Introduction A La Logique
Introduction A La Logique
Introduction A La Logique
21 mars 2016
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Avertissement et remerciements
Ce cours est une ébauche qui contient encore de nombreuses coquilles et erreurs.
Tous commentaires et suggestions sont bienvenus.
Ce cours a été rédigé sur la base de plusieurs ouvrages mentionnés au fur et
à mesure, mais il reprend principalement la structure ainsi que de nombreux élé-
ments de l’excellente Introduction à la logique de Philipp Blum, disponible ici :
http ://www.unige.ch/lettres/philo/cours/logique.html (Blum, 2014). L’ouvrage de
Vernant (2001) a également été une source déterminante. Une autre excellente in-
troduction, gratuitement accessible, en anglais, est Forallx, de P. Magnus, accessible
ici : http ://www.fecundity.com/codex/forallx.pdf
Outre Philipp Blum je remercie Denis Vernant, Marion Hämmerli, Benjamin Nee-
ser, Florian Mouthon, Ghislain Guigon, William McComish, Salim Hireche, François
Pellet, Malek Sarraj, Michal Hladky, Steve Humbert Droz, Anouchka Wyss, Thierry
Feliz Capitao, Maeva Lorenzo pour les différents éléments et modifications qu’ils
m’ont permis d’y apporter. Merci également aux étudiants de ce cours donné à
Genève en 2012-13, 2013-14, 2014-15 et 2015-2016 pour leurs multiples remarques,
questions et perplexités : le texte est encore très imparfait, mais grâce à eux il l’est
nettement moins.
Table des matières
3
4 TABLE DES MATIÈRES
3.1.2.1 La négation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
3.1.2.2 Les autres opérateurs unaires . . . . . . . . . . . . . 52
3.1.3 Les opérateurs binaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
3.1.3.1 La conjonction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
3.1.3.2 La disjonction (inclusive) . . . . . . . . . . . . . . . 54
3.1.3.3 L’implication matérielle . . . . . . . . . . . . . . . . 54
3.1.3.4 L’équivalence ou biconditionnel . . . . . . . . . . . . 60
3.1.3.5 Autres opérateurs binaires . . . . . . . . . . . . . . . 60
3.1.4 Les définitions sémantiques des opérateurs de LP sont-elles cir-
culaires ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
3.2 La valeur de vérité des propositions complexes : les tables de vérité . 62
3.2.1 Extensionnalité et vérifonctionnalité . . . . . . . . . . . . . . . 62
3.2.2 L’interprétation des propositions complexes . . . . . . . . . . 63
3.2.3 Tables de vérité pour formules complexes . . . . . . . . . . . . 64
3.2.4 Tautologie, contradiction, et propositions contingentes . . . . 67
3.3 La conséquence sémantique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
3.3.1 Définition de la conséquence sémantique et principales propriétés 71
3.3.2 Implication matérielle vs. conséquence sémantique . . . . . . . 75
3.3.3 Quelques propriétés métalogiques de la conséquence sémantique : 79
3.3.4 Modus Ponens et Modus Tollens . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
3.4 L’équivalence sémantique et les lois de LP . . . . . . . . . . . . . . . 81
3.4.1 L’équivalence sémantique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
3.4.2 Principales lois de LP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82
3.5 La consistance et l’inconsistance sémantique . . . . . . . . . . . . . . 87
3.5.1 Définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
3.5.2 Conséquence sémantique et inconsistance sémantique . . . . . 89
Maîtriser les outils logiques nous permet d’éviter ce type d’erreur, dont personne
n’est à l’abri. De grands philosophes s’en sont rendu coupables :
Si une âme sage est une âme bonne, celle qui est dans une condition
contraire à celle de l’âme sage est une âme mauvaise. (Platon, Gorgias,
507a, cité par Blanché, 1970, p. 21).
C’est un argument invalide qui repose sur le principe erroné selon lequel si tout A est
B, alors tout non-A est non-B. Si ce principe était vrai, on pourrait faire la déduction
suivante :
– Toute tortue est herbivore, donc tout ce qui n’est pas une tortue n’est pas
herbivore.
La vache est un contre-exemple. Une raison de s’intéresser à la logique quand on fait
de la philosophie est donc d’éviter de commettre des erreurs de raisonnement. Ce
n’est pas la seule, mais c’est certainement l’une des principales.
Une deuxième raison de s’intéresser à la logique est que l’argumentation, le rai-
sonnement, n’est pas seulement un outil philosophique, mais aussi un objet phi-
losophique. Nous utilisons constamment en philosophie mais aussi dans notre vie
quotidienne, des expressions comme “donc”, “par conséquent”, “de ce fait” etc. Nous
sommes cernés de “donc” et le philosophes s’intéresse à ce qui l’entoure. La logique,
nous le verrons, est d’une grande aide pour comprendre la nature de cette relation
de déduction. A cet titre, elle aide le philosophe non seulement à éviter les erreurs,
mais à comprendre un phénomène important : la conséquence logique.
Une troisième raison de s’intéresser à la logique pour le philosophe est que la
logique elle-même, en tant que science ou théorie, est à son tour un objet d’intérêt
pour le philosophe, de même que l’on fait de la philosophie des sciences, du droit,
de l’art, des mathématiques. La logique pose ainsi des problèmes épistémologiques
(par exemple : comment accédons-nous aux vérités logiques ?) , métaphysiques (par
exemple : quel est le statut métaphysique des constantes logiques, si elles en ont un ?),
normatifs (par exemple : est-il bon, obligatoire, vertueux d’argumenter correctement ?
La logique est-elle la science de la façon dont pense, ou la science de la façon dont
doit penser, une “éthique de la pensée” comme le disait Herbart ?).
Une quatrième raison de s’intéresser à la logique quand on fait de la philosophie
a trait à ce qu’on peut appeler l’hygiène intellectuelle. La logique est d’une part, un
bon sport pour l’esprit. Mais elle est mieux que cela. Elle est un excellent remède
contre une tentation néfaste, celle qui consiste à s’accommoder de la confusion, à
transiger avec la clarté. Une fois qu’on a fait de la logique, on devient obsédé par
la clarté, on demande à comprendre aussi clairement la philosophie qu’on a compris
la logique, on s’agace des raisonnements philosophiques qui ne sont pas logiquement
propres, on n’est plus enclin à avaler des couleuvres.
TABLE DES MATIÈRES 11
Pour définir une discipline théorique, il faut définir son objet d’étude propre. La
question à laquelle nous devons répondre, pour définir ou au moins caractériser la
logique est : de quoi la logique est-elle la science ? Une première définition de la
logique est que c’est une science qui étudie les arguments. Nous allons voir ici que
cela ne suffit pas et tenter progressivement d’améliorer cette définition.
13
14 CHAPITRE 1. QU’EST-CE QUE LA LOGIQUE ?
Les deux premiers énoncés de l’argument précédent sont appelées ses prémisses
et le troisième énoncé est appelé sa conclusion.
(
premisses
T ous les chats ont quatre pattes.
argument M on chien a quatre pattes.
n
conclusion
M on chien est un chat.
La conclusion est censée découler, suivre (dans un sens non temporel) des pré-
misses : on exprime cela par le mot “Donc”. D’autres mots sont cependant utilisés
pour marquer le lien de consécution entre les prémisses et la conclusion dans le
langage ordinaires, dont voici une liste non exhaustive.
– Indicateurs de conclusion :
– Donc
– De ce fait
– Ainsi
– En conséquence/Par conséquent/Conséquemment
– Pour cette raison
– Partant
– Par suite
– De là
– Il s’ensuit que
– Cela montre que
– On peut en déduire que
– En conclusion
– Cela étant ainsi
– Il en résulte que
– Indicateurs de prémisses
Or, quand les deux prémisses engendrent une seule proposition, il faut nécessai-
rement que, dans certains cas, l’âme affirme la conclusion, et que dans le cas de
prémisses relatives à la production, l’action suive immédiatement. Soit, par exemple
les prémisses : il faut goûter à tout ce qui est doux, et : ceci est doux (au sens d’être
une chose douce particulière) : il faut nécessairement que l’homme capable d’agir et
qui ne rencontre aucun empêchement, dans le même temps accomplisse aussi l’acte.
(Aristote, Ethique à Nicomaque, livre VII, chap. 5.)
Dans un autre domaine, la logique déontique tente de formaliser les arguments contenant des énoncés
du type “Il est obligatoire que...” : on lui a objecté que si ces énoncés n’avaient pas de valeur de
vérité, ils ne pouvaient pas faire l’objet de déductions.
1.1. LES ARGUMENTS 15
– Car
– Puisque
– Parce que
– En supposant que
– Etant donné que
– En admettant que
– Pour la raison que
– Au regard du fait que
– Dans la mesure où
– En raison de
– Du fait que
Les indicateurs de conclusions, lorsqu’ils sont placés entre deux phrases pour former
une phrase complexe, préservent l’ordre prémisses/conclusions (p. ex. “Julien a faim
[prémisse] donc il mange [conclusion]). Les indicateurs de prémisses, à l’inverse, dans
ce même contexte, inversent l’ordre en présentant d’abord la conclusion et en la
motivant ensuite par les prémisses. (p. ex. “Julie mange [conclusion] car elle a faim
[prémisse]”). Une façon standard de représenter les arguments consiste à placer chaque
prémisse sur une ligne distincte et la conclusion sur la dernière ligne, précédée du
signe”∴” qui signifie en gros “donc”.
Ainsi l’argument “Jules a repris des marrons étant donné qu’il avait faim et qu’il
en restait”, peut être représenté sous la forme standard prémisse(s)/conclusion(s)
ainsi :
Jules avait faim.
Il restait des marrons.
∴ Jules a repris des marrons.
– S’il ne pleut pas et que le barrage est ouvert, alors le niveau du lac baissera.
“pleut”, “barrage”, “ouvert”, “le niveau du lac”, “baissera” sont des mots qui expriment
le contenu de l’énoncé. A l’inverse, “si...alors”, “ne ...pas”, “et” sont des mots qui
constituent la forme de l’énoncé. On les appelle “mots logiques”, ou encore “constantes
logiques”. La logique des propositions par laquelle nous commencerons considère les
constantes logiques suivantes :
“...et...”
“...ou...”
“il n’est pas le cas que...”
“si...alors...”
“...si et seulement si...”
(les logique des prédicats, on le verra dans deuxième partie, introduire d’autres
constantes logiques : “tous”, “les”, “au moins un”, “certains”, ....)
On verra plus tard que la logique des prédicats introduit d’autres constantes lo-
giques. Les arguments déductifs qui intéressent la logique sont dont des arguments
dont la conclusion prétend suivre nécessairement des prémisses en vertu de la forme
des prémisses, c’est-à-dire, en vertu des constantes logiques qu’elles contiennent.
On peut aisément transformer toute inférence matériel en inférence formelle. Par
exemple, si on ajoute P2 à notre dernier argument, il devient une inférence formel :
P1 Jean-Michel est un électron.
P2 Si Jean-Michel est un électron alors il a une charge électrique négative.
C Jean-Michel a une charge électrique négative.
On voit que la conclusion suit des prémisses, non plus en vertu de la nature des
électrons, mais en vertu de la signification des mots “si..., alors”.
On appellera ces arguments déductifs qui intéressent la logique des arguments
formels :
arguments
inductifs déductifs
(=inférences)
matériels formels
20 CHAPITRE 1. QU’EST-CE QUE LA LOGIQUE ?
La logique est alors la discipline qui s’intéresse aux inférences formelles. On peut
penser qu’une telle définition demeure circulaire car elle revient à définir la logique
à l’aide des constantes logiques. Ce n’est peut-être pas le cas. D’une part, comme
nous allons le voir, nous pouvons parvenir à donner une liste et à caractériser les
différentes constantes logiques qui seront utilisées. D’autre part, avant même de faire
cela, on a déjà l’intuition générale que les mots logiques ne fonctionnent pas comme
les autres 3 . Intuitivement les mots formels ne représentent pas des choses distinctes
d’eux, contrairement aux mots matériels (ou alors représentent des choses très diffé-
rentes de ceux-ci). On voit bien ce que représente le mot “barrage”, mais il ne semble
pas que le mot “et” représente quoi que ce soit, et s’il le fait, ce n’est certainement
pas quelque chose que nous pouvons voir, soupeser, mouvoir, ou même compter.
Que les constantes logiques ne représentent pas était une des intuitions centrales de
Wittgenstein dans son Tractatus Logico-philosophicus :
4. 0312 [. . .] Ma pensée fondamentale est que les « constantes logiques
» ne représentent pas. Que la logique des faits ne se laisse pas représenter.
Nous sommes partis de l’idée que la logique était la science des arguments, puis
nous avons apporté deux restrictions à cette définition : la logique est la science
des arguments (i) déductifs (ii) formels. Cela ne suffit toujours pas cependant pour
se faire une idée de l’objet de la logique, comme nous allons le voir maintenant.
(Dorénavant, lorsque nous parlerons ici d’inférences, nous supposerons qu’il s’agit
d’arguments déductifs et formels).
arguments persuasifs peuvent être invalides, des arguments valides peuvent ne pas
être persuasifs.)
On dit qu’une inférence est valide si sa conclusion n’est pas seulement censée
suivre nécessairement de ses prémisses, mais si elle suit de fait nécessairement de
ses prémisses. Toute inférence, on l’a vu, se présente comme si sa conclusion suivait
nécessairement de ses prémisses. Mais ce n’est pas toujours le cas. Lorsque ce n’est
pas le cas, l’inférence est invalide. Il y a donc des arguments déductifs valides, et des
arguments déductifs invalide.
Que veut-on dire lorsque l’on dit que la conclusion d’un argument suit nécessai-
rement de ses prémisses ? Rien de plus que ceci : si les prémisses sont vraies, alors la
conclusion sera vraie aussi. Il est impossible, qu’un argument valide ait des prémisses
vraies et une conclusion fausse. Un argument valide est un argument qui préserve la
vérité des prémisses, qui la transmet à la conclusion.
Définition 4. inférence valide : inférence formelle telle que si ses prémisses étaient
vraies, sa conclusion serait également nécessairement vraie. = argument dont il est
logiquement impossible que les prémisses soient vraies et la conclusion fausse.
En somme, la logique s’intéresse aux propriétés des arguments déductifs en vertu
desquelles ils sont valides ou invalides. Elle s’intéresse, en d’autre termes, au argument
déductifs sous leur aspect essentiel : la conséquence logique qui relie (ou prétend
relier) les prémisses à la conclusion. Elle s’intéresse à la nature des argument déductifs
formels.
Deux remarques :
1. Selon cette définition, seuls les arguments déductifs sont valides ou invalides.
Les arguments non-déductifs, tels que les arguments inductifs, c’est-à-dire les
arguments qui ne prétendent pas à la validité, ne sont ni valide ni invalides. On
peut dire qu’ils sont non-valides.
2. Certaines inférences non-logiques sont valides. Nous en avons données quelques
exemples plus haut : pour qu’une inférence valide soit logique, il faut que sa
conclusion suivent nécessairement de ses prémisses en vertu des constantes lo-
giques contenues dans les prémisses.
La logique ne s’intéresse pas directement à la valeur vérité des prémisses des argu-
ments, ni à celle de leurs conclusions. Il y a des arguments valides dont toute ou partie
de prémisses et par suite la conclusion sont fausses. Comparez les deux arguments
suivants :
P1 Les chats ont quatre pattes.
P2 Les chiens ont quatre pattes.
22 CHAPITRE 1. QU’EST-CE QUE LA LOGIQUE ?
Définition 5. argument correct : argument valide dont toutes les prémisses sont
vraies.
prémisses sont vraies, c’est-à-dire, s’il est correct. De façon corollaire, pour réfuter
un argument vous pouvez soit montrer qu’il n’est pas valide, soit montrer qu’une de
ses prémisses au moins est fausse.
Il ne suffit cependant pas encore qu’un argument soit correct pour qu’il soit un
bon argument. L’argument suivant est correct, mais n’est pourtant pas très bon :
P1 Le basalte est une roche volcanique
C Donc soit Jean rit, soit Jean ne rit pas.
La prémisse est vraie, et l’argument est valide (sa conclusion ne peut jamais être
fausse en vertue de la signification des constantes logiques “soit...soit” et “pas”–nous
reviendrons sur les cas de ce type). Un autre type d’argument correct mais mauvais
est le suivant :
P1 La Terre tourne autour du soleil
C Donc la Terre tourne autour du soleil.
C’est un argument valide dont l’unique prémisse est vraie. Pourtant cet argument
n’est pas un bon argument car il ne donne aucune nouvelle raison d’accepter sa
conclusion. Il est circulaire, sa conclusion est manifestement contenue dans ses pré-
misses. Cette figure rhétorique qui consiste à présenter une tautologie comme si elle
était une proposition douée de contenu s’appelle une pétition de principe. On y tient
pour admis ce qu’il s’agit de démontrer.
Une pétition de principe est parfaitement valide, en tant que telle, ce n’est pas une
erreur logique. Elle peut même être correcte, comme dans le cas présent. Mais elle
est trompeuse dans la mesure où elle prétend démontrer quelque chose de nouveau.
On a souvent reproché aux preuves ontologiques de l’existence de Dieu d’être des
pétitions de principe plus ou moins déguisées. C’est ce qu’a soutenu Hume, suivi par
Kant dans sa Critique de la raison pure. Mais Kant lui-même, dans sa Critique de la
raison pratique, commet des pétitions de principes sur ce sujet précis, ainsi que sur
la liberté :
Ces postulats sont ceux de l’immortalité, de la liberté [. . .] et de l’exis-
tence de Dieu [. . .]. Le second [découle] de l’hypothèse nécessaire de notre
indépendance par rapport au monde sensible et du pouvoir de déterminer
notre propre volonté d’après la loi d’un monde intelligible, c’est-à-dire de
la liberté ; le troisième, de la nécessité de la condition requise pour qu’un
tel monde intelligible soit le souverain Bien, par l’hypothèse du souverain
Bien autonome, c’est-à-dire de l’existence de Dieu. » (Kant, Œuvre phi-
losophiques II, bibl. de la Pléiade, trad. Luc Ferry et Heinz Wismann, p.
769, également cité par Rosset, Le Démon de la tautologie, p. 27).
1.6. LA FORMALISATION LOGIQUE 25
Donc ce n’est pas parce que vous êtes un logicien irréprochable que vous n’êtes pas
un rhéteur ou un sophiste, dans le sens péjoratif employé par Platon. Peut-être même
que si vous n’utilisez que des arguments logiques en prétendant démontrez des choses
nouvelles, vous êtes forcément un logicien irréprochable doublé d’un fieffé rhéteur.
En effet, en un sens, toutes inférences logiques sont des pétitions de principes, car la
conclusion est toujours contenue dans les prémisses. Mais elle y est parfois plus au
moins cachée. Voici une inférence correcte qui est encore circulaire, bien qu’un peu
moins :
P1 Les vaches sont des mammifères et les vaches font du lait.
C Donc les vaches font du lait.
La logique, en ce sens, ne démontre rien de nouveau : elle ne nous permet que de tirer
des conclusions qui était déjà contenue dans les prémisses. Elle demeure cependant
utile car il n’est pas toujours aisé de voir que ces conclusions était contenus dans les
prémisses, et il est aisé d’en tirer des conclusions qui n’y étaient pas.
