Mon Corps D'enseignant

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Mon corps d’enseignant

Marion Tellier, Alexandra Gadoni


Ce qu’on voit en filmant un enseignant dans une classe, c’est d’abord un corps, de face ou de
dos, en mouvement ou immobile, des gestes, plus ou moins volontaires, plus ou moins
maitrisés. On le voit, mais on en parle peu, par égard aux enjeux d’image. Une excellente
raison de travailler cette question en formation.

Tel le comédien, l’enseignant joue de son corps dans la classe. La notion de gestes
pédagogiques regroupe l’ensemble des mouvements créés par l’enseignant et utilisés
volontairement pour servir l’action pédagogique. Ils peuvent être des mimes, des gestes de
pointage, des postures ou même des mimiques faciales [1]. Cette gestuelle a un effet sur la
compréhension du discours de l’enseignant et sur la mémorisation des contenus par les élèves.
Cependant, le geste pédagogique tient relativement peu de place dans la formation des
enseignants, en considérant que cela relève de l’intime et du personnel. Cependant, qui ne
s’est jamais interrogé sur la façon dont ses élèves le regardent, l’interprètent ? La possibilité
de se voir en train d’enseigner, grâce à une séance de vidéoscopie, est séduisante, car elle
permet de voir ce que tous voient dans la classe excepté le principal intéressé, mais elle
suscite également des réticences, des craintes et le fait de se voir peut provoquer un certain
malaise.

Peraya définit l’autoconfrontation comme étant « la confrontation d’un individu avec son
image de soi  » [2]. Elle peut se faire via plusieurs moyens : soit la prise de note pendant le
cours par un tiers, transmises à la fin du cours pour que l’enseignant puisse expliciter ses
actions et leurs motifs ; soit l’enregistrement audio (mais dans ce cas-là il y a la perte de tout
l’aspect non verbal de la communication) ; soit l’enregistrement vidéo du cours.

Nous présentons ici un dispositif qui a été testé à l’Université d’Aix-Marseille, dans le cursus
de formation initiale des enseignants de FLES (Français Langue Étrangère et Seconde). Dans
ce dispositif, quatorze étudiants volontaires ont été filmés lors d’une simulation
d’enseignement effectuée en binôme devant le reste de la classe. Un entretien
d’autoconfrontation a ensuite été proposé à chacun, accompagné de sa formatrice et d’une
expérimentatrice. Cette démarche, qui était à la fois une démarche de formation et une
recherche en didactique, visait à analyser les discours que de futurs enseignants de FLES
peuvent avoir sur leur gestuelle pédagogique et sur leur corps en général dans la classe. Pour
eux, l’objectif était de prendre conscience de leur gestuelle afin de s’en servir à bon escient
d’une part, et d’autre part d’engranger des connaissances théoriques.

L’entretien commence par un questionnaire faisant émerger les représentations du futur


enseignant sur son corps dans la classe : pensez-vous avoir beaucoup recours à la gestuelle
lorsque vous enseignez ? Avez-vous l’impression de poser votre regard sur tous les élèves ou
bien de ne pas savoir où regarder ? Puis, l’enregistrement de la simulation de classe est diffusé
à l’étudiant qui est libre de l’arrêter quand bon lui semble afin de commenter sa prestation
gestuelle ou celle de son binôme (analyser le comportement d’un pair pouvant être plus facile
au début). Cet entretien d’autoconfrontation (filmé lui aussi) permet à l’étudiant de prendre
conscience de son image d’enseignant mais également de certains dysfonctionnements dans sa
pratique. Il nous semble important dans ce genre de démarche de laisser le participant libre
d’arrêter la vidéo lorsqu’il le souhaite. Premièrement, il ne se sentira pas « forcé » de
commenter quelque chose qui le met mal à l’aise et peut décider de passer volontairement un
passage gênant. Deuxièmement, cela le met en situation de formuler sa propre analyse et son
propre diagnostique de ses points forts et de ses points faibles ce qui a un meilleur impact sur
sa prise de conscience.

En analysant le discours des futurs enseignants face à leur image, on peut constater qu’une
certaine conscientisation se met en place. Quelques commentaires indiquent la surprise face à
leur image : « je ne pensais pas que je bougeais autant ». Parfois, un certain malaise se fait
sentir : «  (rires) c’est très difficile de se voir je trouve euh euh (rires) c’est affreux ». Cela dit,
cette première réaction passe rapidement.

Les commentaires égocentrés négatifs (critiques de soi) reviennent couramment, car les
étudiants se comparent à une vision idéalisée de l’enseignant et ne se focalisent que sur ce qui
dysfonctionne : « euh j’ai j’ai l’impression d’avoir une attitude nonchalante je sais pas c’est
bizarre  » ou « mais bon une fois que j’ai j’ai je me suis arrêtée de parler j’ai recommencé à
faire des des gestes nerveux ». Nous veillons à ce que le participant formule également des
remarques positives sur sa prestation (notamment lors d’un petit bilan final) afin de ne pas
quitter cette séance avec une impression négative : « euh là quand je me suis avancée je
trouvais que c’était bien, là je me sens à l’aise en me voyant et le fait que je m’avance euh
c’est comme je me sens prête à aider si y a besoin ou si on est en train de me poser une
question, je me rends disponible ».

