Revue Africaine Des Finances Publiques Numero 9 Premier Semestre 2021
Revue Africaine Des Finances Publiques Numero 9 Premier Semestre 2021
Revue Africaine Des Finances Publiques Numero 9 Premier Semestre 2021
org
Numéro 9
Premier semestre 2021
Directeur : Prof. Gérard PEKASSA NDAM ISSN 2510-1994 Editions Scidev Afrique
REVUE AFRICAINE DE FINANCES PUBLIQUES
(RAFIP)
Co-fondateurs :
Prof. LEKENE DONFACK E. C.
Prof. PEKASSA NDAM Gérard
Conseil Scientifique
Président :
Prof. LEKENE DONFACK E.C., Université de Yaoundé II (Cameroun)
Membres :
1. ABANE ENGOLO Patrick, Professeur à l’Université de Yaoundé II (Cameroun)
2. ALBERT Jean-Luc, Professeur à Aix Marseille Université (France)
3. BEGNI BAGAGNA, Professeur à l’Université de Douala (Cameroun)
4. BIAKAN Jacques, Professeur à l’Université de Yaoundé II (Cameroun)
5. BILOUNGA Stève Thiery, Professeur à l’Université de Ngaoundéré (Cameroun)
6. CABANNES Xavier, Professeur à l’Université Paris Descartes (France)
7. CASTAGNEDE Bernard, Professeur Emérite à l’Université Panthéon-Sorbonne (France)
8. COLLET Martin, Professeur à l’Université Panthéon Assas Paris II (France)
9. DAMAREY Stéphanie, Professeur à l’Université de Lille (France)
10. DUPRAT Jean-Pierre, Professeur Emérite à l’Université de Bordeaux (France)
11. ESSONO OVONO Alexis, Professeur à l’Université Omar Bongo (Gabon)
12. GUESSELE ISSEME Lionel Pierre, Professeur à l’Université de Dschang (Cameroun)
13. GUGLIELMI Gilles-Jean, Professeur à l’Université Panthéon-Assas Paris II (France)
14. HERTZOG Robert, Professeur Emérite à l’IEP de Strasbourg (France)
15. MEDE ZINSOU Nicaise, Professeur à l’Université d’Abomey-Calavi (Bénin)
16. N’DRI-THÉOUA Pélagie, Professeur à l’Université Alassan Ouattara de Bouaké (Côte d’Ivoire).
17. NGUELE ABADA Marcelin, Professeur à Université de Yaoundé II (Cameroun)
18. ONANA Janvier, Professeur à l’Université de Ngaoundéré (Cameroun)
19. ONDOUA Alain Franklin, Professeur à l’Université de Yaoundé II (Cameroun)
20. OUEDRAOGO Djibrihina, Professeur à l’Université de Ouaga II (Burkina Faso)
21. PEKASSA NDAM Gérard, Professeur à l’Université de Yaoundé II (Cameroun)
22. SIETCHOUA DJUITCHOKO Célestin, Professeur à l’Université de Dschang (Cameroun)
23. YONABA Salif, Professeur à l’Université Ouaga II (Burkina Faso)
24. ZAKI Moussa, Professeur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal)
Directeur de Publication
Prof. PEKASSA NDAM Gérard
Rédacteur en chef
Prof. ESSONO OVONO Alexis
Secrétariat de rédaction
Dr. NGAVANGA Nicaise ; Dr. SOROK A BOL Patrick Gérard ; Dr. NJOYA Oumarou ; Dr.
SIMO KOUAM F. Ampère.
3
POLITIQUE ÉDITORIALE
4
SOMMAIRE
Politique éditoriale…………………………………………………......................4
ETUDES
Le pilotage de la performance des finances publiques dans les Etats membres
de l’Union Economique et Monétaire Ouest-africaine (UEMOA),
DIAKHATE Meïssa …………………………...............................................8
La question de l’apurement de dettes entre l’Etat et les entreprises publiques
en droit camerounais, GUÉSSÉLÉ ISSÉMÉ Lionel P. …………………..…48
L’office du juge administratif en contentieux de l’impôt au Benin
et au Cameroun, AKEREKORO Hilaire et LASSISSI Sèmiou A.………….73
La prévention du risque de déconsolidation budgétaire du contrat de partenariat
public-privé dans la législation des Etats d’Afrique subsaharienne francophone,
NTSEGUE ANANGA Eric P. ……………………………………………..101
Les virements des crédits budgétaires dans le financement des organismes
publics des États de la CEMAC, BASAHAG Achille Nestor ……………….140
La notion de solidarité de paiement en droit fiscal camerounais,
Papy NKOUAYEP Long Christ …………………………………………...168
La sécurité fiscale dans les Etats de l’Afrique noire francophone,
AWONO ELOUNDOU Emmanuel ……………………………………....212
Le contrôle des fonds de concours dans le droit public financier des Etats
de la CEMAC, NTOLO NZEKO Aubran Donadoni ……………………..242
Le contraste des institutions de contrôle des finances publiques camerounaises,
OWONA NDOUGUESSA Franck Landry …………….................................271
La réforme de la juridiction des comptes sous l’empire de la loi n°2018/12 du
11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques
au Cameroun, KELE Damien …………………………………………….....300
La participation de l’Etat au financement de la campagne électorale aux élections
politiques nationales en droit camerounais, MANDENG Naomie Audrey …320
La faute de gestion devant le conseil de discipline budgétaire et financière
au Cameroun, ABDOULAYE MAL BOUBA………………………………350
5
La condition juridique du comptable public en droit camerounais,
NGONO NOAH Josué …………………………………………………….421
FINANCES PUBLIQUES INTERNATIONALES
ET COMMUNAUTAIRES
ÉCLAIRAGE PRATIQUE
6
ÉTUDES
7
LE PILOTAGE DE LA PERFORMANCE DES FINANCES
PUBLIQUES DANS LES ETATS MEMBRES DE L’UNION
ECONOMIQUE ET MONETAIRE OUEST-AFRICAINE
(UEMOA)
Par
Meïssa DIAKHATE
Maître de Conférences agrégé
Faculté des Sciences juridiques et politiques
Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal).
RESUME :
ABSTRACT :
8
Introduction
La question de la performance constitue un point d’attention dans
l’analyse systémique de la problématique des finances publiques
contemporaines. Intrant de qualité dans la gouvernance démocratique1,
l’utilisation des ressources publiques implique que les citoyens, les usagers
et les contribuables, désormais considérés comme des « clients »2, profitent
des services publics délivrés, dans la transparence, par les administrations
publiques. La quête de la performance devient en quelque sorte un défi de
justice sociale3.
Cette pensée interroge manifestement l’idée que les libertés de base
étant garanties, il reste à institutionnaliser le principe d’égalité dans la
répartition des avantages matériels. On en arrive ainsi à tracer la ligne
directrice d’une réflexion sur les rapports entre la réforme de l’Etat et les
finances publiques. Pour l’avoir bien enseigné dans le contexte français,
Michel Bouvier est d’avis que « la LOLF ne peut être mise en œuvre avec succès
qu’en tenant compte de la réalité administrative à laquelle elle doit s’appliquer »4. On
peut ainsi comprendre que la gestion publique soit alors alignée sur des
prétentions d’efficacité, d’efficience et d’amélioration de la qualité du
service public, en cohérence avec des objectifs planifiés. D’ailleurs, « ce n’est
pas parce qu’une dépense est publique qu’elle est socialement utile (et il ne suffit pas de
montrer que sa finalité est légitime, ce qui est bien la moindre des choses) : dans une
démocratie, l’utilité d’une dépense publique ne se présume pas, mais doit en permanence
se prouver »5. Plus qu’auparavant, « la logique et les modes de l’action publique sont
en train de se transformer profondément »6.
d’Etat qui lui préfèrent le terme d’ "usager" : leurs services ne sont pas marchands, leur fonctionnement est
fixé par des textes législatifs et réglementaires, leurs ressources proviennent du budget de l’Etat. Mais celui-
ci est alimenté par l’impôt, dont les citoyens et contribuables souhaitaient qu’il soit efficacement utilisé ; par
ailleurs, la relation entre l’Etat et le citoyen s’est modifiée, comme en témoigne la substitution de la notion d’
"usager" ("personne qui utilise les services publics"), à celle d’"administré" (littéralement : "personne
soumise à une autorité administrative") ». Lire utilement, Xavier Inglebert, Manager avec la LOLF :
pratiques de la nouvelle gestion publique, Paris, Groupe Revue fiduciaire, 2009, 2e éd., pp. 152-
153.
3 Jean-Fabien Spitz, « John Rawls et la question de la justice sociale », Études, 2011/1, pp.
55-65.
4 Michel Bouvier, « Au-delà de la LOLF : une réforme de l’Etat, un nouveau contrat
social », Colloque de la Fondation Res publica, Finances publiques et pérennité de l’Etat, Lundi
24 avril 2006. Lien : www.fondation-res-publica.org, consulté le 2 janvier 2021.
5 Yves Cannac, « Dépense privée, dépense publique », RFFP, n°77, La dépense publique,
Mars 2002, p. 65, cité par Paul Traoré, La procédure d’exécution de la dépense publique dans les
Etats membres de l’UEMOA à l’épreuve du nouveau cadre harmonisé des finances publiques : l’exemple
du Mali, Thèse de doctorat, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 2015, p. viii.
6 Franck Waserman, Les doctrines financières publiques en France au XIXe siècle. Emprunts
l’avènement d’un nouveau temps financier, Thèse de doctorat, Université de Toulouse I Capitole,
2015, 465 p.
11 Pierre Muller, Les politiques publiques, Paris, PUF, 1990, p. 112.
10
C’est sous ce rapport que se précisent les contours d’un cadre
conceptuel dont les notions structurantes appellent des clarifications. Il
s’agit notamment du "pilotage" de la "performance" et des "finances
publiques".
Par le « pilotage », on entend que le gestionnaire public12 poursuit
des objectifs à travers le déploiement d’une stratégie au niveau
opérationnel, en s'assurant que les actions menées visent à atteindre les
objectifs fixés et améliorer de façon continue les processus de la
performance. Quant à la « performance », elle renvoie à une assimilation,
même du point de vue morphologique, du concept anglais performance
signifiant « accomplissement », "réalisation", "résultat réel".
Progressivement étendu dans l’usage courant, il sert à exprimer « la manière
de faire quelque chose de manière optimale, voire exceptionnelle »13. L’on retiendra,
par ailleurs, qu’elle exprime le degré d'accomplissement des objectifs d’un
programme en termes de résultats. Au regard des bénéficiaires, la notion a,
comme implications, « la capacité à atteindre les objectifs d’efficacité socio-
économique (adaptation de l’environnement économique, social, écologique, sanitaire,
culturel, etc. pour satisfaire les citoyens), de qualité du service public (amélioration du
fonctionnement des services et des prestations fournies pour satisfaire les usagers) et
d’efficience de la gestion (optimisation du coût des services et des prestations pour
satisfaire les contribuables) »14. Globalement, le pilotage de la performance au
sein des administrations publiques correspond à un ensemble d’actions15
orientées vers l’atteinte de résultats (ou performances) prédéfinis dans le
cadre de moyens prédéterminés. Les objectifs à atteindre étant définis au
niveau stratégique avant d’être opérationnalisés, cette approche laisse à
chaque échelon une possibilité de disposer du libre choix d’allouer au
mieux les moyens disponibles et de choisir les modalités d’action les plus
appropriées16. Cela revient à « choisir ses actions en anticipant leur impact sur la
performance, en suivre l’avancement pour s’assurer que tout se passe bien comme prévu,
réagir rapidement en cas de dérive constatée, prévoir régulièrement vers quel niveau de
performance on se dirige pour s’assurer que l’on va atteindre les objectifs poursuivis et
prendre à temps les mesures correctrices en cas de difficulté anticipée »17. Bien entendu,
« s’inscrire dans une stratégie, définir des objectifs, mesurer les résultats donnent du sens
(dir.), Dictionnaire d’administration publique, PUG, coll. Droit et Action publique, 2014, p. 372.
15 René Demeestère, Le contrôle de gestion dans le secteur public, Paris, LGDJ, 2002, p. 12.
16 Ministère de l’Economie, des Finances et du Plan (Sénégal), Guide d’élaboration du budget
11
à l’action publique »18. Abstraction faite de tout inventaire à la Prévert, il est
opportun de réfléchir sur l’ordre des termes. A l’expression « pilotage de la
performance », Francis Quérol marque, non sans la mettre en doute, une
préférence pour celle de « pilotage par la performance ». Puisque, clarifie-t-il,
« piloter c’est aller vers un cap, ce cap sera la performance et donc le pilotage par la
performance peut être entendu comme la recherche systématique de l’efficacité dans la
gestion des finances publiques »19.
Pour les finances publiques, il faut remarquer que la législation
communautaire remplace le terme restrictif "budget de l’Etat" par celui
plus général de "Finances publiques". Le changement sémantique n’est ni
formel ni anodin : la loi de finances s’attache dorénavant à décrire les
relations financières entre l’Etat et les organismes publics tels que les
collectivités territoriales, les établissements publics à caractère administratif
et les organismes de protection sociale20. De plus, les concours de l’Etat au
profit des entreprises publiques font partie des informations à transcrire
dans les documents budgétaires21. Surtout la problématique de la définition
nous amène à envisager les transformations structurelles des finances
publiques. En effet, il ne fait pas de doute que « depuis quelques années, le
management public a été présenté comme une alternative pouvant aider à rénover sinon
améliorer le cadre, les méthodes et les moyens des finances publiques »22. Il en découle,
et en harmonie avec la dynamique des transformations publiques en
Afrique23, une nouvelle approche globale des finances publiques en vue de
saisir leur véritable dimension qui n’est plus celle du strict cadre
budgétaire24.
Du dialogue entre ces différents concepts, naît un tel
questionnement : quels sont les leviers de la performance des finances
publiques dans les Etats membres de l’UEMOA ? Assurément, les
leviers en tant qu’organes de commande d’un dispositif visant à
transformer un mouvement sont conçus, dans le cadre de la nouvelle
gestion publique, comme des moyens de refonte des logiques politiques et
administratives25. En l’espèce, ils font référence à des outils ou à des
stratégies que peut exploiter une organisation publique dans le but
18 Frank Mordacq, La réforme de l’Etat par l’audit, Paris, LGDJ, 2009, p. 24.
19 Francis Quérol, « Pilotage de la performance ou pilotage par la performance ? (le cas
français) », Communication au 1er Colloque scientifique sur la mobilisation des ressources
publiques dans le financement du Plan Sénégal émergent, Dakar, 28-29 novembre 2018 (à
paraître).
20 Article 55 de la Directive n°06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 portant Lois de
Code de Transparence dans la Gestion des Finances publiques au sein de l’UEMOA. Lire
dans ce sens : Etienne Sossou Ahouanka, « La transparence budgétaire dans les Etats
membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Réflexion sur le nouveau
rôle du parlement et de l’opinion publique) », in Nicaise Médé (dir.), La LOLF dans tous ses
états, Centre des Publications Universitaires, Université d’Abomey-Calavi, Cotonou, 2015,
pp. 535-563.
29 Nicaise Médé, « Réflexion sur le cadre harmonisé des finances publiques dans l’espace
"légitime" ce qui est conforme à la loi. D’ailleurs, cette croyance en la légalité demeure la
forme la plus répandue : il suffit qu’une décision soit actée conformément à la procédure
légale pour qu’elle soit considérée a priori politiquement légitime, sans qu’il soit nécessaire
de lui trouver un autre fondement. Notamment, Jean-Gabriel Contamin, « Légitimité », in
David Alcaud et Laurent Bouvet (dir.), Dictionnaire de sciences politiques et sociales, op. cit., pp.
191-194 ; Simone Goyard-Fabre « La légitimité », in Denis Alland, Stéphane Rials (dir.),
Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF, 2003, pp. 929-933.
13
En réalité, une dynamique de modernisation s’est emparée des
théories managériales. L’Etat de management se succède à l’Etat de droit
estampillé de divers contrôles qui résident dans la « croyance en la légalité,
c’est-à-dire soumission à des statuts formellement corrects et établis selon la procédure
d’usage »31. Dès lors, il est apparu nécessaire de considérer que, dans ce
nouveau paradigme32, la mise en œuvre de politiques publiques
performantes suscite et renforce la confiance voire l’approbation réfléchie
des citoyens à l’action publique. Sans vouloir pour autant réduire la
légitimité à la notion de performance, il est néanmoins conséquent de
comptabiliser le poids de l’analyse économique et sociale dans les
interventions publiques. Ainsi, sans une présentation claire des politiques
publiques tenant compte des nécessités de la performance, on est fondé à
se demander comment la presse, les partenaires sociaux et d’une façon
générale tous les acteurs de la société civile pourraient être encouragés « à
participer à la diffusion des informations ainsi qu’au débat public sur la gouvernance et
la gestion des finances publiques »33.
Sur le plan gestionnaire, l’utilisation optimale des deniers publics
recommande une modernisation de la gestion publique34. Le registre de la
gestion publique doit profondément évoluer en considération des
implications organisationnelles qu’engendre le nouveau cadre normatif
harmonisé des finances publiques. Désormais, le responsable de
programme peut disposer, à la faveur de la délégation du pouvoir
d’ordonnancement, des leviers indispensables à la mise en œuvre
(exécution, suivi-évaluation) des politiques publiques et à la coordination
des services en charge desdites politiques35. En clair, l’évocation des
politiques publiques ayant considérablement connu, depuis quelques
années une diffusion importante, dans le discours politique, donne des clés
d’analyse de la nature de l’action financière, et par-delà du fonctionnement
de l’Etat contemporain.
Dès lors, aborder les problèmes de la gestion publique en la situant
sous le prisme de l’efficacité, de l’efficience et de l’économie a pour finalité
essentielle de contribuer au débat actuel sur le sens de la performance aux
prises avec les politiques publiques dans les Etats membres de
31 Max Weber cité par François Ost, Michel van de Kerchove, De la pyramide au réseau ? Pour
une théorie dialectique du droit, Bruxelles, PUSL, 2002, p. 338.
32 Concernant la zone de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale
(CEMAC), voir, par exemple, Robert Mballa Owona, « Emergence de la gestion axée sur
les résultats et reconnaissance d’une obligation d’exécution intégrale des budgets des
administrations publiques en droit CEMAC », Afrilex, Avril 2016, 26 p., Lien : afrilex.u-
bordeaux4.fr, consulté le 10 janvier 2020.
33 VI.3. de la Directive n° 01/2009/CM/UEMOA portant Code de Transparence dans la
26 juin 2009 portant Lois de Finances au sein de l’UEMOA, p. 11. Lien : sigif.gouv.sn/publication,
consulté le 10 janvier 2020.
14
l’UEMOA36. D’ailleurs, les écrits de Martin Collet sont illustratifs du sens
attaché à la culture de la performance ; ils rendent compte, en effet, que
« les règles issues de la LOLF exigent que l’Etat ne ventile plus les crédits en fonction
de la nature des dépenses (dépenses de personnel, fournitures de bureau, investissements,
etc.), mais en fonction des objectifs de politique publique qu’il poursuit (améliorer la
sécurité, offrir de meilleures aides au logement, rendre la justice plus rapidement, etc.).
L’intérêt de cette présentation est qu’elle oblige l’administration de mieux réfléchir au
sens de son action (du fait de l’exigence d’expliquer la manière dont elle entend utiliser
les crédits qu’elle sollicite), et à rendre compte de son accomplissement, après coup »37.
Enfin, l’étude s’inscrit dans le contexte de l’Union économique et
monétaire ouest africaine (UEMOA) qui réunit huit (08) Etats membres38.
Dans cette entité d’intégration, la réforme des finances publiques a comme
socle juridique une directive-mère (Directive 01/2009/CM/UEMOA du
29 mars 2009 portant Code de Transparence dans la Gestion des Finances
publiques au sein de l’UEMOA) et ses textes subséquents39. Cette
mutation des finances publiques, et au-delà celle de l’Etat, a comme
principes directeurs la responsabilité, la liberté, l’éthique et la transparence
dans la gestion publique.
Force est alors de rappeler que notre espace de réflexion couvre un
cadre d’intégration économique et monétaire soucieux d’implémenter une
culture de la performance adossée à la présentation du budget en
programmes, à la réforme de l’exécution du budget (déconcentration de
l’ordonnancement) et la systématisation du contrôle anticipatif). En
complément de ces développements, il faut préciser que la réforme de la
gestion publique organise le passage d’une logique de moyens à une
logique de résultats sur le fondement d’une adaptation des techniques de
management de l’action publique et de la pertinence des contrôles de la
gestion budgétaire et comptable. D’amples raisons qui font penser à
Théophile Ahoua N’doli que « [la] conception managériale de la gestion publique
représente un véritable défi, voire une révolution pour les décideurs politiques »40.
Au vu de ce constat, la démarche du gestionnaire public demande à
être orientée, en premier lieu, vers un nouveau cadre organisationnel
rendant impérative la quête de performance opérationnelle (I) et, en
p. 17.
15
second lieu, à être enrichie d’un dispositif d’amélioration de la
performance organisationnelle (II).
I. Une réforme du cadre de la performance opérationnelle
Dans le langage approprié, la performance opérationnelle reflète la
capacité d’une entité à atteindre des objectifs avec une utilisation optimale
des moyens et ressources sur une période donnée. Elle peut donc se
définir par le rapport entre les objectifs atteints et les moyens utilisés41.
Pour y parvenir, la réforme des finances publiques dans l’espace UEMOA
cherche à repositionner la gestion publique sur une trajectoire
performancielle.
Cela rend indispensables la consécration de nouveaux principes de
la gestion publique (A) et la gestion concertée de la performance (B).
A. De nouveaux principes de gestion consacrés
Au fil des réformes de la gestion publique, des principes se sont
succédé. En lieu et place des relations d’autorité et de hiérarchie, se
tissent des rapports inspirés par de nouveaux principes directeurs.
L’éclosion de la nouvelle gestion publique repose notamment sur
la déconcentration de l’ordonnancement (1) et la responsabilisation par
les objectifs (2).
1. La déconcentration de l’ordonnancement
Avant la mise en vigueur du nouveau cadre harmonisé des finances
publiques dans l’UEMOA, il revenait au Ministre chargé des Finances
d’exercer ces attributions par le moyen d’ordonnateurs délégués au niveau
des administrations centrales et d’ordonnateurs secondaires au niveau des
services extérieurs42. Par la réforme, il est mis un terme à l’existence de
l’ordonnateur principal unique des recettes et des dépenses du budget de
l’Etat, des budgets annexes et des comptes spéciaux du Trésor de l’Etat.
La centralisation du pouvoir de gestion des finances publiques, au
profit de l’autorité formelle, ne peut être bénéfique à la dynamique de
production de la performance au sein des administrations publiques. La
simple qualification professionnelle, déduite des diplômes ne suffit plus.
La fonction de "responsable de programmes" inclut, de surcroît,
l’adaptabilité à l’exercice de responsabilités. Les nouvelles "fiches de poste"
doivent intégrer des facteurs additionnels de performance dont la faculté
d’encadrement, la proactivité, la réactivité, la prise d’initiative et la
polyvalence. De plus, la nouvelle gestion publique valorise les liens avec les
43 Frédéric Colin, Gestion des ressources humaines dans la fonction publique, Paris, Gualino, 2019,
3e éd., p. 69.
44 Article 68 de la Directive n°06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 précitée.
45 En ce qui concerne les directeurs des établissements publics nationaux, ils sont
ordonnateurs principaux des recettes et des dépenses de ces établissements. Ils peuvent
déléguer leurs pouvoirs dans les conditions prévues par les lois et règlements régissant les
établissements publics. Article 8 alinéas 4 et 5 de la Directive n°07/2009/CM/UEMOA du
26 juin 2009 portant Règlement général sur la Comptabilité.
46 Une précision mentionnée dans le décret n°2020‐978 du 23 avril 2020 dans le Règlement
49 Jean-Michel Plane, Théorie des organisations, Paris, Dunod, 2003, 2e éd., p. 73.
50 Robert Papin, L’art de diriger, Paris, Dunod, 2008, pp. 72-78.
51 Nicaise Médé, « L’Afrique francophone saisie par la fièvre de la performance financière »,
19
ivoirien, le responsable de programme signe « un contrat de performance »53
avec les responsables des établissements publics nationaux sur les résultats
à atteindre et les modalités de financement des activités.
Au demeurant, l’ordonnateur principal a la latitude,
consubstantiellement à la délégation de certains objectifs de politique
publique aux responsables de programme, d’aménager des espaces de
disponibilité au profit des tâches d’ordre stratégique.
Mais en parallèle, le Ministre chargé des Finances détient un
pouvoir de régulation à travers la modification de l’autorisation
budgétaire en cours d’année, après information du ministre sectoriel
concerné, en cas de crédit sans objet ou de perspective de détérioration
certaine de l’équilibre financier défini par la loi de finances. Il est
également compétent pour décider de différer une dépense en fonction
des modifications intervenues en cours d’exercice dans le plan de
trésorerie défini a priori.
2. La responsabilisation par les objectifs
Dans le cadre de l’exercice de la fonction financière, les
gestionnaires publics encourent une responsabilité pouvant apparaître
sous plusieurs sens : une responsabilité à connotation disciplinaire, pénale
et civile pour les fonctionnaires de l’administration centrale ou
déconcentrée et une responsabilité de nature politique devant le
Parlement ou de nature pénale devant la Haute Cour de Justice pour les
autorités gouvernementales. A ce titre, la question spécifique de la
responsabilité des gestionnaires publics mérite d’être abordée54.
Dans le registre de la réforme, le Gouvernement est appelé à
s’engager sur un budget généralement décomposé en programmes sur la
base de finalités d’intérêt général. Le programme, élément structurant de
la nouvelle gestion, est un regroupement de crédits destinés à mettre en
œuvre une action ou un ensemble cohérent d’actions représentatif d’une
politique publique clairement définie dans une perspective de moyen
terme et qui relèvent d’un même ministère55. Les activités et les coûts du
programme sont associés à des objectifs et des indicateurs permettant de
mesurer les résultats56.
Cette modification du cadre de la gestion publique privilégie une
"culture de résultats" « à travers des instruments concrets : allocation d’enveloppes
53 Article 8 alinéa 3 du décret n°2019-81 du 23 janvier 2019 portant charte de gestion des
programmes et des dotations.
54 Bernard Poujade, « La responsabilité des ordonnateurs en droit public financier : état des
éd., p. 83.
20
budgétaires globales assorties d’une plus grande liberté dans l’usage des fonds,
responsabilisations des échelons intermédiaires et formalisation de ces responsabilités
sous la forme d’objectifs clairement assignés, mesure de décentralisation et de
dérégulation, mesures en faveur d’une prise en compte plus large des demandes et
satisfactions des usagers de l’organisation »57. Ainsi émerge une responsabilité
du gestionnaire public, en contrepartie d’un engagement sur les résultats.
Dérivé du latin repondere qui se traduit par « « se porter garant »58 ou
« répondre de », la "responsabilité" dénote, au sens général, l’obligation qu’a
une personne de répondre de ses actes, de les assumer, d’en supporter les
conséquences du fait de sa charge, de sa position, etc. Autrement dit, elle
renvoie à une charge, une mission conférée à quelqu’un par une autorité
devant laquelle il doit répondre de ses actes59. Cette notion de
responsabilité est une idée prégnante dans le nouveau cadre harmonisé
des finances publiques qui redessine le modèle de management car « être
responsable, c’est avoir la liberté de gérer : la spécialisation des crédits par programme,
leur fongibilité, la possibilité de piloter la masse salariale sont autant d’opportunités
offertes aux décisions de l’administration »60.
La rationalisation des choix budgétaires a comme conséquence
une mise en avant de la responsabilité des gestionnaires des programmes
publics. Cette responsabilité étant inhérente à l’autonomie de gestion, le
gestionnaire public doit répondre des résultats61.
Il s’agit de rompre avec une tradition de commandement au sein
des administrations publiques, en donnant la priorité à l’objectif de
responsabilisation des acteurs publics financiers. L’enjeu d’une telle
réforme, c’est alors une appropriation de la réforme elle-même par des
acteurs responsabilisés62.
Toujours est-il que dans le pilotage de la performance, la
responsabilisation du gestionnaire public se réalise au moyen de la
fongibilité. L’affectation des crédits dans un programme n’est pas
prédéterminée de manière rigide mais simplement prévisionnelle.
L’ordonnateur dispose de la faculté de définir l’objet et la nature des
dépenses dans le cadre du programme ou au sein même des catégories de
15 janvier 2021.
60 Xavier Inglebert, Manager la LOLF. Pratiques de la nouvelle gestion publique, op. cit., p. 14.
61 A propos de l’évolution actuelle du régime de responsabilité des élus locaux, voir
exemple André Akono Olinga, L’apport de la performance au contrôle des finances locales au
Cameroun, Thèse de doctorat/Ph.D, 2020, Université de Yaoundé 2, pp. 204- 223.
62 Michel Bouvier, « Nouvelle gouvernance financière publique durable et la conduite de la
réforme budgétaire dans les pays en développement », RFFP, n°98, Juin 2007, pp. 160-161.
21
dépense (personnel ou investissement d’un programme) pour en optimiser
la mise en œuvre63.
Enfin, à défaut d’être précis sur ce point, la réglementation
communautaire fait appel à chaque Etat pour préciser, notamment à
travers la mise en place des chartes de gestion, les modalités pratiques et
l’encadrement de l’exercice de la fongibilité.
Tout compte fait, une nouvelle « pédagogie de la responsabilité »64
apparaît clairement nécessaire dans le contexte de gestion axée sur la
performance. La redistribution des responsabilités draine de nouveaux
mécanismes d’imputation et d’imputabilité pour le gestionnaire public65.
Ce dernier est astreint à rendre compte de leurs résultats. Cela se vérifie à
suffisance au niveau du responsable de programme : « Il s’engage à atteindre
les résultats attendus du programme. [Il] présente et justifie annuellement les résultats
atteints devant son ministre ou président de l’institution dont il relève. En outre, il est
personnellement responsable de l’atteinte ou non des objectifs de performance fixés au
programme dans les conditions d’efficacité, d’économie et d’efficience »66. La réforme
tend ainsi à réaliser « un équilibre entre la liberté du gestionnaire qui dispose d’une
enveloppe globale (fongibilité des crédits) sur les programmes dont il est responsable, et le
contrôle-évaluation de ses résultats par rapport aux objectifs mesurés par les indicateurs
du projet annuel de performance67, annexé à la loi de finances initiale »68.
Ayant nécessairement la qualité d’ordonnateur, ou agissant sous sa
responsabilité, le gestionnaire public, sans égard à sa responsabilité non
63 Néanmoins, la règle de la fongibilité est encadrée : les dépenses de personnel ainsi que
celles des dépenses de fonctionnement sont asymétriques. Dans un programme, les crédits
prévisionnels destinés aux dépenses de personnel ne peuvent être majorés par d'autres
crédits, mais peuvent en sens inverse abonder d'autres titres : les dépenses de personnel et,
dans une moindre mesure, les dépenses de fonctionnement (biens et services, et transferts),
deviennent les variables d’ajustement pour le pilotage de l’exécution du programme au
profit des dépenses d’investissement. Les crédits destinés aux dépenses d’investissement,
conformément à l’article 15 précité, ne peuvent pas être diminués au profit des autres
postes de dépenses. Commission de l’UEMOA, Guide didactique de la Directive
n°06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 portant Lois de Finances au sein de l’UEMOA, pp.
15-16.
64 Geneviève Iacono, Gestion des ressources humaines, Paris, Gualino, Lextenso éditions, 2008,
2e éd., p. 412.
65 Voir Luc Rouban (dir.), Le service public en devenir, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 125.
66 Article 5 alinéa 3 et Article 10 du décret du 14 février 2019 précité.
67 Le projet annuel de performance de chaque programme précise : a) la présentation de
chacune des actions et de chacun des projets prévus par le programme, des coûts associés,
des objectifs poursuivis, des résultats obtenus et attendus pour les années à venir mesurés
par des indicateurs de performance ; b) la justification de l’évolution des crédits par rapport
aux dépenses effectives de l’année antérieure ; c) l’échéancier des crédits de paiement
associés aux autorisations d’engagement ; d) par catégorie d’emploi, la répartition
prévisionnelle des emplois rémunérés par l’Etat et la justification des variations par rapport
à la situation existante. Article 41.1 de la directive 06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009
portant lois de finances au sein de l’UEMOA.
68 Marc Leroy, « Paradigme démocratique et réforme des finances publiques », in Jean-Luc
Albert (dir.), Mélanges en l’honneur de Jean-Pierre Lassale, Gabriel Montagnier et Luc Saïdj. Figures
lyonnaises des finances publiques, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 221.
22
juridictionnelle69 ou politique70, est assujetti à une nouvelle responsabilité
gagée sur les objectifs qui lui sont fixés. Autrement pensé, « objectifs, moyens
et liberté, dans la gestion, constituent les éléments sur lesquels repose la responsabilité
managériale »71. Par rapport à cette responsabilité de type managérial72,
« complémentaire de la responsabilité juridique des ordonnateurs »73, Franck
Waserman fait remarquer que « somme toute, la LOLF repose sur l’équation
accordant plus de liberté de décision aux gestionnaires, en échange d’une responsabilité
accrue par rapport à la satisfaction de leurs objectifs »74. D’ailleurs, l’on notera que
la responsabilisation des gestionnaires publics, principe directeur de la
69 L’on précisera sans doute que c’est un contrôle de la gestion telle que celle-ci ressort des
actes émanant des ordonnances, pour en déceler des irrégularités non plus comptables mais
budgétaires. En droit sénégalais, l’ordonnateur est justiciable devant la Chambre de
Discipline financière de la Cour des Comptes, héritière de la Cour de Discipline budgétaire,
sauf à être constitué comptable de fait.
En effet, la loi organique n°99-70 du 17 février 1999 relative à la Cour des comptes,
abrogée et remplacée par la loi organique n°2012- 23 du 27 décembre 2012, a institué une
Chambre de Discipline Financière chargée de sanctionner les fautes de gestion (par
exemple, les infractions à la réglementation en vigueur concernant les marchés publics).
Peuvent être déférés devant la chambre, les agents de l’Etat, des collectivités territoriales ou
des établissements publics, les membres des cabinets, les agents des sociétés nationales ou à
participation publique ou de tout organisme bénéficiant du concours financier public et les
personnes investies d’un mandat public ou exerçant de fait lesdites fonctions. Il s’agit,
depuis 2012, d’une chambre permanente de la Cour des comptes, qui ne peut être saisie
que par un nombre limité de personnes (Président de la République, Président de
l’Assemblée nationale). Elle peut infliger des sanctions financières dont les montants
minimum et maximum sont précisés pas la loi organique. Les arrêts de la chambre peuvent
faire l’objet d’un recours en cassation devant la Cour suprême, statuant en chambres
réunies (article 7 de la loi organique n°2017-09 du 17 janvier 2017 abrogeant et
remplaçant la loi organique n°2008-35 du 08 août 2008 sur la Cour suprême).
70 Aux termes de l’article 14 de la Directive n°07/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009
portant Règlement général sur la Comptabilité publique, « les ordonnateurs sont personnellement
responsables des contrôles qui leur incombent dans l’exercice de leurs fonctions. Ils encourent une
responsabilité qui peut être disciplinaire, pénale ou civile, sans préjudice des sanctions qui peuvent leur être
infligées par la Cour des comptes à raison des fautes de gestion. Dans les conditions définies par la Directive
portant Lois de Finances, les membres du Gouvernement et les présidents des institutions constitutionnelles
encourent, à raison de l’exercice de leurs attributions, les responsabilités que prévoient les Constitutions des
Etats membres ». En outre, il est intéressant de rappeler que dans certains Etats, « la
légitimation heureuse du contrôle des comptes des pouvoirs publics constitutionnels ». Djibrihina
Ouédraogo, « La réforme inachevée de la juridiction financière ivoirienne. A propos de la
loi organique n°2015-494 du 07 juillet 2015 sur la Cour des comptes », in Nicaise Médé
(contributions réunies), Les nouveaux chantiers de finances publiques en Afrique. Mélanges en
l’honneur de Michel Bouvier, op. cit., pp. 228-230.
71 Lamine Koté, « Quelles bases pour la gestion par la performance des finances publiques
dans l’espace UEMOA », p. 6 (à paraître dans Revue de l’Institut supérieur des Finances de
Dakar).
72 Pour d’amples développements, Lamine Koté, « Quelle responsabilité pour les
p. 513.
74 Franck Waserman, Les finances publiques, 8e éd., Paris, La documentation française, 2016,
p. 77.
23
réforme vient d’être mise en lumière de nouveau dans un récent rapport de
la Cour des Comptes française. Il en ressort que « la condition pour que la
responsabilité des gestionnaires sur leurs résultats puisse être recherchée est que ceux-ci
disposent réellement des leviers pour agir sur l’ensemble des moyens consacrés par l’État
aux politiques dont ils ont la charge, en disposant d’enveloppes de crédits sincères (c’est-
à-dire exemptes de sous-budgétisations) et véritablement mises à leur disposition »75.
Sur ces aspects, la réforme de la gestion publique impose de faire la
part entre les fautes de gestion qui ressortiraient à la compétence des
juridictions et l’inefficacité managériale susceptible d’être sanctionnée par
des mesures internes à l’Administration (promotions, indemnités de
performance, sanctions disciplinaires, etc.)76.
Ramenée à ses traits quintessentiels, une nouvelle gestion publique,
souvent appelée new public management, ne devrait pas seulement se fonder
sur le commandement et le contrôle. Elle a besoin d’être autrement
redéfinie, c’est-à-dire en fonction de la performance. Pour cette raison, la
reddition des "comptes" ; ou plus adéquatement "la reddition des
programmes", est une obligation du gestionnaire public qui l’invite à
soumettre, en plus de l’élaboration de comptes administratifs77, des
rapports annuels de performance (RAP) pour les programmes. Le RAP
suit le PAP78, « en se concentrant sur l’exposition des résultats, leur explication, et
leur évaluation. Il décrit les activités conduites au cours de l’année sous revue, comme un
rapport d’activités classique, puis il présente les résultats en matière de performance, sur
la base du suivi des indicateurs figurant dans le PAP et éventuellement d’autres
éléments, et les interprète »79. C’est le baromètre le plus apprécié pour évaluer
l’économie, l’efficacité et l’efficience des programmes budgétaires.
Tout cela, c’est pour montrer l’importance à bien comprendre
l’évolution intervenue dans le statut du gestionnaire public que donne de
constater la gestion par la performance. Encore faut-il remarquer que ces
nouveaux principes directeurs de la gestion publique animent les
dispositifs de gestion de la performance au sein du nouveau cadre
harmonisé des finances publiques dans l’espace UEMOA.
B. Une gestion concertée de la performance
Gérer la performance, c’est dérouler des opérations relatives à la
réalisation des activités d’une organisation pour s’assurer qu’elles
demeurent en adéquation avec la stratégie, les objectifs, les processus et le
contexte.
75 Cour des Comptes, Les finances publiques : pour une réforme du cadre organique et de la
gouvernance, Rapport public thématique, Novembre 2020, p. 138.
76 Jean-Luc Albert, Finances publiques, Paris, Dalloz, 2015, 9e éd., pp. 373-374.
77 Charles Emile Abdou Ciss, « Réforme budgétaire : présentation, état de la mise en œuvre,
(dir.), La LOLF dans tous ses états, op. cit., pp. 481-501.
79 Commission de l’UEMOA, Guide didactique de la Directive n° 06/2009/CM/UEMOA du
26 juin 2009 portant lois de finances au sein de l’UEMOA, op. cit., p. 21.
24
La mise au point d’un dispositif de gestion axée sur la performance
suppose, pour y parvenir, l’élaboration et l’adoption de la charte de gestion
(1) corrélée à l’institutionnalisation du dialogue de gestion (2).
1. La charte de gestion
La performance permet de fixer des objectifs au gestionnaire public
qui reçoit des crédits globalisés au sein de chaque programme, et d’en
apprécier leur utilisation. C’est d’une façon plus générale un moyen de
modernisation de la gestion publique. Sans doute la démarche de
performance inclut-elle une réforme des modalités de travail et de
fonctionnement des administrations publiques80. Toutes choses auxquelles
renvoie la charte de gestion.
C’est en effet un document qui détaille et explique les modalités de
gestion des ressources organisationnelles telles que les ressources
humaines, financières et matérielles au sein d’un organisme. Elle tend à
couvrir l’ensemble des activités associées à des processus de gestion : la
planification, l’organisation, le contrôle et le pilotage.
Même si la charte de gestion peut se révéler sous des formes parfois
différentes (circulaire de cadrage de la gestion des programmes, directive
pour la gestion de la performance), il n’en demeure pas moins que sa
vocation est de clarifier des principes de gestion énoncés et communiqués
aux collaborateurs. Elle offre ainsi un cadre normatif exposant les
pratiques de gestion attendues pour l’ensemble des gestionnaires publics,
et valable pour tous les niveaux hiérarchiques.
A l’échelle ministérielle, elle précise, tout au long de la chaîne de
responsabilité, les orientations et les priorités du programme ainsi que les
modalités de gestion du programme81, en déterminant le périmètre de
responsabilité , les espaces d’autonomie de chacun des acteurs, les
procédures et les outils pour assurer le dialogue de gestion, le calendrier et
les échéances, les canaux garantissant une circulation fluide et transparente
de l’information entre les différents acteurs82. Au principal, la charte de
gestion détermine, dans chaque ministère, les acteurs engagés dans la
chaîne managériale de la gestion83, notamment leurs profils, leurs rôles et
leurs responsabilités ainsi que, le cas échéant, leurs services chargés des
l’UEMOA : une ambition, quatre défis ! », in Nicaise Médé (contributions réunies par), Les
nouveaux chantiers de finances publiques en Afrique. Mélanges en l’honneur de Michel Bouvier, op. cit.,
pp. 161-164.
25
affaires administratives et financières, des études et de la planification, de
la gestion des ressources humaines, des systèmes d’information, des
archives et de la passation des marchés. Elle spécifie également la
cartographie des programmes, réglemente le dialogue de gestion et
organise le pilotage (modalités de gestion des crédits, suivi de la
performance, contrôle interne de la gestion des programmes, contrôle
externe de l’exécution des programmes)84.
En droit positif ivoirien, le décret n° 2019-81 du 23 janvier 2019
dispose, aux termes de son article premier, que son objet est « de fixer la
charte de gestion des programmes et des dotations (…). Cette charte de gestion définit les
rôles et les responsabilités des différents acteurs participant à la mise en œuvre des
programmes et des dotations ainsi que leurs règles de gestion. Elle décrit également les
règles relatives au pilotage de la performance des programmes ». Dans cette logique,
la charte de gestion précise le périmètre de responsabilité et d’autonomie
de chaque acteur s’impliquant au pilotage des programmes et des
dotations, les règles régissant les relations entre les acteurs, ainsi que les
dispositions en matière d’exercice du contrôle dans la démarche de
performance des programmes.
Ces dispositions sont très approchantes, de celles du décret n°
2020-1020 du 6 mai 2020 « relatif à la gestion budgétaire de l’Etat »85 au
Sénégal. Ce décret détermine, outre le cadre de gestion du budget-
programme, les principaux acteurs qui y interagissent. Sont ainsi
concernés : le ministre et le président d’institution constitutionnelle, le
coordonnateur des programmes (secrétaire général du ministère), le
responsable de la fonction financière (chef du service chargé des affaires
administratives et financières du ministère), le responsable de programme,
le responsable d’action (ou d’objectif intermédiaire d’un programme), le
responsable d’activité (de tâches ou d’un ensemble de tâches
opérationnelles mises en œuvre par les services) et le contrôleur de gestion
(placé sous l’autorité du coordonnateur des programmes)86.
La responsabilisation des acteurs de la gestion doit être adossée à un
système performant de gestion des ressources humaines. Des fiches
emplois-types et des référentiels de compétences87 sont d’importants outils
organique n°2011-15 du 08 juillet 2011 relative aux lois de finances (modifiée par celle
n°2016-34 du 23 décembre 2016) inscrit parmi les textes subséquents d’application de ses
dispositions un "décret relatif à la gestion budgétaire de l’Etat".
86 Articles 14 à 22 du décret n°2020-1020 du 6 mai 2020 précité.
87 La compétence se décline en savoirs (connaissance), en savoir-faire (pratique) et en
postes de travail ayant des finalités et activités communes et mettant en œuvre des
compétences similaires (exemple : responsable de programme, contrôleur de gestion, etc.).
Par contre, le poste est la plus petite unité organisationnelle de la division du travail. Il
correspond à une situation de travail individuelle observable au sein de la structure, à un
moment donné, dans une organisation donnée. Il renvoie à des responsabilités et tâches
spécifiques au sein d’un emploi/d’une fonction. Voir « Annexe 8 : clarification des
concepts utilisés », Bureau Organisation et Méthodes (BOM), Recueil des fiches emplois-types et
référentiels de compétences des acteurs de la nouvelle gestion publique, Juillet 2019, 1re éd., p. 24.
89 BOM, ibid., p. 7.
90 Qu’il concerne l’aspect individuel ou collectif, le changement doit prendre une dimension
93 Soit un ensemble des fonctions dites d’état-major (direction générale, étude et recherche,
communication, conseil juridique, contrôle interne) et aux fonctions de gestion des moyens
(personnel, budget-finances, immobilier et équipement, informatique, système
d’information, etc.) d’une institution. « Glossaire » in Commission de l’UEMOA, Guide
didactique de la Directive n° 06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 portant lois de finances au sein
de l’UEMOA, op. cit., p. 11.
94 Xavier Inglebert, Manager la LOLF. Pratiques de la nouvelle gestion publique, op. cit., p. 297.
95 Gérard Martin Pekassa Ndam, « La dialectique du responsable de programme en finances
publiques camerounaises : recherche sur les nouveaux acteurs budgétaires », op. cit., p. 306.
29
déterminant de la gestion publique, à savoir un dispositif destiné à
améliorer, de façon continue, la performance organisationnelle.
II. Un dispositif d’amélioration continue de la performance
organisationnelle
La performance organisationnelle est la capacité d’une entité
administrative à se structurer (planification, organisation, contrôle) de
manière optimale dans le but d’améliorer sa performance opérationnelle
sur une période donnée96. Elle suppose notamment l’existence d’un cycle
de diagnostic et de contrôle dans l’optique de performer les processus
organisationnels et fonctionnels.
A cette mission, participent, à la fois, l’optimisation des structures et
des processus (1) et le contrôle anticipatif (2).
A. Des structures et processus optimisés
Les structures et processus déterminent, dans une organisation, les
conditions et les modalités de transformation des crédits et des emplois en
performance. Leur organisation et leur fonctionnement ont besoin de
s’adapter, de façon continue, aux contraintes de la performance en relation
avec l’environnement institutionnel, économique et social.
C’est là où se forme, parmi tant d’autres outils dédiés à
l’amélioration de la performance, l’intérêt pour l’audit organisationnel et
fonctionnel (1) ou l’auto-évaluation des organisations publiques (2).
1. L’audit organisationnel et fonctionnel
Objectivement, toute organisation est régie par de nombreux
processus comme maillons intégrés de la chaîne de valeur. Chaque
processus est un ensemble organisé d’activités interdépendantes qui
transforment, de manière efficiente, des ressources ou facteurs en produits
et services à délivrer aux "clients" (citoyens, usagers, contribuables), ainsi
qu’en impacts (résultats) sur la société97. Ces processus doivent
régulièrement être soumis à un audit organisationnel et fonctionnel.
L’audit ainsi qualifié est une méthode d'analyse qui aide à comprendre les
structurations formelle et apparente d'un service. S’il est performant, il doit
agir efficacement sur les processus organisationnels et fonctionnels98.
La démarche consiste à produire une "photographie" claire et
organisée de la situation, un "état des lieux de l'existant" à partir duquel
des propositions d'amélioration concrètes seront formalisées et proposées
aux dirigeants et équipe de direction. Et partant, une réorganisation peut
être entreprise à divers niveaux de fonctionnement : les processus
99 Les processus métiers réalisent un des objectifs de l’organisation : par exemple, pour une
Délégation générale à la Protection sociale et à la Solidarité nationale, il est mis l’accent sur
les bourses de sécurité familiale, les interventions d’urgence, la protection sociale
adaptative.
100 Les processus supports, qui soutiennent et gèrent les ressources nécessaires, sont des
31
pas alors considérés comme des ilots, mais comme des apporteurs de valeur ajoutée pour
l’obtention du résultat final, évalués à l’aune de celle-ci »103.
Dans son déroulé, l’audit organisationnel se décline en différentes
phases : i) une note de cadrage de la mission (compréhension de la
mission, orientation méthodologique, séquencement des étapes) ; ii) un
exercice de diagnostic organisationnel et fonctionnel (recueil et analyse
documentaires, entretiens individuels, ateliers collaboratifs, etc.) ; iii) une
synthèse et des préconisations (rapports d’audit mettent en évidence des
points forts et des points d'amélioration, des préconisations et un plan
d'actions) ; iv) une séance de restitution (présentation de l'ensemble de
résultats du diagnostic et du plan d'actions à la gouvernance politique, à
l’équipe de direction et aux professionnels).
En France, on se le rappelle, des « audits de modernisation »104 avaient
été initiés en 2005 pour moderniser l’action publique, mais c’est seulement
à partir de 2007 que ceux-ci sont systématisés à l’ensemble des ministères
sous le label "Révision générale des Politiques publiques" (RGPP) portée
par trois axes principaux : la réduction des dépenses publiques,
l’amélioration de la qualité des services publics et la modernisation de la
fonction publique. Dans le fond, la RGPP a eu d’abord pour objectif
de réaliser des économies budgétaires sur la base de deux principales
pistes : la rationalisation des dépenses en personnel et l’optimisation
organisationnelle. Au final, plusieurs réformes administratives majeures qui
ont contribué à simplifier les relations entre les usagers et l'administration,
et facilitant parfois l'accès aux services publics, sont à mettre à l'actif de la
RGPP105.
Dans le contexte de l’UEMOA, il est apparu nécessaire de prendre
en charge les implications organisationnelles et fonctionnelles afférentes à
la réforme budgétaire. En marquant le passage d’un budget de moyens à
un budget de résultats, la Directive n° 06/2009/CM/UEMOA du 26 juin
2009 portant Lois de Finances au sein de l’UEMOA induit des
changements substantiels dans la gouvernance de l’Administration. Le
changement de paradigme pose le besoin de prendre en compte les
103 Partick Iribarn, Stéphane Verdou, La haute performance publique. Comment piloter et évaluer les
performances des organismes publics, AFNOR éditions, 2008, p. 38.
104 La circulaire du 29 septembre 2005 souligne que les audits de modernisation ne sont pas
des missions de vérification des services en ce sens qu’ils doivent « déboucher sur des
propositions de simplifications concrètes, d’améliorations de qualité du service rendu tangibles et sur des
gains de productivité dont on recherchera la mobilisation à la plus brève échéance ». En pratique, l’audit
de modernisation a consisté à mandater, sur proposition des ministères, les inspections,
assistées de consultants lorsque le sujet s’y prête, afin d’auditer un service, une procédure,
une fonction significative ou un dispositif d’intervention et de formuler des
recommandations opérationnelles pour améliorer la qualité du service et dégager des gains
de productivité. Frank Mordacq, La réforme de l’Etat par l’audit, op. cit., p. 9.
105 Laurent Musine, « La revue générale des politiques publiques (RGPP) : quel bilan, quels
106 Dans ce cadre, les dépenses du budget seront ventilées en programmes et sous-
programmes, dans le but de rendre la politique plus lisible. Pour mieux mesurer et
améliorer l’efficacité de l’exécution du budget, la stratégie, les objectifs, et les indicateurs de
performance sont déterminés.
107 Pour une déclinaison opérationnelle, voir BOM, Guide pratique de conduite des missions de
108 Entre autres, Nobert Thom, Andrian Ritz, Management public. Concepts innovants dans le
secteur public., 1re éd., Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2013, p.
8 ; Annie Bartoli, Cécile Blatrix, Management dans les organisations publiques. Défis et logiques
d’action, Paris, Dunod, 2015, 4e éd., p. 130. Jean-Marc Dochot, « Le mouvement vers la
qualité dans les Services publics de l’Union européenne et le Cadre d’Auto-évaluation des
Fonctions publiques (CAF) », in Pyramides, Revue du Centre d’Etude et de Recherches en
Administration publique, 5/2002, pp. 101-120.
109 Forgé au Japon, le concept de Qualité Totale ou Total Quality Management (TQM),
sont : i) orientation client ; ii) leadership ; iii) Implication du personnel ; iv) approche
processus (processus corrélés fonctionnant comme un système cohérent) ; v) amélioration
(une volonté constante d’améliorer ses performances); vi) Prise de décision fondée sur des
preuves ; vii) management des relations avec les parties intéressées.
111 Patrick Staes, Nick Thijs, « Le management de la qualité : un instrument de
réglementation européenne "par le bas" », RFAP, n°119, 2006/3, pp. 493 à 513,
112 Nobert Thom, Andrian Ritz, Management public. Concepts innovants dans le secteur public.,
ressources CAF à l’IEAP, « Préface », in L’amélioration des organisations publiques par l’auto-
évaluation. CAF 2013, p. 7.
34
pratique du cycle PDCA (Plan-Do-Check-Act)114, l’exercice de l’auto-
évaluation et l’apprentissage par échange d’expériences (benchlearning) entre
entités du secteur public.
Sous cet ordre de réflexion, se pose une question centrale : quel est
le principe qui gouverne le CAF ? En réponse, c’est celui qui démontre
que les résultats en matière de performances clés, les résultats auprès des
citoyens/clients, du personnel et de la société peuvent tendre vers
l’excellence grâce à la capacité des gestionnaires à donner une impulsion en
matière de stratégie et de planification, de ressources humaines, de
partenariats, de ressources, et de processus115.
Pour atteindre la finalité d’amélioration globale, le modèle CAF
mise sur neuf (09) critères répartis en facteurs et en résultats. Les critères 1
à 5 concernent les pratiques managériales d’une organisation, ce que l’on
appelle les « facteurs ». Ils déterminent les activités de l’organisation et
l’approche à adopter pour parvenir aux résultats souhaités. Ces
facteurs répartissent les bonnes pratiques de management en « critères » : les
critères 1 à 5 correspondent aux leviers managériaux de toute organisation :
leadership, stratégie et planification, personnel, partenariats et ressources,
processus ; les critères 6 à 8 estimés par des mesures de perception et de
performance concernent les « résultats » obtenus auprès des
citoyens/clients, du personnel et de la société, et le critère 9 s’applique aux
« performances clés » mesurant les résultats liés essentiellement à la réalisation
des objectifs stratégiques et à la gestion des ressources.
Dans ses grands traits, le modèle CAF promeut l’amélioration de la
performance globale dans le secteur public (satisfaction des citoyens,
usagers, contribuables, satisfaction des collaborateurs, économie des coûts,
des délais et des risques). Le modèle soutient que l’excellence des résultats
dans tous les domaines d’une organisation (économie, client, social) est
tributaire de la capacité de l’équipe dirigeante à définir une stratégie claire
et à impulser de bonnes pratiques de management du personnel, des
ressources, des partenariats et des processus. L’auto-évaluation permet
principalement de découvrir les points forts et les points à améliorer ainsi
que les actions d’amélioration correspondantes. Pour ce faire, tous les
aspects du fonctionnement d’une organisation sont soumis à une
évaluation rigoureuse mais aussi toutes les composantes de l’organisation
qui ont des effets les unes sur les autres.
Sénégal-Luxembourg
120 Dans sa démarche vers l’excellence, le FIE, structure pionnière, compte également sur
121 Signalons, à titre de précision, qu’il existe au Sénégal un service dénommé « Contrôle
financier » institué par décret n° 67-150 du 10 février 1967, faisant suite à l’ordonnance n°
59-53 SG du 31 mars 1959 créant un contrôle financier au Sénégal, dont l’ancêtre est le
décret n° 52-1356 du 19 décembre 1952 relatif au contrôle financier dans les territoires
d’Outre-mer et au Cameroun. Rattaché au Secrétariat général de la Présidence de la
République, le Contrôle financier est placé sous l’autorité du « Contrôleur financier », assisté
par des « Contrôleurs d’Etat ». Le décret n° 78-085 du 1er février 1978 portant organisation
du Contrôle financier fixe ses attributions portant contrôle permanent de l’exécution des
opérations financières de l’Etat et suivi de la gestion des organismes publics (établissements
publics ou sociétés d’économie mixte et personnes morales bénéficiant du concours
financier de la puissance publique).
122 Mor Fall, Ibrahima Touré, Finances publiques. Approche théorique et pratique, L’Harmattan-
Sénégal, 2018, pp. 264-276 ; Mahady Diallo, La comptabilité publique des Etats africains
francophones. Pratiques postcoloniales et grandes misères actuelles, NEAS, Dakar, 2015, pp. 406-411.
123 La conséquence à tirer de ces dispositions est la suivante : « Le Contrôleur financier est
personnellement responsable des contrôles portant sur la disponibilité des crédits, sur la vérification des prix
par rapport à la mercuriale en vigueur et, au titre de la validité de la créance, sur l’exactitude des calculs de
liquidation de la dépense. Si les mesures proposées lui paraissent entachées d’irrégularités au regard des
dispositions qui précèdent, le contrôleur financier refuse son visa. En cas de désaccord persistant, il en réfère
au ministre chargé des finances. Il ne peut être passé outre au refus de visa que sur autorisation écrite du
37
Dans la réforme des finances publiques, le contrôleur financier
pourrait ainsi continuer, au rebours de l’esprit de la réforme, à appliquer
un contrôle d’opportunité sur la dépense qui attire ces critiques : « En
premier lieu, on reproche au contrôle financier d’être, en fait, trop souvent un contrôle de
l’opportunité de la dépense, alors qu’il ne devrait être qu’un contrôle de régularité. (…)
En second lieu, on reproche au contrôle financier d’être trop rigide. Certes, le respect de
la régularité budgétaire est nécessaire, mais il y a des circonstances où elle n’est pas
compatible avec le bon fonctionnement du service public »124.
Par ces mots, il y a lieu donc de reconnaître que les pouvoirs du
contrôleur financier restent tout aussi importants que dans le contexte des
directives et pratiques précédentes des finances publiques de l’UEMOA.
Le contrôleur financier a toujours « la possibilité d’apprécier les "conséquences que
les mesures proposées peuvent avoir sur les finances publiques", ce qui s’apparente à un
contrôle d’opportunité envers le responsable du programme. Le contrôleur financier
pourrait-il se fonder sur des motifs tirés de l’opportunité de la dépense pour en refuser le
visa ? Le responsable du programme n’est pas prémuni de cette situation par la
directive, ce qui fait du contrôleur financier le véritable maître du jeu »125. D’ailleurs,
c’est tout aussi l’idée de Nicaise Médé démontrant que « le contrôleur financier
et ses délégués restent, à priori, seuls maîtres de l’appréciation de la qualité et de
l’efficacité de la gestion de l’ordonnateur, ce qui, en définitive, fait du pouvoir de gestion
autonome conféré à l’ordonnateur responsable de programme, des faveurs discrétionnaires
à la diligence du contrôle financier »126.
Malgré tout, le nouveau régime financier élargit les prérogatives des
contrôleurs financiers. Ce faisant, il institue un contrôle a priori et surtout
un contrôle a posteriori contributif au pilotage de la performance. Et c’est là
même tout le sens et la pertinence, pour ne citer que le cas du Togo,
certaines dispositions des articles 87, 88 et 90 du décret n° 2015-054/PR
du 27 août 2015 portant Règlement général sur la Comptabilité publique,
reprenant, à l’identique, celles de la Directive n° 07/2009/CM/UEMOA
du 26 juin 2009 portant Règlement général sur la Comptabilité publique,
en ces termes : « Les contrôleurs financiers exercent des contrôles a priori et a
posteriori des opérations budgétaires de l'Etat. Ils relèvent du ministre chargé des
Finances et sont placés auprès des ordonnateurs. Les contrôles a priori exercés par les
contrôleurs financiers portent sur les opérations budgétaires (…). Les contrôleurs
financiers évaluent a posteriori les résultats et les performances des programmes, au
ministre chargé des finances. Dans ce cas, la responsabilité du ministre chargé des finances se substitue à
celle du contrôleur financier ». Article 92 de la même Directive n°07/2009/CM/UEMOA
portant Règlement général sur la comptabilité publique précitée.
124 Loïc Philip, Finances publiques. Les dépenses publiques, le droit budgétaire et financier, t. 1, Paris,
130 Du coup, il y a une différence entre le contrôle « de la » gestion exercé par la Cour des
comptes au titre de sa mission de contrôle non juridictionnel (donc, en dehors du champ
contentieux) ou de son rôle d’assistance et le contrôle « de » gestion mis en œuvre par le
responsable de programme. Lire Stéphanie Damarey, Exécution et contrôle des finances publiques,
Paris, Gualino éditeur, 2007, p. 194.
131 Article 84 de la Directive n°07/2009/CM/UEMOA portant règlement général sur la
pp. 337-338.
133 Lien : www.performance-publique.budget.gouv.fr, consulté le 27 janvier 2021.
134 C’est une des exigences de la comptabilité analytique prévue dans le nouveau cadre
harmonisé des finances publiques dont l’objet est de faire apparaître les éléments de coût
des services rendus ou de prix de revient des biens produits et des services fournis et de
permettre le contrôle des rendements et performances des services, notamment dans le
cadre des budgets-programmes et de la gestion axée sur les résultats.
40
permettent aux dirigeants d’avoir l’assurance que les choix stratégiques et les actions
courantes seront, sont et ont été cohérents, notamment grâce au contrôle d’exécution »135.
Il ne saurait s’agir d’une action isolée ; la démarche doit permettre
d’obtenir l’assurance que les ressources sont employées de manière
efficace et efficiente pour la réalisation des objectifs de l’organisation136.
En quelque sorte, c’est l’interface entre la logique stratégique et la
démarche opérationnelle. Ainsi, se révèlent les traits pertinents du contrôle
de gestion : un contrôle exercé sur l’ensemble d’une organisation, de façon
continue, avec pour finalité la recherche de la performance137. Dans ce
registre, l’article 22 du décret n° 2020-1020 du 06 mai 2020 relatif à la
gestion budgétaire de l’Etat au Sénégal dispose : « Sous l’autorité du
Coordonnateur des programmes, le Contrôleur de gestion facilite (e) le pilotage de la
performance ». Dans la suite logique, le décret n° 2020-1036 du 15 mai 2020
relatif au contrôle de gestion dénombre ses fonctions principales
consistant à « assister le responsable de programme dans la réalisation des objectifs qui
lui sont fixés, au titre de l’exécution des crédits des programmes budgétaires. Il intervient
lors du processus d’élaboration et d’exécution de la loi de finances de l’année. A ce titre,
il exerce la fonction de "conseiller à la performance" du responsable de programme à
travers, notamment : i) la participation à la définition de la stratégie du programme ; ii)
la préparation du cadre de performance du programme ; iii) la coordination de la
déclinaison des objectifs et des indicateurs de performance au niveau des actions et des
activités ; iv) l’élaboration, en lien avec les services de données, des fiches méthodologiques
des indicateurs de performance ; v) la supervision de la mise en place du système de suivi
des indicateurs et de reporting vers l’administration centrale ; vi) la contribution à la
définition et à la programmation des actions et des activités ; vii) la coordination de la
rédaction du volet performance du rapport annuel de performance viii) la conception
d’une maquette de compte-rendu de gestion, ainsi qu’un soutien méthodologique aux
services opérationnels pour la conception d’outils de suivi de leurs activités ; ix)
l’agrégation des résultats des entités opérationnelles territoriales ; x) la conception et
l’alimentation du tableau de bord du responsable de programme ; xi) l’analyse de
l’exécution budgétaire et des résultats du volet performance ; xii) l’élaboration du
rapport annuel de performance ».
En Côte d’ivoire, le décret n°2014-416 du 09 juillet 2014 portant
Règlement général sur la Comptabilité publique traite, invariablement, du
contrôleur financier et du contrôleur budgétaire. Ne s’encombrant
d’aucune distinction, les articles 88 à 91 de ce décret font état, dans cet
ordre précis, de l’exercice par le contrôleur financier et le contrôleur
budgétaire, relevant du Ministre chargé des Finances mais opérant auprès
de l’ordonnateur, des contrôles a priori et a posteriori des opérations
budgétaires de l’Etat, des établissements publics nationaux et des
135 Henri Bouquin, Le contrôle de gestion, Paris, Dunod, 2006, 7e éd., p. 154.
136 Ainsi que le pensent Hélène Löning, Véronique Malleret, Jérôme Méric, Yvon
Pesqueux, Contrôle de gestion, Paris, Dunod, 2013, p. 2.
137 Xavier Inglebert, Manager la LOLF. Pratiques de la nouvelle gestion publique, op. cit., pp. 141-
142.
41
collectivités territoriales. Les contrôles a priori exercés par le contrôleur
financier ou budgétaire portent sur les opérations budgétaires ; celui-ci
tient la comptabilité des dépenses engagées afin de suivre la
consommation des crédits et de déterminer la disponibilité ou non de
crédits suffisants pour de nouveaux engagements de dépense. On
soulignera, au sens de ces articles, que « le contrôleur financier ou budgétaire
évalue a posteriori les résultats et les performances des programmes, au regard des
objectifs fixés, des moyens utilisés et de l’organisation des services des ordonnateurs ».
Les précisions utiles vont finalement découler de l’article 10 du décret
n°2019-81 du 23 janvier 2019 portant charte de gestion des programmes et
des dotations, confirmées par celles de l’article 3 du décret 2019-222 du 13
mars 2019 portant modalités de mise en œuvre de contrôles financier et
budgétaire des Institutions, des administrations publiques, des
établissements publics nationaux et des collectivités territoriales en ces
termes : si les contrôleurs financiers sont placés auprès des Ministères, des
Institutions constitutionnelles, des projets cofinancés, des représentations
de l’Etat à l’extérieur et des collectivités territoriales, les contrôleurs
budgétaires le sont, en revanche, auprès des établissements nationaux et
assimilés.
Alors, « qui doit exercer la fonction de contrôleur de gestion ? »138. Acteur
d’une gouvernance basée sur des éléments opérationnels et budgétaires, la
fonction de contrôleur de gestion suppose une autorité que confèrent le
statut de cadre supérieur, les compétences techniques du métier
(instruments de pilotage tels que la comptabilité de gestion, les outils
informatiques, les systèmes d’analyse, etc.), la connaissance des fonctions
de l’organisation et les qualités pédagogiques et humaines (communication,
écoute, diplomatie, empathie, etc.)139. Tout bien considéré, « le contrôleur de
gestion doit avoir une formation technique et généraliste ainsi qu’une expérience lui
permettant de mettre en adéquation les objectifs et les moyens. Il bénéficie au sein de
[l’organisation] d’une position charnière lui permettant de communiquer avec les services
chargés du contrôle de la gestion des moyens, des performances et des objectifs »140.
De plus, il sied de rapporter que la qualité du contrôle de gestion
doit être soumise à l’appréciation de la Cour des Comptes agissant dans le
cadre d’un contrôle non juridictionnel réglementé par les législations
nationales sur renvoi de l’article 75 de la Directive
n°06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 portant Lois de Finances au
sein de l’UEMOA. En la transposant en droit sénégalais, l’article 43 de la
loi organique n°2012-23 du 27 décembre 2012 abrogeant et remplaçant la
loi organique n°99-70 du 17 février 1999 sur la Cour des Comptes prévoit
que le contrôle exercé par ladite Cour en vertu des articles 30 et 31 de la
présente ladite loi organique vise à apprécier la qualité de la gestion et à
42
formuler, éventuellement, des suggestions sur les moyens susceptibles d’en
améliorer les méthodes et d’en accroître l’efficacité et le rendement.
Ce contrôle intègre tous les aspects de la gestion. La Cour apprécie
la réalisation des objectifs assignés, l’adéquation des moyens utilisés, les
coûts des biens et services produits, les prix pratiqués et les résultats
financiers ainsi que l’impact sur l’environnement. Elle s’assure que les
systèmes et procédures notamment budgétaires, comptables et
informatiques mis en place dans les organismes publics garantissent la
gestion optimale de leurs ressources et de leurs emplois, la protection de
leur patrimoine et l’enregistrement de toutes leurs opérations. En aucun
cas, ce contrôle ne peut permettre une ingérence dans la gestion des entités
contrôlées.
2. Un contrôle anticipatif : le contrôle interne
Le contrôle interne fait partie, avec l’inspection et les audits, des
« métiers de la nouvelle gestion publique »141.
L’"inspection", métier de "policier" pourrait-on dire, est une activité
ponctuelle, improviste et secrète. Confiée à un service externe (Cour des
Comptes, Inspection générale d’Etat) ou un supérieur à travers un service
interne, elle a tendance à porter sur les opérations et les personnes. Elle
procède à la vérification de la régularité ou à la détection des irrégularités
donnant lieu à des sanctions. De façon très différente, l’ "audit" est une
activité systématique et périodique dont la finalité est d’adresser des
recommandations au gestionnaire. Il a aussi pour objet d’apprécier
l’efficacité des systèmes de gestion des risques et les résultats de la gestion.
Dès lors, « sans système de contrôle interne, il n’y a rien à auditer … »142 car ledit
contrôle est « un support incontournable pour la réalisation d’une mission
d’audit »143. A la limite, l’audit est un « contrôle de 2eme degré »144, impliquant la
régularité, les standards et les bonnes pratiques. De par sa fonction et sa
position, même s’il est interne, l’auditeur est libéré de toute dépendance
fonctionnelle à l’égard du pouvoir de nomination (ministre, secrétaire
général, etc.) ou des services audités au sein de l’organisation.
Toujours au sens du droit comparé, l’audit se voit érigé, dans le
cadre de la LOLF française, en mode de contrôle managérial. Il en est ainsi
dans le décret n°2011-775 du 28 juin 2011 relatif à l'audit interne dans
l'administration dont l’article premier énonce que « dans chaque ministère, un
dispositif de contrôle et d'audit internes, adapté aux missions et à la structure des
141 Alain-Gérard Cohen, La nouvelle gestion publique. Concepts, outils, structures, bonnes et mauvaises
pratiques ; Contrôle interne et audits publics, Paris, Gualino, 2012, 3e éd., p. 87.
142 Alain-Gérard Cohen, ibid., p. 90.
143 Eustache Ebondo Wa Mandzila, « La normalisation du contrôle interne en tant que
support du processus d’audit », in Benoît Pigé, Qualité de l’audit. Enjeux de l’audit interne et
externe pour la gouvernance des organisations, Bruxelles, De Boeck, 2011, p. 28.
144 Frédéric Bernard, Nicolas Dufour, Piloter la gestion des risques et le contrôle interne, Paris,
26 juin 2009 portant règlement général de la Comptabilité publique au sein de l’UEMOA, p. 93.
148 Jacques Renard, Comprendre et mettre en œuvre le contrôle interne, op. cit., p. 1.
149 Franck Latifou Djigla, Hervé Affoukou, « Le contrôle financier dans la réforme : statu
quo ou refondation », in Nicaise Médé (dir.), La LOLF dans tous ses états, op. cit., p. 461.
150 L’exemple de celui de l’Autorité des Marchés financiers (AMF) en France.
151 Alain-Gérard Cohen, La nouvelle gestion publique..., op. cit., p. 91 et p. 124.
44
Dans un système de contrôle interne, le risque est, à n’en point
douter, « tout ce qui peut s’opposer à la (bonne) réalisation des objectifs, être en
quelque sorte une autre cause d’échec et, financièrement, de perte »152. Il se manifeste
sous la forme d’un aléa (évènement, action, inaction) de nature à
corrompre la capacité d’une gouvernance à réaliser ses objectifs avec
succès153. Les anomalies de fonctionnement en cause peuvent être des
erreurs, des fraudes, des retards, de mauvaises compréhensions auxquels il
faut, le cas échéant, corréler des procédures de résolution (aussi appelées
"contrôles" des risques).
Deux approches sont significatives du contrôle interne parce que
permettant d’analyser l’ensemble des risques d’une organisation. Il s’agit de
"l’approche par processus" qui recommande de décrire les principales
activités exercées par l’organisation ainsi que les sous-processus y
afférents. Cela permet de cerner tous les éléments clés d’une gouvernance.
Par "l’approche métier", les risques sont distingués par type d’activités : les
risques de gouvernance ou de management, les risques financiers, les
risques techniques (liés aux métiers clés du périmètre de contrôle) et les
risques opérationnels (liés aux supports communication, contentieux,
ressources humaines)154.
Qui dit contrôle interne, doit aussi penser à un « outil de réduction des
risques »155. A ce titre, le contrôle interne fait l’objet d’une normalisation.
Alors que le contrôle interne classique apportait la garantie qu’un
processus spécifique permettait d’aboutir au produit souhaité, « le contrôle
interne normalisé tend désormais à s’assurer que la façon de faire est conforme aux
normes. C’est la conformité qui s’impose aux processus »156. Tel que conçu par le
Committee of Sponsoring Organizations of the treadway Commission (COSO), dans
sa version basique, quatre objectifs sous-tendent le contrôle interne : i) la
fiabilité et l’intégrité des informations financières et opérationnelles, ii)
l’efficacité et l’efficience des opérations, iii) la protection du patrimoine, iv)
le respect des lois, des règlements et contrats157. Ensuite, c’est l’apport
essentiel du COSO 2 d’avoir démontré qu’il ne suffit pas de se contenter
d’évaluer les risques mais plutôt de les gérer de manière globale, dans toute
l’organisation et dans toutes les activités (le management des risques)158.
111.
155 Benoît Pigé, Gouvernance, contrôle et audit des organisations, Paris, Economica, 2008, p. 146.
156 En 1992, le Committee of Sponsoring Organizations of the treadway Commission (COSO) a publié
45
En sus, l’efficacité du contrôle interne doit aussi maîtriser les
comportements opportunistes de toutes les parties prenantes de
l’organisation. En effet, le comportement opportuniste d’un acteur
« consiste pour ce dernier à exploiter les failles ouvertes par le système pour en tirer
grand profit au détriment de [l’organisation], en se dérobant à ses engagements
contractuels ou en affectant l’exécution de certains contrats conclus (…) »159. Enrayer
un tel risque s’impose, d’autant plus que le jeu de pouvoirs au sein d’une
administration publique est de plus en plus politiquement marqué et
délicatement gangréné par la "grande corruption" prêtée aux autorités
officielles.
Pour le reste, l’efficacité du contrôle interne, tout comme celle du
contrôle de gestion, peut constituer un facteur d’assouplissement du
contrôle financier et du contrôle de gestion. Sous ce rapport, il est disposé,
à l’article 91 de la Directive n°07/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009
portant Règlement général de la Comptabilité publique, que « par exception
aux dispositions de l’article 87 de la présente Directive et conformément à l’article 13 de
la Directive portant loi de finances, le contrôleur financier adapte, dans les conditions
définies par la réglementation nationale, les modalités de mise en œuvre de ses contrôles
au regard de la qualité et de l’efficacité du contrôle interne ainsi que du contrôle de
gestion mis en œuvre par l’ordonnateur ». L’on remarquera que pareilles
dispositions autorisent le contrôleur financier à adapter l’exercice de son
contrôle pour qu’il parvienne à une meilleure efficience, y compris la
modulation et l’allègement de son contrôle a priori en fonction de la qualité
et de l’efficacité du contrôle interne et du contrôle de gestion mis en place
par l’ordonnateur ainsi que de l’évaluation des risques.
En fin de compte, l’analyse des risques est une démarche qui
interroge les facteurs internes ou externes de blocage dans l’atteinte des
objectifs. En tant que processus mis en œuvre au niveau global (ministre
ou président d’institution constitutionnelle, coordonnateur des
programmes, responsable de la fonction financière, responsable de
programme, responsable d’action, responsable d’activité, et leurs
collaborateurs), il est destiné à fournir "une assurance raisonnable" , mais
non absolue, quant à la réalisation de ses objectifs. Cela dénote, si besoin
est, l’impératif de créer un service ou direction du contrôle interne dans
chaque ministère ou institution constitutionnelle160.
Conclusion
159 Eustache Ebondo Wa Mandzila, La gouvernance de l’entreprise. Une approche par l’audit et le
contrôle interne, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 292.
160 En l’état actuel de l’organisation des administrations centrales au Sénégal, seules les
47
LA QUESTION DE L’APUREMENT DE DETTES ENTRE
L’ÉTAT ET LES ENTREPRISES PUBLIQUES EN DROIT
CAMEROUNAIS
Par
GUÉSSÉLÉ ISSÉMÉ Lionel Pierre
Agrégé de droit public
Maître de Conférences
Chef de département de droit public interne
Université de Dschang (Cameroun).
RESUME :
L’endettement est une contrainte à la performance de toute administration. Il est
devenu une constante dans la relation que l’État entretient avec les entreprises publiques.
Ces dernières sont redevables des contributions fiscales, l’État quant à lui est insolvable
de ses contributions financières aux entreprises publiques et du paiement de ses factures.
Il nait ainsi des dettes réciproques qui se sont accumulées au point de ne plus pouvoir
être liquidées. Face à cette situation, les parties ont opté pour l’apurement qui est mise
en œuvre à travers divers mécanismes dont la légalité peut être questionnée. Le régime de
cet apurement qui prend appui sur la spécificité des entreprises publiques parmi les
contribuables, s’écarte des mécanismes de compensation institués pour se rattacher à la
transaction qu’il galvaude néanmoins.
Mots-clés : Apurement, compensation, insolvabilité, transaction, performance.
ABSTRACT:
48
Introduction
Le 21 mars 2021, le Fonds Monétaire International a produit un
rapport sur la gouvernance des entreprises publiques et sur les risques de
cette gouvernance sur la stabilité budgétaire de l’Etat161. Quelques mois
plutôt, la Commission Technique de Réhabilitation des entreprises du
secteur public et parapublic (ci-après CTR) l’avait précédé dans son
rapport annuel162. L’une des problématiques essentielles abordées dans ces
différents rapports est celle des relations financières entre l’Etat et les
entreprises publiques caractérisées par l’existence des dettes réciproques
qui tendent à se pérenniser. Cette situation est des plus inquiétantes car
elle porte atteinte à la performance budgétaire de l’Etat et à la rentabilité
économique des entreprises publiques. Elle nécessite l’adoption des
solutions dont l’apurement constitue l’option privilégiée.
L’existence de l’Etat serait ébranlée s’il ne pouvait disposer de
moyens financiers pour soutenir ses actions163. Le cycle d’endettement
dans lequel il est engagée avec les entreprisses publiques contraint la
performance dans le recouvrement de ses moyens. Il est dépendant de ces
moyens, lui qui « n'a d'ordinaire d'autres ressources que les revenus des biens qui
peuvent lui appartenir en propre, ou la somme qu’il perçoit sur tous les citoyens par la
voie de l’impôt »164. Ces moyens rentrent dans les cadres généraux de
l’activité financière constituée des dépenses et des recettes165. Regroupés
sous l’appellation de finances publiques, ils ne peuvent être prospères sans
un encadrement rigoureux, lequel repose sur la notion de budget166. Le
budget et les finances publiques ainsi magnifiés souffrent quelque fois de
ne pouvoir répondre aux attentes en raison des contraintes auxquels ils
doivent faire face, eux qui sont en aval de toute activité administrative167.
La relation financière que l’Etat entretien avec les entreprises publiques
accentue ces contraintes du fait de l’endettement réciproque relevé, et qui
amène à revoir l’essence de la création de ces entreprises.
À l’origine, en dehors des motifs d'ordre économique, social, et
industriel168, les entreprises publiques sont créées pour contribuer au
financement du budget de l’Etat. Elles le font à travers le versement des
dividendes considérés comme des recettes budgétaires, et d’autres diverses
161 FMI, CAMEROUN. Renforcer la surveillance, la gouvernance et la maîtrise des risques budgétaires
dans la gestion des entreprises publiques, Rapport technique Mai 2021
162 CTR, Rapport sur la situation des Entreprises Publiques et des Etablissements Publics au 31
7ème édition, p. 4.
165 DUVERGER (M), Finances publiques, Paris, PUF, 1971, 7ème édition, p. 29.
166 GEZE (G), Traité de sciences des finances, Paris, Giard & Briere, 1910, p. 3.
167 LEKENE DONFACK (E. C), Finances publiques camerounaises, Paris, Berger-Levrault,
1987, p. 18.
168 SIMARD (C), « Les entreprises publiques : éléments d’analyse et de réflexion », Cahiers
publiques.
50
la compréhension de la relation financière que l’entreprise publique
entretient avec l’Etat.
Même si l’entreprise publique est liée à l’Etat par le capital qui est
exclusivement ou majoritairement détenue par ce dernier, sa nature
privative impose une séparation fonctionnelle et une autonomie matérielle.
Ces éléments sont des attributs essentiels à sa participation « aux divers
aspects de la politique économique, en respectant le principe des avantages comparatifs et
en tenant compte d'éventuelles contraintes extérieures »174. L’entreprise publique
entretien une relation financière complexe avec l’Etat. Cette complexité
découle de la fragilité de ses fondements, lesquels semblent être
introuvables dans la Constitution, elle qui « renvoie à un texte spécial le soin de
traiter particulièrement des finances publiques »175. Les textes spéciaux, qu’il
s’agisse des lois sur le régime financier176 ou des lois de finances ne sont
pas explicites sur la question. Cette relation est établie par le droit
communautaire, celui de l’OHADA en occurrence qui range les
entreprises publiques dans la catégorie des sociétés commerciales177. Cette
filiation induit la soumission des entreprises publiques au régime fiscal de
droit commun, à l’impôt sur les sociétés particulièrement178. L’entreprise
publique est donc en principe un contribuable au même titre que les
entreprises privées. La relation avec l’Etat s’appuie aussi sur la rentabilité
de ces entreprises liée aux activités industrielles et commerciales qu’elles
exercent. En tant qu’actionnaire des entreprises publiques, l’Etat attend
des dividendes179 qui constituent pour lui des recettes budgétaires. Du
point de vue des activités, l’Etat se présente parfois comme le principal
client de ces entreprises soit en raison du monopole légal à elles confié,
soit du fait de leurs positions dominantes.
La relation entre l’Etat et les entreprises publiques n’est pas toujours
sereine, tant elle est caractérisée par un endettement réciproque. Cet
endettement provoqué par une insolvabilité ou une défaillance de chacun
des acteurs face à ses obligations tend à se généraliser suscitant la nécessité
d’une réponse concrète. L’insolvabilité de l’Etat manifesté par le non-
paiement des factures et autres contributions financières auprès de
l’entreprise conduit celle-ci à ne plus payer ses impôts normalement et
174 PESTIEAU (P), GATHON (H-J), « La performance des entreprises publiques. Une
question de propriété ou de concurrence ? », Revue économique, volume 47, n°6, 1996, p.
1227.
175 OLIVA (É), « Les finances publiques vues par les constitutionnalistes », RFFP, n°133,
d’intérêt économique.
178 Article 2 du Code Général des Impôts.
179 Article 144 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du
180 BOUVIER (M), « La notion de capacité contributive des contribuables dans la société
post-moderne », RFFP, spécial n°100, Nouvelle gouvernance financière publique. Grands enjeux de
demain, novembre 2007, p. 85.
181 OLIVA (É), « L'appréciation du caractère confiscatoire ou excessif de l'impôt par le
p. 692.
183 DEMBA BA (B), Finances publiques et gestion par la performance dans les pays membres de
l’UEMOA : étude de cas du Sénégal, thèse de doctorat en Droit, Université de Bordeaux, 2015,
p. 30.
184 Le FMI a rendu récemment un rapport dans lequel la question de l’apurement est
52
renforcer les garanties offertes aux justiciables186. Cette sécurité juridique
est contraire à l’imprévisibilité et l’instabilité qui sont des caractères de
l’insécurité187 manifestée par un droit laissé à l’entière convenance des
parties. Il se pose naturellement la question du régime de l’apurement des
dettes entre l’Etat et les entreprises publiques en droit camerounais. Plus
précisément, on s’interroge sur l’existence d’un régime d’apurement des
dettes entre l’Etat et les entreprises publiques. Cette problématique est
fondée au regard de l’actualité marquée par les mises en garde des
organismes nationaux et internationaux sur les dangers de ce mécanisme.
Elle se justifie aussi par la nécessité d’évaluer l’application des exigences de
la nouvelle gouvernance financière constituées des objectifs de
performance budgétaire, de transparence et de sincérité, de rentabilité des
actions des administrations publiques. La réponse à la question se saurait
être péremptoire car les méthodes normativistes d’interprétation des textes
et divers documents financiers conduisent à adopter une posture mesurée.
L’on est en face d’un régime qui se construit en se détachant de la
compensation consacrée (I) pour se rattacher à une transaction galvaudée
(II).
I. L’évanescence de la compensation consacrée
La fiscalité s’impose à tous les contribuables quelle que soit leur
nature. Les opérations de recouvrement peuvent amener l’administration
fiscale à percevoir plus que les taux arrêtés. Dans un tel cas, elle peut
proposer au contribuable une compensation entendue comme l’action
d’équilibrer, de dédommager. La compensation s’impose lorsqu’il y’ a un
déficit entre les obligations qui lient deux parties. Elle correspond à la
situation existante entre l’Etat et les entreprises publiques caractérisée par
des dettes réciproques.
Pour épurer ces dettes, les parties développent des mécanismes qui
épousent la philosophie de la compensation mais qui sont mis en œuvre en
s’éloignant de son régime. Concrètement, on observe un effritement des
principes de la compensation (A), et un allègement des restrictions posées
par le régime de cette compensation (B).
