Revue Africaine Des Finances Publiques Numero 9 Premier Semestre 2021

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Numéro 9
Premier semestre 2021

Directeur : Prof. Gérard PEKASSA NDAM ISSN 2510-1994 Editions Scidev Afrique
REVUE AFRICAINE DE FINANCES PUBLIQUES
(RAFIP)

Co-fondateurs :
Prof. LEKENE DONFACK E. C.
Prof. PEKASSA NDAM Gérard

Conseil Scientifique
Président :
Prof. LEKENE DONFACK E.C., Université de Yaoundé II (Cameroun)
Membres :
1. ABANE ENGOLO Patrick, Professeur à l’Université de Yaoundé II (Cameroun)
2. ALBERT Jean-Luc, Professeur à Aix Marseille Université (France)
3. BEGNI BAGAGNA, Professeur à l’Université de Douala (Cameroun)
4. BIAKAN Jacques, Professeur à l’Université de Yaoundé II (Cameroun)
5. BILOUNGA Stève Thiery, Professeur à l’Université de Ngaoundéré (Cameroun)
6. CABANNES Xavier, Professeur à l’Université Paris Descartes (France)
7. CASTAGNEDE Bernard, Professeur Emérite à l’Université Panthéon-Sorbonne (France)
8. COLLET Martin, Professeur à l’Université Panthéon Assas Paris II (France)
9. DAMAREY Stéphanie, Professeur à l’Université de Lille (France)
10. DUPRAT Jean-Pierre, Professeur Emérite à l’Université de Bordeaux (France)
11. ESSONO OVONO Alexis, Professeur à l’Université Omar Bongo (Gabon)
12. GUESSELE ISSEME Lionel Pierre, Professeur à l’Université de Dschang (Cameroun)
13. GUGLIELMI Gilles-Jean, Professeur à l’Université Panthéon-Assas Paris II (France)
14. HERTZOG Robert, Professeur Emérite à l’IEP de Strasbourg (France)
15. MEDE ZINSOU Nicaise, Professeur à l’Université d’Abomey-Calavi (Bénin)
16. N’DRI-THÉOUA Pélagie, Professeur à l’Université Alassan Ouattara de Bouaké (Côte d’Ivoire).
17. NGUELE ABADA Marcelin, Professeur à Université de Yaoundé II (Cameroun)
18. ONANA Janvier, Professeur à l’Université de Ngaoundéré (Cameroun)
19. ONDOUA Alain Franklin, Professeur à l’Université de Yaoundé II (Cameroun)
20. OUEDRAOGO Djibrihina, Professeur à l’Université de Ouaga II (Burkina Faso)
21. PEKASSA NDAM Gérard, Professeur à l’Université de Yaoundé II (Cameroun)
22. SIETCHOUA DJUITCHOKO Célestin, Professeur à l’Université de Dschang (Cameroun)
23. YONABA Salif, Professeur à l’Université Ouaga II (Burkina Faso)
24. ZAKI Moussa, Professeur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal)

Directeur de Publication
Prof. PEKASSA NDAM Gérard
Rédacteur en chef
Prof. ESSONO OVONO Alexis
Secrétariat de rédaction
Dr. NGAVANGA Nicaise ; Dr. SOROK A BOL Patrick Gérard ; Dr. NJOYA Oumarou ; Dr.
SIMO KOUAM F. Ampère.

3
POLITIQUE ÉDITORIALE

L’espace africain francophone est incontestablement riche en revues


juridiques, rattachées ou non aux institutions universitaires. Ces revues
sont soit généralistes, soit spécialisées. Alors que les réformes des finances
publiques ont cours dans plusieurs Etats africains, l’on constate
curieusement un déficit d’études financières et fiscales ; d’où la nécessité
d’un support scientifique dédié spécialement à celles-ci.
La Revue Africaine de Finances Publiques (RAFIP) accepte les
contributions inédites dans les différentes branches du droit public
financier. Cette revue spécialisée vise un public d’universitaires et de
praticiens. De périodicité semestrielle, elle fonctionne selon le système
combiné d’appel à contributions et de proposition spontanée d’articles.
Les articles publiés dans la RAFIP deviennent la propriété de cette
revue ; la reproduction partielle ou intégrale desdits articles est soumise à
l’autorisation expresse de leurs auteurs et de la direction de la revue. Les
auteurs conservent la responsabilité du contenu de leurs articles.
La RAFIP comprend neuf (09) rubriques, à savoir :
- « Études » ;
- « Droit et Pratique de la Comptabilité publique » ;
- « Finances publiques internationales et Communautaires »
- « Finances et Fiscalité locales » ;
- « Finances et financement des organismes publics » ;
- « Éclairage pratique » ;
- « Chroniques de jurisprudence fiscale et financière » ;
- « Chroniques de législations et réglementations » ;
- « Législation, Bibliographie et Informations ».
L’envoi des articles se fait par mail à ([email protected]). Les
articles devront être accompagnés d’un court curriculum vitae de l’auteur
(incluant la qualité académique ou professionnelle, le domaine de
recherche et l’e-mail pour le contact) et d’un résumé (en français et en
anglais) de dix (10) lignes maximum avec quatre à six mots-clés.
La taille des articles devra être de 20 pages au maximum pour les
articles proprement-dits et de 15 pages au maximum pour les chroniques
et commentaires. Tout article soumis pour publication doit être envoyé
sous le format Word (.doc ou .docx), interligne simple, police d’écriture
Times New Roman, taille de police 12, paragraphe aligné, marges de
2,5cm.
Les références bibliographiques seront citées comme suit : a) Pour
les livres : Nom et prénom de l’auteur, Titre et sous-titre du livre en
italique, lieu de publication, maison d’édition et année de publication. b)
Pour les articles des revues : Nom et prénom de l’auteur, Titre de l’article
entre guillemets doubles, Titre de la revue en italique, numéro du volume,
page précise ou pages initiale et finale de l’article.

4
SOMMAIRE

Politique éditoriale…………………………………………………......................4
ETUDES
Le pilotage de la performance des finances publiques dans les Etats membres
de l’Union Economique et Monétaire Ouest-africaine (UEMOA),
DIAKHATE Meïssa …………………………...............................................8
La question de l’apurement de dettes entre l’Etat et les entreprises publiques
en droit camerounais, GUÉSSÉLÉ ISSÉMÉ Lionel P. …………………..…48
L’office du juge administratif en contentieux de l’impôt au Benin
et au Cameroun, AKEREKORO Hilaire et LASSISSI Sèmiou A.………….73
La prévention du risque de déconsolidation budgétaire du contrat de partenariat
public-privé dans la législation des Etats d’Afrique subsaharienne francophone,
NTSEGUE ANANGA Eric P. ……………………………………………..101
Les virements des crédits budgétaires dans le financement des organismes
publics des États de la CEMAC, BASAHAG Achille Nestor ……………….140
La notion de solidarité de paiement en droit fiscal camerounais,
Papy NKOUAYEP Long Christ …………………………………………...168
La sécurité fiscale dans les Etats de l’Afrique noire francophone,
AWONO ELOUNDOU Emmanuel ……………………………………....212
Le contrôle des fonds de concours dans le droit public financier des Etats
de la CEMAC, NTOLO NZEKO Aubran Donadoni ……………………..242
Le contraste des institutions de contrôle des finances publiques camerounaises,
OWONA NDOUGUESSA Franck Landry …………….................................271
La réforme de la juridiction des comptes sous l’empire de la loi n°2018/12 du
11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques
au Cameroun, KELE Damien …………………………………………….....300
La participation de l’Etat au financement de la campagne électorale aux élections
politiques nationales en droit camerounais, MANDENG Naomie Audrey …320
La faute de gestion devant le conseil de discipline budgétaire et financière
au Cameroun, ABDOULAYE MAL BOUBA………………………………350

DROIT ET PRATIQUE DE LA COMPTABILITE PUBLIQUE

Chambre des comptes et comptabilité patrimoniale au Cameroun,


SOROK A BOL Patrick Gérard ……………………………………………374
La distinction entre comptable patent et comptable de fait en droit de la
comptabilité publique camerounaise, AWONO ABODOGO Frank P. ……..393

5
La condition juridique du comptable public en droit camerounais,
NGONO NOAH Josué …………………………………………………….421
FINANCES PUBLIQUES INTERNATIONALES
ET COMMUNAUTAIRES

Le budget des organisations internationales a l’aune de la performance :


contribution à l’étude du budget des organisations africaines d’intégration,
NGOUNMEDJE Firmin …………………………………………………453
FINANCES LOCALES
De la liberté d’emprunt local en droit public camerounais,
NZAMBOUNG Eugène …………………………………………………..491
FINANCES ET FINANCEMENT DES ORGANISMES PUBLICS

La contribution des entreprises publiques au financement du budget de l’Etat


en droit public financier camerounais, YINDJO TOUKAM Christian F. …526

ÉCLAIRAGE PRATIQUE

Vers un développement par l’optimisation des institutions de pilotage


des investissements économiques en Afrique, NGUEMDOM Ruth C. ….....553

CHRONIQUES DE JURISPRUDENCE FISCALE ET FINANCIERE

Chambre des comptes de la Cour suprême du Cameroun,


Arrêt n°133/P, Compte de la Commune de Datcheka, Exercice 2009.,
NGUIMFACK VOUFO Théophile ………………………………………595
Chronique annuelle de jurisprudence fiscale européenne 2020.,
TETANG Franc de Paul …………………………………………………..612

6
ÉTUDES

7
LE PILOTAGE DE LA PERFORMANCE DES FINANCES
PUBLIQUES DANS LES ETATS MEMBRES DE L’UNION
ECONOMIQUE ET MONETAIRE OUEST-AFRICAINE
(UEMOA)

Par
Meïssa DIAKHATE
Maître de Conférences agrégé
Faculté des Sciences juridiques et politiques
Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal).

RESUME :

En adoptant un nouveau cadre harmonisé des finances publiques, les Etats


membres de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) ont fait le
pari d’une nouvelle gestion publique. Dès lors, la performance devient un enjeu principal
au service de la détermination et de la mise en œuvre des politiques publiques. C’est en
quelque sorte une rationalité politique, économique et sociale adossée à des impératifs
d’efficacité, d’efficience et d’amélioration de la qualité du service public qui gouverne, en
l’occurrence, l’utilisation des ressources publiques. Par conséquent, le système de pilotage
de la performance s’impose aux administrations publiques à travers, d’une part, la
rénovation du cadre de la performance opérationnelle et, d’autre, l’implémentation d’un
dispositif d’amélioration de la performance organisationnelle.

Mots-clés : Pilotage ; performance ; finances publiques ; Etat ; UEMOA.

ABSTRACT :

By adopting a new harmonized framework for public finances, the States


member's of the West African of Economic and Monetary Union have made the bet on
new public management. Therefore, performance becomes a main stake in the service of
determination and the implementation of public policies. This is in a political, economic
and social rationality backed by imperatives way of increasing efficiencies in its inquiry
process, and to improve the quality of governing in this case the use of public resources by
the public services. Consequently, the performance management system is imposed on
public administration, through on the one hand, the renovation of the operational
performance framework, and, on the other hand, the implementation of a system of
improving organizational performance.

Keywords: Management ; performance ; public finance ; State ; WAEMU.

8
Introduction
La question de la performance constitue un point d’attention dans
l’analyse systémique de la problématique des finances publiques
contemporaines. Intrant de qualité dans la gouvernance démocratique1,
l’utilisation des ressources publiques implique que les citoyens, les usagers
et les contribuables, désormais considérés comme des « clients »2, profitent
des services publics délivrés, dans la transparence, par les administrations
publiques. La quête de la performance devient en quelque sorte un défi de
justice sociale3.
Cette pensée interroge manifestement l’idée que les libertés de base
étant garanties, il reste à institutionnaliser le principe d’égalité dans la
répartition des avantages matériels. On en arrive ainsi à tracer la ligne
directrice d’une réflexion sur les rapports entre la réforme de l’Etat et les
finances publiques. Pour l’avoir bien enseigné dans le contexte français,
Michel Bouvier est d’avis que « la LOLF ne peut être mise en œuvre avec succès
qu’en tenant compte de la réalité administrative à laquelle elle doit s’appliquer »4. On
peut ainsi comprendre que la gestion publique soit alors alignée sur des
prétentions d’efficacité, d’efficience et d’amélioration de la qualité du
service public, en cohérence avec des objectifs planifiés. D’ailleurs, « ce n’est
pas parce qu’une dépense est publique qu’elle est socialement utile (et il ne suffit pas de
montrer que sa finalité est légitime, ce qui est bien la moindre des choses) : dans une
démocratie, l’utilité d’une dépense publique ne se présume pas, mais doit en permanence
se prouver »5. Plus qu’auparavant, « la logique et les modes de l’action publique sont
en train de se transformer profondément »6.

1 Marc Leroy, « Paradigme démocratique et réforme des finances publiques », in Jean-Luc


Albert (dir.), Mélanges en l’honneur de Jean-Pierre Lassale, Gabriel Montagnier et Luc Saïdj. Figures
lyonnaises des finances publiques, Paris, L’Harmattan, 2012, pp. 215-229.
2 Des auteurs pensent qu’« à première vue, cette notion de "client" ne convient pas aux administrations

d’Etat qui lui préfèrent le terme d’ "usager" : leurs services ne sont pas marchands, leur fonctionnement est
fixé par des textes législatifs et réglementaires, leurs ressources proviennent du budget de l’Etat. Mais celui-
ci est alimenté par l’impôt, dont les citoyens et contribuables souhaitaient qu’il soit efficacement utilisé ; par
ailleurs, la relation entre l’Etat et le citoyen s’est modifiée, comme en témoigne la substitution de la notion d’
"usager" ("personne qui utilise les services publics"), à celle d’"administré" (littéralement : "personne
soumise à une autorité administrative") ». Lire utilement, Xavier Inglebert, Manager avec la LOLF :
pratiques de la nouvelle gestion publique, Paris, Groupe Revue fiduciaire, 2009, 2e éd., pp. 152-
153.
3 Jean-Fabien Spitz, « John Rawls et la question de la justice sociale », Études, 2011/1, pp.

55-65.
4 Michel Bouvier, « Au-delà de la LOLF : une réforme de l’Etat, un nouveau contrat

social », Colloque de la Fondation Res publica, Finances publiques et pérennité de l’Etat, Lundi
24 avril 2006. Lien : www.fondation-res-publica.org, consulté le 2 janvier 2021.
5 Yves Cannac, « Dépense privée, dépense publique », RFFP, n°77, La dépense publique,

Mars 2002, p. 65, cité par Paul Traoré, La procédure d’exécution de la dépense publique dans les
Etats membres de l’UEMOA à l’épreuve du nouveau cadre harmonisé des finances publiques : l’exemple
du Mali, Thèse de doctorat, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 2015, p. viii.
6 Franck Waserman, Les doctrines financières publiques en France au XIXe siècle. Emprunts

économiques, empreinte juridique, Paris, LGDJ, 2012, p. 340.


9
Les leviers traditionnels d’une action publique gouvernée par les
moyens ne suffisent plus à assurer l’utilisation transparente des deniers
publics et l’accès équitable aux services publics. Bien plus, l’explosion de la
demande adressée aux pouvoirs publics a fini d’ébranler le confort d’une
administration garnie de prérogatives de puissance publique. Sans doute la
conception de la gestion publique est-elle appelée à évoluer en vue de
répondre aux exigences de la performance. Dans cette perspective, la
réforme des processus gestionnaires est manifestement inéluctable. Le
budget doit non seulement mettre en avant les moyens liés à l’action
publique, mais également justifier la répartition des allocations par rapport
à la réalisation d’objectifs définis ex ante pour chaque poste de dépense7.
Cette dimension éminemment politique démontre l’utilité d’exercer
une réflexion sur la question. Dès lors que « les acteurs, changeant de système de
référence, ne sont plus les mêmes acteurs, puisque leurs actions sont désormais orientées
par [de nouveaux] indicateurs et [de nouvelles] classifications, qui deviennent des critères
d’action, et d’évaluation de celle-ci »8. C’est pourquoi, les « nouveaux acteurs
budgétaires »9, pour reprendre une expression de Gérard Pekassa Ndam,
sont appelés à adopter un dispositif de pilotage de la performance, en
complément du système de programmation des finances publiques10. C’est
sous cet angle d’influence réciproque entre les impératifs politiques et la
logique de gestion que se détermine la présente réflexion.
Certes, le nouveau cadre harmonisé des finances publiques dans
l’espace UEMOA s’est montré précis et convaincant en matière de
planification stratégique, articulant logiquement une vision, des objectifs,
des décisions (actions, activités) et des ressources. Mais, il reste à rendre
plus clairement apparentes les exigences nouvelles dans la gestion
publique, notamment au niveau du pilotage de la performance. En cela, la
nouvelle gestion publique suppose une modernisation des démarches
autour du périmètre d’action du gestionnaire public. L’attraction d’une
culture de résultats requiert que soient inculqués aux agents publics des
valeurs, des principes et des règles sensibles à la performance. Finalement,
autant comprendre que « la réforme de l’Etat devient ainsi en elle-même un objet de
politique publique, d’un "souci de soi de l’Etat" »11.

7 Steve Thiery Bilounga, Finances publiques camerounaises. Budgets - Impôts - Douanes -


Comptabilité publique, Paris, L’Harmattan, coll. Finances publiques, 2020, pp. 219-253.
8 Alain Desrosières, L’argument statistique. Gouverner par les nombres, t. 2, Paris, Presses de

l’Ecole des Mines, 2008, p. 29.


9 Gérard Martin Pekassa Ndam, « La dialectique du responsable de programme en finances

publiques camerounaises : recherche sur les nouveaux acteurs budgétaires », in Nicaise


Médé (contributions réunies par), Les nouveaux chantiers de finances publiques en Afrique.
Mélanges en l’honneur de Michel Bouvier, L’Harmattan-Sénégal, 2019, p. 303.
10 Lamine Koté, Les instruments juridiques de la programmation pluriannuelle des finances publiques :

l’avènement d’un nouveau temps financier, Thèse de doctorat, Université de Toulouse I Capitole,
2015, 465 p.
11 Pierre Muller, Les politiques publiques, Paris, PUF, 1990, p. 112.

10
C’est sous ce rapport que se précisent les contours d’un cadre
conceptuel dont les notions structurantes appellent des clarifications. Il
s’agit notamment du "pilotage" de la "performance" et des "finances
publiques".
Par le « pilotage », on entend que le gestionnaire public12 poursuit
des objectifs à travers le déploiement d’une stratégie au niveau
opérationnel, en s'assurant que les actions menées visent à atteindre les
objectifs fixés et améliorer de façon continue les processus de la
performance. Quant à la « performance », elle renvoie à une assimilation,
même du point de vue morphologique, du concept anglais performance
signifiant « accomplissement », "réalisation", "résultat réel".
Progressivement étendu dans l’usage courant, il sert à exprimer « la manière
de faire quelque chose de manière optimale, voire exceptionnelle »13. L’on retiendra,
par ailleurs, qu’elle exprime le degré d'accomplissement des objectifs d’un
programme en termes de résultats. Au regard des bénéficiaires, la notion a,
comme implications, « la capacité à atteindre les objectifs d’efficacité socio-
économique (adaptation de l’environnement économique, social, écologique, sanitaire,
culturel, etc. pour satisfaire les citoyens), de qualité du service public (amélioration du
fonctionnement des services et des prestations fournies pour satisfaire les usagers) et
d’efficience de la gestion (optimisation du coût des services et des prestations pour
satisfaire les contribuables) »14. Globalement, le pilotage de la performance au
sein des administrations publiques correspond à un ensemble d’actions15
orientées vers l’atteinte de résultats (ou performances) prédéfinis dans le
cadre de moyens prédéterminés. Les objectifs à atteindre étant définis au
niveau stratégique avant d’être opérationnalisés, cette approche laisse à
chaque échelon une possibilité de disposer du libre choix d’allouer au
mieux les moyens disponibles et de choisir les modalités d’action les plus
appropriées16. Cela revient à « choisir ses actions en anticipant leur impact sur la
performance, en suivre l’avancement pour s’assurer que tout se passe bien comme prévu,
réagir rapidement en cas de dérive constatée, prévoir régulièrement vers quel niveau de
performance on se dirige pour s’assurer que l’on va atteindre les objectifs poursuivis et
prendre à temps les mesures correctrices en cas de difficulté anticipée »17. Bien entendu,
« s’inscrire dans une stratégie, définir des objectifs, mesurer les résultats donnent du sens

12 Stephanie Damarey, « Rapport », in Régimes de responsabilité financière des gestionnaires publics -


analyse comparée, 2020, Lien: www.igf.finances.gouv.fr, Consulté le 02 janvier 2021.
13 Dans le prolongement cette définition, Roland Gori entrevoit l’hypothèse

d’instrumentation, à tous les niveaux, du pilotage de l’action publique par la performance.


C’est devenu, dit-il, « le noyau d’une nouvelle forme de servitude, de soumission sociale », Roland Gori,
« Normes, performance et soumission », in Nicolas Matyjasik, Marcel Guenoun (dir.), En
finir avec le new public management », IGPDE, 2019, p. 137.
14 Marie-Christine Steckel-Assouère, « Performance », in Nicolas Kada, Martial Mathieu

(dir.), Dictionnaire d’administration publique, PUG, coll. Droit et Action publique, 2014, p. 372.
15 René Demeestère, Le contrôle de gestion dans le secteur public, Paris, LGDJ, 2002, p. 12.
16 Ministère de l’Economie, des Finances et du Plan (Sénégal), Guide d’élaboration du budget

programme, 2016, pp. 107-108.


17 René Demeestère, Le contrôle de gestion dans le secteur public, op. cit., p. 12.

11
à l’action publique »18. Abstraction faite de tout inventaire à la Prévert, il est
opportun de réfléchir sur l’ordre des termes. A l’expression « pilotage de la
performance », Francis Quérol marque, non sans la mettre en doute, une
préférence pour celle de « pilotage par la performance ». Puisque, clarifie-t-il,
« piloter c’est aller vers un cap, ce cap sera la performance et donc le pilotage par la
performance peut être entendu comme la recherche systématique de l’efficacité dans la
gestion des finances publiques »19.
Pour les finances publiques, il faut remarquer que la législation
communautaire remplace le terme restrictif "budget de l’Etat" par celui
plus général de "Finances publiques". Le changement sémantique n’est ni
formel ni anodin : la loi de finances s’attache dorénavant à décrire les
relations financières entre l’Etat et les organismes publics tels que les
collectivités territoriales, les établissements publics à caractère administratif
et les organismes de protection sociale20. De plus, les concours de l’Etat au
profit des entreprises publiques font partie des informations à transcrire
dans les documents budgétaires21. Surtout la problématique de la définition
nous amène à envisager les transformations structurelles des finances
publiques. En effet, il ne fait pas de doute que « depuis quelques années, le
management public a été présenté comme une alternative pouvant aider à rénover sinon
améliorer le cadre, les méthodes et les moyens des finances publiques »22. Il en découle,
et en harmonie avec la dynamique des transformations publiques en
Afrique23, une nouvelle approche globale des finances publiques en vue de
saisir leur véritable dimension qui n’est plus celle du strict cadre
budgétaire24.
Du dialogue entre ces différents concepts, naît un tel
questionnement : quels sont les leviers de la performance des finances
publiques dans les Etats membres de l’UEMOA ? Assurément, les
leviers en tant qu’organes de commande d’un dispositif visant à
transformer un mouvement sont conçus, dans le cadre de la nouvelle
gestion publique, comme des moyens de refonte des logiques politiques et
administratives25. En l’espèce, ils font référence à des outils ou à des
stratégies que peut exploiter une organisation publique dans le but

18 Frank Mordacq, La réforme de l’Etat par l’audit, Paris, LGDJ, 2009, p. 24.
19 Francis Quérol, « Pilotage de la performance ou pilotage par la performance ? (le cas
français) », Communication au 1er Colloque scientifique sur la mobilisation des ressources
publiques dans le financement du Plan Sénégal émergent, Dakar, 28-29 novembre 2018 (à
paraître).
20 Article 55 de la Directive n°06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 portant Lois de

Finances au sein de l’UEMOA.


21 Articles 46 et 52 de la Directive n°06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 précitée.
22 Ely Mustapha, Management des finances publiques, Tunis, LHE, 2005, p. 261.
23 Quelque transformation de l’action publique au service de l’émergence du Sénégal (Etude réalisée par

l’Ecole nationale d’Administration du Sénégal, Europgroup consulting et Grant Thornton),


Novembre 2018.
24 Ibid. id.
25 Michel Bouvier, « Au-delà de la LOLF : une réforme de l’Etat, un nouveau contrat

social », op. cit, Lien : www.fondation-res-publica.org, consulté le 05 janvier 2021.


12
d’améliorer sa performance, qu’elle soit globale ou spécifique. Cela justifie
que soient examinées les fonctions et pratiques des gestionnaires publics
en matière de gestion rénovée des finances publiques. Autrement dit, il
s’agit de questionner les processus dynamiques qui sous-tendent
spécifiquement l’exécution et le suivi des programmes. D’où notre
discipline d’esprit à ne pas étendre la réflexion sur les conditions dans
lesquelles est arrêtée une politique budgétaire à moyen terme26 ou est
mesurée la performance à travers les évaluations parlementaires et
juridictionnelles des politiques publiques.
En toute logique, la recherche d’une culture de la performance
poursuit fondamentalement des vertus tant politiques que gestionnaires.
Sur le plan politique, une relation essentielle s’instaure entre la
performance et « la recherche d’une plus grande légitimité des décisions
financières »27, du moins si l’on valide le postulat communautaire selon
lequel « l’argent public est au cœur de l’Etat de droit et de la démocratie »28. Ce qui
motive à penser que la performance est un facteur de légitimation du
système démocratique29. Le défi de l’Etat n’est plus seulement d’agir dans
la légalité30.

26 En sont la traduction : le Document de Programmation budgétaire et économique


pluriannuelle (DPBEP), le Document de Programmation pluriannuelle des Dépenses
(DPPD), le Projet annuel de Performance (PAP) et le Rapport annuel de Performance
(RAP). Ces documents peuvent avoir comme point d’ancrage stratégique la lettre de
politique sectorielle et de Développement (LPSD) qui est un cadre d’orientation stratégique
à moyen terme. Formulée de façon consensuelle et participative. Ce document est présenté
sous la forme d’une vision partagée, de valeurs communes, d’axes stratégiques et de
programmes adossés à un objectif global et à des objectifs spécifiques exprimés, sur le plan
opérationnel, en programmes et actions.
27 Adamou Issoufou, « La transparence des finances publiques : un nouveau principe

budgétaire dans l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) ? », Annales


africaines, vol. 2, décembre 2018, n°9, p. 233.
28 Une affirmation édifiante du Préambule de Directive n°01/2009/CM/UEMOA portant

Code de Transparence dans la Gestion des Finances publiques au sein de l’UEMOA. Lire
dans ce sens : Etienne Sossou Ahouanka, « La transparence budgétaire dans les Etats
membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Réflexion sur le nouveau
rôle du parlement et de l’opinion publique) », in Nicaise Médé (dir.), La LOLF dans tous ses
états, Centre des Publications Universitaires, Université d’Abomey-Calavi, Cotonou, 2015,
pp. 535-563.
29 Nicaise Médé, « Réflexion sur le cadre harmonisé des finances publiques dans l’espace

UEMOA », Afrilex, 2012, pp. 8-11; Lien :http://afrilex.u-bordeaux4.fr, consulté le 05 janvier


2021.
30 Originellement, ce concept avait cette acception restrictive puisqu’en latin classique est

"légitime" ce qui est conforme à la loi. D’ailleurs, cette croyance en la légalité demeure la
forme la plus répandue : il suffit qu’une décision soit actée conformément à la procédure
légale pour qu’elle soit considérée a priori politiquement légitime, sans qu’il soit nécessaire
de lui trouver un autre fondement. Notamment, Jean-Gabriel Contamin, « Légitimité », in
David Alcaud et Laurent Bouvet (dir.), Dictionnaire de sciences politiques et sociales, op. cit., pp.
191-194 ; Simone Goyard-Fabre « La légitimité », in Denis Alland, Stéphane Rials (dir.),
Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF, 2003, pp. 929-933.
13
En réalité, une dynamique de modernisation s’est emparée des
théories managériales. L’Etat de management se succède à l’Etat de droit
estampillé de divers contrôles qui résident dans la « croyance en la légalité,
c’est-à-dire soumission à des statuts formellement corrects et établis selon la procédure
d’usage »31. Dès lors, il est apparu nécessaire de considérer que, dans ce
nouveau paradigme32, la mise en œuvre de politiques publiques
performantes suscite et renforce la confiance voire l’approbation réfléchie
des citoyens à l’action publique. Sans vouloir pour autant réduire la
légitimité à la notion de performance, il est néanmoins conséquent de
comptabiliser le poids de l’analyse économique et sociale dans les
interventions publiques. Ainsi, sans une présentation claire des politiques
publiques tenant compte des nécessités de la performance, on est fondé à
se demander comment la presse, les partenaires sociaux et d’une façon
générale tous les acteurs de la société civile pourraient être encouragés « à
participer à la diffusion des informations ainsi qu’au débat public sur la gouvernance et
la gestion des finances publiques »33.
Sur le plan gestionnaire, l’utilisation optimale des deniers publics
recommande une modernisation de la gestion publique34. Le registre de la
gestion publique doit profondément évoluer en considération des
implications organisationnelles qu’engendre le nouveau cadre normatif
harmonisé des finances publiques. Désormais, le responsable de
programme peut disposer, à la faveur de la délégation du pouvoir
d’ordonnancement, des leviers indispensables à la mise en œuvre
(exécution, suivi-évaluation) des politiques publiques et à la coordination
des services en charge desdites politiques35. En clair, l’évocation des
politiques publiques ayant considérablement connu, depuis quelques
années une diffusion importante, dans le discours politique, donne des clés
d’analyse de la nature de l’action financière, et par-delà du fonctionnement
de l’Etat contemporain.
Dès lors, aborder les problèmes de la gestion publique en la situant
sous le prisme de l’efficacité, de l’efficience et de l’économie a pour finalité
essentielle de contribuer au débat actuel sur le sens de la performance aux
prises avec les politiques publiques dans les Etats membres de

31 Max Weber cité par François Ost, Michel van de Kerchove, De la pyramide au réseau ? Pour
une théorie dialectique du droit, Bruxelles, PUSL, 2002, p. 338.
32 Concernant la zone de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale

(CEMAC), voir, par exemple, Robert Mballa Owona, « Emergence de la gestion axée sur
les résultats et reconnaissance d’une obligation d’exécution intégrale des budgets des
administrations publiques en droit CEMAC », Afrilex, Avril 2016, 26 p., Lien : afrilex.u-
bordeaux4.fr, consulté le 10 janvier 2020.
33 VI.3. de la Directive n° 01/2009/CM/UEMOA portant Code de Transparence dans la

Gestion des Finances publiques au sein de l’UEMOA.


34 Eric Gristi, La réforme de l’Etat, Paris, Vuibert, 2007, pp. 336-337.
35 Commission de l’UEMOA, Guide didactique de la Directive n° 06/2009/CM/UEMOA du

26 juin 2009 portant Lois de Finances au sein de l’UEMOA, p. 11. Lien : sigif.gouv.sn/publication,
consulté le 10 janvier 2020.
14
l’UEMOA36. D’ailleurs, les écrits de Martin Collet sont illustratifs du sens
attaché à la culture de la performance ; ils rendent compte, en effet, que
« les règles issues de la LOLF exigent que l’Etat ne ventile plus les crédits en fonction
de la nature des dépenses (dépenses de personnel, fournitures de bureau, investissements,
etc.), mais en fonction des objectifs de politique publique qu’il poursuit (améliorer la
sécurité, offrir de meilleures aides au logement, rendre la justice plus rapidement, etc.).
L’intérêt de cette présentation est qu’elle oblige l’administration de mieux réfléchir au
sens de son action (du fait de l’exigence d’expliquer la manière dont elle entend utiliser
les crédits qu’elle sollicite), et à rendre compte de son accomplissement, après coup »37.
Enfin, l’étude s’inscrit dans le contexte de l’Union économique et
monétaire ouest africaine (UEMOA) qui réunit huit (08) Etats membres38.
Dans cette entité d’intégration, la réforme des finances publiques a comme
socle juridique une directive-mère (Directive 01/2009/CM/UEMOA du
29 mars 2009 portant Code de Transparence dans la Gestion des Finances
publiques au sein de l’UEMOA) et ses textes subséquents39. Cette
mutation des finances publiques, et au-delà celle de l’Etat, a comme
principes directeurs la responsabilité, la liberté, l’éthique et la transparence
dans la gestion publique.
Force est alors de rappeler que notre espace de réflexion couvre un
cadre d’intégration économique et monétaire soucieux d’implémenter une
culture de la performance adossée à la présentation du budget en
programmes, à la réforme de l’exécution du budget (déconcentration de
l’ordonnancement) et la systématisation du contrôle anticipatif). En
complément de ces développements, il faut préciser que la réforme de la
gestion publique organise le passage d’une logique de moyens à une
logique de résultats sur le fondement d’une adaptation des techniques de
management de l’action publique et de la pertinence des contrôles de la
gestion budgétaire et comptable. D’amples raisons qui font penser à
Théophile Ahoua N’doli que « [la] conception managériale de la gestion publique
représente un véritable défi, voire une révolution pour les décideurs politiques »40.
Au vu de ce constat, la démarche du gestionnaire public demande à
être orientée, en premier lieu, vers un nouveau cadre organisationnel
rendant impérative la quête de performance opérationnelle (I) et, en

36 Abdourahmane Dioukhane, « Les fondements communautaires de la nouvelle gestion


budgétaire (le cas de l’UEMOA) », Actes du colloque, La Nouvelles gestion budgétaire, Dakar
27 et 28 octobre 2016, Annales africaines, n°spécial, pp. 1-20.
37 Martin Collet, Finances publiques, Paris, LGDJ, 2019, 4e éd., p. 84.
38 Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo.
39 Directive n°06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 portant Lois de Finances ;

Directive n°07/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 portant Règlement général sur la


Comptabilité publique ; Directive n°08/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 portant
Nomenclature budgétaire de l’Etat ; Directive n°09/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009
portant Plan comptable de l’Etat ; Directive n°10/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009
portant Tableau des Opérations financières de l’Etat.
40 Théophile AHOUA N’doli, Manuel de finances publiques, L’Harmattan Côte d’ivoire, 2019,

p. 17.
15
second lieu, à être enrichie d’un dispositif d’amélioration de la
performance organisationnelle (II).
I. Une réforme du cadre de la performance opérationnelle
Dans le langage approprié, la performance opérationnelle reflète la
capacité d’une entité à atteindre des objectifs avec une utilisation optimale
des moyens et ressources sur une période donnée. Elle peut donc se
définir par le rapport entre les objectifs atteints et les moyens utilisés41.
Pour y parvenir, la réforme des finances publiques dans l’espace UEMOA
cherche à repositionner la gestion publique sur une trajectoire
performancielle.
Cela rend indispensables la consécration de nouveaux principes de
la gestion publique (A) et la gestion concertée de la performance (B).
A. De nouveaux principes de gestion consacrés
Au fil des réformes de la gestion publique, des principes se sont
succédé. En lieu et place des relations d’autorité et de hiérarchie, se
tissent des rapports inspirés par de nouveaux principes directeurs.
L’éclosion de la nouvelle gestion publique repose notamment sur
la déconcentration de l’ordonnancement (1) et la responsabilisation par
les objectifs (2).
1. La déconcentration de l’ordonnancement
Avant la mise en vigueur du nouveau cadre harmonisé des finances
publiques dans l’UEMOA, il revenait au Ministre chargé des Finances
d’exercer ces attributions par le moyen d’ordonnateurs délégués au niveau
des administrations centrales et d’ordonnateurs secondaires au niveau des
services extérieurs42. Par la réforme, il est mis un terme à l’existence de
l’ordonnateur principal unique des recettes et des dépenses du budget de
l’Etat, des budgets annexes et des comptes spéciaux du Trésor de l’Etat.
La centralisation du pouvoir de gestion des finances publiques, au
profit de l’autorité formelle, ne peut être bénéfique à la dynamique de
production de la performance au sein des administrations publiques. La
simple qualification professionnelle, déduite des diplômes ne suffit plus.
La fonction de "responsable de programmes" inclut, de surcroît,
l’adaptabilité à l’exercice de responsabilités. Les nouvelles "fiches de poste"
doivent intégrer des facteurs additionnels de performance dont la faculté
d’encadrement, la proactivité, la réactivité, la prise d’initiative et la
polyvalence. De plus, la nouvelle gestion publique valorise les liens avec les

41 Lien : www.advaloris.ch, consulté le 12 janvier 2021.


42 A titre d’exemple, le décret n° 2003-101 du 13 mars 2003 portant Règlement général sur
la Comptabilité publique au Sénégal, abrogé à la suite de la transposition des directives du
nouveau cadre harmonisé des finances publiques au sein de l’UEMOA.
16
acteurs des différents services (liaisons hiérarchiques et fonctionnelles)43.
La légitimité technique est à la base d’une éthique de la nouvelle gestion
publique fondée sur la déconcentration.
A vrai dire, le premier et le plus retentissant effet de la réforme est
l’exécution du budget en mode déconcentration. En attestent les
prescriptions énonçant que les ministres et les présidents d’institution
constitutionnelle sont ordonnateurs principaux des crédits, des
programmes et des budgets annexes de leurs ministères ou de leurs
institutions44. Le second et non moins marquant effet de la
déconcentration de l’ordonnancement a comme point d’attache le
pouvoir de délégation. Les ordonnateurs peuvent déléguer tout ou partie
des crédits, dont ils ont la charge, à des agents publics dans les conditions
déterminées par les réglementations nationales45. Ils sont suppléés en cas
d’absence ou d’empêchement.
Au crédit de cette réforme, les ministres et présidents d’institution
constitutionnelle exercent leurs attributions d’ordonnateur par le moyen
d’ordonnateurs délégués au niveau des administrations centrales et
d’ordonnateurs secondaires au niveau des services déconcentrés de l’Etat,
y compris les représentations diplomatiques et consulaires46. Un
responsable de programme est ainsi fondé à recevoir délégation de
compétence pour la partie des crédits ministériels relevant de son
programme.
Sur renvoi du législateur communautaire, il échoit aux
réglementations nationales le soin de déterminer les conditions dans
lesquelles s’effectue la délégation de pouvoir. Ainsi, les acteurs de la
transposition des directives de la réforme n’ont pas manqué, au niveau
national, de se préoccuper de l’étendue et de la forme de la délégation.
S’agit-il d’une délégation de signature ou d’une délégation de
compétence ?47 Quel serait le support normatif de nomination du
responsable de programme dans l’hypothèse d’une délégation de
compétence ?

43 Frédéric Colin, Gestion des ressources humaines dans la fonction publique, Paris, Gualino, 2019,
3e éd., p. 69.
44 Article 68 de la Directive n°06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 précitée.
45 En ce qui concerne les directeurs des établissements publics nationaux, ils sont

ordonnateurs principaux des recettes et des dépenses de ces établissements. Ils peuvent
déléguer leurs pouvoirs dans les conditions prévues par les lois et règlements régissant les
établissements publics. Article 8 alinéas 4 et 5 de la Directive n°07/2009/CM/UEMOA du
26 juin 2009 portant Règlement général sur la Comptabilité.
46 Une précision mentionnée dans le décret n°2020‐978 du 23 avril 2020 dans le Règlement

général sur la Comptabilité publique au Sénégal.


47 A ce propos, Jean-Pierre Camby, « Intérim, suppléance et délégation », RDP, n°6, 2001,

pp. 1605-1612 ; Jean-Claude Groshens, « La délégation administrative de compétence »,


Recueil Dalloz, 1958, pp. 197-204 ; Demba Sy, Droit administratif, CREDILA, L’Harmattan-
Sénégal, 2014, pp. 295-296.
17
Simplifiant les questions, certains législateurs organiques, comme
celui du Niger, s’en tiennent à l’esprit et à la lettre de la Directive relative
aux lois de finances. Néanmoins, des précisions transparaissent en droit
sénégalais où « les responsables de programme sont nommés par arrêté du Ministre
ou décision du Président d’institution constitutionnelle dont ils relèvent » 48.
S’agissant du cas particulier de la « décision », celle-ci doit être interprétée
en fonction de la qualité de l’autorité constitutionnelle : ordonnance de
président d’institution juridictionnelle, arrêté de bureau de l’Assemblée
nationale, arrêté présidentiel.
A quelques nuances près, la réglementation ivoirienne, notamment
l’alinéa premier de l’article 8 du décret n°2019-81 du 23 janvier 2019
portant charte de gestion des programmes et des dotations, renvoie à
« décret pris en Conseil des Ministres sur proposition du Ministre dont il relève »
pour la nomination du responsable de programme.
Mais aussi et s’agissant de l’ordonnancement, tout se passe comme
si la réglementation interne semble ignorer les dispositions d’esprit au
plan communautaire. En son article 18, le décret n° 2020-978 du 23 avril
2020 portant Règlement général sur la Comptabilité publique au Sénégal
avance l’idée que « les ministres et présidents d’institutions constitutionnelles
peuvent exercer leurs attributions d’ordonnateur par le moyen d’ordonnateurs délégués
au niveau des administrations centrales et d’ordonnateurs secondaires au niveau des
services déconcentrés de l’Etat, y compris les représentations diplomatiques et
consulaires. Les ordonnateurs délégués et secondaires de l’Etat ainsi que leurs
suppléants sont nommés par décret sur proposition de l’ordonnateur principal ».
En droit burkinabè, les ordonnateurs peuvent déléguer tout ou
partie des crédits dont ils ont la charge à « des agents publics » -sans préciser
lesquels- dans les conditions fixées par la réglementation en vigueur. Par
suite, les dispositions de l’article 3 du décret n°2017-
016/PRES/PM/MINEFID du 13 mars 2017 portant régime juridique des
ordonnateurs de l’Etat et des autres organismes publics font ressortir un
dédoublement notionnel au titre duquel la délégation comporte : i) une
« délégation de gestion des crédits » comportant les actes d’engagement et de
proposition de liquidation ; dans ce cas, le délégataire est un gestionnaire
de crédits ; ii) une « délégation d’ordonnancement » emportant au profit du
délégataire un pouvoir de liquidation et de mandatement des dépenses.
Quid du support normatif ? Pour ce qui concerne le budget de l’Etat, et
différemment en droit sénégalais, les ordonnateurs délégués et les
ordonnateurs secondaires burkinabè sont désignés « par arrêté de
l’ordonnateur ».

48 Article 13 alinéa 1er de la loi organique n°2020-07 du 26 février 2020 abrogeant et


remplaçant la loi organique n°2011-15 du 08 juillet 2011 relative aux lois de finances,
modifiée par la loi organique n°2016-34 du 23 décembre 2016. Conséquemment, ces
dispositions pourraient abroger celles des articles 3 et 4 du décret n°2019-594 du 14 février
2019 fixant les conditions de nomination et les attributions du responsable de programme au
Sénégal.
18
Des erreurs de bon sens ! On pourrait le penser car la façon
d’interpréter interroge : ne s’agirait-il pas, tout bonnement, de vouloir
raffermir la position proéminente de l’autorité présidentielle en matière
de gestion, notamment aux dépens de celles du ministre sectoriel ou du
président d’institution constitutionnelle ? Le responsable de programme
est-il l’ordonnateur des crédits de son programme ? Etait-il pertinent
voire cohérent de désintégrer la fonction de responsable de programme
et celle d’ordonnateur (laquelle pourrait échoir au Secrétaire général ou
au responsable de la fonction financière du ministère) ? Dans cette
approche, le responsable de programme aurait-il la plénitude des moyens
en s’engageant sur des objectifs et des résultats ?
En tout état de cause, l’approximation et l’ambiguïté affleurent au
niveau des textes nationaux, en étant assez révélatrices d’une certaine
forme de résistance à la réforme des finances publiques dans les Etats
membres de l’UEMOA. La délégation se rapportant principalement à « la
diffusion du pouvoir de prise de décision »49¸ il est important que l’agent public
qui reçoit un transfert de responsabilités puisse faire valoir son pouvoir de
décision et répondre de sa gestion. En plus d’être une prescription légale,
la délégation a pour fonction d’optimiser le potentiel d’efficacité et
d’efficience des collaborateurs dans l’action publique. Elle accorde aux
gestionnaires publics une plus grande marge de liberté dans l'utilisation des
moyens qui leur sont alloués, en leur attribuant la latitude de déterminer
les actions à entreprendre pour atteindre les objectifs préalablement fixés
par l’autorité délégante ou pour mieux négocier avec elle. En fin "chasseur
d’objectifs", le responsable de programme se fixe des plans d’actions,
assume des responsabilités et s’intéresse aux résultats50.
Dans cette optique, le responsable de programme a le pouvoir de
déterminer la stratégie et les orientations opérationnelles du programme
sur la base des objectifs généraux définis par le ministre ou le président
d’institution constitutionnelle dont il relève. Ce faisant, il fixe les objectifs
spécifiques, affecte les moyens et contrôle les résultats des services chargés
de la mise en œuvre du programme. C’est le sens du propos de Nicaise
Médé lorsqu’il énonce que « le responsable de programme, pour conforter l’approche
managériale adoptée par les nouveaux textes, dispose d’un pouvoir non négligeable de
faire des réallocations de crédit au sein d’un programme »51. La relation est vite
établie avec une prophétie de James Champy selon laquelle « la première
révolution managériale a déplacé les axes du pouvoir. La deuxième nous donnera la
liberté »52. Plus intéressant, c’est par ailleurs le lieu de rapporter qu’en droit

49 Jean-Michel Plane, Théorie des organisations, Paris, Dunod, 2003, 2e éd., p. 73.
50 Robert Papin, L’art de diriger, Paris, Dunod, 2008, pp. 72-78.
51 Nicaise Médé, « L’Afrique francophone saisie par la fièvre de la performance financière »,

RFFP, n°135, 2016, p. 350.


52 James Champy, Reengineering du management, Paris, Dunod, 1995, p. 235.

19
ivoirien, le responsable de programme signe « un contrat de performance »53
avec les responsables des établissements publics nationaux sur les résultats
à atteindre et les modalités de financement des activités.
Au demeurant, l’ordonnateur principal a la latitude,
consubstantiellement à la délégation de certains objectifs de politique
publique aux responsables de programme, d’aménager des espaces de
disponibilité au profit des tâches d’ordre stratégique.
Mais en parallèle, le Ministre chargé des Finances détient un
pouvoir de régulation à travers la modification de l’autorisation
budgétaire en cours d’année, après information du ministre sectoriel
concerné, en cas de crédit sans objet ou de perspective de détérioration
certaine de l’équilibre financier défini par la loi de finances. Il est
également compétent pour décider de différer une dépense en fonction
des modifications intervenues en cours d’exercice dans le plan de
trésorerie défini a priori.
2. La responsabilisation par les objectifs
Dans le cadre de l’exercice de la fonction financière, les
gestionnaires publics encourent une responsabilité pouvant apparaître
sous plusieurs sens : une responsabilité à connotation disciplinaire, pénale
et civile pour les fonctionnaires de l’administration centrale ou
déconcentrée et une responsabilité de nature politique devant le
Parlement ou de nature pénale devant la Haute Cour de Justice pour les
autorités gouvernementales. A ce titre, la question spécifique de la
responsabilité des gestionnaires publics mérite d’être abordée54.
Dans le registre de la réforme, le Gouvernement est appelé à
s’engager sur un budget généralement décomposé en programmes sur la
base de finalités d’intérêt général. Le programme, élément structurant de
la nouvelle gestion, est un regroupement de crédits destinés à mettre en
œuvre une action ou un ensemble cohérent d’actions représentatif d’une
politique publique clairement définie dans une perspective de moyen
terme et qui relèvent d’un même ministère55. Les activités et les coûts du
programme sont associés à des objectifs et des indicateurs permettant de
mesurer les résultats56.
Cette modification du cadre de la gestion publique privilégie une
"culture de résultats" « à travers des instruments concrets : allocation d’enveloppes

53 Article 8 alinéa 3 du décret n°2019-81 du 23 janvier 2019 portant charte de gestion des
programmes et des dotations.
54 Bernard Poujade, « La responsabilité des ordonnateurs en droit public financier : état des

lieux », AJDA, n°6, 2005, p. 703.


55 Abdou Karim Sock, « La programmation triennale et le projet de budget dans le cadre de

la nouvelle gestion budgétaire : l’état de la mise en œuvre au Sénégal », Actes du colloque,


La Nouvelles gestion budgétaire, Dakar 27 et 28 octobre 2016, Annales africaines, op. cit., pp. 92-
95.
56 Michel Lascombe, Xavier Vandendriessche, Les finances publiques, Paris, Dalloz, 2013, 8 e

éd., p. 83.
20
budgétaires globales assorties d’une plus grande liberté dans l’usage des fonds,
responsabilisations des échelons intermédiaires et formalisation de ces responsabilités
sous la forme d’objectifs clairement assignés, mesure de décentralisation et de
dérégulation, mesures en faveur d’une prise en compte plus large des demandes et
satisfactions des usagers de l’organisation »57. Ainsi émerge une responsabilité
du gestionnaire public, en contrepartie d’un engagement sur les résultats.
Dérivé du latin repondere qui se traduit par « « se porter garant »58 ou
« répondre de », la "responsabilité" dénote, au sens général, l’obligation qu’a
une personne de répondre de ses actes, de les assumer, d’en supporter les
conséquences du fait de sa charge, de sa position, etc. Autrement dit, elle
renvoie à une charge, une mission conférée à quelqu’un par une autorité
devant laquelle il doit répondre de ses actes59. Cette notion de
responsabilité est une idée prégnante dans le nouveau cadre harmonisé
des finances publiques qui redessine le modèle de management car « être
responsable, c’est avoir la liberté de gérer : la spécialisation des crédits par programme,
leur fongibilité, la possibilité de piloter la masse salariale sont autant d’opportunités
offertes aux décisions de l’administration »60.
La rationalisation des choix budgétaires a comme conséquence
une mise en avant de la responsabilité des gestionnaires des programmes
publics. Cette responsabilité étant inhérente à l’autonomie de gestion, le
gestionnaire public doit répondre des résultats61.
Il s’agit de rompre avec une tradition de commandement au sein
des administrations publiques, en donnant la priorité à l’objectif de
responsabilisation des acteurs publics financiers. L’enjeu d’une telle
réforme, c’est alors une appropriation de la réforme elle-même par des
acteurs responsabilisés62.
Toujours est-il que dans le pilotage de la performance, la
responsabilisation du gestionnaire public se réalise au moyen de la
fongibilité. L’affectation des crédits dans un programme n’est pas
prédéterminée de manière rigide mais simplement prévisionnelle.
L’ordonnateur dispose de la faculté de définir l’objet et la nature des
dépenses dans le cadre du programme ou au sein même des catégories de

57 Philippe Bezès, « Politique et administration en régime néo-managérial. Recomposition,


réaction ou balancier ? », in Penser la science administrative dans la post-modernité. Mélanges en
l’honneur du Professeur Jacques Chevallier. Paris, LGDJ-Lextenso, 2013, p. 415.
58 Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, coll. Quadrige, 2016, 11e éd., p. 918.
59 Dictionnaire de l'Académie française, 9e éd. Lien : https://www.dictionnaire-academie.fr, consulté le

15 janvier 2021.
60 Xavier Inglebert, Manager la LOLF. Pratiques de la nouvelle gestion publique, op. cit., p. 14.
61 A propos de l’évolution actuelle du régime de responsabilité des élus locaux, voir

exemple André Akono Olinga, L’apport de la performance au contrôle des finances locales au
Cameroun, Thèse de doctorat/Ph.D, 2020, Université de Yaoundé 2, pp. 204- 223.
62 Michel Bouvier, « Nouvelle gouvernance financière publique durable et la conduite de la

réforme budgétaire dans les pays en développement », RFFP, n°98, Juin 2007, pp. 160-161.
21
dépense (personnel ou investissement d’un programme) pour en optimiser
la mise en œuvre63.
Enfin, à défaut d’être précis sur ce point, la réglementation
communautaire fait appel à chaque Etat pour préciser, notamment à
travers la mise en place des chartes de gestion, les modalités pratiques et
l’encadrement de l’exercice de la fongibilité.
Tout compte fait, une nouvelle « pédagogie de la responsabilité »64
apparaît clairement nécessaire dans le contexte de gestion axée sur la
performance. La redistribution des responsabilités draine de nouveaux
mécanismes d’imputation et d’imputabilité pour le gestionnaire public65.
Ce dernier est astreint à rendre compte de leurs résultats. Cela se vérifie à
suffisance au niveau du responsable de programme : « Il s’engage à atteindre
les résultats attendus du programme. [Il] présente et justifie annuellement les résultats
atteints devant son ministre ou président de l’institution dont il relève. En outre, il est
personnellement responsable de l’atteinte ou non des objectifs de performance fixés au
programme dans les conditions d’efficacité, d’économie et d’efficience »66. La réforme
tend ainsi à réaliser « un équilibre entre la liberté du gestionnaire qui dispose d’une
enveloppe globale (fongibilité des crédits) sur les programmes dont il est responsable, et le
contrôle-évaluation de ses résultats par rapport aux objectifs mesurés par les indicateurs
du projet annuel de performance67, annexé à la loi de finances initiale »68.
Ayant nécessairement la qualité d’ordonnateur, ou agissant sous sa
responsabilité, le gestionnaire public, sans égard à sa responsabilité non

63 Néanmoins, la règle de la fongibilité est encadrée : les dépenses de personnel ainsi que
celles des dépenses de fonctionnement sont asymétriques. Dans un programme, les crédits
prévisionnels destinés aux dépenses de personnel ne peuvent être majorés par d'autres
crédits, mais peuvent en sens inverse abonder d'autres titres : les dépenses de personnel et,
dans une moindre mesure, les dépenses de fonctionnement (biens et services, et transferts),
deviennent les variables d’ajustement pour le pilotage de l’exécution du programme au
profit des dépenses d’investissement. Les crédits destinés aux dépenses d’investissement,
conformément à l’article 15 précité, ne peuvent pas être diminués au profit des autres
postes de dépenses. Commission de l’UEMOA, Guide didactique de la Directive
n°06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 portant Lois de Finances au sein de l’UEMOA, pp.
15-16.
64 Geneviève Iacono, Gestion des ressources humaines, Paris, Gualino, Lextenso éditions, 2008,

2e éd., p. 412.
65 Voir Luc Rouban (dir.), Le service public en devenir, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 125.
66 Article 5 alinéa 3 et Article 10 du décret du 14 février 2019 précité.
67 Le projet annuel de performance de chaque programme précise : a) la présentation de

chacune des actions et de chacun des projets prévus par le programme, des coûts associés,
des objectifs poursuivis, des résultats obtenus et attendus pour les années à venir mesurés
par des indicateurs de performance ; b) la justification de l’évolution des crédits par rapport
aux dépenses effectives de l’année antérieure ; c) l’échéancier des crédits de paiement
associés aux autorisations d’engagement ; d) par catégorie d’emploi, la répartition
prévisionnelle des emplois rémunérés par l’Etat et la justification des variations par rapport
à la situation existante. Article 41.1 de la directive 06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009
portant lois de finances au sein de l’UEMOA.
68 Marc Leroy, « Paradigme démocratique et réforme des finances publiques », in Jean-Luc

Albert (dir.), Mélanges en l’honneur de Jean-Pierre Lassale, Gabriel Montagnier et Luc Saïdj. Figures
lyonnaises des finances publiques, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 221.
22
juridictionnelle69 ou politique70, est assujetti à une nouvelle responsabilité
gagée sur les objectifs qui lui sont fixés. Autrement pensé, « objectifs, moyens
et liberté, dans la gestion, constituent les éléments sur lesquels repose la responsabilité
managériale »71. Par rapport à cette responsabilité de type managérial72,
« complémentaire de la responsabilité juridique des ordonnateurs »73, Franck
Waserman fait remarquer que « somme toute, la LOLF repose sur l’équation
accordant plus de liberté de décision aux gestionnaires, en échange d’une responsabilité
accrue par rapport à la satisfaction de leurs objectifs »74. D’ailleurs, l’on notera que
la responsabilisation des gestionnaires publics, principe directeur de la

69 L’on précisera sans doute que c’est un contrôle de la gestion telle que celle-ci ressort des
actes émanant des ordonnances, pour en déceler des irrégularités non plus comptables mais
budgétaires. En droit sénégalais, l’ordonnateur est justiciable devant la Chambre de
Discipline financière de la Cour des Comptes, héritière de la Cour de Discipline budgétaire,
sauf à être constitué comptable de fait.
En effet, la loi organique n°99-70 du 17 février 1999 relative à la Cour des comptes,
abrogée et remplacée par la loi organique n°2012- 23 du 27 décembre 2012, a institué une
Chambre de Discipline Financière chargée de sanctionner les fautes de gestion (par
exemple, les infractions à la réglementation en vigueur concernant les marchés publics).
Peuvent être déférés devant la chambre, les agents de l’Etat, des collectivités territoriales ou
des établissements publics, les membres des cabinets, les agents des sociétés nationales ou à
participation publique ou de tout organisme bénéficiant du concours financier public et les
personnes investies d’un mandat public ou exerçant de fait lesdites fonctions. Il s’agit,
depuis 2012, d’une chambre permanente de la Cour des comptes, qui ne peut être saisie
que par un nombre limité de personnes (Président de la République, Président de
l’Assemblée nationale). Elle peut infliger des sanctions financières dont les montants
minimum et maximum sont précisés pas la loi organique. Les arrêts de la chambre peuvent
faire l’objet d’un recours en cassation devant la Cour suprême, statuant en chambres
réunies (article 7 de la loi organique n°2017-09 du 17 janvier 2017 abrogeant et
remplaçant la loi organique n°2008-35 du 08 août 2008 sur la Cour suprême).
70 Aux termes de l’article 14 de la Directive n°07/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009

portant Règlement général sur la Comptabilité publique, « les ordonnateurs sont personnellement
responsables des contrôles qui leur incombent dans l’exercice de leurs fonctions. Ils encourent une
responsabilité qui peut être disciplinaire, pénale ou civile, sans préjudice des sanctions qui peuvent leur être
infligées par la Cour des comptes à raison des fautes de gestion. Dans les conditions définies par la Directive
portant Lois de Finances, les membres du Gouvernement et les présidents des institutions constitutionnelles
encourent, à raison de l’exercice de leurs attributions, les responsabilités que prévoient les Constitutions des
Etats membres ». En outre, il est intéressant de rappeler que dans certains Etats, « la
légitimation heureuse du contrôle des comptes des pouvoirs publics constitutionnels ». Djibrihina
Ouédraogo, « La réforme inachevée de la juridiction financière ivoirienne. A propos de la
loi organique n°2015-494 du 07 juillet 2015 sur la Cour des comptes », in Nicaise Médé
(contributions réunies), Les nouveaux chantiers de finances publiques en Afrique. Mélanges en
l’honneur de Michel Bouvier, op. cit., pp. 228-230.
71 Lamine Koté, « Quelles bases pour la gestion par la performance des finances publiques

dans l’espace UEMOA », p. 6 (à paraître dans Revue de l’Institut supérieur des Finances de
Dakar).
72 Pour d’amples développements, Lamine Koté, « Quelle responsabilité pour les

gestionnaires dans la nouvelle gestion budgétaire », Actes du colloque, La Nouvelles gestion


budgétaire, Dakar 27 et 28 octobre 2016, op. cit., pp. 117-144.
73 Aurélien Baudu, Droit des finances publiques, Paris, Dalloz, coll. HyperCours, 2015, 1 ère éd.,

p. 513.
74 Franck Waserman, Les finances publiques, 8e éd., Paris, La documentation française, 2016,

p. 77.
23
réforme vient d’être mise en lumière de nouveau dans un récent rapport de
la Cour des Comptes française. Il en ressort que « la condition pour que la
responsabilité des gestionnaires sur leurs résultats puisse être recherchée est que ceux-ci
disposent réellement des leviers pour agir sur l’ensemble des moyens consacrés par l’État
aux politiques dont ils ont la charge, en disposant d’enveloppes de crédits sincères (c’est-
à-dire exemptes de sous-budgétisations) et véritablement mises à leur disposition »75.
Sur ces aspects, la réforme de la gestion publique impose de faire la
part entre les fautes de gestion qui ressortiraient à la compétence des
juridictions et l’inefficacité managériale susceptible d’être sanctionnée par
des mesures internes à l’Administration (promotions, indemnités de
performance, sanctions disciplinaires, etc.)76.
Ramenée à ses traits quintessentiels, une nouvelle gestion publique,
souvent appelée new public management, ne devrait pas seulement se fonder
sur le commandement et le contrôle. Elle a besoin d’être autrement
redéfinie, c’est-à-dire en fonction de la performance. Pour cette raison, la
reddition des "comptes" ; ou plus adéquatement "la reddition des
programmes", est une obligation du gestionnaire public qui l’invite à
soumettre, en plus de l’élaboration de comptes administratifs77, des
rapports annuels de performance (RAP) pour les programmes. Le RAP
suit le PAP78, « en se concentrant sur l’exposition des résultats, leur explication, et
leur évaluation. Il décrit les activités conduites au cours de l’année sous revue, comme un
rapport d’activités classique, puis il présente les résultats en matière de performance, sur
la base du suivi des indicateurs figurant dans le PAP et éventuellement d’autres
éléments, et les interprète »79. C’est le baromètre le plus apprécié pour évaluer
l’économie, l’efficacité et l’efficience des programmes budgétaires.
Tout cela, c’est pour montrer l’importance à bien comprendre
l’évolution intervenue dans le statut du gestionnaire public que donne de
constater la gestion par la performance. Encore faut-il remarquer que ces
nouveaux principes directeurs de la gestion publique animent les
dispositifs de gestion de la performance au sein du nouveau cadre
harmonisé des finances publiques dans l’espace UEMOA.
B. Une gestion concertée de la performance
Gérer la performance, c’est dérouler des opérations relatives à la
réalisation des activités d’une organisation pour s’assurer qu’elles
demeurent en adéquation avec la stratégie, les objectifs, les processus et le
contexte.

75 Cour des Comptes, Les finances publiques : pour une réforme du cadre organique et de la
gouvernance, Rapport public thématique, Novembre 2020, p. 138.
76 Jean-Luc Albert, Finances publiques, Paris, Dalloz, 2015, 9e éd., pp. 373-374.
77 Charles Emile Abdou Ciss, « Réforme budgétaire : présentation, état de la mise en œuvre,

impact et perspectives », Le Trésor public, n°1, Avril 2017, p. 6.


78 Noukpo Homegnon, « Le PAP et le RAP : une évaluation ex ante », in Nicaise Médé

(dir.), La LOLF dans tous ses états, op. cit., pp. 481-501.
79 Commission de l’UEMOA, Guide didactique de la Directive n° 06/2009/CM/UEMOA du

26 juin 2009 portant lois de finances au sein de l’UEMOA, op. cit., p. 21.
24
La mise au point d’un dispositif de gestion axée sur la performance
suppose, pour y parvenir, l’élaboration et l’adoption de la charte de gestion
(1) corrélée à l’institutionnalisation du dialogue de gestion (2).
1. La charte de gestion
La performance permet de fixer des objectifs au gestionnaire public
qui reçoit des crédits globalisés au sein de chaque programme, et d’en
apprécier leur utilisation. C’est d’une façon plus générale un moyen de
modernisation de la gestion publique. Sans doute la démarche de
performance inclut-elle une réforme des modalités de travail et de
fonctionnement des administrations publiques80. Toutes choses auxquelles
renvoie la charte de gestion.
C’est en effet un document qui détaille et explique les modalités de
gestion des ressources organisationnelles telles que les ressources
humaines, financières et matérielles au sein d’un organisme. Elle tend à
couvrir l’ensemble des activités associées à des processus de gestion : la
planification, l’organisation, le contrôle et le pilotage.
Même si la charte de gestion peut se révéler sous des formes parfois
différentes (circulaire de cadrage de la gestion des programmes, directive
pour la gestion de la performance), il n’en demeure pas moins que sa
vocation est de clarifier des principes de gestion énoncés et communiqués
aux collaborateurs. Elle offre ainsi un cadre normatif exposant les
pratiques de gestion attendues pour l’ensemble des gestionnaires publics,
et valable pour tous les niveaux hiérarchiques.
A l’échelle ministérielle, elle précise, tout au long de la chaîne de
responsabilité, les orientations et les priorités du programme ainsi que les
modalités de gestion du programme81, en déterminant le périmètre de
responsabilité , les espaces d’autonomie de chacun des acteurs, les
procédures et les outils pour assurer le dialogue de gestion, le calendrier et
les échéances, les canaux garantissant une circulation fluide et transparente
de l’information entre les différents acteurs82. Au principal, la charte de
gestion détermine, dans chaque ministère, les acteurs engagés dans la
chaîne managériale de la gestion83, notamment leurs profils, leurs rôles et
leurs responsabilités ainsi que, le cas échéant, leurs services chargés des

80 Jean-Pierre Duprat, « La dynamique des réformes budgétaires : globalisation des


problèmes, unification des outils et adaptation nationale des solutions », RFFP, n°98, Juin
2007, p. 27.
81 Daouda Kamano, « La gestion managériale et les procédures d’exécution des dépenses en mode budget

de programme : le dialogue de gestion », Communication à la 10e Réunion du Réseau des


Praticiens des Finances publiques, Bamako, 7 au 10 mai 2019.
82 Article 14 alinéas 4 et 5 de décret n° 2020-1020 du 6 mai 2020 relatif à la gestion budgétaire de

l'Etat. Lien : www.budget.gouv.sn, consulté le 15 janvier 2021.


83 Pierrot Seggo, « Gestion budgétaire par la performance au sein des Etats membres de

l’UEMOA : une ambition, quatre défis ! », in Nicaise Médé (contributions réunies par), Les
nouveaux chantiers de finances publiques en Afrique. Mélanges en l’honneur de Michel Bouvier, op. cit.,
pp. 161-164.
25
affaires administratives et financières, des études et de la planification, de
la gestion des ressources humaines, des systèmes d’information, des
archives et de la passation des marchés. Elle spécifie également la
cartographie des programmes, réglemente le dialogue de gestion et
organise le pilotage (modalités de gestion des crédits, suivi de la
performance, contrôle interne de la gestion des programmes, contrôle
externe de l’exécution des programmes)84.
En droit positif ivoirien, le décret n° 2019-81 du 23 janvier 2019
dispose, aux termes de son article premier, que son objet est « de fixer la
charte de gestion des programmes et des dotations (…). Cette charte de gestion définit les
rôles et les responsabilités des différents acteurs participant à la mise en œuvre des
programmes et des dotations ainsi que leurs règles de gestion. Elle décrit également les
règles relatives au pilotage de la performance des programmes ». Dans cette logique,
la charte de gestion précise le périmètre de responsabilité et d’autonomie
de chaque acteur s’impliquant au pilotage des programmes et des
dotations, les règles régissant les relations entre les acteurs, ainsi que les
dispositions en matière d’exercice du contrôle dans la démarche de
performance des programmes.
Ces dispositions sont très approchantes, de celles du décret n°
2020-1020 du 6 mai 2020 « relatif à la gestion budgétaire de l’Etat »85 au
Sénégal. Ce décret détermine, outre le cadre de gestion du budget-
programme, les principaux acteurs qui y interagissent. Sont ainsi
concernés : le ministre et le président d’institution constitutionnelle, le
coordonnateur des programmes (secrétaire général du ministère), le
responsable de la fonction financière (chef du service chargé des affaires
administratives et financières du ministère), le responsable de programme,
le responsable d’action (ou d’objectif intermédiaire d’un programme), le
responsable d’activité (de tâches ou d’un ensemble de tâches
opérationnelles mises en œuvre par les services) et le contrôleur de gestion
(placé sous l’autorité du coordonnateur des programmes)86.
La responsabilisation des acteurs de la gestion doit être adossée à un
système performant de gestion des ressources humaines. Des fiches
emplois-types et des référentiels de compétences87 sont d’importants outils

84 Boubacar Coulibaly, « Charte de gestion ministérielle », Communication à la 10e Réunion


du Réseau des Praticiens des Finances publiques, Bamako, 7 au 10 mai 2019.
85 Au Sénégal, la loi organique n°2020-07 du 26 février 2020 abrogeant et remplaçant la loi

organique n°2011-15 du 08 juillet 2011 relative aux lois de finances (modifiée par celle
n°2016-34 du 23 décembre 2016) inscrit parmi les textes subséquents d’application de ses
dispositions un "décret relatif à la gestion budgétaire de l’Etat".
86 Articles 14 à 22 du décret n°2020-1020 du 6 mai 2020 précité.
87 La compétence se décline en savoirs (connaissance), en savoir-faire (pratique) et en

savoir-être (comportements relationnels), ainsi qu’en aptitudes ou qualifications attachées à


la personne. Pour préciser et compléter, on peut rappeler que : i) la compétence est
produite par un individu ou par un collectif, dans une situation donnée (savoir agir dans un
champ de contraintes et de ressources) ; ii) elle est nommée et reconnue socialement
(validée par l’environnement direct) ; iii) elle correspond à la mobilisation dans l’action d’un
26
devant accompagner l’entrée en fonction des acteurs de la gestion et
faciliter l’appropriation par les agents de l’Etat des rôles et attentes de ces
derniers dans le pilotage de la performance.
Dans sa présentation, chaque fiche emploi-type88 fait état du
positionnement hiérarchique, de la mission de l’emploi, des fonctions, des
activités, des relations fonctionnelles et des compétences requises (savoir,
savoir-faire, savoir-être). En ce qui concerne le référentiel de compétences,
il a pour vocation de profiler les compétences en trois catégories :
compétences techniques, compétences organisationnelles et compétences
relationnelles89. Ces nouvelles compétences attendues rendent impératif le
changement professionnel90.
L’intérêt d’une charte de gestion est de formaliser les règles du jeu
entre le responsable de programme et les acteurs participant à sa mise en
œuvre (services en charge des finances, des ressources humaines ou de
l’équipement, contrôleur de gestion, services déconcentrés, établissements
publics, opérateurs). Il est élaboré généralement à l’échelle de chaque
ministère. L’essentiel de la charte de gestion tient à la détermination des
espaces d’autonomie de chaque acteur (globalisation des crédits et
modalités d’exercice de la fongibilité, cadre de gestion de la performance,
etc.), des espaces de responsabilité de chaque acteur (engagements sur les
objectifs ou sur certains délais de procédure, mise à disposition des crédits,
etc.) et des règles de circulation de l’information.
En dernière analyse, il est à noter, en attendant d’exposer sur le
contrôle de gestion, que la charte de gestion réserve une part considérable
aux supports et principales échéances du dialogue de gestion.

certain nombre de ressources personnelles : connaissances, savoir-faire, aptitudes,


combinée de façon spécifique et complétée par la mobilisation des ressources de
l’environnement, - afin de générer une performance prédéfinie. « Le management des
compétences », Lettres du CEDIP (Centre d’Evaluation, de Documentation et d’Innovations
pédagogiques), n°8, Janvier 1999 ; Lien : http : www.cedip.developpement-durable.gouv.fr, consulté le
20 janvier 2021.
88 L’emploi/fonction a une signification générique : un regroupement (une famille) de

postes de travail ayant des finalités et activités communes et mettant en œuvre des
compétences similaires (exemple : responsable de programme, contrôleur de gestion, etc.).
Par contre, le poste est la plus petite unité organisationnelle de la division du travail. Il
correspond à une situation de travail individuelle observable au sein de la structure, à un
moment donné, dans une organisation donnée. Il renvoie à des responsabilités et tâches
spécifiques au sein d’un emploi/d’une fonction. Voir « Annexe 8 : clarification des
concepts utilisés », Bureau Organisation et Méthodes (BOM), Recueil des fiches emplois-types et
référentiels de compétences des acteurs de la nouvelle gestion publique, Juillet 2019, 1re éd., p. 24.
89 BOM, ibid., p. 7.
90 Qu’il concerne l’aspect individuel ou collectif, le changement doit prendre une dimension

stratégique, c’est-à-dire que l’on se préoccupe de ses effets. Gérard-Dominique Carton,


Eloge du changement, Editions Pearson France, 2004, 2e éd., p. 217.
27
2. Le dialogue de gestion
Si au niveau politique, un dialogue budgétaire se noue entre le
Parlement, l’Exécutif et la Cour des Comptes par le débat d’orientation
budgétaire, le renforcement de l’information du parlement, l’annexe des
PAP et des RAP à la loi de finances initiale, l’assistance de la Cour des
Comptes, l’évaluation des politiques publiques, il convient cependant
d’aviser qu’au niveau opérationnel (exécution des programmes), c’est le
dialogue de gestion qui aide à orienter les échanges vers l’atteinte des
résultats.
Le décloisonnement des entités d’un même ministère raffermit ainsi
le travail en commun autour des priorités clairement identifiées par le
Gouvernement. Le principe même du dialogue de gestion repose, d’une
part, sur l’autonomie du gestionnaire public et, d’autre part, sur
l’imputabilité afin de rendre compte de sa gestion (actions, décisions,
résultats) en considération des ressources mises à sa disposition.
Cette importance justifie d’ailleurs qu’au Burkina Faso, le dialogue
de gestion, outil charpente de la gestion en mode programme, soit institué
par le décret n°2017-0106/PRES/PM/MINEFID portant régime
juridique des ordonnateurs de l’Etat et des autres organismes publics. En
son article 15 alinéa 2, ce décret prescrit qu’« un dialogue permanent appelé
dialogue de gestion doit prévaloir entre le ministre et le RP d’une part et au sein de
chaque programme ou service ». L’article 34 du même décret fait cas également
du dialogue de gestion comme outil par excellence pour le pilotage du
programme.
La principale finalité du dialogue de gestion - on parle aussi
"d’animation de gestion" - est d’optimiser la gestion publique, en
recherchant la performance compte tenu des ressources disponibles. Selon
une étude documentée, « il est au cœur de la nouvelle chaîne de responsabilités
managériales et des notions de performance applicable aux politiques publiques »91.
L’on soulignera à cet égard l’utilité du "Guide du Dialogue de Gestion"
dont la vocation est, au Bénin, « d’orienter les responsables ministériels dans la
prise de certaines décisions telles que : la désignation du Responsable de Programme et
des autres acteurs de la chaîne managériale ; l’élaboration de la charte de gestion
spécifique au département ministériel ; le pilotage du processus du dialogue de
gestion »92. Ce dispositif de partage d’informations nourrit le pilotage
optimal de la performance. D’une part, les processus d’échanges entre les
différentes sphères managériales, relativement aux volumes de moyens et
aux objectifs assignés, conduisent notamment à l’élaboration des DPPD,
des budgets opérationnels de performance, des projets annuels de
performance et des rapports annuels de performance. Ils portent sur la
performance et, selon le cas, relativement à la planification des dépenses, à

BOM & LuxDev, Charte de gestion du Sénégal, Mars 2018, p. 8.


91
92Circulaire n° 2020/3008/MEF/DC/UCR/DGB/SP du 22 décembre 2020 relative à la
mise à disposition et à l’exploitation du Guide actualisé du dialogue de gestion.
28
la programmation des activités et à l’allocation des moyens. D’autre part,
en concourant à la satisfaction de la demande d’informations, le dialogue
de gestion participe à la régulation du pilotage de la gestion publique. Dans
une structure publique, les acteurs de gestion éprouvent le constant besoin
de rendre compte des résultats, de faire les suivis, de décider d’orientations
communes ou de proposer des ajustements conjoints.
Les relations de dialogue entre les acteurs réunis autour de la
gestion d’un programme peuvent être de type vertical ou horizontal. Dans
le cas du dialogue vertical, les idées échangées entre des niveaux
hiérarchiques différents sont dirigées vers l’avancement opérationnel des
activités, l’atteinte des résultats, et les mesures de suivis et d’actions
correctives. S’agissant du dialogue horizontal, c’est-à-dire entre des
gestionnaires publics de même niveau hiérarchique dans un programme ou
encore avec des responsables de fonctions-supports93, il est déterminé par
le partage d’enjeux relatifs à la performance commune et l’analyse de la
part contributive (positive ou négative) de chacun des acteurs de la gestion
pour l’atteinte des objectifs.
Au demeurant, ce processus d’échanges organise le nouveau rôle
des acteurs tout au long de la chaîne managériale. Au niveau central, il
impulse une réflexion stratégique féconde sur les leviers d’action opérants
et une analyse prospective sur les modalités et l’organisation de la gestion.
Entre le niveau central et le niveau déconcentré, il est fondamental pour la
prise en compte du contexte de chaque territoire dans l’articulation des
priorités nationales et territoriales. Au niveau déconcentré, le dialogue de
gestion renforce l’implication de tous les acteurs dans l’exécution des
programmes, le partage des enjeux au niveau de chaque territoire et la mise
en cohérence des activités menées par les différents services sur le
périmètre du budget opérationnel de programme.
Les innovations du nouveau cadre harmonisé des finances
publiques rénovent le dialogue de gestion. Le responsable de programmes
est « gardien, animateur »94, un stratège voire un « maître de par ses compétences
substantielles »95 puisqu’il est chargé, sur la base d’objectifs généraux fixés
par le ministre sectoriel, de déterminer les objectifs spécifiques, d’affecter
les moyens et de contrôler les résultats des services en charge de la mise en
œuvre. Aussi faut-il indiquer que cette organisation rénovée de la
performance opérationnelle doit s’accompagner d’un autre volet

93 Soit un ensemble des fonctions dites d’état-major (direction générale, étude et recherche,
communication, conseil juridique, contrôle interne) et aux fonctions de gestion des moyens
(personnel, budget-finances, immobilier et équipement, informatique, système
d’information, etc.) d’une institution. « Glossaire » in Commission de l’UEMOA, Guide
didactique de la Directive n° 06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 portant lois de finances au sein
de l’UEMOA, op. cit., p. 11.
94 Xavier Inglebert, Manager la LOLF. Pratiques de la nouvelle gestion publique, op. cit., p. 297.
95 Gérard Martin Pekassa Ndam, « La dialectique du responsable de programme en finances

publiques camerounaises : recherche sur les nouveaux acteurs budgétaires », op. cit., p. 306.
29
déterminant de la gestion publique, à savoir un dispositif destiné à
améliorer, de façon continue, la performance organisationnelle.
II. Un dispositif d’amélioration continue de la performance
organisationnelle
La performance organisationnelle est la capacité d’une entité
administrative à se structurer (planification, organisation, contrôle) de
manière optimale dans le but d’améliorer sa performance opérationnelle
sur une période donnée96. Elle suppose notamment l’existence d’un cycle
de diagnostic et de contrôle dans l’optique de performer les processus
organisationnels et fonctionnels.
A cette mission, participent, à la fois, l’optimisation des structures et
des processus (1) et le contrôle anticipatif (2).
A. Des structures et processus optimisés
Les structures et processus déterminent, dans une organisation, les
conditions et les modalités de transformation des crédits et des emplois en
performance. Leur organisation et leur fonctionnement ont besoin de
s’adapter, de façon continue, aux contraintes de la performance en relation
avec l’environnement institutionnel, économique et social.
C’est là où se forme, parmi tant d’autres outils dédiés à
l’amélioration de la performance, l’intérêt pour l’audit organisationnel et
fonctionnel (1) ou l’auto-évaluation des organisations publiques (2).
1. L’audit organisationnel et fonctionnel
Objectivement, toute organisation est régie par de nombreux
processus comme maillons intégrés de la chaîne de valeur. Chaque
processus est un ensemble organisé d’activités interdépendantes qui
transforment, de manière efficiente, des ressources ou facteurs en produits
et services à délivrer aux "clients" (citoyens, usagers, contribuables), ainsi
qu’en impacts (résultats) sur la société97. Ces processus doivent
régulièrement être soumis à un audit organisationnel et fonctionnel.
L’audit ainsi qualifié est une méthode d'analyse qui aide à comprendre les
structurations formelle et apparente d'un service. S’il est performant, il doit
agir efficacement sur les processus organisationnels et fonctionnels98.
La démarche consiste à produire une "photographie" claire et
organisée de la situation, un "état des lieux de l'existant" à partir duquel
des propositions d'amélioration concrètes seront formalisées et proposées
aux dirigeants et équipe de direction. Et partant, une réorganisation peut
être entreprise à divers niveaux de fonctionnement : les processus

96 Lien : www.advaloris.ch, consulté le 20 janvier 2021.


97 Richard Soparnot, Stratégie des organisations, Paris, Hachette, 2010, p. 73.
98 Pour illustrer, Ministère de la Santé (Burkina Faso), Audit institutionnel et organisationnel de la

Direction générale des Etudes et statistiques sectorielles, Juin 2015, 71 p.


30
métiers99, les processus supports100 et les processus de management
(pilotage de l’organisation).
Dans le prolongement de cette définition, on peut aisément retenir
que l’audit organisationnel et fonctionnel a pour effet de dégager une
vision globale du fonctionnement des administrations publiques.
Concrètement, il conduit à l’amélioration des prestations ou à la
remédiation des dysfonctionnements, avec l'appui d'un regard extérieur
objectif. C’est un puissant levier indispensable à l’amélioration de la
performance à travers, d’abord, une observation objective de l’organisation
et du fonctionnement des différents secteurs d’activités101, ensuite, une
identification claire des forces et faiblesses et, enfin, une meilleure
documentation des scénarii de réorganisation.
Bien entendu, le procédé d’audit organisationnel et fonctionnel
n’épuise pas à lui seul la thématique de la modernisation de
l’Administration. Mais, il présente l’avantage de « veiller dans un esprit de
transparence et de coopération, à se prononcer en particulier sur le niveau de
performance actuel (coût, qualité et délai), la vision cible envisagée, les gains attendus et
le plan de transformation quantifié en termes de délais et de ressources nécessaires »102.
Dans une vision renouvelée de l’organisation, « les différents services ne sont

99 Les processus métiers réalisent un des objectifs de l’organisation : par exemple, pour une
Délégation générale à la Protection sociale et à la Solidarité nationale, il est mis l’accent sur
les bourses de sécurité familiale, les interventions d’urgence, la protection sociale
adaptative.
100 Les processus supports, qui soutiennent et gèrent les ressources nécessaires, sont des

activités, généralement transversales, qui assurent le bon fonctionnement de l’organisation


(planification, contrôle de gestion, audit interne, passation de marché, communication,
gestion financière et gestion des ressources humaines).
101 C’est une des missions clés du Bureau Organisation et Méthodes. Créé en 1968 par le

Président Léopod Sédar Senghor, ce service de la Présidence de la République a été chargé


de promouvoir une administration organisée et efficace (cf. Bocar Niane, Les élites politico-
administratives sénégalaises et Le national, de l’époque coloniale aux années 1990 : mutations et
invariants, Thèse de doctorat d’Etat, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 2008, p. 251).
Plus récemment, le décret n°2016-300 du 29 février 2016 renouvèle ses attributions : « i)
mener des audits stratégiques, opérationnels et fonctionnels pour améliorer l’action
publique ; ii) veiller à l’adaptation permanente de l’organisation des services de l’Etat aux
mutations de l’environnement économique, social et technologique ; iii) coordonner et
animer, en liaison avec les autres administrations, la formulation, la mise en œuvre et
l’évaluation de la politique de formation permanente des agents de l’Etat ; iv) contribuer au
renforcement des capacités des ressources humaines de l’Administration publique ; v)
contribuer à l’amélioration de la gouvernance des agences d’exécution et des entreprises
publiques ; vi) mener toute action, avec les acteurs étatiques et non étatiques, destinée à
améliorer le service rendu aux usagers ; vii) informer les autorités compétentes sur les
performances de l’Administration publique ; viii) participer à la formulation des politiques
publiques ; ix) participer au suivi et à l’évaluation des politiques publiques ; x) promouvoir,
au sein de l’Administration publique, la culture du résultat, de la transparence, de
l’évaluation, de la responsabilité et de la qualité ».
102 Eric Gristi, La réforme de l’Etat, op. cit., p. 261.

31
pas alors considérés comme des ilots, mais comme des apporteurs de valeur ajoutée pour
l’obtention du résultat final, évalués à l’aune de celle-ci »103.
Dans son déroulé, l’audit organisationnel se décline en différentes
phases : i) une note de cadrage de la mission (compréhension de la
mission, orientation méthodologique, séquencement des étapes) ; ii) un
exercice de diagnostic organisationnel et fonctionnel (recueil et analyse
documentaires, entretiens individuels, ateliers collaboratifs, etc.) ; iii) une
synthèse et des préconisations (rapports d’audit mettent en évidence des
points forts et des points d'amélioration, des préconisations et un plan
d'actions) ; iv) une séance de restitution (présentation de l'ensemble de
résultats du diagnostic et du plan d'actions à la gouvernance politique, à
l’équipe de direction et aux professionnels).
En France, on se le rappelle, des « audits de modernisation »104 avaient
été initiés en 2005 pour moderniser l’action publique, mais c’est seulement
à partir de 2007 que ceux-ci sont systématisés à l’ensemble des ministères
sous le label "Révision générale des Politiques publiques" (RGPP) portée
par trois axes principaux : la réduction des dépenses publiques,
l’amélioration de la qualité des services publics et la modernisation de la
fonction publique. Dans le fond, la RGPP a eu d’abord pour objectif
de réaliser des économies budgétaires sur la base de deux principales
pistes : la rationalisation des dépenses en personnel et l’optimisation
organisationnelle. Au final, plusieurs réformes administratives majeures qui
ont contribué à simplifier les relations entre les usagers et l'administration,
et facilitant parfois l'accès aux services publics, sont à mettre à l'actif de la
RGPP105.
Dans le contexte de l’UEMOA, il est apparu nécessaire de prendre
en charge les implications organisationnelles et fonctionnelles afférentes à
la réforme budgétaire. En marquant le passage d’un budget de moyens à
un budget de résultats, la Directive n° 06/2009/CM/UEMOA du 26 juin
2009 portant Lois de Finances au sein de l’UEMOA induit des
changements substantiels dans la gouvernance de l’Administration. Le
changement de paradigme pose le besoin de prendre en compte les

103 Partick Iribarn, Stéphane Verdou, La haute performance publique. Comment piloter et évaluer les
performances des organismes publics, AFNOR éditions, 2008, p. 38.
104 La circulaire du 29 septembre 2005 souligne que les audits de modernisation ne sont pas

des missions de vérification des services en ce sens qu’ils doivent « déboucher sur des
propositions de simplifications concrètes, d’améliorations de qualité du service rendu tangibles et sur des
gains de productivité dont on recherchera la mobilisation à la plus brève échéance ». En pratique, l’audit
de modernisation a consisté à mandater, sur proposition des ministères, les inspections,
assistées de consultants lorsque le sujet s’y prête, afin d’auditer un service, une procédure,
une fonction significative ou un dispositif d’intervention et de formuler des
recommandations opérationnelles pour améliorer la qualité du service et dégager des gains
de productivité. Frank Mordacq, La réforme de l’Etat par l’audit, op. cit., p. 9.
105 Laurent Musine, « La revue générale des politiques publiques (RGPP) : quel bilan, quels

enseignements pour réformer l’Etat ? », Octobre 2012, Lien : www.bsi-economics.org, consulté


le 25 janvier 2021.
32
implications en termes d’adaptation de l’organisation administrative aux
exigences d’efficacité, d’efficience et d’économie. Cela fonde la
préoccupation fondamentale d’interroger la structure organisationnelle
actuelle sous le prisme de l’approche programme et de proposer les
schémas d’organisation appropriés. Le processus d’adaptation de
l’organisation administrative constitue, sous ce rapport, un vaste chantier
pour asseoir les bases d’une véritable culture de résultats. Plus nettement, il
s’agit de trouver la congruence entre le « cadre de performance des
programmes »106 et l’organisation des structures administratives chargées de
les mettre en œuvre. Il en résulte diverses interrogations : comment mettre
en place une architecture administrative cohérente, répondant mieux à la
logique de performance ? Conviendrait- il de privilégier l’approche souple
en partant de l’existant en termes de structures administratives ? Faudrait-il
procéder à une refonte du système administratif actuel et partir des
programmes pour proposer une nouvelle configuration administrative ?
Le réalisme prévalant, le choix est mis sur l’adaptation
organisationnelle. Véritablement, l’audit organisationnel et fonctionnel
peut permettre, dans la mise en œuvre de la réforme des finances
publiques, d’adapter la structure organisationnelle à l’architecture des
programmes. Il s’agit de faire ressortir les structures porteuses d’actions
dans chaque programme, d’établir les liens ou l’articulation entre missions
des structures et actions ou activités de mise en œuvre des programmes, de
pointer les chevauchements ou conflits de compétences potentiels
constatés, et de formuler des préconisations adaptatives107.
2. L’auto-évaluation des administrations publiques
Une démarche d’auto-évaluation des administrations publiques
destinée à établir un diagnostic et à définir des actions d’amélioration
continue de la performance organisationnelle est une préoccupation certes
récente mais légitime.
L’origine du modèle CAF remonte à la première conférence
européenne de qualité en mai 2000 au Portugal pendant laquelle les
ministres européens responsables du service public ont pris l’initiative
d’adopter un système d’évaluation de la qualité pour les administrations
publiques. C’est surtout dans le cadre du Réseau des Administrations
publiques européennes (EUPAN) que s’est ressenti l’intérêt de développer
un outil global visant à accompagner les administrations publiques dans
leur quête d’amélioration continue. Le concept est opérationnalisé, par la
suite, avec l’appui de divers organismes européens dont l’Institut européen

106 Dans ce cadre, les dépenses du budget seront ventilées en programmes et sous-
programmes, dans le but de rendre la politique plus lisible. Pour mieux mesurer et
améliorer l’efficacité de l’exécution du budget, la stratégie, les objectifs, et les indicateurs de
performance sont déterminés.
107 Pour une déclinaison opérationnelle, voir BOM, Guide pratique de conduite des missions de

diagnostics organisationnels, 2018, 19 p.


33
d’Administration publique (IEAP). La version pilote de mai 2000 a
progressivement évolué pour intégrer les évolutions de la société et de la
gestion publique (dont le plus récent est le modèle CAF 2020). En
répondant à cette attente, le Cadre d’autoévaluation des Fonctions
publiques (CAF), dérivé de l’anglais « Common Assessment Framework »,
devenait, en mai 2000108, le premier instrument européen de gestion de la
qualité109. En particulier, le CAF est un outil de gestion de la qualité totale
développé par le secteur public pour le secteur public, sous l’inspiration du
modèle d’excellence de la Fondation européenne pour la Gestion de la
Qualité (EFQM). Dans ses principes, il a des convergences voire des
affinités avec différentes méthodes et outils de management de la qualité
totale ou gestion de la qualité - Total Quality Management (TQM)110, dont la
norme ISO 9001. La qualité y est conçue comme l’aptitude à répondre aux
exigences, c’est-à-dire à satisfaire les besoins explicites ou implicites des
"clients" des administrations publiques.
Etant « spécialement développé pour les organisations du secteur public » dans
l’esprit des principes de bonne gestion au moyen d’une démarche d’auto-
évaluation111, « le CAF offre aux administrations publiques la possibilité d’évaluer
de manière autonome la qualité de leurs prestations (production de prestations, résultats
de prestations, etc.) et permet d’aborder de cette façon, sans trop de difficultés, le
management de la qualité »112. Dans son déploiement, il évalue l’organisation
sous différents angles en même temps, adoptant ainsi une approche
globale dans l’analyse des performances. Cela en fait un modèle général
traitant de tous les aspects de l’excellence organisationnelle113 et dont les
objectifs principaux visent l’initiation des administrations publiques à la
culture de l’excellence et aux principes de la gestion de la qualité totale, la

108 Entre autres, Nobert Thom, Andrian Ritz, Management public. Concepts innovants dans le
secteur public., 1re éd., Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2013, p.
8 ; Annie Bartoli, Cécile Blatrix, Management dans les organisations publiques. Défis et logiques
d’action, Paris, Dunod, 2015, 4e éd., p. 130. Jean-Marc Dochot, « Le mouvement vers la
qualité dans les Services publics de l’Union européenne et le Cadre d’Auto-évaluation des
Fonctions publiques (CAF) », in Pyramides, Revue du Centre d’Etude et de Recherches en
Administration publique, 5/2002, pp. 101-120.
109 Forgé au Japon, le concept de Qualité Totale ou Total Quality Management (TQM),

combine deux facteurs : faire mieux avec moins de ressources.


110 Les sept principes de management de la qualité, également ceux qui le sous-tendent

sont : i) orientation client ; ii) leadership ; iii) Implication du personnel ; iv) approche
processus (processus corrélés fonctionnant comme un système cohérent) ; v) amélioration
(une volonté constante d’améliorer ses performances); vi) Prise de décision fondée sur des
preuves ; vii) management des relations avec les parties intéressées.
111 Patrick Staes, Nick Thijs, « Le management de la qualité : un instrument de

réglementation européenne "par le bas" », RFAP, n°119, 2006/3, pp. 493 à 513,
112 Nobert Thom, Andrian Ritz, Management public. Concepts innovants dans le secteur public.,

Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2013, 1re éd., p. 172.


113 Le réseau européen des correspondants nationaux CAF et le Centre européen de

ressources CAF à l’IEAP, « Préface », in L’amélioration des organisations publiques par l’auto-
évaluation. CAF 2013, p. 7.
34
pratique du cycle PDCA (Plan-Do-Check-Act)114, l’exercice de l’auto-
évaluation et l’apprentissage par échange d’expériences (benchlearning) entre
entités du secteur public.
Sous cet ordre de réflexion, se pose une question centrale : quel est
le principe qui gouverne le CAF ? En réponse, c’est celui qui démontre
que les résultats en matière de performances clés, les résultats auprès des
citoyens/clients, du personnel et de la société peuvent tendre vers
l’excellence grâce à la capacité des gestionnaires à donner une impulsion en
matière de stratégie et de planification, de ressources humaines, de
partenariats, de ressources, et de processus115.
Pour atteindre la finalité d’amélioration globale, le modèle CAF
mise sur neuf (09) critères répartis en facteurs et en résultats. Les critères 1
à 5 concernent les pratiques managériales d’une organisation, ce que l’on
appelle les « facteurs ». Ils déterminent les activités de l’organisation et
l’approche à adopter pour parvenir aux résultats souhaités. Ces
facteurs répartissent les bonnes pratiques de management en « critères » : les
critères 1 à 5 correspondent aux leviers managériaux de toute organisation :
leadership, stratégie et planification, personnel, partenariats et ressources,
processus ; les critères 6 à 8 estimés par des mesures de perception et de
performance concernent les « résultats » obtenus auprès des
citoyens/clients, du personnel et de la société, et le critère 9 s’applique aux
« performances clés » mesurant les résultats liés essentiellement à la réalisation
des objectifs stratégiques et à la gestion des ressources.
Dans ses grands traits, le modèle CAF promeut l’amélioration de la
performance globale dans le secteur public (satisfaction des citoyens,
usagers, contribuables, satisfaction des collaborateurs, économie des coûts,
des délais et des risques). Le modèle soutient que l’excellence des résultats
dans tous les domaines d’une organisation (économie, client, social) est
tributaire de la capacité de l’équipe dirigeante à définir une stratégie claire
et à impulser de bonnes pratiques de management du personnel, des
ressources, des partenariats et des processus. L’auto-évaluation permet
principalement de découvrir les points forts et les points à améliorer ainsi
que les actions d’amélioration correspondantes. Pour ce faire, tous les
aspects du fonctionnement d’une organisation sont soumis à une
évaluation rigoureuse mais aussi toutes les composantes de l’organisation
qui ont des effets les unes sur les autres.

114 Baptisé la « roue de Deming » : une représentation graphique de la méthode de gestion


de la qualité baptisée PDCA (Plan-Do-Check-Act) qui organise un modèle d'amélioration
continue utilisé en management de la qualité, en permettant de repérer avec simplicité les
étapes à suivre pour améliorer la qualité dans une organisation.
115 Les principes d’excellence intégrés dans la structure du modèle CAF : Les huit (08)

principes d’excellence sous-jacents : i) orientation résultats, ii) orientation citoyens/clients ;


iii) leadership et constance des objectifs dans un environnement en évolution, iv) gestion
par les processus et les faits (décisions concrètes sont fondées sur l’analyse de données et
d’informations), vii) développement de partenariat, viii) responsabilité sociétale.
35
Par essence, le modèle CAF conforte la légitimité de la logique
managériale dans le secteur public. Il donne du relief à une finalité
commune avec la réforme des finances publiques dans les Etats membres
de l’UEMOA, consistant à optimiser les processus pour satisfaire le
client/citoyen116. C’est alors un moyen « de mieux articuler les réformes
d’organisation et de gestion des ressources humaines vers la démarche de performance de
la dépense publique »117.
La transposition du modèle CAF est en voie de devenir une
réalité118, notamment au Sénégal où son implémentation est en cours de
maturation au sein de certaines structures publiques : Direction centrale
des Marchés publics (DCMP), Office national de la Formation
professionnelle (ONFP), Agence de Développement des Petites et
Moyennes entreprises (ADPME), Société d’Aménagement de la Petite
Côte (SAPCO), Fonds de Financement de la Formation professionnelle et
technique (3FPT)119. Dans le même temps, le CAF connaît des débuts
prometteurs au Burkina Faso à l’initiative du Fonds d’Intervention pour
l’Environnement (FIE)120.
A bon escient, ces mouvements vers la qualité des services publics
pourraient devenir un réel atout dans la concrétisation des innovations
prescrites par la nouvelle réforme des finances publiques, à condition
toutefois d’être assorties d’un dispositif de contrôles concomitant au
pilotage de la performance.
B. Des contrôles managériaux intégrés
Le fait de prévoir et de mettre en action des contrôles intégrés dans
le dispositif de pilotage de la performance est l’autre volet d’une gestion
managériale performante. En fonction du critère mis en avant, il y a lieu de
distinguer, sur une autre échelle de comparaison classique, entre plusieurs
contrôles : le contrôle interne et le contrôle externe, le contrôle
administratif et le contrôle juridictionnel, le contrôle a priori et le contrôle a
posteriori.
Mais en l’espèce, le propos s’en tient aux contrôles managériaux
opérant une distinction entre le contrôle financier et le contrôle de gestion,

116 Lien : www.performance-publique.budget.gouv.fr, consulté le 25 janvier 2021.


117 Eric Gristi, La réforme de l’Etat, op. cit., p. 252.
118 Pour la plupart des Etats ouest africains francophones, l’auto-évaluation est jusque-là

une démarche balbutiante dans les administrations douanières sous l’impulsion de


l’Organisation mondiale du Commerce (OMC). Voir Accord de l’OMC sur la facilitation des
échanges. Guide d’auto-évaluation, Lien : www.tfafacility.org, consulté le 25 janvier 2021.
119 Avec l’accompagnement technique du BOM, en partenariat avec la Coopération

Sénégal-Luxembourg
120 Dans sa démarche vers l’excellence, le FIE, structure pionnière, compte également sur

son partenariat avec l’Agence Luxembourgeoise pour la coopération au développement


(LuxDev) et l’accompagnement du BOM du Sénégal. Lien : www.fie-burkina.org, consulté le
25 janvier 2021.
36
des contrôles concomitants (1) et le contrôle interne, un contrôle
anticipatif (2).
1. Des contrôles concomitants : le contrôle financier et le
contrôle de gestion
Dans l’étude du contrôle financier121, il s’impose de préciser son
caractère interne à l’Administration. Exercé sur les ordonnateurs, il est
assuré par des fonctionnaires rattachés au Ministère des Finances
garantissant, dans chaque ministère sectoriel, la régularité de l’engagement
de la dépense publique (opérations d’engagement, de liquidation et
d’ordonnancement)122. L’article 88 de la Directive
n°07/2009/CM/UEMOA portant Règlement général sur la Comptabilité
publique au sein de l’UEMOA le définit ainsi : « Les contrôles a priori exercés
par les contrôleurs financiers portent sur les opérations budgétaires. Tous les actes des
ordonnateurs portant engagement de dépenses, notamment les marchés publics ou
contrats, arrêtés, mesures ou décisions émanant d’un ordonnateur, sont soumis au visa
préalable du Contrôleur financier. Ces actes sont examinés au regard de l’imputation de
la dépense, de la disponibilité des crédits, de l’application des dispositions d’ordre
financier, des lois et règlements, de leur conformité avec les autorisations parlementaires,
des conséquences que les mesures proposées peuvent avoir sur les finances publiques.
Toute ordonnance de paiement, tout mandat de paiement ou toute délégation de crédits
ne peut être présenté à la signature de l’ordonnateur qu’après avoir été soumis au visa du
Contrôleur financier ou de son délégué. Les ordonnances ou mandats de paiement et les
délégations de crédits non revêtus du visa du Contrôleur financier ou de son délégué sont
nuls et de nul effet. Le Contrôleur financier ou son délégué s’assure notamment que les
ordonnances et les mandats se rapportent à un engagement de dépenses déjà visé par lui.
Si les titres de paiement lui paraissent entachés d’irrégularités, il doit en refuser le
visa »123.

121 Signalons, à titre de précision, qu’il existe au Sénégal un service dénommé « Contrôle
financier » institué par décret n° 67-150 du 10 février 1967, faisant suite à l’ordonnance n°
59-53 SG du 31 mars 1959 créant un contrôle financier au Sénégal, dont l’ancêtre est le
décret n° 52-1356 du 19 décembre 1952 relatif au contrôle financier dans les territoires
d’Outre-mer et au Cameroun. Rattaché au Secrétariat général de la Présidence de la
République, le Contrôle financier est placé sous l’autorité du « Contrôleur financier », assisté
par des « Contrôleurs d’Etat ». Le décret n° 78-085 du 1er février 1978 portant organisation
du Contrôle financier fixe ses attributions portant contrôle permanent de l’exécution des
opérations financières de l’Etat et suivi de la gestion des organismes publics (établissements
publics ou sociétés d’économie mixte et personnes morales bénéficiant du concours
financier de la puissance publique).
122 Mor Fall, Ibrahima Touré, Finances publiques. Approche théorique et pratique, L’Harmattan-

Sénégal, 2018, pp. 264-276 ; Mahady Diallo, La comptabilité publique des Etats africains
francophones. Pratiques postcoloniales et grandes misères actuelles, NEAS, Dakar, 2015, pp. 406-411.
123 La conséquence à tirer de ces dispositions est la suivante : « Le Contrôleur financier est

personnellement responsable des contrôles portant sur la disponibilité des crédits, sur la vérification des prix
par rapport à la mercuriale en vigueur et, au titre de la validité de la créance, sur l’exactitude des calculs de
liquidation de la dépense. Si les mesures proposées lui paraissent entachées d’irrégularités au regard des
dispositions qui précèdent, le contrôleur financier refuse son visa. En cas de désaccord persistant, il en réfère
au ministre chargé des finances. Il ne peut être passé outre au refus de visa que sur autorisation écrite du
37
Dans la réforme des finances publiques, le contrôleur financier
pourrait ainsi continuer, au rebours de l’esprit de la réforme, à appliquer
un contrôle d’opportunité sur la dépense qui attire ces critiques : « En
premier lieu, on reproche au contrôle financier d’être, en fait, trop souvent un contrôle de
l’opportunité de la dépense, alors qu’il ne devrait être qu’un contrôle de régularité. (…)
En second lieu, on reproche au contrôle financier d’être trop rigide. Certes, le respect de
la régularité budgétaire est nécessaire, mais il y a des circonstances où elle n’est pas
compatible avec le bon fonctionnement du service public »124.
Par ces mots, il y a lieu donc de reconnaître que les pouvoirs du
contrôleur financier restent tout aussi importants que dans le contexte des
directives et pratiques précédentes des finances publiques de l’UEMOA.
Le contrôleur financier a toujours « la possibilité d’apprécier les "conséquences que
les mesures proposées peuvent avoir sur les finances publiques", ce qui s’apparente à un
contrôle d’opportunité envers le responsable du programme. Le contrôleur financier
pourrait-il se fonder sur des motifs tirés de l’opportunité de la dépense pour en refuser le
visa ? Le responsable du programme n’est pas prémuni de cette situation par la
directive, ce qui fait du contrôleur financier le véritable maître du jeu »125. D’ailleurs,
c’est tout aussi l’idée de Nicaise Médé démontrant que « le contrôleur financier
et ses délégués restent, à priori, seuls maîtres de l’appréciation de la qualité et de
l’efficacité de la gestion de l’ordonnateur, ce qui, en définitive, fait du pouvoir de gestion
autonome conféré à l’ordonnateur responsable de programme, des faveurs discrétionnaires
à la diligence du contrôle financier »126.
Malgré tout, le nouveau régime financier élargit les prérogatives des
contrôleurs financiers. Ce faisant, il institue un contrôle a priori et surtout
un contrôle a posteriori contributif au pilotage de la performance. Et c’est là
même tout le sens et la pertinence, pour ne citer que le cas du Togo,
certaines dispositions des articles 87, 88 et 90 du décret n° 2015-054/PR
du 27 août 2015 portant Règlement général sur la Comptabilité publique,
reprenant, à l’identique, celles de la Directive n° 07/2009/CM/UEMOA
du 26 juin 2009 portant Règlement général sur la Comptabilité publique,
en ces termes : « Les contrôleurs financiers exercent des contrôles a priori et a
posteriori des opérations budgétaires de l'Etat. Ils relèvent du ministre chargé des
Finances et sont placés auprès des ordonnateurs. Les contrôles a priori exercés par les
contrôleurs financiers portent sur les opérations budgétaires (…). Les contrôleurs
financiers évaluent a posteriori les résultats et les performances des programmes, au

ministre chargé des finances. Dans ce cas, la responsabilité du ministre chargé des finances se substitue à
celle du contrôleur financier ». Article 92 de la même Directive n°07/2009/CM/UEMOA
portant Règlement général sur la comptabilité publique précitée.
124 Loïc Philip, Finances publiques. Les dépenses publiques, le droit budgétaire et financier, t. 1, Paris,

Cujas, 2000, pp. 341-342.


125 Mamadou Djitté, La responsabilité personnelle pécuniaire du comptable en droit public financier,

Thèse de doctorat, Université Gaston Berger de Saint-Louis, 2020, p. 276.


126 Nicaise Médé, « Réflexion sur le cadre harmonisé des finances publiques dans l’espace

UEMOA », Afrilex, 2012, p. 23, Lien : http://afrilex.u-bordeaux4.fr, consulté le 27 janvier


2021.
38
regard des objectifs fixés des moyens utilisés et de l'organisation des services des
ordonnateurs ».
De cet ordre d’idées, le nouveau cadre harmonisé des finances
publiques au sein de l’UEMOA tend à rénover en profondeur l’institution
du contrôle financier127 lequel a pour fonction de veiller au caractère
soutenable tant des documents prévisionnels de gestion élaborés par les
responsables de crédits que des actes de dépense les plus importants pris
par les ordonnateurs. La prévention du risque budgétaire constitue donc le
cœur du nouveau contrôle financier128.
A propos du contrôle de gestion, il a fallu, en l’absence d’une
disposition spécifique, se référer aux dispositions incidentes des directives
communautaires évoquant les prorogatives respectives du responsable de
programme, de la Cour des Comptes et du contrôleur financier. Primo,
l’article 13 de la Directive n°06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009
portant Lois de Finances au sein de l’UEMOA dispose que le "responsable
de programme" s’assure du respect des dispositifs de contrôle interne et de
« contrôle de gestion ». Secundo, les prérogatives de la Cour des comptes sont
étendues à l’avis sur le système de contrôle interne et « le dispositif de contrôle
de gestion », ainsi que sur la qualité des procédures comptables et des
comptes, et sur les rapports annuels de performance ; cet avis est
accompagné de recommandations sur les améliorations souhaitables
(article 51 alinéa 2). En outre, elle exerce « un contrôle sur la gestion des
administrations en charge de l’exécution des programmes et dotation » et « émet un avis
sur les rapports annuels de performance » (article 75)129. Tertio, les dispositions de
l’article 91 de la Directive n° 07/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009
portant Règlement général sur la Comptabilité publique font prévaloir que
le "contrôleur financier" adapte les modalités de mise en œuvre de ses

127 A partir de 2006 en France, un contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM),


placé sous l'autorité du ministre chargé du Budget, est installé au niveau central auprès des
ordonnateurs principaux de l'État de chaque ministère pour l’amélioration de la sécurité et
de la fiabilité de la chaîne de la dépense, dans l'esprit de la loi organique relative aux lois de
finances (LOLF) et de la réforme du contrôle financier. Il est chargé réellement d’assurer le
contrôle budgétaire au sein d’un ministère, d’en être le comptable public et de transmettre
aux autorités budgétaires et à l’ordonnateur principal un rapport annuel sur l’exécution
budgétaire et une analyse de la situation financière du ministère. Dans sa mission
comptable, il est assignataire des ordres de dépenses et de recettes de l'ordonnateur
principal. Il concourt également à la tenue et à l'établissement des comptes de l'État et
s'assure, conformément à l'article 31 de la LOLF, de la sincérité des enregistrements
comptables et du respect des procédures comptables. Garant de la qualité comptable des
opérations, il fiabilise notamment les opérations d’inventaire. Lien : www.performance-
publique.budget.gouv.fr, consulté le 27 janvier 2021 ; Amavi Gustave Kouevi, « Le contrôle,
l’évaluation et l’audit, outils d’une gestion budgétaire performante ? », in Annales africaines,
Actes du colloque, Dakar, 27 et 28 octobre 2016, p. 152.
128 « Glossaire » in Commission de l’UEMOA, Guide didactique de la Directive n°

06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 portant Lois de Finances au sein de l’UEMOA, p. 25.


129 Abdourahmane Dioukhané, Les juridictions financières dans l’UEMOA. La Cour des Comptes

du Sénégal, Paris, L’Harmattan, 2016, p. 136.


39
contrôles au regard de la qualité et de l’efficacité aussi bien du contrôle
interne que « du contrôle de gestion mis en œuvre par l’ordonnateur » 130.
A cet égard, le contrôle de gestion n’est pas un contrôle au sens
usuel du terme131 ; il est même qualifié de « contrôle extra-juridictionnel » 132.
Elément déterminant du pilotage d’un ministère ou d’un programme, il
alimente en données objectives le dialogue de gestion entre les différents
niveaux de l’administration en clarifiant les règles de performance. Intégré
dans le pilotage d’un programme, il a pour vocation d’améliorer le rapport
entre les moyens engagés, l’activité développée et les résultats obtenus.
Cela incite à comprendre qu’« en dotant les gestionnaires de libertés et de
responsabilités nouvelles, la LOLF modernise l’État en profondeur. Centrée sur la
performance, en prise directe avec la réalité des territoires et des services, la gestion
publique engage les administrations dans une dynamique de progrès continu. La LOLF
a ainsi rendu indispensable la généralisation et la professionnalisation du contrôle de
gestion, qui constitue un des axes de la modernisation de la gestion publique, et par
conséquent le développement d’un dialogue de gestion entre les administrations centrales
et les services »133.
Le contrôle de gestion utilise des processus visant à mieux connaître
et à mieux maîtriser les activités, les coûts, les résultats et leurs liens
mutuels permettant d’apprécier l’efficacité et l’efficience. Ce contrôle, dont
la raison d’être est de participer à la définition de la stratégie de chaque
programme, à la programmation et à l’exécution des activités, a aussi un
intérêt à mettre au point des outils généralement destinés au suivi de
l’activité sur la base d’indicateurs (les tableaux de bord) et des résultats
analytiques tels que préconisés en comptabilité analytique134.
Axe central de la réforme des finances publiques, le contrôle de
gestion est formé, selon Henri Bouquin, par « des processus et systèmes qui

130 Du coup, il y a une différence entre le contrôle « de la » gestion exercé par la Cour des
comptes au titre de sa mission de contrôle non juridictionnel (donc, en dehors du champ
contentieux) ou de son rôle d’assistance et le contrôle « de » gestion mis en œuvre par le
responsable de programme. Lire Stéphanie Damarey, Exécution et contrôle des finances publiques,
Paris, Gualino éditeur, 2007, p. 194.
131 Article 84 de la Directive n°07/2009/CM/UEMOA portant règlement général sur la

comptabilité publique au sein de l’UEMOA. Historiquement, « le contrôle de gestion est apparu


lorsque s’est épuisé le modèle de production orienté vers la production de masse, dont le principal vecteur de
performance était la maîtrise des coûts. Dans un marché devenu plus concurrentiel, les entreprises ont dû
intégrer dans leurs préoccupations l’expression de la satisfaction de la demande. Il leur a fallu comprendre en
quels termes s’exprimait la valeur que les clients accordaient à leurs produits (fonctionnalité, qualité,
sécurité, image, etc. (…). Xavier Inglebert, Manager la LOLF. Pratiques de la nouvelle gestion
publique, op. cit., p. 153.
132 Nicaise Médé, finances publiques. Espace UEMOA/UMOA¸2016, L’Harmattan-Sénégal,

pp. 337-338.
133 Lien : www.performance-publique.budget.gouv.fr, consulté le 27 janvier 2021.
134 C’est une des exigences de la comptabilité analytique prévue dans le nouveau cadre

harmonisé des finances publiques dont l’objet est de faire apparaître les éléments de coût
des services rendus ou de prix de revient des biens produits et des services fournis et de
permettre le contrôle des rendements et performances des services, notamment dans le
cadre des budgets-programmes et de la gestion axée sur les résultats.
40
permettent aux dirigeants d’avoir l’assurance que les choix stratégiques et les actions
courantes seront, sont et ont été cohérents, notamment grâce au contrôle d’exécution »135.
Il ne saurait s’agir d’une action isolée ; la démarche doit permettre
d’obtenir l’assurance que les ressources sont employées de manière
efficace et efficiente pour la réalisation des objectifs de l’organisation136.
En quelque sorte, c’est l’interface entre la logique stratégique et la
démarche opérationnelle. Ainsi, se révèlent les traits pertinents du contrôle
de gestion : un contrôle exercé sur l’ensemble d’une organisation, de façon
continue, avec pour finalité la recherche de la performance137. Dans ce
registre, l’article 22 du décret n° 2020-1020 du 06 mai 2020 relatif à la
gestion budgétaire de l’Etat au Sénégal dispose : « Sous l’autorité du
Coordonnateur des programmes, le Contrôleur de gestion facilite (e) le pilotage de la
performance ». Dans la suite logique, le décret n° 2020-1036 du 15 mai 2020
relatif au contrôle de gestion dénombre ses fonctions principales
consistant à « assister le responsable de programme dans la réalisation des objectifs qui
lui sont fixés, au titre de l’exécution des crédits des programmes budgétaires. Il intervient
lors du processus d’élaboration et d’exécution de la loi de finances de l’année. A ce titre,
il exerce la fonction de "conseiller à la performance" du responsable de programme à
travers, notamment : i) la participation à la définition de la stratégie du programme ; ii)
la préparation du cadre de performance du programme ; iii) la coordination de la
déclinaison des objectifs et des indicateurs de performance au niveau des actions et des
activités ; iv) l’élaboration, en lien avec les services de données, des fiches méthodologiques
des indicateurs de performance ; v) la supervision de la mise en place du système de suivi
des indicateurs et de reporting vers l’administration centrale ; vi) la contribution à la
définition et à la programmation des actions et des activités ; vii) la coordination de la
rédaction du volet performance du rapport annuel de performance viii) la conception
d’une maquette de compte-rendu de gestion, ainsi qu’un soutien méthodologique aux
services opérationnels pour la conception d’outils de suivi de leurs activités ; ix)
l’agrégation des résultats des entités opérationnelles territoriales ; x) la conception et
l’alimentation du tableau de bord du responsable de programme ; xi) l’analyse de
l’exécution budgétaire et des résultats du volet performance ; xii) l’élaboration du
rapport annuel de performance ».
En Côte d’ivoire, le décret n°2014-416 du 09 juillet 2014 portant
Règlement général sur la Comptabilité publique traite, invariablement, du
contrôleur financier et du contrôleur budgétaire. Ne s’encombrant
d’aucune distinction, les articles 88 à 91 de ce décret font état, dans cet
ordre précis, de l’exercice par le contrôleur financier et le contrôleur
budgétaire, relevant du Ministre chargé des Finances mais opérant auprès
de l’ordonnateur, des contrôles a priori et a posteriori des opérations
budgétaires de l’Etat, des établissements publics nationaux et des

135 Henri Bouquin, Le contrôle de gestion, Paris, Dunod, 2006, 7e éd., p. 154.
136 Ainsi que le pensent Hélène Löning, Véronique Malleret, Jérôme Méric, Yvon
Pesqueux, Contrôle de gestion, Paris, Dunod, 2013, p. 2.
137 Xavier Inglebert, Manager la LOLF. Pratiques de la nouvelle gestion publique, op. cit., pp. 141-

142.
41
collectivités territoriales. Les contrôles a priori exercés par le contrôleur
financier ou budgétaire portent sur les opérations budgétaires ; celui-ci
tient la comptabilité des dépenses engagées afin de suivre la
consommation des crédits et de déterminer la disponibilité ou non de
crédits suffisants pour de nouveaux engagements de dépense. On
soulignera, au sens de ces articles, que « le contrôleur financier ou budgétaire
évalue a posteriori les résultats et les performances des programmes, au regard des
objectifs fixés, des moyens utilisés et de l’organisation des services des ordonnateurs ».
Les précisions utiles vont finalement découler de l’article 10 du décret
n°2019-81 du 23 janvier 2019 portant charte de gestion des programmes et
des dotations, confirmées par celles de l’article 3 du décret 2019-222 du 13
mars 2019 portant modalités de mise en œuvre de contrôles financier et
budgétaire des Institutions, des administrations publiques, des
établissements publics nationaux et des collectivités territoriales en ces
termes : si les contrôleurs financiers sont placés auprès des Ministères, des
Institutions constitutionnelles, des projets cofinancés, des représentations
de l’Etat à l’extérieur et des collectivités territoriales, les contrôleurs
budgétaires le sont, en revanche, auprès des établissements nationaux et
assimilés.
Alors, « qui doit exercer la fonction de contrôleur de gestion ? »138. Acteur
d’une gouvernance basée sur des éléments opérationnels et budgétaires, la
fonction de contrôleur de gestion suppose une autorité que confèrent le
statut de cadre supérieur, les compétences techniques du métier
(instruments de pilotage tels que la comptabilité de gestion, les outils
informatiques, les systèmes d’analyse, etc.), la connaissance des fonctions
de l’organisation et les qualités pédagogiques et humaines (communication,
écoute, diplomatie, empathie, etc.)139. Tout bien considéré, « le contrôleur de
gestion doit avoir une formation technique et généraliste ainsi qu’une expérience lui
permettant de mettre en adéquation les objectifs et les moyens. Il bénéficie au sein de
[l’organisation] d’une position charnière lui permettant de communiquer avec les services
chargés du contrôle de la gestion des moyens, des performances et des objectifs »140.
De plus, il sied de rapporter que la qualité du contrôle de gestion
doit être soumise à l’appréciation de la Cour des Comptes agissant dans le
cadre d’un contrôle non juridictionnel réglementé par les législations
nationales sur renvoi de l’article 75 de la Directive
n°06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 portant Lois de Finances au
sein de l’UEMOA. En la transposant en droit sénégalais, l’article 43 de la
loi organique n°2012-23 du 27 décembre 2012 abrogeant et remplaçant la
loi organique n°99-70 du 17 février 1999 sur la Cour des Comptes prévoit
que le contrôle exercé par ladite Cour en vertu des articles 30 et 31 de la
présente ladite loi organique vise à apprécier la qualité de la gestion et à

138 Henri Mignon, Le contrôle de gestion, Paris, Fayard-Mame, 1970, p. 73.


139 Jacques Renard, Sophie Nussbaumer, Audit interne et contrôle de gestion : pour une meilleure
collaboration, Paris, Eyrolles, 2011, pp. 173-176.
140 Mor Fall, Ibrahima Touré, Finances publiques. Approche théorique et pratique, op. cit., p. 278.

42
formuler, éventuellement, des suggestions sur les moyens susceptibles d’en
améliorer les méthodes et d’en accroître l’efficacité et le rendement.
Ce contrôle intègre tous les aspects de la gestion. La Cour apprécie
la réalisation des objectifs assignés, l’adéquation des moyens utilisés, les
coûts des biens et services produits, les prix pratiqués et les résultats
financiers ainsi que l’impact sur l’environnement. Elle s’assure que les
systèmes et procédures notamment budgétaires, comptables et
informatiques mis en place dans les organismes publics garantissent la
gestion optimale de leurs ressources et de leurs emplois, la protection de
leur patrimoine et l’enregistrement de toutes leurs opérations. En aucun
cas, ce contrôle ne peut permettre une ingérence dans la gestion des entités
contrôlées.
2. Un contrôle anticipatif : le contrôle interne
Le contrôle interne fait partie, avec l’inspection et les audits, des
« métiers de la nouvelle gestion publique »141.
L’"inspection", métier de "policier" pourrait-on dire, est une activité
ponctuelle, improviste et secrète. Confiée à un service externe (Cour des
Comptes, Inspection générale d’Etat) ou un supérieur à travers un service
interne, elle a tendance à porter sur les opérations et les personnes. Elle
procède à la vérification de la régularité ou à la détection des irrégularités
donnant lieu à des sanctions. De façon très différente, l’ "audit" est une
activité systématique et périodique dont la finalité est d’adresser des
recommandations au gestionnaire. Il a aussi pour objet d’apprécier
l’efficacité des systèmes de gestion des risques et les résultats de la gestion.
Dès lors, « sans système de contrôle interne, il n’y a rien à auditer … »142 car ledit
contrôle est « un support incontournable pour la réalisation d’une mission
d’audit »143. A la limite, l’audit est un « contrôle de 2eme degré »144, impliquant la
régularité, les standards et les bonnes pratiques. De par sa fonction et sa
position, même s’il est interne, l’auditeur est libéré de toute dépendance
fonctionnelle à l’égard du pouvoir de nomination (ministre, secrétaire
général, etc.) ou des services audités au sein de l’organisation.
Toujours au sens du droit comparé, l’audit se voit érigé, dans le
cadre de la LOLF française, en mode de contrôle managérial. Il en est ainsi
dans le décret n°2011-775 du 28 juin 2011 relatif à l'audit interne dans
l'administration dont l’article premier énonce que « dans chaque ministère, un
dispositif de contrôle et d'audit internes, adapté aux missions et à la structure des

141 Alain-Gérard Cohen, La nouvelle gestion publique. Concepts, outils, structures, bonnes et mauvaises
pratiques ; Contrôle interne et audits publics, Paris, Gualino, 2012, 3e éd., p. 87.
142 Alain-Gérard Cohen, ibid., p. 90.
143 Eustache Ebondo Wa Mandzila, « La normalisation du contrôle interne en tant que

support du processus d’audit », in Benoît Pigé, Qualité de l’audit. Enjeux de l’audit interne et
externe pour la gouvernance des organisations, Bruxelles, De Boeck, 2011, p. 28.
144 Frédéric Bernard, Nicolas Dufour, Piloter la gestion des risques et le contrôle interne, Paris,

Maxima, 2019, pp. 109-115.


43
services et visant à assurer la maîtrise des risques liés à la gestion des politiques
publiques dont ces services ont la charge, est mis en œuvre ». (…) L'audit interne est
une activité exercée de manière indépendante et objective qui donne à chaque ministre
une assurance sur le degré de maîtrise de ses opérations et lui apporte ses conseils pour
l'améliorer. L'audit interne s'assure ainsi que les dispositifs de contrôle interne sont
efficaces ».
A l’instar du contrôle de gestion, le "contrôle interne" ne fait que,
malgré son importance, l’objet d’une consécration elliptique. La notion
transparaît, en filigrane, dans les dispositions relatives à la fonction de
responsable de programme145 et au rôle accru de la Cour des Comptes146
dans le contrôle de l’exécution du budget147. Pourtant, l’écho est primitif :
« Il vient de loin, du fond de notre histoire … Le premier homme préhistorique qui
allumait un feu à l’entrée de sa caverne agissait pour se prémunir contre un risque : celui
de l’attaque des bêtes sauvages. Et, ce faisant, il mettait en place un dispositif de
contrôle interne »148.
Au fil des ramifications contemporaines, les théories de la gestion se
sont saisies du sens du contrôle interne qu’elles appréhendent comme un
dispositif mis en œuvre au sein d’une organisation pour lui permettre de
maîtriser ses opérations en vue de réaliser les objectifs de politiques
publiques. Effectivement, le contrôle interne s’adosse à la seule
responsabilité du gestionnaire, en étant essentiellement articulé autour de
la maîtrise des risques149.
Aux leçons de certains référentiels150, le contrôle interne englobe le
contrôle interne financier (contrôles budgétaire et comptable) et vise la
réalisation des objectifs avec le maximum d’efficacité et le minimum de
risque. Conséquemment, la finalité est, pour le gestionnaire, « de s’assurer en
permanence du bon fonctionnement, de l’efficacité du système mis en place par rapport
aux risques, c’est-à-dire du degré de maîtrise de la gestion, [en se préoccupant] de trois
choses :[i] contrôler les activités du service dont il a la charge : structures, organisation,
prise et suivi des décisions ; [ii] éviter les risques d’échec : identification, évaluation et
contrôle ; [iii] veiller à la bonne utilisation des ressources : personnels et crédits. Le
contrôle interne, ou maîtrise de la gestion, a donc symétriquement un triple rôle : 1.
Identifier et prévenir les dysfonctionnements de la gestion ; 2. Repérer et maîtriser les
risques qui la menacent ; 3. Promouvoir la performance des résultats qu’elle obtient
(économie, efficacité, efficience »)151. A ce point, il nous faut greffer l’idée que le
contrôle de gestion a pour effet de préconiser des régularisations.

145 Article 13 de la Directive n°06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 précitée.


146 Articles 51 de la Directive n°06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009, op. cit.
147 Commission de l’UEMOA, Guide didactique de la Directive n° 07/2009/CM/UEMOA du

26 juin 2009 portant règlement général de la Comptabilité publique au sein de l’UEMOA, p. 93.
148 Jacques Renard, Comprendre et mettre en œuvre le contrôle interne, op. cit., p. 1.
149 Franck Latifou Djigla, Hervé Affoukou, « Le contrôle financier dans la réforme : statu

quo ou refondation », in Nicaise Médé (dir.), La LOLF dans tous ses états, op. cit., p. 461.
150 L’exemple de celui de l’Autorité des Marchés financiers (AMF) en France.
151 Alain-Gérard Cohen, La nouvelle gestion publique..., op. cit., p. 91 et p. 124.

44
Dans un système de contrôle interne, le risque est, à n’en point
douter, « tout ce qui peut s’opposer à la (bonne) réalisation des objectifs, être en
quelque sorte une autre cause d’échec et, financièrement, de perte »152. Il se manifeste
sous la forme d’un aléa (évènement, action, inaction) de nature à
corrompre la capacité d’une gouvernance à réaliser ses objectifs avec
succès153. Les anomalies de fonctionnement en cause peuvent être des
erreurs, des fraudes, des retards, de mauvaises compréhensions auxquels il
faut, le cas échéant, corréler des procédures de résolution (aussi appelées
"contrôles" des risques).
Deux approches sont significatives du contrôle interne parce que
permettant d’analyser l’ensemble des risques d’une organisation. Il s’agit de
"l’approche par processus" qui recommande de décrire les principales
activités exercées par l’organisation ainsi que les sous-processus y
afférents. Cela permet de cerner tous les éléments clés d’une gouvernance.
Par "l’approche métier", les risques sont distingués par type d’activités : les
risques de gouvernance ou de management, les risques financiers, les
risques techniques (liés aux métiers clés du périmètre de contrôle) et les
risques opérationnels (liés aux supports communication, contentieux,
ressources humaines)154.
Qui dit contrôle interne, doit aussi penser à un « outil de réduction des
risques »155. A ce titre, le contrôle interne fait l’objet d’une normalisation.
Alors que le contrôle interne classique apportait la garantie qu’un
processus spécifique permettait d’aboutir au produit souhaité, « le contrôle
interne normalisé tend désormais à s’assurer que la façon de faire est conforme aux
normes. C’est la conformité qui s’impose aux processus »156. Tel que conçu par le
Committee of Sponsoring Organizations of the treadway Commission (COSO), dans
sa version basique, quatre objectifs sous-tendent le contrôle interne : i) la
fiabilité et l’intégrité des informations financières et opérationnelles, ii)
l’efficacité et l’efficience des opérations, iii) la protection du patrimoine, iv)
le respect des lois, des règlements et contrats157. Ensuite, c’est l’apport
essentiel du COSO 2 d’avoir démontré qu’il ne suffit pas de se contenter
d’évaluer les risques mais plutôt de les gérer de manière globale, dans toute
l’organisation et dans toutes les activités (le management des risques)158.

152 Ibid., p. 158.


153 Vincent Dominique cité par Jacques Renard, Comprendre et mettre en œuvre le contrôle interne,
Paris, Eyrolles, 2012, p. 81
154 Frédéric Bernard, Nicolas Dufour, Piloter la gestion des risques et le contrôle interne, op. cit., p.

111.
155 Benoît Pigé, Gouvernance, contrôle et audit des organisations, Paris, Economica, 2008, p. 146.
156 En 1992, le Committee of Sponsoring Organizations of the treadway Commission (COSO) a publié

un document devenu la référence en matière de contrôle interne intitulé ("Internal Control –


Intergrated Framework" (Contrôle interne - Cadre de référence). Benoît Pigé, Audit et contrôle
interne. De la conformité au jugement, 4e éd., Caen, EMS, 2017, pp. 270-271.
157 Jacques Renard, Comprendre et mettre en œuvre le contrôle interne, Paris, Eyrolles, 2012, p. 27.
158 Jacques Renard, Ibid. pp. 71-93

45
En sus, l’efficacité du contrôle interne doit aussi maîtriser les
comportements opportunistes de toutes les parties prenantes de
l’organisation. En effet, le comportement opportuniste d’un acteur
« consiste pour ce dernier à exploiter les failles ouvertes par le système pour en tirer
grand profit au détriment de [l’organisation], en se dérobant à ses engagements
contractuels ou en affectant l’exécution de certains contrats conclus (…) »159. Enrayer
un tel risque s’impose, d’autant plus que le jeu de pouvoirs au sein d’une
administration publique est de plus en plus politiquement marqué et
délicatement gangréné par la "grande corruption" prêtée aux autorités
officielles.
Pour le reste, l’efficacité du contrôle interne, tout comme celle du
contrôle de gestion, peut constituer un facteur d’assouplissement du
contrôle financier et du contrôle de gestion. Sous ce rapport, il est disposé,
à l’article 91 de la Directive n°07/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009
portant Règlement général de la Comptabilité publique, que « par exception
aux dispositions de l’article 87 de la présente Directive et conformément à l’article 13 de
la Directive portant loi de finances, le contrôleur financier adapte, dans les conditions
définies par la réglementation nationale, les modalités de mise en œuvre de ses contrôles
au regard de la qualité et de l’efficacité du contrôle interne ainsi que du contrôle de
gestion mis en œuvre par l’ordonnateur ». L’on remarquera que pareilles
dispositions autorisent le contrôleur financier à adapter l’exercice de son
contrôle pour qu’il parvienne à une meilleure efficience, y compris la
modulation et l’allègement de son contrôle a priori en fonction de la qualité
et de l’efficacité du contrôle interne et du contrôle de gestion mis en place
par l’ordonnateur ainsi que de l’évaluation des risques.
En fin de compte, l’analyse des risques est une démarche qui
interroge les facteurs internes ou externes de blocage dans l’atteinte des
objectifs. En tant que processus mis en œuvre au niveau global (ministre
ou président d’institution constitutionnelle, coordonnateur des
programmes, responsable de la fonction financière, responsable de
programme, responsable d’action, responsable d’activité, et leurs
collaborateurs), il est destiné à fournir "une assurance raisonnable" , mais
non absolue, quant à la réalisation de ses objectifs. Cela dénote, si besoin
est, l’impératif de créer un service ou direction du contrôle interne dans
chaque ministère ou institution constitutionnelle160.
Conclusion

159 Eustache Ebondo Wa Mandzila, La gouvernance de l’entreprise. Une approche par l’audit et le
contrôle interne, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 292.
160 En l’état actuel de l’organisation des administrations centrales au Sénégal, seules les

Directions générales du Ministère chargé des Finances et du Budget, notamment celles du


Trésor et de la Comptabilité publique, des Impôts et Domaines, et des Douanes comptent,
chacune, une Direction du Contrôle interne (DCI) en leur sein. Décret n° 2017-480 du 3 avril
2017 modifiant le décret n° 2014-1171 du 16 septembre 2014 portant organisation du
Ministère de l’Economie, des Finances et du Plan, modifié par le décret 2017-480 du 3 avril
2017.
46
La réforme des finances publiques se matérialise, en plus des
exigences à satisfaire en matière de planification des politiques publiques
dans le moyen terme, à travers un pilotage de la performance au double
plan opérationnel et organisationnel.
En substance, l’étude que traduisent les développements ci-dessus
démontre que le cadre de gestion publique fait progressivement sa mue de
rénovation sur le fondement d’une réforme des modalités d’exécution du
budget. Toujours est-il que cette transformation ne sera rendue possible
que par la combinaison de nouveaux principes de gestion, le management
concerté de la performance, l’optimisation des structures et des processus
et l’amélioration continue de la gestion budgétaire et financière.
Pour être plus démonstratif, le système de gestion tend à orienter
l'organisation vers des objectifs qui lui sont fixés et à vérifier
concomitamment que ces objectifs ont bien été atteints. A cette fin, il était
utile de réfléchir sur un certain nombre d’outils et de démarches dédiés au
pilotage de la performance. Le champ d’action des finances publiques n’est
plus seulement imprégné de considérations juridiques. Dans sa
préoccupation centrale, il s’intéresse à la totalité des processus financiers,
en se concentrant sur la performance de toutes les composantes de la
chaîne de gestion publique.
On aperçoit nettement alors comment les budgets-programmes
s’efforcent de substituer à l’application mécanique des procédures une
nouvelle culture de la performance inspirée par des dispositifs de
responsabilisation des acteurs et d’amélioration continue de la qualité du
service rendu aux clients du service public.
Il reste toutefois que la réflexion trouve d’autres points d’appui dans
l’institutionnalisation des dispositifs de mesure de la performance à
laquelle contribueront opportunément l’audit de performance et
l’évaluation des politiques publiques.

47
LA QUESTION DE L’APUREMENT DE DETTES ENTRE
L’ÉTAT ET LES ENTREPRISES PUBLIQUES EN DROIT
CAMEROUNAIS
Par
GUÉSSÉLÉ ISSÉMÉ Lionel Pierre
Agrégé de droit public
Maître de Conférences
Chef de département de droit public interne
Université de Dschang (Cameroun).

RESUME :
L’endettement est une contrainte à la performance de toute administration. Il est
devenu une constante dans la relation que l’État entretient avec les entreprises publiques.
Ces dernières sont redevables des contributions fiscales, l’État quant à lui est insolvable
de ses contributions financières aux entreprises publiques et du paiement de ses factures.
Il nait ainsi des dettes réciproques qui se sont accumulées au point de ne plus pouvoir
être liquidées. Face à cette situation, les parties ont opté pour l’apurement qui est mise
en œuvre à travers divers mécanismes dont la légalité peut être questionnée. Le régime de
cet apurement qui prend appui sur la spécificité des entreprises publiques parmi les
contribuables, s’écarte des mécanismes de compensation institués pour se rattacher à la
transaction qu’il galvaude néanmoins.
Mots-clés : Apurement, compensation, insolvabilité, transaction, performance.

ABSTRACT:

Debt is a constraint on the performance of any administration. It has become a


constant in the relationship that the State maintains with public enterprises. The latter
are indebted for tax contributions, the state is insolvent for its financial contributions to
public enterprises and the payment of its invoices. This gives rise to reciprocal debts that
have accumulated to the point of no longer being able to be liquidated. Faced with this
situation, the parties opted for the clearance which is implemented through various
mechanisms whose legality can be questioned. The system of this clearance which is based
on the specificity of the companies among the taxpayers, departs from the compensation
mechanisms instituted to be linked to the transaction which it nevertheless undermines.

Keywords: clearance, compensation, insolvency, transaction, performance.

48
Introduction
Le 21 mars 2021, le Fonds Monétaire International a produit un
rapport sur la gouvernance des entreprises publiques et sur les risques de
cette gouvernance sur la stabilité budgétaire de l’Etat161. Quelques mois
plutôt, la Commission Technique de Réhabilitation des entreprises du
secteur public et parapublic (ci-après CTR) l’avait précédé dans son
rapport annuel162. L’une des problématiques essentielles abordées dans ces
différents rapports est celle des relations financières entre l’Etat et les
entreprises publiques caractérisées par l’existence des dettes réciproques
qui tendent à se pérenniser. Cette situation est des plus inquiétantes car
elle porte atteinte à la performance budgétaire de l’Etat et à la rentabilité
économique des entreprises publiques. Elle nécessite l’adoption des
solutions dont l’apurement constitue l’option privilégiée.
L’existence de l’Etat serait ébranlée s’il ne pouvait disposer de
moyens financiers pour soutenir ses actions163. Le cycle d’endettement
dans lequel il est engagée avec les entreprisses publiques contraint la
performance dans le recouvrement de ses moyens. Il est dépendant de ces
moyens, lui qui « n'a d'ordinaire d'autres ressources que les revenus des biens qui
peuvent lui appartenir en propre, ou la somme qu’il perçoit sur tous les citoyens par la
voie de l’impôt »164. Ces moyens rentrent dans les cadres généraux de
l’activité financière constituée des dépenses et des recettes165. Regroupés
sous l’appellation de finances publiques, ils ne peuvent être prospères sans
un encadrement rigoureux, lequel repose sur la notion de budget166. Le
budget et les finances publiques ainsi magnifiés souffrent quelque fois de
ne pouvoir répondre aux attentes en raison des contraintes auxquels ils
doivent faire face, eux qui sont en aval de toute activité administrative167.
La relation financière que l’Etat entretien avec les entreprises publiques
accentue ces contraintes du fait de l’endettement réciproque relevé, et qui
amène à revoir l’essence de la création de ces entreprises.
À l’origine, en dehors des motifs d'ordre économique, social, et
industriel168, les entreprises publiques sont créées pour contribuer au
financement du budget de l’Etat. Elles le font à travers le versement des
dividendes considérés comme des recettes budgétaires, et d’autres diverses

161 FMI, CAMEROUN. Renforcer la surveillance, la gouvernance et la maîtrise des risques budgétaires
dans la gestion des entreprises publiques, Rapport technique Mai 2021
162 CTR, Rapport sur la situation des Entreprises Publiques et des Etablissements Publics au 31

décembre 2019, Yaoundé, octobre 2020.


163 AMSELEK (P), « Peut-il y avoir un État sans finances? », RDP, 1983, p. 267.
164 LEROY-BEAULIEU (P), Traité de la science des finances, Paris, Guillaumin et Cie, 1906,

7ème édition, p. 4.
165 DUVERGER (M), Finances publiques, Paris, PUF, 1971, 7ème édition, p. 29.
166 GEZE (G), Traité de sciences des finances, Paris, Giard & Briere, 1910, p. 3.
167 LEKENE DONFACK (E. C), Finances publiques camerounaises, Paris, Berger-Levrault,

1987, p. 18.
168 SIMARD (C), « Les entreprises publiques : éléments d’analyse et de réflexion », Cahiers

de recherche sociologique, n°15,1990, p, 107.


49
contributions fiscales et douanières auxquelles elles sont assujetties. L’Etat
quant à lui entretient des relations commerciales avec ces entreprises en
consommant les biens et services qu’elles produisent. Il est également
redevable d’un appui financier justifié par la réalisation des missions de
service public par ces entreprises, d’où l’alourdissement de leur charges en
raison des mesures de stabilité sociale même si en réalité « cette situation
caractérise surtout les établissements publics qui ont une vocation sociale et non purement
économique »169. La relation Etat-entreprises publiques est une relation
particulière avec un volet d’interdépendance financière affirmé reposant
sur les spécificités de la nature des entreprises publiques.
L’entreprise publique n’a pas toujours eu un régime clair qui facilite
son appréhension. Après les indépendances, le premier texte régissant la
matière au Cameroun consacrait plutôt la notion de société de
développement. Sans explicitement poser de définition, ce texte établissait
des compétences aujourd’hui reconnues aux entreprises publiques. Les
sociétés de développement concourraient alors « sous le contrôle de l’autorité
publique, à l’exécution des plans de développement économique et social »170. Il a fallu
attendre près de 25 ans pour qu’un autre texte de nature législative
consacre explicitement la notion d’entreprise publique. L’ordonnance de
1995 n’a pas apporté un éclairci sur la notion171, pas plus que la loi adopté
4 ans plus tard172. L’entreprise publique est pour la première fois définie
par la loi adoptée en 2017. Il s’agit d’« une unité économique dotée d’une
autonomie juridique et financière, exerçant une activité industrielle et commerciale, et
dont le capital social est détenu entièrement par une personne morale de droit public »173.
Cette définition qui constitue une avancée par rapport aux textes anciens
est lacunaire sur certains points, notamment celui de ne pas clarifier la
nature de l’entreprise publique. Celle-ci s’identifie par déduction de celles
des différentes formes qu’elle peut prendre. Ainsi, la société à capital
public et la société d’économie mixte étant toutes des personnes morales
de droit privé, l’entreprise publique est logiquement une personne de droit
privé. Cette précision n’est pas dénuée d’importance ; elle fixe les bases de

169 GAUTRON (J-C), ZUBER (B), « Les entreprises publiques et semi-publiques au


Sénégal », in CONSTANTIN (F), COULON (C), DU BOIS DE GAUDUSSON (J),
GAUTRON (J-C), ZUBER (B), Les entreprises publiques en Afrique noir, tome 1, Sénégal –
Mali – Madagascar, Paris, Pedone, 1978, p. 18.
170 Article 1 de la loi n° 68-LF-9 du 11 juin 1968 sur les sociétés de développement.
171 Le texte ne définissait pas la notion d’entreprise publique. Il se limitait à établir les

formes de l’entreprise publique à savoir l’établissement public administratif, la société à


capital public et la société d’économie mixte. Voir l’article 3 alinéa 1 de l’Ordonnance
n°95/003 du 17 août 1995 portant statut général des entreprises du secteur public et
parapublic.
172 Loi n°99-16 du 22 décembre 1999 portant statut général des établissements publics et

des entreprises du secteur public et parapublic.


173 Article 3 de la loi n°2017/011 du 12 juillet 2017 portant statut général des entreprises

publiques.
50
la compréhension de la relation financière que l’entreprise publique
entretient avec l’Etat.
Même si l’entreprise publique est liée à l’Etat par le capital qui est
exclusivement ou majoritairement détenue par ce dernier, sa nature
privative impose une séparation fonctionnelle et une autonomie matérielle.
Ces éléments sont des attributs essentiels à sa participation « aux divers
aspects de la politique économique, en respectant le principe des avantages comparatifs et
en tenant compte d'éventuelles contraintes extérieures »174. L’entreprise publique
entretien une relation financière complexe avec l’Etat. Cette complexité
découle de la fragilité de ses fondements, lesquels semblent être
introuvables dans la Constitution, elle qui « renvoie à un texte spécial le soin de
traiter particulièrement des finances publiques »175. Les textes spéciaux, qu’il
s’agisse des lois sur le régime financier176 ou des lois de finances ne sont
pas explicites sur la question. Cette relation est établie par le droit
communautaire, celui de l’OHADA en occurrence qui range les
entreprises publiques dans la catégorie des sociétés commerciales177. Cette
filiation induit la soumission des entreprises publiques au régime fiscal de
droit commun, à l’impôt sur les sociétés particulièrement178. L’entreprise
publique est donc en principe un contribuable au même titre que les
entreprises privées. La relation avec l’Etat s’appuie aussi sur la rentabilité
de ces entreprises liée aux activités industrielles et commerciales qu’elles
exercent. En tant qu’actionnaire des entreprises publiques, l’Etat attend
des dividendes179 qui constituent pour lui des recettes budgétaires. Du
point de vue des activités, l’Etat se présente parfois comme le principal
client de ces entreprises soit en raison du monopole légal à elles confié,
soit du fait de leurs positions dominantes.
La relation entre l’Etat et les entreprises publiques n’est pas toujours
sereine, tant elle est caractérisée par un endettement réciproque. Cet
endettement provoqué par une insolvabilité ou une défaillance de chacun
des acteurs face à ses obligations tend à se généraliser suscitant la nécessité
d’une réponse concrète. L’insolvabilité de l’Etat manifesté par le non-
paiement des factures et autres contributions financières auprès de
l’entreprise conduit celle-ci à ne plus payer ses impôts normalement et

174 PESTIEAU (P), GATHON (H-J), « La performance des entreprises publiques. Une
question de propriété ou de concurrence ? », Revue économique, volume 47, n°6, 1996, p.
1227.
175 OLIVA (É), « Les finances publiques vues par les constitutionnalistes », RFFP, n°133,

1er février 2016, p. 100.


176 Loi n°2018/011 du 11 juillet 2018 portant Code de transparence et de bonne

gouvernance dans la gestion des entreprises publiques au Cameroun et loi n°2018/012 du


11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques.
177 Article 1 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement

d’intérêt économique.
178 Article 2 du Code Général des Impôts.
179 Article 144 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du

groupement d’intérêt économique.


51
régulièrement. Les impôts qui restent exigibles malgré l’insolvabilité de
l’Etat ne peuvent plus être considérés comme « un devoir nécessaire à
l’établissement d’un lien social et plus encore, d’un lien social équilibré »180. Ils
deviennent excessifs181 et confiscatoires, les prélèvements étant au-delà « de
ce qui peut être légitimement consenti par les contribuables »182. Dans une telle
situation, l’entreprise publique oppose un refus de paiement qui se justifie
au regard des créances de l’Etat relativement à sa trésorerie. Les effets sont
visibles sur les finances de l’Etat qui ne peuvent plus épouser « le souci
permanent de performance de l’action publique prôné par la nouvelle gestion
publique »183. Ils portent aussi atteinte à l’efficacité et à la performance des
entreprises publiques et sollicitent par conséquent une réhabilitation ou
une restructuration afin d’équilibrer leurs exploitations et être plus
performants et compétitifs. L’insolvabilité réciproque de l’Etat et des
entreprises publiques est un problème qui a des répercussions sur la
stabilité budgétaire de l’Etat. Il préoccupe toutes les parties et même les
bailleurs de Fonds184.
La législation fiscale n’encourage pas explicitement la résolution des
créances réciproques entre l’Etat et les entreprises publiques. Elle pose de
manière restrictive des conditions de recouvrements des impôts qui ne
sont pas fondamentalement favorables à l’apurement des créances.
L’apurement est pourtant un processus bien connu en droit, et même en
droit fiscal. Il est défini comme l’« acquittement d’une dette, d’un ensemble de
dettes »185. Son introduction dans le système fiscal ne saurait se présumer au
regard du caractère obligatoire des contributions fiscales. Toutefois, le
droit fiscal a consacré un ensemble de mécanismes qui se rapprochent de
l’apurement sans véritablement correspondre à sa logique. Dans la
pratique pourtant, on peut observer que l’apurement des dettes entre l’Etat
et les entreprises publiques est une évidence qui semble s’être érigée en
règle. Cela a des conséquences sur la sécurité juridique instituée pour

180 BOUVIER (M), « La notion de capacité contributive des contribuables dans la société
post-moderne », RFFP, spécial n°100, Nouvelle gouvernance financière publique. Grands enjeux de
demain, novembre 2007, p. 85.
181 OLIVA (É), « L'appréciation du caractère confiscatoire ou excessif de l'impôt par le

Conseil constitutionnel », Note sous Conseil constitutionnel, 29 décembre 2012, n°2012-


662 DC, Loi de finances pour 2013, AJDA 2013. 9, RFDA, 2013, p. 1273.
182 PASTOREL (J-P), « Qu’est-ce qu’un impôt confiscatoire ? », RDP, n°2, 1er mars 2016,

p. 692.
183 DEMBA BA (B), Finances publiques et gestion par la performance dans les pays membres de

l’UEMOA : étude de cas du Sénégal, thèse de doctorat en Droit, Université de Bordeaux, 2015,
p. 30.
184 Le FMI a rendu récemment un rapport dans lequel la question de l’apurement est

abondamment analysée. Voir FMI, Cameroun, Renforcer la surveillance, la gouvernance et la maîtrise


des risques budgétaires dans la gestion des entreprises publiques, Rapport technique, mars 2021, pp.
39-43.
185 CORNU (G), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2018, 12ème édition, p. 200.

52
renforcer les garanties offertes aux justiciables186. Cette sécurité juridique
est contraire à l’imprévisibilité et l’instabilité qui sont des caractères de
l’insécurité187 manifestée par un droit laissé à l’entière convenance des
parties. Il se pose naturellement la question du régime de l’apurement des
dettes entre l’Etat et les entreprises publiques en droit camerounais. Plus
précisément, on s’interroge sur l’existence d’un régime d’apurement des
dettes entre l’Etat et les entreprises publiques. Cette problématique est
fondée au regard de l’actualité marquée par les mises en garde des
organismes nationaux et internationaux sur les dangers de ce mécanisme.
Elle se justifie aussi par la nécessité d’évaluer l’application des exigences de
la nouvelle gouvernance financière constituées des objectifs de
performance budgétaire, de transparence et de sincérité, de rentabilité des
actions des administrations publiques. La réponse à la question se saurait
être péremptoire car les méthodes normativistes d’interprétation des textes
et divers documents financiers conduisent à adopter une posture mesurée.
L’on est en face d’un régime qui se construit en se détachant de la
compensation consacrée (I) pour se rattacher à une transaction galvaudée
(II).
I. L’évanescence de la compensation consacrée
La fiscalité s’impose à tous les contribuables quelle que soit leur
nature. Les opérations de recouvrement peuvent amener l’administration
fiscale à percevoir plus que les taux arrêtés. Dans un tel cas, elle peut
proposer au contribuable une compensation entendue comme l’action
d’équilibrer, de dédommager. La compensation s’impose lorsqu’il y’ a un
déficit entre les obligations qui lient deux parties. Elle correspond à la
situation existante entre l’Etat et les entreprises publiques caractérisée par
des dettes réciproques.
Pour épurer ces dettes, les parties développent des mécanismes qui
épousent la philosophie de la compensation mais qui sont mis en œuvre en
s’éloignant de son régime. Concrètement, on observe un effritement des
principes de la compensation (A), et un allègement des restrictions posées
par le régime de cette compensation (B).
A. L’effritement des principes de la compensation de
droit commun
La réglementation fiscale pose un régime de la compensation qui
semble concerner uniquement les contribuables de droit commun. Les
entreprises publiques et l’Etat pratiquent une compensation qui s’éloigne

186 BOTTINI (F), « Les implications nouvelles du principe de sécurité juridique en droit
administratif », Note sous CE Ass., 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation,
CRDF, n°6, 2007, p. 162.
187 PACTEAU (B), « La sécurité juridique, un principe qui nous manque? », AJDA, 1995,

p. 151.
53
des principes du recouvrement intégrale (1) et de la reconduction des
excédents fiscaux (2).

1. Le contournement du principe du recouvrement intégral


des contributions fiscales
La compensation, telle qu’elle est consacrée pour les contribuables
de droit commun est constituée d’un ensemble de principes qui font
obstruction à l’effacement réciproque des créances. En effet, le code des
impôts établi un régime de compensation qui ne correspond pas au
règlement des dettes réciproques entre l’Etat et les contribuables.
Les entreprises publiques ne sont pas des contribuables au même
titre que les acteurs commerciaux de droit privé. Elles sont certes des
sociétés commerciales188 soumises aux règles fiscales, mais elles
entretiennent une relation particulière avec l’Etat laquelle ne permet pas
l’application intégrale du régime fiscal. Les principes de la compensation
consacrée en sont un exemple. La compensation des dettes entre l’Etat et
les entreprises publiques s’oppose à la compensation de droit commun
dont elle tire sa source. Cette dernière repose sur le principe du
recouvrement intégral des contributions fiscales à partir duquel tout son
régime découle. Plusieurs dispositions construisent ce principe. Le code
général des impôts dispose que : « Nul ne peut se prévaloir de l’existence d’une
créance sur l’Etat pour se soustraire à ses obligations déclarative et de paiement »189.
Cette disposition pose le principe de l’interdiction de la rétention des
contributions normalement dues pour compenser la créance de l’Etat. Elle
se justifie surtout par le rendement attendu de l’impôt qui « dépend de la
capacité des contribuables à accomplir volontairement et en toute sincérité leurs
obligations déclaratives et de paiement des sommes dues »190. L’interprétation de
cette interdiction diffère suivant le type de contribuable. S’agissant des
contribuables de droit commun, elle oblige t à payer normalement et
intégralement ses impôts même s’ils disposent de créances envers l’Etat.
Du point de vue de la justice et de l’équité, le principe semble être excessif
car il expose le contribuable à des sanctions pour défaut de paiement
même lorsqu’il est à découvert du fait de l’administration. L’administration
fiscale ne s’encombre pas des exigences de justice et d’équité dans son
fonctionnement. Elle recherche la rentabilité nécessaire au maintien de
l’équilibre budgétaire. En le faisant, elle exprime une exorbitance qui
accroit la dépendance des administrés191.

188 Article 1 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et GIE.
189 Article L 7 bis du Code général des impôts.
190 EVINA OBAM (R), La politique fiscale au Cameroun : étude sur l’exercice de la compétence fiscale

des Etats depuis la décennie 1980, thèse de doctorat en droit, Université d’Aix-Marseille, 2014,
p. 158.
191 LAMBERT (T), « Le contribuable face à l’administration fiscale », in Psychologie et science

administrative, Paris, PUF, collection CURAPP, 2, 1985, p. 107.


54
La situation présentée est différente lorsque le contribuable est une
entreprise publique. L’entreprise publique comme tous les autres
contribuables est soumise au régime fiscal. Toutefois, dans
l’opérationnalisation des règles et principes de ce régime l’on observe des
inflexions qui sont globalement fondées sur la recherche du consensus. Ce
consensus qui se pérennise induit un privilège par rapport aux autres
« contribuables pour lesquels il n'y a pas de compromis possible avec l’administration
car ils n’ont rien à négocier »192. En effet, la pratique de l’apurement des dettes
réciproques par conciliation repose sur des fondements fragiles voir
introuvables. Elle dessèche le contenu du principe du recouvrement
intégral des contributions fiscales. Concrètement, la pratique de
l’apurement des dettes réciproque est un jeu de conditionnalité développé
par l’entreprise publique. L’un des impôts les plus importants auquel est
astreinte l’entreprise publique est l’impôt sur les sociétés. En tant que
société, elle est constituée pour être rentable dans l’intérêt de l’Etat et des
différents associés. Ainsi, « le fonctionnement de la société va-t-il être générateur de
bénéfices que le droit fiscal va imposer »193. L’impôt sur les sociétés est assis sur
les bénéfices obtenus sur une période de 12 mois correspondant à
l’exercice budgétaire194. Le recouvrement de cet impôt est mensuel. Il est
acquitté spontanément par le contribuable au plus tard le 15 du mois
suivant195. La situation de la fiscalité des entreprises publiques n’est pas
conforme à cette obligation. Ces entreprises manifestent un défaut de
paiement de cet impôt qui viole le principe du recouvrement intégral. Elles
ne sont pas toujours sanctionnées pour la violation du paiement mensuel
de cet impôt. L’absence de sanction consolide la recherche du consensus
et écarte définitivement le principe consacré.
2. Le dépassement de la compensation par imputation des
excédents fiscaux sur les impôts futurs
Dans le langage littéraire, la compensation est une opération
d’équilibrage. Elle se manifeste par l’opposition d’une obligation exigible à
une autre. La notion est introduite dans la fiscalité avec des mécanismes
particuliers qui épousent la complexité de la matière, et contribuent à
renforcer le désordre qui y règne196. En effet, « le droit fiscal présente une
grande technicité et, si l’on ne fait pas l’effort de passer par la technique, le débat tourne
rapidement autour de quelques grands principes »197. La technique utilisée dans le
cadre de la compensation est celle de la reconduction des excédents

192 Ibid.
193 SERLOOTEN (P), DEBAT (O), Droit fiscal des affaires, Paris, Dalloz, 2018-2019, 17ème
édition, p. 383.
194 Article 15 du Code général des impôts.
195 Article 21 du Code général des impôts.
196 BUISSON (J), « Le grand désordre des qualifications fiscales », in Constitution et finances

publiques, Etudes en l’honneur de Loïc PHILIP, Paris, Economica, 2005, p. 309.


197 LAMBERT (T), « Droit public financier et droit fiscal : une famille à recomposer ? »,

RFFP, n°133, 1er février 2016, p. 113.


55
fiscaux qui est écartée dans le cadre de l’apurement des dettes réciproques
entre Etat et entreprises publiques.
Un excédent fiscal est un surplus perçu par l’administration fiscale
lors des recouvrements. Après un exercice budgétaire, l’administration
fiscale peut se rendre compte qu’elle a perçu des impôts au-delà du taux
fixé. L’excédent engendre un crédit d’impôt qui doit en principe être
restitué198 au contribuable. À la fin d’un exercice, chaque contribuable
établit une comptabilité qui doit faire ressortir les états financiers. Cela
intéresse l’administration fiscale qui a partir des informations produites
évalue le niveau de perception des différents impôts, et de voir si les
sommes recouvrées sont conformes aux bénéfices déclarés. Le code
général des impôts dispose que : « les déclarations annuelles récapitulatives qui
font apparaitre un trop perçu donnent lieu, après validation par les services compétents,
à remboursement ou imputation sur les impôts futurs à la demande du
contribuable »199. Dans la pratique, on observe une divergence d’option entre
les différents acteurs. Alors que le contribuable opte toujours pour le
remboursement, l’administration fiscale propose plutôt une imputation sur
les impôts futurs.
L’imputation des excédents sur les impôts futurs constituent le
mécanisme principal de la compensation. Il ne correspond pas à la
spécificité des relations financières entre l’Etat et les entreprises publiques
caractérisées par l’existence des créances réciproques. De manière globale,
les entreprises publiques dans leurs grandes majorités ne sont pas dans une
situation de régularité fiscale par laquelle on pourrait observer des
excédents dans les impôts recouvrés par l’administration fiscale. Face à son
insolvabilité, l’entreprise publique oppose l’existence de créance de l’Etat
qui affecte sa rentabilité. L’examen des rapports financiers révèle parfois
des situations inattendues en ce qui concerne les dettes réciproques entre
les deux parties. L’Etat se retrouve généralement être plus redevable que
l’entreprise. Le dernier rapport de la CTR le démontre avec la situation
financière et fiscale de la SODECOTON200. Malgré la compensation des
dettes réciproques engagée par les deux parties, il reste toujours un solde
dû par l’Etat201 qui constitue la dette publique202.
La grande majorité des entreprises publiques sont éligibles à la
restructuration. Très peu sont celles qui présentent des bilans positifs et
excédentaires au terme d’un exercice budgétaire. Le déficit constaté est
pour une grande part la responsabilité de l’Etat en raison de la violation de

198 GROSCLAUDE (J), MARCHESSOU (P), Droit fiscal général, Paris, Dalloz, 2017, 11ème
édition, p. 183.
199 Article 74 alinéa 4 du Code général des impôts.
200 Société de développement du coton.
201 CTR, Rapport sur la situation des Entreprises Publiques et des Etablissements Publics au 31

décembre 2019, octobre 2020, p. 41.


202 NGUEDIA MEIKEU (H), « Le déficit budgétaire dans le droit public financier de la

CEMAC : le cas du Cameroun », RADSP, Vol VIII, Supplément 2020, p. 87.


56
ses obligations. Toujours dans le rapport de la CTR, il ressort que l’Etat
n’avait pas versé les sommes dues au titre de l’incidence financière des
différentes mesures de baisse des loyers SIC tel qu’il ressort des états
financiers pour l’année 2019. L’entreprise est ainsi privée d’une source de
financement de ses activités. La possibilité de se retrouver dans une
situation d’excédents fiscaux est illusoire. Les entreprises évaluées par la
CTR sont dans une insolvabilité qui n’est pas limitée à un seul exercice
budgétaire. Pour le cas de la SODECOTON évoqué, le rapport fait état
d’un déficit depuis 2014. Le principe de la compensation par imputation
des excédents sur les impôts futurs ne s’appliquent pas à la situation dans
laquelle se retrouvent les entreprises publiques. Il n’y a pas d’excédents
fiscaux, et la redevabilité n’est pas à sens unique. Ce principe est déclassé
au profit des techniques qui obéissent à une philosophie différente, celle
de la conciliation. La mise en œuvre de l’apurement des créances
réciproques ne s’accommodent pas des restrictions posées par le régime de
la compensation de droit commun.
B. L’allègement des restrictions du régime de la compensation
La réglementation fiscale ne pose pas de manière formelle un
régime de l’apurement des créances réciproques entre l‘Etat et les
entreprises. La pratique de la compensation observée en s’éloignant des
principes consacrés contournent les interdictions posées. Il s’opère au
profit de cette pratique un allègement de l’interdiction des compensations
de dettes réciproques (1), et un allègement de l’interdiction de rétention
des contributions en cas d’existence de créances (2).
1. L’allègement de l’interdiction des compensations des dettes
réciproques
La législation fiscale a assorti le régime de la compensation d’un
ensemble de restrictions contraignantes. De principe, l’apurement des
dettes par compensation est interdit. Le code des impôts l’affirme
clairement lorsqu’il dispose que « les demandes de compensation ou de
remboursement sont accompagnées d’une attestation de non redevance »203. Ainsi,
même en cas de compensation par reconduction des crédits d’impôts dans
les impôts futurs, le contribuable doit être dans une situation de non
redevance. Autrement dit, il doit être en régularité sur toutes les
contributions exigibles. Strictement parlant, cette disposition interdit toute
possibilité de balancement des créances entre l’administration fiscale et le
contribuable. Cette interdiction est extrêmement rigoureuse si elle devait
être appliquée à tous les contribuables.
La fiscalité est généralement considérée comme oppressive pour les
contribuables. Les impôts sont de plus en plus nombreux avec des taux
élevés. À côté de cela, l’Etat a besoin de croissance, il a besoin que les

203 Article 149 du Code Général des Impôts.


57
acteurs investissent. Ainsi, le droit reflète la contradiction des politiques
fiscales qui cherchent à taxer le plus possible mais aussi à attirer des
entreprises204. L’interdiction de compensation des dettes peut être un
facteur de ralentissement de la rentabilité des entreprises et une cause de
stagnation de la croissance économique. L’interdiction de la compensation
des dettes si elle est élargie aux entreprises publiques porterait atteintes à
plusieurs principes bien établis en finances publiques. Il s’agit du principe
d’égalité, du principe de nécessité de l’impôt et du principe de l’imposition
à raison des facultés contributives du contribuable.
Le principe d’égalité devant l’impôt tire sa source du principe de
l’égalité devant la loi. Ce principe a « permis de bâtir des démocraties où
l'arbitraire était sinon vaincu, du moins dénoncé, où chacun a obtenu, à la suite d'âpres
combats, le droit de participer à la vie de la cité, quels que soient son origine, sa fortune,
son niveau culturel, son statut social »205. Consacré au plus haut niveau de la
hiérarchie des normes juridiques206, le principe d’égalité irrigue tous les
domaines de la vie en société. C’est un principe vaste et fluide qui se colore
au contact des matières qu’il touche. Il présente une allure insaisissable, à
tel point que la plupart des textes juridiques qui en parlent, s’en tiennent à
la signification classique à savoir l’idée de l’égalité devant la loi207. Comme
dans tous les domaines, l’égalité n’est pas une égalité mathématique. Le
droit tolère des différentiations au nom de l’égalité. C’est le cas avec la
notion de discrimination positive « qui consiste à instituer des inégalités pour
promouvoir l’égalité, en accordant à certains un traitement préférentiel »208. Le droit
fiscal est fondamentalement un droit des discriminations positives. Le
conseil constitutionnel français l’a confirmé en affirmant que « le principe
d'égalité ne fait pas obstacle à ce que soient établies des impositions spécifique »209. Les
discriminations ne doivent pas être libres et détournées de la recherche
d’un objectif précis. La déférence de traitement induite doit être justifiée,
« ce qui appelle, d’une part, de définir des catégories d’une manière objective et, d’autre
part, que cette différenciation soit en phase avec l’objet du texte qui en est le
support »210.
Les entreprises publiques ne sauraient être soumises au même
régime fiscal que les contribuables ordinaires. Le contexte camerounais
marqué par un assujettissement de ces entreprises aux desiderata de

204 LEROY (M), « Les enjeux de la territorialité fiscale », Gestion et management public, 2016/1,
Vol 4, n°3, p. 13.
205 ROBERT (J), « Le principe d'égalité dans le droit constitutionnel francophone », Cahiers

du Conseil constitutionnel n°3 – novembre 1997, p. 2.


206 Article 1 alinéa 2 de la Constitution.
207 GHARSALLAH (I), « L’égalité devant l’impôt dans la constitution tunisienne », Revue

libre de Droit, 2017, p. 36.


208 LEVADE (A), « Discrimination positive et principe d'égalité en droit français », Pouvoirs

2004/4 (n°111), p. 59.


209 Cons. const., déc. n° 2009-599 DC du 29 déc. 2009, Loi de finances pour 2010.
210 AYRAULT (L), « Le principe d’égalité en matière fiscale », Titre VII, numéro 4 – Avril

2020, p. 37.
58
l’administration centrale, nécessite la mise en œuvre d’un régime
préférentiel sur lequel doivent s’appuyer les mécanismes d’apurement des
créances réciproques. La rentabilité et la performance des entreprises
publiques sont tributaires du comportement de l’administration. Cette
administration est astreinte à des obligations qui conditionnent la
compétitivité des entreprises publiques. Le principe de nécessité de l’impôt
serait également affecté si l’interdiction de compensation était élargie aux
entreprises publiques.
Le principe de nécessité de l’impôt n’a pas une valeur
constitutionnelle explicite comme c’est le cas ailleurs. Il ne manque pas
pour autant d’avoir une justification théorique affirmée. En tant que
contribution obligatoire, l’impôt est une atteinte à la propriété individuelle
qui doit toujours avoir une justification concrète. Il doit être indispensable
et nécessaire pour obliger les citoyens. Il en résulte « que ni la fraude ni le
refus de l'impôt ne sauraient se justifier au nom de la liberté individuelle »211. En
prenant appui sur le caractère obligatoire de l’impôt, les pouvoirs publics
érigent la préservation des recettes fiscales en axe fondamental de la
politique budgétaire, et souhaitent par conséquent « mieux encadrer les
pratiques fiscales des entreprises et notamment limiter les comportements abusifs ou
frauduleux »212. D’un autre côté, comme le rappelle si bien le Professeur
Michel BOUVIER, « comme les droits et libertés individuels ne sauraient pas pour
autant être remis en cause au nom du principe de nécessité de l'impôt, il faut donc que
les deux principes, de nécessité et de liberté, puissent être conciliés »213. L’interdiction
de la compensation des dettes appliquée aux entreprises publiques altère la
recherche de cet équilibre. Elle conduit à réclamer des contributions au-
delà des facultés contributives de l’entreprise publique, dont l’insolvabilité
a pour cause les créances de l’Etat.
La constitution dispose que « Chacun doit participer, en proportion de ses
capacités, aux charges publiques »214. Cette disposition instaure une certaine
équité en matière fiscale qui doit s’appliquer à tous les contribuables.
L’impôt doit reposer sur les potentialités des citoyens. Il doit être
« progressif, personnalisé et tenir compte de la faculté contributive du contribuable »215.
L’interdiction des compensations des dettes réciproques élargie aux
entreprises publiques viole l’esprit de l’équité fiscale. L’impôt sur les
sociétés auquel sont assujetties les entreprises publiques représente une
part plus importante des impôts directs dans les pays de la Zone franc,
dans la mesure où les sociétés de taille importante concentrent l’essentiel

211 BOUVIER (M), Introduction au droit fiscal général et à la théorie de l’impôt, Paris, LGDJ, coll.
Système, 2010, 10e édition, p. 63.
212 CAUSSADE (T), La stratégie fiscale de l'entreprise : entre optimisation et fraude, thèse de

doctorat en droit, Université Toulouse Capitole, 2017, p. 9.


213 CAUSSADE (T), La stratégie fiscale de l'entreprise : entre optimisation et fraude, op.cit., p. 9.
214 Préambule de la Constitution.
215 BOUVIER (M), « La question de l’impôt idéal », in Archives de philosophie du droit, tome

46, L’impôt, Paris, Dalloz, 2002, p. 20.


59
du potentiel de recettes directes216. Cela ne devrait pas conduire à une
oppression fiscale, ce surtout lorsque l’insolvabilité de l’entreprise peut
avoir pour cause le fait de l’Etat. Dans un tel cas, on pourrait y voir le
contenu d’un impôt confiscatoire. L’impôt confiscatoire soulève la
question de savoir si le contribuable peut, dans certains cas, s’opposer à la
perception d’impôts régulièrement votés par le Parlement « mais dont le taux
serait particulièrement prohibitif ou l’assiette outrageusement large, ce qui pourrait ainsi
porter une atteinte illégitime au principe du respect de la propriété »217. Pour le cas de
l’apurement évoqué, l’interdiction de compensation des dettes réciproques
renforcerait le caractère injuste de l’exigibilité des impôts des entreprises
publiques dans une situation de dettes accumulées envers l’Etat.
Certaines entreprises publiques sont dans une situation
d’insolvabilité favorisée par les défaillances récurrentes de l’Etat. Dans son
rapport sur la situation des entreprises publiques, le FMI relève que la
pratique installée entre l’Etat et certaines entreprises publiques repose sur
l’accumulation régulière d’arriérés réciproques dont l’apurement est
effectué par des conventions de compensation de dettes croisées218.
Toujours dans ce rapport, le FMI présente l’origine des créances
entreprises publiques sur l’Etat. Celles-ci naissent des factures non payées,
de certains choix de politique publique de l’Etat qui viennent accroître les
risques vis-à-vis des entreprises publiques, D’une part, l’Etat administre le
prix de vente au détail de certains biens essentiels à la nation219,il est ainsi
redevable d’une compensation auprès des entreprises publiques
productrices pour manque à gagner lorsque les prix de vente administrés
sont largement en deçà des conditions de marché. De même, l’Etat a
confié à quelques entreprises publiques la prise en charge du coût de
missions de services publics dont il doit rembourser le coût a posteriori.
Enfin, certaines entreprises publiques préfinancent des investissements
publics pour lesquels l’Etat sera redevable (cas des travaux de
modernisation du Port Autonome de Douala). Des dettes de l’Etat vis-à-
vis desdites entreprises publiques naissent alors et s’accumulent lorsque
l’Etat n’est pas en mesure de payer dans les délais et au montant
effectivement dû selon les factures de prestations fournies par les
entreprises. Il s’engage avec les entreprises publiques dans un cycle
d’endettement qui altère la recherche de la performance et de l’efficacité.
Ce cycle d’endettement a une incidence sur les objectifs poursuivis par la
fiscalité et conduisent les entreprises vers les privatisations et

216 BOISSET (L), EHRHART (H), « La mobilisation fiscale dans les pays de la zone franc :
principaux enseignements sur longue période », Techniques Financières et Développement,
2014/2, n°115, p. 26.
217 LACHAPELLE (A), « La capacité contributive en matière fiscale : à la croisée du

principe d’égalité et du droit de propriété », Revue générale du contentieux fiscal, 2013/5-6,


septembre-décembre, p. 333.
218 FMI, CAMEROUN. Renforcer la surveillance, la gouvernance et la maîtrise des risques budgétaires

dans la gestion des entreprises publiques, Rapport technique Mai 2021, p. 39.
219 Par exemple : huile de palme, riz, carburants, services postaux, loyers, électricité, eau.

60
restructurations. La compensation qui aurait pu être un moyen de
correction des défaillances se voit être interdite en cas d’existence des
dettes réciproques. Cette interdiction appliquée de manière stricte est
contraire à l’équité, or un système fiscal qui favorise l’équité est enclin à
être efficace220. La pratique de l’apurement par la compensation des dettes
comble les imperfections de la réglementation en s’écartant des
interdictions posées.
2. L’allègement de l’interdiction des soustractions aux
obligations de paiement
Le principe de l’obligation de paiement est consacré de manière
absolue par la réglementation fiscale. Il participe à assurer la disponibilité
du financement pour la réalisation des missions d’intérêt général. Ainsi,
quelle que soit l'idée qu'on se fait du rôle de l'État, et de l'étendue de ses
interventions, ou de leurs limites, « il faut qu'il y ait des recettes; il faut qu'une
contribution soit demandée à la population »221. En effet, le Code Général des
Impôts dispose que « nul ne peut se prévaloir de l’existence d’une créance sur l’Etat
pour se soustraire à ses obligations déclarative et de paiement »222. En portant
atteinte à cette interdiction, le contribuable s’expose à des sanctions qui
vont des pénalités, du redressement fiscal jusqu’à la fermeture de
l’Établissement ou encore de l’interdiction d’activité.
Cette interdiction semble ne pas s’appliquer aux relations
financières entre l’Etat et les entreprises publiques. L’exception qui se
construit n’est certes pas consacrée, mais sa généralisation consolide la
mise à l’écart de l’interdiction. Les entreprises publiques se soustraient
effectivement de l’obligation de paiement de leurs impôts en arguant de
l’existence de créances sur l’Etat. Cette pratique juridiquement
condamnable par une interprétation stricte de la loi est consolidée par un
comportement validé par les parties prenantes. Il se développe ainsi une
normativité parallèle plus conforme au vécu des acteurs qu’à la rigueur de
l’interprétation normative. La pratique de l’apurement par compensation
construit une normativité alternative qui a tendance à faire concurrence
voir à se substituer à la norme officielle. Elle est validée par les acteurs au
regard de la satisfaction réciproque qu’elle permet. Comme dans tout
processus porté par le consensus, la pratique de l’apurement se met en
œuvre par le jeu de la négociation. Elle est provoquée par le refus ou
l’impossibilité du paiement des impôts par l’entreprise. À partir de cet
instant, l’administration se retrouve dans l’obligation de négocier car
coupable d’être débitrice de plusieurs créances envers l’entreprise
publique. Au regard de l’accumulation des dettes que l’on observe, l’on

220 MAYER (S), Étude des obstacles à l’équité et à l’efficacité du système fiscal français, thèse de
doctorat en droit, Université Panthéon-Assas, 2016, p. 20.
221 VINOT (P), « Fiscalité et capacité contributive. Quelques aspects de l’égalité devant

l’impôt », Journal de la société statistique de Paris, tome 110, 1969, p. 19.


222 Article L 7 bis du Code Général des Impôts.

61
peut dire que la négociation est plus une contrainte qu’une décision
volontaire.
Pour qu’il y’ait apurement par compensation des dettes réciproques,
il faut que l’interdiction de soustraction au paiement en cas d’existence de
créance ne soit pas appliquée ou que sa violation ne soit pas sanctionnée.
Cette exception est favorisée par le droit fiscal conventionnel non limité
aux conventions fiscales internationales223 qui émerge de plus en plus. Au
niveau interne, il se construit nécessairement en apportant des inflexions à
la fiscalité de droit commun et en réduisant l’exorbitance de
l’administration fiscale. Néanmoins, l’on ne peut conclure à un
dessaisissement de l’Etat dans l’élaboration et dans l’application du régime
fiscal. Il demeure toujours à l’origine de la production de la norme fiscale,
et toute inflexion ne peut se faire sans sa validation expresse ou tacite. Les
normes issues des pratiques conventionnelles de l’apurement bénéficient
de son accord, lui-même étant acteur du processus. Ce constat consolide la
pérennité du contenu de la norme fiscale malgré l’évolution et quelques
ajustements de ses formes. Cette norme vise à permettre à l’État de se
doter du fondement matériel de sa puissance pour réaliser les fins qu’il
s’assigne224. Il ne peut donc jamais s’en écarter, quitte à trouver des
solutions alternatives qui doivent toujours avoir pour objectif la recherche
de l’équilibre du système budgétaire. C’est dans ce sens qu’émerge un
système d’apurement reposant sur la transaction.
II. L’émergence d’une transaction galvaudée
L’apurement des dettes réciproques entre l’Etat et les entreprises
publiques, bien qu’il s’opère par compensation, ne s’appuie pas sur le
régime de la compensation établi. Il tire sa régularité de son rattachement à
la transaction consacrée par la législation. Le régime qui se construit
progressivement, est formellement rattaché à la négociation des dettes
croisées (A). C’est un régime qui ne manifeste pas encore toute la
cohérence nécessaire, il est matériellement détaché de la performance
budgétaire (B).
A. Un régime formellement rattaché à la négociation sur les dettes
croisées
La transaction est un processus par lequel les parties à un litige y
mettent fin à l’amiable en se faisant des concessions réciproques225. Ce
mécanisme introduit dans le régime fiscal226 est le fondement de la validité
des mécanismes de négociation sur les dettes. Il permet la transaction à

223 BERTRAND (H), « Le droit conventionnel et la territorialité de l'impôt sur les


sociétés », RFFP, n°146, mai 2019, p. 111.
224 KALLERGIS (A), « L'élaboration de la norme fiscale », RFFP, n°146, mai 2019, p. 62.
225 CORNU (G), Vocabulaire juridique, op.cit., p. 2179.
226 Article L 125 du Code Général des impôts.

62
travers les compensations budgétaires et financières (1), et la transaction
par la substitution de responsabilité (2).
1. La transaction par les compensations budgétaires et financières
La transaction n’est possible que lorsque deux parties sont
redevables mutuellement. Au regard de l’impossibilité de solder leurs
créances par leurs patrimoines respectifs, elles décident de faire des
conciliations, des compensations. La transaction n’est pas une opération
informelle, elle doit manifester une volonté explicite des parties de
s‘engager dans le processus et de faire disparaitre les créances. Le Code
civil le précise clairement en disposant que « les transactions ne règlent que les
différends qui s'y trouvent compris, soit que les parties aient manifesté leur intention par
des expressions spéciales ou générales, soit que l'on reconnaisse cette intention par une
suite nécessaire de ce qui est exprimé »227. L’intention n’est plus à démonter car
la pratique tend à se généraliser depuis un certain temps. Cette
généralisation semble traduire une volonté consentante pour les parties de
se soumettre à cette pratique. La régularité du processus est tout de même
questionnée car bien que le processus se rattache à la transaction consacrée
dans le code des impôts, il n’épouse pas totalement les règles établies. La
transaction sur les créances réciproques entre Etat et entreprises publiques
ne rentre dans aucun des cas de recours consacrés par la loi228. Elle se
déroule suivant les procédés bien précis développés par les parties. C’est le
cas des compensations budgétaires et financières.
Les compensations budgétaires et financières sont des mesures
d’effacement des créances proposées par chacune des parties. Elles
différent suivant les possibilités des parties. L’Etat possède une large
gamme de mesure à proposer en raison de la diversité de ses contributions
financières aux entreprises publiques. Les mesures de compensation
proviennent donc majoritairement de lui. Elles peuvent être budgétaires ou
financières. L’entreprise quant à elle est généralement redevable des dettes
fiscales et douanières, et du versement des dividendes à l’Etat
actionnaire229 car sa gestion doit tenir compte de la distribution des
revenus230. En ce qui concerne l’Etat, il est soumis à une variété
d’obligations financières dont certaines naissent en fonction des nécessités
conjoncturelles. Il peut être amené à intervenir dans le secteur économique
en imposant des mesures qui vont alourdir les charges de l’entreprise. Il

227 Article 2049 du Code Civil.


228 Le code des impôts dispose que la transaction est possibles dans les deux cas suivants :
- avant la mise en recouvrement suivant une procédure de contrôle ;
- durant toute la procédure contentieuse.
229 Article 144 de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et au

groupement d’intérêt économique.


230 PESTIEAU (P), GATHON (H-J), « La performance des entreprises publiques. Une

question de propriété ou de concurrence ? », Revue économique, volume 47, n°6, 1996. p.


1227.
63
porte ainsi atteinte à la compétitivité de l’entreprise en mettant plus de
charge à son actif que les entreprises privées. L’insolvabilité de
l’entreprises publiques devient donc une évidence des lors que l’Etat ne
respecte pas ses engagements.
Les modalités de compensation vont varier en fonction de la nature
des créances. La pratique permet d’identifier plusieurs variantes. Il s’agit de
la compensation entre dettes de l’Etat et dettes fiscales et douanières des
entreprises mise en œuvre par la Commercial Bank of Cameroon. Ce
mécanisme de compensation nécessite comme tous les autres une
évaluation préalable des dettes. D’un côté l’Etat peut être redevable des
factures impayées ou autres contributions financières auprès de
l’entreprise. L’entreprise quant à elle est redevables des dettes fiscales ou
des droits de douane. La compensation va s’effectuer par effacement
réciproque à montant égale. Autrement les montants doivent correspondre
réciproquement de telle sorte qu’il soit possible qu’il puisse avoir un solde.
C’est le cas avec la compensation des dettes croisées en cours entre
ENEO et l’Etat où, au sortir de la compensation, l’Etat reste toujours
débiteur, sa dette étant supérieure à celle de l’entreprise.
Une autre technique d’apurement consiste à faire une compensation
entre dividendes à verser et dettes de l’Etat. Ce mécanisme a été mise en
œuvre par le Port autonome de Douala. Par ce mécanisme, l’entreprise qui
réclame à l’Etat le payement des factures et autres contributions
financières va proposer une compensation par le non versement des
dividendes à l’Etat.
La compensation de dettes fiscales de l’entreprise par accroissement
des parts de l’Etat au capital social de l’entreprise231est une autre possibilité
expérimentée par les parties. Pour ce cas, l’entreprise se trouve être
redevable des dettes fiscales. Dans l’impossibilité de les solder elle propose
à l’Etat une augmentation des parts dans le capital social.
D’autres techniques de conciliation sont mises en œuvre et reposent
sur les appuis financiers de l’ Etat. Il s’agit des subventions et des
prises de participation dans le capital des entreprises publiques. La
subvention est une « Aide financière sans contrepartie, somme allouée, en général
par les pouvoirs publics, en faveur d’une œuvre, d’une institution ou d’une entreprise
digne d’intérêt et d’encouragement »232. Du point de vue théorique, les
subventions représentent une dimension non négligeable de l'action
publique. Elles pérennisent les velléités paternalistes de l’Etat sur les
entreprises publiques et sur l’économie en général. C’est un « mode
d'intervention indirect mais omniprésent, et dont personne n'a jamais pu faire réellement
le bilan »233. Elles regorgent des effets intéressants mais aussi inquiétants

231 FMI, CAMEROUN. Renforcer la surveillance, la gouvernance et la maîtrise des risques budgétaires
dans la gestion des entreprises publiques, op.cit., p. 40.
232 CORNU (G), Vocabulaire juridique, op.cit., p. 2100.
233 PONTIER (J-M), « L'obscure clarification de la politique des subventions », AJDA,

2018, p. 2172.
64
dans le régime fiscal qu’il est nécessaire d’en parler. Les subventions sont
considérées comme des aides d’Etat234 dont le principe est l’interdiction.
La raison en est que « la théorie de l’équilibre enseigne que lorsqu’une économie de
marché fonctionne de façon parfaite toute intervention de l’État entraîne des inefficacités
allocatives ou de production »235. Elles portent atteintes à la libre concurrence
nécessaire à la rentabilité et à la performance des acteurs économiques. La
subvention peut être déclassée comme aides publiques interdites pour
devenir acceptable ; elle doit pour cela être une mesure de compensation
en faveur d’une entreprise chargée d’obligations de services publics236. La
subvention utilisée dans le cadre de l’apurement des dettes est la
subvention d’exploitation. La société immobilière du Cameroun237 a
bénéficié de cela récemment en raison de la baisse des loyers des
immeubles qu’elle gère, ladite baisse était une conséquence la politique de
prix moyen adoptée par l’Etat. On peut enfin citer la technique de prise de
participation dans le capital de l’entreprise.
L’entreprise publique en situation d’insolvabilité soit sur la fiscalité
ou sur les versements des dividendes peut proposer à l’Etat une
compensation par accroissements de ses parts dans le capital au prorata
des montants des créances et du cout de l’action. Cela n’est valable que
pour les entreprises constituées comme société d’économie mixte c’est-à-
dire où l’Etat ne détient pas intégralement le capital-actions238. Elle induit
une restructuration de l’action de l’Etat dans les entreprises publiques. La
trop grande implication de l’Etat dans les entreprises est une source de
blocage du déploiement des mécanismes de compensation. L’Etat est
appelé à réduire ses participations dans les entreprises comme cela se fait
un peu partout ailleurs. Le modèle de société à capital public par lequel le
capital est intégralement détenu par l’Etat, est source de lourdeur et ne
favorise pas la performance des entreprises. Il rend le processus
d’apurement de dettes illusoire. Un cas symptomatique est celui de la
CAMAIR-CO239 ou encore de la SONARA240. Ces deux entreprises ont
des dettes fiscales que l’on pourrait qualifier de non recouvrables. Aucune
technique de compensation ne peut permettre un rééquilibre de la
situation fiscale de ses entreprises. Les subventions récurrentes et autres

234 Article 78 du règlement n°06/19-UEAC-639-CM-33 relatif à la concurrence.


235 LEGROS (P), « Subventions et politique de concurrence », Reflets et perspectives de la vie
économique, 2004/1 (Tome XLIII), p. 20.
236 Article 78 du règlement n°06/19-UEAC-639-CM-33 relatif à la concurrence. Cette

compensation ne doit pas octroyer un avantage économique susceptible de favoriser


l’entreprise bénéficiaire par rapport à ses concurrents, si cette entreprise ne jouit pas d’un
monopole.
237 CTR, Rapport sur la situation des Entreprises Publiques et des Établissements Publics au 31

décembre 2019, Yaoundé, octobre 2020, p. 127.


238 Article 3 de la loi n°2017/011 du 12 juillet 2017 portant statut général des entreprises

publiques.
239 Cameroun Airlines Corporation.
240 Société nationale de raffinage

65
aides publiques n’ont pas permis d’assainir la situation de ces entreprises.
Elles ont au contraire augmenté les contraintes budgétaires de l’Etat.
2. La transaction par la substitution de responsabilité
La substitution de responsabilité évoquée ici est celle qui porte sur
la redevabilité financière des entreprises publiques. Cette forme de
conciliation est rare en pratique mais les quelques cas répertoriés
permettent d’y voir le contenu d’une opération de conciliation.
La substitution de responsabilité est une opération supportée par
l’Etat. L’entreprise publique se retrouve dans un endettement contracté
pour réaliser ses missions et ne parviens pas à être solvable du fait de
l’existence de créances sur l’Etat. Pour apurer les dettes, l’Etat va se
subroger à l’entreprise publique auprès de ses créanciers en vue de solder
sa dette. Ce mécanisme apporte une bouffée d’oxygène pour des
entreprises qui se trouvent dans une situation précaire pour la plupart241. Il
permet à l’entreprise publique de ne plus être redevable auprès de ses
créanciers qui ne sont pas liés par la relation qu’elle entretient avec l’Etat.
Concrètement, dans certains cas, en contrepartie d’une diminution
ou extinction de sa dette à l’égard d’une entreprise, l’Etat peut être conduit
à se subroger à ladite entreprise pour réaliser un paiement dû par cette
entreprise à l’endroit d’une entreprise tierce. En l’espèce, l’Etat s’est
subrogé au cours de la période 2019-2021 à CAMTEL, à la CDE,
CAMWATER et ALUCAM242 dans le paiement des sommes dues par ces
entreprises à leurs créanciers. Cette technique très usuelle permet un
effacement des créances entre l’Etat et l’entreprise publique considérée,
mais du point de vue de l’Etat, elle transfert la dette vers un autre
créancier. Ainsi, elle ne permet pas une extinction définitive de la créance
dans le sens d’une disparition totale
Un dernier exemple objet d’actualité mérite d’être relevé en raison
du fait qu’il réunit plusieurs techniques de conciliation. C’est le cas de la
société ENEO243 dans laquelle l’Etat est actionnaire minoritaire à 44% des
parts. Cette entreprise a sollicité le paiement des arriérés de l’Etat de
FCFA 93 459 063 359.Les modalités d’apurement envisagées reposent sur
un mécanisme de cession des créances. Il s’agit concrètement du rachat de
la dette de l’Etat vis-à-vis d’ENEO par plusieurs banques locales,
lesquelles vont procéder à l’apurement de cette créance au profit d’ENEO.
Toutefois, l’examen du contenu du dossier permet de relever que la

241 YINDJO TOUKAM (C.F,) « L’influence des mesures de riposte contre la covid-19 sur
le droit au bonheur du citoyen en droit Camerounais », RJB, n°3, 2021, p. 12.
242 CAMTEL (Cameroon Telecommunications), CDE (Camerounaise des Eaux),

CAMWATER (Cameroon Water utilities), ALUCAM (Compagnie camerounaise


d’aluminium).
243 The energy of cameroon.

66
créance d’ENEO sur l’Etat intègre le solde des opérations de conciliation
que l‘Etat a eue avec d’autres structures244.
Le système d’apurement des dettes par substitution de
responsabilité, de même que tous les autres mécanismes analysés sont
purement conventionnelles. Tous ces mécanismes se développent au gré
de l’ingéniosité des parties et prennent appui sur l’indisponibilité financière
ponctuelle pour effacer de manière réciproque les créances. Ces
mécanisme dont certains peuvent être questionnés au regard de la
conformité de leurs régimes avec la législation fiscale ont fini par
construire un régime de droit commun de l’apurement des dettes. Ce
régime doit être bien appréhendé afin de mesurer et de prendre en compte
les risques encourus aussi bien par l’Etat que par les entreprises publiques.
En ce qui concerne cette dernière, le cycle d’endettement réciproque et
d’apurement les expose à des difficultés. Les signes visibles de ces
difficultés sont variés et « vont depuis l’apparition de certains déséquilibres ou
difficultés jusqu’aux reports d’échéances, un règlement tardif des impôts, taxes et
cotisations sociales, l’inscription de privilèges, de protêts, un recours permanent au
découvert bancaire ou encore des cessions d’actifs, une paralysie des organes de
gestion »245. Le processus construit expose les parties au ralentissement de la
croissance.
B. Un régime matériellement détaché de la performance
budgétaire
Le régime de l’apurement des dettes est un régime instable. Par sa
généralisation il a perdu son caractère exceptionnel qui permettait de
minimiser son impact sur la performance budgétaire. Il se traduit par un
déploiement qui atténue la sincérité des prévisions budgétaires (1), et qui
porte atteinte à la transparence budgétaire (2).
1. L’altération de la sincérité des prévisions budgétaires
Le processus d’apurement des dettes tel qu’il est pratiqué porte
atteinte à la sincérité des prévisions budgétaires. Pour s’en convaincre il est
important de savoir comment est organisé le régime de la sincérité des
prévisions budgétaires.
La sincérité fait partie des principes budgétaires consacrés par la
nouvelle gouvernance financière. Il ne s’agit pas exactement d’un principe
inconnu dans les finances publiques. Ses prémices ont été posées par les
principes d’unité et d’universalité budgétaires, et « il s’est depuis
progressivement affirmé en tant que principe à part entière, appliquant ainsi au niveau

244 Dans la somme attendue de l’Etat il y’a la Reprise de la dette d’ALUCAM 2019, et la
Subrogation de CAMWATER entre autre.
245 NGUIHE KANTE (P), « Réflexions sur la notion d’entreprise en difficulté dans l’acte

uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif


OHADA », Afrilex, n°3, juin 2003, p. 177.
67
public un concept largement utilisé dans la gestion privée »246. Ce principe est
formellement consacré en droit camerounais par la loi de 2007 aujourd’hui
abrogée qui disposait que « La loi de finances présente de façon sincère l'ensemble
des ressources et charges de l'Etat. Ce principe implique que les informations fournies
soient claires, précises et complètes, au regard des données disponibles, au plan national
et international, au moment de l'élaboration des prévisions »247. Sous l’impulsion des
textes communautaires248, le Cameroun a revu son régime financier en
améliorant le contenu de la sincérité budgétaire. Les textes adoptés
consacrent la sincérité comme principe fondamental de l’élaboration et de
la présentation des budgets publics. Ils posent clairement que « les budgets
annuels sont réalistes et sincères tant dans leurs prévisions de dépenses que de
recettes »249.
Le principe de sincérité est fondamentalement lié à la performance.
Il permet de sortir le budget de l’aspect purement prévisionnel pour le
faire correspondre à des réalités concrètes qui favorables à l’efficacité de
l’action administrative et à la rationalité dans l’utilisation des fonds publics.
On est en présence d’un principe cardinal, peut-être le plus fondamental
en tant qu'il couronne l'édifice juridique financier et lui assure une unité
conceptuelle250. La sincérité à un contenu qui se fait de plus en plus visible,
malgré les hésitations manifestées par la doctrine. La sincérité « s’apprécie
compte tenue des informations disponibles au moment de leur élaboration et des
prévisions qui peuvent raisonnablement en découler »251. Le principe de la sincérité
s’inscrit en faux contre les imprévisions provoquées. Il rejette
nécessairement les mouvements budgétaires et financiers qui n’ont pas fait
l’objet d’une programmation. C’est un principe qui donne lieu à une
évaluation pendant tout le processus budgétaire à travers les différents
annexes et rapports explicatifs qui doivent accompagner le projet de loi de
finances. En fin d’exercice, la sincérité s’apprécie lors de l’examen des
rapports annuels de performance. Ainsi, la sincérité impose un ensemble
de comportements tels que l’impréparation, l’imprévision qui sont autant
d’attitudes observées dans la procédure d’apurement des dettes.
De prime à bord, il faut dire que la sincérité n’est pas
essentiellement spéculative comme on pourrait le croire. Elle renvoie à des
considérations techniques notamment « celles de la traduction comptable
d'opérations, celle des chiffrages d'estimations de recettes, celle du coût « réel » de

246 GILLES (W), Les principes budgétaires et comptables publics, Paris, LGDJ, 2009, p. 44.
247 Article 3 de la loi n°2007/006 du 26 décembre 2007 portant régime financier de L’Etat.
248 Directive n°06-UEAC-190-CM-22 relative au Code de Transparence et de bonne

gouvernance dans la gestion des finances publiques, Directive n°01-UEAC-190-CM-22


relatives aux lois de finances.
249 Article 25 de la loi n°2018/011 du 11 juillet 2011 portant Code de Transparence et de

bonne Gouvernance dans la gestion des finances publiques au Cameroun.


250 JOYE (J-F), « La sincérité, premier principe financier », RFFP, n°111, 1erseptembre

2010, p. 17.
251 Article 4 alinéa 8 de la loi n°2018/012 du 411 juillet 2018 portant régime financier de

l’Etat et des autres entités publiques.


68
dépenses à venir, celle de l'absence de détournement dans l'utilisation des procédures
dérogatoires, celle de la distinction entre recettes fiscales et opérations de trésorerie »252.
Les opérations d’apurement ne respectent pas ces exigences car elles vont
au-delà d’un exercice budgétaire. Dans les exemples ci-dessus évoqués,
l’on a pu constater que certaines dettes étaient étalées sur plus de cinq ans
sans jamais avoir été prise en compte dans les prévisions en termes de
remboursement de la dette pour ce qui concerne l’Etat. L’insolvabilité des
entreprises face à leurs contributions fiscales, participe certainement à
déjouer l’équilibre budgétaire. La pratique de la compensation peut être
aussi rangée dans la règle de non-compensation des recettes et des
dépenses bien connue en droit financier et interdite car pouvant permettre
« de dissimuler certaines charges, ce qui nuirait à la lisibilité et à la sincérité du
budget »253.
En effet, l’apurement des dettes par les divers mécanismes de
compensation peut être perçu du point de vue de l’Etat comme une
contraction entre les recettes et les dépenses. C’est notamment le cas avec
la compensation d’une créance de l’entreprise publique par une subvention
d’exploitation. Ces opérations portent atteinte à la sincérité des prévisions
budgétaires en faussant les données de la comptabilité à la fin d’un
exercice budgétaire. Dans son rapport, le FMI fait savoir qu’il y’ a un
sérieux défaut de comptabilisation budgétaire des opérations de
compensation de dettes croisées. Les réponses données par
l’administration fiscale n’est pas des plus rassurantes au plan juridique. La
Direction générale du budget fait savoir qu’elle est désormais attentive à ce
que ces mouvements soient correctement retracés en comptabilité
budgétaire et que la dette de l’Etat au titre d’un arriéré de subvention ou
d’une facture non payée fasse l’objet d’une couverture en crédits
budgétaires pour son montant brut (une partie donnant lieu à un
mouvement pour ordre, l’autre partie donnant lieu à un versement effectif
si le solde est en défaveur de l’Etat) et que la dette fiscale objet de la
compensation soit retracée comme une recette d’ordre au sein des recettes
fiscales ou douanières254.
La logique de l’administration fiscale pour salutaire qu’elle soit doit
être formellement consacrée dans la loi de finances, voir dans le régime
financier afin de sortir le régime de l’apurement des dettes de la seule
volonté des parties. Du côté de l’Etat, les mécanismes de compensation de
ses dettes sont rangés dans les dépenses publiques dont l’augmentation

252 CAMBY (J-P), « Pour le principe de sincérité budgétaire », RFFP, n°111, 1erseptembre
2010, p. 157.
253 FALL (M), TOURE (I) Finances publiques Approche théorique et pratique, Dakar,

L’Harmattan-Sénégal, 2018, p. 107.


254 FMI, CAMEROUN. Renforcer la surveillance, la gouvernance et la maîtrise des risques budgétaires

dans la gestion des entreprises publiques, op.cit., p. 40.


69
« serait un facteur de récession économique »255et doivent pour cela traduire un
choix politique256 clairement exprimé, programmé et évalué lors de
l’élaboration des prévisions budgétaires. Concernant l’évaluation, elle est
attachée à la revue de la performance qui « permet de faire le point sur l’atteinte
des objectifs fixés en année N-1, en vue de dégager les écarts et de proposer des solutions
correctives »257. L’accumulation des dettes et leurs compensations, au-delà
parfois de la programmation budgétaire triennal, a aussi des conséquences
sur la loi de règlement pour laquelle la sincérité implique essentiellement
l'exactitude des comptes258. On peut donc comprendre pourquoi le
processus d’apurement des dettes ne permet pas aux parties de sortie du
cycle de l’endettement. Les failles du régime établi ne permettent pas
d’assainir la situation financière, l’absence de transparence étant une des
raisons supplémentaires.
2. La violation de la transparence dans l’exécution budgétaire
Les effets du régime de l’apurement des dettes entre l’Etat et les
entreprises publiques ne se font pas seulement sentir au niveau des
prévisions budgétaires dont ils altèrent la sincérité. Ils affectent également
l’exécution budgétaire en portant atteinte à la transparence.
La transparence est l’un des principes véhiculés par le nouveau
management public. Ce principe tire sa source de l’idée selon laquelle
l’efficacité dans le secteur public ne peut être atteinte qu’en appliquant les
méthodes du secteur privé259. La transparence est généralement
appréhendée par la négative. Elle s’oppose alors au secret. De manière
simple, la transparence est l’absence de secret. En matière financière elle se
manifeste à travers les exigences de légalité et de publicité des opérations
financières260, de clarification du rôle des institutions intervenant dans le
processus budgétaire, de sincérité dans l’élaboration des prévisions
budgétaires, de publication des informations sur les finances publiques, ou
encore d’intégrité des acteurs261. Ainsi, la transparence à une multiplicité de
champs à partir desquels la structuration de ces mécanismes « va déterminer

255 MATTRET (J-B), « La dette publique : un non-sujet ? », Gestion & Finances Publiques,
2019/2, n°2, p. 23.
256 VALENDUC (C), « Les dépenses fiscales », Reflets et perspectives de la vie économique,

2004/1, Tome XLIII, p. 94.


257 Article 13 alinéa 1 du décret n°2019/281 du 31 mai 2019 fixant le calendrier budgétaire

de l’Etat.
258 GUIGUE (A), « Du besoin à l'obligation de sincérité », RFFP, n°111, 1er septembre

2010, p. 27. 
259 SPINDLER (J), « La transparence de la gestion publique : de la recherche d’un plus

grand approfondissement à un risque d’opacité », Gestion & Finances Publiques, n°6,


novembre-décembre 2020, p. 68.
260 Articles 2 et 3 de la loi n°2018/011 du 11 juillet 2011 portant Code de Transparence et

de bonne Gouvernance dans la gestion des finances publiques au Cameroun.


261 Article 51 de la loi n°2018/011 du 11 juillet 2011.

70
leur influence sur la politique publique - sur l’efficacité, sur l’équité et sur la
responsabilité démocratique »262.
Présente dans tout le régime des finances publiques, la transparence
n’est pas appréhendée comme un principe autonome avec un régime
propre. Cela est justifié par le fait qu’elle peut fonder l’existence de tous les
autres principes. De plus, avec la nouvelle gouvernance financière, elle est
devenue un objectif catégorique reposant sur des phases du processus
budgétaire spécialement à elle dédié comme celle de l’orientation
budgétaire263. La transparence étend son influence dans toutes les autres
phases budgétaires, pendant l’exécution spécialement. Elle a forcément un
lien avec les mécanismes d’apurement de dettes qui souffrent de ne pas
être pris en compte lors de l’élaboration des prévisions budgétaires. Le
rapport du FMI le soulève à juste titre en faisant savoir que « le
fonctionnement structurel par compensation des dettes croisées n’est pas conforme à
l’orthodoxie budgétaire et constitue une pratique non transparente »264.
L’apurement des dettes par compensation concentre plusieurs
violations de la transparence et de ses différentes déclinaisons.
L’universalité est sans doute le premier principe affecté. C’est un principe
qui« impose que le budget décrive, pour la durée de l’exercice, l’ensemble des dépenses et
des recette »265. Les mécanismes d’apurement étendent les dépenses au-delà
d’un exercice budgétaire. La pratique de compensation des dettes croisées
revient à comptabiliser les opérations en jeu essentiellement lors
d’opérations de régularisation, c’est-à-dire après la constatation des
opérations. Elle est contraire à l’obligation de budgétiser et d’exécuter les
dépenses et les recettes au moment où elles sont dues ou encaissables. La
transparence et la sincérité des comptes se trouvent également affectée sur
les éléments du moment de comptabilisation, et du montant à
comptabiliser, surtout que l’Etat n’a pas toujours une maitrise exacte de
l’entendue de sa dette envers les entreprises publiques.
La question de l’endettement réciproque de l’Etat et des entreprises
publiques est devenu un devenu une problématique centrale es finances
publiques. Elle a des implications sur la soutenabilité budgétaire de l’Etat
et sur la performance économique des entreprises. Le manque de
transparence dans les mécanismes de résolution appliqués renforce
l’instauration d’un cycle d’endettement réciproque. C’est ainsi que ces
mécanismes d’apurement qui doivent en principe être exceptionnels
tendent à se généraliser et ne parviennent plus à apporter une solution
efficace par manque de transparence. La transparence aurait permis d’avoir

262 HEALD (D), « Pourquoi la transparence des dépenses publiques est-elle si difficile à
atteindre ? », Revue Internationale des Sciences Administratives, 2012/1, Vol. 78, p. 35.
263 MATTRET (J-B), Les finances de l’État, Paris, CNFPT, 2006, p. 276.
264 FMI, CAMEROUN. Renforcer la surveillance, la gouvernance et la maîtrise des risques budgétaires

dans la gestion des entreprises publiques, op.cit., p. 42.


265 WASERMAN (F), Les finances publiques, Paris, La Documentation française, avril 2016,

8ème édition, p. 26.


71
une lisible sur le processus. Lorsqu’elle est véritablement appliquée, Elle
expose à une critique nécessaire à la remise en cause et à l’adoption des
moyens de rectification. En ce qui concerne spécifiquement les
mécanismes d’apurement, la transparence impose d’avoir une lisibilité sur
tous les contours de l’opération, d’en mesurer les effets sur l’efficacité de
toutes les administrations impliquées dans le processus fiscal. Il est
anormal qu’un tel processus qui apporte des inflexions au régime fiscal ne
fasse pas intervenir le parlement au moins pour une information. Le
parlement lui-même ne sais jamais saisi de la question ni lors de débat
d’orientation budgétaire ni par la mise sur pied d’une commission spéciale.
Le sujet est pourtant d’une grande importance car il pose le problème de la
discipline budgétaire de l’Etat. Quel que soit l’angle d’approche du
problème, il ressort toujours le rôle coupable de l’Etat qui, par son
insolvabilité parfois injustifiée, freine la contribution de l’entreprise
publique au financement du budget. Celles-ci deviennent un fardeau que
l’Etat traine en injectant considérablement les fonds pour empêcher une
liquidation pure et simple. La question de l’apurement ne devrait pas être
prise à la légère. Elle peut être la cause de l’insoutenabilité budgétaire et de
la disparition des entreprises publiques concernées.

Conclusion
L’apurement des dettes réciproques entre l’Etat et les entreprises
publiques est une curiosité bien intéressante dans le régime financier et
fiscal camerounais. Il attire l’attention de par son régime qui est
fondamentalement laissé à la discrétion des parties mais qui amène à revoir
les considérations sur les sources du droit public financier. Le régime se
construit au milieu d’une législation silencieuse voir laconique qui n’a pas
pris en compte les spécificités de la relation financière entre l’Etat et les
entreprises publiques. C’est un régime qui ne correspond pas entièrement
à la législation fiscale. Celle-ci est écartée au profit des pratiques qui se
justifient par l’insolvabilité réciproques des deux parties face à leurs
créances.
Toutefois, ces pratiques ne sont pas dénuées d’effet sur la stabilité
et la performance budgétaire de l’Etat, et celle de l’entreprise publique. De
plus, les dettes croisées doivent faire l’objet d’une plus grande attention car
elles constituent pour l’Etat des risques budgétaires. Elles exposent le
budget à des contraintes supplémentaires qui fragilisent l’équilibre. Du
point de vue des entreprises publiques, l’apurement des dettes croisées est
au final une opération de rationalisation financière qui peut être étendue à
toutes les situations d’endettement réciproque qu’elles entretiennent entre
elles de même qu’avec les banques créancières.

72
L’OFFICE DU JUGE ADMINISTRATIF
EN CONTENTIEUX DE L’IMPOT
AU BENIN ET AU CAMEROUN
Par
Hilaire AKEREKORO
Maître de conférences Agrégé de droit public (CAMES)
Directeur du Centre du Droit de l’Etat
et des Droits des Personnes en Afrique (CeDEP).
Université d’Abomey-Calavi (Bénin).
et
Sèmiou Adéniyi LASSISSI
Administrateur des Impôts.
Doctorant en droit public.
Membre du Centre du Droit de l’Etat
et des Droits des Personnes en Afrique (CeDEP).
Université d’Abomey-Calavi (Bénin).

RÉSUMÉ :
Au Bénin et au Cameroun, le contribuable qui n’est pas d’accord avec les
propositions de solutions formulées par l’administration fiscale peut recourir au juge de
l’impôt, notamment le juge administratif. Toutefois, il faut avouer que le respect des
droits et garanties du contribuable n’est toujours pas assuré en raison de plusieurs
facteurs liés, soit à la volonté du juge administratif impliqué dans le règlement des litiges,
soit à la pression exercée sur lui du dehors par le pouvoir exécutif, le pouvoir financier
des riches hommes d’affaires et autres contraintes sociales et/ou religieuses. Lorsque les
règles du jeu sont respectées, le contentieux de l’impôt est un sérieux outil de
développement économique. Pourtant, les contribuables béninois y font très peu recourt
contrairement à leurs homologues camerounais.
Mots clés : Contentieux, impôt, juge de l’impôt, Bénin et Cameroun.

ABSTRACT:

In Benin and Cameroon, the taxpayer who does not agree with the proposed
solutions formulated by the tax administration can have recourse to the tax judge,
especially the administrative judge. However, it must be admitted that the respect of the
taxpayer’s rights an garantees is still not ensured due to several factors related either to
the will of the administrative judge involved in the settlement of disputes, or to the
pressure exerted on him from outside by the executive power, the financial power of rich
businessmen and other social and/or religious contraints. When the rules of the game
are respected, tax litigation is a serious tool for economic development. However,
Beninese taxpayers make very little use of it, unlike their Cameroonian counterparts.
Key words : Litigation, tax, tax judge, Benin and Cameroon.

73
Introduction
Le contrôle juridictionnel de l’administration des impôts n’est pas
une fiction juridique. Il intervient après la phase administrative obligatoire.
La phase juridictionnelle « est rarement atteinte mais parfois payante »1. En effet,
très peu de contribuables, ayant saisi l’administration fiscale d’une
réclamation préalable, décident au bout du rouleau de saisir le juge de
l’impôt. La grande majorité des réclamations préalables trouvent une
solution auprès de l’administration fiscale en raison de ce que les
demandes portent sur de simples erreurs matérielles de cette dernière,
tandis que le faible nombre de recours juridictionnels s’explique, d’une
part, par « la lassitude des contribuables, peu enclins à se lancer dans une nouvelle
phase contentieuse après l’échec de la phase administrative »2, d’autre part, par le
nombre croissant de jugements favorables à l’Administration.
Le contentieux juridictionnel de l’impôt est un plein contentieux
objectif. Conformément aux dispositions des articles L135 du Livre des
Procédures Fiscales (LPF) et 1108 nouveau alinéa 1er du Code Général des
Impôts (CGI) du Bénin et L115 du LPF du Cameroun, la demande du
contribuable vise à obtenir, soit la réparation d’erreurs commises dans
l’assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d’une disposition
législative ou réglementaire. Il s’agit d’un litige de légalité objective étant
donné que sa résolution concerne l’intérêt public. C’est donc à juste titre
que le professeur Martin COLLET pense que « le procès fiscal est le procès fait
à un acte, la décision d’imposition »3 et lorsqu’il est saisi, « l’office du juge consiste
uniquement à déterminer si cet acte est conforme à la loi fiscale en vigueur à la date du
fait générateur de l’imposition »4.
Dans le langage courant, un office est une charge, une fonction ou
un service. En droit du procès, l’office du juge désigne ses droits et ses
pouvoirs. Dans le contentieux de l’impôt, entendu comme l’ensemble des
litiges qui s’élèvent devant l’administration fiscale et le juge de l’impôt et
dont ils doivent connaître, l’office du juge est varié, car il dépend du juge
de l’impôt compétent. En effet, en matière fiscale, le contentieux
juridictionnel de l’impôt fait intervenir une pluralité de juges dont le juge
judiciaire, le juge administratif, le juge constitutionnel et même le juge
communautaire. Chacun de ces juges possède son domaine précis de
compétences en tant que « juge de l’imposition »5. Toutefois, le juge de
l’impôt qui intéresse la présente étude est le juge administratif, car il est
chargé, d’une part, de protéger les intérêts des contribuables, d’autre part,

1 COLLET Martin, Droit fiscal, Paris, Thémis, 6ème édition, 2017, p. 151.
2 Id., Droit fiscal, op. cit., p. 152
3 Ibidem, p. 152.
4 Conseil d’Etat français, 1er avril 2010, n°334.465 MARSADIS, concl. P. COLLIN sur

Avis, Dr. Fisc. 2010, n°17-18, comm. 299, p. 41. Cité par COLLET Martin, Droit fiscal, op.
cit., p. 152.
5 MOLINIER Joël, « L’office du juge en contentieux fiscal », in HERTZOG Robert (dir.),

Le juge fiscal, Paris, Economica, 1988, p. 79.


74
de défendre l’intérêt général qui est le but de l’action administrative et
financière.
Pour certains auteurs, « le juge de l’impôt est doté de pouvoirs qui excèdent
ceux du juge de la seule légalité : il n’a pas à se borner à mettre en œuvre un pouvoir
d’annulation de l’acte d’imposition ; il exerce un pouvoir de réformation de la dette
fiscale, caractéristique du contentieux de pleine juridiction »6. Ainsi, pour que « le
contrôle juridictionnel de l’administration puisse remplir sa triple fonction à savoir : le
contrôle de l’activité administrative, la protection du droit des administrés, la
formulation des règles applicables à l’Administration »7, il faut bien que ce pouvoir
du juge soit une réalité dans les Etats contemporains.
En Afrique subsaharienne, l’étude est circonscrite aux cas du Bénin
et du Cameroun dans une démarche comparative. Si au Cameroun, la loi
concentre dans les seules mains du juge administratif le règlement du
contentieux de l’impôt, au Bénin par contre ce n’est pas le cas. Les
compétences sont réparties entre le juge administratif et son homologue
judiciaire. Pour se fixer sur cette répartition de compétences entre ces deux
ordres de juridiction, il faut s’en remettre à l’histoire.
En remontant l’histoire, la règle de répartition de compétences
juridictionnelles retourne aux lois françaises du 5 ventôse an VII (lois des
7 et 11 septembre 1790) pour les impôts indirects et du 22 frimaire an VII
(loi du 12 décembre 1798) pour le droit d’enregistrement qui les attribuent
au juge judiciaire et à la Loi du 28 pluviôse an VIII (loi du 12 février 1800)
qui attribue les impôts directs au juge administratif. C’est avec la loi de
1920 que la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est attribuée au juge
administratif malgré son caractère d’impôt indirect. Aujourd’hui, cette
répartition est facilement identifiable à l’article L199 du LPF de la France
qui précise que le juge judiciaire est compétent pour le contentieux du
droit d’enregistrement, de la taxe de publicité foncière, du droit de timbre
et des contribution indirectes et taxes assimilées ainsi que de la taxe sur les
bénéfices des sociétés et le juge administratif l’est dans tout le contentieux
des impôts directs, de la taxe sur le chiffre d’affaires et des taxes assimilées
à savoir : l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés, la TVA, les impôts
directs locaux, la taxe sur la fortune, etc. Le Bénin, fidèle à cette logique, a
fait calquer sa distinction sur les mêmes règles avec les articles 1108
nouveau alinéa 1er du CGI et L135 du LPF.
Des prémices du droit fiscal, il s’en suit que le contentieux
juridictionnel de l’impôt peut être « polymorphe »8, car il couvre le plein
contentieux qui permet de contester le montant de l’impôt ; le recours

6 GAUDEMET Paul Marie et MOLINIER Joël, Finances publiques, Tome 2, Fiscalité, Paris,
Montchrestien, 5ème édition, 1992, p. 250.
7 DOSSOUMON Samson, « Réflexion sur le contrôle juridictionnel de l’Administration

dans les pays en voie de développement d’Afrique noire francophone », Revue Béninoise des
Sciences Juridiques et Administratives, n°5, juin 1985, p. 10.
8 LAMBERT Thierry, Contentieux fiscal, Paris, Edition Hachette, Coll. Les fondamentaux -

droit, 2011, p. 1.
75
pour excès de pouvoir qui, parfois, met en échec les débordements du
pouvoir réglementaire ; le contentieux de recouvrement ; le contentieux de
la responsabilité et enfin, le contentieux pénal fiscal. À cette série de
contentieux particuliers, s’ajoute un lot de contentieux attachés à l’impôt
par des conventions à savoir : le contentieux communautaire et le
contentieux de la non double imposition. Ainsi, les contestations
intervenues sur les divers impôts et taxes peuvent prendre plusieurs
formes, en fonction des griefs exposés par le requérant. C’est en cela qu’il
faut indiquer que seul l’office du juge administratif est abordé par cette
étude relativement aux contentieux de l’imposition et de recouvrement ;
les contentieux de la responsabilité et le recours pour excès de pouvoir
n’étant simplement survolés.
S’il est vrai qu’en matière d’impôts et taxes, le juge administratif
possède des pouvoirs très étendus dont la mise en œuvre concourt, d’une
part, à la formation de sa conviction, d’autre part, à l’application de la règle
de droit. Il n’est pas moins vrai qu’il appartient à l’État dont il remplit l’une
des fonctions régaliennes, en même temps qu’il dépend de lui pour sa
nomination ; il le contrôle et le juge. C’est au fait, le point nodal de la
problématique d’un baobab au pied d’argile que représenterait cette
compétence du juge administratif de l’impôt. Cette compétence
demeurerait théorique sans l’indépendance et l’impartialité, deux vertus
sans lesquelles, il n’est point de justice authentique, c'est-à-dire, de qualité.
Aussi, de nombreuses failles peuvent-elles exister et handicaper l’office du
juge administratif dans le contentieux de l’impôt. En prenant en
considération cette dialectique des forces et des faiblesses de ce juge, de
ses compétences et de ses limites, il est traité, d’abord, d’un office
crédibilisé (I), ensuite d’un office limité (II).
I. Un office crédibilisé
Au Bénin comme au Cameroun, la justice administrative est
crédibilisée. Cette crédibilité fait suite à la gestion harmonieuse de
l’instruction et de l’audience. Les techniques juridiques de règlement des
litiges relèvent principalement de l’office du premier juge à connaître du
dossier. Cependant, l’importance de l’intervention du juge d’appel et du
juge de cassation n’est pas ignorée puisque leurs actions se situent après
celles ayant conduit à la décision du juge du Tribunal de première instance.
Ainsi, la qualité de la décision qui en découle, étant fortement liée au degré
de l’indépendance du juge administratif de l’impôt, vis-à-vis notamment du
pouvoir exécutif, elle contribue au renforcement de l’Etat de droit, c'est-à-
dire, du « système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au
droit »9. De plus, « l’interdiction de principe pour le juge de faire acte

9BARON Frank, « Qu’est-ce que l’Etat de droit ? », in Vie publique, Paris, 2018, p. 1. Pour
KELSEN Hans c’est un « Etat dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que la
puissance s’en trouve limitée », sur https://www.viepublique.fr, consulté le 15 juin 2021 à 23h
12mn.
76
d’administrateur »10 ne devrait l’empêcher de cantonner le montant des
nouveaux droits. En conséquence, le juge administratif saisi d’une requête
introductive d’instance dans le contentieux de l’impôt dispose, dans son
office, des pouvoirs inhérents à la manifestation de la vérité. C’est
pourquoi, il est démontré les pouvoirs tenant à la conviction du juge (A),
puis ceux d’application de la règle de droit (B).
A. Les pouvoirs tenant à la conviction du juge
Les pouvoirs mis en œuvre par le juge administratif en vue de la
formation de sa conviction personnelle s’appuient d’abord sur les
documents produits par les parties, notamment les mémoires au sujet
desquels le juge joue un rôle régulateur. Ensuite, ils exigent de ce juge, en
cas de besoin, outre les explications de droit ou de fait, d’inviter les parties
à produire des informations complémentaires11 ou de décider des
investigations dont il assure la réalisation ou seulement le contrôle. Ces
pouvoirs, il faut le préciser, en matière fiscale, s’exercent suivant des
modalités spécifiques qui passent par l’échange des mémoires (1) et le
prononcé des mesures d’instruction (2).
1. Les mémoires et pièces émanant des parties
Le principe du contradictoire12 serait au centre des exigences de
production de mémoires et des pièces. En effet, le caractère contradictoire
des procédures juridictionnelles s’applique également en contentieux de
l’impôt. Il implique une information réciproque des parties et le droit de
réplique aux informations fournies par l’autre partie (partie adverse). Ces
échanges de mémoires sont indispensables à la constitution du dossier au
vu duquel le juge est appelé à statuer. Le rôle du juge administratif dans la
mise en œuvre de ce principe se rapporte à la production et à la
communication des documents, aux délais impartis pour y procéder ainsi
qu’aux conséquences liées au non-respect de ces derniers.
Le CGI et le LPF étant muets quant aux règles applicables, seul le
droit commun de la procédure devant les tribunaux administratifs trouve
application13. Le législateur, ayant opté pour la spontanéité de la
communication des pièces14, il active le principe du contradictoire placé

10 HERTZOG Robert (dir.), Le juge fiscal, op. cit., p. 81.


11 Art. 211, 212 et 219 de la Loi n° 2008-07 du 28 février 2011 portant Code de procédure
civile, commerciale, sociale, administrative et des comptes du Bénin, modifiée et complétée
par la Loi n° 2016-16 du 28 juillet 2016 et la Loi n° 2020-08 du 23 avril 2020 portant
modernisation de la justice.
12 BOUVIER Michel, ESCLASSAN Marie-Christine et LASSALE Jean-Pierre, Finances

publiques, Paris, LGDJ, 15ème édition, 2016, p. 749.


13 Art. 209 du Code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des

comptes du Bénin modifié et complété précité dispose à cet effet : « La partie qui fait état
d’une pièce s’oblige à la communiquer à toute autre partie à l’instance ».
14 Art. 209 alinéa 2 du Code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des

comptes du Bénin modifié et complété précité : « La communication des pièces doit être
spontanée… ».
77
sous le contrôle du juge de l’impôt qui assure la bonne administration de la
justice.
À l’ouverture de l’instance, la demande du requérant est adressée au
greffe du tribunal administratif15. Sur instruction du juge, copie du
mémoire introductif d’instance est communiquée à la partie adverse pour
réponse en raison du caractère contradictoire de la procédure devant le
juge administratif. Or, pour influer sur le cours de l’instruction, la
communication de pièces fait partie des mesures dont dispose le juge de
l’impôt. Ainsi, il a le pouvoir de requérir tous documents utiles, sauf des
pièces dont la communication est interdite par la loi. Aussi, le contribuable
peut-il demander dans la requête introductive ou dans les observations
écrites consécutives au dépôt à présenter des observations orales à
l’audience, soit en personne, soit par son conseil. Le cadrage des
arguments des uns et des autres amène le juge à relever durant l’instruction
les erreurs ou vices de procédure au regard de la loi de l’impôt.
En jurisprudence administrative comparée, par l’arrêt
DANTHONY et A. du 23 décembre 201116, le Conseil d’État français a
reformulé sa jurisprudence pour rattacher les irrégularités de procédure
susceptibles d’entacher la légalité d’une décision de l’administration fiscale
à deux cas biens distincts : l’irrégularité, soit « a privé les intéressés d’une
garantie », soit « a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la
décision prise ». Ainsi, la distinction traditionnelle d’erreurs « substantielles » et
« non-substantielles » disparaît donc pour laisser place à une nouvelle lecture
déjà en application comme l’illustre l’arrêt M. et Mme MEYER17. Cette
nouvelle approche du juge administratif suprême français visant la
protection de ce qu’un auteur qualifie de « droit à l’erreur de
l’administration »18, peut inspirer les juges béninois et camerounais de
l’impôt. Quant au mémoire en défense de l’administration fiscale, il faut
noter qu’à la réception du mémoire introductif d’instance, le fisc prépare
son mémoire avec méthode. Elle étudie d’abord la recevabilité de ce
dernier, procède à son examen au fond et éventuellement sollicite du juge
l’expertise.
S’agissant de la vérification de la recevabilité, le fisc s’assure que,
d’une part, la requête n’est ni prématurée, ni tardive, d’autre part, de la
désignation du requérant ou du mandat éventuel en cas de représentation.
Le droit fiscal français (article L199-C du LPF) autorise même le
contribuable à se fonder, en appui à ses conclusions, sur une cause

15 LAMBERT Thierry, Procédures fiscales, Paris, LGDJ, 3ème édition, 2017, p. 612.
16 Conseil d’Etat français, Ass., 23 décembre 2011, n°335.033, DANTHONY et A., RFDA
2012, p. 284, concl. G. DUMORTIER, note P. CASSIA ; JCP éd. A 2012, comm. 2089,
note C. BROYELLE.
17 Conseil d’Etat français, Sect., 16 avril 2012, n° 320.912, M. et Mme MEYER, Dr. Fisc.

2012, n° 27, comm. 366, concl. D. HEDARY, note O. FOUQUET ; JCP éd. G. 2012, note
687, note M. COLLET.
18 LATIL Georges, Contentieux fiscal, Francis Lefebvre, 2002. Cité par COLLET Martin,

Droit fiscal, op. cit., p. 156.


78
juridique distincte de celle invoquée dans sa réclamation préalable ou dans
son mémoire introductif d’instance, mais dans la limite du dégrèvement ou
de la restitution sollicitée comme l’indique la haute juridiction
administrative béninoise dans son arrêt du 22 août 2002, affaire Personnel
SONAR c/État béninois19.
En ce qui concerne l’examen au fond, l’administration fiscale
s’assure de la bonne utilisation des procédures et de l’évolution de la
jurisprudence sur les différents points soulevés comme des éléments de
preuve. Il faut nuancer pour dire que la jurisprudence béninoise est d’une
extrême rareté en matière fiscale comme celle camerounaise. Ce qui amène
le juge administratif de l’impôt de ces Etats à s’inspirer de la jurisprudence
administrative française en la matière au titre de la référence au droit
comparé. Par la suite, l’administration fiscale procède, en cas de besoin, à
une compensation comme à une substitution de base légale. Enfin,
l’admission des prétentions du contribuable peut être totale notamment
lorsque la procédure est viciée. Dans la même veine, pour diverses raisons,
le contribuable peut, en cours d’instance, décider de se désister. Ce
désistement d’action devient irrévocable lorsqu’il est accepté par l’autre
partie comme c’est le cas de l’affaire Société ORYX-Bénin c/DGI20.
Quant à la mesure spéciale d’expertise, elle peut être ordonnée par
le juge au moyen d’un jugement avant dire droit, soit d’office, soit à
l’initiative d’une des parties. Cette mesure est prise dans le cas où des
constatations (ou une consultation) ne pourraient suffire à éclairer le
juge21. L’administration fiscale ne sollicite pas, le plus souvent, du juge
administratif la constitution d’un expert, mais exige une contre-expertise
en cas d’impartialité de l’expert. Avec cette méthode, l’administration
fiscale aborde le contentieux juridictionnel de l’impôt avec sérénité et
professionnalisme, bien que la production des mémoires et pièces soit
enfermée dans des délais stricts par le juge d’instruction.
Dans la mise en œuvre de ses pouvoirs, le juge est autorisé par la loi
pour fixer des délais de communication de pièces aux parties et pour tirer
toutes les conséquences résultant du non-respect de ces délais.
En ce qui concerne le délai, il est considéré comme un outil de
régulation du procès au service du juge administratif. Le droit commun de
la procédure devant les formations juridictionnelles de la Cour suprême du
Bénin demande au juge, d’assigner aux parties en cause un délai pour

19 Cour suprême du Bénin, Arrêt n°98-114/CA du Greffe du 22 août 2002, n°49/CA du


Répertoire de la République du Bénin, affaire Personnel SONAR c/Etat béninois, in
AKEREKORO Hilaire, Les grands Arrêts de la jurisprudence administrative béninoise, Abomey-
Calavi, Les Editions de la Miséricorde, 2018, p. 990.
20 Convention transactionnelle objet de la Lettre
n°874/MEFPD/DC/SGM/DGI/DLC/SC du 27 août 2015 au sujet règlement amiable et
définitif de l’affaire n° 2014-70.CA1 de la Chambre administrative de la Cour Suprême,
relative au dossier de contentieux fiscal entre la Société ORYX-Bénin SA et la DGI.
21 Art. 331 du Code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des

comptes du Bénin précité.


79
produire leur mémoire22. Ce délai ne peut être inférieur à un mois, sauf en
cas d’urgence reconnu par ordonnance du président de la Cour suprême.
Lorsque les délais impartis par le rapporteur se trouvent expirés, le greffier
en chef adresse à la partie qui n’a pas observé le délai, une mise en
demeure comportant un nouveau et dernier délai. Si la mise en demeure
reste sans effet, la chambre administrative statue23. En matière fiscale, cette
largesse est contrée par les dispositions spéciales du CGI et du LPF24. Au
Cameroun par contre, l’article L133 du LPF a disposé autrement : le
ministre chargé des finances dispose d’un délai de trois mois pour produire
le mémoire en défense dès la réception de la copie de la requête du
contribuable. Pour ce qui est du quantum du délai et des conséquences du
non-respect des délais, les articles 1108 nouveau du CGI et L136 du LPF
béninois disposent qu’il s’agit de délais francs (les premier et dernier jours
ne comptent pas). S’y ajoute le prononcé des mesures d’instruction.
2. Le prononcé des mesures d’instruction
Aux termes du Code de procédure administrative en vigueur au
Bénin, tel que modifié et complété, le juge a le pouvoir d’ordonner d’office
toutes les mesures d’instruction légalement admissibles et les parties sont
tenues d’apporter leur concours auxdites mesures. Ainsi, le juge
administratif conserve le pouvoir de prononcer toute une gamme de
mesures d’instruction sur l’initiative des parties ou d’office dont la plus
usitée reste l’expertise.
En droit fiscal, les mesures d’instruction du juge administratif sont
moins nombreuses que celles de droit commun. Il s’agit de l’expertise, de
la visite des lieux, de la vérification d’écritures et de l’enquête, visant à
recueillir des témoignages par audition. Il est développé une mesure
d’instruction orale qui exclut la comparution des parties au procès.
Pour les mesures d’instruction orale et leurs limites, il faut préciser
que l’enquête25 est une mesure d’instruction qui permet de recueillir des
témoignages des tiers pour éclairer des faits dont la constatation peut
paraître utile au juge administratif pour l’instruction de l’affaire. L’audition
des parties ainsi que l’enquête sont donc des mesures d’instruction orale,
qui face à la procédure contentieuse de l’impôt ayant un caractère écrit,
font soupçonner une incongruité. Là-dessus, il n’y a point de doute, le
législateur a estimé sur ce point que ces mesures d’instruction sont bien

22Art. 12 de la Loi n° 2004-20 du 17 août 2007 portant règles de procédures applicables


devant les formations juridictionnelles de la Cour suprême du Bénin.
23Art. 33 de la loi portant règles de procédures applicables devant les formations

juridictionnelles de la Cour suprême du Bénin précitée.


24 Le troisième alinéa de l’article L155 du LPF du Bénin dispose : « Les tribunaux accordent,

soit aux parties, soit aux préposés du service qui suivent les instances, le délai qu’ils leur demandent pour
produire leur défense ; il ne peut néanmoins être de plus de trois décades ».
25 L’enquête est régie par les articles 65 à 71 de la Loi du 29 décembre 2006 au Cameroun

et les articles 275 à 301 du Code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et
des comptes du Bénin modifié et complété précité.
80
compatibles avec les écrits formant le dossier d’instance devant le tribunal.
Se fondant sur ce principe, les parties peuvent solliciter et obtenir du juge
des explications orales qui, selon le Conseil d’État français, ne seront
prises en compte que dans la mesure où elles se rattachent aux moyens
exposés dans les mémoires26. Toutefois, ce principe admet une limite
majeure qu’est l’exclusion de la comparution des parties au procès. En
dépit des explications fournies, le juge peut se décider ou sur l’initiative
d’une partie d’aller constater par lui-même, les faits ou les écritures
comptables passées au moyen du transport judiciaire. Par cette mesure, le
tribunal peut se transporter sur les lieux ou désigner un juge pour procéder
aux constatations et vérifications utiles sur le terrain.
L’expertise est une instruction au moyen duquel le juge confie à un
tiers qualifié d’« expert » la mission de recueillir, de préciser, de vérifier ou
d’apprécier en toute indépendance, des faits douteux ou litigieux,
susceptibles d’avoir une incidence sur la solution de l’affaire à lui soumise.
En réalité, « le juge ne recours à l’expert que lorsqu’il ne s’estime pas suffisamment
édifié sur une question de fait qui requiert des investigations complexes »27.
En matière fiscale, les textes spécifiques béninois, à savoir le CGI et
le LPF, sont muets sur l’expertise et font donc jouer le droit commun. Par
contre, au Cameroun c’est tout le contraire. Les articles L134 à L139 du
LPF encadrent les conditions de la désignation du ou des experts et le
calendrier d’action de ces derniers. Toutefois, une contre-expertise peut
toujours être ordonnée par le juge s’il y a lieu, notamment par la DGI,
partie défenderesse. De manière générale, les prérogatives du juge
s’étendent au choix des experts et à la définition du calendrier des
opérations d’expertise fiscale.
Du point de vue de la théorie du droit, la mission de l’expert peut
être très utile pour le juge administratif. En effet, contrairement aux
avocats qui constituent des auxiliaires des parties au procès en général, aux
procès fiscaux en particulier, les experts sont des auxiliaires du juge. Leurs
observations et constatations peuvent éclairer le juge administratif dans sa
conduite du contentieux juridictionnel de l’impôt.
Si le choix du ou des experts se fait uniquement par le juge
administratif béninois, tel n’est pas le cas au Cameroun où ce choix est
opéré, soit par le juge, soit par les parties au procès fiscal. Ainsi, lorsque les
parties optent pour un seul expert, ce dernier est désigné par le président
du tribunal ou les parties s’accordent pour le désigner. Mais, lorsque
l’expertise est confiée à trois experts, l’un d’eux est nommé par le tribunal
et chacune des parties désigne le sien. Cette position du législateur
camerounais tient vraiment compte de la particularité de l’impôt, une

26 Conseil d’Etat français, 24 janvier 1956, n° 42.539, R.J.F. 1986, n° 286. Cité par
HERTZOG Robert (dir.), Le juge fiscal, op. cit., p. 72.
27 Cour d’Appel de Cotonou, Arrêt n° 9 du 31 janvier 1985, ADD, Affaire SOMAÏ

ATANLEY c/ Veuve Louise QUENUM née BOYER, in Droit & Lois, Recueil d’Arrêts de la
Cour Suprême et des Cours d’appel de Cotonou et Parakou, Cotonou, édition n° 1, 2005, p. 219.
81
matière de tous les enjeux pour l’État. En réalité, la décision de
nomination des experts est un jugement avant dire droit qui peut être
frappée d’appel. Il faut mentionner la possibilité de récusation du ou des
experts désignés par le juge et leur devoir de signifier leur acceptation ou
non d’accomplir la mission confiée. À ce sujet, le Conseil d’État français a
admis que le juge peut décider de recourir à une mesure d’instruction
visant « le contrôle de l’absence de caractère frustratoire d’une expertise et de sa
conformité aux règles gouvernant la charge de la preuve »28. Cette réflexion semble
légitime car, comme le souligne un auteur « le recours à l’expertise allonge
dangereusement les délais »29. En matière fiscale, il est souhaitable d’encourager
le contribuable à opposer à l’administration une méthode plus
convaincante, en cas de reconstitution du chiffre d’affaires par exemple,
pour critiquer à merveille, la méthode utilisée par celle-ci. Aujourd’hui, « la
tendance jurisprudentielle récente est d’éviter le plus possible de recourir à l’expertise »30
en raison de l’allongement inutile de la procédure. Mais, si telle n’est pas la
volonté du juge administratif, il faut préciser que la mission confiée aux
experts est assortie d’un calendrier d’exécution des opérations d’expertise
fiscale.
Quant au principe même de l’expertise, il importe de souligner
qu’elle ne peut porter que sur des questions de fait et non de droit. Ainsi, à
l’expert, il est interdit de faire des appréciations d’ordre juridique. Mieux,
cette mesure d’instruction ne peut être ordonnée sur un fait que lorsque la
partie qui l’évoque ne dispose pas d’éléments suffisants pour le prouver.
Par contre, elle ne peut jamais être ordonnée pour suppléer une carence de
la partie qui l’évoque dans l’administration de la preuve. Au demeurant,
une série de jurisprudences du Conseil d’Etat français a permis d’élucider
la question. Ainsi, pour le juge de la haute juridiction administrative
française, « l’expertise ne saurait avoir pour objet la détermination du régime
d’imposition applicable mais, pour autant qu’un commencement de preuve de
l’exagération de l’évaluation des bases d’imposition apparaisse »31, il a admis
également que l’expertise « peut porter sur le contenu exact de la méthode utilisée
par l’administration fiscale »32, sur « ses insuffisances alléguées »33, ou encore « sur
les implications de la méthode proposée par le contribuable »34. Elle peut aussi porter
« sur la régularité et la valeur probante d’une comptabilité puis, dans le cas où celle-ci,

28 Conseil d’Etat français, Ass., 28 février 1975, n° 89.759 et 90.239, R.J.F. 1975, p. 159.
Cité par HERTZOG Robert (dir.), Le juge fiscal, op. cit., p. 73.
29 BACHELIER Gilles et alii, Le contentieux fiscal, Paris, Litec, 2ème édition, 1996, p. 157.
30 Id., Le contentieux fiscal, op. cit., p. 157.
31 Conseil d’Etat français, 26 juillet 1985, n° 45.671, RJF 1985, p. 778, in HERTZOG

Robert (dir.), Le juge fiscal, op. cit., p. 74.


32 Conseil d’Etat français, 1er juillet 1985, n° 49.711, RJF 1985, p. 676, in HERTZOG

Robert (dir.), Le juge fiscal, op. cit., p. 74.


33 Conseil d’Etat français, 22 mars 1985, n° 41.754, RJF 1985, p. 499 in HERTZOG Robert

(dir.), Le juge fiscal, op. cit., p. 74.


34 Conseil d’Etat français, 10 juillet 1985, n° 50.913, RJF 1985, p. 716 in HERTZOG

Robert (dir.), Le juge fiscal, op. cit., p. 74.


82
comme le soutient l’administration fiscale, ne répondrait pas à ces exigences, sur la
pertinence de la méthode extra-comptable suivie par l’administration »35. Dans tous
les cas, l’expertise même la mieux élaborée ne peut emporter la conviction
du juge qu’après analyse, surtout que « par-delà sa fonction instrumentale, qui est
d’améliorer la qualité des décisions, l’expertise se présente comme un dispositif de
légitimation : le recours à l’expertise est censé apporter une caution de « scientificité ».
... »36. Aux pouvoirs du juge administratif ci-dessus étudiés, il faut
adjoindre ceux d’application de la règle de droit.
B. Les pouvoirs d’application de la règle de droit
Au Bénin, l’application de la règle de droit au litige fiscal suppose
que le juge administratif tranche le litige conformément aux règles de droit
qui lui sont applicables. À cet effet, il donne ou restitue d’abord l’exacte
qualification des faits et actes litigieux sans se limiter à la dénomination
que les parties en auraient proposée. Ensuite, il détermine les moyens qui
viendront au soutien de sa décision. Enfin, il peut inviter les parties à
fournir les explications de droit qu’il estime nécessaires à la solution du
litige. Il importe de préciser les pouvoirs qu’exprime sa décision. Ainsi, il
est successivement abordé les pouvoirs du juge à l’égard des moyens de
nature à affecter le sort de la demande des parties (1) et sa décision (2).
1. Les actions du juge de nature à affecter le sort de la
demande
Se prononçant sur la demande en réduction de la contribution des
patentes introduite par la Société des Aciéries de Pompey, le Conseil d’Etat
français a fixé les esprits sur la nature juridique du contentieux de l’impôt.
Elle la range dans la catégorie des recours de pleine juridiction37. Cette
décision, qui a sonné le glas à une ancienne pratique, consacre une
plénitude de pouvoirs au juge administratif dans son office, car il n’est plus
limité à la simple annulation éventuelle de la décision attaquée. Désormais
donc, en matière fiscale, le juge non seulement contrôle sous l’angle de la
légalité objective l’exercice des pouvoirs du fisc, mais encore peut se
substituer à l’administration fiscale pour examiner tous les éléments de fait
et de droit d’une situation individuelle et fixer lui-même la dette du
contribuable. Cette affirmation de l’arrêt Société des Aciéries de Pompey a
permis au juge, dans l’application de la règle de droit, d’user des pouvoirs
visant la formation de sa conviction et qui sont de nature à affecter le sort
de la demande introductive d’instance. Il s’agit précisément de ses

35 Conseil d’Etat français, 26 juillet 1985, n°41.363 et s., RJF 1985, n°1466 in HERTZOG
Robert (dir.), Le juge fiscal, op. cit., p. 74.
36 CHEVALLIER Jacques, « Lʼexpertise au prisme du contrôle du juge », in Cairn. info du

29/09/2020, n° 51, page 12 sur https://www-cairn-info.ressources.univ-poitiers.fr/revue-


francaise-d-administration-publique-2020-1-page-11.htm, consulté le 22 juillet 2021.
37 Conseil d’Etat français, Sect., 29 juin 1962, req. 53.090, Société des Aciéries de Pompey, R.

