trajectoires de croissance entre
pays anglophones et pays francophones divergent fortement depuis quelques
années.
Les pays anglophones connaîtraient une forte croissance alors que les pays
francophones marqueraient le pas.
Un examen des données disponibles sur longues périodes semble
démontrer que ces trajectoires de croissance, si elles sont fortement différenciées,
ne sont pas nécessairement associées à des zones géographiques particulières,
même si globalement les pays d’Afrique francophone semblent parfois plus en
retrait.
CHAPITRE 1 : - 103 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
Pays anglophones Pays francophones
La problématique des effets des hausses de prix des matières premières
est aussi un élément à prendre en compte. Un reclassement des pays selon les
richesses naturelles dont ils disposent permet de constater que les trajectoires de
croissance, notamment entre pays producteurs de matières premières, se
rapprochent et de tempérer une conclusion intuitivement formulée.
Dans les pays anglophones, la croissance est essentiellement portée par
les pays producteurs de pétrole ou riches en ressources minérales. C’est le cas,
notamment, du Ghana, du Nigeria et du Sierra Leone. On constate une tendance
identique pour les pays francophones (Niger, Tchad et Gabon).
En zone francophone, la croissance a été fortement ralentie en raison des
deux crises politiques majeures de 2011 en Côte d’Ivoire (‐ 4,73%) et de 2012 au
Mali (‐ 1,50 %). Les trajectoires de croissance semblent, en zone anglophone êtres
plus stables et moins sujettes aux chocs internes comme externes qu’en zone
francophone.
Les principaux pays porteurs d’activité et de croissance en zone
anglophone restent, classiquement, l’Afrique du Sud et le Nigéria. Le Ghana et le
1
Croissance 2012 reprise des analyses du Fond Monétaire International. Ce chiffre pourrait être révisé
défavorablement pour la croissance malienne.
- 104 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Kenya connaissent une montée en puissance constante et régulière de leur PIB. Les
moteurs de la croissance en zone francophone restent la Côte d’Ivoire et le
Cameroun, mais dans une mesure beaucoup plus modeste que celle des pays de
niveau comparable comme le Ghana ou le Kenya.
Les pays ne disposant pas de ressources naturelles abondantes
connaissent, selon leur zone linguistique, des taux de croissance très différents
mais généralement au détriment des pays francophones.
Si l’on prend les prévisions pour 2013, elles s’élèvent à 6 % pour l’Afrique
de l’Ouest, 6,1 % pour l’Afrique de l’Est, 5,1 % pour l’Afrique centrale et 4 % pour
l’Afrique australe.
Les pays africains les plus performants en 2013 sont répartis sur
l’ensemble du continent : Mozambique (8,4 %), Côte d’Ivoire (8 %), Libéria (8 %),
Rwanda (7,6 %), Ghana (6,9 %), Ethiopie (6,5 %), Niger (6,2 %), Angola (6,2 %).
De même que les pays qui enregistrent les taux de croissance les plus
faibles : Comores (3,5 %), Guinée (3,4 %), Afrique du Sud (2,8 %), Madagascar
(2,6 %), Guinée équatoriale (‐2,1 %).
Cette segmentation des trajectoires de croissance est davantage liée aux
caractéristiques même des pays qu’à leur appartenance à une zone géographique.
Un des principaux déterminants reste celui des richesses naturelles,
notamment des hydrocarbures, pétrole et gaz. A l’inverse, les crises politiques à
répétition restent un facteur discriminant. Chaque sous‐région compte ainsi des
« lions » africains qui connaissent un fort dynamisme économique, mais également
des Etats « faillis » qui continuent de souffrir des guerres civiles et de défaillances
institutionnelles et démocratiques.
L’idée qu’il existerait une Afrique anglophone prospère face à une Afrique
francophone sinistrée est donc largement infondée.
Il faut toutefois noter que le poids de l’Afrique anglophone est supérieur à
celui de l’Afrique francophone, avec un rapport démographique triple : l’Afrique
anglophone a atteint un PIB de près de 898 Md$ pour une population de plus de
480 millions d’habitants face à une Afrique francophone qui a un PIB de près de
163 Md$ pour un peu plus de 170 millions d’habitants.
En revanche, les niveaux de l’indice de développement humain (IDH 2011)
montrent que les pays francophones sont « à la traîne », ce qui pourrait dénoter un
manque de redistribution « inclusive » des gains de croissance dans ces pays.
CHAPITRE 1 : - 105 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
IV. D’IMMENSES DÉFIS RESTENT À RELEVER
A. TRANSFORMER LA CROISSANCE EN DÉVELOPPEMENT
1. Le défi de la pauvreté toujours d’actualité
400 millions de personnes avec moins de 1,25 dollar
par jour, la pauvreté diminue, le nombre de pauvres augmente
Sur l’ensemble du continent, cela représente près de 400 millions de
personnes. Alors évidemment ces chiffres sont discutables. Les difficultés
méthodologiques pour définir et mesurer le concept, ainsi que le manque de
données et leur fiabilité limitée, doivent inciter à la plus grande prudence dans
l’interprétation des tendances.
Il n’en demeure pas moins que les résultats en termes de réduction de la
pauvreté sont relativement décevants et, en particulier dans les zones rurales, très
CHAPITRE 1 : - 107 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
lents. Et compte tenu de la croissance démographique, si la part relative des plus
pauvres diminue légèrement, leurs effectifs augmentent.
En outre, la croissance démographique conduit à absorber beaucoup des
progrès effectués ces dernières années. Car si la proportion de pauvres diminue,
leur nombre augmente au rythme de la population. S’il y a de moins en moins de
pauvreté, il y a de plus en plus de pauvres.
Comme nous l’a fait observer Lionel Zinsou : « Au Bénin par exemple, on
avait à l’indépendance deux millions et demi de citoyens et plus d’un million
d’exclus alors. Aujourd’hui, on a fait considérablement régresser la pauvreté (entre
25 % et 30 % en 2015). Or 25 % d’exclus sur une population de 10 millions
d’habitants, cela fait deux fois plus d’exclus qu’au moment de l’indépendance. »
Entre l’Europe et l’Afrique, les différences de PIB
par habitant peuvent atteindre un rapport de 1 à plus de 500.
De ce fait, l’écart avec l’Europe se creuse. Regarder le dynamisme de
l’Afrique avec envie ne doit pas nous empêcher de voir les extraordinaires
inégalités entre chacune des rives de la Méditerranée. En 2010, selon les
estimations du Fonds monétaire international (FMI), le PIB par habitant atteignait
un peu plus de 177 dollars au Burundi, alors qu’il dépassait 104 000 dollars au
Luxembourg, un rapport de 1 à 587. Ces inégalités considérables sont relativement
récentes au regard de l’Histoire. Il y a seulement 200 ans, l’Européen moyen n’était
qu’environ trois fois plus riche que son homologue africain.
L’Afrique est encore le continent qui comprend 31 des 35 pays les plus
pauvres de la planète.
L’accès à la santé, à l’éducation, à l’eau et aux installations sanitaires reste
toujours inégal, notamment pour les populations rurales.
Ces difficultés se traduisent par un retard du continent africain dans de
nombreux domaines.
Une espérance de vie de 24 années
inférieure à la moyenne des pays de l’OCDE
L’espérance de vie à la naissance qui synthétise l’ensemble des progrès
sanitaires nécessaires à l’allongement de la vie illustre les progrès effectués, mais
aussi leurs limites. Elle progresse de 47,5 ans en 1980, à 52,7 ans en 1990 et 56 ans
en 2010, mais cela reste 24 années de moins que la moyenne des pays de l’OCDE.
- 108 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Au‐delà de la pauvreté, ce sont les inégalités qui sont en train de devenir
un enjeu important pour la stabilité des pays d’Afrique noire, comme cela a été le
cas au Maghreb.
Alors que les niveaux de pauvreté en Afrique subsaharienne se sont
réduits de près de 10 points de pourcentage dans les deux dernières décennies,
l'écart entre le PIB national par habitant le plus faible et le PIB national par habitant
le plus élevé est passé de 1 à 43 en 1990, à 1 à 88 en 2009.
Ces inégalités concernent tout autant les revenus que les conditions de vie
et les aléas. Une couverture sociale couvrant l'ensemble des risques sociaux ne
concerne qu'entre 5 et 10 % de la population en Afrique sub‐saharienne contre
20 % en Asie, un tiers en Amérique Latine.
La plus grande inégalité est celle face à la mort.
Un enfant a 35 fois plus de risques de mourir avant l’âge de 5 ans en
Afrique qu’en Europe.
CHAPITRE 1 : - 109 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
L’espoir est revenu. Il est vrai que l’Afrique au XXIe siècle est l’un des
principaux réservoirs de croissance économique, la plus importante réserve de
ressources naturelles, le plus grand marché en devenir. Il y a une Afrique qui
décolle. Mais n’oublions pas que cette Afrique‐là côtoie un continent de la misère
et de l’inégalité, une Afrique sans eau courante, ni électricité, à l’agriculture
soumise aux aléas du climat et des cours des matières premières, des territoires
immenses qui, à l’image du Sahel, ont été désertés par des administrations
impuissantes à en assurer le développement.
Le Mali, où nos militaires ont conduit de façon exemplaire une opération
périlleuse, nous montre que le terrorisme prospère dans des pays que le
développement a déserté, où les structures étatiques sont exsangues et la jeunesse
désespérée, livrée au fanatisme et aux trafics de toutes sortes.
La lutte contre la pauvreté demeure donc une priorité africaine. Toutefois,
celle‐ci doit être considérée dans un nouveau contexte. Elle passe nécessairement
par son pendant : le défi de la création d'emplois. Les Printemps arabes nous l'ont
montré : la stabilité socioéconomique africaine dépendra de la capacité des États
- 110 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
africains à créer un marché du travail capable d'accueillir les millions d'Africains
supplémentaires qui devraient chercher un emploi au cours des quinze prochaines
années. Il faut le répéter : il ne s'agit pas là de projections puisque ces personnes
sont déjà nées. Dégager des emplois sera impossible sans parvenir à une
diversification des structures productives et à une modernisation des secteurs de
production existants.
La lutte contre la pauvreté passera en Afrique également par des
politiques urbaines. L'urbanisation africaine, la plus rapide que le monde ait connu,
rattrape les taux mondiaux : 35 % des Africains vivent aujourd'hui dans les villes, ils
seront plus d'un sur deux en 2030. Or, les villes africaines comptent déjà
aujourd'hui un nombre d'habitants vivant dans les bidonvilles très supérieur à celui
des autres villes du monde (+ 40 %). Sans politiques volontaristes pour
accompagner l'expansion des villes, en renforcer la gouvernance, la planifier,
répondre au manque de logement, de réseaux d'assainissement et de transports
publics, l'explosion urbaine ne sera pas sans porter de nouveaux risques sanitaires,
sociaux comme politiques, et bien sûr environnementaux.
Lutter contre la pauvreté d'une façon qui ne mette pas en danger les
écosystèmes locaux tout en participant, dans la mesure du possible, à l'effort global
d'utilisation sobre des ressources représente à la fois la frontière et la condition
d'un développement durable africain.
2. Une indispensable industrialisation
La croissance remarquable de cette dernière décennie en Afrique ne s’est
pas traduite par la diversification économique, ni par la création d’emplois en
nombre conséquent.
Ben Turok, figure éminente du « Congress of Democrats », militant
syndicaliste et intellectuel, député de l’ANC, figure historique de la lutte contre
l’apartheid et symbole de l’opposition blanche au système de l’apartheid, nous l’a
dit avec véhémence : « La plupart des économies africaines restent encore
largement tributaires de la production et de l’exportation des produits de base, avec
très peu de création de valeur ajoutée et peu de liens en amont et en aval avec les
autres secteurs de l’économie ».
En partance pour la sixième édition de la conférence commune des
ministres africains des Finances, du Planning et du Développement économique
consacrée à l'industrialisation du continent, il nous a dit : « L'heure du made in
Africa a sonné, l’industrialisation doit être au service de l’émergence de l’Afrique, le
besoin des entreprises africaines de « transfert de technologie » et de formation est
immense, la France peut participer aux transformations du continent, rejoindre le
nouveau monde en investissant en Afrique ».
Force est de constater que les sérieux déficits de capacité des États et des
institutions, d’infrastructures physiques et politiques ainsi que l’incapacité
d’amortir les incidences des chocs extérieurs ont contribué à ce qu’il est convenu
d’appeler « le défi de la transformation » du continent.
CHAPITRE 1 : - 111 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
Le défi majeur qui se pose aux pays africains est de savoir comment
concevoir et mettre en application des politiques efficaces pour promouvoir
l’industrialisation et la transformation économique.
En dépit de quelques progrès accomplis dans le secteur manufacturier au
cours des dix ans passés, le continent n’est pas encore parvenu à inverser la
tendance à la désindustrialisation qui a caractérisé son changement structurel :
entre 1980 et 2010, la part du secteur manufacturier dans la production totale s’est
rétrécie revenant de plus de 12 % à environ 11 %, alors qu’elle est demeurée à plus
de 31 % en Asie de l’Est, où les industries à forte intensité de main‐d’œuvre ont
induit une croissance forte et soutenue et permis de sortir des millions de citoyens
de la pauvreté.
L’Afrique accuse également du retard par rapport à l’Asie de l’Est à
d’autres égards. Cette région a affiché non seulement un revenu par habitant en
hausse, mais également une part croissante des exportations mondiales et des
revenus au cours des quatre dernières décennies. Les politiques industrielles ont
particulièrement connu du succès en Asie de l’Est en raison de l’engagement et de
la vision des dirigeants et des institutions politiques qui ont mis au point et
appliqué des critères stricts de performance pour les industries. Ces dernières ont
bénéficié de subventions et de mesures protectionnistes, avec l’appui d’une
administration publique compétente en grande partie à l’abri des pressions
politiques.
Forts de richesses aussi abondantes et de la demande mondiale croissante
de matières premières, les gouvernements africains établissent actuellement de
nouveaux partenariats, s’emploient à accroître les investissements dans les
infrastructures et à acquérir du savoir‐faire et de la technologie.
Mais la production et l’exportation des matières premières à l’état brut
conduit à un abandon de recettes énormes en l’absence de valeur ajoutée.
« Il n’est pas normal que 60 % de la valeur ajoutée sur le cacao soit
produite hors d’Afrique » nous a dit M. Gnamien Guillaume, directeur de cabinet du
ministre de l’industrie de Côte d’Ivoire.
« Plutôt que de compter sur les exportations de matières premières, le
continent devrait ajouter de la valeur à ses produits de base afin de promouvoir une
croissance soutenue, la création d’emplois et la transformation économique ».
La création de valeur ajoutée aiderait les pays africains à réduire leur
exposition au risque de fluctuations des cours de ces produits et, dans le même
temps, à passer à des produits à plus forte valeur et plus diversifiés, à des marchés
finaux sur lesquels les prix dépendent plus des fondamentaux du marché que de la
spéculation.
Certains pays réussissent à réaliser des progrès substantiels au plan local à
partir des secteurs des produits de base non renouvelables, énergétiques ou
agricoles.
- 112 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
En Éthiopie, nous avons été surpris de constater l'implantation d'usines
chinoise de chaussures fonctionnant avec de la main‐d’œuvre locale et du cuir
local. En 2012, une fabrique de chaussures du groupe Huajian a vu le jour dans la
ville de Dukem, à 30 kilomètres d'Addis‐Abeba. L'entreprise, qui compte Calvin
Klein parmi ses clients, emploie déjà près de 600 salariés, dont la moitié sont
éthiopiens. En bonne marche, elle exporte 20 000 paires de chaussures par mois.
Huajian ne cache pas ses ambitions puisqu'il prévoit d'investir 1,5 milliard d'euros
dans son site africain. Et ce n'est que le début. Engagés dans un partenariat public‐
privé, le gouvernement éthiopien et des investisseurs chinois construisent une zone
industrielle entière. A terme, 80 usines et 20 000 emplois pourraient être créés.
Cette plate‐forme de production et d'exportation sera prête à inonder le marché
local d'ici à 2014.
Au Ghana, Cadbury a investi les capitaux de lancement d’un montant de
2 millions de dollars en 2008 afin dans de petites communautés agricoles au Ghana,
qui fournit les fèves de cacao pour le chocolat à Cadbury Royaume‐Uni, y compris
Cadbury Dairy Milk, Wispa, Flake, Creme Egg et Buttons.
Mais la création de valeur ajoutée est encore limitée et la profondeur des
liens varie d’un pays à l’autre, essentiellement en raison de contraintes propres à
chaque pays ou industrie qui ne peuvent être surmontées par les forces du marché
et nécessitent des politiques stratégiques et systématiques d’industrialisation.
Même aujourd’hui, 90 % du revenu total tiré du café va aux pays consommateurs
riches — ce qui souligne les avantages dont les pays africains se privent
actuellement.
3. Le défi agro‐alimentaire à l’épreuve de l’accaparement des terres
Toutefois, à long terme, la sécurité alimentaire du continent ne pourra
venir que d’une transformation importante des méthodes agricoles. « L’Afrique a
urgemment besoin d’une révolution verte » nous a dit Jean‐Marc Châtaigner,
directeur général adjoint de la mondialisation, du développement et des
partenariats.
Paradoxalement, l’Afrique, où 70 % de la population vit encore de
l’agriculture et qui dispose d’un potentiel agricole considérable, importe encore
20 milliards de dollars de denrée agricole par an.
Selon M. Serge Michailof, ancien directeur régional à la Banque mondiale :
« Le modèle fondé sur l’alimentation des centres urbains par les importations va se
gripper », « les responsables africains ne peuvent plus faire confiance aux marchés
mondiaux pour garantir durablement à l’avenir la sécurité alimentaire du
continent »1
Seule une révolution verte permettra cela. Aujourd’hui les surfaces
cultivées en Afrique ne représentent que 28 % des surfaces cultivables.
Aujourd’hui, les surfaces cultivées en Afrique ne représentent que 28 %
des surfaces cultivables. L’avenir de l’agriculture africaine résidera donc dans
l’extension, mais aussi et surtout dans l’augmentation de la productivité qui,
aujourd’hui, est 200 fois inférieure à celle de l’Europe.
Selon M. Serge Tomasi, directeur‐adjoint de la direction de la coopération
pour le développement à l’OCDE : « l’augmentation de la production agricole
proviendra pour 2/3 de gains de productivité et pour 1/3 de l’extension. C’est tout
l’enjeu de la coopération en matière agricole, comment engager l’Afrique dans une
révolution verte sur un modèle de développement durable ».
La marge de progression est élevée car les rendements agricoles africains
restent inférieurs à ceux de la moyenne des pays en développement. Ainsi les
rendements céréaliers demeurent à 1,2 tonne par hectare en Afrique contre
3 tonnes en moyenne dans les autres pays en développement.
L’enjeu est africain, mais pas seulement. Le monde devra doubler sa
production agricole d’ici 2050 pour nourrir 9 milliards d’habitants. Avec 80 % des
terres arables non cultivées du monde, l’Afrique peut devenir un des greniers de la
planète. « C’est de l’or dans les mains de l’Afrique » nous a dit M. Carlos Lopes,
secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies.
Les pays émergents ne s’y trompent pas. Entre 2000 et 2010, 35 millions
d’hectares ont été cédés à des entreprises des pays émergents. Le cas malgache est
connu avec un contrat de 1,3 million d’hectares au Coréen Daweou.
CHAPITRE 1 : - 115 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
La pression croissante sur les terres agricoles risque de devenir un facteur
de conflit croissant. On en a vu les résultats en Côte d’Ivoire où le nombre
d’habitants par km2 s’est accru de 500 % en 40 ans, au Rwanda ou au Kenya. Cette
- 116 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
tension sur les terres s’accompagnera de tensions sur les ressources naturelles en
eau, en bois, et en pâturages.
Ces risques seront d’autant plus élevés que l'agriculture africaine recèle
un énorme potentiel pour les entreprises opérant à tous les maillons de la chaîne
de valeur.
Les obstacles à une augmentation de la production agricole africaine sont
bien connus et les surmonter ne sera pas chose aisée : manque de semences
sophistiquées et d'autres intrants adaptés aux conditions écologiques du continent,
infrastructures inadaptées pour commercialiser les récoltes, effets pervers des
barrières douanières et des aides fiscales, manque d'assistance technique et de
financements pour les agriculteurs.
Mais si le continent noir parvenait à lever ces entraves dans ce sens, le
potentiel du secteur agricole et agroalimentaire en Afrique pourrait se chiffrer à
1 000 milliards de dollars à l’horizon 2030, selon un nouveau rapport de la Banque
mondiale. Comment ? En s’assurant que les acteurs concernés aient davantage
accès aux capitaux, mais aussi à l’électricité, à de meilleures technologies et à
l’irrigation, afin de permettre la culture de produits alimentaires nutritifs et à forte
valeur ajoutée. Une telle progression tirerait la demande de produits en amont
(engrais, semences) tout en stimulant la croissance des activités de transformation
en aval (raffinage des céréales, biocarburants).
Une telle évolution exigera des politiques adaptées.
L’Afrique est le principal importateur et le plus gros consommateur de riz,
avec 3,5 milliards de dollars d’importations. En augmentant sa production de riz, le
Sénégal peut contribuer à répondre à la demande locale, ce qui nécessite toutefois
davantage de capitaux, une hausse des investissements dans l’irrigation ainsi qu’un
assouplissement de l’accès au foncier.
Madame Nkosazana Dlamini‐Zuma, Présidente de la Commission de
l’Union africaine, dans son grand bureau d’Addis Abeba nous l’a prédit :
« L’amélioration des secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire en Afrique
induira une augmentation des revenus et la création d’emplois. Elle permettra aussi
à l’Afrique d’être compétitive sur les marchés mondiaux. Demain l’Afrique nourrira
le monde ».
4. Pour une gestion des industries extractives au service de tous
Ces dix dernières années ont vu non seulement un essor des activités
d’investissement étranger dans le domaine des industries extractives, mais aussi
une prolifération des acteurs. La gamme d’entreprises opérant dans le secteur de
l’extraction en Afrique va des multinationales qui dominent le pétrole et
l’exploitation minière au niveau mondial aux acteurs régionaux plus petits et plus
spécialisés. Les compagnies chinoises publiques et privées jouent un rôle de plus en
plus important, tout comme les entreprises venant d’autres marchés émergents.
CHAPITRE 1 : - 117 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
Bon nombre des investisseurs étrangers présents en Afrique se plient aux
meilleures pratiques internationales, souvent dans un contexte d’activité difficile.
Toutefois de nombreux rapports soulignent combien les bénéfices de ces
industries sont inégalement répartis. Le dernier en date, du Africa Progress Panel
(APP) présidé par M. Kofi Annan, ancien Secrétaire général des Nations unies et prix
Nobel de la paix, souligne les défis auxquels sont confrontés les pouvoirs publics
pour mettre en place une gestion efficace et équitable des ressources naturelles de
l’Afrique qui serait à même de transformer le continent.
Le premier concerne la structure de l’activité d’investissement. Les
entreprises étrangères présentes en Afrique recourent massivement aux sociétés
offshores et aux juridictions à faible taux d’imposition. Dans certains cas, à travers
leurs activités d’investissement, les multinationales sont également liées à des
réseaux complexes de sociétés fictives. Ces configurations s’accompagnent de
divulgations publiques pour le moins sommaires et de vastes possibilités d’évasion
fiscale.
La deuxième source d’inquiétude réside dans les interactions entre
l’activité des investisseurs étrangers et les marchés locaux. Les industries
extractives fonctionnent généralement comme des enclaves à faible valeur ajoutée,
qui ont peu de liens avec les entreprises locales et les marchés de l’emploi. Sur plus
d’une décennie de boom des matières premières, l’Afrique continue d’exporter
majoritairement des matières premières brutes et d’importer des biens de
consommation et des produits agricoles de base
L’Africa Progress Panel souligne ainsi qu’une mauvaise gouvernance des
entreprises publiques et des actifs est associée à des pertes de revenus
importantes. « En 2012, l’Angola a été incapable d’expliquer la présence de
« résidus financiers » à hauteur de 4,2 milliards de dollars, essentiellement de
l’argent manquant, dans les comptes de la compagnie pétrolière d’État. Le Nigéria
aurait perdu quant à lui 6,8 milliards de dollars entre 2010 et 2012 ». Des pertes de
revenus de cette ampleur peuvent nuire considérablement aux finances publiques
et aux efforts des pays pour réduire la pauvreté.
Les accords de négoce de concessions sont souvent associés à une sous‐
évaluation des actifs. Aucun pays n’a perdu autant à cause de cette pratique que la
République démocratique du Congo. Le rapport contient une analyse détaillée de
cinq contrats de privatisation à travers la vente d’actifs publics à des investisseurs
étrangers opérant par l’intermédiaire de sociétés offshore enregistrées aux Îles
Vierges britanniques et dans d’autres juridictions. Il estime la totalité des pertes
encourues dans ces contrats en raison d’une sous‐évaluation des actifs à
1,3 milliard de dollars, soit plus du double du budget total dépensé pour la santé et
l’éducation. Dans un pays où 7 millions d’enfants sont déscolarisés, avec le sixième
taux de mortalité infantile le plus élevé au monde et une malnutrition endémique,
des pertes de cet ordre ont un coût humain considérable
- 118 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
5. Des infrastructures nécessaires
Si la condition de la lutte contre la pauvreté est le niveau de croissance
économique, ce dernier apparaît aujourd’hui bridé par le manque d’infrastructures.
Certains rapports estiment que la médiocrité des infrastructures est la principale
contrainte à l'activité économique et la responsable d’une perte de productivité
d'environ 40%.
Pour la Banque africaine de développement le diagnostic est clair : « Les
économies africaines sont peu compétitives, en raison du manque
d’infrastructures, de compétences, d’institutions et de technologies. Le mauvais
état des infrastructures conduit à des coupures de courant, à des problèmes de
communication et à des retards sur le plan logistique qui entraînent une
augmentation sensible des coûts supportés par les entreprises africaines. Dans
certains pays, l’énergie représente 6 % du coût total des entreprises, chiffre six fois
plus élevé que dans les économies émergentes telles que la Chine. ».
Le continent noir manque cruellement d’électricité. C’est le continent le
moins électrifié au monde, avec une consommation qui s'élève à seulement 3% de
la consommation mondiale et une capacité de production électrique équivalente à
la production espagnole qui dessert 45 millions d’habitants.
Le quart de cette production est indisponible, en raison de la vétusté des
centrales et du manque de maintenance du réseau. Répondre aux besoins
électriques de l'Afrique exigerait, selon nos interlocuteurs, 40 milliards de dollars
d'investissement tous les ans pendant 20 ans, soit quatre fois plus que la somme
actuelle.
En moyenne, 20 % de la population dispose de l’électricité courante.
L’Afrique aborde sa phase de développement rapide avec une production
électrique la plus chère et la plus polluante puisque composée à 80 % d’énergie
fossile. « Il n'y a cependant pas de fatalité » nous a dit Jean‐Marc Châtaigner,
Directeur général adjoint de la Mondialisation, du développement et des
partenariats auprès du ministère des Affaires étrangères, « la production
d'électricité par personne était en Chine et en Inde inférieure à celle de l'Afrique
subsaharienne à la fin des années 1960, ce qui n'a pas empêché le décollage de ces
deux pays. »
L’Afrique ne mobilise que 10 % de son potentiel hydroélectrique. 90 % des
sites sont à cheval sur plusieurs pays. Certains États sont pilotes comme le Ghana à
100 % hydraulique. Le potentiel géothermique de l’Afrique est lui aussi
considérable dans la vallée du Rift.
Le coût du transport à l’intérieur des pays est au moins le double des
coûts similaires en Asie et en Amérique latine. En conséquence, les entreprises
africaines de moindre envergure sont incapables se soutenir la concurrence sur la
scène internationale. La capacité des infrastructures portuaires souvent très en
deçà des besoins (les ports de Bissau, San Pedro en Côte d’Ivoire ou de celui de
CHAPITRE 1 : - 119 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
Dakar au Sénégal, par exemple, reçoivent aujourd'hui environ 30 000 conteneurs
par an alors qu’ils ont été initialement construits pour en recevoir 5 000).
L’insuffisance d’infrastructures prive chaque
année l’Afrique subsaharienne de deux points de croissance.
Le manque de routes est patent. L'Afrique subsaharienne compte 204 km
de routes par millier de kilomètres carrés, alors que la moyenne mondiale est de
944 km par millier de kilomètres carrés. Les voies de chemins de fer sont obsolètes.
De ce fait les connexions sont difficiles entre les lieux de production et les marchés
de consommation. Le mauvais état des infrastructures explique le coût élevé des
échanges que l’Afrique, et en particulier les pays africains enclavés, subit par
rapport aux autres régions. Le mauvais état des infrastructures représente 40 % des
coûts de transport pour les pays côtiers et 60 % pour les pays enclavés. Cette
situation explique que le commerce intra africain ne représente de fait qu'environ
10 % à 20 % des exportations totales des pays.
Au total, la Banque mondiale estime que l’insuffisance d’infrastructures,
notamment de transports routiers, de télécommunications et d’électricité, prive
chaque année l’Afrique subsaharienne de deux points de croissance. Mais comme
l’a observé devant le groupe de travail Jean‐Marc Châtaigner, Directeur général
adjoint de la Mondialisation, du développement et des partenariats auprès du
ministère des Affaires étrangères: « Il n'y a pas là de fatalité : la production
d'électricité par personne était en Chine et en Inde inférieure à celle de l'Afrique
Subsaharienne à la fin des années 1960, ce qui n'a pas empêché le décollage de ces
deux pays. »
Actuellement, gouvernements africains et acteurs privés investissent au
total 72 milliards de dollars par an dans de nouvelles infrastructures sur le
continent.
Les besoins sont toutefois encore loin d'être intégralement couverts, en
particulier en matière d'approvisionnement en électricité et en eau, ainsi que de
transports, qui nécessiteront au moins 46 milliards de dollars de dépenses
supplémentaires par an.
Un objectif atteignable à la faveur d'un accroissement des dépenses des
gouvernements, des entreprises privées et des investisseurs, ainsi que de réformes
réglementaires qui viseraient à accroître sensiblement l'efficience opérationnelle
de ces infrastructures.
L’ensemble des bailleurs de fonds y participe au premier chef desquels la
Banque mondiale, la Banque africaine de développement et l’Union européenne via
le FED. La France y apporte sa contribution à travers sa participation aux
financements de ces institutions, mais également directement à travers son aide
bilatérale.
Dans le domaine énergétique, par exemple, la France concentre ses
activités autour deux axes d’intervention : le renforcement de l’intégration
énergétique régionale et la promotion des énergies renouvelables.
- 120 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
B. CONFORTER LES CONDITIONS POLITIQUES DU DÉCOLLAGE ÉCONOMIQUE
1. Défragmenter le continent, renforcer l’intégration régionale
avance lentement. Mais il avance. Il constitue un défi majeur d’abord pour traiter
des sujets qui doivent recevoir une réponse au niveau régional ou continental,
ensuite pour défendre les intérêts de l’Afrique face à ses partenaires, qu’il s’agisse
des négociations climatiques ou commerciales, des enjeux de sécurité ou de sa
représentation au sein des instances multilatérales.
D’un point de vue institutionnel, l’anniversaire des 50 ans de l‘Union
Africaine a permis de faire un bilan contrasté mais positif d’une organisation jeune
et ambitieuse.
L'Union Africaine est en effet une organisation particulièrement jeune : si
l'OUA/UA a fêté le 25 mai 2013 son cinquantenaire, l'UA en tant que telle n'a que
10 ans et ses institutions actuelles ont été mises en place en 2003 au Sommet de
Maputo.
Quand on connaît l’extrême diversité culturelle et ethnique de l’Afrique,
les très fortes inégalités qui parcourent un continent aussi vaste, on peut se
demander si le panafricanisme n’est pas un projet démesuré.
- 122 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
CHAPITRE 1 : - 123 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
On peut se demander si les pères de l’indépendance n’avaient pas
surévalué leur capacité à unir un continent aussi vaste, aussi divers, où les États si
récents sont encore en construction.
L’institution compte 54 États‐membres, soit deux fois plus que l’Union
européenne, répartis sur 970 millions de km2, peuplés de près d'un milliard
d'habitants et parcourus par une grande diversité régionale (huit Communautés
économiques régionales (CER) reconnues, toutes préexistantes à l'UA, dont la
doyenne, la CEDEAO, fondée en 1975. Et pourtant, l'Union africaine est parvenue à
s'affirmer comme un partenaire incontournable sur les questions de paix et de
sécurité en Afrique.
Son ambition est contrariée par son manque de moyens et son extrême
dépendance financière à l'égard des partenaires, en particulier l’Union européenne.
Son articulation avec les Nations unies et les communautés économiques
régionales africaines, tout en s'améliorant, reste source de friction.
Parallèlement, depuis vingt ans, les progrès de la mondialisation,
l’intégration des marchés des biens et services, et les télécommunications ont
cependant beaucoup fait pour l’unité du continent. Cette intégration par le bas a
sans doute fait plus de progrès que la construction politique du continent.
Aujourd’hui, cette unification du continent bute sur le cadre des États à un
moment même où nombre de questions se posent à un niveau régional ou
continental.
Nous l’avons vu dans le domaine militaire, mais c’est particulièrement
frappant dans le domaine commercial.
D’emblée, Fatima Haram Acyl, commissaire tchadienne au Commerce et
Industrie de l’Union africaine, nous a déclaré que « la croissance africaine est
bridée par la fragmentation du continent. L’Afrique compte plus d’États que tout
autre continent. Ses marchés étroits, fragmentés, n’offrent pas d’économies
d’échelle. Les échanges intra‐africains sont peu développés, avec seulement 12 % du
commerce total du continent ».
Pour M. Patrick Guillaumont, président de la Fondation pour les études et
recherches sur le développement international (FERDI), responsable du rapport
d’évaluation des gains attendus de l’intégration économique régionale dans les
pays africains de la Zone franc, rendu par la Ferdi en octobre 2012 aux ministres de
la Zone franc, les bénéfices que l’on peut attendre de l’intégration régionale en
termes d’accroissement des échanges et de sécurité sont nombreux et pourraient
se traduire par deux ou trois points de croissance supplémentaires.
Or aujourd’hui, cette fragmentation des marchés, qui tient tout autant à
l’absence d’infrastructures qu’au maintien de barrières douanières et
administratives, freine l’expansion du commerce et de l’investissement à l’échelle
continentale.
Si le record de la traversée du continent du Nord au Sud, établi en 1963
par Eric Jackson et Ken Chambers en Ford Cortina, a tenu jusque dans les années
- 124 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
2000 c’est que les grands espaces coloniaux ont laissé place à un continent
fragmenté où l’absence d’infrastructures et les tracasseries bureaucratiques aux
frontières nuisent plus que jamais à la fluidité des échanges, à telle enseigne que
les Africains regardent la construction européenne avec envie et souhaitent
pouvoir bénéficier de notre savoir‐faire dans la construction d’un espace commun.
Hors Zone franc, l’action des multiples organisations régionales couvrant
le continent (Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE), Marché commun de l'Afrique
de l'Est et de l'Afrique Australe (COMESA), Communauté du développement de
l'Afrique australe (SADC)), est freinée par des chevauchements de compétences
mal coordonnées. Ces initiatives ne disposent généralement que de peu de moyens
juridiques et financiers, alors que la volonté d’intégration de leurs Etats‐membres
fait souvent défaut.
L’intégration fiscale et commerciale reste également à développer pour
compenser les effets négatifs des barrières structurelles qui freinent
l’investissement en Afrique (en particulier le coût élevé des facteurs, l’incertitude
juridique et l’absence de protection des droits de propriété). En matière de cadre
juridique des affaires, l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des affaires en
Afrique (OHADA) regroupe pour le moment un nombre insuffisant de pays, avec
seulement 17 pays membres, situés principalement en Zone Franc. Seule celle‐ci et
ses deux ensembles sous‐régionaux que sont l’Union économique et monétaire
ouest‐africaine (UEMOA) et la Communauté économique et monétaire de l’Afrique
centrale (CEMAC) offrent le cadre d’une certaine intégration économique
régionale, incarnée par une monnaie unique – le franc CFA.
Un rapport de la Banque mondiale publié en avril 2012 s'intitulait : « La
défragmentation de l'Afrique. Approfondissement de l'intégration du commerce
régional et des services ». II pointe les obstacles au développement du commerce
intra‐régional et, notamment l'importance des coûts de transaction, des entraves
non tarifaires.
Pour les autorités de la Banque mondiale, il n’est pas étonnant que le
commerce avec des pays en dehors du continent soit plus développé que le
commerce intra‐régional.
Et en effet, la part dans les importations du commerce intra‐régional est
de 5 % pour la COMESA, de 10 % pour la CEDEAO et de 8 % pour l'UMEAO, contre
20 % pour I'ANASE, 35 % pour I'ALENA et 60 % pour l'UE.
La part du commerce international des pays africains
qui s’effectue avec un autre pays africain n’est que de 12 %.
Selon le dernier rapport Doing Business, certaines interfaces sont de
véritables goulets d'étranglement (Kinshasa‐Brazzaville). Un des indicateurs de ces
obstacles à l'échange est ce qu'il est convenu de qualifier de « temps d'attente à la
frontière », qui se calcule sur la base du nombre de documents douaniers multiplié
par le nombre de signatures requises et le temps de franchissement des postes
frontières. Il est de 35 jours à l'export en Afrique sub‐saharienne et de 41 jours à
CHAPITRE 1 : - 125 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
l'importation, contre 10 jours en moyenne dans les pays développés, avec un coût
double de celui enregistré en Asie de l'Est et dans les pays de l'OCDE.
Ces contraintes pèsent particulièrement sur les pays enclavés qui
dépendent du bon fonctionnement des grands corridors internationaux, qui
assurent environ 70 % de leur commerce international. 40 % des Africains vivent
dans des pays enclavés. Ces pays figurent parmi les économies les moins
performantes au monde, et il existe entre eux et leurs voisins côtiers un retard de
développement considérable.
Un quart des retards observés le long des grands corridors serait dû aux
carences des infrastructures, le reste tenant aux obstacles non tarifaires et à
l'insuffisance des mesures de facilitation du commerce.
Comme nous l’a dit l’ambassadeur Tebogo SEOKOLO, directeur Europe, du
ministère des affaires étrangères en Afrique du Sud, « les frontières sont plus
bureaucratiques que physiques, le problème tient plus aux douanes qu’aux routes ».
Voilà pourquoi la promotion de l’intégration économique de l’Afrique, en
vue de créer des marchés plus vastes et plus attrayants, de relier les pays enclavés,
notamment les États fragiles, aux marchés internationaux et d’appuyer le
commerce intra‐africain, doit être une priorité des années à venir.
2. Conforter le cadre politique des Etats et leur légitimité
Nombreux sont les pays africains qui ont réalisé des progrès remarquables
au cours des deux dernières décennies. Toutefois, certains sont parvenus non
seulement à augmenter de manière notable le revenu national, mais aussi à
améliorer la situation sociale dans le domaine de la santé et l’éducation.
Dans la plupart de ces pays, le développement a été soutenu par un État
proactif en matière de développement.
Comme l’a souligné M. Serge Tomasi, directeur adjoint de la direction de
la coopération pour le développement à l’OCDE, « un État fort, dynamique et
responsable qui élabore des politiques pour les secteurs public et privé, fondées sur
une vision et un leadership à long terme, des normes et des valeurs partagées et des
lois et des institutions qui favorisent la confiance et la cohésion » semble être une
des clef de la réussite.
Pour parvenir à une transformation durable, les pays doivent adopter une
approche du développement cohérente et équilibrée. Ceux qui ont réussi à stimuler
et à soutenir leur croissance, en termes de revenu et de développement humain,
n’ont pourtant pas suivi une recette unique. Quand on regarde l’évolution du
Ghana, du Rwanda, du Botswana, qui se sont illustrés dans de nombreux domaines,
on observe que, confrontés à différents défis, ils ont adopté des politiques diverses
relatives à la réglementation du marché, la promotion des exportations, le
développement industriel et les progrès technologiques.
- 126 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
société civile à la vie politique ont connu une constante évolution. La situation n'est
toutefois pas idyllique. Il reste à institutionnaliser la culture de la démocratie et à
renforcer I’État de droit, étant donné que les vestiges de l'autoritarisme menacent
les processus démocratiques, que la démocratie consensuelle n'est pas encore
ancrée au sein de la classe politique et que des législations restreignant l'espace de
participation politique de la société civile ont été adoptées dans plusieurs pays. De
ce fait, les tensions, les conflits et les crises politiques sont constants dans plusieurs
pays.
De manière générale :
‐ le multipartisme a fleuri dans les différents pays africains, mais sans
véritable institutionnalisation ;
‐ les élections ont lieu plus régulièrement, mais elles restent entachées
d'irrégularités dans certains pays.
Depuis 2000, plus d'une soixantaine de scrutins ont été organisés dans les
pays d'Afrique. Pour la seule année 2011, six de ces scrutins se sont soldés par une
alternance politique (Niger, Zambie, Guinée‐Conakry, Cap‐Vert, Côte‐d'Ivoire,
Tunisie). Le cycle électoral pour l'année 2012 prévoit 20 élections (présidentielles ‐y
compris celle anticipée en Guinée‐Bissau‐ législatives, locales) sur le continent.
La qualité des élections demeure toutefois suspecte dans de nombreux
pays où elles sont bien souvent une source de tensions, violences et conflits, en
raison de l’imprécision du cadre législatif électoral, de la faiblesse ou de la
partialité des organes de gestion des élections ou des contestations des résultats –
comme cela a été le cas au Kenya, au Zimbabwe, en Côte d'Ivoire ou au Liberia.
La question de la légitimité des pouvoirs face à leur légalité s'est posée
de manière accrue. Les acteurs africains se sont interrogés de manière récurrente
sur la façon dont les sociétés peuvent se reconnaître dans leurs élus plutôt que
dans la seule légalité des modalités de leur accès au pouvoir dans des contextes
généralisés de pluralisme juridique.
La liberté de presse a progressé mais reste encore précaire –y compris
dans les pays qui sont réputés pour le dynamisme et la ténacité de leurs médias,
comme l'Afrique du Sud, le Nigéria, le Kenya ou le Sénégal.
Bien que la décentralisation et le développement local aient connu de
notables avancées institutionnelles dans la plupart des pays africains entre 2000 et
2011, la tendance générale reste celle d'une concentration des pouvoirs de
décision et des ressources au niveau central. Les collectivités et autorités locales ne
jouent pas encore pleinement leur rôle d'agents du changement participatif,
légitimes et de proximité pour une gouvernance de développement effective dans
la mesure où elles n'ont pas bénéficié de transferts réels des moyens financiers.
Cette situation est paradoxale, car le niveau local reste le lieu essentiel pour
refonder la démocratie et l'État en Afrique en raison de sa proximité du citoyen et
de la confiance que ce dernier doit avoir dans ses représentants.
- 128 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Le facteur ethnique est resté une donnée importante dans la vie
politique de plusieurs pays africains. La gestion de la diversité et le renforcement
des identités nationales sont des problèmes. L'accession pacifique du Sud‐Soudan à
l'indépendance, le 9 juillet 2011, a ouvert la voie à un type de solution inédit depuis
les indépendances en redessinant les frontières du Soudan.
La formule peut toutefois difficilement être reproduite dans d'autres pays
sujets à des irrédentismes (Cameroun, Nigéria, Mali, République Démocratique du
Congo, Sénégal, Somalie, Libye) et le principe de l'intangibilité des frontières hérité
de la colonisation reste largement partagé.
La question de la reconstruction des États dans les situations de post‐
conflit continue d'occuper une place importante (Centrafrique, Côte d'lvoire,
Liberia, Sierra Leone, ....), d'autant qu'elle est liée avec celles des processus de
désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) et de la réforme du secteur de la
sécurité (RSS).
Plus généralement, il faut souligner, pendant la décennie écoulée, la
faiblesse généralisée des institutions démocratiques (parlements, justice, autorités
de contrôle et/ou de régulation ainsi que de suivi/évaluation de la gestion des
crédits publics et de la mise en œuvre des politiques de développement), celle de la
qualité du service public et des fonctions publiques, celle de l'apport de la
décentralisation et la gouvernance locale dans la prestation effective de services
aux populations.
La question de la corruption reste un problème central en Afrique
subsaharienne même si ce continent est loin d’en avoir le monopole. L’indice de
« Control of Corruption de la Banque mondiale » comme les enquêtes de
l’association Transparency international ou la Fondation Mo Ibrahim souligne
cependant l’ampleur du phénomène en Afrique.
La corruption demeure un frein au développement du continent.
La Banque mondiale estime que 40 milliards de dollars sont détournés
chaque année dans les pays en développement –l'équivalent d'environ 20 à 40 %
de l'aide publique au développement. Selon l’Union africaine, les ressources
gaspillées du fait de la corruption en Afrique atteindraient 25 % du PIB total du
continent. Pour la Banque africaine de développement (BAD), ce fléau conduit à la
perte d’environ 50 % des recettes fiscales annuelles et engendre une augmentation
des prix proche de 25 %.
La Banque mondiale estime ainsi que les pays qui mèneraient une lutte
efficace contre la corruption pourraient s'attendre, dans le moyen terme, à une
augmentation très significative de leur PIB. La corruption a, par exemple, pour
conséquence, dans certains pays, l'augmentation jusqu'à 30 % du prix de
raccordement d'une maison à un réseau d'eau. Du fait des sommes qui manquent
dans les caisses de l'État et de l'affaiblissement des structures institutionnelles,
certaines dépenses vitales ne peuvent être satisfaites. Ainsi la corruption engendre
d'insidieux ravages sur les systèmes sociaux. Elle peut aussi conduire à biaiser les
choix économiques au détriment des projets les plus justifiés socialement.
CHAPITRE 1 : - 129 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
de bâtir des politiques publiques susceptibles d’offrir un bouquet de services et de
prestations qui répondent aux attentes des entreprises et des salariés.
Une analyse, même sommaire, révèle qu’en Afrique la fragilité des
constructions politiques peut menacer les acquis économiques. Ces risques sont
frappants dans des pays comme le Zimbabwe, mais aussi dans des pays autrefois
très stables, comme la Côte d’Ivoire, le Kenya, sans parler de pays comme le Mali,
le Tchad, le Congo, Madagascar, etc.
Contrairement à ce que l’on espérait sans doute un peu naïvement, il y a
vingt ans, lorsque fut lancé le processus de démocratisation après la conférence
franco‐africaine de la Baule, la démocratie superficielle qui se pratique dans ces
pays n’a guère réduit les tensions politiques.
La démocratie ne peut se limiter en effet à des élections périodiques où le
vote exprime essentiellement un rapport de forces ethniques. Elle rend parfois
même plus difficile les traditionnelles politiques de redistribution des rentes qui,
aux yeux des tenants du pouvoir, risquent désormais de conforter leurs
oppositions.
Et le Printemps arabe, marqué par des révolutions et des conflits civils en
Tunisie, en Égypte et en Libye, a fait apparaître une nouvelle source de fragilité des
États en Afrique.
Éclatant subitement dans des pays d’Afrique du Nord qui semblaient
politiquement stables et relativement prospères, ces conflits ont montré que le
développement lui‐même peut être un facteur de conflit s’il n’offre pas des
opportunités économiques à la majorité de la population.
L’exclusion économique des jeunes — de mieux en mieux formés et en
relation les uns avec les autres et avec le reste du monde à travers les médias
sociaux — constitue un risque politique évident. Les troubles qui s’ensuivirent ont
mis en évidence l’importance du développement partagé en matière de lutte
contre les causes de conflit et de fragilité.
Toutes ces raisons font du renforcement de la gouvernance et
d’institutions administrées par « l’État capable » une priorité d’abord des États
africains, ensuite de leurs partenaires.
En réponse aux demandes visant l’amélioration de la gouvernance et de la
prestation de services de base en Afrique, la France, avec d’autres partenaires
bilatéraux et multilatéraux, finance de nombreux projets de renforcement des
capacités des administrations, des parlements, des médias et des organisations de
la société civile. Afin d’améliorer la gestion des finances publiques, elle contribue à
soutenir la décentralisation financière et la mobilisation des ressources intérieures.
CHAPITRE 1 : - 131 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
C. SÉCURISER LA CROISSANCE PAR LA PAIX
M. Lionel Zinsou, ancien de la Banque d’affaires Rothschild, aujourd’hui à
la tête de PAIpartners, considéré comme le plus grand fonds d’investissement
français en Afrique, nous a fait partager sa conviction que l’Afrique était sans doute
à terme « la Chine de demain ». Il nous a dit « la croissance est là pour plusieurs
décennies, à la guerre près ».
1. La guerre contre le développement
Malgré les progrès enregistrés ces dernières années notamment dans des
pays comme l’Angola, la Sierra Leone et le Libéria, l’Afrique demeure l’une des
régions les plus frappées par les conflits au monde, le nombre de conflits s’étant
accru au cours des récentes années, bien qu’ils soient moins violents que dans le
passé.
M. Ramtane Lamamra, Commissaire pour la Paix et la Sécurité de l’Union
africaine, diplomate algérien aguerri qui nous a reçus à Addis‐Abeba, nous a dressé
un tableau de la situation sécuritaire de l’Afrique pour les prochaines décennies en
insistant sur son espoir de voir le continent africain désormais se concentrer sur sa
croissance économique.
« Même si la situation du Sahel nous rappelle que la situation politique est
loin d'être stable partout, des progrès notables doivent être notés sur la dernière
décennie, les conflits interétatiques ont presque disparu, les structures collectives
de gestion de crise au niveau continental et régional sont en cours d’élaboration,
des progrès considérables à l’échelle de l’histoire de l’Afrique indépendante ont été
réalisés ».
Longtemps, l'Afrique a été le continent où le nombre de victimes du fait
des conflits armés était le plus élevé du monde. Entre 1945 et 1995, plus d'un quart
des conflits mondiaux ont été localisés en Afrique (48 sur 186). On estime que ces
conflits ont fait plus de 6 millions de morts sur des populations de 160 millions de
personnes (Soudan, Éthiopie, Mozambique, Angola, Ouganda, Somalie, Rwanda,
Burundi, Sierra Leone). Depuis 1990, 19 conflits majeurs africains ont été localisés
dans 17 pays avec un seul conflit interétatique (Éthiopie‐Érythrée).
La baisse des conflits majeurs en Afrique entre 1990 et 1997 a fait place à
une reprise entre 1998 et 2000 (11 conflits par an) avec une réduction au début du
XXIe siècle (cinq conflits par an).
Néanmoins, en 2011, une vingtaine de pays étaient dans une situation de
crise d'intensité moyenne à haute.
Trois foyers de conflits sont particulièrement actifs ces dernières années
en Afrique : l’un s’étend du Nigéria à la Corne de l’Afrique en passant par le Tchad
et le Soudan ; l’autre se situe dans la région des Grands Lacs, couvrant la
République démocratique du Congo, l’Ouganda et la République Centrafricaine. Au
sein de ces zones, il est très difficile à un pays pris isolément de rompre ce cycle de
- 132 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
violence sans une résolution plus large à l’échelle régionale. Enfin le Sahel est
devenu la troisième zone de conflits aux confins de l’Afrique subsaharienne et du
Maghreb marqué par des révolutions et des conflits civils en Tunisie, en Égypte et
en Libye.
Au sein de ces zones, on peut différencier huit conflits ouverts : ceux de la
RDC, du Soudan, et des pays voisins, Tchad, RCA et Ouganda, ceux de Somalie, celui
entre l'Éthiopie et l'Érythrée et au Mali. Il faut y ajouter les crises nationales
pouvant dégénérer en conflits ou tensions régionales (mouvements Touaregs et
islamistes dans l'arc saharo‐sahélien, MNED au Nigeria), les mouvements
séparatistes (Polisario au Sahara occidental, Flec à Cabinda, en Casamance) ; les
tensions ethnico‐religieuses pouvant resurgir (Burundi, Kikuyu et nilotiques au
Kenya, Liberia, Sierra Leone, Peuls et Malinké en Guinée, Akan, Bété et Dioula ou
Senoufo en Côte d'Ivoire...).
Longtemps, l’Afrique a été le continent qui a monopolisé le plus grand
nombre d’opérations de maintien de la paix.
CHAPITRE 1 : - 133 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
- 134 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Et il est vrai que le nombre de conflits, avec plus d'un millier de morts, a
presque baissé de moitié (4,8 par an pour les années 1990 contre 2,6 pour les
années 2000).
D'une part, les conflits interétatiques ont pratiquement disparu (à
l'exception des conflits larvés entre les deux Soudan, entre l'Éthiopie et l'Érythrée,
entre Djibouti et l'Érythrée). On a plutôt observé la persistance ou l'apparition de
conflits internes aux États dont les causes sont plurielles et qui peuvent avoir des
incidences au‐delà des frontières, voire régionales.
D'autre part, de nouvelles menaces et sources de conflictualité diffuses se
sont imposées ou ont persisté, dont les acteurs entretiennent parfois des liens et
qui s'alimentent (terrorisme islamique, intégrisme religieux, irrédentisme, trafics
des ressources minières et environnementales, accaparement des terres et
déplacements forcés des populations, piraterie maritime, narcotrafic, criminalité
transfrontalière...).
Ainsi à côté de ces quelques affrontements massifs entraînant la mort de
plusieurs centaines de milliers de personnes, on a vu se multiplier un peu partout
des «poches de colère», des conflits larvés, une violence issue des fissures de
sociétés en pleine mutation. Prolifère une nouvelle forme de guerre, une « guerre
fragmentée » où de multiples petits acteurs armés s’opposent aux États et créent
une situation de désordre prolongé.
Ces menaces dessinent une nouvelle géographie de la conflictualité qui
traverse l'Afrique en largeur, de la zone sahélienne à l'Océan indien, et fragilise en
longueur la situation sécuritaire dans plusieurs États du continent.
La persistance des conflits a de graves conséquences sur les populations :
des conséquences humanitaires avec des déplacements forcés à l’intérieur du pays
mais aussi dans les pays voisins. C’est le cas par exemple en RCA où il y a des
déplacements importants des populations vers le Cameroun, le Tchad et la RDC ;
des conséquences économiques très fortes avec des retards de développement
importants dans certains pays ; des conséquences en termes de stabilité régionale
car la plupart des conflits ne sont plus confinés dans un seul pays. Prenez les
conflits de la région des grands lacs qui affectent plusieurs pays de la région, mais
aussi les conflits de la corne de l’Afrique, ou le conflit malien dans la région du
Sahel.
La croissance est là pour plusieurs décennies, à la guerre près.
Les facteurs de conflit sont connus : l'accès au pouvoir central, les tensions
entre centre et périphéries, le contrôle des ressources et les tentatives
d'imposition d'idéologies religieuses.
Mais en vérité, ce qui frappe le plus dans la précédente décennie c’est que
ce n’est plus la force des États qui incite au conflit extérieur mais leur faiblesse
même, qui suscite des contestations internes de plus en plus violentes. Entre 2003
et 2012 on a dénombré douze coups d’Etat sur le continent dont le dernier en
Centrafrique est un cas d’école.
CHAPITRE 1 : - 135 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
2. Une architecture de sécurité encore balbutiante.
Dès 2001, l'Acte constitutif de l'Union Africaine avait jeté les bases d'un
changement de paradigme, le principe de « non‐indifférence » se substituant à
celui qui prévalait depuis 1963, dans un contexte de décolonisation, la « non‐
intervention ». En 2002, l’Union Africaine a adopté la création d’un Conseil de paix
et de sécurité, ayant pour objectif la sécurité et la stabilité en Afrique, et mis en
place les prémisses d’une architecture africaine de paix et de sécurité (APSA).
Le principe de « non‐indifférence » s’est
substitué au principe de « non‐ingérence.
projet ambitieux d’une Force africaine en attente (FAA), censée être opérationnelle
en 2010 mais dont le déploiement a été repoussé à 2015. Cette force devait se
décliner régionalement autour de cinq brigades en attente, prises en charge par les
communautés économiques régionales.
La mutualisation par les États membres de l’UA de leurs moyens civils,
militaires et policiers afin de participer à la résolution des conflits et au soutien de
la paix à l’échelle régionale reste balbutiante comme en témoigne l’expérience du
Mali.
Mais il faut toutefois considérer les progrès entrepris par une organisation
particulièrement jeune. Comme nous l’a dit le Général Bruno Clément‐Bollée,
directeur de la coopération de sécurité et de défense : « il faut bien voir que les
armées des pays membres de l’Union africaine ne se parlaient pas il y dix ans,
aujourd’hui, certains organisent des exercices conjoints, d’autres interviennent
ensemble avec succès comme en Somalie ».
Il est vrai que la difficulté à mettre en place les forces africaines en attente
suscite une impatience à la hauteur des attentes.
L’annonce, lors du récent sommet d’Addis Abeba, de la création d’une
Capacité africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC) constitue un constat
d’échec pour la Capacité de déploiement rapide prévue dans le cadre de la Force
africaine en attente, censée répondre aux objectifs aujourd’hui assignés à la CARIC.
Pour nombre d’observateurs, l’architecture africaine de paix et de sécurité
a néanmoins montré une certaine efficacité au niveau de l’information : le travail
fourni par les analystes du système d’alerte rapide a conduit le conseil à se réunir
365 fois depuis la mise en place du dispositif. Ce système de prévention est donc
efficient et son poids politique est croissant. L'Union Africaine a ainsi pu intervenir
dans cinq conflits (Burundi, Soudan et Soudan du Sud, Somalie, Comores) avec des
succès notables.
Mais, l’architecture africaine de paix et de sécurité peine aujourd’hui à
trouver des solutions efficaces aux types de conflits qui rongent le continent. De
fait, les opérations de maintien de la paix sont encore largement prises en charge
par l’ONU ou même menées par des puissances extracontinentales, comme en
atteste l’exemple plus que cité de l’opération SERVAL.
Les FAA se font attendre et, malgré une formation militaire régionale
croissante, l’Union Africaine a du mal à déployer des contingents militaires dans
des délais pertinents, faute en partie de financements adaptés. La nécessité de
réunir pour chaque crise des financements ad‐hoc constitue notamment un frein
majeur à la réactivité de l’Union Africaine.
Et lorsque des interventions militaires en réponse à des crises récentes ont
pu avoir une base régionale (MICOPAX, MICECI, MISMA), elles n’en ont pas moins
été conditionnées avant tout par les priorités nationales des Etats participants, et
par les soutiens venus de l’extérieur de leurs régions respectives. La motivation
première des Etats participant à une intervention militaire reste leur propre
- 138 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
sécurité intérieure ou leur positionnement sur l’échiquier régional, plus qu’une
réponse « automatique » à une crise.
Quand on relit les discours des années 2000, on ne peut que constater le
décalage entre les scénarios d’intervention élaborés alors par l’Union Africaine et la
réalité des moyens mis en œuvre, mais aussi des types de conflits à laquelle l’Union
Africaine a dû faire face : la corruption, les trafics en tous genres, la contrebande, la
traite ou encore le terrorisme sont les principales menaces qui affectent
aujourd’hui l’Afrique et qui sont autant de facteurs de déstabilisation non
conventionnels des États.
Si les ambitions de l’Union africaine en matière de sécurité sont
contrariées par son manque de moyens et son extrême dépendance financière à
l’égard de ses partenaires en général et de l’Union européenne en particulier, elle a
néanmoins réussi à s’imposer comme un partenaire incontournable.
Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) est en effet l’organe de l’Union
Africaine qui fonctionne le mieux. Il joue depuis 2004 un rôle croissant
« d’unification » de la voix de l’Afrique et de prescription à l’égard des États‐
membres, comme l’illustre son rôle dans la médiation sur le Soudan et le Soudan
du Sud, notamment s’agissant d’Abyei.
« C’est un partenaire incontournable encore très dépourvu de moyens »
nous a dit M. Michel Foucher, directeur de la formation, des études et de la
recherche de l'IHEDN.
Il est vrai que l'Union Africaine ne peut pas pallier les déficiences des pays
membres, notamment la faiblesse des budgets consacrés à la défense et aux
armées.
Les initiatives multilatérales aux niveaux régional et continental sont en
effet vouées à l'échec sans capacités nationales.
La carte suivante montre bien la faiblesse des budgets de la défense
africains. En effet, dans un contexte économique dynamique mais où le
développement n’en est qu’à ses prémices, l’effort financier investi par les pays
africains dans le domaine militaire, bien que proportionnellement très conséquent
par rapport au PIB, reste très limité.
Un des défis majeurs du continent reste la mise en place de forces de
sécurité et de défense fiables à la hauteur des menaces.
Le défi est de taille : car actuellement la situation des appareils de défense
et de sécurité est très contrastée mais présente des carences communes.
Globalement, ils ne permettent pas aux Etats d'assurer pleinement la
sécurité élémentaire de leurs propres espaces nationaux ainsi que le contrôle de
leurs frontières. Les dirigeants sont confrontés à des armées vieillissantes en
sureffectif chronique.
Mais les dirigeants politiques africains ont pour une large part contribué à
cette situation. Comme l’a souligné Bertrand Badie lors de son audition, la faiblesse
CHAPITRE 1 : - 139 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
des armées africaines tient aussi de la défiance des pouvoirs politiques à l’égard
des militaires qui souvent leur ont pris le pouvoir.
Une double dynamique perverse semble s’être instaurée : les armées sont
tentées de s'inscrire dans le jeu politique, entraînant les pouvoirs politiques à ne
pas investir dans leurs forces armées qui trouvent dans la carence de l’appareil de
défense un prétexte pour intervenir dans le champ politique.
Résultats : les déploiements des troupes africaines sur le terrain, comme
au Mali, se heurtent aux problèmes de financement, d'équipements (soutien de
l'homme, véhicules blindés, SIC...) et de transport, à des besoins opératifs et
tactiques en matière de renseignements, de logistique, qui se traduisent par la
difficulté à concevoir et commander au‐delà du niveau bataillonnaire.
A l’origine de la faiblesse des armées africaines il y a la défiance des
pouvoirs politiques à l’égard des militaires qui leur ont souvent pris le pouvoir.
Dans de nombreux pays africains en sortie de crise, la constitution d’une
armée au service de la nation passe par un processus d’intégration de différentes
factions armées.
Pour cela, les « Réformes du système de sécurité » (RSS) et les
programmes Désarmement, Démobilisation, Réinsertion (DDR) en cours dans de
nombreux pays sont particulièrement sensibles.
En Côte d’Ivoire, nous avons pu constater qu’entre novembre 2012 et
mars 2013, 6 300 ex‐combattants ont été désarmés et 5 900 armes récupérés
tandis que 8 000 ex‐combattants ont été réintégrés et réinsérés à travers une
assistance financière.
Ce processus de réhabilitation, qui s’inscrit dans le cadre du programme
de sensibilisation au désarmement, à la paix et à la cohésion sociale, suite à la crise
qui a secoué le pays en 2010‐2011, est cependant loin d’être achevé.
Les processus RSS et DDR en Afrique constituent un passage obligé pour
les pays africains qui doivent aujourd’hui moderniser leurs systèmes de sécurité
pour ancrer leurs États dans le concret des nations démocratiques et concevoir des
mécanismes de sortie de crise adaptés à leurs réalités.
Quant aux moyens propres des organisations régionales et de l’Union
africaine, ils sont encore limités.
Des missions comme celles de l’Union africaine en Somalie, l’AMISOM, est
financièrement complètement dépendante de l’ONU et de l’Union européenne.
Au‐delà de la question financière, la question de l’articulation entre
l’Union Africaine, l'ONU et les organisations régionales sera un enjeu majeur des
années à venir.
L’ONU est depuis 2002 le premier partenaire institutionnel de l’Union
africaine pour le développement de ses capacités et la conduite de ses opérations.
De ce fait, l’Union africaine occupe une place inégalée au sein de l’ONU : 70 % du
- 140 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
travail du Conseil de sécurité concerne l’Afrique et 70 % des opérations de maintien
de la paix y sont déployées.
Malgré une coopération politique très forte entre les deux organisations,
certaines incompréhensions subsistent : l’Union africaine souhaite s’affranchir de la
tutelle onusienne sans pour autant en avoir les moyens. De leur côté, les États
membres de l’ONU, revenus d’un certain nombre d’expériences, sont de plus en
plus réticents à soutenir financièrement les opérations déployées et commandées
par l’Union africaine. La préparation des opérations au Mali a ainsi été révélatrice
de ces tensions qui risquent de perdurer tant que les États africains ne se seront
pas résolus à rechercher des financements internes et à mieux s’organiser pour
gérer les différentes crises qu’ils ont en charge.
Car c’est bien la gestion autonome des crises et des conflits qui est
désormais au cœur des enjeux de sécurité et de développement sur le continent. Si
le partenariat stratégique qui lie l’ONU à l’Union africaine a été renforcé depuis
2007 avec la mise en place d’une batterie de réunions conjointes, il s’agit bien
d’apporter des solutions africaines aux problèmes africains.
C’est pourquoi la coopération entre l’Union africaine et les organisations
régionales doit être améliorée. Il faut sortir du clivage entre le panafricanisme
porté par l’Union africaine et le régionalisme prôné par les communautés
économiques régionales (CER) afin de mettre en place des dispositifs de
déploiement efficaces. En effet, tous les experts militaires africains le disent :
l’appropriation de la réforme du système de sécurité (RSS) par les acteurs locaux
est primordiale en Afrique.
3. Une prise de conscience croissante
Il faut donc que les autorités africaines, qui portent la responsabilité de
leur appareil de défense, parviennent à mettre en place un système d’articulation
effectif entre les décisions prises à Addis‐Abeba par l’Union africaine et leur
application au sein des CER. La communication est très importante dans le domaine
de la sécurité : il faut informer les populations et leur expliquer les choix faits par
les instances dirigeantes afin qu’elles s’approprient leurs décisions et participent à
leur mise en œuvre pérenne. Un tel effort permettrait également de redonner
confiance aux populations dans l’action politique, encore trop souvent perçue
comme l’œuvre d’une oligarchie détachée des attentes de la société.
Le Commissaire à la paix et à la sécurité, M. Lamamra , l'a clairement
exprimé lors de notre rencontre en soulignant que « nous avons, les uns et les
autres, accueilli comme nécessaire, voire même salutaire, l'intervention française,
qui a permis d'éviter la catastrophe qui se dessinait, mais, en nous‐mêmes, nous
avons clairement senti qu'une telle action aurait dû et aurait pu être le fait de
troupes africaines », ajoutant que l'Afrique « ne peut tout simplement pas continuer
à s'en remettre à des interventions étrangères, si bien intentionnées qu'elles
puissent être » pour régler ses problèmes.
CHAPITRE 1 : - 141 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
Les défis sont immenses, à la taille de ce continent.
Mais l’Afrique a pris le virage de la croissance. La question est de savoir
comment elle va sortir de ce virage. Sans doute la trajectoire ne sera pas rectiligne,
mais, comme nous l’a dit un de nos interlocuteurs, il faut à tout prix éviter la sortie
de route.
A. L’AFRIQUE, UNE NOUVELLE FRONTIÈRE ENTRE RISQUE ET OPPORTUNITÉS
Dans les trente prochaines années, l’Afrique va construire les fondations
d’un continent de deux milliards d’habitants.
1
Discours lors de la conférence de Bruxelles le 15 mai 2013 intitulée « Ensemble pour le renouveau
du Mali ».
- 142 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
« C’est un changement de monde, un acteur majeur de la scène
internationale, un moteur de la croissance mondiale qui est en train de naître à nos
portes » nous a dit M. Jean Michel Severino, comme beaucoup de nos
interlocuteurs.
Dans un monde dont le centre de gravité est en train de passer du Nord au
Sud, un continent africain dynamique à 12 kilomètres au sud de l’Europe pourrait
constituer, à l’instar des Etats‐Unis avec l’Amérique du Sud, pour notre continent,
non seulement une zone de prospérité partagée, mais aussi un gisement durable de
croissance.
Pendant quelques décennies, la modernité en France, c’était de s’éloigner
de l’ancien empire pour rejoindre l’Asie émergente. Demain, l’Afrique pourrait
avoir un PIB équivalent à la Chine.
« C’est la Chine de demain » nous a affirmé Mathieu Pigasse de la Banque
Lazard.
A l’instar du « pivot » des Etats‐Unis vers la région Asie‐Pacifique, nous
estimons que la politique étrangère française devrait procéder à un pivot vers
l’Afrique.
Non seulement, nous avons un intérêt majeur au développement de ce
continent, mais, à l’inverse, nous serons en première ligne pour subir les
conséquences d’une sortie de route de l’Afrique.
Dans un monde globalisé, les épidémies nées dans les maillons faibles des
systèmes de santé africains, le terrorisme né dans les zones désertées par le
développement concernent aussi bien l’Afrique noire que l’Europe. On l’a vu au
Sahel, le terrorisme qui prospère dans des pays que le développement a déserté,
où les structures étatiques sont exsangues et la jeunesse désespérée, livrée au
fanatisme, menace nos sociétés.
Un pays comme la France, à quelques dizaines de kilomètres du continent
africain, avec déjà plus de 800 000 ressortissants africains sur son territoire, est
évidemment bien placé pour mesurer à quel point le sort de ce continent aura des
conséquences majeures sur l’Europe.
L’Afrique au 21e siècle est l’un des principaux réservoirs de croissance
économique, la plus importante réserve de ressources naturelles, le plus grand
marché en devenir. Le développement de ce continent de 1,8 milliard d’habitants
est avant tout l’affaire des Africains, mais il risque, si la croissance n’est pas au
rendez‐vous, d’être aussi la nôtre du fait de l’ampleur des phénomènes
migratoires.
- 144 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
B. LE CHOIX D’UN MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT INCLUSIF ET DURABLE : UN ENJEU
MAJEUR POUR L’AFRIQUE ET POUR SES PARTENAIRES
important du Sénégal, avec près d’un millier de positions. Ses clients s’appellent
Orange, Neuf Cegetel, Bayer, Poweo ou Canal +. Avec un coût de la bande passante
à l’international très compétitif et des salaires attractifs ‐ un employé à Dakar peut
gagner trois fois le salaire moyen et rester huit fois moins cher que son équivalent
français‐, le Sénégal a des arguments à faire valoir.
En Afrique de l’est nous avons pu constater que l’Ethiopie se positionnait
pour recevoir des délocalisations d’entreprises chinoises. Ainsi, le numéro deux
mondial du prêt‐à‐porter, Hennes et Mauritz (H&M) en en train d’étendre son
réseau de fournisseurs à l'Ethiopie, après avoir concentré 80 % de sa production sur
le continent asiatique. En raison des augmentations des salaires en Chine, le coût
de production d'un vêtement fabriqué actuellement en Ethiopie est moitié moins
cher qu'un vêtement fabriqué en Chine en 2011, dernière année pour laquelle ces
statistiques sont disponibles. En outre, les coûts de transport et les délais de
livraison pourraient s'en trouver réduits, du fait de la plus grande proximité entre
les côtes africaines et le marché européen, principale source de revenus du groupe.
L'Éthiopie dispose d'un savoir‐faire historique dans le textile, le cuir et la
chaussure depuis l'invasion italienne en 1935. L'enseigne britannique Tesco et le
chinois Huajian, qui fournit les marques de chaussures Guess et Tommy Hilfiger, s'y
fournissent déjà.
Imaginons à terme l’entrée progressive de pays africains dans la
compétition internationale pour la délocalisation des services et des industries
avec une population active de près de 1 milliard de personnes en 2050.
On a vécu cela ces dernières décennies avec le passage de 1,3 milliard
d’actifs dans le monde, à la fin des années 1980, à 3 milliards d'actifs dans les
années 2000.
Mis bout à bout, les phénomènes de croissance démographique et de la
mise en marché du tiers‐monde, puis des anciens pays communistes, ont provoqué
la multiplication par deux de la population active sur le marché international du
travail en une seule décennie.
La concurrence de la Chine et des autres émergents ont tiré les salaires et
les systèmes sociaux vers le bas avec les résultats que l’on connaît.
Si nous voulons anticiper ces évolutions sur le continent africain, nous
avons intérêts à promouvoir des modèles de croissance qui, tout en s’appuyant sur
l’avantage comparatif des bas salaires, fait progressivement monter en puissance
une régulation sociale au profit du plus grand nombre.
Entendons‐nous bien, la délocalisation d’activités comprenant une forte
part de main d’œuvre peu qualifiée d’Europe vers l’Afrique n’est pas forcément en
soi une mauvaise nouvelle. Comme l’a observé M. Jean‐Michel Severino « quitte à
délocaliser, il vaut mieux que cela se passe dans une zone de partenariat ».
Un des enjeux de demain sera la façon dont on peut accompagner
l’Afrique dans la promotion simultanée de l’élévation des niveaux de vie et du
respect de normes sociales minimales.
CHAPITRE 1 : - 147 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
Le second objectif consiste à faire en sorte que la croissance soit durable,
en aidant l’Afrique à faire la transition progressive vers la « croissance verte », qui
protégera les moyens de subsistance, améliorera la sécurité hydrique, énergétique
et alimentaire, favorisera l’utilisation durable des ressources naturelles et stimulera
l’innovation, la création d’emplois et le développement économique.
C’est l’intérêt de l’Afrique, mais c’est aussi l’intérêt de la communauté
internationale et de la France.
Il y a un intérêt partagé des Européens et des Africains à
mettre le continent sur les rails d’une croissance inclusive et durable.
Pour les pays africains, les problèmes écologiques restent avant tout des
problèmes du Nord et la croissance verte est souvent perçue comme un moyen de
mettre des freins à leur quête de prospérité.
L'Afrique doit comprendre que, pour son développement, « avoir de l'eau,
des sols, préserver ses forêts, c'est aussi important que construire des routes ou
des hôpitaux ».
La pression exercée sur les écosystèmes va doubler d'ici à 2040.
L'agriculture et la destruction des forêts sont les principales causes de cette
dégradation dans un continent encore en majorité rural et sous‐équipé en matière
énergétique.
Si l’objectif est d’avoir un continent d’ici cinquante ans pleinement
électrifié, avec une élévation générale du niveau de vie des deux milliards
d’habitants africains avec un accès à l’ensemble des modes de consommation
occidentaux, alors les choix effectués aujourd’hui sont fondamentaux pour
l’équilibre de l’Afrique mais également pour celui de la planète.
C’est pourquoi la France, qui accueillera la prochaine conférence sur le
climat, doit appuyer des modes de développement qui atténuent la pression sur les
ressources naturelles tout en gérant plus efficacement les risques
environnementaux, sociaux et économiques.
C’est un des défis de notre coopération avec l’Afrique que d’intégrer
davantage, dans les projets et les stratégies opérationnelles, les enjeux
environnementaux et sociaux. Et c’est pourquoi, le groupe AFD s’est engagé, sur la
période 2012‐2016, à atteindre un niveau important d’activité « climat » : 50 % de
l’activité dans les pays en développement et 30 % de l’activité de Proparco.
L’Agence Française de développement viendra ainsi avec le Fonds français pour
l’environnement mondial (FFEM), l’Institut de recherche et développement (IRD),
l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et la branche
internationale de l’Office national des forêts (ONF), conforter l’offre de la
coopération française dans le domaine du développement durable.
La question se pose en Afrique, elle est aussi posée à l’échelle mondiale :
dans les réflexions internationales, notamment aux Nations unies, ou en France lors
des Assises du développement, l’enjeu est bien désormais de savoir comment faire
- 148 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
se rejoindre les objectifs de développement post 2015 et ceux liés à
l’environnement dans la suite de Rio+20.
Et c’est l’intérêt de la France de promouvoir simultanément l’élévation des
niveaux de vie et le respect des normes sociales et environnementales. Le
réchauffement de la planète ne connaît pas les frontières. L’internationalisation
des marchés du travail met en concurrence les systèmes sociaux de la planète.
Dans ce contexte‐là, notre intérêt est de promouvoir toutes les formes de
régulation de la mondialisation.
Pour cela, il faut prendre encore davantage en compte les enjeux
environnementaux et sociaux dans le dialogue avec les pays sur leurs politiques.
C. LES ÉTATS, LES ENTREPRISES PRIVÉES ET LES SOCIÉTÉS CIVILES : TROIS PORTES
D’ENTRÉE DU DIALOGUE AVEC L’AFRIQUE
Ce dialogue avec les pays africains passe par les trois acteurs majeurs de la
transformation du continent que sont les États, les entreprises privées et les
sociétés civiles.
Après une décennie d’ajustements structurels qui ont mis à mal les
capacités des administrations publiques, il faut aider les Etats africains à structurer
des politiques de développement aussi bien au niveau régional dans la coopération
interétatique qu’au niveau national et local.
L’émergence économique et l’insertion gagnante dans la mondialisation
requièrent un Etat stratège, capable d’élaborer et de mettre en œuvre une
stratégie de croissance entretenant un consensus social, de concilier les multiples
défis internes de son développement, d’arbitrer entre eux lorsque cela s’impose et
de défendre ses intérêts sur la scène internationale, d’investir à long terme sur le
capital physique et humain tout en préservant le patrimoine naturel et culturel.
C’est pourquoi nous estimons, nous le verrons, que la coopération
qu’entretient la France avec les Etats africains doit se recentrer sur l’aide à la
gouvernance et la coopération technique et administrative. La France doit
renforcer son action en faveur de la modernisation de l’Etat, notamment par une
coopération juridique, judiciaire, administrative et territoriale. Elle doit contribuer
au renforcement de la gouvernance financière, à l’appui à la mobilisation des
ressources nationales, au suivi de la qualité des finances publiques et au
renforcement des institutions de contrôle.
Recentrer le dialogue sur l’aide à la
gouvernance et la coopération technique et administrative
Le secteur privé a, quant à lui, contribué à près de 80 % du PIB du
continent et créé environ 90 % de tous les emplois. Les micro‐entreprises et les
petites et moyennes entreprises, dont 65 % sont informelles, ont créé 70 à 80 %
des emplois. Mais ces PME africaines manquent d’accès aux ressources financières
de long terme. Ceci crée un vide, un «chaînon manquant» dans l’économie de ces
pays. L’investissement privé ignore souvent ces entreprises de taille moyenne ou
CHAPITRE 1 : - 149 -
L’AFRIQUE EN MUTATION : ENJEU MAJEUR
POUR LA F RANCE ET L’EUROPE
petite, dont les besoins en financement ne sont pas satisfaits, faute d’outils de
financement adaptés. Les petites et moyennes entreprises sont certainement plus
risquées, mais aussi plus rentables, financièrement et/ou socialement. Elles ont un
impact environnemental très important et souvent sous‐estimé en raison du
caractère diffus du tissu de ces PME.
C’est pourquoi notre coopération doit avant tout promouvoir la création
d’entreprises. Dans ce secteur, la France a pris une longueur d’avance grâce à
l’action de l’Agence française de développement. Dans le cadre de l’initiative du
Cap, la France œuvre depuis 2008 à un soutien du secteur privé par la mobilisation
de 2.5 milliards d’euros en 5 ans qui devraient générer un soutien à 1 900
entreprises, petites et moyennes principalement, avec à terme la création de plus
de 300 000 emplois
Soutenir le micro‐crédit, l’entreprenariat social et
les différentes formes de soutien à l’initiative et aux entreprises du Sud
Il faudra sans doute renforcer encore notre action dans ce secteur et
diversifier nos méthodes. L’appui à la croissance nécessite d’agir dans plusieurs
directions complémentaires : stimuler un environnement des affaires propice à la
mobilisation de l’investissement privé ; soutenir les évolutions du cadre
institutionnel et règlementaire ainsi que les politiques du travail et de l’emploi ;
mieux anticiper les chocs et leurs implications pour les entreprises, favoriser
l’investissement de l’épargne nationale et les investissements directs étrangers,
contribuer à une fiscalité structurante qui donne aux Etats les moyens d’agir et aux
citoyens un sentiment d’équité.
Mais il faut également soutenir le micro‐crédit, l’entreprenariat social et
les différentes forme de soutien à l’initiative et aux entreprises du Sud, à travers la
facilitation de l’accès au crédit sur les marchés locaux (grâce à des mécanismes de
garantie en particulier), ou encore le renforcement de leurs fonds‐propres (grâce à
des fonds d’investissement adaptés).
Dans une économie informelle, de nombreux microprojets qui manifestent
un réel potentiel peinent à se développer, voire échouent et cessent leur activité,
faute de crédit, parce qu’ils parviennent à un niveau intermédiaire, dans lequel les
institutions de micro‐finance ne peuvent plus « suivre », tandis qu’ils ne répondent
pas aux critères des banques classiques. Il y a sur ce segment un véritable potentiel
à soutenir.
Les sociétés civiles, enfin, doivent être des partenaires stratégiques de
notre coopération. Les printemps arabes ont montré combien ce dialogue avec les
Etats partenaires n’était pas suffisant pour entretenir une relation de qualité. Les
sociétés civiles africaines sont, en particulier, les garantes de la qualité de la
gouvernance et de la vitalité de la vie démocratique.
L’efficacité des politiques et des actions de coopération est étroitement
dépendante de l’adéquation des politiques suivies avec les besoins des populations.
- 150 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Le dialogue entre Etats constitue, naturellement, le cadre premier dans
lequel s’inscrit la politique publique de coopération pour le développement, mais il
doit associer de façon croissante les populations. La participation des citoyens et de
la société civile des pays partenaires doit donc être systématiquement recherchée
dans les actions bilatérales mises en œuvre par la France et promue aux niveaux
européen ou multilatéral, qu’il s’agisse de leur association par l’Etat partenaire, en
amont, à la définition des politiques publiques, au pilotage, au suivi et à
l’évaluation des actions soutenues.
Les collectivités locales sont également l’un des lieux où s’opère le
renforcement de la gouvernance à la faveur du processus de décentralisation et
notamment le caractère participatif et démocratique du développement. La
décentralisation rapproche le processus de décision et de gestion publique des
citoyens, favorisant l’émergence d’une démocratie de proximité. Elle peut
contribuer à un développement socio‐économique adapté dans des domaines qui
souffrent d’approches trop centralisées. Elle favorise la cohésion territoriale et
l’enracinement de la démocratie. C’est pourquoi nous devons promouvoir le
développement d’une coopération décentralisée française qui est déjà aujourd’hui
un atout considérable dans notre relation à l’Afrique.
Dans ce dialogue, la France n’est cependant plus seule. L’époque où nous
faisions l’histoire africaine est révolue. L’Afrique a multiplié les partenariats avec
les nouveaux pays émergents.
Le type de coopération que nous proposons, le modèle de société que
nous promouvons sont aujourd’hui concurrencés par des modèles
complémentaires et parfois alternatifs.
C’est aujourd’hui à une Afrique pleinement intégrée à la mondialisation
que nous devons nous adresser.
En 2050, le quart de l’humanité sera africain. Il faut désormais penser le
monde en plaçant l’Afrique au cœur de nos analyses et donc aussi au cœur de nos
choix et décisions.
Voilà le nouveau défi de la politique africaine de la France.
CHAPITRE 2 : - 151 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
CHAPITRE 2 :
HIER IGNORÉE, AUJOURD’HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
Dans les années quatre‐vingt‐dix, on pouvait lire dans un traité de
relations internationales, sur lequel ont planché plusieurs générations d’étudiants
en sciences politiques et futurs diplomates, la phrase suivante : « En cette fin de
XXe siècle, dominée par la poursuite du formidable processus d'intégration
mondiale, des régions demeurent en marge. ….. Ainsi en est‐il de l'Afrique au sud du
Sahara 1».
On croyait l’Afrique isolée, déconnectée des transformations et des
bouleversements en cours au sud de la planète.
Certes, l’Afrique a pris le train en retard, mais elle évolue désormais de
plain‐pied avec la mondialisation. Le décollage économique du continent n’aurait
pas été possible autrement.
Non seulement les secteurs les plus évolués du continent sont
directement branchés sur les réseaux financiers mondiaux, mais, même dans les
zones les plus reculées, les nouvelles technologies ont fait entrer la modernité en
Afrique pour le meilleur et pour le pire.
L’Afrique du siècle nouveau : c’est à la fois le Kenya qui concentre 50 % de
l’activité mondiale du mobile banking, mais aussi les réseaux terroristes du Nord
Mali qui se coordonnent par téléphone satellitaire.
Que l’on trouve des iPhones à Bamako est symbolique, mais finalement
assez anecdotique. Ce qui a changé, c’est plus fondamentalement l’insertion de
l’Afrique dans les échanges internationaux des biens, des capitaux et des idées.
I. UNE AFRIQUE DÉSORMAIS INTÉGRÉE DANS LA MONDIALISATION
Comme l’a déclaré le Président Barak Obama devant le Parlement du
Ghana le 11 juillet 2009, « Le XXIe siècle sera influencé par ce qui se passera non
seulement à Rome ou à Moscou ou à Washington, mais aussi en Afrique. C'est la
simple vérité d'une époque où nos connexions font disparaître les frontières entre
les peuples. ».
L’Afrique est entrée dans l’ère des économies intégrées et de
l’instantanéité de l’information, dans une époque d’accélération des flux de
capitaux et des échanges de biens et services, dans une période de montée en
puissance des mouvements de population.
1
Philippe Moreau Defarges, relations internationales, point seuil, page 177.
- 152 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Il est vrai que longtemps l’Afrique est restée en marge des évolutions
économiques et technologiques mondiales.
Symbole de cet isolement, l’Afrique subsaharienne représentait une part
très limitée du commerce mondial et des investissements directs à l’étranger (IDE).
L’Afrique subsaharienne était la région du monde la plus confrontée aux
difficultés d’accès aux marchés locaux, régionaux et mondiaux. Un manque
d’infrastructures et la dépendance à l’exportation de matières premières
constituaient des freins importants au développement du commerce au sein du
continent et dans le monde.
Les pays d’Afrique subsaharienne faisaient aussi face à des barrières
commerciales comme les taxes sur les importations ou les quotas, qui rendaient
inopérante la mise en concurrence de leurs produits sur des marchés importants
tels que les Etats‐Unis, l’Europe et le Japon.
Au‐delà des aspects économiques, l’Afrique était en butte à une fracture
technologique avec un faible accès à Internet et à la télévision. En 2004, le dernier
rapport de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement
(CNUCED) titrait sur la fracture numérique et soulignait le fossé qui séparait
l’Afrique du reste du monde.
Or depuis 10 ans, l’Afrique connaît une intégration dans les réseaux
mondiaux à une vitesse et à un niveau sans précédent. Des difficultés demeurent,
mais les dynamiques en cours illustrent l’intégration croissante du continent dans
la mondialisation.
Les échanges dans les domaines du commerce, des voyages et des
télécommunications se développent à un rythme soutenu dans la majeure partie de
l’Afrique.
Le nombre de ressortissants africains qui se déplacent en dehors du
continent n’a jamais été aussi élevé, notamment les professionnels des affaires, les
touristes et les migrants.
A. LA FIN D’UN ISOLEMENT RELATIF
à venir sur le continent. Et si les compagnies locales peinent à se regrouper pour
atteindre des tailles critiques, les compagnies européennes ou du Moyen‐Orient,
mais aussi certaines compagnies africaines profitent déjà de l’augmentation du
trafic.
Un nouvel eldorado pour les
géants Boeing et Airbus et leurs concurrents
Ainsi pour John Leahy, le directeur commercial d’Airbus, « l’Afrique sera,
d’ici une dizaine d’années, pour le transport aérien, « l’équivalent du Moyen‐
Orient», aujourd’hui. »1.
Des taux de croissance du trafic
maritime et aérien entre 8 et 12 % depuis une décennie
L’avion mais aussi le transport maritime profitent de l’ouverture du
continent africain.
Les flux maritimes, tous modes confondus, affichent en Afrique des taux
de 10 % à 12 % de croissance par an.
La croissance et les destinations du trafic maritime africain sont à l’image
des exportations qui transitent à 95 % par voie maritime.
Les compagnies maritimes ne s'y trompent pas et réorganisent leurs
flottes pour répondre au mieux aux évolutions de la demande africaine.
L'Afrique ne représente toujours que 3 % des volumes mondiaux, avec une
quinzaine de millions d'EVP2 manutentionnés sur l'ensemble du continent en 2011.
Mais, au rythme actuel, le continent pourrait en traiter 38 millions dès
2020, selon les prévisions concordantes du Fonds Monétaire International (FMI) et
de la Banque mondiale, et devrait atteindre 176 millions d'EVP à l’horizon 2040.
1
69e édition de l’assemblée générale de l’IATA Association du transport aérien international en
Afrique.
2
L'équivalent vingt pieds ou EVP (en anglais, twenty‐foot equivalent unit : TEU) est une unité
approximative de mesure de conteneur qui regroupe à la fois les conteneurs de 20 pieds et de 40
pieds. On l'utilise pour simplifier le calcul du volume de conteneurs dans un terminal ou dans un
navire. Un conteneur de 20 pieds vaut 1 EVP et un conteneur de 40 pieds en vaut 2.
- 154 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
CHAPITRE 2 : - 155 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
Cette augmentation est liée à la croissance du trafic enregistrée depuis
2000 sur l'axe Afrique‐Asie, qui représente aujourd'hui un bon quart du commerce
africain grâce à la Chine, pays avec lequel le continent échange le plus.
129 milliards de dollars ont été échangés par voie maritime entre la Chine et
l'Afrique en 2010, soit 10 fois plus qu’il y a 10 ans.
Sur l’ensemble du continent, une hiérarchie portuaire sous‐régionale
s’orchestre autour de quelques grandes portes d’entrées adossées la plupart du
temps à des marchés intérieurs régionaux importants : Abidjan, Tema et Dakar à
l’Ouest, Luanda, Pointe Noire et Douala au Centre, Mombasa, Port Soudan et Dar es
Salam à l’Est.
Une véritable révolution portuaire subsaharienne est en marche.
En moins d’une décennie, la part des intérêts privés dans l’exploitation des
terminaux conteneurisés africains est passée de moins de 15 % à plus de 70 % : une
véritable révolution portuaire subsaharienne est en marche avec des
investissements colossaux à la clef.
Sur la façade ouest‐africaine, le port marocain de Tanger a investi
7,5 milliards d'euros entre 2004 et 2012 qui ont permis la mise en service de Tanger
Med et de ses infrastructures modernes, il y a cinq ans. Tanger Med n'est
cependant pas un cas isolé.
Dans son sillage, les ports de toute la façade ouest‐africaine ont
clairement entrepris leur mue, à grand renfort de centaines de millions d'euros. Les
installations obsolètes et les infrastructures sous‐dimensionnées de la région
entravaient le développement des pays côtiers comme de ceux de l'intérieur –en
jouant le rôle de goulet d'étranglement à l'import comme à l'export. Mais la donne
change. Entre Dakar et Cotonou, tous les grands ports généralistes ont, depuis le
milieu des années 2000, lancé des projets de concession pour l'exploitation, la
gestion et le développement des activités conteneurisées.
Sur la rangée Dakar‐Douala, ce sont près de 2 milliards de dollars qui
devraient être investis par les acteurs privés sur les terminaux à conteneurs.
« Nous investissons en moyenne 250 millions d'euros par an sur les ports
africains », nous a indiqué Dominique Lafont, président de Bolloré Africa Logistics
(BAL). Depuis que le groupe a remporté une première concession à Abidjan en
2003, les chantiers se succèdent, de la Guinée au Congo en passant par le Nigeria.
Longtemps la façade est‐africaine a été caractérisée par sa pauvreté en
infrastructures portuaires d'envergure. Seuls une quinzaine de ports disposent de
quais, moins d'une dizaine de grues et de portiques. Déconnectés des grandes
routes maritimes, installés historiquement sur des sites peu favorables à
l'établissement de ports en eau profonde, les ports de la façade est ont également
pris du retard en ne suivant pas le mouvement de passage au privé opéré sur la
façade occidentale.
Mais la situation évolue à grande vitesse. DP World est arrivé en 2000 à
Djibouti, où il a bâti le port à conteneurs de Doraleh, et en 2006 à Maputo, au
- 156 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Mozambique. Le gigantesque projet portuaire à Lamu, au Kenya, dont le budget
s’élève à 19 milliards d'euros et celui – concurrent – de Bagamoyo, en Tanzanie,
d’un montant de 7,6 milliards d’euros, ont été officiellement lancés en mars
dernier. Ces projets succèdent aux investissements de l’Afrique du Sud dans les
nouvelles infrastructures de Ngqura à quelque 20 km au nord‐est de Port Elizabeth.
B. UNE INSERTION CROISSANTE DANS LES FLUX MONDIAUX DE MARCHANDISES ET
DE CAPITAUX
Selon des données de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et
le développement (CNUCED), ces exportations ont presque quadruplé en valeur
entre 2000 et 2011, passant de 148.6 à 581.8 milliards de dollars (USD).
Deux tendances se dessinent : la première porte sur le recul de l’Europe et
des États‐Unis dans les exportations africaines ; la seconde concerne
l’intensification des relations commerciales avec les économies émergentes.
CHAPITRE 2 : - 157 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
Sur le plan réglementaire et tarifaire, si de nombreuses difficultés
persistent, l’Afrique a réalisé des progrès significatifs en matière de politique
commerciale.
Les tarifs moyens africains sont désormais similaires à ceux des autres
pays en développement et les restrictions quantitatives ont été largement limitées.
- 158 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Les taxes à l’exportation ont été largement supprimées. Des réformes ont été
menées afin d’augmenter la compétitivité et d’investir dans des mesures de
facilitation du commerce.
Au‐delà du commerce, l’Afrique s’est très largement ouverte aux
investissements directs.
Les investissements étrangers atteignent des niveaux sans précédent,
même s’ils restent concentrés sur un nombre limité de secteurs (hydrocarbures,
mines).
L’attractivité économique de l’Afrique subsaharienne s’est
considérablement renforcée au cours des dix dernières années.
Elle a attiré l’attention des puissances émergentes, des puissances
industrielles et des acteurs privés comme jamais, si bien que la part mondiale des
Investissements Directs Etrangers (IDE) à destination de l’Afrique subsaharienne a
doublé depuis 5 ans pour atteindre un peu moins de 6 % en 2012.
On a longtemps conservé l’image d’une Afrique assistée par l’aide au
développement. Or, aujourd’hui, les investissements directs avoisinent les
50 milliards d’euros par an, auxquels s’ajoutent 20 milliards d’investissement de
portefeuilles et près de 60 milliards de transferts de migrants.
L’apport des financements extérieurs privés aux économies africaines ont
donc largement dépassé le poids de l’aide au développement qui culmine à
50 milliards de dollars. En 2003, l’APD représentait 45 % des apports financiers à
l’Afrique, en 2013 elle ne devrait représenter que 28 %.
CHAPITRE 2 : - 159 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
L’apport des financements extérieurs
privés à l’Afrique est deux fois plus élevé que l’APD.
L’Afrique n’est plus un continent soutenu à bout de bras par des bailleurs
de fonds. C’est un changement structurel que l’on ressent dans le discours de tous
les responsables politiques que nous avons rencontrés.
Alors qu’en Afrique plusieurs ministres nous ont dit : « Nous n’avons pas
besoin d’aide, mais d’investissements », à Paris, Mathieu Pigasse a insisté sur l’idée
que « les Français doivent avant tout être présents en Afrique sous la forme
d’investissements productifs (…) il faut oublier les schémas du passé, regarder les
autres s’implanter dans ce qui deviendra demain un des plus gros marchés du
monde».
Le développement de la consommation, la richesse de ses sous‐sols et de
ses forêts et sa disponibilité en terres arables suscitent les convoitises, « boostent »
sa croissance, et contribuent à multiplier le nombre des partenaires commerciaux
qui viennent non seulement commercer avec l’Afrique, mais également s’implanter
sur le continent dans les secteurs phares des services financiers, des
infrastructures, de l’énergie, de l’agro‐industrie, des télécoms et du BTP.
Dans ces secteurs, le capital‐investissement international fait fureur tant
les opportunités sont nombreuses.
La rentabilité des fonds de Private
Equity en Afrique figure parmi la plus élevée au monde.
A titre d’exemple, en février 2012, la Banque africaine de développement
(BAD) a annoncé une prise de participation de 50 millions de dollars au fonds du
Groupe Carlyle basé aux États‐Unis, lequel prévoit d'investir pas moins de 500
millions de dollars en Afrique subsaharienne. En mai, la Banque d'investissement
brésilienne BTG Pactual a lancé un fonds de capital d'investissement d’un milliard
de dollars axé sur l’Afrique. En 15 mois, de janvier 2011 à mars 2012, huit nouveaux
fonds destinés à l’Afrique orientale et australe ont été lancés.
L’Afrique de l’Est compte à elle seule 16 fonds dédiés, sur 53 en activité
dans la région. En mars, Deloitte, un cabinet de conseil international et Africa
Assets, un cabinet de recherche et de conseil privé, ont publié une enquête menée
auprès des délégués d’environ trois douzaines de fonds. Cette enquête a révélé que
près des quatre cinquièmes d’entre eux prévoyaient d’accroître leurs dépenses l’an
prochain.
Les chiffres globaux sont impressionnants, bien qu'un peu volatiles. Les
opérations de capital‐investissement en Afrique subsaharienne sont passées de
741 millions de dollars en 2003 à 1,3 milliard de dollars l’an dernier, avec des
phases ascendantes et descendantes entre‐temps, selon l’Emerging Markets
Private Equity Association.
Autrement dit les fonds internationaux d’investissement se tournent vers
l’Afrique qui commence à profiter à plein de la finance internationale.
- 160 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
La raison en est simple, nous a dit M. Luc Rigouzzo, qui dirige Amethis
Finance (société de conseil en financement et investissements pour l’Afrique) avec
un budget 200 à 300 millions d’euros en fonds propres et 200 à 300 millions en
dette : « La rentabilité des investissements directs en Private Equity en Afrique
figure parmi la plus élevée au monde».
C. UNE AFRIQUE CONNECTÉE.
Enfin, la dernière illustration de cette plongée dans la mondialisation est
l’interconnexion croissante de l’Afrique à Internet.
L’Afrique affichait depuis deux décennies le plus faible taux de pénétration
d’Internet dans le monde, les tarifs d’accès les plus coûteux au monde ainsi que
l’absence de réseaux internationaux haute capacité.
Pourtant, l’utilisation des TIC a véritablement connu un boom ces
dernières années sur le continent. Ainsi, selon l’Union internationale des
télécommunications (UIT), le taux de pénétration des téléphones portables sur le
continent serait supérieur à 45 % et celui de l’Internet dépasserait les 10 % avec
une croissance du nombre de lignes mobiles de 44 % par an, soit la plus forte
croissance au monde !
L’internet se diffuse en Afrique grâce à l’Internet mobile.
En Afrique subsaharienne l’Internet mobile est désormais beaucoup plus
développé que l’internet fixe.
Malgré le retard de l’Afrique en matière d’accès à haut débit, l’accès à
Internet est en plein développement avec 25 millions de connections (Internet) et
57 réseaux 3G déjà déployés. Environ 3 milliards de dollars d’investissements
cumulés sur la période 2010‐2013. Le flux sur la bande passante internationale en
Afrique est passé de 100 Giga bps en 2008 à 1 Tera bps (10 fois plus) en 2012. La
multiplication de ces investissements va favoriser l’abaissement des prix. Une
baisse des prix de bande passante de 20 % d’ici 18 mois est déjà estimée par les
experts pour les grands pays africains.
CHAPITRE 2 : - 161 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
II. UN CONTINENT NAGUÈRE CONVOITÉ PAR LES SEULES PUISSANCES
OCCIDENTALES
Non seulement l’Afrique est de plus en plus connectée aux mouvements
économiques, technologiques, politiques et culturels mondiaux, mais elle est en
train de devenir le lieu d’une confrontation pacifique où se joue un nouveau
rapport de force entre les anciennes puissances coloniales et les nouvelles
puissances émergentes.
« Les centaines de milliers de Chinois qui s'y précipitent ont une longueur
d'avance. Ils séduisent les dictateurs, parce qu'ils investissent et ne parlent pas de
démocratie, et les peuples, parce qu'ils construisent des routes ou des barrages. Les
Occidentaux, la France surtout, se laisseront‐ils évincer ? », pouvait‐on lire dans
« La Chinafrique : Pékin à la conquête du continent noir » paru en 2008.
- 162 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Depuis toujours, l'Afrique et les grands empires africains qui ont précédé
la colonisation ont attiré les convoitises.
On ne saurait comprendre la portée de l’émergence de ces nouveaux
partenaires sans mesurer le poids de cette présence passée qui structure encore la
sphère d’influence des pays européens en Afrique.
Lorsque l'intérieur du continent noir commence à être exploré, les
tensions entre les principales puissances, notamment autour du bassin du Congo,
rendent nécessaire l'organisation de la conférence de Berlin (novembre 1884‐
février 1885).
C'est sur cette base que l'Afrique fut divisée au cours des trente années
suivantes entre la France, le Royaume‐Uni, la Belgique, le Portugal, mais aussi
d'autres puissances européennes dont le passé colonial est moins prégnant :
l'Allemagne (Tanganyika, Sud‐Ouest africain, Togoland, Kamerun), l'Italie (Somalie,
Tripolitaine, Erythrée), l'Espagne (Sahara espagnol, Guinée équatoriale).
CHAPITRE 2 : - 163 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
Néo colonialismes et impérialismes
Croire que la relation particulière entre la France et l’Afrique concerne
tout le continent est une erreur que l'usage trop fréquent du terme générique
« l'Afrique » laisse accréditer.
La relation franco‐africaine varie considérablement selon qu'on se situe
dans d'anciennes colonies, françaises ou pas. Cela ne signifie pas pour autant que la
sphère d'influence française soit limitée aux seules colonies françaises.
Elle s'étend, en fait, peu ou prou, à l'ensemble de l'Afrique francophone.
Ce qui inclut les colonies allemandes qui lui ont été confiées par la Société des
Nations au lendemain de la Première Guerre mondiale (Togo, Cameroun) dont la
relation aujourd'hui avec la France ne se distingue quasiment pas de celle
qu'entretiennent les anciennes colonies françaises et les colonies belges (Zaïre,
Rwanda, Burundi) sur lesquelles la France a exercé, depuis les années 1970, une
influence importante.
Dépassant les limites des États francophones, l'influence de la France peut
s'étendre à d’anciennes colonies espagnoles (la Guinée équatoriale) et portugaises
(la Guinée‐Bissao, le Cap‐Vert, Sao‐Tomé et Principe) : certaines utilisent le franc
CFA (la Guinée équatoriale depuis 1985, la Guinée‐Bissao depuis 1997), toutes ont
- 164 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
adhéré à la Francophonie (la Guinée équatoriale depuis 1989, la Guinée Bissau
depuis 1979, le Cap‐Vert depuis 1996, Sao Tomé depuis 1999).
Mais, dans ces quatre pays‐là, comme d'ailleurs dans les trois anciennes
colonies belges, la place de la France n'est pas aussi importante que dans ses
anciennes colonies. Sans évoquer le cas particulier du Rwanda, la Guinée Bissau,
pour ne citer qu'elle, est un exemple de pays africain situé aux marges du « pré
carré » : entourée de pays francophones, le Sénégal au nord, la Guinée à l'ouest, le
pays a intégré l'Union économique et monétaire ouest‐africaine (UEMOA) ; mais la
Guinée‐Bissao, membre depuis sa fondation en 1996 de la Communauté des pays
de langue portugaise (CPLP), conserve des liens étroits avec le Portugal, son
deuxième fournisseur (derrière le Sénégal).
La fracture africaine la plus évidente est celle qui sépare les États
francophones et anglophones en Afrique. Il est étonnant de constater combien ces
États diffèrent de leurs voisins francophones. La France est presque totalement
absente de la Gambie, du Ghana, de la Sierra Leone ou du Liberia. Elle est encore
peu présente en Afrique du Sud, au Nigeria ou en Angola sinon dans le secteur des
hydrocarbures.
En effectifs, la coopération française semble être restée concentrée sur les
anciens pays « du champ ». La présence diplomatique dans les anciennes colonies
britanniques est encore embryonnaire : l'ambassade de France à Abuja (Nigeria) est
moins importante que celle de Niamey (Niger).
Si on restreint l'analyse au seul « pré carré », la France fut sans doute
longtemps en situation de quasi‐monopole.
Même si, pendant la Guerre froide, l'Afrique fut l'un des terrains
d'affrontement des grandes puissances, la France veilla jalousement à empêcher
toute infiltration communiste dans son domaine africain. Mais ces jeux d'ombre
n'eurent finalement guère d'impact sur la réalité quotidienne de l'Afrique où ni les
Américains ni les Soviétiques, ni même les Chinois, ne s'implantèrent durablement :
que le Bénin, le Congo ou Madagascar aient flirté quelques années avec le
marxisme‐léninisme n'a en définitive pas changé grand‐chose à leur relation avec
Paris.
C’est au regard de cette histoire que l’irruption de la Chine puis de
l’ensemble des pays émergents a été perçue à Paris comme une intrusion dans ce
qui apparaissait, dans l’esprit de certains, comme des dépendances de la France,
dans le sens originel de la Françafrique telle que l’envisageait Félix Houphouët
Boigny.
Il est clair aujourd’hui que ce discours, qui transparaît parfois dans les
propos de certains responsables politiques français, est, cinquante ans après les
indépendances, décalé.
Le souvenir, la nostalgie d’une époque où la France « faisait l’histoire » de
l’Afrique, peut expliquer ces dérapages. Comme nous l’a dit un ambassadeur
d’Afrique de l’Ouest : « Vous ne devriez pas céder du terrain, vous restez un allié
incontournable, mais il est temps de changer de discours, vous n’êtes pas nos
CHAPITRE 2 : - 165 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
grands frères, nous sommes majeurs, vaccinés, maîtres de nos destins, responsables
devant nos opinions publiques, libres de choisir nos amis, nos partenaires, nos
financements ».
Le pragmatisme anglais
Autre ancienne puissance coloniale, la Grande‐Bretagne est également
l’héritière d’une longue tradition africaine. Elle n’a cependant pas, ni avant, ni
après les indépendances, investi de la même façon que la France sa politique
africaine. Sa diaspora, moins nombreuse que la française, est surtout concentrée
en Afrique du Sud et, dans une moindre mesure, au Kenya, au Zimbabwe et au
Nigéria.
L’arrivée de Tony Blair à la tête du gouvernement a cependant marqué un
renouveau de la politique africaine britannique, en particulier dans le domaine de
la coopération au développement, avec la création du Department for International
Development (DfID) en mai 1997, la loi sur le développement international de 2002
(International Development Act 2002), renforcée par une loi de 2006 qui fixe
clairement pour objectif de faire reculer la pauvreté, en particulier par l’atteinte
des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). En quelques années
seulement, grâce à une volonté politique affirmée des plus hauts dirigeants
notamment inspirés par des valeurs d’inspiration chrétienne, les Britanniques sont
devenus les leaders de la pensée sur l’aide au développement.
Depuis 2010, le gouvernement de coalition s’est inscrit dans la continuité
du Labour, affirmant en particulier sa volonté « d’honorer notre (leur) engagement
de consacrer 0,7 % du PIB à l’aide au développement à partir de 2013 et d’inscrire
cet engagement dans la loi » (point 18 du contrat de coalition de mai 2010). La
dotation du DfID (avec celle accordée à la Santé) fait ainsi figure d’« exception
budgétaire ». Sur la période 2010‐2015, dans un contexte de restrictions
budgétaires sans précédent, les ressources du DFID devraient augmenter de 35 %
en termes réels, avec une hausse des dépenses en capital de 20 %.
Or cet effort qui, on le verra, contraste avec celui de la France, tant du
point de vue des montants que de la composition de l’aide entre prêts et dons,
bénéficie d’abord à l’Afrique. Le continent noir percevra environ 58 % des dotations
sur la même période, notamment via une dotation régionale de 813 M£ sur cinq
ans. On retrouve, parmi les 27 pays qui bénéficient de la coopération britannique,
16 pays africains, avec d’abord l’Afrique du Sud, la RDC, le Nigeria, l’Ethiopie, mais
aussi le Ghana, le Kenya, le Liberia, le Malawi, le Mozambique, le Rwanda, la Sierra
Leone, la Somalie, le Soudan, la Tanzanie, l’Ouganda, la Zambie et le Zimbabwe.
Parallèlement, l’Initiative de la Commission pour l’Afrique, l’International
Finance Facility, prévoit un accroissement de 25 milliards de dollars d’aide sous
forme de prêts remboursés par le G7 et l’appui au NEPAD.
L’Afrique est également vue comme un marché en devenir pour les
entreprises britanniques qui y ont investi 30,5 milliards de dollars dans des
opérations de fusions‐acquisitions entre 2000 et 2010.
- 166 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Si on a à l’esprit les anciennes puissances coloniales que sont la France et
la Grande‐Bretagne, on a tendance à oublier le Portugal.
Un Portugal, encore influent
Le Portugal a su tirer profit de son héritage historique et a fait de ses
anciennes colonies des alliés stratégiques dans sa politique africaine.
La proximité politique et économique qui lie Lisbonne au continent
s’illustre d’abord au sein de la Communauté des Pays de Langue Portugaise (CPLP).
Les membres africains de la CPLP sont le Cap Vert, la Guinée Bissau, le
Mozambique, l’Angola, Sao Tomé et Principe. La CPLP regroupe 240 millions
d’habitants et s’étend sur une superficie comparable à celle des Etats‐Unis ou du
Canada. Basée à Lisbonne et présidée depuis 2012 par le mozambicain Murade
Isaac Murargy (diplômé de la faculté de Lettres de Lisbonne), la CPLP est le
principal outil de la diplomatie d’influence portugaise en Afrique.
Ainsi, les membres africains de la CPLP sont les premiers partenaires
commerciaux du Portugal. La société d’exploitation d’hydrocarbures portugaise
Galp Energia est ainsi implantée dans l’ensemble de ces pays et sa présence
remonte à 1957, au Mozambique. Leader sur le marché de la Guinée‐Bissau et très
implantée en Angola, Galp Energia se développe de plus en plus en Afrique. De la
même façon l’entreprise portugaise Mota Engil, leader national de la construction
et du génie civil est très présente en Afrique : en 2012, elle a réalisé 35 % de son
chiffre d’affaires, d’un total de 2,1 milliards d’euros, sur le continent.
Sur le plan diplomatique, le Portugal a fait de ces pays des alliés de choix
sur la scène internationale. C’est notamment grâce au soutien des pays africains
que Lisbonne a pu obtenir un siège de membre non‐permanent au Conseil de
Sécurité de l’ONU pour l’année 2011‐2012. Fort de sa présence au sein de l’organe
exécutif des Nations Unies et désireux de jouer un rôle actif dans la crise la crise
politique qui a touché la Guinée Bissau, le Portugal a permis l’adoption, le
18 mai 2012, de la résolution 2048 qui met en place un régime de sanctions à
l’encontre des principaux auteurs du coup d’Etat et appelle à la « restauration d’un
processus électoral ».
Deuxième investisseur au Mozambique et premier partenaire en termes
de coopération et de développement pour la Guinée Bissau, le Portugal est
résolument tourné vers ses anciennes colonies. Luanda est ainsi le principal client
de Lisbonne hors UE et son 4e partenaire commercial mondial.