Récapitulons. Nous avons cherché à déterminer l’objet de la logique. Nous avons
commencé par montrer que la logique s’intéressait à un certains type d’arguments,
les inférences formelles, avant de préciser qu’elle ne s’intéressait qu’à la validité et
l’invalidité de ces inférences. L’objet de la logique est la validité et l’invalidité des
arguments qui prétendent déduire leur conclusions des mots logiques que contiennent
leurs prémisses ; la logique est la science des inférences formelles valides (et invalides).
1. abstraire les différents contenus, ou matière dont la logique n’a que faire, en les
remplaçant par des symboles que l’on appelle des variables logiques.
2. désambiguiser les “mots logiques” restant, à l’aide de symboles que l’on appel
les constantes logiques.
Comparons les deux arguments suivants :
S’il pleut, alors Paul ouvre son parapluie.
Il pleut.
∴ Paul ouvre son parapluie.
est de remplacer chaque occurence de “p” et chaque occurence de “q” par la même
proposition (“p” ne peut pas remplacer, dans le même argument, une fois “Il pleut”
et une fautre fois “Julie chante”). On sait alors que l’argument suivant est valide :
Si la Terre est plate, alors il y a plus d’un pangolin.
La Terre est plate
∴ Il y a plus d’un pangolin.
Dans ces exemples, afin de mettre en évidence la forme logique de l’argument, nous
nous sommes contentés d’introduire des variables propositionnelles. C’est ainsi que
se développe la logique des propositions que nous étudierons pour commencer.
Cependant, dans un certain nombre de cas, pour saisir la forme logique d’un
argument, il convient de regarder à l’intérieur des propositions, de regarder leur
structure. La plupart des arguments évoqués jusqu’ici nécessitent en réalité de scruter
à l’intérieur des propositions. Par exemple :
Clotilde est une cigogne
Aucune cigogne n’est mathématicienne
∴ Clotilde n’est pas mathématicienne.
C’est, intuitivement, un argument valide. Mais on ne parvient pas à saisir la forme
logique en vertu de laquelle il est valide à l’aide des seuls variables propositionnelles.
Celles-ci nous conduisent a formaliser l’argument ainsi :
p
q
∴r
Bien que l’on ait l’intuition que l’argument initial était une inférence valide, cette
formalisation à l’aide de variables propositionnelles n’en exprime pas la validité.
Ce dernier argument formalisé, en effet, n’est pas un argument valide. Prenons par
exemple ’Il pleut’ pour p, ’Julie aime Paul’ pour q, et ’Les bateaux flottent’ pour r.
Il est alors évident que la conclusion ne suit pas nécessairement des prémisses.
Il pleut.
Julie aime Paul.
∴ Les bateaux flottent
Pour saisir la structure logique en vertu de laquelle cet argument est valide, nous
devons regarder “dans” les propositions qui le constituent et essayer d’abstraire ce
qui ne relève pas de leur forme, mais de leur contenu. Intuitivement, notre argument
sur Clotilde a la même structure que le suivant :
28 CHAPITRE 1. QU’EST-CE QUE LA LOGIQUE ?
29
Chapitre 2
Mais il nous faut avant cela construire LP, ce qui est l’objet de ce chapitre. Pour
cela on en définit l’alphabet et les règles de syntaxe. Les éléments de l’alphabet
sont de trois types : les variables propositionnelles (2.2), les opérateurs (2.3) et les
parenthèses. On définit alors la syntaxe de ce langage, ce qu’est une formule bien
formée, de manière récursive (2.4). Mais avant d’introduire LP il convient de se
demander à partir de quel langage on va le faire : ce langage à partir duquel nous
introduisons LP est appelé le méta-langage, par opposition à LP qui est appelé
langage-objet.
31
32 CHAPITRE 2. LE LANGAGE DE LA LOGIQUE DES PROPOSITIONS
plaçons dans le métalangage. Etant donné l’usage des guillemets que nous avons
retenu ici, toutes les expressions entre guillemets appartiennent au métalangage.
Ainsi la phrase :
– Gottlob est un grand philosophe.
appartient au langage-objet. En revanche, la phrase :
– “Gottlob” est un prénom rigolo.
appartient au métalangage. Quant à la phrase :
– “”Gottlob” est un prénom rigolo” est une phrase courte.
elle appartient au méta-métalangage. La distinction entre le langage et le méta-
langage est essentielle. Elle permet d’éviter, on le verra, bon nombre de paradoxes
et de circularités définitionnelles.
Notre but est ici de construire une langue formelle, LP, à même de formuler
et d’évaluer les arguments déductifs dont la validité (ou l’invalidité) dépend des
connexions logiques entre propositions. LP est le langage que nous voulons construire
et étudier. LP est notre langage-objet. Pour ce faire, nous allons utiliser un autre
langage, appelé métalangage. Nous n’allons pas, en général, formaliser le métalangage
lui-même, avec lequel nous allons étudier LP : notre métalangage sera principalement
le langage ordinaire. (Pour formaliser le métalangage, il faut se placer du point de
vue du méta-métalangage, ce que nous ne ferons –presque– pas ici 1 ).
En construisant notre langage formel, il faudra prendre garde à ne pas introduire
en son sein des expressions qui relèvent du métalangage. Certaines expressions ne
s’appliquent en effet qu’à des expressions du métalangage. On a vu déjà que les verbes
“s’appeler...” prenait pour complément une expression du métalangage, de même que
les expressions “le nom...”, “l’expression...”, “la phrase...” dont les compléments doivent
être entre guillemets. Une autre expression importante de ce type est l’expression
“...est vrai”, et son opposé “...est faux”. Seules les propositions sont vraies. Les phrases
suivantes sont ainsi incorrectes :
– Rémy est vrai. (car “Rémy” désigne une personne)
– Il pleut est faux. (car “Il pleut” désigne un fait)
Les phrases suivantes sont en revanche correctes :
– “Il pleut” est faux. (car “”Il pleut” ” désigne une phrase).
– “Jean mange des tulipes pour soigner son rhume” est vrai. (ibid.)
De même que “...est vrai” s’applique à des propositions, “...est valide”, “...est correcte”
s’appliquent on l’a vu à d’autre expressions linguistiques, en l’occurrence des argu-
ments ( 1.5 page 23). Ce sont dans tous les cas des expressions qui appartiennent au
métalangage. Elles doivent être complétées par des noms de propositions ou d’argu-
ment, qui sont obtenus en mettant ces propositions et arguments entre guillemets.
1. La seule exception sera l’introduction des méta-variables ou lettres schématiques.
2.2. LES VARIABLES DE LA LOGIQUE DES PROPOSITIONS 35
le langage ordinaire, qui, quand tout se passe bien, autorise certaine traductions. “p”
remplace ou traduit “Il pleut” dans LP ; “p” ne représente pas, ne nomme pas “Il
pleut”.
La traduction de certaines propositiosn du français, de l’anglais, etc., dans LP ne
fait pas partie de la logique. Idéalement –pour profiter à plein de la puissance de LP–
il est préférable de ne remplacer que les proposition simples du langage ordinaire par
p, q, r. Voici certaines propositions élémentaires que l’on peut abréger par de telles
lettres :
– Il pleut.
– Cornelia mange beaucoup de saindoux.
– Julie est plus jolie que Cornelia.
– Nicéphore croit qu’il est assis sur un tabouret à trois pieds construit par son
arrière-grand père alors qu’il revenait de la bataille d’Alger sur une frégate de
la marine Française.
Chacune de ces phrases, en logique des propositions, peut être abrégée par une lettre
(p, q, r...). On le voit, les propositions simples, ou élémentaires de la logique des
propositions peuvent être, en un sens, assez complexe. Que veut-on dire quand on
parle ainsi de proposition atomiques, élémentaires ou simples ?
On entend par là une proposition qui n’est pas formée par d’autres propositions
à l’aide des mots logiques “et”, “ou”, “si...alors” “Il n’est pas le cas que...” etc., qui
constituent les opérateurs propositionnels de la logique des propositions que nous
allons introduire maintenant.
NB : “S croit que”, qui figure dans la dernière phrase, bien qu’il soit
un opérateur propositionnel –il permet de former la proposition “S
croit que p” à partir de la proposition “p”– n’est pas un opérateur
propositionnel de la logique des propositions. En effet, cet opérateur
n’est pas vérifonctionnel, comme on le verra plus bas, cf. 3.2.1 page 62.
Le fait de ne traduire que les propositions simples du langage ordinaire par les
variables propositionnelles n’est qu’une recommandation : en principe ou pourrait
traduit “Il pleut et Julie rit” par “p”, mais il est préférable, pour évaluer certains
argument de traduire par “p et q”. Par ailleurs, si nous voulons évaluer les arguments
du langage ordinaire à l’aide LP, il convient impérativement de remplacer les propo-
sitions distinctions du langage ordinaire par des variables propositionnels distinctes.
Par exemple “Il pleut et Julie rit” ne pas être être traduit “p et p” mais par “p et q”.
2.3. LES CONSTANTES DE LA LOGIQUE DES PROPOSITIONS : LES OPÉRATEURS PROPOSITION
Certains de ces opérateurs ne demandent à être complétés que par une proposi-
tion. C’est le cas de la négation. A partir de la proposition p (“Il pleut”, L’amour est
un cachet d’aspirine”, ou n’importe quelle autre phrase déclarative), on forme ainsi
la proposition non-p (“Il n’est pas le cas qu’il pleut/Il ne pleut pas”, “L’amour n’est
pas un cachet d’aspirine”). On parle alors d” ’opérateur unaire”.
Une raison pour laquelle on introduit ces opérateurs, est que les expressions du
langage naturel auxquelles ils correspondent posent divers problèmes. En particulier :
1. Premièrement, les connecteurs du langage ordinaire sont souvent ambigus.
(a) C’est le cas par exemple de notre “ou”. Dans certains cas il signifie la même
chose que la disjonction exclusive des logiciens (fromage ou dessert), dans
d’autres il veut dire “ou l’un, ou l’autre, ou les deux”, qui correspond à la
disjonction inclusive des logiciens (par exemple : “Pourquoi appelle-t-elle
Paul ? Parce qu’il lui manque ou qu’elle est inquiète pour lui.”).
(b) De même, le “et” du langage ordinaire exprime parfois l’idée d’une conjonc-
tion, mais parfois tout autre chose, comme la relation de conséquence ( “Et
la lumière fut”, “Alice glissa dans la piscine et se retrouva tout mouillée”).
(c) La virgule exprime tantôt la conjonction (“Paul respire, mange, pense.”,
tantôt la disjonction (“Courir, écrire, Paul avait le choix”), tantôt l’im-
plication (“Julie avait rougi, elle était coupable”). Les opérateurs proposi-
tionnels du langage ordinaire peuvent changer de sens selon leur contexte
d’emploi.
, les deux “et” signifie non seulement la conjonction, mais expriment également
une forme d’excès ou d’abus, chose que le “et” logique ne peut faire.
Pour toutes ces raisons au moins, nous voudrions définir rigoureusement les opéra-
teurs logiques. Comment le faire ? Il y a deux principales méthodes pour cela, l’une
sémantique, l’autre syntaxique.
40 CHAPITRE 2. LE LANGAGE DE LA LOGIQUE DES PROPOSITIONS
p→q∧r
(p → q) ∧ r
soit :
p → (q ∧ r)
2.4. LA SYNTAXE DE LP 41
LP
variables constantes
2.4 La syntaxe de LP
2.4.1 Les formules bien formées (FBF) de LP
Il ne suffit pas de juxtaposer aléatoirement des constantes, variables et paren-
thèses de LP pour obtenir un énoncé de LP. Voici des exemples de formules qui ne
sont pas bien formées :
p→
p¬r
∨pq
p → (q
Les formules bien formées (FBF) sont des propositions qui sont douées de sens
(meaningful ), contrairement aux formules qui ne respectent pas ces règles syntaxiques
et qui sont dépourvues de sens (meaningless). Nous voudrions formuler des règles qui
permettent de former tout les formules bien formées (FBF) de LP, elle et elles seules.
Comme il risque d’y avoir un très grand nombre de telles formules (une infinité, en
réalité), nous ne pouvons énumérer toutes les FBF. Comment faire ?
L’idée est de faire appel à une définition “récursive”, ou “inductive” (dans un sens
distinct des arguments inductifs évoqués en introduction). On se donne certaines
propositions, et on énumère les règles les plus élémentaires pour introduire les opéra-
teurs entre elles. Puis on ajoute qu’on peut introduire à nouveau ces opérateurs (les
itérer ) entre les propositions complexes ainsi formées. Par exemple si l’on utilise la
42 CHAPITRE 2. LE LANGAGE DE LA LOGIQUE DES PROPOSITIONS
règle élémentaire qui nous permet de former, par exemple ”p ∧ q” à partir de “p” et
“q”, on peut itérer cette règle sur la proposition complexe ainsi formée pour former
par exemple la proposition ”(p ∧ q) ∧ (q ∧ r)”.
Le défi auquel allons nous atteler maintenant est de parvenir à formuler une telle
définition récursive des FBF dans le métalangage. Notez que comme “être vrai”, “être
une formule bien formée” est un prédicat qui s’attache à des propositions, et est donc
un prédicat métalinguistique. Cela signifie que l’on ne peut dire :
– p ∧ q est une formule bien formée.
on doit dire au contraire :
– ”p ∧ q” est une formule bien formée.
Premier essai
Nous pouvons tenter de procéder en introduisant les trois règles suivantes de
formation d’une FBF :
1. Toute phrase atomique de la forme “p”, “q”, “r ”... est une FBF
2. Si “p” et “q” sont des FBF, alors ”(¬p)”, ”(p∧q)”, ”(p∨q)”, ”(p → q)”, et ”(p ↔
q)” sont des FBF.
3. Il n’y a pas d’autre FBF.
Le problème est qu’en l’état, notre définition n’est pas récursive.
En effet, puisque “p”, “q”, “r ”... tiennent lieu de propositions atomiques, par défi-
nition (voir 2.2 page 35), on ne peut itérer chaque opérateur sur une proposition com-
plexe : nous voudrions pouvoir former, par exemple, la proposition ”(p ∧ q) ∨ (p ∧ q)”
à l’aide de cette définition, mais cela est impossible car rien ne nous autoriser à sub-
stituer ”(p ∧ q)” à “p”. A l’arrivée, une telle définition, qui échoue à être récursive, ne
nous permet donc de former que les 5 propositions complexes qui sont mentionnées
dans la règle 2 (Sider, 2010, p. 26)
Deuxième essai
Afin de pouvoir itérer les formules complexes sur elles-mêmes, nous avons besoin
d’introduire un nouveau type de variables, appelées “métavariables” (on parle aussi
parfois de “variables schématiques”). Au lieu de remplacer les propositions simples,
comme le font “p”, “q”, “r,”, ces métavariables nomment les formules simples ou
complexes arbitraires (Smith (2003, p. 82). Nous utiliserons les lettres grecques mi-
nuscules pour symboliser ces formules : “φ” (“phi”), “ψ” (“psi”), “χ “chi” et ξ (“xi”).
Ces lettres n’appartiennent pas à LP, mais au métalangage. “φ”, “ψ”, “χ “ et “ξ” ,
nomment des phrases de LP de n’importe quelle complexité. A la place de :
2.4. LA SYNTAXE DE LP 43
“”(¬p)”, ”(p ∧ q)”, ”(p ∨ q)”, ”(p → q)” sont des FBF”
, on peut aussi bien dire :
“φ, ψ, χ et ξ sont des FBF”.
Encore une fois, ces lettres grecques sont non pas des abréviations de phrases, comme
le sont p, q, r... mais des abréviations de noms de phrase.
Grâce à ce nouvel outil métalinguistique, on peut maintenant tenter de définir
une formule propositionnelle bien formée de LP ainsi :
1. Toute phrase atomique de la forme “p”, “q”, “r ”... est une FBF
2. Si φ et ψ sont des FBF alors ”(¬φ)”, ”(φ ∧ ψ)”, ”(φ ∨ ψ)”, ”(φ → ψ)”, et ”(φ ↔
ψ)” sont des FBF.
3. Il n’y a pas d’autres FBF.
Comme nos méta-variables nomment n’importe quelle FBF, nous pouvons désormais
former par substitution, sur la base de la méta-proposition (ou “schéma”) ”(φ ∨ ψ)”,
non seulement la proposition ”p∨q”, mais également la proposition ”(p∧q)∨(p∧q)” ,
que nous ne pouvions obtenir auparavant : ces deux propositions de LP sont nommées
par notre formule méta-linguistique.
Cette définition de la syntaxe de LP pose cependant un nouveau problème.
(Forbes, 1994, pp. 41-2, Smith, 2003, p. 86). Considérons la formule suivante, qui
figure dans la tentative de définition précédent d’une FBF :
(1) ”(φ ∧ ψ)”
Cette formule désigne (est le nom de) la formule (2) :
(2) (φ ∧ ψ)
Or cette formule (2) n’est pas une FBF de notre langage-objet, LP car elle mélange
des symboles du métalangage (“φ”, “ψ”) avec des symboles du langage-objet (”(”, ” ∧
”, ”)”). Autrement dit, (1) mentionne à la fois des éléments du métalangage (les
métavariables) et des éléments du langage-objet (les parenthèses, la conjonction).
Troisième essai
Pour éviter ce problème, nous pouvons réécrire (1) ainsi :
(1’) ”(" suivi de φ suivi de " ∧ ” suivi de ψ suivi de ")”
De cette façon, seuls les symboles du langage-objet, LP sont mentionnés (entre guille-
mets) mais pas les symboles du métalangage. Pour éviter ce type de formulation
complexe, on introduit suivant Quine un nouveau type de guillemets, ”p” et ”q”, dits
44 CHAPITRE 2. LE LANGAGE DE LA LOGIQUE DES PROPOSITIONS
“demi-crochets de Quine” qui nous permettent de faire des quasi-citations. Ces cro-
chets ne mettent entre guillemets que les symboles du langage-objet, c’est pourquoi
on les appelle aussi des “guillemets sélectifs”. Ainsi la formule (1’) est-elle équivalente
à la formule (1”) :
(1”) p(φ ∧ ψ)q
Autrement dit, les symboles du langage-objet contenu dans les guillemets de Quine
sont mentionnés, alors que les métavariables contenues dans ces crochets sont utili-
sées. Nous pouvons enfin parvenir à une formulation convenable de la syntaxe de LP
à l’aide des quatre règles suivantes de formation d’une FBF :
1. Toute phrase atomique de la forme “p”, “q”, “r ”... est une FBF
2. Si φ et ψ sont des FBF alors p(¬φ)q, p(φ ∧ ψ)q, p(φ ∨ ψ)q, p(φ → ψ)q, et p(φ ↔
ψ)q sont des FBF.
3. Il n’y a pas d’autres FBF.
Les symboles ”p”et”q” fonctionnent comme des sortes de guillemets : ils permettent
de mentionner une phrase complexe, sans en écraser la forme logique, ce que l’on fait
lorsqu’on la nomme avec des guillemets traditionnels .
(p → q)
2. On pourra cependant le faire dans deux formules qui constituent des prémisses, ou lignes de
preuves distinctes cf Sider (2010, p. 60).