438, JCP 1963, II, 13026, concl. POUSSIERE, note TOURDIAS, in GOUR Claude,
MOLINIER Joël et TOURNIE Gérard, Les Grandes Décisions de la Jurisprudence-Droit fiscal,
Paris, Puf, 1977, p. 160.
83
prérogatives personnelles assorties d’une interdiction formelle de
substitution de base légale.
En jurisprudence administrative, il est constant que le juge
administratif soit bien obligé de relever d’office les moyens d’ordre
public38. Cette prérogative, apparemment contraignante, recouvre en
réalité un large pouvoir d’appréciation du juge administratif, auquel
s’ajoute celui de la réformation de l’imposition.
De son obligation de relever d’office les moyens d’ordre public, il
faut souligner que sur la question d’évocation de nouveaux moyens et
motifs devant le juge administratif, le CGI et le LPF sont restés muets au
Bénin. Par contre, la question des moyens d’ordre public qui, au plan
fiscal, se trouve fortement attachée au caractère public de l’impôt, a trouvé
sa réponse en droit comparé dans deux séries d’arrêts de principe du
Conseil d’État français. La première série est une réponse au principe-
même car, par l’arrêt du 9 avril 1962, la haute juridiction administrative a
admis qu’« il est de règle, dans le contentieux fiscal comme dans le contentieux
administratif général, que les moyens d’ordre public, que le juge a d’ailleurs l’obligation
de soulever d’office, sont susceptibles d’être invoqués à tout moment de la procédure »39, y
compris les vices de forme notamment le non-respect des délais, d’autre
part, consacre la distinction parmi les moyens présentés postérieurement à
la demande introductive d’instance ou en appel. À ce sujet, une distinction
est faite entre les moyens qui constituent des demandes nouvelles et qui
sont d’office irrecevables et ceux qui, en revanche, demeurent recevables à
tout moment de la procédure. Ainsi, la notion de cause juridique de la
demande a permis au Conseil d’État français d’opérer cette distinction
dans les arrêts CHAFFOIN du 25 février 1928 et FILDIER du 15 février
192940. Par ces vieux arrêts, la Haute Assemblée a rejeté des conclusions
qui ne constituent pas « un moyen nouveau à l’appui de la requête primitive, mais
une demande nouvelle fondée sur une cause juridiquement distincte de celle qui servirait
de base à ladite requête ». Il en découle une double corrélation entre, d’une
part, moyen nouveau recevable et cause juridique identique, d’autre part,
demande nouvelle irrecevable et cause juridique distincte. De cette
première série d’arrêts, il est à noter, d’une part, que le juge a l’obligation
de soulever d’office les moyens d’ordre public, d’autre part, que la
protection du contribuable est assurée puisqu’il a désormais la possibilité
de soumettre des moyens nouveaux au juge à condition de respecter
l’identité de la cause juridique, c'est-à-dire, dans la limite du dégrèvement
initialement sollicité.

38 Conseil d’Etat français, 9 avril 1962, n° 49.983, DF 1962, n° 52, p. 63, concl. MARTIN,
in GOUR Claude, MOLINIER Joël et TOURNIE Gérard, Les Grandes Décisions de la
Jurisprudence-Droit fiscal, op. cit., p. 160.
39 Conseil d’Etat français, 9 avril 1962, n° 49.983, DF 1962, n° 52, p. 63, concl. MARTIN,

in GOUR Claude, MOLINIER Joël et TOURNIE Gérard, Les Grandes Décisions de la


Jurisprudence-Droit fiscal, op. cit., p. 160.
40 Conseil d’Etat français, 25 février 1928, CHAFFOIN, R. 270 et FILDIER du 15 février

1929, R. 190.
84
S’agissant de la deuxième série d’arrêts, le Conseil d’État français a
retenu globalement qu’en matière fiscale, le juge du fond doit soulever
d’office l’inapplicabilité d’un texte, s’il ne peut pas statuer sur les moyens
qui sont invoqués par les parties en demande ou en défense sans lui-même
se fonder, dans les motifs de sa décision, sur ce texte, alors qu’en droit il
est inapplicable à l’espèce. En conséquence de quoi, lorsqu’il est saisi d’une
requête reposant uniquement sur l’application de la doctrine
administrative, il doit d’office se placer « prioritairement » sur le terrain de la
loi41 en raison du caractère subsidiaire de la doctrine, par rapport à la loi
fiscale et il encourt la cassation de son arrêt s’il ne le fait pas42.
Quant au pouvoir de réformation de l’imposition par le juge,
devrait-il renvoyer le requérant devant l’administration fiscale sans
prononcer lui-même le dégrèvement demandé ? Au Cameroun, la réponse
de la haute juridiction administrative est positive ainsi qu’elle le montre
dans l’arrêt I.L.S du 14 janvier 200943. Au Bénin, par une décision en date
du 6 juin 2019, la haute juridiction administrative n’ayant pas d’éléments
probants devant lui permettre de se prononcer sur la décharge sollicitée a
affirmé qu’« il se dégage ainsi des éléments du dossier et des débats à l’audience que
l’Administration n’a pas réussi à convaincre de la lisibilité de la procédure de
redressement et des conditions et éléments de calcul de l’imposition due par la société
SERVAX Group Sarl au titre des exercices clos au 31 décembre 2002, 2003 et
2004 »44 et a « ordonné à l’Administration la reprise de toute la procédure de
redressement et le calcul de l’imposition due par la société SERVAX Group Sarl au
titre des exercices clos au 31 décembre 2002, 2003 et 2004 »45. Ainsi décidé, il est
clair qu’il n’a pas réglé le problème, car le fisc a le coudé franche pour fixer
à sa guise les nouveaux droits à mettre à la charge du contribuable. Elle
peut en décider de trop ou en moins car elle n’est pas bornée par le juge.
À l’instar de l’administration fiscale, le contribuable a-t-il le droit
d’évoquer de nouveaux moyens ou de nouvelles pièces en cours d’instance
dans le contentieux de l’impôt ? Au Bénin, la situation varie selon que le
juge de l’impôt est un juge administratif ou civil. Au Cameroun, où il est

41 Conseil d’Etat français, 25 février 1985, n° 39.003, Plén. RJF 1985, 4.544, concl. O.
FOUQUET, DF 1985 42.1783, in DAVID Cyrille et alii, Les grands arrêts de la jurisprudence
fiscale, Paris, Dalloz, 5ème édition, 2009, p. 1042.
42 Conseil d’Etat français, 14 juin 1996, HEILMANN, RFJ 1996 8-9.1044, in DAVID

Cyrille et alii, Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale, op. cit., p. 1042
43 Cour suprême du Cameroun, CS/CA Arrêt n° 006/2009/CA/CS du 14 janvier 2009,

Affaire I.L.S c/ Etat du Cameroun (MINEFI), in ATECK A DJAM Félix, Droit du contentieux
fiscal camerounais, Paris, L’Harmattan, 2017, p. 223. Elle n’a pas cru devoir l’appliquer
lorsqu’elle décide qu’au fond, le recours « est partiellement justifié : par conséquent, le
commandement contesté est maintenu en ce qui concerne le montant de 51.300.000 F CFA relatif à la
facture de transport de POUZZOLANTE ; il est annulé en ce qui concerne la prise en compte en produit
du montant de 2.600.000 F CFA payé à la Société ITCO ».
44 Cour Suprême du Bénin, n° 239/CA du Répertoire, n° 2009-029/CA1 du Greffe du 6

juin 2019, Affaire SERVAX Group Sarl c/ DGID-MEF.


45 Cour Suprême du Bénin, n° 239/CA du Répertoire, n° 2009-029/CA1 du Greffe du 6

juin 2019, Affaire SERVAX Group Sarl c/ DGID-MEF.


85
connu que le contentieux de l’impôt relève du seul juge administratif, c’est
l’article L 130 du LPF qui autorise le contribuable à faire valoir toutes
conclusions nouvelles à condition de les formuler expressément dans sa
demande introductive d’instance mais, dans la limite du dégrèvement
primitivement sollicité46. Au demeurant, la jurisprudence concentre aux
seules mains de l’administration fiscale l’initiative de la mise en œuvre du
principe de substitution de base légale sans pour autant affecter la décision
du juge de l’impôt.
2. La décision du juge de l’impôt
La décision du juge administratif statuant en matière d’impôt vise à
mettre fin au débat contentieux engagé par les parties. Elle marque la fin
du procès. N’étant pas encore une vérité juridictionnelle, qu’on nomme
autorité de la chose jugée, parce qu’issue des tribunaux administratifs de
première instance, les parties peuvent interjeter appel et au besoin se
pourvoir en cassation. En raison de la fonction opératoire de cette
décision, le juge s’assure de certaines prérogatives avant son prononcé.
Ainsi, la décision du juge exprime en réalité, certains pouvoirs du juge de
l’impôt et recouvre une teneur significative.
Les pouvoirs de décision du juge de l’impôt traduisent la
participation du contentieux de l’impôt au procès fiscal. Ils sont mis en
œuvre principalement par les juridictions inférieures qui sont, en réalité, le
juge de l’impôt en dehors des juridictions de cassation qui n’exercent que
leurs attributions ordinaires de contrôle de conformité aux règles de droit
du jugement attaqué sans recourir à une disposition spéciale en dehors du
droit commun. C’est donc à juste titre que le professeur Joël MOLINIER
pense que « le juge de cassation ne peut être considéré comme un juge de l’imposition,
faute d’être en mesure d’exercer directement des pouvoirs à l’égard de celle-ci »47. Dans
la mise en œuvre de ces pouvoirs, le juge veille surtout à son indépendance
vis-à-vis des conclusions de l’Administration et statue dans certains cas en
toute équité.
Sur l’indépendance du juge au regard des décisions de
l’Administration, dans son office le juge dispose des pouvoirs très étendus
qui, pour une bonne partie, concourent, soit à la réduction ou à la
décharge, soit au maintien ou au rétablissement de l’imposition. Ils
l’amènent, entre autres, à ne pas s’estimer lier par les conclusions de
l’administration fiscale, même si cette dernière est convaincue par les
allégations du contribuable et expose à cet effet, une conclusion en faveur
d’une réduction ou d’une décharge devant le juge. Cette posture du juge
vise à ne pas servir de caution à l’Administration dans ses manœuvres

46 Art. L130 du LPF du Cameroun qui dispose : « Le requérant ne peut contester devant le tribunal
administratif des impositions différentes de celles qu’il a visées dans sa réclamation à l’administration.
Mais, dans la limite du dégrèvement primitivement sollicité, il peut faire valoir toutes conclusions nouvelles à
condition de les formuler expressément dans sa demande introductive d’instance ».
47 MOLINIER Joël, « L’office du juge en contentieux fiscal », ibid., p. 79.

86
ostentatoires de protection du contribuable contre les intérêts du Trésor
public, dans un élan de mépris des principes de la légalité de l’impôt et de
l’égalité devant l’impôt. L’indépendance du juge apparaît dès lors comme
ce fut le cas de l’arrêt du 30 avril 1975 marquant le refus du juge de suivre
l’Administration dans le cadre de la mise en œuvre du principe de la
substitution de base légale, comme un gage ou une assurance des intérêts
du Trésor public.
En outre, sur le terrain de la réduction de l’imposition, le juge devra
se substituer à l’administration fiscale pour liquider lui-même le montant
de la cote à maintenir à la charge du contribuable48. Là encore, le juge doit
se montrer suffisamment libre pour statuer ex aequo et bono. En vue de la
formation du jugement, il n’est pas exclu de voir le juge administratif
statuer éventuellement « selon ce qui est équitable et bon ». Ce mode alternatif
de règlement des litiges est admis en droit positif béninois par l’article 13
du Code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des
comptes du Bénin, modifié et complété précité et en droit camerounais par
l’article 7 de la Loi n° 2006/015 du 29 décembre 2006. En vérité, il est des
cas qui forcent une telle attitude du juge où il exerce un pouvoir
modérateur pour mieux enserrer l’espèce. Ainsi, il statue en « amiable
compositeur » pour utiliser l’expression du législateur béninois en fondant sa
décision, non sur la règle de droit, mais sur l’équité conformément au
compromis des parties. À ce titre, le commentaire des limites que
rencontrent ces pouvoirs dépend, pour une large part, des rapports
qu’entretient le juge avec les parties dans la détermination de l’objet du
litige.
La teneur de la décision du juge administratif, en premier lieu, fait
apparaître à la fois deux obligations et deux principes de droit, en second
lieu, prend des formes variées lorsqu’il émane de la haute juridiction
administrative.
Au Bénin comme au Cameroun, le CGI et le LPF sont restés muets
sur le contenu du jugement. Néanmoins les textes de droits commun ont
organisé le contenu du jugement autour de l’observance de deux
obligations et de deux principes.
En ce qui concerne les obligations, il faut dire que le jugement est
rendu soit en séance publique, soit en séance non publique49, c'est-à-dire,
en chambre du conseil50. Il s’agit d’une obligation légale dont
l’inobservation peut être soulevée par la partie que la loi entend protéger.

48 Conseil d’Etat français, 3 mars 1982, n° 17.636, RJF 1982, p. 189 et Conseil d’Etat
français, 7 juin 1978, n°7485, RJF 1978, p. 257. Cité par HERTZOG Robert (dir.), Le juge
fiscal, op. cit., p. 80.
49 SCHMELTZ Guy-Willy, La jurisprudence fiscale de la juridiction administrative, Paris, Dalloz,

1978, p. 173.
50 Art. 516 du Code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des

comptes du Bénin, modifié et complété précité.


87
De plus, tout jugement est rendu au nom du peuple51 et sa date, celle à
laquelle il est prononcé52 doit être obligatoirement mentionnée. Quant à la
deuxième obligation, elle porte sur l’inscription des visas suffisants, par
lesquels le juge analyse les conclusions et les moyens des parties et fait état
des textes applicables53. De même, la loi exige la mention d’informations
utiles, telles les nom, prénoms, qualité, siège social ou principal
établissement de chacune des parties, de leurs mandataires et de leurs
conseils ; l’objet du litige ; le nom du représentant du ministère public ; le
nom et la signature du président et du greffier qui l’a assisté54. Il faut
préciser que « les erreurs ou omissions matérielles qui affectent un jugement, même
passé en force de chose jugée peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l’a
rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle »55. Toutefois,
les erreurs plus graves entraînent l’annulation du jugement, telles que celles
qui affectent la date du délibéré56 ou la mention de l’audition du
contribuable qui n’a en vérité pas pris la parole57 ou encore les dispositions
législatives non encore entrées en vigueur ou non applicables58 et enfin
l’analyse de la demande59, soit des omissions totales de l’analyse des
moyens60.
S’agissant des deux principes de droit, ils précisent que, pour le
premier, le jugement doit être suffisamment motivé61 et, pour le second, le
jugement doit statuer sur toutes les conclusions des requêtes. Lorsqu’il est
retenu en droit du contentieux de l’impôt que le jugement doit être
suffisamment motivé, son inobservation ou l’insuffisance de motivation
observée par le juge administratif expose le jugement à son annulation.
Le second principe, celui selon lequel le jugement doit statuer sur
toutes les conclusions des requêtes présente en réalité deux aspects. Le
premier aspect ou signification est qu’il doit être statué sur les conclusions
des contribuables sans exception, que ces conclusions soient principales,

51 Art. 526 du Code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des


comptes du Bénin, modifié et complété précité.
52 Art. 525 du Code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des

comptes du Bénin, modifié et complété précité.


53 SCHMELTZ Guy-Willy, La jurisprudence fiscale de la juridiction administrative, op. cit., p. 174.
54 Art. 526 du Code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des

comptes du Bénin, modifié et complété précité.


55 Art. 533 du Code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des

comptes du Bénin, modifié et complété précité.


56 Conseil d’Etat français, 4 juin 1969, p. 281, in SCHMELTZ Guy-Willy, La jurisprudence

fiscale de la juridiction administrative, op. cit., p. 174.


57 Conseil d’Etat français, 22 novembre 1972, 80920, p. 746, in SCHMELTZ Guy-Willy, La

jurisprudence fiscale de la juridiction administrative, op. cit., p. 174.


58 Conseil d’Etat français, 24 juillet 1937, p. 788, in SCHMELTZ Guy-Willy, La jurisprudence

fiscale de la juridiction administrative, op. cit., p. 174.


59 Conseil d’Etat français, 11 juillet 1972, Société immobilière du parc des expositions, p. 624, in

SCHMELTZ Guy-Willy, La jurisprudence fiscale de la juridiction administrative, op. cit., p. 174.


60 Conseil d’Etat français, 07 février 1968, Société X, p. 96, in SCHMELTZ Guy-Willy, La

jurisprudence fiscale de la juridiction administrative, op. cit., p. 174.


61 BACHELIER Gilles et alii, Le contentieux fiscal, op. cit., p. 180.

88
subsidiaires62 ou afférentes aux pénalités63 ou aux frais d’expertise64. Sur le
second aspect ou signification à lui accorder, le jugement ne doit pas être
statué sur des conclusions non présentées au juge. Ainsi, les décisions
ayant statué ultra petita sont annulées65, à condition que le moyen soit
soulevé66. Il en est de même du jugement qui a statué sur des conclusions
devenues sans objet67.
Pour ce qui est des différentes formes de la décision du juge de
l’impôt, elle peut déjà prendre la forme d’une décision de non-lieu lorsque
le contribuable parvient à obtenir de l’administration fiscale un
dégrèvement d’office. Lorsque la décision est rendue par la plus haute
juridiction administrative, elle peut prononcer l’annulation d’une décision
d’une juridiction administrative inférieure.
En somme, à la lumière des développements qui précèdent, l’office
du juge administratif dans le contentieux juridictionnel de l’impôt
comporte de nombreux aspects positifs. Toutefois, des goulots
d’étranglements demeurent. Leur analyse permet d’aborder un office du
juge administratif limité.
II. Un office limité
Il n’est pas un secret de polichinelle que la noble mission du juge
administratif connaît bien d’obstacles réels qui entraveraient son
accomplissement, notamment en matière d’impôt. Il est un fait qu’il ne lui
est pas reconnu le pouvoir classique de substitution de base légale. Il lui est
également interdit beaucoup d’autres initiatives dans la mise en œuvre de
ces pouvoirs. En clair, nombreuses sont les contraintes qui ne dépendent
pas de sa volonté. Toutefois, il en existe beaucoup d’autres qui sont liées à
la volonté du juge de l’impôt de faire prospérer ses décisions. Ainsi,
lorsqu’il est pris en considération le contexte purement africain,
notamment celui du Bénin et du Cameroun, il est bien de facteurs qui
handicapent la mission du juge administratif dans le contentieux de
l’impôt. C’est pourquoi, il est démontré, en premier lieu, les contraintes
involontaires (A), en second lieu, celles volontaires de ce juge (B).

62 Conseil d’Etat français, 2 décembre 1970, 77434, p. 725, in SCHMELTZ Guy-Willy, La


jurisprudence fiscale de la juridiction administrative, op. cit., p. 176.
63 Conseil d’Etat français, 19 décembre 1969, Société X, p. 598, in SCHMELTZ Guy-Willy,

La jurisprudence fiscale de la juridiction administrative, op. cit., p. 176.


64 Conseil d’Etat français, 8 mai 1968, 71700, in SCHMELTZ Guy-Willy, La jurisprudence

fiscale de la juridiction administrative, op. cit., p. 176.


65 Conseil d’Etat français, 15 octobre 1965, 63278 ; Conseil d’Etat français, 14 juin 1968,

Ministre c/ Société Pirenchio ; Conseil d’Etat français, 17 décembre 1969, Ministre c/ X, p. 589.
Cité par SCHMELTZ Guy-Willy, La jurisprudence fiscale de la juridiction administrative, op. cit., p.
176.
66 Conseil d’Etat français, 10 mars 1971, Ministre c/ Distillerie de Quibou. Cité par

SCHMELTZ Guy-Willy, La jurisprudence fiscale de la juridiction administrative, op. cit., p. 176.


67 Conseil d’Etat français, 22 décembre 1971, Veuve Delauré. Cité par SCHMELTZ Guy-

Willy, La jurisprudence fiscale de la juridiction administrative, op. cit., p. 176.


89
A. Les contraintes involontaires du juge
L’institution judiciaire affiche, de nos jours, une image pas trop
reluisante. Il est noté partout en Afrique en général, au Bénin et au
Cameroun en particulier, un malaise, un sentiment de méfiance, voire de
suspicion qui anime certains justiciables à l’égard de leur justice. Ainsi,
dans la série des facteurs qui minent le rôle du juge en général et celui de
l’impôt en particulier, mais non liés à sa volonté, deux grandes catégories
d’obstacles ont été identifiées et se rapportent, d’une part, à l’organisation
institutionnelle de la justice (1), d’autre part, à l’environnement socio-
culturel (2) dans lequel il évolue.
1. Les contraintes institutionnelles
Au cœur de l’institution de la justice se trouve le juge de l’impôt
dont l’indépendance n’est qu’un symbole de l’ambiguïté de la magistrature.
En effet, « le pouvoir exécutif est toujours tenté d’affirmer son emprise sur le pouvoir
judiciaire »68 qui essaie tant bien que mal d’y échapper. Bien qu’il soit
d’inspiration du droit français, le cadre juridique de la justice, tel que mis
en place dans les Etats africains d’expression française, assure-t-il
l’indépendance du juge administratif dans le contentieux de l’impôt ?
Quelles sont les limites de ses pouvoirs ?
L’encadrement constitutionnel du pouvoir judiciaire au Bénin et au
Cameroun, comme dans bon nombre d’États africains, fait apparaître le
chef de l’État comme jouant un rôle essentiel dans la carrière des
magistrats. En effet, la Constitution des États dispose généralement que
« le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif »69 et
que « les juges ne sont soumis dans l’exercice de leurs fonctions qu’à l’autorité de la
loi »70. En ce qui concerne l’indépendance, la Constitution béninoise du 11
décembre 1990 révisée dispose que « le Président de la République est garant de
l’indépendance de la justice »71 et au Sénégal, le pouvoir judiciaire est un
gardien des droits et libertés définis par la Constitution et les lois. Sans nul
doute, il s’agit de dispositions rassurantes d’une indépendance certaine du
juge. Pourtant, le cadre juridique dans lequel évolue la justice est très peu
favorable à l’indépendance du juge administratif statuant en matière
d’impôt et le pouvoir exécutif dispose d’assez de moyens de pression sur
sa décision. Concernant le cadre juridique de la justice qui est peu
favorable à l’indépendance du juge de l’impôt, plusieurs dispositions des

68 Selon l’article 80 de la Constitution sénégalaise du 22 janvier 2001 modifiée, le pouvoir


judiciaire est « exercé par le Conseil Constitutionnel, le Conseil d’État, la Cour de Cassation et les
Cours et Tribunaux ». Au Cameroun, l’article 37 (2) de la Constitution prévoit que ce même
pouvoir judiciaire est exercé par « la Cour Suprême, les Cours d’Appel, les Tribunaux ».
69 Art. 125 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 révisée.
70 Art. 126 de la Constitution béninoise précitée.
71 Art. 127 de la Constitution béninoise précitée et Art. 37 (3) de la Constitution

camerounaise du 2 juin 1972 révisée par la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 et en


2008.
90
Constitutions ne sont pas de nature à favoriser son indépendance. Au
Bénin par exemple, les articles 128 et 129 de la Constitution précitée
disposent respectivement : « Le conseil supérieur de la magistrature statue comme
conseil de discipline des magistrats… », « Les magistrats sont nommés par le président
de la République, sur proposition du garde des Sceaux, Ministre de la justice, après avis
du conseil supérieur de la magistrature ». Par ces dispositions, le Gouvernement
peut instrumentaliser la justice. Visiblement, elles lui offrent des
opportunités de moyens de pression sur la décision du juge de l’impôt. À
ce lot de dispositions, s’ajoutent celles de la Loi n° 2001-35 du 21 février
2003 portant statut de la magistrature au Bénin modifiée par la Loi n°
2018-01 du 04 janvier 2018 en ses articles 2 à 7. En sa qualité de supérieur
hiérarchique des magistrats, le Ministre de la justice déteint sur le travail de
ces derniers le bon vouloir du Gouvernement et de son chef. C’est là un
ressenti de la pression de l’exécutif sur le judiciaire.
Quant aux moyens de pression du pouvoir exécutif sur la décision
du juge administratif, il faut relever qu’en vérité, plusieurs possibilités
s’offre à ce pouvoir. À l’analyse, trois (3) types de moyens de pression
peuvent être convoqués à l’analyse. Le premier se rapporte au pouvoir de
recrutement des magistrats dont dispose le Gouvernement. En effet, la
décision de recruter des magistrats et le nombre qu’il faut pour contenter
une bonne justice72 est pour lui un instrument lié aux enjeux de pression
sur la décision du juge de l’impôt.
Le deuxième type de pression exercée relève du moyen que
constitue le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM). Il statue comme
conseil de discipline des magistrats. Or, le président du CSM est encore le
Président de la République. Cette imbrication du Président de la
République dans la chaîne de décision disciplinaire des magistrats et de
leur positionnement dans la justice entame, à coup sûr, l’indépendance tant
souhaitée dans la distribution de la justice.
Le troisième type de moyen occasionnant l’état de soumission du
juge administratif est favorisé parfois par le manque de moyens
professionnels. En effet, l’autonomie de la justice, suppose une mise à
disposition de moyens suffisants pouvant donc permettre au juge de
travailler en toute liberté. Mais, dans la réalité, il est aisé d’assister à un
manque criard de moyens (humain, financier et matériel) de sorte que le
juge se trouve presque en permanence dans un état de soumission73. En
général, il en résulte que le pouvoir exécutif est une véritable zone grise
d’influence des décisions de justice des Etats d’Afrique francophone. Cette

72 BERTHIER Laurent, La qualité de la justice, thèse de doctorat de droit public, Université


de Limoges 2011, 687 p.
73 DJIDJOHO Hermann Kekere, La justice béninoise-Ma part de vérité, Cotonou, Taka

éditions, 2015, p. 37 : « Le juge et le cabinet dont il est le responsable disposent de peu de moyens
financiers, humains et matériels pour acheminer les convocations, ne serait-ce qu’aux unités de
gendarmerie… ». - SAÏZONOU-BEDIE Alexandrine F., « Editorial », in Droit & Lois, n°
031, 2013, p. 4 : « Les frais qui incombent aux justiciables sont augmentés tous les jours alors que les
services offerts à ceux-ci sont au dessous du minimum ».
91
influence vient s’ajouter aux limites aux pouvoirs du juge administratif
dans le contentieux de l’impôt.
Il est connu aux pouvoirs du juge de l’impôt globalement trois
limites classiques à savoir : les interdictions de substitution de base légale
et de faire acte d’administrateur et la règle non ultra petita. A titre indicatif,
la règle non ultra petita prévoit que « Le juge doit se prononcer sur tout ce qui est
demandé et seulement sur ce qui est demandé ». Il en découle, qu’il ne doit statuer
infra petita, c'est-à-dire, « en deçà des choses demandées », ni décider ultra petita,
c'est-à-dire, « au-delà de ce qui a été demandé ». Il est donc tenu de statuer
omnia petita, c'est-à-dire, « sur tout ce qui est demandé ». À titre illustratif, dans
un arrêt de la Cour d’appel de Cotonou en date du 14 juin 2012, le juge a
décidé : « Le moyen tiré de ce que le premier juge a statué ultra petita est inopérant et
mérite rejet ; que les astreintes sont prononcées par le juge pour vaincre la résistance d’un
plaideur ; et que leur montant est laissé à l’appréciation du juge qui n’est pas tenu de
retenir le montant avancé par le requérant »74. La loi est donc formelle à ce sujet
et par l’expression « ce qui est demandé au juge »75, il faut bien entendre l’objet
du litige tel qu’il résulte des prétentions des parties.
Il faut remarquer qu’en dépit du caractère d’ordre public de l’impôt,
le juge ne pouvait soulever d’office des griefs non invoqués par le
contribuable, sauf ceux de la forclusion et de la violation de l’autorité de la
chose jugée. Cette interdiction s’étant également à l’administration fiscale.
En ce qui concerne l’interdiction de principe pour le juge de l’impôt
de faire acte d’administrateur, le pouvoir de réformation de l’imposition
reconnu au juge par la jurisprudence (arrêt Société des Aciéries de Pompey) ne
l’autorise pas à faire « acte d’administrateur »76. En dehors de la règle non ultra
petita, s’ajoute une limite non moins importante qu’est la préservation de la
compétence de l’administration fiscale dans l’établissement ou le
rétablissement de l’impôt. Qu’en est-il de l’environnement socioculturel
pourri dans lequel le juge administratif, juge de l’impôt, exerce son office ?
2. Un environnement socioculturel pourri
Les juges ne peuvent défendre, ni verbalement, ni par écrit, même à
titre de consultation, les causes autres que celles qui les concernent
personnellement. C’est en cela que la loi interne des États précise les
conditions dans lesquelles la récusation d’un juge est admise77. Pourtant,
l’indépendance du juge administratif est compromise dans bien de cas par
une contrainte liée à la solidarité religieuse ou familiale le plus souvent
générateur d’une lenteur judiciaire qu’il faut qualifier de satanique et
légendaire.

74 Cour d’Appel de Cotonou, Arrêt n° 12/12 du 14 juin 2012.


75 Art. 6 du Code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des comptes
du Bénin, modifié et complété précité.
76 AUBY Jean-Marie et DRAGO Roland, Traité de contentieux administratif, Paris, LGDJ, 1ère

édition, 1962, t. III, p. 121.


77 Art. 425 du Code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des

comptes du Bénin, modifié et complété précité.


92
En considération des liens de parenté, le juge administratif, juge de
l’impôt, peut, sur son initiative personnelle ou à la diligence d’une des
parties, être récusé. Au Sénégal par exemple, les parents ou alliés jusqu’au
degré d’oncle ou de neveu inclusivement ne peuvent être simultanément
membres d’une juridiction d’instance ou d’appel, sans dispense du
Président de la République. Si la juridiction comporte moins de quatre
membres, aucune dispense n’est possible.
Au Bénin comme au Cameroun, cette interdiction est faite aux
parents et alliés jusqu'au quatrième degré inclusivement. En outre, nul
magistrat ne pourra connaître d’une affaire fiscale dans laquelle l’une des
parties sera représentée par un conseil ou un mandataire qui serait un
parent ou allié jusqu’au degré d’oncle ou de neveu.
De même la récusation peut être soulevée si le juge de l’impôt ou
son conjoint a un intérêt personnel à la contestation, ou s’il y a amitié ou
inimitié notoire entre lui et l’une des parties ou son avocat. D’abord, le
juge de l’impôt africain prend allègrement sa décision au mépris des règles
d’impartialité et d’indépendance légalement établies. Parlant du cas
camerounais, un auteur a affirmé sans ambages : « Le juge judiciaire est
prisonnier des contraintes liées aux notions de solidarité et de famille élargie que l’on
rencontre dans la majorité des sociétés africaines »78. Abondant dans le même sens,
le professeur Maurice KAMTO indique que « l’indépendance du juge
camerounais n’est pas menacée par le pouvoir politique. Elle l’est davantage par des
pressions intempestives, des affinités tribales et des comportements irresponsables de
certains citoyens »79. Là, c’est toute la question de « l’indépendance du pouvoir
judiciaire dans les États d’Afrique francophone »80 qui mérite réflexion.
Lorsqu’il est reconnu au juge le droit de culte comme tout citoyen
lambda, le chef du culte moderne ou traditionnel l’a dans son viseur en
raison de la fonction de juge qui est le sien. De plus, s’il recourt à des
séances de prières spéciales liées aux risques de son métier de juge, il
creuse davantage le lien de cette affinité religieuse qui s’empare sa raison
d’être. Dans une autre hypothèse, lorsque le contribuable est un voisin du
juge administratif lui-même ou lié à sa belle-famille, il est animé d’un
regain de sentiment visant la protection de ce dernier.
Quant à l’émergence du droit communautaire en Afrique, elle
bouleverse l’organisation judiciaire des États. Le juge national en difficulté
d’interprétation d’une norme communautaire doit envoyer une demande

78 Sur http://afrilex.u-bordeaux4.fr/la-condition-du-juge-en-afrique-l.html, consulté le 15


février 2021.
79 KAMTO Maurice, « Les mutations de la justice à la lumière du développement constitutionnel de

1996 », Exposé tenu le 25 octobre 1999 lors de l’ouverture des 1ères journées portes
ouvertes de la justice. Extrait in « Cameroon Tribune » du 26 octobre 1999, p. 4, sur
http://afrilex.u-bordeaux4.fr/la-condition-du-juge-en-afrique-l.html, consulté le 15 février
2021.
80 NONNOU Gildas Enagnon Fiacre, L’indépendance du pouvoir judiciaire dans les Etats

d’Afrique francophone : cas du Bénin et du Sénégal, Thèse de doctorat en droit privé, Université
d’Abomey-Calavi, 2016.
93
d’interprétation préjudicielle à la Cour communautaire concernée à l’effet
d’éviter toute impartialité imprudente. Contraint donc à appliquer la
législation communautaire, le juge national ressent, au regard de son statut,
une certaine remise en cause de sa mission de juge national au sein de
l’organisation judiciaire étatique. Par là même, le juge national a pour
mission de combiner l’ordre juridique interne avec le droit communautaire
tout en s’affranchissant des restrictions institutionnelles de son office
lorsqu’elles « l’empêchent d’assurer effectivement la protection des droits qu’en tirent les
justiciables »81. Tout ceci vient donc limiter considérablement l’autorité qui
lui est normalement reconnue dans la hiérarchie des pouvoirs publics.
Néanmoins, il faut préciser que ces limites fonctionnelles du juge national
consécutives à la perte partielle de souveraineté des Etats pour avoir ratifié
le traité communautaire ou conventionnel, ne le faiblissent pas. Bien au
contraire, ces normes communautaires apportent des garanties
processuelles dans le cadre de l’harmonisation des pratiques des Etats
membres telles la sécurité juridique, l’interprétation uniforme, les droits de
la défense, la protection contre les interprétations arbitraires des
administrations, etc.
Il est vrai, de nos jours, il y a une tendance à la désobéissance des
États à appliquer certaines décisions supranationales désobligeantes pour
eux. Néanmoins, cette mesure de précaution prise par le législateur
communautaire dévoile la mise à mal de l’impartialité du juge national en
général, du juge de l’impôt en particulier, qui s’adonne à une lenteur hors
proportion dans le règlement du contentieux ; ce qui contraste avec l’enjeu
même de l’impôt.
Les diverses causes de la lenteur judiciaire peuvent trouver
également un terrain fertile si l’on les lie à l’environnement socioculturel
du juge de l’impôt. En effet, dans le but de protéger une connaissance, « le
juge peut retarder au maximum le prononcé de sa décision et porter de ce fait un coup
important au droit à la justice d’un tiers et inversement, traiter avec sérénité le dossier
d’un affilié pour lui éviter les conséquences néfastes des lenteurs judiciaires »82. Or, en
définitive, cette lenteur influence la décision du juge de l’impôt en
préjudiciant le principe de son indépendance. Lorsqu’un magistrat
béninois de haut niveau affirme que « nous savons, par expérience, que lorsqu’on
veut noyer une affaire, il faut saisir la justice, car la procédure devant elle est très
longue »83 et illustre ses idées en disant « c’est pourquoi, par exemple, lorsqu’on
reproche quelque chose à un magistrat, très souvent, le Conseil supérieur de la

81 CANIVET Guy, « Le droit communautaire et l’office du juge national », Droit et Société n°


20/21, 1992, p. 138.
82 Sur http://afrilex.u-bordeaux4.fr/la-condition-du-juge-en-afrique-l.html, consulté le 15

février 2021.
83 OGOUBIYI Guy, « Allocution du président de l’Autorité nationale de lutte contre la

corruption (ANLC) », in Le traitement sociétal de la corruption, Actes du Colloque n° 002- 2016,


août 2014, p. 9.
94
magistrature (CSM) opte pour la procédure disciplinaire »84, cela explique dans
l’ensemble la profondeur du mal dans les Etats de l’Afrique francophone.
Il faut noter que la pratique de la lenteur judiciaire observée devient
de plus en plus une question de mode reléguant au premier rang à la fois
un délai raisonnable bafoué et une célérité dans l’étude des dossiers
d’intérêt selon le contexte. Mais, la Cour constitutionnelle béninoise a
maintes fois fustigé la méconnaissance du droit à être jugé dans un délai
raisonnable85. Cette attitude du juge africain projette dans les populations
une mauvaise image de l’institution judiciaire, faiblie davantage par des
limites volontaires du juge de l’impôt.
B. Les limites volontaires du juge de l’impôt
Il faut noter que certains juges en général, ceux de l’impôt en
particulier, exposent leur carence au travers de « décisions prises avec légèreté sur
un fond de laxisme ou de corruption »86. Il est également de notoriété que la
consistance de la décision rendue en raison de ce qu’elle est la résultante
des arguments juridiques avancés, du raisonnement logique suivi et du
respect de la procédure, traduit, pour une bonne part, la compétence du
juge de l’impôt et son impartialité dans l’affaire en cause. Cette carence
observée chez certains juges tire ses causes de plusieurs sources liées,
d’une part, à sa formation, à sa capacité de recherche et de maîtrise des
grands problèmes fiscaux à l’échelle mondiale, d’autre part, à son intégrité
morale et à sa conscience personnelle87. C’est pourquoi, il importe
d’étudier l’incompétence du juge administratif (1) et la corruption
rampante dans le milieu de la justice (2).
1. L’incompétence du juge
Il y a un déficit important en matière d’information et de formation
du juge de l’impôt en raison de l’insuffisance ou de l’absence de
documentation, de politique de formation, de programme de remise à
niveau de tout le personnel judiciaire, du retard dans l’édiction du journal
officiel, l’insuffisance de bibliothèques, de recueils et de classement des
décisions. Il est vrai qu’à certaines occasions, le juge émet le vœu de se
faire former pour lui permettre de répondre aux attentes des citoyens et
d’être au fait de l’évolution des techniques et de la sociologie de groupe. Il
se sent déphaser et inopérant tout simplement parce qu’il a végété dans la
routine avec ses connaissances acquises au début de sa formation. Les

84Ibidem, p. 9.
85 Cour constitutionnelle du Bénin, Décision DCC n°96-082 du 13 novembre 1996 et
Décision DCC n°97-006 du 18 février 1997.
86 Loi n°2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions

connexes en République du Bénin.


87 DOSSA Cyriaque Edouard, « La Cour de répression des infractions économique et du

terrorisme (CRIET) », in African Law Study Librairy – Librairie Africaine d’Etudes Juridiques, n°
6, 2019, p. 519. Il parle d’« une corruption ambiante du milieu judiciaire non rassurante » et de
« l’impunité de bien des auteurs : l’exemple de l’ex Greffier en Chef du Tribunal de Première Instance de
Cotonou, Séidou ABOU qui a détourné une somme de plus de deux milliards (2.000.000.000) F CFA
au Greffe dudit Tribunal rendant aussi bien les justiciables que l’Etat béninois, victimes ».
95
juges africains de l’espace francophone ne sont pas des juges de spécialité ;
ils sont des généralistes, homme à tout faire sans réellement savoir faire les
choses en profondeur. Il y a lieu de lui donner les moyens d’assurer son
rôle sinon la justice sera, comme le précise un auteur, « en état de cessation de
jugement »88. L’impôt est un phénomène complexe et sa maîtrise demande
un investissement spécifique. L’incompétence du juge de l’impôt ne
s’appuie pas seulement sur son ignorance, mais également sur le manque
de documentation appropriée à sa portée.
À la sortie de la formation d’auditeur de justice, le magistrat est
renvoyé à ses fonctions à un poste, soit en qualité de juge du siège devant
dire le droit, c'est-à-dire « juger », soit en qualité de magistrat de parquet ou
de magistrat de l’administration centrale du ministère de la justice, placé
naturellement sous l’autorité du Ministre en charge de la justice. Dès leur
prise de service, le magistrat comme le juge doivent se cultiver, s’informer
sur les nouvelles évolutions du droit et surtout avoir sous la main
l’ensemble de la jurisprudence nationale et les « grands arrêts »89 en droit
comparé. C’est justement ce qui fait défaut aux juges africains notamment
de l’Afrique francophone, en raison de l’inorganisation de l’État, qui rend
du coup leur formation insuffisante. Mieux aucun dispositif de recherche
et de formation en cours de carrière n’existe dans la majorité des États et
là où il en existe quelques bribes, ils sont insuffisants et non entretenus.
Sur le point d’une formation insuffisante en matière fiscale, il faut
préciser que la formation de base donnée aux auditeurs de justice, malgré
la bonne volonté des enseignants, la densité du programme administré et
la qualité des stages pratiques visant l’appropriation des techniques et
méthodes de juger, leur permettent d’amorcer la carrière de magistrat en
toute sérénité avec une parfaite maîtrise des techniques processuelles. Il
faut déjà pointer du doigt l’absence d’une spécialisation des juges ou
l’introduction dans leur programme de formation des modules portant sur
des thèmes fiscaux de base pour qu’ils soient amenés à comprendre les
différentes techniques d’imposition, de contrôle et de recouvrement des
impôts et taxes.
Sur le plan d’un dispositif de recherche et de formation en cours de
carrière insuffisant, le besoin d’un tel dispositif se faisait sentir il y a
longtemps. Les audiences solennelles des cours et tribunaux sont souvent
des occasions pour les chefs d’États de l’Afrique francophone de prendre
des engagements pour moderniser et accroître les moyens dont dispose la
justice. Au Bénin et au Cameroun, le contexte d’action des juges a connu
une amélioration notable tant au plan normatif qu’au plan du
développement infrastructurel et en personnel. Il en est de même de
l’engagement pris par le Président de la République du Sénégal en 1992 qui

88 SY Demba, « La condition du juge en Afrique : l’exemple du Sénégal », juin 2003, p. 10,


sur http://www.afrilex.u-bordeauX4.fr, consulté le 15 février 2021.
89 AKEREKORO Hilaire, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative béninoise, op. cit., p.

6.
96
a permis d’améliorer sensiblement le paysage de la justice. Particulièrement
au Bénin, ces dix dernières années (2010-2020), la justice a vu une
augmentation sensible de son personnel et une déconcentration des cours
et tribunaux en vue de la rapprocher plus des justiciables. De même, il est
créé une juridiction d’exception à la faveur de la Loi n° 2018-13 du 02
juillet 2018 modifiant et complétant la Loi n° 2001-37 du 27 août 2002
portant organisation judiciaire au Bénin qu’est la Cour de répression des
infractions économiques et du terrorisme (CRIET). Il faut dire que dans
les trois Cours d’appel du Bénin (de Cotonou, d’Abomey et de Parakou),
un effort a pu être fait avec la création d’une salle de documentation et de
recherche. D’autres juridictions attendent, car l’effort n’est pas suffisant.
Le déficit en documentation est réel. L’abonnement aux journaux,
notamment le Journal Officiel (JO) et les quotidiens nationaux n’est plus
systématique pour raison d’insuffisance budgétaire. Sur ce plan, la pratique
des tribunaux et cours repose sur le greffe admis comme un service
transversal de toute juridiction. Il gère en outre la logistique de la
juridiction, les scellés, les archives, s’occupe des statistiques et assure
l’entretien des bâtiments. Selon le bon vouloir du président du tribunal ou
de la Cour considérée, l’abonnement au JO et aux quotidiens nationaux est
une priorité et au grand bonheur du personnel de la justice, notamment
des magistrats. En dehors de ces efforts inscrits à l’actif de certains
présidents de juridiction, il est à noter l’absence ou l’insuffisance de
bibliothèques et de recueils de décisions de justice.
S’agissant de l’insuffisance de bibliothèques, il faut reconnaître
qu’au Bénin, en dehors des trois Cours d’appel précitées où il est créé une
bibliothèque moderne et équipée aux fins de contribuer à l’émancipation
juridique du juge en général, aucune juridiction n’a enregistrée une telle
prouesse. Quant à l’insuffisance de recueils de décisions de justice, le
constat général est le manque de recueils des décisions de justice en
général, de celles rendues dans le domaine de l’impôt en particulier, au
niveau des tribunaux et des cours d’appel en dehors de la Cour suprême et
de la Cour constitutionnelle où il est noté un effort d’édition et de
diffusion sans régularité. En plus de ces contraintes, se dresse la
corruption rampante dans le milieu judiciaire.
2. La corruption rampante dans le milieu judiciaire
« La corruption est devenue le cancer, la pathologie dégénérative qui ronge et
mine notre démocratie. Comme une pieuvre qui pousse ses tentacules, la corruption est
partout au Bénin au poste, au ministère, à l’école, à l’hôpital, à la mairie, sur nos voies
publiques et même sur les lieux de culte. Invisible, son spectre hante nos consultations
électorales, il arpente les coulisses de notre Administration, lézarde les murs de nos
institutions, déforme nos décisions, mutile nos jugements et nos comportements
politiques »90. Elle signifie un « détournement ou trafic de fonction ; dite passive
lorsqu’un individu se laisse acheter au moyen d’offres, promesses, dons, présents ou un

90 Quotidien béninois « La Nation », n°4825 du vendredi 11 septembre 2009, p. 3.


97
avantage quelconque en vue d’accomplir un acte de sa fonction ou de s’en tenir ; active
lorsqu’un individu rémunère par les mêmes moyens la complaisance d’un professionnel ».
Elle est une « pratique très ancienne »91 au Bénin et au Cameroun, même dans
le milieu judiciaire ainsi que l’affirme l’écrivain Victor HUGO : « Selon que
vous soyez puissant ou misérable, la Cour de justice vous rendra noir ou blanc »92. À la
question est-ce vrai ou faux que les magistrats sont corrompus ? La
réponse est apportée à partir des faits et révélations des acteurs du milieu
judiciaire suivant les deux axes ci-après : la soumission du juge de l’impôt
au pouvoir de l’argent et son comportement tourné vers la rapine.
En réalité, la corruption est une infraction réprimée par le Code
pénal. On est donc en droit de se demander si le niveau des salaires actuels
des magistrats serait encore à l’origine de leur soumission au pouvoir de
l’argent ? Ou doit-on évoquer plutôt le manque de conscience
professionnelle ?
En se référant au niveau du salaire du juge administratif, il faut
préciser que lorsque le président du Conseil d’État sénégalais a reconnu
qu’« un magistrat mal payé peut être sensible à une sollicitation diabolique »93, il a été
procédé à un réajustement du niveau des salaires des magistrats et juges y
compris celui des impôts. Une enquête réalisée au Cameroun en juin 2012
montre que les magistrats de la Cour Suprême « perçoivent près de deux
millions de francs CFA par mois sans compter des avantages multiformes »94. Ce
niveau de paiement des salaires évalués remonte en 2012. Il aurait
certainement évolué pour atteindre le niveau général du Bénin. Au Bénin,
les magistrats ont vu leur salaire initial multiplié au moins par cinq pour
celui qui est en début de fonction. Ils sont désormais mieux traités. La
grille indiciaire de traitement des magistrats au 1er janvier 201395 a prévu
une valeur indiciaire en début de carrière de 1.374,15 à 8.881,26 en fin de
carrière, avec des indices salariaux oscillant de 359 à 1501 ; ce qui situe
leurs salaires entre une valeur brute de 493.266 FCFA en qualité de
stagiaire, c'est-à-dire, d’auditeur de justice et de 13.330.771,26 FCFA en
grade terminus en fin de carrière. Les magistrats sont réellement bien
payés au Bénin contrairement à leurs homologues camerounais.

91 NGIMBOG Laurent-Roger, « La justice administrative à l’épreuve du phénomène de la


corruption au Cameroun », Droit et Société, 51/52, 2002, p. 303, cité par AKEREKORO
Hilaire, « L’efficacité des mécanismes et des institutions constitutionnelles et
administratives de lutte contre la corruption au Bénin », in Le traitement sociétal de la corruption,
op. cit., p. 67.
92 HUGO Victor cité par DJIDJOHO Hermann Kekere, La justice béninoise-Ma part de vérité,

op. cit., p. 86.


93 Interview dans Walfajri du lundi 3 août 1994, http://afrilex.u-bordeaux4.fr/la-condition-

du-juge-en-afrique-l.html, consulté le 26 mars 2021.


94 NDENKOP Olivier, « Cour suprême : Enquête sur le salaire des magistrats », in

Cameroun-info.net, n°19, 2012.


95 La grille indiciaire au 1er juillet 2010 est modifiée par le Décret n°2010-761 du 07 juillet

2010 portant revalorisation du point d’indice majoré.


98
Sur le manque notoire de conscience professionnelle, le Pape
François a affirmé que « la corruption est le fumier du diable »96. À l’analyse,
c’est un phénomène de masse, de corps et non isolément enregistré sur un
nombre réduit de magistrats. La corruption « est un véritable problème social
général. ... »97. Tous ces faits et révélations pointent du doigt la profondeur
du malaise et le contexte d’impunité dans lequel il évolue. Au Cameroun,
le phénomène est le même à en croire cette affirmation d’indignation de
Madame Madeleine AFITE, ancienne présidente de Action des Chrétiens
pour l’Abolition de la Torture (ACAT) à Douala : « Par habitude ou par
paresse, l’instruction est généralement menée à charge contre la personne poursuivie »98
et elle poursuit : « Surtout quand le justiciable n’a pas d’argent ou ne compte pas de
personnalités influentes dans son carnet d’adresses »99. En somme, il s’agit
manifestement d’acte de volonté accompli en toute conscience, c'est-à-dire
avec préméditation bafouant la conscience professionnelle.
Avide de l’argent, certains magistrats ne le cachent pas dans la
mesure où ils développent des comportements appropriés pour atteindre
leur objectif, c'est-à-dire, se faire de l’argent sur le dos du contribuable ou
du justiciable. Si certains auteurs ont eu à préciser que la corruption n’est
pas une perversion, qu’elle participe de l’essence même de la nature
humaine, il en découle la prédisposition naturelle de certaines personnes à
vivre de l’argent appartenant à autrui. Il ne s’agit pas de l’impécuniosité des
magistrats, mais de leur cupidité à profiter des faiblesses structurelles de
l’administration judiciaire pour mettre en place des montages défiant toute
compétence, car dans ce milieu « les loups ne se mangent pas »100. En Afrique
francophone, la règle semble se généraliser101, tant ces loups sont les seuls
maîtres à bord dans la fonction de dire le droit. Il s’agit, en réalité, d’un vol
déguisé car le siphonage de l’économie des justiciables est opéré avec leur
consentement.
Conclusion
En définitive, l’office du juge administratif de l’impôt obéit d’abord
à une répartition de compétences disproportionnée entre l’ordre judiciaire
et l’ordre administratif au Bénin. Ce qui complexifie l’identification du juge
de l’impôt à saisir, bien entendu que le juge administratif n’a pas le
monopole du règlement du contentieux de l’impôt comme c’est le cas au
Cameroun. Il s’ensuit que le juge administratif est saisi dans son office

96 Discours du président Nicéphore Dieudonné SOGLO, Cotonou, version revue et corrigée, 2015,
p. 11.
97 DJIDJOHO Hermann Kekere, La justice béninoise-Ma part de vérité, op. cit., p. 86.
98 KUWONU Franck, « Justice : contre la corruption, il faut de la détermination », in Revue

Afrique Renouveau, août-novembre 2016, p. 3.


99 Id., « Justice : contre la corruption, il faut de la détermination », ibid., p. 4.
100 DJIDJOHO Hermann Kekere, La justice béninoise-Ma part de vérité, op. cit., p. 83.
101 NGUEMA MBA Benjamin, « La Cour des comptes du Gabon et la lutte contre la

corruption : enjeux et perspectives », in MEDE Nicaise (dir.), Les nouveaux chantiers de finances
publiques en Afrique, Mélanges en l’honneur de Michel BOUVIER, Dakar, L’Harmattan Sénégal,
2019, p. 361.
99
d’une grande diversité d’opérations fiscales, en fonction de la nature de
l’impôt et de l’acte contesté.
L’office du juge administratif dans le contentieux de l’impôt connaît
des pouvoirs très étendus. Grâce aux pouvoirs dont il est doté, le juge
administratif de l’impôt est-il en mesure de se prononcer comme il se doit,
c'est-à-dire en appréciant tous les aspects du litige au regard du droit
applicable ? Selon le régime procédural établi par les textes de droit
commun et spécifiques à l’impôt (CGI et LPF) en vigueur dans les Etats,
la réponse est affirmative. La justice administrative est bien crédibilisée par
son organisation et ses techniques de règlement du contentieux de l’impôt.
Enfin, il faut reconnaître qu’en raison de certaines contraintes qui lui sont
volontaires ou extérieures, le juge administratif de l’impôt ne parvient pas
toujours à produire une décision exempte de tout préjugé.

100
LA PREVENTION DU RISQUE DE DECONSOLIDATION
BUDGETAIRE DU CONTRAT DE PARTENARIAT PUBLIC-
PRIVE DANS LA LEGISLATION DES ETATS D’AFRIQUE
SUBSAHARIENNE FRANCOPHONE
Par
Dr. Eric Paulin NTSEGUE ANANGA
Ph.D en Droit public
Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Yaoundé II (Cameroun)

RESUME :
Au-delà du fait qu’il constitue un instrument contractuel efficace pour répondre aux
besoins d’infrastructures des gouvernements, le contrat de partenariat peut également donner la
possibilité de contourner les mécanismes de contrôle des dépenses publiques, de placer
l’investissement public hors budget et d’extraire la dette publique du solde budgétaire. La
déconsolidation budgétaire qui en résulte pouvant s’avérer nocive pour les finances publiques des
Etats d’Afrique subsaharienne francophone, justifie que soit mis en place un dispositif de
prévention d’un tel risque. La prévention participe donc de la promotion du droit et constitue le
leitmotiv de la bonne gouvernance des finances publiques. Celle-ci est donc rendue possible dans la
législation des Etats d’Afrique subsaharienne francophone par l’intégration dans les actes formels
des moyens limitant l’opportunisme budgétaire et par la production des mesures tendant à
neutraliser les stratégies de hors bilan dans le recours aux contrats de partenariat. L’idée est donc
que les Etats d’Afrique subsaharienne francophone s’y arriment et s’éloignent des considérations
liées à la comptabilité créatrice. Un véritable « reporting » financier des contrats de partenariat
permet de se faire une opinion raisonnée de la performance en matière de gestion des finances
publiques.

Mots clés : prévention, risque, déconsolidation budgétaire, contrat de partenariat.

ABSTRACT:
Beyond the fact that it constitutes an effective contractual instrument to meet the
infrastructure needs of governments, the partnership contract can also provide the possibility of
bypassing public expenditure control mechanisms, placing public investment off-budget. And to
extract the public debt from the budget balance. The resulting budgetary deconsolidation, which
could prove harmful to the public finances of French-speaking sub-Saharan African states,
justifies the establishment of a mechanism to prevent such a risk. Prevention therefore contributes
to the promotion of the law and constitutes the leitmotif of good governance of public finances.
This is therefore made possible in the legislation of French-speaking sub-Saharan African States
by the incorporation into formal acts of means limiting budgetary opportunism and by the
production of measures tending to neutralize off-balance sheet strategies in the use of partnership
contracts. The idea is therefore that the States of French-speaking sub-Saharan Africa use it
wisely and move away from considerations related to creative accounting. Genuine financial
reporting of partnership contracts enables a reasoned opinion to be drawn on performance in
terms of public finance management.

Keywords: prevention, risk, budget deconsolidation, partnership contract.

101
Introduction
La question de la soutenabilité des déséquilibres des finances
publiques et la préoccupation liée à la nécessité de « la prise en compte de la
dette publique dans les comptabilités nationales »1 se sont posées particulièrement
avec acuité au lendemain de la crise de la dette de 2010 en Europe. Les
stratégies de déconsolidation de la dette opérées par la Grèce au moyen de
sa dissimulation, et de l’amélioration artificielle de ses comptes publics lui
ont été fatales et ont fragilisé les finances publiques de l’Union
Européenne2 en révélant les défaillances de sa gouvernance économique3.
Aux Etats-Unis, une certaine défiance à l’égard des pratiques susceptibles
de générer un endettement masqué des administrations publiques a
conduit à placer les partenariats public-privé « sous surveillance »4. Par
ailleurs, ils sont même également considérés comme « une bombe à
retardement budgétaire »5. De ce fait, l’hypothèse selon laquelle les partenariats
public-privé favorisent une répartition optimale des risques, génératrice
d’une meilleure performance, ne doit pas faire oublier les risques liés à leur
instrumentalisation. Vue sous cet angle, « les Etats africains doivent se doter
d’outils indispensables à l’évaluation des risques budgétaires liés à la mise en œuvre des
projets ppp »6, car la nécessité d’une meilleure gestion des risques budgétaires
relatifs aux investissements innovants7 doit prendre le pas sur les choix
politiques hasardeux8. Si le choix de ces contrats reflète l’efficacité dans la
réalisation des objectifs des gouvernements, la transparence et la bonne
gouvernance doivent être respectées.
Dans ce contexte, une approche préventive semble nécessaire pour
parer aux éventuels risques de conduites déviantes liées aux contrats de
partenariat public-privé en Afrique francophone subsaharienne. La logique

1 J. ARTHUIS, Rapport d’information fait au nom de la commission des finances sur la


prise en compte de la dette publique dans les comptabilités nationales, Sénat français,
n°374, 31 mars 2010, 77 p.
2 M. KAMTO, Droit international de la gouvernance, Paris, Pedone, 2013, p. 213 : « Ce dérapage

des finances publiques s’est transformé en une crise de défiance, en l’occurrence un manque de confiance des
marchés financiers internationaux à l’égard des dettes souveraines ».
3 Y-F. CHINARD et LABONDANCE, « La crise grecque : quelques leçons d’économie

européenne », RMCUE, n°5 L/1, 2010, p. 493. Cette crise « met en exergue le problème de la
gestion des finances publiques nationales au sein d’une gouvernance économique européenne défaillante ».
4 F. MARTY, S. TROSA, A. VOISIN, Les partenariats public-privé, Paris, La Découverte,

2006, pp. 20-23.


5 J-P. SUEUR et H. PORTELLI, Rapport d’information fait au nom de la commission des

lois constitutionnelles sur les partenariats public-privé, n°733, Sénat français, 16 juillet
2014, p. 23.
6 V. PIROU, « PPP : recommandations et mises en garde pour les relations avec le secteur

privé », Ouagadougou, 2 novembre 2017, 37 p., cité par S. M. OUEDRAOGO, « La


promotion des contrats de partenariat public-privé par les aides publiques dans l’espace
UEMOA », Afrilex, janvier 2018, p. 2.
7 F. MARTY, « Une arme à double tranchant ? Le recours aux partenariats public-privé et

la maitrise des risques budgétaires », RFAP, vol. 163, n°3, 2017, pp. 613-630.
8 S.M. OUEDRAOGO, « La promotion des contrats de partenariat public-privé par les

aides publiques dans l’espace UEMOA », op. cit., p. 2.


102
préventive, par son origine tirée du champ médical, apparaît dans l’action
publique spontanément et avec une évidence, idéale et préférable à toute
autre approche, par opposition à ses deux variantes antagoniques : le
curatif dans le champ de la santé ou du travail social, le répressif dans le
champ du droit, de la sécurité ou de la justice9. Une logique préventive
suppose l’intrusion toujours plus précoce ou ex ante des acteurs divers
amenés à intervenir pour parer aux risques de conduite déviante, la
prévention regroupe donc des dispositions prises pour empêcher, pour
réduire parfois jusqu’à supprimer une menace éventuelle avant qu’elle ne
se matérialise sur le plan de l’effectivité10. La prévention « s’exerce aussi dès
l’apparition des premières difficultés pour éviter une dégradation plus accentuée »11. En
somme, « il s’agit d’envisager toutes les mesures de prophylaxie »12. La prévention,
c’est donc l’ensemble des mesures et institutions destinées à empêcher ou
à limiter la réalisation d’un risque, la production d’un dommage,
l’accomplissement d’actes nuisibles en s’efforçant d’en supprimer les
causes et les moyens13. La définition du « risque » est donc préalable
indispensable pour bien comprendre les politiques de prévention de
risques. Il s’agit d’un danger, d’un inconvénient plus ou moins préalable
selon lequel on s’expose14.
Le contrat de partenariat fait partie des catégories des contrats
publics dont l’objet est la réalisation des projets publics à financement
privé. Que ce soit au Burkina Faso, au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Mali, au
Cameroun et au Sénégal15 notamment, le contrat de partenariat est un
contrat administratif16 dont l’objet est global ; il s’agit d’un contrat par

9 B. PELLEGRINI, « Droit et prévention », Revue des CAMEA, 2007/2, n°94, p. 81.


10 N. MOUELLE KOMBI, La guerre préventive et le droit international, Paris, Dianoïa, 2006, p.
9.
11 A. KENMOGNE SIMO, « La prévention de la défaillance des entreprises dans les Etats

africains parties à l’OHADA », Revue juridique de l’Ouest, 2008/2, p. 185.


12 Ibid.
13 G. CORNU, Association Henri Capitant (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2003, 4e

éd, p. 802.
14 Dictionnaire Larousse 2003, entrée « risque ».
15 Loi n°2016-061 du 30 décembre 2016 relative aux partenariats public-privé au Mali ; loi

n°2011-30 du 25 octobre 2011, ratifiant l'ordonnance n°2011-07 du 16 septembre 2011


portant Régime général des contrats de partenariat public-privé au Niger ; Côte d’Ivoire,
décret n°2012-1151 du 19 décembre 2012 relatif aux contrats de partenariat public-privé ;
loi n°2016-24 du 11 octobre 2016 portant cadre juridique du partenariat public-privé en
République du Bénin ; Sénégal, loi n°2014- 09 du 20/02/2014 relative aux contrats de
partenariat (PPP).
16 B. TARDIVEL, « La place des contrats de partenariat dans l’ordre des contrats publics »,

in Contrats publics, Mélanges en l’honneur du professeur Michel GUIBAL, Presses de la Faculté de


droit de l'Université de Montpellier I, 2006, pp. 847-874. Article 1er de l’Ordonnance
française n°2004-599 du 17 juin 2004 régissant les contrats de partenariat, tel que modifié
par la loi n°008-735 du 28 juillet 2008 et l’article 1414 du Code général des collectivités
territoriales en France qui disposent : « Les contrats de partenariat sont des contrats administratifs
par lesquels l’Etat confie à un tiers, pour une période déterminée, en fonction de la durée d’amortissement
des investissements ou des modalités de financement retenues, une mission globale (…) ». Lire aussi G. J.
GUGLIELMI et G. KOUBI, Droit du service public, Paris, LGDJ, 2011, 3ème éd., p. 498 ; A.
103
lequel « l’Etat confie à un tiers le financement, la réalisation, la maintenance ou
l’exploitation d’opérations d’investissements d’intérêt public »17. Le partenaire de la
personne publique finance tout ou partie de l’opération18 et peut être
rémunéré soit directement par l’administration, soit indirectement à travers
l’exploitation des ouvrages construits au cours d’une durée plus ou moins
longue19. La personne publique contractante reste dans tous les cas
chargée du service public20. Le contrat de partenariat ne peut emporter
délégation de gestion d’une mission de service public21. Dans le contexte
du déficit d’infrastructures et de ressources financières dont souffrent les
Etats africains, il serait peu réaliste de mettre la charge des infrastructures
exclusivement sur l’Etat, un partage semble être mieux adapté aux
économies locales.
En Afrique francophone subsaharienne, depuis l’avènement de la
crise économique des années 80, on assiste à des « transformations de
l’Etat »22 prenant appui sur l’idéologie libérale véhiculée par les institutions
financières internationales23. Avec l’introduction de ces théories libérales
du développement24, il faut déjà se résoudre à l’idée selon laquelle l’Etat
n’est plus le seul artisan exclusif du destin national25. Alors qu’on parle de
la fin de l’ukase en droit public26 caractérisée en Afrique par le passage

ONDOUA, « La notion de contrat administratif », J-CL. Contrats et marchés publics, 2017,


fasc. 10.
17 Article 21 de la Directive n°01/11-UEAC-190-CM-22 relative aux lois de finances. Cf.

UEMOA, Guide didactique de la directive n°06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 portant lois


de finances au sein de l’UEMOA, p. 92. Il s’agit également d’un « mode de financement par lequel
une autorité publique fait appel à des prestataires privés pour financer et gérer un équipement assurant ou
contribuant au service public ».
18 Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine, Guide didactique de la directive

n°06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 portant lois de finances au sein de l’UEMOA, p. 92.


19 D. B. NKAKE EKONGOLO, Le régime juridique des travaux publics au Cameroun, thèse de

Doctorat/Ph.D en droit public, Université de Yaoundé II, 10 décembre 2010, p. 504.


20 F. BRENET et F. MERLLERAY, Les contrats de partenariat de l’ordonnance du 17 juin 2004 :

une nouvelle espèce de contrats administratifs, Paris, Litec, 2005, n°228, p. 138.
21 Ibid. V. F. LINDITCH, « Contribution à la distinction des conventions de délégation de

service public et des contrats de partenariat », JCP-A n°51 du 19 décembre 2011, 2394.
22 Voir U. NGAMPIO OBÉLÉ-BÉLÉ, « Brèves réflexions sur les transformations de

l’Etat en Afrique francophone », in M. BADJI, S. NOUROU TALL (études réunies par),


Les transformations de l’Etat en Afrique. Mélanges en l’honneur de Babacar GUEYE, Presses de
l’Université de Toulouse 1 Capitole, 2019, p. 419-429 ; Voir également J. T. HOND, « Les
transformations de l’Etat au Cameroun », RASJ, vol.8, n°2, 2011.
23 P. LIGNIÈRES, Partenariats public-privé, Paris, LexisNexis, 2005, 2e éd., p.18.
24 B. CAMPBELL, « Débats actuels sur la reconceptualisation de l’Etat par les organismes

de financement multilatéraux et l’USAID », in GEMDEV (Groupement Economie


mondiale, Tiers monde, Développement), Les avatars de l’Etat en Afrique, Paris, Karthala,
1997, p. 80.
25 G. M. PEKASSA NDAM, « La consolidation de l’idéologie libérale dans le domaine des

services publics au Cameroun », in M. ONDOA et P. ABANE ENGOLO (dir.), Les


fondements du droit administratif camerounais, Paris, L’Harmattan, 2016. p. 165.
26 R-E. CHARLIER, « Les techniques de notre droit public est-elle appropriée à sa

fonction ? », EDCE 1951, p. 32 : « On assiste de nos jours à un déclin de l’ukase. La puissance


publique s’est affaiblie par la démocratie, elle a multiplié les droits inviolables et les garanties chez les sujets,
104
d’un droit administratif général autocratique à un droit administratif
libéral27 au service d’une administration contractuelle28, l’externalisation de
l’action publique devient non seulement une technique pour « agiliser
l’Etat »29 mais surtout comme une nécessité au regard des difficultés
budgétaires dont font face les jeunes Etats. De plus, le mouvement
régional et international en faveur des partenariats public-privé
contractuels y a autant plus trouvé un écho favorable, au même moment
où l’Etat mettait en place des politiques de développement visant la
réalisation des grands projets30 ou des infrastructures qui nécessitaient « une
transformation impérative »31.
Face à un tissu infrastructurel pauvre et surtout la modicité des
moyens financiers, il fallait à tout prix développer la croissance
économique et atteindre le stade de pays à revenu intermédiaire qui
constitue le leitmotiv des politiques d’émergence économique inscrites
dans les discours des différents acteurs politiques32. Conformément à la
tendance plus générale de valorisation de la gestion privée, cette « crise du
financement public des équipements collectifs »33 est allée de pair avec un intérêt
croissant des personnes publiques, non seulement pour les techniques de
financement utilisées par le secteur privé, mais encore pour le
préfinancement des investissements publics par des opérateurs du secteur
privé. La diffusion de cette idéologie en Afrique peut donc s’expliquer par
des raisons non seulement conjoncturelles, comme la volonté de mobiliser

elle les a fait participer à son exercice ; elle a facilité la constitution de puissances privées avec lesquelles elle
est obligée de batailler, de composer. Elle s’est aperçue que commander ne suffisait pas, que l’obéissance pour
docilité moutonnière ou par crainte n’était ni morale ni de bon rendement, qu’il était préférable de convaincre
les sujets et de gagner leur adhésion. Au total, l’administration devient davantage une école, une diplomatie
et moins une caserne ».
27 F. GALLETTI, Les transformations du droit public africain francophone: entre étatisme et

libéralisation, Bruxelles, Bruylant, 2004 p. 464 et s. A. CABANIS, « Dire le droit en Afrique


francophone. Rapport de synthèse », in M. BADJI, O. DEVAUX et B. GUEYE, (dir.),
Droit sénégalais, 2013, n°11, p. 312 : « Le droit administratif, qui, il est vrai, ne «peut être neutre, ne
serait-ce que parce qu’il vise partout et toujours à construire un ordre politique, est devenu un droit «au
service d’un ordre libéral ».
28 R. DENOIX de SAINT-MARC, « La question de l'administration contractuelle »,

AJDA, 2003, n°19, pp. 970-972.


29 Groupe de travail présidé par M. CAMDESUS, Le sursaut vers une nouvelle croissance pour la

France, Rapport officiel commandé par le Ministre de l’économie et des finances, Paris, La
documentation française, 2004, p. 123.
30 A. TONYE, Pratique juridique des financements structurés en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2010,

304 p. F. LICHERE, et B. MARTOR, « Essor des partenariats public-privé en Afrique :


Réformes en cours et perspectives d’avenir », RDAI, n°3, 2007, Dossier Droit des contrats
publics : un enjeu économique majeur, pp. 297-311.
31 V. FOSTER, C. BRICEÑOGARMENDIA, Infrastructures africaines : une transformation

impérative, Paris, Washington DC, Agence française de développement, Banque mondiale,


2010, 344 p.
32 Au Cameroun, le DSCE envisage l’émergence du pays en 2035, le Sénégal envisage

l’« émergence à l’horizon 2035, avec une société solidaire dans un Etat de droit ».
33 G. JESTIN, « Le financement des grands équipements collectifs », RFFP, n°22, 1988, p.

141.
105
à des fins d’investissements publics les capitaux privés afin de résorber la
crise. Ou encore par le souci de limiter l’engagement des finances
publiques dans la réalisation des investissements nécessaires à certains
services collectifs. Mais également par des raisons structurelles comme la
volonté de répondre à une demande constante d’ouvrages et
d’équipements collectifs34. De ce fait, le contrat de partenariat constitue un
sésame pour les projets d’investissement35 en Afrique subsaharienne
francophone.
Pour M. Eric PORTAL, à côté des modes de financement
consolidés qui sont constitués pour l’essentiel des emprunts bancaires
classiques, il existe des modes de financement à long terme déconsolidés36.
Le contrat de partenariat fait partie de ces deniers modes de financement
tendant à externaliser la dette. Raison pour laquelle il est considéré comme
un outil de déconsolidation budgétaire. Si la consolidation budgétaire
exprime les différentes mesures employées pour redresser les finances d’un
Etat37, la déconsolidation budgétaire constitue cet ensemble de mesures
qui visent à s’affranchir des contraintes budgétaires. Dans cette dynamique
M. Charlotte Caron-Garcia utilise l’expression « déconsolidation budgétaire des
ppp »38 pour faire référence à l’insuffisance prise en compte des enjeux
financiers des ppp dans les comptes budgétaires. Allant dans ce sens, pour
le FMI, il s’agit de placer les PPP « hors cycle budgétaire »39, de sortir
l’investissement public du compte de la dette publique40.
Ainsi, si l’approche partenariale semble séduisante pour les
collectivités publiques, cet outil contractuel peut révéler des inconvénients

34 Voir Ph. TERNEYRE, « Les montages contractuels complexes », AJDA 1994, numéro
spécial, pp. 45-46 ; X. DELCROS et J-M. PEYRICAL, « Le financement privé des
équipements collectifs : un développement inéluctable à encadrer », AJDA, 1994, numéro
spécial, pp. 71-72.
35 F. ONANA ETOUNDI, « Cameroun: Contrat de partenariat, un sésame pour les projets

d’investissement », All Africa du 3 avril 2008. Cité par S. SAMB, Le droit de la commande
publique en Afrique noire francophone : contribution à l’étude des mutations du droit des contrats
administratifs au Sénégal, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Cameroun, Thèse en droit public,
Université de Bordeaux, 2015, p. 314.
36 E. PORTAL, « Une technique de déconsolidation de la dette : le crédit-bail à levier

fiscal », RFFP, n°100, 2007, p. 189.


37 Dictionnaire français L’internaute. Online :
https://www.linternaute.fr/définition/consolidationbudgétaire/. Consulté le 05 février
2021 à 12h.
38 C. CARON-GARCIA, « Réflexions sur les partenariats publics privés et le droit de la

comptabilité publique », RGD online, www.revuegénéraledudroit.eu/?P=45225. Consulté


le 04 février 2021 à 10h30.
39 FMI, « Comment présenter les partenariats public-privé dans les comptes budgétaires ?

Comprendre les coûts et les risques budgétaires des ppp », Online : https://www.imf.org.
Consulté le 05 février 2021, 13h15.
40 B. AKITOBY, R. HEMMING et G. SCHWARTZ, « Investissement public et

partenariats public-privé », Dossier économiques 40, FMI 2007, p. 21, Online www.imf.org.
Consulté le 05 février 2021 à 14h20.
106
tout aussi importants41. Ces contrats peuvent donner la possibilité de
contourner les mécanismes de contrôle des dépenses, de placer
l’investissement public hors budget et d’extraire la dette publique du solde
budgétaire42. Si l’on aborde donc la question du risque de déconsolidation
budgétaire, il ne s’agit pas d’un risque résultant du transfert d’une mission
globale à l’opérateur privé, mais d’un risque résultant de l’utilisation
frauduleuse du contrat de partenariat. Cet état de chose peut à l’image des
entreprises privées se mettre au service des artifices comptables, faciliter le
contournement des contraintes en matière d’emprunt public et de
reproduire une comptabilité créatrice43. Il s’agit donc d’un risque profit44
pour les collectivités publiques qui peut se transformer en un risque
danger45 pour les finances publiques.
Cette attitude peut présenter une certaine gravité pour les finances
publiques des Etats africains, car lorsque les prévisions sont majorées pour
cacher les tensions de trésorerie qu’il serait difficile à justifier. Et le déficit
budgétaire étant artificiellement minoré sont des infidélités susceptibles de
méconduire les bailleurs de fonds et les partenaires au développement et
de créer un déséquilibre au sein de la sous-région46. De ce fait, la
prévention s’érige alors en mécanismes nécessaires dans un environnement
ou l’imminence et l’immanence de la mal gouvernance financière pèsent
comme une épée de Damoclès sur chaque acte de la vie publique47 et
surtout que de façon générale, « le doute sur le réalisme des comptes publics gagne
tous les acteurs de la procédure budgétaire »48. Le Professeur Salif YONABA
observait qu’en Afrique, « les États francophones s’illustrent dans leur ensemble par
un système de gouvernance financière peu respectueux de toute idée de discipline

41 E. CAMPAGNAC et G. DEFFONTAINES, « Une analyse socio-économique critique


des PPP », Revue d'économie industrielle, 4ème trimestre 2012, p. 45.
42 R. HEMMING, « Les partenariats public-privé », présenté au Séminaire de haut niveau

sur la réalisation du potentiel d’investissement rentable en Afrique, organisé par l’Institut


du FMI en coopération avec l’Institution multilatéral d’Afrique, Tunis, Tunisie, 28 février-
1er mars 2006, pp. 8 et s.
43 D. HALL, « Partenariats public-privé (PPP) : les raisons de leur inefficacité. Les multiples

avantages de l’alternative publique ». Rapport de l’internationale des services publics (ISP),


janvier 2014, www.world-psi.org, p. 7 et s. Consulté 05 février 2021 à 14h 05.
44 M. DEGUERGUE, Jurisprudence et doctrine dans l’élaboration du droit de la responsabilité

administrative, Paris, LGDJ, 1994, p. 123.


45 Voir l’exposé des doctrines de SALEILLES, in R. TEISSEIRE, Essai d’une théorie générale

sur le fondement de la responsabilité. Étude de droit civil, Paris, Rousseau 1901, p. 87 à 92. La
théorie du risque-danger soutient qu’ « il y a des choses, des situations, des activités objectivement
dangereuses à propos desquelles le risque est plus grand de voir se produire un dommage », A. VAN
LANG, G. GONDOUIN, V. INSERGUET-BRISSET, Dictionnaire de droit administratif,
Paris, Armand Colin, 1999, 2e éd., p. 252.
46 R. MBALLA OWONA, « Emergence de la gestion axée sur les résultats et

reconnaissance d’une obligation d’exécution intégrale des budgets des administrations


publiques en droit CEMAC », Afrilex, avril 2016, p.15.
47 V. MANGUETTE, La politique criminelle en matière de gouvernance au Cameroun. Thèse de

Doctorat/Ph.D, en droit privé, Université de Yaoundé II, 2014-2015, p. 93.


48 L. PANCRAZI, Le principe de sincérité budgétaire, Paris, L’Harmattan, coll. Finances

publiques, 2012, p.25.


107
budgétaire »49. La propension courante des gouvernants et des gestionnaires
publics est de s’affranchir des contraintes et des balises du droit budgétaire
et de la comptabilité publique50. Une action préventive participe donc de la
promotion du droit dans la mesure où elle prévient la violation de la
légalité financière des Etats.
La réflexion sur la prévention du risque lié à la déconsolidation
budgétaire du contrat de partenariat intéresse fondamentalement
l’équilibre des finances publiques et le réalisme des comptes publics. S’il
s’agit de promouvoir un outil de développement par le biais de
mécanismes financiers, le défi est de s’assurer que les finances de l’Etat ne
soient pas bouleversées. Des réactions en chaîne peuvent s’y produire et, si
elles ne sont pas maîtrisées, sont parfois susceptibles d’entraîner des
conséquences dommageables sur les finances publiques51. Face à ces
réalités, il est nécessaire de mettre en place des dispositifs de contrôle, des
lieux de régulation, permettant de repérer les problèmes et d’intervenir
rapidement afin d’éviter la propagation ou pour le moins d’en diminuer
l’amplitude52. Pour y parvenir, il semble capital « de passer d’une culture du
garde-fou à une culture de la prévention des risques »53.
A titre de droit comparé, la volonté de juguler les effets néfastes
d’un endettement public incontrôlé au sein de l’Union Européenne, s’est
traduite par la soumission des Etats à une discipline budgétaire et
financière, sous l’impulsion notable du dispositif de prévention des déficits
publics excessifs prévu par le Traité de Maastricht54. En France,
notamment, de nombreux garde-fous budgétaires ont été mis en œuvre55.
La prise en compte des risques financiers liés au contrat de partenariat a
permis de réformer le contrat de partenariat. On assiste au passage du
contrat de partenariat au marché de partenariat56 dont l’objectif affiché est

49 S. YONABA, « Le système financier des États africains au sud du Sahara à l’épreuve de


l’impératif de discipline budgétaire », in Réformes des Finances publiques et modernisation de
l’administration, Mélanges en l’honneur de Robert HERTZOG, Paris, Economica, 2011, p. 620.
50 N. MEDE, « Réflexion sur le cadre harmonisé des finances publiques dans l’espace

UEMOA », RASJ, n°1, 2014, p. 197.


51 M. BOUVIER, « La surveillance multilatérale internationale des finances publiques et

pouvoir politique », in Processus budgétaire vers un nouveau rôle du parlement, Actes Colloque du
Sénat, 24-25 janvier 2001, Paris, p. 135.
52 Ibid.
53 D. HURON, F. MARTY et J. SPINDLER, « De la certification des comptes de l’Etat :

principes, enjeux et difficultés », RFFP, n°100, novembre 2007, p. 143.


54 Article 126 TFUE (ex article 114 TCE), complété par le règlement (CE) n°1466/97 du

Conseil du 7 juillet 1997 relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires


ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques, JOUE L 209
du 2 août 1997, p. 1.
55 Il en est par exemple ainsi de la Circulaire du 14 septembre 2005 relative aux règles

budgétaires afférentes à la signature des contrats de partenariats et des arrêtés du 16


novembre 2010.
56 Voir C. CUBAYNES, « ‘Du contrat’ au ‘marché’ de partenariat : une réforme

pertinente ? », AJDA 2017, Dossier n°5 « Réforme de la commande publique, un an après : un bilan
positif ? ». Online, www.journal-du-droit-administratif.fr consulté le 25 juin 2021 à 12 h 30.
108
de faciliter son enregistrement dans les comptes publics57. Ces
considérations pouvant justifié l’intérêt pratique de l’étude en Afrique
subsaharienne francophone. IL s’agit en effet des Etats qui ont en
commun l’usage du français, et qui se caractérisent par la convergence de
leurs modèles juridiques dans les espaces communautaires58. Ce cadre
favorise dès lors l’émergence d’une question centrale : comment se
construit la prévention du risque lié à la déconsolidation budgétaire
du contrat de partenariat dans la législation des Etats d’Afrique
subsaharienne francophone ?
Une telle étude semble intéressante, car elle vise à étudier les
dispositifs mis en œuvre à l’échelle des Etats et au plan international en
réponse à une certaine instrumentalisation et instrumentalisation certaine
de la gouvernance des finances publiques en Afrique subsaharienne
francophone au cas spécifique du processus d’institutionnalisation des
partenariats public-privé. En guise de réponse, il faut avouer que le cadre
budgétaire et les normes comptables peuvent dans une certaine mesure contrecarrer les
risques de recours opportunistes aux contrats de partenariat qui ne répondent moins à
une logique d’efficacité économique qu’à une stratégie de dissimulation de la dette ou de
contournement des règles de discipline budgétaire59.
Suivant ces considérations, l’analyse de la prévention du risque lié à
la déconsolidation budgétaire du contrat de partenariat dans les Etats
d’Afrique subsaharienne francophone constitue une contribution à l’étude
des instruments juridiques des partenariats public-privé. Elle suggère que
soit pris en compte dans les législations des mesures tendant à limiter les
risques y afférents. Ce substrat sert de base pour l’identification tant des
méthodes que des mécanismes employés par les Etats d’Afrique
subsaharienne francophone. Il conduit incontestablement à une
interdisciplinarité prenant appui sur des considérations liées au Droit
administratif et surtout au Droit public financier. Il interpelle la prise en
compte malgré l’éparpillement et l’hétérogénéité des législations60, de
l’interprétation des textes juridiques et de la production jurisprudentielle.
Ainsi s’impose par explication, la déclinaison des deux grandes
approches servant de réponse à la question posée. Celle-ci va être

S. REGOURD et L. RAPP (dir.), Du contrat de partenariat au marché de partenariat, Bruxelles,


Bruylant, 2016, 376 p.
57 Voir C. CARON-GARCIA, « Réflexions sur les partenariats publics-privés et le droit de

la comptabilité publique », RGD, online, 2019, numéro 45225.


58 Ici nous faisons allusion aux Etats de la CEMAC et à ceux de l’UEMOA.
59 F. MARTY, « De la convergence des normes comptables publiques vers des référentiels

privés », in C. BESSY, T. DELPEUCH et J. PELLISSE (dir.), Droit et régulations des activités


économiques : perspectives sociologiques et institutionnalistes, Paris, LGDJ, coll. Droit et société, 2011
p. 296. Pour Frédéric Marty, « il convient en effet de prévenir le risque de stratégies opportunistes mais
aussi de garantir pour les différentes parties prenantes la fiabilité de l’information fournie par les comptes
publics ».
60 Il n’existe pas encore à proprement parler d’une législation communautaire en matière de

contrat de partenariat public-privé. Seulement, note la BEAC, « les pays de la zone CEMAC
accusent néanmoins un retard sur ceux de la zone UEMOA ».
109
démontrée d’une part, par la formalisation des moyens limitant
l’opportunisme budgétaire (I) et d’autre part, par la matérialisation des
mesures neutralisant les stratégies de hors-bilan (II).
I. La formalisation des moyens limitant l’opportunisme
budgétaire
Bien qu’il soit un contrat global61, un outil de partage de risques qui
permet de répondre à une demande sociale dans un contexte budgétaire
contraint62, le recours au contrat de partenariat doit se faire pour des
raisons pertinentes afin de préserver la bonne santé des finances publiques.
Les dispositifs légaux des Etats d’Afrique subsaharienne francophone ont
pris en compte ces exigences bien que le cadre juridique des contrats de
partenariat ne soit pas encore ficelé dans les grands ensembles
communautaires à l’instar de l’UEMOA et la CEMAC63. S’inscrivant dans
un cadre juridique garantissant la transparence de la décision et de
l’engagement financier, ils ont accompagné ces contrats d’un ensemble de
garde-fous tendant à prévenir d’éventuelles dérives. D’une part, il s’est agi
de rationnaliser la décision d’y recourir (A) et, d’autre part, de régulariser le
contrat de partenariat dans le budget (B).
A. La normalisation du verrouillage des recours illégitimes
Les conditions de recours au contrat de partenariat subordonnent le
lancement de la procédure de passation de celui-ci. Dès lors que les
personnes publiques ont la possibilité de recourir aux contrats de
partenariat, ils paraissent indispensables, compte tenu des risques
particuliers qui s’attachent à cette formule, de les inciter à s’assurer qu’elles
y recourent « à bon escient »64. Les textes juridiques dans les Etats d’Afrique
subsaharienne francophone précisent dont les conditions légitimes de
recours au contrat de partenariat dans la réalisation des infrastructures

61 S. NICINSKI, Droit public des affaires, Paris, Montchrestien-Lextenso, 2010, p. 544 : le


contrat de partenariat est « un contrat administratif par lequel une personne publique confie à un tiers,
pour une période déterminée en fonction de la durée d'amortissement des investissements ou des modalités de
financement retenues, une mission globale ayant pour objet le financement, la construction ou la
transformation, l'entretien, la maintenance, l'exploitation ou la gestion d'ouvrages, d'équipements ou de
biens immatériels nécessaires au service public. Il peut également avoir pour objet tout ou partie de la
conception de ces ouvrages, équipements ou biens immatériels ainsi que des prestations de services concourant
à l'exercice, par la personne publique, de la mission de service public dont elle est chargée. La rémunération
du cocontractant fait l'objet d'un paiement par la personne publique, pendant toute la durée du contrat. Elle
est liée à des objectifs de performance assignés au cocontractant ».
62 J. BENSAÏD et F. MARTY, La pertinence et limites des partenariats public-privé : une analyse

économique, op. cit., p. 26. Voir S. BRACONNIER et R. NOGUELLOU, « L'influence de la


crise économique sur les marchés publics et contrats de partenariat public-privé », RD imm.
2010, p. 24 et s ; C. BOITEAU, « Les techniques contractuelles : les partenariats public-
privé », RFFP, n°109, 2010, p. 91.
63 On attend toujours l’élaboration d’un cadre juridique communautaire des partenariats

public-privé dans ces ensembles communautaires.


64 P. LIGNIERES, A. MENEMENIS, « Débats sur les contrats de partenariat »

(Entretien), DA, n°11, 2004, p.10.


110
publiques (1) qui s’accompagnent de l’obligation pour les collectivités
publiques de justifier le rejet des autres contrats publics dans la réalisation
du projet (2).
1. La formulation des conditions de recours légitime au
contrat de partenariat
Le contrat de partenariat obéit à un régime dérogatoire, c’est-à-dire
spécifique par rapport aux contrats classiques de la commande publique.
Dans cette hypothèse, son utilisation sera justifiée dans des cas particuliers.
Le recours au contrat de partenariat ne doit pas permettre aux collectivités
publiques de s’affranchir des règles budgétaires et comptables. Il s’agit de
ne pas faire de cet « instrument dérogatoire un instrument financier détourné de ses
objectifs initiaux »65. Raison pour laquelle son recours légitime est encadré
par certaines conditions précises pour assurer la sécurité des affaires66.
La majorité des Etats d’Afrique subsaharienne francophone a érigé
des conditions strictes de recours au contrat de partenariat. La passation
d’un contrat de partenariat nécessite la réalisation d’une évaluation
préalable67. Celle-ci est considérée comme la clé de voûte de la procédure
de passation des contrats de partenariat. Au Cameroun et au Sénégal en
particulier, son but est de déterminer la présence ou l’absence des
conditions de recours au contrat de partenariat que sont l’urgence et la
complexité. D’autres pays par contre à l’exemple du Burkina Faso, la
législation n’a pas pris en compte les conditions d’urgence et de
complexité. Car, les contrats de partenariat sont des instruments qui
viennent « suppléer le déficit budgétaire consécutif à la baisse de l’aide publique au
développement »68. Il s’agit donc d’un mode principal de financement des
projets nationaux. Au Bénin, les projets susceptibles d’être retenus pour le
processus de sélection en contrat de partenariat public-privé font
également l’objet d’une étude de faisabilité69. Cette étude doit notamment
faire apparaitre les motifs de caractère économique, financier, juridique et
administratif.
A titre d’illustration en France, l’évaluation préalable a aussi été le
moyen de limiter le champ du recours licite aux contrats de partenariat,
afin de se conformer à l’exigence constitutionnelle de non-généralisation
des « dérogations au droit commun de la commande publique et de la domanialité

65 F. LINDITCH, « Les partenariats public-privé, vecteurs d’externalisation et de


déconsolidation ? Quelques interrogations de nature financière… », Droit et ville, n°60, 2005,
p. 175.
66 S. BRACONNIER, « Le futur régime des partenariats public-privé : rupture et

clarifications », RDP, mai-juin 2015, n°3, p. 595.


67 A. TONYE, « Le contrat de partenariat au Cameroun : ce qu’il faut retenir en attendant

le décret d’application », Penant, n°866, 2009, p. 26 et s.


68 S. M. OUEDRAOGO, Les contrats de partenariat public-privé au Burkina Faso, Ouagadougou,

éd. IRISCONCEPT, Coll. Mémento, 2015, p. 39.


69 Article 12 de la Loi n°2016-24 portant Cadre juridique du partenariat public-privé en

République du Bénin.
111
publique » que le conseil constitutionnel a décelé dans ces contrats70. La
réforme de la commande publique de 2015 en France dont l’objectif était
de répondre aux critiques sur la déconsolidation budgétaire des
partenariats public-privé a plutôt réduit les critères de recours au seul bilan
avantageux71. Certains Etats d’Afrique subsaharienne francophone ont au
contraire repris ces critères dans leurs législations. Dès lors, ils limitent le
recours aux contrats de partenariat à la satisfaction des critères d’urgence
et de complexité. Ceux-ci sont repris par le droit camerounais et
sénégalais72 ainsi que dans d’autres Etats d’Afrique subsaharienne
francophone.
Dans cette logique, le contrat de partenariat ne peut être conclu que
si l’évaluation du projet, effectuée en vue de son éligibilité au régime des
contrats de partenariat, démontre son caractère complexe. Le caractère
complexe d’un projet est défini comme « (…) l’incapacité objective de la
personne publique de définir, par elle-même, les moyens aptes à satisfaire ses besoins ou
d’évaluer ce que le marché peut offrir en terme de solutions techniques et/ou de solutions
financières ou juridiques »73. C’est la raison pour laquelle, le juge administratif
français précise la teneur de la notion de complexité et précisera qu’elle est
constituée, non pas en raison de la complexité technique, juridique ou
financière propre au projet, mais par l’incapacité de la personne publique
à le réaliser dans le cadre des procédures liées à l’utilisation d’outils
traditionnels de la commande publique74. Selon les Professeurs Fabrice
MELLERAY et François BRENET, la personne publique « (…) doit se
trouver dans l’impossibilité de dégager la solution technique permettant de satisfaire ses
propres besoins, de formuler une solution de financement ou d’établir le montage
juridique adéquat»75. La complexité doit donc être appréhendée de façon
objective, car il ne s’agit pas pour l’administration d’« (…) invoquer la
médiocrité de ses fonctionnaires pour plaider la complexité »76 du projet. La complexité
ici s’apprécie comme « (…) un besoin complexe à satisfaire »77. Elle est relative aux

70 E. MULLER, Les instruments juridiques des partenariats public-privé, Paris, L’Harmattan, coll.
Logiques Juridiques, 2011, p. 219.
71 L. RAPP, « Partenariats public-privé », in Ph. MALINVAUD (dir.), Droit de la

Construction, Paris, Dalloz 2018-2019, p. 1137.


72 Article 9 de la Loi Sénégalaise n°2014-09 du 20 février 2014 relative aux contrats de

partenariats public-privé modifiée par la loi n°2015-03 du 12 février 2015.


73 CE, 29 octobre 2004, Sueurs et autres, Req. 269814.
74 CAA Bordeaux, 26 juill. 2012, Juris-Data: 2012-018582; D-A. CAMOUS et A.

AUDIBERT, « Contrat de partenariat : de la notion de complexité à celle d’incapacité », JCP-A, n°50,


17 déc. 2012, comm 2389.
75 F. BRENET et F. MELLERAY, Les contrats de partenariat de l’ordonnance du 17 juin 2004 :

une nouvelle espèce de contrats administratifs, Paris, Litec, 2005, p. 119.


76 A. MENEMENIS, « Débat sur les contrats de partenariat », Dr. Adm, nov. 2004, p. 6.
77 N. DE SAINT PULGENT et S. LAGUMINA, « Le contrat de partenariat -Nouvel outil

de gestion publique », JCP-G, 2005, I. 180.


112
« […] données intrinsèques de l’opération, c’est-à-dire les caractéristiques de l’ouvrage
ou du service »78.
En outre, l’autre condition alternative exigée pour recourir de façon
légitime au contrat de partenariat est la condition d’urgence du projet. Il
s’agit d’« (…) un motif d’intérêt général résultant de la nécessité socioéconomique de
rattraper un retard affectant particulièrement la réalisation d’équipements collectifs ou
d’accélérer la croissance, dans le secteur ou une zone géographique déterminée »79. Cette
définition fournie par le régime camerounais retient une conception
objective de l’urgence. Elle reprend les définitions retenues respectivement
par le juge administratif et le juge constitutionnel français dans l’arrêt Sueur
et autres80, et la décision du 2 décembre 200481. Cet argument de l’urgence
justifie et autorise le recours au contrat de partenariat dans la réalisation
des projets publics. Toutefois, ce critère doit être utilisé à bon escient dès
qu’il est en mesure de faire gagner du temps dans la réalisation du projet.
C’est ainsi que la Cour Administrative d’Appel de Paris donnera une
appréciation à cet outil dérogatoire qui « se trouve justifié par l’urgence qui
s’attache à la nécessité de mettre fin à une situation particulièrement grave et
préjudiciable à l’intérêt général affectant le bon fonctionnement du service public »82.
L’urgence résulte donc d’évènements imprévisibles pour les pouvoirs
adjudicateurs. Il ne s’agit nullement d’une urgence procédurale comme
dans le cadre d’un marché public. L’urgence doit être appréciée de façon
compréhensible comme une condition légale de recours au régime
particulier des contrats de partenariat. Selon le Conseil d’Etat français,
l’urgence doit être le fait de la personne publique83. Pour la doctrine,
l’urgence doit être de façon pragmatique plus en phase avec les réalités et
contraintes de l’action publique84.
Les conditions comme l’urgence et la complexité du projet
constituent à n’en point douter des conditions nécessaires de recours au
contrat de partenariat au Cameroun tout comme au Sénégal. Au-delà de
ces critères, le recours au contrat de partenariat peut être fondé sur le
critère du bilan coût-avantage, c’est-à-dire que les Etats doivent justifier le

78 S. LAGUMINA et L. DERUY, « L’ordonnance relative aux contrats de partenariat :


dépasser la polémique », BJCP 2004, p. 348.
79 Article 3 alinéa 3 du décret n°2008/0115/PM du 24 janvier 2008 précisant les modalités

d’application de la loi n°2006/012 du 26 décembre 2006 fixant le régime général des


contrats de partenariat.
80 CE, 29 juillet 2004, n°269815, Sueur et autres, RFDA 2004, p. 1103, Conclusions D.

CASAS.
81 Décision n°2004-506 DC, 2 décembre 2004.
82 CAA Paris, 3 avril 2014, Association La Justice dans la cité, M. Bourayne, req.

n°13PA02766, 13PA02769 et 13PA02770, Concl. O. ROUSSET, AJDA, n°23-2014 du 30


juin 2014, p. 1322. En claire, le juge administratif considère légal le partenariat public-privé
conclu pour la réalisation du futur palais de justice de Paris.
83 CE, 23 juillet 2010, M. A c/ Syndicat national des entreprises de second œuvre du

bâtiment, Contrats et marchés publics, 2010, comm. 318, note G. Eckert.


84 S. BRACONNIER, « Introuvables conditions de recours aux contrats de

partenariat… », JCP-E, 2014, com. 1285.


113
recours au contrat de partenariat par rapport aux autres formules
contractuelles dans la réalisation de leur projet.
2. La consécration de l’obligation de justifier l’exclusion des autres
contrats publics dans la réalisation du projet
Avant la passation d’un contrat de partenariat, la personne publique
a l’obligation de justifier les avantages et les inconvénients du recours à la
formule partenariale par rapport aux autres techniques contractuelles.
L’analyse comparative permet de déterminer et d’exposer les motifs que
retient la personne publique pour expliquer son choix de lancer une
procédure de passation d’un contrat de partenariat85. L’analyse
comparative fait du contrat de partenariat un instrument dérogatoire au
droit de la commande publique. Ce choix doit être en principe objectivé
par le recours systématique à des outils d’analyse de type « value for money »
utilisés dans de nombreux pays étrangers et qui permettent de vérifier si
une offre d’investissement privé permet une meilleure utilisation des
deniers que les marchés publics traditionnels ou les contrats concessifs. La
consécration de cette obligation dans la législation des Etats d’Afrique
subsaharienne francophone se fonde sur la jurisprudence française Ville
nouvelle Est86 qui consacre le bilan coût avantage dans l’action publique.
Même si la doctrine estime que l’interprétation de ce critère faite par le
juge administratif français est souvent fluctuante87, les Etats d’Afrique
subsaharienne francophone le consacrent dans leurs dispositifs normatifs.
La loi malienne88 par exemple dispose que l’évaluation préalable s’inscrit
dans une politique de développement durable et de viabilité du projet par
une analyse du mode de réalisation du projet en partenariat public-privé
démontrant un bilan plus favorable que celui des autres modes de la
commande publique. Cette disposition est également reprise dans les
législations du Cameroun89 et du Bénin90 par exemple.
Dans ce contexte, selon le Conseil constitutionnel français, outre la
complexité et l’urgence, figuraient au nombre des « situations répondant aux
motifs d’intérêt général » propres à justifier constitutionnellement les
dérogations au droit commun de la commande publique dont ces contrats
sont selon lui porteurs, l’ensemble des hypothèses où « compte tenu soit des
caractéristiques du projet, soit des exigences du service public dont la réalisation de

85 La Circulaire française du 29 novembre 2005 relative aux contrats de partenariat à


l’attention des collectivités territoriales précise entre autre point, les modalités de
l’évaluation préalable.
86 CE, 28 mai 1971, n 78825.
87 D-A. CAMOUS, « ‘‘Le juge administratif m’a tué’’ – Bilan de 10 ans de

jurisprudences relatives à l’évaluation préalable des contrats de partenariat », Contrats et


marchés publics, 2015, n 7, étude 8.
88 Article 9 de la loi n°2016 du 30 décembre 2016 relative aux partenariats public-privé.
89 La loi n°2006/012 fixant le régime général des contrats de partenariat dont les modalités

d’application sont prévues par le décret n°2008/0115/PM du 24 janvier 2008.


90 Loi n°2016/24 du 11 octobre 2016 portant cadre juridique du partenariat public-privé.

114
projets comparables, le recours à un tel contrat présente un bilan entre les avantages et
les inconvénients plus favorable que ceux d’autres contrats de la commande publique »91.
Cette réalité fait que l’évaluation comparative, constitue donc un préalable
obligatoire à la passation de tout contrat de partenariat92. En raison de la
rigidité intrinsèque de ces contrats et de leur longue durée, ils ne sont pas
un instrument juridique adapté à tous les acheteurs publics et à tous les
projets. Au-delà des spécifications techniques, le développement et la mise
en œuvre de chaque projet d’investissement nécessite de faire des choix
appropriés quant à la forme juridique de l’investissement, quant à la
possibilité que la responsabilité financière du projet soit supportée par le
secteur privé, hors budget de l’Etat.
En réalité, l’incitation de la personne publique à conclure un contrat
de partenariat repose sur cette analyse comparative. Selon la doctrine,
l’évaluation comparative doit présenter à la personne publique des
arguments supplémentaires en faveur du contrat de partenariat,
préférentiellement aux autres formules contractuelles93. L’analyse
comparative fait ressortir la performance attendue du projet à réaliser, le
partage des risques entre partenaires, l’évaluation financière, et le
calendrier d’exécution en fonction des différents modes disponibles94. Elle
mettra en évidence l’intérêt ou non de recourir à un contrat de partenariat
et le coût estimé, si le projet est réalisé selon la formule partenariale. Elle
est donc censée apporter un gain en terme de transparence et
d’objectivation de la décision publique et vise, à participer au bon usage
des deniers publics en fondant la décision sur des bases objectives95.

91 E. MULLER, Les instruments juridiques des partenariats public-privé, op. cit., p. 209.
92 J-D. DREYFUS, « La présomption d’urgence viole les exigences constitutionnelles
relatives à la commande publique », AJDA, 2008, n°30, p. 1665.
93 F. BRENET et S. BRACONNIER, « L'évaluation préalable du contrat de partenariat »,

Contrats et marchés publics, n°1, janvier 2009, étude 1. Pour eux, « L’évaluation préalable (...) ne
semble plus avoir aujourd'hui qu'un seul objet : établir les avantages et les inconvénients du recours à la
formule partenariale par rapport aux autres techniques contractuelles ». Et « Alors que les AOT-LOA
[autorisations d'occupation du domaine public de l'État constitutives de droits réels couplées d'une
convention de location avec option d'achat] et les BEH [baux emphytéotiques hospitaliers] étaient des
montages de droit commun au départ (c'est-à-dire non soumis au respect d'une condition d'urgence, de
complexité ou de bilan avantageux), ils le sont sans doute moins aujourd'hui puisque leur conclusion
nécessite une évaluation préalable permettant d'établir leur efficience ».
En France, l’article 2 de l’ordonnance sur les contrats de partenariat prévoit que
l’évaluation comporte une analyse comparative à caractère économique, financier, juridique
et administratif. En effet, l’évaluation doit expliquer pourquoi le projet a été retenu : « Le
plus souvent, il s’agira de comparer la solution du contrat de partenariat avec celle du marché classique.
Toutefois, même si le contrat de partenariat ne peut pas avoir pour Object de confier la gestion du service
public, une comparaison avec la délégation de service public, dans les cas où elle est possible n’est pas à
exclure ; car la collectivité peut avoir intérêt à déléguer plutôt qu’à conserver la gestion en régie d’un service
dont les installations seraient réalisées dans le cadre d’un partenariat ».
94 D. B. NKAKE EKONGOLO, Le régime juridique des travaux publics au Cameroun, op. cit.,

p. 519.
95 J-J. SUEUR et H. PORTELLI, Sénat, Commission des lois, Rapport Les contrats de

partenariat : des bombes à retardement ?, Juillet 2014. En France, l’article 2 de l’ordonnance sur
les contrats de partenariat prévoit que l’évaluation comporte une analyse comparative à
115
Dans le cas du Cameroun par exemple, cette étude comparative
réalisée en 2009 en vue de la construction d’un immeuble devant abriter
les services centraux du Ministère des travaux publics, le gouvernement
décida de le réaliser suivant le procédé de marché public plutôt que du
contrat de partenariat public privé96. Par contre, il retient la réalisation du
projet en contrat de partenariat public-privé dans la construction du port
en eau profonde de Kribi97, le projet d’aménagement hydroélectrique de
Lom Pangar, le barrage de Memve’elle, le projet du barrage de Mekin, le
projet de barrage de Natchigal et le projet concernant la couverture santé
universelle. C’est également ce modèle contractuel qui a été retenu au
Burkina Faso dans la construction de l’échangeur du nord à Ouagadougou.
Au Sénégal l’autoroute à péage de Dakar-Mbour et la centrale électrique de
Tobene. En Côte d’Ivoire, pour la réalisation du pont autoroutier à péage
Henri-Konan-Bedié, le gouvernement retient une concession de type
BOT98. Sur le plan communautaire, dans la volonté de mettre en œuvre
une politique commune et concertée pour faciliter le transit inter-Etat et
partant, favoriser la croissance économique et le développement de la
sous-région UEMOA, la Commission de l’Union a passé avec la société
Scanning Systems SA une convention de partenariat public-privé portant
sur la réalisation d’un poste de contrôles juxtaposés à Cinkansé à la
frontière entre le Burkina Faso et le Togo.
Pour limiter le phénomène des études comparatives biaisées et
toujours complaisantes à l’égard des contrats de partenariat, les
gouvernements ont mis en place des structures de supervision de
l’évaluation préalable. Au Sénégal, le Comité National d’Appui aux
partenariats public-privé, organe rattaché au ministère de l’économie et des
finances apporte son concours à la réalisation des évaluations préalables

caractère économique, financier, juridique et administratif. L’évaluation doit expliquer


pourquoi le projet a été retenu. « Le plus souvent, il s’agira de comparer la solution du contrat de
partenariat avec celle du marché classique. Toutefois, même si le contrat de partenariat ne peut pas avoir
pour Object de confier la gestion du service public, une comparaison avec la délégation de service public, dans
les cas où elle est possible n’est pas à exclure ; car la collectivité peut avoir intérêt à déléguer plutôt qu’à
conserver la gestion en régie d’un service dont les installations seraient réalisées dans le cadre d’un
partenariat ».
96 Cf. Cameroon-Tribune n°10242/6443 du 14 décembre 2012, p. 13 ; Lire aussi Ministère des

travaux publics de la République du Cameroun, Etude faisabilité en vue de la construction d’un


immeuble devant abriter les services centraux du ministère des travaux publics via le partenariat public-
privé, Cabinet SOCIA (Société Commerciale Immobilière de l’AFAMBA), 2009, 73 p
(Inédit).
97 Décret n° 99/132 du 15 juin 1999 portant organisation et fonctionnement du Port

Autonome de Kribi (PAK). Lire aussi le décret n° 2002/165 du 24 juin 2002 portant
approbation des statuts du PAK.
98 Voir http://www.jeuneafrique.com/4405/economie/alassane-ouattara-inaugure-le-
troisi-me-pont-d-abidjan/; http://www.initiative-ppp-afrique.com/Afrique-zone-
franc/Pays-de-la-zone-franc/Cote-d-Ivoire/Pont-a-peage/ Henri-Konan-Bédié. Consulté
le 26 juin 2021 à 11h17.
116
des projets99. Ainsi le décret du 29 juillet 2014 a mis en place la
Commission de partenariats public-privé au Burkina Faso dont la fonction
est d’accompagner les politiques nationales visant à développer les
partenariats public-privé100. Au Cameroun, le contrôle des PPP est assuré
par le Conseil d’appui à la réalisation des contrats de partenariat101. Cet
organe est placé sous la tutelle du Ministre chargé de l’économie et de la
planification. Il délivre un avis d’opportunité du projet. Le dossier est
ensuite transmis au Ministre des finances qui doit donner un avis de
soutenabilité budgétaire102.
Toutes ces mesures permettent de recourir de façon légitime aux
contrats de partenariat. Et cet encadrement juridique du contrat de
partenariat se poursuit sur le plan budgétaire.
B. La sécurisation budgétaire du contrat de partenariat
Le cadre budgétaire dans lequel s’inscrivent les contrats de
partenariat joue un rôle déterminant pour prévenir d’éventuels recours
opportunistes s’inscrivant dans une forme de déconsolidation
budgétaire103. Le recours au contrat de partenariat doit être fondé sur la
bonne utilisation des deniers publics104. La régulation budgétaire dudit
contrat met en exergue les déterminants qui peuvent conduire une
collectivité publique, soucieuse du bon usage de ses deniers ainsi que de
l’efficacité et de la qualité du service rendu à l’usager à opter pour un
arrangement partenarial avec le secteur privé105. Pour donc éviter une
navigation à vue, les législations des Etats d’Afrique subsaharienne
francophone ont mis l’accent sur l’étude de soutenabilité budgétaire (1) et
prévu le contrat de partenariat dans l’autorisation budgétaire (2).
1. L’insertion d’une étude de soutenabilité budgétaire du contrat
de partenariat
Les pays africains, confrontés à des situations des déficits cumulatifs
ayant conduit à un endettement excessif doivent en principe mener une
politique prudente dans le recours aux instruments financiers facilitant la

99 Loi n°05-2014 du 10 février 2014 relative aux contrats de partenariat au Sénégal, op. cit.,
article 8 al. 1.
100 Décret n°2O14- 628 /PRES/PM/MEF du 29 juillet 2014 portant création, attributions,

composition et fonctionnement de la Commission de partenariat public-privé.


101 Décret n°2008/035 du 23 janvier 2008 portant organisation et fonctionnement du

Conseil d’Appui à la Réalisation de Contrats de Partenariat.


102 Décret n° 2008/035 du 23 janvier 2008, op .cit. art. 6 para. 2.
103 J. BENSAÏD et F. MARTY, Pertinence et limites des partenariats public-privé : une analyse

économique, Centre Cournot, éd. Prisme n°27, novembre 2013, p. 23.


104 CL. MENARD et J-M. OUDOT, « L'évaluation préalable dans les contrats de

partenariat », RFAP, 2009/2 n°130, p 352 : « le recours au contrat de partenariat peut être justifié
par des considérations fondées sur le bon usage des deniers publics, même en l'absence d'urgence et/ou de
complexité ».
105 J. BENSAÏD et F. MARTY, Pertinence et limites des partenariats public-privé : une analyse

économique, op. cit., p. 7.


117
construction des infrastructures innovantes afin de mettre en œuvre les
différentes stratégies de retour à l’équilibre des finances publiques. Ils sont
donc confrontés dans leurs politiques infrastructurelles de répondre aux
arbitrages en donnant la priorité à celles qui sont susceptibles de placer les
finances publiques sur une trajectoire soutenable en permanence. Les
financements privés des infrastructures publiques deviennent des
nouveaux pièges du surendettement en Afrique subsaharienne
francophone après les emprunts effectués auprès des institutions
financières internationales. Ces pays qui présentent des perspectives
macroéconomiques et des projections de croissance à améliorer se ruent
progressivement vers les contrats de partenariat. A travers ceux-ci, on
assiste à l’émergence de nouveaux créanciers et à une croissance rapide de
la dette intérieure, engendrant ainsi un apport considérable de fonds
venant d’un nombre beaucoup plus important de sources. Ces
changements souhaitables de financement présentent néanmoins de
risques. Si ces risques ne sont pas bien gérés, le niveau d’endettement de
ces pays pourrait à nouveau devenir intolérable. Une étude de soutenabilité
budgétaire peut s’avérer déterminante pour apprécier les risques de
fragilisation budgétaires des Etats.
Les contrats de partenariat doivent de ce fait être inclus dans les
contraintes inter-temporelles des Etats et leur encadrement budgétaire
constitue une réponse appropriée à la question de la viabilité budgétaire106.
Une telle posture permet d’éviter une dérive des finances publiques et
surtout une « fuite en avant budgétaire »107 sous la pression du développement
infrastructurel des pays. Avant d’engager une procédure de passation d’un
projet en contrat de partenariat, la collectivité publique doit évaluer
l’impact du projet sur les finances publiques. Ce qui justifierait que le
projet soit soutenable ou pas au regard de la situation des finances de la
collectivité publique. Ces considérations sont prises en compte dans les
législations du Cameroun, du Mali, au Bénin108 et celle de la Côte d’Ivoire.
Le gouvernement du Togo pour sa part a adopté en 2013 une stratégie de
croissance accélérée et de promotion de l’Emploi (SCAPE) ainsi qu’un
Programme d’Actions Prioritaire (PAP) pour la période 2013-2017. Sur le
plan institutionnel, la loi prévoit la mise en place d’une unité spéciale
d’étude des contrats de partenariat auprès du Ministre des finances.

106 OCDE (2009) « Les avantages des prévisions budgétaires à long terme », L’Observateur de
l’OCDE : « La viabilité budgétaire est un concept pluridimensionnel qui intègre la solvabilité, la stabilité
de la croissance économique, la stabilité de la fiscalité, et l’équité intergénérationnelle. Elle a des implications
non seulement financières mais aussi sociales et politiques, qui sont liées à la fois aux générations présentes
et futures ».
107 F. MARTY, « Les partenariats public-privé sont-ils réellement des instruments de

maîtrise des risques budgétaires ? », in L. RAPP et S. REGOURD (dir.), Du contrat de


partenariat au marché de partenariat, Bruxelles, Bruylant, 2016, p. 37.
108 Article 12 de la loi 2016-24 portant cadre juridique du partenariat public-privé en

République du Bénin.
118
Si le contrat de partenariat est un outil de développement par le
biais des financements privés, le défi est de s’assurer que les finances
publiques des Etats ne soient pas bouleversées109. C’est la raison pour
laquelle les législations sur les ppp en Afrique subsaharienne francophone
instituent une obligation d’évaluation préalable de l’impact du projet de
partenariat sur le budget et la dette publique110. L’impact des contrats de
partenariat sur la situation budgétaire globale de l’Etat devrait en principe
être considéré en début et en cours de projet. Un aperçu a priori des
implications à moyen et à long terme des projets et de leurs effets
potentiels permet de déterminer s’ils sont financièrement abordables ou
s’ils impliquent des risques lourds pour l’Etat111. La soutenabilité
budgétaire des contrats de partenariat s’intéresse au caractère abordable
des projets et son effet sur les finances publiques à long terme.
Justement après l’étude de faisabilité du projet, la loi sur les contrats
de partenariat au Cameroun impose l’avis du ministre en charge des
finances afin de vérifier sa soutenabilité budgétaire. Le concept de
soutenabilité est alors utile car il est dynamique : un contrat de partenariat
sera jugé soutenable si, compte tenu de la politique publique prévue ou
prévisible, l’État ne risque pas de se trouver face à un problème
d’insolvabilité ou face à une obligation d’ajustement irréaliste des finances
publiques. Cette condition, qui n’implique pas nécessairement un solde
budgétaire à l’équilibre, se traduit mathématiquement par une dette
publique qui doit être égale à la somme actualisée des excédents
budgétaires futurs hors intérêts de la dette112. C’est donc dans ces
considérations que le contrat de partenariat sera retenu ou rejeté au regard
de la solvabilité des finances publiques. La réalisation de l’évaluation
préalable exigée dans les contrats de partenariat, d’une étude portant sur
l’ensemble des conséquences de ces opérations sur les finances publiques
et sur la disponibilité des crédits est effectuée par le Ministre en charge des
finances le cas échéant par la direction du budget.
De ce fait, au-delà de l’évaluation préalable qui est considérée
comme « la maîtresse de tout projet de partenariat public-privé »113, plusieurs
organes assurent la régularité des opérations de partenariat. Ainsi, le
Ministre des finances joue un rôle central dans la détermination de la

109 M. S. OUEDRAOGO, « La promotion des contrats de partenariat public-privé par les


aides publiques dans l’espace UEMOA », Afrilex, janvier 2018. p. 7.
110 Article 9 de la loi n°020-2013/AN du 23 mai 2013 portant régime juridique du

partenariat public-privé au Burkina Faso et Article 9 de la loi n°2014-09 du 20 février 2014


relative aux contrats de partenariat (PPP), modifiée par la loi n°2015-03 du 12 février 2015
au Sénégal.
111 OCDE, Opérationnaliser les partenariats public-privé en Tunisie. Analyse du cadre budgétaire. Vol

III, 2016, p. 38.


112 T. BRAND, M-P. RIBEIRO, « La soutenabilité des finances publiques », in CEPII,

L’économie mondiale, Paris, La Découverte, 2009, p. 68.


113 S. BRACONNIER, « Les contrats de partenariat et les collectivités territoriales locales :

entre mythe et réalités », BJCP 2004, n°36, p. 343.


119
soutenabilité budgétaire du contrat de partenariat. Cette étude permet de
mesurer les risques que l’opération aura sur les finances publiques au
regard de son échelonnement sur une longue durée. Pour le Doyen
Maurice HAURIOU, le contrat de partenariat peut aussi être « un procédé
dangereux »114. De ce fait, l’utilisation de ce procédé contractuel à des fins
de déconsolidation budgétaire et comptable peut avoir comme
conséquence la fragilisation des finances publiques, mais surtout un risque
de perte de contrôle de l’opération. Car « le gouvernement peut rester exposé à de
lourdes charges budgétaires, à moyen terme »115 et surtout « peut exposer l’Etat à des
risques importants qui s’accompagnent de coûts invisibles et souvent plus élevés que les
financements publics classiques »116.
En France par exemple, la doctrine illustre bien les conséquences
néfastes liées au contrat de partenariat : « le partenariat public-privé entre le
groupe EIFFAGE et le Centre hospitalier Sud francilien signé en 2008 pour la
construction et l’exploitation-maintenance de l’Hôpital de Corbeil a connu un tournant
très négatif malgré une date de l’ouvrage respectée »117. Une rémunération trop
élevée a eu pour conséquence de lapider le budget de l’établissement
public. Ainsi la conséquence directe a été l’impossibilité pour le Centre
hospitalier de recruter du personnel et assurément une gestion désastreuse
du service public118. De ce fait, la conséquence de la défaillance de l’Etat
peut avoir des conséquences sur les entreprises qui peuvent se retrouver
avec des dettes insolvables.
La soutenabilité doit donc s’apprécier sur un horizon pluriannuel, ce
qui constitue une caractéristique essentielle, cet horizon est souvent
relativement court puisqu’il faut pouvoir connaître, au moins
approximativement, les crédits qui seront disponibles. Il peut y avoir une
appréciation de la soutenabilité à plus long terme. Les Ministres en charge
des finances doivent rendre leurs avis sur les contrats de partenariat au
regard de la soutenabilité du projet, qui s’apprécie en particulier par la part
du loyer qui sera versée à compter de la livraison du bien dans les crédits
du programme qui le finance.
Si l’étude de soutenabilité budgétaire constitue un instrument de
sécurisation budgétaire du contrat de partenariat, elle doit s’accompagner
de l’intégration du contrat de partenariat dans l’autorisation budgétaire.

114 Cité par B. NIELS, La rémunération du partenaire privé dans le contrat de partenariat, rapport
de recherches présenté pour le Master I droit public, Université d’Aix-Marseille 2012/2013,
p. 68. Pour l’auteur le contrat de partenariat peut être aussi « un procédé dangereux, car, d’abord,
c’est toujours le public qui paye et il paye quelque fois plus que ne l’exigerait la juste rémunération des
capitaux engagés. De plus, la puissance publique aliène en partie sa liberté d’action ».
115 R. HEMMING, « Les partenariats public-privé », présenté au séminaire de haut niveau sur la

réalisation du potentiel d’investissement rentable en Afrique, organisé par l’Institut du FMI en


coopération avec l’Institution multilatéral d’Afrique, Tunis, Tunisie, 28 février-1er mars
2006, pp. 8 et s.
116 Ibid.
117 B. NIELS, La rémunération du partenaire privé dans le contrat de partenariat, op. cit., p. 68
118 Ibid.

120
2. L’intégration du contrat de partenariat dans l’autorisation
budgétaire
Le cadre normatif des contrats de partenariat public-privé en
Afrique subsaharienne francophone concerne également l’encadrement
budgétaire spécifique dont ils font l’objet. Ce cadre concerne toutes les
étapes d’une opération de partenariat public-privé, de la décision d’y
recourir jusqu’au contrôle de son déroulement. Etant donné que du point
de vue budgétaire, l’engagement dans un contrat de partenariat peut
d’autant plus donner lieu à des stratégies opportunistes que le principe
demeure celui de l’annualité budgétaire et de la comptabilité de caisse, une
telle logique créée indubitablement un biais en faveur des contrats de
partenariat et nécessite un traitement budgétaire. A ce niveau,
l’autorisation budgétaire en matière contractuelle demeure importante119.
En zone CEMAC par exemple, l’article 21 de la directive n°01/11-UEAC-
190-CM-22 relative aux lois de finances dispose que « l’autorisation
d’engagement afférente aux opérations d’investissement menées dans le cadre de contrats
de partenariats publics-privés (…) couvre dès l’année où le contrat est conclu la totalité
de l’engagement juridique ». En zone UEMOA cette exigence, est également
reprise. Au regard de l’intérêt porté pour cet outil de développement des
investissements, les Etats de l’UEMOA ont d’abord intégré les contrats de
partenariat dans la nomenclature des investissements à travers la Directive
n°06/2009/CM/UEMOA120 dont l’article 17 pose, dans la phase
d’exécution du budget, le principe de l’ouverture des autorisations
d’engagement et de crédits de paiement, pour les dépenses
d’investissement et les contrats de partenariats public-privé.
De façon générale, l’instrument privilégié qui appelle à plus de
responsabilité à une meilleure gouvernance dans les législations financières
des Etats est l’utilisation d’un cadre de dépense à moyen terme (CDMT)
pour les projets d’investissement qui fournit un horizon de pilotage à la
gestion des finances publiques, permet d’assurer une meilleure traçabilité
des dépenses publiques et contribue à la transparence et à l’efficience des
processus budgétaires. De ce fait, les contrats de partenariat doivent être
intégrés dans les meilleures pratiques de gestion de l’investissement public.
Ainsi, ils doivent être comptabilisés dans le budget et enregistrés dans le
cadre budgétaire à moyen terme pour faciliter le suivi des conséquences
budgétaires par les institutions en charge des finances publiques. Certains
Etats peuvent utiliser les contrats de partenariat pour contourner les
contraintes budgétaires et les placer en hors cycle budgétaire. Or, ces
contrats génèrent des passifs certains et éventuels, qui peuvent
compromettre la viabilité budgétaire. La programmation pluriannuelle des

119 A. DUFOUR, « L’importance de l’autorisation budgétaire en matière de contrats


administratifs », Les cahiers de droit, vol.7, n°1, 1965, pp. 11-29.
120 Voir Article 18 de la Directive n°06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 relative aux

lois de finances.
121
contrats de partenariat semble donc nécessaire dans le cadre budgétaire et
repose sur une analyse prospective permettant de s’assurer de la capacité
de la collectivité publique à réaliser des projets assortis de prévisions de
financement. En l’absence d’intégration des partenariats public-privé dans
la procédure budgétaire, il se dégagerait l’impression d’une « gratuité des
infrastructures » construites.
Jean BENSAÏD et Frédéric MARTY estiment que « alors qu’un
investissement réalisé de façon traditionnelle se traduit par un fort décaissement
immédiat (correspondant aux coûts d’investissement), une formule partenariale ne donne
lieu qu’au paiement d’annuités lissés sur un grand nombre d’exercices et ne débutant
théoriquement qu’à la mise en service de l’actif »121. Un tel cadre ne permettant
pas de rendre compte des engagements pluriannuels induits par les
contrats. Pour remédier à ces problèmes, selon Richard HEMMING, il
importe que les gouvernements rendent publiques des données
exhaustives sur ces contrats, notamment les charges budgétaires futures,
connues et potentielles, qui sont surtout sous forme de paiements
contractuels des prestations et de garantie122.
Dans la dynamique du model français, de nombreux garde-fous
budgétaires ont été mis en œuvre. Il en est par exemple ainsi de la
circulaire du 14 septembre 2005 relative aux règles budgétaires afférentes à
la signature des contrats de partenariats conduisant à ne pas simplement
couvrir ces deniers par des crédits de paiements correspondants aux flux
annuels. Ils sont également couverts par des autorisations d’engagement
dès la signature du contrat pour une valeur correspondante aux coûts
d’investissement, aux coûts liés à un éventuel délit et à la quote-part de
l’annuité correspondante aux coûts de financement et de
fonctionnement123. Pour l’Inspection Générale des Finances publiques en
France, dans un rapport publié en décembre 2012124, plusieurs scénarios
sont envisageables pour éviter que les partenariats public-privé ne soient
appréhendés comme un instrument de contournement de la norme
budgétaire : une première option consisterait à formaliser une « charte de
gestion », consistant en la prise en compte des montants d’investissement
des partenariats public-privé dans la norme. La seconde option serait de
favoriser le versement de crédits dès la signature du contrat, pour que la
norme –qui ne porte que sur les crédits de paiement- s’applique aux
engagements budgétaires pris dans le cadre de ces contrats.
De ce fait, la généralisation des procédures d’autorisations
d’engagements permet donc, dans le cadre du régime financier des Etats,

121 J. BENSAÏD et F. MARTY, « Pertinence et limites des partenariats public-privé : Une


analyse économique », op. cit., p. 28.
122 R. HEMMING, « Les partenariats public-privé », op. cit., p. 10.
123 J. BENSAÏD et F. MARTY, Pertinence et limites des partenariats public-privé : une analyse

économique, op. cit., p. 28.


124 J-F. JUERY, E. MONNET, J. COUTARD, A. BROTONS, A. HAUTIER, Evaluation

des partenariats public-privé (PPP), Inspection Générale des Finances publiques, Décembre
2012, p. 28.
122
de retracer des engagements juridiques des personnes publiques. Les pays
d’Afrique subsaharienne francophone ont également mis l’accent sur la
prévision du contrat de partenariat dans les comptes publics prévisionnels
qu’est le budget pour assurer une meilleure lisibilité de leurs politiques
infrastructurelles qui s’opère via ce contrat. Ainsi, au Cameroun, on note
également que des mesures prudentielles sont mises sur pied pour assurer
la régularité des contrats de partenariat. Au-delà de l’étude de la solvabilité
budgétaire de la collectivité publique menée par le Ministre des finances, le
Manuel de pilotage et d’exécution du budget programme prévoit dès la
signature du contrat de partenariat des autorisations d’engagements
correspondant aux loyers à verser aux partenaires dans le budget125. De
même, à travers sa loi portant régime financier de l’Etat et des autres
entités publiques de 2018, il précise que l’autorisation d’engagement
afférente aux opérations menées dans le cadre de contrats de partenariat
public-privé couvre dès l’année où le contrat est conclu, le coût complet
des investissements et chaque année pour le fonctionnement et
l’investissement126. En Côte d’Ivoire également, le Décret n°2012-1151
prescrit l’inscription obligatoire des projets de partenariat au plan National
de Développement et de Comptabilisation dans le budget de l’Etat. Pour
les contrats de partenariat, les autorisations d’engagement couvrent, dès
l’année où les contrats sont conclus, la totalité de l’engagement juridique.
En modulant le principe de l’annualité budgétaire, il s’agit de permettre
aux gouvernants d’engager les dépenses d’investissements de manière
pluriannuelle confirmant ainsi les transformations du principe de l’unité
budgétaire127.
En somme, la limitation de l’opportunisme budgétaire dans le
recours aux contrats de partenariat dans les Etats sous étude semble être
une réalité qui se construit progressivement. En évitant un endettement
croissant et souvent irréaliste à travers la construction des infrastructures,
ces pays s’inscrivent pour beaucoup dans une logique d’efficacité des

125 Ministère des finances au Cameroun, Manuel de pilotage et d’exécution du budget programme,
janvier 2013, p. 74 : « Dans le cas où le contrat de PPP renferme une tranche ferme et des tranches
conditionnelles, les AE correspondantes doivent couvrir le montant de la tranche ferme en plus du montant
des éventuelles indemnités et des montants de dédit de non affermissement sur tranches conditionnelles.
L’affermissement d’une tranche rend obligatoire la couverture en AE de la tranche affermie diminuée du
montant du dédit de non affermissement correspondant. Pour le cas des loyers correspondants aux dépenses
de fonctionnement et ceux relatifs au financement mis en place par le partenaire privé, les AE doivent
couvrir le montant des annuités à verser dans l’année ».
126 Article 34 alinéa 6 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de

l’Etat et des autres entités publiques. « L’autorisation d’engagement afférente aux opérations menées
dans le cadre de contrats de partenariats publics-privés, par lesquels l’Etat confie à un tiers le financement,
la réalisation, la maintenance ou l’exploitation d’opérations d’intérêt public, couvre :
- dès l’année où le contrat est conclu, le coût complet des investissements qui sont prévus dans le
contrat et les indemnités de dédit ou d’attente, le cas échéant ;
- chaque exercice, l’annuité pour le fonctionnement et pour le financement ».
127 M.S. OUEDRAOGO, « La promotion des contrats de partenariat public-privé par les

aides publiques dans l’espace UEMOA », op. cit., p. 11.


123
politiques budgétaires servant de base pour une prévention à coup sûr des
stratégies de hors-bilan. Ce constat appelle à la poursuite de la réflexion
afin d’analyser la matérialisation des mesures servant de base d’une asepsie
neutralisant les stratégies de hors-bilan.
II. La matérialisation des mesures neutralisant les stratégies de
hors-bilan
Le recours au contrat de partenariat pour des mauvaises raisons est
susceptible de favoriser un endettement déguisé des collectivités
publiques128, voir même constituer une stratégie de hors bilan129 qui
constituent une forme d’astuce frauduleuse consistant à contourner les
règles de discipline comptable.
Afin de parvenir sur les appréciations erronées découlant d’une
assimilation des stratégies de hors-bilan, les Etats d’Afrique subsaharienne
francophone ont bien voulu limiter de tels dérapages en instituant d’une
part dans leur législation des règles techniques de la comptabilité publique
facilitant l’enregistrement des contrats de partenariat dans les comptes
publics (A) et d’autre part en consolidant les contrats de partenariat dans
les comptes publics à travers la certification des comptes publics (B).
A. La consécration ex ante des règles comptables facilitant
l’enregistrement des contrats de partenariat dans les comptes
publics
La passation d’un contrat de partenariat qui n’implique pas
nécessairement un solde budgétaire à l’équilibre peut se traduire
mathématiquement par une dette publique qui doit nécessairement être
comptabilisée130. Et comme le précise la doctrine « les plus belles théories de
finances se résoudraient à rien, sans un système de comptabilité sagement coordonné (…)
il faut encore qu’une comptabilité simple, régulière et complète, permette d’apprécier la
mesure exacte des ressources du pays (…) »131.
A côté des règles de la comptabilité budgétaire classique retraçant la
gestion et la consommation de l’autorisation budgétaire, les législations
comptables des Etats d’Afrique subsaharienne francophone ont également
introduites une comptabilité générale permettant de rendre compte de
toutes les opérations, y compris celles affectant le patrimoine public132. Ces

128 J-P. SUEUR et H. PORTELLI, Rapport d’information fait au nom de la commission des lois
constitutionnelles (…) sur les partenariats public-privé, n°733, 16 juillet 2014, p. 23.
129 F. MARTY, « De la convergence des normes comptables publiques vers des référentiels

privés », in C. BESSY., T. DELPEUCH et J. PELISSE. Droit et régulations des activités


économiques : perspectives sociologiques et institutionnalistes, Paris, LGDJ, 2011, pp. 281-292.
130 A. CHEVALLIER, La Découverte, Chapitre 4, 2009, p. 68.
131 M. De MONTCLOUX, De la comptabilité publique en France, Paris, 1841, p. 1 cité par E.F.

SAWADOGO, Les instruments de la convergence des politiques budgétaires dans la zone UEMOA,
Thèse de doctorat en droit public, Université de Bordeaux, 2016, pp. 371 et s.
132 D. HURON, F. MARTY et J. SPINDLER, « De la certification des comptes de l’Etat :

principes, enjeux et difficultés », RFFP, n°100, novembre 2007, p. 137.


124
règles viennent dans le cadre des partenariats public-privé, neutraliser les
stratégies de hors-bilan. Sauf que lorsqu’elles sont orientées vers la logique
de caisse elles y semblent limitées (1) et pourtant lorsqu’elles sont orientées
vers l’exercice, elles permettent de rendre effectif dans les comptes publics
la situation patrimoniale de l’Etat (2).
1. L’utilisation perfectible d’une comptabilité budgétaire orientée
vers une logique de caisse
Les recommandations des institutions financières internationales, en
vue d’introduire et de renforcer la transparence dans la gestion des
finances publiques nécessitent, la production et la diffusion des
informations exhaustives sur le flux financier et patrimonial des
administrations publiques133. La comptabilité budgétaire « a pour objet de
retracer, pour l’exercice concerné, les opérations d’exécution du budget de l’État et des
autres organismes publics en recettes et en dépenses et conformément à la nomenclature de
présentation et de vote du budget ou de l’état des prévisions »134. Elle a pour objectif
majeur de vérifier le non- dépassement des autorisations de dépenses et de
favoriser une bonne gestion de trésorerie135. Il s’agit d’un système
d’information relatif à l’exécution des opérations budgétaires136. Avant la
mise en œuvre de la nouvelle gouvernance financière publique, le système
d’information comptable dans la majorité des Etats d’Afrique
subsaharienne francophone était basé sur une comptabilité de caisse137.
Celle-ci orientait l’enregistrement des activités publiques dans les comptes
publics autour de la vérification de la régularité de la consommation des
crédits votés par le Parlement en fonction des catégories budgétaires138, ce
qui ne permet pas en réalité de rendre compte de toutes les activités
patrimoniales des administrations dans l’exécution des partenariats public-
privé139 et peut conduire à la dissimulation des risques budgétaires140.

133 T. NGUIMFACK VOUFO, La notion de comptes publics en finances publiques camerounaises,


Thèse de doctorat/Ph.D en droit public, Université de Dschang, mars 2015, p.445.
134 Article 72 alinéa 1 Directive n°07/2009/CM/UEMOA portant Règlement Général de la

Comptabilité Publique au sein de l’UEMOA.


135 Direction de la Comptabilité publique, « Comptabilité de l’État », in L. PHILIP, (dir.),

Dictionnaire encyclopédique de finances publiques, Paris, Economica, 1991, p. 371.


136 M. BOUVIER, M.C. ESCLASSAN et J. P. LASSALE, Finances publiques, Paris, LGDJ,

2014, 13è éd., p. 448.


137 J. BIAKAN, « La réforme du cadre juridique des finances publiques au Cameroun : la loi

portant régime financier de l’Etat », in M. ONDOA (dir.), L’administration publique


camerounaise à l’heure des réformes, Yaoundé, Harmattan-Cameroun, 2010, p. 25. Pour l’auteur,
« (…) la comptabilité de l’Etat, telle qu’elle existait n’était qu’une comptabilité de caisse qui enregistrait
les recettes véritablement recouvrées et les dépenses effectives ».
138 Article 73 de la Directive n°02/11-UEAC-190-CM-22 relative au règlement général de

la comptabilité publique.
139 E.P. NTSEGUE ANANGA, Le régime financier des contrats publics au Cameroun, Thèse de

Doctorat/Ph.D en droit public, Université de Yaoundé II, janvier 2019, p. 429.


140 G. SCHWARTZ, A. CORBACHO, K. FUNKE, Public Investment and Public-Private

Partnerships: Addressing Infrastructure Challenges and Managing Fiscal Risks, Palgrave Macmillan,
2008.
125
La comptabilité budgétaire telle que basée sur le décaissement et
l’encaissement pourrait permettre de rendre compte de la gestion publique
surtout dans le cadre des marchés publics, où c’est directement la
collectivité publique qui sort les fonds publics, voir même dans le cadre
d’une régie intéressée141, mais inappropriée dans le cadre des partenariats
public-privé. Déjà que la rémunération du partenaire n’intervient pas d’un
seul bloc142 et continue à s’échelonner jusqu’à la fin du contrat143. Dans ce
contexte, la comptabilité de caisse pouvant favoriser une forme de
déconsolidation comptable de certaines activités publiques144. Car, en
chargeant un tiers de préfinancer et de devenir le propriétaire initial d’un
ouvrage ou d’un équipement répondant à ses besoins et destiné à être mis
à sa disposition, la personne publique pourrait réaliser des investissements,
sans faire apparaître dans sa comptabilité un endettement pourtant réel145.
Il est certes vrai que la personne publique a l’obligation et selon la forme
retenue de verser des loyers à son partenaire et que les crédits liés à ce
contrat sont prévus en crédits d’engagement au budget, mais la
comptabilité de caisse ne permet pas de rendre compte des engagements et
de prévenir d’éventuelles stratégies de court terme préjudiciables à long
terme pour les finances publiques. La conclusion d’un contrat de
partenariat ne se traduirait dans les comptes publics que par un paiement
annuel sans information aucune quant aux engagements souscrits146. Le
choix d’une telle formule pourrait constituer une « astuce budgétaire »
permettant de dissimuler le financement d’un investissement public par la
dette et de le transférer indûment la charge du remboursement sur les
générations futures147.
Pour sa part, le Trésor britannique insiste sur le fait que, l’objectif
de déconsolidation ne doit pas être un motif de recours aux contrats de

141 G. DURAND, « Les modes de gestion des services publics locaux et la comptabilité
publique », in Contrats Publics, Mélanges en l’honneur du professeur Michel GUIBAL, Presses de la
faculté de droit de Montpellier I, 2006, vol. I, pp. 610-611.
142 J. BIAKAN, « Recherches sur les contrats publics d’affaires au Cameroun », RASJ,

n°spécial, 2014, p. 151.


143 R. MUZELLEC, Finances publiques, Paris, Sirey, 2006, 14e éd., p. 212.
144 F. LINDITCH, « Les contrats de partenariats public-privé, vecteur d’externalisation et

de déconsolidation ? Quelques interrogations de nature financière », Droit et ville, n°60,


2005, Actes du colloque sur « Le contrat de partenariat public-privé », Toulouse, 2 et 3 juin
2005, pp. 176-180 ; F. MARTY, Partenariats public-privé, règles de discipline budgétaire, comptabilité
patrimoniale et stratégies de hors bilan, Document de travail n°2007-29, Paris, OFCE, octobre
2007.
145 E. MULLER, Les instruments juridiques des partenariats public-privé, Paris L’Harmattan 2011,

p. 86.
146 T. KIRAT, F. MARTY, Règles de comptabilité publique, droit des marches publics et management

public : Réflexions sur les dimensions économiques et juridiques du contrôle de la dépense publique, op.cit.
p.10.
147 Ibid.

126
PFI148, il apparait ainsi que 87% des investissements réalisés par ce biais en
Grande-Bretagne sont consolidés dans les comptes des entreprises, et non
dans ceux des autorités publiques149. En 2009, une part significative des
contrats de P.F.I figurait en hors-bilan, malgré les intentions affichées dès
1999 par le HM Treasury, le trésor britannique. Sur les 628 contrats
répertoriés par l’HM Treasury, seuls 12% faisaient l’objet d’une
consolidation dans les comptes publics. En termes d’investissement privé,
54% de l’ensemble était donc hors bilan150. Pour Thiery KIRAT et
Fréderic MARTY, dans un contexte de "stress fiscal", lié notamment à la
maîtrise des déficits publics dans le cadre du Pacte de stabilité et de
croissance et aux exigences des administrés en termes de performance et
de transparence de la dépense publique, il apparaît indispensable que les
pouvoirs publics se dotent d’un système comptable leur permettant
d’évaluer, sur l’ensemble de leur cycle de vie, le coût de revient des
équipements faisant l’objet d’une acquisition publique. Or, une
information comptable construite en vue de la vérification de la régularité
de la consommation des crédits votés par le Parlement en fonction des
catégories budgétaires ne peut rendre compte des coûts contractuels liés à
chaque marché ; elle ne peut fournir aux acheteurs publics les données
indispensables à leur suivi et à leur maîtrise151. Cet état de chose pourrait
fausser la reddition des comptes dans l’exécution des contrats de
partenariats.
Ce risque de la détérioration de la sincérité des comptes publics
devrait justifier la réforme des finances publiques en Afrique noire
francophone. Le professeur Raymond MUZELLEC, va dans ce sens et
estime que tout système comptable qui se réduit à ce principe, à l’instar du
système camerounais antérieur à la réforme de 2007, présente de
nombreuses faiblesses. D’après lui, cette forme de comptabilité ne décrit
pas l’évolution de la situation patrimoniale de l’Etat et ignore certaines
dettes ou certaines créances. Il reproche aussi à ce système de ne pas
introduire, via les amortissements et les provisions, les opérations de
dépréciation de valeurs destinées à donner une image fidèle du patrimoine
de l’Etat ni une prise en considération suffisante de risques et

148 HM Treasury, How to account PFI transactions. Technical note n°1, 2007, P. 1.8. “It is […]
value for money, and not the accounting treatment, which is the key determinant of wether a project should
go ahead or not”.
149 F. MARTY, « Partenariats public-privé, règles de discipline budgétaire, comptabilité

patrimoniale et stratégies de hors bilan », op cit, p. 29.


150 F. MARTY, A. VOISIN, La comptabilisation des contrats de private finance initiative au

Royaume-Uni, Cahier de recherche GIREF, n°02-2009, ESG – UQAM, p. 8.


151 T. KIRAT, D. BAYON et H. BLANC, Maîtriser les coûts des programmes d’armement : Une

analyse comparative de la réglementation des marchés industriels d’armement en France, au Royaume-Uni


et aux Etats-Unis, Les Rapports de l’Observatoire Economique de la Défense, Paris, La
Documentation Française, 348p.
127
engagements. De même, il ne contribue guère à la prise de décision
éclairée ou à la gestion opérationnelle des services publics152.
Les pays d’Afrique subsaharienne francophone qui s’en tiennent
strictement à un système de comptabilité et d’information financière « de
caisse », risquent de sous-estimer, les risques et les coûts budgétaires, voire
financiers associés aux transactions liées aux partenariats public-privé.
Dans ce contexte, les indicateurs statistiques phares qui se basent en
grande partie sur les rapports de comptabilité publique, ne donnent pas
non plus une image fidèle du degré de risque auquel s’expose l’entité
publique. Le mieux serait donc de passer d’un système comptable orienté
sur le contrôle budgétaire à un système orienté sur la connaissance des
obligations futures caractéristiques de la comptabilité d’exercice.
2. L’instauration d’une comptabilité d’exercice séculaire à une
comptabilité de caisse non réformée
L’application de la comptabilité d’exercice résulte donc des
difficultés liées à l’introduction de la comptabilité de caisse dans le secteur
public153. Son institutionnalisation dans la sphère publique marque « la
convergence des normes comptables publiques vers des référentiels privés »154. En
disposant d’une comptabilité générale et d’une comptabilité d’analyse des
coûts, tenue par les comptables publics, l’Etat entend faire application de
la comptabilité d’exercice155. La consécration de la comptabilité d’exercice
dans la législation des Etats d’Afrique subsaharienne francophone est
essentiellement justifiée par le souci de maîtriser la situation financière et
patrimoniale publique. Ce qui constitue un cadre non seulement propice
pour la nouvelle gestion publique156, mais également une clé de voûte pour
l’encadrement des opérations financières exécutées dans les contrats
publics. Car en effet « elle est fondée sur le principe de la constatation des droits et
obligations. Les opérations sont prises en compte au titre de l’exercice auquel elles se
rattachent, indépendamment de leur date de paiement ou d’encaissement […] »157.
Cette réforme comptable dans la plupart des Etats d’Afrique
subsaharienne francophone pourrait donner des éclairages croissants sur la

152 R. MUZELLEC, « Diagnostic du système financier camerounais », in Actes du colloque sur


la réforme du cadre juridique des finances publiques au Cameroun, Ministère des Finances, 11-13
juillet 2001, Yaoundé, p. 27.
153 S. FLIZOT, « Comptabilité d’exercice dans le secteur public : bilan et perspectives ».

Aperçu du Séminaire du 23 octobre 2008, Commission européenne/FEE, p. 69.


154 F. MARTY, « De la convergence des normes comptables publiques vers des référentiels

prives », in C. BESSY, T. DELPEUCH et J. PELISSE, Droit et régulations des activités


économiques : perspectives sociologiques et institutionnalistes, Paris, LGDJ, collection Droit et Société
-Recherches et Travaux, 2011, pp. 281-292.
155 W. GILLES, Les principes budgétaires et comptables publics, Paris, LGDJ-Lextenso, 2009, p.

162.
156 P. G. SOROK A BOL « L’apport de la nouvelle comptabilité à la gestion des finances

publiques au Cameroun », RAFIP n°5, premier semestre 2019, pp. 11-39.


157 Article 2 de la Directive n°03/11-UEAC-195-CM-22 relative au plan comptable de

l’Etat. Article 76 alinéa 2 directive UEMOA, RGCP de 2009.


128
soutenabilité et le pilotage des finances publiques dans l’exécution des
contrats de partenariat. Elle renforce la maîtrise des risques dans le cadre
de la transparence et de la traçabilité accrue des comptes publics. Elle offre
des éclairages nouveaux sur la situation patrimoniale, les marges de
manœuvre de l’Etat ou encore la soutenabilité des finances publiques.
Dans ce contexte, « une comptabilité d’exercice est plus appropriée à la mise en place
d’un contrôle de gestion et à l’évaluation des performances »158.
Dans le cadre de la comptabilité d’exercice, « au-delà des actifs et
passifs monétaires, il existe un suivi des postes de créances et dettes (…) Dans un
système de comptabilité d’exercice dans le secteur public la plupart des actifs physiques
sont comptabilisés, mais seuls quelques actifs incorporels et quelques provisions sont
enregistrés »159. Selon le rapport de la Cour des comptes françaises de 2007,
cette comptabilité permet « au-delà des données habituellement utilisées sur le
déficit et la dette brute, [de rendre compte de] l’évolution de la situation patrimoniale de
l’Etat, c’est-à-dire de l’ensemble de ses passifs et de ses actifs, permet de dresser un
diagnostic plus complet sur sa situation financière »160. La mise en œuvre de ce
dispositif dans le domaine des partenariats public-privé a été rendue
possible par la création d’un référentiel comptable adapté au contexte et
aux opérations de l’Etat. Largement inspirées des normes IPSAS161 et des
normes IFRS162. Celles-ci devraient permettre de rendre compte des
activités spécifiques de l’Etat selon une comptabilité en droits constatés.
Elles présentent des règles applicables pour l’élaboration des états
financiers et permettent de donner une vue globale du patrimoine et de
l’activité de l’Etat. Si la méthode des droits constatés a été présentée
comme le corollaire comptable de la budgétisation axée sur la
performance163, pour l’UEMOA et la CEMAC, les droits constatés
s’appliqueront à toute la comptabilité publique, sans dérogation164. Pour ce
fait, la comptabilité patrimoniale ou générale ainsi que la comptabilité
d’analyse des coûts constituent une assurance pour l’enregistrement des
contrats de partenariat dans les comptes publics, cette dernière devra
permettre de disposer d’instruments de mesure financiers permettant
d’apprécier la charge induite par les contrats PPP.

158 M. BOUVIER, M-C. ESCLASSAN, J-P LASSALE, Finances publiques, op. cit. p. 449 ; N.
MORIN, « La nouvelle comptabilité de l’État, une dynamique partagée au service de la
gestion publique », RFFP, n°93-février 2006, p. 24 ; N. MEDE, « Réflexion sur le cadre
harmonisé des finances publiques dans l’espace UEMOA », Afrilex, juin 2012, p. 13.
159 E. LANDE, S. ROCHER, « Apports et difficultés de l’introduction de la comptabilité

d’exercice dans le secteur public », La Revue du Trésor, n°2, décembre 2008. p. 921.
160 Cour des comptes, Situation et perspectives des finances publiques, Paris, La Doc. française,

2007 p. 27.
161 International Public Sector Accounting Standards.
162 International Financial Reporting Standards.
163 N. MEDE, « Réflexion sur le cadre harmonisé des finances publiques dans l’espace

UEMOA », op. cit., p. 13.


164 C’est le sens de la rédaction du chapitre 3 de la Directive portant Règlement général sur

la comptabilité publique en zone UEMOA.


129
La comptabilité patrimoniale introduite en finances publiques, fait
partie de la comptabilité générale conçue comme pivot du système
comptable tridimensionnel régissant actuellement l’ensemble du secteur
public. Elle permet de rendre efficaces les inventaires des engagements
financiers de l’Etat et de suivre l’évolution de son patrimoine. Dans les
Etats étudiés dans cette réflexion, elle s’appuie également sur la
comptabilité des matières165. La comptabilité patrimoniale ou générale
permet donc une meilleure gestion des actifs de l’Etat, par rapport à la
comptabilité dite traditionnelle qui ne permettait pas d’établir une
information sur le coût de revient d’un service déterminé, vecteur de
risque pour les partenariats public-privé, elle permet une gestion efficace
de la valorisation du patrimoine immobilier de l’Etat166 et permet de ce fait
d’éviter les engagements hors bilan qui ne font l’objet d’aucun
recensement et d’aucune provision167. La comptabilité générale s’inscrit
donc comme un outil au service de la décision et du pilotage des finances
publiques. Elle est soumise aux règles et pratiques des amortissements et
provisions168. La qualité et la transparence des informations en sont les
atouts essentiels. Elle permet une meilleure connaissance du patrimoine et
favorise une gestion optimisée des actifs de l’Etat.
D’un autre côté, l’introduction d’une comptabilité analytique dans le
cadre d’un exercice permet de mesurer le coût des actions d’un
programme budgétaire. Sa vocation essentielle est de constituer un outil
d’évaluation de l’efficience, voire de pilotage de la performance de la
gestion publique à partir des méthodes de l’exercice169. Son intérêt dépasse
l’objectif de prévention des stratégies opportunistes pour constituer un
préalable indispensable à l’évaluation ex post de la performance. Et
comme le précise le rapport de la commission LEBRUN en France
« l’analyse financière appuyée sur les références comptables de qualité s’avère être
l’instrument de synthèse le plus efficace pour apprécier la performance des PPP
contractuels »170.
La réflexion sur les règles de comptabilisation des contrats publics
est un aspect important de la question de la mesure de leur efficacité, elle
contribue au bon usage des deniers publics c’est la raison pour laquelle le

165 Article 76 alinéa 3 de la directive UEMOA de 2009 portant RGCP.


166 F. MARTY., L. VIDAL et A. VOISIN, « La réalisation des actifs immobiliers publics :
Quelles modalités juridiques et financières ? », Les Petites Affiches, n°254, décembre 2004, p.
9.
167 F. MARTY, S. TROSA et A. VOISIN, « Les enjeux liés à l'adoption d'une comptabilité

patrimoniale par les administrations centrales », Revue Internationale des Sciences Administratives,
2006/2, Vol. 72, pp. 213-232.
168 Article 31 de la directive CEMAC relative au plan comptable de l’Etat, précitée.
169 B. JACQUET, « L’analyse des coûts des actions de l’Etat », La Revue du Trésor, n°7, juillet

2006, p. 451.
170 J-L. LEBRUN (dir.), Aspects économiques et comptables des investissements dans les PPP :

Lisibilité et comparabilité, cité par N. DUPAS, A. GAUBERT, F. MARTY, A. VOISIN, « Les


nouvelles règles de comptabilisation des partenariats public-privé », RLCT, 2012, p. 77.
130
contrôle de l’image fidèle des comptes publics concernant les contrats de
partenariat constitue également une priorité.
B. La fiabilisation ex post des comptes publics inscrite dans un
processus de certification du contrat de partenariat
La question de la fiabilité des comptes publics est d’autant plus
importante qu’elle s’inscrive dans un mouvement général et contemporain
d’exigence vis-à-vis de la sincérité des informations comptables délivrées
par les personnes publiques171. Comme pour les entreprises privées, les
finances publiques devraient être « aussi claires et intelligibles que le livre de
comptes d’un marchand »172. La certification des comptes publics peut à
certains égards contribuer efficacement au contrôle de la « régularité, la
sincérité et la fidélité » des comptes des organismes publics173. De ce fait, les
juridictions financières (1) tout comme le dispositif de surveillance
multilatéral (2) peuvent contribuer efficacement pour que les informations
liées aux partenariats public-privé soient consolidées.
1. La certification opérée par les juridictions financières
Dans le cadre des dispositifs visant la maîtrise au sens large des
divers risques budgétaires et comptables afférentes aux opérations de
partenariats public-privé, le développement de la certification des comptes
publics permet d’évaluer et d’apprécier le degré de maitrise des risques
financiers atteint par une entité publique. Et l’évaluation du contrôle
interne effectuée lors des travaux de certification permet d’identifier ses
failles et d’apprécier leur incidence sur la fiabilité et l’exactitude des
comptes publics. La certification des comptes publics en Afrique
subsaharienne francophone rentre dans la compétence du juge des
comptes publics. Et comme le précise certains auteurs, « A la manière des
commissaires aux comptes qui auditent les bilans des entreprises, les magistrats de la
Cour sont chargés de certifier la régularité, la sincérité et l’image fidèle du résultat des
opérations de l’exercice écoulé, ainsi que de la situation financière et patrimoniale de
l’Etat à la fin de l’exercice »174. La fonction d’audit ou de vérification externe
remplie par ces instances supérieures de contrôle des finances publiques
revêt une importance capitale pour la bonne gestion des finances
publiques, particulièrement dans les pays en développement. Par la
certification des comptes publics, il ne s’agit pas dans ce cadre,

171 F. WILINSKI, L’évolution du droit de la commande publique en France et en Italie à l’aune du


PPP, Thèse de Doctorat, Lille II, 2015, p. 375.
172 Le Président américain Thomas JEFFERSON cité par D. HURON, F. MARTY et J.

SPINDLER, « De la certification des comptes de l’Etat : principes, enjeux et difficultés »,


RFFP, n°100, 2007, p. 138.
173 V. RAVOUX et F. GAVEN, « La démarche de certification de service dans les

URSSAF. Le point de vue de l’URSSAF de Paris-Région parisienne », RFFP, n°100, 2007,


p. 365.
174 D. HURON, F. MARTY et J. SPINDLER, « De la certification des comptes de l’Etat »,

RFFP, n°100, p. 136.


131
d’interpréter les états financiers ou de se prononcer sur l’efficacité des
politiques publiques, mais de constater la conformité des états financiers
aux règles qui leur sont applicables175. La certification des comptes publics
conduit généralement à la formulation d’une opinion d’expert sur la
fiabilité des états financiers176.
Les directives communautaires CEMAC et UEMOA, et les lois
relatives aux lois de finances et au règlement général de la comptabilité
publique dans les Etats membres énoncent que les comptes de l’Etat
soient régulier, sincères et donner une image fidèle de son patrimoine et de
sa situation financière. Cette vérité des comptes qui s’impose ex post sur la
loi de règlement s’étend également à d’autres comptes publics dont la
sincérité doit être sanctionnée par la certification devant une institution
juridictionnelle compétente. Sur cette base et suivant les recommandations
du colloque international des hautes juridictions francophones tenu à
Cotonou en juillet 2002, la CEMAC tout comme l’UEMOA, après avoir
créé des cours des comptes communautaires177, invitent les Etats membres
à créer des cours des comptes.
Les juridictions financières en Afrique subsaharienne francophone
sont donc constituées des chambres ou sections des comptes des cours
suprêmes qui subsistent dans certains Etats, et des cours des comptes
créées sous la houlette du droit communautaire178. De par leur
positionnement hors de l’exécutif, les cours des comptes sont d’office des
institutions supérieures de contrôle des finances publiques au sein des
Etats au sens de l’INTOSAI179. Cet organisme à travers la norme ISSAI
10, connu sous le nom de Déclaration de Mexico, prône l’indépendance
des institutions supérieures de contrôle des finances publiques. La création
des cours des comptes dans les Etats d’Afrique subsaharienne
francophone est une réforme déjà inscrite dans les législations
communautaires « afin d’assurer la fiabilité des données budgétaires nécessaires à
l’organisation de la surveillance multilatérale des politiques budgétaires (…) »180. Il
faudrait donc que l’ensemble des comptes des administrations publiques
puissent être contrôlés selon des procédures offrant des garanties de

175 Ibid. p. 138.


176 R. MUZELLEC, « Vers la certification des comptes de l’Etat en 2007 », in Constitution et
finances publiques, Etudes en l’honneur de Loïc PHILIP, Paris, Economica, 2005, p. 486.
177 Art. 32 al. 1 de l’Acte additionnel n° 07/00/CEMAC-041-CCE-CJ-02 portant statut de

la chambre des comptes.


178 La Centrafrique a institué une Cour des comptes dont l’organisation et le

fonctionnement est fixé par la loi organique n°96/001 du 3 janvier 1996. Au Tchad, la
juridiction financière est instituée au sein de la Cour suprême. Au Congo-Brazzaville, la
constitution du 20 janvier 2002 institue un pouvoir judiciaire exercé par la Cour suprême, la
Cour des comptes et de Discipline Budgétaire, les Cours d’appel et les autres juridictions
nationales. Au Cameroun l’Article 38 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 prévoit
au sein de la Cour suprême : une chambre judiciaire, une chambre administrative et une
chambre des comptes.
179 International Organization of Suprem Audit institutions.
180 Article 76 de la Convention régissant l’UEAC.

132
transparence et d’indépendance requises. Ces procédures doivent
permettre de certifier la fiabilité des données figurant dans les comptes
publics et s’accompagner des sanctions des prévisions ainsi que la gestion
non sincère181.
A travers la certification des comptes publics, les juridictions
financières s’assurent non seulement de la régularité des opérations
enregistrées dans les comptes, la sincérité des comptes et de l’image fidèle
du résultat de l’exercice, mais surtout de la situation patrimoniale et
financière des collectivités publiques. Ce rôle renforce donc la
transparence dans la gestion des finances publiques ; il permet aux
parlementaires de disposer d’une assurance supplémentaire, d’une
information financière fiable favorisant ainsi une base solide pour la prise
de décision182. Même dans le cadre des partenariats public-privé.
L’intervention de la juridiction des comptes permet de préserver la qualité
comptable des activités de l’Etat par l’analyse des risques et la mise en
place des plans d’action destinées à corriger ou prévenir ces risques. C’est
donc généralement à l’occasion du contrôle des comptes des comptables
publics, mission première des cours des comptes, que le juge des comptes
met à l’évidence des anomalies sur les partenariats public-privé.
En France à titre d’exemple, la Cour des comptes dans un rapport
public de février 2015183 constate et dénonce le fait que les dispositions
comptables ne sont pas toujours respectées dans le cadre des contrats de
partenariat public-privé. C’était notamment le cas jusqu’en 2012 pour la
ville de Rouen, le contrat signé en 2007 pour une gestion centralisée de la
sécurité des espaces publics n’apparaissant pas dans l’encours de dettes de
la commune : le montant de 25 M€ (soit 1,625 milliards de FCFA) n’était
ainsi pas pris en compte dans les engagements financiers de la collectivité,
qui s’est engagée à rectifier cette anomalie. Il en est de même du centre
intercommunal d’action sociale du Val de Gers, la dette du contrat relatif à
la construction et à l’exploitation d’un EHPAD n’étant pas comptabilisée,
outre l’absence de l’annexe budgétaire retraçant la dette liée à la part
investissement du contrat de partenariat. Dans deux cas, des collectivités
ont créé des instruments de portage pour assurer l’exécution du contrat de
partenariat, ce qui leur permet, dans une certaine mesure, de s’affranchir
des contraintes de comptabilisation où d’atténuer les conséquences
négatives de l’exécution du contrat sur les finances locales184.
La déconsolidation qui en résulte se retrouve ainsi au niveau de la
ville de Perpignan qui, par avenant, a transféré l’ensemble des droits et

181 P. APPAILLANCE, « Avant-propos », RFFP, n°36, 1991, Les institutions de contrôles


des comptes publics à l’étranger, p. 7.
182 D. LAMIOT, « La réforme des comptes de l’Etat. Bilan et perspectives après la remise

des comptes 2006 », RFFP, n°100, 2007, p. 55.


183 Cour des comptes, Rapport public annuel février 2015, www.ccomptes.fr, consulté le 26 juin

2021 à 16h30.
184 Ibid. p. 174.

133
obligations résultant du contrat à un EPCC (Etablissement Public de
Coopération Culturelle)185, permettant ainsi à la commune d’échapper à
son obligation de comptabiliser la dette afférente au contrat de partenariat
dans ses comptes, ainsi que l’immobilisation afférente. Les écritures
patrimoniales sont de fait constatées dans les comptes de l’EPCC186. Dès
lors, la Cour des comptes française témoigne non seulement qu’il est
loisible pour les collectivités publiques d’ « intégrer dans le débat d’orientation
budgétaire le compte-rendu annuel d’exécution du contrat de partenariat, décrivant et
expliquant son exécution ex post avec son coût réel par rapport au document
contractuel » et pour l’Etat de « modifier les normes comptables en vue de faire
figurer, en engagements hors bilan l’ensemble des coûts (financement, maintenance et
exploitation), au-delà des seuls coûts d’investissements »187. En Grande Bretagne, le
National Audit Office (NAO) doit certifier les comptes des différents
départements ministériels. Il doit en d’autres termes, s’assurer de la
conformité de la tenue des comptes avec les pratiques comptables
généralement admises au Royaume Uni. C’est dans ce cadre qu’il s’assure
de la fiabilité des informations patrimoniales concernant les contrats de
Private Finance Initiative.
En Afrique subsaharienne francophone, le rôle des juridictions des
comptes gagnerait à être étendu avec l’élargissement du champ des
partenariats public-privé. Les Etats pourraient tirer les exemples de la Cour
des comptes française, ou du NAO au Royaume Uni qui effectue certaines
évaluations de projets de partenariats public-privé a posteriori, et à publier
ces rapports sur les enseignements tirés sur la base des expériences
britanniques. Au-delà, l’opinion de l’organisme certificateur fait aussi
l’objet d’une normalisation internationale.

2. La régularisation des comptabilités nationales par le dispositif de


surveillance multilatéral des finances publiques
La régularisation des comptabilités nationales s’avère nécessaire face
aux pratiques récurrentes de déconsolidation des comptes publics.
Pratiques pourtant proscrites par la réglementation en vigueur sur le plan
international et communautaire. L’une des conséquences, c’est qu’elles
peuvent contribuer à modifier les conditions de l’équilibre budgétaire des
Etats. De tels artifices peuvent non seulement impacter sur les agrégats
macro-économiques des Etats, mais surtout constituer un facteur
d’aggravation des déficits budgétaires pourtant masqués dans les
comptabilités nationales. Quoi qu’il en soit, de tels artifices peuvent à eux
seuls méconduire les bailleurs de fonds et les partenaires au

185 EPCC du Théâtre de l’Archipel.


186 Cour des comptes, Rapport public annuel 2015, précité, p. 174.
187 Ibid.

134
développement des pays d’Afrique subsaharienne francophone tout en
créant un déséquilibre au sein des ensembles sous régionaux188.
L’application des artifices comptables viole les indicateurs de solvabilité de
la dette des Etats189. Il semble donc nécessaire de mettre en place « un
dispositif de surveillance collective des pratiques budgétaires »190 afin qu’une
autodiscipline du système devienne possible191. Il s’agit également de
définir une politique budgétaire équilibrée soucieuse de maitriser le niveau
de d’endettement public des Etats.
Dans le contexte de la « configuration globale » de la mondialisation
marquée par la volatilité des investissements directs192, la maîtrise de
l’endettement et la réduction du déficit public sont devenus des impératifs
essentiels des Etats. Dès lors, garantir la fiabilité et la sincérité de la
situation financière des Etats dans un contexte marqué par l’harmonisation
des normes comptables devient une nécessité pour la stabilité du système
financier international et communautaire. Pour le professeur BOUVIER,
« l’enjeu est de taille puisqu’il s’agit d’éviter que l’hétérogénéité et l’équilibre instable du
système politique, économique et financier international, ne conduise à une succession de
crises, voire même à l’effondrement général »193. Le dispositif de contrôle
multilatéral des comptabilités nationales peut, sur la base de ses actions,
contribuer efficacement à « une meilleure gestion des finances publiques en
confirmant la bonne ou mauvaise gestion, le cas échéant en identifiant les faiblesses »194.
Afin que la stabilité des ensembles communautaires et régionaux en
Afrique subsaharienne francophone ne se trouve menacée par les
déséquilibres budgétaires d’un Etat membre, les législations
communautaires enjoignent les candidats à l’adhésion à éviter les déficits
publics excessifs et à donner des informations fiables sur leurs
comptabilités nationales. Ces législations visent à « assurer la convergence vers
des performances soutenables par la coordination des politiques économiques et la mise
en cohérence des politiques budgétaires nationales avec la politique monétaire
commune »195. En appliquant les critères de convergence budgétaire, la
viabilité des ensembles sous régionaux est garantie, parce qu’en veillant à

188 R. MBALLA OWONA, « Emergence de la gestion axée sur les résultats et


reconnaissance d’une obligation d’exécution intégrale des budgets des administrations
publiques en droit CEMAC », op. cit., 2016, p.15.
189 Les indicateurs de solvabilité mesurent la capacité d’un pays à générer dans le futur des

excédents courants "suffisants et stables" pour rembourser intégralement sa dette.


190 J-P. DUPRAT, « La formation et l’évolution du droit financier en Afrique francophone

subsaharienne », op. cit., p. 467.


191 M. BOUVIER, « Surveillance multilatérale internationale des finances publiques et

pouvoirs politiques », RFFP, n°74, avril 2001, p. 134.


192 Ch. A. MICHALET, Qu’est-ce que la mondialisation ?, Paris, La Découverte, 2004, pp. 95 et

s.
193 M. BOUVIER, « La surveillance multilatérale internationale des finances publiques et

pouvoir politique », in Processus budgétaire vers un nouveau rôle du parlement, Actes Colloque du
Sénat, 24 et 25 janvier 2001, Paris, p. 134.
194 A.G. BESSALA, Ajustement structurel et droit budgétaire camerounais, op. cit., p. 240.
195 Article 2 (b) de la Convention régissant l’UEAC.

135
ce qu’aucun Etat membre n’accuse des déficits ou des taux d’inflation plus
élevés que ses voisins, on protège les Etats membres des effets contagieux
d’une éventuelle instabilité macroéconomique dans l’un ou l’autre Etat
membre196.
Cette préoccupation semble nécessaire et mérite une attention
particulière même en matière de commande publique, dans la mesure où,
« à l’origine, les ppp se présentaient comme des artifices comptables, un moyen pour le
gouvernement de contourner ses propres contraintes en matière d’emprunt public. (…) A
l’image des entreprises comme Enron qui ont tentées de dissimuler leurs véritables passifs
en les inscrivant « hors bilan », les gouvernements ont commencé à utiliser les ppp tels
des « artifices comptables » (…) qui permettaient aux comptes publics de reproduire la
comptabilité créatrice adoptée par certaines entreprises dans le passé »197. Dans ce
contexte, le dispositif de surveillance doit pouvoir s’appuyer sur un
système d’informations performant dans lequel la qualité des statistiques
disponibles constitue une base essentielle198.
Dans le cadre européen par exemple, l’office européen de la
statistique (Eurostat) chargée au nom de la Commission européenne de
veiller au respect des standards du système comptable européen, s’érige en
vecteur d’institutionnalisation et d’européanisation des comptabilités
nationales199. Une fois les valeurs de référence budgétaire précisées par le
Traité de Maastricht, Eurostat assure la certification des comptes des Etats
membres en détectant les « erreurs manifestes » de leurs comptes. De
nombreuses insuffisances et zones d’ombres vont pousser Eurostat à
développer une véritable « jurisprudence statistique » face aux artifices
comptables de la part de certains gouvernements. Au point de vue
comptable, Eurostat estime que les opérations exceptionnelles opérées par
l’Italie ne permettaient pas d’enregistrer pour les l’exercice en cours
l’engagement desdites opérations200. La situation de la Grèce en 2008 a
également montré à quel point le contrôle des comptabilités nationales
semble nécessaire201. Ce système de contrôle mis en place par Eurostat ne

196 G. MBASSA, Les principes des finances publiques à l’épreuve du budget programme en droit
camerounais, Thèse de doctorat/Ph.D en droit public, Université de Yaoundé II, 2019, p.
207.
197 D. HALL, Partenariats public-privé (PPP) : les raisons de leur inefficacité. Les multiples avantages de

l’alternative publique, Rapport de l’internationale des services publics, janvier 2014,


www.world-psi.org, p.7.
198 J. BOURRINET et Ph. VIGNERON, Les paradoxes de la zone euro, Bruylant, Travaux du

CERIC, 2010, p. 151.


199 Cf. D. PIRON, « Le traitement des partenariats public-privé dans le Système européen

des comptes (SEC) : réflexions au regard du projet flamand ‘Scholen van Morgen’ », Revue
de fiscalité régionale et locale, Vol. 2015/4, n° 4, pp. 311-328.
200 L’office statistique européen a tout d’abord promulgué deux directives successives de

2002 et de 2007 quant au traitement des opérations de titrisation dans les comptes publics.
Il a ensuite émis en mars 2005 des doutes sur les comptes publics italiens et en juin 2005, la
commission engagea une procédure de déficit excessif vis-à-vis de cette dernière.
201 Y-F. CHINARD et LABONDANCE, « La crise grecque : quelques leçons d’économie

européenne », Revue du marché commun et de l’UE, n°5 L/1, 2010, p. 493.


136
constitue que la partie visible du processus de surveillance budgétaire
instauré à l’échelle de l’Union européenne. De même, la cour des comptes
de l’Union européenne assure la « normalisation européenne des comptes
publics »202 afin de prévenir les déficits excessifs des Etats membres.
En Afrique subsaharienne francophone, la promotion d’un
environnement juridique rationnalisé et harmonisé a paru nécessaire pour
« structurer et impulser les nouveaux rapports susceptibles d’assurer l’intégration
économique »203. Mais la particularité de la situation économique des Etats
de ces organisations a aussi fait que les politiques visant la mise en place
d’une économie de marché sont allées de pair avec l’intégration des
politiques financières afin de garantir une bonne gestion des finances
publiques204. Les pays d’Afrique subsaharienne francophone conscients
que pour mener à bien une politique d’investissement public de manière
planifiée, il est nécessaire d’avoir une bonne connaissance de la situation
patrimoniale des pouvoirs publics, à la fois pour les actifs physiques et les
actifs financiers vont donc mettre en place dans leurs ensembles
communautaires des dispositifs de contrôle tendant à assurer la
convergence des politiques d’endettement et surtout de limiter les déficits
publics excessifs. L’article 76 de la convention régissant l’UEAC impose
aux Etats que « l’ensemble de [leurs] comptes puisse être contrôlé selon des procédures
offrant les garanties de transparence et d’indépendance requises ». Pour ce qui est des
données statistiques nécessaires à la surveillance multilatérale, les Etats
membres de l’UEMOA sont invités au titre de l’article 70 du Traité à
transmettre régulièrement à la Commission de l’Union les données
statistiques et les informations relatives aux politiques économiques. Sur la
base des informations fournies par les Etats, les instances communautaires
s’organisent autour des procédures visant aussi bien à prévenir les déficits
publics des Etats qu’à corriger en cas de risque les écarts vis-à-vis des
normes communautaires.
Pour donc assurer la fiabilité des comptes publics, le premier niveau
des normes juridiques des Communautés africaines est constitué des
normes de l’AFROSAI. Si ces normes de l’AFROSAI sont une sorte
d’africanisation des normes ISSAI de l’INTOSAI, elle est également
l’organisation parapluie de contrôle des finances publiques pour l’Afrique.
L’AFROSAI a pour objectif fondamental d’instaurer une coopération
étroite entre ses membres dans le cadre de l’INTOSAI et pour une
intégration régionale africaine. Dans le cadre de ses rapports, il est
ordonné aux gestionnaires de « s’assurer de l’exactitude […] des comptes et autres

202 V. SIVRE, « Normalisation européenne des comptes publics : les réserves de la Cour
fédérale des comptes allemande » in Gestion et Finances Publiques, 2018 n°4, pp. 75-82.
203 A. SAKHO, « Méthodologie et contenu d’une harmonisation des règles du marché des

télécommunications dans le CEDEAO », Les droits communautaires africains, Actes du


colloque organisé par le CREDILA et LEJPO les 27 et 28 avril 2006 à Saly (Sénégal), p. 24.
204 S. SAMB, Le droit de la commande publique en Afrique noire francophone. Contribution à l’étude des

mutations du droit des contrats administratifs au Sénégal, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au
Cameroun, thèse de doctorat en droit public, Université de Bordeaux, novembre 2015, p. 80.
137
documents financiers »205. Elle impose donc aux Etats africains le respect de la
fiabilité, de la sincérité et de la transparence de leur comptabilité nationale.
Dans ce contexte, la situation patrimoniale des Etats doit figurer dans leurs
différentes comptabilités publiques.
D’un autre côté, les grands ensembles communautaires à savoir
l’UEMOA et la CEMAC renforcent le dispositif de contrôle multilatéral
des finances publiques en Afrique subsaharienne francophone. Par le
truchement de leurs différents organes ils assurent la convergence des
politiques économiques et comptables au sein des Etats de la sous-région.
L’exercice de la surveillance multilatérale au sein des institutions de
l’UEMOA et de la CEMAC doit être renforcé par la mise en place dans
ces ensembles sous régionaux d’une structure communautaire à l’exemple
de Eurostat, car l’absence de sanction, l’inefficacité des mécanismes de
pression par les pairs, l’absence d’une structure indépendante des
statistiques et surtout la rivalité entre les Etats favorisent le recours à la
comptabilité créatrice206 consistant à respecter artificiellement les critères
de convergence des politiques budgétaires. Ce qui fait que les Etats
demeurent exposés à des risques d’insolvabilité. La tenue d’informations
statistiques fiables et harmonisées par les États dans le cadre d’une
procédure de surveillance multilatérale constitue l’une des conditions
primordiale du succès de celle-ci, car elle permet la comparabilité des
données entre États207.
Conclusion
Les développements qui précèdent n’ont pas discuté le fait que les
contrats de partenariat public-privé dans le monde en général et en
Afrique en particulier se présentent comme une stratégie d’amélioration
des performances des activités publiques, ni contesté le bien-fondé de la
stratégie économique que ceux-ci expriment. Ils se sont bornés à montrer
que ce n’est pas seulement en les situant « dans la perspective de métamorphose
de l’intérêt général »208, de développement infrastructurel et surtout
d’assouplissement des contraintes budgétaires qui marquent le droit
contemporain que l’on parviendra à en faire un « objet de connaissance »209.
Les contrats de partenariat public-privé présentent également un
risque pour les finances publiques. En tant qu’instrument de
déconsolidation de la dette publique, ils peuvent nuire à la lisibilité des
engagements de long terme des administrations publiques. Cet état de

205 Manuel de procédure de l’AFROSAI, p. 33.


206 L. E. BOULOUBOU, La soutenabilité des finances publiques dans les pays africains producteurs de
pétrole : le cas du Gabon, Mémoire de Master en Administration publique, ENA, 2007, p. 51.
207 E. F. SAWADOGO, Les instruments de la convergence des politiques budgétaires dans la zone

UEMOA, Thèse de doctorat en droit public, Université de Bordeaux, 2016, p. 83.


208 Y. GAUDEMET, « Le partenariat public-privé en France dans la perspective de

métamorphose de l’intérêt général », D. 2007, pp. 3084-3089.


209 A. LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, Quadrige, 2002,

p. 692.
138
chose permettrait aux Etats d’Afrique subsaharienne francophone
d’investir au-delà de leur capacité financière et de reproduire une
comptabilité créatrice comme c’est généralement le cas dans les entreprises
privées. La prévention d’un tel risque passe d’une part par l’intégration
dans les législations des Etats, des mécanismes qui permettent de recourir
à bon escient à ces instruments vecteur d’endettement public. Et d’autre
part par l’institutionnalisation des mesures permettant de neutraliser les
stratégies de hors bilan dans les comptabilités nationales. La lisibilité et la
fiabilité des informations budgétaires et comptables constituent une
exigence de la bonne gouvernance des finances publiques contemporaines.
S’Il convient d’inciter les Etats africains à présenter convenablement
les ppp dans les comptes budgétaires et les analyses de viabilité de la dette,
ces mesures sont des perspectives à préconiser, afin de prévenir à long
terme les risques financiers induits par les contrats de partenariats public-
privé. Elles constituent, à n’en point douter, le leitmotiv d’un véritable
développement en Afrique subsaharienne francophone, et non un
développement déguisé, cachant la véritable misère210. Elles ouvrent à la
voie à des réflexions plus attendues sur la maitrise des finances publiques.

210J. ARTHUIS, Rapport d’information fait au nom de la commission des finances sur la
prise en compte de la dette publique dans les comptabilités nationales, Sénat, n°374,
31/03/2010, p. 64.
139
LES VIREMENTS DES CREDITS BUDGETAIRES
DANS LE FINANCEMENT
DES ORGANISMES PUBLICS DES ÉTATS DE LA CEMAC
Par
Dr. Achille Nestor BASAHAG
Ph.D. en droit public
Université de Douala (Cameroun).

RESUME :
Les mouvements de crédits dans l’exécution de la dépense publique sont devenus,
au-delà de leur normalité dans un contexte de globalisation des crédits, une source
incontournable dans le financement continu des organismes publics. Les virements de
crédits budgétaires sont le produit de cette conviction au regard de la flexibilité de son
régime facilitant ainsi le redéploiement des crédits. A l’analyse, il faut compter sur
l’extrême responsabilisation des gestionnaires de crédits pour la garantie constante des
ressources publiques nécessaires au financement des programmes ou des dotations
budgétaires. A cet égard, les virements de crédits leur permettent d’orienter avec souplesse
la destination des crédits à redéployer puisqu’ils ont la possibilité de modifier la nature
des programmes. Ceci contribue à gérer plus facilement les situations d’urgence
budgétaire. Bien plus, le redéploiement des crédits au sein des organismes publics
implique une redéfinition des priorités de financement de la dépense publique. Dans ce
sillage, le droit public financier des États de la CEMAC donne un point d’honneur
aux financements des dépenses d’investissement par rapport aux dépenses de
fonctionnement.

Mots clés : virements de crédits – financement – programme – dotation –


organismes publics.

ABSTRACT :
Credit movements in the execution of public expenditure have become beyond
normality in a context of credit globalization an essential source in the continuous
financing of public institutions. The transfers of budgetary credits are the product of this
conviction with regard to the flexibility of its system, thus facilitating their redeployment
of credit. In the analysis, it is necessary to count on the extreme responsibility of the
credit managers for the constant guarantee of the public resources necessary for the
financing of the budget allocation programs. In this regard, transfer of appropriations
allows them to orient flexibly the destination of the appropriations to be redeployed since
they have the possibility of modifying the nature of the programs. This helps to manage
budget emergencies more easily. Even more, the redeployment of credits within public
institution implies a redefinition of the priorities for financing public expenditure. In this
wake, the public financial law of the states of the CEMAC gives appoint of honor to
the financing of investment expenditure compared to operating expenditure.

Keywords: credit transfers, funding, program, endowment, public institution.


140
Introduction
Tous les pays, mais plus particulièrement les pays en
développement comme ceux de la zone CEMAC, sont confrontés à des
crises multiformes. Qu’il s’agisse de la crise sécuritaire ou de la crise
sanitaire due au coronavirus, les finances publiques de ces États se sont
trouvées gravement affectées au point d’être « sous tension »1. Ces crises ont
contribué à la réduction des recettes et ont imposé des dépenses urgentes.
Dans ces conditions, les pays qui ont constitué des réserves en temps utile
peuvent puiser sur ces ressources en période de crise, tandis que les pays
peu endettés peuvent accroître leur déficit budgétaire, notamment par
l’emprunt, en cas de tassement de l’activité, voire de crise, sans perdre la
confiance des marchés. En revanche, les pays qui ne disposent pas de ce
genre de marges sont souvent contraints à des mesures de régulation
budgétaire d’urgence à l’instar des virements de crédits. Il s’agit d’une
modalité d’engagement des mouvements de crédits budgétaires dont
l’analyse de la portée exige au préalable d’en fixer les contours.
En effet, le crédit budgétaire est la manifestation du consentement
donné par le parlement de procéder à des dépenses précises et dans des
limites données. Concrètement, il s’agit du montant maximum de dépenses
que le parlement autorise le gouvernement à engager et à payer pour un
objet déterminé et au cours d’un exercice budgétaire. Dans ce sens, on
distingue les crédits limitatifs des crédits évaluatifs Si les crédits évaluatifs
s’imputent au-delà des crédits ouverts, les crédits limitatifs doivent être
contenus dans leur limite originelle et ne doivent pas faire l’objet de
dépassement de crédit. Cette distinction n’est pas anodine puisqu’elle
permet de délimiter le champ d’application des virements de crédits. En
fait, contrairement aux crédits limitatifs, les crédits évaluatifs ne peuvent
faire l’objet d’aucun mouvement de crédits. Il s’agit notamment des crédits
relatifs aux charges de la dette de l’État.
En outre, la nomenclature budgétaire des dépenses retenue par les
textes regroupe les crédits en fonction de la nature fonctionnelle, par
destinations administratives et par natures économiques des dépenses
publiques. Ceci dénote de l’application du principe de la spécialité
budgétaire. Ce principe commande que les crédits soient ouverts de
manière relativement détaillée suivant les subdivisions dont le bénéficiaire
ne peut plus ensuite modifier le contenu, toute modification impliquant
une nouvelle décision de l’autorité budgétaire2. La nouvelle spécialisation
des crédits se décline en fonction, programme et action devant permettre
leur réalisation et auxquels sont adossés des objectifs assortis d’indicateurs
de performance. Dans ce sens, en zone CEMAC, les crédits sont

1 R. HERTZOG, « Les ressources publiques sous tension : victimes ou causes de la crise


des finances publiques », RFAP, 2012/4, n°144, pp. 915-928.
2 J. L. ALBERT, Finances publiques, Paris, Dalloz, 2013, 8e éd., p. 103.

141
spécialisés par programme ou par dotation3. Mais comme le rappelle
Gaston JEZE « le crédit budgétaire est une autorisation de dépenser et non pas un
ordre de dépenser »4. Sous cet angle, les législations des États de la CEMAC
ont tempéré le principe de spécialité budgétaire en disposant que « A
l’intérieur de chaque programme ou dotation, la présentation des crédits par titre est
indicative et ne s’impose ni aux ordonnateurs ni aux comptables dans les opérations
d’exécution du budget »5. D’où l’idée de fongibilité des crédits. Celle-ci offre la
« liberté à chaque gestionnaire d’utiliser librement les crédits et de modifier leur
répartition afin de mettre en œuvre le programme de manière performante »6. Elle
laisse donc la faculté de définir l’objet et la nature des dépenses dans le
cadre du programme pour en optimiser la mise en œuvre7. On peut ainsi
distinguer trois axes de la fongibilité des crédits indiqués par M. Damien
CATTEAU. Premièrement, la fongibilité suivant l’axe de la nature de
crédits, d’un titre à un autre au sein des programmes et sous réserve du
respect du plafond des crédits de personnel. Deuxièmement, la fongibilité
suivant l’axe de la destination des crédits : la répartition des crédits par
action étant indicative, elle aussi, il est tout à fait loisible au responsable de
programme de modifier des crédits d’une action du programme vers une
autre, sous réserve du respect de la règle de l’asymétrique. Troisièmement,
la fongibilité suivant la déclinaison opérationnelle du programme :
conséquence de la précédente, la répartition des crédits du programme au
sein des budgets opérationnel de programme (BOP) est également
indicative et permet au responsable de programme de réaffecter des crédits
d’un BOP à un autre, au sein d’un même programme toujours sous réserve
de ne pas abonder les crédits de personnel8. La fongibilité de crédit a pour
principaux modes d’expression, les reports, les transferts et les virements
de crédits9. Ce dernier mécanisme constituant la trame de fond de la
présente étude a un régime spécifique dans les finances publiques
communautaires CEMAC.
Les virements de crédits peuvent modifier la répartition des crédits
entre programmes d’un même ministère ou entre dotation. Et le montant
cumulé des crédits faisant l’objet de virement ne doit pas dépasser les 2%
des crédits ouverts par la loi de finances initiales10. Les législations des
États de la CEMAC sont en phase sur ce point11. Concrètement, il s’agit

3 Art. 19 de la Directive N° 01/11-UEAC-190-CM-22 21 relative aux lois de Finances.


4 G. JEZE, Cours de science des finances et de la législation financière française : théorie générale du
budget, Paris, Giard, 1922, 6e éd., p. 127.
5 Art. 19 de la Directive N° 01/11-UEAC-190-CM-22 21 relative aux Lois de Finances.
6 R. MUZELLEC, Finances publiques, Paris, Sirey, 2009, 15ième éd., p. 657.
7 Ibidem.
8 D. CATTEAU, Droit budgétaire, Comptabilité publique, LOLF et GBCP, Paris, Hachette

supérieur, coll. Les fondamentaux, 2016, 3ème éd., p. 69.


9 Art. 38 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 fixant le régime financier de l’Etat et des

autres entités publiques (ci-après loi n°2018/012 du 11 juillet 2018).


10 Art. 38(2) de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018.
11 Art. 45 de la loi organique n°020/214 relatives aux lois de finances et à l’exécution du

budget du Gabon ; art. 28 de la Loi organique n°36-2017 du 3 octobre 2017 relative aux
142
d’un mouvement de crédit qui se fait au sein d’un organisme public en
l’occurrence un ministère ou un organe constitutionnel. En d’autres
termes, les virements de crédits renvoient en réalité à la possibilité de
redéployer12 les économies réalisées entre différents postes de dépenses
dans la limite des enveloppes budgétaires autorisées dans un chapitre.
Concrètement, le gestionnaire pourra augmenter les crédits d’un titre de
dépenses à partir des crédits d’un autre titre, qu’il diminuera à due
concurrence.
Cependant, la précision de ce régime mérite d’être distinguée avec
celui du transfert de crédit avec lequel il pourrait avoir de confusion. Les
transferts de crédits sont des opérations qui modifient la détermination du
service responsable de l’exécution de la dépense sans modifier la nature de
cette dernière. Les virements conduisent à modifier la nature de la dépense
prévue par la loi de finances. À cet égard, on peut inférer de ce que les
virements représentent « une altération profonde de l’autorisation parlementaire »13
puisqu’ils permettent à l’exécutif de modifier l’objet même de cette
autorisation. En comparaison, les transferts constituent une modification
de moindre portée dans la mesure où l’objet de l’autorisation budgétaire
reste préservé ; seul le service utilisateur change14. Qu’à cela ne tienne, les
virements et transferts sont effectués par décret pris sur le rapport du
Ministre chargé des finances, après avis du ou des Ministres concernés, et
sont immédiatement communiqués, pour information, au Parlement.
L’intervention du ministre chargé des finances dans la procédure de
virement de crédits en l’occurrence est pleinement justifiée. Il est l’autorité
détentrice du pouvoir de régulation budgétaire. À cet égard il est
responsable, en liaison avec les ministres sectoriels, de la bonne exécution
de la loi de finances et du respect des soldes budgétaires. Le pouvoir de
régulation budgétaire permet de prévenir une détérioration des soldes
budgétaires à travers la programmation du rythme de consommation des
crédits en fonction de la situation de la trésorerie de l’État15. De ce fait, la
régulation budgétaire permet en réalité de garantir le respect de l’équilibre
budgétaire global voté par le Parlement, afin de faire face en cours d’année
aux inévitables aléas de gestion16. Contrairement à une opinion
doctrinale17, la régulation budgétaire ne se résume pas aux décisions

lois de finances du Congo ; art. 31 de la loi organique n°004/PR/2014 relative aux lois de
finances du Tchad ; art. 38 (2) loi n°2018/012 du 11 juillet 2018.
12 L. PHIPLIP, « Droit constitutionnel financier et fiscal. La nouvelle loi organique du 1er août 2001

relative aux lois de finances », RFDC, n°49, 2002, p. 202.


13 P. DAUTRY, in J. P. CAMBY (dir.), La réforme du budget de l’État : la loi organique relative

aux lois de finances, Paris, LGDJ, coll. Système, 2011, p. 92.


14 A. PAYSANT, Finances publiques, Paris, Armand Colin, 1999, 5ième éd., p. 215.
15 Art. 63 (1) de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018.
16 J.-M. MONNIER, Finances publiques, Paris, La documentation française, 2015, 4ème éd., p.

111.
17 G. ORSONI, « Régulation budgétaire », in L. PHILIP (dir.), Dictionnaire encyclopédique de

finances publiques, Paris, Economica, 1991, p. 1329.


143
d’annulation ou de report de crédit. La réallocation de crédit au sein d’un
chapitre participe également de cette conviction. L’élaboration du rapport
soumis à la décision du premier ministre permet au ministre chargé des
finances de vérifier le rythme de consommation de crédit pour donner un
avis favorable au redéploiement de crédits budgétaires. Les politiques
budgétaires à court terme concrétisées dans le cadre du pouvoir de
régulation budgétaire doivent être conformes aux objectifs à plus long
terme18. Le pouvoir de régulation budgétaire peut ainsi contribuer à la
gestion macroéconomique à court terme. Dans la plupart des cas, les
réajustements budgétaires à titre de régulation contribuent à atténuer la
cyclicité, à réduire les déséquilibres marqués des soldes extérieurs courants
et à contenir l’inflation. Lors des crises du compte de capital, ils
permettent de restaurer la confiance, de soulager les contraintes financières
et de soutenir la croissance19.
Dans cette mouvance et au regard de la spécificité des virements de
crédits par rapport aux autres modes d’expression de la fongibilité de
crédits, il convient de s’interroger sur le point de savoir quelle est leur
portée dans le financement des organismes publics ? Suivant la méthode
d’analyse normativiste, la réponse à cette préoccupation va être fondée sur
l’interprétation des dispositions relatives au régime financier des États sous
étude. Les résultats de cette réflexion permettent de retenir que les
virements de crédits permettent d’assurer la flexibilité du financement au
sein des organismes publics.
Ainsi, en inscrivant l’étude dans une double approche positive et
fonctionnelle adossée à l’analyse économique des finances publiques, l’on
envisage une systématisation des virements de crédits en Afrique centrale
francophone où il manque des études financières comparatives. À cet
égard, l’intérêt scientifique de cette étude est certain en ce sens qu’elle
promeut la responsabilisation des gestionnaires de crédits au sein des
ministères et des organes constitutionnels. La responsabilisation des
gestionnaires publiques20 est le corollaire de l’autonomie qui leur est
reconnue dans la mise en œuvre des programmes. Cette autonomie
procède de la globalisation des crédits et de leur fongibilité à l’intérieur des
programmes21. En effet, la globalisation de certains crédits, notamment
ceux destinés aux dépenses accidentelles et imprévisibles, et surtout la
fongibilité des crédits à l’intérieur de chaque programme ou dotation22,
confèrent aux gestionnaires publics une large marge de manœuvre et

18 D. CANEPA, « La régulation budgétaire dans la nouvelle gestion de l’Etat », in M.


BOUVIER (dir.), Innovations, créations et transformations en finances publiques : actes de la deuxième
université de printemps du GERFIP, Paris, LGDJ, 2006, p. 26-30.
19 P.-M. GAUDEMET, J. MOLINIER, Finances publiques, t. 1, Budget/Trésor, Paris,

Montchrestien, 1996, p. 45.


20 M. BOUVIER, M-C ESCLASSAN, J-P LASSALE, Finances publiques, Paris, LGDJ, 2017-

2018, 16e éd., p. 497.


21 M. BOUVIER, M-C ESCLASSAN, J-P LASSALE, Finances publiques, op.cit., p. 497.
22 Article 32 (2) de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018.

144
renforce leur autonomie. Le gestionnaire peut alors réaliser librement le
programme dont il a la charge ; redéployer les crédits à son gré au sein de
son programme, décidant quelle peut être la meilleure répartition des
dépenses. Le gestionnaire a ainsi la faculté de transformer des crédits de
fonctionnement en crédits d’investissement et inversement.
Toutefois, la fongibilité des crédits ne concerne pas les dépenses de
personnel. La responsabilisation des gestionnaires n’est donc qu’une
contrepartie de la globalisation et la fongibilité des crédits dont les
virements de crédits sont une modalité d’expression. Elle met en présence
un certain nombre d’acteurs, désignés acteurs de la performance, et dont le
plus connu est le responsable de programme. En outre, l’analyse des
virements de crédits budgétaires a pour objectif essentielle une meilleure
gestion des crédits en permettant des réaffectations de crédits pour pallier
d’éventuels aléas de gestion ou pour permettre le redéploiement de marges
de manœuvres dégagées en cours de gestion vers des dépenses dont les
crédits sont jugés insuffisants. En tout état de cause, la flexibilité du
financement des organismes publics qui se dégage de l’analyse du régime
des virements de crédits se justifie d’une part par le maniement de la
destination des crédits redéployés (I) et d’autre part le réajustement des
priorités de financement de la dépense publique (II).
I. Le maniement de la destination des crédits redéployés
La formulation du régime des virements de crédits dans le cadre
communautaire consacre la souplesse de gestion accordée au responsable
de programme dans le redéploiement des crédits. Ce dernier a la possibilité
de changer la nature des crédits réorientés. Ceci lui permet de manier la
destination de ces crédits par une réallocation malléable des programmes
budgétaires (A) et une gestion flexible des situations d’urgence budgétaire
(B).
A. La réallocation malléable des programmes budgétaires
Les programmes budgétaires sont une modalité de spécialisation des
crédits au même titre que les dotations budgétaires. Les mouvements de
crédits qui y sont opérés sont caractérisés par leur malléabilité au regard de
l’absence de l’exigence de similarité de la nature des crédités à réorienter.
C’est dans ce cadre que des redéploiements entre nature des dépenses
peuvent être opérés (1). Ceci est de nature a renforcé la logique de
performance dans l’exécution des programmes budgétaires (2).
1. Le redéploiement entre nature des dépenses
Le régime souple des virements de crédits favorise le redéploiement
des crédits d’investissement bien qu’étant de nature différent. Les crédits
d’investissement sont des dépenses budgétaires consistant à l’« addition de
biens d’équipement apportée au cours d’une période donnée (l’année par exemple) au

145
patrimoine d’une unité économique »23. Cette définition à consonance
économique a irrigué la nomenclature budgétaire des États de la CEMAC.
Ce texte y relatif consacre entre autres la classification économique des
dépenses publiques en réservant le titre 5 aux dépenses d’investissement24.
À cet égard, ce titre constitue le premier niveau de dépense par nature.
L’article, le paragraphe et la rubrique constitue des niveaux25 inférieurs
permettant notamment de différencier les dépenses d’investissement. Dans
cette lancée, le responsable de programme peut rediriger les crédits
d’investissement, d’article à article, de paragraphe à paragraphe ou de
rubrique à rubrique. À titre illustratif, comme le pose la doctrine, on peut
penser qu'un directeur d'administration, ou tout autre responsable de programme,
toujours en place pour une durée limitée, est tenté d'éviter les investissements, dont les
effets s'étalent sur une période bien supérieure à sa durée de vie dans son poste, mais
dont il supporte le coût budgétaire. Ainsi un directeur qui souhaite loger son personnel
peut être conduit à préférer systématiquement la location de nouveaux locaux à leur
achat, beaucoup plus cher sur un horizon de quelques années26.
La pratique budgétaire des États de la CEMAC ne met pas très
souvent en lumière les cas de virement de crédits opérés dans la rédaction
des rapports d’exécution du budget. Qu’à cela ne tienne, l’analyse de
quelques rapports notamment en droit gabonais permet de mettre en
exergue la réallocation des crédits d’investissement de nature différente.
Ainsi pour un programme source relatif à la gestion fiscale, un virement de
crédits a été engagé pour la prise en charge du projet de numérisation des
titres fonciers concrétisant désormais le programme relatif à l’élaboration
et pilotage de la politique économique. En outre, la Dotation pour fonds
d'études sectorielles a fait l’objet d’un virement de crédit vers le
programme destinataire relatif à la dotation pour frais d'entretien,
d'hébergement et de locations27. Il s’agit d’un échantillon car l’initiative des
virements de crédits est une constance en droit public financier gabonais.
En tout état de cause, la malléabilité de la réallocation des crédits
d’investissement de nature différente a pour objectif de diriger les
financements vers des secteurs favorables à la réduction de la pauvreté.
Une bonne exécution de ces dépenses d’investissement nécessite de la
transparence et le dynamisme dans la réalisation des projets
d’investissement. Et les virements de crédits participent de cette
conviction. Les programmes d’austérité adoptés depuis le début de la crise
financière et sanitaire pour juguler le haut niveau de dette publique ont
également mené à de nombreux questionnements : quel(s) type(s) de

23 Y. BERNARD, J-C COLLI, D. LEWANDOWSKI, Dictionnaire économique et financier,


Paris, Seuil, 1975, 2e éd., p. 730.
24 Art. 5 de la Directive CEMAC n°04/11-UEAC-190-CM-22 relative à la nomenclature

budgétaire de l’Etat.
25 Ibidem.
26 J. MATHIS, Gestion et Finances publiques en Afrique Francophone, in http://jean-

mathis.pagesperso-orange.fr/ version 2012, p. 9.


27 Rapport d’exécution budgétaire – 3ème trimestre 2018, p. 55.

146
dépenses devrai(en) t-il(s) être baissé(s) ou augmenté(s) et son (leur) effet
de long terme sur la croissance ? Autrement dit, quelles sont les catégories
de dépenses qui ont un fort effet sur la croissance ? Le maniement de la
destination des crédits d’investissement est un début de réponse à ces
différentes préoccupations. Elle a également pour ambition de permettre
des arbitrages entre les différents types de dépenses publiques. C’est donc
une responsabilisation managériale des gestionnaires28 dans la mesure où
ceux-ci sont responsables par rapport aux objectifs poursuivis dans le
cadre de leur engagement à réaliser les résultats fixés, et doivent rendre
compte de leur gestion à travers la production d’un rapport annuel de
performance. C’est dans cette mouvance, que ces gestionnaires de crédit
peuvent effectuer la fongibilité asymétrique des crédits.
D’un autre point de vue, le redéploiement entre nature des dépenses
se vérifie dans le cadre de la fongibilité asymétrique qui traduit un
mouvement de crédit unidimensionnel entre les dépenses de personnel et
les dépenses d’investissement. La fongibilité des crédits est un objet
juridique identifié en droit public financier. Il fait référence au
« caractéristique de crédits dont l’affectation, dans le cadre du programme, n’est pas
prédéterminée de manière rigide, mais simplement prévisionnelle. La fongibilité laisse
donc la faculté de définir (sous la limite de l’asymétrie) l’objet et la nature des dépenses
dans le cadre du programme pour en optimiser la mise en œuvre »29. Il s’agit d’une
limite à la fongibilité de crédit mais qui traduit un virement univoque de
crédit. À cet égard, les crédits ouverts sur le titre des dépenses de
personnel de chaque programme constituent le plafond des dépenses de
cette nature. De ce fait, les crédits de personnel de chaque programme ne
peuvent être majorés par des crédits émanant d’un autre titre, mais
peuvent en revanche abonder les crédits des autres titres. Dans cette veine,
Damien CATTEAU estime que le titre des dépenses de personnel de
chaque programme constituant un plafond de dépenses, aucune
réaffectation des crédits du programme ne peut venir abonder les crédits
du titre réservé aux créditx de personnel30. Et en cas de sous-
consommation, les reliquats budgétaires peuvent être affectés vers des
dépenses d’investissement dans le cadre d’un virement de crédit. La règle
de la fongibilité des crédits oriente donc la gestion publique vers l’efficacité
de l’allocation des ressources de l’État. La fongibilité asymétrique renforce
de ce fait la logique de performance dans le redéploiement des crédits.
2. Le renforcement de la logique de performance dans la
réorientation des crédits
Les virements de crédits spécialisés par programme participent à la
consolidation de la logique de performance. Celle-ci s’affirme comme le
principe directeur de la nouvelle gestion publique, en ce sens qu’elle

28 M. BOUVIER, M-C ESCLASSAN, J-P LASSALE, Finances Publiques, op. cit. p. 497.
29 R. MUZELLEC, Finances publiques, op. cit., p. 657.
30 D. CATTEAU, Droit budgétaire, comptabilité publique, LOLF et GBCP, op cit. p. 69.

147
découlerait « de la logique de résultats et de la volonté de rapporter les coûts à
l’efficacité des politiques publiques »31. L’orientation du processus budgétaire
vers les résultats attendus est le levier d’une modernisation de la gestion
publique enclenchée résolument dans l’espace communautaire CEMAC
depuis 2011. La performance s’articule autour de la notion de programme
fondée sur un engagement de résultats et sur un compte rendu
démocratique32. Cette nouvelle forme de gestion modifie la conception de
la dépense publique, qui n’est plus fondée uniquement sur une décision
juridique cantonnée à la régularité des opérations budgétaires, mais
davantage sur une décision économique orientée vers l’efficacité. Plus
simplement, le gestionnaire doit atteindre ses objectifs dans le cadre de
l’enveloppe budgétaire qui lui a été allouée en dépit des mouvements de
crédits entrepris. Pour cela, trois critères seront utilisés pour apprécier la
performance de sa gestion. Il s’agit de l’efficacité socio-économique, la
qualité du service rendu et l’efficience de la gestion. Dans ce sens le
législateur communautaire relayé par les États sous étude dispose que les
programmes font l’objet d’une évaluation de leur efficacité, économie et
efficience par les corps et institutions de contrôle33.
Dans cette mouvance, les redéploiements de crédits au sein des
organismes publics ont un objectif fondé sur la recherche de la
performance, dans la mesure où pour l’atteinte des résultats, ils
contribuent à minimiser le coût des ressources pour obtenir des résultats
en concédant une grande marge de manœuvre au responsable de
programme. Le virement de crédits spécialisés par programme réprouve de
ce fait toute logique de moyen par rapport aux transferts de crédits
observés dans la pratique budgétaire des États de la CEMAC. A l’analyse
du rapport sur l’exécution du budget pour l’exercice 2018 au Gabon, force
est de remarquer que le contenu des transferts de crédits concerne des
dépenses de fonctionnement pour l’essentiel. Il en est ainsi de l’ouverture
de crédits pour la prise en charge des équipements de la Garde
Républicaine, du transfert de crédits pour la prise en charge des frais de la
conception du site WEB, de l’Ouverture de crédits pour la prise en charge
de l'acquisition de véhicules administratifs du transfert de crédits pour la
prise en charge des fournitures et réparations de véhicules de la Garde
Républicaine, du transfert du complément nécessaire pour la prise en
charge des travaux de constructions au profit de la cour des comptes, du
transfert de crédits pour la prise en charge du remodelage de l'Ambassade

31 H. GUILLAUME, G. DUREAU et F. SILVENT, Gestion publique : l’État et la performance,


Paris, Dalloz, Presses de Sciences po, Coll. Amphi, 2002, p. 56.
32 J. CHEVALLIER, « Performance et gestion publique », in Réformes des finances publiques et

modernisation de l’administration. Mélanges en l’honneur du Professeur Robert HERTZOG, Paris,


Economica, 2010, pp. 83-93.
33 Art. 17 de la Directive CEMAC relative aux lois de finances.

148
du Gabon en Chine ou du transfert de crédits pour la prise en charge des
dépenses de souveraineté des membres du gouvernement34.
Il en ressort que si les transferts de crédit initiés ont pour objectif la
recherche de la qualité du service rendu, ils ne priorisent pour autant pas
l’efficacité socio-économique pour l’atteinte des objectifs de performance.
Or, le contenu des virements de crédits évoqué dans les précédents
développements met la performance au cœur des objectifs à atteindre en
priorisant les dépenses d’investissement contrairement aux transferts de
crédits qui s’intéressent majoritairement aux dépenses de fonctionnement.
Ces objectifs énoncent le bénéfice attendu de l’action de l’État pour le
citoyen et la collectivité en termes de modification de la réalité
économique, sociale, environnementale et sanitaire, dans laquelle il vit, et
résultant principalement de cette action. Ces objectifs, comme le souligne
un auteur français, consistent à mesurer « les résultats [ou la pertinence] d’une
politique publique donnée »35. En réalité, ils indiquent, non pas ce que fait
l’Administration, mais l’impact de ce qu’elle fait, c’est-à-dire ses résultats
socio- économiques36. Ainsi le virement de crédits pour la prise en charge
du projet de numérisation des titres fonciers vise à favoriser l’accès des
citoyens à la propriété foncière.
Parce qu’ils concernent le changement socio-économique, les
objectifs d’efficacité des virements de crédits sont ceux qui se rapprochent
le plus des finalités des politiques publiques. Seulement, et comme le
souligne M. CALMETTE, la difficulté est que de tels objectifs ne
correspondent pas toujours à l’évaluation de la performance au sens
comptable du terme37. Dès lors, il ne serait pas souhaitable, d’adopter des
objectifs lointains ou trop dépendants d’autres acteurs ou facteurs qui, s’ils
sont parfaitement légitimes pour le débat politique et démocratique, ne
sont pas adaptés à la mesure de la performance des programmes.
Bien plus, les virements de crédit raffermissent la logique de
performance par la préservation de la liberté des responsables de
programme dans l’exécution des opérations budgétaire. En effet, les
réformes budgétaires entreprises en zone CEMAC responsabilisent
davantage les gestionnaires de programme. Ces derniers doivent définir,
chacun à son niveau, les objectifs et les indicateurs de performance des
politiques publiques dont ils sont chargés. Comme l’a rappelé Mme
YATIM, ces acteurs disposent d’« une grande liberté dans la gestion des moyens

34 Rapport d’exécution budgétaire. Troisième trimestre 2018, p. 68.


35 S. DAMAREY, La loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, Paris, Éllipses,
2016, 2è éd., p. 56.
36 J.-F. CALMETTE, « La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) : un texte, un

esprit, une pratique », RFAP, 2006, n°117, p. 52


37 J.-F.CALMETTE, « La LOLF comme nouvelle approche des politiques publiques »,

Informations sociales, 2008, n°150, p. 27.


149
alloués en contrepartie d’un engagement sur les objectifs de performance »38.
Désormais, la présentation du budget qui se faisait par nature et par
dépenses fait place à une nouvelle logique, laquelle est structurée en
missions – programmes – actions. Classiquement, une cible de résultat
exprime la valeur définie ex ante que doit atteindre un indicateur de
résultat, dans un délai déterminé, pour attester de la réalisation d’un
objectif qui a été fixé. Les virements de crédits concrétisent parfaitement
cette logique de responsabilisation des gestionnaires dans le maniement
des fonds mis à leur disposition. Ce qui n’est pas le cas du transfert de
crédits. Cet autre mécanisme de fongibilité de crédit s’appréhende comme
un redéploiement de crédits de chapitre à chapitre décidé par décret du
premier ministre après l’avis du ministre en charge des finances. Dans ce
cas, l’objectif de performance assigné à un responsable de programme
dans un ministère peut se heurter au manque de ressources budgétaires dû
à un transfert de celles-ci vers d’autres chapitres de dépenses. Ce faisant,
contrairement aux virements de crédits, les transferts de crédits sont une
entorse à l’objectif de performance qui gouverne la gestion des finances
publiques. Ils paraissent même aux antipodes de la gestion publique axée
sur les résultats tant sa pratique privilégie la consommation des crédits
budgétaires selon la logique des moyens. Au regard de ce constat, les
virements de crédits paraissent plus adaptés aux objectifs de performance
des finances publiques tant ils contribuent également à la gestion flexible
des situations d’urgence budgétaire.
B. La gestion flexible des situations d’urgence budgétaire
L’urgence est aujourd’hui à une meilleure élaboration d’un dispositif
de management par objectifs en finances publiques. Généralement
invoquée dans la mise en œuvre des pouvoirs constitutionnels du président
de la République39, elle est expressément affirmée en droit budgétaire dans
les conditions d’édiction des décrets d’avances. Ceux-ci sont
nécessairement justifiés par l’existence de situations d’urgence, et sont pris
de manière à ne pas dégrader l’équilibre budgétaire. Cependant, l’esprit du
régime des virements de crédits laisse entrevoir qu’ils peuvent être
justifiées par la gestion des situations d’urgence budgétaire. La flexibilité
qui caractérise le régime des virements de crédit par rapport à celui des
transferts de crédits transparaît dans la directive CEMAC. Celle-ci dispose
qu’« En tant que de besoin, les crédits ouverts sur la dotation pour dépenses
accidentelles sont répartis entre les autres programmes, par décret pris sur le rapport du
Ministre chargé des finances »40. Ces dispositions de la directive

38 F. YATIM, « L’exercice de la responsabilité managériale dans la sphère publique. Le cas


des responsables de programme dans la LOLF », Revue Politiques et Management Public, 2014,
n°31, p. 328.
39 F. TANO, « Constitutionnalisme et urgence budgétaire à l’épreuve des crises politiques »,

Revue juridique et politique des États francophones, n°2, 2011, pp. 131-151.
40 Art. 24

150
communautaire sont reprises par les lois internes des États de la CEMAC
qu’il s’agisse du Cameroun41, du Congo42, du Gabon43 ou du Tchad44. Il en
ressort que, les virements de crédits favorisent l’élasticité de la canalisation
des ressources vers les dépenses accidentelles d’une part (1) et la plasticité
de la réorientation des ressources pour les dépenses de risques financiers
d’autre part (2). Ceci traduit les mouvements de crédits entre dotations
budgétaires.
1. L’élasticité de la canalisation des ressources vers les dépenses
accidentelles
Les redéploiements des crédits spécialisés par dotation vers les
dépenses accidentelles sont plus souples dans la procédure avec l’absence
de l’exigence de similarité de nature entre crédits. Les dépenses
accidentelles sont des dépenses imprévisibles réalisées en cours
d’exécution du budget justifiées par la « nécessité impérieuse d’intérêt national ».
L’appréciation des conditions d’urgence et, le cas échéant, de nécessité
impérieuse est souvent assez large pour faire face à des calamités ou des
dépenses urgentes et imprévues45. Elle relève de l’interprétation souveraine
du gestionnaire de crédit. Les dépenses accidentelles sont consacrées dans
les lois de finances des États sous étude comme des dotations pour
provisions. Celles-ci sont dotées de crédits dits globaux, c’est-à-dire qu’ils
ne sont pas spécialisés et constituent des enveloppes de crédits disponibles
sans affectation précise, à charge, pour l’exécutif, d’en déterminer la
destination au moment de la dépense. Plus précisément, il existe deux
types de « provisions » : les dépenses pour mesures générales en matière de
rémunération et surtout les dépenses accidentelles et imprévisibles. Ainsi,
ces crédits sont globaux pour permettre une dépense exceptionnelle mais
rendue nécessaire par les aléas de l’exécution. Ces caractéristiques
permettent l’exécution d’un virement de crédits sans difficulté de
procédure. Mais l’analyse des lois de finances des États de la CEMAC
révèle une imprécision des montants alloués aux dépenses accidentelles et
imprévisibles. En dehors du cas gabonais qui en fait mention de façon
sommaire, les crédits globaux relatifs à ces dotations ne sont pas lisibles.
Toute chose qui fait entorse à la sincérité budgétaire46.
Pourtant, tel qu’énoncé par le législateur équatoguinéen, une réserve
de crédits est prévue sur un chapitre spécifique du budget du Ministre
chargé des finances pour couvrir les dépenses accidentelles et
imprévisibles. Cette réserve de crédits est répartie en tant que de besoin,
par arrêté du Ministre chargé des finances, au profit des chapitres ou des

41 Art. 37 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018.


42 Art. 27 de la Loi organique n°36-2017 du 3 octobre 2017 relative aux lois de finances.
43 Art. 44 de la loi organique n°020/214 relatives aux lois de finances et à l’exécution du

budget.
44 Art. 28 de la Loi organique n°004/PR/2014 relative aux lois de finances.
45 D. CATTEAU, Droit Budgétaire, Comptabilité publique, LOLF et GBCP, op. cit, p. 44.
46 L. SAÏDJ, « Les enjeux d’un principe controversé », RFFP, n°111, 2010, pp. 3-11.

151
programmes sur lesquels les besoins de dépenses accidentelles et
imprévisibles sont apparus47. À cet égard, pour faire face, en cours
d’année, aux événements inopinés qui ne pouvaient être anticipés lors de la
préparation et de l’élaboration du budget, une réserve globale de crédits est
créée. Elle ne doit pas être trop importante et ne doit pas être considérée
comme une simple commodité permettant de rectifier les erreurs de
budgétisation ou, comme une manière de différer et de dissimuler des
décisions budgétaires délicates. Elle ne peut être utilisée que pour faire face
aux évènements réellement imprévisibles lors de l’adoption du budget et
non pas aux dépenses simplement imprévues, que l’on a oublié de
budgéter48. L’utilisation de cette réserve, placée sous le contrôle du
ministre des finances, se fait en deux temps : d’abord un virement à la
ligne budgétaire ministérielle pertinente, puis engagement et paiement à
partir de cette ligne, selon les procédures normales de la chaine de la
dépense.
En tout état de cause, ces dépenses accidentelles peuvent concerner
les réparations civiles dues aux catastrophes et calamités naturelles. Il peut
également s’agit des dépenses liées à la gestion d’une crise sanitaire
entretenue par les épidémies et des pandémies. C’est le cas actuellement
avec la crise sanitaire due au corona virus. L’Afrique de centrale, comme
bien d’autres sous-régions du monde, fait face à une crise sanitaire
importante depuis le début de l’année 2020. Du point de vue des finances
publiques, cette crise a eu une double conséquence : la baisse des recettes
budgétaires, notamment celles fiscales, et l’explosion des dépenses à
caractères sanitaire et social. De ce fait, la mobilisation de ressources
additionnelles est devenue un impératif. Jusqu’ici, elle a été essentiellement
réalisée par le biais du recours à l’endettement et la sollicitation de la
générosité du public. Suivant les rapports sur l’exécution des budgets pour
l’exercice 2020, on peut néanmoins subodorer que les virements de crédits
ont été initiés. Au regard des moyens limités disponibles, la réorientation
des dépenses initialement prévues dans les budgets publics est donc
apparue comme une nécessité. Plus exactement, l’heure est à
l’intensification des dépenses sociales et sanitaires, ainsi que celles de
relance économique. Mais au regard de leur plafonnement, ils ne peuvent
juguler le besoin important de financement causé par la crise sanitaire.
Face à l’érosion de la capacité de financement des États en cette période
pandémique, le recours à l’endettement est devenu un moyen essentiel.
Tout compte fait, même si ces sommes mobilisées par les virements de
crédits demeurent insuffisantes face aux besoins de l’heure, elles
représentent un secours appréciable pour les gouvernements notamment
pour satisfaire aux dépenses de risques financiers.

47 Art. 22 de la loi organique n°2012-12 relative aux lois de finances.


48 F. CHOUVEL, L’essentiel des Finances publiques, Paris, Gualino, 2020, 23e éd., p. 52.
152
2. La plasticité de la réorientation des ressources pour les dépenses
de risques budgétaires
La souplesse du régime des virements de crédits permet de manier
les financements dans le sens de satisfaire aux dépenses de risques
financiers. L’étude de la position budgétaire d’un pays est loin d’être
complète si elle néglige les obligations exclues par le gouvernement du
processus budgétaire. Toutes les sources de risques budgétaires doivent
être prises en compte afin d’éviter une instabilité soudaine du budget et
d’assurer la réalisation des objectifs publics à long terme. Les risques
budgétaires peuvent être directs et conditionnels. À cet égard, les autorités
budgétaires sont également souvent forcées de couvrir les pertes et
engagements non couverts de la banque centrale, des administrations
infranationales, des entreprises publiques et des grandes entreprises
privées, des organismes budgétaires et extrabudgétaires et d’autres
institutions politiques. De ce fait, les virements de crédits peuvent être
engagés pour juguler les risques de mise en jeu des garanties et avals
donnés par l’État dus au défaut d’administrations infranationales ou
d’entités publiques ou privées à payer des dettes et obligations.
Les législations des États de la CEMAC prévoient que l'Etat peut
accorder sa garantie financière ou son aval à des emprunts d’une durée
inférieure à cinq ans49 émis par une collectivité publique ou personne
morale de droit public. Ces opérations de garantie et d’aval sont retracées
dans un compte de garantie. Un compte distinct doit être ouvert pour
chaque bénéficiaire ou catégorie de bénéficiaire. Dès qu’un risque sérieux
de mise en jeu de la garantie ou de l’aval apparaît, des crédits sont ouverts
à hauteur de ce risque dans la dotation prévue à l’article 18 de la présente
directive. Les dépenses résultant de la mise en jeu des garanties et avals
sont des opérations budgétaires50. Lorsque la garantie est appelée, une
dépense budgétaire égale au montant de l’appel de garantie doit être
imputée sur un chapitre spécifique du budget du Ministre en charge des
finances. Le législateur équatoguinéen précise qu’à titre de provision, un
crédit égal à 10% des échéances annuelles dues par l’ensemble des
bénéficiaires des garanties de l’État est inscrit chaque année sur ce
chapitre51. L’État est tenu de se retourner contre le débiteur défaillant et
d’effectuer les diligences prévues par la convention de garantie ou d’aval
pour obtenir le remboursement des fonds payés au créancier. Il en ressort
qu’invariablement de la garantie financière de l’État, des redéploiements de
crédits peuvent s’effectuer pour financer soit la rétrocession, soit l’aval qui
sont les deux principales formes de garantie de l’État en finances
publiques. Ces deux formes de garantie de risques budgétaires sont
assurées par le Trésor public de l’État considéré.

49 Art. 45 de la loi organique n°2012-12 relative aux lois de finances en Guinée équatoriale.
50 Art. 41 de la Directive CEMAC relative aux lois de finances.
51 Art. 45 de la loi organique n°2012-12 relative aux lois de finances.

153
En ce qui concerne la rétrocession, elle consiste en la mobilisation
par le Trésor public de ressources financières sous forme d’emprunt, dons,
subventions, ou souscription publique sous forme de prêts, à une
personne morale éligible aux termes de la réglementation en vigueur. Les
bénéficiaires sont la société à capitaux publics, les collectivités locales, les
établissements publics ou même les personnes morales interétatiques de
droit public dont l’État est membre ou actionnaire. Peuvent également être
éligibles aux financements rétrocédés, les personnes morales de droit privé
reconnus d’utilité publique ou investie d’une mission de service public. Les
ressources ainsi mobilisées et rétrocédées doivent concourir à la réalisation
d’opérations d’investissement ou d’équipement conformément aux
orientations du programme adopté par l’État. En cas de défaut de la
collectivité locale ou de l’entreprise publique, le Trésor public se substitue
à l’organisme public en défaut de paiement, et règle la dette par le biais de
l’organe en charge de la gestion de la dette, lequel va exercer une action
récursive contre l’entité publique reliquataire. C’est ce qu’on appelle les
dettes rétrocédées.
Pour ce qui est de l’aval, c’est l’acte par lequel, une autorité ayant
qualité pour engager l’État se porte garant auprès d’un bailleur de fonds,
du paiement régulier des échéances. C’est donc une garantie de paiement
offerte par le Trésor public aux bailleurs de fonds afin qu’ils accordent un
prêt à une personne morale qui sollicite un financement destiné à un projet
d’investissement ou d’équipement. L’État accorde l’aval sous certaines
conditions et dans les limites du plafond fixé chaque année par le loi de
finance52, aux emprunts contractés par les sociétés à capitaux publics , les
établissements publics, les CTD et même les personnes morales de droit
privés reconnues d’utilités publique ou investies d’une mission de service
publics. Les prêts éligibles à l’octroi de l’aval de l’État sont ceux dont la
durée et les taux d’intérêt sont équivalents à ceux que l’État contracte
pour la même période. Il faut relever que la durée et les taux d’intérêt sont
déterminés en fonction des caractéristiques économiques et sociales du
projet et des modalités d’amortissement de l’investissement projeté. Ces
modalités de la garantie à l’État sont de puissants leviers de relance de
l’activité économique. Afin de mieux encadrer son déploiement, il nous
parait opportun de proposer la création d’un comité ou commission en
charge de l’élaboration, le suivi et le contrôle de ces garanties étatiques.
Elles jouent quand le risque devient certain, à cet effet, cette instance sera
chargée d’alerter sur le possible survenu dudit risque en l’anticipant au
besoin. Il faut souligner que ces garanties ont pour but principal de
protéger ces entités car elles emprunteront désormais au taux auquel l’État
emprunte. Par ailleurs, certains États pratiquent la politique des
bonifications qui permet à une entité publique d’emprunter sur le marché à
un taux élevé et l’État paye le surplus.

52 La loi de finances pour l’exercice 2020 a plafonné l’aval à 40 milliards FCFA.


154
Que l’État soit contraint par la loi ou simplement par les
circonstances à financer ces imprévus avec les deniers publics par le
truchement des virements de crédits, ces engagements conditionnels
peuvent entraîner de fortes augmentations de la dette publique. Puisqu’il
s’agit des crédits évaluatifs, ils peuvent s’imputer au-delà des plafonds
autorisés par le parlement. Par conséquent, un ajustement budgétaire ne
visant qu’à réduire le niveau projeté des dépenses, dans un pays dont les
engagements conditionnels non budgétisés sont importants, ne suffit pas à
prévenir l’instabilité budgétaire. Les États font aujourd’hui face à des
risques et incertitudes plus élevés que jamais, et ce pour quatre raisons :
l’ampleur et la variabilité croissantes des flux de capitaux privés, le fait que
l’État passe du rôle de financier à celui de caution de services et de projets,
l’aléa moral pouvant découler de cette garantie par l’État de réalisations
confiées au secteur privé, et l’opportunisme budgétaire des responsables
politiques.
Qu’à cela ne tienne, il y a bien des façons de contraindre l’État à la
discipline budgétaire. Le ministère des finances et l’institution suprême de
contrôle des comptes peuvent avoir autorité pour divulguer l’ampleur et
les caractéristiques des risques budgétaires conditionnels et autres, vérifier
la relation entre les activités extrabudgétaires et les priorités programmées,
et révéler l’efficience relative des formes directes et conditionnelles du
soutien public. La diffusion d’informations budgétaires exhaustives permet
aux marchés d’analyser et de mesurer les risques budgétaires pris par l’État
et d’aider indirectement l’administration à évaluer les risques. Dans
certains cas, il peut être préférable pour un État de consentir un soutien
budgétaire direct plutôt qu’une garantie, car il y a avantage à pouvoir
prévoir les besoins de financement public à venir. C’est particulièrement
vrai pour les administrations qui ne disposent que d’un accès restreint ou
peu fiable à l’emprunt, de capacités limitées de gestion des risques, et qui
présentent une faible tolérance au risque. Bien que les caisses de réserve
puissent réduire partiellement les dégâts infligés au budget lorsque les
engagements conditionnels se concrétisent, elles créent d’autres
problèmes. La conception des programmes publics doit donc tenir compte
de la variabilité des besoins de financement public et de l’incidence des
programmes sur l’exposition globale de l’État au risque.
Tout compte fait, les virements de crédit dans les États de la
CEMAC permettent aux gestionnaires de crédit de manier la destination
des crédits à réorienter. Au regard de l’absence de l’exigence de similarité
de nature entre crédits budgétaires, leur régime se caractérise par sa
souplesse favorisant un réajustement des priorités de financement.
II. Le réajustement des priorités de financement de la dépense
publique
La réallocation des crédits dans les organismes publics permet aux
responsables de programme de redéfinir les priorités de financement de la

155
dépense publique au cours de l’exécution de la loi de finances. En effet
cette phase du cycle budgétaire doit conduire pour les gestionnaires de
crédits à mieux définir les objectifs et les priorités des politiques publiques,
à s’interroger sur les leviers d’action et les outils utilisés pour établir une
stratégie d’action, à mieux allouer les moyens ou, enfin, à prendre les
mesures correctrices et engager les réformes nécessaires à l’amélioration du
service public rendu à l’usager et au contribuable. À cet égard, si la
performance doit permettre « d’apprécier et d’améliorer l’efficacité de la dépense
publique et de la gestion des responsables de programme, et d’évaluer la pertinence des
actions financées »53, le responsable de programme peut choisir de redéfinir
ses priorités en cours d’exercice, de réaliser une autre activité. Dans cette
mouvance, le réajustement des priorités de financement de la dépense
publique dans les États de la CEMAC se justifie d’une part par la
rationalisation du financement des dépenses de fonctionnement (A) et
d’autre part la majoration des dépenses d’investissement (B).
A. La rationalisation du financement des dépenses de
fonctionnement
Les dépenses de fonctionnement représentent la catégorie des
dépenses publiques destinée aux financements de la vitalité de
l’administration publique tant dans sa structure que dans son activité
quotidienne. Ils constituent le noyau dur des dépenses publiques54 tant leur
montant est important dans l’élaboration de la loi de finances. Les
gouvernements éprouvent sans doute encore, les plus grandes difficultés à
contenir et maîtriser sa progression en volume des dépenses de
fonctionnement. Cependant, le mécanisme des virements de crédits
contribue à rationaliser le rythme de consommation55. De ce fait, la
priorité majeure des gestionnaires de crédits réside dans la réduction de la
consommation des crédits de fonctionnement (1). Bien plus, ces crédits
sont très souvent orientés vers des objectifs de qualité du service public
(2).
1. La réduction de la consommation des crédits de fonctionnement
La réduction du rythme de consommation des crédits de
fonctionnement s’impose dans un contexte économique difficile. La
croissance économique des pays en développement comme ceux des États
de la CEMAC est marqué par des phases de récessions accentuées par la
crise sanitaire du corona virus. Les autorités gouvernementales ont alors eu
recours aux masses budgétaires pour rétablir l'équilibre. La croissance
moins rapide des prélèvements obligatoires que des dépenses publiques

53 G. DESMOULIN, « La recherche de la performance des politiques publiques. De


l’illusion à la raison ? », AJDA, 2013, p. 895.
54 F. CHOUVEL, Finances publiques, op. cit., p. 126.
55 M. BOUVIER, « La maitrise de la dépense publique au cœur d’un projet de société »,

RFFP, n°125, 2014, p. 2.


156
s'est traduite par l'apparition d'importants déficits. Par ailleurs, l'ampleur
de ces déficits a rendu précaire la situation financière des économies. De
ce fait, un plan de compression des dépenses budgétaires par la réduction
des crédits de fonctionnement est inéluctable. Ce d’autant plus que les
dépenses de consommation publique alimentent la demande et
provoquent, par le biais de l’effet multiplicateur keynésien, une croissance
à court terme du PIB. Dans cette veine, les virements de crédits
permettent de rationaliser la consommation de ces crédits pour prioriser
les dépenses d’investissement. La réduction des dépenses fonctionnement
apparaît donc manifestement comme un procédé de gestion rationnelle et
efficace des finances publiques56 en vue de la croissance économique.
Les dépenses de fonctionnement susceptibles d’être réduites sont
celles qui ont pour but d'assurer l'entretien et la bonne marche des services
publics de l'État. Cette catégorie de dépenses budgétaires ordinaires
regroupe l'ensemble des rémunérations des fonctionnaires et agents de
l'Etat. Les dépenses de personnel absorbent plus de la moitié des crédits
du budget ordinaire ; leur part actuelle dans le budget commence à
amorcer une baisse mais reste tout de même encore très forte par rapport
à celle des autres dépenses budgétaires. Les dépenses de matériel rentrent
également dans la catégorie des dépenses de fonctionnement et sont
destinées aux acquisitions de biens et de services. De même, les dépenses
d'entretien peuvent être revue à la baisse puisque rentrant dans la catégorie
des dépenses de fonctionnement. En fait, les crédits de ce poste servent à
entretenir les locaux administratifs et le matériel ; certains auteurs57
estiment que les crédits ouverts pour leur entretien ne sont pas nécessaires
et que ces crédits doivent être réduits au maximum. Ce raisonnement est
irréaliste : sans entretien, les bâtiments administratifs et le matériel
s'abîment rapidement nécessitant par la suite de gros frais de réparation ou
de reconstruction. Mais dans un contexte de récession économique, cette
catégorie de dépense n’entre pas dans les priorités des responsables de
programme.
Ce faisant, il convient de relever que le fondement juridique de
l’hypothèse de réduction des dépenses de fonctionnement dans le cadre
des virements de crédit réside dans la consécration de la fongibilité
asymétrique. Elle postule que les crédits de personnel peuvent abonder
d’autres titres de dépenses sans en retour être majorés par des crédits
provenant d’un autre titre. La problématique de la gestion du personnel
dans les États d’Afrique noire francophone est particulièrement lancinante.
Les administrations fonctionnent avec des effectifs pléthoriques qui ne

56 F. BENGONO, L’amélioration de la qualité de la dépense publique au Cameroun, Cas des dépenses


de consommation des biens et services à la Direction Générale du Budget, Yaoundé, Editions CLE,
2010, p. 23.
57 L. PAUL, J. PAVOT « La maitrise de la croissance des dépenses publiques : un facteur

clé pour des finances publiques saines », Bulletin de la Banque de France, n°154, octobre 2006,
p. 40.
157
correspondent pas à ses besoins réels et réalistes dans un contexte
d'extrême rareté financière et de modifications fondamentales de certaines
missions de l'Etat; ce qui entraîne un alourdissement de la masse salariale
sans commune mesure avec les possibilités financières de l'Etat. En outre,
les services publics font l'objet de gaspillages, notamment au niveau de
l'utilisation abusive des moyens de télécommunication, des appareils
électriques, d'énergie... Le rationnement de ces titres de dépense s’avère
nécessaire pour redéployer des financements vers des programmes
prioritaires.
Cependant, pour influer positivement sur la croissance économique,
la théorie keynésienne propose d'une part l'augmentation des dépenses de
consommation par une politique de redistribution des revenus, d'autre
part, la relance de l'investissement privé par une baisse du taux d'intérêt
mais aussi par une politique d'investissements publics. Or, ces deux
politiques ne peuvent être que le fait de l'Etat. Le rôle de l'Etat à travers
ces commandes est mieux capturé par l'effet du multiplicateur. Toute
augmentation du niveau des investissements se traduit par une hausse
supplémentaire des revenus (salaires et profits) qui permettent à leur tour,
d'accroître les défenses de consommation. Il s'ensuit une croissance des
recettes des producteurs qui devront à nouveau renforcer leur production
pour faire face aux commandes nouvelles. En tout état de cause, la rareté
des ressources doit justifier la réduction des crédits de fonctionnement
dans l’engagement des virements de crédits. Ceux-ci contribuent
également à orienter les dépenses de fonctionnement vers les objectifs de
qualité du service public.
2. L’orientation des crédits de fonctionnement vers les objectifs de
qualité du service public
Le redéploiement des crédits de fonctionnement vers la réalisation
des objectifs de qualité du service public permet de parvenir à une dépense
conforme aux besoins réels ou permettant de minimiser les coûts, c’est-à-
dire une dépense efficace, pertinente et efficiente. Il apparait comme l’une
des options les plus viables pour rationaliser la gestion des crédits de
fonctionnement tout en préservant la logique de performance58. Le
pilotage de la performance, nouvelle philosophie de gestion par les
résultats, repose sur la sélection d’objectifs de performance, théoriquement
censés servir de support aux décisions d’allocation de ressources. À cet
égard, les crédits de fonctionnement peuvent être réorientés vers la
garantie de la qualité du service public. Précisant utilement les objectifs de
qualité de service, Mme Guéret-Talon souligne que de tels objectifs ne
dépendent plus seulement des normes théoriques suivies, mais bien de la
perception des usagers qui souhaitent être considérés comme des clients

58J. CHEVALLIER, « Performance et gestion publique, in Réformes des finances publiques et


modernisation de l’administration. Mélanges en l’honneur du Professeur Robert HERTZOG, op. cit.,
pp. 83-93.
158
citoyens à satisfaire59. Ces objectifs ont pour but d’améliorer la qualité du
service rendu à l’usager, c’est-à-dire l’aptitude du service public à prendre
en compte les attentes et les contraintes de son bénéficiaire, qu’il soit
usager au sens strict ou assujetti, pour un montant donné de moyens.
L’analyse du rapport gabonais sur l’exécution de la loi de finances
pour l’exercice 2018 révèle des cas de virements de crédits participant à
l’amélioration de la qualité du service public. Il en est ainsi du virement de
crédits pour la prise en charge du projet de numérisation des titres
fonciers, du virement de crédit pour le changement de postes comptables
pour le CES et de celui destiné à la prise en charge de la mesure de
gratuité des accouchements. On notera également l’engagement de la
Fongibilité pour permettre aux cadres du Programme Solidarité Nationale
de participer à la formation relative aux indicateurs de bien-être60. À
l’observation, ces cas de redéploiement de crédits ont pour objectif
l’amélioration de la qualité des services publics de santé, de l’éducation, de
la conservation foncière entre autre.
Ceci étant, la gestion de l’accessibilité dans les services publics ne se
résume pas à l’aménagement des locaux et des horaires d’ouverture. En
réalité, il s’agit, non seulement, d’adapter l’offre de service aux différentes
situations sociales et géographiques des usagers pour rétablir l’égalité
d’accès au service, mais aussi de renforcer la lisibilité de l’action en rendant
les informations plus disponibles et en simplifiant les démarches
administratives. Par ailleurs, l’amélioration de la prestation administrative
passe par une plus grande réceptivité aux usagers et une plus grande
rapidité d’action. Il s’agit d’améliorer les dispositifs d’écoute de renforcer la
proximité, de prévenir le contentieux et aussi d’accélérer l’action
administrative et de sanctionner son retard. La doctrine synthétise cette
évolution des principes de service public et identifie quatre dimensions
spécifiques à la qualité de service public61. Il s’agit de l’égalité des
traitements où les usagers, placés dans une situation similaire, doivent être
traités de la même manière. Il s’agit, ensuite, de la participation qui
consiste à prendre en considération l’opinion des usagers, ou de leurs
représentants, pour la définition de l’offre de service. Il en est de même de
la gestion des réclamations, dont le but est de mettre à disposition d’un
processus de réclamation et la prise en considération de celle-ci. La
dernière dimension a trait à la transparence ou aux informations fournies
aux usagers sur les actions du service public en général et sur le traitement
de leur demande en particulier.

59 L. GUERET-TALON, « Management par la qualité : et si le service public devenait une


référence sur le marché ? », Politiques et management public, vol. 22, 2004, n°2, pp. 39-54.
60 Rapport d’exécution budgétaire. Troisième trimestre 2018, p. 73.
61 K. GOUDARZI et M. GUENON, « Conceptualisation et mesure de la qualité des

services publics dans une collectivité territoriale », Politiques et management public, vol. 27,
2010, n°3, p. 31.
159
Les objectifs de qualité de service, même s’ils peuvent se trouver en
dehors du service public, ont une importance particulière dans la mesure
où les services concernés sont souvent en situation de monopole. Ces
objectifs posent la question de la meilleure utilisation possible des moyens
engagés (en matériel, en crédits et surtout en personnel) au regard des
réalisations souhaitées et obtenues. En effet, il convient de garantir au
contribuable, et à ses représentants élus, qui votent les budgets, que
l’emploi des fonds publics a été assuré de manière optimale. Ces objectifs
de gestion permettent de montrer que, pour un niveau donné de
ressources, la production de l’administration peut être améliorée. De
même, pour un niveau donné de production, les moyens employés
peuvent être réduits. Autrement dit, ces objectifs tendent, pour un même
niveau de ressources, à accroître les produits des activités publiques ou,
pour un même niveau d’activité, à nécessiter moins de moyens62. Plus
simplement, ces objectifs énoncent l’optimisation des moyens employés en
rapportant l’activité ou les produits obtenus aux ressources mobilisées. En
nous basant sur les développements précédents, un objectif d’efficience de
la gestion associé au programme « la numérisation des titres fonciers » est de
maîtriser l’accès à la propriété foncière et surtout d’assurer sa sécurisation.
Ceci contribue également à limiter le contentieux foncier devant le juge.
Ces différents points de vue peuvent se retrouver dans un même
objectif, traduits au travers de plusieurs indicateurs. Ceci revient à dire que
pour atteindre une amélioration équilibrée de la performance, il importe
que chaque axe de la performance soit représenté dans les objectifs
retenus.
Si l’on peut se réjouir de ce que les virements de crédits impulsent la
qualité du service public, il sied d’y apporter des bémols. Même s’ils
correspondent à des objectifs dits stratégiques, qui sont détaillés dans les
lois de finances annuelles, les trois axes de performance à savoir l’efficacité
socio-économique, la qualité du service public et l’efficience de la gestion
ne convergent pas nécessairement. Dans certaines situations, ils peuvent
même entrer en contradiction, ce qui n’est pas sans conséquence sur
l’évaluation de la performance. Quelle que soit l’hypothèse retenue, la
vérité est que ces trois axes de performance ne convergent pas
nécessairement et peuvent même entrer en contradiction. L’analyse des
indicateurs de résultats doit donc susciter une appréciation équilibrée et
suffisante de chacun des critères au regard de ces axes. Dans tous les cas,
ces objectifs doivent être déclinés en objectifs opérationnels pour les
gestionnaires à tous les niveaux de l’administration chargée de mettre en
œuvre les différents programmes. Les objectifs opérationnels sont soit une
déclinaison directe des objectifs stratégiques (mêmes indicateurs avec des
cibles adaptées, négociées lors du dialogue de gestion entre le responsable
du service concerné et le responsable du programme), soit indirecte

62 J.-F. CALMETTE, La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) : un texte, un esprit, op.
cit., p. 52.
160
(indicateurs intermédiaires qui représentent des jalons dans l’obtention des
résultats visés). Ils sont éventuellement enrichis d’objectifs
complémentaires permettant de couvrir des champs du programme non
pris en compte dans les objectifs stratégiques.
Certains objectifs d’efficience de gestion et de qualité de service
sont plus difficiles à mesurer ou à évaluer à l’aide d’indicateurs fiables.
S’agissant des objectifs d’efficience de gestion, l’une des difficultés est que
le législateur n’a pas tenu compte des dépenses en personnels63. Or, cette
question est l’une des clefs du contrôle de l’efficience puisque le personnel
est bien une dépense en moyens. Ce constat est compréhensible. En effet,
il est normal que les gestionnaires s’attachent d’abord à des indicateurs liés
au contrôle de l’efficacité64. Notons cependant, à la suite de M. Calmette,
que les indicateurs de l’efficacité présentent une certaine complexité. Il faut
distinguer les indicateurs d’impact qui concernent un secteur particulier, et
les indicateurs de politiques publiques, qui couvrent ou résultent de
plusieurs politiques publiques différentes, mais qui ont des effets
convergents65. De son côté, l’objectif de qualité est sans doute encore plus
complexe dans son appréhension. Cet objectif a un lien avec le critère
d’efficience66 ; parce que la qualité a un coût, il est légitime de se demander
si la hausse de la qualité d’un service peut vraiment aller de concert avec
une baisse de moyens du fait notamment des virements de crédits.
En tout état de cause, force est de constater que la pratique des
virements de crédits relègue les dépenses de fonctionnement en seconde
priorité. Ainsi la consommation des crédits se trouvent réduite quand elle
n’est pas orientée vers des objectifs de qualité du service public. La
majoration du financement des dépenses d’investissement qui en découle
replace ces dernières dans l’ordre des priorités des gestionnaires de crédits.
B. La majoration du financement des dépenses d’investissement
Le redéploiement d’une dépense en personnel vers une dépense
d’investissement a vocation à majorer le montant de cette dernière. Cette
opération budgétaire met au centre des priorités l’investissement public
dans un contexte de modicité des ressources. Les dépenses
d’investissement sont celles destinées au financement d’acquisitions nettes
des cessions d’actifs fixes, corporels ou incorporels (les infrastructures
portuaires ou routières ; les immeubles …). Ces dépenses permettent de
sauvegarder les patrimoines publics ou de les améliorer. Autrement dit, les
dépenses d’investissement représentent celles qui laissent des empreintes
visibles et durables. Elles sont regroupées dans le Titre V de la
nomenclature budgétaire des États de la CEMAC. Ainsi, si les virements

63 R. POLI, « Les indicateurs de performance de la dépense publique », RFFP, n°82, 2003,


p. 112.
64 C. CAMBY, « Le cas d’un établissement public », RFFP, n°88, 2004, p. 129.
65 J.-F CALMETTE, op. cit., p. 54.
66 J. CHEVALLIER, « Le discours de la qualité administrative », RFAP, 1988, n°46, p. 141.