Nous constatons également que l’observation mutuelle (Perrenoud, 2001) ou l’apprentissage


entre pairs, permet un meilleur travail réflexif. Mais dans notre cas, le fait de faire passer des
entretiens individuels aide le futur enseignant à prendre du recul avec son image et celle de
son binôme : être seul face à la vidéo est moins stressant et donne lieu à des commentaires
plus libres que si le binôme était présent. Cette étude nous montre aussi que le processus de
protection de la face de Goffman (1974) est toujours d’actualité dans ce genre d’entretien. Les
stratégies de réparation émergent dans les discours des participants lorsqu’un commentaire
négatif a été émis, notamment sur le binôme, par exemple : « elle tourne toujours le dos aux
autres apprenants qui sont… oui mais elle ne s’adresse qu’aux aux apprenants qui lui
demandent  » ou encore « elle pourrait rajouter euh un petit peu de plus d’expression peut
être de mimiques du visage par exemple mais elle est comme elle est hein donc... ».

Enfin, un autre phénomène très intéressant à observer apparait : le processus de mise à


distance. Le futur enseignant se voit dans l’action sans être dans l’action, il se voit jouer le
rôle de l’enseignant et décrit son activité en dissociant l’étudiant qu’il est au moment de
l’autoconfrontation et le professionnel qu’il est dans la vidéo qu’il regarde. Cette dissociation
lui fait parler de lui à la troisième personne, comme le montre l’exemple suivant : « là je vois
que c’est un peu bizarre euh ben je regarde euh ce professeur je vois qu’il est un peu stressé
donc il ne se sent pas très à l’aise… je parle de moi-même à la troisième personne ».

A la fin de chaque entretien d’autoconfrontation, nous avons recueilli l’avis du participant sur
la démarche qu’il venait d’effectuer. Les avis sont globalement très positifs et cette démarche
considérée comme très pertinente pour leur formation, par exemple : « je trouve que c’est une
super expérience de faire ça vraiment. Il y a plein de choses que je découvre et (…) c’est
sincère je vois pas du tout je vois pas ça du tout chez moi que ce soit des qualités ou des
défauts  » ou encore « je me suis rendue compte de plein de choses de… bon… la prise de
parole ça je m’en suis rendue compte tout de suite qu’il y avait un soucis euh mais au début
au niveau de la la posture c’est vrai que j- (en)fin bon c’est vrai que j’étais pas au milieu que
j’étais pas devant le milieu mais je pensais pas que j’étais autant sur le sur le côté que je
tournais autant le dos aux gens »

Cette expérience d’autoconfrontation a permis à de futurs enseignants de FLES de s’observer


en train d’enseigner et d’apprendre à réfléchir sur leurs pratiques gestuelles et corporelles (ou
celle d’un pair) et sur l’impact qu’elles peuvent avoir sur leur façon d’enseigner. À la suite de
cette expérience, beaucoup d’étudiants notent qu’ils ne projettent pas assez leur voix, que
leurs gestes pourraient illustrer davantage leur discours, qu’ils tournent parfois le dos en
parlant aux apprenants (pour écrire au tableau par exemple) et qu’ils tiennent des feuilles
(plan de cours ou document de travail) ce qui inhibe leurs gestes. A la suite de ces entretiens,
nous avons proposé aux étudiants un atelier pratique, dans le cadre de leur formation, pour
travailler spécifiquement ces points « faibles ».

Marion Tellier
Maître de conférences en didactique des langues

Alexandra Gadoni
Profeseure de FLES
Aix-Marseille Université, CNRS, Laboratoire Parole et Langage

[1] Tellier, M. « Faire un geste pour l’apprentissage : le geste pédagogique dans


l’enseignement précoce ». In C. Corblin & J. Sauvage (éds). L’apprentissage et
l’enseignement des langues vivantes à l’école. Impacts sur le développement de la langue
maternelle. L’Harmattan, 2010.

[2] Peraya, D. (1990). « L’autoscopie, ou la vidéo comme moyen de formation et de


perfectionnement des enseignants ». Journal de l’enseignement primaire, éditions Corps
enseignant, 1990, n°25.

Commander le numéro 511

Bibliographie

Goffman, E. (1974). Les rites d’interaction, Paris, Editions de minuit, coll. « Le Sens
Commun ».

Perrenoud, P. (2001). « Le travail sur l’habitus dans laformation des enseignants. Analyse des
pratiques et prise de conscience ». In Paquay, L. et al., Former des enseignants
professionnels. Quelles stratégies ? Quelles compétences ? Bruxelles, De Boeck Supérieur
« Perspectives en éducation et formation », p. 181-207.

F. Cicurel, Les interactions dans l’enseignement des langues. Agir professoral et pratiques de
classe, Éditions Didier, 2011.

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