2.4. LA SYNTAXE DE LP 45
p(φ → φ)q
C’est parce qu’elle recourt à des schémas de formules et non à des formules que
la définition que nous avons donnée des FBF est bien récursive : on peut appliquer
chaque règle de façon réitérée. Ainsi, partant de la proposition φ, on introduit la
proposition
p(¬φ)q
Puis, en appliquant la même règle à cette nouvelle proposition on obtient :
p(¬¬φ)q
et encore
p(¬¬¬φ)q
2.
¬¬¬p
3.
¬((p ∨ p) → (p ∨ ¬p))
On dit qu’un opérateur a une portée (plus) étroite s’il ne porte que sur une seule,
ou relativement peu de propositions, par rapport à une autre opérateur, dont on
dit alors qu’il a une portée (plus) large (l’étroitesse et la largue de la portée d’un
opérateur sont donc des notions relatives). L’opérateur principal d’une proposition
complexe est celui qui a la portée la plus large.
L’approche sémantique de la
conséquence logique dans LP
49
50CHAPITRE 3. L’APPROCHE SÉMANTIQUE DE LA CONSÉQUENCE LOGIQUE
Nous allons commencer par définir ainsi les opérateurs unaires, puis les connecteurs.
Définition 12. principe de bivalence : ou bien “p” est vrai, ou bien “p” est
faux. Il n’y a pas de troisième valeur de vérité, tel que ’ni vrai ni faux’, ’inconnu’,
indéterminé’, etc. ; et une même proposition ne peut pas être vrai et fausse à la fois.
Il ne faut pas confondre le principe de bivalence, avec le principe, plus faible du
tiers exclu, selon lequel pour tout proposition “p”, ou “p” est vraie, ou “non-p” est
vraie ; autrement dit, “p ou non-p” est vrai. Ce que rejette le principe du tiers exclu
est le cas ou ni “p”, ni “non-p” ne serait vraie. Certaines logiques respectent le principe
de bivalence mais pas celui du tiers exclu : celles qui rejette par exemple le principe
de non-contradiction et soutient que “p” et “non-p” sont vraies).
Ainsi, nous admettons qu’une proposition unique, “p” ne peut prendre que deux
valeurs de vérité. On dit que chacune de ces possibilités logiques, “vrai” et “faux”
correspond à une interprétation de la phrase “p”.
On symbolisera ici “vrai” par “V” et “faux” par “F”, (on retient parfois les symboles
“1” et “0”). En vertu du principe de bivalence l’ensemble {V, F} est appelé le “domaine
d’interprétation” des formules de LP.
Une interprétation est donc une fonction qui assigne à n’importe quel formule de
LP une valeur de l’ensemble {V, F}.
3.1. L’APPROCHE SÉMANTIQUE DES OPÉRATEURS PROPOSITIONNELS51
Le concept de fonction
On peut penser à une fonction comme à un dispositif qui avale un ou plusieurs objets
pour “recracher” (guillemets non métalinguistiques...) à partir de là un seul objet
(Sider, 2010, p. 15). Les opérations mathématiques sont des fonctions. La soustraction
prend deux nombres pour produire un nouveau nombre. Mais le concept de fonction
dépasse largement les mathématiques. Nous en avons déjà rencontré une espèce : les
opérateurs de LP sont aussi appelés foncteurs pour cette raison. Il prennent une ou
plusieurs propositions pour produire une nouvelle proposition. Les objets qu’on fait
“entrer” dans la fonction sont appelés ses arguments. Les objets qui en ressortent, sont
appelés ses valeurs. Une fonction avalent des arguments pour recracher des valeurs.
La fonction qui nous intéresse ici n’est plus syntaxique, comme le sont les opérateurs,
mais sémantique : elle prend pour argument des propositions et a pour valeurs le vrai
et le faux.
Il est essentiel à une fonction de n’assigner qu’une seule valeur à chaque argument
ou ensemble d’arguments. La soustraction en 4 et 3 ne peut donner qu’une valeur :
1 ; de même, en accord avec notre principe de bivalence, chaque proposition ne peut
avoir qu’une seul valeur de vérité (il est possible en revanche qu’une seul valeur cor-
responde à plusieurs arguments : plusieurs propositions peuvent être vrai, plusieurs
nombres, lorsqu’il sont soustraient, peuvent aboutir au nombre 1). Une relation qui
prend un objet pour donner plusieurs objets (on parlera plus bas, 75, de relations
“co-univoque”) n’est pas une fonction. A l’aide de cette fonction sémantique, l’inter-
prétation, on peut caractériser tous les opérateurs de LP
Les opérateurs unaires, qui prennent une seule proposition pour en faire une
seconde, peuvent donc être définis par une table de vérité à deux lignes (on introduit
ici “O” comme symbole métalinguistique mentionnant n’importe quel opérateur) :
φ Oφ
V
F
φ ψ φOψ
V V
V F
F V
F F
φ p¬φq
V F
F V
Autrement dit, selon cette définition la négation est l’opérateur logique qui inverse
la valeur de vérité de la proposition à laquelle elle s’applique.
La négation d’une proposition est appelée sa contradictoire :
φ tautφ φ antφ φ af f φ
V V V F V V
F V F F F F
Les opérateurs binaires prennent deux propositions pour faire une troisième pro-
position. Les opérateurs binaires qui nous intéressent ici sont les opérateurs qui
forment une proposition complexe dont la valeur de vérité dépend uniquement de
celle des propositions simples qu’ils contiennent.
54CHAPITRE 3. L’APPROCHE SÉMANTIQUE DE LA CONSÉQUENCE LOGIQUE
3.1.3.1 La conjonction
φ ψ pφ ∧ ψq
V V V
V F F
F V F
F F F
Pour que la conjonction de deux propositions soit vraie il est nécessaire et suffisant
que l’une et l’autre soient vraies. Cela correspond bien à l’un des usage ordinaire du
mot “et”. “Il pleut et il vente” est vrai si et seulement si “Il pleut” et “Il vente” sont
vraies.
φ ψ pφ ∨ ψq
V V V
V F V
F V V
F F F
Cette disjonction signifie en langage naturel soit l’un, soit l’autre, soit les deux.
Elle ne doit pas être confondue avec la disjonction exclusive, moins utilisée en logique,
qui signifie soit l’un soit l’autre, mais pas les deux.
φ ψ pφ → ψq
V V V
V F F
F V V
F F V
dire tout ce qu’il ont en tête (comme lorsque l’on rédige un contrat, ou l’on
évite au maximum les implicatures conversationnelles). La personne à qui cette
promesse a été faite peut de bon droit faire remarquer que celle-ci n’a pas été
tenue dans le cas de la deuxième ligne. Les deux dernières lignes du tableau
sont les plus contre-intuitives au premier abord. Selon la troisième, “Si je gagne
au loto, j’achète une moto” est vraie dans le cas ou je ne gagne pas au loto
et ou j’achète une moto. Selon la quatrième, la proposition “Si je gagne au
loto, j’achète une moto” est également vraie dans le cas ou je ne gagne pas au
loto et ou je n’achète pas de moto. L’idée est que comme la condition, p, n’a
pas été satisfaite, le conséquent peut être indifféremment vrai ou faux. Ainsi,
la personne à qui j’ai promis d’acheter une moto si je gagne au loto, ne peut
m’objecter que je n’ai pas tenu ma promesse si, n’ayant pas gagné au loto, je
m’achète une moto (ou que je ne m’en achète pas). Je n’ai rien promis au sujet
de ce que je ferai dans le cas ou je perdrai au loto, et ne suis donc lié par aucune
obligation.
2. Outre le fait que dans certains contextes, nous utilisions “si...alors...” d’une fa-
çon qui correspond à la table de vérité présentée plus haut, il y a des raisons
d’ordre logique d’accepter cette table. Les deux premières lignes ne sont pas
négociables, (les nier entrerait en contradiction immédiate avec tout usage or-
dinaire de “si... alors...”). Voyons ce qui se passerait si on changeait la valeur
de vérité des deux dernières. Il y a trois possibilités :
que “si p, alors q”. En effet, si je dis que s’il pleut, alors j’ouvre mon parapluie,
je ne veux pas dire que la seule raison pour moi d’ouvrir mon parapluie est
qu’il pleuve (je peux ouvrir mon parapluie pour me protéger de la neige, le
faire sécher, me protéger d’une caméra de surveillance...).
3. Une dernière raison liée d’adopter cette définition du conditionnel est qu’elle
permet d’exprimer clairement les notions de conditions nécessaires et de condi-
tions suffisantes. L’antécédent est une condition suffisante du conséquent, alors
que le conséquent est une condition nécessaire de l’antécédent. Ainsi la phrase
p→q
Bien que ces deux phrases soient équivalentes, la première exprime mieux l’idée
que décrocher le contrat est une condition suffisante pour corrompre le ministre,
alors que la seconde fait plutôt apparaître l’idée que corrompre le ministre est
une condition nécessaire pour décrocher le contrat.
Voici donc différent façon d’exprimer “p → q” dans le langage courant :
– Si p, alors q
– p est une condition suffisante de q
– q si p
– q est une condition nécessaire de p
– p seulement si q
– Ce n’est que si q, que p.
φ ψ pφ ↔ ψq
V V V
V F F
F V F
F F V
Deux propositions sont équivalentes lorsqu’elles ont les mêmes valeurs de vérité.
Cet opérateur correspond à l’expression “p si et seulement si q”, ou encore “p est une
condition nécessaire et suffisante de q”. Comme pour l’implication, cette équivalence
ne suggère aucun lien explicatif (elle ne veut pas dire “p parce que q et q parce que p”,
qui est sans doute paradoxale). Au contraire, lorsque l’on a une équivalence entre deux
propositions, il arrive souvent que l’on se demande quel est l’ordre de l’explication
entre elles (s’il y en a un). Dilemme de l’Euthyphron, soulevé par Platon : l’homme
pieux est-il pieux parce qu’il est aimé des dieux, ou les dieux aiment-t-ils l’homme
pieux parce qu’il est pieux ?
– “p” : “Jules est pieux”
– “q” : “Les dieux aiment Jules.”
On a là deux propositions équivalentes, la question qui se pose est de savoir quel est
l’ordre de l’explication entre elles. Typiquement, une définition est une équivalence
assortie d’une direction de l’explication qui va du definiens au definiendum. Si l’on
veut critiquer une définition trois grandes options sont ainsi (i) de nier que le definiens
soit nécessaire au definiendum (ii) de nier que le definiens suffise au definiendum (iii)
de rejeter l’ordre de l’explication entre le definiens et le definiendum.
Outre ces opérateurs les plus usités, on peut définir notamment les opérateurs
suivants : la disjonction exlusive (“soit p soit q, mais pas les deux”, symbolisé par
“p ⊻ q”), la barre de Sheffer ou incompatibilité (“ pas à la fois p et q”symbolisé par
“p|q”) , et le rejet (“ni p ni q”, symbolisé par “p ↓ q”).
3.1. L’APPROCHE SÉMANTIQUE DES OPÉRATEURS PROPOSITIONNELS61
φ ψ pφ⊻ψq pφ|ψq pφ ↓ ψq
V V F F F
V F V V F
F V V V F
F F F V V
Définition 16. opérateur vérifonctionnel : opérateur qui forme des phrases com-
plexes vérifonctionnelles.
La logique des propositions ne s’intéresse qu’aux propositions et opérateurs véri-
fonctionnels : tous les opérateurs et toutes les FBF de LP sont vérifonctionnels. On
dit qu’elle satisfait le principe d’extensionnalité, ou encore qu’elle est une logique
extensionnelle.
Définition 17. logique extensionnelle : logique au sein de laquelle la valeur de
vérité de toutes les propositions complexes est exclusivement fonction des valeurs de
vérité des propositions simples qu’elles contiennent
3.2. LA VALEUR DE VÉRITÉ DES PROPOSITIONS COMPLEXES : LES TABLES DE VÉRITÉ63
Toutes les logiques ne satisfont pas le principe d’extensionnalité, car tous les
opérateurs ne sont pas vérifonctionnel. Voici quelques exemple de connecteurs non-
vérifonctionnels.
Il est très utile en logique de connaître toutes les interprétations possibles d’une
propositions. Cela va nous permettre d’introduire ensuite les concepts de tautologie,
d’antilogie (ou contradiction) et de consistance et d’inconsistance.
Grâce aux tables de vérité, et à la distinction entre les différentes portées des
quantificateurs, nous sommes maintenant en mesure de donner toutes les interpréta-
tions de n’importe quel formule complexe. Considérons ainsi la formule suivante :
Pour évaluer une telle formule, on commence par construire une table de vérité.
Les premières colonnes de la table de vérité contiennent les propositions simples
de la formule à évaluer. Puisque nous voulons envisager l’ensemble des combinaisons
possibles des valeurs de vérité, notre table de vérité, si n est le nombre de propositions
atomique, notre table de vérité aura 2n lignes. Nous évaluerons rarement grâce à
des tables de vérité des formules qui ont plus de 4 propositions simples. C’est une
limitation pratique de cette méthode.
3.2. LA VALEUR DE VÉRITÉ DES PROPOSITIONS COMPLEXES : LES TABLES DE VÉRITÉ65
p F (p)
V
F
p q F (p, q)
V V
V F
F V
F F
p q r F (p, q, r)
V V V
V V F
V F V
V F F
F V V
F V F
F F V
F F F
p q r s F (p, q, r, s)
V V V V
V V V F
V V F V
V V F F
V F V V
V F V F
V F F V
V F F F
F V V V
F V V F
F V F V
F V F F
F F V V
F F V F
F F F V
F F F F
Une fois que nous avons construit ces structure de base des tables de vérité, il reste
à déterminer combien de colonnes il faut ajouter dans la partie droite du tableau.
En principe, il convient d’introduire une colonne pour chaque proposition atomique
et pour chaque opérateurs contenu dans la formule à évaluer. En pratique, on peut
se dispenser d’introduire une colonne pour chaque proposition atomique car celles-ci
sont déjà évaluées dans la partie droite du tableau. Ainsi, pour notre proposition
“¬(p ∨ q) ↔ (¬p ∧ ¬q)”, on partira le tableau suivant :
p q ¬ (p ∨ q) ↔ (¬p ∧ ¬q)
V V
V F
F V
F F
p q ¬ (p ∨ q) ↔ (¬p ∧ ¬q)
V V V F F
V F V F V
F V V V F
F F F V V
p q ¬ (p ∨ q) ↔ (¬p ∧ ¬q)
V V F V F F F
V F F V F F V
F V F V V F F
F F V F V V V
p q ¬ (p ∨ q) ↔ (¬p ∧ ¬q)
V V F V V F F F
V F F V V F F V
F V F V V V F F
F F V F V V V V
On constate que cette formule est vraie pour toutes ses interprétations possibles.
C’est un cas très particulier que l’on appelle une tautologie.
p p → ¬p
V V F F
F F V V
Nous avons ici une proposition complexe qui est parfois vraie (quand p est faux)
et parfois fausse (quand p est vrai). On appelle de telles propositions des propositions
contingentes.
Il existe en revanche des propositions qui ont la même valeur de vérité dans
toutes les interprétations possibles. Ces propositions nécessaires sont de deux types :
les tautologies et les contradictions. Considérons la proposition ”p ∨ ¬p”. L’ensemble
de ses interprétations possibles est représenté dans la table de vérité suivante :
p p ∨ ¬p
V V V F
F F V V
Définition 20. tautologie : une formule ϕ est une tautologie si et seulement si elle
est vraie sous toutes ses interprétations possibles.
Autrement dit, une tautologie est une proposition dont toutes les interprétations
sont des modèles. On utilise le symbole métalinguistique ” |= ” pour dire que la
proposition qui suit est une tautologie (on verra plus bas que ce symbole est aussi
utilisé pour exprimer la conséquence logique). Ainsi :
Se lit : “La proposition ”(p → q) ↔ (¬p ∨ q)” est une tautologie”. Cette formule
représente une tautologie unique. Mais la formule suivante contient une infinité de
tautologies :
On appelle aussi les tautologies des “vérités logiques”. Une vérité logique ne doit
pas être confondue avec une vérité empirique. La vérité de la phrase
Toute phrase vraie empiriquement peut logiquement être fausse. En revanche, aucune
vérité logique n’aurait pu être fausse.
3.2. LA VALEUR DE VÉRITÉ DES PROPOSITIONS COMPLEXES : LES TABLES DE VÉRITÉ69
La nature de la distinction entre ces deux types de vérité est une question phi-
losophique disputée. Alors que la première proposition est une vérité empirique, qui
est, selon une conception possible de la vérité et de la ressemblance, rendue vraie
conjointement par les pangolins et les artichauts, la seconde proposition ne nous dit
rien du monde extra-logique. Wittgenstein pense que les vérités logiques n’ont ainsi
pas de vérifacteurs :
4.461 [. . .] La tautologie n’a point de conditions de vérité car elle est
inconditionnellement vraie. . .. (Je ne sais par exemple rien au sujet du
temps qu’il fait lorsque je sais qu’il pleut ou qu’il ne pleut pas.)
4.462 La tautologie et la contradiction ne sont pas des images de
la réalité. Elles ne représentent pas d’états de choses possibles. Car la
tautologie admet chaque état de fait possible, la contradiction n’en admet
aucun.
5.43 . . . Toutes les propositions de logique disent cependant la même
chose. A savoir, rien. 2
2. Voir notamment Simons (2007) pour une défense récente de la thèse selon laquelle les vérités
70CHAPITRE 3. L’APPROCHE SÉMANTIQUE DE LA CONSÉQUENCE LOGIQUE
Cette proposition est fausse dans toutes ses interprétations possibles, elle est
nécessairement fausse. C’est une contradiction :
Définition 21. contradiction : une formule φ est une contradiction si et seulement
si elle est fausse sous toutes ses interprétations possibles.
Autrement dit, une contradiction est une proposition qui n’a pas de modèle, dont
aucune interprétation n’est un modèle. La négation d’une tautologie est toujours une
contradiction, et la négation d’une contradiction est toujours une tautologie. Voici
par exemple la table de vérité de la négation de la tautologie évalué p. 66 , à savoir
la table de vérité de “¬[¬(p ∨ q) ↔ (¬p ∧ ¬q)]”.
p q ¬[ ¬ (p ∨ q) ↔ (¬p ∧ ¬q)]
V V F F V V F F F
V F F F V V F F V
F V F F V V V F F
F F F V F V V V V
On voit que la négation de cette tautologie est fausse dans toutes ses interpréta-
tions. Par contre, du fait qu’il ne soit pas le cas qu’une formule est une tautologie,
il ne s’ensuit pas que la formule soit une contradiction (elle peut être simplement
satisfaisable) –la négation d’une formule est distincte de la négation du fait qu’une
formule ait une propriété, quelle qu’elle soit (la première opération relève de LP, la
seconde du métalangage).
Contrairement aux propositions contingentes, les propositions nécessaires (tau-
tologies et contractions) ont toujours la même valeur de vérité, quelque que soit la
valeur de vérité des proposition élémentaires qu’elles contiennent. Les propositions
contingentes sont certainement les moins intéressantes logiquement, car leur valeur
de vérité ne dépend pas que de leur forme logique.
On dit enfin qu’une proposition est satisfaisable s’il existe au moins une interpré-
tation sous laquelle elle est vraie.
logiques et analytiques n’ont pas de vérifacteurs, et Armstrong (2004, p. 109) pour la thèse contraire.