A. L’effritement des principes de la compensation de
droit commun
La réglementation fiscale pose un régime de la compensation qui
semble concerner uniquement les contribuables de droit commun. Les
entreprises publiques et l’Etat pratiquent une compensation qui s’éloigne
186 BOTTINI (F), « Les implications nouvelles du principe de sécurité juridique en droit
administratif », Note sous CE Ass., 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation,
CRDF, n°6, 2007, p. 162.
187 PACTEAU (B), « La sécurité juridique, un principe qui nous manque? », AJDA, 1995,
p. 151.
53
des principes du recouvrement intégrale (1) et de la reconduction des
excédents fiscaux (2).
188 Article 1 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et GIE.
189 Article L 7 bis du Code général des impôts.
190 EVINA OBAM (R), La politique fiscale au Cameroun : étude sur l’exercice de la compétence fiscale
des Etats depuis la décennie 1980, thèse de doctorat en droit, Université d’Aix-Marseille, 2014,
p. 158.
191 LAMBERT (T), « Le contribuable face à l’administration fiscale », in Psychologie et science
192 Ibid.
193 SERLOOTEN (P), DEBAT (O), Droit fiscal des affaires, Paris, Dalloz, 2018-2019, 17ème
édition, p. 383.
194 Article 15 du Code général des impôts.
195 Article 21 du Code général des impôts.
196 BUISSON (J), « Le grand désordre des qualifications fiscales », in Constitution et finances
198 GROSCLAUDE (J), MARCHESSOU (P), Droit fiscal général, Paris, Dalloz, 2017, 11ème
édition, p. 183.
199 Article 74 alinéa 4 du Code général des impôts.
200 Société de développement du coton.
201 CTR, Rapport sur la situation des Entreprises Publiques et des Etablissements Publics au 31
204 LEROY (M), « Les enjeux de la territorialité fiscale », Gestion et management public, 2016/1,
Vol 4, n°3, p. 13.
205 ROBERT (J), « Le principe d'égalité dans le droit constitutionnel francophone », Cahiers
2020, p. 37.
58
l’administration centrale, nécessite la mise en œuvre d’un régime
préférentiel sur lequel doivent s’appuyer les mécanismes d’apurement des
créances réciproques. La rentabilité et la performance des entreprises
publiques sont tributaires du comportement de l’administration. Cette
administration est astreinte à des obligations qui conditionnent la
compétitivité des entreprises publiques. Le principe de nécessité de l’impôt
serait également affecté si l’interdiction de compensation était élargie aux
entreprises publiques.
Le principe de nécessité de l’impôt n’a pas une valeur
constitutionnelle explicite comme c’est le cas ailleurs. Il ne manque pas
pour autant d’avoir une justification théorique affirmée. En tant que
contribution obligatoire, l’impôt est une atteinte à la propriété individuelle
qui doit toujours avoir une justification concrète. Il doit être indispensable
et nécessaire pour obliger les citoyens. Il en résulte « que ni la fraude ni le
refus de l'impôt ne sauraient se justifier au nom de la liberté individuelle »211. En
prenant appui sur le caractère obligatoire de l’impôt, les pouvoirs publics
érigent la préservation des recettes fiscales en axe fondamental de la
politique budgétaire, et souhaitent par conséquent « mieux encadrer les
pratiques fiscales des entreprises et notamment limiter les comportements abusifs ou
frauduleux »212. D’un autre côté, comme le rappelle si bien le Professeur
Michel BOUVIER, « comme les droits et libertés individuels ne sauraient pas pour
autant être remis en cause au nom du principe de nécessité de l'impôt, il faut donc que
les deux principes, de nécessité et de liberté, puissent être conciliés »213. L’interdiction
de la compensation des dettes appliquée aux entreprises publiques altère la
recherche de cet équilibre. Elle conduit à réclamer des contributions au-
delà des facultés contributives de l’entreprise publique, dont l’insolvabilité
a pour cause les créances de l’Etat.
La constitution dispose que « Chacun doit participer, en proportion de ses
capacités, aux charges publiques »214. Cette disposition instaure une certaine
équité en matière fiscale qui doit s’appliquer à tous les contribuables.
L’impôt doit reposer sur les potentialités des citoyens. Il doit être
« progressif, personnalisé et tenir compte de la faculté contributive du contribuable »215.
L’interdiction des compensations des dettes réciproques élargie aux
entreprises publiques viole l’esprit de l’équité fiscale. L’impôt sur les
sociétés auquel sont assujetties les entreprises publiques représente une
part plus importante des impôts directs dans les pays de la Zone franc,
dans la mesure où les sociétés de taille importante concentrent l’essentiel
211 BOUVIER (M), Introduction au droit fiscal général et à la théorie de l’impôt, Paris, LGDJ, coll.
Système, 2010, 10e édition, p. 63.
212 CAUSSADE (T), La stratégie fiscale de l'entreprise : entre optimisation et fraude, thèse de
216 BOISSET (L), EHRHART (H), « La mobilisation fiscale dans les pays de la zone franc :
principaux enseignements sur longue période », Techniques Financières et Développement,
2014/2, n°115, p. 26.
217 LACHAPELLE (A), « La capacité contributive en matière fiscale : à la croisée du
dans la gestion des entreprises publiques, Rapport technique Mai 2021, p. 39.
219 Par exemple : huile de palme, riz, carburants, services postaux, loyers, électricité, eau.
60
restructurations. La compensation qui aurait pu être un moyen de
correction des défaillances se voit être interdite en cas d’existence des
dettes réciproques. Cette interdiction appliquée de manière stricte est
contraire à l’équité, or un système fiscal qui favorise l’équité est enclin à
être efficace220. La pratique de l’apurement par la compensation des dettes
comble les imperfections de la réglementation en s’écartant des
interdictions posées.
2. L’allègement de l’interdiction des soustractions aux
obligations de paiement
Le principe de l’obligation de paiement est consacré de manière
absolue par la réglementation fiscale. Il participe à assurer la disponibilité
du financement pour la réalisation des missions d’intérêt général. Ainsi,
quelle que soit l'idée qu'on se fait du rôle de l'État, et de l'étendue de ses
interventions, ou de leurs limites, « il faut qu'il y ait des recettes; il faut qu'une
contribution soit demandée à la population »221. En effet, le Code Général des
Impôts dispose que « nul ne peut se prévaloir de l’existence d’une créance sur l’Etat
pour se soustraire à ses obligations déclarative et de paiement »222. En portant
atteinte à cette interdiction, le contribuable s’expose à des sanctions qui
vont des pénalités, du redressement fiscal jusqu’à la fermeture de
l’Établissement ou encore de l’interdiction d’activité.
Cette interdiction semble ne pas s’appliquer aux relations
financières entre l’Etat et les entreprises publiques. L’exception qui se
construit n’est certes pas consacrée, mais sa généralisation consolide la
mise à l’écart de l’interdiction. Les entreprises publiques se soustraient
effectivement de l’obligation de paiement de leurs impôts en arguant de
l’existence de créances sur l’Etat. Cette pratique juridiquement
condamnable par une interprétation stricte de la loi est consolidée par un
comportement validé par les parties prenantes. Il se développe ainsi une
normativité parallèle plus conforme au vécu des acteurs qu’à la rigueur de
l’interprétation normative. La pratique de l’apurement par compensation
construit une normativité alternative qui a tendance à faire concurrence
voir à se substituer à la norme officielle. Elle est validée par les acteurs au
regard de la satisfaction réciproque qu’elle permet. Comme dans tout
processus porté par le consensus, la pratique de l’apurement se met en
œuvre par le jeu de la négociation. Elle est provoquée par le refus ou
l’impossibilité du paiement des impôts par l’entreprise. À partir de cet
instant, l’administration se retrouve dans l’obligation de négocier car
coupable d’être débitrice de plusieurs créances envers l’entreprise
publique. Au regard de l’accumulation des dettes que l’on observe, l’on
220 MAYER (S), Étude des obstacles à l’équité et à l’efficacité du système fiscal français, thèse de
doctorat en droit, Université Panthéon-Assas, 2016, p. 20.
221 VINOT (P), « Fiscalité et capacité contributive. Quelques aspects de l’égalité devant
61
peut dire que la négociation est plus une contrainte qu’une décision
volontaire.
Pour qu’il y’ait apurement par compensation des dettes réciproques,
il faut que l’interdiction de soustraction au paiement en cas d’existence de
créance ne soit pas appliquée ou que sa violation ne soit pas sanctionnée.
Cette exception est favorisée par le droit fiscal conventionnel non limité
aux conventions fiscales internationales223 qui émerge de plus en plus. Au
niveau interne, il se construit nécessairement en apportant des inflexions à
la fiscalité de droit commun et en réduisant l’exorbitance de
l’administration fiscale. Néanmoins, l’on ne peut conclure à un
dessaisissement de l’Etat dans l’élaboration et dans l’application du régime
fiscal. Il demeure toujours à l’origine de la production de la norme fiscale,
et toute inflexion ne peut se faire sans sa validation expresse ou tacite. Les
normes issues des pratiques conventionnelles de l’apurement bénéficient
de son accord, lui-même étant acteur du processus. Ce constat consolide la
pérennité du contenu de la norme fiscale malgré l’évolution et quelques
ajustements de ses formes. Cette norme vise à permettre à l’État de se
doter du fondement matériel de sa puissance pour réaliser les fins qu’il
s’assigne224. Il ne peut donc jamais s’en écarter, quitte à trouver des
solutions alternatives qui doivent toujours avoir pour objectif la recherche
de l’équilibre du système budgétaire. C’est dans ce sens qu’émerge un
système d’apurement reposant sur la transaction.
II. L’émergence d’une transaction galvaudée
L’apurement des dettes réciproques entre l’Etat et les entreprises
publiques, bien qu’il s’opère par compensation, ne s’appuie pas sur le
régime de la compensation établi. Il tire sa régularité de son rattachement à
la transaction consacrée par la législation. Le régime qui se construit
progressivement, est formellement rattaché à la négociation des dettes
croisées (A). C’est un régime qui ne manifeste pas encore toute la
cohérence nécessaire, il est matériellement détaché de la performance
budgétaire (B).
A. Un régime formellement rattaché à la négociation sur les dettes
croisées
La transaction est un processus par lequel les parties à un litige y
mettent fin à l’amiable en se faisant des concessions réciproques225. Ce
mécanisme introduit dans le régime fiscal226 est le fondement de la validité
des mécanismes de négociation sur les dettes. Il permet la transaction à
62
travers les compensations budgétaires et financières (1), et la transaction
par la substitution de responsabilité (2).
1. La transaction par les compensations budgétaires et financières
La transaction n’est possible que lorsque deux parties sont
redevables mutuellement. Au regard de l’impossibilité de solder leurs
créances par leurs patrimoines respectifs, elles décident de faire des
conciliations, des compensations. La transaction n’est pas une opération
informelle, elle doit manifester une volonté explicite des parties de
s‘engager dans le processus et de faire disparaitre les créances. Le Code
civil le précise clairement en disposant que « les transactions ne règlent que les
différends qui s'y trouvent compris, soit que les parties aient manifesté leur intention par
des expressions spéciales ou générales, soit que l'on reconnaisse cette intention par une
suite nécessaire de ce qui est exprimé »227. L’intention n’est plus à démonter car
la pratique tend à se généraliser depuis un certain temps. Cette
généralisation semble traduire une volonté consentante pour les parties de
se soumettre à cette pratique. La régularité du processus est tout de même
questionnée car bien que le processus se rattache à la transaction consacrée
dans le code des impôts, il n’épouse pas totalement les règles établies. La
transaction sur les créances réciproques entre Etat et entreprises publiques
ne rentre dans aucun des cas de recours consacrés par la loi228. Elle se
déroule suivant les procédés bien précis développés par les parties. C’est le
cas des compensations budgétaires et financières.
Les compensations budgétaires et financières sont des mesures
d’effacement des créances proposées par chacune des parties. Elles
différent suivant les possibilités des parties. L’Etat possède une large
gamme de mesure à proposer en raison de la diversité de ses contributions
financières aux entreprises publiques. Les mesures de compensation
proviennent donc majoritairement de lui. Elles peuvent être budgétaires ou
financières. L’entreprise quant à elle est généralement redevable des dettes
fiscales et douanières, et du versement des dividendes à l’Etat
actionnaire229 car sa gestion doit tenir compte de la distribution des
revenus230. En ce qui concerne l’Etat, il est soumis à une variété
d’obligations financières dont certaines naissent en fonction des nécessités
conjoncturelles. Il peut être amené à intervenir dans le secteur économique
en imposant des mesures qui vont alourdir les charges de l’entreprise. Il
231 FMI, CAMEROUN. Renforcer la surveillance, la gouvernance et la maîtrise des risques budgétaires
dans la gestion des entreprises publiques, op.cit., p. 40.
232 CORNU (G), Vocabulaire juridique, op.cit., p. 2100.
233 PONTIER (J-M), « L'obscure clarification de la politique des subventions », AJDA,
2018, p. 2172.
64
dans le régime fiscal qu’il est nécessaire d’en parler. Les subventions sont
considérées comme des aides d’Etat234 dont le principe est l’interdiction.
La raison en est que « la théorie de l’équilibre enseigne que lorsqu’une économie de
marché fonctionne de façon parfaite toute intervention de l’État entraîne des inefficacités
allocatives ou de production »235. Elles portent atteintes à la libre concurrence
nécessaire à la rentabilité et à la performance des acteurs économiques. La
subvention peut être déclassée comme aides publiques interdites pour
devenir acceptable ; elle doit pour cela être une mesure de compensation
en faveur d’une entreprise chargée d’obligations de services publics236. La
subvention utilisée dans le cadre de l’apurement des dettes est la
subvention d’exploitation. La société immobilière du Cameroun237 a
bénéficié de cela récemment en raison de la baisse des loyers des
immeubles qu’elle gère, ladite baisse était une conséquence la politique de
prix moyen adoptée par l’Etat. On peut enfin citer la technique de prise de
participation dans le capital de l’entreprise.
L’entreprise publique en situation d’insolvabilité soit sur la fiscalité
ou sur les versements des dividendes peut proposer à l’Etat une
compensation par accroissements de ses parts dans le capital au prorata
des montants des créances et du cout de l’action. Cela n’est valable que
pour les entreprises constituées comme société d’économie mixte c’est-à-
dire où l’Etat ne détient pas intégralement le capital-actions238. Elle induit
une restructuration de l’action de l’Etat dans les entreprises publiques. La
trop grande implication de l’Etat dans les entreprises est une source de
blocage du déploiement des mécanismes de compensation. L’Etat est
appelé à réduire ses participations dans les entreprises comme cela se fait
un peu partout ailleurs. Le modèle de société à capital public par lequel le
capital est intégralement détenu par l’Etat, est source de lourdeur et ne
favorise pas la performance des entreprises. Il rend le processus
d’apurement de dettes illusoire. Un cas symptomatique est celui de la
CAMAIR-CO239 ou encore de la SONARA240. Ces deux entreprises ont
des dettes fiscales que l’on pourrait qualifier de non recouvrables. Aucune
technique de compensation ne peut permettre un rééquilibre de la
situation fiscale de ses entreprises. Les subventions récurrentes et autres
publiques.
239 Cameroun Airlines Corporation.
240 Société nationale de raffinage
65
aides publiques n’ont pas permis d’assainir la situation de ces entreprises.
Elles ont au contraire augmenté les contraintes budgétaires de l’Etat.
2. La transaction par la substitution de responsabilité
La substitution de responsabilité évoquée ici est celle qui porte sur
la redevabilité financière des entreprises publiques. Cette forme de
conciliation est rare en pratique mais les quelques cas répertoriés
permettent d’y voir le contenu d’une opération de conciliation.
La substitution de responsabilité est une opération supportée par
l’Etat. L’entreprise publique se retrouve dans un endettement contracté
pour réaliser ses missions et ne parviens pas à être solvable du fait de
l’existence de créances sur l’Etat. Pour apurer les dettes, l’Etat va se
subroger à l’entreprise publique auprès de ses créanciers en vue de solder
sa dette. Ce mécanisme apporte une bouffée d’oxygène pour des
entreprises qui se trouvent dans une situation précaire pour la plupart241. Il
permet à l’entreprise publique de ne plus être redevable auprès de ses
créanciers qui ne sont pas liés par la relation qu’elle entretient avec l’Etat.
Concrètement, dans certains cas, en contrepartie d’une diminution
ou extinction de sa dette à l’égard d’une entreprise, l’Etat peut être conduit
à se subroger à ladite entreprise pour réaliser un paiement dû par cette
entreprise à l’endroit d’une entreprise tierce. En l’espèce, l’Etat s’est
subrogé au cours de la période 2019-2021 à CAMTEL, à la CDE,
CAMWATER et ALUCAM242 dans le paiement des sommes dues par ces
entreprises à leurs créanciers. Cette technique très usuelle permet un
effacement des créances entre l’Etat et l’entreprise publique considérée,
mais du point de vue de l’Etat, elle transfert la dette vers un autre
créancier. Ainsi, elle ne permet pas une extinction définitive de la créance
dans le sens d’une disparition totale
Un dernier exemple objet d’actualité mérite d’être relevé en raison
du fait qu’il réunit plusieurs techniques de conciliation. C’est le cas de la
société ENEO243 dans laquelle l’Etat est actionnaire minoritaire à 44% des
parts. Cette entreprise a sollicité le paiement des arriérés de l’Etat de
FCFA 93 459 063 359.Les modalités d’apurement envisagées reposent sur
un mécanisme de cession des créances. Il s’agit concrètement du rachat de
la dette de l’Etat vis-à-vis d’ENEO par plusieurs banques locales,
lesquelles vont procéder à l’apurement de cette créance au profit d’ENEO.
Toutefois, l’examen du contenu du dossier permet de relever que la
241 YINDJO TOUKAM (C.F,) « L’influence des mesures de riposte contre la covid-19 sur
le droit au bonheur du citoyen en droit Camerounais », RJB, n°3, 2021, p. 12.
242 CAMTEL (Cameroon Telecommunications), CDE (Camerounaise des Eaux),
66
créance d’ENEO sur l’Etat intègre le solde des opérations de conciliation
que l‘Etat a eue avec d’autres structures244.
Le système d’apurement des dettes par substitution de
responsabilité, de même que tous les autres mécanismes analysés sont
purement conventionnelles. Tous ces mécanismes se développent au gré
de l’ingéniosité des parties et prennent appui sur l’indisponibilité financière
ponctuelle pour effacer de manière réciproque les créances. Ces
mécanisme dont certains peuvent être questionnés au regard de la
conformité de leurs régimes avec la législation fiscale ont fini par
construire un régime de droit commun de l’apurement des dettes. Ce
régime doit être bien appréhendé afin de mesurer et de prendre en compte
les risques encourus aussi bien par l’Etat que par les entreprises publiques.
En ce qui concerne cette dernière, le cycle d’endettement réciproque et
d’apurement les expose à des difficultés. Les signes visibles de ces
difficultés sont variés et « vont depuis l’apparition de certains déséquilibres ou
difficultés jusqu’aux reports d’échéances, un règlement tardif des impôts, taxes et
cotisations sociales, l’inscription de privilèges, de protêts, un recours permanent au
découvert bancaire ou encore des cessions d’actifs, une paralysie des organes de
gestion »245. Le processus construit expose les parties au ralentissement de la
croissance.
B. Un régime matériellement détaché de la performance
budgétaire
Le régime de l’apurement des dettes est un régime instable. Par sa
généralisation il a perdu son caractère exceptionnel qui permettait de
minimiser son impact sur la performance budgétaire. Il se traduit par un
déploiement qui atténue la sincérité des prévisions budgétaires (1), et qui
porte atteinte à la transparence budgétaire (2).
1. L’altération de la sincérité des prévisions budgétaires
Le processus d’apurement des dettes tel qu’il est pratiqué porte
atteinte à la sincérité des prévisions budgétaires. Pour s’en convaincre il est
important de savoir comment est organisé le régime de la sincérité des
prévisions budgétaires.
La sincérité fait partie des principes budgétaires consacrés par la
nouvelle gouvernance financière. Il ne s’agit pas exactement d’un principe
inconnu dans les finances publiques. Ses prémices ont été posées par les
principes d’unité et d’universalité budgétaires, et « il s’est depuis
progressivement affirmé en tant que principe à part entière, appliquant ainsi au niveau
244 Dans la somme attendue de l’Etat il y’a la Reprise de la dette d’ALUCAM 2019, et la
Subrogation de CAMWATER entre autre.
245 NGUIHE KANTE (P), « Réflexions sur la notion d’entreprise en difficulté dans l’acte
246 GILLES (W), Les principes budgétaires et comptables publics, Paris, LGDJ, 2009, p. 44.
247 Article 3 de la loi n°2007/006 du 26 décembre 2007 portant régime financier de L’Etat.
248 Directive n°06-UEAC-190-CM-22 relative au Code de Transparence et de bonne
2010, p. 17.
251 Article 4 alinéa 8 de la loi n°2018/012 du 411 juillet 2018 portant régime financier de
252 CAMBY (J-P), « Pour le principe de sincérité budgétaire », RFFP, n°111, 1erseptembre
2010, p. 157.
253 FALL (M), TOURE (I) Finances publiques Approche théorique et pratique, Dakar,
255 MATTRET (J-B), « La dette publique : un non-sujet ? », Gestion & Finances Publiques,
2019/2, n°2, p. 23.
256 VALENDUC (C), « Les dépenses fiscales », Reflets et perspectives de la vie économique,
de l’Etat.
258 GUIGUE (A), « Du besoin à l'obligation de sincérité », RFFP, n°111, 1er septembre
2010, p. 27.
259 SPINDLER (J), « La transparence de la gestion publique : de la recherche d’un plus
70
leur influence sur la politique publique - sur l’efficacité, sur l’équité et sur la
responsabilité démocratique »262.
Présente dans tout le régime des finances publiques, la transparence
n’est pas appréhendée comme un principe autonome avec un régime
propre. Cela est justifié par le fait qu’elle peut fonder l’existence de tous les
autres principes. De plus, avec la nouvelle gouvernance financière, elle est
devenue un objectif catégorique reposant sur des phases du processus
budgétaire spécialement à elle dédié comme celle de l’orientation
budgétaire263. La transparence étend son influence dans toutes les autres
phases budgétaires, pendant l’exécution spécialement. Elle a forcément un
lien avec les mécanismes d’apurement de dettes qui souffrent de ne pas
être pris en compte lors de l’élaboration des prévisions budgétaires. Le
rapport du FMI le soulève à juste titre en faisant savoir que « le
fonctionnement structurel par compensation des dettes croisées n’est pas conforme à
l’orthodoxie budgétaire et constitue une pratique non transparente »264.
L’apurement des dettes par compensation concentre plusieurs
violations de la transparence et de ses différentes déclinaisons.
L’universalité est sans doute le premier principe affecté. C’est un principe
qui« impose que le budget décrive, pour la durée de l’exercice, l’ensemble des dépenses et
des recette »265. Les mécanismes d’apurement étendent les dépenses au-delà
d’un exercice budgétaire. La pratique de compensation des dettes croisées
revient à comptabiliser les opérations en jeu essentiellement lors
d’opérations de régularisation, c’est-à-dire après la constatation des
opérations. Elle est contraire à l’obligation de budgétiser et d’exécuter les
dépenses et les recettes au moment où elles sont dues ou encaissables. La
transparence et la sincérité des comptes se trouvent également affectée sur
les éléments du moment de comptabilisation, et du montant à
comptabiliser, surtout que l’Etat n’a pas toujours une maitrise exacte de
l’entendue de sa dette envers les entreprises publiques.
La question de l’endettement réciproque de l’Etat et des entreprises
publiques est devenu un devenu une problématique centrale es finances
publiques. Elle a des implications sur la soutenabilité budgétaire de l’Etat
et sur la performance économique des entreprises. Le manque de
transparence dans les mécanismes de résolution appliqués renforce
l’instauration d’un cycle d’endettement réciproque. C’est ainsi que ces
mécanismes d’apurement qui doivent en principe être exceptionnels
tendent à se généraliser et ne parviennent plus à apporter une solution
efficace par manque de transparence. La transparence aurait permis d’avoir
262 HEALD (D), « Pourquoi la transparence des dépenses publiques est-elle si difficile à
atteindre ? », Revue Internationale des Sciences Administratives, 2012/1, Vol. 78, p. 35.
263 MATTRET (J-B), Les finances de l’État, Paris, CNFPT, 2006, p. 276.
264 FMI, CAMEROUN. Renforcer la surveillance, la gouvernance et la maîtrise des risques budgétaires
Conclusion
L’apurement des dettes réciproques entre l’Etat et les entreprises
publiques est une curiosité bien intéressante dans le régime financier et
fiscal camerounais. Il attire l’attention de par son régime qui est
fondamentalement laissé à la discrétion des parties mais qui amène à revoir
les considérations sur les sources du droit public financier. Le régime se
construit au milieu d’une législation silencieuse voir laconique qui n’a pas
pris en compte les spécificités de la relation financière entre l’Etat et les
entreprises publiques. C’est un régime qui ne correspond pas entièrement
à la législation fiscale. Celle-ci est écartée au profit des pratiques qui se
justifient par l’insolvabilité réciproques des deux parties face à leurs
créances.
Toutefois, ces pratiques ne sont pas dénuées d’effet sur la stabilité
et la performance budgétaire de l’Etat, et celle de l’entreprise publique. De
plus, les dettes croisées doivent faire l’objet d’une plus grande attention car
elles constituent pour l’Etat des risques budgétaires. Elles exposent le
budget à des contraintes supplémentaires qui fragilisent l’équilibre. Du
point de vue des entreprises publiques, l’apurement des dettes croisées est
au final une opération de rationalisation financière qui peut être étendue à
toutes les situations d’endettement réciproque qu’elles entretiennent entre
elles de même qu’avec les banques créancières.
72
L’OFFICE DU JUGE ADMINISTRATIF
EN CONTENTIEUX DE L’IMPOT
AU BENIN ET AU CAMEROUN
Par
Hilaire AKEREKORO
Maître de conférences Agrégé de droit public (CAMES)
Directeur du Centre du Droit de l’Etat
et des Droits des Personnes en Afrique (CeDEP).
Université d’Abomey-Calavi (Bénin).
et
Sèmiou Adéniyi LASSISSI
Administrateur des Impôts.
Doctorant en droit public.
Membre du Centre du Droit de l’Etat
et des Droits des Personnes en Afrique (CeDEP).
Université d’Abomey-Calavi (Bénin).
RÉSUMÉ :
Au Bénin et au Cameroun, le contribuable qui n’est pas d’accord avec les
propositions de solutions formulées par l’administration fiscale peut recourir au juge de
l’impôt, notamment le juge administratif. Toutefois, il faut avouer que le respect des
droits et garanties du contribuable n’est toujours pas assuré en raison de plusieurs
facteurs liés, soit à la volonté du juge administratif impliqué dans le règlement des litiges,
soit à la pression exercée sur lui du dehors par le pouvoir exécutif, le pouvoir financier
des riches hommes d’affaires et autres contraintes sociales et/ou religieuses. Lorsque les
règles du jeu sont respectées, le contentieux de l’impôt est un sérieux outil de
développement économique. Pourtant, les contribuables béninois y font très peu recourt
contrairement à leurs homologues camerounais.
Mots clés : Contentieux, impôt, juge de l’impôt, Bénin et Cameroun.
ABSTRACT:
In Benin and Cameroon, the taxpayer who does not agree with the proposed
solutions formulated by the tax administration can have recourse to the tax judge,
especially the administrative judge. However, it must be admitted that the respect of the
taxpayer’s rights an garantees is still not ensured due to several factors related either to
the will of the administrative judge involved in the settlement of disputes, or to the
pressure exerted on him from outside by the executive power, the financial power of rich
businessmen and other social and/or religious contraints. When the rules of the game
are respected, tax litigation is a serious tool for economic development. However,
Beninese taxpayers make very little use of it, unlike their Cameroonian counterparts.
Key words : Litigation, tax, tax judge, Benin and Cameroon.
73
Introduction
Le contrôle juridictionnel de l’administration des impôts n’est pas
une fiction juridique. Il intervient après la phase administrative obligatoire.
La phase juridictionnelle « est rarement atteinte mais parfois payante »1. En effet,
très peu de contribuables, ayant saisi l’administration fiscale d’une
réclamation préalable, décident au bout du rouleau de saisir le juge de
l’impôt. La grande majorité des réclamations préalables trouvent une
solution auprès de l’administration fiscale en raison de ce que les
demandes portent sur de simples erreurs matérielles de cette dernière,
tandis que le faible nombre de recours juridictionnels s’explique, d’une
part, par « la lassitude des contribuables, peu enclins à se lancer dans une nouvelle
phase contentieuse après l’échec de la phase administrative »2, d’autre part, par le
nombre croissant de jugements favorables à l’Administration.
Le contentieux juridictionnel de l’impôt est un plein contentieux
objectif. Conformément aux dispositions des articles L135 du Livre des
Procédures Fiscales (LPF) et 1108 nouveau alinéa 1er du Code Général des
Impôts (CGI) du Bénin et L115 du LPF du Cameroun, la demande du
contribuable vise à obtenir, soit la réparation d’erreurs commises dans
l’assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d’une disposition
législative ou réglementaire. Il s’agit d’un litige de légalité objective étant
donné que sa résolution concerne l’intérêt public. C’est donc à juste titre
que le professeur Martin COLLET pense que « le procès fiscal est le procès fait
à un acte, la décision d’imposition »3 et lorsqu’il est saisi, « l’office du juge consiste
uniquement à déterminer si cet acte est conforme à la loi fiscale en vigueur à la date du
fait générateur de l’imposition »4.
Dans le langage courant, un office est une charge, une fonction ou
un service. En droit du procès, l’office du juge désigne ses droits et ses
pouvoirs. Dans le contentieux de l’impôt, entendu comme l’ensemble des
litiges qui s’élèvent devant l’administration fiscale et le juge de l’impôt et
dont ils doivent connaître, l’office du juge est varié, car il dépend du juge
de l’impôt compétent. En effet, en matière fiscale, le contentieux
juridictionnel de l’impôt fait intervenir une pluralité de juges dont le juge
judiciaire, le juge administratif, le juge constitutionnel et même le juge
communautaire. Chacun de ces juges possède son domaine précis de
compétences en tant que « juge de l’imposition »5. Toutefois, le juge de
l’impôt qui intéresse la présente étude est le juge administratif, car il est
chargé, d’une part, de protéger les intérêts des contribuables, d’autre part,
1 COLLET Martin, Droit fiscal, Paris, Thémis, 6ème édition, 2017, p. 151.
2 Id., Droit fiscal, op. cit., p. 152
3 Ibidem, p. 152.
4 Conseil d’Etat français, 1er avril 2010, n°334.465 MARSADIS, concl. P. COLLIN sur
Avis, Dr. Fisc. 2010, n°17-18, comm. 299, p. 41. Cité par COLLET Martin, Droit fiscal, op.
cit., p. 152.
5 MOLINIER Joël, « L’office du juge en contentieux fiscal », in HERTZOG Robert (dir.),
6 GAUDEMET Paul Marie et MOLINIER Joël, Finances publiques, Tome 2, Fiscalité, Paris,
Montchrestien, 5ème édition, 1992, p. 250.
7 DOSSOUMON Samson, « Réflexion sur le contrôle juridictionnel de l’Administration
dans les pays en voie de développement d’Afrique noire francophone », Revue Béninoise des
Sciences Juridiques et Administratives, n°5, juin 1985, p. 10.
8 LAMBERT Thierry, Contentieux fiscal, Paris, Edition Hachette, Coll. Les fondamentaux -
droit, 2011, p. 1.
75
pour excès de pouvoir qui, parfois, met en échec les débordements du
pouvoir réglementaire ; le contentieux de recouvrement ; le contentieux de
la responsabilité et enfin, le contentieux pénal fiscal. À cette série de
contentieux particuliers, s’ajoute un lot de contentieux attachés à l’impôt
par des conventions à savoir : le contentieux communautaire et le
contentieux de la non double imposition. Ainsi, les contestations
intervenues sur les divers impôts et taxes peuvent prendre plusieurs
formes, en fonction des griefs exposés par le requérant. C’est en cela qu’il
faut indiquer que seul l’office du juge administratif est abordé par cette
étude relativement aux contentieux de l’imposition et de recouvrement ;
les contentieux de la responsabilité et le recours pour excès de pouvoir
n’étant simplement survolés.
S’il est vrai qu’en matière d’impôts et taxes, le juge administratif
possède des pouvoirs très étendus dont la mise en œuvre concourt, d’une
part, à la formation de sa conviction, d’autre part, à l’application de la règle
de droit. Il n’est pas moins vrai qu’il appartient à l’État dont il remplit l’une
des fonctions régaliennes, en même temps qu’il dépend de lui pour sa
nomination ; il le contrôle et le juge. C’est au fait, le point nodal de la
problématique d’un baobab au pied d’argile que représenterait cette
compétence du juge administratif de l’impôt. Cette compétence
demeurerait théorique sans l’indépendance et l’impartialité, deux vertus
sans lesquelles, il n’est point de justice authentique, c'est-à-dire, de qualité.
Aussi, de nombreuses failles peuvent-elles exister et handicaper l’office du
juge administratif dans le contentieux de l’impôt. En prenant en
considération cette dialectique des forces et des faiblesses de ce juge, de
ses compétences et de ses limites, il est traité, d’abord, d’un office
crédibilisé (I), ensuite d’un office limité (II).
I. Un office crédibilisé
Au Bénin comme au Cameroun, la justice administrative est
crédibilisée. Cette crédibilité fait suite à la gestion harmonieuse de
l’instruction et de l’audience. Les techniques juridiques de règlement des
litiges relèvent principalement de l’office du premier juge à connaître du
dossier. Cependant, l’importance de l’intervention du juge d’appel et du
juge de cassation n’est pas ignorée puisque leurs actions se situent après
celles ayant conduit à la décision du juge du Tribunal de première instance.
Ainsi, la qualité de la décision qui en découle, étant fortement liée au degré
de l’indépendance du juge administratif de l’impôt, vis-à-vis notamment du
pouvoir exécutif, elle contribue au renforcement de l’Etat de droit, c'est-à-
dire, du « système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au
droit »9. De plus, « l’interdiction de principe pour le juge de faire acte
9BARON Frank, « Qu’est-ce que l’Etat de droit ? », in Vie publique, Paris, 2018, p. 1. Pour
KELSEN Hans c’est un « Etat dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que la
puissance s’en trouve limitée », sur https://www.viepublique.fr, consulté le 15 juin 2021 à 23h
12mn.
76
d’administrateur »10 ne devrait l’empêcher de cantonner le montant des
nouveaux droits. En conséquence, le juge administratif saisi d’une requête
introductive d’instance dans le contentieux de l’impôt dispose, dans son
office, des pouvoirs inhérents à la manifestation de la vérité. C’est
pourquoi, il est démontré les pouvoirs tenant à la conviction du juge (A),
puis ceux d’application de la règle de droit (B).
A. Les pouvoirs tenant à la conviction du juge
Les pouvoirs mis en œuvre par le juge administratif en vue de la
formation de sa conviction personnelle s’appuient d’abord sur les
documents produits par les parties, notamment les mémoires au sujet
desquels le juge joue un rôle régulateur. Ensuite, ils exigent de ce juge, en
cas de besoin, outre les explications de droit ou de fait, d’inviter les parties
à produire des informations complémentaires11 ou de décider des
investigations dont il assure la réalisation ou seulement le contrôle. Ces
pouvoirs, il faut le préciser, en matière fiscale, s’exercent suivant des
modalités spécifiques qui passent par l’échange des mémoires (1) et le
prononcé des mesures d’instruction (2).
1. Les mémoires et pièces émanant des parties
Le principe du contradictoire12 serait au centre des exigences de
production de mémoires et des pièces. En effet, le caractère contradictoire
des procédures juridictionnelles s’applique également en contentieux de
l’impôt. Il implique une information réciproque des parties et le droit de
réplique aux informations fournies par l’autre partie (partie adverse). Ces
échanges de mémoires sont indispensables à la constitution du dossier au
vu duquel le juge est appelé à statuer. Le rôle du juge administratif dans la
mise en œuvre de ce principe se rapporte à la production et à la
communication des documents, aux délais impartis pour y procéder ainsi
qu’aux conséquences liées au non-respect de ces derniers.
Le CGI et le LPF étant muets quant aux règles applicables, seul le
droit commun de la procédure devant les tribunaux administratifs trouve
application13. Le législateur, ayant opté pour la spontanéité de la
communication des pièces14, il active le principe du contradictoire placé
comptes du Bénin modifié et complété précité dispose à cet effet : « La partie qui fait état
d’une pièce s’oblige à la communiquer à toute autre partie à l’instance ».
14 Art. 209 alinéa 2 du Code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des
comptes du Bénin modifié et complété précité : « La communication des pièces doit être
spontanée… ».
77
sous le contrôle du juge de l’impôt qui assure la bonne administration de la
justice.
À l’ouverture de l’instance, la demande du requérant est adressée au
greffe du tribunal administratif15. Sur instruction du juge, copie du
mémoire introductif d’instance est communiquée à la partie adverse pour
réponse en raison du caractère contradictoire de la procédure devant le
juge administratif. Or, pour influer sur le cours de l’instruction, la
communication de pièces fait partie des mesures dont dispose le juge de
l’impôt. Ainsi, il a le pouvoir de requérir tous documents utiles, sauf des
pièces dont la communication est interdite par la loi. Aussi, le contribuable
peut-il demander dans la requête introductive ou dans les observations
écrites consécutives au dépôt à présenter des observations orales à
l’audience, soit en personne, soit par son conseil. Le cadrage des
arguments des uns et des autres amène le juge à relever durant l’instruction
les erreurs ou vices de procédure au regard de la loi de l’impôt.
En jurisprudence administrative comparée, par l’arrêt
DANTHONY et A. du 23 décembre 201116, le Conseil d’État français a
reformulé sa jurisprudence pour rattacher les irrégularités de procédure
susceptibles d’entacher la légalité d’une décision de l’administration fiscale
à deux cas biens distincts : l’irrégularité, soit « a privé les intéressés d’une
garantie », soit « a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la
décision prise ». Ainsi, la distinction traditionnelle d’erreurs « substantielles » et
« non-substantielles » disparaît donc pour laisser place à une nouvelle lecture
déjà en application comme l’illustre l’arrêt M. et Mme MEYER17. Cette
nouvelle approche du juge administratif suprême français visant la
protection de ce qu’un auteur qualifie de « droit à l’erreur de
l’administration »18, peut inspirer les juges béninois et camerounais de
l’impôt. Quant au mémoire en défense de l’administration fiscale, il faut
noter qu’à la réception du mémoire introductif d’instance, le fisc prépare
son mémoire avec méthode. Elle étudie d’abord la recevabilité de ce
dernier, procède à son examen au fond et éventuellement sollicite du juge
l’expertise.
S’agissant de la vérification de la recevabilité, le fisc s’assure que,
d’une part, la requête n’est ni prématurée, ni tardive, d’autre part, de la
désignation du requérant ou du mandat éventuel en cas de représentation.
Le droit fiscal français (article L199-C du LPF) autorise même le
contribuable à se fonder, en appui à ses conclusions, sur une cause
15 LAMBERT Thierry, Procédures fiscales, Paris, LGDJ, 3ème édition, 2017, p. 612.
16 Conseil d’Etat français, Ass., 23 décembre 2011, n°335.033, DANTHONY et A., RFDA
2012, p. 284, concl. G. DUMORTIER, note P. CASSIA ; JCP éd. A 2012, comm. 2089,
note C. BROYELLE.
17 Conseil d’Etat français, Sect., 16 avril 2012, n° 320.912, M. et Mme MEYER, Dr. Fisc.
2012, n° 27, comm. 366, concl. D. HEDARY, note O. FOUQUET ; JCP éd. G. 2012, note
687, note M. COLLET.
18 LATIL Georges, Contentieux fiscal, Francis Lefebvre, 2002. Cité par COLLET Martin,
soit aux parties, soit aux préposés du service qui suivent les instances, le délai qu’ils leur demandent pour
produire leur défense ; il ne peut néanmoins être de plus de trois décades ».
25 L’enquête est régie par les articles 65 à 71 de la Loi du 29 décembre 2006 au Cameroun
et les articles 275 à 301 du Code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et
des comptes du Bénin modifié et complété précité.
80
compatibles avec les écrits formant le dossier d’instance devant le tribunal.
Se fondant sur ce principe, les parties peuvent solliciter et obtenir du juge
des explications orales qui, selon le Conseil d’État français, ne seront
prises en compte que dans la mesure où elles se rattachent aux moyens
exposés dans les mémoires26. Toutefois, ce principe admet une limite
majeure qu’est l’exclusion de la comparution des parties au procès. En
dépit des explications fournies, le juge peut se décider ou sur l’initiative
d’une partie d’aller constater par lui-même, les faits ou les écritures
comptables passées au moyen du transport judiciaire. Par cette mesure, le
tribunal peut se transporter sur les lieux ou désigner un juge pour procéder
aux constatations et vérifications utiles sur le terrain.
L’expertise est une instruction au moyen duquel le juge confie à un
tiers qualifié d’« expert » la mission de recueillir, de préciser, de vérifier ou
d’apprécier en toute indépendance, des faits douteux ou litigieux,
susceptibles d’avoir une incidence sur la solution de l’affaire à lui soumise.
En réalité, « le juge ne recours à l’expert que lorsqu’il ne s’estime pas suffisamment
édifié sur une question de fait qui requiert des investigations complexes »27.
En matière fiscale, les textes spécifiques béninois, à savoir le CGI et
le LPF, sont muets sur l’expertise et font donc jouer le droit commun. Par
contre, au Cameroun c’est tout le contraire. Les articles L134 à L139 du
LPF encadrent les conditions de la désignation du ou des experts et le
calendrier d’action de ces derniers. Toutefois, une contre-expertise peut
toujours être ordonnée par le juge s’il y a lieu, notamment par la DGI,
partie défenderesse. De manière générale, les prérogatives du juge
s’étendent au choix des experts et à la définition du calendrier des
opérations d’expertise fiscale.
Du point de vue de la théorie du droit, la mission de l’expert peut
être très utile pour le juge administratif. En effet, contrairement aux
avocats qui constituent des auxiliaires des parties au procès en général, aux
procès fiscaux en particulier, les experts sont des auxiliaires du juge. Leurs
observations et constatations peuvent éclairer le juge administratif dans sa
conduite du contentieux juridictionnel de l’impôt.
Si le choix du ou des experts se fait uniquement par le juge
administratif béninois, tel n’est pas le cas au Cameroun où ce choix est
opéré, soit par le juge, soit par les parties au procès fiscal. Ainsi, lorsque les
parties optent pour un seul expert, ce dernier est désigné par le président
du tribunal ou les parties s’accordent pour le désigner. Mais, lorsque
l’expertise est confiée à trois experts, l’un d’eux est nommé par le tribunal
et chacune des parties désigne le sien. Cette position du législateur
camerounais tient vraiment compte de la particularité de l’impôt, une
26 Conseil d’Etat français, 24 janvier 1956, n° 42.539, R.J.F. 1986, n° 286. Cité par
HERTZOG Robert (dir.), Le juge fiscal, op. cit., p. 72.
27 Cour d’Appel de Cotonou, Arrêt n° 9 du 31 janvier 1985, ADD, Affaire SOMAÏ
ATANLEY c/ Veuve Louise QUENUM née BOYER, in Droit & Lois, Recueil d’Arrêts de la
Cour Suprême et des Cours d’appel de Cotonou et Parakou, Cotonou, édition n° 1, 2005, p. 219.
81
matière de tous les enjeux pour l’État. En réalité, la décision de
nomination des experts est un jugement avant dire droit qui peut être
frappée d’appel. Il faut mentionner la possibilité de récusation du ou des
experts désignés par le juge et leur devoir de signifier leur acceptation ou
non d’accomplir la mission confiée. À ce sujet, le Conseil d’État français a
admis que le juge peut décider de recourir à une mesure d’instruction
visant « le contrôle de l’absence de caractère frustratoire d’une expertise et de sa
conformité aux règles gouvernant la charge de la preuve »28. Cette réflexion semble
légitime car, comme le souligne un auteur « le recours à l’expertise allonge
dangereusement les délais »29. En matière fiscale, il est souhaitable d’encourager
le contribuable à opposer à l’administration une méthode plus
convaincante, en cas de reconstitution du chiffre d’affaires par exemple,
pour critiquer à merveille, la méthode utilisée par celle-ci. Aujourd’hui, « la
tendance jurisprudentielle récente est d’éviter le plus possible de recourir à l’expertise »30
en raison de l’allongement inutile de la procédure. Mais, si telle n’est pas la
volonté du juge administratif, il faut préciser que la mission confiée aux
experts est assortie d’un calendrier d’exécution des opérations d’expertise
fiscale.
Quant au principe même de l’expertise, il importe de souligner
qu’elle ne peut porter que sur des questions de fait et non de droit. Ainsi, à
l’expert, il est interdit de faire des appréciations d’ordre juridique. Mieux,
cette mesure d’instruction ne peut être ordonnée sur un fait que lorsque la
partie qui l’évoque ne dispose pas d’éléments suffisants pour le prouver.
Par contre, elle ne peut jamais être ordonnée pour suppléer une carence de
la partie qui l’évoque dans l’administration de la preuve. Au demeurant,
une série de jurisprudences du Conseil d’Etat français a permis d’élucider
la question. Ainsi, pour le juge de la haute juridiction administrative
française, « l’expertise ne saurait avoir pour objet la détermination du régime
d’imposition applicable mais, pour autant qu’un commencement de preuve de
l’exagération de l’évaluation des bases d’imposition apparaisse »31, il a admis
également que l’expertise « peut porter sur le contenu exact de la méthode utilisée
par l’administration fiscale »32, sur « ses insuffisances alléguées »33, ou encore « sur
les implications de la méthode proposée par le contribuable »34. Elle peut aussi porter
« sur la régularité et la valeur probante d’une comptabilité puis, dans le cas où celle-ci,
28 Conseil d’Etat français, Ass., 28 février 1975, n° 89.759 et 90.239, R.J.F. 1975, p. 159.
Cité par HERTZOG Robert (dir.), Le juge fiscal, op. cit., p. 73.
29 BACHELIER Gilles et alii, Le contentieux fiscal, Paris, Litec, 2ème édition, 1996, p. 157.
30 Id., Le contentieux fiscal, op. cit., p. 157.
31 Conseil d’Etat français, 26 juillet 1985, n° 45.671, RJF 1985, p. 778, in HERTZOG
35 Conseil d’Etat français, 26 juillet 1985, n°41.363 et s., RJF 1985, n°1466 in HERTZOG
Robert (dir.), Le juge fiscal, op. cit., p. 74.
36 CHEVALLIER Jacques, « Lʼexpertise au prisme du contrôle du juge », in Cairn. info du
438, JCP 1963, II, 13026, concl. POUSSIERE, note TOURDIAS, in GOUR Claude,
MOLINIER Joël et TOURNIE Gérard, Les Grandes Décisions de la Jurisprudence-Droit fiscal,
Paris, Puf, 1977, p. 160.
83
prérogatives personnelles assorties d’une interdiction formelle de
substitution de base légale.
En jurisprudence administrative, il est constant que le juge
administratif soit bien obligé de relever d’office les moyens d’ordre
public38. Cette prérogative, apparemment contraignante, recouvre en
réalité un large pouvoir d’appréciation du juge administratif, auquel
s’ajoute celui de la réformation de l’imposition.
De son obligation de relever d’office les moyens d’ordre public, il
faut souligner que sur la question d’évocation de nouveaux moyens et
motifs devant le juge administratif, le CGI et le LPF sont restés muets au
Bénin. Par contre, la question des moyens d’ordre public qui, au plan
fiscal, se trouve fortement attachée au caractère public de l’impôt, a trouvé
sa réponse en droit comparé dans deux séries d’arrêts de principe du
Conseil d’État français. La première série est une réponse au principe-
même car, par l’arrêt du 9 avril 1962, la haute juridiction administrative a
admis qu’« il est de règle, dans le contentieux fiscal comme dans le contentieux
administratif général, que les moyens d’ordre public, que le juge a d’ailleurs l’obligation
de soulever d’office, sont susceptibles d’être invoqués à tout moment de la procédure »39, y
compris les vices de forme notamment le non-respect des délais, d’autre
part, consacre la distinction parmi les moyens présentés postérieurement à
la demande introductive d’instance ou en appel. À ce sujet, une distinction
est faite entre les moyens qui constituent des demandes nouvelles et qui
sont d’office irrecevables et ceux qui, en revanche, demeurent recevables à
tout moment de la procédure. Ainsi, la notion de cause juridique de la
demande a permis au Conseil d’État français d’opérer cette distinction
dans les arrêts CHAFFOIN du 25 février 1928 et FILDIER du 15 février
192940. Par ces vieux arrêts, la Haute Assemblée a rejeté des conclusions
qui ne constituent pas « un moyen nouveau à l’appui de la requête primitive, mais
une demande nouvelle fondée sur une cause juridiquement distincte de celle qui servirait
de base à ladite requête ». Il en découle une double corrélation entre, d’une
part, moyen nouveau recevable et cause juridique identique, d’autre part,
demande nouvelle irrecevable et cause juridique distincte. De cette
première série d’arrêts, il est à noter, d’une part, que le juge a l’obligation
de soulever d’office les moyens d’ordre public, d’autre part, que la
protection du contribuable est assurée puisqu’il a désormais la possibilité
de soumettre des moyens nouveaux au juge à condition de respecter
l’identité de la cause juridique, c'est-à-dire, dans la limite du dégrèvement
initialement sollicité.
38 Conseil d’Etat français, 9 avril 1962, n° 49.983, DF 1962, n° 52, p. 63, concl. MARTIN,
in GOUR Claude, MOLINIER Joël et TOURNIE Gérard, Les Grandes Décisions de la
Jurisprudence-Droit fiscal, op. cit., p. 160.
39 Conseil d’Etat français, 9 avril 1962, n° 49.983, DF 1962, n° 52, p. 63, concl. MARTIN,
1929, R. 190.
84
S’agissant de la deuxième série d’arrêts, le Conseil d’État français a
retenu globalement qu’en matière fiscale, le juge du fond doit soulever
d’office l’inapplicabilité d’un texte, s’il ne peut pas statuer sur les moyens
qui sont invoqués par les parties en demande ou en défense sans lui-même
se fonder, dans les motifs de sa décision, sur ce texte, alors qu’en droit il
est inapplicable à l’espèce. En conséquence de quoi, lorsqu’il est saisi d’une
requête reposant uniquement sur l’application de la doctrine
administrative, il doit d’office se placer « prioritairement » sur le terrain de la
loi41 en raison du caractère subsidiaire de la doctrine, par rapport à la loi
fiscale et il encourt la cassation de son arrêt s’il ne le fait pas42.
Quant au pouvoir de réformation de l’imposition par le juge,
devrait-il renvoyer le requérant devant l’administration fiscale sans
prononcer lui-même le dégrèvement demandé ? Au Cameroun, la réponse
de la haute juridiction administrative est positive ainsi qu’elle le montre
dans l’arrêt I.L.S du 14 janvier 200943. Au Bénin, par une décision en date
du 6 juin 2019, la haute juridiction administrative n’ayant pas d’éléments
probants devant lui permettre de se prononcer sur la décharge sollicitée a
affirmé qu’« il se dégage ainsi des éléments du dossier et des débats à l’audience que
l’Administration n’a pas réussi à convaincre de la lisibilité de la procédure de
redressement et des conditions et éléments de calcul de l’imposition due par la société
SERVAX Group Sarl au titre des exercices clos au 31 décembre 2002, 2003 et
2004 »44 et a « ordonné à l’Administration la reprise de toute la procédure de
redressement et le calcul de l’imposition due par la société SERVAX Group Sarl au
titre des exercices clos au 31 décembre 2002, 2003 et 2004 »45. Ainsi décidé, il est
clair qu’il n’a pas réglé le problème, car le fisc a le coudé franche pour fixer
à sa guise les nouveaux droits à mettre à la charge du contribuable. Elle
peut en décider de trop ou en moins car elle n’est pas bornée par le juge.
À l’instar de l’administration fiscale, le contribuable a-t-il le droit
d’évoquer de nouveaux moyens ou de nouvelles pièces en cours d’instance
dans le contentieux de l’impôt ? Au Bénin, la situation varie selon que le
juge de l’impôt est un juge administratif ou civil. Au Cameroun, où il est
41 Conseil d’Etat français, 25 février 1985, n° 39.003, Plén. RJF 1985, 4.544, concl. O.
FOUQUET, DF 1985 42.1783, in DAVID Cyrille et alii, Les grands arrêts de la jurisprudence
fiscale, Paris, Dalloz, 5ème édition, 2009, p. 1042.
42 Conseil d’Etat français, 14 juin 1996, HEILMANN, RFJ 1996 8-9.1044, in DAVID
Cyrille et alii, Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale, op. cit., p. 1042
43 Cour suprême du Cameroun, CS/CA Arrêt n° 006/2009/CA/CS du 14 janvier 2009,
Affaire I.L.S c/ Etat du Cameroun (MINEFI), in ATECK A DJAM Félix, Droit du contentieux
fiscal camerounais, Paris, L’Harmattan, 2017, p. 223. Elle n’a pas cru devoir l’appliquer
lorsqu’elle décide qu’au fond, le recours « est partiellement justifié : par conséquent, le
commandement contesté est maintenu en ce qui concerne le montant de 51.300.000 F CFA relatif à la
facture de transport de POUZZOLANTE ; il est annulé en ce qui concerne la prise en compte en produit
du montant de 2.600.000 F CFA payé à la Société ITCO ».
44 Cour Suprême du Bénin, n° 239/CA du Répertoire, n° 2009-029/CA1 du Greffe du 6
46 Art. L130 du LPF du Cameroun qui dispose : « Le requérant ne peut contester devant le tribunal
administratif des impositions différentes de celles qu’il a visées dans sa réclamation à l’administration.
Mais, dans la limite du dégrèvement primitivement sollicité, il peut faire valoir toutes conclusions nouvelles à
condition de les formuler expressément dans sa demande introductive d’instance ».
47 MOLINIER Joël, « L’office du juge en contentieux fiscal », ibid., p. 79.
86
ostentatoires de protection du contribuable contre les intérêts du Trésor
public, dans un élan de mépris des principes de la légalité de l’impôt et de
l’égalité devant l’impôt. L’indépendance du juge apparaît dès lors comme
ce fut le cas de l’arrêt du 30 avril 1975 marquant le refus du juge de suivre
l’Administration dans le cadre de la mise en œuvre du principe de la
substitution de base légale, comme un gage ou une assurance des intérêts
du Trésor public.
En outre, sur le terrain de la réduction de l’imposition, le juge devra
se substituer à l’administration fiscale pour liquider lui-même le montant
de la cote à maintenir à la charge du contribuable48. Là encore, le juge doit
se montrer suffisamment libre pour statuer ex aequo et bono. En vue de la
formation du jugement, il n’est pas exclu de voir le juge administratif
statuer éventuellement « selon ce qui est équitable et bon ». Ce mode alternatif
de règlement des litiges est admis en droit positif béninois par l’article 13
du Code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des
comptes du Bénin, modifié et complété précité et en droit camerounais par
l’article 7 de la Loi n° 2006/015 du 29 décembre 2006. En vérité, il est des
cas qui forcent une telle attitude du juge où il exerce un pouvoir
modérateur pour mieux enserrer l’espèce. Ainsi, il statue en « amiable
compositeur » pour utiliser l’expression du législateur béninois en fondant sa
décision, non sur la règle de droit, mais sur l’équité conformément au
compromis des parties. À ce titre, le commentaire des limites que
rencontrent ces pouvoirs dépend, pour une large part, des rapports
qu’entretient le juge avec les parties dans la détermination de l’objet du
litige.
La teneur de la décision du juge administratif, en premier lieu, fait
apparaître à la fois deux obligations et deux principes de droit, en second
lieu, prend des formes variées lorsqu’il émane de la haute juridiction
administrative.
Au Bénin comme au Cameroun, le CGI et le LPF sont restés muets
sur le contenu du jugement. Néanmoins les textes de droits commun ont
organisé le contenu du jugement autour de l’observance de deux
obligations et de deux principes.
En ce qui concerne les obligations, il faut dire que le jugement est
rendu soit en séance publique, soit en séance non publique49, c'est-à-dire,
en chambre du conseil50. Il s’agit d’une obligation légale dont
l’inobservation peut être soulevée par la partie que la loi entend protéger.
48 Conseil d’Etat français, 3 mars 1982, n° 17.636, RJF 1982, p. 189 et Conseil d’Etat
français, 7 juin 1978, n°7485, RJF 1978, p. 257. Cité par HERTZOG Robert (dir.), Le juge
fiscal, op. cit., p. 80.
49 SCHMELTZ Guy-Willy, La jurisprudence fiscale de la juridiction administrative, Paris, Dalloz,
1978, p. 173.
50 Art. 516 du Code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des
88
subsidiaires62 ou afférentes aux pénalités63 ou aux frais d’expertise64. Sur le
second aspect ou signification à lui accorder, le jugement ne doit pas être
statué sur des conclusions non présentées au juge. Ainsi, les décisions
ayant statué ultra petita sont annulées65, à condition que le moyen soit
soulevé66. Il en est de même du jugement qui a statué sur des conclusions
devenues sans objet67.
Pour ce qui est des différentes formes de la décision du juge de
l’impôt, elle peut déjà prendre la forme d’une décision de non-lieu lorsque
le contribuable parvient à obtenir de l’administration fiscale un
dégrèvement d’office. Lorsque la décision est rendue par la plus haute
juridiction administrative, elle peut prononcer l’annulation d’une décision
d’une juridiction administrative inférieure.
En somme, à la lumière des développements qui précèdent, l’office
du juge administratif dans le contentieux juridictionnel de l’impôt
comporte de nombreux aspects positifs. Toutefois, des goulots
d’étranglements demeurent. Leur analyse permet d’aborder un office du
juge administratif limité.
II. Un office limité
Il n’est pas un secret de polichinelle que la noble mission du juge
administratif connaît bien d’obstacles réels qui entraveraient son
accomplissement, notamment en matière d’impôt. Il est un fait qu’il ne lui
est pas reconnu le pouvoir classique de substitution de base légale. Il lui est
également interdit beaucoup d’autres initiatives dans la mise en œuvre de
ces pouvoirs. En clair, nombreuses sont les contraintes qui ne dépendent
pas de sa volonté. Toutefois, il en existe beaucoup d’autres qui sont liées à
la volonté du juge de l’impôt de faire prospérer ses décisions. Ainsi,
lorsqu’il est pris en considération le contexte purement africain,
notamment celui du Bénin et du Cameroun, il est bien de facteurs qui
handicapent la mission du juge administratif dans le contentieux de
l’impôt. C’est pourquoi, il est démontré, en premier lieu, les contraintes
involontaires (A), en second lieu, celles volontaires de ce juge (B).
Ministre c/ Société Pirenchio ; Conseil d’Etat français, 17 décembre 1969, Ministre c/ X, p. 589.
Cité par SCHMELTZ Guy-Willy, La jurisprudence fiscale de la juridiction administrative, op. cit., p.
176.
66 Conseil d’Etat français, 10 mars 1971, Ministre c/ Distillerie de Quibou. Cité par
éditions, 2015, p. 37 : « Le juge et le cabinet dont il est le responsable disposent de peu de moyens
financiers, humains et matériels pour acheminer les convocations, ne serait-ce qu’aux unités de
gendarmerie… ». - SAÏZONOU-BEDIE Alexandrine F., « Editorial », in Droit & Lois, n°
031, 2013, p. 4 : « Les frais qui incombent aux justiciables sont augmentés tous les jours alors que les
services offerts à ceux-ci sont au dessous du minimum ».
91
influence vient s’ajouter aux limites aux pouvoirs du juge administratif
dans le contentieux de l’impôt.
Il est connu aux pouvoirs du juge de l’impôt globalement trois
limites classiques à savoir : les interdictions de substitution de base légale
et de faire acte d’administrateur et la règle non ultra petita. A titre indicatif,
la règle non ultra petita prévoit que « Le juge doit se prononcer sur tout ce qui est
demandé et seulement sur ce qui est demandé ». Il en découle, qu’il ne doit statuer
infra petita, c'est-à-dire, « en deçà des choses demandées », ni décider ultra petita,
c'est-à-dire, « au-delà de ce qui a été demandé ». Il est donc tenu de statuer
omnia petita, c'est-à-dire, « sur tout ce qui est demandé ». À titre illustratif, dans
un arrêt de la Cour d’appel de Cotonou en date du 14 juin 2012, le juge a
décidé : « Le moyen tiré de ce que le premier juge a statué ultra petita est inopérant et
mérite rejet ; que les astreintes sont prononcées par le juge pour vaincre la résistance d’un
plaideur ; et que leur montant est laissé à l’appréciation du juge qui n’est pas tenu de
retenir le montant avancé par le requérant »74. La loi est donc formelle à ce sujet
et par l’expression « ce qui est demandé au juge »75, il faut bien entendre l’objet
du litige tel qu’il résulte des prétentions des parties.
Il faut remarquer qu’en dépit du caractère d’ordre public de l’impôt,
le juge ne pouvait soulever d’office des griefs non invoqués par le
contribuable, sauf ceux de la forclusion et de la violation de l’autorité de la
chose jugée. Cette interdiction s’étant également à l’administration fiscale.
En ce qui concerne l’interdiction de principe pour le juge de l’impôt
de faire acte d’administrateur, le pouvoir de réformation de l’imposition
reconnu au juge par la jurisprudence (arrêt Société des Aciéries de Pompey) ne
l’autorise pas à faire « acte d’administrateur »76. En dehors de la règle non ultra
petita, s’ajoute une limite non moins importante qu’est la préservation de la
compétence de l’administration fiscale dans l’établissement ou le
rétablissement de l’impôt. Qu’en est-il de l’environnement socioculturel
pourri dans lequel le juge administratif, juge de l’impôt, exerce son office ?
2. Un environnement socioculturel pourri
Les juges ne peuvent défendre, ni verbalement, ni par écrit, même à
titre de consultation, les causes autres que celles qui les concernent
personnellement. C’est en cela que la loi interne des États précise les
conditions dans lesquelles la récusation d’un juge est admise77. Pourtant,
l’indépendance du juge administratif est compromise dans bien de cas par
une contrainte liée à la solidarité religieuse ou familiale le plus souvent
générateur d’une lenteur judiciaire qu’il faut qualifier de satanique et
légendaire.
1996 », Exposé tenu le 25 octobre 1999 lors de l’ouverture des 1ères journées portes
ouvertes de la justice. Extrait in « Cameroon Tribune » du 26 octobre 1999, p. 4, sur
http://afrilex.u-bordeaux4.fr/la-condition-du-juge-en-afrique-l.html, consulté le 15 février
2021.
80 NONNOU Gildas Enagnon Fiacre, L’indépendance du pouvoir judiciaire dans les Etats
d’Afrique francophone : cas du Bénin et du Sénégal, Thèse de doctorat en droit privé, Université
d’Abomey-Calavi, 2016.
93
d’interprétation préjudicielle à la Cour communautaire concernée à l’effet
d’éviter toute impartialité imprudente. Contraint donc à appliquer la
législation communautaire, le juge national ressent, au regard de son statut,
une certaine remise en cause de sa mission de juge national au sein de
l’organisation judiciaire étatique. Par là même, le juge national a pour
mission de combiner l’ordre juridique interne avec le droit communautaire
tout en s’affranchissant des restrictions institutionnelles de son office
lorsqu’elles « l’empêchent d’assurer effectivement la protection des droits qu’en tirent les
justiciables »81. Tout ceci vient donc limiter considérablement l’autorité qui
lui est normalement reconnue dans la hiérarchie des pouvoirs publics.
Néanmoins, il faut préciser que ces limites fonctionnelles du juge national
consécutives à la perte partielle de souveraineté des Etats pour avoir ratifié
le traité communautaire ou conventionnel, ne le faiblissent pas. Bien au
contraire, ces normes communautaires apportent des garanties
processuelles dans le cadre de l’harmonisation des pratiques des Etats
membres telles la sécurité juridique, l’interprétation uniforme, les droits de
la défense, la protection contre les interprétations arbitraires des
administrations, etc.
Il est vrai, de nos jours, il y a une tendance à la désobéissance des
États à appliquer certaines décisions supranationales désobligeantes pour
eux. Néanmoins, cette mesure de précaution prise par le législateur
communautaire dévoile la mise à mal de l’impartialité du juge national en
général, du juge de l’impôt en particulier, qui s’adonne à une lenteur hors
proportion dans le règlement du contentieux ; ce qui contraste avec l’enjeu
même de l’impôt.
Les diverses causes de la lenteur judiciaire peuvent trouver
également un terrain fertile si l’on les lie à l’environnement socioculturel
du juge de l’impôt. En effet, dans le but de protéger une connaissance, « le
juge peut retarder au maximum le prononcé de sa décision et porter de ce fait un coup
important au droit à la justice d’un tiers et inversement, traiter avec sérénité le dossier
d’un affilié pour lui éviter les conséquences néfastes des lenteurs judiciaires »82. Or, en
définitive, cette lenteur influence la décision du juge de l’impôt en
préjudiciant le principe de son indépendance. Lorsqu’un magistrat
béninois de haut niveau affirme que « nous savons, par expérience, que lorsqu’on
veut noyer une affaire, il faut saisir la justice, car la procédure devant elle est très
longue »83 et illustre ses idées en disant « c’est pourquoi, par exemple, lorsqu’on
reproche quelque chose à un magistrat, très souvent, le Conseil supérieur de la
février 2021.
83 OGOUBIYI Guy, « Allocution du président de l’Autorité nationale de lutte contre la
84Ibidem, p. 9.
85 Cour constitutionnelle du Bénin, Décision DCC n°96-082 du 13 novembre 1996 et
Décision DCC n°97-006 du 18 février 1997.
86 Loi n°2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions
terrorisme (CRIET) », in African Law Study Librairy – Librairie Africaine d’Etudes Juridiques, n°
6, 2019, p. 519. Il parle d’« une corruption ambiante du milieu judiciaire non rassurante » et de
« l’impunité de bien des auteurs : l’exemple de l’ex Greffier en Chef du Tribunal de Première Instance de
Cotonou, Séidou ABOU qui a détourné une somme de plus de deux milliards (2.000.000.000) F CFA
au Greffe dudit Tribunal rendant aussi bien les justiciables que l’Etat béninois, victimes ».
95
juges africains de l’espace francophone ne sont pas des juges de spécialité ;
ils sont des généralistes, homme à tout faire sans réellement savoir faire les
choses en profondeur. Il y a lieu de lui donner les moyens d’assurer son
rôle sinon la justice sera, comme le précise un auteur, « en état de cessation de
jugement »88. L’impôt est un phénomène complexe et sa maîtrise demande
un investissement spécifique. L’incompétence du juge de l’impôt ne
s’appuie pas seulement sur son ignorance, mais également sur le manque
de documentation appropriée à sa portée.
À la sortie de la formation d’auditeur de justice, le magistrat est
renvoyé à ses fonctions à un poste, soit en qualité de juge du siège devant
dire le droit, c'est-à-dire « juger », soit en qualité de magistrat de parquet ou
de magistrat de l’administration centrale du ministère de la justice, placé
naturellement sous l’autorité du Ministre en charge de la justice. Dès leur
prise de service, le magistrat comme le juge doivent se cultiver, s’informer
sur les nouvelles évolutions du droit et surtout avoir sous la main
l’ensemble de la jurisprudence nationale et les « grands arrêts »89 en droit
comparé. C’est justement ce qui fait défaut aux juges africains notamment
de l’Afrique francophone, en raison de l’inorganisation de l’État, qui rend
du coup leur formation insuffisante. Mieux aucun dispositif de recherche
et de formation en cours de carrière n’existe dans la majorité des États et
là où il en existe quelques bribes, ils sont insuffisants et non entretenus.
Sur le point d’une formation insuffisante en matière fiscale, il faut
préciser que la formation de base donnée aux auditeurs de justice, malgré
la bonne volonté des enseignants, la densité du programme administré et
la qualité des stages pratiques visant l’appropriation des techniques et
méthodes de juger, leur permettent d’amorcer la carrière de magistrat en
toute sérénité avec une parfaite maîtrise des techniques processuelles. Il
faut déjà pointer du doigt l’absence d’une spécialisation des juges ou
l’introduction dans leur programme de formation des modules portant sur
des thèmes fiscaux de base pour qu’ils soient amenés à comprendre les
différentes techniques d’imposition, de contrôle et de recouvrement des
impôts et taxes.
Sur le plan d’un dispositif de recherche et de formation en cours de
carrière insuffisant, le besoin d’un tel dispositif se faisait sentir il y a
longtemps. Les audiences solennelles des cours et tribunaux sont souvent
des occasions pour les chefs d’États de l’Afrique francophone de prendre
des engagements pour moderniser et accroître les moyens dont dispose la
justice. Au Bénin et au Cameroun, le contexte d’action des juges a connu
une amélioration notable tant au plan normatif qu’au plan du
développement infrastructurel et en personnel. Il en est de même de
l’engagement pris par le Président de la République du Sénégal en 1992 qui
6.
96
a permis d’améliorer sensiblement le paysage de la justice. Particulièrement
au Bénin, ces dix dernières années (2010-2020), la justice a vu une
augmentation sensible de son personnel et une déconcentration des cours
et tribunaux en vue de la rapprocher plus des justiciables. De même, il est
créé une juridiction d’exception à la faveur de la Loi n° 2018-13 du 02
juillet 2018 modifiant et complétant la Loi n° 2001-37 du 27 août 2002
portant organisation judiciaire au Bénin qu’est la Cour de répression des
infractions économiques et du terrorisme (CRIET). Il faut dire que dans
les trois Cours d’appel du Bénin (de Cotonou, d’Abomey et de Parakou),
un effort a pu être fait avec la création d’une salle de documentation et de
recherche. D’autres juridictions attendent, car l’effort n’est pas suffisant.
Le déficit en documentation est réel. L’abonnement aux journaux,
notamment le Journal Officiel (JO) et les quotidiens nationaux n’est plus
systématique pour raison d’insuffisance budgétaire. Sur ce plan, la pratique
des tribunaux et cours repose sur le greffe admis comme un service
transversal de toute juridiction. Il gère en outre la logistique de la
juridiction, les scellés, les archives, s’occupe des statistiques et assure
l’entretien des bâtiments. Selon le bon vouloir du président du tribunal ou
de la Cour considérée, l’abonnement au JO et aux quotidiens nationaux est
une priorité et au grand bonheur du personnel de la justice, notamment
des magistrats. En dehors de ces efforts inscrits à l’actif de certains
présidents de juridiction, il est à noter l’absence ou l’insuffisance de
bibliothèques et de recueils de décisions de justice.
S’agissant de l’insuffisance de bibliothèques, il faut reconnaître
qu’au Bénin, en dehors des trois Cours d’appel précitées où il est créé une
bibliothèque moderne et équipée aux fins de contribuer à l’émancipation
juridique du juge en général, aucune juridiction n’a enregistrée une telle
prouesse. Quant à l’insuffisance de recueils de décisions de justice, le
constat général est le manque de recueils des décisions de justice en
général, de celles rendues dans le domaine de l’impôt en particulier, au
niveau des tribunaux et des cours d’appel en dehors de la Cour suprême et
de la Cour constitutionnelle où il est noté un effort d’édition et de
diffusion sans régularité. En plus de ces contraintes, se dresse la
corruption rampante dans le milieu judiciaire.
2. La corruption rampante dans le milieu judiciaire
« La corruption est devenue le cancer, la pathologie dégénérative qui ronge et
mine notre démocratie. Comme une pieuvre qui pousse ses tentacules, la corruption est
partout au Bénin au poste, au ministère, à l’école, à l’hôpital, à la mairie, sur nos voies
publiques et même sur les lieux de culte. Invisible, son spectre hante nos consultations
électorales, il arpente les coulisses de notre Administration, lézarde les murs de nos
institutions, déforme nos décisions, mutile nos jugements et nos comportements
politiques »90. Elle signifie un « détournement ou trafic de fonction ; dite passive
lorsqu’un individu se laisse acheter au moyen d’offres, promesses, dons, présents ou un
96 Discours du président Nicéphore Dieudonné SOGLO, Cotonou, version revue et corrigée, 2015,
p. 11.
97 DJIDJOHO Hermann Kekere, La justice béninoise-Ma part de vérité, op. cit., p. 86.
98 KUWONU Franck, « Justice : contre la corruption, il faut de la détermination », in Revue
corruption : enjeux et perspectives », in MEDE Nicaise (dir.), Les nouveaux chantiers de finances
publiques en Afrique, Mélanges en l’honneur de Michel BOUVIER, Dakar, L’Harmattan Sénégal,
2019, p. 361.
99
d’une grande diversité d’opérations fiscales, en fonction de la nature de
l’impôt et de l’acte contesté.
L’office du juge administratif dans le contentieux de l’impôt connaît
des pouvoirs très étendus. Grâce aux pouvoirs dont il est doté, le juge
administratif de l’impôt est-il en mesure de se prononcer comme il se doit,
c'est-à-dire en appréciant tous les aspects du litige au regard du droit
applicable ? Selon le régime procédural établi par les textes de droit
commun et spécifiques à l’impôt (CGI et LPF) en vigueur dans les Etats,
la réponse est affirmative. La justice administrative est bien crédibilisée par
son organisation et ses techniques de règlement du contentieux de l’impôt.
Enfin, il faut reconnaître qu’en raison de certaines contraintes qui lui sont
volontaires ou extérieures, le juge administratif de l’impôt ne parvient pas
toujours à produire une décision exempte de tout préjugé.
100
LA PREVENTION DU RISQUE DE DECONSOLIDATION
BUDGETAIRE DU CONTRAT DE PARTENARIAT PUBLIC-
PRIVE DANS LA LEGISLATION DES ETATS D’AFRIQUE
SUBSAHARIENNE FRANCOPHONE
Par
Dr. Eric Paulin NTSEGUE ANANGA
Ph.D en Droit public
Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Yaoundé II (Cameroun)
RESUME :
Au-delà du fait qu’il constitue un instrument contractuel efficace pour répondre aux
besoins d’infrastructures des gouvernements, le contrat de partenariat peut également donner la
possibilité de contourner les mécanismes de contrôle des dépenses publiques, de placer
l’investissement public hors budget et d’extraire la dette publique du solde budgétaire. La
déconsolidation budgétaire qui en résulte pouvant s’avérer nocive pour les finances publiques des
Etats d’Afrique subsaharienne francophone, justifie que soit mis en place un dispositif de
prévention d’un tel risque. La prévention participe donc de la promotion du droit et constitue le
leitmotiv de la bonne gouvernance des finances publiques. Celle-ci est donc rendue possible dans la
législation des Etats d’Afrique subsaharienne francophone par l’intégration dans les actes formels
des moyens limitant l’opportunisme budgétaire et par la production des mesures tendant à
neutraliser les stratégies de hors bilan dans le recours aux contrats de partenariat. L’idée est donc
que les Etats d’Afrique subsaharienne francophone s’y arriment et s’éloignent des considérations
liées à la comptabilité créatrice. Un véritable « reporting » financier des contrats de partenariat
permet de se faire une opinion raisonnée de la performance en matière de gestion des finances
publiques.
ABSTRACT:
Beyond the fact that it constitutes an effective contractual instrument to meet the
infrastructure needs of governments, the partnership contract can also provide the possibility of
bypassing public expenditure control mechanisms, placing public investment off-budget. And to
extract the public debt from the budget balance. The resulting budgetary deconsolidation, which
could prove harmful to the public finances of French-speaking sub-Saharan African states,
justifies the establishment of a mechanism to prevent such a risk. Prevention therefore contributes
to the promotion of the law and constitutes the leitmotif of good governance of public finances.
This is therefore made possible in the legislation of French-speaking sub-Saharan African States
by the incorporation into formal acts of means limiting budgetary opportunism and by the
production of measures tending to neutralize off-balance sheet strategies in the use of partnership
contracts. The idea is therefore that the States of French-speaking sub-Saharan Africa use it
wisely and move away from considerations related to creative accounting. Genuine financial
reporting of partnership contracts enables a reasoned opinion to be drawn on performance in
terms of public finance management.
101
Introduction
La question de la soutenabilité des déséquilibres des finances
publiques et la préoccupation liée à la nécessité de « la prise en compte de la
dette publique dans les comptabilités nationales »1 se sont posées particulièrement
avec acuité au lendemain de la crise de la dette de 2010 en Europe. Les
stratégies de déconsolidation de la dette opérées par la Grèce au moyen de
sa dissimulation, et de l’amélioration artificielle de ses comptes publics lui
ont été fatales et ont fragilisé les finances publiques de l’Union
Européenne2 en révélant les défaillances de sa gouvernance économique3.
Aux Etats-Unis, une certaine défiance à l’égard des pratiques susceptibles
de générer un endettement masqué des administrations publiques a
conduit à placer les partenariats public-privé « sous surveillance »4. Par
ailleurs, ils sont même également considérés comme « une bombe à
retardement budgétaire »5. De ce fait, l’hypothèse selon laquelle les partenariats
public-privé favorisent une répartition optimale des risques, génératrice
d’une meilleure performance, ne doit pas faire oublier les risques liés à leur
instrumentalisation. Vue sous cet angle, « les Etats africains doivent se doter
d’outils indispensables à l’évaluation des risques budgétaires liés à la mise en œuvre des
projets ppp »6, car la nécessité d’une meilleure gestion des risques budgétaires
relatifs aux investissements innovants7 doit prendre le pas sur les choix
politiques hasardeux8. Si le choix de ces contrats reflète l’efficacité dans la
réalisation des objectifs des gouvernements, la transparence et la bonne
gouvernance doivent être respectées.
Dans ce contexte, une approche préventive semble nécessaire pour
parer aux éventuels risques de conduites déviantes liées aux contrats de
partenariat public-privé en Afrique francophone subsaharienne. La logique
des finances publiques s’est transformé en une crise de défiance, en l’occurrence un manque de confiance des
marchés financiers internationaux à l’égard des dettes souveraines ».
3 Y-F. CHINARD et LABONDANCE, « La crise grecque : quelques leçons d’économie
européenne », RMCUE, n°5 L/1, 2010, p. 493. Cette crise « met en exergue le problème de la
gestion des finances publiques nationales au sein d’une gouvernance économique européenne défaillante ».
4 F. MARTY, S. TROSA, A. VOISIN, Les partenariats public-privé, Paris, La Découverte,
lois constitutionnelles sur les partenariats public-privé, n°733, Sénat français, 16 juillet
2014, p. 23.
6 V. PIROU, « PPP : recommandations et mises en garde pour les relations avec le secteur
la maitrise des risques budgétaires », RFAP, vol. 163, n°3, 2017, pp. 613-630.
8 S.M. OUEDRAOGO, « La promotion des contrats de partenariat public-privé par les
éd, p. 802.
14 Dictionnaire Larousse 2003, entrée « risque ».
15 Loi n°2016-061 du 30 décembre 2016 relative aux partenariats public-privé au Mali ; loi
une nouvelle espèce de contrats administratifs, Paris, Litec, 2005, n°228, p. 138.
21 Ibid. V. F. LINDITCH, « Contribution à la distinction des conventions de délégation de
service public et des contrats de partenariat », JCP-A n°51 du 19 décembre 2011, 2394.
22 Voir U. NGAMPIO OBÉLÉ-BÉLÉ, « Brèves réflexions sur les transformations de
elle les a fait participer à son exercice ; elle a facilité la constitution de puissances privées avec lesquelles elle
est obligée de batailler, de composer. Elle s’est aperçue que commander ne suffisait pas, que l’obéissance pour
docilité moutonnière ou par crainte n’était ni morale ni de bon rendement, qu’il était préférable de convaincre
les sujets et de gagner leur adhésion. Au total, l’administration devient davantage une école, une diplomatie
et moins une caserne ».
27 F. GALLETTI, Les transformations du droit public africain francophone: entre étatisme et
France, Rapport officiel commandé par le Ministre de l’économie et des finances, Paris, La
documentation française, 2004, p. 123.
30 A. TONYE, Pratique juridique des financements structurés en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2010,
l’« émergence à l’horizon 2035, avec une société solidaire dans un Etat de droit ».
33 G. JESTIN, « Le financement des grands équipements collectifs », RFFP, n°22, 1988, p.
141.
105
à des fins d’investissements publics les capitaux privés afin de résorber la
crise. Ou encore par le souci de limiter l’engagement des finances
publiques dans la réalisation des investissements nécessaires à certains
services collectifs. Mais également par des raisons structurelles comme la
volonté de répondre à une demande constante d’ouvrages et
d’équipements collectifs34. De ce fait, le contrat de partenariat constitue un
sésame pour les projets d’investissement35 en Afrique subsaharienne
francophone.
Pour M. Eric PORTAL, à côté des modes de financement
consolidés qui sont constitués pour l’essentiel des emprunts bancaires
classiques, il existe des modes de financement à long terme déconsolidés36.
Le contrat de partenariat fait partie de ces deniers modes de financement
tendant à externaliser la dette. Raison pour laquelle il est considéré comme
un outil de déconsolidation budgétaire. Si la consolidation budgétaire
exprime les différentes mesures employées pour redresser les finances d’un
Etat37, la déconsolidation budgétaire constitue cet ensemble de mesures
qui visent à s’affranchir des contraintes budgétaires. Dans cette dynamique
M. Charlotte Caron-Garcia utilise l’expression « déconsolidation budgétaire des
ppp »38 pour faire référence à l’insuffisance prise en compte des enjeux
financiers des ppp dans les comptes budgétaires. Allant dans ce sens, pour
le FMI, il s’agit de placer les PPP « hors cycle budgétaire »39, de sortir
l’investissement public du compte de la dette publique40.
Ainsi, si l’approche partenariale semble séduisante pour les
collectivités publiques, cet outil contractuel peut révéler des inconvénients
34 Voir Ph. TERNEYRE, « Les montages contractuels complexes », AJDA 1994, numéro
spécial, pp. 45-46 ; X. DELCROS et J-M. PEYRICAL, « Le financement privé des
équipements collectifs : un développement inéluctable à encadrer », AJDA, 1994, numéro
spécial, pp. 71-72.
35 F. ONANA ETOUNDI, « Cameroun: Contrat de partenariat, un sésame pour les projets
d’investissement », All Africa du 3 avril 2008. Cité par S. SAMB, Le droit de la commande
publique en Afrique noire francophone : contribution à l’étude des mutations du droit des contrats
administratifs au Sénégal, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Cameroun, Thèse en droit public,
Université de Bordeaux, 2015, p. 314.
36 E. PORTAL, « Une technique de déconsolidation de la dette : le crédit-bail à levier
Comprendre les coûts et les risques budgétaires des ppp », Online : https://www.imf.org.
Consulté le 05 février 2021, 13h15.
40 B. AKITOBY, R. HEMMING et G. SCHWARTZ, « Investissement public et
partenariats public-privé », Dossier économiques 40, FMI 2007, p. 21, Online www.imf.org.
Consulté le 05 février 2021 à 14h20.
106
tout aussi importants41. Ces contrats peuvent donner la possibilité de
contourner les mécanismes de contrôle des dépenses, de placer
l’investissement public hors budget et d’extraire la dette publique du solde
budgétaire42. Si l’on aborde donc la question du risque de déconsolidation
budgétaire, il ne s’agit pas d’un risque résultant du transfert d’une mission
globale à l’opérateur privé, mais d’un risque résultant de l’utilisation
frauduleuse du contrat de partenariat. Cet état de chose peut à l’image des
entreprises privées se mettre au service des artifices comptables, faciliter le
contournement des contraintes en matière d’emprunt public et de
reproduire une comptabilité créatrice43. Il s’agit donc d’un risque profit44
pour les collectivités publiques qui peut se transformer en un risque
danger45 pour les finances publiques.
Cette attitude peut présenter une certaine gravité pour les finances
publiques des Etats africains, car lorsque les prévisions sont majorées pour
cacher les tensions de trésorerie qu’il serait difficile à justifier. Et le déficit
budgétaire étant artificiellement minoré sont des infidélités susceptibles de
méconduire les bailleurs de fonds et les partenaires au développement et
de créer un déséquilibre au sein de la sous-région46. De ce fait, la
prévention s’érige alors en mécanismes nécessaires dans un environnement
ou l’imminence et l’immanence de la mal gouvernance financière pèsent
comme une épée de Damoclès sur chaque acte de la vie publique47 et
surtout que de façon générale, « le doute sur le réalisme des comptes publics gagne
tous les acteurs de la procédure budgétaire »48. Le Professeur Salif YONABA
observait qu’en Afrique, « les États francophones s’illustrent dans leur ensemble par
un système de gouvernance financière peu respectueux de toute idée de discipline
sur le fondement de la responsabilité. Étude de droit civil, Paris, Rousseau 1901, p. 87 à 92. La
théorie du risque-danger soutient qu’ « il y a des choses, des situations, des activités objectivement
dangereuses à propos desquelles le risque est plus grand de voir se produire un dommage », A. VAN
LANG, G. GONDOUIN, V. INSERGUET-BRISSET, Dictionnaire de droit administratif,
Paris, Armand Colin, 1999, 2e éd., p. 252.
46 R. MBALLA OWONA, « Emergence de la gestion axée sur les résultats et
pouvoir politique », in Processus budgétaire vers un nouveau rôle du parlement, Actes Colloque du
Sénat, 24-25 janvier 2001, Paris, p. 135.