Ironie de l’histoire et signe des temps, suite à la crise financière portugaise
et au décollage économique angolais, c’est au tour de l’Angola d’investir au
Portugal. Les investissements angolais dans le marché portugais sont passés de 1,6
à 116 millions d’euros de 2002 à 2009. La situation est telle que le directeur général
du géant angolais Sonagol, peut déclarer « Notre pari sur le Portugal est réel et
durable ». Une banque d’investissement a été créée par la caisse des dépôts du
Portugal et Sonagol afin de faciliter le développement d’infrastructures et
d’industries lourdes avec son siège en Angola. Face à la cure d’austérité à laquelle
est soumis le pays, les flux de migrations du Portugal vers l’Angola sont plus
CHAPITRE 2 : - 167 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
importants que ceux de l’Angola vers le Portugal, l’ancienne colonie fait ainsi figure
d’eldorado pour les salariés portugais.
Enfin, face à l’influence croissante des grands émergents sur le continent,
le Portugal bénéficie d’un avantage sur les anciennes puissances coloniales : sa
relation privilégiée avec le Brésil. Leur appartenance à la CPLP en fait des
partenaires de longue date du continent africain, pour des raisons différentes. C’est
dans ce cadre que se posent les prémices d’une politique de coopération en
matière de développement durable : le Portugal, le Brésil et l’Angola ont ainsi signé
un protocole d’entente en juin 2012 qui prévoit une coopération en matière de
traitement des résidus de production industrielle afin de préserver
l’environnement.
Sans doute l’arrivée de nouveaux partenaires du Sud modifie la relation
aux anciennes puissances coloniales. Mais il est frappant de constater que leur
influence, notamment à travers la langue, reste considérable.
B. LES DEUX SUPERPUISSANCES DE LA GUERRE FROIDE TOUJOURS LÀ VINGT ANS
APRÈS LA CHUTE DU MUR.
principes du libéralisme économique ; cet accord se concentrait surtout sur le
pétrole.
Treize ans plus tard, la structure des relations commerciales africano‐
américaines n’a guère évolué. La moitié des IDE américains envoyés en Afrique sont
destinés aux pays extracteurs d’hydrocarbures et de minerais et, malgré l’appétit
chinois, les Etats‐Unis restent le premier importateur du pétrole africain (30 % des
exportations du continent). Ces ressources africaines aimantent ainsi les majors
pétrolières américaines indépendantes, telles qu’Exxon Mobil ou Conoco Philipps,
très présentes en Afrique.
Le golfe de Guinée est désormais considéré comme une alternative
cruciale à la dépendance américaine aux importations d’hydrocarbures venus des
pays arabes. Les entreprises américaines, qui ont investi plus de 40 milliards de
dollars dans cette zone entre 1995 et 2005, ont effectué 30 milliards de dollars
d’investissements supplémentaires entre 2005 et 2010. Cette stratégie économique
est facilitée au Nigeria, en Guinée équatoriale et à São Tomé car ces Etats
autorisent les sociétés étrangères à être majoritaires dans les consortiums
pétroliers.
Le secteur minier africain attire également les firmes d’outre‐Atlantique
afin d’extraire des diamants, du cobalt, de l’uranium ou encore du platine des pays
possédant des sous‐sols riches. L’activité de Newmont Mining, numéro 2 mondial
de l’extraction d’or, est particulièrement représentative de cet appétit américain :
20 % de ses actifs mondiaux se trouvent au seul Ghana.
Au‐delà des matières premières, les entreprises de la Silicon Valley
s’intéressent également à l’Afrique subsaharienne. Si Google ou Intel ne cessent de
développer leurs implantations sur le continent, c’est Microsoft qui est le
partenaire américain le plus ancien de l’Afrique dans ce domaine. Présent depuis
1992, l’entreprise de Bill Gates a lancé cette année le projet « Initiative Microsoft
4Afrika » qui vise à aider les projets d’entreprenariat africain innovant en matière
de technologie. On note que le budget de la Fondation Gates consacré à l’Afrique
s’élevait à 2 milliards de dollars en 2012, contre un somme prévue de 1,09 milliard
pour l’OMS sur l’année 2012‐2013. Enfin, le géant américain de la distribution
Wal‐Mart a accédé aux marchés africains en 2011, en rachetant le sud‐africain,
Massmart, numéro 3 de la distribution en Afrique.
Mais cette diversification des investisseurs américains reste cependant
anecdotique face à la prédominance de l’exploitation de matières premières. Alors
que l’AGOA expire en 2015, son prolongement est aujourd’hui capital pour la
stratégie économique américaine : il convient désormais de parvenir à un réel
transfert de technologies et de savoirs afin de permettre l’essor économique et
politique du continent.
Alors que l’élection d’un président d’origine kényane en 2008 a renforcé
les attentes africaines envers les États‐Unis, la politique africaine d’Obama s’est
inscrite dans la continuité de celle des administrations précédentes d’objectifs
généraux tels que la lutte contre le terrorisme, le renforcement des institutions
CHAPITRE 2 : - 169 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
Enfin, les Etats‐Unis s’illustrent par un effort conséquent en matière de
coopération au développement de l’Afrique.
Développement économique, bonne gouvernance et démocratie allant de
pair avec la paix et la sécurité, les administrations successives ont beaucoup investi
dans l’APD, d’une valeur nette de 30,75 milliards USD en 2011, faisant de la
Maison‐Blanche le premier fournisseur de coopération pour le développement en
Afrique.
Le Président Obama souhaite en effet recentrer l’approche américaine de
l’Afrique sur d’autres aspects que le volet sécuritaire. L’importance des institutions
démocratiques a été soulignée à maintes reprises dans les discours officiels ainsi
que dans le choix des pays africains visités par l’administration Obama : le Ghana,
le Sénégal, le Togo, le Bénin ou encore le Cap vert ont été choisis après la tenue
d’élections transparentes.
Promouvant une politique de partenariat plus que de parrainage, les États‐
Unis ont également valorisé l’importance de la jeunesse sur le continent, perçue
comme un ensemble de dirigeants en devenir qui sont la clé de l’autonomie
politique et économique du continent. Lors de sa visite en Afrique du Sud à l’été
2013, le Président Obama a ainsi rencontré des étudiants, symboles du futur faste
et démocratique de l’Afrique.
La mise en place de programmes de partenariats économique, militaire et
d’aide au développement montrent que les Américains ont pris conscience de
l’enjeu africain, tant sur le plan de leur approvisionnement énergétique que sur le
plan diplomatique. L’Afrique est, pour Washington, l’une des clés de la sécurité
mondiale.
Russie : Le dividende de l’anti‐colonialisme
De son côté, la Russie a progressivement renoué avec l’Afrique.
On se souvient de son omniprésence sur le continent durant la Guerre
froide, avec près de 40 000 « conseillers » répartis sur 40 pays. L’Union soviétique
soutenait les indépendances africaines dans les années 1960 et apportait son aide à
la lutte contre l’apartheid (Namibie), au gouvernement socialiste (Mozambique)
ainsi qu’au régime révolutionnaire (Somalie).
L’URSS fournissait alors du matériel civil et militaire en Afrique et
collaborait avec les Cubains présents sur le territoire afin de défendre les intérêts
communistes. Mais cette omniprésence avait un prix : à la veille de l’effondrement
de l’URSS, les échanges avec l’Afrique s’élevaient à 3 milliards de dollars par an. Il
s’agissait en fait de livraisons d’Etat à crédit, l’Union soviétique envoyant des
marchandises en Afrique sans qu’il y ait un véritable mouvement de retour. La
dette commerciale africaine atteignit ainsi la somme considérable de 25 milliards
de dollars, dont 14,3 pour l’Afrique noire, déstabilisant profondément l’économie
soviétique qui ne pouvait assurer les ambitions géostratégiques planétaires de ses
dirigeants.
Durant la décennie 1990, la Russie fédérale dut faire face aux problèmes
de restructuration interne hérités de l’URSS et fut pratiquement absente du
CHAPITRE 2 : - 171 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
continent : la part de l’Afrique dans les importations russes passa de 2,5 % en 1986
à 0,4 % en 2001.
C’est dans ce contexte que s’est opérée la « renaissance africaine » de la
Russie (Mikhaïl Lebedev), marquée par l’accueil à Moscou des présidents de
l’Algérie, de l’Egypte, du Nigeria, de la Guinée et du Gabon, en 2001. Le président
Poutine a entrepris sa première tournée africaine en Afrique du Sud et au Maroc en
2006, deux partenaires stratégiques de la Russie, afin de développer la nouvelle
diplomatie « multipolaire » souhaitée par le Kremlin, visant à rétablir l’image de
superpuissance du pays. Il s’agit pour la Russie de « trouver un nouveau champ de
travail » (Vladimir Poutine) sur ce continent afin de développer des liens bien
différents de ceux conservés par les anciennes puissances coloniales.
M. Poutine promettait ainsi « des milliards de dollars d’investissements »
en Afrique du Sud, un pays avec lequel les liens historiques sont très forts, Moscou
ayant soutenu le Congrès national africain sous l’apartheid, ce qui n’a pas été
oublié par les dirigeants sud‐africains. Les perspectives de coopérations bilatérales
concernent le domaine minier, la société russe Renova et la société sud‐africaine
Harmony gold Mining ayant signé un accord‐cadre concernant l’exploitation des
minerais dans les deux pays. Des accords de coopérations ont également été
conclus concernant l’extraction du diamant entre le géant russe Alrosa et le groupe
De Beers. La Russie est enfin le premier fournisseur d’uranium enrichi de la centrale
nucléaire de Koeberg, la seule sur le continent africain.
En 2009, le président Medvedev a effectué une vaste tournée africaine,
axée sur quatre pays stratégiques que sont l’Angola, la Namibie, l’Egypte et le
Nigeria, afin de mettre en place une « diplomatie des matières premières ». Ce
voyage a été l’occasion pour les entreprises gazières et pétrolières russes de mettre
en place des projets de coopération avec les entreprises nationales, négociant ainsi
des contrats colossaux tels que la création de la filiale russo‐nigériane Nigaz, qui
permettrait à Gazprom d’aider le Nigeria dans l’exploitation de ses ressources de
gaz naturel et de pétrole brut, qui font de lui le dixième producteur mondial
d’hydrocarbures.
Enfin sur le plan politique, la Russie bénéficie d’un capital sympathie
auprès des Etats africains en raison de son opposition au colonialisme et de
l’important soutien qu’elle a fourni aux mouvements révolutionnaires sur le
continent durant la Guerre froide. Elle bénéficie toujours aussi du réseau des
anciens étudiants formés en URSS qui exercent des responsabilités dans les
administrations de nombreux pays africains.
Finalement, les liens politiques qui existaient entre la Russie et l’Afrique
ont résisté à l’épreuve du temps, ce qui permet à Moscou de pouvoir développer
rapidement sa nouvelle stratégie diplomatique sur le continent. Cependant, les dix
années d’absence ont entraîné un retard russe sur le plan économique : le Kremlin
doit faire face à l’expansion chinoise sur les marchés africains alors même qu’elle
ne possède pas la puissance industrielle de l’Empire du Milieu. C’est donc grâce à la
« diplomatie des matières premières » que la Russie entend rétablir son statut de
grande puissance sur le continent, vingt‐cinq ans après l’effondrement de l’URSS.
- 172 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
coréens ou japonais pour n’en citer que quelques‐uns, qui multiplient les salons
pour profiter du décollage africain.
Hier ignoré, aux lendemains de la Guerre froide le renouveau africain en a
fait un continent convoité. Quelle est l’ampleur du phénomène ? Comment se
traduit‐il ? En flux commerciaux, en investissements ? Dans quels secteurs ? Dans
quels pays ? Avec quelles retombées politiques ?
A. LES PARTENAIRES TRADITIONNELS CÈDENT DE LA PLACE
Depuis vingt ans ces deux courbes progressent au même rythme, l’une
décline, l’autre augmente. Elles vont bientôt se croiser.
Après des siècles d’hégémonie sur le commerce africain, les pays
occidentaux au premier chef desquels les anciennes puissances coloniales auront
cédé leur place aux pays du Sud, aux anciens pays en développement, devenus
émergents.
Déjà en 2011, pour la première fois, la contribution des pays du Sud à la
croissance mondiale avait supplanté celle du Nord.
L’inversion des pôles de croissance entre le Nord et Sud est en route,
l’Afrique risque d’en être un acteur pivot.
Le changement est moins spectaculaire s’agissant de l’investissement : les
partenaires traditionnels de l’Afrique semblent encore détenir la part du lion grâce
à un stock d’investissement accumulé depuis la colonisation.
CHAPITRE 2 : - 175 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
Cependant, les estimations d’une étude portant sur 11 pays africains
laissent penser que, là aussi, les économies émergentes jouent un rôle de plus en
plus important : leur part dans le flux annuel de l’investissement direct étranger
(IDE) a presque doublé entre la première et la deuxième moitié des années 2000,
passant de 5,6 % à 10,2 %, avec un quadruplement de la part de l’Inde de 0,4 % à
1,7 %.
Les études de l’OCDE attestent également des efforts croissants que
déploient les économies émergentes en matière de coopération pour le
développement, un phénomène qui attire de plus en plus l’attention.
Contrairement aux bailleurs de fonds traditionnels, la plupart des
économies émergentes ne notifient pas de données sur l’aide à l’OCDE. Et
lorsqu’elles le font, l’aide publique au développement (APD) ne correspond pas
toujours à la même définition, d’où la difficulté de comparer précisément donneurs
traditionnels et nouveaux donneurs. La prudence est donc de mise lorsqu’on
analyse toute estimation.
Néanmoins, il est clair, depuis quelques années, que l’ampleur de ces
efforts va en augmentant et que des pays comme la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Arabie
Saoudite, la Turquie et le Venezuela jouent un rôle toujours plus significatif en
matière d’aide.
Selon une série d’estimations, la part de ces nouveaux partenaires du
développement dans l’APD mondiale est passée de 1,7 % en 1995 à 12 % en 2008,
et elle devrait atteindre 20 % en 2015.
Si l’ampleur de ces activités de coopération sud‐sud est révélatrice, la
façon dont les économies émergentes s’impliquent avec leurs partenaires de
développement est peut‐être plus frappante encore.
Toute généralisation est risquée, mais les nouveaux bailleurs de fonds se
caractérisent souvent par une approche différente de la coopération en mettant
l’accent sur les avantages réciproques, la fourniture d’infrastructures, les projets
plutôt que le soutien budgétaire général. Leur aide est souvent liée à des contrats
avec des entreprises de leur pays.
Les coopérations occidentales légitiment leurs actions au nom d’objectifs
généraux, d’avantages collectifs à plus long terme, comme l’amélioration de la
sécurité mondiale et la création de nouveaux marchés ou encore la réduction des
inégalités et la protection des biens publics mondiaux.
Les nouveaux partenaires sont plus susceptibles de chercher des résultats
immédiats, la coopération étant souvent présentée comme une relation « gagnant‐
gagnant » globale dans laquelle investissement économique et initiative classique
de développement se confondent.
« Moins de sermons, plus d’aide concrète », la coopération des économies
émergentes est aussi assortie de moins de conditions, notamment en termes de
responsabilité sociale et environnementale.
- 176 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
B. LES GRANDS ÉMERGENTS À MARCHE FORCÉE
Nous avons assisté au dernier sommet des BRICS à Durban en 2013. Le
Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud, qui rassemblent 43 % de la
population et produisent le quart du produit intérieur brut (PIB) de la planète ont
affirmé leur volonté de participer à la transformation du continent africain en se
dotant notamment d'institutions et mécanismes communs leur permettant de
contourner un système mondial actuellement dominé par l'Occident, du FMI à la
Banque mondiale en passant par les agences de notation. Qu’elle ait abouti ou pas,
cette initiative symbolise cette volonté conjointe des pays africains et des pays
émergents de créer un axe Sud‐Sud.
1. La Chine‐Afrique, entre prédation et partenariat.
La présence chinoise reste spectaculaire à plus d’un titre.
Un dispositif conquérant
Elle est d’abord visible. Il faut voir le nouveau siège de l'Union africaine,
« Le don de la Chine à l’Afrique », un imposant immeuble de 20 étages à Addis‐
Abeba dont la Chine a pris en charge les frais de construction pour 250 millions de
dollars pour mesurer l’ampleur de cette diplomatie du bâtiment public. Ce
complexe ultramoderne, le plus haut bâtiment d’Éthiopie, achevé en décembre
2011, à temps pour un sommet de l'UA organisé le mois suivant, comprend une
salle de conférence de 2 500 places qui rivalise avec celle de l’ONU à New York.
La largesse de la Chine envers l'Afrique ne date pas d’aujourd’hui.
Auparavant, la Chine avait soit fait don, soit participé à la construction de
nombreux palais, bâtiments publics, parlements, stades ou ponts à Bamako,
Abidjan, Libreville, Luanda, en Sierra Leone et au Bénin pour ne citer que quelques
exemples.
À la cinquième Conférence ministérielle du Forum sur la coopération sino‐
africaine, qui s'est tenue à Beijing en juillet 2012, le Président chinois Hu Jin tao a
mentionné d’autres projets, notamment : 100 écoles, 30 hôpitaux, 30 centres de
lutte contre le paludisme et 20 centres pilotes agricoles.
Cette diplomatie des bâtiments publics s’accompagne d’une mise en récit
des relations avec l’Afrique qui renvoie à une histoire millénaire. Au
commencement était l’histoire ! Tel semble être le credo de la Chine pour célébrer
son retour sur le continent africain. Pour cette puissance émergente sans passé
colonial en Afrique, il s’agit de sceller les retrouvailles autour de principes
fondateurs qui tirent leur légitimité de l’histoire commune partagée.
- 178 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Comme le rappelle volontiers le Président chinois Hu Jintao, «l’amitié sino‐
africaine plonge ses racines dans la profondeur des âges et ne cesse de
s’approfondir au fil des ans1 ». Cette légitimité historique constitue le tremplin
idéal pour asseoir la légitimité idéologique, fruit de la présence indéfectible de la
Chine à côté de l’Afrique, comme porte‐drapeau du non‐alignement, pendant les
luttes d’influence de la Guerre froide.
Ce combat mené au coude à coude place la Chine et l’Afrique sur un pied
d’égalité et justifie un respect mutuel dont l’expression achevée demeure la non‐
ingérence et la neutralité, troisième principe fondateur de la diplomatie chinoise en
Afrique.
La politique africaine chinoise peut désormais se décliner dans plusieurs
domaines. Fidèle à sa tradition des « petits pas », la diplomatie chinoise s’est
donné les moyens d’atteindre ses objectifs en instituant, avant tout, des structures
politiques sino‐africaines, instances d’expression et de rationalisation de son
offensive.
Cette étape franchie, elle peut valablement mettre en œuvre sa
diplomatie économique et commerciale, centrée sur les ressources pétrolières,
objectif majeur de son retour en Afrique.
Enfin, pour compléter le dispositif, la présence économique balise la voie
aux autres formes de coopération, visant à renforcer l’empreinte chinoise sur le
continent, notamment sur le plan culturel.
1Dès la fin du VIIème siècle , on trouve des monnaies chinoises à Zanzibar; entre le XI et le
XVème siècle, des produits chinois sont diffusés en Ethiopie, Tanzanie, Zimbabwe ; au début
du XVème siècle, les jonques de la flotte de Zheng HE descendent le long des côtes
orientales de l’Afrique jusqu’à l’actuel Mozambique
CHAPITRE 2 : - 179 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
Mutatis mutandis, la politique extérieure, et pas seulement la rhétorique
chinoise, progresse à travers la contestation de l’ordre occidental établi, à travers
le dialogue et la coopération mutuelle avec l’Asie, puis avec l’Afrique.
Pour M. Dominique Perreau, ancien ambassadeur, ancien directeur de
l’AFD, co‐auteur d’un rapport sur l’Afrique et les grands émergents, l’essor chinois
en Afrique relève de la conjonction d’un mouvement micro‐économique
désordonné et d’une ambition politique globale : « Cette ambition a pour objet de
sécuriser les approvisionnements énergétiques et miniers chinois (pétrole et gaz en
Angola, Nigeria et Soudan ; uranium au Niger, fer en Mauritanie) ».
Un bilatéralisme efficace
Le dialogue s’instaure sur des bases bilatérales, approche préférée des
autorités chinoises, car mieux adossée aux intérêts stratégiques nationaux, mais
également sur une base multilatérale, instrument de communication et de
coordination sur les efforts consentis pour l’ensemble du continent.
Les échanges multilatéraux sont, de ce point de vue, assez comparables au
dialogue institutionnalisé entre la France et l’Afrique dont la première édition
remonte à novembre 1973. La coopération sino‐africaine se concrétise d’abord par
la tenue de forums. Le premier du genre a été organisé en 2000. Il a été l’occasion
de réunir de nombreuses délégations africaines au niveau des ministres des
Affaires étrangères. Le deuxième forum, organisé en Ethiopie, a été beaucoup plus
important dans ses implications. C’est en effet à l’occasion de ces échanges que
s’est dessiné le plan d’action d’Addis‐Abeba qui échafaude les principes généraux
de la coopération la plus large.
D’un discours tissé dans la contestation coloniale, subsiste d’abord,
comme pour le Brésil, un message légitimateur ancré dans l’absence de passé
colonial. De ce fait, la Chine peut partager les frustrations des peuples ayant connu
l’oppression et adopter une rhétorique offensive en la matière.
Subsiste également le parti pris de non‐ingérence dans les affaires
intérieures des Etats. La doctrine du Président Hu Jintao est inscrite dans la
continuité de celle de ses prédécesseurs. La phraséologie est dans la tonalité du
discours d’Accra de Zhou Enlai. En visite au Ghana, en 1964, le Premier ministre de
Mao Tsé‐Toung s’était alors posé en promoteur d’une coopération équilibrée,
respectueuse de la souveraineté des peuples et de la coopération mutuelle.
Ainsi lors du déplacement du Président HU Jintao au Mali en 2009, le
Président malien a salué la présence chinoise en ces termes : « Nous avons partagé
les valeurs pour la libération des peuples et des pays. Le Mali a toujours été très
proche de la Chine avant et après la rentrée de la Chine au niveau des Nations
unies… les premières installations industrielles après l'indépendance du Mali ont été
réalisées par la Chine…. La Chine nous a accompagnés à l'époque pour nous
permettre d'avoir des écoles, des infirmeries et des industries. »
Qualifiant de « blague » les théories de la « menace de la Chine » et du
« néo‐colonialisme chinois », le Président Touré a estimé que la coopération avec la
- 180 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Chine était « directe, franche et concrète ». « Ce que nous avons pu réaliser avec la
Chine, nous ne pouvons le faire avec les autres. La Chine n'est jamais intervenue
dans nos problèmes internes. La Chine nous respecte, avec nos points forts et
faibles. La Chine n'est pas un faiseur de leçons», a‐t‐il martelé.
On mesure ici les avantages de cette prise de distance envers la notion de
« bonne gouvernance » libérale aux implications à la fois économiques et
politiques, distance également envers un système de valeurs démocratiques
universelles entendues comme une référence philosophique internationale
commune.
La distanciation avec ce système de valeurs a des propriétés évidemment
immunisantes. Par la nature des relations bilatérales qu’elle souhaite établir, en
creux, la Chine signale au reste du monde que, par symétrie, elle n’entend accepter
aucune immixtion dans la gestion de ses affaires intérieures.
La critique de la « bonne gouvernance démocratique » s’est ouvertement
invitée au sommet Chine‐Afrique de novembre 2006. Une cinquantaine de
délégations africaines ont pour l’occasion fait le voyage à Pékin, représentées, pour
la plupart d’entre elles, au plus haut niveau de l’Etat. Le même esprit a prévalu en
Egypte, lors du sommet de Sharm el‐Sheikh, en novembre 2009. Par ses valeurs, la
Chine entend être un contrepoint aux idéaux du « consensus de Washington ».
La Chine fait la promotion de son paradigme alternatif, que les
observateurs qualifient parfois de « Consensus de Pékin ». Ce paradigme est
dominé par la non‐ingérence, par le principe d’autodétermination des choix
économiques des Etats. Mais il est aussi et peut‐être surtout commandé par la
volonté de satisfaire les propres intérêts de l’Empire du Milieu.
La Chine est donc très éloignée d’une conditionnalité financière et
économique de caractère libéral telle que celle mise en œuvre par les organismes
internationaux dans le cadre des programmes d’ajustement structurel, elle est
opposée à la conditionnalité d’une aide qui serait octroyée selon les mérites
démocratiques des Etats et subordonnée à la qualité de leur gouvernance.
Dans la volonté de non‐ingérence, il y a, par extension naturelle, la
volonté de penser les relations internationales en fonction des intérêts supérieurs
de la nation chinoise et du libre arbitre de ses dirigeants.
L’avantage que cette stratégie procure pour l’Afrique, notamment pour la
politique d’allocation de l’aide bilatérale, a été maintes fois souligné, notamment
par l’ancien Président sénégalais Abdoulaye Wade. Il a eu l’occasion de rappeler
que la signature d’un contrat avec la Banque mondiale ou l’Union européenne
prenait plusieurs années, quand quelques mois suffisaient pour conclure avec les
autorités chinoises. De là à soutenir que le temps de négociation d’un concours
financier n’est qu’un coût de transaction, il n’y a qu’un pas, que l’exposition aux
risques de corruption ou de « mauvaise » gouvernance publique n’invite pas à
franchir.
Le principe de non‐ingérence a largement facilité la pénétration de la
Chine, en particulier dans les pays mis au ban de la communauté internationale.
CHAPITRE 2 : - 181 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
C’est ainsi que Pékin a continué à entretenir des relations commerciales avec
l’Afrique du Sud quand les Nations Unies privilégiaient le boycott du régime de
l’apartheid. La Chine a également investi des pays souvent délaissés en raison de
processus de décolonisation difficiles (Angola). La façon dont les autorités chinoises
ont géré la relation avec le Soudan, le Zimbabwe ou encore avec la Libye a été
symptomatique de l’affirmation d’une stratégie diplomatique que Pékin souhaite
déterminer de manière totalement indépendante.
Cette stratégie s’appuie sur des organismes d’Etat coordonnés par le
ministère du Commerce (MOFCOM), qui, en association avec le ministère des
Affaires étrangères, est en charge de l’élaboration des stratégies et des politiques
de développement du commerce et de la coopération économique internationale,
qu’il met en œuvre avec l’Export‐Import Bank. Tous ces acteurs sont en
concertation avec les opérateurs économiques chinois, à commencer par les
groupes publics. Ils disposent de moyens financiers considérables.
L’aide chinoise est articulée avec l’avancée de ses grandes et moyennes
entreprises, et la présence de ses migrants en terres africaines, deux dimensions à
l’égard desquelles le dynamisme des vingt dernières années a été impressionnant.
La combinaison de cette ambition d’Etat et des mouvements spontanés
des migrants et commerçants chinois a fait la force de la progression chinoise sur le
continent africain ces 20 dernières années.
Une diaspora active
En 2011, l'évacuation de plus 30 000 ressortissants chinois de Libye nous a
rappelé l'importance de la présence de la diaspora chinoise en Afrique. Environ
750 000 à 1 million de Chinois sont expatriés en Afrique, soit 7 fois plus que
d'expatriés français.
Le rythme de croissance est comparable à celui des échanges
commerciaux, qui ont été multipliés par dix depuis 2000.
De là à penser, comme Axelle Kabou, essayiste de renom, qu’en 2050 « la
plupart des Africains seront des Afro‐Asiatiques aux yeux bridés qui parleront un
créole fait de langues africaines et de langues asiatiques », il y a un pas difficile à
franchir. Mais le seul fait qu’on puisse en émettre l’idée est hautement significatif.
Quels sont les pays de concentration de cette communauté ? Une fois
encore, l’évaluation est gouvernée par les approximations.
En 2005, la plus grosse communauté était fixée en Afrique du Sud, où la
fourchette variait de 100 000 à 300 000 personnes. D’une manière générale, la
présence chinoise est significative sur Madagascar (60 000), sur l’île Maurice
(40 000), en Zambie où leur nombre dépasserait les 40 000, en Tanzanie et en
Afrique centrale. Le gouvernement angolais reconnaît une population de 70 000
Chinois, chiffre revu à la hausse dans les statistiques officieuses.
Les mouvements internationaux de populations chinoises ne sont qu’en
partie la conséquence d’incitations politiques. Mais il est vrai que les entreprises
- 182 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
chinoises plus que celles d’autres pays préfèrent exporter leur main‐d’œuvre plutôt
que d’embaucher sur place.
Avec des tarifs en moyenne 30 % moins chers, les Chinois défient toute
concurrence, aussi bien africaine qu’étrangère. Ainsi, des charters entiers
acheminent jusqu’au dernier ouvrier du fond de la Chine. Cette répugnance des
Chinois à engager des travailleurs locaux n’est pas sans provoquer la colère des
Africains et toutes sortes de tensions. Mais, dans le cadre de financements
avantageux, les partenaires africains sont souvent prompts à accepter cette
situation.
L’existence d’un maillage de commerçants chinois en Afrique, qui sont
généralement issus de migrations spontanées a, par ailleurs, largement favorisé la
pénétration des produits chinois en créant des réseaux d’importateurs qui ont
inondé les marchés africains de produits bon marché.
Ces migrations ne sont pas réductibles à une stratégie publique
centralisée. En effet, le développement de la Chine et de son rapport au monde
suscite des implantations qui, sans être nécessairement spontanées, sont aussi le
résultat de construits sociaux où les diasporas locales sont amenées à jouer un rôle
souvent décisif.
L’Afrique de l’Ouest entre dans ce cas de figure où la présence
commerciale chinoise est liée, pour une part significative, à des petites activités
commerciales, parfois très anciennes, dont les animateurs ne sont pas forcément
les mieux considérés des ambassades de Chine.
Le pouvoir central n’est cependant pas indifférent à des implantations de
population dans les pays où sa politique est dictée par la sécurisation des
approvisionnements en matières premières, par la construction d’infrastructures
dont la réalisation est adossée à des flux financiers au titre de dons ou de prêts.
Pour M. Dominique Perreau, ancien ambassadeur, ancien directeur de
l’AFD, l’essor chinois en Afrique est la conséquence d’une stratégie globale,
comme l’illustrent l’organisation de sommets des chefs d’Etat africains à Pékin ou
la convocation des ministres et ambassadeurs africains en août 2010 par Hu Jintao,
dit « l’Africain ».
Cette ambition a pour objet de sécuriser les approvisionnements
énergétiques et miniers chinois, mais elle porte également ses fruits dans
l’enceinte de l’ONU car elle permet à la Chine de recueillir les suffrages africains sur
les dossiers qu’elle entend faire avancer, comme l’illustrent les votes sur le dossier
de Taiwan ou encore la nomination d’une Chinoise à la tête de l’Organisation
Mondiale de la Santé (OMS).
Politique, cette stratégie est avant tout économique. La Chine est en tête
du développement en matière d’infrastructures en Afrique. Elle remporte 90 % des
marchés de BTP grâce à une offre attractive tant sur le plan de la conception des
projets, des délais de réalisation que de leur financement. L’approche
multisectorielle des entreprises chinoises, (la « chasse en meute ») afin de
répondre aux besoins du pays, apparaît à cet égard particulièrement performante.
CHAPITRE 2 : - 183 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
« Imaginez que Total se déplace avec Bouygues sur un projet », a relevé
M. Dominique Perreau.
Que représentent les entreprises chinoises dans le paysage économique
africain ? C’est difficile à dire précisément. Il n’existe pas d’annuaire permettant
d’en identifier le nombre avec une marge d’erreur raisonnable. Les données
courantes font état de 1 000 entreprises formelles sur l’ensemble du continent,
mais l’incertitude est grande, compte tenu des entreprises de la diaspora, très liée
à la « mère patrie ». Ces chiffres impressionnent ; ils sont pourtant à relativiser.
Par comparaison, s’agissant des entreprises françaises, on en dénombre
tout autant sur un seul pays à revenu intermédiaire comme le Maroc. Il est vrai,
cependant, que toutes les entreprises ne se valent pas. La Chine n’est pas en reste,
avec ses géants dont une trentaine figure dans le classement des plus grandes
entreprises mondiales.
C’est le cas des majors du pétrole que sont China Petroleum and Chemical
Corporation (Sinopec) et China National Petroleum Corporation (CNPC), c’est
également le cas du mastodonte de l’extraction minière (CNFMIC), détenu à 100 %
par l’Etat, ou de State Grid, géant de l’électricité, des entreprises du domaine de la
construction (CRBC) ou de la finance (CITIC). Beaucoup de ces entreprises ont vu
leur pénétration en Afrique facilitée par le succès dans des appels d’offres
internationaux, notamment ceux de la Banque mondiale, ou, plus encore, par les
marchés afférents aux prêts de l’Export Import Bank of China (Ex‐Im Bank).
Au total, le stock des IDE chinois en Afrique s’élevait à 9 milliards de
dollars en 2009, soit 3 % du total des IDE en Afrique. Il croît toutefois de 10 % par
an.
Les éléments d’une politique d’influence chinoise en Afrique ne se
réduisent pas à ces aspects économiques.
Sur le continent, la présence chinoise suscite parfois des critiques, voire
du rejet. Pékin veut maintenant rectifier le tir en améliorant son image de marque
auprès des Africains. Premier instrument de cette politique : l’aide au
développement. Lors du dernier forum de coopération Chine‐Afrique qui s’est tenu
à Pékin en juillet dernier, le Président chinois Hu Jintao annonçait qu’il doublerait
ses crédits alloués à l’Afrique pour les trois années à venir, ce qui équivaut à
20 milliards de dollars.
La Chine a également entrepris de favoriser les échanges culturels et
scientifiques. Lors du dernier forum Chine‐Afrique, le chef de l’Etat chinois s’est
engagé à envoyer 1 500 personnels médicaux sur le continent et à attribuer des
bourses à 18 000 étudiants – un partenariat que le Secrétaire général des Nations
Unies, Ban Ki‐Moon, a qualifié comme étant « l’un des meilleurs exemples de
réussite de la coopération Sud‐Sud ».
La Chine, de plus en plus soucieuse de préserver son image sur le plan
international, a conscience que la durabilité de sa présence en Afrique ne pourra
être assurée que par l’amélioration des conditions de ses implantations. Les
- 184 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
entreprises chinoises font désormais l’objet d’accusations qui pourraient nuire de
façon considérable à leurs objectifs dans la région – et dans le monde – si elles
s’obstinent à ne pas modifier rapidement leur comportement en matière de
responsabilité sociale et environnementale. Elles sont donc désormais incitées, par
les autorités, à s’engager en matière de responsabilité sociale, et ce pour éviter les
manifestations antichinoises et dissuader les enlèvements de Chinois en Afrique.
D’autres actes de l’Etat chinois vont dans le même sens, comme la
participation à la lutte contre la piraterie maritime dans le golfe d’Aden ou les
pressions exercées par la Chine sur le régime d’Omar el‐Béchir au Soudan.
Par ailleurs, les entreprises chinoises s’associent de plus en plus à un
partenaire occidental. La tendance actuelle est, pour ces entreprises –d’Etat ou
privées– de découvrir les vertus du management moderne « normal » en
s’appuyant sur des entreprises occidentales solides.
Mais le « soft power » transparaît également dans la dynamique de
création des instituts Confucius qui sont des lieux d’imprégnation de la culture et
de la langue chinoise. L’objectif de dialogue des cultures est aussi un point
d’ancrage pour des relations d’affaires et le développement de flux commerciaux.
Le premier de ces instituts a ouvert à Nairobi, en novembre 2005. En août 2010, on
n’en dénombrait pas moins de 27 dans 19 pays de l’ensemble du continent africain.
« Comprendre la Chine », c'est le titre sans ambiguïté d'un programme mis
en place par le gouvernement chinois. Objectif : proposer à des diplomates, des
journalistes et des hommes d'affaires du monde entier un cursus d‘un mois à Pékin,
sur le campus de l'université des études internationales. Politique, économie,
défense et diplomatie sont au menu. Un programme qui s'ajoute à ceux que la
Chine a mis en place depuis 2008 pour promouvoir son image à l'étranger : au total,
5 milliards d'euros ont été investis, dont une grande partie a été consacrée aux
médias et à l'éducation. C'est ainsi que Pékin accorde de plus en plus de bourses
aux Africains.
Élément de cette politique, la Chine diffuse à travers sa chaîne de
télévision CCTV Afrique, sur tout le continent, en chinois, mais également en
français, en anglais et en langue vernaculaire. La Télévision centrale de Chine
dispose ainsi d’un centre de production d’informations basé au Kenya. Cette
nouvelle chaîne, créée le 11 janvier 2012, est la première du genre pour la
télévision chinoise. Elle se concentre sur les nouvelles perspectives africaines ainsi
que sur toute l’actualité internationale. Le journal quotidien en français informe
des derniers développements sur le continent et notamment des échanges entre la
Chine et les pays africains.
Mais plus que tout, les Chinois préparent l’étape de l’introduction de la
TNT en Afrique. Grâce à StarTimes Media, ils s’imposent comme des partenaires
incontournables du paysage audiovisuel africain. StarTimes est à la fois un
équipementier et un opérateur de télévision numérique. En RDC il sera diffusé sur
Digital Video Broadcast‐Terrestrial 2 (DVB‐T2) qui est une norme de diffusion de
télévision numérique, avec le signal fourni par Pan African Groupe Network. Elle a
CHAPITRE 2 : - 185 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
également fait des percées significatives dans plusieurs pays (Rwanda, Tanzanie,
Nigéria, République centrafricaine, Kenya, Guinée….).
Pour les responsables de RFI, TV5 et Canal 24 que nous avons auditionnés,
la stratégie chinoise associant les équipements et le contenu est particulièrement
performante au moment où l’on va basculer dans toute les capitales africaines sur
la TNT.
Cette montée en puissance de la présence chinoise en Afrique a autant
suscité d'analyses qu'elle a éveillé de fantasmes dans les pays du Nord. Leur percée
inquiète les chancelleries occidentales. La politique chinoise de non‐ingérence dans
les affaires intérieures des pays africains saperait leurs efforts pour promouvoir la
bonne gouvernance, les droits de l'homme et la démocratie, mais, plus encore, elle
concurrence les intérêts économiques et stratégiques occidentaux sur le continent.
C’est le cas en France où la présence chinoise en Afrique est devenue une
véritable obsession, mais c’est aussi une préoccupation aux Etats‐Unis où les
discours anti‐chinois fleurissent oubliant que les chinois ne font parfois pas autre
chose que ce que les entreprises occidentales ont toujours fait en Afrique.
«Les investissements chinois en Afrique ne visent qu'à profiter des
ressources naturelles et les entreprises chinoises négligent la protection de
l'environnement et le développement local», a ainsi déclaré Hillary Clinton,
secrétaire d'Etat américaine, dans un discours au Sénégal à l’occasion de sa tournée
diplomatique africaine en 2013, ajoutant que les USA préfèrent un partenariat qui
«ajoute de la valeur plutôt qu’un partenariat qui la soustrait».
L'un des facteurs de l'avancée chinoise en Afrique est précisément le
retrait des Occidentaux. C'est particulièrement vrai en ce qui concerne les
entreprises, note Jean‐Raphaël Chaponnière, chercheur associé à Asia Centre.
« Bon nombre d'entrepreneurs européens se sont tournés, depuis la chute du Rideau
de fer à la fin des années 1980, vers l'Europe orientale, délaissant le continent
africain. ».
Par leurs achats des matières premières africaines, les Chinois ont permis
aux cours de ne pas s'effondrer mais également un renouveau économique dont les
Chinois ont été les premiers à profiter en raison de leur présence.
Il reste que ces critiques, on le verra, ont un écho en Afrique même,
comme l’illustre la déclaration du Président sud‐africain, Jacob Zuma, qui a jugé
que le déséquilibre des échanges commerciaux à travers lesquels l'Afrique
exportait ses matières premières vers la Chine et importait de grandes quantités de
produits manufacturés bon marché n’était pas soutenable.
Nombreux sont les dirigeants qui souhaitent ainsi voir le continent noir se
doter d’une stratégie pour gérer ses relations avec le géant économique chinois.
L’inde pourtant très présente suscite moins de commentaires et de réticences.
- 186 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
2. L’Inde, histoire partagée, avenir commun ?
Nous avons été reçus par l’ambassadeur d’Inde en Éthiopie, M. Baghwant
Bishnoi, dans sa résidence d’Addis Abeba. Il a d’emblée souligné que « La présence
indienne en Afrique ne date pas d'hier. Depuis des siècles, des marchands indiens
font du commerce sur la côte est du continent. Ces mouvements se sont accélérés
avec la colonisation britannique de l'Inde et avec l'importation de main d'œuvre
indienne pour la construction du chemin de fer, notamment en Ouganda et au
Kenya. La majorité de ces travailleurs est restée sur place et leurs descendants,
souvent dans le secteur du textile et du commerce de proximité, occupent encore
aujourd'hui une place importante dans les économies de ces pays. ».
Les voiliers traversaient alors la mer d’Oman pour approvisionner en
épices et en bijouteries le royaume d’Aksoum, actuellement le nord de l’Ethiopie,
Djibouti et l’Erythrée. Les échanges entre les deux régions se sont ensuite
intensifiés, avec l’arrivée en Afrique de manœuvres et boutiquiers indiens qui
essaimèrent du Kenya à l’Afrique du Sud en passant par la Tanzanie. Ces échanges
sont dans l’explication de l’importance d’une diaspora ayant fait souche en Afrique
du sud et de l’est, actuellement évaluée à plus de 2 millions d’individus.
L’Inde et l’Afrique ont en partage des solidarités formées dans les
mouvements de décolonisation et du non‐alignement.
En 1961, Nehru effectue la première visite d’un chef d’Etat indien en
Afrique. Elle devance de trois ans celle de son homologue chinois, Zhou Enlai. La
seconde visite, en octobre 2007, soit 46 ans plus tard, intervient à l’occasion du
voyage du Premier ministre Manmohan Singh au Nigéria, second partenaire africain
de New Delhi après l’Afrique du Sud. Cette visite inaugure une intensification de
l’activité diplomatique avec l’organisation de sommets multilatéraux qui se
succèdent à fréquence rapprochée. Dès 2008, le premier sommet indo‐africain se
tient à New Dehli, réunissant quatorze chefs d’Etat ou de gouvernement. En mars
2009, un forum Afrique centrale ‐ Inde est organisé à Brazzaville, suivi, en mai
2011, du deuxième sommet Inde‐Afrique au siège de l’Union africaine, en Ethiopie.
En présence de seize chefs d’Etat, le discours du Premier ministre indien
continue de reposer sur les idéaux du non‐alignement, une toile de fond assez
comparable à celle de la Chine. New Delhi plaide en faveur d’un partenariat fondé
sur l’ « égalité », sur la « confiance mutuelle » et sur une approche « transparente
de la concertation », critique à peine voilée du comportement de certains
partenaires…
Dans son rapport aux pays africains, l’Inde est incontestablement moins
crispée sur le principe de non‐ingérence. La manière dont elle a traité le sujet de la
crise à Madagascar, en 2009, est révélatrice non seulement d’une défense des
intérêts des grands commerçants indiens de l’île, dont les monopoles économiques
avaient été ébranlés par Ravalomanana, mais également de la volonté de s’aligner
sur les critères de bonne gouvernance reconnus au niveau international.
Historiquement, la « grande île » fait partie des partenaires privilégiés,
mais l’Inde n’a pas hésité à se rallier aux positions de l’Union Africaine, prenant
CHAPITRE 2 : - 187 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
l’engagement de suspendre son aide. Le principe de non‐ingérence et de non‐
alignement sur les idéaux occidentaux n’a donc pas prévalu, l’Inde démocratique se
rangeant finalement à la logique de sanction du régime malgache.
Une Compagnie des Indes à rebours…
Il reste que les ambitions indiennes tiennent d’abord d’une volonté de
sécuriser ses approvisionnements en énergie et en ressources minérales qui
conditionnent la soutenabilité de son industrialisation. Avec une croissance
économique autour de 8 % de rythme annuel, les besoins en énergie du pays
augmentent rapidement. Le taux de dépendance sur les produits pétroliers avoisine
80 % et la sécurisation des accès appelle une diversification géographique des
achats vis‐à‐vis d’un Moyen‐Orient qui fournit plus de 60 % des besoins. Les
autorités de New Delhi se sont donc naturellement tournées vers l’Afrique.
L’Inde est ainsi engagée dans un processus de rattrapage qui fait d’elle un
des principaux partenaires commerciaux du continent africain avec une part de
marché qui contracte les positions de l’Europe et des Etats‐Unis, mais aussi de
certains pays asiatiques comme le Japon.
En témoigne la mission qui a amené des hommes d'affaires indiens en
visite au Ghana en juillet 2012. Composée de 200 chefs d'entreprises qui
souhaitaient lancer ou développer leurs activités en Afrique de l'Ouest, il s'agissait
de la plus importante mission indienne à s’être rendue dans un pays africain. Cet
événement a montré un signal clair : l'Inde demeure déterminée à étendre son
influence en Afrique, et ce processus est même en phase d'accélération, après une
décennie de forte croissance.
Depuis 2000, l'Inde s'est imposée comme l’une des principales sources
d'investissement direct étranger en Afrique, et les échanges commerciaux entre ce
- 188 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
pays et le continent ont explosé. D'un modeste volume de 3 milliards de dollars en
valeur en 2000, les échanges ont augmenté jusqu'à 46 milliards en 2010 et
60 milliards en 2011. Une croissance si rapide que même le gouvernement indien a
été pris par surprise. Un an à peine après avoir prédit que le commerce avec
l'Afrique atteindrait 70 milliards en 2015, Delhi a dû revoir son estimation pour la
porter à 90 milliards de dollars.
Entre autres productions, car en s’étoffant le commerce s’est diversifié,
l’Inde exporte des automobiles, souvent de marques occidentales, fabriquées dans
ses usines de montage, mais également des machines‐outils et matériels
informatiques, des produits pharmaceutiques, qui élargissent la gamme des biens
de consommation courante plus traditionnels. L’Afrique exporte quant à elle ses
matières premières, en particulier le charbon et le pétrole, mais aussi l’or, le
diamant, ainsi que tout l’éventail de minerais dont les industries indiennes ont
besoin.
Un certain nombre d’entreprises indiennes sont déjà très en vue, à
commencer par la plus célèbre d’entre elles, le groupe Tata, au 11e rang mondial
des entreprises les plus influentes selon Forbes 2009. Ce conglomérat, présent en
Afrique depuis les années 1960, est aujourd’hui implanté dans une dizaine de pays.
Il est représentatif de l’attaque du marché africain, notamment avec une stratégie
centrée sur la recherche de solvabilité de la demande d’automobiles à bas prix. Le
groupe Tata est investi dans une très large gamme d’activités, allant de la
sidérurgie aux télécommunications et à l’hôtellerie. Mais de nombreuses autres
firmes indiennes ont également pris position dans des secteurs très variés. Le
groupe congloméral Birla a notamment investi dans plusieurs pays africains. Il est
présent sur son territoire national dans 19 secteurs (travail des métaux, engrais,
télécommunication, fibres acryliques…) et à l’extérieur de l’Inde dans 36 pays.
Progressivement, l’ensemble du continent est entré dans la sphère
d’attraction de ces sociétés, pas seulement les partenaires traditionnels de New
Delhi, soit les pays d’Afrique de l’Est et les Etats riverains de l’océan Indien. La
société Kalinda Rail a été impliquée dans la rénovation des chemins de fer au
Ghana, Infosys vend des solutions informatiques aux banques nigérianes et les
produits de Ciplan sont distribués dans toute l’Afrique. Les pays francophones
n’échappent pas à ces influences industrielles. Le géant de l’agroalimentaire Iffco
est entré dans le capital des industries chimiques du Sénégal (ICS). Taurian
Resources explore l’uranium au Niger ; Tata Steel a créé une filiale en Côte d’Ivoire
pour exploiter le fer du Mont Nimba, quand Arcelor¬Mittal a signé un protocole
d’accord avec la Société nationale industrielle et minière de Mauritanie.
A l’instar de ce que fait le géant chinois, l’Inde entend également se
positionner davantage sur des grands travaux. Le pays est désormais plus porté à la
réalisation de projets d’infrastructures dont il s’est longtemps tenu à l’écart. Ces
initiatives, qui ne sont pas en dehors des objectifs de sécurisation des
approvisionnements de ses industries, ont été à l’origine de la création d’un fonds
souverain dédié aux acquisitions à l’étranger de la société publique Oil and Natural
Gas Corporation (ONGC). Dans leur gestion stratégique de l’Afrique, les deux géants
asiatiques dessinent des méthodes comparables qui sont moins l’expression de
CHAPITRE 2 : - 189 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
2. Le Brésil au‐delà de l’espace lusophone
Si le Brésil présente de modestes performances en comparaison des deux
autres puissances émergentes, il dispose d’une base solide dans la sphère
lusophone. Près de la moitié de la population brésilienne a une origine africaine. Il
faut entendre le président Lula devant l’Assemblée générale des Nations Unies, en
septembre 2006 dire que « Nous nous sentons reliés au continent africain par des
attaches historiques et culturelles. En tant que deuxième plus importante
population noire du monde, nous nous sommes engagés à partager les défis et la
destinée de l'Afrique », pour mesurer à quel point cette dimension ethnoculturelle
est présente.
Le Brésil intensifie alors ses rapports avec les pays africains. Dix‐sept
nouvelles ambassades sont implantées sur le continent et accompagnent le
quintuplement du commerce entre 2002 et 2012.
Le Président Lula a effectué dix voyages sur ce continent, visitant vingt‐
trois pays et certains d’entre eux plusieurs fois avec la concrétisation d’une
- 190 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
CHAPITRE 2 : - 191 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
Devenu une puissance non plus émergente mais émergée, le Brésil veut
offrir de nouveaux débouchés à ses exportations. Le commerce bilatéral Brésil‐
Afrique, passé de 4 à 26 milliards de dollars entre 1999 et 2012, témoigne de son
dynamisme.
La progression des IDE brésiliens en Afrique illustre cette présence
économique croissante, même si le Brésil reste un acteur secondaire par rapport à
l'Inde et à la Chine.
3. L’Afrique du Sud, moteur du continent ?
Au 5e sommet des BRICS à Durban en juin dernier, beaucoup de
commentateurs ont décrit l’Afrique du Sud comme l’ambassadeur du continent,
lors de ce rendez‐vous entre grands émergents qui portait précisément sur le
développement de l’Afrique.
Si l’Afrique du Sud fait partie du continent, elle y a vécu longtemps en
marge en raison de l’apartheid. Le lien entre la destinée du continent et celle de la
République d’Afrique du Sud (RSA) est intimement corrélé à la fin d’un régime qui a
été perçu comme le dernier épisode de l’histoire de l’émancipation africaine.
Symboliquement, il remonte au sommet de l’Organisation de l’Union Africaine
(OUA) à Tunis en 1994, durant lequel Mandela évoqua la « renaissance africaine »,
concept devenu, depuis lors, le fer de lance de la politique extérieure de la nation
arc‐en‐ciel.
Cette « renaissance africaine » de la nation « arc‐en‐ciel » s’illustre
d’abord, sur le plan diplomatique, par la promotion de l’idée d’un continent uni et
de la création du Nouveau partenariat pour le Développement de l’Afrique
(NEPAD). Promouvant les initiatives pour la paix, la bonne gouvernance et la
libéralisation des échanges, le NEPAD reflète les ambitions de la politique africaine
de la République sud‐africaine.
C’est dans ce cadre que s’inscrit la relance de l’Union Africaine en juillet
2002, dont la première présidence est confiée à Pretoria, laissant ainsi à J. Zuma le
soin de résumer le besoin politique africain en ces termes: « la nécessité de
prévenir, de gérer et de résoudre les conflits et de faire face aux défis socio‐
économiques est devenue urgente, spécialement à la lumière de la
mondialisation ».
L’Afrique du Sud se veut le leader de la « renaissance africaine » tant à
l’échelle régionale, avec les efforts de médiation, notamment celle de M. Mbeki
dans la crise en Côte d’Ivoire en 2005, qu’à l’échelle internationale avec la
présidence du Conseil de Sécurité de l’ONU en janvier 2012. Cette volonté ne
manque pas de susciter la crainte d’un développement hégémonique de la
République sud‐africaine, à l’échelle continentale, auprès de ses pairs. L’élection de
Mme Dlamini‐Zuma, Ministre de l’Intérieur, au poste de Présidente de la
- 192 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Commission de l’Union Africaine, le 14 juillet dernier, a constitué un incontestable
succès.
Pour autant, sur le plan économique, l’Afrique du Sud n’est pas devenue la
locomotive du continent noir qu’on espérait dans les années 1990, en ce sens
qu’elle est restée une exception. Près de vingt ans après la fin de l'apartheid, elle
reste elle‐même confrontée à de multiples défis. Défi économique : elle a été
affectée par la récession de 2009, et peine à renouer avec une croissance forte.
Défis sociaux : avec la persistance du chômage massif et des inégalités, les tensions
sociales s’aggravent. Défi politique : fort de sa légitimité historique, l'ANC exerce
une hégémonie excluant encore toute alternance, et les changements au pouvoir
relèvent davantage du jeu d’appareil que d’une compétition pluraliste.
L'Afrique du Sud reste néanmoins, de loin, la première économie du
continent, un pays industriel, et un Etat de droit attractif pour les investisseurs. Elle
constitue le premier partenaire commercial de la France en Afrique sub‐saharienne
(20 % de nos exportations). Membre des BRICS et du G20, l'Afrique du Sud est un
acteur diplomatique au rôle croissant en Afrique, et dont la voix compte sur la
scène internationale. L’Afrique du Sud espère ainsi obtenir un siège permanent au
Conseil de sécurité des Nations unies. Cette démarche répond à une double
logique. D’abord celle d’un pays émergent élu pour contrebalancer le poids des
pays du Nord ; le Brésil et l’Inde y sont associés. Ensuite celle d’un pays africain élu
pour représenter le continent dans cette instance ; l’Afrique du Sud y est en
concurrence avec le Nigeria.
La puissance économique de l’Afrique du Sud contribue fortement à son
leadership en Afrique. Elle demeure le poids lourd de l’Afrique subsaharienne avec
25 % du PIB de l’Afrique, 33 % de celui de l’Afrique sub‐saharienne et 75 % du PIB
de l’Afrique australe, qui constitue, à bien des égards, son «pré carré ». Elle
représente, de fait, 90 % du Revenu National Brut de la Southern African Customs
Union, qui regroupe le Botswana, le Lesotho, la Namibie, le Swatziland afin d’abolir
les droits de douane entre ces Etats.
Parmi les 500 premières entreprises africaines, 127 sont sud‐africaines ;
elles réalisent à elles seules plus de 60 % du chiffre d’affaires de ces
500 entreprises. Le second pays dans ce classement est l’Algérie, loin derrière. La
domination de l’Afrique du Sud sur le continent se vérifie dans tous les secteurs :
agro‐industrie, textile, industrie du bois et du papier, travaux publics, production
électrique, mines, chimie, téléphonie, transport, assurance, banque. Or, les grandes
entreprises sud‐africaines, parapubliques ou privées, ont profité de la fin de
l’apartheid pour se développer sur le continent africain, comme on le voit à travers
les exemples d’Eskom, de Shoprite, de Sasol et de Vodacom/MTN.
Dans tous les cas, on distingue une première aire d’influence, ancienne, en
Afrique australe : de nombreux pays de la région, malgré leurs politiques
officiellement hostiles à Pretoria, en sont toujours restés dépendants (Namibie,
Malawi, Swaziland, Botswana, Lesotho, Zimbabwe) ou le sont redevenus, à l’instar
du Mozambique. Cette aire d’influence correspond à l’Union douanière d’Afrique
australe (Southern African Custom Union, SACU) élargie à une partie de la
CHAPITRE 2 : - 193 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
dont 3 sous‐marins. C’est le premier budget africain en matière de défense, même
si cela représente un dixième du budget de la défense de la France et une capacité
d’intervention terrestre très limitée.
De l’avis de la Defence Review Committee, dont six de ses membres se
sont déplacés à l’ambassade pour rencontrer longuement notre délégation,
l’Afrique du Sud n’a pas encore les moyens de devenir, seul, un gendarme du
continent, malgré ses ambitions, car le format des armées requis nécessiterait un
accroissement de l’effort de défense considérable pour ce pays, jusqu’à 2 % du PIB
contre 1,1 % actuellement, soit environ 4 milliards d’euros. Mais l’ambition est là,
ce qui suscite parfois la réticence de ses voisins.
Moins puissante que les autres BRICS, confrontée à des difficultés
économiques et sociales, l’Afrique du Sud reste une puissance incontournable du
continent.
C. L’ORIENT À LA CONQUÊTE DU CONTINENT NOIR
Que les nouvelles puissances économiques mondiales aient des stratégies
à l’échelle planétaire n’étonne pas, qu’elles cherchent à s’implanter sur un contient
grand pourvoyeur de matières premières et marché de consommation en pleine
croissance non plus. Ce qui est plus étonnant, c’est de voir à la périphérie du
continent, au Nord avec le Maroc, en Orient avec la Turquie et les pays du Golfe, en
Extrême‐Orient Orient avec la Corée du Sud et le Japon, des puissances
intermédiaires ou très éloignées développer des stratégies volontaristes de
pénétration des marchés africains et d’influence culturelle, notamment à travers le
facteur religieux.
1. Le Maroc prend le sud.
Il faut avoir participé au 6e Sommet Africités, qui s’est tenu à Dakar, du 4
au 8 décembre 2012, sur le thème « Construire l’Afrique à partir de ses territoires :
quels défis pour les collectivités locales ? », aux côtés de près de 5000 personnes
issues d’une cinquantaine de pays, dont la moitié d’élus, pour mesurer l’ambition
marocaine en Afrique. Les Marocains, qui ont largement financé l’événement,
avaient là le plus grand stand de tous les pays, affirmant ainsi la disponibilité des
pouvoirs publics et des collectivités marocaines à mettre sur pied des coopérations
dans tous les domaines.
Alors que le Maroc a été l'un des pionniers de l'unité africaine, accueillant
dès janvier 1961 la conférence de Casablanca, qui accoucha d'une charte
revendiquant l'objectif de « faire triompher la liberté dans toute l'Afrique et de
réaliser son unité », il a cessé d’en être membre, le 12 novembre 1984, au
20e sommet de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) pour protester contre la
présence du président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD),
Mohamed Abdelaziz.
CHAPITRE 2 : - 195 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
Un demi‐siècle après la création de l'OUA et un peu moins de trente ans
après s'en être retiré, le Maroc n'a pourtant jamais été aussi présent au sud du
Sahara.
Tout en entretenant des relations personnelles excellentes avec nombre
de chefs d'État (Félix Houphouët‐Boigny, Mobutu, Omar Bongo Ondimba), Hassan II
n'avait pas véritablement fait de l’Afrique une priorité diplomatique. Par contraste,
son fils et successeur Mohammed VI a, depuis le début de son règne, surtout
voyagé au sud du Sahara.
À l'occasion de grandes tournées ou de visites d'État, il s'est rendu dans de
nombreux pays d'Afrique centrale et d'Afrique de l'Ouest : Bénin, Burkina Faso,
Cameroun, Congo, Côte d'Ivoire, Gabon, Guinée équatoriale, Niger, République
Démocratique du Congo, Sénégal. Avec ces pays, le Maroc partage une proximité
liée à l'Histoire et à la langue française et, pour les nombreux musulmans d’Afrique,
à la religion, mais aussi des intérêts économiques qu'illustre la vitalité des
entreprises marocaines qui s'y implantent.
Plusieurs pays africains bénéficient aussi d’une assistance financière
destinée à la réalisation de microprojets à caractère économique et social dans des
secteurs vitaux comme l’éducation, la santé et la petite hydraulique rurale (forage
de puits et adductions d’eau).
En effet, le Maroc fonde sa politique africaine sur une diplomatie
d’influence dont l’un des principaux outils est l’Agence marocaine de Coopération
Internationale (AMCI). Son fonctionnement est comparable à celui de l’Agence
française de Développement (AFD) mais ses moyens sont beaucoup plus limités.
L’AMCI est un projet ambitieux quand on sait que le Maroc est lui‐même
demandeur d’aides internationales. L’AMCI est chargée de « développer » et de
« renforcer » la coopération avec les pays amis du Maroc, les principaux
bénéficiaires de ces programmes de coopération étant le Sénégal, la Guinée, le
Niger, la République Démocratique du Congo, mais également les Comores.
L’Afrique subsaharienne a toujours été perçue comme un outil de
« désenclavement » stratégique pour le Royaume du Maroc, pris en étau entre
l’Espagne et l’Algérie, avec lesquelles il entretient des relations diplomatiques
complexes.
De fait, le Maroc assouvit son désir de puissance au sud du Sahara grâce à
la mise en place d’un soft power qui se base sur des programmes globaux de
coopération à long terme et la mise en place de partenariat plus stratégique, à
l’instar du Sénégal.
La présence de la religion musulmane en Afrique subsaharienne permet la
mise en place d’un « Axe privilégié » entre le Maroc et le Mali, mais surtout entre le
Maroc et le Sénégal. La politique marocaine à l’égard du Sénégal est basée sur
l’utilisation de symboles culturels et religieux qui connotent la grandeur du
Royaume dans l’histoire des deux pays, comme en atteste la ville de Saint‐Louis au
Sénégal, ancienne limite du « Grand Maroc ».
- 196 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
L’importance de la confrérie Tidjanyia au Sénégal, originaire du Maroc, est
ainsi l’un des points d’ancrage de la relation privilégiée entre ces deux Etats et
assure la stabilité de ce lien diplomatique. Le Ministre des Affaires islamiques
marocain suit d’ailleurs directement le Ministre des Affaires étrangères sur le plan
protocolaire : c’est dire l’importance de la religion musulmane dans la diplomatie
marocaine, notamment en direction des pays africains.
Au‐delà du religieux, Rabat a mis en place une politique de coopération en
matière d’éducation afin d’étendre son influence en Afrique. Ainsi, depuis les
années 1970, il existe des programmes d’échanges estudiantins permettant à de
jeunes Africains de bénéficier de l’enseignement supérieur marocain.
Cette politique a particulièrement été relancée durant la dernière
décennie, les étudiants étrangers au Maroc étant cinq fois plus nombreux durant
l’année 2007‐2008 que ceux recensés durant l’année 1994‐1995.
Près de la moitié de ces étudiants sont originaires des huit pays
francophones d’Afrique de l’Ouest : on voit donc l’importance du français dans les
relations diplomatiques africaines. Ces échanges sont gérés par le Ministère des
Affaires étrangères marocain et chaque étudiant sélectionné se voit attribuer une
bourse de 750 dirhams afin de poursuivre ses études dans le Royaume. Une fois
leurs études achevées, ces étudiants deviennent des employés et partenaires idéals
pour les entreprises marocaines investissant sur le continent. Cette politique de
coopération universitaire est un moyen de rayonnement économique et culturel en
Afrique pour Rabat.
2. La Turquie lorgne sur l’Afrique.
Engagées depuis 1998 avec «la stratégie d'ouverture vers l'Afrique», les
relations de la Turquie avec le continent noir ne cessent de se développer.
Business, diplomatie et, plus inattendue, influence culturelle, servent de socle à sa
quête stratégique de nouveaux marchés et d'alliés potentiels.
La dernière tournée diplomatique effectuée par le Premier ministre turc,
Recep Tayyip Erdogan, entre le 6 et le 11 janvier 2013, a été consacrée à l’Afrique
de l’Ouest, avec trois pays visités : le Gabon, le Niger et le Sénégal, tous trois
francophones.
A cette occasion, le Premier ministre turc a annoncé vouloir plus que
doubler les échanges de son pays avec l'Afrique d'ici 2015, en les portant de près
de dix‐huit milliards de dollars fin 2012 à quelque cinquante milliards dans trois
ans. Une accélération exponentielle des échanges commerciaux avec les
partenaires africains entamée en 2002, époque où ils ne représentaient que deux
2 milliards de dollars.
A l’instar de la Chine, de l’Inde et du Brésil, la Turquie, qui a rapidement
mais plus discrètement développé ses liens avec l’Afrique, poursuit allègrement son
implantation et devient désormais un acteur incontournable.
CHAPITRE 2 : - 197 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
C’est sous l'impulsion du Premier ministre Erdogan et de son Parti de la
justice et du développement (AKP) qu'a été organisé, en 2008, le premier sommet
de la Coopération Turquie‐Afrique à Istanbul, auquel ont participé 50 pays. Dans le
cadre de la rénovation de la politique étrangère turque, l’Afrique semble désormais
être un allié fondamental pour aider la Turquie à s’affirmer sur la scène
internationale.
Dans un tel processus, la dimension religieuse est particulièrement mise
en valeur, la Turquie se positionnant en tant qu’héritière de l’Empire Ottoman pour
utiliser son prestige auprès des musulmans d’Afrique. D’ailleurs, c’est dans cet élan
que le bureau de coordination du programme en Afrique de l’Agence turque pour
la coopération et le développement internationaux (TIKA) a d’abord été inauguré à
Addis‐Abeba en 2005 et, plus tard, à Khartoum et à Dakar en 2006 et 2007
respectivement.
Parallèlement, la Turquie multiplie le nombre de ses représentations
diplomatiques. La dernière ambassade vient d’être inaugurée au Gabon, à
l’occasion de la visite de M. Erdogan, début janvier 2013. Elle fait partie des
19 ambassades et consulats turcs mis en place en Afrique depuis 2009. La Turquie
doit encore ouvrir trois nouvelles ambassades en Afrique dans les prochains mois,
ce qui portera le total sur le continent à 34.
Signe de cette volonté d’ouverture sur l’Afrique, la compagnie aérienne
Turkish Airlines, détenue à 49 % par l'Etat, a rapidement étendu son réseau africain
au cours des dernières années. Avec l’ouverture récente de nouvelles lignes à
Nouakchott, à Abidjan et les liaisons vers le Burkina Faso, le Cameroun et le Niger
en décembre 2013, cette compagnie dessert désormais 18 pays africains avec
33 destinations au total.
Par ailleurs, de 20 à 30 % moins coûteux que les produits européens, le
made in Turkey (matériaux de construction, agroalimentaire, ingénierie,
machinerie, textile, prêt‐à‐porter, équipement médical, technologies de
l’information, produits d’hygiène personnelle et de nettoyage, ou encore
bijouterie) jouit auprès du consommateur africain d’une meilleure réputation que
son concurrent chinois.
3. Les pays du Golfe et la carte religieuse
Comme au Proche et au Moyen Moyen‐Orient, la diplomatie saoudienne
se fonde sur les pétrodollars et une influence religieuse croissante.
Partant de l’Erythrée et suivant l’axe Karthoum‐Ndjamena, traversant les
provinces nord du Nigeria où s’applique la Charia, le Niger, le Nord Mali pour
atteindre finalement le Sénégal, siège régional de la Ligue islamique mondiale,
principal outil d’influence de l’Arabie Saoudite, un projet d’influence wahhabite
semble se dessiner en Afrique.
La stratégie diplomatique saoudienne consiste à contourner les acteurs
classiques afin d’établir un lien direct avec les populations locales. L’aide financière
- 198 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
directe et les réseaux humanitaires facilitent le développement de son influence
idéologique.
Cette volonté d’influence religieuse n’est pas nouvelle : afin de contenir
l’expansion socialiste et progressiste voulue par Nasser et incarnée par la création
de l’université Al‐Azhar, Riyad créa l’université de Médine en 1961, point de
diffusion de l’idéologie wahhabite dans le monde. Cette université est au centre du
système de propagande de l’Arabie Saoudite et, selon les vœux de Riyad, « les
musulmans de tous les pays islamiques sont conviés à Médine pour y étudier
l’Islam (…) pour, plus tard, retourner chez eux et y enseigner et y guider ». Riyad est
également à l’origine de la création du Conseil africain de coordination islamique.
Dakar accueille à la fois le siège régional de la Ligue islamique mondiale et
le siège du Conseil africain de coordination islamique car le Sénégal est un des
premiers pays musulman d’Afrique noire. De la même façon, la position
géographique du Tchad le prédestinait à accueillir le centre de formation
pédagogique de l’ISECO, équivalent de l’UNESCO pour les pays musulmans. Une
annexe de l’Université de Médine a enfin été ouverte au Soudan, afin de former les
prédicateurs.
L’Arabie saoudite finance des organisations islamiques locales qui agissent
dans les domaines de l’humanitaire et de l’éducation afin de faire passer leur
message. Les structures et les modes d’actions se multiplient, alors que l’objectif
reste le même. Ainsi, après la création de la Ligue islamique mondiale, c’est la
World Assembly of Muslim Youth (WAMY) qui est créée afin de rendre la politique
prédicative de Riyad plus efficace et toujours plus visible. L’Arabie saoudite
s’appuie également sur un réseau de personnalités religieuses influentes à l’échelle
locale, allant même jusqu’à soutenir de façon assez paradoxale des entités soufies.
L’Afrique noire constitue une priorité pour la diplomatie d’influence de
Riyad car elle est souvent considérée comme un maillon faible de l’Ummah, qu’il
faudrait sauver et dont il faudrait garantir « l’identité musulmane ». C’est pourquoi
l’Arabie saoudite soutient financièrement les associations humanitaires islamiques
ainsi que les projets locaux, veillant au développement d’une éducation religieuse
plutôt qu’à l’expansion de l’enseignement laïc. Les pétrodollars ainsi injectés dans
les économies subsahariennes ont, durant les décennies précédentes, remodelé le
paysage religieux d’une Afrique noire secouée par les crises financières. La
contestation des modèles religieux sur le continent semble désormais passer par la
manipulation des symboles religieux, notamment islamiques.
Le Qatar marque également un intérêt croissant pour l’Afrique depuis
2008. Il mène des actions sur plusieurs fronts. Il a lancé depuis septembre 2008 de
multiples médiations pour relancer le processus politique au Darfour. Une nouvelle
conférence des donateurs sur la reconstruction du Darfour a ainsi été organisée les
7 et 8 avril 2013 à Doha. En outre, l’émirat mène depuis juin 2010, à la demande de
l’Erythrée et de Djibouti, une médiation dans le conflit frontalier opposant les deux
pays. Le Qatar a par ailleurs signé avec le Kenya un accord pour le fermage de
40 000 hectares. Au Gabon, des discussions sont en cours à propos du gisement de
fer géant de Belinga, un temps promis aux Chinois. Enfin, en décembre, le président
CHAPITRE 2 : - 199 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
soudanais Omar el‐Béchir a conclu à Doha des accords dans les domaines minier et
agricole.
Il existe une lutte d’influence sur le continent africain entre Doha et Riyad,
les deux pétromonarchies cherchant à être le référent religieux pour l’ensemble de
la communauté musulmane.
Les événements des « printemps arabes » ont conduit le Qatar et l’Arabie
Saoudite à repenser leurs alliances stratégiques au Maghreb et au Moyen‐Orient.
L’influence d’Al Jazeera dans ces révolutions n’est plus à démontrer. La chaîne s’est
fait le relais des intérêts qataris, soutenant les Frères musulmans lors des élections
égyptiennes. A l’inverse, l’Arabie Saoudite est restée fidèle à Moubarak jusqu’à son
éviction du pouvoir et accueille aujourd’hui Ben Ali. Elle cherche à limiter
l’influence des Frères musulmans qu’elle considère comme un courant modéré
voire mou de l’islam et a affiché son soutien aux salafistes. On retrouve cette lutte
d’influence au Sahel, notamment au nord du Mali, où les deux Etats du Golfe ont
apporté à différentes populations et groupes djihadistes des soutiens indirects.
4. Le Japon, entre approvisionnement et coopération.
La cinquième Conférence de Tokyo sur le développement de l'Afrique
(Ticad), qui s'est terminée en juin 2013 sur l'adoption de la Déclaration de
Yokohama, illustre l’ambition africaine du Japon. Ce texte, qui énumère les
engagements pris par le Japon d'ici à la prochaine Ticad, programmée en 2018 pour
« la croissance, le développement durable et la réduction de la pauvreté », vient
rappeler que l’archipel est engagé en Afrique depuis longtemps.
Le Japon prévoit d'appuyer le déploiement de sa présence en Afrique sur
son aide publique au développement. Il y ajoute une priorité aux partenariats
public‐privé et au soutien au secteur privé, décidé à se positionner en Afrique. En
janvier, la principale fédération patronale nippone a émis plusieurs propositions à
l’intention du gouvernement en vue de développer des activités sur ce continent.
Selon ces nouvelles orientations, l'Etat a déjà annoncé 754 millions
d'euros d'aide aux groupes désireux d'investir dans l'exploitation des matières
premières. Ainsi la maison de commerce Mitsui &Co va se positionner au
Mozambique pour un projet gazier. La Jogmec, compagnie japonaise du pétrole, du
gaz et des métaux, va participer à l'exploitation de gisements de terres rares en
Afrique du Sud.
Le Japon a également annoncé le doublement, à 10, du nombre de
bureaux africains de l'Organisation japonaise du commerce extérieur (Jetro),
l’investissement de 20 milliards de dollars pour garantir les opérations engagées
par les entreprises nippones, et la multiplication des partenariats public‐privé.
Il a promis 32 milliards de dollars d'aide pour les cinq prochaines années,
dont 14 milliards de dollars d'aide publique au développement. En plus de
l'enveloppe évoquée, le Japon devrait investir 6,5 milliards de dollars dans les
projets d'infrastructure. Le Japon financera des formations de techniciens locaux,
- 200 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
qui devraient être recrutés par des entreprises nippones implantées en Afrique. Ces
compagnies emploient déjà 200 000 personnes. Ce chiffre devrait doubler en cinq
ans. Le Japon s'est par ailleurs engagé à soutenir le secteur agricole pour qu'il
atteigne 6 % de croissance et que la production de riz soit doublée d'ici à 2018.
Il va aussi octroyer 428 millions d'euros pour la stabilisation du Sahel, ainsi
qu’une enveloppe qui ira à l'éducation, à la santé, à l'aide alimentaire mais
également à la formation de 2 000 Africains dans le domaine de la sécurité et de la
lutte contre le terrorisme. « La prise d'otages en Algérie fut un choc pour les
Japonais », a souligné, le 2 juin, Shinzo Abe, faisant référence au drame de janvier
sur le site gazier d'In Amenas, au cours duquel dix techniciens nippons sont morts.
Les échanges avec l'Afrique, environ 30 milliards de dollars fin 2011, ne
représentent que 2 % du commerce nippon. Ce continent n'attire que 1 % des
investissements de l'Archipel, mais l'intérêt des groupes nippons ne cesse de
croître, comme en témoigne le rachat, en décembre 2012, de la maison de
commerce CFAO (Compagnie française d'Afrique de l'Ouest) par son homologue
nippone Toyota Tsusho, soucieuse de développer sa présence en Afrique de
l'Ouest. Les investissements industriels se multiplient. Honda a construit une usine
de production de deux‐roues au Nigeria et prévoit de faire de même au Kenya. Le
Japon cherche à s’implanter en Afrique à travers des coopérations avec ses voisins
sud‐coréens et chinois. Ainsi, le japonais Sumitomo travaille avec le sud‐coréen
Kores dans le projet Ambatovy d'extraction du nickel de Madagascar et Toyota
Tsusho conduit avec Hyundai Engineering un projet de production d'électricité
d'origine géothermique au Kenya.
5. Le « pays du matin calme » en Afrique.
A l’instar de la Chine ou de la Russie, la présence sud‐coréenne en Afrique
est peu connue mais ancienne.
Suite à la guerre de Corée, le continent devient le théâtre de la
concurrence diplomatique qui oppose Séoul à Pyongyang. Désireuse de circonscrire
l’influence de sa rivale sur le continent, la Corée du Sud envoie donc des missions
de bonne volonté au Libéria, en Libye, en Tunisie, au Ghana et au Soudan à partir
de janvier 1960.
Mais c’est véritablement au tournant des années 2000 que la Corée du
Sud s’intègre à ce que certains commentateurs appellent « la ruée africaine ». En
effet, en 2006, le Président Roh Moh‐hyun annonce l’« initiative pour le
développement en Afrique », point de départ du renouveau diplomatique sud‐
coréen en direction de l’Afrique.
Trois raisons expliquent l’importance du continent pour Séoul. D’abord,
l’ouverture commerciale à l’Afrique permettra à la Corée du sud de doubler son PIB
par habitant de 20 000 à 40 000 dollars. Ensuite, Le soutien apporté aux pays en
développement aidera la Corée du Sud à asseoir son statut au sein de la
communauté internationale et facilitera à long terme les relations avec les
partenaires africains. Enfin, Le potentiel de croissance du continent et le rôle de
CHAPITRE 2 : - 201 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
marché alternatif qu’il présente sont des facteurs clés en cas de stagnation
économique de la Chine.
Afin de mettre en place cette stratégie, le gouvernement coréen a
entrepris une série d’actions multilatérales. Six mois avant le Sommet sino‐africain
de Pékin, Séoul a accueilli, en avril 2006, la première Conférence ministérielle de
coopération économique entre la Corée du Sud et les pays africains (KOAFEC) co‐
organisée par le gouvernement sud‐coréen et la Banque africaine de
développement (BAD). En 2008, à l’occasion de la deuxième KOAFEC, le ministre
des finances sud‐coréen a affirmé la volonté de son pays de s’engager dans une
« coopération gagnant‐gagnant pour promouvoir le développement durable » et
« contribuer au développement de l’Afrique ». La 4e rencontre qui s’est tenue en
octobre 2012 a mis l’accent sur la thématique de la « croissance inclusive ».
Une percée sélective
La Corée du Sud met également en place des relations diplomatiques
bilatérales de façon sélective. Ainsi quatre représentants ont été choisis pour
chaque sous‐région : l’Afrique du Sud pour l’Afrique australe, le Ghana en Afrique
occidentale, le Kenya en Afrique orientale et la RDC en Afrique centrale. C’est
autour de ces pays que Séoul souhaite concentrer son effort diplomatique afin de
s’implanter durablement sur le continent.
Cette diplomatie bilatérale menée au plus haut niveau de l’Etat vise à
préserver en priorité la coopération dans le domaine énergétique. La Corée du sud
est en effet très dépendante à l’importation de telles ressources : en 2010 elle était
le 7e consommateur mondial de pétrole et dépend actuellement du Moyen‐Orient
pour 82 % de sa consommation. Elle est également le deuxième plus grand
importateur de gaz naturel liquéfié, après le Japon.
Cette vulnérabilité, conjuguée aux instabilités régionales qui menacent le
Moyen‐Orient, a conduit Séoul à réfléchir à la sécurisation et à la diversification de
ses importations. Plusieurs compagnies sud‐coréennes ont ainsi obtenu des
contrats d’exploitations dans des pays africains : Samsung a conclu un accord avec
le Gabon pour construire une raffinerie à Port Gentil, dont le coût est estimé à un
milliard de dollars, opérationnelle en 2016. SK group a signé un accord de
d’investissement de 5,5 milliards de dollars avec une firme nigériane dans les
secteurs pétrolier, gazier et logistique.
Le groupe sud‐coréen a également des intérêts pétroliers en Algérie, en
Côte d’Ivoire et en Guinée équatoriale. Enfin la compagnie Korea National Oil
Corporation est présente sur le continent depuis les années 1990. Après avoir
mené des opérations en Libye (bloc Elephant NC174), elle exploite plusieurs blocs
dans l’offshore nigérian et vient de signer un accord de partenariat avec la
compagnie nationale sud‐africaine PetroSA qui concerne les secteurs du pétrole et
du gaz en Afrique du Sud et dans d’autres pays du continent.
Les projets se multiplient également dans le domaine minier : Daewoo
International a accéléré ses efforts pour se développer sur le continent : présente
au Nigéria depuis 1975 elle a ouvert de nouvelles filiales en 2011 au Cameroun et
- 202 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
en RDC. Elle exploite la mine Ambatovy à Madagascar qui abrite l’une des plus
grandes réserves de nickel latéritique au monde. Des projets miniers en Ethiopie et
en RDC sont également en cours et concernent l’extraction de cuivre. Le géant
mondial de l’acier Posco a conclu des accords avec des firmes australiennes et
suisses afin d’exploiter des mines au Cameroun et au Zimbabwe.
La décennie 2000 se caractérise ensuite par une intensification des
échanges commerciaux entre l’Afrique et la Corée du Sud : d’un montant global de
6,4 milliards de dollars en 2000 contre 11,5 en 2005, ils s’élèvent à 22,2 milliards en
2011 grâce aux efforts de Séoul. L’objectif sud‐coréen est désormais clair :
atteindre le chiffre de 80 milliards de dollars en 2020.
La structure de ces échanges est des plus classiques : Séoul exporte
principalement des machines, des équipements de transports, des produits
manufacturés et des produits chimiques tandis qu’elle importe majoritairement des
matières premières. On retrouve ici une dynamique commerciale tout à fait
comparable à celle qui lie l’Afrique à ses partenaires traditionnels.
Concernant l’aide au développement, le gouvernement sud‐coréen a
affirmé en novembre 2012 sa volonté d’élargir significativement son soutien aux
pays africains. L’aide au développement est octroyée par la Korea International
Cooperation Agency (KOICA) qui possède des bureaux régionaux en Ethiopie, au
Nigéria, au Ghana, au Rwanda, au Mozambique, en Ouganda, au Cameroun, en
RDC, au Kenya, en Egypte, au Maroc, au Sénégal, en Tanzanie, en Algérie et en
Tunisie. Selon les chiffres de la KOICA, en 2009, 19 % du budget dédié à la
coopération était destiné à l’Afrique.
L’Afrique semble donc être un atout, voire un outil de cette stratégie, pour
Séoul qui bénéficie d’une image globale très positive auprès des populations
africaines. Cependant, l’implantation croissante du « pays du matin calme » en
Afrique n’est pas exempte de troubles : c’est l’activité d’une des compagnies sud‐
coréennes qui a été à l’origine de la crise politique qui secoue Madagascar.
IV. L’AFRIQUE AU COEUR D’UNE REDISTRIBUTION DES CARTES ENTRE ANCIENNES
PUISSANCES COLONIALES ET NOUVELLES PUISSANCES ÉMERGENTES
La percée des émergents et des nouvelles puissances intermédiaires en
Afrique illustre la place que ces pays ont acquise dans la première décennie du XXIe
siècle au sein de l’économie mondiale.
Quand on évoque le basculement de la richesse vers le Sud, on en voit
précisément les résultats en Afrique où les entreprises indiennes et chinoises,
comme leurs États respectifs, ont des capacités de financement qui aujourd’hui
font défaut aux pays occidentaux et à leurs entreprises.
Comme nous l’a dit Lionel Zinsou, président de PAI partners, société
d’investissement, « la pénétration des marchés africains exige aujourd’hui des
stratégies panafricaines avec des investissements que les entreprises françaises
n’ont pas en ce moment les moyens de se payer ».
CHAPITRE 2 : - 203 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
A l’origine de ce processus, on trouve un différentiel de croissance qui
perdure. Les chiffres en témoignent : alors que les pays de l’OCDE représentaient
62 % de l’économie mondiale en 1990, on prévoit que leur part tombera à 43 %
d’ici à 2030, les 57 % restants revenant aux pays émergents et en développement.
Il n’est toutefois pas nécessaire de regarder l’avenir pour prendre la
mesure de ce basculement.
En 2008, alors même que la crise économique frappait, le PIB augmentait
de 5,6 % dans les pays en développement, mais de seulement 0,5 % dans les pays
développés de l’OCDE.
Dans un avenir prévisible, les pays émergents devraient continuer à
connaître une croissance bien plus forte que leurs homologues occidentaux.
Forts de cette dynamique économique, les pays émergents s’imposent en
Afrique comme ailleurs dans le monde. Pour des pays comme la Chine, il s’agit en
outre de trouver des relais de croissance au cas où la croissance chinoise
s’essoufflerait.
Des liens se tissent entre les pays du « Sud » en contournant les
puissances économiques traditionnelles d’Europe et d’Amérique du Nord. Cela
offre de nouvelles opportunités aux pays africains. Et c’est indéniablement un
nouveau défi pour les pays occidentaux, en général, et pour l’Europe et la France,
en particulier.
Se jouent là, sur le continent africain, non seulement, à l’évidence, des
opportunités économiques dont les pays occidentaux en panne de croissance ont
besoin, mais également une partie de leur influence dans le choix des Africains sur
les modèles d’organisation politique et de développement économique.
Regardons de plus près les motivations communes de cette ruée sur le
continent noir pour en mesurer la dimension politique. Que vont chercher ces
nouveaux acteurs en Afrique ?
A. APPROVISIONNEMENT CONTRE INFRASTRUCTURES : DES MOTIVATIONS D’ABORD
ÉCONOMIQUES
Les nouveaux partenaires des Etats africains importent comme par le
passé des produits agricoles : café, cacao, coton, bois, noix de cajou, arachide,
banane, et des minerais et métaux rares ou précieux dont les puissances
industrialisées ont besoin : platine, chrome, manganèse, cobalt, vanadium,
cassitérite et uranium.
Mais c'est au premier chef le pétrole africain qui attise les plus grandes
convoitises.
L’Afrique subsaharienne assure respectivement 27 % et 21 % des
importations chinoises et indiennes de pétrole et 70 % des importations
brésiliennes.
- 204 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Dans le même temps, entre 2000 et 2007, la part du continent africain
dans les importations pétrolières des États‐Unis est passée de 14,6 % à 19,4 % alors
que celle du Moyen‐Orient se réduisait de 22,6 % à 16,1 %.
Qu’ils soient nouveaux ou traditionnels les partenaires des pays africains
viennent en premier lieu s’assurer une source d’approvisionnement en
hydrocarbure alternative au Moyen‐Orient.
Cet approvisionnement est vital pour les économies en croissance des
pays émergents, et en particulier pour la Chine et l’Inde qui n’ont, contrairement
aux États‐Unis, pas de ressources propres.
Importations de pétrole africain par les puissances émergentes
40
Milliards de dollars
35
30 M Chine
M Inde
25 M Brésil
20
15
10
0
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010
S’agissant des minerais, le décollage économique des émergents a accru
leurs besoins et, de ce fait, leurs importations.
Ainsi entre 2001 et 2010, la part des puissances émergentes dans les
importations mondiales de minerais est passée de 18 % à plus de 52 %.
Cette situation s’explique par la faiblesse de leur production nationale qui
les rend particulièrement dépendants de leurs importations de minerais. Ainsi les
pays africains assurent 98 % de la consommation chinoise de cobalt, 97 % de
chrome, 94 % de platine, 84 % de cuivre, 78 % de manganèse.
Cette dépendance est particulièrement forte pour la Chine qui assure ainsi
en Afrique un approvisionnement vital pour son industrie.
Selon les données Chelem (CEPII), la part de la Chine dans les exportations
africaines de produits miniers a par ailleurs augmenté de 7 % à 39 % entre 2000 et
2009, celle de l’Inde de 2 % à 5 %. Au cours de la même période, la part de l’Union
européenne a été ramenée de 47 % à 26 %.
L'intérêt des puissances étrangères pour les ressources pétrolières et
minières explique ainsi la géographie de leurs investissements : l'Afrique du Sud,
l'Angola et le Soudan sont les trois principaux partenaires de la Chine en Afrique,
CHAPITRE 2 : - 205 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
tandis que le Nigeria est le premier partenaire commercial de l'Inde sur le
continent.
Les partenaires émergents et les pays occidentaux se disputent l'accès aux
ressources naturelles, mais un examen plus détaillé des flux commerciaux et
d'investissement dans d'autres secteurs met en lumière des complémentarités
géographiques.
Les partenaires traditionnels sont plus présents dans l’Afrique du Nord et
de l’Ouest, alors que les nouvelles puissances sont plus visibles en Afrique centrale,
orientale et australe.
B. UN IMMENSE MARCHÉ INTÉRIEUR
Les perspectives du marché africain, qui compte aujourd'hui environ un
milliard de consommateurs et pourrait en représenter près de deux en 2050, sont
la deuxième motivation des investissements massifs effectués ces dernières
années.
Les pays industrialisés s'y livrent une concurrence féroce dans le domaine
de la distribution d'énergie ou d'eau, du transport maritime, des infrastructures
portuaires, de la téléphonie mobile.
Le continent africain est un marché prometteur pour les produits made in
China (habillement, chaussures, petit électroménager, deux‐roues, etc.) dont la
modicité du coût est bien adaptée à des populations au pouvoir d'achat limité.
Grâce à une main‐d'œuvre bon marché et à une expertise éprouvée, le
BTP chinois est très actif sur le continent, poursuivant une tradition qui remonte à
la construction du chemin de fer Tazara entre la Zambie et la Rhodésie dans les
années 1970 : des routes, des aéroports et des voies ferrées sont construites par la
coopération chinoise en Angola, au Soudan ou au Gabon.
Dans cette concurrence, la Chine et les pays émergents ont gagné la
première manche. En 2009, la Chine a dépassé les États‐Unis et est devenue le
principal partenaire commercial de l’Afrique. La part des échanges de l’Afrique avec
les pays émergents est elle‐même passée de 23 % à 39 %. Les cinq pays émergents
partenaires de l’Afrique les plus importants sont dorénavant la Chine (38 %), l’Inde
(14 %), la Corée du Sud (7,2 %), le Brésil (7,1 %) et la Turquie (6,5 %).
Dans le BTP, les entreprises occidentales ont perdu des parts de marché
considérables, comme l’illustre ce recensement des contrats BTP de la banque
mondiale et de la Banque africaine de développement.
- 206 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Source : Banque Mondiale
Plus que jamais, l'Afrique constitue, en ce début du XXIe siècle, un enjeu
majeur qui est au cœur d'un jeu d'influence.
C. DERRIÈRE LES AFFAIRES : UN NOUVEAU BANDUNG ?
Longtemps, ils ne furent que « des taches de couleur sur les cartes
symbolisant les empires coloniaux ». C’est à Bandung, en Indonésie, en avril 1955,
que cette moitié de la planète devint le « tiers‐monde ». C’est ainsi que Jean
Lacouture commentait cette conférence qui marqua le début d’une prise de
position commune des pays du Sud de la planète.
La conférence s’acheva par un discours mémorable de Jawaharlal Nehru
er
1 Premier ministre de l'Inde « Je pense qu’il n’y a rien de plus terrible que
l’immense tragédie qu’a vécue l’Afrique depuis quelques siècles […], depuis l’époque
où des millions d’Africains ont été expédiés comme esclaves en Amérique ou
ailleurs, la moitié d’entre eux mourant dans les galères. Malheureusement, même
aujourd’hui, le drame de l’Afrique est plus grand que celui d’aucun autre continent,
tant au point de vue racial que politique. Il appartient à l’Asie d’aider l’Afrique au
mieux de ses possibilités, car nous sommes des continents frères. […] ».
Retrouve‐t‐on derrière cette ruée économique vers l’Afrique la
renaissance d’un nouvel axe politique des pays du Sud au détriment des pays
occidentaux ?
Pour Bertrand Badie, cela ne fait guère de doute : «L'Afrique est devenue,
à une vitesse effrayante, un champ de manœuvre politique pour les puissances
émergentes. »
Car la percée économique des pays émergents en Afrique s'accompagne
d’ambitions politiques souvent concurrentes, comme en témoignent de
CHAPITRE 2 : - 207 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
nombreuses visites de haut niveau. Et on ne compte plus les tournées africaines de
grands responsables chinois, indiens, brésiliens ou autres.
L'amitié revendiquée entre ces nouveaux acteurs et les États africains est
célébrée à l'occasion de grandes rencontres internationales. En novembre 2006, le
troisième forum sur la coopération Chine‐Afrique (Focca) s'est tenu à Pékin. La
publicité qui a été faite autour de ce sommet, au cours duquel la Chine a promis de
doubler son aide aux pays africains et de leur accorder des prêts importants à des
taux préférentiels, a largement nourri le soudain intérêt pour la « nouvelle question
sino‐africaine ».
Le Japon organise depuis 1993 des sommets similaires, les TICAD (Tokyo
International Conference on African Development) dont la quatrième édition a eu
lieu en mai 2008.
Le Brésil, dont la sphère d'influence naturelle en Afrique, on l’a vu, est
constituée par les pays lusophones membres de la CPLP, a organisé, en novembre
2006, un premier sommet Afrique‐Amérique du Sud.
L'Inde a accueilli à New Delhi, en avril 2008, un sommet Inde‐Afrique.
Il n'est pas jusqu'à la Turquie qui n'ait organisé son sommet africain avec
une quarantaine de pays invités à Istanbul en août 2008.
C'est avec la France, en 1973, qu'avaient été lancés les sommets Afrique‐
France qui se tenaient chaque année, alternativement en France et en Afrique, et
qui se tiennent désormais tous les trois ans pour tenir compte des sommets UE‐
Afrique et des sommets de la Francophonie.
Alors que la formule des sommets Afrique‐France a toujours fait l’objet de
critiques en France, d’aucuns voyant en ces grand‐messes les symboles d’une
époque révolue, les pays émergents, qui ont moins d’états d’âme, multiplient les
sommets et les tournées africaines.
Les voix convoitées des 53 États africains à l’ONU
Comme la France, les pays émergents, on l’a vu, cherchent, en maximisant
leur influence en Afrique, à obtenir le vote africain dans les multiples instances
internationales, où les 53 voix des pays africains sont convoitées.
Le Japon, par exemple, a fait de la conquête d'un siège permanent au
Conseil de sécurité de l'ONU un de ses objectifs principaux de politique étrangère,
qu'il ne pourra pas atteindre si les 53 voix africaines à l'ONU lui sont hostiles. L'Inde
espère, elle aussi, un siège permanent au Conseil de sécurité et elle escompte de sa
participation aux opérations de maintien de la paix (OMP) de l'ONU en Afrique,
notamment au Soudan, au Liberia et en République démocratique du Congo, pour
donner l'image d'une puissance respectable.
Le Brésil ambitionne également de devenir un acteur clé d'un système
international multipolaire. Le Brésil s’est associé à l’Allemagne, au Japon et à l’Inde
afin de présenter en mai 2005 une réforme du Conseil de sécurité visant à élargir le
nombre de membres, en ajoutant 6 permanents (G4 + 2 Etats africains) et 4 non‐
- 208 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
permanents renouvelables tous les deux ans. Le soutien africain est donc essentiel
à la stratégie d’influence brésilienne sur la scène mondiale.
La Chine entend évincer du continent Taiwan, qui entretenait pourtant des
relations diplomatiques avec un grand nombre d'États africains (le Sénégal, le
Niger, le Tchad, la République centrafricaine…), mais qui a vu ses alliés faire
défection les uns après les autres au point de se réduire aujourd'hui à quelques
confettis (Burkina Faso, Gambie, Sao‐Tomé et Swaziland).
Ces différentes stratégies diplomatiques ne s’arrêtent pas là. L’Afrique est
désormais un enjeu politique entre les puissances émergentes.
Regardons la carte de l’Afrique : à l’est l’océan Indien, avec une Inde prise
dans une concurrence effrénée avec la Chine pour le leadership des pays
émergents.
Une Afrique entre océan Indien et Amazonie bleue
La Chine développe manifestement une stratégie qui vise à contenir les
avancées que l'Inde a pu opérer en tant que puissance régionale. Pékin a mis en
place une coopération militaire avec le Pakistan, ennemi traditionnel de Delhi, et
accroît sa présence militaire dans les pays du pourtour de l'océan Indien, tendant
ainsi à encercler l'Inde. Géographiquement, la Chine peut s'appuyer sur le flanc
oriental de l'Afrique pour soutenir cet effort. Une présence indienne active dans
cette région présente donc un intérêt de premier plan pour la sécurité nationale.
La course au développement des activités d'affaires indiennes en Afrique
et l'influence économique et diplomatique qui en découle aident non seulement
Delhi à contrer la montée en puissance de la Chine en Afrique et dans l’océan
Indien, notamment à Madagascar et Maurice, mais jouent également en faveur de
l'Inde sur un plan plus général, comme dans sa tentative de décrocher un siège
permanent au sein du Conseil de sécurité de l'ONU réformé et élargi.
L’investissement de l’Inde en Afrique permet au pays de se positionner
non comme une puissance asiatique, mais comme une superpuissance mondiale. Le
changement de statut de bénéficiaire de l'aide à donateur, le lancement de plans
comme l'Initiative indienne pour le développement, l'appel de l'Inde à une réforme
de la gouvernance mondiale et son aspiration à un siège permanent au Conseil de
sécurité de l'ONU, tous ces éléments font de l’Afrique un facteur essentiel de la
politique étrangère indienne.
A l’Ouest, au‐delà de l’Atlantique, le Brésil cherche à se positionner
comme point de jonction entre les deux rives de cet océan. C'est notamment vrai
pour ce qui est des questions sécuritaires. Brasilia considère l'Atlantique Sud
comme une zone de grande importance stratégique ; en effet, ces dernières
années, de gigantesques gisements pétrolifères ont été découverts à quelques
centaines de kilomètres de ses côtes. Il s'agit pour le Brésil d’œuvrer collectivement
pour sécuriser cet espace, qu'il qualifie d'« Amazonie bleue », contrôler le
commerce des armes, lutter contre la piraterie maritime et les trafics de tout
genre. Pour ce faire, Brasilia a récemment ravivé la ZOPACAS et encouragé une
CHAPITRE 2 : - 209 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
coopération navale dans l'Atlantique Sud entre l'Afrique du Sud et certains pays du
Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay).
Un anticolonialisme en partage
L'arrivée en force d'Etats eux‐mêmes autrefois victimes de la colonisation
est accueillie comme une sorte d'étape nouvelle.
Comme nous l’a déclaré un interlocuteur indien : « Nous avons avec
l’Afrique une communauté de souffrance liée à la colonisation. Vous, vous avez une
dette historique. Nous, nous faisons des investissements. Vous, vous financez l’aide
au développement. Chacun œuvre selon son passé et ses compétences ».
Le président Lula ne manquait jamais de répéter que son pays compte la
deuxième population noire du monde après la Nigéria. Soulignant cette dette
historique à l’égard de l’Afrique, il n’hésitait jamais à souligner ce passé commun
au Brésil et à l’Afrique que sont la traite, l’esclavage et la colonisation.
Ces pays ont des atouts qui rendent leur offensive d'autant plus sérieuse :
dispensés de gérer le passé colonial, ils se plaisent aussi à s'afficher moins
sourcilleux en matière de droits de l'homme ou quant à la nature même des
régimes et des dictatures, avec des différences selon les régimes politiques de
chacun.
Mais surtout, au‐delà de leurs différences, qui sont, on ne le soulignera
jamais assez, très importantes, les pays émergents ont en commun avec l’Afrique
un regard critique vis‐à‐vis de l’occident, de ses valeurs et d’un système
international qui semble encore trop centré sur l’occident.
Participer à une émancipation du Sud, à
un renversement du rapport de force avec l’occident
Comme nous l’a dit un interlocuteur en Afrique du Sud, « finalement, le
plus petit dénominateur commun entre les pays africains et les autres pays du Sud,
c’est d’avoir été agressés par l’Occident d’une façon ou d’une autre. C’est pour cela
que, 50 ans après, le discours anticolonial fonctionne toujours ». Un des atouts des
pays émergents réside dans ce substrat anticolonial et tiers‐mondiste. Quels que
soient leurs intérêts particuliers, les pays émergents jouent la carte de
l’anticolonialisme, de l’émancipation, voire d’un renversement des valeurs.
Nous étions en Afrique du Sud lors du dernier sommet des BRICS. Dans
l’euphorie d’un sommet qui promettait aux pays africains des financements pour
des infrastructures, une industrialisation du continent et la mise sur pied d’une
banque du développement qui permettrait de se passer du FMI et de la Banque
mondiale, on a senti qu’il y avait là, en filigrane, comme une invitation pour les
pays africains à participer à un renversement de l’ordre établi. Il y avait jadis,
l’Occident et le reste du monde. Ce que proposent les pays émergents comme rêve
aux pays africains, c’est de renverser le rapport de force, de procéder, sinon à une
passation de pouvoir, du moins à une redistribution des cartes.
L’histoire ne dit pas si in fine les pays africains y gagneront, mais leurs
nouveaux partenaires, qu’ils se comportent ou non comme les anciennes
- 210 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
puissances coloniales, ont une certaine légitimité pour proposer aux pays africains
un programme d’émancipation du Sud.
Ces tentatives de coaliser le Sud gagnent tous les forums sans exception.
Quand le Brésil choisit de mettre en place une stratégie de concertation avec les
autorités africaines, à travers l’organisation de rencontres diplomatiques telles que
le sommet Afrique‐Amérique du Sud, il se fixe pour objectif de définir des positions
communes vis‐à‐vis de l’OMC et de l’ONU.
Comme nous l’a dit Bertrand Badie : « Tout se passe comme si les
puissances émergentes avaient pour principal souci d'entretenir sous leur direction
un bloc uni du Sud qui aurait en outre l'avantage de leur donner des atouts que les
Etats développés du Nord n'ont plus. Il n'y a qu'à voir comment le Brésil a une
diplomatie active en direction de l'Afrique, à coup de sommets multilatéraux ou de
rencontres bilatérales. Il n'y a qu'à prendre la mesure de l'essor du réseau
diplomatique indien, de la présence chinoise en Afrique et des efforts consentis par
l'Afrique du Sud pour apparaître aux Nations unies comme le champion d'un néo‐
afro‐asiatisme. »
De façon générale, s’il faut insister sur les points communs entre ces
nouvelles puissances qui investissent l’Afrique, on ne saurait négliger leurs
différences et la concurrence qu’elles se livrent. Comme hier les pays colonisateurs,
les pays émergents arrivent en Afrique en ordre dispersé et dans une concurrence
parfois exacerbée, comme c’est le cas entre la Chine et l’Inde.
Le sommet des BRICS qui s’est tenu à Durban en mars 2013, s’il semblait
porteur d’opportunités pour le continent africain, s’est cependant achevé sur un
bilan en demi‐teinte : les dirigeants n’ont pas annoncé la création pourtant
attendue d’une « South‐south bank » visant à contrebalancer la direction
occidentale du FMI et de la Banque mondiale.
L’absence d’accord sur ce point souligne la complexité des rapports
d’influence qui se jouent en Afrique et l’hétérogénéité de ce groupe d’émergents. Il
semble que les intérêts diplomatiques nationaux président à la mise en place d’une
politique extérieure commune à travers la présence des BRICS en Afrique. Force est
de constater que les intérêts brésiliens et chinois divergent parfois à cette échelle,
du fait des alliances tissées par chaque nation.
Cela ne les empêche pas de jouer la carte du Sud contre le Nord.
On a vu, lors de la guerre en Libye, la capacité de mobilisation d’un
discours critique à l’égard de l’intervention occidentale qui a rassemblé une grande
partie des pays africains et des pays émergents. On se souvient du discours
ovationné du Président Lula en 2011 à Malabo : « Il faut que les Nations unies
représentent la force pour faire face aux menaces qui entravent la paix mondiale. Il
est inacceptable que le continent africain, avec 53 pays, n’ait aucun représentant au
Conseil de sécurité. De même, il est inacceptable que l’Amérique Latine, avec
440 millions de personnes, n’ait pas non plus de représentant. Il est inacceptable
qu'à peine 5 pays soient responsables des décisions, des actions… Il faut que les
CHAPITRE 2 : - 211 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
Nations unies soient capables d'avoir le courage pour demander le cessez‐le‐feu en
Libye et de constituer une table de négociation. ».
La coopération Sud‐Sud : la réussite des émergents comme modèle
La coopération Sud‐Sud ne repose pas uniquement sur des fondements
idéologiques. Elle se nourrit d’une expérience concrète et récente du
développement des pays émergents. Mais elle n’est pas exempte de ce terreau‐là.
En témoigne cet entretien avec l’ambassadeur Tebogo SEOKOLO, directeur Europe
au Ministère des Affaires étrangères (DIRCO) d’Afrique du Sud, qui nous a dit :
« l’Occident nous a apporté les 3 c : commerce, civilisation et colonisation, les BRICS
viennent avec les trois i : intégration, infrastructure et industrialisation ».
Mais, naturellement, la croissance de la Chine, de l’Inde ou du Brésil, qui
ont tiré de la pauvreté des centaines de millions de personnes en une génération,
constitue pour les pays africains un modèle de réussite.
Les performances de ces pays ont de quoi susciter l’admiration. Entre
1981 et 2008, la Chine a réduit de 663 millions de personnes le nombre de Chinois
vivant dans l'extrême pauvreté. En Inde, où la pauvreté est davantage répandue
qu’en Chine, le taux de pauvreté devrait chuter de 51 % en 1990 à 22 % en 2015
contre 5 % en Chine à la même date.
Par comparaison, l’Europe, avec une croissance atone, une population
vieillissante et une crise des finances publiques sans précédent, apparaît à la fois
moins dynamique et moins transposable.
Les responsables africains ne s’en cachent pas. Pour beaucoup, la création
en Chine, à la fin des années 70, d’un « projet national » visant à faire passer la
Chine de la pauvreté à un statut de pays à revenu intermédiaire en une génération
constitue un modèle. La capacité de l’État à s’engager dans une ligne de conduite
claire ouvrant la voie à des initiatives « du haut vers le bas » à tous les niveaux, de
la province au village, est pour beaucoup un modèle de stratégie de
développement associant dirigisme et pragmatisme.
Le modèle chinois n’est cependant pas le seul. En matière de gouvernance,
il apparaît à beaucoup comme peu transposable au contexte africain. En outre, le
modèle démocratique reste, au moins dans les esprits, la référence. De ce point de
vue, les expériences de l’Inde et du Brésil plus démocratiques suscitent également
un intérêt.
Du côté de l’occident, la politique de coopération fait depuis toujours
partie d’une diplomatie qui vise à changer la situation socio‐économique et
politique des pays bénéficiaires pour les conduire vers des valeurs partagées par les
pays occidentaux, et notamment par les membres du comité d'aide au
développement de l'OCDE, c’est‐à‐dire les droits de l'homme, la démocratie et le
libéralisme économique et politique. De ce point de vue, le soi‐disant « alignement
des politiques de coopération sur les priorités du bénéficiaire » s’est toujours fait
au sein d’un champ des possibles largement prédéterminé.
- 212 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Sur le long terme, l'enjeu dépasse donc très largement une vision
mercantiliste de la coopération. Il s'agit plus fondamentalement de promouvoir à
travers des actions de coopération un modèle de développement.
L’enjeu n’est en effet pas de savoir si l’Afrique va se développer, mais
comment elle se développe, avec quel impact sur les équilibres régionaux et
mondiaux, et avec quels partenaires. Est‐ce d’une manière qui favorise la paix et la
sécurité ou en cristallisant les sources de tensions qui menacent la sécurité
régionale et mondiale ? En favorisant une élévation des conditions de vie et de
travail des populations ou en laissant s’approfondir les risques de dumping social et
environnemental ? En inventant des chemins de croissance compatibles avec la
survie de la planète ou en cédant à la tentation du « rattrapage économique à tout
prix » sans considération des dangers sociaux et environnementaux afférents ?
L'Afrique devient ainsi un espace multiplicateur de puissance. Cet intérêt
croissant pour le continent nous éclaire aussi sur une réalité nouvelle des relations
internationales. L'arrivée des pays émergents ces dernières années en Afrique et
leur expansion de plus en plus importante sur ce continent contribue
indéniablement au décentrage économique mais aussi politique du pouvoir
mondial vers le Sud.
V. LE REVERS DE LA MONDIALISATION : TRAFICS ILLICITES ET RÉSEAUX
TERRORISTES
Si l’intégration de l’Afrique dans les réseaux mondiaux d’échanges est un
facteur de croissance économique et de découverte scientifique, il s'accompagne
également d'une croissance des trafics illicites en provenance ou au départ de
l’Afrique, de l’insertion de mouvements rebelles dans des réseaux plus vastes
inspirés par le djihadisme armé et d’un développement sans précédents de la
piraterie.
La plongée de l’Afrique dans la mondialisation a sa face sombre.
Ces nouvelles menaces se déploient de façon privilégiée dans les déserts
du Sahel et dans les océans qui bordent les côtes africaines, deux éléments qui ont
en commun de former des espaces creux, mal contrôlés, peu contrôlables, des
zones grises qui échappent aux pouvoirs publics des Etats.
Sur les mers ou dans le sable africain, les trafics
illicites se développent dans les zones désertées par les puissances publiques.
Sur mer, la criminalité favorisée par des zones de non‐droit, le long des
côtes africaines à l’ouest dans le golfe de Guinée, à l’est au large de la Somalie, et
dont une des conséquences est l’émergence d’une véritable « industrie » de la
piraterie maritime, le pillage des ressources halieutiques, des différends
territoriaux et, enfin, une privatisation de l’emploi de la force armée en mer aussi
qui pourrait devenir préoccupante si on ne canalise pas ce phénomène.
CHAPITRE 2 : - 213 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
Sur terre, le Sahel et l'Afrique de l'Ouest sont incontestablement devenus
une plaque tournante pour le trafic international de drogues dures telles que
l'héroïne et la cocaïne en provenance d'Amérique latine et d'Afghanistan.
Parfois en liaison avec ces trafics, l’Afrique est devenue un terrain de
manœuvre de groupes terroristes islamistes plus ou moins reliés à des réseaux
internationaux.
A. « L’AFRICAN CONNEXION »
Zone traditionnelle de contrebande en raison de ses multiples voies de
circulation entre Afrique subsaharienne et Maghreb, la région du Sahel fut
longtemps essentiellement concernée par le trafic et la contrebande de cannabis,
principalement cultivé au Maroc. Cependant, depuis le début du XXIe siècle, la
partie nord‐ouest de l'Afrique est devenue un carrefour de trafic de drogues de
toutes sortes, entraînant la formation de groupes criminels mieux structurés et
disposant de moyens financiers et « militaires » accrus.
L'une des explications est que la région est moins risquée que les routes
plus directes entre les pays producteurs d'Amérique du sud et le continent
européen qui s'avère être aussi le premier marché de consommation mondiale.
L’industrie de la drogue du continent sud‐américain utilise les routes le
long du 10e parallèle pour pénétrer par l'Afrique de l'Ouest. Ce trafic est en outre
aggravé par la présence d'héroïne et cocaïne provenant d'Afghanistan et transitant
aussi par cette zone ainsi que par la côte est du continent africain. La drogue est
ensuite acheminée à travers le Tchad, le Mali, le Niger, le Maroc et l’Algérie, dont la
porosité des frontières facilite les déplacements, pour être vendue et consommée
en Europe.
Selon l'Office des Nations unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC)1, en
2012, il était estimé que 50 tonnes de cocaïne d'un montant de 2 milliards de
dollars et équivalant au PNB de la Guinée et de la Sierra Leone réunies ont transité
par l'Afrique de l'ouest.
Le montant des transactions de drogue en
Afrique de l’Ouest dépasse le budget de nombreux Etats sahéliens
L'essentiel de la cocaïne passe par la Guinée‐Bissau, le Ghana, la Guinée
Conakry, et le Cap‐Vert qui forment des plaques tournantes depuis lesquelles des
mules voyageant à bord de vols commerciaux transportent la drogue jusqu'à leur
destination finale.