3.3. LA CONSÉQUENCE SÉMANTIQUE 71
est valide, on regarde donc l’ensemble des interprétations possibles de ses prémisses
et de sa conclusion, et on regarde s’il y a une interprétation possible selon laquelle
toutes les prémisses sont vraies et la conclusion fausse. S’il y a un tel cas, l’argu-
ment est invalide, s’il n’y en a pas il est valide. On appellera “directe”, cette méthode
sémantique d’évaluation de la validité d’une inférence.
– Exemple. Considérons l’argument suivant :
P1 Si Julie ne joue pas au bilboquet, elle est n’est pas heureuse.
P2 Or Julie est heureuse.
C Donc elle joue au bilboquet.
Que l’on peut traduire ainsi :
P1 ¬p → ¬q
P2 q
C p
Voici la table de vérité de chaque prémisses et de la conclusion :
P1 P2 C
p q ¬p → ¬q q p
V V F V F V V
V F F V V F V
F V V F F V F
F F V V V F F
Y a-t-il un cas où toutes les prémisses sont vraies et la conclusion fausse ? Non :
on en conclut que l’argument est valide.
Il ne s’agit pas là simplement d’une méthode pour déterminer la validité d’un ar-
gument, mais d’une véritable définition sémantique de la conséquence logique. In-
troduisons le symbole suivant, pour la conséquence logique sémantique : “|=” (c’est
le même symbole que nous avons utilisé pour la tautologie, nous allons voir pour-
quoi). Ce symbole appartient au métalangage. La relation de conséquence logique
relie des phrases, qu’il convient donc de mentionner à l’aide de l’usage des métava-
riables. Ainsi le symbole “|=” prend non pas des phrases (“p”, “p ∧ q”...) pour faire
des phrases du langage-objet, mais des noms de phrases (”φ”, ”ψ”) pour faire des
phrases (du métalangage) : “φ|= ψ”, qui se lit “Etant donné φ, il s’ensuit ψ”, ou “φ a
comme conséquence sémantique ψ”, “φ” étant le nom de la prémisse et “ψ” le nom de
la conclusion.
Nous avons défini sémantiquement les formules contradictoires, les tautologies
et les formules contingentes et les formules satisfaisables. Nous pouvons maintenant
proposer une définition sémantique de la conséquence logique elle-même :
3.3. LA CONSÉQUENCE SÉMANTIQUE 73
Autrement dit, une formule ψ est la conséquence sémantique d’une autre formule
φ si et seulement si il est impossible que cette dernière formule soit vraie, alors que
ψ est fausse. Autrement dit encore, une formule ψ est la conséquence sémantique
d’une autre formule φ, si et seulement si tout modèle de φ est également un modèle
de ψ.
Cela n’est ni plus ni moins ce que nous cherchons à diagnostiquer lorsque nous
procédons comme auparavant : nous regardons s’il y a une ligne de notre table
de vérité (= une interprétation) qui rend vraie toutes les prémisses et fausses la
conclusion.
Notons que nous avons introduit le symbole “|=” à la fois pour désigner la relation
de conséquence sémantique, et le fait qu’une phrase est une tautologie. On peut voir
maintenant que ce choix n’était pas dû au hasard. En effet, toute tautologie suit
nécessairement de n’importe quelle autre formule, vraie au fausse, nécessairement ou
non. Une tautologie est une conséquence logique de n’importe quelle formule :
Si φ est une contradiction alors quelle que soit la FBF nommée par ψ, φ|=ψ
En effet, il ne serait jamais possible de déduire une formule fausse en partant d’une
formule vraie si la formule dont on part est nécessairement fausse. Ce principe est
aussi appelé “principe d’explosion” et exprimé en latin par l’expression “ex falso/contradictione
sequitur quodlibet” (“du faux/d’une contradiction il s’ensuit n’importe quoi”).
74CHAPITRE 3. L’APPROCHE SÉMANTIQUE DE LA CONSÉQUENCE LOGIQUE
Cela conduit à une remarque sur ce qu’est un bon argument. Nous avons vu
qu’il ne suffisait pas qu’un argument soit valide pour être un bon argument ( 1.5
page 23). Il faut encore qu’il soit correct, qu’il ne soit pas une pétition de principe.
Nous pouvons ici ajouter une autre condition : il faut que sa conclusion soit perti-
nente relativement à ses prémisses. On pouvait espérer que la définition logique de
la conséquence nous éviterait d’avoir des prémisses et des conclusions qui ne soient
aucunement liées (c’était aussi un des espoirs de Lewis en introduisant l’implication
stricte, voir p. 59), mais ce n’est pas le cas. Les arguments suivants sont logiquement
irréprochables :
P1 L’amour est enfant de bohème et l’amour n’est pas enfant de bohème.
C Donc il faut repeindre les usines de pneus.
On tire ici une conclusion d’une contradiction, donc l’argument est valide. L’argument
suivant ou l’on tire une tautologie d’une prémisse est également valide :
P1 Les chaussettes de l’archiduchesse sont sèches.
C Donc si la caravane passe, la caravane passe.
Ce qu’il manque à ces arguments est une propriété que l’on appelle “la pertinence” : le
fait qu’un argument soit valide ne garanti donc pas que ses prémisses et sa conclusions
soit reliées de façon pertinente. Notons que le premier argument, en plus de ne pas
être pertinent, est incorrect, et même, nécessairement incorrect, car sa prémisse est
toujours fausse.
P 1, P 2, P 3... |= C
3.3. LA CONSÉQUENCE SÉMANTIQUE 75
p q [(¬p → ¬q)] ∧ q] → p
V V F V F V V V V
V F F V V F F V V
F V V F F F V V F
F F V V V F F V F
On voit que l’implication matérielle correspondant à l’argument est une tauto-
logie, on en conclut que l’argument est valide.
Bien qu’on puisse exploiter l’implication matérielle correspondant à un argument
pour en évaluer la validité, il faut souligner d’emblée que cette l’implication matérielle
n’est pas une formalisation de l’argument. Une inférence n’est pas une implication
matérielle, car un argument relie des noms de phrases entre eux (“Etant donnée
les phrases ”¬p → ¬q”,”q”..., il s’ensuit logiquement la phrase “p” ”), alors qu’une
implication matérielle relie des phrases (dans la phrase complexe “si p alors q”, “p” et
“q” sont utilisés et non mentionnées). Quand nous faisons une inférence, nous parlons
des propositions ou énoncés qui constituent les prémisses et la conclusions. Quand
nous utilisons “si ... alors...” nous utilisons les propositions en question et parlons du
monde.
Autrement dit alors que l’implication matérielle se situe dans le langage-objet, la
conséquence logique se situe dans le métalangage. Ainsi l’implication matérielle de
la conclusion par la conjonction des prémisses d’un argument n’est pas la relation
de conséquence logique entre les prémisses et la conclusion C’est simplement une
implication correspondant à l’argument. Cette implication est vraie ou fausse (néces-
sairement, si c’est une tautologie, ou une contradiction). Or aucun argument n’est
vrai ou faux.
Achille et la tortue
Voici un paradoxe qui a été proposé par Lewis Carroll (1895) dans un célèbre
article (de deux pages), afin de souligner la nécessité de distinguer entre l’implication
matérielle (même tautologique) et la conséquence logique. Achille veut convaincre la
tortue de la vérité d’une proposition “q”. Il utilise le raisonnement suivant (qu’on
appelle un Modus Ponens, nous y reviendrons) :
P1 p
P2 p → q
C q
La tortue accepte les deux prémisses de l’argument, mais refuse la conclusion car
selon elle, il manque en l’état une prémisse à l’argument, à savoir la prémisse selon
3.3. LA CONSÉQUENCE SÉMANTIQUE 77
laquelle “si p et que p implique q, alors q”. Cette prémisse est tellement évidente que
l’on omet de la formuler, mais elle est selon la tortue bien nécessaire pour atteindre
la conclusion (un argument dont une prémisse évidente reste implicite est appelée un
“enthymème”, cf. Smith, 2003, p. 38). Achille accepte donc d’ajouter une prémisse
à son argument pour enfin convaincre la tortue de la vérité de “q”. Il propose le
nouveau Modus Ponens suivant :
P1 p
P2 p → q
P3 [p ∧ (p → q)] → q
C q
Mais la tortue demeure perplexe. Bien qu’elle accepte P 1, P 2 et P 3, elle ne voit
toujours pas pourquoi accepter “q”, à moins d’admettre une nouvelle prémisse ad-
ditionnelle, selon laquelle la conjonction des trois prémisses du nouvel argument
implique sa conclusion. Cet argument est selon elle encore un enthymème. Achille
propose alors un troisième argument :
P1 p
P2 p → q
P3 [p ∧ (p → q)] → q
P4 {p ∧ (p → q) ∧ [p ∧ (p → q)] → q} → q
C q
Il est évident que la tortue peut continuer à jouer à ce jeu longtemps avec Achille,
qui ne parviendra ainsi jamais à lui faire accepter “q”. La morale est la suivante : si
l’on identifie le lien entre les prémisses et la conclusion à une implication matérielle,
on se retrouve pris au piège d’une régression à l’infini.
Une version simplifiée de l’argument de la tortue est la suivante. Achille veut
montrer que “p” peut être déduit de “p”.
P1 p
C p
Cet argument, est parfaitement valide normalement, même s’il est une pétition de
principe. Mais la tortue peut répondre à Achille que pour déduire “p” de “p”, il faut
ajouter une seconde prémisse :
P2 p → p
Etant donné que “p”, et que et “p alors p”, il s’ensuit logiquement que “p”, accepte
alors Achille. Mais la tortue revient à la charge en disant qu’elle a besoin d’une
nouvelle prémisse :
78CHAPITRE 3. L’APPROCHE SÉMANTIQUE DE LA CONSÉQUENCE LOGIQUE
P3 [p ∧ (p → p)]→ p
etc.
Par ailleurs, si un argument est valide, on peut ajouter n’importe quelle prémisse
et il le restera. C’est ce qu’on appelle la “monotonie” de la conséquence logique.
On pourrait penser que la monotonie n’est pas compatible avec notre définition
de la conséquence sémantique. En effet, pour qu’un argument soit valide, il doit
être impossible que toutes ses prémisses soient vraies et sa conclusion fausse. Deux
questions se posent alors :
– Ne peut-on pas rendre invalide un argument valide simplement en lui ajoutant
des prémisses ? Pour cela, il faudrait que la nouvelle colonne de notre table
vérité transforme une ligne qui ne contenait du vrai et du faux, en une ligne
qui ne contient plus que du vrai, ce qui est évidemment impossible : on peut
’ajouter’ du vrai mais on en peut pas ’enlever’ du faux.
– Peut-on, à l’inverse, rendre valide un argument invalide en lui ajoutant des
prémisses ? Oui : pour cela, il suffit d’ajouter un “faux” sur une ligne d’in-
terprétation où toutes les prémisses sont vraies. Mais cela ne concerne pas la
monotonie, qui ne vaut que pour les arguments valides.
La conséquence logique est transitive : la conclusion d’une inférence valide a pour
conséquence logique une autre proposition, celle-ci est également la conséquence lo-
gique des prémisses.
P 1, P 2, P 3... |= P 1, P 2, P 3...
3.4. L’ÉQUIVALENCE SÉMANTIQUE ET LES LOIS DE LP 81
(p → q) ↔ (¬p ∨ q)
La table de vérité de cette FBF est :
p q (p → q) ↔ (¬p ∨ q)
V V V V F V V
V F F V F F F
F V V V V V V
F F V V V V F
82CHAPITRE 3. L’APPROCHE SÉMANTIQUE DE LA CONSÉQUENCE LOGIQUE
On a donc :
(1)
|= p(φ → ψ) ↔ (¬φ ∨ ψ)q
φ |= ψ si et seulement si |= pφ →ψq
On a ici :
(2)
φ⇔ψ si et seulement si |= pφ ↔ψq
De même que l’on peut montrer qu’une proposition est la conséquence sémantique
d’autres propositions en montrant que l’implication matérielle correspondante est une
tautologie, on peut montrer que des propositions sont sémantiquement équivalentes
en montrant que l’équivalence matérielle entre elles est une tautologie. L’équivalence
sémantique n’est pas d’avantage une équivalence matérielle que la conséquence sé-
mantique n’est une implication matérielle.
On peut également caractériser la conjonction sémantique, la disjonction séman-
tique, ou la négation sémantiques, qui s’obtiennent si et seulement si la conjonction,
la disjonction et la négation correspondantes du langage-objet sont des tautologies.
Mais nous n’aurons pas directement besoin de ces symboles ici.
p¬¬φq ⇔ pφq
– Idempotence :
pφ ∨ φq ⇔ φ
pφ ∧ φq ⇔ φ
pφ ∨ ψq ⇔ pψ∨φq
pφ ∧ ψq ⇔ pψ∧φq
pφ → ψq ⇔ p¬φ ∨ ψq
Cette formule du métalangage est intéressante car elle montre que l’implication
est sémantiquement équivalente à la disjonction de la négation de l’antécédent et de
l’affirmation du conséquent Elle peut également être lue directement depuis la table
de vérité de l’implication : les cas où le conditionnel est vrai sont soit les cas ou
l’antécédent est faux, soit les cas où le conséquent est vrai.
On a également les autres équivalences sémantiques qui nous permettent de passer
d’un opérateur à un autre (voir Vernant, 2001, p. 67 pour une présentation plus
exhaustive).
pφ → ψq ⇔ p¬(φ ∧ ¬ψ)q
pφ ↔ ψq ⇔ p¬(φ ∧ ¬ψ)∧¬(ψ∧¬φ)q
pφ ↓ ψq ⇔ p¬(φ ∨ ψ)q
pφ → ψqdef. ⇔ p¬φ ∨ ψq
p¬φ ∨ ψqdef. ⇔ pφ → ψq
86CHAPITRE 3. L’APPROCHE SÉMANTIQUE DE LA CONSÉQUENCE LOGIQUE
Ou plus explicitement :
pφ ∨ ψqdef. ⇔ p¬φ → ψq
Table 3.15 – Définitions des opérateurs à partir de la barre de Sheffer, tiré de Blum
(2014).
qu’il contient est satisfaisable (voir p. 71). Ainsi l’expression “la proposition “p” est
consistante” elle signifie en fait “La proposition “p” est satisfaisable”.
A l’inverse, plusieurs formules sont dites “inconsistantes” s’il est impossible qu’elles
soient vraies ensembles (de même, lorsque l’on dit qu’une proposition est inconsis-
tantes, on veut dire qu’elle est contradictoire : au sens strict, l’inconsistance ne s’ap-
plique qu’à des ensemble de proposition(s)). De même que la conséquence logique
peut-être définie sémantiquement et syntaxiquement, on peut définir sémantiquement
l’inconsistance et la consistance sémantiquement comme suit :
Cela signifie que n’importe quel argument valide est équivalent à un ensemble
de propositions inconsistant : P1, P2... non-C. Cette présentation symétrique des
inférences logiques en termes de dilemmes, trilemme, quadrilemme etc. s’avère assez
féconde. Elle permet de mieux de mettre en évidence les points d’accord et de désac-
cord entre les différents protagonistes d’une dispute, de rendre plus manifeste les
options possibles, ainsi que les autres arguments possibles sur la base de l’ensemble
de propositions inconsistant.
Ainsi, il arrive souvent dans les débats que l’on se trouve dans la situation ou le
Modus Ponens de l’un est le Modus Tollens de l’autre.
– Jules :”Si Berkeley a raison alors la matière n’existe pas ; or Berkeley a raison,
donc la matière n’existe pas.” (Modus Ponens)
– Paul : “Si Berkeley a raison, alors la matière n’existe pas ; or la matière existe,
donc Berkeley a tort” (Modus Tollens).
Cette discussion peut être reformulée ainsi : Jules et Paul sont d’accord sur le fait
que les trois propositions suivantes sont inconsistantes :
P1 Si Berkeley a raison alors la matière n’existe pas.
P2 Berkeley a raison
P3 La matière existe
90CHAPITRE 3. L’APPROCHE SÉMANTIQUE DE LA CONSÉQUENCE LOGIQUE
Ces trois propositions, s’accordent-ils à penser, ne peuvent être vraies ensemble. Ils
ne sont pas d’accord sur la proposition qu’il convient de rejeter. Jules rejette P3, Paul
rejette P2. On voit qu’une autre possibilité serait de rejeter P1. On voit également
que l’on peut formuler trois inférences logiques valides différentes sur la base de ces
trois propositions inconsistantes.
L’argument de Paul :
P1 Si Berkeley a raison alors la matière n’existe pas.
P2 Berkeley a raison
C Il n’est pas le cas que la matière existe. (= non-P3)
L’argument de Jules :
P1 Si Berkeley a raison alors la matière n’existe pas.
P3 La matière existe.
C Il n’est pas le cas que Berkeley a raison. (= non-P2)
P2 Aucune affirmation n’est justifiée par une autre affirmation qu’elle justifie elle-
même (rejet du cercle vicieux).
P3 Aucune affirmation n’est justifiée par une autre affirmation, qu’elle ne justifie
pas elle-même. (ce sans quoi on serait conduit à une regression à l’infini).
P4 Certains affirmations sont justifiées.)
Le fait que toute inférence valide soit équivalente à un ensemble de formules incon-
sistantes ouvre la voie à une autre méthode pour vérifier la validité d’un argument,
que l’on appellera par “inconsistance directe” :
1. On considère l’ensemble constitué de toutes les prémisses et de la négation de
la conclusion.
2. On construit une table de vérité correspondant à toutes leurs interprétations
possibles.
3. S’il n’y a aucune interprétation dans laquelle les prémisses et la négation de la
conclusion sont vraies ensembles, l’argument est valide.
De même que l’on peut évaluer la validité d’un argument à l’aide de l’évaluation
de l’implication correspondante, on peut ici évaluer l’inconsistance de l’ensemble
constitué des prémisses et de la négation de la conclusion à l’aide de l’évaluation de
la conjonction correspondant à cet ensemble. La méthode par inconsistance indirecte
est alors la suivante :
1. On considère la négation de l’implication correspondant à l’argument (qui est
équivalente à la conjonction des prémisses et de la négation de la conclusion)
2. On construit une table de vérité pour toutes les interprétations possibles de
cette conjonction.
3. Si cette conjonction est toujours fausse, on en conclut que l’ensemble constitué
des prémisses et de la négation de la conclusion de l’argument est inconsistant.
4. On en conclut que l’argument est valide.
92CHAPITRE 3. L’APPROCHE SÉMANTIQUE DE LA CONSÉQUENCE LOGIQUE
Chapitre 4
L’approche syntaxique de la
conséquence logique dans LP
Nous avons jusqu’ici fait un emploi extensif des notions de vérité et de fausseté,
ainsi que de notions dérivées : les notions d’interprétation, de modèle, de valeur de
vérité, de table de vérité, de tautologie, de formules satisfaisables, de conséquence
sémantique (préservation de la vérité), de consistance sémantique, de correction d’un
argument, de vérifonctionnalité, etc.
Tous ces concepts, qui sont définis à l’aide du concept de vérité, ont leur place
dans l’approche sémantique de LP, mais sont absents de l’approche syntaxique de la
conséquence logique dans LP que nous allons maintenant étudier. Nous avons déjà vu
que LP elle-même était défini de manière purement syntaxique, comme un ensemble
de symbole soumis à certaines règles permettant d’obtenir des formules bien formées
( 2 page 31). Nous allons voir maintenant que l’enchaînement logique des formules
dans LP, le lien de conséquence logique entre elles, ainsi que la relation de consistance,
peuvent être abordés comme de simple manipulation de symboles suivant certaines
règles. Cette approche syntaxique de la conséquence logique n’est en rien contradic-
toire avec l’approche sémantique qui nous a intéressée dans le chapitre précédent, et
nous verrons que les deux sont en réalité équivalentes (bien que distinctes).