52 Ibid.
53 D. HURON, F. MARTY et J. SPINDLER, « De la certification des comptes de l’Etat :
pertinente ? », AJDA 2017, Dossier n°5 « Réforme de la commande publique, un an après : un bilan
positif ? ». Online, www.journal-du-droit-administratif.fr consulté le 25 juin 2021 à 12 h 30.
108
de faciliter son enregistrement dans les comptes publics57. Ces
considérations pouvant justifié l’intérêt pratique de l’étude en Afrique
subsaharienne francophone. IL s’agit en effet des Etats qui ont en
commun l’usage du français, et qui se caractérisent par la convergence de
leurs modèles juridiques dans les espaces communautaires58. Ce cadre
favorise dès lors l’émergence d’une question centrale : comment se
construit la prévention du risque lié à la déconsolidation budgétaire
du contrat de partenariat dans la législation des Etats d’Afrique
subsaharienne francophone ?
Une telle étude semble intéressante, car elle vise à étudier les
dispositifs mis en œuvre à l’échelle des Etats et au plan international en
réponse à une certaine instrumentalisation et instrumentalisation certaine
de la gouvernance des finances publiques en Afrique subsaharienne
francophone au cas spécifique du processus d’institutionnalisation des
partenariats public-privé. En guise de réponse, il faut avouer que le cadre
budgétaire et les normes comptables peuvent dans une certaine mesure contrecarrer les
risques de recours opportunistes aux contrats de partenariat qui ne répondent moins à
une logique d’efficacité économique qu’à une stratégie de dissimulation de la dette ou de
contournement des règles de discipline budgétaire59.
Suivant ces considérations, l’analyse de la prévention du risque lié à
la déconsolidation budgétaire du contrat de partenariat dans les Etats
d’Afrique subsaharienne francophone constitue une contribution à l’étude
des instruments juridiques des partenariats public-privé. Elle suggère que
soit pris en compte dans les législations des mesures tendant à limiter les
risques y afférents. Ce substrat sert de base pour l’identification tant des
méthodes que des mécanismes employés par les Etats d’Afrique
subsaharienne francophone. Il conduit incontestablement à une
interdisciplinarité prenant appui sur des considérations liées au Droit
administratif et surtout au Droit public financier. Il interpelle la prise en
compte malgré l’éparpillement et l’hétérogénéité des législations60, de
l’interprétation des textes juridiques et de la production jurisprudentielle.
Ainsi s’impose par explication, la déclinaison des deux grandes
approches servant de réponse à la question posée. Celle-ci va être
contrat de partenariat public-privé. Seulement, note la BEAC, « les pays de la zone CEMAC
accusent néanmoins un retard sur ceux de la zone UEMOA ».
109
démontrée d’une part, par la formalisation des moyens limitant
l’opportunisme budgétaire (I) et d’autre part, par la matérialisation des
mesures neutralisant les stratégies de hors-bilan (II).
I. La formalisation des moyens limitant l’opportunisme
budgétaire
Bien qu’il soit un contrat global61, un outil de partage de risques qui
permet de répondre à une demande sociale dans un contexte budgétaire
contraint62, le recours au contrat de partenariat doit se faire pour des
raisons pertinentes afin de préserver la bonne santé des finances publiques.
Les dispositifs légaux des Etats d’Afrique subsaharienne francophone ont
pris en compte ces exigences bien que le cadre juridique des contrats de
partenariat ne soit pas encore ficelé dans les grands ensembles
communautaires à l’instar de l’UEMOA et la CEMAC63. S’inscrivant dans
un cadre juridique garantissant la transparence de la décision et de
l’engagement financier, ils ont accompagné ces contrats d’un ensemble de
garde-fous tendant à prévenir d’éventuelles dérives. D’une part, il s’est agi
de rationnaliser la décision d’y recourir (A) et, d’autre part, de régulariser le
contrat de partenariat dans le budget (B).
A. La normalisation du verrouillage des recours illégitimes
Les conditions de recours au contrat de partenariat subordonnent le
lancement de la procédure de passation de celui-ci. Dès lors que les
personnes publiques ont la possibilité de recourir aux contrats de
partenariat, ils paraissent indispensables, compte tenu des risques
particuliers qui s’attachent à cette formule, de les inciter à s’assurer qu’elles
y recourent « à bon escient »64. Les textes juridiques dans les Etats d’Afrique
subsaharienne francophone précisent dont les conditions légitimes de
recours au contrat de partenariat dans la réalisation des infrastructures
République du Bénin.
111
publique » que le conseil constitutionnel a décelé dans ces contrats70. La
réforme de la commande publique de 2015 en France dont l’objectif était
de répondre aux critiques sur la déconsolidation budgétaire des
partenariats public-privé a plutôt réduit les critères de recours au seul bilan
avantageux71. Certains Etats d’Afrique subsaharienne francophone ont au
contraire repris ces critères dans leurs législations. Dès lors, ils limitent le
recours aux contrats de partenariat à la satisfaction des critères d’urgence
et de complexité. Ceux-ci sont repris par le droit camerounais et
sénégalais72 ainsi que dans d’autres Etats d’Afrique subsaharienne
francophone.
Dans cette logique, le contrat de partenariat ne peut être conclu que
si l’évaluation du projet, effectuée en vue de son éligibilité au régime des
contrats de partenariat, démontre son caractère complexe. Le caractère
complexe d’un projet est défini comme « (…) l’incapacité objective de la
personne publique de définir, par elle-même, les moyens aptes à satisfaire ses besoins ou
d’évaluer ce que le marché peut offrir en terme de solutions techniques et/ou de solutions
financières ou juridiques »73. C’est la raison pour laquelle, le juge administratif
français précise la teneur de la notion de complexité et précisera qu’elle est
constituée, non pas en raison de la complexité technique, juridique ou
financière propre au projet, mais par l’incapacité de la personne publique
à le réaliser dans le cadre des procédures liées à l’utilisation d’outils
traditionnels de la commande publique74. Selon les Professeurs Fabrice
MELLERAY et François BRENET, la personne publique « (…) doit se
trouver dans l’impossibilité de dégager la solution technique permettant de satisfaire ses
propres besoins, de formuler une solution de financement ou d’établir le montage
juridique adéquat»75. La complexité doit donc être appréhendée de façon
objective, car il ne s’agit pas pour l’administration d’« (…) invoquer la
médiocrité de ses fonctionnaires pour plaider la complexité »76 du projet. La complexité
ici s’apprécie comme « (…) un besoin complexe à satisfaire »77. Elle est relative aux
70 E. MULLER, Les instruments juridiques des partenariats public-privé, Paris, L’Harmattan, coll.
Logiques Juridiques, 2011, p. 219.
71 L. RAPP, « Partenariats public-privé », in Ph. MALINVAUD (dir.), Droit de la
CASAS.
81 Décision n°2004-506 DC, 2 décembre 2004.
82 CAA Paris, 3 avril 2014, Association La Justice dans la cité, M. Bourayne, req.
114
projets comparables, le recours à un tel contrat présente un bilan entre les avantages et
les inconvénients plus favorable que ceux d’autres contrats de la commande publique »91.
Cette réalité fait que l’évaluation comparative, constitue donc un préalable
obligatoire à la passation de tout contrat de partenariat92. En raison de la
rigidité intrinsèque de ces contrats et de leur longue durée, ils ne sont pas
un instrument juridique adapté à tous les acheteurs publics et à tous les
projets. Au-delà des spécifications techniques, le développement et la mise
en œuvre de chaque projet d’investissement nécessite de faire des choix
appropriés quant à la forme juridique de l’investissement, quant à la
possibilité que la responsabilité financière du projet soit supportée par le
secteur privé, hors budget de l’Etat.
En réalité, l’incitation de la personne publique à conclure un contrat
de partenariat repose sur cette analyse comparative. Selon la doctrine,
l’évaluation comparative doit présenter à la personne publique des
arguments supplémentaires en faveur du contrat de partenariat,
préférentiellement aux autres formules contractuelles93. L’analyse
comparative fait ressortir la performance attendue du projet à réaliser, le
partage des risques entre partenaires, l’évaluation financière, et le
calendrier d’exécution en fonction des différents modes disponibles94. Elle
mettra en évidence l’intérêt ou non de recourir à un contrat de partenariat
et le coût estimé, si le projet est réalisé selon la formule partenariale. Elle
est donc censée apporter un gain en terme de transparence et
d’objectivation de la décision publique et vise, à participer au bon usage
des deniers publics en fondant la décision sur des bases objectives95.
91 E. MULLER, Les instruments juridiques des partenariats public-privé, op. cit., p. 209.
92 J-D. DREYFUS, « La présomption d’urgence viole les exigences constitutionnelles
relatives à la commande publique », AJDA, 2008, n°30, p. 1665.
93 F. BRENET et S. BRACONNIER, « L'évaluation préalable du contrat de partenariat »,
Contrats et marchés publics, n°1, janvier 2009, étude 1. Pour eux, « L’évaluation préalable (...) ne
semble plus avoir aujourd'hui qu'un seul objet : établir les avantages et les inconvénients du recours à la
formule partenariale par rapport aux autres techniques contractuelles ». Et « Alors que les AOT-LOA
[autorisations d'occupation du domaine public de l'État constitutives de droits réels couplées d'une
convention de location avec option d'achat] et les BEH [baux emphytéotiques hospitaliers] étaient des
montages de droit commun au départ (c'est-à-dire non soumis au respect d'une condition d'urgence, de
complexité ou de bilan avantageux), ils le sont sans doute moins aujourd'hui puisque leur conclusion
nécessite une évaluation préalable permettant d'établir leur efficience ».
En France, l’article 2 de l’ordonnance sur les contrats de partenariat prévoit que
l’évaluation comporte une analyse comparative à caractère économique, financier, juridique
et administratif. En effet, l’évaluation doit expliquer pourquoi le projet a été retenu : « Le
plus souvent, il s’agira de comparer la solution du contrat de partenariat avec celle du marché classique.
Toutefois, même si le contrat de partenariat ne peut pas avoir pour Object de confier la gestion du service
public, une comparaison avec la délégation de service public, dans les cas où elle est possible n’est pas à
exclure ; car la collectivité peut avoir intérêt à déléguer plutôt qu’à conserver la gestion en régie d’un service
dont les installations seraient réalisées dans le cadre d’un partenariat ».
94 D. B. NKAKE EKONGOLO, Le régime juridique des travaux publics au Cameroun, op. cit.,
p. 519.
95 J-J. SUEUR et H. PORTELLI, Sénat, Commission des lois, Rapport Les contrats de
partenariat : des bombes à retardement ?, Juillet 2014. En France, l’article 2 de l’ordonnance sur
les contrats de partenariat prévoit que l’évaluation comporte une analyse comparative à
115
Dans le cas du Cameroun par exemple, cette étude comparative
réalisée en 2009 en vue de la construction d’un immeuble devant abriter
les services centraux du Ministère des travaux publics, le gouvernement
décida de le réaliser suivant le procédé de marché public plutôt que du
contrat de partenariat public privé96. Par contre, il retient la réalisation du
projet en contrat de partenariat public-privé dans la construction du port
en eau profonde de Kribi97, le projet d’aménagement hydroélectrique de
Lom Pangar, le barrage de Memve’elle, le projet du barrage de Mekin, le
projet de barrage de Natchigal et le projet concernant la couverture santé
universelle. C’est également ce modèle contractuel qui a été retenu au
Burkina Faso dans la construction de l’échangeur du nord à Ouagadougou.
Au Sénégal l’autoroute à péage de Dakar-Mbour et la centrale électrique de
Tobene. En Côte d’Ivoire, pour la réalisation du pont autoroutier à péage
Henri-Konan-Bedié, le gouvernement retient une concession de type
BOT98. Sur le plan communautaire, dans la volonté de mettre en œuvre
une politique commune et concertée pour faciliter le transit inter-Etat et
partant, favoriser la croissance économique et le développement de la
sous-région UEMOA, la Commission de l’Union a passé avec la société
Scanning Systems SA une convention de partenariat public-privé portant
sur la réalisation d’un poste de contrôles juxtaposés à Cinkansé à la
frontière entre le Burkina Faso et le Togo.
Pour limiter le phénomène des études comparatives biaisées et
toujours complaisantes à l’égard des contrats de partenariat, les
gouvernements ont mis en place des structures de supervision de
l’évaluation préalable. Au Sénégal, le Comité National d’Appui aux
partenariats public-privé, organe rattaché au ministère de l’économie et des
finances apporte son concours à la réalisation des évaluations préalables
Autonome de Kribi (PAK). Lire aussi le décret n° 2002/165 du 24 juin 2002 portant
approbation des statuts du PAK.
98 Voir http://www.jeuneafrique.com/4405/economie/alassane-ouattara-inaugure-le-
troisi-me-pont-d-abidjan/; http://www.initiative-ppp-afrique.com/Afrique-zone-
franc/Pays-de-la-zone-franc/Cote-d-Ivoire/Pont-a-peage/ Henri-Konan-Bédié. Consulté
le 26 juin 2021 à 11h17.
116
des projets99. Ainsi le décret du 29 juillet 2014 a mis en place la
Commission de partenariats public-privé au Burkina Faso dont la fonction
est d’accompagner les politiques nationales visant à développer les
partenariats public-privé100. Au Cameroun, le contrôle des PPP est assuré
par le Conseil d’appui à la réalisation des contrats de partenariat101. Cet
organe est placé sous la tutelle du Ministre chargé de l’économie et de la
planification. Il délivre un avis d’opportunité du projet. Le dossier est
ensuite transmis au Ministre des finances qui doit donner un avis de
soutenabilité budgétaire102.
Toutes ces mesures permettent de recourir de façon légitime aux
contrats de partenariat. Et cet encadrement juridique du contrat de
partenariat se poursuit sur le plan budgétaire.
B. La sécurisation budgétaire du contrat de partenariat
Le cadre budgétaire dans lequel s’inscrivent les contrats de
partenariat joue un rôle déterminant pour prévenir d’éventuels recours
opportunistes s’inscrivant dans une forme de déconsolidation
budgétaire103. Le recours au contrat de partenariat doit être fondé sur la
bonne utilisation des deniers publics104. La régulation budgétaire dudit
contrat met en exergue les déterminants qui peuvent conduire une
collectivité publique, soucieuse du bon usage de ses deniers ainsi que de
l’efficacité et de la qualité du service rendu à l’usager à opter pour un
arrangement partenarial avec le secteur privé105. Pour donc éviter une
navigation à vue, les législations des Etats d’Afrique subsaharienne
francophone ont mis l’accent sur l’étude de soutenabilité budgétaire (1) et
prévu le contrat de partenariat dans l’autorisation budgétaire (2).
1. L’insertion d’une étude de soutenabilité budgétaire du contrat
de partenariat
Les pays africains, confrontés à des situations des déficits cumulatifs
ayant conduit à un endettement excessif doivent en principe mener une
politique prudente dans le recours aux instruments financiers facilitant la
99 Loi n°05-2014 du 10 février 2014 relative aux contrats de partenariat au Sénégal, op. cit.,
article 8 al. 1.
100 Décret n°2O14- 628 /PRES/PM/MEF du 29 juillet 2014 portant création, attributions,
partenariat », RFAP, 2009/2 n°130, p 352 : « le recours au contrat de partenariat peut être justifié
par des considérations fondées sur le bon usage des deniers publics, même en l'absence d'urgence et/ou de
complexité ».
105 J. BENSAÏD et F. MARTY, Pertinence et limites des partenariats public-privé : une analyse
106 OCDE (2009) « Les avantages des prévisions budgétaires à long terme », L’Observateur de
l’OCDE : « La viabilité budgétaire est un concept pluridimensionnel qui intègre la solvabilité, la stabilité
de la croissance économique, la stabilité de la fiscalité, et l’équité intergénérationnelle. Elle a des implications
non seulement financières mais aussi sociales et politiques, qui sont liées à la fois aux générations présentes
et futures ».
107 F. MARTY, « Les partenariats public-privé sont-ils réellement des instruments de
République du Bénin.
118
Si le contrat de partenariat est un outil de développement par le
biais des financements privés, le défi est de s’assurer que les finances
publiques des Etats ne soient pas bouleversées109. C’est la raison pour
laquelle les législations sur les ppp en Afrique subsaharienne francophone
instituent une obligation d’évaluation préalable de l’impact du projet de
partenariat sur le budget et la dette publique110. L’impact des contrats de
partenariat sur la situation budgétaire globale de l’Etat devrait en principe
être considéré en début et en cours de projet. Un aperçu a priori des
implications à moyen et à long terme des projets et de leurs effets
potentiels permet de déterminer s’ils sont financièrement abordables ou
s’ils impliquent des risques lourds pour l’Etat111. La soutenabilité
budgétaire des contrats de partenariat s’intéresse au caractère abordable
des projets et son effet sur les finances publiques à long terme.
Justement après l’étude de faisabilité du projet, la loi sur les contrats
de partenariat au Cameroun impose l’avis du ministre en charge des
finances afin de vérifier sa soutenabilité budgétaire. Le concept de
soutenabilité est alors utile car il est dynamique : un contrat de partenariat
sera jugé soutenable si, compte tenu de la politique publique prévue ou
prévisible, l’État ne risque pas de se trouver face à un problème
d’insolvabilité ou face à une obligation d’ajustement irréaliste des finances
publiques. Cette condition, qui n’implique pas nécessairement un solde
budgétaire à l’équilibre, se traduit mathématiquement par une dette
publique qui doit être égale à la somme actualisée des excédents
budgétaires futurs hors intérêts de la dette112. C’est donc dans ces
considérations que le contrat de partenariat sera retenu ou rejeté au regard
de la solvabilité des finances publiques. La réalisation de l’évaluation
préalable exigée dans les contrats de partenariat, d’une étude portant sur
l’ensemble des conséquences de ces opérations sur les finances publiques
et sur la disponibilité des crédits est effectuée par le Ministre en charge des
finances le cas échéant par la direction du budget.
De ce fait, au-delà de l’évaluation préalable qui est considérée
comme « la maîtresse de tout projet de partenariat public-privé »113, plusieurs
organes assurent la régularité des opérations de partenariat. Ainsi, le
Ministre des finances joue un rôle central dans la détermination de la
114 Cité par B. NIELS, La rémunération du partenaire privé dans le contrat de partenariat, rapport
de recherches présenté pour le Master I droit public, Université d’Aix-Marseille 2012/2013,
p. 68. Pour l’auteur le contrat de partenariat peut être aussi « un procédé dangereux, car, d’abord,
c’est toujours le public qui paye et il paye quelque fois plus que ne l’exigerait la juste rémunération des
capitaux engagés. De plus, la puissance publique aliène en partie sa liberté d’action ».
115 R. HEMMING, « Les partenariats public-privé », présenté au séminaire de haut niveau sur la
120
2. L’intégration du contrat de partenariat dans l’autorisation
budgétaire
Le cadre normatif des contrats de partenariat public-privé en
Afrique subsaharienne francophone concerne également l’encadrement
budgétaire spécifique dont ils font l’objet. Ce cadre concerne toutes les
étapes d’une opération de partenariat public-privé, de la décision d’y
recourir jusqu’au contrôle de son déroulement. Etant donné que du point
de vue budgétaire, l’engagement dans un contrat de partenariat peut
d’autant plus donner lieu à des stratégies opportunistes que le principe
demeure celui de l’annualité budgétaire et de la comptabilité de caisse, une
telle logique créée indubitablement un biais en faveur des contrats de
partenariat et nécessite un traitement budgétaire. A ce niveau,
l’autorisation budgétaire en matière contractuelle demeure importante119.
En zone CEMAC par exemple, l’article 21 de la directive n°01/11-UEAC-
190-CM-22 relative aux lois de finances dispose que « l’autorisation
d’engagement afférente aux opérations d’investissement menées dans le cadre de contrats
de partenariats publics-privés (…) couvre dès l’année où le contrat est conclu la totalité
de l’engagement juridique ». En zone UEMOA cette exigence, est également
reprise. Au regard de l’intérêt porté pour cet outil de développement des
investissements, les Etats de l’UEMOA ont d’abord intégré les contrats de
partenariat dans la nomenclature des investissements à travers la Directive
n°06/2009/CM/UEMOA120 dont l’article 17 pose, dans la phase
d’exécution du budget, le principe de l’ouverture des autorisations
d’engagement et de crédits de paiement, pour les dépenses
d’investissement et les contrats de partenariats public-privé.
De façon générale, l’instrument privilégié qui appelle à plus de
responsabilité à une meilleure gouvernance dans les législations financières
des Etats est l’utilisation d’un cadre de dépense à moyen terme (CDMT)
pour les projets d’investissement qui fournit un horizon de pilotage à la
gestion des finances publiques, permet d’assurer une meilleure traçabilité
des dépenses publiques et contribue à la transparence et à l’efficience des
processus budgétaires. De ce fait, les contrats de partenariat doivent être
intégrés dans les meilleures pratiques de gestion de l’investissement public.
Ainsi, ils doivent être comptabilisés dans le budget et enregistrés dans le
cadre budgétaire à moyen terme pour faciliter le suivi des conséquences
budgétaires par les institutions en charge des finances publiques. Certains
Etats peuvent utiliser les contrats de partenariat pour contourner les
contraintes budgétaires et les placer en hors cycle budgétaire. Or, ces
contrats génèrent des passifs certains et éventuels, qui peuvent
compromettre la viabilité budgétaire. La programmation pluriannuelle des
lois de finances.
121
contrats de partenariat semble donc nécessaire dans le cadre budgétaire et
repose sur une analyse prospective permettant de s’assurer de la capacité
de la collectivité publique à réaliser des projets assortis de prévisions de
financement. En l’absence d’intégration des partenariats public-privé dans
la procédure budgétaire, il se dégagerait l’impression d’une « gratuité des
infrastructures » construites.
Jean BENSAÏD et Frédéric MARTY estiment que « alors qu’un
investissement réalisé de façon traditionnelle se traduit par un fort décaissement
immédiat (correspondant aux coûts d’investissement), une formule partenariale ne donne
lieu qu’au paiement d’annuités lissés sur un grand nombre d’exercices et ne débutant
théoriquement qu’à la mise en service de l’actif »121. Un tel cadre ne permettant
pas de rendre compte des engagements pluriannuels induits par les
contrats. Pour remédier à ces problèmes, selon Richard HEMMING, il
importe que les gouvernements rendent publiques des données
exhaustives sur ces contrats, notamment les charges budgétaires futures,
connues et potentielles, qui sont surtout sous forme de paiements
contractuels des prestations et de garantie122.
Dans la dynamique du model français, de nombreux garde-fous
budgétaires ont été mis en œuvre. Il en est par exemple ainsi de la
circulaire du 14 septembre 2005 relative aux règles budgétaires afférentes à
la signature des contrats de partenariats conduisant à ne pas simplement
couvrir ces deniers par des crédits de paiements correspondants aux flux
annuels. Ils sont également couverts par des autorisations d’engagement
dès la signature du contrat pour une valeur correspondante aux coûts
d’investissement, aux coûts liés à un éventuel délit et à la quote-part de
l’annuité correspondante aux coûts de financement et de
fonctionnement123. Pour l’Inspection Générale des Finances publiques en
France, dans un rapport publié en décembre 2012124, plusieurs scénarios
sont envisageables pour éviter que les partenariats public-privé ne soient
appréhendés comme un instrument de contournement de la norme
budgétaire : une première option consisterait à formaliser une « charte de
gestion », consistant en la prise en compte des montants d’investissement
des partenariats public-privé dans la norme. La seconde option serait de
favoriser le versement de crédits dès la signature du contrat, pour que la
norme –qui ne porte que sur les crédits de paiement- s’applique aux
engagements budgétaires pris dans le cadre de ces contrats.
De ce fait, la généralisation des procédures d’autorisations
d’engagements permet donc, dans le cadre du régime financier des Etats,
des partenariats public-privé (PPP), Inspection Générale des Finances publiques, Décembre
2012, p. 28.
122
de retracer des engagements juridiques des personnes publiques. Les pays
d’Afrique subsaharienne francophone ont également mis l’accent sur la
prévision du contrat de partenariat dans les comptes publics prévisionnels
qu’est le budget pour assurer une meilleure lisibilité de leurs politiques
infrastructurelles qui s’opère via ce contrat. Ainsi, au Cameroun, on note
également que des mesures prudentielles sont mises sur pied pour assurer
la régularité des contrats de partenariat. Au-delà de l’étude de la solvabilité
budgétaire de la collectivité publique menée par le Ministre des finances, le
Manuel de pilotage et d’exécution du budget programme prévoit dès la
signature du contrat de partenariat des autorisations d’engagements
correspondant aux loyers à verser aux partenaires dans le budget125. De
même, à travers sa loi portant régime financier de l’Etat et des autres
entités publiques de 2018, il précise que l’autorisation d’engagement
afférente aux opérations menées dans le cadre de contrats de partenariat
public-privé couvre dès l’année où le contrat est conclu, le coût complet
des investissements et chaque année pour le fonctionnement et
l’investissement126. En Côte d’Ivoire également, le Décret n°2012-1151
prescrit l’inscription obligatoire des projets de partenariat au plan National
de Développement et de Comptabilisation dans le budget de l’Etat. Pour
les contrats de partenariat, les autorisations d’engagement couvrent, dès
l’année où les contrats sont conclus, la totalité de l’engagement juridique.
En modulant le principe de l’annualité budgétaire, il s’agit de permettre
aux gouvernants d’engager les dépenses d’investissements de manière
pluriannuelle confirmant ainsi les transformations du principe de l’unité
budgétaire127.
En somme, la limitation de l’opportunisme budgétaire dans le
recours aux contrats de partenariat dans les Etats sous étude semble être
une réalité qui se construit progressivement. En évitant un endettement
croissant et souvent irréaliste à travers la construction des infrastructures,
ces pays s’inscrivent pour beaucoup dans une logique d’efficacité des
125 Ministère des finances au Cameroun, Manuel de pilotage et d’exécution du budget programme,
janvier 2013, p. 74 : « Dans le cas où le contrat de PPP renferme une tranche ferme et des tranches
conditionnelles, les AE correspondantes doivent couvrir le montant de la tranche ferme en plus du montant
des éventuelles indemnités et des montants de dédit de non affermissement sur tranches conditionnelles.
L’affermissement d’une tranche rend obligatoire la couverture en AE de la tranche affermie diminuée du
montant du dédit de non affermissement correspondant. Pour le cas des loyers correspondants aux dépenses
de fonctionnement et ceux relatifs au financement mis en place par le partenaire privé, les AE doivent
couvrir le montant des annuités à verser dans l’année ».
126 Article 34 alinéa 6 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de
l’Etat et des autres entités publiques. « L’autorisation d’engagement afférente aux opérations menées
dans le cadre de contrats de partenariats publics-privés, par lesquels l’Etat confie à un tiers le financement,
la réalisation, la maintenance ou l’exploitation d’opérations d’intérêt public, couvre :
- dès l’année où le contrat est conclu, le coût complet des investissements qui sont prévus dans le
contrat et les indemnités de dédit ou d’attente, le cas échéant ;
- chaque exercice, l’annuité pour le fonctionnement et pour le financement ».
127 M.S. OUEDRAOGO, « La promotion des contrats de partenariat public-privé par les
128 J-P. SUEUR et H. PORTELLI, Rapport d’information fait au nom de la commission des lois
constitutionnelles (…) sur les partenariats public-privé, n°733, 16 juillet 2014, p. 23.
129 F. MARTY, « De la convergence des normes comptables publiques vers des référentiels
SAWADOGO, Les instruments de la convergence des politiques budgétaires dans la zone UEMOA,
Thèse de doctorat en droit public, Université de Bordeaux, 2016, pp. 371 et s.
132 D. HURON, F. MARTY et J. SPINDLER, « De la certification des comptes de l’Etat :
la comptabilité publique.
139 E.P. NTSEGUE ANANGA, Le régime financier des contrats publics au Cameroun, Thèse de
Partnerships: Addressing Infrastructure Challenges and Managing Fiscal Risks, Palgrave Macmillan,
2008.
125
La comptabilité budgétaire telle que basée sur le décaissement et
l’encaissement pourrait permettre de rendre compte de la gestion publique
surtout dans le cadre des marchés publics, où c’est directement la
collectivité publique qui sort les fonds publics, voir même dans le cadre
d’une régie intéressée141, mais inappropriée dans le cadre des partenariats
public-privé. Déjà que la rémunération du partenaire n’intervient pas d’un
seul bloc142 et continue à s’échelonner jusqu’à la fin du contrat143. Dans ce
contexte, la comptabilité de caisse pouvant favoriser une forme de
déconsolidation comptable de certaines activités publiques144. Car, en
chargeant un tiers de préfinancer et de devenir le propriétaire initial d’un
ouvrage ou d’un équipement répondant à ses besoins et destiné à être mis
à sa disposition, la personne publique pourrait réaliser des investissements,
sans faire apparaître dans sa comptabilité un endettement pourtant réel145.
Il est certes vrai que la personne publique a l’obligation et selon la forme
retenue de verser des loyers à son partenaire et que les crédits liés à ce
contrat sont prévus en crédits d’engagement au budget, mais la
comptabilité de caisse ne permet pas de rendre compte des engagements et
de prévenir d’éventuelles stratégies de court terme préjudiciables à long
terme pour les finances publiques. La conclusion d’un contrat de
partenariat ne se traduirait dans les comptes publics que par un paiement
annuel sans information aucune quant aux engagements souscrits146. Le
choix d’une telle formule pourrait constituer une « astuce budgétaire »
permettant de dissimuler le financement d’un investissement public par la
dette et de le transférer indûment la charge du remboursement sur les
générations futures147.
Pour sa part, le Trésor britannique insiste sur le fait que, l’objectif
de déconsolidation ne doit pas être un motif de recours aux contrats de
141 G. DURAND, « Les modes de gestion des services publics locaux et la comptabilité
publique », in Contrats Publics, Mélanges en l’honneur du professeur Michel GUIBAL, Presses de la
faculté de droit de Montpellier I, 2006, vol. I, pp. 610-611.
142 J. BIAKAN, « Recherches sur les contrats publics d’affaires au Cameroun », RASJ,
p. 86.
146 T. KIRAT, F. MARTY, Règles de comptabilité publique, droit des marches publics et management
public : Réflexions sur les dimensions économiques et juridiques du contrôle de la dépense publique, op.cit.
p.10.
147 Ibid.
126
PFI148, il apparait ainsi que 87% des investissements réalisés par ce biais en
Grande-Bretagne sont consolidés dans les comptes des entreprises, et non
dans ceux des autorités publiques149. En 2009, une part significative des
contrats de P.F.I figurait en hors-bilan, malgré les intentions affichées dès
1999 par le HM Treasury, le trésor britannique. Sur les 628 contrats
répertoriés par l’HM Treasury, seuls 12% faisaient l’objet d’une
consolidation dans les comptes publics. En termes d’investissement privé,
54% de l’ensemble était donc hors bilan150. Pour Thiery KIRAT et
Fréderic MARTY, dans un contexte de "stress fiscal", lié notamment à la
maîtrise des déficits publics dans le cadre du Pacte de stabilité et de
croissance et aux exigences des administrés en termes de performance et
de transparence de la dépense publique, il apparaît indispensable que les
pouvoirs publics se dotent d’un système comptable leur permettant
d’évaluer, sur l’ensemble de leur cycle de vie, le coût de revient des
équipements faisant l’objet d’une acquisition publique. Or, une
information comptable construite en vue de la vérification de la régularité
de la consommation des crédits votés par le Parlement en fonction des
catégories budgétaires ne peut rendre compte des coûts contractuels liés à
chaque marché ; elle ne peut fournir aux acheteurs publics les données
indispensables à leur suivi et à leur maîtrise151. Cet état de chose pourrait
fausser la reddition des comptes dans l’exécution des contrats de
partenariats.
Ce risque de la détérioration de la sincérité des comptes publics
devrait justifier la réforme des finances publiques en Afrique noire
francophone. Le professeur Raymond MUZELLEC, va dans ce sens et
estime que tout système comptable qui se réduit à ce principe, à l’instar du
système camerounais antérieur à la réforme de 2007, présente de
nombreuses faiblesses. D’après lui, cette forme de comptabilité ne décrit
pas l’évolution de la situation patrimoniale de l’Etat et ignore certaines
dettes ou certaines créances. Il reproche aussi à ce système de ne pas
introduire, via les amortissements et les provisions, les opérations de
dépréciation de valeurs destinées à donner une image fidèle du patrimoine
de l’Etat ni une prise en considération suffisante de risques et
148 HM Treasury, How to account PFI transactions. Technical note n°1, 2007, P. 1.8. “It is […]
value for money, and not the accounting treatment, which is the key determinant of wether a project should
go ahead or not”.
149 F. MARTY, « Partenariats public-privé, règles de discipline budgétaire, comptabilité
162.
156 P. G. SOROK A BOL « L’apport de la nouvelle comptabilité à la gestion des finances
158 M. BOUVIER, M-C. ESCLASSAN, J-P LASSALE, Finances publiques, op. cit. p. 449 ; N.
MORIN, « La nouvelle comptabilité de l’État, une dynamique partagée au service de la
gestion publique », RFFP, n°93-février 2006, p. 24 ; N. MEDE, « Réflexion sur le cadre
harmonisé des finances publiques dans l’espace UEMOA », Afrilex, juin 2012, p. 13.
159 E. LANDE, S. ROCHER, « Apports et difficultés de l’introduction de la comptabilité
d’exercice dans le secteur public », La Revue du Trésor, n°2, décembre 2008. p. 921.
160 Cour des comptes, Situation et perspectives des finances publiques, Paris, La Doc. française,
2007 p. 27.
161 International Public Sector Accounting Standards.
162 International Financial Reporting Standards.
163 N. MEDE, « Réflexion sur le cadre harmonisé des finances publiques dans l’espace
patrimoniale par les administrations centrales », Revue Internationale des Sciences Administratives,
2006/2, Vol. 72, pp. 213-232.
168 Article 31 de la directive CEMAC relative au plan comptable de l’Etat, précitée.
169 B. JACQUET, « L’analyse des coûts des actions de l’Etat », La Revue du Trésor, n°7, juillet
2006, p. 451.
170 J-L. LEBRUN (dir.), Aspects économiques et comptables des investissements dans les PPP :
fonctionnement est fixé par la loi organique n°96/001 du 3 janvier 1996. Au Tchad, la
juridiction financière est instituée au sein de la Cour suprême. Au Congo-Brazzaville, la
constitution du 20 janvier 2002 institue un pouvoir judiciaire exercé par la Cour suprême, la
Cour des comptes et de Discipline Budgétaire, les Cours d’appel et les autres juridictions
nationales. Au Cameroun l’Article 38 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 prévoit
au sein de la Cour suprême : une chambre judiciaire, une chambre administrative et une
chambre des comptes.
179 International Organization of Suprem Audit institutions.
180 Article 76 de la Convention régissant l’UEAC.
132
transparence et d’indépendance requises. Ces procédures doivent
permettre de certifier la fiabilité des données figurant dans les comptes
publics et s’accompagner des sanctions des prévisions ainsi que la gestion
non sincère181.
A travers la certification des comptes publics, les juridictions
financières s’assurent non seulement de la régularité des opérations
enregistrées dans les comptes, la sincérité des comptes et de l’image fidèle
du résultat de l’exercice, mais surtout de la situation patrimoniale et
financière des collectivités publiques. Ce rôle renforce donc la
transparence dans la gestion des finances publiques ; il permet aux
parlementaires de disposer d’une assurance supplémentaire, d’une
information financière fiable favorisant ainsi une base solide pour la prise
de décision182. Même dans le cadre des partenariats public-privé.
L’intervention de la juridiction des comptes permet de préserver la qualité
comptable des activités de l’Etat par l’analyse des risques et la mise en
place des plans d’action destinées à corriger ou prévenir ces risques. C’est
donc généralement à l’occasion du contrôle des comptes des comptables
publics, mission première des cours des comptes, que le juge des comptes
met à l’évidence des anomalies sur les partenariats public-privé.
En France à titre d’exemple, la Cour des comptes dans un rapport
public de février 2015183 constate et dénonce le fait que les dispositions
comptables ne sont pas toujours respectées dans le cadre des contrats de
partenariat public-privé. C’était notamment le cas jusqu’en 2012 pour la
ville de Rouen, le contrat signé en 2007 pour une gestion centralisée de la
sécurité des espaces publics n’apparaissant pas dans l’encours de dettes de
la commune : le montant de 25 M€ (soit 1,625 milliards de FCFA) n’était
ainsi pas pris en compte dans les engagements financiers de la collectivité,
qui s’est engagée à rectifier cette anomalie. Il en est de même du centre
intercommunal d’action sociale du Val de Gers, la dette du contrat relatif à
la construction et à l’exploitation d’un EHPAD n’étant pas comptabilisée,
outre l’absence de l’annexe budgétaire retraçant la dette liée à la part
investissement du contrat de partenariat. Dans deux cas, des collectivités
ont créé des instruments de portage pour assurer l’exécution du contrat de
partenariat, ce qui leur permet, dans une certaine mesure, de s’affranchir
des contraintes de comptabilisation où d’atténuer les conséquences
négatives de l’exécution du contrat sur les finances locales184.
La déconsolidation qui en résulte se retrouve ainsi au niveau de la
ville de Perpignan qui, par avenant, a transféré l’ensemble des droits et
2021 à 16h30.
184 Ibid. p. 174.
133
obligations résultant du contrat à un EPCC (Etablissement Public de
Coopération Culturelle)185, permettant ainsi à la commune d’échapper à
son obligation de comptabiliser la dette afférente au contrat de partenariat
dans ses comptes, ainsi que l’immobilisation afférente. Les écritures
patrimoniales sont de fait constatées dans les comptes de l’EPCC186. Dès
lors, la Cour des comptes française témoigne non seulement qu’il est
loisible pour les collectivités publiques d’ « intégrer dans le débat d’orientation
budgétaire le compte-rendu annuel d’exécution du contrat de partenariat, décrivant et
expliquant son exécution ex post avec son coût réel par rapport au document
contractuel » et pour l’Etat de « modifier les normes comptables en vue de faire
figurer, en engagements hors bilan l’ensemble des coûts (financement, maintenance et
exploitation), au-delà des seuls coûts d’investissements »187. En Grande Bretagne, le
National Audit Office (NAO) doit certifier les comptes des différents
départements ministériels. Il doit en d’autres termes, s’assurer de la
conformité de la tenue des comptes avec les pratiques comptables
généralement admises au Royaume Uni. C’est dans ce cadre qu’il s’assure
de la fiabilité des informations patrimoniales concernant les contrats de
Private Finance Initiative.
En Afrique subsaharienne francophone, le rôle des juridictions des
comptes gagnerait à être étendu avec l’élargissement du champ des
partenariats public-privé. Les Etats pourraient tirer les exemples de la Cour
des comptes française, ou du NAO au Royaume Uni qui effectue certaines
évaluations de projets de partenariats public-privé a posteriori, et à publier
ces rapports sur les enseignements tirés sur la base des expériences
britanniques. Au-delà, l’opinion de l’organisme certificateur fait aussi
l’objet d’une normalisation internationale.
134
développement des pays d’Afrique subsaharienne francophone tout en
créant un déséquilibre au sein des ensembles sous régionaux188.
L’application des artifices comptables viole les indicateurs de solvabilité de
la dette des Etats189. Il semble donc nécessaire de mettre en place « un
dispositif de surveillance collective des pratiques budgétaires »190 afin qu’une
autodiscipline du système devienne possible191. Il s’agit également de
définir une politique budgétaire équilibrée soucieuse de maitriser le niveau
de d’endettement public des Etats.
Dans le contexte de la « configuration globale » de la mondialisation
marquée par la volatilité des investissements directs192, la maîtrise de
l’endettement et la réduction du déficit public sont devenus des impératifs
essentiels des Etats. Dès lors, garantir la fiabilité et la sincérité de la
situation financière des Etats dans un contexte marqué par l’harmonisation
des normes comptables devient une nécessité pour la stabilité du système
financier international et communautaire. Pour le professeur BOUVIER,
« l’enjeu est de taille puisqu’il s’agit d’éviter que l’hétérogénéité et l’équilibre instable du
système politique, économique et financier international, ne conduise à une succession de
crises, voire même à l’effondrement général »193. Le dispositif de contrôle
multilatéral des comptabilités nationales peut, sur la base de ses actions,
contribuer efficacement à « une meilleure gestion des finances publiques en
confirmant la bonne ou mauvaise gestion, le cas échéant en identifiant les faiblesses »194.
Afin que la stabilité des ensembles communautaires et régionaux en
Afrique subsaharienne francophone ne se trouve menacée par les
déséquilibres budgétaires d’un Etat membre, les législations
communautaires enjoignent les candidats à l’adhésion à éviter les déficits
publics excessifs et à donner des informations fiables sur leurs
comptabilités nationales. Ces législations visent à « assurer la convergence vers
des performances soutenables par la coordination des politiques économiques et la mise
en cohérence des politiques budgétaires nationales avec la politique monétaire
commune »195. En appliquant les critères de convergence budgétaire, la
viabilité des ensembles sous régionaux est garantie, parce qu’en veillant à
s.
193 M. BOUVIER, « La surveillance multilatérale internationale des finances publiques et
pouvoir politique », in Processus budgétaire vers un nouveau rôle du parlement, Actes Colloque du
Sénat, 24 et 25 janvier 2001, Paris, p. 134.
194 A.G. BESSALA, Ajustement structurel et droit budgétaire camerounais, op. cit., p. 240.
195 Article 2 (b) de la Convention régissant l’UEAC.
135
ce qu’aucun Etat membre n’accuse des déficits ou des taux d’inflation plus
élevés que ses voisins, on protège les Etats membres des effets contagieux
d’une éventuelle instabilité macroéconomique dans l’un ou l’autre Etat
membre196.
Cette préoccupation semble nécessaire et mérite une attention
particulière même en matière de commande publique, dans la mesure où,
« à l’origine, les ppp se présentaient comme des artifices comptables, un moyen pour le
gouvernement de contourner ses propres contraintes en matière d’emprunt public. (…) A
l’image des entreprises comme Enron qui ont tentées de dissimuler leurs véritables passifs
en les inscrivant « hors bilan », les gouvernements ont commencé à utiliser les ppp tels
des « artifices comptables » (…) qui permettaient aux comptes publics de reproduire la
comptabilité créatrice adoptée par certaines entreprises dans le passé »197. Dans ce
contexte, le dispositif de surveillance doit pouvoir s’appuyer sur un
système d’informations performant dans lequel la qualité des statistiques
disponibles constitue une base essentielle198.
Dans le cadre européen par exemple, l’office européen de la
statistique (Eurostat) chargée au nom de la Commission européenne de
veiller au respect des standards du système comptable européen, s’érige en
vecteur d’institutionnalisation et d’européanisation des comptabilités
nationales199. Une fois les valeurs de référence budgétaire précisées par le
Traité de Maastricht, Eurostat assure la certification des comptes des Etats
membres en détectant les « erreurs manifestes » de leurs comptes. De
nombreuses insuffisances et zones d’ombres vont pousser Eurostat à
développer une véritable « jurisprudence statistique » face aux artifices
comptables de la part de certains gouvernements. Au point de vue
comptable, Eurostat estime que les opérations exceptionnelles opérées par
l’Italie ne permettaient pas d’enregistrer pour les l’exercice en cours
l’engagement desdites opérations200. La situation de la Grèce en 2008 a
également montré à quel point le contrôle des comptabilités nationales
semble nécessaire201. Ce système de contrôle mis en place par Eurostat ne
196 G. MBASSA, Les principes des finances publiques à l’épreuve du budget programme en droit
camerounais, Thèse de doctorat/Ph.D en droit public, Université de Yaoundé II, 2019, p.
207.
197 D. HALL, Partenariats public-privé (PPP) : les raisons de leur inefficacité. Les multiples avantages de
des comptes (SEC) : réflexions au regard du projet flamand ‘Scholen van Morgen’ », Revue
de fiscalité régionale et locale, Vol. 2015/4, n° 4, pp. 311-328.
200 L’office statistique européen a tout d’abord promulgué deux directives successives de
2002 et de 2007 quant au traitement des opérations de titrisation dans les comptes publics.
Il a ensuite émis en mars 2005 des doutes sur les comptes publics italiens et en juin 2005, la
commission engagea une procédure de déficit excessif vis-à-vis de cette dernière.
201 Y-F. CHINARD et LABONDANCE, « La crise grecque : quelques leçons d’économie
202 V. SIVRE, « Normalisation européenne des comptes publics : les réserves de la Cour
fédérale des comptes allemande » in Gestion et Finances Publiques, 2018 n°4, pp. 75-82.
203 A. SAKHO, « Méthodologie et contenu d’une harmonisation des règles du marché des
mutations du droit des contrats administratifs au Sénégal, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au
Cameroun, thèse de doctorat en droit public, Université de Bordeaux, novembre 2015, p. 80.
137
documents financiers »205. Elle impose donc aux Etats africains le respect de la
fiabilité, de la sincérité et de la transparence de leur comptabilité nationale.
Dans ce contexte, la situation patrimoniale des Etats doit figurer dans leurs
différentes comptabilités publiques.
D’un autre côté, les grands ensembles communautaires à savoir
l’UEMOA et la CEMAC renforcent le dispositif de contrôle multilatéral
des finances publiques en Afrique subsaharienne francophone. Par le
truchement de leurs différents organes ils assurent la convergence des
politiques économiques et comptables au sein des Etats de la sous-région.
L’exercice de la surveillance multilatérale au sein des institutions de
l’UEMOA et de la CEMAC doit être renforcé par la mise en place dans
ces ensembles sous régionaux d’une structure communautaire à l’exemple
de Eurostat, car l’absence de sanction, l’inefficacité des mécanismes de
pression par les pairs, l’absence d’une structure indépendante des
statistiques et surtout la rivalité entre les Etats favorisent le recours à la
comptabilité créatrice206 consistant à respecter artificiellement les critères
de convergence des politiques budgétaires. Ce qui fait que les Etats
demeurent exposés à des risques d’insolvabilité. La tenue d’informations
statistiques fiables et harmonisées par les États dans le cadre d’une
procédure de surveillance multilatérale constitue l’une des conditions
primordiale du succès de celle-ci, car elle permet la comparabilité des
données entre États207.
Conclusion
Les développements qui précèdent n’ont pas discuté le fait que les
contrats de partenariat public-privé dans le monde en général et en
Afrique en particulier se présentent comme une stratégie d’amélioration
des performances des activités publiques, ni contesté le bien-fondé de la
stratégie économique que ceux-ci expriment. Ils se sont bornés à montrer
que ce n’est pas seulement en les situant « dans la perspective de métamorphose
de l’intérêt général »208, de développement infrastructurel et surtout
d’assouplissement des contraintes budgétaires qui marquent le droit
contemporain que l’on parviendra à en faire un « objet de connaissance »209.
Les contrats de partenariat public-privé présentent également un
risque pour les finances publiques. En tant qu’instrument de
déconsolidation de la dette publique, ils peuvent nuire à la lisibilité des
engagements de long terme des administrations publiques. Cet état de
p. 692.
138
chose permettrait aux Etats d’Afrique subsaharienne francophone
d’investir au-delà de leur capacité financière et de reproduire une
comptabilité créatrice comme c’est généralement le cas dans les entreprises
privées. La prévention d’un tel risque passe d’une part par l’intégration
dans les législations des Etats, des mécanismes qui permettent de recourir
à bon escient à ces instruments vecteur d’endettement public. Et d’autre
part par l’institutionnalisation des mesures permettant de neutraliser les
stratégies de hors bilan dans les comptabilités nationales. La lisibilité et la
fiabilité des informations budgétaires et comptables constituent une
exigence de la bonne gouvernance des finances publiques contemporaines.
S’Il convient d’inciter les Etats africains à présenter convenablement
les ppp dans les comptes budgétaires et les analyses de viabilité de la dette,
ces mesures sont des perspectives à préconiser, afin de prévenir à long
terme les risques financiers induits par les contrats de partenariats public-
privé. Elles constituent, à n’en point douter, le leitmotiv d’un véritable
développement en Afrique subsaharienne francophone, et non un
développement déguisé, cachant la véritable misère210. Elles ouvrent à la
voie à des réflexions plus attendues sur la maitrise des finances publiques.
210J. ARTHUIS, Rapport d’information fait au nom de la commission des finances sur la
prise en compte de la dette publique dans les comptabilités nationales, Sénat, n°374,
31/03/2010, p. 64.
139
LES VIREMENTS DES CREDITS BUDGETAIRES
DANS LE FINANCEMENT
DES ORGANISMES PUBLICS DES ÉTATS DE LA CEMAC
Par
Dr. Achille Nestor BASAHAG
Ph.D. en droit public
Université de Douala (Cameroun).
RESUME :
Les mouvements de crédits dans l’exécution de la dépense publique sont devenus,
au-delà de leur normalité dans un contexte de globalisation des crédits, une source
incontournable dans le financement continu des organismes publics. Les virements de
crédits budgétaires sont le produit de cette conviction au regard de la flexibilité de son
régime facilitant ainsi le redéploiement des crédits. A l’analyse, il faut compter sur
l’extrême responsabilisation des gestionnaires de crédits pour la garantie constante des
ressources publiques nécessaires au financement des programmes ou des dotations
budgétaires. A cet égard, les virements de crédits leur permettent d’orienter avec souplesse
la destination des crédits à redéployer puisqu’ils ont la possibilité de modifier la nature
des programmes. Ceci contribue à gérer plus facilement les situations d’urgence
budgétaire. Bien plus, le redéploiement des crédits au sein des organismes publics
implique une redéfinition des priorités de financement de la dépense publique. Dans ce
sillage, le droit public financier des États de la CEMAC donne un point d’honneur
aux financements des dépenses d’investissement par rapport aux dépenses de
fonctionnement.
ABSTRACT :
Credit movements in the execution of public expenditure have become beyond
normality in a context of credit globalization an essential source in the continuous
financing of public institutions. The transfers of budgetary credits are the product of this
conviction with regard to the flexibility of its system, thus facilitating their redeployment
of credit. In the analysis, it is necessary to count on the extreme responsibility of the
credit managers for the constant guarantee of the public resources necessary for the
financing of the budget allocation programs. In this regard, transfer of appropriations
allows them to orient flexibly the destination of the appropriations to be redeployed since
they have the possibility of modifying the nature of the programs. This helps to manage
budget emergencies more easily. Even more, the redeployment of credits within public
institution implies a redefinition of the priorities for financing public expenditure. In this
wake, the public financial law of the states of the CEMAC gives appoint of honor to
the financing of investment expenditure compared to operating expenditure.
141
spécialisés par programme ou par dotation3. Mais comme le rappelle
Gaston JEZE « le crédit budgétaire est une autorisation de dépenser et non pas un
ordre de dépenser »4. Sous cet angle, les législations des États de la CEMAC
ont tempéré le principe de spécialité budgétaire en disposant que « A
l’intérieur de chaque programme ou dotation, la présentation des crédits par titre est
indicative et ne s’impose ni aux ordonnateurs ni aux comptables dans les opérations
d’exécution du budget »5. D’où l’idée de fongibilité des crédits. Celle-ci offre la
« liberté à chaque gestionnaire d’utiliser librement les crédits et de modifier leur
répartition afin de mettre en œuvre le programme de manière performante »6. Elle
laisse donc la faculté de définir l’objet et la nature des dépenses dans le
cadre du programme pour en optimiser la mise en œuvre7. On peut ainsi
distinguer trois axes de la fongibilité des crédits indiqués par M. Damien
CATTEAU. Premièrement, la fongibilité suivant l’axe de la nature de
crédits, d’un titre à un autre au sein des programmes et sous réserve du
respect du plafond des crédits de personnel. Deuxièmement, la fongibilité
suivant l’axe de la destination des crédits : la répartition des crédits par
action étant indicative, elle aussi, il est tout à fait loisible au responsable de
programme de modifier des crédits d’une action du programme vers une
autre, sous réserve du respect de la règle de l’asymétrique. Troisièmement,
la fongibilité suivant la déclinaison opérationnelle du programme :
conséquence de la précédente, la répartition des crédits du programme au
sein des budgets opérationnel de programme (BOP) est également
indicative et permet au responsable de programme de réaffecter des crédits
d’un BOP à un autre, au sein d’un même programme toujours sous réserve
de ne pas abonder les crédits de personnel8. La fongibilité de crédit a pour
principaux modes d’expression, les reports, les transferts et les virements
de crédits9. Ce dernier mécanisme constituant la trame de fond de la
présente étude a un régime spécifique dans les finances publiques
communautaires CEMAC.
Les virements de crédits peuvent modifier la répartition des crédits
entre programmes d’un même ministère ou entre dotation. Et le montant
cumulé des crédits faisant l’objet de virement ne doit pas dépasser les 2%
des crédits ouverts par la loi de finances initiales10. Les législations des
États de la CEMAC sont en phase sur ce point11. Concrètement, il s’agit
budget du Gabon ; art. 28 de la Loi organique n°36-2017 du 3 octobre 2017 relative aux
142
d’un mouvement de crédit qui se fait au sein d’un organisme public en
l’occurrence un ministère ou un organe constitutionnel. En d’autres
termes, les virements de crédits renvoient en réalité à la possibilité de
redéployer12 les économies réalisées entre différents postes de dépenses
dans la limite des enveloppes budgétaires autorisées dans un chapitre.
Concrètement, le gestionnaire pourra augmenter les crédits d’un titre de
dépenses à partir des crédits d’un autre titre, qu’il diminuera à due
concurrence.
Cependant, la précision de ce régime mérite d’être distinguée avec
celui du transfert de crédit avec lequel il pourrait avoir de confusion. Les
transferts de crédits sont des opérations qui modifient la détermination du
service responsable de l’exécution de la dépense sans modifier la nature de
cette dernière. Les virements conduisent à modifier la nature de la dépense
prévue par la loi de finances. À cet égard, on peut inférer de ce que les
virements représentent « une altération profonde de l’autorisation parlementaire »13
puisqu’ils permettent à l’exécutif de modifier l’objet même de cette
autorisation. En comparaison, les transferts constituent une modification
de moindre portée dans la mesure où l’objet de l’autorisation budgétaire
reste préservé ; seul le service utilisateur change14. Qu’à cela ne tienne, les
virements et transferts sont effectués par décret pris sur le rapport du
Ministre chargé des finances, après avis du ou des Ministres concernés, et
sont immédiatement communiqués, pour information, au Parlement.
L’intervention du ministre chargé des finances dans la procédure de
virement de crédits en l’occurrence est pleinement justifiée. Il est l’autorité
détentrice du pouvoir de régulation budgétaire. À cet égard il est
responsable, en liaison avec les ministres sectoriels, de la bonne exécution
de la loi de finances et du respect des soldes budgétaires. Le pouvoir de
régulation budgétaire permet de prévenir une détérioration des soldes
budgétaires à travers la programmation du rythme de consommation des
crédits en fonction de la situation de la trésorerie de l’État15. De ce fait, la
régulation budgétaire permet en réalité de garantir le respect de l’équilibre
budgétaire global voté par le Parlement, afin de faire face en cours d’année
aux inévitables aléas de gestion16. Contrairement à une opinion
doctrinale17, la régulation budgétaire ne se résume pas aux décisions
lois de finances du Congo ; art. 31 de la loi organique n°004/PR/2014 relative aux lois de
finances du Tchad ; art. 38 (2) loi n°2018/012 du 11 juillet 2018.
12 L. PHIPLIP, « Droit constitutionnel financier et fiscal. La nouvelle loi organique du 1er août 2001
111.
17 G. ORSONI, « Régulation budgétaire », in L. PHILIP (dir.), Dictionnaire encyclopédique de
144
renforce leur autonomie. Le gestionnaire peut alors réaliser librement le
programme dont il a la charge ; redéployer les crédits à son gré au sein de
son programme, décidant quelle peut être la meilleure répartition des
dépenses. Le gestionnaire a ainsi la faculté de transformer des crédits de
fonctionnement en crédits d’investissement et inversement.
Toutefois, la fongibilité des crédits ne concerne pas les dépenses de
personnel. La responsabilisation des gestionnaires n’est donc qu’une
contrepartie de la globalisation et la fongibilité des crédits dont les
virements de crédits sont une modalité d’expression. Elle met en présence
un certain nombre d’acteurs, désignés acteurs de la performance, et dont le
plus connu est le responsable de programme. En outre, l’analyse des
virements de crédits budgétaires a pour objectif essentielle une meilleure
gestion des crédits en permettant des réaffectations de crédits pour pallier
d’éventuels aléas de gestion ou pour permettre le redéploiement de marges
de manœuvres dégagées en cours de gestion vers des dépenses dont les
crédits sont jugés insuffisants. En tout état de cause, la flexibilité du
financement des organismes publics qui se dégage de l’analyse du régime
des virements de crédits se justifie d’une part par le maniement de la
destination des crédits redéployés (I) et d’autre part le réajustement des
priorités de financement de la dépense publique (II).
I. Le maniement de la destination des crédits redéployés
La formulation du régime des virements de crédits dans le cadre
communautaire consacre la souplesse de gestion accordée au responsable
de programme dans le redéploiement des crédits. Ce dernier a la possibilité
de changer la nature des crédits réorientés. Ceci lui permet de manier la
destination de ces crédits par une réallocation malléable des programmes
budgétaires (A) et une gestion flexible des situations d’urgence budgétaire
(B).
A. La réallocation malléable des programmes budgétaires
Les programmes budgétaires sont une modalité de spécialisation des
crédits au même titre que les dotations budgétaires. Les mouvements de
crédits qui y sont opérés sont caractérisés par leur malléabilité au regard de
l’absence de l’exigence de similarité de la nature des crédités à réorienter.
C’est dans ce cadre que des redéploiements entre nature des dépenses
peuvent être opérés (1). Ceci est de nature a renforcé la logique de
performance dans l’exécution des programmes budgétaires (2).
1. Le redéploiement entre nature des dépenses
Le régime souple des virements de crédits favorise le redéploiement
des crédits d’investissement bien qu’étant de nature différent. Les crédits
d’investissement sont des dépenses budgétaires consistant à l’« addition de
biens d’équipement apportée au cours d’une période donnée (l’année par exemple) au
145
patrimoine d’une unité économique »23. Cette définition à consonance
économique a irrigué la nomenclature budgétaire des États de la CEMAC.
Ce texte y relatif consacre entre autres la classification économique des
dépenses publiques en réservant le titre 5 aux dépenses d’investissement24.
À cet égard, ce titre constitue le premier niveau de dépense par nature.
L’article, le paragraphe et la rubrique constitue des niveaux25 inférieurs
permettant notamment de différencier les dépenses d’investissement. Dans
cette lancée, le responsable de programme peut rediriger les crédits
d’investissement, d’article à article, de paragraphe à paragraphe ou de
rubrique à rubrique. À titre illustratif, comme le pose la doctrine, on peut
penser qu'un directeur d'administration, ou tout autre responsable de programme,
toujours en place pour une durée limitée, est tenté d'éviter les investissements, dont les
effets s'étalent sur une période bien supérieure à sa durée de vie dans son poste, mais
dont il supporte le coût budgétaire. Ainsi un directeur qui souhaite loger son personnel
peut être conduit à préférer systématiquement la location de nouveaux locaux à leur
achat, beaucoup plus cher sur un horizon de quelques années26.
La pratique budgétaire des États de la CEMAC ne met pas très
souvent en lumière les cas de virement de crédits opérés dans la rédaction
des rapports d’exécution du budget. Qu’à cela ne tienne, l’analyse de
quelques rapports notamment en droit gabonais permet de mettre en
exergue la réallocation des crédits d’investissement de nature différente.
Ainsi pour un programme source relatif à la gestion fiscale, un virement de
crédits a été engagé pour la prise en charge du projet de numérisation des
titres fonciers concrétisant désormais le programme relatif à l’élaboration
et pilotage de la politique économique. En outre, la Dotation pour fonds
d'études sectorielles a fait l’objet d’un virement de crédit vers le
programme destinataire relatif à la dotation pour frais d'entretien,
d'hébergement et de locations27. Il s’agit d’un échantillon car l’initiative des
virements de crédits est une constance en droit public financier gabonais.
En tout état de cause, la malléabilité de la réallocation des crédits
d’investissement de nature différente a pour objectif de diriger les
financements vers des secteurs favorables à la réduction de la pauvreté.
Une bonne exécution de ces dépenses d’investissement nécessite de la
transparence et le dynamisme dans la réalisation des projets
d’investissement. Et les virements de crédits participent de cette
conviction. Les programmes d’austérité adoptés depuis le début de la crise
financière et sanitaire pour juguler le haut niveau de dette publique ont
également mené à de nombreux questionnements : quel(s) type(s) de
budgétaire de l’Etat.
25 Ibidem.
26 J. MATHIS, Gestion et Finances publiques en Afrique Francophone, in http://jean-
146
dépenses devrai(en) t-il(s) être baissé(s) ou augmenté(s) et son (leur) effet
de long terme sur la croissance ? Autrement dit, quelles sont les catégories
de dépenses qui ont un fort effet sur la croissance ? Le maniement de la
destination des crédits d’investissement est un début de réponse à ces
différentes préoccupations. Elle a également pour ambition de permettre
des arbitrages entre les différents types de dépenses publiques. C’est donc
une responsabilisation managériale des gestionnaires28 dans la mesure où
ceux-ci sont responsables par rapport aux objectifs poursuivis dans le
cadre de leur engagement à réaliser les résultats fixés, et doivent rendre
compte de leur gestion à travers la production d’un rapport annuel de
performance. C’est dans cette mouvance, que ces gestionnaires de crédit
peuvent effectuer la fongibilité asymétrique des crédits.
D’un autre point de vue, le redéploiement entre nature des dépenses
se vérifie dans le cadre de la fongibilité asymétrique qui traduit un
mouvement de crédit unidimensionnel entre les dépenses de personnel et
les dépenses d’investissement. La fongibilité des crédits est un objet
juridique identifié en droit public financier. Il fait référence au
« caractéristique de crédits dont l’affectation, dans le cadre du programme, n’est pas
prédéterminée de manière rigide, mais simplement prévisionnelle. La fongibilité laisse
donc la faculté de définir (sous la limite de l’asymétrie) l’objet et la nature des dépenses
dans le cadre du programme pour en optimiser la mise en œuvre »29. Il s’agit d’une
limite à la fongibilité de crédit mais qui traduit un virement univoque de
crédit. À cet égard, les crédits ouverts sur le titre des dépenses de
personnel de chaque programme constituent le plafond des dépenses de
cette nature. De ce fait, les crédits de personnel de chaque programme ne
peuvent être majorés par des crédits émanant d’un autre titre, mais
peuvent en revanche abonder les crédits des autres titres. Dans cette veine,
Damien CATTEAU estime que le titre des dépenses de personnel de
chaque programme constituant un plafond de dépenses, aucune
réaffectation des crédits du programme ne peut venir abonder les crédits
du titre réservé aux créditx de personnel30. Et en cas de sous-
consommation, les reliquats budgétaires peuvent être affectés vers des
dépenses d’investissement dans le cadre d’un virement de crédit. La règle
de la fongibilité des crédits oriente donc la gestion publique vers l’efficacité
de l’allocation des ressources de l’État. La fongibilité asymétrique renforce
de ce fait la logique de performance dans le redéploiement des crédits.
2. Le renforcement de la logique de performance dans la
réorientation des crédits
Les virements de crédits spécialisés par programme participent à la
consolidation de la logique de performance. Celle-ci s’affirme comme le
principe directeur de la nouvelle gestion publique, en ce sens qu’elle
28 M. BOUVIER, M-C ESCLASSAN, J-P LASSALE, Finances Publiques, op. cit. p. 497.
29 R. MUZELLEC, Finances publiques, op. cit., p. 657.
30 D. CATTEAU, Droit budgétaire, comptabilité publique, LOLF et GBCP, op cit. p. 69.
147
découlerait « de la logique de résultats et de la volonté de rapporter les coûts à
l’efficacité des politiques publiques »31. L’orientation du processus budgétaire
vers les résultats attendus est le levier d’une modernisation de la gestion
publique enclenchée résolument dans l’espace communautaire CEMAC
depuis 2011. La performance s’articule autour de la notion de programme
fondée sur un engagement de résultats et sur un compte rendu
démocratique32. Cette nouvelle forme de gestion modifie la conception de
la dépense publique, qui n’est plus fondée uniquement sur une décision
juridique cantonnée à la régularité des opérations budgétaires, mais
davantage sur une décision économique orientée vers l’efficacité. Plus
simplement, le gestionnaire doit atteindre ses objectifs dans le cadre de
l’enveloppe budgétaire qui lui a été allouée en dépit des mouvements de
crédits entrepris. Pour cela, trois critères seront utilisés pour apprécier la
performance de sa gestion. Il s’agit de l’efficacité socio-économique, la
qualité du service rendu et l’efficience de la gestion. Dans ce sens le
législateur communautaire relayé par les États sous étude dispose que les
programmes font l’objet d’une évaluation de leur efficacité, économie et
efficience par les corps et institutions de contrôle33.
Dans cette mouvance, les redéploiements de crédits au sein des
organismes publics ont un objectif fondé sur la recherche de la
performance, dans la mesure où pour l’atteinte des résultats, ils
contribuent à minimiser le coût des ressources pour obtenir des résultats
en concédant une grande marge de manœuvre au responsable de
programme. Le virement de crédits spécialisés par programme réprouve de
ce fait toute logique de moyen par rapport aux transferts de crédits
observés dans la pratique budgétaire des États de la CEMAC. A l’analyse
du rapport sur l’exécution du budget pour l’exercice 2018 au Gabon, force
est de remarquer que le contenu des transferts de crédits concerne des
dépenses de fonctionnement pour l’essentiel. Il en est ainsi de l’ouverture
de crédits pour la prise en charge des équipements de la Garde
Républicaine, du transfert de crédits pour la prise en charge des frais de la
conception du site WEB, de l’Ouverture de crédits pour la prise en charge
de l'acquisition de véhicules administratifs du transfert de crédits pour la
prise en charge des fournitures et réparations de véhicules de la Garde
Républicaine, du transfert du complément nécessaire pour la prise en
charge des travaux de constructions au profit de la cour des comptes, du
transfert de crédits pour la prise en charge du remodelage de l'Ambassade
148
du Gabon en Chine ou du transfert de crédits pour la prise en charge des
dépenses de souveraineté des membres du gouvernement34.
Il en ressort que si les transferts de crédit initiés ont pour objectif la
recherche de la qualité du service rendu, ils ne priorisent pour autant pas
l’efficacité socio-économique pour l’atteinte des objectifs de performance.
Or, le contenu des virements de crédits évoqué dans les précédents
développements met la performance au cœur des objectifs à atteindre en
priorisant les dépenses d’investissement contrairement aux transferts de
crédits qui s’intéressent majoritairement aux dépenses de fonctionnement.
Ces objectifs énoncent le bénéfice attendu de l’action de l’État pour le
citoyen et la collectivité en termes de modification de la réalité
économique, sociale, environnementale et sanitaire, dans laquelle il vit, et
résultant principalement de cette action. Ces objectifs, comme le souligne
un auteur français, consistent à mesurer « les résultats [ou la pertinence] d’une
politique publique donnée »35. En réalité, ils indiquent, non pas ce que fait
l’Administration, mais l’impact de ce qu’elle fait, c’est-à-dire ses résultats
socio- économiques36. Ainsi le virement de crédits pour la prise en charge
du projet de numérisation des titres fonciers vise à favoriser l’accès des
citoyens à la propriété foncière.
Parce qu’ils concernent le changement socio-économique, les
objectifs d’efficacité des virements de crédits sont ceux qui se rapprochent
le plus des finalités des politiques publiques. Seulement, et comme le
souligne M. CALMETTE, la difficulté est que de tels objectifs ne
correspondent pas toujours à l’évaluation de la performance au sens
comptable du terme37. Dès lors, il ne serait pas souhaitable, d’adopter des
objectifs lointains ou trop dépendants d’autres acteurs ou facteurs qui, s’ils
sont parfaitement légitimes pour le débat politique et démocratique, ne
sont pas adaptés à la mesure de la performance des programmes.
Bien plus, les virements de crédit raffermissent la logique de
performance par la préservation de la liberté des responsables de
programme dans l’exécution des opérations budgétaire. En effet, les
réformes budgétaires entreprises en zone CEMAC responsabilisent
davantage les gestionnaires de programme. Ces derniers doivent définir,
chacun à son niveau, les objectifs et les indicateurs de performance des
politiques publiques dont ils sont chargés. Comme l’a rappelé Mme
YATIM, ces acteurs disposent d’« une grande liberté dans la gestion des moyens
Revue juridique et politique des États francophones, n°2, 2011, pp. 131-151.
40 Art. 24
150
communautaire sont reprises par les lois internes des États de la CEMAC
qu’il s’agisse du Cameroun41, du Congo42, du Gabon43 ou du Tchad44. Il en
ressort que, les virements de crédits favorisent l’élasticité de la canalisation
des ressources vers les dépenses accidentelles d’une part (1) et la plasticité
de la réorientation des ressources pour les dépenses de risques financiers
d’autre part (2). Ceci traduit les mouvements de crédits entre dotations
budgétaires.
1. L’élasticité de la canalisation des ressources vers les dépenses
accidentelles
Les redéploiements des crédits spécialisés par dotation vers les
dépenses accidentelles sont plus souples dans la procédure avec l’absence
de l’exigence de similarité de nature entre crédits. Les dépenses
accidentelles sont des dépenses imprévisibles réalisées en cours
d’exécution du budget justifiées par la « nécessité impérieuse d’intérêt national ».
L’appréciation des conditions d’urgence et, le cas échéant, de nécessité
impérieuse est souvent assez large pour faire face à des calamités ou des
dépenses urgentes et imprévues45. Elle relève de l’interprétation souveraine
du gestionnaire de crédit. Les dépenses accidentelles sont consacrées dans
les lois de finances des États sous étude comme des dotations pour
provisions. Celles-ci sont dotées de crédits dits globaux, c’est-à-dire qu’ils
ne sont pas spécialisés et constituent des enveloppes de crédits disponibles
sans affectation précise, à charge, pour l’exécutif, d’en déterminer la
destination au moment de la dépense. Plus précisément, il existe deux
types de « provisions » : les dépenses pour mesures générales en matière de
rémunération et surtout les dépenses accidentelles et imprévisibles. Ainsi,
ces crédits sont globaux pour permettre une dépense exceptionnelle mais
rendue nécessaire par les aléas de l’exécution. Ces caractéristiques
permettent l’exécution d’un virement de crédits sans difficulté de
procédure. Mais l’analyse des lois de finances des États de la CEMAC
révèle une imprécision des montants alloués aux dépenses accidentelles et
imprévisibles. En dehors du cas gabonais qui en fait mention de façon
sommaire, les crédits globaux relatifs à ces dotations ne sont pas lisibles.
Toute chose qui fait entorse à la sincérité budgétaire46.
Pourtant, tel qu’énoncé par le législateur équatoguinéen, une réserve
de crédits est prévue sur un chapitre spécifique du budget du Ministre
chargé des finances pour couvrir les dépenses accidentelles et
imprévisibles. Cette réserve de crédits est répartie en tant que de besoin,
par arrêté du Ministre chargé des finances, au profit des chapitres ou des
budget.
44 Art. 28 de la Loi organique n°004/PR/2014 relative aux lois de finances.
45 D. CATTEAU, Droit Budgétaire, Comptabilité publique, LOLF et GBCP, op. cit, p. 44.
46 L. SAÏDJ, « Les enjeux d’un principe controversé », RFFP, n°111, 2010, pp. 3-11.
151
programmes sur lesquels les besoins de dépenses accidentelles et
imprévisibles sont apparus47. À cet égard, pour faire face, en cours
d’année, aux événements inopinés qui ne pouvaient être anticipés lors de la
préparation et de l’élaboration du budget, une réserve globale de crédits est
créée. Elle ne doit pas être trop importante et ne doit pas être considérée
comme une simple commodité permettant de rectifier les erreurs de
budgétisation ou, comme une manière de différer et de dissimuler des
décisions budgétaires délicates. Elle ne peut être utilisée que pour faire face
aux évènements réellement imprévisibles lors de l’adoption du budget et
non pas aux dépenses simplement imprévues, que l’on a oublié de
budgéter48. L’utilisation de cette réserve, placée sous le contrôle du
ministre des finances, se fait en deux temps : d’abord un virement à la
ligne budgétaire ministérielle pertinente, puis engagement et paiement à
partir de cette ligne, selon les procédures normales de la chaine de la
dépense.
En tout état de cause, ces dépenses accidentelles peuvent concerner
les réparations civiles dues aux catastrophes et calamités naturelles. Il peut
également s’agit des dépenses liées à la gestion d’une crise sanitaire
entretenue par les épidémies et des pandémies. C’est le cas actuellement
avec la crise sanitaire due au corona virus. L’Afrique de centrale, comme
bien d’autres sous-régions du monde, fait face à une crise sanitaire
importante depuis le début de l’année 2020. Du point de vue des finances
publiques, cette crise a eu une double conséquence : la baisse des recettes
budgétaires, notamment celles fiscales, et l’explosion des dépenses à
caractères sanitaire et social. De ce fait, la mobilisation de ressources
additionnelles est devenue un impératif. Jusqu’ici, elle a été essentiellement
réalisée par le biais du recours à l’endettement et la sollicitation de la
générosité du public. Suivant les rapports sur l’exécution des budgets pour
l’exercice 2020, on peut néanmoins subodorer que les virements de crédits
ont été initiés. Au regard des moyens limités disponibles, la réorientation
des dépenses initialement prévues dans les budgets publics est donc
apparue comme une nécessité. Plus exactement, l’heure est à
l’intensification des dépenses sociales et sanitaires, ainsi que celles de
relance économique. Mais au regard de leur plafonnement, ils ne peuvent
juguler le besoin important de financement causé par la crise sanitaire.
Face à l’érosion de la capacité de financement des États en cette période
pandémique, le recours à l’endettement est devenu un moyen essentiel.
Tout compte fait, même si ces sommes mobilisées par les virements de
crédits demeurent insuffisantes face aux besoins de l’heure, elles
représentent un secours appréciable pour les gouvernements notamment
pour satisfaire aux dépenses de risques financiers.
49 Art. 45 de la loi organique n°2012-12 relative aux lois de finances en Guinée équatoriale.
50 Art. 41 de la Directive CEMAC relative aux lois de finances.
51 Art. 45 de la loi organique n°2012-12 relative aux lois de finances.
153
En ce qui concerne la rétrocession, elle consiste en la mobilisation
par le Trésor public de ressources financières sous forme d’emprunt, dons,
subventions, ou souscription publique sous forme de prêts, à une
personne morale éligible aux termes de la réglementation en vigueur. Les
bénéficiaires sont la société à capitaux publics, les collectivités locales, les
établissements publics ou même les personnes morales interétatiques de
droit public dont l’État est membre ou actionnaire. Peuvent également être
éligibles aux financements rétrocédés, les personnes morales de droit privé
reconnus d’utilité publique ou investie d’une mission de service public. Les
ressources ainsi mobilisées et rétrocédées doivent concourir à la réalisation
d’opérations d’investissement ou d’équipement conformément aux
orientations du programme adopté par l’État. En cas de défaut de la
collectivité locale ou de l’entreprise publique, le Trésor public se substitue
à l’organisme public en défaut de paiement, et règle la dette par le biais de
l’organe en charge de la gestion de la dette, lequel va exercer une action
récursive contre l’entité publique reliquataire. C’est ce qu’on appelle les
dettes rétrocédées.
Pour ce qui est de l’aval, c’est l’acte par lequel, une autorité ayant
qualité pour engager l’État se porte garant auprès d’un bailleur de fonds,
du paiement régulier des échéances. C’est donc une garantie de paiement
offerte par le Trésor public aux bailleurs de fonds afin qu’ils accordent un
prêt à une personne morale qui sollicite un financement destiné à un projet
d’investissement ou d’équipement. L’État accorde l’aval sous certaines
conditions et dans les limites du plafond fixé chaque année par le loi de
finance52, aux emprunts contractés par les sociétés à capitaux publics , les
établissements publics, les CTD et même les personnes morales de droit
privés reconnues d’utilités publique ou investies d’une mission de service
publics. Les prêts éligibles à l’octroi de l’aval de l’État sont ceux dont la
durée et les taux d’intérêt sont équivalents à ceux que l’État contracte
pour la même période. Il faut relever que la durée et les taux d’intérêt sont
déterminés en fonction des caractéristiques économiques et sociales du
projet et des modalités d’amortissement de l’investissement projeté. Ces
modalités de la garantie à l’État sont de puissants leviers de relance de
l’activité économique. Afin de mieux encadrer son déploiement, il nous
parait opportun de proposer la création d’un comité ou commission en
charge de l’élaboration, le suivi et le contrôle de ces garanties étatiques.
Elles jouent quand le risque devient certain, à cet effet, cette instance sera
chargée d’alerter sur le possible survenu dudit risque en l’anticipant au
besoin. Il faut souligner que ces garanties ont pour but principal de
protéger ces entités car elles emprunteront désormais au taux auquel l’État
emprunte. Par ailleurs, certains États pratiquent la politique des
bonifications qui permet à une entité publique d’emprunter sur le marché à
un taux élevé et l’État paye le surplus.
155
dépense publique au cours de l’exécution de la loi de finances. En effet
cette phase du cycle budgétaire doit conduire pour les gestionnaires de
crédits à mieux définir les objectifs et les priorités des politiques publiques,
à s’interroger sur les leviers d’action et les outils utilisés pour établir une
stratégie d’action, à mieux allouer les moyens ou, enfin, à prendre les
mesures correctrices et engager les réformes nécessaires à l’amélioration du
service public rendu à l’usager et au contribuable. À cet égard, si la
performance doit permettre « d’apprécier et d’améliorer l’efficacité de la dépense
publique et de la gestion des responsables de programme, et d’évaluer la pertinence des
actions financées »53, le responsable de programme peut choisir de redéfinir
ses priorités en cours d’exercice, de réaliser une autre activité. Dans cette
mouvance, le réajustement des priorités de financement de la dépense
publique dans les États de la CEMAC se justifie d’une part par la
rationalisation du financement des dépenses de fonctionnement (A) et
d’autre part la majoration des dépenses d’investissement (B).
A. La rationalisation du financement des dépenses de
fonctionnement
Les dépenses de fonctionnement représentent la catégorie des
dépenses publiques destinée aux financements de la vitalité de
l’administration publique tant dans sa structure que dans son activité
quotidienne. Ils constituent le noyau dur des dépenses publiques54 tant leur
montant est important dans l’élaboration de la loi de finances. Les
gouvernements éprouvent sans doute encore, les plus grandes difficultés à
contenir et maîtriser sa progression en volume des dépenses de
fonctionnement. Cependant, le mécanisme des virements de crédits
contribue à rationaliser le rythme de consommation55. De ce fait, la
priorité majeure des gestionnaires de crédits réside dans la réduction de la
consommation des crédits de fonctionnement (1). Bien plus, ces crédits
sont très souvent orientés vers des objectifs de qualité du service public
(2).
1. La réduction de la consommation des crédits de fonctionnement
La réduction du rythme de consommation des crédits de
fonctionnement s’impose dans un contexte économique difficile. La
croissance économique des pays en développement comme ceux des États
de la CEMAC est marqué par des phases de récessions accentuées par la
crise sanitaire du corona virus. Les autorités gouvernementales ont alors eu
recours aux masses budgétaires pour rétablir l'équilibre. La croissance
moins rapide des prélèvements obligatoires que des dépenses publiques
clé pour des finances publiques saines », Bulletin de la Banque de France, n°154, octobre 2006,
p. 40.
157
correspondent pas à ses besoins réels et réalistes dans un contexte
d'extrême rareté financière et de modifications fondamentales de certaines
missions de l'Etat; ce qui entraîne un alourdissement de la masse salariale
sans commune mesure avec les possibilités financières de l'Etat. En outre,
les services publics font l'objet de gaspillages, notamment au niveau de
l'utilisation abusive des moyens de télécommunication, des appareils
électriques, d'énergie... Le rationnement de ces titres de dépense s’avère
nécessaire pour redéployer des financements vers des programmes
prioritaires.
Cependant, pour influer positivement sur la croissance économique,
la théorie keynésienne propose d'une part l'augmentation des dépenses de
consommation par une politique de redistribution des revenus, d'autre
part, la relance de l'investissement privé par une baisse du taux d'intérêt
mais aussi par une politique d'investissements publics. Or, ces deux
politiques ne peuvent être que le fait de l'Etat. Le rôle de l'Etat à travers
ces commandes est mieux capturé par l'effet du multiplicateur. Toute
augmentation du niveau des investissements se traduit par une hausse
supplémentaire des revenus (salaires et profits) qui permettent à leur tour,
d'accroître les défenses de consommation. Il s'ensuit une croissance des
recettes des producteurs qui devront à nouveau renforcer leur production
pour faire face aux commandes nouvelles. En tout état de cause, la rareté
des ressources doit justifier la réduction des crédits de fonctionnement
dans l’engagement des virements de crédits. Ceux-ci contribuent
également à orienter les dépenses de fonctionnement vers les objectifs de
qualité du service public.
2. L’orientation des crédits de fonctionnement vers les objectifs de
qualité du service public
Le redéploiement des crédits de fonctionnement vers la réalisation
des objectifs de qualité du service public permet de parvenir à une dépense
conforme aux besoins réels ou permettant de minimiser les coûts, c’est-à-
dire une dépense efficace, pertinente et efficiente. Il apparait comme l’une
des options les plus viables pour rationaliser la gestion des crédits de
fonctionnement tout en préservant la logique de performance58. Le
pilotage de la performance, nouvelle philosophie de gestion par les
résultats, repose sur la sélection d’objectifs de performance, théoriquement
censés servir de support aux décisions d’allocation de ressources. À cet
égard, les crédits de fonctionnement peuvent être réorientés vers la
garantie de la qualité du service public. Précisant utilement les objectifs de
qualité de service, Mme Guéret-Talon souligne que de tels objectifs ne
dépendent plus seulement des normes théoriques suivies, mais bien de la
perception des usagers qui souhaitent être considérés comme des clients
services publics dans une collectivité territoriale », Politiques et management public, vol. 27,
2010, n°3, p. 31.
159
Les objectifs de qualité de service, même s’ils peuvent se trouver en
dehors du service public, ont une importance particulière dans la mesure
où les services concernés sont souvent en situation de monopole. Ces
objectifs posent la question de la meilleure utilisation possible des moyens
engagés (en matériel, en crédits et surtout en personnel) au regard des
réalisations souhaitées et obtenues. En effet, il convient de garantir au
contribuable, et à ses représentants élus, qui votent les budgets, que
l’emploi des fonds publics a été assuré de manière optimale. Ces objectifs
de gestion permettent de montrer que, pour un niveau donné de
ressources, la production de l’administration peut être améliorée. De
même, pour un niveau donné de production, les moyens employés
peuvent être réduits. Autrement dit, ces objectifs tendent, pour un même
niveau de ressources, à accroître les produits des activités publiques ou,
pour un même niveau d’activité, à nécessiter moins de moyens62. Plus
simplement, ces objectifs énoncent l’optimisation des moyens employés en
rapportant l’activité ou les produits obtenus aux ressources mobilisées. En
nous basant sur les développements précédents, un objectif d’efficience de
la gestion associé au programme « la numérisation des titres fonciers » est de
maîtriser l’accès à la propriété foncière et surtout d’assurer sa sécurisation.
Ceci contribue également à limiter le contentieux foncier devant le juge.
Ces différents points de vue peuvent se retrouver dans un même
objectif, traduits au travers de plusieurs indicateurs. Ceci revient à dire que
pour atteindre une amélioration équilibrée de la performance, il importe
que chaque axe de la performance soit représenté dans les objectifs
retenus.
Si l’on peut se réjouir de ce que les virements de crédits impulsent la
qualité du service public, il sied d’y apporter des bémols. Même s’ils
correspondent à des objectifs dits stratégiques, qui sont détaillés dans les
lois de finances annuelles, les trois axes de performance à savoir l’efficacité
socio-économique, la qualité du service public et l’efficience de la gestion
ne convergent pas nécessairement. Dans certaines situations, ils peuvent
même entrer en contradiction, ce qui n’est pas sans conséquence sur
l’évaluation de la performance. Quelle que soit l’hypothèse retenue, la
vérité est que ces trois axes de performance ne convergent pas
nécessairement et peuvent même entrer en contradiction. L’analyse des
indicateurs de résultats doit donc susciter une appréciation équilibrée et
suffisante de chacun des critères au regard de ces axes. Dans tous les cas,
ces objectifs doivent être déclinés en objectifs opérationnels pour les
gestionnaires à tous les niveaux de l’administration chargée de mettre en
œuvre les différents programmes. Les objectifs opérationnels sont soit une
déclinaison directe des objectifs stratégiques (mêmes indicateurs avec des
cibles adaptées, négociées lors du dialogue de gestion entre le responsable
du service concerné et le responsable du programme), soit indirecte
62 J.-F. CALMETTE, La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) : un texte, un esprit, op.
cit., p. 52.
160
(indicateurs intermédiaires qui représentent des jalons dans l’obtention des
résultats visés). Ils sont éventuellement enrichis d’objectifs
complémentaires permettant de couvrir des champs du programme non
pris en compte dans les objectifs stratégiques.
Certains objectifs d’efficience de gestion et de qualité de service
sont plus difficiles à mesurer ou à évaluer à l’aide d’indicateurs fiables.