Le nouveau rapport de l’ONUDC souligne toutefois que la cocaïne n'est pas
la seule drogue à transiter par la région. Ses auteurs s'inquiètent de l'émergence de
la production de méthamphétamine au Nigeria, où deux laboratoires ont été
repérés en 2011 et 2012, ainsi que du nombre de mules qui auraient transporté
1
Source : ONUDC : Criminalité transnationale organisée en Afrique de l’Ouest, février 2013
- 214 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
l'équivalent de 360 millions de dollars de ce stupéfiant en vogue vers l'Afrique de
l'Est en 2010.
Les zones de départ sont en évolution constante. La baisse de la Colombie
a permis la hausse du Venezuela, de la Bolivie et du Pérou. Le Brésil se développe
également depuis quelques années comme zone de transit et plaque tournante. Les
zones d’arrivée se diversifient et se déplacent vers l’Est du golfe de Guinée, au
Ghana, au Togo, au Bénin et au Nigeria.
De même, les modes de transport et les quantités transportées sont en
évolution rapide. Les anciennes grosses cargaisons transportées par voies
maritimes commerciales laissent la place à de petites quantités à bord de vecteurs
multiples, aussi bien maritimes qu’aériens. Ces évolutions permanentes montrent
la capacité de réaction et les moyens financiers considérables à disposition des
trafiquants.
Le Nigéria, le Ghana, le Togo et le Bénin représentent une zone d’arrivée
et de transit sous le contrôle de groupes nigérians. La drogue arrive soit
directement dans les grands ports, soit est redistribuée en mer sur des petits
navires qui la diffusent sur le littoral.
Dans ces pays, la corruption est solidement installée. Plus au nord, la
Sierra Leone, la Guinée, le Sénégal, le Cap‐Vert et la Guinée‐Bissau sont également
des points d’entrée de la drogue, par voie maritime ou aérienne. Les quatre
premiers pays cités sont touchés essentiellement du fait de la corruption mais il y
persiste une volonté de contrer le trafic. En revanche, la Guinée‐Bissau est déjà
considérée comme un narco‐Etat où tous les pans de la société sont impliqués,
rendant de fait impossible toute lutte ou coopération avec ce pays.
25 % de la cocaïne à destination de
l’Europe transitent par l’Afrique de l’Ouest
Avec la hausse de la production et de la consommation de drogues, la
piraterie et l'instabilité politique, l'Afrique de l'Ouest pose un défi important tant
elle ne constitue plus simplement une voie de transit, mais aussi une destination
finale pour la revente de stupéfiants.
Ce trafic de drogue est par ailleurs aggravé par les liens tissés entre les
narcotrafiquants, les gouvernants et les appareils sécuritaires de la région ainsi que
certains groupes terroristes présents au Sahel tel que le Mouvement d'Unité pour
le Jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO).
En sus du trafic de drogue et d'armes, l'importante contrebande de
cigarettes à travers le Sahel est aussi très rémunératrice pour les trafiquants de la
région.
Les cigarettes qui proviennent d'usines de contrefaçon, principalement du
Nigeria, sont distribuées dans la région, au Maghreb, au Moyen‐Orient et en
Europe. Ce trafic est une source secondaire de financement pour les groupes
terroristes, qui, même s'ils ne sont pas directement impliqués dans ce genre de
contrebande, s'enrichissent toutefois en imposant un impôt contre une « garde
rapprochée » aux contrebandiers.
CHAPITRE 2 : - 215 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
Dans ce mélange des genres, les groupes terroristes tel qu'AQMI ont très
rapidement compris l'intérêt qu'ils pouvaient tirer en établissant un gentlemen’s
agreement avec certains groupes criminels, par exemple s’agissant de la capture
d’otages. En effet, alors que les actions violentes d'AQMI sont présentées sous des
idéaux religieux, le groupe est néanmoins intéressé par l'appât du gain à travers ses
demandes de rançons.
Par ailleurs, la chute de Kadhafi en Libye et l'instabilité géopolitique
régnante qui s'ensuit, ainsi que la perméabilité des frontières qui facilite le passage
d'armes d'un pays à un autre ont procuré aux terroristes et narcotrafiquants une
opportunité supplémentaire de renforcer leur position dans la région, aggravant de
ce fait la situation au Sahel.
Une corruption solidement installée
C'est dans ce contexte que la prolifération d'armes, de drogues, de trafics
de cigarettes et autres produits illicites s’enracine au Sahel. Mais ce dévolu sur la
région est aussi principalement dû à la faiblesse des Etats qui composent cette
zone géographique, au manque flagrant de surveillance, à la porosité des frontières
ainsi qu'à la corruption qui gangrène les institutions de ces mêmes Etats, telles que
l'armée, la douane ou la police.
Afin de combattre ce fléau, la coopération entre les Etats, mais aussi entre
les différentes organisations et autres institutions internationales, est une
condition sine qua non pour obtenir des résultats probants.
La source de ce problème se trouve évidemment aussi dans la faiblesse
des systèmes éducatifs et l’étroitesse du marché de l’emploi. Aussi, c'est en
améliorant les conditions de vie des populations locales, en conduisant des
programmes d'éducation et de développement économique et en renforçant l’Etat
de droit que les trafics en tous genres, en Afrique de l'Ouest et au Sahel, pourront
être, sinon éradiqués, tout au moins combattus.
L'augmentation des activités criminelles dans la région souligne le besoin
urgent d'actions afin de renforcer la souveraineté des Etats concernés. Car il est
incontestable que ce trafic en Afrique de l'Ouest est en train de se propager comme
une traînée de poudre à travers tout le continent africain.
La mauvaise passe dans laquelle se trouve actuellement le Mali est sans
nul doute préoccupante. Mais les origines de cette crise sont présentes dans
d’autres Etats de la région, et la complaisance de certains gouvernants envers les
trafics en fait partie.
B. LE CONTINENT NOIR DE LA PIRATERIE
d'Aden, avec une extension à l'Est jusqu'aux côtes indiennes). Le Golfe de Guinée,
zone importante dans le domaine des hydrocarbures, connaît une multiplication des
attaques depuis le début de l'année 2011.
L'absence de moyens de surveillance du trafic maritime et de marine
hauturière, la faiblesse des Etats et l'absence de véritable répression à terre sont
propices à la pérennité du phénomène. La piraterie pose de manière croissante le
problème de la protection des navires. La réponse européenne (opération Atalante
et internationale au large de la Corne de l'Afrique) est efficace mais insuffisante
pour enrayer le phénomène. ».
Si l'on focalise souvent sur la situation qui prévaut en Somalie, où le
phénomène est en nette diminution, il est en plein développement dans le golfe de
Guinée. En dépit des nombreuses différences liées aux situations locales, on
constate partout la création de véritables entreprises de piraterie.
Si autrefois il fallait avoir bac+5 pour pouvoir naviguer à cinq jours de
distance des terres, aujourd'hui, avec les moyens modernes, des pirates
analphabètes s'engagent bien plus loin des côtes de l’océan Indien avec des
moyens de communication et des armements relativement sophistiqués. De fait
avec un GPS portable, un moteur Yamaha et une Kalachnikov, les pirates vont, avec
une barque au milieu du Golfe de Guinée, mettre en danger des porte‐conteneurs
ou des tankers.
La situation sur le continent africain est cependant plus complexe en
raison du délitement des structures étatiques le long de la Corne de l'Afrique et en
particulier en Somalie.
C'est la raison pour laquelle l’Europe, à travers l'opération Atalante
déployée depuis décembre 2008, veille et souhaite prévenir et réprimer les actes
de piraterie dans les eaux internationales ainsi que dans les zones territoriales
somaliennes.
Avec dix pays de l'Union participant à l’opération, Atalante est l’une des
premières opérations conjointes intégrées de l'Union européenne. Cette action est
complétée par les forces de l'OTAN avec l'opération Ocean Shield, mais aussi par la
présence sur mer de bâtiments russes, iraniens, indiens, japonais, coréens et
chinois.
L’une des raisons de la mobilisation croissante des Etats est non
seulement les prises d’otages, mais également la progression de l’impact
économique de la piraterie.
Le montant annuel des rançons versées aux pirates somaliens n’aurait
cessé de s’accroître. Il était estimé à 131 millions de dollars en 2011, contre
80 millions de dollars en 2010.
Le coût global de la piraterie serait cependant bien supérieur, puisqu’il
faut tenir compte des primes d’assurance pour les armateurs, les dépenses
afférentes aux équipes de protection embarquées ou encore le coût du recours à
des sociétés de sécurité privées de protection des navires.
CHAPITRE 2 : - 217 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
Concernant les primes d’assurance, le surcoût lié à une traversée de
l’océan Indien est généralement de l’ordre de 0,5 % de la valeur du navire, soit
souvent proche de 20 000 à 30 000 dollars supplémentaires par jour de traversée.
Le contournement des zones dangereuses, par exemple par le Cap de Bonne
Espérance, induit un allongement des délais et une consommation plus élevée de
fioul.
Selon le rapport de MM. Jean‐Claude Peyronnet (Soc, Haute‐Vienne) et
François Trucy (UMP, Var) sur l’application de la loi n° 2011‐13 du 5 janvier 2011
relative à la lutte contre la piraterie et à l’exercice des pouvoirs de police de l’Etat
en mer «au total, le « chiffre d’affaires » généré par la piraterie dans l’océan Indien
est estimé entre 7 et 8 milliards de dollars ».
La piraterie dans l'océan Indien est donc naturellement devenue une
préoccupation majeure des pays dont les bâtiments croisent les côtes somaliennes,
mais également une occasion pour s'implanter dans la région. C’est dans cette
perspective que le Japon a, par exemple, installé, pour la première fois depuis la
Seconde Guerre mondiale, une base navale en dehors de son territoire à Djibouti.
C'est également au titre de la lutte contre la piraterie que la Chine assure dans
cette zone une présence quasi permanente.
La piraterie dans le Golfe de Guinée est différente de celle en océan
Indien. Il s’agit d’un phénomène endémique avec lequel les compagnies opérant
dans le secteur avaient appris à vivre. Toutefois, les événements en Somalie ont
provoqué une prise de conscience.
Il faut sécuriser le golfe de Guinée.
Depuis avril 2008, un contrôle naval volontaire a été mis en place par la
Marine nationale dans le golfe de Guinée. S’il est difficile de mesurer
scientifiquement le phénomène, dans la mesure où toutes les attaques ne sont pas
reportées, on estime qu’il y aurait treize attaques par mois, toutes catégories
confondues.
Les pirates y pratiquent le « siphonage » qui consiste à prendre par la
force des pétroliers dans le but de leur dérober une partie des produits raffinés, en
haute mer. Ces actes sont observés de la Côte d’Ivoire et au Gabon. Généralement
pris dans les zones d’attente des grands ports (Abidjan, Lomé, etc.), les navires et
les équipages sont ensuite relâchés à proximité du nord du Nigeria entre Lagos et
Escravos. Le vol se pratique partout mais est davantage signalé dans le sud et le
sud‐ouest du Nigeria. La prise d’otages se pratique uniquement dans le sud et le
sud‐ouest du Nigeria ; les otages sont soit conservés à bord d’un bâtiment‐mère,
soit ramenés à terre, jusqu’à l’obtention d’une rançon. Ces enlèvements ont
concerné au moins 195 personnes en 2012.
L’augmentation du phénomène a été à l’origine des résolutions du Conseil
de sécurité des Nations unies n° 2018 du 31 octobre 2011 et n° 2039 du
29 février 2012, qui appellent la communauté internationale à créer un mécanisme
multinational et transrégional de sécurité maritime couvrant toute la région du
golfe de Guinée.
- 218 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Ce dispositif est, malgré la coopération avec les Britanniques sur ce sujet,
trop « juste » face à l’immensité de la zone, à l’ampleur des sujets et à la lenteur de
la montée en puissance des moyens de surveillance maritime des États riverains,
malgré une prise de conscience de certains d’entre eux. Il est ensuite partiellement
« aveugle » : malgré le partage d’informations satellitaires (notamment avec les
États‐Unis) et la construction d’une chaîne sémaphorique, de nombreuses zones
restent à l’ombre des systèmes de surveillance.
Il sera, enfin, il faut le redouter, affecté par les réductions d’activité qui
seront imposées aux bâtiments de la Marine nationale dans le cadre de la future loi
de programmation militaire.
C’est pourquoi la question de son européanisation mérite d’être posée,
s’agissant d’une des principales routes d’approvisionnement stratégique de
l’ensemble de l’économie européenne.
Il faut enfin prendre conscience que la sécurisation des côtes africaines est
une préoccupation africaine mais aussi européenne.
Comme le souligne une étude de la Compagnie Européenne d’Intelligence
Stratégique sur la « Vulnérabilité de la France face aux flux maritimes », la sécurité
au large des côtes africaines a un effet direct sur notre souveraineté énergétique.
Certes, grâce à sa situation géographique, la France dispose de deux
façades maritimes métropolitaines, la façade atlantique vers l’Afrique de l’Ouest où
est localisée une part significative de nos approvisionnements en pétrole et en
Uranium, la façade méditerranéenne vers Suez et, de là, vers l’océan Indien en
passant par les détroits de Bâb el Mandeb ou d’Ormuz.
Au regard des approvisionnements en hydrocarbures, la France, qui
dispose heureusement d'un bouquet énergétique et de sources
d'approvisionnement diversifiées, présente une vulnérabilité limitée en termes de
sécurité énergétique.
En outre, à l’avenir, la mise en exploitation de nouvelles ressources en
Arctique, au Brésil, et la diversification de nos approvisionnements, en s’adressant
au Venezuela ou à la Guyane par exemple, devraient avoir un impact sur les flux
énergétiques français, en renforçant l’importance stratégique de l’océan
Atlantique. Cette évolution devrait contribuer, grâce à la diversification des
fournisseurs, à une diminution quantitative de la vulnérabilité de la France face aux
flux énergétiques.
Mais l’économie française reste très dépendante en ce qui concerne le
trafic de conteneurs et les approvisionnements en métaux stratégiques (aluminium,
cuivre, minerai de fer, mais aussi terres rares, niobium, tantale, cobalt, nickel…) de
l’une des voies maritimes les plus sensibles au monde. La route stratégique
majeure pour les conteneurs transite par la Méditerranée avant de parcourir
l’océan Indien, de franchir le détroit de Malacca et de traverser la mer de Chine du
sud. En conséquence, toute crise située sur cette trajectoire pourrait avoir un
impact majeur pour la santé économique de la France.
CHAPITRE 2 : - 219 -
HIER IGNORÉE, AUJOURD’ HUI CONVOITÉE,
L’AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
Ainsi, la France est fortement vulnérable à l’égard des flux de minerais et
des composants électroniques. Cette vulnérabilité devrait s’accroître en raison de
la concurrence entre puissances pour l’accès aux ressources, notamment en
métaux stratégiques pour les industries de hautes technologies (défense,
aérospatial, électronique…) et pour les industries « vertes ».
La montée en puissance de l'implantation militaire française aux Emirats
Arabes Unis (EAU), inaugurée en mai 2009, la confirmation de notre accord de
défense avec Djibouti, en décembre 2011, comme la participation aux opérations
Atalante doit se comprendre par la volonté des pouvoirs publics d’être présents sur
les routes d’approvisionnement maritime de la France.
Nos deux implantations sur cet axe entre la Méditerranée et l’océan
Indien ont notamment pour mission d'affirmer une présence interarmées,
dissuasive vis‐à‐vis d'un agresseur et permettant, le cas échéant, de faciliter la mise
en œuvre rapide de premières mesures de réaction face à une action hostile,
notamment dans le cadre de nos accords de défense.
La proximité géographique, les liens historiques, démographiques et
commerciaux, l'impact sur les questions de politique intérieure et de défense, les
possibles répercussions en matière d'approvisionnement énergétique ou de flux
migratoires font des évolutions de l’Afrique un enjeu stratégique majeur pour la
France et pour l'Europe.
Ces nouvelles menaces, comme la ruée des pays émergents et des nations
périphériques vers l’Afrique doivent nous faire réfléchir à notre investissement
dans la relation de la France au continent africain.
Les enjeux de l’Afrique d’aujourd’hui sont très éloignés des questions qui
ont occupé le devant de la scène sur notre responsabilité historique, sur notre
dette morale ou sur la France‐Afrique et ses dérives. Ils doivent nous faire
reconsidérer le sens de notre politique africaine, les intérêts que nous avons à y
défendre et les projets que nous voulons y promouvoir.
- 220 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
CHAPITRE 3 : - 221 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
CHAPITRE 3 :
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Face à cette « ruée » vers l’Afrique, que fait la France ? Quelle place la
France occupe‐t‐elle encore sur ce continent décidément convoité ? Nous avons
posé ces questions aux quatre coins de l’Afrique. Quelle place ? Quel rang, quelle
influence, mais aussi quelle contribution aux changements en cours, quel soutien à nos
partenaires africains dans cette formidable mutation du continent ? En résumé : quelle
est la valeur ajoutée de la présence française dans cette Afrique en transformation ?
Des questions obsédantes et finalement très françaises.
Notre spécificité ? À l’évidence cette dernière n’est plus la quantité. Nous ne
sommes plus le principal partenaire économique de l’Afrique, ni même de l’Afrique
francophone. La France est le cinquième exportateur vers l’Afrique subsaharienne
derrière la Chine, l’Inde, les États‐Unis et même l’Allemagne. Les Français ne sont plus
la principale communauté étrangère, même dans les anciennes colonies françaises.
Nous avons interrogé nos interlocuteurs en Afrique et à Paris. La réponse la
plus fréquente est banale, elle se répète jusqu’à l’absurde dans les déclarations
d’amitié que les dirigeants français et africains échangent dans les salons feutrés des
ambassades : une histoire commune et une langue partagée.
On peut discuter de savoir si c’est un avantage ou un inconvénient. Mais
force est de constater que ces liens‐là ‐ ils ne sont pas les seuls ‐ conditionnent notre
relation avec les pays africains et nous différencient des nouveaux partenaires.
I. LA FRANCE ET L’AFRIQUE : UNE RELATION SANS ÉQUIVALENT
A. LA FRANCE EN AFRIQUE : UNE PRÉSENCE FORTE LIÉE À L’HISTOIRE ET À LA
LANGUE
La parenthèse coloniale a été brève au regard de l’histoire longue, un siècle
au Sénégal, soixante ans à peine au Tchad. Elle ne concerne qu’une petite partie de
l’Afrique.
Mais les traces sont encore très présentes et l’empreinte française vivante.
1. Une présence continue depuis plus de 150 ans
Il y a le legs du passé bien sûr. On pense aux frontières, à l’organisation des
villes, à l’orientation des économies rentières tournées vers l'exportation de matières
premières, à l’organisation administrative et juridique qui a été copiée sur les systèmes
français, mais surtout à l'usage d'une langue commune, le français.
- 222 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
La réalité du français en Afrique est aujourd’hui sans doute moins assurée
qu’il n’y paraît devant l’essor de l’anglais et des langues vernaculaires comme le
yoruba, le swahili, la bambara ou le wolof.
Mais cette proximité linguistique reste un atout majeur, une carte maîtresse.
À travers la langue, c’est toute une culture, toute une vision du monde que nous
partageons avec plus de 50 millions de locuteurs francophones en Afrique.
Si pour les grands groupes, les barrières linguistiques ne sont pas des
problèmes dans la mesure où ils disposent de cadres qui parlent plusieurs langues dont
l’anglais, c’est beaucoup moins le cas des PME. Dès lors la francophonie est un atout
majeur pour les PME françaises qui trouvent en Afrique francophone des
interlocuteurs avec lesquels il n’y a aucune barrière linguistique.
Comme l’a dit Mathieu Pigasse devant notre groupe de travail : « Il n’y a que
les Européens pour ignorer que les Africains pensent le monde à travers des concepts
européens, des langues européennes et au premier chef la langue française ».
Le français est aujourd’hui une langue africaine. Elle est non seulement
une langue officielle dans une vingtaine de pays1, une langue enseignée, dans les
écoles primaires, secondaires, et universitaires, mais aussi une langue pensée et
vécue comme la langue d’accès au savoir, comme celle qui crée le lien : lien au sein
de la communauté nationale divisée en différentes ethnies et langues
vernaculaires, lien entre différents pays de la communauté francophone.
1 États africains reconnaissant le français comme langue officielle unique : Bénin, Burkina Faso,
Congo, Congo RD, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Mali, Niger, Sénégal, Togo. États africains
reconnaissant le français comme langue co‐officielle : Burundi (+ kirundi), Cameroun (+ anglais),
Centrafrique (+ sango), Comores (+ shikomor et arabe), Djibouti (+ arabe), Guinée équatoriale(+
espagnol) Haïti (+ créole), Madagascar (+ malgache et anglais), Rwanda (+ anglais et kinyarwanda),
Seychelles (+ créole et anglais), Tchad (+ arabe)
CHAPITRE 3 : - 223 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Cette langue en partage, les pays africains se la sont appropriée au point
d’être les plus fervents défenseurs de la francophonie dans les instances
internationales.
Il faut entendre les ambassadeurs des pays francophones nous tancer à Addis
Abeba parce que nous ne soutenons pas avec assez de fermeté le français à l’Union
africaine pour comprendre que nous ne sommes pas seuls à porter haut les couleurs
de la langue de Molière. Ils défendent ici leur identité autant que notre langue. Il leur
arrive même de penser que nous pourrions parfois être plus francophiles !
Il faut voir les gouvernements africains défendre les institutions
internationales de la Francophonie fondées par Léopold Sédar Senghor et aujourd’hui
dirigées par l’ancien Président sénégalais Abdou Diouf.
Il ne s’agit pas de se gargariser de cette francophonie. On peut dire que
« l’Afrique est l’avenir de la Francophonie ». Il est vrai que demain, en 2050, si la
planète compte 600 millions de francophones, ce sera grâce au continent noir. Mais il
faut aussi regarder les choses en face. Chacun sait que dans certains bastions, le
français recule. C’est le cas au Sénégal comme à Madagascar.
Il reste cependant un formidable atout et le signe le plus évident de la
spécificité de la présence française en Afrique.
Le français : cette autre langue africaine
Cette langue en partage n’est plus seulement la France, elle a pris racine en
Afrique et cet enracinement est le signe le plus profond qu’elle ne quittera pas le
continent demain si facilement.
- 224 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
50 ans après les indépendances, il eût été surprenant que le français
d’Afrique ne s’acculture pas. Il faut entendre dans les rues d’Abidjan, le long des
« maquis », l’argot local, le « Nouchi », pour comprendre que la langue de Rabelais se
métisse, s’imagine et se métamorphose.
Il faut parcourir l’Afrique, explorer, vêtu d’une « culotte grande manche »1,
ses « sans confiance » aux pieds, traverser le Sénégal, le Bénin, la Côte d’Ivoire, en
passant par le Niger, le Cameroun, le Congo, partout où les dialectes locaux se
mélangent avec fantaisie à la langue française.
Vous passerez sur des « tablettes de chocolat » (routes mal entretenues),
vous vous arrêterez à « l’essencerie » (station essence) ou chez le tablier (vendeur de
cigarettes) pour y rencontrer des « mamans Benz » (commerçantes qui se déplacent
en Mercedez‐Benz) ou des « femmes bien développées » (femmes instruites).
« Le français, cette autre langue africaine » disent les Alliances françaises.
C’est un « magnifique butin de guerre » disait Kateb Yacine.
Il faut lire les romans de Henri Lopes : « Sans tam‐tam » ou « Le pleurer‐
rire », une œuvre qui se veut une véritable entreprise de décolonisation des
mentalités, mais aussi un éloge de la langue française et de ce que l’auteur appelle
« un Bantou mâtiné de Français » pour savourer ces morceaux de France au cœur de la
culture africaine.
La langue française dont l’écrivain et cinéaste ivoirien Jean‐Marie Adiaffi
disait « un mariage forcé devenu un mariage d’amour », est notre porte d’entrée dans
le continent.
C’est également un visa pour l’ensemble des pays qui veulent s’implanter en
Afrique francophone, si bien qu’en Chine, en Afrique du Sud et en Inde, on apprend
d’abord le français pour aller en Afrique et ensuite, éventuellement, pour venir en
France.
Il faut regarder les affiches des sommets Afrique‐Chine en français pour
prendre conscience que même les pays émergents s’implantent en Afrique en français.
La langue a laissé des traces dans les esprits, l’histoire, dans les paysages
urbains et dans les institutions.
Ces traces font partie du décor.
Descendre d’avion en Afrique francophone, c’est
fouler une terre éminemment exotique, mais aussi familière.
Traverser Dakar ou Abidjan, c’est parcourir un monde familier par la langue,
par la forme des panneaux, l’aménagement urbain. Entrer dans une administration en
Afrique de l’Ouest peut réserver des surprises, mais reste un monde connu, une
organisation et des procédures inspirées du modèle français jusqu’à la caricature.
Cette familiarité‐là, cette intimité‐là nous sont enviées par nos concurrents.
Cette histoire partagée est à double tranchant : elle nous vaut d’être à la fois
admirés et haïs. Si le temps a passé depuis les indépendances, la présence française en
Afrique peut toujours être rapportée à cette origine, soit pour dénoncer un
comportement qui serait irrespectueux, humiliant ou exagérément interventionniste,
soit pour rappeler la dette morale et le devoir d’assistance de l’ex‐puissance coloniale
dont le rôle dans les maux qui affligent l’Afrique peut à tout moment être évoqué.
Il est tellement fréquent d’entendre encore aujourd’hui des ministres
africains citer l’héritage colonial pour justifier la situation de tel ou tel secteur, qu’il
serait injuste de n’en citer qu’un seul. « Le conflit en Casamance en 2013 ? Ses racines
sont avant tout coloniales ». 50 ans après l’indépendance, « la sous‐industrialisation de
tel ou tel pays : un legs de la préférence coloniale ». Ces paroles entendues sur RFI
illustrent combien le passif colonial reste une figure imposée du débat politique
africain.
S’il est vrai que plus de 80 % de la population, voire plus, n’ont pas connu le
système colonial, si bien sûr la jeunesse est aujourd’hui essentiellement tournée vers
l’avenir, un avenir qu’elle entrevoit souvent avec optimisme, il faut cesser de penser
que ce passé colonial n’intéresse que les Français.
La parole de la France et de ses représentants porte le poids de l’histoire.
Elle est vivante dans les esprits et présente dans le débat politique africain.
Ce passé est un élément incontournable de la relation entre la France et l’Afrique pour
le meilleur et pour le pire. La question est de savoir ce qu’on en fait : le mettre sur le
devant de la scène ? Lui donner sa juste place, construire ensemble un discours
partagé, une histoire écrite à deux mains ? Ou se lancer des anathèmes au nom d’un
passé reconstruit ou fantasmé ?
Cette histoire explique que la parole de la France en Afrique a un
retentissement qui va bien au‐delà de son poids économique et même politique.
Les réactions au discours de Dakar du Président Sarkozy en sont l’illustration.
Voilà un discours maladroit et mal inspiré qui a provoqué des dizaines d’ouvrages et
d’articles et des prises de position sans nombre. Y‐a‐t‐il encore un pays dont le
Président pourrait susciter autant de succès en librairie ?
Une histoire complexe, passionnée et
passionnante, qui explique que la parole de la France en Afrique ait un
retentissement qui va bien au‐delà de son poids économique.
Cette longue connivence linguistique, culturelle, politique et financière est un
avantage comparatif que ne peut revendiquer aucun des pays émergents qui
aujourd’hui convoitent nos positions en Afrique.
Comme nous l’a dit un interlocuteur anglais, « en Afrique francophone, quand
une feuille de palmier se détache du tronc, les Français le savent avant qu’elle tombe
par terre».
Et ce n’est pas le moindre paradoxe que de voir aujourd’hui des entreprises
françaises faire commerce de cette connaissance de l’Afrique pour ouvrir aux
entreprises chinoises les marchés africains. De nombreux Français se font les guides
- 226 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
des arcanes africaines, les interprètes des habitudes et des coutumes africaines,
vendent cette connaissance de l’Afrique accumulée au fil du 20e siècle.
Car cette histoire partagée est dans les esprits, elle est aussi dans la
myriade d’institutions françaises et franco‐africaines qui sont autant de ponts entre
nos deux continents.
Nous aurions voulu avoir le temps de cartographier l’ensemble de ces
institutions. Cette carte aurait illustré la densité du maillage des relations entre la
France et ses ex‐colonies. La carte ci‐dessous ne concerne que les Alliances françaises
et les instituts français ; elle décrit déjà la géographie de la présence française et sa
densité à l’échelle d’un continent.
Les institutions françaises en Afrique sont en effet le fruit d’une histoire
longue, d’une sédimentation d’expériences parfois individuelles, souvent collectives,
qui prend racine dans la colonisation et a trouvé après les indépendances un nouveau
sens.
Il y a les destins individuels, ces lignées de Français d’Afrique qui ont traversé
le siècle en faisant vivre par‐delà les secousses de l’histoire des entreprises familiales.
Nous avons rencontré en Côte d’ivoire des familles françaises ou franco‐africaines
implantées à Abidjan depuis plusieurs générations et qui sont restées en dépit de tout,
à travers la crise de la dernière décennie, quand des Français par milliers ont quitté le
CHAPITRE 3 : - 227 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
territoire. Ils sont restés là « chez eux ». Ils ne sont plus tout à fait la France et pas non
plus l’Afrique. On en trouve encore dans toutes les anciennes colonies.
Il y a les institutions et les organismes qui ont traversé l’histoire des
indépendances jusqu’à aujourd’hui.
On pense évidemment à la dizaine de centres de recherche en Afrique
subsaharienne de l’IRD qui a pris la succession de l’Office de la recherche scientifique
et technique outre‐mer (ORSTOM), créé en 1944.
Une présence imposante à travers un
maillage multisectoriel d’une densité rare
Plus de huit mois d’auditions et de déplacements nous ont permis de
comprendre que, si la coopération française civile, militaire, culturelle, monétaire ou
scientifique mise en place au lendemain des indépendances a perdu de sa superbe,
elle reste un maillage sectoriel remarquable, une présence sans équivalent, éclatée
dans différents domaines, mais finalement assez dense tant elle couvre de secteurs
variés.
Tentons une photographie, un kaléidoscope de ce legs de l’histoire, une liste
qui sonnera un peu comme un inventaire à la Prévert, mais qui donnera une idée de la
présence française dans toute sa diversité.
La France en Afrique : c’est d’abord une présence humaine de plus de
100 000 français, des communautés hétérogènes de plus en plus franco‐africaines
concentrées pour l’essentiel dans les anciennes colonies. Nous y reviendrons.
C’est dans le domaine économique, selon le Conseil français des
investisseurs en Afrique (CIAN), «1.000 établissements et 80.000 collaborateurs sur
place» pour un chiffre d’affaires de «40 milliards d’euros». Des chiffres qu'il faut
majorer puisque les sociétés adhérentes au CIAN représenteraient environ 75% de la
présence économique française sur place.
C’est également 17% de nos exportations (28 milliards d’euros en 2011 et
26 milliards pour les importations pour l’ensemble du continent), 7% des
investissements français à l’étranger en 2011, soit plus de 4 milliards d’euros en
Afrique.
Des investissements qui dans la durée ont permis de constituer une présence
entrepreneuriale importante à l’échelle de l’Afrique.
Dans les pays d’Afrique de l’Ouest, les investissements français représentent
souvent plus de plus 50% du stock d’investissements étrangers et, dans certains pays
comme le Sénégal, les entreprises françaises sont encore les principaux employeurs
étrangers du secteur formel.
La composition du Conseil d'administration du CIAN donne une image fidèle
de ce que sont les grandes entreprises françaises qui possèdent des intérêts en
Afrique. On y trouve logiquement des sociétés comme EDF, la CFAO, des banques
(BNP, Société Générale), Bolloré, Total, Lafarge ou la Compagnie Fruitière.
- 228 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Ces entreprises peuvent compter sur un réseau institutionnel dense, une
dizaine de représentations d’Ubifrance, des dizaines de chambres de commerce et
d’industrie franco‐africaines, un réseau de services économiques dans les ambassades
de France regroupés en cinq services économiques régionaux à Dakar, Abuja, Yaoundé,
Nairobi et Pretoria.
Sur le plan de la coopération économique, si la France a perdu de son aura,
elle demeure très présente et un des principaux bailleurs de fonds. On compte une
trentaine de bureaux de l’Agence française pour le développement avec plus de
2 milliards d’engagements annuels, une trentaine d’organismes d’expertise publique
qui interviennent sur le terrain, une coopération financière et monétaire intense avec
la zone franc et les banques centrales de cette zone qui comprend pas moins de
14 pays, des centaines d’assistants techniques et de conseillers placés jusqu’à la
présidence de certains États.
Sur le plan culturel, la France en Afrique, c’est un réseau de lycées et de
collèges français aux noms prestigieux : le Lycée Jules‐Verne de Johannesburg, le Lycée
franco‐éthiopien Guébré‐Mariam d’Addis‐Abeba, le cours Lamartine d’Abidjan, pour
ne citer que ceux que nous avons visités.
L’ensemble se compose de 87 établissements accueillant un peu moins de
50 000 élèves qui forment génération après génération des étudiants francophones.
« Ces lycées accueillent les enfants des Français expatriés, mais on oublie
souvent que la majorité des élèves sont des enfants du pays qui conserveront toute leur
vie cette formation française », nous a dit le très dynamique directeur du lycée français
d’Addis‐Abeba dont 70% des élèves sont éthiopiens.
En comptant l’ensemble des établissements conventionnés par l’Agence pour
l’enseignement français à l’étranger (AEFE), plus de 100 000 élèves seraient formés en
Français en Afrique subsaharienne.
Mais, la France en Afrique : c’est aussi un réseau de 200 Alliances françaises
et Instituts français en 2012.
Les alliances forment en Afrique, parfois dans des zones particulièrement
reculées, chaque année, plus de 80 000 étudiants. Comme les instituts, elles diffusent
non seulement la culture française, mais tissent au quotidien des ponts entre la culture
française et les cultures africaines et constituent des tremplins à destination des
artistes africains.
Comme l’a souligné Delphine Borione, ancienne directrice de la politique
culturelle et du Français, à la direction de la mondialisation du ministère des affaires
étrangères : « Si la France a longtemps été et reste une vitrine et un débouché pour de
nombreux artistes africains, c’est grâce à son réseau dans l’ensemble de l’Afrique
subsaharienne».
Grâce à des programmes comme « Afrique et Caraïbes en créations » qui
financent des initiatives franco‐africaines telles que « les Rencontres de Bamako »
pour la photographie, le Concours « l’Afrique est à la mode », « Regard Bénin » pour
les arts visuels ou la saison croisée France ‐ Afrique du Sud, la diplomatie culturelle
française soutient activement la création africaine, comme elle soutient le Cinéma
CHAPITRE 3 : - 229 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
africain, avec le Fonds Sud Cinéma qui a financé près de 110 films d'Afrique
subsaharienne depuis sa création.
Il n’y a pas un secteur de la vie sociale, économique
et culturelle où la France n’a pas un réseau d’institutions ou d’associations présentes
sur le continent africain.
Dans le domaine de la coopération administrative, de nombreux organismes
d’expertise technique française interviennent ponctuellement en coordination avec les
SCAC dans l’ensemble de la sphère des politiques publiques africaines.
La tradition française de l’assistance technique résidentielle a permis à notre
pays de développer en Afrique une expertise administrative dont la qualité est
internationalement reconnue, notamment dans les domaines des politiques de
renforcement institutionnel et de gouvernance ou concernés par les Objectifs du
Millénaire pour le Développement.
Cette expertise est mise en œuvre par un nombre croissant d’organismes
publics et privés. Dans le secteur public, trois entités se partagent l’essentiel des
missions : l’opérateur France Expertise Internationale (FEI) du ministère des affaires
étrangères, ADETEF, l'opérateur de coopération technique internationale des
ministères français de l'économie, du budget, et, plus récemment, de l’écologie et de
la réforme de l'Etat, CIVIPOL, la société de conseil et de service du ministère de
l'Intérieur français, qui ont des moyens et une légitimité qui leur permettent de mener
un développement très autonome.1
Dans le domaine de la recherche et de la diplomatie scientifique, l’ancienne
tradition française d’exploration a trouvé en Afrique un terrain de recherche privilégié.
À travers les différentes implantations de l’Institut de recherche pour le
développement (IRD), du Centre de coopération internationale en recherche
agronomique pour le développement (CIRAD), du Centre national de la recherche
scientifique (CNRS), des établissements de l’Institut Pasteur à l’instar du Centre
international de recherche médicale de Franceville au Gabon, du Centre de recherche
médicale et sanitaire au Niger, ou du Centre Muraz au Burkina‐Faso, la France
dispose de ressources précieuses pour la connaissance du milieu local et les besoins
particuliers de nos partenaires.
Dans le domaine des sciences humaines, les sociétés et les civilisations
d’Afrique subsaharienne sont encore aujourd’hui au cœur de nos programmes
d’archéologie et d’ethnologie comme en attestent cinq Instituts français de
recherches à l’étranger (IFRE) en Afrique (Soudan, Éthiopie, Nigeria, Kenya, Afrique du
Sud).
1À côté de ces trois opérateurs, on trouve également une vingtaine d’autres intervenants de plus
petite taille dont le GIP ADECIA qui intervient dans les secteurs de l'agriculture, l'alimentation, la
pêche et la forêt, le GIP France Vétérinaire International, l'ADECRI, qui est l'opérateur de
coopération technique réunissant l'ensemble des organismes nationaux de sécurité sociale français
ou le GIP international travail, emploi, formation professionnelle, qui développe l'assistance
technique internationale dans les domaines du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle,
des migrations et du co‐développement.
- 230 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Ces centres de recherches assurent la mise en place d’une coopération
bilatérale entre les universités françaises et locales à l’image de la Sfdas ‐ Section
française de la Direction des antiquités du Soudan, qui a ainsi établi un partenariat
avec l’Université de Shendi et la National Corporation for Museums and Antiquities.
La recherche universitaire française est également tournée vers l’Afrique
subsaharienne. Il existe en effet plusieurs centres de recherche consacrés à cette
région au sein d’universités françaises de renom: c’est notamment le cas du Centre
d’études des mondes africains pour l’université Paris 1 (la Sorbonne), du Centre
d’études africaines de l’EHESS et de l’IRD ou encore de l’unité mixte de recherche Les
Afriques dans le monde fondé par le CNRS et Sciences Po‐Bordeaux.
Ce réseau des Instituts français de recherches à l’étranger ainsi que la mise en
œuvre de programmes universitaires ont favorisé, malgré la diminution des budgets,
une omniprésence de la recherche française sur le continent.
Ainsi dans le domaine archéologique, en 2013, le ministère des affaires
étrangères soutient 31 programmes de fouilles pour la section Afrique‐Arabie. Ces
programmes de recherches archéologiques sont aujourd’hui associés à des études sur
les sociétés contemporaines. Le CFEE poursuit ainsi des fouilles dans la Vallée d’Omo,
lieu de la découverte de Lucy en 1974, et propose une section de recherches sur « la
politique régionale et le développement urbain » en Éthiopie.
Ces programmes reflètent à la fois l’intérêt historique des Français pour le
continent mais également leur capacité à exporter nos méthodes universitaires en
Afrique, vecteur d’un mode de pensée français.
Sur le plan militaire, c’est une présence inégalée avec 10 000 hommes sur le
terrain en 2013, 8 accords de défense, 16 accords de coopérations militaires, 9 bases
ou points d’appui notamment en Côte ‐d’Ivoire, à Djibouti, au Tchad, au Sénégal et au
Gabon et plus récemment au Mali ainsi qu’un dispositif de formation militaire sur le
continent et en France qui permet de former 50 000 militaires africains par an.
Ce tour d’horizon ne serait complet si on ne prenait pas en compte environ
2 500 projets annuels de coopération décentralisée avec plus de 700 collectivités
françaises et structures intercommunales.
En 2010, les collectivités françaises par exemple ont alloué près de
41 millions d'euros à ce continent, soit 60% de l'aide, principalement dans cinq pays :
le Mali, le Burkina Faso, le Sénégal, le Bénin et le Niger1. Plus que des fonds, cette
coopération tisse des liens entre des collectivités, des élus, des responsables
administratifs et des populations qui apprennent ainsi à se connaître.
A ces projets, il faudrait ajouter les centaines de jumelages institutionnels
entre différents organismes, hôpitaux, écoles, universités, centres de recherche de
part et d’autre de la Méditerranée.
1
La solidarité internationale à l'échelle des territoires : état des lieux et perspectives
Rapport d'information de M. Jean‐Claude PEYRONNET, fait au nom de la délégation aux collectivités
territoriales n° 123 (2012‐2013) ‐ 13 novembre 2012
http://www.senat.fr/notice‐rapport/2012/r12‐123‐notice.html
CHAPITRE 3 : - 231 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Les va‐et‐vient entre la France et l’Afrique sont enfin nourris de l’action des
milliers d’ONG humanitaires ou de coopération dans l’ensemble de l’Hexagone qui
conduisent des dizaines de milliers de projets sur tout le continent noir. L’essentiel
des activités des associations comme Médecins sans frontières, Vétérinaires sans
frontières, Pharmaciens sans frontières, etc., se situe en Afrique subsaharienne.
Au‐delà de cette présence physique sur le terrain, la France est présente à
travers les ondes.
Sur le plan des médias, RFI reste la radio la plus écoutée du monde
francophone sur un contient où la radio reste le média le plus répandu. Qui ne connaît
pas le jingle « RFI, il est huit heures à Paris, six heures en temps universel, sept heures
à Yaoundé » ? Avec un budget de près de 400 millions d’euros, elle diffuse des
émissions en français grâce à l’implantation de 114 émetteurs dans l’ensemble de
l’Afrique subsaharienne.
Comme la souligné Alain Foka, journaliste de RFI qui anime sur tout le
continent des émissions publiques dans le cadre d’une émission hebdomadaire « Le
débat africain » : « Nous restons une radio de référence, les émissions enregistrées en
public sont encore des événements qui drainent parfois plusieurs milliers d’auditeurs
qui viennent assister en direct à l’enregistrement ».
- 232 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Les chaînes de télévisions françaises dont TV5, France 24, malgré une
concurrence croissante, sont parmi les plus regardées du continent.
Dans le secteur privé, l'offre française est très dynamique, à travers Canal
Horizons, mais elle est en concurrence croissante avec des offres de programmes
anglophones, lusophones et en langue régionale.
Il y a en revanche un potentiel considérable si se multiplient les partenariats
avec l'audiovisuel public africain et le soutien aux productions africaines, auxquelles
manquent encore des moyens de diffusion, de formation et de financement.
Le ministère des Affaires étrangères s’efforce de développer des
coopérations dans ce sens avec Canal France international (CFI), filiale du groupe
France Télévisions (75%) et d'Arte France (25%), qui s'est donné pour mission le
transfert d'expertise, notamment à destination des pays d'Afrique. Opérateur de la
coopération audiovisuelle publique française chargé de mettre en place,
essentiellement sur financements publics, des actions d'appui aux télévisions des pays
en développement principalement africaines, CFI est notamment appelé à fournir
quotidiennement, à un réseau de 77 télévisions partenaires africaines, des
programmes produits en France.
Après plus d’un siècle d’intenses relations avec le continent noir, il n’y a pas
un secteur de la vie sociale, économique et culturelle où la France n’a pas un réseau
d’institutions ou d’associations présentes sur le continent africain, tant il apparaît
comme la destination naturelle de toute coopération vers le Sud.
Quels que soient les secteurs, cette présence française est très inégalement
répartie : elle reste hypertrophiée dans certains pays, mais très faible dans d’autres
pays stratégiques comme la RDC, le Nigeria et les nouveaux États pétroliers d’Afrique
de l’Est.
Notre présence reste concentrée sur l’Afrique francophone : 86% des
Français d’Afrique subsaharienne y habitent, les populations françaises, les moyens
humains et financiers y sont plus importants, voire sans proportion avec ceux déployés
en Afrique anglophone et lusophone.
Si on prend l’exemple de Madagascar, la France est son premier partenaire
économique, son premier fournisseur et son premier client. Les échanges franco‐
malgaches représentent environ 30% des échanges commerciaux de Madagascar.
Cinq cents entreprises à capitaux français sont présentes dans tous les secteurs de
l’économie. Madagascar est aussi le pays où la communauté française est la plus
importante au sud du Sahara, avec 25 000 citoyens, dont 60% sont franco‐malgaches.
De l’autre côté du continent, au Cameroun, la présence française est
importante tant par le nombre de filiales d’entreprises françaises (250) que par le
nombre de PME/PMI fondées par des franco‐camerounais ou par sa coopération. La
France soutient des institutions et des programmes régionaux (Communauté
économique et monétaire de l’Afrique centrale et Commission en charge des forêts
d’Afrique centrale) basés à Yaoundé.
CHAPITRE 3 : - 233 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Une présence hypertrophiée dans certains
pays d’Afrique francophone, mais très faible dans d’autres
La France sait aussi parfois sortir de ce qu’on appelait jadis son « pré carré ».
Regardons la précédente carte des Alliances françaises : on les trouve en
Afrique du Sud, au Botswana, au Swaziland et au Lesotho, en Angola, à Luanda,
Cabinda et Lubango ou au Ghana, pour ne citer que ces exemples.
Les Alliances françaises dans ces pays travaillent le plus souvent avec les
moyens du bord, dans des régions parfois très isolées. Une armée d'enseignants, de
professeurs, et des légions d'élèves et d'étudiants français et étrangers, portent ainsi le
flambeau de la vitalité francophone, de la culture française, d’une certaine vision du
monde dans des régions reculées d’Afrique.
Regardons l’AFD qui en quelques années a déployé son activité au‐delà de la
sphère francophone puisque, sur les trois dernières années, 47% de ses engagements
concernent des pays anglophones, au premier chef desquels l’Afrique du Sud.
C’est également le cas des entreprises françaises dans le domaine de
l’énergie, où la majorité des investissements français se sont dirigés vers des pays
anglophones comme l’Angola ou le Nigeria.
L’ensemble des institutions, des femmes et des hommes mobilisés dans une
relation avec l’Afrique subsaharienne forme un maillage complet de la société et des
secteurs d’activités qui n’a pas d’équivalent chez les autres partenaires de l’Afrique.
Cela ne signifie pas qu’il n’existe pas pour d’autres pays, ici une diaspora importante,
notamment chinoise et indienne dans l’ensemble de l’est africain, britannique en
Afrique du Sud et au Kenya, là une langue commune comme le portugais, ailleurs des
relations institutionnelles séculaires comme avec les Britanniques ou les Belges, mais
aucun de ces pays ne bénéficie d’une implantation aussi dense, associant une présence
continue depuis des décennies et une langue commune.
2. Un tissu de relations interpersonnelles intenses
Densité, mais aussi continuité, la France n’a, en fait, jamais quitté le
continent. C’est ce que lui reprochent ses détracteurs. C’est aussi le signe d’une
certaine fidélité et d’une permanence qui ont permis de tisser des liens d’amitié et de
travail entre les élites françaises et africaines, qui constituent encore aujourd’hui le
socle des relations franco‐africaines.
Contrairement aux Anglais, la décolonisation n’a pas provoqué au Sud du
Sahara un départ massif des Français.
La quasi‐totalité des colonies françaises d'Afrique subsaharienne ont accédé à
l'indépendance en 1960. La Guinée de Sékou Touré avait franchi le pas deux ans plus
tôt suite à son refus d'adhérer à la Communauté franco‐africaine proposée par le
général de Gaulle. En Afrique orientale, les Comores n’ont accédé à l'indépendance
qu'en 1975 et Djibouti en 1977.
- 234 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Les indépendances africaines se sont dans l’ensemble, à l’exception notable
de Madagascar et du Cameroun, déroulées sans violence. Elles ont été pour l’essentiel
le résultat d'une négociation. Et c'est une différence significative avec la situation qui a
prévalu en Indochine ou au Maghreb. Cette décolonisation pacifique est pour
beaucoup dans le fait que les liens noués avec ces pays n’ont pas été brutalement
rompus comme ils l'ont été en Asie du Sud‐est ou en Afrique du Nord.
Sur le terrain, les choses se sont modifiées très progressivement. Les
administrateurs coloniaux, pour certains, sont restés en poste après les
indépendances, souvent dans le même pays, à des fonctions identiques, parfois dans le
même bureau.
L’histoire de la décolonisation explique encore aujourd’hui
cette proximité des élites politiques, économiques, administratives et militaires
africaines et françaises
Nombreux sont ceux qui ont trouvé leur place dans le nouveau dispositif de
coopération mis en place par la France : les ambassadeurs en Afrique comme les tout
premiers chefs des missions d'aide et de coopération (MAC) ont été d'anciens
administrateurs de la France d'outre‐mer.
Des conseillers français, souvent choisis parmi les anciens administrateurs
coloniaux, ont été mis à la disposition des Présidents africains et de leurs ministres au
titre de l'assistance technique.
Leurs armées se sont constituées avec des matériels et des formateurs
fournis par la France. La France a mis à la disposition des jeunes États des contingents
d'expatriés dont le nombre a dépassé paradoxalement celui des Français en Afrique au
temps des colonies.
Les nouveaux dirigeants ont entretenu des liens forts avec la France. Parmi
les premiers chefs d'État de l'Afrique indépendante, deux auront au préalable été
ministres de la République française : Félix Houphouët Boigny (Côte‐d'Ivoire), Léopold
Sédar Senghor (Sénégal) et deux autres vice‐présidents de l'Assemblée nationale,
Modibo Keita (Mali) et Hubert Maga (Bénin, ex Dahomey).
Sans doute est‐il aujourd'hui difficile de saisir la singularité et la complexité
des rapports qui se sont noués entre la plupart des hommes d'États africains et
français sur les bancs du Palais‐Bourbon, du palais du Luxembourg ou du château de
Versailles.
Leur proximité est au fondement de cette intimité entre les sphères
dirigeantes de part et d’autre de la Méditerranée.
Ces dirigeants des premières années des indépendances ont envoyé à leur
tour des générations de fonctionnaires et de militaires africains se former dans les
universités françaises, à Science po, à l’ENA ou à Saint Cyr.
Ces derniers ont eux aussi noué des relations avec des camarades français.
Des promotions entières de professeurs, de sergents, de médecins, de fonctionnaires
français et africains ont donc fréquenté les mêmes bancs. Plusieurs dizaines de milliers
de militaires africains ont été accueillis comme stagiaires en France, partageant les
CHAPITRE 3 : - 235 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
mêmes conditions de vie et de formation que leurs homologues français, tandis que
pratiquement chaque officier français a fait dans sa carrière une, sinon plusieurs,
périodes en Afrique.
Si la réalité est éloignée de l’image de « barbouzerie » généralisée véhiculée
plus tard par les pourfendeurs de la « Françafrique », cette proximité des élites
politiques, économiques administratives et militaires africaines francophones et
françaises a eu sa face sombre.
Cette proximité a rendu possible les dérives de la Françafrique
Au Gabon ou au Congo‐Brazzaville, au Togo, au Burkina Faso, au Cameroun,
au Tchad, ou encore en Centrafrique, une nébuleuse d'acteurs disposant de réseaux de
connaissances personnelles où se côtoyaient dirigeants politiques, hommes d'affaires,
agents de renseignement, militaires ou mercenaires, a trouvé dans les réseaux de la
Françafrique de quoi dévoyer la politique africaine de la France, parfois au nom de la
raison d’État, souvent dans la défense d’intérêts particuliers privés ou partisans, avec
son lot de scandales dont le plus connu est l’affaire Elf.
Ce clientélisme d’État, ces valises de billets, qui ont alimenté aussi bien les
partis politiques français que des patrimoines français et africains, ces émissaires
occultes souvent mandatés par nul autre qu’eux‐mêmes, tout cela a existé et pour
l’essentiel vécu.
Beaucoup de facteurs y ont contribué au premier chef desquels la lassitude
d’une grande partie de la classe politique africaine pour laquelle ce mode de relations
relève d’une autre époque.
Ce changement de génération, la réglementation du financement des partis
politiques en France, le développement de la transparence de l’information des
médias et des ONG via Internet, les différents scandales mis à jour par la justice qui est
devenue en deux décennies un acteur majeur des relations franco‐africaines ont
contribué à marginaliser ce mélange des genres.
La Françafrique dont on a annoncé régulièrement la renaissance, notamment
pendant le précédent quinquennat, a pour l’essentiel disparu avec le décès d’une
génération dont Félix Houphouët Boigny, Léopold Sédar Senghor et Omar Bongo
furent les symboles.
Comme l’a affirmé l’un des auteurs de ce rapport alors Secrétaire d’Etat
chargé de la Coopération et de la Francophonie, le 15 janvier 2008, il fallait « signer
l’acte de décès de la « Françafrique », « car il s’agissait de pratiques d’un autre temps,
d’un mode de relations dont certains, ici comme là‐bas, ont tiré avantage, au détriment
de l’intérêt général et du développement ».
Mais ces tissus de relations interpersonnelles ont également, tel Janus, une
face plus lumineuse qui a trop souvent été ignorée.
- 236 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Des relations interpersonnelles qui
sont un facteur de compréhension mutuelle
Les solides liens d’amitié tissés sur les bancs des écoles et des universités ou
encore ceux existant entre les militaires blancs et leurs homologues noirs ont été à
l’origine de la relation privilégiée qui se maintient entre la France et ses anciennes
colonies d’Afrique subsaharienne.
Dans toutes les professions, les cadres africains qui ont effectué plusieurs
séjours de formation en France tout au long de leur carrière ont aujourd’hui des
relations professionnelles et amicales fortes avec leur alter ego français, une
connaissance de la France et des produits français.
« Notre connaissance de l’Afrique vient de ces échanges, presque tous les
militaires français, et notamment les Marsouins, ont été à un moment de leur carrière
affectés une ou plusieurs fois en Afrique à Djibouti, Libreville, Dakar ou Abidjan,
beaucoup d’officiers généraux africains ont été formés en France, cela crée des liens »,
nous a dit le Général Bruno Clément‐Bollée, directeur de la coopération de sécurité et
de défense.
« Je connais un général tchadien avec lequel j’ai étudié à Saint‐Cyr. Je l’ai
retrouvé à l’école d’application, à l’école de guerre et puis une première fois au Tchad
comme capitaine d’unité combattante avec les forces françaises et enfin une seconde
fois comme chef d’état‐major des armées alors je commandais l’opération Épervier. Je
connais tout son parcours, toute sa famille. Ces liens‐là sont uniques. »
Ces liens constituent une chance, chacun des protagonistes de cette relation
franco‐africaine en tirant bénéfice : la France, qui trouve dans sa politique d’influence
sur le continent une occasion de conserver son rang ; les pouvoirs africains, qui firent
longtemps de la rente découlant des politiques bilatérales d’aide publique au
développement la base d’un compromis postcolonial générateur de stabilité.
La France a envoyé de plus des dizaines de milliers de coopérants en Afrique
pour lesquels cette expérience fut souvent fondatrice. Selon Yves Gounin, auteur de La
France en Afrique : « Alors que le nombre des administrateurs coloniaux en Afrique
subsaharienne était inférieur à 7 000 en 1956, il y avait en 1963, 8 749 coopérants civils
dans les États africains nouvellement indépendants, 9 364 en 1973 et 10 292 en 1980 ».
Ces coopérants, assistants techniques ou autres, sont venus gonfler les
effectifs importants des Français restés en Afrique bien longtemps après les
indépendances.
Aux coopérants recrutés par le gouvernement français en accord avec les
autorités locales, mais qui peuvent dépendre de plusieurs ministères (Coopération,
Éducation nationale, Enseignement et Recherche...), se sont ajoutés des intervenants
envoyés par d'autres institutions, en particulier les institutions religieuses.
Dans ce cadre, les Églises ont joué un rôle actif, que ce soit la Délégation
catholique pour la coopération (DCC), le Service protestant de mission (Défap) ainsi
que d'autres instances, telles les multiples associations œuvrant en Afrique (ONG.
Ingénieurs sans Frontières, Groupement des Retraités Éducateurs sans frontières ...)
qui sont actifs dans différents pays d’Afrique.
CHAPITRE 3 : - 237 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
C'est aussi le cas des VSN (Volontaires du Service national), qui effectuaient
deux années de service civil de coopération en Afrique qui resteront pour beaucoup un
souvenir inoubliable.
Au plus fort de la coopération, ils seront plus de 10 000 par an à passer deux
années puis 18 mois sur ce continent.
Des générations de jeunes diplômés français ont ainsi acquis le goût de
l’Afrique. Marquée par cette expérience, une proportion importante d’entre eux
maintiendra un lien avec le continent. Certains de ces coopérants sont même restés en
Afrique et ont augmenté les effectifs des Français d’Afrique subsaharienne.
Si la France a réussi, pendant plus de trente ans, à conserver un lien fort avec
le continent, ce n’est pas seulement grâce aux alliances politiques et aux réseaux
d’individus qui s’étaient établis au plus haut niveau de l’État.
C’est aussi et surtout par la vertu des relations sociales qui, à tous les
niveaux, établissaient des ponts de communication entre Français et Africains. Ce qui
faisait le ciment de cette relation, c’est moins le clientélisme d’État que les réseaux
d’interconnaissance et de sociabilité communs.
Comme nous l’a dit M. Richard Banégas, professeur au CERI‐Sciences Po,
« Pour le meilleur et pour le pire, ce sont ces réseaux d’amitié ou de simple
connaissance, tissés sur les bancs de l’université, de l’école de guerre ou du
militantisme syndical des années 1960‐70, qui ont nourri la croyance en un destin
commun et des valeurs communes. Et c’est ainsi, par capillarité, que s’exerce notre
influence française en Afrique. »
Lors d’un déjeuner organisé pendant un déplacement, un Français installé en
Afrique depuis des décennies nous a demandé : « Vu de Paris, la France en Afrique,
c’est quoi ? ».
Si l‘on essaie d’être le plus factuel possible, on serait tenté de dire dans un
premier temps : c’est d’abord plus de 100 000 Français au Sud du Sahara, des milliers
d’entreprises dont le fleuron de l’industrie française comme AREVA, TOTAL, BOLLORÉ,
VINCI, BOUYGUES mais aussi des ressources stratégiques uniques telles que l’uranium
du Niger, qui couvre 30% de nos besoins civils et 100% de nos besoins militaires, ou
encore un pétrole qui assure 30% de nos approvisionnements et une zone franc qui
comporte pour la France autant d’avantages que d’obligations.
Si notre relation aux pays africains se résumait à sa dimension économique,
on pourrait être tenté de résumer « l’Afrique utile » à cela.
Nous verrons que ce n’est pas le cas. Si on parle d’une politique africaine et
non d’une politique asiatique ou américaine, c’est précisément en raison des
caractères indissociables des enjeux diplomatiques, militaires, culturels, économiques
- 238 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
et migratoires. Il n’existe pas de continent où nous ayons une palette aussi large
d’interactions et où les enjeux soient aussi indissociables.
Cela étant dit, commençons par la protection de nos ressortissants, elle reste
notamment un des motifs du déploiement militaire français
On dénombre près de 200 000 expatriés sur l’ensemble du continent africain,
soit 15% des Français établis hors de France ; 98 000 d’entre eux vivent en Afrique du
Nord, plus de 100 000 au sud du Sahara.
Répartition des Français établis en Afrique
inscrits 2012 Variation 1984/2012
Afrique du Nord 98 090 + 39%
Afrique francophone 117 378 ‐ 20%
Afrique non francophone 18 796 + 49%
Total Afrique 234 264 + 2%
Plus de 86% des Français installés en Afrique subsaharienne vivent dans des
pays francophones, soit quelque 117 378 en 2012, principalement au Sénégal, à
Madagascar ou en Côte d’Ivoire.
CHAPITRE 3 : - 239 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Les Français d’Afrique francophone
représentent 86% des Français d’Afrique subsaharienne
C’est là la marque de notre héritage historique : la proximité linguistique et la
tradition d’expatriation dans ces anciennes colonies expliquent encore aujourd’hui
notre présence sur le continent, même si notre nombre est en diminution.
Pour les Français expatriés, l’Afrique reste encore l’Afrique francophone,
l’Afrique du pré carré, l’Afrique des colonies.
L’installation dans les pays anglophones est limitée à 18 000 inscrits, soit 13%
des inscrits d’Afrique subsaharienne et 8% du total sur l’ensemble du continent, mais
elle ne cesse d’augmenter depuis les années 1980, notamment en Afrique du sud.
Cet intérêt pour l’Afrique australe reflète l’attractivité économique de cette
sous‐région, des pays comme le Nigeria étant de grands producteurs d’hydrocarbures.
Qui sont ces Français d’Afrique ?
Ils ont des profils extrêmement diversifiés allant du retraité de Cap Skirring au
travailleur humanitaire, en passant par les cadres expatriés des grands groupes
français, les agents français des ambassades et de leurs démembrements.
Au fil des décennies qui ont suivi les indépendances, les communautés
françaises se sont profondément transformées. À la période faste des « années
coopérants » a succédé, à partir de la fin des années 1980, celle du reflux.
Le nombre des Français d'Afrique a désormais rejoint le niveau de 1985.
Les cadres expatriés du privé comme les agents publics forment encore les
bataillons les plus visibles de la France d’Afrique qui vivent confortablement. Comme
le dit joliment un article de «Jeune Afrique1 »: « Ils ont leur figure de proue
‐l'ambassadeur‐, leur rituel –le 14 Juillet dans les jardins de la chancellerie–, ils
remplissent les avions d'Air France en période de départs en vacances, n'intéressent les
médias que lorsque l'armée les évacue, et les politiciens quand une élection
présidentielle pointe à l'horizon ».
Ces Français expatriés en Afrique côtoient des Français dont la situation est
moins confortable et plus précaire. Beaucoup de contrats d’expatriation ont fait place
à des contrats dits locaux nettement moins avantageux. Certains concitoyens arrivent
en Afrique sans emploi et parfois sans billet retour, d’autres, en délicatesse avec la
République, cherchent ici l’occasion de refaire leur vie. « On voit arriver de tout », nous
a dit le Consul général à Abidjan, « des aventuriers, des retraités attirés par la
possibilité d’un pouvoir d’achat plus confortable, des couples mixtes qui se font et se
défont, des hommes âgés attirés par les perspectives plus ou moins fondées d’une
nouvelle vie sentimentale… l’aventure laisse parfois place à la misère et à la
désillusion ».
Certains, présents depuis des décennies, se sont pleinement intégrés à la vie
africaine au point de ne plus vouloir revenir en France. Ces Français « boucanés » que
l’on croise dans les maquis n’ont plus de famille, plus de maison, plus de lien avec la
France, ce qui rend leur rapatriement en cas de crise particulièrement douloureux, à
cette différence près que plus de la moitié d’entre eux sont désormais des binationaux.
Des profils extrêmement diversifiés
Comme nous avons pu le constater en Côte d'Ivoire où les résidents français
d'Abidjan ou de Bouaké sont désormais en majorité des doubles nationaux, l’évolution
majeure de ces dernières décennies est l’augmentation de la proportion de
binationaux qui sont désormais, dans l’ensemble des pays d’Afrique subsaharienne,
majoritaire.
Certains, naturalisés français à l'occasion d'un long séjour dans l'Hexagone,
ont finalement choisi de revenir, en famille en Afrique. D'autres, à partir d'un mariage
mixte, ont pu satisfaire aux formalités de naturalisation simplifiées mises en place en
1973. Il n'est guère que l'Afrique non francophone où les doubles nationaux français
ne sont pas majoritaires, par déficit, sans doute, d'un passé commun avec la «
métropole ».
Pour la première fois, les Français d'Afrique ne sont plus majoritairement des
expatriés, mais des citoyens du pays où ils vivent, des métis franco‐africains. Ce
métissage en Afrique comme en France est un des éléments structurants qui font que
pour les générations à venir, pour les descendants de ces franco‐africains, le lien avec
l’Afrique perdurer. Comme nous l’a dit le père d’une descendance franco‐
camerounaise : « l’Afrique ne nous quittera plus ».
Comme le souligne l’article précité de Jeune Afrique « À condition que la
France officielle sache la saisir, c'est une vraie chance pour refonder sa relation avec le
continent. ».
Chacune à leur façon, ces différentes communautés participent à ce lien
particulier de la France avec l’Afrique.
L’ensemble de ces concitoyens est aujourd’hui exposé aux troubles politiques
et sociaux qui secouent le continent.
La protection et le rapatriement des ressortissants
français et européens : une contrainte forte de la politique africaine
Une des préoccupations majeures de la politique africaine est de protéger ces
ressortissants et d’assurer le cas échéant leur rapatriement en cas de crise si l’État qui
les abrite n’est plus en mesure d’assurer leur sécurité.
On se souvient notamment de l’évacuation des Français de Côte d’Ivoire au
printemps 2011 : la crise postélectorale avait engendré un climat d’insécurité pour les
ressortissants français, victimes de pillages et d’agressions. Les autorités diplomatiques
françaises ont donc décidé l’évacuation des expatriés, mise en œuvre avec la
coopération du personnel de l’opération Licorne.
L’efficacité de notre système de rapatriement a permis à cette occasion
l’évacuation de 8 000 personnes. La France a joué le rôle de pays‐pilote pour
l’évacuation des étrangers de Côte d’Ivoire et a garanti, à ce titre, la protection des
CHAPITRE 3 : - 241 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
ressortissants européens et libanais. Elle a également procédé au sauvetage de
l’ambassadeur du Japon, assiégé dans sa résidence à Abidjan.
Ce savoir‐faire ainsi que notre présence militaire dans ces pays font de la
France le pays‐pilote pour l’ensemble des ressortissants des pays‐membres de l’Union
Européenne au Cameroun, en République centrafricaine, au Tchad, aux Comores, à
Djibouti, en Guinée‐Bissau (conjointement avec le Sénégal), à Madagascar, au Maroc
(conjointement avec l’Espagne), au Sénégal et au Togo.
La sécurité de nos ressortissants ainsi que celle de nos partenaires européens
est donc l’un des éléments structurants de notre diplomatie africaine et l’une des
justifications des implantations militaires françaises qui permettent notamment de
sécuriser, voire de prendre le contrôle, le cas échéant, d’un aéroport pour assurer
l’évacuation vers la métropole.
Cet objectif de protection est d’autant plus important dans le contexte actuel
de recrudescence du terrorisme en Afrique occidentale.
La France en Afrique : une des cibles privilégiées
des attaques terroristes et des tentatives d’enlèvement
Notre pays détient un triste palmarès en matière de prises d’otages : depuis
1997, 94 Français ont été pris en otage en Afrique, contre 48 pour les autres
nationalités. Le développement de ce mode d’action s’explique par l’intérêt financier
évident que représente la demande de rançon pour ces réseaux.
Depuis les années 2000, des dizaines de millions d’euros ont été versés pour
la libération de ressortissants occidentaux en Afrique. Le procédé a enrichi
considérablement les organisations terroristes et par effet de ricochet a contribué à
accroître leurs moyens.
C’est pourquoi l’État français a décidé de ne plus verser ces rançons. Ce choix
politique inévitable rend la situation des otages plus que délicate au moment où la
France devient l’une des cibles privilégiées des attaques terroristes en Afrique comme
les djihadistes l’ont montré, suite à l’intervention française au Mali, quand AQMI a
appelé en mai 2013 à attaquer les intérêts français « partout dans le monde » en
réponse à l’opération Serval.
La multiplication des tentatives d’attentat contre nos ambassades, comme ce
fut le cas à Nouakchott en février 2011, illustre par ailleurs l’exposition accrue de notre
pays à de telles attaques.
Les Français d’Afrique subsaharienne ne constituent que 8% des Français de
l’étranger, mais ces 8% sont sans doute les Français les plus exposés aux risques
d’enlèvement comme en témoignent les cartes du Quai d’Orsay des zones « rouges »,
fortement déconseillées, dans les fiches « Conseils aux voyageurs » du ministère des
affaires étrangères.
La France en Afrique de l’Ouest est aujourd’hui particulièrement exposée.
- 242 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Cette recrudescence des risques pose la question du maintien de la présence
de ces Français, notamment des coopérants. Elle pose aussi le problème du maintien
des activités touristiques à destination des français dans certains endroits : ces
activités sont vitales pour l’économie, mais la montée des menaces doit être prise en
compte. Enfin, elle pose la question de la permanence d’une expertise scientifique
dans ces régions, si le séjour y reste durablement déconseillé.
Afin de protéger au mieux nos ressortissants et notre présence en Afrique, le
Quai d’Orsay a mis en place un dispositif de sécurité accru dans les zones à risques et a
adapté nos dispositifs à l’évolution rapide de ce type de menaces.
Un triste palmarès : les Français : le
plus grand nombre d’otages occidentaux
La formation et le recrutement des gardes de sécurité des ambassades
françaises en Afrique est de ce fait en pleine restructuration. Des programmes de
formation des ressortissants aux réflexes de sûreté se développent. Les entreprises
implantées dans les zones africaines particulièrement exposées à ce type d’attaque ont
également pris des mesures en lien avec le centre de crise du Ministère des affaires
étrangères.
La montée du terrorisme sur le continent concerne particulièrement l’Afrique
de l’Ouest, où se trouve la majorité de nos expatriés à l’échelle régionale, mais
également l’Afrique de l’est comme l’illustre la récente prise d’otage à Naïrobi.
La multiplication des attentats et des prises d’otages rend cependant difficile
la protection de plus de 100 000 ressortissants qui sont libres de leurs mouvements.
Les relations entre la France et l’Afrique sont aujourd’hui en partie
conditionnées par cet impératif sécuritaire qui rend illusoire tout désengagement de la
France dans cette zone.
CHAPITRE 3 : - 243 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
4. Des intérêts économiques et stratégiques circonscrits
En 2010, la France a dégagé un excédent commercial de quelque 3,2 milliards
d’euros (selon l’INSEE) et était encore le deuxième fournisseur du continent en 2010.
En 2011, le continent africain représentait 17% des exportations françaises et
13% de nos importations.
Nous importons principalement des hydrocarbures et des combustibles
nucléaires depuis l’Afrique.
Les importations en pétrole brut et en gaz naturel représentent en effet près
de 55% de l’ensemble des importations en provenance de l’Afrique pour l’année 2011.
Nos principaux fournisseurs dans ce domaine en Afrique subsaharienne sont
l’Angola et le Nigeria. Nous importons également des fruits tropicaux et du cacao
depuis les pays d’Afrique de l’Ouest.
La France exporte principalement des produits de haute technologie
(aéronautique, pharmacie) qui lui permettent de rester compétitive sur le continent.
Ainsi, malgré la concurrence de la Chine, la part de marché de l’aéronautique
français en Afrique a progressé de 21.7 points entre 2000 et 2010, notamment grâce à
la vente d’Airbus en direction de l’Afrique du Sud. Le solde positif avec ce dernier de
plus de 1,3 milliard d’euros, est le 4e excédent avec un pays émergent ou proto
émergent après l’Australie, l’Arabie Saoudite et Singapour
Nous sommes également les premiers fournisseurs de l’Afrique en céréales.
La grande similitude que l’on constate entre les cartes des exportations et
des importations françaises s’explique par le fait que nous exportons également
beaucoup de matériel permettant l’exploration de puits pétroliers ou de gaz naturel
- 244 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
afin de pouvoir ensuite importer ces hydrocarbures. Ces exportations sont faites en
direction des filiales des firmes françaises sur le continent.
Les marchés africains semblent donc porteurs pour les firmes françaises qui,
comme leurs homologues étrangères, essaient de profiter de la croissance africaine et
notamment des investissements massifs effectués ces dernières années en matière
d’infrastructures ainsi que de l’augmentation de la consommation des ménages,
comme en témoigne la signature récente entre Carrefour et CFAO d'un protocole
d'accord visant à constituer une société commune pour développer différents formats
de magasins dans huit pays d'Afrique : le Cameroun, le Congo, la Côte d'Ivoire, le
Gabon, le Ghana, le Nigeria, la République démocratique du Congo et le Sénégal.
CHAPITRE 3 : - 245 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Si ces firmes bénéficiaient de certains appuis directs de l’État, comme l’aide
liée qui leur a permis d’accéder à certains contrats africains dans les domaines du
bâtiment et des travaux publics (Bouygues, Dumez), mais aussi dans les secteurs de
l’eau et de l’électricité (Électricité de France, Lyonnaise des eaux, Vivendi) jusqu’à la fin
des années 1990, ce n’est plus le cas aujourd’hui dans la mesure où la France a délié la
quasi intégralité de sa coopération dans le cadre de l’OCDE .
Les entreprises françaises bénéficient cependant des avantages de la
monnaie unique dans la zone Franc, de la politique de coopération monétaire ainsi que
du soutien de la Compagnie française d'assurance du commerce extérieur (Coface) qui
garantit les risques des exportateurs français, et des réseaux français. A titre
d’exemple, la Banque nationale de Paris, la Société générale et le Crédit Lyonnais
représentent à elles seules 70% du chiffre d’affaires des banques de la zone franc.
Cette zone concentre également 731 filiales d’entreprises françaises.
En termes de flux d’investissement, l’Afrique subsaharienne représente un
peu moins de 5 milliards par an, majoritairement au Gabon, au Cameroun, en Côte
d’Ivoire, au Congo, au Nigeria et en Angola.
L’analyse sectorielle de ces investissements montre que c’est l’exploitation
d’hydrocarbures qui concentre la majorité de nos intérêts économiques en Afrique
aussi bien en matière d’investissement direct ‐c’est ainsi que s’explique le niveau de
ces investissements en Angola et au Nigeria‐ qu’en termes d’échanges puisque 25% de
nos importations en pétrole brut provenaient du continent africain en 2011.
- 246 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Total est ainsi présent dans 50 pays africains par le biais de ses filiales de
distribution et d’exploration. Le groupe a investi massivement sur le continent,
notamment en Angola et au Nigeria.
« L’Afrique représente pour le groupe 31% de sa production, 28% de ses
réserves et la moitié du potentiel d’exploration du Groupe » nous a dit Jacques
Marraud des Grottes, Directeur Afrique TOTAL Exploration‐Production. Ainsi 45 000
personnes travaillent chaque jour sur les installations du groupe en Afrique, en
incluant le personnel des sociétés de services : un poids qui est amené à croître avec la
découverte de nouveaux bassins de gisement au Soudan, au Ghana, en Ouganda, et en
Mozambique. Si 50% du potentiel d’exploration conventionnel est situé dans le Golfe
de Guinée, Total diversifie ses implantations passant de 11 pays à 18 en 2 ans, comme
l’illustre la carte ci‐après.
Mais la concurrence est de plus en plus vive, notamment avec des entreprises
occidentales ENI, Exxon, Chevron, Shell, BP, Statoil, mais aussi de façon croissante avec
de nouveaux acteurs dont les entreprises chinoises telles que China National
Petroleum Corporation, Chinese National Off‐shore Company et PetroChina.
CHAPITRE 3 : - 247 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Le renouveau de la carte pétrolière de Total
La France est également présente dans l’exploitation d’uranium en Afrique,
bien qu’elle possède d’importantes réserves pour son usage civil. Elle est en particulier
dépendante des seules mines du Niger pour son approvisionnement en uranium à
usage stratégique militaire.
L’enjeu de la politique économique de la France en Afrique est donc, entre
autres, d’assurer un accès sécurisé aux ressources énergétiques et minières dont elle a
besoin.
La création du Comité pour les Métaux Stratégiques (COMES) en 2011, qui
avait notamment pour objet de réfléchir à la sécurisation de l’accès des industries
françaises aux ressources en métaux, illustre la volonté des pouvoirs publics de mieux
coordonner la politique minière en Afrique.
Dans ce secteur la France est présente en Afrique à travers le groupe français
ERAMET, leader mondial de l’exploitation des métaux d’alliage. Afin de maximiser sa
présence et son exploitation des ressources africaines, ERAMET a pris part à 46% dans
le groupe gabonais COMILOG (spécialiste de ferromanganèse) en 1995. Sa filiale, TIZIR,
issue de l’association d’ERAMET et de l’australien Mineral Deposits Limited est
également devenue l’opérateur principal du projet Grande Côte au Sénégal. Ces
alliances avec des entreprises locales ou potentiellement concurrentes a permis à
ERAMET de sécuriser son approvisionnement en minerai de titane et de conserver son
rang de leader international.
La présence française en Afrique est importante mais finalement circonscrite
à la fois sur les plans géographique et sectoriel. Elle est encore massive et diversifiée
- 248 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
en Afrique francophone, notamment en Afrique de l’Ouest et à Madagascar. Ailleurs,
elle est encore très concentrée autour des importations pétrolières et de l’exploitation
d’uranium et de minerais.
5. Une coopération au développement majeur
La tradition de la coopération française en faveur du développement est
née pendant la colonisation et a pris son essor lors de la décolonisation. L’Afrique
en constitue le cœur à tel point que longtemps la « Coop », le ministère de la
coopération, était de facto le ministère des affaires africaines et malgaches.
50 ans après les indépendances, la « Coop » a disparu ; le ministère de la
rue Monsieur a vécu, notre coopération au développement s’est émancipée des
« pays du champ » pour embrasser l’ensemble des pays en développement y
compris les pays émergents. Son action s’est diversifiée pour englober l’ensemble
des enjeux de la mondialisation, y compris le réchauffement climatique ; une partie
de son budget a été déléguée à des organismes européens ou multilatéraux dont le
champ géographique d’intervention ne se réduit pas au continent noir.
Et pourtant l’Afrique en demeure la priorité. Le Comité interministériel de
la coopération internationale et du développement du 31 juillet 2013 l’a redit :
« Les pays d’Afrique subsaharienne demeurent la priorité de la France »
Pilotée conjointement par le ministère des affaires étrangères et celui des
finances, la coopération française mobilise la très grande majorité de ses moyens
bilatéraux en faveur du continent africain et encourage la programmation des
institutions communautaires et multilatérales à se concentrer sur ce continent.
Répartition par donateurs de l’APD à destination de l’Afrique
CHAPITRE 3 : - 249 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
« Notre coopération a changé de visage, découvert de nouveaux horizons,
mais elle reste encore essentiellement africaine » nous a dit Jean‐Marc Châtaigner,
Directeur général adjoint de la Mondialisation, du développement et des
partenariats auprès du ministère des Affaires étrangères.
Quatrième contributrice mondiale de l’aide au développement,
représentant à elle seule 10% de l’aide mondiale, la France mobilise toute une
gamme d’instruments ‐ dons, aides budgétaires, prêts bonifiés ou non, souverains
et non souverains, prises de participation, garanties et autres financements
innovants sur le continent africain.
Elle est le deuxième contributeur d’aide au développement de l’Afrique
après les États‐Unis, avec un montant moyen de 4 milliards de dollars d’aide à
l’Afrique subsaharienne de 2009 à 2011.
Sur la période 1998‐2010, l’Afrique subsaharienne a été ainsi à la fois le
premier bénéficiaire de l’Aide Publique au Développement française, en volume ou en
proportion du total, et le premier destinataire de l’accroissement de cette aide
observé depuis le début des années 2000.
Évolution de la part relative de l’aide publique au développement française
en Afrique subsaharienne
50%
44%
45% 41%
40%
35% 33%
30%
25%
20% 19% 17%
15%15%
15% 12%
10% 9%
10% 7% 8% 7%
6% 5% 7%
5% 6% 6% 5% 5% 5% 4%
5% 3% 3% 1% 2%
0%
Sud Sahar a Asie du Sud et Moyen-Or ient Extr ême Eur ope Amér ique du Amér ique du Nor d Sahar a Océanie
centr ale Or ient Nor d et Sud
centr ale
Pour Anne Paugam, directrice général de l’AFD, « Les pays d’Afrique
subsaharienne bénéficient ainsi d’un accès privilégié aux instruments les plus
concessionnels de l’AFD (subventions et prêts très concessionnels), ce qui se traduit par
une part relative plus importante de ces pays dans l’effort budgétaire. Nous sommes
presque à 70% des ressources financières allouées par l’Etat en 2010 à l’agence. »
Afin de renforcer cette concentration, le dernier Comité Interministériel
de la Coopération internationale et du Développement (CICID) de juillet 2013, en
présence de 15 ministres, a décidé qu’à partir de 2014, la France consacrera la
moitié de ses dons et les deux tiers de ceux de l’AFD vers les pays pauvres
prioritaires (PPP). 85% de l’effort financier en faveur du développement seront
dirigés vers les pays de l’Afrique subsaharienne et les pays voisins du sud et de l’est
de la Méditerranée.
La coopération française en Afrique se développe à la fois sous la forme de
soutien de projets par des prêts, des dons ou des garanties, ‐essentiellement gérés par
l’AFD qui est en charge de 80% des crédits, le reste étant géré par les Conseillers de
Coopération et d’Action Culturelle‐, de coopération technique, mais également de
soutien macro‐économique qui comprend le processus d’annulation de dettes ainsi
que la mise en place d’une aide budgétaire.
Par rapport aux autres pays, la France dispose d’une palette particulièrement
variée d’instruments d’intervention.
Sur la plan macro‐économique, comme l’a fait observer M. Ramon
Fernandez, Directeur général du Trésor : « La France a joué un rôle central dans
l’initiative Pays Pauvres Très Endettés (PPTE), mise en place par le club de Paris dont
elle est le premier contributeur. Nous avons joué un rôle tout à fait positif dans le
rétablissement de la situation macro‐économique des pays africains ».
Une large palette d’instruments
financiers : de l’annulation de dette au microprojet
Ce procédé a permis à de nombreux États africains de bénéficier d’un
allègement de dettes considérable afin d’obtenir une marge de manœuvre budgétaire
dans le but de lutter contre la pauvreté. Ce procédé a conduit à la réduction des ratios
de dettes de près de 90%. Parmi les 39 pays éligibles, 32 sont africains, ce qui confirme
l’importance du continent dans nos programmes de coopération.
La France a également mis en œuvre une procédure spécifique d’annulation à
100% de ses créances APD, connu sous le nom de Contrat de désendettement et de
développement (C2D). Par ce biais, la France annule la dette APD contre l’engagement
de l’État bénéficiaire d’orienter ses dépenses vers des secteurs prioritaires.
Le C2D est un outil de gouvernance budgétaire pour notre pays, qui a
conclu ce type de contrat avec la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Ghana, la Guinée,
Madagascar, la Mauritanie, le Mozambique, le Rwanda, le Burundi, le Congo, le Malawi
et la Tanzanie. Nous avons pu constater en Côte d’Ivoire, qui a commencé à recevoir
les fruits d’un C2D de plus de 2,8 milliards d’euros, le caractère structurant de ce
processus qui constituera pour les dix années à venir notre principal outil de
CHAPITRE 3 : - 251 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
coopération avec ce pays dont le rôle économique est essentiel pour l’avenir de
l’Afrique de l’Ouest.
Au total, la France a contribué à hauteur de 21 milliards d’euros à cette
initiative PPTE, dont environ 9 milliards d’euros dans le cadre du Club de Paris et
12 milliards d’euros dans le cadre de son effort bilatéral additionnel.
Principaux bénéficiaires du traitement de la dette par la France
pour la période 1998‐2010 (en millions de dollars US)
4 000
3 450
3 500
3 000 2 629
2 500 2 215
2 000
1 591
1 500 1 350
1 000
543 525 460
500 315 260
0
Niger ia Congo, Rép. Côte d'Ivoir e Congo, Rép. Camer oun Sénégal Madagascar Mozambique Niger Liber ia
dém.
1
La zone franc qui regroupe trois ensembles distincts dotés chacun d’une monnaie propre : les huit
États d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte‐d'Ivoire, Guinée‐Bissau, Mali, Niger, Sénégal et
Togo) membres de l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest (UEMOA), les six États
d’Afrique centrale (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée Équatoriale et Tchad)
appartenant à la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC) et les
Comores.
- 252 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
La finalité première de cette coopération monétaire est de garantir des
unions monétaires, autrement dit les monnaies uniques africaines que sont le franc de
la Communauté financière africaine, le franc de la Coopération financière en Afrique
centrale et le franc comorien.
Par ailleurs, les mécanismes de la Zone franc fournissent un certain nombre
de protections et de garde‐fous aux partenaires africains de la France.
Ces dispositifs ont été très appréciables lors de la récente crise financière
mondiale, qui a moins touché la Zone franc que le reste de l’Afrique subsaharienne. En
garantissant la fixité du taux de change, les accords de coopération monétaire
renforcent la crédibilité de la politique de stabilité monétaire, et par là même, son
efficacité. L’inflation moyenne des pays de la Zone franc a été contenue en‐deçà de 3%
ces dernières années, sauf en 2011 en UEMOA (notamment sous l’impact de la crise
ivoirienne) et en 2012 en CEMAC alors que l’inflation nigériane ou ghanéenne est par
exemple supérieure à 10%.
L’expression de cette solidarité contribue à atténuer les effets des crises,
économiques ou politiques, comme à faciliter les rebonds en sortie de crise. Les
exemples ivoirien et malien nous le montrent. La mise en commun des réserves de
change a permis de résorber le déficit des balances des paiements. La définition au
niveau régional de la politique monétaire garantie par la France a permis de contenir
les tensions inflationnistes et d’éviter d’ajouter le fléau de la perte de valeur à celui de
la guerre. Au total, la récession ivoirienne en 2011 a été limitée à un recul de 4,5% du
PIB pour un taux d’inflation de 4,9%. Au Mali en 2012, la récession a été limitée à un
recul de 1,2% du PIB et l’inflation contenue à 5,8%.
La zone Franc décriée politiquement a, d’un point de vue
économique, contribué à la lutte contre l’inflation et favorisé l’intégration régionale.
La Zone franc a permis aux pays membres de l’UEMOA et de la CEMAC de
jeter les bases de l’intégration et de la solidarité régionales, indispensables pour
accroître leur potentiel de croissance et améliorer leur résilience aux chocs extérieurs.
Dans ce cadre, la France soutient financièrement les banques de
développement de ces deux sous‐régions que sont la BOAD (banque ouest‐africaine de
développement) et la BDEAC (banque de développement des États de l’Afrique
centrale) et apporte chaque année une aide budgétaire globale pour financer des
projets d’intégration régionale.
La Zone Franc constitue enfin une enceinte privilégiée de dialogue avec la
tenue semestrielle d’une réunion des ministres des finances des pays membres.
Au‐delà des aspects financiers, l’essentiel de la coopération française en
Afrique passe par la réalisation de projets via l’Agence française de développement
(AFD) et sa filiale dédiée au développement du secteur privé, PROPARCO.
A l’issue des réformes de 1998 et de 2004 qui ont entraîné l’intégration de la
coopération au sein du quai d’Orsay et le transfert de compétences de ce dernier vers
l’AFD, l’Agence est devenue l’acteur central de la coopération française en Afrique.
CHAPITRE 3 : - 253 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Comme l’a souligné la commission des affaires étrangères et de la défense du
Sénat dans un rapport intitulé : « L’AFD, fer de lance de la coopération française »1,
l’agence n’est plus seulement le banquier du développement africain, elle est devenue
l’acteur pivot de notre coopération contribuant à la mise en œuvre de cette politique
mais aussi à sa conception. ».
Le contrat d’objectifs et de moyens de l’AFD de 2010, pour une durée de trois
ans, impose à l’AFD de consacrer 60% de l'effort financier de l'État (subventions, coût‐
État des prêts, C2D, ABG) à l'ensemble de l'Afrique subsaharienne, 50% des dons
(subventions et ABG) aux pays pauvres prioritaires et au sein des dons aux pays
pauvres prioritaires, 50 % aux pays sahéliens (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger,
Sénégal, Tchad).
Dans la pratique, en 2012, le résultat est supérieur puisque que 68%, soit
1,6 milliard d’euros d’autorisations de financement, ont été consacrés à l’Afrique
subsaharienne.
Le groupe AFD intervient à la fois en faveur des États, mais aussi des secteurs
privé et parapublic et illustre ainsi une conception française de la coopération visant la
responsabilisation économique et financière des pays partenaires et
l’accompagnement progressif de l’État dans le processus de développement.
En 2012, l’AFD a autorisé 1,6 milliard
de financement en Afrique subsaharienne.
L’AFD gère également un fonds FISEA, destiné spécifiquement à l’Afrique.
Créé en 2009, FISEA a pour objectif de financer 50 millions d’euros de projets par an
pendant cinq ans, en intervenant directement en prises de participation auprès de
PME africaines, ou par l’intermédiaire de fonds d’investissement en Afrique, illustrant
en cela la conviction que c’est par la promotion de la croissance et par le secteur privé
que l’Afrique pourra sortir de la pauvreté.
Lors du discours du Cap en février 2008, le Chef de l’État français, alors
M. Nicolas Sarkozy, a indiqué que le total des engagements financiers français
bilatéraux pour l’Afrique subsaharienne s’élèverait à 10 milliards d’euros sur les cinq
prochaines années.
L’engagement dépasse le seul cadre de l’APD pour inclure les 2,5 milliards
annoncés dans le cadre du soutien à l’initiative privée, dont des garanties et
participations.
Un pari gagné qui mérite d’être souligné dans une période où on n’est plus
enclin à dénoncer les engagements sans lendemain.
L’activité du Groupe AFD en Afrique subsaharienne a effet connu une forte
croissance, pour atteindre plus de 2 milliards d’euros d’engagements en 2012, soit
29 % de l’activité du Groupe dans les États étrangers.
1
Rapport d'information de MM. Christian CAMBON et André VANTOMME, fait au nom de la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, n° 497 (2010‐2011) ‐ 6 mai
2011 http://www.senat.fr/notice‐rapport/2010/r10‐497‐notice.html
- 254 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
L’AFD a multiplié par trois ses engagements en Afrique subsaharienne depuis
2005.
PROPARCO a participé activement, aux côtés de l’AFD, à la mise en œuvre de
l’initiative du Cap dans sa composante de soutien au secteur privé qui a mobilisé sur la
période 2,5 milliards d’euros au bénéfice de 2 000 entreprises, avec à terme la création
de plus de 300 000 emplois et une mobilisation de financements complémentaires
auprès des investisseurs de plus de 8 milliards.
Ainsi sur la période 2008‐2012, sur la base de prévisions pour 2011 et 2012,
l’activité cumulée du groupe AFD devrait permettre de dépasser l’objectif fixé de
10 milliards d’euros avec une très nette progression des engagements en Afrique
anglophone.
Prévisions d’activité du Groupe AFD sur l’Afrique subsaharienne 2008 – 2012
(en milliards d’euros)
Fer de lance de la coopération française en Afrique, l’AFD a
également été le moteur de la présence française dans les pays anglophones.
Comme le dit Jean‐Michel Severino, ancien DG de l’AFD, « la visibilité de la
France dans des pays comme le Kenya a été considérablement renforcée par l’AFD ».
Avec des prêts peu bonifiés, l’AFD apporte un savoir‐faire qui assure à la France un
partenariat durable avec les pays de l’est de l’Afrique où nous étions peu présents.
Ainsi, en Afrique du Sud, nous avons pu constater qu’historiquement peu
présente dans la région, la France y apparaît aujourd’hui comme l’un des premiers
bailleurs étrangers grâce à la croissance des engagements de l’Agence Française de
Développement (AFD) depuis 2009.
Le Document cadre de Partenariat (DCP) signé en mars 2011, prévoyait un
milliard d’euros d’engagements français pour 2011‐2013, orienté en priorité vers les
infrastructures de base (notamment eau, transports, énergie), afin de réduire les
inégalités structurelles résultant d’un demi‐siècle de développement séparé.
Les interventions de l’AFD selon les zones linguistiques
Engagements en millions d’euros 2010 2011 2012 Total en pourcentage
Pays anglophones 1 085 825 560 2 471 47%
Pays francophones 456 1 330 918 2 705 51%
Pays lusophones 15 65 50 130 2%
Total 1 557 2 221 1 529 5 307 100%
CHAPITRE 3 : - 255 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
En matière de coopération multilatérale, la France s’est également fixé une
priorité africaine en essayant, grâce au poids de ses contributions, d’orienter les
moyens des bailleurs multilatéraux vers l’Afrique.
Deuxième contributeur de l’aide au développement européen, 5e actionnaire
de la Banque mondiale et 4e de la Banque Africaine de Développement, la France
possède un pouvoir d’influence notable dans les négociations multi‐bailleurs.
Cette position stratégique au cœur de la coopération multilatérale lui permet
de promouvoir notre priorité africaine.
Le niveau élevé de financement du FED (Fonds européen de Développement)
et les interventions de la BEI (Banque européenne d’Investissement) apportent une
contribution majeure à la coopération avec l’Afrique, notamment sur les aspects
d’ouverture aux échanges ou d’appui au secteur productif.
La France travaille avec ses partenaires à l’adaptation des instruments
financiers européens. Elle soutient le développement des activités de la BEI dans la
région, en collaboration avec les banques africaines et les agences bilatérales
européennes.
La France soutient également la Banque africaine de développement, dont les
interventions sont recentrées sur un éventail de priorités sectorielles ciblées :
infrastructures, secteur privé, gouvernance, États fragiles et intégration régionale,
permettant un effet de levier sur ces priorités ; sur le plan géographique, les
interventions du groupe rejoignent la volonté de concentration de la France, les
quatorze pays pauvres prioritaires étant éligibles à son guichet concessionnel, le fonds
africain de développement.
En tant que cinquième contributeur de la Banque mondiale, premier fonds
concessionnel mondial, la France veille également à ce qu’une part majoritaire des
ressources subventionnées soit affectée à l’Afrique subsaharienne.
La France pèse de tout son poids dans les instances des
banques multilatérales pour orienter les financements vers l’Afrique.
Globalement d’après les chiffres communiqués au Parlement, plus de 55%
des ressources subventionnées des banques multilatérales de développement et des
fonds multilatéraux auxquels la France contribue, sont affectés à l'Afrique
subsaharienne et 54% sur les PMA.
Ces chiffres relativement positifs laissent à penser que la stratégie française
d'investissement dans les fonds multilatéraux afin d'orienter leur programmation vers
l'Afrique porte ses fruits, même si le niveau de développement de nombre de pays
africains en fait naturellement des cibles de la solidarité internationale.
Or la priorité française pour l’Afrique francophone n’est pas partagée par
l’ensemble des actionnaires de la Banque mondiale. D’une part, certains actionnaires
comme les États‐Unis n’ont pas cette proximité géographique avec l’Afrique et
s’orientent plus volontiers vers l’Amérique du Sud. D’autre part, même des
- 256 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
actionnaires européens comme l’Allemagne ou la Grande‐Bretagne peuvent avoir des
préférences pour d’autres régions comme les Balkans ou l’Afrique anglophone.
Le tropisme africain de la France joue donc son rôle.
Part des ressources subventionnées des banques multilatérales de développement et des fonds
multilatéraux qui sont affectées aux zones géographiques prioritaires en %
2011 2011
2009 2010 2012 2013
Unité Prévision Prévision
Réalisation Réalisation Prévision Cible
PAP 2011 actualisée
Malgré une diversification de centres d’intérêt de la coopération française
avec la suppression d’un ministère de plein exercice qui lui était dédié, l’Afrique
subsaharienne demeure dans les discours, comme dans les faits, la priorité de l’aide au
développement française avec une palette très large d’instruments qui interviennent
aussi bien au niveau macro‐économique que dans le financement de micro‐projets.
6. Le premier partenaire militaire de l’Afrique
Sur le plan militaire, l’opération SERVAL est venue rappeler avec force à
l’opinion publique française et internationale que la France disposait d’une présence
sans équivalent en Afrique.
« Vous étiez la seule nation occidentale à être capable d’intervenir sur le
terrain malien comme vous l’avez fait » nous a dit M. Michael Battle, ambassadeur des
États Unis auprès de l’Union africaine, « non seulement vous avez des bases qui vous
permettent d’intervenir en premier sans délai à la demande d’assistance d’un pays ami,
mais vous avez des soldats aguerris à la réalité africaine. »
Dans la décennie précédente, les deux guerres d’Irak et le conflit afghan
avaient conduit à considérer, sous l’influence intellectuelle de la guerre contre le
terrorisme de l’administration Bush, que l’effort de défense français devait se
positionner sur un « arc de crise » allant du Golfe de Guinée jusqu’à l’Afghanistan.
Le conflit malien est venu rappeler que les intérêts français étaient d’abord
en Afrique, là où sont nos ressortissants, là où est notre histoire, là où sont nos
intérêts. Il a permis à chacun de prendre conscience que l’Afrique est le continent où la
France joue encore un rôle militaire majeur qui lui vaut la réputation de «gendarme du
continent ».
Si la France s’interroge depuis 15 ans sur le sens de sa relation avec les pays
africains et sur ses modalités, elle y maintient une présence sans équivalent parmi les
pays occidentaux avec plus de la moitié de ses forces militaires hors hexagone et un
coût budgétaire qui avoisine le milliard d’euros annuel.
Cet investissement a pour contrepartie une influence politique sans
équivalent. Comme nous l’ont dit la plupart de nos interlocuteurs rencontrés sur le
CHAPITRE 3 : - 257 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
continent : « Les Africains savent maintenant, s’ils en doutaient, que lorsqu’il y a des
problèmes, la France ne se défausse pas et sait venir à leur secours »
Pour le Général Didier Castres, sous‐chef d’état‐major « opérations » au
ministère de la défense, « l’Afrique est probablement la seule zone dans laquelle nous
pouvons peser sur une crise dans ses différents volets (politique, militaire,
développement, gouvernance), mais également susciter un effet d’entraînement
diplomatique et militaire sur des partenaires européens. Des exemples récents en
témoignent, de la RCI au Mali en passant par la RCA et le Tchad. Tous nos alliés nous
reconnaissent comme étant parmi les seuls à comprendre et à connaître l’Afrique ».
Une présence permanente depuis les indépendances
Cette présence armée a un passé et un passif.
L’armée française a endossé bien des uniformes, jouant tour à tour les rôles
d’explorateur, de colonisateur, de pacificateur, de bâtisseur et de gendarme pour le
meilleur et pour le pire. Elle a ses héros, de Gallieni à Lyautey, son corps d’élite avec
les Troupes de marine, ses moments de gloire et ses drames.
Les indépendances sont loin d’avoir mis fin à ce rôle de gendarme de
l’Afrique qu’on assigne volontiers à la France.
Au lendemain de la décolonisation, la France a en effet signé une vingtaine
d’accords de défense et de coopération avec ses anciennes colonies africaines. En
vertu de ces accords, ou afin de venir en aide à ses ressortissants, l’armée française est
intervenue à près de quarante reprises sur le sol africain en l’espace d’un demi‐siècle.
Certaines opérations françaises n’ont duré que quelques jours, d’autres ont donné lieu
à des déploiements de plusieurs décennies.
Comme le disait avec ironie un général de l’armée ivoirienne : « beaucoup de
nos concitoyens n’ont jamais vu un soldat blanc qui ne soit français ».
Une trentaine d’interventions militaires françaises en Afrique depuis 1960
1961 : Opération «Bouledogue» (transformée en opération «Charrue longue») pour le
maintien de la base militaire navale de Bizerte en Tunisie.
1964 : Rétablissement du président Léon M'ba dans ses fonctions après le putsch d’une
partie de l’armée au Gabon.
1968‐1972 : Opérations «Limousin» et «Bison» contre la rébellion du Tibesti au Tchad.
L’armée française enregistre des pertes importantes. 39 tués dans les rangs français durant
l’opération «Limousin» ainsi qu’une centaine de blessés.
1977 : Opération «Verveine» en soutien au maréchal Mobutu contre la rébellion du
Shaba.
1977 : Opération «Lamentin» de l’armée de l’air contre le Front Polisario en Mauritanie,
dans le secteur du train minéralier Zouérat‐Nouadhibou».
19 mai 1978 : Opération «Léopard» ou «Bonite». Les paras du 2e REP sautent sur Kolwezi
au Zaïre et délivrent les 3 000 civils de Kolwezi, en quelques heures, des rebelles katangais du FLNC
(Front de libération national du Congo) qui faisaient régner la terreur dans la ville minière.
- 258 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Opération «Tacaud» au Tchad pour contrer l'avancée du Frolinat (Front national de
libération du Tchad) de Goukouni Oueddei (Weddeye).
1979‐1981 : Opération «Barracuda» en Centrafrique qui destitue l'empereur/président
Bokassa et replace David Dacko au pouvoir.
1983 : Opération «Manta» au Tchad : 4 000 soldats français mobilisés en soutien au
président Hissène Habré face aux rebelles de Goukouni Oueddei.
Février 1985 : les Jaguar bombardent la base aérienne libyenne de Ouadi‐Doum.
1986 : 150 parachutistes français débarquent en renfort au Togo suite à une tentative de
coup d'État contre le président Gnassingbé Eyadéma.
1989 : Opération «Oside» aux Comores après l’assassinat du président Ahmed Abdallah
et la prise de contrôle du pays par les mercenaires de Bob Denard.
1990‐1993 : Mission «Noroit» au Rwanda pour protéger le régime du président Juvénal
Habyarimana contre une attaque des rebelles du Front patriotique rwandais.
1992‐1993 : Opération «Oryx» en Somalie. L'opération sera placée ensuite sous le
commandement américain de la mission «Restore Hope».
1993 : Opération «Bajoyer» au Zaïre. Évacuation des ressortissants français. Kinshasa
connaît des émeutes initiées par les militaires.
1993 : Opération «Chimère et Volcan», formation de l’armée rwandaise.
1994 : Opération «Amaryllis». Evacuation des ressortissants européens alors que le
président Habyarimana vient d’être assassiné et que débute le génocide.
1995 : Opération «Azalée» aux Comores. Bob Denard et ses mercenaires ont renversé le
président Saïd Mohamed Djohar. L'armée française neutralise Bob Denard, le ramène en France où
il est emprisonné.
1996‐2007 : Opération «Aramis» au Cameroun, soutien de l’armée camerounaise en
lutte contre le Nigeria pour le contrôle de la presqu’île pétrolière de Bakassi.
1997 : Opération «Pélican» au Congo‐Brazzaville pour évacuer les ressortissants
étrangers durant la guerre civile.
1998 : Opération «Malachite», évacuation des ressortissants français de Kinshasa.
2002 : Début de l'opération «Licorne», force de maintien de la paix, en Côte d’Ivoire
suite à une rébellion qui menace le pouvoir du président Laurent Gbagbo. Cette intervention
précède les accords de Marcoussis entre les forces politiques ivoiriennes, en janvier 2003.
2003 : Opération européenne «Artemis» dans l’est de la RDC.
2004 : Destruction des aéronefs de l’armée ivoirienne après le bombardement de
Bouaké dans lequel 9 soldats de la force Licorne vont trouver la mort et 35 autres sont blessés.
Evacuation des ressortissants français.
2006 : Soutien à l’armée tchadienne face aux rebelles (dispositif Épervier). L’aviation
française effectue un tir de semonce devant une colonne rebelle à 250 km de Ndjamena.
2008 : Protection de l’aéroport de Ndjamena et évacuation des ressortissants français au
Tchad.
2008 : opération européenne Eufor Tchad‐RCA, dissoute en 2009
2008 : Soutien logistique à l’armée djiboutienne à la frontière érythréenne.
2008 : Début de l’opération européenne de lutte contre la piraterie «Atalante» dans le
golfe d’Aden.
CHAPITRE 3 : - 259 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
2011 : en Libye les avions français sont les premiers à bombarder les forces de
Mouammar Kadhafi en mars, après le vote de l’Organisation des Nations unies qui autorise
l’intervention en Libye pour protéger les civils pris au piège dans une rébellion contre Kadhafi.
L’OTAN a pris le commandement de la mission globale le 31 mars, qui a permis aux rebelles libyens
de vaincre les forces du gouvernement et de prendre le pouvoir.
2011 : Côte‐d’Ivoire, les forces françaises font pencher la balance aux côtés des forces de
l’ONU lors de la guerre civile qui a éclaté après le refus de Laurent Gbagbo de démissionner et
d’accepter la victoire électorale d’Alassane Ouattara comme président.
Certaines de ces interventions ont été fortement contestées dans leurs
objectifs, leurs modalités ou leurs conséquences.
Des opérations relevaient assurément de la protection de nos concitoyens,
d’autres se sont soldées par des coups de forces soit pour défendre les pouvoirs en
place, soit pour en changer les titulaires. La France a longtemps fait l’histoire, fait et
défait des chefs d’État, pour le bonheur et parfois pour le malheur des populations.
Cette histoire écrite en collaboration par des historiens français et africains devra
progressivement en donner une vision objective, sa part de lumière et d’ombre.
Cette présence militaire a un passé et un passif
Quoi qu’il en soit, ce passé explique à la fois la connaissance remarquable des
militaires français des théâtres africains et la dimension et le retentissement politique
de toute intervention militaire française sur le continent qui lui est le plus proche.
Une des singularités de la France est non seulement la fréquence de ses
interventions, mais également la permanence de sa présence physique sur le sol
africain.
Cette présence distingue la France des autres pays qui eurent ou ont encore
une politique militaire en Afrique sans pour autant y déployer des troupes.
L'autre grand colonisateur européen du continent, le Royaume‐Uni, après
une intervention militaire en Tanzanie, en 1961, en appui du président Nyerere, n’est
pas intervenu sur le continent pendant près de quarante ans. Sa coopération militaire
se limita à des actions ponctuelles de formation dispensées par les BMATTs (British
Military Advisory and Training Teams).
Les Soviétiques n'eurent jamais de forces permanentes en Afrique et,
lorsqu'ils y sont intervenus, ont préféré souvent le faire par le biais d'intermédiaires
tels que les Cubains en Angola. Quant aux Américains, qui comme les Soviétiques, ne
s'installèrent jamais durablement en Afrique durant la Guerre froide, ils ont, on l’a vu,
créé un commandement régional pour l'Afrique, Africom qui dispose d’un certain
nombre de bases, mais ils peinent à lui trouver un point de chute à tel point que son
état‐major se trouve en Allemagne !
Aujourd’hui, ce dispositif militaire français est organisé autour de 4 pôles qui
interagissent :
‐ des accords de défense ou de coopération (8 accords de défense et
16 accords de coopération),
- 260 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
‐ un réseau des attachés de défense,
‐ un dispositif de formation et de coopération dans ses deux dimensions,
coopération opérationnelle et coopération structurelle, qui permet de former chaque
année de l’ordre de 50 000 hommes,
‐ des bases de départ, d’accueil ou d’entraînement en cas de crise :
notamment les forces prépositionnées au Gabon, à Djibouti, au Sénégal avec environ
5 000 hommes, Opérations extérieures au Tchad, en Côte d’Ivoire, en RCA, et au Mali
avec environ 5 700 hommes.
L’armée française en Afrique en 2013 : 10 000 hommes, 8 bases
ou points d’appui, 52 attachés de défense, 24 accords de défense ou de coopération
pour un coût de plus d’un milliard d’euros par an
Ce maillage africain permet à la France d’avoir – autant que faire se peut –
des moyens de renseignement, d’anticipation, de prévention, de protection et
d’intervention sur l’ensemble du continent africain.
La politique de sécurité et de défense vis‐à‐vis de l'Afrique a connu une
période charnière dans les années 90.
En effet, avant 1990, l'Afrique a été le champ clos des affrontements Est‐
Ouest. La France bénéficiait alors d'une grande marge de manœuvre de la part de ses
alliés pour contrer les initiatives soviétiques sur le continent.
La fin de cette période, l’horreur du génocide au Rwanda en 1994, qui a mis
en évidence les risques d'instrumentalisation d'un engagement strictement bilatéral, la
professionnalisation des armées françaises, un nouveau Livre blanc, ont marqué la
décennie 1990‐2000.
De cette prise de recul est né le tournant multilatéral de la politique de
sécurité de la France en Afrique. Sortir des engagements unilatéraux signifiait dès lors
repenser les objectifs et les modalités de notre présence militaire en l’arrimant au
projet d’une architecture de sécurité africaine.
C’est en 1998 que, pour la première fois, sont définies de nouvelles
orientations de notre coopération militaire en Afrique qui renouvellent la doctrine en
s’appuyant sur cinq grands principes :
‐ le refus de l’unilatéralisme.
‐ des interventions militaires bilatérales en lien avec la sécurité des
ressortissants français,
‐ une présence permanente mais réduite,
‐ une multilatéralisation des opérations avec les forces africaines, l'Europe et
l'ONU,
‐ l’appui aux forces africaines de sécurité avec le programme de
Renforcement des Capacités Africaines de Maintien de la Paix (RECAMP) et le
développement de la régionalisation qui s'appuie sur les écoles nationales à vocation
régionale (ENVR).
CHAPITRE 3 : - 261 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Au‐delà des alternances politiques et des interventions militaires sur le
terrain, ces principes restent encore très largement d’actualité même si dans leurs
modalités ils connaissent des adaptations au grès des crises.
Ces principes tirent une double leçon des trente années d’intervention.
La première est que le refus systématique d'intervenir n’est pas tenable. Les
intérêts de la France en Afrique ne sont pas négligeables au point qu'elle puisse rester
l'arme au pied lorsque des troubles y éclatent. Les forces de sécurité africaines ne sont
pas encore assez aguerries face aux nouveaux types de menaces et aux conséquences
humanitaires de crises peu soutenables par les opinions publiques. Du fait de ses
moyens, la France a de facto une responsabilité dont elle peut difficilement se
défausser compte tenu de sa volonté d’exercer des responsabilités internationales et
de son statut de membre permanent du conseil de sécurité.
La seconde est que les modalités de son intervention doivent changer. La
France doit marquer la fin du tête‐à‐tête avec ses anciennes colonies dont elle ne veut
ni ne peut plus assumer le coût politique et financier. La crise des finances publiques
françaises lui impose à terme de partager le coût de sa contribution à la sécurité du
continent. Le drame rwandais a montré les risques politiques d’une présence
uniquement bilatérale que l’ancienne puissance coloniale ne supporte plus de porter
seule.
Ce parti pris a lui‐même deux conséquences.
La première est d'encourager l'africanisation des solutions. La présence
militaire française en Afrique doit servir en priorité à aider l'Afrique à bâtir son propre
dispositif de sécurité collective. C’est le slogan « des solutions africaines à des
problèmes africains » Du principe à la réalité, il y a cependant un long processus
politique et militaire qui est loin d’avoir abouti. Mais la France entend faire une
priorité du soutien aux efforts des États africains pour résoudre eux‐mêmes les conflits
armés notamment par le biais de ses organisations régionales. Pour ce faire, elle a
engagé dès les années 90 un programme de renforcement des capacités africaines
avec des moyens, il est vrai, de plus en plus limités.
La seconde, en attendant que les organisations régionales soient capables
d’apporter des réponses efficientes, parallèlement à l’africanisation, c’est que la
France n’entend plus intervenir que dans un cadre multilatéral avec l'onction juridique
de l’ONU ou des organisations panafricaines et avec, sur le terrain, la collaboration
plus ou moins significative d'autres armées, européennes ou africaines.