Alors que les concepts de vérité, d’interprétation et de modèle étaient les concepts
centraux de l’approche sémantique de la conséquence logique, ce sont désormais les
concepts de calcul et de preuve qui vont jouer le rôle central. Alors que ce que
l’on appelle “la théorie des modèles” est au coeur de l’approche sémantique, c’est la
“théorie de la preuve” qui constitue l’approche syntaxique.
Nous allons étudier ici deux types de preuves syntaxiques. La première, la plus
pure mais la moins pratique, est celle qui consiste à dériver la formule que l’on veut
93
94CHAPITRE 4. L’APPROCHE SYNTAXIQUE DE LA CONSÉQUENCE LOGIQUE
pφ→ψq, φ ⊢ ψ
ou encore :
φ
φ→ψ
ψ
4.1. LES PREUVES AXIOMATIQUES 95
Cette règle dit que si l’on a les formules de type pφ→ψq et φ, on a le droit d’en
inférer une formule de type ψ. Nous allons voir que cette notion de règle d’inférence
est étroitement liée à celle de preuve : plus précisément, cette règle dit que si une
implication matérielle et s on antécédent on été prouvés, alors on peut considérer que
son conséquent est prouvé également.
Définition 31. Axiome : FBF de LP que l’on admet (= que l’on a le droit d’écrire)
sans la prouver, et à partir de laquelle on peut déduire d’autres FBF à l’aide de règles
d’inférence.
Les axiomes constituent donc les points de départ, qui, à l’aide des règles d’infé-
rence, nous permettent d’obtenir les autres théorèmes. On définira récursivement les
théorèmes comme suit :
Etant donné que les axiomes de HC, ainsi définis sont des schémas (les lettres
grecques minuscules peuvent dénoter n’importe quelle FBF), on voit que HC a une
infinité d’axiomes.
Ce calcul C est intéressant car comme on le verra, toutes les tautologies de
LP, et elles seules en sont des théorèmes. 1 On utilise souvent l’expression “le calcul
propositionnel” pour désigner soit ce calcul, soit tout autre calcul ayant les mêmes
théorèmes. Mais il faut garder en tête qu’il y a en réalité bien d’autres calculs possibles
dans LP : on peut considérer n’importe quel ensemble de FBF comme un axiome
et développer ainsi un nouveau calcul. Une des propriétés remarquable de ce calcul
est que tous ses axiomes sont, d’un point de vue sémantique, des tautologies. Tous
les calculs ne prennent cependant pas des tautologies pour axiomes : on peut en
principe prendre pour axiome des formules contingentes, ou même des contradictions.
Cependant un calcul de ce dernier type n’est guère intéressant. En effet, un calcul qui
prend une contradiction comme axiome et MP comme règle d’inférence permettra
nécessairement de prouver toutes les tautologies. Il sera donc complet dans le sens
que l’on introduira plus bas. Mais il sera loin d’être correct : car il permet en réalité
1. C n’est qu’une des axiomatisations possibles de la logique propositionnelle. D’autres axioma-
tisation sont possibles : ces différents calculs, on va y revenir, sont équivalents si et seulement si ils
ont tous les mêmes théorèmes.
4.1. LES PREUVES AXIOMATIQUES 97
de prouver non seulement toutes les tautologies, mais également toutes les FBF de
LP, y compris les contradictions.
Pour dire qu’une formule φ est un théorème d’un calcul C, on écrira :
C⊢φ
Cela signifie que φ peut être déduite de théorèmes de C, autrement dit, que φ est
elle-même un théorème de C.
On voit que φ peut être soit directement déduite des axiomes de C, soit de
théorèmes qui sont eux-même déduit des axiomes de C. La séquence finie de formules
qui part d’un axiome de C pour arriver à la formule que l’on veut démontrer, en
appliquant à chaque étape des règles d’inférence est appelée une preuve dans le calcul
C.
Définition 34. Preuve : dans un calcul C, une preuve est une séquence finie de FBF
qui consiste soit en des axiomes, soit en des FBF obtenues à partir de l’application
d’une règle d’inférence à des formules qui la précèdent dans la séquence.
(p∨q)→(q∨p)
Nous avons ici une preuve dans un calcul, qui ne dérive la proposition prouvée
que des axiomes du calcul à l’aide ses règles d’inférence.
4.1. LES PREUVES AXIOMATIQUES 99
– Une première raison est que si les preuves ne sont pas faciles à construire, elles
sont aisées à vérifier. Il suffit de vérifier que chaque instance de de la séquence
est une instance d’un schéma qui dérive par les règles d’inférences des lignes
antérieures.
– Une seconde raison est qu’il est beaucoup plus aisé de montrer que les systèmes
axiomatiques ont certaines propriétés métalogiques, et ainsi de comprendre la
relation entre l’approche sémantique et l’approche syntaxique de la conséquence
logique, qui quoique distincte, se révèlent équivalentes.
C ⊢ φ ⇒ φ
(”C ⊢ φ” signifie que φ est un théorème du calcul en question et” φ” que φ est
une tautologie de LP).
La correction d’un calcul nous permet de nous assurer que ce calcul ne prouve pas
trop, qu’il ne prouve que des vérités logiques ou tautologies. Il est assez aisé de
prouver, métalogiquement, qu’un calcul est correct : on prouve que ses axiomes sont
des tautologies (par tables de vérité) et que ses règles d’inférences sont valides (par
tables de vérité également) : toute formule que l’on pourra ainsi déduire des axiomes
à l’aide d’une règle d’inférence valide sera également une tautologie. Par induction,
on montre qu’il en va de même pour toutes les formules que l’on pourra déduire
4.1. LES PREUVES AXIOMATIQUES 101
des formules déduites des axiomes (nous verrons plus bas comment construire plus
précisément une telle preuve métalogique par induction).
Définition 37. Complétude : un calcul C est complet si et seulement si toutes
les tautologies en sont des théorèmes (i.e. ssi toutes les tautologies peuvent en être
déduites).
φ ⇒ C⊢φ
La complétude d’un calcul nous permet de nous assurer que le calcul prouve assez,
c’est-à-dire qu’il prouve toutes les vérités logiques ou tautologie. S’il est assez aisé
de montrer qu’un calcul est correct, il est plus difficile de montrer qu’il est complet
(Sider, 2010, p.50 sqq.), nous ne le ferons pas ici.
Définition 38. Adéquation : un calcul syntaxique est adéquat si et seulement il
est correct et complet.
φ ⇔ C⊢φ
Si un calcul est adéquat, alors il prouve toutes les vérités logiques et seulement
elles. Tout formule qui est une tautologie de LP (notion sémantique) est un théorème
de HC, et inversement.
On voit donc que si l’on peut montrer que HC, ou toute autre axiomatisation
équivalente du calcul propositionnel contient toutes les tautologies de LP, et elles
seules, nous pouvons considérer la déduction syntaxique et la déduction sémantique
comme équivalentes.
p¬φq
102CHAPITRE 4. L’APPROCHE SYNTAXIQUE DE LA CONSÉQUENCE LOGIQUE
Nous disons que tout ensemble de formule de ce type, constitué (e) par une for-
mule et sa négation est inconsistant (notons que ce-disant, nous ne faisons pas ici
appel à la notion de vérité). Bien que cela nous donne une condition nécessaire de
l’inconsistance, elle n’est pas suffisante : certaines paires de formules sont inconsis-
tantes bien qu’elles ne soient pas des négations l’une de l’autre. Par exemple toutes
les formules qui satisfont le premier schéma suivant sont inconsistantes avec celles
qui instancient le second schéma :
pφ ∧ ψq
p¬φ ∨ ¬ψq
De même pour les formules instanciant les schéma suivants :
pφ ∧ ψq
p¬φq
Pourtant ces paires de formules ne sont pas manifestement les négations les unes
des autres. Pour obtenir une définition de la consistance, on introduit la notion de
clôture déductive :
Définition 39. clôture déductive : la clôture déductive d’une FBF ou d’un en-
semble de FBF est l’ensemble des FBF qui peuvent en être déduites relativement à
un calcul C.
La règle ¬E, par exemple, si lit “Etant donné que ¬¬φ, on en déduit que/on peut
écrire φ.”
Deux remarques s’imposent ici :
– Le symbole “⊥” que contient la règle d’introduction de la négation est une
abréviation pour n’importe quelle phrase contradictoire.
– La règle d’introduction du conditionnel, → I, contient une astérisque. C’est
précisément une des règles pour lesquelles nous avons besoin de la notion de
supposition. La règle nous dit que si ψ a été prouvée sous la supposition que
φ, nous avons prouvé, indépendamment de toute supposition que pφ → ψq.
L’astérisque signifie précisément que “φ” est supposé : sous la supposition que
“φ”, on déduit “ψ”. Si sous la même supposition on déduit ψ, on peut déduire
indépendamment de toute supposition que pφ → ψq. Cette fait écho, dans
4.2. LES PREUVES PAR DÉDUCTION NATURELLE 107
l’approche sémantique, à l’idée qu’à tout argument valide correspond une im-
plication tautologique.
(m) φ ⊢∗ φ
..
.
(n) φ ⊢∗ ψ
..
.
(o) φ ⊢∗ p¬ψq
..
.
(p) ⊢ p¬φq de (m), (n) et (o) par RA
(m) ⊢ pφ → ψq
..
.
(n) ⊢ p¬ψq
..
.
(o- ⊢ p¬φq de (m) et (n) par MT
108CHAPITRE 4. L’APPROCHE SYNTAXIQUE DE LA CONSÉQUENCE LOGIQUE
(a) que nous la marquions dans la deuxième colonne à partir de la gauche dans
notre preuve et que nous ajoutions une astérisque au signe de déductibilité
syntaxique.
(b) que nous déchargions ensuite cette supposition à l’aide de PC ou RA (∨E
ne décharge que les suppositions qu’elle introduit).
Cela signifie qu’il nous faudra toujours nous débarrasser de cette hypothèse, c’est ce
qu’on appelle la “décharger”. RA et PC sont les deux règles qui nous permettent de
décharger nos suppositions que nous avons fait sur des lignes antérieures : on voit
que les prémisses de ces règles contiennent une astérisque, mais pas leur conclusion.
(∨E décharge également des supposition, mais seulement celles qu’elle a elle-même
introduite).
Les prémisses ressemblent à des des suppositions ou hypothèses. Mais comme
elles nous sont accordées dès le départ, nous n’avons pas besoin de les décharger.
Seules les suppositions que nous avons introduites en plus des prémisses doivent être
déchargées.
Nous pouvons alors prouver deux types de choses par déduction naturelle :
– des séquents (qui sont des formalisations d’arguments). Un séquent est l’affir-
mation qu’une formule est déductible d’une autre, et s’écrit :
φ, ψ, ... ⊢ ξ
Un séquent formalise un argument, il correspond à une déduction logique.
– des théorèmes, qui sont des formules, dont on verra qu’elles sont des tautologies.
p → q, p → r, p ⊢ q ∧ r
La encore, il n’y a pas besoin de faire de supposition :
112CHAPITRE 4. L’APPROCHE SYNTAXIQUE DE LA CONSÉQUENCE LOGIQUE
(1) p → ¬q ⊢ p → ¬q prémisse
(2) p → ¬q, p∧q ⊢∗ p ∧ q supposition
(3) p → ¬q, p∧q ⊢∗ p de (2) par ∧E
(4) p → ¬q, p∧q ⊢∗ ¬q de (1) et (3), par MP
(5) p → ¬q, p∧q ⊢∗ q de (2) par ∧E
(6) p → ¬q ⊢ ¬(p ∧ q) de (2), (4) et (5) , par RA
φ |= ψ si et seulement si |= pφ → ψq
Nous avons ici :
φ⊢ψ si et seulement si ⊢ pφ → ψq
De même qu’une déduction sémantique est équivalente à une implication matérielle
tautologique, une déduction syntaxique est équivalente au fait que l’implication ma-
térielle correspondante soit un théorème (on parle au sujet de cette équivalence de
“théorème de réduction”).
Il est aisé de prouver cette équivalence : si on a φ ⊢ ψ , autrement dit, ψ sous
l’hypothèse que φ, alors on a ⊢ pφ → ψq en vertu de PC. Et si on a ⊢ pφ → ψq
, alors on a une preuve de ψ sous la supposition que φ, en vertu de la règle de la
supposition et de MP.
Les preuves de séquents que nous avons envisagées jusqu’ici partent de prémisses,
qui nous sont données au départ. Pour prouver un théorème, on ne peut cependant
partir d’aucune prémisse. Comment faire pour prouver des théorèmes sans qu’aucune
prémisse ne nous soit donnée au départ ? C’est grâce à la règle des suppositions que
nous allons pouvoir le faire. Voici deux preuves simples de théorèmes.
(1) p ⊢∗ p supposition
(3) ⊢p→p de (1) et (1) par P C
4.2. LES PREUVES PAR DÉDUCTION NATURELLE 115
Nous ne sommes partis d’aucune prémisse qui nous aurait été donnée : nous
avons seulement fait l’hypothèse dont nous avions besoin. En outre, on voit que l’on
a prouvé ici que la formule indépendamment de toute hypothèse : la colonne à gauche
de l’hypothèse est vide. Bien que nous soyons partis seulement d’hypothèses que nous
avons introduites pour prouver cette formule, nous avons montré que cette FBF est
une vérité logique en général, et non une vérité logique sous l’hypothèse que quoi que
ce soit.
φ ⊣⊢ ψ si et seulement si ⊢ pφ ↔ ψq
Nous avons prouvé à la section précédente que
116CHAPITRE 4. L’APPROCHE SYNTAXIQUE DE LA CONSÉQUENCE LOGIQUE
φ⊢ψ si et seulement si ⊢ pφ → ψq
ψ⊢φ si et seulement si ⊢ pψ → φq
φ ⊣⊢ ψ
Figure 4.2.3 – Tiré de Blum (2014) –attention il manque les astérisques aux lignes
2-9.
On en conclut que le séquent “¬(p ∧ q) ⊣⊢ ¬p ∨ ¬q” est valide, que les deux
formules sont interdéductibles.
Ainsi, étant donné que nous avons prouvé que l’interdéductibilité correspondait
à l’équivalence matériel, nous avons :
⊢ ¬(p ∧ q) ↔ ¬p ∨ ¬q
Nous avons ainsi prouvé une des lois de Morgan : celle-ci est un des théorèmes
(il en va de même de l’autre loi de Morgan concernant la négation de la disjonction,
dont on peut montrer de façon analogue qu’elle est un théorème ). Toutes les autres
118CHAPITRE 4. L’APPROCHE SYNTAXIQUE DE LA CONSÉQUENCE LOGIQUE
lois de LP que nous avons évoquées lors de la présentation sémantique peuvent être
dérivées ainsi.
121
123
La logique des propositions, dans la mesure où ses atomes sont des propositions,
ne nous permet pas de rendre compte de la validité d’arguments tels que :
Tous les pingouins sont des prunes.
Toutes les prunes ont des noyaux.
Donc tous les pingouins ont des noyaux.
Pour comprendre pourquoi la conclusion de tels arguments est une conséquence lo-
gique de leurs prémisses, il nous faut un grain d’analyse plus fin que les propositions
atomiques. Il nous faut entrer dans les propositions. La logique des propositions n’est
pas assez expressive. L’expressivité est une propriété métalogique d’un calcul logique
(ainsi que sa complétude ou sa correction). La logique des propositions est complète
et correcte, mais elle n’est pas suffisamment expressive :
Définition 42. expressivité : une logique est d’autant plus expressive qu’elle per-
met de formaliser beaucoup d’argument valides du langage naturel.
La syllogistique aristotélicienne
125
126 CHAPITRE 5. LA SYLLOGISTIQUE ARISTOTÉLICIENNE
mais également une analyse des paradoxes et de l’implication, ainsi que la logique
des propositions, qui sont de réelles innovations logiques.
Mais ces affirmations sont surtout fausses en ce qu’elles prétendent que la logique
est nécessairement une science close et achevée, ce qui a été radicalement démenti par
le formidable renouveau qu’elle a connu à la fin du 19ème siècle sous l’impulsion de
Frege et Russell. Pourquoi alors étudier la syllogistique si elle n’est plus d’actualité ?
Il y a plusieurs raisons d’étudier la syllogistique en dépit de son obsolescence.
D’une part, elle n’est pas totalement obsolète, la logique contemporaine des prédi-
cats ayant dans une large mesure repris et validé certaines de ses distinctions et
résultats. Ensuite, elle permet de mieux comprendre, par contraste, l’apport de la lo-
gique frégéenne. Enfin, elle permet également de souligner certaines limites, en terme
d’expressivité notamment, de la logique contemporaine des prédicats.
On a regroupé sous le nom d’Organon (“instrument”) l’ensemble des écrits d’Aris-
tote consacrés à la logique. C’est un regroupement qui n’a pas été effectué par Aristote
lui-même, qui n’avait pas de mot unique pour désigner la logique. Il distinguait deux
types d’argumentation : la démonstration, qui produit des preuves scientifiques, et
l’argument dialectique, que l’on utilise dans les débats. Mais la syllogistique, que nous
allons étudier ici, est présentée comme valant pour ces deux types de raisonnement,
bien qu’elle se présente à l’origine comme une étude de la déduction. L’Organon
regroupe six traités :
1. les Catégories
2. le traité De l’Interprétation : la définition des propositions, leurs différents
types et leurs relations.
3. les Premiers Analytiques : la syllogistique (qui vaut pour la démonstration et
les arguments dialectiques).
4. les Seconds Analytiques : la démonstration, qui produit des preuves scienti-
fiques.
5. les Topiques : les arguments dialectiques que nous trouvons dans les débats
entre personnes.
6. les Réfutations Sophistiques (appendice aux Topiques).
Aristote est le premier logicien, et en avait conscience. A la fin des Réfutations So-
phistiques, qui closent ses œuvres logiques, il écrit :
Au contraire, en ce qui concerne la présente étude, on ne peut pas dire
qu’une partie en ait été précédemment élaborée, et qu’une autre ne l’ait
point été : en réalité, rien n’existait du tout. (trad. Tricot,183b 34-36).
5.1. LES PROPOSITIONS 127
récusera ainsi la spécificité des relations, seule la relation d’inhérence, si c’en est une,
étant reconnue. C’est ce que Russell appellera le « dogme des relations internes ».
Il y a une deuxième fonction de la copule, outre sa fonction de liaison, qui est
celle d’indiquer le temps de la proposition. « Socrate est assis » n’est pas la même
proposition que « Socrate sera assis » (16b6-25). Kneale and Kneale (1985) notent
qu’on voit mal si Aristote soutient que toute proposition est inscrite dans le temps ou
s’il est possible que certaines assertions ne signifient aucun temps particulier (passé,
présent ou futur). Nous ferons abstraction de cette dimension temporelle ici.
Il y a également une troisième fonction de la copule, qui est d’affirmer l’existence.
Nous y reviendrons, cela sera également un point de divergence central entre la
logique aristotélicienne et la logique contemporaine des prédicats.