S’agissant des objectifs d’efficience de gestion, l’une des difficultés est que
le législateur n’a pas tenu compte des dépenses en personnels63. Or, cette
question est l’une des clefs du contrôle de l’efficience puisque le personnel
est bien une dépense en moyens. Ce constat est compréhensible. En effet,
il est normal que les gestionnaires s’attachent d’abord à des indicateurs liés
au contrôle de l’efficacité64. Notons cependant, à la suite de M. Calmette,
que les indicateurs de l’efficacité présentent une certaine complexité. Il faut
distinguer les indicateurs d’impact qui concernent un secteur particulier, et
les indicateurs de politiques publiques, qui couvrent ou résultent de
plusieurs politiques publiques différentes, mais qui ont des effets
convergents65. De son côté, l’objectif de qualité est sans doute encore plus
complexe dans son appréhension. Cet objectif a un lien avec le critère
d’efficience66 ; parce que la qualité a un coût, il est légitime de se demander
si la hausse de la qualité d’un service peut vraiment aller de concert avec
une baisse de moyens du fait notamment des virements de crédits.
En tout état de cause, force est de constater que la pratique des
virements de crédits relègue les dépenses de fonctionnement en seconde
priorité. Ainsi la consommation des crédits se trouvent réduite quand elle
n’est pas orientée vers des objectifs de qualité du service public. La
majoration du financement des dépenses d’investissement qui en découle
replace ces dernières dans l’ordre des priorités des gestionnaires de crédits.
B. La majoration du financement des dépenses d’investissement
Le redéploiement d’une dépense en personnel vers une dépense
d’investissement a vocation à majorer le montant de cette dernière. Cette
opération budgétaire met au centre des priorités l’investissement public
dans un contexte de modicité des ressources. Les dépenses
d’investissement sont celles destinées au financement d’acquisitions nettes
des cessions d’actifs fixes, corporels ou incorporels (les infrastructures
portuaires ou routières ; les immeubles …). Ces dépenses permettent de
sauvegarder les patrimoines publics ou de les améliorer. Autrement dit, les
dépenses d’investissement représentent celles qui laissent des empreintes
visibles et durables. Elles sont regroupées dans le Titre V de la
nomenclature budgétaire des États de la CEMAC. Ainsi, si les virements
161
de crédits entrainent l’augmentation de leur montant, il s’agit
essentiellement des crédits de paiement (1). L’autorisation d’engagement
n’est pas affectée dans ce mouvement de crédit (2).
1. L’augmentation des crédits de paiement ordonnancé pour
la réalisation des investissements
La majoration des crédits d’investissement favorisée par les
virements de crédits concerne les crédits de paiement. À contrario les
autorisations d’engagement ne peuvent faire l’objet d’augmentation de leur
montant arrêté par le parlement. Les crédits de paiement constituent la
limite supérieure des dépenses pouvant être engagées et ordonnancées
durant un exercice budgétaire pour la couverture des engagements
contractés dans le cadre des autorisations d'engagement. Le crédit de
paiement se présente ainsi comme la tranche annuelle de l’autorisation
d’engagement. Pourtant, « les votes du parlement seraient privés de portée si le
pouvoir exécutif avait toute latitude pour effectuer des dépenses au-delà des montants
déterminés par les lois de finances »67. Cette volonté de faire prévaloir les
autorisations budgétaires par une généralisation des crédits limitatifs se
heurte à l’existence de nombreuses techniques dont celle du virement de
crédits permettant une modification du montant des crédits
d’investissement dans le sens de leur majoration.
L’élaboration des lois de finances semble prêter le flanc à
l’augmentation des crédits d’investissement en cours d’exécution du
budget. Contrairement aux dépenses de fonctionnement dont les crédits
de paiement et les autorisations d’engagement sont équivalents, le montant
des crédits de paiement des dépenses d’investissement est généralement
inférieur à celui des autorisations d’engagement. De ce fait, le gestionnaire
de crédit a une marge de manœuvre dans le relèvement du volume des
crédits d’investissement.
Cependant, le législateur des États sous étude prévoit un plafond
au-delà duquel le gestionnaire de crédit ne saurait entreprendre les
virements de crédits pour abonder les dépenses d’investissement. Il en
ressort que « Le montant cumulé, au cours d’une même année, des crédits ayant fait
l’objet de virements, ne peut excéder 2% des crédits ouverts par la loi de finances de
l’année pour chacun des programmes ou dotations concernés »68. Ces dispositions
sont reprises mot pour mot par la quasi-totalité des États de la sous-
région69. Le législateur équatoguinéen se distingue quant lui en définissant
budget du Gabon ; art. 28 de la Loi organique n°36-2017 du 3 octobre 2017 relative aux
lois de finances du Congo ; art. 31 de la loi organique n°004/PR/2014 relative aux lois de
finances du Tchad ; art. 38 (1) loi n°2018/012 du 11 juillet 2018.
162
le plafond de l’augmentation des crédits à 10% non pas des crédits ouverts
pour les programmes concernés mais de budget général70.
Contrairement aux législations des autres États, le droit public
financier équatoguinéen concède une grande marge de manœuvre pour
l’augmentant du montant des crédits de paiement destiné aux
investissements. Qu’à cela ne tienne, le montant cumulé des
redéploiements de crédits en faveur des investissements est marginal dans
l’ensemble. Il ne peut contribuer à la réalisation des projets d’envergure si
oui en complément du financement initial. En fait selon la logique de la
pluri annualité, les investissements publics sont budgétisés sur plusieurs
années mais sont découpés en parts annuelles pouvant donner lieu au
paiement de dépenses sur l’année par le biais des crédits de paiement. La
majoration de ceux-ci dans le cadre des virements de crédit participe de
l’exécution pluriannuelle des dépenses d’investissement. Dans cette
optique, l'efficience des dépenses publiques d’investissement continue
d'être l'une des préoccupations permanente des décideurs politiques.
Certaines activités du gouvernement et les dépenses qui leur sont associées
sont essentielles pour la performance de l'économie et nécessitent
opportunément des financements complémentaires. Ces dépenses
essentielles ou productives peuvent être aussi importantes pour la
croissance et la réalisation d'objectifs sociaux.
L’analyse de la pratique des virements de crédits révèle une volonté
constante d’accroissement des dépenses d’investissement pour le
renforcement des structures économiques et sociales.
En premier lieu, l’accroissement du volume des dépenses
d’investissement entrepris par les gestionnaires de crédits s’appréhende
comme des mesures de soutien à l’activité économique. Elles apparaissent
opportunes dans les États de la CEMAC lorsqu’on considère le
ralentissement de la croissance économique nationale ces deux dernières
années du fait des chocs qui l’ont secoué et de la morosité observée dans
les économies de la sous-région se répercutant sur plusieurs branches
d’activités. À cet égard, on pense naturellement aux investissements
matériels, dont le domaine de préférence des autorités est celui des
équipements collectifs. Dans une large mesure, ils conditionnent fortement
la croissance économique et qui, sans contribution publique, ne seraient
pas réalisés ou le seraient à des conditions prohibitives pour les utilisateurs.
La promotion du secteur agricole apparaît primordiale puisque ce secteur
constitue le moteur principal de l’économie de la sous-région. Au regard
de sa contribution à la croissance économique et à la lutte contre la
pauvreté et l’insécurité alimentaire, l’apport du secteur agricole est essentiel
dans l’économie du pays. Pour ce faire, il faut désenclaver les voies de
communication pour fluidifier le transport des produits vers des zones
d’écoulement. C’est dans ce sens qu’au Gabon, des virements de crédit ont
70 Art. 30 de la Loi I/2012/n°2012/CNT portant loi organique relative aux lois de finances.
163
été initié « pour le complément nécessaire à la prise en charge des travaux sur l'axe
Akiéni-Onga » ou pour la prise en charge de la modernisation des voiries de
Libreville71.
Bien plus, le relèvement du montant des crédits d’investissement
contribue à la stimulation de l’activité sociale. Celle-ci renvoie à l’ensemble
des actions des personnes physiques ou morales publiques et privées,
mises en œuvre de manière continue dans le domaine du social. Il s’agit
concrètement de l’activité liée aux secteurs de l’éducation, la santé, la
formation professionnelle, le civisme, l’habitat et le logement. S’agissant de
la promotion de la femme et du genre, on relève la pertinence d’actions
allant dans le sens de la formation de leaders d’associations de femmes ; la
formation de femmes dans les centres de promotion de la femme ;
l’insertion de filles arrivées en fin de formation ; l’accompagnement de
femmes entrepreneuses dans l’exécution des projets. La fongibilité de
crédits pour la prise en charge de la journée nationale de la femme a été
initiée dans ce sens en droit gabonais pour promouvoir la femme et la
famille72. Tout compte fait, malgré le volume important des crédits de
fonctionnement par rapport aux crédits d’investissement, la part marginale
des dépenses d’investissement se trouve réajustée en cours d’exécution du
budget. Mais elle n’entre pas l’augmentation des autorisations
d’engagement qui restent stables.
2. La stabilisation de l’autorisation d’engagement des dépenses
d’investissement
Si la priorisation des dépenses d’investissement se révèle par la
majoration des crédits de paiement y relatif, elle n’emporte pas la
modification du volume de l’autorisation d’engagement. Elle en constitue
plutôt une limite dans la mise en œuvre des virements de crédits.
Justement, les autorisations d’engagement constituent la limite supérieure des dépenses
pouvant être engagées au cours d’un exercice budgétaire et dont le paiement peut
s’étendre, le cas échéant, sur plusieurs années73. Elles constituent un outil de l’exécution
pluriannuelle de la loi de finances s’accommodant à la définition moderne des
finances publiques axée sur la recherche de la performance et de
l’efficacité. Elle postule un engagement financier étendu sur plusieurs
années pour l’exécution de certaines actions d’investissement public.
Ceci étant, les virements de crédits de paiement au profit des
dépenses d’investissement ne doivent pas conduire à la majoration
d’autorisations d’engagement74. En d’autres termes, les virements de
crédits sont cantonnés dans les limites de l’autorisation d’engagement75.
Puisque les crédits de paiement constituent la limite supérieure des
164
dépenses pouvant être engagées et ordonnancées durant un exercice
budgétaire pour la couverture des engagements contractés dans le cadre
des autorisations d'engagement. Le législateur communautaire dispose
dans ce sens que « Les virements de crédits de paiement au profit des dépenses
d’investissement ne peuvent conduire à majoration d’autorisation d’engagement»76. À
l’exception du législateur équatoguinéen qui n’est pas précis sur cette
limite, les législateurs des autres États de la CEMAC ont repris ces
dispositions dans leur droit interne77. Cette limitation des redéploiements
de crédits en faveur des investissements impose deux grilles de lecture.
Elle participe d’une part à la préservation de l’autorisation budgétaire du
parlement78 et d’autre part à la garantie de l’équilibre budgétaire.
La réforme des finances publiques en zone CEMAC a redonné une
vigueur à l’autorisation budgétaire du parlement79 malgré la persistance de
certaines édulcorations. Les virements de crédits doivent se réaliser dans
les limites des dépenses autorisées par le parlement. L’autorisation
budgétaire porte sur les dépenses et les recettes de l’État80. Relativement
aux dépenses, la règle de l’autorisation budgétaire signifie que le parlement
doit donner son accord avant qu’une dépense ne soit engagée par le
gouvernement. C’est une conséquence du principe du consentement à
l’impôt. Certes le vote par le parlement dans la loi de finances des plafonds
afférents aux grandes catégories de dépenses et des crédits mis à la
disposition des ministres n’emporte pas, pour ces derniers, obligation de
dépenser la totalité des crédits ouverts81. Mais, il impose le respect de la
limite fixée par l’autorisation d’engagement. Il en découle que les décisions
parlementaires correspondantes sont des actes-conditions auxquels le
gouvernement ne peut déroger pour la préservation de l’équilibre
budgétaire.
Le régime des virements de crédits dans les États sous revue a
comme principal déterminant « l’absence d’intention de fausser les grandes lignes
de l’équilibre budgétaire »82. Ce principe est considéré depuis longtemps
comme un idéal de la politique budgétaire. Appliqué aux finances
publiques, le principe de l’équilibre budgétaire appelle une politique
économique guidée par la neutralité afin de ne pas troubler les agents
économiques.
167
LA NOTION DE SOLIDARITE DE PAIEMENT
EN DROIT FISCAL CAMEROUNAIS
Par
Dr NKOUAYEP Long Christ Papy
Ph. D en Droit public
Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Yaoundé II (Cameroun).
RESUME :
Peu connue en droit fiscal camerounais, la notion de solidarité s’est beaucoup plus
exprimée dans d’autres disciplines juridiques notamment en droit civil et en droit des affaires. En
1804, le code civil lui donne un sens relativement restreint : elle désigne la solidarité qui peut
s’établir entre plusieurs débiteurs d’un même créancier, chacun pouvant être contraint pour la
totalité de la dette et le paiement fait par un seul libère les autres. Dans l’optique de faciliter le
recouvrement de l’impôt, le droit fiscal a dû emprunter à d’autres disciplines la notion de
solidarité de paiement. Malheureusement, et dans un contexte hélas marqué par la rareté des
ressources publiques, le législateur n’a pas suffisamment clarifié la solidarité de paiement en droit
fiscal. Cette situation a suscité la présente réflexion. Par une méthode juridique ayant accordé la
part belle à la dogmatique et à la casuistique, nous avons analysé la législation camerounaise et
même étrangère pour aboutir aux résultats de cette recherche. Pour y parvenir, une question
centrale a été posée : qu’est ce qui caractérise la notion de solidarité de paiement en droit fiscal
camerounais ? A partir de l’hypothèse d’une complexité de cette notion, il ressort de la
démonstration une imprécision notionnelle de la solidarité de paiement combinée à une utilisation
opérationnelle particulière.
Mots clés : Solidarité de paiement, droit fiscal, recouvrement des impôts.
ABSTRACT:
Little know in Cameroonian tax law, the notion of solidarity of payment has been
expressed more in other legal disciplines, in particular in civil law and in business law, to name
but a few. Solidarity made its appearance in 1804 in the civil code, with a relatively restricted
meaning, designating the solidarity which can be established between several debtors of the same
creditor so that each one can be constrained for the totally of the debt and that the payment made
by only frees the others. With a view to facilitating the collection of public revenue, tax law had to
borrow from other disciplines, the notion of solidarity of payment to facilitate tax collection.
Unfortunately, and this in a context marked by the scarcity of public resources, the legislator has
not sufficiently clarified the solidarity of payment in tax law. This situation prompted the present
reflection. By a legal method that gave pride of place to dogma and casuistry, we scrutinized
Cameroonian and even foreign legislation to arrive at the results of this research. To achieve this,
a central question was asked: what characterizes the notion of solidarity in payment in
Cameroonian tax law? The reflection poses the hypothesis of e complexity of the notion of
solidarity of payment in tax law. To this end, the demonstration shows a notional imprecision of
the combined payment solidarity of a particular operational use.
Keywords: Solidarity of payment, tax law, tax collection.
168
Introduction
La notion de solidarité, timidement connue en droit fiscal
camerounais1, s’est beaucoup plus exprimée dans d’autres disciplines
juridiques notamment en droit civil et en droit des affaires2. On peut à ce
propos partager l’idée selon laquelle « la faiblesse de la conceptualisation du droit
fiscal est (…) vraisemblablement due à la volonté de le maintenir dans une relative
flexibilité »3. Or, certains historiens conçoivent le droit fiscal comme étant
« l’expression première du droit public »4. D’où l’intérêt de la présente réflexion
sur le double plan théorique et pratique.
Sur le plan théorique, elle donne une occasion de faire le point sur
la clarification législative de la notion de solidarité de paiement et, par-là, le
véritable sens à lui donner face à une législation qui se caractérise par son
mutisme. Sur le plan pratique, la présente étude est opportune et salutaire
dans un contexte de rareté des ressources fiscales. D’ailleurs, le
Gouvernement a déclaré fiscalement sinistrées trois régions du Cameroun
du fait des crises séparatiste et islamiste5. Sur ce point, « l’extrême violence de
la crise que nous traversons est propice, de cela, personne ne s’étonnera, à la fabrication
de nouveaux récits, comme de récits qui se veulent nouveaux »6. A cela s’ajoutent les
difficultés rencontrées par l’administration des douanes dans les régions du
Septentrion, du Nord-Ouest et du Sud-Ouest relativement au
recouvrement des recettes douanières, du fait des groupes terroristes qui y
1 La notion de solidarité de paiement n’est pas répandue dans les législations en matière
fiscale au Cameroun, exception faite du Code Général des Impôts. Ce texte évoque cette
notion, sans la définir. En droit fiscal, le vocabulaire est autant riche qu’imprécis : lire
Franck MODERNE, « A propos des taxes dites redevances d’assainissement, le désordre
des qualifications en droit fiscal », RJF 1976, n°5, p. 157 ; Emmanuel De CROUY-
CHANEL, « La définition juridique de l’impôt. L’exemple de la doctrine française », in T.
BERNS, J.-C. DUPONT, M. XIFARAS (dir.), Philosophie de l’impôt, Bruxelles, Bruylant,
2006, p. 135.
2 En guise d’illustration, nous pouvons citer Jean Paul LOUVEAU, « Aspects fiscaux du
divorce », Revue juridique de l’ouest, numéro spécial 2006. Bilan d’application de la loi du 26
2004 relative au divorce, pp. 123-142 ; Houari ZENASNI, La responsabilité fiscale des dirigeants
des sociétés commerciales, Mémoire du diplôme de Magister, Université d’Oran, 2012, 132 p ;
Ismérie Del VALLE-LEZIER, « Solidarité dans les couples. Les aspects civils », Revue
française des affaires sociales, 2005, pp. 81-100 ; Celia CAVALIER, L’organisation du patrimoine du
couple à l’épreuve du droit fiscal, Thèse de doctorat en droit, Université Montesquieu-Bordeaux
IV, 2013, 375 p ; Alexandre GREVET, Pour une de la solidarité du dirigeant au passif fiscal,
Thèse de doctorat en droit, Université Paris-Dauphine, 2016, 423 pages. La liste est très
loin d’être exhaustive.
3 Gérard TOURNIE, « De l’impôt et des mots : réflexion sur le déficit conceptuel du droit
« Managing taxes in periods of crises. Case of the North West regional tax centre », Impôts
info, n°006, octobre 2017, pp. 58-59 ; FRU Isaac TAKU, « The North West tax-payer on
the path of patriotism », Impôts info, n°006, octobre 2017, pp. 60-61.
9 Lire utilement Gérard PEKASSA NDAM et Patrick NGANGUE NEMALEU, « Les
p. 2.
170
sont les plus difficiles à cerner14, la « notion »15 est assimilable au concept et
peut s’entendre d’une représentation générale et abstraite d’un objet. Si
nous ne trouvons pas de vertus aux notions imprécises, certains y voient
une certaine qualité : « Les notions floues et plus généralement la fluidité sémantique
des termes juridiques, ne sont pas une entrave aléatoire à un système autrement parfait
et certain, mais bien au contraire forment un élément essentiel au bon fonctionnement du
droit »16.
La notion de solidarité17 fait son apparition en 1804 dans le code
civil avec un sens relativement restreint. Elle est introduite pour désigner la
solidarité qui peut s’établir entre plusieurs débiteurs d’un même créancier
de manière à ce que chacun puisse être contraint pour la totalité de la dette
et que le paiement fait par un seul libère les autres. Vue sous cet angle, la
solidarité est une notion juridique à contenu variable18.
Etymologiquement, le mot « Solidarité » est une déformation du terme
« solidum » qui, chez les jurisconsultes romains, servait à désigner l’état des
créanciers solidaires d’une obligation. La notion de « solidarité » est dérivée
de celle de « solidaire », elle-même découlant de la locution latine « in
solidum » signifiant « solidairement ». Dans un rapport d’obligation, la
solidarité désigne le lien particulier entre sujets passifs (débiteurs) ou actifs
(créanciers) de l’obligation. Plus précisément, il s’agit d’une modalité
conventionnelle ou légale d’une obligation plurale qui en empêche la
division. Ainsi, en droit civil19, la solidarité résulte de la loi ou du contrat,
solidariste se distingue par l’affirmation selon laquelle il est nécessaire d’ériger en principe du droit des
contrats les exigences de loyauté, de solidarité et de bonne foi et qui doivent conduire les contractants à
collaborer entre eux ». Lire Luc GRYNBAUM, « La notion de solidarisme contractuel », in Luc
GRYNBAUM et Marc NICOD (dir.), Le solidarisme contractuel, Paris, Economica, 2004, p.
25. Le solidarisme est une doctrine qui repose sur l’idée de solidarité. Sur la question lire
Gislain G. TSASSE SAHA, Le solidarisme en droit du travail, Thèse de doctorat/Ph.D en droit
privé, Université de Yaoundé II, 2012, p. 9.
18 Lire Chaïm PERELMAN et Raymond VANDERELST, (dir.), Les notions à contenu variable
172
Autour d’elle, convergent non seulement des débats scientifiques intenses,
mais aussi de vifs débats politiques23.
En doctrine, la nature juridique du paiement demeure controversée.
On l’analyse classiquement en un acte juridique et, plus exactement, en une
convention entre le débiteur et le créancier aux fins d’éteindre l’obligation
originaire24. Cette vision insiste sur le rôle que jouent les volontés en
matière de paiement et sur l’interprétation qu’il est parfois nécessaire d’en
faire25. Mais certains auteurs préfèrent la qualification de fait juridique, en
observant que l’extinction de l’obligation qui résulte d’un paiement se
produit par l’effet de la loi, indépendamment de la volonté des intéressés,
et que les procédés modernes de paiement des sommes d’argent
(virements et prélèvements automatiques) rendent difficile la
reconnaissance d’une quelconque convention26. Partisane de cette thèse, le
Professeur Nicole CATALA s’est inspirée des doctrines italiennes pour
soutenir que le paiement est un fait juridique ; c’est la loi, remarque-t-elle,
qui impose l’extinction de l’obligation quand le créancier a reçu une
satisfaction adéquate sans que la volonté des parties fût à cet égard en
cause27. Dans réalité, il s’agit d’un acte complexe, participant de la
convention et du fait juridique28.
En tout état de cause, la mécanisation du paiement a essentiellement
pour objet le paiement de sommes d’argent, le seul paiement véritable
selon le langage populaire29. Transposée au droit fiscal camerounais, la
notion de solidarité de paiement tarde à s’affirmer même si elle est
consacrée. On peut noter que si d’un point de vue formel, la solidarité de
paiement en droit fiscal reste jusqu’ici ambigüe, il n’en demeure pas moins
que des éléments substantiels peuvent conduire à son appréhension. La
solidarité de paiement peut se concevoir comme étant l’obligation qui pèse
sur des personnes ayant un lien juridique de s’acquitter d’une dette fiscale
et du droit pour l’administration de recouvrer l’impôt auprès de l’une
d’elles. Il s’agit d’une solidarité passive. D’où la question suivante : qu’est-
ce qui caractérise la notion de solidarité de paiement en droit fiscal
camerounais ? La logique de cette interrogation réside dans la volonté de
comprendre le degré de précision textuelle de la notion de solidarité de
paiement en droit fiscal camerounais. C’est pourquoi, la réflexion pose
33 Jean Louis BERGEL, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, 2012, p. 234.
34 Gérard TOURNIE, « De l’impôt et des mots : réflexion sur le déficit conceptuel du droit
fiscal », op.cit., p. 610.
35 Marcel WALINE, « Empirisme et conceptualisme dans la méthode juridique : faut-il tuer
2013, p. 87-110. L’auteur note que « la notion de qualité de droit manquant de définition de référence
est une caractéristique du droit qui peut être entendue comme l’exigence de fiabilité du droit, incombant à sa
175
Pour le Professeur Guillaume TUSSEAU, « qu’ils soient législateurs,
juges, notaires, avocats, universitaires, etc., les juristes dans leurs activités quotidiennes
d’identification, de description, de systématisation, de critique, de proposition, de
production du droit, mettent en œuvre un certain nombre de notions dont le rôle est,
grosso modo, de leur permettre d’appréhender une masse mouvante et a priori
indifférenciée de phénomènes, et de les aider à s’orienter dans le désordre du monde »40.
De ce point de vue, les notions juridiques sont des moyens de
connaissance ayant atteint, par abstraction, un degré supérieur d’objectivité
et d’universalité dans la présentation de la réalité41. Elles sont également
considérées comme des outils intellectuels, des moyens purement
techniques de mise en œuvre des réalités juridiques qui permettent
d’aboutir à la maitrise du droit42. La législation de fiscalité générale se
borne simplement à évoquer la notion (1) sans toutefois y apporter des
précisions (2).
1. L’évocation de la solidarité de paiement
Satisfaire à l’exigence scientifique de détermination, s’apparente à
une œuvre titanesque, à cause du chamboulement des bases techniques de
classification objective des instruments législatifs, orchestré par des
incertitudes normatives. L’indétermination d’une notion juridique peut être
voulue ou subie par le législateur43. Elle est subie dans l’hypothèse où la
notion procède du langage courant ou de tout autre langage lui attribuant
des significations variables qui ne peuvent pas être complétement intégrées
par le droit44. Elle est voulue lorsque la notion est d’essence normative et
ne bénéficie pas d’une définition. On a pu établir, à propos de ces notions,
qu'elles participent d’une technique législative, à partir du moment où la
variabilité de leur contenu est recherchée par le législateur45. C’est
pourquoi le modèle de la définition réelle est très courant46.
La notion de solidarité de paiement en droit fiscal se retrouve dans
la catégorie des notions qui n’ont pas été clarifiées quoi qu’énoncées aussi
création et à son application », p. 88. Lire également Pascale DEUMIER, « Les qualités de la
loi », RTD. civ., 2005, p. 93.
40 Guillaume TUSSEAU, « Critique d’une méta-notion : la notion (trop) fonctionnelle de
op.cit., p. 161.
44 Gérard CORNU, « Les définitions dans la loi et les textes règlementaires », Rapport de
synthèse, in Les définitions dans la loi et les textes règlementaires (suite et fin), RRJ, 1987-4, pp.
1175-1185.
45 Jean CARBONNIER, « Les notions à contenu variable en droit français de la famille », in
Chaïm PERELMAN, Raymond VANDERELST (dir.), Les notions à contenu variable en droit,
op. cit., pp. 99-112.
46 T. NGUIMFACK VOUFO, La notion de comptes publics en finances publiques camerounaises,
pp. 35-36.
52 Cf. Livre deuxième des Procédures Fiscales, chapitre III du sous-titre III du Code
p. 64.
56 Il s’agit des textes élaborés avec le soin de définir au préalable certaines notions pour
réglementaires fut rédigé conjointement par les membres du Conseil d’Etat et le secrétaire
général du Gouvernement. Il vise à présenter l’ensemble des règles, principes et méthodes
devant être observés dans la préparation des textes normatifs, lois, ordonnances, décrets et
arrêtés. Conçu comme « un ouvrage de référence », il poursuit l’objectif de « ne faire que des textes
nécessaires, bien conçus, clairement écrits et juridiquement solides ».
178
bien substantiel que processuel58. Chaque année, le législateur adopte un
nouveau Code Général des Impôts qui ne doit être valable que pour cette
année, à la seule fin de rétablir le droit fiscal dans son cadre temporel.
Dans cette adoption annuelle d’un CGI, l’on attend toujours du législateur
une clarification notionnelle de la solidarité de paiement en droit fiscal.
Malheureusement, le parlement se limite dans cette codification à
une énonciation stricte de la solidarité de paiement, plongeant ainsi
l’administration fiscale et le contribuable dans une relation parsemée
d’incertitudes. Or, la possibilité d’une codification chaque année d’un CGI,
adapté à un contexte temporel précis59, constitue à n’en point douter,
l’occasion concédée chaque année au législateur60, d’améliorer
l’intelligibilité dudit Code en ce qui concerne la solidarité de paiement. Les
années successives de la promulgation des différents CGI se suivent sans
évolution substantielle comme si les codifications antérieures avaient
épuisé toute l’énergie législative61.
Lorsque l’on doit faire appel à des fonctionnaires et agents de
l’Administration fiscale pour appliquer la loi, des termes imprécis leur
laissent une plus grande latitude. Cette situation peut donner lieu à de
l’arbitraire ou des abus au détriment des contribuables et, partant, à des
solutions non souhaitables, c’est-à-dire des coûts du deuxième type. C’est
ce qui hélas peut arriver avec la notion de solidarité de paiement en droit
fiscal camerounais. Cette notion, abondamment évoquée dans le CGI, n’a
pas toutefois fait l’objet d’une clarification. On peut la retrouver dans les
dispositions relatives à la taxe sur la valeur ajoutée62, en matière d’impôt
sur les sociétés63, en matière d’impôt sur le revenu des personnes
physiques64, dans le cadre de la fiscalité de la commande publique65, la taxe
spéciale sur le revenu66, la fiscalité forestière67, en matière
d’enregistrement68 et même de taxe sur la propriété foncière69. Si ces
58 Cette entreprise a abouti à l’adoption d’un Code Général des impôts incluant le Livre de
procédures Fiscales, et même l’intégration dans ledit Code, des dispositions de la fiscalité
locale et des fiscalités spécifiques.
59 Le Doyen CARBONNIER affirmait que « Tout Code apparait lors de son adoption comme un
symbole du temps arrêté », voir « Le code civil », in Pierre NORA (dir.), Les lieux de mémoire,
Paris, Gallimard, t. 2, 1986, pp. 293.
60 Pour aller plus loin, cf. Vincent DUSSART, « Le parlement et l’impôt », Pouvoirs, n°151,
179
différentes dispositions évoquent la solidarité de paiement, elles demeurent
imprécises sur la clarification parce qu’indéterminées.
2. L’indétermination de la solidarité de paiement
Pour certains auteurs, « le standard en droit, est d’abord une notion floue à
contenu variable »70. Mais nous estimons que, le choix de la forme
d’énonciation de la règle juridique doit aussi se faire à la lumière
d’importants impératifs juridiques de sécurité, de prévisibilité et
d’uniformité. Depuis l’arrêt Sunday Times, le juge de la Cour européenne
des droits de l’homme a clairement posé la nécessité des clarifications
législatives : « On ne peut considérer comme loi qu’une norme énoncée, avec assez de
précisions pour permettre au citoyen de régler sa conduite ; en s’entourant au besoin de
conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les
circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé »71.
La loi doit être compréhensible72 afin d’éviter son ineffectivité.
Transposée à cette réflexion, l’exploration des textes fait état d’une
évidente indétermination de la notion de solidarité de paiement (a) avec
des conséquences induites (b).
a. L’évidence d’une indétermination de la solidarité de
paiement
La mise en œuvre du droit passe par des concepts bien définis, un
langage clair et précis73. Le CGI et le LPF sont très loin de ces exigences
du droit en ce qui concerne la solidarité de paiement. « La définition de la loi
est l’un des champs théoriques important dans la philosophie du droit »74. Une vraie
définition doit cependant représenter un modèle permettant une
comparaison afin que l’on puisse y rattacher les situations que sécrète la
vie juridique75. Cela est d’autant plus important en matière fiscale car « les
finances publiques sont l’élément le plus important de la chose publique »76 et l’activité
de mobilisation des ressources se rattache traditionnellement à
l’administration fiscale77. C’est à ce titre qu’on dira effectivement que
« l’impôt est (…) la marque fondamentale de la souveraineté, (…) un attribut
70 Lire Ch. PERELMAN et R. VANDERELST, Les notions à contenu variable en droit, op. cit.,
p. 103 ; J. CARBONNIER, « Les notions à contenu variable en droit français de la
famille », op. cit., p. 111.
71 Cf. CEDH, Sunday Times contre Royaume-Uni, (n°1), req. n°6538/74, 26 avril 1979.
72 LASSERE-KIESOV, « La compréhensibilité des lois à l’aube du XXIe siècle », Dalloz,
2002, p. 1157.
73 Jean-Louis BERGEL, Théorie générale du droit, op. cit., p. 207.
74 Azadeh A. SHAHRBABAKI, La qualité des normes. Etudes des théories et de la pratique, op.
cit., p. 77.
75 Jean-Louis BERGEL, Théorie générale du droit, op. cit., p. 229.
76 Maurice HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public, Paris, Sirey, réed. Dalloz,
2002, p. 962.
77 Gérard PEKASSA NDAM, « La notion d’administration publique dans la jurisprudence
78 Jacques BUISSON, « Impôt et souveraineté », in Arch. Phil. Droit, Paris, Dalloz, 2002, t.
46, p. 26.
79 Robert MBALLA OWONA, La notion d’acte administratif unilatéral au Cameroun…, op. cit.,
p. 19.
80 Paul DURANT, La politique contemporaine de sécurité sociale, Paris, Dalloz, 1953, p. 151.
81 Paul AMSELEK, « Une curiosité du droit public financier : les impositions autres que
fiscales ou parafiscales », in Mélanges offerts à Marcel WALINE. Le juge et le droit public, Paris,
LGDJ, 1974, p. 89.
82 Paul AMSELEK, « Un phénix du droit public financier : les impositions quasi-fiscales »,
in Gouverner, administrer, juger. Liber amicorum Jean WALINE, Paris, Dalloz, 2002, pp. 111-
134.
83 Le juge qui est « souvent appelé à déterminer la portée exacte de concepts, est enfermé dans le cadre
étroit du litige qui lui est soumis et pour la solution duquel, en l’absence de prescriptions légales
indiscutables, il doit respecter un équilibre entre l’équité et la nécessité de la contribution publique ». Lire
Gérard TOURNIE, « De l’impôt et des mots : réflexion sur le déficit conceptuel du droit
fiscal », op. cit., p. 611.
84 Bernard PLAGNET, « Le raisonnement économique dans la jurisprudence fiscale », in
1, 2004, p. 696.
86 L. BOY, « Normes techniques et normes juridiques », Cahiers du Conseil constitutionnel,
cit., p. 56.
88 Anne JENNEQUIN, « L’intelligibilité de la norme dans les jurisprudences du Conseil
89 Paul-Gérard POUGOUE, « Les figures de la sécurité juridique », RASJ, vol. 4, n°1, 2007,
p. 5.
90 Marc RIBEIRO, « Le problème constitutionnel de l’imprécision des lois », Revue Juridique
autocensurer leur conduite plutôt que de courir le risque d’être punis pour leurs gestes.
Dans l’affaire Comité pour la République du Canada, le juge L’Heureux-Dube a exposé le
problème de la façon suivante : « les droits et libertés doivent être protégés et non entravés. Les lois
imprécises qui entraves les libertés fondamentales créent une voie parsemée d’incertitude sur laquelle les
citoyens ont peur de s’engager, craignent des sanctions d’ordre juridique. L’imprécision ne sert qu’à semer la
confusion, et la plupart des gens éviteront d’exercer leurs libertés plutôt que de risquer une sanction ». Cf.
Comité pour la République du Canada contre Canada (1991) 1 R.C.S. 139, 210 confirmé
dans R. contre nova Scotia Pharmaceutical Society (1992) 2 R.C.S. 606, 632.
92 Guillaume DUPUY-MONTBRUN, Raphael LEONETTI, « Droit accessible et droit
MOLFESSIS (dir.), Les mots de la loi, Paris, Economica, 1999, pp. 73 et suivants.
182
d’intelligibilité94. Le Professeur BILOUNGA Steve Thiery note qu’« en
droit public camerounais, la lettre de la loi connait souvent des problèmes d’omission des
précisions essentielles, utiles à son intelligibilité »95. En droit fiscal, cette situation
peut engendrer deux conséquences.
La première conséquence en est que, l’imprécision notionnelle de la
solidarité de paiement observée dans le CGI a pour effet de fausser les
bases techniques de classification96 de la norme qui la consacre, en rendant
ainsi problématique toute initiative d’identification scientifique des lois
dans cet Etat, dont la particularité est la multitude des instruments de
nature et de portée législatives. La seconde conséquence est liée au fait
que, l’imprécision notionnelle de la solidarité de paiement est à même
d’hypothéquer la mise en œuvre efficace du CGI, en rendant difficile son
application et en suscitant un environnement d’insécurité juridique chez
les contribuables. Elaborées afin d’être reçues, comprises et appliquées de
manière concrète et efficace par ses principaux destinataires, les
imperfections inhérentes au processus de conception, de fabrication et de
vulgarisation des législations fiscales pourraient rendre ces actes ineffectifs
pour inaccessibilité ou inintelligibilité du fait même de l’indifférence qui les
caractérise notamment pour ce qui est des fiscalités spécifiques.
B. L’indifférence des textes régissant les fiscalités spécifiques
Les lois généralement mal conçues regorgent très souvent des
notions imprécises, avec pour conséquence une mauvaise application et de
ce fait sources d’insécurité pour leurs sujets, car elles ont pour
dénominateur commun une qualité incertaine. L’incertitude est liée au fait
que les textes régissant les fiscalités spécifiques sont totalement silencieux
(1) sur la notion de solidarité de paiement, nécessitant qu’on se réfère au
texte à caractère général (2).
1. Le silence des textes régissant les fiscalités spécifiques
La problématique d’indétermination juridique de la solidarité de
paiement en droit fiscal camerounais risque d’entamer sa mise en œuvre
efficace, en pervertissant ses actes techniques de classification théorique et
ses facteurs de bonne application pratique97. L’idée du silence du droit98,
94 Philippe MALAURIE, « L’intelligibilité des lois », Pouvoirs, n°114, 2005, pp. 131-138.
95 Stève Thiery BILOUNGA, « La crise de la loi en droit public camerounais », in Maurice
KAMTO, Stéphane DOUMBE-BILLE, Brusil Miranda METOU (dir.), Regards sur le droit
public en Afrique. Mélanges en l’honneur du Doyen Joseph-Marie BIPOUN WOUM, Paris,
L’Harmattan, coll. Etudes africaines, 2016, p. 108.
96 Paul-Marie GAUDEMET, « Les classifications en droit constitutionnel », RDP, juillet-
2001, 10e éd., p. 9. L’éminent juriste parle de « non droit » pour signifier l’absence du droit
dans certains rapports sociaux où il aurait vocation, du moins théoriquement, à être
présent.
183
bien qu’elle soit dérangeante, n’est plus discutable aujourd’hui. Le silence
étant par essence toujours protéiforme, sa rencontre avec le droit ne peut
se faire que de manière plurielle et variée : les silences du droit99. Ces
silences du droit sont observés en droit fiscal notamment en ce qui
concerne la notion de solidarité de paiement. Cela est vérifiable dans la loi
portant fiscalité locale (a) que dans les textes sans rapport avec la fiscalité
locale (b).
a. Le silence de la loi portant fiscalité locale
Si, comme le fait observer le Professeur Pierre DELVOLVE, la
règle juridique, lorsqu’elle est adoptée, rompt le silence100. Cependant, elle
ne saurait tout dire sur la conduite qu’elle a vocation à régir, si bien qu’il
est de nombreux cas où les parties au contentieux fiscal sont confrontées
au silence du droit. Ce silence ne tient, toutefois pas toujours au contenu
de la norme fiscale ; il est des cas où il vient de ce que la législation fiscale
peine à s’appliquer.
La loi portant fiscalité locale ne fait pas mention de la solidarité de
paiement en droit camerounais, renvoyant ainsi implicitement et
explicitement aux dispositions du Code Général des Impôts et du Livre
des Procédures Fiscales. Pour s’en convaincre, soulignons que « (…) les
procédures fiscales applicables aux droits et taxes de l’Etat sont reprises mutatis
mutandis pour l’assiette, l’émission, le recouvrement, les poursuites, le contrôle et le
contentieux des impôts, taxes et redevances dus aux communautés urbaines, aux
communes d’arrondissement et aux régions »101. Le silence du mécanisme de la
solidarité fiscale nous paraît étrange dans un contexte où l’économie est
fortement envahie par le secteur informel et que la fiscalité locale absorbe
une bonne partie des activités menées par les contribuables.
Dans la plupart des cas, le silence du droit fiscal en particulier est le
plus souvent contingent, fortuit, involontaire. Cette présence fréquemment
accidentelle du silence s’explique par le caractère essentiellement
perfectible de l’œuvre de création du droit. Le droit est lacunaire, se taisant
alors qu’il n’a pas souhaité le faire. « Malgré la volonté des instances de création du
droit de réduire le silence au silence, ce dernier comme un fantôme continue de hanter le
droit en trompant sa vigilance pour se glisser dans ses interstices »102. Ces silences du
droit qualifiés de « silences-omissions »103 continueront à cohabiter avec le
droit tant qu’il demeurera une œuvre humaine marquée par sa
perfectibilité.
En droit, l’étude des concepts porte sur la déclinaison des contenus
respectifs des notions envisagées. Il s’agit de l’œuvre de définition des
99 Marcel Urbain NGAH NOAH, « Quelques réflexions sur le silence et le droit : essai de
systématisation », Les cahiers de droit, vol. 56, n°3-4, septembre-décembre 2015, p. 580.
100 Pierre DELVOLVE, « Le silence en droit public », RDP, n°4, juillet 2012, p. 1171.
101 Article 1er al 4 de la loi n°2009/019 du 15 décembre 2009 portant fiscalité locale.
102 M. U. NGAH NOAH, « Quelques réflexions sur le silence et le droit : essai de
184
termes en question. A ce sujet, la loi semble connaitre un réel problème de
détermination en droit public en général et droit fiscal en particulier au
Cameroun suite à la crise de son processus de conception. Définir
fidèlement la loi fiscale, c’est-à-dire ressortir son contenu théorique exact,
semble relever d’une véritable gageure du fait de la malléabilité de son
concept.
L’urgence s’impose pour le juge constitutionnel camerounais de
suivre les pas de son homologue français, qui dans une décision, a
clairement affirmé que « la loi a pour vocation d’énoncer des règles et doit par la
suite être revêtue d’une portée normative »104. Elle a pour fonction première
d’imposer une règle de droit précise105. Ainsi, là où la loi se ferait
silencieuse, notamment la loi portant fiscalité locale, le discours des
tribunaux comble ce silence106. En son temps, ARISTOTE avait déjà
préconisé une solution face à l’omission du législateur. Pour lui, lorsque la
loi s’exprime pour la généralité des cas, et que postérieurement il se
produit quelque chose qui contrarie ces dispositions générales, il est
normal de combler la lacune laissée par le législateur et de corriger
l’omission imputable au fait même qu’il s’exprimait en général.
Il va plus loin en ajoutant que « le législateur lui-même, s’il était présent, y
consentirait et, s’il eût prévu la chose, eût introduit des précisions dans la loi. Aussi ce
qui est équitable est-il juste, supérieur même en général au juste, non pas au juste en soi,
mais au juste qui, en raison de sa généralité, comporte de l’erreur. La nature propre de
l’équité consiste à corriger la loi, dans la mesure où celle-ci se montre insuffisante, en
raison de son caractère général. Voilà pourquoi tout n’est pas compris dans la loi
(…) »107. Cette dernière position pourrait sans doute expliquer et justifier le
silence de la loi portant fiscalité locale quant au mécanisme de la solidarité
de paiement. Il est impératif que cet instrument soit pris à bras le corps par
le législateur dans le domaine de la fiscalité locale, même en ce qui
concerne les textes non liés à cette fiscalité.
b. Le silence des textes non liés à la fiscalité locale
En tant que « lieu géométrique de tous les enseignements juridiques »108, « le
droit fiscal apparait comme un droit caméléon qui change de coloration selon la
perspective à partir de laquelle il est étudié »109. Au-delà du CGI et du LPF qui
123.
106 Stéphane BERNATCHEZ, « Briser la loi du silence sur le silence de la loi : de
110 Article 28 de la loi n°2016-17 du 14 décembre 2016 portant Code minier au Cameroun.
111 Il s’agit entre autre des articles 105, 111, 170 et suivants.
112 Article 61 de la loi n°2012/006 du 19 avril 2012 portant Code gazier.
113 Article 61 de la loi n°94/01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et
de la pêche.
114 Article 7 de la loi n°90/050 du 19 décembre 1990 modifiant la loi n° 77-10 du 13 juillet
1977 portant institution d’une contribution au crédit foncier et fixant la part de cette
contribution destinée au fonds national de l’emploi.
186
meilleures115. PLATON faisait savoir, selon sa fameuse théorie du
Philosophe-roi, que jamais les lois n’auront suffisamment de sagesse pour
embrasser le tout, en raison de leur trop grande généralité116. Il se rendra
finalement à la primauté des lois, en maintenant toutefois qu’elles
demeurent trop générales117, ce à quoi ARISTOTE répondait qu’aucune
passion n’est avantageusement attachée aux lois118. Pour ce philosophe,
l’omission du législateur pouvait être corrigée par l’équité.
L’absence de clarification de la notion de solidarité de paiement en
droit fiscal camerounais n’est pas seulement observée dans les textes
législatifs, c’est également le cas dans les textes règlementaires. Si certains
textes évoquent sans la définir la solidarité de paiement119, d’autres textes
règlementaires sont silencieux sur ladite solidarité en matière fiscale. Or,
pour que la logique de performance de l’administration publique
camerounaise soit une réalité en matière fiscale, il est important que des
mécanismes de garantie du recouvrement de l’impôt soient davantage
consacrés par les lois. C’est un impératif lorsque le Professeur Gérard
PEKASSA NDAM nous rappelle que « l’administration fiscale est astreinte à
collecter, au cours d’un exercice fiscal, des ressources fiscales d’un montant précis afin de
contribuer à l’exécution du budget de l’Etat »120.
Toutefois, ce silence des textes à caractère particulier sur la notion
de solidarité de paiement est comblé par la référence au texte de fiscalité
générale.
115 ARISTOTE, Les politiques, Paris, Flammarion, 1990, p. 262 : « Le point de départ de la
recherche est celui-ci : est-il plus avantageux d’être gouverné par l’homme le meilleur ou par les lois les
meilleures ? ».
116 Dans le dialogue Le Politique , Platon, Sophiste, Politique, Philèbe, Timée, Critas, Paris,
Garnier-Flammarion, 1969, pp. 226 et 227, écrit : « il est évident que la législation appartient
jusqu’à un certain point à la science royale, et cependant l’idéal n’est pas que la force soit aux lois, mais à
un roi sage. Sais-tu pourquoi ? (…) C’est que la loi ne pourra jamais embrasser exactement ce qui est le
meilleur et le plus juste pour tout le monde à la fois, pour y conformer ses prescriptions : car les différences
qui sont entre les individus et entre les actions et le fait qu’aucune chose humaine, pour ainsi dire, ne reste
jamais en repos interdisent à toute science, quelle qu’elle soit, de promulguer en aucune matière une règle
simple qui s’applique à tout et à tous les temps ».
117 PLATON, Les lois, Paris, Gallimard, 1997, p. 197.
118 ARISTOTE, Les politiques, op.cit., p. 262.
119 C’est le cas du décret n°98/009/PM du 23 janvier 1998 fixant l’assiette et les modalités
de recouvrement des droits, redevances et taxes relatifs à l’activité forestière, dont l’article 8
al 3 dispose : « pour les ventes de coupe, les concessions, les licences ou tout autre titre exploité par tiers
interposé, le concessionnaire est solidairement responsable du paiement de la taxe d’abattage ou du prix de
vente dû par le débiteur du titre d’exploitation ». Dans le même sens, voir les articles 9 et 10 du
décret n°2000/961/PM du 08 décembre 2000 fixant l’assiette ainsi que les modalités de
recouvrement et de contrôle des taxes applicables aux productions animales et halieutiques.
120 Gérard PEKASSA NDAM, « Les transformations de l’administration fiscale
121 Jean-Louis BERGEL, « A la recherche des concepts émergents en droit », Recueil Dalloz,
n°24, 2012, p. 1567.
122 Article 66 al 1er de la loi n°94/01 du 20 janvier 1994 précitée.
123 La référence par énumération s’entend de l’hypothèse où, au-delà de l’existence des
textes particuliers sur la fiscalité, le texte général a énuméré dans ses dispositions certains
domaines qui font déjà l’objet de textes particuliers bien que ces derniers soient insuffisants
sur une question. C’est le cas du Code Général des Impôts, qui en plus d’être un texte
général, a pris le soin d’énumérer des dispositions spécifiques à certains domaines
particuliers de la fiscalité. Ainsi, au-delà des dispositions générales, on y retrouve des
dispositions sur la fiscalité locale et sur des fiscalités spécifiques telles que la fiscalité
pétrolière, la fiscalité minière, la fiscalité forestière, la fiscalité des concessions de service et
la fiscalité des investissements pour ne citer que celles-là. Ces fiscalités particulières, en plus
d’être consacrées dans le Code Général des Impôts, font l’objet de textes particuliers.
188
décembre 2009 portant fiscalité locale124. Malgré les risques du silence de la
loi, notamment la loi portant fiscalité locale, certains voient en cette
manière de faire du législateur, des avantages. C’est la position de Fabien
GELINAS qui estime que « le silence n’a pas que des vices : il a même des vertus
insoupçonnées »125 car on pourrait avoir à faire à une « lacune de convenance »126.
Le législateur mobilise le silence comme un instrument de politique
législative. Celui-ci peut choisir de garder volontairement le silence sur telle
ou telle facette de la réalité réglementée. L’organe législatif estime que « son
office est de fixer par de grandes vues, les maximes générales du droit, d’établir des
principes féconds en conséquence et non de se rendre dans le détail des questions qui
peuvent naitre sur chaque matière »127. Dans ce sens, « le silence se présente comme
un ennemie que chacun sait irréductible, qui est combattu sans répit, avant d’être
apprivoisé un peu : un ennemie qu’il est possible d’apprécier au final. Car la loi comme
la musique, n’est rien sans interprète, celui pour qui et par qui le silence s’exprime et
devient matière première »128.
Le silence observé dans les législations fiscales participe d’un choix
délibéré de politique législative car comme l’affirme le Professeur Paul
Gérard POUGOUE, « tout système juridique est également dominé par les buts qui
lui sont assignés »129. Ce qui est vrai pour la politique législative l’est aussi
pour la politique jurisprudentielle, le choix d’une option entrainant
nécessairement l’exclusion d’autres. Les choix faits dans le contexte d’une
politique juridique peuvent être à l’origine de ce qu’il convient d’appeler le
« silence-option »130 du droit. Ce type de silence fait écho à un autre qui est la
conséquence de la perfectibilité des instances de création du droit : le
« silence-omission ». Il peut arriver que les silences du droit ne soient pas
prémédités, mais simplement fautifs parce qu’ils résultent d’omissions
involontaires.
En somme, les silences, les lacunes du droit sont le résultat de la
combinaison de plusieurs facteurs. L’incomplétude du droit présente un
aspect matériel qui se dédouble, ce qui met en exergue les lacunes internes
du droit, tout comme son incapacité à résoudre de manière exhaustive la
124 L’article dont il s’agit dispose que « sauf dispositions spécifiques de la présente loi, les procédures
fiscales applicables aux droits et taxes de l’Etat sont reprises mutatis mutandis pour l’assiette, l’émission, le
recouvrement, les poursuites, le contrôle et le contentieux des impôts, taxes et redevance dus aux
communautés urbaines, aux communes d’arrondissements et aux régions ».
125 Fabien GELINAS, « Codes, silence et harmonie. Réflexion sur les principes généraux et
les usages du commerce dans le droit transnational des contrats », Les cahiers du droit, n°4,
vol. 46, 2005, p. 942.
126 Cette expression est empruntée à Jean SALMON, « Quelques observations sur les
lacunes du droit international public », Revue belge de Droit international, 1967, p. 441.
127 Michel COURDEC, « Les fonctions de la loi sous le regard du commandeur », Pouvoirs,
les usages du commerce dans le droit transnational des contrats », op. cit., p. 942.
129 Paul-Gérard POUGOUE, « Les figures de la sécurité juridique », op. cit., p. 4.
130 M. U. NGAH NOAH, « Quelques réflexions sur le silence et le droit : essai de
131 Cette perspective substantielle est amplifiée par une approche temporelle qui insiste sur
le caractère dynamique, évolutif et changeant de la réalité sociale. Pour ce qui est de la
contribution de l’attitude des instances d’élaboration du droit dans le cas de la survenance
des silences du droit, elle se résume tantôt à créer délibérément le silence du droit à travers
des choix de politique juridique, tantôt à l’engendrer involontairement par des omissions
dans le travail d’encadrement des rapports sociaux.
132 Cf. Article 1er al 4.
133 Article 28 de la loi n°2009/019 du 15 décembre 2009 portant fiscalité locale.
134 Article 54 al 3, ibid.
135 Article 60, ibid.
136 Il n’existe pas en droit camerounais de recours en manquement ou en carence contre
l’inertie du législateur à l’instar de l’article 175 du traité de Rome du 25 mars 1957 devenu
l’article 232 du traité instituant la communauté européenne. L’initiative de légiférer relève
du pouvoir souverain du parlement ou du Président de la République. Même si l’adoption
d’une loi constitue une obligation résultant d’un texte constitutionnel ou d’un engagement
international, aucune juridiction camerounaise ne peut contraindre le parlement ou le
Président de la République ni même leur adresser formellement l’injonction d’adopter une
loi.
190
solution dans le mentalisme du juge, car les règles interprétatives sont
supposées agir comme des guides pour la conscience137. Le jugement
juridique serait rendu possible par une règle, c’est-à-dire une règle
interprétative qui remplirait une fonction heuristique d’orientation. Au
surplus, « l’approche herméneutique présuppose données des règles dans l’esprit du juge
lui permettant de subsumer la variété des situations particulières sous les catégories
générales de la moralité institutionnelle (les principes) »138.
Au-delà du recours à la technique de l’interprétation par le juge,
d’autres procédures qui malheureusement ne sont pas encore réelles au
Cameroun, permettent de pallier à la problématique du silence législatif.
C’est notamment le cas en France où le Conseil constitutionnel censure les
lois donnant lieu à une pluralité d’interprétation, ainsi que les lois
silencieuses139. Le Conseil censure également les lois ambiguës140 au point
où l’on peut se demander, à la suite de Florence GALLETTI, s’il existe
une obligation de bien légiférer141. En tout état de cause, ce n’est pas le cas
en droit positif camerounais où le législateur n’est pas soumis à une telle
contrainte, car aucune action ne saurait être entreprise contre lui dans ce
sens. Toutefois, il est important que le travail législatif aboutisse à une
législation suffisamment précise sur la solidarité de paiement pour que l’on
ne soit plus confronté à des incompréhensions entre le contribuable et le
fisc dans son utilisation opérationnelle.
II. L’utilisation opérationnelle de la solidarité de paiement
Alors que les outils de définition des termes, notions ou concepts
juridiques sont nombreux, le travail de définition est entrepris de façon
variable dans le champ juridique. Tant dans les discours juridiques que
dans ceux qui les analysent, il est fréquent d’être confronté à une absence
de définition, à des définitions présentant des degrés sensiblement
différents de précision, ou encore à une pluralité de définitions142.
137 Sur les règles d’interprétation conçues comme des guides pour la conscience, voir Pierre
André COTE, Interprétation des lois, Montréal, Thémis, 3e éd., 1999, p. 45.
138 Jacques LENOBLE, « La question de l’application en droit au-delà d’une approche
p. 310.
191
A défaut d’une définition terminologique, la législation
camerounaise consacre un ensemble de définitions réelles rattachées à la
notion de solidarité de paiement en matière fiscale. De par son procédé,
« la définition réelle consiste en une détermination substantielle des éléments et des
attributs spécifiques du concept envisagé. Par son caractère général et abstrait, elle
dessine pour un concept le modèle de comparaison permettant d’y confronter des
situations concrètes grâce aux traits qui le caractérisent »143. En parcourant le Code
Général des Impôts incluant le Livre des Procédures Fiscales, à
l’observation de la pratique au niveau des administrations fiscales il se
dégage en substance que la solidarité de paiement est une garantie de
bonification (A) et sécurisation des recettes fiscales (B).
A. Une garantie de bonification des recettes fiscales
Les transformations de l’administration fiscale camerounaise144
visaient un objectif d’efficacité du recouvrement de l’impôt dans un
contexte rendu difficile non seulement par l’ajustement structurel, mais
également du fait des crises sécuritaires et sanitaires qui ont secoué
l’économie145. Se situant à un niveau d’endettement élevé mais
soutenable146, l’Etat camerounais fonde l’essentiel de ses espoirs de
comme l’atteste par exemple le Rapport de la Direction générale des impôts (DGI) de
2015. Ainsi, malgré la situation difficile, le taux de croissance du Cameroun en 2015 s’est
maintenu à 5,8% grâce à une économie particulièrement diversifiée. La DGI a mobilisé au
terme de l’exercice 2015, en se servant aussi du mécanisme de la solidarité de paiement, des
recettes fiscales globales de 1931,1 milliards FCFA dépassant de 230,6 milliards en valeur
absolue et de 13,6% en valeur relative, celles de l’année 2014. Cf. Ministère des finances,
DGI, Rapport annuel 2015, p. 9.
146 Selon les dernières mises à jour de la Caisse Autonome d’Amortissement (CAA),
représentant 46,9% du PIB dans l’ancienne série de base 2005, ne représente désormais que
43,7% du PIB dans a nouvelle série en base 2016.
147 Stève Thiery BILOUNGA, « Les droits du contribuable au Cameroun », Gestion et
Paris, Dalloz, 12e éd., 2018, p. 1293. Voir également Alain BENABENT, Droit des
obligations, Paris, LGDJ, coll. Domat Droit privé, 2017, pp. 586-589.
193
paiement des sommes réclamées en cas de négligence coupable, défaillance
avérée ou complicité établie.
Lorsque la cession des droits portant sur les ressources naturelles ou
des actions ou parts sociales d’une entreprise de droit camerounais est
réalisée à l’étranger, l’entreprise de droit camerounais est solidaire, avec le
cédant, du paiement des droits dus au titre de la cession. En cas de
cession, quelles que soient les conditions, le cessionnaire peut être tenu
pour responsable solidairement avec le cédant du montant des impôts
émis et restant à émettre. Il ne peut être mis en cause qu’au titre de la
période non prescrite et seulement jusqu’à concurrence du prix de cession
si celle-ci est faite à titre onéreux ou de la valeur retenue pour la liquidation
des droits de transmission entre vifs si elle a lieu à titre gratuit. Dans la
pratique, le fisc commence par poursuivre en paiement le redevable. Ce
n’est que si ce dernier est insolvable que l’on enclenche le mécanisme de
solidarité pour une plus grande efficacité de l’action en recouvrement. Il y
a ce pré ordre dans les poursuites.
En 2017, suite au constat de l’accumulation des arriérés fiscaux des
contribuables du secteur forestier, notamment la Redevance forestière
annuelle due par les détenteurs des titres d’exploitation, alors que s’est
développée une pratique opaque de location desdits titres, la loi de
finances pour l’exercice 2018 a instauré le principe de la solidarité de
paiement des impôts, droits et taxes dans ce secteur152. A compter de la
date d’entrée en vigueur de cette réforme, dès qu’un lien d’affaires direct
ou indirect est établi entre les titulaires de titres forestiers ou les
fournisseurs de produits forestiers et les entreprises exploitantes ou
exportatrices desdits produits à travers les contrats de partenariat, les
factures d’achat, les dépôts en usine ou en parc de rupture ou tout autre
élément probant, l’impôt dû peut être réclamé au tiers solidaire.
Le contrat, assise réelle de la solidarité, est, dans la majeure partie
des cas, un contrat de bail ou relatif au fonds de commerce153. Bien plus, la
solidarité peut également découler des liens du mariage. La particularité de
la solidarité au sein des couples institutionnels est d’être imposée par le
législateur. Dans le mariage, un devoir de solidarité est prévu entre les
époux et partenaires154. « Il est considéré que la solidarité fiscale du couple est une
technique de droit privé utilisée par le droit fiscal en vue de faciliter le recouvrement de
l’impôt »155. Il est important de noter qu’« en matière de crise conjugale ou de
152 Cf. article 247 bis (5) de la loi n°2017/21 du 20 décembre 2017 portant loi de finances
du Cameroun pour l’exercice 2018. « L’entreprise exportatrice est solidairement responsable du
paiement des impôts, droits et taxes éventuellement dus par le titulaire du titre forestier dont sont issus les
produits visées à l’alinéa 1er ci-dessus ».
153 L. ARGENTIERI, « La solidarité en matière fiscale : vers la fin de l’exorbitance du droit
spécial 2006, Bilan d’application de la loi du 26 mai 2004 relative au divorce, p. 131.
159 La solidarité de paiement entre époux pour le paiement de l’impôt est légitime en cas de
revenu : la nécessaire refonte d’une disposition obsolète », Revue de droit fiscal, n°17-18, 2006,
p. 885.
161 Laurent ARGENTIERI, « La solidarité en matière fiscale : vers la fin de l’exorbitance du
195
en apparence simple, lui permettant de transcender l’écran de la personne morale et de
contrecarrer les manœuvres de débiteurs se plaçant sous le couvert de sociétés le plus
souvent insolvables, hors de portée des poursuites du trésor »166. Cette prérogative de
l’administration fiscale permet une matérialisation du recouvrement auprès
du redevable solidaire.
b. La matérialisation du recouvrement auprès du redevable
solidaire
Pour Jean-Baptiste FOTSING, « l’impôt est une institution sociale et
comme telle, elle suppose dans chaque société une adhésion qui accompagne en général les
institutions sociales. Chaque société a un ensemble de valeurs autours desquelles se bâtit
sa cohésion. La légitimité de toute institution est fonction de sa conformité à cette
axiologie »167. On peut donc affirmer que la greffe de l’impôt moderne
d’origine occidentale sur les valeurs fondamentales africaines crée un
schisme qui altère la perception des contributions publiques. Cette
anthropologie juridique des sociétés africaines reste d’un apport
considérable dans la compréhension du rapport de l’africain à l’impôt168.
Le Professeur Pierre ALAKA ALAKA169 a pu décrypter les difficultés du
recouvrement de l’impôt au Cameroun à l’aune des dysfonctionnements
administratifs, même si les choses ont considérablement évolué. Il estime
que l’assiette de l’impôt est suffisamment large, mais l’organisation
déficiente de l’Administration fiscale ne lui permet pas de mobiliser
efficacement le potentiel fiscal de la République. Cette perception des
choses suggère que les systèmes fiscaux sont le reflet des structures
sociales.
Au Cameroun, le mécanisme de la solidarité de paiement n’est pas
assez mobilisé par les administrations fiscales dans la collecte de l’impôt.
Or, il est important de développer « les voies et moyens nécessaires à la (…)
productivité de l’impôt dans les pays africains à partir de l’examen du Cameroun »170.
Le Professeur Pascal ANCEL nous rappelle que, « Pothier estimait déjà qu’il
est de l’intérêt de tous et de chacun que le fisc soit le plus riche possible pour soutenir les
charges de l’Etat »171. A travers la mise en œuvre du lien de solidarité ou
encore de la communauté des intérêts, il résultera un transfert de
l’obligation de payer du redevable principal sur la personne du redevable
166 Houari ZENASNI, La responsabilité fiscale des dirigeants de sociétés commerciales, Mémoire de
Magister en droit, Université d’Oran, 2012, p. 11.
167 Jean-Baptiste FOTSING, Le pouvoir fiscal en Afrique, essai sur la légitimité fiscale dans les Etats
196
solidaire, recevable à cette occasion à contester l’obligation mise à sa
charge.
Ce transfert d’obligation a ceci de particulier qu’il est constitué
d’une obligation plurale pour une dette unique ; au sens de « la consigne que
d’Artagnan avait donné aux trois mousquetaires : tous pour un, un pour tous »172. En
conséquence, « les outils de l’administration qui ne nécessitent pas l’intervention
d’une décision de justice se révèlent être particulièrement nombreux au point qu’ils
semblent constituer la règle »173. Le jeu de la solidarité de paiement en matière
fiscale obéit aux mêmes principes que ceux du droit civil : chaque débiteur
solidaire peut être contraint pour la totalité et le paiement fait par un seul
libère les autres envers le créancier. De plus, le créancier peut choisir
librement le débiteur solidaire auquel est demandé le paiement de la dette.
On dit qu’il y a une unité d’objet et une pluralité de liens d’obligations.
L’unité de la dette fiscale est l’une des caractéristiques premières de
l’obligation solidaire. L’administration fiscale peut choisir
discrétionnairement celui parmi les débiteurs auquel elle réclame le
paiement ; le débiteur actionné ne pourra ni invoquer le bénéfice de
discussion, ni le bénéfice de division.
L’administration dispose également de la faculté de poursuivre
plusieurs codébiteurs solidaires, simultanément ou successivement, dans le
but de garantir le recouvrement de la totalité de la dette de l’impôt. S’il est
évident qu’elle ne pourra percevoir plus que « son » dû, l’irrecevabilité d’une
action contre l’un n’atteint pas les autres174. Tandis que les mesures
prescrites au débiteur en difficulté semblent faire de la patience, de
l’indulgence, et de l’oubli, les qualités désormais requises de tout
créancier175, se voyant contraint, en droit commercial comme en droit de la
consommation, par des mesures d’allongement des délais de paiement et la
suspension des poursuites individuelles, le Fisc parait bénéficier d’un
régime de faveur.
Depuis la loi de finances pour l’exercice budgétaire 2018 qui
instaure le principe de solidarité de paiement des impôts, droits et taxes
dans le secteur forestier, le receveur des impôts ayant pris en charge les
dettes fiscales d’une entreprise titulaire d’un titre forestier est fondée à en
poursuivre le recouvrement auprès du tiers exploitant ou exportateur par
toutes les voies de droit. Ledit tiers solidaire fait notamment l’objet de
mesures de recouvrement forcé telles qu’édictées par le CGI et pourrait
ainsi se voir suspendre la faculté d’édicter son Attestation de Non
Redevance (ANR), étant devenu redevable au même titre que le redevable
in L’Avenir du droit, Mélanges en l’honneur de François TERRE, Paris, PUF, 1999, p. 623.
197
primaire. A titre d’illustration, la Direction générale des impôts a pu
recouvrer consécutivement à la suspension de l’ANR des entreprises mises
en solidarité dans ce secteur, soient 50 contribuables en 2018, un montant
de 1,7 milliards de FCFA176.
Toutefois, il convient de relever que l’apparition du fait générateur
fait naitre la créance d’impôt, mais elle n’a pas en général pour effet de
créer d’emblée une obligation de paiement à l’encontre de la personne
imposable177. Seule l’intervention de l’exigibilité de la créance « détermine le
droit de l’administration de contraindre le contribuable, à partir d’une date déterminée,
au paiement de l’impôt »178. Ainsi, lorsque l’exigibilité de la créance fiscale
commande l’obligation de payer du redevable, contester la première
revient à s’opposer à la seconde. L’action de l’administration est largement
encadrée179, car le contribuable ne saurait se voir atteint par une politique
juridique inquiétante dans la mesure où « elle semble porter la ruine de la sécurité
juridique »180. L’issue du recouvrement de l’impôt par le mécanisme de la
solidarité, aboutira à coup sûr à la libération du redevable principal.
2. Un moyen de libération du redevable principal
La libération du débiteur postule que le lien de droit soit dénoué.
Elle met l’accent sur un droit du débiteur qui serait un pendant du droit du
créancier d’obtenir l’exécution du lien de droit181. Notons la justesse de
cette recherche d’un curseur car elle est la colonne vertébrale de
l’extinction des dettes182. La solidarité de paiement se présente comme un
moyen d’extinction de la dette fiscale (a) et de neutralisation des recours à
l’égard du redevable principal (b).
a. L’extinction de la dette fiscale suite au paiement par un
codébiteur
S’agissant de la matière extinctive, « il est vrai qu’elle parait rebelle à tout
esprit de système »183. Cette remarque trahit tout l’embarras autour de la
176 République du Cameroun, Ministère des Finances, Direction générale des impôts,
Rapport annuel, 2018, p.70.
177 Pierre BELTRAME et Lucien MEHL, Techniques politiques et institutions fiscales comparées,
cit., p. 723.
180 Hervé LECUYER, « redéfinir la force obligatoire du contrat ? », Les petites affiches, 6 mai
réforme du régime général des obligations, Paris, Dalloz, coll. Thèmes & Commentaires, 2013, p.
93.
182 Cédric HELAINE, L’extinction partielle des dettes, Thèse de doctorat en droit, Aix-
184 Gérard CORNU, « Les définitions dans la loi », in Mélanges dédiés au doyen Jean
VINCENT, Paris, Dalloz, 1981, p. 15.
185 Félix GAFFIOT, Dictionnaire Latin Français, Paris, Hachette, 2001, p. 287.
186 Le Littré, Paris, 2010.
187 Cédric HELAINE, L’extinction partielle des dettes, op.cit., p. 23.
188 Daniel MAINGUY et Jean-Louis RESPAUD, Droit des obligations, Paris, Ellipses, 2008,
p. 365.
189 Article 1235 du code civil.
190 Article 1236 du code civil.
191 Article 1239 du code civil.
192 Didier R. MARTIN, « De la libération du débiteur », op. cit., p. 93.
199
rattache au créancier n’est pas forcément volontaire. La libération est
essentielle dans toute obligation. Elle est la clé de voute du mécanisme de
solidarité de paiement qui permet de repérer la fin pour l’avenir d’une
obligation fiscale. Classiquement, l’extinction d’une obligation fiscale
provoque comme principale conséquence la disparition de son effet
contraignant. La preuve193 de l’extinction est ainsi un élément majeur194 car
elle seule permet de justifier la perte de la contrainte juridique que fait
peser l’obligation sur le débiteur.
Dans le mécanisme de la solidarité de paiement en matière fiscale, la
somme versée par l’un va éteindre la dette fiscale des codébiteurs envers
l’administration. L’aspect primordial de la relation liant les codébiteurs
entre eux réside dans la mise en œuvre de l’action récursoire. Le débiteur
solidaire qui a payé plus que sa part contributoire dispose d’un recours
pour l’excédent contre ses codébiteurs. Toutefois, le décès de l’un des
débiteurs modifie la situation : les autres débiteurs demeurent dans la
même situation mais la dette fiscale du défunt passe à ses héritiers entre
lesquels la dette se divise. Contrairement à l’héritier acceptant pur et
simple, celui qui n’a pas accepté la succession que sous bénéfice
d’inventaire n’est pas tenu personnellement du passif héréditaire. Il n’en
est tenu qu’à concurrence des biens qu’il recueille dans la succession qu’il
est chargé de liquider. S’il paye néanmoins un créancier successoral sur ses
propres deniers, notamment pour éviter une série et une vente
inopportune, génératrice de frais ou intervenant dans des circonstances
peu propices, il rend service à ses cohéritiers, tout en préservant le cas
échéant ses propres intérêts dans le partage d’un éventuel reliquat. La
subrogation dont il bénéficie de plein droit lui facilitera le recouvrement,
au jour de la liquidation, de l’avance qu’il aura faite195. C’est ainsi que
l’extinction de la dette fiscale par le paiement solidaire entrainera une
neutralisation des recours à l’égard du redevable.
b. La neutralisation des poursuites à l’égard du redevable
La plupart des contribuables s’acquittent spontanément de leurs
obligations fiscales. Certains, malheureusement, s’obstinent à ne pas les
honorer et utilisent tous les moyens à cette fin. C’est à l’égard de ces
contribuables, pour lesquels accompagnement et suivi n’entrainent pas
d’amélioration de la discipline fiscale, que le droit pénal joue un rôle
important. Cela permet en outre de renforcer les effets préventifs généraux
que peut avoir l’application du droit pénal et de réduire l’indiscipline
fiscale.
193 Sur ceci, voir la définition donnée par Etienne VERGES, Géraldine VIAL et Olivier
LECLERCQ, Droit de la preuve, Paris, PUF, Thémis, 2015, p. 7.
194 Cass. Civ. 1ère 6 novembre 2012, n°12-19436. Le défendeur au pourvoi s’appuyait sur la
novation pour démontrer qu’une première dette avait été éteinte et qu’une seconde s’y était
substituée.
195 François TERRE, Philippe SIMLER et Yves LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op.
cit., p. 1308.
200
La procédure pénale en matière fiscale déroge au droit commun. A
la différence des autres délits, le délit de fraude fiscale ne peut pas être
poursuivi d’office par l’autorité normalement compétente, à savoir le
Procureur de la République. Celui-ci ne peut mettre en mouvement
l’action publique que dans la mesure où l’administration a préalablement
déposé une plainte ou dénoncé des faits de fraude fiscale.
C’est ainsi que sous peine d’irrecevabilité, les plaintes visant
l’application des sanctions fiscales, sont déposées par le Ministre chargé
des finances après avis de la Commission des infractions fiscales196, suite
aux procès-verbaux établis par les agents assermentés de l’administration
fiscale ayant au moins le grade d’inspecteur et ayant pris une part
personnelle et directe à la constatation des faits constitutifs de
l’infraction197. La Commission a une fonction consultative : son principal
rôle est de rendre un avis conforme s’agissant des plaintes déposées par
l’administration fiscale qui tendent à l’application des sanctions pénales en
matière d’impôts directs, de TVA et autres taxes sur le chiffre d’affaires
pour ne citer que ces quelques cas. Son champ d’investigation concerne
principalement le délit de fraude fiscale198.
Le Ministre chargé des finances est lié par les avis de la
Commission. En cas d’avis défavorable, l’administration fiscale ne pourra
pas déposer plainte contre le contribuable. Un avis défavorable de la
Commission des infractions fiscales, s’il permet à l’administration fiscale
de déposer plainte199, ne lie pas le Parquet qui reste libre de déclencher ou
non l’action publique. Le Procureur de la République doit vérifier, chaque
fois qu’il est saisi des faits, si ceux-ci tombent sous le coup d’une
qualification légale afin de se conformer au principe de la légalité des délits
et des peines, principe fondamental dans la garantie de la sécurité juridique
et de l’Etat de droit200. Les poursuites sont portées devant le tribunal
196 La commission des infractions fiscales est un organe consultatif placé auprès du ministre
chargé des finances. Elle examine les affaires que celui-ci lui soumet.
197 Article L 112 du LPF.
198 Pour rappel, le délit de fraude fiscale vise quiconque s’est frauduleusement soustrait ou a
laquelle sont analysés les faits constitutifs du délit dans ses éléments (matériel et
intentionnel). La date de la saisine et celle de l’avis de la commission y sont mentionnés afin
de permettre à l’autorité judiciaire d’apprécier la régularité de la procédure au regard de la
prescription de l’action publique. La plainte mentionne que l’administration se constituera
partie civile soit au cours de l’audience correctionnelle, soit au cours de l’information
judiciaire.
200 Moustapha NJOYA NJUMOU, Le rôle du ministère public en droit camerounais, Mémoire de
DEA en droit privé, Université de Yaoundé II, 2006, p. 34. Pour approfondissement, lire
Henri Martin Martial NTAH A MATSAH, Le Ministère public dans le contentieux administratif
au Cameroun : contribution à l’étude des organes de la juridiction administrative camerounaise, Thèse de
doctorat/ Ph.D en droit public, Université de Yaoundé II, 2011, 501 p. Lire également
Collins PACHA NKOUCHIPO, Les droits de la défense devant le Tribunal criminel spécial, Thèse
de doctorat/Ph.D en droit privé, Université de Yaoundé II, 2019, 483 p.
201
correctionnel dans le ressort duquel l’un quelconque des impôts en cause
aurait dû être établi ou acquitté201. Toutefois, la poursuite peut être
neutralisée si par le mécanisme de la solidarité de paiement, l’impôt est
payé par un tiers autre que le redevable principal.
Ainsi, lorsque la dette fiscale est acquittée par l’un des codébiteurs,
le paiement de plein droit entraine l’extinction de la dette fiscale et la perte
par l’Administration de son droit d’engager les poursuites ni à l’encontre
du redevable principal ni à l’égard du redevable solidaire. Les poursuites ici
renvoient aux différentes mesures envisageables pour recouvrer la dette
conformément à la loi. Il s’agit en réalité de l’action en recouvrement par
des mesures de poursuites de droit commun ou des mesures particulières.
Les poursuites de droit commun comprennent trois degrés : la mise en
demeure valant commandement de payer, la saisie et la vente. Ces trois
degrés constituent des poursuites judiciaires, c’est-à-dire que seuls les
tribunaux judiciaires sont compétents sur la validité de ces actes202. Au-delà
des poursuites de droit commun, l’Administration dispose également des
mesures particulières de poursuite203. En tout état de cause, le paiement de
l’impôt par l’un des codébiteurs ferme toute voie de recours au Ministre
des finances204 parce que la sécurité des recettes fiscales reste préservée.
B. Une garantie de sécurisation des recettes fiscales
Le contrôle de la ressource fiscale a toujours fait l’objet d’une
attention particulière du pouvoir exécutif205. Au-delà d’être un mécanisme
de bonification des recettes fiscales, la solidarité de paiement contribue
également, à la sécurisation des recettes fiscales, car « les comportements de
résistance à l’impôt sont légion »206. A ce titre, la solidarité de paiement devient
un instrument de lutte contre la fraude fiscale (1) et même de
modernisation fiscale (2).
1. La sécurisation par la lutte contre la fraude fiscale
Il sied de souligner que, « la simplicité du mode de recouvrement et sa
rentabilité du fait de toute possibilité de fraude écartée, arrive à concilier les vœux du
plaintes sont déposées par le ministre des finances après avis de la commission des
infractions fiscales, suite aux procès-verbaux établis par les agents assermentés du Fisc
ayant au moins le grade d’inspecteur et ayant pris part à la constatation de l’infraction.
205 Patrick NGANGUE NEMALEU, Le principe de légalité de l’impôt en droit camerounais, op.
cit., p. 10.
206 Eliane NTIADEU NGAKO, L’assiette en droit fiscal camerounais, Mémoire de Master en
207 Jean-Marie MEKONGO, Les retenues à la source dans le système fiscal du Cameroun, Yaoundé,
Presses universitaires libres, 2009, p. 28.
208 Eliane NTIADEU NGAKO, L’assiette en droit fiscal camerounais, op.cit., p. 33.
209 Géraud de la PRADELLE, « La fraude à loi », Travaux du comité français de droit
203
l’identité n’a pas été révélée. Ces revenus sont taxés à l’impôt sur le revenu
des personnes physiques au taux le plus élevé. Les impositions sont
assorties d’une pénalité de 100% non susceptible de transaction215.
Si l’élément intentionnel est indispensable pour la responsabilité
pénale, « on imagine mal une personne morale manifester une intention d’agir, sauf à
se placer au niveau de ses organes ou représentants qui, s’ils sont eux-mêmes constitués
sous la forme d’une personne morale, ont également des organes ou représentants. En
somme, la responsabilité d’une personne morale impose nécessairement le comportement
fautif d’une personne physique agissant pour son compte »216. C’est ainsi que la
responsabilité pénale des personnes présente la particularité d’être à la fois
indirecte et personnelle217. Elle peut être qualifiée de « responsabilité du fait
personnel par représentation »218.
Bien plus qu’un moyen de lutte contre la fraude fiscale, l’article 45
du CGI est une technique de moralisation des affaires au même titre que
l’article L 88 du LPF 219. Il est également possible, à travers le mécanisme
de solidarité de paiement, de lutter contre la fraude fiscale au plan
international.
b. La lutte contre la fraude fiscale au plan international
Les performances des Etats méritent d’être relativisées220. Pour une
optimisation des ressources fiscales, « l’on ne saurait assimiler l’Etat à un vase
clos se suffisant lui-même »221. Au plan international, la solidarité de paiement
est un instrument de lutte contre la fraude à travers l’assistance
administrative en matière fiscale qui peut se décliner en assistance à
l’assiette222 et l’assistance au recouvrement. Le Professeur BEGNI
215 L’application de l’impôt sur le revenu des personnes physiques auxdites sociétés ou
personnes morales ne met pas obstacle à l’imposition des sommes visées ci-dessus au nom
de leurs bénéficiaires, lorsque ceux-ci peuvent être identifiés par l’administration.
216 Ludovic AYRAULT, « Critère intentionnel et répression de la fraude fiscale : réflexion
autour de l’irresponsabilité pénale en matière fiscale », Revue tunisienne de fiscalité, n°16, 2011,
p. 384.
217 O. GADHOUM, « La responsabilité pénale des personnes morales en matière de fraude
pénalités dus par les sociétés a été totalement compromis ou lorsque l’insolvabilité de celle-ci a été organisées
par des manœuvres frauduleuses des personnes qui exercent en droit ou en fait, directement ou indirectement
la direction effective de ces sociétés, ces personnes sont tenues solidairement responsables du paiement de ces
impôts et pénalités ». Si cet article permet une moralisation des affaires, on peut néanmoins
s’interroger sur l’expression « manœuvres frauduleuses », qui en réalité confère des pouvoirs
exorbitants aux agents du fisc.
220 Jean-Bernard MATTRET, « La dette publique : quels enjeux ? », RFFP, n°152,
administrations fiscales d’Etats différents en vue de faciliter les opérations d’assiette ». Concrètement,
cette assistance permet aux Etats d’échanger des informations nécessaires à la bonne
204
BAGAGNA note que « l’assistance au recouvrement résulte des conventions fiscales,
lesquelles prévoient que chaque Etat contractant s’engage à assister l’autre au
recouvrement des dettes fiscales »223. L’assistance administrative en matière
fiscale est un mécanisme qui permet aux administrations fiscales des pays
de lutter contre les planifications fiscales agressives dans la mesure où elles
permettent de saisir le bénéficiaire effectif de certaines opérations
financières.
Un consensus semble à cet effet se dégager progressivement à
l’échelle internationale, notamment au sein de l’Union européenne et de
l’OCDE224 sur le fait que le seul moyen d’y parvenir réside dans la
coopération transfrontalière, et en particulier dans l’échange
d’informations entre les Etats. Les autorités camerounaises ont pris
conscience de la nécessité de coopérer dans ce sens à l’international225
même si le législateur doit davantage fournir des efforts ; le fait que celui-ci
ne se soit pas encore saisi de la notion de bénéficiaire effectif est
déplorable226, dans un contexte où l’impératif de rendement fiscal se pose
avec acuité. Or, « l’assistance administrative est à la fois la tarte à la crème et
l’arlésienne de la fiscalité internationale »227. En tout état de cause, l’assistance
administrative internationale en matière fiscale est régie par une
convention internationale. Il s’agit de la convention concernant l’assistance
application des conventions fiscales internationales, mais aussi en principe, les informations
utiles à l’application de leur législation interne. Cf. Jérôme Nirmal THOMAS, Le contrôle
fiscal des opérations internationales, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 167.
223 BEGNI BAGAGNA, L’harmonisation des politiques fiscales en zone CEMAC : esquisse de
exemple, en 2016, l’Etat du Cameroun, à travers le Ministère des finances, a confirmé son
adhésion en sa qualité de membre associé du Cadre inclusif de l’OCDE. Il a ainsi marqué
son engagement à la mise en œuvre cohérente des standards normatifs minima qui
résulteraient des mesures relatives au projet Base Erosion and Profit Shifting. Au niveau
bilatéral, l’on note en 2016 plusieurs accords de coopération entre les Cameroun et les pays
étrangers : Allemagne, France, Sénégal et Bénin (Cf. Rapport de la DGI de 2016, pp. 79 et
suivants ; Rapport 2017 de la DGI sur la coopération entre le Cameroun et l’Allemagne, p.
100).
226 La clause du « bénéficiaire effectif » fut introduite en 1977 aux articles 10 (dividendes), 11
228 La convention a été élaborée par le Conseil de l’Europe et l’OCDE en 1988 et a été
amendée en 2010 par un protocole. La convention est l’instrument multilatéral le plus
complet et offre toutes les formes possibles de coopération fiscale pour combattre
l’évasion et la fraude fiscales.
229 L’article 1204 du code civil dispose que « les poursuites faites contre l’un des débiteurs
2001, p. 302 ; M. ESPAGNON, « Le paiement d’une somme d’argent sur internet », JCP-G,
1999, p. 131.
233 Henri OBERDORFF, « La transformation numérique de l’administration publique »,
206
S’il est un truisme que la solidarité de paiement en matière fiscale
participe activement au recouvrement des recettes fiscales et à la lutte
contre la fraude fiscale, elle est également un instrument de modernisation
fiscale. Si cette modernisation peut clairement s’énoncer (a), il faut
également l’apprécier dans le contexte qui est celui du Cameroun (b).
a. L’instauration de la digitalisation des procédures fiscales
Les liens unissant la fiscalité et le numérique occupent une place
croissante dans l’actualité et la doctrine en fait maintenant très souvent
état235. La fiscalité camerounaise est marquée depuis plusieurs années par
des mutations permanentes. Ces dernières s’effectuent dans l’optique de la
moderniser, mais aussi d’instituer des transformations au sein de
l’administration fiscale236. La législation et la réglementation fiscales ont été
touchées par le bouleversement des pratiques économiques que permet le
numérique237 ; aussi a-t-il fallu et faut-il encore réfléchir à l’adaptation du
régime fiscal à l’économie numérique. A l’heure où la numérisation
s’impose dans les activités économiques, la loi de finances pour l’exercice
2020 soumet certaines ventes effectuées en ligne au paiement des
impôts238. Le législateur camerounais s’est ainsi adapté à l’évolution de la
société dans un contexte où internet est considéré comme étant un
« support par excellence du commerce électronique »239. Mais, revers de la médaille,
le numérique, par le développement d’internet et des modes de
communication, a favorisé un nouveau type de criminalité : la
235 Alexandre DUMONT, « Numérique et nouvel incivisme fiscal », RFFP, n°134, 2016,
Fiscalité et Numérique, p. 73. Dans le même numéro, lire aussi Eloi DIARRA, « La fiscalité
numérique : quel avenir ? », pp. 3-9 ; Cédric GUILLERMINET, « L’impact du numérique
sur les procédures fiscales », pp. 55-60 ; Nadège YONAN-MERCADIER, « L’impôt sur les
sociétés et l’économie numérique », pp. 25-30 ; Charles GUENE, « La fraude fiscale sur
internet », RFFP, n°127, 2014, pp. 99-102 ; Aurélien DEHAINE, « Les ressources fiscales à
l’ère du numérique : l’adaptation de la fiscalité locale », RFFP, n°143, 2018, pp. 105-108 ;
Céline NDONGO DIMOUAMOUA, « Cameroun : mise en place d’un régime fiscal de
promotion de l’économie numérique », Droits africains des affaires, n°4, 2021, p. 7 ; Jean-
Raphaël PELLAS, « L’économie numérique à l’épreuve du Code Général des Impôts »,
RFFP, n°154, 2021, pp. 181-184.