En multilatéralisant ses interventions, la France entend s’entourer d'une
légitimité plus solide. L’exigence préalable d'une résolution du Conseil de sécurité des
Nations unies, cohérente avec le rôle central que la diplomatie française entend faire
jouer à l’instance onusienne, doit désamorcer l'accusation d'arbitraire qui pourrait être
adressée à une opération décidée sans mandat international.
Dans ce contexte, l'ONU comme l’Union Africaine constitue une source de
légitimité indispensable. Une des conséquences de cette stratégie est un intense
travail diplomatique à New‐York pour rallier nos partenaires à nos positions.
- 262 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Comme nous l’a fait observer M. Gérard Araud, ambassadeur, représentant
permanent de la France auprès des Nations unies, « L'Afrique représente 70% de
l'activité du Conseil de sécurité des Nations unies, signe des crises qu'elle traverse. Dans
la mesure où les résolutions sont présentées par les États‐membres, cela amène la
France à être à l'origine de 60% des textes, concernant par exemple le Mali, la Côte
d'Ivoire, la RDC ou la RCA. ».
Cette volonté d’obtenir une légitimité multilatérale est cependant
régulièrement confrontée à la tentation de s’en affranchir pour maintenir notre
autonomie d’action, par exemple en n’acceptant pas de placer nos troupes en Côte
d’Ivoire sous commandement africain ou onusien.
Les opérations menées au Tchad ou en RDC conduisent parfois à s’interroger
sur le décalage qui demeure entre les nouvelles tendances vers l’européanisation de la
gestion des crises et la réalité des pratiques d’intervention qui restent encore très
« bilatérales » du fait des réticences de nos alliés et, au premier chef, des Allemands, à
s’impliquer davantage sur le continent.
Quoi qu’il en soit, ces nouvelles orientations trouvent notamment leur
traduction dans la renégociation des accords de défense.
Les accords bilatéraux de défense signés, au lendemain des indépendances,
entre la France, le Cameroun, la République Centrafricaine, les Comores, la Côte
d'Ivoire, Djibouti, le Gabon, le Koweït, le Sénégal et le Togo garantissaient
l’intervention de la France en cas d’agression extérieure.
Ces accords ont été redéfinis entre 2008 et 2012 afin de s’adapter aux
demandes des parties et à la situation sur le terrain. Les clauses de confidentialité et
d’automaticité ont notamment été supprimées. Certains d'entre eux contenaient des
clauses secrètes prévoyant l’'intervention des forces armées françaises en vue du
maintien de l'ordre intérieur.
L'exposé des motifs des projets d'accord instituant un partenariat de défense
entre la France et divers pays africains montre que l'objectif principal de la coopération
est désormais, à côté de la fonction traditionnelle de formation des cadres des armées
nationales, d'aider l'Afrique à mettre sur pied son propre système de sécurité
collective.
De plus, ces accords comportent une dimension multilatérale prévoyant
l'association au partenariat de défense d'autres pays africains ou européens, ainsi que
les institutions de l'Union européenne et de l'Union africaine et les ensembles sous
régionaux de cette dernière.
Les systèmes de sécurité collective de l'ONU et de l'Union africaine sont pris
en compte ainsi que le partenariat stratégique Afrique‐Union européenne défini à
Lisbonne en 2007. Enfin, la référence au respect de la souveraineté, de
l'indépendance, de l'intégrité territoriale des partenaires, vient manifester la volonté
de non‐ingérence dans les affaires intérieures des États concernés.
CHAPITRE 3 : - 263 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
De nouveaux accords de défense en cours de ratification.
Trois accords renégociés sont d’ores et déjà entrés en vigueur avec le Togo, le
Cameroun et la République centrafricaine, tandis que les cinq autres sont encore en
attente de ratification parlementaire. Ils concernent respectivement notre partenariat
avec : les Comores, Djibouti, le Sénégal, le Gabon et la République de Côte d’Ivoire.
Ces accords de défense sont complétés par 16 accords de coopération
militaire.
Ces accords ainsi que des opérations extérieures (OPEX) qui, à l’origine
temporaires, se sont installées dans la durée, ont permis à la France de bénéficier de
plusieurs points d’appui militaires sur le continent, notamment à Djibouti, en Côte
d’Ivoire, au Sénégal, au Gabon, en République centrafricaine, au Tchad avec
l’opération Epervier et plus récemment et de façon temporaire au Mali.
Au total, sur les 10 000 hommes en poste en Afrique, 5 050 militaires
français sont pré‐positionnés dans le cadre d’accords bilatéraux et près de 5 300
hommes sont mobilisés au titre des OPEX.
- 264 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Des équipements militaires viennent compléter ces effectifs. Ces hommes
disposent en temps normal des capacités suivantes : 11 chasseurs, 7 avions de
transport tactique, 14 hélicoptères de manœuvre, 4 hélicoptères légers, 4 chalands
de transport de matériel et 3 bataillons interarmes.
Émargeant sur des lignes budgétaires différentes, les forces prépositionnées
et les OPEX ont dans la réalité peu de différences opérationnelles.
S’ajoutent à cela des forces sous mandat international, notamment dans le
cadre des opérations contre la piraterie au large de la Somalie et du Golfe de Guinée,
et les forces de souveraineté présentes dans l’océan Indien, à la Réunion et à Mayotte.
L’Afrique c’est 50 % des effectifs et 70% des crédits
militaires liés à une présence ou à des opérations hors du territoire national
Sur le plan budgétaire, le coût annuel des forces prépositionnées est en 2013
de l’ordre de 400 millions d’euros, celui des OPEX en Afrique de l’ordre de 900 millions
(65 millions en Côte d’Ivoire, 107 au Tchad, 26 millions pour l’océan Indien, 22 en
Centrafrique, 700 millions pour le Mali) sur un budget d’OPEX variant, suivant les
années, entre 800 millions et un milliard d’euros (comme ce fut le cas en 2011 et
comme cela sera vraisemblablement le cas en 2013 compte tenu de Serval, dont le
coût annuel devrait s’élever à 700 millions d’euros).
L’Afrique représente en 2013 ainsi environ 70% du budget militaire finançant
une présence ou des opérations hors du territoire national et 50 % des effectifs hors
du territoire national.
État des forces françaises en Afrique en 2013
En Afrique, notre dispositif militaire, de 10 000 hommes environ sans la Réunion et
Mayotte, combine en effet aujourd’hui :
‐ des forces de présence permanente (3 000 environ) qui ont deux statuts distincts :
les Forces françaises au Gabon, environ 900 militaires à Libreville, dont 450 permanents, et les
Forces françaises stationnées à Djibouti, contingent français numériquement le plus important
en Afrique, avec 1 900 militaires, dont 1 400 permanents, qui sont les deux bases
prépositionnées prévues par le Livre blanc de 2008 ; et les Éléments français au Sénégal , à
Dakar, autour d’un « pôle opérationnel de coopération à vocation régional » de 350 militaires,
dont environ 260 permanents ;‐ et des opérations extérieures (OPEX), résultant d’opérations «
temporaires », pour un total de 6 000 hommes environ (4 200 pour le Mali et la zone
sahélienne, 1 000 au Tchad (Épervier) et 1 000 autres entre la Côte d’Ivoire (Licorne et Onuci),
la République Centre Africaine 240 hommes (BOALI), et les dispositifs de lutte contre la
piraterie Atalante et Corymbe, 225 hommes dans le Golfe de Guinée (Bâtiment CORYMBE),
383 hommes dans le Golfe d'Aden (ATALANTA).
‐ des forces de souveraineté (La Réunion‐Mayotte : les forces armées en zone sud de
l’océan Indien (FAZSOI) représentent environ 1 900 militaires des trois armées ;
Il faut y ajouter les Forces françaises aux Émirats Arabes Unis, sur la péninsule arabe
(700 hommes environ), dans le cadre d’un accord intergouvernemental avec ce pays créant
une implantation militaire française permanente.
CHAPITRE 3 : - 265 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
D’un point de vue opérationnel, les bases permanentes françaises en Afrique
offrent :
‐ des points d'appui du soutien français à l'architecture africaine de paix et de
sécurité,
‐ des capacités prépositionnées à proximité des zones d'intérêt et des forces
projetées en complément depuis la métropole,
‐ des facilités logistiques comme à Djibouti pour l’opération Atalanta qui
donnent souplesse et réactivité aux forces françaises et qui contribuent à l'autonomie
stratégique de notre pays,
‐ des bases d’entraînement pour les forces françaises.
Des forces aguerries et acclimatées,
immédiatement déployables, à proximité des foyers de crise
Comme l’a montré l’opération SERVAL au Mali, ces points d’appui donnent à
la France :
‐ une position unique et enviée en Afrique, qui lui confère une influence et
une crédibilité incontestable sur nos partenaires dans nos relations diplomatiques, que
ce soit avec les organisations africaines régionales ou continentales, mais également
avec nos partenaires bilatéraux, (États‐Unis, Canada, Royaume‐Uni) et au sein des
organisations internationales.
‐ une liberté d’action politique avec des forces aguerries et acclimatées,
immédiatement déployables, à proximité des foyers de crise.
D’un point de vue géographique, le dispositif français comprend une
présence sur la façade atlantique du continent africain, une sur sa façade orientale,
deux points d'appui dans le golfe Arabo‐Persique et un dans l'océan Indien.
Ainsi sur la côte ouest, la France dispose des bases d’Abidjan, de Dakar, et
de Libreville.
Sur la côte est, Mayotte et la Réunion regroupent des forces souveraines
et assurent ainsi notre présence au sud‐est du continent tandis que la base de
Djibouti couvre le nord‐est du continent et la base des Émirats, le Golfe Persique et
la corne de l’Afrique.
Un dispositif qui se veut équilibré entre la façade
atlantique du continent africain, sa façade orientale et l'océan Indien.
On voit alors se dessiner en creux la carte des intérêts français en Afrique :
les trois bases postées sur la côte occidentale encadrent à la fois la zone où se
concentre la majorité de nos expatriés (l’Afrique francophone) et le Golfe de
Guinée, haut lieu de piraterie maritime, par lequel transite la majorité de nos
approvisionnements en hydrocarbures et minerais africains.
De la même façon, les troupes postées à Djibouti, aux Émirats arabes unis
et à la Réunion sont autant de moyens de contrôle des routes maritimes et
- 266 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
pétrolières qui longent l’Est de l’Afrique en provenance des pays du Golfe et de
l’Asie.
Ce dispositif est complété par un volet de coopération structurelle assurée
par la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD), organe dépendant
du ministère des Affaires étrangères, chargée de garantir la stabilité des pays
partenaires tout en soutenant l’extension de l’influence française dans le monde.
70% de notre coopération militaire est destiné à l’Afrique.
Là encore, l’essentiel de l’activité de la France est en Afrique. Les chiffres
parlent d’eux‐mêmes : en 2012, 69% de nos crédits de coopération militaire
structurelle, qui avoisinent les 90 millions d’euros, sont consacrés à l’Afrique
subsaharienne, contre 14% à la zone Afrique du Nord – Moyen‐Orient et seulement 9%
à l’Asie.
La répartition des crédits alloués par le fonds de solidarité prioritaire (FSP)
consacré à la sécurité est encore plus frappante : 87% étaient destinés à l’Afrique
subsaharienne pour cette même année.
La coopération structurelle française inscrit son action en Afrique dans la
lutte contre les grands enjeux de sécurité, l’aide à la lutte contre le terrorisme, la
piraterie, le crime organisé.
Elle apporte des conseils de haut niveau aux ministres et aux chefs d’état‐
major des armées, une expertise et un audit, des formations, un enseignement du
français, un accompagnement des contrats en équipements, un soutien logistique
et parfois une aide directe.
Enfin, la direction de la coopération de sécurité et de défense prend aussi
une part importante dans l'application des réformes du système de sécurité africain
en collaboration avec la Direction générale de la mondialisation (DGM) notamment
CHAPITRE 3 : - 267 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
dans les contextes de post crise où les questions de désarmement sont stratégiques
pour stabiliser le retour à la Paix.
Les écoles nationales à vocation régionale : un dispositif unique
En 2012, la Direction de la coopération de sécurité et de défense du
ministère des affaires étrangères a financé la formation de 1 000 stagiaires en
France, 2 500 stagiaires dans l’une des Ecoles nationales à vocation régionale
(ENVR) implantées en Afrique, 11 000 stagiaires en langue française. Au total, 65
000 personnes ont ainsi bénéficié en 2012 de l'action de coopération de la DCSD.
Parallèlement, 17 000 soldats ont été formés en 2012 dans le cadre la
coopération opérationnelle dans les pays africains.
La coopération militaire française privilégie autant que possible une
approche régionale en Afrique via des écoles et des centres de formation.
La plupart de ces structures sont des écoles nationales à vocation
régionale (ENVR), fruit d’une collaboration étroite entre militaires français et
africains.
Les ENVR s'ancrent dans un souci de rayonnement régional du pays hôte.
On en compte 17 –et sans doute 20 dans les prochaines années– sur le continent
africain proposant 60 formations différentes et recevant 2 500 stagiaires par an.
45 coopérants français sont en poste au sein de ces écoles.
Il s’agit à la fois de former les futurs cadres des armées africaines afin de
permettre aux États du continent d’être capables d’assurer leur propre sécurité, et
de pérenniser le rayonnement de l’influence française.
De fait, ces centres de formation sont l’un des principaux vecteurs de
l’apprentissage du français et ne cessent de se développer sur le sous‐continent.
Ainsi en 2012 une nouvelle école nationale à vocation régionale –l’Institut
supérieur d’études de protection civile de Ouagadougou– a été ouverte au Burkina
Faso, tandis que l’École internationale des forces de sécurité a poursuivi sa montée
en puissance au Cameroun. Une école de ce type va prochainement ouvrir en
Tunisie autour du thème de la protection civile, à la suite de celle du Burkina Faso.
Une nouvelle structure ouvrira en Côte d’Ivoire avec un cursus de formation des
officiers.
Enfin, notre coopération militaire en Afrique s’inscrit de plus en plus dans
un cadre international. En effet, la France entend défendre sur le continent des
intérêts sécuritaires et géopolitiques qui sont aussi ceux de l’Union européenne.
Ainsi, le concept RECAMP (renforcement des capacités africaines de
maintien de la paix) créé en 1996‐1997 à l’initiative de la France constitue une
véritable percée conceptuelle. Il s’agit d’un programme comprenant des cycles de
formation et d’entrainement à tous les niveaux (stratégique, tactique et
opérationnel) dont la pertinence a été reconnue par nos interlocuteurs africains et
qui se poursuit malgré une diminution sensible des moyens budgétaires disponibles
pour l’impulser.
- 268 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Ce projet est clairement à l’origine du cycle EURORECAMP AMANI AFRICA
qui a repris au niveau européen le concept en le recentrant sur les aspects
stratégiques avec un succès plus mitigé.
L’implication croissante de l’Union européenne et de la France dans la
formation militaire en Afrique tend à soutenir la mise en place par l’Union africaine
(UA) du projet d’architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS) et du projet de
forces africaines en attente.
Des bases militaires qui ont vocation à
soutenir les brigades régionales de l’Union africaine.
La présence militaire française en Afrique est aujourd’hui sans doute un
des aspects les plus visibles de notre présence sur ce continent et constitue une
spécificité française. C’est une présence qui présente une forte charge symbolique
et des implications politiques majeures. C’est un élément structurant de notre
influence, une contribution importante à la sécurité du continent en même temps
qu’une responsabilité lourde tant sur le plan politique qu’humain et financier.
50 ans après les indépendances, cette présence est naturellement amenée
à évoluer dans sa forme et ses modalités. Mais l’intervention au Mali a montré son
utilité et lui a redonné une légitimité.
La vocation des forces armées françaises en Afrique n’est cependant pas
de continuer à se substituer aux forces africaines. Un des enjeux de la décennie est
sans doute d’assurer une transition compatible avec le maintien d’une sécurité
vitale au développement d’un continent plus que jamais soumis à des forces
déstabilisatrices.
Le prochain Sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique avec
l’ensemble des chefs d’État africains doit être l’occasion de réfléchir aux moyens de
renforcer l’utilité de cette présence pour la constitution de forces de sécurité
régionale africaines.
B. L’AFRIQUE EN FRANCE, UNE RÉALITÉ SOUS‐ESTIMÉE
Après deux jours d’opération Serval, le Président de la République François
Hollande a reçu les représentants des associations de la communauté malienne
installée en France, notamment le Haut Conseil des Maliens de France qui fédère
360 associations d’une communauté qui compte environ 100 000 Maliens de France.
Quelques mois plus tard, alors qu’une soixantaine de soldats maliens défilent
le 14‐Juillet sur l'avenue des Champs‐Elysées aux côtés de militaires français dont les
unités ont été engagées au Mali rappelant le souvenir des tirailleurs sénégalais et des
héros de Monte Cassino « morts pour la France », la 67e édition du Festival d'Avignon
s’ouvre autour de représentants majeurs de la scène théâtrale africaine réunis par le
Congolais Dieudonné Niangouna.
Ces gestes symboliques illustrent une autre dimension de la relation au
continent africain, la présence d’une communauté africaine forte de plus de
CHAPITRE 3 : - 269 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
800 000 immigrés auxquels il faut ajouter près de 200 000 descendants de plus de
18 ans.
C’est pourquoi la France en Afrique ne saurait se comprendre sans mesurer le
poids, l’importance du continent noir dans l’Hexagone.
L’Afrique, la France la vit aussi de l’intérieur, à cause de cette communauté
africaine nombreuse qui fait que jamais la relation au continent noir ne sera la même
qu’avec un autre continent, mais aussi en raison de la présence au sein des réseaux
culturels français d’un tropisme africain qui existait bien avant la décolonisation et qui
perdure au‐delà, dans un compagnonnage fertile.
1. 1 million d’Africains en France : un enjeu politique et diplomatique
Même s’il ne s’agit que de 13 % de la population immigrée de France, avec
plus d’un million de personnes, l’existence d’une communauté africaine de France
pèse et influence de différentes façons l’évolution des relations avec les partenaires
africains.
La présence d’une Afrique de l’Hexagone ne dicte pas la conduite du pays à
l’égard du continent africain, loin s’en faut. Elle n’a pas le poids que peut avoir par
exemple la communauté juive ou éthiopienne aux États‐Unis, mais elle constitue l’un
des éléments structurants de la politique africaine.
La politique migratoire et sa fermeture progressive, mais aussi la politique
d’accueil et de promotion des artistes africains au sein des institutions culturelles de
l’Hexagone ont façonné le profil d’une présence africaine en France. L’attitude des
pouvoirs publics à l’égard de cette communauté a été, selon les moments et les sujets,
une source de rapprochements avec différents pays ou au contraire un facteur
d’irritation.
L’immigration africaine en France, une
dimension négligée de la politique africaine.
Cette présence a une histoire. La montée en puissance de l’immigration
d’Afrique subsaharienne et de son enracinement en France s’est renforcée depuis les
années soixante‐dix, mais tire évidemment son origine dans l’histoire de la
colonisation.
Au cours du 20e siècle, la filière scolaire par laquelle certains éléments
brillants des colonies sont venus en France est la raison la plus ancienne et, sans doute,
la plus constante. Elle a permis de former les leaders de mouvements politiques,
culturels et indépendantistes ou assimilationnistes dès la fin de la Première Guerre
mondiale. Une grande partie de l’élite africaine des indépendances est passée par la
France.
Une filière militaire s’est également mise en place dès la Première Guerre
mondiale (1914‐1918) avec la mobilisation des colonies par la France. Les bataillons de
tirailleurs sénégalais et d’Africains noirs participant aux combats en 1914‐1918
comptaient environ 134 000 hommes. Ils étaient 64 000 à se battre au printemps
- 270 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
1940. Si la plupart des survivants sont rentrés à la fin de la guerre, certains sont restés
et se sont installés en France.
Même s’il a fallu attendre longtemps pour qu’il leur soit rendu hommage, le
souvenir de leur sacrifice est encore présent dans les mémoires. On se souvient des
polémiques et de l’injustice faite aux anciens combattants dont les retraites ont été
gelées avant que le Conseil constitutionnel impose aux pouvoirs publics de changer de
position.
Cette dette de sang est un des épisodes marquants de la relation à l’Afrique
francophone.
A l'occasion du cinquantenaire des indépendances africaines, certains anciens
soldats d'Afrique subsaharienne avaient été invités en France, témoignant ainsi de la
reconnaissance de la France à l’égard de ce qui est présenté comme une dette de sang.
C’est d’ailleurs précisément à eux que François Hollande a rendu hommage en
recevant le prix Félix Houphouët‐Boigny pour la recherche de la paix, au lendemain de
l’intervention au Mali : « C’est une dette que mon pays avait à acquitter à l’égard de
l’Afrique. Parce que la France ne pouvait pas oublier la participation des soldats
d’Afrique à nos côtés lors des deux dernières guerres mondiales. Non, la France ne
pouvait pas oublier les dizaines de milliers d’Africains qui ont laissé leurs vies sur les
champs de bataille pour la liberté de la France, pour les libertés de l’Europe. ».
C’est cependant la migration de travail qui a été la principale cause de
l’augmentation de la communauté africaine en France.
Après la première guerre, militaires démobilisés, navigateurs, travailleurs
manuels originaires du continent sont recensés dans les villes portuaires (Marseille,
Bordeaux, Le Havre, etc.) mais aussi à Paris. Les ressortissants de la vallée du fleuve
Sénégal (Soninké et Toucouleur du Mali, du Sénégal et de la Mauritanie) sont arrivés à
partir des années 60 en plus grand nombre dans le cadre des accords de main‐d’œuvre
bilatéraux.
L’immigration africaine: un enjeu majeur du débat politique français.
Les migrations des épouses, amorcées au début des années 70 au titre du
regroupement familial, a pris très vite la forme de migrations de travail. La population
africaine de France s’est diversifiée ensuite avec le développement des flux de citadins
venant principalement d’Afrique centrale (Cameroun, Zaïre) mais comportant aussi des
ressortissants des capitales et villes de l’Afrique occidentale, notamment sahélienne.
Les migrations d’étudiants africaines, à l’origine tournantes et provisoires,
deviennent, à partir de cette époque, plus souvent définitives, avec la crise des États
africains et les migrations de travail.
A partir de 1974, la fermeture des frontières à l’immigration de travail extra‐
européenne va modifier la donne et faire de l’immigration un élément important de la
relation de la France à l’Afrique subsaharienne.
Après avoir encouragé l'immigration à une époque où les besoins de main‐
d'œuvre étaient importants, les différents gouvernements ont alternativement ouvert
CHAPITRE 3 : - 271 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
et fermé les possibilités d’obtenir des visas avec, globalement, une restriction des
entrées.
Dans un contexte de chômage structurel élevé et de tensions sociales
croissantes se traduisant par la multiplication des phénomènes d’exclusion sociale,
l’immigration est devenue un enjeu majeur du débat politique.
La crispation de l’opinion publique, le contexte économique et social
dégradé, les difficultés rencontrées par les politiques d’intégration, ont conduit la
France à adopter une politique migratoire plus ou moins restrictive ‐pour ne pas dire
répressive‐ selon les gouvernements en place et à renforcer les moyens de lutte contre
l’immigration irrégulière.
Il s'en est suivi des politiques de visas restrictives et d'encouragement au
retour des ressortissants étrangers travaillant dans les secteurs où traditionnellement
le nombre d'emplois à pourvoir était important et dont le profil ne correspondait plus
aux besoins de l’économie française.
Ces politiques de retour ont été concrétisées par des mesures d’expulsion des
immigrés clandestins, accompagnées d’un volet d'incitation et d'accompagnement se
traduisant par l'octroi de pécules qui pouvaient être injectés dans l'économie du pays
d'origine. Par ailleurs, les retours volontaires et spontanés ont également ramené au
pays d'origine des ressortissants porteurs de capacités d'investissement et de création
d'entreprises.
Pour l’opinion publique africaine, ce revirement s’est essentiellement traduit
par une restriction de la politique des visas et a été illustré par les fameux charters de
Maliens en 1986 qui concernent un nombre assez limité d’immigrés, mais dont la
médiatisation a eu pour effet de cliver le débat politique sur les sans‐papiers,
d’envoyer volontairement un signal négatif aux candidats à l’immigration.
Politique des visas, expulsions et
charters : trois figures du ressentiment africain
La politique des visas comme ces expulsions médiatisées ont été très mal
perçues en Afrique, l’opinion publique jugeant l’attitude de la France à la fois ingrate
et attentatoire à la dignité des Africains.
Pour autant, sur une longue période, cette politique migratoire française, au‐
delà des clivages politiques, n’a pas arrêté l’immigration africaine mais en a enrayé le
rythme. Elle a, en effet, continué à prendre en compte les besoins en main‐d’œuvre
des différents secteurs de l’économie ainsi que les flux liés au regroupement familial.
En 2012, les autorités françaises ont délivré 1,8 million de visas de court
séjour et plus de 170 000 titres de long séjour. Elles ont procédé également à plus de
100 000 naturalisations.
Le flux d’étudiants africains reste important avec plus de 50 000 étudiants
africains (hors Maghreb), ce qui constitue près du quart des étudiants étrangers en
France.
- 272 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
La politique migratoire restrictive menée ces dernières années a eu un impact
direct, on le verra, sur la politique d’accueil des artistes et des élites africaines et des
étudiants.
Elle n’a cependant pas empêché la constitution en France d’une communauté
africaine importante même si elle est très minoritaire parmi les immigrés.
Les immigrés originaires d’Afrique subsaharienne n’étaient que 20 000 en
France au moment du recensement de 1962, contre 800 000 en 2012, soit une
multiplication par 40 en un peu plus de 40 ans. L’augmentation est certes importante,
si bien qu’en 2012 les Subsahariens ne représentent qu’un peu plus d’un dixième de
l’ensemble des immigrés en France (13%).
Cette communauté africaine de France que l’on retrouve parfois concentrée
à Montreuil, « la deuxième grande ville du Mali », à Paris notamment à Belleville ou à
la Goutte‐d’Or, en région parisienne, notamment à Corbeil, à Mantes‐la‐Jolie, à la
Courneuve, à Saint‐Denis ou Sarcelles, est très jeune. La moitié n’est en France que
depuis 10 ans, 50 % sont âgés de 25 à 44 ans. Elle accueille aujourd’hui une deuxième
génération d’Africains de France qui possèdent la nationalité française.
Cette communauté est pour l’essentiel issue de l’Afrique francophone, deux
Africains sur trois en France provenant d’anciennes colonies françaises.
Comme l’a souligné M. Luc Derepas, secrétaire général à l'immigration et à
l'intégration au ministère de l'intérieur : « on observe cependant des différences
notables entre les immigrés venus d’Afrique guinéenne ou centrale et ceux qui
proviennent de l’Afrique sahélienne. »
Les immigrés venus d'Afrique guinéenne ou centrale sont par exemple 66 % à
avoir parlé le français durant l'enfance, alors que pour l'Afrique sahélienne, la part
n'est que de 34 %. Ces écarts et similitudes s'observent aussi pour les descendants,
mais à des niveaux beaucoup plus élevés : 84 % des descendants originaires d'Afrique
sahélienne, 98 % pour ceux originaires d'Afrique guinéenne ou centrale parlaient le
français durant l'enfance.
Ces différences s'observent également quant à la répartition par niveau de
diplôme atteint. Les immigrés originaires d'Afrique sahélienne sont 32 % à être sans
diplôme mais aussi 30 % à être diplômés du supérieur. Dans le premier cas, c'est une
proportion élevée, mais aussi dans le second. Pour les femmes, 52 % sont sans diplôme
et 10 % à être diplômées du supérieur. Les hommes immigrés d'Afrique guinéenne ou
centrale sont 42 % à être diplômés du supérieur et seulement 9 % à n'être pas
diplômés.
Il s'agit donc, contrairement à l’image que l’on s’en fait, d'une population
relativement éduquée et diplômée.
Les Africains de France appartiennent aux catégories sociales les plus diverses
et comptent dans leurs rangs des figures d’excellence telles que : dans le domaine
économique, Lionel Zinsou ou Tidjane Thiam, polytechnicien, ingénieur civil des Mines,
originaire de la Côte‐d'Ivoire, premier PDG d'origine africaine du Footsie (équivalent
britannique du CAC 40) ; dans la sphère politique, Rama Yade, née à Dakar,
administratrice du Sénat puis Secrétaire d'État chargée des Affaires étrangères et des
CHAPITRE 3 : - 273 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Droits de l'homme, ou Kofi Yamgnane, né à Bassar au Togo, maire d’une commune du
Finistère et Secrétaire d’État aux Affaires Sociales et à l’Intégration dans les
gouvernements socialistes d’Edith Cresson et de Pierre Bérégovoy ; dans le domaine
du sport, Yannick Noah ; ou dans le cinéma Omar Sy, acteur français né d’une mère
mauritanienne et d'un père sénégalais.
Comme le souligne régulièrement La Haute Autorité de lutte contre les
discriminations et pour l'égalité, cette Afrique de France est confrontée, à l’instar des
minorités qu’on appelle désormais visibles, à des discriminations liées à leur
nationalité autant qu’à la couleur de leur peau.
Le racisme sous toutes ses formes reste une réalité telle que décrite par le
roman de Calixthe Beyala ou de Sami Tchak, qui touche aussi bien « les petits princes
de Belleville » que des parcours prestigieux comme celui de Tidjane Thiam qui, après
avoir à la sortie de Polytechnique paradé sur les Champs‐Élysées à la grande fierté de
sa mère sénégalaise sans instruction, a fini par quitter la France lassé de ce plafond de
verre qui empêche trop souvent les cadres d’origine africaine de décrocher des postes
à responsabilité là où l’Angleterre s’avère plus ouverte.
« Quand les banlieues françaises
flambent, la jeunesse d'Afrique se sent maltraitée ».
Cette Afrique de France est regardée, observée par le continent noir.
Avec le développement d’Internet et de la télévision, la réalité de vie des
communautés africaines en France est aujourd’hui mieux connue en Afrique et très
commentée. Le développement du racisme comme le sort des sans‐papiers est suivi
avec attention et réprobation. Si les difficultés de l’intégration ne dissuadent pas les
candidats à l’immigration, toujours très nombreux, comme nous l’a dit un
interlocuteur à Abidjan, « Quand les banlieues françaises flambent, la jeunesse
d'Afrique se sent maltraitée ». Et il est significatif de voir que lorsque TF1 nomme Harry
Roselmack comme présentateur du journal télévisé de TF1, la presse africaine titre :
« Un 20h présenté par un Noir sur la première chaîne française, une sacrée avancée ».
Cette présence africaine dans l’Hexagone influe sur la politique africaine de la
France de différentes façons.
Au niveau politique, elle ne constitue pas en soi un enjeu électoral majeur,
même si localement, à Montreuil ou ailleurs, la concentration des communautés
africaines a une influence sur les positions des responsables locaux. Elle pèse
néanmoins à travers un réseau dense d’associations dont les capacités de mobilisation
avec les ONG nationales ne sont pas négligeables, comme l’a illustré le combat pour les
sans‐papiers.
Des communautés africaines de France
mobilisées sur tous les dossiers qui touchent le continent noir
Ces réseaux sont particulièrement présents dans les débats sur l’immigration,
la gestion concertée des flux migratoires et le codéveloppement. Leur mobilisation lors
de l’opération Serval ou sur des dossiers pendants relatifs aux droits de l’homme, à la
démocratie, à la corruption, sur des dossiers comme les biens mal acquis, montre que
- 274 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
la politique africaine du gouvernement est aujourd’hui suivie de près par les
communautés africaines de France.
Au niveau diplomatique, dès les années 2000, le fait migratoire devient un
élément incontournable des relations avec les pays africains.
D’un côté, les pouvoirs publics, toutes majorités confondues, ont cherché à
optimiser le lien entre migration et développement en essayant de promouvoir des
actions de codéveloppement menées par des migrants dans leurs pays d’origine.
S’appuyant sur des pratiques sociales anciennes, les gouvernements
successifs ont cherché à abonder les projets soutenus par les migrants dans une
perspective de développement mais aussi de retour au pays d’origine.
Contestées par les uns, louées par les autres, ces actions ont eu du mal à
s’imposer comme une politique publique autre qu’expérimentale.
La faiblesse des moyens mis en œuvre au sein d’un programme budgétaire
301, son arrimage à la politique de restriction de l’immigration et la difficulté à
transformer une pratique sociale en une politique publique d’envergure ont contribué
à en limiter les résultats.
Parallèlement, la France a cherché à établir une contractualisation, avec les
pays d’origine des migrants, des règles en matière de circulation et séjour des
personnes, de lutte contre l’immigration clandestine et de retour des immigrés
clandestins.
En 2011, treize accords avaient été signés notamment avec le Bénin, le
Burkina Faso, le Cameroun, le Cap‐Vert, le Congo, la République de Maurice, le Gabon,
le Sénégal, la Tunisie.
Le principe des accords de gestion « concertée » des flux migratoires était
d’articuler un assouplissement des règles de circulation pour certaines catégories de
personnes originaires des pays partenaires, comme les étudiants ou les travailleurs
migrants, avec un renforcement de la coopération en matière de lutte contre
l’immigration clandestine et un soutien aux initiatives dans le domaine du
codéveloppement.
Les accords de gestion concertée des flux : une
tentative de créer un cadre de dialogue sur la question des migrations.
Le but principal de ces accords était et reste de former un cadre de dialogue
avec les pays africains sur la question des migrations. En l’absence d’échanges
institutionnels, le sujet était encore très empreint d’approximations et de préjugés que
la mise en œuvre des accords doit permettre d’affronter plus sereinement avec un
suivi régulier au sein de commissions mixtes qui constituent autant d’instances de
dialogue.
En revanche, l’équilibre des accords, qui dépend largement de leurs
conditions d’application et, en premier lieu, de la concrétisation de leur volet
« développement », a été jugé par beaucoup défavorable aux pays africains. Non
seulement les budgets n’ont pas suivi, mais le droit commun de plus en plus restrictif
CHAPITRE 3 : - 275 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
est venu remettre en cause les maigres avancées prévues par les conventions en
matière de visas.
La multiplication des régimes spécifiques a conduit à une gestion
singulièrement complexe par les préfectures et les consulats. Ces derniers, déjà
confrontés à des dispositifs multiples, ont limité la portée des mesures visant à faciliter
les migrations circulatoires à l’image de la carte « compétences et talents », dont le
passage « en régime de croisière » s’est finalement traduit par des délivrances « au
compte‐gouttes », soit 300 cartes par an pour l’ensemble de la planète !
Cette politique de visas circulatoires a, en outre, été progressivement vidée
de son sens par la pratique des consulats et les circulaires d’interprétation de plus en
plus restrictives à l’image de la circulaire du ministère de l’Intérieur français du 31 mai
2011, surnommée « circulaire Guéant » abrogée en 2013.
Le volet développement des accords a été considérablement réduit par les
contraintes budgétaires à une trentaine de millions d’euros et par la difficulté à définir
la spécificité des projets de codéveloppement qui dans un premier temps étaient
conduits par le ministère de l’immigration.
Enfin, la mise en œuvre de ces accords, qui étaient censés ouvrir la voie à une
politique ambitieuse de codéveloppement, a fini par être perçue comme une forme de
« chantage migratoire » aux termes duquel les pays contractants, en échange de la
reprise de leurs ressortissants en situation irrégulière, bénéficiaient selon les cas d’un
surcroît de coopération ou simplement du maintien de leur aide au développement.
Cette situation a conduit des pays comme le Mali, dont plus de 4 % du PIB
provient de fonds transférés par les migrants, à refuser de signer, les autorités jugeant
un accord trop impopulaire auprès de la population malienne qui craignait qu’un tel
accord limite encore les possibilités de visas.
Parallèlement, la nouvelle majorité issue des élections de 2012 s’est engagée
à supprimer ce lien entre les accords de gestion concertée et le financement du
codéveloppement dont les crédits ont été rapatriés au ministère des Affaires
étrangères, sans remettre en cause les accords signés.
Dans le même temps, la majeure partie des pays européens concernés et
l’Union européenne se sont engagés dans des politiques similaires.
Le « Pacte européen sur l’immigration et l’asile », adopté par le Conseil
européen en 2008, vise ainsi à encourager des partenariats entre les pays de
destination, d’origine et de transit, favorisant les synergies entre migrations et
développement.
En outre avec la mise en place de l’espace Schengen, la politique migratoire
française à l’égard de l’Afrique a pris une dimension européenne sans qu’une
harmonisation des pratiques ne se soit véritablement mise en place.
Compte tenu du défi démographique auquel devra faire face l’Afrique en
général et l’Afrique francophone en particulier, cette question de l’immigration est
sans doute un aspect névralgique des relations de la France à l’Afrique dans les
décennies à venir.
- 276 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
2. La France : une vitrine de la culture africaine dans le monde
avec des auteurs comme des Kourouma, Mabanckou, Waberi ou Mukasonga,
aujourd’hui célèbres.
De même les scènes et les impresarios français, grâce au repérage du réseau
des centres culturels français sur le continent noir, ont mis en avant des musiciens
africains qui sont aujourd’hui des références internationales comme Toumani Diabaté,
Salif Keita, Youssou N’Dour, Manu Dibango.
Enfin le cinéma africain, si mal traité dans un continent qui n’a ni industrie
cinématographique, ni réseau d’exploitation, a trouvé en France un refuge notamment
à travers les festivals et l’action de l’Institut français. C’est au festival de Cannes que le
Malien Souleymane Cissé, le Burkinabé Idrissa Ouedraogo ou le Tchadien Mahamat
Saleh Haroun obtiendront les prix qui leur permettront de poursuivre leur œuvre dans
des conditions matérielles certes précaires, mais renforcés par la visibilité que leur a
conférée la Croisette.
Cet accueil, cette écoute, cet élan vers la création africaine dans tous les
domaines sont assez uniques pour que la France soit encore considérée comme une
vitrine de la culture africaine.
Comme l’a souligné M. Xavier Darcos, Président de l’Institut français : « Cette
vision française de l’Afrique est certes, le produit de l’histoire et de parcours individuels
à l’image de celui de Jacques Kerkache, père du musée du quai Branly, mais aussi le
fruit d’une politique d’Etat ».
L’Afrique occupe une place privilégiée dans la politique de l’Institut français
comme c’était le cas avec Cultures‐France et l'Association française d'action artistique
(AFAA).
A travers des programmes comme « Afrique en création » devenu « Afrique
et Caraïbes en création » qui ont plus de 20 ans, la France a longtemps été un agent
particulièrement entreprenant de la création africaine dans l’Hexagone et dans le
monde.
3. La France hexagonale et ultramarine en voisin de l’Afrique
12 kilomètres seulement séparent l’Afrique de l’Europe et c’est une raison
suffisante pour que les destins de nos deux continents soient liés. C'est sans doute une
évidence pour les États membres ayant une façade méditerranéenne comme la
France, plus que pour d'autres.
Car la France est voisine de l’Afrique à plus d’un titre.
D’abord par sa façade atlantique, par laquelle le commerce entre la France et
l’Afrique transite depuis la découverte du continent pour le meilleur et pour le pire.
C’est encore par cette voie que transitent une grande partie des approvisionnements
de la France en hydrocarbures via le Golfe de Guinée, ainsi que les exportations
françaises vers l’Afrique. C’est également par l’océan Atlantique que transite aussi une
partie des trafics illicites de drogue et de personnes.
- 278 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Ensuite par sa façade méditerranéenne, c’est à travers le Maghreb et la
Méditerranée que l’essentiel des trafics illicites passe d’Afrique vers l’Europe.
La France considère ainsi l’Afrique en voisine et il est significatif que lors du
déclenchement de l’opération SERVAL, les autorités françaises aient justifié cette
intervention en affirmant qu’elle était née « du refus de la France de se voir constituer
à ses frontières un État terroriste », comme s’il était naturel de penser que le Mali et la
France partageaient une frontière commune !
La France est voisine de l’Afrique enfin, par ses possessions ultramarines dans
l’océan Indien.
Lorsque nous nous sommes rendus en Afrique du Sud, nous avons reçu des
membres du Defence Review Committee, équivalent du Livre blanc de la défense
nationale, qui ont spontanément évoqué les possibilités de coopération en matière de
surveillance maritime du fait de ses possessions françaises dans le sud de l’océan
Indien.
L’île de La Réunion , celle de Mayotte, les îles de Crozet, les îles Kerguelen ou
îles de la Désolation au sud de l’océan Indien qui forment l’un des cinq districts des
Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF), Saint‐Paul et Amsterdam, les îles
Éparses : Europa, l’île Bassa‐da‐India, l’île Juan‐da‐Nova, la Grande Glorieuse ou île du
Lys, Tromelin, située à 450 km à l’est de Madagascar et à 535 km au nord de La
Réunion sont autant de territoires frontaliers de l’Afrique qui font de la France un pays
voisin.
C’est à ce titre que la France est membre de la Commission de l'océan Indien
(COI), organisation intergouvernementale créée en 1982 à Port‐Louis de l'île Maurice
et institutionnalisée en 1984 par l'Accord de Victoria (Seychelles) qui réunit cinq pays
de la région océan Indien : Union des Comores, France/Réunion, Madagascar, Maurice,
Seychelles.
A travers la Commission de l'océan Indien, la
France est également un partenaire régional de l’Union Africaine.
CHAPITRE 3 : - 279 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Comme l’a souligné un récent rapport de la commission des affaires
étrangères du Sénat sur « La maritimisation : la France face à une nouvelle
géopolitique des océans »1 : « Dans un contexte international marqué par le début
d’une concurrence pour les richesses des sous‐sols marins, certaines ZEE françaises
autour de l’est africain ne font pas encore l’objet de délimitations physiques et
juridiques incontestées »
1Maritimisation : la France face à la nouvelle géopolitique des océans. Rapport d'information de
MM. Jeanny LORGEOUX et André TRILLARD, fait au nom de la commission des affaires étrangères,
de la défense et des forces armées n° 674 (2011‐2012) ‐ 17 juillet 2012
- 280 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
La délimitation de l’île de La Réunion est faite avec Madagascar et Maurice.
Tromelin a fait l’objet d’un accord de cogestion avec Maurice ; la ZEE existe, même si la
délimitation n’est pas établie. Le Service Hydrographique et Océanographique de la
Marine (SHOM) vient seulement de produire des cartes qui doivent être déposées aux
Nations unies.
À Mayotte, le changement de statut a conduit à revoir la délimitation de la
zone, en tenant compte du parc naturel marin à proximité des îles comoriennes.
Pour les îles Éparses, des accords sont en cours de négociation avec
Madagascar et le Mozambique. Pour les Glorieuses, il reste à conclure un accord avec
Madagascar et les Comores, ce qui supposerait de surmonter sur ce point des
divergences politiques importantes.
C’est pourquoi les forces navales françaises disposent, par ailleurs, en
permanence sur ces territoires, des moyens de surveillance et de contrôle des
approches qui peuvent être renforcés par le déploiement de moyens complémentaires
ou mieux armés, comme des frégates, des chasseurs de mines et des avions de
patrouille maritime Atlantique.
Ces missions de surveillance permettent notamment de défendre les zones
de pêche des habitants de Mayotte et de la Réunion, mais aussi de protéger les
ressources sous‐marines. Il est ainsi fréquent que les frégates de surveillance, basées à
La Réunion, en mission de souveraineté et de police des pêches, appréhendent des
bâtiments de recherche pétrolière en train de mener des activités illégales de
recherches scientifiques dans notre ZEE dans le canal du Mozambique.
La situation géographique de ces territoires constitue un atout considérable
pour participer à la sécurisation des voies de communication qui entourent le
continent africain.
Que ce soit aux abords du canal du Mozambique, dans les Caraïbes, à la sortie
du canal de Panama ou aux avant‐postes de la traversée de l’Atlantique, cette capacité
de sécurisation des voies maritimes africaines fait de la France un partenaire
incontournable des États africains riverains de l’océan Atlantique comme de l’océan
Indien.
II. UNE PRÉSENCE EN RECUL, UNE IMAGE QUI DEMEURE AMBIGUË
Fort de ce tableau d’une présence française importante en Afrique, voire sans
équivalent, nous avons parcouru ce continent.
A chaque étape, nous avons été frappés par l’idée d’une présence en recul
que nous ont renvoyée nos interlocuteurs.
Vous ne pouvez pas croiser un ministre sans qu’il vous dise « C’est dommage
que la France ne soit pas plus présente ».
Quand on vous dit cela au Kenya, à la suite de la visite du président kényan
Uhuru Kenyatta en Chine après que les deux pays ont signé des contrats d'une valeur
CHAPITRE 3 : - 281 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
de 5 milliards de dollars pour la construction d'une ligne ferroviaire et de plusieurs
projets énergétiques, le propos interroge.
Mais qu’on vous répète cela à tout bout de champ dans l’Afrique
francophone après l’intervention SERVAL nous a fait réfléchir.
A Paris, même son de cloche. Les entrepreneurs présents en Afrique
dénoncent sans relâche la timidité des autres entreprises françaises sur les marchés
africains.
M. Jean‐Michel Severino nous a dit : « C’est comme si la France avait décidé
de tourner le dos à l’Afrique, aussi bien la sphère publique que privée s’est détournée
du continent africain ».
Si vous arpentez les couloirs des ministères concernés par l’Afrique, vous
entendrez les mêmes arguments revenir comme une rengaine : 1) on n’a plus d’argent
pour investir dans la coopération bilatérale avec les pays africains, il nous faut réviser à
la baisse nos ambitions. 2) En matière de marchés extérieurs, il faut concentrer nos
efforts vers l’Asie et les pays émergents.
En matière de coopération, les ONG et les coopérants ne cessent depuis des
années de critiquer une stabilisation en trompe‐l’œil de nos budgets. « Le budget de la
coopération a été réduit comme peau de chagrin, il permet d’intervenir dans les pays
pauvres prioritaires à hauteur de 10 millions d’euros par an, le reste part dans les
contributions multilatérales », nous a‐t‐on dit. « Notre aide bilatérale n’est plus
crédible » entend‐t‐on. « On a supprimé le ministère de la coopération en 1998,
aujourd’hui on nous supprime le ministre de la coopération pour un titre de ministre du
développement, on nous dit sanctuariser le budget mais en réalité, il ne cesse de
diminuer », nous a‐t‐on répété.
En résumé, à entendre les Cassandre de tous bords, les entreprises françaises
sont en train d’être évincées d’Afrique, la francophonie est en régression, notre
présence militaire aujourd’hui auréolée de son succès au Mali ne durera qu’un temps,
notre coopération s’efface devant l’Europe et la Chine : bref la place de la France dans
cette Afrique convoitée est en déclin.
Cette France qui entre dans la mondialisation le cœur serré par la nostalgie
de sa grandeur serait en train de perdre son dernier bastion.
A faire le constat, comme nous venons de le faire, de l’étendue et de la
densité de notre présence sur le continent, on a du mal à croire à ces discours.
Et si les « déclinologues » avaient pour une fois raison ? Et si malgré la
francophonie, malgré cette présence militaire sans équivalent, les risques d’un
déclassement progressif de la France en Afrique n’étaient finalement pas si
négligeables ?
« Les Africains diversifient leurs partenariats, il est normal que nos
positions relatives s’érodent car nous étions parfois en situation de monopole ».
Est‐on si sûr que ce déclin soit seulement relatif ?
Pour le savoir, nous avons tenté de dégager les dynamiques en cours.
- 282 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
A. DES RISQUES DE DÉCLASSEMENT RÉELS
1. Un partenariat commercial en perte de vitesse
Sur le plan commercial, on constate, depuis dix ans, la dégradation de la
part de marché des entreprises françaises sur le continent, comme l’illustre ce
graphique établi sur la base des chiffres communiqués à notre demande par le
service des douanes.
10
8
6
4
2
0
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010
Sources : douanes
Cette diminution est concomitante avec la croissance des parts de marché
des entreprises chinoises qui suit une trajectoire inverse. Même s’il n'y a pas de
lien de causalité avéré, le parallèle est frappant.
La part de marché des entreprises françaises en Afrique subsaharienne est
passée de plus de 16% en 2000 à moins de 10% en 2010, des chiffres qui se
recoupent assez bien avec la réalité que l’on est amené à constater, pays par pays.
L’érosion de la part de marché de la France est observable partout en zone
franc, son ampleur a été systématiquement supérieure à celle de l’ensemble des
pays de l’OCDE. Aucun pays africain ne fait exception, même si les mouvements de
long terme ne sont pas à l’identique.
En se concentrant sur les trois plus grands pays de la zone franc ‐ plus de
40% du produit intérieur brut de cet espace économique ‐ il apparaît qu’entre
1985‐95 et 2005‐09, le poids de la France est passé de 43,5% à 23,2% au Cameroun,
de 40,4% à 18,3% en Côte d’Ivoire, et de 42,2% à 20,7% au Sénégal.
Dans ces pays francophones, les parts de marché de la France ont été
divisées par deux.
Le Bénin est emblématique de ces violents mouvements de redistribution
avec des importations françaises qui ne représentent plus que 7,6% contre 26,3%
sur les deux périodes précitées (1985‐95 ; 2005‐09).
CHAPITRE 3 : - 283 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Le jeu de vases communicants a été évident ; la place de la Chine,
initialement de 5,1%, est passée à plus de 40,4%, ce qui en fait le principal
fournisseur de biens de ce pays devant l’ensemble des pays de l’OCDE (31%).
Le Togo est dans un cas de figure très comparable. La Chine lui fournit
désormais 33,3% des importations, presque autant que l’OCDE (36%), quand la part
de la France a glissé de 26,4% de moyenne (1985‐95) à 7,9% dans les dernières
années, une part de marché qui se rapproche de celle de l’Inde (5%).
Si on prend l’ensemble des pays émergents, on observe également une
augmentation considérable de leur présence commerciale dans les pays de la zone
franc, du moins dans les pays comportant des industries extractives significatives.
Ainsi, la part des exportations dans le PIB de la CEMAC à destination des
pays BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) a été multipliée par deux
entre 2000 et 2010. Le stock d’investissements directs chinois a quintuplé depuis
2003.
Le CAC 40 a fui l’Afrique
Le recul des entreprises françaises, historiquement très présentes en
Afrique, illustre cet essoufflement de relations commerciales autrefois
dynamiques : les investissements directs vers l'Afrique subsaharienne, qui
représentent depuis dix ans entre 1 et 6% des flux d’investissements directs à
l'étranger de la France, stagnent ou reculent d'une année sur l'autre, alors même
que ceux des autres acteurs de l'économie mondiale sur ce continent ont été
multipliés par 7 entre 2000 et 2008.
Alors que les investisseurs chinois et indiens se ruent pour investir en
Afrique, certaines entreprises françaises vendent leurs participations dans des
groupes de télécommunication africains ou dans des banques de détail.
La vente la plus symbolique a sans doute été la vente par le groupe PPR
(Pinault‐Printemps‐Redoute) de CFAO, géant de la distribution automobile et
pharmaceutique en Afrique, qui a réalisé 3,1 milliards d'euros de chiffre d'affaires
en 2011.
À un moment où le marché de la consommation africain décolle, tiré par
l’émergence d’une nouvelle classe moyenne, le groupe français cède ses parts au
Japonais Toyota Tsuho Corporation.
Pour Dominique Lafont, directeur de Bolloré Africa Logistic, « le CAC 40 a
fui l’Afrique ».
Dans le domaine du BTP, les entreprises françaises sont en train d’être
évincées des marchés d’Afrique francophone et restent peu présentes dans
l’Afrique anglophone.
Quand on regarde les appels d’offre internationaux, notamment de la
Banque mondiale mais également de l’Agence française de développement, les
entreprises françaises ont perdu des parts de marché significatives.
- 284 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Une comparaison des parts de marchés des constructeurs français et
chinois en Afrique subsaharienne sur financement AFD et BM (2006‐2009) montre
que les entreprises françaises n’ont obtenu pendant cette période que 1,6% des
marchés de la Banque mondiale contre près de 30% pour les entreprises chinoises.
Plus récemment, un appel d’offre pour l’aéroport de Nairobi, financé par
des fonds de l’AFD et dont les études avaient été réalisées par Aéroport de Paris, a
été attribué à des entreprises chinoises dont les offres, qui ont fait l’objet d’un
examen attentif, étaient non seulement 30% moins chères mais en tous points
conformes aux normes environnementales et sociales exigées.
Parts de marché respectives des entreprises françaises et chinoises dans le BTP
acteurs historiques que sont BNP Paribas, Société générale et Crédit Agricole, se
désengagent peu à peu.
Les établissements français qui ont longtemps dominé le financement du
commerce des matières premières et des produits de base entre l'Afrique et
l'Europe réduisent la voilure en Afrique.
Dans les états‐majors des groupes, on préfère parler de réorganisation
stratégique. Celle‐ci consiste notamment à se renforcer sur les principaux marchés
‐ Côte d'Ivoire, Sénégal, Cameroun ‐ et à concentrer les efforts sur les activités les
plus rentables.
Ainsi, Société générale a gelé ses acquisitions en Afrique francophone,
mais a annoncé en juin 2010 un plan stratégique visant à ouvrir 90 agences d'ici à
2015, principalement au Sénégal et en Côte d'Ivoire, où elle se lance aussi dans le
mobile banking.
BNP Paribas s'est retirée de la Mauritanie et de Madagascar. Crédit
Agricole s'est quant à lui recentré depuis deux ans sur la banque de détail en
Europe et dans le Bassin méditerranéen.
Il a ainsi cédé à Attijariwafa Bank, en 2010, six de ses filiales
subsahariennes (Congo, Côte d'Ivoire, Cameroun, Gabon, Sénégal, Afrique du Sud).
La participation des grandes banques françaises dans le système bancaire
ouest‐africain est passée de 80% à 33% au cours de la décennie. Alors que les
indicateurs économiques ouest‐africains virent au vert, elles poursuivent
aujourd'hui leur stratégie de repli au profit des banques nigérianes, marocaines ou
chinoises.
Ainsi l'Industrial and Commercial Bank of China, la plus grande banque du
monde, a profité de la baisse des prix pour accroître ses investissements sur le
continent : elle a acquis une participation de 20 % dans le capital de la Standard
Bank of South Africa, l'une des plus grandes banques du continent, pour quelque
4,85 milliards de dollars.
Dans certains secteurs, les mines par exemple, la France est de plus en
plus absente à l’exception d’Eramet. Dans d’autres, comme le pétrole, où Total
avait une expertise particulière sur l’Afrique, nos positions reculent alors même
que le secteur connaît une expansion sans précédent dans de nombreux pays, en
Afrique anglophone ou lusophone, en Angola, au Mozambique, au Ghana, en
Ouganda, en Tanzanie mais aussi dans l’Afrique francophone, au Niger ou en
Mauritanie.
Comment expliquer cette passivité par rapport au dynamisme des pays
émergents ?
Pour Mathieu Pigasse de la banque Lazard, le premier problème est la
perception qu’ont les entreprises françaises de l’Afrique : « Elles n’ont pas compris
ce qui est en train de se passer, le modèle européen est en panne, le modèle
exportateur chinois est en train de faire du surplace, le continent africain décolle ;
- 286 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
c’est un changement de monde, très bien perçu par les Chinois et que nous sommes
peut‐être en train de rater ».
Les entreprises françaises surévalueraient les risques et minimiseraient les
opportunités.
L’Afrique fait encore peur aux investisseurs français
Pour Luc Rigouzzo, président d’Amethis Finance (société de conseil en
financement et investissements pour l’Afrique) : « L'expérience et les données
financières disponibles démontrent un couple rendement/risque bien meilleur que
celui mesuré par les marchés financiers, les risques sont réels, mais sont inférieurs
aux risques mesurés: le système de notation international qui intègre des plafonds
par pays atteint ses limites en Afrique, où le risque du secteur privé est meilleur que
le risque souverain.».
Il est vrai que nombre d’entreprises asiatiques, chinoises, coréennes ou
indiennes ont parié très tôt en effet sur la dynamique de la population africaine et
la montée d’une classe moyenne africaine.
« Les entreprises des pays émergents ont été plus promptes que les
entreprises occidentales à apprécier le redressement des économies africaines»
nous a dit Lionel Zinsou racontant comment un opérateur de télécommunication
français avait préféré, dans les années 2000, investir en Norvège plutôt que de
racheter un opérateur sud‐africain. Dix ans après, se réveillant trop tard, la même
entreprise découvre que son homologue africain, qui était à l’époque à sa portée,
est désormais estimé à 1,3 fois sa valorisation boursière, autrement dit un montant
inaccessible.
Les marchés africains n’attendront
pas. Les places sont de plus en plus chères
Certains sont déjà arrivés à maturité. Pour Luc Rigouzzo, « il y a de
nombreuses opportunités mais les places sont de plus en plus chères au fil du
temps».
En comparaison avec les investisseurs occidentaux, souvent confrontés à
des baisses de taux de marge et sous le contrôle d’un actionnariat exigeant, avec
des obligations de rendement immédiat et de distribution de dividendes, les
grandes entreprises des puissances émergentes sont généralement moins
tributaires des contraintes de court terme. Leur dimension et les objectifs de leurs
actionnaires, le niveau des bénéfices qu’elles dégagent en interne et les
financements publics d’appui sont autant de facteurs qui concourent naturellement
à cette stratégie de long terme en Afrique.
L’Inde et la Chine manifestent ainsi une moindre préférence pour le
présent. Comme nous l’a indiqué M. Dominique PERREAU, ancien ambassadeur,
ancien directeur de l’AFD : « La logique qui sous‐tend la démarche de ces grands
émergents consiste à prendre date, à créer les conditions tendancielles d'une
sécurisation de leurs importations et d’une élévation de leurs parts de marché à
l’exportation.».
CHAPITRE 3 : - 287 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Répondant à un observateur qui l’interrogeait sur le rôle du risque
politique dans les investissements en Afrique, le Premier ministre indien,
Manmohan Singh, a traduit l’état d’esprit national, celui du gouvernement comme
celui des entrepreneurs : « L’investissement est un « acte de foi » et les difficultés
temporaires de l’Afrique n’empêcheront pas le peuple indien de se tenir aux côtés
du « continent frère ».
A contrario, la situation financière des entreprises françaises limite leurs
capacités d’investissement. « Le marché africain exige de plus en plus des stratégies
panafricaines et donc des investissements importants dont les entreprises
françaises n’ont pas en ce moment les moyens financiers » nous a dit Jean‐ Michel
Severino.
« On a perdu CFAO, c’est un drame, on pourrait perdre demain Castel et,
au rythme où cela va, peut‐être qu’un jour verrons‐nous Bolloré Africa Logistics,
avec ses activités portuaires aux quatre coins de l’Afrique, vendre ses activités à
Dubaï port » nous a dit un entrepreneur français, président d’une chambre de
commerce franco‐africaine.
Le décollage économique de l’Afrique et la diversification des économies
semblent concerner avant tout l’Afrique anglophone plutôt que l’Afrique
francophone comme l’illustre le schéma précédent.
L’Afrique des classes moyennes, celle du décollage économique, que cela
soit l’Afrique du Sud, le Ghana, le Bostwana, le Mozambique, le Kenya ou
- 288 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
l’Ouganda, toutes se situent dans un monde anglophone où la France n’est pas
attendue, voire mal accueillie.
Cela n’empêche cependant pas les entreprises françaises d’y investir. Le
stock d’investissements français au Nigeria, en Angola et au Congo ne doit pas faire
illusion. Il s’agit avant tout d’investissements pétroliers.
Congo
Stock d'investissement français en Afrique 12%
Côte d'Ivoire 3%
Gabon 3%
Nigeria
25% Sénégal
3%
Maurice
3%
Angola
28%
Tout n’est pas noir, certaines entreprises françaises ont pris conscience
des opportunités.
D’après Nicolas de Roquefeuil, directeur commercial géographique pour le
Maghreb, l’Afrique francophone et lusophone de Bouygues et directeur général
SETAO, « Bouygues est en train de reconquérir des positions qu’elle avait laissées de
côté au Nigeria, en Côte d’Ivoire et en Guinée Equatoriale et vise désormais de
nouveaux marchés dans des pays comme le Gabon, le Cameroun, le Mozambique et
l’Angola.».
Mais pour M. Alexandre Vilgrain, président du Conseil Français des
Investisseurs en Afrique (CIAN) et directeur général de SOMDIAA depuis 1995, « la
France a perdu beaucoup de temps à un moment crucial du développement de
l’Afrique, on doit aujourd’hui soutenir les entrepreneurs qui s’investissent sur ce
continent. Le premier pas est de changer le regard sur l’Afrique, mais aussi sur les
entrepreneurs qui font des affaires en Afrique. Quand une entreprise gagne un
important marché en Asie on le félicite pour son dynamisme, quand c’est en Afrique,
on soupçonne de la magouille. La France ne peut pas être le seul pays qui pense que
faire des affaires en Afrique c’est forcément sale, ce n’est pas vrai et les Africains ne
supporteront pas longtemps ce discours, ils nous attendront pas, tant les pays
émergents se bousculent à leurs portes».
CHAPITRE 3 : - 289 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
2. Une communauté d’expatriés français en diminution
La chute du nombre d'expatriés français confirme ce recul économique :
près de 130 000 Français vivent en Afrique francophone, contre près de 160 000 en
1984. La part relative des Français en Afrique par rapport à l’ensemble des
expatriés a été divisée par deux, passant de 18% à moins de 9%.
rit 87
rit 90
rit 96
rit 99
rit 02
rit 08
11
sc 9 9
sc 0 0
sc 9
sc 9
sc 9
sc 9
sc 9
sc 0
sc 0
20
in s 1
in s 1
in s 1
in s 1
in s 1
in s 1
in s 2
in s 2
in s 2
s
rit
rit
rit
sc
in
En Afrique du Sud, nous avons rencontré Paul‐Simon Handy qui dirige la
division chargée de la prévention et de l’analyse des risques de conflit à l’Institut
d’études de sécurité de Pretoria, un Think Tank panafricain connu pour ses analyses
sur les questions de sécurité dans l’ensemble du continent. Il nous a raconté son
parcours. Né au Cameroun, étudiant à Yaoundé en sciences politiques, il avait voulu
poursuivre ses études en France. Après deux refus de visa, il s’est décidé pour
Berlin puis Leipzig où il a obtenu son doctorat. Il est aujourd’hui une référence dans
son domaine.
Combien y a‐t‐il de cas comparables ? Difficile à dire. Pratiquement tous
les interlocuteurs africains que nous avons rencontrés nous ont raconté des
histoires similaires de cadres africains aujourd’hui reconnus par leurs pairs qui,
faute de visa français, ont poursuivi leurs études ailleurs.
Combien d’occasions avons‐nous ratées de transmettre notre vision du
monde, de susciter un goût, un appétit pour la France, pour ses idées ou pour ses
produits ?
- 290 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Le phénomène a de quoi inquiéter. Certes en 2010 la France était encore
le premier pays d’accueil des étudiants africains en mobilité, concentrant à elle
seule près de 30% de cette population tout niveau confondu.
Mais la tendance est au repli. La proportion des étudiants africains qui
font leurs études en France parmi l’ensemble des étudiants qui effectuent leurs
études à l’étranger a diminué de 7% en l’espace de 4 ans, chutant de 36 à 29%.
Dans les enquêtes réalisées par CampusFrance, les étudiants interrogés
expliquent avant tout le choix de la France par les qualités académiques qu’offre le
pays : la qualité de la formation, la valeur des diplômes, la réputation de
l’établissement choisi.
Mais la langue française est un critère essentiel dans leur choix puisque
plus de la moitié des étudiants africains qui poursuivent des études en France sont
de langue maternelle française et plus de 80% sont originaires de l’Afrique
francophone.
La France a ainsi avec l’Afrique francophone une opportunité de former
des générations d’élites francophiles qu’elle est en train de gâcher en les invitant à
aller ailleurs.
.
Sources : Campus France Unesco
Dans le même temps, l’Afrique du Sud enregistre une hausse de 28,8%, le
Royaume‐Uni de 19,3% et, plus surprenant encore, la Malaisie de 400% du nombre
d’étudiants africains. On observe ces dernières années des taux de croissance très
élevés du nombre des étudiants allant en Italie (+ 54 % entre 2005 et 2008), au
Canada (+ 42 %) et au Maroc (+ 50 %).
CHAPITRE 3 : - 291 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Les causes de cette désaffection sont nombreuses : le coût des études en
France, l’attrait de la langue anglaise, la faible compétitivité des universités
françaises, mais la première est une politique des visas dissuasive.
Alors même que notre pays se targue d’être le partenaire privilégié du
sous‐continent africain, la politique des visas mise en place à partir de 2002 a
d’abord découragé plus d’un étudiant africain de suivre son cursus universitaire en
France.
Tous les interlocuteurs africains vous le diront : il faut s’armer de courage
et de patience pour faire une demande de visa auprès d’une ambassade française
sur le continent.
Malgré la bonne volonté du personnel des consulats, souvent en sous‐
effectifs, les demandes de visa sont vécues comme un parcours du combattant.
Nos entretiens ont été pleins de ces récits de personnes de talent qui se
sont senties humiliées lors de ces démarches, tant par l’accueil qui leur a été
réservé que par le mode de sélection.
La lenteur des démarches administratives, notamment à l’approche de la
rentrée scolaire, complique l’installation des étudiants. « Quand on demande un
visa pour la rentrée scolaire, il arrive qu’on vous accorde un premier rendez‐vous
après le premier jour de la rentrée, autrement dit vous êtes assuré de la rater. »
nous a dit une étudiante ivoirienne.
- 292 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Le visa accordé avec retard oblige les étudiants africains à rattraper les
cours qu’ils n’ont pu suivre tandis que les bourses ne sont presque jamais délivrées
en temps voulu. Il devient donc difficile de trouver un logement, de pouvoir
subvenir à ses besoins et de réussir son année universitaire. Le nombre de bourses
lui‐même a tendance à diminuer sous le coup des restrictions budgétaires.
Source : Campus France
Dans certains cas, l’avis négatif de Campus France, qui se prononce sur la
pertinence du projet d’études à la vue du cursus envisagé et des études déjà
effectuées, est communiqué après coup. « Pendant ce temps, les candidats ont dû
présenter au consulat un billet d’avion et réunir les sommes exigées pour obtenir le
visa. Non seulement, leur projet tombe à l’eau, mais ils ont perdu de l’argent » nous
a‐t‐on raconté.
Ces cas ne sont pas isolés, loin s’en faut. L’articulation actuelle d’une
double procédure, celle de Campus France et celle du Consulat, a sa logique, mais
elle ne prend pas assez en compte les contraintes des demandeurs.
La réalité d’une telle complexité administrative contraste avec l’image
véhiculée par une longue tradition de formation des élites africaines au sein des
prestigieuses universités françaises.
Elles nourrissent un ressentiment réel parmi la jeunesse africaine.
Cette situation résulte à la fois de notre politique prohibitive
d’immigration mise en place à partir de 2002, de son interprétation dans un sens
restrictif par les administrations sous l’impulsion du pouvoir politique d’alors, et du
sous‐effectif des consulats qui doivent par ailleurs faire face à une multiplication de
la fraude documentaire. Plus la législation est restrictive, plus l’imagination des
fraudeurs se développe, plus la méfiance des services consulaires s’accroît, plus les
exigences et les délais pour obtenir un visa augmentent.
CHAPITRE 3 : - 293 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Ce cercle vicieux a nui à l’image de la France dans des proportions que
nous avons trop longtemps ignorées.
Une fois en France, beaucoup d’étudiants africains disent avoir
l’impression d’être considérés différemment des autres étudiants étrangers
notamment issus du programme ERASMUS : ils ressentent de la méfiance à leur
égard et se sentent souvent perçus, non pas comme des dirigeants et des
entrepreneurs en devenir, mais plutôt comme des migrants potentiels.
Ce climat alors peu accueillant les a conduits à aller se former ailleurs.
Autrefois, si les chefs d’État d’Afrique francophones n’avaient pas fait
leurs études en France, ce qui était rare, on pouvait être sûr que c’était le cas de
leurs principaux conseillers.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il reste un grand nombre de cadres qui ont
été formés dans les universités françaises, dans les Instituts des sciences politiques,
voire à l’ENA. Mais la France a perdu le monopole de la formation des élites
africaines.
Les élites africaines ne se contentent plus du Quartier Latin, elles
parcourent le monde, choisissent entre Paris, Londres, San Francisco, Le Cap ou
ailleurs, l’ENA, la London School of Economics, Harvard, MIT (Massachusetts
Institute of Technology), Berkeley, Oxford Cambridge ou ailleurs, selon les
opportunités. L’Afrique s’ouvre à de nouveaux partenaires, s’engage dans la
mondialisation et il naturel et même souhaitable qu’elle diversifie le parcours
scolaire de ses futures élites.
Ils sont ainsi de plus en plus nombreux à préférer les États‐Unis à la
France, à l’instar de Thierry Tanoh, actuel vice‐président de la Société Financière
Internationale, l’une des filières de la Banque mondiale. Cet Ivoirien a effectué ses
études à l’École supérieure de commerce d’Abidjan puis a complété sa formation
en suivant un cursus en deux ans au sein de l’université d’Harvard, grâce au
programme Fulbright. Il est aujourd’hui l’une des personnalités africaines
influentes.
La réduction des visas de moyen séjour et la chute des bourses
universitaires ont conduit à une contradiction majeure : comment peut‐on espérer
restaurer notre image et mener une politique d’influence sur le continent tout en
fermant nos frontières derrière les grilles de la forteresse européenne.
L’enjeu est beaucoup plus large et doit être pensé en des termes politico‐
diplomatiques et non plus seulement sécuritaires ou migratoires. C'est dans cette
voie que s’oriente le nouveau gouvernement. Car ce qui arrivait aux étudiants,
arrivait aux chercheurs, aux artistes et aux entrepreneurs.
Les anecdotes sont nombreuses : des colloques franco‐africains qui ne
peuvent se monter ; des collaborateurs africains d’entreprises françaises qui ne
peuvent pas honorer des rendez‐vous à Paris ; des artistes qui décommandent des
spectacles faute de visa dans les temps.
- 294 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Le cas des étudiants du supérieur est d’autant plus frappant qu’il engage
des générations entières qui feront ou pas l’avenir des relations franco‐africaines.
Comme l’a souligné M. Xavier Darcos, Président de l’Institut français :
« Nous avons réduit nos programmes de bourses, notre politique de délivrance de
visa reste frileuse du fait du risque migratoire, quand les Américains ou les Chinois
multiplient les appels à destination des étudiants, ciblant, pour les premiers, les
meilleurs à qui ils offrent des possibilités de carrière. Nous sommes en contradiction
flagrante avec notre action de soutien à l’émergence artistique qui nécessite de
faciliter la mobilité des talents. »
Et la concurrence universitaire de la France ne se résume pas aux facultés
américaines ou chinoises : on constate un essor de la mobilité étudiante intra
régionale en Afrique.
Il ne suffira pas demain de rétablir une politique de visa circulatoire plus
ouverte pour attirer les futures élites africaines, car la concurrence pour « capter »
les étudiants africains est de plus en plus rude. La formation universitaire est
devenue un marché concurrentiel et les étudiants africains, un marché d’avenir
compte tenu de leur croissance démographique et de l’élévation continue de leur
niveau.
Ainsi l’Afrique du Sud déploie une stratégie ambitieuse de captation des
étudiants africains. Elle se classe déjà au deuxième rang des pays d’accueil en 2010,
juste après la France, attirant à elle seule 15% des étudiants africains en mobilité.
Le niveau de vie y est moins élevé qu’en Europe mais le pays présente une
stabilité politique, une dynamique économique et un niveau de développement qui
offrent des perspectives d’emplois à ces étudiants. Si ce pays accueille
principalement des étudiants venus d’Afrique australe, il attire également de plus
en plus d’étudiants originaires d’Afrique de l’Ouest.
La majorité des étudiants africains francophones en mobilité sur le
continent se dirige toutefois aujourd’hui vers le Maroc, qui se classe au 10ème rang
mondial des pays d’accueil des étudiants africains en mobilité pour l’année 2010,
selon une étude Campus France. La proximité géographique et culturelle du
royaume chérifien conjuguée à la qualité de l’enseignement qui y est dispensé,
souvent dans des écoles privées, sont autant d’atouts aux yeux des étudiants venus
du Sénégal ou de la Côte d’ivoire pour ne citer qu’eux.
CHAPITRE 3 : - 295 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
La demande des étudiants africains en enseignements universitaires de
qualité à des coûts raisonnables a conduit certains États extracontinentaux à
mettre en place des stratégies d’influence dans ce domaine.
C’est le cas du Royaume‐Uni qui a développé un programme de promotion
de la science et de l’innovation en Afrique, l’Africa Knowledge Transfer
Partnerships. Il s’agit d’un partenariat de transfert de connaissances vers le
continent, orchestré par le réseau des British Councils présents en Afrique.
La Chine a quant à elle établi une stratégie de diplomatie d’influence
offensive, à travers le développement des désormais célèbres instituts Confucius
dont certains établissements sont accueillis au sein des universités africaines.
En 2000, le gouvernement chinois a décidé de doubler les bourses
accordées aux étudiants africains dans les domaines de l’agriculture, de la
médecine, des langues, de l’éducation, de l’économie ou encore de la gestion.
Pari tenu : le plan d’action de Pékin (2013‐2015) dévoilé lors du forum de
coopération sino‐africaine en juillet 2012 prévoit 18 000 bourses pour les étudiants
du continent contre quelque 5 500 attribuées entre 2010 et 2012.
La Chine n’offre pas seulement des formations et des bourses, avec la
croissance de son économie, elle offre également des débouchés d’emploi.
Face à cette concurrence renforcée, la France souffre de faiblesses
structurelles comme l’indiquent les enquêtes réalisées par Campus France.
- 296 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Les étudiants interrogés rencontrent des difficultés pour se loger et
s’insérer et sont déçus par le manque de débouchés professionnels à l’issue de leur
formation en France. Ainsi seuls 64% des étudiants originaires d’Afrique interrogés
estiment que leur séjour en France a favorisé leur insertion professionnelle.
La situation actuelle est d’autant plus préoccupante qu’on ne perçoit sur
le terrain que le début d’un processus dont les effets se feront sentir dans dix à
quinze ans quand les nouvelles générations, qui se seront éloignées de la France,
occuperont des postes de responsabilité.
Sans verser dans le catastrophisme, il y a une génération de leaders
africains qui auront dans leur jeunesse été confrontés à une politique migratoire
française dissuasive et parfois humiliante.
Comme nous l’a dit un ambassadeur africain, « Il est temps de resserrer les
liens et de restaurer la confiance, si vous voulez qu’on vous confie encore la
formation de nos enfants. Chez les francophones les plus modérés, une impression
d'être délaissés, voire de ne pas être payés en retour par une France en repli
domine, avec pour corollaire le risque réel que les jeunes générations se détournent
de la France pour rejoindre de nouveaux partenaires».
Restaurer la confiance passe par une mise en cohérence de notre politique
migratoire, en relation avec la redéfinition de notre politique d’influence sur le
continent. Pour restaurer notre influence, il est capital de retisser des liens
humains dans les deux sens et de faciliter la circulation des hommes et pas
seulement des marchandises.
On peine à comprendre comment sur place au sein d’une même
ambassade et à Paris au sein d’un même Gouvernement, on peut d’un côté monter
des programmes pour attirer les talents africains et de l’autre tout faire pour ne
pas leur accorder des visas.
Il nous faut parvenir à attirer les futures élites nationales par une politique
de bourses universitaires beaucoup plus dynamique. Au‐delà de la période de
formation initiale, il convient de structurer des dispositifs d’échanges qui
permettent à des universitaires et des professionnels établis dans leurs pays
d’exercer leur métier une partie de l’année en France sous la forme de « doubles‐
chaires ».
4. Une francophonie en difficulté malgré la dynamique démographique
Cette perte de vitesse dans le domaine de la formation et de l’éducation
se reflète dans le déclin de la francophonie sur le continent.
Si les prévisions à l’horizon 2050 assurent que 80% des francophones
vivront en Afrique, c’est plutôt en raison de la dynamique démographique du
continent que d’une véritable politique francophone et francophile.
Au contraire, les États africains semblent de plus en plus résolus à se
détacher de cet héritage linguistique, en atteste la position du Gabon qui, quelques
CHAPITRE 3 : - 297 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
jours avant le sommet de la Francophonie en 2013, a annoncé l’introduction de
l’anglais obligatoire à l’école primaire.
Le Rwanda a montré comment un pays au régime autoritaire pouvait en
peu de temps tourner le dos au français.
Dans les pays francophones où les systèmes éducatifs sont dégradés, le
dividende démographique de la francophonie ne sera pas automatique. Au
contraire, tandis que le nombre de locuteurs potentiels de français augmente de
manière mécanique grâce au dynamisme démographique avec un effectif scolarisé
en augmentation de 31 % en dix ans, la qualité de l'enseignement du français
régresse et la maîtrise de la langue diminue.
Dans les pays non‐francophones, la langue française progresse : elle
réussit à se positionner comme une langue internationale capable d'offrir un avenir
professionnel à ses locuteurs ; les autorités éducatives ont souvent décidé
d'accorder une place plus importante au français dans l'enseignement des langues
étrangères, nous l’avons constaté aussi bien en Afrique du Sud qu’en Éthiopie. Mais
les objectifs fixés en matière d'apprentissage du français s'avèrent le plus souvent
irréalisables tant le déficit de professeurs de français est important.
Ce déficit d'enseignants en français est d'autant plus alarmant qu'il se
double d'un vieillissement accru du corps enseignant, de recrutements de
personnels peu ou pas qualifiés, ainsi que du manque d'attractivité du métier
d'enseignant de français, en particulier en dehors des grandes zones urbaines.
En Éthiopie, alors que le Gouvernement a souhaité réintroduire le français
dans le secondaire, nous avons découvert que depuis plusieurs années, pour des
raisons administratives complexes, il n’y avait plus d’étudiants inscrits en français à
l’université. Autrement dit, dans cinq ans, aucun professeur de français ne sortira
de la faculté d’Addis Abeba.
La baisse d’attractivité du français est à la fois due au déficit d’image dont
pâtit actuellement notre pays en matière d’accueil des étudiants mais aussi à un
problème de formation d’enseignants et de linguistes compétents.
Le dividende démographie de la francophonie est une
illusion si une nouvelle génération de professeurs de français n’est pas formée
Au Sénégal, le wolof se développe au détriment du français qui est
pourtant considéré comme la seule langue officielle du pays, car les méthodes
d’apprentissage ne permettent plus aux jeunes populations d’être à l’aise avec
cette langue.
Beaucoup de professeurs préfèrent d’ailleurs s’exprimer en wolof pendant
les cours, ce qui pose des problèmes lors de l’arrivée des élèves à l’université.
Chaque année le niveau baisse toujours un peu plus, et le français employé
s’apparente de plus en plus à une langue morte. Même les élites s’expriment de
plus en plus en wolof, et cet idiome gagne du terrain dans les médias : les débats
politiques et les journaux sont majoritairement diffusés en wolof.
- 298 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Le noyau dur de la relation avec l'Afrique qu’est la
francophonie est en difficulté au Sénégal comme à Madagascar
Un constat d’autant plus étonnant que le Sénégal s’est longtemps
enorgueilli d’être le berceau de la francophonie africaine. On se rappelle de
Senghor se définissant comme « le père de la francophonie » hier tandis
qu’aujourd’hui l’Organisation Internationale de la Francophonie est dirigée par
l’ancien président sénégalais Abdou Diouf.
Nous avons entendu les responsables de RFI et de TV5. Ils nous ont dit
qu’ils perdaient des parts de marché à cause du français ! Quoi de plus
symptomatique. Ce qui était notre atout est aujourd’hui une faiblesse que les
responsables de l’audiovisuel tentent de compenser intelligemment par le
développement de radio et télévision en langues régionales comme le Swahili et le
Bambara.
Dans certains pays francophones, pour diffuser
l’image et les valeurs de la France à travers RFI et France 24, on en est venu à
devoir ne plus utiliser le français
Ce désintérêt pour le français dénote la perte d’influence de Paris et
reflète le « pivot » américain qui s’opère au sein de la population.
Aujourd’hui, beaucoup d’étudiants sénégalais font le choix d’étudier aux
États‐Unis et teintent leur français d’expressions américaines. Assez naturellement
les élites voient l’Afrique s’insérer dans une mondialisation dominée par la culture
anglo‐saxonne et souhaitent, avec l’anglais, avoir tous les atouts pour y réussir.
Madagascar connaît un tiraillement encore plus fort entre l’anglais et le
français, du fait de son passé colonial. La grande île devait ainsi accueillir le sommet
de l’OIF en 2010 mais la crise politique survenue cette même année a contraint
l’organisation à suspendre le pays et à organiser le sommet en Suisse. Aujourd’hui
les deux seules langues officielles établies dans la Constitution de 2010 sont le
malgache et le français. Mais la présidence de Marc Ravalomanana a favorisé
l’anglais au détriment du français. Elle a rendu l’enseignement de l’anglais
obligatoire et dans le même temps l’apprentissage du français s’est dégradé.
Ce désintérêt pour le français dénote tout autant la perte
d’influence de Paris que le « pivot » anglo‐saxon qui s’opère au sein des
populations africaines.
Aujourd’hui, le français a atteint un niveau médiocre sur l’île, même les
instituteurs ne sont pas assez bien formés pour enseigner cette langue. En effet, le
français n’est plus pratiqué quotidiennement : 4 enfants sur 5 maîtrisent mal le
français à l’école primaire et ces difficultés se ressentent jusqu’au cursus
universitaire. Plus inquiétant encore, c’est la position du gouvernement : aucune
mesure n’a été mise en place afin de pallier cette faiblesse. Les autorités
encouragent ainsi passivement le déclin du français.
Le désintérêt croissant pour la francophonie au sein des populations
africaines est aussi le résultat d’une politique de coopération culturelle française
CHAPITRE 3 : - 299 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
qui a du mal à capter les attentions et les désirs africains et dont les moyens sont
en constante régression.
Si dans certains milieux africains, on est d'une certaine façon fatigué de
notre aide et si on aspire à des liens plus clairement fondés sur des relations
économiques réciproques, la vraie légitimité qui nous est reconnue est fondée sur
la francophonie ; cette dernière constitue bien le noyau dur de la spécificité de
notre relation avec l'Afrique et notre défaillance est regrettée.
Sur un continent qui a une demande de formation aussi forte dans tous les
domaines, la francophonie devrait nous permettre de mettre en place des
stratégies ambitieuses de formation des cadres africains.
Les difficultés de la Francophonie linguistique fragilisent, par ailleurs, le
projet de la diplomatie française de transformer la Francophonie institutionnelle,
d'un espace de gestion d'un patrimoine linguistique et culturel commun, vers une
organisation politique à part entière sur la scène internationale.
Le déclin du français ne peut que limiter l’influence d’une organisation au
demeurant très jeune qui connaît par ailleurs des difficultés importantes à
s’imposer comme un acteur politique.
Le sommet de Cotonou en 1995 avait en effet consacré le renforcement
des institutions avec la création d'un poste de secrétaire général de la
Francophonie, auquel fut nommé l'ancien secrétaire général des Nations unies
M. Boutros Boutros‐Ghali.
Les difficultés de la Francophonie linguistique fragilisent le projet de
transformer la Francophonie vers une organisation politique
À la culture et à l'éducation, domaines de prédilection de la coopération
francophone, se sont alors ajoutés au fil des sommets les sujets politiques (paix,
démocratie et droits de l'homme), le développement durable, l'économie et les
technologies numériques. La Francophonie s’était dotée d'une Charte lors du
sommet des chefs d'État et de gouvernement à Hanoï en 1997, Charte révisée en
2005 par la conférence ministérielle réunie à Antananarivo.
Il s’agissait de structurer les relations entre pays membres de l'OIF par
l'adhésion à des valeurs communes et de créer un dialogue avec d'autres
organisations internationales.
La Francophonie s'est ainsi progressivement dotée de règles internes
fondées sur le respect des droits de l'homme, des valeurs de la démocratie, de la
paix et de la bonne gouvernance qu'elle promeut. Tout État qui enfreint ses
propres règles constitutionnelles en est désormais suspendu, et ce en vertu de la
déclaration de Bamako de 2000. L'application de cette règle a déjà conduit à la
mise à l'écart de quatre États, Madagascar (2009), la Guinée‐Bissau (2012), le Mali
(2012) et la République centrafricaine (2013).
En 2006, l'adoption de la déclaration dite de Saint‐Boniface relative à la
prévention des conflits et à la sécurité humaine est venue compléter ce dispositif
- 300 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
en mettant en avant la responsabilité des États membres dans la protection des
populations civiles sur leurs territoires.
Presque vingt ans après le bilan semble maigre.
L'augmentation régulière du nombre des États membres de cette
institution a accru certes son audience mais elle n’a pas aidé à la définition d'une
ligne diplomatique claire et a contribué à diluer la présence de l’Afrique.
Les adhésions les plus récentes, à partir de 1997, ont été surtout le fait de
pays dans lesquels la langue française a une diffusion limitée au cercle des élites
lettrées et qui ont des visions du monde très différentes, qu’il s’agisse de la
Pologne, de la Lituanie, de la République tchèque ou de l'Autriche, qui ont acquis la
qualité d'observateurs, ou du Qatar qui est devenu membre associé.
Alors que l'Union européenne, pourtant adossée à la puissance de ses
États membres et à une intégration économique croissante, peine à définir une
politique étrangère commune, on conçoit les difficultés que la Francophonie aura à
dépasser les différences fortes entre ses membres.
CHAPITRE 3 : - 301 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Une des conséquences de cette situation est la faiblesse du budget de
l'OIF qui, avec des crédits nettement inférieurs à 100 millions d’euros, n’a pas
vraiment les moyens d'une politique internationale ambitieuse. En prenant en
charge près de 76% de son budget, la France est de loin le principal contributeur
financier de l'organisation.
Vu de Paris, l’ambition initiale était de faire de cette organisation un
acteur à part entière de la scène internationale en général et africaine en
particulier, dans laquelle la France jouerait un rôle prépondérant.
C’était sans doute un dessein qui n’était pas partagé par les autres
membres de l’organisation et notamment par la Fédération Wallonie‐Bruxelles ou
par le Québec dont les motivations sont très indépendantes des intérêts français.
Toujours est‐il que la réalité est très en deçà des ambitions.
La crise malienne de 2012‐2013 montre qu'en cas de crise grave,
l’influence de la Francophonie institutionnelle devient très secondaire au regard de
celle d'autres acteurs multilatéraux.
B. UNE POLITIQUE TÉTANISÉE PAR LE DÉBAT SUR LA « FRANÇAFRIQUE » ET LE
MANQUE DE MOYENS
Si les entreprises perdent des parts de marchés, si les Français s’installent
moins qu’auparavant en Afrique, si les étudiants africains sont plus attirés par le
monde anglo‐saxon, des mesures sont‐elles prises du côté des pouvoirs publics
pour limiter ce recul, resserrer les liens avec l’Afrique et affronter ensemble les
défis des décennies à venir ?
Non seulement la réponse nous paraît négative, mais il nous semble que le
discours officiel de la France et l’absence de stratégie collective des administrations
françaises ont participé à ce recul de la présence française.
1. Un discours sur l’Afrique obnubilé par le passé
Lors de nos déplacements en Afrique, les ambassadeurs de France ont, à
notre demande, systématiquement organisé des déjeuners avec une quinzaine de
leurs homologues africains souvent francophones.
Dans ces vieux bâtiments qui témoignent de l’ancienneté de la présence
française sur le continent, ces représentants de l’Afrique nouvelle nous ont souvent
tenu le même langage : « Que fait la France ? », « Pourquoi après être resté si
longtemps, partir au moment où tout le monde arrive ? »
Tous étaient unanimes pour saluer le courage de l’intervention française
au Mali, mais, une fois les remerciements passés, chacun s’est interrogé à demi‐
mot sur les raisons pour lesquelles la France cédait tellement de terrain face aux
nouveaux partenaires.
- 302 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Nous n’excluons pas que la courtoisie ait conduit nos hôtes à nous dire ce
que nous voulions entendre, c’est‐à‐dire qu’il y avait encore en Afrique un désir de
France.
Mais ce qui nous a le plus frappé, c’est cette perplexité devant l’attitude
de la France, devant sa difficulté à dépasser les querelles du passé et à comprendre
les transformations du continent.
« Quand la France parle de l’Afrique, elle parle plus du passé que de
l’avenir » nous a dit un interlocuteur africain, « il faut changer de lunettes ».
a) Rompre avec la Françafrique comme seule stratégie
Quand on regarde les 20 dernières années, la parole sur l’Afrique au sommet
de l’État aura été dominée par la rupture avec le passé en général et avec la
Françafrique en particulier.
Longtemps, l'Afrique a constitué pour les chefs d’État successifs, « un », sinon
« le » cœur de l'influence française dans le monde, le théâtre privilégié dans lequel les
autorités françaises ont pu prouver l’utilité et le poids de la France dans le concert des
nations. Longtemps, l'Afrique aura été le lieu de la manifestation de la «grandeur» et
du «rang» de la France, à tel point qu’on a pu dire que « La France sans l'Afrique, c’est
le Luxembourg ».
Les différents Présidents de la République ne s’y sont pas trompés, De Gaulle
le premier évidemment. L’Afrique a longtemps fait partie intégrante de la posture
présidentielle française, la cellule africaine de l'Élysée assurant la continuité par‐delà
des styles différents.
On est subrepticement passé de la célébration de la spécificité de notre
relation à l’Afrique à sa négation, de l’exceptionnalité africaine à sa banalisation.
Et puis imperceptiblement, de réforme en réforme, la France a semblé, du
moins dans le discours, s’en désintéresser, comme si la France sans l’Afrique, c’était
peut‐être, après tout, un fardeau en moins.
Dans l’intervalle, entre la dévaluation du franc CFA, la suppression du
ministère de la coopération, la disparition d'Omar Bongo en 2009 et les décès
d'Houphouët‐Boigny puis de Foccart, on est subtilement passé de la célébration de la
spécificité de notre relation à l’Afrique à sa négation, de l’exceptionnalité africaine à sa
banalisation.
Relisons les débats sur la politique africaine depuis 15 ans : le maître mot est
la rupture avec le passé.
La « rupture », tant annoncée en 1974 et en 1981, est repensée à l'aube des
années 2000. Avec le second mandat de Jacques Chirac, et surtout avec l'élection de
Nicolas Sarkozy, l'intégration de la cellule Afrique au sein de la cellule diplomatique
entendait signifier institutionnellement ce changement d'époque et de mœurs.
La relecture des professions de foi sur l’Afrique de tous les candidats aux
deux dernières élections présidentielles en témoigne : l’Afrique y est quasiment
CHAPITRE 3 : - 303 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
absente et quand la question est abordée, le thème central est encore et toujours la
rupture avec le passé.
A‐t‐on vraiment rompu ? Comment rompre ? Rompre avec quoi au juste ?
Chacun a sa version. Pour les uns, c’est d’abord rompre avec un discours et
une vision de l'Afrique, rompre avec une vision paternaliste et ethnocentrique de ce
continent, rompre avec une posture de donneur de leçons pour établir des
partenariats d’intérêts mutuels.
Pour les autres, c'est rompre avec de sombres pratiques et des réseaux
d’émissaires officieux qui n'ont d'autre mandat que celui qu’ils s'inventent, avec des
interventions militaires improvisées au profit de régimes politiques les plus
contestables du continent.
Pour beaucoup, c’est enfin rompre avec des circuits financiers opaques qui
ont trop longtemps fait le jeu de la corruption, les financements occultes de partis
politiques africains et français et des biens mal acquis.
Les discours du Cap de Nicolas Sarkozy (2008) et de Dakar (2012) de François
Hollande ont convergé pour annoncer que la rupture, c’était une plus grande
transparence et la nécessité de confier la sécurité du continent aux Africains eux‐
mêmes, aux instances régionales et, éventuellement, aux instances multilatérales et
européennes.
Cette évolution progressive a conduit à des changements profonds tels que la
réforme de la coopération, le redéploiement de notre dispositif militaire en Afrique ou
la révision des accords de défense.
Mais quid de la France, de sa politique, de ses intérêts ? Rien ou peu, sinon
renoncer avec force non pas encore à l’Afrique, mais à la « Françafrique », terme
péjoratif s’il en est à force de désigner une relation si spéciale. Quid de l’avenir ?
On a souvent considéré in fine notre relation à l’Afrique comme un
encombrant héritage que le temps finira par dilapider.
C’est en cela que chacun s’est accordé à dire que la France n’avait pas
vocation à maintenir sa présence militaire sur le continent, comme elle n’a pas
vocation à toujours alimenter une aide au développement dont la réussite et le succès
seront précisément sa disparition.
Ainsi l’avenir semblait voué à un retrait, que la diminution de nos moyens
budgétaires nous imposerait de toute façon.
Rompre avec la Françafrique, ce n’est pas rompre avec l’Afrique
Seule, la convoitise des émergents aura suscité un doute sur la démarche à
suivre. « C’est la Chine qui a fait changer le regard des Français sur l’Afrique » a
souligné Dominique Lafont, directeur de Bolloré Africa Logistic. « Nous avons multiplié
par 3 notre chiffre d’affaires en Afrique durant une décennie où les Français
regardaient le continent avec indifférence ou nostalgie ».
- 304 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
b) À regarder dans le rétroviseur, l’Afrique est restée dans l’angle mort.
Comme nous l’a excellemment décrit Yves Gounin, « ce sont deux décennies
pendant lesquelles la politique africaine de la France voit s'affronter deux clans. D'un
côté les Anciens. De l'autre les Modernes. Les Anciens, autour de Jacques Foccart,
voulaient que soient préservés les liens spécifiques qui unissaient la France et l'Afrique.
De l’autre, Les Modernes appelaient de leurs vœux la réforme de la relation franco‐
africaine et sa banalisation. Une querelle qui voit s’affronter en définitive les tenants
d'une politique normalisée et ceux qui refusent que soit signé l'acte de décès de la
Françafrique. »
Deux décennies pendant lesquelles on a rouvert les débats sur le passé de la
relation à l’Afrique.
D’un côté, on a redécouvert le passé esclavagiste de la France. Les historiens
et les journalistes se sont emparés d’un sujet qui touche d’autant plus la France qu’elle
dispose, avec les Antilles et La Réunion, de territoires peuplés en grande partie par les
descendants des esclaves déportés d’Afrique. Le continent noir a été dépossédé d’une
partie de sa population alors qu’il était encore sous‐peuplé, au terme d’un commerce
triangulaire dont la France a été l’un des acteurs majeurs.
De l’autre, l’histoire du passé colonial fait resurgir des mémoires divergentes
sur la colonisation, son impact sur l’histoire africaine et sur les épisodes dramatiques
d’une décolonisation qui fut sans doute plus pacifique que celle de l’Algérie, mais qui a
été cependant émaillée d’épisodes sanglants.
Le premier débat aboutira à la loi Taubira sur la mémoire de l’esclavage, le
second sur la loi Mekachera du 23 février 2005 dont l’article 4 faisait obligation aux
programmes scolaires de reconnaître le rôle « positif » de la présence française en
Afrique du Nord. Débattue pendant un an, la loi sera finalement abrogée en 2006.
CHAPITRE 3 : - 305 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Enfin, dans le débat public, les différentes publications sur la Françafrique
issues de travaux de François‐Xavier Verschave et de l'association Survie ont occupé la
décennie en dénonçant dans la veine de « La Françafrique, le plus long scandale de la
République », l’histoire des relations franco‐africaines comme le produit d’une
diplomatie occulte et d’intermédiaires officieux, mêlant soutien aux dictatures et
coups d'État, détournements de fonds et financement illégal de partis politiques : une
littérature d’autant plus médiatique qu’elle sera régulièrement alimentée par
l’actualité judiciaire avec l’Affaire Elf, l’Angolagate, et plus récemment l’affaire Borrel.
S’est imposée aux yeux de l’opinion publique l’image d’une politique africaine
forcément corrompue et illégitime. L’expression « Françafrique », créée par
Houphouët‐Boigny pour souligner de façon positive l’intimité qui associe ce continent
à l’Hexagone, s’est ainsi imposée à l’inverse, de façon particulièrement dévalorisante,
avec pour symbole les 3 E (Elysée, Elf, État‐major), pour héros le Secrétaire général aux
affaires africaines et malgaches, Jacques Foccart et pour principe, la raison d’État.
À lire certains ouvrages, la politique africaine n’est alors que « le lieu d’un
double langage, du dualisme de l'officiel et du réel, de l'émergé et de l'immergé, du
légal et de l'illégal, où se mêlent des intérêts privés et publics, le financement des partis
politiques, le soutien des régimes en place par crainte du chaos. »
Cette image sulfureuse s’est étendue aussi bien à la sphère publique qu’à la
sphère privée.
Pour M. Alexandre Vilgrain, président du CIAN, «L’opprobre qui a entouré une
certaine sphère publique a gagné le privé. Une des difficultés des entreprises françaises
en Afrique, c’est qu’elles sont mal vues en France même. Quand vous travaillez en
Afrique, c’est forcément louche. Si vous faites la même chose, le même chiffre d’affaires
en Chine, c’est formidable, en Afrique c’est mal vu. Il faut en finir avec le passé et
assumer qu’on s’intéresse à l’Afrique, comme un des axes stratégiques de
développement des entreprises françaises ».
Parallèlement quelques maigres efforts ont été effectués pour dépassionner
ces débats et les poursuivre sur le terrain de la recherche historique, afin notamment
de favoriser une nécessaire écriture partagée entre la France et l’Afrique de certains
épisodes dramatiques de la décolonisation.
Ces efforts ont reçu un soutien encore très minimal des pouvoirs publics alors
qu’ils permettraient d’apaiser la mémoire, notamment à Madagascar et au Cameroun
où coexistent encore des visions extrêmement divergentes de faits qui remontent à
plus de cinquante ans, sans parler du Rwanda où, plus de vingt après, le souvenir du
génocide reste une blessure non cicatrisée, qui continue d’envenimer les relations
franco‐rwandaises.
Ces contentieux non réglés, qui empoisonnent la relation, méritent qu’on
essaie de solder le passé par une mise en récit commune d’une histoire partagée.
- 306 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
À débattre du passé, la France a
regardé l’Afrique dans le rétroviseur
Pendant que le passé occupait le terrain, la compassion qui va de pair avec la
dénonciation de la Françafrique est restée le cadre de pensée privilégié de la relation à
l’Afrique.
L’image du continent est restée trop longtemps figée dans celle de la
pauvreté et du conflit. « Les Français ont trop longtemps conservé l’image d’une
Éthiopie de la famine sans voir la naissance d’une puissance régionale » nous a dit
M. Michel Foucher, géographe, ancien ambassadeur et Directeur de la formation, des
études et de la recherche de l'IHEDN.
La difficulté de penser le continent tel qu’il est et tel qu’il évolue ne
permettra pas de définir la raison d’être d’une politique africaine et encore moins la
spécificité d’une relation qu’il faudrait avant tout banaliser.
Pendant des années, à regarder dans le
rétroviseur, l’Afrique est restée dans l’angle mort.
Cela ne signifie pas que personne n’ait perçu les évolutions en cours, ni
qu’aucune réforme n’ait été menée : celle de la coopération entreprise en 1998,
poursuivie en 2004, celle du dispositif militaire français en Afrique, ont marqué leur
époque sans qu’elles soient poussées à leur terme et sans qu’une cohérence
d’ensemble ne s’en dégage sinon celle de la rigueur budgétaire.
Pour Jean‐Michel Severino, ancien directeur général de l’AFD qui a été l’un de
ceux qui ont éveillé l’opinion publique et la classe politique aux transformations du
continent avec son livre Le temps de l’Afrique : « Pendant trop longtemps, les Français
ont tourné le dos à l’Afrique … ils n’ont longtemps vu dans l’Afrique que les menaces et
les risques sans voir les opportunités ».
Comme l’a observé le Général Didier Castres, sous‐chef d’état‐major
« opérations » au ministère de la défense « notre perception de la relation à l’Afrique
est toujours teintée de ‘’trop’’ de paternalisme, teintée de ‘’trop’’ de romantisme,
teintée de ‘’trop’’ d’idéologies et de ‘’trop’’ de complexes de l’ancien colonisateur. ».
Les discours présidentiels y ont contribué. Il suffit de se rappeler le Président
Jacques Chirac dire à Cannes : « nous sommes réunis parce que la France aime l’Afrique
et se sent liée à elle par les engagements de la fraternité, de l’histoire et du cœur », ou
le Président Nicolas Sarkozy à Dakar : « le problème de l’Afrique et, permettez à un ami
de l’Afrique de le dire, il est là. Le défi de l’Afrique, c’est d’entrer dans l’histoire », pour
comprendre combien sont prégnants non seulement la présence du passé, mais
surtout le registre du sentiment.
Coincées entre nostalgie d’une grandeur passée et mauvaise conscience, les
autorités françaises n’ont pas su jusqu’à présent dégager une nouvelle vision claire et
objective de ce que devrait être une relation apaisée au continent africain.
Même dans les cercles initiés, il est difficile de regarder notre relation à
l’Afrique telle qu’elle est objectivement. On y trouve une vision partagée entre :
CHAPITRE 3 : - 307 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
‐ une Afrique « continent en marge » des affaires du monde entendues
comme la mondialisation, la grande politique, la grande stratégie : elle est alors
quasiment ignorée ;
‐ une Afrique « exutoire » discrète aux affrontements indirects qui
commencent avec la colonne Marchand et l’épisode de Fachoda pour finir aujourd’hui
avec une rivalité avec la Chine ;
‐ une Afrique « arrière‐cour », considérée comme une simple réserve à
matières premières rares et chères ;
‐ une Afrique « menace » vis‐à‐vis de laquelle il fallait se barricader
Et quand on évoque la relation de la France à l’Afrique, on parle plus
volontiers de ce qu’elle devrait être que de ce qu’elle est.
2. Une stratégie introuvable pour une politique éclatée
Si la thématique de la Françafrique s’est aussi facilement imposée au cœur du
débat politique, c’est aussi qu’il n’y a pas eu, au sein des pouvoirs publics, une mise en
récit éprouvée des relations avec l’Afrique susceptible de nourrir une véritable
stratégie africaine, avec une vision froide de nos intérêts mutuels susceptible de
fédérer l’action des différentes administrations.
Ce vide a laissé la place dans le débat aux détracteurs de la politique africaine
de bonne et de mauvaise foi.
Sans vision partagée de la présence de la France en Afrique, il a été difficile
d’invoquer un cap ou de convaincre nos interlocuteurs qu’il s’agissait pour la France
d’un partenariat stratégique.
De même sur le terrain, l’absence de cap commun a laissé aux différentes
administrations jalouses de leurs prérogatives le soin de mener des actions mal
coordonnées, voire contradictoires, comme l’illustre la question de visas.
Quelle est la politique africaine de la France ? On serait bien en peine de
répondre à la question. Aucun ou peu de document stratégique sur le sujet, aucune ou
peu de réflexion commune aux acteurs de la politique africaine.
Comme l’a souligné Hubert Védrine devant la commission des affaires
étrangères du Sénat, il serait paradoxal que la France soit le seul pays à ne pas avoir de
politique africaine ! : « Toutes les puissances ont une politique africaine aujourd'hui. Et
la France ne devrait plus en avoir à cause de son passé colonial ? »1
Dans le même temps, les pays émergents à l’instar des autorités chinoises,
définissaient des documents de stratégies africaines.
Mais il n’y a pas eu que les émergents.
1 Audition de M. Hubert Védrine, sur la place de la France dans l'OTAN et les perspectives de
l'Europe de la défense. Mardi 27 novembre 2012 http://www.senat.fr/compte‐rendu‐
commissions/20121126/etr.html
- 308 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
L’Allemagne a publié en 2011 une « stratégie du gouvernement fédéral pour
l’Afrique » qui, selon les termes du ministre des Affaires étrangères Guido
Westerwelle, « coïncide avec une époque de bouleversements et de renouveau de
l’Afrique qui est la manifestation peut‐être la plus fascinante du monde en mutation
dans lequel nous vivons ».
Les Américains, les Chinois, les Allemands ont
défini une stratégie africaine, la France, elle, peine à définir un cap
Pour l’Allemagne, cela signifie qu’il faut « entretenir et approfondir les vieilles
amitiés mais aussi s’appliquer à en tisser de nouvelles ». Telle est précisément la
vocation de la stratégie pour l’Afrique: « Nous souhaitons ouvrir un nouveau chapitre
des relations avec notre continent voisin », a affirmé le ministre fédéral des Affaires
étrangères. L’objectif est de prendre en compte l’importance grandissante de l’Afrique
et du principe de l’appropriation africaine.
La même année, aux États‐Unis, le président Barak Obama dévoile la « U.S.
Strategy for Sub‐Saharan Africa » qui englobe l’ensemble des dimensions
économiques, militaires, diplomatiques et de coopération au développement.
En France un tel document est encore impossible tant les différents secteurs
ministériels ont du mal à élaborer des stratégies conjointes. Aucun document, aucune
structure ne rassemble les différents acteurs de la politique africaine de la France.
Longtemps l’Élysée a été le lieu d’une synthèse. L’unité du pilotage de la
politique africaine a été conduite pendant de nombreuses années par le secrétariat
général des affaires africaines et malgaches, qui couvrait l’ensemble des secteurs au
service d’une politique africaine unifiée tant dans ses objectifs que dans ses moyens.
Cette organisation très assimilée aux dérives de la Françafrique, notamment
en raison de sa proximité avec les services spéciaux, a progressivement été vidée de sa
substance et a laissé place à une fragmentation des centres de décision.
Certes, l'Afrique conserve une place centrale dans les prérogatives
présidentielles : cœur du domaine réservé, elle est, par excellence, le théâtre des
initiatives élyséennes, l’épisode malien en témoigne.
Alors qu'officiellement, depuis la fin des années 1990, la rupture devait se
traduire par la mise sous tutelle diplomatique de la cellule africaine, le caractère
«privé» ou exceptionnel des liens entre les chefs d'État français et africains n'a pas été
renié par les différents successeurs de Charles de Gaulle.
La politique africaine reste incarnée par l’Elysée et l’Afrique reste un élément
du prestige international de la fonction présidentielle dans la République héritée du
général de Gaulle. En ce sens, le « pré carré » initial comme le modèle foccartien de la
cellule se sont certes épuisés, mais pas les ambitions élyséennes qui continuent de
trouver en Afrique une scène de théâtre privilégiée.
CHAPITRE 3 : - 309 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
« Tout le monde se parle, mais aucune structure de travail ne
coordonne l’action des militaires, des diplomates et des coopérants. »
La phrase du Président Hollande à Bamako sortant du registre diplomatique
pour dire : « Je viens sans doute de vivre la journée la plus importante de ma vie
politique. A un moment, une décision doit être prise, elle est grave. Je l'ai prise au nom
de la France, elle honore la France, et à travers le soutien que vous m'apportez, c'est à
toute la France que vous donnez votre plus grand honneur. » en est l’illustration.
En revanche, la structure élyséenne, aujourd’hui réduite à deux conseillers au
sein de la cellule diplomatique, n’a plus pour ambition de piloter des administrations
très autonomes les unes des autres sur le champ africain.
Tout le monde se parle et se réunit, notamment le jeudi rue de l’Elysée, mais
aucune structure de travail ne coordonne l’action des militaires, des diplomates et des
coopérants, à part le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale
(SGDSN) sur certains aspects. Au sein de chaque entité ministérielle, il y a d’ailleurs
peu de documents stratégiques.
La défense, on le verra plus loin, a modifié son dispositif en suivant la
contrainte budgétaire plus que toute autre considération. Les conseils de défense de
2004 avaient essayé d’élaborer une organisation calquée sur les forces africaines en
attente et défini une stratégie en matière de coopération structurelle, une belle
architecture qui a volé en éclats au gré des crises et des coupes budgétaires.
En matière de coopération militaire, le création de la direction de la
coopération de sécurité et de défense (DCSD) au sein du ministère des affaires
étrangères a permis de mieux harmoniser les positions des deux ministères. En
revanche l’intégration de la sécurité civile dans le périmètre de la direction de la
coopération de sécurité et de défense (DCSD) n’empêche pas le ministère de l’intérieur
de prendre des initiatives sans coordination avec cette direction qui en assure
pourtant l’exécution. Les mêmes tensions existent entre la coopération menée par le
ministère de la Justice et les actions pilotées par le ministère des affaires étrangères.
En matière de coopération civile, la situation est encore plus complexe. Deux
récentes évaluations soulignent que l’action publique reste confrontée, malgré la
succession des réformes, à un pilotage politique incertain et à un partage des rôles
inachevé entre les différents acteurs. Le rapport de la Cour des comptes souligne ainsi
que « datant de la fin des années 1990, le modèle français d’organisation de l’aide est
confronté depuis des années à une évolution qui lui fait atteindre aujourd’hui ses
limites : il est fragmenté et déséquilibré. Contrastant avec la plupart des modèles
étrangers, ce modèle est privé d’un centre de gravité. »
On a d’un côté de la Seine, le Quai d’Orsay qui gère les crédits de subventions
de l’aide bilatérale, les contributions aux fonds multilatéraux hors banque de
développement et aux fonds communautaires et assure la cotutelle de l’AFD et, de
l’autre, la Direction Générale du Trésor qui gère les crédits de bonification des prêts,
les annulations de dettes, les contributions aux banques de développement, la zone
franc et la cotutelle de l’AFD. Au milieu, ou presque, l’AFD bénéficie d’une relative
- 310 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
autonomie que l’absence de coordination entre les deux tutelles favorise.
La coopération civile manque elle‐même d’un pilotage politique
L’éclatement du dispositif suscite une concurrence entre services et
ministères qui entraîne d’inévitables différences d’appréciation entre administrations
et, par conséquent, des demandes récurrentes d’arbitrage à Matignon, voire à l’Élysée.
Cette situation conduit à des délais et des incohérences incompatibles avec le rythme
et la nature des enjeux à traiter. Le seul organe de coordination, le CICID ne s’est pas
réuni pendant 4 ans.
Au‐delà de la personnalité du titulaire du portefeuille, l’absence de pilotage
politique de la politique de coopération en Afrique s’explique par le fait que le ministre
du développement ne dispose pas des moyens de porter une politique d'ensemble qui
reste marquée par la concurrence entre le ministère des affaires étrangères et le
ministère des finances.
L’organisation actuelle ne lui permet pas non plus d'arbitrer les priorités
budgétaires de la mission budgétaire « Aide publique au développement »,
notamment entre instruments bilatéraux et multilatéraux. De fait, la mission APD
constitue une variable d’ajustement des budgets respectifs des ministères concernés,
autrement dit le ministère des finances d’un côté, celui des affaires étrangères de
l’autre.
L’ensemble de la coopération civile travaille peu avec les militaires. La culture
des coopérants, sous la surveillance attentive des ONG, les y incite peu. Aucune
structure, même dans les États en crise, ne les y contraint. On a beau dire qu’il n’y pas
de sécurité sans développement et pas de développement sans sécurité, comme le
rappelle à l’envi le ministre du développement, l’administration française peine à
concrétiser à Paris et sur le terrain une approche globale de l’Afrique.
Quant aux aspects économiques, mis à part les entreprises participant aux
approvisionnements en hydrocarbures et minéraux stratégiques, ils étaient en Afrique
peu pris en considération.