Toute proposition simple est donc de la forme :
S est P
C’est du fait de cette composition qu’une proposition est susceptible d’être fausse :
c’est dans la composition et la division que consistent le vrai et le faux
DI, 16a13.
C’est là une doctrine qu’Aristote reprend du Sophiste de Platon (Kneale and Kneale,
1985, p. 45) : toute proposition vraie ou fausse doit être composite. Un mot seul n’est
ni vrai ni faux : « chien », « mortel » n’ont pas de valeur de vérité, même s’ils ont
une signification pour Aristote, contrairement à de simple syllabes « chi » « mor
» qui n’ont ni signification ni valeur de vérité. Pour qu’une énonciation puisse être
vraie ou fausse, il faut que quelque chose y soit dit d’autre chose, c’est-à-dire, il faut
qu’elle soit une proposition.
Nous connaissons donc maintenant la structure élémentaire d’une proposition
pour Aristote : c’est une entité formée d’un sujet et d’un prédicat reliés par une
copule, et qui est capable d’être vraie ou fausse. Mais une objection vient immédia-
tement à l’esprit : toutes les propositions ne semblent pas être de la forme sujet-
copule-prédicat. Qu’en faire ?
On voit que le terme “animaux” a joué tantôt le rôle de sujet (première prémisse
dîte “majeure”) tantôt le terme de prédicat (seconde prémisse dîte “mineure”) :
c’est ce qu’on appelle le “moyen terme” d’un syllogisme. Or les termes singulier
ne peuvent jamais jouer le rôle de moyen termes. En effet, ce qui est caractéris-
tique d’un individu est qu’il ne peut rien être d’autre qu’un sujet. A l’inverse,
un terme général qui sert de sujet peut devenir un prédicat. Dans « les chevaux
sont des animaux », « cheval » est un terme général qui a valeur de sujet. Mais
il peut devenir prédicat dans une autre proposition : « Les mustangs sont des
chevaux ». Mais que dire de « Jolly-Jumper est un mustang » ? Il n’y a pas
moyen de faire de Jolly-Jumper un prédicat. Les termes singuliers ne peuvent
être affirmés d’aucune autre chose. (Premiers Analytiques, 43a20sqq). 2
Puisque les termes singuliers ne peuvent être des prédicats, ils ne peuvent jouer
le rôle de moyens termes. C’est là une raison purement technique d’exclusion
des proposition singulières : la syllogistique a besoin de moyens termes, les
termes singuliers ne peuvent être des moyens termes, donc il faut exclure les
termes singuliers de la syllogistique.
Aristote et les logiciens modernes s’accordent à dire qu’il y a une distinction entre
1. Socrate est humain.
et
2. Les athéniens sont humains.
Mais on verra qu’ils ne tracent pas la distinction au même endroit :
– Pour Aristote, il s’agit là de deux propositions simples de forme sujet/prédicat,
l’une singulière, l’autre générale.
– Pour la logique moderne, seule la première est une proposition de forme sujet-
prédicat. La seconde est une proposition complexe qui met en jeu l’implication
logique : pour tout x, si x est un athénien, alors x est humain. Ainsi dans la
logique contemporaine, les termes généraux ne peuvent jamais être des sujets.
2.
– On peut objecter que lorsque nous disons « Le cheval de Lucky-Lucke est Jolly Jumper »,
Jolly-Jumper devient un prédicat. Mais si nous regardons cette proposition de plus près, nous
nous rendons compte qu’elle exprime une identification et non une prédication. On aurait tout
aussi bien pu l’exprimer ainsi « Jolly Jumper est le cheval de Lucky-Lucke ». Une telle réponse
implique cependant que certaines propositions n’ont pas la forme sujet-copule-prédicat.
– Une autre objection serait de dire « ce qui vient est Callias » ou « Blanc est Socrate ». Mais
pour Aristote (Pr. An. 43a25) Socrate et Callias ne deviennent alors des prédicats que par
accident (cf aussi Blanché, 1970, p. 32 ).
132 CHAPITRE 5. LA SYLLOGISTIQUE ARISTOTÉLICIENNE
tion : AffIrmo/nEgO (Vernant 2001, 135). Pour avoir l’ensemble des combinaisons
possibles, il suffit de recourir à la matrice suivante :
Les propositions subcontraires sont des propositions qui peuvent être vraies en-
semble, mais qui ne peuvent être fausses ensemble : l’une au moins est vraie.
5.2. LES SYLLOGISMES 135
C’est grâce à cette notion de variable que la logique d’Aristote peut être formelle en
évitant toute référence au contenu des termes. 3
Ce tableau se lit ainsi. A chaque syllogisme on donne un nom dont les voyelles
indiquant la forme de chaque proposition composant le syllogisme. Il y a toujours
trois voyelles, une pour chaque proposition du syllogisme, de sorte qu’en lisant le nom
et en sachant le type de figure du syllogisme, on peut reconstituer celui-ci. Chacune
des voyelles d’un nom désigne l’un des types de propositions expliqués plus haut (A,
E, I, O). La première voyelle d’un nom nous informe sur la première prémisse, la
seconde voyelle sur la seconde prémisse, et la dernière voyelle sur la conclusion du
syllogisme. Ainsi, « Dimaris » signifie un syllogisme de la quatrième forme, dont la
première prémisse est une proposition particulière affirmative, la seconde prémisse
une proposition universelle affirmative et la conclusion une proposition particulière
affirmative.
On remarque pour tous les syllogismes de la première figure, la première prémisse
est universelle et la seconde affirmative. La conclusion du syllogisme de la deuxième
figure est toujours négative. La conclusion d’un syllogisme de la troisième figure est
toujours particulière.
Pour la logique aristotélicienne, tous ces syllogismes sont valides. Les syllogismes
subalternes sont des syllogismes dans lesquels on tire des conclusions particulières
de prémisses universelles. On voit bien que pour tous les syllogismes subalternes, les
deux premières propositions sont universelles (A ou E) alors que la conclusion est
particulière (O ou I). C’est ce qu’on appelle la subalternation (cf le carré logique
des oppositions). La subalternation est en accord avec l’usage ordinaire du langage :
5.3. LES LINÉAMENTS DE L’AXIOMATISATION 139
si nous disons que tous les gnous sont poilus, c’est que certains le sont. Cependant
la logique contemporaine n’admet plus les syllogisme subalternes. Pour le logicien
contemporain, du fait que tous les gnous soient poilus, il ne suit pas que certains
gnous soit poilus. Encore faut-il qu’il y ait des gnous. Le fait que le langage ordinaire
tolère la subalternation est considéré comme relevant de la pragmatique du langage
(on ne dirait par “tout”, s’il n’y en avait aucun), plutôt que de la significations des
constantes logiques, de “tout”.
Cette acceptation de la subalternation dans la syllogistique aristotélicienne re-
pose, selon les logiciens contemporains, sur un double rôle que joue la copule dans
cette logique. Non seulement la copule permet d’attacher les prédicats aux sujets,
mais elles permet également de leur attribuer l’existence. Les logiciens contemporains
distingueront ces deux fonctions, attributive et existentielle du verbe “être”. “Julie est
jolie” n’impliquera plus que “Julie est”.
Nous y reviendrons. En attendant, il est utile de représenter tous les syllogismes
valides en séparant ceux qui mettent en jeu la subalternation (de façon à visualiser
ceux qui restent valides au regard de la logique contemporaine).
4. Voir notamment Sundholm (2013) pour une discussion des syllogismes parfaits et de leur
relation à la notion d’analyticité.
140 CHAPITRE 5. LA SYLLOGISTIQUE ARISTOTÉLICIENNE
Les syllogismes de la première figure n’ont donc pas besoin d’être justifiés ou dé-
montrés, dans la mesure où ils s’imposent à l’esprit. Comme le note Blanché (1970,
p. 53) « La première figure se suffit à elle même, elle n’a pas besoin des autres ».
Par contre, les syllogismes des trois autres figures (deux pour Aristote), doivent être
expliqués, car ils sont imparfaits. Pour comprendre pourquoi les autres formes de
syllogismes sont valides, il faut ajouter « une ou plusieurs choses », qui résultent né-
cessairement des prémisses données mais qui ne sont pas explicites. Toute la stratégie
d’Aristote va alors consiste à dégager les syllogismes valides de la première figures,
pour chercher à y réduire ensuite les syllogismes valides deux autres figures.
Les syllogismes de la première figure revêtent donc une importance cruciale, car ce
sont les seuls syllogismes parfaits, et c’est à partir d’eux que la validité des syllogismes
des deux autres figures peut être déterminée. Bien que l’on ait pas à proprement
parler affaire à une axiomatique, les syllogismes de la première figure ressemblent en
ce sens à des axiomes, et les syllogismes des figures 2 et 3 à des théorèmes dérivés
de ces axiomes (pour Luckasiewicz, cette dérivation est une déduction formelle à
partir d’axiomes, pour Granger il s’agit d’une réduction des syllogismes parfaites
aux syllogismes imparfaits, 5 ).
5.
Plus précisément. Lukasiewicz soutient que la syllogistique aristotélicienne a une
forme axiomatique : les syllogismes parfaits et les règles de dérivation ont le statut
d’axiomes (il faut ajouter les loi d’identité d’après Blanché p. 59). Les propositions
5.3. LES LINÉAMENTS DE L’AXIOMATISATION 141
Le but d’Aristote, puis de la syllogistique, est donc de dériver les autres syllogismes
valides des autres figures à partir de ces syllogismes parfaits de la première figure,
dont la nécessité est évidente. Comment faire ?
(ii) Une proposition ne peut pas être ni vrai ni fausse (« il n’y a point de
milieu entre le vrai et le faux ») = principe du tiers exclu.
Leibniz part alors du syllogisme en Barbara :
Tout G est H
Tout F est G
Donc tout F est H.
Supposons que la conclusion est fausse, c’est-à-dire, en vertu du principe de non-
contradiction, que sa contradictoire soit vraie : Certains F ne sont pas H. Puisque le
syllogisme de départ est valide, cela implique en vertu du principe de non-contradiction,
que l’une des deux prémisses est fausse. Admettons que la seconde est vraie et que
c’est la première qui est fausse. Il n’est pas vrai que tout G est H. Suivant le principe
de non-contradiction, il s’ensuit que c’est la proposition contradictoire qui est vraie,
c’est-à-dire certains G ne sont pas H. On a alors un nouveau syllogisme, qui prend
pour prémisse la négation de la conclusion du syllogisme en Barbara et qui conclusion
à la vérité de la négation de sa prémisse :
Certains F ne sont pas H.
Tout F est G
Donc certains G ne sont pas H
Il s’agit là d’un syllogisme de la troisième figure (le sujet de la première prémisse est
également le sujet de la seconde), de la forme OAO, c’est-à-dire Bocardo (Leibniz dit
“Disamis”, mais comme le note Brunschwig il se trompe). Voici ce que conclut alors
Leibniz :
« Cet argument [c’est-à-dire le syllogisme précédent] est dans le mode
Disamis [Bocardo] de la troisième figure, qui se démontre ainsi manifes-
tement et d’un coup d’œil du mode Barbara de la première figure, sans
employer que le principe de contradiction. Et j’ai remarqué dans ma jeu-
nesse, lorsque j’épluchais ces choses, que tous les modes de la seconde
et de la troisième figure se peuvent tirer de la première par cette seule
méthode, en supposant que le mode de la première est bon, et par consé-
quent que, la conclusion étant fausse, ou sa contradictoire étant prise
pour vraie, et une des prémisses étant prise pour vraie aussi, il faut que
la contradictoire de l’autre prémisse soit vraie. Il est vrai que dans les
écoles logiques on aime mieux se servir des conversions pour tirer des
figures moins principales de la première qui est la principale, parce que
cela paraît plus commode pour les écoliers. Mais pour ceux qui cherchent
des raisons démonstratives, où il faut employer le moins de suppositions
5.3. LES LINÉAMENTS DE L’AXIOMATISATION 145
L’intérêt que présentent ces démonstrations de Leibniz est de fonder la logique sur des
principes qui sont véritablement évidents, en un sens bien plus fort que l’évidence
des syllogismes de la première figure. Que tout A est A et que rien ne soit A et
non A semblent être des principe tout à fait primitif. Ce sont des vérités de raisons
primitives ou des « vérité ideniques » pour Leibniz, parce qu’il « semble qu’elle ne
font que répéter la même chose sans rien nous apprendre » (p. 285).
Ce qui fait voir que les propositions identiques les plus pures et qui
paraissent les plus inutiles sont d’un usage considérables dans l’abstrait
et général ; et cela peut apprendre qu’on ne doit méprise aucune vérité,
(Leibniz, 1966, p. 289)
149
150 CHAPITRE 6. INTERLUDE : LES DIAGRAMMES DE VENN
Figure 6.1.1 – Une proposition dans un diagramme de Venn (tiré de Blum, 2014)
Il y a trois aires qui nous intéressent pour chaque proposition : ce qui est seulement
S, ce qui est S et P, et ce qui est seulement P. Lorsque nous mettons la lettre “O”
dans une aire (ou que nous la hachurons) cela signifie qu’elle est vide. Lors nous
mettons la lettre “X”, cela signifie qu’il y a quelques individus de cette aire qui sont S
seulement (pour l’aire de gauche), qui sont S et P (pour l’air du milieu) ou qui sont
seulement P (pour l’air de droite).
Considérons les diagonales : les paires SaP et SoP d’une part, et SeP et SiP
d’autre part sont contradictoires, ce qui se voit par le fait que là ou l’une contient
un “O”, l’autre contient un”X”. SaP et SeP, conformément au carré d’Apulé, sont
contraires : on le voit par le fait que prises ensembles elle conduisent au fait que “S”
a une extension vide (il y a un “O” dans ses deux aires). Or on l’a vu, aucun terme
général n’a une extension vide dans la syllogistique aristotélicienne.
On commence alors par représenter les deux prémisses, selon la méthode décrite à
l’instant, puis nous regardons si la conclusion est lisible, c’est-à-dire, si pour l’expri-
mer nous n’avons rien à ajouter sur le diagramme. Il convient de bien faire attention
à mettre une lettre dans chaque aire concernée les propositions universelles. Il arrive,
pour les propositions particulières, que nous ne puissions pas décider dans quel aire
mettre un “X” en ce cas, nous mettons le “X” a cheval sur les deux aires : cela ne
signifie pas qu’il est à la fois dans l’un et dans l’autre, mais qu’il est dans l’une ou
dans l’autre.
Exemple 9. Evaluons le syllogisme suivant :
Aucun P n’est M
Tous les S sont M
Donc aucun S n’est P
152 CHAPITRE 6. INTERLUDE : LES DIAGRAMMES DE VENN
Il a été construit ainsi : pour la première prémisse, on a mis “O” dans les aires 5 et
6, pour la seconde “O” dans les aires 1 et 2. On “lit” la conclusion dans les aires 2 et
5 : la conclusion est vrai s’il est y des “O” dans ces aires. Il y en a, donc le syllogisme
est valide.
Ce diagramme a été construit comme suit : pour la majeure, nous avons mis “O”
dans les aires 5 et 6. Pour la mineure, nous avons mis “X” dans l’aire 4 (l’aire 5 ayant
été “vidée” par la majeure). Pour que la conclusion soit vraie, il faut qu’il y ait un
“X” à l’intersection de S et P, c’est-à-dire en1 ou 4. C’est le cas : il y a un “X” dans
l’aire 4, donc le syllogisme est valide.
Ce qu’on appelle “lire” la conclusion revient à se demander si pour la représenter,
nous avons besoin d’introduire un changement dans le diagramme. Si non, c’est que
la conclusion est déjà “contenue” dans les prémisses, et donc que le syllogisme est
6.2. EVALUER DES ARGUMENTS PAR DIAGRAMMES DE VENN 153
La conclusion peut être lue (dans l’aire 6). Le syllogisme est donc valide.
2. Deuxièmement, contrairement à la logique aristotélicienne, les diagrammes de
Venn n’autorisent pas la subalternation. Pour Aristote, “Tout les hommes sont
mortels” implique qu’il y ait des hommes mortels. Pour Venn, ce n’est pas le
cas, car “Tous les hommes sont mortels” est traduit par une négation : “Il n’y
a pas d’homme non mortel”. On voit qu’une telle négation n’implique pas qu’il
y ait des hommes mortels. Si l’on reprend le diagramme correspondant à SaP,
on voit qu’il n’y a pas de “X” à l’intersection des deux cercles. La conclusion
du raisonnement :
Tous les hommes sont mortels.
Donc il y a des hommes mortels.
Ne peut être lue sur un diagramme de Venn. C’est une des différences fon-
damentales entre la syllogistique d’une part, et les diagrammes de Venn et la
logique contemporaine des prédicats d’autre part.
Chapitre 7
7.1 Le lexique de L+
7.1.1 Les prédicats comme fonctions
Pour la syllogistique, il n’y a que des termes généraux. La logique contemporaine
inaugurée par la Begriffsschrift de Gottlob Frege en 1879 (littéralement “l’écriture
des concepts”, traduit sous le titre d’ Idéographie) replace la distinction entre les
noms et les termes généraux au coeur de la logique.
Pour ce faire, Frege propose de considérer les prédicats comme des fonctions et
les noms comme des arguments de ces fonctions (voir également 3.1.1 sur le concept
de fonction). Une fonction F (x), assigne une et une seule valeur à y dans y = F (x).
Considérons la fonction :
2x3 + x
Les ”x” représentent les arguments de la fonction. La fonction par elle-même est
incomplète, elle correspond à :
2( )3 + ( )
Une fonction demande à être complétée par un argument. Ici, on peut remplacer x,
on remplir une parenthèse par n’importe quel nombre, par exemple :
2(4)3 + (4)
De même que les fonctions prennent un nombre pour former un tout complet, les
prédicats, soutient Frege, prennent un nom pour former une phrase. Un prédicat est
donc obtenu à partir d’une phrase en effaçant les noms contenus dans cette phrase. Un
prédicat est également appelé une “phrase ouverte” ou une “fonction propositionnelle”.
Le prédicat “est jolie” sera représenté par la fonction propositionnelle :
155
156 CHAPITRE 7. LE LANGAGE DES PRÉDICATS (L+)
x est jolie
Que l’on formalisera plus avant :
Fx
Un prédicat est par nature incomplet. “x” marque un trou ou une lacune du pré-
dicat, la place vide à laquelle doit être placé un argument pour obtenir une phrase
complète. x, y, z, les arguments des prédicats, sont appelés des “variables d’individu”.
Le prédicat précédent est un prédicat monadique.
Un des grands intérêts ce l’idée de fonction, et qu’elle permet, contrairement à la
syllogistique aristotélicienne basée sur la notion de copule, de traiter des prédicats
qui ont plus d’un argument. “aime” est un prédicat dyadique à deux arguments (deux
variables) que l’on représentera par la fonction :
x aime y
Que l’on formalisera :
F (x, y) ou encore xF y
On voit d’emblée que contrairement à la syllogistique, l’analogie entre fonction et
prédicat sur laquelle repose la logique contemporaine conduit à traiter les relations
différemment des prédicats monadiques. De même qu’il y a des prédicats dyadiques,
il y a des prédicats à trois places. Ainsi “donne” sera représenté par le prédicat
tryadique :
x donne y à z
Que l’on formalisera par
F (x, y, z)
Un autre prédicat tryadique est le prédicat “entre” :
x est entre y et z
Le nombre de places vides (=de variables, d’arguments) que contient un prédicat est
appelé son adicité.