236 Marthe Sandrine NGO NGWE BATOCK, La spécificité de la contribution des patentes en droit
fiscal camerounais, Mémoire de Master recherche en droit public, Université de Yaoundé II,
2018, p. 1.
237 Xavier CABANNES, « L’administration fiscale française et l’obtention des données sur
OHADA : éclairage rétrospectif et perspectives d’évolution à la lumière des systèmes fiscaux européens et
nord-américains, Thèse de doctorat/Ph.D en droit privé, Université de Yaoundé II, 2020, p.
2.
207
cybercriminalité notamment la « cyberfraude fiscale »240 bien qu’elle ne nous
intéresse pas dans cette réflexion.
La modernisation des procédures fiscales via leur numérisation a
contribué à rendre plus efficace le mécanisme de solidarité de paiement,
non seulement dans la lutte contre la fraude fiscale, mais également dans la
mobilisation des recettes fiscales241. L’appréhension de l’outil numérique
par l’administration fiscale s’est faite en deux étapes successives et
différenciées. Après l’adaptation de ses procédures à ce nouvel outil, elle a
su ensuite l’utiliser pour imposer au contribuable de nouvelles obligations
fiscales. L’administration fiscale a pu s’adapter au numérique en le
contrôlant et en rationnalisant ses procédures. Avant d’être un outil de
contrôle, le numérique est un outil contrôlé242.
Plusieurs réformes entreprises par l’Etat du Cameroun, témoignent
de la modernisation de l’administration fiscale et par voie de conséquence
l’optimisation de la solidarité de paiement. La digitalisation de l’avis de mis
en recouvrement couplée à la solidarité de paiement, ont entrainé une
évolution à la hausse du nombre de plans de règlements conclus en 2018
dans le secteur forestier, soit 11 moratoires pour une dette globale
moratoire de 5,6 milliards de FCFA243. Bien plus, la mise en place de la
télédéclaration a permis une meilleure fidélisation des contribuables avec
un taux de déclaration dans les délais avoisinant 100% à la Direction
Générale des Impôts. Cédric GUILLERMINET a pu parler de « la mise en
place forcée des téléprocédures »244. Ce procédé de déclaration a été mis en œuvre
en 2014 au profit des contribuables relevant de la Direction des Grandes
Entreprises, afin de réduire les nombreux déplacements (en moyenne 12
par an) effectués par ces entreprises pour l’accomplissement de leurs
obligations déclaratives. En termes de bilan du lancement au mois de mai à
décembre 2014, en moyenne 198 contribuables de la Direction Générale
des Grandes entreprises utilisaient le dispositif de télédéclaration sur un
fiscale électronique. Il s’agit d’une mesure salutaire. Elle vient comme ça simplifier les
procédures. Avant, il fallait par exemple, pour enregistrer un acte comme un bon de
commande, passer par sa banque payer, prendre les droits d’enregistrement, revenir
déposer aux impôts, et la division des impôts des grandes entreprises qui s’en occupe se
trouve à Yaoundé, alors que le siège des affaires est la capitale économique, à Douala avant
d’attendre enfin certains délais trop longs.
242 Cédric GUILLERMINET, « L’impact du numérique sur les procédures fiscales », RFFP,
p. 56.
208
effectif de 408 contribuables, soit un pourcentage de 49% en valeur
relative245.
Dans le même ordre d’idées, l’informatisation de l’avis de mise en
recouvrement a permis un meilleur suivi de l’action en recouvrement et la
fiabilisation des états de restes à recouvrer. Enfin, la digitalisation du
fichier national des contribuables a permis un accroissement du
portefeuille des moyennes entreprises et, d’une manière générale,
l’amélioration du civisme fiscal. Cette digitalisation du fichier national des
contribuables a également permis à l’administration fiscale d’avoir une
maitrise des effectifs de l’ensemble des redevables principaux et des
redevables solidaires même si l’on peut questionner la portée véritable de
cette numérisation dans le contexte socioéconomique camerounais.
b. L’appréciation critique de la digitalisation des procédures
fiscales
L’influence de l’outil numérique se ressent sur les institutions
administratives. Avec le développement de la technologie, l’administration
camerounaise fait face à de nombreux obstacles notamment le manque
d’infrastructures adaptées246. Si l’on peut saluer les initiatives de
digitalisation des procédures fiscales opérées au Cameroun, on peut aussi
s’interroger sur leur efficacité dans notre contexte. A l’heure où les
technologies de l’information et de la communication sont d’un apport
considérable aux activités humaines, l’avancée de la société du numérique
tarde selon le Professeur Gérard PEKASSA NDAM, à atteindre
substantiellement le continent africain247. Cette position est également celle
du Président Abdoulaye WADE qui estime que « l’évolution du numérique
coupe le monde en deux parties qui communiquent de moins en moins entre elles. Le
sud, sous-équipé en nouvelles technologies de l’information et de la communication, s’isole
du savoir et de la connaissance développés dans le Nord »248. Au Cameroun, le gap
de la fracture numérique est important entre les chefs lieu des régions et
les chefs de lieu de département et d’arrondissement. Pour résoudre cette
problématique, le Professeur Abdoulaye WADE a proposé le concept de
« solidarité numérique », comme solution au gap digital sur la route de l’e-
civilisation249.
De nos jours, « tout le monde s’accorde à reconnaitre que les technologies de
l’information et de la communication ont modifié en profondeur le paysage économique,
245 République du Cameroun, Ministère des Finances, Direction générale des impôts,
Rapports annuel, 2014, p.56.
246 Raïssa M. TCHOKONTE NGAYOU, Service public et numérique en droit camerounais,
180.
249 Ibid.
209
social, politique et humain à l’échelle de la planète. Et il n’y a aucune raison pour que
l’Afrique échappe au bouleversement induit par les TIC »250. Bien que des efforts
de digitalisation soient faits dans le domaine de la fiscalité notamment
pour optimiser le recouvrement des recettes via le mécanisme de la
solidarité de paiement, des difficultés persistent encore dans ce processus.
D’abord, la digitalisation fait face à la précarité de l’économie qui est
fondamentalement assise sur le secteur informel avec pour conséquence la
difficulté pour le numérique à atteindre certaines activités génératrices de
revenus. Bien plus, la fracture numérique ne permet pas à une bonne
partie de potentiels contribuables d’avoir accès à l’internet avec un impact
négatif sur les revenus fiscaux, et surtout une mise à l’écart des redevables
qui ne peuvent bénéficier des bienfaits du numérique. Quand bien même
les contribuables ont accès à l’internet, vient s’ajouter l’épineux problème
de la crise énergétique avec pour conséquence les délestages non plus
récurrents mais persistants encore dans certaines contrées du pays.
Si l’instrument fiscal n’arrive pas souvent à jouer le rôle qui devrait
être le sien, c’est notamment parce que les textes fiscaux ne sont pas
souvent bien conçus ; ils prennent rarement en considération les
circonstances de tous ordres (économiques, administratives, sociologiques,
politiques …) qui conditionnent leur application251. En définitive, si à l’ère
du numérique l’administration fiscale doit faire face à des mutations en
matière de fraude fiscale et d’accès aux données, l’Etat tend à se doter de
moyens juridiques sans pour autant dévoyer ce qu’il doit être : une autorité
morale252. Tous ces maux sont de nature à atténuer le mécanisme de la
solidarité de paiement dans ses fonctions de bonification et de sécurisation
des recettes fiscales.
Conclusion
Le système fiscal n’apparait pas toujours comme un ensemble
ordonné et organisé. Il se présente plutôt comme le résultat d’options
politiques, où entrent en jeu des contraintes d’ordre social et
psychologique que le pouvoir s’efforce de combiner ou de concilier253. La
notion juridique de solidarité de paiement est-elle clarifiée en droit fiscal
camerounais ? Cette interrogation peut paraitre quelque peu provocante à
l’issue de notre étude. Pourtant elle est bel et bien posée. Le moins que
l’on puisse écrire, au terme de la présente réflexion qui ne prétend pas à
250 Jacques BONJAWO, Révolution numérique dans les pays en développement, l’exemple africain,
Paris, Dunod, 2011, p. 11.
251 Ange BANGO, L’élaboration et la mise en œuvre de la fiscalité dans les pays de la communauté
économique et monétaire de l’Afrique centrale, Thèse de doctorat en droit, Université de Lyon III,
Jean-Moulin, 2009, p. 29.
252 Xavier CABANNES, « L’administration fiscale française et l’obtention des données sur
de dépense fiscale : expérience française et perception au Cameroun, Thèse de doctorat en droit public,
Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, 2014, p. 12.
210
l’exhaustivité est qu’il apparait que le droit fiscal permet d’appréhender de
manière relativement précise et objective la notion de solidarité de
paiement. A ce titre, qu’il nous soit permis de faire deux observations.
D’abord, la notion de solidarité de paiement demeure formellement
imprécise en droit fiscal camerounais. Pour s’en convaincre, il suffit de
scruter les textes à la fois généraux et spécifiques pour arriver à cette
conclusion. Si les textes à caractère général font un effort d’évoquer la
solidarité de paiement, les textes spécifiques quant à eux demeurent muets
sur ce mécanisme et par conséquent renvoient pour la compréhension aux
textes généraux.
Ensuite, la solidarité de paiement, au-delà de son imprécision
formelle, reste tout de même une notion caractérisée par sa précision réelle
de telle sorte qu’il est loisible de cerner ses critères d’identification. Pour
une clarification complète de cette notion, les sociétés savantes doivent
être mises à contribution. Il reste à souhaiter que les sociétés savantes
demeurent ces cercles de réflexion où universitaires, praticiens,
administrateurs et magistrats apportent les acquis de leurs recherches et de
leurs expériences afin de bâtir, entre les multiples champs disciplinaires qui
constituent la richesse de la science financière et fiscale, non des murs mais
des ponts254. Sa mission même, la doctrine la conçoit de la manière la plus
large : elle commente les lois et les décisions de justice en vue d’en éclairer
la portée, d’en réaliser une systématisation sans laquelle il n’y aurait pas de
droit, mais aussi dans l’espoir de guider l’évolution de la jurisprudence et,
plus largement, du droit255.
254 Pierre BELTRAME et Gilbert ORSONI, « Le rôle des sociétés savantes dans
l’élaboration de la doctrine financière et fiscale », in Constitution et Finances publiques, op.cit.,
p. 294.
255 André TUNC, « La méthode du droit civil : analyse des conceptions françaises », RIDC,
1975, p. 828.
211
LA SECURITE FISCALE DANS LES ETATS DE L’AFRIQUE
NOIRE FRANCOPHONE
Par
Dr Emmanuel AWONO ELOUNDOU
Ph. D en Droit Public
Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques,
Université de Yaoundé II (Cameroun).
RESUME :
Par le règlement des préoccupations du contribuable, notamment celles liées à
la complexité et à l’instabilité du droit fiscal, la sécurité fiscale est à la fois un facteur
d’attraction des investisseurs, et un gage de croissance économique. Dans les Etats
d’Afrique noire francophone, elle présente la figure d’une garantie mitigée. En effet,
même si la garantie des exigences de légalité de l’impôt, d’égalité devant l’impôt et de
protection du contribuable contre les changements de la doctrine fiscale sont globalement
avérées, celle qui se rattache aux exigences de prévisibilité, de stabilité et d’accessibilité de
la loi fiscale est altérée. D’où la nécessité de les reformer. Dans ce sens, des efforts
appréciables ont été initiés au plan jurisprudentiel. D’autres aspects de réforme sont
envisageables au niveau textuel afin d’assurer une garantie optimale. Ainsi, l’érection de
la sécurité juridique en principe général permettrait non seulement de le reconnaitre
comme un droit fondamental, mais aussi d’ériger la non rétroactivité de la loi fiscale en
principe.
Mots clés : impôt- non rétroactivité- légalité de l’impôt- égalité- stabilité-
confiance légitime- sécurité juridique.
ABSTRACT:
212
Introduction
« Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Ainsi s’exprimait
Charles-louis de Secondât de MONTESQUIEU1 pour regretter l’inflation
législative, une source d’insécurité juridique2. Le droit fiscal « ponctuellement
instable »3 apparaît comme un champ favorable au phénomène. Le trop
grand nombre de textes, ainsi que le volume des informations y contenues
peuvent être un obstacle à l’exigence de stabilité et d’accessibilité dans la
mesure où le contribuable peut éprouver des difficultés à repérer la
disposition adéquate4. A cela s’ajoute sa complexité, une préoccupation
constante des contribuables5 et des juristes6. Les travaux du Président
Olivier FOUQUET sont, à cet effet, assez éloquents. L’éminent juriste
constate que « l’instabilité et la complexité de la norme fiscale sont les premières
causes d’insécurité juridique : les changements fréquents de la loi et les difficultés qui
apparaissent lorsqu’il s’agit de l’interpréter constituent une source de risque pour
l’ensemble des contribuables dans leur relation avec l’administration fiscale comme dans
l’appréhension de la dimension fiscale d’un projet économique »7. Il pourrait
difficilement en être autrement surtout que « quand le droit bavarde, le citoyen
ne lui prête plus qu’une oreille distraite »8. Cette affirmation du Conseil d’Etat
français rappelle fort opportunément l’importance de l’art de la fabrication
des lois et la nécessité pour ces dernières de prendre entièrement en
compte les exigences et les garanties de la sécurité juridique, dont l’un des
versants est sans doute fiscal.
Par référence à la sécurité fiscale, il s’agit tout d’abord de la sécurité
juridique dans sa généralité. On parle de principe de sécurité juridique.
1 MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, Livre XXIX, chap. XVI, 1748 ; Rapport public du
Conseil d’Etat, Sécurité juridique et complexité du droit, 2006, Paris, La Documentation
française, coll. EDCE, n°57, p. 233.
2 Lire à propos, AKAM AKAM (A.), « Libres propos sur l’adage « nul n’est censé ignorer la
loi » », RASJ, vol. 4, n°1, 2007, pp. 31-54. L’auteur évoque le caractère abstrait de cet adage
qui, dans un contexte d’inflation législative, renforce l’insécurité juridique. Lire aussi,
BILOUNGA (S. T.), « La crise de la loi en droit public camerounais », Les annales du droit
public, n°11, 2017, pp. 21-56.
3 En France, Le groupe de travail chargé d’une réflexion sur les suites du rapport public
2006 du Conseil d’État susvisé estime que « en moyenne, plus de 10 % des articles d’un code
changent chaque année ». Voir, Secrétariat Général du Gouvernement, Rapport au Premier
Ministre, Avant-propos (p. 3) et Annexe III. « La mesure de l’inflation normative et ses
causes ». Voir aussi, Rapport public du Conseil d’Etat, Sécurité juridique et complexité du droit,
op. cit., p. 273.
4 OKOU (U.), La sécurité juridique en droit fiscal. Etude comparée France-Côte d’Ivoire, Thèse,
contribuables : une nouvelle approche, Rapport au Ministre du budget, des comptes publics et de
la fonction publique, 2008, p. 7.
8 Rapport public du Conseil d’État, 1991, De la sécurité juridique, Paris, La Documentation
française, p. 10.
213
Selon une certaine doctrine, la sécurité juridique est rattachée à l’idée
même de droit9. Elle apparait à la fois comme la finalité du droit10, son
fondement11 et sa condition essentielle12 et indispensable13. En droit
européen14, c’est le principe selon lequel les particuliers et les entreprises
doivent pouvoir compter sur une stabilité minimale des règles de droit et
des situations juridiques. C’est ainsi qu’il en découle un certain nombre de
règles de droit positif, comme la non-rétroactivité des textes, ou le principe
de confiance légitime15 qui sera implicitement repris par le Conseil
d’État16. Dans le contexte africain, au plan supranational notamment, le
Traité révisé de l’OHADA prend en compte à la fois la sécurité juridique
et la sécurité judiciaire17. Il exprime la double dimension de la notion de
sécurité juridique au sein des Etats parties au Traité OHADA18 : la
dimension textuelle ou normative qui se traduit par la précision, la
cohérence et le caractère complet de la norme juridique applicable19 ; et la
dimension processuelle ou institutionnelle20 qui s’exprime par la simplicité
et l’adaptabilité des règles de procédure. Cependant, au sein de l’OHADA,
la sécurité juridique n’a que la valeur d’un objectif21, celui de
l’uniformisation du droit en vue de « l’assainissement de l’environnement
juridique des affaires »22.
En Côte d’ivoire, la note administrative consacrée aux règles de
contrôle de l’impôt23 considère aussi la sécurité juridique comme un
9 POUGOUE (P-G), « Les figures de la sécurité juridique », RASJ, vol. 4, n°1, 2007, p. 4.
10 Ibid. p. 1.
11 FROMONT (M.), « Le principe de sécurité juridique », AJDA, 1996, p. 178.
12 BÉRANGER (H.) et FILS (E.) (rédac.), « La sécurité juridique », Avant-propos de la 4ème
Convention des juristes de la Méditerranée, Acte du colloque d’Alger, 9-10 décembre 2012,
JCP-G, suppl. au n°27, 2013.
13 Rapport public du Conseil d’Etat, Sécurité juridique et complexité du droit, Paris, La
25ème éd., p. 1882 ; voir en ce sens : CJCE, 5 mai 1981, Dürbeck, Rec. p. 1095.
16 CE Ass., arrêt du 24 mars 2006, Société KPMG et autres, Rec. p. 154.
17 Voir préambule du Traité de Port-Louis (Ile Maurice) du 17 octobre 1993 modifié par le
sécurité juridique et judiciaire des affaires à travers les formations : le cas de l’ERSUMA et
des commissions nationales OHADA », RDU, Vol. 23, 19 mars 2018, pp. 127-143 ;
EKANI (S. C.), « Intégration, exequatur et sécurité juridique dans l’espace OHADA. Bilan
et perspective d’une avancée contrastée », RIDE, 2017, t. XXXI, pp. 55-84.
21 MEYER (P.), « La sécurité juridique et judiciaire dans l’espace OHADA », op. cit., p.
décembre 2002.
214
objectif poursuivi en droit fiscal alors que la Chambre administrative de la
Cour Suprême l’envisage comme un moyen de protection des droits
acquis24. De même au Bénin, la sécurité juridique a été utilisée par le juge
constitutionnel comme une garantie de « l’intelligibilité des textes normatifs »25.
Puisant ses racines dans la sécurité juridique26, la sécurité fiscale est
formée du substantif « sécurité » et de l’adjectif « fiscale ». La sécurité est un
nom féminin issu du latin securitas, de securus qui signifie sûr, sinecura, c’est-
à-dire sans soucis, sans inquiétude, calme. Elle exprime la « situation objective
correspondant à l’absence réelle de danger »27. C’est ainsi que l’on peut parler de
l’obligation de sécurité, de sécurité publique, de sécurité sociale, de sécurité
juridique, mais aussi de sécurité fiscale. L’adjectif fiscal pour sa part
exprime ce qui se rapporte à l’impôt ou à la fiscalité. Par impôt, il faut voir
« une forme spécifique de prélèvement obligatoire auquel sont soumis les
contribuables »28. L’impôt est principalement destiné à financer les dépenses
budgétaires de l’Etat et de certains organismes publics, collectivités
territoriales décentralisées, et établissements publics29. Il est aussi considéré
comme un instrument d’intervention économique et de régulation
sociale30. Au regard de ce qui précède, la garantie de la sécurité fiscale peut
être définie dans le cadre de cette étude comme exprimant tout mécanisme
qui prémunit le contribuable contre les risques de changements des
régimes d’imposition.
Dans les Etats de l’Afrique noire francophone31 le problème de la
sécurité fiscale découle des préoccupations constantes des contribuables
vis-à-vis non seulement de la législation fiscale, notamment sa complexité,
ses mutations32 et son renouvellement annuel, mais aussi des nombreuses
24 Elle affirme qu’un « acte, qui prive d’effets, même temporairement, des actes administratifs créateurs
de droits devenus définitifs, porte atteinte au principe de la sécurité juridique et aux droits acquis » : Voir
CA-CS de Côte d’ivoire, arrêt n°12, 23 avril 2008, Req. n°2007-121 REP du 12 avril 2007,
Association du quartier Houphouët-Boigny et autres c/Ministère de la construction et l’urbanisme.
25 Voir, Cour Constitutionnelle du Bénin, DCC 17-090 du 25 avril 2017 ; Cour
finances. Voir aussi, l’article 8 de la loi n°20.2014 relative aux lois de finances et à
l’exécution du budget au Gabon qui dispose que : « l’assiette, le taux et les modalités de
recouvrement des prélèvements obligatoire, ne peuvent être établis, supprimés ou modifiés que par (…) une
loi de finances ». Au Cameroun, l’alinéa 6 de l’article 4 de la loi n°2018-012 du 12 juillet 2018
portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques va dans le même sens que
les textes évoqués ci-avant : « aucun impôt ne peut être émis, recouvré ou exonéré, […], sans avoir été
autorisée par une loi de finances ».
45 MALAURIE (Ph.) et AYNES (L.), Introduction à l’étude du droit, Paris, LGDJ, 2020, 8ème
édition, p. 381 ; Voir dans ce sens, CORNU (G.), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 600.
46 EISENMANN (Ch.), Cours de Droit Administratif, Paris, LGDJ, Tome I, 1983, p. 227.
47 CHEVALLIER (J.), « La dimension symbolique du principe de légalité ». Texte présenté
au séminaire du Valais sur « Le principe de légalité », Crans-sur-Sierre, 30-31 mai et 1er juin
1990, p. 1652.
48 MALAURIE (Ph.) et AYNES (L.), Introduction à l’étude du droit, op. cit, p. 381.
49 Voir, le préambule de la Loi n°90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la
219
fiscale. Il suffit que la réforme dont il est question ait une portée générale
et qu’elle ne vise pas certaines catégories de contribuables.
Au regard de ce qui apert, il est noté que l’élaboration de la norme
fiscale est sous-tendue par la sécurité fiscale. Cette dernière est aussi portée
par l’obligation de protection contre les changements de la doctrine fiscale
dans le cadre de l’exécution de la norme fiscale.
2. L’institution de la protection contre les changements de la
doctrine fiscale
Une fois la norme fiscale confectionnée, elle a vocation à
s’appliquer. Or il s’avère très souvent que la norme fiscale contienne des
imprécisions qui appellent des clarifications de la part du fisc.
L’interprétation ainsi opérée prend la dénomination de doctrine fiscale et
se traduit par la publication des instructions, circulaires ou tout autre
document administratif56. Elle lie l’administration fiscale de sorte que toute
interprétation ultérieure contraire et défavorable au contribuable ne puisse
lui être opposable. Il peut arriver que le fisc interprète une disposition
fiscale dans un sens qui modifie son interprétation initiale, soit par le fait
d’une inadéquation avec l’esprit du texte interprété, ou en raison d’un
changement ultérieur, ou enfin par des clarifications supplémentaires. Le
contribuable de bonne foi est protégé contre les effets négatifs de cette
nouvelle interprétation facteur d’imprévisibilité et un vecteur d’insécurité
juridique, notamment lorsqu’elle ne lui assure pas le maintien des droits
acquis par l’interprétation initiale. L’interprétation du fisc peut avoir une
portée générale ou personnelle.
L’interprétation a une portée générale lorsqu’elle est faite à
l’initiative de l’administration fiscale. La Note officielle relative au contrôle
fiscal en Côte d’ivoire qui reprend l’article 21 (2) du LFP précise que
« lorsque l’administration apprécie favorablement la situation fiscale d’un contribuable
au regard des textes dans un objectif de sécurité juridique, cette interprétation est
opposable à l’administration »57. Son contenu est identique aux articles 37 du
LPF camerounais et 1103 ter du Code général des impôts béninois.
L’interprétation a une portée individuelle lorsqu’elle est faite à la
demande du contribuable. Elle est dénommée rescrit fiscal ou « tax
ruling »58. Il s’agit d’un outil traditionnel du droit fiscal consistant en une
prise de position anticipée de l’administration fiscale sur une opération
particulière. Au Cameroun comme en Côte d’ivoire59, au Mali60, et très
56 Voir articles 21 (1) du L.P.F. ivoirien ; 37 du LPF camerounais et 1103 ter du Code
général des impôts béninois.
57 Note n°3333/MEMEF/DGI-DLC/nt 023-023/2002-12/ba du 26 décembre 2002, in
s’agir d’abord d’une interprétation des textes fiscaux publiée par l’administration (revenue
ruling) et qui s’apparente aux instructions administratives françaises. Il peut s’agir aussi
d’une réponse écrite du Fisc à un contribuable (private ruling).
59 Article 21 du LPF ivoirien.
220
récemment au Bénin61, il est indiqué que « tout contribuable peut, préalablement
à la conclusion d’une opération sous la forme d’un contrat, d’un acte juridique ou d’un
projet quelconque, solliciter l’avis de l’Administration sur le régime fiscal qui lui est
applicable. Lorsque le contribuable a fourni à l’Administration l’ensemble des éléments
nécessaires à l’appréciation de la portée véritable de l’opération en cause, la position
énoncée par celle-ci garantit le contribuable contre tout changement d’interprétation
ultérieur »62. Cette procédure du rescrit fiscal permet ainsi au contribuable
de saisir l’administration fiscale à l’effet de connaitre le régime fiscal à
appliquer à une opération envisagée. On peut se féliciter de ce que cette
procédure soit consacrée par ces Etats dans la mesure où elle présente un
intérêt tout particulier pour les contribuables qui envisagent un montage
juridique particulièrement complexe ou inédit. La réponse que lui apporte
l’administration lui permet de conduire son projet en connaissance de
cause63. Cette réponse, opposable, sécurise l’opération et non seulement
s’inscrit dans le cadre des relations entre l’administration et les usagers64,
mais aussi constitue un moyen de prévenir les conflits et les contentieux
lors de l’exercice du contrôle fiscal.
La multiplication des textes et les risques d’insécurité qui pourraient
en découler sont bien heureusement réglés par l’institution des manuels
dénommés « Doctrine administrative »65 ou « Recueil de doctrine administrative
fiscale »66 dont la parution est à vocation périodique. Ce document
comporte l’essentiel de la doctrine administrative rendue publique avec
pour but d’assurer l’harmonisation des interprétations et d’éviter au
contribuable les erreurs d’interprétation. On se trouve alors en face d’un
mécanisme de garantie de la sécurité fiscale qui émerge dans les Etats de
l’Afrique noire francophone et qui est renforcé par une diversité de
procédés de protection.
B. La protection diversement opérée
Au-delà de l’énoncé textuel, la garantie de la sécurité fiscale est
renforcée dans les systèmes fiscaux des Etats africains noirs francophones
par une protection non contentieuse (1) et contentieuse (2).
60 Il a été introduit par la Loi n°2017-073 du 26 décembre 2017 portant loi de finances.
61 Article 1103 ter du CGI béninois. Il est introduit par la Loi n°2020-33 portant loi de
finances pour la gestion 2021.
62 Article L33 bis du LPF camerounais. Cette procédure a été introduite par la Loi
aussi, ATANGA FONGUE (R.), Contrôle fiscal et protection du contribuable dans un contexte
d’ajustement structurel, op. cit. 342 p.
64 RUSSEL (F.), Rapport sur la proposition de loi créant une liste française des paradis fiscaux, AN,
221
1. La protection non contentieuse
La protection non contentieuse est celle opérée par l’administration
fiscale. Dans le fonctionnement des systèmes fiscaux sous étude, le
contribuable peut la saisir pour se prémunir, comme cela a été indiqué plus
haut, contre les changements de la doctrine fiscale. La demande doit être
formulée, selon le cas soit avant la date d’expiration du délai dont dispose
le contribuable pour faire sa déclaration, soit en l’absence d’obligation
déclarative, avant la date de paiement de l’impôt concerné. La demande de
rescrit doit être adressée par écrit au Directeur Général des Impôts67.
L’Administration répond dans un délai68 ou, en cas de demande
incomplète, à partir de la réception des compléments d’informations
demandés. Ainsi, au Cameroun, la DGI a reçu et traité 28 demandes de
rescrit fiscal en 201769.
Le contribuable peut aussi saisir l’administration fiscale par une
réclamation préalable. Ce mécanisme y occupe une place de choix dans la
préservation de la sécurité fiscale, étant entendue comme l’acte par lequel
le contribuable s’adresse à l’autorité fiscale afin d’obtenir ce qu’il estime
être son dû, de respecter son droit70. Au surplus, comme le remarque
Monsieur Roland ATANGA FONGUE, « l’examen du traitement processuel
des réclamations des contribuables […] montre que les recours devant l’administration
demeurent de loin la modalité essentielle de la résolution des conflits entre les
contribuables contrôlés et l’administration »71. C’est une contestation portant sur
le bien-fondé de tout ou partie d’une imposition72. Plus précisément, c’est
un acte par lequel le contribuable doit saisir l’administration fiscale avant
de saisir le tribunal compétent73.
L’essentiel de la doctrine fiscale la perçoit suivant l’impératif de sa
mise en œuvre préalable par les contribuables requérants. Selon les cas, le
litige est porté devant le juge compétent74, après notification de la décision
de l’administration au réclamant75 ou à l’expiration du délai76 dont le non-
et 710 – VI du CGI au Sénégal ; articles L 199 et L 281 du LPF en Côte d’ivoire ; articles P-
1033, 1077 et 1119 du CGI au Gabon ; article 1108 du CGI au Bénin ; articles 649, 655 et
659 du CGI au Burkina Faso ; articles L115 et L 126 du LPF au Cameroun.
75 A propos des délais de saisine du juge fiscal, ils sont dans la plupart des Etats de deux
du LPF au Cameroun. Lire dans le même sens, BARRILARI (A.) et DRAPE (R.), Lexique
fiscal, Paris, Dalloz, 1992, 2ième éd., p. 144.
76 L’absence de réponse au bout du délai imparti à l’administration fiscale vaut décision
implicite de rejet. Au Burkina Faso ce délai est de 3 mois (article 654 du CGI) suivant la
date de réception ; au Gabon, le délai imparti à l’administration fiscale est de 4 mois ou 6
maximum à compter de la date de réception (article 1051 du CGI) ; au Bénin, il est de 6
mois suivant la date de présentation de la demande (article 1108 du CGI) ; au Cameroun, le
délai est de trois (3) mois à compter de la date de réception de la réclamation (articles L116
al. 1 et L119 du LPF).
77 Voir en ce sens le Jugement n° 37/CS/CA du Cameroun du 4 Mars 1976, Société
remplir les conditions suivantes : être présentée par écrit, signée du réclamant ou de son
mandataire - être timbrée - mentionner la nature de l’impôt - contenir l’exposé sommaire
des faits, moyens et les conclusions de la partie - préciser le montant des dégrèvements en
droit et en pénalité sollicités et être accompagné d’une copie de la décision contestée. Voir
dans ce sens, les articles P-1036 à 1038 du CGI au Gabon ; Articles 650 à 652 du CGI au
Burkina Faso ; article 707 (II) du CGI du Sénégal ; article 116 du LPF camerounais.
79 Article 1108 du Code général des impôts béninois et article 707 (I) du CGI sénégalais.
80 Article 650 du CGI burkinabè.
81 Au Cameroun, articles 116 à 118 du LPF ; au Gabon, article 1034 du CGI ; au Mali,
47.
84 LAMBERT (Th.), Contentieux Fiscal, Paris, Hachette, 2011, P.31.
85 ATANGA FONGUE (R.), Contrôle fiscal et protection du contribuable dans un contexte
in Thierry LAMBERT (dir.), Contentieux fiscal, principes et pratiques, Paris, STH, 1989, p. 13.
88 Voir notamment BAH (T.), « Les mécanismes traditionnels de prévention et de
résolution des conflits en Afrique noire », in Les fondements endogènes d’une culture de la paix en
Afrique : Mécanismes traditionnels de prévention et de résolution des conflits, UNESCO, octobre 1999,
pp. 1 et s.
89 NOEL (G.), La Réclamation Préalable devant le Service des Impôts, op.cit. p. 12.
90 BILOUNGA (S. Th.), « Les droits du contribuable au Cameroun », op. cit. p. 114 et s.
91 Ibidem.
224
satisfaction aux contribuables peuvent être portées devant le juge de
l’impôt92. Le juge apparait dès lors comme un rempart93 contre toute
velléité d’abus du pouvoir et un garant de l’axe juridictionnel de la sécurité
juridique94.
En raison de la variation des modes d’organisation judiciaire dans
les Etats d’Afrique noire francophone, la notion de juge fiscal n’a pas
nécessairement la même portée. Dans les systèmes caractérisés par une
organisation dualiste (parfaitement établie95 ou non96), elle renvoie aux
juridictions administratives et judiciaires dont la compétence varie selon la
nature des impôts ou selon le type de contentieux97. Dans les systèmes
monistes98 en revanche, c’est le même tribunal qui connaît de tout le
contentieux fiscal étant donné qu’il est compétent pour toutes les affaires
judiciaires ou administratives99. Dans tous les cas, le juge est saisi par le
92 V. notamment, les articles 1070 du CGI au Gabon, 709 du CGI au Sénégal, article 194
du LPF de Côte d’ivoire.
93 ATANGA FONGUE (R.), Le contrôle fiscal et protection du contribuable dans un contexte
586.
95 A titre d’exemple, l’on peut citer le Burkina Faso : l’article 126 de la Constitution révisée
Lire dans ce sens, SY (P. M.), « Entre l’unité et la dualité et la dualité de juridiction :
l’Afrique noire francophone à la quête d’un modèle d’organisation de la justice
administrative », Nouvelles Annales Africaines, n°2, 2011, p. 265 et s. Au Mali, v. KALILOU
(D.), Le contentieux administratif malien, Dakar L’Harmattan-Sénégal, 2020, p. 46. Au
Cameroun, v. ONDOA (M.), Le droit de la responsabilité publique dans les Etats en développement :
contribution à l’originalité des droits africains, op. cit. p. 37.
97 Sur la répartition des compétences en matière fiscale entre le juge administratif et le juge
judiciaire, voir les articles P- 1033, 1077 et 1119 du CGI au Gabon ; 1108 du CGI au
Bénin ; 649, 655 et 659 du CGI au Burkina Faso ; L115 et L 126 du LPF au Cameroun.
98 Dans le système judiciaire sénégalais notamment, un seul ordre de juridiction connait de
l’ensemble du contentieux. Lire dans ce sens, KANTE (B.), Unité de juridiction et droit
administratif : l’exemple du Sénégal, thèse doctorat d’Etat, Orléans, 1983, 426 p. ; DIAGNE (N.
M.), Les méthodes et les techniques du juge en droit administratif sénégalais, thèse doctorat droit,
UCAD, 1995, 523 p.
99 En Côte d’ivoire par exemple, Voir l’article 5 du Code de procédure civile, commerciale
et administrative : « les Tribunaux de première instance et leurs sections détachées, connaissent de toutes
les affaires civiles, commerciales, administratives et fiscales pour lesquelles compétence n’est pas attribuée
expressément à une autre juridiction en raison de la nature de l’affaire ». Cette disposition fait l’objet
d’une exception en matière commerciale ; il existe dormais en Côte d’Ivoire un tribunal de
commerce qui siège à Abidjan, la capitale économique : voir l’ordonnance n° 000624/2013
modifiant l’ordonnance n°428/2013 du 25 février 2013. Au Sénégal, article 710 du Code
général des impôts : « (…) l’introduction a lieu devant les tribunaux (…) ».
225
contribuable en vue de l’annulation de l’acte querellé ou de la réparation
d’un préjudice subi.
Le recours en annulation d’une décision administrative est fondé sur
la violation d’une règle de droit100. Il est ouvert même sans texte et a pour
effet d’assurer, conformément aux principes généraux du droit, le respect
de l’exigence de la légalité fiscale101 qui suppose que « la norme individuelle
d’imposition soit conforme aux règles de la loi fiscale »102. Le juge fiscal annule les
impositions querellées pour plusieurs des motifs d’illégalité interne. Au
Bénin, dans l’affaire Société Cotonnière du Bénin (SOCOBE) c/Ministre des
Finances103, le juge administratif annule pour violation du Code des impôts
et du Code des investissements, un arrêté104 et les différents actes fiscaux
conséquents105. Cette position sera reprise par le juge administratif ivoirien
dans deux décisions rendues le même jour106 et aussi par le juge
administratif camerounais107.
Le recours en annulation peut également être formé pour des motifs
d’illégalité externe et notamment en cas d’incompétence. Au Cameroun
dans l’affaire Ngakeu Pierre c/Etat du Cameroun108, le juge administratif a
accueilli favorablement le recours du requérant au motif que le vérificateur,
sieur Shoungi, alors contrôleur des impôts n’était pas compétent pour
effectuer un contrôle de régularité des opérations réalisées dans son bar au
mépris de l’article 11 du Livre II du Code général des impôts portant
procédure fiscale qui prévoyait que « seuls les agents des impôts ayant au moins le
grade d’inspecteur peuvent vérifier la comptabilité des contribuables astreints à tenir des
documents comptables ». Il tire alors les conséquences d’une telle violation à
travers l’annulation des impôts contestés.
Ainsi, l’annulation a une incidence positive sur la sécurité juridique
du contribuable en ce sens qu’il vise à protéger de manière concrète, au-
delà de l’énoncé textuel, le principe de la légalité fiscale et la stabilité qui en
découle. Lorsqu’il annule l’acte illégal du fisc, le juge est au préalable
amené à effectuer un contrôle entre divers éléments au rang desquels la
N°112, 113 et 114 du 09 juin 1997), les avis à tiers détenteurs N°284, 293 et 297 du 12 juin
1997) et les avis de saisie d’usines.
106 CS/CA de Côte d’Ivoire, arrêt n° 98 du 24 novembre 2010, req. n°2009-342 REP du 22
juillet 2009, req. n°2010-055 REP du 22 avril 2010 et arrêt n° 99 du 24 novembre 2010,
req. n°2009-344 REP du 23 juillet 2009.
107 CS/CA du Cameroun, jugement n°120 du 30 juin 2009, Union camerounaise des brasseries
c/Etat du Cameroun.
108 Jugement n°12/CS/CA du 24 juin 1980. Dans le même sens, voir jugement du Tribunal
administratif du Centre, 25 juillet 2014, affaire Noah Awoumou Charles Rigobert c/ Etat
du Cameroun.
226
stabilité des situations juridiques du contribuable109. Le contrôle de légalité
opéré est aussi un contrôle de sécurité110 en ce sens que non seulement il
limite l’arbitraire, mais en plus il prend en compte les effets que la décision
de l’administration fiscale a pu provoquer, et les situations juridiques
qu’elle implique.
Une autre incidence positive sur la sécurité juridique tient à
l’aménagement du contentieux de l’annulation par les textes régissant
l’organisation et le fonctionnement des juridictions en matière fiscale111.
Ces textes considérés comme référents objectifs, sont par leurs fonctions
de légitimation et d’autorité, gages de stabilité112 pour le contribuable. Qu’il
s’agisse du contentieux d’assiette ou du contentieux du recouvrement, la
loi en détermine le domaine matériel, identifie les cas d’ouverture de la
nullité, prévoit les formes et procédures requises pour introduire les
actions contentieuses et l’office des organes de règlement113.
L’administration fiscale peut aussi être attraite en justice en raison
d’un fait dommageable114. La responsabilité administrative qui en découle
est essentielle en tant que sujétion s’imposant à la puissance publique dont
l’objet est de mettre en œuvre l’obligation incombant à l’Etat de réparer le
dommage qu’il a causé à autrui. Cela est davantage important en matière
fiscale dans la mesure où les contribuables peuvent être victimes de
dommages importants basés sur le fait que l’impôt capitalise de nombreux
enjeux financiers. Bien plus, l’administration étant auréolée de nombreux
pouvoirs de contrainte à l’effet du paiement des impôts, notamment les
mesures de poursuite, des préjudices peuvent être causés aux
109 TIMSIT (G.), Gouverner ou juger ? Blasons de la légalité, Paris, P.U.F., 1995, p. 64.
110 LABETOULLE (D.), « Principe de légalité et principe de sécurité », in L’Etat de droit :
Mélanges en l’honneur de Guy Braibant, Paris, Dalloz, 1996, p. 403.
111 Voir notamment les articles 54 (2) de la loi n°94-440 du 16 août 1994 déterminant
p. 41.
113 NGAVANGA (N. M.), L’incidence du contentieux de la nullité sur la sécurité juridique du
115 CS-SA, arrêt n°005 du 14 janvier 1995, Société des détergents du Mali c/Direction
nationale des impôts : « Considérant que par lettre du 14 décembre 1990, le ministre des finances en
donnant son accord sur les propositions faites par les services de la Direction des impôts a créé un droit au
profit de la SODEMA ; que la suppression de ce droit a porté préjudice à la société requérante ; qu’en
conséquence, la SODEMA a qualité et intérêt à agir ».
116 AKONO ONGBA SEDENA, L’apport du juge administratif au droit fiscal au Cameroun, op.
cit., p. 545.
117 Il faut souligner comme l’affirme Kalilou DOUMBIA, qu’« une décision non irrégulière
ne peut donner droit à une quelconque réparation (…) Si l’on raccourcit cette affirmation,
elle donne ceci : pas d’illégalité pas de faute » (Le contentieux administratif malien, op. cit. p.
576.) ; Dans le même sens, voir CS-SA du Mali, arrêt n°87 du 06 mai 2010, Sieur SFS c/
jugement n°54 du 1er avril 2008 du TAB, inéd. ; lire aussi CHAPUS (R.), Droit administratif
général, t. 1, 15ème éd., op. cit., p. 1295.
118 Le préjudice doit être direct, spécial, certain, matériel ou moral. Voir dans ce sens, CS-
SA du Mali, arrêt n°48 du 30 mai 2002, Ben Hamoud Hamoudi et autres c/Ministre de
l’Administration territoriale et de la sécurité ; CS/CA du Bénin, arrêt n°5 du 2 mai 1997,
Paul Loko Lokosso c/Etat béninois, Rec. Cour suprême Bénin ; TPI-Abidjan, 25 juillet
1985, DEGNI-SEGUI c/Université de Côte d’Ivoire ; CS-CA de Côte d’ivoire, 29 juil.
1998, Coprovi c/Ministère de l’agriculture et des ressources animales ; CS-CA de Côte-
d’Ivoire, 30 oct. 1983, Oulaye Telesphore Henri c/Etat de Côte d’Ivoire ; CA de
Lubumbashi, 24 janv. 1967, Président du Katanga c/RDC, Rev. Juiridque du Congo, n°1,
1967, p. 64 ; CS-CA du Cameroun, jugement n°28 du 28 déc. 1978, Baha Ngue Jean Michel
c/Etat du Cameroun.
119 CA-CS du Cameroun, jugement n°30 du 31 mars 1977, Mboka Tongo Guillaume c/Etat
du Cameroun : « Considérant qu’il est constant que le comportement de l’administration qui a imposé à
tort le requérant lui a causé pendant sept ans des troubles graves dans ses conditions d’existence et lui a
causé des pretium doloris et materiae susceptibles d’être réparés, qu’il sera fait une exacte appréciation dudit
préjudice à la somme de 1.800.000 francs. Vidant sur ADD n°191/A/CFJ du 25 Mai 1972 ;
ordonne le remboursement au demandeur de la somme de 10 494 858 francs, représentant un trop perçu
sur le recouvrement des arrières d’impôts dus par le requérant. Condamne l’Etat à payer au requérant la
somme de 1.800.000 francs à titre de dommages et intérêts ».
228
Mboka Tongo le préjudice résultant de la perception indue des impositions
en cause.
Dans les Etats d’Afrique noire francophone où le contrôle de
constitutionnalité des lois120 est désormais fréquemment appliqué121, le
juge constitutionnel122 en tant qu’instance compétente123 garanti aussi la
sécurité fiscale. Il statue sur la constitutionnalité des actes règlementaires124
et ses décisions ne sont susceptibles d’aucun recours125. Au Bénin par
exemple126, le contribuable peut se pourvoir devant la juridiction
constitutionnelle contre les lois, textes et actes règlementaires et
administratifs présumés inconstitutionnels, après la promulgation des
lois127 ou de manière incidente128.Mais de manière générale, il est saisi
avant leur promulgation129 et essentiellement par des autorités
politiques130. Garantissant de manière concrète la supériorité de la
constitution, il protège les principes constitutionnels d’égalité de tous
Bénin et au Gabon », Revue Française de Droit Constitutionnel n°75, 2008, pp. 551-583. Voir
aussi, l’article 85 de la Constitution gabonaise et les articles 3, 117 et 121 de la Constitution
béninoise.
125 Articles 92 de la Constitution sénégalaise ; 98 de la Constitution ivoirienne ; 50 de la
Constitution camerounaise.
126 Article 3 al. 3 de la loi n°90/32 du 11 décembre 1990 portant Constitution du Bénin.
127 Article 180 de la Constitution congolaise ; article 121 de la Constitution béninoise ;
Nationale et/ ou du président du Sénat (selon qu’il existe ou pas), une fraction (elle varie
selon les Etats) des députés et/ou des Sénateurs. Voir dans ce sens : article 104 de la
Constitution togolaise ; article 95 de la Constitution ivoirienne ; article 178 de la
Constitution congolaise ; article 92 de la Constitution sénégalaise.
229
devant les charges publiques et de la non-rétroactivité des lois fiscales,
obligeant quelque fois le parlement à les respecter. Ainsi, les requérants
peuvent dénoncer une inégalité de traitement qui ne se justifie, ni par une
différence de situation des contribuables, ni par la finalité de la loi131.
Au regard de ce qui précède, il est rassurant pour les contribuables
de pouvoir bénéficier de la part du juge de l’impôt des réparations
résultant d’une faute commise par l’administration dans le processus
d’imposition. Seulement, cette satisfaction ne s’étend pas d’autres
exigences de la sécurité fiscale dont la garantie est altérée.
II. La sécurité fiscale altérée
L’impératif de sécurité juridique fait appel à trois exigences,
regroupées selon une classification, en une catégorie « classique »132. Il s’agit
des exigences d’accessibilité, de prévisibilité et de stabilité du droit. Ces
exigences s’appliquent à toutes les branches du droit au-delà de leurs
spécificités respectives, et la matière fiscale ne saurait y déroger. Toutefois,
le diagnostic des systèmes fiscaux des Etats sous étude amène à affirmer
qu’il y a une déformation du contenu de ces exigences en matière fiscale
(A) qui expose le contribuable aux risques d’insécurité des situations
établies et impose une reformation de leur régime dans l’optique d’assurer
une garantie optimale de la sécurité fiscale (B).
A. La déformation du contenu de la sécurité fiscale
La déformation du contenu de la sécurité fiscale s’observe à deux
niveaux. Le premier a trait à l’ignorance formelle de l’exigence de
prévisibilité (1), alors que le second se rapporte au fait que les exigences de
stabilité et d’accessibilité sont substantiellement galvaudées (2).
1. L’exigence de prévisibilité formellement ignorée
La prévisibilité c’est le caractère de ce qui est prévisible, tiré de
praevidere, c’est-à-dire que l’on peut normalement prévoir et qui doit donc
être raisonnablement prévu133. En cela, elle s’oppose à l’imprévisibilité. La
prévisibilité se mesure à la précision et à la clarté de la loi, qu’il s’agisse du
droit écrit ou des normes jurisprudentielles134. Ainsi, pour les professeurs
131 Au Bénin, le juge constitutionnel a reconnu le droit à l’égalité comme « un principe général
selon lequel la loi doit être la même pour tous, dans son adoption et dans son application et ne doit contenir
aucune discrimination injustifiée » (Décision DCC 18-94 du 3 juin 1994).
132 PIAZZON (T.), Sécurité juridique, op. cit. p. 17 et s. Voir aussi, Marie-Anne FRISON-
135 MALAURIE (Ph.) et AYNES (L.), Introduction à l’étude du droit, op. cit., p. 381.
136 Ibidem.
137 MOULY (Ch.), rapporté par MOLFESSIS (N.), Les revirements de jurisprudence, Rapport
op.cit., p.65.
139 9ème tiret du Préambule de la loi n°96/006 du 18 janvier 1996 portant révision de la
Constitution du 2 juin 1972. Voir aussi, au plan jurisprudentiel, Jugement n°33, CS/CA, 85-
86 du 27 mars 1986, Cicam c/Etat du Cameroun.
140 L’article 16 (1) 5 de la loi n°2018-012 du 12 juillet 2018 portant régime financier de
l’Etat et des autres entités publiques dispose à cet effet que « l’assiette, le taux, les modalités de
recouvrement, des prélèvements obligatoires ne peuvent être établis, supprimés ou modifiés, que par une loi de
finances (…) ils sont, sauf disposition expresse contraire, valables sans limite de temps et ne peuvent avoir
d’effet rétroactif ». Voir aussi l’article 8 de la loi organique relative aux lois des finances au
Gabon.
141 PEKASSA NDAM (G.M.), « Doctrine et diffusion du droit dans l’espace africain
231
opérations futures, mais aussi actuelles, ou en vue de modifier une règle
déjà existante. Pourtant, lorsqu’une loi réglemente une situation qui a
cours, cela peut avoir pour objet d’encadrer des faits dont la production,
dans bien des cas, prend sa source dans le passé et engendre des effets qui
s’étendent dans le futur. Dans une telle hypothèse, l’intervention du
pouvoir normatif peut être source d’insécurité fiscale étant donné qu’elle
peut avoir des conséquences non seulement pour l’avenir mais également
sur des situations passées. Il en va de même lorsque le législateur décide
d’apporter à la règle existante, quelques modifications. Dans ces
conditions, il agit nécessairement sur des situations déjà établies qu’il peut
remettre en cause altérant ainsi l’exigence de sécurité fiscale.
En Côte d’Ivoire notamment, pour compenser les pertes de recettes
résultant pour l’État de la diminution du taux de la taxe sur les produits et
services appliqué aux agios bancaires, l’ordonnance du 25 février 1987,
prend trois mesures ; l’une de création de taxe et les deux autres
d’augmentation du taux des impôts existants, en précisant toutefois que
« les nouvelles dispositions sont applicables rétroactivement au 1er janvier 1987 »146.
Ainsi, il n’y a pour le législateur aucune exigence de prévisibilité en matière
fiscale en dehors du champ pénal ou des mesures fiscales de caractère
pénal. Il ne peut donc exister pour lui d’exception à ce principe. C’est en
cela que l’exigence de prévisibilité est travestie.
2. Les exigences de stabilité et d’accessibilité substantiellement
galvaudés
« L’inflation et l’instabilité des normes juridiques provoquent parfois, chez nos
concitoyens, un grand désarroi. Se sentant souvent isolé dans un maquis de procédures
contraignantes et souvent incomprises, le citoyen ressent avec amertume la distance qui le
sépare des centres de décision »147. Ces propos du Médiateur de la République
français traduisent clairement le rapport qu’il y a entre la sécurité juridique
et la stabilité des normes. Si la règle de droit - et d’autres techniques
avoisinantes - permet d’assurer la sécurité dans certains secteurs, elle doit
comporter certaines garanties pour son destinataire. Elle doit permettre de
maintenir une certaine stabilité des situations établies148.
La stabilité à laquelle il est fait allusion est définie comme l’« état de
permanence, de fixité et de solidité (…) »149. Dans un sens bien indiqué, la
146 Voir Note n° 0465/DGI/CT du 2 mars 1987 portant analyse des ordonnances relatives
à la TPS, à la taxe sur les encours bancaires, à l’I.R.C. et à la contribution des patentes
signées par le Président de la République le 25 février 1987, in Doctrine fiscale, 1960-1995,
République de Côte d’Ivoire, Ministère de l’Économie et des finances, p. 214.
147 Rapport du Médiateur de la République française pour l’année 2001.
148 POUGOUE (P-G), « Les figures de la sécurité juridique », op. cit. p. 6. ; Voir aussi,
BILOUNGA (S. Th.), « Les droits du contribuable au Cameroun », op. cit., p. 109 ;
THÉRON (S.), « Réflexions sur les rapports entre protection et règle de droit », LPA, 11
février 2009, n°30, p. 4.
149 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 988.
232
stabilité c’est également l’« aptitude à se maintenir que la loi s’efforce
d’imprimer (…) »150.
Dans les systèmes fiscaux de l’Afrique noire francophone l’exigence
de fixité de la norme fiscale est posée par les dispositions des articles 1er ou
2ème des lois de finances initiales des Etats d’Afrique noire francophone,
avec une formulation quasi identique. Au Bénin, l’article 1er de la loi
n°2020-33 du 24 décembre 2020 portant loi de finances pour l’exercice
2021 dispose que « (…) continueront d’être opérées pendant l’année 2020
conformément aux dispositions législatives et règlementaires en vigueur : les perceptions,
les impôts taxes, rémunérations des services rendus par l’Etat, produits et revenus
affectés à l’Etat ; les perceptions, les impôts taxes, rémunérations des services rendus par
les Collectivités locales »151. Au Mali c’est toujours l’article 1er de la loi
n°2019/70 du 24 décembre 2019 portant loi de finances pour l’exercice
2020 qui l’énonce, alors qu’au Burkina Faso, elle est plutôt reprise par
l’article 2 de la loi n°035-2020/AN portant loi de finances pour l’exécution
du budget de l’Etat pour l’exercice 2021. Au Cameroun jusqu’en 2018152,
elle est contenue à l’article 1er de la loi de finances initiale ; depuis lors, elle
est instituée par l’article quatrième en des mêmes termes que ceux des
précédentes lois de finances153. Ces dispositions sont toujours
accompagnées d’une réserve qui s’articule en ces termes : « Sous réserve des
dispositions de la présente loi », et qui montre très bien que cette fixité n’est pas
absolue.
La stabilité s’entend alors par le fait que chaque année, la loi garantie
au contribuable sauf exception, la reconduction de tout ou partie des
impôts et taxes existants, lui permettant ainsi d’anticiper sa charge fiscale.
Ainsi, non seulement aucun impôt que celui prévu par les lois et
règlements en vigueur ne peut s’appliquer ou être exigible au contribuable
pendant la période de validité de la nouvelle loi de finances de l’année, sauf
exception. De même, les règles d’assiette, les taux et les modalités de
recouvrement antérieurs, restent les mêmes sauf exception prévue par la
même loi de finances. L’exigence de stabilité est alors garantie par le
respect de ce rapport entre le principe de la fixité des régimes d’imposition
contenus dans la loi fiscale et la flexibilité exceptionnelle de cette dernière
qui prend en compte les situations fiscales acquises par la loi et
l’écoulement du temps.
150 Ibidem.
151 Voir les articles 2 de la loi n°035-2020/AN portant loi de finances pour l’exécution du
budget du Burkina Faso pour l’exercice 2021 ; 1er de loi n°020/PR/2020 portant budget
général du Tchad pour l’exercice 2021 ; article 2 de la loi n°2020-019 du 22 décembre 2020
portant loi de finances du Togo pour l’exercice 2020 ; 1er de la loi n°2019-070 du 24
décembre 2019 portant loi de finances du Mali pour l’exercice 2020.
152 Notamment l’article 1er de la loi n°2017- 021 du 20 décembre 2018 portant loi de
154 Voir par exemple, le catalogue des mesures nouvelles de la loi de finances portant
budget de l’Etat de Côte d’Ivoire pour l’année 2021 : Annexe 5 ; C- Titre I- première partie
de la Loi n°2020-33 du 24 septembre 2020 portant loi de finances pour la gestion 2021 en
République du Bénin consacré aux mesures nouvelles ; Manuel des mesures fiscales
nouvelles de la Loi de finances 2021 au Cameroun.
155 Voir dans ce sens, L’article 7 de la loi organique n°2013-14 du 27 septembre 2013
relative aux lois de finances au Bénin ; l’article 11 de la loi organique n°020-2014 relative
aux lois des finances et à l’exécution du budget au Gabon ; l’article 5 de la loi organique
n°2020-07 du 26 février 2020 relative aux lois de finances au Sénégal ; l’article 4 de la loi
n°2013-028 du 11 juillet 2013 relatives aux lois de finances au Mali ; article 6 de la loi
organique n°073-2015/CNT relative aux lois de finances au Burkina Faso ; article 4 de la
loi organique n°36-2017 du 3 octobre 2017 relative aux lois de finances en République du
Congo ; article 13 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat
et des autres entités publiques au Cameroun.
156 BOUVIER (M.), Introduction au droit fiscal général et à la théorie de l’impôt, op. cit., p. 23.
157 PINAULT (M.), Incertitude et sécurité juridique, Rapport du Groupe de travail n°1 du
séminaire de la Cour de cassation, de l’Institut des hautes études sur la justice, du Centre
des hautes études sur l’assurance et de l’École nationale supérieure de sécurité sociale, 22
mars 2005.
234
Paradoxalement, la plupart des Etats étudiés, à quelques exceptions
près158, semblent assimiler la rigidité des codes des impôts à la stabilité. Au
Mali par exemple, la fiscalité s’est basée pendant plus de trente ans sur
deux ordonnances159. Ce n’est qu’en 2006 qu’elle a fait l’objet d’une
réforme par la loi n°06-067/AN. De même deux textes de 1964 et 1966160
ont pendant longtemps encadrés la fiscalité béninoise et en 1982, une
simple fusion de ces textes de base s’est traduit par le Code général des
impôts actuellement en vigueur. Le CGI de Côte d’Ivoire qui date de 2003,
est quant à lui issu d’une loi de 1963161. Il en est ainsi pour bien d’autres
Etats de cette zone d’Afrique162. Pourtant, les modifications qui sont
fondées sur des raisons d’adaptation n’affectent pas l’exigence de stabilité,
dès lors que cette dernière n’est pas envisagée comme renvoyant à ce qui
est rigide. Les modifications ne peuvent être considérées comme source
d’insécurité juridique que si elles comportent au fond une idée de remise
en cause ou de bouleversement inattendu des situations préexistantes163.
Lorsqu’elles ont été adoptées, elles doivent pouvoir s’appliquer pendant
une période raisonnable et être révisées pour des besoins d’évolution164 et
d’intérêt général165. En plus, les mises à jour annuelles des codes des
impôts instituées par certains systèmes fiscaux166 pour intégrer les
nouvelles mesures fiscales de la loi des finances de l’année pour assurer ce
besoin d’adaptabilité, ne sont d’ailleurs pas toujours actualisées167.
158 Au Cameroun, le CGI institué en 1973 sera remplacé 29 ans après par la loi n°2002-003
du 19 avril 2002 portant Code général des impôts. Ce dernier sera modifié par la loi des
finances de 2003 et par la loi n°2009-019 du 15 décembre 2009 portant fiscalité locale. De
même, le CGI sénégalais du 9 juillet 1992, sera remplacé 10 années plus tard par la loi
n°2012-31 du 31 décembre 2012 au regard des évolutions, qui survient après les réformes
fiscales des lois n°2001-07 du 18 septembre 2001 et n°2004-12 du 6 février 2004.
159 Il s’agit des ordonnances n°6-CMLN du 27 février 1970 et n°2-CMLN du 16 janvier
1973.
160 Il s’agit de la loi n°64-35 du 31 décembre 1964 et de l’ordonnance n°2PR/MFE de
1966.
161 Le CGI est issu de la loi n°63-524 du 26 décembre 1963.
162 Voir la loi n° 2012-37 du 20 juin 2012 portant CGI au Niger et la loi n°12/PR/2016 du
15 juillet 2016 portant CGI au Tchad. Dans ces Etats, la fiscalité a été longtemps encadrée
par des textes épars avant que leur codification.
163 Ibidem.
164 OKOU (U.), La sécurité juridique en droit fiscal : Etude comparée France-Côte d’ivoire, op. cit., p.
52.
165 Voir, Conseil constitutionnel sénégalais, décision n°11/C/93 du 23 juin 1993 ; Conseil
l’année 2003.
167 Voir notamment, CGI du Bénin. Le préambule renseigne que la mise à jour du Code
« ne se fait pas de manière régulière ». Le Code fiscal de la République de Côte d’Ivoire quant à
lui n’a connu aucune mise à jour entre 1980 et 2003 (Loi n° 2003-206 du 7 juillet 2003
portant loi de finances de l’année 2003).
235
S’agissant de l’accessibilité des normes fiscales, elle apparait comme
un enjeu majeur face à la complexité des textes fiscaux souvent dénoncée
comme source d’insécurité juridique. Elle doit être envisagée dans une
double acception matérielle et intellectuelle168. Au sens matériel,
l’accessibilité suppose tout d’abord que l’information soit mise à la portée
de tous c’est-à-dire rendue publique afin d’être opposable à tous. Elle
suppose que les lois soient intelligibles. Selon le professeur André AKAM
AKAM, la loi intelligible est celle qui est accessible à un citoyen doté d’une
intelligence moyenne169. Ainsi, il est exigé que des lois et des actes
règlementaires fiscaux soient publiés au journal officiel170. L’accessibilité
s’applique aussi, à la possibilité d’avoir accès au support et au corpus du
texte juridique ou fiscal. Le support est soit matériel soit dématérialisé. Le
support matériel est principalement constitué du support papier. Ce
dernier pose cependant des problèmes d’accessibilité en raison notamment
de l’impact du temps et des conditions de conservation qui sont renforcée
par la négligence. Le support dématérialisé est électronique171. Il s’applique
aux Etats d’Afrique francophone, en particulier grâce à la mise en place
des sites dédiés à la diffusion des informations fiscales172.
Au sens intellectuel, l’accessibilité implique selon Thomas
PIAZZON « la lisibilité, la clarté, la compréhensibilité et l’intelligibilité »173. Elle
est conditionnée par l’accessibilité matérielle qui renvoie « au mode
d’expression du droit »174. Une norme intellectuellement accessible est donc
une norme de qualité et un gage de sécurité175. Elle exige des dispositions
d’une norme, qu’elles soient « suffisamment claires et précises » et « des formules
non équivoques »176. On peut dire que l’accessibilité intellectuelle renvoie à la
précision de la règle de droit. C’est pour remplir cette exigence de la
sécurité fiscale qu’à la suite des lois de finances, les directions générales des
impôts des Etats visés prennent des circulaires pour préciser les modalités
168 Voir dans ce sens PIAZZON (T.), La sécurité juridique, op. cit., p. 18 et s.
169 AKAM AKAM (A.), « Libres propos sur l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » », op.
cit. p. 51.
170 En Côte d’ivoire, voir le décret n°61-171 du 18 mai 1961 fixant les modes de
publication des lois et actes réglementaires modifié par le décret n°81-894 du 29 octobre
1981.
171 Internet, le contenu d’un CD, d’un DVD, d’une Clé USB, d’une disquette, d’une vidéo,
236
d’application des nouvelles dispositions et harmoniser le contenu des
dispositions desdites lois177.
Le reproche qui est traditionnellement fait aux dispositions fiscales
des Etats de l’Afrique noire francophone en général, c’est non seulement
leur longueur exagérée, mais également les renvois répétés qui y sont
contenus et qui en rendent la lecture impraticable178. Leur manque de
concision et les « incongruités »179 qu’elles contiennent pourraient entamer la
qualité.
En ce qui concerne l’accessibilité matériel, et en particulier internet,
il y a un défaut de couverture de certaines zones, par le réseau internet qui
limite l’accès aux informations fiscales. En plus, le problème d’accessibilité
se pose constamment dans ces Etats par rapport à l’application de la
bonne information ; c’est-à-dire de l’information authentique et fiable.
Internet étant ouvert à tous, un utilisateur non avisé pourrait ainsi accorder
de la crédibilité à une information erronée. Aussi, il n’est pas exclu
qu’internet soit concerné par le problème de la conservation des
informations en ligne dans la mesure où une information contenue dans
un site peut disparaitre. En outre, ces informations nécessitent une mise à
jour régulière, ce qui n’est pas avéré. Il est donc permis qu’un autre type
d’insécurité juridique naisse pour le contribuable, qui bien que se trouvant
sur un site officiel et authentique soit confronté à des informations qui ne
soient plus d’actualité.
Un autre problème majeur que l’accessibilité pose dans les Etats de
l’Afrique noire francophone est lié au défaut de consécration d’une
obligation de publication des textes fiscaux sur internet, alors même que
ces textes sont de plus en plus accessibles par voie électronique, et que
cette dernière voie est de plus en plus sollicitée par les contribuables.
B. La reformation de l’idéal de sécurité fiscale
Pour reformer la sécurité fiscale dans les Etats d’Afrique noire
francophone au regard de nombreuses limites auxquelles elle est
confrontée, il semble nécessaire d’envisager des reformes textuelles (2)
pour consolider et compléter les efforts jurisprudentiels appréciables déjà
opérés (1).
1. Des efforts jurisprudentiels appréciables
Les efforts jurisprudentiels observés concernent en particulier la
possibilité pour la loi fiscale de rétroagir et tendent à limiter tout arbitraire
que ferait naître la faculté dont elle dispose de prendre des mesures de
52.
179 BILOUGA (S. T.), « La crise de la loi en droit public camerounais », op. cit. p. 32.
237
caractère rétroactif. Ils sont perceptibles dans l’office du juge
constitutionnel180.
Au Benin, même si la Constitution n’interdit pas la rétroactivité en
dehors du droit pénal, le juge constitutionnel déclare la loi rétroactive
inconstitutionnelle lorsqu’elle porte atteinte à la sécurité juridique181. La
Cour constitutionnelle malienne quant à elle protège les citoyens contre la
rétroactivité en dehors du domaine pénal, pour assurer le respect des
engagements internationaux souscrit par le Mali à travers plusieurs Traités
de protection des droits fondamentaux182. Au Togo, le juge constitutionnel
protège la non-rétroactivité comme principe « reconnu par les lois de la
République »183.
Au Sénégal aussi, en rappelant que la non-rétroactivité n’a de valeur
constitutionnelle qu’en matière pénale, conformément à l’article 6 de la
Constitution, le Conseil constitutionnel, a affirmé dans sa décision rendue
le 23 juin 1993184 « qu’en tout autre domaine, elle est un principe général du droit
auquel la loi peut déroger »185. En conférant à la non rétroactivité dans les
matières non pénales la valeur de principe général de droit, le juge
constitutionnel reconnait certes réaffirme la possibilité pour les lois fiscales
de rétroagir, mais interdit aux actes infra législatifs, notamment aux
décisions de l’administration fiscale de le faire.
Dans le même sens, le juge constitutionnel ivoirien rappelle dans sa
décision du 11 avril 2017186 que le principe de la non-rétroactivité des lois
n’a pas de valeur constitutionnelle en matière fiscale. Toutefois, il souligne
que le législateur ne peut faire rétroagir une loi des finances à une situation
antérieure à son entrée en vigueur que si l’intérêt général et l’ordre public
le commandent. Seulement aucune définition n’est donnée ni de l’intérêt
général ni de l’ordre public. Elle relève donc de l’appréciation souveraine
du juge constitutionnel. A l’instar de son homologue ivoirien, le juge
constitutionnel congolais, dans certains arrêts187, indique que la
rétroactivité ne se présume pas, le texte lui-même doit la prévoir de
manière expresse.
30 juillet 1997, Ndeye Binta Diop, Bulletins des arrêts du CE, 1993-1997, p. 141.
186 Décision N° CI-2017-308/11-04/CC/SG du 11 avril 2017 relatif au recours en
238
On perçoit clairement une volonté du juge constitutionnel
d’encadrer la rétroactivité permise en matière fiscale. Cependant, cette
volonté pour être efficace, doit se traduire par des réformes textuelles.
2. Les réformes textuelles envisageables
Le diagnostic des systèmes fiscaux des Etats sous étude a permis
d’observer une déformation de certaines exigences de la sécurité fiscale.
Les solutions qui permettraient de régler cette déformation doivent
impliquer des réformes textuelles.
Il s’agit d’abord de l’institution par des lois organiques (qui
s’imposeraient au législateur) d’un droit des techniques d’élaboration des
textes qui régiraient la procédure d’adoption des lois fiscales et qui
permettrait de satisfaire les objectifs de qualité et d’accessibilité des lois.
Une telle loi organique pourrait imposer pour l’élaboration des lois fiscales,
une évaluation ou étude d’impact préalable. A cet effet, un comité
interministériel chargé de la réforme de la réglementation peut être mis sur
pied. L’on pourrait à défaut envisager le système des consultations
informelles préalables par l’échange d’informations avec le patronat, les
universitaires et les groupes d’intérêts.
Une telle solution est cependant conditionnée par la consécration
textuelle d’un principe général de sécurité juridique (comme dans l’ordre
juridique supranational de l’OHADA), qui permettrait de mieux garantir la
qualité de la loi fiscale et la protection des droits acquis par la stabilité des
situations juridiques des contribuables. Il s’agira pour certains Etats d’une
innovation, et pour d’autres à l’instar de la Côte d’ivoire188 et du Bénin189,
d’une consécration textuelle d’un principe jurisprudentiel.
La consécration du principe général de sécurité juridique va
nécessairement impliquer une extension du principe de la non-rétroactivité
des lois aux autres matières, et notamment à la fiscalité. Le professeur Jean
Lamarque qui estime que la rétroactivité est une nécessité190, affirme que la
non-rétroactivité devrait s’accompagner d’un aménagement. La
rétroactivité de la loi fiscale peut avoir pour objet de remédier à un
manque de clarté, soit d’assurer la correction d’un dispositif valide mais
techniquement défectueux, soit de neutraliser le délai entre l’annonce
d’une mesure fiscale et son adoption, non seulement par souci d’urgence
mais aussi et surtout comme pour avoir un « effet sédatif » sur le marché
financier, en prévenant toute perturbation qu’engendrerait une telle
188 Voir, CA-CS de Côte d’ivoire, arrêt n° 259 du 18 décembre 2013, req. n° 212-99 REP
du 11 décembre 2012, Gouda Anouma Laurent et autres c/Ministre de la construction, de
l’assainissement et de l’urbanisme.
189 Voir, Cour Constitutionnelle du Bénin, DCC 17-090 du 25 avril 2017 ; Cour
191 OKOU (U.), La sécurité juridique en droit fiscal : Étude comparée France - Côte d’Ivoire, op. cit.
p. 130.
192 POUGOUE (P.G.), « Les figures de la sécurité juridique », op. cit., p. 7.
193 Voir PICHARD (M.), Le droit à : étude de législation française, Paris, Economica, 2006,
n°177 et s.
194 POUGOUE (P.G.), « Les figures de la sécurité juridique », op. cit., p. 7.
240
l’impôt prescrit par la loi fondamentale. Le second est gardien de la légalité
des actes d’imposition. Il ne faut pas perdre de vue que l’administration
fiscale elle-même aussi est gardienne de la légalité à travers les réclamations
contentieuses et les demandes d’interprétation qui lui sont adressées.
Malheureusement, d’autres exigences de la sécurité fiscale,
notamment celles qui sont couramment admises par la doctrine et qui se
rapportent au triptyque « prévisibilité-stabilité-accessibilité », sont galvaudés
tantôt par un défaut de consécration, parfois par des limites dans leur
application. Cela tient peut-être à la relative jeunesse de l’exigence de
sécurité fiscale dans les Etats étudiés, et incline à militer pour une réforme
de l’idéal de sécurité fiscale au regard des enjeux économiques qui s’y
rattachent. Cette réforme qui s’articule autour de la consécration d’un
principe général de sécurité juridique, aboutirait à étendre le principe de la
non rétroactivité des lois à la fiscalité (dans les Etats qui ne l’on pas
consacrer), et à instituer un droit subjectif à la sécurité fiscale et des
techniques d’élaboration des lois qui imposent une concertation préalable
avec le secteur privé notamment.
C’est dans ces conditions que la garantie de la sécurité juridique
serait optimale et produirait les effets attendus dans ces Etats
essentiellement sous-développés, à savoir le renforcement des capacités de
mobilisation des recettes fiscales, la croissance et même la relance des
activités économiques dans un contexte post-Covid.
241
LE CONTROLE DES FONDS DE CONCOURS DANS LE DROIT
PUBLIC FINANCIER DES ETATS DE LA CEMAC
Par
Dr. Aubran Donadoni NTOLO NZEKO
Ph.D en Droit public
Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Douala (Cameroun).
RÉSUMÉ :
Le contrôle des fonds de concours dans le droit public financier des Etats de la
CEMAC inspire un regard isolé au regard de la spécificité de ce type de ressource budgétaire.
Fondés sur la volonté des parties versantes, les fonds de concours doivent nécessairement faire
l’objet d’un suivi tant celui-ci est consubstantiel à leur versement dans le budget de l’Etat. Leur
contrôle actualise la logique de la performance dans l’utilisation des deniers publics. En
s’intéressant à la question de ses caractéristiques, il convient de noter que le contrôle des
contributions volontaires est marqué par l’inadaptation des mécanismes classiques de suivi des
opérations budgétaires. C’est ainsi que dans le suivi de l’utilisation de ces fonds publics, le
contrôle a priori des finances publiques affiche des manquements non négligeables. Le contrôle a
posteriori de la juridiction financière se trouve, quant à lui, profondément amoindri dans la mise
en œuvre de son régime. Ceci dit, la mise en œuvre des mécanismes spécifiques parait plus
optimale dans le suivi de l’utilisation des fonds de concours. Dans ce cadre, la partie versante des
fonds est associée aux missions de contrôle par le mécanisme du contreseing sur les opérations
comptables et la possibilité d’instituer des organes non-étatiques pour le suivi de ses contributions.
242
Introduction
L’Afrique centrale, comme bien d’autres sous-régions du monde,
fait face à une crise sanitaire historique depuis le début de l’année 2020.
Du point de vue des finances publiques, cette crise a eu une double
incidence : la baisse des recettes budgétaires, notamment celles fiscales, et
l’explosion des dépenses à caractère sanitaire et social1. Dans un
environnement où les ressources budgétaires existantes étaient déjà
insuffisantes, on assiste alors à une plus grande « dégradation des finances
publiques »2 avec pour corollaire un besoin de financement d’une ampleur
considérable. Dès lors, la mobilisation de ressources additionnelles est
devenue un impératif. C’est dans cette optique que les fonds de concours
retrouvent toute leur importance au regard des multiples appels lancés par
les pouvoirs publics pour des contributions volontaires aux financements
publics. Ceci étant, conformément à la logique de la budgétisation par
programme, les fonds de concours font l’objet d’un contrôle quoique
spécifique au regard de la particularité de leur régime. Dans cette mouvance, la
tendance vers une multiplication de ces fonds de concours nous amène à nous interroger
sur l’efficacité du contrôle des finances publiques. Comme le constatent certains auteurs
français, « la diversité des opérations de l’Etat comme les impératifs de sa gestion
imposent (…) des aménagements techniques, mais sans remettre en cause le principe lui-
même »3.
L’évocation du contrôle des fonds de concours nous situe dans le
champ juridique du contrôle des finances publiques, quel que soit l’espace
géographique de référence. Le contrôle des finances publiques est la quatrième
phase de la règle des « quatre temps alternés », après la préparation, l’élaboration et
l’exécution du budget. Il est régi sur le plan juridique par trois principes à
savoir, l’obligation de rendre compte, le principe de responsabilité et le
principe de la séparation des ordonnateurs et des comptables4. La fonction
de contrôle est adossée à une philosophie de reddition de compte
formulée par les articles 14 et 15 de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen du 26 août 1789 dans un élan de prescription démocratique
en France. Dans le constitutionnalisme africain, la reddition des comptes
est inscrite dans le Préambule et l’article 32 (1) de la Charte Africaine de la
pp. 193-199.
3 M. BOUVIER, M.-C. ESCLASSAN, J.-P. LASSALE, Finances publiques, Paris, LGDJ,
loi du 26 décembre 2007 portant régime financier de l’Etat au Cameroun », Gestion &
Finances publiques, n°3, Mai-juin 2017, pp. 109- 116.
243
Démocratie, des Elections et de la Gouvernance5. Le principe de la
responsabilité, quant à lui, voudrait que tout gestionnaire ou gérant des
deniers publics puisse répondre des actes positifs ou négatifs qu’il pose
lors de sa gestion. Il s’agit donc en principe d’une responsabilité
répressive6. Le principe de la séparation des ordonnateurs et des
comptables, expression financière du grand principe constitutionnel de la
séparation des pouvoirs selon MAGNET7, voudrait que la gestion
administrative de la dépense publique maîtrisée par l’ordonnateur, se
distingue matériellement de celle comptable présidée par un comptable
publique, qu’il soit patent ou de fait. En tout état de cause, c’est
l’immanence même du principe du consentement à l’impôt qui se trouve
ainsi prolongé dans le contrôle de gestion de l’argent public8 et partant des
fonds de concours.
Bien que constituant un élément commun de toutes les sociétés, le
contrôle des finances publiques est un élément fondamental de la bonne
gouvernance de nos sociétés. Seul un contrôle effectif, régulier et
performant des finances publiques permet d’en assurer la maîtrise, de
corriger les dysfonctionnements, de lutter contre les gaspillages et la
corruption. Corollaire naturel de l’autorisation parlementaire, le contrôle
des finances publiques est un élément indissociable de la démocratie. Dans
les Etats modernes, les gouvernements doivent être responsables de
l’utilisation des deniers publics mis à leur disposition dans le cadre de la
gestion des crédits budgétaires9. La question du contrôle des fonds publics
s’est posée pour la première fois avec l’émergence des Etats
démocratiques. Les fonds publics n’étant plus laissés au bon vouloir du
monarque, leur perception doit être consentie et leur utilisation désormais
soumise à l’autorisation des représentants du peuple, en l’occurrence, le
Parlement.
Aujourd’hui, le contrôle des finances publiques est appelé à se
renouveler en raison
des profondes mutations enclenchées par la réforme budgétaire en zone
CEMAC qui vise à introduire la logique de la gestion dans cette sphère
traditionnellement politique. Par le passé, le secteur public s’est enfermé
dans le souci de la régularité. Le respect des règles de droit primait sur les
autres exigences telles que l’efficacité, l’efficience ou l’économie. Or,
aujourd’hui, l’Etat moderne ne conservera sa prééminence que dans la
5 Cette Charte a été adoptée par la huitième session ordinaire de la Conférence des Chefs
d’Etat tenue le 30 janvier 2007 à Addis-Abeba en Ethiopie.
6 H. GISSEROT, « Finances publiques et responsabilité : un colloque pour l’autre
n°101, 2008, p. 15 et s.
12 M.-C. ESCLASSAN, « Un phénomène international : l’adaptation des contrôles
du budget général ou d’un budget annexe, dans deux cas prévus par la LOLF : d’une part,
pour les recettes provenant de la restitution au Trésor de sommes payées indûment ou à
titre provisoire ; d’autre part, pour les recettes provenant de cessions entre services de
l’État qui ont donné lieu à paiement sur crédits budgétaires.
245
Pour ancienne qu’elle soit, la procédure de fonds de concours n’a connu un rapide
essor au cours de ces dernières années. Organisée par une loi du 6 juin 1843 en France,
cette procédure n’a longtemps eu pour objet que de permettre le financement conjoint des
investissements dans le domaine des travaux publics. Les fonds versés par des
départements, des communes ou des particuliers pour concourir avec ceux de l’Etat à des
dépenses d’intérêt public étaient à cet effet portés en recettes aux produits divers par
décret au ministre, additionnellement à ceux qui lui avaient été accordés pour les mêmes
travaux. Ces fonds de concours ont été étendus par la suite à d’autres recettes
notamment aux dons et legs par la loi du 31 décembre 190718. Depuis lors c’est
l’ordonnance du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances qui a permis le
développement qu’ils ont connu jusqu’à l’élaboration de la loi organique du 1er août
2001 relative aux lois de finances. Cette loi prévoit en filigrane que la procédure des
fonds de concours offre au Gouvernement la faculté d’ouvrir des crédits
supplémentaires à due concurrence de recettes, évaluées au préalable en loi
de finances, versées à l’État par des personnes morales (par exemple des
financements croisés des collectivités territoriales) ou physiques (sous la
forme notamment de legs et donations) pour concourir à des dépenses
d’intérêt public19.
C’est cette acception qui a été transposée dans le cadre harmonisé
des finances publiques de la Communauté économique et monétaire
d’Afrique centrale, puis relayée par ses Etats membres. La directive y
relative dispose dans ce sens que les fonds de concours sont constitués,
d’une part, par des fonds à caractère non fiscal versés par des personnes
physiques ou morales, notamment les bailleurs de fonds internationaux,
pour concourir à des dépenses d’intérêt public et, d’autre part, par les
produits de legs et donations attribués à l’Etat. Ils sont directement portés
en recettes au budget général, au budget annexe ou au compte spécial
considéré20. Ainsi, les contributions aux fonds de concours sont des
contributions volontaires pouvant être faites par des particuliers, des
entreprises, des associations, des collectivités territoriales, établissements publics… mais
surtout des bailleurs de fonds internationaux aux capacités financières avérées. Dans ce
sens, le Code de transparence de la CEMAC, « définit les principes et obligations que
les États membres doivent respecter, dans leur législation comme dans leur pratique,
aussi bien dans la gestion de l’État et celle des autres administrations publiques que
pour les fonds de l’assistance extérieure accordés par les institutions internationales et les
États étrangers »21. Constatons donc que les fonds publics ne se limitent plus à ceux de
l’État, mais s’étendent aussi à ceux des autres collectivités publiques, des organisations
internationales, et mêmes à ceux des États étrangers, dès lors qu’ils viennent en appui
de l’activité financière de l’État. Pour le dire autrement, nous sommes en présence des
18 H. MESSAGE, « La procédure des fonds de concours », RFFP, n°26, 1989, pp. 253-293.
19 Art. 17 de la loi organique n°2001-162 du 1er août 2001 relative aux lois des finances en
France.
20 Art. 36 de la Directive N° 01/11-UEAC-190-CM-22 21 Relative aux Lois de Finances.
21 Préambule de la Directive n°06/11-UEAC-190-CM-22 relative au Code de
248
1. La limitation du contrôle financier sur les dépenses
financées sur fonds de concours
Le contrôle financier tel que consacré par le droit public financier
des Etats de la CEMAC se trouve limité lorsqu’il est appliqué aux
dépenses publiques financées sur fonds de concours. Pourtant, la réforme
budgétaire en zone CEMAC a reconfiguré le régime dudit contrôle pour
plus de performance26. Il s’agit d’une modalité de contrôle administratif
qui s’opère par l’action d’un contrôleur financier. Placé auprès des ordonnateurs
des dépenses, il assure, pour le compte du ministre chargé des finances, la centralisation
des opérations budgétaires. Dans ce cadre, il opère un contrôle de régularité des projets
d’engagement de la dépense publique. A cet égard, le législateur communautaire27
a cantonné son contrôle à l’examen de l’opportunité de l’engagement des
dépenses publiques en consacrant le visa préalable à tout ordonnancement
budgétaire des ordonnateurs et le contrôle de la régularité du processus de la dépense
publique.
Ceci étant, le législateur communautaire prévoit certes que les règles
d’exécution, de comptabilité, de gestion de trésorerie et de contrôle des
fonds des bailleurs, qu’il s’agisse d’organisations internationales ou d’Etats
étrangers, ainsi que le régime de responsabilité et de sanction des agents
qui en ont la charge sont celles fixées par une directive CEMAC28. Mais en
ce qui concerne le cas particulier des fonds de concours, il consacre une
dérogation au droit commun pouvant s’étendre au régime de leur contrôle.
Il dispose précisément que lorsqu’il y a mobilisation des fonds de concours
dans l’exécution de la loi de finances « L’engagement et l’ordonnancement des
dépenses financées par ces fonds peuvent être confiés à une ou plusieurs personnes
nommément désignées par accord entre le Ministre auquel est rattaché le compte
d’affectation spéciale, le Ministre chargé des finances et le ou les bailleurs de fonds
concernés »29. Ces dispositions de la directive communautaire sont reprises
par les lois internes des Etats de la CEMAC qu’il s’agisse du Cameroun30,
du Congo Brazzaville31, du Gabon32 ou Tchad33 à une différence près du
cas équato-guinéen qui prévoit la désignation d’une personne exclusive
pour exécuter la dépense publique issu des fonds de concours34.
Qu’à cela ne tienne, l’analyse de ces dispositions dérogatoires au
droit commun de l’exécution inspire une lecture sans ambages de la
budget.
33 Art. 91 de la Loi organique n°004/PR/2014 relative aux lois de finances.
34 Art. 75 de la Loi I/2012/n°2012/CNT portant loi organique relative aux lois de finances.
249
limitation du contrôle financier. Celle-ci se résume à l’entorse faite à la
mission de centralisation des opérations budgétaires du contrôleur
financier. En effet, il ressort des législations internes des Etats de la
CEMAC que pour l’exécution de la dépense publique liée aux fonds de
concours, il est procédé à la désignation d’une ou de plusieurs personnes
devant faire office d’ordonnateur. Cette désignation associe le bailleur de
fonds en collaboration avec le ministre chargé des finances et celui auprès
duquel sont directement affectés les fonds de concours. De fait, cette
désignation d’un ou de plusieurs ordonnateurs déclasse l’ordonnateur de
droit prévu par le régime financier auprès duquel est affecté un contrôleur
financier pour le suivi de ses opérations. Or, la loi communautaire ou celle
du droit interne des Etats de la CEMAC ne précise que la personne ou les
personnes désignées conjointement par le bailleur de fond et le ministre
concerné est la qualité d’ordonnateur. Il peut s’agir des responsables de
programmes, d’actions ou d’activités voire des personnes privées émanant
de la volonté du bailleur de fonds. Dans les deux hypothèses, le contrôleur
financier n’a pas la possibilité d’exercer ses fonctions de contrôle puisque
le législateur ne prévoit pas d’affectation de contrôleur financier auprès des
ordonnateurs spécialisés.