Le déficit du commerce extérieur français et le décollage économique de
l’Afrique semblent contribuer à un rapprochement entre les considérations
diplomatiques, commerciales et de développement. Le Quai d’Orsay, avec la nouvelle
sous‐direction des entreprises, semble décidé, sous l’impulsion du ministre des affaires
étrangères Laurent Fabius, à faire de la diplomatie économique une priorité, tandis
que l’AFD a pour mandat de mieux prendre en considération les intérêts français dans
les projets qu’elle finance.
Sur le terrain toutefois, en Côte d’ivoire ou au Mali, on peinerait à voir une
coordination concrète entre les militaires, les développeurs et les représentants des
entreprises françaises, comme c’est le cas chez les Américains ou les Britanniques. Et
les agents publics chargés de promouvoir les échanges commerciaux restent, au sein
des ambassades, liés hiérarchiquement au ministère des finances.
Reste que personne, ni aucune structure, n’assure la cohérence du tout.
Difficile dans ces conditions d’établir une stratégie africaine de la France. Difficile de
CHAPITRE 3 : - 311 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
dire s’il y a une cohérence entre les priorités militaires, économiques, culturelles de la
France en Afrique.
On observe plutôt un découplage entre les enjeux économiques qui se situent
pour une large part dans l’Afrique de l’Est anglophone et les enjeux géopolitiques,
dans l’Afrique francophone, dans le Sahel et dans la Corne de l’Afrique.
Difficile en fin de compte de dire ce qu’est la cohérence de la politique
africaine de la France.
De fait, le fil conducteur de ces dix dernières années en matière de politique
africaine a été avant tout budgétaire : réduire la voilure.
Car, pendant que le discours de la banalisation s’imposait, celui de la rigueur
budgétaire a dicté dans la pratique une reconfiguration de nos outils diplomatiques et
de coopération civils et militaires qui ressemble fort à une réduction de nos ambitions.
3. Un réseau diplomatique en réduction
« Nous devons faire attention à ne pas provoquer la fin de la politique
d’influence et de rayonnement de notre pays en Afrique. Chaque poste, chaque
programme supprimé n’est pas important en soi, mais mis bout à bout, l’impact est
grave. On finira par ne plus être grand‐chose sur ce continent dans quelques
années », nous a dit un diplomate en poste en Afrique, qui préférait ne pas être
cité.
Chacun connaît la contribution du Quai d’Orsay à la réduction des
dépenses publiques : une baisse de 20% du budget et du personnel en 25 ans,
comme le rappelaient en juillet 2010 les anciens ministres des affaires étrangères
MM. Hubert Védrine et Alain Juppé dans une tribune du journal Le Monde.
Tous les ministères doivent évidemment contribuer à la réduction des
dépenses publiques, mais aucune administration n'a été réduite dans ces
proportions.
Ce que l’on sait moins, c’est que notre présence en Afrique a supporté la
grande partie de cet effort, au prix d’une réduction brutale des postes et des
initiatives.
La Cour des comptes relève ainsi que sur la période 2007‐20111 « Les
postes d'Afrique subsaharienne ont absorbé les deux‐tiers des réductions. »,
observant que « les postes de Madagascar et du Sénégal ont ainsi diminué leurs
effectifs de plus de 20%. ».
Pour l'ensemble des réseaux du ministère, l'ajustement des effectifs et des
formats s'est inscrit dans une évolution visant au rééquilibrage de la présence
française en Asie au détriment de l’Afrique.
Un redéploiement a été effectué, avec sur cette même période ‐14% de
postes en Afrique et océan Indien dont ‐8% en Afrique du Sud et – 10% en Europe
contre ‐1% dans la zone Asie mais +11% en Chine et +14% en Inde.
Dans un environnement budgétaire contraint, le choix de l’Asie s’est
effectué au détriment de la couverture du continent africain tant sur le plan
culturel que commercial.
L’Afrique a contribué pour deux tiers
des réductions des effectifs du quai d’Orsay
Ce choix avait sa pertinence.
La question est aujourd’hui de savoir si nous ne sommes pas allés trop loin
et si l’allocation des ressources est pertinente par rapport aux intérêts français.
La France a en tout cas donné à l’Afrique le sentiment d’avoir choisi
l’Europe comme nouveau multiplicateur de rayonnement et l’Asie comme
perspective d’avenir.
Après la réforme du dispositif militaire français en Afrique et la disparition
du ministère de la Coopération dans les années 1990, cette attrition des moyens
diplomatiques participe à une lente déconstruction de la relation entre la France et
l’Afrique.
Et ce à l’heure où, dans un mouvement exactement contraire, la Grande‐
Bretagne s’implique sur le continent avec la création du DFID ou l’intervention
militaire en Sierra Leone. Et le mouvement se poursuit.
CHAPITRE 3 : - 313 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
En 2013, il est prévu la suppression de 56 postes sur les 845 agents que
compte la zone Afrique – océan Indien.
Si le chiffre paraît peu important au regard du nombre de personnel
présent sur le continent, le choix des secteurs supprimés est frappant : l’assistance
technique est le domaine le plus touché, notamment au Sénégal et au Gabon où les
postes d’enseignants sous statut ETI (25 postes sur la période 2012‐2013) sont en
cours de suppression.
En Éthiopie, nous avons constaté que la France ne disposait que d’un seul
diplomate pour suivre les travaux de l’Union Africaine, là ou d’autres pays y
consacrent une ambassade entière ! Quelle contradiction entre un discours qui ne
cesse de promouvoir l’intégration du continent et le peu de considération que
traduit ce manque de moyens qui ne permet pas de peser pleinement sur une
institution dont on ne cesse par ailleurs de promouvoir le rôle.
En Éthiopie, la France ne consacre qu’un seul diplomate
pour suivre l’ensemble des travaux de l’Union Africaine, là où les Etas‐Unis ont
une ambassade.
A la dernière Conférence des ambassadeurs, on annonçait la suppression
de 600 postes dans l’ensemble du réseau de 2013 à 2015. L’Afrique sera là encore
au premier rang.
D’un point de vue sectoriel, la baisse des effectifs au ministère des affaires
étrangères a été de 9%, de 2007 à 2011, mais les programmes budgétaires ayant
été les plus touchés concernent au premier chef l’Afrique : c’est la « diplomatie
culturelle et d'influence » (‐15%) et la « solidarité en faveur du développement »
(‐17%).
Il en va de même pour les budgets d’intervention. Depuis 2009, les
enveloppes de coopération hors fonds de solidarité prioritaire (FSP) ont connu une
baisse de 20%, pour une baisse moyenne de 15% à l’échelle de l’ensemble du
réseau de notre coopération culturelle.
A cela s’ajoute une baisse notable du FSP : les crédits de paiement de ce
fonds ont diminué de 42% entre 2009 et 2012. Pour les seuls Pays pauvres
prioritaires, cette baisse atteint même 50% en contradiction avec la typologie des
Pays Pauvres Prioritaires, qui devraient, selon les termes du CICID, bénéficier d’un
soutien budgétaire élevé.
L’écart entre les besoins des postes et le montant de crédits de paiement
disponibles rend très difficile le respect de nos engagements, notamment dans les
postes où l’outil FSP constitue, depuis de nombreuses années, le pilier de notre
action dans les domaines de la gouvernance et de la francophonie.
Cette diminution des crédits impose notamment aux établissements
culturels dépendant de l’Institut français d’assurer toujours plus avant un
autofinancement. Heureusement, les établissements du réseau, d’implantation
souvent ancienne, sont très actifs et bénéficient en Afrique d’un important capital
de reconnaissance en étant très présents dans le paysage local, où ils sont souvent
- 314 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
les seuls établissements culturels de taille critique à avoir une activité continue. On
ne peut cependant ignorer que leurs taux d’autofinancement seront en Afrique
toujours nécessairement inférieur à celui des instituts situés dans des zones plus
développées.
A titre d’exemple, des pays comme le Nigeria ou la Guinée Conakry
affichaient, en 2012, un taux d’autofinancement de respectivement 75% et 70%,
alors que d’autres étaient très largement tributaires de la subvention de l’État
comme le Tchad (taux d’autofinancement de 8%), la Mauritanie (12%) ou Djibouti
(25%).
Pour certains Instituts français, souvent en territoire francophone, le
développement des recettes liées aux cours ou aux examens de langue et la
recherche de partenariats ne sont pas pleinement intégrés dans la culture de
travail et souvent mal perçus par les usagers, en particulier parce qu’ils sont
synonymes de hausse des tarifs des cours.
Ce désengagement, sans doute inévitable dans un contexte de réduction
budgétaire brutale, n’est pas perdu pour tout le monde, notamment pour les
nouveaux acteurs qui s’installent dans le vide ainsi créé. La Chine, au premier rang,
investit massivement dans un réseau d’instituts Confucius qui rencontrent un grand
succès.
CHAPITRE 3 : - 315 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
L’Allemagne est devenue une destination d’études privilégiée là où elle
était largement absente il y a dix ou quinze ans, avec un impact économique à long
terme évident.
Dans le domaine économique, la fusion de la Direction des Relations
Économiques Extérieures et de de la Direction du Trésor a conduit l’État à réduire
son soutien aux entreprises françaises en Afrique ; elles ne peuvent compter que
sur quelques services économiques régionaux et quelques antennes de UBIFRANCE
là où chaque ambassade avait un PEE clairement identifié.
La suppression des services économiques en Mozambique, une
illustration de la mauvaise prise en compte de l’évolution de l’Afrique
Dans des zones en pleine expansion, on ferme des bureaux en application
de programmations anciennes qui n’ont pas vu venir le décollage économique de
l’Afrique subsaharienne, au point que dans certains pays comme le Mozambique,
en l’absence de toute représentation économique, c’est finalement l’AFD qui
représente le soutien économique aux entreprises dans un pays un plein essor qui
vient de passer une commande de 30 bateaux d’une valeur de 200 millions d’euros
aux Constructions mécaniques de Normandie (CMN) et dont on prédit un taux de
croissance pour 2012‐2017 de 7% !
Le repli régional de la DGPTE et la diminution du réseau des missions
économiques en effectifs ou en nombre de postes paraissent être, pour tous, en
déphasage avec le dynamisme africain.
Dans le domaine consulaire, les consulats manquent cruellement de
moyens humains pour gérer convenablement les demandes de visas. « Les moyens
sont faibles même pour mener une politique de refus », nous a déclaré un
interlocuteur. L’accueil souvent déplorable au sein des consulats français nuit
gravement à l’image de notre pays, notamment vis‐à‐vis des élites intellectuelles et
économiques.
La politique d’influence est également sinistrée. Quand les ambassades
américaines, même de taille modeste, animent année après année le réseau de
leurs anciens boursiers et invités, leurs homologues françaises en sont
généralement dans l’incapacité, faute de personnel.
Au final, la France dispose toujours d’un maillage exceptionnel en Afrique,
mais de moins en moins de moyens pour le faire vivre, pour mener une politique
d’influence ou pour soutenir nos entreprises.
Un maillage exceptionnel, mais de
moins en moins de moyens pour le faire vivre
Cette pénurie de moyens qui concerne l’ensemble de la diplomatie
française rend encore plus difficiles les arbitrages géographiques y compris au sein
du continent entre l’Afrique de l’Ouest où la France a des obligations et des
responsabilités et l’Afrique de l’Est en croissance vers laquelle les pouvoirs
souhaitent s’ouvrir.
- 316 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Difficile en effet, dans le contexte actuel, de renforcer nos moyens en
Afrique du Sud, au Nigéria, en Ethiopie, au Kenya, en Ouganda ou au Mozambique.
C’est pourtant dans ces pays « pré‐émergents » que la France devrait renforcer sa
présence économique. Par leur taille, leur dynamisme, ces pays doivent constituer
des priorités notamment pour notre diplomatie économique. La France ne peut pas
plus longtemps être absente de l’Afrique qui bouge.
Comme l’a souligné Jean‐Christophe Belliard, directeur d’Afrique et de
l’Océan Indien au ministère des affaires étrangères : « Ce n’est pas fromage ou
dessert, il faut concilier la fidélité à l’Afrique de l’Ouest et l’ouverture à l’est. »
Un défi : concilier la fidélité à
l’Afrique de l’Ouest et l’ouverture à l’Est
La perte d’influence française qui résulte de la réduction de nos moyens
diplomatiques risque de ne pas être seulement conjoncturelle. Elle est bien sûr liée
à la redistribution des cartes dans le monde, mais elle est aussi la conséquence de
choix politiques qui sacrifient un outil évidemment perfectible mais bien réel, pour
des raisons comptables à court terme, aux dépens d’une vision stratégique à long
terme.
4. Une aide au développement écartelée entre ses ambitions et ses
moyens
Au sein du réseau diplomatique et souvent à sa marge, longtemps en
Afrique la coopération au développement a été l’instrument de solidarité et
d’influence qui a assuré à la France un rayonnement et une présence sans
équivalent.
Toutefois la suppression d’un ministère de la coopération, presque
entièrement dédié à l’Afrique, et la multilatéralisation progressive de l’Aide
Publique au développement française dans un contexte de réduction importante de
son budget, ont semblé banaliser l’Afrique au sein de la coopération autant qu’elles
ont banalisé la France parmi les bailleurs de fonds. Qu’en est‐il ?
Tout au long des années 90, on observe une forte baisse de l’APD qui est
divisée par deux de 1994 à 2000 passant de 0,63% du Revenu National Brut (RNB) à
0,31% suivie d’une stabilisation puis d’une augmentation en trompe‐l’œil durant les
années 2000.
CHAPITRE 3 : - 317 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
0,7
0,65
0,6
0,55
0,5
0,45
0,4
0,35
0,3
0,25
0,2
19 1
19 2
19 3
19 4
19 5
19 6
19 7
19 8
19 9
19 0
19 1
92
19 3
94
19 5
19 6
19 7
19 8
20 9
20 0
20 1
02
20 3
20 4
20 5
20 6
07
20 8
09
10
8
8
8
8
8
8
8
8
8
9
9
9
9
9
9
9
0
0
0
0
0
0
0
19
19
19
20
20
20
Optiquement, l’effort de la France en faveur de l’aide au développement
s’est maintenu grâce à une augmentation continue des prêts en parallèle avec une
diminution des dons et en particulier des prêts à des conditions proches du
marché, notamment dans les pays émergents et à des flux comptables qui ne
correspondent pas à des projets de développement comme les écolages.
La France est devenue l’un des pays où la part relative de l’aide réellement
programmable pour des projets sur le terrain par rapport à l’ensemble de l’aide est
la plus faible.
En effet, pour la moyenne des pays du CAD, l’aide programmable
représente 63% de l’APD. En France, elle ne représente que 37% de l’aide déclarée
en 2010.
« La France a fini par devoir reconnaître
qu’elle n’atteindra pas l’objectif d’allouer 0,7% du RNB à l’aide »
Longtemps la France a ainsi maintenu les apparences, affichant un taux
d’effort en faveur du développement conforme à son image de fer de lance de la
coopération internationale en faveur des pays pauvres en général et des pays
africains en particulier. Cette politique s’est notamment traduite par l’engagement
solennel et répété d’atteindre en 2015 un taux d’effort de 0,7% du RNB
conformément aux engagements de Monterrey de 2002.
Or dix ans après, comme le souligne le dernier rapport de l’OCDE sur l’aide
française : « La France reconnaît qu’elle n’atteindra pas l’objectif d’allouer 0,7% du
revenu national brut (RNB) à l’aide publique au développement (APD) d’ici 2015 »1
faute d’avoir défini une trajectoire budgétaire crédible à l’instar de la Grande‐
1 Examen par les pairs de l’OCDE sur la coopération au développement FRANCE 2013
- 318 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Bretagne, qui semble pouvoir atteindre cet objectif avec une aide composée à plus
de 90% de dons.
Cette diminution de fait de l’aide au développement n’a pas empêché la
France, quelle que soit la majorité au pouvoir, de multiplier les engagements
financiers à l’égard de l’Afrique sans toujours se soucier de leur cohérence et de
leur soutenabilité pour des finances publiques de plus en plus en difficulté.
Les engagements de la France en Afrique
1 Md EUR pour l’agriculture en Afrique subsaharienne sur la période 2008‐2012 (soit en moyenne 200 M
EUR par an)1
1,5 Md EUR pour la sécurité alimentaire sur la période 2009‐2011 (soit en moyenne 500 MEUR par an)2
420 M€/an sur 2010– 2012 en financement précoce pour la lutte contre le changement climatique dont
20% pour la préservation de la forêt (247 M€)3
730 MEUR consacrés à l’Initiative H20204 pour l’eau et assainissement en Méditerranée
Scolariser 8 millions d’enfants en Afrique d’ici 2010, et tous les enfants d’ici 20155
10 Mds EUR sur l’Afrique sur 2008‐20126 pour l’initiative de soutien à la croissance économique en Afrique
1 Md$/an pour la santé en Afrique7 sur la période 2008‐2012
60 M€ additionnels par an pour la lutte contre le Sida alloués au Fonds mondial8
850 M € par an à partir de 2010 pour l’Aide au commerce9
200 M€/ an consacrés à la biodiversité à partir de 2012, puis 500 M €/an à partir de 201410
100 M€ par an consacrés par la France à la santé maternelle dans les années qui viennent.11
Certains de ces engagements font l’objet d’un suivi méthodique, d’autres
non. Certains ont été honorés, d’autres non.
La diminution des moyens de la coopération n’a pas empêché une
surenchère d’engagements à l’égard de l’Afrique qui a nui à la crédibilité de la
parole de la France
Lors de l’adoption du Consensus européen sur le développement en 2005,
la France a promis qu’un accroissement de 50% de l’aide de l’Union européenne
d’ici 2010 devait aller à l’Afrique et s’est engagée à un doublement de son APD vers
ce continent.
1 Discours du Président de la République à la FAO le 3 juin 2008
2 Engagement du G8 de l’Aquila (juillet 2009)
3 Sommet de Copenhague décembre 2009
4 Sommet de Paris pour la Méditerranée, 13 juillet 2008
5 Déclaration du sommet franco‐britannique, 27 mars 2008
6 Discours du Cap, 28 février 2008
7 Annonce française aux sommets d’Heiligendamm (2007) et de Toyako (2008)
8 Allocation supplémentaire au Fonds mondial annoncée par le Président de la République en septembre 2010.
9 Relevé de décisions du CICID du 5 juin 2009
10 Déclaration de la secrétaire d'Etat à l'écologie, Chantal Jouanno, le 28 octobre 2010 lors du Sommet
international sur la biodiversité à Nagoya
11 Conférence de presse du Président de la République lors du Sommet du G8 / G20 de Muskoka le 27 juin 2010.
L’engagement du G8 est de consacrer 5 Mds USD de financements additionnels dans les 5 prochaines années
à la santé des mères, des nouveau‐nés et des enfants de moins de 5 ans
CHAPITRE 3 : - 319 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
A l’occasion du sommet France‐Royaume‐Uni en mars 2008, l’engagement
a été pris de construire un nouveau partenariat pour scolariser dans le primaire
16 millions d’enfants africains d’ici 2010 (la moitié pour la France, soit 8 millions
d’enfants, et l’autre pour la Grande‐Bretagne) et tous les enfants d’ici 2015. Les
deux États se sont aussi engagés à travailler –avec d’autres pays– pour recruter et
former 3,8 millions d’enseignants supplémentaires nécessaires pour atteindre
l’objectif de l’éducation primaire universelle en Afrique subsaharienne en 2015.
D’après les informations communiquées à la commission des affaires
étrangères du Sénat en 2012, si l’on estime à environ 100 dollars le coût de
scolarisation d’un élève dans les pays en développement, on peut affirmer que la
France, par son effort d’APD depuis l’accord Brown‐Sarkozy pour les années
2008/2009, contribue, dans le monde, à la scolarisation d’un peu plus de 5 millions
d’enfants sur les huit millions envisagés.
En revanche, l’engagement pris lors du discours du Cap en février 2008,
que le total des engagements financiers français bilatéraux pour l’Afrique
subsaharienne s’élèverait à 10 milliards d’euros sur les cinq prochaines années
serait en passe d’être honoré. Avec 2,27 Mds € en faveur du secteur privé en
Afrique subsaharienne à fin 2012, le Groupe AFD a atteint près de 90% de la cible
qui lui a été fixée. Sur la période 2008‐2012, l’activité cumulée du groupe AFD
devrait permettre de dépasser l’objectif fixé de 10 milliards d’euros.
A l’occasion du sommet d’Heiligendamm (2007), puis du sommet de
Toyako (2008), les pays du G8 se sont engagés à consacrer 60 milliards de dollars,
au cours des cinq prochaines années, à la santé en Afrique. Le Président Sarkozy y a
alors précisé que la France y consacrerait pour sa part un milliard de dollars par an.
Le total s’élevait ainsi, en 2009, à plus de 1 110 millions de dollars. L’objectif serait
donc atteint.
Dans certains cas, on peinerait à mesurer, après quelques mois, la
traduction concrète de ces engagements, qui ne font en général l’objet d’aucune
affectation financière véritablement nouvelle. Toute nouvelle « annonce »
internationale s’appuie sur le recyclage d’une aide limitée, non extensible, et déjà
promise plusieurs fois.
Les décisions d’aide aux pays en crise se traduisent régulièrement par une
simple réallocation des subventions en principe destinées aux pays les plus pauvres
d’Afrique pourtant eux‐mêmes déclarés « prioritaires », voire par l’annonce en
grande pompe des sommes prévues avant les crises auxquelles ces promesses,
comprises à tort comme additionnelles, sont censées remédier.
Ces effets d’annonce ont nui à la crédibilité de la parole de la France en
Afrique et à la cohérence de l’action menée.
Dans un contexte où les subventions bilatérales pour l’Afrique avaient déjà
atteint un étiage jamais constaté depuis plus de 30 ans, on conçoit bien la difficulté
de conduire une politique dans la durée dans ces pays pourtant annoncée comme
prioritaires quand les mêmes priorités changent en fonction des dernières
annonces.
- 320 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
A privilégier la visibilité sur la cohérence, la politique de coopération
française a perdu en Afrique une partie de son crédit.
Or, à l’exception du Ghana anglophone pour lequel la plupart des
engagements sont opérés sous forme de prêts, les autres pays pauvres prioritaires
de la coopération française sortent d’un processus de désendettement et sont
inéligibles aux prêts, conduisant à réorienter l’aide française, accordée sous forme
de prêts, vers des pays africains « non prioritaires », tels que l’Afrique du Sud ou le
Kenya.
Pour l’OCDE qui vient de procéder à une revue de la coopération française
souligne : « La baisse des dons, en valeur absolue et relative, menace sérieusement
la capacité d’intervention de la France dans les pays pauvres ».
L’Afrique dans sa globalité reste en part relative la priorité de la
coopération française. Mais sa capacité d’agir dans ce qu’elle a défini comme son
cœur de cible, c’est‐à‐dire l’Afrique pauvre francophone, est mis à mal.
Ainsi, la part de l’effort financier de l’État consacrée à l’Afrique
subsaharienne s’est élevée à 60% en 2010 et 77% en 2011, en nette hausse par
rapport à 2009 (57%) et 2008 (54%). La France a donc largement atteint l’objectif
de 60% cité dans le Document‐cadre. De même, la part des subventions allouées
aux 14 pays prioritaires d’Afrique subsaharienne a atteint 47% en 2011, légèrement
en deçà de l’objectif cible de 50%.
CHAPITRE 3 : - 321 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
La France n’a pas par ailleurs, même en part relative, atteint l’objectif
d’allouer les deux tiers de son aide à l’Afrique qu’elle s’était fixé il y a plus de dix
ans et si elle est présente dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, seuls
7 pays africains comptent parmi les 20 premiers récipiendaires de l’APD bilatérale
française.
Mais surtout la part de l’APD bilatérale nette destinée aux pays pauvres
prioritaires est faible et en diminution : 15% de l’APD nette en 2008, 11,5% en
2009, 11% en 2010 et moins de 10% en 2011 (hors allègement de dettes).
La France ne consacre que 10% de son
aide aux pays pauvres prioritaires d’Afrique francophone
Le sentiment de décalage entre nos ambitions et nos moyens vient sans
doute de ce chiffre : 200 millions de subventions pour 17 pays prioritaires revient à
consacrer en moyenne un peu plus de 10 millions d'euros de subvention par an à
chaque pays et ce, alors même que nous affichons une aide au développement d'un
montant supérieur à 10 milliards d'euros.
Comme le soulignait la revue à mi‐parcours de l’aide au développement
française par le CAD, il y a une contradiction entre les objectifs de la coopération
française et l’évolution des dons de plus en plus préoccupante : « Les cinq secteurs
sur lesquels la France veut se concentrer, d’après la décision du CICID, sont des
secteurs dont la plupart sont susceptibles d’être appuyés par des dons, et ne se
prêtent pas facilement aux prêts, puisqu’ils ne sont pas des secteurs productifs.
Pourtant, la France a réduit ses dons. Ceci pose un défi pour la mise en œuvre de la
nouvelle stratégie de la France et le ciblage sur les PMA en Afrique qu’elle a
proposé. »
M. Serge Michailof, consultant international, enseignant à l’Institut
d’études politiques de Paris, ancien directeur régional à la Banque mondiale, a
estimé devant la commission que « nous sommes sans moyens d’action effectifs
pour répondre à nos préoccupations propres, qu’il s’agisse d’intervenir dans des
pays pauvres où nous avons des enjeux géopolitiques, comme ceux du Sahel, ou sur
des thématiques importantes, comme le développement rural pour lequel nous
avons une expertise ancienne avérée ».
Il s’agit moins d’interroger le volume global du budget de l’aide au
développement qui est relativement stable, que de s’inquiéter de voir que sur une
mission de 3,5 milliards d’euros, l’allocation des ressources soit à ce point en
contradiction avec les priorités.
Ce constat a été confirmé par les travaux du bilan évaluatif de la politique
de coopération française au développement entre 1998 et 2010 « au‐delà des
objectifs en termes de moyens, le respect de la priorité africaine pose questions en
termes d’adéquation entre les instruments mobilisés et la recherche de
concentration vers les pays pauvres prioritaires retenus dans le document‐cadre
(DCCD). »
- 322 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
On le constate sur cette carte, les interventions les plus limitées sont
celles qui concernent les pays prioritaires où l’AFD ne peut intervenir que sous
forme de subventions. Or les subventions dont bénéficie l’AFD de la part du
ministère des affaires étrangères ont diminué de plus de 30 % depuis 2006.
CHAPITRE 3 : - 323 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
La faiblesse des subventions limite les interventions sur les thématiques
prioritaires reliées aux OMD, telles que la santé, l’éducation ou le développement
rural, qui, même si ces pays étaient en mesure de contracter des emprunts
souverains, se prêtent mal aux prêts, même concessionnels.
Comme ont pu le constater les rapporteurs du budget de l’aide au
développement de la commission des affaires étrangères du Sénat lors de leur
mission au Mali et à Madagascar, le visage de la coopération française dans
l’Afrique francophone s’en trouve considérablement modifié1 « La France conserve
une forte intimité avec ces pays et possède encore une expertise et une capacité
reconnues d’entraîner les autres bailleurs de fonds, mais elle n’est plus, loin s’en
faut, ni le seul, ni le premier bailleur de fonds d’une Afrique francophone courtisée
aussi bien par les autres membres de l’OCDE que par les pays émergents. ».
Pour limiter les effets de ce qui a été perçu comme une banalisation de la
place de l’Afrique dans la coopération française, les responsables politiques n’ont
cessé de renforcer les objectifs de concentration sur l’Afrique des subventions et
de l’effort budgétaire de l’Etat.
Dès 2004, le Comité Interministériel de la Coopération Internationale et
du Développement (CICID) a indiqué que « la France souhaite maintenir la part
prépondérante de l’Afrique (deux tiers environ de notre aide bilatérale) et
augmenter la part consacrée aux PMA, en vue d’atteindre en 2012 l’objectif des
Nations unies de 0,15% du PIB ». En 2009, le même CICID a décidé que « l’Afrique
subsaharienne se verra allouer 60% des ressources budgétaires de l’aide. En 2011,
le Document cadre prévoit 60% des ressources budgétaires de l’aide pour l’Afrique
et 20% pour la Méditerranée et 50% des subventions aux pays prioritaires ». En
juillet 2013, le dernier CICID décide de consacrer la « Priorité à l’Afrique et à la
Méditerranée : Le Gouvernement décide de consacrer au moins 85% de l’effort
financier de l’État en faveur du développement en Afrique subsaharienne et dans les
pays voisins du Sud et de l’Est de la Méditerranée. »
Jusqu’à présent, l’augmentation du taux de concentration n’a pas pu
empêcher la diminution des moyens en valeur absolue.
La coopération bilatérale française dans les pays prioritaires représente
aujourd’hui environ dix millions d’euros par an et par pays.
Sur une aide publique au développement déclarée, estimée à près de dix
milliards d’euros par an, dix millions d’euros par an pour un pays prioritaire, c’est
un millième par pays, autrement dit, pour le moins, une priorité relative.
Ce n’est pas vrai que la France continue en matière de coopération d’avoir
les ambitions des Etats‐Unis avec le budget du Danemark, mais il faut reconnaître
que la coopération française manque de moyens pour maintenir sa place dans
l’Afrique francophone.
b) Une progression des activités de l’AFD dans les pays anglophones bridée
par l’insuffisance des fonds propres.
Dans les pays anglophones comme l’Afrique du Sud ou le Kenya, la
présence française est en grande partie assurée par l’AFD qui mène des actions de
coopération à travers des prêts faiblement bonifiés. La progression des activités de
l’AFD dans cette partie de l’Afrique a permis à la France d’être présente dans cette
partie dynamique de l’Afrique. Cette progression risque toutefois d’être contrainte
par les problèmes de fonds propres que rencontre l’AFD. Nous avons constaté en
Afrique du Sud que l’agence ne pouvait plus développer de nouveaux projets en
raison du ratio grand risque qu’elle avait atteint sur ce pays. Sans un renforcement
de ses fonds propres, l’activité de prêts de l’AFD va se trouver assez rapidement
saturée dans certains pays stratégiques.
Une aide bilatérale dont les moyens financiers ne
sont plus crédibles dans les pays francophones les moins avancés.
c) Un déséquilibre croissant entre aide multilatérale et aide bilatérale
Les contributions françaises aux organisations multilatérales (le FED, la
Banque mondiale ou la Banque africaine de développement) améliorent la donne
en matière de montants affectés et permettent d’avoir une vision plus positive de
notre contribution à la coopération avec l’Afrique.
La part de l’aide au développement française programmable qui transite
par les instances multilatérales et européennes est en effet passée de moins de
30% en 1990 à plus de 50% à partir des années 2000. De fait la majorité des dons
français à l’Afrique transite aujourd’hui par les instances multilatérales et
communautaires.
La France a ainsi accompagné la montée en puissance des grandes
banques multilatérales et régionales, telle que la Banque mondiale qu’elle finance à
hauteur de plus de 400 millions d’euros par an, afin d’orienter leur programmation
vers les zones prioritaires de la France et en particulier vers l’Afrique
subsaharienne.
Elle a également promu le développement d’une politique de coopération
européenne à travers le FED, auquel la France contribue pour plus de 800 millions
d’euros par an. Elle a enfin été à l’initiative de la mise en place de nouveaux
instruments comme le Fonds Mondial de Lutte contre le Sida, la Tuberculose et le
Paludisme, auquel elle contribue désormais à hauteur de 360 millions d’euros par
an, soit, depuis sa création, une contribution de près de 3 milliards d’euros.
La montée en puissance du multilatéralisme
a sa légitimité mais pose un problème de visibilité.
La montée en puissance du multilatéralisme a sa cohérence en termes de
développement du continent africain. Elle contribue sur le long terme à la mise en
place de politiques globales à l’échelle continentale grâce à des institutions qui ont
une légitimité, une relative neutralité politique, des compétences et des capacités
financières sans commune mesure avec les institutions nationales.
CHAPITRE 3 : - 325 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Elle correspond au niveau européen à la tentative de faire émerger une
politique européenne de développement qui puisse être le cadre d’une
complémentarité et d’une synergie des politiques de coopération des États
membres et de la Commission.
Encore faut‐il que l’augmentation de nos concours à ces organisations se
traduise par une vision claire de leur rôle, et un investissement dans leur pilotage
proportionné aux moyens qui y sont investis. C’est loin d’être toujours le cas.
Cette évolution, pour souhaitable qu’elle soit, a pour contrepartie une
moindre visibilité de la France en Afrique.
L’engagement de la France dans l’aide européenne et
multilatérale a pour contrepartie une moindre visibilité de la France en Afrique
Le sentiment de décalage entre les ambitions affichées par la France pour
l’Afrique et les moyens constatés sur le terrain s'explique‐t‐il en partie par la faible
visibilité de ces contributions aux institutions multilatérales ?
On l’a vu à Abidjan, au Mali et à Madagascar, les crédits que la France
attribue aux organisations multilatérales, que cela soit la Banque mondiale, le
Fonds européen de développement ou à la Banque africaine de développement, ne
sont pas perçus par nos partenaires comme étant aussi une contribution française.
Rarement, voire jamais, lors de l'inauguration de projets financés par la
Banque mondiale ou par un opérateur communautaire, il n’est rappelé que ces
institutions sont financées par des contributions nationales et que la contribution
de la France est parmi les plus importantes.
Le choix du multilatéral qui a été fait pendant de nombreuses années s'est
donc mécaniquement traduit par une moindre lisibilité de la France dans les projets
de coopération.
Le graphique suivant illustre aisément, dans un pays comme le Mali qui
peut être considéré comme un pays emblématique de l'Afrique subsaharienne, la
diminution, au cours des dix dernières années, de l'APD bilatérale française et
l’augmentation parallèle des crédits multilatéraux que l'on peut imputer à la France
au regard de ses contributions aux différentes institutions multilatérales.
On constate alors que l'effort global de la France au Mali augmente de
2002 à 2009. Malgré cela, la perception que les acteurs locaux peuvent avoir de
cette aide est en diminution, car la seule aide visible, c'est‐à‐dire l'aide bilatérale,
est elle‐même en diminution.
- 326 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
100
90
80
70 Aide Multilatérale au
Mali imputable à la
60 France
APD bilatérale
50 française au Mali
40 APD totale de la
France au Mali
30
20
10
0
2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009
Source OCDE chiffre hors allégement de dette en millions de dollars US
Le cas du Mali est à l’image des 14 pays prioritaires.
Dans l’ensemble des pays prioritaires, l’aide multilatérale imputable à la
France est égale à l’aide bilatérale et trois fois supérieure aux subventions.
Répartition des instruments d’APD par zones d’intervention (DPT 2013)
d) La coopération technique en Afrique, un instrument sacrifié
Si, dès les indépendances, l'aide française s'est donnée une priorité de
renforcement des capacités de ses partenaires du Sud avec les assistants
techniques et la politique de formation des élites, les réformes successives de
l'appareil français de coopération ont entraîné un déclin du déploiement des
assistants techniques sans que la politique de coopération technique n'ait fait
l'objet d'un nouveau cadrage stratégique, en réponse aux évolutions des besoins
des zones d'intervention et des modes opératoires de l'aide.
CHAPITRE 3 : - 327 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Non seulement, la présence de nos coopérants, qui a été une des marques
de fabrique de la France, est en constante diminution, mais la gestion de l’expertise
et de la coopération technique française en Afrique est éclatée entre de nombreux
organismes, avec des moyens en diminution et sans stratégie commune.
De fait, la France qui possédait une forte tradition et une forte expérience
en matière de renforcement des capacités, institutionnelles et humaines, est de
moins en moins présente dans ce domaine pourtant essentiel par rapport à des
pays comme l’Allemagne qui en a fait une véritable priorité.
En 1979, les effectifs des assistants techniques s’élevaient à environ
10 976 pour n’atteindre plus que 967 en 2011, soit une division par plus de 10 des
effectifs.
Évolution des effectifs d'assistance technique de 1990 à 2011
10 000 9074
8509
9 000
7597
8 000
6863
7 000 5996
6 000 5129
4611
5 000 3993
3674
4 000 3282
2806
3 000 2463 2346 2111 1953 1742 1768 1576
2 000 1348 1135 1139 967
1 000
Effectifs AT
Dans les années 2000, la France a réduit son dispositif public à l’étranger.
Le recours à l’expertise technique française en Afrique a pris des formes
variées avec cependant deux grandes catégories :
‐ l’assistance technique à moyen‐long terme, aussi connue comme
« résidentielle », avec la mise à disposition d’agents d’État ou de contractuels par
l’État français pour de l’appui aux administrations et le renforcement des capacités
locales,
‐ l’expertise technique de courte durée mise en œuvre par une multiplicité
d’opérateurs privés ou publics sur des marchés ouverts à la concurrence.
L’assistance technique « résidentielle » qui a longtemps été considérée
comme une force de la politique de coopération française, tant pour le
développement que pour sa visibilité et son influence, a aujourd’hui
considérablement diminué.
- 328 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
L’assistant technique français en
Afrique : une catégorie en voie de disparition
Sur l’ensemble de la période de 1990 à nos jours, la diminution des
effectifs s’explique principalement par l’abandon progressif de la coopération de
substitution mise en place dans les années 1960 avec la mise à disposition
permanente d’experts techniques, dont une grande partie d’enseignants, auprès de
gouvernements ou d’institutions étrangères dans le monde.
Cette évolution correspond à la fois à la volonté politique de mettre fin à
un système d'assistance permanente trente ans après les indépendances et à la
prise en compte de contraintes budgétaires.
Il s'agissait de rompre avec un système hérité de la période coloniale et de
réduire le coût lié au financement d'un personnel permanent, installé auprès des
autorités de pays partenaires qui ont eu le temps de se constituer des élites
administratives.
Une fois les gros bataillons d'experts techniques supprimés, les
suppressions ont eu pour cause la contribution aux contraintes imposées par la
Révision générale des politiques publiques (RGPP) ainsi qu’à l’abandon de projets
dont les financements n’étaient plus assurés.
Parallèlement, la responsabilité d’une partie des assistants techniques qui
relevaient du ministère des affaires étrangères, dans les secteurs de l’éducation et
de la santé notamment, a été transférée à l’Agence française de développement. Le
ministère a, quant à lui, conservé la gestion des assistants liés à la gouvernance.
Le recours à l'expertise technique est cependant désormais
majoritairement conçu comme des missions temporaires d'experts à haute valeur
ajoutée, placés en position de conseillers auprès de décideurs locaux ou affectés à
des fonctions d’animation dans le cadre de projets de développement.
La quasi‐disparition des assistants techniques dans certains pays et
secteurs a fait perdre à la France un atout précieux pour la coopération au
développement aussi bien en matière d’efficacité que d’influence. Elle est
regrettée par l’ensemble des acteurs sur le terrain.
La récente évaluation de la Cour des comptes sur l’aide au
développement1 cite de nombreux témoignages allant dans ce sens.
L’ambassade au Sénégal estimait ainsi que « le dispositif d’assistance
technique géré par le Département est très apprécié tant par les administrations
sénégalaises que par les partenaires techniques et financiers, en particulier
multilatéraux».
Leur présence se révèle même de nature à renforcer les actions
multilatérales, comme au Togo, où, selon l’ambassade, « de nombreux projets
1 La politique française d’aide au développement, rapport rendu public mardi 26 juin 2012 :
http://www.ccomptes.fr/content/download/44455/770878/version/1/file/rapport_public_politique_francais
e_aide_publique_au_developpement.pdf
CHAPITRE 3 : - 329 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
européens seraient incapables d’atteindre les objectifs fixés s’ils n’étaient pas
appuyés, voire directement mis en œuvre par l’assistance technique française ».
De même, l’Inspection générale des affaires étrangères pouvait‐elle
constater, en mai 2009, dans un des pays pauvres prioritaires du Sahel : « La baisse
continue des crédits de coopération conjuguée à la fermeture des postes
d’assistance technique qui sont comptabilisés dans les équivalents temps plein (ETP)
sous plafond dont il convient de réduire le nombre, alors même que leur présence
dans ce pays est une action de coopération en soi, finira par rendre notre pays
inaudible dans ce pays »1.
Avec moins de 400 assistants techniques en Afrique subsaharienne, la
France y dispose aujourd’hui de moins d’agents que l’Allemagne, dont l’opérateur
technique GIZ déploie 1 350 experts expatriés et 11 240 experts nationaux.
C’est pourquoi la commission des affaires étrangères du Sénat considère,
depuis plusieurs années, que la France a été trop loin et a sacrifié un instrument de
coopération précieux dont l’influence et l’intérêt économique sont pourtant
reconnus2.
Il est vrai que d’autres acteurs ou d’autres modalités de renforcement des
capacités des pays africains ont pris le relais.
De très nombreuses collectivités locales ont développé une coopération
internationale, parfois à base de projets classiques, mais principalement en
mobilisant leurs compétences internes pour appuyer leurs homologues. Des lois
autorisent même de prélever jusqu’à 1% du budget des services d’eau,
d’assainissement pour mener des actions de coopération avec les collectivités
étrangères.
Par ailleurs, l’action des opérateurs de coopération inclut pour sa part des
actions de renforcement des capacités, soit dans les modalités de mise en œuvre,
soit en accompagnement de celle‐ci. Les financements de l’AFD sont entièrement
mis en œuvre par les bénéficiaires, mais l’Agence assure un dialogue régulier avec
les maîtrises d’ouvrage locales et leur apporte une expertise pour leur permettre
de faire face aux difficultés pratiques qu’elles rencontrent. Des appuis budgétaires
sont généralement accompagnés de mesures de renforcement des capacités
La France est fortement impliquée dans le renforcement des capacités
commerciales, pour lequel elle a élaboré un plan spécifique qui associe des
contributions multilatérales et un programme bilatéral spécifique, le Programme de
renforcement des capacités commerciales (PRCC). L’appui porte à la fois sur la
capacité des pays à mieux assimiler les règles qui régissent les échanges
internationaux et sur l’amélioration effective de leurs performances à l’exportation.
Cela se traduit par des prestations d’assistance technique, de formation et de
1 idem
2 Voir l’avis n° 150 (2011‐2012) ‐ tome 4 (Aide publique au développement) sur le projet de loi de finances de MM.
Jean‐Claude PEYRONNET et Christian CAMBON, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense
et des forces armées http://www.senat.fr/rap/a12‐150‐4/a12‐150‐4.html
- 330 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
sensibilisation ; des études sectorielles ou de faisabilité ; voire par le financement
de petits matériels ou d’équipements pédagogiques.
Globalement, les moyens pour financer des études ou des prestations
d’expertises sont très limités faute de ligne budgétaire bien identifiée, d’acteurs
suffisamment légitimes et de stratégies. Pour l’Afrique, l'AFD dispose, avec les
ressources du Programme 209 du ministère des affaires étrangères, de crédits
d'intervention permettant de financer ce type d'activités. Mais le niveau des
subventions allouées par l'Etat à l'AFD et Ia compétition sur son usage entre
financement d'investissement et d'accompagnement, notamment dans les pays où
I'AFD n'est pas autorisée à prêter, ne permettent pas de répondre à l'ensemble des
besoins dans les pays prioritaires d’Afrique Subsaharienne.
La politique de promotion de l’expertise technique passe enfin également
aujourd’hui par les opérateurs français publics et privés sur les marchés
internationaux d’expertise financés par l’aide multilatérale à laquelle la France
contribue largement.
La présence croissante des bailleurs de fonds multilatéraux sur les
« marchés » de l’expertise entraîne une demande fondée sur des appels d’offres
internationaux, notamment de la Banque mondiale et des fonds communautaires.
Dans ce contexte, la promotion des opérateurs français sur les marchés
internationaux constitue une manière de chercher des financements pour pallier
la faiblesse des crédits bilatéraux et un retour sur investissement de la part des
organisations multilatérales financées par la France.
Or ces opérateurs sont en France nombreux et divisé. Chaque ministère ou
presque a, en effet, mis en place un opérateur « métier », pour promouvoir à
l’international ses expertises propres, auquel s’ajoute, selon les secteurs, des
opérateurs privés.
Comme l’a constaté notre collègue Jacques Berthou dans un récent
rapport d’information : « Pour une « équipe France » de l'expertise à
l'international »1 la France ne s'est pas dotée d'instruments suffisants pour fédérer
ses opérateurs publics afin de faire face à la concurrence internationale en matière
d'expertise.
La multiplicité des opérateurs, leur faible taille critique, l’hétérogénéité
des modèles économiques pour des métiers pourtant proches, l’hétérogénéité des
résultats et des performances, l’absence d’une véritable stratégie commune et les
conflits de rôles potentiels ou avérés, semblent conduire à une concurrence stérile
et à des réflexes corporatistes nuisibles au rayonnement de l’expertise française en
Afrique.
Il existe, en effet, une trentaine d’opérateurs publics d’expertise à
l’international, des « opérateurs métiers » (proches des viviers d’expertise) et un
opérateur généraliste (FEI). Le volume d’activité cumulé annuel s’élève à environ
1 Rapport d'information de M. Jacques BERTHOU, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la
défense et des forces armées n° 131 (2012‐2013) ‐ 14 novembre 2012 http://www.senat.fr/notice‐
rapport/2012/r12‐131‐notice.html
CHAPITRE 3 : - 331 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
80 millions d’euros dont 60 millions d’euros proviennent des 3 plus grosses
structures (FEI, ADETEF et CIVIPOL).
Cette situation résulte, d’une part, d’un choix politique, au moment de la
réforme de 1998, de ne pas se doter d’un opérateur public dominant qui aurait pu
permettre de développer les synergies entre aide bilatérale et expertise technique
internationale et, d’autre part, de l’existence d’« expertises métiers » découlant
d’une succession de décisions « individuelles » des administrations à s’investir à
l’international.
L'État ne semble jouer, ni le rôle d’arbitre, ni le rôle de pilote. Il laisse
chaque administration défendre son pré carré, sans d’ailleurs toujours en définir
les limites, sans feuille de route commune, sans indicateur cohérent, sans
économie d’échelle et avec ce qui peut apparaître, de plus en plus, comme un
saupoudrage des moyens publics.
Cette organisation entraîne de véritables difficultés à se positionner sur
les appels d’offres internationaux en l’absence de taille critique qui permette une
maîtrise des procédures et une capacité de veille suffisante.
À cela s’ajoutent des difficultés à mobiliser le potentiel humain : malgré la
proximité affichée des « viviers d’expertise », les opérateurs publics dans leur
majorité sont confrontés à la réticence accrue des administrations à mettre à
disposition leurs experts, du fait des restrictions en personnel, à des viviers au
périmètre restreint à la fonction publique d’État et à l’absence d’une valorisation
de l’expérience internationale dans le déroulé de carrière des experts.
Elle contraste avec celle rencontrée en Grande‐Bretagne ou en Allemagne
où cette compétence revient à un opérateur dominant, le Dfid ou la GIZ,
bénéficiant d’un budget conséquent et d’effectifs beaucoup plus importants.
Alors que la France était une référence en matière d’expertise technique,
ce recul pénalise notre influence sur les choix politiques d’États africains en pleine
transformation.
5. Un dispositif militaire inadapté
Depuis une vingtaine d’années, la multilatéralisation, la régionalisation et
l’« africanisation » des dispositifs de sécurité français avaient vocation à répondre
aux enjeux futurs du continent africain.
Le bilan est aujourd’hui mitigé.
La crise malienne comme la situation dramatique en RCA montrent la
faiblesse des capacités africaines ou internationale à agir en premier pour éviter le
pire.
La France se voit contrainte d’agir et ce faisant de maintenir une présence
militaire forte.
- 332 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
a) Une diminution de la présence militaire française en Afrique continue
Le désengagement de la France en Afrique a été assumé et organisé. Il
devait être progressivement compensé par la montée en puissance des armées
africaines.
La décrue des effectifs des militaires prépositionnés de 70% depuis 1990
et sa division par dix depuis 1960 répondaient à cette logique en même temps
qu’à la réforme des armées française, avec la professionnalisation puis la réduction
de leur format en cours.
Le nombre de militaires français prépositionnés en Afrique est ainsi passé
de 30 000 hommes dans les années 1960 à seulement 3 200 à la fin des années
2000 sur le sol africain avec une remontée temporaire pour l’opération SERVAL.
Le Livre blanc de 2008 entendait accentuer le rythme de cette réduction et
prévoyait une diminution des effectifs prépositionnés de 28% des effectifs français
sur le continent dans un souci d’économie, mais aussi avec la volonté affichée de
laisser aux Africains la gestion de leurs problèmes.
Une attrition de la présence militaire en Afrique, qui n’a pas totalement
été mise en œuvre et qui n’aurait d’ailleurs sans doute pas permis, si elle avait été
menée à terme, d’intervenir au Mali dans les mêmes conditions.
CHAPITRE 3 : - 333 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
En 2008, le Livre blanc sur la défense nationale indiquait clairement : « La
France n’a pas vocation à être militairement présente en permanence sur les mêmes
bases. (…) La France procédera donc à la conversion progressive de ses
implantations anciennes en Afrique, en réorganisant ses moyens autour, à terme,
de deux pôles à dominante logistique, de coopération et d’instruction, un pour
chaque façade, atlantique et orientale, du continent, tout en préservant une
capacité de prévention dans la zone sahélienne. ».
Ne devaient donc être conservés que le Gabon et Djibouti, avec une
allusion sans doute au Tchad via la mention de la zone sahélienne.
La création, en marge du Livre blanc, de la base des Émirats Arabes Unis,
ainsi que le maintien, vu les circonstances, d’opérations plus anciennes n’ont
pourtant pas empêché le mouvement de décrue significative de se poursuivre.
Cette stratégie était relayée au plus haut niveau de l’État. Au Cap, il y a
cinq ans, le Président de la République d’alors, Nicolas Sarkozy, affirmait ainsi : « Je
propose que la présence militaire française en Afrique serve en priorité à aider
l’Afrique à bâtir, comme elle en a l’ambition, son propre dispositif de sécurité
collective. L’Union africaine souhaite disposer de forces en attente à l’horizon 2010
– 2012 ? Que cet objectif soit aussi celui de la France ! La France n’a pas vocation à
maintenir indéfiniment des forces armées en Afrique. Il ne s’agit pas d’un
désengagement de la France en Afrique. Je souhaite au contraire que la France
s’engage davantage aux côtés de l’Union africaine pour construire le système de
sécurité collective dont l’Afrique a besoin car la sécurité de l’Afrique c’est d’abord
naturellement l’affaire des Africains. ».
« Poursuivre la décrue pour responsabiliser
les systèmes de sécurité collectif africains ? »
Son successeur, François Hollande, ne dit pas autre chose, même si
l’opération SERVAL a conduit à infléchir le discours.
Le Livre blanc 2013 poursuit donc naturellement la même logique. Il
insiste sur l’importance de l’Afrique d’un point de vue économique et sécuritaire,
mais n’annonce aucun infléchissement quant à la décrue.
Au contraire, il indique, dans des termes choisis, la poursuite de la
réduction : « S’agissant de l’Afrique, une conversion de ces implantations sera
réalisée afin de disposer de capacités réactives et flexibles, à même de s’adapter
aux réalités et besoins à venir du continent. Cette évolution devra notamment
privilégier une meilleure contribution de nos forces, à l’assistance à nos alliés, à la
capacité des Africains à gérer eux‐mêmes les crises que le continent traverse, au
renseignement et à la lutte contre les trafics et le terrorisme. ».
Le document n’avance aucun chiffre précis, non plus qu’il ne précise en
quoi consistera la « ré articulation » des points d’appui en Afrique.
Le chef d’état‐major des armées, l’Amiral GUILLAUD, commentait
récemment en termes positifs cet état de fait : « Le Livre blanc prend acte de cette
nécessité de conserver plusieurs points d’appui en Afrique, sans indiquer combien,
- 334 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
de façon à laisser assez de souplesse pour que nous puissions nous déployer aux
endroits nécessaires. ».
La loi de programmation en cours de discussion indique quant à elle
indique quant à elle aucune indication stratégique sinon une réduction des forces
prépositionnées et de souveraineté de 1 100 postes.
Le retrait progressif des troupes françaises correspond en réalité avant
tout aux contraintes budgétaires et à ce qui apparaît alors comme une possibilité
opérationnelle de minimiser l’empreinte et l’exposition au sol des soldats français
en cas de crise.
D’un point de vue budgétaire, la diminution de la présence française en
Afrique est une déclinaison homothétique de la réduction du format des armées
qui est elle‐même la conséquence de la réduction de l’effort de défense de la
France sur une longue période comme l’illustre le graphique suivant.
Si on prend en compte les hypothèses de la prochaine loi de
programmation, l’armée française verra ses effectifs diminuer de 82 000 militaires
de 2008 à 2019.
Il est dès lors naturel que les forces prépositionnées participent à cette
réduction du format.
D’un point de vue opérationnel, la réduction de l’empreinte au sol
correspond, par ailleurs, à l’espoir que les crises à venir ne nécessiteront que des
interventions exclusivement aériennes, à l’image de l’opération HARMATTAN en
Libye, qui minimise l’exposition au sol et le risque de pertes difficilement
supportables pour des opinions publiques « fatiguées » des interventions
extérieures. S’ajoute à cela l’idée qu’une fois rétablies nos capacités de transport
CHAPITRE 3 : - 335 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
de troupes et de matériel avec le futur A400M, les bases prépositionnées puissent
être reconfigurées de façon à n’être plus que des points d’accueil avec
éventuellement des dépôts de matériel lourd.
La crise malienne et l’opération SERVAL, sans remettre en cause
l’évolution historique à terme vers un retrait de la présence militaire française en
Afrique, ni la possibilité d’avoir une présence plus légère et plus flexible, en
modifient selon nous le calendrier pour plusieurs raisons.
Au regard de l’européanisation et de l’africanisation de la présence
militaire française, la crise malienne aura servi de révélateur.
Voilà une crise douloureuse et dévastatrice pour un pays et une
population qui souffraient déjà d’un sous‐développement chronique, un conflit qui
a conduit le Mali, jadis présenté comme un modèle de démocratie en Afrique de
l'Ouest et une vitrine de la coopération civile et militaire française, au bord du
gouffre, une expérience qui doit nous faire réfléchir sur l’efficacité de notre
coopération et la pertinence des choix stratégiques effectués ces dernières années.
Car comme l’a fait observer le rapport d’information présenté par Jean‐
Pierre Chevènement et Gérard Larcher consacré au Sahel, le succès des forces
armées et de la diplomatie française dans la gestion de la crise malienne ne doit
pas faire oublier la nécessité d’en tirer des enseignements et de comprendre les
causes profondes d’un conflit qu’on n’a pas vu venir et pas su empêcher.
Malgré des millions d’euros et de dollars investis par la France et les États‐
Unis dans la formation des militaires maliens, les colonnes de pick‐up des
mouvements djihadistes ont trouvé devant eux une armée sans unité organique, ni
chaîne de commandement : « 62 généraux pour un effectif théorique de 12 000
hommes, dont pas plus de 3 000 n’auraient réellement pu être alignés sur le terrain,
avec une capacité opérationnelle variable. »1
Toutes les armées africaines ne sont pas à cette image. Elles sont dans des
situations très contrastées, avec des carences nombreuses et communes, et parfois
des performances tout à fait édifiantes comme en témoigne notamment
l’engagement des forces tchadiennes. Les difficultés des forces de sécurité
africaines sont cependant réelles.
Le scénario selon lequel la sécurité de la région sahélienne pourrait être
assurée avec une présence française minimale qui s’appuierait sur la coopération
opérationnelle avec des forces africaines désormais aguerries n’est pas encore
d’actualité.
1 « Sahel : pour une approche globale » recommandations pour relever le défi de la sécurité Commission des Affaires
étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat Rapport d’information n° 720 (2012‐2013) de MM. Jean‐Pierre
Chevènement et Gérard Larcher, co‐présidents du groupe de travail sur le Sahel, MM. Jacques Berthou, Alain Gournac,
Joël Guerriau et Rachel Mazuir, sénateurs
- 336 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
A court terme, le Mali a montré que la relève
africaine en matière de sécurité collective n’était pas encore assurée
Autrement dit : croire qu’on pourra « faire faire » pour compenser la
réduction de format d’une armée en effectifs réduits qui risque d’être, demain,
inférieure en effectifs à la RATP est pour nous une illusion, du moins à court terme.
L’horizon reste inévitablement celui de la montée en puissance de forces
régionales, par la formation, la coopération structurelle. Mais c’est un objectif de
long terme.
La faible réactivité de la CEDEAO puis la difficile montée en puissance de la
MISMA montrent les limites des capacités opérationnelles des forces régionales.
Au plan institutionnel, les efforts africains de maintien de la paix sont
confrontés à la fragilité des organisations régionales et au déficit de coordination.
Certaines de ces structures restent des coquilles vides du fait d’un manque
d’engagement à la fois financier, technique et politique des États membres, reflet
d’un manque d’intérêt réel pour l’intégration régionale. Par ailleurs, la coordination
est déficiente entre organisations régionales, tant avec l’organisation mère
qu’entre les structures régionales. Les relations de travail de la CEEAC avec l’UA
sont de qualité moyenne en raison des difficultés culturelles et linguistiques,
l’essentiel du travail de l’UA se faisant en anglais et les concepts servant de
soubassement à ses politiques venant du monde anglo‐saxon. Une très faible
communication entre la CEEAC à Libreville et la Communauté économique et
monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) à Bangui est également à déplorer.
Derrière ces difficultés, il y a une réalité politique difficilement
contournable : le fait que les conflits et problèmes africains font rarement
consensus à l’UA et dans les organisations régionales.
A titre d’illustration, la SADC a été très divisée sur la position à adopter
vis‐à‐vis du régime autoritaire de Robert Mugabe; au sein de l’Initiative pour le
bassin du Nil, le clivage entre les pays de l’aval (Égypte et Soudan) et tous les pays
de l’amont réactivant l’hypothèse d’une future et probable guerre de l’eau, les
contentieux et rivalités au sein des pays d’Afrique du Nord rendent, pour le
moment, impossible la mise en place de la brigade régionale prévue dans
l’architecture de paix et de sécurité ainsi qu’une solution régionale pour la sécurité
du Sahel.
Pour l’instant, seule la France dispose d’une capacité d’entrée en premier
sur ce type d’opération.
Les performances des armées françaises et ses points d’appui à Abidjan,
Dakar, Ouagadougou et Niamey lui en donnent les moyens. Comme l’a souligné,
M. Justin Vaïsse, directeur du Centre d'analyse, de prévision et de stratégie au
ministère des affaires étrangères : « la France a de fait des responsabilités parce
qu’elle a des moyens sur place. C’est l’existence de ces moyens qui crée la
responsabilité et les demandes d’empire ».
Chacun reconnaît que si l’état‐major de la CEDEAO a pu constituer un
premier échelon de planification opérationnelle pour l’intervention militaire au
CHAPITRE 3 : - 337 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Mali, ses capacités restent très légères et, en tout état de cause, inadaptées à la
virulence de la menace.
Ce sont dans la plupart des cas des moyens français et occidentaux qui ont
permis le déploiement des 6 000 soldats de la MISMA sur le sol malien. Ces troupes
africaines ont pris progressivement le relais de nos forces pour assurer le contrôle
des zones du nord, comme les contingents nigérien, sénégalais ou burkinabé à
Ménaka, Gao ou Tombouctou.
Un des enjeux du transfert actuel de responsabilité de la France qui
maintien au Mali 1 000 hommes et la MINUSMA est de savoir si nous pourrons bien
réduire à terme notre présence.
Quant à l’Europe, l’absence de réaction commune lors de cette crise
montre le chemin à parcourir pour mettre sur pieds une Europe de la défense qui
soit le pendant d’une politique étrangère commune alors même que le Sahel est
identifié depuis 2011 comme une zone prioritaire pour l’Union européenne.
Ce fut une occasion ratée pour l’Union européenne, même si le soutien
des Britanniques, des Espagnols, des Allemands, des Néerlandais, et tout
particulièrement des Belges et des Danois a été précieux d’un point de vue
logistique. L’européanisation de la politique africaine de la France a encore de
l’avenir devant elle !
L’Europe n’est pas restée inerte face à la crise malienne, puisque les
autres États membres ont apporté : un soutien politique, une action de formation
de l’armée malienne, une accélération de l’aide au développement.
Mais la génération de forces des 500 formateurs d’EUTM‐Mali est
éloquente : la France a fourni l’ensemble de l’analyse des besoins, presque la
moitié du contingent et, faute d’obtenir de nos partenaires qu’ils assurent la tâche
de protéger le camp de Koulikoro, il nous a encore fallu servir de « variable
d’ajustement ». Sans une capacité d’intervention autonome de la France, l’Europe
ne serait pas intervenue au Mali.
Quant aux considérations opérationnelles, il nous apparaîtrait, en outre,
dangereux de céder à ce que MM. Jean‐Pierre Chevènement et Gérard Larcher
appellent dans leur rapport sur la situation au Sahel la « tentation du hors‐sol », qui
consisterait à considérer que des capacités de transport stratégiques rendraient
désormais caduque la nécessité de disposer d’une empreinte au sol à proximité des
zones de crise, et particulièrement au Sahel et en Afrique de l’Ouest.
D’abord, plus la réponse militaire est rapide, plus elle est efficace et
surtout proportionnée. Plus l’intervention tarde, plus son niveau de violence et son
coût sont élevés. Ce qu’on peut arrêter en jetant un verre d’eau, si l’on est à côté,
exige de lourds moyens si on laisse le feu s’étendre.
Ensuite, seule la présence sur zone dans la durée permet la connaissance
fine des hommes et du terrain propre à garantir le succès de l’action et, là encore,
sa juste proportionnalité dans les moyens engagés.
- 338 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Toute guerre commence et se termine au sol, même si le risque de
l’enlisement doit toujours être pesé et circonscrit. C’est pourquoi avec des moyens
de plus en plus sophistiqués, mais aussi de plus en plus limités, la France doit
laisser les stratégies contre‐insurrectionnelles sur le terrain être menées par des
forces autochtones de nos partenaires africains autant que possible.
La réalité, c’est que rien n’aurait été possible au Mali sans « Licorne »
(450 personnes), sans « Épervier » (950 militaires), sans « Sabre » (forces
spéciales).
Or aucun de ces dispositifs ne figure pourtant expressément au rang des
bases prépositionnées du Livre blanc de 2008, qui ne prévoyait qu’une base par
façade maritime africaine.
Pour réussir, Serval a eu besoin de points d’appui en Afrique, besoin d’une
empreinte au sol.
Un des enseignements de SERVAL à court terme est que la diminution de
notre présence militaire en Afrique n’a pas encore été compensée ni par la montée
en puissance des armées africaines dont on aurait cependant tort de négliger les
efforts, ni par l’implication croissante de nos alliés.
Nous estimons dans ces conditions qu’une présence prépositionnée en
Afrique de l’Ouest, avec l’accord des États concernés, reste indispensable pour
contribuer avec nos partenaires africains à la sécurité de la zone.
Même si c’est toujours dans le cadre de la légalité internationale, et le
plus souvent possible avec nos alliés, (internationaux, dans le cadre de l’ONU,
européens, ou régionaux), la France semble devoir maintenir une capacité d’agir,
au Sahel, seule, en relative autonomie. L’opération SERVAL a montré que c’était
encore possible, même si, du point de vue de la logistique et du renseignement
opérationnel, l’aide de nos partenaires occidentaux a été indispensable.
C’est pourquoi la décrue de nos moyens prépositionnés doit être
échelonnée. La montée des menaces, en particulier au Sahel, ne doit pas nous faire
baisser la garde trop vite.
Si la France reste, à bien des égards, seule en Afrique devant les
responsabilités que lui donnent ses moyens militaires sur place, elle prend en
même temps le risque d’être fréquemment appelée à jouer le rôle de gendarme
sans pouvoir toujours choisir ses combats.
C’est pourquoi il importe de persévérer dans l’effort de formation des
armées africaines et de marquer en certaines occasions notre refus de nous
substituer à elles.
Car la volonté de maintenir nos effectifs ne doit pas nous faire perdre de
vue que la stabilisation de la situation au Sahel ou en Centrafrique comme au Kivu
dépend avant tout des Etats de la région face à des menaces qui les concernent
tous.
CHAPITRE 3 : - 339 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Le sommet de l’Élysée devra rechercher un nouveau
partage des tâches et un renforcement de la coopération régionale
Les autorités politiques africaines portent la responsabilité de leur
appareil de défense. La majorité des crises ont aujourd’hui une dimension
régionale et doivent recevoir des solutions régionales. Car ce qui frappe dans les
crises africaine récentes, au Mali, en Centrafrique comme au Congo, c’est le
caractère transnational des crises avec de fortes implications régionales et une
virulence de menaces transversales (drogues, armes, trafics humains) qui touchent
aussi bien l’Afrique que l’Europe.
De ce point de vue, l’initiative du Président de la République de proposer
une réunion des chefs d’État africains à Paris, les 6 et 7 décembre prochain, sur le
thème de la sécurité du continent africain est la bienvenue.
Il est essentiel de trouver un format qui permette aux discussions
régionales d’avancer de façon réellement constructive pour déboucher sur la mise
en place de solutions effectives. Il importe, en particulier au Sahel, que les pays de
la zone améliorent leur coopération pour renforcer la lutte contre le terrorisme.
- 340 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
CHAPITRE 3 : - 341 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
En revanche, le positionnement français semble contradictoire en matière
de coopération structurelle.
b) Une attrition des moyens de la coopération militaire contradictoire avec
la volonté de promouvoir des solutions africaines aux crises du continent
La diminution constante des crédits consacrés à la formation et à la
coopération militaire française en Afrique crée un hiatus de moins en moins
tenable entre notre volonté politique affichée de faire émerger des capacités
africaines de sécurité et la réalité de notre action.
Depuis 2006, le budget d’intervention de la Direction de la coopération de
sécurité et de défense a diminué de moitié.
La diminution des moyens de coopération militaire au cours des huit
dernières années, en termes de budget comme de coopérants, nuit à la crédibilité
de notre posture comme aux résultats obtenus.
- 342 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Le constat lors de la montée en puissance de la MISMA a été unanime, la
caractéristique la plus partagée et la plus handicapante pour les armées africaines
est un besoin de formation des cadres auquel nous ne répondons plus, faute de
budget et de places offertes dans nos écoles en France.
Nous avons, en matière de formation, une expertise unique reconnue de
tous, en particulier des Africains, et enviée par les Américains et les Britanniques.
La dualité de notre coopération qui assure un continuum indispensable
entre projets fondamentaux de long terme (coopération structurelle) et actions
d'entrainement en vue de l'emploi tactique immédiat (coopération opérationnelle)
a montré son efficacité.
Nos partenaires africains reconnaissent que notre coopération est
pragmatique, pratique, adaptée, flexible et qu'elle fait l'objet d'un véritable
dialogue à la différence des autres partenaires : programme américain ACOTA
régulièrement décrié pour sa rigidité, son côté théorique.
Alors, certes, tous nos points d’appui participent d’une façon ou d’une
autre à la formation des armées africaines. Pendant l’opération SERVAL, Le
commandement des éléments français au Sénégal (COMELEF), pôle opérationnel de
coopération à vocation régionale ainsi que les forces de l’opération Licorne que
nous avons visitées ont contribué à former des bataillons africains qui ont ensuite
rejoint la MISAMA puis la MINUSMA.
Par ailleurs, la décrue des moyens de coopération a été en partie
compensée par des financements européens et étrangers des écoles nationales à
vocation régionale (ENVR) qui, tout en conservant un encadrement français, sont
aujourd’hui éligibles à des financements européens.
CHAPITRE 3 : - 343 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Il reste que la Direction de la coopération de sécurité et de défense ne
dispose plus que de 345 coopérants pour 149 pays partenaires et 86 millions
d’euros dont 80% est à destination de l’Afrique.
Le nombre de coopérations a été diminué par dix ces vingt‐cinq dernières
années.
Quant aux stagiaires, la formation dans les écoles nationales à vocation
régionale (ENVR) a pris le pas sur la formation en France. En 2000, quelque 661
militaires en devenir étaient formés en France et 663 dans les ENVR ; en 2013 ils
étaient 2 426 dans les ENVR contre seulement 376 dans les centres français.
Il y a une disproportion entre les moyens mis en œuvre dans les
opérations et celui mis dans la coopération qui est en contradiction avec
l’exhortation répétée faite aux responsables africains de mettre sur pieds des
armées opérationnelles.
Difficile dans ces conditions de définir une stratégie de coopération
structurelle. La volonté de développer la formation dans le domaine crucial pour les
populations de la sécurité civile ou de promouvoir en Afrique des formes de
services civils au développement pour accompagner les opérations de
désarmement se heurtent au manque de moyens.
Ce n’est en effet pas les idées qui manquent. L’organisation en juin dernier
du 14ème Forum de l'IHEDN sur le continent africain en a témoigné.
De nombreux intervenants ont évoqué des initiatives à prendre, par
exemple pour accompagner des réflexions type « Livre blanc africain», pour inciter
à la mise en œuvre de mesures de confiance entre civils et militaires, pour
renforcer la formation des élites militaires, mais aussi civiles, pour faire un effort
sur la formation des jeunes officiers, pour développer les capacités locales à former
les cadres africains, inciter les institutions africaines à investir dans des écoles
africaines, pour développer la coopération avec des partenaires qui partagent
notre vision de l'Afrique, comme le Canada, pour promouvoir les initiatives
régionales et développer davantage les liens avec nos forces déployées en Afrique à
travers des exercices régionaux et des exercices franco‐africains au sein de la
CEDEAO ou de la CEEAC.
En revanche, notre pays manque cruellement de moyens.
C’est une question de moyens mais aussi de priorités.
Les quelques dizaines de millions d’euros de la coopération structurelle
militaire en Afrique émargent aujourd’hui sur le budget du ministère des affaires
étrangères dont ce n’est guère la priorité.
Et il y aurait pourtant une cohérence à investir plus généreusement dans
cette coopération si nous voulons à terme ne pas avoir à financer des interventions
directes comme au Mali dont le coût s’élève à plusieurs centaines de millions
d’euros.
- 344 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
c) Un dispositif encore trop coûteux et rigide, politiquement peu lisible et
militairement déséquilibré par rapport aux intérêts français
La loi de programmation militaire pour 2014‐2019 qui prévoit une
réduction des effectifs prépositionnés en Afrique à laquelle s’ajoutera une décrue
des effectifs en OPEX conduit à une réduction numérique des effectifs français en
Afrique dont le coût s’avère aujourd’hui difficilement soutenable au regard des
contraintes budgétaires.
La loi de programmation militaire prend acte du fait que la France ne peut
plus financer un effort budgétaire supérieur à un milliard par an pour renforcer la
sécurité du continent africain.
L’Afrique représente plus de la moitié des crédits consacrés aux forces ou
opérations hors du territoire national. Le coût annuel des forces prépositionnées
est en 2013 de l’ordre de 400 millions d’euros (entre Djibouti, Libreville et Dakar),
celui des OPEX en Afrique de l’ordre de 900 millions (65 millions en Côte d’Ivoire,
107 au Tchad, 26 millions pour l’océan Indien, 22 en Centrafrique, 700 millions
pour le Mali) sur un budget d’OPEX variant, suivant les années, entre 800 millions
et un milliard d’euros (comme ce fut le cas en 2011 et comme cela sera
vraisemblablement le cas en 2013 compte tenu de Serval, dont le coût annuel
devrait s’élever à 700 millions d’euros).
La conjonction des diminutions d’effectifs des forces prépositionnées,
programmées à 1 200 hommes, et des OPEX dont le niveau, stabilisé à 450 millions
d’euros contre 528 millions d’euros en moyenne sur les dix dernières années et
plus de 900 ces trois dernières années supposera une diminution d’au moins un
millier d’hommes supplémentaires, va nécessairement réduire la présence militaire
en Afrique.
Le chiffre de 450 millions d’euros pour solde de tout compte des
opérations extérieures signifie, en effet, vraisemblablement, que la France ne
s’engagera plus dans plus de deux opérations concomitantes en Afrique. La
diminution des effectifs des OPEX impliquera une diminution des effectifs,
vraisemblablement à Djibouti et à Libreville, et une transformation de certaines
OPEX en opérations permanentes financées au titre des forces prépositionnées.
Cette distinction avant tout budgétaire n’a d’ailleurs pas vraiment de sens avec des
OPEX comme les opérations LICORNE et EPERVIER qui durent depuis des années.
CHAPITRE 3 : - 345 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Surcoût des opérations extérieures en 2011 et 2012
Exécuté 2011
Exécuté 2012 Prévu 2013
(1)
LIBYE 368
MALI ND
CENTRAFRIQUE 22
Tout en constatant que les menaces, en particulier dans cette région du
monde, sont loin de diminuer, le ministère de la défense s’ajuste à la réalité
budgétaire d’une France qui ne peut plus financer une présence militaire en
Afrique aussi massive.
Le pari et le défi du ministère de la défense sont d’arriver à produire un
dispositif aussi efficace mais moins coûteux.
Cette contrainte doit notamment conduire à repenser la cohérence de
l’ensemble de notre dispositif vers un dispositif plus souple où les effectifs
s’ajustent en temps réel aux besoins opérationnels.
Avec 300 hommes, notre point d’appui à Dakar a apporté une contribution
essentielle à l’opération SERVAL et à des actions de formation des troupes
africaines qui ont nourri la MISMA puis la MINUSMA.
Au vu de cette expérience, un meilleur ratio pourrait être trouvé ailleurs
entre forces d’action et unités de coopération et de formation. Les points d’appui
français doivent plus que jamais assurer une polyvalence entre ses deux missions
en coordination avec les écoles nationales à vocation régionale et les forces
africaines.
La diminution des moyens budgétaires comme les enseignements de
l’opération SERVAL milite ainsi pour le maintien de nos points d’appui en Afrique,
mais pour une plus grande flexibilité des effectifs qui doivent pouvoir être modulés
rapidement en fonction des besoins opérationnels.
Les effectifs des bases actuels sont, en outre, en déphasage avec les
besoins opérationnels pour assurer la sécurité de nos intérêts, notamment pour la
protection de nos ressortissants.
- 346 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Des effectifs nombreux sont aujourd’hui concentrés sur la Corne de
l’Afrique et la péninsule arabe, alors que les communautés françaises vivent
majoritairement en Afrique de l’Ouest, zone où la menace ne fait que s’aggraver ;
de la même façon, le centre de gravité nord‐sud paraît trop bas sur la façade ouest
africaine.
Le centre de gravité de nos implantations militaires en Afrique mériterait
d’être repositionné : aujourd’hui trop concentré au fond du Golfe de Guinée où se
trouve la majorité de nos forces (Gabon), il gagnerait à être remonté au Nord.
Déséquilibré entre la façade Ouest et la façade Est de l’Afrique (où nous
avons 12 avions, 2 groupements tactiques interarmées et 8 hélicoptères, en
incluant nos capacités aux Émirats Arabes Unis), il gagnerait aussi à être rebasculé
vers l’Afrique de l’Ouest, où sont nos intérêts les plus anciens, et d’abord nos
ressortissants.
Enfin, plus que jamais, dans la décennie à venir, la condition de
l’acceptation par les Africains de la présence militaire française en Afrique, et donc
de sa légitimité, est naturellement qu’elle contribue réellement à la montée en
puissance des architectures de sécurité africaines.
Lors du cinquantième anniversaire de l’Union africaine à Addis Abeba le 25
mai dernier, dont il était le seul invité occidental, le Président de la République
François Hollande affirmait : « Je considère que ce sont les Africains qui doivent
assurer eux‐mêmes la sécurité de l’Afrique. Mais la France est prête à travailler
avec les Africains, pour renforcer les capacités d’action, pour doter les armées
africaines des moyens de répondre à toutes les agressions. (…) Nous définirons
ensemble les formes de la meilleure coopération pour prévenir et traiter les conflits,
et pour lutter partout contre le terrorisme. »
Adosser notre présence militaire à la montée en puissance des capacités
africaines est une condition décisive pour une bonne acceptation par les Africains
de notre présence militaire en Afrique, la première étant évidemment l’expression
de la volonté des États concernés.
De ce point de vue, la vocation du dispositif français apparaît encore trop
peu lisible pour les opinions publiques africaines.
C. UNE PRÉSENCE JUGÉE AMBIVALENTE
1. Une politique hésitante
Pendant des années, la France a affiché, à la suite de Lionel Jospin, une
doctrine du « ni‐ni » –« ni ingérence, ni indifférence »– qui devait poser les bases
d’une nouvelle relation de la France avec ses partenaires africains, débarrassée des
oripeaux de l’ingérence postcoloniale.
Cette devise, censée résumer toute sa politique à l’égard du continent noir
avait ainsi déçu les caciques des pouvoirs africains à l’ancienne, qui souffraient d’un
complexe d’abandon ; elle avait aussi désespéré les oppositions qui misaient sur
une improbable « ingérence démocratique ».
Au nom de la mise au placard des clientélismes et de l’arrêt de la
connivence avec des régimes contestables, la France avait souhaité faire oublier
qu’elle était naguère aussi « faiseuse de rois ». Le respect des peuples, des
institutions et de la souveraineté des États imposait une ligne de conduite prudente
en rupture avec l’ancienne « politique de la canonnière » qui l’avait conduite à
51 opérations militaires sur le continent en 30 ans.
Pourtant, à partir des années 2000 et singulièrement après 2002, la
lisibilité de la doctrine du ni‐ni apparaît problématique.
L’implication directe de notre armée dans la crise ivoirienne, au Tchad et
en RCA semble avoir entériné de facto un nouveau changement de doctrine, sans
que celle‐ci ne soit jamais vraiment explicitée.
En 2011, cette politique a franchi un nouveau cap avec les guerres menées
en Libye et en Côte d’Ivoire. En 2012, malgré l’alternance, l’engagement du
Président de la République de rompre avec les interventions du passé, la France
s’engage dans la crise malienne après s’être jurée pendant des mois de ne pas
intervenir.
Cette « politique du Yoyo », selon l’expression utilisée par M. Justin
Vaïsse, directeur du Centre d'analyse, de prévision et de stratégie au ministère des
affaires étrangères, qui a conduit les différents gouvernements à alterner
abstention et intervention n’a pas favorisé une image très claire de la politique
africaine de la France.
Cette politique pragmatique du cas par cas laisse ouvertes des questions
dont la presse africaine se fait l’écho : comment comprendre que la France monte
en première ligne pour faire respecter le verdict des urnes en Côte d’Ivoire alors
qu’elle s’abstient dans d’autres contextes comparables ?
Comment départager les situations où l’on doit se résoudre en propre à
une intervention armée de celles où s’impose la prise de responsabilité de l’Union
Africaine et de ses organisations régionales ? La « communauté internationale »
s’abrite bien souvent derrière le paravent des « solutions africaines aux problèmes
africains » quand cela l’arrange, tandis que certains Etats africains se livrent à une
instrumentalisation opportuniste de l’« agenda occidental », par exemple en
matière d’anti‐terrorisme.
- 348 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Dans les situations d’urgence, l’européanisation comme l’africanisation de
la politique africaine de la France montrent leurs limites, comme au Mali et en Côte
d’Ivoire. Cette situation conduit la France à afficher des principes dont elle doit
s’affranchir dès que la situation impose une action rapide.
Jusqu’où la responsabilité de protéger, héritière du « droit d’ingérence »,
nous permet‐elle d’intervenir ? Après s’être réclamé des grands principes de la
légalité internationale, comment fixer les limites sans avoir l’air de choisir au cas
par cas en fonction des intérêts français ?
Nous intervenons au Mali, mais pas en Centrafrique où la dégradation de
la situation sécuritaire et les exactions perpétrées contre la population civile sont
avérées et l’incapacité de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique
sous conduite africaine (MISCA) à l’enrayer, manifeste. Dans ce cas, la France se
contente de « saluer les initiatives des États de la Communauté économique
d’Afrique centrale et de l’Union africaine pour parvenir à une sortie de crise durable
en RCA1. ».
Sur le plan de la promotion des droits de l’homme et de la démocratie où
les attentes de nombreux Africains à l’égard de la France restent importantes, la
réponse française a été également perçue ces dernières années comme erratique.
Après l’espoir suscité par le discours de La Baule (juin 1990), qui laissait
penser que la France s’engageait résolument en faveur de la démocratie au Sud du
Sahara, le soutien y compris militaire apporté à des gouvernants bafouant les
libertés publiques a brouillé le message. De même, ces deux dernières années,
l’engagement militaire en Côte d’Ivoire et en Libye a fait ressortir, par contraste,
l’immobilisme adopté vis‐à‐vis d’autres situations (fraude électorale massive au
Tchad, en RDC, en RCA, au Togo…).
Il est vrai que, depuis septembre 2001, on a eu tendance à voir le
continent avant tout comme une menace.
Certains gouvernants africains ont saisi le bénéfice qu’ils pouvaient tirer
de ce prisme sécuritaire et de la rente qui pouvait en découler. Leurs peuples ont
de leur côté compris que le discours des Occidentaux sur la démocratie perdait en
effectivité dès lors que leurs dirigeants, même s’ils exerçaient une dictature, ne
seraient pratiquement jamais sanctionnés tant qu’ils luttaient contre Al‐Qaida. Une
attitude dont on a vu les limites au Maghreb sans qu’on en tire pleinement les
conséquences en Afrique, sans voir que le développement de l’islam politique dans
de nombreux pays, bien plus massif que celui de l’islamisme, peut apparaître de ce
point de vue avant tout comme un symptôme de cette déception à l’égard du
discours démocratique rabâché depuis les indépendances, dont les fruits sont jugés
décevants.
Cette ambivalence se retrouve dans de nombreux domaines où la
politique africaine de la France se cherche, hésitant entre diverses options.
1 Situation en République centrafricaine (Q&R ‐ Extrait du point de presse ‐ 28 août 2013)
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers‐pays/republique‐centrafricaine/la‐france‐et‐la‐republique‐
1216/evenements‐19300/article/situation‐en‐republique‐108081
CHAPITRE 3 : - 349 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Entre le maintien d’une politique d’influence et d’accueil des élites
africaines et une politique migratoire dissuasive, entre la tentation du retrait et la
volonté de maintenir des liens privilégiés avec le continent ; entre la normalisation
et la personnalisation des relations ; entre des tendances à la multilatéralisation et
le souci de conserver une politique d’influence bilatérale ; entre la conservation
d’un pré carré francophone et l’affermissement des liens avec de nouveaux
partenaires politiques et commerciaux ; entre la modernisation de notre appareil
de coopération militaire et la perpétuation d’une vieille « politique de la
canonnière » ; entre conditionnalités démocratiques et soutien à des régimes
autoritaires, entre aide‐programme et aide‐projet, etc.
2. Une image entre attirance et répulsion
Cette ambivalence nourrit celle des Africains eux‐mêmes à l’égard de la
France qui oscillent entre attirance et répulsion. A la politique du « ni‐ni »
correspond l'accusation d'ingérence ou d'inaction suivant la posture adoptée avec à
la clef un dilemme dont le Gouvernement Français ne semblait plus pouvoir sortir :
intervenir en étant taxée d’ingérence ou laisser faire, signe d’indifférence voire
d’acceptation et de participation, au pire comme au Rwanda.
La difficulté à dégager une ligne de conduite claire a contribué à brouiller
notre image.
Moins négative qu'on pourrait le croire en Afrique anglophone où notre
compétence africaine en matière d'aide au développement et notre défense de
l'Afrique dans les enceintes internationales sont reconnues, l’image de la France
dans nos anciennes colonies oscille, selon l’expression de M. Richard Banégas,
professeur au CERI‐Sciences Po, « entre attirance, sentiment d’abandon et
répulsion, au gré du soutien politique ou des interventions militaires. »
La présence militaire est reconnue, sauf exception, comme positive, sous
quelque forme qu'elle soit déclinée (aéroterrestre ou navale), pourvu qu'elle ne
vienne pas en appui à des régimes peu recommandables et qu'elle soit limitée dans
la durée.
Chez les francophones, une impression d'être délaissés, voire de ne pas
être payés en retour par une France en repli (immigration, visas, réduction de
l'aide, traitement des anciens combattants), domine, avec pour corollaire le risque
réel que les jeunes générations se détournent de la France pour rejoindre de
nouveaux partenaires.
Une étude du Quai d’Orsay en 2007 sur l’image de la France en Afrique
indiquait : « Un fossé s'est ainsi creusé entre Français et Africains. Les premiers
voient les seconds comme "des gens pauvres parce que corrompus, à qui la France
doit dire ce qu'ils doivent faire". En miroir, domine en Afrique la vision d'"une
France frileuse, doutant de ses intérêts, méfiante à l'égard de la jeunesse
africaine" ».
- 350 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
On souhaiterait de manière générale que les Français fassent mieux justice
aux progrès accomplis par l'Afrique (règlement des conflits, élections, croissance
économique). De ce point de vue un certain dépit africain se nourrit du rejet d'une
France « donneuse de leçons » dont les performances économiques, l’art de vivre
jugée excessivement individualiste et peu solidaire, le comportement de certains
de ses membres, notamment dans le cadre de l’affaire de L'Arche de Zoé,
n’apparaissent pas si exemplaires.
En matière de coopération, nombre de responsables africains se disent
fatigués de recevoir des leçons de morale, de bonne gouvernance et de gestion
« mêlant arrogance et charité », de tous les contributeurs à l’exception des Chinois.
Ils ne se retrouvent plus dans des modèles politiques et de développement où la
pensée unique règne et souhaiteraient que l'on réponde enfin à leurs demandes
« d'égal à égal ». Cette critique ne s'applique pas seulement à la France mais à
l’ensemble des institutions financières internationales, aussi bien à l'ONU qu'à
l'aide européenne ou bilatérale, corsetées de « conditionnalités », qui varient trop
rapidement au gré des modes.
D’un point de vue sécuritaire, l’exemple du Mali ou de la Centrafrique
laisse penser que, si la France ne détient plus la solution, elle est encore perçue
comme un recours avec le risque de rentrer dans un engrenage d’interventions
répondant à des appels récurrents ressuscitant l’image flatteuse de « gendarme de
l’Afrique ».
Le risque existe que l’image de la France ne se réduise à son versant
militaire et martial. Quoi de plus significatif que cette phrase du Président
sénégalais Macky SALL où se mêlent à la fois une demande et un refus : « Le
moment est venu que les États‐Unis soient à nos côtés, comme la France l’est, pour
que l’Afrique se donne les moyens de réagir de façon autonome quand le besoin
s’en fait sentir (…). Il n‘est pas acceptable que nous appelions des soldats européens
pour venir régler des problèmes sur notre territoire »
3. Le Mali un nouveau départ ?
L’intervention au Mali marque‐t‐elle une nouvelle étape ?
L’opération Serval, déclenchée le 11 janvier 2013, est ainsi née du refus de
la France de voir une partition de l’État malien ou la constitution d’un État
terroriste. Déclenchée dans l’urgence avec le soutien de la MISMA, cette force a
aujourd’hui achevé sa mission principale. Cette intervention a sans doute évité une
profonde déstabilisation que la chute de la capitale malienne aurait provoquée
dans toute l'Afrique de l'Ouest.
Le territoire est repassé dans sa plus grande partie sous le contrôle de
l’État malien. Plus de 200 tonnes d’armes ont été confisquées, l’administration a pu
retourner dans le Nord et les éléments terroristes résiduels continuent à y être
traqués. La transformation de la MISMA dans une force sous mandat onusien, la
MINUSMA, forte de 12 600 casques bleus, s’est déroulée dans des conditions
satisfaisantes. La France maintient au Mali des capacités de lutte contre les
CHAPITRE 3 : - 351 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
terroristes et continue à participer à l’opération EUTM de formation de l’armée
malienne. L’accompagnement politique de l’intervention a permis la tenue des
élections à la présidence du Mali dont Ibrahim Boubacar Keita est sorti vainqueur
avec 77,62% des voix. Le calendrier électoral devrait permettre des élections
législatives en octobre et novembre 2013. L'accord de Ouagadougou ("Accord
préliminaire à l'élection présidentielle et aux pourparlers inclusifs de paix") devrait
permettre un difficile processus de réconciliation entre le Sud et le Nord. Au final la
France est intervenue militairement sans s’immiscer trop avant dans les affaires
maliennes sauf pour organiser des élections.
Un sans faute ? Disons une intervention en cohérence avec le discours où,
tout en assumant le leadership, la France est intervenue dans le cadre de la légalité
internationale et du chapitre 7 de la Charte des Nations unies, à la demande des
autorités maliennes, pour préserver l’intégrité territoriale du pays au sein d’une
coalition européenne et africaine.
Un succès ? Cela dépendra de la suite. Comme l’ont souligné les sénateurs
Jean‐Pierre Chevènement et Gérard Larcher1, « le plus difficile sera de gagner la
Paix ».
Le succès ne sera véritable que quand la réconciliation entre le Nord et le
Sud sera effective, que la vie politique et institutionnelle aura repris un cours
normal et que le pays sortira du sous‐développement qui nourrit les extrémismes
et les trafics en tous genres.
Le plus difficile : gagner la paix
50 ans de coopération ont montré que ces objectifs étaient difficiles à
atteindre et doivent nous inciter à réfléchir sur nos méthodes de coopération.
Si la situation ne s’améliorait pas malgré les engagements financiers
substantiels de 3,2 milliards promis à Bruxelles le 15 mai dernier, par la France et
l’Europe, le consensus qui s’est dégagé dans la communauté africaine pour saluer
l’intervention française deviendrait sans doute moins unanime et la présence
militaire française plus discutée.
En outre, en cas d’enlisement ou de bavures, le retournement de l’opinion
publique africaine pourrait être rapide. La France, en prenant la responsabilité de
cette intervention, s’est engagée durablement au Mali.
L’insistance avec laquelle les autorités françaises ont souligné que les
forces françaises n’ont pas vocation à rester sur son sol cache en réalité la crainte
de devoir y laisser encore longtemps plusieurs centaines de soldats. Il est d’ores et
déjà acquis que la France maintiendra 1000 hommes début 2014 sur le sol Malien.
La « reconstruction » des structures étatiques prendra du temps, qu’il
s’agisse de l’armée, de l’administration ou des services à la population.
1 Mali : comment gagner la paix ? Rapport d'information de MM. Jean‐Pierre CHEVÈNEMENT et
Gérard LARCHER, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces
armées n° 513 (2012‐2013) ‐ 16 avril 2013
- 352 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Des doutes sérieux existent sur notre faculté à accélérer des processus
politiques et économiques nécessairement lents et toujours endogènes. L’ampleur
des difficultés rencontrées à dépasser, de part et d’autre, les rancœurs entretenues
depuis des décennies entre les Touaregs et les populations du sud du Mali laissent
présager un processus politique long et laborieux pour reconstituer le contrat
politique qui doit être au fondement de l’Etat Malien. La responsabilité de faire
vivre ce contrat incombe aux élites maliennes du Nord comme du Sud.
Pour notre part, l’absence de réflexion approfondie sur l’évaluation des
échecs passés en matière de coopération, la faible capacité d’absorption de l’aide
par les administrations maliennes, l’absence de coordination autre
qu’« informelle » des différents bailleurs de fonds militent pour une certaine
prudence.
Quant aux aspects sécuritaires, chacun sait que les groupes terroristes
implantés au Sahel depuis la fin des années 90 restent mobiles et circulent
librement dans ces vastes espaces sahariens aux immenses frontières si difficiles à
contrôler, le long d’une route qui reliait leur forteresse dans l’Adrar des Ifoghas, au
Nord Niger, à la Libye et jusqu’à la Tunisie. Avec Serval, une partie importante de
leurs capacités a été détruite, mais ils ont cherché à se constituer un nouvel abri,
dans le sud‐ouest libyen, avec peut être une prolongation dans le massif de l’Aïr au
Niger.
On compterait jusqu’à 300 000 miliciens en armes en Libye entre la
Cyrénaïque et la Tripolitaine tandis que le Fezzan, au sud, avec ses Toubous et ses
Touaregs jugés « pro‐kadhafistes », est déjà considéré comme un sanctuaire pour
les « djihadistes ».
Sans solution politique, les résultats
des interventions militaires sont fragiles
Cette intervention militairement réussie, contenue dans le temps,
débouchant sur une solution politique accompagnée par des forces régionales,
conforte le poids politique de la France sur le continent.
Si nous avions un doute, nous voilà rassurés : si la France ne fait plus
l’Afrique, elle compte encore. L’approbation de l’Union Africaine, celle de l’Afrique
du Sud ou de l’Algérie, les drapeaux français à Bamako et Tombouctou n’auront
peut‐être qu’un temps, mais ils confortent l’idée que la France peut ici retrouver
son rang et légitimer son rôle de puissance régionale.
La France sait et peut intervenir en premier, l’avenir dira si elle sait aussi
transférer la gestion de la situation post‐crise à des forces légitimes africaines ou
onusiennes. Avec la réduction du format des armées, il est à craindre que nous ne
puissions plus longtemps financer le maintien de plusieurs centaines d’hommes
dans chaque pays où nous intervenons.
La France a néanmoins pris le risque que, sur le long terme, un fossé ne se
creuse pas avec la partie de l’opinion publique africaine prompte à dénoncer
« l’impérialisme occidental » et le néocolonialisme français. La facilité avec laquelle
CHAPITRE 3 : - 353 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
M. Laurent Gbagbo a instrumentalisé le sentiment anti‐français montre que le
ressentiment anticolonial est encore très présent et ne demande qu’à être ravivé.
C’est bien ce risque qui retient la France d’intervenir unilatéralement en
Centrafrique malgré les massacres.
Au moment où, dans les relations avec l’Afrique, notamment avec
l’Afrique du Sud, reviennent en force les thématiques du legs colonial, de l’anti‐
impérialisme et de la souveraineté aliénée, une approche uniquement sécuritaire
peut contribuer à nourrir des tensions et des résistances croissantes pendant que,
dans le même temps, les pays émergents approfondissent une coopération
économique et politique avec, à la clef, de nouveaux marchés.
C’est précisément pour échapper à ce risque que la France doit continuer
en dépit de tout à mettre en avant la voie de la multilatéralisation, de la
régionalisation et de l’« africanisation » des dispositifs de sécurité. C’est pour cela
qu’elle doit accompagner son effort militaire d’une plus grande implication en
matière de coopération économique et institutionnelle.
Dans ce contexte de lutte internationale contre le terrorisme, en effet, la
tentation est grande de ne voir le continent africain qu’à travers le seul spectre de
l’insécurité.
Pour éviter que le fossé ne se creuse avec des opinions publiques
africaines qui refuseront de plus en plus les ingérences extérieures, il convient que
la France se départisse de cette tentation sécuritaire et martiale dans ses rapports
avec le continent en veillant à un bon équilibre entre la coopération militaire et une
politique africaine tournée vers la coopération politique, culturelle et économique.
De ce point de vue, la prévention des conflits doit figurer parmi les
objectifs prioritaires de notre politique dans l’accompagnement des sociétés
africaines en mutation.
La prévention des conflits : un axe stratégique à concrétiser
Elle est identifiée comme l’une des cinq fonctions stratégiques dans le
Livre blanc de 2013 sur la défense et la sécurité nationale : « l’une des meilleures
façons de garantir notre sécurité face aux risques de conflit ou de crise est de
prévenir leur avènement, en agissant au plus tôt sur leurs causes. La sécurité
nationale doit donc s’appuyer sur une stratégie de prévention qui repose sur des
moyens diplomatiques, économiques, financiers, militaires, juridiques et culturels. ».
Or la prévention semble demeurer le parent pauvre de la réflexion sur les
liens entre sécurité et développement. Elle fait encore l’objet de peu
d’investissements intellectuels et opérationnels.
C’est avant tout le sous‐développement qui fait le terreau du djihadisme
et des trafics en tout genre, c’est le désœuvrement et l’absence de perspectives qui
ont jeté la jeunesse touarègue dans les bras des salafistes, c’est le non‐
développement qui a fait du Nord Mali, une zone de non‐droit.
- 354 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
C’est pourquoi notre effort doit aussi porter massivement sur le
développement et le renforcement des capacités des Etats à assurer les services
publics essentiels.
Face à ces défis, l’aide au développement et le renforcement de nos
partenariats économiques en Afrique ne peuvent pas tout, mais ils peuvent créer
des opportunités, favoriser des processus vertueux et participer à la création
d’emploi et à la reconstruction de services publics essentiels au fonctionnement
normal du pays.
Le succès de l’opération du Mali ne doit pas donc nous donner l’illusion de
l’efficacité de la solution militaire. La guerre reste un échec et l’intervention de
militaires français en Afrique une exception.
Au‐delà des atrocités de la guerre, les coûts financiers des opérations de
stabilisation, de maintien de la paix et des interventions de reconstruction post‐
conflit sont extrêmement élevés, pour des résultats qui restent fragiles.
C’est pourquoi l’intérêt mutuel de la France et des pays africains est avant
tout de créer les conditions d’un développement économique durable.
D. UNE EUROPE QUI NE PREND PAS ENCORE LE RELAIS
La diminution de nos moyens budgétaires et la volonté de sortir du face à
face avec nos ex‐colonies a conduit la France à essayer de porter sa politique
africaine au niveau communautaire.
Sans se priver d’une politique bilatérale autonome, la France pouvait
espérer démultiplier son influence en prenant la direction d’une politique africaine
au niveau continental tout en mutualisant le coût d’une politique africaine qu’elle a
de plus en plus de mal à financer.
Le pari est osé quand on voit la composition de la nouvelle Europe, mais il
n’est pas sans légitimité.
Car l’ensemble du continent est concerné par l’évolution des pays
africains. L’Europe comme la France ne peuvent pas, même si elles le voulaient, se
désintéresser de l’Afrique. D’une certaine façon, l’affaire malienne en a fait la
démonstration. Nos partenaires européens ont bien perçu qu’ils ne pouvaient se
permettre d’avoir un État terroriste à quelques centaines de kilomètre de la rive
sud de la Méditerranée, comme ils ne peuvent tolérer la progression d’une
piraterie qui met en danger les voies maritimes d’approvisionnement énergétique
au large de la Corne de l’Afrique ou dans le Golfe de Guinée.
De même, si l’Afrique présente de réelles opportunités de croissance pour
l’ensemble de l’Union européenne, elle présente des risques communs notamment
liés au choc démographique des décennies à venir. On l’a vu, l’Europe, et pas
seulement la France, sera en première ligne pour en subir les conséquences. Les
pays riverains de la Méditerranée en sont conscients, les autres moins.
CHAPITRE 3 : - 355 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Malgré des avancées réelles, cette tentative de fédérer une politique
africaine de l’Europe n’en est aujourd’hui qu’à ses balbutiements aussi bien en
matière d’affaires étrangères que de défense. Pour les Européens, nous a dit un
ambassadeur de l’Union, « c’est encore le deuxième cercle des priorités, le
deuxième voisinage ».
En revanche, l’Union européenne s’est imposée comme un bailleur de
fonds de la coopération au développement sans que la coordination avec l’aide
bilatérale française soit toujours satisfaisante.
1. Une politique africaine commune encore improbable ?
La France n’a pas attendu des difficultés budgétaires pour faire de
l’Europe un élément de sa politique africaine.
Dès les fondations de la construction européenne, la France a cherché à
faire entendre son tropisme africain au sein des instances communautaires. Les
accords de Yaoundé de 1963 ont été en grande partie négociés sous influence
française durant la présidence de de Gaulle.
Mais très vite, l’importance que la France accorde à son voisin
méditerranéen est apparue comme étant loin d’être partagée par l’ensemble des
États membres de l’UE. L’élargissement à l’est a nettement accentué le
phénomène. A partir des années quatre‐vingt‐dix, Paris a eu de plus en plus de
difficultés à faire entendre sa voix au sein d’une communauté d’États toujours plus
tournée vers l’est que vers le sud de ses frontières.
Le résultat, d’un point de vue financier, est là, les fonds structurels versés
aux dix nouveaux pays entrants représentent par habitant et par an plus de
500 euros contre moins de 15 euros d'APD versés aux pays africains.
De plus, le passé colonial des nations qui valorisent l’importance
stratégique de l’Afrique pour l’Europe en affecte le message. La difficulté de gérer
cet héritage historique a ainsi conduit l’Allemagne à redéfinir sa politique africaine,
hors de tout intérêt géostratégique et en focalisant son action sur l’aide au
développement. Quant aux autres nations ayant un passé colonial, elles ont un
intérêt marqué pour l’Afrique mais aussi une rivalité commune sur ce continent.
En outre, l’Union a eu des difficultés à assurer la cohérence de sa politique
en raison de ces points de vue différents, mais également des contradictions des
États membres qui, tout en étant un soutien fort à la coopération agricole avec
l’Afrique, ont toujours soutenu la protection de la production agricole européenne
en général, et française en particulier, parfois à l’encontre du développement
agricole africain. La comparaison entre le montant annuel des fonds consacrés à la
PAC de 55 milliards euros par rapport à l'appui européen à l'agriculture africaine de
500 millions d’euros illustre le poids relatif de chacune des préoccupations.
L’absence d’un leadership politique au niveau de l’Union européenne et
les balbutiements de la politique étrangère commune ont freiné d’autant plus la
- 356 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
mise en place d’une véritable stratégie en direction de l’Afrique qu’aucun
consensus ne s’est dégagé pour définir ce que l’Europe pouvait y faire, sinon de la
coopération dans les domaines incontestables du développement humain.
Le traité de Lisbonne et la mise en place d’une politique étrangère et de
sécurité commune n’ont pas fondamentalement changé la donne. Sans volonté
politique de ses États membres de s’investir sur le continent noir, il n’y a pas eu
jusqu’à présent de politique africaine européenne.
Dans ce contexte, la France a souvent été soupçonnée par ses partenaires
de vouloir faire financer l’agenda caché d’une politique africaine contestable, sans
en dévoiler les tenants et les aboutissants. Il est vrai que certaines opérations,
comme l’opération au Tchad en 2008 où l'intervention des soldats d'Épervier mise
au profit d'Idriss Déby, ont donné quelques crédits à cette thèse.
Toute la difficulté ces dernières années des diplomates français a été de
vaincre ces réticences, notamment à propos du Sahel.
Incapable de définir seule un plan d’action efficient, l’Union européenne
s’est cependant souvent finalement rangée derrière l’action de la France lors de ses
interventions sur le continent.
Ce fut le cas lors des événements de 2010 en Côte d’Ivoire et surtout lors
de la crise malienne. Si l’on ne peut que déplorer l’absence de mobilisation
proprement européenne, on peut cependant se réjouir de la confiance accordée à
la France en termes d’action en Afrique.
La France jouit en définitive d’un statut d’expert par défaut des questions
africaines au sein de l’Europe. La multiplication des crises sur le continent ainsi que
la volonté européenne de lutter contre le terrorisme et d’œuvrer pour
l’instauration de la démocratie renforcent le rôle de la France comme l’importance
l’Afrique pour la diplomatie européenne.
En Afrique : un partage des rôles
entre la France et l’Europe est encore à trouver
Il est ainsi significatif que le président Hollande a été le seul chef de
gouvernement européen présent à Addis‐Abeba cette année pour célébrer les 50
ans de l’Union africaine.
Forte de sa relation privilégiée avec le continent, la France entend bien
pour l’avenir mettre l’Afrique au cœur des préoccupations européennes, tant pour
la défense des intérêts nationaux que pour ceux régionaux.
La préparation du sommet de l’Élysée pour la Paix et la Sécurité en
Afrique, qui se tiendra les 7 et 8 décembre 2013, doit être un moment d’échanges
entre les États africains et un pays ami, la France, mais également comme un point
de départ d’une politique de coopération entre l’Europe et l’Afrique autour de
thèmes de sécurité communs tels que la lutte contre le trafic de drogue.
De ce point de vue, un meilleur partage des rôles entre les capacités
françaises d’intervention militaires rapides et les moyens européens et africains en
matière d’opérations civilo‐militaires doit être envisagé.
CHAPITRE 3 : - 357 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Avec une armée au format réduit, la France n’a pas les moyens de mener
seule des opérations de maintien de la paix. En revanche, l’Europe, qui a acquis un
savoir‐faire en matière civilo‐militaire, et l’ONU ont des moyens et une légitimité
dans la durée qui leur permettent de mieux assumer ces opérations de long terme.
2. L’Union européenne, premier bailleur de fonds de l’Afrique
S’il y a un domaine où l'Europe s'est en revanche pleinement investie,
c’est l’aide au développement. La construction de l'Europe a été élaborée au
moment de la décolonisation. Elle s'est d’emblée caractérisée par une politique
originale d'aide au développement.
Pour les fondateurs de l'Europe, la solidarité avec le Sud était au cœur de
l'identité européenne. Les principes initiaux étaient ceux des 4 P (partenariat,
parité politique, participation, préférences commerciales).
Il s'agissait prioritairement de mettre en place un droit du développement
prenant en compte les asymétries, des mécanismes stabilisateurs et
compensateurs des instabilités des marchés.
Si cette spécificité s’est cependant estompée avec le temps, le
multilatéralisme commercial, la mondialisation et l’élargissement de l’Europe,
l’aide au développement reste cependant l’un des principaux engagements
extérieurs de l’Europe. Cette aide se tourne naturellement en premier lieu vers la
plus proche voisin du continent européen qu’est l’Afrique.
L’Europe investit à hauteur de 5 milliards d’euros par an, principalement
dans les domaines de la coopération au développement et de l’humanitaire.
L’Afrique est ainsi le premier bénéficiaire de l’aide communautaire. Le continent
noir a reçu 43% de l’APD nette européenne en 2010 et près de 77% des crédits
alloués par le fonds européen pour le développement (FED) la même année.
L’Union européenne est enfin le premier bailleur de fonds de l’Union africaine dont
elle assure 60% de son budget annuel.
Grâce à ces financements, la Commission européenne s’est affirmée
comme un acteur multilatéral majeur de la coopération au développement en
Afrique et dans le monde. Sur la base de son seul programme de dons, qui s’est
chiffré à 12,7 milliards de dollars US en 2010, l’Union Européenne se classe au
2e rang des bailleurs de fonds dans le monde.
Les prêts consentis par l’Union Européenne aux pays partenaires et ses
prises de participations au capital d’entreprises de ces pays ont totalisé
8,3 milliards USD en termes bruts, ce qui constitue une contribution majeure au
développement.
Ce soutien financier de l’Union au développement de l’Afrique a été
réaffirmé lors de l’approbation du plan de coopération au développement 2014‐
2020 pour les pays ACP qui prévoit une aide de 31,5 milliards de dollars en
direction de ces pays, au premier rang desquels on retrouve les pays d’Afrique
- 358 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
subsaharienne. L’objectif de consacrer 0,7% du PNB de l’Union européenne à l’aide
au développement en 2015 a ainsi été maintenu en dépit des difficultés
économiques que connaissent les pays européens.
La hauteur des montants engagés par l’Union européenne en fait un
interlocuteur de taille par rapport à la France, en particulier en matière de
financement sous forme de subventions.
Du côté français, parce que les gouvernements successifs, depuis dix ans,
ont été convaincus de l’opportunité et de la valeur ajoutée d’une action
européenne en matière de développement, la France a fait le choix d’inscrire sa
politique d’aide au développement dans un cadre européen et a toujours œuvré
pour l’affirmation de cette compétence de l’Union.
Ainsi, le quart de son aide publique au développement transite par le
canal européen et la Commission européenne met aujourd’hui en œuvre près de la
moitié de ses dons programmables.
Les dernières années ont connu une forte augmentation des contributions
de la France à l’Union européenne en volume : progression de 30% entre 2006
(1 544 millions d’euros) et 2010 (2 009 millions d’euros).
Ainsi, les instruments européens sont les premiers bénéficiaires de l’aide
française transitant par des canaux multilatéraux, devant les fonds verticaux
comme le Fonds Sida ou les banques de développement comme la Banque
mondiale. L’aide européenne représente pour la France entre 14 et 23% de l’APD
totale sur la période 1998‐2010
Les contributions de la France aux instruments européens sur la période 2006‐
2010 (en millions d’euros)
2 500 72% 80%
59% 70%
2 000 57%
52% 52% 50% 52% 53% 60%
1 500 50%
1 245 1 100 1 071
975 1 071 40%
877 1 071
1 000 881
30%
20%
500 909
663 698 777 837 688 797 841 10%
0 0%
2006 2007 2008 2009 2010 2011 (pr év. 2012 2013
exéc. LFI (PLF) (tr iennum)
2011)
dont FED
dont inst rument s relevants du budget communaut aire
Aide européenne en %de l'aide mult ilat érale
Source : OECD.Stat
CHAPITRE 3 : - 359 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Ce choix est lourd de conséquences. En déléguant une partie significative
de sa coopération à l’Union, la France fait le pari de l’avenir, mais se lie à des
partenaires européens qui n’ont ni le même tropisme pour l’Afrique subsaharienne,
ni la même expérience de la coopération.
Ce choix suppose une participation permanente de la France à la
construction et à la mise en œuvre de la politique de développement de l’Union
Européenne, tant par le biais du FED que par le biais du budget général.
En raison de son poids financier, mais aussi de l’élaboration récente par
elle d’une stratégie européenne, la France a pesé auprès de la Commission dans la
définition de la nouvelle stratégie européenne de développement.
Cette nouvelle stratégie reprend en effet certaines propositions
françaises, telles que notamment une priorité forte pour l’Afrique subsaharienne,
la notion des partenariats différenciés, le recours aux solutions de mixage entre
prêts et dons.
Ce travail de conviction et d’influence reste une priorité.
Comme le souligne le Bilan évaluatif de la politique française de
coopération au développement entre 1998 et 2010 : « la France se trouve encore
relativement isolée dans son intérêt pour les pays africains francophones qui
intéressent moins la plupart des bailleurs européens, davantage investis dans les
pays anglophones (c’est notamment le cas des pays nordiques, ainsi que des
nouveaux pays bailleurs de l’Europe de l’Est). Par conséquent, le choix des pays
bénéficiaires pilotes pour de nombreuses initiatives innovantes de la Commission
européenne se porte souvent sur les pays anglophones, comme par exemple le choix
des 12 pays pilotes retenus pour la programmation européenne conjointe. ».
On constate ainsi que les 17 pays pauvres prioritaires de la coopération
française (Bénin, Burkina Faso, Burundi, Comores, Djibouti, Ghana, Guinée,
Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République centrafricaine, République
démocratique du Congo, Rwanda, Sénégal, Tchad, Togo) n’ont bénéficié que de
30% des décaissements du FED en 2010, soit 13% de l’aide au développement
totale de l’Union.
On observe, par ailleurs, sur le terrain que, malgré les initiatives en faveur
d’une meilleure coordination et de programmation conjointe, les représentations
de l'Union agissent encore très largement comme un bailleur de fonds additionnel
qui est d’une certaine manière étranger aux États qui pourtant les financent.
De ce point de vue, nos pays partenaires africains ont bien du mal à
comprendre que l'action financée par l'Union européenne est en partie imputable à
la France.
Au‐delà du problème de visibilité, les acteurs sur le terrain soulignent la
lourdeur des procédures communautaires et le manque de réactivité d’une
coopération communautaire engagée dans des programmations de long terme
souvent dénoncées comme trop rigides.