Un prédicat, ou une phrase ouverte, n’est ni vrai ni faux. Il n’acquiert une valeur
de vérité que lorsqu’il est complété par un nom ou autre chose. Lorsque le nom qui
complète une phrase ouverte la rend vraie (p. ex. s’il est vrai que Julie est jolie),
nous disons que l’objet auquel réfère ce nom satisfait ce prédicat.
3. ∀x(F x)
7.2 La syntaxe de L+
7.2.1 Les propositions complexes
Nous avons vu qu’une limite importante de la syllogistique aristotélicienne est
qu’elle ne permettait pas de prendre en compte d’autres opérateurs que la négation.
La logique contemporaine des prédicats permet de le faire, comme on va le voir
maintenant. Appelons L+notre langage des prédicats.
Qu’est-ce qui compte comme une FBF deL+ ? Nous définissons la syntaxe de
L+ de façon analogue à celle dont nous avons défini récursivement la syntaxe de LP
( 2.4.1 page 41) :
160 CHAPITRE 7. LE LANGAGE DES PRÉDICATS (L+)
∃x(¬F x ∨ Gx)
Il existe au moins un x tel que soit cet x n’est pas un pangolin, soit cet x est xé-
nophobe. Il suffit pour que cette proposition soit vraie, qu’il y ait un non-pangolin
xénophobe. Il peut même n’y avoir aucun pangolin. Une telle interprétation est clai-
rement incompatible avec notre proposition de départ : s’il n’y a pas de pangolin,
alors il est faux que certains pangolins sont xénophobes.
Enfin, on utilise le biconditionnel pour traduire :
“Tous les F sont G et tous les G sont F” : ∀x(F x ↔ Gx)
Pourquoi ne pas la traduire par :
∗∀x(F x ∧ Gx) ?
Parce que cette proposition nous dit que toutes les x sont F et que tous les x sont G.
Elle est donc fausse si certains x ne font pas F (et si certains x ne sont pas G). Or
“Tous les célibataires sont non-mariés, et tous les non-mariés sont célibataires” reste
vraie même si certaines personnes sont mariées. Cela reste également vrai même s’il
n’y a aucun célibataire. Cette proposition, en quelque sorte, dit “trop”. Nous voulons
simplement dire que parmi les individus du domaine qui sont F, ceux-ci sont G et
inversement. Nous ne voulons pas dire que tous les individus du domaine sont F et
G.
=========================fin cours 8 20 novembre 2015=============
– “¬∀x(F x)” se lit “Il n’est pas le cas que pour tout x, x est F ”
– “∀x¬(F x)” se lit “Pour tout x, x n’est pas F ”
Bien que l’on ait pas d’équivalence entre la négation externe et la négation interne
d’une proposition, on a les implications suivantes :
∀x¬(F x) → ¬∀x(F x)
¬∃x(F x) → ∃x¬(F x) /
(seulement si Di 6= O)
On a en surtout les quatre équivalences suivantes, qui permette l’intertraductibilité
des quantificateurs (on dit aussi que les deux quantificateurs sont “duaux” l’un de
l’autre) :
∀x(F x) ↔ ¬∃x¬(F x)
∃x(F x) ↔ ¬∀x¬(F x)
∀x¬(F x) ↔ ¬∃x(F x)
∃x¬(F x) ↔ ¬∀x(F x)
La dernière équivalence correspond au cas du contre-exemple : s’il y a un individu
tel qu’il n’est pas F, alors il est faux que tous les individus soient F.
Cette dualité des quantificateurs se laisse aisément démontrer dans le cas de
domaine d’individus finis à l’aide lois de Morgan. On a vu que pour
Di = {a, b, c} ,
∃x(F x) = df F a ∨ F b ∨ F c
∀x¬(F x) = df ¬F a ∧ ¬F b ∧ ¬F c
¬∀x¬(F x) = df ¬(¬F a ∧ ¬F b ∧ ¬F c)
Si l’on nie deux fois la disjonction correspondant à ∃x(F x) = df F a ∨ F b ∨ F c :
¬¬(F a ∨ F b ∨ F c)
puis que l’on fait rentrer la négation interne (grâce aux lois de Morgan), on obtient
¬(¬F a ∧ ¬F b ∧ ¬F c)
Ce qui correspond bien à :
¬∀x¬(F x)
Notons que si Di = ∅ , ∀x(F x) est vraie et ∃x(F x) fausse, on l’a vu, mais également :
∀x¬(F x) est vraie, et ∃x¬(F x) est fausse. ∀x(F x) et ∀x¬(F x) ne sont donc incon-
sistantes que pour Di 6= O / . S’il n’a aucun individu, il n’y a pas de contradiction à
dire que tous les individus sont F et qu’aucun individu n’est F. “Tous les individus
sont F” signifie “Il n’existe pas d’individu non-F”. “Aucun individu n’est F” signifie
“Il n’existe pas d’individu F”. Or ces deux phrases :
7.2. LA SYNTAXE DE L+ 163
Si nous faisons “rentrer” la négation de la première prémisse, grâce à nos lois d’inter-
traductibilité des quantificateurs, nous obtenons :
∀x¬(F x ∧ Gx)
N’avons-nous pas ici, contrairement à nos recommandations précédentes, un quantifi-
cateur universel suivi d’un d’une conjonction ? Continuons de faire rentrer la conjonc-
tion à l’aide des loi de Morgan, nous obtenons :
∀x(¬F x ∨ ¬Gx)
Or ceci revient, d’après la définition du conditionnel matériel à :
∀x(F x → ¬Gx)
Une fois la négation rentrée nous voyons donc que notre quantificateur universel est
bien suivi d’une implication. Cette dernière formule se lit “Pour tout x, si x est un
éléphant, alors x n’est pas plombier”. Intuitivement cela revient bien à dire qu’aucun
éléphant n’est plombier.
Nous avons vu que la syllogistique ne pouvait pas traiter de syllogismes tels que :
Tous les hommes sont mortels
Socrate est un homme
Donc Socrate est mortel
Pour la raison qu’elle excluait les termes singulier (car elle a besoin de moyen termes
qui jouent le rôle de “pivots”, dans les syllogismes de la première figure, qui passent
de la place de sujet à celle de prédicat).
La logique contemporaine des prédicats, contrairement à la syllogistique, permet
de le faire. Le syllogisme précédent sera formalisé ainsi :
∀x(Gx → F x)
Ga
∴ Fa
Définition 47. variable libre : variable qui ne figure dans la portée d’aucun quan-
tificateur
166 CHAPITRE 7. LE LANGAGE DES PRÉDICATS (L+)
Définition 48. variable liée : variable qui figure dans la portée d’un quantificateur.
Définition 49. formule ouverte : formule comprenant au moins une variable libre
Définition 50. formule fermée : formule ne contenant aucune variable libre (dont
toutes les variables sont liées).
Alors qu’une formule ouverte est une expression incomplète, une fonction propo-
sitionnelle, une formule fermée est une véritable proposition, qui possède une valeur
de vérité. Il y a donc des FBF de de L+ qui n’ont pas de valeur de vérité (les formules
ouvertes).
Définition 51. forme normale prénexe : FBF de L+ dans laquelle tous les
quantificateurs
“S/S” correct au connecteurs unaires, tels que la négation, qui font une phrase à
partir d’une phrase.
Pour catégoriser les expressions de la logique des prédicats, on introduit une
nouvelle catégorie primitive, celle des noms ou termes singuliers (qu’Aristote refusait
en logique) notés “N”. Pour chaque expression non-nominale, on se demande à quelle
autre expression elle doit être combinée pour former une expressions plus complexe,
jusqu’à ce que l’on parviennent à une phrase complète.
A quelle catégorie appartiennent alors les prédicats monadiques comme “être un
pangolin” ? Ce sont des expressions qui forment une phrase à partir de noms : des
expressions qui prennent un nom pour faire une phrase, que l’on note donc “S/N”
(“forme une phrase à partir d’un nom).
Un prédicat dyadique –une relation– quant à lui forme une phrase à partie de
deux noms. Il s’écrit donc “S/NN” :
Grâce à la logique des prédicats, nous pouvons utiliser les connecteurs pour lier
non plus des propositions, mais des prédicats. A quelle catégorie appartiennent alors
ses connecteurs de prédicat tels que le “et” dans “être doux et sucré” ? On voit que
de tels connecteurs forment un prédicat complexe à partir de deux prédicats simples.
Chacun des prédicats de départ étant noté S/N, comme on vient de le voir, de tels
expressions ont donc la forme (S/N)/(S/N)(S/N), c’est à dire “forment un prédicat
à partir de deux prédicats”.
Par exemple :
173
174CHAPITRE 8. LA DÉDUCTION NATURELLE EN LOGIQUE DES PRÉDICATS
Nous sommes intuitivement autorisés à conclure “⊢ Ga”, mais nous n’avons au-
cune règle à notre disposition nous permettant de le faire.
De même si nous avons :
Exemple 14. Tous les moineaux pépient, tout est un moineau, donc tout pépie.
(1) F a ∧ Ga ⊢ F a ∧ Ga prémisse
(2) F a ∧ Ga ⊢ ∃x(F x ∧ Gx) de (1) par ∃I
Exemple 17. Nous pouvons ainsi prouver notre séquent précédent (Toutes les
alouettes turluttent. Gustavine et une alouette, donc Gustavine turlutte) :
neige. Puisque Jean-Claude est un individu arbitraire, tout individu qui aurait
pris ce train aurait mis 3 heures pour arriver à Genève.
– Considérons ce triangle ABC (en l’occurrence, un triangle rectangle dessiné au
tableau). Un géomètre peux montrer que la somme des angles de ce triangle
ABC est égale à 180°. Si la preuve ne fait appel à aucune propriété particulière
de ABC (notamment, si elle ne fait pas appel au fait qu’il soit rectangle), le
théorème vaudra pour tout triangle.
Certains noms sont donnés à des individus arbitraires, c’est-à-dire, à des individus
prototypiques ou génériques, qui ne possèdent que les propriétés que tous les autres
individus de même type possèdent. Si “Caramel” est le nom d’un chinchilla arbitraire,
prototypique, alors Caramel doit posséder uniquement les caractéristiques que pos-
sèdent (qui sont vraies de) n’importe quel chinchilla choisi arbitrairement. Dès lors,
si Caramel est un mammifère, tous les chinchillas sont des mammifères. Avec les indi-
vidus arbitraires, on peut passer à un énoncé universel à partir d’un nom arbitraire.
Nous avons maintenant une intuition générale de ce que peut être un individu
arbitraire. Mais comment, dans une preuve, nous assurer qu’un nom désigne un indi-
vidu arbitraire ? On écrira ainsi la règle ∀I d’introduction du quantificateur universel,
que l’on appelle aussi généralisation universelle (GU ) :
φc
∀I :
∀xφx
A laquelle on adjoint les deux restrictions suivantes :
1. convention de remplacement : où toutes les occurrences de la constante c
doivent être remplacées par une même variable (ici “x”, mais cela peut être
parfois “y”, “z”...).
2. Pour s’assurer que ”c” nomme un individu arbitraire, il faut s’assurer que
”φc” ne dépend d’aucune hypothèse (prémisse ou supposition) dans laquelle on
trouve une occurrence de ”c” . Autrement dit, nous regardons dans la colonne
de gauche de la ligne sur laquelle on veut appliquer la généralisation universelle,
et nous nous assurons qu’aucune formule ne contient la constante à généraliser.
En effet, si nous utilisons ”ψc” , par exemple, pour déduire ”φc”, alors nous
faisons une hypothèse spéciale au sujet de c, qui ne nomme plus un individu
arbitraire (mais un individu qui satisfait ”ψ”) Dire qu’un individu est arbitraire
revient alors à dire que la constante qui le nomme, “a” ne doit apparaître dans
aucune supposition ou prémisse dont dépend la preuve de la phrase singulière
“Fa”.
Exemple 18. Soit à prouver le séquent suivant (Tout est un moineau, tous les
moineaux pépient, donc tout pépie) :
8.1. RÈGLES D’INTRODUCTION ET D’ÉLIMINATION DES QUANTIFICATEURS179
Pour passez des prémisses à la conclusion, nous avons besoin d’éliminer le quantifi-
cateur universel, avant de le réintroduire ensuite. On procède ainsi :
(1) ∀x(F x), ∀x(F x → Gx) ⊢ ∀x(F x) prémisse
(2) ∀x(F x), ∀x(F x → Gx) ⊢ ∀x(F x → Gx) prémisse
(3) ∀x(F x), ∀x(F x → Gx) ⊢ Fa de (1) par ∀E
(4) ∀x(F x), ∀x(F x → Gx) ⊢ F a → Ga de (2) par ∀E
(5) ∀x(F x), ∀x(F x → Gx) ⊢ Ga de (3) et (4) par MP
(6) ∀x(F x), ∀x(F x → Gx) ⊢ ∀x(Gx) de (5) par ∀I
Il nous est ici permis d’utiliser ∀I à la ligne 6 car “a” représente bien ici un
individu arbitraire dans le sens suivant : “a” est le nom de n’importe quel individu
qui est F. Notre raisonnement ne court ainsi aucun risque de généraliser à partir d’un
cas particulier. L’instantiation universelle nous donne des individus arbitraires.
Exemple 19. Au contraire, la déduction suivante, qui entend passer de “Julie est
jolie” à “Tout individu est joli” , est invalide :
(1) F a ⊢ Fa prémisse
(2) F a ⊢ ∀x(F x) de (1) par ∀I,incorrect !
La raison pour laquelle cette inférence n’est pas valide est que l’on introduit le
quantificateur universel à partir d’une prémisse dans laquelle on trouve une occurence
de “a”.
Que l’on traduit par le séquent suivant : ∀x(F x → Gx), ∀x(Gx → Hx) ⊢
∀x(F x → Hx). Ce séquent peut être prouvé ainsi :
180CHAPITRE 8. LA DÉDUCTION NATURELLE EN LOGIQUE DES PRÉDICATS
quel qu’il soit, qui est une coccinelle (c’est ici que nous éliminons le quantificateur
existentiel). Puisque toutes les coccinelles sont des insectes, il s’ensuit que Dupont
est un insecte (F a). Mais si Dupont est un insecte, nous savons par introduction du
quantificateur existentiel qu’il y a au moins un individu qui est un insecte.
La règle d’élimination du l’analogue de la règle d’élimination de la disjonction
(∨E). Pour éliminer une disjonction (cf p. 108), nous supposons chacun de ses dis-
joints et montrons que chacun d’eux permet de prouver une même formule : nous
déduisons alors cette formule.
Cette règle ne peut cependant pas s’appliquer telle quelle pour définir ∃E. Nous
avons vu que pour un domaine d’individus fini, contenant par exemple deux individus
a et b, la formule ∃xF x équivalait à la disjonction F a ∨ F b. Pour éliminer le quantifi-
cateur universel nous pourrions alors simplement appliquer la règle d’élimination de
la disjonction : montrer que chacun des disjoints permet de déduire la même formule
φ, et conclure à cette formule.
Malheureusement, ici comme avec l’introduction du quantificateur universel, les
choses ne sont pas si simples : là encore, rien ne garantit que notre domaine d’indi-
vidus soit fini (et même lorsque il est fini, mais de cardinal élevé, cela conduirait à
des preuves extrêmement longues).
Mais depuis que nous savons introduire le quantificateur universel, nous avons un
outil qui nous permet de contourner ce problème : les individus arbitraires. Plutôt
que de supposer chacune des instances possibles de notre formule quantifiée existen-
tiellement et de montrer que chacune permet de déduire la même formule, afin de
conclure à cette formule, nous pouvons simplement supposer un individu arbitraire
qui satisfait cette formule, montrer qu’il s’ensuit une formule ψ qui ne mentionne plus
cet individu, et conclure à cette formule ψ. Autrement dit, notre règle d’élimination
du quantificateur existentiel correspond à notre règle d’élimination de la disjonction
mais pour un disjoint typique.
La règle d’élimination du quantificateur existentiel s’écrira alors ainsi :
⊢ ∃xφx
∃E : φa ⊢∗ φa supposition
φa ⊢∗ ψ
⊢ψ
Elle est soumise aux trois restrictions suivantes :
1. ‘ϕa’ est obtenue en remplaçant toutes et seulement les occurrences de ‘x’ dans
‘ϕx’ par un nom arbitraire ‘a’.
2. ‘ψ’ est une FBF qui ne contient aucune occurrence de ‘a’.
182CHAPITRE 8. LA DÉDUCTION NATURELLE EN LOGIQUE DES PRÉDICATS
3. ‘ψ’ est déduite à partir ‘ϕa’ sans dépendre d’aucune ligne contenant ‘a’ excepté,
bien sûr, la ligne sur laquelle ‘ϕa’est introduit par hypothèse.
Voici comment à l’aide de cette règle nous pouvons prouver notre séquent précédent ;
(1) ∃x(F x), ∀x(F x → Gx) ⊢ ∃x(F x) prémisse
(2) ∃x(F x), ∀x(F x → Gx) ⊢ ∀x(F x → Gx) prémisse
(3) ∃x(F x), ∀x(F x → Gx), F a ⊢ Fa
∗
supposition
(4) ∃x(F x), ∀x(F x → Gx), F a ⊢∗ F a → Ga de (2) ∀E
(5) ∃x(F x), ∀x(F x → Gx), F a ⊢ Ga
∗
de (3) (4) par MP
(6) ∃x(F x), ∀x(F x → Gx), F a ⊢∗ ∃x(Gx) de (5), ∃I
(7) ∃x(F x), ∀x(F x → Gx) ⊢ ∃x(Gx) de 1, 3, 6 par ∃E
Voici pour deux exemples de mauvaises applications de ∃E :
Exemple 21. Dans la preuve suivante, ∃E est appliqué incorrectement car on l’uti-
lise en violant la restriction 2 ci-dessus :
(1) ∃x(F x) ⊢ ∃x(F x) prémisse
(2) ∃x(F x), F a ⊢∗ F a supposition
(3) ∃x(F x) ⊢ Fa de (1), (2) et (2) par ∃E, incorrect !
Il est vrai que F a est une conséquence d’elle-même (nous utilisons souvent cela
pour appliquer la règle de réduction à l’absurde par exemple), mais cela ne saurait
permettre de déduire qu’un individu arbitrairement choisi est F . Les conclusions ob-
tenues à partir de ∃E ne peuvent donc pas contenir l’individu, ou disjoint typique,
qui nous a servi à faire l’instanciation. De fait, on voit bien que le séquent corres-
pondant à cette preuve est intuitivement non valide : Il y a au moins un pangolin
donc Gaston est un pangolin.
========================fin cours 10, 4 décembre 2015==============
Exemple 22. Dans l’exemple suivant, c’est la restriction 3. qui est violée. Il y a au
moins une huitre, Bob est un bulot, donc il y a au moins un individu qui est à la fois
une huitre et un bulot :
(1) ∃x(F x), Ga ⊢ ∃x(F x) prémisse
(2) ∃x(F x), Ga ⊢ Ga prémisse
(3) ∃x(F x), Ga, F a ⊢∗ F a supposition
(4) ∃x(F x), Ga, F a ⊢ F a ∧ Ga
∗
de (2) et (3) par ∧I
(5) ∃x(F x), Ga, F a ⊢∗ ∃x(F x ∧ Gx) de (4) par ∃I
(6) ∃x(F x), Ga ⊢ ∃x(F x ∧ Gx) de (1), (3) et (5) par ∃E,incorrect !