En tout état de cause, c’est le contrôle de régularité de la dépense
publique issue des fonds de concours qui se trouve tempéré, même si les
ordonnateurs spécialement désignés doivent respecter la procédure
d’exécution des dépenses publiques. De ce point de vue, il faut remarquer
que le contrôle de régularité n’est pas l’objectif dans le cadre des fonds de
concours puisque les législateurs des Etats sous étude précisent que « Leur
emploi doit être conforme à l’intention de la partie versante »35. On le sait, la
régularité est la finalité traditionnelle du contrôle de la dépense publique.
Toute opération financière réalisée a toujours été guidée par l’exigence de
régularité, c'est-à-dire une réalisation de celle-ci en conformité avec les
dispositions juridiques régissant la matière contrôlée. Malgré cet
attachement indéfectible à cet objectif d’ailleurs très utile pour la
promotion de la bonne gouvernance financière, des limites ont été
enregistrées dans le processus de réalisation de la dépense publique du fait
de la finalité du contrôle effectué. Elles sont dues en grande partie à une
appréhension on ne peut plus curieuse de la régularité financière, laquelle
tend à se cantonner aux considérations strictement formelles où l’attention
est surtout portée sur des considérations de forme.
Or, la contribution volontaire des personnes physiques ou morales,
par le mécanisme des fonds de concours, est mue par un objectif de
qualité de la réalisation de la dépense publique36 qui en découle. Dans ce
sens, le contrôle opéré doit concerner la qualité de la concrétisation de la
volonté de la partie versante. Il s’agit ici de baliser le contrôle vers la
37 Voir Fonds Monétaire International, Cameroun : Rapport n°18/235 des Services du FMI pour
les consultations de 2018, août 2018, 139 pages.
38 M. BOTTIN, « L’autorisation budgétaire », in H. ISAIA, J. SPINDLER (dir.), Histoire du
1995, p. 103.
41 Lire NKOUAYEP Long Christ Papy, Les pouvoirs parlementaires d’autorisation budgétaire en
droit camerounais, thèse de Doctorat/Ph.D en droit public, Université de Yaoundé II, 2018,
284 pages ; H. MESSAGE, « Peut-on mesurer le pouvoir budgétaire du Parlement ? »,
RFFP, n°41, 1993, pp. 14-29.
42 P. M. GAUDEMET, J. MOLINIER, Finances publiques. Budget/Trésor, Tome I, Paris,
251
droit de regard qui est confié au Parlement lors de cette procédure. Ceci
dénote de l’effectuation d’un contrôle a priori des opérations budgétaires.
Pour cela, le parlement doit judicieusement évaluer les recettes qui vont
financer la dépense publique en l’occurrence les fonds de concours.
Dans cette mouvance, les législations des Etats membres de la
CEMAC ont consacré le principe de l’autorisation parlementaire des fonds
de concours. Elles disposent notamment que les fonds de concours sont
prévus, évalués et autorisés dans une loi de finances qui définit également
leurs règles d’utilisation44. Les dépenses et charges incluent le montant des
crédits susceptibles d’être ouverts par voie de fonds de concours45.
Pourtant, l’analyse des différentes lois de finances des Etats sous étude
révèle un écart entre le droit prévu et le droit vécu mettant en exergue les
difficultés qu’éprouve le parlement à faire des prévisions et partant à
évaluer avec précisions les fonds de concours.
En analysant le cas camerounais en premier, le législateur brille par
l’inexhaustivité des prévisions des fonds de concours. La lecture
minutieuse des lois de finances pour l’exercice 201946 et 2020 révèle
exclusivement la prévision des « dons exceptionnels de la coopération
internationale ». Or, les fonds de concours ne se résument pas seulement aux
contributions volontaires des bailleurs de fonds internationaux même si
elles sont les plus régulières. Pourtant durant l’exercice budgétaire 2020
marqué par la crise sanitaire du Coronavirus, des participations financières
volontaires des personnes physiques et des personnes morales ont été
mobilisées au profit du budget de l’Etat. Ceci dénote la difficulté que peut
éprouver le parlement dans l’évaluation de cette catégorie de recettes
budgétaires. Le législateur centrafricain brille également par une évaluation
parcimonieuse des fonds de concours par la formule vague de « dons
projets » classés dans le registre des ressources externes de l’Etat47. Le
législateur congolais quant à lui a été très réservé sur l’évaluation chiffrée
des fonds de concours. C’est du moins ce qui ressort des lois de finances
pour l’exercice 202048. Le parlement gabonais pour sa part brille par une
certaine inconstance : évasif sur le montant des prévisions des fonds de
concours en 201749, il s’est essayé à une évaluation des recettes issues des
fonds de concours à l’occasion du vote de la loi de finances pour l’exercice
44 Art. 38 de la Loi I/2012/n°2012/CNT portant loi organique relative aux lois de finances
de la Guinée Equatoriale ; art. 40 de la Loi organique n°36-2017 du 3 octobre 2017 relative
aux lois de finances du Congo ; art. 57 de la loi organique n°020/2014 relatives aux lois de
finances et à l’exécution du budget du Gabon ; art. 49 (3) de la loi n°2018/012 du 11 juillet
2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques au Cameroun.
45 Art. 43 de la loi organique n°004/PR/2014 relative aux lois de finances du Tchad.
46 Loi n°2018/022 du 11 décembre 2018 portant loi de finances de la du Cameroun pour
l’exercice 2019.
47 Art. 29 de loi n°016-007 arrêtant le budget de l’Etat pour l’année 2017.
48 Loi n°42‐2019 du 30 décembre 2019.
49 Art. 42 de la Loi n°026/2016 du 6 janvier 2017 déterminant les ressources et les charges
50 Art. 19 de la Loi n°014/2019 du 22 janvier 2020 déterminant les ressources et les charges
de l’Etat pour l’année 2020.
51 H.M. CRUCIS, « La sincérité des lois de finances, nouveau principe du droit
p. 22.
253
ainsi portée à la sincérité de la loi de finances55 par la procédure de
rattachement par voie de fonds de concours, pour ceux de ces crédits qui
sont compris dans les recettes du budget général, conduit à affecter
l'évaluation du déficit prévisionnel en loi de finances initiale56. Pour y
remédier, il est souhaitable de déplacer le contrôle a priori du parlement
dans le cadre de l’adoption des lois de finances rectificatives pour lui
permettre d’avoir tous les éléments de valider les crédits supplémentaires
créés après les contributions volontaires. Dans ce cadre, l’évaluation des
fonds de concours sera empreinte de réalisme et de précision. Cependant,
ils paraissent également inadaptés au contrôle a posteriori de la juridiction
financière.
B. L’atténuation du contrôle a posteriori de la juridiction
financière sur les fonds de concours
Le contrôle juridictionnel des opérations budgétaires et comptables
des administrations publiques est assuré par une Cour des Comptes57 ; elle
en est le « vigil »58. Il s’agit d’un contrôle a posteriori mais qui se trouve
amenuisé dans le cadre de la procédure des fonds de concours. C’est ainsi
qu’il faut remarquer, d’une part, l’exécution parcimonieuse du régime de la
responsabilité financière des acteurs de la gestion des participations
volontaires (1) et, d’autre part, l’édulcoration de la sanction d’insincérité
comptable (2).
1. L’exécution parcimonieuse du régime de la responsabilité
financière des acteurs de la gestion des participations volontaires
Contrairement au régime de droit commun, le contrôle
juridictionnel effectué par les juridictions des comptes des Etats de la
CEMAC est parcimonieux quant à l’engagement de la responsabilité
financière des gestionnaires publics impliqués dans le maniement des
fonds de concours. En fait, la juridiction financière a une compétence
générale sur les gestionnaires des fonds publics, non pas en leur qualité
d’Agent de la « Fonction Administrative », mais comme agents de la « fonction
comptable ». Ces derniers sont des fonctionnaires ou agents publics
régulièrement habilités à effectuer les opérations financières des entités
publiques.
Traditionnellement, il a toujours été question du Comptable public
ou comptable patent comme justiciable devant la juridiction des
comptes59. Seulement, l’évolution du système financier africain a conduit le
pp. 223-229.
59 M. LE CLAINCHE, « Responsabilité des comptables publics et management public »,
255
précédemment énoncé, la reconfiguration du cadre des ordonnateurs
devant exercer le pouvoir de dépenser66 les crédits liée aux fonds de
concours met hors service le contrôle financier. Puisque pour
l’engagement et l’ordonnancement des crédits issus des fonds de concours,
le bailleur de fonds en collaboration avec le ministère concerné peut
désigner une personne étrangère au circuit habituel de la dépense comme
ordonnateur spécialisé. La loi n’ayant pas prévu de contrôle financier dans
ce cas, le juge des comptes n’aura pas, par conséquent, la possibilité
d’apprécier une quelconque défaillance de contrôle.
En ce qui concerne la responsabilité des ordonnateurs dans la
gestion des fonds de concours, la compétence de la juridiction des
comptes doit être distinguée selon la qualité des personnes désignées
comme ordonnateur spécialisé. Les législations des Etats sous étude
prévoient qu’une ou plusieurs personnes peuvent être désignées pour
engager les dépenses liées aux fonds de concours67. A l’analyse, les
personnes désignées peuvent être des agents publics du ministère
bénéficiaire des fonds de concours. Mais également, selon la volonté des
bailleurs de fonds, il peut s’agir des personnes étrangères à la fonction
publique, relevant de la société civile ou alors de la structure pourvoyeuse
de fonds.
Ainsi, en considérant la première hypothèse qui voit un agent public
désigné comme ordonnateur spécialisé des fonds de concours, la
juridiction financière sera compétente pour engager sa responsabilité
notamment pour faute de gestion. Cette hypothèse correspond à la
définition de l’ordonnateur en droit public financier. Le législateur
camerounais, à la suite du législateur communautaire CÉMAC68, définit
l’ordonnateur comme toute « personne ayant qualité, au nom de l’État de prescrire
l’exécution des recettes et des dépenses inscrites au budget de l’État »69. Le législateur
gabonais va dans le même sens70. Toutefois, en considérant la seconde
hypothèse qui voit une personne, n’ayant pas la qualité d’agent public, être
désignée pour engager les fonds de concours, la compétence de la
juridiction financière est à écarter totalement. Le cas de la Guinée
équatoriale qui consacre la désignation d’une personne pour engager les
fonds de concours est plus marquant si cette personne n’a pas la qualité
relative au RGCP.
69 Article 65 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’État.
70 Décret n°0094/PR/MBCP du 8 février 2016 portant Règlement Général sur la
Comptabilité Publique.
256
d’agent public. L’argument d’ordonnateur de fait ne peut non plus être
pertinent puisque la personne désignée a un titre légal dont il se prévaut en
vertu de la volonté de la partie versante.
Ce faisant, force est de constater que la dérogation affirmée des
règles d’engagement et d’ordonnancement de la dépense liée aux fonds de
concours affecte le régime de responsabilité devant la juridiction des
comptes. L’ordonnateur spécialisé désigné en accord avec la volonté du
bailleur de fonds ne peut donc être sanctionné pour faute de gestion car la
définition de celle-ci coïncide avec la qualité d’agent public ou de personne
défendant les intérêts d’une entité publique. L’ordonnateur spécialisé
devant agir selon la volonté de la partie versante, il ne peut être coupable
de faute de gestion. En d’autres termes, le régime de la faute de gestion ne
peut lui être appliqué aussi bien devant le Conseil de discipline budgétaire
et financière que devant la juridiction des comptes. Celle-ci n’a pas
également tous les atouts pour sanctionner le grief d’insincérité comptable
au regard u caractère foncièrement aléatoire des fonds de concours.
2. L’édulcoration de la sanction du grief d’insincérité comptable
L'application des normes comptables est délicate en raison de la
spécificité
des actifs de l'État, le principe de sincérité se trouvant entravé et sa
censure biaisée devant la juridiction des comptes. Le cas particulier des
fonds de concours incite à entrevoir la limitation de la sanction du grief
d’insincérité comptable devant la juridiction financière.
En effet, la sincérité comptable est l’un des versants du principe de
sincérité en droit budgétaire. Il est le premier, le plus ancien, le plus
général (il est commun aux secteurs privé et public) et le moins
controversé71 des deux variantes du principe de sincérité. De ce fait la
certification de la sincérité des comptes fait partie de l’une des missions la
juridiction des comptes72, à côté du contrôle de régularité, de l’assistance
du parlement dans le contrôle de l’exécution du budget et du jugement des
ordonnateurs, des contrôleurs financiers et des comptables publics73. La
sincérité budgétaire et comptable a incontestablement affaire avec la vieille
question du contrôle de régularité des deniers publics et donc des fonds de
concours pour en garantir la bonne utilisation74. L'introduction du principe
de sincérité pour les comptes publics exige leur exactitude dans le respect
des règles et procédures75. Mais l’appréciation de cette exactitude par la
juridiction des comptes n’est pas aisée.
71 L. SAÏDJ, « Enjeux autour d'un principe controversé », RFFP, n°111, septembre 2010,
p. 6.
72 J.-L. ALBERT, « La sincérité devant le juge financier », RFFP, n°111, op. cit., pp. 105-114.
73 Art. 73 de la Directive CÉMAC relative aux lois des finances.
74 M. BOUVIER, « La sincérité budgétaire et comptable : un principe paradoxal ? », RFFP,
financière, Paris, 1946, cité par A. G. BESSALA, « Le principe de sincérité en droit public
financier camerounais », RASJ, numéro spécial, 2014, p. 214.
258
II. L’insertion de mécanismes spécifiques de contrôle de
l’utilisation des fonds de concours
Les fonds de concours sont des contributions financières dont les
règles d’utilisation doivent être conformes à la volonté de la partie
versante. Celle-ci inspire donc l’érection de mécanismes spécifiques de
contrôle de ces contributions volontaires. Ainsi, il faut relever d’une part
l’association de la partie versante au contrôle des fonds de concours (A) et
d’autre part la définition d’organismes publics spécialisés pour le suivi de
l’utilisation de ces fonds (B).
A. L’association de la partie versante au suivi de l’utilisation des
fonds de concours
L’analyse du droit public financier des Etats de la CEMAC fait
remarquer que la partie versante des fonds de concours est placée au cœur
du système de contrôle de cette catégorie de ressource budgétaire.
Contrairement au droit commun du contrôle des finances
publiques, les bailleurs de fonds sont les principaux acteurs du suivi de
leurs contributions financières. C’est dans cette optique que les opérations
comptables liées à l’utilisation des fonds de concours sont assujetties à leur
contreseing (1). Mieux encore, ils ont la possibilité de constituer des
organes non étatiques pour effectuer le contrôle de l’utilisation de leurs
fonds par l’Etat (2).
1. La soumission des opérations comptables au contreseing des
bailleurs de fonds
Dans le cadre de l’exécution des opérations budgétaires sur fonds
de concours, les activités comptables sont soumises au contreseing des
bailleurs de fonds.
En effet, le contreseing est la seconde signature apposée à côté de
celle de l’auteur d’un acte. En droit public, il est affirmé originellement en
droit constitutionnel. Aux origines de cette règle, se trouve la pratique qui
voulait, dans les anciennes monarchies, que tous les actes du roi fussent
contresignés par un ou plusieurs ministres qui n’intervenaient qu’à titre de
témoins pour attester que l’acte émanait du roi. Par la suite, aux aurores du
régime parlementaire, on considéra que le contreseing engageait, à défaut
de la responsabilité du roi qui ne pouvait être mise en cause, celle des
ministres qui étaient présumés avoir conseillé au monarque l’acte qu’ils
avaient contresigné. Il en résulta pour ceux-ci le droit de refuser leur
contreseing aux décisions qu’ils désapprouvaient. Dorénavant la coutume
constitutionnelle tire de la règle du contreseing des conséquences qui vont
beaucoup plus loin encore. Selon cette règle, le chef de l’État doit
accomplir sur le plan politique tous les actes que le Cabinet lui demande : il
signe ce qu’on lui demande de signer, dit ce qu’on lui dit de dire79.
80 F. HAMON et M. TROPER, Droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 2014, 35e éd., p. 224.
81 Article 91 de la Constitution du Tchad, art. 97 de la Constitution du Congo et art. 27 de
la Constitution du Gabon.
82 Art. 80(2) de la Directive CEMAC relative aux lois de finances.
83 Art. 82 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 fixant le régime financier de l’Etat et des
84 Art. 93 de la Loi organique n°36-2017 du 3 octobre 2017 relative aux lois de finances.
85 Art. 91 de la loi organique n°020/214 relatives aux lois de finances et à l’exécution du
budget.
86 Art. 91 de la Loi organique n°004/PR/2014 relative aux lois de finances.
87 F. CHOUVEL, L’essentiel des Finances publiques, Paris, Gualino, 2020, 23e éd., p. 80.
261
bailleurs de fonds. Si ce dernier désapprouve l’opération de paiement, le
comptable public est tenu de renvoyer le dossier à l’ordonnateur spécialisé,
accompagné d’une note explicative du refus. Au-delà du mécanisme du
contreseing, les bailleurs de fonds peuvent être des acteurs à part entière
du contrôle de l’utilisation des fonds de concours aux côtés des organes
étatiques.
2. La constitution d’organes de contrôle non-étatique par les
bailleurs de fonds
La surveillance des bailleurs de fonds dans la conduite des réformes
est manifeste dans le droit public financier des Etats de la CEMAC. A la
faveur de la mondialisation de l’action des organisations économiques et
monétaires, les organisations internationales à caractère financier donnent
de l’importance aux fonctions de surveillance multilatérale88 et de
normalisation qui concernent très largement les finances publiques89.
Aussi, les bailleurs de fonds disposent de la possibilité de constituer des
organismes détachés de l’ordonnancement institutionnel de l’Etat pour le
suivi de l’utilisation des fonds de concours.
Ainsi, la partie versante et l’Etat s’accordent dans le cadre d’une
convention de financement sur les modalités de mise en œuvre des
organes de contrôle des fonds de concours. La publicité de ces documents
n’étant pas régulière, l’étude s’est limitée à illustrer ce cas particulier de
contrôle avec les contrats de désendettement et de développement signés
entre la France et certains pays africain à l’instar du Cameroun. Ayant
atteint le point d’achèvement à l’initiative en faveur des pays pauvres et
très endettés, le Cameroun a signé avec la France un contrat dit « de
désendettement et de développement » qui fait bénéficier à cet Etat en
développement très endetté d’importantes ressources additionnelles
soumises à un régime d’utilisation fortement marqué par une
conditionnalité à essence réformatrice. Ces fonds peuvent être assimilés à
des fonds de concours dans la mesure où le bailleur de fond a réorienté le
remboursement d’une dette au financement des programmes de
développement sans contrepartie. La signature par le Cameroun du tout
premier Contrat de Désendettement et de Développement (C2D) avec la
France aux lendemains du franchissement du point d’achèvement à
l’initiative renforcée en faveur des pays pauvres et très endettés (PPTE)90,
a permis au Cameroun de bénéficier d’importantes ressources
additionnelles provenant de l’allègement du service de la dette. Dans
l’optique d’une utilisation rationnelle et efficiente desdites ressources en
263
Pauvreté et du Document Cadre de Partenariat, la répartition sectorielle
des projet et programmes bénéficiant des ressources C2D en faveur de la
lutte contre la pauvreté, de la croissance et de la bonne gouvernance, de
veiller à leur bonne exécution et de suivre les résultats obtenus dans ce
cadre.
En tout état de cause, les contrôles effectués par ces organes
peuvent se faire sur pièces sur place, a priori ou a posteriori. Sur pièces, la
surveillance se fait au siège de l’organisation financière à base des
informations contenues dans les documents officiels obligatoirement
transmis à l’organisation. Ces documents faisant état de la conduite
quotidienne de l’utilisation des fonds de concours doivent être exhaustifs,
clairs et non équivoque afin de bien éclairer l’institution de contrôle. Les
insuffisances du contrôle sur pièces à édifier le bailleur de fond sur l’objet
du contrôle justifient la descente sur le terrain de ses représentants, afin de
suivre eux même physiquement la conduite des opérations.
Cet exemple camerounais représente un cas d’école de la
participation directe des bailleurs de fonds au contrôle des fonds de
concours des C2D. Le Congo Brazzaville a reçu également les
financements C2D avec la reconduction du même régime de contrôle que
celui du Cameroun. En annulant ses créances d’aides publiques au
développement résiduelles subsistantes au terme de l’Initiative PPTE, ce
qui représente, il faut le préciser, un effort budgétaire supplémentaire pour
l’État français, la France, en contrepartie, met en place un dispositif visant
à s’assurer que les fonds dégagés par l’annulation de la dette servent
réellement l’objectif de lutte contre la pauvreté dans les pays bénéficiaires.
Au-delà de participation des bailleurs de fonds au contrôle des fonds de
concours, les organismes publics ne demeurent pas moins prégnants dans
le suivi de l’utilisation de ces ressources budgétaires spécifiques.
B. La définition d’organismes publics spécialisés de contrôle des
fonds de concours
Par dérogation au cadre institutionnel classique de contrôle des
finances publiques, le suivi de l’utilisation des fonds de concours est opéré
par des organismes publics spécialisés. Dans ce sens, il faut noter la
constitution des organes classiques de contrôle des finances publiques en
audit spécifique (1). A cela il faut ajouter la dévolution du contrôle
comptable à comptable public particulier (2).
1. La constitution des organes classiques de contrôle des finances
publiques en audit spécifique des fonds de concours
Les organes ordinaires de contrôle des finances publiques restent au
cœur du processus de suivi des règles d’utilisation des fonds de concours.
Mais, ils sont mis à contribution dans le cadre de la constitution d’un audit
spécifique. Nous savons que l'audit est le système ou le modèle adopté
pour le contrôle des Administrations dans les pays anglo-saxons. Dans ces
264
pays, le contrôle ne relève pas de Cours des comptes mais d'organismes
d'audit. Mais l'audit est surtout le modèle universel pour les entreprises94.
Dans les entreprises, l'audit se pratique tant au niveau externe qu'au
niveau interne95. On distingue principalement : l'audit externe financier,
appelé révision comptable ou encore certification comptable. Il est
pratiqué par des professionnels libéraux indépendants. L'audit interne est
une fonction interne de l'entreprise, mais il suit des normes adoptées par la
profession des auditeurs internes96. Appliqué à la gestion des finances
publiques notamment aux fonds de concours, l’audit qui peut être décidé
par les bailleurs de fonds est un audit externe. Cet audit, effectué selon les
normes de l’INTOSAI et épouse toutes les formes97. L’ensemble de ces
attributions de contrôle, de maîtrise de la dépense et de l’action publique,
constitue un ensemble nouveau et cohérent de concepts et d’outils, tant de
gestion que de contrôle, constituant la nouvelle gestion publique98.
L’audit spécifique appliqué aux fonds de concours est une activité
indépendante et objective qui donne aux personnes publiques bénéficiaires
de ces fonds une assurance sur le degré de maîtrise de ses opérations
budgétaires y relatives. Il aide l’Etat à atteindre les objectifs définis par les
bailleurs de fonds, en évaluant, par une approche systématique et
méthodique, ses processus de management des risques, de contrôle et de
gouvernement d’entreprise et en faisant des propositions pour renforcer
son efficacité. L’audit public externe a ainsi deux fonctions et deux formes
: le contrôle de l’exécution de la loi de finances allant éventuellement
jusqu’à la certification des comptes par le moyen de l’audit financier
(budgétaire et comptable) et l’audit de la performance administrative et
éventuellement l’évaluation des résultats, voir celle des programmes et des
politiques publics99. Aujourd'hui, la régularité de la dépense publique ne
suffit plus, elle doit être complétée par un regard sur la performance
publique100. C'est sur ces bases que le contrôle de la gestion, dont l’audit
est l’expression quintessenciée, s'est développé. Il est alors présenté
comme un complément du contrôle traditionnel des comptes permettant
d'étendre le champ d'investigation du contrôle des finances publiques à des
questions nouvelles à l’instar des fonds de concours.
n°248, p 10.
96 R. BETHOUX, F. KREMPER, M. POISSON, L’audit dans le secteur public, Paris, Clet,
1986, p. 67.
97 Régularité ou audit financier, système, performance.
98 A.-G. COHEN, La nouvelle gestion publique. Concepts, outils, structure, bonnes et mauvaise
pratique, contrôle interne et audits publics, Paris, Gualino, 2012, 3e éd., p. 42.
99 Ibid., p. 45.
100 M. BOUVIER, « L'âge de la nouvelle gouvernance financière et de la responsabilisation
généralisée des acteurs publics : un autre contrat social, un autre Etat », RFFP, n°92,
novembre 2005, pp. 39-46.
265
Compte tenu de l'évolution de l'activité publique et de l'ampleur des
éléments en jeu, le contrôle de la gestion, apparu d'abord comme
complément, dépasse aujourd'hui le contrôle juridictionnel des comptes.
C’est ce qui justifie le choix de la constitution d’un audit spécifique
regroupant les organes classiques de contrôle des finances publiques. Le
législateur communautaire dispose dans ce sens que les opérations,
activités et comptes de ces fonds peuvent faire l’objet d’un audit spécifique
mandaté par le ou les bailleurs de fonds concernés, effectués
conjointement avec les institutions de contrôle mentionnées au chapitre 4
du titre V de la directive CEMAC relative aux lois de finances101. Ces
dispositions de la directive communautaire sont relayées par les lois
internes des Etats de la CEMA102.
Ceci laisse entendre que la constitution d’un audit spécifique en
matière de fonds de concours agrège plusieurs formes de contrôle
correspondant aux acteurs qui interviennent en l’occurrence le contrôleur
financier, le comptable public, le parlement et la juridiction des comptes.
Néanmoins, le contrôle budgétaire, ou financier, dont ces unités de
contrôle, rebaptisées d’audit, demeurent dans de nombreux cas chargées,
doit être abandonné ; il doit se déplacer vers la sphère de responsabilité du
manager impliqué dans la procédure des fonds de concours. L’auditeur,
qui n’est pas un comptable, s’assurera seulement de la régularité générale
des systèmes. L’audit financier doit être confié à l’audit externe, exercé par
la juridiction des comptes assisté par le parlement, et être appuyé à
l’intérieur de l’administration sur les services du Trésor. La combinaison
de ces deux premiers « standards » est souvent la plus difficile à faire
admettre. Elle laisse croire que le contrôle financier, budgétaire et
comptable n’existe plus. En fait celui-ci est réparti entre l’auto-contrôle ou
contrôle interne du gestionnaire des crédits liés aux fonds de concours
(ordonnateur et aussi comptable) et un contrôle externe renforcé de la
Cour des comptes et des assemblées parlementaires103.
Pour autant, sa portée n’est pas moins méliorative. L'audit apprécie
l’organisation, l'adéquation des moyens aux fins, l'obtention des résultats
par rapport aux objectifs fixés notamment par les bailleurs de fonds, la
pertinence des sécurités mises en œuvre par la gestion par rapport aux
risques encourus. C'est ce qui distingue l'audit moderne d'une inspection
traditionnelle, d’une mission de vérification, où la gestion dans son
104 Ibid.
105 M. PRADA, « Réflexion sur l’histoire de la comptabilité de l’Etat », RFFP, n°93, février
2006, p. 257.
106 M. KERNEIS-CARDINET, « La responsabilité du comptable public principal du fait
267
autres Etats sous étude ont repris mot pour mot les dispositions du
législateur communautaire.
Ce faisant, à la question de savoir quelle est la nature du comptable
public désigné pour la gestion du sous-compte des contributions des
bailleurs de fonds, il convient d’inférer qu’il s’agit du comptable
centralisateur. Il contrôle et agrège l’ensemble des comptabilités des
recettes des finances et perception dont il produit la balance des comptes.
Le droit camerounais confère la gestion du sous-compte des fonds
accordés par les bailleurs de fonds à l’Agent comptable central du Trésor à
la lecture de ses attributions. L’Agence Comptable centrale du Trésor est
une structure nouvelle ; placée sous l'autorité d'un Agent Comptable, elle
est chargée de la tenue de la comptabilité des opérations qui lui sont
propres ainsi que de la tenue et de la gestion du compte unique, des
comptes CCP et des comptes spéciaux du Trésor ouverts à la BEAC.
Cette dernière étant celle qui abrite le sous-compte des financements
apportés par les bailleurs de fonds, c’est l’agent comptable central du
Trésor qui doit faire office de comptable public pour assurer le contrôle
comptable de ces fonds de concours.
Qu’à cela ne tienne au regard de la nature en numéraire des
financements des bailleurs de fonds, le comptable public gestionnaire du
sous-compte dédié à ces fonds est un comptable en deniers et valeurs. En
vertu de cette qualité, il est habilité au maniement et à la conservation des
fonds publics109, des valeurs qui sont des valeurs de portefeuille, bons,
traites, obligations, rentes et actions de société110. Mais à l’origine, il s’agit
d’un comptable d’ordre puisqu’il a vocation à centraliser et à présenter
dans leurs écritures et leurs comptes les opérations financières exécutées
par d’autres comptables. Toutefois, les fonctions de comptable d’ordre ne
sont pas incompatibles avec celles de comptable deniers et valeurs. Le
comptable public désigné pour la gestion des opérations du sous-compte
dédié aux financements officie en tant que comptable en deniers et
valeurs.
En tout état de cause, le contrôle comptable111 du comptable public
désigné ne s’éloigne pas de celui exercé par un comptable assignataire.
Sous cet angle, il a la charge de s’assurer notamment de la bonne
imputation et de la disponibilité des crédits liés aux financements des
bailleurs de fonds, de la réalité du service fait, de la non prescription de la
dépense, ainsi que de son caractère libératoire. Il s’agit d’un contrôle a
priori qui repose sur l’idée selon laquelle le respect des procédures garantit
le bon usage des financements des bailleurs de fonds. En effet, la
réformes comptables et financières », Politique et Management public, vol. 30, n°3, 2013, pp.
285-287.
115 J. MAGNET, « Règlement du budget et des comptes », in L. PHILIP (dir.), Dictionnaire
270
LE CONTRASTE DES INSTITUTIONS DE CONTROLE DES
FINANCES PUBLIQUES CAMEROUNAISES
Par
Dr. Franck Landry OWONA NDOUGUESSA
Ph.D en Droit Public
Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Yaoundé II (Cameroun).
RESUME :
Selon l’adage classique, « ce qui abonde ne vicie pas ». Toutefois, il est permis de
penser le contraire en finances publiques camerounaises, au regard du foisonnement des
institutions de contrôle. Ce foisonnement est porteur d’un contraste souligné par
l’articulation contradictoire entre les heurts du droit positif, et les lueurs du droit
prospectif. Par conséquent, l’étude du contraste des institutions de contrôle des finances
publiques camerounaises commande que leur complexité observée en amont, induise
nécessairement une simplicité suggérée en aval.
Mots clés : finances publiques - contrôle- institutions- contraste.
ABSTRACT:
According to the classical adage, ″what abounds does not vice″. However, it is
allow to think the opposite of cameroonian public finances, in view of the oversight
control institutions. This trend is a contrast underlined by the contradiction between the
clashes of positive law, and the glues of prospective law. Consequently, the study of
cameroonian public finance control institutions contrast’s requires that their complexity
observed above, necessarily induces a suggested simplicity downstream.
Keywords : public finances – control- institutions- contrast.
271
Introduction
« Mais qui donc nous gardera de nos gardiens ?»1. Tel est le
questionnement classique du dramaturge JUVENAL sur le contraste de la
surveillance des organes de contrôle en général. A l’ère contemporaine, ce
questionnement conserve son actualité par le contraste des institutions de
contrôle des finances publiques camerounaises.
Conceptuellement, les finances publiques sont d’entendements
économique et juridique2. L’entendement économique des finances
publiques revêt deux acceptions. D’une part, l’acception libérale définit les
finances publiques comme la science dont l’objet est de préciser les
modalités du financement de l’activité de l’Etat par l’impôt, de dresser les
règles d’établissement des comptes publics, et de fixer la procédure des
dépenses publiques3 . D’autre part, l’acception interventionniste conçoit
les finances publiques comme l’étude des moyens par lesquels l’Etat se
procure les ressources nécessaires à la couverture des dépenses publiques,
et en repartit la charge aux citoyens4. L’entendement juridique des finances
publiques, quant à lui, est binaire. Premièrement, selon la définition
classique, caractérisée par le rôle exclusif de l’Etat comme acteur financier,
les finances publiques s’appréhendaient comme « la branche du droit public
qui a pour objet l’étude des règles et des opérations relatives aux deniers publics »5.
Deuxièmement, fort de la multiplicité d’interventions des organes publics
dans les activités financières6, la définition contemporaine des finances
publiques, retenue dans la présente étude, renvoie aux règles de droits
interne et supranational, qui encadrent les opérations budgétaires et
comptables des pouvoirs publics que sont l’Etat, les établissements publics
administratifs, les entreprises publiques, et les collectivités territoriales
décentralisées7. La conséquence tirée de cette définition contemporaine est
que, contrairement à un courant original de la doctrine camerounaise8, les
1 Cette question est la traduction de la locution latine « Quis Custodiet Ipsos Custodes ». Dans
son contexte originel, cette citation visait les gardiens commis à la surveillance des
résidences romaines, et que JUVENAL accusait d’infidélité.
2 Comme le fait remarquer Paul-Marie GAUDEMET, « les finances publiques recouvrent les
finances des personnes morales de droit public (…) ou encore, les finances de l’économie publique » : P.-M.
GAUDEMET, « Finances publiques (notions générales) », in L. PHILIP (dir.), Dictionnaire
encyclopédique de finances publiques, Paris, Economica, 1991, 1 ère édition, p. 807.
3 A. SMITH, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Paris, Economica, 2000,
p. 194.
4 J. M. KEYNES, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, Paris, Payot, 1988, p.
52.
5 P.M. GAUDEMET, J. MOLINIER, Finances Publiques, Tome 1, Budget/Trésor, Paris,
budgétaire, et le droit comptable. Cf. G.ORSONI, Science et législation financière : budgets publics
et lois de finances, Paris, Economica, Collection Corpus-Droit Public, 2005, p. 2.
8 S.T. BILOUNGA, Finances publiques camerounaises : budgets, impôts, douanes, comptabilité
9 S. DAMAREY, Droit public financier : finances publiques, droit budgétaire, comptabilité publique, et
contentieux financier, Paris, Dalloz, Collection Précis, 2018, 1994 pages.
10 M. BOUVIER, M.-C. ESCLASSAN, J.-P LASSALE, Finances Publiques, op.cit., p. 37.
11 M. LEGRAIN (dir.), Dictionnaire encyclopédique, Paris, Les dictionnaires Larousse, 2001, p.
817.
12 S. GUINCHARD, T. DEBARD, Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 2017, 25ème
édition, p. 589.
13 D. LOCHAK, « Institution », in A.-J. ARNAUD (Dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie
1966, p. 15.
16 M. LEGRAIN (dir.), Dictionnaire encyclopédique, op.cit., p. 372.
17 Idem.
18 G. CORNU, Association Henri CAPITANT (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2017,
constitutions Janus », in L’Etat moderne : horizon 2000. Aspects internes et externes, Mélanges offerts
à Pierre François GONIDEC, Paris, LGDJ, 1985, p. 235.
23 Rapport des états généraux de la protection de la fortune publique au Cameroun (Palais
26 J. L. HELIS et alli, Renforcer la surveillance, la gouvernance et la maitrise des risques budgétaires dans
la gestion des entreprises publiques (Cameroun), Rapport technique du Fonds Monétaire
International, Mai 2021, p. 8.
27 M. NGO MOMASSO, Le contentieux des gestionnaires des derniers publics en droit public financier
31 M. BOUVIER, M.-C. ESCLASSAN, J.-P. LASSALE, Finances Publiques, op. cit., p. 37.
32 J.-L. BERGEL, Méthodologie juridique, Paris, PUF, 2001, p. 104.
33 J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, 1989, 2ème édition, p. 190.
34 Article 2 alinéa 1 du Décret n°2013/287 du 04 septembre 2013 portant organisation des
portant Régime financier de l’Etat et des autres entités publiques qui énonce que « le
[responsable de programme] s’assure du respect des dispositifs de contrôle interne et de contrôle de gestion »
(article 69 alinéa 2). Cette disposition légale est une reprise intégrale de l’extrait identique
contenu dans l’article 60 de la Directive n°01/11-UEAC-190-CM-22 du 19 décembre 2011
relative aux lois de finances.
37 H. EYEBE AYISSI, La protection de la fortune publique au Cameroun, op.cit., p. 178.
38 L’office du contrôleur financier s’exerce par le contrôle de régularité, tel qu’il ressort de la
02 juin 1972, la Chambre des Comptes de la Cour Suprême est effective. Par voie de
conséquence, la loi n°2003/005 du 21 avril 2003 fixant les attributions, l’organisation et le
fonctionnement de ladite Chambre révèle que « la Chambre des Comptes contrôle et juge des
comptes des comptables publics, déclare et apure les comptabilités de fait, prononce des condamnations à
l’amende, dans les conditions fixées par la présente loi, et statut souverainement en cassation sur les recours
formés contre des jugements définitifs des juridictions inférieures des comptes ».
41 L’article 41 alinéa 2 de loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 dispose que « les juridictions
inférieures des comptes, ainsi que les conditions de saisines et la procédure suivie devant eux, sont fixés par
la loi ». Logiquement, motif pris du ressort législatif, la loi n°2006/017 du 29 décembre
2006 fixant l’organisation, les attributions et le fonctionnement des Tribunaux Régionaux
des comptes prévoit, en son article 2 alinéa 1 que « les Tribunaux Régionaux des Comptes sont
des juridictions inférieures des comptes au sens de l’article 41 de la Constitution ».
42 Art. 89 al 1, loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des
cinquante millions (50.000 000) de FCFA, le juge compétent c’est le Tribunal Criminel
Spécial, au fondement de la loi n°2011/028 du 14 décembre 2011 portant création dudit
Tribunal.
46 Article 85 al 1 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 précitée.
47 L’article 85 alinéa 1 de la loi susvisée dispose que « chaque année, les commissions
parlementaires chargées des finances désignent chacune, à l’ouverture de la première session ordinaire de
l’année législative (…) des rapporteurs spéciaux chargés des dépenses publiques et du contrôle de l’usage des
fonds publics, y compris des fonds des bailleurs ».
48 Quoique le législateur de 2018 soit mutique au sujet de ces questions, l’article 35 de la loi
et fonctionnement de la CONAC.
278
L’interprétation doctrinale de la profusion des institutions
nationales de contrôle est porteuse d’enjeux de sens restitués en lignes de
force caractérisées par une dualité.
La première ligne de force retrace les mutations affectant les
institutions juridictionnelles. Consécutivement à la réforme du cadre
juridique des finances publiques camerounaises depuis le 11 juillet 2018,
l’on perçoit l’affirmation de l’autonomie de la juridiction des comptes.
Aussi convient-il d’en présenter respectivement la genèse et exégèse. La
genèse de cette autonomie remonte à la Directive n°01/11-UEAC-190-
CM-22 du 19 décembre 2011 relative aux lois de finances dont l’article 3
dispose que « le contrôle juridictionnel des opérations budgétaires et comptables des
administrations publiques est assuré par une Cour des Comptes qui doit être créée dans
chaque Etat membre (…). Elle est l’Institution Supérieure de Contrôle de chaque
Etat »52. Quant à l’exégèse, la prescription communautaire de créer une
Cour des Comptes a permis à la doctrine camerounaise d’affirmer la
reconnaissance de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême comme
l’Institution Supérieure de Contrôle des Finances Publiques53. La doctrine
était d’autant plus confortée par le fait que la Directive n°06/11-UEAC-
190-CM-22 du 19 décembre 2011 relative au Code de Transparence et de
bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques commande la
création obligatoire d’une Cour des Comptes dans chaque Etat membre de
la CEMAC54. Toutefois, force est de constater que « le Cameroun apparaît
comme la figure de résistance par excellence, aux changements formels de son contrôle
juridictionnel des finances publiques, conformément aux directives communautaires »55.
Par ailleurs, une mutation est perceptible par l’élargissement des fonctions
de la juridiction des comptes aux plans national et communautaire. Pour le
juge des comptes national, la fonction prétorienne porte désormais, en
plus des comptables publics, sur le jugement des ordonnateurs et
contrôleurs financiers56. Quant au juge des comptes communautaire, il
exerce des fonctions d’assistance, et de conseil au bénéfice des Etats-
membres qui en font la demande57.
La seconde ligne de force est consécutive aux mutations des
institutions non-juridictionnelles. D’une part, la mutation s’observe dans le
retrait de la répression des ordonnateurs aux Services du Contrôle
Supérieur de l’Etat. Sous l’empire de la loi n° 2007/006 du 26 décembre
52 Article 3.
53 S. BATIA EKASSI, L’Institution Supérieure de Contrôle des finances publiques au Cameroun,
Thèse de Doctorat/Ph.D, Université de Yaoundé II, 2018, p. 43.
54 Article 3.
55 D. Y. EFANGON, La réforme des juridictions des comptes dans l’espace CEMAC, Paris,
CEMAC énonce que « dans son rôle consultatif, la Cour des Comptes émet des avis, à la demande des
Etats membres (…) sur toute question relevant de ses compétences ».
279
2007 portant régime financier de l’Etat, les ordonnateurs étaient
justiciables devant le Conseil de Discipline Budgétaire et Financière
(CDBF)58. Fort de la dévolution de la répression des ordonnateurs à la
juridiction des comptes, la doctrine conclut que « le CDBF en tant qu’autorité
de sanction administrative des actes des ordonnateurs soit supprimé »59. Une telle
affirmation doit être nuancée au regard de l’utilité du CDBF comme
instance de discipline financière, analogue au Conseil Permanent de
Discipline de la Fonction Publique, conformément à sa nature d’organe
administratif60. D’autre part, une mutation se dégage dans la consolidation
du contrôle parlementaire des finances publiques. Le Parlement est
désormais outillé tant par le Gouvernement, qui lui transmet des rapports
trimestriels aux fins de contrôle61, que par la juridiction des comptes qui
peut réaliser toute enquête à la demande des commissions
parlementaires62.
En définitive, force est d’observer une profusion d’institutions
nationales de contrôle des finances publiques camerounaises. Cette
profusion vaut également pour les institutions internationales.
2. La profusion des institutions internationales de contrôle
En vertu de la ratification des traités et accords internationaux63, les
finances publiques camerounaises font l’objet de contrôles effectués par
les institutions de droit supranational. Sous le prisme de la dualité, ces
institutions sont classées en deux catégories que sont les institutions
permanentes (a) et celles émergentes (b).
a. Les institutions permanentes de contrôle
En raison de leur présence continuelle, les institutions
internationales exercent leur office dans le dispositif de contrôle des
finances publiques camerounaises. Globalement, ces contrôles sont
binaires.
Le premier type de contrôle résulte des conventions signées par
l’Etat camerounais. Au titre des conventions conclues entre cet Etat et ses
partenaires bilatéraux, elles prévoient, en contrepartie de l’assistance
financière64, des contrôles exercés sur la régularité de la dépense. Ainsi, le
58 Article 52 alinéa 3.
59 M. NGO MOMASSO, Le contentieux des gestionnaires des derniers publics en droit public financier
au Cameroun, op. cit., p. 250.
60 B. C. ALOGO NDI, La nature du contrôle du Conseil de Discipline Budgétaire et Financière au
Cameroun, Mémoire de DEA en Droit Public, Université de Yaoundé II, 2009, p. 10.
61 Article 85 alinéa 8 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant Régime financier de
accords régulièrement approuvés ou ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois,
sous réserve pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ».
64 A titre illustratif, l’on peut citer le Contrat de Désendettement pour le Développement
d’Afrique Centrale.
69 Article 33.
281
b. Les institutions émergentes de contrôle
Du fait de leur récence, certaines institutions émergentes de droit
étranger exercent des contrôles sur les finances publiques camerounaises.
Ces institutions sont classées en deux catégories, à savoir : les agences de
notations, et les organisations non-gouvernementales.
S’agissant des agences de notation, elles contribuent au contrôle des
finances publiques par l’émission d’opinions. Car, « l’une des règles de
fonctionnement du marché financier international est l’attribution des
notes par les agences de notation financière, considérées à raison par la
doctrine comme de véritables puissances de contrôle vis-à-vis des autorités
financières des Etats »70. L’explication des opinions émises par les agences
de notation, repose sur des notes de crédits mesurant la perception du
risque attaché au remboursement d’une dette. Ainsi, ces notations varient
selon que le risque est moindre71 ou qu’il est élevé72. Par conséquent, pour
l’application de ces opinions en finances publiques camerounaises,
référence est faite aux institutions de droit étranger que sont Moody’s et
Standard and Poor’s. Concrètement, ces agences ont respectivement attribué
les notes B2 (en 2016 et 2021) et B (en 2017). Ces notes ont permis à
l’Etat camerounais d’obtenir des financements tant auprès des créanciers
nationaux (levée des emprunts obligataires) que du bénéfice de la Facilité
Elargie de Crédit de 390 milliards, auprès du Fonds Monétaire
International.
S’agissant des organisations non-gouvernementales, elles participent
au contrôle des finances publiques par émission d’indices de perception
dont l’essence porte principalement sur l’attractivité des finances publiques
dans deux domaines. Le premier, c’est celui de la lutte contre la
corruption. Pour cette lutte, les indices de perception émis par
l’organisation non-gouvernementale Transparency International classent les
Etats les plus ou moins corrompus dans le monde. Le second domaine
porte sur la facilité d’entreprendre. A ce sujet, le classement annuel Doing
Business, créé en 2002 par le Groupe de la Banque Mondiale, mesure
l’effectivité de la règlementation des affaires au sein des Etats. En outre,
l’essence des indices de perception concerne la gouvernance financière
des pouvoirs publics. C’est en ce sens que Transparency International promeut
la gestion transparente des finances publiques. De ce fait, l’incidence des
indices de perception est ambivalente. L’incidence vertueuse de ces indices
résulte du bénéfice que l’Etat du Cameroun tire d’une perception favorable
de ses finances publiques, du fait de l’appel d’air aux bailleurs de fonds et
investisseurs. Toutefois, l’incidence vicieuse découle de l’image négative
282
que peut renvoyer l’Etat du Cameroun consécutivement aux indices de
perception péjoratifs73.
En conclusion, la profusion quantitative des institutions de contrôle
des finances publiques camerounaises ainsi analysée est, sous l’abord de la
complexité, complétée par la confusion qualitative de celles-ci.
B. La confusion qualitative des institutions de contrôle
Motif pris du critère qualitatif, le contrôle des finances publiques
camerounaises par les institutions dédiées prête à confusion. Cette
confusion émane, non pas des polémiques, mais plutôt des problématiques
liées à la qualité des institutions aussi bien en rapport avec l’Institution
Supérieure de Contrôle (1) que dans l’indépendance de la juridiction des
comptes (2).
1. La confusion sur la qualité d’Institution Supérieure de Contrôle
des finances publiques
Le débat sur la qualité de l’Institution Supérieure de Contrôle des
finances publiques est générateur de controverses, au point de semer une
confusion certaine. Aussi, convient-il successivement d’identifier les
raisons de cette confusion (a), et d’y apporter des clarifications (b).
a. Les raisons de la confusion
Les raisons de la confusion sur la qualité d’Institution Supérieure de
Contrôle des finances publiques camerounaises résultent d’une
discordance entre les prescriptions du droit supranational, et les
dispositions du droit interne.
Les prescriptions du droit supranational sont duales. La première
prescription est celle de la Directive n°01/11-UEAC-190-CM-22 du 19
décembre 2011 relative aux lois de finances. Elle dispose qu’« une Cour des
Comptes doit être créée dans chaque Etat-membre (…) elle est l’Institution Supérieure
de Contrôle de chaque Etat »74. Ainsi, le législateur communautaire concourt à
la promotion de l’Etat de Droit par la dévolution du contrôle suprême des
finances publiques à une Cour des Comptes au sein des Etats. La seconde
prescription découle de la Directive n°06/11-UEAC-190-22 relative au
Code de Transparence et de Bonne Gouvernance dans la Gestion des
Finances Publiques. Elle énonce l’impératif catégorique de la création
obligatoire d’une Cour des Comptes dans chaque Etat-membre de la
CEMAC75.
Les dispositions du droit interne, quant à elles, attribuent la qualité
d’Institution Supérieure de Contrôle des finances publiques à une structure
administrative. A cet effet, le Décret n° 2013/287 du 04 septembre 2013
portant organisation des Services du Contrôle Supérieur de l’Etat prévoit
283
qu’ils « constituent l’Institution Supérieure de Contrôle (ISC) des finances publiques
du Cameroun »76. Placés sous l’autorité d’un Ministre délégué à la Présidence
de la République, les Services susmentionnés sont chargés de l’audit
externe. Au regard des dispositions du droit communautaire, le droit
interne camerounais est, vraisemblablement, en opposition concernant la
nature juridictionnelle de l’Institution Supérieure de Contrôle des finances
publiques.
Au terme de l’énoncé des raisons justifiant la confusion sur la
qualité d’Institution Supérieure de Contrôle des finances publiques, des
clarifications sont apportées par la doctrine.
b. Les clarifications de la confusion
Au registre des clarifications de la confusion sur la qualité
d’Institution Supérieure de Contrôle des finances publiques
camerounaises, la doctrine est partagée entre le courant communautariste,
et celui interniste.
Le courant communautariste promeut l’application du caractère
juridictionnel de l’Institution Supérieure de Contrôle des finances
publiques. En ce sens, une partie de la doctrine soutient qu’ « au-delà de la
désignation accordée aux Services du Contrôle Supérieur de l’Etat, la Chambre des
Comptes de la Cour Suprême serait l’organe qui fait réellement office d’ISC au
Cameroun »77. Cette assertion est porteuse d’une ambivalence entre l’usage
du conditionnel (serait) et le constat factuel (fait réellement). En
complément, d’autres adeptes du courant communautariste se font
défenseurs du fait qu’ « en dépit des prescriptions communautaires et de la force
juridique des directives, le Cameroun n’a pas adapté ses institutions. C’est toujours une
structure administrative qui est l’ISC »78. A contrepied de la prescription
portant sur la création d’une Cour des Comptes au sein de chaque Etat, la
doctrine constate que « le décalage existant entre le Régime financier du Cameroun
actuel et la Directive CEMAC sur les lois de finances permet de s’en convaincre »79.
Le courant interniste, quant à lui, rappelle simplement deux
données formelles. La première donnée est que la normativité de la
directive communautaire n’est pas contraignante à l’exemple du règlement
communautaire. En droit supranational, « les règlements communautaires sont
obligatoires dans tous leurs éléments et directement applicables dans tout Etat-
membre »80. A l’opposé, la directive communautaire lie l’Etat quant au
76 Article 2 alinéa 1.
77 S. BATIA EKASSI, L’Institution Supérieure de Contrôle des finances publiques au Cameroun, op.
cit., p. 35.
78 A. H. SANDIO KAMGA, « La nature juridique des Institutions Supérieures de Contrôle
des finances publiques dans les Etats de l’UEMOA et de la CEMAC », RAFIP, n°08, 2nd
semestre 2020, p. 241.
79 S.E. KOUA, « La prescription de la Cour des comptes comme Institution Supérieure de
Contrôle des finances publiques par le droit communautaire CEMAC aux Etats-membres :
le cas du Cameroun », RAFIP, numéro double 03 et 04, 2018, p.57.
80 Article 41 du Traité révisé de la CEMAC du 25 juin 2008.
284
résultat, tout en lui laissant la liberté des formes et moyens. Dans le cas
d’espèce, les directives CEMAC ne doivent pas imposer la forme et les
moyens de l’ISC, notamment par la création d’une Cour des Comptes. Par
conséquent, l’Etat camerounais est libre quant au moyen (forme de l’ISC)
mais lié quant au résultat (existence de l’ISC). La seconde donnée formelle
porte sur la Résolution A/66/209 de l’Assemblée Générale des Nations
Unies du 22 décembre 2011 portant sur l’indépendance des Institutions
Supérieures de Contrôle des finances publiques. Cette Résolution « engage
les Etats membres à appliquer, en tenant compte de leur structure institutionnelle
nationale, les principes établis dans la déclaration de LIMA de 1977 sur les lignes
directrices du contrôle des finances publiques et la Déclaration de Mexico de 2007 sur
l’indépendance des ISC »81. Ainsi, les Nations Unies préconisent de tenir
compte de la structure institutionnelle nationale. A ce sujet, l’ « International
Organisation of States Audit Institutions » (INTOSAI) consacre le principe du
libre choix, par chaque Etat, de la forme de son ISC. Fort à propos,
l’INTOSAI propose deux modèles d’ISC aux Etats : le model dit de
WESTMINSTER (non-juridictionnel), et le model juridictionnel. C’est
pour cette raison que le Cameroun a opté pour la dévolution de la qualité
d’ISC aux Services du Contrôle Supérieur de l’Etat.
Au demeurant, l’indépendance de la juridiction des comptes est
révélatrice d’une controverse propice à une confusion.
2. La confusion sur la qualité d’entité indépendante de la
juridiction des comptes
A la faveur de la réforme du cadre juridique des finances publiques
camerounaises, le 11 juillet 2018, la juridiction des comptes a été érigée en
structure indépendante. Toutefois, cette consécration est porteuse d’une
confusion révélée par l’interprétation systémique des dispositions du droit
positif. En effet, une nuance est perceptible entre l’indépendance
explicitement constatée de la juridiction des comptes (a), et son
indépendance implicitement contestée (b).
a. L’indépendance explicitement constatée de la juridiction des
comptes
L’indépendance explicitement constatée de la juridiction des
comptes camerounaise est doublement motivée, tant par les faits que dans
le droit.
Concernant les faits, la motivation de l’indépendance procède des
sources matérielles du droit. Au rang des facteurs idéologiques ayant
contribué à l’indépendance de la juridiction des comptes se trouve la
promotion de l’Etat de Droit. Sous un abord général, les idéologies
d’inspiration autoritaire, appliquées postérieurement aux indépendances
81 Article 5.
285
des Etats africains, avaient justifié la « légalité de peur »82, voire
l’« institutionnalisation de la légalité d’exception »83. Aujourd’hui, le régime
démocratique impose une orientation idéologique différente traduite par
un passage de l’« Etat de loi » à un « Etat de Droit »84. Par conséquent, sous
l’abord particulier du contrôle des finances publiques, la référence
axiologique à l’Etat de droit, du fait de la soumission de l’administration au
droit, trouve sa concrétisation aboutie par le recours aux organes
juridictionnels. C’est en ce sens que « la réforme de la juridiction des comptes
dans l’espace CEMAC traduit l’ambition pour ses Etats-membres de parvenir à
l’Etat de Droit, en mettant au centre de l’encadrement de la gestion des finances
publiques, la Cour des Comptes »85.
Concernant le droit, l’explication d’une indépendance de la
juridiction des comptes se fonde sur les sources formelles. Ainsi, à la
lecture de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant Régime Financier
de l’Etat et des autres entités publiques, l’indépendance de la juridiction
des comptes est affirmée comme suit : « les membres de cette juridiction ont le
statut de magistrat. Elle est indépendante par rapport au Gouvernement et au
Parlement »86. Mieux encore, le législateur consacre la souveraineté de la
juridiction des comptes qui « décide seule de la publication de ses avis, décisions et
rapports »87.L’indépendance ainsi consacrée de la juridiction des comptes
résulte de la transposition des directives du Conseil des Ministres de la
Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale (CEMAC), le
19 décembre 201188, à savoir : la directive n°01/11-UEAC-190-CM-22
relative aux lois de finances et la directive n°06/11-UEAC-190-CM-22
relative au Code de Transparence et de Bonne Gouvernance dans la
gestion des finances publiques.
Toutefois, une observation attentive autorise de nuancer l’élan
réformateur de la loi de 2018, au regard de l’indépendance implicitement
contestée de la juridiction des comptes.
82 J.-M. BIPOUN WOUM, « Recherches sur les aspects actuels de la réception du droit
administratif dans les Etats d’Afrique noire francophone : le cas du Cameroun », RJPIC,
n°3, 1972, p. 374.
83 J. OWONA, « L’institutionnalisation de la légalité d’exception dans le droit public
française de 1879 à 1914, Paris, Economica, Coll. Droit public positif, 1992, p. 20.
85 D. Y. EFANGON, La réforme des juridictions des comptes dans l’espace CEMAC, op.cit., p. 75.
86 Article 86 alinéa 3.
87 Idem.
88 Consécutivement aux insuffisances des Directives initiales du 20 juin 2008, la CEMAC a
Pour aller loin, lire HOURQUEBIE (F), « L’indépendance de la justice dans les pays
francophones », Les Cahiers de la justice, 2012/2, n°2, pp. 41-61 ; FALL (A. B.), « Les
menaces internes à l’indépendance de la justice », in L’indépendance de la justice, Actes du
deuxième congrès de l’Association des hautes juridictions de cassation des pays ayant en
partage l’usage du français, Dakar, 7-8 novembre 2007, Cour de cassation du Sénégal–OIF,
2008, Dakar, Sénégal, pp. 47-75.
287
Toutefois, sans vouloir préjuger des intentions des magistrats chargés du
contrôle des finances publiques, la crainte révérencielle pourrait les
conduire à tempérer leurs ardeurs. En pareille situation, l’on déduirait que
l’indépendance de la juridiction des comptes est implicitement canalisée,
par la garantie du pouvoir juridictionnel que le constituant attribue au
Président de la République.
En somme, fort de l’observation d’une complexité dans la
configuration des institutions de contrôle des finances publiques en droit
positif, la suggestion de simplicité s’impose au titre du droit prospectif.
II. La simplicité suggérée des institutions de contrôle des
finances publiques
D’après PORTALIS, « les lois sont faites pour les hommes, et non les
hommes pour les lois »94. Par conséquent, le souci d’humanisme commande au
législateur d’observer une exigence de simplicité pouvant garantir
l’application des règles de droit. En droit des finances publiques, l’exigence
de simplicité est d’autant plus impérative que cette discipline est d’une
technicité se confondant à l’hermétisme. Sous l’abord des institutions de
contrôle des finances publiques, le droit prospectif offre des perspectives
de simplicité par le renforcement des modalités publiques (A), et
l’élargissement des capacités privées (B).
A. Le renforcement des modalités publiques
Au titre des modalités mises en œuvre par les institutions de
contrôles des finances publiques, des perspectives peuvent renforcer la
sauvegarde des deniers publics, à savoir : les modalités préventives (1), et
les modalités répressives (2).
1. Les modalités préventives pour une protection des
finances publiques
Comme propositions au bénéfice des institutions de contrôle des
finances publiques camerounaises, deux séries de modalités préventives
pourraient contribuer à la protection optimale des fonds publics dans les
renforcements des dispositifs respectifs de protection des fonds publics en
droit interne (a), et en droit supranational (b).
94J.E.M. PORTALIS, Discours préliminaire du premier projet de Code Civil, Bordeaux, Editions
Confluences, 2004, p. 14.
288
l’opportunité. En règle générale, comme l’affirme le Professeur Henri
CAPITANT, « l’opportunité est un ensemble de considérations d’intérêt, d’utilité et,
de justice qui amène une autorité à faire tel acte ou à donner telle solution à une affaire
dont elle est saisie »95. En particulier, le contrôle d’opportunité des dépenses
publiques vise à s’assurer que les crédits votés ont été employés pour
satisfaire des besoins d’intérêt général, et non des caprices individuels. Par
conséquent, contrôler l’opportunité revient à « à répondre à la délicate question
de savoir pourquoi telle dépense publique à tel moment »96. Ce contrôle est
respectivement imputable aux inspections ministérielles de services, et
contrôleurs de gestion placés sous l’autorité des responsables de
programmes97. En aval, pendant l’application des dépenses publiques, les
institutions de contrôle exerceraient utilement leur vigilance sur le prix des
commandes. Certes, le droit positif camerounais établit une mercuriale des
prix, au titre de chaque exercice budgétaire. Au demeurant, la modicité des
ressources financières d’un pays en voie de développement, comme le
Cameroun, devrait conduire les autorités à fixer une mercuriale des prix
dont la marge bénéficiaire au prestataire de l’Etat ne saurait excéder 30%
du montant de l’article sur le marché. Ce contrôle des prix et des marges
bénéficiaires est une exigence de rationalisation des dépenses publiques.
En contrepartie, les pouvoirs publics devraient également s’assurer que les
délais de paiement des prestataires de services sont raccourcis en veillant à
ce que, sur la base des disponibilités de la trésorerie en fonds et valeurs, les
procédures comptables soient accélérées afin que les adjudicataires
récupèrent le bénéfice de leurs livraisons.
La garantie du contrôle par la neutralité des institutions de contrôle
contribuerait également à la protection des fonds publics. Cette neutralité
peut être atteinte par la garantie du confort matériel des institutions de
contrôle. En effet, le risque est grand de corrompre la conscience des
agents commis au contrôle, lorsque l’exigence maximale vertu n’est pas
accompagnée d’une assurance minimale de bien-être. Comme le fait
remarquer le Professeur Etienne-Charles LEKENE DONFACK, le risque
encouru par les contrôleurs est que « la moralité de certains membres soit suspecte
sur le plan financier »98. Il n’est donc pas vain que les pouvoirs publics
envisagent un traitement matériel digne au bénéfice des institutions de
contrôle des finances publiques99. La neutralité en étude peut également
être approfondie par l’auto-saisine de certaines institutions de contrôle des
289
finances publiques. A titre d’exemples prospectifs, ce pouvoir d’auto-
saisine concernerait des institutions de contrôle telles que l’Agence
Nationale d’Investigations Financières afin d’élucider des soupçons de
blanchiment de capitaux100, et le Tribunal Criminel Spécial dans des
présomptions mirobolantes de détournement des deniers publics. On
objectera, certes, à la présomption d’innocence. En réaction, en toute
assonance, l’on pourrait répondre par l’obligation de transparence.
D’une localisation spatiale à l’autre, après le renforcement du
dispositif national, la protection des fonds publics est envisagée au niveau
supranational.
b. Le renforcement du dispositif supranational de
protection des fonds publics
Sous un angle de réflexion préventif, le renforcement du dispositif
supranational de protection des fonds publics est binaire.
Primo, le renforcement concerne la normativité des textes
communautaires régissant les institutions de contrôle des finances
publiques. Force est de constater que ces textes souffrent d’une
relativisation en droit interne. De l’avis de la doctrine, cette relativisation
résulte de ce que « le retard qu’accusent les Etats de la CEMAC dans la
transposition des décisions prises par les organes de celle-ci, traduit en filigrane
l’impuissance de ses autorités communautaires à amener les Etats à assumer leurs
engagements »101. Cependant, à bien y voir, l’origine de la portée relative du
droit de l’intégration en Afrique Centrale réside dans l’édiction des
directives communautaires. En droit communautaire, « la directive est souple
et respectueuse des particularités du droit national »102. Or, à l’opposé de la
directive, les règlements communautaires « impliquent pour les Etats membres
l’interdiction de les appliquer de façon incomplète ou relative »103. Par conséquent,
l’obligation communautaire de créer une Cour des Comptes constitutive
d’Institution Supérieure de Contrôle pourrait prospérer si la normativité
repose sur un règlement communautaire qui est d’application directe. Car,
l’objectif de conformité du droit interne au droit communautaire ne peut
être atteint par la directive qui poursuit plutôt un objectif de compatibilité.
Contrôle des finances publiques par le droit communautaire CEMAC aux Etats-membres :
le cas du Cameroun », op.cit., p.57.
102 G. ISAAC, Droit communautaire général, Paris, Armand Colin, 1996, 5ème édition, p. 126.
103 J. KENFACK, Les actes juridiques des communautés d’intégration en Afrique Centrale et
292
comparaison vaudra raison en deux exemples. Le premier exemple
concerne la matière administrative dans laquelle le juge n’hésite pas « à
refuser l’application d’une loi, invoquant la violation d’un principe général de droit »115 .
Pourquoi n’en serait-il pas de même pour le respect des prescriptions
communautaires portant sur les finances publiques ? Le second exemple
s’applique au juge répressif qui se réserve une compétence pour interpréter
la légalité des actes administratifs. Car, tout renvoi préjudiciel peut nuire à
la célérité de la justice. Appliqués aux normes de finances publiques
supranationales, les termes du débat se posent avec équivalence, afin que le
juge ordinaire érige l’autorité du droit communautaire en cause d’ordre
public.
S’agissant de la réparation financière des violations du droit
supranational, la Cour des Comptes de la CEMAC pourrait sanctionner les
Etats responsables d’une application ineffective des normes
communautaires régissant les finances publiques en droit interne. Par
conséquent, ce mécanisme prospectif de réparation financière serait
complémentaire au recours en manquement de l’obligation d’Etat. En ce
sens, « l’adoption du mécanisme vient donc répondre à une nécessité criarde en zone
CEMAC. Celle d’instaurer une garantie réelle de respect du droit communautaire par
les Etats-membres »116.
A bien y voir, le contrôle des fonds publics ne serait pas optimal
sans l’implication des citoyens. Cette implication motive l’élargissement
des capacités privées dans le contrôle des finances publiques
camerounaises.
B. L’élargissement des capacités privées
Par le contrôle citoyen des finances publiques117, les particuliers
exercent un droit de regard sur l’usage des fonds publics. Dans
l’élargissement des capacités privées, les citoyens peuvent devenir des
institutions de contrôle. Pour s’en convaincre, les motivations du contrôle
des finances publiques par les citoyens (1) expliquent les déclinaisons dudit
contrôle (2).
1. Les motivations du contrôle des finances publiques
par les citoyens
Les ressorts sur lesquels se fonde le contrôle des finances publiques
par les citoyens sont respectivement d’ordre théorique (a) et empirique
(b).
115 A. MINKOA SHE, Droits de l’Homme et droit pénal au Cameroun, Paris, Economica, 1999,
p. 77.
116 G.-C. MBOGNE CHEDJOU, La transposition des directives CEMAC : une analyse sous le
294
extrabudgétaires »123. Cette obligation trouve sa concrétisation en droit
positif camerounais dans le guide budgétaire synthétique qui autorise deux
remarques. La remarque objective est afférente à la teneur du guide
budgétaire synthétique. A ce titre, le guide traite des grandes masses du
budget de l’Etat pour une décomposition, en vue de rendre leur
assimilation aisée, et le suivi de la courbe évolutive des recettes et dépenses
d’une année à l’autre. La remarque subjective est liée au récepteur du guide
budgétaire synthétique. A ce sujet, le Code de transparence dispose qu’
« un guide budgétaire synthétique est diffusé à destination du grand public »124.
Au-delà de ce volet théorique, le contrôle des finances publiques par
les citoyens trouve une motivation concrète sur le plan empirique.
b. La motivation empirique du contrôle des finances
publiques par les citoyens
La motivation empirique du contrôle des finances publiques par les
citoyens est conditionnée par l’incitation des citoyens à la culture juridique
en général, et à la maitrise du droit financier en particulier.
Au titre de l’incitation à la culture juridique en général, se trouve
posé non pas le problème du manque d’informations au sujet de la
réglementation en vigueur, mais plutôt celui de la volonté d’y accéder.
L’indolence dans l’acquisition de la culture juridique, pour la doctrine
camerounaise, résulte de plusieurs constats. Le Doyen MINKOA SHE
déclare que « la connaissance même de ses droits par une partie de la population est
généralement insuffisante »125. En outre, le Professeur NKOT observe que « les
populations non alphabétisées ont tendance à appréhender le droit comme une terre
mystérieuse qui leur serait inaccessible »126. In fine, le Doyen Joseph-Marie
BIPOUN WOUM fait remarquer que la culture juridique des citoyens est
sujette à caution, en ce que « le blocage du contrôle de l’administration et de la
légalité en général est, de la part du justiciable, beaucoup moins un problème de courage
qu’un problème d’éducation : non seulement de l’éducation au sens d’alphabétisation et
d’information, mais surtout au sens d’éducation juridique impliquant l’accession des
citoyens à la notion de droit individuel, de règle de droit et de relation juridique »127.
Au titre de la maitrise du droit financier en particulier, les citoyens
pourraient contribuer au contrôle des finances publiques, en concrétisant
des garanties formalisées par le législateur. Toutefois, en la matière,
128 R. ATANGA FONGUE, Contrôle fiscal et protection du contribuable, op. cit., p. 296.
129 C. DE LA MARDIERE, « Le déclin particulier de la loi fiscale », in C. PUIGELIER
(dir.), La Loi : bilan et perspectives, Paris, Economica, T.22, Coll. Etudes juridiques, 2005, p.
248.
130 G. HISPALLIS, « Pourquoi tant de lois », Pouvoirs, n°114, 2005, p.107.
131 G.M. PEKASSA NDAM, « La participation avec gestion de budget : concept et enjeux
ABSTRACT
. Long awaited to the point of despair, the reform of the jurisdiction of accounts
has finally taken under law no 2018/012 of 11 July 2018 relating to fiscal regime of
the State and other public entities. The analysis of this text shows that this reform is
ambivalent. Indeed, beyond its extensive aspect that relates both to the clarification of the
status of the jurisdiction and the densification of its competence ; there is another aspect
that remains expected. This is because this reform lays the groundwork for another
reform that will inevitably lead, subject to the review of certain texts, to the
establishment of a court of Audit as prescribed by the CEMAC Directive on financial
laws and to the reinvention of the profile of the audit judge.
Keywords : Reform - Jurisdiction of accounts – court of Audit – Competence.
300
Introduction
Il est de la vie de toutes institutions1 de connaitre des réformes ;
elles participent à la marche évolutive propre à toute existence. Sinon,
comment comprendre le flot de réflexions qui leur sont consacrées ?2. À
l’évidence, on doit se résoudre à admettre que les réformes sont inscrites,
au moins de manière latente, dans le génome de toute institution3. M.
Pierre-Joseph Proudhon l’avait compris et en faisait même une
exhortation : « réformons donc et réformons sans cesse, ne croyons pas comme disent
les satisfaits que le mieux soit l’ennemi du bien »4. En cela, il a été suivi par
législateur camerounais qui, au moyen de la loi no2018/12 du 11 juillet
2018 portant régime financier de l’État et des autres entités publiques5, a
introduit de nombreuses réformes au droit public financier6 en général et
singulièrement à la juridiction des comptes.
Si l’on doit admettre qu’« il n’y a pas de petites réformes […] »7, il faut
tout de même reconnaitre qu’il y en a qui suscitent un peu plus d’intérêt
que d’autres. La réforme de la juridiction des comptes en porte
301
singulièrement témoignage. En effet, depuis sa réintroduction8 dans le
champ institutionnel camerounais par la loi constitutionnelle du 18 janvier
19969 et sa mise en place au moyen de la loi du 21 avril 200310 et celle du
29 décembre 200611, la juridiction des comptes n’avait connu aucune
réforme d’importance12. Cela lui a valu d’être la cible d’un « tir groupé » de
la part de la doctrine13 qui lui reprochait son caractère partiel et
anachronique14. Cet état des choses se devait donc de changer. C’est fort à
propos qu’a été prise la loi no 2018/12 du 11 juillet 2018 portant régime
financier de l’Etat et des autres entités publiques qui est porteuse d’une
réforme suggestive. Pour mieux en saisir l’objet, quelques précisions
conceptuelles sont dès lors indispensables. Ces précisions concernent
respectivement les expressions de « réforme » et de « juridiction des
comptes ».
Du latin impérial « reformare » c’est-à-dire faire reprendre sa forme, la
« réforme » se définit comme un « changement en profondeur d’une institution en
vue de l’améliorer »15. Selon M. Durand, il s’agit d’un « changement que l’on
8 Professeur Magloire ONDOA parle de « nouvelle âme dans son ancien corps », de « nouvelle-
ancienne Chambre des comptes », Préface à SIETCHOUA DJUITCHOKO (C.), La Chambre des
comptes de la Cour suprême du Cameroun. Les principaux arrêts, avis, rapports de certification du compte
général de l’Etat et rapports d’observations à fin de contrôle commentés, Yaoundé, Editions le
Kilimandjaro, 1ère éd., 2016, p. 21. Pour une petite histoire de la juridiction financière au
Cameroun, lire ATEBA OMBALA (M.), Le Contrôle Juridictionnel des Comptes de la
Communauté Economique de l’Afrique Centrale, Yaoundé, SOPECAM, 2007, pp. 52-54
9 Art. 41 de la loi constitutionnelle n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la
Constitution du 2 juin 1972. A relever qu’avant cette date le contentieux financier faisait
partie des attributions de l’administration active.
10 Loi no 2003/005 du 21 avril 2003 fixant attributions, l’organisation et le fonctionnement
fonctionnement des Tribunaux régionaux des Comptes. Il est à regretter qu’à l’heure
actuelle, ces Tribunaux ne soient pas encore opérationnels.
12 Il convient de relever que la seule évolution notable figurait à l’art. 126 al.4 du Décret n o
2013/16 du 15 mai 2013 portant règlement général de la comptabilité publique, abrogé par
le Décret 2020/ 375 du 07 juillet 2020 portant règlement général de la comptabilité
publique, qui dispose : « Au vu du projet de loi de règlement et des comptes administratifs des
ordonnateurs principaux, le juge des comptes donne un avis et un rapport de certification sur le compte
général de l’État ». Se trouve ainsi consacrée la mission de certification du compte général de
l’État au profit de la juridiction des comptes en complément aux missions prévues aux
articles 7 à 12 de la loi du 21 avril 2003 portant attributions, organisation et
fonctionnement de la chambre des comptes.
13 SIETCHOUA DJUITCHOKO (C.), « La réforme inachevée du contrôle juridictionnel
150.
15 Dictionnaire - Antidote 10. v.3.
302
apporte (dans les mœurs, les lois, les institutions) afin d'en obtenir de meilleurs
résultats »16. Pris dans ce sens, une réforme est toujours un entre-deux qui
procède par touches successives dans l’optique d’un mieux-être. En cela,
elle se distingue du « changement », entendu dans son acception juridique
comme ce qui « qualifie le processus de modification et création des normes légales au
sein d’une société »17. Elle se distingue également de la « révolution » définie
comme un « changement complet de l’ordre [établit], opéré en général de façon brusque
et violente, mais toujours par rupture avec l’ordonnancement juridique antérieur »18. Par
analogie, on peut dire que la réforme est un changement au sens fort du
terme et une révolution au sens faible. C’est du moins ce que l’on peut
déduire du Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit19 qui aux
termes « réforme » et « révolution » fait un renvoi à l’entrée « Changement ».
S’agissant de l’expression « juridiction des comptes », un esprit
analytique20 commande que l’on envisage séparément les termes
« juridiction » et « compte », pour mieux rendre compte de la réalité des
choses. Ainsi, la « juridiction » se définit comme la « qualité reconnue à un
organisme qui prend, en toute indépendance, les décisions ayant la nature de jugement
s’imposant avec autorité de la chose jugée »21. Quant à la notion de « compte », en
dépit de son aspect plurivoque22, elle peut être entendue de manière
générale comme « le document sur lequel sont inscrites les opérations ou plus
généralement le support matériel servant à leur enregistrement »23. Dès lors, la
juridiction des comptes est un organisme qui prend, en toute
indépendance, des décisions ayant nature de jugement sur les documents
sur lesquels sont inscrites les opérations financières des personnes
publiques.
De l’avis d’un auteur24, l’appellation même de juridiction des
comptes a quelque chose de captieux, car elle ne permet pas de mettre en
lumière la pluralité de missions25 confiées à cet organisme. Ce qui fait d’elle
16 DURAND (M.), Le Robert pour tous, dictionnaire de la langue française, Paris, 1994, p. 953.
17 COMAILLE (J.), « Changement », in ARNAUD (A.-J.) (dir.), Dictionnaire encyclopédique de
théorie et de sociologie du droit, Paris, LGDJ, 1993. Contrairement à la réforme, le changement
n’induit pas toujours une amélioration.
18 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2018, 12e éd., p. 1965.
19 ARNAUD (A.-J.) (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, op.cit.
20 GUASTINI (R.), « Norberto Bobbio ou la distinction », Préface à BOBBIO (N.), Essais
2007, pp.41-52.
29 EFANGON (D.Y.), La réforme des juridictions des comptes dans la CEMAC, op.cit.
30 ESCLASSAN (M.-C.), « Un phénomène international : l’adaptation des contrôles
financiers à la nouvelle gestion publique », Revue Française de Finances Publiques, n°101, 2008,
p.29.
304
surtout, en vue des finalités de bien-être social des nations, que les fonds publics ainsi
que les actifs et passifs financiers soient gérés de manière transparente, responsable et
intègre » 31. On est donc face à un enjeu juridico-institutionnel, politique et
managérial d’importance. Dès lors, la question centrale de cette étude se
formule comme suit : quelle lecture peut-on faire de la réforme de la
juridiction des comptes sous l’empire de la loi no2018/012 du 11
juillet 2018 portant régime financier de l’État et des autres entités
publiques ?
En réponse à cette question et dans une démarche dogmatique, on
peut avancer l’hypothèse selon laquelle la réforme de la juridiction des
comptes sous l’empire de la loi no2018/012 du 11 juillet 2018 portant
régime financier de l’État et des autres entités publiques est ambivalente.
En effet, si cette réforme peut, à bien des égards, être qualifiée d’étendue
(I) ; il n’en demeure pas moins qu’elle préfigure une autre réforme qui elle
est attendue (II).
I. Une réforme étendue
La réforme de la juridiction des comptes, sous la loi no2018/012 du
11 juillet 2018 portant régime financier de l’État et des autres entités
publiques, témoigne du « saut quantique »32 effectué par cette juridiction.
En effet, longtemps attendue33, plus rien ne prédisposait les esprits à sa
venue34. Mais comme le dit le dicton : « mieux vaut tard que jamais ».
Agissant donc à son temps, le législateur camerounais a non seulement
clarifié le statut de la juridiction (A), mais surtout densifié sa compétence
(B).
A. La clarification du statut de la juridiction des comptes
La clarification du statut de la juridiction des comptes au Cameroun
était rendue nécessaire eu égard au silence problématique de la loi
no2003/005 du 21 avril 2003 fixant les attributions, l’organisation et le
fonctionnement de la Chambre des comptes de la Cour Suprême. En effet,
important.
33 Dans la mesure où la date de 24 mois fixée par la Directive CEMAC de 2011 pour la
L’Harmattan, 2017, p. 39. Cette auteure affirme que l’indépendance est une notion
d’avantage politique qui s’exprime facilement hors du droit, alors que l’autonomie
s’exprime beaucoup mieux dans le domaine juridique.
37 BERRAOU (M.), La responsabilité des acteurs de gestion publique devant la Cour des comptes. Le
41 Rapport final sur l’évaluation du système de gestion des finances publiques au Cameroun selon la
méthodologie PEFA 2016, juin 2017, p. 170.
42 Cet article dispose que « le pouvoir judiciaire est exercé par la Cour Suprême, les Cours d’appel, les
Tribunaux. Il est indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif ». Toutefois, l’on doit
reconnaitre avec M. Sylvestre Honoré NNANGA que ce pouvoir judiciaire « est un pouvoir
constitué dont l'indépendance est assurée par un autre pouvoir constitué, ce qui laisse entendre que le pouvoir
judiciaire serait un autre pouvoir faible ou mineur, protégé par un pouvoir majeur ou plus fort : le Chef du
pouvoir exécutif ». NNANGA (S.H.), « La protection juridictionnelle des finances publiques
africaines », Revue Africaine des Sciences Juridiques, Vol. 6, no1, 2009, pp 211- 228.
43 TALLINEAU (L.), « Introduction », in FLIZOT (S.) (dir.), L’évolution des juridictions
46 JAN (P.), « Parlement et Cour des comptes », Pouvoirs, no146, 2013, p.108
47 FABRE (F.-J), « Jurisprudence financière : Sur la réforme de la Cour des comptes », La
Revue administrative, 22e année, no 128, 1969, pp. 185-189.
48 CC, 2001-448 DC, 25 juillet 2001, Loi organique relative aux lois de finances, Rec., p. 99.
49 Cette théorie signifie que le positionnement de la Cour, lorsqu’elle assume ses missions
portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques qui dispose : « Elle [la
juridiction des comptes] peut, en outre, à la demande du gouvernement ou du parlement procéder à des
enquêtes et des analyses sur toute question budgétaire, comptable et financière ».
308
l’amélioration de la tenue des comptes et de la discipline des comptables. Ce rapport est
publié au Journal Officiel de la République ».
De la lecture de ce qui précède, on peut inférer l’idée selon laquelle
la juridiction des comptes était condamnée au geste annuel unique. Cette
contrainte ne pouvait qu’être contraire à toute idée d’autonomie. Ce n’est
donc pas sans raison que la loi no 2018/012 du 11 juillet 2018 portant
régime financier de l’Etat et des autres entités publiques a voulu préciser
que la juridiction des comptes « décide seule de la publication de ses avis, décisions
et ses rapports ». À ce propos, M. Jean Picq parle de « miracle démocratique ».
Pour lui, pouvoir décider en toute liberté de publier des rapports qui
couvrent tout le champ de l’action publique et sans autre limite que la
capacité à les réaliser avec les diligences professionnelles adéquates est un
rare privilège démocratique51.
Plus intéressante encore est l’autonomie de la juridiction des
comptes dans l’exercice de ses attributions. En effet, l’article 86 al.2 la loi
no2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des
autres entités publiques dispose que « [la juridiction des comptes est] autonome
dans l’exercice de ses attributions ». Il convient de relever qu’une telle
disposition a une résonnance particulière eu égard à la position
institutionnelle actuelle de la Chambre des comptes. Cette dernière est
logée au sein de la Cour Suprême52. De plus, tous les recours en annulation
de ses arrêts sont portés devant l’Assemblée plénière de cette juridiction53.
Ce qui brouille à proprement parler toute idée d’autonomie qu’est
supposée avoir la juridiction des comptes. Ainsi, l’option prise par le
législateur de consacrer l’autonomie de la juridiction des comptes
subodore un véritable tournant dans la configuration du paysage
institutionnel camerounais. Tournant qui a déjà été amorcé en matière des
compétences de la juridiction.
B. La densification de la compétence de la juridiction des comptes
« Se densifier, pour le droit ou pour une norme, c'est aussi gagner en force
normative, étendre son domaine, saisir des objets plus diversifiés ou encore développer un
contenu plus étoffé, plus précis »54. Cette affirmation du Professeur Catherine
Thibierge traduit bien l’idée de densification qu’a connu la compétence de
la juridiction de comptes sous la loi no 2018/012 du 11 juillet 2018 portant
régime financier de l’Etat et des autres entités publiques rompant ainsi
avec le manque d’audace des juges qui se sont toujours confinés « dans le
tabernacle dans lequel les enferment les textes organiques de la Chambre des
51 PICQ (J.), « La Cour des comptes et l’information du citoyen », in FLIZOT (S.) (dir.),
L’évolution des juridictions financières, Gestion & Finances Publiques, 2012, p.20.
52 Article 38 de la loi no 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02
juin 1972.
53 Article 72 alinéa 3 de la loi no2003/005 21 avril 2003 fixant les attributions, l’organisation
finances attribue à la juridiction des comptes la mission de juger les ordonnateurs, les
contrôleurs financiers et les comptables publics.
60 EFANGON (D.Y.), La réforme des juridictions des comptes dans la CEMAC, op.cit., p.146.
Dans le même sens, lire KOUA (S.E.), « La prescription de la Cour des comptes comme
institution supérieure de contrôle des finances publiques par le droit communautaire
CEMAC aux États -membres : le cas du Cameroun », Revue Africaine des Finances publiques, no
3&4, 2018, p. 47.
310
financiers et les comptables publics […] »61. Procédant de la sorte, cette nouvelle
loi corrige62 les missions de la juridiction des comptes en lui attribuant le
pouvoir de sanctionner les comportements fautifs des ordonnateurs63.
Ainsi, outre le jugement des comptes des comptables publics, la juridiction
des comptes au Cameroun connait désormais des fautes de gestion64. Sur
ce dernier aspect, on passe, pour ainsi dire, de la justice retenue exercée
par le CDBF à la justice déléguée au profit de la juridiction des comptes.
Ce passage de la justice retenue à la justice déléguée a pour
conséquence l’exclusion du CDBF placé auprès du ministère en charge du
Contrôle Supérieur de l’État (CONSUPE) de la procédure de sanction des
auteurs de fautes de gestion. En conséquence, une redistribution des rôles
est opérée entre la juridiction des comptes et CONSUPE qui est l’organe
de tutelle du CDBF. Ce dernier perd le pouvoir de juger les fautes de
gestion des agents publics au profit exclusif de la juridiction des comptes.
Il s’ensuit une densification de la compétence juridictionnelle de la
juridiction de comptes. Densification de compétences également
perceptible en matière non juridictionnelle.
2. L’essor de la compétence non juridictionnelle
« La compétence non contentieuse de la chambre des comptes représente peu de
chose dans la loi du 21 avril 2003, à côté de sa compétence contentieuse »65. Ce
constat du Professeur Célestin Sietchoua Djuitchoko met en exergue
l’indigence de la juridiction des comptes en matière non juridictionnelle
sous la loi no2003/005 du 21 avril 2003 fixant les attributions,
l’organisation et le fonctionnement de la Chambre des comptes de la Cour
suprême. Selon ce texte, la chambre des comptes déclare et apure les
juridiction des comptes. Cette option est celle de certains pays membres de la CEMAC et
de l’UEMOA, ainsi que des pays tels que l’Espagne, le Maroc, le Portugal. On doit
souligner avec M. Célestin DJUITCHOKO SIETCHOUA que ce sont des considérations
d’opportunité et de réalisme qui explique que le juge des comptes n’a pas juridiction sur les
ordonnateurs. SIETCHOUA DJUITCHOKO (C.), « La réforme inachevée du contrôle
juridictionnel des comptes au Cameroun (Commentaire de la loi n°2003/005 du 21 avril
2003 fixant les attributions, l’organisation et le fonctionnement de la Chambre des comptes
de la Cour suprême », op.cit., p. 77.