- 360 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
De fait, en choisissant de faire passer un quart de son aide par l’Europe, la
coopération française a perdu en réactivité, même si elle a gagné en volume.
Réorienter l’action de l’Europe vers l’Afrique et œuvrer pour que la
politique européenne de développement devienne un instrument de coordination
et de complémentarité entre l'ensemble des politiques de coopération des États
membres constituent encore deux défis majeurs.
Pour cela, deux pistes semblent devoir être approfondies : définir une
stratégie française pour promouvoir l’Afrique au sein des instances européennes,
approfondir encore les initiatives en cours en faveur des stratégies communes et
une répartition du travail en fonction des avantages comparatifs de chacun entre la
Commission européenne et les agences des différents États membres.
3. Les accords de partenariats économiques dans l’impasse ?
Sur le plan commercial et du développement, les accords de Yaoundé de
1963 puis de Lomé de 1975, entre la Communauté européenne et les pays ACP, se
situaient dans une perspective régionaliste de préférence et de non‐réciprocité
prenant en compte les asymétries internationales.
Ils visaient à insérer les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique dans
des accords préférentiels avec leurs anciennes métropoles s'intégrant à l'espace
européen.
Les accords de Cotonou (Bénin) signés en 2000 entre l’Union européenne
et les pays ACP ont cependant transformé le partenariat économique qui liait
l’Europe à l’Afrique.
A partir de cette date, les accords APC ont perdu beaucoup de force avec
l'élargissement de l'Europe à des pays sans passé colonial et avec la réorientation
des intérêts vers l'Europe de l'Est depuis la chute du mur de Berlin.
L'ajustement a conduit à fortement rapprocher les doctrines des bailleurs
de fonds sous le leadership des institutions de Bretton Woods.
La Commission, seule compétente en matière de politique commerciale
extérieure et représentante de l’Union à l'OMC, a mis ses accords en conformité
avec les règles de l'OMC qui n’intègrent pas les asymétries internationales. Or, le
Système de préférence généralisée prenait précisément en compte les asymétries
internationales afin de permettre aux États africains, et en particulier aux pays les
moins avancés (PMA), de jouir de l’accès aux marchés européens sans craindre la
concurrence des produits venus d’Europe sur leur marché intérieur.
L'accord de Cotonou prévoit la conclusion d'accords de partenariat
économique (APE) entre les membres du groupe des États d'Afrique, des Caraïbes
et du Pacifique (ACP) et l'Union européenne et ses États membres à compter du
1er janvier 2008.
Cependant, plusieurs pays n'ont ni pris les mesures nécessaires en vue de
la ratification d'un APE, ni conclu de négociations régionales globales. La
CHAPITRE 3 : - 361 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Commission européenne a proposé donc, qu’à compter du 1er janvier 2014, les pays
qui n'ont pas signé ou ratifié leurs accords soient rayés de la liste des bénéficiaires
de cette disposition.
Les 17 pays qui n'ont pas mené à bien jusqu'à présent leur processus de
ratification se répartissent en différentes catégories et les conséquences pratiques
de cette proposition, dans les circonstances actuelles, dépendraient de leur statut
et de l'accord final obtenu lors de la révision du système de préférences
généralisées (SPG) :
‐ le Burundi, les Comores, Haïti, le Lesotho, le Mozambique, le Rwanda, la
Tanzanie, l'Ouganda et la Zambie font partie des pays les moins avancés (PMA), qui
continueraient à bénéficier de l'accès en franchise de droits et hors contingents, en
vertu de l'initiative « Tout sauf les armes » (TSA), et ne seraient donc pas touchés ;
‐ le Cameroun, les Fidji, le Ghana, la Côte d'Ivoire, le Kenya et le Swaziland
retomberaient dans le système de préférences généralisées (SPG) de l'Union, qui
prévoit des droits de douane réduits par rapport au taux applicable à la nation la
plus favorisée (NPF), mais pas aussi favorables qu'un accès en franchise de droits et
hors contingents, ce qui entraînerait une hausse des droits de douane sur la plupart
des exportations essentielles ;
‐ le Botswana et la Namibie, qui sont rangés dans la tranche supérieure
des pays à revenu intermédiaire, reviendraient, selon la proposition relative au
SPG, au taux NPF, tel qu'il est appliqué à la plupart des pays (y compris par exemple
les États‐Unis et le Japon).
Cette évolution a conduit aux renégociations en cours des Accords de
Partenariats économiques qui devaient initialement conjuguer les deux
composantes, commerce et développement, avec les flexibilités nécessaires pour
répondre aux spécificités des pays partenaires.
Ces accords avaient été conçus pour être appliqués uniformément à de
grandes régions afin de favoriser l’intégration régionale : la CEDEAO pour l’Afrique
de l’Ouest, la CEEAC pour l’Afrique Centrale, la SADC pour l’Afrique australe et
l’EAC pour l’Afrique de l’Est.
La coexistence de plusieurs régimes d’accès au marché de l’Union
Européenne, comme c’est le cas aujourd’hui, constituait un frein à la solidarité
régionale. Un des objectifs de la négociation des APE est d’harmoniser les régimes
applicables à nos relations commerciales avec les pays ACP et de favoriser
l’intégration régionale dont on a vu qu’elle constituait un enjeu économique
majeur.
Or, en l’état des négociations, l’effet inverse est en train de se produire,
chaque pays négociant seul des accords différents dans le cadre d’un ultimatum qui
laisse peu de choix aux pays africains et notamment à ceux qui risquent de se voir
imposer un système de préférences généralisées (SPG) de l'Union qui entraînerait
une hausse des droits de douane : une situation qui inquiète les partenaires
africains de la France.
- 362 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Les bénéfices commerciaux que l’Union Européenne accorde aux pays ACP
sont en effet aujourd’hui appliqués de façon unilatérale dans l’attente de la
conclusion des APE intérimaires ou régionaux. La date limite de ratification des APE
intérimaires, repoussée au 1er octobre 2014 grâce notamment à l’action de la
France, se rapproche.
A défaut d’accord, et à l’exclusion des PMA qui continueraient à bénéficier
du régime « Tout sauf les armes » de l’Union européenne, les pays concernés
perdraient leur accès préférentiel au marché de l’Union européenne (le Kenya, le
Swaziland, la Cote d'Ivoire, le Ghana, le Cameroun et les iles Fidji, le Botswana et la
Namibie seraient ainsi concernés).
Ainsi, à titre d'illustration, sans perspective d'un accord régional au 1er
octobre 2014, la Côte d'Ivoire, le Ghana ou encore le Cameroun, pourraient avoir à
choisir entre ratifier leur accord de partenariat économique, conclu en 2007, et le
mettre en œuvre de façon bilatérale (mettant ainsi en danger les unions
douanières négociées ou en négociations dans leurs régions), ou, de façon
alternative, renoncer, au nom de l'intégration régionale, à un APE et donc à
certaines préférences de I'UE.
Un certain manque de souplesse de la Commission européenne et les
hésitations des pays africains ne permettent pas d’avancer de manière décisive
dans des négociations où les demandes africaines sont peu prises en compte.
Comme le Président de la République l’a mentionné dans son discours à
Dakar, le 12 octobre 2012, le partenariat entre l’Europe et les pays africains
suppose d’établir des relations commerciales plus équitables entre l’Afrique et
l’Europe : « La position des pays africains dans la négociation des APE n’a pas été
assez prise en compte ».
Il convient de relancer les discussions sur de nouvelles bases, avec des
conditions de calendrier et de contenu plus favorables pour les pays africains.
4. Une politique de sécurité encore balbutiante
Historiquement fondée sur les relations avec les pays ACP, les relations
entre l'Union européenne et l'Afrique subsaharienne ont pris un réel tournant en
2000 au premier sommet UE‐Afrique au Caire.
À partir de 2007, l'Union européenne est devenue un gros contributeur
financier en matière de paix et de sécurité en Afrique. Dès 2005, l'Union a
développé un volet stratégique africain de la PESD. En 2006, le Conseil du 13
novembre a adopté des conclusions pour le « renforcement des capacités dans la
prévention, la gestion et la résolution des crises. ». Depuis 2007 l'Union européenne
et l'Union africaine ont une stratégie conjointe autour de huit partenariats dont le
premier concerne la paix et la sécurité.
Le sommet UE‐Afrique de Lisbonne (8‐9 décembre 2007) a établi un
nouveau partenariat politique stratégique pour l'avenir qui a pour ambition de
dépasser les relations établies sur le mode bailleur de fonds/bénéficiaires en
CHAPITRE 3 : - 363 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
s'appuyant sur des valeurs et des objectifs communs dans la recherche de la paix et
de la stabilité, de la démocratie et de l'État de droit, du progrès et du
développement.
Le partenariat stratégique pour la paix et la sécurité vise à :
‐ renforcer le dialogue sur les défis à relever en matière de paix et de
sécurité, notamment dans les enceintes internationales, afin de dégager
des positions communes et de mettre en œuvre des approches conjointes
en ce qui concerne les défis en matière de paix et de sécurité en Afrique,
en Europe et au niveau mondial ;
‐ rendre pleinement opérationnelle l'architecture africaine de paix et de
sécurité (AAPS), afin d'en assurer le bon fonctionnement et de lui
permettre de relever les défis en matière de paix et de sécurité en Afrique,
notamment en ce qui concerne la prévention et la reconstruction au
lendemain des conflits ;
‐ assurer le financement prévisible des opérations de soutien de la paix
conduites par l'Afrique, notamment en œuvrant ensemble à l'élaboration,
dans le cadre du chapitre VIII de la Charte des Nations unies, d'un
mécanisme de l'ONU visant à financer de manière durable, souple et
prévisible les opérations de maintien de la paix menées par l'UA ou sous
son autorité et approuvées par le Conseil de sécurité de l'ONU.
L’Union européenne a apporté un soutien au renforcement des capacités
africaines de gestion des crises et à la Force africaine en attente, notamment à
travers la pérennisation d'un nouvel instrument financier : la Facilité européenne
pour la paix en Afrique, créée en 2003. Les 9e et 10e FED ont créé une facilité de
paix dotée de 300 millions d'euros, montée à 450 millions depuis.
Cette facilité finance des actions au profit de la paix de manière à pourvoir
aux opérations de paix des Africains sur le continent. En effet, si l'Union africaine
prononce des sanctions, elle ne dispose pas encore de moyens pour les mettre en
application. Sur l'ensemble de son budget de 250 millions de dollars, seuls
45 millions proviennent des cotisations des Etats membres. Au sein de cet
ensemble, seuls quelques pays contribuent de manière significative.
Le sommet UE‐Afrique de Syrte, en Libye, en novembre 2010, a poursuivi
cette démarche en soulignant notamment que « Nous sommes fermement décidés
à rendre l'architecture africaine de paix et de sécurité pleinement opérationnelle, en
étroite coopération avec les organisations régionales. Pour ce qui est des opérations
de maintien de la paix dirigées par l'UA, il a été convenu d'œuvrer à l'obtention de
financements souples, prévisibles et durables. »
Les initiatives de l’Europe dans les domaines de la défense et de la
sécurité touchent aujourd’hui un large périmètre lié aux opérations et missions de
la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) ainsi qu’à l’entraînement et
à la formation.
- 364 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Sur les 16 missions civiles et opérations militaires actuelles de la PSDC,
8 ont lieu sur le territoire africain et concernent plus particulièrement la bande
sahélienne, à savoir Mali, Niger, Soudan jusqu’à la Corne de l’Afrique, et la
République démocratique du Congo. La proportion devrait augmenter car, sur la
seule année 2012, les 4 dernières missions lancées l’ont été sur le territoire
africain, a fortiori dans la bande sahélienne.
Pour le Sahel, une stratégie pour la sécurité et le développement a été
adoptée en octobre 2010 avec comme objectifs le retour à la sécurité, une
réduction de la pauvreté et une relance de l’économie. La dernière mission (EUTM
Mali), décidée par le Conseil le 17 janvier 2013, vise à appuyer la formation et la
réorganisation des forces armées maliennes.
Un autre champ d’action privilégié de l’Europe est la Corne de l’Afrique,
qui comprend Djibouti, Erythrée, Ethiopie, Kenya, Somalie et Ouganda. Un cadre
stratégique a été approuvé et un Représentant spécial a été nommé, avec mission
de coordonner les moyens de l’Union européenne déployés sur place en se
focalisant plus particulièrement sur la Somalie et la lutte contre la piraterie.
L’opération anti‐piraterie EUNAVFOR Atalante a permis de protéger les
navires du Programme Alimentaire Mondial (PAM) et d’éradiquer progressivement
la piraterie. En parallèle, l’Union européenne continue à former et entraîner les
soldats somaliens qui participent maintenant à la reconquête de leur pays aux
côtés de l’AMISOM, mission de l’Union africaine financée par l’Europe.
Une troisième mission, EUCAP Nestor, est en cours de montée en
puissance. Elle a pour objectif de renforcer les capacités maritimes de cinq pays de
la Corne de l'Afrique et de l'océan Indien occidental. Elle constitue en soi un
élément important de l'approche globale de l’Union européenne en matière de
lutte contre la piraterie. Dans le cadre de cette mission, l’Union européenne a
développé des partenariats stratégiques avec l'Organisation maritime
internationale (OMI), l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime
(ONUDC) et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).
Une des particularités de ces interventions est la complémentarité avec
les autres projets de coopération au développement financés par l’Union
européenne Pour la Somalie, un programme complet de la Commission européenne
couvre les secteurs de la gouvernance (institutions, État de droit, droits de
l'homme), de l’éducation, du domaine social et du développement économique
(ressources en eau, élevage, agriculture).
Depuis 2011, l’Union européenne alloue, en marge du Programme
alimentaire mondial, une aide humanitaire supplémentaire pour venir en aide aux
victimes de sécheresses, d'inondations, de famines, de conflits et de déplacements.
On peut estimer que pour la seule Somalie, l’enveloppe financière engagée par
l’Union européenne en 2012 s’est élevée à plus de 500 millions d’euros.
Dans ces opérations, la France est souvent restée une nation‐cadre,
notamment en Afrique francophone, tout en bénéficiant d’un soutien européen
important.
CHAPITRE 3 : - 365 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Afin de participer à cet objectif, l’Union européenne a signé avec l’Union
africaine une stratégie commune en 2007, traduite dans un plan d’action financé
par l’Union européenne à hauteur d’1 milliard d’euros.
Aujourd’hui, vue la situation de l’Europe de la défense et de la politique
étrangère commune, à européaniser sa politique africaine, la France gagne en
légitimité et en moyens et perd en autonomie et en réactivité.
La situation actuelle se caractérise par un entre‐deux où la France cherche
à jouer sur les deux tableaux en cherchant un équilibre entre l’invention d’une
politique africaine de l’Europe aujourd’hui embryonnaire et le maintien d’une
spécificité française en Afrique.
III. LA FRANCE EST‐ELLE EN TRAIN DE RATER UN TOURNANT STRATÉGIQUE ?
Les entreprises françaises perdent des parts de marchés dans une Afrique
qui s’impose comme une des zones de croissance les plus dynamiques, nos moyens
diplomatiques s’amenuisent. La Francophonie, qui a toujours été et qui reste notre
atout, est en régression. Notre coopération au développement, qui reste une des
coopérations les plus impliquées en Afrique, manque de plus en plus de moyens
pour peser notamment dans les pays pauvres francophones.
Les domaines où notre présence reste marquante, les aspects militaires et
l’aide au développement, restent à la charge de l’État pendant que d’autres pays
développent avant tout des relations commerciales. Comme le disait un
ambassadeur chinois en Afrique qui ne manquait pas de malice, « c’est très bien,
vous assurez la sécurité, nous faisons des affaires ». Alors faut‐il s’en inquiéter ?
Nous avons posé la question à de nombreux interlocuteurs et les réponses varient
considérablement de l’un à l’autre.
A. LA FRANCE PEUT APPARAÎTRE MOINS MENACÉE QU’ON NE LE CROIT
On nous dit que l’époque où la France faisait de l'Afrique sa « chasse
gardée » est révolue. Ce fut le cas en un temps où sa puissance dépendait de la
domination qu'elle exerçait sur ses colonies d’Afrique. Mais, aujourd'hui, sa
puissance dans un monde globalisé ne dépend plus de l'Afrique. Elle se joue en
Europe, d’abord, puis sur l’ensemble des marchés internationaux de plus en plus
intégrés. La France milite pour que la paix et la sécurité y soient désormais
garanties dans un cadre européanisé, car être l'exclusif gendarme de l'Afrique n’est
pour elle que de peu de bénéfice. Car, avant d’être un atout, son rôle en matière de
sécurité est une lourde responsabilité, coûteuse, que l’on doit aujourd’hui mieux
partager pour demain s’en défaire devant la constitution, à terme, d’une
architecture de sécurité exclusivement africaine.
Que notre coopération se dilue dans l’aide européenne, ce n’est que le
sens de l’histoire. Qu’elle soit déliée et ne profite que marginalement aux
entreprises françaises, c’est naturel, car ce n’est pas son objectif premier. Il existe,
de plus, des instruments dédiés au commerce extérieur. Plusieurs études montrent
enfin que le déliement de l’aide profitant in fine aux entreprises françaises qui ont
ainsi accès à l’ensemble des marchés financés par l’ensemble des bailleurs de
fonds, alors qu’elles y perdraient à rester concentrées sur une aide qui ne
représente que 8% de l’aide programmable mondiale.
Qu’en est‐il des approvisionnements en matières premières et des parts
de marché des entreprises françaises ? Le poids de la zone franc dans le commerce
extérieur français est tombé à seulement 1%, c’est négligeable. Dans ces
conditions, la perte de quelques marchés africains, si elle émeut les quelques
groupes français qui détiennent encore des marchés importants en Afrique
(Bolloré, Bouygues, Total, Accor ...), ne menacerait nullement les équilibres
macroéconomiques de la France.
Minorer l’enjeu, mais aussi le recul de notre présence. La menace d’un
déclassement serait exagérée.
Sans doute l'Afrique s'ouvre à de nouveaux partenaires. Ce faisant, elle
entre à son tour de plain‐pied dans une mondialisation caractérisée par la
multiplication des échanges et la diversification des partenaires.
L'Afrique ne constitue plus pour la France une « chasse gardée » que la
pénétration commerciale de nouveaux acteurs menace. Les pays africains se
développent, multiplient les partenariats et font jouer la concurrence. Sans doute
les nouveaux acteurs du continent africain enregistrent‐ils une croissance très
rapide de leurs parts de marché. Mais on oublie trop souvent qu'ils partaient de
très bas. Le marché africain s’accroît et s’ouvre à l’international, il est naturel que
notre part de marché connaisse une dilution sur un marché plus vaste avec des
acteurs plus nombreux. « Est‐ce si grave ? » s’est demandé devant le groupe de
travail M. Yves Gounin, conseiller d’Etat, conseiller à l’ambassade de France au
Kenya, puis à la Présidence du Sénégal et auteur d’un livre intitulé « La France en
Afrique », « La France n’a plus besoin économiquement de l’Afrique » disait le
Président Sarkozy. Il n’avait pas complètement tort » a‐t‐il ajouté.
- 368 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
De plus, la perte de parts de marché relative devrait être à terme
compensée par l’augmentation de la taille du marché.
Sur le plan politique, il est vrai que l’Afrique subsaharienne n’est plus ce
continent où, selon la formule souvent répétée : « la France pouvait faire l’Histoire
– c'est‐à‐dire abattre ou rétablir un régime avec 200 hommes et quelques avions ».
Mais peut‐on vraiment souhaiter le contraire plus de 50 ans après les
indépendances ?
Dire que la France est aujourd’hui supplantée par la Chine serait
cependant commettre une erreur de jugement. C'est pourquoi l'on aurait tort de
céder à la tentation de la formule facile de la « Chinafrique ». La relation franco‐
africaine et la relation sino‐africaine ne sont en rien comparables. Si la France et
l'Afrique ont, après la colonisation, maintenu une relation symbiotique étroite, rien
de tel dans la relation sino‐africaine.
Comme le souligne Yves Gounin : « Dans un cas, on est face à une relation
consubstantielle, fruit de l’histoire et de la géographie, mais surtout d'une longue
connivence linguistique, culturelle, politique, financière et d’une diaspora
nombreuse de part et d’autre ; dans l'autre cas, ce qui frappe, c'est, au contraire, la
diversité des acteurs et des stratégies »1.
Il faut se méfier d’une lecture de la percée chinoise qui croit deviner,
derrière la présence économique et humaine croissante des Chinois sur le
continent, l'exécution soigneusement planifiée d'une politique expansionniste. Des
travaux de terrain, menés par des géographes, des sociologues ou des
anthropologues dévoilent la variété sinon l'impréparation des parcours des
immigrants chinois. Pour nombre d’observateurs, la diaspora chinoise essaime un
peu partout dans l’ensemble régional africain sans programmation arrêtée de ses
parcours migratoires, sans stratégie élaborée.
La percée de ces nouveaux acteurs s'effectue de plus principalement dans
des pays extérieurs au « pré carré ».
Les principaux partenaires de la Chine sont, on l'a dit, l'Afrique du Sud,
l'Angola et le Soudan. L’Inde entretient les relations les plus actives avec les pays
d'importantes communautés indiennes et ismaéliennes. Le Brésil s'appuie en
priorité sur les pays lusophones.
Dans les pays francophones, la France n’est plus seule ; mais elle est
encore prédominante. Ainsi, la Chine est devenue le deuxième investisseur en
CEMAC et en UEMOA en 2010, le stock d’investissement direct de ce pays
représentant respectivement 4% et 13% du total. Mais il convient toutefois de
relativiser cette progression spectaculaire au regard des positions acquises par des
pays de la zone euro, et en premier lieu la France dont le stock d’investissement
représentait en 2010, respectivement 56% et 70% du total du stock d’IDE en
CEMAC et en UEMOA1.
Les Français y sont la communauté expatriée la plus nombreuse aussi bien
au Sénégal, qu’en Côte d’Ivoire ou à Madagascar.
L’ambassadeur de France à Abidjan, Dakar ou Tananarive est la
personnalité la plus importante du corps diplomatique, celle vers laquelle ses
collègues se tournent pour obtenir de l’information, celle qui a le privilège d’être
reçue fréquemment par le Chef de l’Etat – alors que la plupart des ambassadeurs
ne le rencontrent en tête‐à‐tête que pour lui remettre leurs lettres de créances et à
l’occasion de leur visite de départ.
De même, il est frappant de constater la place qu’occupe encore la France
dans l’économie locale, où les entreprises françaises réalisent un quart du PIB et
des entrées fiscales, dans la vie diplomatique et, plus que tout, dans les mentalités.
Comme nous l’a fait observer Lionel Zinsou : « Une grande partie des actifs
africains appartiennent aux Européens et en Afrique francophone aux Français sans
qu’ils le savent » Dans la zone franc, le stock d’investissements directs français est
tel que les entreprises françaises sont dans certains pays les premiers employeurs
du secteur formel.
Il est de même frappant de constater la persistance de la zone Franc qui a
survécu à la période coloniale à la différence de toutes les autres zones monétaires.
Bien que présentant des avantages en termes de convertibilité, de monnaie
régionale et d’absorption des chocs extérieurs, la zone Franc est régulièrement
critiquée en raison du risque de surévaluation et de l’absence de maniement du
taux de change. Souvent perçue comme une atteinte à la souveraineté monétaire,
elle n’a néanmoins pas été remise en cause par les gouvernements africains et
continue de participer de l’influence de la France.
Enfin, la présence militaire de la France en Afrique demandée par les État
africains lui assure un statut à part.
Aucune autre puissance européenne n’assure une telle présence sur ce
continent. Aucune autre puissance n’est en mesure de déclencher en urgence une
opération militaire d’envergure. Ces derniers mois en ont fait la démonstration.
Voilà ce qu’on peut entendre à Paris : « L’épisode malien en témoigne, la France
joue encore un rôle central en Afrique ». Circulez, il n’y a rien à voir !
1
L’impact de la crise de la zone euro sur la zone franc : analyse des canaux de transmission Hélène EHRHART et Luc JACOLIN
Direction des Études et des Relations internationales et européennes Service de la Zone franc et du Financement du
développement
- 370 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
B. SANS DOUTE LA LUNE DE MIEL AVEC LES NOUVEAUX PARTENAIRES ÉMERGENTS
EST‐ELLE TEMPORAIRE
Une autre figure du déni est la dénonciation des nouveaux compétiteurs
qui viendraient sournoisement nuire à nos intérêts et par la même occasion à ceux
de l’Afrique tant les deux se conjuguent naturellement.
Il y a une dizaine d'années, c'était contre les États‐Unis qu'il fallait se
prémunir. À l'époque, on voyait la main de l'oncle Sam partout : dans l'éviction de
la France des Grands Lacs, dans la défaite de Abdou Diouf au Sénégal, dans la
victoire du peu francophile Marc Ravalomanana à Madagascar. Aujourd'hui, qui
parle encore de la menace américaine ?
Une menace chassant l'autre, Pékin a remplacé Washington dans le rôle
du grand méchant. Dans les descriptions qu'on entend de la « Chinafrique », on lit
en filigrane le projet expansionniste d'une puissance hostile, décidée à conquérir le
monde en commençant par ses marges les plus fragiles avec des pratiques
forcément douteuses.
Il faudrait souhaiter à l’Afrique des partenaires plus loyaux, plus
respectueux de ses intérêts à l’instar de Hillary Clinton qui, dès son arrivée à Dakar
le 1er août 2012, avait affirmé que Washington souhaitait des « partenariats qui
ajoutent des valeurs et non qui se contentent de les extraire ».
Ce discours, qui puise parfois dans une hostilité systématique vis‐à‐vis de
la Chine, voire un ethnocentrisme au relent de racisme antichinois, doit être
examiné avec vigilance. Il y a là une facilité qui évite à chacun de se regarder en
face. Il ne faut ni pêcher par naïveté, ni considérer que, parce les puissances
émergentes s’imposent aujourd’hui là on nous étions seuls, leur attitude est
naturellement discutable.
Il faut regarder en face les opportunités qui se présentent aux pays
africains aujourd’hui avec la multiplication des partenariats, mais ne pas ignorer les
dangers des processus en cours.
Sans doute, la lune de miel actuelle entre les pays émergents et l’Afrique
aura une fin car on sent poindre en Afrique une certaine exaspération devant une
forme de néocolonialisme en particulier Chinois. Mais il ne sert à rien de tabler sur
le rejet de nos concurrents pour nous rassurer et espérer regagner le terrain perdu.
Du point de vue du développement strictement économique, un examen
impartial de la contribution des pays émergents à la croissance africaine ne peut
que relever certains aspects particulièrement positifs.
Sur le moyen terme, la concurrence comme les importateurs les plus
« gourmands en matières premières » ont eu un effet positif significatif sur le prix
et les volumes des matières premières exportées depuis l’Afrique subsaharienne.
CHAPITRE 3 : - 371 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
La concurrence autour des appels d’offres sur les projets de grande
envergure a favorisé une baisse des prix des offres et constitue un atout pour les
autorités africaines, même si parfois certains contrats en apparence avantageux se
sont révélés plus coûteux qu’il n’y paraissait.
L’ensemble a stimulé l’offre et la demande intérieures en Afrique. Et la
décennie 2000 a montré que la présence des pays émergents sur le continent a
accru la capacité du continent à résister à des crises conjoncturelles.
En effet, la crise de 2008 n’a fait qu’accélérer le commerce sud‐sud,
renforçant le lien entre l’Afrique et la croissance économique forte des puissances
émergentes, tandis que la faible intégration financière africaine aux marchés
internationaux a considérablement limité la propagation de la crise au continent.
L’intensification des échanges avec les émergents a atténué la dépendance
économique de l’Afrique aux partenaires traditionnels qu’étaient les pays
occidentaux.
Les puissances émergentes ont contribué également à l'exploration et
l'exploitation des réserves par leurs investissements et aident à la construction
d'infrastructures et de moyens de transport par le truchement de leur coopération
au développement. En outre, elles étendent l'échantillon des ressources
exploitables du continent au‐delà de ce que les puissances traditionnelles
pouvaient explorer et importer à elles seules.
Dans de nombreux pays, même si l'essentiel des investissements des
partenaires émergents vise à s'approvisionner en ressources, ils permettent de
lever des prêts garantis par les ressources pour réaliser des projets
d'infrastructures d'importance cruciale dans les domaines de l'éducation, de
l'énergie et des services publics.
Les interventions des pays émergents en matière de coopération ont été,
en outre, à bien des égards, complémentaires de celles des bailleurs de fonds
traditionnels.
Ces dernières décennies, les partenaires traditionnels ont concentré leurs
efforts de coopération sur la réduction de la pauvreté, les secteurs sociaux et la
gouvernance. Les émergents, pas seulement la Chine, semblent se concentrer
davantage sur les goulots d'étranglement dans les infrastructures et autres
secteurs structurels.
Enfin, les importations de biens de consommation courante à prix
abordable venus d'Asie participent à l'accroissement du pouvoir d'achat des
Africains et à l'amélioration de leurs conditions de vie. Les équipements meilleurs
marché et plus adaptés permettent aux entreprises d'augmenter leur productivité
et de progresser dans l’échelle de valeurs mondiale.
La stimulation économique entreprise par les puissances émergentes
soutient l’accroissement potentiel du niveau de vie africain moyen et augmente le
bien‐être des actifs. Preuves du dynamisme africain, les importations du continent
- 372 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
ont été multipliées par 4 entre 1990 et 2000, surpassant les importations des
émergents et des pays de l’OCDE grâce à une hausse de la demande africaine.
2. Un partenariat gagnant perdant ?
La face sombre de cette ruée vers l’Afrique est liée à sa dépendance
accrue vis‐à‐vis des exportations en matières premières qui limite la diversification
de son économie et renforce sa place défavorable dans la division internationale du
travail.
L’arrivée des émergents sur le continent ne peut que renforcer la
spécialisation de l’Afrique dans l’exportation de matières premières
(hydrocarbures, minerais, bois). Le Brésil, l’Inde et la Chine concentrent leurs
achats sur les produits pétroliers, qui représentent 80 à 90% de leurs importations.
Les importations africaines sont, à l’inverse, assez diversifiées : les États se
tournent vers la Chine pour les télécommunications et le textile, ils s’adressent à
l’Inde pour les produits pharmaceutiques et pétroliers et achètent des denrées
alimentaires auprès du Brésil.
L’intensification des échanges commerciaux entre les puissances
émergentes et l’Afrique restreint le continent dans un statut d’exportateur de
matières premières tandis qu’elle accroît sa dépendance aux produits
manufacturés et à des secteurs spécifiques de chacune des économies émergentes.
Les investissements chinois dans l’agriculture (en particulier dans la
production d’agrocarburants) ont tendance à favoriser le développement des
monocultures d’exportation. L’importation massive de produits chinois provoque le
déclin du secteur industriel local, notamment textile, dans les rares pays où il a pu
se développer, notamment en Zambie, Afrique du Sud, Cameroun, Gabon, Nigeria
et cela malgré les tarifs préférentiels accordés par la Chine.
Enfin, si les recettes budgétaires des gouvernements peuvent se trouver
augmentées grâce aux exportations vers la Chine, se pose la question de la
répartition de ces recettes (pour quelle usage/redistribution étant donné la
dégradation de la gouvernance ?) et de la durée (combien de temps cela va durer
étant donné que les ressources exportées sont pour une bonne part non
renouvelables ?). Mais l’Europe fait‐elle mieux à ce niveau ?
En important des matières premières et en exportant des produits finis, la
Chine reproduit en effet un schéma d'exploitation coloniale. Elle accentue la mono‐
spécialisation comme le faisaient jadis les métropoles coloniales qui n'avaient pas
encouragé la transformation sur place des matières premières qui y étaient
produites.
Sans doute l'exportation du pétrole et des richesses minières gonfle‐t‐elle
les caisses de l'État ; mais ces rentes font courir aux États qui les perçoivent le
risque d'être frappés par le « syndrome hollandais » : captation des bénéfices par
les élites, désaffection des autres secteurs de l'économie nationale, fragilité accrue
CHAPITRE 3 : - 373 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
face aux fluctuations des cours mondiaux, appréciation de la monnaie, risque de
multiplication des conflits pour s'approprier les richesses naturelles.
En outre, cette situation met les pays africains dans une situation de très
forte dépendance à l’égard de la Chine. La Chine absorbe aujourd'hui 30 à 40% du
fer ou du cuivre vendu sur le marché international, et jusqu'à 60% du soja, pour ses
élevages. Le fait que Pékin se mette à stocker d'énormes quantités a des effets
massifs sur les cours mondiaux et sur les économies africaines.
On l’a bien vu en 2012 et en 2013 avec les incertitudes politiques, autour
de la réunion du 18e congrès du parti communiste chinois, et économiques avec
une diminution de la croissance chinoise. Des incertitudes qui se sont traduites sur
un certain nombre de marchés de matières premières industrielles notamment les
minerais de fer, le cuivre et le caoutchouc.
Dans un continent où les institutions étatiques sont encore faibles, il est
difficile de gérer efficacement la rente liée à l’exportation des matières premières.
Les gains engendrés conduisent à une surévaluation de la monnaie qui entraîne un
problème de compétitivité pour les secteurs soumis à la concurrence
internationale, notamment l’industrie manufacturière qui ne peut rivaliser avec
l’offre des émergents sur la scène mondiale.
Cela étant dit, certains comportements des émergents, en particulier des
entreprises chinoises, sont en train de susciter des réticences croissantes dans de
nombreux pays où l’on découvre que les relations ne sont pas aussi « gagnant‐
gagnant » qu'on le dit.
3. Tabler sur l’échec des pays émergents : une stratégie perdante
De nos séjours en Afrique, nous avons vu prospérer dans l’opinion
publique un rejet croissant de certains aspects de la présence essentiellement
chinoise.
De nombreux médias africains dénoncent régulièrement une politique
commerciale fondée sur une sous‐évaluation du Yen qui permet une compétitivité
des prix qui serait à l’origine de l'effondrement des industries locales naissantes.
Comatex et Batexci, deux grandes entreprises textiles du Mali, auraient ainsi été
durement touchées par l’importation de tissus bon marché d'Asie. Au Nigeria, le
secteur textile serait aujourd’hui en grande difficulté face à la concurrence de la
Chine, tandis que le gouvernement tanzanien a interdit l’accès de certains produits
chinois pour protéger les producteurs locaux.
Par ailleurs, la non‐convertibilité de la monnaie chinoise et ses capacités
financières lui permettent de mener des politiques commerciales agressives qui
fausseraient la concurrence aussi bien avec les entreprises locales qu’occidentales.
Dans le secteurs du BTP, on dénonce pêle‐mêle les subventions cachées des
entreprises semi publiques et les financements liés qui permettent aux entreprises
chinoises de faire des marges suffisantes pour pouvoir vendre à perte sur les appels
d’offre internationaux.
- 374 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Ce phénomène est d'autant plus préoccupant que les pratiques de ces
nouveaux acteurs ne s'embarrasseraient guère du respect des règles de bonne
conduite.
Certains n'hésiteraient pas à recourir à la corruption, ce qui encourage les
« kleptocraties africaines ». D’autres s'exonéraient du paiement des impôts et des
taxes au risque de décrédibiliser l'État.
Mais ce serait principalement sur les plans social, politique et
environnemental que l’intrusion de la Chine en Afrique poserait le plus problème.
En effet, les droits sociaux des travailleurs africains employés par les entreprises
chinoises seraient régulièrement bafoués (sous‐payés, non reconnaissance des
syndicats, etc.). Et les entreprises chinoises ne font preuve que de très peu de
responsabilité sociale.
Quand elles recourent à la main‐d'œuvre locale, les entreprises chinoises
leur imposeraient des méthodes de travail très dures, parfois en violation du droit
national. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que l’on assiste actuellement à
une multiplication de réactions d’opposition à la présence chinoise de la part des
populations d’Afrique : Au Sénégal où les petits commerçants se sont ligués pour
interdire aux marchands chinois de leur faire concurrence, en Zambie où une
cinquantaine d'ouvriers africains d'une usine de dynamite de la Copperbelt sont
morts dans un accident provoqué par la violation des règles de sécurité par
l'employeur chinois.
Le meurtre du directeur chinois d’une mine de cuivre, dans ce même pays,
le 4 août dernier, illustre cruellement les risques qui accompagnent la croissance
spectaculaire de l’investissement chinois en Afrique. Un an auparavant, dans cette
même mine de Collum, les cadres chinois avaient réagi aux revendications des
mineurs en leur tirant dessus à balles réelles, blessant douze d’entre eux. Au
Nigeria, on a assisté à un enlèvement d’ingénieurs chinois, ce qui signifie désormais
que la Chine n’est plus à l’abri des attaques jusque‐là réservées au Nord.
Si la préoccupation des Chinois pour les normes sociales semble faible, il
en va de même pour les normes environnementales qui sont souvent négligées
dans la quête des ressources naturelles et la mise en œuvre des projets
d’infrastructure (routes, ponts, voies ferrées, barrages, etc.).
Sur ces deux plans, il faut bien admettre que les pratiques des
investisseurs européens, bien qu’inégales, sont en voie d’amélioration (montée en
force des principes de responsabilité sociale et environnementale, codes de bonne
conduite, etc.), notamment du fait qu’elles sont l’objet de contrôles et de pressions
de la part des sociétés civiles européennes (campagnes internationales à l’exemple
de celle contre IKEA).
La dernière préoccupation enfin concerne le renforcement de la
démocratie et de la Gouvernance.
Comme l’a souligné Bertrand Badie « L'Afrique, épuisée par les plans
d'ajustement structurel et exaspérée par les conditionnalités politiques qui
accompagnent l'aide occidentale qui lui est chichement distribuée, est évidemment
CHAPITRE 3 : - 375 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
séduite par le nouveau « consensus de Pékin », moins regardant sur les droits de
l’homme et les droits sociaux ».
Certains régimes africains, mis au ban de la communauté internationale,
trouvent avec ces nouveaux partenaires le moyen de rompre leur isolement
diplomatique. Le Soudan, qui vend les deux tiers de son pétrole à la Chine, a pu
longtemps compter sur son soutien au Conseil de sécurité de l'ONU pour bloquer
l'adoption de résolutions trop contraignantes sur le Darfour ; alors qu'il venait
d'être mis en cause par la Cour pénale internationale, le Président soudanais a ainsi
pu narguer la communauté internationale en participant à Istanbul au sommet
Turquie‐Afrique en août 2008. Le Zimbabwe de Robert Mugabe, en réaction aux
sanctions dont il fait l'objet, a développé une « Look east policy » visant à
remplacer les investisseurs occidentaux par des investisseurs asiatiques.
De là à penser comme Bertrand Badie que « la force des émergents est de
se plaire à contourner les vœux de la communauté internationale et à offrir des
portes de sortie dans lesquelles les vieux dictateurs, de Khartoum à Harare, aiment
à se précipiter. Risquons l'hypothèse que l'Afrique peut être la grande victime de
tout ce remue‐ménage », il y a un pas que franchissent de nombreuses ONG
africaines relayées par une opinion publique de plus en plus hostile à la présence
chinoise.
Il en va jusqu’à la coopération chinoise en matière d’infrastructure dont la
qualité est critiquée. Une partie des routes construites dans les années 70 et 80 par
la Chine en Afrique se seraient effondrées, certains bâtiments publics se seraient
fissurés, etc. Les infrastructures sanitaires et scolaires suivraient le même chemin.
Certains gouvernements commencent à réagir. Le gouvernement tchadien
a annoncé cette année avoir suspendu « toutes les activités » de la filiale
tchadienne de la compagnie pétrolière publique chinoise (CNPCIC) pour « violation
flagrante des normes environnementales » dans ses forages d’exploration de brut
dans le sud du pays, à Koudalwa, à environ 200 km au sud de N’Djamena.
Dans une tribune parue le 11 mars 2013 dans les colonnes du Financial
Times, le gouverneur de la banque centrale du Nigeria, Lamido Sanusi s'insurge
contre le pouvoir qu'a réussi à prendre la Chine vis‐à‐vis des pays africains. Il
dénonce des méthodes dignes du colonialisme et espère une réaction de la part
des décideurs politiques et économiques africains pour mettre un terme à cette
dépendance.
M. Lamido Sanusi écrit : "il est temps pour nous d'ôter les lunettes teintées
de rose à travers lesquelles nous voyons la Chine". Une façon pour lui de taper du
poing sur la table et de tenter de provoquer un sursaut des acteurs économiques
de son pays face à ce qu'il considère comme de l'impérialisme de la part de
l'Empire du Milieu.
Il dénonce des relations commerciales qu'il considère inégales entre la
puissance commerciale mondiale qu'est devenue la Chine et les pays d'Afrique,
prêts à concéder l'exploitation de leurs ressources naturelles contre des devises
fraîches et des prêts, et contre des biens manufacturés de faible qualité mais très
- 376 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
peu onéreux. "La Chine nous prend des matières premières et nous fournit des biens
manufacturés. C'était aussi l'essence du colonialisme" s'insurge‐t‐il dans les
colonnes du journal britannique.
La structure du commerce bilatéral "n'est pas viable sur le long terme", a
également mis en garde le président sud‐africain Jacob Zuma lors du Forum Chine‐
Afrique tenu à Pékin en juillet 2012.
Ces critiques rejoignent des observations que d’autres bailleurs de fonds
ont formulées depuis longtemps notamment sur les aspects financiers. « Les
Chinois accordent à des économies déjà lourdement endettées des prêts
« insoutenables » ». La Chine en particulier apporterait à l’Afrique des ressources
financières, généralement non concessionnelles, d’un montant massif, pouvant
contribuer au ré‐endettement non soutenable des pays.
En Zambie, en 2011, la présence chinoise a été au cœur des débats de
l’élection présidentielle qui s’est soldée par l’élection de Michael Sata dont les
discours ont dénoncé pendant toute la campagne la mainmise des intérêts chinois
sur le pays.
L’ensemble de ces critiques, qui méritent une évaluation plus approfondie,
illustre l’émergence d’un regard distancié à l’égard de ces nouveaux partenaires. La
France peut y contribuer en engageant ces nouveaux partenaires à respecter des
normes minimales en matière de financement soutenable à destination des pays à
faible revenu, en matière de soutenabilité sociale, financière et environnementale
de leurs industries extractives. De nombreuses initiatives collectives vont dans ce
sens.
Elles commencent à produire des effets. Ainsi la Banque d’investissement
chinoise en Afrique, l’Exim Bank, se montre actuellement de plus en plus soucieuse
par rapport aux remboursements, sur les questions de transparence et à la notion
de risque pays. Elles doivent être soutenues.
Mais en revanche, il apparaît vain d’espérer que ces critiques s’amplifient
au point d’entraîner un recul de la présence des émergents en Afrique
L’impact du commerce avec les émergents dépendra du facteur temps.
A court terme, il présente un avantage incontestable pour l’économie
africaine. Sur le long terme, si l’on considère que le développement est fonction de
l’installation de structures productives plus que de l’évolution des besoins
mondiaux en matières premières, alors le défi du changement structurel de
l’économie sera plus difficile à relever pour l’Afrique subsaharienne.
Or, la construction sur le temps long est, par essence, politique ; ce sont
donc les politiques publiques, les structures étatiques et les négociations
bilatérales qui détermineront le développement du continent africain.
Les sommets liant les émergents à l’Afrique sont autant d’opportunités
pour les dirigeants du continent de protéger leurs intérêts économiques face à des
partenaires toujours plus dépendants des ressources africaines.
CHAPITRE 3 : - 377 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
En attendant, à la France de jouer sa partition en accompagnant les pays
africains dans un développement qui puisse nous être mutuellement bénéfique.
Dans cette perspective, la France pourrait tirer avantage à développer plus
qu’aujourd’hui des partenariats triangulaires avec les pays émergents. Certaines
entreprises françaises l’ont bien compris qui développent en Afrique des
partenariats avec des investisseurs indiens ou chinois. Dans le domaine de la
coopération au développement, c’est également une voie à creuser pour amener
les partenaires émergents à un dialogue sur les modèles de développements
africains.
C. MAIS, DANS LE NOUVEAU CONTEXTE STRATÉGIQUE, IL Y A POUR LA FRANCE UN
IMPÉRATIF AFRICAIN
A l’inverse des thèses visant à minorer l’importance de l’Afrique dans les
intérêts stratégiques de la France, nous estimons à l’issue de ce travail de réflexion
qu’il y a un impératif que nous voudrions ici résumer.
Si, en Afrique, le tournant du siècle marque une rupture avec la période
précédente, c’est en raison de trois facteurs décisifs qui s’imposent à ce continent
comme à d’autres : la montée des interdépendances, l’inversion des pôles de
croissance entre le Nord et le Sud et, enfin, la perspective d’une tension, voire
d’une pénurie de ressources naturelles au niveau mondial.
Ces trois ruptures sont de nature à nous faire reconsidérer la place de
l’Afrique dans notre conception des intérêts stratégiques français et européens.
1. Avec la montée des interdépendances, l’échec de l’Afrique serait un
cauchemar
La montée des interdépendances est le phénomène le plus frappant. Hier,
les troubles au Zaïre, les dérapages d’un chef d’Etat en Centrafrique, les guerres de
la RDC pouvaient menacer les intérêts français, leurs conséquences restaient loin
du territoire national et n’impliquaient qu’indirectement la sécurité de l’Hexagone.
Aujourd’hui, la menace terroriste, les cyberattaques, les implications de la
piraterie, le développement des trafics illicites et l’immigration, l’éclatement de la
Somalie ou du Mali, la révolution dans les pays arabes ont, à des degrés divers, un
impact immédiat sur la collectivité nationale.
Cette montée des interdépendances qui touchent aussi bien les questions
de sécurité que les questions sanitaires avec le développement des épidémies, fait
de l’Afrique, à 12 kilomètres du Sud de l’Europe, une préoccupation centrale pour
la sécurité de notre continent.
Comme le souligne le Livre blanc de 2008, « qu'il s'agisse de l'immigration
clandestine, de la radicalisation religieuse, de l'implantation des groupes
terroristes, des réseaux criminels, les trafics divers, des réseaux de prolifération, ou
du blanchiment, la bande sahélienne, de l'Atlantique à la Somalie, apparaît comme
- 378 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
le lieu géométrique de ces menaces imbriquées et, à ce titre, appelle une vigilance
et un investissement spécifique de la durée. ».
Et, depuis, la situation n'a fait que se dégrader, à tel point que le Livre
blanc de 2013 réévalue la place de l’Afrique dans la stratégie nationale de défense
et de sécurité française : « Si l’Afrique subsaharienne confirme dans les prochaines
décennies un décollage économique qui a été marqué, dans les cinq dernières
années par une croissance annuelle de 5%, le continent peut devenir un des moteurs
de la croissance du monde et contribuer fortement à la prospérité européenne.
Cependant, l’Afrique subsaharienne est également une zone de grandes fragilités.
De 2003 à 2012, une dizaine de pays ont été secoués par des crises politiques ou des
guerres civiles, et la majorité des casques bleus des Nations unies y sont déployés,
parfois depuis plus de dix ans. Selon que les espaces non gouvernés ou à faible
gouvernance reculeront ou au contraire s’étendront, ce sont deux avenirs bien
différents qui se profileront à l’horizon des vingt prochaines années. Nulle part, sans
doute, l’éventail des possibles n’est aussi ouvert que sur le continent africain ».
S’il convient de ne pas regarder l’Afrique sous le seul angle de la menace,
il faut avoir conscience que la France et l’Europe ne peuvent pas, même si elles le
voulaient, se désintéresser de l’Afrique. Cela d’autant plus que l’évolution
stratégique des États‐Unis les conduit à être plus sélectifs dans leurs engagements
extérieurs. Si les États‐Unis continuent de s’intéresser à l’Afrique, comme en
témoigne la création d’un commandement spécialisé AFRICOM, ils considèrent
désormais que les Européens, plus directement concernés par sa stabilité et
disposant des moyens d’en assumer la charge, doivent prendre une plus grande
part à la sécurité du continent africain.
Comme il a été dit à propos de l’éventualité de l’instauration d’un régime
djihadiste à Bamako, nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir l’Afghanistan sur
la rive sud de la Méditerranée. L’Afrique présente de réelles opportunités de
croissance, mais elle devra également faire face à de nombreux défis dont le
moindre n’est pas le doublement de sa population d’ici 2050. L’Afrique est au
milieu du gué, si par malheur ce choc démographique déstabilisait le continent,
l’Europe serait en première ligne pour en subir les conséquences. La France le
voudrait qu’elle ne pourrait se désintéresser du continent, la crise malienne en
témoigne.
2. Nous jouons une partie de notre future croissance en Afrique
La deuxième rupture a trait à la crise financière, au déclin économique de
l’Europe, à ses implications politiques et, par contraste, au décollage économique
d’une partie de l’Afrique et à la consolidation de la situation des pays émergents.
Alors que les conséquences économiques et sociales se font sentir depuis
de nombreuses années, la France et l'Europe commencent seulement à ressentir
les conséquences politiques et stratégiques du déclin de leur croissance
économique depuis plusieurs décennies.
CHAPITRE 3 : - 379 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
La crise des dettes souveraines entraîne aujourd'hui les pays européens
dans des politiques d'ajustement structurel bien connues des pays africains. Le
redressement des finances publiques en Europe se traduit par une réduction de la
taille des outils diplomatiques et militaires alors que, dans le même temps, les pays
émergents ne cessent d'accroître les leurs.
L'Afrique est, à cet égard, un terrain privilégié pour observer le chassé‐
croisé entre les anciennes puissances coloniales et les nouvelles puissances nées de
la mondialisation des années 2000. A la fermeture des centres culturels français en
Afrique correspond la création ces dernières années de plus de 25 instituts
Confucius dans 18 pays, à la diminution du budget de la coopération française
correspond un doublement de l'aide Chinoise etc.
Pour retrouver des marges de manœuvre, la France doit impérativement
retrouver le chemin de la croissance. C'est le sens de la priorité donnée par le
ministère des affaires étrangères à la diplomatie économique qui doit favoriser la
conquête de marchés extérieurs et réduire le déficit de notre balance commerciale.
Or l'Afrique qui connaît une croissance de plus de 5% depuis dix ans
n’offre‐t‐elle pas aujourd'hui des opportunités qui n'existaient pas hier ?
Longtemps, face au continent africain, la compassion était de rigueur.
Aujourd’hui une grande partie des économies du continent subsaharien
est en passe de se transformer, d’économies de comptoirs assises sur les
exportations de ressources naturelles en économies endogènes, diversifiées et
nourries par un marché intérieur en croissance continue.
Demain, les entreprises qui se seront implantées dans cette Afrique qui
bouge seront à la tête d’un marché considérable et particulièrement dynamique à
l’image du Cimentier nigérian Dangote qui prépare une introduction en Bourse
comprise entre 35 et 40 milliards de dollars environ, sans augmentation de capital.
Un niveau qui valoriserait le groupe cimentier numéro un au Nigeria – et en plein
développement panafricain – à un niveau très nettement supérieur à celui atteint
par ses concurrents internationaux ; la capitalisation du français Lafarge tourne en
effet autour de 11 milliards de dollars, celle du suisse Holcim tutoie les 20 milliards
tandis que celles du mexicain Cemex et de l'allemand Heidelberg sont en‐dessous
des 10 milliards.
Lionel Zinsou nous a dit « alors que la croissance africaine décolle, la
modernité de la France, c’est de sortir de l’Afrique et d’investir en Asie ». Bien sûr, il
faut être en Asie, mais il faut aussi penser à plus long terme et voire l’Afrique
comme une opportunité à 10 ans.
Ce qui se passe sur ce continent n’est pas seulement un changement de
rythme, mais un changement de nature, fondé sur des éléments structurels tels
que l’urbanisation et les évolutions démographiques.
Il demeure des défis considérables, économiques, politiques, sanitaires,
urbains, énergétiques et alimentaires qui sont loin d’être maîtrisés. Il reste que,
- 380 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
pour les 30 ans à venir, il semble que la France et l’Europe ont à leur porte un
gisement de croissance que certains n’hésitent pas à comparer à la Chine.
Dès lors, comment ne pas voir que notre proximité géographique, notre
affinité culturelle liée à la langue comme à l’histoire sont des atouts majeurs par
rapport aux pays émergents ?
Comme l’a dit Mathieu Pigasse de la Banque Lazard devant le groupe de
travail : « Il faut faire avec l’Afrique ce qu’a fait l’Espagne avec l’Amérique Latine, le
secteur bancaire et les télécoms espagnols ont survécu à la crise grâce à leurs
implantations en Amérique latine ».
« La France est en retard d’une guerre, le continent est en train d’émerger,
et nous regardons encore l’Afrique à travers le prisme de l’APD et des forces
prépositionnées » a‐t‐il ajouté.
Notre devoir est d’être là‐bas.
Il ne s’agit pas de regarder l’Afrique avec autant de convoitise, voire de
cupidité, qu’hier nous avions de condescendance et de compassion.
La bonne nouvelle, c’est que nous avons aujourd’hui avec ces pays un
intérêt commun à un développement durable et harmonieux de l’Afrique. Si nous
arrivons à promouvoir un regard croisé sur une insertion maîtrisée de l’Afrique
dans la mondialisation, un développement économique et agricole durable et
harmonieux, la mise sur place progressive de services publics de base, de régimes
institutionnels protecteurs des minorités et décentralisés, la France peut porter
une vision de l’Afrique qui rencontrerait les aspirations africaines.
Or dans un monde dont le centre de gravité est en train de passer du Nord
au Sud, un continent africain au sud de l’Europe pourrait constituer, à l’instar des
États‐Unis avec l’Amérique du Sud, pour notre continent, non seulement une
arrière‐cour mais également un gisement durable de croissance.
Le développement d'un nouveau tissu de PME, l'émergence d'une classe
moyenne de plusieurs centaines de millions de personnes sur le 1,8 milliard
d’habitants que connaîtra l'Afrique en 2050 méritent alors que les pouvoirs publics
se donnent les moyens de favoriser les intérêts français sur ce continent sur des
marchés comme la téléphonie mobile en Afrique en croissance de 44% par an, les
banques de détail dont les taux de croissance dans un pays comme le Kenya depuis
7 ans se situent entre 30 et 35%, mais également le traitement des eaux, autant de
secteur où la France possède des entreprises compétitives.
Il est vrai que l’Afrique dynamique, cette Afrique qui a enjambé l’étape du
téléphone fixe pour bénéficier de l’essor du portable et d’Internet, n’est pas, à
première vue, majoritairement l’Afrique francophone qui nous est proche.
Mais rien ne nous condamne à l’Afrique qui ne marche pas. Des pays
comme la Côte d’Ivoire sont en train de rattraper le retard lié à la crise politique.
Rien n’interdit aux entreprises françaises d’explorer les opportunités de l’Afrique
de l’Est et du Sud, de la Mozambique ou du Nigeria. Il en va ainsi des groupes
comme le groupe Bolloré, présent dans 47 pays africains qui a multiplié par trois
CHAPITRE 3 : - 381 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
son chiffre d’affaires en moins de dix ans, passant de 900 millions d’euros à
2,7 milliards de 2005 à 2013, avec pas moins de 25 000 collaborateurs en Afrique
subsaharienne.
Sur aucun autre continent, en Asie ou en Amérique Latine, la France ne
part, par rapport à ses concurrents, avec cet avantage comparatif que lui confèrent
sa langue, sa connaissance et son intimité avec les acteurs économiques africains.
Nous ne sommes plus des partenaires obligés, mais nous restons des
partenaires désirés. « On préfère le diable que l’on connaît » nous a dit un ministre
ivoirien. « Vous devez faire la preuve que vous êtes compétitifs. Mais à valeur égale,
nous vous préférons, parce que nous vous connaissons ».
La troisième rupture est l’entrée de la planète dans ce que l’on pourrait
appeler une nouvelle géopolitique de la pénurie.
La croissance de la population mondiale, qui pourrait atteindre 9 milliards
en 2050, et l'essor économique de l'Asie et de l'Amérique Latine susciteront de
fortes tensions sur les ressources naturelles. Dans ce contexte, la sécurisation des
approvisionnements, notamment en hydrocarbures et en métaux, sera l’un des
enjeux majeurs des prochaines décennies. Les pays d'Asie l'ont d'autant mieux
intégré dans leur politique étrangère qu'ils seront à l'origine de ces tensions en
rattrapant le niveau de vie des pays occidentaux. Plus de 60% de l'augmentation de
la consommation d'hydrocarbures dans les 20 ans à venir proviendra ainsi de l’Asie.
Or l'économie mondiale est entrée, du fait de la diminution des réserves
naturelles, pour plusieurs décennies, dans une ère d'énergie coûteuse.
Selon l’Agence internationale de l’énergie, la production de pétrole
conventionnel devrait avoir atteint un «pic» en 2006, sommet à partir duquel, en
raison de l'épuisement progressif des ressources exploitables à faible coût, la
production devra s’orienter vers d’autres sources d’énergies non conventionnelles,
notamment le pétrole et le gaz de schiste. Mais le coût et le rendement de la
production d’hydrocarbures ne feront que croître. Un constituant crucial d'une
croissance élevée disparaîtra ainsi du paysage.
Le problème ne se pose pas seulement pour l'énergie, mais aussi pour un
grand nombre de métaux et de minéraux qui entrent dans la composition de
nombreux produits industriels, et dont la consommation s'est énormément accrue
depuis un siècle et, plus encore, depuis une vingtaine d'années, avec le
développement de l'électronique et l'expansion des pays émergents.
Depuis le premier choc pétrolier, on mesure, en effet, l’importance des
matières premières énergétiques, charbon, hydrocarbures et gaz, et on a, depuis
1973, pris des mesures pour mieux gérer les stocks et diversifier les
approvisionnements. Mais on mesure encore mal combien nous sommes devenus
- 382 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
dépendants des matières premières stratégiques minérales que sont le cuivre, le
titane ou le diamant et ce que l’on appelle les terres rares ainsi que des matières
premières stratégiques végétales comme les céréales et les terres arables.
Ce n’est qu’avec l’expansion économique très rapide de nouveaux acteurs
comme la Chine, l’Inde et le Brésil, que les pays du Nord ont réalisé que leur propre
accès aux matières stratégiques pouvait devenir problématique, du fait de l’accès
des pays émergents aux technologies de transformation primaire des matières
premières, mais aussi parce que les nouvelles technologies, particulièrement dans
le domaine des télécommunications, dépendent de ces matériaux rares.
De nombreux métaux et minéraux ont en commun des goulots dans la
chaine d’approvisionnement, une production par un nombre restreint d’entreprises
ou de pays, des usages de haute technologie, d’être peu ou pas substituables dans
leur utilisation, d’être difficilement collectés en vue de leur recyclage et enfin de
provenir de pays pouvant représenter des risques.
Ce contexte, à un moment donné et pour un marché donné, en fait des
métaux dits « stratégiques » pour le pays, sur lesquels il est nécessaire de porter
une attention particulière afin de sécuriser les approvisionnements de l’économie
nationale
Se profilent à l'horizon d'une ou deux décennies de fortes tensions sur la
production de métaux tels que le cuivre, l'antimoine, le dysprosium, le platine, etc.
Ces éléments sont tout à fait cruciaux dans certains domaines de pointe : les
aimants de précision, tout comme les éoliennes, requièrent l’utilisation de
néodyme. Le galium entre dans la fabrication des billets de banque, pour en
prévenir la falsification, comme dans celle des lasers utilisés par les avions de
chasse de dernière génération. Le germanium est indispensable à la réalisation de
systèmes de visée nocturne etc.
Or l'Afrique constitue un réservoir de ressources naturelles considérable.
Elle détient notamment dans le Golfe de Guinée avec le Nigeria et l’Angola, des
réserves importantes de pétrole. À elle seule, elle concentre presque la totalité des
réserves mondiales de chrome (au Zimbabwe et en Afrique du Sud), 90% des
réserves de platine (en Afrique du Sud) et 50% des réserves mondiales de cobalt
(en République démocratique du Congo et en Zambie). Le continent recèle
également d'importantes réserves en or, diamant, manganèse, cuivre, fer, uranium
ou charbon. A titre d’exemples, pour n’en citer que quelques‐uns, l’Angola possède
entre autres ressources naturelles du diamant, du minerai de fer et du pétrole; le
Botswana est riche en ressources minières, notamment le diamant, le charbon, le
cuivre, le nickel, l'or, le carbonate de sodium et le sel ; la République Démocratique
du Congo (RDC) possède les plus grands gisements de cuivre, de cobalt, et de
colombo‐tantalite d’Afrique, mais aussi d’importantes réserves de diamants, d’or et
d’autres minerais ainsi que des ressources forestières. Au Ghana, l’or est le
troisième secteur d’exportation du pays, après le cacao et le bois et on y retrouve
également les autres ressources naturelles comme les diamants industriels, le
manganèse et la bauxite.
CHAPITRE 3 : - 383 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
L’Afrique figure ainsi dans les premiers rangs mondiaux pour la production
de minerais, notamment pour le cobalt, le platine, le titane, la bauxite, la chromite
et autre vanadium.
« L’Afrique est au cœur de l’un des secteurs
les plus dynamiques du commerce mondial. »
Même si l’offre de certains produits est imprévisible, les marchés
devraient rester serrés au cours des prochaines années, les prix réels restant bien
au‐dessus du niveau moyen des années 1990. Fin 2011, les prix moyens de l’énergie
et des métaux communs étaient trois fois supérieurs à ce qu’ils étaient dix ans plus
tôt, et approchaient voire surpassaient les niveaux records des 40 dernières
années. Reflétant les conditions sous‐jacentes du marché, les investissements
miniers ont plus que quadruplé entre 2000 et 2010, atteignant près de 80 milliards
de dollars US par an, et la valeur de la production mondiale de métaux a augmenté
deux fois plus vite que le PIB mondial : un contraste saisissant par rapport à la
stagnation de valeur durant la décennie précédente. Résultat : l’Afrique est au
cœur de l’un des secteurs les plus dynamiques du commerce mondial.
Pour l'Europe, qui y importe plus de 50% de ses approvisionnements
d'argent, de chrome, de manganèse, de nickel, de zirconium et la totalité de son
uranium, l'Afrique est un enjeu majeur pour ses approvisionnements stratégiques.
Et les investissements massifs des pays émergents dans ces secteurs constituent,
de ce point de vue, une menace sérieuse.
L'Europe a, en effet, quasiment disparu de la scène internationale de la
production minière proprement dite. Les entreprises des grandes puissances
émergentes rivalisent désormais avec les majors américano‐australo‐canadiens
dans les travaux d'exploration minière et d'acquisition de nouveaux gisements en
Afrique.
L'Afrique subsaharienne représente déjà une source d'approvisionnement
majeure pour la Chine qui importe notamment plus de 40% de son minerai de fer et
80% de son bauxite. Le quintuplement de la demande chinoise de minerais d'ici
2050 ne fera qu'accroître la compétition et le risque d'éviction de l’Europe et de la
France. Si la diversification de nature et de provenance géographique des énergies
consommées en Europe a contribué à sécuriser ses approvisionnements
énergétiques, l’effort qui doit impérativement être accompli au profit de
l’approvisionnement en métaux passe par l’Afrique.
La course aux ressources naturelles, les perspectives offertes par le
marché africain replacent donc l'Afrique au cœur de nouveaux enjeux stratégiques
dont il convient de prendre la mesure pour, selon les secteurs et les pays, les
souligner ou les relativiser.
- 384 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
4. La France et l’Europe ont intérêt à tirer l’Afrique vers un modèle de
développement équilibré
Alors que notre vision de l’action de la France en Afrique reste encore très
marquée par une histoire qui pèse sur nos relations mais nous rassure quant à
notre influence, il faudrait essayer de penser l'avenir de la France dans une Afrique
convoitée qui, selon les prévisions en cours, pèsera dans le PIB mondial en 2030,
c'est‐à‐dire sans doute plus que l'Europe.
La France a enfin, plus que jamais, besoin des pays africains, non
seulement comme débouchés économiques et sources d’approvisionnement
stratégique, mais également comme partenaires politiques.
Dans un contexte où le statut de la France au sein des instances
internationales, et notamment la place de la France au sein du Conseil de sécurité,
pourrait être remis en cause, au regard de critères qui mesureraient exclusivement
son poids économique, l'aide publique au développement de la France en Afrique,
comme notre effort de défense en faveur de la paix et de la sécurité de ce
continent, contribuent à maintenir le rang de la France sur la scène internationale.
L’Afrique offre à la France une profondeur géopolitique qu’aucun autre
continent ne pourrait lui apporter.
Comme le souligne Jean‐Louis Guigou, président de l’IPEMED, l’Europe, les
pays du Maghreb et l’Afrique subsaharienne, singulièrement l’Afrique occidentale
et l’Afrique centrale qui partagent des relations économiques, mais aussi
culturelles séculaires et travaillent dans le même fuseau horaire et donc dans un
même espace‐temps, ont vocation à constituer des ensembles plus cohérents s’ils
veulent demain peser dans la mondialisation.
L’Amérique du Nord a constitué, avec ses deux voisins, le Canada et le
Mexique, l’ALENA. Les pays sud‐américains ont eux aussi constitué leur grand
marché commun, le Mercosur. Ces deux ensembles coopèrent de plus en plus
étroitement pour dessiner une grande région continentale, qui prend la forme d’un
« quartier d’orange » nord‐sud.
De son côté, la Chine a constitué avec tous ses voisins un immense marché
commun, l’ASEAN+5 de 2,5 Mds d’habitants, avec ses propres régulations. L’Europe
qui avait pris de l’avance en 1957 en créant le Communauté économique
européenne a bien réagi en intégrant dans les années 1990 l’Europe centrale et
orientale.
Au sud de l’Europe, en Méditerranée et en Afrique, la constitution d’une
grande région réunissant les pays développés vieillissants à des pays jeunes et
émergents est nécessaire. Une Europe à la démographie vieillissante, dont seul un
cinquième de la population a moins de vingt ans et dont le marché intérieur
s'essouffle, a besoin des atouts d’une Afrique jeune et dynamique.
Il y a un espace euro‐africain dont l’extrême hétérogénéité dissimule
l’existence. Il faut, à cet égard, se comparer à la Chine : pour des raisons
historiques et culturelles fortes, cette dernière est spontanément considérée
CHAPITRE 3 : - 385 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
comme un unique ensemble, au contraire de l’espace euro‐africain qui est vécu
comme cloisonné. Or il y a autant de distance physique, comme économique, de
Shanghai à la Chine de l′Ouest, qu′entre Bruxelles et Bamako.
L'Afrique constitue un atout pour la France et l'Europe.
Il faut avoir à l’esprit que la zone Afrique‐Moyen‐Orient est la seule zone
au monde où la balance commerciale française est encore excédentaire. La France
reste attractive et compétitive en Afrique et l'Europe détient une part importante
du stock de capital en Afrique.
Plus l'Afrique se développera, plus l'Europe trouvera dans le continent un
partenaire économique sérieux.
La complémentarité des économies des deux zones doit être mise au
centre d’une stratégie de coprospérité.
La France est particulièrement bien placée pour porter ce message et
convaincre ses partenaires européens d’y participer.
Il s’agit de défendre nos intérêts, mais aussi de partager une vision du
monde. La France, « puissance moyenne à vocation planétaire » qui revendique au
niveau international une vocation universelle héritée de la Révolution, trouve en
Afrique un terrain où elle peut démontrer qu'elle a une vision du monde au‐delà de
ses frontières et de ses intérêts propres.
Nous avons en Afrique à partager une réflexion sur la démocratie, les
droits de l’homme et le modèle de développement social et économique. Il ne
s’agit plus d’exporter nos modèles clefs en main comme des solutions intangibles,
mais de réfléchir ensemble aux solutions les plus adaptées à des enjeux communs.
La France s'est conçue comme gardienne d'une certaine idée de la justice
et de la paix, protectrice des petits face aux Empires. Les valeurs de la France en
font donc le héraut naturel des peuples du Sud, sur les grandes questions
auxquelles l'opinion planétaire est sensibilisée : droits humains, réchauffement
climatique, développement durable, sécurité alimentaire mondiale, sécurité civile...
On peut se désoler du fait que la Déclaration universelle des droits de l'homme
votée à l'ONU en 1948 ne pourrait plus l'être aujourd'hui.
C'est pourtant un fait. Le monde connaît de profondes mutations
stratégiques. Un bouleversement planétaire s'accomplit sous nos yeux, qui risque
fort de laisser l'Europe, partenaire du passé, sur le banc de touche. La France doit
en prendre conscience, porter sa voix, défendre ses valeurs tout en prenant acte de
la configuration actuelle des relations internationales.
L'Europe peut soutenir avec l'Afrique des positions communes, à la fois
justes et généreuses.
Dans une période historique où l’influence internationale de la France est
en déclin, l’Afrique reste le lieu où elle peut démontrer qu’elle agit encore sur le
monde, « le dernier endroit où on compte encore ».
- 386 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
C’est pourquoi un déclassement de la France en Afrique serait un recul
autrement plus grave qu’il n’y paraît.
5. L’Afrique n’attendra pas
Un continent de deux milliards d’habitants est en train de se constituer au
sud de l’Europe avec un formidable potentiel de croissance et de nombreux défis.
L’ensemble des pays émergents y investissent chaque jour de plus en plus.
Avec des taux de croissance de plus de 6%, une partie de l’Afrique est en
train de changer à une vitesse sans précédent. La géographie même du continent
est en train de changer avec le dynamisme de la côte est comme l’illustre la carte
suivante issue de travaux de EY Oxford Economics qui figure les prévisions des taux
de croissance des différents pays de 2012 à 2017.
Avec la diversification de ses partenaires et l’afflux de capitaux, l’Afrique
n’attendra pas que la France se repositionne en Afrique.
CHAPITRE 3 : - 387 -
UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL
DANS UN CONTINENT EN ESSOR
- 388 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
CHAPITRE 4 : - 389 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
CHAPITRE 4 :
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
Une politique : c’est un discours et des actes. Le bilan de la présence
française en Afrique nous invite à réagir pour chercher les moyens d’inverser une
tendance qui, si elle se poursuivait, signifierait notre déclin sur un continent où
nous conservons une influence déterminante.
La réalité c’est que la politique africaine de la France a évolué moins vite
que l’Afrique elle‐même. Il demeure un décalage entre le discours sur l’enjeu que
représente l’Afrique pour la France et la manière dont les politiques publiques à
l’égard de ce continent sont menées.
Nous n’avons cependant pas la prétention d’avoir la solution. De
nombreuses femmes et hommes œuvrent aux liens entre la France et les pays
d’Afrique subsaharienne. Ils y donnent le meilleur d’eux‐mêmes, bien plus souvent
par conviction que par intérêt. Nous ne leur ferons pas l’affront de penser que
quelques solutions simples, quelques gadgets administratifs tout droit sortis d’un
rapport vont infléchir la trajectoire de relations si riches et complexes.
Comme l’a souligné Justin Vaïsse, directeur du Centre d'Analyse, de
Prévision et de Stratégie au Ministère des Affaires étrangères : « il n’y a pas de
formule magique », de « clef d’entrée facile dans le continent ». Cela est d’autant
plus vrai que les trajectoires des différents pays semblent se différencier de plus en
plus.
Parler du continent dans son ensemble, il y 30 ans, n’avait pas beaucoup
de sens. En parler aujourd’hui en a encore moins. Nous l’avons fait ici trop souvent
par facilité de langage, mais, en vérité, de politique africaine, il y en a presque
autant que de pays africains. Cette vérité‐là ne doit cependant pas nous faire
renoncer à un exercice de synthèse et à la définition d’une stratégie ou d’un cap à
suivre.
Les problématiques de l'Afrique subsaharienne sont aussi liées à celles du
Maghreb, la question du Sahel en est un exemple. Nos travaux sont à mettre en
regard de ceux de nos collègues Josette Durrieu et Christian Cambon, chargés du
groupe de travail sur les pays de la rive sud de la Méditerranée, et de ceux de Jean‐
Pierre Chevènement et Gérard Larcher sur le Sahel1.
S’il n’y a pas de baguette magique, il doit y avoir des inflexions. Si nous
avons nécessairement cherché l’idée nouvelle, nous avions aussi à l’esprit que la
nouveauté n’est pas toujours la garantie de la pertinence.
1 Rapport d'information n° 720 (2012‐2013) « Sahel : pour une approche globale » de MM. Jean‐
Pierre CHEVÈNEMENT et Gérard LARCHER.
- 390 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Se donner des objectifs pour une politique publique, comme dans la vie,
c’est d’abord distinguer, comme les stoïciens le faisaient en leurs temps, ce qui
dépend de nous et ce que l’on ne maîtrise pas.
A. CE QUI DÉPEND DE LA FRANCE ET CE QU’ELLE NE MAÎTRISE PAS
Les facteurs qui ne peuvent pas être maîtrisés par la France sont
nombreux.
L’ouverture des pays africains aux nouveaux pays émergents et
l’implication croissante de ces derniers sur le continent : ces pays sont des voisins
et des partenaires politiques de l’Afrique. Leur investissement dans le
développement du continent est une bonne nouvelle, s’il ne se traduit pas par un
nouvel impérialisme. Nous pouvons plaider pour une harmonisation des pratiques
de coopération, une concurrence loyale dans le domaine économique ; nous
pouvons chercher à tirer les modèles de développement économique et politique
des pays africains vers un modèle plus compatible avec le nôtre, mais nous ne
pouvons pas fixer comme objectif de limiter la présence et l’influence des pays
émergents en Afrique, qui s’inscrit dans un renversement beaucoup plus large des
dynamiques entre le Nord et Sud de la planète.
L’appétence des Africains pour le monde anglophone : l’insertion
croissante de l’Afrique dans la mondialisation, dans les flux de biens, de capitaux et
d’idées conduit nécessairement un nombre croissant d’Africains à se tourner vers la
langue de la mondialisation qu’est l’anglais. Il nous faut promouvoir la
francophonie, mais cette évolution est inévitable et d’ailleurs pas exclusive d’une
progression du français comme d’un renouveau des langues régionales.
La défiance à l’égard de tout ce qui pourrait s’apparenter à une forme de
néocolonialisme : 50 ans après les indépendances, les pays africains et leurs
opinions publiques aspirent naturellement à assumer pleinement leur destinée en
toute autonomie. C’est en cela que l’intervention française au Mali a été vécue à la
fois comme un soulagement et une honte. Les pays africains ne tolèrent la
persistance de dispositifs hérités de la période coloniale que faute de mieux. Le
sens de l’histoire que véhicule la notion de « renaissance africaine » est
CHAPITRE 4 : - 391 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
l’émancipation vis‐à‐vis des anciennes puissances coloniales. La France peut donner
un sens nouveau à ce partenariat, mais elle ne peut effacer les conséquences de
cette perspective historique dans laquelle elle doit s’inscrire, faute de quoi elle
risque d’être identifiée au passé.
Les risques d’instabilité politique et sécuritaire : les bouleversements
démographiques et économiques que nous avons décrits mettront sous tensions
l’ensemble du continent. Alors que les zones les moins développées connaissent les
affres des pays où la déliquescence de l’Etat ne lui permet pas d’assurer ni l’ordre
public, ni les services publics minima nécessaires au développement, dans les zones
plus développées, la croissance économique, l’élévation de vie et d’éducation
pourraient entraîner une instabilité politique croissante dans des pays où l’espace
public est encore très réduit.
L’histoire des siècles anciens comme celle des printemps arabes ont
montré que les phases de décollage économique étaient porteuses d’instabilité et
de frustration. Cette instabilité a donc des racines politiques, économiques et
sociales profondes qui traversent l’ensemble du continent. Il revient aux Africains
d’en limiter les conséquences en favorisant le développement, la sécurité et une
vie politique pluraliste.
La France et ses partenaires européens peuvent les y aider, mais les mieux
intentionnés de leurs amis ne pourront se substituer à leurs choix.
En revanche, certains facteurs peuvent être mieux maîtrisés par les
pouvoirs publics français :
Un renforcement de la cohérence de sa politique africaine et des synergies
entre les différents acteurs est possible. Il existe des marges de progression
substantielles pour accroître la synergie entre les politiques de coopération
militaire et civile, économique, migratoire et culturelle. De ce point de vue, la
réalisation d’une stratégie globale à l’égard du continent africain permettrait de
faire travailler ensemble des départements ministériels dont les actions sont au
mieux parallèles et au pire contradictoires. Sur le terrain, des marges de
progression existent dans la mise en cohérence du maillage des différentes
institutions et réseaux français en Afrique.
La promotion d’une image rénovée de l’Afrique qui, sans masquer la
réalité, mette aussi en valeur les nombreuses opportunités de ce continent devrait
pouvoir faire l’objet d’une réflexions aussi bien en matière de promotion du
commerce extérieur avec des opérateurs comme UBIFRANCE, la COFACE, que dans
le domaine culturel où les saisons franco‐africaines font déjà beaucoup pour mieux
faire connaître l’Afrique ou encore dans le domaine de la recherche où de
nombreux laboratoires français ont une expertise reconnue sur l’Afrique.
Le renforcement de la présence des entreprises françaises dans les zones
d’Afrique anglophones particulièrement dynamiques devrait pouvoir faire l’objet
d’une action concertée de la part du ministère des finances et des organisations
professionnelles.
- 392 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Le déséquilibre des moyens publics mis en œuvre entre l’Afrique
anglophone et l’Afrique francophone nécessiterait également une stratégie plus
globale visant à adapter les effectifs du réseau diplomatique et des différents
opérateurs de l’action extérieure de l’Etat aux priorités d’une politique africaine
réaffirmée.
Les difficultés d’accueil des élites africaines aussi bien dans le domaine
universitaire que dans les domaines du commerce et des arts relèvent également
d’un champ d’action dans lequel la France a la possibilité d’inverser la tendance en
simplifiant l’accueil des demandeurs de visa, qui est aujourd'hui un véritable
parcours du combattant, et en encourageant la dématérialisation et la
simplification des procédures d'inscription et de délivrance de visas circulaires,
mais aussi soutenant la promotion des formations d’excellence françaises sur ce
qui, aujourd’hui, est devenu un marché de la formation des élites.
Le soutien à la Francophonie fait également partie des domaines dans
lesquels la France peut mener une politique plus ambitieuse dans l’appui à la
formation initiale et continue des professeurs, au réseau français à l’étranger, aussi
bien les établissements, Instituts et les Alliances françaises, mais aussi à travers le
soutien à l’audiovisuel et aux médias francophones. Cela exige de mieux jouer sur
les complémentarités des canaux bilatéraux et multilatéraux.
B. TENIR UN AUTRE DISCOURS SUR L’AFRIQUE
Formuler un nouveau discours sur la politique africaine de la France n’est
pas chose aisée. Nicolas Sarkozy comme François Hollande s’y sont essayé.
Beaucoup de choses ont été dites. A relire les discours du Cap, de Dakar, voire très
récemment de Tombouctou, on se rend compte que les divergences sont d’ailleurs
moindres que les points communs.
La première étape d’un renouveau de notre politique africaine consiste à
vouloir en formuler une, à juger qu’il est utile, au‐delà de l’évolution des relations
bilatérales, des fluctuations diplomatiques au gré des événements, en réaction aux
crises ou à la suite de visites ministérielles, de formuler une politique africaine de la
France.
Formuler une stratégie, c’est d’abord définir un objectif et sa justification.
L’objectif c’est le renforcement de notre lien avec le continent africain. La
justification c’est établir la démonstration que se joue sur ce continent une partie
de notre avenir.
Nous l’avons ici suffisamment étayé pour ne pas avoir à le répéter.
Notre proximité avec l’Afrique peut être une menace comme une
opportunité, dans les deux cas nous avons intérêt à une politique africaine plus
ambitieuse et plus cohérente.
Un document stratégique, à l’instar de ce qu’ont établi les Américains, les
Allemands ou les Chinois, présenterait l’avantage, au‐delà de ce modeste rapport
parlementaire, d’essayer de convaincre les responsables administratifs et les
CHAPITRE 4 : - 393 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
entrepreneurs privés des opportunités que représente le décollage de l’Afrique
dans le contexte géopolitique du début du XXIè siècle.
Il s’agit de quitter le « vieux récit » sur une Afrique du passé et de susciter,
selon l’expression plusieurs fois évoquée, un « besoin d’Afrique » qui soit le
pendant d’une « demande de France », de prendre la mesure des atouts français
sur ce continent, mais aussi des défis auxquels il nous faut faire face dans un
continent sous une tension liée à une transformation accélérée des sociétés.
Plusieurs mois de travail nous ont convaincus que la France, ses
entreprises, ses talents, peut profiter de la croissance africaine et qu’inversement
nous pouvons contribuer à atténuer les risques auxquels devront faire face les
responsables politiques africains en termes de démographie, d’urbanisme,
d’environnement et de sécurité.
L’amélioration de l’image et de la connaissance de l’Afrique doit
s’inscrire dans le long terme et s’appuyer sur une recherche universitaire de
qualité sur l’Afrique. Longtemps la France a été pionnière dans ce domaine.
L’intérêt pour les pays émergents a conduit à réduire les budgets consacrés à
l’Afrique. Il conviendrait de réfléchir à la nécessité ou non d’un rééquilibrage : si
l’Afrique est un continent en émergence, dont la France est proche à divers égards,
alors il est cohérent de lui consacrer plus de moyens.
Administrer la preuve que la France a besoin de l’Afrique comme cette
dernière a besoin de la France : la deuxième étape, comme la deuxième partie de la
phrase, est, dans les faits, plus difficile à démontrer au‐delà de l’actualité
immédiate du Mali.
L’Afrique a‐t‐elle besoin de la France ? Il nous faut en faire tous les jours la
démonstration, faire en sorte que les responsables africains considèrent la
présence d’experts français, d’entreprises, d’écoles française comme utiles à leur
développement, à leur sécurité ou à l’équilibre de leur relation avec les émergents.
Pour cela, la France doit continuer à faire la démonstration qu’elle a une
expertise, une connaissance de l’Afrique et des valeurs qui lui permettent d’être un
partenaire utile, fiable et loyal, prêt à partager, avec les responsables politiques
africains comme avec les organisations des sociétés civiles africaines, une vision
d’un développement du continent harmonieux, respectueux des équilibres sociaux
et environnementaux.
Sur le long terme, les pays émergents nous rattraperons dans la formation
d’experts, notamment dans les domaines techniques. Les universités indiennes
rivalisent déjà dans certains domaines avec nos meilleures grandes écoles. Les
effectifs des ingénieurs que produisent les systèmes de formation supérieure
indiens ou chinois auront, par ailleurs, un effet de masse. Les deux processus
combinés nous feront sans aucun doute perdre le monopole de l’expertise dans des
pays d’Afrique. Pour rester compétitif, il nous faudra en conséquence nous battre
sur le maintien de la qualité d’excellence de notre expertise et sur notre
connaissance et notre familiarité avec la culture africaine.
- 394 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Pour faire face à ces défis, la diplomatie française, en premier lieu, doit
pouvoir produire un nouveau discours sur la relation de la France à l’Afrique.
Les enquêtes sur l’image de la France en Afrique sur la décennie montrent
une dégradation sensible. Certes, le Mali a marqué les esprits. L’intervention n’a
pas fait taire ceux qui ont dénoncé en leur temps les interventions en Côte d’Ivoire,
au Tchad ou encore l’épisode dramatique du Rwanda.
Le nouveau discours sur l’Afrique doit trouver son équilibre entre le rappel
de la permanence des liens entre la France et l’Afrique depuis deux siècles, qui
explique la spécificité des relations franco‐africaines, et la nécessité de se départir
de la posture postcoloniale qui consiste à considérer que notre pays a une
« vocation » africaine et/ou une responsabilité particulière vis‐à‐vis de l’Afrique.
Cette posture, teintée parfois de culturalisme, a souvent conduit la France
à vouloir parler « au nom des Africains » et à se substituer à eux pour régler leurs
problèmes.
Un nouveau discours sur l’Afrique devrait donc insister sur le fait que ce
temps‐là, que cette posture‐là est révolue, mais que la spécificité de notre relation
avec chacun des pays du continent n’appartient pas au passé, mais à l’avenir.
Le choix du Président de la République de placer l’opération Serval sur le
plan symbolique de la dette de sang a eu l’avantage de rappeler ces liens
spécifiques liés à une histoire partagée, mais aussi de placer le Mali et la France
dans une relation d’égal à égal. L’étape suivante aurait pu consister à déclarer que
cette intervention avait aussi à voir avec la défense des intérêts français, dans
l’Hexagone comme sur le continent.
Fini la « Grande famille » des chefs d’Etat africains, le village franco‐
africain, le conseil de famille, le rôle de grand frère, l’évocation de modes de
relations considérées comme acquises, pour privilégier dans le discours comme
dans les actes des relations d’égal à égal.
Au‐delà du contexte spécifique de l’opération malienne, l’évocation du
passé ou de la dette de sang ne pourra éternellement servir de viatique dans une
Afrique qui entre de plein fouet dans la mondialisation, les yeux rivés sur un avenir
qu’elle pressent comme meilleur.
Il nous faut reconnaître que la France n’est qu’un partenaire parmi
d’autres qui, comme les autres, a des intérêts et agit en conséquence.
Comme nous l’a dit un ambassadeur lors de nos déplacements « Les
Africains sont lassés des grands discours moralisateurs et de l’« empathie »
française envers le continent ; ils préfèrent que la France, comme les autres
puissances, affiche clairement ses intérêts et traite avec eux comme avec n’importe
quel autre interlocuteur dans le monde ».
Parfois habités par le paternalisme, les acteurs français sous‐estiment
généralement l’instrumentalisation dont ils peuvent faire l’objet de la part
d’interlocuteurs africains les connaissant mieux qu’ils ne le croient. Sans doute
faut‐il clairement renoncer à la tentation de se substituer à des décisions qui ne
CHAPITRE 4 : - 395 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
nous appartiennent pas, renoncer à vouloir par trop influencer des trajectoires qui
ne sont pas les nôtres.
C’est‐à‐dire abandonner toute ingérence ancienne manière avec la
« politique du béret rouge », mais également nouvelle manière, avec son lot de
conditionnalités démocratiques, financières et, plus récemment,
environnementales.
Il reste que nos moyens nous obligent. On l’a vu au Mali, où la France a
pesé de tout son poids pour imposer le calendrier des élections et les bases d’un
accord avec les Touaregs. On le voit en Centrafrique où renoncer à intervenir, c’est
accepter des exactions qui mettent en danger de nombreuses vies dont celle des
expatriés français, mais aussi mettre les pays riverains et les organisations
régionales devant leurs responsabilités.
Renoncer à l’ingérence mais pas à nos valeurs : c’est l’équilibre à trouver.
La France ne peut pas dépenser plusieurs milliards dans sa coopération civile et
militaire sans par ailleurs avoir quelque espoir d’influencer nos partenaires dans le
sens de la démocratie, des droits de l’homme ou de l’adoption de modes de
développement durable et inclusif.
L’idée est d’abord de tirer les enseignements des printemps arabes pour
entretenir un lien fort non seulement avec les Etats mais également avec les
sociétés elles‐mêmes.
Elle est ensuite de signifier que les pays africains ne sont pas pour la
France seulement des réservoirs de matières premières et un marché pour nos
entreprises, mais également des partenaires dont le développement harmonieux
constitue un objectif partagé.
Autrement dit, prendre appui sur notre tradition républicaine et notre
engagement en faveur de l’aide au développement et des biens publics mondiaux
pour promouvoir une vision du développement de l’Afrique conforme à nos valeurs
comme à nos intérêts et qui nous distinguerait de certains pays émergents.
Renoncer à l’ingérence mais pas à notre expertise, qu’il convient de
valoriser et même de rentabiliser.
Il y a des domaines et des pays en Afrique qui ont suffisamment de
ressources pour que nous puissions « vendre » notre expertise, faire valoir notre
savoir‐faire. De ce point de vue, il faut en finir avec une posture dominée par
l’obligation d’assistance et ajuster notre positionnement à chaque contexte.
Il y a en Afrique un marché de l’expertise sur lequel la France doit mieux
se positionner en mettant en ordre de bataille ses opérateurs publics.
Le point commun de ces approches est d’essayer de développer un
narratif plus juste des liens unissant la France à l’Afrique.
Plutôt que de définir la relation d'abord comme un héritage du passé
colonial, il faut la caractériser autant que possible en fonction des paramètres qui
la façonnent aujourd'hui en insistant sur le fait que la France est liée à l'Afrique :
- 396 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
‐ parce que des millions de Français sont d'origine africaine, ou vivent ou
ont vécu en Afrique ;
‐ parce que la France a des intérêts économiques et stratégiques en
Afrique et qu'elle regarde ce continent en essor comme un réservoir de
croissance ;
‐ parce que l'Afrique, notamment l'Afrique de l'Ouest, représente un
enjeu pour la sécurité nationale de la France (trafic de personnes, trafic de
drogue, terrorisme...) ;
‐ parce que la France est garante de la stabilité monétaire des quinze
Etats africains appartenant à la zone franc ;
‐ parce que nous avons un intérêt partagé à un développement durable
et harmonieux de l’Afrique.
Dans le domaine de la sécurité, plutôt que des discours vertueux sur la
responsabilité française vis‐à‐vis de l’Afrique, mieux vaudrait dire haut et fort que
la France, comme toute puissance, a des intérêts sur le continent et qu’elle est
prête à les défendre quand ils sont menacés.
Dans le même temps, il convient de rééquilibrer un discours dominé par
la peur du terrorisme ou de l’immigration.
Si le regard sur l’Afrique tend à évoluer positivement, on continue
néanmoins, dans certains cercles, à voir le continent avant tout comme une
menace plus qu’une opportunité.
L’Afrique n’est pas pour la France qu’une question de sécurité.
La politique africaine ne saurait se réduire à la coopération militaire ou à
la prévention de l’immigration illégale.
Notre discours sur l’Afrique doit faire sa part à l’Afrique qui décolle.
Nous en avons décrit ici les nombreux enjeux politiques, économiques,
commerciaux, environnementaux et culturels.
La France doit y défendre ses atouts et ses intérêts sans complexe.
C’est d’ailleurs ce qu’attendent nos interlocuteurs africains.
La démarche des pays émergents proposant un partenariat
gagnant/gagnant devrait nous inspirer.
C’est un gage de modernité, conforme aux nouvelles relations que le
continent entretient désormais avec le reste du monde. Il faut s’émanciper le plus
possible du passé pour parler de l’avenir d’un continent jeune avec lequel nous
voulons compter, notamment du point de vue économique.
Au regard des enjeux, il est temps de se départir des préventions
postcoloniales et d’assumer le fait que l’Afrique n’est pas seulement partie
prenante de notre histoire, mais aussi un élément clé de notre avenir.
CHAPITRE 4 : - 397 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
Assumer nos intérêts, s’orienter vers l’avenir, miser sur notre expertise de
l’Afrique : voilà les orientations que nous proposons pour structurer un nouveau
récit sur notre relation à l’Afrique.
1) Définir la relation de la France aux pays africains d'abord en fonction de nos
intérêts partagés : des millions de Français qui sont d'origine africaine, ou vivent ou ont
vécu en Afrique; des intérêts économiques et stratégiques, un enjeu pour la sécurité de
la France comme de l’Afrique
2) Se départir des préventions postcoloniales et assumer le fait que l’Afrique
n’est pas seulement partie prenante de notre histoire, mais aussi un élément clé de
notre avenir.
C. DÉFINIR UNE STRATÉGIE AMBITIEUSE ET COHÉRENTE
L’intérêt de définir une stratégie africaine de la France est dans le résultat
autant que dans la méthode.
Faire travailler ensemble les différents départements ministériels, le Quai
d’Orsay, sa direction politique en charge de l’Afrique, mais aussi la DGM et la
nouvelle direction en charge des entreprises, la défense, la coopération, les
finances, les opérateurs de l’Etat, l’AFD, l’Institut français, l’AEFE, l’Alliance
française, France expertise internationale, ADETEF, le CIAN, le Medef international,
les entreprises présentes en Afrique, les ONG sur la présence de la France en
Afrique et notre politique africaine : voilà qui permettrait de dépasser les clivages
administratifs, les frontières idéologiques pour analyser comment la France peut
orienter sa politique dans cette Afrique en mouvement.
Plusieurs formules étaient envisageables pour créer cette synergie.
L’unité du pilotage de la politique africaine, longtemps représentée par le
Secrétariat général pour les affaires africaines et malgaches, qui couvrait
l’ensemble des secteurs au service d’une politique africaine unifiée tant dans ses
objectifs que dans ses moyens, a laissé place à une fragmentation des centres de
décision dont on mesure les inconvénients en termes de cohérence.
Cette formule est d’un autre temps, elle avait elle aussi ses inconvénients
et notamment l’existence d’une politique parallèle à celle définie par chaque
ministère qui faisait de l’Afrique un domaine réservé pour le meilleur et pour le
pire. Elle a sans doute favorisé les dérives que l’on a dénoncées. Il reste que sa
disparition a laissé une faille dans le dispositif. En dehors de réunions techniques, il
n’y a plus véritablement de lieu où les différents acteurs réfléchissent à leurs
intérêts communs et aux synergies qu’ils peuvent dégager.
Pour ce qui est de formuler une stratégie définie en commun par
l’ensemble des acteurs : la formule du Livre blanc à la manière du Livre blanc sur la
défense et la sécurité semblerait la plus adaptée. Il n’est pas nécessaire de créer
une structure pérenne. En revanche, il faut pouvoir associer des responsables de
haut niveau représentant l’ensemble du spectre des institutions intervenant en
Afrique.
- 398 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
La Commission du Livre blanc sur la politique africaine pourrait comporter
une quarantaine de membres représentant le Parlement, les administrations, les
opérateurs, les ONG et des personnalités qualifiées françaises et étrangères et
notamment africaines.
Présidée par une personnalité incontestée dotée d’une lettre de mission
du Président de la République, cette commission du Livre blanc sur l’Afrique
pourrait bénéficier des réflexions des groupes de travail thématiques qu’elle aurait
constitués pour démultiplier son action et étendre le champ des personnalités
entendues.
Elle permettrait à chacun des acteurs de s’approprier une stratégie
collective et de procéder à des choix autres que sur le seul critère budgétaire.
L’exercice devrait également permettre à chacun de comprendre les
préoccupations des autres intervenants et de s’approprier des objectifs communs
au‐delà des différences légitimes entre, par exemple, militaires et ONG, coopérants
et industriels, universitaires et diplomates.
Il devrait pouvoir déboucher sur un débat large qui puisse avoir un
retentissement médiatique et politique avec un débat au Parlement.
Sur le fond, il ne s’agit pas de définir une ligne politique unique pour
l’ensemble du continent, mais une stratégie adaptée à un objet lui‐même
complexe : l’Afrique est plurielle et notre politique doit l’être aussi. Il ne peut plus y
avoir une politique africaine de la France, mais des politiques de la France en
Afrique.
Notre stratégie doit être modulée en fonction de nos avantages
comparatifs et des enjeux spécifiques à chaque région, voire à chaque Etat
partenaire. Certains Etats sont de meilleurs partenaires en bilatéral qu’en tant que
membres d’une organisation régionale ; certaines organisations régionales
fonctionnent, d’autres ne sont pas mûres ; l’Union Africaine est performante sur
certains sujets, moins sur d’autres.
Il semble évident que l’Afrique de l’Ouest va continuer de constituer, dans
les années à venir, une zone d’attention cruciale pour notre diplomatie, notre
appareil de défense et nos entreprises. Parce que le centre de gravité des crises,
hier plus proche de l’équateur, s’en est rapproché, mais aussi en raison des liens
interpersonnels forts reliant nombre de nos concitoyens à cette région.
Il faut en prendre acte et placer la sous‐région Afrique de l’Ouest au cœur
d’une stratégie assumée et énoncée à l’égard du continent.
Cette priorité à l’Afrique de l’Ouest devrait s’accompagner d’un
investissement résolu, centré sur l’économie, en direction des pays dynamiques des
régions non francophones (Afrique du Sud, Nigeria, Kenya, Botswana, Ethiopie,
Angola, Mozambique).
Une stratégie africaine devrait pouvoir articuler cette fidélité à l’Afrique
francophone et cette ouverture à l’Afrique anglophone.
CHAPITRE 4 : - 399 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
Elle devrait également penser les évolutions de l’Afrique de l’Ouest avec
celles de l’Afrique du Nord.
De ce point de vue, il faudra penser notre relation à l’Afrique au‐delà du
clivage entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne. La question du Sahel a montré
les limites de cette démarche. Les dynamiques politique, économique, voire
religieuse vont dans le sens d’une interpénétration grandissante du Nord et du Sud
du continent.
3) Etablir une stratégie africaine de la France sous la forme d’un Livre Blanc sur
l’Afrique en associant des membres représentant le Parlement, les administrations, les
opérateurs, les ONG intervenant en Afrique et des personnalités qualifiées françaises,
étrangères et notamment africaines.
D. S’EMANCIPER DU PASSÉ
La relation franco‐africaine reste lestée du poids d'un passé mal assumé.
Le rejet dont la France est parfois l'objet, notamment dans les couches les
plus jeunes de la population africaine, tire argument de sa responsabilité dans les
pages les plus sombres de l'histoire de l'Afrique : l'esclavage qui l'a saignée de ses
forces vives alors qu'elle constituait encore un continent sous‐peuplé, la
colonisation qui marqua son entrée traumatisante dans la modernité tout en
l'enserrant dans des frontières qu'elle n'avait pas choisies, la décolonisation dont
on néglige qu'elle fut, en Afrique subsaharienne, émaillée de massacres aujourd'hui
«oubliés» (Madagascar 1947, Cameroun 1955, Algérie…).
Dans notre pays même, le passé colonial et post‐colonial a du mal à
passer.
Le thème resurgit régulièrement dans l'espace public, provoquant
scandales et controverses, signe de la profondeur du malaise attaché à la relation à
l'Afrique dans notre pays. Celui‐ci tire sa source d'une difficulté à regarder en face
l'histoire coloniale et des relations qui se sont tissées dans la décolonisation avec
les anciennes colonies d'Afrique subsaharienne et du Maghreb.
Cette histoire est peu et mal connue dans la société française. Certains
événements douloureux, dans lesquels notre pays n'a pas eu le beau rôle, font
encore débat et ne sont pas entrés dans l'histoire « officielle », si tant est que ce
terme ait un sens.
Ce passé alimente à la fois une certaine culpabilité, notamment chez les
progressistes, et quantité de fantasmes et de caricatures. Il a forgé, dans les
représentations collectives, des images extrêmement fortes et réductrices, qui ont
tendance à symboliser pour nos compatriotes la réalité africaine, comme celle du
monarque africain, autocrate corrompu et richissime, celle des affaires politico‐
financières (Elf, « angolagate »), ou celle du l'aide détournée (« Carrefour du
développement », « éléphants blancs »).
- 400 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Face à cette histoire refoulée et à ces images médiatiques, le système
politique français peine à énoncer, vis‐à‐vis de l'ancien espace colonial, un discours
et des pratiques permettant de concilier les valeurs universelles que nous portons,
la défense de nos intérêts et l'héritage de cette histoire.
La coopération est devenue depuis longtemps, aux yeux de l'opinion et
d'une grande partie des élites, un des principaux symboles de cette histoire. Une
partie de ses dysfonctionnements trouvent d'ailleurs leur origine dans ce malaise
africain, porté par les décideurs ou les acteurs de la coopération eux‐mêmes : la
préférence pour le multilatéral supposé neutre et légitime, face à un bilatéral
« corrupteur» ; l'obsession de notre aide à l'Afrique, érigée en vache sacrée, sans
savoir bien souvent de quelle Afrique on veut parler.
Une telle assimilation coopération‐« Françafrique » était sans doute
excessive il y a vingt ans. Elle est, à présent, largement anachronique, tant les
pratiques ont évolué.
Pourtant elle reste très présente. Et elle viendra immanquablement
s'inscrire en toile de fond d’une relance de la politique africaine que nous
souhaitons.
C'est pourquoi il convient de régler ces contentieux, qui empoisonnent la
relation et solder le passé par une mise en récit commune de cette histoire
partagée.
Pour cela, toutes les initiatives qui peuvent déboucher sur des regards
croisés sur l’esclavage, la colonisation et la période post‐coloniale sont à
promouvoir : livre d’histoire franco‐africain écrit à deux mains, initiatives
collectives franco‐africaines, etc.
Pour ce faire, nous proposons de créer un programme de soutien aux
travaux de recherche franco‐africains abondés par des crédits de l’ensemble des
ministères concernés (affaires étrangères, éducation nationale, recherche,
défense).
Il s’agirait de promouvoir le travail d’équipes mixtes franco‐africaines sur
l’histoire commune.
Ce programme « pour une écriture franco‐africaine d’une histoire
partagée » devrait être complété par une plus large ouverture des archives sur la
période coloniale. La remise récente des archives sur le massacre de Thiaroye va
dans ce sens1. Ce geste doit être renouvelé pour l’ensemble des épisodes suscitant
encore des débats et où des travaux scientifiques sont susceptibles d’apaiser les
mémoires.
Ce fonds pourrait également être ouvert à des ouvrages sur la période
contemporaine mettant l’accent sur les relations franco‐africaines.
4) Créer un programme « pour une écriture franco‐africaine d’une histoire
partagée » pour promouvoir le travail d’équipes mixtes franco‐africaines sur l’étude de
notre histoire commune.
5) Poursuivre l’ouverture des archives sur la période coloniale.
E. RESTRUCTURER LE PILOTAGE DE LA POLITIQUE AFRICAINE
La définition d’une stratégie africaine à travers un Livre blanc ne suffira
pas à impulser dans la gestion quotidienne une meilleure coordination des
différents acteurs de la politique africaine.
Dans le même temps, loin de nous l’idée de créer un ministère de
l’Afrique. Cela n’aurait pas de sens : la mondialisation conduit l’Afrique a être un
des acteurs de problématiques plus larges, aussi bien en matière de changement
climatique que de commerce international ou de culture.
De ce point de vue, l’intégration de l’ancien ministère de la coopération,
presque exclusivement consacré à l’Afrique, au sein du ministère des affaires
étrangères, a anticipé sur la montée en puissance des problématiques liées à la
mondialisation qui concernent aussi bien les pays d’Afrique que les émergents
d’Asie. L’implication croissante de ces derniers en Afrique renforce encore l’idée
que les questions de développement international doivent être traitées de façon
globale.
En revanche, il est souhaitable qu’il y ait plus de cohésion, notamment
dans certains domaines comme la conduite de notre coopération au
développement et la gestion de notre coopération dans les Etats fragiles ou en
sortie de crise, où sont intimement associées des problématiques de
développement et de sécurité.
1. Pour un ministère de la coopération international de plein exercice
Le groupe de travail a fait le constat qu’en dépit des efforts déployés
depuis 1998, le pilotage de la coopération dans son ensemble doit encore être
amélioré, ainsi que de nombreux observateurs l’ont relevéi.
Si la réforme de 1998 a conduit à la rationalisation administrative de l’aide
autour de deux grands pôles, l’un diplomatique, issu de l’absorption du secrétariat
d’Etat à la coopération par le ministère des affaires étrangères (MAE), et l’autre,
financier, centré sur le ministère de l’économie et des finances (MEF), elle a surtout
conforté le rôle de l’AFD qui est devenue l’« opérateur pivot » de l’aide française.
Depuis lors, les transferts successifs de compétences ont conduit l’AFD à
prendre en charge la gestion de plus de 80 % des moyens de l’aide programmable
mise en œuvre par les canaux bilatéraux.
- 402 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Or en dépit des réformes, le dispositif institutionnel est encore composé
de nombreuses structures qui créent des doublons et appellent nécessairement de
multiples mécanismes de coordination.
D’une part, les coûts de transaction résultant de la nécessaire
coordination entre les deux ministères pilotes sont élevés ; et, d’autre part, le
système demeure complexe et fragmenté : outre le ministère des affaires
étrangères et le ministère des finances, neuf autres ministères interviennent dans
la coopération, certains pour des montants très significatifs (notamment le
ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche), ainsi que huit
opérateurs spécialisés ‐ peu d’entre eux étant dédiés exclusivement à cette
mission.
Au ministère de l’économie et des finances, la direction générale du Trésor
est responsable de la gestion des contributions françaises auprès de la Banque
mondiale, du FMI et des banques régionales de développement (BAD, BAsD, BID) et
est en relation directe avec les administrateurs représentant la France auprès de
ces institutions.
Les contributions françaises auprès des institutions de l’Union européenne
et du système des Nations unies sont gérées par les services du ministère des
affaires étrangères.
Cette division dans la gestion des crédits français d’aide multilatérale
contribue dans les faits à la concurrence entre organisations de Bretton Woods et
organisations onusiennes alors que la France, actionnaire des deux, pourrait peser
en faveur d’une plus grande cohérence de leurs actions.
Le ministère de l’économie et des finances gère également les
financements d’appuis budgétaires (leur instruction est toutefois menée de
manière conjointe par la direction générale du Trésor, la direction général de la
mondialisation du Ministère des affaires étrangères et avec l’appui de l’AFD), les
remises et allègements de dettes (Club de Paris) ainsi que l’instruction et la mise en
œuvre des Contrats de de désendettement et de développement (C2D).
Sur ces différents points, au sein de la direction générale du Trésor, les
conseillers financiers régionaux entretiennent des relations très suivies avec les
Services de coopération et d’action culturelle (SCAC) et les agences de l’AFD.
D’un point de vue budgétaire, l’éclatement de l’action de l’Etat en matière
de coopération se traduit par une multiplication des programmes et des lignes
budgétaires dont l’architecture répond plus à une logique historique et
bureaucratique qu’à une logique de gestion.
D'un point de vue opérationnel, la complexité du pilotage de la politique
de coopération française implique des délais de concertation qui peuvent être
importants. Cette concertation ne permet pas toujours de surmonter les
divergences et impose donc le recours fréquent à des arbitrages du Premier
ministre, voire du Président de la République.
CHAPITRE 4 : - 403 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
Chaque réforme, même minime, donne lieu à des négociations complexes
au sein du ministère des affaires étrangères puis entre le ministère des affaires
étrangères et le ministère des finances.
Ainsi, malgré des réformes successives, le dispositif institutionnel reste
marqué par certains héritages de l’histoire : le rôle hypertrophié de la Présidence
de la République et surtout une concurrence nocive entre les deux ministères les
plus concernés par cette politique, ceux de l’économie et des affaires étrangères.
Le dispositif institutionnel ne permet pas de porter cette politique de
manière globale et cohérente : le secrétaire d’Etat ou ministre délégué chargé du
développement, placé auprès du ministre des affaires étrangères, a bien du mal,
par construction, à jouer le rôle d’animation et de coordination interministérielle
qui lui est en théorie assigné, coincé entre un ministre de plein exercice qui exerce
les arbitrages internes au Quai d’Orsay, et le ministre de l’économie qui tient les
cordons de la bourse.
Deux ministres puissants qui, de par leur mission, répondent à des
fonctions d’objectifs différentes de celles de la Coopération : un prisme
essentiellement monétaire et financier ou commercial à Bercy, un prisme avant
tout diplomatique et d’influence au Quai d’Orsay.
Quelles que soient la majorité et la bonne volonté du ministre en charge
du dossier, la priorité gouvernementale semble ailleurs. Cela se traduit
concrètement aussi bien dans les agendas des ministres, souvent accaparés par
d’autres missions, que dans les arbitrages budgétaires.
Depuis que la Coopération lui a été rattachée en 1998, le ministère des
affaires étrangères a ainsi globalement démontré une grande difficulté à défendre
les moyens de l’APD, en particulier dans le contexte d’arbitrages avec d’autres
moyens du Quai, de son réseau ou de ses politiques.
Pour sa part, le ministère de l’économie est, par construction, plus
mobilisé par les moyens nécessaires pour les activités dont il a la charge directe en
faveur des banques de développement et, au plan bilatéral, par les activités de prêt
qui figurent à son budget que par les dons pour les projets dans les pays les plus
pauvres ou pour l’assistance technique qui figurent au budget du ministère des
affaires étrangères. Le choix des instruments n’est, dès lors, plus guidé par les
objectifs visés ou les besoins de nos partenaires, mais par le poids respectif de
chaque ministre de part et d’autre de la Seine.
Ce déséquilibre institutionnel conduit à une absence de vision globale et
réduit la cohérence des choix et des arbitrages.
C’est particulièrement vrai pour ce qui concerne le partage des moyens
entre les canaux bi et multilatéraux et, au sein de l’aide multilatérale, entre
banques multilatérales, organismes des Nations unies et instruments
communautaires. Mais cela l’est également pour des dossiers comme la promotion
de l’expertise technique française : en dépit de très nombreux rapports
- 404 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
parlementaires et administratifs dénonçant la faible performance de la situation
actuelle, la situation n’évolue pas.
Comme le souligne l’OCDE en 2013 dans la revue par les pairs de la
coopération française, après la Cour des comptes en 2011 et le Cabinet Ernst and
young en 2012 : « Le dispositif institutionnel demeure complexe et génère des coûts
de transaction élevés. Les efforts en termes de pilotage et de rationalisation
devront donc être poursuivis ».
Ce constat amène le groupe de travail à proposer de mener à terme la
rationalisation du dispositif institutionnel engagé en 1998, dans une logique de
cohérence et d’efficacité, de créer un ministère de la coopération internationale de
plein exercice, doté d’une administration propre rassemblant les services
aujourd’hui chargés du développement, comme c’est le cas en Grande‐Bretagne ou
en Allemagne.
Cette proposition sera détaillée dans la partie consacrée à la coopération
au développement.
6) Créer un ministère de la coopération internationale de plein exercice
rassemblant le ministère des affaires étrangères et le ministère des finances.
2. Pour une meilleure prise en compte de la dimension régionale
Nous avons fait le constat dans le premier chapitre que les problématiques
de sécurité et de croissance de la majorité des pays africains se posaient à une
échelle régionale.
C’est le cas des zones de conflits au Sahel, dans la Corne de l’Afrique et
dans la région des Grands Lacs, c’est le cas en matière d’infrastructures de
transports, d’énergie, c’est le cas en matière de commerce avec la création
d’espaces économiques communs.
L'approche régionale, aujourd'hui notoirement négligée par nos
partenaires africains, aiderait à réduire les failles de la gouvernance économique.
C'est également vrai dans la lutte contre les trafics qui se jouent des
frontières dans l'espace ouest‐africain et sahélo‐saharien et dans l'exploitation
rationnelle des ressources naturelles, agricoles et minières, qui exige notamment la
réalisation d'infrastructures de transports et d'énergie communes.
Or l’organisation de la relation avec l’Afrique est, en France, encore
presque exclusivement bilatérale, comme en témoignent les difficultées à produire
collectivement une stratégie pour le Sahel ou pour le Lac Tchad.
D’une part, nous investissons très peu les organisations continentales ou
régionales en dehors des financements qui transitent par l’Union européenne.