8.1. RÈGLES D’INTRODUCTION ET D’ÉLIMINATION DES QUANTIFICATEURS183
Exemple 23. Voici maintenant une autre preuve qui utilise correctement ∃E. Soit
à prouver :
P1 Toutes les belettes belotent.
P2 Un animal au moins est une une belette qui grelotte.
C Un animal au moins belote et grelotte.
Que l’on formalise ainsi :
∀x(Gx → Hx), ∃x(F x ∧ Gx) ⊢ ∃x(F x ∧ Hx).
=I ⊢a=a
Là encore, la règle vaut pour n’importe quelle constante c. Par ailleurs, il faut se
souvenir, comme on l’a mentionné lors de l’introduction du quantificateur existentiel,
que le nom “a” doit être dénotant (Forbes, p. 271), il ne doit pas être un nom vide.
Les noms vides, telle “Pégase” (si c’en est un) sont interdit dans L+ en général.
En effet de “a = a” on peut déduire, par introduction du quantificateur existentiel
“∃x(x = a)”.
Voici une preuve du séquent a = b ⊢ b = a (Lemmon, 1971, p. 162) :
(1) a = b ⊢ a = b prémisse
(2) a = b ⊢a=a =I
(3) a = b ⊢b = a de (1), (2) par = E
La fonction ”φ” de notre règle d’élimination de l’identité correspond ici à “= a”.
à la ligne (2) cette fonction est appliquée à a elle-même. Puisque a est identique à
b, selon la prémisse, nous pouvons applique cette fonction à b par élimination de
l’identité (ligne 3).
186CHAPITRE 8. LA DÉDUCTION NATURELLE EN LOGIQUE DES PRÉDICATS
Chapitre 9
Les relations
187
188 CHAPITRE 9. LES RELATIONS
4. ∃y∃xF (x, y) : “Il y a au moins un individu qui est aimé par au moins un
individu.”
On voit là encore que bien que 2. et 3. ne se lisent pas de la même manière, elles
sont équivalentes : si au moins une personne en aime au moins une, alors il y au
moins une personne qui est aimé par au moins une personne ; et inversement.
Là encore, l’ordre des quantificateurs n’est pas crucial et ne reflète rien d’autre
que la distinction entre la voie passive et la voie active.
5. ∀x∃yF (x, y) : “Tous les individus aiment au moins un autre individu”, mais
cet individu n’est pas nécessairement le même pour tout le monde : Julie peut
aimer Paul, alors que Pierrette aime Jacques.
6. ∀y∃xF (x, y) : “Chaque individu est aimé par au moins un individu”, autrement
dit “Pour tout x, il y a au moins un individu qui l’aime.” Notons que cet individu
aimant peut être le même pour le monde, comme il peut être différent.
5. et 6. ne sont cette fois pas équivalentes :
– 5. est compatible avec le fait qu’un individu n’est aimé par personne, pas 6.
– 6. est compatible avec le fait qu’il y ait un individu qui n’aime personne, pas
5.
7. ∃x∀yF (x, y) : “Il existe au moins un individu tel qu’il aime tous les individus”.
On dit ici que c’est le même individu qui aime tous les individus.
8. ∃y∀xF (x, y) : “Il existe au moins un individu tel qu’il est aimé de tous les
individus. Là encore, c’est un même individu qui est aimé par tout le monde.
Notons que ces distinctions permettent de désambiguiser certaines phrases du langage
naturel :
– Toute personne est amoureuse de quelqu’un.
peut être interprétée soit selon 5. soit selon 8. Dans le premier cas, on attribue au
quantificateur universel une portée large et au quantification existentielle une portée
étroite. Dans le second cas, on attribue à l’inverse une portée large au quantificateur
existentiel et une portée étroite au quantificateur universel.
De même :
– Toute personne est aimée de quelqu’un.
peut être interprétée soit selon 6., soit selon 7. Ici encore, dans le premier cas c’est
le quantificateur universel qui a une portée large, alors que c’est le quantificateur
existentiel qui a une portée large dans le second cas.
De nombreuse phrases du langage naturel exhibe cette forme d’ambiguité quant
à la portée des quantificateur qu’elle contient (“Chaque enfant escalade un arbre”...) :
la formalisation permet d’éviter ces ambuiguïtés de portée.
9.2. PROPRIÉTÉS FORMELLES DES RELATIONS 189
Le fait de passer de 5., ∀x∃yF (x, y), à 8. ∃y∀xF (x, y) est un sophisme appelé
“sophisme de l’inversion des quantificateurs” (quantifier shift fallacy). Ainsi du fait
que tout le monde croit quelque chose, on ne peut déduire qu’il y a une même chose
que tout le monde croit.
ao / b
at 4b
Une relation est asymétrique à l’inverse, si elle ne marche que dans un seul sens, si
elle n’est jamais symétrique. Jusqu’à récemment, la relation “être le mari de” était
une relation asymétrique : si Paul est le mari de Julie, alors Julie n’est pas le mari
de Paul.
Définition 53. asymétrie : R est une relation symétrique ssi ∀x∀y[R(x, y) →
¬R(y, x)]
On peut représenter une relation asymétrique par une flèche simple en deux in-
dividus du domaine :
190 CHAPITRE 9. LES RELATIONS
a 6 b
Une relation est non-symétrique, lorsqu’elle est parfois asymétrique au moins. Une
relation asymétrique est donc une relation non-symétrique, mais il y a des relations
non-symétriques qui ne sont pas asymétriques. C’est le cas des relations qui sont
parfois symétriques, parfois pas.
at 4b
c
Une relation est non-asymétrique si il existe au moins un cas de symétrie, si elle est
parfois symétrique. Les relations symétriques sont donc des relations non-asymétriques,
mais il y a des relations non-asymétriques qui ne sont pas symétriques, comme là
encore la relation “être frère” de, s’il y a des soeurs.
ce qui revient à
∃x∃y[R(x, y) ∧ R(y, x)]
9.2. PROPRIÉTÉS FORMELLES DES RELATIONS 191
Une relation non-symétrique qui n’est pas asymétrique est équivalente à une rela-
tion non-asymétrique qui n’est pas symétrique. Ces quatre types de propriété des
relations constituent un carré des oppositions analogue au carré d’Apulée : symétrie
et asymétrie sont des contraires (incompatibilité), symétrie et non-symétrie sont des
contradictoires, de même que asymétrie et non-asymétrie.
Enfin, une relation est antisymétrique sur un domaine lorsque, quand elle vaut
dans les deux sens pour n’importe quelle paire du domaine, alors les deux éléments
de la paires sont identiques :
a *b
+ c
Une relation est intransitive si elle n’est jamais transitive, c’est à dire, si pour
tous les individus x, y, z du domaine, si x est relié à y et y à z, alors il n’est pas le
cas que x est relié à z :
Définition 58. intransitivité : R est une relation intransitive ssi ∀x∀y∀z{[R(x, y)∧
R(y, z)] → ¬R(x, z)}.
a *b
c
a *b
'
cw d
a *b
c, ici peut ne pas satisfaire la relation être de la même taille que, parce que c n’a
pas de taille (c est, par exemple, un sentiment ou un concept).
On distingue la réflexivité relative de la réflexivité totale (Vernant, 2001, p. 269).
Une relation est totalement réflexive si elle vaut pour tous les individus du domaine,
quels qu’ils soient.
Définition 62. réflexivité totale : R est une relation réflexive totalement ssi
∀xR(x, x).
Alors qu’une relation peut être relativement réflexive si un individu du domaine
ne la satisfait pas, elle ne peut pas être totalement réflexive dans ce cas. C’est le cas
de la relation “être identique à”.
a
b
Définition 63. irréflexivité totale : R est une relation réflexive totalement ∀x¬R(x, x).
La relation être distinct de est totalement irréflexive.
a *b
c
On peut là encore distinguer le cas d’irreflexivité relative, qui est est limité aux
individus qui entrent dans cette relation, de l’irréflexivité totale, qui concerne tous
les individus du domaine sans restriction.
194 CHAPITRE 9. LES RELATIONS
a *b
d c
Une relation est non-rélexive relativement si elle n’est pas relativement réflexive.
Définition 65. non réflexivité relative : R est une relation réflexive relativement
à l’ensemble des individus qu’elle relie ssi ¬∀x∀y{R(x, y) → [R(x, x) ∧ R(y, y)]}.
*b
a
c
Définition 66. non-réflexivité totale : R est une relation non-réflexive totalement
¬∀xR(x, x).
On peut de même définir les non-irréflexivités relative et totale.
cw
9.2. PROPRIÉTÉS FORMELLES DES RELATIONS 195
Définition 68. non-connexité : R est une relation est non-connexe ssi ¬∀x∀y{(x 6=
y) → [R(x, y) ∨ R(y, x)]}
ag * b
Une relation est “aconnexe” (le terme est rarement employé), si elle n’existe jamais
entre deux individus distincts du domaines.
9.2.5 La densité
Selon une conception de l’espace, celui-ci est un ensemble dense de points : entre
deux points, on en trouve toujours un troisième. De même entre deux nombres ra-
tionnels on en trouve toujours un autre (l’ensemble des entiers naturels n’est lui pas
dense : il n’y pas de nombre entier entre 1 et 2). La densité logique permet de dé-
finir plus précisément et généralement ce genre de propriété. Une relation est dense
si pour toute paire d’éléments reliés par une relation R(x, y), il existe un troisième
élément z qui devient le relaté du premier et le relatant du second : soit R(x, z) et
R(z, y), soit R(y, z) et R(z, x).
Définition 70. densité : R est une relation dense ssi ∀x∀y{{[R(x, y) ∨ R(y, x)] →
∃z{[R(x, z) ∧ R(z, y)] ∨ [R(y, z) ∧ R(z, x)] ∧ [(x 6= z) ∧ (y 6= z)]}}
Ec d
9.3. EQUIVALENCE ET IDENTITÉ 197
(d est ici, par exemple, le nombre 3, qui n’entre pas dans la relation “être aussi
joli que”, si on fait l’hypothèse que les nombres ne sont pas une catégorie de choses
qui peuvent être jolies).
Grâce à l’équivalence, on peut définir des classes maximales d’équivalence, par
exemple toutes les choses qui sont aussi jolies que Julie.
9.3.2 L’identité
C’est une relation d’équivalence d’un genre particulier, que l’on symbolise par
le signe “=”. Tout ce qui entre dans une relation d’identité entre dans une relation
d’équivalence, mais non l’inverse, certaines relations d’équivalence ne sont pas des
relations d’identité. Pour passer de l’équivalence à l’identité il faut ajouter la réflexi-
vité totale : l’identité est symétrique, transitive et totalement transitive. On a en
particulier la loi suivante, en raison de cette réflexivité totale :
∀x(x = x)
Cette loi est importante notamment car en déduction naturelle elle nous permet de
faire certaines réduction à l’absurde (RA) : si l’on aboutit à ¬(x = x) ou ¬(ψ = ψ)
on sera autorisé à nier l’une des hypothèses qui conduit à cette conclusion.
On peut définir des classes d’entités grâce à l’identité, mais celles-ci ne contiennent
qu’un individu, ce sont des singletons. La classe de tout ce qui est identique à Julie
ne contient qu’un individu, Julie.
On peut considérer l’équivalence comme une identité relative à un prédicat.
Deux principes importants concernent l’identité, qui pour être formulés néces-
sitent de quantifier sur les prédicats.
– Le principe d’indiscernabilité des identiques dit que si deux individus sont
identiques, alors ils possèdent toutes leurs propriétés en commun. Pour formuler
ce principe, il nous faut quantifier sur les prédicats, ce qui relève de la logique
des prédicats de deuxième ordre, que nous n’étudierons pas ici :
∀x∀y∀F [(x = y) → (F x ↔ F y)]
Autrement dit, il n’y a pas de différence qualitative sans différence numérique. On
verra comment cette loi, parfois également appelée “Loi de Leibniz”, peut être utilisée
en déduction naturelle dans la logique des prédicats.
– Le principe d’identité des indiscernables, qui dit que si deux individus partagent
toutes leurs propriétés, alors ils sont identiques :
∀x∀y∀F [(F x ↔ F y) → (x = y)]
198 CHAPITRE 9. LES RELATIONS
Ce second principe dit donc qu’il n’est pas possible que deux individus ne différent
que par leur nombre, i.e. qu’ils soient deux, tout en se ressemblant exactement à tous
égards. Pas de différence numérique sans différence qualitative. C’est un principe au-
quel adhérait Leibniz, et auxquels doivent adhérer les métaphysiciens qui souscrivent
à l’idée qu’il n’y a que des universaux, et que les choses se réduisent à des faisceaux
d’universaux.
∃x(F x)
9.3. EQUIVALENCE ET IDENTITÉ 199
∀x(F x)
et aux noms propres :
a
Une descriptions définie telle que “Le plus gros mangeur de longeole” est analysée
en deux conditions, conformément à la formule précédente :
1. Une condition d’existence : il existe au moins un individu tel qu’il est le plus
gros mangeur de longeole.
2. Une condition d’unicité.
Si F x signifie “x est le plus gros mangeur de longeole” et Gx “x est genevois”, on
écrira “”Le plus gros mangeur de longeole est genevois” ainsi :
∃x∀y{F x ∧ [F y → (y = x)] ∧ Gx}
200 CHAPITRE 9. LES RELATIONS
Chapitre 10
Jusqu’ici nous avons abordé la logique des prédicats de façon syntaxique et prag-
matique, à l’aide de la déduction naturelle. Nous n’avons pas fait intervenir la notion
sémantique de vérité. Cependant certains concepts que nous avons utilisés étaient
des concepts sémantiques : c’est le cas du concept de domaine d’individus (égale-
ment appelé “univers de discours”)..
Notre but est maintenant de comprendre comment interpréter sémantiquement les
FBF de L+. Contrairement à ce qui était le cas avec LP , l’interprétation sémantique
ne pourra consister seulement à donner des valeurs de vérité à des FBF. Cela pour
deux raisons.
1. Premièrement, certaines FBF de L+, les formules ouvertes (i.e. contenant une
variable libre) n’ont pas de valeur de vérité.
2. Deuxièmement, les formules qui ont une valeur de vérité ne sont plus les atomes
de notre langage. “Julie mange” était une proposition atomique, p, dans LP ; elle
est désormais une proposition complexe dans L+ : P a. La question qui se pose
est de savoir quelle interprétation sémantique donner aux nouveaux atomes que
sont les constantes, les prédicats, les variables et les quantificateurs. De même
que les prédicats n’ont pas de valeur de vérité, un nom (une constante) ou une
variable n’a pas non plus de valeur de vérité. Autrement dit, les plus petites
unités signifiant de L+ ne sont pas des porteurs de vérité, contrairement à ce
qui était le cas dans LP . Si nous voulons accorder une valeur sémantique aux
constantes ou au prédicats, celle-ci ne sera pas une valeur de vérité.
Comme on l’a déjà entrevu à l’aide des diagrammes de Venn, la sémantique de la
logique des prédicats peut être développée en recourant à la théorie des ensemble.
201
202CHAPITRE 10. L’APPROCHE SÉMANTIQUE DE LA LOGIQUE DES PRÉDICATS
Définition 72. Extension d’un prédicat : ensemble des individus du domaine qui
satisfont ce prédicat
Une attribution est une fonction dans le sens où elle associe à chaque constante et à
chaque prédicat un et un seul individu ou ensemble du domaine.
Autrement dit, la valeur sémantique d’une constante est un individu du domaine,
alors que la valeur sémantique d’un prédicat est un sous-ensemble du domaine d’in-
dividus. Dès lors, dire “F a”, revient à dire que l’individu dénoté par “a” appartient
au sous-ensemble d’individus dénoté par F .
10.2. ATTRIBUTION DE VALEUR SÉMANTIQUE AUX PRÉDICATS DYADIQUES ET N-ADIQUES20
Définition 74. univocité : une relation est univoque lorsqu’à un relatant ne corres-
pond qu’un seul relaté (mais qu’à un relaté peut correspondre plusieurs relatants) :
∀x∀y∀z{[R(x, y) ∧ R(x, z)] → (y = z)}
“être fils de” est une relation univoque : si Jean est le fils de Paul et que Jean est
le fils de Jean-Jacques, alors Paul et Jean-Jacques sont identiques.
Les fonctions, on l’a vu (3.1.1), sont des relations univoques. Une fonction, telle
que y = F (x), assigne pour chaque valeur de x une et une seule valeur a y. Mais pour
10.2. ATTRIBUTION DE VALEUR SÉMANTIQUE AUX PRÉDICATS DYADIQUES ET N-ADIQUES20
Définition 77. plurivocité : une relation est plurivoque lorsqu’à un relaté peut
correspondre plusieurs relatant et qu’à un relatant peut correspondre plusieurs relaté.
∀x∀y∀z{¬{[R(x, y) ∧ R(z, x)] → (y = z)} ∧ ¬{[R(x, y) ∧ R(z, y)] → (x = z)}}
La relation “être parent de” est plurivoque : un enfant peut avoir plusieurs parents
et un parent peut avoir plusieurs enfants.
Définition 78. assignation : une assignation de valeurs aux variables d’une formule
consiste à attribuer à chaque variable un objet du domaine.
Une assignation d’objets satisfait la formule ouverte P x ssi les objets du appar-
tiennent à l’extension de P x.
– ∀xF (x) sera vraie si toute assignation à x d’une valeur de Di satisfait Fx,
autrement dit, si tous les individus du domaine sont F.
– ∃xF x sera vraie si au moins une assignation de valeur à x dans l’interprétation
satisfait Ax.
Voici un diagramme représentant l’interprétation définie par <Di = {a, b, c, d, e}, F x =
”x est un pangolin” > :
duction naturelle. On peut également montrer qu’elle est correcte : tous les théorème
de déduction naturelle sont des lois logique de L+.
L+ est en outre un langage bien plus expressif que ne l’était LP. Nous avons donc
grâce à L+ une meilleur compréhension de la relation de conséquence logique, ou de
déductibilité. Mais il ne faut pas penser que L+ suffit à nous éviter toutes les erreurs
logiques possibles. Voici quelques erreurs contre lesquelles L+ ne nous prémunit pas :
– Erreurs de pertinence : quand les prémisses d’un raisonnement n’ont rien à voir
avec sa conclusion, ce raisonnement peut parfaitement être une loi logique de
L+, pourvu que sa conclusion soit une tautologie.
– Erreurs de circularité : c’est la pétition de principe que nous avons rencontrée
plus haut. Là encore, une pétition de principe est une loi logique, y compris
dans L+.
– Traduction forcées, souvent dues aux limites d’expressivité de L+.
– traduire des prédicats de second ordre par des prédicats de premier ordre.
Certains raisonnement repose sur une quantificateur de second ordre sur des
prédicats et non sur des individus. Si on les traduits dans L+, qui ne permet
pas de quantifier sur les prédicats, on peut diagnostiquer comme valide un
argument qui ne l’est pas. Par exemple :
– Rouge est une couleur.
– Tout coquelicot est rouge.
– Donc tout coquelicot est une couleur.
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