63 NDJODO (L.), L’exercice du ministère public à la juridiction des comptes au Cameroun, Paris,
de l’Etat et des autres entités publiques, « Est considérée comme faute de gestion, tout acte, omission
ou négligence commis par tout agent de l’État, d’une collectivité territoriale décentralisée ou d’une entité
publique, par tout représentant, administrateur ou agent d’organismes, manifestement contraire à l’intérêt
général ».
65 SIETCHOUA DJUITCHOKO (C.), « La réforme inachevée du contrôle juridictionnel
des comptes au Cameroun (Commentaire de la loi n° 2003 /005 du 21 avril 2003 fixant les
attributions, l’organisation et le fonctionnement de la Chambre des comptes de la Cour
suprême) », op. cit., p. 78.
311
comptabilités de fait66, elle donne son avis sur toute question relative au
contrôle et au jugement des comptes lorsqu’elle est saisie67. Il s’agissait des
seules missions non juridictionnelles expressément reconnues à cette
juridiction jusqu’à l’intervention de la loi n° 2006/016 du 29 décembre
2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême et du
Décret du no2013/16 du 15 mai 2013 portant règlement général de la
comptabilité publique. Ces deux textes octroient à la Chambre des
Comptes la possibilité d’émettre un avis sur le projet de loi de règlement
présenté au parlement68 et la mission de certification des comptes69. Il faut
dire que malgré tout cela, la compétence non juridictionnelle de la
Chambre des Comptes représentait toujours peu de chose.
Cet état des choses relève désormais du passé au regard de la
croissance fructueuse de la compétence non juridictionnelle de la
juridiction des comptes sous la loi no2018/012 du 11 juillet 2018 portant
régime financier de l’Etat et des autres entités publiques. De fait, l’article
86 alinéa 3 de cette de loi confère à la juridiction des comptes les missions
non juridictionnelles suivantes : assister le parlement dans le contrôle de
l’exécution des lois de finances ; certifier la régularité, la sincérité et la
fidélité du compte général de l’État ; contrôler la légalité financière et la
conformité budgétaire de toutes les opérations de dépenses et de recettes
de l’État ; évaluer l’économie, l’efficacité et l’efficience de l’emploi des
fonds publics au regard des objectifs fixés, des moyens utilisés et des
résultats obtenus ainsi que la pertinence et la fiabilité des méthodes,
indicateurs et données permettant de mesurer la performance des
politiques et administrations publiques. En outre, l’alinéa 4 du même
article donne la possibilité à la juridiction des comptes de procéder à des
enquêtes et analyses sur toutes les questions budgétaires, comptable et
financière à la demande du gouvernement ou du parlement.
Ce polymorphisme de la compétence non juridictionnelle de la
juridiction des comptes procède globalement de sa mission d’assistance au
parlement et au gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de
finances. Ainsi, par le truchement de cette compétence, la juridiction des
comptes éclaire et alerte le parlement et le gouvernement sur la situation
des finances publiques.
En dernière analyse, on peut dire que la densification des
compétences de la juridiction des comptes couplée à la clarification de son
statut positionne la juridiction des comptes du Cameroun dans le giron des
grandes juridictions financières propres aux nations démocratiques qui ont
66 Article 7 de la loi n°2003 /005 du 21 avril 2003 fixant les attributions, l’organisation et le
fonctionnement de la Chambre des comptes de la Cour suprême.
67 Article 10 de la loi n°2003 /005 du 21 avril 2003 fixant les attributions, l’organisation et
de la comptabilité publique.
312
toutes pour trait commun la promotion de la bonne gestion des finances
publiques. Toutefois, pour conforter cette position de prestige à la
juridiction des comptes au Cameroun, une autre réforme demeure
indispensable.
II. Une réforme attendue
Si l’on peut légitimement être enthousiaste vis-à-vis de la réforme de
la juridiction des comptes sous la loi no 2018/012 du 11 juillet 2018
portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques, il
convient de relever que celle-ci ne peut avoir son sens plein que si elle
s’accompagne d’une autre réforme. En effet, la matérialisation de cette
réforme ne peut se faire que dans le cadre d’une cour des comptes (A). Ce
qui corrélativement induit une réinvention du profil du juge (B).
A. L’impérative érection d’une Cour des comptes
L’érection d’une Cour des comptes se révèle être d’un double
impératif hypothétique et catégorique. Selon la distinction opérée par
Emmanuel Kant, « l’impératif hypothétique représente la nécessité pratique d'une
action possible, comme moyen d'accéder à autre chose que l'on veut (ou qu'il est possible
de vouloir). L’impératif catégorique serait celui qui représenterait une action comme
objectivement nécessaire en elle-même, sans relation à une autre »70. Sous ce rapport,
l’érection d’une Cour des comptes, pour l’opérationnalisation de la
réforme de la juridiction contenue dans la loi no 2018/012 du 11 juillet
2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques,
relève d’un impératif hypothétique en ce sens qu’il s’agit d’une prescription
communautaire (1) et d’un impératif catégorique dans la mesure où elle est
une nécessité fonctionnelle (2).
1. Une prescription communautaire
Selon l’article 72 de la Directive n°01/11-UEAC-190-CM-22
relative aux lois de finances « Le contrôle juridictionnel des opérations budgétaires
et comptables des administrations publiques est assuré par une Cour des comptes qui
doit être créée dans chaque Etat-Membre […] Elle est l’institution supérieure de
contrôle de chaque État ». De l’avis de M. Samuel Eric Koua, il s’agit d’une
prescription par le droit communautaire aux États membres71. Cependant,
il est un secret de polichinelle que le Cameroun a la peau dure face à cette
prescription. En effet, nonobstant le rallongement du délai initialement
prévu pour sa mise en place, le Cameroun peine à prendre le train en
marche. Plus grave encore, lorsqu’on collationne l’article 72 de la Directive
n° 01/11-UEAC-190-CM-22 relative aux lois de finances et l’article 86 de
loi no 2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des
70 KANT (E.), Fondement pour la métaphysique des mœurs, Paris, Hatier, 2000, p. 47.
71 KOUA (S.E.), « La prescription de la Cour des comptes comme institution supérieure de
contrôle des finances publiques par le droit communautaire CEMAC aux États -membres :
le cas du Cameroun », op. cit.
313
autres entités publiques, on constate la curieuse disparition des expressions
de « Cour de Compte » et d’« institution supérieure de contrôle » dans le second
texte. Et pourtant, l’on se serait attendu à ce que l’option prise
d’internaliser la Directive soit la plus fidèle possible. En considérant ces
éléments, on pourrait conclure que le Cameroun s’est érigé en parangon de
la résistance.
Toutefois, une tentative d’explication à cette résistance peut être
trouvée dans la lourde implication normative et institutionnelle qu’induit
cette prescription. En effet, l’érection de la Cour des comptes comme
institution supérieure de contrôle au Cameroun est conditionnée par la
relecture de certains textes et la suppression de certaines institutions.
Sur le plan textuel, une révision de la loi constitutionnelle du 18
janvier 1996 constitue un préalable indispensable72. En effet, selon l’article
72 de la Directive CEMAC, la Cour des comptes est autonome par
rapport à toute autre juridiction. Cela implique pour le constituant
camerounais de modifier les articles 36 et 41 de la constitution à l’effet de
faire sortir l’actuelle juridiction des comptes de la polyvalente Cour
suprême et de la constituer en un ordre juridictionnel distinct73. Cette
modification constitutionnelle emportera avec elle la relecture de plusieurs
autres textes : la loi n°2003/005 du 21 avril 2003 fixant les attributions,
l’organisation et le fonctionnement de la Chambre des Comptes de la Cour
Suprême74, la loi no2006/015 du 29 décembre 2006 portant organisation
judiciaire, la loi no2006/16 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le
fonctionnement de la Cour suprême, la loi n°2006/017 du 29 décembre
2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux régionaux
des comptes et le Décret no2013/287 du 04 septembre 2013 portant
organisation des services du contrôle supérieur de l’État.
Sur le plan institutionnel, l’érection de la Cour des comptes comme
institution supérieure de contrôle au Cameroun conduira inéluctablement à
72 Car, même si la loi no 2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et
des autres entités publiques est une loi matériellement constitutionnelle parce que relative à
l’organisation et au fonctionnement des pouvoirs publics, il n’en demeure pas moins qu’elle
se place à un échelon intermédiaire entre la constitution et la loi entendue ordinairement. Il
en découle qu’elle a une valeur infra-constitutionnelle parce que déterminée par la
constitution elle-même. En France, le Conseil constitutionnel a déjà eu à souligner
explicitement l’impossibilité pour le législateur organique de réviser la constitution. Conseil
constitutionnel, 77-80/81 DC, 5 juillet 1977, Rec., p. 24.
73 Comme le relève le M. le professeur Stève Thiery Bilounga, « Il serait pourtant plus
harmonieux et même performant pour la bonne administration de la justice financière, de dissocier les trois
ordres de juridiction constitutionnellement consacrés et d’améliorer l’organisation et le fonctionnement de
chaque ordre de manière à asseoir une bonne lisibilité de chaque ordre en particulier et tout le pouvoir
judiciaire en général. Comme il existe une Cour suprême en matière judiciaire, il serait judicieux d’avoir
aussi une Cour ou un Conseil d'État en matière administrative et une Cour des finances ou des comtes en
matière financière », BILOUNGA (S.T.), « La diction du droit public financier au Cameroun »,
op. cit., p. 60.
74 La relecture de ce texte est réclamée de manière constante depuis le tout premier
Rapport annuel de la Chambre des comptes qui date de 2006. À ce propos, lire le Rapport
annuel 2015 de la Chambre des comptes, p. 180.
314
la disparition du CDBF. En effet, le CDBF a pour mission de réprimer les
fautes de gestions relevées dans les rapports de missions de contrôle du
CONSUPE, or la directive CEMAC en attribuant cette compétence à la
Cour des comptes annonce en même temps la disparition du CDBF.
Quoi qu’il en soit, le tournant amorcé par la loi no 2018/012 du 11
juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités
publiques sonne le glas de la résistance et ouvre indiscutablement la voie à
l’érection d’une Cour des comptes comme prescrit par la Directive
CEMAC. Les raisons sont toutes simples. D’une part, aucune des
institutions actuellement en place ne répond aux solutions consacrées par
cette loi. En effet, les critères d’indépendance et d’autonomie que consacre
son article 86 alinéa 2 et qui sont conformes aux principes des Instituts
Supérieurs de Contrôle (ISC) comme voulu par l’INTOSAI75, ne trouvent
pas leur pendant dans l’actuel ISC incarné par le CONSUPE76. Plus
encore, les compétences que confère l’alinéa 3 de l’article 86 de la loi
no2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des
autres entités publiques à la juridiction des comptes ne peuvent être
greffées à l’actuelle Chambre des comptes sans réaction de rejet77. D’autre
part, comme il faut éclairer les réformes par l’histoire, les expériences
étrangères en matière de juridiction des comptes conduisent
inévitablement à pencher pour une Cour des comptes comme ISC78. De
fait, l’attribution à la juridiction des comptes de connaitre à la fois du
jugement des ordonnateurs, des contrôleurs financiers et des comptables,
mais également au regard de ses nombreuses missions non
juridictionnelles par la loi no 2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime
délégué. Or, selon de la Déclaration de Lima « Les Institutions supérieures de contrôle des finances
publiques sont des services de contrôle externe ».
77 En effet, les moyens d’action de la Chambre ne sont pas, en l’état actuel des choses, en
comptes dans lequel la cour exerce des fonctions de nature juridictionnelle, mais développe
aussi d’autres activités, rapports sur l’exécution budgétaire avec un rôle accru d’assistance
au parlement et la situation des finances publiques, sur les gestions et fonctionnements
administratifs, conseils en matière de bonne gestion. Un modèle « allemand », au sein
duquel, et de façon encore plus marquée, la cour exerce des fonctions de contrôle a
posteriori de la gestion et d’assistance aux pouvoirs publics dans une perspective
d’amélioration de la gouvernance financière. Un modèle « d’auditeurs », consacré par les
pays anglo-saxons ou d’influence anglo-saxonne, où les contrôles d’évaluation et d’audit
s’inspirent plus largement des audits d’entreprise tels que pratiqués dans le secteur privé.
Lire SAÏDJ (L.), « Le modèle des Cour des comptes : traits communs et diversité », Revue Française de
Finances Publiques, n°101, 2008, p. 51 ; ORSONI (G.), « La Cour des comptes européenne et
la bonne gouvernance financière », in HARAKAT (M.), (dir.), La gouvernance des finances
publiques en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2019, p.37.
315
financier de l’Etat et des autres entités publiques, n’est-elle pas exclusive
de toute autre option ? Plus encore, l’éviction de l’appellation « Chambre
de comptes » au profit d’une appellation générique telle que « juridiction
des comptes » n’est-elle pas suffisamment évocatrice ?
Il reste à dire que si l’érection de la Cour des comptes est le plus
souvent présentée comme une prescription communautaire, il n’en
demeure pas moins qu’elle se révèle également être une nécessité
fonctionnelle.
2. Une nécessité fonctionnelle
La nécessité fonctionnelle de la Cour des comptes est liée au
caractère spécieux de la parcellisation du contrôle des finances publiques et
à la spécificité du contentieux financier.
Le caractère spécieux de la parcellisation du contrôle des finances
publiques se dévoile aisément à travers cette affirmation du Professeur
Mengue Me Engouang : « La frontière qui sépare le domaine d’action de
l’ordonnateur de celui du comptable est en réalité plus poreuse qu’elle ne paraît à
première vue. Il arrive en effet que chacun de ces deux acteurs intervienne dans la sphère
de compétence de l’autre. L’ordonnateur est ainsi parfois habilité à accomplir les tâches
réservées au comptable tandis que ce dernier peut être autorisé à exercer les attributions
normalement dévolues à l’ordonnateur »79. Ainsi, la séparation du régime
contentieux de ces deux acteurs dénote une volonté de neutraliser une
partie du contentieux et de dissoudre les responsabilités. En effet, dans
son Rapport annuel de 2015 la Chambre des comptes dénonçait le fait
qu’elle ne bénéficie pas de la faculté de saisir le CDBF pour les fautes de
gestion imputables aux ordonnateurs relevés lors de ses contrôles80, ce qui
a pour conséquence que les fautes conjointes ou communes punies au
niveau du comptable demeurent sans conséquence à l’égard de
l’ordonnateur ou du gestionnaire81. Plus grave encore, même en cas de
saisine du CDBF par les autorités dûment habilitées82, on peut constater,
comme le fait le Professeur Michel Lascombe pour la France, que « Les
des juridictions financières, Actes du Colloque des 1er et 2 décembre 2011 organisé à la Cour
des comptes, Gestion & Finances Publiques, 2013.
85 VEDEL (G.), « La responsabilité des administrateurs devant la cour de discipline
(dir.), Les nouveaux chantiers de finances publiques en Afrique, Mélanges en l’honneur de Michel Bouvier,
op. cit., pp. 313-330.
87 Ibid., p. 324.
88 SEGUIN (Ph.), « La Cour, vigie des finances publiques », Revue Française de Finances
318
statuer sur le litige qui lui est soumis »92. En attendant cette évolution, une
intensification du partenariat technique pourrait servir de béquille.
2. L’intensification du partenariat technique
Le partenariat technique en matière de contrôle juridictionnel des
finances publiques est une donnée quasi universelle à laquelle le juge des
comptes camerounais ne saurait se soustraire. En effet, du fait de ses
nouvelles missions à forte dose technique, celui-ci sera enclin à faire, de
plus en plus, appel à l’appui technique extérieur afin d’assurer la qualité de
ses travaux. De cette qualité dépendront sa réputation et la crédibilité de sa
juridiction. C’est ainsi qu’en matière de certification des comptes, le juge
des comptes devra se référer aux référentiels de comptabilité établis par
des organisations internationales en dehors de sa juridiction93. Il convient
de noter à ce propos que l’actuel juge des comptes camerounais en fait une
application partielle depuis 201394. Il s’agira donc pour le juge de la future
Cour des comptes d’en faire une application plus complète. De même, en
matière d’évaluation, le recours à des prestations externes sera de mise.
Cela est dû au fait que l’évaluation fait appel à des méthodes aussi
rigoureuses que possible. Par exemple, pour les traitements statistiques ou
les analyses sociologiques, la compétence du juge des comptes risquerait se
révéler rudement mise à l’épreuve, dès lors un recours à l’expertise externe
ne pourra qu’être salvateur.
Conclusion
Au bout du compte, la réforme de la juridiction des comptes sous la
loi no2018/12 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’État et des
autres entités publiques au-delà du fait qu’elle soit étendue, se révèlent être
une amorce à une réforme institutionnelle profonde qui dépasse largement
le simple cadre de la juridiction des comptes pour s’étendre à l’ensemble
du pouvoir judiciaire. Cela a pour conséquence l’impérieuse nécessité de
relecture du cadre normatif et institutionnel du contrôle juridictionnel des
finances publiques au Cameroun ; avec au premier rang une révision de la
loi fondamentale. Sur ce dernier point, il faut compter avec la bonne
volonté des pouvoirs publics. Même si le doute est permis, on peut tout de
même affirmer, comme le faisait Jean Jacques Rousseau, « J'ai peur que cette
réforme ne souffre des difficultés ; cependant je ne crois pas impossible de les vaincre »95.
92 Ibid., p. 330.
93 Notamment aux Normes internationales des institutions de contrôle des finances
publiques (ISSAI).
94 À ce propos, lire le Rapport annuel 2013 de la Chambre des comptes, pp. 169-189.
95 ROUSSEAU (J.J.), Considérations sur le gouvernement de Pologne. Chapitre 9 Cause particulière
ABSTRACT :
Illustrating the erasure of the neutrality of the State in the electoral
process, the financing of the electoral campaign provides information on the dual
financial impact of the latter in Cameroon. Sovereign public power is not limited
to registering public funds intended for restrictive coverage of election campaign
expenses in the finance law. He can allocate said funds to political parties or
candidates in electoral propaganda. Minuses of the public funds concerned likely
to constitute an electoral offense lead the State to prescribe restitution to the
Cameroonian public treasury. Because the allocation of the said funds aims
exclusively at the effective participation in the electoral campaign which
correlatively excludes the withdrawal as beneficiary and personal enrichment as
the end.
Keywords: State- public funds- political party- candidate-
constitutional judge
320
Introduction
La règle de la neutralité, en apparence observée par l’État, est
relativisée par la réalité de la campagne électorale dans les systèmes
juridiques contemporain et partant au Cameroun. Car la réalité des
campagnes électorales a conduit récemment l’Etat par le biais spécifique
« des règles sur le financement (…) des campagnes électorales à prendre une place accrue
dans le déroulement de ces dernières »1. Qui plus est, l’élection est « une opération
administrative »2, laquelle valorise le rôle animateur de l’État sur le processus
électoral. C’est dans ce cadre que l’idée sur la participation de l’État au
financement public de la campagne électorale aux élections politiques
nationales focalise l’attention au Cameroun.
L’idée du sujet sous étude renvoie partiellement à la « réunion des
fonds nécessaires à la réalisation d’une opération »3 laquelle concerne directement
la dévolution du pouvoir politique aux représentants de la Nation. Exclu
du financement participatif, inclu dans le financement exclusif de l’État,
lequel vise l’action par laquelle la puissance publique souveraine se procure
les moyens financiers destinés à couvrir les charges touchant à la « période
légale durant laquelle les candidats officiels à une élection s'affrontent dans le cadre de la
réglementation électorale »4. C’est davantage l’accompagnement financier et
non technique de la puissance publique souveraine durant la « période légale
au cours de laquelle les candidats sollicitent le vote des électeurs, dans le cadre d’une
compétition réglementée »5 touchant à l’élection du Président de la République,
des députés et des sénateurs au Cameroun. En substance, c’est la prévision
et l’attribution des fonds publics destinés à couvrir la période de
propagande électorale aux élections présidentielle, législative et sénatoriale
par l’État au Cameroun.
La présente étude exclut la participation matérielle de l’État aux
élections politiques nationales au Cameroun. Il est affirmé sans ambiguïté
que « les services de l’État assurent une tâche purement matérielle et parfaitement
gratuite pour les candidats »6. Elle « regroupe l’ensemble des opérations préparatoires à
l’élection, et la seconde des opérations relatives à l’élection elle-même »7. En effet, les
phases de l’élection valorisent la participation significative du bras séculiers
de l’État qu’est l’Administration électorale. D’entrée de jeu, tout scrutin
politique est toujours précédé des préparatoires à l’élection : « Les scrutins
politiques sont toujours précédés d’actes administratifs ayant pour objet d’en préciser le
1 F. PHILIZOT, « Campagne électorale. Quel rôle pour l’État ? », Pouvoirs n°63, 1992, p.
29.
2 M. HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public, Paris, Sirey, 1919, p. 209.
3 G. CORNU, (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, Quadrige, 2018, 12ème éd., p. 997.
4 R. CABRILLAC, (dir.), Dictionnaire du vocabulaire juridique, Paris, Litec, 2002, 1ère éd., p.41.
5 J. JICQUEL, P. AVRIL., Lexique de droit constitutionnel, Paris, PUF, Que sais-je ?, 2016, 4ème
éd., p. 14.
6 F. PHILIZOT, « Campagne électorale. Quel rôle pour l’État ? », op.cit., p. 31.
7 M. KAMTO, « Le contentieux électoral au Cameroun », Lex Lata n°020, novembre 1995,
p. 3.
321
déroulement et, d’abord, d’en décider l’organisation »8. Davantage, « La préparation
des élections se fait par le biais d’un ensemble d’opérations administratives »9. Sont
considérées comme des opérations préparatoires aux élections,
l’établissement et la révision des listes électorales, ainsi que l’établissement
et la distribution des cartes électorales10. Ces opérations préparatoires
incombent aux démembrements territoriaux d’Elections Cameroon11. Par
ailleurs, les opérations électorales proprement-dites n’excluent pas l’action
matérielle de l’administration électorale. Celles-ci s’illustrent par la
facilitation administrative à l’expression et à la protection du droit à
l’expression du vote des citoyens.
La campagne électorale se situe juridiquement après la convocation
du corps électoral et avant les opérations électorales proprement dites au
Cameroun. Le référentiel de départ à la propagande électorale est un acte
bénéficiant de l’immunité juridictionnelle ; c’est une conséquence du fait
que « Le juge constitutionnel camerounais range le décret de convocation du corps
électoral dans les actes bénéficiant de l’immunité juridictionnelle »12. La politique
jurisprudentielle en droit camerounais est caractérisée par son
immobilisme sur ce décret. Depuis 199213, 200414 et 201815 le juge
camerounais n’a cessé d’affirmer son incompétence au motif que le décret
portant convocation du corps électoral est un acte bénéficiant de
l’immunité juridictionnelle. Dans ce sens, « Du contentieux constitutionnel de
1992 à l’affaire Kisob Bertin de 2018 en passant par l’affaire Djouaka Albert
augustin de 2004, l’acte de convocation du corps électoral est un acte juridique jouissant
de l’immunité juridictionnelle au Cameroun »16. Par ailleurs, l’insertion du délai de
éd., p. 242.
22 Ph. BLACHER, Droit constitutionnel, Paris, Hachette supérieur, 2015, 3 ème éd., p. 156.
23 Idem.
24J. SELMA, « Le droit à candidater aux élections législatives : un droit malmené », RFDC
Cameroun oriental.
30 Jugement n°130/CE/2013 du 19 août 2013, Dame Youbi Elise (Mandataire de la liste du
(ELECAM).
32 Décision n°01/CEP du 20 septembre 2011, Mbem Jean Delors « Egalité sociale et démocratique
de la Coordination des Forces Alternatives (C.F.A) c/Etat du Cameroun, (11ème et 12ème rôle) ;
Arrêt n°03/CE/04-05 du 1er octobre 2004, affaire Lontouo Marcus, Candidat du Parti Politique
Congrès National Camerounais (CNC) c/ Etat du Cameroun (8 et 9ème rôle).
324
du certificat de cautionnement36, l’absence des pièces indicatives et
d’accompagnement de la déclaration de candidature à l’élection
présidentielle37.
L’habilitation administrative et juridictionnelle a permis de
déterminer les véritables destinataires de la campagne électorale. La
propagande électorale est un acte manié par les candidats ou les partis
politiques ayant fait acte de candidature. Les personnes non habilitées
participent généralement sous la bannière d’un candidat ou d’une
formation politique. Le lien juridique incontestable est la réalisation du
droit passif électoral à savoir d’être élu. Ce lien est acquis par le
truchement des associations politiques car « Au plan national, ce sont les partis
politiques qui sont les acteurs de la campagne »38. C’est par les principes directeurs
qu’est encadré le déploiement des partis politiques au cours de la
campagne électorale ; il s’agit à proprement parler du respect de la dignité
des candidats, de l’égalité d’accès aux médias, de l’égalité de traitement des
partis politiques.
Subséquente à la décision de candidater, la campagne électorale
prépare la manifestation éclairée du choix du corps électoral. Par la
diffusion du programme politique, de la profession de foi, les candidats
s’essaient d’attirer un électorat conséquent notamment « Parce que
l’expression du suffrage suppose la manifestation éclairée d’un choix est précédée par une
campagne électorale »39. C’est dans ce cadre que le parti politique en lice
privilégie les règles de l’administration de proximité pour convaincre et
emporter la conviction de l’électorat. L’adhésion à l’idéologie et aux
programmes de société du parti politique passe par son explication sous la
forme la plus simple et la plus digeste possible. C’est l’idée de « la séduction
de l’électorat : discours, messages, slogans et autres stratégies »40.
La campagne électorale efface la neutralité de l’État au Cameroun.
Ce principe axiologique se trouve tempéré par les exigences de la
démocratie représentative au Cameroun. L’État se montre moins libéral en
laissant davantage cours à l’action de la gestion en régie du processus
électoral. Il doit participer de manière significative afin de pourvoir à
l’expression du vote des citoyens. L’allocation des financements, la
détermination du cadre spatial pour la propagande électorale illustrent de
36 Arrêt n°23/CE/04-05 du 1er octobre 2004, Dame Kamga Rameline Candidate du Parti Front
de Solidarité Nationale (FSN) c/Etat du Cameroun (MINATD), (14ème rôle).
37 Décision n°04/CEP du 20 septembre 2011, Djapa Charly Candidat du Parti Socialiste et des
1987, p. 15.
326
l’État (…)»46. Puis, l’étude clarifie un domaine d’expression de la police
administrative au Cameroun. La campagne électorale s’insère dans les
matières de la police administrative. Les autorités administratives par le
maniement de l’ordre public peuvent, au regard de la déclaration de
réunion, interdire ou pas interdire ou durcir le cadre de déploiement d’un
meeting politique. Juridiquement, la police administrative est l’« activité
spécifique de prescription, consistant à réglementer des activités privées en vue du
maintien de l’ordre public, pouvant donner lieu à des actions matérielles »47. Les têtes
de chapitre du droit administratif trouvent en l’espèce l’occasion d’être
valorisées.
Aucun manuel de droit n’articule de manière intelligible la participation
financière de l’État à la campagne électorale aux élections politiques nationales au
Cameroun48. Partant de ce constat, une difficulté juridique se pose : comment
s’articule la participation de l’État au financement de la campagne
électorale aux élections politiques nationales en droit camerounais ?
Suivant la méthode d’analyse normativiste, la réponse à cette question va être
fondée sur l’interprétation des dispositions législatives applicables en la matière.
Par ailleurs, elle s’étendra sur l’interprétation des décisions de justice. L’hypothèse
de base est le dépassement de l’insertion restrictive des dépenses de campagne
électorale dans la loi de finances de l’année électorale. C’est dans ces deux
articulations que l’on explicite cette position. Ainsi l’insertion restrictive des
dépenses de campagne électorale dans la loi de finances de l’année électorale
d’une part (I), et la répartition sélective des fonds destinés au financement de la
campagne électorale articulent, d’autre part ces idées (II).
partis politiques et des campagnes électorales au Cameroun : quelques réflexions sur la loi
du 19 décembre 2000 au regard de réglementations étrangères », Revue africaine d’études
politiques et stratégiques, n°2, 2002, pp. 35-67.
49 A.-D. OLINGA, La Constitution de la République du Cameroun, 1ère éd., op.cit., p. 247.
50 ABDOULKARIMOU, La pratique des élections au Cameroun. 1992-2007. Regards sur un
Finances publiques, budget et pouvoir financier, Paris, Dalloz, 1977, p.9 : « au début de l’année, le
budget se confond avec la loi de finances initiales, mais évolue ensuite pour intégrer le total des dépenses et
des recettes, les décrets d’avances, les lois de finances rectificatives, puis les données relatives à l’exécution du
budget et enfin la loi de règlement ».
64 L’article 2 de l’ordonnance du 2 janvier 1959 (France).
65 L’article 5 du décret impérial du 31 mai 1862 ; l’article 1er du décret du 19 juin 1956
(France).
329
figure dans la loi des finances. Cette précision formelle lève l’équivoque de
l’ordonnance française du 2 janvier 1959. Les efforts de clarification
effectués par l’ordonnance du 7 février 1962 ont été approfondis par la loi
de 2007 sur le régime financier de l’État66 et par la loi de 2018 sur le
régime financier de l’État et des autres entités publiques67. Autrement dit
comme l’avait précédemment souligné Maurice Duverger, le budget est un
sous ensemble de l’ensemble de la loi de finances ; ainsi « l’on retiendra que le
budget fait partie de la loi de finances tant en France qu’au Cameroun »68.
Les sources formelles du droit des finances publiques ont procédé
par la catégorisation des lois de finances au Cameroun. La typologie des
lois de finances est effective en droit public camerounais. La conclusion
découlant de l’analyse rétrospective est l’initiation de la catégorisation des
lois de finances par l’ordonnance du 7 février 196269 au Cameroun. Il s’agit
d’une initiation de la typologie des lois de finances au lendemain des
indépendances car « avant 1962, les finances publiques camerounaises étaient régies
par des textes taillés sur mesure par l’administration française »70. L’aménagement
des règles sur les finances publiques ne remonte pas au Cameroun de la
période d’après l’indépendance. Bien avant cette référence chronologique,
des règles de finances publiques furent posées dès la période coloniale.
L’idée se justifie davantage lorsque l’on s’appuie sur la « présentation des
finances publiques classiques »71.
Par ailleurs, l’effort de catégorisation des lois de finances publiques
plus ou moins lacunaire par l’ordonnance du 7 février 1962 a été amélioré
par les textes subséquents. Le mouvement de typologie des lois de
finances amorcé au lendemain des indépendances n’a pas connu de
rupture au lendemain des années 2000 au Cameroun. Se voulant plus
intelligible et accessible, la loi portant régime financier de l’État et celle des
autres entités publiques ont retenu trois catégories de loi de finances. De
2007 à 2018, la consistance des lois des finances n’est pas stable au
Cameroun. Nonobstant la reconnaissance du caractère de lois de finances
à loi de finances de l'année, aux lois de finances rectificatives, à la loi de
règlement, le texte de 2007 renvoie à l’article 41. Autrement dit, la loi visée
à l’article 41 de ladite loi présente aussi le caractère de lois de finances au
Cameroun72. Or, cette extension n’a pas été retenue car abrogée par la loi
de 2018 portant régime financier de l’État et des autres entités publiques
au Cameroun.
portant régime financier de l’État », op.cit., p. 9 ; le décret français du 30 décembre 1912 sur
le régime financier des colonies et un ensemble de circulaires dont celles n°168 et 169 du
28 décembre 1955 sur l’engagement des dépenses.
71 E.-C. LEKENE DONFACK., Finances publiques camerounaises op.cit., p. 28.
72 Article 4 de la loi n°2007/006 op.cit.
330
La loi portant régime financier de l’État et des autres entités
publiques a procédé par une modification de la consistance des lois de
finances au Cameroun. Celle-ci reconnait exclusivement le caractère de lois
de finances à la loi de finance initiale, aux lois de finances rectificatives et à
la loi de règlement73. Elle s’est limitée à trois catégories de lois de finances
au Cameroun. S’y référer s’impose « pour avoir une vision complète et juste de ce
qu’est le droit positif »74 au Cameroun. L’introduction de la nouvelle loi
entraine subséquemment la dérogation à la loi ancienne. L’idée renvoie à la
dérogation de la lex anterior par la lex posterior. Etant d’égale valeur dans la
hiérarchie des normes, la loi de 2018 a privé l’effet juridique l’extension
des lois de finances posée par la loi de 2007 portant régime financier de
l’État au Cameroun. Il va sans dire que « les finances publiques sont sensibles
aux évènements qui affectent la vie des États »75. Toutefois, le cadre formel
n’indique ni les charges financières ni la loi de finances susceptibles de
porter les dépenses de campagne électorale au Cameroun. Les sources
formelles du droit des finances publiques sombrent dans un mutisme
suicidaire sur la nature des dépenses de campagne électorale couverte par
l’État.
2. L’extension limitative aux fonds de fonctionnement du parti
politique
Les charges financières de la campagne électorale sont départagées
entre les partis politiques et l’État au Cameroun. Une part importante des
dépenses de la propagande électorale affecte d’autres fonds de
financement au Cameroun. De manière « considérable des masses financières
mises en jeu »76 proviennent des sources autres que l’État. C’est dans ce
cadre que l’on admet que, « l’État n’est pas l’unique financier de la campagne
électorale »77 au Cameroun.
« Les candidats peuvent faire établir à leurs frais ou à ceux du parti qui
présente leur candidature, des circulaires, des professions de foi ou des affiches »78. Au
regard de cette disposition, la couverture des charges financières des
opérations de la campagne électorale peut émaner directement ou
indirectement du candidat en lice. Autrement dit, le financement autre que
l’État sur la campagne électorale suppose une qualité certaine de la part de
son auteur. Ledit financement touche des dépenses minimes comparées à
celles imputables à la puissance publique souveraine au Cameroun.
La contribution aux recettes financières de la campagne électorale
émane directement du candidat. L’attribution de la qualité de candidat est
d’un apport non négligeable aux soutiens des dépenses de campagne
331
électorale au Cameroun. Les fonds destinés à couvrir certaines dépenses
élémentaires de la campagne électorale supposent le passage du citoyen au
prisme des formalités administratives. Elle est subséquente à la mise en
œuvre du droit de candidater et puis la certification administrative de
l’Administration électorale. Elle touche en aval, les questions internes des
partis politiques à savoir l’investiture par les partis politiques. Le juge
électoral jouit de l’habilitation de contrôler la régularité de l’investiture
d’un citoyen à une élection politique nationale projetée79. En se référant à
la composition de l’équipe dirigeante d’un part politique, le juge électoral
contrôle la régularité de l’investiture. D’après la loi sur les partis politiques,
toute modification ou changement de l’équipe dirigeante du parti politique
doit être communiquée au Gouverneur territorialement compétent80. Les
éléments du dossier transférés à l’autorité administrative compétente
servent de support au contrôle du juge électoral. C’est dans ce qu’il affirme
que « Attendu qu’en l’espèce, il résulte de l’instruction du recours que le signataire de la
lettre de présentation et d’investiture ne remplit les conditions légales prévues par les
textes ci-dessus ; Que dès lors l’investiture du candidat est irrégulière, qu’il y a lieu de
rejeter le recours de l’intéressé »81. Davantage, « Attendu que la même étude du dossier
révèle que la candidature de NGOUEL BANGA a été signée par une personne non
habilitée à le faire et non par la hiérarchie du parti (…) »82.La recevabilité de
l’investiture constitue un sous ensemble de la qualité de candidat. Celle-ci
est parachevée par le contrôle de régularité et partant la publication de la
liste de candidature. Autrement dit, la qualité de candidat est subséquente
au volet procédural et substantiel au droit de candidater. Dès lors la qualité
de candidat est acquise à partir de la publication de la liste de candidature
par le conseil électoral. Ladite liste est entérinée par le contrôle du juge
électoral au Cameroun. Car « cette décision peut faire l’objet d’un recours devant le
juge administratif »83 et constitutionnel. A ce stade de la procédure
administrative, le candidat se distingue de par ses attributs de la simple
qualité de citoyen. Il jouit de la liberté de s’inscrire sur une liste de
candidat84 et de la qualité contentieuse d’une candidature au Cameroun85.
79 Arrêt n°9/CE/04-05 du 1er octobre 2004, affaire Njeunga Jean candidat du Parti Front Uni du
Cameroun (F.U.C) c/ Etat du Cameroun (MINATD) (9ème rôle) : « Attendu en l’espèce (…), que
par ailleurs aucune modification ou changement dans la composition de cette équipe dirigeante du parti n’a
été signalé à l’Administration conformément aux dispositions légales ci-dessus reprises.
--- Que dès lors l’investiture du candidat étant irrégulière, il y a lieu de rejeter le recours de l’intéressé ».
80 Article 5 de la loi n°90/056 du 19 décembre 1990 relative aux partis politiques.
81 Arrêt n°21/CE/04-05 du 1er octobre 2004, affaire Mack-Kit Samuel c/ Etat du Cameroun
p.3 76.
84 Jugement n°96/CE/2013 du 19 août 2013, Tanyi Raphael Nukanjem c/Elecam.
85 Décision n°18/CEP du 20 septembre 2011, Assigana Tsimi Moise candidat du Mouvement
140.
88 J.-L AUBERT, Introduction au droit, 8ème éd., op.cit., n°202.
333
politiques dans le cadre de la campagne électorale. L’action de l’État
procède du maniement des principes budgétaires.
B. La formation restrictive des dépenses de campagne électorale
dans les principes budgétaires
Le financement des dépenses de campagne électorale procède de
l’établissement des principes budgétaires au Cameroun. La prévision et
l’attribution des fonds aux charges de la campagne électorale reposent sur
le maniement des principes directeurs des finances publiques. En
procédant par l’application de certaines dispositions du Code électoral89,
l’on constate que les principes d’annualité (1) et de spécialité des crédits
retiennent particulièrement l’attention (2).
1. La formation des dépenses de campagne électorale par le
principe de l’annualité budgétaire
Le financement public de la campagne électorale nécessite la
prévision annuelle des dépenses publiques au Cameroun. La loi des
finances prévoit des dépenses annuelles nécessaires à la couverture des
charges publiques induites par la campagne électorale. C’est un
financement public qui « doit être intégré dans la loi des finances »90. Davantage,
« cette participation fait l’objet d’une inscription dans la loi des finances de l’année
d’organisation de chaque consultation électorale »91. Ces explications théoriques
découlent de l’interprétation du Code électoral92.
La prévision annuelle des dépenses de campagne électorale est une
réalité en droit camerounais. Il est admis que « la vie juridique se déroule dans le
temps et ne peut ignorer ce support dont on ne peut éviter l’inexorable cours mais dont
on peut tenter de maitriser les effets »93. C’est davantage « la sphère de validité
temporelle »94. La puissance publique projette l’exécution dans le temps, des
fonds pour la propagande électorale. Dans ce sens, la prévision budgétaire
en cause tient compte non seulement du calendrier électoral mais aussi de
l’échéance de l’exécution des charges prévues. L’État attribue une portée à
l’exécution de la loi des finances pour la campagne électorale au
Cameroun. La puissance publique souveraine n’entend formuler chaque
année les dépenses de campagne électorale. C’est le calendrier électoral des
élections politiques nationales qui restaure l’obligation de la puissance
publique d’y pourvoir. C’est une obligation régalienne rattachée aux
prescriptions du calendrier électoral et non détachée de l’échéance
électorale projetée. La validité temporelle de la loi des finances à la
réalisation de la campagne électorale est d’un an.
334
Toutefois, il n’est pas exclu que la loi de finances finance une
diversité de campagne électorale au cours d’une année électorale. C’est
généralement le cas pour les élections couplées ou de l’organisation d’une
diversité d’élection dans une année. Par ce fait, l’exécution des dépenses de
campagne électorale n’admet la pluri-annualité. Sa portée est limitée par
l’aménagement du principe d’annualité en droit électoral au Cameroun.
La négation implicite de l’exécution échelonnée des dépenses de la
campagne électorale est affirmée en droit camerounais. Elle est
l’implication immédiate de la prévision annuelle des dépenses de campagne
électorale au Cameroun. L’attribution des fonds aux charges financières de
la campagne électorale n’a vocation à s’étendre d’une année à une année.
Formellement il n’est nulle part indiqué le prolongement des recettes
financières au-delà de l’année électorale. La proscription du
réaménagement des charges financières de l’État est avérée. Ces règles
« interviennent pour un exercice, étant précisé que ce dernier s’étend pour une année
civile »95. L’échéance électorale entraine automatiquement l’extinction de
l’obligation de la puissance publique souveraine en la matière. L’année
civile demeure le référentiel et l’échéance de droit commun de l’allocation
des dotations à la campagne électorale au Cameroun. Il va sans dire que
l’on ne peut concevoir qu’« elle prévoit une dimension pluriannuelle »96. Par ce
fait, l’exécution des fonds alloués à la campagne électorale émascule
l’aménagement du principe d’annualité au Cameroun. Elle le fait en
assouplissements le principe de l’annualité« à la fois sur les dépenses de
fonctionnement et sur celles d’investissement »97.
Les allocations aux charges de la campagne électorale ne s’étendent
au long de l’année civile comme le budget de droit commun. Elles
s’accolent particulièrement à l’échéance électorale et précisément à la
période fixée pour la campagne électorale au Cameroun. Elles ventilent
financièrement non pas l’année électorale mais de manière restrictive le
cadre temporel de la campagne électorale. La campagne électorale est
ouverte à partir du quinzième jour précédant le scrutin. Elle prend fin la
veille du scrutin à minuit98. Au Burkina Faso, les dates et heures
d’ouverture et de clôture de la campagne électorale sont fixées par décret99.
Au Burundi, Elle est ouverte par décret du Président de la République le
seizième jour qui précède celui du scrutin. Elle est close quarante-huit
heures avant le scrutin. S’il y a lieu de procéder au second tour, la
campagne électorale est à nouveau ouverte dès la proclamation des
résultats du premier tour. Elle est close quarante-huit heures avant le
336
La fixation des fonds publics nécessaire au financement des
dépenses de la campagne électorale résulte de l’activité du parlement. Ce
qui devrait naturellement « concourir accessoirement à prévenir des difficultés
financières futures »107. Le parlement est interpellé à partir de sa fonction
d’autorisation budgétaire. La discussion du budget reste aujourd’hui encore
un moment solennelle de la rentrée d’automne108. C’est globalement « à
partir de celui-ci que les assemblées nationales et locales exercent leurs compétences en
matière d’autorisation budgétaire »109. L’autorisation du parlement de dépenser
s’illustre par la fixation du montant à dépenser par l’autorité en charge de
l’exécution du budget. S’intégrant dans le domaine de compétence de la
représentation nationale reposant initialement sur la préparation du projet
de budget, la limitation de la dépense sur les crédits inscrits. En théorie,
« Les dépenses budgétaires ne peuvent être autorisées que par une loi de finances »110.
Enfin, « les dépenses budgétaires de l’État sont présentées en titres, ainsi qu’il suit : d.
titre IV : les dépenses de transfert : - subventions ; transferts »111. C’est dans les
dépenses de transfert que l’on range les fonds destinés au financement de
la campagne électorale. Car ceux-ci ne peuvent être rangés dans les
dépenses de personnel, des biens, et de services, les dépenses
d’investissement, et les autres dépenses.
L’une des implications du principe de spécialité est l’introduction
d’une adoption en détail des composantes du projet de budget. Le
parlement est tenu de privilégier un examen méticuleux devant conduire à
un vote détaillé des composantes du projet de budget. L’assignation de la
présentation d’un projet de budget détaillé de l’exécutif devrait se relayer
au cas d’espèce. Le vote détaillé assigné au parlement par le principe de
spécialité s’étend sur l’adoption des recettes publiques au Cameroun. Le
parlement s’acquitte d’une obligation constitutionnelle en matière
budgétaire. Car le parlement jouit d’une diversité de prérogatives allant de
l’activité normative, à celle de contrôle de l’action du gouvernement. Au
niveau central le principe de spécialité revalorise les autorisations du
parlement. En l’espèce, le parlement agit et intervient exclusivement dans
le cadre d’une habilitation constitutionnelle. La Constitution « constitue de ce
point de vue un pilier qui permet d’affirmer d’une part l’existence d’un contenu matériel
stable des finances publiques et d’autre part, l’institution des acteurs aux attributions
multiples et variées »112. En plus, celles-ci « sont les pièces maîtresses et permettent
107 J.-L CHARTIER, A. DOYELLE, « Les Chambres régionales des comptes et les
collectivités en grave difficulté financière », AJDA, 1922, p. 723.
108 R. CHINARD, « Loi de finances : quelle marge de manœuvre pour le Parlement ? »,
2009, p. 101.
110 Article 27 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 op.cit.
111 Article 28 d de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 op.cit.
112 J. BIAKAN, « La Constitution et les finances publiques au Cameroun », RAFiP, n°2,
2017, p. 16.
337
d’élever le budget de l’Etat comme cadre privilégié des finances publiques »113 du
parlement au Cameroun.
L’une des particularités du principe de spécialité en droit public
financier est l’attribution d’une destination à une dépense publique. La
destination de la dépense publique est spécifique et habilitée par l’organe
délibérant du pouvoir législatif camerounais. Le parlement se charge de
l’affectation des recettes publiques aux dépenses de la campagne électorale.
Dans son aménagement, « Un crédit budgétaire est le montant maximum des
dépenses que le parlement autorise au Gouvernement à engager et à payer, pour un objet
déterminé, au cours de l’exercice budgétaire »114. Il s’agit d’une exigence « dont le
plein respect et la stricte observance tout au long des processus budgétaires nationaux
sont garantis de quelque autre façon »115. La prescription des destinations aux
crédits votés résulte de l’habilitation du parlement à dépenser. Par la
fixation des crédits globaux, il est déterminé la masse budgétaire des
dépenses de campagne électorale. Le principe de spécialité introduit le
dédoublement au caractère limitatif de la spécialité des crédits. La spécialité
des crédits concerne principalement les dépenses ventilées de manière la
plus précise possible afin d’éviter les risques d’abus, de gaspillage. Les
crédits votés par le parlement et qui valent autorisation de dépenser ont en
principe un caractère limitatif. Par ailleurs, il est établi les unités de
spécialité des crédits. Il est formellement admis que « au sein de chaque
chapitre, les crédits sont présentés par sections, programmes, actions, articles et
paragraphes »116. La section est la destination fonctionnelle de la dépense117.
L'article détermine l'unité administrative destinataire de la recette ou de la
dépense118. Le paragraphe correspond à la nature économique de recette
ou de la dépense119. Le programme est un ensemble d'actions à mettre en
œuvre au sein d'une administration pour la réalisation d'un objectif
déterminé dans le cadre d'une fonction120. Par ailleurs, l’État procède aussi
à la répartition des fonds de financement de la campagne électorale.
II. La répartition restrictive des fonds de financement de la
campagne électorale
L’État participe aussi directement à la répartition des fonds destinés
au financement de la campagne électorale au Cameroun. Il se charge
d’attribuer de manière égalitaire ou proportionnelle la masse budgétaire
due à chaque parti politique en propagande électorale. Dans ce cadre, « les
113 Idem.
114 Article 29 alinéa 1 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 op.cit.
115 V. M. TIRARD, « L’intégration budgétaire croissante en Europe : entre théorie et
l’État au Cameroun.
117 Article 9 alinéa 2 de la loi n°2007/006 op.cit.
118 Article 9 alinéa 3 de la loi n°2007/006 op.cit.
119 Article 9 alinéa 4 de la loi n°2007/006 op.cit.
120 Article 8 de la loi n°2007/006 op.cit.
338
modalités de répartition de la dotation légale sont définies à l’article 11 de la loi »121.
Cette loi « détermine aussi les conditions d’utilisation de l’allocation publique »122.
C’est sous cette bannière que les fonds sont répartis par tranche aux partis
politiques ayant effectivement pris part à la campagne électorale (A). Par
ailleurs, lesdits fonds ne s’étendent au désistement et à la non-participation
effective à ladite campagne. En l’espèce, il est procédé à la restitution des
fonds au Trésor public camerounais (B).
A. L’attribution par tranche aux partis politiques en campagne
électorale
La première modalité de répartition du financement de la
propagande électorale est la division des fonds publics par tranche au
Cameroun. En procédant par une répartition, l’État ventile de manière
égalitaire ou proportionnelle les fonds publics destinés à la campagne
électorale. C’est dans ce sens que « L’article 6 de la loi prescrit que ces fonds sont
divisés en deux tranches »123. Il s’agit de l’une des modalités « de l’utilisation
moderne de la dépense publique »124. La législation prescrit l’attribution de la
première tranche (1) et la seconde tranche aux acteurs ayant effectivement
pris part à la campagne électorale au Cameroun (2).
1. L’attribution de la première tranche du financement de la
campagne électorale
L’État procède par la scission des fonds destinés au financement de
certaines dépenses des partis politiques et des candidats au cours de la
campagne électorale. Par ce fait, il se charge de l’attribution de la première
tranche dudit financement aux partis politiques participant effectivement à
la campagne électorale au Cameroun. Dans ce cadre, cette attribution aux
acteurs électoraux tient compte de certaines exigences objectives.
De manière formelle, l’attribution de la première tranche du
financement de la campagne électorale repose sur des formalités précises.
Elle distingue d’une part les exigences liées aux élections législatives et
sénatoriales125 et celles liées à l’élection présidentielle au Cameroun126. En
procédant par une interprétation littérale, l’attribution de la première
tranche au financement de la campagne électorale se fait indifféremment
de l’élection en cause après la publication des listes de candidature.
Autrement dit, le premier virement en vue de l’effectivité de la campagne
aux élections présidentielle, législative et sénatoriale se fait après la
diffusion de la liste de candidature. En ce sens, tout virement avant et
après ces formalités s’expose à la violation de la loi et partant fonde le
121 A.-D. OLINGA, La Constitution de la République du Cameroun, 1ère éd., op.cit., p. 247.
122 ABDOULKARIMOU, La pratique des élections au Cameroun 1992-2007. Regards sur un
système électoral en mutation, op.cit., p. 168.
123 Idem, p. 168.
124 ISSA ABIABAG., Le renouveau budgétaire au Cameroun, op.cit., p. 25.
125 Article 285 de la loi n°2012/001 du 19 avril 2012 op.cit.
126 Article 286 de la loi n°2012/001 op.cit.
339
recours pour excès de pouvoir. Les cas d’ouverture du recours d’excès ont
été construits de manière échelonnée par le juge administratif et
systématisés par la doctrine. Sous cette bannière, « il s’agit essentiellement d’une
action visant un acte administratif et non d’un procès entre partie comme c’est le cas en
droit privé »127. Posant « le contentieux de l’excès de pouvoir »128, les cas
d’ouverture du recours pour excès de pouvoir supposent la constatation
des illégalités susceptibles de vicier l’acte administratif unilatéral. Au regard
de l’effort de catégorisation de la doctrine camerounaise129, laquelle
renvoie à « les classifications théoriques »130, le recours pour excès de pouvoir
intègre respectivement la légalité externe et la légalité interne de l’acte
administratif unilatéral. Techniquement, « on regroupe sous cette rubrique :
l’incompétence, le vice de forme et de procédure »131. Or, « la seconde catégorie est relative
à la légalité interne de l’acte ; il s’agit du défaut de base légale, de la violation d’une
disposition et du détournement de pouvoir »132. Le vice de forme133,
l’incompétence134, la violation d’une disposition légale ou règlementaire135,
le détournement de pouvoir136 ont des assises prétoriennes en droit
camerounais. Ainsi l’acte administratif de virement de la première tranche
au financement de la campagne électorale est susceptible de recours pour
excès de pouvoir s’il viole l’un des cas de la légalité de l’acte.
Cependant, le contentieux du financement de la campagne
électorale a plutôt fait la part belle au juge constitutionnel. La juridiction
constitutionnelle camerounaise s’est prononcée lors du contentieux post
électoral du 07 octobre 2018 touchant au financement de la campagne à
l’élection présidentielle. L’occasion a été donnée au juge constitutionnel de
clarifier des dispositions demeurées lacunaires jusqu’ici. En se prononçant
sur la prétendue violation de l’article 286 alinéa 1 du Code électoral, le juge
constitutionnel dénie l’attribution inégalitaire des fonds publics entre les
candidats en campagne à l’élection présidentielle. Car selon le requérant, le
candidat BIYA Paul du Rassemblement Démocratique du Peuple
op.cit., p. 163.
130 G. DUPUIS, M.-J. GUEDON, P. CHRESTIEN, Droit administratif, Paris, Armand
op.cit., p. 163.
132 Idem.
133 V. arrêt n°121/CFJ/CAY du 08 décembre 1970, Sitamzé Urbain c/État du Cameroun
oriental ; jugement n°71/CS/CA du 13 mai 1976, Bene Bella Lambert c/État du Cameroun.
134 V. arrêt n°7678/CCA du 27 décembre 1957 ; Sieur Ndjock Paul c/ État du Cameroun.
135 V. jugement n°55/CS/CA du 22 avril 1976, Mbarga Emile c/État du Cameroun ; jugement
n°17/CS/CA du 3 février 1977, Mineli Elomo Bernard Marie c/ État du Cameroun ; jugement
n°33/CS/CA du 31 mars 1977, Koneba Samuel c/ État du Cameroun ; arrêt n°336/TE du 22
décembre 1964 ; Sieur Biba Théophile c/ État du Cameroun.
136 Arrêt n°120/CFJ/CAY du 8 décembre 1970, Bilae Jean c/ État du Cameroun ; arrêt
Les Cours constitutionnelles et les crises, Association des Cours Constitutionnelles ayant en
Partage l'Usage du Français 5ème Congrès, Cotonou, 22-28 juin 2009, p. 13.
342
africaine en l’occurrence Tcheuwa Jean-Claude147, Badet Gilles148 et
Guéssélé Isseme149. Dans l’affaire PDS, UFDC, SDF, UNDP de 2002150,
le juge affirme en substance : « Attendu que ce nouveau décompte, donne au
RDPC une majorité relative, entrainant le partage des sièges à raison de deux (02)
pour ledit parti et un (01) siège pour le SDF ».Dans ce sens, « En cas d’erreur dans
le calcul des résultats, le Conseil constitutionnel peut rectifier les chiffres »151. Lorsqu’il
est impossible de quantifier les irrégularités électorales, le juge
constitutionnel ne se contente pas d’une simple rectification. Il procède
énergiquement à l’annulation de l’élection en cause152. En outre, la
répartition proportionnelle fait irruption dans l’attribution de la seconde
tranche du financement de la campagne des élections politiques nationales.
La répartition proportionnelle fait irruption dans l’attribution de la
seconde tranche du financement de la campagne des élections politiques
nationales au Cameroun. La répartition proportionnelle dudit financement
aux élections législatives et sénatoriales se fait en fonction du nombre de
siège obtenus. La disposition législative en cause n’indique pas les
modalités de cette répartition. Un mutisme plane sur la règle de la forte
moyenne ou la règle du fort reste. Or, l’attribution de la seconde tranche
de financement de la campagne à l’élection présidentielle concerne
exclusivement les candidats ayant obtenus au moins 5% des suffrages
exprimés. Ainsi une spécificité importante liée au financement de la
propagande électorale subsiste au sein des élections politiques nationales.
B. La restitution des fonds publics non utilisés au Trésor public
L’État se charge de récupérer les fonds publics non utilisés à la
campagne électorale au Cameroun. Le parti politique en cause est tenu de
reverser en totalité la somme reçue au titre du premier versement en cas de
désistement ou de la non-participation effective à la campagne électorale.
Cette manière de procéder incite « quant à l’utilisation réelle de ces fonds »153.
in F.-J AÏVO (dir.), La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ?
Mélanges en l’honneur de Maurice Ahanhanzo Glèlè, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 391.
149 L.-P GUESSELE ISSEME, « La protection du droit de vote par les juges
154 F. PHILIZOT, « Campagne électorale. Quel rôle pour l’État ? », op. cit., p. 30.
155 Article 286 alinéa 2 de la loi n°2012/001 du 19 avril 2012 op.cit.
156 R. CABRILLAC (dir.), Dictionnaire du vocabulaire juridique, 1ère éd., op.cit., p. 217.
157 G. DUPUIS, M.-J GUEDON, P. CHRESTIEN, Droit administratif, 8ème éd., op.cit., p.
467.
344
En France, le principe de l’exécution forcée s’est pendant
longtemps abreuvée à l’affaire « Société immobilière de Saint-juste »158. Les
idées développées par le commissaire du gouvernement ROMIEU que
l’idée essentielle est que l’administration ne doit pas en principe exécuter
de force ses propres décisions. C’est l’emploi des sanctions pénales,
prononcées par le juge répressif, qui doit assurer normalement l’exécution
des actes administratifs. Mais les sanctions pénales sont impossibles
lorsqu’aucun texte législatif ne les a prévues. C’est davantage la substance
de l’adage latin« nullum crimen nula poena sine lege ».
Par ailleurs, « le principe de l’illicéité de l’exécution forcée administrative doit
être assorti d’exceptions »159. Certaines sources formelles du droit peuvent
habiliter l’administration à utiliser la force sans recourir à l’autorisation de
l’autorité judiciaire. L’urgence de faire face à la nécessité publique, de
prévenir un péril imminent peut fonder l’utilisation de la force par
l’administration. S’il n’y a pas de sanctions pénales pour les infractions à la
décision et si, par suite, l’exécution administrative est seule possible160.
Cela étant, l’exécution forcée en l’absence de sanction pénale n’est pas une
hypothèse très fréquente. Le développement conséquent des sanctions
administratives a pour effet direct la réduction de la portée de l’exécution
forcée.
Le juge administratif camerounais n’hésite pas à dénoncer
l’irrégularité à l’exécution d’office d’une décision. Il l’a fait en matière
domaniale et foncière pour dénoncer l’inobservation de l’échéance de la
mise en demeure. Il s’est explicitement prononcé dans des affaires en
1971161, 1981162, 1982163 et 2010164. Il s’agit de manière illustrative des
affaires constitutives de voie de fait. L’initiation de la définition de la voie
de fait remonte à 1968165. La voie se décompose en la méconnaissance
flagrante des pouvoirs de l’Administration et ce en, l’absence de
circonstances exceptionnelles ou d’urgence laquelle porte atteinte à la
propriété privée mobilière. L’évolution prétorienne de la notion de voie de
fait a abouti à l’adjonction de la protection du particulier victime de voie
de fait au Cameroun. L’extension de cette conception fut initialement
158 TC 2 décembre 1902, Société Immobilière de Saint juste, R. 713, concl., J. ROMIEU.
159 G. DUPUIS, M.-J GUEDON, P. CHRESTIEN, Droit administratif, 8ème éd., op.cit., p.
467.
160 V. TC 12 mai 1949, Dumont, R. 596, RDP, 1949.371, note M. Waline.
161 CFJ/CAY, Jugement n°15/71 du 31 mars 1971, Commune de plein exercice de Yaoundé
de Bafoussam.
163 CS/CA, Jugement n°73/82 du 30 septembre 1982, Fambeu c/Commune de Mbalmayo.
164 CS/CA, Jugement n°183/2010 du 23 juin 2010, Waffo Wokam Lucie c/ Etat du Cameroun.
165 CFJ/AP, Arrêt n°8 du 16 octobre 1968, État fédéré du Cameroun oriental c/ Max Keller
Ndongo ; CFJ/AP, Arrêt n°10 du 17 octobre 1968, 1°) Mve Ndongo, 2°) Procureur Général près
la Cour Fédérale de Justice c/ NGABA Victor
345
posée dans l’affaire Atangana Ntonga de 1978166. La voie de fait est aussi
constituée en droit positif camerounais, lorsque l’Administration porte
atteinte à une liberté individuelle167.
Au regard de ce qui précède, l’Administration publique se réfère à
ses prérogatives de puissance publique pour assurer la destination effective
des fonds débloqués pour la campagne électorale. L’allocation des fonds
publics vise exclusivement la couverture de certaines charges liées à la
propagande électorale. Toutefois, la restitution des sommes indues ne
concerne ni toutes les élections politiques nationales ni l’ensemble des
tranches de décaissement. L’idée établit que la restitution des fonds publics
au trésor public concerne exclusivement la première tranche décaissée en
vue de la campagne électorale au Cameroun.
2. La prescription de la restitution exclusive de la première tranche à
l’élection présidentielle
L’État prescrit la restitution exclusive de la première tranche
décaissée en vue de l’élection présidentielle au trésor public au Cameroun.
L’application de cette prescription concerne les cas de désistement du
candidat avant le scrutin et la non-participation effective du candidat à la
campagne électorale. Par ce fait, il est précisé le cadre de restitution du
premier versement au titre de la campagne électorale au Cameroun.
C’est par le fait d’une décision décisoire et exécutoire que l’État
formule l’obligation de restituer les sommes indues de la campagne
électorale. Aucunement l’administration publique de manière inconnue ou
méconnue car l’action administrative se fait toujours ressentir sur la
situation juridique des administrés au Cameroun. Jamais l’Administration
publique ne s’est présentée physiquement aux administrés.
L’administration imprime l’action à travers l’acte administratif unilatéral au
Cameroun. Ce dernier est « la caractéristique essentielle de l’institution
publique »168. Et au sein de l’Etat, la souveraineté interne incarne cette
autorité en tant que « puissance de commandement qui se manifeste par
des actes unilatéraux (…) » traduisant « un rapport de subordination entre
l’auteur et l’adressataire de la norme »169. En droit du contentieux administratif,
la diversité des formes de l’acte administratif unilatéral est admise. Elle est
davantage l’œuvre des constructions prétoriennes camerounaises. C’est
dans l’affaire Tchungui Charles contre État du Cameroun de 1979 que le
juge administratif consacre la diversité des formes de l’acte administratif
166 CS/CA, jugement n°22 du 30 novembre 1978, Atangana Ntonga Sylvestre c/ État du
Cameroun.
167 CS/CA, jugement n°12/CS/CA/81-82 du 26 janvier 1982, Dame Binam née Ngo Njom
346
unilatéral au Cameroun170. Dans ce sens, « attendu qu’il est vrai que l’acte
administratif n’est en principe soumis à aucun formalisme ; que bien qu’il soit le plus
souvent écrit, il peut être oral ou résulter de simple agissement »171. L’action
administrative se réalise par un procès-verbal172, la forme écrite173, le
silence de l’administration174, la forme verbale175, la forme gestuelle176. Au
regard de ces décisions de justice, l’action administrative se réalise au
Cameroun sous les formes écrite, verbale, et par abstention de l’autorité
administrative compétente. En France, « le droit administratif, nul ne l’ignore,
est un droit fondamentalement jurisprudentiel »177. C’est un droit qui est allé plus
loin dans sa constitution en adoptant «de nouvelles règles encore inédites dans la
matière »178. C’est dans l’une des formes que l’Administration active est en
droit de pourvoir à la répétition de l’indue des fonds attribués à la
campagne électorale auprès du parti politique. Car les fonds publics
attribués à la propagande électorale n’ont été pas utilisés selon les termes
de leur allocation par l’État. La décision exécutoire pris en l’espèce se pose
alors comme « un acte de répétition de l’indue au profit de l’administration »179. Par
arrêt n°1/A du 16 octobre 1968, Meka Charles c/ État du Cameroun ; jugement n°19/CS/CA
du 29 janvier 1976, Koulou Maurice c/État du Cameroun ; jugement n°131/CS/CA du 26
septembre 1991, Société Simplex Cameroun c/État du Cameroun
177 G. TEBOUL, « Quelques brèves remarques sur la création du droit par le juge
dans les États de l’Afrique noire francophone : Le cas du Cameroun », in M. ONDOA, P.-
E ABANE ENGOLO (dir.), Les fondements du droit administratif camerounais, Paris,
L’Harmattan, 2016, p.96.
179 U.-N. EBANG MVE, « L’ordre de recette en droit public camerounais », RADSP, Vol.
180 S. GUINCHAR., Th. DEBARD (dir.), Lexique des termes juridiques, 25ème éd., op.cit., p.
1862.
181 G. CORNU., Vocabulaire juridique, 18ème éd., op.cit., p. 2194.
182 R. CABRILLAC (dir.), Dictionnaire du vocabulaire juridique, 1ère éd., op.cit., p. 268.
348
Conclusion
Au sortir de cette réflexion, le droit électoral donne l’occasion de
déterminer l’une des matières d’éviction de la neutralité de l’État au
Cameroun. L’animation du processus électoral, l’affirmation de l’élection
comme une opération administrative viennent davantage renchérir cette
idée. A côté de la participation matérielle au processus électoral, l’État
apporte un soutien conséquent à la ventilation financière de la campagne
aux élections politiques nationales. Ces explications convergent vers
l’inscription sélective des dépenses de la campagne électorale dans la loi de
finances et la restitution mitigée des fonds publics attribués à la réalisation
de ladite campagne. Sur ces points, deux constats majeurs se dégagent.
Premièrement, l’État adosse la grande partie des charges financières
de la campagne aux élections politiques nationales au Cameroun. La
répartition des dépenses financières de la propagande électorale s’avère
inégalitaire entre les candidats ou les partis politiques et l’État. Les
candidats ou les partis politiques se contentent de charges financières
minimes lesquelles n’affectent pas considérablement leur budget de
fonctionnement ainsi que leur patrimoine. Sous une échelle, les charges
financières de l’État se situent à un niveau plus élevé que celles réservées
aux partis politiques au Cameroun.
Deuxièmement, toutes les élections politiques nationales
n’admettent la restitution intégrale des sommes reçues au titre du premier
versement de la campagne électorale. Cette exigence s’applique
formellement et exclusivement à la campagne de l’élection présidentielle au
Cameroun. Nonobstant la constatation des lacunes à la disposition
législative en cause183, les concernés doivent restituer lesdites sommes au
trésor public exclusivement. Ainsi en dépit des règles communes à ces
élections subsistent corrélativement des règles spécifiques. Dans ce sens, il
est observé la place centrale qu’offre le trésor public dans la restitution des
fonds publics de campagne à l’élection présidentielle. Il n’est donc pas non
pertinent d’y mener une réflexion approfondie dans le contexte
camerounais.
ABSTRACT:
Competence of the qualification and the sanction of the management fault is attributed to
the Budgetary and Financial Disciplinary Council. On reading the provisions of the
aforementioned law n°74/18 and sections 105, 106 and 107 of the Public Procurement Code
of 2004, it appears that the mismanagement is a violation of the legal rules governing the
administrative, contractual and financial activity. Public figures. It is therefore in the light of
these textual clarifications that the CDBF based its dual assessment of the management fault: a
fault of an incidentally administrative and mainly financial nature. Administratively,
management misconduct results from the violation or non-fulfillment of contractual obligations by
public bodies and the breach of statutory obligations. Financially, it results from the abnormal
execution of public revenue and expenditure, as well as the mismanagement of public goods.
There is a lack of management before the CDBF, when a public credit manager, in his
contractual administrative activity or in his financial management, results in an impoverishment
of public power without the agent himself necessarily enriched.
Keywords: Authorizing officer, public policies, substantial formalities.
350
Introduction
Contrôler la gestion des finances publiques est une nécessité, en
raison des masses financières en jeu et de la nature particulière des recettes
des administrations, essentiellement constituées des prélèvements
obligatoires1. Ainsi, la médiatisation croissante des cas de mauvaise gestion
publique suscite des réactions parfois contradictoires. A cet effet,
l’organisation du contrôle des finances publiques expose un double
schéma des dispositifs de contrôle et d’audit qui visent à détecter les
insuffisances de la gestion publique et les éventuelles irrégularités2. Ce
contrôle expose aussi des mécanismes de sanction, autrement dit le régime
de responsabilité de dirigeants, élus et agents publics en matière de faute
de gestion3. Ainsi, l’étude de la faute de gestion devant le Conseil de
Discipline Budgétaire et Financière au Cameroun soulève d’importants
points d’analyse.
Parler de la faute de gestion, c’est viser les infractions « aux règles
relatives à l’exécution des recettes et des dépenses de l’Etat, des collectivités et des
établissements et organismes » ; ou « violation des règles relatives à la gestion des biens
ou des règles fiscales »4. En cas de conflit, il revient au Conseil de Discipline
Budgétaire et Financière5 d’en apprécier librement les faits afin de les
qualifier, et aujourd’hui, cette compétence est aussi attribuée à la Chambre
des Comptes de la Cour Suprême depuis la réforme du régime financier de
l’Etat et des autres entités publiques en 20186. A l’analyse de ces textes, il
ressort que la portée novatrice de la loi de 74 a été très sensiblement
atténuée en raison des exceptions considérables apportées à la liste des
personnes justiciables devant le CDBF. Cette situation a été réglée par
l’adoption récente de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant Régime
Financier de l’Etat et des autres entités publiques. Avec cette loi, et dans
l’attente d’un texte d’application ainsi que d’un code des juridictions
financières, tous les ordonnateurs devraient être justiciables devant une
juridiction financière unique, en l’occurrence la juridiction des comptes. A
la vérité, avec l’érection de la chambre des comptes comme instance
compétente pour connaitre de la faute de gestion des ordonnateurs, le
CDBF est appelé, soit à disparaitre, soit à faire partie intégrante de la
Chambre des comptes et non du Contrôle Supérieur de l’Etat.
La faute de gestion n’est pas une notion aisée à cerner.
Généralement elle recouvre toute action ou omission de l’ordonnateur ou
1 François ADAM, Olivier FERRAND, Rémy RIOUX, Finances Publiques, Paris, Dalloz,
2010, 3e éd., p. 291.
2 Ibid.
3 Ibid.
4 Raymond MUZELEC, Finances publiques, Paris, Sirey, 2009, 15e éd., p. 46.
5 Art. 2 de la loi n°2008/028 du 17 janvier 2008 portant organisation et fonctionnement du
constitutifs d’une infraction avec l’intention que ces faits aient pour conséquence la réalisation de
l’infraction ».
11 Ibid.
352
La certitude de cette affirmation se justifie par l’utilisation d’une
méthode juridique dans ses deux variantes telle que esquissées par Charles
EISENMANN, notamment la dogmatique et la casuistique. Ainsi,
l’analyse du dispositif normatif et de la pratique jurisprudentielle, la lecture
des contributions doctrinales, nous conforte de la définition de la faute de
gestion devant le CDBF. Dès lors, la faute de gestion sera analysée comme
un manquement principalement financier (II) et accessoirement
administratif (I).
I. La faute de gestion, un manquement de nature accessoirement
administrative
Aux termes des dispositions des articles 3 et 6 de la loi n°74/18 du
5 décembre 1974 relative aux contrôle des ordonnateurs, gestionnaires et
gérants des crédits publics et des entreprises d’Etat et celles de l’article 88
(2) de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant Régime Financier de
l’Etat et des autres entités publiques, le législateur camerounais opère une
énumération limitative des irrégularités constitutives de faute de gestion. Il
ressort du rapprochement de ces normes que la faute de gestion est une
transgressions des dispositions juridiques régissant l’activité administrative
et contractuelles12.
En effet, la gestion des organismes administratifs est assise sur des
normes dérogatoires au droit commun. Celles-ci sont regroupées par
Maurice Hauriou autour du concept de régime administratif13. A cet effet,
et à la lumière des dispositions de la loi de 1974 sus-évoquées, il ressort
que la faute de gestion résulte de l’inexécution de leurs obligations
contractuelles par les personnes publiques. D’autres fautes de gestion
consistent dans le manquement à leurs obligations statuaires par les
administrateurs des entreprises publiques14.
Il sera question ici d’étudier les manquements aux règles formelles
de l’ordonnateur d’une part (A) et aux obligations contractuelles d’autre
part (B).
A. Les manquements aux règles formelles de gestion
La faute de gestion constitue une transgression des prescriptions
juridiques régissant l’activité administrative, contractuelle ainsi que la
gestion saine des opérations financières des personnes publiques15. Pour
ne tenir qu’au cas précis de la gestion administrative, il ressort des articles
susmentionnés, que la faute de gestion résulte de l’inexécution des
p. 369.
14 AKONO ONGBA SEDENA, « La distinction entre la faute de gestion et le
353
obligations textuelles, qui peuvent être légales, réglementaire, ou alors
statutaires.
En somme, la faute de gestion, dans son volet administratif, est une
transgression de bonne gouvernance administrative. Elle est commise
lorsqu’un agent public en vient à outrepasser les règles substantielles et
processuelles régissant l’activité contractuelle de l’administration ou d’un
organisme soumis à la réglementation des marchés publics, de même que
la violation des dispositions statutaires d’organismes publics16.
1. Le manquement aux règles formelles de gestion administrative
Le législateur camerounais a élaboré de manière précise, quoi que
limitative, le dispositif normatif en matière d’irrégularités de gestion. Le
manquement aux règles formelles de gestion administrative se manifeste le
plus souvent lors de la phase d’exécution des dépenses. Il sera alors
question d’analyser la violation des règles formelles d’exécution des
dépenses et des obligations règlementaires et statutaires.
En effet, le manquement aux règles formelles de gestion de biens
publics se caractérise par un certain nombre d’irrégularités, surtout en
matière d’exécution des dépenses. Il peut s’agir par exemple des
manquements liés aux règles de l’engagement, la modification irrégulière
de l’affectation des crédits ou même encore de l’absence des documents
constituant une base légale de la dépense.
Le manquement à l’acte d’engagement est une infraction budgétaire
spéciale qui rend responsable toute personne ou tout ordonnateur l’ayant
pris en infraction à la réglementation en vigueur. Il faut préciser que
l’engagement, dans ce cas précis est effectué par un ordonnateur
régulièrement nommé et se limite dans le cadre de la comptabilité
publique. L’on retient un certain nombre d’irrégularités en matière
d’engagement notamment : le défaut d’engagement, le cas de l’engagement
sans y être habilité, même s’il n’a pas été exécuté17 ; et l’observation des
irrégularités dans l’engagement.
Par définition, le défaut d’engagement est un refus ou une omission,
volontaire ou non, de l’émission de titre susceptible d’enrichir l’Etat, mais
qui porte plutôt atteinte aux intérêts de la puissance publique. Le fait de ne
pas engager peut, dans une certaine mesure, entrainer des pertes de
recettes à une personne morale de droit public18, même s’il ne consiste pas
en lui-même une aliénation de la chose publique. Le défaut d’engagement
peut aussi prendre d’autres significations comme dans le cas où il y a eu
engagement, mais dans un cadre dépourvu de tout marché régulièrement
approuvé et en l’absence de crédits disponibles. Il en est de même de
16 Idem. p. 265.
17 Idem, p. 234.
18 AKONO ONGBA, « La distinction entre la faute de gestion et le détournement des
19 Toute chose qui est contraire à l’article 11 de l’ordonnance organique de 1959 relative
aux lois de finances qui prévoit le caractère limitatif des crédits, et violation de l’art. 97 du
Règlement Général de la Comptabilité Publique (limitativité des crédits de l’Etat, sauf
exception). Lire Cour de Discipline Budgétaire et Financière, 23 avril 2003, TGI de
Marseille, Revue du Trésor, janvier 2004, n°1, p. 54, note LASCOMBE et
VANDENDRIESSCHE ; Nicolas GROPER, La responsabilité des gestionnaires publics devant le
juge financier, Paris Dalloz, 2009, p. 195.
20 Articles 3 et 6 de la loi de 1974, op.cit.
21 Nicolas GROPER, La responsabilité des gestionnaires publics devant le juge financier, op. cit., p.
234.
22 Idem, p. 191.
355
« modification irrégulière de l’affectation des crédits ». C’est d’ailleurs ce que retient
le conseil dans son jugement n°00017 du 4 mars 200923.
Quant à l’absence des documents, il faut établir la différence entre
l’absence des documents nécessaires et l’absence des pièces justificatives.
La première est une violation statutaire fondée sur le défaut de mise en
place d’un acte d’instruction ou d’enseignement nécessaire, un écris
contenant un élément de preuve ou d’information (archives, instruments,
écritures, registre, journal…)24. La seconde par contre est une violation des
obligations légales, et qui désigne dans ce cas spécifique, le défaut de
preuves de justification de la prise d’une décision25.
Dans la pratique et s’agissant donc de l’absence de certains
documents nécessaires, le CDBF l’a relevé et précisé dans l’affaire de l’ex-
délégué du gouvernement auprès de la communauté urbaine de Limbe et
de ses trois collaborateurs, du 13 juin 2012 en ces termes : « non-institution
d’un registre de délibération du conseil de la communauté en violation des prescriptions
légales et une autre réglementaires »26. Dans une autre décision concernant l’Ex-
Directeur des infrastructures, de la planification et du développement de
l’Université de Yaoundé 2, MAYAGI Paul Marcel, le conseil retient : « la
violation de l’exécution de marchés, nonobstant l’absence de cahier de charge »27. On
comprend alors que les irrégularités manifestes aux règles formelles de la
gestion administrative sont aussi importantes que les manquements aux
obligations règlementaires et statutaires.
2. Le manquement aux obligations règlementaires et statutaires
En effet, l’une de violation des dispositions légales est le
manquement aux obligations du contrôle financier. C’est une irrégularité
qui incrimine toute personne qui aura engagé une dépense sans respecter
les règles applicables en matière de contrôle financier. Il existe plusieurs
cas de violation en ce sens.
2012, LIFANDA Samuel EBIAMA du 13 juin 2012, op.cit., faute de gestion n°2.
32 Décision n°00001/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS/BSAS du 22 mars 2013,
africains d’administration publique, Paris, LGDJ, Bibliothèque africaine et malgache, 1986, pp.
328-342.
37 Décret n°2004/275 du 24 septembre 2004, portant Code des marchés publics. Lequel
décret a été abrogé par celui n°2018/366 du 20 juin 2018 portant Code des Marchés
Publics.
358
Il n’est pas surprenant que la procédure d’achat public donne lieu
fréquemment à des irrégularités. Car le nombre d’opérations effectuées est
considérable. Les violations portent généralement soit sur les procédures
de clause du contrat, soit sur les obligations du contrôle. Ainsi, l’article105
du code des marchés publics dispose que les violations des dispositions du
présent code sont considérées comme constitutives d’atteintes à la fortune
publique et sont sanctionnées conformément aux lois en vigueur38. Et
l’article 106 d’énumérer les infractions susceptibles d’atteinte à la fortune
publique. C’est d’ailleurs sur la base de cette énumération que le conseil
fonde ses décisions.
Avant toute conclusion ou toute réalisation d’un contrat de marché
public, il est indiqué une conduite formelle à observer, ce sans quoi le
contrat peut être entaché de vice de forme. L’irrégularité formelle peut être
constituée pour défaut de visa du contrôleur, ou d’autorisation d’un organe
compétant ; elle peut aussi être constituée pour défaut de qualité ou
absence de délégation à cet effet, défaut de fixation des modalités.
Plusieurs décisions du conseil concernent le vice de forme. C’est le cas
précisément de la violation de la réglementation des marchés publics et
conduite de l’entreprise dans des opérations manifestement ruineuses,
caractérisées par un contrat sans fixation de prix ayant induit un préjudice
financier d’un montant de 313.512.157 FCFA39.
Quant aux obligations matérielles de marchés publics, ce sont celles
qui touchent le fond de la matière. Dans les faits, elles se caractérisent par
les règles d’exécution et de contrôle de marchés publics. C’est donc à la
suite de transgressions de ces obligations qu’une irrégularité constitutive de
faute de gestion peut être retenue. Parfois aussi, certains cas se présentent,
non pas dans l’exécution des marchés, ni dans leur contrôle, mais se
caractérisant par une absence des marchés. De loin, les violations des
règles d’exécution des marchés publics sont les plus importantes à cause
de leur caractère substantiel. Parmi les cas les plus pratiques, on observe :
le fractionnement de marchés, passation d’un marché sans crédits
disponibles, certification et liquidation des dépenses sans exécution des
marchés, dépassement du montant des marchés, passation des marchés
avec des entreprises en déconfiture, détournement de l’objet des
marchés…40.
C’est dans ce sens que le CDBF observe dans ses décisions : la
passation d’un marché de forage sans études préalables41 ; l’attribution de
certains marchés et la signature de certains contrats sans appel à
portant sanction des responsabilités de Monsieur NGUINI EFFA Jean Batiste de la Salle,
op.cit., faute de gestion n°1.
45 Décision n°00001/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 22 mars 2013,
53 GROPER Nicolas, La responsabilité des gestionnaires publics devant le juge financier, op.cit. p. 179.
54 Idem, p.238.
362
systématique et volontaire dans l’exercice de leurs attributions de certains
éléments qui doivent être déclarés55. On peut avoir pour exemple le cas
d’un directeur qui ne déclare pas les indemnités de fonction de son
président du conseil d’administration, d’un ministre qui ne déclare pas les
frais d’enregistrement de tous les droits de son service, l’absence de
paiement des impôts et taxes par une collectivité publique...Même si une
omission de déclaration a fait l’objet d’une régularisation plus tard, elle
n’efface pas l’irrégularité. Comme on peut le voir dans une jurisprudence
française, de l’omission de déclaration, ayant pour effet la non application
de plafonnement de déduction forfaitaire et des frais professionnels
prévue par le code général des impôts ait fait l’objet de régularisations
ultérieures, est sans effet à l’existence d’une infraction56.
La responsabilité pour omission de déclaration fiscale qu’encourent
ces organismes est identique à celle découlant d’une mauvaise gestion des
deniers publics. Car l’absence de déclaration fiscale est une soustraction
des sommes d’imposition au trésor public que ces organismes ont
connaissance : d’où l’intervention du CDBF qui est une instance financière
et non fiscale.
C’est pourquoi il n’est pas surprenant de voir les décisions du
conseil en la matière : non soumission de 100 (cent) marchés d’une valeur
globale de 67.583.924.145 FCFA au régime fiscal en vigueur, d’où un
préjudice de 13.009.905.393 FCFA en terme de TVA et de TSR (Taxe
spéciale sur le revenu) non reversées au trésor public, ayant induit un
préjudice financier à la SONARA d’un montant de 15.342.191.729
FCFA57 ; paiement de prestation toutes taxes comprises (TTC) et sans
retenue à la source des impôts et taxes y afférents pour un préjudice
financier de 135.321.638 FCFA58.
Par ailleurs, l’insuffisance de déclaration fiscale est caractérisée des
manipulations sur la déclaration et la sous information sur la matière
déclarative ; fausse déclaration ou déclaration erronée de la part d’un agent
public ; des déclarations inexactes ; de déclarations incomplètes ;59 ou
même alors la déclaration tardive.
Par ailleurs, les créances de l’Etat sont des recettes dont le non-
respect des règles de recouvrement et de gestion peut être qualifié
d’irrégularité de gestion au sens de la loi n°74/18. On peut souvent
239.
363
observer dans ce sens les cas de non-recouvrement ou de recouvrement
tardif ou partiel et même parfois du non-reversement de recettes dans la
caisse de l’Etat.
En effet, la violation des règles de non-recouvrement d’une créance
découle souvent d’une disposition contractuelle ayant ouvert un droit en
faveur de la structure concernée, voire d’un principe de gestion. Car ne pas
recouvrer une créance due est contraire aux intérêts matériels de
l’organisme. L’irrégularité en matière de recouvrement d’une créance
constitue par ce fait une faute de gestion au regard de cette violation du
principe d’intérêt public. Il existe de nombreux cas de non-recouvrement
de recettes : le cas de l’absence de mise en recouvrement de majorations,
de retards dus à une caisse de sécurité sociale. Le conseil relève dans sa
décision n°00017/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 9 mars
2009, la négligence dans le recouvrement de certaines recettes locatives
pour un montant de 15.000.000 FCFA60.
A côté du non-recouvrement de recettes, apparait le non-
reversement ou le reversement tardif de recettes dans la caisse de l’Etat.
Ici, les créances sont recouvrées mais elles ne sont pas acheminées dans la
caisse de l’Etat, ou du moins pas à temps. C’est ce qui se lit dans la
décision n°00015/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 9 mars
2009 du CDBF, en ces termes : le défaut de reversement à la caisse du
siège de la SCDP de la somme de 43.000.000 FCFA61. Dans une autre
affaire, le conseil fait le rapport entre les cas et trouve une dissimulation de
recettes provenant de la vente d’huile et de tourteaux ayant induit chacune
respectivement un préjudice financier de 1.500.195.782 FCFA pour la
première et de 1.360.902.379 FCFA pour la société62. De même que dans
l’affaire TABI Manga, le conseil a retenu le non reversement des impôts,
ayant généré un préjudice financier pour l’Université, d’un montant de
39.470.687 FCFA63.
2. Le manquement aux règles de gestion des recettes
La méconnaissance de règles de gestion de recettes est d’un
caractère général au même titre que le non-respect de règles de protection
des finances publiques. Elle englobe un certain nombre de faits contraires
à la réglementation financière. Il s’agit notamment des cas de non-respect
de règles de la prise en charge des recettes, des emprunts irrégulièrement
67 GROPER Nicolas, La responsabilité des gestionnaires publics devant le juge financier, op.cit. p. 250.
68 Idem., pp. 244.
69 Décision n°00021/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 11 mars 2009, affaire
sanction des responsabilités de Monsieur IYA Mohamed, op.cit., faute de gestion n°11.