161
de crédits entrainent l’augmentation de leur montant, il s’agit
essentiellement des crédits de paiement (1). L’autorisation d’engagement
n’est pas affectée dans ce mouvement de crédit (2).
1. L’augmentation des crédits de paiement ordonnancé pour
la réalisation des investissements
La majoration des crédits d’investissement favorisée par les
virements de crédits concerne les crédits de paiement. À contrario les
autorisations d’engagement ne peuvent faire l’objet d’augmentation de leur
montant arrêté par le parlement. Les crédits de paiement constituent la
limite supérieure des dépenses pouvant être engagées et ordonnancées
durant un exercice budgétaire pour la couverture des engagements
contractés dans le cadre des autorisations d'engagement. Le crédit de
paiement se présente ainsi comme la tranche annuelle de l’autorisation
d’engagement. Pourtant, « les votes du parlement seraient privés de portée si le
pouvoir exécutif avait toute latitude pour effectuer des dépenses au-delà des montants
déterminés par les lois de finances »67. Cette volonté de faire prévaloir les
autorisations budgétaires par une généralisation des crédits limitatifs se
heurte à l’existence de nombreuses techniques dont celle du virement de
crédits permettant une modification du montant des crédits
d’investissement dans le sens de leur majoration.
L’élaboration des lois de finances semble prêter le flanc à
l’augmentation des crédits d’investissement en cours d’exécution du
budget. Contrairement aux dépenses de fonctionnement dont les crédits
de paiement et les autorisations d’engagement sont équivalents, le montant
des crédits de paiement des dépenses d’investissement est généralement
inférieur à celui des autorisations d’engagement. De ce fait, le gestionnaire
de crédit a une marge de manœuvre dans le relèvement du volume des
crédits d’investissement.
Cependant, le législateur des États sous étude prévoit un plafond
au-delà duquel le gestionnaire de crédit ne saurait entreprendre les
virements de crédits pour abonder les dépenses d’investissement. Il en
ressort que « Le montant cumulé, au cours d’une même année, des crédits ayant fait
l’objet de virements, ne peut excéder 2% des crédits ouverts par la loi de finances de
l’année pour chacun des programmes ou dotations concernés »68. Ces dispositions
sont reprises mot pour mot par la quasi-totalité des États de la sous-
région69. Le législateur équatoguinéen se distingue quant lui en définissant

67 M. BERMOND, in J. P. CAMBY (dir.), La réforme du budget de l’État : la loi organique relative


aux lois de finances, Paris, LGDJ, 2011, p. 81.
68 Art. 25 de la Directive CEMAC relative aux lois de finances.
69 Art. 45 de la loi organique n°020/214 relatives aux lois de finances et à l’exécution du

budget du Gabon ; art. 28 de la Loi organique n°36-2017 du 3 octobre 2017 relative aux
lois de finances du Congo ; art. 31 de la loi organique n°004/PR/2014 relative aux lois de
finances du Tchad ; art. 38 (1) loi n°2018/012 du 11 juillet 2018.
162
le plafond de l’augmentation des crédits à 10% non pas des crédits ouverts
pour les programmes concernés mais de budget général70.
Contrairement aux législations des autres États, le droit public
financier équatoguinéen concède une grande marge de manœuvre pour
l’augmentant du montant des crédits de paiement destiné aux
investissements. Qu’à cela ne tienne, le montant cumulé des
redéploiements de crédits en faveur des investissements est marginal dans
l’ensemble. Il ne peut contribuer à la réalisation des projets d’envergure si
oui en complément du financement initial. En fait selon la logique de la
pluri annualité, les investissements publics sont budgétisés sur plusieurs
années mais sont découpés en parts annuelles pouvant donner lieu au
paiement de dépenses sur l’année par le biais des crédits de paiement. La
majoration de ceux-ci dans le cadre des virements de crédit participe de
l’exécution pluriannuelle des dépenses d’investissement. Dans cette
optique, l'efficience des dépenses publiques d’investissement continue
d'être l'une des préoccupations permanente des décideurs politiques.
Certaines activités du gouvernement et les dépenses qui leur sont associées
sont essentielles pour la performance de l'économie et nécessitent
opportunément des financements complémentaires. Ces dépenses
essentielles ou productives peuvent être aussi importantes pour la
croissance et la réalisation d'objectifs sociaux.
L’analyse de la pratique des virements de crédits révèle une volonté
constante d’accroissement des dépenses d’investissement pour le
renforcement des structures économiques et sociales.
En premier lieu, l’accroissement du volume des dépenses
d’investissement entrepris par les gestionnaires de crédits s’appréhende
comme des mesures de soutien à l’activité économique. Elles apparaissent
opportunes dans les États de la CEMAC lorsqu’on considère le
ralentissement de la croissance économique nationale ces deux dernières
années du fait des chocs qui l’ont secoué et de la morosité observée dans
les économies de la sous-région se répercutant sur plusieurs branches
d’activités. À cet égard, on pense naturellement aux investissements
matériels, dont le domaine de préférence des autorités est celui des
équipements collectifs. Dans une large mesure, ils conditionnent fortement
la croissance économique et qui, sans contribution publique, ne seraient
pas réalisés ou le seraient à des conditions prohibitives pour les utilisateurs.
La promotion du secteur agricole apparaît primordiale puisque ce secteur
constitue le moteur principal de l’économie de la sous-région. Au regard
de sa contribution à la croissance économique et à la lutte contre la
pauvreté et l’insécurité alimentaire, l’apport du secteur agricole est essentiel
dans l’économie du pays. Pour ce faire, il faut désenclaver les voies de
communication pour fluidifier le transport des produits vers des zones
d’écoulement. C’est dans ce sens qu’au Gabon, des virements de crédit ont

70 Art. 30 de la Loi I/2012/n°2012/CNT portant loi organique relative aux lois de finances.
163
été initié « pour le complément nécessaire à la prise en charge des travaux sur l'axe
Akiéni-Onga » ou pour la prise en charge de la modernisation des voiries de
Libreville71.
Bien plus, le relèvement du montant des crédits d’investissement
contribue à la stimulation de l’activité sociale. Celle-ci renvoie à l’ensemble
des actions des personnes physiques ou morales publiques et privées,
mises en œuvre de manière continue dans le domaine du social. Il s’agit
concrètement de l’activité liée aux secteurs de l’éducation, la santé, la
formation professionnelle, le civisme, l’habitat et le logement. S’agissant de
la promotion de la femme et du genre, on relève la pertinence d’actions
allant dans le sens de la formation de leaders d’associations de femmes ; la
formation de femmes dans les centres de promotion de la femme ;
l’insertion de filles arrivées en fin de formation ; l’accompagnement de
femmes entrepreneuses dans l’exécution des projets. La fongibilité de
crédits pour la prise en charge de la journée nationale de la femme a été
initiée dans ce sens en droit gabonais pour promouvoir la femme et la
famille72. Tout compte fait, malgré le volume important des crédits de
fonctionnement par rapport aux crédits d’investissement, la part marginale
des dépenses d’investissement se trouve réajustée en cours d’exécution du
budget. Mais elle n’entre pas l’augmentation des autorisations
d’engagement qui restent stables.
2. La stabilisation de l’autorisation d’engagement des dépenses
d’investissement
Si la priorisation des dépenses d’investissement se révèle par la
majoration des crédits de paiement y relatif, elle n’emporte pas la
modification du volume de l’autorisation d’engagement. Elle en constitue
plutôt une limite dans la mise en œuvre des virements de crédits.
Justement, les autorisations d’engagement constituent la limite supérieure des dépenses
pouvant être engagées au cours d’un exercice budgétaire et dont le paiement peut
s’étendre, le cas échéant, sur plusieurs années73. Elles constituent un outil de l’exécution
pluriannuelle de la loi de finances s’accommodant à la définition moderne des
finances publiques axée sur la recherche de la performance et de
l’efficacité. Elle postule un engagement financier étendu sur plusieurs
années pour l’exécution de certaines actions d’investissement public.
Ceci étant, les virements de crédits de paiement au profit des
dépenses d’investissement ne doivent pas conduire à la majoration
d’autorisations d’engagement74. En d’autres termes, les virements de
crédits sont cantonnés dans les limites de l’autorisation d’engagement75.
Puisque les crédits de paiement constituent la limite supérieure des

71 Rapport d’exécution budgétaire, troisième trimestre 2018, op.cit., p. 76.


72 Ibidem.
73 D. CATTEAU, Droit Budgétaire, Comptabilité publique, LOLF et GBCP, op. cit., p. 35.
74 Rapport d’exécution budgétaire, Troisième trimestre 2018, op.cit., p. 76.
75 E. OLIVA, Finances publiques, Paris, Dalloz-Sirey, 2008, 2ème édition, p. 127.

164
dépenses pouvant être engagées et ordonnancées durant un exercice
budgétaire pour la couverture des engagements contractés dans le cadre
des autorisations d'engagement. Le législateur communautaire dispose
dans ce sens que « Les virements de crédits de paiement au profit des dépenses
d’investissement ne peuvent conduire à majoration d’autorisation d’engagement»76. À
l’exception du législateur équatoguinéen qui n’est pas précis sur cette
limite, les législateurs des autres États de la CEMAC ont repris ces
dispositions dans leur droit interne77. Cette limitation des redéploiements
de crédits en faveur des investissements impose deux grilles de lecture.
Elle participe d’une part à la préservation de l’autorisation budgétaire du
parlement78 et d’autre part à la garantie de l’équilibre budgétaire.
La réforme des finances publiques en zone CEMAC a redonné une
vigueur à l’autorisation budgétaire du parlement79 malgré la persistance de
certaines édulcorations. Les virements de crédits doivent se réaliser dans
les limites des dépenses autorisées par le parlement. L’autorisation
budgétaire porte sur les dépenses et les recettes de l’État80. Relativement
aux dépenses, la règle de l’autorisation budgétaire signifie que le parlement
doit donner son accord avant qu’une dépense ne soit engagée par le
gouvernement. C’est une conséquence du principe du consentement à
l’impôt. Certes le vote par le parlement dans la loi de finances des plafonds
afférents aux grandes catégories de dépenses et des crédits mis à la
disposition des ministres n’emporte pas, pour ces derniers, obligation de
dépenser la totalité des crédits ouverts81. Mais, il impose le respect de la
limite fixée par l’autorisation d’engagement. Il en découle que les décisions
parlementaires correspondantes sont des actes-conditions auxquels le
gouvernement ne peut déroger pour la préservation de l’équilibre
budgétaire.
Le régime des virements de crédits dans les États sous revue a
comme principal déterminant « l’absence d’intention de fausser les grandes lignes
de l’équilibre budgétaire »82. Ce principe est considéré depuis longtemps
comme un idéal de la politique budgétaire. Appliqué aux finances
publiques, le principe de l’équilibre budgétaire appelle une politique
économique guidée par la neutralité afin de ne pas troubler les agents
économiques.

76 Art. 25 de la Directive CEMAC relative aux lois de finances.


77 Art. 45 de la loi organique n°020/214 relatives aux lois de finances et à l’exécution du
budget du Gabon ; art. 28 de la Loi organique n°36-2017 du 3 octobre 2017 relative aux
lois de finances du Congo ; art. 31 de la loi organique n°004/PR/2014 relative aux lois de
finances du Tchad ; art. 38 (2) loi n°2018/012 du 11 juillet 2018.
78 D. MIGAUD, « Moderniser la gestion publique et renforcer le pouvoir budgétaire du

parlement », RFFP, n°73, 2001, pp. 37-43 ; J. P. LASSALE, « Le parlement et l’autorisation


des dépenses publiques », RSF, n°4, vol 55, 1963, pp. 580-623.
79 F. ROBERT, « La rénovation des pouvoirs du parlement », RFFP, n°76, 2001, pp. 77-92.
80 P. LALUMIERE, Les finances publiques, Paris, Armand Colin, 1986, 8ème éd., p. 203.
81 P. M. GAUDEMET et J. MOLINIER, Finances publiques, tome 1, op. cit., p. 309.
82 X. PRELOT, « Le Conseil constitutionnel, les finances publiques et les finances

sociales », RFFP, n°110, 2010, p. 231.


165
Le respect du principe de l’équilibre budgétaire par les ordonnateurs
engageant des réallocations de crédit tient à la nécessité, pour ces derniers,
d’observer scrupuleusement l’autorisation budgétaire et de n’engager les
dépenses que dans la mesure déterminée par les crédits tels que votés par
le Parlement. Le respect des limites des autorisations d’engagement
participe de cette conviction. Appréhendé par Paul-Marie GAUDEMET
comme « la situation d’un budget qui prévoit et autorise, pour un exercice, des charges
et des ressources pour un montant égal »83, perçu par Maurice DUVERGER
comme « la clef de voûte des finances publiques classiques »84, l’équilibre
budgétaire est une règle dont la fondamentalité n’est plus à démontrer.
L’équilibre budgétaire garantirait d’une certaine manière une bonne
utilisation des fonds publics et le respect de l’exigence de soutenabilité des
finances publiques. Concernant l’intégration des normes à valeur
internationale et communautaire dans l’appareil juridique du Cameroun,
chose qui a favorisé la consécration méliorative de l’équilibre budgétaire,
elles contribuent significativement à assainir la gestion des finances
publiques.
En effet, en appliquant les critères de convergence budgétaire la
viabilité et la durabilité des États se trouvent être garanties, parce qu’en
veillant à ce qu’aucun Etat-membre n’accuse des déficits ou des taux
d’inflation plus élevés que ses voisins, on protège les États membres des
effets contagieux d’une éventuelle instabilité macroéconomique dans l’un
ou l’autre Etat membre. Ces critères garantissent aussi que les États
membres conservent leur compétitivité relative au sein de la communauté.
Il faut dire que cette bonne gouvernance commence par le respect
de l’exigence de soutenabilité des finances publiques. De façon
synthétique, il est évident que l’évitement des dépassements des limites des
autorisations d’engagement suite aux mouvements de crédits, évite la
montée dangereuse de la dette publique85. Les déficits budgétaires
entrainent la hausse de la dette publique et des charges d’intérêt, la hausse
des taux d’intérêt, des défauts de paiement, des transferts
intergénérationnels non souhaités, une crise de la dette dans certains cas.
Le maintien de l’équilibre budgétaire évite tous ces problèmes. En outre,
l’équilibre budgétaire est une règle de bonne gestion en ce sens qu’elle
oblige l’État à intervenir de façon modérée dans l’économie. En filigrane,
l’équilibre budgétaire va permettre d’éviter divers effets pervers dus au
déficit budgétaire : inflation, effet d’éviction, déficit commercial,
dévaluation de la monnaie, hausse des impôts qui suivra inévitablement et
qui entrainera des incitations négatives. La volonté de relever le niveau des
investissements publics dans le cadre des redéploiements de crédits ne doit
pas perdre de vue ces enjeux de la soutenabilité budgétaire. La garantie de

83 P.-M. GAUDEMET, et J. MOLINIER, Finances publiques, op. cit., p. 744.


84 M. DUVERGER, Finances publiques, Paris, PUF, 1984, 10ème éd., p. 262.
85 R. HERTZOG, « Les ressources publiques sous tension : victimes ou causes de la crise

des finances publiques », RFAP, 2012/4, n°144, pp. 915-928.


166
cette exigence requiert un contrôle financier diligent car ce dernier permet
notamment de viser les projets de modification de la répartition de crédits
tendant à diminuer la réserve de crédits destinée à prévenir la détérioration
de l’équilibre budgétaire.
Conclusion
Au final, dans un contexte d’amoindrissement des recettes fiscales
et non fiscales du fait de la crise économique accentuée par la crise
sanitaire, les organismes publics font face au défi de financement de leur
programme. La modification des crédits budgétaires est la panacée pour la
consolidation des objectifs de performance. Ainsi les virements de crédits
qui en constituent une des modalités se caractérisent par la flexibilité de
son régime, laquelle permet aux gestionnaires d’orienter avec souplesse la
destination des crédits à redéployer puisqu’il a la possibilité de modifier la
nature des programmes. Ceci contribue à gérer plus facilement les
situations d’urgence budgétaire. Bien plus, le redéploiement des crédits au
sein des organismes publics implique une redéfinition des priorités de
financement de la dépense publique. Dans ce sillage, le droit public
financier des États de la CEMAC donne un point d’honneur aux
financements des dépenses d’investissement par rapport aux dépenses de
fonctionnement.
Toutefois, le plafonnement du montant des virements de crédits
engagés ne permet pas de financer substantiellement les investissements
publics. D’ailleurs, ces redéploiements de crédits concernent le plus
souvent l’aménagement des services publics et très indirectement des
dépenses d’investissement susceptibles d’influencer le bien-être des
populations. Ce faisant, la survenance constante des événements imprévus
venant perturber l’exécution de la loi de finances initiale, devrait inciter les
législateurs des États sous étude à élargir le plafond des majorations des
crédits à redéployer. En tout état de cause, pour des dépenses publiques
efficientes capable de relancer la croissance et lutter contre la pauvreté, la
qualité de la gouvernance, de la gestion de l’investissement public en
général et dans la sélection ainsi que celle de l’exécution et du suivi des
projets restent nécessaires malgré la mise en œuvre du régime des
virements de crédits.

167
LA NOTION DE SOLIDARITE DE PAIEMENT
EN DROIT FISCAL CAMEROUNAIS
Par
Dr NKOUAYEP Long Christ Papy
Ph. D en Droit public
Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Yaoundé II (Cameroun).

RESUME :
Peu connue en droit fiscal camerounais, la notion de solidarité s’est beaucoup plus
exprimée dans d’autres disciplines juridiques notamment en droit civil et en droit des affaires. En
1804, le code civil lui donne un sens relativement restreint : elle désigne la solidarité qui peut
s’établir entre plusieurs débiteurs d’un même créancier, chacun pouvant être contraint pour la
totalité de la dette et le paiement fait par un seul libère les autres. Dans l’optique de faciliter le
recouvrement de l’impôt, le droit fiscal a dû emprunter à d’autres disciplines la notion de
solidarité de paiement. Malheureusement, et dans un contexte hélas marqué par la rareté des
ressources publiques, le législateur n’a pas suffisamment clarifié la solidarité de paiement en droit
fiscal. Cette situation a suscité la présente réflexion. Par une méthode juridique ayant accordé la
part belle à la dogmatique et à la casuistique, nous avons analysé la législation camerounaise et
même étrangère pour aboutir aux résultats de cette recherche. Pour y parvenir, une question
centrale a été posée : qu’est ce qui caractérise la notion de solidarité de paiement en droit fiscal
camerounais ? A partir de l’hypothèse d’une complexité de cette notion, il ressort de la
démonstration une imprécision notionnelle de la solidarité de paiement combinée à une utilisation
opérationnelle particulière.
Mots clés : Solidarité de paiement, droit fiscal, recouvrement des impôts.

ABSTRACT:
Little know in Cameroonian tax law, the notion of solidarity of payment has been
expressed more in other legal disciplines, in particular in civil law and in business law, to name
but a few. Solidarity made its appearance in 1804 in the civil code, with a relatively restricted
meaning, designating the solidarity which can be established between several debtors of the same
creditor so that each one can be constrained for the totally of the debt and that the payment made
by only frees the others. With a view to facilitating the collection of public revenue, tax law had to
borrow from other disciplines, the notion of solidarity of payment to facilitate tax collection.
Unfortunately, and this in a context marked by the scarcity of public resources, the legislator has
not sufficiently clarified the solidarity of payment in tax law. This situation prompted the present
reflection. By a legal method that gave pride of place to dogma and casuistry, we scrutinized
Cameroonian and even foreign legislation to arrive at the results of this research. To achieve this,
a central question was asked: what characterizes the notion of solidarity in payment in
Cameroonian tax law? The reflection poses the hypothesis of e complexity of the notion of
solidarity of payment in tax law. To this end, the demonstration shows a notional imprecision of
the combined payment solidarity of a particular operational use.
Keywords: Solidarity of payment, tax law, tax collection.

168
Introduction
La notion de solidarité, timidement connue en droit fiscal
camerounais1, s’est beaucoup plus exprimée dans d’autres disciplines
juridiques notamment en droit civil et en droit des affaires2. On peut à ce
propos partager l’idée selon laquelle « la faiblesse de la conceptualisation du droit
fiscal est (…) vraisemblablement due à la volonté de le maintenir dans une relative
flexibilité »3. Or, certains historiens conçoivent le droit fiscal comme étant
« l’expression première du droit public »4. D’où l’intérêt de la présente réflexion
sur le double plan théorique et pratique.
Sur le plan théorique, elle donne une occasion de faire le point sur
la clarification législative de la notion de solidarité de paiement et, par-là, le
véritable sens à lui donner face à une législation qui se caractérise par son
mutisme. Sur le plan pratique, la présente étude est opportune et salutaire
dans un contexte de rareté des ressources fiscales. D’ailleurs, le
Gouvernement a déclaré fiscalement sinistrées trois régions du Cameroun
du fait des crises séparatiste et islamiste5. Sur ce point, « l’extrême violence de
la crise que nous traversons est propice, de cela, personne ne s’étonnera, à la fabrication
de nouveaux récits, comme de récits qui se veulent nouveaux »6. A cela s’ajoutent les
difficultés rencontrées par l’administration des douanes dans les régions du
Septentrion, du Nord-Ouest et du Sud-Ouest relativement au
recouvrement des recettes douanières, du fait des groupes terroristes qui y

1 La notion de solidarité de paiement n’est pas répandue dans les législations en matière
fiscale au Cameroun, exception faite du Code Général des Impôts. Ce texte évoque cette
notion, sans la définir. En droit fiscal, le vocabulaire est autant riche qu’imprécis : lire
Franck MODERNE, « A propos des taxes dites redevances d’assainissement, le désordre
des qualifications en droit fiscal », RJF 1976, n°5, p. 157 ; Emmanuel De CROUY-
CHANEL, « La définition juridique de l’impôt. L’exemple de la doctrine française », in T.
BERNS, J.-C. DUPONT, M. XIFARAS (dir.), Philosophie de l’impôt, Bruxelles, Bruylant,
2006, p. 135.
2 En guise d’illustration, nous pouvons citer Jean Paul LOUVEAU, « Aspects fiscaux du

divorce », Revue juridique de l’ouest, numéro spécial 2006. Bilan d’application de la loi du 26
2004 relative au divorce, pp. 123-142 ; Houari ZENASNI, La responsabilité fiscale des dirigeants
des sociétés commerciales, Mémoire du diplôme de Magister, Université d’Oran, 2012, 132 p ;
Ismérie Del VALLE-LEZIER, « Solidarité dans les couples. Les aspects civils », Revue
française des affaires sociales, 2005, pp. 81-100 ; Celia CAVALIER, L’organisation du patrimoine du
couple à l’épreuve du droit fiscal, Thèse de doctorat en droit, Université Montesquieu-Bordeaux
IV, 2013, 375 p ; Alexandre GREVET, Pour une de la solidarité du dirigeant au passif fiscal,
Thèse de doctorat en droit, Université Paris-Dauphine, 2016, 423 pages. La liste est très
loin d’être exhaustive.
3 Gérard TOURNIE, « De l’impôt et des mots : réflexion sur le déficit conceptuel du droit

fiscal », in Constitution et Finances publiques. Etudes en l’honneur de Loïc PHILIP, Paris,


Economica, 2005, p. 610.
4 Jean-Jacques BIENVENU et Thierry LAMBERT, Droit fiscal, Paris, PUF coll. Droit

fondamental, 2010, p. 21.


5 Cf. Décret n°2019/3179/PM du 02 septembre 2019 portant reconnaissance du statut de

zone économiquement sinistrée aux régions de l’Extrême-Nord, du Nord-Ouest et du Sud-


Ouest.
6 Jacques CAILLOSSE, « Le poids d’histoire du droit administratif : une ressource politique

d’actualité », RFFP, n°152, 2020, p. 5.


169
sévissent7. De même, on note d’une baisse drastique des ressources fiscales
dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest8. La situation s’est
empirée à cause de la crise sanitaire engendrée par le Covid-19, et survenue
dans un contexte général de dégradation des finances publiques pour
l’amplifier davantage9. Face à ces difficultés, la solidarité de paiement se
présente comme un instrument à la disposition des pouvoirs publics,
susceptible de garantir et de maximiser le recouvrement de l’impôt dans un
contexte de « récession mondiale historique »10. A cet égard, la solidarité de
paiement serait un instrument à optimiser dans le recouvrement des
ressources publiques. Mais au préalable, il est important que les notions
soient clarifiées.
L’on peut entendre par notion, la conception d’une chose, c’est-à-
dire l’acte de pensée s’appliquant à un objet. Simplement dit, la notion est
la perception d’un objet dans l’entendement humain, la représentation de
cet objet à l’esprit à partir de ses caractères. En un mot, la notion est la
manière d’appréhender, de penser une chose ou un phénomène11. La
notion est alors l’idée telle que travaillée par l’esprit. Elle aboutit selon le
Professeur Madeleine GRAWITZ au concept qui désigne la façon dont
l’esprit présente la réalité12. Si les notions juridiques ne sont pas fixes13 et

7 Sur la question, lire utilement Léopold NYABEYEU TCHOUKEU, La sécurité. Approche


juridique, Paris, L’Harmattan, 2020, 616 p ; Joseph Vincent NTUDA EBODE, Mark
BOLACK FUNTEH, Mahamat Henri MBARKOUTOU et Joseph L. NKALWO
NGOULA, Le conflit boko haram au Cameroun. Pourquoi la paix traine-t-elle ?, Yaoundé,
Friedrich Ebert Stiftung, 2017, 34 p.
8 Cf. les études de la Direction Générale des Impôts : Fidelis FONYUY BERNSAH,

« Managing taxes in periods of crises. Case of the North West regional tax centre », Impôts
info, n°006, octobre 2017, pp. 58-59 ; FRU Isaac TAKU, « The North West tax-payer on
the path of patriotism », Impôts info, n°006, octobre 2017, pp. 60-61.
9 Lire utilement Gérard PEKASSA NDAM et Patrick NGANGUE NEMALEU, « Les

Finances publiques camerounaises à l’épreuve de la crise sanitaire à coronavirus », Le


NEMRO, octobre-décembre 2020, pp. 49-74 ; François ABENG MESSI, « Les obligations
fiscales de l’exercice budgétaire 2020 à l’épreuve de la Covid-19 au Cameroun », RAFiP,
n°7, 1er semestre 2020, pp. 141-172. Lire également Christelle BALLANDRAS-ROZET,
« Les principes budgétaires à l’épreuve de la crise sanitaire », RFFP, n°152, 2020, p. 101 ;
Jean-Luc ALBERT, « L’urgence sanitaire et certains inaperçus budgétaires et comptables
publics », RFFP, n°152, op. cit. pp. 123-127.
10 Fabien BOTTINI, « Du service public du développement économique au service public

du développement économique durable ? », RFFP, n°152, 2020, p. 89. Lire également


Raphaël RENEAU, « La coopération et le service public du développement économique
face au coronavirus », RFFP, n°152, 2020, pp. 77-79.
11 Robert MBALLA OWONA, La notion d’acte administratif unilatéral au Cameroun. Contribution

à la théorie de la décision administrative, Sarrebruck, Editions universitaires européennes, 2011,


p. 13.
12 Madeleine GRAWITZ définit le concept comme la représentation rationnelle

comprenant les attributs essentiels d’une classe de phénomènes ou d’objets, in Méthodes de


sciences sociales, Paris, Dalloz, 11e éd., 2001, p. 4.
13 Gilles J. GUGLIELMI, Introduction au droit des services publics, Paris, LGDJ, Systèmes, 1994,

p. 2.
170
sont les plus difficiles à cerner14, la « notion »15 est assimilable au concept et
peut s’entendre d’une représentation générale et abstraite d’un objet. Si
nous ne trouvons pas de vertus aux notions imprécises, certains y voient
une certaine qualité : « Les notions floues et plus généralement la fluidité sémantique
des termes juridiques, ne sont pas une entrave aléatoire à un système autrement parfait
et certain, mais bien au contraire forment un élément essentiel au bon fonctionnement du
droit »16.
La notion de solidarité17 fait son apparition en 1804 dans le code
civil avec un sens relativement restreint. Elle est introduite pour désigner la
solidarité qui peut s’établir entre plusieurs débiteurs d’un même créancier
de manière à ce que chacun puisse être contraint pour la totalité de la dette
et que le paiement fait par un seul libère les autres. Vue sous cet angle, la
solidarité est une notion juridique à contenu variable18.
Etymologiquement, le mot « Solidarité » est une déformation du terme
« solidum » qui, chez les jurisconsultes romains, servait à désigner l’état des
créanciers solidaires d’une obligation. La notion de « solidarité » est dérivée
de celle de « solidaire », elle-même découlant de la locution latine « in
solidum » signifiant « solidairement ». Dans un rapport d’obligation, la
solidarité désigne le lien particulier entre sujets passifs (débiteurs) ou actifs
(créanciers) de l’obligation. Plus précisément, il s’agit d’une modalité
conventionnelle ou légale d’une obligation plurale qui en empêche la
division. Ainsi, en droit civil19, la solidarité résulte de la loi ou du contrat,

14 Jean du Bois de GAUDUSSON, « Avant-propos », in Guillaume TUSSEAU (dir.), Les


notions juridiques, Paris, Economica, coll. Etudes juridiques, n°31, 2009, p. IX.
15 Le Doyen Georges VEDEL a élaboré une distinction entre notions juridiques associant

les qualificatifs de « fonctionnelles » et de « conceptuelles ». Il admet une distinction entre notions


fonctionnelles et notions conceptuelles, ces dernières étant créées pour rendre compte des
difficultés de définition rencontrées par certaines notions juridiques. Pour séduisante qu’elle
est, cette distinction rend un peu confuse, du moins en apparence, la distinction entre
notion et concept juridiques. Lire « De l’arrêt Septfonds à l’arrêt Barinstein (la légalité des
actes administratifs devant les tribunaux judiciaires) », JCP, n°11, 1948, I, 682. Lire
également « La juridiction compétente pour prévenir, faire cesser ou réparer la voie de fait
administrative », JCP, n°4, 1950.I.851.
16 Ejan MACKAAY, « Les notions floues en droit ou l’économie de l’imprécision »,

Langages, n°53, 1979, pp. 49-50.


17 La solidarité est distincte du solidarisme. A cet effet, « on peut considérer que la doctrine

solidariste se distingue par l’affirmation selon laquelle il est nécessaire d’ériger en principe du droit des
contrats les exigences de loyauté, de solidarité et de bonne foi et qui doivent conduire les contractants à
collaborer entre eux ». Lire Luc GRYNBAUM, « La notion de solidarisme contractuel », in Luc
GRYNBAUM et Marc NICOD (dir.), Le solidarisme contractuel, Paris, Economica, 2004, p.
25. Le solidarisme est une doctrine qui repose sur l’idée de solidarité. Sur la question lire
Gislain G. TSASSE SAHA, Le solidarisme en droit du travail, Thèse de doctorat/Ph.D en droit
privé, Université de Yaoundé II, 2012, p. 9.
18 Lire Chaïm PERELMAN et Raymond VANDERELST, (dir.), Les notions à contenu variable

en droit, Bruxelles, Bruylant, 1984, 377 p.


19 Serge GUINCHARD et Thierry DEBARD (dir.), Lexique des termes juridiques, Paris,

Dalloz, 2020, 28e éd. p. 2172.


171
elle ne se présume pas, qu’elle soit active ou passive20. Toutefois, la
solidarité n’est pas un principe se limitant au rapport d’obligation21. On
comprend pourquoi elle est considérée comme « un concept carrefour »22.

20 La solidarité est active lorsqu’elle représente la modalité d’une obligation à pluralité de


créanciers où chacun de ceux-ci peut demander au débiteur le paiement de tout ; c’est par
exemple le cas du compte joint bancaire. Cf. Charlène NAMA, La gestion de la fraude dans le
paiement par voie électronique au Cameroun, Mémoire de Master en droit privé, Université de
Yaoundé II, 2017-2018, p. 34. La solidarité est passive lorsqu’elle représente la modalité
d’une obligation à pluralité de débiteurs, où chacun de ceux-ci est tenu du tout à l’égard du
créancier. Toutefois, la solidarité passive recouvre un second aspect, peut-être plus
pénaliste que civiliste, mais néanmoins liée au rapport d’obligation. Il s’agit d’une forme
spécifique comportant l’obligation pour chacun des auteurs, co-auteurs et complices d’une
même infraction ou d’infractions connexes de payer la totalité des dommages, avec la
possibilité de demander ensuite à chacun des autres le remboursement de ce qui a été payé
par lui.
21 La solidarité trouve également un terrain de prédilection au sein de la parenté et de

l’alliance. Ici, la solidarité est le sentiment de responsabilité et de dépendance réciproque au


sein d’un groupe de personnes qui sont moralement obligées les unes par rapport aux
autres. Les problèmes rencontrés par un ou plusieurs membres concernent l’ensemble du
groupe. Cette solidarité dite familiale recouvre selon Gérard CORNU deux acceptions.
D’abord, elle aura vocation à caractériser un impératif d’entraide qui, dans l’épreuve,
soumet réciproquement les plus proches parents et alliés à des devoirs élémentaires de
secours et d’assistance, se prolongeant même après la mort par le biais de la vocation
successorale. Ensuite, de manière plus large, la solidarité familiale représente un lien moral,
« l’esprit de famille » qui rassemble toute la parenté autour de ses valeurs communes.
Bien plus, la solidarité trouve vocation à s’appliquer au sein de la collectivité, caractérisant
le lien d’entraide unissant tous ses membres. Cette solidarité sera dite nationale et présente
un aspect dichotomique dans la mesure où elle représente à la fois un état de dépendance
mutuelle comportant une obligation de s’entraider. La solidarité peut aussi concerner « une
équipe dirigeante », en ce qu’elle caractérise une communauté de vues, d’action et de destin
unissant, au moins à l’égard des tiers, les membres du groupe. A cet égard, on peut citer la
solidarité ministérielle, obligation politique pour les membres d’un Gouvernement en
régime parlementaire, d’agir de concert, compte tenu de leur responsabilité collective
devant le Parlement.
Dans le champ du droit des affaires, les commerçants qui s’engagent ensemble sont
présumés le faire sous le régime de la solidarité passive. « La jurisprudence française en a décidé
ainsi contrairement au code civil en vertu d’une ancienne coutume favorable à l’endettement de ces
professionnels ; la solidarité augmentant le droit de gage des créanciers et ainsi le crédit du débiteur ». Les
autres professionnels indépendants tels que les agriculteurs et professions libérales ne sont
pas soumis à cette présomption générale. Cf. Gérard CORNU et Association Henri
CAPITANT (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, Quadrige, 2017, 11e édition, p. 967.
En procédure civile, lorsqu’il y a solidarité entre plusieurs parties, la notification du
jugement de condamnation à l’une d’elles ne fait courir le délai d’appel qu’à son égard, alors
que s’il s’agit d’un jugement favorable, chaque partie peut se prévaloir de la notification
faite par l’une d’elles. Enfin la solidarité peut constituer une communauté de sort entre
certains droits. On pense en particulier à la solidarité des prescriptions.
Alors que dans le langage courant, le paiement évoque invariablement le versement d’une
somme d’argent, il a dans le vocabulaire juridique un sens plus large : le paiement est
synonyme d’exécution de l’obligation et s’applique à toutes les obligations quel qu’en soit
l’objet qui peut être une somme d’argent, une chose, une prestation. Lire Bertrand FAGES,
Droit des obligations, Paris, LGDJ, 2011, 3e éd., p. 451.
22 Marie-Claude BLAIS, La solidarité : histoire d’une idée, Paris, Gallimard, 2007, p. 13.

172
Autour d’elle, convergent non seulement des débats scientifiques intenses,
mais aussi de vifs débats politiques23.
En doctrine, la nature juridique du paiement demeure controversée.
On l’analyse classiquement en un acte juridique et, plus exactement, en une
convention entre le débiteur et le créancier aux fins d’éteindre l’obligation
originaire24. Cette vision insiste sur le rôle que jouent les volontés en
matière de paiement et sur l’interprétation qu’il est parfois nécessaire d’en
faire25. Mais certains auteurs préfèrent la qualification de fait juridique, en
observant que l’extinction de l’obligation qui résulte d’un paiement se
produit par l’effet de la loi, indépendamment de la volonté des intéressés,
et que les procédés modernes de paiement des sommes d’argent
(virements et prélèvements automatiques) rendent difficile la
reconnaissance d’une quelconque convention26. Partisane de cette thèse, le
Professeur Nicole CATALA s’est inspirée des doctrines italiennes pour
soutenir que le paiement est un fait juridique ; c’est la loi, remarque-t-elle,
qui impose l’extinction de l’obligation quand le créancier a reçu une
satisfaction adéquate sans que la volonté des parties fût à cet égard en
cause27. Dans réalité, il s’agit d’un acte complexe, participant de la
convention et du fait juridique28.
En tout état de cause, la mécanisation du paiement a essentiellement
pour objet le paiement de sommes d’argent, le seul paiement véritable
selon le langage populaire29. Transposée au droit fiscal camerounais, la
notion de solidarité de paiement tarde à s’affirmer même si elle est
consacrée. On peut noter que si d’un point de vue formel, la solidarité de
paiement en droit fiscal reste jusqu’ici ambigüe, il n’en demeure pas moins
que des éléments substantiels peuvent conduire à son appréhension. La
solidarité de paiement peut se concevoir comme étant l’obligation qui pèse
sur des personnes ayant un lien juridique de s’acquitter d’une dette fiscale
et du droit pour l’administration de recouvrer l’impôt auprès de l’une
d’elles. Il s’agit d’une solidarité passive. D’où la question suivante : qu’est-
ce qui caractérise la notion de solidarité de paiement en droit fiscal
camerounais ? La logique de cette interrogation réside dans la volonté de
comprendre le degré de précision textuelle de la notion de solidarité de
paiement en droit fiscal camerounais. C’est pourquoi, la réflexion pose

23 Hugo CANIHAC, « Du solidarisme aux communautés européennes. Le concept de


solidarité dans la pensée de Georges SCELLE », Revue française d’histoire des idées politiques, n°
51, 2020, p. 200.
24 Bertrand FAGES, Droit des obligations, op.cit., p. 451.
25 Civ. 1ère 19 oct. 1999, n°97-10556, RTD civ. 2000. 116. Observations de Jacques

MESTRE et Bertrand FAGES, à propos de la communication d’un numéro de carte


bancaire pour garantir la réservation d’une chambre d’hôtel.
26 Bertrand FAGES, Droit des obligations, op. cit., p. 451.
27 Nicole CATALA, La nature juridique du paiement, Paris, LGDJ, 1961, pp. 159-164.
28 Alain SERIAUX, « Conception juridique d’une opération économique : le paiement »,

RTD civ. n°2, 2004, p. 225.


29 Philippe MALAURIE, Laurent AYNES, Philippe STOFFEL-MUNCK, Droit des

obligations, Paris, LGDJ, 2020, 11e éd., p. 687.


173
l’hypothèse d’une complexité de ladite notion. En guise de méthodologie,
il convient de souligner que la science juridique s’accommode non
seulement de l’interprétation et de l’analyse des textes juridiques qui
meublent l’ordre juridique, mais également de l’exploration
jurisprudentielle. Ainsi, l’interprétation des textes juridiques, servira de
boussole dans le cadre de cette étude. Bien plus, l’analyse de quelques
décisions de justice viendra enrichir la présente étude compte tenu de la
complexité du mécanisme de solidarité de paiement en droit fiscal
camerounais.
Nous pouvons d’ores et déjà affirmer que la solidarité de paiement
se caractérise par son indécision en droit fiscal camerounais. Son étude
laisse transparaitre une évocation certes, mais davantage une imprécision
notionnelle (I). Face à cette lacune textuelle, a émergé une autre perception
de la solidarité de paiement en droit fiscal camerounais. D’où l’utilisation
opérationnelle de cette notion (II) en droit fiscal camerounais.
I. L’imprécision notionnelle de la solidarité de paiement
« Si le législateur, se trompant dans son objet, prend un principe différent de
celui qui nait de la nature des choses, on verra des lois s’affaiblir insensiblement ; la
Constitution s’altérer et l’Etat ne cessera d’être agité »30. Cette vision séculaire de
Jean-Jacques ROUSSEAU demeure d’actualité dans un système juridique
camerounais en proie à des incertitudes législatives. Il se focalisait sur la
loi, préoccupation constante de la doctrine en droit public. L’auteur n’avait
pas pensé que la loi serait un contenant dans lequel l’on pouvait mettre
n’importe quel contenu, encore moins un contenu à même d’être placardé
dans n’importe quel contenant. La recherche d’une définition formelle de
la notion de solidarité de paiement en droit fiscal camerounais suppose
qu’on puisse identifier une conception dégagée par le droit et qui serve de
référence à toute autorité faisant usage de cette notion31. Il convient
cependant de préciser que les définitions apparaissent dans les textes selon
que le législateur sollicite une application homogène ou contextuelle des
notions juridiques32. Tout dépend pourtant des systèmes juridiques, car
« contrairement aux législations de types anglo-saxon qui systématiquement dans la loi,
fixent par des définitions le sens technique des mots qui y sont employés, le législateur

30 Jean-Jacques ROUSSEAU, Du contrat social, Paris, Union générale d’éditions, 1773, p.


117.
31 A terme, il est attendu du législateur qu’il propose une définition suffisamment claire et

qui nous permette de saisir de façon évidente la définition de la notion de solidarité de


paiement. Il pourrait par exemple s’inspirer de l’article 166 du code marocain des
obligations et des contrats qui dispose qu’« il y a solidarité entre les débiteurs lorsque chacun d’eux
est personnellement tenu de la totalité de la dette, et le créancier peut contraindre chacun des débiteurs à
l’accomplir en totalité ou en partie, mais n’a droit à cet accomplissement qu’une seule fois ».
32 Théophile NGUIMFACK VOUFO, La notion de comptes publics en finances publiques

camerounaises, Thèse de doctorat/Ph. D en droit public, Université de Dschang, 2015, p.


159.
174
français s’abstient très souvent de le faire, se souvenant peut être des préceptes du
digeste : omnis definitio periculosa est »33.
Le système camerounais sur cet aspect se rapproche de celui de la
France en ce sens que très peu de textes juridiques proposent des
définitions des termes clés qui y sont employés. Le législateur camerounais
se veut prudent, prenant en compte la critique selon laquelle les définitions
légales auraient pour conséquences de figer les concepts évolutifs et de les
dénaturer. Cette approche se fonde sur le fait que « la rigueur conceptuelle
pourrait, dans un certain nombre de situations, au lieu de la favoriser, compromettre la
perception de l’impôt »34.
Une telle attitude relève de la fuite en avant car les définitions
légales ont l’avantage « d’éliminer l’équivoque et d’introduire clarté et précision dans
l’application d’une règle ou d’un corps de règles »35. Ainsi, de bonnes définitions
pourront résister longtemps à l’évolution sociale36, contrairement à
l’argument qui estime que le législateur ne peut infailliblement prédire
l’avenir d’une notion juridique ainsi que les usages probables dont elle peut
être affectée37. Sur ce dernier argument, le législateur camerounais a brillé
par un laxisme dans la définition de la solidarité de paiement en droit
fiscal. On constate une insuffisance des textes de fiscalité générale (A) et
une indifférence des textes de fiscalité spécifique (B).
A. L’insuffisance des textes de fiscalité générale
La loi, comme tout acte juridique, est conceptuellement duale, faite
d’un corps et d’un esprit. Autrement dit, son essence consiste en un
concept littéral, c’est-à-dire le résultat de son processus de rédaction, et en
un concept normatif, notamment le sens ou l’esprit de la loi sur le plan du
droit38. A ce sujet, la loi semble être en proie à des malformations qui
édulcorent sa substance en droit fiscal camerounais. L’on note de
nombreuses insuffisances, sources d’équivoques, constituées d’omissions
d’éléments déterminants. La qualité d’une loi dépend d’abord de sa lettre
qui est l’enveloppe physique hébergeant son esprit. La lettre de la loi doit,
selon le Professeur ABANE ENGOLO, satisfaire aux normes universelles
de qualité39.

33 Jean Louis BERGEL, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, 2012, p. 234.
34 Gérard TOURNIE, « De l’impôt et des mots : réflexion sur le déficit conceptuel du droit
fiscal », op.cit., p. 610.
35 Marcel WALINE, « Empirisme et conceptualisme dans la méthode juridique : faut-il tuer

les catégories juridiques ? », Mélanges en l’honneur de Jean DABIN, t. 1, Bruxelles et Paris,


Bruylant et Sirey, 1963, p. 369.
36 Ibid.
37 T. NGUIMFACK VOUFO, La notion de comptes publics en finances publiques camerounaises,

op. cit., p. 159.


38 Guillaume BACOT, « L’esprit des lois, la séparation des pouvoirs et Charles

Eisenmann », RDP, n°3, 1992, pp. 617-656.


39 Patrick E. ABANE ENGOLO, « La notion de qualité du droit », RADSP, n°1, vol. 1,

2013, p. 87-110. L’auteur note que « la notion de qualité de droit manquant de définition de référence
est une caractéristique du droit qui peut être entendue comme l’exigence de fiabilité du droit, incombant à sa
175
Pour le Professeur Guillaume TUSSEAU, « qu’ils soient législateurs,
juges, notaires, avocats, universitaires, etc., les juristes dans leurs activités quotidiennes
d’identification, de description, de systématisation, de critique, de proposition, de
production du droit, mettent en œuvre un certain nombre de notions dont le rôle est,
grosso modo, de leur permettre d’appréhender une masse mouvante et a priori
indifférenciée de phénomènes, et de les aider à s’orienter dans le désordre du monde »40.
De ce point de vue, les notions juridiques sont des moyens de
connaissance ayant atteint, par abstraction, un degré supérieur d’objectivité
et d’universalité dans la présentation de la réalité41. Elles sont également
considérées comme des outils intellectuels, des moyens purement
techniques de mise en œuvre des réalités juridiques qui permettent
d’aboutir à la maitrise du droit42. La législation de fiscalité générale se
borne simplement à évoquer la notion (1) sans toutefois y apporter des
précisions (2).
1. L’évocation de la solidarité de paiement
Satisfaire à l’exigence scientifique de détermination, s’apparente à
une œuvre titanesque, à cause du chamboulement des bases techniques de
classification objective des instruments législatifs, orchestré par des
incertitudes normatives. L’indétermination d’une notion juridique peut être
voulue ou subie par le législateur43. Elle est subie dans l’hypothèse où la
notion procède du langage courant ou de tout autre langage lui attribuant
des significations variables qui ne peuvent pas être complétement intégrées
par le droit44. Elle est voulue lorsque la notion est d’essence normative et
ne bénéficie pas d’une définition. On a pu établir, à propos de ces notions,
qu'elles participent d’une technique législative, à partir du moment où la
variabilité de leur contenu est recherchée par le législateur45. C’est
pourquoi le modèle de la définition réelle est très courant46.
La notion de solidarité de paiement en droit fiscal se retrouve dans
la catégorie des notions qui n’ont pas été clarifiées quoi qu’énoncées aussi

création et à son application », p. 88. Lire également Pascale DEUMIER, « Les qualités de la
loi », RTD. civ., 2005, p. 93.
40 Guillaume TUSSEAU, « Critique d’une méta-notion : la notion (trop) fonctionnelle de

‘notion fonctionnelle’ », RFDA, 2009, p. 641.


41 Ibid.
42 Charles JARROSSON, La notion d’arbitrage, Paris, LGDJ, 1987, p. 221.
43 T. NGUIMFACK VOUFO, La notion de comptes publics en finances publiques camerounaises,

op.cit., p. 161.
44 Gérard CORNU, « Les définitions dans la loi et les textes règlementaires », Rapport de

synthèse, in Les définitions dans la loi et les textes règlementaires (suite et fin), RRJ, 1987-4, pp.
1175-1185.
45 Jean CARBONNIER, « Les notions à contenu variable en droit français de la famille », in

Chaïm PERELMAN, Raymond VANDERELST (dir.), Les notions à contenu variable en droit,
op. cit., pp. 99-112.
46 T. NGUIMFACK VOUFO, La notion de comptes publics en finances publiques camerounaises,

op. cit., p. 161.


176
bien dans le Livre des Procédures Fiscales (a) que dans le Code Général
des Impôts (b).
a. L’énonciation dans le Livre des Procédures Fiscales
L’écriture de la loi est l’une des phases les plus techniques du travail
opéré par les légistes ; elle est « la scène de leur manifestation de talent »47. Dans
la communauté juridique, la nécessité et le but des législations, la manière
dont elles sont formulées, les discussions relatives à leur adoption et la
manière dont on y fait référence, sont des questions résolues48. Les
questions de qualité des normes sont présentes dans les systèmes où les
législations sont nécessaires pour maintenir l’ordre public et réglementer
les relations entre les personnes dès l’énonciation de la règle.
Au sujet de la notion de solidarité de paiement, on a pu constater
qu’elle est de création textuelle. Il apparait cependant que les textes de
fiscalité générale, notamment le Livre des Procédures Fiscales (ci-après
LPF), n’ont pas consacré une définition juridique. Il s’ensuit le constat de
l’inexistence d’une définition terminologique de la notion de solidarité de
paiement qui a été simplement évoquée dans le LPF. Le modèle de la
définition terminologique consiste pour le législateur à indiquer le « sens
déterminé d’un terme employé dans un texte »49. La signification de chaque terme
peut être librement établie puisqu’elle ne dépend pas d’un système
conceptuel général et n’a pas à se rattacher à l’ensemble du système
juridique50.
Pour Ejan MACKAAY51, l’imprécision des termes juridiques,
perçue au premier abord comme un défaut dans une conception positiviste
du droit, parait au contraire, à la réflexion, plutôt comme un aspect
essentiel du droit. Les termes de la loi peuvent être imprécis à divers
degrés, et pour ceux qui le sont particulièrement, les procédés traditionnels
de définition et de classification réussissent mal à en saisir le sens. Ce
problème se pose de façon aiguë dans les recherches qui visent à mettre au
point des représentations formelles du droit ou du raisonnement juridique.
C’est de manière évasive et lacunaire que la section III du LPF évoque la
notion de solidarité de paiement sans toutefois préciser la teneur52.
Dans cette logique, le Professeur Bertrand MATHIEU note que
« sil la loi ne fixe pas des règles, ou si elle édicte des règles imprécises ou ambiguës, le
citoyen est menacé dans ses droits. Les exigences liées à la sécurité juridique (…) ne

47 Safar BEYGZADEH, Les techniques d’écriture de la loi, Téhéran, Le centre de recherche de


l’Assemblée nationale, 2003, p. 108.
48 Azadeh A. SHAHRBABAKI, La qualité des normes. Etudes des théories et de la pratique, Thèse

de doctorat en droit public, Université d’Aix-Marseille, 2017, p. 13.


49 Jean Louis BERGEL, Théorie générale du droit, op. cit., p. 235.
50 Ibid., p. 236.
51 Ejan MACKAAY, « Les notions floues en droit ou l’économie de l’imprécision », op. cit.,

pp. 35-36.
52 Cf. Livre deuxième des Procédures Fiscales, chapitre III du sous-titre III du Code

Général des Impôts.


177
peuvent être assurées si le droit est mou, flou ou à l’état gazeux »53. Il faut un
minimum de clarté dans le Livre des Procédures Fiscales. « L’exigence de
clarté de la loi est également un précepte de légistique formelle, c’est-à-dire la branche de
la légistique axée autour des principes tendant à améliorer la communication et la
compréhension des textes législatifs »54. Cela permet une évolution par rapport à
la thèse du déclin du droit jadis développée par le Doyen RIPERT55. Cette
thèse semble avoir trouvé dans le droit fiscal camerounais un intérêt
renouvelé. Il ressort de la législation fiscale que la notion juridique de
solidarité de paiement brille à la fois par son indétermination et sa simple
évocation dans plusieurs dispositions du LPF et même du Code Général
des Impôts (ci-après CGI).
b. L’énonciation dans le Code Général des Impôts
Au cours des dernières années, des efforts importants ont été
accomplis au Cameroun pour rendre plus facilement intelligibles les
normes juridiques56. La codification s’est accélérée, des banques de
données juridiques ont été constituées et des textes consolidés ont été
publiés. Dans le même temps, les pouvoirs publics se sont montrés plus
soucieux de la qualité de la rédaction des textes normatifs57. Cette
préoccupation est du reste partagée au-delà des frontières du pays. Ainsi, le
Parlement, le Conseil et la Commission européens ont conclu le 16
décembre 2003, un accord interinstitutionnel intitulé « Mieux légiférer », par
lequel ils s’engagent à veiller « à la qualité de la législation, à savoir à sa clarté, à
sa simplicité et à son efficacité ». Une telle option serait non seulement
révolutionnaire mais également salutaire en Zone CEMAC en général et au
Cameroun en particulier, notamment pour ce qui est le Code Général des
Impôts.
En matière fiscale, l’importance prise par le Code général des
Impôts est l’un des motifs qui a entrainé au Cameroun, le rattachement
formel de la plupart des dispositions fiscales notamment par le
regroupement dans un Code unique des dispositions du droit fiscal aussi

53 Bertrand MATHIEU, « La normativité de la loi : une exigence démocratique », Cahiers du


Conseil constitutionnel, n°21 (Dossier : La normativité), 2007, p. 2.
54 Alexandre FLUCKIGER, « Le principe de clarté de la loi ou l’ambiguïté d’un idéal »,

Cahiers du Conseil constitutionnel, n°21, op. cit., p. 7.


55 Georges RIPERT, Le déclin du droit. Etude sur la législation contemporaine, Paris, LGDJ, 1949,

p. 64.
56 Il s’agit des textes élaborés avec le soin de définir au préalable certaines notions pour

qu’elles ne prêtent pas à confusion. En guise d’illustrations, on peut citer le décret


n°2018/366 du 20 juin 2018 portant Code des marchés publics et la loi n°2017/010 du 12
juillet 2017 portant statut général des établissements publics.
57 Dans le contexte français par exemple, un Guide de l’élaboration des textes législatifs et

réglementaires fut rédigé conjointement par les membres du Conseil d’Etat et le secrétaire
général du Gouvernement. Il vise à présenter l’ensemble des règles, principes et méthodes
devant être observés dans la préparation des textes normatifs, lois, ordonnances, décrets et
arrêtés. Conçu comme « un ouvrage de référence », il poursuit l’objectif de « ne faire que des textes
nécessaires, bien conçus, clairement écrits et juridiquement solides ».
178
bien substantiel que processuel58. Chaque année, le législateur adopte un
nouveau Code Général des Impôts qui ne doit être valable que pour cette
année, à la seule fin de rétablir le droit fiscal dans son cadre temporel.
Dans cette adoption annuelle d’un CGI, l’on attend toujours du législateur
une clarification notionnelle de la solidarité de paiement en droit fiscal.
Malheureusement, le parlement se limite dans cette codification à
une énonciation stricte de la solidarité de paiement, plongeant ainsi
l’administration fiscale et le contribuable dans une relation parsemée
d’incertitudes. Or, la possibilité d’une codification chaque année d’un CGI,
adapté à un contexte temporel précis59, constitue à n’en point douter,
l’occasion concédée chaque année au législateur60, d’améliorer
l’intelligibilité dudit Code en ce qui concerne la solidarité de paiement. Les
années successives de la promulgation des différents CGI se suivent sans
évolution substantielle comme si les codifications antérieures avaient
épuisé toute l’énergie législative61.
Lorsque l’on doit faire appel à des fonctionnaires et agents de
l’Administration fiscale pour appliquer la loi, des termes imprécis leur
laissent une plus grande latitude. Cette situation peut donner lieu à de
l’arbitraire ou des abus au détriment des contribuables et, partant, à des
solutions non souhaitables, c’est-à-dire des coûts du deuxième type. C’est
ce qui hélas peut arriver avec la notion de solidarité de paiement en droit
fiscal camerounais. Cette notion, abondamment évoquée dans le CGI, n’a
pas toutefois fait l’objet d’une clarification. On peut la retrouver dans les
dispositions relatives à la taxe sur la valeur ajoutée62, en matière d’impôt
sur les sociétés63, en matière d’impôt sur le revenu des personnes
physiques64, dans le cadre de la fiscalité de la commande publique65, la taxe
spéciale sur le revenu66, la fiscalité forestière67, en matière
d’enregistrement68 et même de taxe sur la propriété foncière69. Si ces

58 Cette entreprise a abouti à l’adoption d’un Code Général des impôts incluant le Livre de
procédures Fiscales, et même l’intégration dans ledit Code, des dispositions de la fiscalité
locale et des fiscalités spécifiques.
59 Le Doyen CARBONNIER affirmait que « Tout Code apparait lors de son adoption comme un

symbole du temps arrêté », voir « Le code civil », in Pierre NORA (dir.), Les lieux de mémoire,
Paris, Gallimard, t. 2, 1986, pp. 293.
60 Pour aller plus loin, cf. Vincent DUSSART, « Le parlement et l’impôt », Pouvoirs, n°151,

2014, pp. 57-69.


61 Rémy CABRILLAC, « Les enjeux de la codification en France », Les Cahiers de droit, n°1-

2, vol. 46, 2005, p. 534.


62 Article 130 du CGI.
63 Article 14 du CGI.
64 Articles 26, 45, 97, 98, 104 du CGI.
65 Article 116 du CGI.
66 Article 228 du CGI.
67 Article 247 du CGI.
68 Articles 305, 307, 309, 310, 311, 425, 427 du CGI.
69 Article 583 du CGI.

179
différentes dispositions évoquent la solidarité de paiement, elles demeurent
imprécises sur la clarification parce qu’indéterminées.
2. L’indétermination de la solidarité de paiement
Pour certains auteurs, « le standard en droit, est d’abord une notion floue à
contenu variable »70. Mais nous estimons que, le choix de la forme
d’énonciation de la règle juridique doit aussi se faire à la lumière
d’importants impératifs juridiques de sécurité, de prévisibilité et
d’uniformité. Depuis l’arrêt Sunday Times, le juge de la Cour européenne
des droits de l’homme a clairement posé la nécessité des clarifications
législatives : « On ne peut considérer comme loi qu’une norme énoncée, avec assez de
précisions pour permettre au citoyen de régler sa conduite ; en s’entourant au besoin de
conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les
circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé »71.
La loi doit être compréhensible72 afin d’éviter son ineffectivité.
Transposée à cette réflexion, l’exploration des textes fait état d’une
évidente indétermination de la notion de solidarité de paiement (a) avec
des conséquences induites (b).
a. L’évidence d’une indétermination de la solidarité de
paiement
La mise en œuvre du droit passe par des concepts bien définis, un
langage clair et précis73. Le CGI et le LPF sont très loin de ces exigences
du droit en ce qui concerne la solidarité de paiement. « La définition de la loi
est l’un des champs théoriques important dans la philosophie du droit »74. Une vraie
définition doit cependant représenter un modèle permettant une
comparaison afin que l’on puisse y rattacher les situations que sécrète la
vie juridique75. Cela est d’autant plus important en matière fiscale car « les
finances publiques sont l’élément le plus important de la chose publique »76 et l’activité
de mobilisation des ressources se rattache traditionnellement à
l’administration fiscale77. C’est à ce titre qu’on dira effectivement que
« l’impôt est (…) la marque fondamentale de la souveraineté, (…) un attribut

70 Lire Ch. PERELMAN et R. VANDERELST, Les notions à contenu variable en droit, op. cit.,
p. 103 ; J. CARBONNIER, « Les notions à contenu variable en droit français de la
famille », op. cit., p. 111.
71 Cf. CEDH, Sunday Times contre Royaume-Uni, (n°1), req. n°6538/74, 26 avril 1979.
72 LASSERE-KIESOV, « La compréhensibilité des lois à l’aube du XXIe siècle », Dalloz,

2002, p. 1157.
73 Jean-Louis BERGEL, Théorie générale du droit, op. cit., p. 207.
74 Azadeh A. SHAHRBABAKI, La qualité des normes. Etudes des théories et de la pratique, op.

cit., p. 77.
75 Jean-Louis BERGEL, Théorie générale du droit, op. cit., p. 229.
76 Maurice HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public, Paris, Sirey, réed. Dalloz,

2002, p. 962.
77 Gérard PEKASSA NDAM, « La notion d’administration publique dans la jurisprudence

de la Cour de Justice de l’Union Européenne », RDP, n°2, 2012, p. 373.


180
nécessaire de l’Etat souverain »78. Il est nécessaire que le législateur procède à
une clarification formelle de la solidarité de paiement car comprendre un
mot revient à savoir ce qu’il représente, ce à quoi il se réfère79. Au
Cameroun, on est très loin de l’idée selon laquelle « toutes les législations
contemporaines se caractérisent par une tendance à utiliser des systèmes de perception
simples, peu coûteux et efficaces »80.
Cette situation longtemps dénoncée81, reste malheureusement
d’actualité82. En attendant une clarification législative, le juge83 doit
prendre ses responsabilités pour faciliter la compréhension de la notion
juridique de solidarité de paiement. Dans l’interprétation des textes, le juge
doit s’efforcer de retenir une explication qui soit conforme à la réalité
économique, en s’écartant, si besoin, d’un raisonnement purement
juridique84. C’est d’autant plus important dans la mesure où « la fonction
juridictionnelle est appelée à s’exercer toutes les fois qu’il existe une contestation pour
laquelle il faut procéder soit à une application, soit à une interprétation de la loi »85.
L’interprétation doit pouvoir produire des effets de droit86. Les
caractéristiques formelles d’une bonne norme nous aident à garantir un
degré minimum d’efficacité. Dans le cas où une norme est claire et
intelligible et en même temps simple, son application et son acceptation
seront facilitées87.
Ainsi, dans la clarté de la norme juridique, le principal critère est
l’intelligibilité pour le destinataire et l’exécuteur de la norme88. Lorsque le
citoyen ou l’exécuteur ne comprennent pas la norme notamment fiscale,

78 Jacques BUISSON, « Impôt et souveraineté », in Arch. Phil. Droit, Paris, Dalloz, 2002, t.
46, p. 26.
79 Robert MBALLA OWONA, La notion d’acte administratif unilatéral au Cameroun…, op. cit.,

p. 19.
80 Paul DURANT, La politique contemporaine de sécurité sociale, Paris, Dalloz, 1953, p. 151.
81 Paul AMSELEK, « Une curiosité du droit public financier : les impositions autres que

fiscales ou parafiscales », in Mélanges offerts à Marcel WALINE. Le juge et le droit public, Paris,
LGDJ, 1974, p. 89.
82 Paul AMSELEK, « Un phénix du droit public financier : les impositions quasi-fiscales »,

in Gouverner, administrer, juger. Liber amicorum Jean WALINE, Paris, Dalloz, 2002, pp. 111-
134.
83 Le juge qui est « souvent appelé à déterminer la portée exacte de concepts, est enfermé dans le cadre

étroit du litige qui lui est soumis et pour la solution duquel, en l’absence de prescriptions légales
indiscutables, il doit respecter un équilibre entre l’équité et la nécessité de la contribution publique ». Lire
Gérard TOURNIE, « De l’impôt et des mots : réflexion sur le déficit conceptuel du droit
fiscal », op. cit., p. 611.
84 Bernard PLAGNET, « Le raisonnement économique dans la jurisprudence fiscale », in

Constitution et Finances publiques, op. cit., pp. 529-530.


85 Raymond CARRE de MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’Etat, Paris, Dalloz, t.

1, 2004, p. 696.
86 L. BOY, « Normes techniques et normes juridiques », Cahiers du Conseil constitutionnel,

n°21, op. cit., p. 4.


87 Azadeh A. SHAHRBABAKI, La qualité des normes. Etudes des théories et de la pratique, op.

cit., p. 56.
88 Anne JENNEQUIN, « L’intelligibilité de la norme dans les jurisprudences du Conseil

constitutionnel et du Conseil d’Etat », RFDA, septembre-octobre 2009, p. 213.


181
cela peut avoir une influence sur les ressources publiques. Or, les textes
brillent par leur insuffisance dans la définition terminologique de la
solidarité de paiement, le déni entraine des conséquences.
b. La conséquence d’une indétermination de la solidarité de
paiement
Pour le Professeur Paul-Gérard POUGOUE, « l’exigence de
prévisibilité invite le législateur à ne pas utiliser les dispositions imprécises ou ambiguës
et de faire preuve de cohérence en assurant la coïncidence des dispositions d’une loi avec
les objectifs poursuivis »89. L’imprécision des termes d’une loi peut engendrer
des problèmes relatifs à la primauté du droit ou à la portée excessive. On
tombe alors dans le phénomène de « l’effet paralysant » qui est une forme
particulière de portée excessive pouvant se manifester à cause de
l’imprécision d’une loi90 notamment la loi fiscale. Avant d’être appliquée
par l’administration fiscale, la loi n’a effectivement pas encore de portée
excessive. Par ailleurs, l’imprécision peut parfois engendrer des conflits
entre le Fisc et le contribuable.
Cette situation découle de la prémisse selon laquelle les citoyens, et
plus particulièrement les contribuables désirant exercer les activités
protégées par la loi, doivent bénéficier d’une certaine marge de manœuvre
à l’intérieur de laquelle ils peuvent agir sans crainte de sanctions légales91.
Lorsqu’une loi fiscale est imprécise et crée une portée excessive
uniquement à l’étape judiciaire, les risques d’abus peuvent être évités par
des mécanismes juridiques de contrôle des décisions.
L’imprécision de la solidarité de paiement, devra être régulée par le
juge dans le cadre de son pouvoir d’interprétation. Autrement dit, l’on se
retrouverait dans une espèce de crise de la loi fiscale. La loi doit être d’un
abord facile, afin de parvenir aisément à ses destinataires que sont les
citoyens92 : c’est l’exigence d’accessibilité. Sa présentation doit être
agréable, son style simple93 et son volume raisonnable : c’est l’exigence

89 Paul-Gérard POUGOUE, « Les figures de la sécurité juridique », RASJ, vol. 4, n°1, 2007,
p. 5.
90 Marc RIBEIRO, « Le problème constitutionnel de l’imprécision des lois », Revue Juridique

Thémis, n°32, 1998, p. 724.


91 L’expérience démontre que dans l’incertitude, les individus préfèreront souvent

autocensurer leur conduite plutôt que de courir le risque d’être punis pour leurs gestes.
Dans l’affaire Comité pour la République du Canada, le juge L’Heureux-Dube a exposé le
problème de la façon suivante : « les droits et libertés doivent être protégés et non entravés. Les lois
imprécises qui entraves les libertés fondamentales créent une voie parsemée d’incertitude sur laquelle les
citoyens ont peur de s’engager, craignent des sanctions d’ordre juridique. L’imprécision ne sert qu’à semer la
confusion, et la plupart des gens éviteront d’exercer leurs libertés plutôt que de risquer une sanction ». Cf.
Comité pour la République du Canada contre Canada (1991) 1 R.C.S. 139, 210 confirmé
dans R. contre nova Scotia Pharmaceutical Society (1992) 2 R.C.S. 606, 632.
92 Guillaume DUPUY-MONTBRUN, Raphael LEONETTI, « Droit accessible et droit

acceptable », Jurisdoctoria, n°1, 2008, pp. 77-90.


93 Daniel GUTMANN, « L’objectif de simplification du langage législatif », in Nicolas

MOLFESSIS (dir.), Les mots de la loi, Paris, Economica, 1999, pp. 73 et suivants.
182
d’intelligibilité94. Le Professeur BILOUNGA Steve Thiery note qu’« en
droit public camerounais, la lettre de la loi connait souvent des problèmes d’omission des
précisions essentielles, utiles à son intelligibilité »95. En droit fiscal, cette situation
peut engendrer deux conséquences.
La première conséquence en est que, l’imprécision notionnelle de la
solidarité de paiement observée dans le CGI a pour effet de fausser les
bases techniques de classification96 de la norme qui la consacre, en rendant
ainsi problématique toute initiative d’identification scientifique des lois
dans cet Etat, dont la particularité est la multitude des instruments de
nature et de portée législatives. La seconde conséquence est liée au fait
que, l’imprécision notionnelle de la solidarité de paiement est à même
d’hypothéquer la mise en œuvre efficace du CGI, en rendant difficile son
application et en suscitant un environnement d’insécurité juridique chez
les contribuables. Elaborées afin d’être reçues, comprises et appliquées de
manière concrète et efficace par ses principaux destinataires, les
imperfections inhérentes au processus de conception, de fabrication et de
vulgarisation des législations fiscales pourraient rendre ces actes ineffectifs
pour inaccessibilité ou inintelligibilité du fait même de l’indifférence qui les
caractérise notamment pour ce qui est des fiscalités spécifiques.
B. L’indifférence des textes régissant les fiscalités spécifiques
Les lois généralement mal conçues regorgent très souvent des
notions imprécises, avec pour conséquence une mauvaise application et de
ce fait sources d’insécurité pour leurs sujets, car elles ont pour
dénominateur commun une qualité incertaine. L’incertitude est liée au fait
que les textes régissant les fiscalités spécifiques sont totalement silencieux
(1) sur la notion de solidarité de paiement, nécessitant qu’on se réfère au
texte à caractère général (2).
1. Le silence des textes régissant les fiscalités spécifiques
La problématique d’indétermination juridique de la solidarité de
paiement en droit fiscal camerounais risque d’entamer sa mise en œuvre
efficace, en pervertissant ses actes techniques de classification théorique et
ses facteurs de bonne application pratique97. L’idée du silence du droit98,

94 Philippe MALAURIE, « L’intelligibilité des lois », Pouvoirs, n°114, 2005, pp. 131-138.
95 Stève Thiery BILOUNGA, « La crise de la loi en droit public camerounais », in Maurice
KAMTO, Stéphane DOUMBE-BILLE, Brusil Miranda METOU (dir.), Regards sur le droit
public en Afrique. Mélanges en l’honneur du Doyen Joseph-Marie BIPOUN WOUM, Paris,
L’Harmattan, coll. Etudes africaines, 2016, p. 108.
96 Paul-Marie GAUDEMET, « Les classifications en droit constitutionnel », RDP, juillet-

août 1989, pp. 945-979.


97 Serge LASVIGNES, « Sécurité juridique et qualité de la réglementation : quelques

considérations pratiques », Cahiers du Conseil constitutionnel, n°11, 2001, pp. 170-176.


98 Jean CARBONNIER, Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, Paris, LGDJ,

2001, 10e éd., p. 9. L’éminent juriste parle de « non droit » pour signifier l’absence du droit
dans certains rapports sociaux où il aurait vocation, du moins théoriquement, à être
présent.
183
bien qu’elle soit dérangeante, n’est plus discutable aujourd’hui. Le silence
étant par essence toujours protéiforme, sa rencontre avec le droit ne peut
se faire que de manière plurielle et variée : les silences du droit99. Ces
silences du droit sont observés en droit fiscal notamment en ce qui
concerne la notion de solidarité de paiement. Cela est vérifiable dans la loi
portant fiscalité locale (a) que dans les textes sans rapport avec la fiscalité
locale (b).
a. Le silence de la loi portant fiscalité locale
Si, comme le fait observer le Professeur Pierre DELVOLVE, la
règle juridique, lorsqu’elle est adoptée, rompt le silence100. Cependant, elle
ne saurait tout dire sur la conduite qu’elle a vocation à régir, si bien qu’il
est de nombreux cas où les parties au contentieux fiscal sont confrontées
au silence du droit. Ce silence ne tient, toutefois pas toujours au contenu
de la norme fiscale ; il est des cas où il vient de ce que la législation fiscale
peine à s’appliquer.
La loi portant fiscalité locale ne fait pas mention de la solidarité de
paiement en droit camerounais, renvoyant ainsi implicitement et
explicitement aux dispositions du Code Général des Impôts et du Livre
des Procédures Fiscales. Pour s’en convaincre, soulignons que « (…) les
procédures fiscales applicables aux droits et taxes de l’Etat sont reprises mutatis
mutandis pour l’assiette, l’émission, le recouvrement, les poursuites, le contrôle et le
contentieux des impôts, taxes et redevances dus aux communautés urbaines, aux
communes d’arrondissement et aux régions »101. Le silence du mécanisme de la
solidarité fiscale nous paraît étrange dans un contexte où l’économie est
fortement envahie par le secteur informel et que la fiscalité locale absorbe
une bonne partie des activités menées par les contribuables.
Dans la plupart des cas, le silence du droit fiscal en particulier est le
plus souvent contingent, fortuit, involontaire. Cette présence fréquemment
accidentelle du silence s’explique par le caractère essentiellement
perfectible de l’œuvre de création du droit. Le droit est lacunaire, se taisant
alors qu’il n’a pas souhaité le faire. « Malgré la volonté des instances de création du
droit de réduire le silence au silence, ce dernier comme un fantôme continue de hanter le
droit en trompant sa vigilance pour se glisser dans ses interstices »102. Ces silences du
droit qualifiés de « silences-omissions »103 continueront à cohabiter avec le
droit tant qu’il demeurera une œuvre humaine marquée par sa
perfectibilité.
En droit, l’étude des concepts porte sur la déclinaison des contenus
respectifs des notions envisagées. Il s’agit de l’œuvre de définition des

99 Marcel Urbain NGAH NOAH, « Quelques réflexions sur le silence et le droit : essai de
systématisation », Les cahiers de droit, vol. 56, n°3-4, septembre-décembre 2015, p. 580.
100 Pierre DELVOLVE, « Le silence en droit public », RDP, n°4, juillet 2012, p. 1171.
101 Article 1er al 4 de la loi n°2009/019 du 15 décembre 2009 portant fiscalité locale.
102 M. U. NGAH NOAH, « Quelques réflexions sur le silence et le droit : essai de

systématisation », op.cit., p. 588.


103 Ibid.

184
termes en question. A ce sujet, la loi semble connaitre un réel problème de
détermination en droit public en général et droit fiscal en particulier au
Cameroun suite à la crise de son processus de conception. Définir
fidèlement la loi fiscale, c’est-à-dire ressortir son contenu théorique exact,
semble relever d’une véritable gageure du fait de la malléabilité de son
concept.
L’urgence s’impose pour le juge constitutionnel camerounais de
suivre les pas de son homologue français, qui dans une décision, a
clairement affirmé que « la loi a pour vocation d’énoncer des règles et doit par la
suite être revêtue d’une portée normative »104. Elle a pour fonction première
d’imposer une règle de droit précise105. Ainsi, là où la loi se ferait
silencieuse, notamment la loi portant fiscalité locale, le discours des
tribunaux comble ce silence106. En son temps, ARISTOTE avait déjà
préconisé une solution face à l’omission du législateur. Pour lui, lorsque la
loi s’exprime pour la généralité des cas, et que postérieurement il se
produit quelque chose qui contrarie ces dispositions générales, il est
normal de combler la lacune laissée par le législateur et de corriger
l’omission imputable au fait même qu’il s’exprimait en général.
Il va plus loin en ajoutant que « le législateur lui-même, s’il était présent, y
consentirait et, s’il eût prévu la chose, eût introduit des précisions dans la loi. Aussi ce
qui est équitable est-il juste, supérieur même en général au juste, non pas au juste en soi,
mais au juste qui, en raison de sa généralité, comporte de l’erreur. La nature propre de
l’équité consiste à corriger la loi, dans la mesure où celle-ci se montre insuffisante, en
raison de son caractère général. Voilà pourquoi tout n’est pas compris dans la loi
(…) »107. Cette dernière position pourrait sans doute expliquer et justifier le
silence de la loi portant fiscalité locale quant au mécanisme de la solidarité
de paiement. Il est impératif que cet instrument soit pris à bras le corps par
le législateur dans le domaine de la fiscalité locale, même en ce qui
concerne les textes non liés à cette fiscalité.
b. Le silence des textes non liés à la fiscalité locale
En tant que « lieu géométrique de tous les enseignements juridiques »108, « le
droit fiscal apparait comme un droit caméléon qui change de coloration selon la
perspective à partir de laquelle il est étudié »109. Au-delà du CGI et du LPF qui

104 Décision n°2005/512/DC du 21 avril 2005 relative à la constitutionnalité de la loi


d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école.
105 Stève Thiery BILOUNGA, « La crise de la loi en droit public camerounais », op. cit., p.

123.
106 Stéphane BERNATCHEZ, « Briser la loi du silence sur le silence de la loi : de

l’interprétation sémantique à l’application pragmatique du droit », Les Cahiers de droit, n°3-4,


2015, p. 236.
107 ARISTOTE, Ethique de Nicomaque, Paris, Garnier-Flammarion, 1965, pp. 146-147.
108 Jean-Claude MARTINEZ et Pierre DI MALTA, Droit fiscal contemporain, t. 1, L’impôt, le

fisc, le contribuable, Paris, Litec, 1986, p. 172.


109 Florence DEBOISSY, La simulation en droit fiscal, Paris, LGDJ, Bibliothèque droit privé,

t. 276, 1997, p. 23.


185
évoquent dans plusieurs dispositions la notion de solidarité de paiement
sans la définir, les lois spécifiques sont muettes sur la question. Il se trouve
que dans divers textes ayant trait aux fiscalités spécifiques, ce mécanisme
n’est pas consacré. C’est le cas par exemple avec la loi n°2016-17 du 14
décembre 2016 portant code minier au Cameroun. Cette loi prévoit le
prélèvement d’un impôt synthétique minier libératoire de 25% de la
production brute de chaque site dans le cadre de l’exploitation artisanale
semi-mécanisée des substances minérales110, sans toutefois consacrer un
mécanisme qui garantisse ce prélèvement à l’instar de la solidarité de
paiement. Les autres dispositions fiscales de cette loi sont également
indifférentes à ce mécanisme de solidarité de paiement111.
L‘inexistence de la notion de solidarité de paiement dans les textes
spécifiques est aussi perceptible dans la loi n°2012/006 du 19 avril 2012
portant code gazier. Cette loi dispose que tout exploitant du secteur gazier
aval est soumis au versement d’une redevance dont le taux est propre à
chacun des régimes visés par la loi112. L’alinéa 2 de l’article 61 de cette loi
indique que les redevances sont payables trimestriellement à terme échu, le
premier paiement intervenant six mois après la fin de l’exercice comptable
concerné. Si de telles échéances de recouvrement sont prévues, il faut
déplorer le fait que cela se fasse sans mécanismes de garantie prévus par la
loi à l’instar de la solidarité de paiement. Ce cas de figure est également
observé dans la loi n° 94/01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts,
de la faune et de la pêche. Cette loi dispose qu’en cas de ventes de coupes
ou encore de convention d’exploitation forestière, les charges financières
sont constituées d’un certain nombre de prélèvements obligatoires113. En
revanche, aucun mécanisme garantissant le recouvrement de ces
prélèvements tel que la solidarité de paiement n’y a été prévu. Il en va de
même de la loi n°77-10 du 13 juillet 1977 portant institution d’une
contribution au Crédit foncier. Si ce texte a prévu le mécanisme de
recouvrement de la contribution par la retenue à la source sur le salaire des
travailleurs114, il est en revanche silencieux sur le mécanisme de solidarité
de paiement.
Une question fondamentale est soulevée par le problème du silence
législatif, lequel entraîne une indétermination du droit. C’est d’ailleurs
pourquoi la question de l’application par le juge, d’une règle floue,
indéterminée, interprétative, a depuis toujours préoccupé les juristes. Déjà,
PLATON et ARISTOTE débattaient de la question de savoir s’il vaut
mieux être gouverné par les hommes les meilleurs ou par les lois les

110 Article 28 de la loi n°2016-17 du 14 décembre 2016 portant Code minier au Cameroun.
111 Il s’agit entre autre des articles 105, 111, 170 et suivants.
112 Article 61 de la loi n°2012/006 du 19 avril 2012 portant Code gazier.
113 Article 61 de la loi n°94/01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et

de la pêche.
114 Article 7 de la loi n°90/050 du 19 décembre 1990 modifiant la loi n° 77-10 du 13 juillet

1977 portant institution d’une contribution au crédit foncier et fixant la part de cette
contribution destinée au fonds national de l’emploi.
186
meilleures115. PLATON faisait savoir, selon sa fameuse théorie du
Philosophe-roi, que jamais les lois n’auront suffisamment de sagesse pour
embrasser le tout, en raison de leur trop grande généralité116. Il se rendra
finalement à la primauté des lois, en maintenant toutefois qu’elles
demeurent trop générales117, ce à quoi ARISTOTE répondait qu’aucune
passion n’est avantageusement attachée aux lois118. Pour ce philosophe,
l’omission du législateur pouvait être corrigée par l’équité.
L’absence de clarification de la notion de solidarité de paiement en
droit fiscal camerounais n’est pas seulement observée dans les textes
législatifs, c’est également le cas dans les textes règlementaires. Si certains
textes évoquent sans la définir la solidarité de paiement119, d’autres textes
règlementaires sont silencieux sur ladite solidarité en matière fiscale. Or,
pour que la logique de performance de l’administration publique
camerounaise soit une réalité en matière fiscale, il est important que des
mécanismes de garantie du recouvrement de l’impôt soient davantage
consacrés par les lois. C’est un impératif lorsque le Professeur Gérard
PEKASSA NDAM nous rappelle que « l’administration fiscale est astreinte à
collecter, au cours d’un exercice fiscal, des ressources fiscales d’un montant précis afin de
contribuer à l’exécution du budget de l’Etat »120.
Toutefois, ce silence des textes à caractère particulier sur la notion
de solidarité de paiement est comblé par la référence au texte de fiscalité
générale.

115 ARISTOTE, Les politiques, Paris, Flammarion, 1990, p. 262 : « Le point de départ de la
recherche est celui-ci : est-il plus avantageux d’être gouverné par l’homme le meilleur ou par les lois les
meilleures ? ».
116 Dans le dialogue Le Politique , Platon, Sophiste, Politique, Philèbe, Timée, Critas, Paris,

Garnier-Flammarion, 1969, pp. 226 et 227, écrit : « il est évident que la législation appartient
jusqu’à un certain point à la science royale, et cependant l’idéal n’est pas que la force soit aux lois, mais à
un roi sage. Sais-tu pourquoi ? (…) C’est que la loi ne pourra jamais embrasser exactement ce qui est le
meilleur et le plus juste pour tout le monde à la fois, pour y conformer ses prescriptions : car les différences
qui sont entre les individus et entre les actions et le fait qu’aucune chose humaine, pour ainsi dire, ne reste
jamais en repos interdisent à toute science, quelle qu’elle soit, de promulguer en aucune matière une règle
simple qui s’applique à tout et à tous les temps ».
117 PLATON, Les lois, Paris, Gallimard, 1997, p. 197.
118 ARISTOTE, Les politiques, op.cit., p. 262.
119 C’est le cas du décret n°98/009/PM du 23 janvier 1998 fixant l’assiette et les modalités

de recouvrement des droits, redevances et taxes relatifs à l’activité forestière, dont l’article 8
al 3 dispose : « pour les ventes de coupe, les concessions, les licences ou tout autre titre exploité par tiers
interposé, le concessionnaire est solidairement responsable du paiement de la taxe d’abattage ou du prix de
vente dû par le débiteur du titre d’exploitation ». Dans le même sens, voir les articles 9 et 10 du
décret n°2000/961/PM du 08 décembre 2000 fixant l’assiette ainsi que les modalités de
recouvrement et de contrôle des taxes applicables aux productions animales et halieutiques.
120 Gérard PEKASSA NDAM, « Les transformations de l’administration fiscale

camerounaise », in Magloire ONDOA (dir.), L’administration publique camerounaise à l’heure des


réformes, Yaoundé, Harmattan-Cameroun, 2010, p. 43.
187
2. La référence au texte de fiscalité générale
L’évolution sociale implique nécessairement que le droit doit courir
après les faits pour essayer de les saisir. L’intervalle, le décalage existant
entre l’état des faits sociaux et le degré d’encadrement juridique justifie
l’existence des vides, le temps pour le droit de se mettre à niveau121,
notamment les textes sur la fiscalité spécifique dans le contexte
camerounais. Rendons-nous à l’évidence : le droit n’est pas complet. Face
au silence des textes spécifiques sur l’évocation et même la définition de la
notion de solidarité de paiement, certaines dispositions renvoient au texte
à caractère général notamment le Code Général des Impôts (a) et le Livre
des Procédures Fiscales (b).
a. Le renvoi au Code Général des Impôts
Le silence des textes de fiscalité spécifique sur la notion de solidarité
de paiement nécessite que l’on se réfère aux textes à caractère général pour
l’application de ce mécanisme notamment le CGI et le LPF. Il peut s’agir
d’une référence par renvoi ou d’une référence par énumération. La
référence par renvoi s’entend de l’hypothèse où un texte spécifique peut
renvoyer aux dispositions d’un texte général pour l’application d’une
procédure. C’est notamment le cas de la loi n°94/01 du 20 janvier 1994
portant régime des forêts, de la faune et de la pêche. Dans ses dispositions
financières et fiscales, cette loi opère un renvoi au CGI pour l’application
de certains procédés122. On peut affirmer que la carence d’un texte est très
souvent comblée par un autre qui peut être général ou spécifique selon les
cas. Il est également possible d’opérer une référence par énumération123
après le constat d’une carence du texte spécifique. Ainsi, en cas de silence
des textes particuliers sur une question, on se réfère au CGI.
La solidarité de paiement n’étant pas clarifiée dans les textes de
fiscalité spécifique, le texte auquel il faut se référer est le CGI, car ce texte
précise les hypothèses de recours à la solidarité de paiement. C’est
notamment le cas avec l’article 1er alinéa 4 de la loi n°2009/019 du 15

121 Jean-Louis BERGEL, « A la recherche des concepts émergents en droit », Recueil Dalloz,
n°24, 2012, p. 1567.
122 Article 66 al 1er de la loi n°94/01 du 20 janvier 1994 précitée.
123 La référence par énumération s’entend de l’hypothèse où, au-delà de l’existence des

textes particuliers sur la fiscalité, le texte général a énuméré dans ses dispositions certains
domaines qui font déjà l’objet de textes particuliers bien que ces derniers soient insuffisants
sur une question. C’est le cas du Code Général des Impôts, qui en plus d’être un texte
général, a pris le soin d’énumérer des dispositions spécifiques à certains domaines
particuliers de la fiscalité. Ainsi, au-delà des dispositions générales, on y retrouve des
dispositions sur la fiscalité locale et sur des fiscalités spécifiques telles que la fiscalité
pétrolière, la fiscalité minière, la fiscalité forestière, la fiscalité des concessions de service et
la fiscalité des investissements pour ne citer que celles-là. Ces fiscalités particulières, en plus
d’être consacrées dans le Code Général des Impôts, font l’objet de textes particuliers.
188
décembre 2009 portant fiscalité locale124. Malgré les risques du silence de la
loi, notamment la loi portant fiscalité locale, certains voient en cette
manière de faire du législateur, des avantages. C’est la position de Fabien
GELINAS qui estime que « le silence n’a pas que des vices : il a même des vertus
insoupçonnées »125 car on pourrait avoir à faire à une « lacune de convenance »126.
Le législateur mobilise le silence comme un instrument de politique
législative. Celui-ci peut choisir de garder volontairement le silence sur telle
ou telle facette de la réalité réglementée. L’organe législatif estime que « son
office est de fixer par de grandes vues, les maximes générales du droit, d’établir des
principes féconds en conséquence et non de se rendre dans le détail des questions qui
peuvent naitre sur chaque matière »127. Dans ce sens, « le silence se présente comme
un ennemie que chacun sait irréductible, qui est combattu sans répit, avant d’être
apprivoisé un peu : un ennemie qu’il est possible d’apprécier au final. Car la loi comme
la musique, n’est rien sans interprète, celui pour qui et par qui le silence s’exprime et
devient matière première »128.
Le silence observé dans les législations fiscales participe d’un choix
délibéré de politique législative car comme l’affirme le Professeur Paul
Gérard POUGOUE, « tout système juridique est également dominé par les buts qui
lui sont assignés »129. Ce qui est vrai pour la politique législative l’est aussi
pour la politique jurisprudentielle, le choix d’une option entrainant
nécessairement l’exclusion d’autres. Les choix faits dans le contexte d’une
politique juridique peuvent être à l’origine de ce qu’il convient d’appeler le
« silence-option »130 du droit. Ce type de silence fait écho à un autre qui est la
conséquence de la perfectibilité des instances de création du droit : le
« silence-omission ». Il peut arriver que les silences du droit ne soient pas
prémédités, mais simplement fautifs parce qu’ils résultent d’omissions
involontaires.
En somme, les silences, les lacunes du droit sont le résultat de la
combinaison de plusieurs facteurs. L’incomplétude du droit présente un
aspect matériel qui se dédouble, ce qui met en exergue les lacunes internes
du droit, tout comme son incapacité à résoudre de manière exhaustive la

124 L’article dont il s’agit dispose que « sauf dispositions spécifiques de la présente loi, les procédures
fiscales applicables aux droits et taxes de l’Etat sont reprises mutatis mutandis pour l’assiette, l’émission, le
recouvrement, les poursuites, le contrôle et le contentieux des impôts, taxes et redevance dus aux
communautés urbaines, aux communes d’arrondissements et aux régions ».
125 Fabien GELINAS, « Codes, silence et harmonie. Réflexion sur les principes généraux et

les usages du commerce dans le droit transnational des contrats », Les cahiers du droit, n°4,
vol. 46, 2005, p. 942.
126 Cette expression est empruntée à Jean SALMON, « Quelques observations sur les

lacunes du droit international public », Revue belge de Droit international, 1967, p. 441.
127 Michel COURDEC, « Les fonctions de la loi sous le regard du commandeur », Pouvoirs,

n°114, 2005, pp. 23s.


128 Fabien GELINAS, « Codes, silence et harmonie. Réflexion sur les principes généraux et

les usages du commerce dans le droit transnational des contrats », op. cit., p. 942.
129 Paul-Gérard POUGOUE, « Les figures de la sécurité juridique », op. cit., p. 4.
130 M. U. NGAH NOAH, « Quelques réflexions sur le silence et le droit : essai de

systématisation », op.cit., p. 588.


189
réalité sociale131. Le silence observée dans la loi portant fiscalité locale
aboutit à un renvoi au Livre des Procédures Fiscales.
b. Le renvoi au Livre des Procédures Fiscales
Plusieurs textes de fiscalité spécifique, sans même énoncer la notion
de solidarité de paiement, renvoient aux dispositions du LPF lorsqu’il est
question de procéder au recouvrement des impôts par divers mécanismes
y compris le mécanisme de la solidarité. C’est notamment le cas de la loi
n°2009/019 du 15 décembre 2009 portant fiscalité locale132. Cette loi qui
détermine les impôts, taxes et redevances prélevés au profit des
collectivités territoriales décentralisées, est curieusement silencieuse sur le
mécanisme de solidarité de paiement.
Pour combler cette lacune, certaines de ses dispositions revoient au
LPF pour le recouvrement de certains impôts. C’est notamment le cas
pour l’émission et le paiement de la patente133 ; les procédures d’assiette,
d’émission, de recouvrement ainsi que les poursuites et le contentieux
relatif aux centimes communaux134 et même en matière de taxe de
développement local135. Il est à constater que, face au silence de la loi
portant fiscalité locale sur la notion de solidarité de paiement, renvoi est
fait au texte de fiscalité générale136. Cette procédure est salutaire dans une
situation de silence législatif du fait de l’impératif rendement fiscal et de la
qualité des rapports qui existent entre le fisc et le contribuable. Ce denier
pourrait profiter du mutisme de la loi fiscale pour tenter de se dérober de
son obligation de s’acquitter de l’impôt.
Outre le renvoi à d’autres textes pour pallier la lacune d’une loi,
l’approche préconisé pour résoudre le problème de l’indétermination du
droit a consisté à la fois à formuler des règles d’interprétation pour
résoudre l’indétermination sémantique des règles juridiques. Mais d’où
viendrait-il que ces règles interprétatives ne souffriraient pas de la même
indétermination que les règles juridiques elles-mêmes et à chercher la

131 Cette perspective substantielle est amplifiée par une approche temporelle qui insiste sur
le caractère dynamique, évolutif et changeant de la réalité sociale. Pour ce qui est de la
contribution de l’attitude des instances d’élaboration du droit dans le cas de la survenance
des silences du droit, elle se résume tantôt à créer délibérément le silence du droit à travers
des choix de politique juridique, tantôt à l’engendrer involontairement par des omissions
dans le travail d’encadrement des rapports sociaux.
132 Cf. Article 1er al 4.
133 Article 28 de la loi n°2009/019 du 15 décembre 2009 portant fiscalité locale.
134 Article 54 al 3, ibid.
135 Article 60, ibid.
136 Il n’existe pas en droit camerounais de recours en manquement ou en carence contre

l’inertie du législateur à l’instar de l’article 175 du traité de Rome du 25 mars 1957 devenu
l’article 232 du traité instituant la communauté européenne. L’initiative de légiférer relève
du pouvoir souverain du parlement ou du Président de la République. Même si l’adoption
d’une loi constitue une obligation résultant d’un texte constitutionnel ou d’un engagement
international, aucune juridiction camerounaise ne peut contraindre le parlement ou le
Président de la République ni même leur adresser formellement l’injonction d’adopter une
loi.
190
solution dans le mentalisme du juge, car les règles interprétatives sont
supposées agir comme des guides pour la conscience137. Le jugement
juridique serait rendu possible par une règle, c’est-à-dire une règle
interprétative qui remplirait une fonction heuristique d’orientation. Au
surplus, « l’approche herméneutique présuppose données des règles dans l’esprit du juge
lui permettant de subsumer la variété des situations particulières sous les catégories
générales de la moralité institutionnelle (les principes) »138.
Au-delà du recours à la technique de l’interprétation par le juge,
d’autres procédures qui malheureusement ne sont pas encore réelles au
Cameroun, permettent de pallier à la problématique du silence législatif.
C’est notamment le cas en France où le Conseil constitutionnel censure les
lois donnant lieu à une pluralité d’interprétation, ainsi que les lois
silencieuses139. Le Conseil censure également les lois ambiguës140 au point
où l’on peut se demander, à la suite de Florence GALLETTI, s’il existe
une obligation de bien légiférer141. En tout état de cause, ce n’est pas le cas
en droit positif camerounais où le législateur n’est pas soumis à une telle
contrainte, car aucune action ne saurait être entreprise contre lui dans ce
sens. Toutefois, il est important que le travail législatif aboutisse à une
législation suffisamment précise sur la solidarité de paiement pour que l’on
ne soit plus confronté à des incompréhensions entre le contribuable et le
fisc dans son utilisation opérationnelle.
II. L’utilisation opérationnelle de la solidarité de paiement
Alors que les outils de définition des termes, notions ou concepts
juridiques sont nombreux, le travail de définition est entrepris de façon
variable dans le champ juridique. Tant dans les discours juridiques que
dans ceux qui les analysent, il est fréquent d’être confronté à une absence
de définition, à des définitions présentant des degrés sensiblement
différents de précision, ou encore à une pluralité de définitions142.

137 Sur les règles d’interprétation conçues comme des guides pour la conscience, voir Pierre
André COTE, Interprétation des lois, Montréal, Thémis, 3e éd., 1999, p. 45.
138 Jacques LENOBLE, « La question de l’application en droit au-delà d’une approche

herméneutique », Mélanges Jacques Van COMPERNOLLE, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 327.


139 Cf. Décision n°85-191 DC du 10 juillet 1985 relative à la loi portant diverses

dispositions d’ordre économique et financier. Voir également la Décision n°85-198 DC du


13 décembre 1985, afférente à la loi modifiant la loi n°82-652 du 29 juillet 1982 et portant
diverses dispositions relatives à la communication audiovisuelle.
140 En guise d’illustration, on peut citer la Décision n°99-423 DC du 13 janvier 2000

concernant la loi relative à la réduction négociée du temps de travail. Il en est de même


dans sa décision n°2004-499 DC du 29 juillet 2004 concernant la loi du 6 janvier 1978
relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
141 Florence GALLETTI, « Existe-t-il une obligation de bien légiférer ? Propos sur

l’incompétence négative du législateur dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel »,


RFDC, n°58, 2004, pp. 387-417.
142 Véronique CHAMPEIL-DESPLATS, Méthodologies du droit et des sciences du droit, op. cit.,

p. 310.
191
A défaut d’une définition terminologique, la législation
camerounaise consacre un ensemble de définitions réelles rattachées à la
notion de solidarité de paiement en matière fiscale. De par son procédé,
« la définition réelle consiste en une détermination substantielle des éléments et des
attributs spécifiques du concept envisagé. Par son caractère général et abstrait, elle
dessine pour un concept le modèle de comparaison permettant d’y confronter des
situations concrètes grâce aux traits qui le caractérisent »143. En parcourant le Code
Général des Impôts incluant le Livre des Procédures Fiscales, à
l’observation de la pratique au niveau des administrations fiscales il se
dégage en substance que la solidarité de paiement est une garantie de
bonification (A) et sécurisation des recettes fiscales (B).
A. Une garantie de bonification des recettes fiscales
Les transformations de l’administration fiscale camerounaise144
visaient un objectif d’efficacité du recouvrement de l’impôt dans un
contexte rendu difficile non seulement par l’ajustement structurel, mais
également du fait des crises sécuritaires et sanitaires qui ont secoué
l’économie145. Se situant à un niveau d’endettement élevé mais
soutenable146, l’Etat camerounais fonde l’essentiel de ses espoirs de

143 Jean-Louis BERGEL, Théorie générale du droit, op. cit., p. 235.


144 G. PEKASSA NDAM, « Les transformations de l’administration fiscale camerounaise »,
op. cit., pp. 29-65.
145 En dépit de ces différentes crises, l’on note la résilience de l’économie camerounaise

comme l’atteste par exemple le Rapport de la Direction générale des impôts (DGI) de
2015. Ainsi, malgré la situation difficile, le taux de croissance du Cameroun en 2015 s’est
maintenu à 5,8% grâce à une économie particulièrement diversifiée. La DGI a mobilisé au
terme de l’exercice 2015, en se servant aussi du mécanisme de la solidarité de paiement, des
recettes fiscales globales de 1931,1 milliards FCFA dépassant de 230,6 milliards en valeur
absolue et de 13,6% en valeur relative, celles de l’année 2014. Cf. Ministère des finances,
DGI, Rapport annuel 2015, p. 9.
146 Selon les dernières mises à jour de la Caisse Autonome d’Amortissement (CAA),

(http://www.caa.cm consulté le 28 avril 2021 à 12h), l’encours de la dette publique du pays


a atteint 10574 milliards FCFA au 31 mars 2021 contre 10334 milliards au 31 décembre
2020. Ce qui révèle une augmentation de 240 milliards sur trois mois. « Comparé au 31
décembre 2020, cet encours est en augmentation de 2,1% et se compose de 91,1% de dette directe de
garantie par l’administration centrale, et 8,9% de dette des établissements et entreprises publiques »
souligne la CAA. En rapport avec le PIB du pays, cet encours de la dette représente
désormais 44,2% du PIB contre 43,7% du PIB en fin 2020. En effet, relève la CAA, « la
nouvelle série des comptes nationaux en base 2016, élaborée par l’Institut national de la statistique (INS)
a été prise en compte dans le calcul des ratios de dette sur PIB, qui s’est amélioré par rapport à l’ancienne
série (base 2005). Cette révision a permis notamment de baisser le taux d’endettement du secteur public au
31 mars 2021 d’environ 1,6 point du PIB ». Concrètement, l’INS vient de réviser la base de
calcul des comptes nationaux. Ces calculs s’appuient désormais sur la structure réelle de
l’économie camerounaise en 2006, et non plus en 2005, comme ce fut le cas pour les
comptes nationaux produits jusqu’ici. Cette révision, qui a permis de prendre en compte
toutes les mutations du tissu économique entre 2005 et 2016, a eu pour conséquence une
augmentation du PIB du Cameroun induisant de fait une réduction des indicateurs
macroéconomiques rapportés au PIB. C’est ainsi, par exemple que l’encours de la dette
publique au Cameroun au 31 décembre 2021, qui était de 10334 milliards FCFA,
192
financement budgétaire sur le contribuable, en dépit de toutes les
opportunités de financement susceptibles de découler de l’exportation des
produits locaux147. Dans cette logique, l’impératif de rendement fiscal ne
saurait être une réalité que si existent des garanties de recouvrement, dont
la solidarité de paiement. A l’observation du droit fiscal camerounais, ce
mécanisme aboutit au recouvrement de l’impôt auprès du redevable
solidaire (1) et à la neutralisation des poursuites contre le redevable
principal (2).
1. Un moyen de recouvrement de l’impôt auprès du redevable
solidaire
Assurer le recouvrement de l’impôt est une des missions essentielles
de l’Etat qui dispose, pour la mener à bien, d’une administration dont les
pouvoirs n’ont souvent d’égal que la complexité des procédures
susceptibles d’être mises en œuvre148. L’on peut convenir avec l’idée que
« l’impôt est au centre des rapports qui lient une société à l’Etat qui la gouverne »149.
L’objectif premier d’un instrument comme la solidarité de paiement est
l’optimisation du recouvrement des recettes fiscales face à la défaillance du
redevable principal. La loi énonce la possibilité de recouvrer auprès du
redevable solidaire (a) avant d’indiquer les moyens d’opérationnalisation de
ce recouvrement (b).
a. L’énonciation du recouvrement auprès du redevable solidaire
Dans son énoncé, le LPF dispose que l’avis de mise en
recouvrement régulièrement établi est exécutoire non seulement à
l’encontre du contribuable qui y est inscrit, mais à l’encontre de ses
représentants ou ayants droit150. Il s’agit des hypothèses de co-obligation
dans lesquelles chacun des codébiteurs est tenu de l’intégralité de la dette,
ce qui est le cas lorsque l’obligation est solidaire, in solidum ou indivisible151.
A ce titre, sont tenus de payer en l’acquit du redevable sur la demande qui
en est faite par l’agent chargé du recouvrement et à concurrence des
sommes dont ils sont ou seront dépositaires ou débirentiers, tout
employeur, tout fermier ou locataire et, d’une manière générale, tout
débiteur ou tout tiers détenteur. Le tiers détenteur est solidaire du

représentant 46,9% du PIB dans l’ancienne série de base 2005, ne représente désormais que
43,7% du PIB dans a nouvelle série en base 2016.
147 Stève Thiery BILOUNGA, « Les droits du contribuable au Cameroun », Gestion et

Finances publiques, n°1, 2018, p. 111.


148 Raoul TCHATAT NYA, « Les garanties du contribuable en matière de contentieux de

l’assiette et du recouvrement de l’impôt au Cameroun », Revue de l’ERSUMA, n°13, 2020, p.


338.
149 Vanessa IPALA ATANGANA, Le droit de résistance à l’impôt au Cameroun, Mémoire de

Master recherche en droit public, Université de Yaoundé II, 2017-2018, p. 11.


150 Article L 86 du LPF.
151 François TERRE, Philippe SIMLER et Yves LEQUETTE, Droit civil. Les obligations,

Paris, Dalloz, 12e éd., 2018, p. 1293. Voir également Alain BENABENT, Droit des
obligations, Paris, LGDJ, coll. Domat Droit privé, 2017, pp. 586-589.
193
paiement des sommes réclamées en cas de négligence coupable, défaillance
avérée ou complicité établie.
Lorsque la cession des droits portant sur les ressources naturelles ou
des actions ou parts sociales d’une entreprise de droit camerounais est
réalisée à l’étranger, l’entreprise de droit camerounais est solidaire, avec le
cédant, du paiement des droits dus au titre de la cession. En cas de
cession, quelles que soient les conditions, le cessionnaire peut être tenu
pour responsable solidairement avec le cédant du montant des impôts
émis et restant à émettre. Il ne peut être mis en cause qu’au titre de la
période non prescrite et seulement jusqu’à concurrence du prix de cession
si celle-ci est faite à titre onéreux ou de la valeur retenue pour la liquidation
des droits de transmission entre vifs si elle a lieu à titre gratuit. Dans la
pratique, le fisc commence par poursuivre en paiement le redevable. Ce
n’est que si ce dernier est insolvable que l’on enclenche le mécanisme de
solidarité pour une plus grande efficacité de l’action en recouvrement. Il y
a ce pré ordre dans les poursuites.
En 2017, suite au constat de l’accumulation des arriérés fiscaux des
contribuables du secteur forestier, notamment la Redevance forestière
annuelle due par les détenteurs des titres d’exploitation, alors que s’est
développée une pratique opaque de location desdits titres, la loi de
finances pour l’exercice 2018 a instauré le principe de la solidarité de
paiement des impôts, droits et taxes dans ce secteur152. A compter de la
date d’entrée en vigueur de cette réforme, dès qu’un lien d’affaires direct
ou indirect est établi entre les titulaires de titres forestiers ou les
fournisseurs de produits forestiers et les entreprises exploitantes ou
exportatrices desdits produits à travers les contrats de partenariat, les
factures d’achat, les dépôts en usine ou en parc de rupture ou tout autre
élément probant, l’impôt dû peut être réclamé au tiers solidaire.
Le contrat, assise réelle de la solidarité, est, dans la majeure partie
des cas, un contrat de bail ou relatif au fonds de commerce153. Bien plus, la
solidarité peut également découler des liens du mariage. La particularité de
la solidarité au sein des couples institutionnels est d’être imposée par le
législateur. Dans le mariage, un devoir de solidarité est prévu entre les
époux et partenaires154. « Il est considéré que la solidarité fiscale du couple est une
technique de droit privé utilisée par le droit fiscal en vue de faciliter le recouvrement de
l’impôt »155. Il est important de noter qu’« en matière de crise conjugale ou de

152 Cf. article 247 bis (5) de la loi n°2017/21 du 20 décembre 2017 portant loi de finances
du Cameroun pour l’exercice 2018. « L’entreprise exportatrice est solidairement responsable du
paiement des impôts, droits et taxes éventuellement dus par le titulaire du titre forestier dont sont issus les
produits visées à l’alinéa 1er ci-dessus ».
153 L. ARGENTIERI, « La solidarité en matière fiscale : vers la fin de l’exorbitance du droit

fiscal ? », op.cit., p. 718.


154 Ismérie Del VALLE-LEZIER, « Solidarité dans les couples. Les aspects civils », Revue

française des affaires sociales, Avril 2005, p. 83.


155 Célia CAVALIER, L’organisation du patrimoine du couple à l’épreuve du droit fiscal, Thèse de

doctorat en droit, Université Montesquieu-Bordeaux IV, 2013, p. 123.


194
risque d’insolvabilité, le législateur a employé le mécanisme de la solidarité pour éviter
que l’administration ne soit confrontée à des impayés »156. C’est ainsi que le LPF
dispose que « chacun des époux, lorsqu’ils vivent sous le même toit, est solidairement
responsable des impositions assises au nom de son conjoint au titre de l’impôt sur le
revenu des personnes physiques, à l’exception des situations prévues dans le Code
Général des Impôts »157.
Sur cet aspect, Jean-Paul LOUVEAU note « qu’il résulte d’une décision
de la Cour de cassation française que l’impôt sur le revenu constitue une dette définitive
de la communauté dont le règlement par la communauté n’ouvre pas droit à
récompense »158. Il y a une solidarité des époux en matière d’impôt sur le
revenu159. L’administration justifie cette solidarité par la contribution de la
femme aux charges du ménage. L’objectif est de faire face aux risques
d’insolvabilité du mari160. Cette solidarité est fondée sur une imposition
unique par foyer et sur la participation commune de chaque conjoint à la
réalisation et à la jouissance des revenus du ménage, fondés eux-mêmes
sur la communauté d’intérêts161. On peut dire que « la vie en commun dans
l’intimité conjugale fait naitre des devoirs »162. Lorsqu’il y a une communauté de
vie, ce qui est le plus visé, c’est le comportement général des époux qui « se
diversifie en devoir de sincérité, de patience, de solidarité, d’honneur, de courtoisie, de
respect mutuel »163.
De toute évidence, « il ne faut pas étendre artificiellement la solidarité de
manière à détruire la responsabilité ; en d’autres termes, il faut respecter la liberté »164.
Pour une optimisation du rendement fiscal, le législateur a prévu que
« lorsque le recouvrement de certains impôts, droits, taxes et pénalités dus par les sociétés
a été totalement compromis, ou lorsque l’insolvabilité de celles-ci a été organisée par des
manœuvres frauduleuses des personnes qui exercent en droit ou en fait, directement ou
indirectement la direction effective de ces sociétés, ces personnes sont tenues solidairement
responsables du paiement de ces impositions et pénalités »165. Par ce mécanisme,
« l’administration fiscale dispose ainsi d’une action redoutable cachée sous une procédure

156 Ibid., p. 121.


157 Article L 87 du LPF.
158 Jean-Paul LOUVEAU, « Aspects fiscaux du divorce », Revue juridique de l’ouest, numéro

spécial 2006, Bilan d’application de la loi du 26 mai 2004 relative au divorce, p. 131.
159 La solidarité de paiement entre époux pour le paiement de l’impôt est légitime en cas de

maintien de la communauté de vie ou d’intérêts. C’est essentiellement lorsque l’époux


poursuivi en solidarité est séparé du conjoint, en instance de divorce ou divorcé, que la
mise en œuvre de ladite solidarité entraine des situations difficiles. Toutefois, il existe des
voies de recours pouvant déboucher sur une décharge de responsabilité solidaire.
160 Eve OBADIA, « La responsabilité solidaire des époux au paiement de l’impôt sur le

revenu : la nécessaire refonte d’une disposition obsolète », Revue de droit fiscal, n°17-18, 2006,
p. 885.
161 Laurent ARGENTIERI, « La solidarité en matière fiscale : vers la fin de l’exorbitance du

droit fiscal ? », op.cit, p. 717.


162 Cf. Philippe MALAURIE, Cours de droit civil, la famille, Paris, Cujas, 6e éd., 1999, p. 809.
163 Alain BENABENT, Droit civil, la famille, Paris, LexisNexis, 11e éd., 2003, p. 182.
164 Frédéric BASTIAT, Harmonies économiques, 1851, p. 9.
165 Article L 88 du Livre des Procédures Fiscales.

195
en apparence simple, lui permettant de transcender l’écran de la personne morale et de
contrecarrer les manœuvres de débiteurs se plaçant sous le couvert de sociétés le plus
souvent insolvables, hors de portée des poursuites du trésor »166. Cette prérogative de
l’administration fiscale permet une matérialisation du recouvrement auprès
du redevable solidaire.
b. La matérialisation du recouvrement auprès du redevable
solidaire
Pour Jean-Baptiste FOTSING, « l’impôt est une institution sociale et
comme telle, elle suppose dans chaque société une adhésion qui accompagne en général les
institutions sociales. Chaque société a un ensemble de valeurs autours desquelles se bâtit
sa cohésion. La légitimité de toute institution est fonction de sa conformité à cette
axiologie »167. On peut donc affirmer que la greffe de l’impôt moderne
d’origine occidentale sur les valeurs fondamentales africaines crée un
schisme qui altère la perception des contributions publiques. Cette
anthropologie juridique des sociétés africaines reste d’un apport
considérable dans la compréhension du rapport de l’africain à l’impôt168.
Le Professeur Pierre ALAKA ALAKA169 a pu décrypter les difficultés du
recouvrement de l’impôt au Cameroun à l’aune des dysfonctionnements
administratifs, même si les choses ont considérablement évolué. Il estime
que l’assiette de l’impôt est suffisamment large, mais l’organisation
déficiente de l’Administration fiscale ne lui permet pas de mobiliser
efficacement le potentiel fiscal de la République. Cette perception des
choses suggère que les systèmes fiscaux sont le reflet des structures
sociales.
Au Cameroun, le mécanisme de la solidarité de paiement n’est pas
assez mobilisé par les administrations fiscales dans la collecte de l’impôt.
Or, il est important de développer « les voies et moyens nécessaires à la (…)
productivité de l’impôt dans les pays africains à partir de l’examen du Cameroun »170.
Le Professeur Pascal ANCEL nous rappelle que, « Pothier estimait déjà qu’il
est de l’intérêt de tous et de chacun que le fisc soit le plus riche possible pour soutenir les
charges de l’Etat »171. A travers la mise en œuvre du lien de solidarité ou
encore de la communauté des intérêts, il résultera un transfert de
l’obligation de payer du redevable principal sur la personne du redevable

166 Houari ZENASNI, La responsabilité fiscale des dirigeants de sociétés commerciales, Mémoire de
Magister en droit, Université d’Oran, 2012, p. 11.
167 Jean-Baptiste FOTSING, Le pouvoir fiscal en Afrique, essai sur la légitimité fiscale dans les Etats

d’Afrique noire francophone, Paris, LGDJ, coll. Thèses, 1995, p. 3.


168 Patrick NGANGUE NEMALEU, Le principe de légalité de l’impôt en droit camerounais, Thèse

de Doctorat/Ph.D en droit public, Université de Yaoundé II, 2020, p. 42.


169 Pierre ALAKA ALAKA, Les difficultés du recouvrement de l’impôt au Cameroun : contribution à

l’étude des dysfonctionnements administratifs, Thèse de doctorat en droit, Université Paris II


Panthéon-Assas, 1996, 289 p.
170 Odile TOGOLO, Administration fiscale et ressources humaines en Afrique : le cas du Cameroun,

Thèse de doctorat en droit public, Université de Paris X-Nanterre, 1996, p. 221.


171 Pascal ANCEL, « Privilèges du Trésor », J-CI. Procédures fiscales, Facs. 580, 1994, p. 1.

196
solidaire, recevable à cette occasion à contester l’obligation mise à sa
charge.
Ce transfert d’obligation a ceci de particulier qu’il est constitué
d’une obligation plurale pour une dette unique ; au sens de « la consigne que
d’Artagnan avait donné aux trois mousquetaires : tous pour un, un pour tous »172. En
conséquence, « les outils de l’administration qui ne nécessitent pas l’intervention
d’une décision de justice se révèlent être particulièrement nombreux au point qu’ils
semblent constituer la règle »173. Le jeu de la solidarité de paiement en matière
fiscale obéit aux mêmes principes que ceux du droit civil : chaque débiteur
solidaire peut être contraint pour la totalité et le paiement fait par un seul
libère les autres envers le créancier. De plus, le créancier peut choisir
librement le débiteur solidaire auquel est demandé le paiement de la dette.
On dit qu’il y a une unité d’objet et une pluralité de liens d’obligations.
L’unité de la dette fiscale est l’une des caractéristiques premières de
l’obligation solidaire. L’administration fiscale peut choisir
discrétionnairement celui parmi les débiteurs auquel elle réclame le
paiement ; le débiteur actionné ne pourra ni invoquer le bénéfice de
discussion, ni le bénéfice de division.
L’administration dispose également de la faculté de poursuivre
plusieurs codébiteurs solidaires, simultanément ou successivement, dans le
but de garantir le recouvrement de la totalité de la dette de l’impôt. S’il est
évident qu’elle ne pourra percevoir plus que « son » dû, l’irrecevabilité d’une
action contre l’un n’atteint pas les autres174. Tandis que les mesures
prescrites au débiteur en difficulté semblent faire de la patience, de
l’indulgence, et de l’oubli, les qualités désormais requises de tout
créancier175, se voyant contraint, en droit commercial comme en droit de la
consommation, par des mesures d’allongement des délais de paiement et la
suspension des poursuites individuelles, le Fisc parait bénéficier d’un
régime de faveur.
Depuis la loi de finances pour l’exercice budgétaire 2018 qui
instaure le principe de solidarité de paiement des impôts, droits et taxes
dans le secteur forestier, le receveur des impôts ayant pris en charge les
dettes fiscales d’une entreprise titulaire d’un titre forestier est fondée à en
poursuivre le recouvrement auprès du tiers exploitant ou exportateur par
toutes les voies de droit. Ledit tiers solidaire fait notamment l’objet de
mesures de recouvrement forcé telles qu’édictées par le CGI et pourrait
ainsi se voir suspendre la faculté d’édicter son Attestation de Non
Redevance (ANR), étant devenu redevable au même titre que le redevable

172 Philippe MALAURIE, Laurent AYNES et Philippe STOFFEL-MUNCK, Droit des


obligations, op. cit., p. 79.
173 Manuel CHASTAGNARET, De la responsabilité fiscale. Responsabilité de l’administration et

responsabilité solidaire des tiers, op. cit., p. 324.


174 Laurent ARGENTIERI, « La solidarité en matière fiscale : vers la fin de l’exorbitance du

droit fiscal ? », op. cit., p. 722.


175 Denis MAZEAUD, « Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle ? »,

in L’Avenir du droit, Mélanges en l’honneur de François TERRE, Paris, PUF, 1999, p. 623.
197
primaire. A titre d’illustration, la Direction générale des impôts a pu
recouvrer consécutivement à la suspension de l’ANR des entreprises mises
en solidarité dans ce secteur, soient 50 contribuables en 2018, un montant
de 1,7 milliards de FCFA176.
Toutefois, il convient de relever que l’apparition du fait générateur
fait naitre la créance d’impôt, mais elle n’a pas en général pour effet de
créer d’emblée une obligation de paiement à l’encontre de la personne
imposable177. Seule l’intervention de l’exigibilité de la créance « détermine le
droit de l’administration de contraindre le contribuable, à partir d’une date déterminée,
au paiement de l’impôt »178. Ainsi, lorsque l’exigibilité de la créance fiscale
commande l’obligation de payer du redevable, contester la première
revient à s’opposer à la seconde. L’action de l’administration est largement
encadrée179, car le contribuable ne saurait se voir atteint par une politique
juridique inquiétante dans la mesure où « elle semble porter la ruine de la sécurité
juridique »180. L’issue du recouvrement de l’impôt par le mécanisme de la
solidarité, aboutira à coup sûr à la libération du redevable principal.
2. Un moyen de libération du redevable principal
La libération du débiteur postule que le lien de droit soit dénoué.
Elle met l’accent sur un droit du débiteur qui serait un pendant du droit du
créancier d’obtenir l’exécution du lien de droit181. Notons la justesse de
cette recherche d’un curseur car elle est la colonne vertébrale de
l’extinction des dettes182. La solidarité de paiement se présente comme un
moyen d’extinction de la dette fiscale (a) et de neutralisation des recours à
l’égard du redevable principal (b).
a. L’extinction de la dette fiscale suite au paiement par un
codébiteur
S’agissant de la matière extinctive, « il est vrai qu’elle parait rebelle à tout
esprit de système »183. Cette remarque trahit tout l’embarras autour de la

176 République du Cameroun, Ministère des Finances, Direction générale des impôts,
Rapport annuel, 2018, p.70.
177 Pierre BELTRAME et Lucien MEHL, Techniques politiques et institutions fiscales comparées,

Paris, PUF, coll. Thémis droit public, 1997, 2e éd., p. 51.


178 Jean LAMARQUE, Droit fiscal général, Paris, Litec, 1998, p. 74.
179 L. ARGENTIERI, « La solidarité en matière fiscale : vers la fin de l’exorbitance … », op.

cit., p. 723.
180 Hervé LECUYER, « redéfinir la force obligatoire du contrat ? », Les petites affiches, 6 mai

1998, p. 45 ; voir également Paul-Gérard POUGOUE, « Les figures de la sécurité


juridique », op. cit., pp. 1-8.
181 Didier R. MARTIN, « De la libération du débiteur », in François TERRE (dir.), Pour une

réforme du régime général des obligations, Paris, Dalloz, coll. Thèmes & Commentaires, 2013, p.
93.
182 Cédric HELAINE, L’extinction partielle des dettes, Thèse de doctorat en droit, Aix-

Marseille, 2019, p. 14.


183 Jacques GHESTIN, Marc BILLIAU et Grégoire LOISEAU, Traité de droit civil. Le régime

des créances et des dettes, Paris, LGDJ, 2005, p. 581.


198
définition de l’extinction184 et, partant, la problématique se retrouve au
niveau de l’extinction de la dette fiscale. L’étymologie permet de discerner
suivant un ordre : « extinguere »185 signifie « mettre fin à quelque chose ». Le
Littré est à ce sujet particulièrement révélateur puisqu’il définit tour à tour
l’extinction comme « l’action de faire disparaitre » puis précise par la suite
« pour une dette, la rembourser, la payer »186. Eteindre une dette c’est
simplement honorer son engagement187. Dans le sens juridique,
l’expression est plus large : elle englobe plusieurs mécanismes différents
dont le paiement est la solution privilégiée.
La solidarité de paiement est assise sur le principe de l’unité de la
dette, principe appliqué à la dette et à la pluralité des débiteurs qui fait que
chaque débiteur peut être contraint de payer l’intégralité de celle-ci188.
L’obligation à la dette est dominée par le principe de l’indivisibilité : à
l’égard du créancier, en matière de solidarité passive, la dette ne se divise
pas. En matière de contribution à la dette, le principe central du dispositif
est celui de la divisibilité de la dette entre les codébiteurs. Elle se divise
même de plein droit. La mise en œuvre de la contribution à la dette
nécessite la détermination de la base de répartition et l’existence d’un
recours offert au débiteur actionné en paiement. L’extinction de
l’obligation fiscale par le payement peut se faire suivant diverses modalités.
Ainsi, tout paiement suppose une dette. Ce qui a été payé sans être dû, est
sujet à répétition189. Une obligation peut être acquittée par toute personne
qui y est intéressée, pourvu que ce tiers agisse au nom et en l’acquit du
débiteur, ou que, s’il agit en son nom propre, il ne soit pas subrogé aux
droits du créancier190. Le payement doit être fait au créancier, ou à
quelqu’un ayant pouvoir de lui, ou qui soit autorisé par la justice ou par la
loi à recevoir pour lui191.
Conçue comme un lien de droit, l’obligation fiscale a vocation à
disparaitre pour libérer l’ensemble des débiteurs qui doivent supporter la
charge. La libération devient alors « l’issue naturelle du rapport d’obligation »192.
Le lien de droit a une fonction qui doit à un moment toucher à sa fin.
Pour ce faire, le créancier a un pouvoir juridique de contrainte qui est
parfois essentiel pour obtenir son dû. Ensuite, l’extinction libératoire est le
seul rempart qui peut exister contre les obligations perpétuelles. Enfin, la
libération est la situation que souhaite le débiteur : le lien de droit qui le

184 Gérard CORNU, « Les définitions dans la loi », in Mélanges dédiés au doyen Jean
VINCENT, Paris, Dalloz, 1981, p. 15.
185 Félix GAFFIOT, Dictionnaire Latin Français, Paris, Hachette, 2001, p. 287.
186 Le Littré, Paris, 2010.
187 Cédric HELAINE, L’extinction partielle des dettes, op.cit., p. 23.
188 Daniel MAINGUY et Jean-Louis RESPAUD, Droit des obligations, Paris, Ellipses, 2008,

p. 365.
189 Article 1235 du code civil.
190 Article 1236 du code civil.
191 Article 1239 du code civil.
192 Didier R. MARTIN, « De la libération du débiteur », op. cit., p. 93.

199
rattache au créancier n’est pas forcément volontaire. La libération est
essentielle dans toute obligation. Elle est la clé de voute du mécanisme de
solidarité de paiement qui permet de repérer la fin pour l’avenir d’une
obligation fiscale. Classiquement, l’extinction d’une obligation fiscale
provoque comme principale conséquence la disparition de son effet
contraignant. La preuve193 de l’extinction est ainsi un élément majeur194 car
elle seule permet de justifier la perte de la contrainte juridique que fait
peser l’obligation sur le débiteur.
Dans le mécanisme de la solidarité de paiement en matière fiscale, la
somme versée par l’un va éteindre la dette fiscale des codébiteurs envers
l’administration. L’aspect primordial de la relation liant les codébiteurs
entre eux réside dans la mise en œuvre de l’action récursoire. Le débiteur
solidaire qui a payé plus que sa part contributoire dispose d’un recours
pour l’excédent contre ses codébiteurs. Toutefois, le décès de l’un des
débiteurs modifie la situation : les autres débiteurs demeurent dans la
même situation mais la dette fiscale du défunt passe à ses héritiers entre
lesquels la dette se divise. Contrairement à l’héritier acceptant pur et
simple, celui qui n’a pas accepté la succession que sous bénéfice
d’inventaire n’est pas tenu personnellement du passif héréditaire. Il n’en
est tenu qu’à concurrence des biens qu’il recueille dans la succession qu’il
est chargé de liquider. S’il paye néanmoins un créancier successoral sur ses
propres deniers, notamment pour éviter une série et une vente
inopportune, génératrice de frais ou intervenant dans des circonstances
peu propices, il rend service à ses cohéritiers, tout en préservant le cas
échéant ses propres intérêts dans le partage d’un éventuel reliquat. La
subrogation dont il bénéficie de plein droit lui facilitera le recouvrement,
au jour de la liquidation, de l’avance qu’il aura faite195. C’est ainsi que
l’extinction de la dette fiscale par le paiement solidaire entrainera une
neutralisation des recours à l’égard du redevable.
b. La neutralisation des poursuites à l’égard du redevable
La plupart des contribuables s’acquittent spontanément de leurs
obligations fiscales. Certains, malheureusement, s’obstinent à ne pas les
honorer et utilisent tous les moyens à cette fin. C’est à l’égard de ces
contribuables, pour lesquels accompagnement et suivi n’entrainent pas
d’amélioration de la discipline fiscale, que le droit pénal joue un rôle
important. Cela permet en outre de renforcer les effets préventifs généraux
que peut avoir l’application du droit pénal et de réduire l’indiscipline
fiscale.

193 Sur ceci, voir la définition donnée par Etienne VERGES, Géraldine VIAL et Olivier
LECLERCQ, Droit de la preuve, Paris, PUF, Thémis, 2015, p. 7.
194 Cass. Civ. 1ère 6 novembre 2012, n°12-19436. Le défendeur au pourvoi s’appuyait sur la

novation pour démontrer qu’une première dette avait été éteinte et qu’une seconde s’y était
substituée.
195 François TERRE, Philippe SIMLER et Yves LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op.

cit., p. 1308.
200
La procédure pénale en matière fiscale déroge au droit commun. A
la différence des autres délits, le délit de fraude fiscale ne peut pas être
poursuivi d’office par l’autorité normalement compétente, à savoir le
Procureur de la République. Celui-ci ne peut mettre en mouvement
l’action publique que dans la mesure où l’administration a préalablement
déposé une plainte ou dénoncé des faits de fraude fiscale.
C’est ainsi que sous peine d’irrecevabilité, les plaintes visant
l’application des sanctions fiscales, sont déposées par le Ministre chargé
des finances après avis de la Commission des infractions fiscales196, suite
aux procès-verbaux établis par les agents assermentés de l’administration
fiscale ayant au moins le grade d’inspecteur et ayant pris une part
personnelle et directe à la constatation des faits constitutifs de
l’infraction197. La Commission a une fonction consultative : son principal
rôle est de rendre un avis conforme s’agissant des plaintes déposées par
l’administration fiscale qui tendent à l’application des sanctions pénales en
matière d’impôts directs, de TVA et autres taxes sur le chiffre d’affaires
pour ne citer que ces quelques cas. Son champ d’investigation concerne
principalement le délit de fraude fiscale198.
Le Ministre chargé des finances est lié par les avis de la
Commission. En cas d’avis défavorable, l’administration fiscale ne pourra
pas déposer plainte contre le contribuable. Un avis défavorable de la
Commission des infractions fiscales, s’il permet à l’administration fiscale
de déposer plainte199, ne lie pas le Parquet qui reste libre de déclencher ou
non l’action publique. Le Procureur de la République doit vérifier, chaque
fois qu’il est saisi des faits, si ceux-ci tombent sous le coup d’une
qualification légale afin de se conformer au principe de la légalité des délits
et des peines, principe fondamental dans la garantie de la sécurité juridique
et de l’Etat de droit200. Les poursuites sont portées devant le tribunal

196 La commission des infractions fiscales est un organe consultatif placé auprès du ministre
chargé des finances. Elle examine les affaires que celui-ci lui soumet.
197 Article L 112 du LPF.
198 Pour rappel, le délit de fraude fiscale vise quiconque s’est frauduleusement soustrait ou a

tenté de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement total ou partiel de


l’impôt.
199 La plainte se présente sous la forme d’une lettre au procureur de la République, dans

laquelle sont analysés les faits constitutifs du délit dans ses éléments (matériel et
intentionnel). La date de la saisine et celle de l’avis de la commission y sont mentionnés afin
de permettre à l’autorité judiciaire d’apprécier la régularité de la procédure au regard de la
prescription de l’action publique. La plainte mentionne que l’administration se constituera
partie civile soit au cours de l’audience correctionnelle, soit au cours de l’information
judiciaire.
200 Moustapha NJOYA NJUMOU, Le rôle du ministère public en droit camerounais, Mémoire de

DEA en droit privé, Université de Yaoundé II, 2006, p. 34. Pour approfondissement, lire
Henri Martin Martial NTAH A MATSAH, Le Ministère public dans le contentieux administratif
au Cameroun : contribution à l’étude des organes de la juridiction administrative camerounaise, Thèse de
doctorat/ Ph.D en droit public, Université de Yaoundé II, 2011, 501 p. Lire également
Collins PACHA NKOUCHIPO, Les droits de la défense devant le Tribunal criminel spécial, Thèse
de doctorat/Ph.D en droit privé, Université de Yaoundé II, 2019, 483 p.
201
correctionnel dans le ressort duquel l’un quelconque des impôts en cause
aurait dû être établi ou acquitté201. Toutefois, la poursuite peut être
neutralisée si par le mécanisme de la solidarité de paiement, l’impôt est
payé par un tiers autre que le redevable principal.
Ainsi, lorsque la dette fiscale est acquittée par l’un des codébiteurs,
le paiement de plein droit entraine l’extinction de la dette fiscale et la perte
par l’Administration de son droit d’engager les poursuites ni à l’encontre
du redevable principal ni à l’égard du redevable solidaire. Les poursuites ici
renvoient aux différentes mesures envisageables pour recouvrer la dette
conformément à la loi. Il s’agit en réalité de l’action en recouvrement par
des mesures de poursuites de droit commun ou des mesures particulières.
Les poursuites de droit commun comprennent trois degrés : la mise en
demeure valant commandement de payer, la saisie et la vente. Ces trois
degrés constituent des poursuites judiciaires, c’est-à-dire que seuls les
tribunaux judiciaires sont compétents sur la validité de ces actes202. Au-delà
des poursuites de droit commun, l’Administration dispose également des
mesures particulières de poursuite203. En tout état de cause, le paiement de
l’impôt par l’un des codébiteurs ferme toute voie de recours au Ministre
des finances204 parce que la sécurité des recettes fiscales reste préservée.
B. Une garantie de sécurisation des recettes fiscales
Le contrôle de la ressource fiscale a toujours fait l’objet d’une
attention particulière du pouvoir exécutif205. Au-delà d’être un mécanisme
de bonification des recettes fiscales, la solidarité de paiement contribue
également, à la sécurisation des recettes fiscales, car « les comportements de
résistance à l’impôt sont légion »206. A ce titre, la solidarité de paiement devient
un instrument de lutte contre la fraude fiscale (1) et même de
modernisation fiscale (2).
1. La sécurisation par la lutte contre la fraude fiscale
Il sied de souligner que, « la simplicité du mode de recouvrement et sa
rentabilité du fait de toute possibilité de fraude écartée, arrive à concilier les vœux du

201 Article L 114 du LPF.


202 Article L 55 du LPF.
203 Les mesures particulières de poursuite sont constituées de l’avis à tiers détenteur, la

contrainte extérieure, le blocage des comptes bancaires, la fermeture de l’établissement,


l’exclusion des marchés publics et la mise en fourrière d’un véhicule.
204 Sur la question, l’article L 112 du LPF dispose que sous peine d’irrecevabilité, les

plaintes sont déposées par le ministre des finances après avis de la commission des
infractions fiscales, suite aux procès-verbaux établis par les agents assermentés du Fisc
ayant au moins le grade d’inspecteur et ayant pris part à la constatation de l’infraction.
205 Patrick NGANGUE NEMALEU, Le principe de légalité de l’impôt en droit camerounais, op.

cit., p. 10.
206 Eliane NTIADEU NGAKO, L’assiette en droit fiscal camerounais, Mémoire de Master en

droit public, Université de Yaoundé II, 2017-2018, p. 29.


202
contribuable et les intérêts de l’administration »207. La dissimulation de la matière
imposable par le contribuable a pour conséquence l’amenuisement du
champ d’imposition de l’impôt208 contrairement à ce que prévoit la loi. La
fraude à la loi est une manipulation volontaire des conditions d’application
de la loi209. Connue dans presque tous les systèmes fiscaux, la fraude fiscale
est « un phénomène qu’on décrit plus facilement qu’on le définit »210. Toutefois, elle
est une violation délibérée de la loi fiscale dans le but d’échapper à
l’impôt211. Les législateurs répriment la fraude fiscale en tant qu’ « acte
intentionnel de la part du contribuable décidé à contourner la loi pour éluder le paiement
du prélèvement »212. Pour éviter qu’un tel acte vienne causer un préjudice aux
recettes fiscales, le mécanisme de la solidarité de paiement, s’affirme
comme un instrument de lutte contre la fraude fiscale, aussi bien au plan
national (a) qu’international (b).
a. La lutte contre la fraude fiscale au plan national
La fraude est aussi vieille que la loi213. Souvenons-nous que « le droit
ne saurait tolérer que des institutions juridiques soient détournées de leur finalité et que
la lettre des institutions soit utilisée au détriment de leur esprit »214. Autrement dit, la
fraude est un levier d’assainissement des rapports de droit notamment
avec la théorie de l’abus de droit entre autre.
Au plan national, les actes de fraude fiscale sont réduits. En guise
d’illustration, l’article 45 du CGI dispose que : « les sociétés et autres personnes
morales passibles de l’impôt sur les sociétés sont assujetties à l’impôt sur le revenu des
personnes physiques à raison du montant global des sommes que, directement ou par
l’entremise d’un tiers, ces sociétés ou personnes morales ont versées au cours de la période
retenue pour l’établissement de l’impôt sur les sociétés à des personnes dont elles ne
relèvent pas l’identité ».
On peut comprendre, qu’une société ayant déposé des sommes à
des personnes dont elle n’a pas précisé l’identité, dans le but de soustraire
ces personnes à l’impôt sur le revenu des personnes physiques, devra
payer, en plus de l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur le revenu des
personnes physiques en lieu et place de ces personnes non identifiées. Il y
a ainsi une solidarité existante entre la société et les personnes dont

207 Jean-Marie MEKONGO, Les retenues à la source dans le système fiscal du Cameroun, Yaoundé,
Presses universitaires libres, 2009, p. 28.
208 Eliane NTIADEU NGAKO, L’assiette en droit fiscal camerounais, op.cit., p. 33.
209 Géraud de la PRADELLE, « La fraude à loi », Travaux du comité français de droit

international privé, 1974, p. 118.


210 Voir Néji BACCOUCHE, « Rapport introductif », Colloque sur la fraude fiscale, RTF,

n°16, 2011, p. 10.


211 Sandrine KIGNO BESSALA, Les mécanismes de lutte contre la fraude fiscale au Cameroun,

Mémoire de Master en droit public, Université de Yaoundé II, 2018, p. 12.


212 Oualid GADHOUM, « La responsabilité pénale des personnes morales en matière de

fraude fiscale », Horizon du droit-Bulletin n°20, novembre 2020, p. 34.


213 José VIDAL, Essai d’une théorie générale de la fraude en droit français, Thèse de doctorat en

droit, Université de Toulouse, 1957, p. 1.


214 Jean-Louis BERGEL, Théorie générale du droit, op. cit., p. 192.

203
l’identité n’a pas été révélée. Ces revenus sont taxés à l’impôt sur le revenu
des personnes physiques au taux le plus élevé. Les impositions sont
assorties d’une pénalité de 100% non susceptible de transaction215.
Si l’élément intentionnel est indispensable pour la responsabilité
pénale, « on imagine mal une personne morale manifester une intention d’agir, sauf à
se placer au niveau de ses organes ou représentants qui, s’ils sont eux-mêmes constitués
sous la forme d’une personne morale, ont également des organes ou représentants. En
somme, la responsabilité d’une personne morale impose nécessairement le comportement
fautif d’une personne physique agissant pour son compte »216. C’est ainsi que la
responsabilité pénale des personnes présente la particularité d’être à la fois
indirecte et personnelle217. Elle peut être qualifiée de « responsabilité du fait
personnel par représentation »218.
Bien plus qu’un moyen de lutte contre la fraude fiscale, l’article 45
du CGI est une technique de moralisation des affaires au même titre que
l’article L 88 du LPF 219. Il est également possible, à travers le mécanisme
de solidarité de paiement, de lutter contre la fraude fiscale au plan
international.
b. La lutte contre la fraude fiscale au plan international
Les performances des Etats méritent d’être relativisées220. Pour une
optimisation des ressources fiscales, « l’on ne saurait assimiler l’Etat à un vase
clos se suffisant lui-même »221. Au plan international, la solidarité de paiement
est un instrument de lutte contre la fraude à travers l’assistance
administrative en matière fiscale qui peut se décliner en assistance à
l’assiette222 et l’assistance au recouvrement. Le Professeur BEGNI

215 L’application de l’impôt sur le revenu des personnes physiques auxdites sociétés ou
personnes morales ne met pas obstacle à l’imposition des sommes visées ci-dessus au nom
de leurs bénéficiaires, lorsque ceux-ci peuvent être identifiés par l’administration.
216 Ludovic AYRAULT, « Critère intentionnel et répression de la fraude fiscale : réflexion

autour de l’irresponsabilité pénale en matière fiscale », Revue tunisienne de fiscalité, n°16, 2011,
p. 384.
217 O. GADHOUM, « La responsabilité pénale des personnes morales en matière de fraude

fiscale », op.cit., p. 34.


218 Frédéric DESPORTES et Francis LE GUNEHEC, Le nouveau droit pénal, Paris,

Economica, t. 1, 2000, 7e éd., p. 525.


219 L’article L 88 dispose à cet effet que « lorsque le recouvrement de certains impôts, droits, taxes et

pénalités dus par les sociétés a été totalement compromis ou lorsque l’insolvabilité de celle-ci a été organisées
par des manœuvres frauduleuses des personnes qui exercent en droit ou en fait, directement ou indirectement
la direction effective de ces sociétés, ces personnes sont tenues solidairement responsables du paiement de ces
impôts et pénalités ». Si cet article permet une moralisation des affaires, on peut néanmoins
s’interroger sur l’expression « manœuvres frauduleuses », qui en réalité confère des pouvoirs
exorbitants aux agents du fisc.
220 Jean-Bernard MATTRET, « La dette publique : quels enjeux ? », RFFP, n°152,

novembre 2020, p. 134.


221 François ABENG MESSI, Le territoire et l’impôt en droit fiscal camerounais, Thèse de

doctorat/Ph. D en droit public, Université de Yaoundé II, 2015, p. 399.


222 Cette forme d’assistance peut se définir comme « la procédure d’entraide organisée entre les

administrations fiscales d’Etats différents en vue de faciliter les opérations d’assiette ». Concrètement,
cette assistance permet aux Etats d’échanger des informations nécessaires à la bonne
204
BAGAGNA note que « l’assistance au recouvrement résulte des conventions fiscales,
lesquelles prévoient que chaque Etat contractant s’engage à assister l’autre au
recouvrement des dettes fiscales »223. L’assistance administrative en matière
fiscale est un mécanisme qui permet aux administrations fiscales des pays
de lutter contre les planifications fiscales agressives dans la mesure où elles
permettent de saisir le bénéficiaire effectif de certaines opérations
financières.
Un consensus semble à cet effet se dégager progressivement à
l’échelle internationale, notamment au sein de l’Union européenne et de
l’OCDE224 sur le fait que le seul moyen d’y parvenir réside dans la
coopération transfrontalière, et en particulier dans l’échange
d’informations entre les Etats. Les autorités camerounaises ont pris
conscience de la nécessité de coopérer dans ce sens à l’international225
même si le législateur doit davantage fournir des efforts ; le fait que celui-ci
ne se soit pas encore saisi de la notion de bénéficiaire effectif est
déplorable226, dans un contexte où l’impératif de rendement fiscal se pose
avec acuité. Or, « l’assistance administrative est à la fois la tarte à la crème et
l’arlésienne de la fiscalité internationale »227. En tout état de cause, l’assistance
administrative internationale en matière fiscale est régie par une
convention internationale. Il s’agit de la convention concernant l’assistance

application des conventions fiscales internationales, mais aussi en principe, les informations
utiles à l’application de leur législation interne. Cf. Jérôme Nirmal THOMAS, Le contrôle
fiscal des opérations internationales, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 167.
223 BEGNI BAGAGNA, L’harmonisation des politiques fiscales en zone CEMAC : esquisse de

théorie du droit fiscal communautaire, Thèse de doctorat/Ph.D en droit public, Université de


Douala, 2012, p. 318.
224 Jonathan BURGER, Les délits pénaux fiscaux : une mise en perspective des droits français,

luxembourgeois et internationaux, Thèse de doctorat en droit, Université de Nancy II, 2011, p.


194. L’auteur y présente l’OCDE, son rôle actif depuis 2000 dans la lutte contre la fraude
fiscale internationale, ses rapports d’activités ainsi que la liste des paradis fiscaux présentée
par l’organisation lors du sommet du G20 tenu à Londres le 2 avril 2009.
225 C’est le cas pour la coopération multilatérale et bilatérale. Au niveau multilatéral par

exemple, en 2016, l’Etat du Cameroun, à travers le Ministère des finances, a confirmé son
adhésion en sa qualité de membre associé du Cadre inclusif de l’OCDE. Il a ainsi marqué
son engagement à la mise en œuvre cohérente des standards normatifs minima qui
résulteraient des mesures relatives au projet Base Erosion and Profit Shifting. Au niveau
bilatéral, l’on note en 2016 plusieurs accords de coopération entre les Cameroun et les pays
étrangers : Allemagne, France, Sénégal et Bénin (Cf. Rapport de la DGI de 2016, pp. 79 et
suivants ; Rapport 2017 de la DGI sur la coopération entre le Cameroun et l’Allemagne, p.
100).
226 La clause du « bénéficiaire effectif » fut introduite en 1977 aux articles 10 (dividendes), 11

(intérêts) et 12 (redevances) du modèle de convention fiscale de l’OCDE en vue de


prévenir une forme spécifique d’abus : celui pouvant se produire lorsqu’une personne
interposée dans l’Etat de résidence sert à faire transiter un revenu provenant de l’Etat de
source vers une personne domiciliée dans un Etat tiers. Cf. Robert DANON, « Clarification
de la notion de bénéficiaire effectif-Remarques sur le projet de modification du
commentaire OCDE d’avril 2011 », Revue fiscale, n°7-8, 2011, p. 581.
227 Fabrice GOGUEL, « Assistance fiscale internationale et droits de la défense », JCP-E,

n°11, Etude n°228, 1993, p. 128.


205
administrative mutuelle en matière fiscale228. Cette convention facilite
l’identification soit du bénéficiaire effectif, soit du redevable solidaire d’un
impôt.
Des poursuites peuvent être engagées après le plus souvent, une
ultime information du redevable qui ne revêt pas la qualification d’acte de
poursuite229. Cette rigueur vis-à-vis du contribuable vise à optimiser le
recouvrement de l’impôt qui aurait pu s’améliorer s’il avait été procédé à
une rénovation des mécanismes de collecte au plan international. Sous
d’autres cieux, en plus de la coopération fiscale internationale, les banques
ont fait apparaitre une monnaie scripturale, c’est-à-dire par inscription sur
un compte en banque, de plus en plus utilisée, surtout grâce au chèque et,
dans une moindre mesure, au virement et à la lettre de change. Elle s’est
développée par l’effet de l’informatique qui a permis de développer la carte
de crédit et le prélèvement d’office de son compte bancaire230. Le
paiement des sommes d’argent en est facilité231. Il en est de même pour les
paiements par internet232. Une réforme de l’administration fiscale
camerounaise allant dans ce sens est souhaitable, car de plus en plus, on
observe une réduction de la fracture numérique. L’assistance
administrative internationale participe également de la sécurisation des
recettes fiscales.
2. La sécurisation par la digitalisation des procédures fiscales
Selon le Professeur Henri OBERDORFF, « la transformation
numérique des administrations publiques est un processus continu depuis plus de vingt
ans. Elle se réalise par étapes grâce au développement de l’usage des technologies de
l’information. Elle intègre de plus en plus de matériels informatiques, de logiciels
spécifiques, d’outils numériques. Elle s’appuie dorénavant aussi sur les algorithmes et
l’intelligence artificielle »233. Pour le Professeur Jean-Louis BERGEL, « le
système juridique ne peut ignorer les conséquences des révolutions technologiques du
monde moderne »234.

228 La convention a été élaborée par le Conseil de l’Europe et l’OCDE en 1988 et a été
amendée en 2010 par un protocole. La convention est l’instrument multilatéral le plus
complet et offre toutes les formes possibles de coopération fiscale pour combattre
l’évasion et la fraude fiscales.
229 L’article 1204 du code civil dispose que « les poursuites faites contre l’un des débiteurs

n’empêchent pas le créancier d’en exercer de pareilles contre les autres ».


230 Philippe MALAURIE, Laurent AYNES, Philippe STOFFEL-MUNK, Droit des

obligations, op.cit., p. 639.


231 Jean-Louis RIVES-LANGE, « La monnaie scripturale, contribution à une étude

juridique », Etudes de droit commercial, à la mémoire de Henry CABRILLAC, Paris, Librairies


techniques, 1968, p. 405.
232 Voir Claude Lucas De LEYSSAC et Xavier LACAZE, « Le paiement en ligne », JCP-G,

2001, p. 302 ; M. ESPAGNON, « Le paiement d’une somme d’argent sur internet », JCP-G,
1999, p. 131.
233 Henri OBERDORFF, « La transformation numérique de l’administration publique »,

RDP, n°5, 2020, p. 1173.


234 Jean-Louis BERGEL, Théorie générale du droit, op. cit., p. 174.

206
S’il est un truisme que la solidarité de paiement en matière fiscale
participe activement au recouvrement des recettes fiscales et à la lutte
contre la fraude fiscale, elle est également un instrument de modernisation
fiscale. Si cette modernisation peut clairement s’énoncer (a), il faut
également l’apprécier dans le contexte qui est celui du Cameroun (b).
a. L’instauration de la digitalisation des procédures fiscales
Les liens unissant la fiscalité et le numérique occupent une place
croissante dans l’actualité et la doctrine en fait maintenant très souvent
état235. La fiscalité camerounaise est marquée depuis plusieurs années par
des mutations permanentes. Ces dernières s’effectuent dans l’optique de la
moderniser, mais aussi d’instituer des transformations au sein de
l’administration fiscale236. La législation et la réglementation fiscales ont été
touchées par le bouleversement des pratiques économiques que permet le
numérique237 ; aussi a-t-il fallu et faut-il encore réfléchir à l’adaptation du
régime fiscal à l’économie numérique. A l’heure où la numérisation
s’impose dans les activités économiques, la loi de finances pour l’exercice
2020 soumet certaines ventes effectuées en ligne au paiement des
impôts238. Le législateur camerounais s’est ainsi adapté à l’évolution de la
société dans un contexte où internet est considéré comme étant un
« support par excellence du commerce électronique »239. Mais, revers de la médaille,
le numérique, par le développement d’internet et des modes de
communication, a favorisé un nouveau type de criminalité : la

235 Alexandre DUMONT, « Numérique et nouvel incivisme fiscal », RFFP, n°134, 2016,
Fiscalité et Numérique, p. 73. Dans le même numéro, lire aussi Eloi DIARRA, « La fiscalité
numérique : quel avenir ? », pp. 3-9 ; Cédric GUILLERMINET, « L’impact du numérique
sur les procédures fiscales », pp. 55-60 ; Nadège YONAN-MERCADIER, « L’impôt sur les
sociétés et l’économie numérique », pp. 25-30 ; Charles GUENE, « La fraude fiscale sur
internet », RFFP, n°127, 2014, pp. 99-102 ; Aurélien DEHAINE, « Les ressources fiscales à
l’ère du numérique : l’adaptation de la fiscalité locale », RFFP, n°143, 2018, pp. 105-108 ;
Céline NDONGO DIMOUAMOUA, « Cameroun : mise en place d’un régime fiscal de
promotion de l’économie numérique », Droits africains des affaires, n°4, 2021, p. 7 ; Jean-
Raphaël PELLAS, « L’économie numérique à l’épreuve du Code Général des Impôts »,
RFFP, n°154, 2021, pp. 181-184.
236 Marthe Sandrine NGO NGWE BATOCK, La spécificité de la contribution des patentes en droit

fiscal camerounais, Mémoire de Master recherche en droit public, Université de Yaoundé II,
2018, p. 1.
237 Xavier CABANNES, « L’administration fiscale française et l’obtention des données sur

le contribuable à l’ère du numérique », RAFiP, n°1, 2015, p. 21.


238 Article 127 al 15, la loi n°2019/023 du 24 déc. 2019 portant loi de finances du

Cameroun pour l’exercice 2020.


239 Renaud Etiennis OKOMEN TSAGUE, La fiscalité du commerce électronique dans l’espace

OHADA : éclairage rétrospectif et perspectives d’évolution à la lumière des systèmes fiscaux européens et
nord-américains, Thèse de doctorat/Ph.D en droit privé, Université de Yaoundé II, 2020, p.
2.
207
cybercriminalité notamment la « cyberfraude fiscale »240 bien qu’elle ne nous
intéresse pas dans cette réflexion.
La modernisation des procédures fiscales via leur numérisation a
contribué à rendre plus efficace le mécanisme de solidarité de paiement,
non seulement dans la lutte contre la fraude fiscale, mais également dans la
mobilisation des recettes fiscales241. L’appréhension de l’outil numérique
par l’administration fiscale s’est faite en deux étapes successives et
différenciées. Après l’adaptation de ses procédures à ce nouvel outil, elle a
su ensuite l’utiliser pour imposer au contribuable de nouvelles obligations
fiscales. L’administration fiscale a pu s’adapter au numérique en le
contrôlant et en rationnalisant ses procédures. Avant d’être un outil de
contrôle, le numérique est un outil contrôlé242.
Plusieurs réformes entreprises par l’Etat du Cameroun, témoignent
de la modernisation de l’administration fiscale et par voie de conséquence
l’optimisation de la solidarité de paiement. La digitalisation de l’avis de mis
en recouvrement couplée à la solidarité de paiement, ont entrainé une
évolution à la hausse du nombre de plans de règlements conclus en 2018
dans le secteur forestier, soit 11 moratoires pour une dette globale
moratoire de 5,6 milliards de FCFA243. Bien plus, la mise en place de la
télédéclaration a permis une meilleure fidélisation des contribuables avec
un taux de déclaration dans les délais avoisinant 100% à la Direction
Générale des Impôts. Cédric GUILLERMINET a pu parler de « la mise en
place forcée des téléprocédures »244. Ce procédé de déclaration a été mis en œuvre
en 2014 au profit des contribuables relevant de la Direction des Grandes
Entreprises, afin de réduire les nombreux déplacements (en moyenne 12
par an) effectués par ces entreprises pour l’accomplissement de leurs
obligations déclaratives. En termes de bilan du lancement au mois de mai à
décembre 2014, en moyenne 198 contribuables de la Direction Générale
des Grandes entreprises utilisaient le dispositif de télédéclaration sur un

240 William GILLES, « Mutations et enjeux de la fraude fiscale face au développement de la


cybercriminalité », in Irène BOUHADANA et William GILLES (dir.), Cybercriminalité,
cybermenaces et cyberfraude, Paris, Les éditions IMODEV, 2012, pp. 114-123.
241 La direction générale des impôts a lancé au Cameroun le 1 er juin 2016, la déclaration

fiscale électronique. Il s’agit d’une mesure salutaire. Elle vient comme ça simplifier les
procédures. Avant, il fallait par exemple, pour enregistrer un acte comme un bon de
commande, passer par sa banque payer, prendre les droits d’enregistrement, revenir
déposer aux impôts, et la division des impôts des grandes entreprises qui s’en occupe se
trouve à Yaoundé, alors que le siège des affaires est la capitale économique, à Douala avant
d’attendre enfin certains délais trop longs.
242 Cédric GUILLERMINET, « L’impact du numérique sur les procédures fiscales », RFFP,

n°134, 2016, p. 56.


243 République du Cameroun, Ministère des Finances, Direction générale des impôts,

Rapport annuel 2018, 108 p.


244 Cédric GUILLERMINET, « L’impact du numérique sur les procédures fiscales », op.cit.,

p. 56.
208
effectif de 408 contribuables, soit un pourcentage de 49% en valeur
relative245.
Dans le même ordre d’idées, l’informatisation de l’avis de mise en
recouvrement a permis un meilleur suivi de l’action en recouvrement et la
fiabilisation des états de restes à recouvrer. Enfin, la digitalisation du
fichier national des contribuables a permis un accroissement du
portefeuille des moyennes entreprises et, d’une manière générale,
l’amélioration du civisme fiscal. Cette digitalisation du fichier national des
contribuables a également permis à l’administration fiscale d’avoir une
maitrise des effectifs de l’ensemble des redevables principaux et des
redevables solidaires même si l’on peut questionner la portée véritable de
cette numérisation dans le contexte socioéconomique camerounais.
b. L’appréciation critique de la digitalisation des procédures
fiscales
L’influence de l’outil numérique se ressent sur les institutions
administratives. Avec le développement de la technologie, l’administration
camerounaise fait face à de nombreux obstacles notamment le manque
d’infrastructures adaptées246. Si l’on peut saluer les initiatives de
digitalisation des procédures fiscales opérées au Cameroun, on peut aussi
s’interroger sur leur efficacité dans notre contexte. A l’heure où les
technologies de l’information et de la communication sont d’un apport
considérable aux activités humaines, l’avancée de la société du numérique
tarde selon le Professeur Gérard PEKASSA NDAM, à atteindre
substantiellement le continent africain247. Cette position est également celle
du Président Abdoulaye WADE qui estime que « l’évolution du numérique
coupe le monde en deux parties qui communiquent de moins en moins entre elles. Le
sud, sous-équipé en nouvelles technologies de l’information et de la communication, s’isole
du savoir et de la connaissance développés dans le Nord »248. Au Cameroun, le gap
de la fracture numérique est important entre les chefs lieu des régions et
les chefs de lieu de département et d’arrondissement. Pour résoudre cette
problématique, le Professeur Abdoulaye WADE a proposé le concept de
« solidarité numérique », comme solution au gap digital sur la route de l’e-
civilisation249.
De nos jours, « tout le monde s’accorde à reconnaitre que les technologies de
l’information et de la communication ont modifié en profondeur le paysage économique,

245 République du Cameroun, Ministère des Finances, Direction générale des impôts,
Rapports annuel, 2014, p.56.
246 Raïssa M. TCHOKONTE NGAYOU, Service public et numérique en droit camerounais,

Mémoire de Master en droit public, Université de Yaoundé II, 2020, p. 26.


247 Gérard Martin PEKASSA NDAM, « Doctrine et diffusion du droit dans l’espace

africain francophone », in Fabrice HOURQUEBIE (dir.), La doctrine dans l’espace africain


francophone, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 280.
248 Abdoulaye WADE, Un destin pour l’Afrique, Paris, Editions Michel LAFON, 2005, p.

180.
249 Ibid.

209
social, politique et humain à l’échelle de la planète. Et il n’y a aucune raison pour que
l’Afrique échappe au bouleversement induit par les TIC »250. Bien que des efforts
de digitalisation soient faits dans le domaine de la fiscalité notamment
pour optimiser le recouvrement des recettes via le mécanisme de la
solidarité de paiement, des difficultés persistent encore dans ce processus.
D’abord, la digitalisation fait face à la précarité de l’économie qui est
fondamentalement assise sur le secteur informel avec pour conséquence la
difficulté pour le numérique à atteindre certaines activités génératrices de
revenus. Bien plus, la fracture numérique ne permet pas à une bonne
partie de potentiels contribuables d’avoir accès à l’internet avec un impact
négatif sur les revenus fiscaux, et surtout une mise à l’écart des redevables
qui ne peuvent bénéficier des bienfaits du numérique. Quand bien même
les contribuables ont accès à l’internet, vient s’ajouter l’épineux problème
de la crise énergétique avec pour conséquence les délestages non plus
récurrents mais persistants encore dans certaines contrées du pays.
Si l’instrument fiscal n’arrive pas souvent à jouer le rôle qui devrait
être le sien, c’est notamment parce que les textes fiscaux ne sont pas
souvent bien conçus ; ils prennent rarement en considération les
circonstances de tous ordres (économiques, administratives, sociologiques,
politiques …) qui conditionnent leur application251. En définitive, si à l’ère
du numérique l’administration fiscale doit faire face à des mutations en
matière de fraude fiscale et d’accès aux données, l’Etat tend à se doter de
moyens juridiques sans pour autant dévoyer ce qu’il doit être : une autorité
morale252. Tous ces maux sont de nature à atténuer le mécanisme de la
solidarité de paiement dans ses fonctions de bonification et de sécurisation
des recettes fiscales.
Conclusion
Le système fiscal n’apparait pas toujours comme un ensemble
ordonné et organisé. Il se présente plutôt comme le résultat d’options
politiques, où entrent en jeu des contraintes d’ordre social et
psychologique que le pouvoir s’efforce de combiner ou de concilier253. La
notion juridique de solidarité de paiement est-elle clarifiée en droit fiscal
camerounais ? Cette interrogation peut paraitre quelque peu provocante à
l’issue de notre étude. Pourtant elle est bel et bien posée. Le moins que
l’on puisse écrire, au terme de la présente réflexion qui ne prétend pas à

250 Jacques BONJAWO, Révolution numérique dans les pays en développement, l’exemple africain,
Paris, Dunod, 2011, p. 11.
251 Ange BANGO, L’élaboration et la mise en œuvre de la fiscalité dans les pays de la communauté

économique et monétaire de l’Afrique centrale, Thèse de doctorat en droit, Université de Lyon III,
Jean-Moulin, 2009, p. 29.
252 Xavier CABANNES, « L’administration fiscale française et l’obtention des données sur

le contribuable à l’ère du numérique », op. cit., p. 39.


253 Yves F. ZOK A MOUBEKE, De la dépense fiscale au processus de rationalisation par le concept

de dépense fiscale : expérience française et perception au Cameroun, Thèse de doctorat en droit public,
Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, 2014, p. 12.
210
l’exhaustivité est qu’il apparait que le droit fiscal permet d’appréhender de
manière relativement précise et objective la notion de solidarité de
paiement. A ce titre, qu’il nous soit permis de faire deux observations.
D’abord, la notion de solidarité de paiement demeure formellement
imprécise en droit fiscal camerounais. Pour s’en convaincre, il suffit de
scruter les textes à la fois généraux et spécifiques pour arriver à cette
conclusion. Si les textes à caractère général font un effort d’évoquer la
solidarité de paiement, les textes spécifiques quant à eux demeurent muets
sur ce mécanisme et par conséquent renvoient pour la compréhension aux
textes généraux.
Ensuite, la solidarité de paiement, au-delà de son imprécision
formelle, reste tout de même une notion caractérisée par sa précision réelle
de telle sorte qu’il est loisible de cerner ses critères d’identification. Pour
une clarification complète de cette notion, les sociétés savantes doivent
être mises à contribution. Il reste à souhaiter que les sociétés savantes
demeurent ces cercles de réflexion où universitaires, praticiens,
administrateurs et magistrats apportent les acquis de leurs recherches et de
leurs expériences afin de bâtir, entre les multiples champs disciplinaires qui
constituent la richesse de la science financière et fiscale, non des murs mais
des ponts254. Sa mission même, la doctrine la conçoit de la manière la plus
large : elle commente les lois et les décisions de justice en vue d’en éclairer
la portée, d’en réaliser une systématisation sans laquelle il n’y aurait pas de
droit, mais aussi dans l’espoir de guider l’évolution de la jurisprudence et,
plus largement, du droit255.

254 Pierre BELTRAME et Gilbert ORSONI, « Le rôle des sociétés savantes dans
l’élaboration de la doctrine financière et fiscale », in Constitution et Finances publiques, op.cit.,
p. 294.
255 André TUNC, « La méthode du droit civil : analyse des conceptions françaises », RIDC,

1975, p. 828.
211
LA SECURITE FISCALE DANS LES ETATS DE L’AFRIQUE
NOIRE FRANCOPHONE
Par
Dr Emmanuel AWONO ELOUNDOU
Ph. D en Droit Public
Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques,
Université de Yaoundé II (Cameroun).

RESUME :
Par le règlement des préoccupations du contribuable, notamment celles liées à
la complexité et à l’instabilité du droit fiscal, la sécurité fiscale est à la fois un facteur
d’attraction des investisseurs, et un gage de croissance économique. Dans les Etats
d’Afrique noire francophone, elle présente la figure d’une garantie mitigée. En effet,
même si la garantie des exigences de légalité de l’impôt, d’égalité devant l’impôt et de
protection du contribuable contre les changements de la doctrine fiscale sont globalement
avérées, celle qui se rattache aux exigences de prévisibilité, de stabilité et d’accessibilité de
la loi fiscale est altérée. D’où la nécessité de les reformer. Dans ce sens, des efforts
appréciables ont été initiés au plan jurisprudentiel. D’autres aspects de réforme sont
envisageables au niveau textuel afin d’assurer une garantie optimale. Ainsi, l’érection de
la sécurité juridique en principe général permettrait non seulement de le reconnaitre
comme un droit fondamental, mais aussi d’ériger la non rétroactivité de la loi fiscale en
principe.
Mots clés : impôt- non rétroactivité- légalité de l’impôt- égalité- stabilité-
confiance légitime- sécurité juridique.

ABSTRACT:

By resolving taxpayer concerns, particularly those linked to the complexity and


instability of tax law, tax security is both a factor of attracting investors and a pledge of
economic growth. In French-speaking black African states, it presents a figure of mixed
guarantee. Indeed, even if requirements of tax legality, equality before tax and protection
of the taxpayer against changes in tax doctrine are generally preserved, the guarantee of
the requirements of predictability, stability and accessibility of the tax law remains
limited. Hence the need to reform them. In this way, appreciable efforts have been
initiated at the case law level. Others aspects of reform can be envisaged at the textual
level in order to ensure an optimal guarantee. Thus, the establishment of legal security in
general principle would allow to recognize it at fundamental right, and to establish the
non-retroactivity of tax law as principle.
Keywords: tax – non – retroactivity - tax legality – equality – stability – legitimate
expectations – legal certaintly

212
Introduction
« Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Ainsi s’exprimait
Charles-louis de Secondât de MONTESQUIEU1 pour regretter l’inflation
législative, une source d’insécurité juridique2. Le droit fiscal « ponctuellement
instable »3 apparaît comme un champ favorable au phénomène. Le trop
grand nombre de textes, ainsi que le volume des informations y contenues
peuvent être un obstacle à l’exigence de stabilité et d’accessibilité dans la
mesure où le contribuable peut éprouver des difficultés à repérer la
disposition adéquate4. A cela s’ajoute sa complexité, une préoccupation
constante des contribuables5 et des juristes6. Les travaux du Président
Olivier FOUQUET sont, à cet effet, assez éloquents. L’éminent juriste
constate que « l’instabilité et la complexité de la norme fiscale sont les premières
causes d’insécurité juridique : les changements fréquents de la loi et les difficultés qui
apparaissent lorsqu’il s’agit de l’interpréter constituent une source de risque pour
l’ensemble des contribuables dans leur relation avec l’administration fiscale comme dans
l’appréhension de la dimension fiscale d’un projet économique »7. Il pourrait
difficilement en être autrement surtout que « quand le droit bavarde, le citoyen
ne lui prête plus qu’une oreille distraite »8. Cette affirmation du Conseil d’Etat
français rappelle fort opportunément l’importance de l’art de la fabrication
des lois et la nécessité pour ces dernières de prendre entièrement en
compte les exigences et les garanties de la sécurité juridique, dont l’un des
versants est sans doute fiscal.
Par référence à la sécurité fiscale, il s’agit tout d’abord de la sécurité
juridique dans sa généralité. On parle de principe de sécurité juridique.

1 MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, Livre XXIX, chap. XVI, 1748 ; Rapport public du
Conseil d’Etat, Sécurité juridique et complexité du droit, 2006, Paris, La Documentation
française, coll. EDCE, n°57, p. 233.
2 Lire à propos, AKAM AKAM (A.), « Libres propos sur l’adage « nul n’est censé ignorer la

loi » », RASJ, vol. 4, n°1, 2007, pp. 31-54. L’auteur évoque le caractère abstrait de cet adage
qui, dans un contexte d’inflation législative, renforce l’insécurité juridique. Lire aussi,
BILOUNGA (S. T.), « La crise de la loi en droit public camerounais », Les annales du droit
public, n°11, 2017, pp. 21-56.
3 En France, Le groupe de travail chargé d’une réflexion sur les suites du rapport public

2006 du Conseil d’État susvisé estime que « en moyenne, plus de 10 % des articles d’un code
changent chaque année ». Voir, Secrétariat Général du Gouvernement, Rapport au Premier
Ministre, Avant-propos (p. 3) et Annexe III. « La mesure de l’inflation normative et ses
causes ». Voir aussi, Rapport public du Conseil d’Etat, Sécurité juridique et complexité du droit,
op. cit., p. 273.
4 OKOU (U.), La sécurité juridique en droit fiscal. Etude comparée France-Côte d’Ivoire, Thèse,

Université de Paris Descartes, 2014, pp. 288-303.


5 ATANGA FONGUE (R.), Contrôle fiscal et protection du contribuable dans un

contexte d’ajustement structurel : le cas du Cameroun, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 2.


6 Conseil d’Etat, Sécurité juridique et complexité du droit, op. cit., p. 229.
7 FOUQUET (O.), Améliorer la sécurité juridique des relations entre l’administration fiscale et les

contribuables : une nouvelle approche, Rapport au Ministre du budget, des comptes publics et de
la fonction publique, 2008, p. 7.
8 Rapport public du Conseil d’État, 1991, De la sécurité juridique, Paris, La Documentation

française, p. 10.
213
Selon une certaine doctrine, la sécurité juridique est rattachée à l’idée
même de droit9. Elle apparait à la fois comme la finalité du droit10, son
fondement11 et sa condition essentielle12 et indispensable13. En droit
européen14, c’est le principe selon lequel les particuliers et les entreprises
doivent pouvoir compter sur une stabilité minimale des règles de droit et
des situations juridiques. C’est ainsi qu’il en découle un certain nombre de
règles de droit positif, comme la non-rétroactivité des textes, ou le principe
de confiance légitime15 qui sera implicitement repris par le Conseil
d’État16. Dans le contexte africain, au plan supranational notamment, le
Traité révisé de l’OHADA prend en compte à la fois la sécurité juridique
et la sécurité judiciaire17. Il exprime la double dimension de la notion de
sécurité juridique au sein des Etats parties au Traité OHADA18 : la
dimension textuelle ou normative qui se traduit par la précision, la
cohérence et le caractère complet de la norme juridique applicable19 ; et la
dimension processuelle ou institutionnelle20 qui s’exprime par la simplicité
et l’adaptabilité des règles de procédure. Cependant, au sein de l’OHADA,
la sécurité juridique n’a que la valeur d’un objectif21, celui de
l’uniformisation du droit en vue de « l’assainissement de l’environnement
juridique des affaires »22.
En Côte d’ivoire, la note administrative consacrée aux règles de
contrôle de l’impôt23 considère aussi la sécurité juridique comme un

9 POUGOUE (P-G), « Les figures de la sécurité juridique », RASJ, vol. 4, n°1, 2007, p. 4.
10 Ibid. p. 1.
11 FROMONT (M.), « Le principe de sécurité juridique », AJDA, 1996, p. 178.
12 BÉRANGER (H.) et FILS (E.) (rédac.), « La sécurité juridique », Avant-propos de la 4ème

Convention des juristes de la Méditerranée, Acte du colloque d’Alger, 9-10 décembre 2012,
JCP-G, suppl. au n°27, 2013.
13 Rapport public du Conseil d’Etat, Sécurité juridique et complexité du droit, Paris, La

Documentation française, coll. EDCE, n°57, 2006, p. 281.


14 Voir en ce sens : CJCE, 6 avril 1962, Bosch, Rec. p. 89.
15 GUINCHARD (S.), DEBARD (Th.), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 2017,

25ème éd., p. 1882 ; voir en ce sens : CJCE, 5 mai 1981, Dürbeck, Rec. p. 1095.
16 CE Ass., arrêt du 24 mars 2006, Société KPMG et autres, Rec. p. 154.
17 Voir préambule du Traité de Port-Louis (Ile Maurice) du 17 octobre 1993 modifié par le

Traité de Québec (Canada) du 17 octobre 2008.


18 Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires.
19 MEYER (P.), « La sécurité juridique et judiciaire dans l’espace OHADA », Penant, n°855,

avril-juin 2006, p. 151.


20 Ibidem ; Voir dans le même sens, NZOHABONAYO (A.), « La préservation de la

sécurité juridique et judiciaire des affaires à travers les formations : le cas de l’ERSUMA et
des commissions nationales OHADA », RDU, Vol. 23, 19 mars 2018, pp. 127-143 ;
EKANI (S. C.), « Intégration, exequatur et sécurité juridique dans l’espace OHADA. Bilan
et perspective d’une avancée contrastée », RIDE, 2017, t. XXXI, pp. 55-84.
21 MEYER (P.), « La sécurité juridique et judiciaire dans l’espace OHADA », op. cit., p.

151. ; Voir ISSA-SAYEGH (J.), « Introduction du Traité aux actes uniformes de


l’OHADA », in Traité OHADA, Actes uniformes, généralités, D-02-17.
22 Article 1er du Traité de Port-Louis du 17 octobre 1993 précité.
23 Côte-d’Ivoire, Note n°3333/MEMEF/DGI-DLC/nt 023-023/2002-12ba du 26

décembre 2002.
214
objectif poursuivi en droit fiscal alors que la Chambre administrative de la
Cour Suprême l’envisage comme un moyen de protection des droits
acquis24. De même au Bénin, la sécurité juridique a été utilisée par le juge
constitutionnel comme une garantie de « l’intelligibilité des textes normatifs »25.
Puisant ses racines dans la sécurité juridique26, la sécurité fiscale est
formée du substantif « sécurité » et de l’adjectif « fiscale ». La sécurité est un
nom féminin issu du latin securitas, de securus qui signifie sûr, sinecura, c’est-
à-dire sans soucis, sans inquiétude, calme. Elle exprime la « situation objective
correspondant à l’absence réelle de danger »27. C’est ainsi que l’on peut parler de
l’obligation de sécurité, de sécurité publique, de sécurité sociale, de sécurité
juridique, mais aussi de sécurité fiscale. L’adjectif fiscal pour sa part
exprime ce qui se rapporte à l’impôt ou à la fiscalité. Par impôt, il faut voir
« une forme spécifique de prélèvement obligatoire auquel sont soumis les
contribuables »28. L’impôt est principalement destiné à financer les dépenses
budgétaires de l’Etat et de certains organismes publics, collectivités
territoriales décentralisées, et établissements publics29. Il est aussi considéré
comme un instrument d’intervention économique et de régulation
sociale30. Au regard de ce qui précède, la garantie de la sécurité fiscale peut
être définie dans le cadre de cette étude comme exprimant tout mécanisme
qui prémunit le contribuable contre les risques de changements des
régimes d’imposition.
Dans les Etats de l’Afrique noire francophone31 le problème de la
sécurité fiscale découle des préoccupations constantes des contribuables
vis-à-vis non seulement de la législation fiscale, notamment sa complexité,
ses mutations32 et son renouvellement annuel, mais aussi des nombreuses

24 Elle affirme qu’un « acte, qui prive d’effets, même temporairement, des actes administratifs créateurs
de droits devenus définitifs, porte atteinte au principe de la sécurité juridique et aux droits acquis » : Voir
CA-CS de Côte d’ivoire, arrêt n°12, 23 avril 2008, Req. n°2007-121 REP du 12 avril 2007,
Association du quartier Houphouët-Boigny et autres c/Ministère de la construction et l’urbanisme.
25 Voir, Cour Constitutionnelle du Bénin, DCC 17-090 du 25 avril 2017 ; Cour

Constitutionnelle du Bénin, DCC 06-074 du 08 juillet 2006.


26 Sur ce point, lire utilement POUGOUE (P-G), « Les figures de la sécurité juridique », op.

cit. pp. 1-8.


27 Ibid., p. 1.
28 BOUVIER (M.), Introduction au droit fiscal général et à la théorie de l’impôt, Paris, LGDJ, 2020,

14ème éd., p. 23.


29 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, coll. Quadrige, 2017, 11ème éd., p. 526.
30 Ibidem.
31 L’étude portera davantage sur le Bénin, le Burkina-Faso, le Cameroun, la République

Démocratique du Congo, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Mali, le Congo, le Sénégal et le


Togo.
32 OUEDRAOGO (S.-M.), « Regard extérieur sur les mutations récentes des

administrations fiscales », in Magloire ONDOA et Patrick Edgard ABANE ENGOLO


(dir.), Les transformations contemporaines du droit public en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2018, p.
78.
215
transformations des administrations fiscales33. C’est ainsi que la question a
intéressé la doctrine locale34 même si elle n’a pas été envisagée dans une
approche comparative au sein d’un ensemble d’Etats du continent. C’est
ce qui justifie que la présente étude portée sur le cas des Etats de l’Afrique
noire francophone. Le choix est aussi relatif à la communauté linguistique
caractéristique de ces Etats qui partagent le français comme langue
officielle35, et à la similitude du contenu des législations fiscales en raison
de la convergence de leurs modèles juridiques36.
Au regard de ce qui précède, il s’avère que notre étude mérite d’être
effectuée à plus d’un titre. D’abord, il s’agit de mobiliser les critères
d’identification de la sécurité fiscale dans ces Etats. L’étude vise alors à
mettre en avant les paramètres que la norme fiscale doit afficher pour
répondre à l’exigence de sécurité fiscale. D’autre part, la recherche permet
de voir comment la fiscalité de ces Etats protège les contribuables dans un
contexte marqué par l’incitation aux investissements et l’optimisation de la
croissance économique. De ce point de vue, le sujet s’enracine certes dans
un projet politique, celui de la tradition démocratique, mais a aussi une
portée économique indéniable. Dans ce cadre, le besoin de sécurité fiscale
se fait de plus en plus ressentir37 aussi bien pour ces Etats en quête
d’investissements38, que pour le contribuable qui recherche un cadre
rassurant pour mener à bien ses activités.
Fort de ces considérations, il semble judicieux de se poser la
question suivante : la sécurité fiscale est-elle garantie dans les Etats
de l’Afrique noire francophone ? Une telle question aboutit à
l’hypothèse d’une garantie mitigée. Pour y parvenir, l’approche
méthodologique retenue est le positivisme juridique39 avec un recours au
droit comparé. A partir de l’analyse des textes juridiques et de la
jurisprudence régissant les impositions ou la fiscalité dans les États sous
étude, l’on constate que la sécurité fiscale est avérée (I) et altérée (II).

33 A ce propos, lire utilement PEKASSA NDAM (G.-M.), « Les transformations de


l’administration fiscale camerounaise », in Magloire ONDOA (dir.), L’administration
camerounaise à l’heure des réformes, Paris, L’Harmattan, coll. Harmattan Cameroun, 2010, p. 29.
34 Voir NGAVANGA (N. M.), L’incidence du contentieux de la nullité sur la sécurité juridique du

contribuable en droit fiscal camerounais, Thèse de doctorat/Ph.D en droit public, Université de


Yaoundé II, 2018-2019, 275 p. ; OKOU (U.), La sécurité juridique en droit fiscal. Etude comparée
France-Côte d’Ivoire, op. cit.
35 CABANIS (A.), GUEYE (B.), « Dire le droit constitutionnel en Afrique francophone »,

Droit sénégalais n°11, 2013, p. 105.


36 BALDE (S.), La convergence des modèles constitutionnels. Etude des cas en Afrique subsaharienne,

Paris, Publibook, 2011, 536 p.


37 BOUVIER (M.), Introduction au droit fiscal général et à la théorie de l’impôt, op. cit., p. 227.
38 BOUVIER (M.), « La sécurité fiscale : une politique publique à part entière », RFFP,

n°130, 2015, p.v.


39 CHAMPEIL-DESPLATS (V.), Méthodologie du droit et des sciences du droit, Paris Dalloz, coll.

Méthodes du droit, 2014, p. 111.


216
I. La sécurité fiscale avérée
L’observation des systèmes fiscaux des Etats sous étude permet
d’affirmer que les exigences qui se rapportent directement ou
exclusivement à la matière fiscale, notamment les principes de légalité et
d’égalité devant l’impôt et de la protection du contribuable contre les
changements de la doctrine fiscale sont bien garanties. Non seulement leur
consécration est expressément articulée (A), mais leur protection est aussi
diversement opérée (B).
A. La consécration expressément articulée
Dans les Etats de l’Afrique noire francophone, les Constitutions et
les lois en vigueur proclament les principes de légalité de l’impôt et
d’égalité devant l’impôt (1) pour assurer la sécurité dans la confection de la
norme fiscale, alors que la protection du contribuable contre les
changements de la doctrine fiscale est instituée (2) pour assurer la sécurité
dans l’exécution de la norme fiscale.
1. La proclamation des exigences de légalité et d’égalité de
l’impôt
Les principes de légalité et d’égalité de l’impôt sont deux exigences
qui doivent être pris en compte dans le processus d’élaboration de la loi
fiscale afin d’assurer la sécurité fiscale.
La légalité de l’impôt ou principe de la légalité fiscale s’articule
autour de deux attributs théoriques porteurs de sécurité fiscale. Le premier
désigne la compétence du pouvoir législatif en matière d’impôts et permet
de distinguer les questions fiscales qui sont du domaine de la loi, de celles
qui doivent être traitées par des règlements. Elle exprime donc le « caractère
de ce qui doit être établi par la loi »40. Le second renvoie à l’obligation qui pèse
sur l’administration fiscale de se soumettre au droit durant la mise en
œuvre des prélèvements obligatoires41.
Suivant la première acception, la légalité42 est gage de sécurité fiscale
dans la mesure où elle permet d’éviter ou de limiter la prolifération des
normes fiscales et l’embarras dans lequel le contribuable pourrait se
retrouver pour identifier la norme adéquate. Le projet d’élaboration de la
norme fiscale est alors précédé d’une bonne réflexion pour déterminer au-
delà de la nécessité d’une telle opération, son niveau d’adéquation, c’est-à-
dire s’il faut recourir à un texte législatif ou règlementaire. La légalité selon

40 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 526.


41 AKONO ONGBA SEDENA, L’apport du juge administratif au droit fiscal au Cameroun,
Thèse de Doctorat/Ph.D en droit public, Université de Yaoundé II, 2013, p. 174.
42 Etabli depuis fort longtemps au Royaume uni de Grande Bretagne, le principe de légalité

a un fondement fiscal. Ainsi, la Magna Carta de 1215 consacra ce principe en disposant :


« aucun écuage ou aide ne sera établi dans notre Royaume, sans le consentement du commun Conseil de
notre Royaume à nous, que ce soit pour le rachat de notre personne, la chevalerie de notre fils ainé et le
mariage de notre fille aînée, une fois seulement et en ce cas ne sera levée qu’une aide raisonnable ».
217
cette acception première est d’abord posée par les constituants des Etats
sous étude. Les formules diffèrent selon les cas43, mais le contenu est le
même. Les dispositions qui le consacrent donnent mandat au parlement de
légiférer en matière de création des impôts et taxes et détermination de
l’assiette, du taux et des modalités de recouvrement de ceux-ci. Il est
ensuite repris par les lois. Au Bénin par exemple, la loi44 dispose
qu’« aucune recette ne peut être liquidée ou encaissée si elle n’a pas été autorisée par une
loi de finances ».
La légalité ainsi appréhendée assure aussi la stabilité du droit fiscal
en évitant de tomber dans l’illégalité. Ce faisant, elle implique la seconde
acception de la légalité pour désigner la « conformité à la loi »45, la non-
infraction à la loi46, mieux le respect de la répartition entre le domaine
fiscal législatif et le domaine fiscal règlementaire établi par le constituant.
Le professeur Jacques CHEVALLIER écrit dans ce sens que « le principe de
légalité implique […] l’assujettissement de la puissance de l’Etat : l’activité des divers
organes de l’Etat va se trouver enchaînée et régie par le Droit »47. Ainsi, la légalité
désigne le « caractère de ce qui est conforme à la loi […], plus largement au Droit
écrit, parfois même au Droit positif dans son ensemble »48. Les préambules des
Constitutions togolaise, béninoise et gabonaise notamment, consacrent la
légalité au sens large par l’affirmation respective de l’« Etat de droit »49 et de
la « légalité républicaine »50. La stabilisation du droit et la sécurisation des
contribuables sont dès lors assurées dans la production de la norme fiscale
dans la mesure où les acteurs du processus d’élaboration de la loi de
l’impôt sont tenus de se conformer au droit positif. Aussi, l’administration
fiscale est tenue de respecter le domaine de production et par conséquent

43 Voir à titre d’exemple, les articles 122 de la Constitution de la République démocratique


du Congo du 18 février 2014 ; 98 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 ; 47 de
la loi n°47/2010 du 12 janvier 2011 portant révision de la Constitution gabonaise du 26
mars 1991; 26 alinéa 1er d) 3) de la loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la
Constitution camerounaise du 02 juin 1972.
44 L’article 6 de la loi organique n°2013-14 du 27 septembre 2013 relative aux lois de

finances. Voir aussi, l’article 8 de la loi n°20.2014 relative aux lois de finances et à
l’exécution du budget au Gabon qui dispose que : « l’assiette, le taux et les modalités de
recouvrement des prélèvements obligatoire, ne peuvent être établis, supprimés ou modifiés que par (…) une
loi de finances ». Au Cameroun, l’alinéa 6 de l’article 4 de la loi n°2018-012 du 12 juillet 2018
portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques va dans le même sens que
les textes évoqués ci-avant : « aucun impôt ne peut être émis, recouvré ou exonéré, […], sans avoir été
autorisée par une loi de finances ».
45 MALAURIE (Ph.) et AYNES (L.), Introduction à l’étude du droit, Paris, LGDJ, 2020, 8ème

édition, p. 381 ; Voir dans ce sens, CORNU (G.), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 600.
46 EISENMANN (Ch.), Cours de Droit Administratif, Paris, LGDJ, Tome I, 1983, p. 227.
47 CHEVALLIER (J.), « La dimension symbolique du principe de légalité ». Texte présenté

au séminaire du Valais sur « Le principe de légalité », Crans-sur-Sierre, 30-31 mai et 1er juin
1990, p. 1652.
48 MALAURIE (Ph.) et AYNES (L.), Introduction à l’étude du droit, op. cit, p. 381.
49 Voir, le préambule de la Loi n°90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la

République du Bénin ; le Préambule de la Constitution Togolaise du 15 mai 2019.


50 Voir le préambule de la loi n°47/2010 du 12 janvier 2011 portant révision de la

Constitution de la République gabonaise du 26 mars 1991.


218
de se conformer aux prescriptions normatives. La légalité contribue ainsi
grandement à la sécurisation de la relation fiscale entre l’administration et
les contribuables dans la mesure où ces derniers sont rassurés de ce que les
actes d’imposition auxquels ils sont soumis ont été édictés en conformité
avec le droit. La sécurité fiscale est également soutenue par le principe de
l’égalité devant l’impôt.
Le principe de l’égalité de l’impôt peut être considéré suivant une
acception générique et une acception spécifique. Suivant la première
acception, le principe consiste en l’égalité des contribuables devant la loi
fiscale. L’impôt assure ainsi la stabilité du droit fiscal et participe à la
sécurité juridique dans la mesure où tous les contribuables qui se trouvent
dans une situation identique sont traités de la même manière. Dans
certains Etats d’Afrique noire francophone, le principe est consacré de
manière implicite au plus haut niveau de la hiérarchie kelsénienne des
normes51. Les Constitutions burkinabé52 et Congolaise53 quant à elles ont
clairement exprimé cette exigence en matière fiscale. Elles disposent
respectivement que « le devoir de s’acquitter de ses obligations fiscales conformément
à la loi s’impose à chacun » ; « Tout congolais (…) a en outre, le devoir de s’acquitter
de ses impôts et taxes ».
Dans sa conception spécifique, le principe d’égalité est entendu
comme l’égalité devant l’impôt. C’est ce principe qui fonde la justice
fiscale. Mais l’égalité dont il s’agit est davantage une égalité par l’impôt que
d’une stricte égalité devant l’impôt utilisé comme outil de redistribution.
Elle suppose une proportionnalité fiscale, en mettant en place des taux
progressifs afin d’assurer entre contribuables, une répartition plus juste de
la charge fiscale et de favoriser une égalité de sacrifices financiers. Elle
s’articule autour de la formule selon laquelle : « chacun doit participer en
proportion de ses capacités aux charges publiques »54 ou encore « chacun doit
participer, en proportion de ses capacités au financement des dépenses publiques »55.
Par la proclamation de l’égalité devant l’impôt, tous les
contribuables ont le sentiment d’être tenus par les obligations fiscales,
même si le montant de l’impôt à payer est modulable suivant les facultés
contributives réelles de chacun. La sécurité fiscale s’avère être ainsi
générale. Ce sentiment de sécurité persiste même lorsqu’il y a une réforme

51 Au Togo, l’article 2 de la Constitution de la VIème République affirme que « La


République togolaise assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race, de
sexe, de condition sociale ou de religion » ; au Cameroun, la loi n° 96/006 du 18 janvier 1996
portant révision de la Constitution du 2 juin 1972 proclame dans son préambule que :
« Tous les hommes sont égaux en droits et en devoirs ». Dans le dispositif, l’alinéa 2 de l’article 1er
de la même loi dispose que l’Etat « assure l’égalité de tous les citoyens devant la loi ». Au Gabon,
voir le préambule et article 2 de la Constitution du 26 mars 1991 révisée le 11 janvier 2018.
Au Bénin, voir point numéro 5 du préambule de la Constitution 11 décembre 1990.
52 Article 17 de la Constitution burkinabé.
53 Article 65 de la Constitution de la République démocratique du Congo.
54 Préambule de la Constitution camerounaise du 2 juin 1972.
55 Préambule de la Constitution gabonaise du 26 mars 1991 révisée le 11 janvier 2018.

219
fiscale. Il suffit que la réforme dont il est question ait une portée générale
et qu’elle ne vise pas certaines catégories de contribuables.
Au regard de ce qui apert, il est noté que l’élaboration de la norme
fiscale est sous-tendue par la sécurité fiscale. Cette dernière est aussi portée
par l’obligation de protection contre les changements de la doctrine fiscale
dans le cadre de l’exécution de la norme fiscale.
2. L’institution de la protection contre les changements de la
doctrine fiscale
Une fois la norme fiscale confectionnée, elle a vocation à
s’appliquer. Or il s’avère très souvent que la norme fiscale contienne des
imprécisions qui appellent des clarifications de la part du fisc.
L’interprétation ainsi opérée prend la dénomination de doctrine fiscale et
se traduit par la publication des instructions, circulaires ou tout autre
document administratif56. Elle lie l’administration fiscale de sorte que toute
interprétation ultérieure contraire et défavorable au contribuable ne puisse
lui être opposable. Il peut arriver que le fisc interprète une disposition
fiscale dans un sens qui modifie son interprétation initiale, soit par le fait
d’une inadéquation avec l’esprit du texte interprété, ou en raison d’un
changement ultérieur, ou enfin par des clarifications supplémentaires. Le
contribuable de bonne foi est protégé contre les effets négatifs de cette
nouvelle interprétation facteur d’imprévisibilité et un vecteur d’insécurité
juridique, notamment lorsqu’elle ne lui assure pas le maintien des droits
acquis par l’interprétation initiale. L’interprétation du fisc peut avoir une
portée générale ou personnelle.
L’interprétation a une portée générale lorsqu’elle est faite à
l’initiative de l’administration fiscale. La Note officielle relative au contrôle
fiscal en Côte d’ivoire qui reprend l’article 21 (2) du LFP précise que
« lorsque l’administration apprécie favorablement la situation fiscale d’un contribuable
au regard des textes dans un objectif de sécurité juridique, cette interprétation est
opposable à l’administration »57. Son contenu est identique aux articles 37 du
LPF camerounais et 1103 ter du Code général des impôts béninois.
L’interprétation a une portée individuelle lorsqu’elle est faite à la
demande du contribuable. Elle est dénommée rescrit fiscal ou « tax
ruling »58. Il s’agit d’un outil traditionnel du droit fiscal consistant en une
prise de position anticipée de l’administration fiscale sur une opération
particulière. Au Cameroun comme en Côte d’ivoire59, au Mali60, et très

56 Voir articles 21 (1) du L.P.F. ivoirien ; 37 du LPF camerounais et 1103 ter du Code
général des impôts béninois.
57 Note n°3333/MEMEF/DGI-DLC/nt 023-023/2002-12/ba du 26 décembre 2002, in

Doctrine administrative : 1996-2002 (t. 2), p. 224 et s. (pour la Côte d’Ivoire).


58 Aux États-Unis d’Amérique, le rescrit (ou ruling) se présente sous deux aspects. Il peut

s’agir d’abord d’une interprétation des textes fiscaux publiée par l’administration (revenue
ruling) et qui s’apparente aux instructions administratives françaises. Il peut s’agir aussi
d’une réponse écrite du Fisc à un contribuable (private ruling).
59 Article 21 du LPF ivoirien.

220
récemment au Bénin61, il est indiqué que « tout contribuable peut, préalablement
à la conclusion d’une opération sous la forme d’un contrat, d’un acte juridique ou d’un
projet quelconque, solliciter l’avis de l’Administration sur le régime fiscal qui lui est
applicable. Lorsque le contribuable a fourni à l’Administration l’ensemble des éléments
nécessaires à l’appréciation de la portée véritable de l’opération en cause, la position
énoncée par celle-ci garantit le contribuable contre tout changement d’interprétation
ultérieur »62. Cette procédure du rescrit fiscal permet ainsi au contribuable
de saisir l’administration fiscale à l’effet de connaitre le régime fiscal à
appliquer à une opération envisagée. On peut se féliciter de ce que cette
procédure soit consacrée par ces Etats dans la mesure où elle présente un
intérêt tout particulier pour les contribuables qui envisagent un montage
juridique particulièrement complexe ou inédit. La réponse que lui apporte
l’administration lui permet de conduire son projet en connaissance de
cause63. Cette réponse, opposable, sécurise l’opération et non seulement
s’inscrit dans le cadre des relations entre l’administration et les usagers64,
mais aussi constitue un moyen de prévenir les conflits et les contentieux
lors de l’exercice du contrôle fiscal.
La multiplication des textes et les risques d’insécurité qui pourraient
en découler sont bien heureusement réglés par l’institution des manuels
dénommés « Doctrine administrative »65 ou « Recueil de doctrine administrative
fiscale »66 dont la parution est à vocation périodique. Ce document
comporte l’essentiel de la doctrine administrative rendue publique avec
pour but d’assurer l’harmonisation des interprétations et d’éviter au
contribuable les erreurs d’interprétation. On se trouve alors en face d’un
mécanisme de garantie de la sécurité fiscale qui émerge dans les Etats de
l’Afrique noire francophone et qui est renforcé par une diversité de
procédés de protection.
B. La protection diversement opérée
Au-delà de l’énoncé textuel, la garantie de la sécurité fiscale est
renforcée dans les systèmes fiscaux des Etats africains noirs francophones
par une protection non contentieuse (1) et contentieuse (2).

60 Il a été introduit par la Loi n°2017-073 du 26 décembre 2017 portant loi de finances.
61 Article 1103 ter du CGI béninois. Il est introduit par la Loi n°2020-33 portant loi de
finances pour la gestion 2021.
62 Article L33 bis du LPF camerounais. Cette procédure a été introduite par la Loi

n°2007/005 du 26 décembre 2007 portant loi de finances de l’exercice budgétaire 2008. En


2017, la DGI a reçu et traité 28 demandes de rescrit fiscal : cf. Direction Générale des
Impôts, Rapport annuel, 2017, p. 84.
63 BILOUNGA (S. Th.), « Les droits du contribuable au Cameroun », op. cit. p. 112 ; Voir

aussi, ATANGA FONGUE (R.), Contrôle fiscal et protection du contribuable dans un contexte
d’ajustement structurel, op. cit. 342 p.
64 RUSSEL (F.), Rapport sur la proposition de loi créant une liste française des paradis fiscaux, AN,

2018, n°683, p. 14.


65 En Côte d’ivoire.
66 Au Mali et au Cameroun.

221
1. La protection non contentieuse
La protection non contentieuse est celle opérée par l’administration
fiscale. Dans le fonctionnement des systèmes fiscaux sous étude, le
contribuable peut la saisir pour se prémunir, comme cela a été indiqué plus
haut, contre les changements de la doctrine fiscale. La demande doit être
formulée, selon le cas soit avant la date d’expiration du délai dont dispose
le contribuable pour faire sa déclaration, soit en l’absence d’obligation
déclarative, avant la date de paiement de l’impôt concerné. La demande de
rescrit doit être adressée par écrit au Directeur Général des Impôts67.
L’Administration répond dans un délai68 ou, en cas de demande
incomplète, à partir de la réception des compléments d’informations
demandés. Ainsi, au Cameroun, la DGI a reçu et traité 28 demandes de
rescrit fiscal en 201769.
Le contribuable peut aussi saisir l’administration fiscale par une
réclamation préalable. Ce mécanisme y occupe une place de choix dans la
préservation de la sécurité fiscale, étant entendue comme l’acte par lequel
le contribuable s’adresse à l’autorité fiscale afin d’obtenir ce qu’il estime
être son dû, de respecter son droit70. Au surplus, comme le remarque
Monsieur Roland ATANGA FONGUE, « l’examen du traitement processuel
des réclamations des contribuables […] montre que les recours devant l’administration
demeurent de loin la modalité essentielle de la résolution des conflits entre les
contribuables contrôlés et l’administration »71. C’est une contestation portant sur
le bien-fondé de tout ou partie d’une imposition72. Plus précisément, c’est
un acte par lequel le contribuable doit saisir l’administration fiscale avant
de saisir le tribunal compétent73.
L’essentiel de la doctrine fiscale la perçoit suivant l’impératif de sa
mise en œuvre préalable par les contribuables requérants. Selon les cas, le
litige est porté devant le juge compétent74, après notification de la décision
de l’administration au réclamant75 ou à l’expiration du délai76 dont le non-

67 Article 1103 ter du CGI béninois.


68 Au Bénin, le délai est de trois (03) mois à partir de la réception de la demande (article
1103 ter du CGI).
69 Voir, Direction Générale des Impôts, Rapport annuel, 2017, p. 84.
70 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 860.
71 ATANGA FONGUE (R.), Le contrôle fiscal et protection du contribuable dans un contexte

d’ajustement structurel : le cas du Cameroun, op. cit., p. 279.


72 BOUVIER (M.), Introduction au droit fiscal général et à la théorie de l’impôt, op. cit., p. 123.
73 Ibidem.
74 Sur l’attribution des compétences au juge en matière fiscale, voir notamment articles 709

et 710 – VI du CGI au Sénégal ; articles L 199 et L 281 du LPF en Côte d’ivoire ; articles P-
1033, 1077 et 1119 du CGI au Gabon ; article 1108 du CGI au Bénin ; articles 649, 655 et
659 du CGI au Burkina Faso ; articles L115 et L 126 du LPF au Cameroun.
75 A propos des délais de saisine du juge fiscal, ils sont dans la plupart des Etats de deux

mois à partir de la réception de l’avis portant notification de la décision ou de la décision


implicite de rejet dans la plupart des Etats : article 708-III du CGI au Sénégal ; article 656
(1) et (2) du CGI au Burkina Faso ; article L 199 du LPF en Côte-d’Ivoire ; article 1108 du
CGI au Bénin ; article 1036 du CGI au Gabon ; article 670 du CGI au Mali ; article L126
222
respect abouti à la forclusion77. Ainsi, sous certaines conditions78, le
contribuable qui se croit imposé à tort ou surtaxé peut en faire
réclamation, par écrit directement au ministre des finances79 ou au
Directeur général des impôts80 ou saisir au titre d’un recours hiérarchique,
le Chef de Centre Régional des impôts ou le Directeur en charge des
grandes entreprises selon le montant des dégrèvements sollicités81. Gilles
NOEL parle d’une « obligation qui institue plusieurs contraintes qui conditionnent
étroitement l’action contentieuse du contribuable »82. Pour Félix ATECK A DJAM,
c’est une « obligation […] qui s’impose à l’administré qui entend élever une
contestation dans une situation qui n’a pas encore fait l’objet d’une décision
administrative »83. Le professeur Thierry LAMBERT penche pour « un recours
[…] obligatoire sous peine d’irrecevabilité »84. Cet impératif va emmener certains
auteurs à considérer la réclamation préalable comme une protection
précontentieuse de l’administration fiscale85. Mais, il faut noter que cette
lecture ne saurait totalement convaincre.

du LPF au Cameroun. Lire dans le même sens, BARRILARI (A.) et DRAPE (R.), Lexique
fiscal, Paris, Dalloz, 1992, 2ième éd., p. 144.
76 L’absence de réponse au bout du délai imparti à l’administration fiscale vaut décision

implicite de rejet. Au Burkina Faso ce délai est de 3 mois (article 654 du CGI) suivant la
date de réception ; au Gabon, le délai imparti à l’administration fiscale est de 4 mois ou 6
maximum à compter de la date de réception (article 1051 du CGI) ; au Bénin, il est de 6
mois suivant la date de présentation de la demande (article 1108 du CGI) ; au Cameroun, le
délai est de trois (3) mois à compter de la date de réception de la réclamation (articles L116
al. 1 et L119 du LPF).
77 Voir en ce sens le Jugement n° 37/CS/CA du Cameroun du 4 Mars 1976, Société

Camerounaise d’Exploitation Vinicole contre Etat du Cameroun. Il résulte de l’instruction


de cette affaire « qu’après avoir eu connaissance, courant du mois de Novembre 1970, des impositions
attaquées, notifiées à la requérante par lettre n°194 du 11 Novembre 1970, de l’inspecteur des
contributions directes de Douala, celle-ci a fait une déclaration au directeur des contributions directes de
Douala, par lettre du 19 Mai 1971, puis adressé sa réclamation au Ministre des Finances le 1er Mars
1972, soit un an deux mois après la notification de la décision du 11 Novembre 1970 portant
redressement et rectification des impositions émises, pour enfin introduire un recours contentieux le 17 Juillet
1972, qu’il s’en suit que la réclamation de la recourante adressée le 1er Mars 1972 au Ministre des
Finances est tardive, et dès lors son recours est irrecevable ».
78 Sans être exhaustif, la réclamation susvisée doit, à peine d’irrecevabilité, globalement

remplir les conditions suivantes : être présentée par écrit, signée du réclamant ou de son
mandataire - être timbrée - mentionner la nature de l’impôt - contenir l’exposé sommaire
des faits, moyens et les conclusions de la partie - préciser le montant des dégrèvements en
droit et en pénalité sollicités et être accompagné d’une copie de la décision contestée. Voir
dans ce sens, les articles P-1036 à 1038 du CGI au Gabon ; Articles 650 à 652 du CGI au
Burkina Faso ; article 707 (II) du CGI du Sénégal ; article 116 du LPF camerounais.
79 Article 1108 du Code général des impôts béninois et article 707 (I) du CGI sénégalais.
80 Article 650 du CGI burkinabè.
81 Au Cameroun, articles 116 à 118 du LPF ; au Gabon, article 1034 du CGI ; au Mali,

article 646 du LPF.


82 NOEL (G.), La Réclamation Préalable devant le Service des Impôts, Paris, LGDJ, 1985, p. 27.
83 ATECK A DJAM (F.), Droit du Contentieux fiscal Camerounais, Paris, L’Harmattan, 2009, p.

47.
84 LAMBERT (Th.), Contentieux Fiscal, Paris, Hachette, 2011, P.31.
85 ATANGA FONGUE (R.), Contrôle fiscal et protection du contribuable dans un contexte

d’ajustement structurel : le cas du Cameroun, op. cit. p. 266.


223
La réclamation préalable doit davantage être perçue comme un
instrument au service de la sécurité fiscale, pour plusieurs raisons.
D’abord, en saisissant l’administration au préalable, cette dernière, auteur
de l’acte litigieux, peut revenir sur sa position et ainsi réparer le préjudice.
Cette procédure serait donc un facteur de bonne administration dans les
rapports entre le contribuable et l’administration fiscale86, qu’il est supposé
favoriser. Désormais, l’administration n’a plus besoin de soumettre ses
propres erreurs à la sanction ou à la correction du juge. Elle peut s’en saisir
d’office et donner satisfaction au contribuable. Ce dernier peut le lui faire
remarquer ou réclamer un droit dont il aurait dû bénéficier et dont il a été
privé. Ce qui a aussi l’avantage d’alléger le déroulement de la procédure.
L’administration, bien que se jugeant elle-même, a la capacité de se
remettre en cause, étant donné que « l’agent signataire n’est jamais celui qui a
assis l’impôt »87. En d’autres termes, l’autorité administrative qui juge n’est
jamais celle dont l’acte est remis en cause. Ce qui serait un gage
d’impartialité, de neutralité et une garantie contre l’arbitraire. Il s’agit d’un
des objectifs visés par cette procédure fiscale, établir notamment une
proximité entre l’administration et le contribuable par le moyen du
dialogue en raison même d’un attachement à ce moyen de communication
comme cadre de résolution des conflits, dans la conscience collective de la
plupart des États africains88.
Par ailleurs, la réclamation préalable est une prétention pour le
bénéfice d’un droit, une « institution capitale du procès fiscal »89, qu’il s’agisse du
contentieux de l’imposition ou du contentieux du recouvrement. C’est
ainsi qu’elle apparait comme un gage de sécurité juridique. Mais, il n’en
demeure pas moins que la protection de la sécurité fiscale peut aussi
s’opérer par des voies juridictionnelles.
2. La protection contentieuse
La sécurité fiscale serait une simple vue de l’esprit si les mécanismes
de garantie consacrés, ne pouvaient bénéficier de la protection du juge et si
le prétoire était fermé aux contribuables. Fort heureusement, le droit
d’ester en justice est reconnu au contribuable90 dans les Etats sous étude,
et le contrôle juridictionnel y semble définitivement admis91. Ainsi, les
décisions rendues par l’administration fiscale qui ne donnent pas

86 Voir notamment, SCHRAMECK (O.), « Le recours administratif préalable obligatoire est


un investissement rentable pour l’administration », AJDA, n°30, 2008, p. 1628.
87 BOUVIER-NIKONOFF (C.), « La Direction générale des impôts et le contrôle fiscal »,

in Thierry LAMBERT (dir.), Contentieux fiscal, principes et pratiques, Paris, STH, 1989, p. 13.
88 Voir notamment BAH (T.), « Les mécanismes traditionnels de prévention et de

résolution des conflits en Afrique noire », in Les fondements endogènes d’une culture de la paix en
Afrique : Mécanismes traditionnels de prévention et de résolution des conflits, UNESCO, octobre 1999,
pp. 1 et s.
89 NOEL (G.), La Réclamation Préalable devant le Service des Impôts, op.cit. p. 12.
90 BILOUNGA (S. Th.), « Les droits du contribuable au Cameroun », op. cit. p. 114 et s.
91 Ibidem.

224
satisfaction aux contribuables peuvent être portées devant le juge de
l’impôt92. Le juge apparait dès lors comme un rempart93 contre toute
velléité d’abus du pouvoir et un garant de l’axe juridictionnel de la sécurité
juridique94.
En raison de la variation des modes d’organisation judiciaire dans
les Etats d’Afrique noire francophone, la notion de juge fiscal n’a pas
nécessairement la même portée. Dans les systèmes caractérisés par une
organisation dualiste (parfaitement établie95 ou non96), elle renvoie aux
juridictions administratives et judiciaires dont la compétence varie selon la
nature des impôts ou selon le type de contentieux97. Dans les systèmes
monistes98 en revanche, c’est le même tribunal qui connaît de tout le
contentieux fiscal étant donné qu’il est compétent pour toutes les affaires
judiciaires ou administratives99. Dans tous les cas, le juge est saisi par le

92 V. notamment, les articles 1070 du CGI au Gabon, 709 du CGI au Sénégal, article 194
du LPF de Côte d’ivoire.
93 ATANGA FONGUE (R.), Le contrôle fiscal et protection du contribuable dans un contexte

d’ajustement structurel : le cas du Cameroun, op. cit., § 863.


94 OKOU (U.), La sécurité juridique en droit fiscal. Etude comparée France-Côte d’Ivoire, op. cit., p.

586.
95 A titre d’exemple, l’on peut citer le Burkina Faso : l’article 126 de la Constitution révisée

par la loi n°0003/2000/AN du 11 avril 2000 distingue nettement l’ordre judiciaire de


l’ordre administratif. V. dans ce sens, BA (A. T.), Droit du contentieux administratif burkinabè,
PADEG, coll. Précis de droit burkinabè, 2007, 548 p. ; YONABA (S.), La pratique du
contentieux administratif en droit Burkinabé : de l’indépendance à nos jours, Ouagadougou, IPA, 2ème
éd., 2008, 348 p. Au Cameroun, v. ONDOA (M.), Le droit de la responsabilité publique dans les
Etats en développement : contribution à l’originalité des droits africains, Thèse Doctorat d’Etat,
Université de Yaoundé II, 1997, 3 volumes.
96 Elles se traduisent généralement par une dualité parfaite à la base et absente au sommet.

Lire dans ce sens, SY (P. M.), « Entre l’unité et la dualité et la dualité de juridiction :
l’Afrique noire francophone à la quête d’un modèle d’organisation de la justice
administrative », Nouvelles Annales Africaines, n°2, 2011, p. 265 et s. Au Mali, v. KALILOU
(D.), Le contentieux administratif malien, Dakar L’Harmattan-Sénégal, 2020, p. 46. Au
Cameroun, v. ONDOA (M.), Le droit de la responsabilité publique dans les Etats en développement :
contribution à l’originalité des droits africains, op. cit. p. 37.
97 Sur la répartition des compétences en matière fiscale entre le juge administratif et le juge

judiciaire, voir les articles P- 1033, 1077 et 1119 du CGI au Gabon ; 1108 du CGI au
Bénin ; 649, 655 et 659 du CGI au Burkina Faso ; L115 et L 126 du LPF au Cameroun.
98 Dans le système judiciaire sénégalais notamment, un seul ordre de juridiction connait de

l’ensemble du contentieux. Lire dans ce sens, KANTE (B.), Unité de juridiction et droit
administratif : l’exemple du Sénégal, thèse doctorat d’Etat, Orléans, 1983, 426 p. ; DIAGNE (N.
M.), Les méthodes et les techniques du juge en droit administratif sénégalais, thèse doctorat droit,
UCAD, 1995, 523 p.
99 En Côte d’ivoire par exemple, Voir l’article 5 du Code de procédure civile, commerciale

et administrative : « les Tribunaux de première instance et leurs sections détachées, connaissent de toutes
les affaires civiles, commerciales, administratives et fiscales pour lesquelles compétence n’est pas attribuée
expressément à une autre juridiction en raison de la nature de l’affaire ». Cette disposition fait l’objet
d’une exception en matière commerciale ; il existe dormais en Côte d’Ivoire un tribunal de
commerce qui siège à Abidjan, la capitale économique : voir l’ordonnance n° 000624/2013
modifiant l’ordonnance n°428/2013 du 25 février 2013. Au Sénégal, article 710 du Code
général des impôts : « (…) l’introduction a lieu devant les tribunaux (…) ».
225
contribuable en vue de l’annulation de l’acte querellé ou de la réparation
d’un préjudice subi.
Le recours en annulation d’une décision administrative est fondé sur
la violation d’une règle de droit100. Il est ouvert même sans texte et a pour
effet d’assurer, conformément aux principes généraux du droit, le respect
de l’exigence de la légalité fiscale101 qui suppose que « la norme individuelle
d’imposition soit conforme aux règles de la loi fiscale »102. Le juge fiscal annule les
impositions querellées pour plusieurs des motifs d’illégalité interne. Au
Bénin, dans l’affaire Société Cotonnière du Bénin (SOCOBE) c/Ministre des
Finances103, le juge administratif annule pour violation du Code des impôts
et du Code des investissements, un arrêté104 et les différents actes fiscaux
conséquents105. Cette position sera reprise par le juge administratif ivoirien
dans deux décisions rendues le même jour106 et aussi par le juge
administratif camerounais107.
Le recours en annulation peut également être formé pour des motifs
d’illégalité externe et notamment en cas d’incompétence. Au Cameroun
dans l’affaire Ngakeu Pierre c/Etat du Cameroun108, le juge administratif a
accueilli favorablement le recours du requérant au motif que le vérificateur,
sieur Shoungi, alors contrôleur des impôts n’était pas compétent pour
effectuer un contrôle de régularité des opérations réalisées dans son bar au
mépris de l’article 11 du Livre II du Code général des impôts portant
procédure fiscale qui prévoyait que « seuls les agents des impôts ayant au moins le
grade d’inspecteur peuvent vérifier la comptabilité des contribuables astreints à tenir des
documents comptables ». Il tire alors les conséquences d’une telle violation à
travers l’annulation des impôts contestés.
Ainsi, l’annulation a une incidence positive sur la sécurité juridique
du contribuable en ce sens qu’il vise à protéger de manière concrète, au-
delà de l’énoncé textuel, le principe de la légalité fiscale et la stabilité qui en
découle. Lorsqu’il annule l’acte illégal du fisc, le juge est au préalable
amené à effectuer un contrôle entre divers éléments au rang desquels la

100 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 677.


101 CE Ass., 17 février 1950, Dame Lamote, N°86949.
102 EISENMANN (Ch), Cours de droit administratif, op.cit., p. 441.
103 CS du Bénin, arrêt n°23 du 24 octobre 1997, SOCOBE c/Ministre des Finances.
104 Arrêté N°203/MFDCDGID du 02 septembre 1996.
105 Il s’agit des notifications N°277, 278 et 279 du 09 mai 1997, des commandements

N°112, 113 et 114 du 09 juin 1997), les avis à tiers détenteurs N°284, 293 et 297 du 12 juin
1997) et les avis de saisie d’usines.
106 CS/CA de Côte d’Ivoire, arrêt n° 98 du 24 novembre 2010, req. n°2009-342 REP du 22

juillet 2009, req. n°2010-055 REP du 22 avril 2010 et arrêt n° 99 du 24 novembre 2010,
req. n°2009-344 REP du 23 juillet 2009.
107 CS/CA du Cameroun, jugement n°120 du 30 juin 2009, Union camerounaise des brasseries

c/Etat du Cameroun.
108 Jugement n°12/CS/CA du 24 juin 1980. Dans le même sens, voir jugement du Tribunal

administratif du Centre, 25 juillet 2014, affaire Noah Awoumou Charles Rigobert c/ Etat
du Cameroun.
226
stabilité des situations juridiques du contribuable109. Le contrôle de légalité
opéré est aussi un contrôle de sécurité110 en ce sens que non seulement il
limite l’arbitraire, mais en plus il prend en compte les effets que la décision
de l’administration fiscale a pu provoquer, et les situations juridiques
qu’elle implique.
Une autre incidence positive sur la sécurité juridique tient à
l’aménagement du contentieux de l’annulation par les textes régissant
l’organisation et le fonctionnement des juridictions en matière fiscale111.
Ces textes considérés comme référents objectifs, sont par leurs fonctions
de légitimation et d’autorité, gages de stabilité112 pour le contribuable. Qu’il
s’agisse du contentieux d’assiette ou du contentieux du recouvrement, la
loi en détermine le domaine matériel, identifie les cas d’ouverture de la
nullité, prévoit les formes et procédures requises pour introduire les
actions contentieuses et l’office des organes de règlement113.
L’administration fiscale peut aussi être attraite en justice en raison
d’un fait dommageable114. La responsabilité administrative qui en découle
est essentielle en tant que sujétion s’imposant à la puissance publique dont
l’objet est de mettre en œuvre l’obligation incombant à l’Etat de réparer le
dommage qu’il a causé à autrui. Cela est davantage important en matière
fiscale dans la mesure où les contribuables peuvent être victimes de
dommages importants basés sur le fait que l’impôt capitalise de nombreux
enjeux financiers. Bien plus, l’administration étant auréolée de nombreux
pouvoirs de contrainte à l’effet du paiement des impôts, notamment les
mesures de poursuite, des préjudices peuvent être causés aux

109 TIMSIT (G.), Gouverner ou juger ? Blasons de la légalité, Paris, P.U.F., 1995, p. 64.
110 LABETOULLE (D.), « Principe de légalité et principe de sécurité », in L’Etat de droit :
Mélanges en l’honneur de Guy Braibant, Paris, Dalloz, 1996, p. 403.
111 Voir notamment les articles 54 (2) de la loi n°94-440 du 16 août 1994 déterminant

l’organisation, les attributions et le fonctionnement de la Cour suprême en Côte d’ivoire ; 2


(3-a) de la loi n° 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement
des tribunaux administratif au Cameroun ; 8 de la loi n°94-006 du 18 mars 1994 portant
organisation et fonctionnement des tribunaux administratifs au Mali ; 8 de la loi n°011-
2016/AN portant création, composition, attributions, fonctionnement des tribunaux
administratifs et procédures applicables devant eux au Burkina Faso ; 1er de la loi organique
n°2008-35 du 7 août 2008 portant création de la Cour suprême au Sénégal ; 14 de la loi
n°2004-50 du 22 juillet 2004 fixant l’organisation et la compétence des juridictions au
Niger ; de la loi n°17/84 du 29 décembre 1984, portant code des tribunaux administratifs
au Gabon.
112 AKAM AKAM (A.), « Libres propos sur l’adage « nul n’est censé ignorer la loi », op. cit.,

p. 41.
113 NGAVANGA (N. M.), L’incidence du contentieux de la nullité sur la sécurité juridique du

contribuable en droit fiscal camerounais, op. cit. p. vii.


114 Cf. articles 80 de la loi organique n°16-027 du 18 octobre 2016 portant organisation,

compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif au Congo ; 2 (3-b)


de la loi n°2006/022 portant organisation et fonctionnement des tribunaux administratifs
au Cameroun ; 7 de la loi n°011-2016/AN portant création, composition, attributions,
fonctionnement des tribunaux administratifs et procédures applicables devant eux au
Burkina Faso.
227
contribuables. La sécurité fiscale dont ils jouissent ne serait préservée que
pour autant qu’ils puissent en revendiquer la réparation.
Le préjudice causé par l’administration fiscale dans le cadre de la
levée de l’impôt, donne ainsi qualité et intérêt à agir au contribuable. En
1995, le juge administratif malien soulignait cette liaison entre le préjudice,
l’intérêt et la qualité à agir et le droit à la réparation, dans l’affaire Société des
détergents du Mali c/ Direction nationale des impôts115. Au cas où la
responsabilité du fisc est effectivement établie, les pouvoirs de pleine
juridiction dont il est investi autorisent le juge administratif à condamner
l’Etat à verser au requérant des dommages et intérêts en guise de
réparation du préjudice subi116, dès lors qu’il est admis que l’administration
fiscale a commis une faute117 à elle imputable et que les conditions d’un
préjudice indemnisable sont réunies118.
Au Cameroun dans une affaire119, le requérant sollicitait un
remboursement d’impôts suite à un trop-perçu et à des perceptions
irrégulières sur propriétés immobilières réalisés contre lui par
l’administration fiscale. La Chambre administrative condamna
l’administration à rembourser au recourant le trop-perçu évalué à
10.494.853 FCFA. En plus, elle condamna encore le fisc à réparer au sieur

115 CS-SA, arrêt n°005 du 14 janvier 1995, Société des détergents du Mali c/Direction
nationale des impôts : « Considérant que par lettre du 14 décembre 1990, le ministre des finances en
donnant son accord sur les propositions faites par les services de la Direction des impôts a créé un droit au
profit de la SODEMA ; que la suppression de ce droit a porté préjudice à la société requérante ; qu’en
conséquence, la SODEMA a qualité et intérêt à agir ».
116 AKONO ONGBA SEDENA, L’apport du juge administratif au droit fiscal au Cameroun, op.

cit., p. 545.
117 Il faut souligner comme l’affirme Kalilou DOUMBIA, qu’« une décision non irrégulière

ne peut donner droit à une quelconque réparation (…) Si l’on raccourcit cette affirmation,
elle donne ceci : pas d’illégalité pas de faute » (Le contentieux administratif malien, op. cit. p.
576.) ; Dans le même sens, voir CS-SA du Mali, arrêt n°87 du 06 mai 2010, Sieur SFS c/
jugement n°54 du 1er avril 2008 du TAB, inéd. ; lire aussi CHAPUS (R.), Droit administratif
général, t. 1, 15ème éd., op. cit., p. 1295.
118 Le préjudice doit être direct, spécial, certain, matériel ou moral. Voir dans ce sens, CS-

SA du Mali, arrêt n°48 du 30 mai 2002, Ben Hamoud Hamoudi et autres c/Ministre de
l’Administration territoriale et de la sécurité ; CS/CA du Bénin, arrêt n°5 du 2 mai 1997,
Paul Loko Lokosso c/Etat béninois, Rec. Cour suprême Bénin ; TPI-Abidjan, 25 juillet
1985, DEGNI-SEGUI c/Université de Côte d’Ivoire ; CS-CA de Côte d’ivoire, 29 juil.
1998, Coprovi c/Ministère de l’agriculture et des ressources animales ; CS-CA de Côte-
d’Ivoire, 30 oct. 1983, Oulaye Telesphore Henri c/Etat de Côte d’Ivoire ; CA de
Lubumbashi, 24 janv. 1967, Président du Katanga c/RDC, Rev. Juiridque du Congo, n°1,
1967, p. 64 ; CS-CA du Cameroun, jugement n°28 du 28 déc. 1978, Baha Ngue Jean Michel
c/Etat du Cameroun.
119 CA-CS du Cameroun, jugement n°30 du 31 mars 1977, Mboka Tongo Guillaume c/Etat

du Cameroun : « Considérant qu’il est constant que le comportement de l’administration qui a imposé à
tort le requérant lui a causé pendant sept ans des troubles graves dans ses conditions d’existence et lui a
causé des pretium doloris et materiae susceptibles d’être réparés, qu’il sera fait une exacte appréciation dudit
préjudice à la somme de 1.800.000 francs. Vidant sur ADD n°191/A/CFJ du 25 Mai 1972 ;
ordonne le remboursement au demandeur de la somme de 10 494 858 francs, représentant un trop perçu
sur le recouvrement des arrières d’impôts dus par le requérant. Condamne l’Etat à payer au requérant la
somme de 1.800.000 francs à titre de dommages et intérêts ».
228
Mboka Tongo le préjudice résultant de la perception indue des impositions
en cause.
Dans les Etats d’Afrique noire francophone où le contrôle de
constitutionnalité des lois120 est désormais fréquemment appliqué121, le
juge constitutionnel122 en tant qu’instance compétente123 garanti aussi la
sécurité fiscale. Il statue sur la constitutionnalité des actes règlementaires124
et ses décisions ne sont susceptibles d’aucun recours125. Au Bénin par
exemple126, le contribuable peut se pourvoir devant la juridiction
constitutionnelle contre les lois, textes et actes règlementaires et
administratifs présumés inconstitutionnels, après la promulgation des
lois127 ou de manière incidente128.Mais de manière générale, il est saisi
avant leur promulgation129 et essentiellement par des autorités
politiques130. Garantissant de manière concrète la supériorité de la
constitution, il protège les principes constitutionnels d’égalité de tous

120 V. notamment, article 84 de la Constitution gabonaise ; article 104 de la Constitution


togolaise ; article 3, 117 et 121 de la Constitution béninoise ; article 92 de la Constitution
sénégalaise ; alinéa 1er de l’article 47 de la Constitution camerounaise.
121 Voir OULD BOUBOUTT (A. S.), « Les juridictions constitutionnelles en Afrique :

évolutions et enjeux », in KANTE (B.) et PIETERMATT-KROS (B.) (dir.), Vers la


renaissance du constitutionnalisme en Afrique, Gorée Institute, 1998, pp. 91-108.
122 Lire à propos, SINDJOUN (L.), « Les dynamiques de la justice constitutionnelle :

Histoires du chêne et du roseau », in De l’esprit du droit africain. Mélanges en l’honneur de Paul-


Gérard POUGOUE, Wollers Kluwer, CREDIJ, 2014, p. 669.
123 Les juridictions constitutionnelles disposent en matière de garantie de la Constitution,

d’une compétence d’attribution qui suppose qu’elles ne se prononcent que si la question


relève de leurs compétences. Voir, Décision du Conseil constitutionnel congolais
n°003/DCC/SVA/08 du 15 mai 2008. Lire aussi DE DRAVO ZINZINDOHOUE (C. M.
J.), « La protection constitutionnelle de la sécurité juridique : le cas du Bénin », 8ème Congrès
de l’Association des Cours Constitutionnelles Francophones, 31 octobre 2019, pp. 55-58.
124 Lire KEUTCHA TCHAPNGA (C.), « Le juge constitutionnel, juge administratif au

Bénin et au Gabon », Revue Française de Droit Constitutionnel n°75, 2008, pp. 551-583. Voir
aussi, l’article 85 de la Constitution gabonaise et les articles 3, 117 et 121 de la Constitution
béninoise.
125 Articles 92 de la Constitution sénégalaise ; 98 de la Constitution ivoirienne ; 50 de la

Constitution camerounaise.
126 Article 3 al. 3 de la loi n°90/32 du 11 décembre 1990 portant Constitution du Bénin.
127 Article 180 de la Constitution congolaise ; article 121 de la Constitution béninoise ;

article 85 de la Constitution gabonaise ; alinéas 2 et 3 de l’article 47 de la Constitution


camerounaise.
128 Article 61-1 de la Constitution congolaise du 23 juillet 2008 ; articles, 3 al. 3 et 121 de la

Constitution béninoise ; article 86 de la Constitution gabonaise ; article 92 de la


Constitution sénégalaise ; article 104 de la Constitution togolaise ; article 132 de la
Constitution nigérienne ; article 96 de la Constitution ivoirienne.
129 Article 178 de la Constitution congolaise ; article 95 de la Constitution ivoirienne ; article

121 de la Constitution béninoise ; article 74 de la Constitution sénégalaise ; article 104 de la


Constitution togolaise.
130 Il s’agit notamment du Président de la République, du Président de l’Assemblée

Nationale et/ ou du président du Sénat (selon qu’il existe ou pas), une fraction (elle varie
selon les Etats) des députés et/ou des Sénateurs. Voir dans ce sens : article 104 de la
Constitution togolaise ; article 95 de la Constitution ivoirienne ; article 178 de la
Constitution congolaise ; article 92 de la Constitution sénégalaise.
229
devant les charges publiques et de la non-rétroactivité des lois fiscales,
obligeant quelque fois le parlement à les respecter. Ainsi, les requérants
peuvent dénoncer une inégalité de traitement qui ne se justifie, ni par une
différence de situation des contribuables, ni par la finalité de la loi131.
Au regard de ce qui précède, il est rassurant pour les contribuables
de pouvoir bénéficier de la part du juge de l’impôt des réparations
résultant d’une faute commise par l’administration dans le processus
d’imposition. Seulement, cette satisfaction ne s’étend pas d’autres
exigences de la sécurité fiscale dont la garantie est altérée.
II. La sécurité fiscale altérée
L’impératif de sécurité juridique fait appel à trois exigences,
regroupées selon une classification, en une catégorie « classique »132. Il s’agit
des exigences d’accessibilité, de prévisibilité et de stabilité du droit. Ces
exigences s’appliquent à toutes les branches du droit au-delà de leurs
spécificités respectives, et la matière fiscale ne saurait y déroger. Toutefois,
le diagnostic des systèmes fiscaux des Etats sous étude amène à affirmer
qu’il y a une déformation du contenu de ces exigences en matière fiscale
(A) qui expose le contribuable aux risques d’insécurité des situations
établies et impose une reformation de leur régime dans l’optique d’assurer
une garantie optimale de la sécurité fiscale (B).
A. La déformation du contenu de la sécurité fiscale
La déformation du contenu de la sécurité fiscale s’observe à deux
niveaux. Le premier a trait à l’ignorance formelle de l’exigence de
prévisibilité (1), alors que le second se rapporte au fait que les exigences de
stabilité et d’accessibilité sont substantiellement galvaudées (2).
1. L’exigence de prévisibilité formellement ignorée
La prévisibilité c’est le caractère de ce qui est prévisible, tiré de
praevidere, c’est-à-dire que l’on peut normalement prévoir et qui doit donc
être raisonnablement prévu133. En cela, elle s’oppose à l’imprévisibilité. La
prévisibilité se mesure à la précision et à la clarté de la loi, qu’il s’agisse du
droit écrit ou des normes jurisprudentielles134. Ainsi, pour les professeurs

131 Au Bénin, le juge constitutionnel a reconnu le droit à l’égalité comme « un principe général
selon lequel la loi doit être la même pour tous, dans son adoption et dans son application et ne doit contenir
aucune discrimination injustifiée » (Décision DCC 18-94 du 3 juin 1994).
132 PIAZZON (T.), Sécurité juridique, op. cit. p. 17 et s. Voir aussi, Marie-Anne FRISON-

ROCHE (M.A.) et BARNÈS (W.), « Le principe constitutionnel de l’accessibilité et de


l’intelligibilité de la loi », op. cit., p. 361 et s.
133 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 802.
134 LETURCQ (S.), « Vers l’élaboration d’un standard du “bon législateur” devant le

Conseil constitutionnel français et la Cour européenne des droits de l’homme »,


communication issue de la thèse de doctorat de l’auteur, intitulée Standards et droits
fondamentaux devant le Conseil constitutionnel français et la Cour européenne des droits de l’homme,
Paris, LGDJ, tome 125, juillet 2005, p. 4.
230
Philippe MALAURIE et Laurent AYNES, « les caractères d’abstraction et de
généralité confèrent à la règle de droit une prévisibilité : les sujets de droit (les individus)
peuvent ainsi la prévoir et organiser leur comportement »135. Aussi, les lois en
vigueur doivent-elles pouvoir assurer « la prévisibilité du contexte juridique dans
lequel évoluent les administrés »136. Il ne saurait en être autrement car, « dans un
Etat de droit, où les solutions juridiques tracent le paysage dans lequel chaque individu
détermine ses prévisions et ses actions, seules sont admissibles des normes et solutions
connues de tous au moment où les prévisions sont formées et les actions engagées. Les
normes ne doivent pas être rétroactives, car la rétroactivité fausse les données ; elle spolie
ceux qui se sont engagés en fonction de l’état du droit antérieur ; elle mine la prévisibilité
et bafoue la croyance commune. Elle porte atteinte au principe supérieur de sécurité
juridique, dont la Cour européenne des droits de l’homme fait grand cas »137. Selon le
rapport Gibert, « lorsque le législateur modifie rétroactivement le traitement fiscal de
situations passées, ou lorsqu’il rapporte un avantage fiscal avant l’échéance initialement
prévue, il bouleverse en effet les bases des calculs microéconomiques sur lesquels sont
fondées les décisions d’investissement (…) »138.
Pourtant, sauf des rares cas comme celui du Cameroun où le
constituant139 et le législateur140 posent clairement que « la loi ne peut avoir
d’effet rétroactif », la plus part des Etats d’Afrique objets de la présente étude,
ignorent expressément ce principe en matière fiscale. Une telle ignorance
rentre dans ce que le Professeur Gérard Martin PEKASSA NDAM
qualifie de « maladresse légistique »141. Au Bénin142, Mali143, Togo144 et Burkina
Faso145, la règle de la non-rétroactivité de la loi est méconnue en matière
fiscale. Elle n’est reconnue par le constituant qu’en matière pénale. Dans
ces Etats, une norme fiscale peut être élaborée en vue de réglementer des

135 MALAURIE (Ph.) et AYNES (L.), Introduction à l’étude du droit, op. cit., p. 381.
136 Ibidem.
137 MOULY (Ch.), rapporté par MOLFESSIS (N.), Les revirements de jurisprudence, Rapport

Premier Président Guy Canivet, 30 novembre 2004, p. 19.


138 GIBERT (B.), Améliorer la sécurité juridique du droit fiscal pour renforcer l’attractivité du territoire,

op.cit., p.65.
139 9ème tiret du Préambule de la loi n°96/006 du 18 janvier 1996 portant révision de la

Constitution du 2 juin 1972. Voir aussi, au plan jurisprudentiel, Jugement n°33, CS/CA, 85-
86 du 27 mars 1986, Cicam c/Etat du Cameroun.
140 L’article 16 (1) 5 de la loi n°2018-012 du 12 juillet 2018 portant régime financier de

l’Etat et des autres entités publiques dispose à cet effet que « l’assiette, le taux, les modalités de
recouvrement, des prélèvements obligatoires ne peuvent être établis, supprimés ou modifiés, que par une loi de
finances (…) ils sont, sauf disposition expresse contraire, valables sans limite de temps et ne peuvent avoir
d’effet rétroactif ». Voir aussi l’article 8 de la loi organique relative aux lois des finances au
Gabon.
141 PEKASSA NDAM (G.M.), « Doctrine et diffusion du droit dans l’espace africain

francophone », HOURQUEBIE (F.) (dir.), La doctrine dans l’espace africain francophone,


Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 275. Voir aussi, BILOUNGA (S. T.), « La crise de la loi en
droit public camerounais », op. cit., p. 26.
142 Article 16 de la Constitution du Bénin.
143 Voir notamment l’article 9 de la Constitution malienne.
144 Article 19 de la Constitution du Togo.
145 Article 9 de la Constitution Burkinabé.

231
opérations futures, mais aussi actuelles, ou en vue de modifier une règle
déjà existante. Pourtant, lorsqu’une loi réglemente une situation qui a
cours, cela peut avoir pour objet d’encadrer des faits dont la production,
dans bien des cas, prend sa source dans le passé et engendre des effets qui
s’étendent dans le futur. Dans une telle hypothèse, l’intervention du
pouvoir normatif peut être source d’insécurité fiscale étant donné qu’elle
peut avoir des conséquences non seulement pour l’avenir mais également
sur des situations passées. Il en va de même lorsque le législateur décide
d’apporter à la règle existante, quelques modifications. Dans ces
conditions, il agit nécessairement sur des situations déjà établies qu’il peut
remettre en cause altérant ainsi l’exigence de sécurité fiscale.
En Côte d’Ivoire notamment, pour compenser les pertes de recettes
résultant pour l’État de la diminution du taux de la taxe sur les produits et
services appliqué aux agios bancaires, l’ordonnance du 25 février 1987,
prend trois mesures ; l’une de création de taxe et les deux autres
d’augmentation du taux des impôts existants, en précisant toutefois que
« les nouvelles dispositions sont applicables rétroactivement au 1er janvier 1987 »146.
Ainsi, il n’y a pour le législateur aucune exigence de prévisibilité en matière
fiscale en dehors du champ pénal ou des mesures fiscales de caractère
pénal. Il ne peut donc exister pour lui d’exception à ce principe. C’est en
cela que l’exigence de prévisibilité est travestie.
2. Les exigences de stabilité et d’accessibilité substantiellement
galvaudés
« L’inflation et l’instabilité des normes juridiques provoquent parfois, chez nos
concitoyens, un grand désarroi. Se sentant souvent isolé dans un maquis de procédures
contraignantes et souvent incomprises, le citoyen ressent avec amertume la distance qui le
sépare des centres de décision »147. Ces propos du Médiateur de la République
français traduisent clairement le rapport qu’il y a entre la sécurité juridique
et la stabilité des normes. Si la règle de droit - et d’autres techniques
avoisinantes - permet d’assurer la sécurité dans certains secteurs, elle doit
comporter certaines garanties pour son destinataire. Elle doit permettre de
maintenir une certaine stabilité des situations établies148.
La stabilité à laquelle il est fait allusion est définie comme l’« état de
permanence, de fixité et de solidité (…) »149. Dans un sens bien indiqué, la

146 Voir Note n° 0465/DGI/CT du 2 mars 1987 portant analyse des ordonnances relatives
à la TPS, à la taxe sur les encours bancaires, à l’I.R.C. et à la contribution des patentes
signées par le Président de la République le 25 février 1987, in Doctrine fiscale, 1960-1995,
République de Côte d’Ivoire, Ministère de l’Économie et des finances, p. 214.
147 Rapport du Médiateur de la République française pour l’année 2001.
148 POUGOUE (P-G), « Les figures de la sécurité juridique », op. cit. p. 6. ; Voir aussi,

BILOUNGA (S. Th.), « Les droits du contribuable au Cameroun », op. cit., p. 109 ;
THÉRON (S.), « Réflexions sur les rapports entre protection et règle de droit », LPA, 11
février 2009, n°30, p. 4.
149 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 988.

232
stabilité c’est également l’« aptitude à se maintenir que la loi s’efforce
d’imprimer (…) »150.
Dans les systèmes fiscaux de l’Afrique noire francophone l’exigence
de fixité de la norme fiscale est posée par les dispositions des articles 1er ou
2ème des lois de finances initiales des Etats d’Afrique noire francophone,
avec une formulation quasi identique. Au Bénin, l’article 1er de la loi
n°2020-33 du 24 décembre 2020 portant loi de finances pour l’exercice
2021 dispose que « (…) continueront d’être opérées pendant l’année 2020
conformément aux dispositions législatives et règlementaires en vigueur : les perceptions,
les impôts taxes, rémunérations des services rendus par l’Etat, produits et revenus
affectés à l’Etat ; les perceptions, les impôts taxes, rémunérations des services rendus par
les Collectivités locales »151. Au Mali c’est toujours l’article 1er de la loi
n°2019/70 du 24 décembre 2019 portant loi de finances pour l’exercice
2020 qui l’énonce, alors qu’au Burkina Faso, elle est plutôt reprise par
l’article 2 de la loi n°035-2020/AN portant loi de finances pour l’exécution
du budget de l’Etat pour l’exercice 2021. Au Cameroun jusqu’en 2018152,
elle est contenue à l’article 1er de la loi de finances initiale ; depuis lors, elle
est instituée par l’article quatrième en des mêmes termes que ceux des
précédentes lois de finances153. Ces dispositions sont toujours
accompagnées d’une réserve qui s’articule en ces termes : « Sous réserve des
dispositions de la présente loi », et qui montre très bien que cette fixité n’est pas
absolue.
La stabilité s’entend alors par le fait que chaque année, la loi garantie
au contribuable sauf exception, la reconduction de tout ou partie des
impôts et taxes existants, lui permettant ainsi d’anticiper sa charge fiscale.
Ainsi, non seulement aucun impôt que celui prévu par les lois et
règlements en vigueur ne peut s’appliquer ou être exigible au contribuable
pendant la période de validité de la nouvelle loi de finances de l’année, sauf
exception. De même, les règles d’assiette, les taux et les modalités de
recouvrement antérieurs, restent les mêmes sauf exception prévue par la
même loi de finances. L’exigence de stabilité est alors garantie par le
respect de ce rapport entre le principe de la fixité des régimes d’imposition
contenus dans la loi fiscale et la flexibilité exceptionnelle de cette dernière
qui prend en compte les situations fiscales acquises par la loi et
l’écoulement du temps.

150 Ibidem.
151 Voir les articles 2 de la loi n°035-2020/AN portant loi de finances pour l’exécution du
budget du Burkina Faso pour l’exercice 2021 ; 1er de loi n°020/PR/2020 portant budget
général du Tchad pour l’exercice 2021 ; article 2 de la loi n°2020-019 du 22 décembre 2020
portant loi de finances du Togo pour l’exercice 2020 ; 1er de la loi n°2019-070 du 24
décembre 2019 portant loi de finances du Mali pour l’exercice 2020.
152 Notamment l’article 1er de la loi n°2017- 021 du 20 décembre 2018 portant loi de

finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2018.


153 Article quatrième de la loi n°2019-23 du 24 décembre 2019 portant loi de finances de la

République du Cameroun pour l’exercice 2020.


233
Malheureusement, on constate une déformation de cette exigence
par l’inversion de ce rapport, au regard du volume important et de la
constance des modifications du régime fiscal contenu dans les lois de
finances initiales154. Une telle déformation qui est source d’insécurité
fiscale au regard de l’instabilité des situations qu’elle génère, semble
s’adosser sur le principe de l’annualité155 de l’impôt contenue dans les
dispositions des articles 1ers et 2èmes des lois de finances initiales ci-dessus
évoquées. Ce principe implique le renouvellement constant (annuel) de la
loi des finances certes. Toutefois, il n’a pas pour but de créer une
instabilité du régime de l’impôt. Il est plutôt fondé sur le caractère
prévisionnel du budget et permet davantage d’assurer un contrôle
parlementaire régulier et efficace. Le principe de l’annualité implique aussi
que l’administration fiscale doit exercer au cours de l’année où naît la dette
fiscale toutes les compétences pour assurer l’évaluation, la liquidation et le
recouvrement de l’impôt156, mais pas absolument un changement d’impôt
ou de régime d’imposition.
La stabilité de la loi fiscale et de son régime s’apprécie aussi à
travers l’effort de constance que les textes qui régissent la fiscalité (codes
des impôts) des Etats sous revue s’impriment, tout en tenant compte des
besoins d’adaptation et de mutation. La norme fiscale doit pouvoir
s’adapter aux évolutions sans toutefois affecter la stabilité des situations
établies étant donné que la sécurité fiscale ne constitue pas « un habillage
moderne du conservatisme juridique, un mécanisme institutionnalisé de protection des
situations acquises, même injustes, au nom de la stabilité de la règle de droit »157. En
clair, les lois fiscales rigides autant que les lois fiscales instables sont
potentiellement porteuses d’insécurité.

