Mon Corps D'enseignant
Mon Corps D'enseignant
Mon Corps D'enseignant
Tel le comédien, l’enseignant joue de son corps dans la classe. La notion de gestes
pédagogiques regroupe l’ensemble des mouvements créés par l’enseignant et utilisés
volontairement pour servir l’action pédagogique. Ils peuvent être des mimes, des gestes de
pointage, des postures ou même des mimiques faciales [1]. Cette gestuelle a un effet sur la
compréhension du discours de l’enseignant et sur la mémorisation des contenus par les élèves.
Cependant, le geste pédagogique tient relativement peu de place dans la formation des
enseignants, en considérant que cela relève de l’intime et du personnel. Cependant, qui ne
s’est jamais interrogé sur la façon dont ses élèves le regardent, l’interprètent ? La possibilité
de se voir en train d’enseigner, grâce à une séance de vidéoscopie, est séduisante, car elle
permet de voir ce que tous voient dans la classe excepté le principal intéressé, mais elle
suscite également des réticences, des craintes et le fait de se voir peut provoquer un certain
malaise.
Peraya définit l’autoconfrontation comme étant « la confrontation d’un individu avec son
image de soi » [2]. Elle peut se faire via plusieurs moyens : soit la prise de note pendant le
cours par un tiers, transmises à la fin du cours pour que l’enseignant puisse expliciter ses
actions et leurs motifs ; soit l’enregistrement audio (mais dans ce cas-là il y a la perte de tout
l’aspect non verbal de la communication) ; soit l’enregistrement vidéo du cours.
Nous présentons ici un dispositif qui a été testé à l’Université d’Aix-Marseille, dans le cursus
de formation initiale des enseignants de FLES (Français Langue Étrangère et Seconde). Dans
ce dispositif, quatorze étudiants volontaires ont été filmés lors d’une simulation
d’enseignement effectuée en binôme devant le reste de la classe. Un entretien
d’autoconfrontation a ensuite été proposé à chacun, accompagné de sa formatrice et d’une
expérimentatrice. Cette démarche, qui était à la fois une démarche de formation et une
recherche en didactique, visait à analyser les discours que de futurs enseignants de FLES
peuvent avoir sur leur gestuelle pédagogique et sur leur corps en général dans la classe. Pour
eux, l’objectif était de prendre conscience de leur gestuelle afin de s’en servir à bon escient
d’une part, et d’autre part d’engranger des connaissances théoriques.
En analysant le discours des futurs enseignants face à leur image, on peut constater qu’une
certaine conscientisation se met en place. Quelques commentaires indiquent la surprise face à
leur image : « je ne pensais pas que je bougeais autant ». Parfois, un certain malaise se fait
sentir : « (rires) c’est très difficile de se voir je trouve euh euh (rires) c’est affreux ». Cela dit,
cette première réaction passe rapidement.
Les commentaires égocentrés négatifs (critiques de soi) reviennent couramment, car les
étudiants se comparent à une vision idéalisée de l’enseignant et ne se focalisent que sur ce qui
dysfonctionne : « euh j’ai j’ai l’impression d’avoir une attitude nonchalante je sais pas c’est
bizarre » ou « mais bon une fois que j’ai j’ai je me suis arrêtée de parler j’ai recommencé à
faire des des gestes nerveux ». Nous veillons à ce que le participant formule également des
remarques positives sur sa prestation (notamment lors d’un petit bilan final) afin de ne pas
quitter cette séance avec une impression négative : « euh là quand je me suis avancée je
trouvais que c’était bien, là je me sens à l’aise en me voyant et le fait que je m’avance euh
c’est comme je me sens prête à aider si y a besoin ou si on est en train de me poser une
question, je me rends disponible ».
A la fin de chaque entretien d’autoconfrontation, nous avons recueilli l’avis du participant sur
la démarche qu’il venait d’effectuer. Les avis sont globalement très positifs et cette démarche
considérée comme très pertinente pour leur formation, par exemple : « je trouve que c’est une
super expérience de faire ça vraiment. Il y a plein de choses que je découvre et (…) c’est
sincère je vois pas du tout je vois pas ça du tout chez moi que ce soit des qualités ou des
défauts » ou encore « je me suis rendue compte de plein de choses de… bon… la prise de
parole ça je m’en suis rendue compte tout de suite qu’il y avait un soucis euh mais au début
au niveau de la la posture c’est vrai que j- (en)fin bon c’est vrai que j’étais pas au milieu que
j’étais pas devant le milieu mais je pensais pas que j’étais autant sur le sur le côté que je
tournais autant le dos aux gens »
Marion Tellier
Maître de conférences en didactique des langues
Alexandra Gadoni
Profeseure de FLES
Aix-Marseille Université, CNRS, Laboratoire Parole et Langage
Bibliographie
Goffman, E. (1974). Les rites d’interaction, Paris, Editions de minuit, coll. « Le Sens
Commun ».
Perrenoud, P. (2001). « Le travail sur l’habitus dans laformation des enseignants. Analyse des
pratiques et prise de conscience ». In Paquay, L. et al., Former des enseignants
professionnels. Quelles stratégies ? Quelles compétences ? Bruxelles, De Boeck Supérieur
« Perspectives en éducation et formation », p. 181-207.
F. Cicurel, Les interactions dans l’enseignement des langues. Agir professoral et pratiques de
classe, Éditions Didier, 2011.