D’autre part, nous ne structurons pas notre action par région, ni en
matière de sécurité, où les bases prépositionnées ou les point d’appui des OPEX ne
sont pas pas véritablement organisés par niveau régional, ni dans le réseau
diplomatique où il n’y a pas de struturation regionale des ambassades, ni au niveau
CHAPITRE 4 : - 405 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
de la coopération, même si l’AFD pratique depuis longtemps des projets à l’échelle
régionale.
Les deux aspects sont en partie liés dans la mesure où la France ne
consacre que peu de moyens aux institutions régionales. Ces questions sont suivies
par les services de l’ambassade du pays de résidence de l’organisation régionale
sans qu’ils bénéficient de moyens supplémentaires. C’est le cas à Addis Abbeba où
l’ambassade de France en Ethiopie ne peut consacrer qu’un agent au suivi de
l’Union Africaine.
La question n’est pas seulement l’investissement mis dans le suivi et la
coopération dans les instances régionales, au demeurant trop faible, mais la prise
en compte de la dimension régionale dans la gestion quotidienne de nos relations
avec les pays africains.
C’est pourquoi, nous proposons de désigner dans chaque région une
ambassade chef de file pour coordonner les réflexions et les actions qui ont des
implications régionales.
Ces ambassades devraient être désignées en fonction du caractère central
du pays de résidence et du siège de l’organisation régionale dominante.
De même, concernant les points d’appui et les bases militaires françaises,
dans chacune des zones, une base devrait être désignée comme chef de file,
notamment dans la coopération avec les organisations régionales qui participent à
la formation des forces africaines en attente. Dans le domaine militaire, cette
structuration aurait le mérite de prendre en considération le projet d’architecture
de sécurité africaine et de légitimer notre présence par cet arrimage.
Une structuration régionale de notre dispositif civil et militaire
permettrait, sans remettre en cause les relations bilatérales dont le rôle reste
essentiel, de mieux identifier les sujets qui méritent un traitement plus régional.
Cet effort de réorganisation devrait se fonder sur une analyse des risques
et des opportunités entre les ambassades et des services centraux concernés et
devrait se traduire par la mise à jour régulière de «stratégies‐régions» validées au
niveau interministériel.
Actuellement, ambassadeurs et services d’une même région se parlent. Il y
a une réunion annuelle des ambassadeurs sous‐région par sous‐région, chaque
année dans un pays différent. Mais l’institutionalisation de ce dialogue et la
possibilité de faire des choix en définissant des priorités et des moyens à l’échelle
régionale permettrait, dans un contexte de contrainte budgétaire forte, d’allier une
plus grande adéquation aux évolutions locales avec une rationalisation des moyens
qui s’imposera de toute façon.
En ce qui concerne l’universalité du réseau, il faut par ailleurs ne
s’interdire aucune hypothèse, notamment étudier celle de mutualiser des moyens
avec certains partenaires européens – dont l’Allemagne, voire de déléguer notre
représentation à l’Union européenne. Le principe d’ambassades communes
pourrait être testé dans certains pays d’Afrique comme la Namibie ou le Botswana.
- 406 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Ca ne voudrait pas dire réduire nos moyens, mais au contraire les accroitre en les
mutualisant. Cela mènerait logiquement à une politique commune d’aide au
commerce extérieur, et donc à des joint‐ventures franco‐allemandes – ce dont
nous avons besoin pour être à la hauteur des enjeux d’un point de vue
volumétrique.
7) Instaurer une structuration régionale de notre dispositif diplomatique avec
la nomination d’ambassades chefs de file régionaux et la mise à jour régulière de
«stratégies‐régions» validées au niveau interministériel.
8) Etudier la possibilité dans certains pays de mutualiser notre dispositif
diplomatique avec certains partenaires européens ou avec l’Union européenne avec la
constitution d’ambassades communes.
3. Pour une approche globale dans la gestion des Etats fragiles
Le troisième point sur lequel le pilotage de la politique africaine mérite
d’être amélioré est la gestion de notre coopération dans les Etats fragiles, en crise
comme la Somalie, en sortie de crise comme le Mali, peut‐être un jour la RCA, ou
en difficulté comme le Tchad ou Madagascar. Ces pays se distinguent à de
nombreux égards du groupe des pays de l’ « Afrique qui gagne ».
Dans un certain nombre d’entre eux, notre présence se traduit par de
multiples coopérations civiles et militaires qui devraient être complémentaires et
cohérentes. Dans certains pays nous avons été présents avant le surgissement
d’une crise sans arriver à l’anticiper et à la prévenir.
Sans se faire d’illusion sur notre capacité à maîtriser des évolutions qui
nous échappent très largement, les guerre du Rwanda, de Côte d’Ivoire ou du Mali
mènent à penser que la France a un intérêt manifeste à contribuer à prévenir
l’escalade de la violence armée.
Sans même considérer le coût humain, les dommages physiques et
psychologiques de long terme, le retard pris termes de développement pour les
pays concernés, les coûts financiers des opérations de stabilisation, de maintien de
la paix et des interventions de reconstruction post‐conflit pour les pays partenaires
que nous sommes, sont extrêmement élevés, pour des résultats qui restent
fragiles. Car il est toujours plus long et difficile de panser les plaies après que le
sang a coulé. Les difficultées rencontrées par les processus de réconcilation et de
désarmement montrent combien la spirale de la violence est difficile à éteindre.
Une intense production intellectuelle existe sur la coopération militaire et
civile dans des situations de fragilité en France et dans le monde, notamment dans
les organisations internationales, aussi bien à l’ONU, à l’OTAN qu’à la Banque
Mondiale, mais d’un point de vue opérationnel, la France, elle, n’a pas tiré
beaucoup d’enseignements de cette réflexion.
Certes, la France participe activement aux forums internationaux portant
sur les situations de fragilité, dont le Réseau international sur les situations de
conflit et de fragilité et le Dialogue international sur la construction de la paix et le
CHAPITRE 4 : - 407 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
renforcement de l’État. Elle pilote l’initiative en République centrafricaine. Sur un
plan interne, elle a publié en 2007 une stratégie sur les États fragiles, qui est en
cours d’actualisation, de même qu’une stratégie sur la réduction de la violence
armée sur la base d’un travail interministériel associant le monde de la recherche. Il
serait utile qu’elle traduise ces stratégies en plans d’action et outils concrets et
réalistes.
Mais, comme le souligne la dernière évaluation de la coopération
française par l’OCDE, « la France n’a pas encore adopté d’approche cohérente pour
les situations de sortie de crise. Jusqu’à présent, elle n’a pas non plus mis en place
de mécanisme efficace de coordination pour faire le lien entre les programmes
humanitaires et les programmes de développement. ». Un problème qui se pose,
d’ailleurs, en France comme au sein de l’Union européenne.
La nature du dispositif français, qui est éclaté entre diverses institutions,
rend plus difficile cette coordination. Cette situation se retrouve dans l’absence de
lien entre l’action militaire, humanitaire, la prévention des crises et la réduction
des risques, même si des initiatives ont été prises dans le domaine de la sécurité
alimentaire, et plus récemment pour favoriser la résilience dans les pays du Sahel
Contrairement à la Grande‐Bretagne pour laquelle le lien entre les
questions de développement et de sécurité est au cœur de sa stratégie, en France
l’approche globale de ces questions est restée encore très conceptuelle. La Grande‐
Bretagne a mis en place des task forces interministérielle associant le ministère de
la défense et l’armée (''the MoD and the armed forces''), le ministère des affaires
étrangères (''Foreign and Commonwealth office – FCO'') et le département pour le
développement international (Department for international development –DFID).
Aujourd’hui, une coordination accrue est nécessaire dans le cadre d’une
approche globale interministérielle et multilatérale, afin d’optimiser l’emploi de
moyens comptés que nous utilisons dans les pays fragiles d’Afrique.
Le Livre blanc de 2008 avait déjà fait ce constat et, en 2009, a été élaborée
une stratégie interministérielle de gestion civilo‐militaire des crises extérieures,
dont le pilotage relève du ministère des affaires étrangères.
Une structure en charge de la mise en place de réponses globales aux
crises a été constituée avec un comité de pilotage qui se réunit à un haut niveau
trois fois par an et une Task Force, qui est sa cheville ouvrière, placée sous une
double tutelle, celle de la direction politique et celle du centre de crise du
ministère des affaires étrangères.
N’ayant bénéficié que de peu de moyens, elle peine à jouer un rôle
d’animation interministérielle ainsi qu’un rôle de planification stratégique,
pourtant nécessaires à la cohérence des interventions en amont, durant et en aval
des crises.
Or une capacité crédible de prévention et de gestion civilo‐militaire des
crises s’impose.
- 408 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Le dispositif français doit être revu à partir d’un bilan de ses forces et
faiblesses et d’une analyse des dispositifs existants chez certains de nos
partenaires et auprès d’autres structures comme le SGDSN. Celle‐ci pourrait être
menée conjointement par les ministères concernés, dans le cadre d’une mission
de Modernisation de l’Action Publique.
L’expérience des crises récentes a montré que nos capacités civiles, dans
les actions de prévention comme dans la reconstruction/stabilisation après un
conflit, sont encore insuffisantes, faute, notamment, d’avoir pu créer les conditions
permettant la mobilisation efficace et coordonnée des ministères compétents.
Il convient par conséquent de relancer la stratégie interministérielle. La
politique de prévention de la France a pour objectif d’éviter l’apparition de foyers
de crise, notamment dans notre environnement proche. La coopération de défense
et de sécurité, l’assistance opérationnelle à des armées étrangères ainsi que notre
dispositif prépositionné constituent autant d’outils qui doivent contribuer à la
cohérence de notre politique en matière de prévention et de coopération au
développement.
Si, malgré ces efforts de prévention, la France est appelée à participer à
une opération de gestion de crise, les forces d’intervention doivent être, au plus
tôt, complétées par le déploiement de capacités civiles spécialisées.
Une structure de haut niveau associant étroitement les différents
départements ministériels compétents doit pouvoir être mobilisée pour gérer de
façon coordonnée des situations d’après conflit comme la Côte d’ivoire, la Libye ou
le Mali.
Les modalités de la mise en oeuvre de cette approche globale dans la
gestion des crises devraient être anticipées et planifiées au plus tôt et, si possible,
en amont de toute intervention.
Il convient par ailleurs de faire travailler ensemble tous les acteurs
concernés en remettant en place le « cycle des acteurs français du post‐crise » qui
avait un temps existé, financé par la DAS, le MAE et l’AFD. Ce cycle a été très
important pour rapprocher les cultures professionnelles et disposer d’une
compréhension commune des enjeux et besoins.
La définition préalable des stratégies post‐crise et la mobilisation des
ressources humaines et matérielles correspondantes demandent une coordination
rigoureuse aux niveaux interministériel et multilatéral, qui doit pouvoir s’appuyer
sur une organisation et des procédures éprouvées.
C’est pourquoi nous proposons la mise en place d’une procédure de
mobilisation de structures de réponse rapide aux crises composées de personnels
mis à disposition représentant les différents départements ministériels
compétents.
Ces structures légères et réactives resteront en activité tout au long de la
période critique. Cette approche globale interministérielle doit se traduire, sur le
théâtre de la crise, par une délégation et un partage clair des responsabilités afin
d’assurer la cohérence de l’action au contact des réalités du terrain.
CHAPITRE 4 : - 409 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
Le renforcement de l’action civile sur le terrain passe surtout par une
mobilisation rapide des expertises civiles, notamment dans les spécialités critiques
(sécurité publique, douanes, administration publique, magistrature, génie civil,
etc.).
Une démarche volontariste valorisant dans la fonction publique les
parcours internationaux devrait permettre de disposer des capacités civiles à la
hauteur de nos ambitions. Le vivier d’experts volontaires pouvant être sollicités
doit ainsi être consolidé, élargi et régulièrement actualisé en coordination avec les
administrations et les opérateurs spécialisés (France‐Expertise Internationale,
CIVIPOL, etc.).
9) De mettre en place une cellule de haut niveau en charge de la gestion civilo‐
militaire des situations de crise afin d’assurer une véritable coordination entre les
responsables du développement et de la sécurité là où la France est présente. Cette
cellule aura pour fonction de coordonner les actions de prévention des crises ou de
gestion des situations post‐crises afin de favoriser le rétablissement des services publics
et privés essentiels au fonctionnement normal d’un pays.
4. Une politique qui doit s’adapter à l’ère du multimédia
En matière d’influence et de promotion culturelle comme dans d’autres
domaines, il faut s’interroger en Afrique comme ailleurs sur le lien automatique
entre la présence physique et l’influence. Outre qu'il est contestable sur le plan de
la méthode, il n'est plus financièrement tenable. Pour repenser ce lien entre
présence et influence, au moins trois voies peuvent être explorées.
La première consiste à rationaliser le dispositif en Afrique, dans une
démarche classique d'ajustement, à la recherche d'une meilleure efficacité et d’une
plus grande cohérence entre les objectifs et les moyens. C’est dans ce cadre qu’il
faut voir s’il n’est pas plus pertinent d’allouer des moyens supplémentaires dans
l’Afrique anglophone pour profiter des opportunités que présentent ces pays en
prélevant sur les effectifs des pays francophones. C’est le sens des dernières
mesures adoptées tout récemment par le ministère des affaires étrangères, qui va
renforcer sa présence au Rwanda, en Angola et en Afrique du Sud
La deuxième consiste à mettre en œuvre une présence internationale
européenne et non plus seulement nationale, ce qui suppose une répartition des
rôles voire la création de représentations communes. C’est le sens de la
construction d’une politique étrangère commune, nous y reviendrons.
La troisième, enfin, consiste à agir non plus sur la présence mais sur le
contenu, c'est‐à‐dire sur le sens, sur le type d'influence souhaité.
Souhaite‐t‐on plutôt opérer en réseau, avec des partenaires, dans le
domaine du soft power et de l'action normative et sur un certain nombre de
thèmes prioritaires préalablement définis ? Cette démarche n'est pas
nécessairement moins coûteuse : elle nécessite de se doter de tous les instruments
nécessaires à une politique d'influence moderne. Elle pose donc, là encore, la
- 410 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
question de la mutualisation des moyens et de la définition d'objectifs
éventuellement communs.
La politique française en matière d'audiovisuel extérieur, ambitieuse,
avec, entre autres, la chaîne de Radio France International, les chaînes de télévision
TV5 Monde et France 24 constituent de ce point de vue des outils précieux qu’il
convient de soutenir, notamment dans la phase d’implémentation de la TNT en
Afrique, quitte à l’ouvrir plus largement à des partenaires francophones ou
européens.
De même, en matière d’éducation, l’accès à des plateformes multimédia
apparaît comme un enjeu essentiel. Les cours en ligne ouverts et massifs ("MOOC"
en anglais ou "CLOM" en français), dispensés gratuitement sur Internet par les
meilleurs établissements et mis à la disposition de toute personne, vont
révolutionner la transmission des savoirs, notamment dans les pays d’Afrique qui
sont de plus en plus connectés mais qui n‘ont pas encore un système
d’enseignement supérieur performant. Il y a là un enjeu majeur pour la
Francophonie.
II. FAIRE DE L’ÉCONOMIE UNE PRIORITÉ
On a trop longtemps regardé l’Afrique comme un sujet avant tout
politique. Le décollage du continent nous impose de regarder les pays africains
autrement en mettant la priorité sur la dimension économique.
A. RÉINVESTIR L’AFRIQUE
1. Définir une stratégie de conquête des marchés africains par filières.
L’élaboration d’un Livre blanc sur l’Afrique devrait comporter une partie
centrale dédiée à la promotion de nos intérêts économiques, fruit d’un travail
commun des principaux acteurs, aussi bien la direction générale du Trésor,
qu’UBIFRANCE, la COFACE, la BPI et les syndicats professionnels, le réseau des
chambres consulaires.
Les récents travaux menés par le ministère du commerce extérieur pour
identifier les couples pays/secteurs gagnants à l’international vont dans le bon sens
mais n’accordent pas assez d’importance à l’Afrique.
CHAPITRE 4 : - 411 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
Ils ne mentionnent que quatre pays cibles : l’Afrique du Sud, le Nigéria, la
Côte d’Ivoire, et le Kenya, sans prendre en compte le potentiel de pays comme
l’Éthiopie, le Ghana, le Botswana ou la Mozambique, sans identifier les logiques
régionales dans lesquelles évoluent désormais les groupes africains.
Certes, on constate une prise de conscience des responsables
gouvernementaux. Nicole BRICQ, ministre du Commerce extérieur, s'est rendue en
Afrique du Sud les 14 et 15 octobre, dans le cadre de la visite d'Etat du Président de
la République. Il s'agissait du 3ème déplacement de la ministre en Afrique
subsaharienne, après le Kenya et le Nigeria mi‐septembre et avant la Côte d'Ivoire,
le Ghana et l'Éthiopie d'ici fin 2013.
Il ne faut cependant pas oublier que la France conserve des parts de
marché importantes, souvent comprises entre 15% et 20%, chez ses partenaires
historiques d’Afrique de l’Ouest, qui ont cependant reculé depuis 2000, appelant
une action ciblée sur ces pays afin de restaurer ses positions.
Pour y parvenir, cela passe, avec plusieurs de ces pays, par la mise en
place d’un pacte de co‐production, permettant d’accroître nos exportations, en
répondant à leurs exigences en matière de création de valeur ajoutée sur leur
territoire et d’affronter ensemble les marchés tiers.
Il faut, de ce point de vue, ne pas seulement se focaliser sur les
exportations et la fourniture de biens, mais aussi sur des co‐investissements.
Les entreprises françaises ont tout intérêt à s’implanter dans une zone qui
sera une des plus dynamiques des prochaines décennies.
Le dispositif français est, par ailleurs, encore trop orienté par les grands
contrats (aéronautique, matériel de transport, énergie…) décrochés par nos
grandes entreprises.
Ceux‐ci, qui sont importants, ne suffisent cependant pas à faire progresser
fortement notre part de marché, dans la mesure où ils ne permettent pas d’assurer
un flux d’exportations pérenne.
Pour y parvenir, il conviendra aussi de se déployer dans des zones de
croissance où les entreprises sont trop peu présentes et où l’Etat n’a pas eu
d’action suffisamment structurée, s’agissant de pays d’Afrique anglophones ne se
situant pas dans notre aire d’influence traditionnelle.
Un travail de mobilisation est nécessaire pour structurer une démarche
internationale de filières qui correspondent aux besoins des marchés africains en
réduisant la perception du risque qui est souvent surévalué quand il s’agit de
l’Afrique.
Par ailleurs, la pratique du portage, qui a connu une nouvelle impulsion
avec la signature, en mai 2011, par 20 grands groupes français de la « Charte Pacte
Export », doit être amplifiée et adaptée aux réalités africaines.
Nombre de nos concurrents « chassent naturellement en meutes ». En
France, nous n’avons pas cette tradition. Les pouvoirs publics ont la responsabilité
- 412 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
de favoriser cette pratique en rassemblant les grandes entreprises présentes en
Afrique telles que Bolloré, Total, Vinci, Bouygues, ou de plus petites entreprises, et
de voir comment, selon les secteurs et les géographies, le succès des uns peut tirer
les autres.
10) Structurer une démarche internationale par géographies et par secteurs
qui correspondent aux besoins des marchés africains, renforcer nos moyens de soutien
aux entreprises dans les pays les plus dynamiques tels que l’Afrique du Sud, le Nigéria, la
Côte d’Ivoire et le Kenya, mais également l’Éthiopie, le Ghana, le Botswana ou le
Mozambique.
11) Développer la pratique du portage des PME par les grands groupes présents
sur le continent dans une démarche adaptée aux réalités africaines.
La répartition des revenus en Afrique est fortement inégalitaire. Ce fait
connu se reflète dans une pyramide dont le sommet est constitué par une faible
proportion de personnes à revenus élevés et dont la base est constituée de la
majorité de la population à faibles revenus
Pendant de nombreuses années les stratégies internationales des grandes
entreprises se sont concentrées essentiellement sur les consommateurs à hauts
revenus. Lorsque ces marchés ont été saturés ces entreprises ont porté leur
attention sur les marchés des pays émergents en Asie mais également en Afrique.
Les populations les plus pauvres situées au bas de la pyramide représentaient un
potentiel de marché considérable Leur pouvoir d’achat individuel est faible mais
leur grand nombre offre des opportunités de marché considérables. Les grandes
entreprises multinationales telles qu’Unilever, Nestlé, Danone et Procter & Gamble
se sont déjà lancées dans la conquête des marchés du bas de la pyramide. Par
exemple, Nestlé a déclaré que ce segment de marché mondial représentait un
domaine stratégique de croissance de l’entreprise
Les stratégies de marketing doivent être complètement révisées et
adaptées à ces nouveaux segments de marché Les produits doivent être conçus
spécialement pour des consommateurs à faible budget et pour des usages
spécifiques Les produits sont dès lors adaptés, notamment en termes de format. En
effet, les emballages sont de plus petite taille afin de permettre aux
consommateurs pauvres d’acheter des produits à l’unité ou en très faible quantité
étant donné qu’ils n’ont pas les moyens d’acquérir de grands volumes à la fois.
Les canaux de distribution doivent également être modulés en fonction
des spécificités de ces marchés. Le modèle des circuits de vente traditionnels,
petits magasins, stands de rue, etc, se substitue à celui des grands centres de
distribution. Les «microdistributeurs» sont au cœur des stratégies de vente des
entreprises multinationales sur les marchés des pays pauvres.
Au‐delà des aspects marketing, c’est le processus même de fabrication qui
est concerné. De nombreux succès entrepreneuriaux reposent en Afrique sur le
CHAPITRE 4 : - 413 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
3. Renforcer la coordination des acteurs du soutien à l’exportation
En France, au niveau local, nous devons mieux repérer, sélectionner et
préparer les entreprises capables d’aller vers des pays africains en plein
développement.
L’Etat doit diffuser une meilleure information sur les marchés africains au
niveau des Régions, notamment à travers le dispositif d’appui au développement
international des PME et des ETI, les pôles de compétitivité, les CCI et les centres
régionaux de la BPI. Les équipes des services économiques sur place doivent
favoriser l’intervention collective sur les marchés locaux et susciter un meilleur
portage entre les grands groupes et les PME.
Une telle stratégie suppose que l’on mette fin à l’hémorragie des services
économiques en Afrique et que l’on identifie la répartition des tâches respectives,
notamment dans les postes en sous‐effectifs d’UBIFRANCE, des services
économiques et de l’Agence française de développement.
Le transfert à l’Agence française pour le développement international des
entreprises – UBIFRANCE –, des missions d’appui commercial étant réalisées
jusqu’alors par les services économiques (SE) de la direction générale du Trésor, a
été achevé en 2012.
L’objectif était de mettre en place deux réseaux économiques distincts aux
compétences clairement établies : le réseau des services économiques chargé des
missions régaliennes (suivi de la situation économique et financière des pays,
relations avec les autorités locales, appui aux grands contrats, négociations
multilatérales…), et le réseau d’UBIFRANCE, proposant une large gamme de
produits et de prestations aux PME et ETI françaises souhaitant se développer sur
les marchés extérieurs.
Il se traduit dans certains cas en Afrique par des suppressions de services
économiques et par un transfert des compétences des services économiques vers
l’AFD dans le domaine de l’analyse macro‐économique sans que la place de celle‐ci
dans la promotion des intérêts économiques ne soit véritablement clarifiée.
Certes, la mobilisation du réseau diplomatique qui reste «universel» en
faveur de la diplomatie économique apporte un soutien local aux entreprises,
notamment dans ce qu'on appelle les «postes orphelins», c'est‐à‐dire privés de la
présence du réseau économique.
La création au quai d’Orsay de la direction des entreprises qui coordonne
le «back‐office» de l'action économique de nos ambassades vient renforcer cette
mobilisation.
De même, la création dans les représentations diplomatiques les plus
importantes de conseils économiques autour de nos ambassadeurs, qui
rassemblent à parité autorités publiques et entreprises privées afin d'améliorer le
partage d'informations, la réactivité et les besoins des entreprises, devrait
permettre de mobiliser l’ensemble d’acteurs qui jusqu’ici avaient peu l’habitude de
travailler ensemble.
CHAPITRE 4 : - 415 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
Le devoir des pouvoirs publics est de créer autour des ambassades un
écosystème propice au développement des entreprises françaises à l’exportation.
13) Mettre fin à l’hémorragie des services économiques en Afrique et établir
des stratégies régionales avec l’ensemble des services intervenant dans le domaine
économique et des stratégies régionales avec l’ensemble des services intervenant dans
le domaine économique, renforcer les synergies entre Ubifrance, les Missions
économiques, les Chambres de Commerce et d'Industries (CCI), en France et à l'étranger
(Uccife), les conseillers du Commerce extérieur de la France (CCEF), Oséo, Coface, Pacte
PME International, et les Opérateurs spécialisés du commerce international (OSCI).
Soutenir les postes dépourvus de service économique ou de soutien commercial.
4. Améliorer le financement de l’export.
Nos entreprises ne disposent pas, aujourd’hui, des mêmes conditions de
garantie à l’export que celles pratiquées dans d’autres pays. C’est un désavantage
important. Par ailleurs, à l’heure actuelle, la multiplicité des acteurs de l’offre
publique (OSEO, BPI, COFACE, CCI) et le manque de coordination entre eux
hypothèque l’efficacité de leur action.
A la différence de la France, l’Allemagne, l’Espagne, le Japon, les Etats‐
Unis, la Chine et la Corée du Sud ont des instruments de crédits exports sous forme
de prêts directs.
La loi de finances rectificative adoptée en fin d’année 2012 a prévu la
création d’une garantie rehaussée de refinancement qui permet le refinancement
de crédits exports par les investisseurs, par laquelle l’Etat se porte indirectement
garant à 100% du montant que les investisseurs accepteraient de prêter aux
banques pour refinancer les crédits exports.
Par ailleurs, le Gouvernement a lancé un programme de simplification de
l’accès des PME et des entreprises de taille intermédiaire aux financements exports
et notamment l’élimination des doublons qui existent entre les produits de prêts
proposés par les acteurs de l’offre publique, comme la COFACE et OSÉO par
exemple, la mise en place d’un produit de prêt unique, appelé « prêt de
développement export » pour les prêts destinés à financer le développement des
entreprises exportatrices, qui viendra fusionner et remplacer le millefeuille d’offres
actuel, la standardisation de la documentation liée aux demandes de financement,
en particulier les crédits acheteurs de petits montants.
Ce plan prévoit la création d’un catalogue commun de produits –prêts,
assurances, cautions– offerts par les trois principaux acteurs de l’offre publique
(bpifrance, UBIFRANCE et la COFACE) sous un même label, « bpifrance export » et
la distribution par les directions régionales de bpifrance des soutiens financiers à
l’export.
- 416 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Pour assurer cette distribution globale des soutiens financiers, des chargés
d’affaires internationaux UBIFRANCE intègreront les directions régionales de
bpifrance. Ils seront rejoints prochainement par des développeurs COFACE.
S’agissant de l’amélioration des produits de financement eux‐mêmes,
l’accès aux crédits fournisseurs pour les PME et ETI dont le chiffre d’affaires est
inférieur à 150 M€ devrait être amélioré en leur donnant la possibilité d’escompter
auprès des banques les créances de leurs fournisseurs qui seraient garanties à
100% par la Coface.
Ces mesures issues des évaluations effectuées par la Cour des comptes et
l’inspection des finances en 2011 et 2012 sont trop récentes pour avoir encore
porté leurs fruits. Une évaluation devra être effectuée pour en mesurer l’impact.
Il conviendrait de même de mettre à plat les performances respectives du
FASEP et de la RPE pour voir s’il ne conviendrait pas de réformer ces deux outils
dont les performances ont été mises en cause par plusieurs évaluations.
B. INTÉGRER NOS INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES FRANÇAIS DANS LES MISSIONS DE
NOTRE COOPÉRATION
Le groupe de travail, en cohérence avec ses propositions sur le
renforcement du soutien à nos entreprises en Afrique, souhaite mieux articuler la
politique bilatérale de développement avec les intérêts économiques français de
long terme, en contribuant à une meilleure veille sur nos intérêts stratégiques et à
la promotion de nos savoir‐faire.
1. Relier l’aide : une fausse bonne idée
Si les outils de soutien à l’export précités n’ont pas une dimension propre
à l’Afrique, l’intervention des pouvoirs publics dans cette partie du monde est
marquée par la présence de la coopération au développement sous l’aspect
« financement de projet et expertise technique ».
Nous nous sommes interrogés sur le rôle de ces deux outils dans la
promotion et le soutien de nos entreprises.
Bien que l’aide au développement française soit une des plus déliée au
monde avec plus 90 % de l’aide déliée1, le taux de retour pour nos entreprises en
Afrique est de l’ordre de 50 %. Ce taux est comparable à celui de nos partenaires
bailleurs de fonds. Ainsi, bien que l’AFD n’affiche pas explicitement la promotion
des intérêts économiques parmi ses objectifs, de fait, la présence de financements
français, les liens avec les réseaux économiques, les performances des entreprises
elles‐mêmes conduisent à privilégier les entreprises françaises aux côtés des
entreprises locales.
Faut‐il relier l’aide pour mieux défendre nos entreprises ? Si l’idée paraît
séduisante face à la concurrence des pays émergents et notamment de la Chine
dont l’aide est quasiment intégralement liée à la défense de ses intérêts
stratégiques, dans la pratique, un reliement de l’aide aux projets ne semble pas
devoir atteindre les objectifs poursuivis sur le long terme.
D’une part, un certain nombre de pays dont l’Afrique du Sud refuse la
pratique de l’aide au développement lié. Autrement dit, l’AFD ne peut poursuivre
ses activités que si elle continue à pratiquer des financements déliés. C’est le cas
dans de nombreux pays à revenus intermédiaires de la tranche supérieure qui
souhaitent avoir le choix des contractants et se méfient des procédures de gré à
gré.
C’est d’ailleurs une des clauses de l’engagement pris par la France en 1978
au sein de l’OCDE sur les crédits exports qui a été étendue aux pays les moins
avancés et aux pays pauvres très endettés.
La France pourrait dénoncer ces accords. Jusqu’à présent la stratégie
suivie a été, au contraire, d’amener les pays émergents à adhérer à ces accords,
sinon à leur lettre du moins à leur esprit. Sans doute la France y perdrait en
crédibilité dans la communauté des bailleurs de fonds, notamment parce que les
montants de l’aide déclarée de la France chuteraient drastiquement, l’aide liée ne
pouvant être déclarée que si elle comporte un degré de concessionnalité
aujourd’hui hors de portée des finances publiques, mais aussi parce qu’elle
opérerait un revirement majeur dans une stratégie qui vise à augmenter
globalement les exigences des appels d’offre financés par l’aide, aussi bien en
matière de transparence que de responsabilité sociale et environnementale.
Un tel revirement rendrait difficile, par ailleurs, les financements croisés
qui sont aujourd’hui un axe majeur pour coordonner l’action des bailleurs de fonds.
Gagnerait‐elle d’un point de vue commercial ?
Les évaluations effectuées sur les protocoles du Trésor avant le déliement
font état de surmarges de l’ordre de 30 % quand la concurrence est restreinte aux
seules entreprises françaises avec des cas d’entente aussi bien entre entreprises
qu’avec les administrations partenaires. Il y a dès lors un risque de financer des
projets qui ne correspondent pas à des besoins avérés et de soutenir des
entreprises dont les prestations sans cette aide seraient peu compétitives. Et cela
sur des montants qui ne peuvent pas avoir des effets massifs puisque la France ne
représente que 10 % de l’aide programmable globale.
C’est d’ailleurs pourquoi ni le MEDEF ni les autres syndicats professionnels
ne réclament un reliement de l’aide, contraire au principe de libre concurrence. Ces
syndicats constatent par ailleurs que le déliement de l’aide d’autres pays a profité
aux entreprises françaises dans les pays où elles étaient bien placées. Ils réclament,
en revanche, une meilleure prise en compte des intérêts économiques en amont
des financements des projets, notamment en matière d’expertise technique, et la
promotion d’une concurrence équitable avec les entreprises des pays émergents
sur les marchés africains.
- 418 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Un examen attentif des politiques de coopération de nos partenaires
occidentaux montre que de nombreux pays affichent explicitement ou
implicitement un objectif de promotion de leur économie nationale dans les
objectifs de leur coopération.
C’est le cas au Japon, en Allemagne, aux Etats‐Unis.
A chaque fois avec des modalités différentes, dans la majorité des cas, les
outils de promotion du commerce extérieur et d’aide au développement sont
distincts, mais parfois gérés par le même organisme.
Le soutien des efforts de développement des entreprises japonaises
constitue un des deux axes stratégiques de l'agence de coopération japonaise. Aux
États‐Unis, USTDA ne finance que des projets de coopération technique pour
lesquels il existe une offre américaine ; l'agence MCC, dont l'aide est officiellement
déliée, a exclu en 2010 de ses appels d'offres les entreprises publiques, ce qui
exclut de facto une grande partie des entreprises chinoises.
En Allemagne, la coordination des intervenants de l'APD bilatérale
allemande se réalise au travers de cadres stratégiques, par pays définis par le
ministère de la coopération, qui intègrent les questions de la défense des intérêts
allemands. Ces cadre établissent un état des lieux de la situation du pays au regard
du développement, fixent les secteurs d'interventions au regard des besoins du
pays et des positions sectorielles de l'industrie allemande et définissent dans les
grandes lignes les instruments à privilégier.
Dans la majorité des cas, la coopération technique liée apparaît comme le
levier pour diffuser des normes techniques nationales et favoriser par la suite
l'attribution des marchés aux entreprises du pays bailleur.
L'Allemagne et le Japon consacrent près du tiers de leur effort d'APD à une
offre d'assistance technique largement liée qui permet d'assurer la diffusion de
leurs standards nationaux et de favoriser la mise en place de projets sur des
secteurs où il existe une offre des entreprises allemandes et japonaises.
De même la coopération technique américaine vise explicitement à mettre
en place des marchés hautement susceptibles d'être remportés par une entreprise
américaine.
Par comparaison, les intérêts économiques français ne sont pas
suffisamment pris en compte dans le cadre de l'aide bilatérale.
A l’AFD, le mandat de promotion des intérêts économiques comme
objectif secondaire après le développement n’est pas explicite et ne fait pas
consensus. De ce fait, le cadrage stratégique des outils de financement de projets
et de la coopération technique française n'intègre pas cette dimension. Dans les
documents de stratégie‐pays des différents acteurs, la réflexion ne s’avère ni
systématique ni précise sur un positionnement sectoriel optimal en amont, faute
CHAPITRE 4 : - 419 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
de connaissance suffisante des segments où l'offre française est déjà compétitive
et surtout susceptible de l'être
Pour la même raison, la coordination entre les acteurs publics et privés de
l'aide‐projet française, tant au niveau national que dans les pays bénéficiaires, est
insuffisante.
A Paris, la coordination sur ces questions entre le ministère des affaires
étrangères, celui des finances, bpifrance, UBIFRANCE, la COFACE, les représentants
des entreprises, et les représentant des bureaux d'étude est quasiment inexistante,
sauf à travers des réseaux informels ou sur des sujets ponctuels et parfois
conflictuels comme le champ de compétences des opérateurs d’expertise
technique.
Sur le terrain, la coordination entre les bureaux de l'AFD, les services
économiques, l’agence Ubifrance, les entreprises et les bureaux d'études
dépendent fortement des relations et des parcours personnels. Nous avons
constaté en Afrique du Sud, une forte cohésion avec l’établissement en commun
entre l’AFD et les services économiques d’un catalogue de l’aide française présente
en Afrique du Sud.
Ce n’est pas le cas partout, la répartition des compétences sur les secteurs
où la France est compétitive et l'identification des entreprises étant variable selon
les pays
Enfin, par comparaison, force est de constater la faiblesse de l'expertise
technique accordée par la France en accompagnement du financement de ses
projets, notamment en comparaison des principaux bailleurs bilatéraux.
Aujourd’hui, les moyens budgétaires pour financer des études et des
expertises en Afrique à l’initiative de l’AFD sont pris sur les mêmes crédits que les
subventions projets dont les montants ont diminué de 30 % depuis 2006.
Or l’expérience de nos partenaires montre que c’est en amont des projets,
dans le dialogue sur des normes techniques, sur des politiques publiques, qu’un
politique d’influence peut avoir une incidence de long terme sur les relations
économiques avec des entreprises françaises.
Le développement de cadres normatifs et de régulation similaires aux
nôtres au sein des administrations africaines ne peut que favoriser les échanges
économiques des entreprises françaises.
Mettre en place les normes ferroviaires en s’appuyant sur des normes
françaises ou allemandes maximise les chances des entreprises françaises ou
allemandes, participer à la refonte du droit civil malgache, selon que cette refonte
s’inspire du système juridique français ou de la « Common Law » britannique,
favorise les cabinets d’avocats anglo‐saxons ou francophones.
Les cadres politiques, normatifs, économiques et administratifs futurs de
nos partenaires africains dépendent, dans une large mesure, de l’expertise
apportée pour les concevoir. Les prestations d’expertise et de conseil auprès des
gouvernements étrangers et des organisations internationales constituent ainsi un
- 420 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
vecteur essentiel pour la diffusion des normes et standards français, tant sociaux
que juridiques, sanitaires ou environnementaux. L’expertise internationale
française permet aussi le rayonnement de notre modèle d’organisation de la
société et de nos valeurs.
L’expertise participe notamment de la promotion d’une vision sociale de la
mondialisation et de valeurs portées par notre diplomatie multilatérale (« socle de
protection sociale », égalité dans l’accès à la santé, un droit du travail
protecteur…).
L’expertise française dans ces domaines constitue potentiellement un
puissant relais d’influence pour la France à l’heure où la santé, l’emploi et les
inégalités sociales deviennent des facteurs de déséquilibres géopolitiques
importants (chômage des jeunes, inégalités hommes femmes, sida et autres
maladies infectieuses, concurrence favorisant le moins‐disant social).
L’ensemble de ce diagnostic conduit à proposer que l’AFD se voie confier
officiellement en plus de son mandat au service d’un développement durable et
au sein de son mandat de politique d’influence, un mandat de dialogue avec les
entreprises privés et les bureaux d’études et de promotion de l’économie
française autour de l’expertise.
Pour ce faire, le groupe de travail propose que cet objectif soit inscrit dans
le contrat d’objectif de l’agence, qui devra travailler en étroite collaboration avec
les services compétents du ministère des finances et du ministère des affaires
étrangères, en France comme dans le réseau. Cet objectif imposera un mécanisme
permanent de dialogue et de concertation avec le secteur privé français.
Il ne s’agit donc ni de relier le financement des projets, ni d’influencer le
résultat des appels d’offre qui ne sont pas d’ailleurs du ressort de l’AFD, mais bien
de développer un dialogue sectoriel de façon à mieux se faire rencontrer les
préoccupations de développement et celles de commerce extérieur en amont de la
définition de stratégies sectorielles et géographiques.
Cette concertation aura pour objectif : une identification, avec l’aide des
services de l’Etat, des filières fortes par pays, susceptibles de voir de l’expertise ou
des entreprises françaises se positionner et répondre de manière compétitive à la
demande.
Cette proposition s’articule avec le souhait explicité ci‐après de doter
l’AFD de moyens renforcés pour financer de l’expertise technique.
La gestion d’un fonds dédié à l’expertise, permettrait à l’AFD de mieux
prendre en compte encore les secteurs force de l’économie française d’agir en
amont des projets pour promouvoir des politiques publiques et des normes en
cohérences avec ses points forts.
Par ailleurs, PROPARCO, filiale de l’AFD pour le secteur privé constitue un
instrument particulièrement intéressant en matière de promotion du secteur privé
et de l’investissement en Afrique. Elle est aujourd’hui encore limitée dans son
développement par la définition d’un plafond d’emploi au sein du groupe AFD et
une surface financière insuffisante. Il conviendrait d’étudier la manière dont elle
CHAPITRE 4 : - 421 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
pourrait développer son activité avec une plus grande autonomie organique par
rapport à l’AFD et renforcer ses objectifs de co‐investissement avec des entreprises
françaises.
14) Inscrire dans le COM de l’AFD un mandat de dialogue avec les entreprises
privées et les bureaux d’études et de promotion de l’économie française autour de
l’expertise.
15) Favoriser le développement de PROPARCO en renforçant ses fonds propres
et garantissant une plus grande autonomie organique, et en lui fixant des objectifs de co‐
investissement avec des entreprises françaises.
La convergence de la politique d'aide des pays émergents vers les
principes d'efficacité et de transparence de l'aide constitue aujourd'hui une
priorité.
Le volume considérable et croissant de l'aide des pays émergents en fait
aujourd'hui un enjeu majeur de la politique internationale d'amélioration de
l'efficacité de l'aide.
Le poids déterminant des entreprises des pays émergents en général et de
la Chine en particulier dans le tissu économique des pays en développement en fait
des concurrents de premier plan pour les entreprises étrangères, notamment dans
les marchés d'APD.
La présence croissante d'entreprises chinoises dans le secteur des
infrastructures, mais aussi des biens et services, associée à une compétitivité des
prix très forte, renforce la pression concurrentielle exercée tant sur les entreprises
locales que sur les entreprises étrangères, dont françaises, implantées dans les
pays concernés.
Dans l'intérêt économique des pays en développement comme des
entreprises françaises, il convient d'accorder une attention accrue aux conditions
de concurrence sur les marchés d'aide et de coopération.
L'existence de financements à l'exportation émanant des banques
publiques chinoises et dérogeant aux règles auxquelles s'astreignent les membres
de l'OCDE, le faible respect des normes sociales et environnementales et de lutte
contre la corruption justifient l'adoption de mesures visant à restaurer la
réciprocité des conditions commerciales sur les marchés des pays en
développement, notamment les marchés d'aide.
Il est souhaitable que les pouvoirs publics utilisent toutes les mesures
nécessaires pour favoriser la convergence des pratiques d'aide de la Chine avec
celles de bailleurs du CAD en intensifiant le dialogue sur l'efficacité avec les pays
émergents, dont la Chine, dans les différentes enceintes internationales existantes
(Forum de haut niveau sur l'efficacité de l'aide, Nations Unies, G20) en
- 422 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
encourageant les initiatives multilatérales de transparence de l'aide, telles que
l'initiative IATI; en engageant ces pays dans des coopérations trilatérales afin
d'établir un dialogue concret sur la politique d'aide.
Le groupe de travail estime que les occidentaux doivent accroître leurs
pressions sur les pays émergents afin d’obtenir une clause de réciprocité sur
l’ouverture des marchés financés par l’APD, de pousser les pays émergents à délier
leurs financements ou, le cas échéant, à exclure leurs entreprises des appels
d’offres financés par les APD qui répondent aux critères de l’OCDE.
Par ailleurs, le groupe de travail souhaite, s’agissant des contrats financés
par la France, que l’AFD renforce les exigences retenues dans les appels d'offres en
matière de responsabilité sociale et environnementale afin de pouvoir, le cas
échéant, écarter de la compétition toute concurrence déloyale.
Certes, les marchés financés par l’AFD sont attribués, signés et exécutés
sous la responsabilité exclusive des maîtrises d’ouvrage locales, bénéficiaires de ses
concours, en application de la réglementation nationale, mais l’AFD en s’assurant
de la bonne utilisation de ses fonds peut et doit contrôler le respect des
engagements pris par le bénéficiaire dans la convention de financement, qui peut
comporter des obligations de se conformer aux bonnes pratiques internationales
régissant la commande publique : ouverture, équité, transparence et économie,
mais aussi des engagement spécifiques des soumissionnaires quant à leur
responsabilité sociale et environnementale.
En 2013, des propositions ont été élaborées pour renforcer les exigences
environnementales et sociales dans les dossiers d’appels d’offres pour les marchés
à fort impact afin de permettre aux bénéficiaires de ses financements d’éliminer,
au stade de la pré‐qualification et de l’évaluation des offres, des entreprises ou des
propositions qui ne seraient pas conformes techniquement sur le volet
responsabilité sociale et environnementale et de sanctionner une entreprise qui ne
respecterait pas ses engagements lors de l’exécution de son marché.
Le groupe de travail souhaite que ces propositions puissent être reprises,
non seulement par l’AFD mais également par le plus grand nombre de bailleurs de
fonds et de pays récipiendaires. Car seule une action concertée de l’ensemble des
acteurs bailleurs de fonds et pays partenaires permettra de limiter la pratique du
dumping social et environnemental sur les fonds d’aide au développement.
16) Plaider pour une clause de réciprocité sur l’ouverture des marchés financés
par l’APD afin de pousser les pays émergents à délier leurs financements où le cas
échéant à exclure leurs entreprises des appels d’offres financés par l’APD.
17) Renforcer les exigences environnementales et sociales dans les dossiers
d’appel d’offres pour les marchés financés par la coopération française afin de permettre
aux bénéficiaires de ces financements d’éliminer, au stade de la pré‐qualification et de
l’évaluation des offres, des entreprises ou des propositions qui ne seraient pas
conformes techniquement sur le volet responsabilité sociale et environnementale et de
sanctionner une entreprise qui ne respecterait pas ses engagements lors de l’exécution
de son marché.
CHAPITRE 4 : - 423 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
La croissance économique des nouvelles puissances, qui va de pair avec
celle de la consommation d’énergie ainsi qu’un besoin accru en ressources
naturelles et en matières premières stratégiques, va créer des tensions accrues sur
les approvisionnements stratégiques en Afrique. Par ailleurs, la surexploitation des
ressources naturelles africaines est susceptible de relancer des tensions, inconnues
jusqu’à présent à ce degré, pour satisfaire les besoins en énergie, en eau, en
nourriture et en matières premières.
Actuellement, faute de production minière sur le territoire métropolitain,
les entreprises consommatrices doivent s’approvisionner sur les marchés
mondiaux. La croissance rapide et forte de la demande (nouvelles technologies,
tendances démographiques, économies émergentes, etc.) fait de l’accès aux
matières premières et du contrôle des ressources un enjeu majeur.
Depuis 10 ans, les marchés ont profondément évolué : les pays
producteurs ont pris conscience de la richesse que représentaient leurs ressources
et cherchent à mieux les gérer, voire à les protéger. Quant aux pays
consommateurs, ils ont pris conscience des aléas liés aux approvisionnements en
métaux.
C’est aujourd’hui une problématique pour l’Union européenne et la
Commission a identifié 14 substances « critiques ». Différents États membres, telle
l’Allemagne, ont également engagé une stratégie visant à rendre plus pérennes les
approvisionnements de leurs entreprises.
Conscients des difficultés que pouvaient rencontrer les entreprises, les
pouvoirs publics, par décret du 24 janvier 2011, ont créé le Comité pour les métaux
stratégiques (COMES), qui organise une concertation entre tous les acteurs français
: ministères, organismes publics et Fédérations professionnelles représentant
l’industrie.
Aujourd’hui, c’est dans le domaine de notre approvisionnement en
métaux qu’un effort analogue à celui qui a été effectué en matière énergétique
en réponse à la crise de 1973 doit impérativement être réalisé.
Pour cela il importe que le COMES et le SGDSN procèdent à une analyse
des intérêts de la France en Afrique en matière d’approvisionnement et des
évolutions en cours.
La fin du monopole français sur l'uranium du Niger et la percée
remarquable de la Chine dans ce pays doivent‐ils être perçus comme un
avertissement ? AREVA a dû fortement hausser ses prix d'enlèvement, pour relever
le défi chinois. L'amont de la filière nucléaire française est fragilisé et l'arrivée de
concurrents émergents vient s'ajouter aux troubles politiques de la zone
sahélienne.
- 424 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Plusieurs gouvernements africains sont en train de mettre en place des
régimes fiscaux plus efficaces et plus équilibrés. Les taux de redevance ont été
augmentés, afin de refléter l’escalade des cours mondiaux. La Banque africaine de
développement a proposé d’indexer les redevances sur les cours internationaux, ce
qui permettrait d’améliorer la stabilité et la prévisibilité au sein de l’administration
fiscale. Le FMI a demandé aux gouvernements d’éviter de négocier des contrats
d’imposition au cas par cas pour chaque investisseur, et plusieurs pays ont
renégocié avec succès des accords qui étaient déséquilibrés.
L’évasion fiscale est un problème mondial facilité par un mélange entre les
pratiques commerciales internes aux entreprises, le recours massif des
investisseurs étrangers aux centres offshore, aux sociétés fictives et aux paradis
fiscaux, et les normes de divulgation laxistes d’un certain nombre de centres
financiers et de négoce de matières premières, notamment la Suisse, le Royaume‐
Uni et les États‐Unis.
En dépit des mouvements encourageants vers davantage de dialogue
international sur la fiscalité, ce qui fait défaut, c’est une action internationale
décisive: Dans ce domaine, le G8 et le G20 peuvent faire la différence.
La France, dans le cadre de ses engagements en faveur de la gouvernance
démocratique et financière, compte parmi les contributeurs les plus importants de
l’Initiative, au fonds fiduciaire de l’ITIE.
Le ministère des affaires étrangères s’est particulièrement engagé au
Niger en 2009 et soutient plusieurs projets locaux au Burkina Faso, au Congo, en
Côte d’Ivoire, en République de Centrafrique, en Guinée, en Mauritanie, au Niger et
au Tchad depuis 2010. Ces projets sont portés essentiellement par des
organisations de la société civile locale et destinés à sensibiliser les citoyens sur
l’importance d’une bonne utilisation des revenus issus de l’extraction.
La France y joue un rôle particulier puisque 14 pays sont francophones et
17 sont membres de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). L’ITIE
compte aujourd’hui 33 pays membres, dont 21 pays africains.
La France poursuit dans cette voie en favorisant l’adoption par l’Union
européenne d’une législation imposant aux entreprises du secteur extractif de
publier ce qu'elles paient aux pays où elles sont installées.
La Commission européenne a décidé de saisir le renouvellement des
directives comptables (78/660/CEE et 83/349/CEE) pour introduire une législation
comparable à la loi dite Dodd‐Frank adoptée aux Etats‐Unis.
La proposition de la Commission inclut toute entreprise pétrolière, gazière
et minière cotée à une bourse de l’Union européenne. Allant au‐delà de la loi
Dodd‐Frank, la Commission inclut également les entreprises forestières, ce qui est
très important pour nombre de pays africains. Les forêts représentent en moyenne
6 % du PIB de l’Afrique subsaharienne, soit trois fois plus que la moyenne
mondiale. L’économie de dix‐huit pays africains dépend à 10 % ou plus de la
- 426 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
ressource forestière. De plus, la proposition inclut également les grandes
entreprises non cotées.
En février 2013, la loi bancaire française, puis la loi bancaire européenne
(dite directive CRD4) obligeaient les banques à rendre publics à partir de 2014 leurs
chiffres d’affaires, leurs bénéfices, et les impôts qu’elles paient dans chacun des
pays où elles sont présentes.
Début avril de la même année, le Parlement européen et les Etats
membres s’accordaient sur une nouvelle directive de transparence qui oblige les
entreprises minières, pétrolières et gazières, ainsi que celles qui exploitent les
forêts, à rendre public l’ensemble de leurs flux financiers avec les Etats. Cette
disposition qui lutte à la fois contre l’évasion fiscale et contre la corruption entrera
en vigueur au plus tard en 2015. Enfin, le Conseil européen a soutenu la
proposition française d’étendre la transparence à peine votée pour les banques, à
l’ensemble des secteurs de l’économie.
La France doit poursuivre son effort de conviction pour que ces dispositifs
soient pleinement adoptés et renforcer sa coopération pour que soient Intégrées
les dispositions renforcées de l’ITIE dans les législations nationales et les directives
régionales des pays africains.
Le groupe de travail encourage la France à :
‐ engager le processus formel d’adhésion à l’initiative sur la transparence
dans les industries extractives (ITIE), conformément à l’annonce du Président de la
République lors du sommet du G8 de Lough Erne, avec pour objectif d’adhérer à
l’occasion de la prochaine conférence internationale de l’ITIE ;
‐ engager la transposition par la France des dispositions des directives
comptables concernant certaines obligation pour les entreprises extractives
européennes de publier pays par pays et projet par projet les revenus tirés de
l’exploitation des ressources extractives versés à des Etats ;
‐ soutenir les initiatives des banques multilatérales de développement
dans le domaine des industries extractives.
‐ faire en sorte que les entreprises françaises du secteur, notamment
celles dans lesquelles l’État français a une participation –telles que AREVA ou
TOTAL– soient exemplaires en matière de transparence et de responsabilité
environnementale et sociale. Des efforts dans ce domaine ont été effectués,
comme en témoigne la mobilisation du CIAN sur la rédaction d’un guide pratique :
« responsabilité sociale et environnementale des entreprises françaises en
Afrique ». Mais il faut aller plus loin afin de faire la démonstration que les
entreprises françaises sont des partenaires fiables et respectueux des intérêts de
long terme des pays africains.
L’effort doit être poursuivi au niveau mondial pour créer un régime
multilatéral pour la transparence fiscale : le G8 doit établir la structure requise
pour qu’un régime multilatéral mette un terme à l’évasion fiscale. Les sociétés
enregistrées dans les pays du G8 devraient être obligées de publier la liste
complète de leurs filiales et les informations concernant leurs revenus à l’échelle
CHAPITRE 4 : - 427 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
internationale, leurs profits et les impôts payés dans les différentes juridictions. Les
autorités fiscales, y compris les autorités fiscales africaines, doivent échanger plus
systématiquement leurs informations.
18) Faire établir par le COMES et le SGDSN une étude des intérêts de la France
en Afrique en matière d’approvisionnement stratégique et prendre en compte les
conclusions de cette étude dans la définition de notre stratégie africaine.
19) Engager le processus formel d’adhésion à l’initiative sur la transparence
dans les industries extractives (ITIE).
20) Engager la transposition par la France des dispositions des directives
comptables concernant certaines obligations pour les entreprises extractives
européennes de publier pays par pays et projet par projet les revenus tirés de
l’exploitation des ressources extractives versés à des Etats.
21) Soutenir les initiatives et les programmes des banques multilatérales de
développement dans le domaine des industries extractives.
E. PROMOUVOIR L’INTÉGRATION ÉCONOMIQUE DE LA ZONE FRANC
Les performances économiques des pays africains de la Zone franc, en
moyenne autrefois plutôt meilleures que celles des autres pays africains, ne le sont
plus.
Notre analyse nous conduit à penser qu’au moment où l’Afrique
subsaharienne semble avoir trouvé le chemin d’une croissance rapide, l’avantage
que donne l’intégration régionale aux pays des deux Unions de la Zone doit être
mieux exploité.
Aujourd’hui, le ralentissement de l’activité économique dans les pays
développés, notamment en Europe, souligne l’urgence du développement des
échanges interafricains et le besoin de solidarité entre Etats africains. La croissance
démographique sans précédent rend crucial le développement de la production
agricole en Zone franc, ainsi que la création d’emplois ruraux et urbains pour les
jeunes.
Un renforcement de l’intégration régionale peut être un moyen essentiel
de répondre à ces défis.
Dans ce contexte, les pays africains de la Zone franc disposent de l’atout
considérable que constitue une longue expérience de coopération régionale mise
en œuvre au travers d’unions dont l’originalité historique est d’avoir été des unions
monétaires avant d’être des unions économiques.
Dans le domaine monétaire et financier, de nombreux instruments de
l’intégration sont déjà en place, mais des progrès semblent souhaitables en matière
d’intégration financière et de supervision macroéconomiques. Mais l’intégration
commerciale en Afrique de l’Ouest et en Afrique Centrale repose pour l’essentiel
sur le bon fonctionnement des unions douanières existantes et sur l’harmonisation
- 428 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
fiscale qui lui est associée, autant de domaines dans lesquels les Etats comme les
organisations régionales manquent de compétences comme de soutien politique.
Comme l’a souligné M. Patrick Guillaumont, président de la Fondation
pour les études et recherches sur le développement international (FERDI),
responsable d’un récent rapport d’évaluation des gains attendus de l’intégration
économique régionale dans les pays africains de la Zone franc :
l’approfondissement du marché commun et les politiques sectorielles sont enfin
des domaines où des progrès importants pourraient être réalisés. Il s’agit, d’une
part, de mettre en place des instruments régionaux dans les domaines où les
économies d’échelle sont les plus fortes (politiques agricoles, sécurité alimentaire,
connexions des réseaux électriques, corridors routiers, câblage fibre optique,
centres d’excellence régionaux d’enseignement et de recherche, collaboration pour
les approvisionnements en médicaments) et, d’autre part, d’appliquer les décisions
existantes (libre circulation des personnes, droit d’établissement, non‐utilisation
des interdictions d’exportations intracommunautaires sur les produits agricoles).
La France a, à l’égard de cette zone, une responsabilité particulière et des
intérêts nombreux.
Or les évaluations de la coopération française dans ces différents
domaines et, notamment, l’évaluation pilotée conjointement par la DG Trésor et la
DGM (ministère des affaires étrangères) en 2012, sur les appuis français à
l’intégration régionale au sein de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine
(UEMOA) sur la période 2002‐2009, soulignent la faiblesse des moyens de
financement pour soutenir les politiques et les programmes de l’UEMOA compte
tenu des besoins considérables du Programme Économique Régional (PER).
Il faut aujourd’hui renforcer les appuis français aux objectifs d’intégration
régionale et assurer une meilleure articulation de l’aide française au niveau
régional avec celle déployée au niveau des pays membres. La France ne peut pas
tout mais, notamment en matière d’expertise technique, elle doit renforcer son
soutien.
En matière de financement, il convient de rechercher un effet de levier
plus élevé en mobilisant davantage la Banque Ouest Africaine de Développement et
une meilleure coordination avec les autres bailleurs intervenant au niveau régional,
notamment l’Union européenne, dans le cadre des négociations sur les APE et la
Banque africaine de développement.
L’Union européenne de par son expérience en matière d’intégration
économique et monétaire doit consacrer un effort supplémentaire à la question de
l’intégration de la Zone Franc en veillant à renforcer les administrations en charge
de ces questions et à promouvoir la levée de ressources propres aux organisations
régionales.
Il est enfin paradoxal que les négociations actuelles sur les APE conduisent
à mettre en péril certains accords douaniers. En effet, comme il a été souligné au
chapitre 3, des pays comme la Côte d'Ivoire, le Ghana ou encore le Cameroun
pourraient avoir à choisir entre ratifier leur accord de partenariat économique,
CHAPITRE 4 : - 429 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
conclu en 2007, et le mettre en œuvre de façon bilatérale (mettant ainsi en danger
les unions douanières négociées ou en négociation dans leurs régions), ou, de façon
alternative, renoncer, au nom de l'intégration régionale, à un APE et donc à
certaines préférences de I'UE.
La France doit pousser la Commission européenne à faire preuve de plus
de souplesse pour avancer dans des négociations où les demandes africaines sont
peu prises en compte.
22) Renforcer notre coopération en faveur du renforcement de capacité au
profit des programmes de l’UEMOA et notamment du Programme Économique Régional
(PER).
23) Veiller à ce que la conclusion des Accord de partenariat économique (APE)
ne nuise pas à l’intégration régionale, inviter la Commission européenne à faire preuve
de plus de souplesse dans les négociations d'APE régionaux afin de déboucher sur un
aboutissement positif et un renforcement de la coopération européenne en faveur de
l’intégration.
III. DONNER UN SENS AFRICAIN À LA PRÉSENCE MILITAIRE FRANÇAISE
La certitude que la France jouera le rôle de pourvoyeur de sécurité en
dernier ressort reste ancrée dans l’esprit des gouvernants africains, notamment
francophones. Cela déresponsabilise certains et donne lieu à une lecture
conspirationniste et « anti‐impérialiste » chez d’autres (Afrique du Sud, Angola,
Rwanda…).
La réponse à ces soupçons doit être pour la France l’occasion de clarifier
les motifs de sa présence militaire et d’énoncer les critères présidant à ses
interventions armées sur le sol africain. C’est une condition nécessaire pour sortir
de l’engrenage des « appels d’empire », parfois satisfaits, parfois rejetés, sans que
les déterminants du choix soient toujours lisibles.
Il convient de rappeler solennellement que cette présence correspond à
un intérêt commun à la France et aux pays africains pour la stabilité et la sécurité
du continent. La France y assume ses responsabilité de membre permanent du
Conseil de sécurité et y défend ses intérêts et notamment la protection de ses
ressortissants. Elle se fixe pour objectif l’appui aux forces africaines de sécurité et
le développement de la régionalisation qui repose sur les écoles nationales à
vocation régionale (ENVR) et sur les forces française en présence et n’intervient
que dans le cadre de la légalité internationale, en coordination avec les
organisations régionales, continentales et avec l’ONU.
Dans la perspective du sommet de l’Elysée, l’analyse du groupe de travail
conduit à préconiser, en cohérence avec ces objectifs, le maintien des points
d’appui militaires français en Afrique et une réforme d’ampleur de ses modalités.
- 430 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
A. S’INSCRIRE DANS LE SENS DE LA CONSTRUCTION D’UNE ARCHITECTURE DE
SÉCURITÉ AFRICAINE OPÉRATIONNELLE
Le constat du groupe de travail est que le dispositif actuel avec ses huit
points d’appui Abidjan, Dakar, la zone (Mali, Niger, Burkina Faso) Libreville,
N’Djamena, Bangui, Djibouti, et l’île de la Réunion permet un maillage et une
réactivité au service de nos intérêts et de la sécurité du continent.
Contrairement à l’analyse du Livre blanc sur la défense et la sécurité
nationale de 2008, compte tenu des menaces et des demandes des pays
partenaires, ces points d’appui doivent être conservés sauf avis contraire des pays
hôtes.
CHAPITRE 4 : - 431 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
Huit points d’appui : Abidjan, Dakar, la zone (Mali, Niger,
Burkina Faso) Libreville, Ndjamena, Bangui, Djibouti, et l’île de la Réunion
Ces bases doivent procéder d’un accord officiel discuté au Parlement. Les
orientations prises depuis 2008 sur les accords de défense : transparence, absence
de clauses secrètes, publication et approbation par les parlements de chaque État
partie doivent bien entendu être poursuivies. Le Parlement a été saisi des accords
avec Djibouti et la Côte d’Ivoire. Il conviendra également de définir les bases
légales de notre présence au Mali, au Niger et au Burkina Faso si nous maintenons
dans ces pays des troupes dans la durée.
L’ensemble des accords de défense doit être adopté par le Parlement
Par ailleurs, si depuis 2007, notre dispositif est censé s’adosser à
l’architecture de sécurité, la portée politique de cet adossement pour les opinions
publiques françaises et africaines doit être mieux mise en valeur.
Pour cela l’ensemble du dispositif devrait être articulé autour de quatre
pôles régionaux de coopération au Sénégal, au Gabon, à Djibouti et à la Réunion.
Ces pôles de coopération en lien avec les écoles nationales à vocation régionale
doivent avoir comme objectif principal la formation des cadres des armées
nationales, et la mise sur pied de systèmes de sécurité collective.
Leur nom, leur mission et leur effectif doivent être ajustés à cette mission
qu’ils rempliront parallèlement aux missions de coopération bilatérale.
À l’occasion du sommet de l’Elysée, la France doit donc mettre en valeur
les avancées enregistrées en matière de sécurité collective et s’engager à continuer
à les soutenir à travers des implantations qui doivent être entendues comme une
contribution à la sécurité collective du continent.
La « honte » qu’a représentée pour beaucoup de responsables l’incapacité
ouest‐africaine à réagir adéquatement à l’offensive islamiste au Mali a constitué un
électrochoc qu’il conviendra d’exploiter positivement, en vue d’une prise de
conscience de la nécessité pour les Etats africains d’améliorer leurs capacités
militaires de façon autonome mais cohérente.
Le sommet de l’Elysée pourrait être l’occasion, pour l’Union africaine et
ses partenaires, de se focaliser sur des objectifs intermédiaires moins ambitieux
que les Forces Africaines en Attente et le développement des capacités nationales
dans un cadre coordonné régionalement.
Européaniser pour mieux rester
Dans ce cadre, les pôles de coopération français devraient être ouverts à
des participations de partenaires européens à l’instar de ce qui a été fait pour les
ENVR.
Nous avons intérêt à européaniser notre dispositif aussi bien pour des
raisons de coûts que pour des raisons politiques. Cette ouverture doit avoir pour
contrepartie une participation effective aux efforts de coopération et à la
- 432 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
possibilité d’une intervention et ne pas se réduire à des cellules de veille des
activités françaises.
Les pôles régionaux de coopérations avec les organisations régionales
Communauté économique des Etats de
l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) : Bénin,
Le Pôle régional de coopération avec la Burkina Faso, Cap‐Vert, Côte d'Ivoire,
CEDEAO basé au Sénégal Gambie, Ghana, Guinée, Guinée‐Bissau,
Liberia, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal,
Sierra Leone, Togo
Communauté économique des Etats de
l’Afrique centrale (CEEAC) : Burundi,
Le Pôle régional de coopération avec la Cameroun, Centrafrique, Congo Brazzaville,
CEEAC basé au Gabon Gabon, Guinée Equatoriale, République
Démocratique du Congo, Rwanda, Sao
Tomé et Principe, Tchad, Angola
Intergovernmental authority for
Le Pôle régional de coopération avec development IGAD – EASBRIG : Djibouti,
l’IGAD basé à Djibouti Ethiopie, Kenya, Somalie, Soudan et
Ouganda
Southern African Development Community
(SADC) : Afrique du Sud, Angola, Botswana,
Forces armées de la zone sud de l’océan
Lesotho, Madagascar, Malawi, Maurice,
Indien, pôle régional de coopération avec
Mozambique, Namibie, République
la SADC
démocratique du Congo, Swaziland,
Tanzanie, Zambie, Zimbabwe
Ces pôles de coopération devraient être complétés par un pôle
opérationnel consacré au Sahel avec des points d’appui au Mali, au Tchad, à
Abidjan, au Niger et au Burkina Faso.
La situation décrite au Sahel justifie que la France maintienne, au service
de la sécurité de ses partenaires africains de la région et en liaison avec l’effort de
coopération civil français et européen, un collier de perles de points d’appui pour
lutter contre les forces djihadistes et les groupes armées qui se cachent dans la
région et notamment au sud de la Libye.
Ce dispositif doit, en liaison avec l’opération EUTM et les forces de la
MINUSMA sous commandement de l’ONU, pouvoir participer à des actions de
formation et, le cas échéant, à la constitution souhaitée d’un dispositif régional de
sécurité qui associerait les pays du Sahel.
Un collier de perles en soutien d’un dispositif
régional au Sahel est nécessaire pour faire face à la situation
La France doit mettre tout son poids pour qu’un tel dispositif essentiel à la
sécurisation de la région sur le long terme voie le jour.
CHAPITRE 4 : - 433 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
Enfin, la situation en Centrafrique justifie que la France puisse contribuer à
appuyer plus largement les forces d’une Misca (Mission internationale de soutien à
la Centrafrique) renforcée et éventuellement mise sous l’autorité de l’ONU pour
asseoir son financement et augmenter ses effectifs qui sont aujourd’hui nettement
insuffisants pour rétablir l’ordre.
La montée en puissance d’un dispositif en RCA sous contrainte budgétaire
pourrait être prélevée dans les deux réservoirs de forces existants que sont Djibouti
et Libreville. Mais la répartition actuelle des points d’appui français ne permet pas
de comprendre en quoi notre dispositif est aujourd’hui arrimé à l’architecture de
défense africaine.
Les quatre pôles de présence militaire française qui pourraient être dédiés
à la coopération avec les organisations régionales, Libreville avec la brigade centre
de la CEEAC, Dakar avec la brigade de l’ouest de la CEDEAO, la Réunion avec la
brigade sud de la SADC et Djibouti face l’IGAD, ont peu de visibilité politique et ne
permettent pas d’afficher clairement la volonté française de participer à
l’architecture de sécurité africaine.
Si nos points d’appui doivent être maintenus, en revanche, le format et la
définition de ces points d’appui doivent évoluer.
La distinction entre les OPEX et les
forces prépositionnées n’a pas de sens
La distinction entre les OPEX et les forces prépositionnées doit être revue.
Les opérations Epervier et Licorne ont un caractère permanent qui rend inadaptées
l’appellation et les modalités de financement par la dotation OPEX. Cette
distinction introduit des rigidités dans les modalités de financement des troupes
qui passent d’un statut à un autre et n’a aucune pertinence opérationnelle.
Les points d’appui doivent désormais avoir en commun pour missions, la
coopération structurelle et opérationnelle aussi bien en bilatéral qu’au niveau
régional ainsi que la possibilité d’une projection en cas de crise.
La dualité de notre coopération, qui assure un continuum indispensable
entre projets fondamentaux de long terme (coopération structurelle) et actions
d'entrainement en vue de l'emploi tactique immédiat (coopération opérationnelle),
doit être renforcée.
Toutefois, la diminution du coût du dispositif doit passer par une
diminution des effectifs des bases dont la vocation principale est la formation des
cadres des armées nationales et la mise sur pied d’un système de sécurité
collective.
- 434 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
L’expérience de Dakar montre que le service rendu en matière de
coopération avec 300 hommes peut être équivalent à celui fourni avec des effectifs
précédents qui étaient trois fois plus nombreux.
L’application de la loi de programmation qui prévoit une diminution de
1200 hommes des forces prépositionnées et un volume d’opérations extérieures de
450 millions d’euros suppose des choix.
S’il convient de conserver des réservoirs de forces en cas de crise, la
diminution des effectifs des bases de Djibouti et de Libreville est envisageable à
partir du moment où l’ensemble des bases fonctionnent en réseau.
C’est dans cette perspective que la préconisation du Livre blanc d’un
dispositif souple et modulable prend tout son sens.
« Cette logique de réduction des coûts et d'économie des moyens
nous oblige à concentrer nos efforts en termes géographique et thématique »
Cette logique de réduction des coûts et d'économie des moyens nous
oblige à concentrer nos efforts en termes géographique et thématique. En 2014,
tout en continuant d'appuyer une vision continentale de la sécurité en Afrique,
notre effort doit porter sur l'Afrique occidentale et centrale (CEDEAO, CEEAC) et sur
les pays francophones.
Avec ces pays notre coopération doit permettre de renforcer les capacités
de commandement des états‐majors régionaux et de développer davantage les
liens avec nos forces déployées en Afrique dans ce domaine. De ce point de vue, il
apparaît utile de reprogrammer épisodiquement des exercices franco‐africains au
sein de la CEDEAO ou de la CEEAC.
Cette priorités sur l’Afrique de l’Ouest impose d’assumer un certain
partage des tâches avec nos partenaires occidentaux et notamment anglo‐saxons
qui sont les partenaires naturels de l'Afrique de l'Est.
24) Maintenir huit points d’appui militaire en Afrique : Abidjan, Dakar, la zone
(Mali, Niger, Burkina Faso), Libreville, Ndjamena, Bangui, Djibouti, et l’île de la Réunion.
25) Dédier quatre points d’appui militaire à la coopération avec les quatre
organisations régionales, à Libreville avec la brigade centre de la CEEAC, Dakar avec la
brigade de l’ouest de la CEDEAO, la Réunion avec la brigade sud de la SADC et Djibouti
avec l’IGAD, afin d’afficher clairement la volonté française de participer à l’architecture
de sécurité africaine.
26) Ouvrir les pôles de coopération français à des participations de partenaires
européens et internationaux à l’instar de ce qui a été fait pour les ENVR.
27) Dépasser la distinction entre OPEX et forces prépositionnées au profit d’un
dispositif global où les effectifs de chaque base évoluent en fonction des besoins avec un
repositionnement autour du Sahel et dans les pays accueillant une forte présence de
ressortissants français.
28) Doter chaque point d’appui de moyens de coopération structurelle et
opérationnelle aussi bien en bilatéral qu’au niveau régional ainsi que la possibilité d’une
projection en cas de crise.
CHAPITRE 4 : - 435 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
L’analyse du groupe de travail le conduit à préconiser un redressement du
budget de la coopération structurelle. Aujourd’hui imputés sur le seul budget du
ministère des affaires étrangères, ces crédits à budget constant doivent faire l’objet
d’une priorisation et pourraient bénéficier d’une réallocation des moyens de la part
du ministère de la défense afin de rétablir la cohérence de notre action.
De même, les actions menées en direction de la sécurité civile sur le
modèle de l’ENVR de Ouagadougou doivent pouvoir bénéficier d’un soutien
financier accru de la part du ministère de l’intérieur.
Notre coopération en matière de sécurité sera d’autant plus pertinente
qu’elle répondra aux préoccupations des responsables africains en matière de
maîtrise du territoire et des frontières, de lutte contre le terrorisme ou de réponse
aux catastrophes naturelles. Cela suppose une approche globale et une implication
plus forte du ministère de l’intérieur avec la gendarmerie, la sécurité civile et la
police et du ministère des finances avec les douanes.
Enfin, la voie d’un recours croissant aux financements européens et
multilatéraux voire à des partenariats avec des pays qui partagent notre vision de
l’Afrique, comme le Canada, doit être poursuivie.
Le bilan de notre coopération passée conduit en outre à renforcer nos
exigences à l’égard de nos partenaires africains et, quand c’est possible, à
subordonner notre aide à des progrès tangibles et mesurables.
Il serait souhaitable d’inciter nos partenaires africains à bâtir des outils
moins ambitieux et plus soutenables et de promouvoir la réduction des forces et la
contractualisation dans les modèles d'armée.
Pour cela, il convient de promouvoir l'accompagnement de réflexions type
« Livre blanc » afin de définir des modèles d’armée adaptés aux besoins de chaque
pays.
Plus que jamais il convient de développer les capacités locales à former les
cadres africains, inciter les gouvernements africains à investir dans des écoles
africaines de formation et soutenir les pays africains dans leur volonté de participer
aux Opérations de maintien de la Paix qui sont l’occasion de mettre aux standards
les troupes africaines et de financer une partie de leur équipements.
29) Renforcer les crédits de la DCSD et développer les ENVR avec des
financements croisés de l’ensemble des ministères concernés et un recours croissant aux
financements européens, multilatéraux, voire à des partenariats avec des pays qui
partagent notre vision de l’Afrique comme le Canada, ainsi qu’à des financements des
pays africains.
- 436 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
IV. ACCOMPAGNER L’INTÉGRATION RÉGIONALE ET LE PLURALISME
A. RENFORCER NOTRE COOPÉRATION AVEC L’UNION AFRICAINE
Si la France est l'un des 47 Etats ou organisations bénéficiant du statut
d'observateur auprès de l'Union africaine, nous sommes perçus par l'organisation
comme un partenaire privilégié et influent, dont les avis sont écoutés et le soutien
politique recherché. En raison de notre qualité de membre permanent du Conseil
de sécurité des Nations unies, notre présence et notre coopération avec cette
institution demeurent très en deçà des attentes de nos partenaires africains et très
limitées par rapport aux autres nations occidentales.
Le contexte actuel, marqué par la densité du dialogue politique de haut
niveau et le soutien unanime à notre action au Mali, est favorable au renforcement
de notre partenariat avec l'Union africaine. Nous devons y répondre au mieux,
notamment en mettant en place des moyens de coopération.
La France ne mène actuellement aucun projet spécifiquement dédié à l'UA
à l'exception d'un soutien au renforcement de la francophonie dans l'organisation
via l'OIF et d'un poste de coopérant de la Direction de la coopération de sécurité et
de défense (DCSD) pour le soutien à l'opérationnalisation de la Force africaine en
attente.
Cette situation s'explique en partie par le bilan mitigé tiré de notre
coopération antérieure avec l'Union Africaine. Notre pays souffre d'une absence de
visibilité dans les domaines hors « paix et sécurité » de l'Union africaine alors que
le développement de ces activités constitue une priorité de l’institution. L'écart est
par ailleurs croissant avec nos principaux partenaires qui ont accru ces dernières
années leur coopération avec l'Union Africaine.
A titre d'exemple, les Etats‐Unis ont signé en 2010 un accord d'assistance
pluriannuel (2010‐2012) d'un montant de 5,8 millions de dollars. Le Royaume‐Uni
consacre un budget annuel de 3,3 millions de livres à sa coopération avec l'Union
africaine. L'Allemagne fournit également un effort conséquent, le budget de la
coopération de la GIZ avec l'Union Africaine s'élevant à environ 14 millions d'euros
en 2012 (35 employés internationaux. auxquels s'ajoutent 55 employés locaux). Ce
budget n'inclut pas les actions de coopération menées par Banque de
développement allemande, la KFW, ni le budget consacré à la construction du
nouveau bâtiment paix et sécurité de la Commission de l'UA (environ 26 millions
d'euros entre 2008 et 2013).
30) Renforcer les moyens de suivi et de coopération avec l’Union africaine en
redéployant des effectifs vers l’ambassade d’Addis Abeba et en consacrant de
l’assistance technique ou des projets bien ciblés de renforcement de capacité.
CHAPITRE 4 : - 437 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
B. ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT EN FAVEUR DU PLURALISME
La multiplication des élections jugées « crédibles » en Afrique ne doit pas
faire illusion : des scrutins pacifiques ne signifient pas l’ancrage de la démocratie,
s’ils ne sont précédés et suivis d’une véritable vie démocratique, ce qui passe par
l’existence de contre‐pouvoirs. Le cas du Mali est emblématique : ce pays
longtemps présenté comme un modèle était en fait miné par les prébendes, les
trafics et des scrutins discutables. D’autres Etats ouest‐africains basés sur le même
prototype de « démocratie sans démocrates » ou de « démocratie sans
alternance » risquent le même effondrement.
Le discours de La Baule (juin 1990) a suscité en son temps de grands
espoirs sur le continent. Il a indéniablement marqué les esprits en laissant penser
que la France, patrie des droits de l’Homme, s’engageait résolument en faveur du
pluralisme et de la démocratie au Sud du Sahara.
Mais, 23 ans après La Baule, le constat est cruel. Non seulement la France
n’a pas réussi à promouvoir les processus de démocratisation en Afrique, mais, à
tort ou à raison, elle est associée, dans les opinions publiques francophones et
anglophones, au maintien des régimes autoritaires corrompus. Le non‐respect de
nos propres conditionnalités, le soutien apporté à des gouvernements bafouant les
libertés publiques, les interventions militaires destinées à sauver de la banqueroute
un régime ami, l’accréditation des successions familiales, la diplomatie du « double
standard » ont terni notre image sur le continent et affecté notre crédibilité auprès
des jeunes générations qui aspirent au changement.
Il est vrai que la promotion d’un modèle institutionnel démocratique
uniforme a souvent été menée de façon inadaptée, privilégiant le formalisme, trop
institutionnel et stato‐centré et ignorant les spécificités des sociétés africaines.
Dans la réalité, en Afrique, les régimes et les instruments du jeu
démocratique adoptés par les Constitutions n'ont pas fait disparaître les structures
intermédiaires et les systèmes d'allégeance traditionnels entre l'État et les
individus.
Le pervertissement de l'élection et du modèle de démocratie fondé sur
l'opposition majorité/minorité en constitue une preuve éclatante. Dans de
nombreux pays, la règle démocratique a entraîné la domination de la communauté
ethnique majoritaire au détriment des autres. Le mimétisme et la survivance des
pratiques et liens sociaux traditionnels ont généré la coexistence de systèmes
différenciés, s'hybridant, s'instrumentalisant, se concurrençant ou entrant en
conflit, mais que ni la domination ni la coercition étatique ne réussirent à unir dans
une norme partagée et acceptée par tous.
Sans doute l’Afrique doit‐elle, selon l’expression d’Ousman Sy, ancien
ministre malien et promoteur du Centre d'expertises politiques et institutionnelles
en Afrique (CEPIA), « tisser la démocratie sur sa propre natte », inventer sa façon
de faire vivre la démocratie aussi bien au niveau local que national et régional.
- 438 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Mais notre analyse conduit à considérer la question du respect du
pluralisme comme essentielle à la constitution d’une vie politique pacifique dans
des sociétés très hétérogènes, dont la formation en tant qu’entité nationale est
encore souvent en gestation.
L'affirmation du pluralisme comme norme juridique et politique est au
cœur de la constitution des sociétés politiques africaines modernes et du mode de
représentation des populations. Elle suppose la défense des droits de l’homme et
des minorités, mais elle autorise également de penser la cohabitation de formes de
légitimité diverses qui associe des modes de représentations traditionnelles, par
exemple dans des secondes chambres ou au niveau des villages, avec des modes
plus démocratiques de désignation.
Dans ce contexte, le groupe de travail s’est interrogé sur la façon dont la
France dialogue avec les différents régimes politiques, et accompagne les
changements vers l’émergence de régimes ayant l’appui de la majorité de leur
population, sans opprimer les minorités.
Il lui semble que la France gagnerait à défendre de façon plus ostensible la
notion de pluralisme, à faire toute sa place à la question pourtant centrale du
renforcement des contrepouvoirs et à renforcer les crédits qu’elle consacre à la
gouvernance démocratique, qui n’ont cessé de diminuer pour devenir presque
dérisoires.
Il ne peut évidemment pas y avoir de « bonne gouvernance
démocratique » sans des mécanismes politiques et sociaux de mise en question des
pouvoirs établis, sans une opposition politique crédible, des citoyens mobilisés et
des organisations sociales robustes.
C’est ainsi et non par le biais des conditionnalités de l’aide internationale
que la responsabilité politique peut progresser. Depuis une vingtaine d’années, en
dépit de l’échec des transitions, cette culture politique de la responsabilité
citoyenne a considérablement avancé dans les représentations populaires du
pouvoir.
Le nouveau contexte des « printemps arabes » repose avec une grande
acuité la question démocratique au Sud du Sahara.
La plupart des conflits que traverse le continent sont des crises de la
citoyenneté, portées par de nouvelles générations qui réclament une
reconnaissance de leur place dans l’espace public. La plupart des mobilisations
sociales, parfois violentes, qui secouent les pays ont à voir avec cette question
centrale de la revendication des droits. C’est ainsi que peut s’interpréter la percée
de l’islam radical dans certains pays du Sahel. Et c’est donc ainsi qu’il faut y
répondre.
La France doit reprendre la tête d’un nouveau discours sur la citoyenneté
et le pluralisme en Afrique en plaçant au centre de ses programmes d’aide à la
gouvernance la question centrale de la citoyenneté, du pluralisme, de la dignité
et de la reconnaissance des droits.
CHAPITRE 4 : - 439 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
Il faut encourager le processus d’affirmation de la vigilance citoyenne en
soutenant plus fermement et directement le renforcement des contre‐pouvoirs. La
France, comme les autres bailleurs, a depuis longtemps des programmes d’appui
aux médias, aux parlements, aux organisations paysannes et autres structures dites
de la « société civile ».
Mais, d’une part, les financements destinés à ces programmes sont
ridiculement faibles au regard des sommes engagées pour soutenir les institutions
de l’Etat ; d’autre part, ces aides restent prisonnières d’un véritable tabou : à savoir
que l’on ne soutient pas les oppositions politiques en tant que telles, notamment
les partis politiques ou les syndicats et les organisations de droits de l’homme qui,
dans certains pays, tiennent lieu d’opposition.
Il convient de lever ce tabou politique en aidant par le biais de fondations
ad hoc, sur le modèle allemand ou américain, par exemple, à la structuration de
véritables systèmes partisans qui sont, qu’on le veuille ou non, des conditions
nécessaires à la consolidation du pluralisme.
31) Intégrer dans les discours français sur l’avenir de l’Afrique, un discours
renouvelé sur la notion de pluralisme et de contre‐pouvoirs.
32) Aider à la constitution de fondations en faveur de la vigilance citoyenne,
des contre‐pouvoirs, des médias, des parlements, et de la « société civile ».
C. DÉVELOPPER LE DIALOGUE ENTRE LES SOCIÉTÉS CIVILES
Si la France a longtemps peiné à concevoir sa politique de coopération
autrement qu’au niveau interétatique, la reconnaissance de la contribution des
ONG à l’efficacité de l’aide et au dialogue entre les peuples progresse.
Aujourd’hui la France reste cependant le dernier des Etats membres du
CAD en part d’APD transitant par les ONG, avec 1,5 %, alors que la moyenne OCDE
est de 13 %.
Le Président de la République François Hollande s’était engagé à doubler
le montant de l’aide qui transite par les ONG sur cinq ans.
Les ONG sont en effet des acteurs assurant une véritable complémentarité
par rapport aux actions mises en œuvre dans le cadre de la coopération publique.
Une particularité essentielle des ONG est de s’appuyer sur des démarches
participatives et partenariales dans leurs actions de renforcement des sociétés
civiles du Sud. Les ONG agissent, en effet, le plus souvent, avec des partenaires
locaux (ONG des pays du Sud, organisations sociales locales).
Les premiers critères de qualité de l’action des ONG sont ainsi la qualité et
la pérennité du partenariat et leur capacité à contribuer au renforcement de la
responsabilité et de l’efficacité de leurs partenaires. Leurs atouts résident
également dans la mise en œuvre d’une coopération de proximité, dans leur
rapidité d’intervention, et dans leur capacité d’innovation qui leur permet de faire
évoluer rapidement leurs interventions et de les adapter aux contextes changeants.
- 440 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Nous souhaitons en conséquence que les engagements pris à l’égard des
ONG soient tenus, car il importe, pour l’efficacité même de notre politique, de
renforcer les opérateurs associatifs français qui mènent sur le terrain des actions
souvent remarquables.
Sans doute cela exige‐t‐il que les ONG françaises renforcent leurs
capacités d’action collective. Cette contrepartie aurait, me semble‐t‐il, dû être
davantage formulée. Nos ONG de développement, contrairement aux ONG
humanitaires qui sont de grands groupes multinationaux, sont globalement bien
plus faibles et fragmentées que les ONG anglo‐saxonnes.
Les printemps arabes ont montré qu’il convenait de renforcer les liens des
services de coopération avec les sociétés civiles pour ne pas rester dans un
dialogue exclusif avec les autorités gouvernementales. Dans ce cadre, les ONG
peuvent être des vecteurs essentiels de ce dialogue avec la société civile de nos
partenaires en Méditerranée mais également en Afrique.
La France a en effet tout à gagner à un renforcement de la capacité des
ONG à mener des actions en concertation avec les ONG locales.
Or les ONG françaises ont, dans l’ensemble, des capacités financières
limitées par rapport à leurs homologues anglo‐saxonnes, comme l’illustrent les
tableaux suivants :
Autre acteur infra‐étatique, les collectivités territoriales sont en passe de
devenir des acteurs majeurs de la coopération.
La coopération décentralisée est souvent le premier contact des citoyens
avec L’Afrique. Elle concerne plus des milliers de collectivités françaises.
Un des membres du groupe de travail, M Jean‐Claude Peyronnet a essayé
dans le cadre des travaux de la Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales
et à la décentralisation d’obtenir une évaluation plus juste de l’effort des
collectivités dans ce domaine. Une estimation de l’ordre de 115 millions d’euros,
soit près du double du montant déclaré, est souvent donnée pour cette aide
publique au développement des collectivités territoriales.
Dans le contexte actuel de crise économique et de stagnation des
ressources des collectivités territoriales les collectivités françaises sont sollicitées
par leurs administrés qui peuvent avoir du mal à comprendre les justifications
d’une action internationale dans ces conditions.
C’est pourquoi, il convient de recourir aux financements innovants et
d’inciter les collectivités territoriales et leurs groupements à utiliser 1% des
ressources affectées aux budgets des services de l’eau, de l’assainissement, de
l’électricité et du gaz pour financer des actions de coopération décentralisée
comme la possibilité en est ouverte par la loi Oudin‐Santini. Une application totale
et généralisée de cette loi permettrait de mobiliser 67 millions d’euros par an,
contre près de 20 millions d’euros aujourd’hui.
Le dispositif de la loi Oudin‐Santini pourrait être élargi à d’autres
domaines de la coopération décentralisée. En effet, ce mécanisme permet de
CHAPITRE 4 : - 441 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
mobiliser des sommes importantes pour une contribution annuelle moyenne par
habitant modique. C’est pourquoi le groupe de travail propose de l’étendre au
traitement des ordures ménagères pour financer des projets dans ce domaine
essentiel sur un continent dont la population urbaine va doubler d’ici 2040.
33) Renforcer le dialogue avec les sociétés civiles et poursuivre l’engagement
de doublement du montant de l’aide qui transite par les ONG.
34) Soutenir les actions de coopération décentralisée en faveur de l’Afrique et
étendre le dispositif de la loi Oudin‐Santini aux ordures ménagères pour financer des
actions de coopération dans ce domaine dans une Afrique en urbanisation rapide.
V. FAIRE ÉVOLUER NOTRE COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT
Le constat établi par le groupe de travail sur les défis auxquels seront
confrontés les pays d’Afrique subsaharienne dans les 10 ans à venir conduit
d’abord à valider les priorités actuelles de notre coopération dans les cinq
domaines clefs :
‐ l’accompagnement de la dynamique du secteur privé, principal
pourvoyeur d’emplois, permettra de favoriser les investissements de productivité,
de faciliter l’accès aux financements de long terme, et de renforcer les capacités
commerciales des économies de la région ;
‐ l’accès aux infrastructures essentielles pour désenclaver les économies
et les hommes, notamment l’énergie, en particulier à travers le financement du
développement des énergies renouvelables comme l’hydroélectricité et la
biomasse, les transports et l’amélioration de la capacité d’accueil des mégapoles et
des villes secondaires ;
‐ les secteurs sociaux de la santé et de l’éducation afin de participer à
l’amélioration de la santé maternelle et infantile, de l’éducation de base et de la
formation professionnelle ;
‐ la sécurité alimentaire et la productivité agricole ;
‐ les questions du genre, de l’égalité hommes‐femmes et de la santé
maternelle et infantile qui sont autant de thèmes qui permettent de rentrer dans
celui délicat de la démographie, si central dans l’évolution du continent.
Le groupe de travail a, en revanche, formulé des propositions visant à
pallier les carences observées en matière de pilotage de cette politique, de
répartition des moyens financiers, de promotion de l’expertise et du renforcement
de capacité. Il a enfin souhaité souligner les enjeux liés à la construction d’une
coalition la plus large possible avec les pays africains en matière de climat.
- 442 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
1. Un ministère de la coopération internationale de plein exercice
Le Premier ministre a réuni, le 31 juillet 2013, le Comité interministériel de
la coopération internationale et du développement (CICID), en présence de
15 ministres concourant à la politique française de développement.
Ce Comité, chargé de définir les principes et les priorités de l’effort de
solidarité internationale de la France, n’avait pas été réuni depuis quatre ans. Après
les Assises du développement et de la solidarité internationale, clôturées le 1er
mars 2013 par le Président de la République, cette réunion du CICID témoigne de la
volonté du Gouvernement de donner de nouvelles orientations à la politique de
développement de la France.
L’enjeu est d’adapter les instruments et les priorités de notre aide aux
défis du XXIè siècle : différenciation des pays en développement accentuée par la
mondialisation, généralisation des aspirations démocratiques, dégradation
progressive de l’environnement.
Prenant en compte les résultats des Assises et conformément à un certain
nombre de recommandations formulées, notamment par le Comité d’aide au
développement (CAD) de l’Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE), par la Cour des Comptes et par le Parlement, le
Gouvernement présentera un projet de loi d’orientation et de programmation sur
la politique de développement et de solidarité internationale en conseil des
ministres au plus tard en novembre prochain ; il sera examiné par le Parlement au
début de l’année 2014.
Le constat opéré sur le pilotage de la politique de coopération a conduit le
groupe de travail à proposer d’aller plus loin en rassemblant les différentes
administrations qui concourent à cette politique, en Afrique comme ailleurs, au
sein d’un ministère de la coopération internationale de plein exercice.
De quoi s’agit‐il précisement ?
Il ne s’agit pas de refaire un ministère de la coopération, mais de prendre
acte de la montée en puissance avec l’approfondissement de la mondialisation de
la politique de coopération sur des enjeux globaux tels que la santé et ou le climat
et de prendre acte des dysfonctionnements actuels.
Cette mesure renforcerait les pouvoirs budgétaires du ministre du
développement en lui confiant la responsabilité des programmes 110 et 209.
Elle consacrerait le rôle de ce ministre dans la tutelle de l’AFD et
l’animation interministérielle de la politique d’aide au développement :
‐ en lui rattachant, outre la DGM (dont le personnel titulaire resterait
rattaché au Quai d’Orsay), les services du Trésor actuellement en charge du
programme 110 (dont le personnel resterait rattaché au Trésor), les services en
CHAPITRE 4 : - 443 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
charge du pilotage stratégique de l’AFD (dont le personnel resterait rattaché à
l’AFD), ainsi que des agents des ministères techniques concernés (environnement,
agriculture, éducation nationale, santé, etc.) ;
‐ en lui confiant une présidence du Conseil d’administration de l’AFD,
rendue compatible avec les exigences de la loi bancaire.
Elle renforcerait le rôle d’opérateur de l’AFD en achevant le transfert de
compétences initié en 2008.
Cette mesure aurait plusieurs avantages :
‐ l’autorité du ministre de la coopération sur les programmes 110 et 209
permettrait de les restructurer en deux programmes (un bilatéral et un multiltéral),
et autoriserait ainsi des arbitrages cohérents sur l’ensemble des instruments de la
politique de coopération bi et multi, des agences de Bretton Woods, du système
onusien, et européen, ainsi que sur les opérateurs de promotion de l’expertise
technique ;
‐ ce ministère donnerait une visibilité politique aux tentatives de
régulation de la mondialisation et de mise en place de politiques publiques globales
à l’échelle planétaire. Il s’agirait d’un ministère de la coopération internationale qui
serait chargé des biens publics mondiaux, de la coopération internationale, du
développement et de la gouvernance mondiale ;
‐ l’intégration des services de la DGM et du Trésor mettrait fin aux
redondances administratives et aux conflits liés à leur appartenance à des
ministères concurrents, tout en conservant leurs cultures professionnelles
complémentaires dans un ministère qui ne serait ni celui des finances, ni celui des
affaires étrangères.
35) Confier à un ministère de la coopération internationale et du
développement la responsabilité des programmes 110 et 209 et les services qui les
gèrent.
2. Unifier le réseau de la coopération au développement en achevant la
réforme de 1998
Si la réforme de 1998 a conduit à la rationalisation administrative de l’aide
autour de deux grands pôles, l’un diplomatique, issu de l’absorption du secrétariat
d’Etat à la coopération par le ministère des affaires étrangères et européennes, et
l’autre, financier, centré sur le ministère des finances, elle a surtout conforté le rôle
de l’AFD qui est devenue l’« opérateur pivot » de l’aide française.
Depuis lors, les transferts successifs de compétences ont conduit l’AFD à
prendre en charge la gestion de plus de 80 % des moyens de l’aide programmable
mise en œuvre par les canaux bilatéraux.
En dépit des réformes, sur le terrain, le dispositif est encore composé de
deux structures, les agences de l’AFD et les SCAC, qui coexistent pour un coût
élevé, des risques avérés de redondances et une faible lisibilité.
- 444 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Les Services de coopération et d’action culturelle (SCAC), dirigés par un
conseiller de coopération et d’action culturelle (COCAC), à la fois conseiller de
l’ambassadeur sur le pilotage du dispositif de l’aide française au plan local et chef
de service, sont les interlocuteurs privilégiés de la Direction générale de la
mondialisation, mais ne gèrent plus que 20 % des crédits de financement de
projets.
La compétence des SCAC en matière de gouvernance, de suivi du fonds
mondial contre le Sida ou d’aide alimentaire, leur permet d’intervenir dans presque
tous les domaines de compétences des agences avec cependant des moyens
d’intervention très limités et pour un nombre d’agents parfois identique ou
supérieur aux agences de l’AFD. Ainsi à Madagascar, le développement rural
relevait de l’AFD, mais le cadastre rural d’un FSP, la santé de l’AFD, et le soutien à
une maternité ou à l’institut Pasteur du SCAC.
Ce constat rejoint l’évaluation de la Cour des comptes en 2011 sur l’aide
au développement qui préconise la poursuite des transferts des compétences
opérationnelles du ministère des affaires étrangères à l’AFD sur le fondement de
trois arguments, la compétence de l’AFD en matière de gestion et de suivi des
projets, le recentrage de la DGM sur les missions de pilotage stratégique de l’aide
bilatérale et multilatérale, et enfin la rationalisation du réseau.
La Cour des comptes estime que « le réseau public de mise en œuvre de
l’aide française est d’un coût relativement élevé. Il demeure hétérogène et
insuffisamment articulé. »
Elle a évalué ce coût de gestion de la politique d’aide, qui n’est pas
présenté de manière synthétique dans les documents budgétaires, à 700 millions
d’euros en 2010, soit près de 9 % de la somme des dépenses budgétaires de l’Etat
et des engagements de l’Agence.
La dernière revue par les pairs de l’OCDE va dans le même sens : « Sur le
terrain, dans un contexte où les crédits de coopération gérés par les SCAC diminuent
fortement, la question se pose d’une rationalisation du réseau afin de diminuer les
frais de structure, ainsi que le recommande la Cour des comptes. Il sera par ailleurs
utile d’examiner l’impact sur les frais de fonctionnement de la création des instituts
français. »
Le groupe de travail propose d’achever le transfert vers l’AFD de toutes les
responsabilités opérationnelles, afin d'assurer une meilleure cohérence de l'action
bilatérale en faveur du développement et de faire bénéficier l'ensemble des
secteurs du savoir‐faire de l'AFD en matière de mise en œuvre et de suivi de projet,
de simplifier l’organisation du réseau en mettant fin à la double compétence des
SCAC et des agences de l’AFD et de réduire ainsi son coût en s’appuyant
principalement sur les agences de l’AFD, sous l’autorité des ambassadeurs.
Il observe que l’intégration prochaine des SCAC dans l’Institut Français
posera de toute façon la question de l’avenir des compétences développement des
SCAC et la question pendante du transfert des compétences à l’AFD des secteurs de
CHAPITRE 4 : - 445 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
la Gouvernance et de l’éducation supérieure, la culture ayant vocation à rester à
l’Institut Français.
Dans le même temps, la Cour des compte juge que « la gestion des FSP par
le ministère chargé des affaires étrangères s’est révélée insuffisamment
rigoureuse. », aussi bien au niveau central qu’au niveau des ambassades. Comme le
soulignent les travaux du bilan évaluatif de la coopération française qui rejoignent
l’analyse de la Cour des comptes, le partage des rôles reste inachevé entre les
différents acteurs, malgré l’existence d’un opérateur dominant (l’AFD).
Les réformes poursuivies n’ont pas permis de dissocier complètement la
fonction stratégique et la fonction opérationnelle et de remédier à sa
fragmentation. Les interventions françaises sont ainsi menées principalement par
l’AFD, mais les services de coopération et d’action culturelle (SCAC) et les services
économiques du MINEFI ont conservé la gestion de certains instruments sous
l’autorité des ambassadeurs, ce qui engendre encore, ponctuellement, certaines
frictions dans des secteurs spécifiques comme la gouvernance financière.
L’ensemble de ces observations conduit à la proposition de poursuivre les
transferts de compétence opérationnelle au profit de l’AFD de façon à ce que les
FSP hors domaine strictement régalien (police et justice) soient gérés par l’AFD.
Ces transferts devraient concerner également les services économiques du
MINEFI qui conservent la gestion de quelques instruments spécifiques (FASEP et
RPE), parallèlement à leur mission générale d’analyse macro‐économique. Le
groupe de travail propose, en effet, de confier à l’AFD la gestion d’un fonds
d’expertise lié qui serait en partie financé par l’intégration la refonte du FASEP et
de la RPE.
Si, à terme, l’AFD a donc vocation à intégrer l’ensemble des activités
opérationnelles de coopération au développement, la poursuite des transferts de
compétences à l’AFD doit s’accompagner de transferts de moyens adaptés et d’un
déplafonnement des ETP de l’Agence, dès lors que toute croissance d’ETP est
adossée à une croissance de l’activité. Par ailleurs, cela suppose une évolution de
positionnement des directeurs d’agence qui devront assumer en plus de leur
mission de banquier de développement celle de conseiller de l’ambassadeur pour
les questions de développement. Si c’est déjà le cas dans de nombreux pays où les
directeurs d’agence de l’AFD ont pleinement intégré leur rôle vis‐à‐vis des missions
diplomatiques, le repositionnement des agences supposera une évolution des
mentalités dans une entité très marquée par la culture bancaire.
36) Simplifier l’organisation du réseau en mettant fin à la double compétence
des SCAC et des agences de l’AFD et réduire ainsi son coût en s’appuyant principalement
sur les agences de l’AFD sous l’autorité des ambassadeurs.
37) Poursuivre les transferts de compétence opérationnelle au profit de l’AFD
de façon à ce que les FSP (hors domaine strictement régalien (police et justice)) soient
gérés par l’AFD.
- 446 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
1
Au cœur du développement : la recherche en partenariat avec les pays du sud. Mission commune
d’information sur l’action extérieure de la France en matière de recherche pour le développement,
présidé par M. Henri de RAINCOURT (UMP– Yonne), ancien ministre.
CHAPITRE 4 : - 447 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
important en facilitant en amont les échanges thématiques entre les différents
instituts de recherche et en utilisant comme têtes de pont sur le terrain les
opérateurs dédiés à la recherche pour le développement qui sont bien connus des
partenaires du Sud et sont les mieux placés pour nouer des partenariats.
Le dernier CICID a souligné que « L'offre française de recherche au service
du développement doit toutefois être rendue plus accessible pour les partenaires du
sud. Il convient d’en renforcer la visibilité et la cohérence entre acteurs. Le
Gouvernement décide d’élaborer d’ici la fin de l’année, avec l'aide de l'ensemble des
acteurs français de la recherche, une charte sur la recherche au service du
développement, qui débouchera sur des recommandations opérationnelles, qui
s'appuieront notamment sur le travail de coordination des alliances thématiques. »
Le groupe de travail pense qu’il faut aller plus loin et encourage donc un
dialogue approfondi entre opérateurs de recherche, au sein des alliances, pour
identifier les moyens de rendre plus lisible l'offre française en matière de
partenariats.
Outre la mutualisation du réseau à l'étranger, les opérateurs de la
recherche pour le développement peuvent en effet s'entendre, par voie d'accords
bilatéraux, pour se répartir des prestations de service comme la gestion de bourses
de thèse, mettre en commun des moyens dédiés à l'information et à la culture
scientifique ou développer ensemble des activités de transfert et de valorisation.
38) Mutualiser des fonctions support entre les représentations des instituts de
recherche pour le développement dans un même pays des opérateurs du
développement.
39) Resserrer le réseau des opérateurs de recherche pour le développement
autour de représentants régionaux, responsables d’une agence.
40) Mieux intégrer les besoins opérationnels dans la programmation des
organismes de recherche pour le développement.
B. RESTAURER NOS CAPACITÉS D’INTERVENTION EN AFRIQUE
Le constat du groupe de travail est que les moyens de notre coopération à
destination de l’Afrique, malgré la stabilisation de la mission budgétaire « aide au
développement », restent très limités pour avoir une influence significative, car la
stabilisation s’est effectuée à un niveau historiquement bas, en particulier en
matière de subventions aux projets.
Le dernier CICID de juillet 2013 souligne que « Les pays d’Afrique
subsaharienne demeurent la priorité de la France. La France interviendra dans tous
les secteurs opportuns et mobilisera toute la gamme des instruments dont elle
dispose –dons, aides budgétaires, prêts bonifiés ou non, souverains et non
souverains, prises de participations, garanties et autres financements innovants–
pour répondre de manière adaptée aux besoins de ces pays ». Mais les moyens de
cette ambition au niveau bilatéral font défaut.
- 448 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Dans ce contexte, à court terme, tout élément permettant non seulement
de préserver mais d’accroître, même modestement, nos moyens d’intervention,
mérite d’être poursuivi : rééquilibrage entre les contributions bilatérales et
multilatérales, délégation de fonds européens ou tiers (fonds verticaux sida, vert…),
financements innovants, affectation de la taxe sur les transactions financières qui
peut participer au rééquilibrage bi‐multi en matière de dons.
Au‐delà, les perspectives de remontée significative de l’enveloppe de
dons, si elles sont repoussées en raison de la situation économique, restent
extrêmement souhaitables dès que la situation le permettra.
Partant de l'idée que si la coopération française veut avoir une action
significative dans ces zones prioritaires d’Afrique subsaharienne et renforcer en
matière d’expertise technique, il faut trouver, selon les ambitions que l’on se fixe,
200 à 500 millions d'euros, le groupe de travail a approfondi, parmi les pistes
évoquées, deux pistes pour trouver ces financements par redéploiement de crédits
afin de ne pas aggraver les déficits publics.
1. Trouver un nouvel équilibre entre nos contributions bilatérales
S’il convient de veiller à ce qu’une réduction de nos contributions aux
fonds multilatéraux ne fragilise pas trop la participation de la France aux instances
de programmation, voire aux conseils d'administration, comme c'est déjà le cas
dans certaines institutions de l'ONU, il faut aujourd’hui rééquilibrer l’effort
budgétaire en faveur de l’aide bilatérale.
41) Redresser l’équilibre des contributions bilatérales et multilatérales de
façon à retrouver un niveau d’intervention sous forme de subventions supérieures à 500
millions à la fin du triennum budgétaire.
2. Poursuivre le combat en faveur des financements innovants
La seconde voie à explorer pour redresser nos capacités d’intervention en
Afrique sous forme de dons est l’essor des financements innovants du
développement, c’est‐à‐dire de nouveaux flux financiers plus stables, plus
prévisibles et moins dépendants des arbitrages de la loi de finances.
Ces financements complètent cette dernière par une fiscalité assise sur les
activités économiques internationales peu ou non taxées à l’échelon mondial, à
l’instar de la taxe sur les billets d’avion ou de la taxe sur les transactions financières
internationales.
La TTF française a permis de lever 415 millions d’euros entre août 2012 et
avril 2013. Celle‐ci s’applique aux transactions d’actions d’entreprises françaises
cotées en bourse et dont la capitalisation boursière dépasse 1 milliard d’euros
(0,2%) ainsi qu’aux opérations de trading à haute fréquence et aux contrats
d’assurance contre le risque de défaut des Etats (0,02%).
La France s’est engagée à affecter un total de 480 M€ (autorisations
d’engagements) sur la période 2013‐2015 à des actions à l’international dans les
domaines de l’adaptation au changement climatique et de la santé, soit 10% en
moyenne par an des recettes totales attendues.
Une augmentation de ce taux conformément à l’engagement du Président
de la République de consacrer à la coopération « la majeure partie » des recettes
de la TTF constitue une deuxième voie pour restaurer nos capacités d’intervention
en Afrique.
La mise en place de cette taxe est une première étape visant à prouver la
faisabilité d’un instrument voué à être transposé à plus large échelle :
l’introduction d’une TTF européenne via une coopération renforcée est une priorité
de la France. Grâce à la mobilisation d’un groupe de 11 Etats pionniers, ce projet,
validé par le Conseil Ecofin, fait actuellement l’objet de négociations.
Le groupe de travail reste fermement attaché à la mise en place d’une
contribution juste et morale du secteur de la finance à la réduction du déficit public
et au financement du développement.
L’adoption par l’Europe de la TTF est en effet une des conditions pour sa
généralisation au‐delà de l’Europe à l’ensemble de la planète.
- 450 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Compte tenu des besoins de l’Afrique en matière de développement
humain, les besoins de financements, notamment en matière d’éducation et de
santé, excèdent très largement non seulement les capacités de la France, mais
également celles des budgets des donateurs du CAD. Ils sont, compte tenu de la
démographie, importants et durables. Ils requièrent des réponses structurelles.
La crise financière des pays occidentaux et les mesures de consolidation
budgétaire qui s’en sont suivies, sont venues aggraver les problèmes de
financement et compromettre gravement la capacité des gouvernements à
s’acquitter de leurs engagements en faveur de l’Afrique.
C’est pourquoi l’essor des financements innovants est un combat essentiel
pour les PMA africains. C’est la garantie de nouveaux flux moins dépendants des
budgets annuels des pays membres du CAD et des nouveaux pays donateurs que
l’aide traditionnelle.
Ces financements complètent cette dernière par une fiscalité assise sur les
activités économiques internationales peu ou non taxées à l’échelon mondial, à
l’instar de la taxe sur les billets d’avion ou du projet de taxe sur les transactions
financières internationales.
L’étude de certains modèles révèle que même une faible imposition de dix
points de base sur les capitaux propres et de deux points de base sur les obligations
pourrait générer environ 48 milliards de dollars sur l’ensemble des pays du G20 ou
9 milliards de dollars si l’on se limite aux principaux pays d’Europe. D’autres
propositions de taxes sur les transactions financières offrent des perspectives
sensiblement plus avantageuses, allant de 100 à 250 milliards de dollars,
notamment en incluant les produits dérivés.
Aujourd’hui, la faisabilité technique de la mise en place d’un financement
innovant ne semble plus contestée, comme l’illustrent les récents documents de
travail du FMI et du G20.
Le groupe de travail souhaite souligner la portée politique de ce projet.
Asseoir le financement des politiques d’aide au développement en faveur
des pays les plus pauvres d’Afrique sur une ressource fiscale mondialisée
permettrait de jeter les bases de politiques publiques de redistribution à l’échelle
mondiale.
Leur mise en place est d’autant plus justifiée qu’elles constituent une
forme moderne de redistribution internationale basée pour l’essentiel sur la
taxation d’activités qui bénéficient de la mondialisation vers ceux qui n’en profitent
pas ou peu.
42) Accroître la part de la TTF française affectée à la coopération.
43) Achever le processus d’adoption de la TTF européenne et s’assurer qu’une
partie sera consacrée à la solidarité internationale.
44) Poursuivre le travail de conviction pour l’adoption d’une TTF au niveau
mondial.
CHAPITRE 4 : - 451 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
3. Conforter le modèle économique de l’AFD
L’AFD est l’outil bilatéral pivot pour soutenir les priorités françaises en
Afrique, qu’elles soient fondées sur des motifs historiques, géostratégiques, ou des
réponses aux défis du continent (démographie, urbanisme, emploi, protection de
l’environnement), à l’écoute des besoins de nos partenaires, mais aussi, à travers
une projection de nos valeurs et de nos normes (démocratiques,
environnementales et sociales), de notre expertise et de notre savoir‐faire.
Elle doit pour cela pouvoir mobiliser l’ensemble de la gamme de
ressources financières et non financières adaptées à la variété des besoins, y
compris mobiliser les détenteurs d’expertise et d’expérience (bureaux d’études,
collectivités territoriales, centre de recherche, administrations…).
Le dernier CICID a souligné que « Le Gouvernement s’accorde sur la
nécessité de donner à l’AFD, acteur pivot de la politique de développement, les
capacités financières d’exercer pleinement ses missions dans le cadre de ces
nouvelles priorités, afin qu’elles soient déclinées dans le prochain contrat d’objectifs
et de moyens (COM) pour la période 2014 – 2016. »
Or le groupe de travail a constaté que l’agence ne dispose pas des moyens
budgétaires nécessaires en subvention pour intervenir de façon significative en
Afrique francophone. Il observe que la conjonction des restrictions des frais de
fonctionnement et de personnel, en valeur absolue, dans le dernier contrat
d’objectifs et de moyens, et de la diversification géographique de ses activités fait
craindre à terme à une diminution des moyens des agences sur ce continent.