154 Voir par exemple, le catalogue des mesures nouvelles de la loi de finances portant
budget de l’Etat de Côte d’Ivoire pour l’année 2021 : Annexe 5 ; C- Titre I- première partie
de la Loi n°2020-33 du 24 septembre 2020 portant loi de finances pour la gestion 2021 en
République du Bénin consacré aux mesures nouvelles ; Manuel des mesures fiscales
nouvelles de la Loi de finances 2021 au Cameroun.
155 Voir dans ce sens, L’article 7 de la loi organique n°2013-14 du 27 septembre 2013

relative aux lois de finances au Bénin ; l’article 11 de la loi organique n°020-2014 relative
aux lois des finances et à l’exécution du budget au Gabon ; l’article 5 de la loi organique
n°2020-07 du 26 février 2020 relative aux lois de finances au Sénégal ; l’article 4 de la loi
n°2013-028 du 11 juillet 2013 relatives aux lois de finances au Mali ; article 6 de la loi
organique n°073-2015/CNT relative aux lois de finances au Burkina Faso ; article 4 de la
loi organique n°36-2017 du 3 octobre 2017 relative aux lois de finances en République du
Congo ; article 13 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat
et des autres entités publiques au Cameroun.
156 BOUVIER (M.), Introduction au droit fiscal général et à la théorie de l’impôt, op. cit., p. 23.
157 PINAULT (M.), Incertitude et sécurité juridique, Rapport du Groupe de travail n°1 du

séminaire de la Cour de cassation, de l’Institut des hautes études sur la justice, du Centre
des hautes études sur l’assurance et de l’École nationale supérieure de sécurité sociale, 22
mars 2005.
234
Paradoxalement, la plupart des Etats étudiés, à quelques exceptions
près158, semblent assimiler la rigidité des codes des impôts à la stabilité. Au
Mali par exemple, la fiscalité s’est basée pendant plus de trente ans sur
deux ordonnances159. Ce n’est qu’en 2006 qu’elle a fait l’objet d’une
réforme par la loi n°06-067/AN. De même deux textes de 1964 et 1966160
ont pendant longtemps encadrés la fiscalité béninoise et en 1982, une
simple fusion de ces textes de base s’est traduit par le Code général des
impôts actuellement en vigueur. Le CGI de Côte d’Ivoire qui date de 2003,
est quant à lui issu d’une loi de 1963161. Il en est ainsi pour bien d’autres
Etats de cette zone d’Afrique162. Pourtant, les modifications qui sont
fondées sur des raisons d’adaptation n’affectent pas l’exigence de stabilité,
dès lors que cette dernière n’est pas envisagée comme renvoyant à ce qui
est rigide. Les modifications ne peuvent être considérées comme source
d’insécurité juridique que si elles comportent au fond une idée de remise
en cause ou de bouleversement inattendu des situations préexistantes163.
Lorsqu’elles ont été adoptées, elles doivent pouvoir s’appliquer pendant
une période raisonnable et être révisées pour des besoins d’évolution164 et
d’intérêt général165. En plus, les mises à jour annuelles des codes des
impôts instituées par certains systèmes fiscaux166 pour intégrer les
nouvelles mesures fiscales de la loi des finances de l’année pour assurer ce
besoin d’adaptabilité, ne sont d’ailleurs pas toujours actualisées167.

158 Au Cameroun, le CGI institué en 1973 sera remplacé 29 ans après par la loi n°2002-003
du 19 avril 2002 portant Code général des impôts. Ce dernier sera modifié par la loi des
finances de 2003 et par la loi n°2009-019 du 15 décembre 2009 portant fiscalité locale. De
même, le CGI sénégalais du 9 juillet 1992, sera remplacé 10 années plus tard par la loi
n°2012-31 du 31 décembre 2012 au regard des évolutions, qui survient après les réformes
fiscales des lois n°2001-07 du 18 septembre 2001 et n°2004-12 du 6 février 2004.
159 Il s’agit des ordonnances n°6-CMLN du 27 février 1970 et n°2-CMLN du 16 janvier

1973.
160 Il s’agit de la loi n°64-35 du 31 décembre 1964 et de l’ordonnance n°2PR/MFE de

1966.
161 Le CGI est issu de la loi n°63-524 du 26 décembre 1963.
162 Voir la loi n° 2012-37 du 20 juin 2012 portant CGI au Niger et la loi n°12/PR/2016 du

15 juillet 2016 portant CGI au Tchad. Dans ces Etats, la fiscalité a été longtemps encadrée
par des textes épars avant que leur codification.
163 Ibidem.
164 OKOU (U.), La sécurité juridique en droit fiscal : Etude comparée France-Côte d’ivoire, op. cit., p.

52.
165 Voir, Conseil constitutionnel sénégalais, décision n°11/C/93 du 23 juin 1993 ; Conseil

Constitutionnel ivoirien Décision N° CI-2017-308/11-04/CC/SG du 11 avril 2017 relatif


au recours en exception d’inconstitutionnalité de l’annexe fiscale de la loi des finances
rectificative n° 2015-636 du 17 septembre 2015 portant modification du budget de l’Etat
pour l’année 2015.
166 Voir article 45 de la loi ivoirienne n°2003-206 du 7 juillet 2003 portant loi de finances de

l’année 2003.
167 Voir notamment, CGI du Bénin. Le préambule renseigne que la mise à jour du Code

« ne se fait pas de manière régulière ». Le Code fiscal de la République de Côte d’Ivoire quant à
lui n’a connu aucune mise à jour entre 1980 et 2003 (Loi n° 2003-206 du 7 juillet 2003
portant loi de finances de l’année 2003).
235
S’agissant de l’accessibilité des normes fiscales, elle apparait comme
un enjeu majeur face à la complexité des textes fiscaux souvent dénoncée
comme source d’insécurité juridique. Elle doit être envisagée dans une
double acception matérielle et intellectuelle168. Au sens matériel,
l’accessibilité suppose tout d’abord que l’information soit mise à la portée
de tous c’est-à-dire rendue publique afin d’être opposable à tous. Elle
suppose que les lois soient intelligibles. Selon le professeur André AKAM
AKAM, la loi intelligible est celle qui est accessible à un citoyen doté d’une
intelligence moyenne169. Ainsi, il est exigé que des lois et des actes
règlementaires fiscaux soient publiés au journal officiel170. L’accessibilité
s’applique aussi, à la possibilité d’avoir accès au support et au corpus du
texte juridique ou fiscal. Le support est soit matériel soit dématérialisé. Le
support matériel est principalement constitué du support papier. Ce
dernier pose cependant des problèmes d’accessibilité en raison notamment
de l’impact du temps et des conditions de conservation qui sont renforcée
par la négligence. Le support dématérialisé est électronique171. Il s’applique
aux Etats d’Afrique francophone, en particulier grâce à la mise en place
des sites dédiés à la diffusion des informations fiscales172.
Au sens intellectuel, l’accessibilité implique selon Thomas
PIAZZON « la lisibilité, la clarté, la compréhensibilité et l’intelligibilité »173. Elle
est conditionnée par l’accessibilité matérielle qui renvoie « au mode
d’expression du droit »174. Une norme intellectuellement accessible est donc
une norme de qualité et un gage de sécurité175. Elle exige des dispositions
d’une norme, qu’elles soient « suffisamment claires et précises » et « des formules
non équivoques »176. On peut dire que l’accessibilité intellectuelle renvoie à la
précision de la règle de droit. C’est pour remplir cette exigence de la
sécurité fiscale qu’à la suite des lois de finances, les directions générales des
impôts des Etats visés prennent des circulaires pour préciser les modalités

168 Voir dans ce sens PIAZZON (T.), La sécurité juridique, op. cit., p. 18 et s.
169 AKAM AKAM (A.), « Libres propos sur l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » », op.
cit. p. 51.
170 En Côte d’ivoire, voir le décret n°61-171 du 18 mai 1961 fixant les modes de
publication des lois et actes réglementaires modifié par le décret n°81-894 du 29 octobre
1981.
171 Internet, le contenu d’un CD, d’un DVD, d’une Clé USB, d’une disquette, d’une vidéo,

d’un contenu audio etc…


172 Au Cameroun : https:/www.impots.com ; au Sénégal :
https:/www.impotsetdomaines.gouv.sn ; en Côte d’ivoire : https:/www.dgi.gouv.ci ; au
Mali, https:/www.dgi.gouv.ml ; au Burkina Faso, https:/www.impots.gov.bf.
173 Voir PIAZZON (T.), La sécurité juridique, op. cit., p. 20.
174 Ibidem.
175 ABANE ENGOLO (P. E.), « La notion de qualité du droit », RADSP, Vol. 1, N°1,

2013, pp. 91-97.


176 Voir PIAZZON (T.), La sécurité juridique, op. cit., p. 20.

236
d’application des nouvelles dispositions et harmoniser le contenu des
dispositions desdites lois177.
Le reproche qui est traditionnellement fait aux dispositions fiscales
des Etats de l’Afrique noire francophone en général, c’est non seulement
leur longueur exagérée, mais également les renvois répétés qui y sont
contenus et qui en rendent la lecture impraticable178. Leur manque de
concision et les « incongruités »179 qu’elles contiennent pourraient entamer la
qualité.
En ce qui concerne l’accessibilité matériel, et en particulier internet,
il y a un défaut de couverture de certaines zones, par le réseau internet qui
limite l’accès aux informations fiscales. En plus, le problème d’accessibilité
se pose constamment dans ces Etats par rapport à l’application de la
bonne information ; c’est-à-dire de l’information authentique et fiable.
Internet étant ouvert à tous, un utilisateur non avisé pourrait ainsi accorder
de la crédibilité à une information erronée. Aussi, il n’est pas exclu
qu’internet soit concerné par le problème de la conservation des
informations en ligne dans la mesure où une information contenue dans
un site peut disparaitre. En outre, ces informations nécessitent une mise à
jour régulière, ce qui n’est pas avéré. Il est donc permis qu’un autre type
d’insécurité juridique naisse pour le contribuable, qui bien que se trouvant
sur un site officiel et authentique soit confronté à des informations qui ne
soient plus d’actualité.
Un autre problème majeur que l’accessibilité pose dans les Etats de
l’Afrique noire francophone est lié au défaut de consécration d’une
obligation de publication des textes fiscaux sur internet, alors même que
ces textes sont de plus en plus accessibles par voie électronique, et que
cette dernière voie est de plus en plus sollicitée par les contribuables.
B. La reformation de l’idéal de sécurité fiscale
Pour reformer la sécurité fiscale dans les Etats d’Afrique noire
francophone au regard de nombreuses limites auxquelles elle est
confrontée, il semble nécessaire d’envisager des reformes textuelles (2)
pour consolider et compléter les efforts jurisprudentiels appréciables déjà
opérés (1).
1. Des efforts jurisprudentiels appréciables
Les efforts jurisprudentiels observés concernent en particulier la
possibilité pour la loi fiscale de rétroagir et tendent à limiter tout arbitraire
que ferait naître la faculté dont elle dispose de prendre des mesures de

177 Au Cameroun, voir la Circulaire n°006/MINFI/DGI/LRI/L du 21 février 2020 portant


d’application de la loi de finances 2020 ; au Congo, voir la Circulaire n°0104/MFBPP/CAB
du 07 février 2017 précisant les modalités de mise en œuvre de la loi de finances de l’année,
exercice 2017.
178 OKOU (U.), La sécurité juridique en droit fiscal : Etude comparée France-Côte d’ivoire, op. cit., p.

52.
179 BILOUGA (S. T.), « La crise de la loi en droit public camerounais », op. cit. p. 32.

237
caractère rétroactif. Ils sont perceptibles dans l’office du juge
constitutionnel180.
Au Benin, même si la Constitution n’interdit pas la rétroactivité en
dehors du droit pénal, le juge constitutionnel déclare la loi rétroactive
inconstitutionnelle lorsqu’elle porte atteinte à la sécurité juridique181. La
Cour constitutionnelle malienne quant à elle protège les citoyens contre la
rétroactivité en dehors du domaine pénal, pour assurer le respect des
engagements internationaux souscrit par le Mali à travers plusieurs Traités
de protection des droits fondamentaux182. Au Togo, le juge constitutionnel
protège la non-rétroactivité comme principe « reconnu par les lois de la
République »183.
Au Sénégal aussi, en rappelant que la non-rétroactivité n’a de valeur
constitutionnelle qu’en matière pénale, conformément à l’article 6 de la
Constitution, le Conseil constitutionnel, a affirmé dans sa décision rendue
le 23 juin 1993184 « qu’en tout autre domaine, elle est un principe général du droit
auquel la loi peut déroger »185. En conférant à la non rétroactivité dans les
matières non pénales la valeur de principe général de droit, le juge
constitutionnel reconnait certes réaffirme la possibilité pour les lois fiscales
de rétroagir, mais interdit aux actes infra législatifs, notamment aux
décisions de l’administration fiscale de le faire.
Dans le même sens, le juge constitutionnel ivoirien rappelle dans sa
décision du 11 avril 2017186 que le principe de la non-rétroactivité des lois
n’a pas de valeur constitutionnelle en matière fiscale. Toutefois, il souligne
que le législateur ne peut faire rétroagir une loi des finances à une situation
antérieure à son entrée en vigueur que si l’intérêt général et l’ordre public
le commandent. Seulement aucune définition n’est donnée ni de l’intérêt
général ni de l’ordre public. Elle relève donc de l’appréciation souveraine
du juge constitutionnel. A l’instar de son homologue ivoirien, le juge
constitutionnel congolais, dans certains arrêts187, indique que la
rétroactivité ne se présume pas, le texte lui-même doit la prévoir de
manière expresse.

180 Voir infra, pp. 26-28.


181 DCC 06-074 du 08 juillet 2006.
182 Actes du 8ème Congrès triennal de l’ACCF, La protection constitutionnelle de la sécurité

juridique, op.cit., p. 589.


183 Voir, Décision de la Cour constitutionnelle togolaise du 9 avril 2009, in Actes du 8ème

Congrès triennal de l’ACCF, La protection constitutionnelle de la sécurité juridique, Montréal,


Canada, mai 2019, p. 589.
184 C.C. Sénégal, décision n°11/C/93 du 23 juin 1993.
185 A propos de la non rétroactivité comme principe général de droit au Sénégal, voir CE,

30 juillet 1997, Ndeye Binta Diop, Bulletins des arrêts du CE, 1993-1997, p. 141.
186 Décision N° CI-2017-308/11-04/CC/SG du 11 avril 2017 relatif au recours en

exception d’inconstitutionnalité de l’annexe fiscale de la loi de finances rectificative n°


2015-636 du 17 septembre 2015 portant modification du budget de l’Etat pour l’année
2015.
187 Voir, arrêts R. CONST 126 du 21 novembre 2015 et R. CONST 006 du 28 août 2015.

238
On perçoit clairement une volonté du juge constitutionnel
d’encadrer la rétroactivité permise en matière fiscale. Cependant, cette
volonté pour être efficace, doit se traduire par des réformes textuelles.
2. Les réformes textuelles envisageables
Le diagnostic des systèmes fiscaux des Etats sous étude a permis
d’observer une déformation de certaines exigences de la sécurité fiscale.
Les solutions qui permettraient de régler cette déformation doivent
impliquer des réformes textuelles.
Il s’agit d’abord de l’institution par des lois organiques (qui
s’imposeraient au législateur) d’un droit des techniques d’élaboration des
textes qui régiraient la procédure d’adoption des lois fiscales et qui
permettrait de satisfaire les objectifs de qualité et d’accessibilité des lois.
Une telle loi organique pourrait imposer pour l’élaboration des lois fiscales,
une évaluation ou étude d’impact préalable. A cet effet, un comité
interministériel chargé de la réforme de la réglementation peut être mis sur
pied. L’on pourrait à défaut envisager le système des consultations
informelles préalables par l’échange d’informations avec le patronat, les
universitaires et les groupes d’intérêts.
Une telle solution est cependant conditionnée par la consécration
textuelle d’un principe général de sécurité juridique (comme dans l’ordre
juridique supranational de l’OHADA), qui permettrait de mieux garantir la
qualité de la loi fiscale et la protection des droits acquis par la stabilité des
situations juridiques des contribuables. Il s’agira pour certains Etats d’une
innovation, et pour d’autres à l’instar de la Côte d’ivoire188 et du Bénin189,
d’une consécration textuelle d’un principe jurisprudentiel.
La consécration du principe général de sécurité juridique va
nécessairement impliquer une extension du principe de la non-rétroactivité
des lois aux autres matières, et notamment à la fiscalité. Le professeur Jean
Lamarque qui estime que la rétroactivité est une nécessité190, affirme que la
non-rétroactivité devrait s’accompagner d’un aménagement. La
rétroactivité de la loi fiscale peut avoir pour objet de remédier à un
manque de clarté, soit d’assurer la correction d’un dispositif valide mais
techniquement défectueux, soit de neutraliser le délai entre l’annonce
d’une mesure fiscale et son adoption, non seulement par souci d’urgence
mais aussi et surtout comme pour avoir un « effet sédatif » sur le marché
financier, en prévenant toute perturbation qu’engendrerait une telle

188 Voir, CA-CS de Côte d’ivoire, arrêt n° 259 du 18 décembre 2013, req. n° 212-99 REP
du 11 décembre 2012, Gouda Anouma Laurent et autres c/Ministre de la construction, de
l’assainissement et de l’urbanisme.
189 Voir, Cour Constitutionnelle du Bénin, DCC 17-090 du 25 avril 2017 ; Cour

Constitutionnelle du Bénin, DCC 06-074 du 08 juillet 2006.


190 LAMARQUE (J.), « La rétroactivité de la loi fiscale : une nécessité en matière de

procédure », in Territoires et libertés, Mélanges en hommage au Doyen Yves Madiot, Bruxelles,


Bruylant, 2000, pp. 331-356.
239
annonce191. Ainsi, les Etats d’Afrique francophone, notamment ceux de
l’Afrique de l’Ouest où la non-rétroactivité est limitée à la matière pénale,
pourraient s’inspirer du Cameroun qui a consacré dans ses textes la non-
rétroactivité des lois fiscales avec des aménagements.
La consécration d’un principe général de sécurité juridique va aussi
entrainer l’institution d’un droit fondamental192, ou tout au moins d’un
droit subjectif à la sécurité juridique et fiscal par ricochet. Au-delà des
interrogations d’une abondante doctrine sur la possibilité de qualifier un
« droit à... » de droit subjectif193, on peut constater l’infinie diversité des
droits subjectifs et observer avec le professeur Jean-Louis BERGEL que
« leur préconstitution et leur prédétermination ou leur précision ne constituent pas des
critères généraux de qualification des droits subjectifs ». Ainsi, rien n’exclut, a priori,
de qualifier des « droits à... » de droits subjectifs, et de reconnaître un droit
subjectif à la sécurité juridique et fiscal par ricochet. Selon le professeur
Paul-Gérard POUGOUE194, cette institution est nécessaire voire possible
au regard des textes. Elle est nécessaire parce que le principe de sécurité
fait partie des droits garantis. Elle est possible parce que la plus part des
Constitutions des Etats sous étude consacrent la « sécurité ». Ce serait alors
un droit subjectif particulier qui ne serait pas comme bon nombre d’autres
« droits à... ».
Conclusion
Dans les Etats de l’Afrique noire francophone comme ailleurs, la
sécurité fiscale apparaît comme un gage de régulation des rapports sociaux,
notamment de modération et de stabilisation des relations entre
l’administration fiscale et les contribuables. Fort de cette considération, et
face à la complexité décriée du droit fiscal, à son renouvellement annuel au
moyen des lois de finances, face à son hermétisme, les constituants et les
législations de ces Etats ont jugé à bon droit, d’opter pour la sécurité
fiscale. C’est ainsi qu’un certain nombre d’exigences se rattachant
particulièrement à la fiscalité, à savoir le principe d’égalité de l’impôt, le
principe de la légalité de l’impôt et l’obligation de protéger le contribuable
contre les changements de la doctrine fiscale seront consacrés. Par ces
exigences, le législateur et l’administration fiscale sont contraints dans
l’exercice de leurs pouvoirs normatifs d’édicter des normes fiscales de
qualité, conformes à la légalité et assurant aux contribuables la stabilité de
leurs situations et une justice fiscale. D’un autre côté, le juge
constitutionnel et le juge ordinaire sont mis à contribution. Pour conforter
la sécurité fiscale, le premier s’assure du respect du principe d’égalité de

191 OKOU (U.), La sécurité juridique en droit fiscal : Étude comparée France - Côte d’Ivoire, op. cit.
p. 130.
192 POUGOUE (P.G.), « Les figures de la sécurité juridique », op. cit., p. 7.
193 Voir PICHARD (M.), Le droit à : étude de législation française, Paris, Economica, 2006,

n°177 et s.
194 POUGOUE (P.G.), « Les figures de la sécurité juridique », op. cit., p. 7.

240
l’impôt prescrit par la loi fondamentale. Le second est gardien de la légalité
des actes d’imposition. Il ne faut pas perdre de vue que l’administration
fiscale elle-même aussi est gardienne de la légalité à travers les réclamations
contentieuses et les demandes d’interprétation qui lui sont adressées.
Malheureusement, d’autres exigences de la sécurité fiscale,
notamment celles qui sont couramment admises par la doctrine et qui se
rapportent au triptyque « prévisibilité-stabilité-accessibilité », sont galvaudés
tantôt par un défaut de consécration, parfois par des limites dans leur
application. Cela tient peut-être à la relative jeunesse de l’exigence de
sécurité fiscale dans les Etats étudiés, et incline à militer pour une réforme
de l’idéal de sécurité fiscale au regard des enjeux économiques qui s’y
rattachent. Cette réforme qui s’articule autour de la consécration d’un
principe général de sécurité juridique, aboutirait à étendre le principe de la
non rétroactivité des lois à la fiscalité (dans les Etats qui ne l’on pas
consacrer), et à instituer un droit subjectif à la sécurité fiscale et des
techniques d’élaboration des lois qui imposent une concertation préalable
avec le secteur privé notamment.
C’est dans ces conditions que la garantie de la sécurité juridique
serait optimale et produirait les effets attendus dans ces Etats
essentiellement sous-développés, à savoir le renforcement des capacités de
mobilisation des recettes fiscales, la croissance et même la relance des
activités économiques dans un contexte post-Covid.

241
LE CONTROLE DES FONDS DE CONCOURS DANS LE DROIT
PUBLIC FINANCIER DES ETATS DE LA CEMAC
Par
Dr. Aubran Donadoni NTOLO NZEKO
Ph.D en Droit public
Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Douala (Cameroun).
RÉSUMÉ :
Le contrôle des fonds de concours dans le droit public financier des Etats de la
CEMAC inspire un regard isolé au regard de la spécificité de ce type de ressource budgétaire.
Fondés sur la volonté des parties versantes, les fonds de concours doivent nécessairement faire
l’objet d’un suivi tant celui-ci est consubstantiel à leur versement dans le budget de l’Etat. Leur
contrôle actualise la logique de la performance dans l’utilisation des deniers publics. En
s’intéressant à la question de ses caractéristiques, il convient de noter que le contrôle des
contributions volontaires est marqué par l’inadaptation des mécanismes classiques de suivi des
opérations budgétaires. C’est ainsi que dans le suivi de l’utilisation de ces fonds publics, le
contrôle a priori des finances publiques affiche des manquements non négligeables. Le contrôle a
posteriori de la juridiction financière se trouve, quant à lui, profondément amoindri dans la mise
en œuvre de son régime. Ceci dit, la mise en œuvre des mécanismes spécifiques parait plus
optimale dans le suivi de l’utilisation des fonds de concours. Dans ce cadre, la partie versante des
fonds est associée aux missions de contrôle par le mécanisme du contreseing sur les opérations
comptables et la possibilité d’instituer des organes non-étatiques pour le suivi de ses contributions.

Mots clés : contrôle – fonds de concours – bailleurs de fonds.


ABSTRACT :
The control of competition funds in CEMAC State's public financial law inspires an
isolated look with regard to the specificity of this type of budgetary resource. Based on the will of
the paying parties, assistance funds must necessarily be monitored as this is consubstantial with
their payment into the state budget. Their control updates the logic of performance in the use of
public funds. Turning to the question of its characteristics, it should be noted that the control of
voluntary contributions is marked by the inadequacy of traditional mechanisms for monitoring
budget operations. Thus, in monitoring the use of these public funds, the a priori control of public
finances shows significant shortcomings. The a posteriori control of the financial jurisdiction is
itself profoundly reduced in the implementation of its regime. That said, the implementation of
specific mechanisms appears to be more optimal in monitoring the use of assistance funds. In this
context, the paying part of the funds is associated with control missions through the mechanism of
countersigning on accounting operations and the possibility of setting up non-state bodies to
monitor its contributions.
Keys words: control - competition funds – funders.

242
Introduction
L’Afrique centrale, comme bien d’autres sous-régions du monde,
fait face à une crise sanitaire historique depuis le début de l’année 2020.
Du point de vue des finances publiques, cette crise a eu une double
incidence : la baisse des recettes budgétaires, notamment celles fiscales, et
l’explosion des dépenses à caractère sanitaire et social1. Dans un
environnement où les ressources budgétaires existantes étaient déjà
insuffisantes, on assiste alors à une plus grande « dégradation des finances
publiques »2 avec pour corollaire un besoin de financement d’une ampleur
considérable. Dès lors, la mobilisation de ressources additionnelles est
devenue un impératif. C’est dans cette optique que les fonds de concours
retrouvent toute leur importance au regard des multiples appels lancés par
les pouvoirs publics pour des contributions volontaires aux financements
publics. Ceci étant, conformément à la logique de la budgétisation par
programme, les fonds de concours font l’objet d’un contrôle quoique
spécifique au regard de la particularité de leur régime. Dans cette mouvance, la
tendance vers une multiplication de ces fonds de concours nous amène à nous interroger
sur l’efficacité du contrôle des finances publiques. Comme le constatent certains auteurs
français, « la diversité des opérations de l’Etat comme les impératifs de sa gestion
imposent (…) des aménagements techniques, mais sans remettre en cause le principe lui-
même »3.
L’évocation du contrôle des fonds de concours nous situe dans le
champ juridique du contrôle des finances publiques, quel que soit l’espace
géographique de référence. Le contrôle des finances publiques est la quatrième
phase de la règle des « quatre temps alternés », après la préparation, l’élaboration et
l’exécution du budget. Il est régi sur le plan juridique par trois principes à
savoir, l’obligation de rendre compte, le principe de responsabilité et le
principe de la séparation des ordonnateurs et des comptables4. La fonction
de contrôle est adossée à une philosophie de reddition de compte
formulée par les articles 14 et 15 de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen du 26 août 1789 dans un élan de prescription démocratique
en France. Dans le constitutionnalisme africain, la reddition des comptes
est inscrite dans le Préambule et l’article 32 (1) de la Charte Africaine de la

1 Lire utilement G. PEKASSA NDAM et P. NGANGUE NEMALEU, « Les Finances


publiques camerounaises à l’épreuve de la crise sanitaire à coronavirus », Le NEMRO,
octobre-décembre 2020, pp. 49-74 ; F. ABENG MESSI, « Les obligations fiscales de
l’exercice budgétaire 2020 à l’épreuve de la Covid-19 au Cameroun », RAFiP, n°7, premier
semestre 2020, pp. 141-172 ; S. T. BILOUNGA, « L’incidence de la lutte contre le covid-19
sur les finances publiques camerounaises », Revue Juridique du Bonheur, n°3, 2021, pp. 60-92.
2 P. SÉGUIN, « La dégradation des finances publiques et ses remèdes », RFDA, n°1, 2010,

pp. 193-199.
3 M. BOUVIER, M.-C. ESCLASSAN, J.-P. LASSALE, Finances publiques, Paris, LGDJ,

2017-2018, 16e éd., p. 308.


4 S.T. BILOUNGA, « Les relations entre l’ordonnateur et les comptables à la lumière de la

loi du 26 décembre 2007 portant régime financier de l’Etat au Cameroun », Gestion &
Finances publiques, n°3, Mai-juin 2017, pp. 109- 116.
243
Démocratie, des Elections et de la Gouvernance5. Le principe de la
responsabilité, quant à lui, voudrait que tout gestionnaire ou gérant des
deniers publics puisse répondre des actes positifs ou négatifs qu’il pose
lors de sa gestion. Il s’agit donc en principe d’une responsabilité
répressive6. Le principe de la séparation des ordonnateurs et des
comptables, expression financière du grand principe constitutionnel de la
séparation des pouvoirs selon MAGNET7, voudrait que la gestion
administrative de la dépense publique maîtrisée par l’ordonnateur, se
distingue matériellement de celle comptable présidée par un comptable
publique, qu’il soit patent ou de fait. En tout état de cause, c’est
l’immanence même du principe du consentement à l’impôt qui se trouve
ainsi prolongé dans le contrôle de gestion de l’argent public8 et partant des
fonds de concours.
Bien que constituant un élément commun de toutes les sociétés, le
contrôle des finances publiques est un élément fondamental de la bonne
gouvernance de nos sociétés. Seul un contrôle effectif, régulier et
performant des finances publiques permet d’en assurer la maîtrise, de
corriger les dysfonctionnements, de lutter contre les gaspillages et la
corruption. Corollaire naturel de l’autorisation parlementaire, le contrôle
des finances publiques est un élément indissociable de la démocratie. Dans
les Etats modernes, les gouvernements doivent être responsables de
l’utilisation des deniers publics mis à leur disposition dans le cadre de la
gestion des crédits budgétaires9. La question du contrôle des fonds publics
s’est posée pour la première fois avec l’émergence des Etats
démocratiques. Les fonds publics n’étant plus laissés au bon vouloir du
monarque, leur perception doit être consentie et leur utilisation désormais
soumise à l’autorisation des représentants du peuple, en l’occurrence, le
Parlement.
Aujourd’hui, le contrôle des finances publiques est appelé à se
renouveler en raison
des profondes mutations enclenchées par la réforme budgétaire en zone
CEMAC qui vise à introduire la logique de la gestion dans cette sphère
traditionnellement politique. Par le passé, le secteur public s’est enfermé
dans le souci de la régularité. Le respect des règles de droit primait sur les
autres exigences telles que l’efficacité, l’efficience ou l’économie. Or,
aujourd’hui, l’Etat moderne ne conservera sa prééminence que dans la

5 Cette Charte a été adoptée par la huitième session ordinaire de la Conférence des Chefs
d’Etat tenue le 30 janvier 2007 à Addis-Abeba en Ethiopie.
6 H. GISSEROT, « Finances publiques et responsabilité : un colloque pour l’autre

réforme », AJDA, 4 avril 2005, p. 689.


7 J. MAGNET, Eléments de comptabilité publique, Paris, LGDJ, coll. Systèmes, 1991, p. 33 et

suivants. Lire aussi P. NDRI THEOUA, « Ordonnances et séparation des pouvoirs


budgétaires en période de Covid-19 », RAFiP, n°8, 2nd semestre, 2020, pp. 9-51.
8 A. BARILARI, « Le consentement à l’impôt », RFFP, n°147, 2019, pp. 191-199.
9 A. BARILARI, Les contrôles financiers comptables, administratifs et juridictionnels des finances

publiques, Paris, LGDJ, 2003, p. 85.


244
mesure où il est performant. Sous cet angle, le contrôle est alors perçu
comme l’un des moyens contribuant à l’atteinte de la performance dans la
mesure où il permet la recherche d’une dépense plus efficace. C’est ainsi
qu’il est devenu l’un des standards du droit et de la gestion des finances
publiques dans le monde10. Il symbolise un enjeu majeur pour les
économies émergentes désireuses d’améliorer leur gouvernance11. Le
contrôle est, de manière générale, une nécessité dans un Etat de droit, un
instrument de modernisation de la gestion publique12 orientée vers
l’atteinte des résultats, un outil essentiel d’information et d’aide à la
décision financière. C’est dans ce sens qu’on peut distinguer le contrôle de
régularité du contrôle de performance. Il s’agit des formes de contrôle
qu’on peut observer dans la classification selon le critère organique
notamment en matière de contrôle administratif, parlementaire et
juridictionnel. Mués par l’objectif de performance ces types de contrôle
consacrés par le législateur communautaire13 sont appliqués aux fonds de
concours dont il faut également fixer les contours.
Consacré au début du 19e siècle en France par deux ordonnances royales du 25
mars 1817 et du 14 septembre 1822, le principe de l’universalité budgétaire se traduit
par une double interdiction : celle de contracter les recettes et les dépenses de l’Etat pour
ne faire apparaître qu’un produit net et celle d’affecter certaines recettes à la couverture
de certaines dépenses. Il existe pourtant certaines procédures budgétaires permettant de
déroger à la règle de la non-affectation des recettes aux dépenses14. Pour les plus connues,
il faut relever les comptes spéciaux du Trésor15. Mais les moins connues concernent les
fonds de concours, l’attribution des produits16 et le rétablissement des crédits17.
S’agissant des fonds de concours qui constituent la trame de fond de l’analyse, leur
volume de plus en plus croissant dans la pratique des finances publiques méritent une
attention particulière mieux que les quelques lignes que leur consacrent les ouvrages de
droit budgétaire.

10 BEGNI BAGAGNA, « Réflexion sur le contrôle international des finances publiques : le


cas des Etats d’Afrique subsaharienne francophone », RAFiP, n°7, 1er semestre 2020, p. 38.
11 L. PHILIP, « Panorama du contrôle des finances publiques dans le monde », RFFP,

n°101, 2008, p. 15 et s.
12 M.-C. ESCLASSAN, « Un phénomène international : l’adaptation des contrôles

financiers publics à la nouvelle gestion publique », RFFP, n°101, 2008, p. 29.


13 Art. 69 de la Directive N° 01/11-UEAC-190-CM-22 21 Relative aux Lois de Finances.
14 J. S. KLEIN, « La procédure des fonds de concours ou l’art de tourner les règles

budgétaires », Revue administrative, n°203, septembre-octobre 1981, pp. 466-471.


15 G. M. PEKASSA NDAM, « Les comptes spéciaux du Trésor dans les Etats d’Afrique

francophone », Cahiers Juridiques et Politiques, Université de Ngaoundéré, 2009, pp. 203-236.


16 La procédure d’attribution de produits permet de rattacher directement à un service, par

décret, les recettes tirées de la rémunération de prestations que ce service fournit


régulièrement.
17 La procédure de rétablissement de crédits rend possible l’affectation d’une recette au sein

du budget général ou d’un budget annexe, dans deux cas prévus par la LOLF : d’une part,
pour les recettes provenant de la restitution au Trésor de sommes payées indûment ou à
titre provisoire ; d’autre part, pour les recettes provenant de cessions entre services de
l’État qui ont donné lieu à paiement sur crédits budgétaires.
245
Pour ancienne qu’elle soit, la procédure de fonds de concours n’a connu un rapide
essor au cours de ces dernières années. Organisée par une loi du 6 juin 1843 en France,
cette procédure n’a longtemps eu pour objet que de permettre le financement conjoint des
investissements dans le domaine des travaux publics. Les fonds versés par des
départements, des communes ou des particuliers pour concourir avec ceux de l’Etat à des
dépenses d’intérêt public étaient à cet effet portés en recettes aux produits divers par
décret au ministre, additionnellement à ceux qui lui avaient été accordés pour les mêmes
travaux. Ces fonds de concours ont été étendus par la suite à d’autres recettes
notamment aux dons et legs par la loi du 31 décembre 190718. Depuis lors c’est
l’ordonnance du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances qui a permis le
développement qu’ils ont connu jusqu’à l’élaboration de la loi organique du 1er août
2001 relative aux lois de finances. Cette loi prévoit en filigrane que la procédure des
fonds de concours offre au Gouvernement la faculté d’ouvrir des crédits
supplémentaires à due concurrence de recettes, évaluées au préalable en loi
de finances, versées à l’État par des personnes morales (par exemple des
financements croisés des collectivités territoriales) ou physiques (sous la
forme notamment de legs et donations) pour concourir à des dépenses
d’intérêt public19.
C’est cette acception qui a été transposée dans le cadre harmonisé
des finances publiques de la Communauté économique et monétaire
d’Afrique centrale, puis relayée par ses Etats membres. La directive y
relative dispose dans ce sens que les fonds de concours sont constitués,
d’une part, par des fonds à caractère non fiscal versés par des personnes
physiques ou morales, notamment les bailleurs de fonds internationaux,
pour concourir à des dépenses d’intérêt public et, d’autre part, par les
produits de legs et donations attribués à l’Etat. Ils sont directement portés
en recettes au budget général, au budget annexe ou au compte spécial
considéré20. Ainsi, les contributions aux fonds de concours sont des
contributions volontaires pouvant être faites par des particuliers, des
entreprises, des associations, des collectivités territoriales, établissements publics… mais
surtout des bailleurs de fonds internationaux aux capacités financières avérées. Dans ce
sens, le Code de transparence de la CEMAC, « définit les principes et obligations que
les États membres doivent respecter, dans leur législation comme dans leur pratique,
aussi bien dans la gestion de l’État et celle des autres administrations publiques que
pour les fonds de l’assistance extérieure accordés par les institutions internationales et les
États étrangers »21. Constatons donc que les fonds publics ne se limitent plus à ceux de
l’État, mais s’étendent aussi à ceux des autres collectivités publiques, des organisations
internationales, et mêmes à ceux des États étrangers, dès lors qu’ils viennent en appui
de l’activité financière de l’État. Pour le dire autrement, nous sommes en présence des

18 H. MESSAGE, « La procédure des fonds de concours », RFFP, n°26, 1989, pp. 253-293.
19 Art. 17 de la loi organique n°2001-162 du 1er août 2001 relative aux lois des finances en
France.
20 Art. 36 de la Directive N° 01/11-UEAC-190-CM-22 21 Relative aux Lois de Finances.
21 Préambule de la Directive n°06/11-UEAC-190-CM-22 relative au Code de

transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques.


246
« systèmes financiers publics intégrés et régulés dans le cadre d’une gouvernance
globale »22. Toujours est-il que la constitution des fonds de concours donne lieu à
l’ouverture de crédits d’un même montant, dont l’emploi doit correspondre strictement à
l’intention de la « partie versante ». En fin de compte, cette hypothèse de travail s’inscrit
dans la « nouvelle gouvernance financière publique »23 que le Professeur Michel Bouvier
désigne, comme un vaste mouvement dont la caractéristique la plus forte demeure sans
doute l’internationalisation des réseaux financiers publics24.
Toutefois, le caractère aléatoire de la constitution des fonds de concours fondée
sur la bienveillance et la volonté des donateurs rend délicate sa prévision par le parlement
dans la mesure où il est impossible de connaître à l’avance le montant des sommes qui
seront versées. Comme le souligne le professeur Jean-Pierre Lassale, « la procédure de
fonds de concours fait échapper une masse importante de crédits à tout contrôle du
parlement »25. A cet égard, la question du contrôle de ces fonds publics n’est pas moins
lancinante dans un contexte africain où les ressources budgétaires sont de plus en plus
soutenues par les fonds de concours.
En effet, compte tenu des restrictions budgétaires qui impactent le
montant des crédits adoptés en loi de finances dans les Etats d’Afrique
centrale principalement, les crédits issus des fonds de concours sont
souvent considérés par les pouvoirs publics comme un moyen de
financement complémentaire indispensable à la mise en œuvre des
politiques publiques. Dans cette mouvance, au regard de la spécificité de
cette ressource budgétaire, il convient de s’interroger sur le point de savoir :
qu’est-ce qui caractérise le contrôle des fonds de concours dans le
droit public financier des Etats de la CEMAC ? Suivant la méthode
d’analyse normativiste, la réponse à cette question va être fondée sur l’interprétation des
dispositions relatives au régime financier des Etats sous étude. Les résultats de cette
réflexion permettent de retenir que le contrôle des fonds de concours se
caractérise par les modalités hétéroclites de suivi de l’utilisation de cette
catégorie de fonds publics à la portée ambivalente.
Ce faisant, l’analyse du contrôle des fonds de concours revêt un intérêt
scientifique certain. Dans notre environnement, aucune étude d’ampleur n’explore le
contrôle de cette catégorie spécifique de ressources budgétaires, qui apparaît alors comme
un angle mort de la recherche en finances publiques. Les rares études l’évoquant ne le
font qu’à travers l’analyse générale du contrôle des finances publiques, qu’il s’agisse du
contrôle administratif, parlementaire ou juridictionnel. La quasi-indifférence de la
doctrine africaine sur la question donne à cette étude toute sa place.

22 Selon la formule de M. BOUVIER, Préface à BOUTHEVILLAIN, G. DUFRENOT,


Ph. FROUTE et L. PAUL, Les politiques budgétaires dans la crise, Bruxelles, De Boeck
Supérieur, 2013, p. 6.
23 M. BOUVIER, « Nouvelle gouvernance financière publique : Grands enjeux de demain », Editorial

RFFP, Spécial N°100 – Novembre 2007.


24 M.-C. ESCLASSAN, « Un phénomène international : l’adaptation des contrôles

financiers publics à la nouvelle gestion publique », op. cit., p. 29.


25 J.-P. LASSALE, « La loi organique et l’équilibre constitutionnel des pouvoirs », RFFP,

n°26, 1989, p. 21.


247
Ceci dit, le contrôle des fonds de concours est un instrument de la
modernisation et de la transparence dans la gestion des finances
publiques ; instrument indispensable pour assurer une bonne gestion
administrative et financière de cette catégorie particulière de fonds.
Lorsque ce contrôle est rigoureusement mené conformément au régime
financier des Etats sous étude, il permet aux pouvoirs publics de justifier
l'utilisation des fonds et les résultats obtenus conformément à la volonté
de la partie versante. Dans cette lancée, il faut donc entrevoir comme
principale caractéristique du contrôle des fonds de concours,
l’optimisation de la participation des bailleurs de fonds au suivi de
l’utilisation de ces fonds (II) qui supplante le mécanisme classique de
contrôle des finances publiques, car inadapté à cette catégorie spécifique
de ressource budgétaire (I).
I. L’inadaptation des fonds de concours aux mécanismes
ordinaires de suivi des opérations budgétaires
Malgré la spécificité des fonds de concours dans l’ordre des
ressources budgétaires de l’Etat, les législateurs des Etats de la zone
CEMAC, en harmonie avec le législateur communautaire, n’y ont pas exclu
les mécanismes classiques de contrôle des finances publiques. Pourtant,
qu’il s’agisse du contrôle administratif, du contrôle parlementaire ou du
contrôle juridictionnel, leur régime s’adapte moins aux spécificités des
fonds de concours. C’est ainsi que dans le suivi de l’utilisation de ces fonds
publics, le contrôle a priori des finances publiques affiche des
manquements non négligeables (A). Le contrôle a posteriori de la juridiction
financière se trouve, quant à lui, profondément amoindri dans la mise en
œuvre de son régime (B).
A. La restriction du contrôle a priori des activités budgétaires
liées aux fonds de concours
Les opérations budgétaires liées aux contributions volontaires sont
inefficacement contrôlées de manière préventive car le contrôle a priori
classique se retrouve restreint. En droit public financier ce contrôle est un
mécanisme assurant la fonction du contrôle avant le paiement de la
dépense publique. Il est guidé par une approche préventive, tant il est vrai
que la préoccupation à ce niveau est d’avoir une dépense saine, régulière et
de qualité dès sa conception. Le contrôle a priori est mis en œuvre tant par
le contrôle financier que par l’autorisation parlementaire dans le cadre du
vote de la loi de finances. Mais la nature spécifique des fonds de concours
limite l’activité de contrôle financier (1) et déclasse l’autorisation
parlementaire (2).

248
1. La limitation du contrôle financier sur les dépenses
financées sur fonds de concours
Le contrôle financier tel que consacré par le droit public financier
des Etats de la CEMAC se trouve limité lorsqu’il est appliqué aux
dépenses publiques financées sur fonds de concours. Pourtant, la réforme
budgétaire en zone CEMAC a reconfiguré le régime dudit contrôle pour
plus de performance26. Il s’agit d’une modalité de contrôle administratif
qui s’opère par l’action d’un contrôleur financier. Placé auprès des ordonnateurs
des dépenses, il assure, pour le compte du ministre chargé des finances, la centralisation
des opérations budgétaires. Dans ce cadre, il opère un contrôle de régularité des projets
d’engagement de la dépense publique. A cet égard, le législateur communautaire27
a cantonné son contrôle à l’examen de l’opportunité de l’engagement des
dépenses publiques en consacrant le visa préalable à tout ordonnancement
budgétaire des ordonnateurs et le contrôle de la régularité du processus de la dépense
publique.
Ceci étant, le législateur communautaire prévoit certes que les règles
d’exécution, de comptabilité, de gestion de trésorerie et de contrôle des
fonds des bailleurs, qu’il s’agisse d’organisations internationales ou d’Etats
étrangers, ainsi que le régime de responsabilité et de sanction des agents
qui en ont la charge sont celles fixées par une directive CEMAC28. Mais en
ce qui concerne le cas particulier des fonds de concours, il consacre une
dérogation au droit commun pouvant s’étendre au régime de leur contrôle.
Il dispose précisément que lorsqu’il y a mobilisation des fonds de concours
dans l’exécution de la loi de finances « L’engagement et l’ordonnancement des
dépenses financées par ces fonds peuvent être confiés à une ou plusieurs personnes
nommément désignées par accord entre le Ministre auquel est rattaché le compte
d’affectation spéciale, le Ministre chargé des finances et le ou les bailleurs de fonds
concernés »29. Ces dispositions de la directive communautaire sont reprises
par les lois internes des Etats de la CEMAC qu’il s’agisse du Cameroun30,
du Congo Brazzaville31, du Gabon32 ou Tchad33 à une différence près du
cas équato-guinéen qui prévoit la désignation d’une personne exclusive
pour exécuter la dépense publique issu des fonds de concours34.
Qu’à cela ne tienne, l’analyse de ces dispositions dérogatoires au
droit commun de l’exécution inspire une lecture sans ambages de la

26 N. CLINCHAMPS, « Le contrôle financier et la LOLF du 1er août 2001 : vers un


désengagement progressif », RFFP, n°82, Juin 2003, pp. 73-96.
27 Art. 61 de la Directive N° 01/11-UEAC-190-CM-22 21 Relative aux Lois de Finances.
28 Ibid. art. 79.
29 Art. 80 de la Directive N° 01/11-UEAC-190-CM-22 21 Relative aux Lois de Finances.
30 Art. 82 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 fixant le régime financier de l’Etat et des

autres entités publiques.


31 Art. 93 de la Loi organique n°36-2017 du 3 octobre 2017 relative aux lois de finances.
32 Art. 91 de la loi organique n°020/2014 relatives aux lois de finances et à l’exécution du

budget.
33 Art. 91 de la Loi organique n°004/PR/2014 relative aux lois de finances.
34 Art. 75 de la Loi I/2012/n°2012/CNT portant loi organique relative aux lois de finances.

249
limitation du contrôle financier. Celle-ci se résume à l’entorse faite à la
mission de centralisation des opérations budgétaires du contrôleur
financier. En effet, il ressort des législations internes des Etats de la
CEMAC que pour l’exécution de la dépense publique liée aux fonds de
concours, il est procédé à la désignation d’une ou de plusieurs personnes
devant faire office d’ordonnateur. Cette désignation associe le bailleur de
fonds en collaboration avec le ministre chargé des finances et celui auprès
duquel sont directement affectés les fonds de concours. De fait, cette
désignation d’un ou de plusieurs ordonnateurs déclasse l’ordonnateur de
droit prévu par le régime financier auprès duquel est affecté un contrôleur
financier pour le suivi de ses opérations. Or, la loi communautaire ou celle
du droit interne des Etats de la CEMAC ne précise que la personne ou les
personnes désignées conjointement par le bailleur de fond et le ministre
concerné est la qualité d’ordonnateur. Il peut s’agir des responsables de
programmes, d’actions ou d’activités voire des personnes privées émanant
de la volonté du bailleur de fonds. Dans les deux hypothèses, le contrôleur
financier n’a pas la possibilité d’exercer ses fonctions de contrôle puisque
le législateur ne prévoit pas d’affectation de contrôleur financier auprès des
ordonnateurs spécialisés.
En tout état de cause, c’est le contrôle de régularité de la dépense
publique issue des fonds de concours qui se trouve tempéré, même si les
ordonnateurs spécialement désignés doivent respecter la procédure
d’exécution des dépenses publiques. De ce point de vue, il faut remarquer
que le contrôle de régularité n’est pas l’objectif dans le cadre des fonds de
concours puisque les législateurs des Etats sous étude précisent que « Leur
emploi doit être conforme à l’intention de la partie versante »35. On le sait, la
régularité est la finalité traditionnelle du contrôle de la dépense publique.
Toute opération financière réalisée a toujours été guidée par l’exigence de
régularité, c'est-à-dire une réalisation de celle-ci en conformité avec les
dispositions juridiques régissant la matière contrôlée. Malgré cet
attachement indéfectible à cet objectif d’ailleurs très utile pour la
promotion de la bonne gouvernance financière, des limites ont été
enregistrées dans le processus de réalisation de la dépense publique du fait
de la finalité du contrôle effectué. Elles sont dues en grande partie à une
appréhension on ne peut plus curieuse de la régularité financière, laquelle
tend à se cantonner aux considérations strictement formelles où l’attention
est surtout portée sur des considérations de forme.
Or, la contribution volontaire des personnes physiques ou morales,
par le mécanisme des fonds de concours, est mue par un objectif de
qualité de la réalisation de la dépense publique36 qui en découle. Dans ce
sens, le contrôle opéré doit concerner la qualité de la concrétisation de la
volonté de la partie versante. Il s’agit ici de baliser le contrôle vers la

35Ibid. Art. 38.


36B. LEVALLOIS, « L’évolution du contrôle financier des administrations locales », RFFP,
n°79, 2002, pp. 111-119.
250
qualité de la dépense publique, et non exclusivement vers la régularité qui a
trahi ses limites. Il est question de réadapter les organes et mécanismes de
contrôle à la qualité des dépenses. Autrement dit, le contrôle doit
rechercher non seulement la réalisation telle quelle de la dépense publique
selon des considérations juridiques, mais aussi et surtout la réalisation de la
dépense selon des critères qualitatifs et quantitatifs définis par les bailleurs
de fonds. L’inscription à la qualité de la dépense publique ressort des
idéaux promus par les bailleurs de fonds notamment internationaux37.
D’où l’exigence de conformité des opérations d’exécution des fonds de
concours à la volonté de ces derniers, baromètre de mesure la qualité des
opérations. Ce caractère volontaire des fonds de concours, d’un autre
point de vue ne permet pas au parlement de faire des prévisions précises à
l’occasion du vote de la loi de finances.
2. Les prévisions imprécises des fonds de concours par le
parlement
Contrairement aux autres recettes budgétaires aux prévisions plus
précises, les fonds de concours ne sont pas évalués et autorisés avec
exhaustivité par le parlement dans le cadre de l’autorisation parlementaire
du budget38. En effet, l’adoption de la loi de finances est la procédure par
laquelle le Parlement vote le projet de loi de finances39. Dans le processus
d’élaboration de la loi de finances, la prise de décision définitive relève de
la compétence du Parlement40 qui est alors chargé de l’adopter. Cette
procédure porte le nom d’« autorisation budgétaire » et constitue l’une des
prérogatives reconnues au Parlement dans les systèmes représentatifs, où
tout le régime du budget est fondé sur cette idée41. L’autorisation
budgétaire donne une valeur juridique aux dépenses publiques et arrête les
éléments de l’équilibre financier de l’Etat42. Son origine remonte en 1215
lorsque les seigneurs anglais imposèrent au Roi Jean Sans Terre la grande
Charte qui instaura la règle du consentement à l’impôt obligeant le
Monarque à consulter l’assemblée des Seigneurs avant la création de tout
nouvel impôt et leur accorda le droit d’en suivre l’affectation43. Le
corollaire de l’autorisation parlementaire de la dépense publique est ainsi le

37 Voir Fonds Monétaire International, Cameroun : Rapport n°18/235 des Services du FMI pour
les consultations de 2018, août 2018, 139 pages.
38 M. BOTTIN, « L’autorisation budgétaire », in H. ISAIA, J. SPINDLER (dir.), Histoire du

droit des finances publiques, Paris, Economica, 1988, p. 98.


39 F. QUEROL, Finances publiques, Paris, Ellipses, coll. tout le droit, 2002, p. 41.
40 C. BIGAUT, Finances publiques. Droit budgétaire, le budget de l’Etat, Paris, édition Marketing,

1995, p. 103.
41 Lire NKOUAYEP Long Christ Papy, Les pouvoirs parlementaires d’autorisation budgétaire en

droit camerounais, thèse de Doctorat/Ph.D en droit public, Université de Yaoundé II, 2018,
284 pages ; H. MESSAGE, « Peut-on mesurer le pouvoir budgétaire du Parlement ? »,
RFFP, n°41, 1993, pp. 14-29.
42 P. M. GAUDEMET, J. MOLINIER, Finances publiques. Budget/Trésor, Tome I, Paris,

Montchrestien, 1996, 7ème éd., p. 255.


43 F. QUEROL, Finances publiques, op. cit., p. 42.

251
droit de regard qui est confié au Parlement lors de cette procédure. Ceci
dénote de l’effectuation d’un contrôle a priori des opérations budgétaires.
Pour cela, le parlement doit judicieusement évaluer les recettes qui vont
financer la dépense publique en l’occurrence les fonds de concours.
Dans cette mouvance, les législations des Etats membres de la
CEMAC ont consacré le principe de l’autorisation parlementaire des fonds
de concours. Elles disposent notamment que les fonds de concours sont
prévus, évalués et autorisés dans une loi de finances qui définit également
leurs règles d’utilisation44. Les dépenses et charges incluent le montant des
crédits susceptibles d’être ouverts par voie de fonds de concours45.
Pourtant, l’analyse des différentes lois de finances des Etats sous étude
révèle un écart entre le droit prévu et le droit vécu mettant en exergue les
difficultés qu’éprouve le parlement à faire des prévisions et partant à
évaluer avec précisions les fonds de concours.
En analysant le cas camerounais en premier, le législateur brille par
l’inexhaustivité des prévisions des fonds de concours. La lecture
minutieuse des lois de finances pour l’exercice 201946 et 2020 révèle
exclusivement la prévision des « dons exceptionnels de la coopération
internationale ». Or, les fonds de concours ne se résument pas seulement aux
contributions volontaires des bailleurs de fonds internationaux même si
elles sont les plus régulières. Pourtant durant l’exercice budgétaire 2020
marqué par la crise sanitaire du Coronavirus, des participations financières
volontaires des personnes physiques et des personnes morales ont été
mobilisées au profit du budget de l’Etat. Ceci dénote la difficulté que peut
éprouver le parlement dans l’évaluation de cette catégorie de recettes
budgétaires. Le législateur centrafricain brille également par une évaluation
parcimonieuse des fonds de concours par la formule vague de « dons
projets » classés dans le registre des ressources externes de l’Etat47. Le
législateur congolais quant à lui a été très réservé sur l’évaluation chiffrée
des fonds de concours. C’est du moins ce qui ressort des lois de finances
pour l’exercice 202048. Le parlement gabonais pour sa part brille par une
certaine inconstance : évasif sur le montant des prévisions des fonds de
concours en 201749, il s’est essayé à une évaluation des recettes issues des
fonds de concours à l’occasion du vote de la loi de finances pour l’exercice

44 Art. 38 de la Loi I/2012/n°2012/CNT portant loi organique relative aux lois de finances
de la Guinée Equatoriale ; art. 40 de la Loi organique n°36-2017 du 3 octobre 2017 relative
aux lois de finances du Congo ; art. 57 de la loi organique n°020/2014 relatives aux lois de
finances et à l’exécution du budget du Gabon ; art. 49 (3) de la loi n°2018/012 du 11 juillet
2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques au Cameroun.
45 Art. 43 de la loi organique n°004/PR/2014 relative aux lois de finances du Tchad.
46 Loi n°2018/022 du 11 décembre 2018 portant loi de finances de la du Cameroun pour

l’exercice 2019.
47 Art. 29 de loi n°016-007 arrêtant le budget de l’Etat pour l’année 2017.
48 Loi n°42‐2019 du 30 décembre 2019.
49 Art. 42 de la Loi n°026/2016 du 6 janvier 2017 déterminant les ressources et les charges

de l'Etat pour l'année 2017.


252
202050. Cette instabilité du parlement gabonais en matière d’évaluation des
fonds de concours révèle toute la difficulté qu’il peut éprouver à l’occasion
de la définition des prévisions budgétaires. A tel enseigne qu’on peut
légitimement s’interroger sur l’efficacité des lois des Etats de la CEMAC
consacrant la prévision des fonds de concours par le parlement et la
sincérité des lois de finances51 qui peuvent en découler.
L’interrogation est d’autant plus légitime qu’elle nous permet de
relever des lacunes dans le droit des Etats sous étude instituant
l’autorisation budgétaire des fonds de concours. Sous cet angle, il faut
noter d’entrée des contradictions entre le régime des fonds de concours et
celui du contrôle a priori effectué par le parlement. Le régime de
l’autorisation budgétaire du parlement prévoit que ce dernier évalue le
montant des fonds de concours et fixe les règles d’utilisation52. Or, ces
règles d’utilisation doivent être définies par la partie versante, l’exécution
de dépenses issues des fonds de concours doit se faire conformément à sa
volonté. Il est loisible d’entrevoir la contradiction normative qui rend en
principe inopérants les pouvoirs du parlement dans la définition des règles
d’utilisation des participations volontaires. Cette inférence est confortée
par le constat général de l’absence de définition du montant des crédits
susceptibles d’être ouverts par voie de fonds de concours dans les lois de
finances des Etats de la CEMAC, puisque cette prérogative est réservée au
ministre chargé des finances53.
D’un autre point de vue, il convient de relever que l’autorisation
budgétaire approximative des fonds de concours par le parlement est
susceptible de porter atteinte au principe de sincérité budgétaire. En effet,
si ce principe budgétaire implique entre autre l’idée des chiffrages
d'estimations de   recettes, celle du coût réel de dépenses à venir,
l'irréalisme des prévisions chiffrées des fonds de concours, que soulignent
des surévaluations ou des sous évaluations est un grief d’insincérité
budgétaire54. Comme l’a relevé le juge constitutionnel français, l'atteinte

50 Art. 19 de la Loi n°014/2019 du 22 janvier 2020 déterminant les ressources et les charges
de l’Etat pour l’année 2020.
51 H.M. CRUCIS, « La sincérité des lois de finances, nouveau principe du droit

budgétaire », JCP-G, n°28, 12 juillet 2000, pp. 1359-1363.


52 Art. 38 de la Loi I/2012/n°2012/CNT portant loi organique relative aux lois de finances

de la Guinée équatoriale ; art. 40 de la Loi organique n°36-2017 du 3 octobre 2017 relative


aux lois de finances du Congo ; art. 57 de la loi organique n°020/2014 relatives aux lois de
finances et à l’exécution du budget du Gabon ; art. 49 (3) de la loi n°2018/012 du 11 juillet
2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques au Cameroun.
53 Art. 36 de la Loi I/2012/n°2012/CNT portant loi organique relative aux lois de finances

de la Guinée équatoriale ; Art. 43 de la loi organique n°004/PR/2014 relative aux lois de


finances du Tchad ; art. 40 de la Loi organique n°36-2017 du 3 octobre 2017 relative aux
lois de finances du Congo ; art. 57 de la loi organique n°020/2014 relatives aux lois de
finances et à l’exécution du budget du Gabon ; art. 49 (3) de la loi n°2018/012 du 11 juillet
2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques au Cameroun.
54 J.-P. CAMBY, « Pour le principe de sincérité budgétaire », RFFP, n°111, septembre 2010,

p. 22.
253
ainsi portée à la sincérité de la loi de finances55 par la procédure de
 rattachement par voie de fonds de concours, pour ceux de ces crédits qui
sont compris dans les recettes du budget général, conduit à affecter
l'évaluation du déficit prévisionnel en loi de finances initiale56. Pour y
remédier, il est souhaitable de déplacer le contrôle a priori du parlement
dans le cadre de l’adoption des lois de finances rectificatives pour lui
permettre d’avoir tous les éléments de valider les crédits supplémentaires
créés après les contributions volontaires. Dans ce cadre, l’évaluation des
fonds de concours sera empreinte de réalisme et de précision. Cependant,
ils paraissent également inadaptés au contrôle a posteriori de la juridiction
financière.
B. L’atténuation du contrôle a posteriori de la juridiction
financière sur les fonds de concours
Le contrôle juridictionnel des opérations budgétaires et comptables
des administrations publiques est assuré par une Cour des Comptes57 ; elle
en est le « vigil »58. Il s’agit d’un contrôle a posteriori mais qui se trouve
amenuisé dans le cadre de la procédure des fonds de concours. C’est ainsi
qu’il faut remarquer, d’une part, l’exécution parcimonieuse du régime de la
responsabilité financière des acteurs de la gestion des participations
volontaires (1) et, d’autre part, l’édulcoration de la sanction d’insincérité
comptable (2).
1. L’exécution parcimonieuse du régime de la responsabilité
financière des acteurs de la gestion des participations volontaires
Contrairement au régime de droit commun, le contrôle
juridictionnel effectué par les juridictions des comptes des Etats de la
CEMAC est parcimonieux quant à l’engagement de la responsabilité
financière des gestionnaires publics impliqués dans le maniement des
fonds de concours. En fait, la juridiction financière a une compétence
générale sur les gestionnaires des fonds publics, non pas en leur qualité
d’Agent de la « Fonction Administrative », mais comme agents de la « fonction
comptable ». Ces derniers sont des fonctionnaires ou agents publics
régulièrement habilités à effectuer les opérations financières des entités
publiques.
Traditionnellement, il a toujours été question du Comptable public
ou comptable patent comme justiciable devant la juridiction des
comptes59. Seulement, l’évolution du système financier africain a conduit le

55 R. HERTZOG, « La sincérité des documents budgétaires : principe nécessaire,


multiforme et inachevé », RFFP, n°111, sept. 2010, pp. 139-149.
56 Décision n°96-395 DC du 30 décembre 1997.
57 Art. 72 Directive CEMAC relative aux lois de finances.
58 Ph. SEGUIN, « La Cour, vigil des finances publiques », RFFP, n°100, novembre 2007,

pp. 223-229.
59 M. LE CLAINCHE, « Responsabilité des comptables publics et management public »,

Gestion & Finances Publiques, n°5, septembre-octobre 2017, pp. 98-105.


254
juge des comptes à étendre sa juridiction sur les Ordonnateurs et les
Contrôleurs financiers qui sont eux aussi des fonctionnaires ou agents
habilités à réaliser des opérations financières. Ceci étant, dans le cadre de la
réalisation de la procédure de fonds de concours, le juge des comptes ne
peut que de manière partielle engager la responsabilité financière de ces
trois principaux acteurs de l’exécution du budget. Précisément, si la
responsabilité du comptable public reste une constante dans la gestion des
fonds de concours, telle n’est pas le cas de celle du contrôleur financier et
des ordonnateurs spécialisés.
Dans la procédure dérogatoire des fonds de concours définie par le législateur
communautaire et relayée par les Etats de la CEMAC, le compte public conserve la
compétence pour exécuter les opérations de recouvrement et de paiement. A cet égard, il
exerce sa fonction dans le cadre d’un poste comptable par rapport auquel sa
responsabilité pécuniaire peut être établie par le juge des comptes60. Dans cette
mouvance, le comptable est, en principe, personnellement et pécuniairement
responsable de toute irrégularité ou anomalie constatée dans les opérations
et fonds de concours relevant du poste qu’il dirige61. Il a donc une
obligation juridique consistant en des contrôles exercés préalablement aux
opérations de recettes et de dépenses liées aux fonds de concours : « Sans
qu’il soit nécessaire qu’ils aient agi de façon ‘’fautive‘’, c’est à raison de ces contrôles
préalables que leur responsabilité peut être engagée »62. Dès lors, toute constatation
d'un déficit, d'un paiement irrégulier, d'un défaut de recouvrement de
recette devrait se traduire automatiquement par la mise en débet du
comptable63. Elle peut en outre, en fonction de la gravité de la faute
commise, imposer une
amende au comptable défaillant64.
Tout comme le comptable public et l’ordonnateur, le contrôleur
financier est personnellement et pécuniairement responsable des
infractions financières qu’il commet. En effet, selon la Directive CEMAC
relative aux Lois des finances, « les contrôleurs financiers sont justiciables de la
juridiction financière »65. La responsabilité des contrôleurs financiers est
principalement, mais non exclusivement mise en œuvre dans le cadre des
défaillances des contrôles dont ils ont la charge. Cependant, la
responsabilité du contrôleur financier peut se trouver atténuée devant le
juge des comptes du fait du déclassement de sa fonction de contrôle des
actes des ordonnateurs auprès desquels il est affecté. Comme

60 Art. 32 de la Directive n°02/08-UEAC-190-CM-17 portant Régime Générale de la


Comptabilité Publique de la CEMAC.
61 D. CATTEAU, Droit Budgétaire, Comptabilité publique, LOLF et GBCP, Paris, Hachette

supérieur, 2016, 3e éd., p. 114.


62 A. DIOUKHANE, « La responsabilité des comptables publics devant le juge des

comptes », La Revue du Trésor, n°8-9, août-septembre 2007, p. 800.


63 F. J. FABRE, « Une décision simpliste du conseil d'Etat relativement au juge des

comptes », La Revue administrative, n°208, juillet-août 1982, p. 397.


64 J. MAGNET, « Que juge le juge des comptes », RFFP, n°28, 1989, p. 115-124.
65 Article 73 alinéa 3.

255
précédemment énoncé, la reconfiguration du cadre des ordonnateurs
devant exercer le pouvoir de dépenser66 les crédits liée aux fonds de
concours met hors service le contrôle financier. Puisque pour
l’engagement et l’ordonnancement des crédits issus des fonds de concours,
le bailleur de fonds en collaboration avec le ministère concerné peut
désigner une personne étrangère au circuit habituel de la dépense comme
ordonnateur spécialisé. La loi n’ayant pas prévu de contrôle financier dans
ce cas, le juge des comptes n’aura pas, par conséquent, la possibilité
d’apprécier une quelconque défaillance de contrôle.
En ce qui concerne la responsabilité des ordonnateurs dans la
gestion des fonds de concours, la compétence de la juridiction des
comptes doit être distinguée selon la qualité des personnes désignées
comme ordonnateur spécialisé. Les législations des Etats sous étude
prévoient qu’une ou plusieurs personnes peuvent être désignées pour
engager les dépenses liées aux fonds de concours67. A l’analyse, les
personnes désignées peuvent être des agents publics du ministère
bénéficiaire des fonds de concours. Mais également, selon la volonté des
bailleurs de fonds, il peut s’agir des personnes étrangères à la fonction
publique, relevant de la société civile ou alors de la structure pourvoyeuse
de fonds.
Ainsi, en considérant la première hypothèse qui voit un agent public
désigné comme ordonnateur spécialisé des fonds de concours, la
juridiction financière sera compétente pour engager sa responsabilité
notamment pour faute de gestion. Cette hypothèse correspond à la
définition de l’ordonnateur en droit public financier. Le législateur
camerounais, à la suite du législateur communautaire CÉMAC68, définit
l’ordonnateur comme toute « personne ayant qualité, au nom de l’État de prescrire
l’exécution des recettes et des dépenses inscrites au budget de l’État »69. Le législateur
gabonais va dans le même sens70. Toutefois, en considérant la seconde
hypothèse qui voit une personne, n’ayant pas la qualité d’agent public, être
désignée pour engager les fonds de concours, la compétence de la
juridiction financière est à écarter totalement. Le cas de la Guinée
équatoriale qui consacre la désignation d’une personne pour engager les
fonds de concours est plus marquant si cette personne n’a pas la qualité

66 R. HERTZOG, « Le pouvoir dépensier », RFFP, n°41, 1993, pp. 4-11.


67 Art. 82 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 fixant le régime financier de l’Etat et des
autres entités publiques au Cameroun ; Art. 93 de la Loi organique n°36-2017 du 3 octobre
2017 relative aux lois de finances du Congo ; Art. 91 de la loi organique n°020/2014
relatives aux lois de finances et à l’exécution du budget du Gabon ; Art. 91 de la Loi
organique n°004/PR/2014 relative aux lois de finances du Tchad ; Art. 75 de la Loi
I/2012/n°2012/CNT portant loi organique relative aux lois de finances de la Guinée
équatoriale.
68 Art. 8 de la Directive CÉMAC n°02/11-UÉAC-190-CM-22 du 19 décembre 2011

relative au RGCP.
69 Article 65 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’État.
70 Décret n°0094/PR/MBCP du 8 février 2016 portant Règlement Général sur la

Comptabilité Publique.
256
d’agent public. L’argument d’ordonnateur de fait ne peut non plus être
pertinent puisque la personne désignée a un titre légal dont il se prévaut en
vertu de la volonté de la partie versante.
Ce faisant, force est de constater que la dérogation affirmée des
règles d’engagement et d’ordonnancement de la dépense liée aux fonds de
concours affecte le régime de responsabilité devant la juridiction des
comptes. L’ordonnateur spécialisé désigné en accord avec la volonté du
bailleur de fonds ne peut donc être sanctionné pour faute de gestion car la
définition de celle-ci coïncide avec la qualité d’agent public ou de personne
défendant les intérêts d’une entité publique. L’ordonnateur spécialisé
devant agir selon la volonté de la partie versante, il ne peut être coupable
de faute de gestion. En d’autres termes, le régime de la faute de gestion ne
peut lui être appliqué aussi bien devant le Conseil de discipline budgétaire
et financière que devant la juridiction des comptes. Celle-ci n’a pas
également tous les atouts pour sanctionner le grief d’insincérité comptable
au regard u caractère foncièrement aléatoire des fonds de concours.
2. L’édulcoration de la sanction du grief d’insincérité comptable
L'application des normes comptables est délicate en raison de la
spécificité
des actifs de l'État, le principe de sincérité se trouvant entravé et sa
censure biaisée devant la juridiction des comptes. Le cas particulier des
fonds de concours incite à entrevoir la limitation de la sanction du grief
d’insincérité comptable devant la juridiction financière.
En effet, la sincérité comptable est l’un des versants du principe de
sincérité en droit budgétaire. Il est le premier, le plus ancien, le plus
général (il est commun aux secteurs privé et public) et le moins
controversé71 des deux variantes du principe de sincérité. De ce fait la
certification de la sincérité des comptes fait partie de l’une des missions la
juridiction des comptes72, à côté du contrôle de régularité, de l’assistance
du parlement dans le contrôle de l’exécution du budget et du jugement des
ordonnateurs, des contrôleurs financiers et des comptables publics73. La
sincérité budgétaire et comptable a incontestablement affaire avec la vieille
question du contrôle de régularité des deniers publics et donc des fonds de
concours pour en garantir la bonne utilisation74. L'introduction du principe
de sincérité pour les comptes publics exige leur exactitude dans le respect
des règles et procédures75. Mais l’appréciation de cette exactitude par la
juridiction des comptes n’est pas aisée.

71 L. SAÏDJ, « Enjeux autour d'un principe controversé », RFFP, n°111, septembre 2010,
p. 6.
72 J.-L. ALBERT, « La sincérité devant le juge financier », RFFP, n°111, op. cit., pp. 105-114.
73 Art. 73 de la Directive CÉMAC relative aux lois des finances.
74 M. BOUVIER, « La sincérité budgétaire et comptable : un  principe paradoxal ? », RFFP,

n°111, op.cit., p. 169. 


75 M. CALVI-REVEYRON, « L’adaptation de la comptabilité publique à l’exigence de

sincérité », RFFP, n°111, op. cit.,, pp. 115-126.


257
Dans le prolongement de la détermination approximative des fonds
de concours à l’étape de l’élaboration de la loi de finances, l’insincérité
budgétaire qui en découle affecte inexorablement la sincérité des comptes
publics. En fait la loi de finances est le cadre juridique de l’exécution du
budget de l’Etat. A cet égard, les opérations de recouvrement et de
paiement ne sont exécutées par le comptable qu’à l’aune de l’autorisation
parlementaire. Ainsi, dans l’hypothèse d’une évaluation parcimonieuse des
fonds de concours par la loi de finances, la juridiction ne dispose pas
d’éléments objectifs pour mieux censurer la sincérité des comptes. Elle se
contentera des documents que l’exécutif, organe principal de mise en
œuvre de la procédure des fonds de concours, a bien voulu mettre à sa
disposition. Dans ce contexte, la juridiction n’a pas les moyens nécessaires
pour apprécier si les activités du comptable public ont été menées en vue
de minorer les dépenses ou majorer les recettes et exhiber ainsi des
performances erronées.
Ceci étant, le caractère aléatoire des fonds de concours fondé sur la
volonté de la partie versante renforce ambigüité du concept de sincérité
budgétaire76. Cette ambigüité fondamentale est préjudiciable pour le
contentieux de la sincérité des comptes publics, d’autant plus « qu’en droit,
l’indétermination se manifeste par son contenu vague et imprécis et par la nécessité de
nombreuses règles d’application concrète »77. A ce propos, dans le cadre de la
procédure des fonds de concours, il convient de souscrire à l’inférence du
professeur Gaston JEZE selon laquelle « Les gouvernants affirment toujours
qu’ils disent la vérité sur la situation financière, c’est-à-dire, sur l’importance relative des
dépenses et des prélèvements. Rares sont les pays dans lesquels ces affirmations sont
sincères »78.
Si la sincérité des comptes s'avère possible, beaucoup de progrès
restent à accomplir. La spécificité de l'action de l'État dans le cadre de la
procédure des fonds de concours rend la présentation des états financiers
particulièrement délicate limitant de ce fait la sanction du grief d’insincérité
par la juridiction des comptes.
Au total, les mécanismes ordinaires de contrôle des finances
publiques ne semblent pas adaptés au fonds de concours. La spécificité de
cette ressource budgétaire limite substantiellement le contrôle a priori
effectué par le parlement et le contrôleur financier. Le contrôle a posteriori
de la juridiction financière se trouve également atténué tant en matière
d’engagement de la responsabilité des gestionnaires publics qu’en matière
de certification des comptes publics à l’effet notamment d’apprécier leur
sincérité. A cet égard, pour l’efficacité du contrôle des fonds de concours,
ce sont les mécanismes spécifiques qu’il convient de prioriser.

76 A. GUIGUE, « Du besoin à l’obligation de sincérité », RFFP, n°111, op. cit., p. 27.


77 Idem, p. 29.
78 G. JEZE, « L’évolution des impôts en France », Revue de sciences sociales et de législation

financière, Paris, 1946, cité par A. G. BESSALA, « Le principe de sincérité en droit public
financier camerounais », RASJ, numéro spécial, 2014, p. 214.
258
II. L’insertion de mécanismes spécifiques de contrôle de
l’utilisation des fonds de concours
Les fonds de concours sont des contributions financières dont les
règles d’utilisation doivent être conformes à la volonté de la partie
versante. Celle-ci inspire donc l’érection de mécanismes spécifiques de
contrôle de ces contributions volontaires. Ainsi, il faut relever d’une part
l’association de la partie versante au contrôle des fonds de concours (A) et
d’autre part la définition d’organismes publics spécialisés pour le suivi de
l’utilisation de ces fonds (B).
A. L’association de la partie versante au suivi de l’utilisation des
fonds de concours
L’analyse du droit public financier des Etats de la CEMAC fait
remarquer que la partie versante des fonds de concours est placée au cœur
du système de contrôle de cette catégorie de ressource budgétaire.
Contrairement au droit commun du contrôle des finances
publiques, les bailleurs de fonds sont les principaux acteurs du suivi de
leurs contributions financières. C’est dans cette optique que les opérations
comptables liées à l’utilisation des fonds de concours sont assujetties à leur
contreseing (1). Mieux encore, ils ont la possibilité de constituer des
organes non étatiques pour effectuer le contrôle de l’utilisation de leurs
fonds par l’Etat (2).
1. La soumission des opérations comptables au contreseing des
bailleurs de fonds
Dans le cadre de l’exécution des opérations budgétaires sur fonds
de concours, les activités comptables sont soumises au contreseing des
bailleurs de fonds.
En effet, le contreseing est la seconde signature apposée à côté de
celle de l’auteur d’un acte. En droit public, il est affirmé originellement en
droit constitutionnel. Aux origines de cette règle, se trouve la pratique qui
voulait, dans les anciennes monarchies, que tous les actes du roi fussent
contresignés par un ou plusieurs ministres qui n’intervenaient qu’à titre de
témoins pour attester que l’acte émanait du roi. Par la suite, aux aurores du
régime parlementaire, on considéra que le contreseing engageait, à défaut
de la responsabilité du roi qui ne pouvait être mise en cause, celle des
ministres qui étaient présumés avoir conseillé au monarque l’acte qu’ils
avaient contresigné. Il en résulta pour ceux-ci le droit de refuser leur
contreseing aux décisions qu’ils désapprouvaient. Dorénavant la coutume
constitutionnelle tire de la règle du contreseing des conséquences qui vont
beaucoup plus loin encore. Selon cette règle, le chef de l’État doit
accomplir sur le plan politique tous les actes que le Cabinet lui demande : il
signe ce qu’on lui demande de signer, dit ce qu’on lui dit de dire79.

79 B. CHANTEBOUT, Droit constitutionnel, Paris, Sirey, 2009, 26e éd., p. 2018.


259
Jusqu’à l’établissement du régime parlementaire, le chef de l’État
était, dans l’acception totale du terme, le chef de l’exécutif, comme il était,
dans tous les domaines de l’activité étatique, l’agent d’exercice de la
puissance suprême. Lorsque s’introduisit le parlementarisme, la notion de
pouvoir exécutif se détacha progressivement de celle de chef de l’État et
cela parce qu’il était nécessaire de constituer un organe exécutif
responsable devant le Parlement. Alors le chef de l’État demeure bien le
titulaire des principaux droits de l’exécutif, mais il ne les exerce plus lui-
même ; par l’intermédiaire du contreseing les ministres les mettent en
œuvre. Il s’agit donc d’une signature apposée sur un acte par un ou
plusieurs ministres, à côté de la signature du chef de l’État, en vue de
l’authentifier, c’est-à-dire de la certifier. En période de cohabitation, il
permet au gouvernement d’exercer la réalité du pouvoir, parce qu’il
n’accordera son contreseing qu’aux actes qu’il approuve80. En période de
concordance des majorités, ce contreseing est une formalité.
Cette acception du contreseing en droit constitutionnel est celle qui
doit être retenue en finances publiques ce d’autant plus que les pouvoirs
du président de la République en matière budgétaire comptent, par
négation, parmi les matières soumises au contreseing des ministres. De
l’analyse des constitutions des Etats de la CEMAC81, les actes dispensés du
contreseing sont de deux sortes. Tout d’abord, la décision par laquelle le
Président de la République soumet un projet de loi au référendum ne peut
être prise que sur proposition du Premier ministre ou des deux
assemblées ; elle requiert donc le consentement d’une autre autorité.
Quant aux autres actes, ils sont la manifestation d’un pouvoir dit
d’arbitrage, dont on a estimé que le président devait l’exercer seul ou bien
pour faire face rapidement à des circonstances exceptionnelles. Par
déduction, les pouvoirs budgétaires du président de la République,
notamment en matière d’orientation et de modification de la loi de
finances, font l’objet de contreseing des ministres.
Ceci étant, le contreseing n’est pas donc une curiosité en finances
publiques. Il est même plus en exergue dans la procédure de fond de
concours avec la consécration du contreseing des bailleurs de fonds. Dans
ce sens, le législateur communautaire prévoit que par dérogation au droit
budgétaire « Les opérations de recouvrement et de paiement, exécutées par un
comptable public, peuvent être soumises au contreseing de représentants du bailleur ou
des bailleurs de fonds concernés »82. Ces dispositions de la directive
communautaire sont relayées par les lois internes des Etats de la CEMAC
qu’il s’agisse du Cameroun83, du Congo Brazzaville84, du Gabon85 ou

80 F. HAMON et M. TROPER, Droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 2014, 35e éd., p. 224.
81 Article 91 de la Constitution du Tchad, art. 97 de la Constitution du Congo et art. 27 de
la Constitution du Gabon.
82 Art. 80(2) de la Directive CEMAC relative aux lois de finances.
83 Art. 82 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 fixant le régime financier de l’Etat et des

autres entités publiques.


260
Tchad86. Par ce contreseing, le législateur érige le bailleur de fonds en
dernier censeur des opérations de paiement du comptable public. A cet
égard, il doit vérifier la qualité de l’ordonnateur qu’il a conjointement
désigné avec le ministre chargé des finances, la disponibilité des crédits,
l’exacte imputation des dépenses conformément à sa volonté.
En outre, par le mécanisme du contreseing, le bailleur de fonds
vérifie le caractère libératoire du règlement. Le contrôle de cette dernière
porte sur la justification du service fait qui intéresse particulièrement la
partie versante. En effet, les fonds de concours sont concédés à l’Etat
pour la réalisation des programmes d’intérêt public conformément aux
indications du bailleur de fonds. Le mécanisme du contreseing institué sur
les actes du comptable public, permet à ce dernier de vérifier la réalisation
des projets pour lesquels il a accordé des financements. De ce fait, il opère
un contrôle d’effectivité. Contrôler l’effectivité d’une dépense publique
signifie d’abord s’assurer que les prestations ou services réalisés sont
équivalentes des sommes que l’on s’apprête à sortir des caisses de l’Etat.
Autrement dit, il s’agit, pour le bailleur de fonds de certifier le rapport
d’équivalence qui unit la nature de l’ouvrage ou du service rendu à la
quantité ou au montant des crédits créés sur fonds de concours. En dehors
de l’exigence d’une certaine équivalence entre les prestations et les crédits
créés sur fonds de concours, le contrôle d’effectivité vise aussi à s’assurer
que les prestations ont été physiquement réalisées selon les règles définies
par le bailleur fonds. Autrement dit, il doit attester que le service rendu ou
l’ouvrage livré ont été exécutés conformément à ses exigences.
Ce faisant, il convient d’inférer de ce que l’institution du contreseing
du représentant des bailleurs de fonds sur les opérations comptables liées
aux fonds de concours exclut toute possibilité d’appliquer les régies
d’avances. En fait celles-ci dérogent au principe de la séparation des
ordonnateurs et des comptables publics. La régie d’avance consiste, pour
le comptable assignataire, à faire une avance de fonds au régisseur, afin que
celui-ci puisse payer certaines dépenses87. Le régisseur d’avances reçoit
donc, avant service fait, des sommes limités dans leur montant et leur
durée d’utilisation, pour effectuer des dépenses courantes de faible
amplitude. Ce régime n’est pas compatible avec celui de la procédure des
fonds de concours dans laquelle le contreseing du représentant des
bailleurs de fonds a pour finalité la garantie du service fait avant
l’approbation de tout paiement.
En tout état de cause, dans la procédure de fonds de concours, les
opérations comptables y relatives ne sont pas sanctionnées par le visa du
comptable assignataire mais par le contreseing du représentant des

84 Art. 93 de la Loi organique n°36-2017 du 3 octobre 2017 relative aux lois de finances.
85 Art. 91 de la loi organique n°020/214 relatives aux lois de finances et à l’exécution du
budget.
86 Art. 91 de la Loi organique n°004/PR/2014 relative aux lois de finances.
87 F. CHOUVEL, L’essentiel des Finances publiques, Paris, Gualino, 2020, 23e éd., p. 80.

261
bailleurs de fonds. Si ce dernier désapprouve l’opération de paiement, le
comptable public est tenu de renvoyer le dossier à l’ordonnateur spécialisé,
accompagné d’une note explicative du refus. Au-delà du mécanisme du
contreseing, les bailleurs de fonds peuvent être des acteurs à part entière
du contrôle de l’utilisation des fonds de concours aux côtés des organes
étatiques.
2. La constitution d’organes de contrôle non-étatique par les
bailleurs de fonds
La surveillance des bailleurs de fonds dans la conduite des réformes
est manifeste dans le droit public financier des Etats de la CEMAC. A la
faveur de la mondialisation de l’action des organisations économiques et
monétaires, les organisations internationales à caractère financier donnent
de l’importance aux fonctions de surveillance multilatérale88 et de
normalisation qui concernent très largement les finances publiques89.
Aussi, les bailleurs de fonds disposent de la possibilité de constituer des
organismes détachés de l’ordonnancement institutionnel de l’Etat pour le
suivi de l’utilisation des fonds de concours.
Ainsi, la partie versante et l’Etat s’accordent dans le cadre d’une
convention de financement sur les modalités de mise en œuvre des
organes de contrôle des fonds de concours. La publicité de ces documents
n’étant pas régulière, l’étude s’est limitée à illustrer ce cas particulier de
contrôle avec les contrats de désendettement et de développement signés
entre la France et certains pays africain à l’instar du Cameroun. Ayant
atteint le point d’achèvement à l’initiative en faveur des pays pauvres et
très endettés, le Cameroun a signé avec la France un contrat dit « de
désendettement et de développement » qui fait bénéficier à cet Etat en
développement très endetté d’importantes ressources additionnelles
soumises à un régime d’utilisation fortement marqué par une
conditionnalité à essence réformatrice. Ces fonds peuvent être assimilés à
des fonds de concours dans la mesure où le bailleur de fond a réorienté le
remboursement d’une dette au financement des programmes de
développement sans contrepartie. La signature par le Cameroun du tout
premier Contrat de Désendettement et de Développement (C2D) avec la
France aux lendemains du franchissement du point d’achèvement à
l’initiative renforcée en faveur des pays pauvres et très endettés (PPTE)90,
a permis au Cameroun de bénéficier d’importantes ressources
additionnelles provenant de l’allègement du service de la dette. Dans
l’optique d’une utilisation rationnelle et efficiente desdites ressources en

88 M. BOUVIER, « Nouvelle gouvernance et philosophie de la loi organique du 1 er août


2001 : aux frontières du réel et de l’utopie », RFFP, n°86, 2004, pp. 193- 212.
89 J.-L. ALBERT, Finances publiques, Paris, Dalloz, 2015, 9ème édition, p. 278.
90 J. C. MEBU, « Réglementation du dispositif PPTE : transparence, participation, et

équité », in Stratégie de désendettement et politiques de développement au Cameroun, Seddis, Yaoundé,


2003, pp. 15-16.
262
faveur de la lutte contre la pauvreté plusieurs institutions de contrôle ont
été créées pour suivre l’élaboration et la réalisation des projets et
programmes de dépenses C2D. Il s’agit en particulier de trois Comités de
suivi.
Il s’agit de trois comités complémentaires, du point de vue de leur
finalité, mais distincts du point de vue de leur composition. Ils intègrent
les partenaires extérieurs dans leur composition, afin que ceux-ci y
exercent leur droit de regard sur les fonds accordés. Il s’agit notamment le
Comité d’Orientation et de Suivi du Contrat de Désendettement et de
Développement91 ; du Comité Technique Bilatéral du Contrat de
Désendettement et de Développement92 et du Secrétariat Technique
d’Appui Dédié à l’Exécution du Contrat de Désendettement et de
Développement93. Bien que composé exclusivement des autorités
camerounaises, le Secrétariat Technique d’Appui Dédié à l’Exécution du
C2D (STADE-C2D) joue pourtant un rôle déterminant dans le contrôle
de la dépense publique au Cameroun. Il semble même concrétiser
l’obligation qu’ont les pouvoirs publics camerounais de renseigner les
partenaires extérieurs multilatéraux et bilatéraux, sur l’exécution de
certaines dépenses publiques réalisées sur fonds de concours issus des
C2D.
Composé de cinq représentants français et de cinq représentants
camerounais, le Comité Technique Bilatéral est l’autre organe de contrôle
des ressources C2D. Celui-ci tout comme le Comité d’orientation et de
suivi est composé des partenaires extérieurs qui exercent un contrôle sur
l’exécution des dépenses financées à base des ressources additionnelles
C2D. Instance paritaire franco- camerounaise à caractère transversal
assurant l’interface de coordination entre les instances françaises et
camerounaises impliquées dans la préparation et la mise en œuvre du C2D,
ce comité est chargé du suivi technique et administratif des opérations, en
relation avec les administrations compétentes. Le comité technique
bilatéral est ainsi chargé d’abord d’examiner les projets et programmes de
dépense tout en s’informant sur les mouvements du compte C2D de la
BEAC. Puis, il doit non seulement consolider les plans de trésorerie des
ressources C2D afin de mieux assurer leur suivi, mais aussi contrôler
l’exécution concrète des programmes de dépenses financés à base de ces
ressources. Le comité s’informe par ailleurs sur l’état d’avancement du
processus de passation des marchés publics financés sur ressources C2D,
en examinant les rapports trimestriels d’exécution administrative et
physico-financière des projets et programmes concernés.
En ce qui concerne, le Comité d’Orientation et de Suivi du Contrat
de Désendettement et de Développement, il a pour mission d’orienter, en
fonction des priorités du Document de Stratégie de Réduction de la

91 Décret n°2006/487/PM du 30 mars 2006.


92 L’arrêté n°052/PM du 30 mai 2006.
93 L’arrêté n°06/18/CAB/MINEFI du 21 juin 2006.

263
Pauvreté et du Document Cadre de Partenariat, la répartition sectorielle
des projet et programmes bénéficiant des ressources C2D en faveur de la
lutte contre la pauvreté, de la croissance et de la bonne gouvernance, de
veiller à leur bonne exécution et de suivre les résultats obtenus dans ce
cadre.
En tout état de cause, les contrôles effectués par ces organes
peuvent se faire sur pièces sur place, a priori ou a posteriori. Sur pièces, la
surveillance se fait au siège de l’organisation financière à base des
informations contenues dans les documents officiels obligatoirement
transmis à l’organisation. Ces documents faisant état de la conduite
quotidienne de l’utilisation des fonds de concours doivent être exhaustifs,
clairs et non équivoque afin de bien éclairer l’institution de contrôle. Les
insuffisances du contrôle sur pièces à édifier le bailleur de fond sur l’objet
du contrôle justifient la descente sur le terrain de ses représentants, afin de
suivre eux même physiquement la conduite des opérations.
Cet exemple camerounais représente un cas d’école de la
participation directe des bailleurs de fonds au contrôle des fonds de
concours des C2D. Le Congo Brazzaville a reçu également les
financements C2D avec la reconduction du même régime de contrôle que
celui du Cameroun. En annulant ses créances d’aides publiques au
développement résiduelles subsistantes au terme de l’Initiative PPTE, ce
qui représente, il faut le préciser, un effort budgétaire supplémentaire pour
l’État français, la France, en contrepartie, met en place un dispositif visant
à s’assurer que les fonds dégagés par l’annulation de la dette servent
réellement l’objectif de lutte contre la pauvreté dans les pays bénéficiaires.
Au-delà de participation des bailleurs de fonds au contrôle des fonds de
concours, les organismes publics ne demeurent pas moins prégnants dans
le suivi de l’utilisation de ces ressources budgétaires spécifiques.
B. La définition d’organismes publics spécialisés de contrôle des
fonds de concours
Par dérogation au cadre institutionnel classique de contrôle des
finances publiques, le suivi de l’utilisation des fonds de concours est opéré
par des organismes publics spécialisés. Dans ce sens, il faut noter la
constitution des organes classiques de contrôle des finances publiques en
audit spécifique (1). A cela il faut ajouter la dévolution du contrôle
comptable à comptable public particulier (2).
1. La constitution des organes classiques de contrôle des finances
publiques en audit spécifique des fonds de concours
Les organes ordinaires de contrôle des finances publiques restent au
cœur du processus de suivi des règles d’utilisation des fonds de concours.
Mais, ils sont mis à contribution dans le cadre de la constitution d’un audit
spécifique. Nous savons que l'audit est le système ou le modèle adopté
pour le contrôle des Administrations dans les pays anglo-saxons. Dans ces

264
pays, le contrôle ne relève pas de Cours des comptes mais d'organismes
d'audit. Mais l'audit est surtout le modèle universel pour les entreprises94.
Dans les entreprises, l'audit se pratique tant au niveau externe qu'au
niveau interne95. On distingue principalement : l'audit externe financier,
appelé révision comptable ou encore certification comptable. Il est
pratiqué par des professionnels libéraux indépendants. L'audit interne est
une fonction interne de l'entreprise, mais il suit des normes adoptées par la
profession des auditeurs internes96. Appliqué à la gestion des finances
publiques notamment aux fonds de concours, l’audit qui peut être décidé
par les bailleurs de fonds est un audit externe. Cet audit, effectué selon les
normes de l’INTOSAI et épouse toutes les formes97. L’ensemble de ces
attributions de contrôle, de maîtrise de la dépense et de l’action publique,
constitue un ensemble nouveau et cohérent de concepts et d’outils, tant de
gestion que de contrôle, constituant la nouvelle gestion publique98.
L’audit spécifique appliqué aux fonds de concours est une activité
indépendante et objective qui donne aux personnes publiques bénéficiaires
de ces fonds une assurance sur le degré de maîtrise de ses opérations
budgétaires y relatives. Il aide l’Etat à atteindre les objectifs définis par les
bailleurs de fonds, en évaluant, par une approche systématique et
méthodique, ses processus de management des risques, de contrôle et de
gouvernement d’entreprise et en faisant des propositions pour renforcer
son efficacité. L’audit public externe a ainsi deux fonctions et deux formes
: le contrôle de l’exécution de la loi de finances allant éventuellement
jusqu’à la certification des comptes par le moyen de l’audit financier
(budgétaire et comptable) et l’audit de la performance administrative et
éventuellement l’évaluation des résultats, voir celle des programmes et des
politiques publics99. Aujourd'hui, la régularité de la dépense publique ne
suffit plus, elle doit être complétée par un regard sur la performance
publique100. C'est sur ces bases que le contrôle de la gestion, dont l’audit
est l’expression quintessenciée, s'est développé. Il est alors présenté
comme un complément du contrôle traditionnel des comptes permettant
d'étendre le champ d'investigation du contrôle des finances publiques à des
questions nouvelles à l’instar des fonds de concours.

94 D. BRUSSELLE, « L’audit interne dans les administrations publiques : une évolution


profonde des métiers du contrôle dans de nombreux pays », La Revue du Trésor, n°10,
octobre 2006 pp. 684-685.
95 Arthur Andersen Audit et Management, Cahiers français, La documentation française,

n°248, p 10.
96 R. BETHOUX, F. KREMPER, M. POISSON, L’audit dans le secteur public, Paris, Clet,

1986, p. 67.
97 Régularité ou audit financier, système, performance.
98 A.-G. COHEN, La nouvelle gestion publique. Concepts, outils, structure, bonnes et mauvaise

pratique, contrôle interne et audits publics, Paris, Gualino, 2012, 3e éd., p. 42.
99 Ibid., p. 45.
100 M. BOUVIER, « L'âge de la nouvelle gouvernance financière et de la responsabilisation

généralisée des acteurs publics : un autre contrat social, un autre Etat », RFFP, n°92,
novembre 2005, pp. 39-46.
265
Compte tenu de l'évolution de l'activité publique et de l'ampleur des
éléments en jeu, le contrôle de la gestion, apparu d'abord comme
complément, dépasse aujourd'hui le contrôle juridictionnel des comptes.
C’est ce qui justifie le choix de la constitution d’un audit spécifique
regroupant les organes classiques de contrôle des finances publiques. Le
législateur communautaire dispose dans ce sens que les opérations,
activités et comptes de ces fonds peuvent faire l’objet d’un audit spécifique
mandaté par le ou les bailleurs de fonds concernés, effectués
conjointement avec les institutions de contrôle mentionnées au chapitre 4
du titre V de la directive CEMAC relative aux lois de finances101. Ces
dispositions de la directive communautaire sont relayées par les lois
internes des Etats de la CEMA102.
Ceci laisse entendre que la constitution d’un audit spécifique en
matière de fonds de concours agrège plusieurs formes de contrôle
correspondant aux acteurs qui interviennent en l’occurrence le contrôleur
financier, le comptable public, le parlement et la juridiction des comptes.
Néanmoins, le contrôle budgétaire, ou financier, dont ces unités de
contrôle, rebaptisées d’audit, demeurent dans de nombreux cas chargées,
doit être abandonné ; il doit se déplacer vers la sphère de responsabilité du
manager impliqué dans la procédure des fonds de concours. L’auditeur,
qui n’est pas un comptable, s’assurera seulement de la régularité générale
des systèmes. L’audit financier doit être confié à l’audit externe, exercé par
la juridiction des comptes assisté par le parlement, et être appuyé à
l’intérieur de l’administration sur les services du Trésor. La combinaison
de ces deux premiers « standards » est souvent la plus difficile à faire
admettre. Elle laisse croire que le contrôle financier, budgétaire et
comptable n’existe plus. En fait celui-ci est réparti entre l’auto-contrôle ou
contrôle interne du gestionnaire des crédits liés aux fonds de concours
(ordonnateur et aussi comptable) et un contrôle externe renforcé de la
Cour des comptes et des assemblées parlementaires103.
Pour autant, sa portée n’est pas moins méliorative. L'audit apprécie
l’organisation, l'adéquation des moyens aux fins, l'obtention des résultats
par rapport aux objectifs fixés notamment par les bailleurs de fonds, la
pertinence des sécurités mises en œuvre par la gestion par rapport aux
risques encourus. C'est ce qui distingue l'audit moderne d'une inspection
traditionnelle, d’une mission de vérification, où la gestion dans son

101 Art. 80(4) de la Directive CEMAC relative aux lois de finances.


102 Cameroun : Art. 82 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 fixant le régime financier de
l’Etat et des autres entités publiques ; Congo Brazzaville : Art. 93 de la Loi organique n°36-
2017 du 3 octobre 2017 relative aux lois de finances ; Gabon : Art. 91 de la loi organique
n°020/214 relatives aux lois de finances et à l’exécution du budget ; Tchad : Art. 91 de la
Loi organique n°004/PR/2014 relative aux lois de finances ; Guinée équatoriale : Art. 74
de la Loi I/2012/n°2012/CNT portant loi organique relative aux lois de finances.
103 A.-G. COHEN, La nouvelle gestion publique. Concepts, outils, structure, bonnes et mauvaise

pratique, contrôle interne et audits publics, op. cit., p. 104.


266
contenu constitue l'objet du contrôle, de même que la régularité en
constitue le critère quasi unique.
L’audit externe, dont sont chargés les Cours ou Chambres des
comptes (les « Institutions Supérieures de Contrôle » ou ISC) est en pleine
évolution, en parallèle avec ce qui se passe pour le contrôle et l’audit
internes104. Pourtant, il y a dans ce domaine encore beaucoup de
confusions et les difficultés rencontrées sont nombreuses. L’assistance au
Parlement pour l’établissement de la Loi de règlement, donc pour le rendu
compte de l’exécution budgétaire par l’administration notamment en
matière de fonds de concours demeure une nécessité fondamentale à la
charge des ISC. Mais elle doit évoluer, selon les standards, vers l’audit de
performance et l’évaluation des politiques publiques. Le comptable public
spécialisé pour effectuer le contrôle comptable des opérations liées aux
fonds de concours n’est pas en reste dans cette exigence de performance.
2. La dévolution du contrôle comptable des contributions
volontaires à un comptable public particulier
Les opérations de contrôle comptable des fonds de concours se fait
par un comptable public désigné dans le réseau de comptables de l’Etat
considéré. En effet, depuis la période coloniale jusqu’à l’accession à la
souveraineté internationale des Etats sous étude, l’organisation des postes
comptables du trésor, a épousé l’organisation administrative du pays. Dans
le souci de rapprocher l’administration du Trésor des usagers105, il a été
imaginé un réseau des comptables du Trésor, comptables de droit
commun de l’Etat, prenant racine au niveau le plus fin de l’organisation
administrative du pays. Ainsi, chaque comptable public peut être :
comptable supérieur ou subordonné ; comptable principal ou
secondaire106, comptable centralisateur ou non centralisateur107.
C’est dans cette classification que le comptable public devant
contrôler les opérations comptables est désigné. Le législateur
communautaire prévoit dans ce sens que « les financements apportés par les
bailleurs de fonds peuvent être gérés dans un sous-compte du compte unique du Trésor à
la Banque des Etats d’Afrique Centrale ouvert au nom du comptable public mentionné
ci-dessus. Les conditions de fonctionnement de ce sous-compte sont fixées par une décision
du Ministre chargé des finances prise en accord avec le ou les bailleurs de fonds
concernés »108. A l’exception de la Guinée équatoriale qui loge ce sous-
compte dans sa Banque centrale géré par un comptable spécifique, les

104 Ibid.
105 M. PRADA, « Réflexion sur l’histoire de la comptabilité de l’Etat », RFFP, n°93, février
2006, p. 257.
106 M. KERNEIS-CARDINET, « La responsabilité du comptable public principal du fait

du comptable secondaire », JCP, n°30-34, 31 juillet 2017, p. 7.


107 J. J. FRANCOIS, « La qualité comptable : une opportunité pour les comptables

publics », La Revue du Trésor, décembre 2000, p. 739.


108 Art. 80 (3) de la Directive CEMAC relative aux lois de finances.

267
autres Etats sous étude ont repris mot pour mot les dispositions du
législateur communautaire.
Ce faisant, à la question de savoir quelle est la nature du comptable
public désigné pour la gestion du sous-compte des contributions des
bailleurs de fonds, il convient d’inférer qu’il s’agit du comptable
centralisateur. Il contrôle et agrège l’ensemble des comptabilités des
recettes des finances et perception dont il produit la balance des comptes.
Le droit camerounais confère la gestion du sous-compte des fonds
accordés par les bailleurs de fonds à l’Agent comptable central du Trésor à
la lecture de ses attributions. L’Agence Comptable centrale du Trésor est
une structure nouvelle ; placée sous l'autorité d'un Agent Comptable, elle
est chargée de la tenue de la comptabilité des opérations qui lui sont
propres ainsi que de la tenue et de la gestion du compte unique, des
comptes CCP et des comptes spéciaux du Trésor ouverts à la BEAC.
Cette dernière étant celle qui abrite le sous-compte des financements
apportés par les bailleurs de fonds, c’est l’agent comptable central du
Trésor qui doit faire office de comptable public pour assurer le contrôle
comptable de ces fonds de concours.
Qu’à cela ne tienne au regard de la nature en numéraire des
financements des bailleurs de fonds, le comptable public gestionnaire du
sous-compte dédié à ces fonds est un comptable en deniers et valeurs. En
vertu de cette qualité, il est habilité au maniement et à la conservation des
fonds publics109, des valeurs qui sont des valeurs de portefeuille, bons,
traites, obligations, rentes et actions de société110. Mais à l’origine, il s’agit
d’un comptable d’ordre puisqu’il a vocation à centraliser et à présenter
dans leurs écritures et leurs comptes les opérations financières exécutées
par d’autres comptables. Toutefois, les fonctions de comptable d’ordre ne
sont pas incompatibles avec celles de comptable deniers et valeurs. Le
comptable public désigné pour la gestion des opérations du sous-compte
dédié aux financements officie en tant que comptable en deniers et
valeurs.
En tout état de cause, le contrôle comptable111 du comptable public
désigné ne s’éloigne pas de celui exercé par un comptable assignataire.
Sous cet angle, il a la charge de s’assurer notamment de la bonne
imputation et de la disponibilité des crédits liés aux financements des
bailleurs de fonds, de la réalité du service fait, de la non prescription de la
dépense, ainsi que de son caractère libératoire. Il s’agit d’un contrôle a
priori qui repose sur l’idée selon laquelle le respect des procédures garantit
le bon usage des financements des bailleurs de fonds. En effet, la

109 P. LEFEBRE, « Plaidoyer pour les règles de la comptabilité publique », La Revue du


Trésor, mai 1989, p. 244.
110 N. MORIN, « La nouvelle comptabilité de l’Etat, une dynamique partagée au service de

la gestion publique », RFFP, n°93, février 2006, pp. 10 – 11.


111 A. CAUMEL, « Qualité comptable et contrôle interne dans le cadre de la LOLF », La

Revue du Trésor, n°2, fév. 2006, p. 199.


268
comptabilité publique, a originellement a été conçue comme un instrument
de surveillance et de contrôle des deniers publics. Ce qui explique que
l’accent ait été mis exclusivement sur la régularité de l’utilisation des
deniers publics. C’est ce que postule Didier Maupas quand il affirme que
« … [le] système de comptabilité publique […] est fondé sur une approche particulière :
le respect des règles qui gouvernent la gestion publique et en particulier des règles qui
garantissent que les deniers publics sont utilisés conformément aux lois et règlements,
c’est-à-dire finalement à la volonté des assemblés délibérantes »112. En matière de
recette, les contrôles du comptable portent sur l’autorisation de les
percevoir et de les recouvrir ; la régulation de leur réduction ou annulation
dans les limites des éléments dont ils disposent ; les recettes perçues par le
budget mais non ordonnancées par l’ordonnateur. En matière de
dépenses, les contrôles portent sur : la qualité de l’ordonnateur,
l’assignation de la dépense, l’exacte réinterprétation budgétaire des
dépenses conformément aux principes définis par la nomenclature
budgétaire et comptable selon leur objet et leur nature ; la validité de la
créance113.
Tout compte fait, la désignation d’un comptable public spécialisé
pour assurer les opérations de contrôle comptable des financements des
bailleurs de fonds permet de donner une vue d’ensemble de les liquidités114
de l’Etat et des autres entités publiques en temps réel en respect du
principe de l’unité de la trésorerie115. Il faut y voir également la volonté de
réduction des délais d’encaissement des recettes, l’accès direct à tous
dépôts publics, l’information en temps réel sur le niveau des avoirs publics
liquides et la réduction des délais de paiement.
Conclusion
Au terme de cette étude, il convient de retenir que le contrôle des
fonds de concours dans les Etats de la zone CEMAC s’effectue selon des
mécanismes spécifiques pour une efficacité certaine. La mise en œuvre des
mécanismes classiques n’est pas à exclure même s’ils paraissent limités
compte tenu de la particularité des fonds de concours. A cet égard, le
contrôle a priori exercé par le contrôleur financier se trouve restreint au
regard de la modification du cadre des ordonnateurs désignés pour
intervenir dans l’utilisation des fonds de concours.

112 D. MAUPAS, « La comptabilité publique : un obstacle à une gestion publique


efficiente ? », in Comité pour l’histoire économique et financière de la France, La comptabilité
publique : continuité et modernité, Paris, CHEFF, 1995, p. 491.
113 A. BARILARI, Les contrôles financiers comptables administratifs et juridictionnels des finances

publiques, Paris, LGDJ, coll. Systèmes, 2003, p. 113.


114 Y. BIONDI, R. MUSSARI, « Les transformations de l’action publique au prisme des

réformes comptables et financières », Politique et Management public, vol. 30, n°3, 2013, pp.
285-287.
115 J. MAGNET, « Règlement du budget et des comptes », in L. PHILIP (dir.), Dictionnaire

encyclopédique de finances publiques, t 1 et 2, Paris, Economica, 1991, pp. 1323-1327.


269
Dans la même veine, l’autorisation parlementaire des fonds de
concours brille par l’imprécision des prévisions et de l’évaluation de cette
catégorie de ressource budgétaire à l’occasion de l’élaboration de la loi de
finances. C’est le principe de sincérité budgétaire qui se trouve affecté. En
outre, le contrôle a posteriori effectué par la juridiction des comptes se
trouve atténué dans le suivi de l’utilisation des contributions volontaires.
Avec la modification du cadre des acteurs intervenant dans l’exécution des
opérations liées aux fonds de concours, la juridiction financière voit sa
possibilité d’engagement de la responsabilité des acteurs de l’exécution du
budget être rétrécie. De plus, la sanction du grief d’insincérité comptable
est incertaine au regard du caractère aléatoire des fonds de concours.
Ceci dit, la mise en œuvre des mécanismes spécifiques parait plus
optimale dans le suivi de l’utilisation des fonds de concours. La partie
versante des fonds est associée aux missions de contrôle ; il y a le
contreseing des bailleurs de fonds sur les opérations comptables et la
possibilité de constituer des organes non étatiques de contrôle des
financements qu’ils apportent. Au surplus, les législations des Etats de la
CEMAC ont institué des organes publics spécifiques pour assumer le
contrôle des fonds de concours. Il en est ainsi de la constitution des
organes classiques de contrôle des finances publiques en audit et la
dévolution du contrôle comptable à un comptable public dédié. Ces
mécanismes offrent plus de crédibilité sur l’efficacité du contrôle des fonds
de concours par rapport aux mécanismes classiques caractérisés par des
compromis politiques qui dilue parfois l’objectivité et la transparence dans
les missions de contrôle.

270
LE CONTRASTE DES INSTITUTIONS DE CONTROLE DES
FINANCES PUBLIQUES CAMEROUNAISES
Par
Dr. Franck Landry OWONA NDOUGUESSA
Ph.D en Droit Public
Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Yaoundé II (Cameroun).
RESUME :

Selon l’adage classique, « ce qui abonde ne vicie pas ». Toutefois, il est permis de
penser le contraire en finances publiques camerounaises, au regard du foisonnement des
institutions de contrôle. Ce foisonnement est porteur d’un contraste souligné par
l’articulation contradictoire entre les heurts du droit positif, et les lueurs du droit
prospectif. Par conséquent, l’étude du contraste des institutions de contrôle des finances
publiques camerounaises commande que leur complexité observée en amont, induise
nécessairement une simplicité suggérée en aval.
Mots clés : finances publiques - contrôle- institutions- contraste.

ABSTRACT:

According to the classical adage, ″what abounds does not vice″. However, it is
allow to think the opposite of cameroonian public finances, in view of the oversight
control institutions. This trend is a contrast underlined by the contradiction between the
clashes of positive law, and the glues of prospective law. Consequently, the study of
cameroonian public finance control institutions contrast’s requires that their complexity
observed above, necessarily induces a suggested simplicity downstream.
Keywords : public finances – control- institutions- contrast.

271
Introduction
« Mais qui donc nous gardera de nos gardiens ?»1. Tel est le
questionnement classique du dramaturge JUVENAL sur le contraste de la
surveillance des organes de contrôle en général. A l’ère contemporaine, ce
questionnement conserve son actualité par le contraste des institutions de
contrôle des finances publiques camerounaises.
Conceptuellement, les finances publiques sont d’entendements
économique et juridique2. L’entendement économique des finances
publiques revêt deux acceptions. D’une part, l’acception libérale définit les
finances publiques comme la science dont l’objet est de préciser les
modalités du financement de l’activité de l’Etat par l’impôt, de dresser les
règles d’établissement des comptes publics, et de fixer la procédure des
dépenses publiques3 . D’autre part, l’acception interventionniste conçoit
les finances publiques comme l’étude des moyens par lesquels l’Etat se
procure les ressources nécessaires à la couverture des dépenses publiques,
et en repartit la charge aux citoyens4. L’entendement juridique des finances
publiques, quant à lui, est binaire. Premièrement, selon la définition
classique, caractérisée par le rôle exclusif de l’Etat comme acteur financier,
les finances publiques s’appréhendaient comme « la branche du droit public
qui a pour objet l’étude des règles et des opérations relatives aux deniers publics »5.
Deuxièmement, fort de la multiplicité d’interventions des organes publics
dans les activités financières6, la définition contemporaine des finances
publiques, retenue dans la présente étude, renvoie aux règles de droits
interne et supranational, qui encadrent les opérations budgétaires et
comptables des pouvoirs publics que sont l’Etat, les établissements publics
administratifs, les entreprises publiques, et les collectivités territoriales
décentralisées7. La conséquence tirée de cette définition contemporaine est
que, contrairement à un courant original de la doctrine camerounaise8, les

1 Cette question est la traduction de la locution latine « Quis Custodiet Ipsos Custodes ». Dans
son contexte originel, cette citation visait les gardiens commis à la surveillance des
résidences romaines, et que JUVENAL accusait d’infidélité.
2 Comme le fait remarquer Paul-Marie GAUDEMET, « les finances publiques recouvrent les

finances des personnes morales de droit public (…) ou encore, les finances de l’économie publique » : P.-M.
GAUDEMET, « Finances publiques (notions générales) », in L. PHILIP (dir.), Dictionnaire
encyclopédique de finances publiques, Paris, Economica, 1991, 1 ère édition, p. 807.
3 A. SMITH, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Paris, Economica, 2000,

p. 194.
4 J. M. KEYNES, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, Paris, Payot, 1988, p.

52.
5 P.M. GAUDEMET, J. MOLINIER, Finances Publiques, Tome 1, Budget/Trésor, Paris,

Montchrestien, 1996, 7ème édition, p. 22.


6 M. BOUVIER, M.-C. ESCLASSAN, J.-P LASSALE, Finances Publiques, Paris, LGDJ,

2016, 15ème édition, p. 37.


7 Les finances publiques recouvrent matériellement deux champs, à savoir : le droit

budgétaire, et le droit comptable. Cf. G.ORSONI, Science et législation financière : budgets publics
et lois de finances, Paris, Economica, Collection Corpus-Droit Public, 2005, p. 2.
8 S.T. BILOUNGA, Finances publiques camerounaises : budgets, impôts, douanes, comptabilité

publique, Paris, L’Harmattan, Collection Finances publiques, 2021, p. 35.


272
finances publiques sont incluses dans le courant originel du droit public
financier9 qui désigne un ensemble de règles comprenant « le droit budgétaire,
le droit de la comptabilité publique, et le droit fiscal »10.
Ainsi définies, ces finances sont surveillées par des institutions de
contrôle dont la signification infère deux idées : l’une sur les organes, et
l’autre sur la vérification. Concernant l’idée d’organe, elle se dégage du
vocable institution, malgré la nuance entre les sens commun et juridique.
Au sens commun, l’institution s’entend de l’action d’établir de manière
durable11. Or, au sens juridique l’institution est doublement perçue : d’une
part, elle est un mécanisme constitué d’un faisceau de règles régissant une
situation juridique donnée telle que le mariage, la responsabilité civile, le
droit de dissolution12 ; d’autre part, elle renvoie à un organe incarnant une
structure fondamentale de l’organisation sociale telle qu’établie par la
Constitution, la loi, ou la coutume, à l’exemple du Parlement ou de la
famille13. Systématisé par le Doyen Maurice HAURIOU14, et densifié par
le Professeur Lucien SFEZ15, cet entendement organique de l’institution
sera opératoire dans notre étude. Concernant l’idée de vérification, elle
s’applique au vocable contrôle, sous deux angles de vue. Dans le premier,
exogène à la science juridique, l’idée de vérification découle de l’étymologie
du contrôle entendu comme la tenue de deux registres dont l’un sert à
vérifier l’autre16. Au sens courant, le contrôle renvoie à la vérification du
caractère légal et régulier de quelque chose17. Dans le second angle de vue,
endogène à la science juridique, l’idée de vérification est doublement
perceptible par les acceptions générique et spécifique du contrôle.
L’acception générique du contrôle est formulée par le Professeur Gérard
CORNU qui y voit « l’opération consistant à vérifier si un organe public, un
particulier ou un acte respectent, ou ont respecté, les exigences de leur fonction ou des
règles qui s’imposent à eux »18. Quant à l’acception spécifique de François
FABRE, le contrôle s’y entend de « l’idée de vérification, c'est-à-dire, le fait de
s’assurer qu’une chose est bien telle qu’on l’a déclarée, ou telle qu’elle doit être par

9 S. DAMAREY, Droit public financier : finances publiques, droit budgétaire, comptabilité publique, et
contentieux financier, Paris, Dalloz, Collection Précis, 2018, 1994 pages.
10 M. BOUVIER, M.-C. ESCLASSAN, J.-P LASSALE, Finances Publiques, op.cit., p. 37.
11 M. LEGRAIN (dir.), Dictionnaire encyclopédique, Paris, Les dictionnaires Larousse, 2001, p.

817.
12 S. GUINCHARD, T. DEBARD, Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 2017, 25ème

édition, p. 589.
13 D. LOCHAK, « Institution », in A.-J. ARNAUD (Dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie

et de sociologie du droit, Paris, LGDJ, 1993, 2ème édition, p. 305.


14 M. HAURIOU, « La théorie de l’institution et de la fondation », Cahiers de la nouvelle

journée, n°4, 1925, p.4.


15 L. SFEZ, Essai sur la contribution du Doyen Hauriou au droit administratif français, Paris, LGDJ,

1966, p. 15.
16 M. LEGRAIN (dir.), Dictionnaire encyclopédique, op.cit., p. 372.
17 Idem.
18 G. CORNU, Association Henri CAPITANT (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2017,

11ème édition, p. 267.


273
rapport à une norme donnée »19. Par conséquent, dans le cadre de notre étude,
le contrôle est compris comme la vérification de la conformité des
comportements, décisions, et situations juridiques, aux normes régissant
les finances publiques.
Au demeurant, le contrôle explicité est porteur d’un contraste dont
la clarification sémantique révèle une incidence implicite. Au titre de sa
clarification sémantique, le contraste s’entend d’une opposition entre deux
ou plusieurs choses, mise en évidence et soulignée par leur
rapprochement, leur mise en relation . Au titre de l’incidence implicite,
20

elle porte sur la réception du contraste comme référent de politique


juridique, et instrument de technique juridique. La politique juridique peut
être révélatrice d’un contraste illustré par le Professeur Paul-Gérard
POUGOUE en matière foncière : « le conflit entre traditionalisme et modernisme
est un conflit entre deux civilisations : le negro-africanisme et l’occidentalisme »21. En
outre, la technique juridique atteste d’un tel contraste révélé par le
Professeur Joseph OWONA en matière constitutionnelle où il observe
que « certaines dispositions d’une loi fondamentale réduisent à néant d’autres
dispositions »22. Appliqué à notre étude, le contraste désigne l’articulation
opposée que dévoile les institutions de contrôle des finances publiques
camerounaises.
L’ancrage d’un tel contraste par sa localisation camerounaise est
basé sur deux données conjoncturelles. La première concerne les sources
matérielles du droit. L’on y perçoit une contradiction entre l’organisation
passée des états généraux de la protection de la fortune publique au
Cameroun23, et l’ouverture actuelle d’une enquête judiciaire contre les
présumés auteurs, co-auteurs et complices des cas de malversations
financières révélés par la Chambre des comptes de la Cour Suprême, au
sujet des fonds alloués par les bailleurs de fonds dans la lutte contre la
pandémie à Coronavirus 201924. Le seconde donnée traite des sources
formelles du droit, et dévoile un constat paradoxal entre la réforme du
cadre juridique des finances publiques camerounaises par les lois du 11
juillet 201825 et la résistance au changement résultant de ce qu’en 2021,

19 F.-J. FABRE, Le contrôle des finances publiques, Paris, PUF, 1968, p. 8.


20 M. LEGRAIN (Dir.), op.cit., p. 370.
21 P. G. POUGOUE, La famille et la terre : essai de contribution à la systématisation du droit privé au

Cameroun, Thèse de Doctorat d’Etat, Université de Bordeaux I, 1977, p. 211.


22 J. OWONA, « L’essor du constitutionnalisme rédhibitoire en Afrique : étude de quelques

constitutions Janus », in L’Etat moderne : horizon 2000. Aspects internes et externes, Mélanges offerts
à Pierre François GONIDEC, Paris, LGDJ, 1985, p. 235.
23 Rapport des états généraux de la protection de la fortune publique au Cameroun (Palais

des Congrès de Yaoundé, du 09 au 11 octobre 2012).


24 Consécutivement à l’octroi de fonds évalués à 180 milliards de FCFA par les bailleurs de

fonds internationaux à l’Etat camerounais, au titre de la lutte contre la pandémie à


coronavirus 2019, des présomptions de détournements de deniers publics ont entrainé
l’ouverture d’une enquête judiciaire en 2021.
25 F.L. OWONA NDOUGUESSA, Le bréviaire des finances publiques camerounaises : contribution

à l’intelligibilité des lois du 11 juillet 2018, Yaoundé, Afrédit, 2020, p. 17.


274
« les recommandations des structures de contrôle et d’audit ne sont pas toujours suivies
d’effet »26.
Ainsi, le contraste des institutions de contrôle des finances
publiques camerounaises possède de l’attrait en raison du respect aléatoire
des règles de protection de la fortune publique dans un pays où les besoins
financiers sont avérés27. Par conséquent, l’analyse du cadre institutionnel
de contrôle de l’action publique, tel que configuré dans la gestion
sectorielle des finances publiques, s’inscrit dans la réflexion globale sur la
gouvernance financière28. Au Cameroun, le contraste prend du relief eu
égard au fait que la courbe croissante des détournements de deniers
publics est proportionnelle à la multiplicité des organes de contrôle de la
fortune publique29. Par ailleurs, ce contraste offre une vision renouvelée de
l’étude du droit public financier, grâce à l’analyse économique du droit qui
permet d’expliquer « de quelle manière les règles de droit financier ont un impact sur
le développement financier et économique des Nations »30.
Dès lors, la question centrale posée se décline comme suit : en quoi
les institutions de contrôle des finances publiques camerounaises sont-elles
révélatrices d’un contraste ? La réponse à cette question porte sur le
postulat selon lequel les institutions de contrôle des finances publiques
camerounaises sont révélatrices d’un contraste en raison d’une articulation
contradictoire du droit entre heurts et lueurs. Au registre des heurts, le
droit positif autorise à penser que les organes chargés de vérifier la
conformité de la gestion des finances publiques à la réglementation en
vigueur sont caractérisés par l’hétérogénéité, du fait de la complexité
observée des institutions de contrôle des finances publiques camerounaises
(I). Au titre des lueurs, le droit prospectif incite à réfléchir sur les solutions
judicieuses pour pallier les contraintes de l’ordonnancement juridique, au
moyen de simplicité suggérée des institutions de contrôle des finances
publiques camerounaises (II).
I. La complexité observée des institutions de contrôle des
finances publiques

26 J. L. HELIS et alli, Renforcer la surveillance, la gouvernance et la maitrise des risques budgétaires dans
la gestion des entreprises publiques (Cameroun), Rapport technique du Fonds Monétaire
International, Mai 2021, p. 8.
27 M. NGO MOMASSO, Le contentieux des gestionnaires des derniers publics en droit public financier

au Cameroun, Thèse de Doctorat/Ph.D en droit public, Université de Yaoundé II, 2019, p.


30.
28 S. LEIDERER, P. WOLFF, « Gestion des finances publiques : une contribution à la

bonne gouvernance financière », Annuaire suisse de politique de développement, n°26, volume 2,


2007, p. 194.
29 H. EYEBE AYISSI, La protection de la fortune publique au Cameroun, Yaoundé, Editions

EDLK, 2013, p. 48.


30 B. DEFFAINS, C. DESRIEUX, « L’analyse économique du droit : bilan et

perspectives », Revue d’Economie Politique, volume 129, 2019, p. 138.


275
En règle générale, « les phénomènes financiers publics sont toujours des
phénomènes complexes »31. Appliquée aux organes chargés de vérifier la
conformité des opérations budgétaires et comptables des pouvoirs publics
camerounais, cette complexité commande respectivement d’en fournir
l’explication et l’implication. L’explication résulte de ce que ces institutions
de contrôle s’apparentent à des éléments hétérogènes, et difficilement
perceptibles sans systématisation préalable.
Fort de ce constat, l’implication de la complexité de ces institutions
est respectivement perceptible en profusion quantitative (A) et confusion
qualitative (B).
A. La profusion quantitative des institutions de contrôle
Le contrôle des finances publiques camerounaises est exercé par des
institutions caractérisées par l’abondance. Cette pluralité institutionnelle
autorise, par le truchement d’une systématisation, de classer la profusion
des institutions de contrôle en deux catégories. En effet, « tout bon juriste
pratique pour reflexe, cet exercice consistant à faire entrer un fait, une situation, une
personne, une chose ou un acte dans une catégorie juridique préexistante »32. Par cette
taxinomie générique, « les juristes sont alors conduits à des distinctions bipartites »33
dont l’illustration spécifique, sous le prisme de la systématisation spatiale,
s’articule comme suit dans notre étude : la profusion des institutions
nationales de contrôle (1), et la profusion des institutions internationales
de contrôle (2).
1. La profusion des institutions nationales de contrôle
Le droit positif camerounais encadre le contrôle des finances
publiques par la dévolution de son exercice aux institutions nationales.
Sous l’abord de la dualité, l’analyse de la profusion de ces institutions
s’articule successivement en énonciation légale (a) et interprétation
doctrinale (b).
a. L’énonciation légale de la profusion
L’énonciation légale des institutions nationales couvre
respectivement le contrôle interne à l’administration publique, et celui
externe à celle-ci.
Le contrôle interne à l’administration publique se structure au
sommet par l’existence d’une Institution Supérieure de Contrôle. A ce
titre, « les Services du Contrôle Supérieur de l’Etat constituent l’Institution Supérieure
de Contrôle (ISC) des finances publiques du Cameroun »34. La supériorité de ces
Services provient de leur rattachement au Président de la République du
Cameroun. Car, « sur décision du Président de la République, le Contrôle Supérieur
de l’Etat effectue des contrôles spéciaux auprès de diverses structures publiques et privées

31 M. BOUVIER, M.-C. ESCLASSAN, J.-P. LASSALE, Finances Publiques, op. cit., p. 37.
32 J.-L. BERGEL, Méthodologie juridique, Paris, PUF, 2001, p. 104.
33 J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, 1989, 2ème édition, p. 190.
34 Article 2 alinéa 1 du Décret n°2013/287 du 04 septembre 2013 portant organisation des

Services du Contrôle Supérieur de l’Etat.


276
(dès lors qu’elles revêtent un caractère stratégique »35. En outre, ce contrôle interne
est densifié des institutions inférieures de contrôle doublement normées.
En premier lieu, l’administration publique donne à voir deux catégories
d’institutions que sont respectivement : le contrôleur de gestion36, et les
inspections générales ministérielles ou de services37. En second lieu, cette
administration peut faire l’objet de contrôles exogènes à l’initiative des
contrôleurs financiers38 nommés par le Ministre chargé des finances, de
même que des contrôles ponctuels exercés par la Division du Contrôle
Budgétaire, de l’Audit et de la qualité de la Dépense39.
Le contrôle externe à l’administration publique, quant à lui,
comporte un volet juridictionnel. A ce titre, la compétence principale de la
juridiction des comptes est légalement établie pour le contrôle
juridictionnel des finances publiques, tant dans la dimension effective de la
Chambre des Comptes de la Cour Suprême40, que dans la dimension
prospective des Tribunaux Régionaux des Comptes41. Au demeurant, le
contrôle juridictionnel des finances publiques camerounaises s’effectue
« sans préjudice des sanctions infligées par d’autres juridictions »42. Par conséquent,

35 M. W. ONDO EBANG, Le Président de la République : autorité administrative en droit


camerounais, Thèse de Doctorat/Ph.D en droit public, Université de Yaoundé II, 2018, p.
30.
36 La consécration du contrôle de gestion réside dans la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018

portant Régime financier de l’Etat et des autres entités publiques qui énonce que « le
[responsable de programme] s’assure du respect des dispositifs de contrôle interne et de contrôle de gestion »
(article 69 alinéa 2). Cette disposition légale est une reprise intégrale de l’extrait identique
contenu dans l’article 60 de la Directive n°01/11-UEAC-190-CM-22 du 19 décembre 2011
relative aux lois de finances.
37 H. EYEBE AYISSI, La protection de la fortune publique au Cameroun, op.cit., p. 178.
38 L’office du contrôleur financier s’exerce par le contrôle de régularité, tel qu’il ressort de la

circulaire n°00003672/C/MINFI/SG/DGB/DCOB du 23 mai 2019 précisant les


attributions des contrôleurs financiers à la lumière de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018
portant régime financier de l’Etat.
39 Article 69 du Décret n°2013/066 du 28 février 2013 portant organisation du Ministère

des finances au Cameroun.


40 A la lecture de la loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du

02 juin 1972, la Chambre des Comptes de la Cour Suprême est effective. Par voie de
conséquence, la loi n°2003/005 du 21 avril 2003 fixant les attributions, l’organisation et le
fonctionnement de ladite Chambre révèle que « la Chambre des Comptes contrôle et juge des
comptes des comptables publics, déclare et apure les comptabilités de fait, prononce des condamnations à
l’amende, dans les conditions fixées par la présente loi, et statut souverainement en cassation sur les recours
formés contre des jugements définitifs des juridictions inférieures des comptes ».
41 L’article 41 alinéa 2 de loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 dispose que « les juridictions

inférieures des comptes, ainsi que les conditions de saisines et la procédure suivie devant eux, sont fixés par
la loi ». Logiquement, motif pris du ressort législatif, la loi n°2006/017 du 29 décembre
2006 fixant l’organisation, les attributions et le fonctionnement des Tribunaux Régionaux
des comptes prévoit, en son article 2 alinéa 1 que « les Tribunaux Régionaux des Comptes sont
des juridictions inférieures des comptes au sens de l’article 41 de la Constitution ».
42 Art. 89 al 1, loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des

autres entités publiques.


277
la compétence du juge administratif43 est solidaire de celle du juge répressif
doublement compris comme le juge pénal classique44, et le Tribunal
Criminel Spécial45. Par ailleurs, le contrôle externe à l’administration
publique peut revêtir un caractère non-juridictionnel, sous deux abords. Le
premier abord du contrôle est interne au Parlement. Ainsi, le contrôle
parlementaire des finances publiques peut être direct, tant par les
prérogatives du rapporteur général chargé du contrôle des recettes46, que
par l’office des rapporteurs spéciaux chargés du contrôle des dépenses47.
Toutefois, ce contrôle parlementaire est également indirect, comme
l’attestent la vérification de l’usage des fonds publics à l’occasion des
questions orales et écrites48, de même que les commissions d’enquêtes
parlementaires49. Le second abord du contrôle non-juridictionnel est
externe au Parlement, par les prérogatives de l’Agence Nationale
d’Investigations Financières50, dont le rôle est de lutter contre le
blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Ce contrôle est
complété par une Commission Nationale Anti-Corruption51, placée sous
l’autorité du Président de la République.
Fort de cette énonciation légale, la profusion des institutions de
contrôle induit une interprétation doctrinale.
b. L’interprétation doctrinale de la profusion

43 La loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des


Tribunaux Administratifs dispose en son article 2 alinéa 3 que : « le contentieux administratif
comprend : les recours en annulation pour excès de pouvoir et, en matière non-répressive, les recours incidents
en appréciation de la légalité. Est constitutif d’excès de pouvoir au sens du présent article : le vice de forme ;
l’incompétence ; la violation d’une disposition légale ou réglementaire ; le détournement de pouvoirs ».
44 La compétence du juge pénal classique se fonde sur l’article 184 du Code Pénal qui

s’applique au détournement de deniers publics évalué à un montant de FCFA 500.000.


45 Lorsque le quantum du détournement des deniers publics est supérieur ou égal à

cinquante millions (50.000 000) de FCFA, le juge compétent c’est le Tribunal Criminel
Spécial, au fondement de la loi n°2011/028 du 14 décembre 2011 portant création dudit
Tribunal.
46 Article 85 al 1 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 précitée.
47 L’article 85 alinéa 1 de la loi susvisée dispose que « chaque année, les commissions

parlementaires chargées des finances désignent chacune, à l’ouverture de la première session ordinaire de
l’année législative (…) des rapporteurs spéciaux chargés des dépenses publiques et du contrôle de l’usage des
fonds publics, y compris des fonds des bailleurs ».
48 Quoique le législateur de 2018 soit mutique au sujet de ces questions, l’article 35 de la loi

constitutionnelle du 18 janvier 1996 énonce que « le Parlement contrôle l’action gouvernementale


par voie des questions orales ou écrites ».
49 L’article 85 alinéa 4 de loi de 2018 susmentionnée prévoit que « le Parlement peut désigner des

commissions d’enquête sur un sujet intéressant les finances publiques ».


50 Cette Agence a été créée par le Décret n°2005/187 du 31 mai 2005 portant organisation

et fonctionnement de l’ANIF. Elle poursuit la lutte contre le blanchiment de capitaux et


procède de l’Acte additionnel n°09/00/CEMAC-086-CCE 02 du 14 décembre 2000
portant création du Groupe d’Action contre le Blanchiment des Capitaux en Afrique
Centrale (GABAC). Fort de cette création, le dispositif national s’est enrichi de l’Agence
Nationale d’Investigation Financière.
51 Article 2 alinéa 1 du Décret n°2006/0088 du 11 mars 2006 portant création, organisation

et fonctionnement de la CONAC.
278
L’interprétation doctrinale de la profusion des institutions
nationales de contrôle est porteuse d’enjeux de sens restitués en lignes de
force caractérisées par une dualité.
La première ligne de force retrace les mutations affectant les
institutions juridictionnelles. Consécutivement à la réforme du cadre
juridique des finances publiques camerounaises depuis le 11 juillet 2018,
l’on perçoit l’affirmation de l’autonomie de la juridiction des comptes.
Aussi convient-il d’en présenter respectivement la genèse et exégèse. La
genèse de cette autonomie remonte à la Directive n°01/11-UEAC-190-
CM-22 du 19 décembre 2011 relative aux lois de finances dont l’article 3
dispose que « le contrôle juridictionnel des opérations budgétaires et comptables des
administrations publiques est assuré par une Cour des Comptes qui doit être créée dans
chaque Etat membre (…). Elle est l’Institution Supérieure de Contrôle de chaque
Etat »52. Quant à l’exégèse, la prescription communautaire de créer une
Cour des Comptes a permis à la doctrine camerounaise d’affirmer la
reconnaissance de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême comme
l’Institution Supérieure de Contrôle des Finances Publiques53. La doctrine
était d’autant plus confortée par le fait que la Directive n°06/11-UEAC-
190-CM-22 du 19 décembre 2011 relative au Code de Transparence et de
bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques commande la
création obligatoire d’une Cour des Comptes dans chaque Etat membre de
la CEMAC54. Toutefois, force est de constater que « le Cameroun apparaît
comme la figure de résistance par excellence, aux changements formels de son contrôle
juridictionnel des finances publiques, conformément aux directives communautaires »55.
Par ailleurs, une mutation est perceptible par l’élargissement des fonctions
de la juridiction des comptes aux plans national et communautaire. Pour le
juge des comptes national, la fonction prétorienne porte désormais, en
plus des comptables publics, sur le jugement des ordonnateurs et
contrôleurs financiers56. Quant au juge des comptes communautaire, il
exerce des fonctions d’assistance, et de conseil au bénéfice des Etats-
membres qui en font la demande57.
La seconde ligne de force est consécutive aux mutations des
institutions non-juridictionnelles. D’une part, la mutation s’observe dans le
retrait de la répression des ordonnateurs aux Services du Contrôle
Supérieur de l’Etat. Sous l’empire de la loi n° 2007/006 du 26 décembre

52 Article 3.
53 S. BATIA EKASSI, L’Institution Supérieure de Contrôle des finances publiques au Cameroun,
Thèse de Doctorat/Ph.D, Université de Yaoundé II, 2018, p. 43.
54 Article 3.
55 D. Y. EFANGON, La réforme des juridictions des comptes dans l’espace CEMAC, Paris,

L’Harmattan, coll. Harmattan-Cameroun, 2018, p. 146.


56 Article 86 alinéa 3 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant Régime financier de

l’Etat et des autres entités publiques.


57 L’article 5 de la Convention du 30 janvier 2009 régissant la Cour des Comptes de la

CEMAC énonce que « dans son rôle consultatif, la Cour des Comptes émet des avis, à la demande des
Etats membres (…) sur toute question relevant de ses compétences ».
279
2007 portant régime financier de l’Etat, les ordonnateurs étaient
justiciables devant le Conseil de Discipline Budgétaire et Financière
(CDBF)58. Fort de la dévolution de la répression des ordonnateurs à la
juridiction des comptes, la doctrine conclut que « le CDBF en tant qu’autorité
de sanction administrative des actes des ordonnateurs soit supprimé »59. Une telle
affirmation doit être nuancée au regard de l’utilité du CDBF comme
instance de discipline financière, analogue au Conseil Permanent de
Discipline de la Fonction Publique, conformément à sa nature d’organe
administratif60. D’autre part, une mutation se dégage dans la consolidation
du contrôle parlementaire des finances publiques. Le Parlement est
désormais outillé tant par le Gouvernement, qui lui transmet des rapports
trimestriels aux fins de contrôle61, que par la juridiction des comptes qui
peut réaliser toute enquête à la demande des commissions
parlementaires62.
En définitive, force est d’observer une profusion d’institutions
nationales de contrôle des finances publiques camerounaises. Cette
profusion vaut également pour les institutions internationales.
2. La profusion des institutions internationales de contrôle
En vertu de la ratification des traités et accords internationaux63, les
finances publiques camerounaises font l’objet de contrôles effectués par
les institutions de droit supranational. Sous le prisme de la dualité, ces
institutions sont classées en deux catégories que sont les institutions
permanentes (a) et celles émergentes (b).
a. Les institutions permanentes de contrôle
En raison de leur présence continuelle, les institutions
internationales exercent leur office dans le dispositif de contrôle des
finances publiques camerounaises. Globalement, ces contrôles sont
binaires.
Le premier type de contrôle résulte des conventions signées par
l’Etat camerounais. Au titre des conventions conclues entre cet Etat et ses
partenaires bilatéraux, elles prévoient, en contrepartie de l’assistance
financière64, des contrôles exercés sur la régularité de la dépense. Ainsi, le

58 Article 52 alinéa 3.
59 M. NGO MOMASSO, Le contentieux des gestionnaires des derniers publics en droit public financier
au Cameroun, op. cit., p. 250.
60 B. C. ALOGO NDI, La nature du contrôle du Conseil de Discipline Budgétaire et Financière au

Cameroun, Mémoire de DEA en Droit Public, Université de Yaoundé II, 2009, p. 10.
61 Article 85 alinéa 8 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant Régime financier de

l’Etat et des autres entités publiques.


62 Article 85 alinéa 9 de la loi susmentionnée.
63 La loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 dispose en son article 45 que « les traités ou

accords régulièrement approuvés ou ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois,
sous réserve pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ».
64 A titre illustratif, l’on peut citer le Contrat de Désendettement pour le Développement

signé entre le Cameroun et l’Etat français.


280
législateur camerounais prévoit que la gestion des fonds octroyés par les
partenaires au développement fasse l’objet d’un audit spécifique65. Ces
contrôles se prolongent sur la qualité de la dépense en deux séquences. En
amont de l’exécution de la dépense, un contrôle d’opportunité est effectué
pour sélectionner les projets éligibles aux financements des bailleurs. Dans
le cas contraire, « la non-satisfaction des critères d’éligibilité entraîne le refus de
financement »66. En aval de l’exécution de la dépense, un contrôle est
effectué sur les résultats de la réalisation administrative, et de l’exécution
comptable. Au titre des conventions signées entre le Cameroun et des
institutions financières internationales que sont le Fonds Monétaire
International et la Banque mondiale, le contrôle est dual. A priori, un
contrôle sur pièces peut s’effectuer à partir du siège de ces organisations
internationales, en application de la conditionnalité financière67. A
posteriori, un contrôle sur place peut justifier l’envoi d’une mission auprès
des autorités camerounaises pour s’assurer de l’état d’exécution des
engagements pris auprès des bailleurs de fonds.
Le second type de contrôle incombe aux institutions
communautaires. A cet effet, la Communauté Economique et Monétaire
d’Afrique Centrale (CEMAC) concourt au contrôle des finances publiques
grâce au Système de Surveillance Multilatérale68. Pour ce faire, la Cellule
Communautaire de Surveillance rédige un rapport périodique visant à
s’assurer que les critères de convergence, et la discipline communautaires,
sont respectés par les Etats-membres de la communauté d’intégration
juridique. Ces critères résultent des recommandations formulées par le
Conseil des Ministres de la CEMAC. En outre, le contrôle des finances
publiques camerounaises à l’échelle communautaire est effectué par la
Cour des Comptes qui sanctionne les fautes de gestions commises par les
ordonnateurs de la Communauté, tout en vérifiant les comptes de celle-ci.
Au demeurant, il n’est pas exclu que la Cour sanctionne les ordonnateurs
et comptables nationaux. Car, la Convention du 30 janvier 2009 régissant
la Cour des Comptes de la CEMAC dispose que « la Cour vérifie la gestion des
concours financiers accordés par la Communauté aux Etats »69.
L’office des institutions permanentes de contrôle, ainsi articulé au
niveau supranational, est complété par celui de celles émergentes.

65 Article 82 alinéa 1 (quatrième tiret) de la loi susmentionnée.


66 S.-T. BILOUNGA, La réforme du contrôle de la dépense publique au Cameroun, Thèse de
Doctorat/Ph.D en Droit Public, Université de Yaoundé II, 2009, p. 307.
67 M. KAMTO, « La problématique de la conditionnalité en droit international et dans les

relations internationales », in La conditionnalité dans la coopération internationale (Colloque de


Yaoundé les 20, 21, et 22 juillet 2004), p. 22.
68 Article 53 de la Convention du 25 juin 2008 régissant l’Union Economique et Monétaire

d’Afrique Centrale.
69 Article 33.

281
b. Les institutions émergentes de contrôle
Du fait de leur récence, certaines institutions émergentes de droit
étranger exercent des contrôles sur les finances publiques camerounaises.
Ces institutions sont classées en deux catégories, à savoir : les agences de
notations, et les organisations non-gouvernementales.
S’agissant des agences de notation, elles contribuent au contrôle des
finances publiques par l’émission d’opinions. Car, « l’une des règles de
fonctionnement du marché financier international est l’attribution des
notes par les agences de notation financière, considérées à raison par la
doctrine comme de véritables puissances de contrôle vis-à-vis des autorités
financières des Etats »70. L’explication des opinions émises par les agences
de notation, repose sur des notes de crédits mesurant la perception du
risque attaché au remboursement d’une dette. Ainsi, ces notations varient
selon que le risque est moindre71 ou qu’il est élevé72. Par conséquent, pour
l’application de ces opinions en finances publiques camerounaises,
référence est faite aux institutions de droit étranger que sont Moody’s et
Standard and Poor’s. Concrètement, ces agences ont respectivement attribué
les notes B2 (en 2016 et 2021) et B (en 2017). Ces notes ont permis à
l’Etat camerounais d’obtenir des financements tant auprès des créanciers
nationaux (levée des emprunts obligataires) que du bénéfice de la Facilité
Elargie de Crédit de 390 milliards, auprès du Fonds Monétaire
International.
S’agissant des organisations non-gouvernementales, elles participent
au contrôle des finances publiques par émission d’indices de perception
dont l’essence porte principalement sur l’attractivité des finances publiques
dans deux domaines. Le premier, c’est celui de la lutte contre la
corruption. Pour cette lutte, les indices de perception émis par
l’organisation non-gouvernementale Transparency International classent les
Etats les plus ou moins corrompus dans le monde. Le second domaine
porte sur la facilité d’entreprendre. A ce sujet, le classement annuel Doing
Business, créé en 2002 par le Groupe de la Banque Mondiale, mesure
l’effectivité de la règlementation des affaires au sein des Etats. En outre,
l’essence des indices de perception concerne la gouvernance financière
des pouvoirs publics. C’est en ce sens que Transparency International promeut
la gestion transparente des finances publiques. De ce fait, l’incidence des
indices de perception est ambivalente. L’incidence vertueuse de ces indices
résulte du bénéfice que l’Etat du Cameroun tire d’une perception favorable
de ses finances publiques, du fait de l’appel d’air aux bailleurs de fonds et
investisseurs. Toutefois, l’incidence vicieuse découle de l’image négative

70 BEGNI BAGAGNA, « Réflexion sur le contrôle international des finances publiques : le


cas des Etats d’Afrique subsaharienne francophone », RAFiP, n°7, premier semestre 2020,
p. 51.
71 Lorsque le risque est moindre, les notes correspondent aux lettres A et B.
72 Selon que le risque est élevé, les notes correspondent aux lettres C et D.

282
que peut renvoyer l’Etat du Cameroun consécutivement aux indices de
perception péjoratifs73.
En conclusion, la profusion quantitative des institutions de contrôle
des finances publiques camerounaises ainsi analysée est, sous l’abord de la
complexité, complétée par la confusion qualitative de celles-ci.
B. La confusion qualitative des institutions de contrôle
Motif pris du critère qualitatif, le contrôle des finances publiques
camerounaises par les institutions dédiées prête à confusion. Cette
confusion émane, non pas des polémiques, mais plutôt des problématiques
liées à la qualité des institutions aussi bien en rapport avec l’Institution
Supérieure de Contrôle (1) que dans l’indépendance de la juridiction des
comptes (2).
1. La confusion sur la qualité d’Institution Supérieure de Contrôle
des finances publiques
Le débat sur la qualité de l’Institution Supérieure de Contrôle des
finances publiques est générateur de controverses, au point de semer une
confusion certaine. Aussi, convient-il successivement d’identifier les
raisons de cette confusion (a), et d’y apporter des clarifications (b).
a. Les raisons de la confusion
Les raisons de la confusion sur la qualité d’Institution Supérieure de
Contrôle des finances publiques camerounaises résultent d’une
discordance entre les prescriptions du droit supranational, et les
dispositions du droit interne.
Les prescriptions du droit supranational sont duales. La première
prescription est celle de la Directive n°01/11-UEAC-190-CM-22 du 19
décembre 2011 relative aux lois de finances. Elle dispose qu’« une Cour des
Comptes doit être créée dans chaque Etat-membre (…) elle est l’Institution Supérieure
de Contrôle de chaque Etat »74. Ainsi, le législateur communautaire concourt à
la promotion de l’Etat de Droit par la dévolution du contrôle suprême des
finances publiques à une Cour des Comptes au sein des Etats. La seconde
prescription découle de la Directive n°06/11-UEAC-190-22 relative au
Code de Transparence et de Bonne Gouvernance dans la Gestion des
Finances Publiques. Elle énonce l’impératif catégorique de la création
obligatoire d’une Cour des Comptes dans chaque Etat-membre de la
CEMAC75.
Les dispositions du droit interne, quant à elles, attribuent la qualité
d’Institution Supérieure de Contrôle des finances publiques à une structure
administrative. A cet effet, le Décret n° 2013/287 du 04 septembre 2013
portant organisation des Services du Contrôle Supérieur de l’Etat prévoit

73 En 1997, Transparency International en a offert l’exemple par le classement du Cameroun au


rang de pays de plus corrompu du Monde.
74 Article 72.
75 Article 3.

283
qu’ils « constituent l’Institution Supérieure de Contrôle (ISC) des finances publiques
du Cameroun »76. Placés sous l’autorité d’un Ministre délégué à la Présidence
de la République, les Services susmentionnés sont chargés de l’audit
externe. Au regard des dispositions du droit communautaire, le droit
interne camerounais est, vraisemblablement, en opposition concernant la
nature juridictionnelle de l’Institution Supérieure de Contrôle des finances
publiques.
Au terme de l’énoncé des raisons justifiant la confusion sur la
qualité d’Institution Supérieure de Contrôle des finances publiques, des
clarifications sont apportées par la doctrine.
b. Les clarifications de la confusion
Au registre des clarifications de la confusion sur la qualité
d’Institution Supérieure de Contrôle des finances publiques
camerounaises, la doctrine est partagée entre le courant communautariste,
et celui interniste.
Le courant communautariste promeut l’application du caractère
juridictionnel de l’Institution Supérieure de Contrôle des finances
publiques. En ce sens, une partie de la doctrine soutient qu’ « au-delà de la
désignation accordée aux Services du Contrôle Supérieur de l’Etat, la Chambre des
Comptes de la Cour Suprême serait l’organe qui fait réellement office d’ISC au
Cameroun »77. Cette assertion est porteuse d’une ambivalence entre l’usage
du conditionnel (serait) et le constat factuel (fait réellement). En
complément, d’autres adeptes du courant communautariste se font
défenseurs du fait qu’ « en dépit des prescriptions communautaires et de la force
juridique des directives, le Cameroun n’a pas adapté ses institutions. C’est toujours une
structure administrative qui est l’ISC »78. A contrepied de la prescription
portant sur la création d’une Cour des Comptes au sein de chaque Etat, la
doctrine constate que « le décalage existant entre le Régime financier du Cameroun
actuel et la Directive CEMAC sur les lois de finances permet de s’en convaincre »79.
Le courant interniste, quant à lui, rappelle simplement deux
données formelles. La première donnée est que la normativité de la
directive communautaire n’est pas contraignante à l’exemple du règlement
communautaire. En droit supranational, « les règlements communautaires sont
obligatoires dans tous leurs éléments et directement applicables dans tout Etat-
membre »80. A l’opposé, la directive communautaire lie l’Etat quant au

76 Article 2 alinéa 1.
77 S. BATIA EKASSI, L’Institution Supérieure de Contrôle des finances publiques au Cameroun, op.
cit., p. 35.
78 A. H. SANDIO KAMGA, « La nature juridique des Institutions Supérieures de Contrôle

des finances publiques dans les Etats de l’UEMOA et de la CEMAC », RAFIP, n°08, 2nd
semestre 2020, p. 241.
79 S.E. KOUA, « La prescription de la Cour des comptes comme Institution Supérieure de

Contrôle des finances publiques par le droit communautaire CEMAC aux Etats-membres :
le cas du Cameroun », RAFIP, numéro double 03 et 04, 2018, p.57.
80 Article 41 du Traité révisé de la CEMAC du 25 juin 2008.

284
résultat, tout en lui laissant la liberté des formes et moyens. Dans le cas
d’espèce, les directives CEMAC ne doivent pas imposer la forme et les
moyens de l’ISC, notamment par la création d’une Cour des Comptes. Par
conséquent, l’Etat camerounais est libre quant au moyen (forme de l’ISC)
mais lié quant au résultat (existence de l’ISC). La seconde donnée formelle
porte sur la Résolution A/66/209 de l’Assemblée Générale des Nations
Unies du 22 décembre 2011 portant sur l’indépendance des Institutions
Supérieures de Contrôle des finances publiques. Cette Résolution « engage
les Etats membres à appliquer, en tenant compte de leur structure institutionnelle
nationale, les principes établis dans la déclaration de LIMA de 1977 sur les lignes
directrices du contrôle des finances publiques et la Déclaration de Mexico de 2007 sur
l’indépendance des ISC »81. Ainsi, les Nations Unies préconisent de tenir
compte de la structure institutionnelle nationale. A ce sujet, l’ « International
Organisation of States Audit Institutions » (INTOSAI) consacre le principe du
libre choix, par chaque Etat, de la forme de son ISC. Fort à propos,
l’INTOSAI propose deux modèles d’ISC aux Etats : le model dit de
WESTMINSTER (non-juridictionnel), et le model juridictionnel. C’est
pour cette raison que le Cameroun a opté pour la dévolution de la qualité
d’ISC aux Services du Contrôle Supérieur de l’Etat.
Au demeurant, l’indépendance de la juridiction des comptes est
révélatrice d’une controverse propice à une confusion.
2. La confusion sur la qualité d’entité indépendante de la
juridiction des comptes
A la faveur de la réforme du cadre juridique des finances publiques
camerounaises, le 11 juillet 2018, la juridiction des comptes a été érigée en
structure indépendante. Toutefois, cette consécration est porteuse d’une
confusion révélée par l’interprétation systémique des dispositions du droit
positif. En effet, une nuance est perceptible entre l’indépendance
explicitement constatée de la juridiction des comptes (a), et son
indépendance implicitement contestée (b).
a. L’indépendance explicitement constatée de la juridiction des
comptes
L’indépendance explicitement constatée de la juridiction des
comptes camerounaise est doublement motivée, tant par les faits que dans
le droit.
Concernant les faits, la motivation de l’indépendance procède des
sources matérielles du droit. Au rang des facteurs idéologiques ayant
contribué à l’indépendance de la juridiction des comptes se trouve la
promotion de l’Etat de Droit. Sous un abord général, les idéologies
d’inspiration autoritaire, appliquées postérieurement aux indépendances

81 Article 5.
285
des Etats africains, avaient justifié la « légalité de peur »82, voire
l’« institutionnalisation de la légalité d’exception »83. Aujourd’hui, le régime
démocratique impose une orientation idéologique différente traduite par
un passage de l’« Etat de loi » à un « Etat de Droit »84. Par conséquent, sous
l’abord particulier du contrôle des finances publiques, la référence
axiologique à l’Etat de droit, du fait de la soumission de l’administration au
droit, trouve sa concrétisation aboutie par le recours aux organes
juridictionnels. C’est en ce sens que « la réforme de la juridiction des comptes
dans l’espace CEMAC traduit l’ambition pour ses Etats-membres de parvenir à
l’Etat de Droit, en mettant au centre de l’encadrement de la gestion des finances
publiques, la Cour des Comptes »85.
Concernant le droit, l’explication d’une indépendance de la
juridiction des comptes se fonde sur les sources formelles. Ainsi, à la
lecture de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant Régime Financier
de l’Etat et des autres entités publiques, l’indépendance de la juridiction
des comptes est affirmée comme suit : « les membres de cette juridiction ont le
statut de magistrat. Elle est indépendante par rapport au Gouvernement et au
Parlement »86. Mieux encore, le législateur consacre la souveraineté de la
juridiction des comptes qui « décide seule de la publication de ses avis, décisions et
rapports »87.L’indépendance ainsi consacrée de la juridiction des comptes
résulte de la transposition des directives du Conseil des Ministres de la
Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale (CEMAC), le
19 décembre 201188, à savoir : la directive n°01/11-UEAC-190-CM-22
relative aux lois de finances et la directive n°06/11-UEAC-190-CM-22
relative au Code de Transparence et de Bonne Gouvernance dans la
gestion des finances publiques.
Toutefois, une observation attentive autorise de nuancer l’élan
réformateur de la loi de 2018, au regard de l’indépendance implicitement
contestée de la juridiction des comptes.

82 J.-M. BIPOUN WOUM, « Recherches sur les aspects actuels de la réception du droit
administratif dans les Etats d’Afrique noire francophone : le cas du Cameroun », RJPIC,
n°3, 1972, p. 374.
83 J. OWONA, « L’institutionnalisation de la légalité d’exception dans le droit public

camerounais », RCD, n°06, juillet-décembre 1974, pp. 104-123.


84 M. J. REDOR, De l’Etat légal à l’Etat de Droit : l’évolution des conceptions de la doctrine publiciste

française de 1879 à 1914, Paris, Economica, Coll. Droit public positif, 1992, p. 20.
85 D. Y. EFANGON, La réforme des juridictions des comptes dans l’espace CEMAC, op.cit., p. 75.
86 Article 86 alinéa 3.
87 Idem.
88 Consécutivement aux insuffisances des Directives initiales du 20 juin 2008, la CEMAC a

procédé à l’élaboration des Directives du 19 décembre 2011.


286
b. L’indépendance implicitement contestée de la juridiction des
comptes
A l’observation du droit positif camerounais, l’indépendance
implicitement contestée de la juridiction des comptes se perçoit
doublement.
En premier lieu, cette indépendance est en contradiction avec les
dispositions de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 qui dispose que
« le Président de la République est garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire »89. A
ce sujet, les avis divergent entre les partisans de l’indépendance du pouvoir
judiciaire, et ceux de son inféodation. Le Professeur Cyrille MONEMBOU
défend la thèse de l’indépendance du pouvoir judiciaire en soutenant que
« l’érection de l’autorité judiciaire en pouvoir judiciaire (…) tient au fait que les acteurs
de la justice ne peuvent plus se sentir comme des subordonnés de l’exécutif, mais plutôt
comme des acteurs d’une institution ayant reçu l’onction suprême de la norme
suprême »90. Toutefois, le Professeur Alain Didier OLINGA tempère la
position précédente, en dévoilant l’emprise du pouvoir exécutif sur le
pouvoir judiciaire. Selon lui, « il est difficilement compréhensible qu’un pouvoir
indépendant des deux autres voit son indépendance garantie par l’un de ces derniers »91.
Particulièrement, ce constat vaut à s’appliquer à l’indépendance de la
juridiction des comptes camerounaise dont il y a lieu de questionner
l’efficacité, au regard de sa garantie par le pouvoir exécutif.
En second lieu, cette indépendance trouve des écueils dans la
domination du Conseil Supérieur de la Magistrature par le Président de la
République92. Les nominations, mutations, et promotions des magistrats
sont décidées par décret soumis à l’avis préalable du Conseil Supérieur de
la Magistrature93. Par conséquent, à titre d’hypothèse d’école, il n’est pas
sans intérêt de savoir si la hardiesse du juge des comptes national pourrait
l’amener à sanctionner le Président de la République, sous sa qualité
d’ordonnateur, alors qu’au regard du Statut de la Magistrature la carrière
des magistrats est appréciée par le Chef du pouvoir exécutif. En première
analyse, le juge s’en tiendrait exclusivement à dire le droit, en rendant la
justice selon la loi et sa conscience, au nom du peuple Camerounais.

89 Article 37 alinéa 3 (paragraphe 1).


90 C. MONEMBOU, La séparation des pouvoirs dans le constitutionnalisme camerounais : contribution
à l’étude de l’évolution constitutionnelle, Thèse de Doctorat/Ph.D, Université de Yaoundé II,
2011, p. 310.
91 A. D. OLINGA, La Constitution de la République du Cameroun, Yaoundé, PUCAC, 2013,

2ème éd., p. 147.


92 Article 37 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996.
93 Article 6 alinéa 2 du Décret n°95/048 du 08 mars 1995 portant Statut de la Magistrature.

Pour aller loin, lire HOURQUEBIE (F), « L’indépendance de la justice dans les pays
francophones », Les Cahiers de la justice, 2012/2, n°2, pp. 41-61 ; FALL (A. B.), « Les
menaces internes à l’indépendance de la justice », in L’indépendance de la justice, Actes du
deuxième congrès de l’Association des hautes juridictions de cassation des pays ayant en
partage l’usage du français, Dakar, 7-8 novembre 2007, Cour de cassation du Sénégal–OIF,
2008, Dakar, Sénégal, pp. 47-75.
287
Toutefois, sans vouloir préjuger des intentions des magistrats chargés du
contrôle des finances publiques, la crainte révérencielle pourrait les
conduire à tempérer leurs ardeurs. En pareille situation, l’on déduirait que
l’indépendance de la juridiction des comptes est implicitement canalisée,
par la garantie du pouvoir juridictionnel que le constituant attribue au
Président de la République.
En somme, fort de l’observation d’une complexité dans la
configuration des institutions de contrôle des finances publiques en droit
positif, la suggestion de simplicité s’impose au titre du droit prospectif.
II. La simplicité suggérée des institutions de contrôle des
finances publiques
D’après PORTALIS, « les lois sont faites pour les hommes, et non les
hommes pour les lois »94. Par conséquent, le souci d’humanisme commande au
législateur d’observer une exigence de simplicité pouvant garantir
l’application des règles de droit. En droit des finances publiques, l’exigence
de simplicité est d’autant plus impérative que cette discipline est d’une
technicité se confondant à l’hermétisme. Sous l’abord des institutions de
contrôle des finances publiques, le droit prospectif offre des perspectives
de simplicité par le renforcement des modalités publiques (A), et
l’élargissement des capacités privées (B).
A. Le renforcement des modalités publiques
Au titre des modalités mises en œuvre par les institutions de
contrôles des finances publiques, des perspectives peuvent renforcer la
sauvegarde des deniers publics, à savoir : les modalités préventives (1), et
les modalités répressives (2).
1. Les modalités préventives pour une protection des
finances publiques
Comme propositions au bénéfice des institutions de contrôle des
finances publiques camerounaises, deux séries de modalités préventives
pourraient contribuer à la protection optimale des fonds publics dans les
renforcements des dispositifs respectifs de protection des fonds publics en
droit interne (a), et en droit supranational (b).

a. Le renforcement du dispositif de protection des fonds


publics en droit interne
Le renforcement du dispositif de protection des fonds publics en
droit interne porte sur les deux garanties du contrôle que sont la qualité
des dépenses publiques, et la neutralité des institutions.
La garantie du contrôle des finances publiques par la qualité des
dépenses est doublement suggérée. En amont, dans la gestation de la
dépense publique, les institutions de contrôle pourraient veiller sur

94J.E.M. PORTALIS, Discours préliminaire du premier projet de Code Civil, Bordeaux, Editions
Confluences, 2004, p. 14.
288
l’opportunité. En règle générale, comme l’affirme le Professeur Henri
CAPITANT, « l’opportunité est un ensemble de considérations d’intérêt, d’utilité et,
de justice qui amène une autorité à faire tel acte ou à donner telle solution à une affaire
dont elle est saisie »95. En particulier, le contrôle d’opportunité des dépenses
publiques vise à s’assurer que les crédits votés ont été employés pour
satisfaire des besoins d’intérêt général, et non des caprices individuels. Par
conséquent, contrôler l’opportunité revient à « à répondre à la délicate question
de savoir pourquoi telle dépense publique à tel moment »96. Ce contrôle est
respectivement imputable aux inspections ministérielles de services, et
contrôleurs de gestion placés sous l’autorité des responsables de
programmes97. En aval, pendant l’application des dépenses publiques, les
institutions de contrôle exerceraient utilement leur vigilance sur le prix des
commandes. Certes, le droit positif camerounais établit une mercuriale des
prix, au titre de chaque exercice budgétaire. Au demeurant, la modicité des
ressources financières d’un pays en voie de développement, comme le
Cameroun, devrait conduire les autorités à fixer une mercuriale des prix
dont la marge bénéficiaire au prestataire de l’Etat ne saurait excéder 30%
du montant de l’article sur le marché. Ce contrôle des prix et des marges
bénéficiaires est une exigence de rationalisation des dépenses publiques.
En contrepartie, les pouvoirs publics devraient également s’assurer que les
délais de paiement des prestataires de services sont raccourcis en veillant à
ce que, sur la base des disponibilités de la trésorerie en fonds et valeurs, les
procédures comptables soient accélérées afin que les adjudicataires
récupèrent le bénéfice de leurs livraisons.
La garantie du contrôle par la neutralité des institutions de contrôle
contribuerait également à la protection des fonds publics. Cette neutralité
peut être atteinte par la garantie du confort matériel des institutions de
contrôle. En effet, le risque est grand de corrompre la conscience des
agents commis au contrôle, lorsque l’exigence maximale vertu n’est pas
accompagnée d’une assurance minimale de bien-être. Comme le fait
remarquer le Professeur Etienne-Charles LEKENE DONFACK, le risque
encouru par les contrôleurs est que « la moralité de certains membres soit suspecte
sur le plan financier »98. Il n’est donc pas vain que les pouvoirs publics
envisagent un traitement matériel digne au bénéfice des institutions de
contrôle des finances publiques99. La neutralité en étude peut également
être approfondie par l’auto-saisine de certaines institutions de contrôle des

95 G. CORNU (Dir.), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 707.


96 S.T. BILOUNGA, Finances publiques camerounaises : budgets, impôts, douanes, comptabilité
publique, op. cit., p. 224.
97 G. PEKASSA NDAM, « La dialectique du responsable de programme en finances

publiques camerounaises : recherche sur les nouveaux acteurs budgétaires », in MEDE


(Nicaise) (études réunies par), Les nouveaux chantiers des finances publiques en Afrique : Mélanges
en l’honneur Michel Bouvier, Dakar, L’Harmattan-Sénégal, 2019, p. 312.
98 E.-C. LEKENE DONFACK, Finances publiques camerounaises, Paris, Editions Berger-

Levrault, Collection "Monde en devenir", 1987, p. 353.


99 H. EYEBE AYISSI, La protection de la fortune publique au Cameroun, op.cit., p. 48.

289
finances publiques. A titre d’exemples prospectifs, ce pouvoir d’auto-
saisine concernerait des institutions de contrôle telles que l’Agence
Nationale d’Investigations Financières afin d’élucider des soupçons de
blanchiment de capitaux100, et le Tribunal Criminel Spécial dans des
présomptions mirobolantes de détournement des deniers publics. On
objectera, certes, à la présomption d’innocence. En réaction, en toute
assonance, l’on pourrait répondre par l’obligation de transparence.
D’une localisation spatiale à l’autre, après le renforcement du
dispositif national, la protection des fonds publics est envisagée au niveau
supranational.
b. Le renforcement du dispositif supranational de
protection des fonds publics
Sous un angle de réflexion préventif, le renforcement du dispositif
supranational de protection des fonds publics est binaire.
Primo, le renforcement concerne la normativité des textes
communautaires régissant les institutions de contrôle des finances
publiques. Force est de constater que ces textes souffrent d’une
relativisation en droit interne. De l’avis de la doctrine, cette relativisation
résulte de ce que « le retard qu’accusent les Etats de la CEMAC dans la
transposition des décisions prises par les organes de celle-ci, traduit en filigrane
l’impuissance de ses autorités communautaires à amener les Etats à assumer leurs
engagements »101. Cependant, à bien y voir, l’origine de la portée relative du
droit de l’intégration en Afrique Centrale réside dans l’édiction des
directives communautaires. En droit communautaire, « la directive est souple
et respectueuse des particularités du droit national »102. Or, à l’opposé de la
directive, les règlements communautaires « impliquent pour les Etats membres
l’interdiction de les appliquer de façon incomplète ou relative »103. Par conséquent,
l’obligation communautaire de créer une Cour des Comptes constitutive
d’Institution Supérieure de Contrôle pourrait prospérer si la normativité
repose sur un règlement communautaire qui est d’application directe. Car,
l’objectif de conformité du droit interne au droit communautaire ne peut
être atteint par la directive qui poursuit plutôt un objectif de compatibilité.

100 Ce pouvoir d’auto-saisine peut s’inspirer du Règlement n° 01/CEMAC/UMAC/CM du


11 avril 2016 portant prévention et répression du blanchiment des capitaux et du
financement du terrorisme et de la prolifération en Afrique Centrale. Cette infraction
recouvre notamment le blanchiment des biens concernant un crime ou un délit (conversion
ou transfert des biens ; dissimulation ou déguisement de la nature, de l’origine, de
l’emplacement, de la disposition, du mouvement ou de la propriété des biens ; acquisition,
détention ou utilisation des biens), et le blanchiment concernant les actes (participation,
association, incitation ou facilitation de l’exécution des actes)
101 S.E. KOUA, « La prescription de la Cour des comptes comme Institution Supérieure de

Contrôle des finances publiques par le droit communautaire CEMAC aux Etats-membres :
le cas du Cameroun », op.cit., p.57.
102 G. ISAAC, Droit communautaire général, Paris, Armand Colin, 1996, 5ème édition, p. 126.
103 J. KENFACK, Les actes juridiques des communautés d’intégration en Afrique Centrale et

Occidentale, Thèse de Doctorat/Ph.D, Université de Yaoundé II, 2003, p. 107.


290
Secundo, le renforcement du dispositif supranational de protection
des fonds publics trouve une application par le financement des projets de
développement au bénéfice des collectivités territoriales décentralisées.
L’avantage de cette technique du financement est dual. Premièrement, il
s’agit de contraindre l’Etat central à revitaliser la décentralisation, dont
l’une des faiblesses réside dans la relative autonomie financière des
collectivités territoriales décentralisées104. Certes, une collectivité
territoriale n’a pas la personnalité juridique pour signer un accord de
volonté avec des sujets de droit international, pour la raison que seul l’Etat
est titulaire de la « la compétence des compétences »105. Au demeurant,
l’institution financière internationale signataire d’une Convention de
financement avec l’Etat souverain pourrait stipuler des clauses innovantes,
visant à financer les projets de développement au bénéfice direct des
collectivités territoriales décentralisées. Deuxièmement, il est question
d’autoriser des audits indépendants sur l’usage des fonds octroyés par les
partenaires au développement. Cet audit mandaté, par les partenaires
concernés, permettrait qu’« on voit manifestement où va l’argent de la collectivité
publique »106.
Au terme de la dimension préventive projetée, celle curative
souhaitée s’illustre par la proposition des modalités répressives.
2. Les modalités répressives contre une prédation des
finances publiques
En réaction aux atteintes à la fortune publique, le législateur
camerounais pourrait explorer des axes innovants de répression. A cet
effet, la répression projetée concerne respectivement l’obligation
déclarative des biens et avoirs (a), et la violation des normes financières
supranationales (b).
a. La répression prospective de l’obligation déclarative
des biens et avoirs
Au titre du droit prospectif, la répression de l’obligation déclarative
des biens et avoirs fait l’objet de deux propositions.
D’une part, la répression de l’obligation en étude poursuit un
objectif axiologique érigeant la transparence comme valeur cardinale107.

104 S. NGUECHE, La formation de l’autonomie financière des collectivités territoriales décentralisées au


Cameroun, Thèse de Doctorat/Ph. D en Droit Public, Université de Yaoundé II, 2015, p.
16.
105 O. BEAUD, « Compétence et souveraineté », in La compétence (Actes du colloque organisé les

12 et 13 juin 2008 par l’AFDA), Paris, Litec, 2008, p.5.


106 S.-T. BILOUNGA, La réforme du contrôle de la dépense publique au Cameroun, op.cit., p. 16.
107 C.G.I. ANGUE, « La transparence de la vie publique dans l’ordre constitutionnel du

Cameroun », in A. D. OLINGA, La réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun 25


après, Yaoundé, Afrédit, 2021, p. 369.
291
L’absence de sanctions donnerait l’impression d’un laxisme108, alors que la
loi constitutionnelle du 18 janvier 1996109, la loi n° 2018/011 portant Code
de Transparence et de Bonne Gouvernance dans la Gestion des Finances
Publiques au Cameroun110, et la loi n°003/2006 du 25 avril 2006 relative à
la déclaration des biens et avoirs, ont posé l’exigence déclarative du
patrimoine des dépositaires de l’autorité publique comme impérative,
avant et après l’exercice des fonctions politiques ou administratives.
Toutefois, au plan institutionnel, force est de constater que pour « la
Commission de déclaration de biens et avoirs, cela fait vingt ans que sa mise en place est
attendue »111.
D’autre part, la sanction de l’obligation déclarative des biens et
avoirs est logique au plan de la technique juridique, afin de mettre en
cohérence les normes préventives et celles répressives, au sein de
l’ordonnancement juridique camerounais. Dans le cas contraire, il y aurait
lieu de souscrire au constat du Doyen Georges RIPERT qui fait observer
que « si la loi peut être impunément violée, elle est inutile et permet seulement le
mauvais exemple d’une désobéissance impunie »112. Par analogie, le droit fiscal
camerounais codifie la prévention et la répression tant des signes
extérieurs de richesses113, que des vérifications sur la situation fiscale
d’ensemble des contribuables114. Il devrait en être de même au sujet de la
répression de l’obligation déclarative des biens et avoirs, qui partagent les
mêmes enjeux téléologiques. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit
communément de garantir l’obligation de concordance entre le patrimoine
factuel de l’agent public et ses revenus légaux.
En outre, le caractère prospectif de la répression devrait s’étendre à
la violation des normes financières supranationales.
b. La répression prospective de la violation des normes
financières supranationales
La répression de la violation des normes financières supranationale
est projetée par des modalités juridictionnelles caractérisées par leur
dualité, à savoir : la restauration de l’autorité du droit communautaire par
le juge national, et la réparation financière des violations du droit
supranational.
S’agissant de la restauration de l’autorité du droit communautaire
par le juge national, pour la protection des normes supranationales
régissant les finances publiques, il s’agit d’étendre le champ matériel du
juge ordinaire contre la violation du droit communautaire. Par analogie,

108 F. L. OWONA NDOUGUESSA, « Le paradoxe des infractions de finances publiques


dans le Code Pénal Camerounais », RADP, n°115, vol. 8, janvier-juin 2019, p. 204.
109 Article 66.
110 Article 51 alinéa 1.
111 C.G.I. ANGUE, op. cit., p. 398.
112 G. RIPERT, Les forces créatrices du droit, Paris, LGDJ, 1955, p. 319.
113 Article 66 du Code Général des Impôts camerounais.
114 Article 12 du Livre des Procédures Fiscales du Code Général des Impôts camerounais.

292
comparaison vaudra raison en deux exemples. Le premier exemple
concerne la matière administrative dans laquelle le juge n’hésite pas « à
refuser l’application d’une loi, invoquant la violation d’un principe général de droit »115 .
Pourquoi n’en serait-il pas de même pour le respect des prescriptions
communautaires portant sur les finances publiques ? Le second exemple
s’applique au juge répressif qui se réserve une compétence pour interpréter
la légalité des actes administratifs. Car, tout renvoi préjudiciel peut nuire à
la célérité de la justice. Appliqués aux normes de finances publiques
supranationales, les termes du débat se posent avec équivalence, afin que le
juge ordinaire érige l’autorité du droit communautaire en cause d’ordre
public.
S’agissant de la réparation financière des violations du droit
supranational, la Cour des Comptes de la CEMAC pourrait sanctionner les
Etats responsables d’une application ineffective des normes
communautaires régissant les finances publiques en droit interne. Par
conséquent, ce mécanisme prospectif de réparation financière serait
complémentaire au recours en manquement de l’obligation d’Etat. En ce
sens, « l’adoption du mécanisme vient donc répondre à une nécessité criarde en zone
CEMAC. Celle d’instaurer une garantie réelle de respect du droit communautaire par
les Etats-membres »116.
A bien y voir, le contrôle des fonds publics ne serait pas optimal
sans l’implication des citoyens. Cette implication motive l’élargissement
des capacités privées dans le contrôle des finances publiques
camerounaises.
B. L’élargissement des capacités privées
Par le contrôle citoyen des finances publiques117, les particuliers
exercent un droit de regard sur l’usage des fonds publics. Dans
l’élargissement des capacités privées, les citoyens peuvent devenir des
institutions de contrôle. Pour s’en convaincre, les motivations du contrôle
des finances publiques par les citoyens (1) expliquent les déclinaisons dudit
contrôle (2).
1. Les motivations du contrôle des finances publiques
par les citoyens
Les ressorts sur lesquels se fonde le contrôle des finances publiques
par les citoyens sont respectivement d’ordre théorique (a) et empirique
(b).

115 A. MINKOA SHE, Droits de l’Homme et droit pénal au Cameroun, Paris, Economica, 1999,
p. 77.
116 G.-C. MBOGNE CHEDJOU, La transposition des directives CEMAC : une analyse sous le

prisme de la pratique européenne, Mémoire de Master en Relations Internationales, IRIC, Année


académique 2011-2012, p. 79.
117 S. NGUECHE, « Le contrôle citoyen des finances publiques en droit camerounais »,

RAFIP, n°08, 2d semestre 2020, p. 173.


293
a. La motivation théorique du contrôle des finances
publiques par les citoyens
La motivation théorique du contrôle des finances publiques par les
citoyens repose sur deux ressorts que sont le consentement du peuple à
l’impôt, et la reddition des comptes aux gouvernés par les gouvernants.
Le consentement du peuple à l’impôt infère une participation des
citoyens au contrôle de l’usage des fonds publics, et résulte de l’édiction,
par le Roi Jean sans terre, de la Magna Carta (Grande Charte) en Grande
Bretagne. Comme le fait observer le Professeur Martin COLLET, « c’est
l’hostilité des seigneurs féodaux à la levée de nouveaux impôts par le Roi Jean Sans
Terre qui conduit celui-ci à consentir à la formation d’assemblées obligatoirement
consultées en matière fiscale »118. Ce n’est beaucoup plus tard que le
consentement en étude trouvera son application en hexagone,
consécutivement à la Révolution française de 1789119. Par conséquent, ce
principe est la racine qui irrigue, de sa sève, l’arbre du contrôle des
finances dont l’une des branches est symbolisée par les initiatives
citoyennes. En droit positif camerounais, la loi n°2019/024 du 24
décembre 2019 portant Code Général des Collectivités Décentralisées
induit spécifiquement, en contrepartie du consentement du Peuple à
l’impôt, un fondement de la participation citoyenne à l’action régionale ou
communale, en disposant que «toute personne physique peut formuler, à l’intention
de l’Exécutif communal ou Régional, toutes propositions tendant à impulser le
développement de la Collectivité Territoriale concernée ou à améliorer son
fonctionnement »120.
La reddition des comptes aux gouvernés par les gouvernants motive
le contrôle privé des finances publiques121. Cette reddition remonte à la
Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 aout 1789 qui
dispose que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son
administration »122. Appliquée aux finances publiques, consécutivement à
une hybridation entre le droit romano-germanique et celui anglo-saxon,
l’obligation de rendre compte s’illustre par le principe anglais
d’Accountability justifiant que le Fonds Monétaire International l’ait
consigné dans son Code de Bonnes Pratiques. Selon ce Code, les citoyens
doivent être pleinement informés de l’activité financière des pouvoirs
publics, dans toutes les séquences temporelles. Ainsi, « l’information du
citoyen en particulier et du public en général, doit être exhaustive, porter sur le passé, le
présent, l’avenir, et doit couvrir l’ensemble des activités budgétaires et

118 M. COLLET, Droit fiscal, Paris, PUF, 2007, 2ème édition, p. 5.


119 M. BOTTIN, « Histoire du consentement à l’impôt », in Dictionnaire encyclopédique de
finances publiques, op.cit., p.435.
120 Article 40 alinéa 1.
121 H. AKEREKORO, « Reddition des comptes et réforme des finances publiques en

Afrique de l’Ouest francophone », RSBJA, n°08, 2017, p. 110.


122 Article 15.

294
extrabudgétaires »123. Cette obligation trouve sa concrétisation en droit
positif camerounais dans le guide budgétaire synthétique qui autorise deux
remarques. La remarque objective est afférente à la teneur du guide
budgétaire synthétique. A ce titre, le guide traite des grandes masses du
budget de l’Etat pour une décomposition, en vue de rendre leur
assimilation aisée, et le suivi de la courbe évolutive des recettes et dépenses
d’une année à l’autre. La remarque subjective est liée au récepteur du guide
budgétaire synthétique. A ce sujet, le Code de transparence dispose qu’
« un guide budgétaire synthétique est diffusé à destination du grand public »124.
Au-delà de ce volet théorique, le contrôle des finances publiques par
les citoyens trouve une motivation concrète sur le plan empirique.
b. La motivation empirique du contrôle des finances
publiques par les citoyens
La motivation empirique du contrôle des finances publiques par les
citoyens est conditionnée par l’incitation des citoyens à la culture juridique
en général, et à la maitrise du droit financier en particulier.
Au titre de l’incitation à la culture juridique en général, se trouve
posé non pas le problème du manque d’informations au sujet de la
réglementation en vigueur, mais plutôt celui de la volonté d’y accéder.
L’indolence dans l’acquisition de la culture juridique, pour la doctrine
camerounaise, résulte de plusieurs constats. Le Doyen MINKOA SHE
déclare que « la connaissance même de ses droits par une partie de la population est
généralement insuffisante »125. En outre, le Professeur NKOT observe que « les
populations non alphabétisées ont tendance à appréhender le droit comme une terre
mystérieuse qui leur serait inaccessible »126. In fine, le Doyen Joseph-Marie
BIPOUN WOUM fait remarquer que la culture juridique des citoyens est
sujette à caution, en ce que « le blocage du contrôle de l’administration et de la
légalité en général est, de la part du justiciable, beaucoup moins un problème de courage
qu’un problème d’éducation : non seulement de l’éducation au sens d’alphabétisation et
d’information, mais surtout au sens d’éducation juridique impliquant l’accession des
citoyens à la notion de droit individuel, de règle de droit et de relation juridique »127.
Au titre de la maitrise du droit financier en particulier, les citoyens
pourraient contribuer au contrôle des finances publiques, en concrétisant
des garanties formalisées par le législateur. Toutefois, en la matière,

123 L.C.P. NKOUAYEP, « Le droit à l’information du citoyen local en droit public


financier camerounais », RAFIP, numéro double 3 et 4, 2018, p. 20.
124 Article 49.
125 A. MINKOA SHE, Essai sur l’évolution de la politique criminelle au Cameroun depuis

l’indépendance, Thèse de Doctorat d’Etat en Droit, Université de Strasbourg, Tome 2, 1987,


p.470.
126 P.-F. NKOT, Usages politiques du droit en Afrique : le cas du Cameroun, Bruxelles, Bruylant,

Coll. Droit et culture, 2005, p.145.


127 J.-M. BIPOUN WOUM, « Recherches sur les aspects actuels de la réception du droit

administratif… », op. cit., p. 381.


295
plusieurs obstacles sont légion. Outre l’ignorance des citoyens128, l’on peut
évoquer la technicité de l’impôt129, et la prolifération des sources du droit
public financier130. Par conséquent, le Professeur Gérard Martin
PEKASSA NDAM note que « l’accès aux documents budgétaires ne garantit pas
nécessairement une solide maîtrise de l’information financière. Il ne suffit pas de justifier
du statut d’habitant ou de contribuable d’une collectivité territoriale pour avoir la
capacité de lecture des documents budgétaires. La technicité de la matière peut nécessiter
un certain background ou précisément la maîtrise de certains concepts de droit public
financier »131. Au demeurant, nul n’est censé ignoré la loi132, y compris celle
financière. Par conséquent, seule la maitrise du droit des finances
publiques pourrait améliorer le contrôle y afférent. Bien que la démocratie
directe ne soit pas systématique pour le contrôle des finances publiques,
du fait de l’intervention des représentants du peuple que sont les
parlementaires, l’intervention des citoyens pourrait être densifiée.
Fort à propos, la densification du contrôle privé des finances
publiques par les citoyens est rendue possible dans ses déclinaisons
prospectives.
2. Les déclinaisons du contrôle des finances publiques par les
citoyens
La projection du contrôle des finances publiques par les citoyens
revêt deux déclinaisons tant au niveau individuel par l’élargissement du
contrôle de constitutionnalité vers la voie d’exception (a), qu’au niveau
collectif dans la promotion citoyenne des mécanismes de contrôle des
finances publiques (b).
a. La proposition d’élargissement du contrôle de constitutionnalité
vers la voie d’exception
L’élargissement du contrôle de constitutionnalité vers la voie
d’exception permettrait individuellement aux particuliers d’exiger la
conformité des lois de finances à la Constitution. Le contraste est
saisissant entre la constatation et la proposition.
La constatation procède de ce que la loi n°2004/004 du 21 avril
2004 portant organisation et fonctionnement du Conseil Constitutionnel

128 R. ATANGA FONGUE, Contrôle fiscal et protection du contribuable, op. cit., p. 296.
129 C. DE LA MARDIERE, « Le déclin particulier de la loi fiscale », in C. PUIGELIER
(dir.), La Loi : bilan et perspectives, Paris, Economica, T.22, Coll. Etudes juridiques, 2005, p.
248.
130 G. HISPALLIS, « Pourquoi tant de lois », Pouvoirs, n°114, 2005, p.107.
131 G.M. PEKASSA NDAM, « La participation avec gestion de budget : concept et enjeux

d’une gouvernance territoriale en Afrique noire francophone », in G.J. GUGLIELMI, et E.


ZOLLER (dir.), Transparence, démocratie et gouvernance citoyenne, Paris, Editions Panthéon-
Assas, Coll. Colloques, 2014, p. 204.
132 A. AKAM AKAM, « Libres propos sur l’adage nul n’est censé ignorer la Loi », RASJ,

n°01, vol. 4, 2007, pp. 31-54.


296
prévoit que celui-ci « statue sur la constitutionalité des lois »133. Toutefois, la
saisine du Conseil Constitutionnel camerounais n’est pas ouverte aux
citoyens. Aussi est-il indiqué qu’« avant leur promulgation, les lois (…) peuvent
être déférées au Conseil Constitutionnel par le Président de la République, le Président
de l’Assemblée Nationale, le Président du Sénat, un tiers des députés, un tiers des
sénateurs, les présidents des exécutifs communaux conformément aux dispositions de
l’alinéa 2 »134. De l’avis de la doctrine camerounaise, le contrôle de
constitutionnalité des lois marque une avancée décisive depuis 1996,
compte tenu des organes compétents pour la saisine du Conseil
Constitutionnel. Selon le Doyen Stanislas MELONE, « le contrôle de
constitutionnalité à un domaine largement ouvert »135. De plus, le Doyen Adolphe
MINKOA SHE révèle que, « par rapport à la situation antérieure ou la saisine
était ouverte au seul Président de la République, il y a eu une extension indéniable du
droit de saisine de la juridiction constitutionnelle »136. Toutefois, force est de
tempérer l’optimisme de la doctrine, en faisant observant que le contrôle
de constitutionnalité des lois n’a pas étendu son champ temporel. Pour le
Doyen MELONE, temporellement, le contrôle de constitutionnalité des
lois a été étendu « avant leur promulgation et après leur promulgation »137. Or, il
n’en est rien au regard de la nuance entre la théorie et la pratique. En
théorie, l’on distingue deux formes de contrôle de constitutionnalité des
lois. D’abord, le contrôle de constitutionnalité peut être concret (ou
diffus). Dans cette hypothèse, n’importe quel juge peut être saisi du fait de
l’étendue large du contrôle dans le temps par l’admission d’un contrôle a
posteriori. Ensuite, le contrôle de constitutionnalité peut être abstrait (ou
concentré). De la sorte, un juge spécialisé peut être saisi soit par voie
d’action (a priori) soit par voie d’exception (a posteriori). En pratique, le
Cameroun a opté pour le contrôle par voie d’action. Cette option ne va
pas sans inconvénients : une fois votée, la loi ne saurait être contrôlée a
posteriori, même lorsqu’elle viole le droit supranational. Cette situation est
paradoxale parce qu’« elle prive le citoyen d’une protection juridictionnelle effective des
droits et libertés fondamentaux garantis par la Constitution »138.
La proposition repose, par conséquent, sur l’introduction
prospective de la Question Prioritaire de Constitutionnalité en droit positif
camerounais. Cette réforme épouserait la téléologie des finances publiques.

133 Article 3 alinéa 1.


134 Article 47 alinéa 3 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996.
135 S. MELONE, « Constitution et droit pénal : pistes de recherches après la loi n°96/06 du

18 janvier 1996 », in S. MELONE, A. MINKOA SHE et L. SINDJOUN (dir.), La réforme


constitutionnelle du 18 janvier 1996 : aspects juridiques et politiques, Yaoundé, Friedrich
EBERT/Association Africaine de Science Politique (Section GRAP), 1996, p. 385.
136 A. MINKOA SHE, Droits de l’Homme et droit pénal au Cameroun, op.cit., p.76.
137 S. MELONE, « Constitution et droit pénal : pistes de recherches après la loi n°96/06 du

18 janvier 1996 », op. cit., p. 62.


138 L. DONFACK SOCKENG, « Cameroun : le contrôle de constitutionnalité des lois hier

et aujourd’hui (réflexion sur certains aspects de la réception du constitutionnalisme


moderne en droit camerounais) », in S. MELONE, A. MINKOA SHE, L. SINDJOUN
(dir.), La réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 : aspects juridiques et politiques, op. cit., p. 385.
297
Fort de la dévolution de ces finances au domaine de la loi par la
Constitution du 18 janvier 1996139, l’invocabilité des droits fondamentaux,
en lien avec la protection de la fortune publique, offrirait l’opportunité aux
citoyens de contribuer au contrôle des finances publiques camerounaises
de deux manières. Premièrement, le contrôle par voie d’exception aiderait
à corriger les anomalies voire, les erreurs, postérieurement à la
promulgation d’une loi dans l’ordre juridique interne. Il serait donc
raisonnable d’envisager une levée de la barrière temporelle dressée par le
contrôle par voie d’action, et la substituer par un contrôle par voie
d’exception. Deuxièmement, le contrôle par voie d’exception serait une
garantie de la conformité des finances publiques nationales au droit
communautaire. D’où la nécessité d’étendre le champ temporel de la
compétence du juge constitutionnel pour pallier à toute violation
postérieure de la réglementation supranationale par le droit interne.
Le volet individuel ne saurait suffire à densifier le contrôle des
finances publiques par les citoyens. En complément, le volet collectif est
nécessaire pour la promotion citoyenne des mécanismes de contrôle.
b. La promotion citoyenne des mécanismes de contrôle des
finances publiques
La suggestion sur la promotion citoyenne des mécanismes de
contrôle des finances publiques est frappée du sceau de la dualité.
Le premier mécanisme est associatif. Pris collectivement, les
citoyens ne participent qu’à la phase d’élaboration de la loi de finances140.
Toutefois, à l’issue de cette élaboration, le contrôle des finances publiques
camerounaises est laissé aux soins des pouvoirs publics. Afin de dynamiser
ce contrôle, les citoyens camerounais pourraient faire usage de la liberté
d’association. Proclamée par le préambule de la Constitution, cette liberté
est régie par la loi n°90/ 053 du 19 décembre 1990 relative à la liberté
d’association qui prévoit que les associations se créent librement, à
condition d’avoir fait l’objet d’une déclaration accompagnée de deux
exemplaires de leurs statuts, auprès du Préfet territorialement
compétent141. Dans le cas de la création d’une association promotrice du
contrôle des finances publiques, elle obéirait au régime de la déclaration,
qui est distinct de celui de l’autorisation applicable tant aux associations
étrangères que religieuses142. En matière de défense des finances publiques,
l’absence d’associations de ce type est remarquable au Cameroun143,
justifiant de pallier ce manque.

139 Article 26.


140 M. NOMO, Analyse du processus normatif en droit fiscal camerounais, Mémoire de DESS en
Administration Fiscale, Université de Paris I, 2011, p. 327.
141 Article 6.
142 Article 5 alinéa 2.
143 C. KEUTCHA TCHAPNGA, Le régime juridique des associations en droit public camerounais,

Paris, L’Harmattan, 2013, p. 15.


298
Le second mécanisme de contrôle des finances publiques par les
citoyens est pétitionnaire. En l’état actuel du droit positif camerounais, la
pétition n’est formellement autorisée qu’aux parlementaires. La loi
n°2014/016 du 09 septembre 2014 portant Règlement Intérieur de
l’Assemblée Nationale dispose, à cet effet, que « les pétitions doivent être
adressées au Président de l’Assemblée Nationale par un ou plusieurs députés »144. Or,
le droit français dont le Cameroun s’est inspiré a muté la pétition du stade
ancien de prérogative parlementaire, au stade actuel de référendum
d’initiative partagée145. En droit prospectif, l’exercice du droit de pétition
par les citoyens camerounais serait une traduction aboutie de la démocratie
directe. Cet exercice permettrait de consacrer le citoyen en institution, non
pas entièrement à part mais, à part entière du contrôle des finances
publiques camerounaises.
Conclusion
Au final, les institutions de contrôle des finances publiques
camerounaises mettent en exergue un contraste entre l’observation d’une
complexité, et la suggestion d’une simplicité. Complexes, ces institutions
le sont cumulativement par la profusion globale de leur quantum, et la
confusion sectorielle de leur substratum. Simples, ces institutions le seront
respectivement sous le volet public dans leur renforcement, et sous
l’aspect privé par leur élargissement. Par conséquent, réceptionnées par le
législateur camerounais, ces propositions de réformes des finances
publiques en particulier, pourront contribuer à la concrétisation de l’Etat
de Droit en général.

144 Article 81 alinéa 1.


145 P. PREUVOT, « Le droit de pétition : mutation d’un instrument démocratique »,
Jurisdoctoria, n°04, 2010, p.91.
299
LA REFORME DE LA JURIDICTION DES COMPTES SOUS
L’EMPIRE DE LA LOI N°2018/12 DU 11 JUILLET 2018 PORTANT
REGIME FINANCIER DE L’ÉTAT ET DES AUTRES ENTITES
PUBLIQUES AU CAMEROUN
Par
Damien KELE
Doctorant en droit public
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Ngaoundéré (Cameroun)
RESUME

Longtemps attendue au point de susciter le désespoir, la réforme de la


juridiction des comptes a finalement eu lieu sous l’empire de la loi no2018/012 du 11
juillet 2018 portant régime financier de l’État et des autres entités publiques. L’analyse
de ce texte fait apparaître que cette réforme est ambivalente. En effet, au-delà de son
aspect étendu qui porte aussi bien sur la clarification du statut de la juridiction que sur
la densification de sa compétence ; se trouve un autre aspect qui demeure attendu. Cela
dans la mesure où cette réforme pose les jalons d’une autre réforme qui conduira
inéluctablement, sous réserve de la relecture de certains textes, à l’érection d’une Cour des
comptes comme prescrit par la Directive CEMAC relative aux lois de finances et à la
réinvention du profil du juge des comptes.
Mots-clés : Réforme - Juridiction des comptes – Cour des comptes – Compétences.

ABSTRACT
. Long awaited to the point of despair, the reform of the jurisdiction of accounts
has finally taken under law no 2018/012 of 11 July 2018 relating to fiscal regime of
the State and other public entities. The analysis of this text shows that this reform is
ambivalent. Indeed, beyond its extensive aspect that relates both to the clarification of the
status of the jurisdiction and the densification of its competence ; there is another aspect
that remains expected. This is because this reform lays the groundwork for another
reform that will inevitably lead, subject to the review of certain texts, to the
establishment of a court of Audit as prescribed by the CEMAC Directive on financial
laws and to the reinvention of the profile of the audit judge.
Keywords : Reform - Jurisdiction of accounts – court of Audit – Competence.

300
Introduction
Il est de la vie de toutes institutions1 de connaitre des réformes ;
elles participent à la marche évolutive propre à toute existence. Sinon,
comment comprendre le flot de réflexions qui leur sont consacrées ?2. À
l’évidence, on doit se résoudre à admettre que les réformes sont inscrites,
au moins de manière latente, dans le génome de toute institution3. M.
Pierre-Joseph Proudhon l’avait compris et en faisait même une
exhortation : « réformons donc et réformons sans cesse, ne croyons pas comme disent
les satisfaits que le mieux soit l’ennemi du bien »4. En cela, il a été suivi par
législateur camerounais qui, au moyen de la loi no2018/12 du 11 juillet
2018 portant régime financier de l’État et des autres entités publiques5, a
introduit de nombreuses réformes au droit public financier6 en général et
singulièrement à la juridiction des comptes.
Si l’on doit admettre qu’« il n’y a pas de petites réformes […] »7, il faut
tout de même reconnaitre qu’il y en a qui suscitent un peu plus d’intérêt
que d’autres. La réforme de la juridiction des comptes en porte

1 MILLARD (E.), « HAURIOU et la théorie de l’institution », Droit et Société, n°30-31, 1995.


pp. 381-412 ; SCHIMTZ (J.), La théorie de l’institution du doyen Maurice Hauriou, Paris,
L’Harmattan, 2013, 523p.
2 La bibliographie est beaucoup trop importante pour pouvoir être citée, même

partiellement. On se bornera donc à mentionner quelques travaux sur lesquels cette


recherche est plus directement fondée : SIETCHOUA DJUITCHOKO (C.), « La réforme
inachevée du contrôle juridictionnel des comptes au Cameroun (Commentaire de la Loi
n°2003/005 du 21 avril 2003 fixant les attributions, l’organisation et le fonctionnement de
la Chambre des comptes de la Cour suprême », Juridis Périodique, n°56, 2003, p. 73-91 ;
BOUVIER (M.) Réformes des finances publiques : la conduite du changement, Paris, LGDJ, 2007.
316p ; DAMAREY (S.), « Réforme des juridictions financières, entre perspectives et
incertitudes », JCP Adm. 2009, n° 1170 ; ONDOA (M.) (dir.), L’administration publique
camerounaise à l’heure des réformes, Paris, L’Harmattan, 2010, 318p ; EFANGON (D.Y.), La
réforme des juridictions des comptes dans la CEMAC, Paris, L’Harmattan, 2018, 252p. ; DJEYA
KAMDOM (Y.G.), « La réforme du contentieux financier public au Cameroun par la loi du
11 juillet 2018 : portée et insuffisances d’un texte », Gestion & Finances Publiques, n°6, 2020,
pp. 123-128., OUEDRAOGO (D.), « La réforme inachevée de la juridiction financière
ivoirienne. À propos de la loi organique n°2015494 du 7 juillet 2015 sur la Cour des
comptes » in MEDE (N.), (dir.), Les nouveaux chantiers de finances publiques en Afrique, Mélanges
en l’honneur de Michel Bouvier, Dakar, L’Harmattan-Sénégal, 2019, pp. 215-243.
3 Les institutions sont faites pour durer, mais afin de rester vivantes, elles doivent sans

cesse être réformées.


4 PROUDHON (P.-J.), Théorie de l’impôt, Paris, Librairie Internationale, 1868, p. 6.
5 Ce texte abroge la loi no2007/006 du 26 décembre 2007 portant régime financier de

l’État, laquelle a remplacé l’Ordonnance no62/OF/4 du 7 février 1962 réglant le mode de


présentation, les conditions d’exécution du budget de la République fédérale du Cameroun,
de ses recettes, de ses dépenses et de toutes les opérations s’y rapportant.
6 De l’avis du Professeur Célestin SIETCHOUA DJUITCHOKO, on pourrait parler de

« l’acte II de la réforme des finances publiques ». SIETCHOUA DJUITCHOKO (C.), « La


nouvelle gouvernance financière publique : légende et réalité de la privatisation des finances
publiques au Cameroun », in L’effectivité du droit. De l’aptitude du droit objectif à la satisfaction de
l’intérêt particulier, Mélanges en l’honneur du Professeur François Anoukaha, Paris, L’Harmattan,
2021, p. 959-973 (spéc. p. 960).
7 PROUDHON (P.-J.), Théorie de l’impôt, op.cit., p. 6.

301
singulièrement témoignage. En effet, depuis sa réintroduction8 dans le
champ institutionnel camerounais par la loi constitutionnelle du 18 janvier
19969 et sa mise en place au moyen de la loi du 21 avril 200310 et celle du
29 décembre 200611, la juridiction des comptes n’avait connu aucune
réforme d’importance12. Cela lui a valu d’être la cible d’un « tir groupé » de
la part de la doctrine13 qui lui reprochait son caractère partiel et
anachronique14. Cet état des choses se devait donc de changer. C’est fort à
propos qu’a été prise la loi no 2018/12 du 11 juillet 2018 portant régime
financier de l’Etat et des autres entités publiques qui est porteuse d’une
réforme suggestive. Pour mieux en saisir l’objet, quelques précisions
conceptuelles sont dès lors indispensables. Ces précisions concernent
respectivement les expressions de « réforme » et de « juridiction des
comptes ».
Du latin impérial « reformare » c’est-à-dire faire reprendre sa forme, la
« réforme » se définit comme un « changement en profondeur d’une institution en
vue de l’améliorer »15. Selon M. Durand, il s’agit d’un « changement que l’on

8 Professeur Magloire ONDOA parle de « nouvelle âme dans son ancien corps », de « nouvelle-
ancienne Chambre des comptes », Préface à SIETCHOUA DJUITCHOKO (C.), La Chambre des
comptes de la Cour suprême du Cameroun. Les principaux arrêts, avis, rapports de certification du compte
général de l’Etat et rapports d’observations à fin de contrôle commentés, Yaoundé, Editions le
Kilimandjaro, 1ère éd., 2016, p. 21. Pour une petite histoire de la juridiction financière au
Cameroun, lire ATEBA OMBALA (M.), Le Contrôle Juridictionnel des Comptes de la
Communauté Economique de l’Afrique Centrale, Yaoundé, SOPECAM, 2007, pp. 52-54
9 Art. 41 de la loi constitutionnelle n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la

Constitution du 2 juin 1972. A relever qu’avant cette date le contentieux financier faisait
partie des attributions de l’administration active.
10 Loi no 2003/005 du 21 avril 2003 fixant attributions, l’organisation et le fonctionnement

de la chambre des Comptes de la Cour suprême.


11 La loi n°2006/017 du 29 décembre 2006 fixant l'organisation, les attributions et le

fonctionnement des Tribunaux régionaux des Comptes. Il est à regretter qu’à l’heure
actuelle, ces Tribunaux ne soient pas encore opérationnels.
12 Il convient de relever que la seule évolution notable figurait à l’art. 126 al.4 du Décret n o

2013/16 du 15 mai 2013 portant règlement général de la comptabilité publique, abrogé par
le Décret 2020/ 375 du 07 juillet 2020 portant règlement général de la comptabilité
publique, qui dispose : « Au vu du projet de loi de règlement et des comptes administratifs des
ordonnateurs principaux, le juge des comptes donne un avis et un rapport de certification sur le compte
général de l’État ». Se trouve ainsi consacrée la mission de certification du compte général de
l’État au profit de la juridiction des comptes en complément aux missions prévues aux
articles 7 à 12 de la loi du 21 avril 2003 portant attributions, organisation et
fonctionnement de la chambre des comptes.
13 SIETCHOUA DJUITCHOKO (C.), « La réforme inachevée du contrôle juridictionnel

des comptes au Cameroun …) », op.cit. ; BILOUNGA (S.T.), « La diction du droit public


financier au Cameroun », RAFiP, no1, 2015, pp. 41-80 ; KOUA (S.E.), « La prescription de
la Cour des comptes comme institution supérieure de contrôle des finances publiques par
le droit communautaire CEMAC aux États membres : le cas du Cameroun », RAFiP, no3-4,
2018, pp. 43-68 ; ABANE ENGOLO (P.E.), « Pour un ordre juridictionnel financier », in
MEDE (N.), (dir.), Les nouveaux chantiers de finances publiques en Afrique, Mélanges en l’honneur de
Michel Bouvier, op. cit., pp. 313-330.
14 EFANGON (D.Y.), La réforme des juridictions des comptes dans la CEMAC, op.cit., pp. 146-

150.
15 Dictionnaire - Antidote 10. v.3.

302
apporte (dans les mœurs, les lois, les institutions) afin d'en obtenir de meilleurs
résultats »16. Pris dans ce sens, une réforme est toujours un entre-deux qui
procède par touches successives dans l’optique d’un mieux-être. En cela,
elle se distingue du « changement », entendu dans son acception juridique
comme ce qui « qualifie le processus de modification et création des normes légales au
sein d’une société »17. Elle se distingue également de la « révolution » définie
comme un « changement complet de l’ordre [établit], opéré en général de façon brusque
et violente, mais toujours par rupture avec l’ordonnancement juridique antérieur »18. Par
analogie, on peut dire que la réforme est un changement au sens fort du
terme et une révolution au sens faible. C’est du moins ce que l’on peut
déduire du Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit19 qui aux
termes « réforme » et « révolution » fait un renvoi à l’entrée « Changement ».
S’agissant de l’expression « juridiction des comptes », un esprit
analytique20 commande que l’on envisage séparément les termes
« juridiction » et « compte », pour mieux rendre compte de la réalité des
choses. Ainsi, la « juridiction » se définit comme la « qualité reconnue à un
organisme qui prend, en toute indépendance, les décisions ayant la nature de jugement
s’imposant avec autorité de la chose jugée »21. Quant à la notion de « compte », en
dépit de son aspect plurivoque22, elle peut être entendue de manière
générale comme « le document sur lequel sont inscrites les opérations ou plus
généralement le support matériel servant à leur enregistrement »23. Dès lors, la
juridiction des comptes est un organisme qui prend, en toute
indépendance, des décisions ayant nature de jugement sur les documents
sur lesquels sont inscrites les opérations financières des personnes
publiques.
De l’avis d’un auteur24, l’appellation même de juridiction des
comptes a quelque chose de captieux, car elle ne permet pas de mettre en
lumière la pluralité de missions25 confiées à cet organisme. Ce qui fait d’elle

16 DURAND (M.), Le Robert pour tous, dictionnaire de la langue française, Paris, 1994, p. 953.
17 COMAILLE (J.), « Changement », in ARNAUD (A.-J.) (dir.), Dictionnaire encyclopédique de
théorie et de sociologie du droit, Paris, LGDJ, 1993. Contrairement à la réforme, le changement
n’induit pas toujours une amélioration.
18 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2018, 12e éd., p. 1965.
19 ARNAUD (A.-J.) (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, op.cit.
20 GUASTINI (R.), « Norberto Bobbio ou la distinction », Préface à BOBBIO (N.), Essais

de théorie du droit, Bruylant, L.G.D.J, 1998, p. 1.


21 VAN LANG (A.), GONDOUIN (G.), INSERGUET-BRISSET (V.), Dictionnaire de droit

administratif, Paris Sirey, 2015, 7e éd., p. 259.


22 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, op.cit., p. 490.
23 Ibid.
24 BILOUNGA (S.T.), « La diction du droit public financier au Cameroun », op.cit., p. 59.
25 Si l’on s’en tient à l’article 73 la directive n°01/11-UEAC-190-CM-22 relative aux Lois de

Finances, la mission d’une juridiction des comptes est de :


- 1. Assister le Parlement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances.
- 2. Certifier la régularité, la sincérité et la fidélité du compte général de l’État.
- 3. Juger les ordonnateurs, les contrôleurs financiers et les comptables publics
dans les conditions prévues aux articles74 à 78 de la présente directive.
303
« une véritable enseigne lumineuse trompeuse »26. Qu’on ne s’y trompe pas ! « Ce
qui fait le caractère propre d’une juridiction, ce n’est pas la mission qu’elle remplit, mais
ses règles spéciales d’organisation et de procédure »27. Ainsi, la pluralité de missions
que remplit un organe ne saurait déterminer son appellation, car c’est le
propre de tout organe d’avoir une mission « naturelle » et historique à
laquelle viennent se greffer d’autres missions. Sous ce rapport, comme
pour exercer sa juridiction sur les comptes, la juridiction des comptes est
amenée à prendre connaissance des détails de l’exécution des lois de
finances, il est aisé de lui confier également des missions complémentaires
qui varient suivant les besoins propres à chaque législation. M. Philippe
Séguin ne semble pas dire autre chose lorsqu’il affirme : « C’est à partir des
comptes que nous déclinons nos différentes compétences : le jugement de leur régularité, la
certification de leur sincérité et de leur fidélité à la réalité financière de l’État et ensuite,
à partir de ce que les comptes nous disent sur la gestion, le contrôle de l’efficacité, de
l’efficience des administrations, et plus largement des politiques publiques. Ces
compétences s’imbriquent, elles s’enrichissent mutuellement »28.
Au total, on peut dire que la réforme de la juridiction des comptes
est un processus qui tend à l’amélioration de la qualité reconnue à
l’organisme qui prend des jugements sur les comptes publics. Ramené au
Cameroun, comme d’ailleurs pour la totalité des États membres de la
Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale (CEMAC)29 et
même au-delà30, la réforme de la juridiction des comptes traduit la volonté
d’aligner son système de gestion des finances publiques aux normes
internationales marquées par la logique de performance et de la bonne
gouvernance financière. En effet, Selon la Collaborative Africa Budget Reforme
Initiative (CABRI), « la gouvernance financière est l’objectif principal des systèmes
budgétaires modernes. Elle requiert la mise en place d’institutions saines [...] Il faut

- 4. Contrôler la légalité financière et la conformité budgétaire de toutes les


opérations de dépenses et de recettes de l'État. À ce titre, elle constate les
irrégularités et fautes de gestion commises par les agents publics et fixe, le cas
échéant, le montant du préjudice qui en résulte pour l’État. Elle peut en outre
prononcer des sanctions.
- 5. Évaluer l'économie, l’efficacité et l'efficience de l’emploi des fonds publics au
regard des objectifs fixés, des moyens utilisés et des résultats obtenus ainsi que la
pertinence et la fiabilité des méthodes, indicateurs et données permettant de
mesurer la performance des politiques et administrations publiques. Elle peut, en
outre, à la demande du Gouvernement ou du Parlement procéder à des enquêtes
et analyses sur toute question budgétaire, comptable et financière.
26 BILOUNGA (S.T.), « La diction du droit public financier », op.cit., p. 59.
27 CHEVALLIER (J.), « Fonction contentieuse et fonction juridictionnelle », in Mélanges en

l’honneur du professeur Michel Stassinopoulos, Paris, LGDJ, 1974, pp. 275-290.


28 SEGUIN, « La LOLF et la Cour des comptes », Revue Française de Finances Publiques, no 97,

2007, pp.41-52.
29 EFANGON (D.Y.), La réforme des juridictions des comptes dans la CEMAC, op.cit.
30 ESCLASSAN (M.-C.), « Un phénomène international : l’adaptation des contrôles

financiers à la nouvelle gestion publique », Revue Française de Finances Publiques, n°101, 2008,
p.29.
304
surtout, en vue des finalités de bien-être social des nations, que les fonds publics ainsi
que les actifs et passifs financiers soient gérés de manière transparente, responsable et
intègre » 31. On est donc face à un enjeu juridico-institutionnel, politique et
managérial d’importance. Dès lors, la question centrale de cette étude se
formule comme suit : quelle lecture peut-on faire de la réforme de la
juridiction des comptes sous l’empire de la loi no2018/012 du 11
juillet 2018 portant régime financier de l’État et des autres entités
publiques ?
En réponse à cette question et dans une démarche dogmatique, on
peut avancer l’hypothèse selon laquelle la réforme de la juridiction des
comptes sous l’empire de la loi no2018/012 du 11 juillet 2018 portant
régime financier de l’État et des autres entités publiques est ambivalente.
En effet, si cette réforme peut, à bien des égards, être qualifiée d’étendue
(I) ; il n’en demeure pas moins qu’elle préfigure une autre réforme qui elle
est attendue (II).
I. Une réforme étendue
La réforme de la juridiction des comptes, sous la loi no2018/012 du
11 juillet 2018 portant régime financier de l’État et des autres entités
publiques, témoigne du « saut quantique »32 effectué par cette juridiction.
En effet, longtemps attendue33, plus rien ne prédisposait les esprits à sa
venue34. Mais comme le dit le dicton : « mieux vaut tard que jamais ».
Agissant donc à son temps, le législateur camerounais a non seulement
clarifié le statut de la juridiction (A), mais surtout densifié sa compétence
(B).
A. La clarification du statut de la juridiction des comptes
La clarification du statut de la juridiction des comptes au Cameroun
était rendue nécessaire eu égard au silence problématique de la loi
no2003/005 du 21 avril 2003 fixant les attributions, l’organisation et le
fonctionnement de la Chambre des comptes de la Cour Suprême. En effet,

31 Cf. La bonne gouvernance : vers une budgétisation moderne, Actes du 6e Séminaire


annuel du CABRI, organisé à Maurice en 2010, p. 2. www.cabri-sbo.org. Consulté le 19
février 2021 à 9 heures 30 minutes.
32 Pris dans son sens figuré, cette locution traduit l’idée d’un progrès qualitatif subit et

important.
33 Dans la mesure où la date de 24 mois fixée par la Directive CEMAC de 2011 pour la

mise en conformité des législations nationales avait été largement dépassée.


34 Il convient de noter que cela semble coller à la peau de la juridiction des comptes. En

effet, dans une réflexion très à propos, M. le professeur Célestin SIETCHOUA


DJUITCHOKO observait que « dans un pays où le temps ne compte pas, le retard pris dans
l’application de cette importante réforme constitutionnelle a fini par lasser y compris les personnes qui
avaient une bien vaillante compréhension pour la très controversée loi constitutionnelle de 1996 ».
SIETCHOUA DJUITCHOKO (C.), « La réforme inachevée du contrôle juridictionnel des
comptes au Cameroun (Commentaire de la loi n°2003/005 du 21 avril 2003 fixant les
attributions, l’organisation et le fonctionnement de la Chambre des Comptes de la Cour
Suprême) », op.cit., p. 73.
305
on ne décèle pas dans ce texte la moindre allusion au statut de la
juridiction des comptes, cela n’a pas manqué de susciter des interrogations
de la part de l’opinion publique35. Par la loi no2018/012 du 11 juillet 2018
portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques, le
législateur vient mettre fin à cet état des choses ; l’article 86 alinéa 2 de ce
texte dispose : « Les membres de cette juridiction ont le statut de magistrat. Elle [la
juridiction] est indépendante par rapport au gouvernement et au parlement, ainsi
qu’autonome dans l’exercice de ses attributions. Elle décide seule de la publication de ses
avis, décisions et rapports ». À la lecture de cette disposition, il apparaît
clairement deux idées qui bien que se juxtaposant ne s’en distinguent pas
moins. Il s’agit de l’affirmation de l’indépendance de la juridiction des
comptes (1) et de la consécration de son autonomie (2).
1. L’affirmation de l’indépendance de la juridiction des
comptes
Entendue comme l’émancipation totale d’une autorité publique vis-
à-vis d’une autre36, l’indépendance est de l’essence de la justice. Elle est
une condition sine qua non de sa bonne administration. Sans elle, la justice
serait dégradée et ravalée à des fonctions de subordonné. Pour la
juridiction des comptes, l’indépendance constitue « un facteur important de
légitimation politique et de marketing économique et financier, sur les deux plans
national et international »37 ; elle participe à son positionnement
institutionnel.
Ainsi que le mentionne l’annexe à la directive UEMOA du 29 juin
2000 portant adoption du code de transparence dans la gestion des
finances publiques, « II n’y a pas de bonne gestion des finances publiques sans un
contrôle a posteriori efficace dévolu à une juridiction financière indépendante et dotée de
pouvoirs et de capacités d’investigation étendus »38. L’indépendance est d’ailleurs
l’objectif principal de la Déclaration de Lima39. Or, pendant longtemps,
cette indépendance a fait défaut à la juridiction des comptes au Cameroun.
En effet, comme le souligne le rapport final sur l’évaluation du système de
gestion des finances publiques au Cameroun selon la méthodologie
PEFA40, « le degré d’indépendance, au sens recommandé par l’INTOSAI

35 Le problème s’est également posé en France. À ce propos, lire BAVEREZ (N.), « La


Cour des comptes, juridiction introuvable », Dalloz, 1992, p. l73.
36 PALMA-AMALRIC (V.), L’autonomie financière des autorités indépendantes, Paris,

L’Harmattan, 2017, p. 39. Cette auteure affirme que l’indépendance est une notion
d’avantage politique qui s’exprime facilement hors du droit, alors que l’autonomie
s’exprime beaucoup mieux dans le domaine juridique.
37 BERRAOU (M.), La responsabilité des acteurs de gestion publique devant la Cour des comptes. Le

modèle marocain, Paris, L’Harmattan, 2017, p.37


38 E.2.2 de l’annexe à la Directive n°02/2000 –UEMOA du 29 juin 2000 portant adoption

du code de transparence dans la gestion des finances publiques.


39 A ce propos, lire la Déclaration de Lima sur les lignes directrices du contrôle des finances

publiques de 1977 adoptée sous l’égide de L’INTOSAI.


40 Public Expenditure and Financial Accountabilility (traduit en français par programme

« dépenses publiques et responsabilité financière »).


306
[Organisation internationale des institutions supérieures de contrôle des finances
publiques], de la chambre des comptes est limité »41. Pour y remédier, et en
procédant au dépliage de l’article 37 al.2 de loi constitutionnelle du 18
janvier 199642, la loi no 2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime
financier de l’Etat et des autres entités publiques en son article 86 al.2
dispose : « Elle [la juridiction] est indépendante par rapport au gouvernement et au
parlement (…) ».
S’agissant de l’indépendance de la juridiction des comptes par
rapport au gouvernement, il convient de révéler que c’est une question qui
tombe sous le sens. En effet, c’est au gouvernement qu’il appartient de
mettre en œuvre le budget de l’État tel qu’autorisé par le parlement dans le
cadre de la loi de finances. Logiquement, c’est sur lui que doit peser le
contrôle exercé par la juridiction des comptes. Il serait donc inconséquent
de laisser subsister un rapport de dépendance entre la juridiction des
comptes et ce dernier.
Même si l’on doit reconnaitre que cette indépendance de la
juridiction des comptes peut constituer un facteur d’angoisse pour le
gouvernement ; elle s’avère indispensable à la protection de l’ordre public
financier. Ce dernier suppose, et c’est là une exigence première, que des
obligations particulières soient imposées aux agents chargés de la tenue des
écritures comptables et du maniement des deniers publics43.
Pour ce qui est de l’indépendance de la juridiction des comptes par
rapport au Parlement, la question est plus délicate dans la mesure où, une
des missions de la juridiction des comptes est d’assister expressément le
parlement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances44. Cela
pourrait laisser croire que la juridiction des comptes est dans une position
de dépendance vis-à-vis du Parlement. Car comme le relève MM. Dautry
et Lamy, la fonction « d’assistance » est ambiguë, car elle « s’interprète
habituellement comme instaurant une position d’infériorité mal conciliable avec
l’indépendance d’une juridiction, même si les tâches concernées ne sont pas
juridictionnelles… »45. Il ne s’agit là que d’apparences. En réalité,

41 Rapport final sur l’évaluation du système de gestion des finances publiques au Cameroun selon la
méthodologie PEFA 2016, juin 2017, p. 170.
42 Cet article dispose que « le pouvoir judiciaire est exercé par la Cour Suprême, les Cours d’appel, les

Tribunaux. Il est indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif ». Toutefois, l’on doit
reconnaitre avec M. Sylvestre Honoré NNANGA que ce pouvoir judiciaire « est un pouvoir
constitué dont l'indépendance est assurée par un autre pouvoir constitué, ce qui laisse entendre que le pouvoir
judiciaire serait un autre pouvoir faible ou mineur, protégé par un pouvoir majeur ou plus fort : le Chef du
pouvoir exécutif ». NNANGA (S.H.), « La protection juridictionnelle des finances publiques
africaines », Revue Africaine des Sciences Juridiques, Vol. 6, no1, 2009, pp 211- 228.
43 TALLINEAU (L.), « Introduction », in FLIZOT (S.) (dir.), L’évolution des juridictions

financières, Gestion & Finances Publiques, 2012, p.5.


44 Article 86 alinéa 3 de la loi no 2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de

l’Etat et des autres entités publiques.


45 DAUTRY (Ph.), LAMY (Ph.), « Le contrôle de la gestion publique par la Cour des

comptes : concurrence ou complémentarité ? », Revue Française de Finances Publiques, no80,


2002, pp.119-150.
307
étymologiquement traduit par « se tenir auprès », l’assistance renvoie à l’aide
que l’on apporte à quelqu’un sans partager les tâches de cette personne.
Ainsi, la juridiction des comptes vient en aide au parlement pour mener à
bien la fonction de contrôle de l’exécution des lois de finances qui lui
incombe sans y prendre part. Ainsi que le relève fort opportunément M.
Pascal Jan, « l’assistance de la Cour au Parlement s’inscrit en réalité dans une alliance
recherchée par le Parlement et à son profit, mais dans le respect de l’indépendance de
l’institution de la rue de Cambon »46.
En fin de compte, pas plus que la soumission complaisante, la
véritable indépendance n’admet pas l’opposition systématique. En effet,
l’indépendance ne doit pas être l’isolement47. C’est du moins ce que l’on
peut tirer de la décision du juge constitutionnel français du 25 juillet 200148
et que la doctrine qualifie sous la « théorie de l’équidistance »49. Ainsi, il
appartient à la juridiction des comptes de garder certains contacts avec les
pouvoirs publics50 tout en maintenant son autonomie.
2. La consécration de l’autonomie de la juridiction des comptes
Pendant fonctionnel de l’indépendance, l’autonomie s’entend
comme un pouvoir d’autodétermination et se mesure à la liberté dont jouit
une institution dans l’accomplissement de ses attributions. Pris dans ce
sens, il est clair que la loi no2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime
financier de l’Etat et des autres entités publiques consacre l’autonomie de
la juridiction des comptes. L’article 86 al.2 de ce texte dispose en effet que
« [la juridiction des comptes est] autonome dans l’exercice de ses attributions. Elle décide
seule de la publication de ses avis, décisions et rapports ». Il est intéressant de
relever que la dernière phrase de cette disposition vient rompre avec la
pratique instaurée par l’article 3 de la loi no2003/005 21 avril 2003 fixant
les attributions, l’organisation et le fonctionnement de la Chambre des
comptes de la Cour suprême aux termes duquel, « la Chambre des comptes
produit annuellement au Président de la République, au Président de l’Assemblée
Nationale et au Président du Sénat, un rapport exposant le résultat général de ses
travaux et les observations qu’elle estime devoir formuler en vue de la réforme et de

46 JAN (P.), « Parlement et Cour des comptes », Pouvoirs, no146, 2013, p.108
47 FABRE (F.-J), « Jurisprudence financière : Sur la réforme de la Cour des comptes », La
Revue administrative, 22e année, no 128, 1969, pp. 185-189.
48 CC, 2001-448 DC, 25 juillet 2001, Loi organique relative aux lois de finances, Rec., p. 99.
49 Cette théorie signifie que le positionnement de la Cour, lorsqu’elle assume ses missions

d’assistance pour le Parlement et le Gouvernement, doit être équilibré, c'est-à-dire ne pas


être faussé au détriment de l’un ou l’autre de ces deux pouvoirs. Cela ne signifie pas que la
Cour travaille uniquement pour assister le Parlement et le Gouvernement : elle assume des
missions qui lui sont propres de contrôle des comptes publics, de jugement des comptables
qui la rattachent au pouvoir judiciaire, ainsi que d’information du citoyen.
50 C’est ce qui ressort de l’esprit de l’article 86 alinéa 4 de loi n o2018/012 du 11 juillet 2018

portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques qui dispose : « Elle [la
juridiction des comptes] peut, en outre, à la demande du gouvernement ou du parlement procéder à des
enquêtes et des analyses sur toute question budgétaire, comptable et financière ».
308
l’amélioration de la tenue des comptes et de la discipline des comptables. Ce rapport est
publié au Journal Officiel de la République ».
De la lecture de ce qui précède, on peut inférer l’idée selon laquelle
la juridiction des comptes était condamnée au geste annuel unique. Cette
contrainte ne pouvait qu’être contraire à toute idée d’autonomie. Ce n’est
donc pas sans raison que la loi no 2018/012 du 11 juillet 2018 portant
régime financier de l’Etat et des autres entités publiques a voulu préciser
que la juridiction des comptes « décide seule de la publication de ses avis, décisions
et ses rapports ». À ce propos, M. Jean Picq parle de « miracle démocratique ».
Pour lui, pouvoir décider en toute liberté de publier des rapports qui
couvrent tout le champ de l’action publique et sans autre limite que la
capacité à les réaliser avec les diligences professionnelles adéquates est un
rare privilège démocratique51.
Plus intéressante encore est l’autonomie de la juridiction des
comptes dans l’exercice de ses attributions. En effet, l’article 86 al.2 la loi
no2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des
autres entités publiques dispose que « [la juridiction des comptes est] autonome
dans l’exercice de ses attributions ». Il convient de relever qu’une telle
disposition a une résonnance particulière eu égard à la position
institutionnelle actuelle de la Chambre des comptes. Cette dernière est
logée au sein de la Cour Suprême52. De plus, tous les recours en annulation
de ses arrêts sont portés devant l’Assemblée plénière de cette juridiction53.
Ce qui brouille à proprement parler toute idée d’autonomie qu’est
supposée avoir la juridiction des comptes. Ainsi, l’option prise par le
législateur de consacrer l’autonomie de la juridiction des comptes
subodore un véritable tournant dans la configuration du paysage
institutionnel camerounais. Tournant qui a déjà été amorcé en matière des
compétences de la juridiction.
B. La densification de la compétence de la juridiction des comptes
« Se densifier, pour le droit ou pour une norme, c'est aussi gagner en force
normative, étendre son domaine, saisir des objets plus diversifiés ou encore développer un
contenu plus étoffé, plus précis »54. Cette affirmation du Professeur Catherine
Thibierge traduit bien l’idée de densification qu’a connu la compétence de
la juridiction de comptes sous la loi no 2018/012 du 11 juillet 2018 portant
régime financier de l’Etat et des autres entités publiques rompant ainsi
avec le manque d’audace des juges qui se sont toujours confinés « dans le
tabernacle dans lequel les enferment les textes organiques de la Chambre des

51 PICQ (J.), « La Cour des comptes et l’information du citoyen », in FLIZOT (S.) (dir.),
L’évolution des juridictions financières, Gestion & Finances Publiques, 2012, p.20.
52 Article 38 de la loi no 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02

juin 1972.
53 Article 72 alinéa 3 de la loi no2003/005 21 avril 2003 fixant les attributions, l’organisation

et le fonctionnement de la Chambre des comptes de la Cour Suprême.


54 THIBIERGE (C.), « La densification normative. Découverte d’un processus », Recueil

Dalloz, 2014, p.834


309
comptes »55. Cette densification se manifeste à travers l’ajustement de la
compétence juridictionnelle (1), et l’essor de la compétence non
juridictionnelle (2).
1. L’ajustement de la compétence juridictionnelle
L’ajustement de la compétence juridictionnelle de la juridiction des
comptes participe assurément à la densification des compétences de cette
juridiction ; mais derrière elle se profil également la simplification du
paysage juridico-financier du Camerounais. En effet, avant la loi no
2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres
entités publiques s’observait un éclatement du contentieux financier entre
la chambre des comptes56 et le Conseil de Discipline Budgétaire et
Financière (CDBF)57 58au mépris des prescriptions communautaires59. Ce
qui conduit un auteur à affirmer que « Le Cameroun apparaît comme la figure de
résistance par excellence, aux changements formels de son contrôle juridictionnel des
finances publiques, conformément aux directives communautaires »60. C’est donc
pour mettre fin à cette résistance que la loi no2018/012 du 11 juillet 2018
portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques attribue à
la juridiction des comptes la mission « de juger les ordonnateurs, les contrôleurs

55 ONDOA (M.), Préface à SIETCHOUA DJUITCHOKO (C.), La Chambre des comptes de


la Cour suprême du Cameroun. Les principaux arrêts, avis, rapports de certification du compte général de
l’Etat et rapports d’observations à fin de contrôle commentés, op. cit., p. 23.
56 D’après l’article 2 alinéa 1 de la loi du no 2003/005 21 avril 2003 fixant les attributions,

l’organisation et le fonctionnement de la Chambre des comptes de la Cour Suprême, « la


Chambre des Comptes contrôle et juge les comptes ou des documents en tenant lieu des comptables publics
patents et de fait : - de l’État et de ses établissements publics ; - des collectivités territoriales décentralisées et
de leurs établissements publics ; - des entreprises du secteur public et parapublic ».
57 L’article 2 alinéa 1 du Décret no2008/028 du 18 janvier 2008 portant organisation et

fonctionnement du Conseil de Discipline Budgétaire et Financière dispose : « Le Conseil est


chargé de prendre des sanctions à l'encontre des agents publics, patents ou de fait, coupables des irrégularités
et fautes de gestion commises dans l'exercice de leurs fonctions, irrégularités et fautes ayant eu pour effet de
porter préjudice aux intérêts de la puissance publique ».
58 Il convient de relever que le CDBF est une structure du ministère délégué à la Présidence

de la République chargé du Contrôle supérieur de l’État. Il statut par décision et est


essentiellement composé de personnalité relevant de l’administration active. De plus ses
décisions, à l’instar de celles de l’ensemble des autorités administratives, font l’objet d’un
recours en annulation devant la juridiction administrative. Ainsi, contrairement à sa
« grande sœur française » (La Cour de discipline budgétaire et financière) qui est une
juridiction, le CDBF est une institution administrative exerçant une fonction contentieuse.
À ce propos, lire DJEYA KAMDOM (Y.G.), « Réflexion sur l’ambiguïté institutionnelle du
Conseil de discipline budgétaire et financière au Cameroun », Gestion & Finances Publiques,
no2, 2016, pp. 89-94.
59 L’article 73 alinéa 3 de la Directive n°01/11-UEAC-190-CM-22 relative aux lois de

finances attribue à la juridiction des comptes la mission de juger les ordonnateurs, les
contrôleurs financiers et les comptables publics.
60 EFANGON (D.Y.), La réforme des juridictions des comptes dans la CEMAC, op.cit., p.146.

Dans le même sens, lire KOUA (S.E.), « La prescription de la Cour des comptes comme
institution supérieure de contrôle des finances publiques par le droit communautaire
CEMAC aux États -membres : le cas du Cameroun », Revue Africaine des Finances publiques, no
3&4, 2018, p. 47.
310
financiers et les comptables publics […] »61. Procédant de la sorte, cette nouvelle
loi corrige62 les missions de la juridiction des comptes en lui attribuant le
pouvoir de sanctionner les comportements fautifs des ordonnateurs63.
Ainsi, outre le jugement des comptes des comptables publics, la juridiction
des comptes au Cameroun connait désormais des fautes de gestion64. Sur
ce dernier aspect, on passe, pour ainsi dire, de la justice retenue exercée
par le CDBF à la justice déléguée au profit de la juridiction des comptes.
Ce passage de la justice retenue à la justice déléguée a pour
conséquence l’exclusion du CDBF placé auprès du ministère en charge du
Contrôle Supérieur de l’État (CONSUPE) de la procédure de sanction des
auteurs de fautes de gestion. En conséquence, une redistribution des rôles
est opérée entre la juridiction des comptes et CONSUPE qui est l’organe
de tutelle du CDBF. Ce dernier perd le pouvoir de juger les fautes de
gestion des agents publics au profit exclusif de la juridiction des comptes.
Il s’ensuit une densification de la compétence juridictionnelle de la
juridiction de comptes. Densification de compétences également
perceptible en matière non juridictionnelle.
2. L’essor de la compétence non juridictionnelle
« La compétence non contentieuse de la chambre des comptes représente peu de
chose dans la loi du 21 avril 2003, à côté de sa compétence contentieuse »65. Ce
constat du Professeur Célestin Sietchoua Djuitchoko met en exergue
l’indigence de la juridiction des comptes en matière non juridictionnelle
sous la loi no2003/005 du 21 avril 2003 fixant les attributions,
l’organisation et le fonctionnement de la Chambre des comptes de la Cour
suprême. Selon ce texte, la chambre des comptes déclare et apure les

61 Article 86 alinéa 3 de la loi no2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de


l’Etat et des autres entités publiques.
62 Théoriquement rien n’empêche d’attribuer la juridiction sur les ordonnateurs à la

juridiction des comptes. Cette option est celle de certains pays membres de la CEMAC et
de l’UEMOA, ainsi que des pays tels que l’Espagne, le Maroc, le Portugal. On doit
souligner avec M. Célestin DJUITCHOKO SIETCHOUA que ce sont des considérations
d’opportunité et de réalisme qui explique que le juge des comptes n’a pas juridiction sur les
ordonnateurs. SIETCHOUA DJUITCHOKO (C.), « La réforme inachevée du contrôle
juridictionnel des comptes au Cameroun (Commentaire de la loi n°2003/005 du 21 avril
2003 fixant les attributions, l’organisation et le fonctionnement de la Chambre des comptes
de la Cour suprême », op.cit., p. 77.
63 NDJODO (L.), L’exercice du ministère public à la juridiction des comptes au Cameroun, Paris,

L’Harmattan, 2020, p. 32.


64 Selon l’article 88 alinéa 1 de la loi no 2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier

de l’Etat et des autres entités publiques, « Est considérée comme faute de gestion, tout acte, omission
ou négligence commis par tout agent de l’État, d’une collectivité territoriale décentralisée ou d’une entité
publique, par tout représentant, administrateur ou agent d’organismes, manifestement contraire à l’intérêt
général ».
65 SIETCHOUA DJUITCHOKO (C.), « La réforme inachevée du contrôle juridictionnel

des comptes au Cameroun (Commentaire de la loi n° 2003 /005 du 21 avril 2003 fixant les
attributions, l’organisation et le fonctionnement de la Chambre des comptes de la Cour
suprême) », op. cit., p. 78.
311
comptabilités de fait66, elle donne son avis sur toute question relative au
contrôle et au jugement des comptes lorsqu’elle est saisie67. Il s’agissait des
seules missions non juridictionnelles expressément reconnues à cette
juridiction jusqu’à l’intervention de la loi n° 2006/016 du 29 décembre
2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême et du
Décret du no2013/16 du 15 mai 2013 portant règlement général de la
comptabilité publique. Ces deux textes octroient à la Chambre des
Comptes la possibilité d’émettre un avis sur le projet de loi de règlement
présenté au parlement68 et la mission de certification des comptes69. Il faut
dire que malgré tout cela, la compétence non juridictionnelle de la
Chambre des Comptes représentait toujours peu de chose.
Cet état des choses relève désormais du passé au regard de la
croissance fructueuse de la compétence non juridictionnelle de la
juridiction des comptes sous la loi no2018/012 du 11 juillet 2018 portant
régime financier de l’Etat et des autres entités publiques. De fait, l’article
86 alinéa 3 de cette de loi confère à la juridiction des comptes les missions
non juridictionnelles suivantes : assister le parlement dans le contrôle de
l’exécution des lois de finances ; certifier la régularité, la sincérité et la
fidélité du compte général de l’État ; contrôler la légalité financière et la
conformité budgétaire de toutes les opérations de dépenses et de recettes
de l’État ; évaluer l’économie, l’efficacité et l’efficience de l’emploi des
fonds publics au regard des objectifs fixés, des moyens utilisés et des
résultats obtenus ainsi que la pertinence et la fiabilité des méthodes,
indicateurs et données permettant de mesurer la performance des
politiques et administrations publiques. En outre, l’alinéa 4 du même
article donne la possibilité à la juridiction des comptes de procéder à des
enquêtes et analyses sur toutes les questions budgétaires, comptable et
financière à la demande du gouvernement ou du parlement.
Ce polymorphisme de la compétence non juridictionnelle de la
juridiction des comptes procède globalement de sa mission d’assistance au
parlement et au gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de
finances. Ainsi, par le truchement de cette compétence, la juridiction des
comptes éclaire et alerte le parlement et le gouvernement sur la situation
des finances publiques.
En dernière analyse, on peut dire que la densification des
compétences de la juridiction des comptes couplée à la clarification de son
statut positionne la juridiction des comptes du Cameroun dans le giron des
grandes juridictions financières propres aux nations démocratiques qui ont

66 Article 7 de la loi n°2003 /005 du 21 avril 2003 fixant les attributions, l’organisation et le
fonctionnement de la Chambre des comptes de la Cour suprême.
67 Article 10 de la loi n°2003 /005 du 21 avril 2003 fixant les attributions, l’organisation et

le fonctionnement de la Chambre des comptes de la Cour suprême.


68 Article 39 (c) de la loi no2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le

fonctionnement de la Cour Suprême.


69 L’article 125 alinéa 3 du Décret du no2013/16 du 15 mai 2013 portant règlement général

de la comptabilité publique.
312
toutes pour trait commun la promotion de la bonne gestion des finances
publiques. Toutefois, pour conforter cette position de prestige à la
juridiction des comptes au Cameroun, une autre réforme demeure
indispensable.
II. Une réforme attendue
Si l’on peut légitimement être enthousiaste vis-à-vis de la réforme de
la juridiction des comptes sous la loi no 2018/012 du 11 juillet 2018
portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques, il
convient de relever que celle-ci ne peut avoir son sens plein que si elle
s’accompagne d’une autre réforme. En effet, la matérialisation de cette
réforme ne peut se faire que dans le cadre d’une cour des comptes (A). Ce
qui corrélativement induit une réinvention du profil du juge (B).
A. L’impérative érection d’une Cour des comptes
L’érection d’une Cour des comptes se révèle être d’un double
impératif hypothétique et catégorique. Selon la distinction opérée par
Emmanuel Kant, « l’impératif hypothétique représente la nécessité pratique d'une
action possible, comme moyen d'accéder à autre chose que l'on veut (ou qu'il est possible
de vouloir). L’impératif catégorique serait celui qui représenterait une action comme
objectivement nécessaire en elle-même, sans relation à une autre »70. Sous ce rapport,
l’érection d’une Cour des comptes, pour l’opérationnalisation de la
réforme de la juridiction contenue dans la loi no 2018/012 du 11 juillet
2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques,
relève d’un impératif hypothétique en ce sens qu’il s’agit d’une prescription
communautaire (1) et d’un impératif catégorique dans la mesure où elle est
une nécessité fonctionnelle (2).
1. Une prescription communautaire
Selon l’article 72 de la Directive n°01/11-UEAC-190-CM-22
relative aux lois de finances « Le contrôle juridictionnel des opérations budgétaires
et comptables des administrations publiques est assuré par une Cour des comptes qui
doit être créée dans chaque Etat-Membre […] Elle est l’institution supérieure de
contrôle de chaque État ». De l’avis de M. Samuel Eric Koua, il s’agit d’une
prescription par le droit communautaire aux États membres71. Cependant,
il est un secret de polichinelle que le Cameroun a la peau dure face à cette
prescription. En effet, nonobstant le rallongement du délai initialement
prévu pour sa mise en place, le Cameroun peine à prendre le train en
marche. Plus grave encore, lorsqu’on collationne l’article 72 de la Directive
n° 01/11-UEAC-190-CM-22 relative aux lois de finances et l’article 86 de
loi no 2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des

70 KANT (E.), Fondement pour la métaphysique des mœurs, Paris, Hatier, 2000, p. 47.
71 KOUA (S.E.), « La prescription de la Cour des comptes comme institution supérieure de
contrôle des finances publiques par le droit communautaire CEMAC aux États -membres :
le cas du Cameroun », op. cit.
313
autres entités publiques, on constate la curieuse disparition des expressions
de « Cour de Compte » et d’« institution supérieure de contrôle » dans le second
texte. Et pourtant, l’on se serait attendu à ce que l’option prise
d’internaliser la Directive soit la plus fidèle possible. En considérant ces
éléments, on pourrait conclure que le Cameroun s’est érigé en parangon de
la résistance.
Toutefois, une tentative d’explication à cette résistance peut être
trouvée dans la lourde implication normative et institutionnelle qu’induit
cette prescription. En effet, l’érection de la Cour des comptes comme
institution supérieure de contrôle au Cameroun est conditionnée par la
relecture de certains textes et la suppression de certaines institutions.
Sur le plan textuel, une révision de la loi constitutionnelle du 18
janvier 1996 constitue un préalable indispensable72. En effet, selon l’article
72 de la Directive CEMAC, la Cour des comptes est autonome par
rapport à toute autre juridiction. Cela implique pour le constituant
camerounais de modifier les articles 36 et 41 de la constitution à l’effet de
faire sortir l’actuelle juridiction des comptes de la polyvalente Cour
suprême et de la constituer en un ordre juridictionnel distinct73. Cette
modification constitutionnelle emportera avec elle la relecture de plusieurs
autres textes : la loi n°2003/005 du 21 avril 2003 fixant les attributions,
l’organisation et le fonctionnement de la Chambre des Comptes de la Cour
Suprême74, la loi no2006/015 du 29 décembre 2006 portant organisation
judiciaire, la loi no2006/16 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le
fonctionnement de la Cour suprême, la loi n°2006/017 du 29 décembre
2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux régionaux
des comptes et le Décret no2013/287 du 04 septembre 2013 portant
organisation des services du contrôle supérieur de l’État.
Sur le plan institutionnel, l’érection de la Cour des comptes comme
institution supérieure de contrôle au Cameroun conduira inéluctablement à

72 Car, même si la loi no 2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et
des autres entités publiques est une loi matériellement constitutionnelle parce que relative à
l’organisation et au fonctionnement des pouvoirs publics, il n’en demeure pas moins qu’elle
se place à un échelon intermédiaire entre la constitution et la loi entendue ordinairement. Il
en découle qu’elle a une valeur infra-constitutionnelle parce que déterminée par la
constitution elle-même. En France, le Conseil constitutionnel a déjà eu à souligner
explicitement l’impossibilité pour le législateur organique de réviser la constitution. Conseil
constitutionnel, 77-80/81 DC, 5 juillet 1977, Rec., p. 24.
73 Comme le relève le M. le professeur Stève Thiery Bilounga, « Il serait pourtant plus

harmonieux et même performant pour la bonne administration de la justice financière, de dissocier les trois
ordres de juridiction constitutionnellement consacrés et d’améliorer l’organisation et le fonctionnement de
chaque ordre de manière à asseoir une bonne lisibilité de chaque ordre en particulier et tout le pouvoir
judiciaire en général. Comme il existe une Cour suprême en matière judiciaire, il serait judicieux d’avoir
aussi une Cour ou un Conseil d'État en matière administrative et une Cour des finances ou des comtes en
matière financière », BILOUNGA (S.T.), « La diction du droit public financier au Cameroun »,
op. cit., p. 60.
74 La relecture de ce texte est réclamée de manière constante depuis le tout premier

Rapport annuel de la Chambre des comptes qui date de 2006. À ce propos, lire le Rapport
annuel 2015 de la Chambre des comptes, p. 180.
314
la disparition du CDBF. En effet, le CDBF a pour mission de réprimer les
fautes de gestions relevées dans les rapports de missions de contrôle du
CONSUPE, or la directive CEMAC en attribuant cette compétence à la
Cour des comptes annonce en même temps la disparition du CDBF.
Quoi qu’il en soit, le tournant amorcé par la loi no 2018/012 du 11
juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités
publiques sonne le glas de la résistance et ouvre indiscutablement la voie à
l’érection d’une Cour des comptes comme prescrit par la Directive
CEMAC. Les raisons sont toutes simples. D’une part, aucune des
institutions actuellement en place ne répond aux solutions consacrées par
cette loi. En effet, les critères d’indépendance et d’autonomie que consacre
son article 86 alinéa 2 et qui sont conformes aux principes des Instituts
Supérieurs de Contrôle (ISC) comme voulu par l’INTOSAI75, ne trouvent
pas leur pendant dans l’actuel ISC incarné par le CONSUPE76. Plus
encore, les compétences que confère l’alinéa 3 de l’article 86 de la loi
no2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des
autres entités publiques à la juridiction des comptes ne peuvent être
greffées à l’actuelle Chambre des comptes sans réaction de rejet77. D’autre
part, comme il faut éclairer les réformes par l’histoire, les expériences
étrangères en matière de juridiction des comptes conduisent
inévitablement à pencher pour une Cour des comptes comme ISC78. De
fait, l’attribution à la juridiction des comptes de connaitre à la fois du
jugement des ordonnateurs, des contrôleurs financiers et des comptables,
mais également au regard de ses nombreuses missions non
juridictionnelles par la loi no 2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime

75 Selon la Section 5 de la Déclaration de Lima, « L'établissement des Institutions supérieures de


contrôle des finances publiques et le niveau d'indépendance qui leur est nécessaire doivent être précisés dans
la Constitution ; les modalités peuvent être détaillées dans les textes de loi ».
76 Le CONSUPE est rattaché à la Présidence de la République et est dirigé par un ministre

délégué. Or, selon de la Déclaration de Lima « Les Institutions supérieures de contrôle des finances
publiques sont des services de contrôle externe ».
77 En effet, les moyens d’action de la Chambre ne sont pas, en l’état actuel des choses, en

adéquation avec l’étendue et l’importance des compétences conférées à la juridiction des


comptes. Et on le sait, rien n’est plus déshonorant pour une institution que d’avoir des
responsabilités et d’être hors d’état de les exercer.
78 Faut-il le rappeler, il existe trois catégories d’ISC : Un modèle « latin » de cour des

comptes dans lequel la cour exerce des fonctions de nature juridictionnelle, mais développe
aussi d’autres activités, rapports sur l’exécution budgétaire avec un rôle accru d’assistance
au parlement et la situation des finances publiques, sur les gestions et fonctionnements
administratifs, conseils en matière de bonne gestion. Un modèle « allemand », au sein
duquel, et de façon encore plus marquée, la cour exerce des fonctions de contrôle a
posteriori de la gestion et d’assistance aux pouvoirs publics dans une perspective
d’amélioration de la gouvernance financière. Un modèle « d’auditeurs », consacré par les
pays anglo-saxons ou d’influence anglo-saxonne, où les contrôles d’évaluation et d’audit
s’inspirent plus largement des audits d’entreprise tels que pratiqués dans le secteur privé.
Lire SAÏDJ (L.), « Le modèle des Cour des comptes : traits communs et diversité », Revue Française de
Finances Publiques, n°101, 2008, p. 51 ; ORSONI (G.), « La Cour des comptes européenne et
la bonne gouvernance financière », in HARAKAT (M.), (dir.), La gouvernance des finances
publiques en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2019, p.37.
315
financier de l’Etat et des autres entités publiques, n’est-elle pas exclusive
de toute autre option ? Plus encore, l’éviction de l’appellation « Chambre
de comptes » au profit d’une appellation générique telle que « juridiction
des comptes » n’est-elle pas suffisamment évocatrice ?
Il reste à dire que si l’érection de la Cour des comptes est le plus
souvent présentée comme une prescription communautaire, il n’en
demeure pas moins qu’elle se révèle également être une nécessité
fonctionnelle.
2. Une nécessité fonctionnelle
La nécessité fonctionnelle de la Cour des comptes est liée au
caractère spécieux de la parcellisation du contrôle des finances publiques et
à la spécificité du contentieux financier.
Le caractère spécieux de la parcellisation du contrôle des finances
publiques se dévoile aisément à travers cette affirmation du Professeur
Mengue Me Engouang : « La frontière qui sépare le domaine d’action de
l’ordonnateur de celui du comptable est en réalité plus poreuse qu’elle ne paraît à
première vue. Il arrive en effet que chacun de ces deux acteurs intervienne dans la sphère
de compétence de l’autre. L’ordonnateur est ainsi parfois habilité à accomplir les tâches
réservées au comptable tandis que ce dernier peut être autorisé à exercer les attributions
normalement dévolues à l’ordonnateur »79. Ainsi, la séparation du régime
contentieux de ces deux acteurs dénote une volonté de neutraliser une
partie du contentieux et de dissoudre les responsabilités. En effet, dans
son Rapport annuel de 2015 la Chambre des comptes dénonçait le fait
qu’elle ne bénéficie pas de la faculté de saisir le CDBF pour les fautes de
gestion imputables aux ordonnateurs relevés lors de ses contrôles80, ce qui
a pour conséquence que les fautes conjointes ou communes punies au
niveau du comptable demeurent sans conséquence à l’égard de
l’ordonnateur ou du gestionnaire81. Plus grave encore, même en cas de
saisine du CDBF par les autorités dûment habilitées82, on peut constater,
comme le fait le Professeur Michel Lascombe pour la France, que « Les

79 MENGUE ME ENGOUANG (F.), Les finances publiques du Gabon, Paris, L’Harmattan,


2018, p. 191.
80 La situation est différente en droit français. En effet, selon l’article L314-1 du Code des

juridictions financières, la Cour des comptes, les Chambres régionales de comptes et le


procureur général près de la Cour ont la possibilité de déférer à la Cour de discipline
budgétaire et financière les irrégularités et certaines fautes de gestion commises par les
administrateurs, fonctionnaires ou agents autres que les membres du gouvernement et les
élus locaux.
81 Chambre des Comptes de la Cour Suprême, Rapport annuel 2015, p. 184.
82 Selon l’article 14 du décret no 2008/028 du 17 janvier 2008 portant Organisation et

fonctionnement du Conseil de discipline budgétaire et financière, il s’agit du président de la


République, du Premier ministre, du ministre en charge du Contrôle Supérieur de l’État,
des ministres supérieurs hiérarchiques des agents mis en cause ou ceux chargés de la tutelle
des entreprises et organisme publics et parapublics concernés, de toute autre autorité
prévue par les textes en vigueur.
316
gestionnaires sont certes responsables devant la CDBF, mais cette responsabilité reste
largement théorique »83.
On comprend aisément le souhait du Professeur Luc Saïdj de voir la
suppression de la Cour de Discipline Budgétaire et Financière, inspiratrice
du Conseil de Discipline Budgétaire et Financière, et le transfert de ses
attributions à la Cour des comptes rénovée84. Il faut dire que le Professeur
George Vedel semble, d’ailleurs, n’avoir jamais compris les raisons qui ont
présidé à la parcellisation du contentieux financier. D’après cet auteur, « il
n’était pas certain qu’il fût nécessaire de créer une nouvelle juridiction (…), la Cour des
comptes était toute désignée pour appliquer le texte nouveau »85. À la vérité, dans la
mesure où, pour exercer sa juridiction sur les comptes, la juridiction des
comptes est amenée à prendre connaissance des détails de l’exécution des
lois de finances, il est aisé de lui confier également la juridiction sur la
discipline financière.
Pour ce qui est de la spécificité du contentieux financier, il est
intéressant de se reporter au Professeur Patrick Edgard Abane Engolo
pour en saisir la quintessence. En effet, dans une étude récente, en
hommage au Professeur Michel Bouvier, cet auteur fait un plaidoyer pour
un ordre juridictionnel financier86. Pour lui, ce sont les errements des
solutions en vigueur marqués par le peu de lisibilité, mais surtout la
spécificité du contentieux financier qui fondent son plaidoyer. Cette
spécificité s’exprime à travers la spécialité des matières financières dont
l’objet est de « systématiser l’ensemble des règles encadrant la constitution et
l’utilisation des ressources pécuniaires de l’État, de certaines collectivités publiques infra-
étatiques, voire même des structures communautaires »87 ; et la technicité des
questions financières qui est sans commune mesure.
De ce qui précède, il est clair que l’érection d’une Cour des comptes
s’impose comme une nécessité de fait dans la mesure où une telle Cour est
appelée à jouer le rôle de « vigie des finances publiques »88 camerounaises. Ce
rôle de première importance appelle nécessairement une réinvention du
profil du juge.

83 LASCOMBE (M.), « La responsabilité du comptable en devenir ? », in FLIZOT (S.)


(dir.), L’évolution des juridictions financières, Gestion & Finances Publiques, 2012, p.63.
84 SAÏDJ (L.), « Où en est-on de la responsabilité des gestionnaires publics ? », in L’évolution

des juridictions financières, Actes du Colloque des 1er et 2 décembre 2011 organisé à la Cour
des comptes, Gestion & Finances Publiques, 2013.
85 VEDEL (G.), « La responsabilité des administrateurs devant la cour de discipline

budgétaire et financière », Revue de Science et de Législation Financière, 1949, pp. 115-133.


86 ABANE ENGOLO (P.E.), « Pour un ordre juridictionnel financier », in MEDE (N.),

(dir.), Les nouveaux chantiers de finances publiques en Afrique, Mélanges en l’honneur de Michel Bouvier,
op. cit., pp. 313-330.
87 Ibid., p. 324.
88 SEGUIN (Ph.), « La Cour, vigie des finances publiques », Revue Française de Finances

Publiques, no100, 2007, pp. 223-228.


317
B. La nécessaire réinvention du profil du juge des comptes
Entendue comme le fait de donner une valeur nouvelle a ce qui
existe déjà, la réinvention du profil du juge des comptes passe
nécessairement par la rénovation de ses compétences (1) et l’intensification
du partenariat technique (2).
1. La rénovation de la compétence du juge des comptes
La rénovation de la compétence du juge des comptes est le
corollaire indispensable de la densification des compétences de la
juridiction des comptes issues de la loi no2018/012 du 11 juillet 2018
portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques. En effet,
longtemps cantonné au « service minimum » du jugement des comptes des
comptables publics, le juge des comptes doit désormais sortir de sa zone
de confort et se mettre à la mesure de ses nouvelles compétences
juridictionnelles et non juridictionnelles. Cela peut paraitre simple à
première vue si l’on s’en tient à la finalité de son activité qui est la
protection et la bonne gestion des deniers publics. Cependant, l’activité du
juge des comptes s’avère plus complexe, car elle requiert une technicité
plus fine. Cette technicité implique, pour le juge, une expertise pointue sur
les matières budgétaires, comptable, ainsi que sur l’évaluation financière et
l’analyse juridique. Aussi, il n’est un secret pour personne que ces
différentes matières, comme c’est le cas pour toutes les matières des
finances publiques, ont une forte propension à l’ésotérisme. Ce qui ne
facilite guère leur compréhension à un non initié.
On doit, dès lors, regretter que le Cameroun, à l’instar de certains
États africains, soit resté enfermé dans la vieille idée selon laquelle les
postes de « justicier » doivent être occupés par des juristes de droit privé89.
Et pourtant, ces magistrats n’ont pas suivi de formation adéquate pour
s’intégrer pleinement à la juridiction financière et remplir leur mission avec
noblesse90. Toutefois, l’on pourrait être enchanté par l’existence d’une
section des comptes à l’École Nationale d’Administration et de
Magistrature (ENAM) qui forme des auditeurs de justice dans le domaine
du contrôle des comptes ; mais là encore, il faut déplorer avec le
Professeur Patrick Edgard Abane Engolo que ces auditeurs ne participent
pas à la formation de jugement, ce qui a pour conséquence non pas de
spécialiser le juge, mais plutôt de mettre à sa portée des experts qui ne sont
ni extérieurs à la juridiction ni intérieurs à la collégialité91. Il est donc
nécessaire de faire évoluer cet état des choses, car « La bonne administration
de la justice s’accommode mal d’un juge qui n’a pas la qualification adéquate pour

89 ABDO ALI (I.), « La Cour des comptes et de discipline budgétaire de Djibouti », in


HARAKAT (M.) (dir.), La gouvernance des finances publiques en Afrique, Paris, L’Harmattan,
2019, p. 181-202, p.189.
90 Ibid.
91 ABANE ENGOLO (P.E.), « Pour un ordre juridictionnel financier », op.cit., p. 329.

318
statuer sur le litige qui lui est soumis »92. En attendant cette évolution, une
intensification du partenariat technique pourrait servir de béquille.
2. L’intensification du partenariat technique
Le partenariat technique en matière de contrôle juridictionnel des
finances publiques est une donnée quasi universelle à laquelle le juge des
comptes camerounais ne saurait se soustraire. En effet, du fait de ses
nouvelles missions à forte dose technique, celui-ci sera enclin à faire, de
plus en plus, appel à l’appui technique extérieur afin d’assurer la qualité de
ses travaux. De cette qualité dépendront sa réputation et la crédibilité de sa
juridiction. C’est ainsi qu’en matière de certification des comptes, le juge
des comptes devra se référer aux référentiels de comptabilité établis par
des organisations internationales en dehors de sa juridiction93. Il convient
de noter à ce propos que l’actuel juge des comptes camerounais en fait une
application partielle depuis 201394. Il s’agira donc pour le juge de la future
Cour des comptes d’en faire une application plus complète. De même, en
matière d’évaluation, le recours à des prestations externes sera de mise.
Cela est dû au fait que l’évaluation fait appel à des méthodes aussi
rigoureuses que possible. Par exemple, pour les traitements statistiques ou
les analyses sociologiques, la compétence du juge des comptes risquerait se
révéler rudement mise à l’épreuve, dès lors un recours à l’expertise externe
ne pourra qu’être salvateur.
Conclusion
Au bout du compte, la réforme de la juridiction des comptes sous la
loi no2018/12 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’État et des
autres entités publiques au-delà du fait qu’elle soit étendue, se révèlent être
une amorce à une réforme institutionnelle profonde qui dépasse largement
le simple cadre de la juridiction des comptes pour s’étendre à l’ensemble
du pouvoir judiciaire. Cela a pour conséquence l’impérieuse nécessité de
relecture du cadre normatif et institutionnel du contrôle juridictionnel des
finances publiques au Cameroun ; avec au premier rang une révision de la
loi fondamentale. Sur ce dernier point, il faut compter avec la bonne
volonté des pouvoirs publics. Même si le doute est permis, on peut tout de
même affirmer, comme le faisait Jean Jacques Rousseau, « J'ai peur que cette
réforme ne souffre des difficultés ; cependant je ne crois pas impossible de les vaincre »95.

92 Ibid., p. 330.
93 Notamment aux Normes internationales des institutions de contrôle des finances
publiques (ISSAI).
94 À ce propos, lire le Rapport annuel 2013 de la Chambre des comptes, pp. 169-189.
95 ROUSSEAU (J.J.), Considérations sur le gouvernement de Pologne. Chapitre 9 Cause particulière

de l’anarchie, Œuvre complète, Arvensa éditions.


319
LA PARTICIPATION DE L’ÉTAT AU FINANCEMENT
DE LA CAMPAGNE ELECTORALE
AUX ELECTIONS POLITIQUES NATIONALES EN DROIT
CAMEROUNAIS
Par
Dr. Naomie Audrey MANDENG
Ph.D en droit public
Université de Douala (Cameroun).
RESUME :
Illustrant l’effacement de la neutralité de l’État dans le processus
électoral, le financement de la campagne électorale renseigne sur la portée
financière duale de celui-ci au Cameroun. La puissance publique souveraine ne
se limite pas à une inscription des fonds publics destinés à la couverture restrictive
des dépenses de campagne électorale dans la loi des finances. Il pourvoie à
l’attribution desdits fonds aux partis politiques ou candidats en propagande
électorale. L’utilisation dévoyée des fonds publics concernés susceptibles de
constituer une infraction électorale conduit l’État à prescrire leur restitution au
trésor public camerounais. Car l’attribution desdits fonds vise exclusivement la
participation effective à la campagne électorale laquelle exclut corrélativement le
désistement comme attributaire et l’enrichissement personnel comme fin.
Mots clés : L’État- fonds publics- parti politique- candidat- juge
constitutionnel.

ABSTRACT :
Illustrating the erasure of the neutrality of the State in the electoral
process, the financing of the electoral campaign provides information on the dual
financial impact of the latter in Cameroon. Sovereign public power is not limited
to registering public funds intended for restrictive coverage of election campaign
expenses in the finance law. He can allocate said funds to political parties or
candidates in electoral propaganda. Minuses of the public funds concerned likely
to constitute an electoral offense lead the State to prescribe restitution to the
Cameroonian public treasury. Because the allocation of the said funds aims
exclusively at the effective participation in the electoral campaign which
correlatively excludes the withdrawal as beneficiary and personal enrichment as
the end.
Keywords: State- public funds- political party- candidate-
constitutional judge

320
Introduction
La règle de la neutralité, en apparence observée par l’État, est
relativisée par la réalité de la campagne électorale dans les systèmes
juridiques contemporain et partant au Cameroun. Car la réalité des
campagnes électorales a conduit récemment l’Etat par le biais spécifique
« des règles sur le financement (…) des campagnes électorales à prendre une place accrue
dans le déroulement de ces dernières »1. Qui plus est, l’élection est « une opération
administrative »2, laquelle valorise le rôle animateur de l’État sur le processus
électoral. C’est dans ce cadre que l’idée sur la participation de l’État au
financement public de la campagne électorale aux élections politiques
nationales focalise l’attention au Cameroun.
L’idée du sujet sous étude renvoie partiellement à la « réunion des
fonds nécessaires à la réalisation d’une opération »3 laquelle concerne directement
la dévolution du pouvoir politique aux représentants de la Nation. Exclu
du financement participatif, inclu dans le financement exclusif de l’État,
lequel vise l’action par laquelle la puissance publique souveraine se procure
les moyens financiers destinés à couvrir les charges touchant à la « période
légale durant laquelle les candidats officiels à une élection s'affrontent dans le cadre de la
réglementation électorale »4. C’est davantage l’accompagnement financier et
non technique de la puissance publique souveraine durant la « période légale
au cours de laquelle les candidats sollicitent le vote des électeurs, dans le cadre d’une
compétition réglementée »5 touchant à l’élection du Président de la République,
des députés et des sénateurs au Cameroun. En substance, c’est la prévision
et l’attribution des fonds publics destinés à couvrir la période de
propagande électorale aux élections présidentielle, législative et sénatoriale
par l’État au Cameroun.
La présente étude exclut la participation matérielle de l’État aux
élections politiques nationales au Cameroun. Il est affirmé sans ambiguïté
que « les services de l’État assurent une tâche purement matérielle et parfaitement
gratuite pour les candidats »6. Elle « regroupe l’ensemble des opérations préparatoires à
l’élection, et la seconde des opérations relatives à l’élection elle-même »7. En effet, les
phases de l’élection valorisent la participation significative du bras séculiers
de l’État qu’est l’Administration électorale. D’entrée de jeu, tout scrutin
politique est toujours précédé des préparatoires à l’élection : « Les scrutins
politiques sont toujours précédés d’actes administratifs ayant pour objet d’en préciser le

1 F. PHILIZOT, « Campagne électorale. Quel rôle pour l’État ? », Pouvoirs n°63, 1992, p.
29.
2 M. HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public, Paris, Sirey, 1919, p. 209.
3 G. CORNU, (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, Quadrige, 2018, 12ème éd., p. 997.
4 R. CABRILLAC, (dir.), Dictionnaire du vocabulaire juridique, Paris, Litec, 2002, 1ère éd., p.41.
5 J. JICQUEL, P. AVRIL., Lexique de droit constitutionnel, Paris, PUF, Que sais-je ?, 2016, 4ème

éd., p. 14.
6 F. PHILIZOT, « Campagne électorale. Quel rôle pour l’État ? », op.cit., p. 31.
7 M. KAMTO, « Le contentieux électoral au Cameroun », Lex Lata n°020, novembre 1995,

p. 3.
321
déroulement et, d’abord, d’en décider l’organisation »8. Davantage, « La préparation
des élections se fait par le biais d’un ensemble d’opérations administratives »9. Sont
considérées comme des opérations préparatoires aux élections,
l’établissement et la révision des listes électorales, ainsi que l’établissement
et la distribution des cartes électorales10. Ces opérations préparatoires
incombent aux démembrements territoriaux d’Elections Cameroon11. Par
ailleurs, les opérations électorales proprement-dites n’excluent pas l’action
matérielle de l’administration électorale. Celles-ci s’illustrent par la
facilitation administrative à l’expression et à la protection du droit à
l’expression du vote des citoyens.
La campagne électorale se situe juridiquement après la convocation
du corps électoral et avant les opérations électorales proprement dites au
Cameroun. Le référentiel de départ à la propagande électorale est un acte
bénéficiant de l’immunité juridictionnelle ; c’est une conséquence du fait
que « Le juge constitutionnel camerounais range le décret de convocation du corps
électoral dans les actes bénéficiant de l’immunité juridictionnelle »12. La politique
jurisprudentielle en droit camerounais est caractérisée par son
immobilisme sur ce décret. Depuis 199213, 200414 et 201815 le juge
camerounais n’a cessé d’affirmer son incompétence au motif que le décret
portant convocation du corps électoral est un acte bénéficiant de
l’immunité juridictionnelle. Dans ce sens, « Du contentieux constitutionnel de
1992 à l’affaire Kisob Bertin de 2018 en passant par l’affaire Djouaka Albert
augustin de 2004, l’acte de convocation du corps électoral est un acte juridique jouissant
de l’immunité juridictionnelle au Cameroun »16. Par ailleurs, l’insertion du délai de

8 J. ARRIGHI de CASANOVA, « Le juge des actes préparatoires à l’élection », NCCC


2013/4, n°41, p. 8.
9 S. DAKO, « Le contentieux électoral dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle

du Bénin » in annuaire béninois de justice constitutionnelle, Dossier spécial, 21 ans de jurisprudence de la


Cour constitutionnelle du Bénin (1991-2012), Presses universitaires du Bénin, tome 1, 2013, p
.628.
10 Article 50 de la loi n°2012/001 du 19 avril 2012 portant Code électoral.
11 V. article 49 de la loi n°2012/001 op.cit.
12 A.-J. NGAYA, L’interprétation de la Constitution par la juridiction constitutionnelle dans les États

de l’Afrique noire francophone, thèse de doctorat/Ph.D en droit public, Université de Douala,


2019-2020, p. 79.
13 V. Ordonnance référé n°01/OR/CS/PCA/92-93 du 02 octobre 1992, affaire UDC

c/État du Cameroun ; ordonnance n°03/OR/CS/PCA/92-93 du 02 octobre 1992, SDF et


UFDC, B.-R GUIMDO DONGMO, « Le droit d’accès à la justice administrative au
Cameroun : contribution à l’étude d’un droit fondamental », RRJ 2008-1, p. 476 et s.
14 Arrêt n°18/CE du 1er octobre 2004, affaire Djouaka Alfred Augustin candidat indépendant

c/Etat du Cameroun (MINATD).


15 Décision n°23/CE/CC du 13 septembre 2018, Sieur Kisob Berthin c/ELECAM, Etat du

Cameroun (Présidence de la République et Ministère de la justice).


16 A.-J NGAYA, L’interprétation de la Constitution par la juridiction constitutionnelle dans les États de

l’Afrique noire francophone, thèse de doctorat, op.cit., p. 83.


322
convocation du corps électoral dans les dispositions communes aux
élections est une « vue de l’esprit »17.
L’harmonisation du délai de convocation du corps électoral ne peut
être généralisée à l’ensemble des élections au Cameroun. Si l’on conserve la
situation actuelle, la logique à la fois du maximum et du minimum doit être
privilégiée et appliquée à tous les scrutins. L’intervalle entre la publication
du décret convoquant le corps électoral et la date fixée pour le scrutin n’est
pas automatiquement de quatre-vingt-dix (90) jours au moins pour toutes
les élections. Cette disposition s’applique exclusivement aux élections du
Président de la République, des députés et des conseillers municipaux18,
car le collège électoral en vue des élections sénatoriales est de quarante-
cinq (45) jours au moins avant la date du scrutin19. En ce qui concerne les
conseillers régionaux, le Code électoral renvoie à un décret l’aménagement
formel20. C’est dans ce cadre que l’on admet que « l’intervalle de temps entre la
convocation du corps électoral et le jour du scrutin n’est pas identique d’un type d’élection
à l’autre »21. Toutefois, la réalisation de la campagne électorale est
subséquente au droit de candidater au Cameroun.
L’accès à la campagne électorale est subséquent à l’habilitation
administrative et à la certification juridictionnelle du droit de candidater au
Cameroun. Celle-ci se « découpe en plusieurs phases »22. Davantage la recherche
amorcée renvoie à l’une des secondes phases de la campagne électorale
laquelle porte sur « la période où les candidats tentent de remplir les conditions légales
de présentation »23. L’acte de candidature ne se présume pas dans les
démocraties pluralistes, il s’affirme. Celui-ci matérialise la volonté d’une
personne de se porter candidat et donc de faire usage de son droit de
candidater. Ce droit « contient un volet procédural (…) et un volet substantiel »24.
La certification administrative du droit de candidater par
l’Administration électorale est consolidée ou désapprouvée par le juge
statuant en matière électorale, car jouit de la prérogative matérielle relative
à « l’apurement des litiges électoraux »25. La contribution de ces autorités est de
nature à habiliter le droit de candidater et partant le droit de pourvoir à la
propagande électorale au Cameroun. Davantage, « un ordre juridique n’en est
véritablement un que si la méconnaissance des règles qu’il pose est sanctionnée par des

17 P. AMSELEK, « Théorie », in A. LALANDE (dir.), Vocabulaire technique et critique de la


philosophie, Paris, PUF, Quadrige, rééd. 2010, p. 1127.
18 V. article 86 alinéa 2 de la loi n°2012/002 op.cit.
19 Article 230 de la loi n°2012/002 op.cit.
20 Article 249 de la loi n°2012/002 op.cit.
21 A.-D OLINGA, La Constitution de la République du Cameroun, Yaoundé, PUCAC, 2006, 1ère

éd., p. 242.
22 Ph. BLACHER, Droit constitutionnel, Paris, Hachette supérieur, 2015, 3 ème éd., p. 156.
23 Idem.
24J. SELMA, « Le droit à candidater aux élections législatives : un droit malmené », RFDC

2013/2, n°94, pp. 372-373.


25 A.-D OLINGA, « Contentieux électoral et état de droit au Cameroun », Juridis Périodique

n°41, 2000, p. 35.


323
organes prévus à cet effet »26. Le rapport ambivalent sur la décision de
candidature entre le juge électoral et l’Administration électorale est
conforté par les décisions de justice. L’application dévoyée des règles
électorales préparatoires à l’élection justifie la réplique sans concession du
juge judiciaire, du juge administratif et du juge constitutionnel. Dans
l’affaire KIYECK JOCK de 200727, le juge administratif affirme que la
délivrance du récépissé est une preuve du dépôt du dossier de candidater.
Face à une inscription indue, le juge judiciaire détient la compétence
matérielle de prescrire la radiation de celle-ci. Cette prescription formelle28
avait été appliquée dans certaines affaires29. Le juge administratif a, quant à
lui, infirmé l’idée d’un dépôt tardif de la déclaration de candidature30. Il a
davantage infirmé l’argument relatif au contenu incomplet de la déclaration
de candidature31.
Par ailleurs, le juge constitutionnel approuve la décision
d’irrecevabilité de la déclaration candidature. Dans ce cadre, il approuve la
décision d’irrecevabilité de l’Administration électorale. En ce sens, « ---
Qu’ainsi, l’intéressé ne s’étant pas conformé aux dispositions impératives de l’article 54
alinéa 2 (h) susvisé, c’est à bon droit que sa candidature a été déclarée irrecevable »32.
En outre, « ---Attendu en l’espèce que Mila Assoute, réfugié en France, n’a pas
justifié de son retour au Cameroun ni qu’il y a rétabli sa résidence ; ---Qu’ainsi, c’est à
bon droit qu’Elecam a basé sa décision sur ce manquement »33.Les manquements
énoncés concernent le défaut de signature légalisée34, la formule erronée,
équivalent au défaut de déclaration sur l’honneur35, le défaut de versement

26 J.-C TCHEUWA, « L’union Africaine et les changements anticonstitutionnels de


gouvernement », RRJ n°2009-2, p. 1014.
27 Arrêt n°19/CE/2007 du 7 juin 2007, affaire Kiyeck Jock, (UPC) c/Etat du Cameroun

(MINATD) ; C. DJUITCHOKO SIETCHOUA, « Revue de jurisprudence de la Cour


Suprême- contentieux constitutionnel électoral », Juridis Périodique, n°79, Juillet-Août-
Septembre 2009, p. 49 et s.
28 Articles 76 alinéa 3, 102 alinéa 3 de la Loi n°2012/001 op.cit.
29 Arrêt n°235/TE du 22 Mars 1963, affaire n°341/TE Sieur Mandengue Christophe c/ Etat du

Cameroun oriental.
30 Jugement n°130/CE/2013 du 19 août 2013, Dame Youbi Elise (Mandataire de la liste du

MRC) c/Etat du Cameroun (ELECAM),


31 Jugement n°150/CE/2013 du 19 août 2013 Batoua Etienne c/Elections Cameroon

(ELECAM).
32 Décision n°01/CEP du 20 septembre 2011, Mbem Jean Delors « Egalité sociale et démocratique

du Cameroun c/Elections Cameroon (Elecam).


33 Décision n°19/CEP du 20 septembre 2011, Mila Assoute Pierre Candidat du Rassemblement

Démocratique pour la modernité du Cameroun (E.D.C.M) c/Elections Cameroon (ELECAM).


34 Décision n°13/CEP du 20 septembre 2011, Benz Enow Bate Candidat du Cameroon

Democratic Party (C.D.P) c/ Elections Cameroon ; Arrêt n°15/CEP du 20 septembre 2011,


Mbetebe Eyebe Justin Candidat du Parti Politique dénommé Conseil National de Démocratie et de
Prospérité c/Elections Cameroon (ELECAM).
35 Arrêt n°25/CE/04-05 du 1er octobre 2004, affaire Dame EtekiOtabela Marie Louise candidate

de la Coordination des Forces Alternatives (C.F.A) c/Etat du Cameroun, (11ème et 12ème rôle) ;
Arrêt n°03/CE/04-05 du 1er octobre 2004, affaire Lontouo Marcus, Candidat du Parti Politique
Congrès National Camerounais (CNC) c/ Etat du Cameroun (8 et 9ème rôle).
324
du certificat de cautionnement36, l’absence des pièces indicatives et
d’accompagnement de la déclaration de candidature à l’élection
présidentielle37.
L’habilitation administrative et juridictionnelle a permis de
déterminer les véritables destinataires de la campagne électorale. La
propagande électorale est un acte manié par les candidats ou les partis
politiques ayant fait acte de candidature. Les personnes non habilitées
participent généralement sous la bannière d’un candidat ou d’une
formation politique. Le lien juridique incontestable est la réalisation du
droit passif électoral à savoir d’être élu. Ce lien est acquis par le
truchement des associations politiques car « Au plan national, ce sont les partis
politiques qui sont les acteurs de la campagne »38. C’est par les principes directeurs
qu’est encadré le déploiement des partis politiques au cours de la
campagne électorale ; il s’agit à proprement parler du respect de la dignité
des candidats, de l’égalité d’accès aux médias, de l’égalité de traitement des
partis politiques.
Subséquente à la décision de candidater, la campagne électorale
prépare la manifestation éclairée du choix du corps électoral. Par la
diffusion du programme politique, de la profession de foi, les candidats
s’essaient d’attirer un électorat conséquent notamment « Parce que
l’expression du suffrage suppose la manifestation éclairée d’un choix est précédée par une
campagne électorale »39. C’est dans ce cadre que le parti politique en lice
privilégie les règles de l’administration de proximité pour convaincre et
emporter la conviction de l’électorat. L’adhésion à l’idéologie et aux
programmes de société du parti politique passe par son explication sous la
forme la plus simple et la plus digeste possible. C’est l’idée de « la séduction
de l’électorat : discours, messages, slogans et autres stratégies »40.
La campagne électorale efface la neutralité de l’État au Cameroun.
Ce principe axiologique se trouve tempéré par les exigences de la
démocratie représentative au Cameroun. L’État se montre moins libéral en
laissant davantage cours à l’action de la gestion en régie du processus
électoral. Il doit participer de manière significative afin de pourvoir à
l’expression du vote des citoyens. L’allocation des financements, la
détermination du cadre spatial pour la propagande électorale illustrent de

36 Arrêt n°23/CE/04-05 du 1er octobre 2004, Dame Kamga Rameline Candidate du Parti Front
de Solidarité Nationale (FSN) c/Etat du Cameroun (MINATD), (14ème rôle).
37 Décision n°04/CEP du 20 septembre 2011, Djapa Charly Candidat du Parti Socialiste et des

Ecologistes camerounaises (P.S.E.C) c/Elecam ; Décision n°01/CEP du 20 septembre 2011,


Mbem Jean Delors « Egalité Sociale et Démocratique du Cameroun » (E.S.D.C) c/Elecam,
op.cit, Arrêt n°2/CE/04-05 du 1er octobre 2004, affaire El Hadj Baba Youssoufa Candidat de
l’African National Congrès (A.N.C) c/ Etat du Cameroun.
38 F. HAMON, M. TROPER, Droit constitutionnel, Paris, LGDJ-Lextenso éditions, 2014,

35ème éd., p. 479.


39 A.-D. OLINGA, La Constitution de la République du Cameroun, 1ère éd., op.cit., p. 242.
40 ABDOULKARIMOU, La pratique des élections au Cameroun. 1992-2007. Regards sur un

système électoral en mutation, Yaoundé, éditions CLE, 2010, p. 177.


325
manière non exhaustive son action. Par ce fait, l’État cesse d’être considéré
comme un simple observateur de la campagne électorale au Cameroun.
L’histoire renseigne que le financement public de la campagne
électorale est une vieille réalité du droit positif camerounais. Initialement le
financement public de la campagne électorale reposait sur des subventions
de l’État sous la forme des interventions spéciales du Président de la
République au Cameroun. L’idée renvoyait à « des aides spéciales du Président
de la République au financement institutionnel »41. Les aides spéciales du
Président de la République ont permis le financement de la campagne
électorale aux élections de 1992 et 1997. L’aménagement formel du
financement public intervient par la suite et ce, dès la fin de l’année 2000.
En effet, la loi n°2000/015 du 19 décembre 2000 fixe les modalités de
financement public des partis politiques et des campagnes électorales,
« Elle détermine aussi les conditions d’utilisation de l’allocation publique. Ce
financement public est annuel et doit être intégré dans la loi des finances »42. Depuis
2012, le financement public de la campagne électorale et des partis
politiques a cessé d’être fixé par des textes épars. Le Code électoral en se
subrogeant aux textes épars a reconduit les dispositions éparses sur ledit
financement public. En ce sens, « tout dans le droit antérieur des Etats d’Afrique
noire francophone ayant opté pour la codification du droit électoral, n’est pas
nécessairement suranné »43.
Une réflexion sur le financement public de la campagne électorale
aux élections politiques nationales au Cameroun n’est dépourvue de
pertinence. Elle valorise le système jacobin par opposition au système
girondin en matière électorale au Cameroun. Le financement public ressort
des matières de la centralisation administrative. L’État par son budget
pourvoie à l’expression des droits fondamentaux des citoyens.
L’explication conduit à « le jacobinisme : un héritage assumé »44. Par ailleurs,
l’étude établit un rapport entre les finances publiques et le droit
constitutionnel. Elle met directement l’attention sur la participation
financière de l’État à l’expression des droits fondamentaux des citoyens.
Le rapport est établi dans la mesure où « les finances publiques font appel au
droit constitutionnel dans la mesure où la Constitution, en désignant les détenteurs du
pouvoir financier, leur assigne par ailleurs des rôles précis »45. Qui plus est, « les
finances publiques ont pour objet, l’étude des problèmes financiers concernant

41 ABDOULKARIMOU, Ibid, p. 167.


42 Ibidem, p. 168.
43 L.-P. GUESSELE ISSEME, « La codification du droit électoral dans les États d’Afrique

noire francophone », RADP, Vol. VI, n°10, janvier-juin 2017, p. 3.


44 M.-Z.-S MBIDA ONAMBELE, “Formalisme institutionnel et construction
opérationnelle de la décentralisation au Cameroun », in P. ANGO ELA (dir.), Les politiques
de la décentralisation au Cameroun : jeux, enjeux et perspectives, Yaoundé, Harmattan Cameroun,
2013, p. 146.
45 E.-C. LEKENE DONFACK, Finances publiques camerounaises, Paris, Berger-Levrault,

1987, p. 15.
326
l’État (…)»46. Puis, l’étude clarifie un domaine d’expression de la police
administrative au Cameroun. La campagne électorale s’insère dans les
matières de la police administrative. Les autorités administratives par le
maniement de l’ordre public peuvent, au regard de la déclaration de
réunion, interdire ou pas interdire ou durcir le cadre de déploiement d’un
meeting politique. Juridiquement, la police administrative est l’« activité
spécifique de prescription, consistant à réglementer des activités privées en vue du
maintien de l’ordre public, pouvant donner lieu à des actions matérielles »47. Les têtes
de chapitre du droit administratif trouvent en l’espèce l’occasion d’être
valorisées.
Aucun manuel de droit n’articule de manière intelligible la participation
financière de l’État à la campagne électorale aux élections politiques nationales au
Cameroun48. Partant de ce constat, une difficulté juridique se pose : comment
s’articule la participation de l’État au financement de la campagne
électorale aux élections politiques nationales en droit camerounais ?
Suivant la méthode d’analyse normativiste, la réponse à cette question va être
fondée sur l’interprétation des dispositions législatives applicables en la matière.
Par ailleurs, elle s’étendra sur l’interprétation des décisions de justice. L’hypothèse
de base est le dépassement de l’insertion restrictive des dépenses de campagne
électorale dans la loi de finances de l’année électorale. C’est dans ces deux
articulations que l’on explicite cette position. Ainsi l’insertion restrictive des
dépenses de campagne électorale dans la loi de finances de l’année électorale
d’une part (I), et la répartition sélective des fonds destinés au financement de la
campagne électorale articulent, d’autre part ces idées (II).

I. L’insertion restrictive dans la loi de finances des dépenses de


campagne électorale
La première articulation à la participation de l’État à la campagne
électorale est d’ordre financier au Cameroun. La puissance publique
souveraine procède par une prévision et par l’attribution des fonds publics
destinés à la couverture de certaines charges des partis politiques et des
candidats. « L’État participe au financement des campagnes électorales »49.
Davantage, « les activités des partis politiques pendant cette période sont
subventionnées par l’État »50. Il est formellement admis que « l’Etat participe au

46 ISSA ABIABAG, Le renouveau budgétaire au Cameroun, Yaoundé, Presses universitaires


Libres, 2013, p. 6.
47 A. VAN LANG, G. GONDOUIN, V. INSERGUET-BRISSET, Dictionnaire de droit

administratif, Paris, Dalloz, 2008, 4ème éd., p. 293.


48 Signalons l’étude de science politique du Docteur M. NSIZOA, « Le financement des

partis politiques et des campagnes électorales au Cameroun : quelques réflexions sur la loi
du 19 décembre 2000 au regard de réglementations étrangères », Revue africaine d’études
politiques et stratégiques, n°2, 2002, pp. 35-67.
49 A.-D. OLINGA, La Constitution de la République du Cameroun, 1ère éd., op.cit., p. 247.
50 ABDOULKARIMOU, La pratique des élections au Cameroun. 1992-2007. Regards sur un

système électoral en mutation op.cit., p. 166.


327
financement des campagnes électorales et référendaires par la prise en charge de certaines
dépenses des partis politiques ou des candidats »51. En outre, « la participation de
l’Etat aux dépenses visées à l’alinéa 1 ci-dessus est inscrite dans la loi de finances de
l’année de l’organisation de la consultation électorale ou référendaire »52.
Au regard de ces dispositions, l’insertion sélective des dépenses de
campagne électorale dans la loi de finances de l’année électorale projetée
est avérée (A). En outre, l’attribution des fonds destinés à la couverture de
certaines charges de la campagne électorale est formée par des principes
budgétaires précis (B).
A. L’insertion sélective dans la loi de finances des dépenses de
campagne électorale
L’État ne prend pas en charge toutes les dépenses des partis
politiques et des candidats au Cameroun. Il leur alloue certaines dotations
budgétaires sans occulter leur part de responsabilité dans la couverture des
charges globales induites par la campagne électorale. Cette précision
découle de « l’introduction dans notre droit positif de règles régissant le financement
des partis politiques et des campagnes électorales »53. C’est davantage l’idée de
« l’apport autre que financier des services publics »54. Au regard des dispositions
susmentionnées55, l’introduction limitative des charges financières de la
campagne électorale dans la loi des finances est avérée d’une part (1).
D’autre part l’extension sélective desdites charges aux fonds internes des
partis politiques aux élections nationales est réelle (2).
1. L’introduction limitative des charges financières de la
campagne électorale dans la loi de finances
L’État n’introduit pas toutes les charges financières de la campagne
électorale dans la loi de finances. Toutes les charges induites par la
propagande électorale ne sont couvertes par les recettes publiques de l’État
au Cameroun. Ce financement public n’« incombait entièrement à la puissance
publique »56. Cela pose l’éviction « du monopole de l’édiction des règles juridiques
réserves aux autorités centrales »57. Ainsi, la loi de finances est le support
matériel d’insertion sélective des dépenses des partis politiques et des
candidats au Cameroun. L’activité se range davantage dans les prévisions
et attributions des fonds destinés au financement de la campagne

51 Article 284 alinéa 1 de la loi n°2012/001 op.cit.


52 Article 284 alinéa 2 de la loi n°2012/001 op.cit.
53 B. GENEVOIS, « Le nouveau rôle du juge de l’élection », Pouvoirs n°70, 1994, p .69.
54 F. PHILIZOT, « Campagne électorale. Quel rôle pour l’État ? », op.cit., p. 30.
55 Article 284 alinéa 1 et 2 de la loi n°2012/001 op.cit.
56 J. BIAKAN, « La réforme du cadre juridique des finances publiques au Cameroun : la loi

portant régime financier de l’État », in M. ONDOA (dir.), L’administration publique


camerounaise à l’heure des réformes, Yaoundé, Harmattan-Cameroun, 2010, p.9.
57 M. GOUNELLE, Introduction au droit public. Institutions. Fondements. Sources, Paris,

Montchrestien, 1987, 2ème éd., p.42.


328
électorale par la puissance publique. L’idée valorise l’autorisation
parlementaire dans l’exécution du budget au Cameroun.
La loi de finances demeure le support matériel de référence en droit
de la campagne électorale. C’est dans cet instrument du droit des finances
que sont insérées les charges des candidats et des partis politiques en lice à
la campagne électorale au Cameroun. L’idée converge vers l’affirmation de
la loi des finances comme le support formel des activités électorales. De
196258 à 201859 en passant par 200760, le cadre formel au Cameroun a
attribué une signification à la loi de finances. La loi de finances prévoit et
autorise chaque année l’ensemble des ressources et charges de l’État. Elle
détermine leur nature, leur montant, leur affectation et en fixant leur
équilibre. Elle présente l'ensemble des programmes concourant à la
réalisation des objectifs de développement économique, social et culturel
du pays61. Du point de vue conceptuel, la distinction semble s’établir avec
le budget de l’État.
En France, « le droit public français a établi trois grandes définitions du
budget de l’État »62. La doctrine a établi une position susceptible de
confusion entre la loi de finances et le budget63. Ladite doctrine a
premièrement indiqué que ces notions sont interchangeables dans le
langage courant pour ensuite réactualiser la position connue jusqu’ici en
indiquant que le budget n’est qu’une composante de l’ensemble de la loi de
finances. La confusion matérielle entre la loi de finances et le budget fut
davantage entretenue par des dispositions législatives64 et règlementaires65.
S’insérant dans cette dynamique la définition du budget de 1862 certes
formulée en termes très modernes recélait des lacunes certaines.
La confusion entretenue tant par les sources formelles du droit
financier de l’époque et de la doctrine n’a pas fait écho au Cameroun. Car
dès 1962, l’ordonnance intégrait le budget dans la loi de finances. Par
rapport aux textes français de 1862 à 1959, l’ordonnance du 7 février 1962
apporte une réponse tranchée face aux préoccupations susmentionnées. Le
syndrome de la confusion est évité lorsque l’on recourt à l’alinéa 3 de
l’article premier. Cette disposition fait indiquer clairement que le budget

58 Article 1er de l’Ordonnance n° 62/0F/4 du 7 février 1962 portant régime financier de la


République Fédérale du Cameroun modifiée par la loi n°2002/001 du 19 avril 2002.
59 Article 12 alinéa 1 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de

l’État et des autres entités publiques.


60 Article 2 de la loi n° 2007 / 006 du 26 décembre 2007 portant régime financier de l’État.
61 Article 2 alinéa 2 de la loi n°2007/006 op.cit.
62 E.-C. LEKENE DONFACK, Finances publiques camerounaises op.cit., p. 35.
63 M. DUVERGER, Finances publiques, Paris, PUF, coll, Thémis, 1978 p. 243 ; F. DERUEL,

Finances publiques, budget et pouvoir financier, Paris, Dalloz, 1977, p.9 : « au début de l’année, le
budget se confond avec la loi de finances initiales, mais évolue ensuite pour intégrer le total des dépenses et
des recettes, les décrets d’avances, les lois de finances rectificatives, puis les données relatives à l’exécution du
budget et enfin la loi de règlement ».
64 L’article 2 de l’ordonnance du 2 janvier 1959 (France).
65 L’article 5 du décret impérial du 31 mai 1862 ; l’article 1er du décret du 19 juin 1956

(France).
329
figure dans la loi des finances. Cette précision formelle lève l’équivoque de
l’ordonnance française du 2 janvier 1959. Les efforts de clarification
effectués par l’ordonnance du 7 février 1962 ont été approfondis par la loi
de 2007 sur le régime financier de l’État66 et par la loi de 2018 sur le
régime financier de l’État et des autres entités publiques67. Autrement dit
comme l’avait précédemment souligné Maurice Duverger, le budget est un
sous ensemble de l’ensemble de la loi de finances ; ainsi « l’on retiendra que le
budget fait partie de la loi de finances tant en France qu’au Cameroun »68.
Les sources formelles du droit des finances publiques ont procédé
par la catégorisation des lois de finances au Cameroun. La typologie des
lois de finances est effective en droit public camerounais. La conclusion
découlant de l’analyse rétrospective est l’initiation de la catégorisation des
lois de finances par l’ordonnance du 7 février 196269 au Cameroun. Il s’agit
d’une initiation de la typologie des lois de finances au lendemain des
indépendances car « avant 1962, les finances publiques camerounaises étaient régies
par des textes taillés sur mesure par l’administration française »70. L’aménagement
des règles sur les finances publiques ne remonte pas au Cameroun de la
période d’après l’indépendance. Bien avant cette référence chronologique,
des règles de finances publiques furent posées dès la période coloniale.
L’idée se justifie davantage lorsque l’on s’appuie sur la « présentation des
finances publiques classiques »71.
Par ailleurs, l’effort de catégorisation des lois de finances publiques
plus ou moins lacunaire par l’ordonnance du 7 février 1962 a été amélioré
par les textes subséquents. Le mouvement de typologie des lois de
finances amorcé au lendemain des indépendances n’a pas connu de
rupture au lendemain des années 2000 au Cameroun. Se voulant plus
intelligible et accessible, la loi portant régime financier de l’État et celle des
autres entités publiques ont retenu trois catégories de loi de finances. De
2007 à 2018, la consistance des lois des finances n’est pas stable au
Cameroun. Nonobstant la reconnaissance du caractère de lois de finances
à loi de finances de l'année, aux lois de finances rectificatives, à la loi de
règlement, le texte de 2007 renvoie à l’article 41. Autrement dit, la loi visée
à l’article 41 de ladite loi présente aussi le caractère de lois de finances au
Cameroun72. Or, cette extension n’a pas été retenue car abrogée par la loi
de 2018 portant régime financier de l’État et des autres entités publiques
au Cameroun.

66 Article 5 alinéa 1 de la loi n°2007/006 op.cit.


67 Article 4 alinéa 1 de la loi n°2018/012 op.cit.
68E.-C. LEKENE DONFACK, Finances publiques camerounaises op.cit., p. 38.
69 V. articles 7, 54 de l’Ordonnance n° 62/0F/4 du 7 février 1962 op.cit.
70 J. BIAKAN., « La réforme du cadre juridique des finances publiques au Cameroun : la loi

portant régime financier de l’État », op.cit., p. 9 ; le décret français du 30 décembre 1912 sur
le régime financier des colonies et un ensemble de circulaires dont celles n°168 et 169 du
28 décembre 1955 sur l’engagement des dépenses.
71 E.-C. LEKENE DONFACK., Finances publiques camerounaises op.cit., p. 28.
72 Article 4 de la loi n°2007/006 op.cit.

330
La loi portant régime financier de l’État et des autres entités
publiques a procédé par une modification de la consistance des lois de
finances au Cameroun. Celle-ci reconnait exclusivement le caractère de lois
de finances à la loi de finance initiale, aux lois de finances rectificatives et à
la loi de règlement73. Elle s’est limitée à trois catégories de lois de finances
au Cameroun. S’y référer s’impose « pour avoir une vision complète et juste de ce
qu’est le droit positif »74 au Cameroun. L’introduction de la nouvelle loi
entraine subséquemment la dérogation à la loi ancienne. L’idée renvoie à la
dérogation de la lex anterior par la lex posterior. Etant d’égale valeur dans la
hiérarchie des normes, la loi de 2018 a privé l’effet juridique l’extension
des lois de finances posée par la loi de 2007 portant régime financier de
l’État au Cameroun. Il va sans dire que « les finances publiques sont sensibles
aux évènements qui affectent la vie des États »75. Toutefois, le cadre formel
n’indique ni les charges financières ni la loi de finances susceptibles de
porter les dépenses de campagne électorale au Cameroun. Les sources
formelles du droit des finances publiques sombrent dans un mutisme
suicidaire sur la nature des dépenses de campagne électorale couverte par
l’État.
2. L’extension limitative aux fonds de fonctionnement du parti
politique
Les charges financières de la campagne électorale sont départagées
entre les partis politiques et l’État au Cameroun. Une part importante des
dépenses de la propagande électorale affecte d’autres fonds de
financement au Cameroun. De manière « considérable des masses financières
mises en jeu »76 proviennent des sources autres que l’État. C’est dans ce
cadre que l’on admet que, « l’État n’est pas l’unique financier de la campagne
électorale »77 au Cameroun.
« Les candidats peuvent faire établir à leurs frais ou à ceux du parti qui
présente leur candidature, des circulaires, des professions de foi ou des affiches »78. Au
regard de cette disposition, la couverture des charges financières des
opérations de la campagne électorale peut émaner directement ou
indirectement du candidat en lice. Autrement dit, le financement autre que
l’État sur la campagne électorale suppose une qualité certaine de la part de
son auteur. Ledit financement touche des dépenses minimes comparées à
celles imputables à la puissance publique souveraine au Cameroun.
La contribution aux recettes financières de la campagne électorale
émane directement du candidat. L’attribution de la qualité de candidat est
d’un apport non négligeable aux soutiens des dépenses de campagne

73 Article 12 alinéa 3 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 op.cit.


74 F. TERRE, Introduction générale au droit, Paris, Dalloz, 2003, 6ème éd., p. 348.
75 ISSA ABIABAG, Le renouveau budgétaire au Cameroun op.cit., p. 5.
76 F. PHILIZOT, « Campagne électorale. Quel rôle pour l’État ? », op.cit., p. 34.
77 ABDOULKARIMOU, La pratique des élections au Cameroun. 1992-2007. Regards sur un

système électoral en mutation op.cit., p. 169.


78 Article 87 alinéa 2 de la loi n°2012/001 op.cit.

331
électorale au Cameroun. Les fonds destinés à couvrir certaines dépenses
élémentaires de la campagne électorale supposent le passage du citoyen au
prisme des formalités administratives. Elle est subséquente à la mise en
œuvre du droit de candidater et puis la certification administrative de
l’Administration électorale. Elle touche en aval, les questions internes des
partis politiques à savoir l’investiture par les partis politiques. Le juge
électoral jouit de l’habilitation de contrôler la régularité de l’investiture
d’un citoyen à une élection politique nationale projetée79. En se référant à
la composition de l’équipe dirigeante d’un part politique, le juge électoral
contrôle la régularité de l’investiture. D’après la loi sur les partis politiques,
toute modification ou changement de l’équipe dirigeante du parti politique
doit être communiquée au Gouverneur territorialement compétent80. Les
éléments du dossier transférés à l’autorité administrative compétente
servent de support au contrôle du juge électoral. C’est dans ce qu’il affirme
que « Attendu qu’en l’espèce, il résulte de l’instruction du recours que le signataire de la
lettre de présentation et d’investiture ne remplit les conditions légales prévues par les
textes ci-dessus ; Que dès lors l’investiture du candidat est irrégulière, qu’il y a lieu de
rejeter le recours de l’intéressé »81. Davantage, « Attendu que la même étude du dossier
révèle que la candidature de NGOUEL BANGA a été signée par une personne non
habilitée à le faire et non par la hiérarchie du parti (…) »82.La recevabilité de
l’investiture constitue un sous ensemble de la qualité de candidat. Celle-ci
est parachevée par le contrôle de régularité et partant la publication de la
liste de candidature. Autrement dit, la qualité de candidat est subséquente
au volet procédural et substantiel au droit de candidater. Dès lors la qualité
de candidat est acquise à partir de la publication de la liste de candidature
par le conseil électoral. Ladite liste est entérinée par le contrôle du juge
électoral au Cameroun. Car « cette décision peut faire l’objet d’un recours devant le
juge administratif »83 et constitutionnel. A ce stade de la procédure
administrative, le candidat se distingue de par ses attributs de la simple
qualité de citoyen. Il jouit de la liberté de s’inscrire sur une liste de
candidat84 et de la qualité contentieuse d’une candidature au Cameroun85.

79 Arrêt n°9/CE/04-05 du 1er octobre 2004, affaire Njeunga Jean candidat du Parti Front Uni du
Cameroun (F.U.C) c/ Etat du Cameroun (MINATD) (9ème rôle) : « Attendu en l’espèce (…), que
par ailleurs aucune modification ou changement dans la composition de cette équipe dirigeante du parti n’a
été signalé à l’Administration conformément aux dispositions légales ci-dessus reprises.
--- Que dès lors l’investiture du candidat étant irrégulière, il y a lieu de rejeter le recours de l’intéressé ».
80 Article 5 de la loi n°90/056 du 19 décembre 1990 relative aux partis politiques.
81 Arrêt n°21/CE/04-05 du 1er octobre 2004, affaire Mack-Kit Samuel c/ Etat du Cameroun

(MINATD), (8ème rôle).


82 Arrêt n°15/CE/04-05 du 1er octobre 2004, affaire Ngouel Banga Candidat du Front

Patriotique National (FPN) c/Etat du Cameroun (MINATD), (12ème rôle).


83 J. SELMA, « Le droit à candidater aux élections législatives : un droit malmené », op.cit.,

p.3 76.
84 Jugement n°96/CE/2013 du 19 août 2013, Tanyi Raphael Nukanjem c/Elecam.
85 Décision n°18/CEP du 20 septembre 2011, Assigana Tsimi Moise candidat du Mouvement

Républicain (MOREP) c/Elecam.


332
C’est ce dernier qui supporte directement ou indirectement les charges
financières de la campagne électorale.
Le candidat peut supporter dans son patrimoine ou sur le fond de
fonctionnement du parti politique, les charges financières imputables à
l’établissement des circulaires, des professions de foi et des affiches. Par le
fait de la qualité de candidat et non de citoyen, le droit positif camerounais
admet la diversité du financement des charges de la campagne électorale. Il
s’agit d’un candidat agissant sous la bannière d’un parti politique et dans
l’optique d’attraire un corps électoral conséquent. Il est admis que « le
second discours est qu’en réalité la campagne ne serait à un moment fort que pour les
médias et les hommes politiques »86. La ventilation financière de la campagne
électorale touche aux droits subjectifs et plus précisément ceux
patrimoniaux. Conceptuellement la notion de droits patrimoniaux ne peut
être appréhendée sans détour de la notion de patrimoine. « Le patrimoine est
l’ensemble des droits et obligations d’une personne, appréciables en argent, c’est-à-dire
ayant une valeur économique »87. On a dit que le patrimoine est « en quelque sorte,
la traduction juridique de la dimension économique du sujet de droit »88. Ainsi les
droits patrimoniaux sont des droits subjectifs ayant une valeur pécuniaire
et s’insèrent dans le patrimoine. Ils ont une finalité principalement
économique et susceptible d’une évaluation en argent. En passant d’un
titulaire à un autre, les droits patrimoniaux font partir du commerce
juridique au Cameroun. C’est donc par les droits réels ou créances que le
candidat pourvoie au financement de l’établissement des circulaires, des
professions de foi et des affiches.
Par ailleurs, les frais d’établissement des circulaires, des professions
de foi et des affiches peuvent être supportés par le parti politique en
compétition électorale. En l’espèce ce sont les fonds de fonctionnement
du parti politique qui pourvoient à la confection de ces pièces. La
formation politique apporte son concours à la réalisation de la campagne
électorale. Elle efface l’exclusivité de l’État et du candidat sur la confection
des circulaires, les professions de foi et l’emplacement des affiches au
Cameroun. Par ce fait, le Code électoral du Cameroun précise les dépenses
susceptibles de relever de la responsabilité du parti politique en cours de
campagne électorale au Cameroun.
Le Code électoral énumère les pièces susceptibles de constituer les
charges financières du parti politique. Il détermine de manière précise les
éléments de la campagne relevant de la responsabilité du parti politique ou
des candidats dudit parti au Cameroun. Par ce fait, l’État est assignée à une
contribution financière plus conséquente que celle attribuée aux partis

86 J. JAFFRE, « Effets de campagne, changements de l’électorat », Pouvoirs n°63, 1992, p.


103.
87 J.-M TCHAKOUA, Introduction générale au droit camerounais, Yaoundé, PUCAC, 2008, p.

140.
88 J.-L AUBERT, Introduction au droit, 8ème éd., op.cit., n°202.

333
politiques dans le cadre de la campagne électorale. L’action de l’État
procède du maniement des principes budgétaires.
B. La formation restrictive des dépenses de campagne électorale
dans les principes budgétaires
Le financement des dépenses de campagne électorale procède de
l’établissement des principes budgétaires au Cameroun. La prévision et
l’attribution des fonds aux charges de la campagne électorale reposent sur
le maniement des principes directeurs des finances publiques. En
procédant par l’application de certaines dispositions du Code électoral89,
l’on constate que les principes d’annualité (1) et de spécialité des crédits
retiennent particulièrement l’attention (2).
1. La formation des dépenses de campagne électorale par le
principe de l’annualité budgétaire
Le financement public de la campagne électorale nécessite la
prévision annuelle des dépenses publiques au Cameroun. La loi des
finances prévoit des dépenses annuelles nécessaires à la couverture des
charges publiques induites par la campagne électorale. C’est un
financement public qui « doit être intégré dans la loi des finances »90. Davantage,
« cette participation fait l’objet d’une inscription dans la loi des finances de l’année
d’organisation de chaque consultation électorale »91. Ces explications théoriques
découlent de l’interprétation du Code électoral92.
La prévision annuelle des dépenses de campagne électorale est une
réalité en droit camerounais. Il est admis que « la vie juridique se déroule dans le
temps et ne peut ignorer ce support dont on ne peut éviter l’inexorable cours mais dont
on peut tenter de maitriser les effets »93. C’est davantage « la sphère de validité
temporelle »94. La puissance publique projette l’exécution dans le temps, des
fonds pour la propagande électorale. Dans ce sens, la prévision budgétaire
en cause tient compte non seulement du calendrier électoral mais aussi de
l’échéance de l’exécution des charges prévues. L’État attribue une portée à
l’exécution de la loi des finances pour la campagne électorale au
Cameroun. La puissance publique souveraine n’entend formuler chaque
année les dépenses de campagne électorale. C’est le calendrier électoral des
élections politiques nationales qui restaure l’obligation de la puissance
publique d’y pourvoir. C’est une obligation régalienne rattachée aux
prescriptions du calendrier électoral et non détachée de l’échéance
électorale projetée. La validité temporelle de la loi des finances à la
réalisation de la campagne électorale est d’un an.

89 Article 284 alinéa 2 de la loi n°2012/001 op.cit.


90 ABDOULKARIMOU, La pratique des élections au Cameroun. 1992-2007. Regards sur un
système électoral en mutation op.cit., p. 168.
91 A.-D. OLINGA, La Constitution de la République du Cameroun, 1ère éd., op.cit., p. 247.
92 Article 284 alinéa 2 de la loi n°2012/001 op.cit.
93 J.-L BERGEL, Méthodes du droit. Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, 1989, p. 123.
94 H. KELSEN, Théorie générale du droit et de l’Etat, Paris, LGDJ, 1997, p. 271.

334
Toutefois, il n’est pas exclu que la loi de finances finance une
diversité de campagne électorale au cours d’une année électorale. C’est
généralement le cas pour les élections couplées ou de l’organisation d’une
diversité d’élection dans une année. Par ce fait, l’exécution des dépenses de
campagne électorale n’admet la pluri-annualité. Sa portée est limitée par
l’aménagement du principe d’annualité en droit électoral au Cameroun.
La négation implicite de l’exécution échelonnée des dépenses de la
campagne électorale est affirmée en droit camerounais. Elle est
l’implication immédiate de la prévision annuelle des dépenses de campagne
électorale au Cameroun. L’attribution des fonds aux charges financières de
la campagne électorale n’a vocation à s’étendre d’une année à une année.
Formellement il n’est nulle part indiqué le prolongement des recettes
financières au-delà de l’année électorale. La proscription du
réaménagement des charges financières de l’État est avérée. Ces règles
« interviennent pour un exercice, étant précisé que ce dernier s’étend pour une année
civile »95. L’échéance électorale entraine automatiquement l’extinction de
l’obligation de la puissance publique souveraine en la matière. L’année
civile demeure le référentiel et l’échéance de droit commun de l’allocation
des dotations à la campagne électorale au Cameroun. Il va sans dire que
l’on ne peut concevoir qu’« elle prévoit une dimension pluriannuelle »96. Par ce
fait, l’exécution des fonds alloués à la campagne électorale émascule
l’aménagement du principe d’annualité au Cameroun. Elle le fait en
assouplissements le principe de l’annualité« à la fois sur les dépenses de
fonctionnement et sur celles d’investissement »97.
Les allocations aux charges de la campagne électorale ne s’étendent
au long de l’année civile comme le budget de droit commun. Elles
s’accolent particulièrement à l’échéance électorale et précisément à la
période fixée pour la campagne électorale au Cameroun. Elles ventilent
financièrement non pas l’année électorale mais de manière restrictive le
cadre temporel de la campagne électorale. La campagne électorale est
ouverte à partir du quinzième jour précédant le scrutin. Elle prend fin la
veille du scrutin à minuit98. Au Burkina Faso, les dates et heures
d’ouverture et de clôture de la campagne électorale sont fixées par décret99.
Au Burundi, Elle est ouverte par décret du Président de la République le
seizième jour qui précède celui du scrutin. Elle est close quarante-huit
heures avant le scrutin. S’il y a lieu de procéder au second tour, la
campagne électorale est à nouveau ouverte dès la proclamation des
résultats du premier tour. Elle est close quarante-huit heures avant le

95 W. GILLES, Les principes budgétaires et comptables publics op.cit., p. 84.


96 Idem.
97 E.-C LEKENE DONFACK, Finances publiques camerounaises op.cit., p. 64.
98 Article 87 alinéa 1 de la loi n°2012/001 op.cit.
99 Article 68 de la Loi n° 005-2015/CNT du 7 avril 2015 modifiant et complétant le Code

électoral du Burkina Faso.


335
second tour100.En Côte d’Ivoire, Les dates d’ouverture et de clôture de la
campagne électorale sont fixées par décret en Conseil des Ministres sur
proposition de la Commission chargée des élections101. Au Bénin, la
campagne électorale est déclarée ouverte par décision de la Commission
électorale nationale autonome (CENA). Sous réserve des dérogations
prévues par la loi, elle dure 15 jours. Elle s’achève, la veille du scrutin à
minuit, soit 24 heures avant le jour du scrutin102.
Au Niger la durée de la campagne électorale varie d’une élection à
une autre. Pour les élections présidentielle et législative, la campagne
électorale est ouverte 21 jours avant le scrutin. Elle est close l’avant-veille à
minuit103. Or, Pour les élections régionales et municipales, la campagne
électorale est ouverte 10 jours avant le jour du scrutin et close l’avant-veille
à minuit104. A Madagascar, la durée de la campagne électorale est de : -
trente jours, pour l’élection du Président de la République et le
référendum ; - vingt et un jours, pour les élections législatives et
sénatoriales ainsi que les autres élections territoriales105. Par ce fait, les
allocations aux charges de la campagne électorale ne connaissent la portée
identique que l’exécution de droit commun du budget au Cameroun. Le
début de l’échéance et la fin de l’échéance de la campagne électorale varie
dans les États de l’Afrique noire francophone. De manière chiffrée, il est
établi des points de rapprochement et de distanciation au début et à la fin
de la campagne électorale en Afrique. La durée d’exécution des allocations
financières s’insère dans une portion de l’année civile au Cameroun et dans
les États de l’Afrique noire francophone. Autrement dit, la ventilation
financière de l’opération électorale ne s’étale dans le temps comme l’année
civile. Elle est restreinte à l’échéance de la campagne électorale au
Cameroun. C’est dans cette fourchette que l’on perçoit « le minimum de
dotations que le gouvernement juge indispensable pour poursuivre l’exécution »106 de la
dépense de campagne électorale. Dans ce sens, l’État pourvoie aux
dépenses publiques par le principe de spécialité des crédits.
2. La formation du financement public par le principe de la
spécialité des crédits
L’État pourvoie aux dépenses publiques par le principe de la
spécialité des crédits au Cameroun. La puissance publique souveraine
attribue une destination aux allocations budgétaires au Cameroun. Celle-ci
concerne les fonds de financement de certaines dépenses de la campagne
électorale.

100 Article 25 du Code électoral du Burundi.


101 Article 28 du Code électoral de Côte d’Ivoire.
102 Article 53 du Code électoral du Bénin.
103 Article 53 du Code électoral du Niger.
104 Article 53 du Code électoral du Niger.
105 Article 41 du Code électoral de Madagascar.
106 E.-C LEKENE DONFACK, Finances publiques camerounaises, op.cit., p. 70.

336
La fixation des fonds publics nécessaire au financement des
dépenses de la campagne électorale résulte de l’activité du parlement. Ce
qui devrait naturellement « concourir accessoirement à prévenir des difficultés
financières futures »107. Le parlement est interpellé à partir de sa fonction
d’autorisation budgétaire. La discussion du budget reste aujourd’hui encore
un moment solennelle de la rentrée d’automne108. C’est globalement « à
partir de celui-ci que les assemblées nationales et locales exercent leurs compétences en
matière d’autorisation budgétaire »109. L’autorisation du parlement de dépenser
s’illustre par la fixation du montant à dépenser par l’autorité en charge de
l’exécution du budget. S’intégrant dans le domaine de compétence de la
représentation nationale reposant initialement sur la préparation du projet
de budget, la limitation de la dépense sur les crédits inscrits. En théorie,
« Les dépenses budgétaires ne peuvent être autorisées que par une loi de finances »110.
Enfin, « les dépenses budgétaires de l’État sont présentées en titres, ainsi qu’il suit : d.
titre IV : les dépenses de transfert : - subventions ; transferts »111. C’est dans les
dépenses de transfert que l’on range les fonds destinés au financement de
la campagne électorale. Car ceux-ci ne peuvent être rangés dans les
dépenses de personnel, des biens, et de services, les dépenses
d’investissement, et les autres dépenses.
L’une des implications du principe de spécialité est l’introduction
d’une adoption en détail des composantes du projet de budget. Le
parlement est tenu de privilégier un examen méticuleux devant conduire à
un vote détaillé des composantes du projet de budget. L’assignation de la
présentation d’un projet de budget détaillé de l’exécutif devrait se relayer
au cas d’espèce. Le vote détaillé assigné au parlement par le principe de
spécialité s’étend sur l’adoption des recettes publiques au Cameroun. Le
parlement s’acquitte d’une obligation constitutionnelle en matière
budgétaire. Car le parlement jouit d’une diversité de prérogatives allant de
l’activité normative, à celle de contrôle de l’action du gouvernement. Au
niveau central le principe de spécialité revalorise les autorisations du
parlement. En l’espèce, le parlement agit et intervient exclusivement dans
le cadre d’une habilitation constitutionnelle. La Constitution « constitue de ce
point de vue un pilier qui permet d’affirmer d’une part l’existence d’un contenu matériel
stable des finances publiques et d’autre part, l’institution des acteurs aux attributions
multiples et variées »112. En plus, celles-ci « sont les pièces maîtresses et permettent

107 J.-L CHARTIER, A. DOYELLE, « Les Chambres régionales des comptes et les
collectivités en grave difficulté financière », AJDA, 1922, p. 723.
108 R. CHINARD, « Loi de finances : quelle marge de manœuvre pour le Parlement ? »,

Pouvoirs, n°64, 1993, p. 100.


109 W. GILLES, Les principes budgétaires et comptables publics, Paris, LGDJ-Lextenso éditions,

2009, p. 101.
110 Article 27 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 op.cit.
111 Article 28 d de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 op.cit.
112 J. BIAKAN, « La Constitution et les finances publiques au Cameroun », RAFiP, n°2,

2017, p. 16.
337
d’élever le budget de l’Etat comme cadre privilégié des finances publiques »113 du
parlement au Cameroun.
L’une des particularités du principe de spécialité en droit public
financier est l’attribution d’une destination à une dépense publique. La
destination de la dépense publique est spécifique et habilitée par l’organe
délibérant du pouvoir législatif camerounais. Le parlement se charge de
l’affectation des recettes publiques aux dépenses de la campagne électorale.
Dans son aménagement, « Un crédit budgétaire est le montant maximum des
dépenses que le parlement autorise au Gouvernement à engager et à payer, pour un objet
déterminé, au cours de l’exercice budgétaire »114. Il s’agit d’une exigence « dont le
plein respect et la stricte observance tout au long des processus budgétaires nationaux
sont garantis de quelque autre façon »115. La prescription des destinations aux
crédits votés résulte de l’habilitation du parlement à dépenser. Par la
fixation des crédits globaux, il est déterminé la masse budgétaire des
dépenses de campagne électorale. Le principe de spécialité introduit le
dédoublement au caractère limitatif de la spécialité des crédits. La spécialité
des crédits concerne principalement les dépenses ventilées de manière la
plus précise possible afin d’éviter les risques d’abus, de gaspillage. Les
crédits votés par le parlement et qui valent autorisation de dépenser ont en
principe un caractère limitatif. Par ailleurs, il est établi les unités de
spécialité des crédits. Il est formellement admis que « au sein de chaque
chapitre, les crédits sont présentés par sections, programmes, actions, articles et
paragraphes »116. La section est la destination fonctionnelle de la dépense117.
L'article détermine l'unité administrative destinataire de la recette ou de la
dépense118. Le paragraphe correspond à la nature économique de recette
ou de la dépense119. Le programme est un ensemble d'actions à mettre en
œuvre au sein d'une administration pour la réalisation d'un objectif
déterminé dans le cadre d'une fonction120. Par ailleurs, l’État procède aussi
à la répartition des fonds de financement de la campagne électorale.
II. La répartition restrictive des fonds de financement de la
campagne électorale
L’État participe aussi directement à la répartition des fonds destinés
au financement de la campagne électorale au Cameroun. Il se charge
d’attribuer de manière égalitaire ou proportionnelle la masse budgétaire
due à chaque parti politique en propagande électorale. Dans ce cadre, « les

113 Idem.
114 Article 29 alinéa 1 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 op.cit.
115 V. M. TIRARD, « L’intégration budgétaire croissante en Europe : entre théorie et

réalité », RMCUE, n°569, 2013, pp. 337-343.


116 Article 9 alinéa 1 de la loi n°2007/006 du 26 décembre 2007 portant régime financier de

l’État au Cameroun.
117 Article 9 alinéa 2 de la loi n°2007/006 op.cit.
118 Article 9 alinéa 3 de la loi n°2007/006 op.cit.
119 Article 9 alinéa 4 de la loi n°2007/006 op.cit.
120 Article 8 de la loi n°2007/006 op.cit.

338
modalités de répartition de la dotation légale sont définies à l’article 11 de la loi »121.
Cette loi « détermine aussi les conditions d’utilisation de l’allocation publique »122.
C’est sous cette bannière que les fonds sont répartis par tranche aux partis
politiques ayant effectivement pris part à la campagne électorale (A). Par
ailleurs, lesdits fonds ne s’étendent au désistement et à la non-participation
effective à ladite campagne. En l’espèce, il est procédé à la restitution des
fonds au Trésor public camerounais (B).
A. L’attribution par tranche aux partis politiques en campagne
électorale
La première modalité de répartition du financement de la
propagande électorale est la division des fonds publics par tranche au
Cameroun. En procédant par une répartition, l’État ventile de manière
égalitaire ou proportionnelle les fonds publics destinés à la campagne
électorale. C’est dans ce sens que « L’article 6 de la loi prescrit que ces fonds sont
divisés en deux tranches »123. Il s’agit de l’une des modalités « de l’utilisation
moderne de la dépense publique »124. La législation prescrit l’attribution de la
première tranche (1) et la seconde tranche aux acteurs ayant effectivement
pris part à la campagne électorale au Cameroun (2).
1. L’attribution de la première tranche du financement de la
campagne électorale
L’État procède par la scission des fonds destinés au financement de
certaines dépenses des partis politiques et des candidats au cours de la
campagne électorale. Par ce fait, il se charge de l’attribution de la première
tranche dudit financement aux partis politiques participant effectivement à
la campagne électorale au Cameroun. Dans ce cadre, cette attribution aux
acteurs électoraux tient compte de certaines exigences objectives.
De manière formelle, l’attribution de la première tranche du
financement de la campagne électorale repose sur des formalités précises.
Elle distingue d’une part les exigences liées aux élections législatives et
sénatoriales125 et celles liées à l’élection présidentielle au Cameroun126. En
procédant par une interprétation littérale, l’attribution de la première
tranche au financement de la campagne électorale se fait indifféremment
de l’élection en cause après la publication des listes de candidature.
Autrement dit, le premier virement en vue de l’effectivité de la campagne
aux élections présidentielle, législative et sénatoriale se fait après la
diffusion de la liste de candidature. En ce sens, tout virement avant et
après ces formalités s’expose à la violation de la loi et partant fonde le

121 A.-D. OLINGA, La Constitution de la République du Cameroun, 1ère éd., op.cit., p. 247.
122 ABDOULKARIMOU, La pratique des élections au Cameroun 1992-2007. Regards sur un
système électoral en mutation, op.cit., p. 168.
123 Idem, p. 168.
124 ISSA ABIABAG., Le renouveau budgétaire au Cameroun, op.cit., p. 25.
125 Article 285 de la loi n°2012/001 du 19 avril 2012 op.cit.
126 Article 286 de la loi n°2012/001 op.cit.

339
recours pour excès de pouvoir. Les cas d’ouverture du recours d’excès ont
été construits de manière échelonnée par le juge administratif et
systématisés par la doctrine. Sous cette bannière, « il s’agit essentiellement d’une
action visant un acte administratif et non d’un procès entre partie comme c’est le cas en
droit privé »127. Posant « le contentieux de l’excès de pouvoir »128, les cas
d’ouverture du recours pour excès de pouvoir supposent la constatation
des illégalités susceptibles de vicier l’acte administratif unilatéral. Au regard
de l’effort de catégorisation de la doctrine camerounaise129, laquelle
renvoie à « les classifications théoriques »130, le recours pour excès de pouvoir
intègre respectivement la légalité externe et la légalité interne de l’acte
administratif unilatéral. Techniquement, « on regroupe sous cette rubrique :
l’incompétence, le vice de forme et de procédure »131. Or, « la seconde catégorie est relative
à la légalité interne de l’acte ; il s’agit du défaut de base légale, de la violation d’une
disposition et du détournement de pouvoir »132. Le vice de forme133,
l’incompétence134, la violation d’une disposition légale ou règlementaire135,
le détournement de pouvoir136 ont des assises prétoriennes en droit
camerounais. Ainsi l’acte administratif de virement de la première tranche
au financement de la campagne électorale est susceptible de recours pour
excès de pouvoir s’il viole l’un des cas de la légalité de l’acte.
Cependant, le contentieux du financement de la campagne
électorale a plutôt fait la part belle au juge constitutionnel. La juridiction
constitutionnelle camerounaise s’est prononcée lors du contentieux post
électoral du 07 octobre 2018 touchant au financement de la campagne à
l’élection présidentielle. L’occasion a été donnée au juge constitutionnel de
clarifier des dispositions demeurées lacunaires jusqu’ici. En se prononçant
sur la prétendue violation de l’article 286 alinéa 1 du Code électoral, le juge
constitutionnel dénie l’attribution inégalitaire des fonds publics entre les
candidats en campagne à l’élection présidentielle. Car selon le requérant, le
candidat BIYA Paul du Rassemblement Démocratique du Peuple

127 Ph. NGOLE NGWESE, J. BINYOUM, Eléments de contentieux administratif camerounais,


Yaoundé, L’Harmattan, 2010, p. 159.
128 J.-L AUSTIN, C. RIBOT, Droit administratif général, Paris, Litec, 2007, 5ème éd., p. 309.
129 Ph. NGOLE NGWESE, J. BINYOUM, Eléments de contentieux administratif camerounais,

op.cit., p. 163.
130 G. DUPUIS, M.-J. GUEDON, P. CHRESTIEN, Droit administratif, Paris, Armand

Colin, 2002, 8ème éd., p.592.


131 Ph. NGOLE NGWESE, J. BINYOUM, Eléments de contentieux administratif camerounais,

op.cit., p. 163.
132 Idem.
133 V. arrêt n°121/CFJ/CAY du 08 décembre 1970, Sitamzé Urbain c/État du Cameroun

oriental ; jugement n°71/CS/CA du 13 mai 1976, Bene Bella Lambert c/État du Cameroun.
134 V. arrêt n°7678/CCA du 27 décembre 1957 ; Sieur Ndjock Paul c/ État du Cameroun.
135 V. jugement n°55/CS/CA du 22 avril 1976, Mbarga Emile c/État du Cameroun ; jugement

n°17/CS/CA du 3 février 1977, Mineli Elomo Bernard Marie c/ État du Cameroun ; jugement
n°33/CS/CA du 31 mars 1977, Koneba Samuel c/ État du Cameroun ; arrêt n°336/TE du 22
décembre 1964 ; Sieur Biba Théophile c/ État du Cameroun.
136 Arrêt n°120/CFJ/CAY du 8 décembre 1970, Bilae Jean c/ État du Cameroun ; arrêt

n°160/CFJ/CAY du 8 juin 1971, Fouda Mballa Maurice c/ Ëtat du Cameroun.


340
Camerounais aurait bénéficié en sus des fonds concernés des moyens
exorbitants pour mener sa campagne électorale. S’inscrivant en faux contre
ces conclusions, le juge constitutionnel affirme que : « Attendu que le
Professeur Maurice KAMTO soutient que les fonds publics mis à la disposition des
candidats pour le financement de leur campagne électorale n’ont pas été répartis de façon
égalitaire entre ces derniers :(…) que cependant, il n’apporte aucun élément de preuve à
ces allégations qui, en réalité, est sans fondement »137. Ainsi, l’irrecevabilité des
conclusions du requérant résulte de la vacuité de ses moyens de preuves.
La preuve demeure alors quelque chose d’extrêmement important dans la
vie juridique. Dans ce sens devant le juge, ce que l’on prouve c’est le fait et
non la règle de droit censée s’appliquer. Par le fait du juge constitutionnel,
il est apporté une précision sur la preuve utile de celle inutile dans un
procès. « La preuve n’est pas utile si le fait à prouver est sans importance pour la
conviction du juge ; le juge pourra donc refuser une offre de preuve s’il est convaincu que
celle-ci est inutile »138. Par ailleurs, « la preuve est aussi inutile si elle vise à détruire
une présomption irréfragable »139. Enfin, le juge se montre libéral dans la
recevabilité des moyens de preuve. Le système de la preuve s’est
progressivement enrichi et adapté à l’évolution des mœurs et des nouvelles
technologies de l’information et de la communication. La modernisation
du droit « a rationalisé les preuves et les a adaptées à l’évolution technologique »140.
Les éléments de preuve fournis par le requérant n’ont pas emporté la
conviction du juge constitutionnel camerounais. Le juge apprécie selon
son intime conviction la recevabilité de la preuve.
Le juge constitutionnel procède par une clarification substantielle du
financement de la campagne à l’élection présidentielle. En procédant par
une réécriture du Code électoral, il dénoue les lacunes de la disposition
législative querellée. Le juge constitutionnel camerounais clarifie
spécifiquement l’échéance du virement des fonds de financement de la
campagne électorale. Il indique qu’il convient de préciser que l’article 286
(1) évoqué n’indique pas le nombre de jours minimal ou maximum qui
devrait séparer la publication de la liste des candidats à la remise des fonds
de campagne. La disposition en cause se borne d’indiquer que ces fonds
doivent être reversés après la publication de la liste des candidats. Le juge
affirme « Que s’agissant des fonds de campagne, ils doivent nécessairement être remis
aux candidats avant le début de la campagne ; (…) Que la remise des fonds destinés au
financement de la campagne électorale a donc été faite dans les délais prévus par l’article
286 du Code électoral ; -Que le moyen n’est donc pas fondé ; »141.

137 Décision n°029/G/SRCER/CC/2018 du 17 octobre 2018, affaire sieur Maurice KAMTO


c/ ELECAM, RDPC, UDC, FPD, ADD, MCNC, PURS.
138 J.-M. TCHAKOUA, Introduction générale au droit camerounais, op.cit., pp. 195-196.
139Idem, p. 196.
140Ibidem, p. 195.
141 Décision n°029/G/SRCER/CC/2018 du 17 octobre 2018, affaire sieur Maurice KAMTO

c/ELECAM, RDPC, UDC, FPD, ADD, MCNC, PURS op.cit.


341
Enfin, les modalités de répartition des fonds publics destinés au
financement de la campagne électorale présentent certains points de
spécificité. Les règles relatives au premier versement ne s’étendent à toutes
les élections politiques nationales au Cameroun. En ce qui concerne les
élections législatives et sénatoriales, la première tranche est servie après la
publication des listes de candidats, à tous les partis politiques au prorata
des listes présentées et acceptées dans les différentes circonscriptions
électorales. Or, en ce qui concerne l’élection présidentielle, la première
tranche est après la publication de la liste des candidats allouée sur une
base égalitaire aux différents candidats.
2. L’attribution de la seconde tranche de financement pour la
campagne électorale
L’État procède également à l’attribution de la seconde tranche de
financement pour la campagne électorale au Cameroun. La répartition des
fonds publics en vue de la propagande électorale s’effectue après la
proclamation des résultats électoraux et ce, de manière proportionnelle aux
résultats obtenus. De plus, « Il faut relever ici que les fonds destinés au financement
public de la campagne électorale sont différents de ceux destinés au fonctionnement des
partis politiques »142. Il devient un leurre d’admettre que « l’État n’avait en effet
jamais financé la campagne électorale »143.
L’attribution de la seconde tranche du financement de la campagne
électorale aux élections politiques nationales tient compte de deux règles
précises. La masse budgétaire affectée à la propagande électorale intègre
respectivement l’idée de proportionnalité et s’attache à la proclamation des
résultats électoraux au Cameroun. Le second décaissement hisse les
résultats électoraux en référence. Car il est subséquent à la proclamation
des résultats électoraux par la juridiction constitutionnelle au Cameroun. Il
s’agit là, de l’un des pouvoirs du juge électoral. Il va sans dire que« les
pouvoirs conférés au Conseil constitutionnel sont certainement caractéristiques d’un
contentieux de pleine juridiction »144. En droite ligne, « le juge électoral applique une
jurisprudence constante en la matière, en vérifiant si les voix contestées ne modifient pas
le résultat d’ensemble »145. Mieux, « Elles recourent, dans bien des espèces, à une
technique spécifique, le principe de l’influence déterminante : une irrégularité n’entraîne
l’annulation de l’élection qu’à la double condition »146. La théorie de l’influence
significative sur les résultats électoraux a été approfondie par la doctrine

142 ABDOULKARIMOU, La pratique des élections au Cameroun 1992-2007. Regards sur un


système électoral en mutation, op.cit., p. 168.
143Idem, p.169.
144 B. MALIGNER, « Le Conseil constitutionnel, juge des opérations et des finances

électorales », op.cit., p. 56.


145 F. MELEDJE DJEDJRO, « Le contentieux électoral en Afrique » Pouvoirs, n°129, La

démocratie en Afrique, 2009, p. 148.


146 S. BOLLE., « Les juridictions constitutionnelles africaines et les crises électorales », in

Les Cours constitutionnelles et les crises, Association des Cours Constitutionnelles ayant en
Partage l'Usage du Français 5ème Congrès, Cotonou, 22-28 juin 2009, p. 13.
342
africaine en l’occurrence Tcheuwa Jean-Claude147, Badet Gilles148 et
Guéssélé Isseme149. Dans l’affaire PDS, UFDC, SDF, UNDP de 2002150,
le juge affirme en substance : « Attendu que ce nouveau décompte, donne au
RDPC une majorité relative, entrainant le partage des sièges à raison de deux (02)
pour ledit parti et un (01) siège pour le SDF ».Dans ce sens, « En cas d’erreur dans
le calcul des résultats, le Conseil constitutionnel peut rectifier les chiffres »151. Lorsqu’il
est impossible de quantifier les irrégularités électorales, le juge
constitutionnel ne se contente pas d’une simple rectification. Il procède
énergiquement à l’annulation de l’élection en cause152. En outre, la
répartition proportionnelle fait irruption dans l’attribution de la seconde
tranche du financement de la campagne des élections politiques nationales.
La répartition proportionnelle fait irruption dans l’attribution de la
seconde tranche du financement de la campagne des élections politiques
nationales au Cameroun. La répartition proportionnelle dudit financement
aux élections législatives et sénatoriales se fait en fonction du nombre de
siège obtenus. La disposition législative en cause n’indique pas les
modalités de cette répartition. Un mutisme plane sur la règle de la forte
moyenne ou la règle du fort reste. Or, l’attribution de la seconde tranche
de financement de la campagne à l’élection présidentielle concerne
exclusivement les candidats ayant obtenus au moins 5% des suffrages
exprimés. Ainsi une spécificité importante liée au financement de la
propagande électorale subsiste au sein des élections politiques nationales.
B. La restitution des fonds publics non utilisés au Trésor public
L’État se charge de récupérer les fonds publics non utilisés à la
campagne électorale au Cameroun. Le parti politique en cause est tenu de
reverser en totalité la somme reçue au titre du premier versement en cas de
désistement ou de la non-participation effective à la campagne électorale.
Cette manière de procéder incite « quant à l’utilisation réelle de ces fonds »153.

147 J.-C. TCHEUWA, « Les principes directeurs du contentieux électoral camerounais : à


propos de ‘l’influence significative sur le résultat du scrutin’ dans sa mise en œuvre à
l’occasion des élections législatives et municipales du 22 juillet 2007 », RFDC 2011/2, n°86,
pp. 1-29.
148 G. BADET, « Le contentieux des élections nationales en Afrique noire francophone »,

in F.-J AÏVO (dir.), La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ?
Mélanges en l’honneur de Maurice Ahanhanzo Glèlè, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 391.
149 L.-P GUESSELE ISSEME, « La protection du droit de vote par les juges

constitutionnels béninois et camerounais : Réflexion sur la garantie des droits


fondamentaux dans les États d’Afrique noire francophone » op.cit., p. 83.
150 Arrêt n°96/CE du 17 juillet 2002, affaire PDS, UFDC, SDF, UNDP c/MINAT.
151 D. TURPIN, Droit constitutionnel, Paris, PUF, 1986, 1re éd., p. 428.
152 Arrêt n°27/CE/01-02 du 17 juillet 2002, affaire Social Democratic Front (SDF), Union

Nationale pour la Démocratie et le Progrès (UNDP) c/ Etat du Cameroun (Circonscription de la Mifi).


(6ème rôle) : « Attendu que la falsification ainsi opérée a faussé les résultats du scrutin et en a violé de ce
fait le principe de la sincérité ; ---Qu’il s’ensuit que l’élection concernée encourt l’annulation, loin d’une
simple rectification de ses résultats ; ».
153 ABDOULKARIMOU, La pratique des élections au Cameroun 1992-2007. Regards sur un

système électoral en mutation, op.cit., p. 175.


343
Davantage, « cette participation est (…) financière, par le remboursement des dépenses
engagées par les candidats ou listes »154.
Formellement, il est admis que « est tenu de reverser au trésor public la
totalité de la somme reçue au titre de la première tranche visée à l’alinéa 1 ci-dessus : -
tout candidat qui se désiste avant le scrutin ; - tout candidat qui ne participe pas
effectivement à la campagne électorale »155. Ainsi, l’État prescrit le
remboursement de la totalité des sommes reçues par les partis politiques
au Trésor public (1) et ce, au titre exclusif du versement de la première
tranche à l’élection présidentielle (2).
1. La prescription de la restitution des sommes reçues au Trésor
public
L’État prescrit le remboursement de la totalité de somme reçue au
titre de la première tranche exclusive au Trésor public au parti politique au
Cameroun. Celle-ci s’insère dans les prérogatives de puissance publique.
L’idée du privilège du préalable et de l’exécution d’office se déploie sur
l’indu du parti politique ou du candidat. L’abus de la mise en œuvre de
cette prérogative est susceptible de constituer des voies de fait
administratives au Cameroun.
La prescription du remboursement des sommes reçues au trésor
public s’insère dans les prérogatives de puissance publique de l’État. La
récupération de l’indue, l’utilisation dévoyée des fonds publics attribués à
la campagne électorale restaure le privilège du préalable de la puissance
publique souveraine. L’avantage exclusif de l’État est de sommer le parti
politique en cause de reverser en intégralité la somme perçue après la
publication des listes à l’élection présidentielle au Cameroun. Ainsi, la
prescription du remboursement des sommes reçues au trésor public
« s'impose au particulier du seul fait que l'administration est présumée investie d'une
mission d'intérêt général »156. La prescription du remboursement des sommes
reçues au trésor public implique l’exécution d’office de la part du parti
politique ou du candidat en cause. En l’espèce, l’État par le truchement de
l’administration active dispose des moyens pour faire exécuter ses
décisions par les administrés. La restitution de l’indue aux candidats ne
doit reposer sur une négociation ou une faculté pour ceux-ci de s’exécuter
au Cameroun. En ce sens, l’administration active dispose d’une diversité
de moyens juridiques pour faire face à un refus d’exécution de la décision
administrative. L’exception reconnue à l’exécution forcée n’est pas
extrêmement rare, car « l’exécution forcée est interdite à l’administration avant
l’intervention du juge, explique Romieu »157.

154 F. PHILIZOT, « Campagne électorale. Quel rôle pour l’État ? », op. cit., p. 30.
155 Article 286 alinéa 2 de la loi n°2012/001 du 19 avril 2012 op.cit.
156 R. CABRILLAC (dir.), Dictionnaire du vocabulaire juridique, 1ère éd., op.cit., p. 217.
157 G. DUPUIS, M.-J GUEDON, P. CHRESTIEN, Droit administratif, 8ème éd., op.cit., p.

467.
344
En France, le principe de l’exécution forcée s’est pendant
longtemps abreuvée à l’affaire « Société immobilière de Saint-juste »158. Les
idées développées par le commissaire du gouvernement ROMIEU que
l’idée essentielle est que l’administration ne doit pas en principe exécuter
de force ses propres décisions. C’est l’emploi des sanctions pénales,
prononcées par le juge répressif, qui doit assurer normalement l’exécution
des actes administratifs. Mais les sanctions pénales sont impossibles
lorsqu’aucun texte législatif ne les a prévues. C’est davantage la substance
de l’adage latin« nullum crimen nula poena sine lege ».
Par ailleurs, « le principe de l’illicéité de l’exécution forcée administrative doit
être assorti d’exceptions »159. Certaines sources formelles du droit peuvent
habiliter l’administration à utiliser la force sans recourir à l’autorisation de
l’autorité judiciaire. L’urgence de faire face à la nécessité publique, de
prévenir un péril imminent peut fonder l’utilisation de la force par
l’administration. S’il n’y a pas de sanctions pénales pour les infractions à la
décision et si, par suite, l’exécution administrative est seule possible160.
Cela étant, l’exécution forcée en l’absence de sanction pénale n’est pas une
hypothèse très fréquente. Le développement conséquent des sanctions
administratives a pour effet direct la réduction de la portée de l’exécution
forcée.
Le juge administratif camerounais n’hésite pas à dénoncer
l’irrégularité à l’exécution d’office d’une décision. Il l’a fait en matière
domaniale et foncière pour dénoncer l’inobservation de l’échéance de la
mise en demeure. Il s’est explicitement prononcé dans des affaires en
1971161, 1981162, 1982163 et 2010164. Il s’agit de manière illustrative des
affaires constitutives de voie de fait. L’initiation de la définition de la voie
de fait remonte à 1968165. La voie se décompose en la méconnaissance
flagrante des pouvoirs de l’Administration et ce en, l’absence de
circonstances exceptionnelles ou d’urgence laquelle porte atteinte à la
propriété privée mobilière. L’évolution prétorienne de la notion de voie de
fait a abouti à l’adjonction de la protection du particulier victime de voie
de fait au Cameroun. L’extension de cette conception fut initialement

158 TC 2 décembre 1902, Société Immobilière de Saint juste, R. 713, concl., J. ROMIEU.
159 G. DUPUIS, M.-J GUEDON, P. CHRESTIEN, Droit administratif, 8ème éd., op.cit., p.
467.
160 V. TC 12 mai 1949, Dumont, R. 596, RDP, 1949.371, note M. Waline.
161 CFJ/CAY, Jugement n°15/71 du 31 mars 1971, Commune de plein exercice de Yaoundé

c/Nkwenkam Mohlie Luc.


162 CS/CA, Jugement n°63/81 du 11 juin 1981, Simo Njienou Jean-Jacques c/ Commune urbaine

de Bafoussam.
163 CS/CA, Jugement n°73/82 du 30 septembre 1982, Fambeu c/Commune de Mbalmayo.
164 CS/CA, Jugement n°183/2010 du 23 juin 2010, Waffo Wokam Lucie c/ Etat du Cameroun.
165 CFJ/AP, Arrêt n°8 du 16 octobre 1968, État fédéré du Cameroun oriental c/ Max Keller

Ndongo ; CFJ/AP, Arrêt n°10 du 17 octobre 1968, 1°) Mve Ndongo, 2°) Procureur Général près
la Cour Fédérale de Justice c/ NGABA Victor
345
posée dans l’affaire Atangana Ntonga de 1978166. La voie de fait est aussi
constituée en droit positif camerounais, lorsque l’Administration porte
atteinte à une liberté individuelle167.
Au regard de ce qui précède, l’Administration publique se réfère à
ses prérogatives de puissance publique pour assurer la destination effective
des fonds débloqués pour la campagne électorale. L’allocation des fonds
publics vise exclusivement la couverture de certaines charges liées à la
propagande électorale. Toutefois, la restitution des sommes indues ne
concerne ni toutes les élections politiques nationales ni l’ensemble des
tranches de décaissement. L’idée établit que la restitution des fonds publics
au trésor public concerne exclusivement la première tranche décaissée en
vue de la campagne électorale au Cameroun.
2. La prescription de la restitution exclusive de la première tranche à
l’élection présidentielle
L’État prescrit la restitution exclusive de la première tranche
décaissée en vue de l’élection présidentielle au trésor public au Cameroun.
L’application de cette prescription concerne les cas de désistement du
candidat avant le scrutin et la non-participation effective du candidat à la
campagne électorale. Par ce fait, il est précisé le cadre de restitution du
premier versement au titre de la campagne électorale au Cameroun.
C’est par le fait d’une décision décisoire et exécutoire que l’État
formule l’obligation de restituer les sommes indues de la campagne
électorale. Aucunement l’administration publique de manière inconnue ou
méconnue car l’action administrative se fait toujours ressentir sur la
situation juridique des administrés au Cameroun. Jamais l’Administration
publique ne s’est présentée physiquement aux administrés.
L’administration imprime l’action à travers l’acte administratif unilatéral au
Cameroun. Ce dernier est « la caractéristique essentielle de l’institution
publique »168. Et au sein de l’Etat, la souveraineté interne incarne cette
autorité en tant que « puissance de commandement qui se manifeste par
des actes unilatéraux (…) » traduisant « un rapport de subordination entre
l’auteur et l’adressataire de la norme »169. En droit du contentieux administratif,
la diversité des formes de l’acte administratif unilatéral est admise. Elle est
davantage l’œuvre des constructions prétoriennes camerounaises. C’est
dans l’affaire Tchungui Charles contre État du Cameroun de 1979 que le
juge administratif consacre la diversité des formes de l’acte administratif

166 CS/CA, jugement n°22 du 30 novembre 1978, Atangana Ntonga Sylvestre c/ État du
Cameroun.
167 CS/CA, jugement n°12/CS/CA/81-82 du 26 janvier 1982, Dame Binam née Ngo Njom

Fidèle c/ État du Cameroun.


168 G. DUPUIS, « La définition de l’acte unilatéral », Recueil d’études en hommage à Charles

Eisenmann, Paris, Cujas, 1975, p. 205.


169 O. BEAUD, La puissance de l’Etat, Paris, PUF, coll. Léviathan, 1994, p. 16.

346
unilatéral au Cameroun170. Dans ce sens, « attendu qu’il est vrai que l’acte
administratif n’est en principe soumis à aucun formalisme ; que bien qu’il soit le plus
souvent écrit, il peut être oral ou résulter de simple agissement »171. L’action
administrative se réalise par un procès-verbal172, la forme écrite173, le
silence de l’administration174, la forme verbale175, la forme gestuelle176. Au
regard de ces décisions de justice, l’action administrative se réalise au
Cameroun sous les formes écrite, verbale, et par abstention de l’autorité
administrative compétente. En France, « le droit administratif, nul ne l’ignore,
est un droit fondamentalement jurisprudentiel »177. C’est un droit qui est allé plus
loin dans sa constitution en adoptant «de nouvelles règles encore inédites dans la
matière »178. C’est dans l’une des formes que l’Administration active est en
droit de pourvoir à la répétition de l’indue des fonds attribués à la
campagne électorale auprès du parti politique. Car les fonds publics
attribués à la propagande électorale n’ont été pas utilisés selon les termes
de leur allocation par l’État. La décision exécutoire pris en l’espèce se pose
alors comme « un acte de répétition de l’indue au profit de l’administration »179. Par

170 Jugement n°5/CS/CA du 29 novembre 1979, Tchungui Charles c/ État du


Cameroun : « Attendu que le contentieux administratif, qu’il s’agisse du recours en annulation ou de pleine
juridiction, des litiges portant sur des contrats administratifs ou des recours en appréciation de la légalité,
porte sur des actes administratifs qui peuvent être écrits ou verbaux ou constitués en de simples abstentions
ou retards pourvu qu’ils portent préjudice ».
171 Arrêt n°26/CS/AP/A du 27 juin 1996, Onana Adolphe c/ Communauté urbaine de Yaoundé.
172 Jugement n°60/CS/CA du 27 avril 1976, affaire n°152 Biakolo Max c/ Etat du Cameroun,

jugement n°29/82-83 du 24 février 1983, Mballa Akoa Adolphe c/ État du Cameroun.


173 Jugement n°7/CS/CA du 26 février 1998, affaire Dame Takote Megne Madeleine épouse

Tignokpa c/Etat du Cameroun ; jugement n°15/97-98 du 26 mars 1998, Noucktchokwaga c/Etat


du Cameroun : arrêt n°02/CS/AP/A du 26 décembre 1996, Atangana Adalbert c/ Etat du
Cameroun ; jugement n°15/CS/CA du 26 janvier 2001, Succession Mbarga Raphaél c/Etat du
Cameroun ; arrêt n°3/A/AP du 16 décembre 1982, Essimi Fabien c/Etat du Cameroun.
174Jugement n°5/CS/CA du 29 décembre 1979, Tchungui Charles c/État du Cameroun ;

jugement n°71/85/86 du 29 mai 1986, Nsangou Noel c/État du Cameroun.


175 Ordonnance n°12/OSE/PCA/78-79 du 07 août 1979, Deudié Joseph c/Etat du Cameroun ;

recours n°424/88-89 du 20 octobre 1988, jugement n°03/05-06 du 02 novembre 2005


Sakutu Amveme c/État du Cameroun ; jugement n°8/CS/CA du 19 décembre 1975, Tokam
Pierre c/État du Cameroun ; Jugement n°5/CS/CA du 29 décembre 1979, Tchungui Charles
c/État du Cameroun op.cit.
176 CS/CA affaire n°343/85-86 du 26 mai 1986, Le Messager c/État du Cameroun (Minat) ;

arrêt n°1/A du 16 octobre 1968, Meka Charles c/ État du Cameroun ; jugement n°19/CS/CA
du 29 janvier 1976, Koulou Maurice c/État du Cameroun ; jugement n°131/CS/CA du 26
septembre 1991, Société Simplex Cameroun c/État du Cameroun
177 G. TEBOUL, « Quelques brèves remarques sur la création du droit par le juge

administratif dans l’ordre juridique français », in Le nouveau constitutionnalisme. Mélanges en


l’honneur de Gérard CONAC, Paris, Economica, 2001, p.210.
178 L.-P GUESSELE ISSEME., « Les fondements jurisprudentiels du droit administrative

dans les États de l’Afrique noire francophone : Le cas du Cameroun », in M. ONDOA, P.-
E ABANE ENGOLO (dir.), Les fondements du droit administratif camerounais, Paris,
L’Harmattan, 2016, p.96.
179 U.-N. EBANG MVE, « L’ordre de recette en droit public camerounais », RADSP, Vol.

V, n°IX- jan.- juin 2017 p. 172.


347
ailleurs, le Code électoral énumère les cas de restitution des fonds publics
attribués à la campagne de l’élection présidentielle au Cameroun.
Le Code électoral a délimité les cas d’ouverture de la restitution des
fonds publics attribués à la campagne à l’élection présidentielle au
Cameroun. L’attribution desdits fonds par le Trésor public suppose le
désistement du candidat avant le scrutin et la non-participation effective.
Cette source formelle du droit demeure lacunaire sur la signification du
désistement du candidat et de la détermination de la non-participation
effective du parti politique à la campagne électorale. Elle ne renvoie
davantage pas à un texte spécifique le soin d’aménager les règles juridiques
en la matière. La lacune interne y afférente à cette disposition du code
électoral n’est davantage pas dénouée par un texte visé ou par une norme
dérivée de celui-ci au Cameroun. En ce sens, le Code électoral s’est arrangé
à conserver de manière ésotérique et technique la signification du
désistement du candidat avant le scrutin et la non-participation effective
du parti politique à la campagne de l’élection présidentielle au Cameroun.
Il est donc urgent d’attribuer des significations à ces concepts pour
prémunir leur compréhension des interprétations non authentiques.
Le Trésor public demeure l’unique cadre de restitution de la
première tranche à l’élection présidentielle au Cameroun. Il est assigné aux
partis politiques ou aux candidats de restituer intégralement les sommes
non utilisées ou dévoyées de l’utilisation du trésor public. En droit
financier et fiscal, le trésor public désigne « un ensemble de services de l’État
rattachés, au ministère des Finances, à la direction générale du Trésor et de la prévision
économique »180. Quant au vocabulaire juridique, il s’agit de l’ensemble de
services dépendant du ministère des Finances et dépourvu de personnalité
juridique distincte de celle de l’État. Lesdites structures ont pour missions
principales d’effectuer les opérations de recettes et de dépenses des
organismes publics et d’assurer la Trésorerie de l’État181. La définition du
trésor public du dictionnaire du vocabulaire juridique apparait moins
intelligible que les précédentes182. Cependant l’écriture de cette disposition
apparait inachevée et partant incomplète. Nulle part il n’est indiqué les
modalités de restitution des fonds publics en cas de désistement du
candidat et de non-participation effective du parti politique à la campagne
de l’élection présidentielle. Il n’est non plus indiqué les sanctions
susceptibles de frapper les concernés en la matière. La remise en cause de
l’incompétence négative du législateur impose que ces points soient
corrigés et partant le réajustement du Code électoral camerounais. Les
dispositions querellées doivent être réajustées par le législateur
camerounais.

180 S. GUINCHAR., Th. DEBARD (dir.), Lexique des termes juridiques, 25ème éd., op.cit., p.
1862.
181 G. CORNU., Vocabulaire juridique, 18ème éd., op.cit., p. 2194.
182 R. CABRILLAC (dir.), Dictionnaire du vocabulaire juridique, 1ère éd., op.cit., p. 268.

348
Conclusion
Au sortir de cette réflexion, le droit électoral donne l’occasion de
déterminer l’une des matières d’éviction de la neutralité de l’État au
Cameroun. L’animation du processus électoral, l’affirmation de l’élection
comme une opération administrative viennent davantage renchérir cette
idée. A côté de la participation matérielle au processus électoral, l’État
apporte un soutien conséquent à la ventilation financière de la campagne
aux élections politiques nationales. Ces explications convergent vers
l’inscription sélective des dépenses de la campagne électorale dans la loi de
finances et la restitution mitigée des fonds publics attribués à la réalisation
de ladite campagne. Sur ces points, deux constats majeurs se dégagent.
Premièrement, l’État adosse la grande partie des charges financières
de la campagne aux élections politiques nationales au Cameroun. La
répartition des dépenses financières de la propagande électorale s’avère
inégalitaire entre les candidats ou les partis politiques et l’État. Les
candidats ou les partis politiques se contentent de charges financières
minimes lesquelles n’affectent pas considérablement leur budget de
fonctionnement ainsi que leur patrimoine. Sous une échelle, les charges
financières de l’État se situent à un niveau plus élevé que celles réservées
aux partis politiques au Cameroun.
Deuxièmement, toutes les élections politiques nationales
n’admettent la restitution intégrale des sommes reçues au titre du premier
versement de la campagne électorale. Cette exigence s’applique
formellement et exclusivement à la campagne de l’élection présidentielle au
Cameroun. Nonobstant la constatation des lacunes à la disposition
législative en cause183, les concernés doivent restituer lesdites sommes au
trésor public exclusivement. Ainsi en dépit des règles communes à ces
élections subsistent corrélativement des règles spécifiques. Dans ce sens, il
est observé la place centrale qu’offre le trésor public dans la restitution des
fonds publics de campagne à l’élection présidentielle. Il n’est donc pas non
pertinent d’y mener une réflexion approfondie dans le contexte
camerounais.

183 V. article 286 alinéa 2 de la loi n°2012/001 du 19 avril 2012 op.cit.


349
LA FAUTE DE GESTION DEVANT LE CONSEIL DE DISCIPLINE
BUDGETAIRE ET FINANCIERE AU CAMEROUN
Par
Dr. ABDOULAYE MAL BOUBA
Ph.D en Droit public
Université de Yaoundé II (Cameroun)
RESUME :
Ne disposant pas d’un code de juridiction financière comme en France, le législateur
Cameroun introduit dans la loi n°74/18 du 5 décembre 1974, une infraction financière sous
l’appellation de « faute de gestion ». Cette dernière en fait un élément d’irrégularités
préjudiciables aux intérêts de la puissance publique. Elle sanctionne d’une amende, toute
personne chargée d’une responsabilité financière au sein d’un organisme de l’Etat, qui, dans
l’exercice de ses fonctions, aura causé un préjudice grave par des agissements manifestement
incompatibles avec les intérêts de celui-ci, et par des carences graves dans les contrôles qui lui
incombaient ou par des omissions ou négligences répétées dans sa fonction d’administrateur.
Ainsi, la compétence de la qualification et de la sanction de la faute de gestion est attribuée au
Conseil de Discipline Budgétaire et Financière. A la lecture des dispositions de la loi n°74/18
susmentionné et des articles 105 à 107 du Code des Marchés publics de 2004, il ressort que la
faute de gestion est une transgression des règles juridiques régissant l’activité administrative,
contractuelle et financière des personnes publiques. C’est donc au regard de ces clarifications
textuelles que le CDBF fondent son appréciation duale de la faute de gestion : une faute de
nature accessoirement administrative et principalement financière. Au plan administratif, la faute
de gestion résulte de la violation ou de l’inexécution des obligations contractuelles par les
personnes publiques et du manquement aux obligations statutaires. Au plan financier, elle
résulte de l’exécution anormale des recettes et des dépenses publiques, ainsi que de la mauvaise
gestion des biens publics. Il y’a faute de gestion devant le CDBF, lorsqu’un gestionnaire de
crédits publics, dans son activité administrative contractuelle ou dans sa gestion financière, aboutit
à un appauvrissement de la puissance publique sans que l’agent lui-même ne soi nécessairement
enrichi.
Mots clés : Ordonnateur, politiques publiques, formalités substantielles.

ABSTRACT:
Competence of the qualification and the sanction of the management fault is attributed to
the Budgetary and Financial Disciplinary Council. On reading the provisions of the
aforementioned law n°74/18 and sections 105, 106 and 107 of the Public Procurement Code
of 2004, it appears that the mismanagement is a violation of the legal rules governing the
administrative, contractual and financial activity. Public figures. It is therefore in the light of
these textual clarifications that the CDBF based its dual assessment of the management fault: a
fault of an incidentally administrative and mainly financial nature. Administratively,
management misconduct results from the violation or non-fulfillment of contractual obligations by
public bodies and the breach of statutory obligations. Financially, it results from the abnormal
execution of public revenue and expenditure, as well as the mismanagement of public goods.
There is a lack of management before the CDBF, when a public credit manager, in his
contractual administrative activity or in his financial management, results in an impoverishment
of public power without the agent himself necessarily enriched.
Keywords: Authorizing officer, public policies, substantial formalities.

350
Introduction
Contrôler la gestion des finances publiques est une nécessité, en
raison des masses financières en jeu et de la nature particulière des recettes
des administrations, essentiellement constituées des prélèvements
obligatoires1. Ainsi, la médiatisation croissante des cas de mauvaise gestion
publique suscite des réactions parfois contradictoires. A cet effet,
l’organisation du contrôle des finances publiques expose un double
schéma des dispositifs de contrôle et d’audit qui visent à détecter les
insuffisances de la gestion publique et les éventuelles irrégularités2. Ce
contrôle expose aussi des mécanismes de sanction, autrement dit le régime
de responsabilité de dirigeants, élus et agents publics en matière de faute
de gestion3. Ainsi, l’étude de la faute de gestion devant le Conseil de
Discipline Budgétaire et Financière au Cameroun soulève d’importants
points d’analyse.
Parler de la faute de gestion, c’est viser les infractions « aux règles
relatives à l’exécution des recettes et des dépenses de l’Etat, des collectivités et des
établissements et organismes » ; ou « violation des règles relatives à la gestion des biens
ou des règles fiscales »4. En cas de conflit, il revient au Conseil de Discipline
Budgétaire et Financière5 d’en apprécier librement les faits afin de les
qualifier, et aujourd’hui, cette compétence est aussi attribuée à la Chambre
des Comptes de la Cour Suprême depuis la réforme du régime financier de
l’Etat et des autres entités publiques en 20186. A l’analyse de ces textes, il
ressort que la portée novatrice de la loi de 74 a été très sensiblement
atténuée en raison des exceptions considérables apportées à la liste des
personnes justiciables devant le CDBF. Cette situation a été réglée par
l’adoption récente de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant Régime
Financier de l’Etat et des autres entités publiques. Avec cette loi, et dans
l’attente d’un texte d’application ainsi que d’un code des juridictions
financières, tous les ordonnateurs devraient être justiciables devant une
juridiction financière unique, en l’occurrence la juridiction des comptes. A
la vérité, avec l’érection de la chambre des comptes comme instance
compétente pour connaitre de la faute de gestion des ordonnateurs, le
CDBF est appelé, soit à disparaitre, soit à faire partie intégrante de la
Chambre des comptes et non du Contrôle Supérieur de l’Etat.
La faute de gestion n’est pas une notion aisée à cerner.
Généralement elle recouvre toute action ou omission de l’ordonnateur ou

1 François ADAM, Olivier FERRAND, Rémy RIOUX, Finances Publiques, Paris, Dalloz,
2010, 3e éd., p. 291.
2 Ibid.
3 Ibid.
4 Raymond MUZELEC, Finances publiques, Paris, Sirey, 2009, 15e éd., p. 46.
5 Art. 2 de la loi n°2008/028 du 17 janvier 2008 portant organisation et fonctionnement du

Conseil de Discipline Budgétaire et Financière (ci-après le CDBF ou le Conseil).


6 Art. 89 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant Régime financier de l’Etat et des

autres entités publiques (ci-après loi n°2018/012).


351
du comptable public, contraire à l’intérêt général ou aux intérêts d’un
organisme ou même des particuliers. A cet effet, la loi n°74/18 du 05
décembre relative au contrôle des ordonnateurs, gestionnaires et gérants
des crédits publics en fait un élément d’irrégularité. Aux termes de cette
loi, le législateur camerounais de 1974 opère une distinction entre les
fautes commises au sein de l’administration publique et celles commises au
sein de ses entreprises. Toutefois, qu’elle soit au sein de l’Etat ou de ses
démembrements7, la faute de gestion est perçue sur une double dimension,
administrative et financière. A la lecture de la loi susmentionnée, il ressort
que la faute de gestion est toute action ou une omission, volontaire ou
non, qui porte atteinte au droit quelconque. Tout récemment, le législateur
de 2018 l’a conçu comme « tout acte, omission ou négligence, commis par tout agent
de l’Etat, d’une collectivité territoriale décentralisée ou d’une entité publique, par tout
représentant, administrateur ou agent d’organismes, manifestement contraire à l’intérêt
général »8.
La faute par omission découle d’une atteinte passive du responsable
qui se désintéresse de la gestion du service soumis à sa responsabilité, tout
en laissant un subordonné commettre un acte irrégulier, ou à un
comptable de fait de s’immiscer dans la gestion des deniers publics, ou
encore refusant de dénoncer une situation déficitaire9. La faute par action
pour sa part découle d’une réalisation d’actes délibérés contraires à l’intérêt
général. La faute de gestion n’est pas une infraction au sens où l’entend
l’article 74 du code pénal10. Au-delà des éléments matériels et intentionnels
qu’elle peut parfois contenir, le législateur ne l’a pas envisagée comme un
fait pénalement réprimé.
En général, elle ne concerne pas que des biens directement (biens
meubles et immeubles), puisqu’elle s’applique aux faits comme le
recrutement des personnes ou encore à un engagement de dépenses sans
crédits. On peut alors retenir que la faute de gestion est une transgression
des prescriptions juridiques régissant l’activité administrative, contractuelle,
ainsi que la gestion saine des opérations financières des personnes
publiques11.
Au regard de ces précisions, il apparait dès lors une préoccupation
centrale de savoir : comment appréhende-t-on la faute de gestion
devant le Conseil de Discipline Budgétaire et Financière ? Par
hypothèse à cette question, la faute de gestion est appréciée de façon duale
devant le CDBF, tant elle s’applique aux actes aussi bien administratifs que
financiers des ordonnateurs.

7 Collectivités Territoriales décentralisées, Etablissements publics ou Entreprises publiques.


8 Art.88 (1) de la loi n°2018/012.
9 Gérard CORNU, Association Henri CAPITANT (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF,

2018, 12e éd., p. 975.


10 « Est pénalement responsable, celui qui, volontairement, commet les faits caractérisant les éléments

constitutifs d’une infraction avec l’intention que ces faits aient pour conséquence la réalisation de
l’infraction ».
11 Ibid.

352
La certitude de cette affirmation se justifie par l’utilisation d’une
méthode juridique dans ses deux variantes telle que esquissées par Charles
EISENMANN, notamment la dogmatique et la casuistique. Ainsi,
l’analyse du dispositif normatif et de la pratique jurisprudentielle, la lecture
des contributions doctrinales, nous conforte de la définition de la faute de
gestion devant le CDBF. Dès lors, la faute de gestion sera analysée comme
un manquement principalement financier (II) et accessoirement
administratif (I).
I. La faute de gestion, un manquement de nature accessoirement
administrative
Aux termes des dispositions des articles 3 et 6 de la loi n°74/18 du
5 décembre 1974 relative aux contrôle des ordonnateurs, gestionnaires et
gérants des crédits publics et des entreprises d’Etat et celles de l’article 88
(2) de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant Régime Financier de
l’Etat et des autres entités publiques, le législateur camerounais opère une
énumération limitative des irrégularités constitutives de faute de gestion. Il
ressort du rapprochement de ces normes que la faute de gestion est une
transgressions des dispositions juridiques régissant l’activité administrative
et contractuelles12.
En effet, la gestion des organismes administratifs est assise sur des
normes dérogatoires au droit commun. Celles-ci sont regroupées par
Maurice Hauriou autour du concept de régime administratif13. A cet effet,
et à la lumière des dispositions de la loi de 1974 sus-évoquées, il ressort
que la faute de gestion résulte de l’inexécution de leurs obligations
contractuelles par les personnes publiques. D’autres fautes de gestion
consistent dans le manquement à leurs obligations statuaires par les
administrateurs des entreprises publiques14.
Il sera question ici d’étudier les manquements aux règles formelles
de l’ordonnateur d’une part (A) et aux obligations contractuelles d’autre
part (B).
A. Les manquements aux règles formelles de gestion
La faute de gestion constitue une transgression des prescriptions
juridiques régissant l’activité administrative, contractuelle ainsi que la
gestion saine des opérations financières des personnes publiques15. Pour
ne tenir qu’au cas précis de la gestion administrative, il ressort des articles
susmentionnés, que la faute de gestion résulte de l’inexécution des

12 AKONO ONGBA SEDENA, « La distinction entre la faute de gestion et le


détournement des deniers publics en droit camerounais », Revue Africaine des Sciences
Juridiques, n°1, 2014, p. 262.
13 Maurice HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public, Paris, Dalloz, 1993, 12e éd.,

p. 369.
14 AKONO ONGBA SEDENA, « La distinction entre la faute de gestion et le

détournement des deniers publics en droit camerounais », op.cit., p. 263.


15 Idem, p. 262.

353
obligations textuelles, qui peuvent être légales, réglementaire, ou alors
statutaires.
En somme, la faute de gestion, dans son volet administratif, est une
transgression de bonne gouvernance administrative. Elle est commise
lorsqu’un agent public en vient à outrepasser les règles substantielles et
processuelles régissant l’activité contractuelle de l’administration ou d’un
organisme soumis à la réglementation des marchés publics, de même que
la violation des dispositions statutaires d’organismes publics16.
1. Le manquement aux règles formelles de gestion administrative
Le législateur camerounais a élaboré de manière précise, quoi que
limitative, le dispositif normatif en matière d’irrégularités de gestion. Le
manquement aux règles formelles de gestion administrative se manifeste le
plus souvent lors de la phase d’exécution des dépenses. Il sera alors
question d’analyser la violation des règles formelles d’exécution des
dépenses et des obligations règlementaires et statutaires.
En effet, le manquement aux règles formelles de gestion de biens
publics se caractérise par un certain nombre d’irrégularités, surtout en
matière d’exécution des dépenses. Il peut s’agir par exemple des
manquements liés aux règles de l’engagement, la modification irrégulière
de l’affectation des crédits ou même encore de l’absence des documents
constituant une base légale de la dépense.
Le manquement à l’acte d’engagement est une infraction budgétaire
spéciale qui rend responsable toute personne ou tout ordonnateur l’ayant
pris en infraction à la réglementation en vigueur. Il faut préciser que
l’engagement, dans ce cas précis est effectué par un ordonnateur
régulièrement nommé et se limite dans le cadre de la comptabilité
publique. L’on retient un certain nombre d’irrégularités en matière
d’engagement notamment : le défaut d’engagement, le cas de l’engagement
sans y être habilité, même s’il n’a pas été exécuté17 ; et l’observation des
irrégularités dans l’engagement.
Par définition, le défaut d’engagement est un refus ou une omission,
volontaire ou non, de l’émission de titre susceptible d’enrichir l’Etat, mais
qui porte plutôt atteinte aux intérêts de la puissance publique. Le fait de ne
pas engager peut, dans une certaine mesure, entrainer des pertes de
recettes à une personne morale de droit public18, même s’il ne consiste pas
en lui-même une aliénation de la chose publique. Le défaut d’engagement
peut aussi prendre d’autres significations comme dans le cas où il y a eu
engagement, mais dans un cadre dépourvu de tout marché régulièrement
approuvé et en l’absence de crédits disponibles. Il en est de même de

16 Idem. p. 265.
17 Idem, p. 234.
18 AKONO ONGBA, « La distinction entre la faute de gestion et le détournement des

deniers publics en droit camerounais », op.cit., p. 268.


354
l’engagement des dépenses au-delà de crédits ouverts aboutissant à des
impayés importants, violant le principe du caractère limitatif de crédits19.
Par ailleurs, les irrégularités formelles de l’engagement peuvent
porter soit sur la violation des obligations légales et réglementaires, soit des
obligations statutaires. Dans tous les cas de figure, elles violent une règle
quelconque. C’est le cas de l’engagement des dépenses non visées par un
organisme, ou alors de l’engagement de l’entreprise dans des opérations
manifestement ruineuses, et de l’engagement des dépenses ou certification
des pièces sans justification de l’exécution des travaux, de prestation des
biens ou de services…20.
L’engagement est juridiquement de la compétence de l’ordonnateur,
mais il peut arriver parfois que la décision de l’engagement soit prise par
un comptable : le cas de la violation du principe de la séparation des
ordonnateurs et des comptables. Cette violation se caractérise par la prise
des décisions d’engager les dépenses, en lieu et place de l’ordonnateur, par
le comptable. On parle non pas de comptable de fait, mais plutôt de
l’ordonnateur de fait21. En passant des commandes hors de tout contrôle
et en payant sans mandatement préalable, le comptable s’est immiscé
irrégulièrement dans les fonctions de l’ordonnateur22. Toutefois, il peut
arriver que l’acte pris par le comptable engage une double responsabilité
du comptable et de celle de l’ordonnateur, si ce dernier, dans son
obligation de contrôle, n’intervient pas pour réparer les agissements du
comptable. Ce qui ne laisse pas sans étude, les irrégularités administratives
en matière d’exécution des dépenses.
Les irrégularités administratives d’exécution de dépenses se
caractérisent par des éléments fautifs tels que la modification irrégulière de
l’affectation des crédits ainsi que l’absence des documents justificatifs. En
ce qui concerne la modification irrégulière de l’affectation de crédits, c’est
une altération de la destination initiale de leur l’affectation, le changement
de l’objet de ces derniers. Le cas pour un proviseur qui engage la
construction d’une salle de classe, alors même que le crédit était
initialement à l’achat de tables bancs. Le juge financier n’étant pas juge de
l’opportunité, mais plutôt juge de la régularité, sanctionne les violations
des règles relatives à l’exécution des dépenses, de recettes et de gestion des
biens. C’est justement l’objet de l’alinéa h de l’article 3 de la loi de 1974

19 Toute chose qui est contraire à l’article 11 de l’ordonnance organique de 1959 relative
aux lois de finances qui prévoit le caractère limitatif des crédits, et violation de l’art. 97 du
Règlement Général de la Comptabilité Publique (limitativité des crédits de l’Etat, sauf
exception). Lire Cour de Discipline Budgétaire et Financière, 23 avril 2003, TGI de
Marseille, Revue du Trésor, janvier 2004, n°1, p. 54, note LASCOMBE et
VANDENDRIESSCHE ; Nicolas GROPER, La responsabilité des gestionnaires publics devant le
juge financier, Paris Dalloz, 2009, p. 195.
20 Articles 3 et 6 de la loi de 1974, op.cit.
21 Nicolas GROPER, La responsabilité des gestionnaires publics devant le juge financier, op. cit., p.

234.
22 Idem, p. 191.

355
« modification irrégulière de l’affectation des crédits ». C’est d’ailleurs ce que retient
le conseil dans son jugement n°00017 du 4 mars 200923.
Quant à l’absence des documents, il faut établir la différence entre
l’absence des documents nécessaires et l’absence des pièces justificatives.
La première est une violation statutaire fondée sur le défaut de mise en
place d’un acte d’instruction ou d’enseignement nécessaire, un écris
contenant un élément de preuve ou d’information (archives, instruments,
écritures, registre, journal…)24. La seconde par contre est une violation des
obligations légales, et qui désigne dans ce cas spécifique, le défaut de
preuves de justification de la prise d’une décision25.
Dans la pratique et s’agissant donc de l’absence de certains
documents nécessaires, le CDBF l’a relevé et précisé dans l’affaire de l’ex-
délégué du gouvernement auprès de la communauté urbaine de Limbe et
de ses trois collaborateurs, du 13 juin 2012 en ces termes : « non-institution
d’un registre de délibération du conseil de la communauté en violation des prescriptions
légales et une autre réglementaires »26. Dans une autre décision concernant l’Ex-
Directeur des infrastructures, de la planification et du développement de
l’Université de Yaoundé 2, MAYAGI Paul Marcel, le conseil retient : « la
violation de l’exécution de marchés, nonobstant l’absence de cahier de charge »27. On
comprend alors que les irrégularités manifestes aux règles formelles de la
gestion administrative sont aussi importantes que les manquements aux
obligations règlementaires et statutaires.
2. Le manquement aux obligations règlementaires et statutaires
En effet, l’une de violation des dispositions légales est le
manquement aux obligations du contrôle financier. C’est une irrégularité
qui incrimine toute personne qui aura engagé une dépense sans respecter
les règles applicables en matière de contrôle financier. Il existe plusieurs
cas de violation en ce sens.

23 Décision n°00021/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 11 mars 2009,


portant sanction des responsabilités de Monsieur NGUINI EFFA Jean Batiste de la Salle,
faute de gestion n°6, « Modification irrégulière de l’affectation des crédits dans le cadre de la gestion du
projet NSAM ».
24 CORNU Gérard, op.cit., p. 324.
25 Ibid.
26 Décisions n°00016/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 13 juin 2013,

portant sanction des responsabilités de Monsieur LIFANDA SAMUEL EBIAMA, Ex-


Délégué auprès de la Communauté Urbaine de Limbe, n°00017
D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 13 juin 2013 portant sanction des
responsabilités de Monsieur le Directeur des services techniques de la Communauté
Urbaine de Limbe et n°00018 D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 13 juin
2013, portant sanction des responsabilités de Monsieur PRISO MOKOSSA Simon, chef de
service de la planification de la communauté urbaine de Limbe.
27 Décision n°00007 D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 14 mars 2013, portant

sanction des responsabilités de Monsieur MAYAGI Paul Marcel, Ex-Directeur des


infrastructures, de la planification et du développement de l’Université de Yaoundé 2, faute
de gestion n°3(c).
356
Il s’agit notamment, pour le CDBF, de la faiblesse du système du
contrôle interne caractérisée par le défaut de mise en place d’une
procédure fiable pour un préjudice de 21.749.895.452 FCFA28. Dans une
autre affaire, il relève le défaut de dénonciation, dans les rapports généraux
de la période sous revue, de la faiblesse du système de contrôle interne
dans le domaine de la production29.
Il en est aussi de la performance, résultat obtenu au cours d’une
compétition ou dans une épreuve, une réussite remarquable. En tant
qu’objectif à atteindre, la performance inclus sans doute d’autres critères, à
savoir l’efficience et l’efficacité, des principes fondamentaux de la gestion.
Ainsi, le défaut de performance peut être considéré comme une atteinte
aux règles de gestion30. C’est ce qui ressort des décisions du conseil en date
du 11 juin 2012 prononcées en termes identiques contre deux doyens,
respectivement de la faculté des sciences juridiques et politiques, et de celle
des sciences économiques et de gestion de l’Université de Yaoundé 2. Les
griefs sont fondés en partie sur le défaut de performance. Le CDBF relève
le défi ici en allant au-delà du simple contrôle de régularité pour
appréhender le contrôle de performance dont la réalisation des économies
fait partie, et à son tour inclus l’efficience et l’efficacité. C’est donc pour
défaut d’efficience qu’il mentionne dans une décision, la non-atteinte de
l’objectif visé31.
Outre les violations des dispositions légales, la faute de gestion peut
par ailleurs consister en une violation des obligations règlementaires et
statutaires. Tel est l’hypothèse visée par les alinéas a, b et h de l’article 6 de
la loi n°74/18. Il s’agit de la violation des statuts et règlements intérieurs
de l’établissement. La pratique administrative offre plusieurs cas de non-
respect des dispositions statutaires et règlementaires.
C’est ce qui ressort d’ailleurs des décisions du CDBF en ces termes :
la fixation par le Directeur Général de sa propre rémunération en lieu et
place du Conseil d’Administration à travers une augmentation de 50% de
son salaire, du bénéfice d’avantages non fixés par le Conseil
d’Administration au profit du Directeur Général en termes de prime
d’ancienneté et de sursalaire…32. Dans une autre affaire, cette violation se
caractérise par le dépassement sans autorisation des crédits votés par le

28 Décision n°00001/ D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS/BSAS du 22 mars


2013, portant sanction des responsabilités de Monsieur METOUCK Charles, Ex-Directeur
Général de la société de raffinage (SONARA), faute de gestion n°30.
29 Décision n°00030/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS/SGSAS du 25 AVRIL

2013, portant sanction des responsabilités de l’Ex-Commissaire aux comptes de la


SONARA, faute de gestion n°2.
30 Lire l’art.2 al 3 du décret n°2013/287 du 04 septembre 2013 portant organisation des

Services du Contrôle Supérieur de l’Etat.


31 Décision n°00016/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS/SGSAS du 13 juin

2012, LIFANDA Samuel EBIAMA du 13 juin 2012, op.cit., faute de gestion n°2.
32 Décision n°00001/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS/BSAS du 22 mars 2013,

portant sanction des responsabilités de Monsieur METOUCK Charles, op.cit., fautes de


gestion n°25 et 26.
357
Conseil d’Administration33. Dans l’affaire IYA Mohamed encore plus
récente, le conseil sanctionne l’engagement des fonds de l’entreprise au
profit d’une association sportive, pendant la période de référence sans
autorisation du Conseil d’Administration, aliénation du patrimoine de
l’entreprise sans autorisation de l’organe compétent (Conseil
d’Administration), fixation en lieu et place des organes statutaires du
montant de la rémunération du Directeur Général, des allocations
mensuelles et des avantages en nature du Président du Conseil
d’Administration, modification en lieu et place des organes statutairement
compétents (Conseil d’Administration et l’Assemblée Générale) des
montants des indemnités des membres du Conseil d’Administration34.
Quid des obligations contractuelles ?
B. Le manquement aux obligations contractuelles de gestion
administrative
L’activité contractuelle des personnes publiques oscille entre règles
de droit commun et régime spécial de droit public35. En effet, même s’il
est incontestable que les marchés publics sont un procédé principal de
contractualisation de l’administration au Cameroun36, il existe des
hypothèses où des personnes publiques peuvent être liées à des personnes
privées par les règles de droit commun.
1. La violation de la réglementation des marchés publics
L’article 5 alinéa1(a) du Code des Marchés Publics conçoit le
Marché Public comme tout contrat écrit, passé conformément à ses
dispositions, par lequel un entrepreneur, un fournisseur, ou un prestataire
de service s’engage envers l’Etat, une collectivité territoriale décentralisée,
un établissement public ou une entreprise du secteur public ou para public,
soit à réaliser des travaux, soit à fournir des biens ou des services
moyennant un prix37. Ainsi, tout marché conclut en violation des
dispositions dudit code peut être qualifié d’irrégulier ou de faute de
gestion. Cette violation peut porter soit sur les obligations formelles, soit
sur les obligations matérielles.

33 Décision n°00021/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 11 mars 2009,


portant sanction des responsabilités de Monsieur NGUINI EFFA Jean Batiste de la Salle,
op.cit., faute de gestion n°2.
34 Décision n°00022/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS/BSAS du 27 mars 2013

portant sanction des responsabilités de Monsieur IYA Mohamed, Ex-Directeur Général de


la SODECOTON, fautes de gestion n°4, 5, et 6.
35 HAURIOU Maurice, Précis de droit administratif et de droit public, op.cit., p 1,
36 NLEP Roger Gabriel, L’administration publique camerounaise : contribution à l’étude des systèmes

africains d’administration publique, Paris, LGDJ, Bibliothèque africaine et malgache, 1986, pp.
328-342.
37 Décret n°2004/275 du 24 septembre 2004, portant Code des marchés publics. Lequel

décret a été abrogé par celui n°2018/366 du 20 juin 2018 portant Code des Marchés
Publics.
358
Il n’est pas surprenant que la procédure d’achat public donne lieu
fréquemment à des irrégularités. Car le nombre d’opérations effectuées est
considérable. Les violations portent généralement soit sur les procédures
de clause du contrat, soit sur les obligations du contrôle. Ainsi, l’article105
du code des marchés publics dispose que les violations des dispositions du
présent code sont considérées comme constitutives d’atteintes à la fortune
publique et sont sanctionnées conformément aux lois en vigueur38. Et
l’article 106 d’énumérer les infractions susceptibles d’atteinte à la fortune
publique. C’est d’ailleurs sur la base de cette énumération que le conseil
fonde ses décisions.
Avant toute conclusion ou toute réalisation d’un contrat de marché
public, il est indiqué une conduite formelle à observer, ce sans quoi le
contrat peut être entaché de vice de forme. L’irrégularité formelle peut être
constituée pour défaut de visa du contrôleur, ou d’autorisation d’un organe
compétant ; elle peut aussi être constituée pour défaut de qualité ou
absence de délégation à cet effet, défaut de fixation des modalités.
Plusieurs décisions du conseil concernent le vice de forme. C’est le cas
précisément de la violation de la réglementation des marchés publics et
conduite de l’entreprise dans des opérations manifestement ruineuses,
caractérisées par un contrat sans fixation de prix ayant induit un préjudice
financier d’un montant de 313.512.157 FCFA39.
Quant aux obligations matérielles de marchés publics, ce sont celles
qui touchent le fond de la matière. Dans les faits, elles se caractérisent par
les règles d’exécution et de contrôle de marchés publics. C’est donc à la
suite de transgressions de ces obligations qu’une irrégularité constitutive de
faute de gestion peut être retenue. Parfois aussi, certains cas se présentent,
non pas dans l’exécution des marchés, ni dans leur contrôle, mais se
caractérisant par une absence des marchés. De loin, les violations des
règles d’exécution des marchés publics sont les plus importantes à cause
de leur caractère substantiel. Parmi les cas les plus pratiques, on observe :
le fractionnement de marchés, passation d’un marché sans crédits
disponibles, certification et liquidation des dépenses sans exécution des
marchés, dépassement du montant des marchés, passation des marchés
avec des entreprises en déconfiture, détournement de l’objet des
marchés…40.
C’est dans ce sens que le CDBF observe dans ses décisions : la
passation d’un marché de forage sans études préalables41 ; l’attribution de
certains marchés et la signature de certains contrats sans appel à

38 Idem, art. 105.


39 Décision n°00001/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 22 mars 2013,
portant sanction des responsabilités de Monsieur METOUCK Charles, op.cit., faute de
gestion n°10.
40 Art.106 du décret n°2004/275 du 24 septembre 2004, op.cit.
41 Décision n°00016/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 13 juin 2013, portant

sanction des responsabilités de Monsieur LIFANDA Samuel EBIAMA, op.cit.


359
concurrence42 ; entorses à la réglementation relative à la passation des
marchés publics à travers la validation d’un marché nonobstant l’absence
d’étude préalables,…nonobstant l’absence de maitre d’ouvrage et de cahier
de charge43. Il retient également la certification irrégulière des marchés
accordés à une société44 et la violation de la réglementation des marchés
publics matérialisée par la surfacturation de certaines rubriques du devis
estimatif et quantitatif…45. Le conseil sanctionne aussi le fait de valider les
travaux partiellement exécutés ou insuffisamment compensés et des
travaux non exécutés ou non livrés en violation du code des marchés
publics46 et la violation de la réglementation des marchés publics à travers
la certification des dépenses sans exécution intégrale des prestations, objet
des lettres de commande47.
Dans le cas de la réalisation des marchés, seule l’existence matérielle
des marchés justifie la concrétisation du contrat des marchés publics. Ainsi
l’absence du marché est une irrégularité sanctionnée par les textes en
vigueurs. Dans la pratique, ce phénomène se caractérise par le
fractionnement de la commande publique pour éviter d’atteindre le seuil
au-delà duquel un marché est nécessaire pour désigner le marché public
inférieur à cinq millions qui n’est pas soumis au système de la concurrence
et donc peut suivre la procédure de gré à gré. Dans d’autres cas encore, il y
a eu contrat mais sans marché concret. Il s’agit notamment du
fractionnement des marchés pour désigner le non-respect de la
réglementation sur l’exécution des marchés48 ; ou du fractionnement des
marchés d’acquisition de fournitures ou de matériels à l’effet de les

42 Décision n°00016/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 04 mars 2009 portant


sanction des responsabilités de Monsieur LIFANDA Samuel EBIAMA, op.cit., faute de
gestion n°3.
43 Décision n°0007/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 14 mars 2009,

MAYAGI Paul Marcel, Ex-Directeur des Infrastructures, de la Planification et du


Développement de l’Université de Yaoundé 2, faute de gestion n°3.
44 Décision n°00021/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 11 mars 2009,

portant sanction des responsabilités de Monsieur NGUINI EFFA Jean Batiste de la Salle,
op.cit., faute de gestion n°1.
45 Décision n°00001/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 22 mars 2013,

portant sanction des responsabilités de Monsieur METOUCK Charles, op.cit., faute de


gestion n°20.
46 Décision n° 0007/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 14 mars 2009,

MAYAGI Paul Marcel, op.cit., fautes de gestion n° 1 et 2.


47 Décisions n°00061/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 16 septembre 2013,

portant sanction des responsabilités de Monsieur GOURKO FERON Robert, Ex-


comptable matière auprès de la délégation départementale de l’éducation de base de Mayo-
Kani, et n°00064/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 9 octobre 2013, ZIKI
TCHANG, Ex-comptable matière assignataire et membre des commissions de réception de
la province de l’Extrême-Nord.
48 Décision n°00016/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 13 juin 2012,

LIFANDA Samuel EBIMA, op.cit., faute de gestion n°4.


360
soustraire à la compétence de la commission de passation des marchés
publics correspondantes49.
2. La violation de la réglementation du travail
L’incontestabilité des marchés publics comme procédés privilégié
de contractualisation de l’administration au Cameroun50, n’exclut pas les
hypothèses où des personnes publiques peuvent être liées à des personnes
privées par des règles de droit commun51. C’est le cas en matière de
classification des agents publics où le droit camerounais opère une
distinction entre le personnel fonctionnaire et le personnel contractuel qui
est régi par le code du travail. C’est dans le cadre de ce dernier que se
justifie cette étude ici. Il peut s’agir par exemple de la violation des règles
administratives du recrutement ou même de l’emploi effectif des agents.
Conformément aux dispositions des alinéas 3 g et 6 d de l’article 6
de la loi n°74/18 du 5 décembre 1974, il y aurait faute de gestion en cas de
recrutement d’un agent en infraction à la réglementation du travail en
vigueur. Il peut s’agir du recrutement d’un agent en violations des
procédures établies. C’est le cas du recrutement de personnels en violation
des procédures ou du recrutement et nomination d’un consultant
individuel en violation des textes organiques et des dispositions
réglementaires en vigueur52.
Dans le cadre de la rupture du contrat du personnel, la loi n°92/007
du 14 août 1992 portant code du travail pose avant tout les procédés de
résiliation du contrat du personnel. C’est justement le cas de la section 3
du chapitre 1 dudit code qui traite de la suspension du contrat du travail et
qu’il faut préciser que la rupture abusive du contrat est considérée par la
loi n°74/18 comme une faute de gestion. Car elle peut, dans la mesure du
possible, préjudicier aux intérêts de la structure publique. C’est d’ailleurs ce
qui ressort de l’affaire IYA MOHAMED : licenciement du personnel pour
faute lourde en violation de la procédure disciplinaire, ayant débouché sur
des décisions administratives ou judiciaires génératrices d’un préjudice
financier.

49 Décision n°00029/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 11 juin 2012,


Infligeant des sanctions disciplinaires à Monsieur le Professeur KOBOU Georges, Doyen
de la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion de l’Université de Yaoundé II, faute
de gestion n°2, et n°00028/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 11 juin 2012,
Infligeant des sanctions disciplinaires à Monsieur le Professeur BOKALI Victor
Emmanuel, Doyen de la Faculté des Sciences Juridiques Et Politiques de l’Université de
Yaoundé II, faute de gestion n°2.
50 NLEP Roger Gabriel, L’administration publique camerounaise, op.cit.,
51 AKONO ONGBA SEDENA, op.cit., p. 263.
52 Décision n°00030/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 11 juin 2012,

Infligeant des sanctions disciplinaires à Monsieur Jean Jacques NDOUNDOUMOU, Ex-


Directeur Général de l’ARMP, fautes de gestion n°1 et 3.
361
II. La faute de gestion, un manquement de nature principalement
financière
La protection de biens publics est l’une des priorités de l’Etat en
matière de gouvernance. Elle se caractérise par la recherche des
irrégularités constitutives des fautes dans la gestion publique par les
institutions compétentes à l’instar de la Chambre des comptes, de la
Commission Nationale Anti-Corruption (CONAC), du CDBF. A cet effet,
ces irrégularités sont regroupées autour de deux grandes catégories, et dont
la nature purement financière nous intéresse dans cette partie. Il sera donc
question d’analyser les manquements aux règles d’exécution des recettes et
fiscales (A) et à ceux liés aux règles d’exécution des dépenses (B).
A. Les irrégularités relatives aux règles fiscales et des recettes
La nature de recettes est très variée, dans laquelle on note les
créances, les impositions de toute nature, les redevances…53. Parmi les
règles dont le non-respect est réprimé par les textes des juridictions
financières, figurent celles qui se rapportent à l’exécution des recettes en
général. La typologie des cas de figure qui sera proposée ici ne découle pas
des textes, mais d’une exploitation méthodique de la jurisprudence. Parmi
tant d’autres, l’on retient les cas de la violation des règles fiscales et celles
relatives aux recettes.

1. Le manquement lié aux règles fiscales


Les irrégularités commises dans le domaine de la prise en charge des
recettes « notamment en matière fiscale » se trouvent au cœur du champ de la
comptabilité publique. Car en principe faisant partie du monopole du
comptable public, chargé de certaines tâches financières importantes. Il
s’agira ici de relever quelques une de ces taches comme les manquements
aux règles de déclaration, de recouvrement et de gestion de caisse.
La sanction de la violation aux règles fiscales par le CDBF est une
forme de nouveauté en droit budgétaire camerounais. Elle cherche à
étendre la compétence de celui-ci, afin de pouvoir déférer à cette haute
instance les agents responsables de services publics qui ne se conforment
pas aux obligations qui leur incombent en matière de déclarations à fournir
aux administrations fiscales54. La violation des règles fiscales se distingue
par l’omission de déclaration ou l’absence de déclaration fiscale et les
manipulations de la déclaration telles que les fausses déclarations ou les
déclarations tardives.
En ce qui concerne la sanction de l’omission de déclaration ou
d’absence de déclaration fiscale, il ne s’agit pas d’établir la responsabilité
des personnes en question en tant que contribuables individuels, mais de la
responsabilité qu’elles peuvent encourir du fait de la non-déclaration

53 GROPER Nicolas, La responsabilité des gestionnaires publics devant le juge financier, op.cit. p. 179.
54 Idem, p.238.
362
systématique et volontaire dans l’exercice de leurs attributions de certains
éléments qui doivent être déclarés55. On peut avoir pour exemple le cas
d’un directeur qui ne déclare pas les indemnités de fonction de son
président du conseil d’administration, d’un ministre qui ne déclare pas les
frais d’enregistrement de tous les droits de son service, l’absence de
paiement des impôts et taxes par une collectivité publique...Même si une
omission de déclaration a fait l’objet d’une régularisation plus tard, elle
n’efface pas l’irrégularité. Comme on peut le voir dans une jurisprudence
française, de l’omission de déclaration, ayant pour effet la non application
de plafonnement de déduction forfaitaire et des frais professionnels
prévue par le code général des impôts ait fait l’objet de régularisations
ultérieures, est sans effet à l’existence d’une infraction56.
La responsabilité pour omission de déclaration fiscale qu’encourent
ces organismes est identique à celle découlant d’une mauvaise gestion des
deniers publics. Car l’absence de déclaration fiscale est une soustraction
des sommes d’imposition au trésor public que ces organismes ont
connaissance : d’où l’intervention du CDBF qui est une instance financière
et non fiscale.
C’est pourquoi il n’est pas surprenant de voir les décisions du
conseil en la matière : non soumission de 100 (cent) marchés d’une valeur
globale de 67.583.924.145 FCFA au régime fiscal en vigueur, d’où un
préjudice de 13.009.905.393 FCFA en terme de TVA et de TSR (Taxe
spéciale sur le revenu) non reversées au trésor public, ayant induit un
préjudice financier à la SONARA d’un montant de 15.342.191.729
FCFA57 ; paiement de prestation toutes taxes comprises (TTC) et sans
retenue à la source des impôts et taxes y afférents pour un préjudice
financier de 135.321.638 FCFA58.
Par ailleurs, l’insuffisance de déclaration fiscale est caractérisée des
manipulations sur la déclaration et la sous information sur la matière
déclarative ; fausse déclaration ou déclaration erronée de la part d’un agent
public ; des déclarations inexactes ; de déclarations incomplètes ;59 ou
même alors la déclaration tardive.
Par ailleurs, les créances de l’Etat sont des recettes dont le non-
respect des règles de recouvrement et de gestion peut être qualifié
d’irrégularité de gestion au sens de la loi n°74/18. On peut souvent

55 Idem, pp. 238 et 239.


56 Cour de Discipline Budgétaire et Financière, 28 juin 1995, Direction générale et
Direction d’Ile-de-France de la poste. Cf. GROPER Nicolas, La responsabilité des gestionnaires
publics devant le juge financier op.cit., p. 242.
57 Décision n°00001/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS/SGSAS du 22 mars

2013, METOUCK Charles, op.cit., faute de gestion n°2.


58 Décision n°00011/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 12 mars 2013,

décision portant sanctions des responsabilités de Monsieur Célestin NDONGA, Ex-


Directeur Général de la Société EDC.
59 GROPER Nicolas, La responsabilité des gestionnaires publics devant le juge financier, op.cit., p.

239.
363
observer dans ce sens les cas de non-recouvrement ou de recouvrement
tardif ou partiel et même parfois du non-reversement de recettes dans la
caisse de l’Etat.
En effet, la violation des règles de non-recouvrement d’une créance
découle souvent d’une disposition contractuelle ayant ouvert un droit en
faveur de la structure concernée, voire d’un principe de gestion. Car ne pas
recouvrer une créance due est contraire aux intérêts matériels de
l’organisme. L’irrégularité en matière de recouvrement d’une créance
constitue par ce fait une faute de gestion au regard de cette violation du
principe d’intérêt public. Il existe de nombreux cas de non-recouvrement
de recettes : le cas de l’absence de mise en recouvrement de majorations,
de retards dus à une caisse de sécurité sociale. Le conseil relève dans sa
décision n°00017/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 9 mars
2009, la négligence dans le recouvrement de certaines recettes locatives
pour un montant de 15.000.000 FCFA60.
A côté du non-recouvrement de recettes, apparait le non-
reversement ou le reversement tardif de recettes dans la caisse de l’Etat.
Ici, les créances sont recouvrées mais elles ne sont pas acheminées dans la
caisse de l’Etat, ou du moins pas à temps. C’est ce qui se lit dans la
décision n°00015/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 9 mars
2009 du CDBF, en ces termes : le défaut de reversement à la caisse du
siège de la SCDP de la somme de 43.000.000 FCFA61. Dans une autre
affaire, le conseil fait le rapport entre les cas et trouve une dissimulation de
recettes provenant de la vente d’huile et de tourteaux ayant induit chacune
respectivement un préjudice financier de 1.500.195.782 FCFA pour la
première et de 1.360.902.379 FCFA pour la société62. De même que dans
l’affaire TABI Manga, le conseil a retenu le non reversement des impôts,
ayant généré un préjudice financier pour l’Université, d’un montant de
39.470.687 FCFA63.
2. Le manquement aux règles de gestion des recettes
La méconnaissance de règles de gestion de recettes est d’un
caractère général au même titre que le non-respect de règles de protection
des finances publiques. Elle englobe un certain nombre de faits contraires
à la réglementation financière. Il s’agit notamment des cas de non-respect
de règles de la prise en charge des recettes, des emprunts irrégulièrement

60 Décision n°00021/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS/SGSAS du 11 mars


2009, NGUINU EFFA Jean Batiste de la Salle, op.cit., faute de gestion n°12.
61 Décision n°00015 D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 9 mars 2009,

MACKONGO Jean Gueye, op.cit., faute de gestion n°6.


62 Décision n°00022/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 27 mars 2013, IYA

Mohamed, op.cit., faute de gestion n° 1 et 2.


63 Décision n°00027/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 11 juin 2012

infligeant des sanctions disciplinaire et financières à Monsieur le Professeur Jean TABI


MANGA, Ex-Recteur de l’Université de Yaoundé II, faute de gestion n°3.
364
souscrits, le détournement des recettes, de l’omission de l’émission ou de
l’émission non autorisée et le cas d’avantages indus et injustifiés.
En effet, ces manquements se manifestent par l’omission. On
entend par omission, un refus volontaire d’accomplir un devoir. Plusieurs
hypothèses peuvent être retenues ici. Il peut s’agir de : manquement,
inobservation, dissimulation, erreur matérielle, rectification, refus, silence,
réticence64. A cet effet, l’on parlera, dans le cadre de la faute de gestion, de
l’omission de l’émission et du refus de paraitre aux risques financiers.
L’omission de l’émission se caractérise le plus souvent par un refus
explicite de mettre en circulation un document légalement prescrit, ou
d’une masse monétaire en circulation, et dans le but du fonctionnement
normal d’une structure. Le plus souvent, le refus de l’émission par un
supérieur hiérarchique est la cause intentionnelle des malversations
financières. Ce qui sans doute, est une irrégularité constitutive de faute de
gestion, même en l’absence du préjudice. C’est en fait une cause de
paralysie des institutions. Quant à l’émission non autorisée, c’est la mise en
circulation de la masse monétaire, en violation des règles y afférentes. Elle
est souvent liée à l’affectation de crédits contraire à leur objet d’affectation
comme cela a été relevé par le conseil dans l’affaire NGUINI EFFA Jean
Baptiste de la Salle65.
Quant à l’emprunt, il doit se faire au non d’une structure publique et
dans des conditions juridiques bien précises. Une mention doit être faite
sur le recours à l’emprunt, qui doit répondre à des règles précises
d’autorisation. La violation des règles d’emprunt sont considérées comme
une irrégularité de gestion au même titre que les règles de gestion des biens
publics. Ainsi, donnera lieu à sanction par exemple le fait, pour un
directeur ou un ordonnateur, de faire un emprunt au nom de l’Etat sans
autorisation préalable des instances compétentes.
C’est ainsi que le CDBF sanctionne dans l’une de ses décisions,
notamment dans l’affaire METOUCK Charles, Ex-Directeur Général de la
Société Nationale de Raffinage. Concernant spécifiquement ce cas, elle
retient l’engagement des opérations à forte incidence financière sans l’avis
du ministre en charge des finances, dans le cadre des emprunts relatifs au
financement de l’extension de la SONARA d’une valeur globale de
350.000.000.000 FCFA66.
En ce qui concerne la notion d’avantages, elle est large et présentée
sous forme pécuniaire ou en nature. Ainsi, si l’avantage injustifié n’est pas
prouvé, l’infraction ne peut être retenue, même s’il y a par ailleurs un
préjudice. La notion du caractère injustifié d’un avantage n’est pas aisée à
cerner, car en particulier elle ne doit pas être confondue avec la notion

64CORNU Gérard, Vocabulaire juridique, op.ci, p. 708.


65 Décision n°00021/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 11 mars 2009,
NGUINI EFFA Jean Batiste de la Salle, op.cit., faute de gestion n°14.
66 Décision n°0001/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 22 mars 2013,

METOUCK Charles, op.cit., faute de gestion n°29.


365
d’avantage irrégulier. L’octroi d’un avantage peut être entaché
d’irrégularités sans pour autant qu’il soit injustifié pour le bénéficiaire.
Précisons que pour être injustifié, l’avantage doit être indu, c’est-à-dire
dépourvu de contrepartie effective ou adéquate67. L’avantage doit avoir été
accordé à autrui, ce qui exclut l’avantage accordé à soi-même. Le cas
d’avantages à soi-même n’est pas interprété au même titre qu’à autrui. Car
à soi-même peut être rattaché au détournement de recettes, et parfois une
infraction pénale68.
Le conseil retient quelques cas précis de cette catégorie de faute :
octroi d’un avantage indu à certains personnel pour une valeur de
46.928.700 FCFA et de libéralités à des personnes n’appartenant pas à la
société SCDP pour un montant de 7.381.400 FCFA69 ; octroi de prestation
parallèlement exécutée ayant causé un préjudice financier de 58.060.698
FCFA70 ; octroi d’un montant indu d’indemnités de session au secrétaire
de la passation des marchés de la société ayant causé un préjudice financier
de 8.100.000 FCFA71 ; octroi discriminatoire d’indemnités de
représentation ou de sujétion supérieur au montant règlementaire à 73
personnes pour un montant de 119.376.600 FCFA72. Le conseil n’entend
pas limiter son champ de compétence en la matière et des possibilités
encore nombreuses.
Qu’il s’agisse d’un détournement de recettes à titre privé
(personnel), ou au bénéfice d’un tiers, le détournement de recettes est une
infraction particulière directement liée au non-recouvrement d’une créance
et de l’avantage indu. Il prend la forme d’avantages indus lorsqu’il va à un
tiers, et peut par contre prendre la forme d’un détournement au sens du
droit pénal si ce détournement se fait à son bénéfice personnel73.
Il en est ainsi de l’octroi de ristournes sans l’aval de l’Assemblée
Générale, ayant généré un préjudice financier de 1.509.871.966 FCFA.
La cour de discipline française avait condamné dans le même sens,
un agent qui avait « mis à profit les facilités que lui offrait la gestion occulte pour
détourner une partie des recettes » destinée à l’association qui encaissait
irrégulièrement les recettes, qui elles-mêmes auraient dû revenir à la caisse

67 GROPER Nicolas, La responsabilité des gestionnaires publics devant le juge financier, op.cit. p. 250.
68 Idem., pp. 244.
69 Décision n°00021/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 11 mars 2009, affaire

NGUINI EFFA, op.cit., faute de gestion n°15 et 24.


70 Décision n°00011/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 12 mars 2013,

NDONGA Célestin, op.cit., faute de gestion n°3.


71 Décision n°00022/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 27 mars 2013 portant

sanction des responsabilités de Monsieur IYA Mohamed, op.cit., faute de gestion n°11.
72 Décision n°00001/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 22 mars 2013,

METOUCK Charles, op.cit., faute de gestion n°27.


73 GROPER Nicolas, La responsabilité des gestionnaires publics devant le juge financier, op.cit., p.

181.
366
publique74 . Cette nature de faute peut faire l’objet d’un autre jugement par
le juge répressif si le détournement est fondé à titre personnel comme dans
le cas IYA Mohamed.
B. Les irrégularités relatives aux règles des dépenses
C’est à l’occasion des opérations d’exécution des dépenses
publiques que la plupart des irrégularités sont commises dans la gestion,
ou la plupart des irrégularités ont une conséquence en termes de dépense.
L’on appréhende la faute de gestion comme un acte illicite supposant la
réunion d’un triple critère, à savoir matériel, d’illicéité et moral. Il s’agira
alors d’examiner les manquements relatifs aux règles d’exécution des
dépenses, ainsi que ceux liés aux opérations financières.
1. Le manquement relatif aux règles d’exécution des dépenses
Dans cet ensemble, plusieurs sous-catégories peuvent être
distinguées et cette catégorisation ne respecte pas les textes et connait ses
limites. Car une même action peut tomber sous le coup de plusieurs
catégories, l’objectif étant simplement de structurer le foisonnement des
cas de figure qui peuvent se présenter pour permettre aux praticiens de
retrouver plus facilement la jurisprudence existante pour un cas déterminé.
On peut observer plusieurs cas de violation des règles d’exécution
des dépenses telles le dépassement des crédits sans autorisation, du
dépassement de crédits limitatifs (du budget de l’Etat)75, de l’engagement
juridique en l’absence de crédits budgétaires (le cas d’une décision par
simple ordre de service, de poursuivre un marché alors que les aspects
techniques et financiers avaient entièrement changé et que les crédits
supplémentaires n’étaient pas disponibles)76 et le fait de mener des
opérations, se traduisant par de dépenses qui excédaient manifestement
l’objet assigné à l’organisme en cause. La Cour de Discipline Budgétaire et
Financière française est largement claire dans ses jugements en matière
d’irrégularités budgétaires. Le non-respect d’équilibre budgétaire applicable
à l’établissement ; engagement au-delà de crédits disponibles77 ; dépenses
effectuée en l’absence de crédits ouverts78 ; et le cas également du

74 Cour de Discipline Budgétaire et Financière, 17 mai 1977, Centre de recherches


zootechniques et vétérinaire de Theix, req. n°32-81. Cf. GROPER Nicolas, La responsabilité
des gestionnaires publics devant le juge financier, op.cit., 181.
75 Cour de Discipline Budgétaire et Financière, 24 juin 1958, Société d’exploitation et des

forges et ateliers de Lyon, Recueil Lebon, p. 893.


76 Cour de Discipline Budgétaire et Financière, 14 mai 1973, Service de la navigation de

Strasbourg. Cf. FABRE Francis J., Anne FROMENT-MEURICE, BERTUCCI Jean-Yves,


GROPER Nicolas, Paris, Dalloz, 2007, 5e éd., pp. 449-450.
77 Cour de Discipline Budgétaire et Financière, 1 er juillet 1987, Université Paris XII Val de

Marne. Cf. GROPER Nicolas, La responsabilité des gestionnaires publics devant le juge financier,
op.cit., 192.
78 Cour de Discipline Budgétaire et Financière, 20 avril 1988, Caisse Interprofessionnelle de

retraite des commerçants détaillants de la région parisienne (CIRCD), recueil Lebon, p. 546.
367
dépassement de crédits sans autorisation votés par l’organe compétant79.
La sanction de la faute de dépassement de crédits fait partie des règles de
protection des finances publiques. Le conseil se base surtout sur les
irrégularités de dépenses en vue de dissimuler un dépassement de crédit,
comme l’engagement de dépenses sans avoir le pouvoir ou sans avoir reçu
délégation de signature à cet effet. Toute personne qui aura enfreint les
règles relatives à l’exécution de recettes et de dépenses de l’Etat ou des
collectivités, établissements et organismes public, ou à la gestion de biens
leurs appartenant, aura donné son approbation aux décisions incriminées,
sera passible d’une amende prévue par les textes80.
Le conseil a par exemple retenu dans l’affaire NGUINI EFFA, le
dépassement sans autorisation des crédits votés par le Conseil
d’Administration81. A titre de comparaison, la cour de discipline française a
retenu dans l’affaire « service de la navigation de Strasbourg » comme exemple
des sanctions prononcées pour les irrégularités commises par les
fonctionnaires de l’Etat dans l’engagement et l’exécution des dépenses
publiques. Les dépenses engagées par l’ingénieur en chef après la
délivrance de l’ordre de service en cause ont en effet excédé les
autorisations budgétaires. La cour de conclure, « le volume des travaux et par
conséquent le coût, évoluant de façon telle qu’il demeurait très largement supérieur tant
au montant des autorisations de programme affectées par l’administration centrale qu’au
montant des marchés en cour »82.
Par ailleurs, le manquement aux règles d’exécution des dépenses
trouve sa concrétisation dans l’exécution des marchés publics. Dans ce
cadre, on rencontre des cas des contournements des règles de marchés
publics, ou même l’absence de marché ou la passation de marchés après la
réalisation de la prestation. Il n’est pas surprenant que les procédures
d’achats et de contrats publics donnent lieu fréquemment à des
irrégularités. En effet, le nombre d’opérations effectuées est considérable
d’une part, et d’autre part, la règlementation applicable à cette branche de
la gestion publique est particulièrement foisonnante et instable83. Ainsi, les
règles des marchés publics, dans leur réalisation, se heurtent à des
violations qui portent atteinte aux intérêts de la puissance publique.
Par ailleurs, le conseil retient dans une autre affaire, la violation de
règles de marchés publics caractérisée par la signature d’un contrat sans

79 Décision n°00021/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 11 mars 2009,


NGUINI EFFA, op.cit., faute de gestion n°2, op.cit.
80 FABRE Francis J., Anne FROMENT-MEURICE, BERTUCCI Jean-Yves, GROPER

Nicolas, Les Grands Arrêts de la Jurisprudence Financière, Paris, Dalloz, 5e éd., 2007, p. 452.
81 Décision n°00021/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 11 mars 2009, affaire

NGUINI EFFA, op.cit., faute de gestion n°2.


82 Cour de Discipline Budgétaire et Financière, 14 mai 1973, Service de la navigation de

Strasbourg, voir FABRE Francis, Anne FROMENT-MEURICE, BERTUCCI Jean-Yves,


GROPER Nicolas, Les Grands Arrêts de la Jurisprudence Financière, op.cit., p. 449.
83 Ibid.

368
fixation de prix ayant induit un préjudice financier de 313.512.157 FCFA84.
Les décisions du conseil vont au-delà des cas susmentionnés.
En dehors d’irrégularités d’ordre procédural, les règles de marchés
publics rencontrent d’autres difficultés dans leur réalisation, parfois
inexistante. Nombreux cas d’espèce illustrent un tel manquement : des
travaux commandés sans marché et absence de marché ; absence de
contrat écrit et l’exécution de prestation avant notification de marché ;
marché conclu après le début d’exécution ; commencement d’exécution
avant notification, pour ne citer que ces exemples.
Le conseil, suivant les cas susmentionnés, a sanctionné, dans deux
affaires similaires de la même année, la violation de la réglementation des
marchés publics à travers la certification des dépenses sans exécution
intégrale des prestations, objet de lettre de commande et de marchés
publics pour des montants respectif de 2.065.081 FCFA85 et de 491.885
FCFA86 et la violation des règles de marchés matérialisée par la
surfacturation de certaines rubriques du devis estimatif et quantitatif d’un
contrat ayant induit un préjudice financier de 33.597.852 FCFA87.
2. Le manquement relatif aux règles des opérations financières
Est constitutif d’une infraction aux règles financières, le fait de
mener des opérations se traduisant par des dépenses qui excédent
manifestement l’objet assigné à l’organisme en cause88. Ces opérations
trouvent leur justification dans des multiples jurisprudences. C’est ce qui
ressort d’ailleurs de l’affaire NGUINI EFFA Jean Baptiste de la Salle
« octroi de sursalaire sans base légale et sur des considérations subjectives pour un
montant de 10.3578.412 FCFA »89.
Est également considérée comme irrégularité de liquidation,
l’utilisation des crédits d’équipement via des subventions versées à un
établissement sous tutelle, pour couvrir les frais de fonctionnement. Ce qui
est contraire au principe de spécialité des crédits budgétaires90. C’est le cas
de l’engagement de certaines dépenses par simple bon de commande au

84 Décision n°00001/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 22 mars 2013,


METOUCK Charles, op.cit., faute de gestion n°10.
85 Décision n°00061/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 16 septembre 2013,

GOURKO Feron Robert, op.cit.


86 Décision n°00064/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS/SGSAS du 9 octobre

2013, ZIKI TCHANG, op.cit.


87 Décision n°00001/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS/SGSAS du 22 mars

2013, METOUCK Charles, op.cit., faute de gestion n°20.


88 GROPER Nicolas, La responsabilité des gestionnaires publics devant le juge financier, op.cit., p.

191.
89 Décision n°00021/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 13 novembre 2009,

NGUINI EFFA Jean Batiste de la Salle, op.cit.


90 Cour de Discipline Budgétaire et Financière, 26 mai 1987, Ministère de l’industrie,

conventions signées avec le bureau de recherches géologiques et minières, req. n°66-150.


369
lieu de la procédure de lettre-commande91, et le cas du paiement accordé à
une personne ou à une société sans exécution de prestation92.
Parler des engagements financiers excessifs suppose aussi, comme
dans le cadre d’une jurisprudence du CDBF, du paiement en excès à une
société dans le cadre de l’exercice d’un contrat, causant un préjudice. Le
paiement en trop à une société dans le cadre de la livraison de pétrole brut
pour un montant des préjudices de 649.424.191 FCFA imputé au mis en
cause93. Il en est de même de la faute de gestion n°13 de la même décision
00001/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS94. Du dépassement
des crédits sans autorisation du conseil d’administration95.
La notion de faute de gestion pure96 comme acte ou omission
contraires aux intérêts de la puissance publique, ne peut être sanctionnée
que si elle est matérialisée par la violation des règles ou le non-respect
d’obligations. Cela provient de l’encrage légal du droit public financier. A
défaut, le principe de légalité ne serait pas respecté. Le conseil intègre
désormais les fautes qui ne sont pas directement liées à la violation d’une
règle écrite. Plusieurs exemples sont signifiants.
En France, la Cour de Discipline Budgétaire et Financière va jusqu’à
sanctionner des comportements actifs, des agissements positifs d’une
personne sur la base du principe de gestion qui ne figure pas toujours dans
les textes. Il ne s’agit pas de sanctionner une personne du fait de ses
négligences ou des irrégularités activement commises, mais d’un
agissement complètement détaché de toute irrégularité97. Ainsi la Cour a
constater à propos d’une vente d’un immeuble d’une SA, que la procédure
de vente n’a respecté aucun des principes généraux qui auraient permis
une compétition équitable entre les différents concurrents et le recueil des
offres les plus avantageuses pour l’établissement. Aucun texte n’avait été
violé mais juste le non-respect du principe de gestion qui a conduit la cour
a retenir l’infraction de l’art. L313-4 du code des juridictions financières.98
Au Cameroun les irrégularités en matière de violation des principes
de gestion s’articule autour du contrôle de performance qu’effectue le
Conseil, comme l’indique l’article 2 de du décret n°2013/28799.

91 Décision n°00021/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS/BSAS du 13 novembre


2009, NGUINI EFFA Jean Batiste de la Salle, op.cit., faute de gestion n°4.
92 Idem., faute de gestion n°19 : paiement accordé à la société WACO pour un montant de

45.000.000 FCFA.
93 Décision n°00001/ D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 22 mars 2013,

METOUCK Charles, op.cit., faute de gestion n°6.


94 Idem., faute de gestion n°13, engagement et liquidation de dépenses… à travers un

versement des frais hors taxes de 260.315.405 FCFA.


95 Idem, faute de gestion n°2.
96 Ibid.
97 Décision n°00001/ D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 22 mars 2013,

METOUCK Charles, op.cit., faute de gestion n°2.


98 Cour de Discipline Budgétaire et Financière, 6 mai 1993, Établissement public central

Charbonnage de France, req. n°98-275, Rev. Trésor, 1994, p. 758.


99 Décret n°2013/287 du 04 septembre 2013, op.cit.

370
Globalement, elles concernent l’absence de diligence en vue de l’adoption
par la société d’un statut du personnel et d’un manuel de procédures
intégrant tous les aspects de gestion de la société ; la négligence dans le
suivi de certains dossiers …Faut-il comprendre encore que cette
négligence conduise à la non-atteinte de l’objectif visé. C’est d’ailleurs
l’objet de plusieurs décisions du Conseil en la matière comme on peut le
constater dans la décision n°
00016/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS100. Le plus important
ici est la non-atteinte de l’objectif visé qui n’est pas prévue par les textes,
mais dont le Conseil prend en considération. C’est une avancée indéniable
dans la démarche du Conseil qui expose l’étendu de sa compétence qui va
jusqu’à la vérification du niveau de résultat de la gestion d’un projet. C’est
ce qui ressort d’ailleurs de la décision n°
00021/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS, fautes de gestion
n°11 et 12101.
Conclusion
Au demeurant, le législateur camerounais envisage les actions
susceptibles d’être qualifiées de faute de gestion. Tel est l’objet des articles
3102 et 6103 de la loi n°74/18 du 5 décembre 1974, des articles 105, 106 et
107 du Décret n°2004/275 du 24 septembre 2004 portant Code des
marchés publics, abrogé par le décret n°2018/366 du 20 juin 2018 portant
code des marchés publics, ainsi que l’article 88 de la loi n°2018/012 du 11
juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités
publiques. A l’analyse de ces textes, deux éléments cumulatifs caractérisent
la faute de gestion devant le CDBF. Il s’agit, d’une part, de l’existence
d’une irrégularité, et d’autre part, que l’irrégularité porte atteinte aux
intérêts de la puissance publique. La notion d’irrégularité évoque un
comportement contraire à la règle de droit104. La loi n°2018/012
susmentionnée en fait juste un acte volontaire ou non, d’agent public,
contraire à l’intérêt général.
En substance, la faute de gestion apparait comme une violation des
règles de bonne gouvernance administrative et financière. Dans son volet
administratif, une faute est commise lorsqu’un agent public arrive à

100 Décision n°00016/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 13juin 2012,


LIFANDA Samuel EBIAMA, op.it., faute de gestion n°2, défaut de production des études
techniques ayant débouché sur la non-atteinte de l’objectif visé.
101 Décision n°00021/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS 11 mars 2009,
NGUINI EFFA Jean Baptiste de la Salle, op.cit., faute de gestion n°11 et 12.
102 « Est considéré comme irrégularité au sens de la présente loi toute faute de gestion préjudiciable aux

intérêts de la puissance publique. »


103 « Est considéré comme irrégularité au sens de la présente loi toute faute de gestion commise dans une

entreprise d’Etat et préjudiciable à la puissance publique, ne ressortissant pas nécessairement des tribunaux
administratifs ou de commerce ».
104 AKONO OMGBA, « La distinction entre la faute de gestion et le détournement des

deniers publics en droit camerounais » op.cit., p. 261.


371
outrepasser les règles substantielles et processuelles régissant l’activité
contractuelle de l’administration ou d’un organisme soumis à la
réglementation des marchés publics. Il y’a faute de gestion encore en cas
de violation des dispositions statutaires régissant l’administration ou la
gestion de cette catégorie d’organisme public105. Au plan financier, il y’a
faute de gestion en cas d’exécution anormale ou irrégulière des dépenses et
recettes publiques par les gestionnaires des crédits publics de nature à
empêcher l’accroissement de la fortune publique.

105 Idem, p. 266.


372
DROIT ET PRATIQUE DE LA COMPTABILITE
PUBLIQUE
Sous la coordination de :
Achille BASSAHAG
Inspecteur principal des régies financières (Trésor), Directeur de la comptabilité publique
(MINFI)
Patrick Gérard SOROK A BOL
Ph.D en Droit Public/Université de Yaoundé II (Cameroun)
Inspecteur des Régies Financières (Trésor)
([email protected])

373
CHAMBRE DES COMPTES ET COMPTABILITE
PATRIMONIALE AU CAMEROUN
Par
Dr. Patrick Gérard SOROK A BOL
Ph.D en Droit Public/Université de Yaoundé II (Cameroun)
Inspecteur des Régies financières (Trésor).

RESUME :

La présente réflexion se propose de déterminer la place de la Chambre des Comptes de la


Cour Suprême dans le processus de mise en œuvre de la comptabilité patrimoniale. Elle s’inspire
d’une observation empirique relative à l’aboutissement d’une comptabilité générale largement
inspirée des pratiques en vigueur dans le système comptable OHADA et qui donne de nouvelles
missions à la Chambre des Comptes. Celle-ci doit désormais s’appuyer sur un référentiel des
normes comptables et de certification visant à décrire l’image fidèle du patrimoine des entités
publiques. Seulement, le caractère non automatique des écritures en comptabilité patrimoniale, et
surtout la part de subjectivité nécessairement présente dans toute évaluation du patrimoine,
imposent que les comptes soient revus par des personnes externes, à la fois indépendantes et
compétentes. Celles-ci doivent également disposer de larges pouvoirs d’investigations, un rôle que la
Chambre des Comptes aurait pu jouer efficacement si elle bénéficiait d’une plus grande marque
d’autonomie et de compétences suffisantes pour exercer ses nouvelles missions de la comptabilité
patrimoniale. En attendant qu’une telle orientation soit adoptée, le constat actuel est celui d’un
positionnement contestable de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême qui, conduit à
formuler le vœu d’un repositionnement institutionnel visant à garantir l’efficacité d’une
comptabilité patrimoniale naissante et pour laquelle, la bascule est prévue au 1 er janvier 2022.

Mots clés : Chambre des Comptes, comptabilité patrimoniale, finances publiques

ABSTRACT:

The present reflection proposes to determine the place of the Audit Bench of the Supreme
Court in the process of implementing asset accounting. It is inspired by the outcome of general
accounting largely inspired by the practices in force in the OHADA accounting system which
gives new missions to the Chamber of Accounts. This must now be based on a repository of
accounting and certification standards aimed at describing the faithful image of the assets of
public entities. However, the non-automatic nature of the entries in asset accounting, and above
all the part of subjectivity necessarily present in any valuation of assets, requires that the accounts
be reviewed by external persons who are both independent and competent. They must also have
broad investigative powers, a role that the Audit Bench of the Supreme Court could have played
effectively if it had enjoyed a greater degree of autonomy and sufficient skills to exercise its new
missions of asset accounting. Until such an orientation is adopted, the current observation is that
of a questionable positioning of the audit chamber of the Supreme Court which, leads to
formulate the wish of an institutional repositioning aimed at guaranteeing the effectiveness of an
nascent asset accounting and for which the new orientation is scheduled for January 1, 2022.

Keywords: Chamber of Accounts, asset accounting, public finance.

374
Introduction
« A peine de laisser sans sanction le droit financier »1, la loi fondamentale
camerounaise du 18 janvier 1996 crée la Chambre des Comptes et l’érige
en juridiction compétente pour contrôler et statuer sur les Comptes
publics et ceux des entreprises publiques et parapubliques2. Fondée sur le
maniement des fonds publics ou sur l’exercice des fonctions de comptable
public, la compétence de cette Chambre, comme partout ailleurs, est
d’ordre public. En effet, « Même en excipant de sa bonne foi ou de son ignorance
des juridictions établies par la loi »3, nul n’est en droit de se soustraire à
l’obligation de reddition des comptes4. C’est ainsi que le juge des comptes
est appelé à se saisir d’office de toutes les irrégularités constatées dans le
règlement du budget de l’Etat et des autres entités publiques5.
La mise en place d’une juridiction financière, qui n’est d’ailleurs pas
un fait nouveau dans la législation financière camerounaise6, est, il faut le
relever, indispensable à la performance des Finances publiques. On a pu
ainsi observer au fil du temps, une volonté manifeste des pouvoirs publics
de moderniser les institutions judiciaires et d’assainir les finances
publiques. Volonté concrétisée et ce, en application des dispositions
constitutionnelles7, par la promulgation des lois du 21 avril 2003 et du 29
décembre 2006, fixant respectivement les attributions, l’organisation et le
fonctionnement de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême et des

1 MARQUES DI BRAGA (P) et LYON (C), Traité des obligations et de la responsabilité des
comptables publics. De la comptabilité de fait, Paris, Société d’imprimerie et de librairie
administrative Paul Dupont, 1890, tome 1, p. 214.
2 V. Article 41 de la Constitution du 18 janvier 1996.
3 C.C., 28 Avril 1869, Commune de Boulogne-sur-Mer, Rec. 1878.
4 FROMENT-MEURICE (A), BERTUCCI (J.Y), GROPER (N), Les grands arrêts de la

jurisprudence financière, Paris, Dalloz, 2007, 5e édition, p. 17.


5 Même comme il faut souligner que le principe selon lequel le juge doit se saisir d’office de

toutes les irrégularités constatées dans le règlement du budget, perd de sa portée. Le


volume des recettes et dépenses est tel que, de nos jours, les magistrats ne parviennent à
examiner qu’une faible partie des opérations décrites dans les comptes publics.
6 Sur le plan historique, l’ordonnance de 62/0P/4 7 Février 1962 portant régime financier

de la république fédérale du Cameroun avait déjà créé une Cour fédérale des Comptes
auprès de la Cour Suprême. Celle-ci a été fonctionnelle entre 1962 et 1969, la loi n°69/LF/
du 14 juin 1969 de l’exercice budgétaire 1969-1970 ayant transféré ses attributions dès le 1er
Juillet 1969 à l’Inspection Générale de l’Etat.
Il faut relever par la suite que cette Cour composée de 4 membres, était numériquement
inapte à examiner avec efficacité les documents financiers dont le volume était sans cesse
croissant. A cela on peut ajouter que le Directeur du Trésor, devenu comptable public
principal après la réforme de la Comptabilité publique de mai 1967, n’a pas produit ses
comptes de gestion en raison sans doute du volume trop élevé des comptabilités
centralisées à son niveau, et du défaut d’informatisation des procédures comptables. Par
ailleurs, il occupait le poste de substitut du Procureur Général auprès de ladite Cour devant
laquelle il devait paradoxalement présenter son compte de gestion pour examen.
7 La révision constitutionnelle du 18 janvier 1996 va créer la Chambre des Comptes au sein

de la Cour Suprême et les juridictions inférieures des Comptes. Lire article 42 de la


Constitution.
375
Tribunaux régionaux des Comptes8. La loi portant régime financier de
l’Etat et des autres entités publiques de 20189, qui se substitue à celle du 26
décembre 200710 consacre le contrôle juridictionnel des opérations
budgétaires et comptables des administrations publiques11. Ce contrôle est
assuré par la juridiction des Comptes12. Considérée aujourd’hui comme le
totem normatif des finances publiques camerounaises, la loi portant
régime financier du 11 juillet 2018 apporte d’importants changements dans
le mode d’exécution des opérations financières. Le législateur a voulu
témoigner l’importance prise par les comptes de l’Etat, tant en terme de
transparence que de respect des engagements communautaires mesurés à
partir des résultats Comptables13. Le chapitre II du titre V, intitulé « De la
comptabilité », est révélateur de cette approche. On y trouve l’affirmation
de la coexistence d’une comptabilité générale fortement développée, aux
côtés d’une comptabilité budgétaire adaptée aux enjeux de la nouvelle
gestion publique, ainsi que l’émergence d’une comptabilité d’analyse des
coûts, venant s’articuler avec ces deux précédentes, afin d’en valoriser les
données dans une optique de transparence et d’efficience14.

8 Dans ce dernier cas, le législateur a cherché à concilier l’impératif de service public, et la


nécessité d’un ancrage local des juridictions inférieures des Comptes et à établir ensuite, un
difficile compromis entre la quête d’efficacité de celle-ci et le réalisme politique. Les
Tribunaux régionaux des Comptes issus de ce compromis étant chargés dans leur ressort,
du jugement des Comptes de gestion annuels des comptables publics auprès des
collectivités territoriales décentralisées et de leurs établissements publics.
Il faut indiquer qu’en dépit de leur existence sur le plan purement formel, les Tribunaux
régionaux des Comptes n’existent pas dans la pratique. La seule juridiction faisant office de
droit en la matière étant bien évidemment la Chambre des Comptes de la Cour Suprême.
9 La loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant Régime financier de l’Etat et des autres

entités publiques.
10 Loi n°2007/006 du 26 décembre 2007 portant régime financier de l’Etat.
11 Article 86 (1) de la loi du 11 juillet 2018 portant Régime financier de l’Etat et des autres

entités publiques.
12 Il faut dire ici que le législateur de 2018 utilise astucieusement la dénomination « juridiction

des Comptes », pour éviter un vice d’inconstitutionnalité. La démarche prudente de ce dernier


a consisté à concilier l’impératif communautaire qui exige la création de la Cour des
Comptes comme juridiction chargée de statuer sur les comptes publics. Une transposition
exacte de la directive CEMAC n°1/11-UEAC-190-CM-22 relative aux lois de finances
aurait nécessité une modification de la loi fondamentale du pays.
Il faut le dire, la loi de 2018 portant Régime financier de l’Etat et des autres entités
publiques dans cette disposition, ne cadre pas avec la lettre et l’esprit de la directive
CEMAC de 2011. En parlant de « Cour des Comptes », la Directive Communautaire a voulu
reconnaitre une autorité et une autonomie à cet important organe chargé de juger les
comptes publics ; surtout qu’aujourd’hui, on assiste à une grande tendance à
l’uniformisation et à la standardisation des règles de gestion des finances publiques à travers
le monde et que, les directives lient les Etats quant aux résultats à atteindre.
13 L’une des finalités de la réforme de la comptabilité publique en zone CEMAC est la

transparence et la lisibilité des budgets et des comptes ; notamment par le passage d’une
logique de moyen à une logique de résultats ; par la fiabilité de la situation financière de
l’Etat et par l’adoption des choix stratégiques.
14 SOROK A BOL (P.G), « L’apport de la nouvelle Comptabilité à la gestion des Finances

publiques au Cameroun », RAFiP, n°5, 1er semestre 2019, pp. 11-37.


376
S’agissant de la comptabilité générale, les dispositions de l’article 73
(1) de la loi portant régime financier de 201815 posent la règle de maîtrise
de l’évolution du patrimoine de l’Etat. Il est désormais indispensable que
les comptes de l’Etat qui comprennent les résultats de la comptabilité
budgétaire et ceux de la comptabilité générale soient « réguliers, sincères et
donner une image fidèle de l’exécution du budget et l’évolution du patrimoine de l’Etat
et de la situation financière »16. Fondée sur le principe de la constatation des
droits et obligations17, la comptabilité générale se réfère à des normes aussi
proches de celles des entreprises que le permettent le statut de l’Etat et les
spécificités de son action18. L’Etat est donc désormais appelé à tenir une
comptabilité patrimoniale qui devra permettre à terme, non seulement de
recenser et d’évaluer son patrimoine19, mais aussi de favoriser la
constitution d’un bilan d’ouverture20. Ce dernier devra permettre de faire
prendre conscience aux services gestionnaires de la dimension
patrimoniale de la comptabilité, de faire émerger une dynamique
d’ensemble des structures parlementaires pour fiabiliser les inventaires et
évaluations à l’effet de permettre, dès le 1er Janvier 2022, la disponibilité
d’un bilan d’ouverture au périmètre significatif et aux données traçables.
C’est bien d’ailleurs dans cette logique que doit être replacé le dispositif de
certification des comptes21, qui attestera ainsi, à l’instar des entreprises, du
respect des principes de régularité, de sincérité et de fidélité. C’est dire que
l’avènement de la comptabilité patrimoniale donne des nouvelles missions
à la Chambre des Comptes qui, pour garantir l’efficacité de l’action
publique, doit désormais s’inspirer des pratiques en vigueur dans les
entreprises.

15 L’Etat tient une comptabilité générale destinée à mesurer l’évolution du patrimoine de


l’Etat.
16 Article 73 (3) de la loi de 2018 portant Régime financier de l’Etat et des autres entités

publiques.
17 V. Article 75 (I) de loi de 2018 portant Régime financier de l’Etat et des autres entités

publiques.
18 LAMIOT (D), « La nouvelle comptabilité de l’Etat », Avant-propos, RFFP, n°93, 2006,

p. 8.
19 La comptabilité générale est commandée par la nécessité de décrire le patrimoine de

l’Etat et son évolution. Le recensement est une opération de comptage physique et


d’identification des avoirs ainsi que du passif de l’Etat. La loi distingue les actifs
immobilisés tels que les immobilisations corporelles et incorporelles, et les actifs circulants
à l’instar des stocks et des créances. Le passif de l’Etat, quant à lui, est constitué des dettes
financières et non financières, de la trésorerie active et passive. L’évaluation qui consiste à
donner une valeur à un actif ou un passif lors du recensement, repose sur le principe de
l’évaluation au coût historique.
20 La mise en œuvre de la comptabilité patrimoniale est soumise à la constitution d’un bilan

d’ouverture dont les biens inscrits sont les biens contrôlés par l’Etat. Cf. Article 30 du
décret n°2019/3199/PM du 11 septembre 2019 fixant le cadre général de présentation du
Plan Comptable de l’Etat.
21 L’article 86 (1) de la loi de 2018 portant Régime financier de l’Etat et des autres entités

publiques parle explicitement de juridiction des Comptes.


377
Toutefois, la littérature existante en matière de comptabilité
patrimoniale, et surtout la part de subjectivité nécessairement présente
dans toute évaluation du patrimoine, imposent que les comptes soient
revus par des personnes extérieures et étrangères, disposant de larges
pouvoirs d’investigations. C’est ce rôle qui est confié à la Chambre des
Comptes de la Cour Suprême, pour statuer sur les comptes publics. La
conception de l’objectif de contrôle de la Chambre des Comptes sera de
plus en plus prégnante à la faveur justement de la réforme budgétaire et
comptable décidée par la loi portant régime financier de 2018. Une
mission d’assistance aux administrations qui dépassent la seule mise en
œuvre de la réforme budgétaire et comptable, pour s’étendre plus
généralement à l’ensemble de la gestion publique qui doit être pilotée et
mesurée par la performance de l’action de ses gestionnaires. La nouvelle
mission de certification des comptes22 devrait amplifier cette évolution
plus ouverte et transparente de la mission d’assistance de la chambre des
comptes.
Cependant, il est peu probable, sur la base des éléments apportés
tout au long de la présente réflexion, que les accointances continues de
l’Exécutif avec la Chambre des Comptes de la Cour Suprême soient
difficilement conciliables avec la capacité effective de cette dernière, à
exercer sa mission principale de juge de la régularité des comptes publics.
Le problème du positionnement de la Chambre des Comptes dans ses
fonctions d’audit et de contrôle à équidistance du gouvernement est ainsi
posé. Elle doit pouvoir, pour l’essor de la comptabilité patrimoniale et par
extension des finances publiques, être une juridiction indépendante23. De
ce qui précède, on peut valablement formuler l’interrogation suivante : le
positionnement institutionnel de la Chambre des Comptes est-il
favorable à la mise en œuvre efficace de la comptabilité
patrimoniale ?
Une interrogation opportunément intéressante sous un angle
théorico-pratique. En théorie, elle permet de s’appesantir sur les missions
de la Chambre des Comptes dans le cadre de la nouvelle comptabilité
publique. Sur le plan pratique, l’étude est une source précieuse
d’information pour les décideurs politiques dans la mesure où elle permet
de comprendre que la réussite d’une réforme d’envergure n’est rendue
possible que si celle-ci est accompagnée par des institutions fortes,
capables de remettre en cause les décisions de l’administration. C’est dire
en d’autres termes que, la mise en œuvre efficace de la comptabilité
patrimoniale est tributaire du positionnement institutionnel de la Chambre
des Comptes. Un positionnement qui, à l’analyse, est précaire et par

22 V. Article 86 (3) de la loi de 2018 portant Régime financier de l’Etat et des autres entités
publiques.
23 Conseil Constitutionnel, Décision n°2001-448 DC du 25 juillet 2001, Loi organique

relative aux lois de finances, JO du 2 août 2001, p. 12490 ; FAVOREU (L) et PHILIP (L),
Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Paris, Dalloz, 2007, n°48.
378
conséquent préjudiciable à la comptabilité patrimoniale. Une telle
démonstration n’est possible qu’avec une méthode clairement définie.
L’option a été faite en faveur du positivisme analysé sous l’angle
pragmatique ou factualiste, avec un recours non moins important à la
jurisprudence financière. Une esquisse de réponse sur le rôle avenir de la
Chambre des Comptes dans le processus de maturation de la comptabilité
patrimoniale, conduit à mettre en exergue le constat d’un positionnement
institutionnel contestable (I), qui conduit à émettre le vœu d’un
repositionnement favorable à la comptabilité patrimoniale (II).
I. Un positionnement institutionnel contestable
L’initiative de reformer la comptabilité publique au Cameroun et
par extension dans l’espace communautaire CEMAC24, doit être saluée
dans la mesure où elle procède d’un souci de bonne gestion des finances
publiques. La Chambre des Comptes de la Cour Suprême occupe, par la
diversité de ses missions, une place qui est aujourd’hui essentielle dans le
contrôle des comptes publics. La consécration de la comptabilité générale
qui vise à restituer l’ensemble des mouvements affectant le patrimoine de
l’Etat25, implique que le résultat patrimonial26 soit évalué par des auditeurs
indépendants et compétents, disposant de véritables moyens de contrôle.
Si dans certains Etats, la juridiction des Comptes est souveraine et
indépendante27, au Cameroun, « la liberté d’esprit »28 de la Chambre des
Comptes est contestable. Le constat de son positionnement institutionnel
limité (A), permet de prévoir des conséquences défavorables à la mise en
œuvre pérenne de la comptabilité patrimoniale (B).
A. Le constat : une place limitée de la Chambre
Le positionnement institutionnel de la Chambre des Comptes de la
Cour Suprême tel que voulu par le constituant29, est défavorable à la mise
en œuvre efficace de la Comptabilité patrimoniale. Pour effectuer sa
mission d’assistance à l’exécutif et de contrôle des comptes publics, la
Chambre des Comptes doit désormais s’appuyer sur un référentiel des

24 Lire à ce sujet les nombreuses directives du cadre harmonisé de gestion des finances
publiques dans la zone CEMAC édictées en 2011.
25 Article 73 (1) de la loi de 2018 portant Régime financier de l’Etat et des autres entités

publiques.
26 Le résultat patrimonial est dégagé par les états financiers, notamment : le bilan, le compte

de résultat, le tableau de flux de trésorerie, l’état annexé.


27 En France par exemple, la Cour des Comptes est un modèle d’indépendance, car elle est

composée des Magistrats inamovibles. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs


solennellement garanti le principe de l’indépendance de la juridiction financière dans sa
décision relative à la loi organique relative aux lois de finances du 25 juillet 2001.
28 DOUAT (E), « La liberté d’esprit de la Cour des Comptes », in La liberté dans tous ses

États. Regards croisés sur la conception occidentale de la liberté. Liber amicorum en l'honneur de Jacques
GEORGEL, Rennes, éditions Apogée, 1998, pp. 231-252.
29 V. article 28 Constitution camerounaise de 18 janvier 1996.

379
normes comptables proche de celui des entreprises30. Une exigence à
laquelle la chambre tarde à s’adapter (2), encore que même dans l’exercice
de sa mission originelle de juge des Comptes publics, ses possibilités
d’action sont fortement limitées (1).
1. Un statut institutionnel dépendant
Même si la Constitution du 18 janvier 1996 dispose que « la Chambre
des Comptes statue souverainement »31, il reste que son statut de juridiction
indépendante est discuté. A l’analyse, il s’agit d’une institution qui n’est pas
à égale distance de l’Exécutif. L’imbrication de la Chambre des Comptes
dans l’édifice juridictionnel de la Cour Suprême, s’interprète comme
instaurant une position d’infériorité mal conciliable avec l’indépendance
énoncée. Les magistrats du siège et du parquet étant nommés par décret
présidentiel32.
L’indépendance questionnée est celle conférée par la Constitution33.
Elle résulte du pouvoir judiciaire exercé par la Cour Suprême, laquelle
comprend, en tant que haute juridiction en matière de Comptes, une
Chambre des Comptes34. On peut donc lire que, le pouvoir judiciaire qui
est exercé par la Cour Suprême est indépendant du pouvoir exécutif et
législatif35. On peut paradoxalement lire ainsi que le précise l’article 37 (3)
de la constitution, que « le Président de la République est garant de l’indépendance
du pouvoir judiciaire ». La garantie de l’indépendance du pouvoir judiciaire
par le Président de la République se concilie mal avec le principe de la
séparation des pouvoirs. En disposant ainsi, le constituant a explicitement
fragilisé le pouvoir judiciaire et donc la Cour Suprême et les Chambres qui
la composent. Ce constitutionnalisme, que le Professeur Joseph OWONA
qualifie de « rédhibitoire »36, entame considérablement l’indépendance de la
Cour Suprême et fragilise par conséquent la Chambre des Comptes dans
sa posture de contrôleur et juge des Comptes publics. Difficile avec les
attributs du statut de magistrat à garantir l’impartialité des prises de

30 La comptabilité générale de l’Etat est régie par un ensemble de 14 normes inspirées des
normes IPSAS (International Public Sector Accounting Standard), IFRS (International
Financial Reporting Standard) et communautaires.
31 V. article 41 Constitution camerounaise de 18 janvier 1996.
32 Article 18 loi du 21 août 2003, fixant les attributions, l’organisation et le fonctionnement

de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême. Pour aller loin, lire HOURQUEBIE (F),
« L’indépendance de la justice dans les pays francophones », Les Cahiers de la justice, 2012/2,
n°2, pp. 41-61 ; FALL (A. B.), « Les menaces internes à l’indépendance de la justice », in
L’indépendance de la justice, Actes du deuxième congrès de l’Association des hautes
juridictions de cassation des pays ayant en partage l’usage du français, Dakar, 7-8 novembre
2007, Cour de cassation du Sénégal–OIF, 2008, Dakar, Sénégal, pp. 47-75.
33 Article 37 (2), Constitution camerounaise du 18 janvier 1996.
34 V. article 38, Constitution camerounaise du 18 janvier 1996.
35 Article 37 (2), Constitution camerounaise du 18 janvier 1996
36 OWONA (J.) « L’essor du constitutionnalisme rédhibitoire en Afrique noire. Étude de

quelques “constitutions Janus” », in Mélanges en l’honneur de Pierre-François GONIDEC. État


moderne : horizon 2000. Aspects internes et externes, Paris, LGDJ, 1985, pp. 235-243.
380
position de la Chambre des Comptes dans l’exercice de ses missions. Il
faut en outre ajouter que, cette chambre ne dispose pas d’une autonomie
financière.
2. Un exercice de compétences déficient
Le juge des comptes a une compétence matérielle37 pour juger les
comptes des comptables publics. De ce fait, il occupe une place essentielle
dans le contrôle financier public38. La Chambre des Comptes est donc
dotée d’une diversité de contrôle39. Toutefois, on a fait le constat d’une
mise en œuvre relative des missions originelles (a) et d’une prise en compte
difficile des nouvelles missions issues de la réforme comptable (b).
a. La mise en œuvre relative des compétences traditionnelles
La Chambre des Comptes occupe par la diversité de ses missions
une place qui est aujourd’hui essentielle dans le contrôle financier public.
En plus des missions de Contrôle juridictionnel des Comptes tenus par les
comptables publics qui sont au rang de ses missions traditionnelles, elle
exerce aussi des missions non juridictionnelles qui tendent à occuper une
part prépondérante de ses activités40.
L’article 41 de la constitution dispose que « la Chambre des Compte est
compétente pour contrôler et statuer sur les comptes publics et ceux des entreprises
publiques et parapubliques ». Elle statue souverainement sur les décisions
rendues en dernier ressort par les juridictions inférieures des comptes.41 La
loi portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques est
plus explicite dans ses dispositions qui traitent du contrôle juridictionnel
des opérations budgétaires et comptables des administrations publiques.
Ce contrôle est assuré par la juridiction des comptes42, qui juge les
comptes ou les documents en tenant compte des comptables publics
patents ou de fait43. Elle est souveraine sur les décisions rendues44, et

37 C.C. 30 septembre 1992, NUCCI et autres comptables de fait de l’Etat, in FROMENT-


MEURICE (A), BERTUCCI (J.Y), GROPER (N), Les grands arrêts de la jurisprudence
financière, op .cit., p. 13.
38 BOUVIER (M), ESCLASSAN (M.C), LASSALE (J-P), Finances Publiques, Paris, LGDJ,

2010, 10ème édition, p. 545.


39 On peut citer :

- le contrôle juridictionnel des comptes des comptables publics ;


- le contrôle non juridictionnel de la gestion des organismes publics et
parapublics ;
- et l’assistance aux Pouvoirs publics.
40 C’est ainsi par exemple qu’elle assure un contrôle non juridictionnel sur la gestion de

services publics et organismes publics, ainsi que les organismes qui bénéficient de concours
financiers publics.
41 Article 41 Constitution du 18 janvier 1996. Allusion est faite ici aux Tribunaux régionaux

des Comptes.
42 Article 86 (1) de la loi du 11 juillet 2018 portant Régime financier de l’Etat et des autres

entités publiques.
43 Article 2(1) loi n°2003-005 du 21 avril 2003 fixant les attributions, l’organisation et le

fonctionnement de la Chambre des Comptes de la Cour suprême.


381
indépendante par rapport au gouvernement et au parlement, ainsi
qu’autonome dans l’exercice de ses attributions. Elle décide seule de la
publication de ses avis, décisions et rapports45. Il y a lieu d’indiquer que les
missions traditionnelles de la Chambre des Comptes sont explicitement
contenues dans les dispositions de la loi de 2003 fixant ses attributions,
son organisation et son fonctionnement. Comme il a été relevé plus haut,
ces missions portent sur le contrôle des jugements des comptes publics et
documents46.
Au-delà des développements sur les missions pertinentes de la
Chambre des Comptes, la question de fond qui soulève un intérêt certain
est celle relative au statut de juridiction indépendante. Ce que l’on peut
dire a priori est que, l’équilibre énoncé par le constituant dans le
positionnement institutionnel de la Chambre des Comptes en tant que
contrôleur et juge des comptes public est faussé au détriment de l’exécutif.
Pour plusieurs raisons, la Chambre des Comptes de la Cour Suprême, n’est
pas une institution à égale distance de l’exécutif. Sa posture est ambiguë47,
en ce sens que cette chambre est inféodée à la Cour suprême et, c’est le
procureur général près de ladite Cour qui assure les fonctions de ministère
public48. Les magistrats du siège, du ministère public et même le greffier en
chef de la Chambre des Comptes sont nommés par décret présidentiel49.
Elle est tenue de « produire annuellement au Président de la République, au
Président de l’Assemblée Nationale et du Sénat, un rapport exposant le résultat général
de ses travaux et les observations qu’elle estime devoir formuler en vue de la réforme et
de l’amélioration de la tenue des comptes et de la discipline des comptables »50.
De ce qui précède, on peut constater que le rattachement à la Cour
Suprême, le statut de ses membres, sa formation et même son
fonctionnement, sont autant d’éléments qui entament l’autonomie de la
Chambre des Comptes. Sa « liberté d’esprit » est dans ce contexte sujette à
caution. De ce fait, le droit à être jugé par une juridiction des Comptes
indépendante et impartiale n’est pas totalement intégré dans notre système
de droit financier. Le mode de désignation et les prérogatives dont sont
titulaires les magistrats de ladite Chambre, sont autant de signes forts de
leur réelle dépendance à l’égard du pouvoir exécutif. Il est donc difficile
d’imaginer que la Chambre des Comptes ne reçoive des instructions

44 Article 2 (2) loi n°2003-005 du 21 avril 2003 précitée.


45 Article 86 (2) loi du 11 juillet 2018 portant Régime financier de l’Etat et des autres entités
publiques.
46 Lire à ce propos l’article 7 et les titres II de la loi n°2003-005 du 21 avril 2003 précitée.
47 En France par exemple le Conseil constitutionnel a clarifié la place de la Cour des

Comptes dans les institutions de l’Etat. Cette décision consacre le statut de juridiction
indépendante : Cons. Const. n°2001-448 DC, 25 Juillet 2001, Décision sur la loi organique
relative aux lois de finances, op. cit.
48 Article 17 de la loi du 23 août 2003 fixant les attributions, l’organisation et le

fonctionnement de la Chambre des Comptes de la Cour suprême.


49 Article 18 loi n°2003-005 du 21 avril 2003 précitée.
50 Article 3 loi n°2003-005 du 21 avril 2003 précitée.

382
émanant de l’exécutif. Encore que « l’indépendance ne caractérise pas seulement le
statut de la juridiction ; elle inspire d’abord l’esprit dans lequel travaillent ses
membres »51. Il en ressort que la compétence de la Chambre des Comptes en
tant que contrôleur et juge des Comptes publics est fortement limitée.
Toute chose ne permettant pas de vérifier la régularité des comptes qui
retracent le maniement des deniers publics. Une lacune qui devrait
davantage se complexifier avec l’émergence des nouvelles missions, fruit
de la réforme de la Comptabilité publique.
b. Une difficile prise en compte des compétences nouvelles
Avec la mise en œuvre de la loi portant Régime financier de l’Etat et
des autres entités publiques, la Chambre des Comptes devrait en principe
exercer ses missions d’assistance, de contrôle et de Juge des Comptes sous
un jour nouveau, et ce, à l’aune de deux principes : la recherche de la
performance de l’action publique d’une part, et le souci de la qualité de
l’information financière, d’autre part. Dans ce contexte nouveau
d’évolution sensible des missions de Chambre des Comptes, son
positionnement institutionnel reste inchangé. Un positionnement plus
dépendant de l’exécutif qui pourrait être un facteur d’évanescence de la
Comptabilité patrimoniale.
Il convient de souligner que la loi portant Régime financier de 2018
a modifié la nature de la contribution de la Chambre des Comptes au
Contrôle juridictionnel des opérations budgétaires et Comptables des
administrations publiques. Sans la nommer explicitement52, le régime
financier consacre entre autres, les missions d’assistance du parlement dans
le contrôle de l’exécution des lois de finances53 ; de certification de la
régularité ; la sincérité et la fidélité du Compte général de l’Etat54 ; du
jugement des ordonnateurs ; des contrôleurs financiers et des comptables
publics55 ; du contrôle de la légalité financière et la conformité budgétaire

52 La loi du 11 juillet 2018 portant Régime financier de l’Etat et des autres entités publiques
parle de juridiction des Comptes : cf. article 88 (1).
53 Concrètement cette mission consiste à l’obligation de répondre aux demandes

d’assistance formulées par le Président et le rapporteur général de la Commission chargée


des finances, à la réalisation de toute enquête demandée par les Commissions à l’Assemblée
Nationale et du Sénat chargées des finances sur la gestion des services ou organismes
qu’elle contrôle.
54 Le compte général de l’Etat est produit chaque année par le réseau comptable de l’Etat

sous la responsabilité du MINFI. Il comprend la balance générale des Comptes de l’Etat et


les états financiers suivant :
- Le tableau de la situation nette ou bilan ;
- Le Compte de résultat ;
- Le tableau des flux de trésorerie ;
- L’état annexé.
55 Il s’agit pour ce cas d’une innovation majeure. Les ordonnateurs et les contrôleurs

financiers tout comme l’a initialement été les Comptables publics sont justiciables de la
Chambre des Comptes. La nouvelle comptabilité fait naître une fonction comptable
383
de toutes les opérations de dépenses et de recettes de l’Etat ; de
l’évaluation de l’économie ; l’effectivité et l’efficience de l’emploi des fonds
publics au regard des objectifs fixés ; des moyens utilisés et des résultats
obtenus ainsi que la pertinence et la fiabilité des méthodes, indicateurs et
données permettant de mesurer la performance des politiques et
administrations publiques56.
En vue de la connaissance du patrimoine public et partant, de la
capacité de l’Etat à faire face à ses engagements, la comptabilité
patrimoniale prévoit l’inscription au bilan de l’Etat, de tous les flux de
gestion portant sur les actifs non financiers, les dettes et créances57. La
Chambre des Comptes devra certifier, comme il a été indiqué58, la
régularité, la sincérité et la fidélité des Comptes de l’Etat. La certification
n’est que la conséquente naturelle du passage à une Comptabilité
générale59. Il faut dire qu’établir les états financiers répondant aux normes
de la Comptabilité d’exercice suppose de compléter les enregistrements
comptables des opérations de recettes et de dépenses par des
recensements et des évaluations.
Ainsi, la part de subjectivité présente dans les opérations de
recensement et d’évaluation du patrimoine de l’Etat, le caractère non-
automatique des écritures comptables60, imposent que les comptes soient
revus par des magistrats non seulement indépendants, mais aussi
compétents et disposant d’importants moyens d’action. La Chambre des
Comptes, dans le cadre de cette nouvelle comptabilité, doit être capable
d’apprécier la qualité du dispositif comptable et traduire le plus fidèlement
possible des évènements parfois complexes et ne pouvant être
appréhendés objectivement par la nature contradictoire d’une transaction
constatée entre des entités indépendantes.
Pour effectuer cette mission, la Chambre des Comptes devra
s’appuyer sur un référentiel des normes comptables et un référentiel de

partagée entre l’ordonnateur et le comptable. Dans le cadre de la comptabilité budgétaire,


l’ordonnateur est tenu à la production d’un compte administratif.
56 Lire article 86 (3) de la loi du 11 juillet 2018 portant Régime financier de l’Etat et des

autres entités publiques.


57 V. article 104 du décret du 07 juillet 2020 portant règlement général de la Comptabilité

publique.
58 Article 86 (3) de la loi du 11 juillet 2018 portant Régime financier de l’Etat et des autres

entités publiques.
59 MORDACQ (F), La LOLF : un nouveau cadre budgétaire pour réformer l’Etat, Paris, LGDJ,

2006, p. 362.
60 Dans le cadre de la comptabilité patrimoniale, certains mouvements affectant la situation

financière de l’Etat, résultent d’évènements qui ne donnent pas lieu au cours de l’exercice à
des enregistrements comptables. C’est ainsi soit parce que le dispositif comptable n’est pas
suffisamment près des évènements, soit parce que ces évènements ne sont pas eux-mêmes
des opérations. La survenance desdits évènements peut avoir un impact sur la situation
financière comme par exemple l’apparition d’un risque, la dégradation des actifs physiques
ou la perte de valeur d’un actif financier. Il est alors nécessaire de comptabiliser les
conséquences de la manière la plus juste possible dès lors que le fait générateur est
intervenu avant la date de clôture.
384
certification. Il semble peu évident que cette compétence rationae materiae
dévolue à ladite Chambre s’exerce efficacement, les magistrats des
comptes ne s’étant pas encore suffisamment appropriés les règles de la
comptabilité patrimoniale lesquelles, il faut le dire, sont empreintes de
technicité. L’absence d’initiation, de formation à ces règles comptables
nouvelles, peut constituer un obstacle au jugement efficace des comptes
publics. La lecture et la traduction des états financiers que constituent avec
la balance des comptes, le Compte général de l’Etat, nécessitant des
connaissances pointues. Connaissances dont les membres de la Chambre
des Comptes tardent à se doter effectivement. Une situation qui aura
forcément des conséquences néfastes sur les finances publiques.
B. L’incidence : une portée mitigée de la comptabilité patrimoniale
L’avènement de la comptabilité patrimoniale va faire naître de
nouvelles missions à la Chambre des Comptes. D’abord limitée à la
régularité des recettes et des dépenses décrites dans les comptabilités
publiques, ce contrôle va devenir aussi celui du bon emploi des crédits,
fonds et valeurs fixés par les administrations publiques. Toutefois, la mise
en œuvre efficace de la comptabilité patrimoniale, fruit de la réforme
comptable, nécessite que la Chambre des Comptes de la Cour Suprême
soit dotée des garanties d’indépendance suffisantes, et surtout que ses
membres s’approprient effectivement les règles de cette nouvelle
Comptabilité. La posture actuelle de la Chambre est donc défavorable à la
mise en œuvre efficace de la Comptabilité générale61, et pourrait par
conséquent avoir un impact négatif sur la performance de l’action publique
(1) et sur la qualité de l’information financière (2).
1. Une performance de l’action publique hypothéquée
La comptabilité de l’Etat est organisée en vue de vulgariser la
connaissance et le contrôle des opérations budgétaires des opérations de
trésorerie et de financement ; la connaissance de la situation du patrimoine
et des opérations de régularisation ; l’analyse des coûts des différentes
actions engagées dans le cadre des programmes ; la détermination des
résultats annuels62, l’intégration des opérations dans la comptabilité
nationale63. L’objectif visé est la performance de l’action publique, une
performance qui doit ainsi être garantie par la Chambre des Comptes.
En effet, c’est elle qui devrait s’assurer de la sincérité des
enregistrements comptables et du respect des procédures. C’est encore elle
qui devrait assurer le respect des principes et règles de la profession

61 Comme il a été indiqué plus haut, la comptabilité générale de l’Etat a pour objet de
décrire le patrimoine de l’Etat de son évolution. V. article 105 (1) du décret n°2020/375 du
7 juillet 2020 précité.
62 Résultat à soumettre en fin d’année à la certification de la Chambre des Comptes. Ces

résultats sont contenus dans le Compte Général de l’Etat.


63 Article 96 du décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 précité.

385
comptable64. La Chambre des Comptes dans le cadre de l’exercice de
certification doit pouvoir faire des observations au gouvernement
notamment le Ministre chargé des Finances sur le Compte général de
l’Etat. Ce que l’on peut dire des développements qui précèdent est que, il
sera difficile pour la Chambre des Comptes du fait des tares qu’on lui
connaît, de garantir la performance de l’action publique. La sanction du
respect des engagements mesurés à partir des résultats comptables ne sera
pas toujours appliquée ou du moins proportionnelle à la gravité de
l’irrégularité, du fait de la dépendance à l’égard de l’exécutif et aussi, de
l’inconfort des magistrats des Comptes à la maitrise des règles
éminemment techniques de la comptabilité patrimoniale. L’évaluation
n’étant pas de nature objective, la marge d’erreur du comptable public peut
être volontairement ou involontairement inconsidérée. Toute chose
pouvant remettre en cause la performance de l’action publique.
2. Une qualité de l’information financière biaisée
La situation financière est la traduction financière et comptable de la
notion de patrimoine.65 Pour donner une image fidèle du patrimoine et de
la situation de l’Etat66, la Chambre des Comptes doit s’assurer lors de
l’exploitation du compte général de l’Etat, que le périmètre des droits et
obligations a été défini, que ces droits et obligations ont été identifiés,
évalués et comptabilisés selon la nomenclature des actifs et des passifs. Les
informations financières produites par cette comptabilité sont destinées en
premier lieu aux citoyens et à leurs représentants67, qui exigent plus
d’efficacité de l’action publique. La Chambre des Comptes, dans le cadre
de la comptabilité générale, doit s’assurer que l’information comptable
répond aux besoins des responsables et des gestionnaires, des missions et
des activités de l’Etat.
De toute évidence, l’information doit être générale, exhaustive, et
doit prendre en compte tous les éléments ayant un impact sur la situation
financière. Encore que, la souveraineté de l’Etat emporte souvent des
conséquences importantes au regard de la notion du passif, et requiert
parfois des solutions originales pour l’Etat, par-delà l’enregistrement
classique des passifs identiques à ceux de l’entreprise. Cet état de chose
nécessite que la juridiction des Comptes prenne de la distance et de la
hauteur pour apprécier objectivement les opérations ou les mouvements
liés à cet attribut de souveraineté qui auraient un impact sur la situation
financière de l’Etat. Elle doit pouvoir disposer d’une marge d’autonomie
assez suffisante pour confirmer ou infirmer les engagements de l’Etat
ayant affecté son patrimoine et sa situation financière. Il s’agit là d’un rôle
que la Chambre ne pourra efficacement assurer du fait de la dépendance à

64 Article 105 (5) du décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 précité.


65 MORDACQ (F), La LOLF : un nouveau cadre budgétaire pour réformer l’Etat, op cit. p. 293.
66 V. article 108 (6) du décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 précité.
67 MORDACQ (F), La LOLF : un nouveau cadre budgétaire pour réformer l’Etat, op. cit., p. 292.

386
l’égard du pouvoir exécutif. Encore que, le juge des comptes n’a de
juridiction ni sur l’administration en générale, ni sur les ordonnateurs en
particulier. Sa compétence originelle est toujours d’actualité dans notre
contexte, à l’égard des actes administratifs et est limitée aux besoins de sa
juridiction sur les Comptes des comptables publics68.
Il est donc indispensable au regard de ces éléments, de revoir la
posture institutionnelle de la Chambre des Comptes pour qu’elle soit un
maillon essentiel de la mise en œuvre efficace de la Comptabilité
patrimoniale.
II. Un repositionnement institutionnel souhaitable
Au regard des enjeux de la réforme comptable et de la place que
devrait désormais occuper la comptabilité patrimoniale dans le système
comptable camerounais, le repositionnement institutionnel de la Chambre
des Comptes en tant que contrôleur et juge des comptes publics est
souhaitable. Comme il a été démontré, les missions de la Chambre dans le
cadre de la nouvelle comptabilité sont précaires et s’interprètent
habituellement comme instaurant une position d’infériorité mal conciliable
avec l’indépendance de l’institution.
De ce fait, la Chambre des Comptes ne saurait être une institution à
égale distance de l’exécutif et même du législatif ; or, l’enjeu de ce principe
est essentiel à la mise en œuvre effective de la Comptabilité générale et les
nouvelles exigences qu’elle commande. Il est donc nécessaire que la
juridiction des Comptes connaisse une profonde transformation qui aurait
dû s’opérer dans le cadre de la réforme des finances publiques. Du fait de
l’élargissement de ses missions, fruit de la nouvelle Comptabilité, le
repositionnement institutionnel de la Chambre est justifié (A) et peut
emprunter plusieurs voies (B).
A. La justification des mesures de repositionnement
La Chambre des Comptes occupe par la diversité de ses missions,
une place qui est aujourd’hui essentielle dans le contrôle des Finances
publiques. Comme il a été indiqué, en sus des missions de contrôle
juridictionnel des comptes tenus par les comptables publics qui sont aux
rangs de leurs missions traditionnelles, elle exerce aussi des missions non
juridictionnelles, notamment, le contrôle des organismes publics et
parapublics. La Chambre assure aussi une mission d’assistance à l’exécutif
et au législatif. En outre, elle certifie les comptes de l’Etat.
Les limites enregistrées dans l’exercice de ses missions et surtout les
conséquences qui s’y attachent, conduisent à formuler le vœu d’un

68C.C. 3ème chambre, 18 février 1985, Chopin, directeur de l’association syndicale de la rue
Lily à Clamart, rec. p. 5. En France, cette situation a évolué. Au Cameroun à la faveur des
textes comptables, les ordonnateurs, contrôleurs financiers sont désormais justiciables
devant la Chambre des Comptes. Même comme dans la pratique, cette exigence n’est pas
encore prise en compte.
387
repositionnement favorable à l’essor de la comptabilité patrimoniale, qui
nécessite une meilleure appropriation (1) en vue d’améliorer la bonne
gouvernance financière (2).
1. Une meilleure appropriation de la comptabilité patrimoniale
Pour effectuer efficacement ses missions, la Chambre des Comptes
doit s’approprier les règles et exigences de la comptabilité patrimoniale.
Les activités de jugement, d’audit, de certification et d’évaluation des
politiques publiques doivent être conçues de manière complémentaire à
l’effet d’enrichir ses compétences. C’est à partir des comptes qu’elle doit
décliner le jugement de leur régularité, la certification de leur sincérité et de
leur fidélité à la réalité financière de l’Etat.
Il est constant que les juridictions financières se trouvent
confrontées à une évolution générale de leurs missions en liaison avec le
mouvement de rationalisation de la gestion financière publique69, dans
lequel la comptabilité patrimoniale tend à occuper une place de premier
plan. La Chambre des Comptes est appelée désormais à se prononcer,
non plus seulement sur la régularité de la gestion de l’Etat, mais aussi sur
les résultats ainsi que la démarche de performance et dont les compétences
incluent dorénavant celles de la certification des comptes de l’Etat70. Le
compte général de l’Etat soumis à l’opinion du certificateur comprend, la
balance générale des comptes de l’Etat et états financiers, comprenant : le
tableau de la situation nette ou bilan, le compte de résultats, le tableau de
flux de trésorerie et l’état annexé71. L’exercice de certification de la
Chambre se traduit par une opinion écrite et motivée sur la qualité des
comptes publics72.
Pour effectuer cette mission, la Chambre des Comptes doit
s’appuyer sur un référentiel de normes comptables et un référentiel de
certification. Il est présumé que le respect des prescriptions (régularité) et
leur application de bonne foi (sincérité) permettent de fournir l’image
fidèle du patrimoine de l’Etat et de sa situation financière. Cette juridiction
a également besoin d’un référentiel d’audit. Il n’est pas possible en effet de
vérifier toutes les écritures une par une, ni de refaire tous les inventaires,
encore moins de faire ceux qui ne l’ont pas été. Il faut donc définir une
méthodologie permettant à la foi de motiver l’opinion et d’obtenir un
maximum d’efficacité73. Cette démarche se base sur une approche fondée

69 BOUVIER (M.), ESCLASSAN (M-C), LASSALE (J-P), Finances Publiques, op. cit, p. 571.
70 Le compte des collectivités territoriales décentralisées et de leurs établissements sont
certifiés par les tribunaux régionaux des comptes.
71 V. article 108 du décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 précité.
72 Cette opinion peut a priori revêtir quatre formes :

- une certification assortie de réserves ;


- une certification sans réserves ;
- une opinion défavorable ;
- et une impossibilité d’exprimer une opinion.
73 MORDACQ (F.), La LOLF : un nouveau cadre budgétaire pour réformer l’Etat, o.p.cit., p. 364.

388
sur les différents risques touchant celui de l’audit lui-même74. Une
démarche que devra adopter la Chambre des Comptes en vue de garantir
de par ses activités, la bonne gouvernance financière.

2. Une amélioration potentielle de la bonne gouvernance financière


En donnant plus de liberté et d’autonomie à la Chambre des
Comptes, l’on espère une gestion publique nouvelle privilégiant l’efficacité
et l’efficience des services publics pour assurer une meilleure allocation des
derniers publics. L’orientation du processus comptable vers les résultats
attendus est un levier de la bonne gouvernance qui conduit cette
juridiction financière à mieux s’approprier des règles de la comptabilité
patrimoniale.
Le juge des comptes est garant de la qualité et de la fiabilité du
compte général de l’Etat. Il peut dans un souci de transparence faire des
observations à l’exécutif, afin d’améliorer la performance de l’action
publique. La Chambre des Comptes peut ainsi faire des recommandations
consensuelles et très opérationnelles pour renforcer la gouvernance
financière. L’évaluation de la performance vient compléter désormais le
contrôle de la régularité traditionnellement opéré par la juridiction
financière. Cette juridiction assure ainsi à travers l’appréciation du résultat,
un rôle de garant de la bonne gouvernance. Le rapport qu’elle produit sur
la performance de l’Etat, devrait permettre d’apprécier la pertinence du
rôle des responsables dans le nouveau contexte de gestion.
Dans sa mission d’assistance à l’exécutif, la Chambre des Comptes
adresse un rapport public annuel au Président de la République. Ce
rapport donne la possibilité à la Chambre, de mettre l’accent sur les
performances de gestion de certaines politiques de l’Etat et de ses
opérateurs et d’assurer le suivi de la mise en œuvre des recommandations
formulées. Il est à noter que la quête de bonne gouvernance financière est
un élément qui justifie d’un repositionnement de la Chambre plus
favorable à la comptabilité patrimoniale. La diversification des mesures
visant à autonomiser l’institution, semble être la parade utile pour offrir
une chance à la comptabilité patrimoniale.
B. La diversification des mesures de repositionnement
Pour que la Chambre des Comptes assume efficacement ses
nouvelles missions, fruit de la réforme comptable matérialisée par le
passage à une comptabilité patrimoniale, plusieurs mesures visant à
repositionner de manière plus indépendante la Chambre sont
envisageables. Celles-ci passent d’une part, par la valorisation de son statut

74 Idem.
389
institutionnel (1), et d’autre part, par la revalorisation de ses garanties
fonctionnelles (2).
1. La valorisation projetée du statut institutionnel
Le positionnement institutionnel de la Chambre des Comptes au
Cameroun nécessite d’être clarifié. La consolidation de la comptabilité
patrimoniale par le renforcement des garanties statutaires d’indépendance,
va permettre d’enrichir les missions d’expertise sur la sincérité des
comptes, et l’efficacité de gestion publique. Le principe de l’indépendance
de la Chambre75 devrait s’étendre à l’ensemble des missions et non
seulement à ses activités juridictionnelles. Et pour cause, la fonction
d’assistance au parlement76 n’est pas de nature juridictionnelle, mais
s’exerce dans le cadre du contrôle de l’exécution des lois de finances et de
la certification des Comptes. Il est donc question de faire en sorte que
l’équilibre voulu par le constituant ne soit pas faussé au détriment de l’un
de ses deux pouvoirs.
L’indépendance de la Chambre devrait également être garantie par
les droits et devoirs des magistrats qui composent l’institution :
l’inamovibilité des membres du siège, la prestation de serment devant un
organe autonome qui pourrait être un Conseil Supérieur de la Cour des
Comptes, qui découlera de la création effective d’une Cour des Comptes
ainsi que le prévoit la directive no01/11-UEAC-190-CM-22 du 19
décembre 2011 relative aux lois de finances77, qui lie l’Etat Camerounais
quant aux résultats à atteindre. Encore que l’article 86 (5) de la loi portant
Régime financier de 2018 dispose que « dans l’exercice de ses missions, la
juridiction des comptes peut aux besoins solliciter l’assistance de la Cour de la
Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale conformément aux
traités et Conventions communautaires ». De ce qui précède, il serait souhaitable
que l’Etat camerounais s’arrime au cadre communautaire par la création
d’une Cour des Comptes indépendante. Ce qui aura pour conséquence, la
création d’un Conseil Supérieur de la Cour des Comptes qui donnera son
avis en vue de la désignation, par le Président de la République, des
Membres de ladite Cour.
Au-delà de ce passage de la Chambre en Cour, elle devra bénéficier
d’une plus grande autonomie en termes de crédits et d’emplois. Afin de
donner toute crédibilité aux nouvelles missions de contrôle, d’assistance et
de certification des Comptes de l’Etat, il n’est pas concevable que la
Chambre des Comptes de la Cour Suprême demeure régie
administrativement par le ministère chargé de l’établissement du compte

75 Article 37 (2), de la Constitution du 18 janvier 1996.


76 V. article 86 (3) de la loi du 11 juillet 2018 portant Régime financier de l’Etat et des
autres entités publiques.
77 V. article 72 de la Directive CEMAC du 19 Décembre 2011 relative aux lois de finances.

390
général de l’Etat78. Il est donc souhaitable que soit modifié le
positionnement budgétaire de la Chambre des Comptes, de la Cour
Suprême, en assurant son autonomie vis-à-vis du ministère des Finances
qui, jusqu’à présent assume sa gestion en termes de crédits et d’emplois. Il
est possible dans le cadre du budget général de charger la Chambre des
Comptes pour mettre en œuvre les programmes.
En plus de la valorisation du statut institutionnel de la Chambre, il
est souhaitable dans cette dynamique de repositionnement, de revaloriser
ses garanties fonctionnelles.
2. La revalorisation souhaitée des garanties fonctionnelles
Il est souhaitable dans le cadre de la comptabilité patrimoniale, que
la Chambre des Comptes exerce l’ensemble de ses missions, pas seulement
ses fonctions de juge. Les activités de jugement, d’audit, de certification et
d’évaluation des politiques publiques doivent se construire de façon
complémentaire et isolée ; car, c’est à partir des comptes que les
différentes compétences de la Chambre sont déclinées à savoir : le
jugement de leur régularité, la certification de leur sincérité et de leur
fidélité à la réalité financière de l’Etat et ensuite, à partir de ce que les
comptes indiquent sur la gestion, le contrôle de l’efficacité, de l’efficience
des administrations et plus largement des politiques publiques. C’est
justement cette complémentarité entre les différentes missions de la
Chambre qui pourraient sans doute être le meilleur rempart contre le
risque de fausser l’équilibre au profit du pouvoir exécutif.
Les garanties fonctionnelles de la Chambre des Comptes
gagneraient à être davantage basées sur les traits fondamentaux de la
procédure que sont : le caractère collégial de ses décisions et le principe du
contradictoire appliqués quelles que soient les missions exercées. Elles
contribuent avec les attributs du statut de magistrat, à garantir l’impartialité
des prises de position de la Chambre dans l’exercice de ses différentes
missions et à leur conférer l’autorité à laquelle elles aspirent. Dans cette
dynamique, les fonctionnaires n’ayant pas qualité de magistrat ne doivent
pas faire l’objet d’affectation mais de recrutement par la Chambre. Ainsi,
les prérogatives dont ils sont titulaires, pourraient être autant de signes
forts de leur réelle indépendance.
Constitue également une garantie fonctionnelle, l’irresponsabilité
des magistrats et sa sujétion exclusive à la loi. A ce corset, on pourrait
ajouter la volonté d’une séparation claire entre les « personnes du juge
d’instruction » qui sont ici des magistrats responsables des audits financiers
et des autres actions de contrôle. Pour ne pas recevoir des instructions
émanant d’organes extérieurs, la Chambre des Comptes doit pouvoir

78 En guise de droit Comparé, l’indépendance de la Cour des Comptes française s’est


concrétisée par son intégration dans la mission « Conseil et Contrôle de l’Etat », rattachée au
premier Ministre qui rassemble les crédits des juridictions administratives et ceux du
Conseil économique, social et environnemental.
391
planifier et programmer ses activités de contrôle selon des objectifs
stratégiques qu’elle aura elle-même définie. La combinaison de toutes les
solutions apportées pourrait être un levier utile pour la mise en œuvre
efficace de la Comptabilité patrimoniale.

Conclusion
Le passage de l’Etat à la comptabilité patrimoniale, fruit de la
réforme comptable, donne de nouvelles missions à la Chambre des
Comptes qui, en tant que garant de la performance de l’action publique et
de la fiabilité de l’information financière, doit désormais s’appuyer sur un
référentiel de normes comptables plus proche de celui de l’entreprise.
Toutefois, la réforme comptable en cours de consolidation, ne va
pas s’accompagner avec une transformation profonde de la juridiction des
comptes à tel point qu’on s’est logiquement posé la question de savoir si la
posture institutionnelle de la Chambre des Comptes est favorable à l’essor
de la comptabilité patrimoniale. Une posture défavorable du fait du statut
institutionnel dépendant et du déficit de prise en compte de nouvelles
exigences comptables. Un positionnement institutionnel dépendant qui
conduit à formuler le vœu d’un repositionnement qui pourrait se traduire
par la valorisation du statut institutionnel et le renforcement des garanties
fonctionnelles. La constitution d’une formation juridictionnelle bien
identifiée, dotée d’une autonomie véritable parait être l’astuce nécessaire
pour la mise en œuvre effective et efficace de la comptabilité patrimoniale.
Le passage à une Cour des Comptes serait en perspective une garantie
d’efficacité de la comptabilité patrimoniale dont la bascule est prévue au 1er
janvier 2022./-

392
LA DISTINCTION ENTRE COMPTABLE PATENT
ET COMPTABLE DE FAIT EN DROIT DE LA
COMPTABILITE PUBLIQUE CAMEROUNAISE
Par
Dr Frank Patrick AWONO ABODOGO
Ph.D en Droit Public
Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Douala (Cameroun).

RESUME :
La réforme financière intervenue depuis 2018 a visiblement été sous-tendue par
la volonté des pouvoirs publics, d’enrayer les pratiques immorales en matière de gestion
des fonds publics. Ce faisant, elle a introduit parmi les éléments de modernisation de la
gouvernance financière, une distinction entre le comptable patent et le comptable de fait.
Cependant l’étude sur la distinction entre ces deux agents publics, n’autorise pas de
restreindre l’analyse sous le prisme des aspects de convergence et de divergence, mais
d’avantage et d’où l’intérêt, de présenter la question en termes d’impact sur le droit et la
pratique de la comptabilité publique. Celui-ci s’articule autour de plusieurs points au
rang desquels on peut inférer que cette distinction est à la fois justifiée même si elle reste
modérée. Ainsi par la justification, il faut se remémorer son incidence tirée de la bonne
gouvernance, et des obligations comptables qui débouchent de cette distinction. En ce qui
concerne la mesure, elle est consécutive à la concordance du régime de la responsabilité et
de répression reconnue à chacun.

Mots-clés : distinction- comptable patent- comptable de fait.

ABSTRACT:
The financial reform that has taken place since 2018 has clearly been
underpinned by the government's desire to curb immoral practices in the management of
public funds. In doing so, it introduced among the elements of modernization of financial
governance, a distinction between the patent accountant and the de facto accountant. The
study on the distinction between these two public officials does not allow restricting the
analysis through the prism of aspects of convergence and divergence. But more, and hence
the interest, to present the question in terms of its impact on the law and practice of
public accountancy. This allows us to infer that this distinction is both justified, even if it
remains moderate. Through the justification, we must remember its impact drawn from
good governance, and the accounting obligations that result from this distinction. With
regard to the measure, it is consecutive to the consistency of the regime of responsibility
and repression recognized to each.

Keywords: distinction - certified accountant - de facto accountant.

393
Introduction
Les finances publiques camerounaises ont connu une évolution
juridique remarquable inhérente au toilettage des règles et, aux opérations
relatives à la manipulation des deniers publics1. En effet, les aspects liés
aux rapports financiers existants entre les différentes institutions qui
constituent le sommet de l’Etat d’une part2, et le redéploiement des acteurs
de gestion et d’exécution du budget d’autre part, ont été pris en compte.
Amorcée depuis un temps, la modernisation de la gestion des fonds
publics connait son point d’orgue avec la renaissance du droit de la
comptabilité publique. Mettant au cœur des règles y afférentes, une acuité
incontestable sur le rôle des comptables publics dans l’assainissement du
système financier.
En souscrivant à la thèse selon laquelle, le droit public financier
dans la quasi-totalité des Etats d’Afrique francophone subit
progressivement des mutations en profondeur3, le cas particulier du
Cameroun s’arrime à cette nouvelle exigence par l’orientation de sa gestion
financière sur le postulat de la performance. La juridicisation de l’activité
financière étant l’indicateur de perfectibilité a véritablement concouru à sa
modernisation. Etant devenu depuis quelques années, le principe qui est
sensé guider la gestion publique et conditionner sa légitimité4, le principe
de la performance, qui s’ajoute à la sincérité et à la régularité lève ainsi un
pan de voile sur la célérité des politiques publiques. La pérennisation de
cette orientation managériale, dans l’exécution du budget découle en réalité
du « nouveau management public »5, véhiculé par le libéralisme politico-
économique6. Etant devenue, une sujétion extranationale7 par la
ratification dans l’ordre juridique national des directives communautaires,
la gouvernance financière intégrant les comptables publics, ayant été
longtemps mise sous l’éteignoir, renaît aujourd’hui de ses cendres.
Parmi les acteurs de premier plan qui interviennent dans le
processus financier, le comptable public occupe une place primordiale. En

11 Biakan (J), « La constitution et les finances publiques au Cameroun », RAFiP, n°2, 2017,
p. 13.
2 Dussart (V), L’autonomie financière des pouvoirs publics constitutionnels, Paris, CNRS, 2000, p 7.
3 Mede (N), « L’Afrique francophone saisie par la fièvre de la performance financière »,

RFFP, n 135, 2016, p. 349.


4 Chevalier (J), « Performance et gestion publique », in Réformes des finances publiques et

modernisation de l’Administration ». Mélanges en l’honneur de Robert HERTZOG, Paris,


Economica, 2010, p. 81.
5 Dureau (G), Guillame (H), et Silvent (F), Gestion publique : l’Etat et la performance, Paris,

Presses de Sciences po et Dalloz, 2002, p. 23. Voir également BOURGAULT (J) « Les
réformes budgétaires de type managérial : observations chez quelques précurseurs », RFAP,
2006, n°117, pp. 69-83.
6 Chevalier (J) et Loschak (D), « Rationalité juridique et rationalité managériale dans

l’administration française », RFAP, 1982, n°24, pp. 679-720.


7 Directive n°06/11-UEAC-190-22 relative au code de transparence et de bonne

gouvernance dans la gestion des finances publiques ; Directive n°04/11-UEAC-190-CM-22


du 19 décembre 2011 relative à la nomenclature budgétaire des Etats.
394
effet, la première loi financière dès l’accession du pays à la souveraineté8,
instituait auprès de l’ordonnateur, un comptable public. Entre 1967 et
2018, les législations subséquentes, en matière de finances publiques ont
perpétué cette tradition. Le prolongement de cette logique comptable dans
le maniement de l’assiette publique, n’a certainement pas été continu dans
son évolution. La discontinuité pouvant ainsi se décliner sur le contenu et
la substance des prérogatives que lui reconnait les textes juridiques
l’évoquant en référence. L’efficacité de la gestion financière, fut donc le
résultat entre le droit et le temps d’une part, mais aussi d’autre part entre le
droit et la perception que les pouvoirs publics se faisaient du comptable
public. C’est au regard de ces constatations, que l’existence entre le droit
et le temps est toujours à établir pour mieux renseigner9, sur la pertinence
à intégrer une dualité organique, consistant à installer un ordonnateur et
un comptable. Vue sous cet angle, la responsabilité du comptable public
devient en réalité non seulement un indice de performance et d’efficacité,
mais également un instrument de parachèvement de la construction de cet
idéal.
S’inspirant du système comptable OHADA (Organisation pour
l’harmonisation en Afrique du droit des affaires), la mise en place d’une
comptabilité de l’Etat la plus proche possible des entreprises, constitue
une opportunité de développer un système comptable performant qui se
rapproche de celui du secteur marchand10. Rendant ainsi plus cohérent la
gestion financière, elle épouse les principes de la comptabilité privée.
Lesquels, apporteront progressivement des changements visibles dans
l’exécution des opérations financières de l’Etat et des entités publiques. En
n’y intégrant tous ces aspects dans la pratique comptable, la réforme
juridique induit plus de transparence, en l’absence de laquelle, les
opérations financières demeurent obscures et impénétrables11. Le lien
étroit qui les lie est si indissoluble et mince, que le rapprochement entre la
comptabilité privée et la comptabilité publique, a été favorisé par des
éléments fédérateurs non négligeables12.
D’emblée, selon la législation financière, « est comptable public tout agent
public régulièrement habilité à effectuer à titre exclusif et au nom de l’Etat ou des autres
entités publiques, des opérations de recettes, de dépenses ou de maniement des titres, soit

8 Ordonnance n°62/OF/4 du 7 février 1962 réglant le mode de présentation, les


conditions d'exécution du budget de la République fédérale du Cameroun, de ses recettes,
de ses dépenses et de toutes les opérations s'y rapportant.
9 ROMANA (P), « Le temps comme facteur de qualité de droit », Jurisdoctoria, n°3, octobre

2009, « Le temps », p. 43. Voir aussi dans ce sens CRESP (M), Le temps juridique en droit
privé : essai d’une théorie générale. Thèse de doctorat en droit privé, Université de Bordeaux,
2010, p. 547.
10 MORIN (N), « La nouvelle comptabilité de l’Etat, une dynamique partagée au service de

la gestion publique », RFFP, n°93, 2006, La nouvelle comptabilité de l’Etat, p. 23.


11 MARCHAL (A), « Finances publiques et transformations économiques », Revue

économique, vol, n°5, 1950, p. 130.


12 SOROK A BOL (P.G), « La privatisation de la comptabilité publique au Cameroun »,

RAFiP, n°8, 2e sem. 2020, p. 391.