Il constate enfin qu’au regard du niveau de ses fonds propres, le respect
des limites prudentielles contraint les capacités d’action de l’AFD dans certains
pays du Maghreb et d’Afrique anglophone, notamment en Afrique du Sud.
Comme le souligne la dernière revue par les pairs de l’OCDE en 2013 : « Le
maintien et la crédibilité du modèle financier de l’AFD à moyen terme est donc un
enjeu majeur, face auquel différents scénarios doivent être élaborés et étroitement
surveillés ».
Cette contrainte va s’accroitre et s’étendre à d’autres pays dans les
années à venir. Il est donc nécessaire de réfléchir à des solutions de renforcement
des fonds propres.
L’AFD a versé en dividende à l’Etat depuis 2004 un montant cumulé
d’1,1 milliard d’euros qui font aujourd’hui cruellement défaut. Enfin l’AFD ne
dispose pas de crédits suffisamment identifiés pour financer à plus grande échelle
des expertises et des études.
45) Consacrer le rééquilibrage de l’aide bilatérale en partie à de l’aide projet
sous forme de dons destinés aux pays pauvres prioritaires et en partie aux financements
d’expertises en amont des projets.
46) Procéder à un renforcement comptable des fonds propres de l’AFD.
- 452 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
47) Intégrer un nouvel accord sur une diminution de la distribution des
dividendes actée dans le prochain contrat d’objectifs et de moyens.
48) Supprimer la détermination en valeur absolue des effectifs de l’AFD.
L’agence ne bénéficie pas de subvention de fonctionnement, mais finance son
activité grâce à son résultat bancaire. Dès lors un plafonnement de ses effectifs constitue
un véritable frein à son déploiement aussi bien en Afrique que dans d’autres zones plus
« rentables ».
C. RENFORCER NOTRE POLITIQUE DE PROMOTION DE L’EXPERTISE FRANÇAISE
1. Créer un fonds dédié au financement de l’expertise et fusionner les
opérateurs publics dédiés à la promotion de l’expertise française
Le groupe de travail a constaté dans les chapitres précédents, d’une part,
que le renforcement des compétences, notamment en matière de politiques
publiques est, nous l’avons vu, un besoin essentiel de l’Afrique. C’est notamment
un levier majeur permettant de favoriser l'émergence d'institutions plus légitimes
et plus efficaces et donc mieux à même de piloter les processus de développement.
Il a observé, d’autre part, que les moyens de la coopération technique française
étaient en très net déclin et sa gestion éclatée entre de nombreux organismes sans
stratégie commune.
Dans ses pays d'intervention traditionnelle, I'AFD dispose, avec les
ressources du Programme 209 du ministère des affaires étrangères, de crédits
d'intervention limités lui permettant de financer ce type d'activités, dans des
projets dédiés ou à travers des composantes de projets plus larges. Ces activités
visent essentiellement à renforcer les capacités à concevoir, mettre en œuvre et
évaluer des politiques, programmes et projets de développement des pays les plus
pauvres d'Afrique. Dans les nouveaux pays d'intervention, pays à revenu
intermédiaire, l’AFD fait face à une forte demande d'expertise et d'expérience
française, s'inscrivant dans une optique de coopération bilatérale et d'échanges
avec des experts et des opérateurs techniques français ayant des compétences et
des métiers comparables. Cette demande de mise en relation avec les savoir‐faire
français, qui vise à bénéficier d'approches nouvelles et innovantes, émane de
nombreux acteurs (ministères et entreprises publiques, secteur privé et
organisations professionnelles, collectivités locales...) et peut prendre des formes
très variées.
L'AFD peine à répondre à cette demande dans les nouveaux pays
d'intervention, faute d'outil financier spécifique sur dons. Elle a choisi, il y a
quelques années, de prendre en charge ce type d'activités dans son budget de
fonctionnement. Cette solution présente plusieurs inconvénients. Elle implique, en
particulier, un niveau d'engagement modeste, compte tenu des contraintes liées au
modèle financier et à la maîtrise des charges de fonctionnement de l'AFD. Elle
génère une difficulté à mobiliser certaines compétences françaises, le volume
CHAPITRE 4 : - 453 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
d'affaires représenté par l'AFD n'étant pas suffisant pour inciter des opérateurs
potentiels à développer leurs activités correspondant aux besoins identifiés.
C'est pour répondre à ce diagnostic qu’il a été proposé, depuis plus d’un
an, la création d'un instrument spécifique complétant l'éventail des outils à la
disposition de I’AFD : le Fonds d’expertise technique et d’échanges d’expériences.
Ce fonds, annoncé par le dernier CICID, serait pour l’instant doté d’un financement
provisoire de 20 millions d’euros et destiné aux pays à revenu intermédiaire1.
Le groupe de travail se félicite de cette initiative, mais estime qu’il faut
aller plus loin en pérennisant le financement de ce fonds par des abondement des
programme 110 et 209 et en rassemblant les financements dédiés aux différentes
modalités de l’assistance technique, du renforcement de capacité et des études et,
notamment, le Fonds d'appui au secteur privé ‐ Etudes (FASEP‐Etudes) et, le cas
échéant, la Reserve Pays émergents. Ces deux instruments d’aide liée mériteraient
en effet d’être revus. Leur concentration géographique et sectorielle et la lourdeur
de leurs procédures affaiblissent leur pertinence et, dans l’ensemble, le dispositif
français gagnerait à une meilleure articulation entre les instruments liés et déliés,
comme c’est le cas notamment aux Etats‐Unis. De ce point de vue, confier la
gestion des deux types d’instruments à l’AFD avec des guichets distincts
présenterait l’avantage d’une meilleure articulation.
La finalité d’un fonds élargi dédié à l’expertise serait de répondre aux
demandes et besoins d'expertise et d'expérience françaises émanant des pays à
revenu intermédiaire, de nourrir le dialogue sur les politiques publiques tout en
valorisant les savoir‐faire français.
Son périmètre géographique cible en priorité les pays émergents dont
l’Afrique du Sud et les pays à revenu intermédiaire au sens du Comité d'aide au
développement (CAD) de l'OCDE tels que, notamment, l’Angola, le Congo, la Côte
d’Ivoire, le Nigéria, le Botswana, ou le Gabon. Son champ sectoriel devrait être en
cohérence avec le mandat de l'AFD dans les domaines présentant un intérêt
particulier pour des opérateurs français. Le fonds n’interviendra pas exclusivement
en Afrique, mais devra en faire une de ses priorités.
Ce Fonds permettra d'intervenir en amont de la réalisation de projets ou
programmes, notamment d'équipements ou d'infrastructures, ou en
accompagnement de ceux‐ci, sans avoir vocation, en général, à financer des études
de faisabilité. Grâce aux activités financées, le Fonds répondra à une demande des
partenaires et permettra de les familiariser avec les solutions techniques et
financières.
Ce fonds devra être géré par un guichet de l’AFD au même titre que le
guichet ONG, que ces financements soient réservés à des opérateurs publics ou
privés français.
1 Pays à revenu intermédiaire: Angola, Cameroun, Cap-Vert, Congo, Côte d’Ivoire, Djibouti,
Égypte, Lesotho, Maroc, Nigéria, São Tomé-et-Principe, Soudan, Tunisie et Swaziland. Afrique du
Sud, Algérie, Botswana, Gabon, Guinée équatoriale, Libye, Maurice, Namibie et Seychelles.
- 454 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Par ailleurs, le groupe de travail juge que la France ne devrait pas
s’interdire de développer une offre d’expertise payante ou remboursable, comme
en dispose la Banque mondiale. Selon le type d’opération et le pays, l’expertise
mise à disposition serait gratuite (financée par le 110 ou le 209) ou payante, avec
une grille tarifaire adaptée.
S’agissant de l’organisation institutionnelle et de la gestion de cette
politique, le groupe de travail préconise que le pilotage stratégique en soit toujours
confié au ministère de la coopération de plein exercice qu’il appelle de ses vœux,
mais que l’AFD gère l’ensemble des crédits destinés aux assistants techniques
résidents en cohérence avec la poursuite de la réforme de 1998 et des transferts de
compétence. Il propose que cette politique de placement fasse l’objet d’une
cartographie géographique et sectorielle et d’une stratégie élaborée conjointement
entre le ministère des affaires étrangères, l’AFD et le ministère des finances pour
les aspects de gouvernance financière.
49) Créer un fonds dédié à l’expertise internationale géré par l’AFD et destiné à
des opérateurs privés ou publics français qui rassemble l’ensemble des financements
dédiés à l’expertise à l’international. Mieux articuler les instruments d’aide liée et déliée
et définir une stratégie géographique et sectorielle pour les assistants techniques.
2. Mutualiser les opérateurs publics dédiés à la promotion de l’expertise
française
violence armée (2012). La stratégie pour les Etats fragiles développée en 2007 est,
par ailleurs, en cours de renouvellement. Pour autant, il ne semble pas que les
méthodes utilisées soient toujours bien adaptées aux situations particulières.
Gagner la paix au Mali, ou plutôt gagner le développement, est une toute
autre affaire que gagner la guerre, une affaire dont la durée s’étend au minimum
sur une génération. La construction d’un discours qui porte une vision d’avenir de
notre action, de nos partenariats et de nos financements dans ces pays devrait
prendre en compte le bilan de notre action passée.
La France occupe dans ces pays presque tous francophones une position
délicate car la relation particulière évidente qu’elle entretient avec eux génère
deux attitudes contradictoires de la part de ses partenaires : une forme de rejet de
l’influence française et une grande attente d’appui ! Ce discours est à bâtir avec les
partenaires des pays mais aussi avec les tutelles, les parlementaires, les ONG et les
collectivités locales. Il est également à bâtir avec d’autres pays européens qui ne
peuvent pas laisser la France dans un tête‐à‐tête trop étroit. Il doit intégrer les
financements des pays émergents qui font partie des problèmes et des solutions.
Il s’agit notamment de partir d’une analyse approfondie du contexte, de
privilégier une entrée par les acteurs plutôt qu’une entrée par les secteurs, de viser
la préparation de l’avenir plutôt que des résultats importants à court terme, donc
d’accorder une véritable priorité au renforcement des capacités et à la promotion
du dialogue sur les politiques publiques, de privilégier les projets innovants, pilotes,
et les actions d’étude/plaidoyer/débats vectrices d’une influence constructive.
En agissant ainsi, au plus près des acteurs et des enjeux, ce que peu de
bailleurs de fonds savent faire, l’AFD répondra à des besoins essentiels avec des
budgets limités et un effet de levier maximum. La sélection des partenaires sera
cruciale, en fonction de leur engagement et de leurs capacités. Il s’agira de cibler
des acteurs d’avenir, dans le privé, la société civile, les collectivités locales ou les
administrations de façon très sélective, quitte parfois à contourner l’Etat.
Dans certains cas, il convient de sélectionner les modes d’action et
procédures les plus adaptées et les plus simples, notamment en matière de
sélection et de passation des marchés, en respectant l’esprit des principes clefs
plutôt que la lettre. Confier des maîtrises d’ouvrage déléguées à des opérateurs
privés ou non souverains peut constituer une des solutions.
Dans d’autres cas, un partage des tâches entre, d’un côté, la France (AFD
et ONG, en partenariat) sur des petits projets pilotes de qualité, c’est‐à‐dire
coûteux en termes d’instruction et de suivi, et, de l’autre, des grands bailleurs de
fonds comme l’Union européenne ou la Banque mondiale qui ont vocation à
financer leur réplication ou le passage à l’échelle supérieure.
51) Etablir un bilan de nos modes d’intervention dans les pays fragiles à faible
maîtrise d’ouvrage et de définir une méthodologie adaptée.
CHAPITRE 4 : - 457 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
E. RELANCER LES DISPOSITIFS DE CAPITAL INVESTISSEMENT DANS LES PME
F. CRÉER UNE ALLIANCE AVEC LES PAYS AFRICAINS EN VUE DES PROCHAINES
NÉGOCIATIONS SUR LE CLIMAT
L’accès à l’énergie durable est un levier essentiel de la croissance verte en
Afrique qui dispose de ressources en énergies locales et renouvelables
considérables (hydroélectricité, géothermie, énergie solaire ou éolienne, biomasse)
qui pourraient lui permettre d’assurer les moyens de son développement. Les
sujets liés à l’adaptation au changement climatique sont, par ailleurs, au cœur des
préoccupations africaines, notamment liées à l’agriculture, la désertification et les
forêts.
De son côté, l’action de la France dans le domaine énergie‐développement
s’inscrit dans le cadre de stratégies globales de lutte contre la pauvreté, de
promotion de la croissance verte et de protection des biens publics mondiaux.
- 458 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Comme la souligné le dernier CICID : « La politique de développement de la
France s’inscrit dans un nouveau cadre, qui associe lutte contre la pauvreté et
développement durable dans ses trois composantes : économique, sociale et
environnementale »
Cette aide est étroitement liée à notre action contre le changement
climatique et ses effets. Depuis 2007, sur les 8,8 milliards d’euros mobilisés par le
groupe AFD (AFD + Proparco) sur la thématique énergie, l’énergie durable (énergies
renouvelables et efficacité énergétique) est le volet qui a connu la plus forte
croissance, avec au total plus de 4,4 milliards d’euros engagés.
Plus spécifiquement sur l’énergie renouvelable, les projets financés par
l’AFD portent sur les différentes filières : hydroélectricité, éolien, géothermie,
bioénergie, et, depuis 2011, solaire. Le total des engagements du groupe sur les six
dernières années dans le domaine des énergies renouvelables est de 2,8 milliards
d’euros.
Le Fonds Français pour l’Environnement Mondial a également fait de
l’énergie durable en Afrique une priorité pour 2013‐2014 et consacrera 5 M€ de
subvention en cofinancement au développement de projets innovants, notamment
d’accès à l’énergie.
Pour renforcer notre participation à l’Initiative « Accès à l’énergie durable
pour tous », SE4All, du Secrétaire général des Nations unies, la France, via le
ministère des affaires étrangères et l’AFD, a également mobilisé pour l’année 2013
une contribution spécifique d’assistance technique spécifiquement orientée vers
l’Afrique subsaharienne.
L’aide au développement française en faveur des énergies renouvelables
et de la croissance verte en Afrique se développe également à travers l’Union
européenne qui est aujourd’hui l’un des principaux bailleurs du secteur de
l’énergie. L’AFD participe au financement de nombreux projets nationaux et
régionaux en Afrique en partenariat avec l’Union européenne. Elle apporte ainsi un
soutien important au développement d’interconnexions et de lignes de transports
de l’électricité dans le cadre du pool énergétique régional d’Afrique de l’Ouest, a
développé des projets de lignes de crédits « efficacité énergétique » et « énergies
renouvelables » destinées aux banques locales en Afrique de l’Est, etc.
Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat
(GIEC), l’Afrique est le continent le plus vulnérable au changement climatique. Les
pays africains, représentant plus du quart des pays dans le monde, n’ont,
comparativement à d’autres Parties à la Convention cadre des Nations unies sur les
changements climatiques (CCNUCC), pas une implication très forte dans les
négociations. Sous l’impulsion de l’Union africaine, notamment, les pays africains
ont récemment tenté d’apparaître unis en adoptant des positions africaines
communes.
Les positions de l’UE et de l’Afrique sont assez proches (niveau d’ambition
élevé, accord juridiquement contraignant applicable à tous, importance de
l’adaptation au changement climatique, soutien aux financements innovants etc.),
CHAPITRE 4 : - 459 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
G. MISER SUR LA COOPÉRATION TRIANGULAIRE EN CAPITALISANT SUR NOTRE
COMPÉTENCE PARTENARIALE AVEC LE SUD
utilise une expertise africaine sur l’observance des médicaments chez les
adolescents mieux connue en Afrique qu’en Asie.
De même, en Inde, certains chercheurs de de l’IRD, affectés en Inde à la
CEFIRSE, travaillent avec des collègues chercheurs en Afrique, notamment au
Bénin, pour adapter les modèles développés à la CEFIRSE à la mousson africaine.
Le poids des pays émergents dans l’économie mondiale, dans les stocks
alimentaires et dans la diffusion des pandémies planétaires va croissant. Leurs
communautés scientifiques compteront beaucoup demain et il importe donc de lier
aussi des partenariats avec ces pays, qui investissent massivement en Afrique, dans
notre zone d’action prioritaire.
54) Développer des coopérations triangulaires en collaboration avec des
partenaires sans passé colonial (Canada, Australie…), avec les émergents démocratiques
(Afrique du Sud, Brésil, Inde), comme avec la Chine.
VI. DÉFENDRE CETTE AUTRE LANGUE AFRICAINE QU’EST LE FRANÇAIS
A. L’ENJEU DE LA FORMATION AU CŒUR DE LA FRANCOPHONIE
Le constat du groupe de travail est qu’en dépit d’une dynamique
démographique positive, la Francophonie en Afrique est en difficulté en raison
principalement de la fragilité des systèmes éducatifs des pays d’Afrique
subsaharienne.
En Afrique francophone, toute les actions qui permettent de consolider
l’accès de tous les enfants à une scolarisation de base de qualité, à l’enseignement
moyen, ou à la formation professionnelle concourent à la francophonie et
contribuent également à l’acquisition de compétences répondant aux besoins réels
de l’économie.
Compte tenu des moyens nécessaires pour faire face au défi
démographique, les moyens budgétaires de la France doivent se concentrer sur le
renforcement de capacité et les réformes qui permettent l’amélioration de la
qualité des enseignements et de la gestion des systèmes éducatifs.
Même dans ce domaine, les moyens bilatéraux sont dérisoires par rapport
aux besoins. En 2010 et 2011, l’AFD a apporté un appui technique et financier
direct pour l’éducation à hauteur de 54,5 millions dans le domaine de l’éducation
dans différents pays (Mali, Burkina, Mauritanie, Burundi, Tanzanie et République
centrafricaine), ou à travers des programmes régionaux (soutenus par l’Agence
universitaire de la Francophonie – AUF – et l’Organisation internationale de la
Francophonie – OIF).
Des efforts importants dans une enveloppe contrainte ont été effectués
ces dernières années sous l’impulsion du contrat d’objectif et de moyen (2009‐
2013) qui tendait à redresser l’effort de l’AFD dans un secteur qu’elle avait quelque
peu délaissé. Ainsi la part des dons de l’AFD affectés à l’éducation et la formation
- 462 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
professionnelle en Afrique subsaharienne doit passer de 12 % atteints en 2009 à
plus de 30 % en 2013, et celle des dons affectés à l’éducation de base en Afrique
subsaharienne de 8 % atteints en 2009 à plus de 20 % en 2013.
Il reste que le principal instrument en matière d’éducation reste le
Partenariat mondial pour l’éducation (PME). Le PME n’est pas seulement un fonds
mondial pour l’éducation, mais c’est aussi une initiative internationale innovante
qui permet une articulation forte de l’aide bilatérale, multilatérale et des
financements nationaux, en appui à des stratégies nationales solides. Chacun des
46 pays membres a développé une stratégie éducative avec ses propres objectifs en
collaboration avec les partenaires locaux qui apportent un soutien financier et
technique. Ceci assure une appropriation forte du programme par les partenaires
et évite les redondances entre les interventions.
Les pays ayant bénéficié des fonds du PME contribuent activement au
financement de leur plan d’éducation : en 2011, ils ont alloué 32,5 Mds$ (soit 19%
de leurs dépenses) à l’éducation. En terme de résultats, le taux d’achèvement des
études primaires est passé de 56% en 2000 à 68% en 2009 dans les pays ayant
bénéficié du soutien du PME, correspondant à une croissance supérieure à celle
des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire dans leur ensemble. Quatorze
pays pauvres prioritaires de la stratégie française bénéficient de 43% des
financements du PME (949 M$ à ce jour).
Depuis 2002, le PME a permis d’engager plus de 3,5 milliards de dollars et
d’obtenir des résultats très positifs : entre 2002 et 2011, le PME a contribué à
scolariser 23 millions d’enfants supplémentaires. Le nombre d’enfants scolarisés
dans les pays africains soutenus par le PME a progressé de 64 %, soit le double du
rythme d’accroissement enregistré dans les autres pays. Dans les pays partenaires
du PME, le taux d’alphabétisation des jeunes de 15 à 24 ans est passé de 77 %
entre 2000 et 2003, à 81 % entre 2007 et 2010, le taux d'achèvement des études
primaires est passé de 56 % en 2002 à 71% en 2011. Les filles représentent 62 %
des nouvelles inscriptions dans les pays partenaires du PME et 68 % des filles
achèvent désormais le cycle primaire, comparé à 56% en 2002. Le PME a contribué
à construire 37 000 salles de classe, à fournir 220 millions de manuels scolaires, à
former 413 000 enseignants.
Si le nombre d’enfants scolarisés a effectivement augmenté depuis 2000,
des obstacles continuent de se poser pour maintenir la qualité de l’éducation et
mobiliser les ressources nécessaires au financement de l’éducation de tous les
enfants de la planète. En 2012, 57 millions d’enfants en âge de fréquenter l’école
primaire ne sont toujours pas scolarisés, le déficit externe de financement de la
scolarisation universelle dans le primaire et le secondaire s’élève à 26 milliards USD
par année. Il subsiste des groupes importants d’enfants non scolarisés, notamment
chez les plus déshérités et les filles. La piètre qualité des apprentissages dans les
pays à faible revenu est inquiétante. Les ressources nécessaires pour financer
l’éducation sont insuffisantes. Les pays en développement ne cessent d’accroître le
montant des ressources qu’ils consacrent à l’éducation, et les bailleurs de fonds du
PME ont renforcé leur appui extérieur à ces pays ; mais les financements restent
CHAPITRE 4 : - 463 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
insuffisants, surtout si l’on considère la pénurie d’enseignants et la nécessité
d’élargir l’accès à l’éducation secondaire.
Sur le plan multilatéral, la France a joué un rôle moteur dans la conception
et la mise en œuvre du Partenariat. Elle a notamment mis en place une expertise
technique rénovée et reconnue destinée à apporter un soutien au montage et à la
réalisation des stratégies sectorielles.
Elle fait aujourd’hui partie de la trentaine de donateurs du fonds fiduciaire
du PME ; elle y a contribué à hauteur de 20 millions d’euros entre 2005 et 2008 et a
signé un engagement de 50 millions d’euros pour les années 2011 à 2013. De plus,
deux experts français sont mis à disposition du secrétariat de l’institution placé
auprès de la Banque mondiale à Washington.
La France a bénéficié d’une capacité d’influence importante, aujourd’hui
amoindrie par l’omniprésence des Britanniques et des Australiens, premiers
bailleurs de l’organisation. Elle a ainsi pu peser sur la géographie d'intervention du
PME : 80 % des crédits sont aujourd’hui attribués aux pays de notre zone de
solidarité prioritaire.
C’est pourquoi le groupe de travail insiste pour que la France renforce sa
participation au partenariat mondial pour l’éducation.
55) Renforcer sa participation au Partenariat Mondial pour l’Education.
B. ASSOCIER DES FINANCEMENTS PUBLICS ET PRIVÉS AU DÉVELOPPEMENT DE
SYSTÈMES DE FORMATION PROFESSIONNELLE
La politique de formation en Afrique subsaharienne devra combler le
décalage entre l’offre et la demande d’emploi et, au‐delà, l’inadéquation entre les
compétences actuellement enseignées et les besoins des entreprises.
Nombreux, aujourd’hui, sont les pays africains qui s’accordent dans leurs
politiques sectorielles pour lier “formation professionnelle”, “emploi” et
“croissance”. Dans les pays en transition qui ont réussi la scolarisation de base,
l’enjeu porte sur l’adaptation permanente de la capacité nationale de formation à
l’élévation régulière des besoins en compétences des entreprises. Dans les pays les
moins avancés qui restent tributaires de nombreuses contraintes structurelles,
l’enjeu porte sur la création ou la rénovation de systèmes souples et multiformes
de formation pour développer l’employabilité de la population active.
Dans tous les cas, c’est un enjeu majeur. Aujourd’hui, une majorité de
jeunes africains sont victimes d’une politique de formation inadaptée, entre les
compétences enseignées et la demande des employeurs. S’ils ont pu bénéficier
d’une scolarité dans le secondaire ou, pour certains, ont eu accès à l’Université, ils
n’ont pas acquis les compétences recherchées par les entreprises. Les offres
d’emplois se concentrent sur des qualifications techniques, de la supervision des
processus de fabrication et de la qualité dans les secteurs exportateurs.
- 464 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Alors même que l’Afrique est la région du monde qui compte la plus forte
proportion d’étudiants dans les filières littéraires et des sciences sociales, ce
décalage entraîne inéluctablement une inadéquation de la formation aux besoins
des entreprises et, par la suite, un chômage massif.
De nombreux pays sont en train de structurer des fonds de financements
de la formation professionnelle. Les finalités et modalités d’intervention des fonds
se différencient selon le niveau économique des pays. Ainsi dans beaucoup de pays
d’Afrique sub‐saharienne où l’emploi dit “informel” représente entre 80 % et 90 %
des emplois et où le niveau scolaire est faible, les formations d’artisans sont
prédominantes tandis que dans des pays semi‐industrialisés comme l’Afrique du
sud, où le secteur industriel représente 30 % des emplois avec un important
secteur tertiaire moderne, les demandes adressées aux fonds proviennent
davantage des secteurs dits “modernes”. Les fonds interviennent comme appui de
la structuration des systèmes de formation professionnelle qui sont en plein
développement.
La France a un système de formation professionnelle très développé.
L’Agence française de développement et les syndicats professionnels doivent
s’associer aux pouvoirs publics locaux, écoles, universités et entreprises pour
répondre à une demande croissante d’expertise dans un domaine particulièrement
stratégique en matière d’influence économique.
Le modèle de l’Institut des métiers de l’aéronautique de Nouaceur
(Casablanca‐ Maroc) fournit un exemple particulièrement réussi de ce que la
coopération française dans ce domaine peut faire de mieux.
Cet institut a pour objectif de former des opérateurs, des techniciens et
des cadres intermédiaires en langue française. Cet institut, fonctionnant sur le
principe du partenariat public (Ministère de l’Emploi, de la formation
professionnelles, de l’Industrie, de l’Économie et des Finances, AFD) et privé
(groupement des industries aéronautiques et de l’IUMM français) assure également
la formation professionnelle tant sur les cœurs de métiers que sur les activités
support et annexes (qualité, marketing).
Le groupe de travail estime que ce modèle de formation, mixte et concret,
permet une politique de formation et d’emploi, lisible et efficace.
Il pourrait aisément s’adapter aux secteurs de l’automobile, de la
téléphonie, du textile, de l’habillement, dans le cadre d’un rayonnement
économique régional voire international. Il pourrait s’enrichir d’une politique
d’échanges et de mobilité avec les partenaires français et européens francophones.
56) Promouvoir des partenariats public‐privé en faveur du développement de
système de formation professionnelle en Afrique.
CHAPITRE 4 : - 465 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
C. DÉVELOPPER DES PARTENARIATS AVEC DES UNIVERSITÉS FRANCOPHONES
Or on observe actuellement deux phénomènes s’agissant de l’accueil des
étudiants africains en France : d’une part, les familles n’ont souvent plus les
moyens financiers d’envoyer leurs enfants en France et privilégient des universités
francophones du continent africain, comme les universités marocaines ; d’autre
part, pour les familles dont les revenus sont plus élevés, les premiers cycles de
l’université française sont peu attractifs et subissent pleinement la concurrence
universitaire internationale, les étudiants se tournant vers les structures de pays
qui ne sont pas forcément francophones. Dans les deux cas, c’est la qualité
d’accueil de ces publics dans les universités françaises qui est en question.
En dehors des propositions relatives à l’accueil des étudiants, le Groupe de
travail estime que les partenariats entre les universités françaises et africaines
peuvent être une solution d’avenir. A une époque où la France soutient l’université
Paris‐Sorbonne‐Abou Dhabi, créée par un accord de coopération internationale
entre l’université Paris‐Sorbonne et le ministère de l’Enseignement supérieur et de
la Recherche de l'émirat d'Abou Dhabi, (Émirats arabes unis), il estime qu’un projet
comparable, par exemple à Dakar avec la création d’une grande université
francophone en lien avec une université française et les instances de la
Francophonie, permettrait d’attirer les étudiants francophones d’Afrique de l’Ouest
vers un enseignement en français délivré par des professeurs francophones
originaires d’Afrique ou de pays francophones dont la France.
Un autre moyen de garder dans l’orbite francophone les meilleurs
étudiants pourrait consister à encourager, par exemple par des bourses, la
cotutelle de thèse (disposition permettant à un étudiant d'effectuer son travail de
recherche sous la responsabilité de deux directeurs de thèse : l'un en France et le
second dans son pays).
57) Créer une université francophone pilote à l’image de la Paris‐Sorbonne‐
Abou Dhabi.
58) Encourager le développement de thèses en cotutelle franco‐africaine.
D. PROMOUVOIR L’ENSEIGNEMENT FRANCOPHONE EN LIGNE
Les cours en ligne se multiplient; ces cours ouverts et massifs, désignés
sous l'acronyme MOOCs (massive open online courses), sont nés il y a quelques
années aux États‐Unis. Ces cours en ligne sont non seulement gratuits et
accessibles à distance, mais ils peuvent déboucher sur une certification. Ces cours,
auxquels sont associés un accompagnement pédagogique et la possibilité
d'interagir avec les enseignants et les autres participants, permettent de former
des étudiants de tous les continents.
La France a un rôle à y jouer, à la hauteur de la qualité de son
enseignement et de sa recherche, en termes de coopération avec les pays en
développement et les pays francophones. La diffusion de cours en ligne, en
français, demeure une expression forte de sa politique en faveur de la
francophonie.
Aux Etats‐Unis, des plateformes numériques privées ou publiques
présentent aux étudiants du monde entier des cours dans toutes les disciplines. Sur
certaines plateformes on peut compter jusqu’à 4 à 5 millions d’inscrits sur les
quelques 500 cours en ligne. Un des premiers MOOCs a été suivi par 160 000
inscrits dans le monde, faisant dire à son créateur qu’il lui aurait fallu dispenser 250
ans de cours en amphithéâtre pour toucher un tel public.
Il s’agit là d’une rupture fondamentale car jamais auparavant une mise à
disposition des connaissances sous une forme aussi élaborée que celle‐ci n’avait
été possible.
Le Gouvernement a annoncé la création d’une fondation chargée de
susciter et de coordonner une offre de formation d’enseignement numérique
innovante et d’offrir une meilleure visibilité nationale et internationale à l’offre
française, de proposer une première plateforme comme outil d’intérêt commun
pour héberger les formations numériques des établissements, qu’il s’agisse de
MOOCs certifiant, de formations en ligne diplômant es ou qualifiantes.
Le C.N.R.S., Sorbonne Paris Cité, l’Ecole Centrale Paris, Paris 10 et
l’E.H.E.S.S., le CNAM, l’Ecole Polytechnique, Sciences‐Po, H.E.C., l’Institut Mines
Telecom ont déjà mis en place des dispositifs d’enseignement à distance.
Des partenariats européens se sont également noués, entre Paris 5,
l’université de Berlin et l’INRIA, France Université Numérique étant ouverte à
l’ensemble de nos partenaires.
L’Institut de la Banque mondiale s’est investi dans des programmes de
formation à distance, de même que le CEFEB, organe de formation de l’AFD, qui
vise à devenir une Université virtuelle. L’Institut International d’Ingénierie de l’Eau
et de l’Environnement (CI2E) basé à Ouagadougou a ouvert la voie dans les pays
francophones. L’Agence universitaire de la francophonie (AUF) peut également
dans ce domaine jouer un rôle essentiel pour rendre accessible au Sud
l'enseignement supérieur et promouvoir en même temps la francophonie.
Association d'universités fondée en 1961 à Montréal, l'AUF elle‐même a très tôt
contribué à la création de campus numériques. L’AUF dispose aujourd’hui d’une
soixantaine de lieux sécurisés et équipés pour permettre la formation à distance.
CHAPITRE 4 : - 467 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
Le groupe de travail invite le Gouvernement à poursuivre son effort en
faveur des universités numériques en coordination avec les partenaires
francophones.
59) Développer des universités numériques en coordination avec les
partenaires francophones.
VII. MIEUX ACCUEILLIR LES ÉLITES AFRICAINES DE DEMAIN
Le groupe de travail a constaté que la possibilité pour les élites africaines
de venir en France pour étudier ou faire des affaires s’est réduite drastiquement
avec la politique de restriction migratoire, la réduction des visas de moyen séjour
et la chute des bourses universitaires.
Il estime que nous devons transformer notre politique des visas pour en
faire un véritable outil au service de l'attractivité des élites africaines. Une
approche trop étroite a probablement prévalu dans le passé en privilégiant
excessivement une politique migratoire restrictive au détriment de notre politique
d’influence.
Depuis 2011, l’abrogation de la circulaire Guéant et les instructions
adressées aux consulats afin de faciliter la délivrance des visas de circulation à
destination des hommes d'affaires, des chercheurs, des universitaires, des artistes,
des intellectuels et des touristes ont globalement amélioré la situation. Des
partenariats avec les entreprises visant à faciliter la circulation de leurs employés et
de leurs clients sont également proposés.
Ces visas à entrées multiples permettent à leurs titulaires d’entrer et de
sortir à plusieurs reprises de l’espace Schengen sans être contraints de demander
un nouveau visa à chaque déplacement. Leur durée de validité, comprise entre
6 mois et 5 ans, permet de séjourner en France et dans l’espace Schengen 90 jours
par période de 6 mois.
Il a également été demandé aux postes de multiplier les listes d’attention
positive et de développer les partenariats avec les entreprises, chambres de
commerce, universités ou organisations professionnelles pour mettre en place au
bénéfice de leurs employés ou membres des procédures simplifiées.
Au lieu d'envoyer un message généralisé de renfermement, la France
commence de nouveau à adresser un message de bienvenue à tous ceux qui, par
leur activité ou leur visite, contribuent à notre croissance.
De nombreux efforts restent à faire pour simplifier la chaîne d'accueil et
encourager la dématérialisation et la simplification des procédures d'inscription et
de délivrance des visas et, en particulier, des titres de séjour valables pour toute la
scolarité.
- 468 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Ces dispositions permettront de restaurer notre influence, il est capital de
retisser des liens humains dans les deux sens et de faciliter la circulation des
hommes et pas seulement des marchandises.
Elles devront être complétées par des mesures de nature à améliorer
l’accueil des personnes dans les consulats.
Le groupe de travail estime qu’il faut améliorer les conditions d’accueil
dans les consulats.
Avec 821 personnels dédiés, dont seulement 237 agents titulaires pour
traiter 2,4 millions de demandes, la France est en difficulté là où la demande est
exponentielle, ce qui n’est pas encore le cas de l’Afrique. Le rapport Fitoussi‐Barry
de Longchamp a fait apparaître un retard par rapport à nos partenaires Schengen
qui sont pourtant, sauf exception comme l’Allemagne, moins vigilants que nous
pour la délivrance des visas Schengen. Nous avons la productivité agent la plus
élevée. L’externalisation est une solution, appliquée avec beaucoup de prudence en
Afrique (Lagos, Dakar bientôt, Afrique du Sud).
Le groupe de travail estime que chaque ambassade devrait élaborer un
plan sur l‘accueil à partir d’un diagnostic. Des mesures d’accompagnement sont
prévues, notamment pour revaloriser la fonction consulaire et les carrières qui s’y
déroulent.
Des mesures destinées à attirer les futures élites nationales par une
politique de bourses universitaires beaucoup plus dynamique permettraient aux
universités françaises de mieux faire face à la concurrence des universités anglo‐
saxonnes.
Au‐delà de la période de formation initiale, il convient de structurer des
dispositifs d’échanges qui permettent à des universitaires et des professionnels
établis dans leurs pays d’exercer leur métier une partie de l’année en France sous
la forme de « doubles‐chaires ». Ces dispositifs permettraient de lutter également
contre la fuite des cerveaux.
60) Modifier le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile
(CESEDA) visant à favoriser les conditions d'exercice des premières années d'expérience
professionnelle –expérience qualifiante– pour les étrangers tout juste diplômés d'un
établissement d'enseignement supérieur français.
61) Instaurer des visas pluriannuels, calqués sur la durée des études.
62) Élaborer dans chaque ambassade un plan d’accueil des demandeurs de
visas.
- 470 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
B. ACCUEILLIR LES TALENTS
La France mène depuis des années une politique d’accueil de
personnalités d’avenir, soit à travers le quai d’Orsay et son Programme d'invitation
des personnalités d'avenir (PIPA), l’ENA, les grandes écoles militaires, mais
également à travers des politiques de partenariats et d’échanges universitaires,
notamment dans le domaine de la médecine.
Ces programmes ont fortement souffert ces dernières années de la
diminution des crédits. Le programme PIPA, à titre d’illustration, est à la croisée
des chemins. Apprécié tant par les postes diplomatiques que par les intéressés eux‐
mêmes, il doit faire face depuis 2011 à une réduction de 30% de ses moyens
budgétaires.
Ces restrictions conduisent à sélectionner des profils de candidature sur la
base de priorités géographiques ou sectorielles parmi lesquelles l’Afrique conserve
une place de choix. Mais beaucoup plus pourrait être fait pour démultiplier l’effet
de ces invitations, souvent judicieusement ciblées : réunions d’alumni en France ou
sur le continent, animation de réseaux d’anciens invités et étudiants à leur retour
dans leur pays.
De même, le dispositif « Quai d’Orsay/Entreprises », cofinance des
bourses avec des entreprises françaises auxquelles leurs succès industriels et
économiques, notamment dans les technologies de pointe, assurent une présence
reconnue sur la scène internationale, à destination d’étudiant(e)s étrangers issus
des meilleurs établissements d’études de leur pays d’origine.
Pour ouvrir à ces étudiant(e)s l’accès, dans les meilleures conditions
possibles, à un cursus d’études supérieures dans un établissement d’enseignement
supérieur français de renom, en lien direct avec le monde professionnel, le
dispositif « Quai d’Orsay/Entreprises » propose aux entreprises des conventions de
partenariat permettant d’associer les moyens du ministère des affaires étrangères
à ceux du secteur privé, de Grandes écoles et universités françaises renommées.
Le ministère des affaires étrangères assure la coordination de ces
partenariats, s’engage à l’étranger dans l’information en direction des meilleurs
étudiants des établissements locaux sur chacun des programmes de bourses,
apporte l’expertise de son réseau de coopération culturelle et scientifique, et
attribue aux lauréat(e)s le statut de Boursier du Gouvernement français à travers la
couverture sociale et les avantages qui s’y attachent (facilités de demande de visa,
activités culturelles, etc.) ; il propose également aux boursiers des cours de français
intensifs avant leur départ, dispensés dans leur pays d’origine au sein des Alliances
françaises.
Ces initiatives en partenariat entre le dispositif public et les entreprises
privées doivent être encouragées.
63) Redynamiser la politique d’accueil de personnalités d’avenir.
64) Développer le dispositif « Quai d’Orsay/Entreprises ».
CHAPITRE 4 : - 471 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
65) Entreprendre une gestion dynamique du réseau des anciens élèves des
Lycée français à l’étranger et des anciens boursiers etc.
C. DÉVELOPPER LE DIALOGUE SUR LA QUESTION MIGRATOIRE
Le dernier CICID de juillet 2013 souligne que : « Le Gouvernement relève
que politique de développement et politique migratoire doivent être en cohérence. Il
reconnaît le rôle des migrations pour le développement des pays partenaires. Les
migrants sont des acteurs du développement. Ils y contribuent par leurs apports
financiers, techniques et culturels. L’articulation entre politique migratoire et
politique de développement s’inscrit dans l’approche globale des migrations
adoptée par le Conseil européen en 2005 et mise en œuvre par l’Union européenne.
Cette méthodologie a vocation à s’appliquer à tous les pays concernés. »
Le groupe de travail constate, quant à lui, que cette question migratoire
est, du fait des déséquilibres démographiques entre l’Afrique et l’Europe, une
question tout à fait essentielle pour les décennies à venir.
Il observe que le Gouvernement a souhaité rompre le lien établi par la
majorité précédente entre les questions migratoires et le financement des actions
de développement solidaire en estimant qu’il ne pouvait proposer à nos
partenaires africains ce qui pouvait s’apparenter à une forme de chantage.
Il reste que la contractualisation et le dialogue sur les questions des
migrations entre l’Europe et les pays africains restent une question essentielle.
Certes, les accords de gestion concertée des flux migratoires étaient très
déséquilibrés. La forme des accords, très solennelle, « la France s’engage »,
contrastait avec le fond qui reprenait, pour l’essentiel, tout en les aménageant, des
dispositifs existants. Sur certains points, comme l’admission au séjour pour une
première expérience professionnelle, les régimes accordés apparaissaient parfois
moins favorable que le droit commun. Quant aux crédits destinés au
développement solidaire, ils étaient particulièrement limités.
Ces quelques accords passés avec le Sénégal le Burkina Faso et le
Cameroun, comme avec la Tunisie, avaient pour ambition de construire une
approche globale, combinant entrées régulières d’étudiants et de salariés,
coopération sur la surveillance des frontières et pour la réadmission des irréguliers.
Le volet modeste de « développement solidaire » n’avait pas vocation à « acheter »
cette coopération (avec 30 millions par an pour tous les accords, c’eût été
prétentieux) mais à amorcer une discussion sur les actions susceptibles d’aider à
fixer les populations candidates au départ.
Ils avaient l’avantage d’institutionnaliser ce dialogue qui doit se poursuivre
tant au niveau bilatéral qu’européen. La France soutient l’« approche globale sur la
question des migrations », dont l’UE s’est dotée en 2006. Les principaux outils de
mise en œuvre de cette approche sont la conclusion de « partenariats pour la
mobilité » visant à faciliter et mieux encadrer la migration légale avec les pays du
voisinage immédiat, et la mise en place de « programmes pour la mobilité et les
- 472 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
migrations » pour les pays tiers. Un dialogue se tisse notamment entre l’Europe et
l’Afrique sur le lien entre migration et développement, tant au niveau bilatéral que
régional, avec le processus euro‐africain sur la migration et le développement
(«processus de Rabat ») et le dialogue ACP‐UE sur les migrations.
La majorité des Etats africains sont demandeurs d’une régulation de flux
légaux, de l’organisation de migrations circulaires, avec retour au pays des cadres
formés en France, d’une meilleure utilisation du potentiel que représentent les
diasporas. Cela peut s’accompagner d’une stratégie d’attractivité des talents
étudiants qui pourraient rester en France aussi bien qu’aider leur pays, l’essentiel
étant que notre rayonnement, la conquête de marchés exports, les prises de
participation soient facilités par tous ces « ambassadeurs » que seront les étudiants
formés en France.
A l’inverse, renoncer à passer des accords sur les flux migratoires revient à
s’exposer à une dégradation des relations bilatérales avec les pays sources, en
raison de l’augmentation des clandestins et des mesures de réadmission.
Il faut en effet avoir à l’esprit les chiffres évoqués au chapitre 1, la
population africaine estimée à 1 milliard en 2010, les prévisions de l’ONU tablent
sur 2,2 milliards en 2040, à moins d’une génération ! Le nombre des 20 à 39 ans va
passer de 350 à 620 millions. Les marchés du travail locaux auront, malgré le
décollage économique, des difficultés à absorber de telles demandes d’emploi et
l‘Europe sera plus que jamais un Eldorado. Surtout si les appareils universitaires se
développent et, comme en Tunisie, mettent au chômage des milliers de diplômés.
Ce sont les pays actuellement les plus pauvres, avec une population
modeste aujourd’hui, qui vont connaître les hausses les plus fortes : Tchad, Mali,
Niger, Burkina Faso passeront ensemble de 57 à 160 millions d’habitants. Ils sont
en partie francophones, avec une diaspora qui peut augmenter si les couches
moyennes enrichies cherchent à s’installer en France et accueillir ses compatriotes.
Les géants que sont le Nigéria, l’Egypte et la RDC connaîtront une
croissance spectaculaire en volume : 360 millions au Nigéria !! Et plus qu’un
doublement en RDC (de 62 à 148 millions). Madagascar passera de 21 à 50 millions.
La pression migratoire va donc augmenter. La croissance des flux peut être
progressive mais aussi marquer des accélérations d’opportunité, comme lors du
printemps arabe qui a mis sur les routes de l‘immigration, en plus des Africains
travaillant en Libye, des ressortissants d’Afrique subsaharienne et de la corne
orientale (Soudan, Somalie, Ethiopie). Toute déstabilisation d’un des « Etats
tampons » du Maghreb pourrait entrainer des mouvements très importants.
Par ailleurs, le contexte de récession et de crise économique qui
s’annonce pour notre pays, tout comme pour la majeure partie des Etats
européens, fait peser une lourde hypothèque sur notre capacité à accueillir les
migrants issus d’une relance de la migration de travail dans de bonnes conditions.
Les capacités d’emploi et de logement que peut offrir notre pays se trouveront
nécessairement affectées.
CHAPITRE 4 : - 473 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
Un dialogue sur ce sujet avec les pays riverains de la Méditerranée et les
pays africains est donc plus que jamais nécessaire. Le drame de Lampedusa ne fait
qu’en souligner la nécessité.
C’est pourquoi le Groupe de travail se prononce en faveur d’une relance
du dialogue avec les pays d’origine sur les questions migratoires, avec la
constitution de groupes de suivi paritaires qui permettent d’échanger les points de
vue et les données sur les migrants, la réadmission des personnes en situation
irrégulière, la coopération en matière de lutte contre l’immigration clandestine et
la fraude documentaire.
En termes de politique publique, l’articulation entre migrations et
développement doit également être repensée.
Toutes les études soulignent le rôle important des migrants dans les
dynamiques de développement des pays africains aussi bien en matière de
transfert de fonds, qui sont plus importants que l’APD, que de formation. Quel
dialogue engager avec les pays partenaires et comment prendre en compte, de
manière transversale, ce sujet dans les politiques de développement ? Comment
réduire plus efficacement les écarts de richesse, causes majeures des migrations,
notamment en incitant les migrants à être des acteurs du développement ?
La France prend en compte le lien entre migrations et développement
depuis plusieurs années à travers les projets de codéveloppement menés en
partenariat avec les associations et le soutien aux transferts de fonds des migrants.
Convaincue de l’importance des transferts d’argent des migrants pour le
développement, la France a œuvré en faveur de l’adoption au G20 à Cannes, en
2011, d’un engagement de réduction d’ici 2014 des frais moyens d’envoi de fonds
de 10 à 5% du montant transféré.
Le groupe de travail estime que le Gouvernement devrait lancer une
évaluation des projets de développement solidaire menés ces dernières années et
reformuler des propositions sur la base de ces évaluations.
66) Relancer le dialogue avec les pays d’origine sur les questions migratoires,
avec la constitution de groupes de suivi paritaires.
67) Redéfinir une stratégie de promotion du développement solidaire.
- 474 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
La France entretient avec les pays africains des relations bilatérales
intenses, mais elle est également fortement engagée dans des instances
communautaires et multilatérales qui ont une importance majeure sur le continent.
A. PARTAGER L’ENJEU AFRICAIN AVEC NOS PARTENAIRES EUROPÉENS
Le Groupe de travail a fait le constat que l’Europe peine à formuler et à
mettre en œuvre une politique africaine ambitieuse. Cela tient en partie aux
instruments, la politique étrangère commune et encore plus la défense européenne
n’en sont qu’à leurs débuts. Cela tient également à l’absence d’une volonté
politique partagée.
L’union est engagée dans un double processus d’élargissement et de
voisinage à l’est avec les Balkans occidentaux et les six pays du partenariat oriental
(Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Géorgie, Moldavie, Ukraine).
Dans le premier cas, des pays pour lesquels l'adhésion à l'UE n'est qu'une
question de temps, depuis le Conseil de Thessalonique en 2003, et dans le second
groupe, des pays pour lesquels la question de l'adhésion est encore du « non‐dit »,
comme en suspens. Les pays des deux groupes sont pourtant incontestablement
des « voisins européens », pas des voisins de l'Europe », qui en appellent à notre
responsabilité historique.
L’Europe est ensuite particulièrement sensible à l’évolution des voisins
immédiats de la Méditerranée à la suite des printemps arabes. C’est là un sujet
essentiel qui est intimement lié à la problématique africaine.
Il reste donc à convaincre nos partenaires de l’importance stratégique de
l’Afrique. Pour cela, il faut faire admettre qu’il y a pour l’Europe une différence de
nature entre les enjeux du développement mondial et celui de l’espace
euro‐méditerranéo‐africain.
Le premier pose la question du poids de l’Europe dans les questions
globales. C’est la question de la capacité collective de l’Europe d’être à la place que
lui confère son poids économique dans les négociations mondiales et dans le
monde des grands bailleurs de fond multilatéraux et régionaux.
Le second pose la question multiforme de la gestion d’une proximité, avec
toutes les conséquences économiques, politiques et humaines qui en découlent, et
qui appellent une politique articulant tous les acteurs des sociétés européennes et
africaines.
Il faut distinguer la définition de l’espace européen, d’une part, et celle de
l’espace au sein duquel l’Europe pourra relever les défis qui se posent à elle,
d’autre part.
CHAPITRE 4 : - 475 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
Il n’y a en effet pas de puissance économique sans capacité
d’aménagement de son espace, certes organisé en centres et périphéries mais en
vue d’une prospérité commune. Il s’agit ni plus ni moins d’augmenter la croissance
potentielle de l’Europe en l’arrimant à l’un des moteurs de la croissance
économique mondiale de ces prochaines années.
Comme nous l’a dit Jean‐Michel Debrat, directeur de l’Agence de l’AFD en
Afrique du Sud : « il faut penser l’espace Europe‐Afrique comme un marché
intérieur, un bassin d’emploi, un unique espace de sécurité, comme un espace
territorial de développement économique et financier ».
Il faut penser cet espace comme un Marché Intérieur en construction
appelé à tirer la croissance. L’Europe n’a pas plus intérêt à laisser l’Afrique en
situation de sous‐développement que la Chine l’ensemble de son territoire
national.
Il faut penser l’Eurafrique comme un bassin d’emplois dont les
différentiels de coût de main‐d’œuvre doivent être « utilisés » de manière positive.
La problématique du Maghreb n’est pas très différente de celle de l’Europe
centrale et les mouvements de population doivent être envisagés de facto à
l’intérieur de ce grand ensemble.
Pour l’Europe aussi la stratégie de population ne peut être que globale et
va avoir pour enjeu la maîtrise des coûts et la maîtrise des migrations, la faible
compétitivité de sa main‐d’œuvre et les difficultés de contrôle des mouvements
migratoires.
On ne pourra pas longtemps repousser la définition des solidarités
internes à l’espace européen et, parallèlement, la définition de la solidarité de
l’Europe vis‐à‐vis des pays du sud, tant ces deux questions sont liées.
Il faut penser cet espace comme un unique espace de sécurité ; cette idée
est ancienne mais elle a connu une évolution très rapide. Avant les années 80, le
contexte de la guerre froide l’emportait, puis ce fut le souci d’exporter la
démocratie et de créer les conditions d’une bonne gouvernance, enfin, depuis le
11 septembre 2001, la préoccupation de sécurité a pris le pas. L’Afrique est trop
proche, tant au sens géographique qu’en termes de population, de l’Europe pour
que l’on puisse y voir se multiplier des « Etats fragiles » sans que l’Europe ne soit
directement concernée : cette problématique a remplacé aujourd’hui celle de la
guerre froide.
En toute hypothèse, l’Union européenne doit contribuer à améliorer la
capacité des Etats à prévenir les conflits.
Elle a commencé à le faire avec la facilité « Paix pour l’Afrique » qui
permet de financer des interventions militaires. Mais il faut bien sûr se placer plus
en amont : les problèmes dits « de sécurité » (migrations anarchiques, violences
civiles, terrorisme, etc.) résultent pour une large part des dysfonctionnements de
l’aménagement de l’espace et de défaillances institutionnelles.
- 476 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Cette conviction‐là, la France doit la porter chez nos partenaires
européens.
68) Définir une stratégie africaine de la France dans les instances européennes.
B. DÉVELOPPER UNE STRATÉGIE AFRICAINE AU NIVEAU MULTILATÉRAL
Au cours des années 2000, une série de crises (sanitaire, alimentaire,
environnementale, financière, sociale) a révélé des déséquilibres profonds du
système économique, qui mettent au défi l'action collective internationale.
La communauté internationale prend conscience du besoin de réguler
davantage les interdépendances liées à la mondialisation. Certains progrès ont ainsi
été permis par les décisions prises au moment de la crise financière : meilleure
représentativité des structures (création du G20, réforme des institutions
financières internationales), développement d'une gouvernance mondiale des
marchés financiers (création du Conseil de stabilité financière).
Parce qu'elles associent pays développés, pays émergents et pays en voie
de développement, et parce qu'il est rapidement devenu clair qu'une réponse
efficace à ces défis impliquerait des transferts importants de ressources et de
savoir‐faire entre ces acteurs du Nord et du Sud, les institutions d'aide publique au
développement (APD) se sont retrouvées au cœur de ce double effort de solidarité
et de régulation.
Après une longue décennie d'interrogations sur son sens et son efficacité,
l'APD a renoué avec la dimension stratégique qui était la sienne au cours de la
guerre froide. Rehaussée au niveau de la diplomatie et de la défense dans la
stratégie de sécurité américaine dite des « 3D » (diplomatie, défense,
développement), l'aide au développement a dépassé l'approche essentiellement
caritative qui avait marqué les années 1990 et 2000 pour constituer un instrument
de gestion des interdépendances dont l’Afrique est le premier champ d’application.
De fait, un ensemble de politiques publiques multilatérales se sont mises
en place en Afrique (santé publique, sécurité alimentaire, stabilité financière,
éducation et culture, promotion des énergies renouvelables, etc.), ce qui se traduit
par la densification du tissu institutionnel (OMS, PAM et FAO, FMI, UNESCO,
IRENA...).
Ces organisations participent aux processus d'édiction de normes
internationales (négociations climat, comité de Bâle, etc.), au suivi statistique, au
financement de projets et/ou à l'assistance technique aux Etats ne disposant pas de
capacités suffisantes pour traiter des vulnérabilités susceptibles d'avoir des effets
au‐delà de leurs frontières.
La France accompagne depuis une décennie la montée en puissance des
grandes banques multilatérales et régionales, telle que la Banque mondiale qu’elle
finance à hauteur de plus de 460 millions d’euros par an, afin d’orienter leur
programmation vers les zones prioritaires de la France et en particulier vers
l’Afrique subsaharienne.
CHAPITRE 4 : - 477 -
70 MESURES POUR UNE POLITIQUE AFRICAINE RÉNOVÉE
Elle a également promu le développement d’une politique de coopération
européenne à travers le FED, auquel la France contribue pour près de 800 millions
d’euros par an.
Elle a enfin été à l’initiative de la mise en place de nouveaux instruments
comme le Fonds mondial de lutte contre Le sida, la tuberculose et le paludisme
auquel elle contribue désormais à hauteur de 360 millions d’euros par an, soit,
depuis sa création, une contribution de près de 3 milliards d’euros.
Principales contributions nettes de la France aux organisations multilatérales,
comptabilisées en APD
en millions d'euros 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
(LFI) PLF
La France poursuit cet effort important sans définir une stratégie
concertée de ses contributions multilatérales, ni a fortiori de stratégie africaine.
Le groupe de travail ne peut qu’insister sur la nécessité de se fixer des
objectifs de partenariats entre nos actions bilatérales et les actions multilatérales
en Afrique des organismes auxquels la France contribue.
- 478 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Sur le terrain, de nombreux interlocuteurs ont souligné la faible
articulation entre les agences bilatérales et les agences multilatérales.
Lorsque la commission des affaires étrangères a organisé une table
ronde sur le document‐cadre d’aide au développement, certains intervenants ont
souligné combien il était difficile de combiner les efforts des agences bilatérales et
des instances internationales. M. Jean‐Michel Severino ancien directeur général de
l’AFD, vice‐président de la Banque mondiale a observé ainsi que cela était « plus
difficile encore au niveau européen qu’au niveau international » jugeant « opportun
de définir un objectif d’influence en la matière » et de « prévoir une stratégie plus
offensive à l’égard de l’aide publique au développement assurée par le canal
multilatéral et européen ».
Ces propos rejoignent les évaluations faites par la direction générale du
Trésor du ministère des finances sur l’efficacité de l'interaction des organisations
multilatérales dans les pays africains1. Ces dernières soulignent la faible corrélation
entre la programmation de la Banque mondiale et les priorités de la France.
Des progrès ont été faits, notamment au niveau européen, à travers des
expériences de programmation conjointe. La programmation conjointe est, en
effet, un sujet clé de l’actualité européenne de l’aide. Elle s’inscrit dans la réflexion
générale que mène la Commission sur l’avenir de la politique européenne de
développement et participe à l’objectif de renforcement de l’efficacité de l’aide.
En revanche, comme le souligne la dernière revue par les pairs de l’OCDE :
« En dépit de cet engagement, la France ne dispose pas de stratégie d’ensemble de
l’aide multilatérale……une approche stratégique d’ensemble, couvrant également
les agences des Nations Unies et les principaux fonds verticaux auxquels la France
contribue fortement, faciliterait les arbitrages entre l’aide bilatérale, l’aide
communautaire et l’aide multilatérale en tenant compte des différents objectifs
poursuivis, et favoriserait l’articulation entre l’aide bilatérale et l’aide
multilatérale ».
Le groupe de travail propose qu’une telle stratégie soit établie avec en son
sein une stratégie pour l’Afrique. Ce document devrait prendre en compte les
évaluations en cours des contributions à la Banque mondiale et au FED.
69) Définir une stratégie française en faveur de l’Afrique dans les instances
multilatérales.
C. PROMOUVOIR LA VOIX DE L’AFRIQUE DANS LA GOUVERNANCE MONDIALE
L'Afrique sera en 2050 plus peuplée que l'Inde et la Chine, trois fois plus
que l'Europe, elle représentera un cinquième de l'humanité. Ce rattrapage la rend
incontournable, comme le sont aujourd'hui la Chine avec 1,3 Md d'habitants et
l'Inde avec 1,2 Md. Un tel poids devra être représenté au niveau de la gouvernance
mondiale.
1
Mars 2010 – Efficacité de l'interaction des organisations multilatérales dans les pays africains
DGTPE
- 479 -
Cet objectif peut à ce jour être recherché par trois canaux : renforcer le
dialogue entre le G8, le G20 et les pays africains, garantir le rôle pivot des Nations
unies au sein du système de gouvernance collective, système où l'Afrique est
largement représentée, et plaider en faveur d'une réforme de la gouvernance
politique favorable à l'Afrique.
Le G8 et le G20 ont une responsabilité importante pour contribuer à mieux
insérer l'Afrique dans la gouvernance mondiale. Seule l'Afrique du Sud est
aujourd'hui présente au G20, une situation qui ne pourra être maintenue dans le
temps. Les intérêts de 14% de la population mondiale, la plus pauvre qui plus est,
sont portés par un seul pays, alors que 2 pays sud‐américains représentent 8,6%,
trois nord‐américains, 5%.
C’est sans doute un des thèmes que la France peut porter comme elle l’a
déjà fait au Sommet d'Evian sous présidence française.
70) Promouvoir la voix de l’Afrique dans la gouvernance mondiale.
- 480 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
EXAMEN EN COMMISSION
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées,
sous la présidence de M. Daniel Reiner, vice‐président, a examiné le présent rapport
le 29 octobre 2013.
M. Jean‐Marie Bockel, co‐rapporteur. – Je voudrais remercier en
préalable les participants au groupe de travail, Kalliopi Ango Ela, Jean‐Claude
Peyronnet, René Beaumont et Robert Hue : durant huit mois, nous avons
auditionné une centaine de personnes, à Paris ou lors de nos déplacements en
Afrique du Sud, en Ethiopie, et en Côte d’Ivoire ‐ et je crois exprimer le sentiment
général en disant que ces rencontres très riches nous ont beaucoup apporté, en
témoigne l’imposant rapport qui en résulte.
Parmi les défis auxquels l’Afrique fait face, le plus flagrant est
démographique : d’ici quarante ans, le continent devrait compter deux milliards
voire trois d’habitants, ce qui signifie qu’il devra nourrir, loger et former au moins
un milliard d’êtres humains supplémentaires. Cette transformation est une
opportunité : l’Afrique est l’un des plus grands marchés de la planète, avec 326
millions de consommateurs, presque autant que l’Europe ‐ et sa croissance est
exponentielle. Cette explosion démographique s’accompagne de dynamiques
spatiales : ce seront les villes africaines qui accueilleront le milliard d’habitants
supplémentaire ; une nouvelle Afrique est en train de naître puisque la moitié de la
population a moins de 25 ans, et l’emploi des jeunes sera au cœur de la stabilité du
continent.
L’explosion démographique met les sociétés africaines sous tensions. La
pression est d’abord écologique. L’empreinte écologique de l’Afrique a augmenté
de 240 % entre 1961 et 2008 et elle devrait doubler à l’horizon 2040. Le capital
naturel de l’Afrique a été largement exploité, voire surexploité et pillé, qu’il s’agisse
de l’agriculture, de la pêche ou de l’exploitation des ressources minérales et
pétrolières. A cela s’ajoute le réchauffement climatique. Alors que l’Afrique produit
moins de 4 % des émissions de gaz à effet de serre, elle est considérée comme la
région la plus vulnérable aux effets des changements climatiques.
La pression, ensuite, est migratoire : en moins de dix ans, l’Afrique s’est
accrue de 100 millions d’actifs et le continent devrait compter un milliard d’actifs
supplémentaires en 2040 ‐ ce qui en fera la plus nombreuse population active au
monde. D’ici 2050, le nombre d’actifs européens va diminuer de 90 millions, alors
que l’Afrique subsaharienne va au minimum gagner 700 millions d’actifs.
Malgré ces défis, une partie de l’Afrique semble bien partie, et nous
sommes loin du temps où, avec Louis Dumont, on pensait que l’Afrique était bien
mal partie... Une partie de l’Afrique connaît un véritable décollage économique,
avec 5% de croissance annuelle depuis dix ans, taux moyen qui recouvre des
réalités cependant très contrastées sur le continent. Voyes l’essor de la téléphonie
EXAMEN EN COMMISSION - 481 -
mobile : le marché a crû de 244% par an sur cinq ans et plus d’un Africain sur deux
possède un téléphone portable.
La situation est certes très difficile dans des pays comme la Centrafrique,
la République démocratique du Congo, ou encore au Sahel – mais en dehors de ces
« trous noirs », il y a une Afrique dynamique, une Afrique courtisée par les pays
émergents, une Afrique qui peut être pour nous un formidable réservoir de
croissance. Ce dynamisme économique a permis une réduction de la dette publique
pour des pays comme le Ghana, le Bostwana, le Rwanda, qui connaissent des
progrès sociaux et économiques. Il y a dix ans, la mode était à l’afro‐pessimisme ‐
est aujourd’hui à l’optimisme, car l’Afrique décolle. Pour notre part, nous n’avons
pas souhaité être pessimistes ou optimistes, mais vigilants et résolument afro
réalistes.
D’immenses défis restent néanmoins à relever. Celui de la pauvreté, tout
d’abord : en Afrique, 400 millions de personnes vivent avec moins d’1,25 dollar par
jour et avec une espérance de vie de 24 années inférieure à la moyenne des pays
de l’OCDE, le continent n’a pas encore transformé une décennie de croissance en
développement. Les inégalités de niveaux de vie se creusent sur le continent entre
les pays et à l’intérieur des pays. Par ailleurs, l’économie africaine reste encore peu
diversifiée. L’industrialisation est balbutiante et ne représente que 11% de la
production contre 31% en Asie du Sud Est. Les économies africaines sont encore
bridées par la fragmentation du continent et le manque infrastructures. 20 % de la
population a accès à l’électricité courante, moyens de transport à l’intérieur du
continent peu développés... Le délitement de certains Etats, le terrorisme, les
conflits entravent encore l’émergence économique et politique de l’Afrique sur la
scène mondiale. Or, il n’y pas de développement possible sans sécurité, mais il n’y
aura pas de sécurité durable sans développement.
L’Afrique est donc à la croisée des chemins, où se pose la question
suivante : comment va‐t‐elle se développer ? L'Afrique a encore le choix : entre un
développement « à la chinoise », ou un développement qui préserve les équilibres
sociaux et environnementaux. C’est un des défis de notre coopération avec
l’Afrique que d’intégrer davantage ces enjeux dans les projets.
En 2050, le quart de l’humanité sera africain. Il faut donc dès à présent
penser le monde en plaçant l’Afrique au cœur de nos analyses. C’est ce que font la
plupart des pays émergents qui investissent aujourd’hui ce continent. Hier ignorée,
aujourd’hui convoitée, l’Afrique est devenue un lieu de rivalités : c’est devenu le
nouvel eldorado des pays émergents.
Connectée à la mondialisation, l’Afrique est, en effet, au cœur d’une
redistribution des cartes entre anciennes puissances coloniales et puissances
émergentes. La part des échanges de l’Afrique avec les pays émergents a presque
doublé en dix ans. En 2009, la Chine est ainsi devenue le premier partenaire
commercial de l’Afrique. On pense à la Chine, à l’Inde, au Brésil, mais les ressources
minérales et les marchés africains suscitent aussi l’appétit des investisseurs,
marocains, turcs, indiens, brésiliens, coréens ou japonais… La Chine développe une
stratégie dite « des petits pas » qui va de la construction d’écoles à l’extraction
- 482 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
minière ; le commerce bilatéral avec le continent se chiffrait à plus de 100 milliards
de dollars en 2008, cent fois plus qu’en 2000 ! L’Inde s’appuie sur une diaspora
ancienne pour développer son influence en Afrique, ses échanges commerciaux
avec le continent ont bondi de 3 à 60 milliards de dollars entre 2000 et 2011.
L’Afrique du Sud, qui représente 25 % du PIB de l’Afrique subsaharienne, s’affirme
comme le moteur du développement du continent et s’en fait le porte‐parole sur la
scène mondiale.
La coopération Sud‐Sud se nourrit d’une expérience concrète et récente
du développement des pays émergents. On nous a dit en Afrique du Sud : «
l’Occident nous a apporté les 3 c : commerce, civilisation et colonisation, les BRICS
viennent avec les trois i : intégration, infrastructure et industrialisation ».
Partenaire économique, l’Afrique est également un soutien politique
primordial pour les émergents qui veulent acquérir une envergure diplomatique
nouvelle. Les 53 voix des États africains à l’ONU font l’objet de toutes les
convoitises, sur fond de renversement du rapport de force avec l’occident.
Il y a enfin des aspects stratégiques. Regardons la carte de l’Afrique : à
l’Est l’océan Indien, avec une Inde prise dans une concurrence effrénée avec la
Chine. A l’Ouest, au‐delà de l’Atlantique, le Brésil cherche à se positionner comme
point de jonction entre les deux rives de cet océan.
La France est‐elle en perte de vitesse en Afrique ? Nous avons le
sentiment d’une relation sans équivalent, mais d’une présence en recul dans ce
continent en essor. La relation entre la France et l’Afrique, c’est tout d’abord une
histoire commune et une langue partagée, avec la francophonie. La présence
française en Afrique se caractérise également par sa continuité depuis les
indépendances, à travers les quelque 1000 entreprises françaises implantées sur le
continent, le réseau des 200 Alliances françaises et Instituts français qui forment 80
000 étudiants africains chaque année, ou encore notre communauté d’expatriés
forte de 100 000 Français.
La France et l’Afrique, c’est ensuite l’Afrique en France, avec quelque 800
000 immigrés, qui participent à la présence en France de la culture africaine.
La France est enfin un des premiers bailleurs de fonds et le premier
partenaire militaire de l’Afrique, avec 10 000 militaires déployés sur le continent.
Pourquoi, dans ces conditions, avoir le sentiment d’un déclin ? Premier
facteur : nos parts de marché diminuent en Afrique, à mesure qu’y augmentent
celles des entreprises chinoises. Ainsi le poids de la France dans le PIB de la zone
franc est passé de 40 % sur la période 1985‐1995 à 20 % sur la période 2005‐2009
tandis que celui de la Chine a été multiplié par huit. Alors que le secteur bancaire
est en plein décollage, les géants français de la banque ont vu leur participation
chuter drastiquement. Comme nous l’a dit Dominique Lafont, directeur de Bolloré
Africa Logitics « Le CAC 40 a fui l’Afrique ».
Deuxième facteur : la France n’a pas de stratégie bien établie en Afrique.
Depuis dix ans, tout se passe comme si notre politique africaine était tétanisée par
EXAMEN EN COMMISSION - 483 -
le débat sur la « Françafrique ». Alors qu’une grande partie du continent se
modernise, le discours français est resté obnubilé par le passé sans voir que le
continent changeait. De là, une politique hésitante, qui oscille entre l’ingérence et
l’indifférence. A ces hésitations correspond en Afrique un sentiment ambivalent à
l’égard de la France, fait d’attirance et de répulsion. Le succès de l’opération Serval
ne doit pas nous donner l’illusion de l’efficacité des solutions militaires. L’intérêt
mutuel de la France et des pays africains est avant tout de créer les conditions d’un
développement durable.
Troisième facteur : faute de stratégie politique, le critère budgétaire est
devenu le seul fil conducteur de l’intervention française et la réduction de la voilure
a été notre seul cap, aussi bien dans la coopération civile que militaire. L’Europe
aurait pu prendre le relais, ce n’est pas encore le cas. En matière d’aide au
développement, l’UE est en revanche devenue le premier bailleur de fonds de
l’Afrique, nous y prenons une part active. L’enjeu est là comme ailleurs de trouver
la meilleure articulation possible entre le niveau bilatéral et le niveau européen.
Dans ces conditions, la France est‐elle en train de rater un tournant
stratégique ? Notre présence reste marquante dans certains aspects militaires et
dans l’aide au développement qui sont à la charge de l’Etat, pendant que d’autres
pays développent des relations commerciales. Comme nous l’a dit un ambassadeur
chinois : « Vous assurez la sécurité, nous faisons des affaires ». La France peut
apparaître moins menacée qu’on ne le croit. Après tout, l’Afrique ne fait que
s’ouvrir à de nouveaux partenaires. De plus, la lune de miel avec les nouveaux
partenaires émergents est sans doute temporaire. Apparaît çà et là une prise de
conscience d’un partenariat qui n’est pas si « gagnant‐gagnant » et qui serait en
matière d’approvisionnement en hydrocarbures et en minerais plutôt « gagnant‐
perdant ».
Pour autant, tabler sur l’échec des pays émergents serait une stratégie
perdante. Il faut surtout être compétitif et montrer à nos partenaires africains que
nous avons un intérêt partagé pour un développement durable et harmonieux.
Il y a pour la France un impératif africain, avec la montée des
interdépendances, l’échec de l’Afrique serait un cauchemar. Avec l’explosion
démographique de l’Afrique, notre intérêt premier est la sécurité et le
développement de ce continent. Nous jouons là‐bas une partie de notre croissance.
Comme le dit Larry Summer, l’ancien secrétaire d’Etat américain, il est aujourd’hui
plus risqué de ne pas investir en Afrique que d’y investir. De ce point de vue,
comme nous l’a dit Mathieu Pigasse de la Banque Lazard, « la France est en retard
d’une guerre. Le continent est en train d’émerger, et nous regardons encore
l’Afrique avec le prisme de l’APD et des forces prépositionnées. »
Ce « pivot Africain » qui englobe aussi le Maghreb est d’autant plus
nécessaire que nous entrons dans une nouvelle géopolitique de la pénurie où la
sécurisation des approvisionnements en hydrocarbures et en métaux sera l’un des
enjeux majeurs. Les pays émergents ne s’y sont pas trompés.
- 484 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Notre intérêt bien compris est donc de favoriser un co‐développement de
l’Europe et de l’ensemble du continent africain –Maghreb compris – et de tirer
l’Afrique vers un modèle de développement équilibré. Mais une chose est sûre :
l’Afrique ne nous attendra pas.
M. Jeanny Lorgeoux, co‐rapporteur. – La politique africaine de la France a
évolué moins vite que l’Afrique elle‐même. C’est pourquoi nous proposons 70
mesures regroupées en dix priorités pour relancer une politique africaine rénovée.
Pour ce faire, nous avons commencé par distinguer, comme les stoïciens le
faisaient en leur temps, ce qui dépend de nous et ce que l’on ne maîtrise pas.
Les facteurs qui ne peuvent pas être maîtrisés par la France sont
nombreux. J’en citerai quatre : l’ouverture des pays africains aux nouveaux pays
émergents et l’implication croissante de ces derniers sur le continent ; l’appétence
des Africains pour le monde anglophone ; la défiance à l’égard de tout ce qui
pourrait s’apparenter à une forme de néocolonialisme ; enfin, les risques
d’instabilité politique et sécuritaire : les bouleversements démographiques et
économiques que nous avons décrits mettront sous tensions l’ensemble du
continent. Alors que les zones les moins développées connaissent les affres des
pays où la déliquescence de l’Etat ne lui permet pas d’assurer ni l’ordre public, ni
les services publics minima nécessaires au développement, dans les zones plus
développées, la croissance économique, l’élévation de vie et d’éducation
pourraient entraîner une instabilité politique croissante dans des pays où l’espace
public est encore très réduit.
En revanche, certains facteurs peuvent être mieux maîtrisés par les
pouvoirs publics français : nous pouvons renforcer la cohérence de notre politique
africaine et les synergies entre les différents acteurs est possible ; nous pouvons
promouvoir une image rénovée de l’Afrique qui, sans masquer la réalité, mette
aussi en valeur les nombreuses opportunités est envisageable ; nous pouvons
renforcer la présence des entreprises françaises dans les zones d’Afrique
anglophones particulièrement dynamiques est souhaitable ; enfin, les conditions
d’accueil des élites africaines aussi bien dans le domaine universitaire que dans les
domaines du commerce et des arts, dépendent de la partie française.
Nous avons dégagé dix priorités :
• Première priorité : tenir un autre discours sur l’Afrique : il s’agit de
quitter le « vieux récit » sur une Afrique du passé et de susciter un « besoin
d’Afrique » qui soit le pendant d’une « demande de France ». Il faut se départir des
préventions postcoloniales et assumer le fait que l’Afrique n’est pas seulement
partie prenante de notre histoire, mais aussi un élément clé de notre avenir.
Il faut fonder nos relations sur nos intérêts partagés : des millions de
Français qui sont d'origine africaine, ou vivent ou ont vécu en Afrique ; des intérêts
économiques et stratégiques, un enjeu pour la sécurité de la France comme de
l’Afrique. Pour cela nous proposons que soit établie une stratégie africaine de la
France sous la forme d’un Livre Blanc sur l’Afrique en associant des membres
représentant le Parlement, les administrations, les opérateurs, les ONG intervenant
en Afrique et des personnalités qualifiées, françaises, étrangères et notamment
EXAMEN EN COMMISSION - 485 -
africaines. Nous proposons de créer un programme « pour une écriture franco‐
africaine d’une histoire partagée » afin promouvoir le travail d’équipes mixtes
franco‐africaines sur l’étude de notre histoire commune.
Deuxième priorité : le pilotage de cette politique africaine. Le constat c’est
une politique éclatée à tous les niveaux. Au niveau central, la cellule africaine,
comme le secrétariat général aux affaires africaines et malgaches n’est plus. C’est
en théorie une bonne chose. Dans la pratique, chacun va de son côté, les
diplomates, les militaires, les services économiques, l’AFD. Au sein de chaque
secteur, c’est la même chose.
Le soutien aux entreprises françaises, ce sont des services économiques de
moins en moins nombreux, Ubifrance, les chambres de commerce, des opérateurs
de promotions de l’expertise française en nombre. Dans le domaine de la
coopération vous avez deux pilotes, Bercy et le quai d’Orsay et un opérateur, l’AFD,
qui jouit d’une autonomie renforcée.
Chez les militaires c’est plus simple comme toujours. En revanche, le
pilotage d’une synergie entre civils et militaires est encore balbutiante : ce qui est
un problème dans des pays en crise comme le Mali.
Nous n’avons pas voulu proposer de révolution institutionnelle mais il
nous semble quand même que les choses pourraient être améliorées tant au
niveau central que sur le terrain.
Au niveau central, nous proposons, dans le droit fil des recommandations
de nos collègues Christian Cambon et Jean‐Claude Peyronnet et du dernier bilan
décennal de l’aide au développement française, de créer un ministère de la
coopération internationale de plein exercice qui mettrait fin à la concurrence entre
les services de Bercy et du Quai d’Orsay sur ce sujet. Ce ministère, qui ne serait pas
réservé à l’Afrique, permettrait enfin au ministre de la coopération ou du
développement d’avoir une capacité de pilotage des fonds bilatéraux et
multilatéraux comme c’est le cas en Angleterre ou en Allemagne.
Nous proposons également de mettre en place une gouvernance de haut
niveau en charge de la gestion civilo‐militaire des crises au niveau du secrétariat
général de la séfense et de la sécurité nationale (SGDSN).
Sur le terrain, nous proposons d’instaurer une structuration régionale de
notre dispositif diplomatique avec la nomination d’ambassades chefs de file
régionaux et l’établissement régulier de stratégies région validées au niveau
interministériel. La plupart des problèmes de sécurité et de développement en
Afrique, du fait de l’extrême fragmentation du continent, se posent au niveau
régional. C’est vrai au Sahel, c’est vrai autour du lac Tchad, c’est vrai dans la Corne
de l’Afrique. Il ne s’agit pas de déshabiller des ambassades, mais de permettre au
dispositif de définir des priorités régionales.
Troisième priorité : l’économie. Nous avons intitulé ce chapitre «
L’économie d’abord » parce qu’il faut regarder désormais ce continent avant tout à
travers le prisme de l’économie.
- 486 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
Nous proposons de structurer une stratégie sur les plans sectoriel et
géographique qui corresponde aux marchés africains. Le plan export de Nicole
Bricq nous semble sous‐estimer les perspectives des marchés africains. Il n’y a que
quatre pays cités. Elle est en train de redresser la barre avec une tournée africaine.
Mais il y a une réflexion à développer sur l’adaptation de notre stratégie aux
réalités africaines, l’adaptation de nos produits à ce qu’on appelle « le bas de la
pyramide », et enfin sur la façon dont les grands groupes présents en Afrique –je
pense à Bolloré, à Bouygues, à Total– pourraient renforcer le portage des PME. Les
Chinois, les Allemands, pour ne parler que d’eux, chassent en meute. Il faut s’en
inspirer.
En ce qui concerne le dispositif public, il faut mettre fin à l’hémorragie de
nos services économiques en Afrique. La suppression du seul poste qu’il y avait au
Mozambique à un moment où ce pays a découvert des réserves de gaz et de
pétrole supérieures à celles du Qatar est une illustration de la sous‐estimation des
potentiels de cette Afrique qui bouge.
Nous proposons également d’inscrire dans le contrat d’objectifs et de
moyens de l’AFD un mandat de dialogue avec les entreprises privées et les bureaux
d’études et de promotion de l’économie française autour de l’expertise. Il ne s’agit
pas de relier l’aide mais de faire en sorte que, notamment en matière d’expertise,
l’AFD puisse travailler avec les entreprises pour définir les secteurs et les
géographies où elles ont un avantage compétitif dans des domaines qui, par
ailleurs, contribuent au développement.
Nous pensons, par ailleurs, qu’il faut renforcer les exigences
environnementales et sociales dans les appels d’offres financés par la coopération
française afin de pouvoir éliminer, au stade de la pré‐qualification et de
l’évaluation, celles qui ne seraient pas conformes à ces exigences, je pense
évidemment aux entreprises chinoises.
Nous pensons également qu’il faut poser au niveau international la
question de la réciprocité avec les pays émergents. La majorité d’entre eux
pratiquent en Afrique de l’aide liée qui est réservée à leurs entreprises. Les pays
occidentaux ont fait un choix différent. C’est une longue discussion dans laquelle je
ne vais pas rentrer. En revanche, je pense que nous devrions collectivement, au
sein de l’OCDE, obtenir des Chinois qu’ils ouvrent leurs appels d’offres et faire
valoir que, s’ils continuent, nous n’avons pas de raison d’accepter leurs entreprises
sur des appels d’offres financés par notre aide. Notre mot d’ordre est donc clair :
défendons nos intérêts !
En matière d’approvisionnement stratégique, nous demandons à ce qu’un
bilan des intérêts français en Afrique en matière d’hydrocarbures et de minéraux
soit actualisé par le COMES et le SGDSN. Dans le même temps, la France doit se
montrer exemplaire en matière de transparence des industries extractives, en
adhérant à l’initiative du même nom et en exigeant de ces entreprises le respect de
normes sociales, environnementales et financières de nature à convaincre nos
partenaires africains que, contrairement à nos concurrents, la France est partisane
d’un partenariat durable, respectueux des intérêts de long terme des pays africains.
EXAMEN EN COMMISSION - 487 -
Quatrième priorité : la stabilité et la sécurité du continent. Notre
diagnostic nous conduit à être favorables au maintien de huit points d’appui
militaire en Afrique : Abidjan, Dakar, la zone sahélienne (Mali, Niger, Burkina Faso),
Libreville, Ndjamena, Bangui, Djibouti, et l’île de la Réunion.
Je crois que la volonté de ne plus figer les effectifs mais d’avoir un
dispositif souple et réactif est pertinente. Nous pensons qu’il faut dédier de façon
visible quatre pôles à la coopération avec les quatre organisations régionales, à
Libreville avec la brigade centre de la Communauté Economique des Etats de
l'Afrique Centrale (CEEAC), à Dakar avec la brigade de l’ouest de la Communauté
économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), à la Réunion avec la
brigade sud de la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC) et à
Djibouti. Il faut afficher clairement la volonté française de participer à l’architecture
de sécurité africaine. C’est ce que nous appelons donner un sens africain à la
présence militaire française.
Nous pensons qu’il ne faut pas exclure la possibilité d’ouvrir les pôles de
coopération français à des participations de partenaires européens et
internationaux à l’instar de ce qui a été fait pour les écoles navales à vocation
régionale (ENVR).
Nous estimons qu’il faut renforcer les crédits de la Direction de la
coopération de sécurité et de défense (DCSD) et développer les ENVR avec des
financements croisés de l’ensemble des ministères concernés et un recours
croissant aux financements européens, multilatéraux, voire à des partenariats avec
des pays qui partagent notre vision de l’Afrique comme le Canada.
Cinquième priorité : les aspects plus politiques. Il nous semble que tout en
conservant à l’esprit les exigences de stabilité du continent, il faut regarder sur le
long terme et maintenir un discours français sur la démocratie. Mais nous
proposons que ce discours soit centré non pas sur la procédure formelle d’élections
– qui peut s’accompagner de dérives ‐ pour privilégie la notion de pluralisme et de
contre‐pouvoirs, tout en tenant compte de relations d’Etat à Etat.
Pour ce faire nous proposons notamment la constitution de fondations en
faveur de la vigilance citoyenne, des contre‐pouvoirs, des médias, des parlements,
et de la « société civile ». Il nous faut tirer les leçons des printemps arabes et d’un
dialogue trop exclusivement centré sur l’Etat. Pour cela il nous faut entretenir un
dialogue avec la société civile, ne pas oublier les ONG et les collectivités
territoriales françaises.
Sixième priorité : la coopération au développement. En dehors de la
création d’un ministère de plein exercice, qui exerce la responsabilité des
programmes 110 et 209, qui sont actuellement gérés, l’un par Bercy, l’autre par le
Quai d’Orsay, nous proposons de simplifier l’organisation du réseau de
coopération. Il faut poursuivre la réforme de 1998 et la mener à son terme, mettre
fin à la double compétence des SCAC et des agences de l’AFD et réduire ainsi le
coût du réseau en s’appuyant principalement sur les agences de l’AFD sous
l’autorité des ambassadeurs. Cela signifie poursuivre les transferts de compétence
- 488 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
opérationnelle au profit de l’AFD de façon à ce que les fonds de solidarité
prioritaire (FSP) soient gérés par l’AFD.
Il nous faut également mutualiser des fonctions support entre les
représentations des instituts de recherche pour le développement dans un même
pays et les opérateurs du développement.
Voilà pour ce qui est de l’organisation institutionnelle.
S’agissant des financements, nous estimons qu’il faut redresser l’équilibre
des contributions bilatérales et multilatérales de façon à retrouver un niveau
d’intervention sous forme de subventions supérieur à 500 millions à la fin du
triennum budgétaire.
Il y a des redéploiements possibles. Ils sont nécessaires pour retrouver une
capacité d’intervention significative dans les pays pauvres prioritaires.
Parallèlement, nous ne pouvons qu’encourager le gouvernement à
accroître la part de la taxe sur les transactions financières françaises affectée à la
coopération, à achever le processus d’adoption de la TTF européenne et de
poursuivre le travail de conviction pour l’adoption d’une TTF au niveau mondial.
Voilà pour ce qui est des moyens d’interventions sous forme de
subventions.
Pour ce qui est des prêts, qui représentent 80 % de l’activité de l’AFD,
nous plaidons fermement pour une augmentation de ses fonds propres et la
suppression du plafond de ses effectifs.
La septième priorité concerne la promotion de l’expertise française. Nous
pensons, dans le droit fil du rapport de notre collègue Jacques Berthou, qu’il faut
regrouper l’ensemble des financements consacrés aux études et à l'expertise
auprès d’un guichet unique géré par l’AFD.
La huitième priorité concerne le renforcement de la francophonie. Vous
l’avez compris, il n’y aura pas de dividendes démographiques automatiques si nous
ne formons pas des maîtres d’école dans les pays francophones. C’est pourquoi
nous estimons qu’il faut absolument renforcer notre participation au partenariat
mondial pour l’éducation, qu’il faut promouvoir des partenariats public‐privé en
faveur du développement de système de formation professionnelle en Afrique.
Il y a une formidable demande en matière de formation professionnelle en
Afrique. Nous avons un savoir‐faire. Nous avons les entreprises susceptibles d’être
intéressées par des investissements dans des unités de production en Afrique, des
projets particulièrement intéressants ont été implantés, notamment au Maroc et
en Tunisie.
Nous pensons également que la promotion de la francophonie passe par la
création d’une université francophone pilote à Dakar, à l’image de l’université
Paris‐Sorbonne‐Abou Dhabi. Pour les étudiants qui n’ont pas les moyens d’aller à
Paris, une université parrainée par le système universitaire français et francophone
des formations de qualité constituerait un progrès important pour les étudiants
africains et un symbole politique fort pour la francophonie.
EXAMEN EN COMMISSION - 489 -
Nous ne prônons pas la révolution, nous avons bien conscience que
l’Afrique n’est qu’une partie du monde, qu’il y a l’Asie du sud‐est, l’Amérique
latine, mais une Afrique de 2 milliards d’habitants à 14 km du sud de l’Europe avec
autant d’opportunités et de risques devrait être une préoccupation centrale de
l’Europe.
Voilà, mes chers collègues, un résumé de notre rapport. Vous trouverez
dans le document écrit une déclinaison des dix priorités en 70 mesures concrètes.
Ce que nous voulions vous faire partager aujourd’hui c’est la conviction qu’une
partie de l’avenir de la France est en Afrique. C’est pourquoi nous avons intitulé ce
rapport : « L’Afrique est notre avenir ».
M. Daniel Reiner, président. – Un grand merci pour cette analyse fournie
et ces propositions hardies – et place au débat.
M. Christian Cambon. – Je commencerai par rendre hommage aux
rédacteurs de ce rapport qui, par la qualité de son diagnostic et de ses
préconisations, honore notre commission et le Sénat tout entier. Je note avec
plaisir que ses conclusions convergent grandement avec celles que nous
présenterons demain sur le Maghreb, en particulier l’idée qu’il faut donner le
primat à l’économique – comme me l’a fait remarquer André Vallini, je serais
devenu marxiste – et qu’une grande voie s’ouvre à la France si elle sait, par ce
primat, se repositionner en Afrique.
Lors de notre déplacement aux Nations Unies, nous avons largement
constaté l’importance de la relation entre la France et les pays africains, l’attente
que ces pays nourrissent envers le nôtre – ce qui rend d’autant plus difficile à
accepter le peu d’appétence de grandes entreprises françaises envers l’Afrique, la
fermeture de postes diplomatiques, la dispersion de notre coopération, son
manque de résultats, ou encore l’incapacité de l’Union européenne à s’organiser
sur le continent africain, alors que c’est bien par lui que l’Europe, qui est en
manque d’espérance, pourra se revivifier ! Je crois que l’Afrique doit reprendre son
destin en mains : pourquoi son développement devrait‐il passer par de grandes
entreprises internationales, et pas, d’abord, par de grandes entreprises africaines ?
Je l’ai dit devant le secrétaire général des Nations Unies, en prenant l’exemple de la
Corée, qui était aidée jusque dans les années 1960 et qui nous dame le pion depuis
vingt ans sur les téléviseurs et aujourd’hui sur l’automobile. Le développement
économique de l’Afrique sera le fait des Africains, il faut le répéter sans cesse, y
compris à certains Africains qui peuvent avoir tendance à en attendre trop de la
France.
Je suis parfaitement d’accord avec nos rapporteurs sur le caractère
primordial de la formation professionnelle, sur l’utilité qu’aurait une grande
université francophone en Afrique ou encore sur la nécessité de revoir notre
politique de visas – même si je crains que l’accueil permanent de docteurs africains
formés en France ne renforce la fuite des cerveaux, alors que ces élites sont très
attendues et nécessaires en Afrique. Sur la formation dans l’ensemble, je crois
également que la France a beaucoup à faire en Afrique et qu’elle dispose d’une
expertise hors pair, que nous devons promouvoir.
EXAMEN EN COMMISSION - 491 -
Sans dévoiler ce que nous dirons demain, je crois également que nous
avons à renouveler nos relations avec et envers le Maghreb, qui est notre voisin
méditerranéen, mais qui est également une porte d’entrée sur le continent africain
dans son ensemble, ce qui doit nous inciter à y investir bien davantage, sur le plan
économique aussi bien que social et culturel.
Ce qui est certain, enfin, c’est que notre commission élabore une doctrine
sur l’Afrique et sur le Maghreb : j’espère que nous serons entendus !
M. Jacques Berthou. – Je suis, comme mes collègues, impressionné par ce
rapport. Nous y constatons que la présence française décline en Afrique, comme
dans le reste du monde – une situation dont nous sommes tous redevables. Ne
doit‐on pas craindre une Afrique à deux vitesses, où les progrès d’une partie du
continent, n’entrainent pas ceux d’une autre partie qui reste aux prises avec les
conflits, le terrorisme et une pauvreté toujours plus importante ?
Leila Aichi, enfin, m’a chargé de vous poser cette question : que pensez‐
vous d’une ambassade française placée exclusivement auprès de l’Union africaine ?
M. André Vallini. – A mon tour, je salue la qualité de ce rapport. Je me
reconnais parfaitement dans le propos de Christian Cambon sur l’attente et
« l’envie de France » en Afrique : c’est ce que nous en ont dit les ambassadeurs
africains que nous avons rencontrés à New York, j’ai bien ressenti leur désir d’un
certain retour de la France en Afrique, mais aussi le fait que les Chinois n’y étaient
pas toujours très bien vus – en particulier parce qu’ils y travaillent quasiment en
autarcie, sans recourir aux travailleurs africains et en leur livrant plutôt une
concurrence directe : je crois, à ce titre, que la présence chinoise en Afrique n’a
rien d’inéluctable.
Mme Josette Durrieu. – Je partage ces impressions. Je connais très peu
l’Afrique subsaharienne, mais beaucoup mieux l’Afrique du Nord ; à ce titre, je ne
sais pas si le Maghreb fait partie de l’Afrique, au‐delà de la géographie, mais je
crois très fortement que nous devons le repositionner politiquement, sur son socle
africain : nous devons promouvoir une vision longitudinale, celle d’un axe vertical
qui va de l’Europe à Afrique du Sud, en passant par le Maghreb ! Dans ce fuseau se
dessine une grande région du monde, aussi importante que l’Amérique ou que
l’ensemble Asie‐Pacifique, mais nous ne le savons pas assez : nous devons le dire
davantage, en France comme en Europe.
Ensuite, comme André Vallini, j’ai été surprise par la vigueur de « la
demande de France » en Afrique : je l’ai constatée lors d’un déplacement en Angola
et en Namibie, nos interlocuteurs étaient si enthousiastes qu’ils nous ont transmis
des messages pour le gouvernement. Je n’y ai du reste ressenti aucune amertume
envers le passé, ni aucun soupçon de visées néocolonialistes. Je crois donc qu’il
faut aller en Afrique : il faut, même, y aller vite ! Lors de l’assemblée
interparlementaire qui s’est tenue à Quito, j’ai constaté que le terrain politique
envers les Africains était occupé, ou tentait de l’être, par un bloc de pays réunis
autour de Cuba, avec des pays comme la Corée du Nord ou le Venezuela : ne nous
obnubilons pas sur la présence chinoise en Afrique, il y a aussi la concurrence
- 492 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
politique d’autres pays qui se félicitent de notre absence relative. C’est aussi ce qui
me fait dire que la reconquête économique passe par l’instauration d’un nouveau
mode de partenariat, qui soit enfin d’égal à égal.
M. Daniel Reiner, président. – J’ajouterai quelques questions, non sans
avoir félicité à mon tour les auteurs de ce rapport qui honore effectivement notre
commission.
Les « BRICS » sont des partenaires particulièrement dynamiques en
Afrique, mais ils traversent une période difficile : ressentez‐vous que leurs
difficultés actuelles amoindrissent leur influence ?
Où en sont, ensuite, les institutions africaines, qu’il s’agisse de l’Union
africaine ou des organisations régionales, comme la CDAO : sont‐elles solides,
représentatives, quelle est leur réalité sur le plan économique, social, culturel ?
Vous suggérez que la France participe davantage à l’architecture de la
sécurité africaine, aux côtés de l’Union européenne, déjà engagée dans la mise en
place d’états‐majors ou encore d’écoles militaires : où en est‐on ? Comment
renforcer notre présence sans s’ingérer dans les affaires intérieures des Etats
africains ?
Vous proposez la création d’un ministère de la coopération internationale
qui soit à égale distance de Bercy et du Quai d’Orsay : y croyez‐vous vraiment ?
Vous concluez en déplorant une absence de stratégie concertée de notre
pays en Afrique : le constat est‐il véritablement si sévère ? Si c’est le cas, quelle
voie suivre pour conforter notre stratégie ? L’institutionnalisation d’une stratégie
particulière à l’Afrique n’encoure‐t‐elle pas le risque d’une forme de
néocolonialisme ?
M. Jeanny Lorgeoux, co‐rapporteur. – Je vous remercie pour votre
propos, Monsieur Cambon, que je partage très largement. Cependant, un visa
permanent pour les docteurs formés en France ne signifie pas une résidence dans
notre pays, mais bien une possibilité d’aller et de venir librement dans le pays où
l’on a obtenu son doctorat – et aussi une marque de respect envers les docteurs
que nous avons formés ; c’est très important, car les Africains ressentent trop
souvent que la France leur manque de respect : c’est particulièrement vrai avec la
procédure de délivrance des visas. Quatre Africains diplômés de Harvard sur cinq
reviennent travailler en Afrique : la fuite des cerveaux n’est pas inéluctable. La
facilité d’aller et venir, en fait, facilitera les affaires, l’esprit d’entreprise entre
l’Afrique et la France – n’oubliez pas que la première fortune africaine, celle de la
famille nigériane Dougote, s’élève à quelque 113 milliards de dollars…
M. Jean‐Marie Bockel, co‐rapporteur. – Je rejoins tout à fait Christian
Cambon : notre commission élabore une doctrine sur l’Afrique – et je suis
convaincu que nous faisons œuvre utile, parce qu’il est toujours utile de dire les
choses qui doivent être dites parce qu’elles sont vraies.
Jacques Berthou s’en inquiète et nous nous sommes penchés sur le sujet :
oui, les pays d’Afrique ne progressent pas au même rythme, il y a bien une Afrique
à deux vitesses – et la partie francophone est singulièrement celle où les difficultés
EXAMEN EN COMMISSION - 493 -
sont les plus importantes. Nous n’avons pas trouvé d’explication unique, mais nous
devons tenir compte de ce contexte.
Faut‐il qu’une ambassade se consacre spécifiquement à l’Union africaine ?
Les moyens actuels de notre ambassade en Ethiopie, qui suit l’UA, ne sont pas
suffisants : un seul fonctionnaire auprès de l’ambassadrice pour l’organisation
panafricaine ! Cependant, je ne crois pas très pertinent de consacrer une
ambassade à l’UA et je pencherais pour plus de pragmatisme. Les organisations
africaines se professionnalisent, nous sommes loin de la caricature d’hier dans les
relations Nord/Sud ; cependant, Nkosazana Dlamini‐Zuma, la présidente de l’UA,
est à la croisée des chemins – et nous pouvons, avec l’Union européenne, l’aider à
prendre la meilleure voie, celle qui fera que les Africains s’organiseront par eux‐
mêmes dans le concert des nations.
Je crois également, avec André Vallini, que « l’attente de France » en
Afrique nous ouvre une fenêtre d’opportunité et que le temps est bien à l’action,
en Afrique même. Je crois encore à la vision longitudinale euro‐africaine que
Josette Durrieu nous propose, au nécessaire repositionnement politique que nous
devons prendre envers le continent africain dans son ensemble, pour pouvoir y
compter bien davantage : nous devons renouveler notre présence, sans être
enchaînés au passé, sans angélisme cependant, tout en prenant en compte les
émergents, qui vont rester en Afrique. Cela vaut également pour la perspective
sécuritaire : nous devons réinventer les voies de notre présence, sans tout remettre
en cause comme cela avait été envisagé un temps, lorsque j’étais au
gouvernement.
Enfin, un ministère de la coopération internationale est‐il envisageable ?
L’idée n’est pas dans l’air du temps et il est vrai que les Britanniques ont institué un
tel ministère dans une période plus faste – le combat, cependant, mérite d’être
mené.
M. Jeanny Lorgeoux, co‐rapporteur. – Je crois que nous assistons,
globalement, à une bascule géostratégique du monde, qu’un nouveau « Bandung »
se prépare – et que notre rôle, dans ces conditions, est bien d’identifier les facteurs
décisifs qui nous aiderons à bâtir une France « non alignée » : c’est bien le sens du
Livre blanc sur l’Afrique que nous appelons de nos vœux et qui devra nous aider à
prendre la mesure des changements en cours.
Sur l’architecture de la sécurité, notre idée est assez pragmatique :
aujourd’hui, les Etats africains, sauf exceptions, n’ont pas les moyens d’assurer leur
sécurité ; notre rôle, dès lors, est peut‐être d’aider à sortir des crises civilo‐
militaires en nous appuyant sur les institutions africaines et européennes, d’où
l’idée de nous caler sur les quatre pôles institutionnels africains. Enfin, je crois que
l’heure n’est pas de nous focaliser sur les seuls problèmes liés à notre propre
gouvernance, mais bien de tenir compte de la profondeur stratégique des
changements en cours.
M. René Beaumont. – Je crois très utile d’insister sur la politique des
visas : nous devons aller bien plus loin qu’on ne le dit ici ou là, l’enjeu est bien de
- 494 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
définir une véritable politique d’accueil des étudiants étrangers ; car au‐delà du
baccalauréat, la France n’est quasiment plus présente, c’est déplorable quand on
sait la qualité des élites et des classes moyennes africaines – qui sont, on le
constate de plus en plus, formées ailleurs qu’en France.
M. Jeanny Lorgeoux, co‐rapporteur. – Parfaitement d’accord.
M. Jean‐Claude Peyronnet. – Tirons‐nous complètement les bénéfices, en
termes d’influence, de notre présence militaire sur le continent ? Nous devons bien
poser la question sous cet angle, car nous avons des concurrents sur le terrain, qui
veulent prendre notre place – je pense en particulier à l’Afrique du Sud. C’est aussi
à cette aune, je crois, que nous devons mesurer les moyens dont nous avons besoin
en Afrique, même s’il est toujours difficile d’expliciter nos objectifs en matière
d’influence…
M. Jean‐Marie Bockel, co‐rapporteur. – Je crois que c’est précisément
notre travail, de politique.
La commission adopte le rapport.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES - 495 -
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
Jeudi 17 janvier M. Jean‐Michel Severino, ancien vice‐président de la Banque
mondiale, ancien directeur général de l’AFD, président de
« Investisseur et Partenaire pour le Développement »
M. Jean Christophe Belliard, directeur Afrique et Océan Indien
au ministère des affaires étrangères
Jeudi 24 janvier M. Luc Rigouzzo, ancien directeur de cabinet du ministre de la
coopération, ancien directeur général de Proparco, président
d’Amethis Finance
Jeudi 31 janvier M. Jean‐Marc Châtaigner, directeur général adjoint de la
direction générale de la mondialisation, du développement et
des partenariats auprès du ministère des affaires étrangères,
ancien ambassadeur de France à Madagascar, ancien directeur
de cabinet du ministre de la coopération
Jeudi 7 février M. Matthieu Pigasse, président de la Banque Lazard
M. Lionel Zinsou, président de PAIpartners, société
d’investissement
Jeudi 14 février M. Richard Banegas, maître de conférences des universités,
directeur du Centre d'études juridiques et politiques du monde
africain (CEJPMA)
M. Yves Gounin, conseiller d’Etat, auteur de « La France en
Afrique »
Jeudi 21 février Général Bruno Clément‐Bollée, directeur de la coopération de
sécurité et de défense au ministère des affaires étrangères
M. Jean‐François Leguil‐Bayart, Enseignant chercheur expert
en politique africaine
Jeudi 28 février M. Dominique Perreau, ancien ambassadeur, ancien directeur
de l’AFD, co‐auteur d’un rapport sur l’Afrique et les grands
émergents
Jeudi 14 mars M. Dov Zerah, directeur général de l’AFD
Jeudi 21 mars M. Maurice Enguéléguélé, Coordonnateur des Programmes
IAG (Institut africain de la gouvernance)
M. Jean‐Christophe Rufin, écrivain, ancien ambassadeur de
France au Sénégal, ancien vice‐président de MSF
Jeudi 4 avril Général Didier Castres, sous‐chef d’état‐major « opérations »
au ministère de la défense
M. Bertrand Badie, professeur de Science politique et relations
- 496 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
internationales à Sciences‐Po Paris
Jeudi 11 avril Mme Hélène Le Gall, conseiller diplomatique pour les affaires
africaines auprès du Président de la République
M. Xavier Darcos, ancien ministre, président de l’Institut
français
Jeudi 25 avril M. Dominique Lafont, directeur de Bolloré Africa Logistic
M. Jacques Marraud des Grottes, directeur Afrique
exploration‐production et M. Momar Nguer, directeur Afrique
/ Moyen‐Orient de la branche Supply & Marketing de TOTAL
Jeudi 23 mai M. Michel Foucher, géographe, ancien ambassadeur, directeur
de la formation, des études et de la recherche de l'IHEDN
M. Patrick Guillaumont, président de la Fondation pour les
études et recherches sur le développement international
Jeudi 30 mai Mme Delphine Borione, ancienne directrice de la coopération
culturelle et du français, secrétaire général adjoint de l'Union
pour la Méditerranée (UpM)
M. Antoine Grassin, directeur général de Campus France
Mercredi 12 juin M. Gérard Araud, ambassadeur, représentant permanent de la
France à l’ONU
Jeudi 13 juin M. Serge Tomasi, ancien directeur de l’économie globale et
des stratégies du développement au ministère des affaires
étrangères, directeur adjoint de la direction de la coopération
pour le développement à l’OCDE
M. Yves Bigot, directeur général de TV5 Monde et
Mme Denise Epoté, directrice régionale marketing Afrique
Mme Michèle Jacobs, directrice de la Francophonie, promotion
du Français et des relations institutionnelles
Jeudi 20 juin M. Alexandre Vilgrain, président du conseil des investisseurs
en Afrique (Cian)
Jeudi 27 juin M. Luc Derepas, secrétaire général à l'immigration et à
l'intégration au ministère de l'intérieur
Jeudi 4 juillet M. Ramon Fernandez, directeur général du Trésor
Pour Mme Marie‐Christine Saragosse, présidente directrice
générale de l’audiovisuel extérieur :
M. Victor Rocaries, directeur général délégué
M. Jean‐Marc Belchi, directeur du développement Afrique
M. Yves Rocle, adjoint à la directrice en charge de
l’information Afrique
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES - 497 -
Mardi 9 juillet Mme Anne Paugam, directrice générale de l’agence française
de développement
M. Justin Vaïsse, directeur du centre d'analyse, de prospective
et de stratégie du ministère des affaires étrangères
Mardi 17 septembre M. Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement
Mercredi 16 octobre Pour l’ONG Coordination Sud :
M. Laurent Chabert d’Hieres, directeur de l’ONG Eau vive
et M. Philippe Mayol, chef du service Afrique au CCFD
Mercredi 23 octobre Pour Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur :
M. Jonathan Gindt, conseiller en charge des relations
bilatérales
Jeudi 24 octobre M. Philippe Errera, délégué aux affaires stratégiques
Ont également été entendus par les co‐présidents :
M. Yannick Morillon, directeur général du groupe Advens, opérateur
français dans le domaine agro‐industriel
M. Yves Boudot, directeur Afrique de l’AFD
SE. M. Charles Gomis, ambassadeur de Côte d’Ivoire
M. Vincent Hugueux, journaliste à l’Express
M. Alain Foka, journaliste à RFI
- 498 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
LISTE DES ENTRETIENS
AU COURS DES DÉPLACEMENTS
AFRIQUE DU SUD
à Pretoria et Johannesburg
· Mme Elisabeth BARBIER, ambassadrice
· M. Olivier BROCHENIN, premier conseiller
Lundi 25 mars
· SE. M. Tebogo SEOKOLO, ambassadeur, directeur Europe, ministère des affaires
étrangères (DIRCO)
· M. Jean‐Claude BARRERE, attaché de défense
· M. Pierre LEMONDE, conseiller culturel a.i.
· M. Dominique LEBASTARD, chef du service économique régional
Mardi 26 mars
· S.E. M. Antonio RICOCA FREIRE, ambassadeur du Portugal
· Think tank ISS (Institute for Security Studies), spécialisé dans les relations
internationales – « action française, vue de l’Afrique du Sud »
· M. Jean‐Michel DEBRAT, directeur régional de l’AFD
Mercredi 27 mars
· Lycée français (Mme Marie‐Hélène Despin‐Hirlimann, proviseur, et M. Patrick
Parrot, attaché de coopération pour le français)
· Alliance française de Johannesburg
au Cap
· M. Benjamin Turock, membre du Parlement (ANC) : Co Chairperson Joint
Committee on Ethics & members interests
· M. Ian Davidson, membre du Parlement (DA) Shadow Minister ‐ International
Relations and cooperation
· Dr Adekeye Adebajo, Executive Director of the Centre for Conflict Resolution
(CCR)
· Professeur Renfrew Christie, Universitaire ‐ Bizerca
Hommes d’affaires français :
· M. Christophe Viarnaud – Directeur Methys
· M. Pascal Asin – Directeur Export Moet &Chandon
· M. Agustin Llorens ‐ Directeur EDF au Cap
· M. Philippe Gomez ‐ Directeur General – Agrana
· M. Philippe Jarry – Directeur Necotrans
· M. Gregory Massanet – Directeur Laser
LISTE DES ENTRETIENS - 499 -
AU COURS DES DÉPLACEMENTS
ETHIOPIE
Mardi 14 mai
· M. Baghwant Bishnoi, ambassadeur d’Inde
· M. Adamu Ayana, secrétaire d’Etat à la Fonction publique
· Section éthiopienne des Conseillers du Commerce extérieur
· M. Berhane Guebrechristos, secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères
· Mme Dlamini-Zuma, présidente de la Commission de l’Union africaine.
Mercredi 15 mai
· Général Kinfe, directeur général de METEC
· M. Ramtame Lamamra, commissaire Paix et Sécurité de l’Union africaine
· M. Carlos Lopes, secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique
des Nations unies (à l’UNECA)
· Mme Fatima Haram ACYL, commissaire chargée du Commerce et de l’Industrie (à
l’Union africaine).
· - Ambassadeurs de l’Union européenne
· Centre français des études éthiopiennes (MM. Jean-François Breton, directeur,
M. Thomas Osmond (l’Islam en Ethiopie et les questions sociales), Jean Gabriel
Leturcq (la question du Nil)).
· Représentants de la communauté française
- 500 - L’AFRIQUE EST NOTRE AVENIR
CÔTE D’IVOIRE
· M. Georges Serre, ambassadeur
· M. Laurent Souquière, premier conseiller
Mardi 4 juin
· Rencontre avec les hommes de la force Licorne au Camp de Port‐Bouët
· M. Daniel Kablan Duncan, Premier ministre, ministre de l’économie et des
finances de la Côte d’Ivoire
· M. Jean‐Louis Billon, ministre du Commerce, de l’Artisanat et de la Promotion
des PME
Mercredi 5 juin
· M. Pierre Magne, représentant du président de la Confédération Générale des
Entreprises de Côte d'Ivoire (CGECI)
· M. Marc Alberola, directeur général de Finagestion (et entretien avec les
conseillers du commerce extérieur)
· M. Patrick Achi, ministre des infrastructures économiques
Jeudi 6 juin
· M. Oulatta Gaho, président de la commission Défense et sécurité de l’Assemblée
nationale
· M. Jean‐Louis Giacometti, directeur général de la Chambre de commerce et d’industrie
française en Côte d’Ivoire
· SE. M. Thierry de Saint Maurice, ambassadeur de l’UE
· Déjeuner avec les ambassadeurs :
Son Exc. M. Karl Prinz, Ambassadeur d’Allemagne
Son Exc. M. Peter Huyghebaert, Ambassadeur de Belgique
Son Exc. M. Simon David Tonge, Ambassadeur de Grande Bretagne
Son Exc. M. Alfonso Di Rizo, Ambassadeur d’Italie
Son Exc. M. Zhang Guoqing, Ambassadeur de Chine
Son Exc. M. Phillip Carter III, Ambassadeur des Etats Unis
Son Exc. Mme Chantal de Varennes, Ambassadeur du Canada
Son Exc. M. Thierry de Saint Maurice, Chef de Délégation Union Européenne
M. Arnauld Akodjenou, Représentant Spécial adjoint du Secrétaire Général
des Nations Unies
LISTE DES ENTRETIENS - 501 -
AU COURS DES DÉPLACEMENTS
· M. Bieffo, directeur du Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire
(CEPICI)
· M. Venance Konan, directeur général de Fraternité Matin
Vendredi 7 juin
· M. Alain Sterbik, consul général
· M. Jean‐Claude Brou, ministre de l’Industrie
· M. Ally Coulibaly, ministre de l’Intégration africaine et des Ivoiriens de
l’extérieur
· Représentants élus des Français et des associations de Français.
· M. Ibrahima Cissé Bacongo, ministre de l’enseignement supérieur et de la
recherche scientifique
· M. Julien Lefilleur, représentant régional de l’Afrique de l’Ouest de Proparco