395
au moyen de fonds et de valeurs dont il a la garde, soit par virement interne d’écritures,
soit par l’intermédiaire d’autres comptables »13. Cette conception globale et
généralisée, ne permet cependant pas de saisir la nuance et la complexité
des acteurs publics qui interviennent dans la fonction comptable. C’est
alors, à partir de la loi n02003/005 du 21 avril 2003 fixant les attributions,
l’organisation et le fonctionnement de la Chambre des Comptes, qu’il
faudrait retrouver les éléments de compréhension d’une définition mieux
affinée. Au regard de l’article 5, « est comptable public patent au sens de la
présente loi, toute personne régulièrement préposée aux comptes et chargée du maniement
des deniers ou valeurs ou de la comptabilité matières ». Dans la même veine,
l’article 6 fait la précision suivante : « Est comptable de fait toute personne qui,
n’ayant pas la qualité de comptable ou n’agissant pas en cette qualité, s’ingère dans les
opérations de recettes et de dépenses, de maniement des valeurs, de deniers publics, ceux
réglementés ou non réglementés, ainsi que ceux des établissements publics et des
entreprises du secteur public et parapublic ». Dans le même sillage, il est
important de rappeler que, est considéré aussi comme comptable de fait,
toute personne qui, ne pouvant se prévaloir d’une telle qualité, s’immisce
dans les opérations de recettes, de garde et d’affectation, reconnues au
comptable matière.
L’analyse de ces articles sus-évoqués, semble a priori mettre en
lumière, la distinction qui se dégagent entre le comptable patent et le
comptable de fait en matière de finances de publiques, et dans la foulée,
permet de mettre en exergue la pertinence de cette étude. Or une telle
posture hâtive, ne saurait tenir à l’épreuve de l’exégèse des « règles encadrant
l’emploi des fonds publics »14. Corroborant à ce postulat, engagé une réflexion
sur la distinction entre le comptable patent et le comptable de fait, revêt à
ce jour une importance théorique et pratique irréfragable. Dans la mesure
selon laquelle, sous l’angle de la pratique, les finances publiques des Etats
restent en proie à des manipulations immorales. Entrainant des déviations
répétitives, l’usage de celles-ci n’est pas toujours orienté dans l’esprit de
l’intérêt général et pour la destination dont elles ont été prévues. Dans une
autre perspective, elle met en relief l’obligation à laquelle ne peuvent se
soustraire les gestionnaires de crédits publics. En ce sens que cette division
établie, une frontière évidente entre les agents préposés à l’engagement des
dépenses, et ceux confinés à l’exécution, et au recouvrement. Suivant ce
cadre prédéterminé, la résurrection de cette dichotomie, apparaissant
désormais comme une exigence, permet à l’Etat suivant l’article 73 de la loi
de 2018 portant régime financier15 de tenir une comptabilité budgétaire

13 Décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 portant règlement général de la comptabilité


publique.
14 DAMAREY (S), Droit public financier, Paris, Dalloz 2018, p. 5.
15 Article 73 loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des

autres entités publiques (ci-après loi n°2018/012 du 11 juillet 2018). Voir également Décret
n°2020/375 du 7 juillet 2020 portant règlement général de la comptabilité publique ; Décret
n°2019/3199/PM du 11 septembre 2019 fixant le cadre général de la présentation du plan
396
destinée à vérifier le respect par le gouvernement de l’autorisation
parlementaire. Une comptabilité générale, visant à mesurer l’évolution de
son patrimoine, et une comptabilité analytique destinée, à analyser les
coûts des différentes actions engagées ou des services rendus dans le cadre
des programmes. Pas très souvent perçue encore moins répandue, les
ressorts de cette analyse de la comptable publique demeurent faiblement
exposés et difficilement exprimés.
C’est fort de ce qui précède que le terme « distinction », arbore tout le
sens qu’on veuille bien lui donner dans cette étude. A partir de son
étymologie latine « distinctio », le vocable désigne, l’action de séparer
nettement une chose d’une autre. Il irradie dans sa perception primaire,
l’idée de séparation et de différence. Cette approche littérale, corrobore du
moins avec l’orientation juridique. Se référant au vocabulaire juridique16,
elle renvoie à l’action d’analyser et de spécifier, de différencier, séparer ou
encore lever une équivoque, ou de dissiper une confusion. Ces énoncés
juridico- littérales, ont en commun d’opérer un raisonnement qui conduit,
à classer les éléments de ressemblance et les aspects de dissemblance
lorsqu’il va s’agir de distinguer. Aussi, de relever les points de
convergences et ceux de divergences. Cette façon classique
d’interprétation, ne parait pas assez intéressante en droit de la comptabilité
publique. Par contre en dépassant ce réduit, la nécessité de distinguer ces
deux agents publics financiers, explore en fait un pan des leviers de la
modernisation de la gestion financière. Faisant de la distinction non plus
un facteur de séparation, mais plutôt un critère de performance et un
instrument de lisibilité de gouvernance publique. Sous ce rapport, quel
regard pourrions-nous porter sur la distinction entre le comptable patent et le comptable
de fait en droit de la comptabilité publique camerounaise ? Cette formulation
questionne, en filigrane l’importance de la catégorisation des acteurs
rentrant dans la chaine du maniement des deniers publics. L’hypothèse qui
en ressort autorise un regard enthousiaste et plein d’optimisme. Celle-ci va
d’ailleurs démontrée que la distinction est justifiée (I), même si elle
demeure modérée (II).
I. Une distinction justifiée
C’est sous l’égide du principe selon lequel, « tous les hommes ont le droit
de constater par eux, ou par leur représentant la nécessité de la contribution publique, de
la consentir librement, d’en suivre l’emploie et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le
recouvrement et la durée »17, que les balbutiements des bases pouvant justifier
la distinction se vérifient. La protection de la fortune publique, corollaire
de cette exigence, implique une véritable division entre le comptable
patent et le comptable de fait, afin que les fonctions reconnues à

comptable de l’Etat ; Loi n°2007/006 du 26 décembre 2007 portant régime financier de


l’Etat.
16 CORNU (G), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 10e édition mise à jour, p. 357.
17 Article 4 de la Déclaration des droits de l’homme du 10 décembre 1948.

397
l’ordonnateur et au comptable ne puissent être travesties dans l’exécution
des opérations financières. En l’érigeant comme une norme, cette
séparation augure une certaine volonté de changer les paradigmes devenus
obsolètes. Elle s’appuie, sur les nécessités de bonne gouvernance
financière (A), en sauvegardant la conformité des opérations comptables
(B).
A. Une justification tirée de l’exigence de la bonne gouvernance
financière
La réforme comptable déclenchée au Cameroun, entraine
directement un bouleversement dans l’exécution des recettes et des
dépenses. S’inspirant des standards internationaux dont elle dérive, sa
contribution à l’optimisation des fonds publics est perceptible à l’aune de
l’érection de la culture de performance, de l’obligation de résultats, et de
l’obligation de rendre compte de la gestion publique. La bonne
gouvernance dans la gestion des finances publiques est donc imbriquée, et
étroitement liée à l’insertion des pratiques nouvelles dans le champ de la
comptabilité publique. Sous cet attelage, la préservation de l’intangibilité de
la séparation ordonnateur-comptable (1), et la vérification de la tenue des
comptes constituent indéniablement les mobiles de cette distinction (2).
1. La préservation de l’intangibilité du principe de la séparation
ordonnateur-comptable
L’exécution des opérations de dépenses et de recettes, relève de la
responsabilité de l’ordonnateur et du comptable public. Pour éviter les
prévarications financières et l’opacité managériale des biens publics18,
l’exécution des opérations budgétaire implique la responsabilité de chaque
acteur. Au rang desquels les ordonnateurs (a), les comptables publics (b),
à travers la nouvelle réforme le comptable matière (c).
a. L’affiliation des ordonnateurs aux opérations d’engagement, de
liquidation et d’ordonnancement
Le constat relève d’un truisme que : « Les compétences et responsabilités
du gouvernement et du parlement en matière de la conduite de la politique budgétaire, de
choix de dépenses et de recettes publiques, ainsi qu’en matière d’exécution et de contrôle
budgétaire doivent être clairement définies en application de la constitution »19. Faisant
provision de cette prescription législative, on peut inférer qu’elle est
transposable à tous les niveaux de la chaine de manipulation des deniers
publics. La détermination et la définition des tâches dans la gestion
financière, implique une responsabilité importante des ordonnateurs. Dans
cet ordre, la clarification des attributions et la fixation des missions qui

18 SAMA SAMJE (P), « Le compte unique du Trésor au Cameroun », RAFiP, n°8, 2e


semestre 2020, p. 377.
19 Article 12 de la loi n°2018/011 du 11 juillet 2018 portant code de transparence et de

bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques au Cameroun.


398
leurs sont dévolues s’inscrivent dans ce sillage. Parmi les principes
fondamentaux qui encadrent la gouvernance financière, le confinement
des ordonnateurs aux opérations d’engagement et d’ordonnancement
résulte des multiples déviations antérieurement observées et décriées. La
nouvelle nomenclature budgétaire, implique donc une frontière intangible.
La rationalisation des manœuvres y relatives, est tributaire du resserrement
du rôle des ordonnateurs et de la prohibition de ceux-ci à transgresser le
cadre légal de leurs actions.
En matière financière, l’ordonnateur renvoie à « toute personne ayant
qualité au nom de l’Etat, de prescrire l’exécution des recettes et des dépenses inscrites au
budget de l’Etat »20. Dans une perspective plus élargie, selon Stéphanie
Damarey, peut se prévaloir d’une telle habilitation, « toute personne ayant la
qualité au nom de l’Etat, d’une collectivité ou un établissement public, pour contracter,
constater, liquider une créance ou une dette, ou encore pour ordonner, soit le recouvrement
d’une créance, soit le paiement d’une dette »21. Œuvrant dans la réalisation des
politiques publiques, la délimitation des tâches inhérentes à cette fonction
recèle deux grands mouvements. Le premier s’illustre dans l’exécution des
opérations de dépenses, tandis que le second se manifeste dans l’exécution
des opérations de recettes. En ce qui concerne les dépenses, la phase
administrative qui lui incombe autorise trois actes : l’engagement22, la
liquidation23 et l’ordonnancement24. Demeurant séparées de celles
comptables, les opérations de l’ordonnateur contribuent à rétablir, le cadre
d’action de chaque acteur agissant dans la manipulation des fonds publics.
C’est de ce point de vue qu’elles induisent une division rationnelle du
travail, qui découle du principe et qui voudrait que chacun de ces deux
acteurs, assurent en ce qui le concerne toutes les tâches et seulement les
tâches qui lui seront dévolues dans le cadre de l’exécution du budget25.
S’inscrivant dans la logique de la légalité financière, les actes pris
dans le cadre de la phase administrative n’acquièrent la légalité que,
lorsqu’ils ont été autorisés et référencés dans un document cadre appelé le
budget. Au regard de l’article 64 de la loi portant régime financier des
collectivités territoriales décentralisées, « l’ordonnateur du budget ne peut
exécuter une dépense qu’après s’être rassuré qu’elle correspond à l’imputation budgétaire
correcte »26. Au soutien de celui-ci, l’article 4 de la loi de 2018 portant régime

20 Article 65 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018.


21 DAMAREY (S), Finances publiques, Paris, Gualino, 2015-2016, 3e édition, p. 139.
22 L’engagement est l’acte par lequel l’Etat ou un autre organisme public créé ou constate à

son encontre une obligation de laquelle résultera une charge.


23 La liquidation est l’opération qui consiste à constater et à arrêter les droits du créancier.
24 L’ordonnancement est l’acte administratif par lequel, conformément à la liquidation,

l’ordre est donné au comptable de payer la dette de l’Etat ou de celle des autres organismes
publics.
25 TRAORE (M), Le principe de la séparation des ordonnateurs et des comptables, mémoire maitrise,

Université Gaston Berger de Saint-Louis, 2008, p. 23.


26 Article 64 de la loi n°2009/011 du 10 juillet 2009 portant régime financier des

Collectivités territoriales décentralisées (ci-après loi n°2009/011 du 10 juillet 2009), repris


399
financier de l’Etat et des autres entités publiques rappelle en substance
que, « aucun n’impôt ne peut être émis, recouvré ou exonéré et aucune dépense ne peut
être engagée ou ordonnancée pour le compte de l’Etat, sans avoir été autorisée par une loi
de finance ». Cependant, dans l’exécution des opérations liées au budget, les
ordonnateurs jouissent d’un pouvoir assez étendu par le truchement du
principe de fongibilité. En effet bien que chaque programme, dotation et
crédits soient inscrits dans la loi, leur représentation par titre n’est
qu’indicative. La fongibilité des crédits permet alors, à l’ordonnateur
gestionnaire de crédits de modifier, les affectations prévues initialement
afin de les adapter à l’évolution des besoins27. Constituant un allègement
des procédures, elle offre plus de liberté à l’ordonnateur. En lui consacrant
la faculté de définir, l’objet et la nature des dépenses dans le cadre du
programme pour en optimiser la mise en œuvre28. Cette prérogative
d’initiative est exécutée par le comptable à travers les opérations
d’encaissement ou de décaissement.
a. L’agrégation des comptables publics aux opérations
d’encaissement et de décaissement
Concomitamment avec l’ordonnateur, le comptable public assure
l’effectivité de l’exécution des opérations financières. Bien que du point de
vue fonctionnel, les missions affectées à chacun demeurent séparées, il
apparait clairement qu’il existe un lien étroit entre les tâches inhérentes à
l’ordonnancement, l’engagement, liquidation et celles relatives au
recouvrement, à la garde et au maniement des fonds29. Dans une
perspective de modernisation financière, l’un ne peut alors faire obstacle à
l’autre. Le nouveau mode d’exécution des mouvements financiers, dans
lequel l’Etat et les autres collectivités publiques se sont inscrits, commande
alors la coexistence de ces deux organes.
S’arrimant à ce modèle global, la comptabilité publique regroupe
l’ensemble des règles relatives à la procédure d’exécution des recettes et
des dépenses30. Les actions comptables liées aux recettes publiques doivent
être encaissées à fin d’y effectuer toutes les diligences nécessaires. En
fonction de la nature de la recette à recouvrer, ils assurent la régularité de
l’autonomisation à percevoir les recettes. Tout en contrôlant la mise en
mouvement et la liquidation des créances. Dans le cadre des dépenses, ils

par l’article 444 de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code général des
collectivités territoriales décentralisées.
27 NTSEGUE ANANGA (E-P), « La fongibilité des crédits en droit public financier

camerounais », RAFiP, n°8, 2e semestre 2020, p. 257.


28 MUZELLEC (R), Finances publiques, Paris, Sirey, 2009, 15e édition, p. 67.
29 Article 71 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 : « les comptables publics sont des agents

publics ayant la charge exclusive du recouvrement, de la garde et du maniement des fonds et valeurs, de la
tenue des comptes ».
30 MEBENGA (M), Cours de contentieux des comptes publics, année académique 2013-2014,

Master II droit public interne. Voir aussi l’article 5 du décret n°2020/375 du 7 juillet 2020
portant règlement général de la comptabilité publique.
400
jouissent de l’aptitude légale en la matière. Selon les dispositions de l’article
71 du nouveau régime financier de l’Etat, « le paiement des dépenses relève de la
responsabilité exclusive du comptable publique ». En effet, le paiement de ces
dépenses entraine une responsabilité avérée de l’agent comptable, dans la
mesure où, il est tenu de respecter la légalité qui régit ce genre d’opération.
Sous cette obligation, préalablement au paiement, le comptable public
vérifie la validité de la créance et le caractère libératoire du paiement31.
De ce qui précède, il se dégage dans la pratique de la comptabilité
publique, un contrôle de régularité et même d’opportunité des
engagements émis par l’ordonnateur. En cas d’irrégularité constatée, il ne
peut y procéder au paiement. Ce contrôle à priori, permet pour le
comptable de vérifier la qualité de l’ordonnateur, et d’établir la corrélation
exacte de l’imputation de la dépense aux règles relatives à la spécialité
budgétaire. La comptabilité publique n’est alors aisément admise, que
lorsque le patrimoine de l’Etat fait l’objet d’un recensement exhaustif,
susceptible de décrire son actif et son passif.
b. L’inscription des comptables matières aux modalités
d’inventaire et de recensement des valeurs mobilières et
immobilières
La renaissance du comptable matière dans le système financier
public augure en perspective, la réelle volonté des pouvoirs publics
d’infléchir la courbe devenue ascendante des détournements des biens
publics. Après une entrée remarquable en 1962 sous l’édiction d’une
ordonnance en ces termes, « la conservation et la sortie des matières en stock sont
assurées par un comptable gestionnaire, restreint à la tenue d’une comptabilité en
quantité et d’une comptabilité en valeur32 », elle sera réaffirmée dans le décret de
1967 portant aménagement de la législation financière de la République
Fédérale du Cameroun33. Elle disparaitrait en 2007, pour réapparaitre
finalement dans la législation financière en 2018.
La restauration du comptable matière à la faveur du nouveau régime
financier, vient étoffer le régime de la comptabilité publique34 auquel sont
astreints désormais l’Etat et les autres entités publiques. Instituée auprès
de l’ordonnateur, la comptabilité publique est d’abord perçue comme une
« comptabilité d’inventaire ». Ayant pour objet la description des existants des

31 Loi n°2018/012 du 11 juillet 2018.


32 Ordonnance n°62/OF/4 du 7 février 1962 réglant le mode de présentation, les
conditions d'exécution du budget de la République fédérale du Cameroun…, op. cit. Les
origines de la comptabilité matières sont surabondamment commentées dans les divers
supports de finances publiques.
33 Décret n°07/DF/211 du 16 mai 1967 portant aménagement de la législation financière

de la République fédérale du Cameroun.


34 Au regard de l’article 73 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018, l’Etat tient une

comptabilité budgétaire destinée à vérifier le respect par le gouvernement de l’autorisation


parlementaire et une comptabilité générale destinée à mesurer l’évaluation du patrimoine de
l’Etat.
401
biens mobiliers et immobiliers, des stocks et des valeurs inactives autres
que les derniers et archives administratives. Elle retrace dans ses livres,
l’ensemble du patrimoine des personnes morales de droit public. A travers
son retour en grâce, les entités publiques vont désormais tenir une
comptabilité patrimoniale35. Laquelle permettra de saisir la valeur de ses
actifs et de ses passifs. Auxiliaire de la comptabilité générale, elle contribue
efficacement à la maîtrise du patrimoine public. En y présentant le bilan
des immobilisations corporelles, incorporelles avec plus de sincérité et de
fiabilité.
2. La consolidation de la tenue des comptes
Le contrôle des comptes publics, étant devenu incontestablement
l’outil de protection de l’emploi des fonds publics, implique par la
procédure de reddition, que les ordonnateurs et les comptables établissent
séparément un rapport décrivant les mouvements effectués par chacun
dans le cadre de leurs attributions. La production du compte administratif
relève alors des ordonnateurs (a), tandis que la reproduction du compte de
gestion résulte du comptable (b).
a. La production du compte administratif une
prescription pour les ordonnateurs
L’érection de la division sus-évoquée entre les acteurs du processus
financier, irradie en perspective la responsabilité qui échoit à ceux-ci. Pour
ce qui est de l’ordonnateur, du fait que la loi lui reconnaisse l’opportunité
des dépenses conformément au budget, l’exigence de retracer l’ensemble
des opérations financières qu’il a effectué relève des prescriptions
consignées dans le décret portant règlement général de la comptabilité
publique d’une part, et d’autre part dans les dispositions de la loi portant
sur le régime financier de l’Etat.
Alors, la clôture de l’exercice budgétaire induit nécessairement de
rendre compte de l’utilisation des crédits alloués se rattachant à une année
civile. Elle arrête les engagements et les ordonnancements sur le budget36.
La nouvelle nomenclature budgétaire et financière, en fait une perception
assez élargie, du fait qu’elle autorise à toutes les collectivités publiques
(Etat, établissement public et collectivité territoriale décentralisée) de
produire par le truchement des ordonnateurs une comptabilité annuelle.
L’ordonnateur étatique est ainsi astreint, aux dires de l’article 74 de la loi
n°2018/012 du 11 juillet 2018, à cette formalité au spectre comminatoire.
En l’y exigeant de tenir une comptabilité budgétaire, le législateur a bien

35 OMGBA ELONG (F-X), « Regards sur la renaissance de la comptabilité matière au


Cameroun à la faveur de la réforme des finances publiques en cours », RAFiP, n°8, 2e
semestre 2020, p. 365.
36 Au regard de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018, le Ministre chargé des finances est

responsable de la centralisation des opérations budgétaires des ordonnateurs, en vue de la


reddition des comptes relatifs à l’exécution des lois de finances.
402
voulu insérer dans les nouvelles mœurs de la pratique budgétaire, une
orientation comptable, qui veuille que les mouvements effectués soient
enregistrés. C’est sur cette base que le principe, de la reddition des
comptes liée à l’exécution des programmes et des projets devient
pertinent37. Dans ce rapport, « l’ordonnateur tient une comptabilité budgétaire
auxiliaire des liquidations et des émissions des recettes d’une part, et d’autre part une
comptabilité budgétaire auxiliaire des liquidations et des ordonnancements et des
dépenses d’autre part ».
Faiblement exprimé au niveau central, la production du compte
administratif est ainsi mieux articulée à l’échelle locale. D’après le
vocabulaire juridique, le « compte administratif », est un compte d’exécution
du budget d’une collectivité locale, établi par l’ordonnateur et présenté par
lui pour un contrôle à l’assemblée délibérante. Perçu comme un bilan
financier de l’ordonnateur, il offre annuellement la sincérité des opérations
budgétaires qu’il a exécutées. C’est à ce titre qu’il constitue l’arrêté des
comptes de la collectivité à la clôture de l’exercice budgétaire. La loi
n°2009/011 du 10 juillet 2009 portant régime financier des collectivités
territoriales décentralisées s’arrime ainsi à cette obligation, en précisant que
« les ordonnateurs sont astreints à la production d’un compte administratif retraçant les
actes de leur gestion (…) »38. Dans la même veine, le décret portant sur
règlement général de la comptabilité publique poursuit : « les opérations de la
comptabilité budgétaire des collectivités territoriales décentralisées sont justifiées, à travers
un compte administratif établi annuellement par l’ordonnateur ». Cette formalité
comptable n’échappe pas aux comptables publics.
b. La reproduction du compte de gestion une sujétion des
comptables
A l’aune du paradigme de la performance dans lequel semble
souscrire la gouvernance financière, la reproduction du compte de gestion
devient au-delà d’une obligation comptable, davantage apparait comme
une formalité qui conditionne la régularité des opérations financières
auxquelles elle se rapporte. D’ailleurs, il n’en serait être autrement, tant la
compétence de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême, est adossée
sur l’analyse des comptes et documents annexes des comptables publics
patents et de faits39.

37 Voir article 90 de la loi n°2009/011 du 10 juillet 2009, codifié à l’article 466 de la loi
n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code général des collectivités territoriales
décentralisées.
38 Article 91 de la loi n°2009/011 du 10 juillet 2009 codifié à l’article 467 de la loi

n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code général des collectivités territoriales


décentralisées.
39 Voir dans ce sens l’article 8 de la loi n°2003/005 du 21 avril 2003 fixant les attributions,

l'organisation et le fonctionnement de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême. Selon


cet article, le contrôle et le jugement de la chambre portent sur :
- les comptes des comptables publics patents des personnes morales dans
lesquelles l’Etat et ou d’autres personnes morales de droit public détiennent
403
Etabli par les comptables publics à la fin de chaque exercice, le
compte de gestion décrit les opérations effectuées par eux. Sous la
recommandation des prescriptions juridiques, ils rendent compte des
opérations rattachées à leur gestion. Les comptes de gestion des
comptables principaux, sont alors produits à la Chambre des Comptes au
plus tard le 31 mai de l’exercice suivant celui au titre duquel ils sont établis.
Par ailleurs, en cas de manquement constaté par le défaut de retard,
ils s’exposent à des amendes infligées par ladite juridiction.
L’assujettissement de la fonction comptable à la reproduction du compte
de gestion chaque année, obéit à la logique d’apurement des écritures
comptables référencées en mode de dépenses et de recettes. N’échappant
guère à cette emprise, les comptables désignés des collectivités territoriales
décentralisées, sont astreints à une pareille sujétion. En application de
celle-ci, le juge des comptes par un arrêt n°74/AD/CSC/CDC/S2/CVA
du 6 septembre 2002, compte de gestion de la Commune urbaine de
Bertoua s’était vu interpelé sur certaines irrégularités. A ce propos, le
professeur Sietchoua Djuitchoko Célestin fit deux observations. En effet,
l’instruction du compte de gestion avait mis en relief la comptabilisation à
nouveau par le receveur municipal dans les exercices contrôlés de 15
mandats, qu’il avait déjà payés au courant des exercices 2000 et 2001. Ces
reprises venaient alors gonfler artificiellement les dépenses de l’exercice
ultérieur, entrainant par conséquent une diminution de son solde.
Constatant ces manœuvres, le receveur avait été mis en débet à
concurrence du montant40. Dès lors, ce contrôle effectué sur les comptes
publics permet d’assurer la conformité de ceux-ci aux obligations légales.

séparément ou ensemble plus de la moitié du capital ou des voix dans les organes
délibérants ;
- les comptes et documents annexes dans comptables publics patents des
personnes morales, quel que soit leur statut juridique, dans lesquelles l’Etat et
d’autres personnes morales de droit public détiennent ensemble le pouvoir de
décision ou la minorité de blocage ;
- les comptes et documents annexes des comptables publics patents de toute
personne morale, quel que soit son statut, qui bénéfice d’u concours financier
direct ou indirect de l’Etat ou d’une autre personne morale de droit public ;
- les comptes des personnes physiques exerçant les fonctions officielles ou ceux
des comptables publics patents des personnes morales investies d’une mission
spécifique et recevant à ce titre les fruits de la générosité nationale ou
internationale, dans les conditions fixées par l’acte accordant les concours
financiers.
Selon l’article 26 alinéa 2, « les comptes des comptables publics patents, mis en forme et examinées
conformément aux textes en vigueur, sont présentés en vue du jugement à la Chambre des Comptes dans les
trois mois suivant la clôture de l’exercice budgétaire ».
40 SIETCHOUA DJUITCHOKO (C), La Chambre des Comptes de la Cour Suprême du

Cameroun, les principaux arrêts, avis, rapports de certification du compte général de l’Etat et
rapports d’observations afin de contrôle commentés, Yaoundé, Editions Le Kilimandjaro
(EDLK), 3e trimestre 2016, p. 277.
404
B. Une justification consécutive à la conformité des opérations
comptables
La certification des comptes publics est une opération qui implique
de la part du juge des comptes, l’examen des documents tenant lieu des
comptables publics. Etant fondée sur la constatation des droits et
obligations41, elle mérite une certaine clarté, en indiquant la situation fiable
des opérations financières. La fiabilité des mouvements financiers est donc
retracée à travers les livres comptables, et certifiée selon une procédure
dument établie. Ce processus juridictionnel qu’opère l’instance habilitée,
permet de vérifier l’intelligibilité des opérations comptables (1), bien qu’il
s’assure par extension à restaurer la concordance des comptes de gestion
et administratif (2).
1. La certification des opérations comptables
A l’instar des entreprises privées, les comptes de l’Etat doivent être
intelligibles et aisément lisibles. La certification apparait dans cette
perspective, comme le moyen sur lequel la clarification des comptes
repose. En réalité la certification des comptes est « une opinion écrite et motivée
formulée par un organe indépendant sur la conformité des Etats financiers à un
ensemble donné de règles comptables ». Prescrite par une exigence législative42,
elle consiste à l’examen en deux phases des documents comptables, l’un
étant lié à la sincérité (a) et l’autre à la régularité (b).
a. La sincérité des écritures comptables
Le référentiel normatif international en matière d’exécution
budgétaire et financière43, transposé dans l’ordre interne, implique que la
comptabilité de l’Etat et des autres entités publiques présentent une image
sincère. La sincérité des écritures comptables a été remise dans l’ordre des
préoccupations actuelles, à la faveur de l’émergence des données de
transparence dans l’élaboration de la loi de finance. Au terme de l’article 3
de la défunte loi de 2007, elle présente de façon sincère l’ensemble des
ressources et charges de l’Etat. S’inspirant de cette orientation, l’article 32

41 Article 30 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. Voir aussi
l’article 58 de ladite loi qui dispose : « à l’instar des entreprises privées, les comptes de l’Etat doivent
faire l’objet d’une procédure de certification, c’est ainsi que s’est déclinée la mission d’assistance du parlement
confiée à la Cour des Comptes, il s’agit d’une mission de certification de la régularité, de la sincérité et de la
fiabilité des comptes publics ».
42 L’article 26 de la loi n°2007/006 du 26 décembre 2007 portant régime financier de l’Etat

dispose : « les comptes de l’Etat doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle de son
patrimoine et de sa situation financière ».
43 Directive n°1-11-U-EAC-190-CM-22 relative aux lois de finances dispose : « qu’en ce qui

concerne un Etat les missions de la Cour des Comptes sont notamment les suivantes :
- certifier la régularité, la sincérité et la fidélité des comptes de l’Etat ;
- assister le parlement dans le contrôle de l’exécution des lois de finance ;
- juger les ordonnateurs, les contrôleurs financiers et les comptables publics dans les conditions
prévues aux articles 74 et 78 de la présente directive ».
405
de la loi française du 1er août 2001, en fait une appropriation mieux
déclinée et ces termes : « les lois de finances présentent de façon sincère l’ensemble
des ressources et des charges de l’Etat. Leur sincérité s’apprécie compte tenu des
informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découlées ». A
priori susceptible d’être réduit aux modalités budgétaires, ces dispositions
législatives ont une incidence comptable. C’est en exubérance de cette
filiation que l’article 26 de la loi n°2007/006 du 26 décembre 2007
disposait alors que : « les comptes de l’Etat doivent être (…), sincère et donner
l’image fidèle de son patrimoine et de sa situation financière ».
La sincérité comptable, conséquence de l’insertion de la logique de
transparence et de clarté équivaut à une perception duale. Elle se traduit en
matière de recettes, à l’exigence de s’assurer que les recettes contenues
dans le budget ont été recouvrées conformément aux prévisions énoncées
dans la loi de finance. En ce qui concerne les dépenses, Elle se manifeste
dans l’obligation, de vérifier qu’elles n’ont pas été exécutées au-delà des
imputations budgétaires. Elle, établit la légalité des écritures qui autorisent
l’encaissement des recettes, et l’engagement des dépenses. La
consolidation des règles de bonne gouvernance, qui s’emploie à travers
l’essor du principe de la sincérité comptable, commande que le juge des
comptes inflige des sanctions en cas de grief d’insincérité des écritures
comptables. D’après les conclusions de l’article 4 de la loi fixant ses
attributions, « la Chambre des Comptes rend sur les comptes qu’elle est appelée à
juger des arrêts qui établissent si les comptes jugés sont quittes, en avances ou en
débets ». Désignée comme le gage de la « fiabilité de l’information comptable et
financière44 », la constatation des écritures non fiables et insincères, a permis
de fonder la compétence de la chambre des comptes et retenir à l’égard
des comptables indélicats des griefs d’inconformité. C’est à l’occasion des
affaires Ndzana Jean45 et dame Nanga Rébecca épouse Evina Ndo46 que
son office s’est davantage fait remarquer. Il fit observer dans la première
affaire, les différences en moins ou déficits, résultant des discordances
entre les procès-verbaux d’encaissement et les balances générales des
comptes, pour les postes comptables de Yabassi, Ebone, Mombo.
b. La régularité des comptes par rapport à la législation
La privatisation de la comptabilité publique, par l’irruption des
règles régissant les entreprises privées continue d’irriguer les mécanismes
de maniement des fonds publics. Conformément à la pratique privée, les
différentes étapes, relatives à l’exécution des recettes et des dépenses
reposent sur le principe de la régularité. D’ailleurs le contraire n’eut été
possible, tant l’article 8 de l’acte uniforme portant sur la comptabilité des

44 SERE (S), Droit comptable et plan comptable OHADA, op cit, p. 5.


45 Arrêt n°4/CSC/CDC/SI du 5 novembre 2005, Ndzana Jean, postes comptables Yabassi,
Ebone et Mombo.
46 Arrêt n°14/AD/S3/10 du 7 juillet 2010, Nanga Rébecca épouse Evina Ndo, compte de

gestion de l’Office National du Cacao et du Café, exercice 2004.


406
entreprises dispose que : « les Etats financiers doivent décrire de façon régulière
(…) les évènements, opérations et situations de l’exercice pour donner une image fidèle
du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise47 ».
C’est à partir des ressorts constitutionnels, que l’immersion de la
régularité des opérations comptables est observée. Convoquant l’article 26
alinéa b de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, il est clairement
exposé « qu’aucun comptable public ne peut recouvrir un impôt ou une taxe, si ledit
impôt ou ladite taxe n’a pas été créé par le législateur, qui par le même coup en
détermine l’assiette et les modalités de recouvrement ». Poursuivant l’exploration de
cet ancrage constitutionnel, l’article 41 ajoute-t-il, « les comptes publics sont
déposés en vue de leur jugement auprès de la Chambre des Comptes ». L’analyse qui
se déduit de ces instruments juridiques, révèle que le contenu du
contentieux de la régularité des comptes publics, réside en la vérification
des opérations comptables par rapport à la législation financière.
L’attribution de cette compétence, à l’auguste chambre découle du rapport
produit par elle en 2009. Dans lequel, elle affirme en effet que : « les comptes
des comptables publics doivent être conformes à la législation financière camerounaise
d’une part, et ils doivent obéir aux différents statuts particuliers des organismes publics
d’autre part ».
Cet extrait fait jaillir la conclusion selon laquelle, la régularité des
comptes publics doit s’analyser en termes de conformité par rapport à la
législation financière48. Un pareil rapport de conformité auquel tient la
régularité des comptes, se déduit du respect par le comptable public des
règles qui régissent à la fois l’exécution des recettes et celles des dépenses.
En ce qui concerne la captation des recettes, son office consiste dès lors, à
s’assurer que le recouvrement desdites recettes demeure sous-tendu par
une disposition légale en vigueur. Ne s’étant pas acquitté de cette
formalité, la chambre des comptes avait ainsi relevé les griefs d’irrégularité,
dans le compte de gestion de l’office national du cacao et du café pour
l’exercice 2006/2007, au motif d’irrégularité de la TVA49. Dans la
perspective du contrôle de régularité sur les dépenses, le juge se confine, à
établir si la dépense a été effectuée sur la base d’un texte légal. En
l’absence de base légale pouvant justifier la dépense, il est plus enclin à
faire signifier le vice d’irrégularité qui entache l’exécution de celle-ci. Pour
s’en convaincre, faudrait-il revenir sur les considérants de l’arrêt ARSEL
exercice 2006/2007, rendu le 26 avril 201250. L’adoption du principe de la
sincérité et la régularité dans les nouvelles mœurs financières, traduit la
véritable détermination de transcrire dans les opérations comptables l’idée
de fidélité et de transparence.
2. L’exigence de fidélité et de transparence des comptes publics

47 Article 8 AUOHC.
48 MEBENGA (M), Cours de contentieux des comptes publics, op cit.
49 Arrêt n°11/AP/S3/11 du 28 septembre 2011.
50 Arrêt n°002/AP/S3, du 26 avril 2012 compte de gestion ARSEL, exercice 2006/2007.

407
La clarification des rôles des acteurs financiers n’apparait pas
uniquement dans l’optique de préciser les interventions de chacun dans la
manipulation des fonds publics, elle induit à postériori la nécessaire
obligation d’exhaustivité des comptes publics. L’exhaustivité desdits
comptes est ainsi appréciée sur le moyen de la fidélité et de la transparence
des écritures de l’exercice auquel ils se rapportent. La fidélité comptable,
exige en réalité que la production des comptes, soit la plus objective que
possible, afin que l’information sur le patrimoine de l’Etat communiquée
aux tiers, puisse leur permettre d’en avoir une perception exacte51. Alors
que la transparence, impose à la comptabilité de l’Etat, de fournir une
description régulière et sincère et de donner une image fidèle des
évènements des opérations et des situations se rapportant à l’exercice52.
En tout état de cause, l’intégration des aspects de fidélité et de
transparence comptable, n’est dégagée qu’à partir de la confrontation du
compte de gestion et du compte administratif. La fiabilité et la
transparence présagent la sincérité des enregistrements comptables, et
augurent l’immutabilité des opérations financières y relatives. La bonne
tenue des comptes résulte, du rapprochement que l’on peut faire des
engagements, liquidations et ordonnancements d’une part, et d’autre part
des encaissements et paiement présentant une image objective de
transparence et de fidélité. L’infidélité des mouvements constatée dans les
divers rapports, entraine l’insincérité des lignes comptables. Dans la
mesure selon laquelle, elle vide les actions exécutées de toute régularité. La
cohérence entre le compte administratif et le compte de gestion apparait
dans ce cas, comme le gage de l’intégrité des données, permettant à la
Cour de déclarer que les comptes sont quittes. La justification de la
distinction entre le comptable patent et le comptable de fait réside dans
ces deux appréhensions, cependant cette séparation reste mesurée.
II. Une distinction modérée
Le renouveau de la comptabilité publique, au regard de la récente
législation emporte un regard ambivalent. Le constat qui frappe
directement met en relief, en ce qui concerne les comptables patents et les
comptables de faits une analyse mitigée. D’emblée il est un truisme que le
législateur pour les causes de saine gestion financière, a bien voulu
distinguer chacun dans les missions qui sont les siennes.
Cependant, cette distinction connait une inflexion, de nature à
modérer la perception que l’on pourrait déduire de sa consécration. Cette
séparation, à l’ère de la nouvelle gouvernance des deniers publics ne cède-
t-elle pas finalement à une confusion, de manière à ce que les digues qui la
constituait commencent à s’effriter ? L’orchestration de cette mutation, est
l’œuvre de l’assimilation du comptable de fait au comptable patent (A).

51 Article 18 du décret n°219/3199 du 11 septembre 2019 fixant le cadre général de


présentation du plan comptable de l’Etat.
52 Article 10 du décret précité.

408
Celle-ci va d’ailleurs démontrer une concordance des mécanismes de
contrôle et de sanctions (B).
A. L’assimilation du comptable de fait au comptable patent
Tandis que la séparation entre ordonnateur et comptable est
explicitement consacrée53, celle qui découle de la division comptable
patent et comptable de fait est implicitement atténuée. Les éléments qui
concourent à la répudiation, voire à la négation de la consécration de la
distinction, relèvent des distorsions débouchant de l’ingérence de
l’ordonnateur dans le maniement des fonds publics. Les interférences
issues de l’immersion dans un champ de compétence autre que celui prévu
par les textes légaux créent une certaine confusion. La fongibilité54 entre
les deux comptables est vérifiable à partir des critères d’adoption de
l’assimilation (1) et, eu égard à l’imputation des obligations du comptable
patent au comptable de fait (2).
1. Les critères d’assimilation
En vertu de l’article 8 du règlement général de la comptabilité
publique55, il est interdit à toute personne dépourvue d’un titre légal
d’exercer des fonctions de comptable, sous peine de poursuites prévues
par la loi. Si cette règle consacre dans son esprit cette dichotomie
fonctionnelle, elle est cependant dans la pratique mise à l’épreuve par les
acteurs financiers. La remise en cause provient des violations répétitives et
consécutives à l’immixtion frauduleuse dans les opérations de valeurs (a),
et au maniement des deniers publics (b).
a. L’immixtion frauduleuse dans le domaine réservé du préposé à
la fonction comptable
C’est à partir de l’accréditation56 ou de la nomination57
conformément aux lois et règlements, que la qualité de comptable est

53 BILOUNGA (S-T), « Les relations entre l’ordonnateur et les comptables à la lumière de


la loi du 26 décembre 2007 portant régime financier de l’Etat au Cameroun », Gestion &
Finances publiques, n°3-2017, Mai-Juin 2017, pp. 109-116.
54 D’après le Vocabulaire juridique de G. CORNU, il s’agit du caractère de ce qui est

interchangeable : « une chose qui appartient au même genre qu’une autre, peut être considérée comme
équivalente ».
55 Décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 portant règlement général de la comptabilité

publique. Le titre résulte de la nomination et de l’accréditation d’un ordonnateur ou d’un


comptable public conformément aux lois et règlements.
56 Selon l’article 9 du décret portant règlement général de la comptabilité publique précité,

l’accréditation est l’obligation qui est faite à un agent intervenant dans les opérations
financières des organismes publics, de notifier à d’autres agents désignés par les lois et
règlements, soit son acte de nomination, soit son spécimen de signature. L’accréditation
s’effectue par la diligence de l’agent lui-même dès son installation et sous sa responsabilité.
57 Ils sont nommés par le Ministre chargé des finances. Les comptables placés auprès des

Régions, des Communautés urbaines, des Communes d’arrondissement, ainsi que leurs
collaborateurs jusqu’au rang de chefs de service, les contrôleurs financiers placés auprès
desdites collectivités et leurs collaborateurs jusqu’au rang de chef de service, sont nommés
409
reconnue à un agent public. L’acte qui intervient, dans l’une de ces
modalités confère le titre légal au titulaire, permettant à ce denier de se
prévaloir des opérations qui résultent de la reconnaissance de ladite
habilitation. Parallèlement qu’il ouvre pour le concerné des droits et
obligations, il expose à des poursuites ultérieures en situation d’usurpation.
Assumant la direction des postes comptables, ils sont repartis en
comptables du trésor, comptables des domaines et receveurs municipaux
ou encore en comptables matières. Préposés aux fonctions
particulièrement délicates, ces personnels de l’Etat et des autres entités
publiques, sont astreints aux formalités de prestation de serment lors de
leur première installation. Le caractère sacré que requiert le serment, au-
delà de l’adoubement du requis, autorise l’entrée à l’exercice de la charge.
Nonobstant cette procédure assez régulière, force est de constater
qu’en matière de gestion financière, des errements interviennent
régulièrement. Lesquels sont tributaires de l’ingérence soit de
l’ordonnateur dans les charges inhérentes à l’exécution des dépenses et au
recouvrement des recettes, soit alors de la désignation au sein de l’entité
publique d’une personne n’ayant pas la qualité de comptable public. Cette
dernière hypothèse est mise en exergue, dans les conclusions de l’arrêt
compte de gestion de la Mission de Développement Intégré des Monts
Mandara (MIDIMA), exercices 2004, 2005 et 2006. Brièvement exposées,
le régisseur avait été nommé ex qualité par l’ordonnateur, et dans la foulée,
la 3éme section de la Chambre des comptes avait qualifié un régisseur
dument nommé de comptable de fait58. Dans une pareille circonstance,
l’immixtion frauduleuse et indécente à la fonction comptable, s’apparente
indéniablement à une comptabilité de fait. Le critère discriminant
d’incorporation et, même de confusion, est alors l’irruption d’un agent de
façon irrégulière dans les activités qui engagent la manipulation et la
conservation des valeurs.
La constatation de la comptabilité de fait, assimile automatique le
mis en cause au comptable patent. Elle est découverte soit par
l’administration, soit par un audit externe ou du moins par une mission
d’audit de l’institution supérieure de contrôle des finances publiques59. La
conséquence qui se déduit d’une telle pratique, influe un transfert des
obligations dévolues au comptable patent vers le comptable de fait. Parmi
les obligations les plus recommandées et qui sont assorties des sanctions
en cas d’inexécution, figure en ligne de mire la production des comptes.
Après avoir établi la situation de comptabilité de fait par arrêté définitif, la

par arrêté conjoint du Ministre chargé des finances et du Ministre chargé des collectivités
décentralisées.
58 Arrêt n°4/AD/CSC/CDC/S3/13 du 6 février 2013, compte de gestion de l’Université

de Ngaoundéré, Exercice 2004. Arrêt n°15/AD/CSC/CDC/S3/12 du 24 novembre 2012,


compte de gestion de la Mission de Développement Intégré des Monts Mandara
(MIDIMA), Exercice 2004, 2005 et 2006.
59 Article 39 de la loi du 21 avril 2003 fixant les attributions, l’organisation et le

fonctionnement de la Chambre des Comptes.


410
Chambre des comptes enjoint le comptable de fait, dans un délai légal
imparti de trois mois pour répondre60. A la suite de cette analyse, émerge
un second critère d’assimilation : le maniement indu des opérations
financières.
b. Le maniement indu des opérations financières
Le maniement des valeurs, des deniers publics et l’exécution des
opérations de recettes et des dépenses sans en avoir le titre requis à cet
effet, sont constitutifs des actes de comptabilité de fait. La qualité de
comptable de fait est alors admise sous la conjugaison des deux critères,
l’un étant lié à l’ingérence sans mandat et l’autre à l’exécution des tâches
reconnues au comptable public. Loin d’être alternatifs, ces critères sont
cumulatifs. L’essentielle des missions auxquelles sont alors assignés les
comptables dans les opérations financières, sont recensées en matière de
recettes61, de dépenses62 et d’inventaire du patrimoine63. N’étant guère
transmissibles, elles s’exécutent exclusivement par le commis à la charge.
Rigoureusement observé, le confinement de l’exécution des
opérations relativement aux recettes, aux dépenses et à la conservation du
patrimoine, s’est traduit par l’élaboration dès l’accession à l’indépendance
d’un régime financier rigide64, destiné à encadrer les mouvements de fonds
publics. En l’état, la mise en œuvre des opérations d’exécution des
dépenses publiques, ainsi que l’a analysé De Mironde65 « sont soumises à trois
catégories de prescriptions impératives. Elles doivent d’abord faire l’objet d’une décision
budgétaire qui autorise la perception des recettes limitativement énumérées et le paiement
des dépenses déterminées dans leur nature et leur montant par les crédits accordés. En
second lieu pour leur exécution, elles sont soumises à une procédure administrative qui
doit être strictement observée par les agents spéciaux compétents à cette fin. Enfin,

60 Article 41 de la loi du 21 avril 2003 précitée.


61 En matière de recettes, le contrôle :
- de la régularité de l’autorisation à percevoir des recettes ;
- des recettes mise en recouvrement et de la liquidation des créances, ainsi que la
régularité formelle des réductions et des annulations des titres dans les limites des
éléments dont ils disposent.
62 En matière de dépenses, le contrôle :

- de la qualité de l’ordonnateur ou de son délégué ;


- de l’assignation de la dépense ;
- de l’exacte imputation budgétaire des dépenses ;
- de la validité de la créance dans les conditions précisées ;
- du caractère libératoire du paiement, incluant l’existence éventuelle
d’oppositions.
63 En matière de patrimoine, le contrôle :

- de la prise en charge en inventaire des actifs financiers et non-financiers acquis ;


- de la conservation des droits, privilèges et hypothèques.
64 Ordonnance n°62/OF/4 du 7 février 1962 réglant le mode de présentation, les

conditions d'exécution du budget de la République fédérale du Cameroun…, op .cit.


65 De MIRONDE (A-P), La Cour des Comptes, historique, organisation, apurement des comptes,

contentieux, voies de recours, contrôle administratif, Paris, Sirey, 1947, p. 147.


411
lorsqu’elles ont été terminées, le juge des comptes et l’autorité budgétaire s’assurent que
les autorisations budgétaires et les prescriptions administratives et comptables ont été
respectées ».
La méconnaissance de la procédure d’exécution des dépenses par la
manipulation indue des valeurs, traduit l’incompétence de son auteur et se
manifeste par la déclaration d’une comptabilité de fait. Explorant la
jurisprudence abondante de la chambre des comptes, deux opérations
peuvent exprimer les circonstances de gestions de fait. La première,
mettant en lumière le compte de gestion de la Commune rurale de
Mogodé, pour l’exercice 2005 est illustrative. Elle permet de déceler
comme constitutive de gestion de fait, l’extraction irrégulière des fonds des
caisses de la commune en vue de leurs usages au profit de l’ordonnateur66.
La seconde est relative, à la perception par l’ordonnateur des fonds
destinés au paiement du prestataire de l’administration67. Les conclusions
du juge des comptes qui suivent l’attestent. « Attendu qu’il résulte de l’examen
du compte de gestion de la circonscription financière du Nord-Ouest pour l’exercice
2005, dont le comptable principal est monsieur Dingha Ignatus, que monsieur Bello
Léonard Préfet de Boyo, a courant la même année, sur trois titres de paiement engagé
des sommes d’argent en faveur de Tumenta David, aux fins de réalisation de certains
travaux. Qu’il ait cependant perçu ladite somme en lieu et place du prestataire, véritable
bénéficiaire desdits fonds, qu’il s’est, ce faisant, sans en avoir qualité par ce
qu’ordonnateur, immiscé dans le maniement des fonds publics ». La résurgence de
ces manœuvres irrégulières, emporte transfert des obligations comptables.
2. La coïncidence des obligations comptables
La déclaration définitive de comptabilité de fait, implique la
modification de la perception du comptable de fait. En le constatant
d’office dans les fonctions du préposé, il en résulte pour le comptable de
fait, toutes les obligations d’un comptable patent du point de vue des
opérations faites par lui68. Elle transfert, alors à celui-ci toutes les sujétions
qui incombent au comptable patent d’une part et, commande au juge des
comptes, d’y regarder avec la rigueur qui sied au regard des règles
gouvernant la responsabilité des comptables patents.
Le contrôle juridictionnel ne s’effectue qu’autant qu’on peut
imputer des gestions de fait, à un agent irrégulièrement commis au
maniement des fonds publics. Elément indispensable, pour la bonne
gestion des finances publiques69, les obligations comptables, peuvent
s’appréhender comme la responsabilité qui incombe aux comptables

66 Arrêt n°78/AD/CSC/CDC/S2 du 6 juin 2012, compte de gestion de la commune rurale


de Mogode, Exercice 2005.
67 Arrêt n°4/AD/CSC/CDC/12 du 24 janvier 2012, déclaration e gestion de fait, mis en

cause BELLO Léonard.


68 Article 6 de la loi fixant les attributions, l’organisation et le fonctionnement de la

Chambre des Comptes.


69 EKOBENA (J-M), Les démarches de modernisation du système camerounais de contrôle des finances

publiques, Mémoire Master en Administration Publique, ENA, 2013, p. 14.


412
publics, d’effectuer toutes les diligences nécessaires en vertu des lois et
règlements dans l’exercice de leurs missions. Considéré au regard de
l’ingérence manifeste dans l’exécution des opérations financières, le
comptable de fait devient au regard des actions posées un comptable
public. Sous ce rapport, cette compétence qu’il s’est investie illégalement,
conduit à certaines obligations et donc les effets s’inscrivent dans la
régularité de la tenue des comptes publics. Dans ce sillage, ils sont alors
chargés de la tenue et de l’établissement des comptes dans le respect des
principes et règles de la profession comptable. Ils s’assurent de la sincérité
des enregistrements comptables et du respect des procédures70.
Relativement à l’exécution des opérations comptables, il est astreint
aux principes qui régissent l’activité. Nonobstant la fortuité de ses actes,
les comptables de fait demeurent soumis à ces exigences procédurales.
Parmi lesquelles, l’arrêté périodique des écritures ; des comptes et états
financiers71 ; la constatation des droits et des obligations72 ; la
transparence ; la sincérité et la régularité. Dans la mise en œuvre de ces
obligations, le comptable de fait, est tenu de présenter à l’instar du
comptable patent, en vue de leur jugement par la chambre des comptes,
les comptes après la clôture d’exercice budgétaire, dans un délai de trois
mois. Ils rendent donc compte annuellement, de la bonne tenue de leurs
écritures et de la conservation des fonds et valeurs. Devenue légale, la
reddition des opérations comptables, participe de ce nouveau mode de
gestion, qui est celui de la responsabilisation d’une chaine de managers
opérationnels73. Cette responsabilité s’éprouve par des mécanismes de
contrôle et de sanctions.
B. La concordance du régime de la responsabilité et de la répression
Dans un contexte de rareté des ressources, concomitamment à
l’expansion des velléités de distraction de celles-ci à des fins personnelles,
la responsabilisation et la répression des acteurs financiers, deviennent des
instruments idoines d’éradication. Surtout lorsqu’il est de plus en plus
évident que le microcosme social est tenu par « un environnement marqué par
une métamorphose de notre société qui d’années en années, a vu l’Etat et le secteur
public en général, se transformer en profondeur »74. La logique de moralisation

70 Article 2 du décret n°2019/3199/PM du 11 septembre 2019 fixant le cadre général de


présentation du Plan Comptable de l’Etat.
71 Le principe de l’arrêté périodique des comptes, commande que les écritures comptables

soient arrêtées par journée, par décade, par mois et en fin d’exercice. L’exercice coïncide
avec l’année civile.
72 Les produits correspondants aux recettes encaissées sur versements spontanés sont

enregistrés en comptabilité au moment de leur versement, le titre de perception est émis en


régularisation. Les produits correspondants aux recettes encaissées sur titre de perception,
sont enregistrés en comptabilité générale au moment de la prise en charge comptable du
titre indépendamment de la date d’encaissement.
73 Ibid.
74 BOUVIER (M), « Le citoyen, la gouvernance financière publique et la mutation du

politique », RFFP, n°135, 2016, p. 9.


413
financière75, n’est donc pas contraire à cette exigence de laisser planer sur
la tête des agents financiers, un système de reddition. Les différentes
législations financières en la matière, recommandent donc, pour une
meilleure gestion des deniers publics, une concordance des mécanismes de
contrôles, s’imposant à la fois au comptable patent et au comptable de fait.
Sur ce moyen, elles présentent une ambivalence du régime de la
responsabilité (1). Malgré cette ambiguïté, qui semble dériver de la
consécration de la responsabilité, et de la détermination des poches
d’irresponsabilité, les comptables publics restent soumis à un régime
unique de répression (2).
1. La déclinaison ambivalente de la responsabilité des
comptables publics
La proclamation de l’Etat de droit comme objectif politique
implique, à plus ou moins long terme, la reconnaissance d’un principe de
responsabilité selon lequel, toute activité publique doit normalement
répondre de ses actes76. Cet énoncé général, trouve un écho favorable dans
la gestion des finances publiques. La restauration de la déontologie dans le
maniement des fonds publics a été dévolue par la consécration d’un
régime spécifique de responsabilité77. Elle présage cette obligation, non
dérogeable vers laquelle, les comptables publics doivent « assumer leurs actes
et les conséquences de leurs actes »78. Les traits caractéristiques de cette
responsabilité financière, offrent ainsi un élargissement des moyens de
mise en œuvre (a). Tout en garantissant, les possibilités de condamnation
des agents indélicats, ils perpétuent les situations exonératoires (b).
a. L’élasticité des moyens de mise en œuvre de la responsabilité
comptable
La responsabilité implique l’obligation de rendre compte de ses
actes ou de ceux d’autrui et d’en accepter les conséquences79. Dans son
acception littérale, elle s’articule autour de « l’obligation de réparer une faute, de
remplir une obligation, un engagement »80. D’après le Doyen Ondoa Magloire,
elle traduit la nécessité d’assumer une action dommageable commise par
soi-même, par une personne dépendante de soi ou par une chose que l’on

75 NGUECHE (S), « Le contrôle citoyen des finances publiques en droit camerounais »,


RAFiP, n°8, 2eme semestre 2020, p. 173.
76 GOUNELLE (M), Introduction au droit public. Institutions, fondements, sources, Paris,

Montchrestien, 1989.
77 Ibid.
78 ERALY (A), HINDRIKS (J), « Le principe de la responsabilité dans la gestion

publique », Reflets et perspectives de la vie économique, TXLVL, 2007, p. 197.


79 AVRIL (P), « Pouvoir et responsabilité », in Le pouvoir. Mélanges offerts à Georges

BURDEAU, Paris, LGDJ, 1977, p. 14.


80 Dictionnaire Hachette, 2011, p. 885.

414
a sous sa garde81. De façon générale, la responsabilité est fondée sur un
élément déclencheur. Pour ce qui en est du régime comptable, elle est mise
en jeu sur la base des faits générateurs. L’un est consubstantiel aux défauts
comptables et l’autre dérive des fautes de gestions.
Sous l’instigation du règlement général de la comptabilité
publique82, la gestion de fait entraine, pour son auteur déclaré comptable
de fait par la juridiction des comptes, les mêmes obligations et
responsabilités que la gestion patente pour le comptable public. Cette
responsabilité commune, est alors mise en évidence sur le moyen de la
constatation des défauts comptables imputables au comptable public. On
entend par défauts comptables, les irrégularités qui naissent de la mauvaise
tenue des comptes d’une part, d’autre part des manœuvres illégales qui
s’écartent de la réglementation. Elles s’étendent aussi, à toutes sortes de
violations des règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses.
Considérées comme des manquements aux obligations comptables
préexistantes, elles sont variées. Sur l’orientation de dudit règlement83, leur
responsabilité est retenue, en cas de constatation du déficit de caisse ou de
manquement en denier ou en valeur, pour défaut de recouvrement des
recettes régulièrement ordonnancées, et paiement irrégulier d’une
indemnisation mise à la charge de l’Etat du fait du comptable public.
Devant la juridiction des comptes, il peut être mis en cause pour des
défauts comptables constatés dans ses comptes, de la conservation des
fonds et valeurs84.
L’appréciation des diligences comptables, transcende la vérification
des écritures y relatives. Une telle excroissance commande qu’il soit
effectué un contrôle accru. Lequel est observé dans la manipulation des
fonds publics encaissés et détenus. Sous ce prisme, le comptable public,
s’expose au même titre que les ordonnateurs aux infractions qualifiées de
« faute de gestion ». Au sens de la loi portant sur le régime financier de l’Etat
et des autres entités publiques, « tout agent d’une entité publique, tout
représentant, administrateur, ou agent d’organismes soumis à un titre quelconque au
contrôle de la juridiction des comptes, et toute personne à qui est reprochée des faits (…),
peut être sanctionné pour faute de gestion »85.
Longtemps consacrée comme une infraction reprochable aux
ordonnateurs, la faute de gestion apparait désormais, comme un fait

81 ONDOA (M), Le droit de la responsabilité des Etats en développement : contribution à l’étude de


l’originalité des droits africains, thèse de doctorat d’Etat en droit public, Université de Yaoundé
II, 1997, p. 108.
82 Article 38 du Décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 portant règlement général de la

comptabilité publique.
83 Article 28 du Décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 portant règlement général de la

comptabilité publique.
84 Article 48 loi n°2003/005 du 21 avril 2002 fixant les attributions, l’organisation et le

fonctionnement de la Chambre des Comptes.


85 Article 87 de la loi de 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités

publiques.
415
générateur de la responsabilité des comptables. Contrairement à la pensée
du Docteur Togolo Odile86, est considérée comme faute de gestion « tout
acte, omission, ou négligence commis par tout agent de l’Etat, d’une collectivité
territoriale décentralisée, ou d’une entité publique, par tout représentant, administrateur
ou agent d’organismes, manifestement contraire à l’intérêt général ». Elle se
caractérise, par un ensemble de faits entachés de graves irrégularités et
manifestement contraire à l’intérêt général. Dans la pratique comptable,
elle se révèle par la violation des règles87 relatives à l’exécution des recettes
et des dépenses. C’est sur le fondement de ces deux éléments que la
responsabilité des comptables est enclenchée. Cette responsabilité n’est
pas engagée à tout va, elle est subordonnée à l’existence de certaines
conditionnalités sans lesquelles, elle ne peut être mise en œuvre.
Concomitamment à la reconnaissance de la responsabilité comptable, il
existe aussi un régime d’irresponsabilité. En effet, il est établi qu’en la
présence de certains faits, la responsabilité du comptable ne pourrait être
retenue. L’injusticiabilité88 du comptable public est alors déclarée et, la
compétence de la juridiction des comptes muselée.
b. La perpétuation des faits exonératoires d’irresponsabilité
comptable
La responsabilité des comptables publics est obstruée ou
difficilement mise en œuvre, lorsque certains faits sont insusceptibles
d’être imputés directement à leurs auteurs. Selon Terneyre Philippe, les

86 TOGOLO (O), Les fautes de gestion dans le secteur public au Cameroun, Paris, Mare & Martin,
collection droit & gestions publiques, 2019, 382 p. Selon la pensée de l’auteur, la faute de
gestion se caractérise par l’absence de définition. Une conception remise en cause par
l’article 88 de la loi portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques du 11
juillet 2018. Sont constitutives de faute de gestion :
- la violation des règles relatives à la gestion des biens appartenant à l’Etat et aux
autres entités publiques ;
- le fait pour toute personne dans l’exercice de ses fonctions ou attributions,
d’enfreindre les dispositions législatives ou réglementaires nationales destinées à
garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les contrats de commande
publique ;
- le fait d’avoir entrainé la condamnation d’une personne morale de droit public ou
d’une personne de droit privé chargée de la gestion d’un service public, en raison
de l’inexécution totale ou partielle ou de l’exécution tardive d’une décision de
justice ;
- le fait, pour toute personne dans l’exercice de ses fonctions ou attributions, de
causer un préjudice à l’Etat ou à une entité publique, par des agissements
manifestement incompatibles avec les intérêts de l’Etat ou de l’organisme, par
des carences graves dans les contrôles qui lui incombaient ou par des omissions
ou négligences.
87 AKONO ONGBA SEDENA, « La distinction entre la faute de gestion et le

détournement des deniers publics en droit camerounais », Revue africaine des sciences juridiques,
n°1, 2014, pp. 249-287.
88 FORTAT (N), Autorité et responsabilité administrative, Thèse de doctorat en droit public,

Université François-Rabelais de Tours, 2011, p. 265. Voir aussi dans ce sens, DUEZ (P),
La responsabilité de la puissance publique (en dehors des contrats), Paris, Dalloz, 1938, 342 p.
416
causes exonératoires, ne concernent pas le lien de causalité entre le
dommage et le fait générateur, mais plutôt, le lien d’imputabilité entre le
fait et la personne responsable89. En vertu de la règle selon laquelle, il
n’existe aucun rapport hiérarchique entre l’ordonnateur et le comptable,
certaines situations dégagent le comptable public de sa responsabilité.
D’ailleurs, les comptables publics ne sont pas tenus de déférer aux ordres
irréguliers qui engagent leur responsabilité personnelle et pécuniaire.
L’irresponsabilité des agents préposés à la manipulation des fonds publics,
est soulevée selon que les faits exonératoires relèvent de trois situations.
D’abord en période de collaboration entre l’ordonnateur et le comptable,
et après refus de déférer à une réquisition indécente. Le comptable public
est affranchi des récriminations issues de sa substitution par l’ordonnateur.
La subrogation intervient, en cas d’irrégularités constatées lors des
contrôles prévus. En matière de dépenses, les comptables sont tenus de
refuser le visa de la dépense, il en est de même lorsqu’ils ont pu établir que
les certificats délivrés par les ordonnateurs sont inexacts90. En s’écartant
des réquisitions, l’ordonnateur s’étant mué au comptable, endosse les
conséquences qui s’y attachent à cette exécution forcée.
Ensuite, pour des faits constitutifs de faute de service, le comptable
public ne saurait répondre des préjudices qui en résultent. La faute de
service, étant une défaillance qui correspond à la marge de mauvais
fonctionnement qu’il faut attendre de la diligence moyenne91.
L’irresponsabilité de l’agent tenant ici du fait que, l’administration est
exclusivement responsable de la faute de service92. C’est la substance de
l’article 29 du règlement général de la comptabilité publique qui est ainsi
soulignée en ces termes : « les comptables publics ne sont ni personnellement, ni
pécuniairement responsables des erreurs commises dans l’assiette et la liquidation des
produits qu’ils sont chargés de recouvrer ». D’office l’irresponsabilité des agents,
est déclarée dans la mesure selon laquelle, les actes perpétrés dans
l’exercice des fonctions relatives à l’assiette et à liquidation préjudicient les
droits des tiers ou l’administration fiscale. Enfin, la reconnaissance des
circonstances constitutives de force majeure exonère le comptable public
de sa responsabilité. Consistant à un fait extérieur, imprévisible dans sa
survenance et irrésistible dans ses effets93, le fait de force majeure,
constitue une cause qui empêche l’imputabilité94. Evènement extérieur à

89 TERNEYRE (Ph), La responsabilité contractuelle des personnes publiques en droit administratif,


Paris, Economica, 1989, p. 215.
90 Article 72 du Décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 portant règlement général de la

comptabilité publique.
91 HAURIOU (M), note sous l’arrêt du Conseil d’Etat, 5 février 1911, Anguet.
92 MAYER (B), La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé. Vers un

alignement des régimes de responsabilité du préposé et de l’agent public, Mémoire Master II, Institut
d’Etudes Politiques de Lyon, Université Lyon II, 2008, p. 75.
93 SY (D.), Droit administratif, Dakar, L’Harmattan Sénégal, 2014, 2e édition revue, corrigée

et augmentée, p. 377.
94 Op cit.

417
l’activité comptable, la force majeure libère le comptable public des
condamnations pécuniaires et personnelles. Cependant, lorsque les faits
reprochés sont susceptibles de permettre d’actionner la responsabilité du
comptable public, ce dernier s’expose à la répression.
2. La variabilité du régime de la répression des écarts comptables
Les comptables doivent réparer les indélicatesses qu’ils auront
commises pendant le maniement des deniers publics95. La responsabilité
personnelle et pécuniaire96 est celle qui a retenu l’option des législations
financières. C’est à cet égard que les comptables publics, sont responsables
sur leur patrimoine personnel de la gestion des fonds et valeurs dont ils
ont la garde97. L’innovation la plus saisissante en matière de contrôle des
finances publiques98, souligne en effet que les politiques qu’elles
soutiennent et les personnes qui les mettent en œuvre sont soumises au
contrôle99. Le principe de la redevabilité, qui vient accroitre leur
responsabilité vis-à-vis du citoyen, autorise que les irrégularités comptables
soient assorties de sanctions après avoir entendu l’intéressé. L’exercice des
attributions du comptable est soumis à sanction100. L’instauration du
pouvoir sanctionnateur à l’égard des indélicats, est tributaire du régime de
responsabilité qui est retenue en fonction de la faute commise. Elle est
alors appréciée, lorsque le fait reprochable est imputable personnellement
ou pécuniairement.
Les sanctions les plus encourues par les comptables publics, sont
rattachées à la responsabilité pécuniaire à laquelle ils sont exposés. Elle
s’étend à toutes les opérations du poste qu’ils dirigent depuis la date de
leurs installations, jusqu’à la date de cessation de leurs fonctions. Lorsque
des griefs sont reprochés, leur responsabilité pécuniaire est engagée à due
concurrence des déficits constatés. Le montant des amendes est fixé en
fonction du préjudice causé, ils sont alors responsables sur leur patrimoine
personnel de la gestion des fonds et valeurs dont ils ont la garde.
L’obligation de combler immédiatement et par ses deniers personnels le
déficit constaté, la dépense payée à tort et la perte de recette subie. De
même, le comptable de fait, peut en outre être condamné, par la juridiction
des comptes à une amende, en raison de son immixtion dans les fonctions

95 LEKENE DONFACK (E.C), Finances publiques camerounaises, Paris, Berger-Levrault,


collection Mondes en devenir, 1987, p. 231.
96 Article 27 du Décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 portant règlement général de la

comptabilité.
97 Article 90 de la loi de 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités

publiques.
98 KOUA (S-E), « La prescription de la Cour des Comptes comme institution supérieure de

contrôle des finances publiques par le droit communautaire CEMAC aux Etats membres :
le cas du Cameroun », RAFiP, numéro double 3&4, 2018, p. 45.
99 Loi n°2018/011 du 12 juillet 2018 portant code de transparence et de bonne

gouvernance dans la gestion des finances publiques au Cameroun.


100 Ibid.

418
de comptable public101. Cette sanction en réparation, a été infligée à
plusieurs comptables publics jugés responsables des manquements. L’arrêt
de la Chambre des comptes en date du 18 février 2009, avait ainsi au
regard des irrégularités, constitué le comptable débiteur envers l’Université
de Dschang de la somme de 640.000 FCFA102.
Sans préjudice des sanctions pécuniaires, la responsabilité des
comptables publics est simultanément retenue sur le plan personnel. Leur
responsabilité pénale qui se dégage des faits travestis en détournement de
derniers publics, autorise les poursuites pénales. Le Tribunal Criminel
Spécial, étant compétent des infractions de détournements de deniers
publics103 imputables aux comptables publics. La mise en cause intuitu
personae des agents comptables débouche sur l’éviction à certaines charges.
Sur ce postulat, tout agent reconnu fautif par la juridiction financière peut
encourir des déchéances, lesquelles lui interdisent d’assumer pendant un
délai de cinq ans, les fonctions de comptable dans un service, ou d’être
promu à des responsabilités à quelque titre que ce soit104. Bien que
diversement mise en œuvre, la responsabilité des comptables publics,
participe de l’exigence de faire à assumer, à chacun au prorata des fautes
commises, les conséquences dommageables qui en découlent.
Conclusion
En définitive, la réflexion sur la distinction entre le comptable
patent et le comptable de fait en droit de la comptabilité publique au
Cameroun permet de saisir les contours de la modernisation du système
financier camerounais. Elle véhicule l’intérêt justifié d’afficher cette
dichotomie en matière comptable, parce qu’elle permet de restaurer le
principe de la séparation des ordonnateurs et des comptables, tout en
préservant les obligations comptables auxquelles ils sont astreints. Dans
une approche pratique, elle demeure tout de même mesurée. En ce qui
concerne la modération, elle résulte de la convergence des modalités de
mise en responsabilité et de sanctions reconnues à ces deux agents publics.
Poursuivant la limite de la distinction, on peut inférer au regard des
interférences de compétences, qu’il existe une véritable assimilation,
rendant ainsi confuse la scission qu’ont su bien établir les législations
financières.
La pertinence de la présente étude renvoie au demeurant à la
nécessite qu’impose la sécurisation des deniers publics. Cette distinction

101 Article 38 du Décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 portant règlement général de la


comptabilité publique.
102 Arrêt n°001/CSC/CDC/S3 du 18 février 2009, compte de gestion de l’Université de

Dschang, exercice 2004.


103 Loi n°2011/028 du 14 décembre 2011 portant organisation et fonctionnement du

Tribunal Criminel Spécial.


104 Loi n°74/78 du 5 décembre 1974, modifiée et complété par la loi n 076/4 du 8 juillet

1976, relative au contrôle des ordonnateurs, gestionnaires et gérants des crédits publics et
des entreprises d’Etat.
419
est du moins importante, par ce qu’elle implique les exigences d’une bonne
administration financière. Elle donc consubstantielle à la nouvelle gestion
publique. Laquelle dans un contexte d’émergence affichée à un horizon
proche, emporte une utilisation optimale et efficiente des ressources
disponibles, par une affectation directe vers les politiques publiques
qu’elles doivent supporter.

420
LA CONDITION JURIDIQUE DU COMPTABLE PUBLIC EN DROIT
CAMEROUNAIS
Par
Josué NGONO NOAH
Doctorant en Droit public
Université de Douala (Cameroun).

RESUME
Au Cameroun la condition juridique du comptable public est régie par des
normes provenant des registres différents. En raison de la diversité des agrégats à la fois
généraux et spécifiques auxquels il est soumis, le constat qui émerge impose l’hypothèse
selon laquelle cet agent public a une condition juridique particulière. Pour le démontrer,
il sera question dans cette réflexion, d’analyser les deux paramètres qui structurent son
déploiement : la condition juridique dans le domaine financier et la condition
administrative du comptable public en droit camerounais. De ce fait, cette posture du
point de vue juridique est fluctuante. Elle varie entre les règles générales la soumettant
au régime de droit administratif et les règles financières ou les règles spécifiques régissant
la comptabilité publique.

Mots-clés : Condition juridique, comptable public, Cameroun.

ABSTRACT
In Cameroon the legal condition of the public accountant is governed by
standards from different registers. Thus due to the diversity of both general and specific
aggregates to which it is subject, the finding that emerges imposes the hypothesis according
to which this public official has a particular legal condition. To demonstrate this, this
reflection will analyze the two parameters that structure its deployment: the legal
condition in the financial field and the administrative condition of the public accountant
under Cameroonian law. As a result, this posture from a legal point of view is
fluctuating. It thus varies between the general rules subjecting it to the administrative law
regime and the financial rules governing public accounting.

Keywords: Legal condition, legal public accountant, Cameroon.

421
Introduction
L’exécution du budget de l’Etat et ses entités met aux prises deux
acteurs importants : il s’agit d’une part de l’ordonnateur et, d’autre part,
du comptable public. L’ordonnateur qui n’est pas visé par le présent
énoncé, détient le pouvoir de décision en matière budgétaire. Le
comptable public quant à lui possède la compétence exclusive pour manier
les fonds et tenir les comptes des personnes morales de droit public.
Attendu que ce dernier acteur est un maillon essentiel de la chaîne
d’exécution des opérations financières publiques, il ne sera pas vain
d’asseoir une réflexion sur sa « condition juridique ». La présente étude
n’émerge pas d’un terrain en jachère ; au contraire, elle comporte un
élément déclencheur : le comptable public est simultanément soumis à des
normes d’ordre générales1 et spécifiques2. Il est donc un « agent public
exceptionnel »3. En cela, la condition juridique est le sens donné à la situation
ou au statut juridique d’un territoire, d’une organisation internationale,
d’une personne, ou d’une collectivité4.
En raison de sa soumission aux normes générales, c’est-à-dire celles
qui régissent la fonction publique, le comptable public est un « agent
public ». Deux éléments cumulatifs justifient cette appellation. L’un est
organique et l’autre est matériel. Au plan organique, le comptable public
est un agent public parce qu’il est employé par une personne publique. De
là, c’est un agent interne à l’administration et donc soumis aux règles du
droit administratif. Au plan matériel, le comptable public est un agent
public parce que ses activités relèvent du service public. Dit autrement, ce
sont des activités d’intérêt général5.
Relativement aux normes spécifiques, celles strictement liées à la
manipulation des opérations financières, le comptable public désigne
« toute personne régulièrement habilitée à effectuer, à titre exclusif et au nom de l’Etat
ou des autres entités publiques, des opérations de recettes, de dépenses ou de maniement
de titres, soit au moyen de fonds et valeurs dont il a la garde, soit par virement interne

1 Cf. Décret n°2000/287 du 12 octobre 2000 modifiant et complétant certaines


dispositions du décret n°94/199 du 07 octobre 1994 portant Statut Général de la Fonction
Publique de l’Etat.
2 Cf. Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 portant Règlement Général de la Comptabilité

Publique de l’Etat du Cameroun. Il faut préciser que ce texte abroge le Décret n°2013/16
du 15 mai 2013 portant sur le même objet. Voir également la loi n°2003/005 du 21 avril
2003 portant création, fonctionnement de la Chambre des comptes de la Cour Suprême.
3 Le comptable public n’est pas qualifié d’« agent public exceptionnel » dans la présente étude

en raison de son efficacité et/ou de son inefficacité dans l’exercice de ses fonctions, mais
du fait de l’hétérogénéité des normes auxquelles il est soumis.
4 J. SALMON (Dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2014, 4e

tirage, p. 1052
5 Cf. CE Sect., 22 février 2007, Association du personnel relevant des établissements pour

inadaptés, Recueil Lebon, p. 22 : la haute juridiction administrative française affirme que le


service public est « une activité d’intérêt général assurée par une personne publique ou sous son contrôle
et dont le gestionnaire est (en principe mais pas nécessairement) doté de prérogatives de puissance publique ».
422
d’écritures, soit par l’intermédiaire d’autres comptables »6. Dans les faits, le
comptable public n’est pas le seul à manier les deniers publics, les
disponibilités de l’Etat et des autres entités publiques. Le comptable de
fait, non ciblé par cet énoncé, est celui qui par « infraction » manipule
également les deniers ou les disponibilités publiques. Il se présente comme
« toute personne qui, n’ayant pas la qualité de comptable ou n’agissant pas en cette
qualité, s’ingère dans les opérations de recettes et de dépenses, de maniement des valeurs,
de deniers publics (…) des établissements publics et des entreprises du secteur public et
parapublic »7. Il est de ce fait interdit à toute personne non pourvue d’un
titre légal, d’être mêlée à la gestion des deniers et autres valeurs publiques.
De la sorte, au bénéfice de cet essai de filtrage conceptuel, la
question qui se situe en toile de fond de cette analyse, est la suivante :
quelle est la condition juridique du comptable public en droit
camerounais ? A la question posée, il convient de constater que la
condition juridique du comptable public en droit camerounais est
fluctuante. C’est en cela que réside sa particularité.
Précédemment à l’identification de l’intérêt du sujet, il est
primordial de spécifier que le formulé d’un instrument normatif ne renvoie
pas forcément à une condition juridique précise du comptable public.
Cette indication est considérable dans la mesure où certains éléments, à
l’instar de la nomination du comptable public, mentionnée dans le décret
portant Règlement Général de la Comptabilité Publique (RGCP),
renseignent plutôt sur sa condition juridico-administrative que sur sa
condition juridico-financière. La Chambre des comptes ne saurait, par
exemple, être saisie pour nomination irrégulière d’un comptable public par
une autorité administrative ; elle ne s’intéresse qu’aux comptes des
comptables, à la manipulation des deniers publics dont ils ont la garde.
Autrement dit, afin de conclure à une condition juridique, la confiance sera
retirée aux intitulés des instruments normatifs renfermant les règles
auxquelles est soumis le comptable public.
Les raisons d’être de la présente réflexion sont simultanément
théoriques et pratiques. Au plan théorique, elle permet de se rendre à
l’évidence que la condition juridique du comptable public ne peut être
déterminée que par la convenance des actes juridiques formels8. Au plan
pratique, elle conduit à faire remarquer que l’« agent régulièrement habilité à
effectuer à titre exclusif (…) les opérations des recettes et de dépenses ou de maniement
des titres »9, n’est pas le seul à être en contact avec les opérations financières

6 Cf. Article 5 alinéa 1 du Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 précité. Voir également
l’article 5 alinéa 1er de la Loi n°2003/005 du 21 avril 2003 précitée et article 2 du Décret
n°78/470 du 03 novembre 1978 relatif à l'apurement des comptes et à la sanction des
responsabilités des comptables.
7 Cf. article 6 alinéa 1er de la loi n°2003/005 du 21 avril 2003 précitée.
8 C’est pour cette raison que le législateur a strictement fait du comptable public « tout agent

régulièrement habilité » par un acte administratif de nomination soit individuel soit collectif, de
manier les opérations financières de l’Etat et ses entités.
9 Cf. Article 5 al.1 du décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 précité.

423
publiques. De là, la gestion de fait par les personnes ou des agents « [non]
régulièrement habilité[s] » est inévitable d’où la consécration de l’appellation
du comptable de fait10. En conséquence, le fait que le comptable public
s’incline devant les normes de sources diverses, conduit facilement à titrer
sa condition juridique de particulière ou de le qualifier lui-même d’agent
public particulier. Néanmoins, cette qualification ne vient qu’en aval.
Encore faut-il déterminer la condition elle-même en amont.
Fort du raisonnement qui précède, l’on maintiendra que le
comptable public en droit public financier camerounais a une condition
juridique duale. Elle ondoie entre les règles générales la soumettant au
régime de droit administratif et les règles financières ou les règles
spécifiques régissant la comptabilité publique. Aussi, recourant
principalement à la démarche dogmatique, casuistique et comparative, c’est
autour de la condition juridico-administrative (I) et financière (II) que l’on
organisera cette dualité.
I. La condition juridico-administrative du comptable public
D’entrée de jeu, il est crucial de noter que la dénomination légale
« comptable public » est l’aboutissant d’un acte administratif
discrétionnaire11 : la nomination. Elle se réalise au moyen d’un arrêté
ministériel. Ce dernier constitue la carte d’accès à la condition juridico-
administrative. Il peut être soit le fait du ministre en charge des finances
uniquement ; soit un acte conjoint du ministre en charge des finances et
du ministre des Collectivités Territoriales Décentralisées.
La condition juridico-administrative renvoie simplement à la
situation juridique administrative du comptable public se traduisant par
certains « rites »12 ou par certaines procédures administratives avant son
entrée en fonction. Au-delà de ces rites (A), la condition juridico-
administrative du comptable public présente des spécificités doublement
liées aux sujétions de fonctions et à la sortie de fonction (B).
A. Une condition exigeant des rites à l’entrée en fonction
L’entrée en fonction du comptable public est conditionnée par
certains rites administratifs : il s’agit de la prestation de serment (1) et de
l’accréditation en passant par l’obligation de constitution des sûretés (2).

10 Cf. Article 6 al.1 de la loi n°2003/005 du 21 avril 2003 précitée ; aussi l’article 38 du
décret n°2020/375 précité.
11 Un acte administratif discrétionnaire est un acte unilatéral pris par une personne publique

habilitée. Il fournit « une marge de manœuvre » quant à la manière et/ou au moment de le


prendre. On est tenté de penser que quiconque peut être nommé comptable public car, les
textes sont muets sur les critères de nomination.
12 Ce terme est utilisé dans ce contexte juste pour indiquer que ce sont des pratiques

courantes qui conditionnent l’entrée en fonction des comptables publics.


424
1. La prestation de serment devant la Chambre des comptes
En référence au nouveau RGCP, après la nomination, « les comptables
publics sont (…) astreints (…) à la prestation de serment devant le juge des
comptes »13. Cette liturgie devrait s’effectuer selon les exigences
communautaires devant la Cour des Comptes (a). En attendant la maturité
institutionnelle de cet organe, la prestation se déroule devant la Chambre
des Comptes (b) dont l’avènement s’était inscrit dans la marche du
Cameroun vers la consolidation de l’État de droit14.
a. L’inexistence de la Cour des comptes
Il ressort de l’article 23 de la Directive n°02/11-UEAC-190-CM-22
relative au Règlement général de la comptabilité publique que « Les
comptables publics sont astreints à la prestation de serment devant la Cour des comptes
et à la constitution de garanties »15. Toujours dans cette disposition, le
codificateur de la CEMAC, a laissé la formule de serment à la diligence des
Etats membres. Autrement dit, la formule est définie par les
réglementations nationales.
Il n’est pas étonnant de remarquer que dans le RGCP, le législateur
camerounais parle simplement de la « juridiction des comptes »16 et non de la
Cour des comptes. Cette attitude de prudence s’explique par le fait que
l’institution n’est pas prévue par la constitution. Elle parle d’une Chambre
des comptes confinée dans l’une des cités de « la plus haute juridiction de
l’Etat (…)»17, la Cour suprême. La constitution ne fait nullement référence
à la Cour des comptes. Contrairement au Cameroun qui tarde à mettre en
place cette institution, certains Etats de la CEMAC comme le Gabon ou le
Tchad, se démarquent au regard de leurs législations nationales18. La mise
en place de la Cour des comptes au Cameroun nécessite une révision
constitutionnelle. Son inexistence permet de déceler quelques aberrations
avec la juridiction des comptes actuelle. Non seulement la Chambre des
comptes se trouve au cœur d’un pouvoir judiciaire, elle ne joue pas
véritablement les fonctions de juridiction des comptes que lui a confiées la
constitution. Trois compétences sont attribuées à la Chambre des comptes

13 Cf. Article 5 al.7 du décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 précité.


14 Y. G. DJEYA KAMDOM, « L’influence du droit communautaire sur le système de
contrôle des finances publiques au Cameroun : à propos des directives CEMAC du 19
décembre 2011 », Gestion et Finances publiques, 2017/1, n°1, p. 117.
15 Cf. Article 23, Directive n°02/11-UEAC-190-CM-22 relative au Règlement général de la

comptabilité publique
16 Cf. Article 14 al. 4, Décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 précité.
17 Cf. Article 38 al. 1 de la constitution du 18 janvier 1996 modifiée et complétée par la loi

n°2008/011 du 14 avril 2008 (Cameroun).


18 Cf. Titre IV, article 76 de la constitution du Gabon de 26 mars 1991 modifiée le 1er

janvier 2018 : « La Cours des comptes est chargée du contrôle des finances publiques » ; article 24 du
décret n°817/PM/MFB/2015 portant Règlement Général de la comptabilité de la
République du Tchadienne : « Les comptables publics sont avant leur installation, astreints à la
constitution de garanties et à la prestation de serment devant la Chambre des comptes ».
425
par la constitution. Elle est compétente pour « contrôler et statuer sur les
comptes et ceux des entreprises publiques et parapubliques. Elle statue souverainement
sur les décisions rendues en dernier ressort par les juridictions inférieures des comptes.
Elle connait de tout autre litige qui lui est expressément attribuée par la loi »19. Or, la
loi n°2003/005 du 21 avril 2003 fixant les attributions, l’organisation et le
fonctionnement de la Chambre des comptes a réduit les attributions de la
juridiction des comptes aux comptes des comptables publics et de fait20.
Cette compréhension restrictive, voire en recul ou en contradiction avec
la constitution a conduit THEUMOUBE Philippe à proposer « soit une
nouvelle écriture de la loi de 2003 qui intégrerait toutes les compétences y compris le
contrôle de gestion, soit l’internalisation des Directives CEMAC, par la création d’une
Cour des comptes de pleine juridiction au Cameroun »21. A l’évidence, de ces deux
solutions, seule la seconde répond aux exigences communautaires.
En attendant la mise en place de la Cour des comptes, la Chambre
des comptes continu d’exercer des compétences assez proches des
Directives CEMAC. Certainement, c’est pour cette raison qu’elle reste la
juridiction des comptes devant laquelle les comptables publics prêtent
serment.
b. Une prestation de serment effectuée devant la Chambre des
comptes
Dans les faits, le contrôle juridictionnel de l’exécution du budget au
Cameroun a été confié à la Chambre des comptes de la Cour suprême22.
Cela dit, c’est devant ce juge des comptes23 que les comptables publics
prêtent serment. Avant toute progression, il faut relever quelques
incohérences relatives à la nomination du comptable public issues du
nouveau RGCP. Ce texte n’est pas en conformité avec le Code des
Collectivités Territoriales Décentralisées (CCTD) duquel il tire son
fondement24. Relativement aux Receveurs régionaux et municipaux, le
Code est clair : « le recouvrement des recettes et le paiement des dépenses locales sont
effectués par le comptable public de la collectivité territoriale dénommé « Receveur

19 Cf. Article 41 de la constitution du 18 janvier 1996 précitée.


20 Cf. Articles 2, 3, 7, 8, 9, et 10 de la loi n°2003/005 du 15 mai 2003 précitée.
21 Cf. P. THEUMOUBE dans un exposé présenté lors de l’atelier sur « Le particularisme de la

Chambre des comptes à l’intérieur de la Cour des comptes du Cameroun : intérêt et enjeu », p. 7. Cet
exposé est disponible sur bibilothèque.pssfp.net (consulté le 23/06/2021)
22 Il convient de relever que dans la tradition anglo-saxonne la Chambre des comptes est

plutôt rattachée au Parlement. Par illustration, c’est le cas du « National Audit Office » au
Royaume-Uni et du « Governement Accounting Office » aux États-Unis.
23 Cf. Article 5 al.7 du décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 précité.
24 Au niveau des visas du nouveau RGCP, on peut simple lire « Vue loi n°2019/024 du 24

décembre 2019 portant Code général des Collectivités Territoriales Décentralisées ». En d’autres termes,
le RGCP tire son fondement du Code. Le RGCP est un décret et le Code une loi. Il est
clair, à notre avis, que le RGCP est inférieur au Code selon la hiérarchie des normes de H.
KELSEN.
426
Régional » ou « Receveur Municipal »25. Par ailleurs, le « Receveur Régional et
Receveur Municipal auprès d’une Communauté Urbaine [sont] nommés par arrêté
conjoint du Ministre chargé des Collectivités Territoriales et du ministre chargé des
finances »26. Le Code fait de la nomination des Receveurs régionaux et
municipaux une compétence partagée entre le Ministre chargé des
Collectivités Territoriales Décentralisées et le Ministre chargé des
finances27. Certes dans la pratique cela est effectif28, mais le nouveau
RGCP fait de la nomination de ces deux types de comptables une
compétence exclusive du Ministre chargé des finances29. Cette incohérence
normative laisse simplement remarquer que le RGCP est perfectible.
Le serment est un appel à l’honneur, un « engagement solennel de
comportement d’une personne, lors de la prise de ses fonctions »30. Lorsque ce rituel
est réalisé « selon les formes et devant l’autorité qualifiée, de remplir au mieux sa
mission »31 comme cela en est le cas avec les comptables publics, l’on parle
de « serment promissoire ». Ce dernier se distingue des autres types de
serments rencontrés en procédure ou en droit civil, notamment le « serment
décisoire »32, le « serment déféré d’office »33, le « serment probatoire »34 et le « serment
supplétoire »35. De là, le juge des comptes étant la Chambre des comptes,
l’on est simplement tenté de conclure qu’elle est « la juridiction des comptes

25 Cf. Article 438 de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code Général des
Collectivités Territoriales Décentralisées.
26 Ibidem. Article 439 al.1.
27 Il faut relever que l’acte de nomination collectif (ministre en charge des finances et le

ministre des CTD) est le produit d’une instruction du Président de la République en


attendant la modification du Code des CTD.
28 Comme illustration nous avons l’Arrêté conjoint n°000409/MINDDEVEL/MINFI du

03 septembre 2020 portant nomination des Receveurs municipaux dans les Communautés
Urbaines et Communes.
29 Cf. Article 5 al.5 du décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 précité : « les comptables placés

auprès des Régions, des communautés Urbaines, des Communes d’Arrondissement, dans les communautés
Urbaines, ainsi que leurs collaborateurs (…) sont nommés par le Ministre chargé des finances ».
30 Cf. P. AVRIL, J. GICQUEL, Lexique de droit constitutionnel, Paris, PUF, Que sais-je ?,

2013, 4e éd., p. 136.


31 S. GUINCHARD, T. DEBARD, Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 2017-2018,

25e éd., p. 1890.


32 En Procédure civile ou en Droit civil, le serment décisoire est celui déféré par un plaideur

à son adversaire, sur des évidences personnelles à ce dernier afin d’en faire dépendre la
solution du litige. Le serment décisoire constitue une preuve légale. La partie à laquelle il est
demandé de prêter serment a trois possibilités : soit elle prête serment et gagne son procès,
soit elle refuse et perd son procès, soit elle réfère le serment à la partie adverse et met ainsi
son sort entre les mains de l’autre partie (Cf. C. civ., art. 1385).
33 En procédure civile, le serment déféré d’office est celui laissé à l’initiative du juge qui ne

peut le déférer que si la demande ou l’exception sur laquelle il porte n’est pas pleinement
justifiée ou totalement dénuée de preuves. Ce serment en peut être référé à l’autre parti (Cf.
C. civ. art. 1386, 1386-1).
34 Le serment probatoire est une Procédure d’instruction par laquelle une partie demande à

l’autre d’affirmer, en prêtant serment à la barre du tribunal, la véracité de ses affirmations


(Cf. C. civ. art. 1384 s ; C.Pr.Civ. art. 317 s.)
35 Le serment supplétoire en procédure est celui laissé à la discrétion du juge qui n’a pas

pour effet de lier celui-ci lorsqu’il a été déféré ou refusé.


427
compétente »36 devant laquelle les comptables publics articulent le « serment
promissoire ». Mais en réalité, il existe un vide juridique sur la question de la
juridiction des comptes compétente au Cameroun.
Renforcer, solenniser un engagement, telle est la fonction du
« serment promissoire ». C’est donc un rite oral par lequel les comptables
publics s’engagent devant la Chambre des comptes. Tel quel, les
comptables publics proclament solennellement qu’ils acceptent de se
soumettre aux valeurs, à la déontologie de l’activité comptable. Le serment
est donc une sorte de promesse que les comptables publics annoncent de
façon cérémonieuse tout en insistant sur le caractère sacré et indéfectible
des paroles prononcées. Observons que la prestation de serment avant
l’entrée en fonction n’est pas une exclusivité des comptables publics37. Le
nouveau RGCP38 ne mentionne pas les paroles orales prononcées par les
comptables devant le juge des comptes. Il faut finalement rentrer dans
l’ancien RGCP39 pour avoir une appréhension des paroles pouvant être
prononcées. Alors, « je jure et promets de bien et loyalement remplir mes fonctions de
comptable public et d’observer en toutes circonstances les devoirs qu’elles m’imposent »40
sont les paroles du décret portant RGCP de 2013 abrogé. A la lecture du
nouveau RGCP, l’on pourrait simplement statuer que « les modalités de
prestation de serment (…) sont fixées par arrêté du ministre en charge des finances »41.
En clair, les modalités de prestation de serment sont précisées par un acte
réglementaire ayant vocation à durer dans le temps. A l’observation, un
vide juridique a simplement été façonné par le législateur. Certes, « le crime
profite » au ministre chargé des finances car, il participe du renforcement
de ses pouvoirs en matière financière. Mais, il illustre une consécration
textuelle inachevée de la prestation de serment. Le désengagement dont
législateur fait montre, positionne le ministre chargé des finances comme
l’architecte des paroles de la prestation de serment alors que ce dernier
n’est plus la seule autorité de nomination des comptables publics. L’on
peut donc conclure à une subjectivation de la prestation de serment par le
législateur. La prestation de serment est davantage un ingrédient de la
condition juridico-administrative du comptable public dans la mesure où
c’est l’administration qui l’organise en présence du quasi-silence du texte
actuel régissant le RGCP.
L’entrée en fonction des comptables publics n’est pas conditionnée
par la seule exigence de prestation de serment. D’autres exigences
intègrent l’équation à savoir la constitution des sûretés et l’accréditation.

36 Cf. Article 32 al.1 du Décret n°2013/16 du 15 mai 2013 précité.


37 Ce rite est aussi pratiqué par de nombreuses professions. L’on peut par illustration citer
les architectes, les avocats, les notaires, les médecins, les magistrats et les experts
comptables.
38 Cf. Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 précité.
39 Cf. Décret n°2013/16 du 15 mai 2013 précité.
40 Ibidem. Article 32 al.3
41 Ibidem. Article 32 al.4

428
2. De la constitution des sûretés à l’accréditation
A cette étape d’analyse, seront examinées d’une part la constitution
des sûretés (a) et de l’autre, l’accréditation (b) du comptable public.
a. De la constitution des sûretés
Les comptables publics sont tenus de constituer des sûretés avant
leur entrée en fonction42. En droit civil, on oppose les sûretés personnelles
aux sûretés réelles. Si seules les premières ciblées par la présente analyse
concernent les « biens mobiliers et immobiliers »43 des comptables publics, les
secondes prennent en compte « les privilèges et les hypothèques »44.
Les sûretés sont des garanties. Ainsi, pour l’exécution de ses
obligations, les garanties qui doivent être constituées par le comptable
public avant son entrée en fonction, sont légales puisque prévues par le
législateur. Elles varient d’une catégorie de comptables à l’autre et elles ne
sont pas identiques pour les comptables d’une même catégorie. Une telle
absence d’harmonisation de garanties traduit l’inégalité entre les
comptables publics. Par exemple, les Directeurs Généraux et les
Directeurs Adjoints du Trésor considérés comme les comptables du
Trésor sont astreints respectivement au versement d’un fonctionnement
en garantie de leur gestion d’un montant de cinq (05) et trois (03)
millions45. Ce montant représente le cautionnement. En effet, la règle
applicable au cautionnement trouve ses fondements dans l’article 4 de la
Convention de Rome du 19 juin 1980. L’on constate simplement que le
législateur n’a pas mis en place les mécanismes d’accompagnement relatifs
à la constitution du cautionnement. Lorsque le Directeur Général du
Trésor par exemple, est astreint au versement d’un cautionnement de cinq
(05) millions avant son entrée en fonction, une interrogation émerge : où
prend-il cette somme ? La réponse à cette question parait simple : le
comptable prend dans ses deniers personnels. Jusque-là l’ambiguïté
demeure. Le législateur ne s’est véritablement pas intéressé à l’hypothèse
où un comptable public serait incapable de réunir une telle somme avant
son entrée en fonction. Un prélèvement progressif sur le salaire du
comptable public participerait d’une ébauche de solution. Le
cautionnement devrait être exclu des conditions sine qua non d’entrée en
fonction.
Les valeurs immobilières peuvent également être des sûretés. Donc,
« en garantie de tous les faits de gestion dont les comptables du Trésor sont reconnus
responsables ; il est procédé à l’inscription de l’hypothèque légale sur tous leurs biens
immobiliers »46. Cette seconde catégorie de sûretés se particularise par une

42 Cf. Article 5 al.1 du Décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 précité.


43 Cf. Article 2287 du Code civil.
44 Ibidem. Article 2323
45 Cf. Article 1 du Décret n° 73/251 du 22 Mai 1973, Relatif au cautionnement et aux

indemnités de responsabilité des comptables du trésor.


46 Cf. Article 3 du Décret n° 73/251 du 22 mai 1973 précité.

429
injustice à l’égard du conjoint ou de la conjointe du comptable public.
Lorsque les deux conjoints sont mariés sous le régime de la communauté
des biens, cela signifie que les biens acquis dans le mariage, appartiennent
aussi bien au conjoint qu’à la conjointe. Sans doute, les fonctions du
comptable affectent les biens de sa conjointe ou de son conjoint si ces
derniers sont constitués en sûretés avant l’entrée en fonction. Cela dit, les
sûretés ne sont pas les seules exigences administratives définissant la
condition juridico-administrative du comptable public. Ainsi,
l’accréditation du comptable tel un agent public vient étendre le répertoire.
On le sait, les comptables publics sont responsables des deniers
publics qu’ils manipulent. Leur patrimoine personnel est mis en jeu en cas
de défaillance. Le cautionnement auquel est tenu le comptable public est
une assurance personnelle. La seule hypothèse pour laquelle ce mécanisme
est prévu est celle du déficit des caisses. L’obligation de constitution des
garanties constitue un moyen de réparation pécuniaire. Telle une condition
sine qua non à l’installation du comptable public à ses fonctions, voilà à quoi
s’assimile le cautionnement exigé47. Les comptables publics sont astreints
au paiement ou au versement d’un cautionnement dont les modalités sont
fixées par le ministre en charge des finances. Une démocratisation
significative de la fonction de comptable au Cameroun est observée. Pour
couvrir sa responsabilité personnelle et pécuniaire, le comptable public a
donc la possibilité de « contracter une assurance pour couvrir sa responsabilité
personnelle et pécuniaire ». Néanmoins, « la couverture ne peut excéder les neuf
dixième des sommes demeurant effectivement à sa charge, sauf dispositions contraires
résultant des agréments des compagnies d’assurances »48. Si une irrégularité est
constatée, le débet peut être payé par le biais d’un cautionnement mutuel.
Ce dernier s’érige à cet effet en intermédiaire entre l’administration
publique et le comptable. Il revient alors au comptable de payer ses
cotisations sociales.
Après la phase de la constitution des sûretés, intervient
l’accréditation du comptable public.
b. De l’accréditation
L’accréditation au sens du nouveau RGCP du Cameroun, à tout
agent « intervenant dans les opérations financières des entités publiques de notifier à
d’autres agents désignés (…) son acte de nomination (…), sont spécimen de
signature »49. Contrairement à certains Etats50, l’accréditation des
comptables publics au Cameroun est une obligation constituée de deux

47 Cf. Article 5 al. 7 du Décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 précité.


48 Ibidem. Article 30.
49 Ibidem. Article 9 al.1.
50 Cf. Article 17 du Décret n°19/091 du 27 mars 2019 de la République Centrafricaine :

« Les ordonnateurs ainsi que leurs délégués et leurs suppléants doivent être accrédités auprès des comptables
assignataires des opérations de recettes et de dépenses inscrites au budget dont ils prescrivent l’exécution ».
430
(02) éléments dont l’accumulation n’est pas obligatoire51. Le législateur a
ainsi fait usage d’un raisonnement alternatif en laissant l’exclusivité du
choix de l’élément souhaité au le comptable.
L’obligation dont il s’agit « s’effectue à la diligence de l’agent lui-même dès
son installation et sous sa responsabilité »52 auprès d’un ou de plusieurs
ordonnateurs. Comme déjà indiqué, l’acte de nomination du comptable
public est un arrêté individuel ou collectif. Celui-ci est donc un acte
exécutoire à portée individuelle. Le spécimen de signature quant à lui
représente l’échantillon ou le model de signature du comptable public.
C’est le signe par lequel le comptable public, signataire s’affirme comme
l’auteur de tout acte qu’il signe53. La présentation de l’acte de nomination
permet de constater et de certifier qu’il s’agit bel et bien du comptable
public formellement désigné, donc accrédité. Le choix du moment de
présentation de ces deux éléments incombe entièrement l’agent public
nommé ; en d’autres termes, le moment de la présentation du spécimen de
signature et de l’acte de nomination ont été laissés à la diligence du
comptable public.
Cependant, il est important de noter que ces exigences ne sont pas
les seuls critères qui définissent la condition juridico-administrative du
comptable public. Au mieux, la condition juridico-administrative est en
outre attachée à sa personnalité juridique du comptable public pendant sa
carrière et à certains rites à sa sortie de fonction.
B. Une condition liée à la personnalité juridique pendant la
carrière et aux rites à la sortie de fonction
La condition juridico-administrative du comptable public est
également jointe à sa personnalité juridique pendant sa carrière (1) et aux
rites de sa sortie de fonction (2).
1. Une condition attachée à la personnalité juridique du comptable
pendant sa carrière
La personnalité juridique du comptable public évoquée à ce stade
n’est pas consubstantielle aux règles et normes encadrant la comptabilité
publique c’est-à-dire les normes particulières auxquelles il est soumis. Elle
est plutôt appréhendée ici comme celle dont bénéficie tout fonctionnaire
ou agent de l’administration soumis au Statut Général de la Fonction
Publique (SGFP) au Cameroun. Comme tout fonctionnaire, la capacité
juridique du comptable public se traduit par un régime de sujétions (a) et
de prérogatives (b) pendant sa carrière.

51 Ibidem. « L’accréditation est l’obligation qui est faite à un intervenant dans les opérations financières des
entités publiques de notifier à d’autres agents désignés (…) soit son acte de nomination (…), soit son
spécimen de signature ».
52 Cf. Article 9 al.2 du Décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 précité.
53 Cf. C.civ., a. 1367. al.1.

431
a. Les sujétions pendant la carrière
Relativement aux sujétions, les fonctions qui doivent être
accomplies par le comptable public au long de sa carrière, et l’attitude qu’il
doit avoir, sont définies par des facteurs plus généraux qui tournent autour
de l'idée de déontologie54. En conséquence, parce qu’il intègre les services
de l’administration publique de façon permanente et pour y faire carrière,
le comptable public comme tout agent public est de façon globale soumis
à trois types d’obligations : l’obligation de servir, de respect pour l’ordre
hiérarchique et de réserve.
Globalement, l’obligation de servir auquel est soumis le comptable
public se traduit par la tenue des comptes de l’Etat. L’exécution cette
obligation se réalise dans le respect des principes et règles de la profession
comptable. Le comptable public s’assure de la sincérité des
enregistrements comptables et du respect des procédures55. Cela implique
qu’il ait un poste de travail et soit effectivement présent dans son service ;
toute chose qui l’astreint à « l’obligation de résidence sur les lieux du service »56.
La résidence dont il est question est administrative. Elle est également
appelée logement de fonction. Toutefois avec l’avènement de la pandémie
de la Covid-19, l’on note une véritable mobilité des idées de « poste de
travail » et de « présence effective dans le service ». A l’observation, la « guerre »57 a
conduit à un bouleversement considérable du fonctionnement habituel de
l’Administration publique. Par confirmation, afin d’exclure les hypothèses
d’exécution discontinue58 des activités de l’administration publique, le 17
mars 2020, le Premier ministre dans sa déclaration relative à la stratégie
gouvernementale de riposte face à la pandémie a édicté 13 mesures59. Dans
la onzième, il reste formel sur le fait que les moyens de communications
électroniques et les outils numériques doivent être privilégiés en temps de
crise sanitaire. Cette onzième mesure de riposte a considérablement
contribué l’éclatement du lieu60 et du temps61 de travail de l’Administration
publique. Au reste, la présence physique de l’agent public à son poste de

54 J-M AUBY, J-B AUBY, D. JEAN-PIERRE et A. TAILLEFAIT, Droit de la fonction


publique. Etat-Collectivités locales-Hôpitaux, Paris, Dalloz, 2012, 7e éd., p. 124.
55 Cf. Article 66 de la Directive n°01/11-UEAC-190-CM-22, relative aux Lois de finances.
56 Cf. Article 24 du Décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 précité.
57 A l’occasion de son allocution du 16 mars 2020 sur la Covid-19 en France, le Président

de la République française Emmanuel MACRON a assimilé le contexte de la pandémie à


celui d’une guerre en des termes clairs : « Nous sommes en guerre ».
58 M. A MOUTHIEU NJANDEU, « Covid-19 et l’exécution du travail », Le NEMRO,

Revue trimestrielle de droit économique, Dossier spécial La covid-19 et le droit, Avril-juin 2020, p.
145.
59 Cette déclaration a été faite par le Premier ministre, Chef du Gouvernement, Joseph

DION NGUTE.
60 M. A MOUTHIEU NJANDEU, « Covid-19 et l’exécution du travail », op., cit, p. 142.
61 Ibidem, p. 136.

432
travail est peu à peu remplacée par le « télétravail »62. Sans vouloir centrer
l’analyse sur les mutations du fonctionnement classique de l’administration
publique du fait de la pandémie, relevons que l’obligation de résidence du
comptable public est justifiée par les principes généraux du service public.
En dépit de cette justification, elle porte atteinte à la fois à la liberté de
résidence et de domicile du comptable public. Au-delà du fait que la liberté
de résidence et domicile sont de nature constitutionnelle63, elles sont
également posées comme libertés fondamentales par le droit
international64. Notons que l’astreinte est une obligation stricte, une
contrainte rigoureuse donnant lieu à une compensation financière sous
forme d’indemnité. En l’espèce, le RGCP est muet sur les modalités
d’indemnité relative à l’obligation de résidence.
Le comptable public est aussi astreint à une obligation d’obéissance
hiérarchique65. A notre sens, cette obligation trouve son fondement dans la
loi n°2008/001 du 14 avril 2008 modifiant et complétant la constitution du
18 janvier 199666. En revanche, il faut se confiner dans cette réalité
constitutionnelle avec prudence sinon, on sera flatté de déduire que le
comptable public commet toujours une faute professionnelle en refusant
d’exécuter un ordre de son supérieur hiérarchique. Il est délicat de parler
de l’obligation d’obéissance hiérarchique dans la mesure où les fonctions
des principales autorités chargées de l’exécution du budget de l’Etat
demeurent séparées et incompatibles67. Or, du fait que le ministre chargé
des finances est l’ordonnateur principal unique en termes de recettes, et
qu’il est également l’une des autorités de nomination des comptables
publics, l’on pourrait penser à un lien hiérarchique. Cet aspect des choses

62 Le télétravail a vu le jour aux Etats-Unis en 1950. Il consiste à exercer ses tâches


professionnelles à distance ou tout simplement loin du centre de production, grâce à la
télématique (informatique ou télécommunication) pour le compte d’un employeur. Le
travail peut ainsi s’effectuer à la maison ou encore dans un lieu de coworking, dans un
bureau satellite, dans un centre de télétravail, de façon itinérante, en alternance ou dans un
autre pays, l’employé est en mesure de travailler, du moment qu’il a accès à internet.
63 Cf. Le préambule La constitution du 18 janvier 1996 précitée.
64 Cf. Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 : « Nul ne sera

l’objet d’intimidation (…) dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à
son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions
ou de telles atteintes » (art. 12). « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à
l’intérieur d’un Etat » (art. 13).
65 Cf. Article 39 al.1 du Décret n°94/199 du 07 octobre 1994 portant Statut Général de la

Fonction Publique de l’Etat (Cameroun) « Tout fonctionnaire est responsable de l’exécution des
tâches qui lui sont confiées. A ce titre, il est tenu d’obéir aux instructions individuelles ou générales données
par son supérieur hiérarchique dans le cadre du service, conformément aux lois et règlements en vigueur ».
66 Les articles 5 et 11 sont explicites sur deux éléments. D’une part, « le Président de la

République (…) définit la politique de la nation ». D’autre part, « le Gouvernement est chargé de la mise
en œuvre de la politique de la nation telle que définie par le Président de la République ».
67 Cf. Article 64 al.1 et 2 de la Loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant Régime financier

de l’Etat et des autres entités publiques (Cameroun) « Les opérations d’exécution du budget de
l’Etat incombent aux ordonnateurs, aux contrôleurs financiers et aux comptables publics » ; « les fonctions
d’ordonnateur et celles de comptables demeurent séparées et incompatible tant en ce qui concerne l’exécution
des recettes que l’exécution des dépenses »
433
se renforce encore plus avec « les comptables directs du Trésor [qui] exécutent,
sous l’autorité du ministre chargé des finances, toutes les opérations de recettes ou de
dépenses du budget général de l’Etat, des budgets annexes, des comptes spéciaux du
Trésor »68. Les comptables directs du Trésor exercent leurs fonctions dans
les administrations financières étatiques. Ils appartiennent à la catégorie
des comptables publics en deniers et en valeurs. Le législateur semble avoir
résolu cette question quand il précise clairement qu’il « n’existe pas de lien
hiérarchique entre l’ordonnateur et le comptable public »69. Que doit-on
comprendre par la formule « sous l’autorité du ministre chargé des finances » dont
fait usage ce législateur ? Autrement dit, le comptable direct du Trésor
peut-il travailler sous l’autorité du ministre en charge des finances sans
qu’il n’existe aucun lien de subordination ou de supériorité donc
hiérarchique ? Tenter de répondre à ce questionnement par l’affirmatif
constitue une entreprise vouée à l’échec et contradictoire car, cette formule
n’exclut aucunement un lien hiérarchique.
De toute façon, le problème de l’étendue de l’obligation
d’obéissance a été résolu. Elle a donc des limites. Le fonctionnaire est
épargné de cette obligation quand l’ordre est manifestement illégal et de
nature à compromettre gravement un intérêt public70. L’on peut faire trois
déductions. La première : l’illégalité doit être évidente c’est-à-dire qu’elle
ne doit pas être supposée par le comptable public. La deuxième : l’intérêt
public est compromis chaque fois que les conséquences immédiates de
l’exécution de l’ordre illégal affectent les intérêts publics et non les seuls
intérêts du comptable. La troisième : l’illégalité et l’affectation de l’intérêt
public ne sont pas des éléments alternatifs mais, cumulatifs. Toujours
comme tout fonctionnaire ou agent public, le comptable public est soumis
à des obligations en dehors de son service. Il s’agit par illustration de
l’obligation de réserve. Il faut reconnaitre que la déontologie relative aux
fonctions de comptable a une emprise sur la vie privée de ce dernier
comme tout agent public. Ces obligations vont de la réserve à la probité.
L’obligation de réserve renvoie à une retenue de la part du comptable
public dans le cadre de ses propos sur un certain nombre de sujets en
relation avec sa fonction en public. Cette obligation rime avec la discrétion
professionnelle. Le comptable public doit avoir la retenue pour les faits,
informations ou documents dont il a eu connaissance dans l’exercice ou à
l’occasion de l’exercice de ses fonctions. L’obligation de réserve ou de
discrétion professionnelle peut parfois être rattrapée par le fait social. Il est
certaines circonstances pouvant la fragiliser au cours de la carrière d’un

68 Cf. Article 21 al.1 du Décret n°2013/16 du 15 mai 2013 précité.


69 Ibidem. Article 7 al.2.
70 Cf. Article 39 al.2 du Décret n°94/199 du 07 octobre 1994 précité : le fonctionnaire « a le

devoir de refuser d’exécuter un ordre manifestement illégal et de nature à compromettre gravement l’intérêt
public, sauf réquisition de l’autorité compétente établie dans les formes et procédures légales. Dans ce cas, sa
responsabilité se trouve dégagée. Il en est de même lorsqu’il a exécuté des instructions légales et/ou données
sous forme légale ». Voir également CE, 3 mai 1961, Pouzelgues, Rec., p. 280 ; TC, 10
décembre 1956, M. Randon et autres c/ sieurs Brunel et autres, Rec., p. 591.
434
agent public ou fonctionnaire. Il peut par exemple s’agir des tensions
d’ordre politique, économique ou social. L’obligation de réserve vient
également buter à celles d’activités syndicales. Tel fut le cas en France avec
l’activité syndicale de la magistrature des évènements de mai 196871. Pour
certains auteurs72, les obligations professionnelles des agents publics ne
devraient régir leur vie professionnelle que pendant les périodes de travail.
A la suite de ces considérations, il est important de relever que le
comptable public bénéficie aussi des prérogatives dans sa carrière.
b. Les prérogatives pendant la carrière
Durant son parcours professionnel, le comptable public bénéficie
des droits et libertés reconnus aux citoyens au motif qu’il en est un et, c’est
dans le cadre des lois et règlements en vigueur qu’il les exerce. Dans cette
mouvance et à titre illustratif, le comptable public en tant qu’agent public
ou fonctionnaire a droit à une rémunération73 et à une formation
permanente74. Après service fait, le comptable public a droit à une
rémunération75. Conséquemment, cette dernière est constituée des
prestations familiales obligatoires et éventuellement des indemnités et
d’autres primes. Les modalités de liquidation du salaire du comptable
public après service fait sont fixées par décret présidentiel76. Le service fait
constitue donc la condition pour un traitement. Dans la même lancée, en
l’absence de service fait pour un motif quelconque, débouche
inéluctablement à une retenue77. Le montant de cette dernière est
proportionnel au traitement indiciaire frappé d’individualité. Il existe deux
hypothèses dans lesquelles l’on note l’absence du service fait. La première
se manifeste lorsque le comptable public « s’abstient d’effectuer tout une partie
de ses heures de service »78. La seconde c’est lorsque ledit comptable « bien qu’en
effectuant ses heures de service, n’exécute pas tout ou une partie des obligations de service
qui s’attache à son poste de travail »79. De toute évidence, la notion de service
fait est un mécanisme protecteur des deniers publics. Il constitue un
événement matériel80 devant être constaté pour rendre exigible la dette de

71 La crise française de mai 1968 traduite par une double agitation sociale et estudiantine,
est le résultat du retrait de la confiance de la majorité des français au Général de Gaulle.
Pour eux, le Général de Gaulle était à dix (10) ans de pouvoir et c’était très suffisant. Ainsi,
l’on est parti de la crise de mai 1968 au référendum de 1969 sanctionné par le départ du
Général.
72 Cf. J-M AUBY, J-B AUBY, D. JEAN-PIERRE et A. TAILLEFAIT, Droit de la fonction

publique. Etat-Collectivités locales-Hôpitaux, op. cit, p. 129.


73 Cf. Articles 24 et 27 du Décret n°94/199 du 07 octobre 1994 précité.
74 Ibidem. Article 32.
75 Ibidem. Article 27 al.1
76 Ibidem. 27 al.2
77 Ibidem. Article 29 al.1
78 Ibidem. Article 29 al.2
79 Ibidem. Article 29 al.2 (b)
80 Il est à préciser que dans certains cas, la constatation du service fait ne s’appuie pas sur

un événement matériel précis et totalement indépendant comme peut l’être la réception


435
l’agent public. Néanmoins, le comptable public, en tant que fonctionnaire
ou agent public, peut bénéficier des avances sur salaires : c’est une sorte de
régie d’avance qui vient assouplir la règle du salaire après service fait.
La gestion des finances publiques aujourd’hui s’accommode de plus
en plus d’une exigence de performance. La notion est devenue le leitmotiv
en droit public financier. Ainsi, au rond-point de la performance, le
comptable public représente un acteur incontournable. La performance
désigne de ce fait la capacité à atteindre les résultats prévus. Sur cette base,
en vue d’accroitre le rendement son Administration, l’Etat assure à ses
agents au cours de leurs activités, une formation permanente. La
formation continue des comptables publics est assurée « sous la forme des
stages ou des séminaires organisés au Cameroun ou à l’étranger »81. Relativement
aux stages, ils « peuvent être soit des stages de perfectionnement, soit des stages de
formation, d’une durée supérieure de quatre dix (90) jours »82. Les séminaires quant
à eux, « sont des sessions de formation d'une durée inférieure ou égale à quatre-vingt-
dix (90) jours, ayant pour but de maintenir ou de parfaire la qualification du
fonctionnaire et d'assurer son adaptation à l'évolution des techniques ou des structures
administratives, ainsi qu'à l'évolution culturelle, économique, sociale et scientifique »83.
La formation continue s’effectue tous les cinq (05) ans84. Elle permet au
comptable public d’adapter ses connaissances professionnelles à
l’évolution limitless des finances publiques. C’est le ministère des finances
qui établit en fonction de ses besoins et au début de l'exercice budgétaire,
un planning annuel de formation permanente de ses agents. Le planning
établit par ce département ministériel « est soumis à l'approbation préalable du
Premier ministre, par le ministre chargé de la fonction publique qui, en outre, en assure
le suivi »85. Les pays ou organismes étrangers peuvent aussi être des
déclencheurs de la formation continue des comptables publics à travers les
offres de bourses86. Elles sont faites de façon anonyme au Gouvernement.
Le Gouvernement dans cette hypothèse dispose de deux options. Dans la
première, il peut proposer les candidatures87 au pays ou à l’organisme
donateur des bourses. A cet effet, c’est le pays ou l’organisme qui
sélectionne les agents comptables devant bénéficier de la formation. Dans

d’un colis tel les fournitures de fluides (électricité, gaz, abonnement téléphonique. Dans ces
hypothèses, la constatation du service fait s’appuie sur les données de la facture ou de l’avis
d’échéance émis par le fournisseur.
81 Cf. Article 3 du Décret n°2000/698/PM du 13 septembre 2000 fixant le régime de

formation permanente des fonctionnaires.


82 Ibidem. Article 4 al.1.
83 Ibidem. Article 5.
84 Cf. Article 1 al.2 du Décret n°2000/698/PM du 13 septembre 2000 précité.
85 Ibidem. Article 7 al.2
86 Cf. Article 8, du Décret n°2000/698/PM du 13 septembre 2000 précité.
87 Ibidem. Article 8 al.3 : « Lorsque la sélection doit être faite par le pays ou l'organisme donateur, le

ministre chargé de la fonction publique lui transmet les candidatures reçues ».


436
la deuxième, le Gouvernement peut désigner les candidats88. On peut se
rendre à l’évidence que l’initiative de l’actualisation des compétences et
connaissances des agents publics n’est pas toujours interne à l’Etat.
2. Une condition traduite par des rites à la sortie de fonction du
comptable public
La condition juridico-administrative du comptable public présente
des spécificités à sortie des fonctions. Ces spécificités vont des modes de
cessation des fonctions (a) à la remise de service (b).
a. Les modes de cessation des fonctions du comptable public
Les fonctions du comptable public en tant agent public ou
fonctionnaire peuvent cesser de façon naturelle, donc à la suite d’un décès.
C’est en ces termes que cela a été consacré : « le décès met fin à l’activité du
fonctionnaire »89. En cas de décès du comptable public, l’administration paye
à ses ayants-droits au vue d’un « dossier réglementaire, dans un délai de trois (03)
mois, un capital-décès et une pension de réversion dont les modalités sont fixées par
décret du Premier Ministre »90. Toutefois, « en cas de décès consécutif à un accident
imputable au service ou survenu en raison ou à l’occasion du service, le capital-décès est
quintuplé suivant des conditions et modalités »91 toujours fixées par décret du
Premier Ministre. Pour absence irrégulière dûment constatée, les fonctions
du comptable public cessent également92.
Au-delà des types de cessation des fonctions sus évoqués, les
fonctions du comptable public peuvent prendre fin à l’initiative de
l’administration. Il peut s’agir d’une retraite normale. Dans cette
éventualité, le comptable public établit un procès-verbal de remise de
service avant tout départ à la retraite. La date de cessation des fonctions du
comptable public dans cette hypothèse est celle de la remise de service93.
Elle se distingue de celle du départ à la retraite. Comme tout agent public
ou fonctionnaire, l’admission à la retraite du comptable public est
prononcée par arrêté du Ministre chargé de la Fonction Publique94. Il
convient de noter que d’autres cas de cessation des fonctions du
comptable public en tant que fonctionnaire ou agent public ont été
consacrés en dehors de ceux développés dans cette analyse95.

88 Ibidem. Article 8 al.4 : « Lorsque la sélection doit être faite par le Gouvernement, le ministre chargé de
la fonction publique transmet les candidatures à la commission compétente prévue à l'Article 10 ci-
dessous ».
89 Cf. Article 127 al. 1 du Décret n°94/199 du 07 octobre 1994 précité.
90 Ibidem. Article 172 al. 3
91 Ibidem. Article 172 al. 4
92 Cf. Article 39 al. 2 du Décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 précité.
93 Ibidem. Article 39 al. 3.
94 Cf. Article 127 du Décret n°94/199 du 07 octobre 1994 précité.
95 Il s’agit de la démission, du licenciement et de la révocation. La démission est un acte

écrit par lequel le fonctionnaire marque sa volonté non équivoque de quitter définitivement
la Fonction Publique. Le licenciement est une mesure d’exclusion définitive du
fonctionnaire de la Fonction Publique pour des cas ne relevant pas d’une sanction
437
Tout comme les modes de cessation des fonctions, la remise de
service permet d’appréhender les spécificités de la condition juridico-
administrative du comptable public.
b. Les spécificités de la remise de service
La cessation des fonctions d’un comptable public donne lieu à
l’établissement d’un procès-verbal de remise de service. Le procès-verbal
dont il s’agit est administratif. Ce dernier désigne celui qu’un agent de
l’administration confectionne dans certaines circonstances ou événements
en relation avec ses fonctions. Il se démarque du procès-verbal judiciaire96.
Le procès-verbal administratif constate la remise de service au comptable
public entrant. C’est une preuve écrite à laquelle les justifications sont
jointes ou annexées. Elle est constituée de trois principales articulations.
La première est celle sur l’identification et fonction des personnes
concernées par la remise de service97. La seconde est la rubrique de la
reconnaissance des fonds et de la situation de la comptabilité au jour de la
remise de service98. Ces articulations sont accompagnées par une troisième
portant sur l’objet de la remise de service.
Le procès-verbal produit des effets juridiques après sa signature.
Une fois signé, il acquiert un caractère authentique et ne peut être contesté
par le comptable public sortant. La remise de service constate le transfert
de la responsabilité du poste de comptable entre le comptable sortant et le
comptable entrant. Ce rite s’effectue dans la pratique à la date de
l’installation du comptable entrant. Ceci nécessite la présence des deux
comptables à cette date. En revanche, ils peuvent par écrit « déléguer leurs
pouvoirs à un ou plusieurs mandataires ayant qualité pour agir en leur nom et sous leur
responsabilité. Sauf dérogation autorisée par le ministre chargé des finances, le
mandataire doit être choisi parmi les agents du poste »99. Deux analyses peuvent
être effectuées à ce niveau. La première, le législateur ne précise pas les

disciplinaire : inaptitude physique irréversible et incompatible avec le poste de travail


occupé ; insuffisance professionnelle ; réorganisation des services et entraînant suppression
de postes de travail, sans possibilité de redéploiement des effectifs. La révocation est une
mesure d’exclusion définitive du fonctionnaire de la Fonction Publique à la suite d’une
faute. Elle intervient à la suite d’une procédure disciplinaire devant le Conseil permanent de
discipline de la Fonction publique, ou suite à un abandon de poste pendant 30 jours
consécutifs après une mise en demeure restée sans effet.
96 Le procès-verbal judiciaire est un document écrit par un agent de l’autorité de ce qu’il a

vu, fait ou entendu. Ce dernier ne peut être élaboré que par un agent mandaté par une
autorité judiciaire à l’instar d’un magistrat, un commissaire de police ou un officier de la
police judiciaire. Sa particularité est qu’il est destiné à faire foi jusqu’à l’administration de la
preuve contraire.
97 Plusieurs éléments entre dans cette rubrique. Il s’agit de l’identité du comptable public

sortant le cas échéant, de celle(s) de son ou ses mandataires ; de l’identité du comptable


public entrant le cas échéant, de celle(s) de son ou ses mandataires ; et de la date de la
remise de service.
98 C’est dans cette partie que sont par exemple affichés le numéraire, les chèques, les

tickets-cartes bancaires, les instruments de paiement, le montant du fonds de caisse, etc.


99 Cf. Article 5 al. 8 du Décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 précité.

438
critères que doivent réunir les mandataires afin de bénéficier d’une
délégation de pouvoirs. Tout porte donc à croire que quiconque peut
recevoir délégation de pouvoirs pour être mandataire. La deuxième, l’on
constate une extension quantitative infinie du nombre de mandataires
pouvant recevoir une délégation de pouvoirs. Le législateur ne mentionne
pas le nombre limite exact de mandataires. Le comptable public dispose
une marge de manœuvre importante dans la délégation de pouvoirs.
Si la personnalité juridique et des rites à la sortie de fonction du
comptable publique renseignent sur sa condition juridico-administrative, il
n’en va pas de même de sa condition juridico-financière.
II. La condition juridico-financiere du comptable public
D’ores et déjà, précisons que la condition juridico-financière du
comptable public n’est pas déterminée du fait que ce dernier est un agent
public ou un fonctionnaire. Elle est plutôt définie par les activités
comptables et leurs suites dans l’administration publique. La condition
juridico-financière du comptable public est strictement définie dans cette
analyse par une pluralité de rôles comptables (A) et par la mise en jeu de sa
responsabilité (B).

A. Une condition définie par une pluralité de rôles comptables


Le comptable public est un agent public dont la posture en matière
de finances publiques est importante. Elle va par exemple de garant ou de
juge de la régularité (1) au régulateur des opérations de recettes et de
dépenses publiques (2).
1. Le comptable public : juge de la régularité des opérations de
recettes et de dépenses publiques
Le rôle de garant de la régularité des opérations de recettes (a) et de
dépenses (b) publiques joué par le comptable public, ne concerne pas les
obligations d’un fonctionnaire ordinaire ou un agent public soumis au
Statut Général de la Fonction Publique. Ce dernier est donc consubstantiel
à toute activité comptable.
a. Le comptable public : juge de la régularité des opérations de
recettes
C’est au regard des différents contrôles effectués avant le
recouvrement d’une recette que le comptable public est qualifié de juge de
la régularité.
Concernant l’exécution des opérations de recettes, il est à noter que
les règles y relatives peuvent par exemple être définies par une loi de
finances. A cette occasion, avant la prise en charge de la recette qui
consiste à l’enregistrer dans les écritures comptables, le comptable public
doit se rassurer qu’elle a une base légale. Pour cela, la loi de finances
439
constitue l’instrument de vérification de l’existence de l’autorisation de
percevoir. Tout contentieux a un coût financier voire économique. A
travers la vérification préalable du fondement légal de la recette à
recouvrer, les comptables des administrations financières par exemple100,
dispensent l’Etat et ses entités des dépenses infructueuses que peut générer
un contentieux fiscal lorsqu’il se prolonge dans le temps. Le contrôle de la
base légale n’est pas la seule obligation auquel est tenu le comptable public.
Par ailleurs, il assure le contrôle « des recettes prévues par le budget mais non
ordonnancées l’ordonnateur »101. Ce contrôle s’étend sur « la mise en recouvrement
et de la liquidation de la créance, ainsi que de la régularité formelle des réductions et des
annulations des titres de recettes »102 dans la limite des éléments dont il dispose.
De ce qui précède, relevons qu’à la différence de l’ordonnateur qui
effectue une exécution purement formelle de la dépense publique, le
comptable public quant à lui réalise une exécution matérielle des
opérations de recettes à travers des contrôles systématiques. A suite des
différents contrôles réalisés avant la perception de la recette publique, le
comptable peut partir de sa posture de juge de la régularité à celle de
régulateur des opérations de dépenses.
b. Le comptable public : juge de la régularité des opérations de
dépenses
Le comptable public se positionne par ailleurs en garant de la
régularité des opérations de dépenses publiques. Le contrôle de
l’assignation de la dépense et de la disponibilité des crédits d’une part et du
contrôle de la validité de créance de l’autre, peuvent être convoqués
comme illustrations103. A la suite de la phase administrative de l’exécution
de la dépense, le comptable reçoit une assignation c’est-à-dire un ordre
donné par l’ordonnateur de procéder au paiement de la dépense engagée.
Cet ordre n’est pas verbal mais, écrit. A la suite de celui-ci, le comptable
public procède d’abord à la vérification de la régularité en question avant
de pratiquer toute dépense104. Le contrôle de régularité s’effectue sur
pièces justificatives et lorsqu’une irrégularité ou contradiction est
remarquée, le comptable public suspend le paiement. Ce contrôle de
régularité débouche sur celui de la disponibilité des crédits. Dans la même
veine, le comptable public se rassure de la disponibilité des crédits dans
l’hypothèse où l’assignation de la dépense donnée est régulière avant de
réaliser tout paiement. En droit budgétaire, deux éléments forment les

100 Comme comptables des administrations publiques, on peut citer les comptables des
administrations financières des Impôts et des Douanes et des Domaines. Ils sont ceux
chargés du recouvrement des impôts, taxes, droits et redevances, produits et recettes
diverses, ainsi que des pénalités fiscales et frais de poursuite justice y afférents.
101 Cf. Article 22 al.1 du Décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 précité.
102 Ibidem.
103 Il est à noter que dans cet aspect des choses, le rôle de garant de la régularité du

comptable public ne se résume pas à ces deux éléments.


104 Cf. Article 22 al.1, du Décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 précité.

440
crédits. Il s’agit des autorisations d’engagement et des crédits de paiement.
Si le premier élément renvoie à la limite supérieure des dépenses pouvant
être engagées105 et dont le paiement peut s’étendre, le cas échéant, sur
période de plusieurs années ; le deuxième désigne la limite supérieure des
dépenses pouvant être payées pendant l’année pour la couverture des
engagements contractés dans le cadre des autorisations d’engagement. En
réalité, le contrôle ne se borne pas à ces deux aspects. Il s’étire à la validité
de la créance.
Avant d’effectuer un paiement, le comptable public s’assure au
préalable de la validité de la créance. Cette action atteste l’hypothèse selon
laquelle le paiement de la dépense relève spécialement de la responsabilité
du comptable106. De là, il doit procéder à un contrôle et c’est en cela que
consiste son rôle de garant de la régularité des opérations de recettes et de
dépenses publiques. Le service fait est un élément permettant au
comptable public de vérifier la validité de la créance. En comptabilité
publique, le service fait est une « prestation exécutée par le créancier de
l’administration et qui doit être justifiée pour permettre le paiement des dépenses
publiques. La constatation du service fait est une des opérations de la procédure
d’exécution de ces dépenses »107. La validité de la créance découle de la
certification délivrée par l’ordonnateur et confirmée par le contrôleur
financier de même que des pièces justificatives. Dans la gestion des
finances publiques de tout Etat, le comptable public occupe une place non
négligeable. Dans les faits, une gestion défaillante de sa part n'est pas sans
séquelles dans la vie financière de l’Etat. A titre illustratif, la Cour des
comptes gabonaise avait été amenée à constituer un comptable public
débiteur de la somme de deux cent trente milliards six cent vingt-six
millions cinquante mille cinq cent quarante-neuf (230 626 050 549) de
francs CFA108. Selon la juridiction financière gabonaise, « les vérifications
effectuées (…) ont révélé que les opérations des restes à recouvrer, d’annulations, de
dégrèvements et d’admissions en non-valeur n’étaient pas appuyées de pièces justificatives
telles que prévues par la réglementation en vigueur »109.
Avant de procéder à tout décaissement, le comptable public
procède en amont à la vérification systématique des documents fournis par
l’ordonnateur et le contrôleur financier. Le comptable public peut partir de
cette position de garant de la régularité à celle de régulateur des opérations
de recettes et de dépenses publiques.
2. Le comptable public : régulateur des opérations de recettes et
de dépenses publiques

105 Cf. Livre blanc sur la réforme des finances publiques précité, p. 79.
106 Cf. Article 22 de la Directive n°01/11-UEAC-190-CM-22 précitée.
107 G. CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2018, 12e éd., p. 2022.
108 Cf. Rapport de la Cour des comptes gabonaise au Président de la République, 2018, p.

28
109 Ibidem.

441
En tant que l’un des acteurs principaux de l’exécution du budget de
l’Etat et de ses entités, le comptable public est un régulateur des opérations
de recettes et de dépenses. Le régulateur est celui qui a pour rôle de
régulariser le cours d’activités ou d’opérations diverses110 et complexes. Ce
rôle est reconnu au comptable public motif pris de ce qu’il est à titre
indicatif celui qui est chargé de tenir correctement la comptabilité
budgétaire (a) et de la comptabilité générale (b).
a. La tenue de la comptabilité budgétaire
Par la tenue de la comptabilité budgétaire, le comptable public est
un régulateur des opérations de recettes et de dépenses publiques. La
comptabilité budgétaire est celle qui permet de retracer la chronologie des
opérations budgétaires et d’effectuer des affinités avec les écritures des
comptables. Conséquemment, elle porte sur toutes les étapes des phases
administratives et comptables de l’exécution des opérations financières. La
comptabilité budgétaire est tenue par le comptable public en partie
simple111. Autrement dit, le comptable public enregistre les opérations
financières des recettes et dépenses dans un seul compte. En réalité, cette
comptabilité est tenue selon la nomenclature budgétaire de la loi de
finances de l’année concernée112. Son atout est qu’elle permet de piloter le
solde budgétaire. Elle obéit donc aux exigences d’annualité budgétaire
même si les « dépenses budgétaires engagées et liquidées au cours de l’exercice
budgétaire peuvent être payées après la fin de cet exercice au cours d’une période
complémentaire dont la durée ne peut excéder trente jours »113. C’est grâce à la tenue
irréprochable de cette comptabilité par l’agent comptable que l’on peut
mieux établir les responsabilités de tous les acteurs intervenus dans la
chaîne budgétaire.
La comptabilité budgétaire est la base du concept « d’autorisations
d’engagement ». A travers ce dernier, « plus aucun gestionnaire ne pourra engager la
responsabilité de l’Etat en dehors de ces autorisations d’engagement dûment répertoriées
par la loi de finances »114. Plus encore, l’Etat du Cameroun tient une
comptabilité budgétaire destinée à vérifier le respect par le gouvernement
de l’autorisation parlementaire115. La comptabilité budgétaire n’est pas le
seul moyen par lequel le comptable public régule les finances publiques.
b. La tenue de la comptabilité générale
Par la tenue de la comptabilité générale, le comptable public au
Cameroun est également régulateur des opérations de recettes et de
dépenses de l’Etat et ses entités. La comptabilité générale est un système

110 G. CORNU, Vocabulaire juridique, op, cit., 1871.


111 Cf. Article 74 al.1 de la loi n°201/012 du 11 juillet 2018, portant régime financier de
l’Etat et des autres entités publiques.
112 Cf. Article 65 de la Directive n°01/11-UEAC-190-CM-22 précitée.
113 Cf. Article 74 de la Directive n°02/11-UEAC-190-CM-22 précitée.
114 Livre Blanc sur la réforme des finances publiques précité, p. 43.
115 Cf. Article 73 al.1 de la loi n°201/012 du 11 juillet 2018 précitée. Voir également l’article

64 de la Directive n°01/11-UEAC-190-CM-22 précitée.


442
d’enregistrement dans lequel les opérations financières réalisées par l’Etat
et ses entités sont traduites en termes financiers. Elle retrace donc
fidèlement la situation patrimoniale de l’Etat et de ses entités, leurs
relations avec leur environnement et leur enrichissement au cours du
temps116.
Cette comptabilité a pour but de mesurer l’évolution du patrimoine
de l’Etat et de ses entités. Le patrimoine est constitué des actifs et des
passifs. La maitrise de cette comptabilité par le comptable public permet
aux personnes publiques de faire de meilleures prévisions budgétaires. Elle
est fondée sur le principe des droits constatés ; elle est tenue en partie
double117. En d’autres termes, dans la pratique, le comptable public
enregistre à deux reprises chaque opération financière. Le double
enregistrement se fait dans deux comptes, l’un étant débité et l’autre
crédité. La comptabilité générale tenue par le comptable public s’inspire
des normes de comptabilité internationalement reconnues118. Le rôle de
régulateur du comptable public en pratique s’inscrit de la sorte : en amont,
dès leur initialisation, il procède à l’enregistrement des opérations
financières ; en aval, il précise les inventaires et les stocks.
Si le rôle du comptable public est un élément de définition de sa
condition juridico-financière, la mise en œuvre de sa responsabilité en est
un autre.
B. Une condition définie par la mise en jeu de la responsabilité
Rappelons que le comptable public est soumis au régime
disciplinaire de droit de la fonction publique parce qu’il est un agent
public. De même, sa responsabilité pénale peut être engagée comme pour
tout fonctionnaire, à raison des faits commis dans ou à l’occasion de ses
fonctions. En revanche, celle retenue à ce niveau d’analyse est liée à sa
condition juridico-financière du fait de l’exécution des opérations de
recettes et de dépenses.
Le régime de responsabilité du comptable public a fortement été
encadré. En dépit des exonérations intégrant ce régime, ce dernier se
traduit néanmoins par certains éléments déclencheurs (1) et des sanctions
(2).

116 A. BEITONE, A. CARZOLA, E. HEMDANE, Dictionnaire de science économique, op. cit., p.


529.
117 Cf. Article 75 de la loi n°201/012 du 11 juillet 2018 précitée.
118 Les normes dont s’inspire la comptabilité publique sont de plusieurs ordres. Il s’agit par

exemple du Système Comptable de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du


Droit des Affaires (ou Système OHADA); des normes comptables internationales
applicables pour le secteur public (Gouvernement, Collectivités locales, les Etablissements
publics et institutions internationales, etc.) ou IPSAS en abrégé ; du Manuel de Statistiques
des Finances Publiques (MSFP) du Fonds Monétaire International.
443
1. Les faits générateurs de la responsabilité du comptable public
Même si la responsabilité des comptables publics peut autrement
être organisée dans l’hypothèse d’une force majeure (b), celle-ci est
caractérisée par une variété de faits générateurs (a).
a. Une variété de faits générateurs de la responsabilité
Le régime de responsabilité du comptable public est dense. Le
comptable public répond de l’administration de ses collaborateurs, dans
certaines conditions, de celles de ses prédécesseurs. L’administration à
quelle l’on s’intéresse dans cette analyse est celle du comptable public. Son
régime de responsabilité n’est pas nouveau en droit financier
camerounais119. En France, il prend son « assise moderne et sa dynamique dans
la création de la Cour des comptes en 1807 »120.
Les risques auxquels sont exposés les agents publics régulièrement
habilités à effectuer au nom de l’Etat et ses organismes, le maniement des
deniers publics, sont la conséquence de plusieurs faits générateurs121. Ces
derniers désignent les différents éléments déclencheurs de la responsabilité
des comptables publics. Le principe de responsabilité personnelle et
pécuniaire, fait des comptables publics les seuls fonctionnaires
responsables sur leurs propres deniers des erreurs commises dans
l’exercice de leurs missions, par eux-mêmes ou les équipes qui évoluent
sous leur responsabilité. Une variété d’éléments déclencheurs de la
responsabilité a été organisée. La responsabilité du comptable public peut
être engagée pour plusieurs raisons : à raison de règlement sur fausses
pièces, pour défaut de recouvrement des recettes ordonnancées et même
pour des paiements effectués en dépassement de crédits ouverts.
La responsabilité des comptables publics peut être questionnée pour
paiement irrégulier d’une dépense constituant un manquement aux
obligations de contrôle122. Donc, parmi les obligations auxquelles est
soumis le comptable public, l’on relève celle du contrôle des pièces
justificatives avant tout paiement. C’est par le biais de ce contrôle que le
comptable public assure la régularité de la dépense. De fait, en raison de
règlement sur fausses pièces, la responsabilité du comptable public peut
être engagée. Que devrait-il se passer s’il est établi que le comptable public

119 Cf. Ordonnance n°62/0F/4 du 07 février 1962 relative au régime financier de la


République Fédérale du Cameroun modifiée par la loi N° 2002/001 du 19 avril 2002 ; Cf.
le Décret n° 69/DF/265 bis du 30juin 1969 relatif à l'apurement des comptes publics et à
la sanction des responsabilités des Comptables. Voir également le Décret n°78/470 du 3
novembre 1978 relatif à l'apurement des comptes et à la sanction des responsabilités des
Comptables
120 Cf. M. BOUVIER, M-C. ESCLASSAN, J-P. LASSALE, Finances Publiques, Paris, LGDJ,

2017-2018, 16e éd., p. 460.


121 Cf. Articles 39 et suivants de la loi 2003/005 précitée. Voir articles 27 et ss du décret

n°2020/375 précité.
122 Cf. Article 28 du Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 précité.

444
est personnellement responsable ou a contribué à falsifier les pièces
justificatives ? Les textes et la jurisprudence camerounaise en matière de
finances publiques ne fournissent pas des éléments de réponse.
Contrairement à la discrétion observée dans le contexte camerounais, la
Cour de Discipline Budgétaire et financière en France123 a résolu cette
question.
La responsabilité du comptable public peut aussi être engagée pour
défaut de recouvrement des recettes ordonnancées124. Le recouvrement
représente une phase d’exécution comptable des recettes postérieure à
l’ordonnancement. L’ordonnancement désigne « l’acte administratif par
lequel, conformément aux résultats de la liquidation, l’ordonnateur donne l’ordre au
comptable de payer la dette de l’Etat ou des autres entités publiques »125. Dans la
phase de recouvrement, le comptable doit avant tout effectuer un contrôle
sur l’autorisation de percevoir. Si les comptables publics doivent se
rassurer que la perception de la recette résulte de l’autorité compétente126,
ils ne sont pas compétents pour apprécier le bien-fondé d’un ordre
régulièrement émis127.
Par ailleurs, la responsabilité du comptable peut être mise en œuvre
pour des paiements effectués en dépassement de crédits ouverts128.
Autrement dit, le déficit de caisse ou de manquement en deniers et valeurs
entraine également la mise en œuvre de la responsabilité du comptable
public. Tel fut le cas dans l’arrêt n°04/CSC/CDC/S1 du 05/11/2005,
NDZANA Jean, Réserve n°1 portant sur les différences en moins ou
déficits résultant des discordances entre les procès-verbaux d’encaisse et
les balances générales des comptes, pour les postes comptables de
YABASSI, EBONE et MOMBO. L’exécution des opérations financières
doit correspondre aux prévisions pour éviter tout déficit budgétaire. Le
déficit est un excédent des charges sur les recettes pour l’ensemble des
opérations budgétaire. Pour les économistes, le déficit est un solde
budgétaire négatif dont le montant provient de l’écart entre les dépenses
publiques et les recettes qui sont présentées dans la loi de finances129.
La responsabilité du comptable public n’est pas toujours mise en
jeu. S’il est certains cas où elle peut être exonérée pour force majeure.

123 Cf. CDBF 4 avr. 2011, Lycée de polyvalent, lycée professionnel, Vauvenargues, GRETA du pays
d’Aix, Rec. 155, ADJA 2011. 1319 ; Gestion et Finances Publiques, n°5-2013, p. 69.
124 Cf. Article 28 du Décret n°2020/375 du 07 juillet, précité.
125 Livre blanc sur la réforme des finances publiques du Cameroun, 2011, p. 80.
126 Cf. C. comptes, 14 et 28 oct. 1871, Casenave et Mazerolles, Service départemental de

protection contre l’incendie de Meurthe-et-Moselle, Rev. adm. n°150, 25 oct. 1999, M.


Hodin, comptable de l’Université de Paris VI, Rec. 77 ; 13 mars 2007, Université de Caen,
Rec. 26.
127 Cf. C. comptes, 24 janv. 1979, Hippolyte, Institut national des sports, Rec. 7
128 Cf. Article, Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020, précité.
129 A. BEITONE, A. CAZOLA, E. HEMDANE, Dictionnaire de science économique, Paris,

Dunod, 2019, 6e éd., p. 172


445
b. L’exonération de la responsabilité pour force majeure
Les comptables publics sont en principe personnellement et
pécuniairement responsables des opérations dont ils sont chargés et de
l’exercice des contrôles130. En revanche, l’on remarque des possibilités où
cette responsabilité est exclue. Cette dernière ne peut être mise en œuvre
en raison de la gestion de leurs prédécesseurs. Toutefois, si ceci n’est que
l’application, le principe est constitué d’un deuxième élément : l’exception.
La responsabilité de ces acteurs peut être mise en jeu pour les opérations
prises en charge sans réserve, lors de la remise de service, ou qui n’auraient
pas été contestées par le comptable entrant dans un délai de six (06)
mois131. Par ailleurs, les comptables publics ne sont, ni personnellement, ni
pécuniairement, responsables des opérations qu’ils ont effectuées sur ordre
écrit des ordonnateurs132. En dehors de ces possibilités, la responsabilité
peut être retranchée dans les circonstances de force majeure133.
Au regard du Code civil134, la force majeur se définie comme un
événement extérieur135, imprévisible136 et irrésistible137. Il revient donc au
juge financier de constater les éléments de la force majeure138. Dans cette
logique, ce n’est « qu’après production de tous les justificatifs nécessaires »139 que la
responsabilité du comptable public est exonérée. En attendant la décision
du juge, on ne peut que parler de présomption de responsabilité du
comptable public au cas où une force majeure l’aurait empêché d’exercer

130 Cf. Article 9 al.1 du Décret n°2013/16 du 15 mai 2013 précité.


131 Ibidem. Article 31 al.3 : « la responsabilité des comptables publics ne peut être mise en œuvre en raison
de la gestion de leurs prédécesseurs que pour les opérations prises en charge sans réserve, lors de la remise de
service, ou qui n’auraient pas été contestées par le comptable entrant dans un délai de six (06) mois ».
132 Ibidem. Article 29 al.2.
133 Ibidem. Article 38 al.1 : « le comptable public, dont la responsabilité a été mise en cause suite à un cas

de force majeure, ne peut obtenir décharge totale ou partielle de sa responsabilité qu’après production de tous
les justificatifs nécessaires ».
134 Cf. Article 1148 du Code civil du 21 Mars 1804 (30 ventôse an XII).
135 L’extériorité de la circonstance implique qu’il soit étranger au comptable public ou à son

activité ; le comptable ne doit avoir la cause de la survenance de l’événement invoqué


136 L’imprévisibilité est basée sur la rareté, la soudaineté ou le caractère anormal de

l’évènement ; la force majeure résulte d’un fait que le comptable n’aurait pu prévoir ou
empêcher. En revanche, la mauvaise organisation d'un service, le non-respect de la
réglementation ou l'absence de surveillance sont des causes prévisibles, même si les locaux
se prêtent mal à l'activité de l’agent comptable.
137 L’irrésistibilité s’examine comme le caractère inévitable d’un événement que la volonté

du comptable public n’aurait pu empêcher.


138 En revanche la doctrine dans ses commentaire de l’arrêt du Conseil d’Etat, n°276093,

commune d’Estevelles du 10 janvier 2007, indique qu’une possibilité de force majeure


serait susceptible d’être rencontrée lorsque la reconnaissance « de pièces justificatives fausses par
le juge pénal intervient ultérieurement au paiement », dès lors que la fausseté des pièces
justificatives semble assimilable à un évènement extérieur au comptable, imprévisible au
moment du paiement et irrésistible puisque le comptable n’a pas d’autre choix que de payer
sur la base d’une pièce exécutoire visiblement authentique.
139 Cf. Article 38 al.1 du Décret n°2013/16 du 15 mai 2013 précité.

446
un contrôle ou d’accomplir un acte auquel il était tenu140. La présomption
de responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public a un
fondement constitutionnel. Cela étant, c’est la décision du juge des
comptes qui entérine ou non la responsabilité du comptable public. A ce
propos, il faut se référer au préambule de la constitution pour le
remarquer : « tout prévenu est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit
établie (…) »141. C’est également au juge des comptes qu’il revient de
retenir un événement ou une circonstance comme une force majeure. Une
pandémie comme le Covid-19142 peut par exemple constituer une
circonstance de force majeure empêchant les comptables publics
d’accomplir leurs fonctions. D’ailleurs, cela a été constaté en France avec
l’ordonnance n°2020-326 du 25 mars 2020 prise par le ministère de
l’action et des comptes publics relative à la responsabilité personnelle et
pécuniaire des comptables publics. Ce texte français indique que les
mesures de restriction, de circulation et de confinement depuis le 12 mars
2020 impliquant l’état d’urgence sanitaire déclaré par la loi du 23 mars
2020 constituent une force majeure143.
Même si au regard du Code civil les éléments constitutifs de la force
majeure sont identifiables, le législateur dans le RGCP du 07 juillet 2020
s’est contenté simplement d’évoquer la notion comme une circonstance
d’exonération de la responsabilité du comptable public sans mentionner
des exemples.
La mise en œuvre de l’état d’urgence144 peut par ailleurs rendre
totalement ou partiellement impossible pour certains comptables la
réalisation de tous les contrôles et diligences habituels. Dans cette logique,
le régime de responsabilité des comptables publics intègre la variable de
sanctions.

140 Cf. Article 48 al.1 et 2 de la Loi n°2003/005 du 21 Avril 2003 précitée.


141 Cf. Préambule de la constitution du 18 janvier 1996 précitée.
142 C’est le mercredi 11 mars 2020, que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a

qualifié l’épidémie de Covid-19 de pandémie


143 Cf. Article 1 de l’Ordonnance n°2020-326 du 25 mars 2020 : « Pour l’appréciation de la

responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics, les mesures de restriction de circulation et de
confinement décidées par le gouvernement à compter du 12 mars 2020 ainsi que l’état d’urgence sanitaire
déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée sont constitutifs d’une circonstance de la force
majeure ».
144 Cf. Plan d’Assistance Humanitaire d’Urgence dans les régions du Nord-ouest et Sud-

ouest de 2018-2019 (Cameroun) créé par le Président de la République Paul BIYA. En fait,
depuis 2016, le Cameroun connait une crise sociopolitique dans ses régions du Nord-Ouest
et du Sud-Ouest. Cette dernière est parti des revendications corporatistes des syndicats des
enseignants et d’avocats. Face à la crise qui paralyse l’éducation et les activités économiques
le Président de la République Paul BIYA s’est lancé dans la recherche des solutions. Il a
par exemple créé la Commission Nationale pour la Promotion du Bilinguisme et du
Multiculturalisme. Par ailleurs, un budget de 12.716. 500. 000 milliards a été consacré à la
reconstruction des deux régions.
447
2. Les sanctions de la responsabilité du comptable public
Le régime particulier de responsabilité des comptables publics a été
défini par le législateur camerounais pour inciter ces derniers à un contrôle
rigoureux des opérations qu’ils exécutent. La finalité d’une telle
consécration semble être la même ailleurs comme en France145. Ainsi, la
responsabilité du comptable public est engagée par un acte de débet de
nature duale. Il s’agit soit d’un débet administratif (a), soit d’un débet
juridictionnel (b).

a. Une responsabilité déclenchée par un débet administratif


Les comptables publics ne sont pas exclusivement justiciables du
juge des comptes. Autrement dit, le ministre des finances détient le
pouvoir de mettre en débet quiconque se trouve « en compte avec la
République »146. Le débet représente la somme restante due après l’arrêté
des comptes147. Il correspond au montant de la dépense irrégulièrement
payée ou de la recette non recouvrée148. La responsabilité du comptable
public est constatée à deux niveaux de la vie financière d’une institution
publique : au niveau des recettes et au niveau des dépenses.
Le débet administratif est l’œuvre du ministre chargé des
finances149. Si en droit administratif la théorie du ministre-juge ne fait plus
écho avec la jurisprudence Cadot de 1889150, en droit financier, les
ministres restent quelque part les juges de la responsabilité des comptables
publics. Le ministre chargé des finances au Cameroun dispose d’une
compétence générale de mise en débet de la responsabilité du comptable
public contrairement aux autres chefs de départements ministériels. Si la
responsabilité du comptable public est établie, le ministre des finances
émet un ordre de reversement qui contraint celui-ci à verser sur ses deniers

145 La responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics en France trouve son
fondement dans l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 de finances pour 1963
modifié par l’article 125 de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 : « les comptables publics
sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes, du paiement des dépenses,
de la garde et de la conservation des fonds et valeurs appartenant ou confiés à l'Etat, aux collectivités locales
et aux établissements publics nationaux ou locaux, du maniement des fonds et des mouvements de comptes
de disponibilités, de la conservation des pièces justificatives des opérations et documents de comptabilité ainsi
que de la tenue de la comptabilité du poste comptable qu'ils dirigent ».
146 Cf. C. Comptes, 26 avril 2001, Rec. Trésor, 2002. 206.
147 F. WASERMAN, Les finances publiques, Paris, Découverte de la vie publique, 2016, 8e éd.,

p. 24.
148 J-M MONNIER, Finances publiques, Paris, La documentation française, 2015, 4e éd., p.

123.
149 Cf. Article 37 al.2, Décret n°2013/16 du 15 mai 2013 précité.
150 Avant 1889, tout ministre en France était juge de droit commun en 1 er ressort pour les

affaires administratives contentieuses. C’est de cette pratique du droit administratif français


dont résulte l’appellation du le ministre-juge ou l’administrateur-juge. En date du 13
décembre 1889, le Conseil d’Etat (CE) à travers la jurisprudence Cadot mis un terme à cette
pratique. C’est ce qui permit de migrer de la justice retenue à la justice déléguée.
448
propres la somme correspondante151. Contrairement au Cameroun, en
France, la délégation du pouvoir de mise en débet des comptables publics
est possible ; le ministre chargé de l’éducation nationale peut déléguer cette
compétence aux Recteurs152.
La mise en jeu de la responsabilité du comptable n’est pas
exclusivement le fruit de l’administration. Elle peut aussi être l’œuvre de la
juridiction des comptes.
b. Une responsabilité entreprise par un débet juridictionnel
Comme signalé précédemment, le débet renvoie à une dette faisant
du comptable public débiteur de l’Etat et de ses entités. Autrement dit,
c’est ce qui manque dans la caisse que le comptable public doit
rembourser. Le débet juridictionnel résulte de la décision de la juridiction
des comptes153. Les débets juridictionnels au Cameroun sont l’œuvre de la
Chambre des comptes154. Cela ne peut être autrement dans la mesure où
« le contrôle et le jugement des comptes font de la Chambre des comptes une institution
à compétence essentiellement juridictionnelle »155. La Chambre des comptes
contrôle et juge les comptes et les documents des comptables publics156.
Cette compétence concerne les comptables publics de l’Etat et de ses
établissements publics ; des collectivités territoriales décentralisées et de
leurs établissements publics ; des entreprises du secteur public et
parapublic.
Le juge des comptes que le Professeur SIETCHOU
DJUITCHOKO Célestin soupçonne d’être le nouveau juge administratif
au Cameroun157, statue souverainement en dernier ressort. La
responsabilité du comptable public est également dégagée par le juge
financier à deux niveaux au rang desquels les recettes et les dépenses. Dans
le premier cas, le comptable public est tenu de combler le manquant relevé
s’il a manqué de recouvrer une recette158. Dans le second, il est tenu de
compléter de ses deniers personnels la perte constatée s’il a procédé à une
dépense inadéquate. A titre illustratif, il avait été formulé à l’égard de Mme
NANGA Rebecca épouse NDO Evina gestionnaire des comptes de

151 F. CHOUVEL, Finances publiques, Paris, Gualino Lextenso, 2020, 23e éd., p. 155.
152 Cf. D. n°2005-954, 29 juillet, 2005, art.3
153 Cf. Article 37 al. 3, Décret n°2013/16 du 15 mai 2013 précité.
154 Concernant la jurisprudence financière au Cameroun, lire par exemple Célestin
SIETCHOUA DJUITCHOKO, La Chambre des Comptes de la Cour Suprême du Cameroun, les
principaux arrêts, avis, rapports de certification du compte général de l’Etat et rapports d’observations à fin
de contrôle commentés, Yaoundé, EDLK, 2016, 1ère éd., 476 p.
155 Cf. Rapport annuel de la Chambre des comptes de la Cour suprême du Cameroun,

2007, p. 9.
156 Cf. Article 2 al.1, Loi n°2003/005 du 21 avril 2003 précitée
157 C. SIETCHOUA DJUITCHOKO, « La Chambre des Comptes de la Cour Suprême,

nouveau juge administratif au Cameroun », Revue Juridique et Politique des États Francophones,
n°3, juillet-septembre 2013, pp. 269-285.
158 Cf. CE, ass., 27 octobre 2000, Mme Desvigne, agent comptable de la régie des

remontées mécaniques de Chantemerle à Saint-Chaffrey.


449
l’Hôpital Général de Yaoundé (exercices 2006, 2007 et 2008) trois débets
d’un montant total de trois millions trois cent quatre quinze milles (3 395
000) francs CFA. Sur l’injonction n°1, il a été « reproché au comptable d’avoir
effectué les paiements des dépenses non engagées, non liquidées et non ordonnancées et en
l’absence de certaines pièces justificatives » de l’ordre de trois millions cent quatre-
vingt-dix-huit mille sept cent soixante-deux (3 198 762) FCFA159. Le
comptable public n’est pas le seul qui peut être tenu débiteur en vers l’Etat
et ses entités. L’on a observé à plus d’un titre que la Chambre des comptes
dans Arrêt n°06/AD/CSC/CDC/S3/12 du 30 mai 2012, avait « transformé
l’injonction n°6 en débet à l’encontre du directeur général de l’ONCC pour le
remboursement de la somme de 51.040.000 FCFA à la caisse de l’établissement public
représentant le montant des rémunérations qu’il a perçues en dépassement des plafonds
règlementaires »160. La même année mais, cette fois au mois de décembre, la
Chambre des comptes a récidivé161.
De toute évidence, la Chambre des comptes de la Cour suprême
sanctionne les irrégularités comptables162. Le débet qu’il soit administratif
ou juridictionnel, constitue objectivement une « mesure rectificative de
l’irrégularité des comptes publics »163. En conséquence, la responsabilité du
comptable public est établie de façon objective : elle est faite par des

159 Cf. Arrêt n°29/AD/S3/13 du 27 novembre 2013, Compte de gestion de l’Hôpital


Général de Yaoundé (HGY), Exercices 2006, 2007 et 2008
160 Voir C. SIETCHOUA DJUITCHOKO, La chambre des comptes de la Cour suprême du

Cameroun, les principaux arrêts, avis, rapports de certification du compte général de l’Etat et rapports
d’observations à fin de contrôle commentés, Yaoundé, EDLK, 2016, pp. 369 et s.
161 voir arrêt n°03/AD/S3/12 du 05 décembre 2012, Compte de gestion du Palais des Congrès,

Exercices 2005 et 2006 : « Attendu qu’il ressort des dispositions qui précèdent qu’aucune indemnité,
fut-ce celle du carburant n’a été prévue pour les administrateurs d’un établissement public administratif ;
qu’il résulte aux administrateurs de rembourser les indemnités indument perçues et pour ce faire, il convient
de saisir le Procureur Général près la Cour suprême par un rapport circonstancié pour qu’il puisse inviter le
ministre des finances, tutelle financière du Palais des Congrès, à procéder au recouvrement desdites sommes
auprès des administrateurs concernés », Note C. SIETCHOUA DJUITCHOKO, Juridis Périodique,
n°84, octobre-novembre-décembre 2010, pp. 73-86
162 Cf. Arrêt n°26/CSC/CDC/S1 du 17/12/2013, EDOU OLO'O Jean Louis, Injonction

n°8 portant sur la discordance entre le montant des frais de déplacement porté sur les états
et les titres de paiement d'une part et celui qui figure sur les feuilles de déplacements d'autre
part, Rôle 8. ; Arrêt n°4/CSC/CDC/S1 du 02 septembre 2005, MBARGA Jean Claude,
Réserve N° 3 portant sur la discordance entre le solde de compte courant bancaire de la
Trésorerie Générale d'Ebolowa constaté dans la balance générale des comptes et celui qui
figure sur le centralisateur, Rôle 3/13 ; Réserve n°6 portant sur la discordance entre le solde
du compte courant bancaire de la Recette des Finances de Kribi constaté dans la balance
générale des comptes et celui qui figure sur le centralisateur, Rôle 5/13 ; Injonction N°2 de
l'arrêt n°12 du 18/12/2008 portant sur la différence constatée entre le montant d'un titre
de paiement et celui des pièces justificatives y relative, Rôle 7/13 ; Arrêt n°
04/CSC/CDC/S1 du 05/11/2005, NDZANA Jean, Réserve n°1 portant sur les
différences en moins ou déficits résultant des discordances entre les procès-verbaux
d'encaisse et les balances générales des comptes, pour les postes comptables de YABASSI,
EBONE et MOMBO, Rôle 3 sur 7.
163 I. CHAABOUNI, La protection des personnes soumises à des contrôles fiscaux. Etude comparative

des contrôles de l’administration fiscale, des juridictions financières et de l’Autorité des marchés financiers,
Paris, LGDJ, Lextenso, 2010, p. 97.
450
constatations de fait et des qualifications de droit. Ce système de
« redevabilité financière »164 auquel est soumis le comptable public résulte de
l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de
1789. De l’avis de LE CLAINCHE Michel, « dans une démocratie, il est
essentiel que les citoyens disposent de la garantie d’un usage de l’argent public conforme
au droit et compte tenu des enjeux, on peut comprendre qu’un système spécifique soit
organisé à cet effet »165.
Conclusion
En définitive, l’examen sur la condition juridique du comptable
public en droit camerounais, confirme que cette dernière oscille
principalement entre deux (02) types de règles. D’abord les règles
communes ou générales applicables à tout fonctionnaire ou agent public
soumis au régime de droit administratif. Ensuite, les règles exceptionnelles
ou spécifiques applicables aux seuls comptables soumis au régime de la
comptabilité (publique). C’est à la suite de ces deux catégories de règles
qu’il revient d’indiquer que la condition juridique du comptable public en
droit camerounais est principalement duale : elle est à la fois administrative
et financière. En conséquence, ce positionnement juridique du comptable
public n’est pas tributaire de l’intitulé d’un instrument normatif.

164 M. LE CLAINCHE, « Responsabilité des comptables publics et management public »,


Gestion et Finances Publiques, n°5, 2017, p. 99
165 Ibidem.

451
FINANCES PUBLIQUES INTERNATIONALES
ET COMMUNAUTAIRES
(Sous la coordination du Prof BEGNI BAGAGNA, Maître de conférences agrégé)

452
LE BUDGET DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES
A L’AUNE DE LA PERFORMANCE : CONTRIBUTION A L’ETUDE
DU BUDGET DES ORGANISATIONS AFRICAINES
D’INTEGRATION
Par
Dr. Firmin NGOUNMEDJE
Ph.D en Droit public
Maître-Assistant CAMES
Chargé de Cours à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Yaoundé II (Cameroun).

RÉSUMÉ :
La réforme des finances publiques ne s’est pas limitée au cadre budgétaire et financier
des Etats, elle s’est répandue pour toucher celui des OAIR, montrant l’évolution du budget.
Expression chiffrée des politiques publiques ayant pour objectif la performance, la notion de
budget a été réaménagée, complétée par des exigences telles que, l’efficacité, l’efficience, l’économie
et l’impact. À la suite des États, les OAIR ont suivi la cadence en procédant à la réforme de
leurs orientations budgétaires, eu égard au virus managérial qui prévaut depuis quelques années.
Marqué par l’atteinte des objectifs fixés, les OAIR font face aux exigences de performance,
condition sine qua non de la réalisation de leurs projets. Les besoins des communautés étant
devenus nombreux, il se faisait déjà ressentir une démarcation entre lesdits besoins et le budget.
C’est ainsi que le processus budgétaire au sein des OAIR a évolué dans ces trois phases à
savoir, l’élaboration, l’exécution et le contrôle. De l’analyse de ces différentes phases, l’on note que
les élans d’arrimage à l’idée de performance dans les OAIR ne sauraient occulter quelques
relents de résistance.
Mots clés : Budget – Organisations internationales – l’aune – performance -
Organisations africaines d’intégration.

ABSTRACT :
The reform of public finances is not limited to the budgetary and financial framework of
the States, it has spread to affect that of the OAIRs, showing the evolution of the revolution the
budget. A quantified expression of public policies aimed at performance, the concept of budget has
been reorganized, supplemented by requirements such as, efficiency, efficiency, economy and
impact. Following the states, the OAIRs have kept pace by reforming their public finances, given
the managerial virus which has prevailed for several years. Marked by the achievement of the set
objectives, the OAIRs face performance requirements, a sine qua non for the realization of their
projects, and especially the flagship of regional integration. The needs of the communities having
become numerous, there was already a discrepancy between the said needs and the budget. This is
how the budgetary process within the OAIRs evolved in these three phases namely, the
development, the execution and the control. From the analysis of these different phases, it is
noticeable the impetus, which however hardly hides the hints of resistance in the budgetary
performance of the OAIRs.
Keys words: Budget - International Organization –the test or proof- performance -
African Integration Organization.

453
Introduction
La question du budget des Organisations d’intégration régionale
s’inscrit aujourd’hui dans un contexte où les enjeux de réduction de la
pauvreté et d’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement
(OMD) sont énormes. L’efficacité de ces organisations ne réside pas
seulement dans les actions qu’elles mènent sur le terrain, mais encore et
surtout dans la gestion des budgets qui sont mis en place. L'Assemblée
générale des Nations Unies a ainsi pu rappeler dans plusieurs résolutions,
que les efforts s’avèrent nécessaires pour normaliser1 au maximum les
pratiques administratives et budgétaires des organisations, pour les rendre
aussi comparables2 que possible3. Face à de nombreuses difficultés
structurelles qui annihilent leurs actions sur le terrain, les Organisations
d’intégration régionale ont été contraintes à une programmation visant
l’atteinte d’objectifs motivés par l’adoption des principes de performance.
L’exigence de performance est également une conséquence de la
transposition au niveau des organisations internationales, des principes des
finances publiques propres aux Etats4. Ces derniers, contributeurs aux
fonds des Organisations internationales (ci-après O.I), font donc pression
sur celles-ci afin qu’elles adoptent une gestion privée tournée vers la
performance. C’est ainsi que la culture de l’audit et autres contrôles va
s’intégrer dans la gestion financière desdites Organisations.
À la différence de la qualité de la gouvernance publique, plus
exactement de la gouvernance financière publique, devenue le point axial
des préoccupations des politiques et des gestionnaires5 et dont les études
sont de plus en plus nombreuses, la question du budget des O.I à l’ère de
la nouvelle gouvernance financière publique, ne fait pas l’objet d’une
attention assez particulière, et pourtant.
Les Etats africains étant pour la plupart sous les Programmes
d’Ajustement Structurel imposés par les bailleurs de fonds internationaux,
ont été contraints « d’adopter des mesures telles que les liquidations et privatisations
des entreprises publiques »6. Ainsi, pour adhérer à l’exigence de performance,

1 Par "normalisation", ou "harmonisation" souple, il faut entendre l'adoption, dans le


système des Nations Unies, des modèles et des méthodes de présentation des budgets qui
soient identiques et uniformes, de manière à renforcer le système commun : V. SCHUMM
(S.), L’établissement du budget dans les organisations du système des Nations-Unies, Quelques
comparaisons, Vol.I — Analyse comparative, Corps commun d'inspection, Genève 1989, p. 1.
2 Quant à la "comparabilité", elle peut être obtenue grâce à un effort d'explication claire et

concise des méthodes employées pour formuler les prévisions budgétaires. Ibidem.
3 Parmi les résolutions les plus récentes : 41/204A, 40/25, 40/251, 39/241, 36/229,

35/114, 33/142A, etc. Voir aussi A/44/222, A/43/286 et A/42/234.


4 COLLIARD (C.-A.), « Finances publiques internationales. Les principes budgétaires dans

les organisations internationales », RSF 1958, pp. 437-438.


5 MEDE (N.), « Réflexion sur le cadre harmonisé des finances publiques dans l’espace

UEMOA », Afrilex, 2ème numéro spécial finances publiques, juin 2012, pp. 10 et s.
6 Cf. NTSOGO MBILI (F.), La Chambre des Comptes à l’aune du Nouveau Régime Financier de

l’État en droit camerounais, Mémoire Master II en Droit Public, Université de Yaoundé II,
2017-2018, p. 5.
454
ces Etats ont dû procéder à la modification de leur cadre budgétaire7. Cette
réforme a également eu un impact sur le budget des Organisations
africaines d’intégration régionale (ci-après OAIR), dans la mesure où les
contributions des Etats-membres au financement de leurs activités étaient
devenues faibles, ce qui ne leur permettait plus de mener à bien les
missions qu’elles s’étaient fixées dans l’optique de consolider le processus
d’intégration, tant régionale que sous régionale. La seule alternative pour
les OAIR est restée le recours aux bailleurs de fonds internationaux8, qui,
faut-il le rappeler, financent plus de la moitié de leur budget.
À son temps, Siegfried SCHUMM indiquait déjà le caractère
évolutif du rôle du budget suite au développement des programmes et des
activités de l’Organisation. Le Professeur Alain PELLET par contre, allant
à contre-courant de l’affirmation de John STOESSINGER9, fait observer
que, l’attention portée sur les ressources des Nations Unies, résulte de la
crise qu’elle subit. Toute chose qui conduit à penser que le caractère
évolutif du budget de l’ONU est la conséquence des faits extérieurs10.
Cette situation est également perceptible dans le budget des OAIR, surtout
avec ce « virus managérial » appelé performance qui se répand à une vitesse
considérable modifiant de ce fait les pratiques budgétaires, comptables et
financières classiques. Le discours est donc porté sur la gestion par la
performance du budget desdites, laquelle peut être définie de diverses
façons, plus ou moins opérationnelles11.
La notion de budget vient de l’anglais budget, lui-même issu du vieux
français bougette signifiant petit sac12. Comme l’a si bien rappelé le

7 Le nouveau cadre les a conduit à procéder la baisse du budget public dans les secteurs
sociaux, le gel des recrutements, la réduction des effectifs dans la fonction publique,
l’abaissement de l’âge de départ à la retraite etc.
8 Ce sont des institutions internationales créées lors des accords économiques signés à

Bretton Woods (New-Hampshire, USA) le 22 juillet 1944. Il s’agit du Fonds Monétaire


International (FMI), qui est chargé de la stabilité monétaire et de fournir des crédits en cas
de crise ; de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD),
ayant pour mission de faciliter la reconstruction des économies européennes. Un troisième
organisme chargé du commerce international aurait dû être créé ; il a finalement vu le jour
en 1995 : l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Voir NTSOGO MBILI (F.), op.
cit., p. 5.
9 En son temps soulevait déjà l’inexistence d’une crise financière grave, concernant le

budget des Nations Unies. Voir STOESSINGER (J.), Financing the U.N. System, the
Brooking Institution, Washington, 1964, pp. 10-25.
10 Voir PELLET (A.), « Budget et programmes aux Nations Unies. Quelques tendances

récentes », Annuaire Français de Droit International, n°22, 1976, pp. 242-282.


11 Une définition souvent admise est la suivante : « la gestion par la performance consiste à rendre

cohérents les objectifs et les actions des acteurs avec les objectifs du niveau supérieur ». Pour plus
d’éclairage, lire MALTAIS (D.), « Performance et gestion de la performance », in Côté (L.)
et SAVARD (J.-F.) (dir.), Le Dictionnaire encyclopédique de l’administration publique, 2012 [en
ligne], www.dictionnaire.enap.ca. Lire également GUILLAUME (H.), DURAND (G.) et
SILVENT (F.), Gestion publique, l’État et la performance, Paris, Dalloz–Presses de Science-po,
2002, p. 27.
12 DAMAREY (S.), Finances Publiques, France, Gualino, Manuels-Fac-Universités, 2008, 2ème

édition, p. 344.
455
Professeur Gilbert ORSONI, le sens financier de la notion de budget est
apparu en 1733 lorsque le ministre des finances britannique présenta son
rapport annuel avec cette formule : to open the budget, c’est-à-dire ouvrir la
bourse pour l’année à venir13. Le budget de manière traditionnelle est
défini comme l’acte par lequel sont prévues et autorisées les recettes et les
dépenses annuelles de l'État14. Le budget constitue non seulement, un
instrument de politique publique, mais aussi et surtout, un cadre incitatif
de mise en œuvre et de traduction des politiques publiques15. Il est à la fois
un acte de prévision, d’autorisation et périodique16 mis au même titre que
l’État, au service des Organisations Internationales.
L’un des traits majeurs de l’évolution des relations internationales au
XXe siècle est certainement la multiplication et le rôle croissant des
organisations internationales qui se sont progressivement étendues à
toutes les activités humaines. L’idée d’organiser politiquement la société
internationale est née en réaction à l’anarchie qui résulte des conflits
internationaux et de l’insuffisance de la doctrine de l’équilibre17. C’est ainsi
que, tous les appels en faveur d’une organisation structurée des relations
internationales jadis restés « du domaine de la doctrine ou de la propagande »18, a
favorisé « non seulement le développement du droit international, mais aussi des
organisations internationales »19. La communauté internationale, jadis
composée des Etats souverains et « égaux » a considérablement évolué
vers l’institutionnalisation d’un nouveau groupe de sujets qualifiés
d’organisations internationales20. Les Organisations internationales sont
des sujets dérivés de droit international21 en ce sens que, leur avènement
résulte de la volonté des Etats22. Cependant, ces Organisations disposent

13 ORSONI (G.), Science et législation financières, budgets publics et lois de finances, Paris,
Economica, coll. Corpus Droit public, 2005, p. 206.
14 AKAKPO (M.-B.), Démocratie financière en Afrique Occidentale francophone, FES, Bénin, 2015,

p. 51.
15 Voir TSAFACK NANFOSSO (R.), Budget et politique économique en Afrique, Yaoundé, Clé,

2007, pp. 8-17.


16 PHILLIP (L.), Finances publiques : problèmes généraux et droit budgétaire et financier, Paris, Cujas,

1983, 2ème édition, p. 166.


17 NGUYEN (Q.-D.), Droit international public, Paris, LGDJ, 1999, p. 69.
18 Ibidem.
19 Ibid., p. 570.
20 Il s’agit de l’État et des Organisations internationales. Cette structuration de la société

internationale actuelle est défendue par Jean SALMON à travers une réflexion autour de la
nécessaire coexistence entre l’État et les Organisations Internationales.
21 Au plan théorique, la doctrine internationaliste est restée jusque-là partagée sur les

éléments de fonctions d’une organisation internationale, surtout en ce qui concerne ses


éléments constitutifs. Sur ce point, voir notamment GONIDEC (P.-F.) et CHARVIN (R.),
Relations internationales, Paris, Fenixx réédition numérique (Montchrestien), Collection
Université nouvelle, 1980, pp. 92-150 ; WEISS (P.), Les organisations internationales, Paris,
Nathan, 1998, pp. 12-27.
22 Elles en sont en quelque sorte les créatures, dont la naissance est voulue et consacrée par

un acte juridique international à savoir, la Charte constitutive (ou Traité constitutif).


456
d’une personnalité juridique distincte de celle de ses États fondateurs23.
Selon NGUYEN QUOC Dinh, déterminer la personnalité interne d’une
personne morale, c’est en règle générale, chercher si, et dans quelle
mesure, elle a le droit, à l’intérieur de l’État, de contracter, d’acquérir ou de
vendre des biens immobiliers, d’ester en justice24. À cet égard, l’on
distingue principalement deux types d’Organisations internationales eu
égard à leurs modalités de fonctionnement et d’organisation25. Il en est
ainsi des Organisations d’intégration qui sont perceptibles tant au niveau
régional qu’au niveau sous régional26. À l’instar des Etats, les Organisations
internationales plus précisément, les Organisations d’intégration, pour
mener à bien leur mission et atteindre leurs buts, ont besoin des fonds, des
financements, lesquels sont structurés sous la forme d’un budget.
L’Organisation Internationale est une association d'États qui, par un
traité institutif27, créent une personne internationale autonome et dotée
d'organes exprimant une volonté propre à l'organisation28. Les
organisations internationales peuvent ainsi revêtir des formes très diverses
selon la dimension du cadre géographique ou le nombre plus ou moins

23 Cette personnalité juridique peut être interne et/ou internationale.


24 NGUYEN QUOC (D.), DAILLIER (P.), PELLET (A.), Droit International Public, Paris,
LGDJ, 1987, 3ème éd., p. 529.
25 D’une part, les O.I de coopération sont considérées comme un cadre de négociation et

de pourparlers entre Etats membres sans véritable contraintes normatives. Nous pouvons
citer entre autres, l’ONU, l’OMS, l’UNESCO, l’OMC. D’autre part, les Organisations
d’intégration qui bénéficient des mécanismes de fonctionnement articulé autour des
principes qui laissent entrevoir un ordre juridique spécifique. Cette spécificité est relative
aux principes de primauté du droit communautaire et d’applicabilité directe.
26 Au rang de ces Organisations d’intégration, l’on peut citer l’UE, qui représente une

référence en matière d’intégration réussie ; l’UEMOA en Afrique de l’Ouest qui présente


des avancées considérables en matière d’intégration ; la CEMAC en Afrique Centrale qui
fait encore face à la réticence et à l’égoïsme de certains Etats membres. On peut également
citer l’UA qui apparait comme une organisation sui generis située entre l’intégration et la
coopération. Le caractère sui generis de l’UA découle de sa nature singulière qui empêche de
la classer dans une catégorie juridique connue, à savoir organisation d’intégration ou de
coopération (A voir son organisation et son fonctionnement issu de sa Charte, l’Union
Africaine favorise l’intégration des Etats du continent africain, tout en assurant la
coopération entre lesdits Etats par la coordination de leurs différentes politiques).
27 Un traité institutif est un accord de volonté conclu qui liant les parties signataires, est à

l’origine de la formation d’une organisation. Dans le cas de la présente étude, il s’agit d’une
Charte par laquelle les Etats décident de créer une Organisation Internationale.
28 CABRILLAC (R.) (dir.), Dictionnaire du vocabulaire juridique, Paris, Litec, Coll. Droit, 2002,

p. 199. Ce sont des organisations dont les membres sont exclusivement les gouvernements
centraux des États. Leurs caractéristiques sont similaires à certains égards et différentes à
d’autres égards de celles des États dont elles sont une émanation. Rappelons que
l’'organisation internationale est un concept qui exprime la tentative de mise en ordre des
relations internationales par l'établissement, au-dessus des frontières, des liens durables
entre gouvernements ou groupes sociaux désireux de défendre des intérêts communs, dans
le cadre d'organes permanents, distincts des institutions nationales, ayant leur propre
personnalité, capables d'exprimer une volonté propre et dont le rôle est d'assumer certaines
fonctions d'intérêt international. Pour plus de précision, Cf. GERBET (P.), « Naissance et
développement », Revue Internationale des Sciences Sociales, vol. XXIX, 1977, n°1, p. 7.
457
grand d'États membres29, de l'étendue des compétences attribuées à
l'organisation30, des objectifs et des moyens ou des modalités de
fonctionnement et de la nature des pouvoirs de l'organisation31.
Selon la théorie des organisations internationales32, une organisation
d'intégration résulte d'une démarche volontaire de deux ou plusieurs
ensembles de partenaires appartenant à des Etats différents en vue d'une
mise en commun d'une partie de leurs ressources33. Pour mieux
comprendre ce qu’on entend par organisation d’intégration, il faut
procéder à la segmentation de la notion, surtout mettre l’accent sur le
concept « intégration ». L’intégration désigne la formation d’une unité à
partir d’éléments distincts34. C’est une politique de reproduction et de
substitution35. L’intégration est un processus qui comprend plusieurs

29 Il s’agit des organisations universelles ayant vocation à réunir tous les Etats (ex : ONU,
UNESCO), mais aussi des organisations régionales, dont le champ d’application est limité à
des Etats liés par une solidarité géographique (ex : Conseil de l’Europe).
30 Il s’agit ici des organisations à compétences générales c’est-à-dire, qui peuvent étendre

leur action à des domaines nouveaux sans avoir à justifier d’un titre spécial de compétence.
L’on intègre dans cette catégorie également les organisations à compétences spécialisées,
qui interviennent dans des matières qui ne relèvent pas de leur spécialité ou ne figurent pas
dans leurs attributions. Cette étendue des compétences attribuées à l’organisation
l’internationale peut être politique, militaire, économique, technique, culturelle. Sur la
classification des organisations internationales, voir VIRALLY (M.), « De la classification
des organisations internationales », SFDI, Genève, octobre 1970, pp. 365-382.
31 Dans cette catégorie, l’on range les organisations de coopération, qui ont pour but de

favoriser la coordination des politiques des Etats-membres. L’on n’y ajoute les
organisations d'intégration qui ont pour but de rapprocher les Etats qui les composent, en
reprenant à leur compte certaines de leurs fonctions, jusqu’à les fondre en une unité
englobante dans le secteur où se développe leur activité, c’est-à-dire dans le domaine de
leur compétence. Lire VIRALLY (M.), « Définition et classification des organisations
internationales : approche juridique », in ABI-SAAB (G.) (dir.), Le concept d’organisation
internationale, UNESCO, 1990, p. 55. V. BERNARD (E.), « La distinction entre organisation
de coopération et organisation d’intégration : L’Union Européenne au carrefour des
« méthodes », in DUBIN (L.), et RUNAVOT (M.-C.) (dir.), Le phénomène institutionnel
international dans tous ses états : transformation, déformation ou reformation ?, Paris, Pedone, 2014,
pp. 2-3.
32 ROCHE (J.-M.), Théorie des organisations internationales, cité par MONZALA (W.-S.-C.), Les

initiatives d’intégration régionale en Afrique de l’Ouest : analyse du cadre institutionnel de la CEDEAO,


Mémoire de Master, Université de Africaine de technologie et de management UATM-
GASA, 2009, p. 4.
33 Ce processus a pour finalité l'émergence et le renforcement des relations techniques et

économiques d'interdépendance structurelle à effets d'entrainement positif sur les revenus.


34 KENFACK (J.), Les actes juridiques des communautés et organisations internationales d’intégration

en Afrique Centrale et Occidentale, Thèse de Doctorat/Ph.D en Droit Public, Université de


Yaoundé II, 2003, p. 4.
35 On parle de reproduction parce que, l’intégration n’est rien d’autre que la manifestation

de la volonté des Etats membres, cependant à un niveau plus global. La substitution quant
à elle, provient du fait que, les Etats sur la base d’un accord unilatéral les liants, s’engagent à
effectuer des transferts de compétences au profit de l’Organisation dans certains domaines
où un ordre juridique nouveau, celui de l’Organisation, vient se superposer à celui des Etats
membres. On parle d’Organisations de subordination ou d’intégration pour indiquer
qu’elles se situent dans un processus de fusion progressive des Etats membres. Cf.
458
étapes36, qui le plus souvent est régionale. Dans les relations entre Etats,
définir l’intégration régionale, « c’est expliquer comment et pourquoi ils fusionnent
volontairement avec leurs voisins et perdent ainsi les attributs de leurs souveraineté tout
en acquérant de nouveaux moyens propres à résoudre les conflits qui pourraient surgir
entre eux »37. De plus, faut-il le rappeler, parler d’intégration c’est l’envisager
dans sa double dimension38.
Pour être en phase avec la doctrine, l’on conviendrait comme le
souligne Simon DREYFUS que, les Organisations régionales sont celles
« qui n’intéressent qu’une fraction du monde dont elles ont vocation à regrouper les
Etats en raison d’affinités diverses, de leur proximité géographique et de la communauté
d’intérêts qui en résulte »39. Ce sont donc ces organisations d’intégration

OUSMANE SARR (N.), L’Union Africaine, Organisation d’Intégration ?, Mémoire de DEA en


Droit de l’Intégration et de l’OMC, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 2007-2008, p.
9. Cette substitution résulte également du fait que, l’intégration engendre au niveau régional
des structures des fonctions et des mécanismes identiques à ceux des Etats. On parle aussi
d’Organisations supranationales ou immédiates pour souligner qu’elles peuvent édicter des
règles directement applicables sur le territoire des Etats membres sans passer par le relais
étatique et d’effet immédiat. Cf. DORMOY (D.), Droit des Organisations Internationales, Paris,
Dalloz, 1995, cité par OUSMANE SARR (N.), ibidem.
36 D’abord, la création d’une zone de libre échange (Z.L.E) qui suppose la suppression des

droits de douanes et des restrictions quantitatives. Ensuite, l’Union Douanière qui a pour
effet d’unifier les tarifs douaniers des pays intéressés à l’égard des autres pays. Ce qui se
caractérise par l’institution d’un Tarif Extérieur Commun (TEC). En troisième lieu, le
Marché Commun dans lequel sont supprimées toutes les restrictions concernant les
multitudes de facteurs à l’intérieur de la zone. Cela veut dire que les personnes, les biens, les
capitaux et les services peuvent circuler librement à l’intérieur de la zone. Enfin, l’Union
Économique prévoit dans une certaine mesure, l’harmonisation des politiques
économiques, monétaires, fiscales et sociales. Elle peut conduire également à l’unité de
politique et à l’harmonisation des systèmes de défense. Cité par OUSMANE SARR (N.),
ibid., p. 10.
37 HAAS (E.-B.), cité par ALGER (C.-F.), « Fonctionnalisme et intégration », Revue des

Sciences Sociales, 1997, n°1, p. 92.


38 Pour une bonne maitrise de la notion d’intégration et surtout dans le cadre des

organisations régionales, faudrait mener l’étude en prenant en compte sa double dimension,


à savoir politique et économique. L’intégration politique renvoie à la définition de David
EASTON parlant du système politique, comme un ensemble des interactions par lesquelles
les objets de valeurs sont répartis par voie d’autorité dans une société. Cf. EASTON (D.),
Analyse du système politique, Armand colin, Paris, 1957, p. 13. L’Union africaine rentre dans
cette catégorie. Dans le Préambule de l’Acte Constitutif de l’UA, il est question à l’art. 3
« d’accélérer l’intégration politique et socio-économique du continent ». De ce fait, l’UA s’est réservée la
mise en œuvre de l’intégration politique, et a laissé l’intégration économique à des
organisations sous-régionales. C’est une décentralisation fonctionnelle qui découle du New
Public Management. La preuve en est que, dans le but d’accélérer l’intégration politique du
continent, l’UA s’est dotée d’une organisation annexe, par la création d’organes, à l’instar
du Parlement panafricain crée en 2004. L’intégration économique quant à elle, renvoie au
processus d’harmonisation et d’unification des politiques économiques entre les différents
Etats et qui passe par l’abolition partielle ou totale des restrictions tarifaires (taxes, droits de
douanes, etc.), et non tarifaires sur le commerce (Zone de libre-échange, union douanière,
marché commun, union économique et monétaire). En Afrique Centrale, l’organe en
charge de l’intégration économique est la CEEAC, en Afrique de l’Ouest, c’est la
CEDEAO.
39 OUSMANE SARR (N.), ibid., p. 8

459
régionale40, qui ont emboité le pas aux États, dans le vent d’arrimage de
leurs budgets, aux exigences de la nouvelle gouvernance publique. Cela
d’autant plus que, cette dernière ventile un nouveau paradigme de gestion
des finances publiques axée sur la performance.
Si les textes se contentent d’énoncer l’idée de performance, aucun
d’eux ne dit ce qu’est la performance, ni en outre ce que doit être sa
consistance. Selon Le Grand dictionnaire Larousse, la performance est un mot
anglais qui signifie « exécution, achèvement; par extension, exploit quelconque ».
Cette définition met l’accent sur ce qu’on cherche à réaliser ultimement et
correspond à la définition qu’en donne l’OCDE : « le rendement ou les
résultats d’activités effectuées dans le cadre d’objectifs poursuivis. Sa finalité est de
multiplier les cas dans lesquels les pouvoirs publics atteignent leurs objectifs »41. Selon
Jacques CHEVALIER la performance est traditionnellement liée à
l’économie de marché42. Au sein des sociétés contemporaines, la
performance est désormais accentuée sur les résultats, ce qui marque ainsi
le passage d’une logique de moyens à une logique de résultat. C’est ainsi
que, « la performance est un nouveau paradigme de gestion des finances publiques qui
influence la prise de décision et la conduite des politiques budgétaires »43. La
performance peut se définir comme un système de gestion basée sur le
triptyque référentiel efficacité, efficience et économie44 qui consiste à

40 Dans la présente étude, nous nous limiterons à l’étude du budget des Organisations
d’intégration régionale africaines.
41 OCDE, Moderniser l'État : la route à suivre, Paris, Éditions OECD Publishing, 2005, p. 65.
42 CHEVALIER (J.), « Performance et gestion publique », in Réformes des finances publiques et

modernisation de l’Administration, Mélanges en l’honneur du Professeur Robert HERTZOG, Paris,


Economica, 2010, pp. 83-93. Elle consiste « soit [dans] l’augmentation de la valeur produite (biens
et services) soit [dans] la réduction du coût de cette production (ressources consommées), soit [dans la
conjugaison des deux, (…) cette exigence de performance [étant] rapportée à la finalité poursuivie (la
recherche et la maximisation du profit), la contrainte de la concurrence poussant à un effort constant de
compétitivité et de rentabilité ». Ibid. La performance était jadis centrée sur le respect et la
conformité des actes des gestionnaires aux lois et règlements en vigueur, le contrôle des
moyens et la déontologie du service public. Cette approche lacunaire mettait plus l’accent
sur le processus ou les moyens mis à disposition et non sur les résultats obtenus.
43 NTSOGO MBILI (F.), La Chambre des Comptes à l’aune du Nouveau Régime Financier de l’État

en droit camerounais, op.cit., p. 158.


44 L’efficacité décrit la capacité d'une personne, d'un groupe ou d'un système à arriver à ses

buts ou aux buts qu'on lui a fixé. Être efficace consiste à produire des résultats escomptés
et réaliser des objectifs fixés en terme de qualité, de rapidité et/ou de coûts. L’efficacité
désigne aussi le rapport entre les résultats obtenus et les objectifs.
L’efficience désigne, à partir d’une situation de référence, la mesure de la quantité de
service fournie/produite à niveau de ressource inchangé. Dans le cadre particulier des
finances publiques, l’efficience met en relation les résultats atteints (nombre de salles de
classes construites, de km de routes réalisées, de tonnes de produit distribuées, de
personnes touchées,...) avec les ressources financières utilisées. La recherche d’une plus
grande efficience consiste à garantir un niveau de service équivalent au moindre coût. Elle
désigne également le rapport entre les résultats obtenus et les moyens
L’économie consiste à réduire au minimum le coût des ressources. Les moyens mis en
œuvre doivent être rendus disponibles en temps utile, dans les quantités et qualités
appropriées et au meilleur prix. Ibidem., p. 155.
460
mettre les administrations face à leur responsabilité découlant des objectifs
fixés au préalable en vue de l’atteinte des résultats escomptés45. Cependant,
TURCOTTE ne considère que la notion de performance comme source
de confusion avec les notions d’efficacité et d’efficience, du fait de la
distinction performance individuelle de performance organisationnelle. Il
considère que, « elle se différencie de l’efficacité qui est la capacité d’atteindre des
objectifs ainsi que l’efficience qui rend compte de la capacité d’être efficace au niveau de la
fabrication, peu importe si les produits se vendent bien ou non »46. Cette ambigüité
définitionnelle n’ayant pas favorisé une appréhension perceptible de la
notion de performance, a poussé M. Christian MARMUSE à dire que la
notion de performance « revêt donc des aspects multiples, sans doute convergents,
mais qui méritent d’être abordés dans une logique plus globale que la seule appréciation
de la rentabilité (…) »47.
Il faut dire que l’instauration de la performance est le résultat de
l’internationalisation des échanges et l’interdépendance des systèmes
financiers48. La réforme touchant au budget des OAIR n’est pas le fait du
hasard, elle est la résultante des multiples crises enregistrées dans les
Finances publiques49. Ces différentes crises sont à l’origine de
l’instauration du New Public Management50. Ce dernier a pour objectif de
rompre avec la bureaucratie des institutions publiques qui s’avère
inefficace. C’est ainsi que la gestion publique s’est enrichie des méthodes
de gestion du secteur privé51. C’est en cela que « le NPM représente davantage
un levier qui déplace le ‘bon ordre’ de l’administration, en s’appuyant sur la légitimité
utilitaire du savoir managérial. Il en capte la force disciplinaire au moyen d’un
étalonnage des performances, qui conjugue l’art de gouverner sur le mode impératif de la

45 La performance peut aussi être considérée comme un moteur d’impulsion d’une


nouvelle philosophie de gestion, un indicateur d’appréhension du niveau de réalisation des
objectifs fixés dans le cadre des politiques budgétaires et un système d’évaluation de la
qualité de la gestion et par ricochet des compétences des gestionnaires de crédits alloués .
46 TURCOTTE (P.), « Comportement en milieu organisationnel », Consul 2000, Éditeur

Sherbrooke, 1997, 658 p., préc. p. 22.


47 V. MARMUSE (C.), « Performance », in Encyclopédie de la gestion, Paris, Economica, 1989,

pp. 2194-2207.
48 V. NTSOGO MBILI (F.), op. cit., p. 153.
49 Les Etats étant les principaux contributeurs financiers des OAIR, n’ont pas échappé à la

crise des finances publiques les poussant à revoir leurs interventions et à ouvrir le marché
et à libéraliser l’économie pour devenir un régulateur. Les Etats africains étant pour la
plupart sous PAS imposés par les bailleurs de fonds internationaux
50 Le New Public Management (NPM) est une innovation de gestion qui rime avec efficacité et

efficience.
51 Ainsi, à la rigidité d’une Administration bureaucratique centralisée, focalisée sur son

propre développement, le NPM oppose un secteur public reposant sur trois piliers
« Économie, Efficacité, Efficience », capable de répondre à moindre coût aux attentes des
citoyens, désormais devenus des clients (AMAR et BERTHIER, 2007) cité par VAN
HAEPEREN (B.), « Que sont les principes du New Public Management devenus ? », Reflets
et Perspectives de la Vie Économique, Tome LI, Vol 2, n°2, 2012, pp. 83-99.
461
compétitivité »52. Dès lors, comme le rappelle Yvon PESQUEUX « La
primauté accordée au pragmatisme par le NPM conduit à privilégier les modes de
résolution des problèmes par les instruments qui fondent ainsi un fonctionnalisme
rassurant. La problématique centrale tend alors à devenir celle de l’efficacité des
instruments et d’un changement lié à leur usage adéquat »53. Le New Public
Management tire sa source de la rencontre entre la nouvelle économie
institutionnelle, la prise en compte de la bonne gouvernance et la
recherche de la performance54. La réception d’un système de performance
au sein des OAIR, découlant du new public management, s’est donc
manifestée par la réforme de la conception du budget avec pour
conséquence immédiate la modification de la nomenclature budgétaire
classique par l’intégration du budget-programme55. Au même titre que les
Etats, ces Organisations ont été contraintes de procéder à la
restructuration de leur système financier jusque-là centré sur une logique
de moyens, en le recentrant sur une logique de résultats. Ce passage est né
d’abord des exigences des bailleurs de fonds, ensuite de la nécessité pour
lesdites Organisations de réaliser les missions pour lesquelles elles ont été
créées, et enfin de rompre avec le système d’administration wébérienne qui
ne produisait pas de résultats concret au regard des besoins exprimés et
surtout du retard de l’Afrique en matière d’intégration56. Toute chose qui
démontre que, « l’esprit de réforme présente un caractère quasi universel »57.
En tout état de cause, la compréhension de la présente étude est
conditionnée par la détermination du discriminant, qui n’est autre que la
locution prépositive ou prépositionnelle « à l’aune ». Cette dernière appelle
à une focalisation particulière sur la nomenclature budgétaire des OAIR
par rapport à la nouvelle gouvernance financière publique imposée par la
performance. Ainsi, il s’agit de faire un constat dans l’optique d’établir un
rapprochement ou une inadéquation, du budget de ces Organisations à la
gestion axée sur les résultats.
À l’analyse, il est un fait, celui du rayonnement de l’obligation de
performance dans le budget des Organisation sous étude. De ce fait, s’il
demeure constant que le budget de ces dernières a connu une

52 BRUNO (I.), « La ‘discipline indéfinie’ du benchmarking – De l’étalonnage des


performances gouvernementales comme police d’une ‘Europe compétitive’ », Colloque Le
politique vu avec Foucault, CIR, Paris, 7-8 janvier 2005.
53 PESQUEUX (Y.), New Public Management (NPM) et Nouvelle Gestion Publique (NGP),

Doctorat en Science de Gestion, Université Paris-Sorbonne, 2020, p. 42.


54 NTSOGO MBILI (F.), op. cit., p. 156.
55 L’objectif de cette adoption du budget-programme est la promotion de la culture des

résultats au sein OAIR et la promotion de la transparence dans la mobilisation et


l’utilisation des ressources. In globo, c’est de promouvoir et d’assurer la transparence de la
gestion financière et de rendre plus performante l’action des OAIR.
56 Rappelons que l’essence des Organisations africaines d’intégration régionale est le

renforcement des liens de solidarités entre les Etats d’une même aire géographique.
57 ORSONI (G.), « De l’esprit de réforme et de quelques fondamentaux », in Réformes des

finances publiques et modernisation de l’administration, Mélanges en l’honneur du Professeur Robert


HERTZOG, op. cit., p. 402.
462
transformation qualitative, il n’en reste pas moins admis que les péripéties
de performance liées à son utilisation suggèrent quelques interpellations.
D’où la problématique suivante : le budget des OAIR s’arrime-t-il aux
exigences de performance ?
Il convient dans cette étude de s’en tenir aux organisations
d’intégration du continent africain, qui sont en charge de la mise en œuvre
des politiques d’intégration sur le continent58. Au regard de la place
importante qu’elles occupent dans la réalisation du développement, un
accent doit y être mis. Partant de cette considération, l’actualité nous
impose en plus de l’intégration recherchée au niveau régional avec l’Union
Africaine, de faire également une rétrogradation au bas de l’échelle
continentale pour questionner le budget des organisations africaines
d’intégration à compétence limitée à une sous-région59. Le nouveau
management des organisations, bien qu’étant une problématique
d’envergure, peine quelque peu à retenir l’attention de la doctrine. Les
études sur la question budgétaire des OAIR à l’aune de la nouvelle gestion
par la performance ne sont guère courantes.
L’analyse de la dynamique du budget des OAIR face à l’obligation
de performance, permet la valorisation du nouveau paradigme de gestion
axé sur l’atteinte des résultats à l’ère de la nouvelle gouvernance financière
publique60. Son intérêt théorique découle de la timidité doctrinale sur la
notion, qui rime avec la quasi-inexistence des travaux sur la question
budgétaire de ces Organisations à l’aune de la nouvelle gestion, bref du
nouveau management des organisations. En effet, la budgétisation au sein
d’elles doit pouvoir répondre aux aspirations, aux objectifs fixés, que les
différents acteurs doivent atteindre en intégrant les exigences de
performance dans leur gestion pour la satisfaction des besoins des
différentes communautés. Par conséquent, cette étude, faisant une part
belle à la socio-normativité de l’implémentation des exigences de
performance dans lesdites Organisations, est une contribution à la théorie
des finances publiques des O.I en général, et des OAIR en particulier. Son
intérêt est toute aussi pratique dans la mesure où l’itinéraire de l’exigence
de performance dans les OAIR recommande de replonger dans les
spécificités structurelles et fonctionnelles de ces organisations en vue

58 Rappelons que, de manière stricto sensu, l’Union Africaine est la seule organisation
d’intégration ayant une compétence élargie à l’Afrique. Cependant, l’intégration étant
également une politique économique, l’Union Africaine considère les communautés
économiques régionales comme les piliers de l’intégration économique du continent. Union
Africaine, Commission économique pour l’Afrique, État de l’intégration régionale en Afrique II :
Rationalisation des communautés économiques régionales, ARIA II, Addis-Abeba-Éthiopie, 2006, p.
xvii.
59 Il s’agit de l’Afrique Centrale, de l’Ouest, de l’Est et du Nord.
60 BELTRAME (P.), « Complexité et rationalité dans la gestion du système financier

public », in Études de finances publiques, Mélanges en l’honneur du Professeur Paul-Marie


GAUDEMET, Paris, Economica, 1984, pp. 34 et s. v. aussi, HERTZOG (R.), « A la
recherche d’une théorie du système financier public complexe », in Constitution et finances
publiques, Études en l’honneur du Professeur Loïc PHILLIP, Paris, Economica 2005, pp. 402 et s.
463
d’appréhender les contraintes de gestion budgétaire et procéder à
l’amélioration des pratiques administratives et budgétaires61.
L’appréhension de la présente étude nécessite une approche
méthodologique qui prendra en compte la position du droit et les faits sur
la question de la performance. Aussi, le positivisme sociologique62 s’avère
approprié pour examiner la mouvance socio-normative du
fonctionnement des organisations internationales d’intégration africaine.
Dans cette perspective, l’actualisation de l’analyse se déploiera à l’aide de la
méthode juridique (dogmatique et la casuistique). De plus, un point
d’honneur sera mis sur l’analyse économique du droit63, « orienté vers
l’efficacité »64, qui nous permettra d’analyser les politiques économiques et
les pratiques relatives à la gestion budgétaire de ces organisations. Les
positions doctrinales sont également d’un apport considérable. Bien que
plusieurs textes internationaux, et internes relatifs à ces dernières font
directement et parfois indirectement référence à leur obligation de
performance, il reste que, entre les obligations, recommandations diverses
et la réalité de la pratique du budget de ces institutions, il se trouve parfois
des distances. C’est donc le visage du contraste qu’offre la prise en compte
de la performance dans le budget des organisations sous étude : une
certaine constance à s’arrimer aux exigences de performance (I) ne saurait
occulter des résistances qui continuent de persister (II).
I. Les élans de performance du budget des OAIR
Les organisations internationales d’intégration africaine après
adoption des exigences relatives à l’efficience, l’économie et l’impact, ont
pris en leur propre compte la budgétisation par programme, axée sur les
tâches à entreprendre et sur les objectifs en vue desquels elles doivent être
entreprises65, qui met l'accent sur les buts à atteindre. C’est ce que
recherchent désormais ces Organisations, puisqu’elles ont opté pour une
gestion budgétaire de nature incrémentale et managériale et adopté comme
nouveau credo la rationalisation budgétaire. Pour cela, elles adaptent

61 Celle-ci interpelle les OAIR à mettre l’accent sur les résultats que sur les moyens, toute
chose qui démontrera le pragmatisme de ces Organisations et par conséquent la réalisation
de leurs objectifs originels.
62 Le positivisme sociologique est l’opinion développée à partir du positivisme

philosophique d’Auguste COMTE, que les sciences sociales comme les autres sciences
devraient observer des méthodes empiriques strictes.
63 L’analyse économique est importante pour la réalisation des réformes juridiques, pour

l’amélioration des actes juridiques et tout le système assurant leur mise en pratique. Cf.
TALAPINA (E.), Contribution à la théorie du droit public économique par l’analyse comparative du
droit français et du droit russe, Thèse Doctorat en Droit, Université de la Réunion, 30
septembre 2011, p. 251.
64 EBERHARD (S.-A.), « Principes de base d’une réforme du droit administratif », RFDA,

2008, n°3, p. 431.


65 SCHUMM (S.), « L’établissement du budget dans les organisations du système des

Nations Unies », op. cit. p. 1.


464
l’exécution du budget aux exigences de performance (B), non sans avoir,
lors de l’élaboration, anticipée sur l’atteinte des objectifs (A).
A. L’anticipation de la performance dans l’élaboration du
budget
Les finances publiques ont subi une grande réforme, ayant eu
comme conséquence la restructuration des systèmes financiers dans le
monde. Ce mouvement qui s’est généralisé connait une implémentation
évolutive66. Cette analyse est perceptible, au regard de la nouvelle
nomenclature budgétaire des Etats en général, et des OAIR en particulier.
Par ailleurs l’on note un enthousiasme pour la pluriannualité budgétaire,
par l’introduction du budget programme, complexifiant ainsi la règle
budgétaire de l’annualité67 au sein de ces Organisations. En réponse aux
limites de l’annualité, l’on assiste à la mise en place des systèmes de
planifications au sein de ces dernières. Ces systèmes sont à l’origine de
l’extension pluriannuelle du budget, par une double logique de
budgétisation axée sur la performance. C’est ainsi que l’anticipation est
devenue le nouveau modèle de programmation du budget en leur sein,
lequel se matérialise par la préparation des documents cadres ou
stratégiques. Ces derniers procèdent de la prévision et de l’évaluation des
actions d’une part (1) et d’autre part de la planification stratégique (2).
1. La prévision et l’évaluation des actions
Faire de la prévision, c’est procéder à l’étude générale d’une
situation donnée, dont on peut, par déduction, calcul ou mesure
scientifique, connaître par avance l’évolution. C’est une technique qui
préconise la prudence dans la budgétisation. C’est la raison pour laquelle,
elle s’effectue en amont des activités à mener : c’est l’évaluation préalable
des actions. L’évaluation renvoie à l’appréciation d’une activité, d’une
action, d’un projet, qui résume les politiques publiques de l’OAIR.
L’évaluation des politiques publiques68, technique d’évaluation désormais
consacrée en droit budgétaire, est un terme issu des sciences politiques qui
désigne les interventions menées par une autorité investie de la puissance
publique et de l’autorité gouvernementale qui vise, sur un territoire bien

66 ORSONI (G.), « De l’esprit de réforme et de quelques fondamentaux », op. cit., p. 402.


67 Littéralement elle est définie comme « le caractère de ce qui est annuel, qui vaut pour un an ». Cf.
BRAUCOURT-SAHLAS (C.) et LORIC (L.) (dir.), Dictionnaire Universel, Paris,
AUF/Hachette, Edicef, 2002, 4ème éd, p. 60. Le Professeur Raymond MUZELLEC
considère l’annualité comme « un rendez-vous » qui permet un contrôle régulier des finances
publiques par les entités parlementaires : Finances publiques, Paris, Dalloz-Sirey, 2009, 15ème
éd., p. 275.
68 Une politique publique est une succession de décisions ou d’activités, cohérentes, prises

par différents acteurs, publics et parfois privés (exerçant une mission de service public),
dont les ressources, les attaches institutionnelles et les intérêts varient, en vue de résoudre
de manière ciblée un problème qui sur le plan politique a été identifié comme collectif. Cf.
NTSOGO MBILI (F), La Chambre des Comptes à l’aune du nouveau régime financier de l’État en
droit camerounais, op. cit., p. 154.
465
défini, à résoudre un problème social qui sur le plan politique a été défini.
Dès lors, une évaluation consiste en une analyse et une appréciation
systématique et transparente de la conception, de la mise en œuvre et/ou
des effets69. Elle vise à porter un jugement objectif sur la qualité de la
gestion faite par les autorités administratives70.
Cependant, elle revêt un caractère discutable, car tout en s’appuyant
sur les accomplissements prévus et réalisés, elle questionne la chaine des
résultats, les processus utilisés, les facteurs liés au contexte et les liens de
cause à effet pour saisir les réalisations ou leur absence. L’évaluation
examine les relations qui existent entre les activités et les résultats aux fins
de mettre à disposition des informations qui sont nécessaires à
l'amélioration de l'efficacité d’un projet. Elle vise à déterminer la
pertinence, l’impact, l’efficacité, l’efficience et la durabilité des
interventions et les contributions de l’intervention aux résultats obtenus.
Pour cela, elle doit fournir des informations factuelles suffisamment
crédibles et fiables.
Pour renforcer l’efficacité des actions, l’évaluation n’est plus faite
seulement pendant ou après, mais aussi avant. Avant la détermination des
programmes budgétaires, la pratique au sein des OAIR est à l’évaluation
des actions en vue d’établir leur pertinence et efficacité par rapport aux
objectifs que celles-ci se fixent. Une évaluation est ainsi faite avant
l’adoption du budget pour permettre de déterminer les chances de succès
des programmes. En d’autres termes, ce mode d’analyse évalue les
structures et procédures administratives en fonction de leur capacité à
encadrer voire à résoudre une situation jugée politiquement comme
problématique et inacceptable71. Par ailleurs, l’évaluation peut aussi
s’appuyer sur l’analyse de l’exercice budgétaire précédent, pour faire un
état des recettes et dépenses à venir en faisant un audit financier,
comptable et juridique afin d’anticiper sur les éventuels risques.
En somme, l’évaluation est prospective, centrée sur les objectifs
arrêtés, avec comme finalité, porter un jugement sur les effets qu’a
l’intervention des différents organes des OAIR, sur la résolution des
besoins de la communauté. C’est ainsi qu’elle se démarque des
orientations plus managériales qui visent principalement à s’assurer que les
ressources de l’administration sont utilisées conformément aux règles en
vigueur et que les résultats constatés sont proportionnels aux moyens
mobilisés72. Par ailleurs, l’évaluation apporte une autre plus-value, relative à
l’amélioration du fonctionnement intrinsèque des OAIR, qui à vrai dire,

69 Ibidem.
70 Elle consiste à faire une appréciation de la façon dont les responsables gèrent leurs
activités, leurs responsabilités et leurs ressources afin d’atteindre les objectifs fixés par le
législateur.
71 JOST (S.), AEBY (D.), MOINAT (G.), ANTILLE (E.), « Audit de performance ou

évaluation des politiques publiques Comment choisir ? », Expert Focus 2017 | 4, p. 217.
72 Ibid., p. 222.

466
n’est pas une fin en soi, non plus sine qua non, mais plutôt une des
conditions nécessaires, mais non suffisante, à la qualité des prestations
fournies pour assurer la satisfaction des besoins exprimés par la société.
2. La planification stratégique pluriannuelle du budget
Dans l’optique d’atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés, les
OAIR, ont instauré un nouveau système de budgétisation qui emporte
comme conséquence, le remodelage de la gestion et par ricochet du top
management73. L’objectif étant de sortir du diktat de l’immédiateté
qu’impose de fait la mécanique du principe d’annualité74. Dans ses
recherches sur le terrain, M. Abdelghani BENDRIOUCH a pu identifier
près de neuf méthodes de budgétisation dont la budgétisation par nature
ou ligne budgétaire, utilisant l’approche incrémentale (BPN)75, qui est usité
par les OAIR, ainsi que l’approche managériale. Ces approches sont à
l’origine de la planification stratégique pluriannuelle du budget.
La planification pluriannuelle permet d’établir un lien entre les
stratégies à moyen ou long terme et le budget annuel en définissant le
cheminement pour atteindre les objectifs des plans ou stratégies, et en
encadrant les adaptations du budget, nécessaires à leur mise en œuvre76. Il
ambitionne d’atteindre trois objectifs majeurs77.

73 La gestion budgétaire vise sur la base de prévisions calculées en fonction des conditions
aussi bien internes qu’externes de l’entreprise, à établir des programmes pour une période
donnée en vue de les contrôler par la confrontation avec les réalisations. La gestion
budgétaire au sens moderne du terme se veut quantifiée (traduction en chiffre des objectifs
de l’entreprise) et s’applique à l’ensemble de l’entreprise (l’entreprise étant considérée
comme un tout, toute décision aura son impact à tous les niveaux.). La budgétisation quant
à elle, peut être définit comme une expression en valeur des objectifs de l’entreprise ou tout
simplement, le budget est tableau qui comporte le résultat des prévisions. Voir « Le
contrôle de gestion par l’élaboration d’un système budgétaire » article consulté sur
d1n7iqz6ob2ad.cloudfrontnet, le 04 septembre 2020 à 09 h 29, p. 5.
74 DEGRON (R.), « Pluriannualité et performance : droit budgétaire européen et national,

fertilisation croisée », Gestion et finances publiques, 2017/3, n°3, p. 11.


75 Les autres sont : la budgétisation par variabilité, utilisant l’approche du budget flexible

(BPV) ; le budget à base zéro, utilisant l’approche modulaire (BBZ) ; la budgétisation par
fonction, utilisant l’approche fonctionnelle (BPF) ; la budgétisation par département,
utilisant l’approche bureaucratique ; la budgétisation par centre de responsabilité, utilisant
l’approche participative (BPC) ; la budgétisation par activité, utilisant l’approche activité
orientée objet (BPA) ; la budgétisation par processus, utilisant l’approche input output
(BPP) ; la budgétisation par ouvrage, utilisant l’approche projet (BPO). Ibid., p. 8
76 COLLANGE (G.), DEMANGEL (P.) POINSARD (R.), Guide méthodologique du suivi de la

performance, Banque Internationale pour la reconstruction et le Développement des régions


du Moyen-Orient, Afrique du Nord, département du développement économique et social,
Novembre, 2006, cité par LARHILD (A.) « L’apport de la programmation budgétaire
pluriannuelle dans la modernisation de l’État », OCDE, article disponible sur
www.institudesfinances.gov.ib. Consulté le 19 janvier 2021, à 16h04, p. 4.
77Tout d’abord, le premier objectif consiste à renforcer la discipline budgétaire dans sa

globalité, incluant la pérennité des politiques budgétaires et sectorielles, tout en s’assurant


de la compatibilité de l’impact des politiques budgétaires avec les ressources financières de
l’État et le cadre macroéconomique.
467
Le document cadre ou stratégique est un outil servant de lien entre
les politiques générales et le budget annuel au sein des OAIR, sur une
période donnée. C’est un document prospectif et prévisionnel, basé sur un
projet à long terme dans le cadre de réalisation de certains objectifs par les
OAIR. Sur le plan régional, la planification stratégique pluriannuelle est
basée sur un document cadre budgétaire, mettant l’accent sur « l’engagement
continu de l’Union africaine pour réaliser les aspirations de l’Agenda 2063 et son
premier Plan décennal de mise en œuvre »78. De ce fait, la prospective de vision
de développement de l’UA s’étend à l’horizon 2063, la planification
stratégique quant à elle, va de cinq79 à six ans80, et la programmation en
tant que option retenue pour l’opérationnalisation des orientations
stratégiques des ressources selon les ressources mobilisables va d’ un à dix
ans. Ainsi, l’organisation a opté pour l’élaboration d’un budget décennal81.
Dans le cadre sous-régional, on parle de document stratégique
d’intégration régionale, qui en Afrique centrale82 par exemple, est une
vision s’appuyant « sur les priorités stratégiques et opérationnelles de la CEEAC et
de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale »83 de 2019 à 2025,
avec pour ambition l’amélioration du portefeuille de la performance84. En

Ensuite, le deuxième objectif est de consolider l’efficacité de la répartition intersectorielle


des ressources par le développement de méthodes et d’outils qui assurent la relation entre
les stratégies des politiques publiques et leur traduction concrète à travers le budget. Le
périmètre de réalisation progressive des objectifs impliquant différents secteurs et
nécessitant souvent un effort continu sur plusieurs années devient ainsi possible en plaçant
le budget dans une perspective pluriannuelle.
Enfin, le troisième objectif est d’améliorer la performance opérationnelle, en renforçant
l’efficacité et l’efficience dans les prestations de services publics, en donnant aux
gestionnaires une plus longue perspective pour gérer leurs projets et en leur offrant un
cadre de suivi de la performance. De cette analyse découle le fait que, La programmation
pluriannuelle constitue le cadre de liaison qui permet aux dépenses d’être pilotées par les
priorités des politiques publiques et encadrées par les réalités budgétaires. Le défi réside
dans le fait de gérer avec efficacité la pression entre les besoins et les ressources
disponibles. Ibid., pp. 4-5.
78 Union Africaine, Le document cadre budgétaire 2020 de l’Union Africaine, projet de septembre

2018, p. 2. C’est dire donc que le budget de l’UA est voté chaque année, mais basé sur des
objectifs à long terme.
79 Dans le cadre du Plan à moyen terme de la Commission de l’UA qui est compris entre

2018 – 2023.
80 Dans le cadre stratégique pour orienter la mise en œuvre d’un programme.
81 L’UA s’est inscrite dans une stratégie d’insertion des programmes dans une perspective

pluriannuelle, avec une planification portant sur une période de dix ans minimum, suivant
son actualisation chaque année. Les programmes au sein de l’UA quant à eux sont
quinquennaux à l’instar de du Plan d’action quinquennal de l’UA sur l’autonomisation des
jeunes en Afrique à l’horizon 2019-2024, de la mise en œuvre de la stratégie de la science,
de la technologie et de l’innovation pour l’Afrique (STISA)-2024. Ibidem., pp. 17-18.
82 Son abréviation DSIR-AC.
83 Groupe de la Banque Africaine de Développement-Afrique Centrale, Document de stratégie

d’intégration régionale pour l’Afrique centrale 2019-2025, version révisée - juin 2019, p. 11.
84 La CEMAC et la CEEAC se recoupent géographiquement, et ont des origines similaires.

Néanmoins, si la CEMAC est l'héritière directe de l'Union douanière et économique de


l'Afrique centrale (UDEAC), une création postcoloniale qui a pris la suite de la Fédération
468
introduisant la logique pluriannuelle des dépenses par la programmation,
les OAIR se mettent dans une logique de permettre aux « décideurs de
disposer du temps nécessaire pour réaliser une politique »85 et aux gestionnaires de
disposer d’une visibilité pour agir, traduisant ainsi l’arrimage « avec une
logique économique, une logique de gestion, porteuse d’une culture de la performance »86.
C’est une approche de budgétisation qui permet aux OAIR de faire des
prévisibilités adéquates dans un cadre de suivi de la performance.
Ces documents qui servent de boussole de fonctionnement aux
OAIR, sont des cadres financiers, constituant des instruments de
pluriannualité opérationnelle. La programmation budgétaire pluriannuelle
est un outil stratégique qui permet aux OAIR « de renforcer l’efficacité et
l’efficience de la dépense publique, assurant une bonne visibilité des politiques publiques,
une meilleure articulation entre les programmes sectoriels à travers une programmation
appropriée des crédits »87. Si le renforcement de l’efficacité et l’efficience de la
dépense publique est l’un des soucis majeurs des gestionnaires
communautaires, ces derniers ne peuvent plus se limiter à un horizon
budgétaire annuel même si les autorisations budgétaires données par le
pouvoir politique ne peuvent l’être que dans le cadre annuel88.

de l’Afrique-Équatoriale française (AEF) et caractérisée par un usage commun du Franc


CFA, la CEEAC doit son existence à une association plus tardive d'États membres de la
CEMAC avec cinq autres États africains pour former l'une des huit communautés
économiques régionales (CER) reconnues par l'Union africaine. Du fait de son héritage
historique, la CEMAC semble plus établie, à la fois en termes de nature même et de
priorités d’action, et jouir d'une plus grande légitimité auprès des États membres.
La CEEAC et la CEMAC sont toutes les deux dotées d'un vaste programme qui inclut
l'intégration économique, les infrastructures, l'énergie, l'agriculture et la paix et la sécurité.
Certains observateurs soulignent l'émergence d'une répartition des tâches entre la CEEAC
et la CEMAC, répartition dans laquelle la CEMAC traite davantage des questions
économiques et monétaires, et la CEEAC davantage des questions liées à la sécurité. Cette
répartition des tâches s'explique en partie par les financements et les priorités des bailleurs
de fonds. Pour plus ample explications, lire l’ECDPM, disponible sur :
www.ecdpm.org/pedro/backgroundpapers, publié en mars 2017. La note d'information et
le document contextuel ont été préparés dans le cadre de PEDRO (Political Economy
Dynamics of Regional Organisations), Organisations régionales en Afrique : trajectoires et facteurs
de changements) un projet financé par le ministère allemand de la Coopération économique et
du Développement. La CEEAC n'a pas de réalisations concrètes en matière d'intégration,
mais poursuit son mandat récent de mettre en place un mécanisme de prévention des
conflits et de gestion des crises en Afrique Centrale. Lire Région de l‘Afrique Centrale et
Communauté Européenne, Document de stratégie de coopération régionale et Programme indicatif
régional, pour la période 2003-2007, pp10-15.
85 KANKEU (J.), La réforme de l’État par la performance, Bafoussam, PUP, mars 2012, p. 57.
86 BOUVIER (M.), ECSLASSAN (M.-C.), LASSALE (J.-P.), Finances Publiques, Paris,

LGDJ, coll. Manuel, 2020-2021, 19ème édition, p. 23.


87 LARHILD (A.), « L’apport de la programmation budgétaire pluriannuelle dans la

modernisation de l’État », op. cit., p. 3.


88 DOUBLET (X.), DREYFUS (B.), BLASQUEZ (P.), Guide pratique du management des

organisations publiques, éd. SEFI, 2000, cité par LARHILD (A.), Ibidem.
469
B. L’adaptation de l’exécution du budget à l’exigence de
performance
Pour s’arrimer au mouvement général de modernisation des
finances publiques, les OAIR se sont approprié la bonne gouvernance
financière fondée sur la performance89 et la gestion axée sur les résultats90.
Ainsi, la gestion axée sur la régularité des actes, qui induit une obligation
de moyens, a cédé à la gestion fondée sur la performance qui débouche sur
une obligation de résultats91, par l’efficience des outils de prise de
décisions. En conséquence, l’on assiste à la construction d’une exigence de
rationalisation (1) et de contrôle en passant par l’induction de la logique de
résultat (2).
1. La rationalisation et l’optimisation des choix budgétaires
Les Organisations africaines d’intégration régionale, à l’instar des
Etats, ont inséré dans la conception budgétaire, la maitrise des éléments
couts et stratégies et des prévisions budgétaires, question d’adopter la
technique de la rationalisation des choix budgétaires.
Pour ce qui est de la rationalisation des éléments coût et stratégies.
Le coût peut être défini comme « la somme des dépenses que chaque entreprise
supporte pour se procurer des ressources et mettre en œuvre le processus de production ».
Inspirée du PPBS92 utilisé aux États-Unis, la rationalisation des choix
budgétaires a pour objectif, d’optimiser les choix budgétaires par une
meilleure prise en compte, évaluation et contrôle des résultats. La méthode
repose sur des outils d’analyse systémiques et bilans, cout-efficacité93.
Désormais au sein des OAIR, le budget est un outil de rationalisation des
éléments importants du coût, consistant à ce que ces derniers soient
attribués aux résultats clés94, aux objectifs phares dont le point de

89 La performance et la gestion axée sur les résultats sont une nouvelle orthodoxie
budgétaire qui marque une évolution substantielle dans la gestion budgétaire et dont le
crédo est « efficacité, efficience, économie ». Pour plus d’approfondissement, lire,
STECKEL (M.-C.), L’essentiel des finances publiques communautaires, Paris, Gualino, 2007, 2ème
éd., p. 11.
90 La gestion axée sur les résultats a apporté des approches nouvelles et conduit à la

définition de nouveaux rôles et responsabilités des gestionnaires au sein des OAIR.


91 ABATE (B.), « Faut-il changer la gestion de l’État ? », RFFP, n°73, 2001, Réforme des

finances publiques : Réforme de l’État, p. 188.


92 Appelé ainsi budget programme, il est révolutionnaire à bien des égards. Sur les origines

et les caractéristiques de cette réforme, voir ANDREANI (E.), « Une révolution


budgétaire ? Le planning-programming-budgeting system », Revue de science financière, n°3,
1968. Cité dans son article « Budget programme et rationalité de la décision publique »,
Revue Économique, vol. XIX, N°4, 1968, p. 638.
93 V. BEITONE (A.), CAZORLA (A.), HEMDANE (E.), Dictionnaire de Sciences

Économiques, Paris, Dunod, Hors collection 2019, 6ème édition, p. 115.


94 C’est ce qui ressort en tout cas du document cadre de l’Union Africaine, qui précisant les

interventions dans le budget 2020, rappelle que Le budget 2020 continuera de rationaliser
les éléments clés du coût pour veiller à ce que les coûts soient attribués aux résultats clés de
l’Union. Cela se fera par le processus en cours de restructuration de l’Union.
470
convergence est l’intégration du continent sur le plan régional et sous-
régional95.
L’objectif étant de procéder à une optimisation, il sera question
avant d’allouer des fonds à un programme de comparer le coût et
l’efficacité des actions à entreprendre96. Les analyses coût-bénéfice
consistent essentiellement à mettre en évidence les coûts, ou désavantages,
et les bénéfices, ou avantages, que comporte chacune des différentes
options politiques97. Les stratégies ici, font référence à la budgétisation par
secteurs clés pouvant produire des résultats à l’issue de l’évaluation du
processus de performance de l’organisation.
À l’instar des Etats, les Organisations africaines d’intégration
régionale sont ancrées dans le processus de modernisation de leur gestion
financière. Cette tendance est exprimée à travers la rationalisation des
prévisions budgétaires. C’est ainsi que, l’on constate au sein de ces
organisations, un passage du budget de moyens98 au budget programme.
La logique empirique du budget de moyens, était fondée sur des objectifs
« dont la justification tient plus du plaidoyer que de la démonstration »99. Ce système
d’établissement du budget avait l’effet néfaste de manquer de rationalité,
même au sein des OAIR. C’est la raison pour laquelle la tendance pour
une approche budgétaire par programme, a été nécessaire afin de rendre
les choix budgétaires plus rationnels.
La prévision se fonde sur des données historiques pour fournir un
plan global du budget dans le futur. Au sein des OAIR, le budget est établi
sur la base des prévisions budgétaires rationnelles, car la performance
budgétaire recherchée ici, est à la fois financière100 et technique101. Ces

95 Voir à cet effet, le communiqué final de la 2ème réunion du Comité de Pilotage de la


réforme Institutionnelle de la CEEAC tenue à Libreville le 26 juillet 2019, relatif au projet
de texte révisant le Règlement Financier de la CEEAC. Ce projet de révision a pour
objectif la mise en place des mécanismes de programmation, de budgétisation et suivi-
évaluation au sein de cette OAIR. Lire aussi le rapport CABRI, Le budget-programme axé sur
les performances en Afrique : un rapport d’état d’avancement, Initiative Africaine concertée sur la
réforme budgétaire, 2013, pp. 33-52.
96 ANDREANI (E.), op. cit., p. 654.
97 MCKEAN (R.-N.), « Cost-Benefit. Analysis and british defense expenditures », in

PEACOCK (A-T.), ROBERTSON (D.-J.) (éds.), Public Expenditures Appraisail and Control,
Edinburgh, Olivier and Boyd, 1963, p. 18.
98 Le budget de moyens dans sa logique propre, est constitué de trois éléments : d’’abord la

présentation du budget par destination administrative et par nature économique de la


dépense. Ensuite, le financement des administrations selon leurs besoins exprimés. Enfin,
le financement par un crédit minimum pour assurer le fonctionnement de chaque structure
sans tenir compte de leur niveau d’activité. Pour plus d’approfondissement, voir KANKEU
(J.), La réforme de l’État par la performance, op.cit., pp. 28-36.
99 ANDREANI (E.), op. cit., p. 210. Cité par MEDE (N.), « La nouvelle gestion budgétaire :

L’expérience des budgets programmes au Bénin », Afrilex, n°4, 2004, p. 64.


100 La performance financière consiste à obtenir une meilleure rentabilité des OAIR à la fois sur

le plan du recouvrement des contributions et de l’accroissement de leurs ressources


propres. La performance financière intervient de façon limitée en ce sens que ce n'est pas la
valeur actionnariale d'une politique publique qui est recherchée, mais, dans certains cas, la
471
Organisations ne mettent plus les moyens en fonction des besoins de leurs
organes, mais procèdent à des financements par objectifs selon une analyse
économique mettant « en balance des facteurs quantitatifs pour aboutir à un
rapport coût/bénéfice optimisé »102.
À l’analyse du budget des OAIR, on peut se rendre compte de
l’existence d’une budgétisation par priorisation sur la base d’instruments de
prévision pluriannuelle, qui sont politiques et financiers. Sur le plan
politique de la pluriannualité, la prospective, dont la méthodologie des
études perspectives à long terme, fait partie des aspirations des OAIR103.
Dans le cadre de la sous-région Afrique centrale, le document de
stratégie d’intégration régionale, est une vision de la CEEAC et de la
CEMAC couvrant une période de six ans104 . Suivant le nouveau
paradigme de la pluriannualité, la référence est faite au budget programme
inséré dans la gestion financière des OAIR et l’accent mis sur les cadres de
dépenses à moyen terme. Ces derniers s’inscrivent dans « un processus intégré
de planification globale promu par la Banque Mondiale et l’Organisation de
Coopération et de Développement Économiques (OCDE) pour sortir des contraintes de
la prévision budgétaire annuelle »105.
La mise en place d’une gouvernance de pilotage des projets au sein
des OAIR, matérialise l’implémentation de la technique de la RCB.
L’atteinte de la performance dépend de l’application d’une démarche de
performance qui peut être définie comme étant un dispositif de pilotage
des administrations ayant pour objectif d’améliorer l’efficacité de la
dépense publique en orientant la gestion budgétaire vers l’atteinte de
résultats prédéfinis, en matière d’efficacité socio-économique, de qualité de
service, d’efficience, dans le cadre de moyens prédéterminés106. Le contrôle
de gestion107 est ainsi l’outil de pilotage des projets au service de
l’évaluation de la performance budgétaire.

valeur nette actualisée, différence entre des bénéfices et des coûts futurs, actualisés à un
taux qu'il convient de définir.
101 La performance technique se mesure par des indicateurs physiques ou économiques : le

niveau de réalisation des objectifs fixés de l’organisation, les résultats obtenus au niveau de
chaque programme par secteur financés, indicateurs de qualité, de délais… La performance
technique importe, en particulier au niveau opérationnel de l'exécution des politiques (des
objectifs) où la recherche d'une meilleure productivité des actions menées, leur efficience,
qui est un gage de la bonne utilisation des fonds alloués.
102 MEDE (N.), op. cit., p. 65.
103 L’UA a comme instrument politique de pluriannualité une prospective dont la vision est

inscrite dans son agenda politique de 2063, suivant ces aspirations. Lire dans ce sens
Document cadre budgétaire 2020 de l’Union.
104 Cette période va de 2019 à 2025.
105 MEDE (N.), op. cit., p. 67.
106 V. SARKOZY (N.) (dir.), La démarche de performance : Stratégie, objectifs, indicateurs. Guide

méthodologique pour l’application de la Loi organique relative aux Lois de Finances


française du 1er aout 2001, 2004, 51 p. Spéc., p. 14.
107 Dans la définition du cadre général du contrôle de gestion, Anthony retient trois

éléments essentiels ; la notion qu'un ou des buts sont décidés, l'idée que ce sont des
humains qui mettent en œuvre des activités pour réaliser les buts et, finalement que pour
472
Le contrôle de gestion pratiqué au sein des OAIR bien qu’étant le
résultat d’une activité interne, est une forme de gouvernance de pilotage
des projets, qui consiste à évaluer le niveau de réalisation, et faire des
ajustements en cas de besoin. Ainsi depuis les années 2000, la politique des
finances publiques n’a plus pour objectif de couvrir l’augmentation des
interventions, mais s’attache à en assurer un meilleur pilotage
d’ensemble108. Au sein de l’UEMOA, le contrôle de gestion est « un système
de pilotage mis en place par le Président de la Commission en vue d'améliorer le rapport
entre les moyens engagés, l'action développée et les résultats obtenus par un responsable
de programme »109. L’Union Africaine dans le cadre du pilotage de son projet
d’intégration, a mis en place un système de gouvernance par l’adoption
d’une nouvelle formule d’intégration qui procède au renforcement, à la
rationalisation, à la coordination et l’harmonisation des Organisations sous
régionales existantes110. Lors de la 13ème conférence des Chefs d’État et de
gouvernement de la CEEAC, les membres ont décidé d’accélérer le
processus d’harmonisation entre la CEEAC et la CEMAC. À ce titre, il a
été mis en place un Comité de pilotage de la rationalisation des
communautés économiques régionales en Afrique centrale111.

réaliser des buts, des individus doivent travailler ensemble. En conséquence, le contrôle de
gestion est composé :
- d'activités non systématiques de planification stratégique visant à définir les
orientations. Des activités que réalisent les dirigeants (leaders) habiles à mesurer
les menaces et à saisir les opportunités de l'environnement externe ; et
- d'activités systématiques de coordination et de surveillance visant pour les
dirigeants à décider des activités à mettre en œuvre, à communiquer les stratégies
et les tâches à accomplir, à assurer la combinaison optimale « tâche à
accomplir/personne », à motiver les individus, à évaluer la performance
individuelle et d'ensemble et à apporter les actions correctives au besoin. Lire
dans ce sens, BRIAND (L.), Le contrôle de gestion dans la modernité avancée : une analyse
structurationniste, Cahiers du CRISES, coll. études théoriques, février 1999, p. 4
108 ARKWRIGHT (E.), BŒUF (J.-L.), COURREGES (C.), GODEFROY (S.), MAGNAN

(M.), MAIGNE (G.) et VASQUEZ (M.), Les finances publiques et la réforme budgétaire, Paris, La
documentation Française, collection Découverte de la vie publique, 2008, 4 ème édition mise
à jour, p. 24.
109 Article 21 (11.2) du Règlement financier de l’UEMOA.
110 Pour plus d’approfondissement sur la question, lire Ousmane SARR (N.), L’Union

Africaine, Organisation d’Intégration ?, op.cit., pp. 31-37.


111 Ce comité de pilotage (COPIL/CER-AC), comprend des représentants de la CEEAC et

de la CEMAC, de l’Union africaine, de la Commission économique des Nations Unies pour


l’Afrique et de la BAD.
Par ailleurs, la CEEAC a entamé un processus de réforme interne en vue d’être plus
efficace et à même de mieux mener ses missions. La Banque a approuvé son nouveau
modèle de développement et de prestation de services en juin 2016. Cette réforme lui
permet de rationaliser les processus de gestion pour rehausser son efficacité, améliorer sa
performance financière et accroître son impact sur le développement. Dans cette
perspective cinq centres régionaux ont été mis en place, dont celui du Bureau régional de
développement et de prestation de services pour l’Afrique centrale qui couvre les six pays
de la CEMAC et la RDC. Le Burundi et le Rwanda, qui appartiennent à la CEEAC, sont
couverts par le Bureau régional de développement et de prestation de services pour
l’Afrique de l’Est, tandis que l’Angola et Sao Tomé-et-Principe, aussi membres de la
473
Le contrôle de gestion comme outil de pilotage, est ainsi un système
de gouvernance qui permet la surveillance et l’évaluation de la mise en
œuvre des différents projets arrêtés au sein des OAIR. C’est sa raison
d’être, puisqu’ « il faut pouvoir déterminer si les résultats sont atteints, si les
ressources sont utilisées adéquatement et si l’organisation produit ce pour quoi elle a été
créée »112. Ainsi, par la mise en place du contrôle de gestion en tant outil de
pilotage des projets, l’on constate au sein de ces Organisations que, la
dépense est désormais tournée vers des préoccupations jugées essentielles
pour le citoyen et surtout, pour le développement économique et social113.
Cependant, malgré les efforts observés au sein des OAIR, pour une
budgétisation par la performance, perçue comme une quête permanente,
l’analyse du budget permet de relever des contrastes justifiant l’épreuve à
laquelle est soumis le budget de ces organisations. L’inefficacité budgétaire
constatée résulte du fait que, le contrôle de gestion effectué est un
dispositif purement administratif, dépourvu de « toute force juridique obligatoire
(…), de toute sanction »114. Et pourtant, l’objectif du contrôle est la gestion,
consistant à savoir ce qui se passe au sein d’une organisation, ce qui a été
fait et permet d’apporter les ajustements nécessaires115. Pour y arriver il
faut nécessairement revoir, réexaminer le dispositif de contrôle interne des
OAIR pour une meilleure responsabilisation des différents acteurs.
Suivant cette analyse, l’on se rend compte de l’objectif louable des
OAIR, de transformer leur système financier de gestion par l’adoption de
nouveaux mécanismes de budgétisation. C’est une évidence que la
performance est recherchée au sein des OAIR, puisqu’elles se sont lancées
dans l’appropriation des outils de la bonne gouvernance financière, qui
« implique pour la ‘doxa’ dominante, adhésion et mise en œuvre d’un certain nombre des
standards »116.

CEEAC, sont rattachés du point de vue des opérations au Bureau régional de


développement et de prestation de services pour l’Afrique australe, Document de stratégie
pour l’intégration régionale 2019-2020, op. cit., p. 25.
112 PROULX (D.), « Le contrôle et la gestion : Tradition et autres possibilités », in

Management des organisations publiques : Théorie et applications, Québec, Presses de l’Université du


Québec, 2008, 2è édition, p. 156.
113 GUILLAUME (H.), GUILLAUME (D.), SILVENT (F.), Gestion publique, l’État et la

performance, Paris, Dalloz, 2002, pp. 135 et s.


114 QUEROL (F.), « Contrôle administratif », In Finances publiques, Paris, Ellipses, 2009, p.

88.
115 Par le contrôle sur la gestion, il faut pouvoir déterminer si les résultats sont atteints, si

les ressources sont utilisées adéquatement et si l’organisation produit ce pour quoi elle a été
créée. Pour y parvenir, il faut aussi savoir si les employés travaillent bien, si les budgets sont
respectés et s’ils sont appropriés et si les résultats obtenus correspondent aux besoins de
l’usager. Lire PROUX (D.), Management des organisations publiques. Théorie et applications,
Québec, Presses de l’Université du Québec, 2008, 2ème édition, p. 156.
116 Ces standards font référence à la transparence, l’efficacité, l’efficience, la performance, la

sincérité des comptes publics, et responsabilité managériale. Lire ORSONI (G.), « De


l’esprit de réforme et de quelques fondamentaux », in Réformes des finances publiques et
modernisation de l’administration, op. cit., p. 402.
474
En consacrant la notion de programme et ses congénères117, les
OAIR ont pris toute la mesure de la tâche qui est la leur actuellement,
centrée sur des objectifs à atteindre. Au sein d’elles, l’on a fait le choix sur
les indicateurs de résultats pouvant permettre « de mesurer la performance
réalisée dans l’atteinte des objectifs »118. Au sein de la CEMAC-CEEAC, le suivi
de la mise en œuvre du DSIR-AC 2019-2025, se fait sur la base d’un cadre
de mesure des résultats, « résume, entre autres, les principaux éléments de la chaine
de causalité des interventions sectorielles de la Banque, depuis les intrants jusqu’aux
effets à court ou moyen terme et à l’impact »119.
Il est disposé dans le règlement financier de l’UEMOA, que « ces
programmes sont associés des objectifs précis, arrêtés en fonction de finalités d'intérêt
général et des résultats attendus. Ces résultats, mesurés notamment par des indicateurs
de performance, font l'objet d'évaluations régulières et donnent lieu à un rapport annuel
de performance élaboré en fin d'exercice budgétaire par la Commission »120. La
préparation du budget au sein des OAIR intègre la logique de l’atteinte des
objectifs fixés, car en mettant l’accent sur les résultats, cela leur permet de
maitriser le plafond budgétaire par départements suivant leur aptitude à
atteindre les cibles et l’impact de leurs programmes ou projets
conformément aux buts et objectifs121.
2. La réalisation du contrôle par l’induction de la logique de
résultat
La notion de contrôle ne bénéficie pas encore en droit, d’une
définition claire et surtout précise. La lueur d’espoir sur un essai
définitionnel nous vient de la doctrine, qui a énoncé certains éléments
pouvant permettre d’identifier un contrôle122. En matière de finances
publiques, le contrôle renvoie à « l’idée de vérification, c’est-à-dire, le fait de
s’assurer qu’une chose est bien telle qu’on l’a déclaré ou telle qu’elle doit être par rapport
à une norme donnée »123. Dans le cadre des OAIR, le contrôle de performance
budgétaire fait appel à l’« évaluation financière, évaluation des performances du
personnel, évaluation des conséquences écologiques et sociétales, évaluation de

117 On fait référence ici à l’ensemble éléments entrant dans le champ du programme, à
l’instar du budget opérationnel de programme, du responsable des programmes etc.
118 KANKEU (J.), La réforme de l’État par la performance, Bafoussam, PUP, mars 2012, p. 62.
119 Groupe de la Banque Africaine de Développement-Afrique Centrale, op. cit., p. 41.
120 Article premier du Règlement n° 01/2018/CM/UEMOA portant Règlement Financier

des Organes de l'Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine.


121 Voir Document cadre de l’Union Africaine, op., cit., p. 24.
122 C’est dans cette lancée que, le Professeur André BARILARI pour plus de clarté procède

à un diptyque notionnel. Il fait observer que, ce concept a deux composantes, à savoir


« rôle » et « contre », le rôle faisant référence à un registre tenu en double dont l’un sert à
vérifier l’autre. Les contrôles financiers, administratifs et juridictionnels. Cf : BILOUNGA (S.-T.),
La réforme du contrôle de la dépense publique au Cameroun, Thèse de Doctorat/ Ph.D en Droit
Public, Université de Yaoundé II, 2009, p. 5.
123 FABRE (J.-F.), Le contrôle des finances publiques, Paris, PUF, 1968, p. 8.

475
programmes, de projets comme en matière de gestion publique »124. L’objectif étant de
constater si les programmes ont été réalisés de manière efficiente,
l’efficience constitue la première dimension de la performance125. Dans le
cadre particulier des finances publiques, l’efficience met en relation les
résultats atteints avec les ressources financières utilisées .Elle désigne
également le rapport entre les résultats obtenus et les moyens utilisés126.
L’efficience des outils de prise de décision, renvoie à un ensemble de
mesures qui ayant fait l’objet d’analyse, est susceptible de produire les
effets escomptés. Ces outils de prise de décisions reflètent « directement
l'influence ou la manière dont le pouvoir se traduit en action »127, au sein des OAIR.
Le libéralisme politique et économique ayant eu un impact
considérable sur les Etats, a ouvert une nouvelle ère dans la gestion des
finances de ces dernières. Celle-ci est marquée par la recherche de la
qualité dans la gestion budgétaire128. Les standards de bonne gestion
budgétaire et financière sont élaborés, de nouveaux instruments
d’évaluation des finances publiques sont définis129; l’efficience des outils de
prise de décision s’est alors avérée importante dans la gestion des finances
des OAIR. Le constat est ainsi fait, sur la base des outils favorisant
l’érection des décisions efficientes.
Les organisation africaines d‘intégration régionale pour décider de
l’attribution des crédits, font une analyse qui sur le plan économique est un
instrument d’optimisation des dépenses, la comparaison des demandes
budgétaires sur la base de leurs avantages relatifs130, la définition des
objectifs qui déterminent les différentes politiques qu’elles pourraient
atteindre, c’est la phase du planning131. La phase programming leur permet

124 PESQUEUX (Y.), « La notion de performance globale », article de janvier 2004 en ligne
sur le site https://www.researchgate.net/publication/46478757, consulté le 8 novembre
2020 à 21h 45.
125 Il s’agit de la capacité d’une unité de produire des résultats en consommant le moins de

ressources possibles. Cette dimension de la performance ne concerne que la sphère de la


production. Cf. SOGUEL (N.-C.), « La budgétisation au service de la performance avant et
après la nouvelle gestion publique », IDHEAP, 2008, p. 4
126 La recherche d’une plus grande efficience consiste à garantir un niveau de service

équivalent au moindre coût.


127 L'analyse de la prise de décision est un des moyens d'étudier les rapports de force.

Certes, les décisions n'expriment pas directement le pouvoir. COX (R.-W.) JACOBSON
(H.-K.), « L’analyse de la prise de décision », Revue Internationale des Sciences Sociales, Vol
XXIX, n°1, 1997, p. 125.
128 Cf. NGOUNMEDJE (F.-M.), « Loi de règlement et contrôle de l’exécution du budget :

contribution à l’étude de la pertinence de la loi de règlement dans les Etats d’Afrique noire
francophone », RAFiP, n°3-4, 2018, p. 110.
129 Ibidem.
130 La procédure budgétaire à ce niveau permet aux OAIR de de comparer les demandes

budgétaires sur la base de leurs avantages respectifs. En effet, dans la mesure où les
ressources budgétaires sont limitées, il ne suffit pas de justifier une demande de crédits par
le fait que le résultat sera utile. Lire SOGUEL (N.-C.), « La budgétisation au service de la
performance avant et après la nouvelle gestion publique », op. cit., pp. 11-13.
131 ANDREANI (E.), « Budget de programme et rationalité de la décision publique », op.

cit., p. 646.
476
de faire des choix stratégiques qui sont traduits en termes financiers après
comparaison, elles ne retiennent pour chaque objectif que la meilleure
option. Dans cette perspective, la programmation au sein des OAIR, leur
permet de « minimiser les doubles emplois au niveau des activités dans tous les
départements et organes »132. C’est ainsi que l’introduction de la performance
au sein des OAIR constitue une déconstruction de la structuration
classique du budget « fondée sur l’approche des moyens pour instaurer la nouvelle
approche orientée vers les résultats »133.
Les Organisations africaines d’intégration régionale tout comme les
Etats, sont à la recherche de la performance budgétaire, qui est une
exigence de la nouvelle gestion publique partant du postulat selon lequel,
le budget doit produire les effets escomptés. Cette position est à l’origine
de l’adoption d’un système budgétaire fondé sur le modèle incrémental et
managérial, qui s’est enrichie d’une donnée nouvelle qu’est la
rationalisation budgétaire.
Cependant cela s’avère insuffisant puisque les finances publiques
étant en mouvement, subissent également les chocs macroéconomiques,
qui montrent à suffisance qu’au sein des OAIR, la budgétisation par la
performance est contrastée. En effet, des résistances à la mutation vers la
performance persistent.
II. Les relents de résistance à la performance du budget des OAIR
La démarche de réforme des finances publiques observée sur tous
les continents, n’a pas épargné les Organisations africaines d’intégration
régionale, qui ont adaptées les méthodes de gestion utilisées par les
entreprises privées, à leur propre gestion, prenant modèle sur le
management privé. Cependant, le processus ne s’est enclenché sans
obstacles, au regard d’un certain nombre d’actions susceptibles de
perfections émaillant le budget des OAIR. Ayant un impact négatif sur la
performance dudit budget, ces relents sont déduits des contrastes à la fois
endogènes (A) et exogènes (B).
A. Les résistances à la performance endogènes aux OAIR
La démarche de la performance au sein des Organisations africaines
d’intégration régionale n’est pas chose aisée, car malgré les différentes
mesures prises pour arrimer leur budget à la nouvelle gouvernance
financière, il demeure des imperfections. À l’origine de ces imperfections,
des contrastes endogènes aux OAIR, liés tant au déséquilibre budgétaire
permanent (1), qu’aux dysfonctionnements constatés dans l’exécution
desdits budgets (2).

132 Document cadre Budgétaire 2020 de l’Union Africaine, op. cit., p. 24.
133 CHEVALLIER (J.), « Performance et Gestion publique », in réformes des finances publiques
et modernisation de l’administration, op.cit., pp. 83 et s. V. aussi, BOUVIER (M.), « Inventer une
nouvelle gouvernance financière publique : fonder l’État du XXIe siècle », éditorial RFFP,
n°100, 2007. pp. 3 et s.
477
1. Le déséquilibre budgétaire permanent
À l’instar des Etats, les OAIR font également face à un certain
nombre de facteurs ayant un impact négatif sur la performance de leur
budget, avec pour cause principale, l’incidence des aléas financiers
multiples. Du fait de cette situation, il est prévu généralement la gestion
des risques de mise en œuvre, et les mesures d’atténuation.
Les aléas financiers mettant à mal la performance budgétaire au sein
des Organisations africaines d’intégration régionale sont multiples. Nous
pouvons citer entre autres, le non-respect du paiement des contributions
statutaires, raison pour laquelle dans le Document cadre de l’Union
Africaine, il est fait mention de ce qu’elle « continuera à encourager les États
membres à verser leurs contributions statutaires au début de l’année pour veiller à ce que
l’Union exécute ses programmes sans éprouver des problèmes de décaissement tardif des
fonds »134. Les retards dans le décaissement des fonds, du fait du non-
respect par les organes de la date de soumission de leurs différents
rapports, la fragmentation de la mobilisation des ressources domestiques
et le renforcement des partenariats public-privé135, sont autant de défis
auxquels font face les OAIR, qui impactent sur la performance de leur
budget.
L'environnement macroéconomique et socio-économique des États
membres des OAIR, a un impact potentiel sur leur capacité de respecter
leurs obligations de financement. La forte dépendance de l'Afrique sur les
produits primaires agricoles et minéraux et le faible niveau des activités de
fabrication industrielle sont autant de facteurs à l’origine du déficit
budgétaire constaté au sein de ces Organisations. Les faibles prix des
produits de base et le protectionnisme croissant n'ont pas aidé la
croissance de l'Afrique, et ce, favorisé par la chute des prix des produits
de base notamment le pétrole.
Ainsi pour que l'Afrique puisse maintenir une croissance
économique positive pour rendre plus performant son budget, une priorité
essentielle est d'accélérer la profondeur et le rythme de l'intégration
régionale afin de faciliter des échanges plus importants, d'accroître la
diversification et la croissance durable, de créer des marchés plus vastes,
de mutualiser le capital humain et les ressources naturelles et de tirer parti
des différents avantages comparatifs des pays africains136.
2. L’imprévisibilité des dépenses
En finances publiques, l’élaboration d’un budget signifie le préparer
d’une part et l’adopter d’autre part aux fins de son exécution pour qu’il

134 Document Cadre, op. cit., p. 14.


135 Document de Stratégie, op. cit., p. 28.
136 Commission de l'Union africaine, « Aperçu de la CUA au titre de l’exercice financier

clos le 31 décembre 2016 », in Rapport annuel consolidé et états financiers de la Commission de


l’Union Africaine au titre de l’exercice financier clos le 31 décembre 2016, op. cit., p. 16.
478
puisse produire les résultats attendus137. En l’absence de ce dernier
élément, il faut y déceler des imperfections en amont, à l’élaboration, du
fait de la recrudescence des déséquilibres budgétaires, de l’inadaptation des
ressources aux dépenses et à l’évaluation complexe des coûts de certaines
missions des OAIR.
S’il y a une remarque à faire sur le budget de ces organisations, c’est
le fait qu’elles ont un penchant pour le déséquilibre budgétaire. L’on est en
regret de constater que, dans le budget des OAIR, il y a toujours une
inégalité entre les recettes et les dépenses. En y portant un regard attentif,
l’on peut se rendre compte de ce que la conception budgétaire en leur sein
est marquée par une forte croissance des dépenses, qui s’avèrent être
toujours supérieures aux recettes qu’elles pourraient obtenir au cours de
l’année, faisant ainsi naitre un déficit budgétaire réelle au regard de la
pratique financière.
Au sein de l’UEMOA, malgré le recul de 9,7% des dons des
partenaires par rapport au semestre 2018, faisant baisser le déficit
budgétaire au cours du semestre 2019, l’inquiétude est survenue au niveau
de l’affectation des ressources mobilisées. Il a été remarqué que, les
dépenses courantes de fonctionnement ont absorbé une grande partie de
ces ressources, faisant augmenter de 11% les dépenses de personnels138.
Dans le cadre régional, l’Union Africaine avait enregistré au 31 décembre
2017, des recettes totales s’élevant à 621,8 millions de dollars, ce qui
représente 73% des recettes totales et les dépenses totales quant à elles, par
rapport aux recettes à la date du 31 décembre 2017 s’élevaient à 78%139.
Dans le budget des OAIR, au titre des principales catégories budgétaires,
l’on note une attention particulière accordée au budget-programme, qui
constitue l’essentiel du financement140. Néanmoins, il est nécessaire de
faire le constat selon lequel, si les dépenses sont sans cesse croissantes,
c’est parce que les recettes ne cessent également d’augmenter au fil des
ans.
Les Organisations africaines d’intégration régionale à l’instar des
Etats, sont confrontées au problème de l’inadaptation, de la mauvaise

137 BESSALA (G.), Ajustement Structurel et Droit Budgétaire Camerounais : contribution à l’étude des
Droits Budgétaires des États Africains sous Ajustement Structurel, Thèse de Doctorat/Ph.D en
Droit Public, Université de Yaoundé II, 2017, p. 235.
138 Ces dépenses ont été évaluées à 2309,1 milliards FCFA. Même les dépenses

d’investissements ont augmenté de 7,9%, ainsi que de 11,7% les transferts et subventions
pour un cout de 1260,3 milliards FCFA. Il en est également de même pour du service de la
dette qui a augmenté de 20,8%. Cf. LINGE (I.), « UEMOA : les recettes fiscales
consolidées des Etats membres se sont améliorées de 14,8% au premier semestre 2019 »,
Agence Ecofin, 23 septembre 2019. Consulté le 18/03/2021 à 00h 48 sur
https://www.agenceecofin.com/finances-publiques.
139 Document Cadre Budgétaire 2020 de l’Union Africaine, op. cit., p. 7.
140 En 2018, le budget total approuvé de l’Union s’élève à 778.156.518 dollars US

(Assembly decision AU/Dec.642 (XXIX) y compris les budgets complémentaires


approuvés par la Décision EX.CL/Dec.986 (XXXII) Rev.1 et PRC/Rpt (2-2018)) au titre
des principales catégories budgétaires.
479
allocation ou attribution des fonds à certaines dépenses. C’est un problème
sérieux dans la budgétisation au regard des multiples difficultés que
traversent les contributeurs du fait des différentes crises économiques,
sécuritaires, sanitaires, etc., qui secouent le continent africain en particulier
et le monde en général.
L’inadaptation découle du fait que, l’affectation des ressources à
certaines dépenses ne correspondent pas, ou mieux, s’avère parfois
dérisoire au regard de l’importance des activités à mener durant un
exercice, et non prévues dans le budget annuel. Fonder par exemple le
financement des opérations de maintien de la paix sur les contributions
des Etats-membres et des partenaires internationaux n’est pas stratégique,
car les Etats africains font face à des crises ne leur permettant pas dans la
plupart des cas, de s’acquitter de leur engagement vis-à-vis des OAIR ou
de le faire tardivement.
Les Organisations africaines d’intégration régionale prévoient le
financement de certaines dépenses sur la base des recettes provenant de
leurs activités connexes d’investissement, qui sont le plus souvent
confrontées au problème de chômage grandissant, de la non maitrise de la
croissance démographique, de la baisse de productivité agricole, du
manque de nourriture et d’autosuffisance. Le dépenses relativement
ciblées, sont celles relatives aux opérations de maintien de la paix qui sont
financées en grande partie par les contributions statutaires des Etats
membres et des partenaires internationaux. Cette prévision est toujours
source de problème pour les OAIR, dans la mesure où, les contributions
arrivent en retard, les obligeant à recourir à des comptes et fonds de
réserves ou à des demandes de crédits supplémentaires141. Pourtant, la
gestion actuelle des finances publiques basée sur la nouvelle gestion axée
sur les résultats, met un point d’honneur sur les priorités, en reliant
« dépenses et objectifs, et garantir que les fonds dépensés ont généré les résultats
escomptés, (…). Elle comprend trois dimensions : les capacités fiscales et budgétaires, la
recevabilité et la réactivité »142. Ce qui devrait en principe encourager les OAIR
à développer des techniques d’administrations de génération des
ressources pouvant leurs permettre de s’autofinancer sans attendre les
participations externes.

141 Le budget estimé au sein de l’Union Africaine pour 2016 était de 416 867 326 $ (à
l'exclusion du budget de la Mission de l'UA en Somalie. Du montant de 416 867 326 $, 150
503 875 dollars US étaient réservés pour les coûts d'exploitation et 266 363 451 $ pour la
mise en œuvre des programmes. Un total de 169 833 340 $ devait provenir des
contributions des États membres et 247 033 986 $ proviendraient de partenaires
internationaux [Assembly/AU/Dec. 577 (XXV)], ce qui laissait un déficit de financement
de 149 266 824 $ dans le budget-programme. La CUA a été autorisée à solliciter un
montant supplémentaire de 70 552 314 $ auprès des partenaires du programme. Cf : Union
Africaine, Rapport annuel consolidé et états financiers de la commission de l’union africaine au titre de
l’exercice financier clos le 31 décembre 2016, p. 12.
142 SHARPLES (S.), TELLIER (C.), « Réformes des finances publiques en Afrique et

nouveaux mécanismes d’aide et d’allègement de la dette », Afrique contemporaine, Vol 3-4,


n°223-224, pp. 251-270.
480
Les prévisions budgétaires relatives aux dépenses de personnel sont
également victimes de cette inadaptation des ressources puisqu’elles
conduisent généralement à des augmentations ou diminutions
règlementaires découlant par exemple, « du reclassement ou du déclassement des
postes, du recrutement, des promotions, des départs en retraite, des augmentations de
traitement annuelles »143. C’est ainsi qu’elles sont obligées de procéder à des
ajustements, car « comme dans le cas des augmentations de dépenses dues à
l'inflation, les prévisions relatives aux augmentations règlementaires sont corrigées en
fonction des décisions susceptibles d'entrainer une augmentation ou une diminution
imprévue des dépenses concernées »144.
Les OAIR ont des missions qu’ils s’assignent dès leur création. Il
n’est donc pas anodin de voir les objectifs, consignés dans l’Acte et
Protocole constitutif sous forme d’objectifs à atteindre. Faisant partie
intégrante de la démarche de la performance, en tant qu’élément
constitutif, la définition d’objectif est un choix des domaines d’action
prioritaire145, « une fin mesurable, quantifiable que l’on se propose d’atteindre dans un
délai donné »146, plus précisément, un but qu’elles se fixent, formulé in
abstracto147. Étant fait in abstracto, il se révèle donc complexe d’évaluer les
coûts de certains d’entre eux. C’est ce qui justifie le fait que, bien que
considéré comme un acte prévisionnel, il reste que certains évènements de
par leur nature et leurs effets échappent à la règle de la prévisibilité et de la
rationalité148.
Les missions des OAIR sont prédéfinies à l’avance, mais le
problème constant de la mise en œuvre objective de ces dernières reste le
financement, qui au préalable est fixé de façon théorique, mais s’avère
souvent limité sur le plan pratique. La mission dont l’évaluation des coûts
a toujours été complexe est celle relative à la sécurité et à la paix. Le
budget relatif aux opérations de maintien de la paix est toujours source de
complexité, au regard de l’étendue des interventions desdites
Organisations, et surtout de la recrudescence des conflits qui présente
l’Afrique comme un continent crisogène.
Pour une mission de paix au sein du continent, se pose le problème
des interventions puisque l’Union Africaine par exemple ayant une
compétence élargie et surtout régionale dans le domaine, est concurrencée
par les Communautés économiques régionales (CER) qui, au fil des ans,

143 SCHUMM (S.), « L’établissement du budget dans les organisations du système des
Nations Unies », op. cit., p. 27.
144 Ibid., p. 28.
145 ELHAMMOUMI (A.), La gestion axée sur la performance : le cas de la fonction achat du ministère

de l’Éducation nationale et de ses opérateurs, op. cit., p. 9.


146 MAZOUZ, LECLERC (B), TARDIF (M. J.B), La gestion intégrée par résultat, Québec,

Presses de l’Université de Québec, 2008, p. 174.


147 CATTEAU (D.), Droit budgétaire - comptabilité publique : LOLF et GBCP, Paris, Hachette

Livre 2014, p. 45.


148 WEBER (L.), L’analyse Économique des dépenses publiques, fondements et principes de la

rationalisation des choix budgétaires, Paris, PUF, coll. Economie d’aujourd’hui, 1978, pp. 20-45.
481
« ont investi le champ politique et se sont appropriées la responsabilité du maintien de la
paix et de la sécurité dans leur espace territorial »149. Cette situation est aussi à
l’origine, puisque le manque de coordination et surtout d’harmonisation
fait en sorte durant l’évaluation du coût de la mission, il est quasiment de
savoir à hauteur de combien pourra contribuer chaque organisation.
L’implication des hommes politiques est aussi un frein à la
performance budgétaire du point de vue de l’élaboration car, le processus
de financement se résume trop souvent à une lutte d’influence politicienne
pour favoriser tel ou tel projet150, sans forme constructive. Généralement,
les fonds alloués dans le cadre des missions de paix sont votés en fonction
des crises du moment, et une estimation est souvent faite en ce qui
concerne les éventuels conflits à venir. L’Union Africaine par exemple a
mis en place un Fonds pour la paix151, qui se trouve souvent insuffisant,
limité. Pour pallier à la carence de ce Fonds, l’Union en vertu du Protocole
du Conseil de Paix et de Sécurité, a prévu un fonds fiduciaire renouvelable
afin de constituer une réserve disponible en cas d’urgence et de priorités
imprévues152.
B. Les résistances à la performance exogènes aux OAIR
L'implémentation de la nouvelle gouvernance financière publique
démontre que l’intégration de la gestion axée sur les résultats à la gestion
financière et au processus budgétaire ne va pas de soi153. Si à l’origine,
l’intervention des bailleurs était principalement financière, elle s’est
transformée depuis les PAS des années 1980, et surtout 90, et a entrainé
un changement du modèle de gestion budgétaire et financière154, qui n’a
pas épargné les OAIR. C’est dans ce sillage que, mettant en œuvre les

149 GUEUYOU (M.), « Articulation normative des systèmes africains de maintien de la paix
et de la sécurité », In La paix et la sécurité internationales, Communication présentée lors d’un
atelier conjoint de l’Observatoire politique et stratégique pour l’Afrique (OPSA) et du
Groupe de réflexion, tenu à Paris le 13 novembre 2002.
150 SHARPLES (S.), TELLIER (C.), « Réformes des finances publiques en Afrique et

nouveaux mécanismes d’aide et d’allègement de la dette », op. cit.


151 Le Fonds pour la paix est un capital, une ressource de financement des missions de paix

et autres activités en lien avec la paix et la sécurité. Ce fonds est alimenté est alimenté à
partir du budget normal, des contributions volontaires des Etats membres, des partenaires
et d’autres sources, telles que : le secteur privé la société civile, des particuliers, et d’autres
activités connexes de l’Union résultant de la collecte de fonds.
152 Le barème de financement du fonds fiduciaire renouvelable est déterminé par les

organes directeurs compétents de l’Union sur recommandation du Conseil de Paix et de


Sécurité. L’Union dispose également d’un Fonds de réserve, qui finance les compléments
budgétaires, les dépenses additionnelles non inscrites au budget. Ce fonds fiduciaire est un
autre compte, une ressource extrabudgétaire permettant de « prendre d'autres mesures afin de
faire face aux augmentations de dépenses imprévues ». Cf. SCHUMM (S.), « L’établissement du
budget dans les organisations du système des Nations Unies », op.cit., p. 26.
153 BATONON (B.), Les systèmes financiers publics des Etats de l’UEMOA à l’épreuve de la nouvelle

gouvernance financière publique, Thèse de Doctorat en Droit Public, Université Panthéon-


Sorbonne - Paris I, 2016, p. 206.
154 Ibidem.

482
objectifs de performance, ces dernières se trouvent confrontées à certaines
difficultés, qui de manière globale, renvoient aux limites structurelles (1) et
conjoncturelles (2).
1. Les limites structurelles
Les Organisations africaines d’intégration régionale ne sont pas
exemptes de toute responsabilité issue de ce statu quo, qui annihile la
performance de leur budget. La structuration de ces organisations
renseigne à suffisance sur les imperfections ou les résultats déplorables
observés sur le plan budgétaire. À l’origine de ces bémols structurels,
l’absence de règlement des engagements financiers, et d’un contrôle
spécifique de performance budgétaire.
Ces Organisations sont victimes du vide juridique résultant du non
encadrement normatif du système de financement de leurs activités par les
différents acteurs. Toute procédure de financement d’une organisation est
normalement soumise à un règlement qui sur le plan financier, constitue la
norme encadrant l’engagement des différents contributeurs. L’engagement
est une action consistant à mettre en gage, de se lier par une convention.
Au sens strict, elle est une « manifestation de volonté par laquelle une personne
s’oblige. Il est une source de l’obligation »155. En droit financier, « Acte ou fait
juridique faisant naitre à l’encontre d’une personne publique une obligation génératrice
d’une charge budgétaire »156. C’est un acte qui doit être consigné par écrit,
manifestation d’une consolidation solennelle de la confiance servant de
base dans la collaboration financière qui sur le plan des finances publiques
internationales, doit faire l’objet d’un encadrement règlementaire.
L’absence de règlement des engagements financiers est à l’origine
des problèmes de performance du budget au sein des OAIR. Le non-
respect des délais de versement des contributions, et même le non
versement des contributions par certains Etats membres, ainsi que des
partenaires internationaux, sont autant de maux qui ralentissent le
processus d’atteinte des objectifs que se fixent ces organisations, lesquels
mettent leur budget à l’épreuve de la performance157. L’on fait ainsi le
constat déplorable selon lequel, les OAIR ont choisi comme approche
d’incitation au respect des engagements financiers, des recommandations

155 GUINCHARD (S.), DEBARD (T.) (dir.), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz,
2017-2018, 25ème éd., p. 863.
156 Ibid.
157 À titre de droit comparé, le Comité des contributions de l'ONU a établi un barème des

quotes-parts, selon plusieurs critères. Ce barème est révisé périodiquement sur le conseil du
Comité. Il sert de base au barème de nombreuses organisations, qui l'ont adapté en
fonction de leurs caractéristiques et de leur composition. À l'OACI par exemple, 75 % des
contributions sont calculés conformément au barème de l'ONU, les 25 % restants étant
basés sur l'importance de la flotte aérienne de chaque pays, déterminée d'après leurs
services aériens internationaux. À l'OMI, 90 % des contributions sont calculés en fonction
du tonnage de la marine marchande, et 10 % seulement sont basés sur le barème de l'ONU.
Cf : SCHUMM (S.), L’établissement du budget dans les organisations du système des Nations-Unies,
op.cit., p. 15.
483
qui figurent dans la plupart des cas, dans les documents cadre qui n’ont
aucune force contraignante.
Or, si les contributions faisaient l’objet d’un encadrement juridique,
le simple fait pour un État membre ou un partenaire international de
s’engager financièrement aurait produit des effets de droit. Ainsi, le non-
respect engagerait immédiatement la responsabilité de l’acteur défaillant
dans le cadre d’une procédure pour un recours en manquement devant des
instances spécifiques. En effet, en tant que mécanisme palliatif de
l’absence de réciprocité en droit de l’intégration158, le recours en
manquement se pose comme une solution à la crainte d’une inefficacité
du droit de l’intégration, du fait, notamment, de la mise « hors du jeu » de la
réciprocité159. Dans le cadre de la CEMAC, le recours en manquement
est clairement posé par le traité révisé CEMAC qui précise en son article 4
qu’en cas de manquement par un État aux obligations qui lui incombent
en vertu du droit communautaire, la Cour de Justice peut être saisie en vue
de prononcer les sanctions dont le régime sera défini par des textes
spécifiques160.
Dans le domaine de la physique, la performance est considérée
comme un effet “utile” au regard de l’objet qui est le sien, d’où la référence
possible à la définition du Larousse : « Ensemble des qualités qui caractérisent les
prestations (…) »161. De ce fait, pour qualifier une prestation de qualitative et
surtout de quantitative162 il faut qu’elle fasse l’objet d’un contrôle
spécifique de performance par des instances externes, autonomes et
indépendantes, à l’instar du Parlement et de la juridiction financière. Ce qui
n’est pas le cas au sein des OAIR où les organes en charge de l’exécution
performante des programmes, sont confondus à ceux en charge du
contrôle. Bien que l’Union africaine dispose d’un Conseil de vérificateurs
externes qui n’exerce ses compétences que sur les comptes163, il n’en

158 KAMTOH (P.), Introduction au système institutionnel de la CEMAC, Yaoundé, Afrédit, 2014,
p. 180.
159 BATIA EKASSI (S.), L’institution supérieure de contrôle des finances publiques au Cameroun,

Thèse de Doctorat/Ph.D, Droit Public, Université de Yaoundé II, 2017-2018, p. 214.


160 Voir TATY (G.), « Le recours en manquement d’Etat de l’article 4 du traité révisé de la

CEMAC : Analyse critique » Troisième rencontre inter-juridictionnelle des cours


communautaires de l’UEMOA, la CEMAC, la CEDEAO et de l’OHADA, Dakar, mai
2010, pp. 2-5. Lire également TEZCAN (E.), « La responsabilité des Etats membres vis-à-
vis des particuliers pour violation du droit communautaire et sa mise en œuvre par les
juridictions nationales », RBDI, n°1996-2, pp. 517-518.
161 PESQUEUX (Y.), « La notion de la performance globale », Forum International

ETHICS, Tunis, décembre, 2004, p. 6.


162 L’étude quantitative d’une prestation s’opère par rapport à l’atteinte des résultats.
163 En vertu du Règlement financier (FRR), le conseil effectue des vérifications externes des

comptes de l'UA, des comptes de la CUA y compris des fonds fiduciaires, des fonds de
projets et des fonds spéciaux, et veille à ce que ces vérifications soient conformes aux
normes et aux lignes directrices en matière d'audit internationalement reconnues. Le
Conseil fait rapport au Conseil exécutif de l'UA par le biais du Comité des représentants
permanents de l'UA (COREP). Cf : Union Africaine, Rapport annuel consolidé et états financiers
de la Commission de l’Union Africaine au titre de l’exercice financier clos le 31 décembre 2016, p. 24.
484
demeure pas moins que c’est l’organe en charge de l’exécution qui effectue
ses propres contrôles, et n’est responsable que devant un organe
politique164.
Cependant, étant donné que le souci d’une bonne administration de
la chose publique exige un éclatement du pouvoir165, il faudrait faire
intervenir dans la chaine d’exécution des opérations budgétaires166, de
nouveaux acteurs. L’éclatement de pouvoir tel que conçu sous le revers de
la séparation des pouvoirs au sein de l’État, ne constitue que l’extension du
principe de la séparation des fonctions dans les finances publiques par
l’introduction de nouveaux gestionnaires, qui apporte en matière de
gestion financière, la garantie d’une grande lisibilité et efficacité de l’action
publique, bref d’une performance de l’action publique167.
Cependant, cette centralisation ou conservation du contrôle de
performance est une épine à la performance budgétaire car, à sens unique,
interne aux administrations des OAIR, et par ricochet trop subjectif,
irrationnel. C’est dans ce sillage que le rôle de l’institution parlementaire
étant obsolète, devrait être revalorisé. Il en est de même de la juridiction
des comptes qui n’étant visible que sur le plan sous-régional, n’a pas pour
compétence d’exercer un contrôle de la performance budgétaire au sein
des OAIR. Cette absence de contrôle de performance par ces instances
spécifiques ne permet pas d’avoir une vision claire sur l’évolution
budgétaire et le niveau de réalisation des objectifs.
2. Les limites conjoncturelles
Les OAIR sont des structures qui dépendent sur le plan financier
des ressources des pays membres, qui font face depuis quelques décennies

164 Suivant la présentation des rapports sur la situation financière et responsabilité, Le


Président de la Commission est le premier dirigeant, le représentant légal de l'UA et le comptable de la
Commission .Cf. article 7 des Statuts de la Commission de l’Union Africaine. Toujours au sein de
l’UA, le contrôle de la performance par exemple au sein de la Commission de l’Union
Africaine est fait en interne, par le président de la commission, qui se trouve être en même
temps l’ordonnateur et le comptable de l’organisation, ce qui est une entorse au principe de
la séparation des fonctions en finances publiques. A contrario, au sein de l’UEMOA, le
président de la commission « est l'ordonnateur principal unique des recettes de l'Union et
l'ordonnateur principal des crédits de la Commission, des Fonds et des autres organes à l'exception de ceux
bénéficiant de l'autonomie de gestion financière ».C’est également lui qui « produit le rapport de
performance de l'Union ».Cf. Article 21 (3) du Règlement Financier de l’UEMOA.
165 BOUVIER (M.), « Nouvelle gouvernance financière publique et transformations du

pouvoir politique », op. cit. , pp. 57 et s.


166 PIERUCCI, (C.), « Le choix des gestionnaires de budget opérationnel de programme.

La gestion publique entre empirisme et réglementation », In réformes des finances publiques et


modernisation de l’administration, Mélanges en l’honneur du Professeur Robert HERTZOG, op. cit., pp
.445 et s.
167 THEBAULT (S.), « La responsabilité des gestionnaires : responsabilité managériale et

responsabilité juridictionnelle, approche comparée », in BOUVIER (M.), La bonne


gouvernance des Finances publiques dans le monde, Actes de la IVe Université de printemps de Finances
Publiques du Groupement Européen de Recherches en Finances Publiques (GERFIP), Paris, LGDJ,
2009, pp. 284 et s.
485
à de fortes crises, ainsi que de celles des partenaires devenus réticent. Le
contexte structurel et la dépendance financière et géostratégique sont,
entre autres, à l’origine de la piètre performance budgétaire observée au
sein de ces Organisations.
Les Etats membres victimes de ces différentes crises se retrouvent
souvent dans l’impossibilité de tenir à leur engagement financier, mettant
ainsi en difficulté les OAIR et par ricochet la performance de leur budget.
Les pays africains ont été et continuent d'être extrêmement vulnérables
aux aléas des forces du marché mondial. Les changements dans
l'environnement économique mondial, tels que l'effondrement des prix des
matières premières, la crise financière ou d'autres développements dans les
domaines politique, social et environnemental ont un potentiel énorme
pour faire dérailler la trajectoire du développement en Afrique168. Il en est
de même des fléaux tels les conflits, l’instabilité et l’insécurité169.L’on ne
saurait occulter le poids négatif des inégalités sociales et économiques, les
flux financiers illicites170, la gestion inappropriée des diversités,
l’ascendance du fondamentalisme religieux, la corruption et l’escalade du
fardeau des maladies en Afrique171, les risques climatiques et les
catastrophes naturelles. Bien que de nombreux pays africains soient stables
et beaucoup plus forts aujourd'hui par rapport aux années post
indépendances médiates, la menace de la fragilité de l'État persiste avec le
potentiel de s’étendre aux pays voisins. La nouvelle tendance, marquée par
le recours aux pratiques anti-démocratiques dans certains pays, peut avoir
un effet déstabilisateur si elle n’est gérée de manière appropriée172. C’est
dire que les OAIR subissent le choc de la lente croissance économique,

168 Commission de l’UA, Agenda 2063, L’Afrique que nous voulons, Document-Cadre,
septembre 2015, p. 143.
169 Au cours des 50 dernières années, les pays de toutes les régions d'Afrique ont connu, à

des degrés divers, des conflits et l'insécurité. L’on peut citer l’absence de pluralisme; la
gestion inappropriée des diversités (ethniques, religieuses); une concurrence sévère pour les
ressources rares (terrestre, minière, en eau, forestière, etc.); la gestion économique
médiocre; et les catastrophes d’origine naturelle ou humaine.
170 La prolifération de la piraterie maritime en Afrique est également étroitement liée à la

fragilité des États. Aujourd'hui la piraterie maritime est effectuée principalement avec deux
régions de l'Afrique: la Corne et le Golfe de Guinée. Tout comme le trafic de drogues, le
piratage perturbe également les économies régionales. Par exemple, l'industrie touristique
du Kenya a été sérieusement affectée par les activités des pirates et le gouvernement a été
contraint de prendre des mesures extraordinaires. Les flux financiers illicites permettent le
détournement des fonds plus que nécessaires pour le développement de l’Afrique vers
d'autres régions du monde. Ibid., p. 142.
171 Une combinaison de plusieurs facteurs, y compris la situation géographique de l'Afrique,

c’est -à -dire, en grande partie la situation tropicale, la pauvreté, la malnutrition et des


services d’assainissement médiocre ont exposé les pays africains à un fardeau de morbidité
disproportionné par rapport à d'autres pays en développement Lire YOUSSOFZAI (F.),
Management stratégique et performance des systèmes organisationnels engagés dans la lutte contre la
pauvreté, Thèse de Doctorat en Administration, Université de Montréal, 2003, pp. I-II.
172 V. LAGADEC (P.), La gestion des crises, outils de réflexion à l’usage des décideurs, MCGRAW-

Hill, 1991, p. 8.
486
l’instabilité, le sous-emploi, les inégalités, la monoproduction, ainsi que la
dépendance financière et politique résultant des facteurs extérieurs à
l’instar des relations de domination avec l’étranger173.
Les contributions des États membres et des partenaires au
développement demeurent la source principale de financement des
activités des OAIR. Seulement, ces dernières voient leur budget mis à
l’épreuve de la performance sur le plan financier et géostratégique au
regard de la faible participation des Etats membres sur ces pans. Le fait en
est que, les partenaires au développement sont des bailleurs de fonds qui
contribuent à près de 70% au financement des activités des OAIR174. C’est
à partir 2019 que l’Union Africaine a commencé à procéder à la réduction
des contributions des partenaires au développement. Elle s’est ainsi
décidée, lors du vote de son budget, à réduire sa dépendance financière
vis-à-vis des partenaires et renforcer son autonomie par un accroissement
des contributions internes tant des Etats membres que de la Commission
de l’Union175. Ce financement participe de l’extension du « mécanisme de la
conditionnalité »176, imposé aux Etats africains pour bénéficier de l’aide
internationale.
Au sein de la CEMAC et de la CEEAC, le programme portant sur
l’intégration régionale est financé à plus de 80% par la BAD. Les
investissements de la Banque dans les opérations régionales ont augmenté
de 15% entre 2017 et 2018, atteignant 1,1 milliard de dollars américains en
août 2018. La Banque prévoit même une augmentation considérable de ses
investissements de 2019 à 2025, de 4,4 milliards de dollars américains dont
88 % dans l’infrastructure matérielle et 12% dans la facilitation du
commerce et le renforcement des capacités177. Plus récente, la crise
sanitaire liée à la propagation de la pandémie de la Covid-19 que le monde
traverse, est un facteur qui plombe la performance budgétaire des OAIR
qui ne se sont pas préparées à un tel choc.

173 TOURE (B.-Y.), Afrique : l’Épreuve de l’indépendance, Paris, PUF, 1983, pp. 126-146.
174 Par exemple en 2017, les organes délibérants de l’Union Africaine avait adopté un
budget dans lequel Les États membres se sont engagés à fournir 26% du budget total
tandis que 74% ont été mobilisés au niveau des partenaires. En 2019, l’Union Africaine a
subdivisée son budget des opérations de maintien de la paix suivant un financement majeur
des partenaires (a) 11.328.753 dollars au titre des contributions statutaires des États
membres b) 261.940.387 dollars à solliciter des partenaires internationaux). Source,
Document Cadre, op.cit., p. 8.
175 Les États membres se sont engagés à fournir 41% du budget total et la Commission

devait mobiliser les 59% restants des partenaires au développement, ce qui indique un
accroissement des contributions des États membres de 26% en 2017 et une réduction de
15% des contributions des partenaires. Source, Document Cadre Budgétaire, op.cit., pp. 6-7.
176 La conditionnalité (Aide internationale) « la conditionnalité dans l’aide internationale est

l’ensemble des conditions exigées par les grandes organisations économiques internationales en échange des
prêts aux pays en développement ». Cf. NTSOGO MBILI (F.), La Chambre des comptes à l’aune du
nouveau régime financier de l’État en droit camerounais, op.cit., p. 4.
177 AKINWUMI AYODEJI ADESINA, « Avant-propos », in Document de Stratégie

d’Intégration Régionale 2019-2025, version révisée juin 2019, p. iv.


487
Conclusion
En tout état de cause, il ressort de l’analyse menée, que le système
budgétaire des OAIR, recèle un clair-obscur managérial, lequel rime avec
la rareté des travaux scientifiques. Ainsi, la présente étude étant un apport
lumineux à l’obscurantisme relevé, fait un constat, celui de l’engagement
des OAIR sur le chemin de la nouvelle gestion publique qui exige la
performance. De ce fait, l’on constate que les OAIR au même titre que les
Etats se sont arrimés au nouveau système budgétaire, perceptible par la
recherche de la performance de leur budget, marqué par l’adoption des
approches managériales incluant la rationalisation budgétaire et la logique
de pluriannualité. Cette dernière, n’est qu’un volet d’une question plus
large : celle de la dimension temporelle de la gestion publique178, car « le
temps est à la fois une contrainte majeure et une ressource essentielle. (…) »179. La
budgétisation axée sur la performance établit un lien explicite entre
l’information sur les résultats et la prise de décision et cherche en théorie à
récompenser les plus performants et à sanctionner les moins
performants180. Par ailleurs, l’un des enjeux majeurs de l’introduction de la
logique des résultats au sein des OAIR, est « de tempérer et contrebalancer la
culture de moyens, naturellement forte (…) par le développement d’une culture de
résultats »181, obligeant ainsi les gestionnaires « à atteindre les résultats attendus
avec une économie de moyens soutenable »182.
Cependant, la grande déception résulte du fait que, la recherche de
cette performance budgétaire au sein des OAIR est sujette à controverse et
confusion. Ces limites relèvent des contrastes à la fois endogènes et
exogènes. Ces contrastes ne sont que des insuffisances relevées dans la
budgétisation de ces Organisations à la recherche de la performance. Il en
ressort qu’elles font face à des contraintes liées tant à la situation de crise
ambiante dans les Etats membres en particulier, que dans le monde en
général. L’inadaptation du budget au contexte dans lequel fonctionnent les
OAIR est à l’origine des échecs de mise en œuvre de la démarche de
performance. Ce constat emmène une certaine opinion à penser que le
budget de ces organisations s’accommoderait difficilement à l’idée de
performance, car leurs dirigeants seraient mal formés. Plus encore, ils
seraient dominés par une mentalité traditionnelle peu conciliable avec la
modernité managériale et la recherche de la rentabilité. Toute chose qui est

178 Cf. CANNAC (Y.), « Quelles programmation pluriannuelle pour les dépenses
publiques ? », in BOUVIER (M.) (dir.), Innovation, Création et transformation en Finances
Publiques, Paris, LGDJ, 2006, pp. 17-20.
179 Ibidem.
180 BATONON (B.-S.), Les systèmes financiers publics des Etats de l’UEMOA à l’épreuve de la

nouvelle gouvernance financière publique, op. cit., p. 260.


181 Ibid., p. 172.
182 Ibidem.

488
contre-productive au regard de l’ensemble des mécanismes mis en œuvre
pour améliorer la gestion au sein des OAIR183.
Par ailleurs, suite à la crise du Covid-19, les OAIR sont appelées à
un changement de paradigme budgétaire, qui devrait évoluer avec le
contexte sanitaire actuel. Ces différents ajustements qui devraient avoir
« un impact sur la motivation des agents (…). Les rendre responsables de leur
performance (…). Les primes à la performance doivent être conçues par ailleurs avec
soin et incorporées dans les programmes de réforme »184. Malgré la construction de
ce grand édifice qu’est la performance, il est perceptible des relents de
résistance qui sont néanmoins perfectibles. Nonobstant les problèmes
auxquels font face ces Organisations, être dans le train de la performance
est possible s’il y’a de la volonté politique, et surtout de l’audace, de
l’affirmation des structures internes à ces organisations. Des pistes de
réflexions allant de la valorisation du contrôle parlementaire au
renforcement du contrôle juridictionnel par la mise en place d’un contrôle
de la gestion pourvu de sanction au sein des OAIR sont à explorer. En
plus, celles-ci doivent régler les problèmes de liquidité et les questions
structurelles qui, plus, compromettent la gestion budgétaire performante.
Les OAIR sont ainsi invitées à prendre en main leur destin, et à
faire face aux aléas, aux contingences qui impactent sur l’efficacité de leur
budget. Ainsi, en introduisant dans leurs finances la logique de
performance, ces dernières modernisent leurs orientations budgétaires185,
pour ainsi s’arrimer à la modernité financière186 au sens de ce que le
Professeur Michel BOUVIER appelle, la « gouvernance financière publique
d’excellence »187. Seulement, faudrait que cet arrimage cadre, ou soit adapté
au contexte, aux réalités internes, à l’environnement propre à chaque
OAIR, car comme l’auteur lui-même l’a souligné, si ce n’est le cas, l’on
aboutira à « l’illusion de la réforme »188.

183 V. NIZET (J.), PICHAULT (F.), Les performances des organisations africaines. Pratique de
gestion en contexte incertain, Paris, L’Harmattan, 2007, pp. 80-105.
184 SHARPLES (S.), TELLIER (C.), « Réformes des finances publiques en Afrique et

nouveaux mécanismes d’aide et d’allègement de la dette », op. cit.


185 V. LEVOYER (L.), « Vers un modèle de gestion publique ? », in Réformes des finances

publiques et modernisation de l’administration…, op. cit.,, pp. 333 et s.


186 LAURENT (M.), « Les réformes budgétaires vues par les reformes internationales »,

Actes de la IIIe Université de printemps de Finances Publiques du Groupement Européen de Recherches en


Finances Publiques, Paris, LGDJ, 2007, pp. 41 et s.
187 BOUVIER (M.), « Nouvelle gouvernance financière publique et transformations du

pouvoir politique », in réformes des finances publiques et modernisation de l’administration…, op. cit.,
pp. 57 et s.
188 BOUVIER (M.), « La conduite de la réforme budgétaire dans les pays en

développement : réflexion méthodologique », Actes de la IIIe Université de printemps de Finances


Publiques du Groupement Européen de Recherches en Finances Publiques (GERFIP), Paris, LGDJ,
2007, p. 129.
489
FINANCES ET FISCALITE LOCALES
(Sous la coordination du Prof ESSONO OVONO,
Maître de conférences agrégé)

490
DE LA LIBERTE D’EMPRUNT LOCAL EN DROIT PUBLIC
CAMEROUNAIS
Par
Eugène NZAMBOUNG
Doctorant en Droit public
Université de Yaoundé II (Cameroun).
RESUME

La question des libertés accordées aux collectivités territoriales décentralisées en


droit camerounais est l’une de celles qui intriguent le plus la doctrine. En ce sens, l’objet
de la présente réflexion est de vérifier l’existence de la liberté d’emprunt local en droit
camerounais. Les principaux résultats font état de l’institution d’une liberté d’emprunt
local de façade. Cette idée se vérifie par la consécration libérale de l’initiative d’emprunt
local fortement entravée toutefois par la restriction conservatrice de la décision d’emprunt
local.

Mots-Clés : Libre administration - Emprunt local - Tutelle - Collectivité


Territoriale Décentralisée.

ABSTRACT

The question of the freedoms granted to decentralized territorial communities


under cameroonian law is one of those that most intrigued the doctrine. In this sense, the
object of this reflection is to verify the existence or not of the freedom of local borrowing in
cameroonian law. The main results point to the façade institution of the freedom of local
borrowing. This idea is confirmed by the liberal consecration of the local borrowing
initiative, however strongly hampered by the conservative restriction of the local borrowing
decision.

Keywords: Free administration - Local loan - Trusteeship – Decentralized


Territorial Communities.

491
Introduction

« Jusqu’au début des années 1980, l’Etat assurait un encadrement strict de


l’endettement des collectivités soucieux de maitriser les flux financiers du secteur public
local et d’orienter les décisions d’investissement. A la faveur des lois de décentralisation
et de la banalisation de l’accès au crédit, les collectivités sont devenues le premier
investisseur public en France tout en supportant un endettement modéré et soutenable ».
Ces propos d’un auteur2289 sur la trajectoire de l’emprunt local en France
sont-ils transposables au Cameroun ? La présente étude tente d’y apporter
des éléments de réponse en appréciant l’étendue de la liberté d’emprunt
local - et par conséquent de la libre administration des collectivités
territoriales - en droit positif camerounais.
Le prétexte de la réflexion est l’option vraisemblablement
irréversible de la décentralisation comme mode d’aménagement de l’Etat
depuis près de deux décennies. Au départ, l’importante réforme
constitutionnelle du 18 Janvier 1996 fait de la République du Cameroun
un Etat unitaire décentralisé2290. La décentralisation est célébrée2291.
Thématique universelle, elle suscite à travers le monde et l’Afrique un
intérêt croissant, car vectrice de démocratie et de bonne gouvernance2292.
Elle s’inscrit dans le cadre de la modernisation des Etats2293. Les bailleurs

2289 Yann DOYEN, « L’emprunt et le besoin de financement des collectivités locales : les
leçons de l’histoire », RFFP, n°145, 2019, p. 97.
2290 Art.1 alinéa 2 de la loi n°96/06 du 18 Janvier 1996 portant révision de la Constitution

du 02 Juin 1972 modifiée et complétée par la loi n°2008/001 du 14 Avril 2008. Option
devenue irréversible, la décentralisation est d’abord implémentée par les lois dites de la
décentralisation de 2004 : loi n°2004/0117 du 22 Juillet 2004 portant orientation de la
décentralisation, loi n°2004/018 du 22 Juillet 2004 fixant les règles applicables aux
communes, loi n°2004/019 du 22 Juillet 2004 fixant les règles applicables aux régions.
Celles-ci sont renforcées par plusieurs textes dont les lois de 2009 : loi n°2009/011 du 10
Juillet 2009 portant régime financier des collectivités territoriales décentralisées, loi
n°2009/019 du 15 Décembre 2009 portant fiscalité locale. L’option de la décentralisation
est confirmée et consolidée par la promulgation de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019
portant Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées (ci-après CGCTD).
L’avènement de ce code tant souhaité marque une étape décisive dans la consolidation de
l’Etat de droit au Cameroun. Aaron LOGMO MBELECK, « Les pouvoirs financiers des
collectivités territoriales décentralisées au Cameroun : regards sur la loi n°2019/024 du 24
décembre 2019 portant Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées »,
SOLON, Revue africaine de parlementarisme et de démocratie, n°23, 2020, p. 143.
2291 Jean THOENIG, « La décentralisation, dix ans après », Pouvoirs, n°60, 1992, p. 5. Lire

aussi Roger Gabriel NLEP, L’administration publique camerounaise : contribution à l’étude des
systèmes africains d’administration publique, Paris, LGDJ, 1985, pp. 89-90 ; Suzanne NGANE,
La décentralisation au Cameroun, un enjeu de gouvernance, Yaoundé, Afredit, 2008, p. 14.
2292 BEGNI BAGAGNA, « Le principe de la libre administration des collectivités

territoriales décentralisées au Cameroun », SOLON, Revue africaine de parlementarisme et de


démocratie, n°7, 2013, p. 70 ; Jean TOBI HOND, « Etat des lieux de la décentralisation
territoriale au Cameroun », in Magloire ONDOA (dir.), L’administration publique camerounaise
à l’heure des réformes, Yaoundé, Harmattan-Cameroun, 2010, p. 95.
2293 Jean-Pierre KUATE, Les collectivités territoriales au Cameroun, Recueil de textes, Douala,

Les dynamiques locales, 2013, 4e éd., p. 6.


492
de fonds internationaux en font une conditionnalité de l’aide publique au
développement2294.
Pour EISENMANN, « La décentralisation (…) consiste à donner à des
autorités compétentes locales des pouvoirs d’action ; donc d’abord de décisions
indépendantes des autorités centrales (centralisées) »2295. La décentralisation traduit
selon l’éminent auteur la liberté d’action des collectivités territoriales
décentralisées. Cette dernière se manifeste par le principe constitutionnel
de la libre administration des collectivités territoriales décentralisées. En
droit camerounais, il est institué à l’article 55 alinéa 2 de la Constitution :
« Les collectivités territoriales décentralisées sont des personnes morales de droit public.
Elles jouissent de l’autonomie administrative et financière pour la gestion des intérêts
régionaux et locaux. Elles s’administrent librement par des conseils élus et dans les
conditions fixées par la loi (…) »2296.
Le cœur de la notion, la liberté, est un concept polymorphique riche
de déclinaisons. Comme l’indique MONTESQUIEU, « il n’y a point de mot
qui ait reçu plus de différentes significations (…) que celui de liberté ». La liberté
échappe à toute définition, « à la fois précise, quand à la signification et générale,
quant au contenu »2297. Génétiquement, le terme « liberté » dérive du latin

2294 Matthieu FAU-NOUGARET, La conditionnalité démocratique. Etude de l’action des


organisations internationales, Thèse de Doctorat en droit, Université de Bordeaux 2004, 604 p. ;
Jean-Louis ATANGANA AMOUGOU, « Conditionnalité et droits de l’homme », in La
conditionnalité dans la coopération internationale, Colloque de Yaoundé, des 20-22 Juillet 2004,
Université de Yaoundé II et Université de BERGAMO (Italie), UNESCO, pp. 65-81 ; « La
conditionnalité dans la coopération internationale », in La conditionnalité dans la coopération
internationale, op. cit., pp. 117-119 ; Marcelin NGUELE ABADA « Conditionnalité et
souveraineté », in La conditionnalité dans la coopération internationale, op. cit., pp. 36-57 ; Maurice
KAMTO, « Problématique de la conditionnalité en droit international et dans les relations
internationales », in La conditionnalité dans la coopération internationale, op. cit., pp. 17-23 ;
Boubakari OUMAROU, « La conditionnalité, vecteur juridique de l’assistance financière du
FMI au Cameroun », Afrilex, n°4, 2004, pp. 132-149 ; Samuel Théophile BATOUM-BA-
NGOUE, « Démocratisation et processus budgétaire dans les Etats de la communauté
économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) : le cas du Cameroun », Afrilex,
n°4, 2004, pp. 1-26, Gérard Martin PEKASSA NDAM, « La classification des communes
au Cameroun », RASJ, vol. 6, n°1, 2009, p. 229 ; Cyrille MONEMBOU, « Les paradoxes de
la décentralisation camerounaise : de la décentralisation à la recentralisation », RADSP, n°1,
2013, p. 162. Pour ce dernier, « l’organisation décentralisée est aussi présentée comme la recette
magique aux problèmes de fonctionnement de l’administration, ce d’autant plus qu’elle est une exigence des
bailleurs de fonds internationaux qui considèrent les collectivités territoriales décentralisées comme le cadre
pour l’excellence de résolution des problèmes des populations locales ». Lire aussi le 11eme Fonds
Européen de développement, programme indicatif national qui couvre la période 2014-
2020 et constitue la réponse de l’Union Européenne aux défis du Cameroun. Il se déroule
autour de deux secteurs de concentration : la gouvernance et le développement rural.
2295 Charles EISENMANN, Cours de droit administratif, Tome 1, Paris, LGDJ, 1982, p. 278.
2296 Lire, pour plus de précisions sur cette disposition, Bernard Raymond GUIMDO

DONGMO, « Les bases constitutionnelles de la décentralisation au Cameroun


(Contribution à l’étude de l’émergence d’un droit constitutionnel des collectivités
territoriales décentralisées) », RGD, 1998, pp. 87 et suivantes.
2297 MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, Paris, Nathan, 1997, p. 103. Lire aussi Michel

VERPEAUX, « La liberté », AJDA, 1998, p. 144, Muhannad AJJOUB, La notion de liberté


493
libertas issu de « liber » qui signifie libre. La liberté peut s’entendre comme
un bienfait suprême consistant pour un individu ou un peuple à vivre hors
de tout esclavage, servitude, oppression, sujétion ou domination intérieure
ou étrangère. Mieux, la liberté est une situation garantie par le droit dans
laquelle chacun est maître de soit même et exerce comme il le veut toutes
ses facultés. Plus encore, la liberté est un exercice sans entrave garanti par
de droit de telle faculté ou activité2298.
L’adjonction du substantif administration à la liberté permet
d’obtenir la libre administration, principe cardinal de la décentralisation2299.
Seulement, la notion est fuyante. Le professeur Jean BOULOUIS2300
souligne son ambigüité en parlant d’une notion « plus prometteuse que précise ».
Le Professeur Nicaise MEDE pour sa part pense qu’à l’évidence, la libre
administration se mesure plus qu’elle ne se définit2301. Pour Louis
FAVOREU et André ROUX2302, la libre administration doit être perçue
comme la liberté d’être et d’agir. Cette liberté implique une liberté à la fois
institutionnelle et fonctionnelle. L’autonomie institutionnelle indique
l’existence à côté de l’Etat d’autres personnes morales de droit public qui
s’administrent librement par des conseils élus. L’autonomie fonctionnelle
quant à elle traduit l’existence d’attributions effectives reconnues aux

contractuelle en droit administratif français, Thèse de Doctorat en Droit Public, Université de


Paris II, Panthéon-Assas, 2016, p. 15.
2298 Gérard CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2018, 12e éd., p. 1305. Dans ce

sens, l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 Août 1789


pose que « la liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. La liberté consiste à pouvoir faire
tout ce qui ne nuit pas à autrui. Ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que
celles qui assurent aux autres Membres de la société, la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne
peuvent être déterminées que par la loi ». L’article 5 ajoute que « la loi n’a le droit de défendre que les
actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut
être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas ». Lire aussi Olivier DUHAMEL et Yves MENY
(dir.), Dictionnaire constitutionnel, Paris, PUF, 1992, pp. 596-597.
2299 BEGNI BAGAGNA, « Le principe de la libre administration des collectivités

territoriales décentralisées au Cameroun », op. cit., p. 83.


2300 Jean BOULOUIS, « Réflexion et commentaires. Une nouvelle conception

institutionnelle de l’administration territoriale », A.J.D.A, 1982, p. 304 ; Christophe


LAJOYE, « La valeur constitutionnelle de la liberté contractuelle », CRDF, n°1, 2002, p.
119. Rarement un principe qualifié de fondamental n’aura donné lieu à autant de réflexions
autour de sa signification comme c’est le cas de la libre administration des collectivités
territoriales. Sa consécration pour la première fois dans la constitution française du 27
octobre 1946 n’a pas atténué les déceptions sur la notion et les attentes demeurent toujours
aussi grandes que les espoirs suscités lors de la proclamation de cette liberté locale. Landry
NGONO TSIMI, L’autonomie administrative et financière des collectivités territoriales décentralisées :
l’exemple du Cameroun, Thèse de Doctorat, Université de Paris-Est Créteil Val-de-Marne,
2010, p. 119.
2301 Nicaise MEDE, « L’autonomie retenue, étude sur le principe de la libre administration

des collectivités territoriales en Afrique de l’ouest francophone », African Administrative


Studies, n°73, 2009, p. 3.
2302 Louis FAVOREU et André ROUX, « La libre administration des collectivités

territoriales est-elle une liberté fondamentale ? », CCC, n° 12, (Dossier : le droit


constitutionnel des collectivités territoriales), 2002, 8p, www.conseil-constitutionnel.fr,
consulté le 10 Décembre 2020 à 13h.
494
collectivités territoriales décentralisées. La libre administration se décline
donc en termes d’autonomie des collectivités territoriales décentralisées2303.
Cette autonomie peut être administrative et surtout financière. Selon le
Doyen Georges VEDEL, « l’autonomie financière est non seulement la possibilité
théorique d’avoir un patrimoine et de le gérer, mais aussi la possibilité pratique pour
l’organisme décentralisé de se procurer des ressources et de choisir leur emploi »2304. Les
collectivités territoriales ne peuvent exercer leurs attributions effectives
sans un minimum d’autonomie financière, « celle-ci s’avère donc indissociable de
la libre administration »2305.
De ce point de vue, la réussite de la décentralisation est tributaire
d’une bonne politique de financement. Elle peut être schématisée selon le
Professeur Gérard Martin PEKASSA NDAM en la trilogie conception-
implémentation-évaluation2306. La décentralisation ne serait donc qu’un
leurre si les collectivités territoriales n’étaient pas dotées de moyens
financiers appropriés2307. Or, en matière de finances locales au Cameroun,
on assiste à une raréfaction des ressources. On est donc, dans ce contexte
de paupérisation généralisée de collectivités territoriales au regard de la
faiblesse des ressources financières locales2308, autorisé avec le Professeur
Michel BOUVIER à dresser le constat d’une crise des finances locales2309.

2303 BEGNI BAGAGNA, « Le principe de la libre administration des collectivités


territoriales décentralisées au Cameroun », op. cit., pp. 72-73.
2304 Georges VEDEL, Droit administratif, Paris, PUF, 2000, 15e éd., p. 462, Sylvie

NGUECHE, La formation de l’autonomie financière des collectivités territoriales décentralisées au


Cameroun, Thèse de Doctorat/Ph.D en Droit Public, Université de Yaoundé II, 2015, p. 29
et ss ; Landry NGONO TSIMI, L’autonomie administrative et financière des collectivités territoriales
décentralisées : l’exemple du Cameroun, op.cit., 2010, pp. 171 et ss.
2305 Loïc PHILIP, « L’autonomie financière des collectivités territoriales », CCC, n°12.

2012, p. 152 ; John R. KEUDJEU de KEUDJEU, Recherche sur l’autonomie des collectivités
territoriales décentralisées au Cameroun, Thèse de Doctorat/Ph.D en Droit Public, Université de
Douala, 2012, p. 354. Ainsi, l’Etat doit respecter l’autonomie financière des collectivités
locales, corolaire de leur libre administration. Celle-ci suppose que ces collectivités
disposent d’un niveau de ressources suffisant leur permettant d’exercer pleinement leurs
compétences, et qu’elles conservent une marge d’appréciation dans l’utilisation de ces
ressources, autrement dit, dans la détermination des dépenses. Louis FAVOREU, Patrick
GAÏA, Richard GHEVONTHIAN, Jean-Louis MESTRE, Otto PFERSMANN, André
ROUX, Guy SCOFFONI, Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 2019, 21ème éd., p. 532.
2306 Gérard Martin PEKASSA NDAM, « La place de l’administration dans les politiques de

la décentralisation et de la gouvernance locale au Cameroun », Enjeux, Bulletins d’analyses


géopolitiques pour l’Afrique Centrale, n°45/46, 2012, p. 14.
2307 Jean Pierre KUATE, Les collectivités territoriales au Cameroun, Recueil de textes, op. cit., p.

16.
2308 A ce sujet, il faut regretter pour l’heure une inapplication du CGCTD sur la dotation

générale de la décentralisation. L’article 25 du Code est sans équivoque ; d’après cette


disposition, « (…) il est institué une dotation générale de la décentralisation destinée au financement
partiel de la décentralisation.
1. La loi de finances fixe, chaque année la fraction des recettes de l’Etat affectée à la dotation générale
de la décentralisation mentionnée à l’alinéa 1 ci-dessus.
2. La fraction mentionnée à l’alinéa 2 ci-dessus ne peut être inférieure à quinze pour cent (15%) ».
2309 Michel BOUVIER, Les finances locales, Paris, LGDJ, 2020, 18e éd., p. 11. Les ressources

des CTD représentent avant la réforme du nouveau code de la décentralisation moins de


495
Seulement, les études de la doctrine relatives à l’autonomie financière des
CTD au Cameroun s’appesantissent rarement sur l’emprunt local2310. La
présente étude se propose d’y remédier en envisageant l’emprunt local
sous le prisme de la libre administration des collectivités territoriales. Au
préalable, un éclairage sémantique de la notion d’emprunt local s’impose.
Génétiquement, le vocable emprunt dérive du verbe latin populaire
impromutare2311. Il signifie l’action d’obtenir une somme d’argent à titre de
prêt et le produit obtenu2312. Pour le Doyen Gaston JEZE, l’emprunt est
un « procédé pour se procurer de l’argent »2313. Paul-Marie GAUDEMET et Joël
MOLINIER le définissent comme « le procédé qui permet (aux personnes
publiques) de se procurer des ressources en promettant aux souscripteurs qui les
apportent volontairement divers avantages tels que le paiement d’intérêts et le
remboursement futur »2314. Le critère organique est prédominant. La présence
d’une personne morale de droit public dans l’opération d’emprunt suffit à
en faire un emprunt public au Cameroun. L’emprunt local est donc la
forme d’emprunt conclue par une collectivité locale2315. Ce dernier est
ignoré parce que perçu comme n’ayant ni la même finalité ni la même
dignité que l’emprunt de l’Etat2316. Comme le souligne le Doyen Maurice
HAURIOU, « la dette publique de l’Etat(…) est au premier chef une opération de
gestion destinée à assurer l’exécution des services publics » tandis que « les dettes

5 du budget de l’Etat et moins de 1 du PIB. Barthélémy KOM TCHUENTE, Le


Cameroun : La décentralisation en marche, Yaoundé, Presses universitaires de Yaoundé, 2013, p.
27.
2310 On peut évoquer néanmoins quelques études sur l’emprunt local. Dans ce sens lire

Sylvie NGUECHE, La formation de l’autonomie financière des collectivités territoriales décentralisées au


Cameroun, op.cit., pp. 499-531 ; Arsène TCHIENO TIMENE, Recherche sur les mécanismes
juridiques de financement des collectivités territoriales décentralisées au Cameroun, Thèse de
Doctorat/Ph.D en Droit Public, Université de Dschang, 2017, pp. 333-377 ; Guy Arsène
NYANGOE, Le financement des budgets des personnes publiques par les titres publics dans les Etats
francophones d’Afrique, Thèse de Doctorat/Ph.D en Droit Public, Université de Yaoundé II,
2018, 509 p. ; Arsène TCHIENO TIMENE, « Réflexion sur le recours à l’emprunt local
par les CTD au Cameroun », Revue panafricaine des sciences juridiques comparées, n°012, 2019, pp.
85-135 ; Alexis ESSONO OVONO, « L’autonomie financière des collectivités locales en
Afrique Noire francophone. Le cas du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, du Gabon et du
Sénégal », Afrilex, 2e numéro spécial, 2012, p. 8. ; Christian KUATE SOBNGWI, Les enjeux
de l’émission obligataire par les CTD : le cas de la communauté urbaine de Douala, Mémoire DESS,
Institut des Relations Internationales du Cameroun, 2006, 110 p. ; Revue Africaine des finances
locales, Numéro spécial, L’emprunt des collectivités locales d’Afrique subsaharienne, 2008,
pp. 28-29.
2311 Gérard CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, op.cit., p. 331.
2312 Eugène NZAMBOUNG, L’emprunt public au Cameroun, Mémoire de Master Recherche

en Droit Public Interne, Université de Douala, 2013-2014, p. 5.


2313 Gaston JEZE, Cours de finances publiques 1928-1929, Paris, Giard, 1929, p. 211.
2314 Paul-Marie GAUDEMET et Joël MOLINIER, Finances publiques, Tome 1,

Budget/Trésor, Paris, Montchrestien, 1996, 7e éd., p. 487.


2315 Jean-Claude DUCROS, L’emprunt de l’Etat, Paris, L’Harmattan, 2008, pp. 16-25.
2316 Antoine SIMON, Les emprunts des collectivités territoriales et la libre administration, Mémoire

de Master II, Administration et droit de l’action publique, Faculté de Droit de Grenoble,


2015, p. 6.
496
départementales et communales, ne donnent pas lieu à inscription sur un grand livre et
sont considérées (…) comme contractées pour la vie civile »2317. Seulement, ce
discours traditionnel rompt avec la pensée actuelle en France où l’emprunt
local finance à plus de 70 le budget d’investissement public2318. Cela
s’explique notamment par la liberté effective des CTD en matière
d’emprunt local dans cet Etat2319. En effet, pour être effective, la libre
administration suppose que les collectivités locales puissent disposer
d’instruments tant juridiques que financiers de nature à leur assurer une
certaine autonomie de décision. L’emprunt local figure à la fois comme un
instrument juridique par la liberté contractuelle nécessaire à sa mise en
œuvre et un instrument financier de renforcement de l’autonomie
financière.
Or en droit camerounais, la réticence des élus locaux à user de ce
mécanisme n’a d’égal que la faiblesse des ressources d’emprunt dans les
budgets locaux. La présente étude jette donc un regard critique sur ce
phénomène qu’elle tente d’expliquer. L’analyse de la liberté d’emprunt
local n’est pas impertinente au regard de l’histoire de la décentralisation et
même du droit budgétaire local Camerounais2320. La conduite rationnelle et
rigoureuse de la réflexion impose toutefois de lever immédiatement une
équivoque. Les liens entre l’emprunt local et la libre administration des
CTD peuvent être envisagés principalement sous deux angles. La première
perspective consiste à appréhender l’emprunt local comme un contrat en
analysant la libre administration dans sa dynamique contractuelle. En
d’autres termes, il s’agit de vérifier si dans les procédures contractuelles
d’emprunt local, la libre administration est effective. La deuxième
perspective consiste à envisager l’emprunt local comme ressource
financière. Il s’agira alors d’analyser son incidence sur la libre
administration des CTD. L’entreprise du chercheur consistera à vérifier si
la ressource d’emprunt local garantit la libre administration des CTD. Mais

2317 Maurice HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public, Paris, Dalloz, 2002, 12ème
éd., pp. 79-80.
2318 Antoine SIMON, Les emprunts des collectivités territoriales et la libre administration, op. cit., p.

14.
2319 Michel BOUVIER, Les finances locales, op. cit., p. 197.
2320 La ressource d’emprunt local n’est pas traditionnellement admise dans le droit positif

camerounais. A titre illustratif, si la loi n°74-23 du 5 Décembre 1974 portant organisation


communale reconnait au conseil municipal la compétence de fixer les emprunts, ceux-ci
sont toutefois considérés comme des recettes « diverses et accidentelles » (Art. 123) provenant
essentiellement de l’Etat (Art. 124). Ce dernier oriente les communes vers les
investissements qui lui paraissent essentiels. La création du Fonds Spécial d’Equipement et
d’Intervention intercommunale (ci-après FEICOM, établissement public créé par la loi
n°74/23 du 05 décembre 1974 portant organisation communale au Cameroun, organisé par
le décret n°77/85 du 25 Mars 1985, pis réorganisé par le décret n°2000/365 du 11
Décembre 2000 modifié et complété par le décret n°2006/182 du 21 Mai 2006) ne change
pas véritablement de perspective au regard de la dépendance du Fonds à l’égard des
pouvoirs publics. Etienne Charles LEKENE DONFACK, Finances publiques camerounaises,
Paris, Berger Levraut, 1987, pp. 383-391.
497
cette seconde perspective est écartée au profit de la première. Elle en est
une précondition et une conséquence. Une telle orientation de l’étude
permettra en filigrane d’envisager l’incidence de l’emprunt local sur la libre
administration des CTD au Cameroun.
Dès lors, le problème juridique soulevé par ce sujet est celui de la
réalité de la liberté d’emprunt local en droit camerounais de la
décentralisation. Cette difficulté juridique se décline à travers la question
centrale : la liberté d’emprunt local existe-t-elle en droit
camerounais ? Enrichissante, la question l’est sur le double plan
théorique et pratique. Au plan théorique, l’étude contribue à l’identification
de la notion de libre administration et à l’exposé du régime de l’emprunt
local en droit camerounais. Aussi, l’étude renseigne sur la teneur des
rapports entre l’Etat et les CTD sous le prisme de l’emprunt local. Il s’agit
de saisir la dialectique entre les avancées démocratiques en matière
d’emprunt local dans une perspective girondine et sa tutélarisation
rémanente dans une perspective jacobine. Au plan pratique, l’intérêt est
sociopolitique et économique. L’étude permet d’envisager le déploiement
de la démocratie locale en matière d’emprunt. Aussi, l’intérêt économique
de l’étude est relatif à la pertinence de l’emprunt local comme instrument
de politique budgétaire locale. Il s’agit de questionner son efficacité par
rapport aux autres mécanismes de financement notamment l’impôt.
La lecture juridique normativiste par l’appréhension de la
normativité législative et juridictionnelle des contrats d’emprunts locaux,
conjuguée à l’analyse sociologique de la pratique contractuelle impose la
formulation de la proposition théorique suivante : en droit camerounais de
la décentralisation, la liberté d’emprunt local est mitigée ; l’aménagement
juridique de cet emprunt témoigne d’une liberté d’emprunt relative. Cette
hypothèse de la réalité mitigée de la liberté d’emprunt local se vérifie par la
consécration libérale de l’initiative d’emprunt local (I) et la restriction
conservatrice de la décision d’emprunt local (II).
I. La consécration libérale de l’initiative d’emprunt local
Génétiquement, l’adjectif libéral dérive du latin « liberalis » qui
signifie noble ou généreux. Il signifie ce qui se réclame du libéralisme -
politique ou économique-, qui proclame et consacre, comme principe
fondamental, les libertés publiques ou la liberté du marché. Il se dit aussi
d’un régime politique ou d’un système économique par opposition au
régime autoritaire, dirigiste ou interventionnisme2321. La consécration
libérale de l’initiative d’emprunt local témoigne du déclin de
l’autoritarisme2322 et de l’émergence du libéralisme2323. Pour reprendre le

2321Gérard CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, op.cit., p. 1300.


2322 La décentralisation est une institution libérale. Elle vise à promouvoir et garantir
l’exercice des libertés locales. André de LAUBADERE, Jean-Claude VENEZIA, Yves
GAUDEMET, Droit administratif, Paris, LGDJ, 2002, 17e éd, p. 189.
498
Professeur GUESSELE ISSEME, à propos de la coopération
décentralisée, il ne s’agit plus d’enfermer les CTD dans le mouvement
liberticide de la construction nationale par l’autoritarisme. La norme
juridique n’opprime plus les CTD, elle permet leur épanouissement en leur
reconnaissant la liberté d’initier le recours à l’emprunt local2324. L’examen
du fondement (A) et de la déclinaison (B) de cette initiative permet de s’en
convaincre.

A. Le fondement libéral de l’initiative d’emprunt local


Affirmer le fondement libéral de l’initiative d’emprunt local c’est
indiquer son lien génétique avec la libre administration des CTD. D’une
part, l’initiative d’emprunt local se présente comme une expression de la
liberté contractuelle des CTD (1) démembrement de leur libre
administration. D’autre part, l’initiative d’emprunt local s’appréhende
comme un moyen de renforcement de la libre administration des CTD (2).
1. L’initiative d’emprunt local comme expression de la liberté
contractuelle des CTD
Pour appréhender l’emprunt local comme expression de la liberté
contractuelle des CTD, il faut préalablement déterminer la notion de
liberté contractuelle et indiquer son lien avec la libre administration des
CTD2325. D’origine civiliste, la notion de liberté contractuelle est
caractérisée par une imprécision conceptuelle. Mais sa définition procède
naturellement de celle du contrat. Aux termes de l’article 1101 du Code

2323 Gérard Martin PEKASSA NDAM, « La consolidation de l’idéologie libérale dans le


domaine des services publics au Cameroun », in Magloire ONDOA et Patrick Edgard
ABANE ENGOLO (dir.), Les fondements du droit administratif camerounais, Paris, L’Harmattan,
2016, pp. 165-189. Il faut indiquer que le droit public camerounais de la première décennie
post coloniale est indéniablement emprunt du spectre de maintien de l’ordre mettant en
relief l’unilatéralité confortée par l’idéologie de la construction nationale. Celle-ci se
caractérise par les abus d’un pouvoir fort, omnipotent et d’une politique jurisprudentielle
restreinte en faveur de la puissance publique et de ses intérêts. Lire utilement Augustin
KONTCHOU KOUOMEGNI, « Le droit public camerounais, instrument de construction
de l’unité nationale », RJPIC, n°4, 1979, p. 417, Joseph OWONA, « L’institutionnalisation
de la légalité d’exception dans le droit public camerounais », RCD, n°6, 1974, pp. 104-123.
Mais dès la fin des années 1980, le Cameroun s’engage vers un mouvement de libéralisation
de l’Etat, articulé autour de la recherche de la bonne gouvernance et de l’Etat de droit sous
l’impulsion entre autres des bailleurs de fond internationaux. Lire Magloire ONDOA,
« Ajustement structurel et réforme du fondement théorique des droits africains
postcoloniaux », RASJ, vol. 2, n°1, 2001, p. 76.
2324 Lionel Pierre GUESSELE ISSEME, « L’aménagement juridique de la coopération

décentralisée au Cameroun », RADP, n°5, 2014, p. 90.


2325 Aurélien M. POMBOUO TCHEUO, Recherches sur les contrats des collectivités territoriales

décentralisées au Cameroun, Mémoire de Master Recherche en droit public interne, Université


de Douala, 2016-2017, p. 105.
499
civil, « le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes, s’obligent,
envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose ». La
réforme du code civil français2326 n’a pas changé la conception
consensuelle du contrat fondée sur le dogme de l’autonomie de la
volonté2327. Cette idéologie donne naissance à trois conséquences
juridiques dont la première est le principe de la liberté contractuelle2328.
Premier principe du droit des contrats2329, la liberté contractuelle est
selon le Doyen CARBONNIER « l’essentiel de l’autonomie de la volonté »2330.
En droit privé, elle a une double dimension de fond et de forme2331. En
droit public, la notion reste confuse et objet de vive passions et
controverses. Pour une frange doctrinale, le dogme de l’autonomie de la
volonté, fondement de la liberté contractuelle est incompatible avec les
personnes publiques, guidées par les principes comme la souveraineté, la
compétence et l’intérêt général. Ce courant a pour idéologues Léon
DUGUIT2332, Georges VEDEL2333 et Jean RIVERO2334. Cette position

2326 Cette réforme est le fruit de l’ordonnance n°2006-131 du 10 Février 2016 portant
réforme du droit des contrats, du régime général de la preuve des obligations. L’article 1101
nouveau du code civil définit le contrat comme un « accord de volontés entre deux ou plusieurs
personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations ».
2327 La théorie de l’autonomie de la volonté est la conséquence de la philosophie

individualiste des lumières et de la doctrine du libéralisme économique. La philosophie des


lumières professe que chaque homme est fondamentalement libre. Il s’en suit selon cette
conception que le contrat est la source du droit par excellence en ce qu’il respecte la liberté
des individus. Cette conception coïncide avec les thèses du libéralisme économique car le
contrat permet d’établir les rapports individuellement les plus justes et socialement les plus
utiles. Le libre jeu de la volonté individuelle réalise d’une part la justice. La volonté étant
guidée par une raison infaillible, chaque contractant est le meilleur juge et donc le meilleur
législateur de ses intérêts. D’autre part, il assure l’équilibre économique et la prospérité
générale. François TERRE (dir.), Droit civil, les obligations, Paris, Dalloz , 2018, 12ème éd., pp.
33-34. Pour une lecture tropicalisée du dogme de l’autonomie de la volonté lire Hervé
Magloire MONEBOULOU MINKADA, « La question de la définition du contrat en droit
privé : essai d’une théorie institutionnelle », Revue de l’ERSUMA, 2016, pp. 96-98.
2328 Les autres conséquences sont la force obligatoire du contrat et l’effet relatif du contrat.

François TERRE (dir.), Droit civil, les obligations, op.cit., p. 34. Lire aussi Laurent
LEVENEUR, « La liberté contractuelle en droit privé. (Les notions de base autonomie de
la volonté, liberté contractuelle, capacité …) », AJDA, 1998, p. 678.
2329 Muriel FABRE-MAGNAN, Droit des obligations, Tome I, contrat et engagement unilatéral,

Paris, PUF, 2008, p. 203.


2330 Jean CARBONNIER, Droit civil, Tome 4, Les obligations, Paris, PUF, 1996.
2331 François TERRE (dir.), Droit civil, les obligations, op. cit., p. 34. Quant au fond, elle

s’exprime à travers une triple faculté contracter ou ne contracter ; choisir librement son
cocontractant, déterminer librement le contenu du contrat. Il n’y a pas d’obligation
juridique de contracter. Quant à la forme, la liberté contractuelle postule le consensualisme.
Ainsi, en droit privé, l’objectif essentiel de la liberté contractuelle est de garantir un exercice
libre de la volonté de chacune des parties contractantes, en leur permettant de préserver
leurs propres intérêts. Muhannad AJJOUB, La notion de liberté contractuelle en droit administratif
français, op.cit., p. 19.
2332 Pour le Maître de Bordeaux, « si l’Etat est par définition une personne souveraine, il conserve ce

caractère, cette personnalité dans tous les actes qu’il accomplit, aussi bien dans les actes contractuels que
dans les actes unilatéraux. Par conséquent, l’Etat ne peut pas être lié par un contrat parce que, s’il était lié,
sa personnalité se trouverait subordonnée à une autre. Dès lors elle cesserait d’être souveraine, puisque le
500
doctrinale n’emporte pas toutefois conviction au regard du développement
sans cesse croissant du procédé contractuel en droit public2335. La doctrine
majoritaire reconnait d’ailleurs la compatibilité entre la liberté contractuelle
et la qualité des personnes publiques. Le Doyen HAURIOU par exemple
soutient que la souveraineté de l’Etat est compatible avec la volonté libre
et autonome de se lier. C’est en raison de cette souveraineté que l’Etat
peut limiter sa volonté en s’obligeant par le contrat2336. La liberté
contractuelle en droit public peut donc être conçue comme une notion
abstraite dont les éléments constitutifs sont presque similaires à ceux du
droit privé2337.
Ainsi, la consécration constitutionnelle de la libre administration des
CTD signifie la reconnaissance d’une réserve d’action aux collectivités
territoriales. Cette compétence normative reconnue par l’Etat à ces
derniers se décline comme une habilitation à leur profit de prendre les
actes administratifs unilatéraux notamment réglementaires2338 et les actes
administratifs bilatéraux ou contractuels. Autrement dit, la liberté
contractuelle des collectivités territoriales découle de leur personnalité

propre de la volonté souveraine c’est de n’être subordonnée a aucune autre volonté ». Léon DUGUIT, Les
transformations du droit public, Paris, Librairie Armand Collins, 1913, p. 161.
2333 Pour l’auteur, « en droit administratif, contrairement à ce qui existe en droit civil, il n’existe pas de

principe d’autonomie de la volonté. En droit civil, les individus sont libres de se déterminer sur la base de
n’importe quelle situation et pour les raisons qui leur conviennent. Les motifs subjectifs des individus, dès
lors qu’ils ne sont pas illicites, ni contraires à l’ordre public, justifient suffisamment l’acte (…) En revanche,
en droit administratif, il n’existe pas de principe de l’autonomie de la volonté. L’administration ne doit se
décider que pour des raisons de fait ou de droit objectivement établies », George VEDEL, Cours de droit
administratif, 1953-1954, p. 672 ; Muhannad AJJOUB, La notion de liberté contractuelle en droit
administratif français, op. cit., p. 132
2334 L’auteur rejette toute place à l’article 1134 du code civil en droit administratif. Pour lui,

si le juge administratif est gardien de la légalité administrative, il n’est pas toutefois gardien
administratif de la légalité. Jean RIVERO, « Le juge administratif, gardien de la légalité
administrative ou gardien administratif de la légalité », in Mélanges en l’honneur de Marcel
WALINE. Le juge et le droit public, Paris, LGDJ, 1974, p. 701.
2335 Conseil d’Etat, Rapport public annuel, Le contrat, mode d’action publique et de production de

normes, EDCE, n°59, 2007, 398 p. Sur les usages du contrat par les CTD au Cameroun, lire
Aurélien Michel POMBOUO TCHEUO, Recherches sur les contrats des collectivités territoriales
décentralisées au Cameroun, op. cit., 220 p.
2336 Maurice HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public, op. cit., p. 51. Le Conseil

d’Etat consacre le principe de la liberté contractuelle d’une personne publique dans l’affaire
CE 28 Janvier 1998 société BORG WARNER. De même c’est dans la décision n°92-316
DC, Prévention de la corruption, du 20 Janvier 1993 que le conseil constitutionnel a
marqué sa volonté de protéger la liberté contractuelle des collectivités locales. Louis
FAVOREU, Patrick GAÏA, Richard GHEVONTHIAN, Jean-Louis MESTRE, Otto
PFERSMANN, André ROUX, Guy SCOFFONI, Droit constitutionnel, op.cit., p. 532.
2337 Christine BRECHON-MOULENES, « La liberté contractuelle des personnes

publiques », AJDA, 1998, p. 643.


2338 Cyrille MONEMBOU, « Le pouvoir réglementaire des collectivités locales dans les

Etats d’Afrique noire francophone (les cas du Cameroun, du Gabon et du Sénégal) »,


RADP, n°4, 2014, p. 91.
501
juridique. Elle a un lien matériel avec leur libre administration2339. En
conséquence, on peut affirmer que sans liberté contractuelle accordée aux
CTD, il n’y a pas de véritable libre administration ; la seconde ne peut
s’exercer sans la première car les deux sont interdépendantes2340. Il en
résulte que l’inscription du principe de libre administration à l’article 55
alinéa 2 de la constitution infère la reconnaissance des libertés locales
notamment contractuelle aux collectivités territoriales. Parmi ces libertés
contractuelles figure la liberté contractuelle d’emprunt local2341. Elle
constitue un démembrement de la libre administration des CTD. La Cour
des comptes de France indique à ce sujet que « la liberté d’emprunter accordée
aux collectivités locales est présentée comme la conséquence de l’application du principe de
libre administration des collectivités territoriales »2342. A ce titre, l’emprunt local
peut être légitimement appréhendé comme un moyen de renforcement de
leur libre administration.
2. L’initiative d’emprunt local comme moyen de renforcement de la
libre administration des CTD
La reconnaissance de la libre initiative d’emprunt local indique la
volonté du législateur de permettre aux CTD de disposer de ressources
propres. La libre administration infère notamment le libre choix des
moyens de mise en œuvre et leur libre utilisation. Il faut souligner que
toute liberté, pour être effective, nécessite que ses bénéficiaires dans son
exercice puissent choisir les moyens de mise en œuvre et l’exercer
librement. A défaut, la reconnaissance de la liberté n’est qu’une déclaration
de principe, vide de conséquence juridique, de droits pour son bénéficiaire.
La liberté n’est alors que formelle, dépourvue de réalité2343. Or parmi les

2339 Ainsi, la liberté contractuelle dans la mesure où elle constitue un attribut de la libre
administration, s’impose au législateur. Celui-ci ne peut y porter atteinte de manière
excessive sous peine de mettre en cause par la même le principe constitutionnel de la libre
administration, Louis FAVOREU et alii, Droit constitutionnel, op. cit., p. 531.
2340 C’est pourquoi le conseil d’état estime que « la liberté contractuelle est inhérente à l’autonomie

des collectivités territoriales », Conseil d’Etat, Rapport public annuel, Le contrat, mode d’action
publique et de production de normes, op. cit., p. 176.
2341 De même, si l’expression liberté d’emprunter ne figure pas expressis verbis dans le

CGCTD, ce dernier ne manque pas de reconnaitre le droit d’emprunter.


2342 Cours des Comptes, Rapport public thématique, La gestion de la dette publique locale, Paris,

2011, p. 33. Consultable sur https :// www.compte.fr/publications. La liberté contractuelle


d’emprunt local est d’une part l’expression de la liberté « d’agir ou d’action » indiquée par les
Professeurs Louis FAVOREU et André ROUX. D’autre part, elle est une déclinaison de
l’autonomie administrative et financière instituée par la constitution et le CGCTD. Dans ce
sens, le Professeur Mathieu CONAN soutient que la liberté d’emprunter « est à juste titre,
présentée comme la conséquence de la libre administration », in « L’autonomie financière des
collectivités territoriales. Trente ans après la loi de décentralisation du 2 Mars 1982, état des
lieux », AJDA, 2012, p. 760. Lire aussi dans la même veine Antoine SIMON, Les emprunts
des collectivités territoriales et la libre administration, Mémoire de Master II, Administration et
droit de l’action publique, Faculté de Droit de Grenoble, 2015, p .21.
2343 Christophe LAJOYE, « La valeur constitutionnelle de la liberté contractuelle », CRDF,

n°1, 2002, p. 120.


502
moyens juridiques à disposition des CTD figure la passation des contrats
avec d’autres personnes publiques2344 dont les contrats d’emprunts. A ce
titre, l’emprunt local constitue ce que le Professeur Laurent RICHER
qualifie de contrats moyens2345. Il permet d’apporter à la collectivité
publique les moyens nécessaires à l’accomplissement de l’intérêt général. Il
participe donc à l’intérêt financier des collectivités territoriales2346. Par le
recours à l’emprunt, la collectivité territoriale étend matériellement son
autonomie et finance ses dépenses d’investissement. Mieux, la finalité du
recours à l’emprunt local constitue sa raison d’être. L’utilisation de
l’emprunt dans la politique d’investissement est une nécessité dans un
contexte où les collectivités locales sont dans l’incapacité d’assurer par
elles-mêmes le financement des dépenses de la collectivité2347. Il s’agit de
promouvoir le développement local2348.
C’est la raison pour laquelle le législateur consacre l’emprunt parmi
les ressources des CTD. Aux termes du CGCTD, « Les recettes des collectivités
territoriales, décrites selon leur nature comprennent les recettes fiscales, le produit de
l’exploitation du domaine et des services, les dotations et les subventions, les ressources de
trésorerie et de financement »2349. L’emprunt présente plusieurs avantages : la
disponibilité immédiate des liquidités, la répartition sur plusieurs exercices
des charges d’intérêts ; la garantie de l’affectation des fonds de
financement d’un projet déterminé etc... L’emprunt est donc un
mécanisme juridique et financier autorisé et qui nécessite d’être exploré par
les CTD en ce qu’il est indispensable pour les communes ayant une
capacité d’auto- financement insuffisante. Il favorise le recours à des
opérations de crédits appropriés aux investissements et à l’exécution
courante des budgets communaux2350. Par le recours à l’emprunt local la

2344 André ROUX, « Le statut constitutionnel des CTD », RFDA, 1992, p. 445. Afin de
s’administrer librement et donc d’exercer leurs compétences, les CTD doivent pouvoir
opter librement pour le procédé contractuel, définir les obligations réciproques des
cocontractants et élaborer sans contrainte excessive, le contenu du contrat.
2345 Laurent RICHER et François LICHERE, Droit des contrats administratifs, Paris, LGDJ,

2019, 11è éd., p. 78s.


2346 Frédéric ALHAMA, L’intérêt financier dans l’action des personnes publiques, Thèse pour le

Doctorat en Droit Public, Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne, 2011, 1064 p.


2347 Antoine SIMON, Les emprunts des collectivités territoriales et la libre administration, op. cit., p.

65.
2348 Art.5 alinéa 2 CGCTD. L’emprunt permet à la collectivité de développer son territoire

en créant une nouvelle infrastructure, un nouveau bien collectif. L’usage de l’emprunt


favorise aussi un contexte de compétitivité entre collectivités territoriales.
2349 Art. 390 du CGCTD. Les ressources d’emprunt constituent des ressources de trésorerie

et de financement consacrées à l’article 398.


2350 Barthélemy KOM TCHUENTE, Le Cameroun : La décentralisation en marche, op. cit., p.

193. Le recours à l’emprunt est une option pour renforcer sensiblement les capacités
d’investissement, et pour permettre aux communes de faire face aux besoins financiers liés
à leur développement. Le montant important exigé par les investissements a fait de
l’emprunt une ressource complémentaire mais aussi nécessaire. Antoine SIMON, Les
emprunts des collectivités territoriales et la libre administration, op. cit., p. 65. L’emprunt local se
justifie au plan politique et économique. Il est un outil d’intervention politique en ce qu’il
503
collectivité territoriale a la possibilité de renforcer son autonomie
financière en disposant de la possibilité d’emprunter aussi bien auprès des
partenaires intérieurs et extérieurs2351.
B. La déclinaison libérale de l’initiative d’emprunt local
De la lecture de la règlementation camerounaise et spécifiquement
le CGCTD, il ressort que « Les emprunts intérieurs sont autorisés par délibération
de l’organe délibérant, soumise à l’approbation du représentant de l’Etat. Ils sont
destinés en priorité au financement des investissements. La délibération y afférente, fixe
le montant de l’emprunt. Sont interdits, les emprunts contractés auprès des personnes
physiques ou morales ayant un lien direct ou indirect avec la collectivité territoriale. Les
emprunts extérieurs, autorisés par délibération, soumisse à l’approbation du
représentant de l’Etat, sont garantis par l’Etat »2352. Il appert de cette disposition
la déclinaison libérale de l’initiative d’emprunt local par sa libre conception
(1) et la libre fixation de ses modalités (2) par les CTD.
1. La libre conception de l’emprunt local
La libéralisation par la norme situe les CTD au cœur du processus
d’emprunt local. Il n’est plus seulement question d’assurer le respect d’une
liberté individuelle mais d’instaurer et de sauvegarder l’expression des
libertés des institutions infra-étatiques à l’échelon local2353. Le premier
volet d’expression de ces libertés des CTD en matière d’emprunt local est
la libre conception de ces contrats2354. Cette libre conception se décline en
la préparation et en l’autorisation de l’emprunt local par les CTD2355. Le
projet d’emprunt local est préparé par l’exécutif local, municipal ou
régional compétent dans la préparation du budget2356. Cette préparation se

permet d’exécuter les programmes politiques des dirigeants de l’Etat et des CTD
notamment à travers la réalisation des investissements. C’est une manière plus souple que
l’impôt, pour les CTD, de trouver les fonds nécessaires à l’accomplissement de leurs
objectifs.
2351 Art. 399 du CGCTD. Lire aussi Christophe PIERUCCI, « Les collectivités territoriales,

l’emprunt et la dette », RFFP, n°135, 2016, p. 2.


2352 Art. 399 alinéas 1, 2,3 du CGCTD.
2353 Lionel P. GUESSELE ISSEME, « L’aménagement juridique de la coopération

décentralisée au Cameroun », op. cit., p. 91.


2354 Arsène TCHIENO TIMENE, « Réflexion sur le recours à l’emprunt local par les CTD

au Cameroun », op. cit., p. 92.


2355 Les collectivités territoriales élaborent et votent librement leur budget aux termes de

l’article 11 du CGCTD. Ainsi, la collectivité territoriale est seule responsable dans le respect
des lois et règlements, de l’opportunité de ses décisions Arts. 13 alinéa 1 et 416 alinéa 1 du
CGCTD.
2356 Intellectuellement, le maire prépare les emprunts dans la commune, art. 206 alinéa 1. Le

maire de ville les prépare dans la communauté urbaine art. 248 al. 3. Le président du conseil
régional prépare les emprunts dans la région, art. 312 alinéa 1. Spécifiquement dans les
régions du sud-ouest et du nord-ouest, le président du conseil exécutif a compétence pour
la préparation des emprunts locaux, art. 359 alinéa 1.
504
déroule selon un calendrier rigide et des modalités spécifiques2357.
Matériellement, la préparation du projet d’emprunt des CTD indique une
soumission de ses démembrements aux principes budgétaires de l’Etat car
les finances locales font partie intégrante des finances publiques. Il s’en
suit une obligation négative de soumission des finances locales aux
principes juridiques énoncés par les finances de l’Etat. Logiquement, le
projet d’emprunt des collectivités territoriales respecte les règles de
prévision dégagées pour l’Etat. Ces principes se résument en deux axes. Le
projet d’endettement local doit tenir compte de la planification budgétaire
locale et du rythme d’endettement local.
Pour ce faire, chaque année l’organe exécutif de la collectivité
territoriale établit un cadre budgétaire à moyen terme en fonction des
hypothèses économiques réalistes2358. Ce cadre détermine l’ensemble des
recettes et des dépenses, y compris des ressources issues de l’extérieur. Il
inclut le besoin ou la capacité de financement de celle-ci, de ses
établissements publics et les éléments de financement accompagnés de
leur niveau global d’endettement financier. C’est sur la base de ce cadre
budgétaire à moyen terme que l’exécutif établit le cadre des dépenses à
moyen terme indiquant toutes les dépenses publiques de la collectivité2359.
Ces documents sont rendus publics2360. Ils sont présentés à l’organe
délibérant avant le 1er août2361 pour l’organisation d’un débat d’orientation
budgétaire mais sans vote en séance publique sur leur base2362. Le budget
de la collectivité arrêté et approuvé doit être conforme à la première année
de cadrage arrêté à l’occasion du débat d’orientation budgétaire2363. Aussi,
cette préparation doit être conforme à la stratégie d’endettement local2364.
La stratégie ou politique d’endettement local est une obligation
communautaire2365. Elle vise la rationalité et la cohérence du régime
d’endettement local2366.

2357 Aux termes de l’article 415 alinéas 1 et 2 du CGCTD, « la préparation, l’adoption, et


l’approbation du budget de la collectivité territoriale se déroulent selon un calendrier fixé par arrêté conjoint
du ministre chargé des collectivités territoriales et du ministre chargé des finances. Ce calendrier doit être en
cohérence avec le calendrier budgétaire de l’Etat ».
2358 Art. 373 alinéa 1 du CGCTD.
2359 Art. 376 alinéa 2.
2360 Art. 376 alinéa 4.
2361 Art. 374 alinéa 1.
2362 Art. 374 alinéa 2.
2363 Art. 374 alinéa 3.
2364 Le projet de budget est accompagné par cette stratégie, art. 418 alinéa 2.
2365 C’est l’article 4 du titre 2 du Règlement n°12/07-UEAC-186-CM-15 du 19 Mars 2007

portant Cadre de référence de la politique d’Endettement public et de gestion de la Dette


publique dans les Etats membres de la zone CEMAC qui détermine cette obligation
d’élaboration d’une politique ou d’une stratégie d’endettement public. Celle-ci doit
comporter les indications minimales sur la justification de l’emprunt, les plafonds
d’endettement et de garanties, la structure du portefeuille des nouveaux emprunts, les
termes indicatifs des nouveaux emprunts et le profil de viabilité de la dette publique pour
les 15 années à venir (art. 4 alinéa 2). Cette annexe fait partie intégrante de la loi de finances
(art. 4 alinéa 3). Ses orientations permettent de s’assurer que le niveau et le rythme de
505
Après la préparation de l’emprunt, il incombe à l’organe délibérant
local d’autoriser le recours à l’emprunt local selon des dispositions de
l’article 399 alinéas 1 et 3 du CGCTD2367. Ces emprunts peuvent être
débattus au sein des commissions2368 pour permettre à l’organe délibérant
d’avoir une connaissance claire des autorisations octroyées. Il faut préciser
que cette autorisation de contracter est une condition de validité du
contrat2369. Dans l’arrêt Commune de Montélimar, le Conseil d’Etat
français énonce que « le maire ne peut valablement souscrire un marché au nom de
la commune sans y avoir été préalablement autorisé par une délibération expresse du
conseil municipal »2370. Il s’en suit que l’emprunt décidé par le maire sans
avoir obtenu l’autorisation de contracter est nul et cette nullité est absolue.
Intellectuellement, l’exécutif apprécie l’opportunité de recourir à
l’emprunt pour financer un projet d’investissement. Il soumet le projet de
contrat d’emprunt à l’organe délibérant avec les principales caractéristiques
dudit projet. L’organe délibérant doit, comme l’a souligné le tribunal
administratif de Lille dans l’affaire Commune de Pernes, mesurer l’étendue
de l’engagement financier et ne pas se prononcer « dans l’ignorance
d’éléments, d’informations susceptibles d’influer sur le sens de sa manifestation de
volonté »2371. Après cette autorisation, les chefs des exécutifs peuvent
procéder à la signature du contrat. Ils sont investis du pouvoir de
représenter leurs collectivités. Ils sont, à ce titre, compétents pour conclure

croissance de la dette sont soutenables, son service (à court, moyen et long termes) régulier
et les objectifs de coûts et de risques réalisés (art. 4 alinéa 1).
2366 Seulement jusque-là, cette obligation est violée dans la pratique budgétaire locale.

L’adoption et la formulation de l’obligation d’élaboration de cette stratégie par le code de


2019 peut laisser optimiste toutefois.
2367 Schématiquement, le conseil municipal autorise les emprunts de la commune (art. 168

alinéa 13 du CGCTD). Le conseil de communauté urbaine autorise les emprunts de la


communauté urbaine (art. 244 alinéa 2). Dans la région, le conseil régional autorise les
emprunts (art. 278 alinéa 12). Dans les régions à statut spécial du Nord-Ouest et du Sud-
Ouest, l’assemblé régionale autorise les emprunts (art. 331 al. 2). La House of Chiefs délibère
préalablement, mais n’émet pas un avis conforme (art. 337 alinéas 1 et 2).
2368 Le code institue la possibilité de création des commissions dans les organes délibérants

des CTD aptes pour débattre des questions relatives à leurs compétences (art. 181 pour la
commune). Les régions disposent spécifiquement de quatre commissions dont une
commission des finances, des infrastructures, du plan et du développement économique
compétente en matière d’emprunt (art. 282 pour le conseil régional et art. 334 alinéa 2 pour
l’assemblé régionale). L’institution de telles commissions trahit la volonté législative de
renforcer à l’image de l’Etat la démocratie locale.
2369 André de LAUBADERE, Franck MODERNE, Pierre DELVOLVE, Traité des contrats

administratifs, Tome 1, op.cit., p. 478, Frédéric ROLIN, « L’habilitation à contracter », in


Contrats publics, Mélanges en l’honneur du Professeur Michel GUIBAL, Volume I, Université de
Montpellier, 2006, pp.187-201.Voir aussi Hortense NGUEDIA MEIKEU, Le juge et les
critères du contrat administratif au Cameroun, Thèse de Doctorat/Ph.D en Droit Public,
Université de Yaoundé II, 2015, p. 64.
2370 CE, 13 Août 2004, Commune de Montélimar.
2371 Tribunal Administratif de Lille, Commune de Pernes, 5 décembre 1989. Lire aussi A.

TCHIENO TIMENE, Recherche sur les mécanismes juridiques de financement des collectivités
territoriales décentralisées…, op. cit., pp. 30-40.
506
l’emprunt au nom de la collectivité2372. Cette compétence appartient à titre
principal au chef de l’exécutif et peut être uniquement altérée par la
suppléance. Il s’agit d’un mécanisme de remplacement qui permet à une
autorité empêchée pour plusieurs raisons, absence, maladie, congés, d’être
remplacée directement par une autre au sein de la même collectivité
publique2373. Au demeurant, la collectivité territoriale conçoit librement
l’emprunt local et fixe toujours en toute liberté ses modalités avec son
cocontractant.
2. La libre fixation des modalités d’emprunt local
La liberté contractuelle dévolue aux CTD en vertu de leur libre
administration fonde sur le plan matériel la libre fixation des modalités du
contrat d’emprunt local. Contrairement à l’initiative de l’emprunt qui
traduit la liberté contractuelle au plan formel, la détermination des
modalités de l’emprunt exprime la liberté contractuelle au plan matériel.
Intellectuellement, ces modalités sont le choix du cocontractant, la
détermination des caractéristiques du contrat et des garanties financières
rattachées au contrat.
Premièrement, il appartient à la collectivité territoriale de choisir
librement le cocontractant. La seule restriction légale vise la protection du
patrimoine local. Conformément à l’article 63 du CGCTD2374, l’article 399
alinéa 2 dispose que « sont interdits les emprunts contractés auprès des personnes
physiques ou morales ayant un lien direct ou indirect avec la collectivité territoriale ».
Cette restriction à la capacité des cocontractants vise à protéger le
patrimoine des CTD contre toutes dépendances éventuelles avec un
créancier.

2372 Art. 13 al. 2 CGCTD. Lire aussi Benoit DELAUNAY, « La compétence des
collectivités publiques pour conclure des contrats d’emprunts toxiques », in Anémone
CARTIER-BRESSON, Martin COLLET, Charles-André DUBREUIL, L’intérêt général,
Mélanges en l’honneur de Didier TRUCHET, Paris, Dalloz, 2015, pp. 143-158.
2373 Serge François SOBZE, « La suppléance du Président de la République en Afrique

francophone », RRJ-Droit prospectif, 2019-2, pp. 849-885. L’intérim et la suppléance sont


deux mécanismes de dérogation aux règles de compétence destinés à résorber les
discontinuités dans l’action administrative et politique. Lire Jean-Marie AUBY,
« L’intérim », RDP, 1966, pp. 864-883 ; Jean-Pierre CAMBY, « Intérim, suppléance et
délégation », RDP, n°6, 2001, pp. 1605-1612. Dans un arrêt du 31 Octobre 1998, le Conseil
d’Etat pose qu’à la différence de la suppléance, prévue et organisée par un texte législatif ou
règlementaire, qui désigne l’autorité chargée de l’assurer, l’intérim s’exerce sans texte.
L’intérimaire est la personne chargée de remplacer provisoirement le titulaire soit pendant
son absence, soit entre la cessation de ses fonctions et la prise de fonction de son
successeur alors que le suppléant est la personne chargée de remplacer le titulaire d’une
fonction en cas d’absence ou d’empêchement de celui-ci.
2374 Aux termes de ce premier article sur les contrats des CTD, il est prescrit que « les

membres de l’exécutif, ainsi que le receveur de la collectivité territoriale ne peuvent, sous quelque forme que ce
soit, par eux-mêmes ou par personne interposée, se rendre soumissionnaire ou adjudicataire sous peine
d’annulation par le représentant de l’Etat ».
507
Schématiquement, les collectivités locales peuvent conclure les
emprunts intérieurs2375 et extérieurs2376. Les emprunts intérieurs sont
contractés conformément aux règlements CEMAC sur la politique
d’endettement public2377 par accord de prêt ou par appel public à
l’épargne. Les emprunts sous forme d’accords de prêt sont les modalités
classiques d’émission d’emprunt public. Il s’agit des contrats signés
directement avec des personnes publiques ou privées. Les contrats
d’emprunts des CTD peuvent être passés auprès de l’Etat ou auprès de
d’autres personnes morales de droit public. Sous ce regard, il ressort du
régime financier de l’Etat et des autres entités publiques que « les prêts et
avances peuvent être accordés par le ministre chargé des finances à des collectivités ou
personnes de droit public dans la limite de l’autorisation donnée à cet effet en loi de
finances et pour une durée déterminée qui ne peut excéder cinq ans »2378. En plus de
l’Etat, d’autres personnes publiques financent les CTD par des emprunts.
En la matière, c’est le FEICOM qui est principalement chargé d’accorder
des prêts aux collectivités territoriales. Il finance notamment les activités
communales à travers le Code d’Intervention du FEICOM (ci-après CIF).
Ce texte détermine les conditions de prêt2379. Il s’agit des prêts relatifs aux

2375 Art. 399 alinéa 1. L’emprunt public intérieur est défini par le règlement CEMAC
portant cadre de référence de la politique d’endettement public comme : « un emprunt
contracté par les résidents d’une économie auprès d’autres résidents de la même économie » (Art. 2). Il
s’effectue donc dans l’économie locale. Il faut toutefois préciser que cette économie
concerne tous les Etats membres de la CEMAC puisque cet espace communautaire est
encadré par le principe de la libre circulation des personnes et des biens. Ces émissions
s’effectuent par le canal des contrats publics, contrat administratif et contrat de droit de
privé de l’administration. Agathe VAN LANG, Géneviève GONDOUIN, Véronique
INSERGUET-BRISSET, Dictionnaire de droit administratif, Paris, Sirey, 2008, 7e éd., p. 105 ;
Michel GUIBAL, « A propos d’une incertitude : la notion de personne publique
contractante » in Environnement, les mots du droit et les incertitudes de la modernité. Mélanges en
l’honneur du Professeur Jean-Philippe COLSON, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble,
2004, p. 230 cité par Guylain CLAMOUR, « Esquisse d’une théorie générale des contrats
publics », in Contrats publics, Mélanges en l’honneur du Professeur Michel GUIBAL, Volume II,
Université de Montpellier, 2006, p. 1.
2376 L’emprunt extérieur est défini par le règlement CEMAC portant cadre référence de la

politique d’endettement public comme « l’emprunt contracté par les résidents d’une économie auprès
de non-résidents. ». (Art. 2).
2377 Art. 3 alinéa 3.
2378 Art. 53 alinéa A de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de

l’Etat et des autres entités publiques. Cet article reprend mutatis mutandis l’article 40 alinéa 3
de la directive de la CEMAC relative aux lois de finances de 2011. La même disposition
précise le régime juridique de ces prêts. Ainsi, « Les prêts et avances sont assortis d’un taux
d’intérêt qui ne peut être inférieur à celui payé par l’Etat pour les emprunts et titres des marchés obligataires
de même échéance ou, à défaut, d’échéance la plus proche (…) », art. 53 alinéa 3. Mais, l’on peut
naturellement se demander quelle est la nature juridique de ces contrats de prêt entre l’Etat
et ses démembrements ? La jurisprudence apporte des réponses. Les contrats de prêts entre
personnes publiques sont des contrats administratifs soumis à la juridiction administrative.
TC 21 Mars 1923 Union des assurances de Paris, Cour de cassation, chambre civile 16 mars
1999, Chambre de Commerce et de Crédit de Valence/Crédit Local de France.
2379 Art. 5 du Code d’Intervention du FEICOM. De même le code précise clairement les

conditions d’éligibilité au financement, la typologie des interventions, la structure des


508
projets sociaux d’équipements collectifs, d’équipements marchands
utilitaires et les prêts au fonctionnement2380. A part le FEICOM, le Crédit
Foncier du Cameroun participe aussi au financement des communes 2381.
Aussi, les collectivités locales peuvent emprunter auprès des personnes
privées, des personnes physiques ou morales. Seulement, on peut déplorer
l’inexistence des emprunts bancaires pourtant véritable levier de
financement des démembrements de l’Etat en France2382. L’absence de ce
mode de financement s’explique par la faiblesse des capacités financières et
techniques de ces institutions2383.
D’autre part, les Collectivités territoriales peuvent recourir à
l’emprunt sous forme d’appel public à l’épargne. Il s’agit pour elles de

concours financiers, le plafond des financements accordés, les modalités de signature des
conventions, de gestion des fonds et remboursement des prêts. Les communes ou
groupements ne peuvent bénéficier d’un concours financier excédant 10% du budget
d’investissement du FEICOM. Les prêts sont accordés par demande motivée des maires ou
des maires représentants de groupements, appuyée d’une délibération du Conseil municipal
approuvée par l’autorité de tutelle et autorisant le maire ou chacun des maires à solliciter
ces prêts. Institutionnellement, c’est le Comité des concours financiers du FEICOM
(Décision du Conseil administratif n°00/D/FEICOM/LA du16 novembre 2007), organe
consultatif présidé par le Directeur Général qui examine les demandes de financement d’un
montant supérieur ou égal à 30 millions de FCFA. Relativement aux conditions de prêt, il
existe des prêts d’une durée inférieure à 2 ans à savoir les prêts de fonctionnement et les
avances de trésorerie avec 9% d’intérêt. Les prêts d’équipement ont une durée inférieure à
4 ans et un taux d’intérêt de 7% et les autres prêts ont un taux d’intérêt de 6% avec une
durée inférieure à 10 ans. Les prêts sont accordés après avoir analysé la capacité
d’endettement des communes sur la base des trois derniers comptes administratifs
approuvés. Barthélemy KOM TCHUENTE, Le Cameroun : La décentralisation en marche,
op.cit., pp. 370 et suivantes.
2380 A titre illustratif, la première et la seconde phase du projet d’assainissement de Yaoundé

ont bénéficié des prêts de la coopération multilatérale. La seconde phase du projet


notamment a été financée à hauteur de 20% par un prêt du Fonds Africain
d’Investissement pour un montant de près de 16 milliards 592 millions de FCFA, 67% par
l’Agence Française de Développement (soit près de 56 milliards 661 millions de FCFA) et
10% par l’Etat du Cameroun (soit près de 2 milliards 553 millions de FCFA). Cf. Groupe
de la Banque Africaine de Développement, Deuxième phase d’assainissement du projet de
Yaoundé (PADY.2), 2013, p. 4.
2381 Il s’agit d’un établissement public doté de la personnalité juridique et de l’autonomie

financière. Créé par le décret n°77/140 du 13 Mai 1977, modifié et complété par le décret
n°81/236 du 17 Juin 1981, le Crédit Foncier du Cameroun représente l’instrument
financier privilégié chargé de recueillir et de distribuer les fonds nécessaires à la mise en
œuvre de la politique de l’habitat du gouvernement. Aussi, aux termes de l’accord de prêt
n°2009/CM du 25 Janvier 1989 passé entre la Banque Mondiale et le Gouvernement du
Cameroun, une ligne de crédit destinée à la création d’un système de prêt aux collectivités
locales a été rétrocédée par l’Etat au Crédit Foncier du Cameroun. Barthélemy KOM
TCHUENTE, Le Cameroun : La décentralisation en marche, op.cit., pp. 325-326.
2382 Sur l’importance de l’emprunt bancaire en France lire Michel BOUVIER, Les finances

locales, op. cit., pp. 213-219, Yann DOYEN, « L’emprunt et le besoin de financement des
collectivités locales : les leçons de l’histoire », op. cit., pp. 97-103, Christophe PIERUCCI,
« Les collectivités territoriales, l’emprunt et la dette », RFFP, n°135, 2016, pp. 60-64.
2383 Arsène TCHIENO TIMENE, « Réflexion sur le recours à l’emprunt local par les

collectivités territoriales décentralisées au Cameroun », op.cit., p. 115 et suivantes.


509
recourir aux titres publics, à savoir les bons du trésor et les obligations du
trésor2384. Théoriquement, tout comme l’Etat, ses démembrements ont la
possibilité de solliciter les marchés de titres publics. L’accès direct à ces
marchés impose l’autorisation préalable des ministères en charge des
finances et des collectivités locales. En outre, ils doivent fournir une notice
d’information soumise au visa préalable de la COSUMAF2385. Cette
exigence est fondée sur les principes relatifs à l’appel public à l’épargne
posés par l’acte uniforme OHADA sur les sociétés commerciales2386. Plus
encore, les CTD doivent se soumettre aux autres formalités financières
inhérentes à l’émission des titres publics. Il s’agit entre autres des frais
généraux, des frais d’introduction des titres en bourse, de la commission
d’affiliation, de la commission de capitalisation, de la rémunération des
services financiers de l’emprunt et des intérêts à verser aux
souscripteurs2387.
Outre cette hypothèse, les collectivités territoriales peuvent initier le
recours aux titres publics par l’intermédiation financière. Elle s’entend du
recours à un partenaire financier pour mener sur un marché réglementé
une opération de lever des fonds pour le compte d’une autre personne2388.
L’intermédiaire peut être une personne morale de droit public ou privé.
On dénombre une diversité d’intermédiaires financiers parmi les
professionnels du marché. Le recours à l’intermédiation financière entraîne
deux options possibles pour les démembrements de l’Etat.
D’une part, ils peuvent créer une société de droit privé dans laquelle
ils détiennent la majorité des parts du capital social. Il appartiendra à celle-
ci d’émettre les titres puis de rétrocéder le produit aux démembrements
sur la base d’une convention de financement préétablie2389. Aussi, les

2384 Le titre public peut être défini comme un titre de créance négociable émis par une
personne morale de droit public. Lire Guy A. NYANGOE, Le financement des budgets des
personnes publiques par les titres publics…, op. cit.,, p. 31. Il s’agit précisément des bons et des
obligations du trésor. Le règlement CEMAC portant cadre de référence de la politique
d’endettement public et de gestion de la dette publique dans les Etats membres de la
CEMAC est encore plus clair dans la définition de ces instruments financiers. Les bons du
trésor y sont définis comme « les emprunts à échéance inférieure à 2 ans émis en permanence par
l’Etat pour financer ses besoins de trésorerie ». Les obligations du trésor sont quant à eux, selon
cet instrument, « le titre de créance émis par un gouvernement et dont l’échéance est supérieure à 2 ans »
(art. 2). L’émission de ces titres s’effectue notamment par appel public à l’épargne (art. 3
alinéa 3).
2385 Art. 32 du régime général de la COSUMAF.
2386 Voir spécifiquement les articles 85, 86, 825 et 832.
2387 Guy A. NYANGOE, Le financement des budgets des personnes publiques par les titres publics…,

op.cit., p. 100.
2388 Ibid., p. 102.
2389 A titre illustratif, la Communauté Urbaine de Douala est le seul démembrement d’un

Etat membre de la CEMAC ayant eu recours à cette technique à deux reprises. Le 15


Novembre 2004, elle crée la Communauté Urbaine de Douala Finance Société Anonyme
(CUD Finance S.A). Il s’agit d’une société au capital de 100 millions de FCFA dans laquelle
la CUD détient 95% d’actions d’après les statuts de la société. Son objet social exclusif est
l’émission des titres publics et la gestion des opérations y afférentes. Une convention entre
510
collectivités territoriales peuvent émettre des emprunts extérieurs à
condition qu’ils soient garantis par l’Etat. Sous ce rapport, la collectivité
locale peut émettre des emprunts auprès des partenaires bilatéraux,
multilatéraux et commerciaux. La pratique est celle des prêts rétrocédés. Il
s’agit de la signature du prêt avec les garanties de l’Etat. Intellectuellement,
c’est généralement l’Etat qui signe le prêt au nom de ses démembrements
avant de le leur rétrocéder. Cette pratique leur permet de bénéficier de
prêts importants venant de la coopération bilatérale internationale.
D’autre part, la collectivité territoriale est libre dans la détermination
des modalités du contrat d’emprunt local. Il s’agit de déterminer les
caractéristiques du contrat, les clauses financières et les garanties. La
collectivité négocie et fixe avec son cocontractant les clauses essentielles
du contrat de prêt, les clauses financières2390, les clauses de protection2391et
les garanties financières du contrat de prêt2392.
D’un mot, le législateur offre aux collectivités locales la possibilité
de recourir à l’emprunt par la préparation et l’autorisation des emprunts
locaux. Les collectivités territoriales peuvent recourir aux accords de prêt
de gré à gré ou émettre les emprunts sous forme d’appel public à l’épargne.

la CUD Finance S.A et la CUD prévoit que la CUD Finance S.A s’engage à prêter à la
CUD les montants correspondants aux produits des émissions réalisées. Lire utilement
Arsène TCHIENO TIMENE, Recherche sur les mécanismes juridiques de financement des collectivités
territoriales décentralisées au Cameroun, op. cit., p. 368. Seulement, cette opération s’est heurtée,
malgré l’enthousiasme qu’elle a provoqué dans le monde des affaires, à différentes
irrégularités. Celles-ci étaient substantiellement liées aux erreurs et contradictions sur le
montage de l’opération. La commission des marchés financiers du Cameroun a dû, par
décision n°07/078/CMF/06 du 18 Juillet 2006, annulé la notice d’information relative au
programme d’émission de la CUD Finance S.A et a entrepris d’ouvrir les enquêtes
nécessaires. Lire Daniel Ebénezer KEUFFI, La régulation des marchés financiers dans l’espace
OHADA, Thèse en Droit, cotutelle Universités de Strasbourg et de Dschang, mars 2010,
pp. 75 et suivantes ; Christian KUATE SOBNGWI, Les enjeux de l’émission obligataire par les
CTD : le cas de la communauté urbaine de Douala, op. cit., 110 p.
Malgré cet échec, la Communauté Urbaine de Douala a récidivé en 2018. Cette fois-ci, elle
crée la Société Métropolitaine d’Investissement de Douala. Cette société anonyme devait
être constituée par appel public à l’épargne d’un montant total de 10 milliards réalisé du 22
Mars au 22 Mai 2018. Il s’agit d’une société anonyme fondée pour le financement des
projets importants dans la ville. Le 5 Juillet 2018, date de clôture des opérations, le chef de
file EEC Investment Corporation, membre du groupe ECOBANK annonçait à la fermeture la
souscription de 541.719 actions représentant un montant de 5,14 millions de FCFA, soit un
peu plus de 50% des 10 milliards initialement visés. Voir le journal « Investir au Cameroun »
du 02 Août 2019. L’opération connait donc un succès relatif. Malgré celui-ci, la
Communauté Urbaine de Douala envisage la mise sur place de la Société d’Etude de
Douala (SEDO) grand cabinet d’étude internationale financé par appel public à l’épargne.
2390 Il s’agit du montant du capital, du taux d’intérêt et de la durée de l’emprunt.
2391 Ce sont les clauses qui protègent le statut de chaque partie. Elles sont essentielles pour

la protection du créancier contre les risques d’insolvabilité du débiteur et la préservation de


l’intérêt financier de la collectivité publique. Elles sont nombreuses et peuvent être
synthétisées en 3 catégories à savoir les définitions, les déclarations et garanties et la
détermination du droit applicable.
2392 Les collectivités territoriales peuvent accorder comme garanties des suretés réelles et

personnelles.
511
Ces emprunts sont intérieurs ou extérieurs. Seulement, cette possibilité
devient rapidement presque inenvisageable par l’encadrement restrictif de
la décision d’emprunt local.
II. La restriction conservatrice de la décision d’emprunt local
La libéralisation du recours à l’emprunt local est un mirage en droit
camerounais. Si les collectivités locales ont l’initiative de la décision
d’emprunt local, celle-ci ne peut être menée à terme à cause du mécanisme
paralysant de la tutelle. Il faut au préalable signaler que la tutelle2393 est
consubstantielle à toute décentralisation2394. Elle implique un droit de
regard de l’Etat et justifie la diversité des contrôles a priori et a posteriori
sur les collectivités décentralisées2395. Elle permet d’éviter que la liberté
accordée aux collectivités territoriales ne devienne le libertinage. Elle
préserve à juste titre le caractère unitaire de l’Etat seul souverain2396. Dans
son esprit, la tutelle vise à assurer la légalité des actes posés par la
collectivité2397. En matière d’emprunt local, cela implique la définition des
bornes à la liberté contractuelle d’emprunt. Comme le note le professeur
François LUCHAIRE, « s’administrer ce n’est pas gouverner, et encore moins
légiférer ou rendre la justice»2398. Seulement, « contrairement au cas français, où la
tutelle sur les actes consiste à saisir le juge administratif, le droit camerounais maintient
une tutelle forte2399. En matière financière et spécifiquement en matière

2393 Laurent RICHER, « La notion de tutelle sur les personnes en droit administratif »,
RDP, 1979, pp. 971-1008, Jacques BIPELE KEMFOUEDIO, « La tutelle administrative
dans le nouveau droit camerounais de la décentralisation », Annales de la FSJP de l’Université
de Dschang, 2005, pp. 83-110.
2394 Selon le Professeur Patrick E. ABANE ENGOLO, « la collectivité territoriale décentralisée est

une composante sociologique de l’Etat. Elle est libre, mais certainement pas indépendante. Ses actions
doivent être orientées dans un sens qui ne contrevient pas aux intérêts nationaux et à celui même de ses
administrés », in Traité de droit administratif du Cameroun. Théorie générale et droit administratif spécial,
Paris, L’Harmattan, 2019, p. 187.
2395 Sur cette diversité de contrôles, lire Patrick ABANE ENGOLO, Traité de droit

administratif du Cameroun. Théorie générale et droit administratif spécial, op. cit., pp. 233 et suivantes.
Lire aussi la récente thèse de Monsieur André AKONO OLINGA sur L’apport de la
performance au contrôle des finances locales au Cameroun, Thèse de Doctorat/Ph.D en Droit
Public, Université de Yaoundé II, 2020, 507 p.
2396 Idem.
2397 Patrick E. ABANE ENGOLO, Traité de droit administratif du Cameroun. Théorie générale et

droit administratif spécial, op. cit., p. 237. Le principe de légalité de l’action communale et
régionale est posé par l’article 55 alinéa 2 de la constitution et par l’article 39 du CGCTD.
En vue d’assurer cette légalité, la tutelle est instituée par l’article 55 alinéa 3 de la
constitution et par les articles 72 et suivants du CGCTD.
2398 François LUCHAIRE, « L’émergence d’un droit constitutionnel de la
décentralisation », AJDA, 1992, p. 25 Ainsi, la libre administration doit respecter le
principe de répartition des compétences.
2399 Patrick E. ABANE ENGOLO, Traité de droit administratif du Cameroun. Théorie générale et

droit administratif spécial, op.cit., p. 204. Il faut noter à la lecture des arts. 55 al. 3 de la
constitution et des articles 72 et suivants du CGCTD instituant la tutelle, que le
représentant de l’Etat est le gouverneur dans la région et le préfet dans la commune. Ils
peuvent se faire représenter.
512
d’emprunt public, elle est encore plus accentuée. La liberté d’emprunt local
est fortement encadrée voir paralysée par la neutralisation de la décision
d’accès à l’emprunt (A) et la fragilisation de la liberté de gestion de
l’emprunt (B).
A. La neutralisation de la décision d’accès a l’emprunt local
La libre administration des collectivités territoriales a pour corollaire
comme sus indiqué la liberté contractuelle en matière d’emprunt. Celle-ci
devrait impliquer la faculté pour les collectivités locales de conclure des
contrats sans être muselés. Or, le droit positif en vigueur neutralise,
paralyse l’accès à l’emprunt des collectivités territoriales. Leur capacité
d’endettement est doublement limitée par l’approbation préalable des
emprunts locaux (1) et la maitrise étatique des organismes prêteurs (2).
1. L’approbation préalable des emprunts locaux
L’approbation préalable est le premier mécanisme de restriction de
l’accès à l’emprunt local en droit camerounais. Elle s’entend en doctrine
comme : « la subordination de la formation d’une décision élaborée par un organe en
l’acceptation par un autre organe »2400. En matière d’emprunt local, le pouvoir
d’approbation est une modalité de contrôle administratif aménagé par le
législateur au profit de la tutelle sur les collectivités locales. L’approbation
apparait comme un moyen de validation de la décision d’autorisation
d’emprunt par l’organe délibérant de la collectivité locale. Cette
approbation s’effectue selon deux modalités. Elle peut être expresse ou
explicite, lorsque l’autorité de tutelle prend une décision d’approbation ou
de désapprobation du budget soumis à son examen2401. Elle est implicite si
au-delà de ce délai, l’autorité est silencieuse. Ce qui vaut approbation
tacite2402. L’approbation correspond largement à un contrôle d’opportunité
de la décision de l’autorité sous tutelle2403. Elle est une condition

2400 Joël THALINEAU, Essai sur la centralisation et la décentralisation, réflexion à partir de la théorie
de Charles EISENMANN, Thèse de Doctorat en Droit, Université de Tours, 1994, p. 71 ;
Armel Habib SANDIO KAMGA, L’établissement public en droit administratif camerounais, Thèse
pour le Doctorat/Ph.D en Droit Public, Université de Yaoundé II, 2014, p. 281.
2401 Ce délai est de 30 jours d’après l’article 76 alinéa 3 du CGCTD au Cameroun.
2402 Idem.
2403 Certes, l’article 73 alinéa 2 du CGCTD interdit toute appréciation d’opportunité par

l’autorité de tutelle. On serait tenté d’arguer que l’approbation a posteriori ou même a priori
reste essentiellement un contrôle de légalité. Le code semble sans ambiguïté. Seulement, ce
serait ne pas prendre en compte la spécificité du contrat d’emprunt local. Dans sa
vérification de la licéité de cette opération, l’autorité de tutelle a deux points essentiels à
examiner. D’une part, il vérifie la légalité formelle notamment les procédures de conception
du projet d’emprunt. D’autre part, il vérifie la légalité matérielle constituée en la matière par
plusieurs obligations qui pèsent sur les CTD dans l’opération d’emprunt. Il s’agit
notamment du respect de la soutenabilité budgétaire, du respect de l’équilibre budgétaire,
de l’examen du rapport sur la situation et les perspectives économiques et sociales de la
collectivité territoriale qui comprend entre autres les principaux documents de cadrage
budgétaire et de la situation d’endettement. Pourtant ces obligations sont essentiellement
subjectives. Leur vérification peut conduire l’autorité de tutelle à analyser le prêt sollicité
513
suspensive de l’entrée en vigueur de l’autorisation d’emprunt adoptée par
la collectivité territoriale notamment l’organe délibérant. Comme l’exprime
Charles ROIG le pouvoir d’approbation entraine une semi-
décentralisation qui « consiste à faire dépendre l’entrée en vigueur des normes d’une
double décision libre, prise l’une par l’organe central, l’autre par l’organe décentralisé de
la provoquer ou de ne pas l’empêcher »2404. Mieux, il s’agit d’une
« déconcentralisation »2405. Or, « plus le pouvoir de tutelle est fort, plus dépendante sera
la collectivité. Cet état de dépendance est porteur d’un risque d’aléa normal et il est de
nature à réduire les marges de manœuvres de la collectivité »2406. Sous ce regard, le
Professeur Célestin SIETCHOUA DJUITCHOKO opine que la liberté
d’emprunt est déniée aux collectivités décentralisées puisque la loi sur le
régime financier des collectivités territoriales décentralisées soumet la
signature des emprunts intérieurs et extérieurs à l’approbation de l’autorité
de tutelle2407. L’approbation préalable constitue donc un « véritable droit de
veto »2408. « Quelle peut être la signification du maintien de la tutelle administrative
préalable sur un acte majeur comme le budget local ? » peut-on légitimement
s’interroger avec le Professeur Célestin SIETCHOUA
DJUITCHOKO2409.

par la collectivité territoriale comme insoutenable. Ainsi, l’autorité de tutelle contrôle par là
même l’opportunité des emprunts locaux par son pouvoir d’approbation préalable.
2404 Charles ROIG, « Théorie et réalité de la décentralisation », RFSP, 1966, p. 461 ; Armel

Habib SANDIO KAMGA, L’établissement public en droit administratif camerounais, op. cit., p.
281.
2405 Néologisme consacré par la doctrine, la « déconcentralisation » exprime une

décentralisation imparfaite. Il s’agit soit de l’accaparement des compétences de l’organe


décentralisé par l’organe central, soit de l’intrusion du second dans le premier. L’expression
est attribuée à Olivier GUICHARD qui l’aurait utilisé pour la première fois lors d’une
intervention devant les présidents des comités économique et sociaux le 22 Février 1977.
Lire aussi Cyrille MONEMBOU, « Les paradoxes de la décentralisation camerounaise : de
la décentralisation à la recentralisation », RADSP, n°1, 2012, p. 161 ; AKONO ONGBA
SEDENA, « L’autonomie financière des établissements publics universitaires en Afrique
noire francophone », Revue Africaine et Malgache de Recherche Scientifique/SJP, Numéro spécial,
2019, p. 104.
2406 Jean Pierre KUATE, Les collectivités territoriales au Cameroun, Recueil de textes, op. cit., p. 9.
2407 Art. 399 alinéa 1 et 3 du CGCTD et art. 76 alinéa 1. Lire aussi Célestin SIETCHOUA

DJUITCHOKO, « L’évolution des finances publiques locales au Cameroun », Annales de la


faculté des sciences juridiques et politiques, 2011, p. 149. A titre de droit comparé, au Gabon, « les
collectivités locales sont autorisées par délibération de leur conseil et dans la limite de leur capacité
d’endettement réelle, à contracter des emprunts auprès des organismes nationaux et internationaux.
Toutefois, au-delà de 30% du budget, les emprunts sont soumis à l’approbation de l’Etat qui en assure la
garantie ». Art. 157 de la loi organique relative à la décentralisation. Lire également Alexis
ESSONO OVONO, « L’autonomie financières des collectivités locales en Afrique Noire
francophone. Le cas du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, du Gabon et du Sénégal », op. cit., p.
8.
2408 Bernard Raymond GUIMDO DONGMO, Le personnel communal au Cameroun :

contribution à la compréhension de la crise de l’administration communale camerounaise, Thèse de


Doctorat de troisième cycle en Droit Public, Université de Yaoundé II, 1994, p. 216.
2409 Célestin SIETCHOUA DJUITCHOKO, « L’évolution des finances publiques locales

au Cameroun », op. cit., p.149. Le droit camerounais perpétue le vieux système de tutelle
conçu en France avant les reformes de 1982. Celle-ci s’entendait dans cet Etat,
514
L’on pourrait toutefois objecter à la doctrine unanime que
l’exigence d’approbation doit plutôt être analysée en matière d’emprunt
comme la nécessité de préserver la soutenabilité des finances publiques et
la souveraineté financière de l’Etat. L’autorité décentralisée insatisfaite a la
possibilité de saisir le juge2410. Il faut toutefois remarquer l’absence
d’égalité de traitement entre collectivités décentralisées et l’autorité de
tutelle devant le juge. A ce propos, le Professeur Jérôme Francis WANDJI
souligne que « devant le juge administratif, les requêtes de l’autorité de tutelle et de la
collectivité territoriale décentralisée connaissent un traitement différencié ou à double
vitesse. L’autorité de tutelle bénéficie d’une législation et de conditions de procédures
favorables à une décision rapide du juge à l’abri du déni de justice. L’égalité aurait été
dérivée si l’autorité contrôlée était logée à la même enseigne que l’autorité de contrôle
devant le juge»2411. Le juge administratif ne doit pourtant pas enfreindre le
principe constitutionnel de libre administration. Mais, il semble contraint
par le législateur qui n’a pas volontairement imposé au juge les délais pour
statuer2412. Le pouvoir d’approbation confié par le législateur à l’autorité de
tutelle compétente apparait manifestement comme une limitation de la
liberté d’endettement des collectivités territoriales. Au-delà de
l’appréciation de la légalité de l’acte, la tutelle en apprécie l’opportunité2413.

comme « une arme donnée au pouvoir central à l’encontre des autorités décentralisées dans l’intérêt de
l’unité de l’Etat » et donc la dénomination signifie bien, malgré les protestations officielles
que les collectivités locales ou départementales sont considérées comme des incapables, au
sens que le droit privé donne à ce terme. Le tuteur est partout présent avec ses pouvoirs
d’approbation, d’annulation et de substitution etc. Patrice CHRETIEN, Nicolas
CHIFFLOT, Maxime TOURBE, Droit administratif, Paris, Dalloz, 2020-2021, 17ème éd., p.
253.
Mais ce système est abandonné par la loi du 2 Mai 1982 relative aux droits et
libertés des communes, des départements et des régions modifiées par la loi du 22 Juillet
1982 modifiant et complétant la loi du 2 Mai 1982 relative aux droits et libertés des
communes, départements et régions et précisant les conditions d’exercice du contrôle
administratif sur les actes des autorités départementale, régionale et communale. Ce texte et
ses différentes reformes remplacent le contrôle de tutelle par un contrôle de légalité.
Désormais, tous les actes des autorités décentralisées sont exécutoires de plein droit dès
que les formalités légales de publicité ont été accomplies, y compris la transmission au
préfet et au sous-préfet. Comme toute décision administrative, ces actes sont susceptibles
d’un recours pour excès de pouvoir formé directement par tout intéressé devant le juge
administratif, sans recours préalable au préfet. Le pouvoir de tutelle en France aujourd’hui
se réduit donc pour l’essentiel au pouvoir de déférer au tribunal administratif l’acte que
l’autorité de tutelle estime contraire à la légalité. Ibid., pp. 243-260.
2410 Art. 79 alinéa 1 et 2 de la loi précitée.
2411 Jérôme Francis WANDJI K., « La décentralisation du pouvoir au Cameroun entre

rupture et continuité. Réflexions sur les réformes engagées entre 1996 et 2009 », Janus,
Revue camerounaise de droit et de science politique, n°3, 2011, p. 153.
2412 L’article 77 alinéa 3 du CGCTD l’oblige à statuer dans un délai d’un mois lorsqu’il est

saisi par le représentant de l’Etat. Or l’article 79 al. 1 dispose que « le chef de l’exécutif
communal ou régional peut déférer à la juridiction administrative compétente, pour excès de pouvoir, la
décision du refus d’approbation du représentant de l’Etat suivant la procédure prévue par la législation en
vigueur ».
2413 Patrick E. ABANE ENGOLO, Traité de droit administratif du Cameroun. Théorie générale et

droit administratif spécial, op. cit., p. 100.


515
Comme l’indique le Professeur Madior FALL, cette persistance du
contrôle a priori concernant « les actes essentiels pour ne pas dire vitaux », « doit
amener à nuancer l’étendue de la liberté octroyée aux collectivités locales »2414. Cette
liberté d’accès à l’emprunt local se manifeste aussi par la maitrise des
organismes prêteurs par l’Etat.
2. La maitrise étatique des organismes prêteurs
L’approbation préalable des emprunts locaux entraine pour les
CTD une offre marginale de crédits. Comme l’indique la doctrine pour le
cas français, avant la libéralisation des emprunts publics, « quand une
collectivité décentralisée (…) veut emprunter pour financer une opération, elle n’a
souvent d’autre initiative que de s’adresser à des organes de l’Etat ou dépendant de
lui »2415. Cela se traduit aussi bien en matière d’emprunt intérieur et
extérieur. Relativement aux emprunts intérieurs, la possibilité pour les
collectivités territoriales d’émettre des emprunts sur le marché financier est
annihilée par les limites relatives au cadre organique et matériel. L’absence
de culture financière, de ressources humaines qualifiées et de transparence
dans la gestion explique le manque d’attrait de ces collectivités pour ce
type de financement. L’hypothèse de ce recours est pourtant possible.
Mais les collectivités territoriales semblent dépourvues de moyens
matériels, logistiques et humains2416 pour recourir aux marchés financiers.
De même, la réglementation communautaire sur les titres publics semble
inadéquate pour le recours aux titres publics par les collectivités locales2417.
Ces limites expliquent aussi sans doute les difficultés d’accès au
financement bancaire dans un contexte de faiblesse de l’épargne propre

2414 Ismaïla Madior FALL, « Le contrôle de la légalité des actes des collectivités locales au
Sénégal », Afrilex, n°5, 2006, p. 86.
2415 Patrice CHRETIEN, Nicolas CHIFFLOT, Maxime TOURBE, Droit administratif, op.

cit., p. 253.
2416 Selon Madame Suzanne NGANE, l’insuffisance des ressources (et plus exactement des

ressources humaines) au niveau des collectivités territoriales a de sérieuses conséquences


sur le développement économique, le progrès social et le bien-être des citoyens. Suzanne
NGANE, La décentralisation au Cameroun, un enjeu de gouvernance, op.cit., p. 119. Le Professeur
Bernard Raymond GUIMDO DONGMO à ce sujet opine que « les ressources humaines sont à
tout organisme ce que le cerveau est à l’homme, c’est-à-dire l’élément catalyseur et d’impulsion de toute action
amenée. C’est le personnel qui conçoit, c’est lui qui applique ou exécute », in Le personnel communal au
Cameroun. Contribution à la compréhension de la crise de l’administration communale camerounaise, op.
cit., p. 2.
2417 Le titre de ce règlement (Règlement relatif aux titres publics à souscription libre émis

par les Etats membres de la CEMAC. Nous soulignons) et l’article 2 (« Le présent règlement
régit l’émission des titres publics à souscription libre des Etats membres de la CEMAC dont les
adjudicataires sont organisées par la BEAC ». Nous soulignons encore.) indiquent clairement
que ce règlement n’est applicable qu’aux Etats membres de la CEMAC. Les
démembrements de ces Etats sont ainsi oubliés. Ce silence du législateur communautaire
sur les règles d’accès de ces démembrements au marché financier communautaire peut
interroger légitimement sur sa volonté réelle de permettre aux CTD de s’émanciper. De
même, l’absence d’un texte juridique spécifique de chaque Etat membre sur l’accès de leurs
démembrements vers ce type de financement annihile énormément cette hypothèse.
516
qui pourra garantir le remboursement. Sous ce rapport, Monsieur Martin
FINKEN opine que « les communes camerounaises et cela est également vrai pour
l’ensemble de la sous-région à des degrés divers auront besoin d’une personnalité
financière plus marquée et d’intégrer la culture du crédit. Cette situation est encore loin
d’être acquise comme en témoigne les contestations des élus locaux sur les sommes
réclamées et leurs réticences à les honorer, situation qui a amené le FEICOM en Août
2001 à annuler purement et simplement 10 milliards de FCFA de dettes des
collectivités locales »2418.
Les seules hypothèses d’emprunts intérieurs pour les collectivités
décentralisées sont donc les emprunts auprès de l’Etat ou personnes
publiques instituées par l’Etat. A ce titre, le FEICOM se présente comme
le principal prêteur des collectivités locales au Cameroun. A côté de lui, le
Crédit Foncier du Cameroun n’est pas en reste. Mais, en l’absence de
concurrence, les produits offerts par ces institutions sont non négociables.
Or, les taux et les frais fixés par ces organismes seraient d’avantage
bonifiés en cas de concurrence2419. De même, ces institutions prévues et
essentiellement financées par l’Etat ne semblent pas à même de disposer
les lignes de crédit suffisantes.
Aussi, du point de vue des emprunts extérieurs, l’Etat reste maître
des mécanismes de prêt aux collectivités décentralisées. Les emprunts
extérieurs sont notamment garantis par l’Etat2420. Il s’agit d’une garantie ou
d’une sureté personnelle. Pour Monsieur Wilfried Eric GONCALVES, «
la garantie d’emprunt octroyée par un Etat ne sert pas seulement la diplomatie de celui-
ci. Elle peut aussi servir ses intérêts économiques »2421. L’octroi de la garantie a
pour effet de faciliter les opérations d’emprunts des collectivités
décentralisées. L’interventionnisme économique des Etats occupe donc
une place importante dans la publicisation de la garantie car « l’une des
formes privilégiée de l’intervention de l’Etat dans l’économie est d’offrir sa garantie. Le
but est de permettre aux personnes de droit public ou de droit privé internes de contracter
les emprunts. Le produit en sera investi dans le financement de projets liés au
développement »2422. Le manuel de procédure relatif aux opérations
d’emprunt et de gestion de la dette publique au Cameroun fournit des
indications sur la procédure de garanties. Il s’agit pour l’Etat de vérifier la
capacité de remboursement des entités sollicitant son aval et la robustesse
de leur situation financière sur différents scenarii de chocs. Concrètement,
c’est l’Etat qui s’endette et rétrocède le prêt à la collectivité territoriale.

2418 Martin FINKEN, Commune et gestion municipale au Cameroun : institution municipale, finances
et budget, gestion locale, interventions municipales, Yaoundé, Presse du groupe Saint François,
1996, p. 8.
2419 Arsène TCHIENO TIMENE, « Réflexion sur le recours à l’emprunt local par les CTD

au Cameroun », Revue panafricaine des sciences juridiques comparées, n°012, 2019, p. 119.
2420 Art. 399 alinéa 3 du CGCTD.
2421 Wilfried Eric GONCALVES, La garantie personnelle d’emprunt des Etats au sein de la société

économique internationale (France-Côte d’Ivoire-Bénin), Thèse de Doctorat en Droit Privé,


Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne, 2000, p. 1 et suivantes.
2422 Idem.

517
Certains documents sont exigés à la collectivité territoriale : les études de
faisabilité financière du projet, le bilan des trois dernières années de la
collectivité, les comptes prévisionnels d’exploitation des trois prochaines
années, la situation d’endettement et l’encrage du projet au plan du
développement sectoriel et national. Sur la base de ces documents, le
ministre des finances et la Caisse Autonome d’Amortissement ouvrent les
négociations avec les parties prenantes en vue de la rétrocession2423. Vis-à-
vis des prêts extérieurs, la collectivité territoriale est entièrement
dépendante de l’Etat. Elle n’est donc pas libre de recourir aux emprunts
extérieurs. Aussi, en dehors de cette neutralisation l’accès à l’emprunt local
des collectivités locales, leur libre administration est restreinte par la
fragilité de la liberté de gestion de l’emprunt.
B. La fragilisation de la liberté de gestion de l’emprunt local
La libre administration des CTD implique leur libre élaboration et
gestion des actes budgétaires notamment d’emprunt. Or, la liberté
d’emprunt accordée aux CTD sur le fondement de leur libre
administration est fragilisée dans sa gestion par l’affectation des ressources
d’emprunt (1) et la réglementation du service de la dette (2).
1. L’affectation des ressources d’emprunt local
La première cause de fragilité de la gestion de l’emprunt local est
l’obligation d’affectation des ressources d’emprunt. Comme l’indique le
Professeur Laurent RICHER, les moyens financiers de l’administration ne
proviennent pas seulement de l’impôt. Les personnes publiques peuvent
aussi, par divers contrats, se procurer des ressources affectées et non
affectées. Le contrat d’emprunt figure parmi cette typologie de « contrat
moyens »2424. L’affectation d’emprunt constitue en effet, selon le Professeur
Stéphanie DAMAREY, la première exigence du principe d’équilibre
réel2425. Il s’agit de la règle d’or des finances locales d’après laquelle
l’emprunt ne finance que les dépenses d’investissement2426. L’article 389
alinéa 1 du CGCTD indique à propos que les emprunts sont destinés en
priorité aux dépenses d’investissement2427. Cette obligation pour les

2423 Manuel de procédure relatif aux opérations d’emprunts et de gestion de la dette


publique adopté par le CNDP le 12 Septembre 2019.
2424 Laurent RICHER, Droit des contrats administratifs, op. cit., pp. 78-80.
2425 Gilbert ORSONI (dir.), Finances publiques, Dictionnaire encyclopédique, Paris, Presses

Universitaires d’Aix-Marseille, Economica, 2017, 2e éd., p. 201. Lire aussi sur le principe de
l’équilibre réel, Anne JUSIANNE, « Droit constitutionnel local », JCA, Fasc. 1442, 2005, p.
16.
2426 Michel BOUVIER, Les finances locales, op. cit., p. 211.
2427 Aux termes de l’article 407 alinéas 1, 2 et 3 du CGCTD, « les dépenses d’investissement sont

celles qui permettent la réalisation des équipements, bâtiments et infrastructures ainsi que l’acquisition du
matériel relatif à ces travaux dans les domaines économique, social, sanitaire, éducatif, culturel et sportif ».
A ce titre, les dépenses d’investissement concourent notamment :
- à la construction et à l’équipement des marchés, gares routières et abattoirs ;
518
collectivités territoriales d’affecter le produit de leurs emprunts aux
dépenses d’investissement s’explique par la volonté de doter tous les
démembrements d’un niveau de développement équilibré. Il s’agit aussi de
préserver leur capacité financière. L’objectif est l’évitement de l’effet boule
de neige, à savoir le recours à des emprunts pour payer les dettes dues par
d’autres emprunts. L’emprunt local est logiquement exclu pour les
dépenses de fonctionnement2428. Elles s’entendent des dépenses à
caractère définitif correspondant aux activités traditionnelles des
administrations2429. La nature de ces dépenses explique l’interdiction de
leur financement par les ressources d’emprunt public.
Toutefois, l’application de cette obligation est délicate. Deux séries
d’arguments permettent de la relativiser. Premièrement, la frontière entre
les dépenses de fonctionnement et celles d’investissement n’est pas claire.
Elle implique une détermination précise de ces deniers de façon à ce que la
règle ne soit pas facilement contournée. A titre illustratif, alors que les
dépenses d’éducation sont parfois considérées comme des dépenses
d’investissement sur le futur, elles restent des dépenses de fonctionnement
dans la définition de la règle d’or parce qu’elles sont récurrentes et doivent
être assumées annuellement de manière renouvelée. L’étendue de
l’exigence d’équilibre doit être précisée dans son périmètre et dans le

- à l’amélioration de la qualité de l’environnement, de l’accès à l’eau potable et de


la gestion des ressources naturelles ;
- à la réalisation des opérations d’aménagement ;
- à la création des voiries municipales ainsi qu’à la réhabilitation des routes
départementales et régionales ;
- au développement de l’éclairage public et de l’électrification des zones
nécessiteuses ;
- à la création des routes rurales non classées ;
- à l’équipement des formations sanitaires ;
- à l’équipement des établissements scolaires ;
- à la réalisation des infrastructures sportives et socio-éducatives au niveau régional
ou local ;
- à l’acquisition des matériels pour amélioration des services locaux de base ;
- à la réalisation des programmes d’investissement et des projets adoptés par
l’organe délibérant.
Bref, Les dépenses d’investissement ont une incidence sur le patrimoine de la collectivité
territoriale.
2428 Les dépenses de fonctionnement sont une typologie de dépenses publiques. Les

dépenses publiques s’appréhendent comme « les dépenses engagées selon les règles de la comptabilité
publique pour assurer les charges de l’Etat et des collectivités publiques ». E.C. LEKENE
DONFACK, Finances publiques camerounaises, op. cit., p. 436. Les dépenses publiques posent
juridiquement deux catégories de problèmes. D’une part, la question de leur accroissement
et d’autre part la question de leur classification. C’est sur ce second volet que l’on peut
extirper la notion de dépenses de fonctionnement. Parmi les classifications des dépenses
publiques présentées par la doctrine, la plus significative du point de vue de la performance
budgétaire est la distinction entre dépenses de fonctionnement et dépenses
d’investissement.
2429 Les salaires, personnels… Lire E. C. LEKENE DONFACK, Finances publiques

camerounaises, op.cit., p. 436.


519
temps2430. Il n’existe pas à proprement parler de définition de
l’investissement dans les textes relatifs aux lois de finances de l’Etat ou
alors aux régimes financiers2431. L’appréciation de la qualité
d’investissement dépend des agents chargés de l’exécution du budget.
Cette obligation pourrait donc être contournée. Le renouvellement d’un
parc informatique peut par exemple être qualifié soit de dépenses de
fonctionnement soit de dépenses d’investissement2432. De même, il arrive
parfois qu’une collectivité laisse dépérir un équipement pour qualifier les
travaux de réaménagement de dépenses d’investissement2433. Le Professeur
Robert HERTZOG explique à ce titre que la frontière est mal délimitée
entre les dépenses de fonctionnement et les dépenses d’investissement2434.
De même, l’absence de définition claire de l’investissement favorise un
dévoiement du recours à l’emprunt et induit un endettement potentiel de
la collectivité2435. D’autre part ce dévoiement est aussi possible par la
pratique des avances de trésorerie affectées généralement aux dépenses
courantes. Celles-ci limitent l’obligation d’affectation obligatoire de
l’emprunt aux dépenses d’investissement2436. Comme en droit français, le
législateur camerounais reconnait la possibilité d’affecter les emprunts
locaux aux dépenses de fonctionnement. Dans ce sens, le CGCTD dispose
que, « Sur leur demande, l’Etat peut accorder aux collectivités territoriales une avance
de trésorerie sur les recettes escomptées, après avis motivé du ministre chargé des
collectivités territoriales »2437. Cette altération de l’affectation de l’emprunt local
n’est pas toutefois perceptible dans le service de la dette.
2. La réglementation du remboursement
La libre administration des CTD rencontre en matière de gestion
des emprunts locaux une seconde cause de fragilité par la réglementation
du remboursement des emprunts locaux. Le remboursement est la
restitution en argent, le reversement à une personne en exécution d’une
obligation de restitution d’une somme d’argent que cette personne avait

2430 Gilbert ORSONI (dir.), Finances publiques : Dictionnaire encyclopédique, op. cit., pp. 328-329.
2431 L’article 107 du CGCTD ne propose ni une définition limitative des dépenses
d’investissement ni des critères clairs de distinction avec celles de fonctionnement.
2432 Antoine SIMON, Les emprunts des collectivités territoriales et la libre administration, op. cit., p.

37. Ainsi l’achat d’un véhicule tel dans le cas de la commune de DEMBO précitée peut être
considéré comme l’acquisition d’un bien de fonctionnement ou d’investissement. Dans le
cas de cette commune, aucune indication n’est donnée sur la nature du véhicule pour
déceler s’il s’agit d’un bien de fonctionnement ou d’investissement.
2433 Idem.
2434 Robert HERTZOG, « L’investissement local est-il surévalué ? », BJCL, 2013, n°11/13,

pp. 735-740.
2435 Idem.
2436 Idem.
2437 Art 457 du CGCTD, art. 53 de la loi n°2018/011 du 11Juillet 2012 portant régime

financier de l’Etat et des autres entités publiques. De même, il est consacré à l’article 11 du
code d’intervention du FEICOM la possibilité des avances de trésorerie pour les CTD
notamment pour financer les arriérés de salaire et les voyages de coopération ou d’étude
des élites. L’article 5 du même code consacre parmi les concours financiers accordés par
l’organisme, les prêts au fonctionnement.
520
précédemment versé -prêté ou payé-. On parle de remboursement d’un
prêt, d’une somme indument payée2438. En matière d’emprunt public, le
remboursement signifie la restitution par la collectivité publique du capital
et des intérêts de la dette. Il s’agit d’assurer le service de la dette. Aux
termes de l’article 39 alinéa 4 de la directive CEMAC relative aux lois de
finances de 2011, « (...) les remboursements d’emprunts sont exécutés conformément
au contrat d’émission.». Le remboursement des emprunts publics dans les
Etats membres s’effectue donc selon les modalités définies par le contrat
d’émission. Mais contrairement à l’Etat libre dans le remboursement de sa
dette, phénomène d’ailleurs vecteur constant d’arriérés de paiement, les
CTD sont strictement encadrées dans le service de leur dette. La
prescription du remboursement des emprunts publics comme dépenses
obligatoires constitue une spécificité des finances locales. D’inspiration
jacobine, elle est le fruit de la philosophie globale de surveillance par l’Etat
des finances de ses démembrements. Le CGCTD est sans équivoque. Les
dépenses obligatoires y sont instituées à l’article 43. Il se lit dans cette
disposition que « les dépenses obligatoires sont celles qui sont imposées par la loi.
Elles sont nécessaires au fonctionnement optimal de la collectivité territoriale
décentralisée en raison de l’intérêt particulier qu’elles présentent. A ce titre, elles doivent
impérativement figurer au budget ». Dans une énumération limitative, le
cinquième tiret de l’alinéa 1 de l’article 104 indique parmi les dépenses
obligatoires les dettes exigibles2439. Cette règle se justifie par la nécessité de
protéger les créanciers dans un contexte d’inapplication des voies
d’exécution2440 contre les personnes publiques. Pour assurer le respect de
cette règle, l’autorité de tutelle veille. Ainsi, « le représentant de l’Etat qui
approuve le budget de la collectivité locale, après mise en demeure rester sans effet peut le
modifier d’office parce que :
- ledit budget n’est pas voté en équilibre
- les crédits inscrits pour couvrir les dépenses obligatoires sont
insuffisants (...) »2441.

2438 Gérard CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, op. cit, p. 891.


2439 A titre comparé, l’article 161-5 du CGCTD en France dispose que « (…) ne sont
obligatoires pour les collectivités territoriales que les dépenses nécessaires à l’acquittement des dettes exigibles
et les dépenses pour lesquelles la loi a expressément décidée ». Ce texte est complété par les articles
L2321-2, L3321-1, et L4321-1 qui prescrivent respectivement aux communes,
départements et régions le remboursement du capital et de la dette.
2440 Pierrick SALEM, L’emprunt des collectivités territoriales : un paradoxe du droit financier, Thèse

de Doctorat en Droit Public, Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne 2014, p. 254.


2441 Art. 427 CGCTD. En France, c’est la chambre régionale des comptes saisie soit par le

représentant de l’Etat, soit par toute personne ayant intérêt qui constate la non-souscription
d’une dépense obligatoire au budget de la collectivité ou son inscription pour une somme
insuffisante. Elle constate ce manquement dans un délai d’un mois à partir de sa saisine et
met en demeure la collectivité territoriale concernée. Si dans un délai d’un mois cette mise
en demeure n’est pas suivie d’effet, la chambre régionale des comptes demande aux
représentants de l’Etat d’inscrire au budget cette dépense obligatoire et propose s’il y’a lieu
création de ressources ou diminution des dépenses facultatives destinées à couvrir la
521
Il y a lieu de souligner qu’en droit camerounais, ce sont les dettes
exigibles comme sus évoquées qui sont des dépenses obligatoires.
L’exigibilité se soumet à la fois aux conditions de droit commun et à une
condition spécifique de droit public. Les règles de recouvrement de
créance en droit commun sont fixées par le Droit OHADA notamment
par l’Acte uniforme relatif aux voies d’exécution. Il en ressort que trois
conditions cumulatives sont nécessaires pour le recouvrement de la
créance. La première est le caractère certain de la créance. Il postule que la
créance soit indubitable parce que certifiée, vérifiée, indiscutable par les
tiers2442. Le second caractère est la liquidité de la créance2443. Du latin
liquidum, la liquidité postule une créance qui est déterminée avec certitude
dans son montant, mieux une créance chiffrée2444. Le troisième critère a
trait à l’exigibilité de la créance. Est exigible, la créance dont on peut
demander le paiement immédiat. En d’autres termes, c’est le caractère
d’une dette dont le créancier est en droit de réclamer l’exécution
immédiate sans être tenu d’attendre l’accomplissement d’une condition
suspensive2445.
Au-delà de ces conditions ordinaires, le recouvrement d’une créance
implique aussi la soumission à la règle de comptabilité publique du service
fait. La règle du service fait constitue une pièce maitresse du droit public
financier. Mais les développements rares ou sommaires à elle consacrés par
la doctrine financière témoignent qu’il s’agit d’une « institution financière en
clair-obscur »2446. La règle du service fait signifie dans le droit de la
comptabilité publique que le paiement de la dépense publique est interdit
avant la réalisation par les bénéficiaires, des contre-prestations
effectives2447. Cette règle s’applique également au droit des dettes et des
créances publiques. Elle a plusieurs incidences en cette matière. D’une
part, les personnes publiques ne peuvent être tenues au paiement de leur
dette avant droit acquis ou service fait2448. Ainsi, après la signature d’une
convention, la dette publique existe mais ne devient exigible qu’après le
paiement de la contre-prestation par le créancier. L’exigibilité du service
des dettes publiques dépend donc du service fait2449. Ainsi, en matière
d’emprunt public, après la signature de la convention d’emprunt, la dette

dépense obligatoire. Art. L1612-5 du code général des CTD ; François BONNEVILLE, Le
système de la dette publique. Pour une approche organique d’un phénomène social, op. cit., p. 588.
2442 Ibid., p.159 ; Amvi DE SABBA, La protection du créancier dans le droit uniforme de recouvrement

des créances de l’OHADA, Thèse de Doctorat en Droit Privé, Université de Paris I,


Panthéon-Sorbonne, 2016, p. 40.
2443 Idem.
2444 Gérard CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 619.
2445 Ibid., p. 436.
2446 Paul AMSELEK, « La règle du service fait », in Etudes de finances publiques, Mélanges en

l’honneur de Monsieur le Professeur Paul-Marie GAUDEMET, Paris, Economica, 1984, pp. 424-
427.
2447 Ibid., p. 424.
2448 Ibid., p. 429.
2449 Ibid., p. 431.

522
existe. Mais pour qu’elle soit exigible, il faut d’une part le décaissement des
fonds par le créancier et d’autre part, la réalisation des termes de
remboursement ou du capital. Seulement, cette règle ne s’applique pas à
toutes les créances d’emprunts publics. La liberté contractuelle rattachée
aux personnes publiques leur permet de soustraire certaines conventions à
ce principe. En pratique, l’institution financière de droit commun, le
FEICOM opère une rétention à la source des centimes additionnels
communaux dont il a charge de centraliser et redistribuer aux collectivités
territoriales de celles défaillantes jusqu’à remboursement total2450.
L’institution des dépenses obligatoires limite le pouvoir de décision
en matière de dépenses. Précisément comme l’indique le Professeur
Robert HERTZOG, la libre disposition des dépenses ou la liberté de
dépenser des CTD signifie que leurs ressources ne sont ni grevées de
charges, ni affectées à des objets déterminés2451. Or le pouvoir de décision
des collectivités territoriales en matière financière suppose que les
dépenses obligatoires auxquelles elles sont contraintes ne soient pas
excessives2452. En fait, ces dépenses obligatoires privent les collectivités
locales du pouvoir de les refuser, ce qui annihile leur possibilité de choix et
constitue une atteinte incontestable à leur liberté de décision en matière de
dépense2453.
Conclusion
Au terme de l’analyse, il a été questionné la réalité de la liberté
d’emprunt local au Cameroun. La démonstration a permis de relever la
liberté retenue de l’emprunt local en droit camerounais de la
décentralisation. D’une part, l’initiative d’emprunt local est libéralement
consacrée. Fondée sur la libre administration des collectivités territoriales,
elle s’exprime à travers la liberté contractuelle qui leur est reconnue en la
matière. Les CTD ont la possibilité d’autoriser les emprunts en fixant les
différentes modalités du contrat avec le futur créancier. La libre

2450 Aux termes de l’article 43 du Code d’intervention du FEICOM, « les centimes additionnels
communaux destinés à chaque commune garantissent le remboursement du concours concédé ». L’article 44
alinéa 1 ajoute que « Le principe est la trimestrialité des traites. Elles sont payées soit sur les centimes
additionnels communaux (CAC), soit payées en espèces par les communes ou leur groupements ».
2451 Robert HERTZOG, « Ambigüe constitutionnalisation des finances locales », AJDA,

2003, p. 48.
2452 Comme l’indiquent Paul-Marie GAUDEMET et Joël MOLINIER, « l’autonomie n’est

réelle (…) que si elle dispose d’une grande liberté dans ses dépenses sans être entravée par des dépenses
obligatoires ou par des dépenses interdites ou soumises à approbation », in Finances publiques, op. cit., p.
176.
2453 Loïc PHILIP, « L’autonomie financière des collectivités territoriales », op. cit., p. 154 ;

Richard KEUDJEU de KEUDJEU, Recherche sur l’autonomie des collectivités territoriales


décentralisées au Cameroun, op. cit., p. 359 ; François LABIE, « Finances locales et autonomie
financière », in Philippe TRONQUOY (dir.), Décentralisation, Etat et territoires, Paris, La
documentation française, 2004, pp. 81-82. Cet auteur soutient notamment que les dépenses
obligatoires représentent une véritable atteinte à la libre administration et à l’autonomie
financière des CTD.
523
conception et fixation des modalités de l’emprunt permet d’affirmer leur
liberté d’initiative de décision financière d’emprunt. Seulement, cette
liberté est muselée par la tutelle dans une tendance conservatrice. Les
libertés d’accès à l’emprunt et de gestion des ressources d’emprunt sont
fortement et rigoureusement encadrées. L’accès à l’emprunt d’abord est
neutralisé par l’approbation préalable des ressources d’emprunt et la
maitrise étatique des organismes prêteurs. La gestion de l’emprunt enfin
est fragilisée par l’affectation du produit des emprunts et la règlementation
du remboursement de la dette. Ainsi, la libre administration de l’emprunt
local est un mirage. Cela s’explique sans doute par la volonté de préserver
la soutenabilité de la dette locale. Mais, cette logique de tutélarisation
excessive des CTD n’est pas compatible avec la volonté d’augmentation
des investissements publics.
Le plaidoyer peut donc être fait par la libéralisation de l’emprunt
local par la suppression au moins de l’approbation préalable de ces
emprunts. De même les CTD doivent améliorer la transparence dans la
gestion locale afin de paraitre crédibles et devenir des candidats sérieux à
l’emprunt notamment sur les marchés financiers. Aussi, une diversification
des modes de financement est envisageable. Sur le modèle de l’Agence
France Locale française, un établissement de crédit spécialisé, crée par les
CTD2454 aura une contribution significative dans ce sens.

2454 La loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 Juillet 2013 autorise
la création d’une agence de financement de collectivités locales, l’agence France locale. Elle
est agréée en tant qu’établissement de crédit spécialisé le 12 Janvier 2015 et est depuis
régulée par l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Aujourd’hui ce nouvel
établissement de crédit rassemble 223 collectivités représentant 13% de la dette publique
locale et a octroyé plus de 16 milliards d’euro de crédit depuis le lancement de son activité
en 2015. Cette structure initiée en 2004, s’articule autour des impératifs de responsabilité,
de solidarité entre CTD, d’indépendance et de performance dans l’accès aux crédits et au
financement des investissements. Elle s’inspire notamment des LOCAL GOVERNMENT
FUNDING AGENCIES mises en place dans les Etats d’Europe du Nord comme en
suède avec la KOMMUNINVEST, Yann DOYEN, « L’emprunt et le besoin de
financement des collectivités locales : les leçons de l’histoire », op.cit., pp. 100-102.

524
FINANCES ET FINANCEMENT DES
ORGANISMES PUBLICS
(Sous la coordination du Prof GUESSELE ISSEME, Maître de conférences agrégé)

525
LA CONTRIBUTION DES ENTREPRISES PUBLIQUES AU
FINANCEMENT DU BUDGET DE L’ETAT EN DROIT PUBLIC
FINANCIER CAMEROUNAIS
Par
Dr. Christian Fabrice YINDJO TOUKAM
Ph.D en Droit public
Université de Douala (Cameroun).

RÉSUMÉ :
L’Etat contemporain est de plus en plus soumis à des influences qui modifient
ses logiques d’action. La nouvelle gouvernance financière, partie intégrante de celles-ci, a
permis d’instaurer la recherche de la performance qui, au plan budgétaire, exige
l’amélioration de la qualité de la dépense publique et le renforcement des ressources
budgétaires. Les entreprises publiques ont été pensées et créés pour contribuer au
renforcement de ces ressources. Leur intervention dans le secteur marchand induit la
recherche de la rentabilité au même titre que les entreprises privées. C’est sur cette
rentabilité que s’appuie la diversité des contributions fiscales auxquels elles sont
assujetties et par lesquelles elles contribuent au financement du budget de l’Etat. Cette
contribution n’est pas toujours une réalité. Les entreprises évoluent dans un contexte
structurel et conjoncturel défavorable à la performance et à la rentabilité, dévoyant ainsi
leurs potentialités de contribution au budget de l’Etat.
Mots clés : Recettes budgétaires, dividende, compensation, subvention,
performance.

ABSTRACT:

The contemporary State is more and more subject to influences which modify its
logics of action. The new financial governance that is part of these has made it possible to
establish the search for performance which, at the budgetary level, requires improving the
quality of public expenditure and strengthening budgetary resources. Public enterprises
were conceived and created to contribute to the strengthening of these resources. Their
intervention in the commercial sector induces the search for profitability in the same way
as private companies. It is on this profitability that the diversity of tax contributions to
which they are subject is based. This contribution is not always a reality. Companies
operate in a structural and economic context which is unfavorable to performance and
profitability, thus owing their potential to contribute to the State budget.
Keywords: Budgetary revenue, dividend, compensation, subsidy, performance.

526
Introduction
Le budget de l’Etat est au cœur des problématiques socio-politiques
actuelles au regard de l’accroissement des activités publiques à financer.
Cela n’est pas à proprement parler une spécificité contemporaine, car aussi
loin que l’on remonte dans l’histoire « il est reconnu qu’il n’y a pas de finances
publiques prospères sans budget »1. Le budget est le principal, voir l’unique
instrument mobilisé pour supporter le financement des politiques
publiques2. Ce budget qui est en constante progression3 subit des
contraintes énormes au regard de l’élargissement des activités à financer,
mais aussi et surtout face aux contingences sociales. L’actualité le
démontre clairement. D’abord celle, un peu plus éloignée mais toujours
ambiante, des tensions sécuritaires constituées de la lutte contre le groupe
terroriste Boko Haram dans les régions du septentrion, et de la crise dans
les régions anglophones. A côté de cela, l’on a la pandémie mondiale du
Covid-19 qui tend à asphyxier les finances publiques. Cette dernière
contrainte inattendue et aux effets dévastateurs a nécessité une riposte tout
aussi importante avec l’adoption d’une batterie de mesure nécessaires à la
survie de l’Etat et plus globalement celle de la société et de l’humanité.
Face à cette situation fortuite, la réponse ne peut être gratuite. La
mobilisation qui continue à avoir droit de citer « a certainement un coût
financier et nécessite, par voie de conséquence, une prise en charge par le budget de la
nation »4. Même en présence de ces situations de crise, l’Etat doit continuer
à assurer l’intérêt général conformément au principe de continuité
constitutionnellement consacré5.
L’Etat camerounais et les Etats Africains en général croulent sous le
poids des contraintes budgétaires. Les besoins de financements sont si
importants que l’on finit par perdre de vue que le budget est un acte
prévisionnel et que « les prévisions arrêtées peuvent donc varier au gré des
contingences »6. Le budget est présenté comme un acte descriptif7 des
ressources et des charges de l’Etat autorisé par la loi de finances sous
forme de recettes et de dépenses8. Au-delà de la technicité financière

1 JEZE (G), Traité de Sciences des Finances, Paris, Giard & Brière, 1910, p. 3.
2 De plus en plus l’on évoque l’endettement et autres appuis financiers des partenaires
extérieurs, les financements privées comme techniques alternatives de financement des
activités d’intérêt général, mais le budget contenue de constituer la source principale de
financement.
3 DAMAREY (S), Finances publiques, Paris, Gualino éditeur, 2008, p. 31.
4 BILOUNGA (S. T.), « L’incidence de la lutte contre le covid-19 sur les finances publiques

camerounaises », Revue Juridique du Bonheur, n°3, 2021, p. 3.


5 Article 5 alinéa 2 de la Constitution.
6 YINDJO TOUKAM (C. F.), « L’influence des mesures de riposte contre la covid-19 sur

le droit au bonheur du citoyen en droit Camerounais », Revue Juridique du Bonheur, n°3, 2021,
p. 14.
7 CHOUVEL (F.), Finances publiques, Paris, Gualino éditeur, 2016, 19e édition, p. 24.
8 Article 4 al 1 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et

des autres entités publiques.


527
traduite par l’existence d’une multitude de principes budgétaires, le budget
est du point de vue politique et social perçu comme des ressources
nécessaires au financement des dépenses publiques. Ces dépenses sont en
principe incompressibles. Elles ont un « caractère impératif et obligatoire ; elles
ont pour but d’assurer la marche des services publics et l’existence même de l’Etat »9.
L’option des pouvoirs publics n’est donc pas de chercher à les réduire10,
mais plutôt d’optimiser les ressources financières. C’est dans cette optique
que plusieurs techniques exogènes sont consacrées et expérimentées.
Parmi elles on retrouve l’endettement11, les partenariats publics-privés12.
Les effets de ces mécanismes sur la stabilité budgétaire sont relatifs. L’une
des raisons justifiant cela est la réticence des pouvoirs publics à s’y engager
totalement au regard de l’altération de la souveraineté qu’ils induisent à
partir de la conditionnalité13. La solution privilégiée, si l’on en juge à sa
pérennité, est l’entreprise publique.
Historiquement, le lien entre entreprises publiques et financement
du budget de l’Etat est implicite. La création desdites entreprises est à
l’origine fondée sur « la volonté affichée d’assurer à des pouvoirs politiques fragiles
les bases d’une certaine indépendance économique »14. Aux lendemains des
indépendances, les Etats africains ont besoin de manifester leurs
souverainetés sur les principaux secteurs sociaux longtemps conservés par
les puissances coloniales. Le secteur économique fait partir de ceux-là. En
occident, les puissances coloniales s’étaient engagées dans un
interventionnisme économique qui se traduisait par la création des
entreprises publiques en charge de plusieurs secteurs clés. Au regard de
l’essor considérable manifesté par ces entreprises, les Etats Africains vont
valoriser leur création pour soutenir le développement économique15
considéré comme l’une des deux formes de l’idéologie de la construction
nationale16. Au Cameroun, dès l’accession à l’indépendance, l’Etat va

9 DUVERGER (M.), Finances publiques, Paris, PUF, 1971, 7e édition, p. 31.


10 Il faut toutefois préciser que certaines dépenses font l’objet d’une politique de réduction.
On range ces dépenses sous la formule des dépenses liées au train de vie de l’Etat qui sont
des dépenses plus fonctionnelles que structurelles.
11 ELOUAER BEN NJIMA (N.), La dette publique extérieure tunisienne, thèse de doctorat en

finances publiques et fiscalité, Université Jean Moulin- Lyon 3, 2009, p. 3.


12 GUESSELE ISSEME (L.P), « Partenariats public-privé et développement dans les Etats

d’Afrique noire francophone », RAMRES-SJP, n°1 janvier 2021, pp. 8-13.


13 ONDOA (M), « Ajustement structurel et réforme du fondement théorique des droits

africains post-coloniaux : l’exemple camerounais », Revue Africaine des sciences juridiques, vol 2,
n°1, 2000, p. 89 ; OUMAROU BOUBAKARI, « La conditionnalité, vecteur juridique de
l'assistance financière du FMI », Afrilex, n°4, décembre 2004, pp. 132-148.
14 GAUTRON (J-C), ZUBER (B), « Les entreprises publiques et semi-publiques du

Sénégal », in LAVROFF (D.G) (dir.), Les entreprises publiques en Afrique noire, Paris, éditions
A. Pedone, 1978, p. 4.
15 SIMARD (C), « Les entreprises publiques : éléments d’analyse et de réflexion », Cahiers de

recherche sociologique, n°15, 1990, p. 107.


16 ONDOA (M), Le droit de la responsabilité publique dans les Etats en développement : contribution à

l’étude de l’originalité des droits africains, Thèse de Doctorat d’Etat en droit public, Université de
Yaoundé II, 1997, p. 73.
528
pérenniser le processus de création des entreprises publiques engagé
depuis l’autonomie interne élargie17. Les entreprises qui vont être créées
seront dans une instabilité du fait de l’absence d’un texte harmonisant
leurs régimes. Le premier texte en la matière est une loi de 1968 sur les
sociétés de développement. Du point de vue historique, et en considérant
le régime établi plus tard, les sociétés de développement peuvent être
considérées comme les précurseurs des entreprises publiques. Sur le plan
de leurs missions, ces sociétés « concourent, sous le contrôle de l’autorité publique,
à l’exécution des plans de développement économique et social »18. En ce qui
concerne leur régime, elles sont créées par décret du président de la
République19, contrôlées par l’Etat20, et bénéficient de la participation des
entités publiques au capital à titre principal21.
Sur le plan formel, l’harmonisation du régime des entreprises
publiques va se faire avec l’ordonnance de 199522. Telle était l’ambition.
Pourtant, les faits ne peuvent permettre de soutenir cela car cette
ordonnance a plutôt installé un désordre juridique inédit. Ce texte à lui seul
avait sonné le glas de la matière par laquelle la doctrine n’avait d’ailleurs
daigné manifester aucun intérêt23. La première limite est celle de ne pas
définir la notion d’entreprise publique. Rien de bien grave pourrait-on dire,
surtout que même ailleurs l’on parle de « l’introuvable définition » de la
notion24. L’imprécision nait de la réunion sous le vocable entreprise de
deux entités de nature différente. L’ordonnance dispose en effet que « les
entreprises du secteur public et parapublic prennent exclusivement la forme soit
d’établissement public administratif, soit de société à capital public soit de société
d’économie mixte »25. Du point de vue théorique, l’établissement public
semble être l’intrus dans cette liste, car bien que ses modalités
d'organisation soient calquées sur celles des entreprises privées26, il

17 Pendant la période de l’autonomie interne élargie qui a pratiquement durée deux ans
(1958-1960), l’Etat s’était engagé dans la création des entreprises que l’on peut qualifier de
publique aujourd’hui au regard des avancées dans la clarification des critères
d’identification. C’est le cas de la caisse de compensation des prestations familiales du
Cameroun créée par la Loi n°59-25 du 11 avril 1959.
18 Article 1 de la Loi n° 68-LF-9 du 11 juin 1968 sur les sociétés de développement.
19 Ibid.
20 Article 4.
21 Article 2.
22 Ordonnance n°95/003 du 17 août 1995 portant Statut Général des Entreprises du

secteur public et parapublic.


23 ANOUKAHA (F), « La classification des entreprises publiques au Cameroun », Juridis

périodique, n°123, juillet-aout-septembre 2020, p. 75.


24 POYET (M), Le contrôle de l’entreprise publique. Essai sur le cas français, thèse de doctorat en

droit, Université Jean Monnet de Saint-Etienne, 2001, p. 9.


25 Article 3 alinéa 1 de l’ordonnance n° 95/003 du 17 août 1995 portant Statut Général des

Entreprises du secteur public et parapublic.


26 CHEVALLIER (J), « La place de l'établissement public en droit administratif français »,

Publications de la faculté de droit d'Amiens, 1972-1973, n°3, p. 6.


529
demeure toujours une personne morale de droit public27. L’établissement
public ne peut donc être assimilé à l’entreprise dont même la qualification
de publique n’altère pas sa philosophie : celle de se comporter comme les
entreprises privées dans des secteurs marchands. Ces incongruités ont
suscité des réformes.
Quatre ans après son adoption, l’ordonnance de 1995 a été abrogée
au profit de la loi dont l’intitulé indiquait l’autonomisation de l’entreprise
publique par rapport à l’établissement public28. L’effort de démarcation
entre les deux notions était manifeste29, mais des éléments de confusion
persistaient comme l’utilisation de la notion d’actionnaire30 dans les deux
régimes31. Toujours pas de définition de l’entreprise publique. L’année
2017 marque une révolution dans le droit de l’entreprise publique. A la
faveur d’un vaste mouvement législatif32, l’entreprise publique fait l’objet
d’un encadrement unique33 et distinct de celui de l’établissement public34.
De façon inédite, la notion est assortie d’une définition. Elle est présentée
comme une « unité économique dotée d’une autonomie juridique et financière,
exerçant une activité industrielle et commerciale, et dont le capital social est détenu
entièrement ou majoritairement par une personne morale de droit public »35. La
principale interrogation est celle de savoir qu’est-ce qui distingue
l’entreprise publique de l’entreprise privée. La seule différence qui
transparait de la définition est celle du propriétaire du capital social. Dans
l’entreprise publique, le capital est exclusivement ou majoritairement
détenu par une personne publique. La distinction va encore plus loin. En
parcourant les éléments d’identification des différentes d’entreprises
publiques on se rend compte qu’elles exercent leurs fonctions dans

27 SANDIO KAMGA (A), L’établissement public en droit administratif camerounais, thèse de


doctorat/Ph.D en droit, Université de Yaoundé II, 2015, p. 34.
28 La loi n° 99/016 du 22 décembre 1999 portant statut général des établissements publics

et des entreprises du secteur public et parapublic.


29 Il y’ avait dans la loi l’organisation d’un régime propre à chaque notion.
30 La notion d’actionnaire est utilisée dans les sociétés par actions. C’est le nom donné à

l’associé propriétaire d’une ou plusieurs actions, dont la responsabilité est limitée au


montant de son apport. Voir CORNU (G), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2018, 12e
édition, p. 96. Cela est bien différent de la situation de l’établissement public. A la lumière
de l’article 59 de la loi n°99/016 du 22 décembre 1999 portant statut général des
établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic, les établissements
publics ne peuvent avoir qu’un seul propriétaire, soit l’Etat, soit une collectivité territoriale
décentralisée. L’on ne saurait donc parler d’action et d’actionnaire.
31 Article 3 alinéa 3 de la loi n°99/016 du 22 décembre 1999 portant statut général des

établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic.


32 Lire ONDOUA BIWILE (V.) et TCHEUWA (J.-C.) (dir.), Lois sur les établissements et

entreprises publics au Cameroun. Innovations et reculades, Yaoundé, Afrédit, 2018, 196 pages.
33 Loi n°2017/011 du 12 juillet 2017 portant statut général des entreprises publiques.
34 Loi n°2017/010 du 12 juillet 2017 portant statut général des établissements publics.
35 Article 3 de la n°2017/011 du 12 juillet 2017 portant statut général des entreprises

publiques.
530
l’intérêt général36. La finalité d’intérêt général impose la soumission à un
régime de droit public même si le droit OHADA a vocation à constituer le
régime de droit commun37. Les entreprises publiques sont fondées sous la
forme de société commerciale, c’est-à-dire d’une société créée pour exercer
des activités commerciales et industrielles « dans le but de partager le bénéfice ou
de profiter de l’économie qui peut en résulter »38. Seulement, l’entreprise publique
ne profite pas des dividendes des activités commerciales comme
l’entreprise privée, c’est-à-dire à titre personnel. Elle le fait dans la
satisfaction de l’intérêt général dans lequel se range l’action des
gouvernants tel que cela est organisé par la Constitution39. La recherche de
cet intérêt général pousse l’Etat à considérer les entreprises publiques
comme un instrument de renforcement du financement de son budget.
La prospérité que le Cameroun a connue pendant les années 1960-
1970 a poussé l’Etat à s’investir dans le développement du secteur
économique. Il l’a fait par l’augmentation de la participation dans les
entreprises privées, par la création des entreprises publiques ou par la
nationalisation des entreprises coloniales, l’objectif étant « de reprendre à son
compte, les prestations jadis fournies par l’administration coloniale »40. L’embellie
économique et la bonne santé budgétaire et financière des entreprises vont
subir des chocs exogènes, lesquels auront pour effet d’essouffler leur
croissance. L’exacerbation de la guerre froide, la chute du prix du pétrole,
le développement des tensions internes avec la répression des
mouvements nationalistes sont autant d’éléments qui ont ralenti l’activité
économique et accru les charges budgétaires. Les entreprises publiques se
sont trouvées au milieu de cet engrainage, massivement sollicitées par
l’Etat pour supporter les charges budgétaires avec malheureusement une
productivité réduite voire quasi-nulle. Cette situation va se faire ressentir
sur le budget de l’Etat qui va tomber en déséquilibre jusqu’à susciter
l’intervention du FMI à travers les programmes d’ajustement structurel
dont le premier mis en œuvre en 1981 sera « essentiellement consacré à la gestion
financière et économique, aux réformes administratives et à la restructuration des
entreprises publiques »41. L’Etat va également participer à cette restructuration
en opérant d’abord une réévaluation des immobilisations des entreprises42

36 Article 3 de la n°2017/011 du 12 juillet 2017 portant statut général des entreprises


publiques.
37 Article 1er de l’Acte Uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE.
38 Article 4 de l’acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et du

groupement d’intérêt économique.


39 HAMON (F), TROPER (M), Droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 2014, 35ème édition, p. 48.
40 TAMBA (I), Déterminants de la performance des entreprises publiques en Afrique subsaharienne :

l’exemple du Cameroun, thèse de doctorat de 3e cycle en Sciences économiques, Université de


Yaoundé, 1991, p. 30.
41 BESSALA (A.G), Ajustement Structurel et Droit Budgétaire Camerounais : contribution à l’étude

des droits budgétaires des États africains sous ajustement structurel, thèse de doctorat/Ph.D en droit
public, Université de Yaoundé II, 2015, pp. 46-47.
42 Voir Ordonnance n°85-1 du 29 juin 1985 relative à la réévaluation des immobilisations

des entreprises.
531
nécessaire à l’établissement de leurs situations réelles. Ensuite, la mise sur
pied d’une Mission de réhabilitation chargée de proposer au Chef de l’État
des mesures permettant l’éradication et la prévention des causes des
difficultés des entreprises du secteur public et parapublic43. La principale
solution sera l’application des privatisations devant conduire à
« l’assainissement des finances publiques »44.
Sous l’impulsion des bailleurs de fonds l’Etat va engager un vaste
mouvement de privatisation sous diverses techniques45. Ce changement de
modèle économique engendre un retrait de l’État et une montée en
puissance du secteur privé46. Un tel désengagement de l’État, « davantage
dicté par des sentiments de résignation que par une adhésion de cœur »47, va être mal
opérationnalisé en raison d’une mauvaise évaluation de la situation des
entreprises. Il va conduire à une sorte de « braderie » des entreprises lors
des privatisations, les conditions fondamentales devant permettre d’en
assurer le succès n’étant pas réunies48. Pendant plus de 20 ans on
n’observera plus de grand mouvement dans la sphère des entreprises
publiques. L’engagement de l’Etat dans la politique d’émergence va
remettre au goût du jour l’apport des entreprises publiques aux besoins
financiers de l’Etat. Dans sa stratégie, l’Etat ambitionne « faire des entreprises
publiques des instruments d’accélération de l’industrialisation par leurs performances
économiques et financières »49. C’est ainsi que plusieurs entreprises vont voir le
jour durant la décennie écoulée. On peut citer la SONATREL50 ou encore
la SONAMINES51. Elles ont pour point commun la présence de l’Etat
comme unique actionnaire malgré les recommandations d’ouverture du
capital52. Les entreprises publiques renaissent de leurs cendres, pourraient-

43 Article 3 du Décret n°86/656 du 03 juin 1986 portant création d’une Mission de


réhabilitation des entreprises du secteur public et parapublic.
44 Article 2 de l’Ordonnance, n°90/004 du 22 juin 1990 relative à la privatisation des

entreprises publiques et parapubliques. Consulter utilement BIAKAN (J.), L'expérience


camerounaise de privatisation des entreprises publiques, Thèse de doctorat en droit public,
Université Montpellier I, 1994.
45 La privatisation va s’opérer par les cessions d’actifs, les contrats de transfert de gestion

tels que les concessions et les affermages.


46 BOUVIER (M), ESCLASSAN (M.C), LASSALE (J.P), Finances publiques, Paris, LGDJ,

2020-2021, 19e éd. p. 547.


47 PLANE (P), « Les services publics africains à l’heure du désengagement de l’état :

changement conservateur ou progressiste ? », Annales des Mines, n°52, 1998, p. 40.


48 NGUIHE KANTE (P), « Les contraintes de la privatisation des entreprises publiques et

parapubliques au Cameroun », Revue internationale de droit économique, 2002/4, t. XVI, 4, p.


607.
49 Ministère de l’économie, de la planification et de l’aménagement du territoire, Stratégie

Nationale de développement 2020-2030. Pour la transformation structurelle et le développement inclusif, p.


64.
50 Créée par le Décret n°2015/454 du 8 octobre 2015, la Société Nationale de Transport de

l’Electricité a été réorganisée par le Décret n°2020/233 du 23 avril 2020.


51 Décret n°2020/749 du 14 décembre 2020 portant création de la Société Nationale des

Mines (SONAMINES).
52 Après avoir pratiqué pendant de nombreuses années l’actionnariat unique dans les

entreprises publiques, au regard de la situation catastrophiques de certaines entreprises


532
on dire, et sur les mêmes fondements tel que cela semble se produire. Cela
complique l’angle d’appréhension relativement à leurs contributions au
financement du budget de l’Etat.
Toutefois, au regard des contingences historiques et de la place à
elles accordée dans la stratégie de développement, la question qui se
dégage est la suivante : quelle est la portée de la contribution des
entreprises publiques au financement du budget de l’Etat en droit
public financier camerounais ? Ce questionnement est intéressant à plus
d’un titre. Il s’appuie sur l’actualité récente marquée par les rapports
d’abord de la Commission Technique de Réhabilitation des Entreprises du
secteur public et parapublic (CTR)53 et ensuite celui du FMI54 qui
recommandent de revoir le système de fonctionnement des entreprises
publiques au Cameroun. S’agissant de la méthode juridique, le
normativisme est particulièrement mobilisé pour soutenir l’argumentaire.
Celui-ci permet de soutenir que la portée de la contribution des entreprises
publiques au budget de l’Etat est duale, en ce qu’elle est théoriquement
affirmée (I), et substantiellement dévoyée (II).
I. Une contribution théoriquement affirmée
Généralement, l’on oppose la théorie à la pratique. La théorie est
présentée comme l’abstraction et la spéculation ; elle relève de
l’organisation logique des choses dont la mise en œuvre peut conduire à
des pratiques différentes. Dans ce sens, l’on considère en Afrique que la
théorie fait l’apologie des constructions non effectives, étant entendue que
l’effectivité c’est « ce qui prévaut dans les faits et dont l’existence indiscutable justifie
la reconnaissance ou l’opposabilité »55. Bien que certaines données permettent
de soutenir cette conception, il est indéniable que les considérations
théoriques sont des préalables et des fondations à toute pensée logique.
Revenant spécialement sur la contribution des entreprises publiques au
financement budget, celle-ci se traduit conceptuellement par le versement
des dividendes à l’Etat (A), et par le payement des recettes fiscales à l’Etat
(B).
A. L’instauration du versement des dividendes à l’Etat
A l’origine, comme a pu le voir, les entreprises publiques sont
créées pour manifester le contrôle de l’Etat sur les domaines industriels et
commerciaux. La nature marchande de ces secteurs et les profits
manifestés vont conduire à l’instauration du versement des dividendes
conçu comme une exigence génétique à l’idéologie de la création des

comme la CAMAIR-CO, le gouvernement a annoncé l’ouverture prochaine du capital de


cette société aux investisseurs privés.
53 CTR, Rapport sur la situation des Entreprises Publiques et des Etablissements Publics au 31 décembre

2019, octobre 2020, 268 pages.


54 FMI, Cameroun, Renforcer la surveillance, la gouvernance et la maîtrise des risques budgétaires dans la

gestion des entreprises publiques, Rapport technique, Mai 2021.


55 LEROY (Y), « La notion d'effectivité du droit », Droit et société, 2011/3 n°79, p. 716.

533
entreprises publiques (1), et comme une conséquence bénéfique à la
philosophie de la valorisation de l’action publique (2).
1. Une exigence génétique à l’idéologie de la création des
entreprises publiques
L’idéologie de la création des entreprises publiques est celle de faire
le bénéfice, de rechercher la rentabilité et le profit. L’entreprise publique
en Afrique noire francophone est soumise au régime élaboré par le droit
OHADA. Celui-ci la consacre comme une société commerciale, entendue
comme une société dans laquelle les associées conviennent d’affecter à une
activité des biens en numéraire ou en nature ou de l’industrie dans le but
de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui peut en résulter56.
La recherche du profit est l’élément déterminant qui la soumet « aux
exigences du statut de commerçant au sens du droit prive »57. De plus, l’association
profit-entreprise publique ne pose pas de problème juridique car les
composantes de l’entreprise publique sont toutes des personnes morales
de droit privé58 recherchant principalement le profit dans leurs actions.
La qualification d’une entreprise de publique ne signifiant pas une
transformation de son essence, celle-ci reste attachée à ses gènes. La
rentabilité, le profit et la performance constituent ses valeurs cardinales. Il
faut toutefois relever que le droit camerounais n’a pas encore épousé
totalement ces éléments constitutifs. L’on peut le justifier avec l’attitude
indécise qui caractérise le législateur camerounais quant à l’assujettissement
de ces entreprises à contribuer au budget de l’Etat. Si le budget « apparait
comme un ensemble couvrant le bloc des besoins financiers et des moyens de
couverture »59, la contribution au financement de ce budget doit être
recherchée dans le chapitre des recettes. A ce sujet, c’est la loi de 2007
portant régime financier de l’Etat qui pour la première fois mentionne la
contribution des entreprises publiques dans les recettes budgétaires.
Aujourd’hui abrogée, cette loi rangeait « les revenus provenant des entreprises »
parmi les ressources budgétaires60. La complexité pouvait naitre des
incertitudes de la notion de revenu, lequel de toute façon ne fait pas partie
du jargon du régime de l’intéressement dans les sociétés commerciales. Le
nouveau régime financier adopté en 2018 est allé plus loin dans la
complexité en évacuant la référence directe aux entreprises publiques au
profit des expressions laconiques. Il ne fait pas la distinction, pourtant

56 Article 4 de l’acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et du


groupement d’intérêt économique.
57 MOUHOUAIN (S), « La réforme du droit Camerounais des entreprises publiques et le

droit des sociétés commerciales de l’espace OHADA », Uniform Law Review/Revue de Droit
Uniforme, Vol. 24, n°1, mars 2019, p. 215.
58 Article 3 de la n°2017/011 du 12 juillet 2017 portant statut général des entreprises

publiques.
59 BEN MOUSSA (C), Essai sur la normativité budgétaire, thèse de doctorat en droit,

Université de Toulouse I Capitole, 2018, p. 18.


60 Article 12 de la loi n° 2007/006 du 26 décembre 2007 portant régime financier de l’Etat.

534
classique, entre recettes fiscales et recettes non-fiscales nécessaire à la
classification des différentes sources de financement. Cependant, l’absence
de référence aux entreprises publiques ne saurait être regardée comme
l’annulation de leurs contributions. Cette contribution demeure, et son
fondement peut être justifié à travers l’interprétation des dispositions
applicables.
La loi de 2018 a consacré parmi les recettes budgétaires un titre aux
autres recettes61. C’est dans cette catégorie que l’on peut ranger la
contribution des entreprises publiques, même si cette façon de faire est
contraire à la précision et à la sincérité qui fondent la nouvelle
gouvernance financière62 et qui traduisent le souci « de faire ressortir les
rapports existant entre les acteurs du système financier public, et d’en tirer les
conséquences d’un point de vue opérationnel »63. Au-delà de ces errements, il
demeure que l’entreprise publique contribue au budget par le versement
des dividendes. Dans le droit des sociétés commerciales, un dividende est
une part de bénéfice revenant à chaque action ou chaque part sociale64.
C’est plus précisément la « part de bénéfices ; quote-part attribuée à chaque associé,
pendant la durée de la société, au prorata de ses droits dans les bénéfices et normalement
prélevée sur ceux de l’exercice »65. Ainsi, dans les entreprises publiques, « l’État
actionnaire perçoit des dividendes à raison des titres et participations financières qu’il
détient »66. Ces dividendes ne rentrent pas dans le domaine privé de l’Etat.
Ils sont directement introduits dans les recettes budgétaires. Il faut tout de
même dire que cette catégorie de dépense est spéciale dans son régime.
Elle répond particulièrement à la logique de la prévision et doit reposer sur
l’évaluation de la performance de ces entreprises.
Dans l’architecture de la loi de finances, les dividendes versés par les
entreprises publiques sont regroupées sous l’expression « produits financiers à
recevoir ». Durant les 5 derniers exercices budgétaires, les montants
prévisionnels de ces contributions ont été instables. La logique des
variations est difficilement compréhensible : après avoir atteint un pic
record de 53 milliards en 201967, les prévisions pour l’exercice 2020 ont
drastiquement baissé et n’ont curieusement pas été ajustées malgré la

61 Article 25 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des
autres entités publiques.
62 ESCLASSAN (M-C), « Sincérité et gouvernance financière publique : y a-t-il une sincérité

financière publique spécifique », RFFP, n°111, septembre 2010, p. 47.


63 BOUVIER (M), « La LOLF : contrainte budgétaire ou moteur d’une nouvelle

gouvernance financière ? », in MONNIER (J-M) (dir), Finances publiques, Paris, La


documentation française, 2015, 4e édition, p. 55.
64 Article 144 de l’Acte Uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et du

GIE.
65 CORNU (G), Vocabulaire juridique, op.cit., p. 786.
66 DAMAREY (S), Finances publiques, op.cit., p. 84.
67 Voir loi n°2019/023 du 24 déc. 2019 portant loi de finances de la République du

Cameroun pour l’exercice 2020.


535
survenance du Covid-1968. Pour l’exercice en cours, les prévisions ont été
relevées : la contribution attendue est fixée à 41 milliards FCFA69. Cette
augmentation se justifie certainement par la relance de l’activité sur laquelle
se fonde l’assiette des recettes70. La récurrence de ces contributions, même
en période de crises comme on a pu le voir, consolide l’essence de ces
entreprises, et comme le rappellent les autorités, « la vocation originelle est
plutôt le reversement des dividendes pour financer le budget de l’Etat »71. Cette
vocation est bénéfique à l’Etat et emporte une transformation de la
structuration de l’action publique.
2. Une conséquence bénéfique à la philosophie de la
valorisation de l’action publique
Le versement des dividendes à l’Etat par les entreprises publiques et
leurs inscriptions dans les ressources budgétaires constituent des éléments
de stabilisation budgétaire au moins en théorie. Ils correspondent surtout à
un changement de paradigme de l’action publique influencée par les
bailleurs de fonds et portée par la nouvelle gouvernance publique.
La conditionnalité appliquée par les bailleurs de fonds en Afrique a
accéléré le processus de transformation structurelle de l’Etat. La diversité
des besoins à satisfaire a développé des contraintes budgétaires énormes
sur l’Etat. La recherche de financement a conduit à transformer l’idéologie
de l’action publique. Cette dernière initialement fondée sur la gratuité du
service public72 a opéré un changement radical. Les Etats « ont pris conscience
de leur richesse et de l’intérêt économique que pouvaient avoir leurs patrimoines »73 et
ont décidé de s’inscrire dans la logique de valorisation. Elle se traduit par
l’adoption « comme nouveau récit de l’action publique des référentiels tels :
compétitivité, rentabilité(…) »74. L’Etat commence à partir de cet instant à se
comporter comme une personne privée en recherchant le profit dans ses
actions. La comparaison des résultats et objectifs des programmes
budgétaires en fin d’exercice75 consacrée par la réforme du régime

68 Voir ordonnance n°2020/001 du 03 juin 2020 modifiant et complétant certaines


dispositions de la loi n°2019/023 du 24 décembre 2019 portant loi de finances de la
République du Cameroun pour l’exercice 2020.
69 Loi n°2020/018 du 17 décembre 2020 portant loi de finances de la République du

Cameroun pour l’exercice 2021.


70 PIERUCCI (C), « La loi de finances pour 2016 », RFFP, n°134, mai 2016, p. 218.
71 Ministère des Finances, Débat d’orientation budgétaire, Document de programmation économique et

budgétaire à moyen terme 2021-2023, p. 71.


72 PEKASSA NDAM (G.M), « La gratuité du service public de la justice en Afrique

francophone : le cas du Cameroun », in HOUQUERBIE (F), Quel service public de la justice en


Afrique francophone ?, Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 118.
73 ATANGANA (É.P), « La valorisation économique des biens publics en droit

camerounais », RADSP, Vol VIII, juil-déc. 2020, p. 140.


74 NGUELIEUTOU (A), « L’évolution de l’action publique au Cameroun : l’émergence de

l’Etat régulateur », Polis/R.C.S.P./C.P.S.R., vol. 15, numéros 1& 2, 2008, p. 19.


75 Article 31 de la loi n°2018/011 du 11 juillet 2018 portant Code de transparence et de

bonne gouvernance dans la gestion des entreprises publiques au Cameroun.


536
financier l’y contraint. Les services publics deviennent de plus en plus
couteux pour faire rentrer le maximum de fonds possible dans les caisses
de l’Etat76. Les entreprises publiques se sont présentées comme des
instruments idoines pour cette nouvelle orientation.
L’entreprise publique joue un rôle déterminant dans la structuration
de l’économie camerounaise. Certaines d’entre elles, comme la Cameroon
Development Corporation, sont des véritables moteurs de l’économie et des
agents de la régulation sociale. Cette entreprise, aujourd’hui en déperdition
en partie à cause de la crise dans les régions anglophones, a été à un
moment donné le deuxième pourvoyeur d’emplois derrière l’Etat, avec
dans les années 1960 un budget correspondant au double de celui de
l’Etat. Les contributions au budget de l’Etat étaient toutes aussi
honorables. Les entreprises publiques occupent une place centrale dans la
politique d’émergence à l’horizon 2035 dans laquelle le Cameroun s’est
engagé au début des années 2000. Dans le document de vision, l’Etat
entend « faire des entreprises publiques des instruments d’accélération de
l’industrialisation par leurs performances économiques et financières »77. La
performance financière évoquée est bénéfique pour l’Etat, car elle accroit
ses dividendes qui vont être inscrits dans les recettes budgétaires et
correspondre à une classification précise78. Les entreprises publiques ont
fondamentalement l’obligation d’être performantes. Cela ne peut en être
autrement, surtout pour celles qui sont en situation de monopole ou de
quasi-monopole dans leurs secteurs d’activités79. Les contributions de ces
entreprises au financement du budget étatique conduisent ou doivent
conduire, au final, à considérer le budget non plus comme « un moyen de
stabilisation macroéconomique, mais de plus en plus comme un instrument à même de
favoriser la croissance et la réduction de la pauvreté »80. Les recettes fiscales
doivent donc être élargies pour soutenir les politiques de développement.
B. La soumission au payement des recettes fiscales à l’Etat
Le second volet de la contribution des entreprises publiques au
financement du budget de l’Etat est le payement des recettes fiscales par
ses entreprises. Ces dernières sont assujetties à la fiscalité de droit commun

76 L’exemple le plus récent est celui de l’augmentation du droit de timbres sur le passeport
qui passe de 75.000 à 110.000 FCFA. Voir l’ordonnance n°2021/003 du 07 juin 2021
modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n°2020/018 du 17 décembre 2020
portant loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2021.
77 Stratégie Nationale de développement 2020-2030.op.cit., p. 44.
78 Articles 5 et 6 du décret n°2019/3187/PM du 09 septembre 2019 fixant le cadre général

de présentation de la Nomenclature Budgétaire de l'Etat.


79 On pense ici à la CAMWTER dans le secteur de l’eau, à ENEO dans le secteur de

l’électricité.
80 LEIDERER (S), WOLFF (P), « Gestion des finances publiques : une contribution à la

bonne gouvernance financière », Annuaire suisse de politique de développement [En ligne], 26-2 |
2007, p. 177, mis en ligne le 22 juin 2009, consulté le 19 avril 2019. URL :
http://journals.openedition.org/aspd/142,
537
des sociétés (1), et bénéficient d’une flexibilité à travers les compensations
(2).
1. L’assujettissement à la fiscalité de droit commun
Les entreprises publiques sont assujetties à la fiscalité de droit
commun. Autrement dit, elles doivent payer les impôts et taxes comme
tous les autres contribuables. Au regard des dividendes qu’elles versent
déjà à l’Etat et qui rentrent dans les recettes budgétaires, l’assujettissement
à la fiscalité peut paraitre excessive. De plus, la soumission à la fiscalité de
droit commun des sociétés pour laquelle les entreprises se plaignent
toujours de subir une oppression fiscale peut s’apparenter à « une imposition
confiscatoire, contraire au respect des capacités contributives des contribuables, au
principe d'égalité ainsi qu'au droit de propriété »81. Il n’en est rien de tout cela, car
le versement des dividendes se fait après déduction de toutes les charges
de l’entreprise dans lesquelles on retrouve les impôts.
L’assujettissement des entreprises publiques à la fiscalité de droit
commun est juridiquement justifié. Il tire son fondement de la
Constitution qui dispose que « chacun doit participer, en proportion de ses
capacités, aux charges publiques »82. Cet assujettissement est mis en œuvre par
les législations fiscales qui soumettent ces entreprises au payement de
l’impôt. L’impôt est le principal prélèvement attendu des contribuables. Il
est défini comme « un prélèvement pécuniaire obligatoire, effectué à titre définitif,
sans contrepartie immédiate, visant à couvrir les charges publiques »83. Son caractère
obligatoire l’amène à opérer une régulation conjoncturelle dans une société
ou l’Etat est principalement attendu dans la stabilisation sociale. L’impôt
est ainsi utilisé pour lutter contre l’inflation, stimuler l’activité, contribuer
au plein-emploi84. L’entreprise publique est soumise à des impôts bien
précis ; il s’agit principalement de l’impôt sur les sociétés et de la Taxe sur
la valeur ajoutée.
L’impôt sur les sociétés (IS) est « un impôt sur l’ensemble des bénéfices ou
revenus réalisés par les sociétés et autres personnes morales »85. Il s’applique
naturellement aux entreprises publiques qui rentrent dans son champ
d’application. C’est un impôt qui frappe les bénéfices réalisés par
l’entreprise, c’est-à-dire « le solde obtenu en faisant la somme algébrique des
produits réalisés et des charges exposées par l’entreprise au cours de l’exercice »86. Les
bénéfices imposables considérés sont ceux réalisés au cours de 1'exercice

81 OLIVA (É), « L'appréciation du caractère confiscatoire ou excessif de l'impôt par le


Conseil constitutionnel », RFDA, 2013, p. 1277.
82 Voir préambule de la Constitution.
83 BOUVIER (M), Introduction au droit fiscal général et à la théorie de l’impôt, Paris, LGDJ, 2010,

10e édition, p. 24.


84 GROSCLAUDE (J), MARCHESSOU (P), Droit fiscal général, Paris, Dalloz, 2017, 11e

édition, p. 7.
85 Article 2 du Code général des impôts.
86 ABENG MESSI (F), Le territoire et l’impôt en droit fiscal camerounais, thèse de doctorat/Ph.D

en droit public, université de Yaoundé II, 2014-2015, p. 232.


538
qui précède la déclaration de ceux-ci87. Plus concrètement, la redevance de
l’impôt sur les sociétés n’est valable qu’après « une période de 12 mois
correspondant à l’exercice budgétaire »88. Telle n’est cependant pas la perception
que le législateur a de sa volonté exprimée dans les dispositions
précédentes. Il a assorti le régime de la liquidation de cet impôt d’un
ensemble de règles qui dénature le sens du principe de l’évaluation et de la
recevabilité annuelle. D’un autre point de vue, il pourrait ne pas s’agir
forcément d’une contradiction. L’on serait alors en face des deux versants
du régime de l’impôt sur les sociétés à savoir la durée de validité de la
liquidation et la périodicité de l’acquittement. S’agissant de ce second
versant, la loi dispose que « l’impôt sur les sociétés est acquitté spontanément par le
contribuable au plus tard le 15 du mois suivant »89. Du fait de leur éligibilité au
régime réel par leurs capacités à réaliser un chiffre d’affaires annuel hors
taxes égal ou supérieur à 50 millions de FCFA90 les entreprises publiques
doivent s’acquitter de l’IS par le payement d’un acompte représentant 2%
du chiffre d’affaires réalisé au cours de chaque mois91. Le taux de 30% de
bénéfice fixé92 sera totalement liquidé en début d’exercice suivant, et dans
tous les cas, tous les soldes doivent avoir été épurés dans les trois mois qui
suivent le début de l’exercice budgétaire93. Tout est ainsi fait pour que
l’Etat perçoive continuellement et totalement les impôts sur les sociétés
tout comme la taxe sur la valeur ajoutée.
La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est malgré sa dénomination
trompeuse94 un impôt. C’est l’un des rares impôts à faire l’objet d’un
encadrement communautaire. L’encadrement est issu d’une directive
CEMAC qui dispose que « sont soumises à la Taxe sur la Valeur Ajoutée les
opérations faites par des personnes physiques ou morales, relevant d’une activité
économique »95. Ainsi, contrairement à l’IS qui est un impôt institutionnel, la
TVA est un impôt fonctionnel qui frappe les activités. Sont concernées les
opérations accomplies dans le cadre d’une activité économique réalisée à
titre onéreux96 ; il s’agit entre autres des activités de production,
d’importation, de prestation de services et de distribution qui rentrent dans
les missions des entreprises publiques. La TVA est complétée par divers

87 BOUVIER (M), Introduction au droit fiscal général et à la théorie de l’impôt, op.cit., p. 90.
88 Article 15 du Code général des impôts.
89 Article 21 du Code général des impôts.
90 Article 93 quater alinéa 2 du Code général des impôts.
91 Article 21 du Code général des impôts.
92 Article 17 alinéa 1 du Code général des impôts.
93 MEKONGO (J.M), Les retenues à la source dans le système fiscal au Cameroun, thèse de

doctorat en droit, Université Panthéon-Sorbonne Paris I, 2005, p. 236.


94 GROSCLAUDE (J), MARCHESSOU (P), Droit fiscal général, op.cit., p. 2. L’auteur fait

ressortir qu’il existe une déférence entre un impôt et une taxe, et que la TVA rempli non
pas les critères d’une taxe, mais plutôt d’un impôt.
95 Article 1 de la Directive n°1/99/CEMAC-028-CM-03 du 17 Décembre 1999 portant

Harmonisation des Législations des Etats Membres en matière de TVA et de Droit


d’accises.
96 Article 126 alinéa 1 du Code général des impôts.

539
autres impôts et taxes auxquels les entreprises publiques sont assujetties
mais dont leurs particularités justifient des flexibilités.
2. L’aménagement de la flexibilité fiscale à travers les
compensations
La compensation est l’une des opérations fiscales les plus
controversées du droit fiscal camerounais. Son régime repose sur un
ensemble de règles et principes qui ne sont pas toujours clairs et cohérents.
La compensation est globalement définie comme l’« extinction simultanée
totale ou partielle de deux obligations réciproques entre les mêmes personnes »97. Celle
qui s’opère en matière fiscale est différente dans son régime de celle
consacrée par le Code Civil qui est une sorte d’extinction naturelle, car
celle-là « s'opère de plein droit par la seule force de la loi, même à l'insu des
débiteurs »98. La compensation en matière fiscale est différente dans son
opérationnalisation. La notion de compensation en matière fiscale peut
être utilisée pour traduire la politique de mobilisation des recettes internes
pour pallier au déficit des recettes douanières99 dû à la réduction des
barrières douanières par l’application des accords ACP-Union
Européenne100 et de l’entrée en vigueur de la zone de libre-échange
continentale africaine101. Dans le cadre de cette réflexion, l’on parle plutôt
de compensation de dettes croisées.
L’Etat et les entreprises publiques entretiennent des relations
financières marquées par l’existence de dettes et créances réciproques. Du
côté de l’Etat, les dettes résultent du non-paiement des factures des
prestations telles que l’eau, l’électricité, les services de télécommunications
et autres. La plupart des entreprises qui entretiennent des relations
d’affaires avec l’Etat sont dans des situations des factures impayées. Les
dettes de l’Etat résultent également de la politique de subvention des
activités par laquelle il administre le prix de vente au détail de certains
biens essentiels à la nation et se porte en retour « redevable d’une compensation
auprès des entreprises publiques productrices pour manque à gagner lorsque les prix de
vente administrés conduisent à pénaliser l’entreprise par rapport aux conditions de

97 CORNU (G), Vocabulaire juridique, op.cit., p. 477.


98 Article 1290 du Code Civil.
99 AGUEMON (W.A), Le droit douanier et l’harmonisation de la fiscalité de porte dans l’UEMOA et

la CEDEAO : cas du Bénin et de la Côte-d’Ivoire, thèse de doctorat en droit, Université


d’Abomey-Calavi, 2018, p. 277.
100 Les accords ACP-UE sont des accords économiques et de libre-échange commercial

entre les Etats de l’Afrique des Caraïbes et du pacifique et l’union Européenne. Ces accords
consacrent la suppression des barrières douanières entre les Etats membres sur certains
produits.
101 L’entrée en vigueur de cet accord avait été prévue pour un délai de trente (30) jours

après le dépôt du 22ème instrument de ratification (voir article 23 de l’Accord portant


création de la zone de libre-échange continentale africaine). Le Cameroun a, quant à lui,
ratifié le 12 novembre 2020.
540
marché »102. La performance des entreprises qui sont dans cette situation est
mise à mal et celles-ci ne peuvent valablement satisfaire aux exigences de la
fiscalité tributaire de la productivité. La compensation est ainsi utilisée
pour rétablir l’équilibre.
La compensation n’est pas un droit pour le contribuable, pour
l’entreprise publique. La loi dispose que « nul ne peut se prévaloir de l’existence
d’une créance sur l’Etat pour se soustraire à ses obligations déclarative et de
paiement »103. Il se dégage de manière indirecte que nul ne peut imposer une
compensation à l’Etat, d’ailleurs celle-ci n’est pas valable pour les impôts
retenus à la source104. Les modalités de compensation ne sont pas
explicitement définies ; elles découlent du régime de la transaction avec
pour seule certitude qu’elles relèvent d’un accord de volonté. Cela laisse
une marge de manœuvre aux acteurs afin d’adopter le mécanisme le plus
conforme à leurs intérêts. Le dernier rapport sur la situation des
entreprises publiques au Cameroun a pu identifier plusieurs techniques de
compensation : il s’agit de la reconnaissance mutuelle des dettes croisées et
d’apurement des soldes, la compensation entre dettes de l’Etat et dettes
fiscales et douanières des entreprises, la compensation entre dividendes à
verser et dettes de l’Etat, la compensation entre remboursement de prêts
rétrocédés dû par l’entreprise et service de ce prêt payé par l’Etat, la
compensation de dettes fiscales par accroissement des parts de l’Etat au
capital social de l’entreprise105. La finalité recherchée est l’équité fiscale,
laquelle constitue un élément essentiel à la construction d’un
environnement économique favorable à la performance. Ceci n’empêche
pourtant pas aux entreprises d’être en difficulté et par voie de conséquence
de compromettre leurs contributions au financement du budget de l’Etat.
II. Une contribution substantiellement dévoyée
Malgré l’organisation théorique du régime des entreprises publiques
qui incitent à une valorisation des recettes budgétaires de l’Etat, la
contribution de celles-ci est fragilisée par les difficultés auxquelles elles
doivent faire face. Ces difficultés ne sont pas fondamentalement
nouvelles ; elles sont consubstantielles et se pérennisent (A) en suspendant
la logique de rentabilité budgétaire (B).
A. La pérennisation de l’improductivité financière
La contribution des entreprises publiques au financement du budget
de l’Etat en droit public financier camerounais ne peut être possible que si
ces entreprises sont performantes, rentables et efficaces. Les différents

102 FMI, Cameroun, Renforcer la surveillance, la gouvernance et la maîtrise des risques budgétaires dans la
gestion des entreprises publiques, Rapport technique, Mai 2021, p. 39.
103 Article L 7 bis du Code général des impôts.
104 Ibid., alinéa 2.
105 FMI, Cameroun, Renforcer la surveillance, la gouvernance et la maîtrise des risques budgétaires dans la

gestion des entreprises publiques, op.cit., p. 40.


541
rapports d’organismes nationaux et étrangers ont récemment relevé que les
entreprises publiques sont improductives en raison du mode de gestion (1)
et du système de fonctionnement (2).
1. L’application constante d’une gestion réfractaire à la
performance
Le régime de gestion des entreprises publiques est une épine dans
toutes les politiques de performance qui peuvent être adoptées. La gestion
appliquée sur106, dans, et par les entreprises publiques est porteuse des
gènes de l’improductivité. Cela est globalement une conséquence de la
rencontre de plusieurs sources normatives, dont celle étatique qui a
matériellement tendance à prendre le dessus sur celle communautaire et à
bousculer les règles produites107. Depuis fort longtemps, les entreprises
publiques pratiquent une gestion réfractaire à la productivité, et la
persistance des pouvoirs publics à pérenniser cette situation est
incompréhensible.
La consécration de ce que l’on a appelé le nouveau management
public a transformé les paradigmes de fonctionnement des institutions
publiques. La réticence de l’Etat à soumettre entièrement les entreprises
publiques au droit privé est un frein à la transformation structurelle de ces
entreprises car les logiques de l’entreprise privée ont envahi la sphère
publique. Efficacité et bonne gestion sont ainsi devenues des critères aussi
importants que celui plus général de service public108. Cela nécessite une
certaine autonomisation des entreprises publiques. Dans les faits,
l’autonomisation est bafouée par les considérations politiques qui peuvent
fragiliser le fonctionnement de la plupart des institutions politiques. Le
pouvoir de nomination est le premier élément de la réflexion.
Dans le droit des sociétés, le pouvoir de nomination est une
compétence dévolue collectivement aux actionnaires109. Cela n’a pas
toujours été scrupuleusement appliqué aux entreprises publiques. Il a fallu
faire avec l’exacerbation du pouvoir présidentiel de nomination qui est
fondée sur la logique suivant laquelle « en nommant ses agents, le pouvoir central
se donnerait les relais nécessaires à la conduite cohérente de ses projets politiques »110.
Ce pouvoir s’est parfois exprimé en violation de la loi. La loi de 1999 sur
les entreprises publiques posait l’incompatibilité entre les fonctions de
membre du gouvernement et celle de président de conseil d’administration

106 L’on pense ici à l’influence de l’Etat sur le fonctionnement des entreprises publiques.
107 MOUHOUAIN (S), « La réforme du droit camerounais des entreprises publiques et le
droit des sociétés commerciales de l’espace OHADA », op.cit., p. 226.
108 LAUFER (R), BURLAUD (A), Management public. Gestion et légitimité, Paris, Dalloz, 1980,

p. 66.
109 GRANDGUILLOT (B), GRANDGUILLOT (F), L’essentiel du Droit des sociétés, Gualino

éditeur, coll. Les Carrés Rouges, 2018, 16ème édition, p. 115.


110 SPONCHIADO (L), La compétence de nomination du Président de la Cinquième république,

thèse de doctorat en Droit, Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2015, p. 4.


542
(PCA) de ces entreprises111. Elle a constamment été violée par les
nominations des ministres comme PCA par le président de la République.
La situation est restée constante pendant près de 20 ans, c’est-à-dire
jusqu’à la réforme de 2017. La loi de 2017 n’a pas changé les choses dans
le fond ; elle n’a fait que normaliser la pratique antérieure en légalisant la
compatibilité entre les fonctions de membres de gouvernement et de PCA
des entreprises publiques112. Cet état de chose devenu normal au plan
juridique est contraire aux exigences de neutralité et de transparence
auxquelles est soumis l’Etat contemporain.
L’idéologie dominante actuellement est celle de la régulation. Elle
emporte une nouvelle conception de l’Etat qui est moins acteur du secteur
économique, et exerce des fonctions d’arbitrage. La régulation est destinée
« à concilier des impératifs contradictoires - à la fois maintenir la concurrence et préserver
des intérêts de service public »113. Avec la régulation, l’Etat doit laisser libre
cours au jeu de la concurrence et s’assurer que tout le monde respecte les
règles114. Cela est aussi bénéfique pour lui car la régulation induit une
simplification qui consiste « à penser l’action publique comme s’interdisant toute
complexité inutile »115. Le mélange entre fonction gouvernementale et gestion
des entreprises publiques fausse la recherche de la performance en faisant
cohabiter deux logiques d’action opposées. L’entreprise publique en tant
qu’agent économique doit se soumettre au libéralisme du secteur
économique par lequel les acteurs sont incités à jouer le jeu de la
concurrence, ne pas faire obstructions aux nouveaux entrants qui
pénètrent le marché pour séduire les clients et que les prix du marché, par
une concurrence effective, deviennent exacts116. Cela ne peut être possible
si l’Etat s’interfère continuellement dans le fonctionnement des
entreprises.
Les modalités de gestion courante sont également un frein à la
productivité des entreprises. La longévité des dirigeants à des postes
stratégiques est contre-productive, tant elle empêche l’innovation
nécessaire dans tout secteur concurrentiel. Les dirigeants maintenus à leurs
postes malgré l’absence de résultats commencent par percevoir l’entreprise
non plus comme une entreprise mais comme une propriété privée, avec
pour conséquence l’application des modes de gestion peu orthodoxe tels

111 Article 21 de la Loi n°99/016 du 22 décembre 1999 portant statut général des
établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic.
112 Article 78 alinéa 1 de la loi n°2017/011 du 12 juillet 2017 portant statut général des

entreprises publiques.
113 TIMSIT (G), « La régulation. La notion et le phénomène », RFAP, 2004/1 n°109, p. 9.
114 Lire PEKASSA NDAM (G.M), « Les établissements publics indépendants : une

innovation fondamentale du droit administratif camerounais », Revue Africaine des Sciences


Juridiques, vol. 2, n°1, 2001, p. 154.
115 COLIN (F), « La régulation de la simplification administrative », RFAP, 2016/1 n°157,

p. 174.
116 FRISON-ROCHE (M-A), « Ambition et efficacité de la régulation économique », Revue

de droit bancaire et financier, novembre-décembre 2010, p. 61.


543
que les recrutements inappropriés de personnels. Sur ce point précisément,
l’exemple de l’entreprise CAMAIR-CO est symptomatique. Cette
entreprise de transport aérien s’est retrouvée avec un effectif de plus de
800 personnes pour un seul avion dans la flotte en 2020. La masse salariale
constituait une contrainte budgétaire excessive. Cette situation est presque
la même dans toutes les entreprises publiques ou les recrutements sont
teintés des recommandations contrairement au principe de compétences et
dans une certaine mesure celui de l’équilibre régional. Cette façon de faire
est contradictoire avec la recherche de l’efficacité et de la rentabilité. Les
pouvoirs publics semblent n’avoir pas encore bien assimilé que « l’entreprise
publique a le même objet qu’une entreprise privée, elle assume une activité de
production »117. La production passe par la maitrise des effectifs, de la masse
salariale.
La masse salariale dans les entreprises publiques est exorbitante. Les
pouvoirs publics conscients de cela obligent les conseils d’administration à
veiller à l’exigence de soutenabilité budgétaire de la masse salariale118. Le
problème a bien été perçu par certaines entreprises qui ont été contraintes
à opérer des réductions d’effectif même si parfois cela a été imposé par des
contingences comme c’est le cas pour la Cameroon Developement
Corporation119. Le problème n’est pas seulement au niveau des effectifs, il se
pose grandement avec la rémunération et autres avantages des dirigeants
de ces entreprises. Pendant longtemps, le traitement des dirigeants a été
laissé à l’entière discrétion des organes sociaux desdites entreprises. Ce
traitement variait d’une entreprise à une autre et ne correspondait à aucune
logique de performance. Ils étaient exorbitants120. Tenu dans le secret, ce
traitement constituait un scandale car l’on pouvait s’apercevoir des
montants très importants pour des entreprises très peu rentables. La
réglementation a essayé d’harmoniser ce traitement. La rémunération et
autres indemnités sont fixées dans des bornes121 qui varient en fonction de
la catégorie de l’entreprise et dont le montant dépend de l’évolution du
chiffre d’affaire. Toutefois, comme le rappelle bien le rapport du FMI,
prendre l’évolution du chiffre comme unique critère de la performance est
limitatif car ce dernier se révèle insuffisant pour garantir la capacité
financière à soutenir les niveaux de rémunération prévus et les multiples

117 AUBY (J-M), DUCOS-ADER (R), Grands services publics et entreprises nationales, Paris, PUF,
1969, p. 83.
118 Article 24 alinéa 3 du décret n°2019/320 du 19 juin 2019 précisant les modalités

d’application de certaines dispositions des lois n°2017/010 et 2017/011 du 12 juillet 2017


portant statut général des établissements publics et des entreprises publiques.
119 L’entreprise, du fait de la guerre dans les deux régions anglophones où est concentré

l’essentiel de ses activités et de ses plantations, a dû réduire ses effectifs de moitié en raison
de la baisse de production.
120 BEGNE (J.-M) « Relation d’agence et comportements déviants : le cas des entreprises

publiques au Cameroun », Management international, 16(3), 2012, p. 170.


121 Voir les articles 13, 20 et 21 du décret n°2019/321 du 19 juin 2019 fixant les catégories

d’entreprises publiques, la rémunération, les indemnités et les avantages de leurs dirigeants.


544
avantages consacrés122, notamment pour les entreprises publiques en
situation d’endettement123.
2. La soumission permanente à un système de fonctionnement
inapproprié
Le secteur économique et commercial a ses logiques et principes qui
fondent son régime. Il repose principalement sur le libéralisme qui postule
le libre jeu de la concurrence. Le jeu de la concurrence a fait naitre des
règles « qui ont pour objet le maintien de la libre concurrence entre entreprise sur le
marché et les concurrents »124. Ces règles tirent leurs sources au niveau
communautaire où les directives posent un régime anticoncurrentiel en
prohibant les situations dans lesquelles les entreprises publiques se
trouvent en général telles que les aides publiques125 et les abus de
monopole légal126. La loi camerounaise127 est silencieuse sur ces pans et
semble viser uniquement les entreprises privées.
Les imperfections du système de fonctionnement résident dans
deux choses : le monopole et la réglementation. Les aides publiques ne
sont pas concernées car dans le cas camerounais elles sont fondées sur la
nécessité d’apporter un appui face aux difficultés conjoncturelles
rencontrées par les entreprises publiques. En ce qui concerne le monopole,
il en existe deux : le monopole légal et le monopole substantiel. Le
monopole substantiel renvoie encore à la position dominante qui est le
fruit de la performance de l’entreprise. Le monopole légal est celui
incriminé. Le monopole est dit légal « lorsque l’Etat accorde des droits exclusifs à
une entreprise privée ou publique pour exploiter un service public ou pour produire des
biens et services »128. La situation de monopole se justifie par diverses raisons
juridiques : sensibilité du secteur, protection de l’ordre public. Une part
importante des entreprises se trouvent dans cette situation. C’est le cas
dans le secteur de l’eau129, du transport de l’électricité130. Le mode
opératoire de l’Etat est tout aussi infructueux car « même si les caractéristiques

122 Articles 17, 27 à 30 du décret n°2019/321 du 19 juin 2019 fixant les catégories
d’entreprises publiques, la rémunération, les indemnités et les avantages de leurs dirigeants.
123 FMI, Cameroun, Renforcer la surveillance, la gouvernance et la maîtrise des risques budgétaires dans la

gestion des entreprises publiques, op.cit., p. 20.


124 DELAUNAY (B), Droit public de la concurrence, Paris, LGDJ, 2015, p. 36.
125 Article 78 du Règlement n°06/19-UEAC-639-CM-33 du 07 avril 2019 relatif à la

concurrence.
126 Article 103 du Règlement n°06/19-UEAC-639-CM-33 du 07 avril 2019 relatif à la

concurrence.
127 Il s’agit de la loi n°98/013 du 14 juillet 1998 relative à la concurrence.
128 Article 102 du Règlement n°06/19-UEAC-639-CM-33 du 07 avril 2019 relatif à la

concurrence
129 Article 3 du Décret n° 2005/493 du 31 décembre 2005 fixant les modalités de

délégation des services publics de l’eau potable et de l’assainissement liquide en milieu


urbain et périurbain.
130 Article 23 de la loi n°2011/022 du 14 décembre 2011 régissant le secteur de l'électricité

au Cameroun.
545
techniques d’une activité justifient sa gestion par un monopole, il existe potentiellement
plusieurs entreprises susceptibles d’exercer cette activité »131. Il pourrait passer par
une mise en concurrence des entreprises intéressées afin de désigner la
plus qualifiée.
Du point de vue économique, les monopoles posent des difficultés.
D’abord, ils semblent ne pas inciter à la performance nécessaire à
l’augmentation des contributions fiscales. Dans son dernier rapport, la
Commission Technique de Réhabilitation relève que la SONATREL,
malgré le démarrage effectif de ses activités en 2019, est dans une situation
d’accroissement de dettes qui conduit à une « faible capacité de l’entreprise à
générer des ressources et à financer les investissements »132. Le monopole a une part
de malice : il permet de développer le statisme, le manque d’innovation et
de compétitivité. Les contrôles foncièrement aléatoires133 ne peuvent pas
jouer leurs rôles malgré leurs conditionnements de la bonne gestion134. La
réglementation contient aussi son lot de lourdeur.
La réglementation sur divers points induit des lourdeurs dans le
fonctionnement des entreprises publiques. Le point qui nous semble le
plus déterminant est celui des marchés passés par les entreprises publiques.
Ces dernières sont appelées à passer des marchés pour la réalisation des
travaux, la fourniture et autres services utiles à leur fonctionnement. La loi
dispose qu’elles ne sont pas assujetties aux dispositions du code des
marchés publics135 sans pour autant que cela signifie qu’elles ne peuvent
passer des marchés publics. Pourtant, ces marchés qui sont régis de façon
discutable136 par un texte particulier137 sont bel et bien des marchés
publics138. Cela a pour conséquence d’importer tout le régime tracassier de

131 MOUGEOT (M), NAEGELEN (F), « La concurrence pour le marché », Revue d'économie
politique, 2005/6 Vol. 115, p. 742.
132 CTR, Rapport sur la situation des Entreprises Publiques et des Etablissements Publics au 31

décembre 2019, octobre 2020, p. 91.


133 Le contrôle de l’entreprise publique semble être plus une formalité qu’un instrument de

la performance. En droit camerounais le contrôle est influencé par le jeu de pouvoir et les
rapports de force entre les acteurs. Dans son rapport de la CTR précité, l’analyse de la
situation de certaines entreprises comme la CAMWATER n’existe pas. La CTR se justifie
cela par « la non disponibilité des informations financières ». Voir CTR, Rapport sur la situation des
Entreprises Publiques et des Etablissements Publics au 31 décembre 2019, op. cit., p. 227.
134 POYET (M), Le contrôle de l’entreprise publique. Essai sur le cas français, op. cit., p. 8.
135 Article 119 alinéa 1 de la loi n°2017/011 du 12 juillet 2017 portant statut général des

entreprises publiques.
136 Le non assujettissement aux dispositions du code des marchés publics consacré par la ne

devrait pas signifier élaboration d’un texte particulier. L’option choisie est source de
complexité pour le fonctionnement de l’entreprise. De plus, la même disposition est
contenue dans la loi n°2010/023 du 21 décembre 2010 fixant le statut du Groupement
d’Intérêt Public sans que cela n’ait donné lieu à l’adoption d’un régime spécial des marchés
publics.
137 Décret n°2018/355 du 12 juin 2018 fixant les règles communes applicable aux marches

des entreprises publiques


138 YINDJO TOUKAM (C.F), La modification des contrats administratifs en droit camerounais,

thèse de doctorat/Ph.D en droit public, Université de Douala, 2020, p. 20.


546
la commande publique dans le fonctionnement des entreprises publiques.
Les règles de la commande publique ne sont pas toujours porteuses de
concurrence. Elles sont parfois, paradoxalement, sources de pratiques
anticoncurrentielles139. La fraude et la corruption y ont fait leurs
demeures140. Les entreprises publiques sont finalement soumises au régime
des marchés publics avec des effets sur leur performance.
L’assujettissement des entreprises au régime des marchés publics
consolide la mort définitive du critère organique qui postule l’identification
d’un contrat administratif par la présence d’au moins une personne
publique dans la relation contractuelle141. Il semble donc révolue l’époque
où le juge se refusait d’admettre l’existence de contrats administratifs entre
personnes privées, « la nature privée des parties en présence présentant à ses yeux
une incompatibilité quasi insurmontable avec la nature administrative d’un contrat »142.
L’application d’un régime des marchés publics influence la liberté
contractuelle en imposant le respect « des principes guidant l’opération du choix
du cocontractant par l’administration de telle manière que ce choix devienne un procédé
automatique »143. Cela est contraire à « la libre négociation, qui est le fondement de
la concurrence »144. Le régime des marchés publics est un régime complexe
par la multiplicité des institutions qui interviennent, par la rigidité des
procédures contrairement à l’objectif de facilitation recherché145. Les prix
des prestations, qui sont issus d’une mercuriale pour le moins excessive, ne
cadrent pas avec la recherche du profit à travers la réduction des coûts. Les
entreprises publiques sont ainsi défavorisées par rapport aux entreprises
privées qui ont plus de marge de manœuvre dans leurs relations
contractuelles. Le régime des marchés publics est certes fondé sur la
volonté de protéger les fonds des entreprises publiques qui sont des fonds
publics, mais il ralenti la compétitivité de ces entreprises et les plongent
dans les mêmes logiques scandaleuses des marchés publics que les autres
institutions publiques.
B. La suspension de la rentabilité budgétaire
La grande majorité des entreprises publiques au Cameroun sont des
entreprises en situation de crise. Elles éprouvent des difficultés juridiques,

139 KALFLECHE (G), « Secteur public et concurrence : la convergence des droits. A propos
des droits de la concurrence et de la commande publique », AJDA, décembre 2007, p. 2.
140 EBANGA (C.A), La passation des marchés publics au Cameroun, thèse de doctorat/Ph.D en

droit public, Université de Douala, 2020, p. 3.


141 HOEPFFNER (H), Droit des contrats administratifs, Paris, Dalloz, 2016, p. 77.
142 LICHERE (F), Les contrats administratifs entre personnes privées. Représentation, transparence et

exceptions jurisprudentielles au critère organique du contrat administratif, thèse de doctorat en droit,


Université de Montpellier I, 1998, p. 11.
143 AJJOUB (M), La notion de liberté contractuelle en droit administratif français, thèse de doctorat

en droit public, Université Panthéon-Assas Paris II, 2016, p. 279.


144 BLAISE (J-B), DESGORCES (R), Droit des affaires. Commerçants, Concurrence, Distribution,

Paris, LGDJ, 2015, 8ème édition, p. 364.


145 YINDJO TOUKAM (C.F), « Le numérique et la transformation de la démocratie en

Afrique noire francophone », Horizons du droit - Bulletin n°27, 2021, p. 80.


547
économiques ou sociales de nature à compromettre à terme la continuité
de l’activité146. Dans une telle situation, elles ne peuvent contribuer au
financement budgétaire de quelques manières que ce soit. Les difficultés
suspendent naturellement la rentabilité budgétaire et suscite de manière
inverse un appui de l’Etat qui prend la forme des subventions (1), et des
transferts en capital (2).
1. La vulgarisation improductive de la subvention étatique
Les difficultés rencontrées par les entreprises publiques ont
renversé les rapports de contribution qu’elles entretiennent avec l’Etat. Les
rapports nationaux et internationaux sur leurs situations économiques et
financières ont fait ressortir des dettes fiscales et sociales énormes.
Certaines de ces entreprises auraient dû faire l’objet de procédure de
liquidation en raison de la cessation de paiement observée147. Avec
l’aggravation des crises économiques amplifiée par la multiplicité des
foyers de tension, le mythe de la solvabilité des entreprises publique fondé
sur les concours financiers de l’Etat s’est effondré148. Les entreprises
publiques ne rentabilisent plus les recettes budgétaires de l’Etat. Elles
asphyxient au contraire le budget par la politique de subvention
improductive pratiquée par l’Etat.
La subvention est devenue un principe général d’action budgétaire
contrairement à son caractère exceptionnel en principe. La subvention est
un concours de nature financière sans contrepartie financière accordée par
l’Etat aux entreprises publiques149. Elle est exceptionnelle car porte atteinte
à la concurrence. Elle fait ainsi l’objet d’un encadrement rigoureux qui
empêche les Etats d’y faire recours pour des motifs injustifiés. La
subvention des entreprises publiques au Cameroun est fondamentalement
improductive. La première raison est qu’elle se pérennise à tel point ou les
fonds alloués aux entreprises sont chaque fois attendus comme des
ressources budgétaires normales. La subvention est considérée comme une
aide d’Etat, c’est-à-dire un « avantage économique que l’entreprise bénéficiaire
n’aurait pas obtenu dans les conditions normales de marché »150. Elle est justifiée
par l’existence d’une situation de difficulté qui n’a pas vocation à
s’éterniser. La pratique des subventions au Cameroun est faite en violation

146 COQUELET (M-L), Entreprises en difficulté. Instruments de paiement et de crédit, Paris, Dalloz,
2017, 6ème édition, p. 5.
147 Article 2 de l’Acte Uniforme Portant Organisation Des Procédures Collectives

D'apurement Du Passif.
148 NGUIHE KANTE (P), « Réflexion sur le régime juridique de dissolution et de

liquidation des entreprises publiques et para publiques au Cameroun depuis la réforme des
procédures collectives OHADA », Afrilex n°4, déc. 2004, p. 222.
149 PONTIER (J-M), « Catégorie en miroir : subventions, délégations de service public,

marchés publics », in A propos des contrats des personnes publiques, Mélanges en l’honneur du
Professeur Laurent Richer, Paris, LGDJ, 2013, p. 265.
150 JOUVE (D), Le juge national et le droit des aides d’Etat : étude de droit comparé franco-espagnol,

thèse de doctorat en droit, Université de Grenoble, 2013, p. 208.


548
des exigences communautaires sur les aides publiques. Les aides publiques
acceptées sont les aides catégorielles à caractère sociale, à condition
qu’elles soient accordées sans discrimination liée à l’origine des produits ;
les aides destinées à remédier aux dommages causées par les calamités
naturelles ou par d’autres événements imprévisibles et insurmontables par
l’entreprise151.
La subvention comme aide publique est une intervention au moyen
des ressources de l’Etat152. Elle doit donc épouser la philosophie de la
performance de la gestion des finances publiques qui postule de « dépenser
mieux, en améliorant la performance de la dépense publique et l’efficacité de l’action de
l’État »153. Cela nécessite une clarification des finalités par la distinction des
formes de la subvention dont le nouveau régime financier influencé par les
directives communautaires154 n’a pas pris en compte. Il se limite à ranger la
subvention parmi les dépenses de transfert155. La loi de 2007 était plus
cohérente sur la question. Elle distinguait les subventions de
fonctionnement et celles d’investissement156. Le laconisme de la loi portant
régime financier est comblé par les lois de finances qui distinguent trois
types de subvention à savoir les subventions d’équipement, les
subventions de fonctionnement aux établissements non marchands et les
subventions d’équilibre aux établissements marchands157. L’absence de
contrôle et d’évaluation des objectifs véhiculés par la subvention fait
douter de l’existence d’une politique lisible et cohérente des
subventions158.
L’assistance permanente manifestée par l’Etat à travers les
subventions emporte une transformation structurelle des entreprises
publiques plus soucieuses de consommer que de produire. L’Etat semble
ne pas avoir une réelle maîtrise de toutes les informations nécessaires à la
mise en œuvre des subventions alors que « la maitrise l’information peut aider à
améliorer la productivité et la compétitivité des entreprises »159. Les lois de finances
ne sont pas des plus transparentes contrairement à l’exigence

151Article 81 du Règlement n°06/19-UEAC-639-CM-33 du 07 avril 2019 relatif à la


concurrence.
152 COLSON (J-P), IDOUX (P), Droit public économique, Paris, LGDJ, 2018, 9e édition, p.

299.
153 OUEDRAOGO (Y), L’influence de la démarche de performance sur le droit public financier des

états membres de l’UEMOA, Paris, LGDJ, 2018, p. 3.


154 Voir l’article 15 de La directive n°06/11-UEAC-190-CM-22 relatives aux lois de

finances.
155 Article 28 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et

des autres entités publiques.


156 Article 12 de la loi n° 2007/006 du 26 décembre 2007 portant régime financier de

L’Etat.
157 Voir les différentes lois de finances adoptées depuis la réforme de 2018.
158 PONTIER (J-M), « L'obscure clarification de la politique des subventions », AJDA,

2018, p. 2172.
159 EWANE MOTTO (P.C), La gouvernance des sociétés commerciales en droit de l’OHADA, thèse

de doctorat en droit, université Paris-Est, 2015, p. 208.


549
d’amélioration de l’information du parlement et du peuple160. Les données
constituées mériteraient « d’être davantage analytique et stratégique afin de servir
véritablement d’outil d’aide à la décision et au pilotage »161.
En fin de compte, la pratique de la subvention au Cameroun n’est
d’aucune rentabilité ni pour l’Etat dont les contraintes budgétaires se
retrouvent alourdies, ni pour les entreprises publiques dont elle freine la
productivité. Elle devrait être assortie de réels objectifs de performance
sous peine de conduire à un désengagement de l’Etat dans le capital ou à
une liquidation afin d’équilibrer le secteur économique car « lorsqu’une
économie de marché fonctionne de façon parfaite toute intervention de l’État entraîne des
inefficacités allocutives ou de production »162.
2. La généralisation contreproductive des transferts en capital de
l’Etat
Le transfert en capital est une autre forme d’aide publique dont
bénéficient les entreprises publiques au Cameroun. Il est moins connu que
la subvention mais a tendance à se généraliser d’une manière
contreproductive. Rentrant dans la catégorie des dépenses publiques de
l’Etat, les transferts en capitaux doivent également être rentables. La
rentabilité n’est pas forcement au bénéfice propre de l’Etat. Dans le cas
d’espèce, elle doit permettre à l’entreprise bénéficiaire de sortir d’une
difficulté et de s’engager dans la productivité.
La démarcation entre une subvention et un transfert n’est pas
évidente à établir. Le nouveau régime financier a consacré un titre réservé
aux dépenses de transfert, celles-ci comprenant les subventions et les
transferts163. C’est encore vers les lois de finances qu’il faut se tourner pour
trouver un contenu aux transferts. Les transferts sont constitués des
contributions aux organisations internationales, des transferts courants aux
administrations, entreprises et ménages. Les entreprises publiques
bénéficient des transferts à travers des transferts en capital. Les dépenses
de transfert en capital correspondent à des versements sans contrepartie
pour réaliser des dépenses d‘acquisition d’actifs financiers ou non
financiers. Autrement dit, il s’agit d’un appui financier pour
l’investissement par des prises de participation par exemple. Les transferts
en capital n’ont donc pas vocation à être constants ; ils répondent à des
besoins ponctuels inhérents à des difficultés structurelles ou

160 BEGNI BAGAGNA « Le principe de transparence dans les finances publiques des
Etats membres de la CEMAC », RAFiP, n°2, 2017, p. 200 ; GOUDEM LAMENE (B),
L’information du Parlement en droit budgétaire Camerounais, thèse de doctorat /Ph.D en droit
public, Université de Yaoundé II, 2013, 525 pages.
161 FMI, Cameroun, Renforcer la surveillance, la gouvernance et la maîtrise des risques budgétaires dans la

gestion des entreprises publiques, op.cit., p. 38.


162 LEGROS (P), « Subventions et politique de concurrence », Reflets et perspectives de la vie

économique, 2004/1 (Tome XLIII), p. 20.


163 Article 28 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et

des autres entités publiques.


550
conjoncturelles. Ils doivent également être assujettis à des objectifs de
performance qui permettront à l’entreprise de rétablir sa contribution au
financement du budget de l’Etat car « il est normal que toutes les composantes de
l'État participent aux divers aspects de la politique économique, en respectant le principe
des avantages comparatifs »164.
Conclusion
Le déséquilibre budgétaire né de l’aggravation des dépenses et de la
réduction des recettes budgétaires nécessite une rationalisation de la
gestion financière. L’Etat est appelé à pratiquer une politique de pression
fiscale afin de ne pas tomber en cessation de paiement. Les entreprises
publiques ont été créées pour apporter une contribution au financement
du budget. Cette contribution qui repose sur une diversité de prélèvements
est dévoyée en pratique. L’Etat fait face à des entreprises publiques qui
sont en grande majorité en difficultés. On ne peut donc attendre une
quelconque contribution ceci d’autant plus que même les mécanismes
d’appui manque de contrainte à la performance.

164PESTIEAU (P), GATHON (H-J), « La performance des entreprises publiques. Une


question de propriété ou de concurrence ? », Revue économique, volume 47, n°6, 1996. p.
1226.
551
ÉCLAIRAGE PRATIQUE

552
VERS UN DEVELOPPEMENT PAR L’OPTIMISATION DES
INSTITUTIONS DE PILOTAGE DES INVESTISSEMENTS
ECONOMIQUES EN AFRIQUE

Par
Dr. Ruth Carelle NGUEMDOM
Docteur en Droit en droit public
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

RESUME :

La faiblesse des politiques mises en place au bénéfice des investissements


économiques invite à se poser un grand nombre de questions au rang desquels celle du
rôle des institutions en charge du pilotage desdites politiques. Finalement, et si leur
optimisation était un des gages du développement par le biais des investissements
économiques ? Avec des institutions jugées inadaptées et incapables de suivre les diverses
évolutions imposées par la globalisation, comment les Etats africains peuvent-ils tirer
leur épingle du jeu économique mondial ? Voilà autant d’interrogations qui appellent,
en urgence, une intelligence institutionnelle. Cette intelligence commande aussi bien la
réorganisation que l’adaptabilité des nouvelles institutions aux exigences sans cesse
renouvelées de la mondialisation.

ABSTRACT:

The weakness of existing economic investments policies calls for a questioning of


number of preoccupation amongst which the role of institutions dedicated to monitor such
policies. Finally, what if their optimization was a pledge for development through
economic investments ? With such institutions deemed not suitable and incapable to
follow-up the globalization trends, how can African States benefit in the global economic
pattern essentially dynamic ? Here are some interrogations which call for an urgent
institutional intelligence; commanding reorganization as well as suitably of new
institutions to globalization’s continuous trends and challenges.

553
Introduction
Au regard de la faiblesse des politiques mises en place en faveur des
investissements économiques, il se pose clairement une question. Cette
question serait celle de savoir, si l’une des clés du développement en
Afrique ne repose également pas sur une optimisation des institutions de
pilotage des investissements économiques ? En effet, l’optimisation des
institutions ne serait-elle pas un gage au bénéfice du développement
économique et social par le biais des investissements économique en
Afrique ?
De très nombreuses critiques sont faites aux Institutions africaines
en général et en particulier celles en charge du commerce extérieur, jugées
inadaptées et incapables de suivre l’évolution économique à l’échelle
mondiale. Ce qui a pour conséquence de freiner massivement les
ambitions internationales des investisseurs économiques.
Pourtant, au plan institutionnel de nombreux travaux ont montré
l’importance de « l’infrastructure institutionnelle » dans la croissance et le
développement économique et social. « La nature de la politique économique et
la qualité de l’infrastructure institutionnelle jouent le rôle d’un puissant déterminant de
la prospérité économique et sociale des nations »1. D’où l’importance de « la nature
des Institutions et sur la structure des règles qui contraignent le comportement des agents
économiques »2.
C’est l’une des raisons pour lesquelles l’intelligence institutionnelle
invite à s’interroger sur les Institutions en charge de la gestion, de la
promotion et de la protection des investissements économiques en
Afrique. En effet, il s’agit là d’une question fondamentale qui part du
constat selon lequel les politiques en faveur des investissements
économiques sont réputées avoir une carence en structuration mais aussi
en support d’exécution adapté. Partant de ce constat, il importe d’asseoir
et de confier dorénavant cette responsabilité (depuis leur élaboration
jusqu’à l’évaluation des résultats) à des structures, organes et autorités plus
adaptés ; c’est-à-dire l’ensemble des acteurs que cette étude désigne ici
sous le vocable d’Institutions.
Pour cela, il est indispensable que soit réorganisé le cadre
institutionnel de pilotage des investissements économiques avec d’une
part, des Institutions de gestion, de contrôle et d’évaluation des
investissements économiques (I) et d’autre part, des Institutions de
protection et de promotion des investissements économiques (II).

1 N. CHTOUROU, « Inefficience institutionnelle et performance sociale : analyse


transnationale sur la corruption et la pauvreté humaine », in La restauration du rôle de l’Etat
dans la croissance et le développement économique. Paris, Publisud, 2004, p. 139.
2 Ibid. p. 139.

554
I. Des Institutions de gestion, de contrôle et d’évaluation des
investissements économiques en Afrique
L’optimisation des Institutions de pilotage des investissements
économiques en Afrique commence par la mise en place des Institutions
en charge d’une gestion optimale des investissements économiques mais
aussi, des Institutions en charge du contrôle et de l’évaluation desdits
investissements afin de garantir la réalisation de leurs missions en faveur
du développement économique et social. La démarche d’intelligence
institutionnelle impose la mise en place d’un contrôle et d’une évaluation
des investissements économiques3. L’intérêt du contrôle et de l’évaluation
est incontestable et comme le rappelait P-M. GAUDEMET, « si la fonction
de contrôle est particulièrement difficile à remplir en Afrique, elle est aussi
particulièrement nécessaire à assumer »4.
Ce contrôle et cette évaluation impliquent des fonctions qui
consisteraient à suivre étape par étape une action ou un texte de loi, depuis
son élaboration jusqu'à sa mise en œuvre définitive. Pour ce faire, un
organe national de contrôle et d’évaluation des Institutions de pilotage des
investissements économiques (ONCEIPIE) doit être mis en place sous
certaines conditions et garanties.
Dès lors, la matérialisation de cette intelligence institutionnelle passe
ici d’une part, par la mise en place d’un Guichet unique des
investissements économiques (A), d’un organe national de gestion des
investissements économiques (B), d’un office de lutte contre la
délinquance économique, financière, fiscale et douanière (C) et d’une
institution de contrôle et d’évaluation des investissements économiques
(D).
A. Un Guichet unique des investissements économiques
L’intelligence institutionnelle qu’incarne la mise en place d’un
Guichet unique des investissements économiques (GUIE), illustre certes le
fait que l’administration doit rechercher avant toute chose, une véritable
communication avec les usagers5, mais seulement. Elle illustre également,
au moins trois impératifs de performance administrative. Tout d’abord, les
administrations doivent être dotées de moyens techniques et matériels
permettant la conservation de données et documents dans de bonnes
conditions et sur du très long terme. Car certains contrats sont souvent

3 On n’évalue pas que les politiques d’investissement économique mais aussi les
investissements économiques eux-mêmes et leur cadre juridique et institutionnel afin de les
améliorer et de leur permettre de jouer pleinement leur rôle de moteur de la croissance et
du développement économique et social.
4 Préface à J-M. BRETON, Le contrôle d’Etat sur le continent africain : contribution à une théorie des

contrôles administratifs et financiers dans les pays en voie de développement, Paris, LGDJ, Nouvelles
éditions africaines, Abidjan, 1978.
5 Les contribuables pour ce qui concerne l’administration fiscale.

555
conclus avec des durées supérieures à trente années6. Ensuite, le système
administratif doit intégrer la nécessité d’établir des rapports de mi-parcours
ou d’étape, facilitant la gestion administrative des dossiers souvent d’une
complexité sans pareil. L’administration de l’impôt doit être en mesure
d’assurer le suivi permanent des avantages accordés aux investisseurs. Ce
qui suppose non seulement d’importants moyens techniques7 ou
financier8.
Enfin, au terme de ses travaux sur la modernisation des
administrations fiscales et douanières à Djibouti, Mohamed Omar Ibrahim
proposait : un recentrage dans le « cœur de métier » de ces administrations
en tenant compte des objectifs de recettes, de contrôle économique de
justice et d’équité entre les citoyens ; rendre les administrations plus
citoyennes et plus enclines à la mission de service public en renforçant la
capacité des agents nécessaires pour aider les administrés à se conformer à
la législations et à la règlementation en vigueur par une plus grande écoute
de leurs préoccupations, les aider en étudiant au cas par cas les difficultés
ou problèmes les plus importants ; et enfin, mettre la barre haute en
inculquant de nouvelles méthodes et procédures de gestion des services,
de la conception au suivi évaluation, le tout mentionné dans des contrats
d’objectifs pluriannuels servant de base pour des contrôle tels que le
contrôle de la qualité9.
Ceci dit, le GUIE incarne le besoin de cohérence et d’efficacité
recherché. A ce titre, il est non seulement une structure permanente (1), un
Comité technique d’octroi d’agrément (2) ainsi que de leur formalisation.
1. Le GUIE, structure permanente
Il convient de présenter son statut et son fonctionnement d’une
part, (a) et d’autre part, ses missions (b).
a. Le statut et le fonctionnement du GUIE
Le GUIE est une administration interlocutrice unique de
l’investisseur. Il sera composé de deux principaux pôles : un pôle d’accueil
et un pôle de gestion. Une institution d’accueil et d’orientation des
investisseurs économiques.

6 Cette ancienneté de certains dossiers peut rendre leur consultation difficile (absence
d’archives ou archives en piteux état). Ceci a pour conséquence de créer de véritables
lacunes dans l’exercice des missions administratives telles que la mission de contrôle. Cet
impératif permet également aux juristes en charge des dossiers de l’Etat devant les
tribunaux de disposer d’outils adaptés pour assurer la défense des intérêts publics face à
certains investisseurs peu scrupuleux.
7 Au plan technique, l’administration doit être dotée d’agents en nombres suffisant et en

mesure d’analyser avec beaucoup de précision la pertinence des dossiers d’investisseurs qui
lui sont soumis.
8 Au plan financier, un budget pouvant leur permettre de se doter en machines, logiciels,

etc. leur permettant d’effectuer un travail moderne et rapide.


9 MOHAMED OMAR IBRAHIM, La fiscalité de Djibouti. De 1900 à 2000, un siècle d’évolution,

Editions Universitaires Européennes, 2001, p. 505.


556
En effet, le GUIE effectue un travail de renseignement et
information, de délivrance des dossiers, de réceptions et d’enregistrement
des dossiers. Une institution de gestion car par son Comité technique
d’octroi d’agrément (CTOA), le GUIE étudie les demandes et délivre les
agréments par un avis conforme. Chaque demande d’agrément faisant
l’objet d’une étude minutieuse. Cet interlocuteur unique va regrouper des
services représentatifs de l’ensemble des administrations qui interviennent
de près ou de loin en matière d’investissements économiques.
En outre, le GUIE est une administration placée sous la tutelle de la
chambre de commerce et de l’industrie, seule institution qui incarne le plus
grand nombre d’enjeux auxquels doit faire face le GUIE.
b. Les missions du GUIE
Il va faciliter voire encourager l’initiative de l’investisseur modeste
ou non, en lui offrant une tribune assurant un accompagnement
administratif aussi bien au niveau de la création de l’activité. Avec par
exemple, pour ce qui concerne les TPE, PME et PMI locales un
accompagnement dans le montage de dossier et/ou dans la recherche de
financement, dans la gestion du point de vue des obligations légales par
des conseils en management et gestion, des conseils juridiques10 et/ou
comptables.
Ainsi, le GUIE sera pour la TPE locale, une passerelle adéquate
pour l’accès à certains marchés publics, (notamment ceux réalisés sur
simple émission de bon de commande ou de type gré à gré11. Avec
désormais, la garantie de se voir payer suivant un délai raccourci de moins
de soixante jours suivant la réception de l’objet du marché par
l’administration publique bénéficiaire.
De même, il pourra non seulement enregistrer les demandes
d’agrément au contrat-type, les étudier dans le but d’une admission ou
d’un refus au régime incitatif associé, assurer la gestion des données et le
suivi des activités en étroite collaboration avec les administrations en
charge du contrôle fiscal et douanier, mais aussi de la protection et de la
promotion des investissements économiques.
2. Le GUIE, Comité technique d’octroi et de formalisation de
l’agrément (CTOFA)
Il convient de présenter le statut et la composition (a) du Comité
technique d’octroi et de formalisation de l’agrément, ainsi que son
fonctionnement et ses missions (b).
a. Le statut et La composition du CTOFA

10 Les conseils juridiques peuvent aller de la simple consultation juridique à


l’accompagnement dans la préparation des déclarations fiscales diverses (IS, TVA, etc…) et
obligatoires.
11 Les marchés de type gré à gré sont des marchés publics ouverts pour des sommes

réduites et sans qu’il soit besoin d’en faire une quelconque publicité.
557
Le GUIE est en charge de la gestion des demandes faites à l’accueil
de l’investisseur. Pour ce qui concerne les demandes d’agrément auxquelles
sont soumis les investisseurs étrangers (pour ce qui concerne les TPE,
PME et PMI) ainsi que l’ensemble des investisseurs étrangers et nationaux
(pour ce qui concerne les gros investissements). Le rôle du GUIE à cette
étape est assuré par son Comité technique d’octroi et de formalisation de
l’agrément. En effet, quand on va au GUIE : on récupère un dossier qu’on
lui retourne ensuite. Puis, l’équipe technique du CTOFA étudie les
dossiers accompagnés d’une demande d’agrément.
Le CTOFA est composé de neuf (9) membres qui statuent sur les
dossiers de demande d’agrément. Ces neuf membres sont composés d’un
représentant issus de la commission des investissements économiques du
Parlement, du ministère de la planification, des spécialistes du droit des
investissements économiques, du corps judiciaire public, des collectivités
territoriales décentralisées, de la doctrine juridique (du corps enseignant),
de la doctrine économique (du corps enseignant), des associations
nationales de protection de l’environnement et des membres de la société
civile12 et en particulier des associations nationales de lutte contre la
corruption
Ce statut et cette composition du Comité technique d’octroi et de
formalisation de l’agrément a pour but de limiter l’emprise de la tutelle
administrative d’une part et d’autre part de limiter la corruption et les
« magouilles » jusqu’ici observées et décriées dans le traitement des
dossiers d’agrément. Ils ont également pour but de permettre une plus
grande cohérence entre les stratégies économiques et fiscales mises en
place et la gestion des flux d’investissements secteur par secteur et région
par région.
b. Le fonctionnement et les missions du CTOFA
Dans un délai raisonnable, le CTOFA va étudier les dossiers des
investisseurs ayant fait une demande préalable d’agrément. Au regard des
dispositions légales de la Charte de développement des investissements
économiques ainsi que celles des plans stratégiques de développement des
investissements économiques, le Comité procède à l’examen des
demandes. Au terme de ses travaux d’études, lorsque la demande est
approuvée, le CTOFA délivre un avis conforme pris à la majorité des
membres et qui s’impose au ministre de l’économie et des finances.
Néanmoins, sa décision qui approuve une demande d’agrément est
transmise au ministre de l’économie et des finances accompagnée d’une

12 En effet, « le recentrage en cours des politiques et stratégies nationales de développement, encouragé ou


inspiré par le récent activisme des acteurs de la société civile, au niveau mondial, est un nouveau point de
départ dans la lutte contre la pauvreté. Mais les effets de ces stratégies sur la pauvreté resteront le résultat de
l’œuvre des acteurs du développement, dans les pays. De ce fait, les représentations de la société civile auront
un rôle de premier plan à jouer dans ce nouveau cadre de partenariat pour la lutte contre la pauvreté » H.
B. HAMMOUDA. Les économies de l’Afrique Centrale. Pauvreté en Afrique Centrale : état des lieux
et perspectives, Paris, Maisonneuve et Larose, 2002, p. 113.
558
copie complète du dossier de demande d’agrément. Cette copie est
enregistrée dans la base de données du ministère pour un suivi cohérent.
Le ministre signe la demande d’agrément. Ainsi, dans un délai limité à sept
(7) jours maximum (courant depuis l’arrivée de l’avis du CTOFA au
ministère), le ministre de l’économie et des finances aura signé et publié
par le biais d’un arrêté l’ensemble des demandes d’agrément traitées et
approuvées par le GUIE au travers de son CTOFA. Le Comité pourra
alors informer les investisseurs concernés et publier l’arrêté au sein du
GUIE.
B. Un organe national d’administration et de gestion des
investissements économiques
D’une manière générale, les administrations en charge de la
compétitivité économique de l’Etat sont diverses. Elles regroupent aussi
bien les administrations fiscales que douanières, mais aussi toutes celles qui
mettent en œuvre et ou collectent les impôts d’Etats ou locaux. Le rôle de
ces administrations est très important car « plus que la législation, le succès d’une
réforme fiscale est en grande partie conditionnée par les capacités humaine et
administrative des services chargés de l’appliquer »13.
Dorénavant, le but sera de renforcer l’efficacité des Institutions
administratives dans leur capacité à gérer les politiques des investissements
économiques mises en place. C’est la raison pour laquelle, une fois la phase
d’accueil et d’octroi d’agrément achevée et que commence celle de la
gestion permanente des investissements économiques proprement dite,
une seule administration doit en avoir la charge. Cette étude propose à cet
effet, une gestion unique par l’organe national d’administration et de
gestion des investissements économiques.
Il convient de présenter le statut et la composition (1) ainsi que le
fonctionnement et les missions (2) de l’organe national d’administration et
de gestion des investissements économiques (ONAGIE).
1. Le statut et la composition de l’ONAGIE
L’ONAGIE est une institution administrative placée sous la tutelle
de la chambre de commerce et de l’industrie tout comme le GUIE.
Par ailleurs, il est une institution administrative composée de
plusieurs départements. En fonction des priorités nationales, il peut être
composé par exemple d’un département en charge des investissements
économiques dans le secteur industriel, le secteur agricole, le secteur du
tertiaire, le secteur des matières premières, le secteur des forêts. Ses agents
sont des spécialistes issus de plusieurs métiers et de plusieurs
administrations. Dans ses missions administratives et de gestion,
l’ONAGIE doit pouvoir bénéficier de compétences permanentes dans les
domaines tels que la gestion des contrats complexes, du droit public des

13 MOHAMED OMAR IBRAHIM, La fiscalité de Djibouti : de 1900 à 2000, un siècle


d’évolution, Op. cit., p.504.
559
affaires, du droit international des affaires, du droit international des
investissements, de la fraude et de l’évasion fiscales et douanières, de la
statistique publique, de l’expertise comptable… pour chaque Ministère.
2. Le fonctionnement et les missions de l’ONAGIE
L’ONAGIE est donc une institution d’administration et de gestion
des investissements économiques. Lorsque le travail du GUIE s’achève, il
prend le relais pour assurer le volet administratif (liaison avec les
investisseurs enregistrés), le volet gestion (suivi du respect des
engagements pris par les investisseurs agréés ou non). Les missions de
gestion étant elles-mêmes divisées en deux volets essentiels (un volet
contrôle et volet suivi statistique).
En outre, il est tenu de fournir annuellement des statistiques assez
détaillées et précises sur ses activités d’une part et d’autre part sur un
certains nombres de paramètres propices à l’amélioration des politiques en
faveur des investissements économiques.
En somme, pour parvenir à améliorer notablement leur efficacité
administrative, les Etats africains doivent procéder au recentrage des
administrations en charge de la compétitivité économique de manière
générale. D’une manière plus spécifique, ils doivent procéder au recentrage
des administrations en charge de l’application de la Charte de
développement des investissements économiques. Ceci autour de deux
pôles principaux à savoir, un pôle accueil orientation des investisseurs
assuré par le guichet unique des investissements économiques et un pôle
administration et gestion des investissements économiques assuré par
l’organe national d’administration et de gestion des investissements
économiques.
C. Un office de lutte contre la délinquance économique, financière,
fiscale et douanière
Selon le Conseil des prélèvements obligatoires français, de tous les
délinquants, celui qui fraude le fisc est probablement celui qui bénéficie de
la plus grande mansuétude de la part du grand public. Alors même que la
fraude aux prélèvements obligatoires est certainement le délit qui, en
termes financiers, fait le plus de dégâts et de victimes14.
Il convient de présenter le statut, la composition et les moyens (1),
ses missions (2) et d’autre part, son fonctionnement (3) de l’office de lutte
contre la délinquance économique, financière, fiscale et douanière
(OLCDEFFD).
1. Le statut, la composition et les moyens de l’OLCDEFFD
L’office de lutte contre la délinquance économique, financière,
fiscale et douanière est une institution placée sous la tutelle de la chambre

14Conseil des prélèvements obligatoires, La fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle,
Paris, La documentation française, 2007, p. 1.
560
de commerce et de l’industrie au même titre que le GUIE et l’ONAGIE.
Elle doit être très autonome et indépendante afin de pouvoir agir non
seulement plus librement mais aussi de mieux préserver son niveau
d’efficacité. Elle doit être subdivisée au moins en trois grands pôles
d’enquêtes, d’investigations et de poursuites. Ces Pôles sont des brigades
aux moyens adaptés et modernes, classés comme suit : la brigade de lutte
contre la corruption, la brigade de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale
et la brigade de lutte contre la contrefaçon, la contrebande et la fraude
douanière.
Ainsi, les brigades sont des pôles en charge de la gestion des
infractions dont elles ont la charge. Idéalement, elles devraient être
composées pour la majorité de leurs membres, des cadres issus de la
société civile, des militaires et policiers décorés (à la retraite ou non), du
personnel ecclésiastique, des représentants et dignitaires traditionnels des
diverses ethnies nationales, des magistrats (à la retraite ou non) et autres
cadres ayant fait preuve d’une moralité exemplaire.
Cet effectif est ensuite complété par les agents issus des différentes
administrations en charge de la compétitivité économique, ainsi que des
administrations en charge des secteurs : tertiaire, industriel, forestier,
minier et de l’énergie… Par ailleurs, il demeure important qu’à ce niveau,
des statisticiens puissent participer aux travaux afin de permettre une
meilleure évaluation des données.
Sur les moyens de l’office, comme moyens techniques et financier,
les brigades de l’OLCDEFFD doivent pouvoir compter sur des moyens
de communication et de logistique adaptés aux enjeux. Des moyens
financiers suffisant leur permettant de mener à bien leurs missions aussi
bien au niveau national, régional qu’international. De même que des
moyens leur permettant de former leurs équipes aux techniques
indispensables à l’efficacité de leurs missions. Elles doivent également
bénéficier d’un support technique de premier choix incarné par des
vérificateurs chevronnés et à la pointe des techniques frauduleuses
nationales et internationales. Ces enquêteurs doivent être intègres et
patriotes. Leur rémunération doit être à la hauteur des enjeux afin de les
protéger contre toute tentation de la corruption.
Ensuite, comme moyen administratif et stratégique, au plan
national, les brigades doivent pouvoir bénéficier de mesures facilitant la
coopération entre les Institutions administratives nationales, la
coopération avec les Institutions financières et bancaires et la non-
soumission au secret bancaire. Au plan international, les brigades doivent
pouvoir agir avec l’avec l’appui des conventions ouvrant droit aux mesures
telles que la coopération entre les services de détection et de répression de
la délinquance économique, financière, fiscale et douanière, l’assistance
technique et échange d’informations, l’entraide judiciaire, l’extradition, le
transfèrement des personnes condamnées, le transfert des procédures

561
pénales, des enquêtes et échanges de techniques d’enquête spéciales, les
moyens communs de recouvrement des avoirs frauduleux, etc.
Comme moyen de protection des agents, l’OLCDEFFD doit
pouvoir assurer à ses agents la sécurité15 nécessaire à l’exercice de leurs
missions ainsi que celle des différents témoins dont elle a la charge. C’est-
à-dire être qu’elle doit être dotée d’une véritable capacité à assurer la
protection des témoins, des experts et des victimes, la protection des
personnes qui communiquent des informations indispensables à la réussite
de ses missions.
2. Les missions de l’OLCDEFFD
Il est indispensable que toutes les brigades de lutte contre la
délinquance économique, financière, fiscale et douanière ne soient
composées que d’agents d’enquêtes ayant effectués au préalable une
formation adaptée et le cas échéant, d’un service militaire afin d’acquérir
les valeurs patriotiques, d’endurance, d’effort, de solidarité… Valeurs qui
forgent l’amour et l’attachement pour la patrie et la contribution aux
efforts de développement économique et social. Les enjeux colossaux de
cette lutte justifient largement un tel niveau de combat. Un effort
considéré comme l’unique prix pour redonner aux Etats, les liquidités dont
ils ont besoin pour catalyser l’économie au bénéfice du développement
économique et social.
En outre, cette lutte va contribuer à la création d’un véritable droit
pénal économique, financier, fiscal et douanier et qui s’adapte aux
mutations des sociétés et des comportements. En effet, l’aménagement
d’une telle institution doit impérativement s’accompagner d’un dispositif
pénal adapté de lutte contre les infractions combattues et réprimées par la
loi.
Quoi qu’il en soit, l’OLCDEFFD doit pouvoir travailler en étroite
collaboration avec les services des impôts, des douanes, du commerce, de
l’industrie... en bénéficiant en cas de besoin de l’appui des vérificateurs, de
la statistique disponible ainsi que des données techniques en cours ou
archivées. Elle doit également pouvoir compter sur l’appui des services de
police et gendarmerie (à l’instar des interventions éventuelles sous
protection policière) ou de la justice (mandat d’arrêt, de dépôt, ordre de
saisie, mise sous scellés etc.). Elle aura également besoin d’un soutien
administratif international (coopération administrative avec d’autres pays
dans la lutte contre la délinquance économique, financière, fiscale et
douanière).
3. Le fonctionnement de l’OLCDEFFD
L’OLCDEFFD doit avoir au moins trois départements créés en
fonction des combats à mener. Ces départements sont constitués sous la

15 La sécurité pour eux et les membres de leur famille.


562
forme de brigades : une pour la lutte contre la corruption (a), une pour la
lutte contre la fraude et l’évasion fiscale (b) et une autre pour la lutte
contre la contrefaçon, la contrebande et la fraude douanière (c).
a. Une brigade de lutte contre la corruption
Avant de dresser la liste de quelques missions essentielles de la
brigade de lutte contre la corruption (BLCC), il est important de la
présenter de manière générale.
Présentation générale de la BLCC. Pour rappel, le coût réel de la
corruption est colossal pour l’Afrique. Le 2 septembre 2010, Monsieur
Ban-Ki Moon, Secrétaire général de l’ONU, affirmait : « tous les dégâts causés
par la corruption. Chaque année, plus d’un trillion16 de dollars des États-Unis est volé
ou perdu – argent nécessaire à la réalisation des objectifs du Millénaire pour le
développement »17.
De même selon l’ancien Secrétaire général des Nations Unies Kofi
A. ANNAN, la corruption est un mal insidieux dont les nombreux effets
sont aussi variés que délétères. Elle sape la démocratie et l’état de droit,
entraîne des violations des droits, fausse le jeu des marchés, nuit à la
qualité de la vie et crée un terrain propice à la criminalité organisée, au
terrorisme et à d’autres phénomènes qui menacent l’humanité18.
Ainsi, l’on ne saurait douter du fait que la corruption constitue un
lourd tribut aux gouvernements et aux entreprises. Comme telle, elle a des
répercussions dommageables sur les différents efforts de développement
économique et social entrepris sur le continent. Il est par conséquent
économiquement raisonnable de lutter contre ce fléau. Le succès de la
lutte dépend-il, sans aucun doute, de la bonne gouvernance19. Dans ce
sens, la brigade de lutte contre la corruption pourrait largement contribuer.
Elle serait également en charge de la lutte contre les détournements de
fonds publics.
La BLCC est l’un des pôles de l’institution en charge de la lutte
contre la délinquance économique, financière, fiscale et douanière. Elle est
dotée de pouvoirs spéciaux et est en charge de la prévention, et de la
répression de la corruption20 et autres atteintes à la probité21 dans les
secteurs (aussi bien public que privé).

16 Un trillion étant égale à 10 c’est-à-dire un million de billion (un million de millions).


17 CEA, CCUAC, Lutte contre la corruption, renforcement de la gouvernance en Afrique. Programme
régional pour l’Afrique en matière de lutte contre la corruption (2011-2016), p. 3.
18 Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, Nations Unies, New York

2004, Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, Vienne, Avant-propos, p. iii.
19 CEA, CCUAC, Lutte contre la corruption, renforcement de la gouvernance en Afrique. Programme

régional pour l’Afrique en matière de lutte contre la corruption (2011-2016), citant Paul KAGAME
Président de la République du Rwanda (23 mars 2011), p. 4.
20 La corruption nationale ou internationale.
21 Nous prenons l’exemple de : la soustraction, détournement ou autre usage illicite de

biens par un agent public ; l’enrichissement illicite ; l’abus de fonctions ; le trafic


d’influence ; le blanchiment du produit du crime ; le recel ; la tentative ; etc.
563
L’idée de créer un véritable pôle anti-corruption a été vulgarisée en
2004 au terme de la conclusion par les pays membres des Nations Unies,
de la convention des Nations Unies contre la corruption. En Afrique, la
lutte contre la corruption de date pas cependant de 2004. Dans les années
mille neuf cent quatre-vingt-dix, de nombreux pays africains vont mettre
en place des dispositifs de lutte contre la corruption avec plus ou moins de
succès. Ce qui va se solder par de nombreuses critiques notamment sur
leurs capacités réelles à résorber durablement le problème de la corruption.
Parfois, la mise en place d’un organe de lutte contre la corruption
n’était qu’une formalité destinée à satisfaire les exigences des principaux
bailleurs de fonds22. Si des pays comme le Ghana, le Kenya23, l’Afrique du
Sud24, le Botswana25, l’Ouganda26 (pour ne citer que ceux-ci) ont pris un
avantage certain dans la lutte contre la corruption par rapport aux autres
pays, il n’en demeure pas moins que des efforts encore plus importants
restent à faire.
Cependant, cette exigence n’est pas une création nouvelle. Les Etats
africains devraient dépoussiérer réellement les dispositifs existant et
renforcer leur volonté politique de lutte contre la corruption, en la hissant
au rang qui devrait être le sien en Afrique, à savoir une « urgence d’intérêt
national ». Cette pratique de la lutte contre la corruption par le biais d’une
institution spécialisée (brigade) a été largement vulgarisée par des modèles
ayant fait leurs preuves. C’est le cas notamment du Bureau d’investigation
de pratiques frauduleuses de Singapour (créé en 1952) et de la Commission
indépendante de Hong Kong contre la corruption (mise en place en 1974).
Une chose reste importante à préciser : le rôle de la brigade anti-
corruption ne doit absolument pas remettre en cause celui de la Cour des
Comptes27 ou du Médiateur28, véritables piliers de l’État de droit et de
bonne gouvernance.

22 C’est par exemple le cas en ce qui concerne les programmes obligatoires en faveur de la
bonne gouvernance.
23 Grâce à sa Commission Anti-corruption, qui s’assure du respect de l’application des Lois

en la matière. Au Kenya la lutte contre la corruption remonte à 1956. Le 5 septembre 2011,


le EAC (Ethics and anti-corruption Commission) voit le jour avec comme missions, la
prévention, l’enquête et les poursuites.
24 Avec sa Cellule des investigations spéciales.
25 Avec une Direction pour la lutte contre la corruption et la criminalité économique avec

des missions de répression mais aussi de prévention contre la corruption.


26 Avec un Inspecteur public général chargé de la prévention et de la répression de la

corruption.
27 La Cour des comptes existe en Tunisie ; en Algérie ; en Côte d’Ivoire ; au Maroc ; en

Mauritanie ; au Kenya et en Afrique du Sud (Office of the Auditor-general) ; le Gabon ; etc.


De manière générale, elle est chargée de missions telles que : juger la régularité des comptes
établis par les comptables publics dans les différents services de l’État ; contrôler le bon
emploi et la bonne gestion des fonds publics, y compris dans les organismes non dotés de
comptables publics ; etc. Elle est souvent amenée à travailler en étroite collaboration avec
les pouvoirs (législatif et exécutif).
564
Les missions de la BLCC. Dans sa mission de prévention, elle
assure la mise en place et la promotion des pratiques efficaces visant à
prévenir la corruption et les détournements de fonds publics ; évaluer
périodiquement les instruments juridiques et mesures administratives
pertinentes en vue de déterminer s’ils sont adéquats pour prévenir et
combattre la corruption ; favorisent la participation de la société à la lutte
contre ces fléaux ; assurer la diffusion des connaissances concernant la
prévention de la corruption ; agir en faveur de la prévention et détection
des transferts du produit des infractions à l’étranger...
Ainsi, les brigades de lutte contre la délinquance économiqueauront
une importante mission de prévention basée sur la pédagogie. Une
pédagogie qui doit s’adapter aux différents publics visés. Cette mission
permettra de sensibiliser, informer et moraliser une société parfois en mal
de repères citoyens. Le but ultime étant de sensibiliser sur les bienfaits du
civisme juridique et fiscal.
Toutefois, on peut constater à travers le monde que les organes de
lutte n’ayant eu que de simples missions de prévention n’ont pas toujours
su être à la hauteur de leurs missions de lutte contre la corruption et les
détournements de fonds publics. Ce fut par exemple le cas en Algérie
notamment avec l’Agence nationale pour la prévention et la lutte contre la
corruption, créée en 2006 par la loi n°06 – 01 du 20 février 2006, entrée en
fonction en 2010, et dont les premières véritables actions étaient encore
attendues en 2013.
De plus, la brigade doit pouvoir disposer de véritables pouvoirs
destinés à recouvrer ou contribuer au recouvrement des sommes dues.
Elle pourrait à cet effet, être dotée du pouvoir de geler, saisir et confisquer
quand nécessaire les produits des crimes et délits provenant d’infractions
établies et dont elle à la charge. Ceci lui permettrait d’assurer plus aisément
sa mission de restitution et disposition des avoirs.
Elle a également une mission de répression. Elle est constituée par
les missions d’enquête qui impliquent un véritable pouvoir d’investigation
et d’audition, d’incrimination qui lui octroi le pouvoir d’accusation t aussi
celui de poursuite aussi bien administratives, civiles, pénales
qu’internationales. Dotée d’une véritable autonomie, elle pourra agir
directement en répression avec en sa possession, un véritable pouvoir
d’enquête lui permettant de disposer de suffisamment de moyens et
d’information pour incriminer et poursuivre en justice les contrevenants
présumés.
b. Une brigade de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales
Au regard des données connues sur l’importance de ces fléaux et les
dommages que subissent les Etats mais aussi le climat anti concurrentiel

28 Un Médiateur a été nommé en 2006 au Bénin avec comme missions, contribuer à


l’amélioration de la gouvernance administrative ; promouvoir la réconciliation la paix et
l’Etat de droit.
565
que cela créé, des réformes s’imposent. Pour rappel, « les flux financiers
illicites en provenance du continent ont atteint 854 milliards de dollars US sur la
période allant de 1970 à 2008. Si on y mettait un frein, ces capitaux constitueraient
des ressources financières disponibles pour mettre en œuvre des programmes et projets de
développement nationaux et régionaux »29 diversifiés et indispensables pour le
développement économique et social. Malheureusement, les
administrations fiscales luttent difficilement contre la fraude et l’évasion
fiscales et d’un autre côté, ont beaucoup de mal à recouvrer aussi bien
l’impôt30 que les sommes dues.
En effet, du fait de la faiblesse des salaires des agents des
administrations fiscales africaines, des conditions souvent précaires de
travail (techniques administratives et archivages obsolètes, absence de
systèmes informatisée de gestion et de sauvegarde, etc.) ; du niveau
souvent moyen des compétences professionnelles et techniques (mode de
recrutement souvent contestable ou inadapté, défaut de méritocratie,
absence ou insuffisances de stages ou séminaires de formations des
vérificateurs...) ; ou encore de l’insuffisance de personnel causant une
réelle surcharge de travail pour le vérificateur. Voilà autant de facteurs qui
hélas, facilitent la corruption au sein des administrations fiscales, aggravent
les déficits des Etats, creusent les déséquilibres et découragent
massivement les investissements. D’où la nécessité d’une brigade de lutte
contre la fraude et l’évasion fiscales (BLCFEF).
Présentation générale de la BLCFEF. La brigade de lutte contre
la fraude et l’évasion fiscales (BLCFEF) sera le pôle de l’OLCDEFFD
chargé de traquer les manœuvres illicites et illégales des agents
économiques visant à minorer leurs charges fiscales ou douanières. Elle
aura en charge la détection et la répression des infractions liées à la
soustraction à l’impôt.
Aussi, dorénavant, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales ne
doit plus être assurée par les services de l’administration fiscale comme
c’est le cas encore aujourd’hui. La surcharge de travail, la corruption et la
faiblesse du niveau technique des agents face à ces fléaux obligent à
réformer le dispositif de lutte en faveur de la création d’une brigade plus
autonome et mieux outillée pour assurer ce combat.
La brigade de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales est l’un des
instruments les plus appropriés pour mener ce combat et permettre au
cadre juridique des investissements de jouer pleinement leurs missions en
faveur du développement économique et social. Elle devient, au regard de

29 NEPAD, CEA, Mobiliser les ressources financières intérieures à l’appui de la mise en œuvre des
programmes et projets nationaux et régionaux du NEPAD. – L’Afrique compte sur ses propres
ressources-. NU, 2014, p. 9.
30 M. BAH ALIOU, La fiscalité des pays de la communauté économique des Etats de l’Afrique de

l’ouest (CEDEAO) face à la mondialisation. Thèse, Université de Paris 2 Panthéon-Assas, 2010,


p. 175.
566
ce qui précède, un impératif pour améliorer l’efficacité des outils juridiques
des investissements et renforcer l’attractivité des Etats.
Ainsi, la lutte contre les facteurs et comportements dommageables
que se livrent certains opérateurs économiques et qui entraîne une
concurrence déloyale vis à vis des autres opérateurs, permet d’établir un
climat plus équitable et plus juste, propice au développement des activités
économiques et au renforcement de l’égalité entre opérateurs
économiques.
Les missions de la BLCFEF. Les délits sont très nombreux. Il
s’agit par exemple de l’irrégularité31, de la fraude et de l’évasion fiscale, ou
encore de l’optimisation fiscale32. Il s’agit également de délits en lien avec
l’économie souterraine33. La lutte contre la délinquance économique,
financière, fiscale et douanière doit inévitablement passer par la réduction
de la complexité des opérations fiscales, à laquelle s’ajoutent au moins trois
autres ; à savoir, une notable amélioration de la qualité des services, la
réduction des coûts de gestion des impôts pour le contribuable honnête et
le renforcement du contrôle.
Ses missions sont nombreuses. Elles vont de la détection des
infractions à la soustraction aux impôts et taxes en vigueur ainsi que leurs
répressions administratives et judiciaires (civile et pénale). La brigade de
lutte contre la fraude et l’évasion fiscales enquête sur les dossiers qui ont
fait l’objet d’un signalement de la part de l’administration fiscale (soupçon
de fraude fiscale) ou après un signalement par une administration
étrangère partenaire. Elle est dotée de moyens d’investigations
conséquents lui permettant d’assurer des filatures, écoutes, perquisitions,
etc. En France par exemple, la loi du 6 décembre 2013 a étendu le champ
de compétence de la brigade nationale de répression de la fraude fiscale
(BNRDF)34 au délit de blanchiment de fraude fiscale complexe.

31 L’irrégularité fiscale « regroupe l’ensemble des cas où le contribuable n’a pas respecté ses obligations,
qu’il ait agi de façon volontaire ou involontaire, de bonne foi ou de mauvaise foi », Conseil des
prélèvements obligatoires, La fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle, Paris, La doc.
française, 2007, p. 2.
32 La fraude « suppose un acte intentionnel de la part du contribuable, décidé à contourner la loi pour

éluder le paiement du prélèvement » p. 2. L’évasion fiscale est « l’ensemble des comportements du


contribuable qui visent à réduire le montant des prélèvements dont il doit normalement s’acquitter » p. 3.
L’optimisation « concerne les cas où le contribuable parvient volontairement à minorer le montant d’impôt
ou de cotisation qu’il aurait dû payer s’il n’avait pas eu recours à l’optimisation, sans pour autant violer la
loi ou se soustraire à ses obligations en matière de prélèvements obligatoire » (Ibid. p. 3).
33 L’économie souterraine « regroupe l’ensemble des activités légales mais non déclarées

aux administrations en charge du recouvrement des prélèvements obligatoires ainsi que


l’ensemble des activités illégales qui génèrent des revenus dans l’économie », (Eod. loc. p. 4).
34 La BNRDF dite police fiscale est un service de police judiciaire dédié à la lutte contre la

fraude fiscale. Elle est composée d’une quarantaine d’enquêteurs dont plus de la moitié
sont issus de l’administration fiscale. Ils ont reçu au terme d’une formation et d’une
habilitation spécifique la qualité d’officiers fiscaux judiciaires. A sa tête, est affecté un
commissaire de police.
567
On l’a compris, les missions de la brigade de lutte contre la fraude
et l’évasion fiscale doivent non seulement, être préventives et répressives
mais aussi dissuasives. La brigade doit également pouvoir agir en
recouvrement grâce à un pouvoir de geler, confisquer ou saisir les avoirs
des contrevenants.
Ainsi, pour améliorer les choses, le Conseil des prélèvements
obligatoires français fait des propositions très pertinentes qui méritent
d’être relevées. En matière de prévention des irrégularités les propositions
n°1 et 2 sont les suivantes ; « procéder tous les trois ans…a une évaluation globale
de l’irrégularité et de la fraude fondée sur une méthode statistique fiable […] Mesurer le
niveau de complexité du système de prélèvement obligatoire en mettant en place des
mesures des coûts du respect des obligations fiscales et sociales, puis en construisant sur
cette base un indice synthétique de complexité des prélèvements obligatoires »35. En
matière de dissuasion et de sanction, sa proposition n°16 apporte une
véritable action concrète et est énoncée comme suit : « mener une politique de
communication plus active dans le domaine de la fraude en lançant des campagnes
nationales de sensibilisation sur les effets négatifs de ces comportements et en ayant une
présence plus soutenue dans les médias sur la politique de contrôle, les sanctions infligées
et les risques de fraude »36.
Face à ces délits, les Etats africains ne peuvent agir seuls de manière
efficace. Ils ont besoins de s’inscrire dans des logiques partenariales de
lutte. Ceci implique que soient fixés des objectifs précis à même d’établir
une véritable coordination en matière de coopération et de suivi politique
destiné à améliorer la lutte mais aussi à renforcer les responsabilités
réciproques entre Etats partenaires ; que les échanges soient rendus aisés
grâce à des outils adaptés tels que des outils informatiques ; soit enfin de
« mettre en place une structure d’alerte et d’échange de renseignements »37 entre Etats
partenaires.
En fin de compte, les missions de la BLCFEF doivent aboutir à une
action dissuasive profonde à l’encontre des comportements économiques
frauduleux dans leur ensemble, ce qui inclut l’économie souterraine. Citant
R. DODD, le Professeur M. BOUVIER rappelle que l’économie
souterraine « regroupe toutes les activités dont les revenus ne sont pas déclarés, d’une
part pour échapper à l’imposition trop élevées des revenus, d’autre part pour pouvoir
bénéficier de certains avantages »38.

35 Conseil des prélèvements obligatoires. La fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle.
Op. cit., p. 258.
36 Ibid. p. 260.
37 Eod. Loc. p. 253.
38 M. BOUVIER, Introduction au droit fiscal général et à la théorie de l’impôt, Paris, LGDJ, 2016,

13ème édition, p. 196.


568
c. Une brigade de lutte contre la contrefaçon, la contrebande et la
fraude douanière
Face à l’explosion de la contrebande, de la contrefaçon et de la
fraude douanière constatées vers la fin des années 90 (et hélas toujours
incontrôlables à ce jour), les Etats africains doivent prendre des mesures
encore plus importantes. Ces fléaux ont été pour beaucoup dans l’échec
des dispositifs juridiques en faveur de l’industrie de manufacture. D’où
l’importance d’une brigade de lutte.
Il convient de faire une présentation générale de la brigade de lutte
contre la contrefaçon, la contrebande et la fraude douanière (BLCCCFD)
d’une part avant de préciser d’autre part quelles sont ses missions.
Présentation générale de la BLCCCFD. Elle est un autre
département de l’office de lutte contre la délinquance économique,
financière, fiscale et douanière (OLCDEFFD). Cette structure doit
pouvoir recevoir des dossiers de signalement de la part des services
fiscaux, de la douane (terrestre, aérienne et maritime), des services des prix
et de la consommation. Elle doit également pouvoir recevoir des
signalements ou des plaintes déposées par des entrepreneurs ou des
entreprises qui se considèrent en concurrence déloyale face à un ou
plusieurs concurrents directs ou indirects. Cette brigade doit enfin pouvoir
recevoir des dénonciations anonymes d’entreprises ou d’agissements
répréhensibles au regard de ces trois infractions.
C’est pourquoi il est important de mettre sur pied une brigade dont
les missions et les moyens seront de nature à faciliter l’application des
textes en vigueur. Ceci afin qu’à court et moyen terme, on puisse observer
un véritable recul des infractions combattues. L’existence de cette brigade
va ainsi permettre de rassurer les investisseurs intéressés par des projets
initialement impactés par ces fléaux.
Les missions de la BLCCCFD. Pour mieux comprendre ses
missions, il est important de définir les différentes infractions dont elle a la
charge de la lutte. Tout d’abord, la fraude douanière. Elle peut être
entendue comme la démarche visant la substitution totale ou partielle des
droits et taxes d’importation ou d’exportation. Ensuite, la contrebande.
Elle peut être entendue comme la démarche visant l’Introduction
clandestine de marchandises illégales voire illicites ou soumises au
paiement de droits de douane dans un Etat donné. Enfin la contrefaçon.
Selon l’INSEE39 en France, la « contrefaçon se définit comme la reproduction,
l'imitation ou l'utilisation totale ou partielle d'une marque, d'un dessin, d'un brevet,
d'un logiciel ou d'un droit d'auteur, sans l'autorisation de son titulaire, en affirmant ou
laissant présumer que la copie est authentique »40.

Institut international de la statistique et des études économiques.


39
40 http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/contrefacon.htm
Consulté le 28/01/2016.
569
Concernant la contrefaçon de marque, aux termes des travaux du
Comité COLBERT41, tombent sous son coup, les agissements tels que
l’apposition d’une marque cherchant à créer un risque de confusion dans
l’esprit du public ; l’usage d’une marque sans l’autorisation de son
propriétaire ; la substitution de produits ; la reproduction frauduleuse de la
marque sur un produit qui n’est pas fabriqué par cette marque ; ou encore
l’imitation totale ou partielle de la marque d’autrui42.
Afin de donner un espoir de réussite au combat contre ces fléaux,
les Etats doivent mettre en place une véritable brigade de lutte en charge
du démantèlement, de la répression et de la dissuasion de ces infractions.
Ainsi, en cas de soupçon, la BLCCCFD peut le cas échéant prendre
plusieurs mesures conservatoires de rappel ou de mise en quarantaine des
produits incriminés. Elle doit pouvoir travailler en étroite collaboration
avec les services de la douane. Une coopération aussi bien administrative
que technique (des agents chevronnés de la douane devant être intégrés à
la brigade).
D’une manière générale, en Afrique, les entreprises de substitution
aux importations et exportations sont nombreuses. Elles créent un
contexte de déséquilibre permanent entre les investissements
régulièrement soumis aux droits de porte (ainsi qu’aux droits et taxes sur
les intrants pour les importations). Ce déséquilibre anti concurrentiel
affaiblit l’attractivité économique d’un Etat. En effet, en matière
d’importation par exemple, plus la fraude est importante et la taxation des
intrants forte, plus la protection réelle des entreprises locales est réduite43.
C’est pourquoi, la lutte contre la délinquance économique, financière,
fiscale et douanière est un préalable indispensable à l’efficacité du cadre et
des outils juridiques des investissements économiques. Pour permettre au
développement économique et social de véritablement et durablement de
se développer, les Etats africains doivent de manière plus engagée et plus
efficace, afficher leur volonté politique pour la lutte contre ces
agissements. Ainsi, l’amélioration de cette lutte permettra aux Etats
africains qui souhaitent réellement émerger de se doter d’outils juridiques
suffisamment dissuasifs et qui vont assainir véritablement le climat délétère
qui jusqu’ici abîmait les efforts en matière d’investissements économiques.
A cette réforme primordiale, s’ajoute celle destinée à la protection et
à la promotion des investissements. Deux actions qui concourent au

41 Le Comité COLBERT a été créé en 1954 sous l’impulsion de Jean-Jacques Guerlain et


rassemble les maisons françaises de luxe et des Institutions culturelles. Il participe
activement à la lutte contre la contrefaçon en Europe.
42 Comité COLBERT, La contrefaçon – notions essentielles.
http://www.comitecolbert.com/assets/files/paragraphes/fichiers/19/contrefa %C3
%A7on_notions %20essentielles.pdf, consulté le 07/07/2016.

43 M. BAH ALIOU, La fiscalité des pays de la communauté économique des Etats de l’Afrique de
l’ouest (CEDEAO) face à la mondialisation, Thèse doctorat en droit, Université de Paris 2,
2010, p. 110.
570
rehaussement de l’attractivité économiques de l’Etat, indispensable aux
investissements productifs et bénéfiques pour les Etats et les populations.
D. Un organe national de contrôle et d’évaluation des
investissements économiques
Dans un premier temps, il convient de présenter le statut, la
composition et le fonctionnement (1) de l’organe national de contrôle et
d’évaluation des Institutions de pilotage des investissements économiques
(ONCEIPIE), puis dans un second temps, ses missions (2).
1. Le statut, composition et fonctionnement de l’ONCEIPIE
L’ONCEIPIE est une autorité administrative indépendante c’est-à-
dire qui ne sera soumise à aucun lien hiérarchique avec une institution
administrative classique telle qu’un ministère. C’est un organe collégial et
comme toute autorité administrative indépendante, il se veut et se doit de
jouir d’une large indépendance vis-à-vis du gouvernement. Ce statut lui
permet de préserver davantage son autonomie vis-à-vis de la chambre de
commerce et de l’industrie dont dépendent les principales Institutions de
pilotage des investissements économiques que sont : le GUIE, l’ONAGIE
et l’OLCDEFFD.
Dès lors, l’organe de contrôle et d’évaluation sera une structure
externe mais de caractère administratif qui sera placée sous la tutelle
directe de la cour des comptes. Ceci visant à éviter la création d’une
institution inutile ou inerte et ainsi garantir un meilleur niveau de réussite
dans le contrôle et l’évaluation des actions administratives des IPIE44,
l’ONCEIPIE doit pouvoir jouir d’une grande autonomie, loin de la
gangrène des circuits administratifs qui abîment la crédibilité de la
structure administrative aussi bien verticale (structure hiérarchique)
qu’horizontale (relation directe avec les investisseurs). C’est la raison pour
laquelle cet organe doit être autonome et placé sous la tutelle de la Cour
des Comptes.
Donc, ce rattachement à la Cour des Comptes a un intérêt certain.
Rappelons brièvement que la Cour des comptes est une juridiction
administrative disposant d’au moins quatre fonctions qui légitiment ce
rattachement. Premièrement, c’est elle qui a la lourde charge de
l’appréciation de la régularité des comptes publics. Deuxièmement, c’est
elle qui a la charge du contrôle du bon usage des fonds publics et
parapublics. Elle clôture des travaux annuels par la publication de son
rapport. C’est la publication de ses conclusions sur la gestion des comptes
publics. Troisièmement, c’est elle qui procède à la certification de la
régularité et de la fidélité des comptes de l’Etat. Quatrièmement, elle
contribue à la vérification du respect de l’application des lois notamment
des lois de finances. Toutes ces actions participent activement à sa

44 IPIE : Institutions de pilotage des investissements économiques.


571
participation au contrôle de l’action des Institutions administratives et fait
d’elle, une bien meilleure administration de tutelle.
L’ONCEIPIE doit pouvoir bénéficier du soutien technique du
Parlement, de la Cour des comptes ainsi que de nombreux experts
extérieurs à l’administration. Des expertises indispensables dans des
domaines du contrôle administratif, de la comptabilité publique, de l’audit
interne et externe, de l’économie, de la statistique, de la législation interne
et internationale sur les investissements économiques…
Ainsi, la force que le Parlement va impulser au sein de l’ONCEIPIE
va lui permettre premièrement d’assoir plus efficacement des missions
d’information et d’investigations. Deuxièmement, de bénéficier d’une
grande capacité à évaluer les politiques et stratégies publiques en matière
d’investissements économiques afin de maîtriser les attentes qui découlent
de leurs missions.
2. Les missions de l’ONCEIPIE
Avant tout développement, à ce stade, il est important de présenter
la différence entre les deux principales missions de l’organe de contrôle et
d’évaluation que sont logiquement le contrôle et l’évaluation de l’action
publique des IPIE. D’une manière générale, « le contrôle et l’audit se réfèrent à
des normes internes au système analysé (règles comptables, juridiques, ou normes
fonctionnelles), tandis que l’évaluation essaye d’appréhender d’un point de vue
principalement externe les effets et/ou la valeur de l’action considérée »45. Pour sa
part, l’évaluation va s’accompagner de plusieurs actions allant de la
recherche et de l’analyse des informations, données et pratiques, du
contrôle de l’application des textes et du fonctionnement des
administrations de pilotage des investissements économiques, et de l’audit
interne de normes fonctionnelles et organisationnelles.
L’organe de contrôle et d’évaluation dispose de plusieurs missions
essentielles, à savoir le contrôle (a), l’évaluation (b) ainsi que la mission de
sanction et de proposition (c).
a. L’ONCEIPIE et le contrôle des investissements économiques
Le contrôle des investissements économiques passe également par
celui de l’action administrative et peut revêtir plusieurs formes. Toutefois,
deux grandes catégories de contrôle ont un plus grand impact. Le contrôle
juridictionnel (incarné par la justice administrative) et le contrôle non-
juridictionnel (qui peut être interne46 ou externe47 et non pratiqué par un

45 Conseil scientifique de l’évaluation. Petit guide de l’évaluation des politiques des politiques
publiques, Paris, La documentation française, 1996, p. 11.
46 Généralement le contrôle interne peut être hiérarchique, financier ou d’un corps

administratif d’inspection tel qu’une direction ou une sous-direction de contrôle au sein


d’une institution ministérielle.
47 En France par exemple le contrôle externe revêt au moins deux formes. Une forme

politique et une forme administrative. Le Parlement exerce un contrôle politique externe


572
juge). Ainsi, le contrôle est indispensable au moins pour trois raisons.
D’une manière générale, le contrôle va servir à veiller au respect du droit
par les Institutions administratives et garantir l’État de droit.
L’administration peut s’appuyer à cet effet sur des Institutions de sages
telles que le Conseil d’État et la Cour des comptes. Celles-ci, dans la
plupart des pays développés, jouent un rôle actif de conseillères de l’Etat et
de ses administrations. Plus spécifiquement, le contrôle va permettre de
veiller au respect du cadre juridique planifié afin de faciliter l’évaluation de
l’efficacité des mesures prises en l’occurrence les dispositifs en vigueur en
faveur des investissements économiques.
Plus concrètement, la mission de contrôle exprime le besoin d’une
recherche d’efficacité et de protection des investissements économiques.
Une logique d’efficacité qui permet de s’assurer par exemple de la
concordance indispensable entre le fonctionnement des Institutions de
pilotage des investissements économiques avec d’une part l’ensemble du
dispositif juridique en vigueur et d’autre part la gestion des relations entre
différentes Institutions en charge dudit pilotage. Ensuite, une logique de
protection des investisseurs contre d’une part, l’arbitraire administratif et
d’autre part, d’éventuelles mauvaises applications des dispositifs juridiques
en vigueur.
A cet effet, l’ONCEIPIE va veiller au respect des compétences
respectives des différentes Institutions de pilotage des investissements
économiques. Et s’assurer que la relation entre les Institutions de pilotage
et les investisseurs (effectifs ou potentiels) est sainement et efficacement
entretenue, aussi bien au niveau de l’accès aux informations que des
prestations attendues par ces derniers.
b. L’ONCEIPIE et l’évaluation des investissements économiques
L’évaluation est une entreprise d’expertise visant à déterminer le
niveau d’efficacité des dispositifs juridiques et institutionnels (leur degré
d’applicabilité, d’adaptabilité et de rentabilité). Elle permet également de
transmettre des données fiables destinées à améliorer la Charte de
développement des investissements économiques ; Charte qui pourrait de
ce fait proposer des dispositifs toujours plus en adéquation avec la réalité
du contexte socio-juridique, socio-économique et socio-politique. Tout
d’abord, le volet socio-juridique va permettre d’aller au-delà de
l’application de la règlementation, en permettant l’étude précise des
nombreux phénomènes juridiques ainsi que les pratiques réelles des
différents acteurs du champ juridique (investisseurs, administration,
gouvernement…). Ensuite, le volet socio-économique va permettre de
mieux comprendre et expliquer les différents intérêts économiques
antagonistes ou non et qui composent la structure économique du pays.
Enfin, le volet socio-politique va permettre de mieux appréhender les

sur l’action administrative et le Défenseur des droits assure pour sa part, un contrôle
administratif externe de l’action administrative.
573
rapports entre les différents acteurs juridiques des investissements (les
investisseurs, les chefs d’entreprises et l’Etat et ses Institutions de pilotage
des investissements économiques).
En outre, « l’évaluation des politiques publiques vise donc à rechercher des
liens de causalité entre des objectifs initialement poursuivis par une politique publique et
ses effets »48
L’évaluation des d’investissements économiques doit avoir trois
dimensions obligatoires.
Premièrement, une dimension dite cognitive. Ici, l’évaluation va
dans un premier temps, chercher à savoir si tous les moyens (juridiques,
administratifs, techniques, financiers…) mis en place, permettent
finalement d’atteindre l’objectif initial à savoir la réalisation effective et
totale des politiques d’investissement économique. Ainsi, « l'évaluation d'une
politique publique au sens du présent décret a pour objet de rechercher si les moyens
juridiques, administratifs ou financiers mis en œuvre permettent de produire les effets
attendus de cette politique et d'atteindre les objectifs qui lui sont assignés »49.
Deuxièmement, une dimension dite normative. C’est-à-dire qui
aboutit sur des conclusions faites sous forme d’appréciation voire de
jugement. Ainsi, dans l’un de ses rapports, P. VIVERET précisait qu’«
évaluer une politique publique et plus largement toute forme d’action publique, qu’il
s’agisse de programmes, de législations, de services, d’Institutions, c’est émettre un
jugement sur la valeur de cette action »50. Ainsi, « l’évaluation va donc se baser
principalement sur des enquêtes de terrain auprès des cibles bénéficiaires et des
partenaires de l’action pour comprendre le pourquoi des choses, déterminer les facteurs de
succès et d’échecs de l’action et in fine porter un jugement de valeur sur l’action
menée »51.
Troisièmement, une dimension dite instrumentale. A ce niveau,
« l’évaluation doit contribuer à l’amélioration des programmes et déboucher directement
sur des décisions d’amélioration de prolongation ou d’arrêt de l’intervention publique »52,
de la stratégie ou des dispositifs jusque-là en vigueur.
c. L’ONCEIE et les pouvoirs de sanction et de proposition
Dans ses missions, au moins un pouvoir et un devoir se dessinent
au profit de la réussite de ses missions. Il s’agit d’un pouvoir de sanction et

48 D. VOLLET, F. HADJAB, Manuel de l’évaluation des politiques publiques. Editions Quae,


Versailles, 2009, p. 13.
49 Art. 1 du Décret n° 90-82 du 22 janvier 1990 relatif à l'évaluation des politiques

publiques. République française.


50 P. VIVERET, L'évaluation ' des politiques et des actions publiques. Rapport au Premier

ministre. La documentation française, Paris, Collection des rapports officiels, juin 1989, p.
25.
51 E. PLOTTU, L’évaluation des politiques publiques. ADEME. Journées Planification déchets

nouveau cadre juridique et conséquences pratiques, Nov 2010, France, p. 1. <hal-


01064060>.
52 D. VOLLET, F. HADJAB, Manuel de l’évaluation des politiques publiques. Op. cit., p. 20.

574
d’un devoir de règlementation. Deux impératifs destinés à permettre une
meilleure réalisation des objectifs qui sont les siens.
En effet, pour permettre à l’ONCEIPIE de maximiser l’efficacité
dans la réalisation de ses objectifs, il doit voir ses missions déboucher sur
un pouvoir de sanction. Par exemple, il peut contraindre les Institutions de
pilotage des investissements à suivre leur feuille de route, c’est-à-dire
l’ensemble des procédures légales prévues et qui guident leurs décisions. Il
va procéder à la mise en œuvre de sanctions administratives en cas de non-
respect de ladite feuille de route.
Aussi, en cas de non-respect dans la gestion des dotations
budgétaires allouées dans le cadre du pilotage des investissements
économiques, l’ONCEIPIE peut procéder à la mise en place de sanctions
après une reddition des comptes et une obligation de rendre compte de
manière périodique. Une telle pratique va accroître l’efficacité des
Institutions de pilotage sous l’impulsion de l’ONCEIPIE.
Outre le devoir d’accomplir ses missions avec efficacité et célérité,
l’ONCEIPIE a une obligation de proposition. En effet, sa mission telle
que l’évaluation va permettre de se doter d’outils à même de constituer
une véritable aide à la décision publique en matière d’investissements
économiques. Des outils indispensables pour l’amélioration du cadre
juridique des investissements économiques. Elle va ainsi permettre une
optimisation d’un ensemble de ressources et de moyens notamment
financiers ou techniques.
Plus encore, elle va d’une part, permettre l’amélioration du bon
fonctionnement de la gestion administrative grâce à un accroissement de
l’efficacité des Institutions de pilotage des investissements économiques.
Une amélioration du fonctionnement et des missions des Institutions
d’accueil, de gestion de protection et de promotion des investissements
économiques peut être fait par le biais du contrôle et de l’évaluation mise
en place. Ensuite, elle va permettre l’amélioration des dispositifs juridiques
en faveur des investissements économiques et aussi permettre d’accroître
l’efficacité des mesures énoncées par la Charte de développement des
investissements économiques. Par exemple en s’assurant de la conformité
dans l’application des dispositions juridiques (prévues par la Charte de
développement des investissements ainsi que les plans stratégiques de
développement des investissements économiques) par les Institutions
compétentes.
A la fin, l’ONCEIE doit être en mesure d’apporter à l’Etat, des
réponses précises aux questions suivantes qu’il est en droit de se poser et
pour lesquels il a créé l’ONCEIE. Qu’est-ce qui est bien fait et comment
consolider les réussites ? Qu’est-ce qu’on n’a pas pu faire et pourquoi ?
Identifier les échecs et rechercher leurs causes en vue d’y apporter les
solutions adéquates. De même, grâce à son évaluation l’ONCEIE aura une
véritable opportunité pour questionner le bien fondé des objectifs en eux-
mêmes (non seulement les objectifs de ses propres missions, les objectifs

575
des outils juridiques mis en place et plus globalement, les objectifs des
investissements économiques).
Ainsi, le contrôle et l’évaluation des Institutions de pilotage des
investissements économiques auront permis d’améliorer voire d’établir une
cohérence dans l’élaboration et l’exécution des outils juridiques des
investissements économiques ; un niveau optimal de réalisation des
objectifs initialement assignés aux politiques et stratégies mises en place en
matière d’investissements économiques notamment à travers la CDIE ; un
niveau d’efficacité des effets propres des dites politiques c’est-à-dire
déterminer s’ils ont été conformément aux objectifs initialement fixés ; un
niveau d’efficience des ressources humaines et financières ; une bonne
gestion des ressources financières qui ont été mises à disposition pour
permettre l’exécution des politiques d’investissement économique ; un
impact général des dites politiques sur les investisseurs et le volume des
investissements ; une capacité des dites politiques à résoudre les problèmes
liés au développement économique et social car une « politique sera dite
pertinente si ses objectifs explicites sont adaptés à la nature de (des) problèmes qu’elle est
censée résoudre ou prendre en charge »53.
En définitive, « la réalisation d’une politique de planification à moyen terme
suppose une direction et une centralisation qui resteraient illusoires sans un contrôle
étroit de l’Etat sur les services administratifs, sur les agents économiques, et en
particulier sur les organismes économiques […] Ce contrôle s’impose d’autant plus que
ceux-ci occupent le plus souvent une place de choix dans des domaines qui sont autant de
secteurs-clés de la vie économique et jouet de ce fait un rôle pilote dans la politique de
développement, dont les répercussions sur l’ensemble du secteur privé concurrentiel ne
saurait être négligé »54.
Toutefois, pour garantir davantage la réussite des missions de
contrôle et d’évaluation, les Etats doivent prendre plus au sérieux la
question du niveau d’expertise requis pour de telles fonctions. Cette
exigence impose que des moyens soient déployés dans la formation des
cadres en charge du contrôle et de l’évaluation afin que cet impératif ne
soit plus confié à des experts extérieurs et parfois étrangers.
II. Des Institutions de protection et de promotion des
investissements économiques en Afrique
Indéniablement, les Institutions de protection55 et de promotion des
investissements économiques sont deux Institutions qui participent

53 Conseil scientifique de l’évaluation. Petit guide de l’évaluation des politiques des politiques
publiques. Op. cit., pp. 13-14.
54 J-M. BRETON, Le contrôle d’Etat sur le continent africain : contribution à une théorie des contrôles

administratifs et financiers dans les pays en voie de développement, op. cit., pp. 26-27.
55 « Par règle de protection, on entend ici l’ensemble des règles, de droit interne ou de droit international, qui

préviennent ou sanctionnent les atteintes publiques à l’existence de l’investissements international », p. 438,


Ainsi, la protection des investissements peut être entendu comme « l’ensemble des principes et des règles, de
droit international comme de droit interne qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher ou de réprimer toute
576
activement au renforcement de l’attractivité économique d’un Etat. Elles
contribuent à l’augmentation du volume des investissements économiques
lorsqu’elles sont bien outillées pour assurer leurs missions souvent
complexes ou rendues complexes. Elles renforcent l’efficacité du cadre
juridique en lui apportant notamment une crédibilité supplémentaire et
indispensable.
Il convient de présenter la commission de négociation et
d’amélioration de la protection des investissements économiques (A) Ainsi
que l’agence de promotion des investissements économiques (B).
A. Une commission de négociation et d’amélioration de
la protection des investissements économiques
La présentation générale de la commission de négociation et
d’amélioration de la protection des investissements économiques
(CNAPIE) passe par son statut et sa composition (1), mais aussi par son
fonctionnement (2) et ses missions (3).
1. Le statut et la composition de la CNAPIE
La CNAPIE doit être une commission mixte placée sous la tutelle
conjointe de l’ensemble des Institutions de la compétitivité économique de
l’Etat. Il s’agit notamment du ministère de l’économie et des finances, du
ministère des relations extérieures et du ministère du commerce et de
l’industrie… Le ministère des relations extérieures assure une véritable
protection diplomatique des investissements économiques étrangers. En
effet, « la protection diplomatique semble par nature tout indiquée pour assurer la
protection des personnes privées aux prises avec l’Etat dont elles n’ont pas la
nationalité »56. De plus, plusieurs décisions de la Cour Internationale de
Justice des Nations Unies illustrent l’importance de cette protection
diplomatique57.
Pour une meilleure optimisation du rôle de la CNAPIE, elle doit
être composée de négociateurs juridiques, de spécialistes du droit
international des investissements, des spécialistes des contrats
internationaux, du droit public des affaires, du droit économique, du droit
du développement économique et social, des juristes spécialisés de la
gestion juridictionnelle et arbitrale des différends en matière
d’investissements économiques.

atteinte publique à l’existence ou à la consistance de l’investissement international », D. CARREAU, P.


JUILLARD, Droit international économique, Paris, Dalloz, 2005, 2ème édition, p. 469.
56 A. NANTEUIL, Droit international de l’investissement, Paris, A. Pedone 2014, p. 13.
57 A ce propos, voir les décisions suivantes : Arrêt du 27 juin 2001, affaire Lagrande

(Allemagne c. Etats-Unis) ; Arrêt du 31 mars 2004, affaire Avera et autres ressortissants


mexicains (Mexique c. Etats-Unis) ; Arrêt sur les exceptions préliminaires du 14 mai 2007,
affaires Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République Démocratique du
Congo) ; arrêt du 30 novembre 2010, et l’arrêt sur l’indemnisation du 19 juin 2012.

577
2. Le fonctionnement de la CNAPIE
Afin de mener à bien ses missions, la CNAPIE doit pouvoir
compter sur un aménagement d’un cadre relationnel adapté unissant la
commission à toutes les Institutions en charge de la compétitivité
économique de l’Etat ainsi que les instances juridictionnelles et non
juridictionnelles (internes et internationales) en charge de la gestion des
différends en matière d’investissements économiques.
En outre, elle aura en charge la coordination générale des actions
administratives et de la diplomatie économique et participera dès lors à la
promotion des investissements économiques nationaux et internationaux
et la négociation ou renégociation des conventions, traités et accords de
promotion et de protection des investissements.
3. Les missions de la CNAPIE
Les missions de la CNAPIE sont nombreuses. Il s’agit des missions
de protection classique des investissements économiques (a) ou encore des
missions plus novatrices dans la négociation des traités et conventions
d’investissements (b).
a. Les missions de protection classique des investissements
économiques
Les missions de la CNAPIE sont nombreuses et participent toutes,
au renforcement de l’attractivité de l’Etat. Ces missions sont aussi bien
préventives que curatives.
D’une manière générale, par protection des investissements
économiques, on entend l’ensemble des dispositifs de droit interne et
international, ayant pour but de neutraliser ou de réprimer les atteintes
publiques dont serait victime un investisseur ou des investissements.
Quoi qu’il en soit, la CNAPIE aura pour mission générale de :
concevoir les principaux axes de négociation et renégociation du cadre
juridique destiné à la protection des investissements économiques ;
contribuer au renforcement de la cohérence entre les traités bilatéraux ou
multilatéraux d’investissements ; œuvrer pour la réduction des
déséquilibres créés entre investisseurs protégés par dans le cadre d’une
convention de droit international et ceux qui en sont exclus. Ceci passe par
la participation à la construction d’un cadre juridique de protection de
droit interne plus adapté à cette différence de traitement ; œuvrer pour une
parfaite concordance entre la protection des investissements économiques
en droit international et la protection des investissements en droit interne ;
participer à l’amélioration des négociations en vue d’un marché commun
africain ; participer à l’élaboration d’un véritable cadre de libre-échange
équitable (c’est-à-dire qui préserve les intérêts juridiques et économiques
des Etats africains) ; contribuer au renforcement des instruments de

578
protection contre les « aléas judiciaires »58 ; veiller au respect des règles en
vigueur en matière de transfert de fonds, d’expropriation… ; ou encore,
participer aux travaux sur le maintien de la paix. (Une paix indispensable
aux affaires économiquement et socialement rentables.
Dans tous les cas, la CNAPIE participe à l’élaboration de
partenariats qui participent à l’amélioration de la protection des
investisseurs et des investissements (étrangers et nationaux) ainsi qu’à la
sauvegarde de l’intérêt national dans les relations avec les tiers. De même,
elle aura à cœur d’œuvrer à la mise en place de normes proposant plus de
stabilité fiscale dans le droit des investissements.
b. Les missions novatrices dans la négociation des traités et
conventions d’investissements
Dans la logique d’un plus grand réalisme et d’une plus grande
sauvegarde des intérêts économiques et sociaux africains, les Etats
gagneraient à proposer des traités et conventions capables de porter de
telles aspirations tout en maintenant un haut niveau d’attractivité des
investissements économiques nationaux et étrangers. En effet, le niveau de
développement économique et social assez faible voire très faible pour
bon nombre d’Etats africains, justifie largement une prise en compte non
seulement de ce besoin ardent mais aussi de la différence réelle de
politiques économiques et fiscales mises en place par chaque Etat
signataire d’un traité ou d’une convention d’investissements (bilatérale ou
multilatérale).
Afin de permettre à chaque Etat de sauvegarder une fraction
considérable de sa liberté dans l’élaboration de politique d’admission des
investissements internationaux, la CNAPIE va œuvrer par « la recherche
d’une meilleure adéquation entre la protection des droits des investisseurs étrangers et la
préservation des droits souverains »59 de l’Etat récepteur de l’investissement.
Ceci passe par réduction du recours à certaines clauses et pour certaines
autres, à leur suppression pure et simple.
Ainsi, les missions novatrices de la CNAPIE résident dans sa
capacité à ouvrer pour la suspension du recours à la clause de la nation la
plus favorisée) ou encore la modération du recours de la clause de
traitement national. Toutefois, de nombreuses autres actions en faveur des
négociations seront abordées.
La CNAPIE et la suspension du recours à la clause de la
nation la plus favorisée. Ainsi, il serait recommandé d’éviter l’usage de la
clause de la nation la plus favorisée ou la clause de l’égalité de traitement
des investisseurs étrangers60. Car des difficultés trop importantes sont

58 Une contribution pouvant permettre l’amélioration de l’arbitrage.


59 F. OSMAN, Vers une lex mediterranea des investissements. Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 45.
60 La clause de la nation la plus favorisée est un principe porté par le GATT et l’OMC et

qui permet à un investisseur étranger de demander à l’Etat d’accueil, le droit de bénéficier


d’un avantage plus favorable accordé par cet Etat à un autre investisseur. Selon l’OMC, les
579
survenues dans son champ d’application comme le confirment au moins
deux sentences arbitrales notamment les cas Emilio Agustín Mafezzini c.
Kingdom of Spain (affaire n°ARB/97/7)61 du 25 janvier 2000 ou encore
Suez, Société générale c. Argentine (affaire n°ARB/03/17 de la CIRDI du
30 juillet 2010 §121). Malgré les solutions jusqu’ici proposées62, il est
souhaitable que les Etats africains, grâce aux négociations effectuées par
leur CNAPIE, réussissent à l’exclure des traités et conventions des
investissements à conclure.
S. MANCIAUX aide à mesurer la dangerosité de cette clause pour
les Etats africains lorsqu’il indique qu’« insérer une clause de NFP dans un traité
multilatéral régional volontairement novateur t plus favorable aux Etats que les autres
traités sur les investissements en vigueur provoquerait inévitablement l’implosion de ce
traité. Lors de la survenance d’un différend, tout investisseur insatisfait des nouvelles
normes de ce traité – par hypothèse moins favorable à son égard – pourrait se prévaloir
de cette clause pour « importer » d’un autre traité (auquel l’Etat défendeur serait partie)
la norme plus « traditionnelle » qu’il souhaite voir appliquer »63. Sur la base de ce
constat, il conclut que « le futur traité méditerranéen […] serait de la sorte
complètement vidé de son contenu, et donc rendu inutile »64.
Ainsi, « grâce à la prolifération des TBI, dont la plupart incorporent les clauses
‘indirectes’, la clause NPF65 contribue à renforcer le recours systématique contre l’État

Etats ne peuvent en principe pas établir de discrimination entre leurs partenaires


commerciaux. S’ils accordent à l’un d’entre eux une faveur particulière telle que la réduction
du droit de douane, ils devront également en principe, le faire pour tous les autres dont le
pays est membre de l’OMC.
61 « Dans l’affaire Maffezini, les arbitres ont d’abord posé le principe de l’extension de la clause NPF aux

règles de procédure arbitrale, avant d’indiquer que ‘le bénéficiaire de la clause ne devrait pas être en mesure
de faire échec à des considérations d’ordre public’. Cette limitation a fait l’objet de nombreuses critiques.
L’objection la plus radicale provient de ceux qui défendent l’idée qu’à défaut d’une stipulation expresse des
parties, la limitation serait sans fondement. Le débat reste ouvert sur cet aspect de la question, entre ceux
qui prônent une extension automatique et les partisans d’une application restrictive de la clause », C. G.
MEKPO, La clause de la nation la plus favorisée (NPF) et son impact sur l’arbitrage en matière
d’investissement : regard sur les sentences récentes. Bulletin de droit économique Vol. 2, n°1,
Automne 2011, p. 5.
62 L’une des solutions étant que la clause de la Nation la plus favorisée (NPF) ne s’étendent

pas aux avantages particuliers qu’un Etat accorde à un autre tiers à un traité ou une
convention, au regard de leur lien géographique (une même zone régionale). Une autre
solution consisterait à exclure la clause de la NPF des mécanismes de règlement des litiges
entre parties à un traité ou une convention d’investissements
63 F. OSMAN. Vers une lex mediterranea des investissements. Op. cit., p. 46.
64 Ibid. p. 46.
65 Nation la plus favorisée (NPF). « On considère généralement qu’accorder le traitement NPF dans

des accords sur l'investissement signifie qu'un investisseur d'une partie à un accord ou son investissement
seront traités par l'autre partie ‘dans des conditions non moins favorables’, à l'égard d'un objet donné,
qu'un investisseur ou un investissement d'un autre pays.1 La plupart des accords internationaux sur
l'investissement comportent une clause relative au traitement NPF. Même si le texte, le contexte et même
l'objet et le but d'une clause NPF donnée doivent être pris en compte lors de l'interprétation de cette clause,
celle-ci constitue l'instrument de ‘multilatéralisation’ par excellence des avantages accordés à des investisseurs
étrangers et à leurs investissements », OCDE, Le traitement de la nation la plus favorisée dans le droit
international des investissements. Documents de travail de sur l’investissement international
n°2004/2, p. 1 et 2.
580
institué par l’arbitrage »66. C’est pourquoi, étendre la portée de la clause de la
NPF comme l’a fait la jurisprudence arbitrale aux règles de procédure
présente au surplus d’inconvénient, d’encourager le treaty shopping,
l’investisseur pouvant alors choisir librement de soumettre sa plainte à
l’arbitrage international selon les dispositions de n’importe quel traité
conclu par l’Etat hôte de son investissement avec un Etat tiers67. Ainsi, la
clause de la NPF présente un important degré de dangerosité qu’il est
souhaitable que les Etats africains s’en écarte volontairement et
précautionneusement.
En dépit des solutions jusqu’ici proposées68 pour améliorer les
effets pervers de la clause de la NPF, il est souhaitable que les Etats
africains, grâce aux négociations effectuées par la CNAPIE, réussissent à
effacer des traités et conventions des investissements qu’ils seront amenés
à conclure. De même au regard des multiples revirements jurisprudentiels,
il devient nécessaire de supprimer cette clause, « ce choix ayant pour avantage
d’offrir une solution radicale, à l’égard des dangers que fait peser cette disposition sur la
souveraineté »69 de l’Etat d’accueil de l’investissement. Une autre solution
serait dans la rédaction des TBI et doit conduire les Etats, dans un avenir
assez proche, à écarter les droits procéduraux du champ d’application de
cette clause de la NFP70.
Certains pays ont déjà entrepris cette démarche comme l’illustre le
traité modèle canadien dans ses arts 4 (A)71, art. 5 (B)72. Dans la même

66 C. G. MEKPO, La clause de la nation la plus favorisée (NPF) et son impact sur l’arbitrage en
matière d’investissement : regard sur les sentences récentes. Op. cit., p. 7.
67 A-J. BONZON, La protection des investissements Suisses à l’étranger dans le cadre des accords de

protection des investissements. Helbing Lichtenhahn, Bâle, 2012, p. 127.


68 L’une des solutions étant que la clause de la nation la plus favorisée (NPF) ne s’étendent

pas aux avantages particuliers qu’un Etat accorde à un autre tiers à un traité ou une
convention, au regard de leur lien géographique (une même zone régionale). Une autre
solution consisterait à exclure la clause de la NPF des mécanismes de règlement des litiges
entre parties à un traité ou une convention d’investissements
69 S. BONOMO, Les traités bilatéraux relatifs aux investissements. Entre protection des investissements

étrangers et sauvegarde de la souveraineté des Etats. Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2012,


pp. 197-198.
70 Ibid. p. 198.
71 « Chacune des Parties accordera aux investisseurs d’une autre Partie un traitement non moins favorable

que celui qu’elle accorde, dans des circonstances analogues, à ses propres investisseurs, en ce qui concerne la
gestion, la direction, l’exploitation, l’expansion et la vente ou autre aliénation d’investissements. Lorsqu’un
investisseur étranger peut, en vertu du droit national, établir un investissement, le présent article
s’appliquera dans la mesure où il respecte ledit droit national en matière d’établissement ou d’acquisition
d’investissements ». Art 5 (A) du Modèle d’accord international sur l’investissement pour le développement
durable (IIDD). Guide du négociateur. H. MANN, K. VON MOLTKE, L. E. PETERSON, et
alii, Avril 2005, Révisé et traduit en 2006. IIDD, Canada.
72 « Chacune des Parties accordera aux investissements effectués par les investisseurs d’une autre Partie un

traitement non moins favorable que celui qu’elle accorde, dans des circonstances analogues, aux
investissements effectués par ses propres investisseurs, en ce qui concerne la gestion, la direction,
l’exploitation, l’expansion et la vente ou autre aliénation d’investissements ». Art. 5 (B) du Modèle
d’accord international sur l’investissement pour le développement durable (IIDD). Guide du négociateur. H.
581
lancée l’accord entre la Suisse et la Colombie met en place une clause
novatrice destinée à atténuer les effets pervers de la clause de la NPF73.
La CNAPIE et la modération du recours de la clause de
traitement national. La CNAPIE aura à cœur d’œuvrer à la réduction de
l’usage de certaines clauses sans avoir pu au préalable évaluer avec
précision l’ensemble de ses conséquences ou effets. Dès lors elle veillera
au maintien d’une certaine modération dans l’usage de clauses telles que la
clause de traitement national encore appelée clause d’égalité de traitement
entre investisseurs étrangers et investisseurs nationaux. Si dans ce cas on
ne saurait craindre que soit invoqué un dispositif juridique ou procédural
provenant d’un autre traité (et plus avantageux pour l’investisseurs
étranger), une source de crainte existe bel et bien au détriment de l’Etat
africain. Cette crainte est avérée lorsque par exemple, le champ
d’application temporel de la clause n’est pas bien déterminé dans le temps.
Ainsi, « si l’obligation de traitement national s’applique dès la phase admission
de l’investissement, ceci signifie que toute opération d’investissement permise à un
investisseur national le sera aussi pour les investisseurs étrangers couverts par le traité
»74. En d’autres termes, pour des besoins de développement économique
et social, l’Etat africain pourrait difficilement réserver l’exclusivité de
certains secteurs d’activités à ses investisseurs nationaux sans qu’un ou
plusieurs investisseurs étrangers ne fassent recours à cette clause.
La CNAPIE pourrait par exemple travailler à élaborer des
mécanismes de contournement de cet handicap (même ponctuels). Elle
pourrait par exemple utiliser un procédé d’exclusion de certains champs
d’application en matière de secteurs d’activités économiques concernés ou
non par la clause.
On l’a compris, des précautions s’imposent également dans le
recours à la clause de traitement national. En effet, si un mécanisme de
contournement a réussi grâce au procédé d’exclusion de certains champs
d’application sous impulsion américaine dans le cadre de l’ALENA, il est
important de noter toutefois que, cette zone géographie incarnée par
l’ALENA ne compte que trois Etats (Etats-Unis, Canada et Mexique). La
gestion d’un tel mécanisme a donc pu être facilitée. En revanche, si
plusieurs Etats sont membres d’un traité ou d’une convention (en Afrique
par exemple on compte souvent plus de sept voire dix Etats par

MANN, K. VON MOLTKE, L. E. PETERSON, et alii, Avril 2005, Révisé et traduit en


2006. IIDD, Canada.
73 Confère Protocole ad de 2006, art. 4 (2) alinéa 1 puis 2. « Il est entendu que la norme du

traitement national et celle de la nation la plus favorisée visées audit alinéa autorisent l’octroi d’un
traitement différent en présence de situations de fait différentes. Aux fins de clarté, il est de plus entendu
que le traitement de la nation la plus favorisée visé audit alinéa ne concerne pas les mécanismes de règlement
des différends relatifs aux investissements prévus dans d’autres accords internationaux sur l’investissement
conclus par la Partie concernée ». (Protocole ad, art. 4 (2) alinéa 2 of Agreement between the
Republic of Colombia and the Swiss Confederation on the promotion and preciprocal
protection of investments. 17 mai 2006).
74 F. OSMAN, Vers une lex mediterranea des investissements. Op. cit., p. 46-47.

582
organisation), les Etats membres courent le risque certain qu’à cause de
cette clause, le mécanisme d’exclusion mis en place contribue à alourdir
davantage la lisibilité et compréhension du texte et ouvre ainsi la voie non
seulement aux abus, mais aussi et surtout découragent les investisseurs
potentiels.
De plus, la clause de traitement national a été largement modelée
voire modifiée par les tribunaux arbitraux qui lui ont donné un visage plus
extensible notamment en ce qui concerne les obligations découlant de
cette clause. Au final, cette clause « peut se révéler être particulièrement
paralysante pour les Etats ayant signé ces conventions, car ces derniers risquent de ne
plus pouvoir prendre de mesure, sans encourir le risque qu’un investisseur étranger
entame une action devant un tribunal arbitral, où il pourrait être soutenu que le
traitement qu’engendre la mesure incriminée se trouve être plus contraignant que celui
dont jouit n’importe quel investisseur local »75. Et ceci alors même que
l’investisseur à l’initiative de la procédure arbitrale ne soit obligé de mener
une activité économique comparable à celle des investisseurs nationaux.
Dès lors, la CNAPIE pourra œuvrer aux solutions pérennes telles
que la mise en place d’une clause de traitement national qui soit appliquée
seulement aux investisseurs étrangers une fois ceux-ci admis sur le
territoire de l’Etat d’accueil afin de permettre à chaque Etat de conserver
sa souveraineté en la matière et de conserver le mécanisme d’admission de
son choix76.
Autres missions novatrices de la CNAPIE. Tout d’abord, la
CNAPIE doit veiller à la réduction de l’usage des clauses systématiques
prévoyant le recours à un arbitrage international des différends d’ordre
fiscaux car d’une certaine façon, et à juste titre, « la soumission d’un litige fiscal
à un tribunal non-étatique s’apparente en effet à une double renonciation à des droits
souverains, à savoir le pouvoir fiscal et le pouvoir juridictionnel »77. Elle doit ainsi
œuvrer à l’insertion de clauses de réserves générales en matière de fiscalité
car certaines formules d’exclusion de la fiscalité peuvent représenter des
solutions pour préserver la souveraineté fiscale de l’Etat. Dans cette
logique, quelques Etats tirent leur épingle du jeu. C’est notamment le cas
avec les Etats-Unis, le Japon, le Canada ou encore Singapour78. Cette
pratique n’est pas très répandue mais les Etats africains gagneraient à s’y

75 S. BONOMO, Les traités bilatéraux relatifs aux investissements. Entre protection des investissements
étrangers et sauvegarde de la souveraineté des Etats. Op. cit., p. 157.
76 F. OSMAN, Vers une lex mediterranea des investissements. Op. cit., p. 47.
77 A. E. GILDEMEISTER, L’arbitrage des différends fiscaux en droit international des

investissements, Paris, LGDJ, 2013, p. 177 : « Mécanisme d’autorisation des investissements, simple
mécanisme d’information ou absence totale de formalité selon les cas ».
78 Il en va de même pour certaines Institutions telles que l’ALENA (art 2103 du traité), du

traité sur la Charte de l’énergie de 1994 (art. 21 alinéa 1) ou de l’AMI.


583
attarder et ce, même s’il est vrai que cette clause en elle-même n’est pas
une solution absolue79.
Ensuite, la CNAPIE doit veiller à l’exclusion des clauses excluant le
recours à l’article 25 alinéa 1 des articles de la commission du droit
international des Nations Unies qui permets à un Etat de se soustraire à
ses engagements contractuels en vertu de « l’état de nécessité ». Pour rappel,
« l’état de nécessité » peut être entendu comme « les cas exceptionnels où le seul moyen
qu’à un Etat de sauvegarder un intérêt essentiel menacé par un péril grave et imminent
est, momentanément, l’inexécution d’une obligation internationale dont le poids ou
l’urgence est moindre »80.
Les Etats africains auront ainsi à cœur d’exclure du champ
rédactionnel des traités et conventions d’investissements, les clauses qui,
expressément ou indirectement excluent tout recours à l’état de nécessité
par le pays de territorialité de l’investissement. Comme le rappelle A.
NANTEUIL, l’état de nécessité a été « invoqué presque systématiquement par
l’Argentine dans les litiges nés des mesures adoptées par le gouvernement en réaction à la
grave crise économique du début des années 2000 »81.
Il est important de rappeler qu’hormis les diverses clauses que les
Etats peuvent insérer dans un traité ou une convention d’investissements
pour limiter, voire exclure du champ de protection de certains
investissements (c’est par exemple le cas des clauses d’exclusion ou encore
de certaines mesures étatiques d’exclusion), les Etats africains peuvent
mettre en avant un certain nombre de justificatifs légaux pour se soustraire
de leurs obligations contractuelles. Ainsi, ils disposent de circonstances
exceptionnelles pouvant reposer sur la notion de l’Etat de nécessité.
Toutefois, selon la commission de droit des Nation Unies, « 1.
L’Etat ne peut invoquer l’état de nécessité comme cause d’exclusion de l’illicéité d’un
fait non conforme à l’une de ses obligations internationales que si ce fait : a) Constitue
pour l’Etat le seul moyen de protéger un intérêt essentiel contre un péril grave et
imminent ; et b) Ne porte pas gravement atteinte à un intérêt essentiel de l’Etat ou des
Etats à l’égard desquels l’obligation existe ou de la communauté internationale dans son
ensemble. 2. En tout cas, l’état de nécessité ne peut être invoqué par l’Etat comme cause
d’exclusion de l’illicéité : a) Si l’obligation internationale en question exclut la
possibilité d’invoquer l’état de nécessité ; ou b) Si l’Etat a contribué à la survenance de
cette situation »82.

79 L’arbitre pouvant toujours relever la responsabilité de l’Etat en cas de constat d’abus et


ceci qu’il existe ou non une clause d’exclusion de la fiscalité dans le traité ou la convention
concerné.
80 F. LATTY, « Conditions d’engagement de la responsabilité de l’Etat d’accueil de

l’investissement », in Charles LEBEN, Droit international des investissements et de l’arbitrage


transnational, Paris, Pedone, 2015, p. 451. L’auteur cite le Paragraphe 1 du commentaire de
l’Art. 26 des articles.
81 A. NANTEUIL, Droit international de l’investissement. Op. cit., p. 394.
82 Art 25 alinéa 1 (a et b) et 2 (a et b) du Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait

internationalement illicite. Commission du droit international, 2001. Nation Unie 2005.


584
Enfin, la CNAPIE aura pour mission d’améliorer la qualité
rédactionnelle des traités et conventions d’investissements grâce à une
attention plus importante destinée à faciliter leur compréhension et donc
leur interprétation et exécution par les parties. Son rôle dans les
négociations doit donc être renforcé afin que dorénavant, la négociation
d’un contrat international devienne un travail permanent d’équipe, de
concertation, et non plus simplement des échanges successifs de projets,
par fax ou courriels, ou une juxtaposition d’individualités, comme cela a
été constaté (force est de le reconnaître)83. Ceci témoigne
malheureusement d’une absence de rigueur. Or « des litiges fiscaux naissent
souvent de cette absence de rigueur et peuvent coûter très cher »84.
B. Une agence de promotion des investissements économiques
(APIE)
Il convient de présenter le statut et la composition de l’APIE (1),
son fonctionnement (2) et ses missions (3).
1. Le statut et la composition de l’APIE
Actuellement, l’écrasante majorité des ANPI, APIE et SNI sont
statutairement dépendantes de certaines administrations souffrant de maux
divers85 et longtemps décriés. Malgré diverses réformes structurelles
entreprises par certains Etats pour les améliorer, le résultat reste médiocre.
Une médiocrité justifiée d’une part, par « boulet administratif » qui les
attire inexorablement vers le bas et d’autre part, un rattachement
hiérarchique et statutaire peu fructueux au regard de la concordance des
intérêts des uns et des autres.
C’est la raison pour laquelle cette étude propose de défaire
structurellement et statutairement l’institution de promotion des
investissements économiques de l’autorité directe de la présidence de la
république ou de son cabinet (comme on a pu le constater dans de
nombreux Etats notamment d’Afrique francophone). Le Sénégal a
renforcé l’autonomie de son API grâce à une réforme visant à alléger sa
charge statutaire. Désormais elle est statutairement rattachée au cabinet de
la présidence de la république. Si c’est loin d’être le modèle idéal, on peut
tout de même être rassuré car le Sénégal a longtemps prouvé que ses
différents cabinets présidentiels respectaient suffisamment les principes
démocratiques. De nombreux Etats ne pouvant en dire autant sur le
continent. En effet, la soumission des API et SNI au cabinet d’une
présidence de la république ne peut être digne d’intérêt pour un pays que si
les dirigeants politiques au pouvoir et notamment le Président de la

83 R. DUCCINI, Stratégie fiscale des contrats internationaux, Paris, LexisNexis – Litec, 2006, p.
304.
84 Ibid. p. 304.
85 Corruption, lourdeurs administratives, gestion approximative opacité, clientélisme en

tout genre voire désintérêt ou incompétence, etc.


585
République respectent les principes de démocratie et de bonne
gouvernance.
Si elles doivent malgré tout agir en corrélation et collégialité avec le
gouvernement qui met en place les principaux axes des politiques en
matière d’investissements économiques, elles ne doivent plus devoir
composer impérativement avec de nombreux autres services
interministériels mais désormais, avec trois Institutions administratives
majeures et qui ont chacune un rôle à jouer dans le pilotage des
investissements économiques86. Il s’agit du ministère de l’économie des
finances et de la planification, du ministère des relations extérieures et de
la chambre de commerce et de l’industrie. Une telle organisation permettra
à l’APIE d’agir plus librement et plus rapidement grâce à une plus grande
autonomie et des contraintes administratives désormais moins
importantes.
De ce qui suit, il devient logique que les trois (3) Institutions qui
assurent collégialement la tutelle de l’APIE, mettent à sa disposition des
experts en relations internationales et et de la diplomatie, en économie, en
politique, en commerce international, en management de la
communication et du marketing institutionnels, en droit économique, en
droit international des investissements ou encore en politiques publiques
des investissements…
2. Le fonctionnement des APIE, gage d’une communication et d’un
marketing institutionnels
Rappelons que la force de l’image dans la promotion des
investissements économiques est essentielle. Encore plus en ce qui
concerne e continent africain. En effet, selon les Nations Unies « malgré une
amélioration des perspectives d’accroissement des investissements, la perception de
l’Afrique comme investissement « à risque » est encore profondément ancrée chez certains
investisseurs étrangers »87.
Pourtant, l’un des préalables indispensables à toute politique de
promotion des investissements nationaux ou étrangers est la construction
d’une image88 forte, rassurante, accueillante et avantageuse. Aucun
investisseur digne de ce nom ne sera prêt à investir si la perception qu’il a

86 Institutions administratives elles-mêmes réformées et assainies.


87 CEA, NU, Politiques d’investissement et accords bilatéraux d’investissement en Afrique : Implications
pour l’intégration régionale. Nations Unies, 2016, p.VIII.
88 L’image de l’Etat fait référence à sa représentation, à l’idée et la conception que les

différents acteurs (individuels et collectifs) se font ou retiennent de lui. Cette définition est
également adaptée dans une société mondialisée ou les frontières de l’Etat peuvent
virtuellement faire le tour de la planète. Ainsi l’image d’un Etat ou d’une région donnée
peut ainsi être perçue au quatre coins de la terre. Cette image intéresse de nombreux
acteurs de la vie économique, qui orienteront leurs comportements selon que cette image
est positive ou négative. Cette donnée se vérifie en matière de prospection des firmes
multinationales mais pas seulement. Elle explique aussi les comportements économiques
nationaux en matière d’investissements. Redorer son blason en améliorant son image à
l’international, tel est l’un des défis majeurs de l’Afrique et principalement en Afrique noire.
586
d’un pays est négative89. En effet, « l’image est chargée de force ; l’image est une
force elle-même. C’est elle qui détermine le choix ; c’est elle qui guide. Une image
négative ne saurait attirer l’investisseur. Au contraire l’investissement est hostile,
réfractaire à toute image négative. Car le message de l’image négative est clair : il alerte ;
sans le dire expressément, il met en garde, il décourage l’investissement car il présente les
risques, les dangers que constitue l’Afrique. Il s’ensuit donc un sentiment de méfiance
voire de répugnance vis-à-vis de l’Afrique »90.
Ainsi, entre l’attractivité constatée, incarnée par exemple par
l’abondance des ressources naturelles et la diversité des possibilités
d’investissement économique et l’attractivité constructive incarnée par la
construction d’une véritable image du territoire, le déséquilibre en Afrique
est malheureusement flagrant91 et doit être corrigé dans l’intérêt général.
C’est pourquoi, afin d’intéresser les investisseurs potentiels, l’Afrique doit
se présenter sous son meilleur jour, c'est-à-dire soigner sa présentation, se
construire une image attractive c’est à dire « créer une perception favorable du
pays comme site d’implantation attractif pour les investissements internationaux »92.
Cette amélioration de son image pourra être faite par des outils de
communication efficaces à très large diffusion.
Pour améliorer cette image essentielle à l’attractivité économique,
l’APIE se positionne en première ligne. Dans une logique d’intelligence
économique, elle doit ainsi tenir compte de la valeur et de la force de
l’information dans la construction de cette image. La maîtrise de l’image
passe nécessairement par la maîtrise de l’information. Il est en effet
essentiel d’informer et de maitriser cette information car « une information
fausse induit une communication faussée »93.
L’APIE doit fonctionner comme une agence de communication
publique. En effet l’un des outils à la disposition de l’APIE pour assurer
ses missions c’est à communication publique. Dans une société que
certains sociologues qualifient de société de communication, ne pas
communiquer revient à ne pas exister. Pas de savoir-faire sans faire savoir
dira-t-on. Le rôle de la communication institutionnelle est quadruple. Elle
va permettre de créer la notoriété de l'entité auprès de ses cibles94 ; de
développer son identité et son image auprès de l'ensemble des publics

89 En effet, l’attractivité territoriale d’un pays ou d’une région passe inéluctablement par ce
que l’on retient de lui ou d’elle. Il s’agit de l’image du continent, d’un pays ou d’une région.
Elle est indispensable dans la promotion des investissements, dans l’attractivité du
territoire.
90 A. E. SITTI, Investir en Afrique pour gagner. L’entreprise africaine et la mondialisation. Op. cit.,

p. 27.
91 A. CAMARA, Un Exemple De Coopération Nord-Sud : Les Incitations Fiscales Au Développement

Économique En Guinée. Thèse, Université de Paris 2 Panthéon-Assas, 2007, p. 18.


92 N. GOUBI, Politiques d’attractivité et IDE : application à un panel de quinze pays en développement,

Thèse, Université Paris 2 Panthéon-Assas, 2010, p. 179.


93 K. ZANIFI, Les politiques de communication extérieure de le France de 2003 à 2009, Thèse,

Université Paris Panthéon-Assas, 2011, p. 389.


94 Donc une relation réciproque entre notoriété et communication. De plus, une forte

notoriété contribue à améliorer l'impact de la communication ; il existe.


587
concernés95 ; de créer un climat favorable auprès de l'ensemble de ses
cibles directes et indirectes ; et enfin de rendre l'entité plus attractive que
ses concurrents et rivaux96.
Selon Pierre ZEMOR, la communication publique97 s’entend
comme toutes les informations émises par les autorités publiques et dans
le but : d’améliorer et de faciliter son action98. Cela inclut la
communication politique99. La communication publique peut prendre une
forme internationale et doit être pensée par des agences gouvernementales
maitrisant l’environnement international. Cette communication
internationale peut directement être faite par l’Etat, ou par ses différentes
représentations diplomatiques à travers le monde.
3. Les missions de l’APIE
Les missions de l’APIE peuvent se rassembler autour de deux
principaux groupes à savoirs les missions classiques (a) et les missions de
diplomatie économique (b).
a. Les missions classiques de l’APIE
D’une manière générale, la promotion des investissements
comporte trois (3) étapes clés. La première d’entre elles consiste à définir
précisément (notamment dans les plans stratégiques de développement des
investissements économiques), les domaines où les investissements sont
nécessaires, ainsi que les possibilités offertes aux investissements
économiques étrangers. La deuxième consiste à prendre contact avec les
investisseurs étrangers éventuels partout où possible. Enfin, la troisième
d’entre elles consiste à veiller à ce que les propositions d’investissement
qui sont faites soient étudiées rapidement et efficacement100 (notamment
grâce à la transmission rapide vers le GUIE).
Dès lors, la mission principale de l’APIE sera non seulement de
prendre contact avec les investisseurs potentiels (nationaux ou étrangers) à
travers le monde, mais aussi, de redonner de l’attractivité aux Etats
africains grâce à un travail de revalorisation de l’image de l’Etat à travers le
monde.

95 L’identité d'une entreprise est forcément réductrice et peut être définie comme le
« positionnement » appliqué à une organisation. L'identité se compose des caractéristiques
saillantes de l'organisation que les cibles pourront percevoir facilement et clairement.
96 Entendu ici les autres acteurs étatiques et non étatiques de la scène internationale.
97 La communication publique est entendue comme l’ensemble des actions de

communication engagées par toute institution exerçant une mission de service public, entre
autres les Institutions étatiques et supra étatiques, les administrations publiques, les
collectivités territoriales, les entreprises et établissements publics. La communication
publique se veut au service de l’intérêt général. À ce titre, elle ne doit pas être confondue
avec la communication électorale ou la communication politique.
98 P. ZEMOR, La Communication Institutionnelle. Paris, PUF, 1995, p. 111.
99 Ibid. p. 111.
100 D. U. STIKKER, Le rôle de l’entreprise privée dans les investissements et la promotion des

exportations dans les pays en voie de développement. NU, New York, 1968, p. 49, § 247.
588
Ensuite, l’institution de promotion des investissements
économiques doit contribuer efficacement aux objectifs de développement
par le biais des investissements économiques. A ce titre, elle vient appuyer
non seulement la politique industrielle mais aussi commerciale, ou agricole
des gouvernements. Aussi, elle travaille à susciter des investissements
importants dans tous les secteurs de l'économie. Ceci suppose qu’elle
pourra bénéficier de moyens de financement adéquats tels que les bons
d’équipement sous forme d’emprunts réalisés auprès des banques et autres
établissements financiers aux fins d'appuyer la mise en œuvre de la
politique d'investissement productif du Gouvernement.
De même, elle participe à la création de nombreuses d'entreprises
devant servir de locomotives de l'économie nationale. Cette participation
se fait par la réception des dossiers d’investissement et demande
d’agrément auprès des investisseurs étrangers ; dossier qu’elle va ensuite
(dans un délai de moins d’un mois) transmettre au GUIE pour étude et
agrément.
Aussi, l’APIE doit mettre à la disposition des potentiels
investisseurs un ensemble d’outils juridiques au rang desquels, la CDIE ou
encore le livre des procédures fiscales101 car les « procédures fiscales codifient les
relations qu’entretiennent le contribuable et l’administration »102 et « forment un
ensemble de dispositions complexes, garant des droits et obligations réciproques de la
puissance et du contribuable. Cet ensemble est le reflet d’une société en évolution, dans
laquelle le curseur oscille en permanence entre contribuable et administration »103.
Enfin, il est essentiel que l’APIE se charge d’informer sur les
potentialités du continent, et sur les atouts du continent mais surtout, il est
essentiel qu’elle le fasse pour briser les clichés et les idées arrêtées qui font
pâtir les investissements économiques (et notamment les IDE) en Afrique
et particulièrement en Afrique subsaharienne.
b. Les missions de diplomatie économique de l’APIE
La diplomatie économique est un concept assez difficile à définir.
En France par exemple, le concept de diplomatie économique porte en
général voire principalement sur des domaines liés aux négociations
internationales en matière commerciale ainsi qu’au développement de la
diplomatie économique multilatérale104.

101 L’enjeu des procédures fiscales : les procédures fiscales regroupent en effet deux types
de règles : - d’une part celles qui gouvernent les prérogatives de l’administration et les
garanties du contribuable tout au long du processus d’imposition, de la délimitation de
l’assiette au recouvrement de l’impôt, en passant par sa liquidation, – et d’autre part les
techniques précontentieuses et contentieuses instituées pour résoudre les conflits qui ne
manqueront pas de survenir tout au long de ce processus, J. GROCLAUDE, P.
MARCHESSOU, Procédures fiscales. Paris,Dalloz, 2016, 8ème édition, p. 1.
102 Ibid. 8ème édition, p. 1.
103 Eod. loc. 7ème édition p. 371.
104 Est celle négociée par exemple au sein du GATT ou de l’OMC.

589
Toutefois cette étude a retenu une définition assez fédératrice de la
diplomatie économique. C’est celle qui a été donnée lors de la 2ème
conférence des Ambassadeurs tenue les 12, 13 et 14 août 2002 à Abidjan
en Côte d’Ivoire. « L’Eco-diplomatie ou la diplomatie économique confère aux
représentations diplomatiques et consulaires la mission de soutenir les efforts de relance
économique du gouvernement et des organismes publics de promotion économique en
servant d’« interface » entre les opérateurs privés nationaux et ceux des pays accrédités
afin de trouver de nouveaux débouchés pour les produits industriels ivoiriens et de
mobiliser les investissements directs étrangers. »105.
Ainsi, dans le contexte économique actuel, la diplomatie africaine
doit être une véritable alliée voire un agent à part entière du
développement économique et social. Quoi qu’il en soit, l’action des
représentations diplomatiques doit cibler aussi bien la diaspora que les
IDE des pays hôtes. C’est une des raisons pour lesquelles l’APIE doit
illustrer toute l’importance de la diplomatie économique.
Dans ce sens, la 2ème conférence des ambassadeurs d’Abidjan de
2002 propose de renforcer les activités économiques classiques des
représentations diplomatiques des Etats. Ainsi, dans chaque zone
d’intervention géographique des représentations diplomatiques doivent
être installées l’un des services déconcentrés de l’APIE (notamment à
l’international et notamment au sein des ambassades africaines à
l’étranger). Ce service de l’APIE aura désormais à cœur de privilégier des
missions telles que : la prospection des marchés internationaux ; la
participation active des représentations diplomatiques nationales aux
missions du gouvernement à caractère économique, commercial agricole et
touristique ; la facilitation de la création de partenariats entre les acteurs
économiques nationaux et ceux du pays hôte ; l’organisation des
rencontres économiques de promotion et de vulgarisation des atouts et
potentialités nationales en matières d’investissements économiques;
l’orientation de la diaspora intéressée par les affaires ; l’organisation des
rencontres ou fora présentant des opportunités d’affaires et
d’investissements ainsi que des foires permettant d’exposer les productions
nationales dans le pays hôte ; enfin, l’invitation régulière dans leur pays des
personnes (physiques ou morales) ayant dans le pays hôte une influence
avérée dans le monde des affaires.
Ensuite, de nouvelles missions diplomatiques de l’APIE sont à
vulgariser car dorénavant, la diplomatie économique va avoir pour but de
permettre de rechercher des financements et de promouvoir les activités
commerciales, industrielles, artisanales ou touristiques. Elle aura également
un rôle plus formel consistant à organiser et animer des rencontres et fora
promotionnels. Bien entendu, ces activités formelles doivent être
effectuées dans le strict respect des orientations économiques opérées par
les Etats.

105Eco-diplomatie : Définition et cadre juridique ; Objectifs, actions à entreprendre. Publié le 24 février


2011, consulté le 11.03.2016 sur le site http://ambaci-ottawa.org/?p=5
590
De même, l’APIE se doit d’être proactive en matière de veille
économique. En effet, dorénavant poussé par l’intelligence économique et
la mondialisation, la diplomatie économique est obligée de jouer un
nouveau rôle en Afrique. Le rôle d’interface dans la gestion et la
circulation des informations économiques et financières au profit des Etats
et de la vie économique nationale. Ce rôle peut également se faire par la
publication et la diffusion d’informations très pertinentes mettant en avant
l’environnement économique et les secteurs d’activités industrielles
agricoles, commerciales, artisanales… ou par le canal des techniques
classiques ou modernes de communication.
Enfin, il est essentiel d’impliquer l’APIE dans l’élaboration des
politiques devant aboutir à des outils juridiques plus ciblés en faveur des
investissements économiques. Son expertise en ce qui concerne les
questions d’investissement économique (action en faveur de la promotion
et de l’application des dispositifs) est indispensable au moment où il faut
concevoir les actions à mener et les outils correspondant en matière
d’investissements économiques. Cette participation au travail préalable et
cette collaboration constructive vont permettre immanquablement de
donner plus de réalisme économique aux politiques menées. Ils vont
également agir en adaptant plus harmonieusement les outils juridiques mis
en place, aux diverses réalités économiques et sociales qui entourent le
marché (local et international) ainsi que les diverses pratiques
internationales en matière d’investissements économiques.
Conclusion
Quoi qu’il en soit, un constat majeur peut d’ores et déjà être fait, et
ceci à la lumière de tout ce qui a été développé jusqu’ici. En effet, comme
le rappellent les Professeurs émérites D. CARREAU et P. JUILLARD,
« pas de promotion sans rentabilité économique et sans sécurité juridique ; pas de
sécurité juridique sans un engagement de protection clair et précis, soit vis-à-vis de l’Etat
de nationalité de l’investisseur, soit vis à vis de l’investisseur lui-même. Là réside le
paradoxe : les pays en développement, qui, bien souvent, ne sont pas aussi favorables
que les pays développés à la propriété individuelle, sont obligés d’aller plus loin que ces
pays développés dans la protection de l’investissements international. Voilà la rançon de
la dégradation du climat de l’investissement international ; voilà le prix de la
restauration d’un climat favorable à l’investissement international »106.
Ainsi, ayant mis en évidence les insuffisances de la structure
institutionnelle (du moins en ce qui concerne le pilotage des
investissements économiques) des Etats africains et par la même occasion
les failles fonctionnelles des systèmes mis en place un peu partout sur le
continent, un seul constat s’impose ; l’urgence d’entreprendre des réformes
non plus de complaisance mais des réformes structurantes et progressistes.

106 D. CARREAU, P. JUILLARD, Droit international économique, Paris, Dalloz, 2005, 2ème
édition, pp. 486-487.
591
Aussi, les Etats africains doivent se défaire des modèles calqués sur
ceux des pays développés, conçus pour répondre et gérer des
problématiques en relation directes avec leurs stratégies et réalités
circonscrites dans le temps107. La réforme institutionnelle tant espérée doit
se construire de manière à équiper l’Etat d’outils administratifs pouvant lui
permettre d’améliorer notablement et durablement ses efforts entrepris
pour accroître le rendement des dispositifs juridiques en faveur des
investissements économiques. Le but ultime reste l’accélération de la
formation du capital108.
En outre, ces réformes doivent être l’occasion pour les Etats de
mettre en place un système juridique qui pourra efficacement réduire les
irrégularités, inégalités et incohérences passées et correspondant
strictement aux nouveaux objectifs et ambitions des Etats. De même, afin
de compléter cette évolution fonctionnelle, une nouvelle efficacité
institutionnelle doit être construite aussi bien à l’horizontale qu’à la
verticale109.
Aussi, « parce qu’elles accompagnent la démocratie politique en étant le
vecteur de la démocratie sociale, les Institutions apparaissent alors comme des instances
de représentation et d’actions ‘sociales’ susceptibles de transcender les crispations
politiques. En revalorisant leur rôle, le pouvoir politique favorise la renaissance d’un
esprit de dialogue entre tous les acteurs de la société, y compris au sein de la sphère
politique, ce qui renforce la crédibilité de son action. En même temps, ces Institutions
contribuent à restaurer le sens du droit et de l’intérêt général. Désormais confiants dans
une action politique contrôlée et évaluée, les citoyens s’engagent dans la protection de la
chose publique, de la vie commune et de la démocratie »110.

107 Car grâce au jeu démocratique, des dirigeants se succèdent et conçoivent à tour de rôle
des modèles administratifs et institutionnels devant permettre une meilleure réponse aux
problèmes posés. C’est loin d’être le cas de la plupart des Etats africains qui copient parfois
aveuglément des modèles construits sur des bases démocratiques.
108 Aussi bien privé que public par le biais des investissements économiques.
109 Premièrement, pour une efficacité à l’horizontale les nouvelles réformes doivent

permettre une meilleure cohésion et interaction entre administrations aussi bien au niveau
national, qu’au niveau régional ou international. Les Etats doivent renforcer les liaisons
entre différentes administrations. Ceci peut être réalisé par le biais d’outils informatiques
accessibles entre différentes administrations ou par le biais de comités et commissions
interministérielles ou encore d’échanges divers. Ceci afin d’assurer une fluidité dans la
gestion administrative ainsi que des recoupements plus faciles à effectuer. Les Etats doivent
donc renforcer la coordination entre les différentes administrations qui interviennent même
partiellement à un moment ou à un autre pour constater, organiser ou gérer les
investissements économiques. L’idéal étant bien entendu de limiter autant que faire se peut
le nombre d’administrations devant intervenir dans ce sens. Deuxièmement, l’Etat doit
également renforcer l’efficacité administrative à la verticale. C’est dire que les réformes
doivent améliorer les rapports et relations entre les administrations et des opérateurs
économiques présents ou potentiels. D’où la nécessité d’avoir des administrations plus à
l’écoute, plus disponibles et plus efficaces.
110 C. GAMBOTTI, « L’évaluation des politiques publiques en Côte d’Ivoire », Géoéconomie

2015/5 (N° 77), p. 136.


592
C’est pourquoi, avec les nouvelles exigences issues de la pratique
de la bonne gouvernance, les Institutions administratives publiques, dans
leur ensemble, sont appelées à innover. Une innovation notamment en
matière de gestion, en rapport avec la mise en œuvre de réformes
adaptées111. Une autre raison à cela est que, en règle générale, la
compétitivité économique passe par une diminution des prélèvements
obligatoires et implique donc une véritable réforme administrative
« entendue comme une entreprise de réduction du train de vie de l’Etat et, d’autre part,
comme un allègement des servitudes de tous ordres que l’emprise bureaucratique fait
peser sur l’activité créative du pays est une nécessité inéluctable »112 et plus encore
pour nos Etats africains. Il est alors important d’agir au moins dans trois
directions. Tout d’abord, clarifier les compétences. Ensuite, simplifier les
relations avec les administrés. Enfin, rechercher une meilleure
productivité113. Cette triple démarche illustre ce que cette étude présente
comme une approche d’intelligence institutionnelle et qui par ailleurs
viendrait mettre un terme à beaucoup de réformes inabouties114./-

111 B. HAMMOUDA, Les économies de l’Afrique Centrale. Pauvreté en Afrique Centrale : état des
lieux et perspectives. Op. cit., p. 50.
112 C. CABANA, M. DOUBLET, R. DRAGO, et alii, Réformer l’administration. Albatros,

Paris, 1987, p. 28.


113 Ibid. p. 28.
114 Des réformes inabouties souvent dues à la précipitation, l’amateurisme ou

l’impréparation sur les tenants et les aboutissants.


593
CHRONIQUES DE JURISPRUDENCE FISCALE
ET FINANCIERE

Sous la coordination de Pélagie NDRI-THÉOUA, Agrégée des facultés de


droit, Université Alassane Ouattara- Bouaké ([email protected])

594
Chambre des comptes de la Cour suprême du Cameroun, Arrêt
n°133/P, Compte de la Commune de Datcheka, Exercice 2009.
Par
Dr. Théophile NGUIMFACK VOUFO
Ph.D en Droit public
Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Dschang (Cameroun).

RÉSUMÉ :

La séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable, principe fondamental


de la comptabilité publique, est régulièrement battue en brèche dans l’exécution des
budgets des collectivités territoriales décentralisées. Dans l’arrêt Compte de la commune
de Datcheka, la Chambre des comptes fait le constat que le maire a désigné un billeteur
qui est en réalité un homme a ses ordres. Elle indique que différents déblocages de fonds
ont été effectués au profit du billeteur sur ordre du maire pour contourner le contrôle du
receveur municipal. Dès lors, le maire et le billeteur ont été conjointement et
solidairement déclarés comptables de fait et astreints à la production du compte de leur
gestion. Toutefois, la motivation du juge s’est beaucoup plus appuyée sur des
présomptions qui ne justifient pas suffisamment la déclaration de gestion de fait, ni
l’exclusion de la responsabilité du receveur municipal.

Mots clés : Séparation – Ordonnateur – Comptable – Billeteur.

ABSTRACT :

The separation of the functions of authorizing officer and accountant, a


fundamental principle of public accounting, is regularly undermined in the execution of
the budgets of decentralized territorial collectivities. In the Datcheka Municipality
Account judgment, the Audit Bench noted that the mayor had appointed a ticket agent
who was in fact a man under his orders. She stresses that various releases of funds were
made for her benefit by order of the mayor to avoid the control of the municipal collector.
Consequently, the mayor and the ticket operator were jointly and severally declared de
facto accountants and required to produce the account for their management. However,
the judge’s motivation relied much more on presumptions that did not sufficiently justify
the declaration of de facto management nor the exclusion of the municipal collector's
liability.

595
Keys words: Separation – authorizing officer - accountant - ticket operator.

Extrait de l’arrêt :

(…) Attendu que par différents mandats répertoriés dans le tableau n°5 d’un
montant total de 12.329.826 FCFA, le receveur municipal a procédé à des mises à
disposition des fonds au profit de diverses personnes ;
Que ces paiements sont faits en violation de toutes les circulaires du MINFI
portant instructions relatives à l’exécution et contrôle du budget de l’État et des
organismes subventionnés ;
Que certains de ces fonds ont été bloqués sur décision du maire au profit de
diverses personnes en particulier le billeteur ; qu’il est à noter que ce soi-disant billeteur
ne l’est en fait que de nom ; qu’il s’agit en réalité d’un personnage désigné par le maire
pour contourner le principe de séparation des fonctions entre ordonnateurs et comptables.
Car ce personnage exécute une bonne partie des dépenses budgétaires sans rapport avec le
rôle classique dévolu à un billeteur ; qu’en clair, il s’agit d’un homme aux ordres du
maire pour couvrir les opérations irrégulières ;
Qu’on s’interroge cependant sur la passivité du comptable face à ces
manœuvres qui aurait dû surseoir à ces déblocages ;
Que par conséquent, conformément aux dispositions de l’article 43 de la loi
n°2003/005 du 21 avril 2003, les Sieurs Gaoussou Martin, maire, et Toungsala
Mbatsam, billeteur, sont conjointement et solidairement responsables de ces irrégularités ;
Le maire pour avoir organisé cette gestion de fait ; le Billeteur pour avoir
matériellement manié les fonds (…)
Par ces motifs, statuant publiquement et provisoirement,
décide :
Article 1er: déclare les Sieurs Gaoussou Martin, maire de la commune de
Datcheka et Toungsala Mbatsam, billeteur de ladite commune, comptables de fait pour
un montant de 12.329.826 FCFA ;
Article 2 : les enjoint à produire dans un délai de deux mois à compter de la
date de notification du présent arrêt leur compte de gestion de cet argent ; ledit compte
devra retracer la totalité des opérations en dépenses dûment certifié par la tutelle ; y
seront annexés, les pièces justificatives ainsi qu’une déclaration du conseil municipal,
statuant sur l’utilité publique des dépenses qui auraient été faites dans l’intérêt de la
commune.

596
NOTE

En matière d’exécution du budget de l’État ou de ses


démembrements, les agents publics mobilisent l’équivalent d’une
compétence liée1. Il y a compétence liée, « lorsque, les circonstances prévues par
un texte se trouvant réunies, l’agent public n’a aucun choix à exercer : il a l’obligation
de prendre une certaine décision »2. Dès lors, si l’on admet avec Roger Pinto que
la compétence liée transforme le pouvoir d’agir en un devoir3, il convient
de souligner que le comptable public a une compétence particulièrement
rigide, ses obligations en matière d’exécution du budget étant définies avec
une infime marge d’appréciation4.
Par ailleurs, relevons avec Louis Grégoire que dans la phase
administrative des opérations d’exécution du budget qui relève de la
compétence de l’ordonnateur, le pouvoir discrétionnaire se mêle à la
compétence liée5. Aussi, l’ordonnateur dispose, sous réserve de respecter
les limites budgétaires, d’un large pouvoir d’appréciation de l’opportunité
d’une dépense autorisée et des modalités techniques d’exécution. Dès lors,
le pouvoir discrétionnaire n’existe pas à l’état pur et compose toujours
avec une dose de compétence liée. Cette idée est défendue, notamment par
Jean-Claude Ricci, lorsqu’il soutient que l’administration n’est jamais
complètement liée, ni complètement libre de faire ce qu’elle veut suivant
son humeur ou son caprice, car son pouvoir oscille entre un minimum de
liberté (pouvoir lié) et un minimum de légalité (pouvoir discrétionnaire)6.
De toute évidence, bien que l’ordonnateur soit doté d’un pouvoir
d’appréciation dans la mise en œuvre de ses attributions par rapport au
comptable public, il subsiste à son égard un domaine de compétence liée
lorsqu’il prend des actes relatifs à l’exécution des dépenses publiques7. En
effet, l’ordre public financier lui interdit de s’ingérer dans les opérations de

1 MAGNET (J.), VALLERNAUD (L.), VUGHT (T.), La Cour des comptes, les institutions
associées et les Chambres régionales des comptes, Paris, Berger-Levrault-Les indispensables, 2007,
p. 26.
2 WALINE( J.), Droit administratif, Paris, Dalloz, 2018, 27e éd., p. 438.
3 PINTO (R.), Éléments de droit constitutionnel, le milieu social et le droit, la société politique et l’État,

les États fédéraux, histoire constitutionnelle et institutions politiques de la France, Lille, Morel et
Corduant, 2e éd., p. 88.
4 VEDEL (G.), Cours d’institutions financières rédigée d’après la sténotypie du cours de M. Georges

Vedel, Licence 2e année, 1961-1962, Paris, Les cours de droit, 1962, p. 19, cité par
AKHOUNE (F.), Le statut du comptable en droit public financier, Paris, LGDJ, 2008, p. 146.
5 GREGOIRE (L.), « Qu’est-ce qu’un administrateur ? », La Revue du Trésor, n°3, janvier

1957, p. 132.
6 RICCI (J-C.), Droit administratif, Paris, Hachette Supérieur, 2004, 4e éd., p. 18.
7 POUJADE (B.), « État des lieux de la responsabilité des ordonnateurs en droit public

financier aujourd’hui », RFFP, n°92, novembre 2005, pp. 101 -112.


597
maniement des deniers publics, même si « la tentation est grande pour les
ordonnateurs, au motif ou au prétexte de rapidité et d’efficacité de s’affranchir du
contrôle des comptables en cumulant les unes et les autres fonctions »8. Cette
interdiction se décline sous la forme du principe de séparation des
fonctions d’ordonnateur et de comptable public9. Pour sanctionner les
atteintes à ce principe, la Chambre des comptes de la Cour suprême, en sa
deuxième Section, a rendu l’arrêt n°133/P du 22 octobre 2014, commune
de Datcheka. Par cette décision, la responsabilité du maire de la commune
de Datcheka a été engagée, conjointement et solidairement avec celle du
billeteur qu’il a désigné, pour des irrégularités commises lors de l’exécution
du budget de l’exercice 2005.
L’exposé des faits de l’arrêt sous revue pourra mieux édifier sur les
montages frauduleux révélés par les contrôles de la haute juridiction des
comptes au sein des communes.
En effet, le receveur municipal de la commune de Datcheka avait
produit son compte de gestion à la Chambre des comptes conformément
aux prescriptions de la loi du 21 avril 2003 fixant les attributions,
l’organisation et le fonctionnement de cette juridiction10. Soumis à
l’instruction d’un magistrat-rapporteur, ces comptes vont révéler que le
receveur municipal a, par déblocages, procédé à des mises à disposition de
fonds au profit de diverses personnes, au nombre desquelles le billeteur de
la commune de Datcheka. En poursuivant ses vérifications, le magistrat-
rapporteur a pu établir que ces déblocages étaient ordonnés par le maire et
que le prétendu billeteur n’était qu’« un homme aux ordres » de l’ordonnateur
municipal. Après avoir fait le constat que ce « billeteur apparent » exécute
une bonne partie du budget, la deuxième Section de la Chambre des
comptes est parvenue à la conclusion selon laquelle, ce personnage a été
désigné par le maire pour contourner le principe de la séparation des
fonctions d’ordonnateur et de comptable, rendant ainsi inopérante la
garantie que ce principe confère à l’exécution du budget communal11.
Tout en s’interrogeant sur la passivité du receveur municipal face à
ces manœuvres, la deuxième Section de la Chambre des comptes a décidé

8 MAGNET (J.), « Avant-propos », RFFP, n°66, La gestion de fait, 1999, p. 7.


9 GUILLERMINET (C.), « De la distinction entre les ordonnateurs et les comptables
publics », RDA, n°8, 2013, p. 72.
10 Voir, article 26 de la loi n°2003/005 du 21 avril 2003 fixant les attributions, l’organisation

et le fonctionnement de la Chambre des comptes.


11 MAGNET (J.), « La régularisation de la gestion de fait », RFFP, n°66, 1999, p. 80 ;

DECHEEMAEKER (C.), « Utilité et servitudes de la procédure de gestion de fait », RFFP,


n°92, novembre 2005, p. 128 ; HERTZOG (R.), « La nécessaire réforme de la procédure de
gestion de fait », RFFP, n°66, juin 1999, pp. 87-105.
598
d’initier l’ouverture d’une procédure de gestion de fait à l’encontre du
maire et du billeteur12. La haute juridiction des comptes a ainsi
provisoirement retenu la responsabilité du maire pour avoir organisé cette
gestion de fait, et celle du billeteur pour avoir matériellement manié les
fonds. Si les motifs de cette décision de la Chambre des comptes sont
précis, il apparaît cependant que la deuxième Section n’a pas tiré toutes les
conséquences liées aux irrégularités et manquements constatés lors de la
phase d’instruction, l’une des plus saillantes étant « la passivité » du
comptable public.
Cet arrêt fait partie d’une série de décisions rendues par la
deuxième Section de la Chambre des comptes pour sanctionner une
pratique devenue courante et vraisemblablement répandue dans la majorité
des collectivités territoriales décentralisées13. Mais, il convient de souligner
que la portée de cet arrêt n’est pas seulement pécuniaire. L’objectif a été
surtout de clarifier les responsabilités en matière d’exécution du budget
communal14. La question qui se pose est de savoir si le maire peut user des
déblocages de fonds au profit d’un billeteur pour se soustraire au contrôle
du receveur municipal ? De même, le receveur municipal est-il déchargé de
sa responsabilité en matière de contrôle de régularité lorsqu’il procède aux
déblocages de fonds sur ordre du maire au profit d’un billeteur ?
Cette décision pose surtout en filigrane le problème du rapport de
force qui oppose souvent les maires et les receveurs municipaux dans les
communes et à propos duquel, les maires ont la faiblesse de penser que les
receveurs municipaux sont leurs subordonnés et doivent se plier à leur
volonté. Or, il faut admettre qu’« aucun rapport de subordination n’est possible
entre l’ordonnateur et le comptable-deniers car le premier, en dépit de sa position de
proue dans le circuit d’exécution des opérations financières et le degré généralement très
élevé de ses fonctions administratives, ne saurait être considéré comme le chef du

12 À notre connaissance, la Chambre des comptes a initié les déclarations de gestion de fait
solidaire par deux arrêts provisoires du 14 avril 2010 : Arrêt provisoire n°02/AP/S3/10 du
14 avril 2010 relatif aux comptes de la Cameroon General Board of Education et arrêt provisoire
n°01/AP/S3-10 du 14 avril 2010 relatif aux comptes de la South West Development Authority
(SOWEDA).
13 Arrêt n°042/AP/S2 du 18 mai 2016, Compte de la commune de Bali, Exercices 2011 et

2012 ; arrêt n°041/AP/S2 du 18 mai 2016, Compte de la commune de Tibati, Exercice


2012 ; arrêt n°038/AP/S2 du 18 mai 2016, Compte de la commune d’Edéa 2e, Exercices
2009 et 2010 ; arrêt n°25/D du 09 juillet 2014, Compte de la commune d’Arrondissement
de Yaoundé 1er, Exercice 2007.
14 DESCHEEMAEKER (C.), VAN HERZELE (P.), « Du bon usage de la gestion de

fait », AJDA, n°42, 11 décembre 2017, p. 2398.


599
second »15. La Chambre des comptes dans le but de rétablir l’orthodoxie
financière a jugé utile de s’appuyer sur la procédure de gestion de fait pour
se donner un titre de compétence sur le maire et le billeteur de la
commune de Datcheka, dès lors qu’ils n’ont pas la qualité de comptable
public. Toutefois, était-il judicieux de déclarer le maire et le billeteur
solidairement comptables de fait sans mettre le comptable public en
cause ? La question se pose d’autant que la deuxième Section opte pour
une solution contraire dans d’autres affaires similaires.
Au demeurant, il convient d’approfondir la réflexion dans
l’optique d’examiner les principaux motifs invoqués par la Chambre des
comptes pour justifier la déclaration de gestion de fait solidaire à l’encontre
du maire et du billeteur dans le cas d’espèce (I), avant de faire ressortir les
conséquences d’une telle déclaration (II).
I. La déclaration de gestion de fait justifiée par le motif
d’une collusion frauduleuse entre le maire et le billeteur
La Chambre des comptes siégeant en sa deuxième Section a
décidé qu’il y a lieu de procéder à l’ouverture d’une procédure de gestion
de fait à l’encontre du maire et du billeteur impliqués dans la gestion des
fonds mis à disposition du second par différents déblocages du receveur
municipal. Même si le maire et le billeteur sont conjointement et
solidairement déclarés comptables de fait, le juge des comptes prend soin
de préciser le motif qui justifie leur mise en cause.
Il convient d’analyser les motifs invoqués à l’encontre du maire en
sa qualité d’ordonnateur et ceux mis à la charge du billeteur des dépenses
querellées. Après analyse, il ressort que la responsabilité du maire est
engagée sur le fondement de la solidarité, vaguement prouvée dans la
décision de la juridiction des comptes (A) et, celle du billeteur pour
maniement sans qualité des fonds publics (B).
A. La solidarité, fondement contestable de la déclaration de
gestion de fait à l’encontre du maire
Le maire est l’ordonnateur principal de la commune en matière de
recettes et de dépenses16. En cette qualité, il est tenu par le principe de
séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable. À première vue,
ce principe lui interdit de s’immiscer dans les opérations comptables

15 BILOUNGA (S. T.), Finances publiques camerounaises, budgets-impôts-douanes-comptabilité


publique, Paris, L’Harmattan, 2020, p. 167.
16 Article 434 alinéa 1 (a) du Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées (ci-

après CGCTD).
600
d’exécution du budget, lesquelles en matière de dépense consistent à
vérifier la régularité du dossier de la dépense et à procéder au paiement17.
En matière de recettes, le maire ne doit pas procéder au recouvrement des
recettes ni à leur détention parce que cette attribution est dévolue au
receveur municipal18.
Dans l’arrêt sous revue de la Chambre des comptes, le juge
indique précisément que le maire est mis en cause dans une procédure de
gestion de fait pour le motif de l’avoir organisé. Cette motivation met en
exergue une autre facette du principe de séparation des fonctions
d’ordonnateur et de comptable, en ce sens que l’application de ce principe
n’implique pas seulement que l’ordonnateur ne puisse pas s’ingérer dans
les fonctions réservées au receveur municipal. À l’analyse, le principe
implique aussi que le maire n’use pas de son influence, de son autorité ou
toute autre manœuvre pour empêcher directement ou indirectement que le
receveur municipal effectue par lui-même les opérations auxquelles il est
préposé conformément aux lois et règlements. Il est admis que sont
comptables de fait, les supérieurs qui ont organisé la gestion irrégulière ou
ont fait exécuter les opérations par leurs subordonnés, ce qui signifie que
toute personne ayant participé de près ou de loin à l’opération peut être
déclarée solidairement comptable de fait19. Cela inclut toutes personnes
ayant ordonné ou toléré l’irrégularité20.
En l’espèce, la deuxième Section de la Chambre des comptes
indique clairement que « le soit disant billeteur ne l’est que de nom », précisant au
passage « qu’il s’agit en réalité d’un personnage désigné par le Maire pour contourner
le principe de séparation des fonctions entre ordonnateurs et comptables », surtout qu’
« il s’agit d’un homme aux ordres du Maire pour couvrir les opérations irrégulières ».
Cette motivation qui n’est pas un cas isolé21 dans la jurisprudence de la
Chambre des comptes repose sur de simples présomptions faites par le
juge sans éléments probants de violation des règles de la comptabilité
publique.

17 Voir, article 433 alinéa 2 du CGCTD.


18 Voir, article 441 du CGCTD.
19 MAGNET (J.), VALLERNAUD (L.), VUGHT (T.), La Cour des comptes, les institutions

associées et les Chambres régionales des comptes, op cit., p. 371.


20 Ibid.
21 Arrêt n°128/P du 22 octobre 2014, Compte de la Commune de Wina, exercice 2009 ;

arrêt n°130/P du 22 octobre 2014, Compte de la Commune de Muyuka, Exercice 2011 ;


arrêt n°125/P, Compte de la Commune de Gueme, Exercice 2004 ; arrêt
n°01/AD/CSC/CDC/SR du 30 août 2012, Compte de gestion de l’Agence Nationale
d’Investigation Financière (ANIF), Exercice 2006.
601
Il importe de noter que la juridiction des comptes doit fonder sa
décision sur des faits objectifs dont elle est capable de rapporter la preuve.
Sa juridiction consiste veiller au respect des règles et procédures
d’exécution des dépenses et recettes publiques. Sa compétence lui permet
donc de juger le compte et d’invoquer l’attitude du comptable ou tout
autre justiciable uniquement pour faire des constatations ayant un lien avec
les opérations relatives aux comptes. Or, dans le cas d’espèce, le juge des
comptes s’est fondé sur l’existence hypothétique d’une relation amicale
entre l’ordonnateur et le billeteur, appréciation au reste psychologique
consistant à prêter des intentions, pour engager leur responsabilité. La
fragilité de cette motivation vient par exemple du fait que le juge ne fonde
pas la gestion de fait sur le motif que le maire a été directement
bénéficiaire des fonds objet des déblocages, ni que ces fonds ont été
irrégulièrement extraits des caisses de la commune.
Par contre, la deuxième Section met en exergue plusieurs
irrégularités commises par le billeteur et suffisantes pour engager sa
responsabilité personnelle et pécuniaire sans qu’il soit nécessaire de
mobiliser la procédure complexe de la gestion de fait. Or, de l’appréciation
du juge, le maire serait l’organisateur de cette gestion de fait, parce qu’il
aurait désigné un « billeteur apparent ». Cette motivation ne convainc guère,
car il s’agissait d’indiquer que la désignation du billeteur a été irrégulière et
non pas qu’il s’agit d’un « homme aux ordres » du maire. À supposer que le
billeteur soit un « ami » du maire, il demeure constant que les déblocages
de fonds ordonnés à son égard ne sont répréhensibles que s’ils sont
exécutés en violation des règles de la comptabilité publique.
En clair, dans la mesure où le maire est compétent pour désigner
un billeteur et ordonner des déblocages de fonds à son profit, la
considération qu’ils entretiennent des relations amicales ne doit avoir
aucune incidence sur l’habilitation du billeteur. Toutefois, si le billeteur ne
respecte pas les formalités prescrites à l’exécution des dépenses publiques,
sa responsabilité peut être engagée. Et dans cette dernière hypothèse, le
juge doit prendre en compte le fait que le billeteur est soumis au même
régime de responsabilité que le régisseur et exerce ses opérations sous le
contrôle du comptable. Cette responsabilité incombe donc à titre principal
au comptable, quitte pour lui à démontrer qu’il n’a pas failli à son
obligation de contrôle ou qu’il n’a pas été en mesure d’exercer un tel
contrôle pour des raisons qui ne lui sont pas imputables.
De ce qui précède, il ressort que la deuxième Section fonde la
mise en cause du maire sur de simples présomptions alors qu’il était

602
possible de rechercher l’irrégularité dans le cadre des procédures
d’exécution de la dépense publique. D’un autre point de vue, il s’agit aussi
de démontrer que le billeteur régulièrement désigné est habilité à détenir et
manier des fonds mis à sa disposition par le comptable public.
B. Le maniement sans qualité, motif injustifié de la déclaration de
gestion de fait à l’encontre du billeteur
L’arrêt de la deuxième Section de la Chambre des comptes met en
doute aussi bien la régularité que la sincérité de la qualité du billeteur et des
dépenses qu’il a effectuées sur déblocages du receveur municipal. Plus
important, le juge des comptes s’interroge « sur la passivité du comptable face à
ces manœuvres », arguant qu’il « aurait dû surseoir à ces déblocages ». Si l’on s’en
tient à cette motivation, il semble encore que la démarche du juge des
comptes est critiquable, d’autant qu’il relève des manquements imputables
au comptable, mais ne le sanctionne pas. Or, de toute évidence, le
comptable aurait pu bloquer l’exécution des dépenses querellées en
exerçant son contrôle de régularité, quitte au maire d’user de son droit de
réquisition.
De fait, le paiement de certaines dépenses publiques par billetage
est autorisé par la circulaire du ministre des finances portant instructions
relatives à l’exécution du budget de l’État et des autres organismes
publics22. Cette circulaire du ministre des finances prévoit que seule une
catégorie de dépenses est payée par billetage23. À cet effet, les
ordonnateurs transmettent aux services en charge du contrôle budgétaire
et du paiement, les actes de désignation de leurs billeteurs et ce, avant
toute opération y relative24. De plus, les états d’émargement sont retournés
au Contrôle financier pour apurement à la fin du billetage, sous peine de
sanctions prévues par la réglementation en vigueur. Ces états sont ensuite
transmis au poste comptable de rattachement pour reddition des
comptes25.
Ce qui précède permet de relativiser la qualification de
l’irrégularité invoquée par le juge des comptes à l’encontre du billeteur. S’il

22 Circulaire n°001/C/MINFI du 28 décembre 2018 portant Instructions relatives à


l’exécution des Lois de finances, au suivi et au contrôle de l’exécution du budget de l’État et
des autres entités publiques pour l’Exercice 2019.
23 Aux termes du paragraphe 520 de la circulaire du ministre des finances, précitée, « les

seules dépenses devant être payées par billetage sont les suivantes : les salaires des personnels domestiques ;
les indemnités pour heures supplémentaires ; les gratifications ; les émoluments et les primes ; les indemnités
forfaitaires de tournées ; les indemnités de sessions et primes pour travaux spéciaux ; les remises », p. 79.
24 Paragraphe 521 de la circulaire du ministre des finances, précitée.
25 Paragraphe 522 de la circulaire du ministre des finances, précitée.

603
s’avère que ce dernier a été désigné par le maire dans le respect de la
règlementation, en l’occurrence la circulaire du ministre des finances
relative à l’exécution des budgets publics, le juge des comptes ne saurait
valablement établir l’irrégularité du maniement des fonds sur le seul motif
que le billeteur est « un homme de main » du maire. En prouvant son
habilitation régulière, le billeteur sera déchargé de toute responsabilité
fondée sur le fait qu’il aurait manié les fonds mis à sa disposition. En
revanche, le juge aurait pu s’appuyer sur d’autres irrégularités relevées dans
sa décision telles que : « absence d’émargement », « absence de décision du maire »
et « absence de reçu de paiement » pour sanctionner la responsabilité
personnelle et pécuniaire du billeteur. Doté de la qualité de billeteur qui
habilite au maniement des deniers publics, la déclaration de gestion de fait
n’est plus opératoire. C’est dire que le juge des comptes n’a pas motivé la
qualification de l’irrégularité de manière irréfutable.
Pour preuve, la deuxième Section de la Chambre des comptes a eu
rendre des décisions contradictoires sur des faits identiques, relatifs aux
déblocages de fonds au profit du billeteur sur ordre du maire comme dans
le cas d’espèce. Dans l’arrêt Compte de la commune d’Edéa II e du 18 mai
2016, le juge engage plutôt la responsabilité du receveur municipal en ces
termes :
« (…) Attendu que les dépenses budgétaires ainsi effectuées sont sans rapport
avec le rôle classique dévolu à un billeteur ou au-delà de celui-ci, qu’en clair, il s’agit
d’un homme aux ordres du maire pour maquiller les opérations douteuses et
irrégulières ; qu’on s’interroge cependant sur la passivité du comptable qui aurait dû
surseoir à ces déblocages de fonds ; attendu qu’en procédant au paiement de telles
dépenses, le receveur municipal engage sa responsabilité personnelle et pécuniaire, en
application de l’article 48(1) de la loi n°2003/005 du 21 avril 2003 suscitée »26.
Il est frappant de constater que cette décision tire paradoxalement
une conséquence contraire sur des irrégularités identiques. Ce flottement
de la jurisprudence persiste dans un autre arrêt où la Chambre des
comptes soutient que le déblocage de fonds ordonné par le maire au profit
du billeteur a servi à déjouer la vigilance du comptable et devrait entraîner
une déclaration de gestion de fait conjointe et solidaire. Mais au final, le
juge écarte la responsabilité du maire en indiquant :
« Que toutefois, au regard de la somme en cause qui est relativement modeste
(4.650.000 FCFA) et de la complexité de la procédure de gestion de fait, il serait
souhaitable d’engager exclusivement la responsabilité personnelle et pécuniaire du

26 Arrêt n°038/AP/S2 du 18 mai 2016, Compte de la commune d’Edéa 2 e, Exercices 2009


et 2010.
604
receveur conformément aux dispositions de l’article 58 de la loi n°2007/006 du 26
décembre 2007 portant régime financier de l’État »27.
La gestion de fait a donc été écartée dans cet arrêt du fait de la
complexité de sa procédure et la modicité de la somme querellée. Ces
motifs sont pour le moins critiquables lorsqu’il est établi que la somme en
cause est de 4.650.000 FCFA et que la personne publique intéressée est
une commune, le critère d’appréciation de la modicité de cette somme
étant loin d’être démontré. Deux ans auparavant, la responsabilité du
receveur était levée pour des faits similaires dans un arrêt Compte de la
commune d’arrondissement de Yaoundé Ier où le juge décide : « toutefois au
regard du fait que ce billeteur agissait sous les ordres directs du maire, la responsabilité
du receveur se trouve limitée. Qu’en conséquence, il y a lieu de procéder à la levée de cette
injonction »28. Il semblait illogique d’invoquer la collusion frauduleuse qui
entache les déblocages de fonds au profit du billeteur et ne pas impliquer
le maire, le billeteur et le receveur alors que tous en ont eu connaissance.
Cette approche a été adoptée dans l’arrêt Compte de la commune de
Gueme du 22 octobre 2014 par lequel la Chambre des comptes décide :
« par conséquent, conformément à l’article 43 de la loi n°2003/005 du 21 avril 2003
suscitée, messieurs WAKNA Paul (maire), MAMOUDOU NDJIDDA (receveur
municipal) et Mme VANGMIGUE Martine (billeteur) sont conjointement et
solidairement responsables ; le maire pour avoir organisé cette gestion de fait ; le receveur
pour l’avoir connu et toléré ; le billeteur pour avoir matériellement manié les fonds »29.
En clair, même s’il y avait lieu d’initier une procédure de gestion
de fait à l’encontre du maire et du billeteur, les motifs sur lesquels s’est
appuyé le juge des comptes n’étaient pas suffisamment fondés en droit au
regard des éléments invoqués à l’issue de l’instruction. La Chambre des
comptes ne démontre pas que la désignation du billeteur a été faite en
violation des lois et règlements sur la comptabilité publique, ni qu’il n’a pas
qualité pour manier des fonds mis à sa disposition. Quoi qu’il en soit, la
déclaration de gestion de fait entraîne des conséquences sur le plan
procédural.
II. L’incidence contentieuse de la déclaration de gestion de fait
solidaire pour collusion frauduleuse entre le maire et le
billeteur

27 Arrêt n°041/AP/S2 du 18 mai 2016, Compte de la commune de Tibati, Exercice 2012.


28 Arrêt n°25/D du 09 juillet 2014, Compte de la commune d’Arrondissement de Yaoundé
1er, Exercice 2007.
29 Arrêt n° 101/P du 22 octobre 2014, Compte de la commune de GUEME, Exercice

2010.
605
L’arrêt de la deuxième Section de la Chambre des comptes, sous
revue, comporte dans son dispositif cinq (05) articles qui renseignent
suffisamment sur les conséquences de la déclaration de gestion de fait à
l’encontre du maire et du billeteur de la commune de Datcheka. Ce
dispositif est repris à l’identique dans plusieurs autres arrêts comportant
des faits similaires30.
En s’intéressant à la situation des personnes déclarées comptables
de fait, l’on retient pour l’essentiel que l’ouverture de la procédure de
gestion de fait les astreint à l’obligation de production du compte de leur
gestion dans certaines conditions (A) et à la justification des dépenses
effectuées par des pièces comptables (B).
A. L’imprécision de l’obligation de production du compte unique de
la gestion de fait
L’obligation de production du compte de gestion est consacrée
par la loi du 21 avril 2003 fixant les attributions, l’organisation et le
fonctionnement de la Chambre des comptes31. Mais l’application de cette
obligation est variable, selon qu’il s’agisse du comptable public patent ou
des personnes déclarées comptables de fait32. De toute façon, le juge des
comptes ne pourrait statuer en l’absence du compte, lequel conditionne
son office contentieux33. Il est indiqué que « si après déclaration définitive de
comptabilité de fait, le comptable de fait ne produit pas son compte, la Chambre des
comptes peut le condamner à l’amende prévue au titre du retard dans la production du
compte »34. La règle selon laquelle, « le juge des comptes juge le compte et non le
comptable » renforce cette obligation. La conséquence ultime de cette règle
est que tout jugement prononcé par la juridiction des comptes en l’absence
du compte est frappé de nullité. Le législateur a même prévu que la
Chambre des comptes « peut commettre d’office un nouveau comptable pour
produire un compte en lieu et place et aux frais du comptable de fait défaillant »35.

30 Voir supra, note de bas de page n°10.


31 SIETCHOUA DJUITCHOKO (C.), « L’obligation de production des comptes des
comptables publics dans l’office du juge des comptes : un corridor clair-obscur à la
Chambre des comptes de la Cour suprême du Cameroun », in ANOUKAHA (F.) et
OLINGA (A. D.) (Sous la coord.), L’obligation. Études offertes au Professeur Paul-Gérard
POUGOUE, Yaoundé, L’Harmattan, 2015, pp. 857-873.
32 Pour les comptables de fait, l’obligation de production du compte de la gestion est

prévue par l’article 42 de la loi n°2003/005, précitée.


33 Jacques MAGNET et les autres soulignent à ce sujet que « la présentation d’un compte est

donc la condition indispensable au jugement sur la responsabilité pécuniaire et personnelle du comptable de


fait ». Voir, MAGNET (J.), VALLERNAUD (L.), VUGHT (T.), La Cour des comptes, les
institutions associées et les Chambres régionales des comptes, op cit., p. 392.
34 Article 42 de la loi n°2003/005 du 21 avril 2005, précitée.
35 Idem.

606
Mais à l’analyse de la jurisprudence de la Chambre des comptes
camerounaise, cette nullité pour jugement en l’absence de production du
compte n’opère exceptionnellement pas lorsqu’il s’agit des décisions
d’incompétence36. Quoi qu’il en soit, la déclaration de gestion de fait
entraîne immédiatement l’injonction de production du compte par arrêt
provisoire.
Aux termes de la décision, sous revue, la deuxième Section a
déclaré le maire et le billeteur comptables de fait et les a enjoint de
produire dans un délai de deux mois à compter de la date de notification
de l’arrêt, leur compte de gestion de la somme en cause. En outre, le
compte à produire devra retracer la totalité des opérations en dépenses
dûment certifiées par la tutelle. À la différence du compte de gestion du
comptable patent, le compte de la gestion de fait est limité au montant de
la dépense querellée. Ce compte ne comporte que les opérations relatives à
ce montant ainsi que les justificatifs s’y rapportant. Mais sur le plan formel,
il ne peut s’agir que d’un état récapitulatif des opérations effectuées. L’on
ne doit pas s’attendre à ce que le format de ce compte de gestion soit
identique à celui confectionné par le comptable public patent37.
Du point de vue de la procédure, la computation du délai de
dépôt du compte de la gestion de fait s’opère à partir de la décision de la
Chambre des comptes. Ce délai est de deux (02) mois à compter de la
notification de la décision déclarative de la gestion de fait, ce qui n’est pas
le cas pour les comptables patents. De même, le délai fixé par la loi du 21
avril 2003 sur la Chambre des comptes est de « trois mois pour répondre à
l’arrêté, à compter de la notification de celui-ci »38. La réduction des délais par la
Chambre des comptes est donc une violation de la loi de 2003 et semble
s’inscrire en faux contre une garantie procédurale, sans doute justifiée par
les difficultés que le comptable de fait peut éprouver dans la confection du
compte de la gestion de fait.
Selon le juge des comptes, le compte de gestion ne devrait
contenir que les dépenses dûment certifiées par la tutelle. Il s’agit ainsi
d’une spécificité du régime financier des collectivités territoriales
décentralisées qui prévoit un pouvoir de tutelle exercé par le représentant

36 Arrêt n°18/AP/CSC/CDC/S3 du 07 juillet 2010, Compte de gestion de l’École


Nationale d’Hôtellerie et du Tourisme de Ngaoundéré, Exercices 2004 et 2005.
37 SIETCHOUA DJUITCHOKO (C.), La Chambre des comptes de la Cour suprême du

Cameroun. Les principaux arrêts, avis, rapports de certification du compte général de l’État et rapports
d’observations à fin de contrôle commentés, Yaoundé, Éd. Le Kilimandjaro, 2016, pp. 426-427.
38 Article 41 de la loi n°2003/005 du 21 avril 2003, précitée.

607
de l’État sur les dépenses engagées par l’ordonnateur municipal39. Le juge
des comptes devient cependant trop formaliste quant il exige que les
dépenses mises en cause doivent forcément porter la certification de
l’autorité de tutelle, car l’invocation de la tutelle peut complexifier et
freiner la production du compte par le comptable de fait40. Pour les actes
d’exécution des dépenses publiques que l’on peut classer dans les actes de
gestion quotidienne, il est prescrit une notification de l’autorité de tutelle
dont le silence est interprété comme une décision d’approbation41.
En tout état de cause, les personnes conjointement et
solidairement déclarées comptables de fait produisent un compte unique.
Si l’un d’eux est diligent et produit le compte en premier, les autres
peuvent se joindre à cette comptabilité en la signant, avec la possibilité de
rejeter les opérations qu’ils désapprouvent42. Mais dans certains arrêts, la
Chambre des comptes a été plus explicite sur les responsabilités en matière
de production du compte de la gestion de fait. Par sa décision du 08 août
2012 portant sur les comptes de la SOWEDA, la troisième Section de la
Chambre des comptes « a su se montrer plus directif, faute pour la loi de 2003
d’avoir déterminé à l’avance laquelle des personnes impliquées dans la gestion de fait
devait produire le compte commun au nom de tous »43. Car, au lieu de laisser penser
que l’une des personnes mise en cause prendra l’initiative au nom des
autres, le juge des comptes s’est appuyé sur l’implication de chaque partie
prenante pour déterminer parmi les comptables de fait celui à même de
réunir aisément les preuves de la gestion de fait. À ce propos, la Chambre
des comptes a indiqué que, « dans l’hypothèse de pluralité des comptables de fait
lorsque l’arrêt définitif des comptes distingue le comptable de fait principal des
comptables de fait secondaires, la production du compte est laissée à la charge du
comptable de fait principal »44.
Dans l’arrêt sous revue, la deuxième Section de la Chambre des
comptes n’a pas jugé utile d’établir une quelconque hiérarchie entre les
comptables de fait, ni désigné celui chargé à titre principal de produire le
compte de la gestion de fait. Pourtant, la motivation de sa décision montre

39 Article 75 alinéas 1 et 2 de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant CGCTD.


40 L’article 69 de la loi n°2004/017 d’orientation de la décentralisation, aujourd’hui abrogée,
disposait, quant à elle, que « les actes de gestion quotidienne sont exécutoires de plein droit dès qu'il est
procédé à leur publication ou notification aux intéressés. Ces décisions font l'objet de transmission au
représentant de l’État ». La transmission est faite dans ce cadre dans un but d’information.
41 Article 76 alinéa 3 de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019, précitée.
42 Article 43 de la loi n°2003/005 du 21 avril 2003, précitée.
43 SIETCHOUA DJUITCHOKO (C.), La Chambre des comptes de la Cour suprême du

Cameroun. Les principaux arrêts, avis, rapports de certification du compte général de l’État et rapports
d’observations à fin de contrôle commentés, op cit., p. 425.
44 Idem.

608
que le maire a « organisé » la gestion de fait et que le billeteur n’était que
« son homme de main ». Ces deux indices indiquent la place que le juge
confère à chaque personne mise en cause. En s’abstenant de désigner le
comptable de fait principal, la Chambre des comptes peut avoir du mal à
imputer l’amende pour retard dans la production du compte de la gestion
de fait. Mais, l’on peut aussi comprendre la démarche du juge qui se trouve
encore au stade de la déclaration provisoire de la gestion de fait. Plus de
précisions pourront sans doute être apportées lors de la déclaration
définitive de la gestion de fait.
En tout état de cause, les mis en cause produisent conjointement
un compte comportant toutes les justifications qui permettent de certifier
la réalité et la régularité des dépenses effectuées.
B. La nature des justifications requises dans la gestion de fait en
cause
Aux termes de la loi du 21 avril 2003 sur la Chambre des comptes,
« les écritures relatives à la comptabilité de fait, transmises à la Chambre des comptes,
assorties de pièces justificatives, sont jugées suivant les règles applicables aux comptes des
comptables publics patents »45. La règle est reprise en d’autres termes par le
décret portant règlement général de la comptabilité publique : « la gestion de
fait entraîne, pour son auteur déclaré comptable de fait par la juridiction des comptes, les
mêmes obligations et responsabilités que la gestion patente pour le comptable public »46.
Il en ressort que le compte produit par les comptables de fait doit être
appuyé par les mêmes pièces justificatives règlementaires exigées dans les
gestions patentes.
En effet, dans le compte de gestion d’un comptable patent, on
distingue le compte sur pièces du compte sur chiffre dont l’agencement
répond à une nomenclature précise. Le compte du comptable de fait n’est
certes pas assujetti à ce formalisme. La juridiction des comptes peut ; pour
des raisons d’équité, suppléer à l’insuffisance des pièces justificatives,
hormis les cas de mauvaise foi et d’insincérité47. Mais il demeure que ce
dernier est tenu de produire toutes les pièces justificatives à l’appui des
opérations retracées dans sa comptabilité.
Dans l’arrêt sous revue, la deuxième Section de la Chambre des
comptes enjoint aux mis en cause d’annexer au compte de leur gestion
toutes justifications ainsi qu’une délibération du Conseil municipal statuant

45 Article 44 alinéa 1 de la loi n°2003/005 du 21 avril 2003, précitée.


46 Article 38 alinéa 1 du décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 portant règlement général de
la comptabilité publique.
47 Article 44 alinéa 2 de la loi n°2003/005 du 21 avril 2003, précitée.

609
sur l’utilité publique des dépenses qui auraient été faites dans l’intérêt de la
Commune.
D’une part, les justifications dont la production est requise
doivent se présenter sous la forme de pièces justificatives annexées au
compte de la gestion de fait. La Chambre des comptes ayant déjà identifiée
les opérations exécutées par le billeteur sur ordre de l’ordonnateur, les
pièces justificatives requises permettront de remonter le circuit de la
dépense dès son engagement jusqu’à son bénéficiaire. Les pièces
généralement demandées sont les actes d’engagement de la dépense, la
certification du service fait et sa liquidation, l’ordre ou le mandat de payer,
la quittance de paiement ou les états d’émargement, les factures en cas
d’achat de biens. Ces pièces doivent comporter des mentions qui
permettent d’établir leur authenticité et de bien identifier les parties à
l’opération de la dépense.
D’autre part, la preuve de l’utilité publique de la dépense dans
l’intérêt de la Commune est nécessaire pour exonérer le comptable de fait
de sa responsabilité lorsque les dépenses querellées n’ont pas été
autorisées. Il est généralement admis que la procédure de gestion de fait
vise à rétablir les formes budgétaires et comptables qui auraient été
méconnues48. En effet, ces formes budgétaires et comptables sont
instituées pour assurer la satisfaction de l’intérêt général. Cependant, la
reconnaissance d’utilité publique « consiste en effet à obtenir de l’autorité
budgétaire compétente, c’est-à-dire l’organe délibérant de la personne publique concernée
(Parlement pour l’État, Assemblées des collectivités territoriales), une décision…
ouvrant a posteriori les crédits correspondant aux dépenses indûment réalisées par les
comptables de fait »49. C’est dire que le comptable de fait qui passe outre les
formes budgétaires n’est pas automatiquement sanctionné s’il prouve le
caractère utile et d’intérêt général de sa gestion pour la collectivité
publique. Dans ces conditions, le juge des comptes s’abstiendra de le
mettre en débet50. Toutefois, la juridiction des comptes peut lui infliger
une amende pour gestion de fait, car il s’agit de ne pas tolérer voire
encourager l’immixtion des personnes non habilitées dans les fonctions de
comptable patent51.

48 HERTZOG (R.), « La nécessaire réforme de la procédure de gestion de fait », op cit., pp.


87-105.
49 DESCHEEMAEKER (C.), VAN HERZELE (P.), « Du bon usage de la gestion de

fait », op cit., p. 2399.


50 MAGNET (J.), « La régularisation de la gestion de fait », op cit., p. 82.
51 Article 44 alinéa 4 du décret n°2013/160, précité.

610
En définitive, la décision commentée présente l’intérêt de prévenir
les exécutifs municipaux sur les manœuvres qu’ils s’emploient à utiliser
pour s’ingérer dans les fonctions des receveurs municipaux. La juridiction
des comptes démontre ainsi que de telles manœuvres peuvent être
qualifiées de gestion de fait et engager leur responsabilité pour violation du
principe de séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable
public. In fine, l’objectif est de rétablir les contrôles des receveurs
municipaux sur la gestion des maires en dépit des multiples modalités
d’exécution des dépenses publiques. Si le billeteur n’est pas désigné dans
les conditions prescrites par les lois et règlements pour s’occuper des
seules opérations prévues par la circulaire du ministre en charge des
finances, il peut être déclaré conjointement et solidairement avec le maire
comptables de fait. Mais pour que leur responsabilité soit effectivement
engagée, la juridiction des comptes doit être en mesure de prouver
l’irrégularité des déblocages de fonds et la collusion frauduleuse des
comptables de fait.

611
CHRONIQUE ANNUELLE DE JURISPRUDENCE FISCALE
EUROPEENNE 2020
Par
Dr. Franc de Paul TETANG
Docteur en droit de l’Université de Poitiers
Diplômé de Gestion Fiscale (Institut d’Administration des Entreprises de Poitiers)
Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Douala (Cameroun).

Cette chronique a pour ambition de constituer un rendez-vous annuel avec


les lecteurs de la Revue Africaine de Finances Publiques autour des
problématiques de fiscalité internationale et communautaire comparée.
L’étendue de la matière ainsi que la grande diversité des décisions de
justice imposent de faire un choix, sans doute subjectif, mais tout de
même fondé, principalement, sur leur impact potentiel aussi bien au regard
de l’état du droit préexistant que de leur portée sur le plan économique,
financier, budgétaire et politique. La présente étude abordera de manière

1. Grands principes de la fiscalité internationale et communautaire

synthétique les décisions les plus marquantes des juridictions


communautaires étrangères et certaines décisions des juridictions
nationales à incidence fiscale extranationale.

1-a. CJUE, 14 mai 2020, aff. C-749/18, B. e. a. ; Jusqu’où les


principes d’équivalence et d’effectivité peuvent-ils permettre au
contribuable de bénéficier rétroactivement des avantages liés à
l’intégration fiscale horizontale ?
Intégration fiscale verticale et horizontale, Consolidation des
résultats, Principe d’effectivité, Principe d’équivalence, Droits
conférés par le droit de l’Union, Société mère non résidente, Filiales
et sociétés sœurs, Liberté d’établissement, Article 49 et 54 TFUE
Solution du juge
1. Dans sa décision rendue le 14 mai 2020, la Cour de justice dit pour
droit que : « les principes d’équivalence et d’effectivité doivent être interprétés en
ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation d’un État membre relative à un
régime d’intégration fiscale qui prévoit que toute demande visant à pouvoir
bénéficier d’un tel régime doit obligatoirement être introduite auprès de l’autorité
612
compétente avant la fin du premier exercice d’imposition pour lequel
l’application de ce régime est demandée » (art. 3 du dispositif).
Faits et procédure
2. Une société de droit luxembourgeois fiscalement résidente au
Luxembourg dont la société mère est une société de droit français
fiscalement résidente en France a sollicité avec ses sociétés sœurs
(dont le capital est détenu indirectement par la société mère de
droit français), l’octroi du bénéfice du régime de l’intégration
fiscale, à partir, respectivement, du 1er janvier 2013 et du 1er
janvier 2014.

3. A la suite de la décision de refus de l’Administration fiscale, le


Tribunal administratif a, premièrement, déclaré le recours non
fondé en ce qui concerne l’admission au régime d’intégration
fiscale à partir du 1er janvier 2013. Et ce au motif que la demande
aurait dû parvenir à l’administration avant la fin du premier
exercice de la période pour laquelle le régime d’intégration fiscale
était demandé, à savoir avant la fin de l’année 2013.

4. Il a en revanche déclaré le recours fondé, en ce qui concerne


l’exercice d’imposition 2014, et a décidé « que l’interdiction, pour
une société mère non-résidente établie dans un autre État membre, de former
une entité fiscale entre ses sociétés filiales résidentes, telle qu’elle résulte de
l’article 164 bis de la LIR, alors que cette même possibilité est conférée à une
société mère résidente au moyen d’une intégration verticale, est incompatible
avec les libertés de circulation et d’établissement visées aux articles 49 et 54
TFUE » (Pt. 12).

5. Saisie en appel par les trois sociétés sœurs, la Cour administrative


d’appel a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice
à titre préjudiciel.

Commentaires

6. Pour mémoire, la Cour de justice a jugé dans son arrêt du 12 juin


2014 SCA Group Holding e.a. (C-39/13 à C-41/13) que « les articles
49 TFUE et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à
une législation d’un État membre en vertu de laquelle une société mère
résidente peut former une entité fiscale unique avec une sous-filiale résidente
lorsqu’elle la détient par l’intermédiaire d’une ou de plusieurs sociétés
résidentes, mais ne le peut pas lorsque qu’elle la détient par l’intermédiaire de
sociétés non-résidentes ne disposant pas d’un établissement stable dans cet État
613
membre ». Sur le fondement de cet arrêt, une société soumise à
l’impôt sur les sociétés dans un Etat membre et détenue par
exemple à 95% au moins par une société résidente d’un autre Etat
membre a la faculté de se constituer seule redevable de l’impôt sur
les sociétés dû sur l’ensemble des résultats du groupe formé par
elle et ses sociétés sœurs, détenues directement ou indirectement
par la même société mère étrangère.

7. Il importe de relever qu’avant l’arrêt précité du 12 juin 2014, la


pratique administrative et la jurisprudence nationale des Etats
membres en général, et celle du Luxembourg en particulier,
s’opposaient à toute demande d’intégration fiscale horizontale.
Dans ce contexte, il était donc possible de penser qu’en vertu du
principe selon lequel « l’interprétation que la Cour donne d’une règle de
droit de l’Union, dans l’exercice de la compétence que lui confère l’article 267
TFUE, éclaire et précise la signification et la portée de cette règle, telle qu’elle
doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en
vigueur », la juridiction supranationale jugerait que ne peut être
exigé d’une société sollicitant, à titre rétroactif, le bénéfice de
l’intégration fiscale horizontale, en invoquant la méconnaissance
du droit supranational, le respect de certaines exigences formelles.
Et cette position semblait d’ailleurs probable pour au moins deux
raisons :

- D’une part, la Cour a déjà eu à rappeler que les États membres ont
la responsabilité d’assurer, dans chaque cas, une protection
effective des droits conférés par le droit de l’Union et que ce
principe exige, notamment, que les autorités fiscales de ces États
ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile
l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (arrêt
du 20 décembre 2017, Caterpillar Financial Services, C-500/16) ;
- Et d’autre part, le juge supranational a jugé dans son arrêt du 8
mars 2001, Metallgesellschaft e.a. (C-397/98 et C-410/98), que
« l’exercice des droits que les dispositions directement applicables du droit de
l’Union confèrent aux particuliers serait rendu impossible ou excessivement
difficile si leurs demandes en réparation fondées sur la violation du droit de
l’Union devaient être rejetées ou réduites au seul motif que les particuliers
n’ont pas demandé à bénéficier du droit conféré par les dispositions de l’Union,
et que la loi nationale leur refusait, en vue de contester le refus de l’État
membre par les voies de droit prévues à cet effet, en invoquant la primauté et
l’effet direct du droit de l’Union. Dans un tel cas, il n’aurait pas été
raisonnable d’exiger des personnes lésées qu’elles mettent en œuvre les voies de

614
droit à leur disposition, puisque celles-ci auraient dû de toute façon s’acquitter
de l’obligation de paiement en cause dans les affaires ayant donné lieu à cet
arrêt de manière anticipée et, même si le juge national avait jugé le caractère
anticipé de ce paiement incompatible avec le droit de l’Union les personnes en
question n’auraient pas pu obtenir le remboursement de cette somme et se
seraient exposées à une éventuelle amende ».

8. Or, au cas présent, la Cour exclut l’extension de sa


jurisprudence Metallgesellschaft e.a et fonde sa démarche sur
le courant jurisprudentiel amorcé dans son arrêt Q-Beef et Bosschaert
du 8 septembre 2011 (C-89/10 et 96/10) dans lequel elle avait
jugé compatibles avec les principes d’équivalence et d’effectivité
les dispositions d’une législation nationale prévoyant des délais de
recours à peine de forclusion, même si l’écoulement de ces délais
entraîne le rejet partiel ou complet des actions intentées (Voir BF
8-9/ 20, p. 13).

9. Dans ce sillage, et pour la Cour de justice, les autorités fiscales du


Luxembourg étaient donc en droit de rejeter la demande d’une
société résidente tendant à l’intégration rétroactive de ses sœurs
dans le périmètre d’une intégration préexistante pour défaut
d’introduction de la demande avant la fin du premier exercice
d’imposition pour lequel l’application de ce régime est sollicitée.

10. Les conclusions de l’Avocat général, absentes dans la présente


affaire, auraient sans doute apporté un éclairage déterminant sur
les fondements et la portée de la décision d’espèce [Voir. Note L.
Leclercq et M. Couperot Dr. fisc. 37/20 ; et Conclusions E. Bokdam-
Tognetti sur CE 29-12-2020 n° 427259, min. c/ Sté BPD France, RJF
2021 – C.251).

11. Cependant, une lecture minutieuse des points 71, 72 et 73 de la


décision, n’autorisent pas d’appréhender l’arrêt B e. a comme
le point de départ d’un abandon de la jurisprudence
Metallgesellschaft, mais de le situer dans le cadre d’un
apport jurisprudentiel salutaire sur la substance des notions
de « risques financiers et juridiques » et « de circonstances
en pratique impossibles ou excessivement difficiles pour
l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de
l’Union ».

12. La Cour indique à cet effet que : « l’introduction d’une demande


d’intégration n’entraînait pas, pour les requérantes au principal, des risques
615
financiers et juridiques analogues à ceux en cause notamment dans les affaires
ayant donné lieu aux arrêts du 8 mars 2001, Metallgesellschaft e.a. mais
pouvait, au contraire, être raisonnablement exigée de celles-ci. En l’occurrence,
en ce qui concerne l’année d’imposition 2013, les requérantes au principal
avaient en effet la possibilité de déposer à tout moment, au cours de cette
année, une demande d’intégration fiscale horizontale, en invoquant
l’incompatibilité de la législation luxembourgeoise avec le droit de l’Union.
[…] La circonstance que, au vu de la législation nationale, ainsi que de la
pratique administrative et de la jurisprudence internes, les requérantes au
principal auraient considéré vaine l’introduction d’une telle demande, ne
saurait être assimilée ni à l’impossibilité objective d’introduire celle-ci, au sens
de la jurisprudence de la Cour […] ni à une situation où une telle démarche
engendrerait des difficultés excessives ou ne pourrait raisonnablement être
exigée d’eux, au sens de la jurisprudence de la Cour […]».

NB. La portée de l’arrêt B e. a du 14 mai 2020 peut également


s’apprécier sur le terrain de la liberté d’établissement. La Cour de
justice a jugé dans cette affaire que l’obligation qui pèse sur une
société mère non résidente de dissoudre l’intégration verticale
formée entre ses filiales avant de pouvoir procéder à une intégration
horizontale est incompatible avec le droit supranational

 1-b. CJUE, 7 mai 2020, aff. C-547/18, Dong Yan Electronics ;


La filiale d’une société étrangère, qui en théorie constitue
une société juridiquement autonome, peut constituer un
« établissement stable preneur » de sa société mère
Notion d’« établissement stable » au sens de l’article 44 de la
directive TVA 2006/112/CE, Filiale (ayant son siège dans un État
membre) d’une société mère ayant son siège dans un pays tiers »,
Prestations de services
Solution du juge
13. La Cour juge que : « l’article 44 de la directive 2006/112/CE […], ainsi
que l’article 11, para.1, et l’article 22, para. 1, du règlement d’exécution (UE)
no 282/2011[…] du Conseil, du 15 mars 2011, […] doivent être interprétés
en ce sens que l’existence, sur le territoire d’un État membre, d’un établissement
stable d’une société établie dans un État tiers ne peut pas être déduite par un
prestataire de services du seul fait que cette société y possède une filiale et que ce
prestataire n’est pas tenu de s’enquérir, aux fins d’une telle appréciation, des
relations contractuelles entre les deux entités ».

616
Faits et procédure
14. DONG YANG, une société de droit polonais avait conclu, le 27
octobre 2010 avec LG COREE, une société coréenne, un contrat
de fourniture de services d’assemblage de cartes de circuits
imprimés en Pologne à partir de matériaux et de composants qui
étaient la propriété de LG COREE. Les matériaux et les
composants nécessaires à la confection des cartes de circuits
imprimés étaient dédouanés, puis fournis à DONG YANG par une
filiale de LG COREE, à savoir LG Pologne, une société de droit
polonais. Ces cartes de circuits imprimés qui demeuraient la
propriété de LG COREE étaient, après assemblage, remises par
DONG YANG à LG Pologne qui en faisait usage pour produire
des modules, propriété de la société coréenne.

15. DONG YANG avait facturé les services d’assemblage de cartes de


circuits imprimés à LG COREE en les considérant comme non
soumis à la TVA sur le territoire polonais. LG COREE avait
préalablement assuré DONG YANG ne pas disposer d’un
établissement stable en Pologne et ne pas employer de
salariés ou posséder d’immeubles ou d’équipements
techniques sur le territoire polonais. Or, l’Administration
fiscale polonaise estimait que DONG YANG avait exécuté les
prestations de services d’assemblage desdites cartes en
Pologne, dans la mesure où LG Pologne constituait un
établissement stable de LG COREE.

16. Par ailleurs, considérant que par les liens contractuels qu’elle avait
établis, LG COREE utilisait LG Pologne comme son propre
établissement ; les services fiscaux polonais ajoutaient qu’il
appartenait à la société DONG YANG non pas de s’en tenir à la
seule déclaration de LG COREE, selon laquelle celle-ci n’avait pas
d’établissement stable en Pologne, mais d’examiner, conformément
à l’article 22 du règlement d’exécution n°282/2011, quel était le
bénéficiaire réel des services qu’elle fournissait. Il ne faisait alors
l’ombre d’aucun doute aux yeux de l’Administration fiscale
polonaise qu’un tel examen aurait permis à la société DONG
YANG de conclure que ce bénéficiaire était en réalité LG Pologne.
Commentaires
17. Pour rappel, l’article 44 de la directive TVA qu’était appelé la Cour
de justice à interpréter, dispose depuis le 1er janvier 2010 que le lieu
des prestations de services fournies à un assujetti agissant en tant

617
que tel est en principe le lieu où l’assujetti a établi le siège de son
activité économique. Toutefois, par dérogation, si les services sont
fournis à un établissement stable de l’assujetti situé en un autre lieu
que celui du siège de l’activité économique, le lieu des prestations de
services est l’endroit où cet établissement stable est situé.

18. La Cour a déjà jugé que si le point de rattachement le plus utile afin
de déterminer le lieu des prestations de services, du point de vue
fiscal et, partant, prioritaire, est celui où l’assujetti a établi le siège de
son activité économique, la prise en considération d’un
établissement stable de l’assujetti constitue une dérogation à cette
règle générale, pourvu que certaines conditions soient remplies (arrêt
du 16 octobre 2014, Welmory, C-605/12). Et s’agissant du point de
savoir s’il existe un « établissement stable », au sens dudit article
44 précité, le juge de Luxembourg indique qu’il y a lieu de relever
que cette question doit être examinée en fonction de l’assujetti-
preneur auquel les services sont fournis.

19. À cet égard, aux termes de l’article 11 du règlement d’exécution no


282/2011, l’« établissement stable » désigne tout établissement, autre
que le siège de l’activité économique, qui se caractérise par un degré
suffisant de permanence et une structure appropriée, en termes de
moyens humains et techniques, lui permettant de recevoir et
d’utiliser les services qui sont fournis pour les besoins propres de
cet établissement (pt 28).

20. Il importe de relever qu’en l’espèce l’Avocat général Juliane


KOKOTT indiquait en substance dans ses conclusions rendues le
14 novembre 2019 que sous réserve des hypothèses de pratiques
abusives, une filiale qui est une société juridiquement
autonome ne peut pas simultanément être considérée comme
un établissement stable de la société mère (pt 29 et s.).

21. Or, la Cour qui n’adhère pas à cette position formaliste


souligne que pour l’application du système commun de TVA, il
apparaît impératif de prendre en compte la réalité économique et
commerciale. Dès lors, la qualification d’un établissement
d’établissement stable ne saurait dépendre du seul statut
juridique de l’entité concernée (pt. 31).

22. En conséquence, pour la juridiction supranationale, « une telle


qualification dépend des conditions matérielles énoncées par le règlement

618
d’exécution no 282/2011, notamment à l’article 11 de celui-ci, qui doivent être
appréciées à la lumière de la réalité économique et commerciale » (pt.32).

23. En somme, au-delà du statut juridique de l’entité concernée,


lorsqu’un assujetti preneur de services dispose d’une filiale dans un
Etat membre, le prestataire doit examiner la nature et l’utilisation du
service fourni, d’une part ; et par la suite la substance du contrat, le
bon de commande, le numéro d’identification TVA attribué par
l’Etat membre du preneur, d’autre part ; pour déterminer si ce client
possède ou non, dans l’Etat membre du prestataire, un « établissement
stable preneur ».
2. Cass. Crim., 1 avril 2020, n°18-85.958 F-D : Le principe non bis in

2. Droit pénal fiscal communautaire


idem et le cumul des sanctions fiscales et pénales : la Cour de
cassation s’inscrit dans le courant jurisprudentiel tracé par la Cour
de justice de l’Union européenne sans pour autant délivrer un brevet
de conventionnalité à la réserve émise par la France au sujet de
l’article 4 du protocole n°7 additionnel à la Conv. EDH.
Article 4 du protocole n°7 additionnel à la CEDH, Article 50 de la
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ; Principe
« Non bis in idem » ; Cumul de sanctions fiscales et pénales ;
Réserve Française, Nature pénale de la sanction administrative ;
Existence d’une même infraction ; Jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’Homme ; Dialogue des juges européens
et nationaux.
Solution du juge
24. La chambre criminelle de la Cour de cassation juge que : « d'une part,
l'interdiction d'une double condamnation en raison de mêmes faits, prévue par
l'article 4 du protocole n°7 ne trouve à s'appliquer, selon la réserve émise par la
France en marge de ce protocole, sur la validité de laquelle la Cour
européenne des droits de l'Homme ne s'est pas prononcée2784,
que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux
statuant en matière pénale et n'interdit pas le prononcé de sanctions fiscales
parallèlement aux peines infligées par le juge répressif, d'autre part, lorsque le
prévenu de fraude fiscale ne justifie pas ni même n'allègue avoir fait l'objet, à
titre personnel, d'une sanction fiscale pour les mêmes faits, le juge pénal n'a pas

2784 Souligné par nos soins.


619
à vérifier si les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la
répression pénale complémentaire ».

Faits et procédure
25. A la suite d'une plainte de l'administration fiscale, M. B., exerçant la
profession d'avocat, a été poursuivi pour s'être volontairement et
frauduleusement soustrait à l'établissement et au paiement total de
l'impôt sur le revenu et la TVA.

26. Le tribunal correctionnel l'a déclaré coupable de ces chefs


d’accusation par un jugement dont il a interjeté appel.

27. Pour déclarer M. B. coupable de fraude fiscale, les juges d’appel ont
énoncé notamment que la juridiction d’instance a à bon droit retenu
que la matérialité de l'infraction n'était pas contestée, les
déclarations de TVA et celles de revenus n'ayant été transmises que
très tardivement. Elle a en outre jugé que les droits dus au titre de
l'impôt sur le revenu n'avaient pas été payés et que, s'agissant de la
TVA, le plan de règlement produit devant la Cour n'avait pas été
honoré.

28. Enfin, elle avait souligné que, si le prévenu affirme que son
intention n'était pas de frauder, mettant en avant la caution
personnelle qu'il a donnée pour le paiement des droits dus par la
SELURL et la valeur de son bien immobilier sur lequel
l'administration fiscale avait inscrit une hypothèque, il ne pouvait
ignorer ses obligations déclaratives.

29. Statuant comme juge de cassation, la chambre criminelle a jugé


que la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître le
principe ne bis in idem et la réserve d'interprétation du Conseil
constitutionnel (sur l'application combinée des dispositions de l'article 1741
du CGI avec l'article 1728, 1a et 1b, ou 1729 du même code) dans sa
décision du 23 novembre 2018 (n° 2018-745 QPC).
Commentaires
30. A titre liminaire, il convient de relever que le Conseil constitutionnel a
jugé dans la décision QPC précitée que le cumul des sanctions fiscales
et pénales pour défaut de déclaration est conforme à la Constitution
sous réserve, notamment, que les sanctions pénales ne s’appliquent
qu’aux cas les plus graves d’omission déclarative frauduleuse. Cette
gravité peut résulter, indique les « Sages » du montant de la fraude, de

620
la nature des agissements de la personne ou des circonstances de leur
intervention. La Cour de cassation a quant à elle affirmé qu’il
appartient au prévenu de justifier qu’il a fait l’objet, à titre personnel,
de pénalités fiscales pour les mêmes faits que ceux visés par la
poursuite pénale (Cass. Crim. QPC 11-9-2020 n°18-81.067).

31. En jugeant au cas présent que l'interdiction d'une double


condamnation en raison de mêmes faits, prévue par l'article 4 du
protocole n° 7 n'interdit pas le prononcé de sanctions fiscales
parallèlement aux peines infligées par le juge répressif, la Cour de
cassation adhère, a priori, à la position adoptée par la Cour de justice
qui semble en phase avec la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l’homme.

32. Pour mémoire, dans son arrêt du 26 février 2013 Akerberg Fransson (C-
617/10) la CJUE avait, en matière de TVA, défini la ligne que les
juridictions nationales devaient suivre afin de garantir le droit d’une
personne de ne pas être jugée deux fois pour le même manquement.
Le juge de Luxembourg déclarait à cet égard que le principe non bis
in idem « ne s’oppose pas à ce qu’un État membre impose, pour les mêmes faits
de non-respect d’obligations déclaratives dans le domaine de la TVA,
successivement une sanction fiscale et une sanction pénale dans la mesure où la
première sanction ne revêt pas un caractère pénal, ce qu’il appartient à la
juridiction nationale de vérifier » (pt. 37). Cependant la Cour de justice
avait fixé une limite au cumul des sanctions fiscales et pénales : ce
n’est que lorsque la sanction fiscale revêt un caractère pénal, au sens
de l’article 50 de la Charte, et est devenue définitive que ladite
disposition s’oppose à ce que des poursuites pénales pour les mêmes
faits soient diligentées contre une même personne.

33. Par un mouvement jurisprudentiel convergent, la Cour EDH avait


infléchi sa jurisprudence constante en posant, par son arrêt A et B c.
Norvège du 15 novembre 2016 (n°24130/11 et 29758/11), une
exception dans les cas de procédures mixtes présentant un lien-
temporel et matériel. Elle a ainsi jugé qu’en présence de sanction
formellement administrative présentant un caractère pénal, l’article 4
du protocole n° 7 n’est pas violé par le cumul des procédures pénales
et administratives de sanction, à condition qu’il existe entre ces
procédures un lien matériel et temporel suffisamment étroit. De ce
fait, si une Haute partie contractante démontre que les deux
procédures sont temporellement et matériellement liées, il n’y aura
donc pas « répétition de procès ou de peines ».

621
34. La crainte d’une « guerre des juges » qui était implicitement
surmontée à la suite de cette décision sera explicitement écartée à la
suite de la décision Luca MENCI du 20 mars 2018, (aff. C-524/15)
dans laquelle la Cour de justice, statuant contrairement aux
conclusions de l’Avocat général, indique que : « l’article 50 de la Charte
doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale
en vertu de laquelle des poursuites pénales peuvent être engagées contre une
personne pour omission de verser la TVA due dans les délais légaux, alors que
cette personne s’est déjà vu infliger, pour les mêmes faits, une sanction
administrative définitive de nature pénale au sens de cet article 50, à condition que
cette réglementation : – vise un objectif d’intérêt général qui est de nature à justifier
un tel cumul de poursuites et de sanctions, à savoir la lutte contre les infractions en
matière de TVA, ces poursuites et ces sanctions devant avoir des buts
complémentaires ; – contienne des règles assurant une coordination limitant au
strict nécessaire la charge supplémentaire qui résulte, pour les personnes concernées,
d’un cumul de procédures ; et – prévoie des règles permettant d’assurer que la
sévérité de l’ensemble des sanctions imposées soit limitée à ce qui est strictement
nécessaire par rapport à la gravité de l’infraction concernée » (pt. 63).

35. Bien que la chambre criminelle de la Cour de cassation s’arcboute, en


apparence, sur la réserve émise par la France en marge de l’article 4
du protocole n° 7 additionnel à la Convention EDH, protocole sur
lequel la Cour européenne des droits de l’homme ne s’est pas
encore prononcée, on peut tout de même subodorer que le contexte
jurisprudentiel européen, favorable à la relativisation de la portée du
principe non bis in idem en matière fiscale, a pu conduire la haute
juridiction française à juger in fine qu’il « n'interdit pas le prononcé de
sanctions fiscales parallèlement aux peines infligées par le juge répressif ».

3. TVA

3-a. CE 4-11-2020 n° 435295, Sté BNP Paribas Securities Services :


Frais engagés par le siège et refacturés à la succursale membre d’un
« groupe TVA » : Le Conseil d’Etat fait une première application de
la jurisprudence SKANDIA de la Cour de justice de l’Union
Groupe TVA, Sixième directive 77/388/CE, Directive 2006/112/CE,
Déduction des dépenses engagées, Succursale établie dans un Etat

622
membre autre que celui du Siège ; Unité de la personnalité juridique
des sociétés
Solution du juge
36. La Haute juridiction administrative française juge que : « la cour, après
avoir relevé que ces succursales sont membres de groupements de taxe sur la valeur
ajoutée et bénéficient donc de la qualité d'assujetties distinctes de la société BNP
Paribas Securities Services, a jugé que cette dernière ne fournissait aucune précision
sur les opérations réalisées par les groupements respectifs permettant de déterminer
le caractère déductible de la taxe grevant les dépenses supportées par elle selon
qu'elles sont affectées à des opérations soumises à la taxe sur la valeur ajoutée ou à
des opérations exonérées. En statuant ainsi, alors que le caractère déductible de la
taxe grevant les dépenses réalisées par la société mère dépendait de l'opération de
refacturation aux groupements auxquels appartiennent ces succursales et non pas
des opérations ultérieures réalisées par ces groupements, la cour a commis une
erreur de droit ».

Faits et procédure
37. La société BNP Paribas Securities Services, qui exerce une activité
d'intermédiation financière, a fait l'objet de trois vérifications de
comptabilité en matière de taxe sur la valeur ajoutée. À l'occasion de
ces contrôles, l'administration fiscale a estimé que la taxe sur la valeur
ajoutée ayant grevé l'acquisition des biens et services utilisés
exclusivement pour les opérations internes réalisées avec les
succursales établies dans les pays membres de l'Union européenne ne
pouvait ouvrir droit à déduction au motif que ces opérations étaient
situées hors du champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée.

38. Le Service vérificateur a toutefois admis, par mesure de tempérament,


la déduction d'une fraction de la taxe en cause en tenant compte des
proportions d'opérations imposables à la taxe sur la valeur ajoutée de
ces exploitations dans leur pays d'implantation. L'analyse ainsi retenue
par l'administration fiscale l'a conduite, outre des rappels concernant
le droit à déduction, à procéder à des corrections de crédit de taxe sur
la valeur ajoutée non spontanément effectuées par la société.

39. Par deux jugements du 15 décembre 2014 et du 9 février 2017, le


tribunal administratif de Montreuil a rejeté les demandes en décharge
présentées par la société BNP Paribas Securities Services. Sous le
numéro 435295, le ministre s’est pourvu en cassation contre l'article 2
de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 19
septembre 2019 en tant qu'il a, après avoir annulé ces jugements,
623
déchargé la société BNP Paribas Securities Services des rappels de
taxe sur la valeur ajoutée afférents aux crédits de cette taxe reportée à
tort aux 1er janvier 2007, 2010 et 2012.

40. Sous le numéro 436082, le contribuable s’est également pourvu en


cassation contre l'article 3 de l'arrêt de la cour administrative d'appel
de Versailles du 19 septembre 2019 en tant qu'il a, après avoir annulé
ces jugements et déchargé la société d'une partie des rappels de taxe
sur la valeur ajoutée mis à sa charge, refusé la décharge des rappels
résultant des opérations effectuées, entre 2007 et 2013, avec ses
succursales de Francfort, Londres et Madrid. Il y a lieu de joindre ces
deux pourvois pour statuer par une seule décision.
Commentaires
41. Bien que le pourvoi du ministre qui porte sur la première partie de
l’arrêt relative aux crédits de TVA indûment reportés par la société
sur les déclarations de chiffre d’affaires des périodes concernées n’est
pas dépourvu d’intérêt, il importe de relever que celui de la société
BNP Paribas Securities Services revêt une portée hautement
déterminante en ceci qu’il invite, a priori, la Haute juridiction
administrative à apporter des clarifications nécessaires sur les limites
de l’application de la jurisprudence Morgan Stanley (CJUE 24-1-2019
aff. 165/17 ; CE 5-4-2019 n°389105).

42. On se souvient que dans les affaires Morgan Stanley il avait été jugé que
la TVA grevant les dépenses supportées par la succursale pour ses
besoins et ceux de son siège londonien devait être déduite par
application d’un coefficient de déduction tenant compte, au
dénominateur, des opérations avec des tiers tant par ladite
succursale que par le siège ; et au numérateur, en plus des opérations
taxées effectuées par ladite succursale, des seules opérations taxées
effectuées par le siège, qui ouvriraient également droit à déduction si
elles étaient effectuées dans l’état d’immatriculation de la succursale.

43. Dans le litige d’espèce, la cour administrative d’appel a conclu à la


transposabilité de la logique Morgan Stanley à l’égard de dépenses
supportées par un siège pour ses besoins propres et ceux de ses
succursales. Le rapporteur public relève cette transposition
(inappropriée) devant le Conseil d’Etat en ces termes : « la cour a
considéré que les dépenses ayant grevé ces opérations n’étaient déductibles qu’à
proportion de leur affectation à des opérations taxées réalisées par chacun des
groupements et que, la société ne fournissant aucun élément sur cette répartition, la
décharge ne pouvait être accordée » (Voir RJF 2/21).
624
44. Or, le contribuable allègue que les dépenses litigieuses sont affectées
aux prestations de services destinées aux succursales qui constituent
dans leur intégralité des opérations imposables par application de la
jurisprudence Skandia, et qu’aucun prorata n’était ainsi applicable
(RJF 2/21).

45. La décision de cassation commentée fait droit aux prétentions


de la société par une première application, en droit national,
des principes dégagés par la Cour de Luxembourg dans son
arrêt Skandia America Corp rendu le 17 septembre 2010 (Aff.
7/13).

46. La Juridiction supranationale avait en effet jugé que les prestations de


services fournies par un siège à sa succursale établie dans un autre
Etat membre constituent des opérations imposables quand cette
dernière fait partie d’un groupe TVA au sens des dispositions de
l’article 11 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006.

47. Pour mémoire, dans cette affaire une société dont le siège était situé
aux Etats-Unis achetait des services numériques au niveau mondial
pour l’ensemble du groupe auquel elle appartenait. Elle les
redistribuait par la suite à ses succursales parmi lesquelles sa
succursale suédoise qui était enregistrée membre d’un groupe TVA en
suède. Il s’était posé devant la Cour de justice la question de savoir si
les coûts imputés pouvaient être réputés facturés à l’assujetti unique
constitué par le groupement dont la succursale était membre, avec
une obligation corrélative d’autoliquider la TVA en suède.

48. La juridiction supranationale avait finalement retenu cette


approche « faisant primer, comme le note à juste titre Patrick DANIS,
l’appartenance de la succursale au groupe sur la personnalité
morale unique sous laquelle le siège et la succursale développent l’activité ».
(Voir FR 49/20 p. 6 et s).
3-b. CJUE, 11 mars 2020, aff. C-94/19, San Domenico Vetraria SpA:
La refacturation des frais de détachement de personnel d’une
société mère auprès de sa filiale, même strictement limitée au
remboursement des coûts exposés, est soumise à la TVA
TVA, Champ d’application, Opérations imposables, Prestation de
services effectuée à titre onéreux, Détachement de personnel par
une société mère à sa filiale, Remboursement par la filiale limité aux
coûts exposés.
625
Solution du juge
49. La Cour de justice dit pour droit que : « l’article 2, point 1, de la sixième
directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière
d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le
chiffre d’affaires […] doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation
nationale en vertu de laquelle ne sont pas considérés comme étant pertinents aux
fins de la taxe sur la valeur ajoutée les prêts ou les détachements de personnel
d’une société mère auprès de sa filiale, opérés contre le seul remboursement des
coûts y afférents, pour autant que les montants versés par la filiale en faveur de sa
société mère, d’une part, et ces prêts ou détachements, d’autre part, se conditionnent
mutuellement ».
Faits et procédure
50. Une société de droit italien a détaché un de ses directeurs auprès de sa
filiale. La société mère a émis des factures à ladite filiale pour un
montant qui se limitait strictement aux coûts liés au détachement de
son dirigeant. Ce montant a été versé à la société mère par la filiale en
incluant la TVA.

51. Les autorités fiscales italiennes ont estimé que l’opération n’était pas
soumise à la TVA en ce qu’elle ne constituait pas une prestation de
service réalisée par la société mère au bénéfice de sa filiale. Elles ont
pour cette raison remis en cause la déduction de la TVA
correspondante.

52. Le recours introduit par la société mère contre le redressement fiscal


a été rejeté par les juridictions de première instance et d’appel. En
revanche, saisie du pourvoi en cassation la Cour de cassation italienne
a estimé que la question de savoir si le détachement de personnel
contre le remboursement des coûts y afférents peut être considéré
comme imposable est d’une importance décisive pour la solution du
litige au principal.
Commentaires
53. Aux fins de répondre à la question posée, la Cour de justice pour qui
il ne fait guère de doute que l’opération litigieuse a bien la nature
d’une prestation de services et ce parce qu’au regard de l’article 6.1-
al.1 de la 6e directive, est appréhendée comme telle « toute opération qui
ne constitue pas une livraison de bien » ; s’est principalement attelée « à
déterminer si cette prestation de services a été effectuée “à titre onéreux“, au sens de
l’article 2, point 1, de la sixième directive » (pt. 19).

626
54. Pour y parvenir, elle a, de façon classique, recherché l’existence
d’une transaction entre les parties comportant la stipulation d’un prix
ou d’une contre-valeur. A cet égard, il est de jurisprudence constante
que lorsque l’activité d’un prestataire consiste à fournir exclusivement
des prestations sans contrepartie directe, il n’existe pas de base
d’imposition et ces prestations ne sont donc pas soumises à la TVA
(arrêt du 22 juin 2016, Český rozhlas, C-11/15).

55. Au cas présent, la Cour souligne, premièrement, que c’est sur la base
d’un rapport juridique de nature contractuelle entre la société mère et
la filiale que le détachement a été effectué, et deuxièmement, que
dans le cadre de ce rapport juridique, des prestations réciproques ont
été échangées, à savoir le détachement d’un dirigeant de la société
mère vers la filiale, et le paiement, par celle-ci à celle-là, des montants
qui lui ont été facturés.

56. Il s’ensuit alors que si le paiement par la filiale des montants qui lui
ont été facturés par sa société mère était une condition pour que cette
dernière détache le dirigeant, et que la filiale n’a payé ces montants
qu’en contrepartie du détachement, l’existence d’un lien direct entre
les deux prestations est manifestement avérée (pt.27).

57. Enfin, est également écarté par le juge de Luxembourg le moyen


allégué par l’Administration fiscale italienne selon lequel les sommes
versées correspondaient à un simple remboursement de coûts, sans
que la société mère ait recherché une véritable contrepartie (Voir RJF
6/2020).

58. Pour la Cour, ce critère, dénué de pertinence, ne saurait logiquement


prospérer dès lors qu’une opération a intrinsèquement un caractère
onéreux toutes les fois qu’elle met en relief une contrepartie en lien
direct avec l’opération, qu’importe à cet effet le résultat de ladite
opération, tant que la contrepartie existe.

59. En tout état de cause, bien que l’arrêt d’espèce ne présente pas
d’originalité sur le terrain du champ d’application matériel de la TVA,
« il permet néanmoins, relèvent J.M. Moreno et R. Froment-Canivet, de
confirmer qu’une opération dont la réalisation est
contractuellement conditionnée au strict remboursement par le
bénéficiaire des frais supportés par le prestataire atteste d’un
lien direct et immédiat entre l’opération et la contrepartie » (FR
32/20, p. 10). En outre la jurisprudence San Domenico commentée
pourrait être perçue, toute proportion gardée, comme une étape vers
627
« une sécurisation progressive de la position TVA des holdings en matière de
refacturations » (Ibidem).

4. Fiscalité des personnes physiques

4. Cons. Const, Déc.° 2019-832/833 QPC du 3 avril 2020 M. Marc S


et autres : Discriminations à rebours acceptables : Vers un retour en
grâce du principe de souveraineté fiscale de l’Etat ?
Discriminations à rebours, Directive « Fusion », Report
d’imposition, Plus-values, Abattement pour durée de détention,
Solution du juge
60. Par une décision assez surprenante, le Conseil constitutionnel décide
que :
« Les régimes juridiques de report d'imposition applicables aux plus-values
d'échange de titres visent à garantir une certaine neutralité fiscale à ces opérations
en évitant que le contribuable soit contraint de céder ses titres pour acquitter
l'impôt. Les dispositions contestées se sont bornées à adapter certains de ces régimes
aux évolutions de la législation relative à l'imposition des plus-values. Le respect
du droit de l'Union européenne impose de renforcer la neutralité fiscale des
opérations européennes d'échange de titres. D'une part, il ne résulte pas de cette
exigence découlant du droit de l'Union européenne une dénaturation de l'objet
initial de la loi. D'autre part, au regard de l'objet de la loi, telle que désormais
interprétée, il existe une différence de situation, tenant au cadre, européen ou non,
de l'opération d'échange de titres. Par conséquent, la différence de traitement
instaurée par les dispositions contestées est fondée sur une différence de situation et
en rapport direct avec l'objet de la loi. En second lieu et en tout état de cause, la
différence de traitement qui résulterait de l'application aux plus-values placées en
report d'imposition obligatoire, avant le 1er janvier 2013, du taux et des règles
d'assiette applicables au fait générateur de l'imposition, lorsque l'opération
d'échange de titres ne relève pas du droit de l'Union européenne, serait, elle aussi,
pour les mêmes raisons, fondée sur une différence de situation et en rapport direct
avec l'objet de la loi. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la
méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté. Les dispositions
contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution
garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution ».
Faits et procédure

628
61. A la suite de l’arrêt 18 septembre 2019 (aff. 662/18, « AQ » et
672/18 « DN ») rendu par la Cour de justice de l’Union
européenne, le Conseil constitutionnel a été saisi, le 19
décembre 2019, de deux questions prioritaires de
constitutionnalité par le Conseil d’Etat.

62. La première QPC était relative à la conformité aux droits et libertés


que la Constitution garantit du paragraphe III de l'article 17 de la loi
n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, « en
combinaison avec » l'article 150-0 B ter du code général des impôts,
dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre
2016 de finances rectificative pour 2016. Et la seconde portait sur la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du
même paragraphe III de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2013, «
en combinaison avec » le paragraphe II de l'article 92 B du code
général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 98-1267 du
30 décembre 1998 de finances rectificative pour 1998, et le
paragraphe I ter de l'article 160 du même code, dans sa rédaction
résultant de la loi n° 99-1172 du 30 décembre 1999 de finances pour
2000.

63. Les griefs soulevés par les requérants étaient sensiblement identiques
dans les deux questions prioritaires de constitutionnalité. Ils
reprochaient aux dispositions précitées, telles qu’interprétées par le
Conseil d’État en conformité avec le droit de l’Union européenne,
d’établir une différence de traitement injustifiée dans la taxation des
plus-values tirées d’opérations d’échange de titres faisant l’objet d’un
report d’imposition, selon qu’elles sont effectuées dans le cadre de
l’Union européenne ou dans un cadre national.

64. Selon les requérants, le premier type de plus-values donnait lieu, en


toute circonstance, à l’application d’un abattement pour durée de
détention couvrant non seulement la période de détention des titres
remis à l’échange mais aussi celle des titres reçus en contrepartie. En
revanche, le second type de plus-values ne donnait lieu à l’application
d’aucun abattement lorsque la plus-value a été réalisée avant le 1er
janvier 2013 ; et d’un abattement portant sur la seule durée de
détention des titres remis à l’échange lorsqu’elle est intervenue après
cette date.

65. En outre, l’un des requérants critiquait également la différence de


traitement résultant du fait que, en cas de report d’imposition
obligatoire prévu par l’article 150-0 B ter du code général des impôts,
629
les plus-values réalisées, dans le cadre national, avant le 1er janvier
2013 seraient taxées au taux d’imposition en vigueur au moment où
elles ont été placées en report d’imposition et non, comme pour les
plus-values réalisées dans le cadre de l’Union européenne, au taux en
vigueur lorsque le report d’imposition prend fin.

Commentaires
66. Si la décision d’espèce ne présente aucune particularité de par la
qualité du raisonnement du juge constitutionnel, elle retient
cependant l’attention en ce qu’elle constitue, à la lecture du
commentaire officiel, la première validation d’une discrimination
à rebours chimiquement pure.

67. Pour rappel, saisie à titre préjudiciel par le Conseil d’Etat français, la
Cour de justice avait jugé le 18 septembre 2019 (aff.662/18 et 672/18
précitée) que « les dispositions de l’article 8 de la directive fusion « doivent être
interprétés en ce sens que, dans le cadre d’une opération d’échange de titres, ils
requièrent que soit appliqué, à la plus-value afférente aux titres échangés et placée
en report d’imposition ainsi qu’à celle issue de la cession des titres reçus en
échange, le même traitement fiscal, au regard du taux d’imposition et de
l’application d’un abattement fiscal pour tenir compte de la durée de détention des
titres, que celui que se serait vu appliquer la plus-value qui aurait été réalisée lors
de la cession des titres existant avant l’opération d’échange, si cette dernière n’avait
pas eu lieu » (pt. 47).

68. Il apparaissait alors vraisemblable que cette décision européenne


conduise à une réforme du régime français d’imposition des plus-
values pour l’avenir (Voir sur ce point E. Ginter et E. Chartier, « Le régime
du report d’imposition des plus-values sur titres censuré par la CJUE », FR.,
42/19).

69. Compte tenu de la jurisprudence Metro holding (Déc. N° 2015-520 QPC


du 3 février 2016) dans laquelle il avait déclaré en substance que si la loi
traite de manière défavorable un contribuable national (et un
contribuable situé dans un pays extérieur à l’Union européenne) par rapport à
un contribuable d’un autre Etat membre, alors cette loi institue une
discrimination à rebours ; on se serait attendu à ce que le
Conseil constitutionnel déclare non conforme aux normes
constitutionnelles le dispositif litigieux.

70. Cette vision prospective était d’autant plus concevable qu’à la lecture
des commentaires officiels des six premières décisions rendues par le
630
juge constitutionnel au sujet des discriminations à rebours, les sages
de la rue Montpensier au fil des six premières décisions rendues en la
matière, il semblait ressortir qu’en cas de « discrimination à rebours
chimiquement pures »2785 le juge constitutionnel censurait
automatiquement le dispositif fiscal litigieux pour atteinte au principe
d’égalité; et en cas de « discriminations chimiquement
impures »2786, le dispositif fiscal litigieux serait constitutionnel .

71. La décision QPC commentée du 3 avril 2020 brouille manifestement


cette grille de lecture sans pour autant offrir aux lecteurs de la
décision une grille d’analyse pouvant permettre de saisir en quoi cette
nouvelle discrimination à rebours, pourtant « chimiquement pure »,
serait finalement « moins pure » que les trois précédentes
discriminations pour lesquelles le Conseil constitutionnel avait
censuré les dispositifs fiscaux contestés.

72. En somme, bien que la Cour de justice considère que les éventuelles
situations de discriminations à rebours induites ne sont pas proscrites
par le droit supranational et qu’il appartient au pays concerné d’y
remédier par voie législative (Voir en ce sens CJCE 16-6-1994 aff.
132/93 Steen), il reste tout de même que cette jurisprudence
européenne déclare parfois injustifié le refus des autorités fiscales
nationales d’appliquer la directive fusions à une restructuration
réalisée entre deux entreprises nationales (CJCE 17 juillet 1997, aff.
28/95. Leur-Bloem). De ce fait, et comme le précise avec justesse Jean-
Yves Mercier, au regard du droit de l’Union européenne, la messe
n’est sans doute pas dite : « en signant cette directive, les Etats membres ont
donc nécessairement reconnu que les prescriptions qu’elle contient pour assurer la
neutralité des fusions représentent un socle commun aux opérations internes et aux
opérations transfrontalières. En effet au nom de quelle logique le standard de la
directive, établi pour éviter la pénalisation des opérations relevant de cette dernière
catégorie, aurait constitué entre leurs mains un instrument les autorisant à
favoriser ces mêmes opérations au détriment des opérations internes ? » (FR n°
23/20, p. 42).

2785 Une discrimination à rebours chimiquement pure concerne une hypothèse dans laquelle
la situation nationale est moins ben traitée que la situation intra-européenne (N° 2015-520
QPC du 3 février 2016 Metro Holding ; N° 2016-553 QPC du 8 juillet 2016 Société Natixis ; N°
2017-660 QPC du 6 octobre 2017, SOPARFI)
2786 Une discrimination à rebours chimiquement impure concerne une hypothèse dans

laquelle la situation extra-européenne était moins bien traitée que les situations nationales
ou intra-européennes (N° 2016-615 QPC du 9 mars 2017, Époux V ; N° 2018-699 QPC du
13 avril 2018, Société Life Sciences Holdings France ; N° 2019-813 QPC du 15 novembre 2019, M.
Calogero G.)
631
73. On se saurait conclure nos observations sans souligner que les
tendances jurisprudentielles nationales françaises semblent, de façon
regrettable, s’orienter vers une sorte d’acceptation, par les juges, des
situations de discriminations à rebours créées du fait de l’application
du droit de l’Union européenne (Voir. M. Daudé et R. Lefebvre, FR
48/20).

5. Fiscalité des entreprises


5-a. CJUE 27 février 2020, aff. 405/18 AURES Holding a.s: Pertes au
cours des exercices antérieures au transfert du siège effectif de
direction vers un autre Etat membre de la Communauté et liberté
d’établissement : la Cour de justice affine sa jurisprudence
Liberté d’établissement, Transfert du siège de direction effective,
Maintien du siège statutaire, Compensation transfrontalière de
pertes sur différentes périodes, Notion de pertes définitives.
Solution du juge
74. Ce litige a conduit la juridiction supranationale à « trancher la question
inédite en jurisprudence du sort, au titre de l’impôt sur les sociétés, des pertes
accumulées sous l’empire d’un Etat membre, et revendiquées à la déductibilité
dans un autre Etat membre à la suite d’un transfert de siège de direction effective »
(H. Cassagnabère, RJF 1/21).

75. La Cour de Luxembourg dit pour droit que : « l’article 49 TFUE doit
être interprété en ce sens qu’une société constituée selon le droit d’un État membre,
qui transfère son siège de direction effective dans un autre État membre sans que ce
transfert affecte sa qualité de société constituée selon le droit du premier État
membre, peut se prévaloir de cet article aux fins de contester le refus, dans l’autre
État membre, du report des pertes antérieures audit transfert. [Cependant, précise
la Cour, cet article] ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre qui
exclut la possibilité pour une société, qui a transféré son siège de direction effective
et, ce faisant, sa résidence fiscale dans cet État membre, de faire valoir une perte
fiscale subie, préalablement à ce transfert, dans un autre État membre, dans
lequel elle conserve son siège statutaire ».

Faits et procédure
76. AURES HOLDINGS, société de droit néerlandais ayant subi aux
Pays-Bas, une perte d’un montant de 2 792 187€ , a créé, en

632
République tchèque, une succursale, qui constitue, selon le droit
tchèque, un établissement stable de cette société dépourvu de
personnalité juridique propre et dont l’activité est imposable dans cet
État membre. Le 1er janvier 2009, la société AURES a transféré son
siège de direction effective des Pays-Bas vers la République tchèque,
tout en conservant son siège statutaire et son inscription au registre
de commerce aux Pays-Bas.

77. Compte tenu de ce transfert de siège de direction effective et, ce


faisant, de résidence fiscale, AURES HOLDINGS a demandé à
l’Administration fiscale tchèque de pouvoir déduire de l’assiette de
l’impôt sur les sociétés dont elle était redevable au titre de l’exercice
2012 la perte qu’elle avait subie aux Pays-Bas au titre de l’exercice
2007. Les services fiscaux tchèques ont pour leur part considéré que
cette perte ne pouvait pas être invoquée en tant qu’élément
déductible de l’assiette imposable. Selon cette administration, la
société AURES est, en tant que résidente fiscale tchèque, imposable
au titre de ses revenus mondiaux conformément à la législation fiscale
tchèque. Cependant, elle ne pourrait déduire de l’assiette imposable
qu’une perte provenant d’une activité économique en République
tchèque.

78. Devant la juridiction de renvoi AURES HOLDINGS fait valoir que


le transfert transfrontalier de son siège de direction effective relève de
l’exercice de la liberté d’établissement et que l’impossibilité, pour elle,
de déduire en République tchèque la perte subie au titre de l’exercice
2007, perte qu’elle ne peut plus faire valoir aux Pays-Bas, constitue
une restriction injustifiée à cette liberté.
Commentaires
79. La question du sort des pertes antérieures au transfert du siège de
direction effective vers un autre Etat membre de l’Union européenne
est une problématique délicate de la fiscalité supranationale qui recèle
un enjeu économique et politique hautement significatif. Et ce en ceci
qu’elle met aux prises la liberté d’établissement et la nécessité
impérieuse de préserver la répartition équilibrée du pouvoir
d’imposition (Voir BF 5/2020).

80. La liberté d’établissement mobilisée par la société requérante à


l’appui de son recours contentieux a déjà fait l’objet d’un
enrichissement jurisprudentiel assez conséquent.

633
81. A titre de rappel, la juridiction supranationale a eu à juger qu’une
société constituée selon le droit d’un État membre, qui transfère son
siège de direction effective dans un autre État membre, sans que ce
transfert de siège affecte sa qualité de société du premier État
membre, peut se prévaloir de l’article 49 TFUE aux fins, notamment,
de mettre en cause les conséquences fiscales attachées à ce transfert
dans l’État membre d’origine (arrêt du 29 novembre 2011, National Grid
Indus, C-371/10).

82. Dans l’arrêt d’espèce la Cour de justice complète cette


approche en précisant : « de la même manière, une telle société peut, dans de
telles circonstances, se prévaloir de l’article 49 TFUE aux fins de mettre en cause
le traitement fiscal qui lui est réservé par l’État membre vers lequel elle transfère
son siège de direction effective. Le transfert transfrontalier de ce siège relève,
partant, du champ d’application de cet article » (pt.26).

83. La Cour de justice ne pouvait cependant pas trancher le deuxième


volet de la question sans procéder au préalable à un examen de
comparabilité des situations. Mme l’Avocat général l’avait d’ailleurs
souligné au point 22 de ses conclusions en ces termes « pour qu’une
disposition de droit fiscal d’un État membre constitue une entrave à la liberté
d’établissement des sociétés, il faut qu’il en résulte une différence de traitement au
détriment des sociétés qui exercent cette liberté, que la différence de traitement
concerne des situations objectivement comparables et qu’elle ne soit pas justifiée par
une raison impérieuse d’intérêt général ou pas proportionnée à cet objectif ».

84. Il y a lieu de noter que la possibilité offerte par les dispositions


fiscales d’un État membre à une société résidente de faire valoir des
pertes subies dans cet État membre au cours d’une période
d’imposition donnée, afin que ces pertes soient déduites du bénéfice
imposable réalisé par une telle société au cours de périodes
d’imposition ultérieures, constitue un avantage fiscal. Ainsi, « le fait
d’exclure du bénéfice de cet avantage les pertes qu’une société, résidente dans un
État membre, mais constituée en vertu du droit d’un autre État membre de
l’Union européenne, a subies dans cet autre État membre au cours d’une période
d’imposition pendant laquelle elle en était résidente, alors que ledit avantage est
accordé à une société résidente dans le premier État membre ayant subi dans celui-
ci des pertes, au cours de la même période, constitue une différence de traitement
fiscal ». Et en raison de cette différence de traitement, une société
constituée en vertu du droit d’un État membre pourrait être dissuadée
de transférer son siège de direction effective dans un autre État
membre aux fins d’y exercer ses activités économiques.

634
85. La Cour de justice a toutefois déjà jugé qu’une telle différence de
traitement résultant de la législation fiscale d’un État membre au
détriment des sociétés qui exercent leur liberté d’établissement peut
être admise si elle concerne des situations qui ne sont pas
objectivement comparables ou si elle est justifiée par une raison
impérieuse d’intérêt général (arrêts : 17 juillet 2014, Nordea Bank
Danmark, C-48/13 ; 17 décembre 2015, Timac Agro Deutschland,
C-388/14).

86. Or, en l’espèce, au regard des objectifs de préservation du pouvoir


d’imposition entre les Etats membres et de prévention des risques de
double déduction des pertes, poursuivis par la législation tchèque, « il
y a lieu de considérer que ne se trouvent pas, en principe, dans une situation
comparable une société résidente d’un État membre qui a subi des pertes dans
celui-ci et une société qui a transféré son siège de direction effective et, partant, sa
résidence fiscale dans cet État membre après avoir subi des pertes pendant une
période d’imposition au cours de laquelle elle était résidente fiscale d’un autre État
membre, sans avoir aucune présence dans le premier État membre » (pt.39).

87. S’agissant enfin des « pertes antérieures au transfert », il y a lieu de


souligner que la Cour met en échec l’argument de la requérante
fondée sur l’applicabilité au cas présent de la jurisprudence
Bevola du 12 juin 2018 (aff. 650/16).

88. Pour mémoire, la juridiction supranationale a eu à juger que,


« s’agissant des pertes attribuables à un établissement stable non-résident, qui a
cessé toute activité, et dont les pertes n’ont pas pu et ne peuvent plus être déduites
de son bénéfice imposable dans l’État membre où il exerçait son activité, la
situation d’une société résidente détenant un tel établissement n’est pas différente de
celle d’une société résidente détenant un établissement stable résident, au regard de
l’objectif de prévention de la double déduction des pertes, alors même que les
situations de ces deux sociétés ne sont, en principe, pas comparables » ( Bevola et
Jens W. Trock., pts 37et 38).

89. Elle écarte au cas présent la transposition de l’arrêt précité « dans


la situation d’une société qui, après avoir transféré son siège de direction effective et,
ce faisant, sa résidence fiscale de l’État membre de son siège statutaire à un autre
État membre, cherche à déduire dans celui-ci des pertes qu’elle a subies dans le
premier État membre au cours d’une période d’imposition pendant laquelle celui-ci
exerçait, de manière exclusive, sa compétence fiscale à l’égard de cette société » (pt.
45).

635
90. Au final, et comme le précise explicitement la Cour, suivant en ce
sens Mme l’Avocate général (points 66 à 73 de ses conclusions), le
maintien du siège statutaire de AURES HOLDINGS aux Pays-Bas
met en relief le fait qu’elle conserve entièrement la possibilité d’une
reprise de ses activités dans ce pays. Dans une telle hypothèse, elle
pourrait faire usage de ses pertes antérieures, dès lors que ces
dernières peuvent, au regard des normes fiscales néerlandaises,
être reportées pendant neuf ans (Voir BF 5/2020, p. 6).
5-b. CAA Versailles, 23 juin 2020, n° 19VE01012, min. c/ Groupe
Lucien Barrière ; Les pertes d’une filiale européenne dont le
caractère définitif n’est pas établi ne sont pas imputables sur le
résultat du groupe
Pertes non définitives, Société mère, Filiale, Intégration fiscale,
Liberté d’établissement, liquidation, abus de droit.
Solution du juge
91. Le rapporteur public avait proposé à la Cour administrative d’appel
de Versailles de ne pas innover comme a tenté de le faire le Tribunal
administratif de Montreuil. Elle affirmait que « le dossier n’était pas le bon
pour déterminer si la jurisprudence récente de la Cour de justice devait conduire à
une remise en cause ou des amendements, sur ce point, de la décision “Sté Agapes“
du Conseil d’Etat (n°368135) fondée sur une jurisprudence “X Holding BV“
du 25 février 2010 de la Cour de justice mais qui ne reprend pas à son compte la
réserve de l’arrêt “Marks & Spencer“ (aff.446/03) relative au traitement des
pertes définitives » (RJF 10/20. C-768).

92. Suivant les conclusions de Muriel DEROC, la Cour administrative


d’appel juge que : « la société Groupe Lucien Barrière ne démontre pas que ces
pertes d’exploitation, qui ne présentent pas par elles-mêmes de caractère
définitif et qui n’ont d’ailleurs subsisté jusqu’à la dissolution de la société [belge]
que du fait du choix de cette société et de sa société mère de les reporter jusqu’à
cette échéance, présenteraient un tel caractère définitif en faisant valoir que les
dispositions de l’article 207 du Code des impôts sur les revenus belge, qui
prévoient que, par dérogation à l’article 206 du même Code, les pertes
professionnelles antérieures ne sont pas déductibles du résultat imposable d’une
société au titre de l’exercice d’imposition au cours duquel intervient une prise de
contrôle ou un changement de contrôle de la société en cause qui ne répond pas à
des besoins légitimes de caractère économique ou financier, auraient fait obstacle à
la valorisation des pertes de la société [belge] par un tiers cessionnaire, résident
fiscal belge, dès lors que ces dispositions, dont il n’est d’ailleurs pas établi qu’elles
feraient obstacle de manière absolue à une telle valorisation, ne peuvent à elles
seules avoir pour effet d’imposer à l’administration fiscale française de permettre la
636
prise en compte, dans le résultat d’ensemble du groupe dont la société Groupe
Lucien Barrière est la tête, de pertes qui ne seraient définitives que par le seul
effet de la loi fiscale belge, sauf à méconnaître l’autonomie et la répartition
équilibrée du pouvoir d’imposition de chaque État membre. Au surplus, la société
[mère] du Groupe […] ne démontre pas davantage que les modalités particulières
de changement d’exploitant du casino de Dinant dont la société [belge] assurait la
gestion dans le cadre d’une concession consentie par la commune de Dinant
auraient fait obstacle à la reprise des actifs de cette société par un tiers de quelque
nature que ce soit avant la clôture de la liquidation ».
Faits et procédure
93. La SAS SPC membre d’un groupe fiscalement intégré dont la société
tête de groupe est la société Groupe Lucien Barrière, avait comme
filiale la SATD, société de droit belge, jusqu’à la liquidation de cette
dernière, intervenue le 31 janvier 2012. À la suite d’une vérification de
comptabilité portant sur la période du 1er novembre 2010 au 31
octobre 2012, le service vérificateur a remis en cause l’imputation du
déficit de la société SATD sur le résultat fiscal de la SAS SPC. En
conséquence, des impositions supplémentaires d’impôt sur les
sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle sur
cet impôt au titre des exercices clos le 31 décembre 2012 ont été
mises en recouvrement auprès de la société Groupe Lucien Barrière
le 16 novembre 2016 pour un montant global de 2 894 788 euros.

94. Le ministre de l’action et des comptes publics a fait appel du


jugement n 1707036 du 17 janvier 2019 par lequel le tribunal
administratif de Montreuil a déchargé la société Groupe Lucien
Barrière des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés, de
contribution sociale et de contribution exceptionnelle sur cet impôt
au titre de l’exercice en litige, pour un montant de 2 894 788 euros.
Commentaires
95. Le Tribunal administratif de Montreuil avait jugé dans sa décision
litigieuse que « que la société mère française d’un groupe intégré fiscalement peut
déduire du résultat d’ensemble les pertes subies par une filiale belge en liquidation
dès lors que ces pertes ne sont définitivement plus déductibles en Belgique et que la
filiale aurait pu faire partie du groupe intégré si elle était en établie en France »
(17-1-2019, n° 1707036, FR., 10/19). Et dans ses conclusions le
rapporteur public précisait devant le Tribunal que la Cour de justice
accorde un intérêt fondamental au principe de capacité contributive
pour invalider l’interdiction générale d’une imputation des pertes de
filiales non résidentes dans l’Etat du groupe fiscalement intégré (FR.,
10/19, préc.).

637
96. La Cour administrative d’appel choisit cependant de s’écarter de cette
approche au motif qu’au cas présent l’absence de caractère définitif
des pertes de la société belge fait obstacle à ce que les pertes soient
déduites du bénéfice réalisé par la société française mère du groupe.

97. Pour mémoire, la CJUE avait jugé que la restriction à la liberté


d’établissement par une législation nationale peut se justifier par une
garantie de la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les
Etats membres, par un risque de double emploi des pertes ou un
risque d’évasion fiscale. Toutefois, le juge supranational avait marqué
une réserve importante en indiquant que : les dispositions du droit
national ne sauraient exclure « la possibilité pour une société mère résidente
d’imputer les pertes d’une filiale établie à l’étranger dans la situation où cette
dernière a épuisé les possibilités de prise en compte des pertes qui existent dans son
Etat de résidence au titre de l’exercice fiscal concerné ainsi que des exercices
antérieurs, et s’il n’existe pas de possibilité pour que ces pertes puissent être prises
en compte dans l’Etat de résidence de la filiale au titre des exercices futurs, soit
par elle-même, soit par un tiers, notamment en cas de cession de la filiale à celui-
ci » (13-12-2005, aff. 446/03. Et par ces arrêts Bevola (12-6-2018, aff.
650/16) et NN (4-7-2018, aff. 28/17) la Cour avait transposé cette
solution à des établissements stables non-résidents déficitaires et aux
situations jugées comparables à celles des groupes purement
nationaux.

98. Toutefois, c’est dans ses décisions Memira Holding AB (19-6-2019,


aff.607/17) et Holmen AB (19-6-2019, aff.608/17) qu’elle va préciser le
moment et les critères à partir desquels on doit considérer que les
pertes d’une filiale non résidente sont devenues définitives.

99. Dans ses conclusions rendues sur l’arrêt d’espèce, le rapporteur


public Muriel DEROC, reprenant en substance les conclusions de
l’Avocat Général Juliane Kokott présentées dans l’affaire Holmen AB
précitée, souligne que : « selon une jurisprudence constante de la Cour de
justice relative aux pertes définitives, il est disproportionné que l’État membre de
résidence de la société mère refuse une prise en compte de pertes dans une situation
où la filiale non résidente a épuisé toutes les possibilités de prise en compte des
pertes et où il n’existe plus aucune possibilité que ces pertes puissent être prises en
compte. La société mère doit démontrer que ces conditions sont remplies […]. À ce
titre, la Cour admet au titre de ces possibilités de prise en compte, la possibilité de
transférer les pertes à un acheteur en cédant l’entreprise […].

638
100.Ainsi, et logiquement, ajoute-elle, « la liquidation d’une filiale après une
fusion ne suffit pas à démontrer qu’il n’y a aucune possibilité de prise en compte
des pertes dans l’État de résidence de ladite filiale […]. La liquidation pouvant
résulter du seul choix du contribuable de liquider plutôt que de céder. […] Quand
bien même toutes les autres impossibilités mentionnées au point 55 de l’arrêt
Marks & Spencer seraient le cas échéant établies, des pertes ne sauraient pour
autant être qualifiées de définitives s’il reste possible de faire valoir
économiquement ces pertes en les transférant à un tiers avant la clôture de la
liquidation ».

101.Nonobstant la continuité jurisprudentielle entre la Cour


administrative d’appel et la Cour de justice sur ce point, continuité
percevable à la lecture, d’une part, des conclusions du rapporteur
public et de l’Avocat général, et d’autre part, de la similitude du
raisonnement de la juridiction nationale et de la juridiction
supranationale dans ses arrêts Memira Holding AB et Holmen AB
précités, on ne peut s’empêcher d’émettre quelques réserves sur
l’application, en pratique, de l’exception relative aux pertes définitives

102. En effet, il est frappant de remarquer, à la lecture des


conclusions et de l’arrêt commenté, que le rapporteur public et
la Cour administrative d’appel indiquent à plusieurs reprises
que la nature définitive de la perte n’est pas avérée sans
cependant mettre en relief un cas concret dans lequel la perte
alléguée pourrait effectivement être définitive.

103.On a, à juste titre, le sentiment, pour reprendre le constat implacable


de Vincent Renoux dans son commentaire de la jurisprudence
récente de la Cour de justice, « qu’il s’agit d’un tour de passe-passe,
permettant de conserver la jurisprudence pour ne jamais, en pratique, l’appliquer.
Comment rétrospectivement montrer qu’on a tenté de céder des titres mais sans
succès ? » (Intégration et pertes des filiales européennes : la
jurisprudence Marks & Spencer revisitée, FR., 34/19).

104.La motivation et le dispositif de l’arrêt d’espèce (Groupe Lucien Barrière)


conforte ce sentiment et ce parce que, la seule « liquidation » retenue
par les juges du Tribunal administratif de Montreuil pour caractériser
ou révéler le caractère définitif d’une perte nous semblait suffisant.

105. Par ailleurs, comme l’indiquait, de manière déterminante, l’appelante


devant la Cour administrative, la filiale belge étant sortie de manière
anticipée de la concession d’exploitation du Casino de Dinant à

639
raison de pertes d’exploitation trop importantes, une cession de ses
titres n’était donc pas possible, l’acheteur n’ayant plus rien à
exploiter et l’objet limité de la société belge s’opposant à ce qu’elle
exploite un autre casino. Et dans ce contexte, la seule raison de la
vente de la filiale belge aurait été la vente de ses déficits. Or,
selon l’article 207 alinéa 3 du Code des impôts belge sur les revenus
1992, en cas de changement de contrôle d’une société belge, qui ne
répond pas à des besoins légitimes de caractère financier ou
économique, les déficits reportables de ladite société ne peuvent plus
être déduits des bénéfices futurs.

106. Il n’est pas absurde de considérer que l’impossibilité pour la société


mère de valoriser les pertes de sa filiale belge, par le biais d’une
cession, mettait en relief une situation de perte définitive. Cet état de
fait n’a cependant pas convaincu la juridiction administrative d’appel.
5-C. CJUE 8-10-2020 aff. 558/19, Impresa Pizzarotti & C SPA Italia
Sucursala Cluj ; prix de transfert et principe de pleine concurrence :
la garantie d’une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition
entre les Etats membres comme justification pertinente d’une
restriction à la liberté d’établissement
Liberté d’établissement, Libre circulation des capitaux, Prix de
transfert, Principe de pleine concurrence, Avantage anormal
consenti par une succursale résidente à une société non-résidente,
répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les Etats
membres, Principe de proportionnalité
Solution du juge
107.La Cour de justice dit pour droit que : « l’article 49 TFUE doit être
interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas, en principe, à une réglementation d’un
État membre en vertu de laquelle un transfert de fonds opéré par une succursale
résidente, en faveur de sa société mère établie dans un autre État membre peut être
requalifié d’“opération génératrice de revenus“, de telle sorte que l’application des
règles en matière de prix de transfert devient obligatoire, alors que, si la même
opération avait été effectuée entre une succursale et une société mère établies toutes
deux dans le même État membre, elle n’aurait pas été qualifiée ainsi et lesdites
règles n’auraient pas trouvé à s’appliquer » (pt.39).
Faits et procédure
108. Une succursale roumaine a conclu, en qualité de prêteur, des contrats
de prêt avec sa société mère italienne alors même que les dispositions
contractuelles ne contiennent aucune clause relative à la perception
d’intérêts par la succursale.

640
109.Faisant application de l’article 11 du code des impôts qui prévoit que
les transactions effectuées entre des personnes roumaines et des
personnes non-résidentes liées sont soumises aux règles applicables
en matière de prix de transfert, l’Administration fiscale roumaine a
déduit que le principe de pleine concurrence conduit à rehausser, en
droits et pénalités, la base imposable de la succursale à hauteur de
452 595 €.

110. Suite à la décision de rejet de sa réclamation préalable contentieuse,


le contribuable a alors saisi le Tribunal de grande instance de Cluj
d’une demande d’annulation de la décision de rejet ainsi que de l’avis
d’imposition litigieux.

111.Au soutien de sa prétention, la requérante soutient que les


dispositions nationales invoquées par l’autorité fiscale enfreignent les
articles 49 et 63 TFUE, dans la mesure où elles prévoient que les
transferts de fonds entre une succursale établie dans un État membre
et sa société mère établie dans un autre État membre représentent des
opérations susceptibles d’être soumises aux règles en matière de prix
de transfert, alors que ces règles ne sont pas applicables si la
succursale et sa société mère sont établies dans le même État
membre.

112.C’est dans ces conditions que la juridiction de renvoi a décidé de


sursoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle
suivante : « Les articles 49 et 63 du TFUE s’opposent-ils à une réglementation
nationale […] qui permet de requalifier un transfert bancaire de fonds d’une
succursale résidant dans un État membre à sa société mère résidant dans un autre
État membre d’“opération génératrice de revenus”, de telle sorte que l’application
des règles en matière de prix de transfert devient obligatoire, alors que, si la même
opération avait été effectuée entre une succursale et une société mère résidant toutes
deux dans le même État membre, elle n’aurait pas pu être requalifiée ainsi et
lesdites règles n’auraient pas trouvé à s’appliquer ? » (pt.14).

Commentaires
113.Le litige au principal, qui concernait l’incidence d’une réglementation
nationale sur le traitement fiscal d’un transfert de fonds entre une
succursale établie dans un Etat membre et sa société mère établie
dans un autre Etat membre de l’Union européenne, reposait sur la
violation de la libre de circulation des capitaux et la liberté
d’établissement.
641
114.La Cour de justice, en application de sa jurisprudence Lidl Belgium (C-
414/06) recentre toutefois le litige sur le fondement exclusif de la
liberté d’établissement au motif qu’à « supposer que le régime fiscal en cause
au principal comporte des effets restrictifs sur la libre circulation des capitaux, de
tels effets seraient la conséquence inéluctable d’une éventuelle entrave à la liberté
d’établissement » (pt.19).

115.La liberté d’établissement comprend, pour les sociétés constituées en


conformité avec la législation d’un État membre et ayant leur siège
statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement
au sein de l’Union, le droit d’exercer leur activité dans un autre État
membre par l’intermédiaire d’une filiale, d’une succursale ou d’une
agence (arrêt Denkavit International C-170/05). Elle vise ainsi à
garantir le bénéfice du traitement national dans l’État membre
d’accueil de la succursale, en interdisant toute discrimination,
même minime, fondée sur le lieu du siège des sociétés.

116.Pour mémoire, la Cour de justice a déjà jugé que constitue une


restriction à la liberté d’établissement une réglementation nationale
selon laquelle des avantages anormaux ou bénévoles accordés par une
société résidente à une société entretenant un lien d’interdépendance
avec celle-ci ne sont ajoutés aux bénéfices propres de la première
société que si la société bénéficiaire est établie dans un autre État
membre (voir, en ce sens, arrêt SGI C-311/08).

117.Il est avéré en l’espèce que les normes fiscales roumaines ne traitent
les succursales comme des personnes distinctes que lorsqu’elles sont
un établissement stable d’une personne morale non-résidente de telle
sorte que les revenus d’une succursale ne sont rectifiés,
conformément aux règles du prix de transfert, que si la société mère
est établie dans un autre État membre. En revanche, si la succursale
et la société mère sont établies en Roumanie, il n’est procédé à
aucune rectification des revenus.

118.Dans ce contexte, indique la Cour, « une telle différence de traitement fiscal


des succursales, en fonction du lieu du siège de leurs sociétés mères, avec lesquelles
ont été conclues des transactions caractérisées par des conditions qui seraient
inhabituelles entre tiers, est susceptible de constituer une restriction à la liberté
d’établissement, au sens de l’article 49 TFUE » (pt.27). Elle a à cet égard
précédemment relevé dans son arrêt Hornbach-Baumarkt en date du 31
mai 2018 (C-382/16) qu’une société mère pourrait être amenée à
renoncer à l’acquisition, à la création ou au maintien d’une succursale
642
dans un État membre autre que l’État membre de sa propre
résidence, en raison de la charge fiscale frappant, dans une situation
transfrontalière, l’octroi de conditions qui seraient inhabituelles entre
tiers.

119.L’effectivité de la discrimination ne conduit cependant pas la Cour à


délivrer une « interprétation négative » des dispositions fiscales litigieuses.
En effet, il est de jurisprudence constante qu’une mesure fiscale qui
est susceptible d’entraver la liberté d’établissement consacrée à
l’article 49 TFUE ne saurait être admise que si elle concerne des
situations qui ne sont pas objectivement comparables ou si elle peut
être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général reconnues
par le droit de l’Union. Encore faut-il, dans cette hypothèse, qu’elle
soit propre à garantir la réalisation de l’objectif en cause et qu’elle
n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif
(C-382/16).

120.La décision d’espèce, comme le note Hervé Cassagnabère, « fournit un


assez rare exemple de justifications dur la base d’une raison impérieuse d’intérêt
général, en l’occurrence celle tirée de la répartition équilibrée du pouvoir
d’imposition » (RJF 05/21).

121. A titre de rappel, la Cour de justice a eu à juger que la nécessité de


sauvegarder une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre
les États membres peut être de nature à justifier une différence de
traitement lorsque le régime examiné vise à prévenir des
comportements de nature à compromettre le droit d’un État membre
d’exercer sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées
sur son territoire (arrêt du 31 mai 2018, Hornbach-Baumarkt, préc.). Elle
souligne à ce titre qu’au cas présent, « permettre aux succursales des sociétés
non-résidentes de transférer leurs bénéfices sous la forme d’avantages anormaux ou
bénévoles vers leurs sociétés mères risquerait de compromettre une répartition
équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres. Cela serait susceptible
de compromettre le système même de la répartition du pouvoir d’imposition entre
les États membres, puisque l’État membre de la succursale accordant des
avantages anormaux ou bénévoles serait contraint de renoncer à son droit
d’imposer, en tant qu’État de résidence de cet établissement stable, les revenus de
celle-ci, au profit, éventuellement, de l’État membre du siège de la société mère
bénéficiaire » (pt.32).

122. En conséquence, en prévoyant l’imposition de la succursale à raison


du montant de la rémunération de l’avantage consenti à la société
mère italienne sans contrepartie, afin de prendre en considération le
643
montant que cette succursale aurait dû déclarer au titre de ses
bénéfices si la transaction avait été conclue conformément aux
conditions du marché, la réglementation en cause au principal permet
donc à la Roumanie d’exercer sa compétence fiscale en relation avec
les activités réalisées sur son territoire.

123. Il s’ensuit alors qu’une réglementation nationale qui vise à empêcher


que des bénéfices générés dans l’État membre concerné soient
transférés en dehors du ressort fiscal de ce dernier par le biais de
transactions qui ne seraient pas conformes aux conditions du marché,
sans avoir été imposés, est propre à garantir la préservation de la
répartition de la compétence fiscale entre les États membres.

6. Aide d’ETAT
6. TUE, 15 juill. 2020, aff. T-778/16 et T-892/16, Irlande e.a.
c/Commission européenne : Le principe de pleine concurrence
comme paramètre d’appréciation d’un avantage sélectif dans le
cadre des « rulings fiscaux » : à défaut d’un avantage sélectif établi,
un « ruling fiscal » n’est pas constitutif d’aide d’Etat
Aides d’État, Principe de pleine concurrence, Avantage fiscal
sélectif, Décisions fiscales anticipatives (Tax rulings), Décision
déclarant l’aide incompatible avec le marché intérieur et illégale et
ordonnant sa récupération.
Solution du juge
124. Le Tribunal juge que :
« Il y a lieu de considérer que […] la Commission a erronément apprécié, dans le
cadre du raisonnement principal, les dispositions du droit fiscal irlandais afférent à
l’imposition des bénéfices des sociétés non résidentes en Irlande, mais y exerçant
une activité commerciale par l’intermédiaire d’une succursale (pt.187).
[…] dans le cadre de son raisonnement principal, la Commission a conclu que les
licences de PI du groupe Apple détenues par ASI et AOE auraient dû être
attribuées aux succursales irlandaises du fait de l’absence de personnel et de
présence physique de ces deux sociétés, sans chercher à démontrer qu’une telle
attribution découlait des activités réellement effectuées par lesdites succursales
irlandaises. En outre, la Commission a déduit de cette conclusion que l’ensemble
des revenus commerciaux d’ASI et d’AOE auraient dû être considérés comme
découlant de l’activité des succursales irlandaises sans chercher à démontrer que ces

644
revenus représentaient la valeur des activités effectivement réalisées par les
succursales elles-mêmes (pt 228).
Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer comme étant fondés les arguments
invoqués par l’Irlande […] en ce qu’ils contestent les conclusions auxquelles sur le
fondement du principe de pleine concurrence, la Commission est parvenue dans le
cadre de son raisonnement principal (pt 229 ».
Faits et procédure.
125.Était en cause dans le présent litige une décision de la commission
européenne par laquelle elle avait considéré que les rulings fiscaux
adoptés par l’Irlande en faveur d’Apple Sales International (ASI) et
d’Apple Operations Europe (AOE), qui permettaient à ces dernières
de déterminer l’impôt dont elles sont redevables en Irlande sur une
base annuelle, constituent une aide au sens de l’article 107,
paragraphe 1, du traité.

126. En effet, le 30 août 2016, la Commission avait adopté une décision


aux termes de laquelle elle soutenait que :
 Les rulings fiscaux contestés avaient été accordés par l’administration
fiscale irlandaise et étaient donc imputables à l’État. Dans la mesure
où ils entraînaient une réduction du montant de l’impôt dû par ASI et
AOE, l’Irlande avait renoncé à des recettes fiscales, ce qui avait
donné lieu à une perte de ressources d’État ;
 ASI et AOE faisant partie du groupe Apple, actif dans tous les États
membres, les rulings fiscaux contestés étaient, de ce fait, susceptibles
d’affecter les échanges à l’intérieur de l’Union européenne ;
 Dans la mesure où les rulings fiscaux contestés avaient entraîné une
réduction de la base imposable d’ASI et d’AOE, aux fins de
l’établissement de l’impôt sur les sociétés en Irlande, ils procuraient
un avantage à ces deux sociétés ;
 Enfin, s’il s’avérait que les rulings fiscaux contestés entraînaient une
réduction du montant de l’impôt dû par ASI et AOE, ils seraient
donc de nature à renforcer la position concurrentielle de ces deux
sociétés et, dès lors, à fausser ou à menacer de fausser la concurrence.
Et par décision du président la septième chambre élargie du Tribunal
du 9 juillet 2019, les affaires T-778/16 et T-892/16 ont été jointes
aux fins de la phase orale de la procédure, conformément à l’article 68
du règlement de procédure.
Commentaires.
127.En l’espèce, la Commission a suivi l’analyse, en trois étapes, issue de
la jurisprudence afin de prouver l’existence d’un avantage sélectif.
645
Ainsi, tout d’abord, elle a identifié le cadre de référence et justifié
l’application du principe de pleine concurrence. Ensuite, elle a
examiné l’existence d’un avantage sélectif découlant d’une dérogation
au cadre de référence. Enfin, elle a constaté que ni l’Irlande ni Apple
Inc. n’avaient avancé d’arguments concernant la justification de cet
avantage sélectif.

128.En substance, en s’appuyant sur des raisonnements à titre principal, à


titre subsidiaire et à titre alternatif, la Commission a considéré que les
rulings fiscaux contestés avaient permis à ASI et à AOE de réduire le
montant de l’impôt dont elles étaient redevables en Irlande au cours
de la période pendant laquelle ils étaient en vigueur, à savoir entre les
années 1991 et 2014, et que cela représentait un avantage par rapport
à d’autres sociétés se trouvant dans une situation comparable.

129.Depuis l’arrêt Belgique et Forum 187/Commission du 22 juin 2006


(C-182/03 et C-217/03), le principe de pleine concurrence
constitue un critère de référence pour déterminer si une société
intégrée bénéficie d’un avantage sélectif du fait d’une mesure fiscale
qui déterminait ses prix de transfert et, partant, son assiette fiscale.

130.Pour mémoire, ce principe vise à garantir que les transactions


intragroupes soient traitées, à des fins fiscales, de la même manière
que celles effectuées entre sociétés autonomes non intégrées, et de
manière à éviter une inégalité de traitement entre des sociétés se
trouvant dans une situation factuelle et juridique similaire au regard
de l’objectif d’un tel système, qui aurait été d’imposer les bénéfices de
l’ensemble des sociétés relevant de sa juridiction fiscale.

131.Le Tribunal de l’Union confirme en l’espèce la portée attribuée au


principe de pleine concurrence par la Commission sur le fondement
de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.
Ainsi, il valide la méthode de la Commission européenne pour
contrôler l’attribution des bénéfices aux succursales irlandaises afin de
vérifier si le niveau des bénéfices attribués à celles-ci pour leurs
activités commerciales en Irlande correspondait au niveau des
bénéfices qui auraient été obtenus par l’exercice de ces activités dans
des conditions du marché.

132. Cependant, le Tribunal juge qu’en considérant que les licences de


propriété intellectuelle du groupe Apple auraient dû être attribuées
aux succursales irlandaises dans la mesure où ASI et AOE étaient
considérées comme n’ayant pas d’employés ni de présence physique
646
pour en assurer la gestion, la Commission a procédé à une attribution
de bénéfices « par exclusion »2787 qui n’est pas conforme à l’article
25 du TCA 97.

133. Or, elle aurait dû principalement chercher à démontrer que ces


revenus représentaient la valeur des activités effectivement
réalisées par les succursales elles-mêmes.

134. En conséquence, pour la juridiction de Céans, la Commission


européenne n’a pas correctement appliqué la méthode fondée
sur la pleine concurrence en matière fiscale.

135.En tout état de cause, et comme le souligne Monsieur Cassagnabère,


« on observera avec grand intérêt l’arrêt que rendra dans les prochains mois la
Cour de justice, saisie du pourvoi contre cet arrêt formé par la Commission »
(RJF 05/21).

2787 Souligné par nos soins.


647
www.rafip.org ISSN 2510-1994 Editions Scidev Afrique

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