72 Décision n°00001/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 22 mars 2013,
181.
366
publique74 . Cette nature de faute peut faire l’objet d’un autre jugement par
le juge répressif si le détournement est fondé à titre personnel comme dans
le cas IYA Mohamed.
B. Les irrégularités relatives aux règles des dépenses
C’est à l’occasion des opérations d’exécution des dépenses
publiques que la plupart des irrégularités sont commises dans la gestion,
ou la plupart des irrégularités ont une conséquence en termes de dépense.
L’on appréhende la faute de gestion comme un acte illicite supposant la
réunion d’un triple critère, à savoir matériel, d’illicéité et moral. Il s’agira
alors d’examiner les manquements relatifs aux règles d’exécution des
dépenses, ainsi que ceux liés aux opérations financières.
1. Le manquement relatif aux règles d’exécution des dépenses
Dans cet ensemble, plusieurs sous-catégories peuvent être
distinguées et cette catégorisation ne respecte pas les textes et connait ses
limites. Car une même action peut tomber sous le coup de plusieurs
catégories, l’objectif étant simplement de structurer le foisonnement des
cas de figure qui peuvent se présenter pour permettre aux praticiens de
retrouver plus facilement la jurisprudence existante pour un cas déterminé.
On peut observer plusieurs cas de violation des règles d’exécution
des dépenses telles le dépassement des crédits sans autorisation, du
dépassement de crédits limitatifs (du budget de l’Etat)75, de l’engagement
juridique en l’absence de crédits budgétaires (le cas d’une décision par
simple ordre de service, de poursuivre un marché alors que les aspects
techniques et financiers avaient entièrement changé et que les crédits
supplémentaires n’étaient pas disponibles)76 et le fait de mener des
opérations, se traduisant par de dépenses qui excédaient manifestement
l’objet assigné à l’organisme en cause. La Cour de Discipline Budgétaire et
Financière française est largement claire dans ses jugements en matière
d’irrégularités budgétaires. Le non-respect d’équilibre budgétaire applicable
à l’établissement ; engagement au-delà de crédits disponibles77 ; dépenses
effectuée en l’absence de crédits ouverts78 ; et le cas également du
Marne. Cf. GROPER Nicolas, La responsabilité des gestionnaires publics devant le juge financier,
op.cit., 192.
78 Cour de Discipline Budgétaire et Financière, 20 avril 1988, Caisse Interprofessionnelle de
retraite des commerçants détaillants de la région parisienne (CIRCD), recueil Lebon, p. 546.
367
dépassement de crédits sans autorisation votés par l’organe compétant79.
La sanction de la faute de dépassement de crédits fait partie des règles de
protection des finances publiques. Le conseil se base surtout sur les
irrégularités de dépenses en vue de dissimuler un dépassement de crédit,
comme l’engagement de dépenses sans avoir le pouvoir ou sans avoir reçu
délégation de signature à cet effet. Toute personne qui aura enfreint les
règles relatives à l’exécution de recettes et de dépenses de l’Etat ou des
collectivités, établissements et organismes public, ou à la gestion de biens
leurs appartenant, aura donné son approbation aux décisions incriminées,
sera passible d’une amende prévue par les textes80.
Le conseil a par exemple retenu dans l’affaire NGUINI EFFA, le
dépassement sans autorisation des crédits votés par le Conseil
d’Administration81. A titre de comparaison, la cour de discipline française a
retenu dans l’affaire « service de la navigation de Strasbourg » comme exemple
des sanctions prononcées pour les irrégularités commises par les
fonctionnaires de l’Etat dans l’engagement et l’exécution des dépenses
publiques. Les dépenses engagées par l’ingénieur en chef après la
délivrance de l’ordre de service en cause ont en effet excédé les
autorisations budgétaires. La cour de conclure, « le volume des travaux et par
conséquent le coût, évoluant de façon telle qu’il demeurait très largement supérieur tant
au montant des autorisations de programme affectées par l’administration centrale qu’au
montant des marchés en cour »82.
Par ailleurs, le manquement aux règles d’exécution des dépenses
trouve sa concrétisation dans l’exécution des marchés publics. Dans ce
cadre, on rencontre des cas des contournements des règles de marchés
publics, ou même l’absence de marché ou la passation de marchés après la
réalisation de la prestation. Il n’est pas surprenant que les procédures
d’achats et de contrats publics donnent lieu fréquemment à des
irrégularités. En effet, le nombre d’opérations effectuées est considérable
d’une part, et d’autre part, la règlementation applicable à cette branche de
la gestion publique est particulièrement foisonnante et instable83. Ainsi, les
règles des marchés publics, dans leur réalisation, se heurtent à des
violations qui portent atteinte aux intérêts de la puissance publique.
Par ailleurs, le conseil retient dans une autre affaire, la violation de
règles de marchés publics caractérisée par la signature d’un contrat sans
Nicolas, Les Grands Arrêts de la Jurisprudence Financière, Paris, Dalloz, 5e éd., 2007, p. 452.
81 Décision n°00021/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 11 mars 2009, affaire
368
fixation de prix ayant induit un préjudice financier de 313.512.157 FCFA84.
Les décisions du conseil vont au-delà des cas susmentionnés.
En dehors d’irrégularités d’ordre procédural, les règles de marchés
publics rencontrent d’autres difficultés dans leur réalisation, parfois
inexistante. Nombreux cas d’espèce illustrent un tel manquement : des
travaux commandés sans marché et absence de marché ; absence de
contrat écrit et l’exécution de prestation avant notification de marché ;
marché conclu après le début d’exécution ; commencement d’exécution
avant notification, pour ne citer que ces exemples.
Le conseil, suivant les cas susmentionnés, a sanctionné, dans deux
affaires similaires de la même année, la violation de la réglementation des
marchés publics à travers la certification des dépenses sans exécution
intégrale des prestations, objet de lettre de commande et de marchés
publics pour des montants respectif de 2.065.081 FCFA85 et de 491.885
FCFA86 et la violation des règles de marchés matérialisée par la
surfacturation de certaines rubriques du devis estimatif et quantitatif d’un
contrat ayant induit un préjudice financier de 33.597.852 FCFA87.
2. Le manquement relatif aux règles des opérations financières
Est constitutif d’une infraction aux règles financières, le fait de
mener des opérations se traduisant par des dépenses qui excédent
manifestement l’objet assigné à l’organisme en cause88. Ces opérations
trouvent leur justification dans des multiples jurisprudences. C’est ce qui
ressort d’ailleurs de l’affaire NGUINI EFFA Jean Baptiste de la Salle
« octroi de sursalaire sans base légale et sur des considérations subjectives pour un
montant de 10.3578.412 FCFA »89.
Est également considérée comme irrégularité de liquidation,
l’utilisation des crédits d’équipement via des subventions versées à un
établissement sous tutelle, pour couvrir les frais de fonctionnement. Ce qui
est contraire au principe de spécialité des crédits budgétaires90. C’est le cas
de l’engagement de certaines dépenses par simple bon de commande au
191.
89 Décision n°00021/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 13 novembre 2009,
45.000.000 FCFA.
93 Décision n°00001/ D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS du 22 mars 2013,
370
Globalement, elles concernent l’absence de diligence en vue de l’adoption
par la société d’un statut du personnel et d’un manuel de procédures
intégrant tous les aspects de gestion de la société ; la négligence dans le
suivi de certains dossiers …Faut-il comprendre encore que cette
négligence conduise à la non-atteinte de l’objectif visé. C’est d’ailleurs
l’objet de plusieurs décisions du Conseil en la matière comme on peut le
constater dans la décision n°
00016/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS100. Le plus important
ici est la non-atteinte de l’objectif visé qui n’est pas prévue par les textes,
mais dont le Conseil prend en considération. C’est une avancée indéniable
dans la démarche du Conseil qui expose l’étendu de sa compétence qui va
jusqu’à la vérification du niveau de résultat de la gestion d’un projet. C’est
ce qui ressort d’ailleurs de la décision n°
00021/D/PR/SG/CONSUPE/CDBF/SP/SGSAS, fautes de gestion
n°11 et 12101.
Conclusion
Au demeurant, le législateur camerounais envisage les actions
susceptibles d’être qualifiées de faute de gestion. Tel est l’objet des articles
3102 et 6103 de la loi n°74/18 du 5 décembre 1974, des articles 105, 106 et
107 du Décret n°2004/275 du 24 septembre 2004 portant Code des
marchés publics, abrogé par le décret n°2018/366 du 20 juin 2018 portant
code des marchés publics, ainsi que l’article 88 de la loi n°2018/012 du 11
juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités
publiques. A l’analyse de ces textes, deux éléments cumulatifs caractérisent
la faute de gestion devant le CDBF. Il s’agit, d’une part, de l’existence
d’une irrégularité, et d’autre part, que l’irrégularité porte atteinte aux
intérêts de la puissance publique. La notion d’irrégularité évoque un
comportement contraire à la règle de droit104. La loi n°2018/012
susmentionnée en fait juste un acte volontaire ou non, d’agent public,
contraire à l’intérêt général.
En substance, la faute de gestion apparait comme une violation des
règles de bonne gouvernance administrative et financière. Dans son volet
administratif, une faute est commise lorsqu’un agent public arrive à
entreprise d’Etat et préjudiciable à la puissance publique, ne ressortissant pas nécessairement des tribunaux
administratifs ou de commerce ».
104 AKONO OMGBA, « La distinction entre la faute de gestion et le détournement des
373
CHAMBRE DES COMPTES ET COMPTABILITE
PATRIMONIALE AU CAMEROUN
Par
Dr. Patrick Gérard SOROK A BOL
Ph.D en Droit Public/Université de Yaoundé II (Cameroun)
Inspecteur des Régies financières (Trésor).
RESUME :
ABSTRACT:
The present reflection proposes to determine the place of the Audit Bench of the Supreme
Court in the process of implementing asset accounting. It is inspired by the outcome of general
accounting largely inspired by the practices in force in the OHADA accounting system which
gives new missions to the Chamber of Accounts. This must now be based on a repository of
accounting and certification standards aimed at describing the faithful image of the assets of
public entities. However, the non-automatic nature of the entries in asset accounting, and above
all the part of subjectivity necessarily present in any valuation of assets, requires that the accounts
be reviewed by external persons who are both independent and competent. They must also have
broad investigative powers, a role that the Audit Bench of the Supreme Court could have played
effectively if it had enjoyed a greater degree of autonomy and sufficient skills to exercise its new
missions of asset accounting. Until such an orientation is adopted, the current observation is that
of a questionable positioning of the audit chamber of the Supreme Court which, leads to
formulate the wish of an institutional repositioning aimed at guaranteeing the effectiveness of an
nascent asset accounting and for which the new orientation is scheduled for January 1, 2022.
374
Introduction
« A peine de laisser sans sanction le droit financier »1, la loi fondamentale
camerounaise du 18 janvier 1996 crée la Chambre des Comptes et l’érige
en juridiction compétente pour contrôler et statuer sur les Comptes
publics et ceux des entreprises publiques et parapubliques2. Fondée sur le
maniement des fonds publics ou sur l’exercice des fonctions de comptable
public, la compétence de cette Chambre, comme partout ailleurs, est
d’ordre public. En effet, « Même en excipant de sa bonne foi ou de son ignorance
des juridictions établies par la loi »3, nul n’est en droit de se soustraire à
l’obligation de reddition des comptes4. C’est ainsi que le juge des comptes
est appelé à se saisir d’office de toutes les irrégularités constatées dans le
règlement du budget de l’Etat et des autres entités publiques5.
La mise en place d’une juridiction financière, qui n’est d’ailleurs pas
un fait nouveau dans la législation financière camerounaise6, est, il faut le
relever, indispensable à la performance des Finances publiques. On a pu
ainsi observer au fil du temps, une volonté manifeste des pouvoirs publics
de moderniser les institutions judiciaires et d’assainir les finances
publiques. Volonté concrétisée et ce, en application des dispositions
constitutionnelles7, par la promulgation des lois du 21 avril 2003 et du 29
décembre 2006, fixant respectivement les attributions, l’organisation et le
fonctionnement de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême et des
1 MARQUES DI BRAGA (P) et LYON (C), Traité des obligations et de la responsabilité des
comptables publics. De la comptabilité de fait, Paris, Société d’imprimerie et de librairie
administrative Paul Dupont, 1890, tome 1, p. 214.
2 V. Article 41 de la Constitution du 18 janvier 1996.
3 C.C., 28 Avril 1869, Commune de Boulogne-sur-Mer, Rec. 1878.
4 FROMENT-MEURICE (A), BERTUCCI (J.Y), GROPER (N), Les grands arrêts de la
de la république fédérale du Cameroun avait déjà créé une Cour fédérale des Comptes
auprès de la Cour Suprême. Celle-ci a été fonctionnelle entre 1962 et 1969, la loi n°69/LF/
du 14 juin 1969 de l’exercice budgétaire 1969-1970 ayant transféré ses attributions dès le 1er
Juillet 1969 à l’Inspection Générale de l’Etat.
Il faut relever par la suite que cette Cour composée de 4 membres, était numériquement
inapte à examiner avec efficacité les documents financiers dont le volume était sans cesse
croissant. A cela on peut ajouter que le Directeur du Trésor, devenu comptable public
principal après la réforme de la Comptabilité publique de mai 1967, n’a pas produit ses
comptes de gestion en raison sans doute du volume trop élevé des comptabilités
centralisées à son niveau, et du défaut d’informatisation des procédures comptables. Par
ailleurs, il occupait le poste de substitut du Procureur Général auprès de ladite Cour devant
laquelle il devait paradoxalement présenter son compte de gestion pour examen.
7 La révision constitutionnelle du 18 janvier 1996 va créer la Chambre des Comptes au sein
entités publiques.
10 Loi n°2007/006 du 26 décembre 2007 portant régime financier de l’Etat.
11 Article 86 (1) de la loi du 11 juillet 2018 portant Régime financier de l’Etat et des autres
entités publiques.
12 Il faut dire ici que le législateur de 2018 utilise astucieusement la dénomination « juridiction
transparence et la lisibilité des budgets et des comptes ; notamment par le passage d’une
logique de moyen à une logique de résultats ; par la fiabilité de la situation financière de
l’Etat et par l’adoption des choix stratégiques.
14 SOROK A BOL (P.G), « L’apport de la nouvelle Comptabilité à la gestion des Finances
publiques.
17 V. Article 75 (I) de loi de 2018 portant Régime financier de l’Etat et des autres entités
publiques.
18 LAMIOT (D), « La nouvelle comptabilité de l’Etat », Avant-propos, RFFP, n°93, 2006,
p. 8.
19 La comptabilité générale est commandée par la nécessité de décrire le patrimoine de
d’ouverture dont les biens inscrits sont les biens contrôlés par l’Etat. Cf. Article 30 du
décret n°2019/3199/PM du 11 septembre 2019 fixant le cadre général de présentation du
Plan Comptable de l’Etat.
21 L’article 86 (1) de la loi de 2018 portant Régime financier de l’Etat et des autres entités
22 V. Article 86 (3) de la loi de 2018 portant Régime financier de l’Etat et des autres entités
publiques.
23 Conseil Constitutionnel, Décision n°2001-448 DC du 25 juillet 2001, Loi organique
relative aux lois de finances, JO du 2 août 2001, p. 12490 ; FAVOREU (L) et PHILIP (L),
Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Paris, Dalloz, 2007, n°48.
378
conséquent préjudiciable à la comptabilité patrimoniale. Une telle
démonstration n’est possible qu’avec une méthode clairement définie.
L’option a été faite en faveur du positivisme analysé sous l’angle
pragmatique ou factualiste, avec un recours non moins important à la
jurisprudence financière. Une esquisse de réponse sur le rôle avenir de la
Chambre des Comptes dans le processus de maturation de la comptabilité
patrimoniale, conduit à mettre en exergue le constat d’un positionnement
institutionnel contestable (I), qui conduit à émettre le vœu d’un
repositionnement favorable à la comptabilité patrimoniale (II).
I. Un positionnement institutionnel contestable
L’initiative de reformer la comptabilité publique au Cameroun et
par extension dans l’espace communautaire CEMAC24, doit être saluée
dans la mesure où elle procède d’un souci de bonne gestion des finances
publiques. La Chambre des Comptes de la Cour Suprême occupe, par la
diversité de ses missions, une place qui est aujourd’hui essentielle dans le
contrôle des comptes publics. La consécration de la comptabilité générale
qui vise à restituer l’ensemble des mouvements affectant le patrimoine de
l’Etat25, implique que le résultat patrimonial26 soit évalué par des auditeurs
indépendants et compétents, disposant de véritables moyens de contrôle.
Si dans certains Etats, la juridiction des Comptes est souveraine et
indépendante27, au Cameroun, « la liberté d’esprit »28 de la Chambre des
Comptes est contestable. Le constat de son positionnement institutionnel
limité (A), permet de prévoir des conséquences défavorables à la mise en
œuvre pérenne de la comptabilité patrimoniale (B).
A. Le constat : une place limitée de la Chambre
Le positionnement institutionnel de la Chambre des Comptes de la
Cour Suprême tel que voulu par le constituant29, est défavorable à la mise
en œuvre efficace de la Comptabilité patrimoniale. Pour effectuer sa
mission d’assistance à l’exécutif et de contrôle des comptes publics, la
Chambre des Comptes doit désormais s’appuyer sur un référentiel des
24 Lire à ce sujet les nombreuses directives du cadre harmonisé de gestion des finances
publiques dans la zone CEMAC édictées en 2011.
25 Article 73 (1) de la loi de 2018 portant Régime financier de l’Etat et des autres entités
publiques.
26 Le résultat patrimonial est dégagé par les états financiers, notamment : le bilan, le compte
États. Regards croisés sur la conception occidentale de la liberté. Liber amicorum en l'honneur de Jacques
GEORGEL, Rennes, éditions Apogée, 1998, pp. 231-252.
29 V. article 28 Constitution camerounaise de 18 janvier 1996.
379
normes comptables proche de celui des entreprises30. Une exigence à
laquelle la chambre tarde à s’adapter (2), encore que même dans l’exercice
de sa mission originelle de juge des Comptes publics, ses possibilités
d’action sont fortement limitées (1).
1. Un statut institutionnel dépendant
Même si la Constitution du 18 janvier 1996 dispose que « la Chambre
des Comptes statue souverainement »31, il reste que son statut de juridiction
indépendante est discuté. A l’analyse, il s’agit d’une institution qui n’est pas
à égale distance de l’Exécutif. L’imbrication de la Chambre des Comptes
dans l’édifice juridictionnel de la Cour Suprême, s’interprète comme
instaurant une position d’infériorité mal conciliable avec l’indépendance
énoncée. Les magistrats du siège et du parquet étant nommés par décret
présidentiel32.
L’indépendance questionnée est celle conférée par la Constitution33.
Elle résulte du pouvoir judiciaire exercé par la Cour Suprême, laquelle
comprend, en tant que haute juridiction en matière de Comptes, une
Chambre des Comptes34. On peut donc lire que, le pouvoir judiciaire qui
est exercé par la Cour Suprême est indépendant du pouvoir exécutif et
législatif35. On peut paradoxalement lire ainsi que le précise l’article 37 (3)
de la constitution, que « le Président de la République est garant de l’indépendance
du pouvoir judiciaire ». La garantie de l’indépendance du pouvoir judiciaire
par le Président de la République se concilie mal avec le principe de la
séparation des pouvoirs. En disposant ainsi, le constituant a explicitement
fragilisé le pouvoir judiciaire et donc la Cour Suprême et les Chambres qui
la composent. Ce constitutionnalisme, que le Professeur Joseph OWONA
qualifie de « rédhibitoire »36, entame considérablement l’indépendance de la
Cour Suprême et fragilise par conséquent la Chambre des Comptes dans
sa posture de contrôleur et juge des Comptes publics. Difficile avec les
attributs du statut de magistrat à garantir l’impartialité des prises de
30 La comptabilité générale de l’Etat est régie par un ensemble de 14 normes inspirées des
normes IPSAS (International Public Sector Accounting Standard), IFRS (International
Financial Reporting Standard) et communautaires.
31 V. article 41 Constitution camerounaise de 18 janvier 1996.
32 Article 18 loi du 21 août 2003, fixant les attributions, l’organisation et le fonctionnement
de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême. Pour aller loin, lire HOURQUEBIE (F),
« L’indépendance de la justice dans les pays francophones », Les Cahiers de la justice, 2012/2,
n°2, pp. 41-61 ; FALL (A. B.), « Les menaces internes à l’indépendance de la justice », in
L’indépendance de la justice, Actes du deuxième congrès de l’Association des hautes
juridictions de cassation des pays ayant en partage l’usage du français, Dakar, 7-8 novembre
2007, Cour de cassation du Sénégal–OIF, 2008, Dakar, Sénégal, pp. 47-75.
33 Article 37 (2), Constitution camerounaise du 18 janvier 1996.
34 V. article 38, Constitution camerounaise du 18 janvier 1996.
35 Article 37 (2), Constitution camerounaise du 18 janvier 1996
36 OWONA (J.) « L’essor du constitutionnalisme rédhibitoire en Afrique noire. Étude de
services publics et organismes publics, ainsi que les organismes qui bénéficient de concours
financiers publics.
41 Article 41 Constitution du 18 janvier 1996. Allusion est faite ici aux Tribunaux régionaux
des Comptes.
42 Article 86 (1) de la loi du 11 juillet 2018 portant Régime financier de l’Etat et des autres
entités publiques.
43 Article 2(1) loi n°2003-005 du 21 avril 2003 fixant les attributions, l’organisation et le
Comptes dans les institutions de l’Etat. Cette décision consacre le statut de juridiction
indépendante : Cons. Const. n°2001-448 DC, 25 Juillet 2001, Décision sur la loi organique
relative aux lois de finances, op. cit.
48 Article 17 de la loi du 23 août 2003 fixant les attributions, l’organisation et le
382
émanant de l’exécutif. Encore que « l’indépendance ne caractérise pas seulement le
statut de la juridiction ; elle inspire d’abord l’esprit dans lequel travaillent ses
membres »51. Il en ressort que la compétence de la Chambre des Comptes en
tant que contrôleur et juge des Comptes publics est fortement limitée.
Toute chose ne permettant pas de vérifier la régularité des comptes qui
retracent le maniement des deniers publics. Une lacune qui devrait
davantage se complexifier avec l’émergence des nouvelles missions, fruit
de la réforme de la Comptabilité publique.
b. Une difficile prise en compte des compétences nouvelles
Avec la mise en œuvre de la loi portant Régime financier de l’Etat et
des autres entités publiques, la Chambre des Comptes devrait en principe
exercer ses missions d’assistance, de contrôle et de Juge des Comptes sous
un jour nouveau, et ce, à l’aune de deux principes : la recherche de la
performance de l’action publique d’une part, et le souci de la qualité de
l’information financière, d’autre part. Dans ce contexte nouveau
d’évolution sensible des missions de Chambre des Comptes, son
positionnement institutionnel reste inchangé. Un positionnement plus
dépendant de l’exécutif qui pourrait être un facteur d’évanescence de la
Comptabilité patrimoniale.
Il convient de souligner que la loi portant Régime financier de 2018
a modifié la nature de la contribution de la Chambre des Comptes au
Contrôle juridictionnel des opérations budgétaires et Comptables des
administrations publiques. Sans la nommer explicitement52, le régime
financier consacre entre autres, les missions d’assistance du parlement dans
le contrôle de l’exécution des lois de finances53 ; de certification de la
régularité ; la sincérité et la fidélité du Compte général de l’Etat54 ; du
jugement des ordonnateurs ; des contrôleurs financiers et des comptables
publics55 ; du contrôle de la légalité financière et la conformité budgétaire
52 La loi du 11 juillet 2018 portant Régime financier de l’Etat et des autres entités publiques
parle de juridiction des Comptes : cf. article 88 (1).
53 Concrètement cette mission consiste à l’obligation de répondre aux demandes
financiers tout comme l’a initialement été les Comptables publics sont justiciables de la
Chambre des Comptes. La nouvelle comptabilité fait naître une fonction comptable
383
de toutes les opérations de dépenses et de recettes de l’Etat ; de
l’évaluation de l’économie ; l’effectivité et l’efficience de l’emploi des fonds
publics au regard des objectifs fixés ; des moyens utilisés et des résultats
obtenus ainsi que la pertinence et la fiabilité des méthodes, indicateurs et
données permettant de mesurer la performance des politiques et
administrations publiques56.
En vue de la connaissance du patrimoine public et partant, de la
capacité de l’Etat à faire face à ses engagements, la comptabilité
patrimoniale prévoit l’inscription au bilan de l’Etat, de tous les flux de
gestion portant sur les actifs non financiers, les dettes et créances57. La
Chambre des Comptes devra certifier, comme il a été indiqué58, la
régularité, la sincérité et la fidélité des Comptes de l’Etat. La certification
n’est que la conséquente naturelle du passage à une Comptabilité
générale59. Il faut dire qu’établir les états financiers répondant aux normes
de la Comptabilité d’exercice suppose de compléter les enregistrements
comptables des opérations de recettes et de dépenses par des
recensements et des évaluations.
Ainsi, la part de subjectivité présente dans les opérations de
recensement et d’évaluation du patrimoine de l’Etat, le caractère non-
automatique des écritures comptables60, imposent que les comptes soient
revus par des magistrats non seulement indépendants, mais aussi
compétents et disposant d’importants moyens d’action. La Chambre des
Comptes, dans le cadre de cette nouvelle comptabilité, doit être capable
d’apprécier la qualité du dispositif comptable et traduire le plus fidèlement
possible des évènements parfois complexes et ne pouvant être
appréhendés objectivement par la nature contradictoire d’une transaction
constatée entre des entités indépendantes.
Pour effectuer cette mission, la Chambre des Comptes devra
s’appuyer sur un référentiel des normes comptables et un référentiel de
publique.
58 Article 86 (3) de la loi du 11 juillet 2018 portant Régime financier de l’Etat et des autres
entités publiques.
59 MORDACQ (F), La LOLF : un nouveau cadre budgétaire pour réformer l’Etat, Paris, LGDJ,
2006, p. 362.
60 Dans le cadre de la comptabilité patrimoniale, certains mouvements affectant la situation
financière de l’Etat, résultent d’évènements qui ne donnent pas lieu au cours de l’exercice à
des enregistrements comptables. C’est ainsi soit parce que le dispositif comptable n’est pas
suffisamment près des évènements, soit parce que ces évènements ne sont pas eux-mêmes
des opérations. La survenance desdits évènements peut avoir un impact sur la situation
financière comme par exemple l’apparition d’un risque, la dégradation des actifs physiques
ou la perte de valeur d’un actif financier. Il est alors nécessaire de comptabiliser les
conséquences de la manière la plus juste possible dès lors que le fait générateur est
intervenu avant la date de clôture.
384
certification. Il semble peu évident que cette compétence rationae materiae
dévolue à ladite Chambre s’exerce efficacement, les magistrats des
comptes ne s’étant pas encore suffisamment appropriés les règles de la
comptabilité patrimoniale lesquelles, il faut le dire, sont empreintes de
technicité. L’absence d’initiation, de formation à ces règles comptables
nouvelles, peut constituer un obstacle au jugement efficace des comptes
publics. La lecture et la traduction des états financiers que constituent avec
la balance des comptes, le Compte général de l’Etat, nécessitant des
connaissances pointues. Connaissances dont les membres de la Chambre
des Comptes tardent à se doter effectivement. Une situation qui aura
forcément des conséquences néfastes sur les finances publiques.
B. L’incidence : une portée mitigée de la comptabilité patrimoniale
L’avènement de la comptabilité patrimoniale va faire naître de
nouvelles missions à la Chambre des Comptes. D’abord limitée à la
régularité des recettes et des dépenses décrites dans les comptabilités
publiques, ce contrôle va devenir aussi celui du bon emploi des crédits,
fonds et valeurs fixés par les administrations publiques. Toutefois, la mise
en œuvre efficace de la comptabilité patrimoniale, fruit de la réforme
comptable, nécessite que la Chambre des Comptes de la Cour Suprême
soit dotée des garanties d’indépendance suffisantes, et surtout que ses
membres s’approprient effectivement les règles de cette nouvelle
Comptabilité. La posture actuelle de la Chambre est donc défavorable à la
mise en œuvre efficace de la Comptabilité générale61, et pourrait par
conséquent avoir un impact négatif sur la performance de l’action publique
(1) et sur la qualité de l’information financière (2).
1. Une performance de l’action publique hypothéquée
La comptabilité de l’Etat est organisée en vue de vulgariser la
connaissance et le contrôle des opérations budgétaires des opérations de
trésorerie et de financement ; la connaissance de la situation du patrimoine
et des opérations de régularisation ; l’analyse des coûts des différentes
actions engagées dans le cadre des programmes ; la détermination des
résultats annuels62, l’intégration des opérations dans la comptabilité
nationale63. L’objectif visé est la performance de l’action publique, une
performance qui doit ainsi être garantie par la Chambre des Comptes.
En effet, c’est elle qui devrait s’assurer de la sincérité des
enregistrements comptables et du respect des procédures. C’est encore elle
qui devrait assurer le respect des principes et règles de la profession
61 Comme il a été indiqué plus haut, la comptabilité générale de l’Etat a pour objet de
décrire le patrimoine de l’Etat de son évolution. V. article 105 (1) du décret n°2020/375 du
7 juillet 2020 précité.
62 Résultat à soumettre en fin d’année à la certification de la Chambre des Comptes. Ces
385
comptable64. La Chambre des Comptes dans le cadre de l’exercice de
certification doit pouvoir faire des observations au gouvernement
notamment le Ministre chargé des Finances sur le Compte général de
l’Etat. Ce que l’on peut dire des développements qui précèdent est que, il
sera difficile pour la Chambre des Comptes du fait des tares qu’on lui
connaît, de garantir la performance de l’action publique. La sanction du
respect des engagements mesurés à partir des résultats comptables ne sera
pas toujours appliquée ou du moins proportionnelle à la gravité de
l’irrégularité, du fait de la dépendance à l’égard de l’exécutif et aussi, de
l’inconfort des magistrats des Comptes à la maitrise des règles
éminemment techniques de la comptabilité patrimoniale. L’évaluation
n’étant pas de nature objective, la marge d’erreur du comptable public peut
être volontairement ou involontairement inconsidérée. Toute chose
pouvant remettre en cause la performance de l’action publique.
2. Une qualité de l’information financière biaisée
La situation financière est la traduction financière et comptable de la
notion de patrimoine.65 Pour donner une image fidèle du patrimoine et de
la situation de l’Etat66, la Chambre des Comptes doit s’assurer lors de
l’exploitation du compte général de l’Etat, que le périmètre des droits et
obligations a été défini, que ces droits et obligations ont été identifiés,
évalués et comptabilisés selon la nomenclature des actifs et des passifs. Les
informations financières produites par cette comptabilité sont destinées en
premier lieu aux citoyens et à leurs représentants67, qui exigent plus
d’efficacité de l’action publique. La Chambre des Comptes, dans le cadre
de la comptabilité générale, doit s’assurer que l’information comptable
répond aux besoins des responsables et des gestionnaires, des missions et
des activités de l’Etat.
De toute évidence, l’information doit être générale, exhaustive, et
doit prendre en compte tous les éléments ayant un impact sur la situation
financière. Encore que, la souveraineté de l’Etat emporte souvent des
conséquences importantes au regard de la notion du passif, et requiert
parfois des solutions originales pour l’Etat, par-delà l’enregistrement
classique des passifs identiques à ceux de l’entreprise. Cet état de chose
nécessite que la juridiction des Comptes prenne de la distance et de la
hauteur pour apprécier objectivement les opérations ou les mouvements
liés à cet attribut de souveraineté qui auraient un impact sur la situation
financière de l’Etat. Elle doit pouvoir disposer d’une marge d’autonomie
assez suffisante pour confirmer ou infirmer les engagements de l’Etat
ayant affecté son patrimoine et sa situation financière. Il s’agit là d’un rôle
que la Chambre ne pourra efficacement assurer du fait de la dépendance à
386
l’égard du pouvoir exécutif. Encore que, le juge des comptes n’a de
juridiction ni sur l’administration en générale, ni sur les ordonnateurs en
particulier. Sa compétence originelle est toujours d’actualité dans notre
contexte, à l’égard des actes administratifs et est limitée aux besoins de sa
juridiction sur les Comptes des comptables publics68.
Il est donc indispensable au regard de ces éléments, de revoir la
posture institutionnelle de la Chambre des Comptes pour qu’elle soit un
maillon essentiel de la mise en œuvre efficace de la Comptabilité
patrimoniale.
II. Un repositionnement institutionnel souhaitable
Au regard des enjeux de la réforme comptable et de la place que
devrait désormais occuper la comptabilité patrimoniale dans le système
comptable camerounais, le repositionnement institutionnel de la Chambre
des Comptes en tant que contrôleur et juge des comptes publics est
souhaitable. Comme il a été démontré, les missions de la Chambre dans le
cadre de la nouvelle comptabilité sont précaires et s’interprètent
habituellement comme instaurant une position d’infériorité mal conciliable
avec l’indépendance de l’institution.
De ce fait, la Chambre des Comptes ne saurait être une institution à
égale distance de l’exécutif et même du législatif ; or, l’enjeu de ce principe
est essentiel à la mise en œuvre effective de la Comptabilité générale et les
nouvelles exigences qu’elle commande. Il est donc nécessaire que la
juridiction des Comptes connaisse une profonde transformation qui aurait
dû s’opérer dans le cadre de la réforme des finances publiques. Du fait de
l’élargissement de ses missions, fruit de la nouvelle Comptabilité, le
repositionnement institutionnel de la Chambre est justifié (A) et peut
emprunter plusieurs voies (B).
A. La justification des mesures de repositionnement
La Chambre des Comptes occupe par la diversité de ses missions,
une place qui est aujourd’hui essentielle dans le contrôle des Finances
publiques. Comme il a été indiqué, en sus des missions de contrôle
juridictionnel des comptes tenus par les comptables publics qui sont aux
rangs de leurs missions traditionnelles, elle exerce aussi des missions non
juridictionnelles, notamment, le contrôle des organismes publics et
parapublics. La Chambre assure aussi une mission d’assistance à l’exécutif
et au législatif. En outre, elle certifie les comptes de l’Etat.
Les limites enregistrées dans l’exercice de ses missions et surtout les
conséquences qui s’y attachent, conduisent à formuler le vœu d’un
68C.C. 3ème chambre, 18 février 1985, Chopin, directeur de l’association syndicale de la rue
Lily à Clamart, rec. p. 5. En France, cette situation a évolué. Au Cameroun à la faveur des
textes comptables, les ordonnateurs, contrôleurs financiers sont désormais justiciables
devant la Chambre des Comptes. Même comme dans la pratique, cette exigence n’est pas
encore prise en compte.
387
repositionnement favorable à l’essor de la comptabilité patrimoniale, qui
nécessite une meilleure appropriation (1) en vue d’améliorer la bonne
gouvernance financière (2).
1. Une meilleure appropriation de la comptabilité patrimoniale
Pour effectuer efficacement ses missions, la Chambre des Comptes
doit s’approprier les règles et exigences de la comptabilité patrimoniale.
Les activités de jugement, d’audit, de certification et d’évaluation des
politiques publiques doivent être conçues de manière complémentaire à
l’effet d’enrichir ses compétences. C’est à partir des comptes qu’elle doit
décliner le jugement de leur régularité, la certification de leur sincérité et de
leur fidélité à la réalité financière de l’Etat.
Il est constant que les juridictions financières se trouvent
confrontées à une évolution générale de leurs missions en liaison avec le
mouvement de rationalisation de la gestion financière publique69, dans
lequel la comptabilité patrimoniale tend à occuper une place de premier
plan. La Chambre des Comptes est appelée désormais à se prononcer,
non plus seulement sur la régularité de la gestion de l’Etat, mais aussi sur
les résultats ainsi que la démarche de performance et dont les compétences
incluent dorénavant celles de la certification des comptes de l’Etat70. Le
compte général de l’Etat soumis à l’opinion du certificateur comprend, la
balance générale des comptes de l’Etat et états financiers, comprenant : le
tableau de la situation nette ou bilan, le compte de résultats, le tableau de
flux de trésorerie et l’état annexé71. L’exercice de certification de la
Chambre se traduit par une opinion écrite et motivée sur la qualité des
comptes publics72.
Pour effectuer cette mission, la Chambre des Comptes doit
s’appuyer sur un référentiel de normes comptables et un référentiel de
certification. Il est présumé que le respect des prescriptions (régularité) et
leur application de bonne foi (sincérité) permettent de fournir l’image
fidèle du patrimoine de l’Etat et de sa situation financière. Cette juridiction
a également besoin d’un référentiel d’audit. Il n’est pas possible en effet de
vérifier toutes les écritures une par une, ni de refaire tous les inventaires,
encore moins de faire ceux qui ne l’ont pas été. Il faut donc définir une
méthodologie permettant à la foi de motiver l’opinion et d’obtenir un
maximum d’efficacité73. Cette démarche se base sur une approche fondée
69 BOUVIER (M.), ESCLASSAN (M-C), LASSALE (J-P), Finances Publiques, op. cit, p. 571.
70 Le compte des collectivités territoriales décentralisées et de leurs établissements sont
certifiés par les tribunaux régionaux des comptes.
71 V. article 108 du décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 précité.
72 Cette opinion peut a priori revêtir quatre formes :
388
sur les différents risques touchant celui de l’audit lui-même74. Une
démarche que devra adopter la Chambre des Comptes en vue de garantir
de par ses activités, la bonne gouvernance financière.
74 Idem.
389
institutionnel (1), et d’autre part, par la revalorisation de ses garanties
fonctionnelles (2).
1. La valorisation projetée du statut institutionnel
Le positionnement institutionnel de la Chambre des Comptes au
Cameroun nécessite d’être clarifié. La consolidation de la comptabilité
patrimoniale par le renforcement des garanties statutaires d’indépendance,
va permettre d’enrichir les missions d’expertise sur la sincérité des
comptes, et l’efficacité de gestion publique. Le principe de l’indépendance
de la Chambre75 devrait s’étendre à l’ensemble des missions et non
seulement à ses activités juridictionnelles. Et pour cause, la fonction
d’assistance au parlement76 n’est pas de nature juridictionnelle, mais
s’exerce dans le cadre du contrôle de l’exécution des lois de finances et de
la certification des Comptes. Il est donc question de faire en sorte que
l’équilibre voulu par le constituant ne soit pas faussé au détriment de l’un
de ses deux pouvoirs.
L’indépendance de la Chambre devrait également être garantie par
les droits et devoirs des magistrats qui composent l’institution :
l’inamovibilité des membres du siège, la prestation de serment devant un
organe autonome qui pourrait être un Conseil Supérieur de la Cour des
Comptes, qui découlera de la création effective d’une Cour des Comptes
ainsi que le prévoit la directive no01/11-UEAC-190-CM-22 du 19
décembre 2011 relative aux lois de finances77, qui lie l’Etat Camerounais
quant aux résultats à atteindre. Encore que l’article 86 (5) de la loi portant
Régime financier de 2018 dispose que « dans l’exercice de ses missions, la
juridiction des comptes peut aux besoins solliciter l’assistance de la Cour de la
Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale conformément aux
traités et Conventions communautaires ». De ce qui précède, il serait souhaitable
que l’Etat camerounais s’arrime au cadre communautaire par la création
d’une Cour des Comptes indépendante. Ce qui aura pour conséquence, la
création d’un Conseil Supérieur de la Cour des Comptes qui donnera son
avis en vue de la désignation, par le Président de la République, des
Membres de ladite Cour.
Au-delà de ce passage de la Chambre en Cour, elle devra bénéficier
d’une plus grande autonomie en termes de crédits et d’emplois. Afin de
donner toute crédibilité aux nouvelles missions de contrôle, d’assistance et
de certification des Comptes de l’Etat, il n’est pas concevable que la
Chambre des Comptes de la Cour Suprême demeure régie
administrativement par le ministère chargé de l’établissement du compte
390
général de l’Etat78. Il est donc souhaitable que soit modifié le
positionnement budgétaire de la Chambre des Comptes, de la Cour
Suprême, en assurant son autonomie vis-à-vis du ministère des Finances
qui, jusqu’à présent assume sa gestion en termes de crédits et d’emplois. Il
est possible dans le cadre du budget général de charger la Chambre des
Comptes pour mettre en œuvre les programmes.
En plus de la valorisation du statut institutionnel de la Chambre, il
est souhaitable dans cette dynamique de repositionnement, de revaloriser
ses garanties fonctionnelles.
2. La revalorisation souhaitée des garanties fonctionnelles
Il est souhaitable dans le cadre de la comptabilité patrimoniale, que
la Chambre des Comptes exerce l’ensemble de ses missions, pas seulement
ses fonctions de juge. Les activités de jugement, d’audit, de certification et
d’évaluation des politiques publiques doivent se construire de façon
complémentaire et isolée ; car, c’est à partir des comptes que les
différentes compétences de la Chambre sont déclinées à savoir : le
jugement de leur régularité, la certification de leur sincérité et de leur
fidélité à la réalité financière de l’Etat et ensuite, à partir de ce que les
comptes indiquent sur la gestion, le contrôle de l’efficacité, de l’efficience
des administrations et plus largement des politiques publiques. C’est
justement cette complémentarité entre les différentes missions de la
Chambre qui pourraient sans doute être le meilleur rempart contre le
risque de fausser l’équilibre au profit du pouvoir exécutif.
Les garanties fonctionnelles de la Chambre des Comptes
gagneraient à être davantage basées sur les traits fondamentaux de la
procédure que sont : le caractère collégial de ses décisions et le principe du
contradictoire appliqués quelles que soient les missions exercées. Elles
contribuent avec les attributs du statut de magistrat, à garantir l’impartialité
des prises de position de la Chambre dans l’exercice de ses différentes
missions et à leur conférer l’autorité à laquelle elles aspirent. Dans cette
dynamique, les fonctionnaires n’ayant pas qualité de magistrat ne doivent
pas faire l’objet d’affectation mais de recrutement par la Chambre. Ainsi,
les prérogatives dont ils sont titulaires, pourraient être autant de signes
forts de leur réelle indépendance.
Constitue également une garantie fonctionnelle, l’irresponsabilité
des magistrats et sa sujétion exclusive à la loi. A ce corset, on pourrait
ajouter la volonté d’une séparation claire entre les « personnes du juge
d’instruction » qui sont ici des magistrats responsables des audits financiers
et des autres actions de contrôle. Pour ne pas recevoir des instructions
émanant d’organes extérieurs, la Chambre des Comptes doit pouvoir
Conclusion
Le passage de l’Etat à la comptabilité patrimoniale, fruit de la
réforme comptable, donne de nouvelles missions à la Chambre des
Comptes qui, en tant que garant de la performance de l’action publique et
de la fiabilité de l’information financière, doit désormais s’appuyer sur un
référentiel de normes comptables plus proche de celui de l’entreprise.
Toutefois, la réforme comptable en cours de consolidation, ne va
pas s’accompagner avec une transformation profonde de la juridiction des
comptes à tel point qu’on s’est logiquement posé la question de savoir si la
posture institutionnelle de la Chambre des Comptes est favorable à l’essor
de la comptabilité patrimoniale. Une posture défavorable du fait du statut
institutionnel dépendant et du déficit de prise en compte de nouvelles
exigences comptables. Un positionnement institutionnel dépendant qui
conduit à formuler le vœu d’un repositionnement qui pourrait se traduire
par la valorisation du statut institutionnel et le renforcement des garanties
fonctionnelles. La constitution d’une formation juridictionnelle bien
identifiée, dotée d’une autonomie véritable parait être l’astuce nécessaire
pour la mise en œuvre effective et efficace de la comptabilité patrimoniale.
Le passage à une Cour des Comptes serait en perspective une garantie
d’efficacité de la comptabilité patrimoniale dont la bascule est prévue au 1er
janvier 2022./-
392
LA DISTINCTION ENTRE COMPTABLE PATENT
ET COMPTABLE DE FAIT EN DROIT DE LA
COMPTABILITE PUBLIQUE CAMEROUNAISE
Par
Dr Frank Patrick AWONO ABODOGO
Ph.D en Droit Public
Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Douala (Cameroun).
RESUME :
La réforme financière intervenue depuis 2018 a visiblement été sous-tendue par
la volonté des pouvoirs publics, d’enrayer les pratiques immorales en matière de gestion
des fonds publics. Ce faisant, elle a introduit parmi les éléments de modernisation de la
gouvernance financière, une distinction entre le comptable patent et le comptable de fait.
Cependant l’étude sur la distinction entre ces deux agents publics, n’autorise pas de
restreindre l’analyse sous le prisme des aspects de convergence et de divergence, mais
d’avantage et d’où l’intérêt, de présenter la question en termes d’impact sur le droit et la
pratique de la comptabilité publique. Celui-ci s’articule autour de plusieurs points au
rang desquels on peut inférer que cette distinction est à la fois justifiée même si elle reste
modérée. Ainsi par la justification, il faut se remémorer son incidence tirée de la bonne
gouvernance, et des obligations comptables qui débouchent de cette distinction. En ce qui
concerne la mesure, elle est consécutive à la concordance du régime de la responsabilité et
de répression reconnue à chacun.
ABSTRACT:
The financial reform that has taken place since 2018 has clearly been
underpinned by the government's desire to curb immoral practices in the management of
public funds. In doing so, it introduced among the elements of modernization of financial
governance, a distinction between the patent accountant and the de facto accountant. The
study on the distinction between these two public officials does not allow restricting the
analysis through the prism of aspects of convergence and divergence. But more, and hence
the interest, to present the question in terms of its impact on the law and practice of
public accountancy. This allows us to infer that this distinction is both justified, even if it
remains moderate. Through the justification, we must remember its impact drawn from
good governance, and the accounting obligations that result from this distinction. With
regard to the measure, it is consecutive to the consistency of the regime of responsibility
and repression recognized to each.
393
Introduction
Les finances publiques camerounaises ont connu une évolution
juridique remarquable inhérente au toilettage des règles et, aux opérations
relatives à la manipulation des deniers publics1. En effet, les aspects liés
aux rapports financiers existants entre les différentes institutions qui
constituent le sommet de l’Etat d’une part2, et le redéploiement des acteurs
de gestion et d’exécution du budget d’autre part, ont été pris en compte.
Amorcée depuis un temps, la modernisation de la gestion des fonds
publics connait son point d’orgue avec la renaissance du droit de la
comptabilité publique. Mettant au cœur des règles y afférentes, une acuité
incontestable sur le rôle des comptables publics dans l’assainissement du
système financier.
En souscrivant à la thèse selon laquelle, le droit public financier
dans la quasi-totalité des Etats d’Afrique francophone subit
progressivement des mutations en profondeur3, le cas particulier du
Cameroun s’arrime à cette nouvelle exigence par l’orientation de sa gestion
financière sur le postulat de la performance. La juridicisation de l’activité
financière étant l’indicateur de perfectibilité a véritablement concouru à sa
modernisation. Etant devenu depuis quelques années, le principe qui est
sensé guider la gestion publique et conditionner sa légitimité4, le principe
de la performance, qui s’ajoute à la sincérité et à la régularité lève ainsi un
pan de voile sur la célérité des politiques publiques. La pérennisation de
cette orientation managériale, dans l’exécution du budget découle en réalité
du « nouveau management public »5, véhiculé par le libéralisme politico-
économique6. Etant devenue, une sujétion extranationale7 par la
ratification dans l’ordre juridique national des directives communautaires,
la gouvernance financière intégrant les comptables publics, ayant été
longtemps mise sous l’éteignoir, renaît aujourd’hui de ses cendres.
Parmi les acteurs de premier plan qui interviennent dans le
processus financier, le comptable public occupe une place primordiale. En
11 Biakan (J), « La constitution et les finances publiques au Cameroun », RAFiP, n°2, 2017,
p. 13.
2 Dussart (V), L’autonomie financière des pouvoirs publics constitutionnels, Paris, CNRS, 2000, p 7.
3 Mede (N), « L’Afrique francophone saisie par la fièvre de la performance financière »,
Presses de Sciences po et Dalloz, 2002, p. 23. Voir également BOURGAULT (J) « Les
réformes budgétaires de type managérial : observations chez quelques précurseurs », RFAP,
2006, n°117, pp. 69-83.
6 Chevalier (J) et Loschak (D), « Rationalité juridique et rationalité managériale dans
2009, « Le temps », p. 43. Voir aussi dans ce sens CRESP (M), Le temps juridique en droit
privé : essai d’une théorie générale. Thèse de doctorat en droit privé, Université de Bordeaux,
2010, p. 547.
10 MORIN (N), « La nouvelle comptabilité de l’Etat, une dynamique partagée au service de
autres entités publiques (ci-après loi n°2018/012 du 11 juillet 2018). Voir également Décret
n°2020/375 du 7 juillet 2020 portant règlement général de la comptabilité publique ; Décret
n°2019/3199/PM du 11 septembre 2019 fixant le cadre général de la présentation du plan
396
destinée à vérifier le respect par le gouvernement de l’autorisation
parlementaire. Une comptabilité générale, visant à mesurer l’évolution de
son patrimoine, et une comptabilité analytique destinée, à analyser les
coûts des différentes actions engagées ou des services rendus dans le cadre
des programmes. Pas très souvent perçue encore moins répandue, les
ressorts de cette analyse de la comptable publique demeurent faiblement
exposés et difficilement exprimés.
C’est fort de ce qui précède que le terme « distinction », arbore tout le
sens qu’on veuille bien lui donner dans cette étude. A partir de son
étymologie latine « distinctio », le vocable désigne, l’action de séparer
nettement une chose d’une autre. Il irradie dans sa perception primaire,
l’idée de séparation et de différence. Cette approche littérale, corrobore du
moins avec l’orientation juridique. Se référant au vocabulaire juridique16,
elle renvoie à l’action d’analyser et de spécifier, de différencier, séparer ou
encore lever une équivoque, ou de dissiper une confusion. Ces énoncés
juridico- littérales, ont en commun d’opérer un raisonnement qui conduit,
à classer les éléments de ressemblance et les aspects de dissemblance
lorsqu’il va s’agir de distinguer. Aussi, de relever les points de
convergences et ceux de divergences. Cette façon classique
d’interprétation, ne parait pas assez intéressante en droit de la comptabilité
publique. Par contre en dépassant ce réduit, la nécessité de distinguer ces
deux agents publics financiers, explore en fait un pan des leviers de la
modernisation de la gestion financière. Faisant de la distinction non plus
un facteur de séparation, mais plutôt un critère de performance et un
instrument de lisibilité de gouvernance publique. Sous ce rapport, quel
regard pourrions-nous porter sur la distinction entre le comptable patent et le comptable
de fait en droit de la comptabilité publique camerounaise ? Cette formulation
questionne, en filigrane l’importance de la catégorisation des acteurs
rentrant dans la chaine du maniement des deniers publics. L’hypothèse qui
en ressort autorise un regard enthousiaste et plein d’optimisme. Celle-ci va
d’ailleurs démontrée que la distinction est justifiée (I), même si elle
demeure modérée (II).
I. Une distinction justifiée
C’est sous l’égide du principe selon lequel, « tous les hommes ont le droit
de constater par eux, ou par leur représentant la nécessité de la contribution publique, de
la consentir librement, d’en suivre l’emploie et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le
recouvrement et la durée »17, que les balbutiements des bases pouvant justifier
la distinction se vérifient. La protection de la fortune publique, corollaire
de cette exigence, implique une véritable division entre le comptable
patent et le comptable de fait, afin que les fonctions reconnues à
397
l’ordonnateur et au comptable ne puissent être travesties dans l’exécution
des opérations financières. En l’érigeant comme une norme, cette
séparation augure une certaine volonté de changer les paradigmes devenus
obsolètes. Elle s’appuie, sur les nécessités de bonne gouvernance
financière (A), en sauvegardant la conformité des opérations comptables
(B).
A. Une justification tirée de l’exigence de la bonne gouvernance
financière
La réforme comptable déclenchée au Cameroun, entraine
directement un bouleversement dans l’exécution des recettes et des
dépenses. S’inspirant des standards internationaux dont elle dérive, sa
contribution à l’optimisation des fonds publics est perceptible à l’aune de
l’érection de la culture de performance, de l’obligation de résultats, et de
l’obligation de rendre compte de la gestion publique. La bonne
gouvernance dans la gestion des finances publiques est donc imbriquée, et
étroitement liée à l’insertion des pratiques nouvelles dans le champ de la
comptabilité publique. Sous cet attelage, la préservation de l’intangibilité de
la séparation ordonnateur-comptable (1), et la vérification de la tenue des
comptes constituent indéniablement les mobiles de cette distinction (2).
1. La préservation de l’intangibilité du principe de la séparation
ordonnateur-comptable
L’exécution des opérations de dépenses et de recettes, relève de la
responsabilité de l’ordonnateur et du comptable public. Pour éviter les
prévarications financières et l’opacité managériale des biens publics18,
l’exécution des opérations budgétaire implique la responsabilité de chaque
acteur. Au rang desquels les ordonnateurs (a), les comptables publics (b),
à travers la nouvelle réforme le comptable matière (c).
a. L’affiliation des ordonnateurs aux opérations d’engagement, de
liquidation et d’ordonnancement
Le constat relève d’un truisme que : « Les compétences et responsabilités
du gouvernement et du parlement en matière de la conduite de la politique budgétaire, de
choix de dépenses et de recettes publiques, ainsi qu’en matière d’exécution et de contrôle
budgétaire doivent être clairement définies en application de la constitution »19. Faisant
provision de cette prescription législative, on peut inférer qu’elle est
transposable à tous les niveaux de la chaine de manipulation des deniers
publics. La détermination et la définition des tâches dans la gestion
financière, implique une responsabilité importante des ordonnateurs. Dans
cet ordre, la clarification des attributions et la fixation des missions qui
l’ordre est donné au comptable de payer la dette de l’Etat ou de celle des autres organismes
publics.
25 TRAORE (M), Le principe de la séparation des ordonnateurs et des comptables, mémoire maitrise,
par l’article 444 de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code général des
collectivités territoriales décentralisées.
27 NTSEGUE ANANGA (E-P), « La fongibilité des crédits en droit public financier
publics ayant la charge exclusive du recouvrement, de la garde et du maniement des fonds et valeurs, de la
tenue des comptes ».
30 MEBENGA (M), Cours de contentieux des comptes publics, année académique 2013-2014,
Master II droit public interne. Voir aussi l’article 5 du décret n°2020/375 du 7 juillet 2020
portant règlement général de la comptabilité publique.
400
jouissent de l’aptitude légale en la matière. Selon les dispositions de l’article
71 du nouveau régime financier de l’Etat, « le paiement des dépenses relève de la
responsabilité exclusive du comptable publique ». En effet, le paiement de ces
dépenses entraine une responsabilité avérée de l’agent comptable, dans la
mesure où, il est tenu de respecter la légalité qui régit ce genre d’opération.
Sous cette obligation, préalablement au paiement, le comptable public
vérifie la validité de la créance et le caractère libératoire du paiement31.
De ce qui précède, il se dégage dans la pratique de la comptabilité
publique, un contrôle de régularité et même d’opportunité des
engagements émis par l’ordonnateur. En cas d’irrégularité constatée, il ne
peut y procéder au paiement. Ce contrôle à priori, permet pour le
comptable de vérifier la qualité de l’ordonnateur, et d’établir la corrélation
exacte de l’imputation de la dépense aux règles relatives à la spécialité
budgétaire. La comptabilité publique n’est alors aisément admise, que
lorsque le patrimoine de l’Etat fait l’objet d’un recensement exhaustif,
susceptible de décrire son actif et son passif.
b. L’inscription des comptables matières aux modalités
d’inventaire et de recensement des valeurs mobilières et
immobilières
La renaissance du comptable matière dans le système financier
public augure en perspective, la réelle volonté des pouvoirs publics
d’infléchir la courbe devenue ascendante des détournements des biens
publics. Après une entrée remarquable en 1962 sous l’édiction d’une
ordonnance en ces termes, « la conservation et la sortie des matières en stock sont
assurées par un comptable gestionnaire, restreint à la tenue d’une comptabilité en
quantité et d’une comptabilité en valeur32 », elle sera réaffirmée dans le décret de
1967 portant aménagement de la législation financière de la République
Fédérale du Cameroun33. Elle disparaitrait en 2007, pour réapparaitre
finalement dans la législation financière en 2018.
La restauration du comptable matière à la faveur du nouveau régime
financier, vient étoffer le régime de la comptabilité publique34 auquel sont
astreints désormais l’Etat et les autres entités publiques. Instituée auprès
de l’ordonnateur, la comptabilité publique est d’abord perçue comme une
« comptabilité d’inventaire ». Ayant pour objet la description des existants des
37 Voir article 90 de la loi n°2009/011 du 10 juillet 2009, codifié à l’article 466 de la loi
n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code général des collectivités territoriales
décentralisées.
38 Article 91 de la loi n°2009/011 du 10 juillet 2009 codifié à l’article 467 de la loi
séparément ou ensemble plus de la moitié du capital ou des voix dans les organes
délibérants ;
- les comptes et documents annexes dans comptables publics patents des
personnes morales, quel que soit leur statut juridique, dans lesquelles l’Etat et
d’autres personnes morales de droit public détiennent ensemble le pouvoir de
décision ou la minorité de blocage ;
- les comptes et documents annexes des comptables publics patents de toute
personne morale, quel que soit son statut, qui bénéfice d’u concours financier
direct ou indirect de l’Etat ou d’une autre personne morale de droit public ;
- les comptes des personnes physiques exerçant les fonctions officielles ou ceux
des comptables publics patents des personnes morales investies d’une mission
spécifique et recevant à ce titre les fruits de la générosité nationale ou
internationale, dans les conditions fixées par l’acte accordant les concours
financiers.
Selon l’article 26 alinéa 2, « les comptes des comptables publics patents, mis en forme et examinées
conformément aux textes en vigueur, sont présentés en vue du jugement à la Chambre des Comptes dans les
trois mois suivant la clôture de l’exercice budgétaire ».
40 SIETCHOUA DJUITCHOKO (C), La Chambre des Comptes de la Cour Suprême du
Cameroun, les principaux arrêts, avis, rapports de certification du compte général de l’Etat et
rapports d’observations afin de contrôle commentés, Yaoundé, Editions Le Kilimandjaro
(EDLK), 3e trimestre 2016, p. 277.
404
B. Une justification consécutive à la conformité des opérations
comptables
La certification des comptes publics est une opération qui implique
de la part du juge des comptes, l’examen des documents tenant lieu des
comptables publics. Etant fondée sur la constatation des droits et
obligations41, elle mérite une certaine clarté, en indiquant la situation fiable
des opérations financières. La fiabilité des mouvements financiers est donc
retracée à travers les livres comptables, et certifiée selon une procédure
dument établie. Ce processus juridictionnel qu’opère l’instance habilitée,
permet de vérifier l’intelligibilité des opérations comptables (1), bien qu’il
s’assure par extension à restaurer la concordance des comptes de gestion
et administratif (2).
1. La certification des opérations comptables
A l’instar des entreprises privées, les comptes de l’Etat doivent être
intelligibles et aisément lisibles. La certification apparait dans cette
perspective, comme le moyen sur lequel la clarification des comptes
repose. En réalité la certification des comptes est « une opinion écrite et motivée
formulée par un organe indépendant sur la conformité des Etats financiers à un
ensemble donné de règles comptables ». Prescrite par une exigence législative42,
elle consiste à l’examen en deux phases des documents comptables, l’un
étant lié à la sincérité (a) et l’autre à la régularité (b).
a. La sincérité des écritures comptables
Le référentiel normatif international en matière d’exécution
budgétaire et financière43, transposé dans l’ordre interne, implique que la
comptabilité de l’Etat et des autres entités publiques présentent une image
sincère. La sincérité des écritures comptables a été remise dans l’ordre des
préoccupations actuelles, à la faveur de l’émergence des données de
transparence dans l’élaboration de la loi de finance. Au terme de l’article 3
de la défunte loi de 2007, elle présente de façon sincère l’ensemble des
ressources et charges de l’Etat. S’inspirant de cette orientation, l’article 32
41 Article 30 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. Voir aussi
l’article 58 de ladite loi qui dispose : « à l’instar des entreprises privées, les comptes de l’Etat doivent
faire l’objet d’une procédure de certification, c’est ainsi que s’est déclinée la mission d’assistance du parlement
confiée à la Cour des Comptes, il s’agit d’une mission de certification de la régularité, de la sincérité et de la
fiabilité des comptes publics ».
42 L’article 26 de la loi n°2007/006 du 26 décembre 2007 portant régime financier de l’Etat
dispose : « les comptes de l’Etat doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle de son
patrimoine et de sa situation financière ».
43 Directive n°1-11-U-EAC-190-CM-22 relative aux lois de finances dispose : « qu’en ce qui
concerne un Etat les missions de la Cour des Comptes sont notamment les suivantes :
- certifier la régularité, la sincérité et la fidélité des comptes de l’Etat ;
- assister le parlement dans le contrôle de l’exécution des lois de finance ;
- juger les ordonnateurs, les contrôleurs financiers et les comptables publics dans les conditions
prévues aux articles 74 et 78 de la présente directive ».
405
de la loi française du 1er août 2001, en fait une appropriation mieux
déclinée et ces termes : « les lois de finances présentent de façon sincère l’ensemble
des ressources et des charges de l’Etat. Leur sincérité s’apprécie compte tenu des
informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découlées ». A
priori susceptible d’être réduit aux modalités budgétaires, ces dispositions
législatives ont une incidence comptable. C’est en exubérance de cette
filiation que l’article 26 de la loi n°2007/006 du 26 décembre 2007
disposait alors que : « les comptes de l’Etat doivent être (…), sincère et donner
l’image fidèle de son patrimoine et de sa situation financière ».
La sincérité comptable, conséquence de l’insertion de la logique de
transparence et de clarté équivaut à une perception duale. Elle se traduit en
matière de recettes, à l’exigence de s’assurer que les recettes contenues
dans le budget ont été recouvrées conformément aux prévisions énoncées
dans la loi de finance. En ce qui concerne les dépenses, Elle se manifeste
dans l’obligation, de vérifier qu’elles n’ont pas été exécutées au-delà des
imputations budgétaires. Elle, établit la légalité des écritures qui autorisent
l’encaissement des recettes, et l’engagement des dépenses. La
consolidation des règles de bonne gouvernance, qui s’emploie à travers
l’essor du principe de la sincérité comptable, commande que le juge des
comptes inflige des sanctions en cas de grief d’insincérité des écritures
comptables. D’après les conclusions de l’article 4 de la loi fixant ses
attributions, « la Chambre des Comptes rend sur les comptes qu’elle est appelée à
juger des arrêts qui établissent si les comptes jugés sont quittes, en avances ou en
débets ». Désignée comme le gage de la « fiabilité de l’information comptable et
financière44 », la constatation des écritures non fiables et insincères, a permis
de fonder la compétence de la chambre des comptes et retenir à l’égard
des comptables indélicats des griefs d’inconformité. C’est à l’occasion des
affaires Ndzana Jean45 et dame Nanga Rébecca épouse Evina Ndo46 que
son office s’est davantage fait remarquer. Il fit observer dans la première
affaire, les différences en moins ou déficits, résultant des discordances
entre les procès-verbaux d’encaissement et les balances générales des
comptes, pour les postes comptables de Yabassi, Ebone, Mombo.
b. La régularité des comptes par rapport à la législation
La privatisation de la comptabilité publique, par l’irruption des
règles régissant les entreprises privées continue d’irriguer les mécanismes
de maniement des fonds publics. Conformément à la pratique privée, les
différentes étapes, relatives à l’exécution des recettes et des dépenses
reposent sur le principe de la régularité. D’ailleurs le contraire n’eut été
possible, tant l’article 8 de l’acte uniforme portant sur la comptabilité des
47 Article 8 AUOHC.
48 MEBENGA (M), Cours de contentieux des comptes publics, op cit.
49 Arrêt n°11/AP/S3/11 du 28 septembre 2011.
50 Arrêt n°002/AP/S3, du 26 avril 2012 compte de gestion ARSEL, exercice 2006/2007.
407
La clarification des rôles des acteurs financiers n’apparait pas
uniquement dans l’optique de préciser les interventions de chacun dans la
manipulation des fonds publics, elle induit à postériori la nécessaire
obligation d’exhaustivité des comptes publics. L’exhaustivité desdits
comptes est ainsi appréciée sur le moyen de la fidélité et de la transparence
des écritures de l’exercice auquel ils se rapportent. La fidélité comptable,
exige en réalité que la production des comptes, soit la plus objective que
possible, afin que l’information sur le patrimoine de l’Etat communiquée
aux tiers, puisse leur permettre d’en avoir une perception exacte51. Alors
que la transparence, impose à la comptabilité de l’Etat, de fournir une
description régulière et sincère et de donner une image fidèle des
évènements des opérations et des situations se rapportant à l’exercice52.
En tout état de cause, l’intégration des aspects de fidélité et de
transparence comptable, n’est dégagée qu’à partir de la confrontation du
compte de gestion et du compte administratif. La fiabilité et la
transparence présagent la sincérité des enregistrements comptables, et
augurent l’immutabilité des opérations financières y relatives. La bonne
tenue des comptes résulte, du rapprochement que l’on peut faire des
engagements, liquidations et ordonnancements d’une part, et d’autre part
des encaissements et paiement présentant une image objective de
transparence et de fidélité. L’infidélité des mouvements constatée dans les
divers rapports, entraine l’insincérité des lignes comptables. Dans la
mesure selon laquelle, elle vide les actions exécutées de toute régularité. La
cohérence entre le compte administratif et le compte de gestion apparait
dans ce cas, comme le gage de l’intégrité des données, permettant à la
Cour de déclarer que les comptes sont quittes. La justification de la
distinction entre le comptable patent et le comptable de fait réside dans
ces deux appréhensions, cependant cette séparation reste mesurée.
II. Une distinction modérée
Le renouveau de la comptabilité publique, au regard de la récente
législation emporte un regard ambivalent. Le constat qui frappe
directement met en relief, en ce qui concerne les comptables patents et les
comptables de faits une analyse mitigée. D’emblée il est un truisme que le
législateur pour les causes de saine gestion financière, a bien voulu
distinguer chacun dans les missions qui sont les siennes.
Cependant, cette distinction connait une inflexion, de nature à
modérer la perception que l’on pourrait déduire de sa consécration. Cette
séparation, à l’ère de la nouvelle gouvernance des deniers publics ne cède-
t-elle pas finalement à une confusion, de manière à ce que les digues qui la
constituait commencent à s’effriter ? L’orchestration de cette mutation, est
l’œuvre de l’assimilation du comptable de fait au comptable patent (A).
408
Celle-ci va d’ailleurs démontrer une concordance des mécanismes de
contrôle et de sanctions (B).
A. L’assimilation du comptable de fait au comptable patent
Tandis que la séparation entre ordonnateur et comptable est
explicitement consacrée53, celle qui découle de la division comptable
patent et comptable de fait est implicitement atténuée. Les éléments qui
concourent à la répudiation, voire à la négation de la consécration de la
distinction, relèvent des distorsions débouchant de l’ingérence de
l’ordonnateur dans le maniement des fonds publics. Les interférences
issues de l’immersion dans un champ de compétence autre que celui prévu
par les textes légaux créent une certaine confusion. La fongibilité54 entre
les deux comptables est vérifiable à partir des critères d’adoption de
l’assimilation (1) et, eu égard à l’imputation des obligations du comptable
patent au comptable de fait (2).
1. Les critères d’assimilation
En vertu de l’article 8 du règlement général de la comptabilité
publique55, il est interdit à toute personne dépourvue d’un titre légal
d’exercer des fonctions de comptable, sous peine de poursuites prévues
par la loi. Si cette règle consacre dans son esprit cette dichotomie
fonctionnelle, elle est cependant dans la pratique mise à l’épreuve par les
acteurs financiers. La remise en cause provient des violations répétitives et
consécutives à l’immixtion frauduleuse dans les opérations de valeurs (a),
et au maniement des deniers publics (b).
a. L’immixtion frauduleuse dans le domaine réservé du préposé à
la fonction comptable
C’est à partir de l’accréditation56 ou de la nomination57
conformément aux lois et règlements, que la qualité de comptable est
interchangeable : « une chose qui appartient au même genre qu’une autre, peut être considérée comme
équivalente ».
55 Décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 portant règlement général de la comptabilité
l’accréditation est l’obligation qui est faite à un agent intervenant dans les opérations
financières des organismes publics, de notifier à d’autres agents désignés par les lois et
règlements, soit son acte de nomination, soit son spécimen de signature. L’accréditation
s’effectue par la diligence de l’agent lui-même dès son installation et sous sa responsabilité.
57 Ils sont nommés par le Ministre chargé des finances. Les comptables placés auprès des
Régions, des Communautés urbaines, des Communes d’arrondissement, ainsi que leurs
collaborateurs jusqu’au rang de chefs de service, les contrôleurs financiers placés auprès
desdites collectivités et leurs collaborateurs jusqu’au rang de chef de service, sont nommés
409
reconnue à un agent public. L’acte qui intervient, dans l’une de ces
modalités confère le titre légal au titulaire, permettant à ce denier de se
prévaloir des opérations qui résultent de la reconnaissance de ladite
habilitation. Parallèlement qu’il ouvre pour le concerné des droits et
obligations, il expose à des poursuites ultérieures en situation d’usurpation.
Assumant la direction des postes comptables, ils sont repartis en
comptables du trésor, comptables des domaines et receveurs municipaux
ou encore en comptables matières. Préposés aux fonctions
particulièrement délicates, ces personnels de l’Etat et des autres entités
publiques, sont astreints aux formalités de prestation de serment lors de
leur première installation. Le caractère sacré que requiert le serment, au-
delà de l’adoubement du requis, autorise l’entrée à l’exercice de la charge.
Nonobstant cette procédure assez régulière, force est de constater
qu’en matière de gestion financière, des errements interviennent
régulièrement. Lesquels sont tributaires de l’ingérence soit de
l’ordonnateur dans les charges inhérentes à l’exécution des dépenses et au
recouvrement des recettes, soit alors de la désignation au sein de l’entité
publique d’une personne n’ayant pas la qualité de comptable public. Cette
dernière hypothèse est mise en exergue, dans les conclusions de l’arrêt
compte de gestion de la Mission de Développement Intégré des Monts
Mandara (MIDIMA), exercices 2004, 2005 et 2006. Brièvement exposées,
le régisseur avait été nommé ex qualité par l’ordonnateur, et dans la foulée,
la 3éme section de la Chambre des comptes avait qualifié un régisseur
dument nommé de comptable de fait58. Dans une pareille circonstance,
l’immixtion frauduleuse et indécente à la fonction comptable, s’apparente
indéniablement à une comptabilité de fait. Le critère discriminant
d’incorporation et, même de confusion, est alors l’irruption d’un agent de
façon irrégulière dans les activités qui engagent la manipulation et la
conservation des valeurs.
La constatation de la comptabilité de fait, assimile automatique le
mis en cause au comptable patent. Elle est découverte soit par
l’administration, soit par un audit externe ou du moins par une mission
d’audit de l’institution supérieure de contrôle des finances publiques59. La
conséquence qui se déduit d’une telle pratique, influe un transfert des
obligations dévolues au comptable patent vers le comptable de fait. Parmi
les obligations les plus recommandées et qui sont assorties des sanctions
en cas d’inexécution, figure en ligne de mire la production des comptes.
Après avoir établi la situation de comptabilité de fait par arrêté définitif, la
par arrêté conjoint du Ministre chargé des finances et du Ministre chargé des collectivités
décentralisées.
58 Arrêt n°4/AD/CSC/CDC/S3/13 du 6 février 2013, compte de gestion de l’Université
soient arrêtées par journée, par décade, par mois et en fin d’exercice. L’exercice coïncide
avec l’année civile.
72 Les produits correspondants aux recettes encaissées sur versements spontanés sont
Montchrestien, 1989.
77 Ibid.
78 ERALY (A), HINDRIKS (J), « Le principe de la responsabilité dans la gestion
414
a sous sa garde81. De façon générale, la responsabilité est fondée sur un
élément déclencheur. Pour ce qui en est du régime comptable, elle est mise
en jeu sur la base des faits générateurs. L’un est consubstantiel aux défauts
comptables et l’autre dérive des fautes de gestions.
Sous l’instigation du règlement général de la comptabilité
publique82, la gestion de fait entraine, pour son auteur déclaré comptable
de fait par la juridiction des comptes, les mêmes obligations et
responsabilités que la gestion patente pour le comptable public. Cette
responsabilité commune, est alors mise en évidence sur le moyen de la
constatation des défauts comptables imputables au comptable public. On
entend par défauts comptables, les irrégularités qui naissent de la mauvaise
tenue des comptes d’une part, d’autre part des manœuvres illégales qui
s’écartent de la réglementation. Elles s’étendent aussi, à toutes sortes de
violations des règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses.
Considérées comme des manquements aux obligations comptables
préexistantes, elles sont variées. Sur l’orientation de dudit règlement83, leur
responsabilité est retenue, en cas de constatation du déficit de caisse ou de
manquement en denier ou en valeur, pour défaut de recouvrement des
recettes régulièrement ordonnancées, et paiement irrégulier d’une
indemnisation mise à la charge de l’Etat du fait du comptable public.
Devant la juridiction des comptes, il peut être mis en cause pour des
défauts comptables constatés dans ses comptes, de la conservation des
fonds et valeurs84.
L’appréciation des diligences comptables, transcende la vérification
des écritures y relatives. Une telle excroissance commande qu’il soit
effectué un contrôle accru. Lequel est observé dans la manipulation des
fonds publics encaissés et détenus. Sous ce prisme, le comptable public,
s’expose au même titre que les ordonnateurs aux infractions qualifiées de
« faute de gestion ». Au sens de la loi portant sur le régime financier de l’Etat
et des autres entités publiques, « tout agent d’une entité publique, tout
représentant, administrateur, ou agent d’organismes soumis à un titre quelconque au
contrôle de la juridiction des comptes, et toute personne à qui est reprochée des faits (…),
peut être sanctionné pour faute de gestion »85.
Longtemps consacrée comme une infraction reprochable aux
ordonnateurs, la faute de gestion apparait désormais, comme un fait
comptabilité publique.
83 Article 28 du Décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 portant règlement général de la
comptabilité publique.
84 Article 48 loi n°2003/005 du 21 avril 2002 fixant les attributions, l’organisation et le
publiques.
415
générateur de la responsabilité des comptables. Contrairement à la pensée
du Docteur Togolo Odile86, est considérée comme faute de gestion « tout
acte, omission, ou négligence commis par tout agent de l’Etat, d’une collectivité
territoriale décentralisée, ou d’une entité publique, par tout représentant, administrateur
ou agent d’organismes, manifestement contraire à l’intérêt général ». Elle se
caractérise, par un ensemble de faits entachés de graves irrégularités et
manifestement contraire à l’intérêt général. Dans la pratique comptable,
elle se révèle par la violation des règles87 relatives à l’exécution des recettes
et des dépenses. C’est sur le fondement de ces deux éléments que la
responsabilité des comptables est enclenchée. Cette responsabilité n’est
pas engagée à tout va, elle est subordonnée à l’existence de certaines
conditionnalités sans lesquelles, elle ne peut être mise en œuvre.
Concomitamment à la reconnaissance de la responsabilité comptable, il
existe aussi un régime d’irresponsabilité. En effet, il est établi qu’en la
présence de certains faits, la responsabilité du comptable ne pourrait être
retenue. L’injusticiabilité88 du comptable public est alors déclarée et, la
compétence de la juridiction des comptes muselée.
b. La perpétuation des faits exonératoires d’irresponsabilité
comptable
La responsabilité des comptables publics est obstruée ou
difficilement mise en œuvre, lorsque certains faits sont insusceptibles
d’être imputés directement à leurs auteurs. Selon Terneyre Philippe, les
86 TOGOLO (O), Les fautes de gestion dans le secteur public au Cameroun, Paris, Mare & Martin,
collection droit & gestions publiques, 2019, 382 p. Selon la pensée de l’auteur, la faute de
gestion se caractérise par l’absence de définition. Une conception remise en cause par
l’article 88 de la loi portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques du 11
juillet 2018. Sont constitutives de faute de gestion :
- la violation des règles relatives à la gestion des biens appartenant à l’Etat et aux
autres entités publiques ;
- le fait pour toute personne dans l’exercice de ses fonctions ou attributions,
d’enfreindre les dispositions législatives ou réglementaires nationales destinées à
garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les contrats de commande
publique ;
- le fait d’avoir entrainé la condamnation d’une personne morale de droit public ou
d’une personne de droit privé chargée de la gestion d’un service public, en raison
de l’inexécution totale ou partielle ou de l’exécution tardive d’une décision de
justice ;
- le fait, pour toute personne dans l’exercice de ses fonctions ou attributions, de
causer un préjudice à l’Etat ou à une entité publique, par des agissements
manifestement incompatibles avec les intérêts de l’Etat ou de l’organisme, par
des carences graves dans les contrôles qui lui incombaient ou par des omissions
ou négligences.
87 AKONO ONGBA SEDENA, « La distinction entre la faute de gestion et le
détournement des deniers publics en droit camerounais », Revue africaine des sciences juridiques,
n°1, 2014, pp. 249-287.
88 FORTAT (N), Autorité et responsabilité administrative, Thèse de doctorat en droit public,
Université François-Rabelais de Tours, 2011, p. 265. Voir aussi dans ce sens, DUEZ (P),
La responsabilité de la puissance publique (en dehors des contrats), Paris, Dalloz, 1938, 342 p.
416
causes exonératoires, ne concernent pas le lien de causalité entre le
dommage et le fait générateur, mais plutôt, le lien d’imputabilité entre le
fait et la personne responsable89. En vertu de la règle selon laquelle, il
n’existe aucun rapport hiérarchique entre l’ordonnateur et le comptable,
certaines situations dégagent le comptable public de sa responsabilité.
D’ailleurs, les comptables publics ne sont pas tenus de déférer aux ordres
irréguliers qui engagent leur responsabilité personnelle et pécuniaire.
L’irresponsabilité des agents préposés à la manipulation des fonds publics,
est soulevée selon que les faits exonératoires relèvent de trois situations.
D’abord en période de collaboration entre l’ordonnateur et le comptable,
et après refus de déférer à une réquisition indécente. Le comptable public
est affranchi des récriminations issues de sa substitution par l’ordonnateur.
La subrogation intervient, en cas d’irrégularités constatées lors des
contrôles prévus. En matière de dépenses, les comptables sont tenus de
refuser le visa de la dépense, il en est de même lorsqu’ils ont pu établir que
les certificats délivrés par les ordonnateurs sont inexacts90. En s’écartant
des réquisitions, l’ordonnateur s’étant mué au comptable, endosse les
conséquences qui s’y attachent à cette exécution forcée.
Ensuite, pour des faits constitutifs de faute de service, le comptable
public ne saurait répondre des préjudices qui en résultent. La faute de
service, étant une défaillance qui correspond à la marge de mauvais
fonctionnement qu’il faut attendre de la diligence moyenne91.
L’irresponsabilité de l’agent tenant ici du fait que, l’administration est
exclusivement responsable de la faute de service92. C’est la substance de
l’article 29 du règlement général de la comptabilité publique qui est ainsi
soulignée en ces termes : « les comptables publics ne sont ni personnellement, ni
pécuniairement responsables des erreurs commises dans l’assiette et la liquidation des
produits qu’ils sont chargés de recouvrer ». D’office l’irresponsabilité des agents,
est déclarée dans la mesure selon laquelle, les actes perpétrés dans
l’exercice des fonctions relatives à l’assiette et à liquidation préjudicient les
droits des tiers ou l’administration fiscale. Enfin, la reconnaissance des
circonstances constitutives de force majeure exonère le comptable public
de sa responsabilité. Consistant à un fait extérieur, imprévisible dans sa
survenance et irrésistible dans ses effets93, le fait de force majeure,
constitue une cause qui empêche l’imputabilité94. Evènement extérieur à
comptabilité publique.
91 HAURIOU (M), note sous l’arrêt du Conseil d’Etat, 5 février 1911, Anguet.
92 MAYER (B), La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé. Vers un
alignement des régimes de responsabilité du préposé et de l’agent public, Mémoire Master II, Institut
d’Etudes Politiques de Lyon, Université Lyon II, 2008, p. 75.
93 SY (D.), Droit administratif, Dakar, L’Harmattan Sénégal, 2014, 2e édition revue, corrigée
et augmentée, p. 377.
94 Op cit.
417
l’activité comptable, la force majeure libère le comptable public des
condamnations pécuniaires et personnelles. Cependant, lorsque les faits
reprochés sont susceptibles de permettre d’actionner la responsabilité du
comptable public, ce dernier s’expose à la répression.
2. La variabilité du régime de la répression des écarts comptables
Les comptables doivent réparer les indélicatesses qu’ils auront
commises pendant le maniement des deniers publics95. La responsabilité
personnelle et pécuniaire96 est celle qui a retenu l’option des législations
financières. C’est à cet égard que les comptables publics, sont responsables
sur leur patrimoine personnel de la gestion des fonds et valeurs dont ils
ont la garde97. L’innovation la plus saisissante en matière de contrôle des
finances publiques98, souligne en effet que les politiques qu’elles
soutiennent et les personnes qui les mettent en œuvre sont soumises au
contrôle99. Le principe de la redevabilité, qui vient accroitre leur
responsabilité vis-à-vis du citoyen, autorise que les irrégularités comptables
soient assorties de sanctions après avoir entendu l’intéressé. L’exercice des
attributions du comptable est soumis à sanction100. L’instauration du
pouvoir sanctionnateur à l’égard des indélicats, est tributaire du régime de
responsabilité qui est retenue en fonction de la faute commise. Elle est
alors appréciée, lorsque le fait reprochable est imputable personnellement
ou pécuniairement.
Les sanctions les plus encourues par les comptables publics, sont
rattachées à la responsabilité pécuniaire à laquelle ils sont exposés. Elle
s’étend à toutes les opérations du poste qu’ils dirigent depuis la date de
leurs installations, jusqu’à la date de cessation de leurs fonctions. Lorsque
des griefs sont reprochés, leur responsabilité pécuniaire est engagée à due
concurrence des déficits constatés. Le montant des amendes est fixé en
fonction du préjudice causé, ils sont alors responsables sur leur patrimoine
personnel de la gestion des fonds et valeurs dont ils ont la garde.
L’obligation de combler immédiatement et par ses deniers personnels le
déficit constaté, la dépense payée à tort et la perte de recette subie. De
même, le comptable de fait, peut en outre être condamné, par la juridiction
des comptes à une amende, en raison de son immixtion dans les fonctions
comptabilité.
97 Article 90 de la loi de 2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités
publiques.
98 KOUA (S-E), « La prescription de la Cour des Comptes comme institution supérieure de
contrôle des finances publiques par le droit communautaire CEMAC aux Etats membres :
le cas du Cameroun », RAFiP, numéro double 3&4, 2018, p. 45.
99 Loi n°2018/011 du 12 juillet 2018 portant code de transparence et de bonne
418
de comptable public101. Cette sanction en réparation, a été infligée à
plusieurs comptables publics jugés responsables des manquements. L’arrêt
de la Chambre des comptes en date du 18 février 2009, avait ainsi au
regard des irrégularités, constitué le comptable débiteur envers l’Université
de Dschang de la somme de 640.000 FCFA102.
Sans préjudice des sanctions pécuniaires, la responsabilité des
comptables publics est simultanément retenue sur le plan personnel. Leur
responsabilité pénale qui se dégage des faits travestis en détournement de
derniers publics, autorise les poursuites pénales. Le Tribunal Criminel
Spécial, étant compétent des infractions de détournements de deniers
publics103 imputables aux comptables publics. La mise en cause intuitu
personae des agents comptables débouche sur l’éviction à certaines charges.
Sur ce postulat, tout agent reconnu fautif par la juridiction financière peut
encourir des déchéances, lesquelles lui interdisent d’assumer pendant un
délai de cinq ans, les fonctions de comptable dans un service, ou d’être
promu à des responsabilités à quelque titre que ce soit104. Bien que
diversement mise en œuvre, la responsabilité des comptables publics,
participe de l’exigence de faire à assumer, à chacun au prorata des fautes
commises, les conséquences dommageables qui en découlent.
Conclusion
En définitive, la réflexion sur la distinction entre le comptable
patent et le comptable de fait en droit de la comptabilité publique au
Cameroun permet de saisir les contours de la modernisation du système
financier camerounais. Elle véhicule l’intérêt justifié d’afficher cette
dichotomie en matière comptable, parce qu’elle permet de restaurer le
principe de la séparation des ordonnateurs et des comptables, tout en
préservant les obligations comptables auxquelles ils sont astreints. Dans
une approche pratique, elle demeure tout de même mesurée. En ce qui
concerne la modération, elle résulte de la convergence des modalités de
mise en responsabilité et de sanctions reconnues à ces deux agents publics.
Poursuivant la limite de la distinction, on peut inférer au regard des
interférences de compétences, qu’il existe une véritable assimilation,
rendant ainsi confuse la scission qu’ont su bien établir les législations
financières.
La pertinence de la présente étude renvoie au demeurant à la
nécessite qu’impose la sécurisation des deniers publics. Cette distinction
1976, relative au contrôle des ordonnateurs, gestionnaires et gérants des crédits publics et
des entreprises d’Etat.
419
est du moins importante, par ce qu’elle implique les exigences d’une bonne
administration financière. Elle donc consubstantielle à la nouvelle gestion
publique. Laquelle dans un contexte d’émergence affichée à un horizon
proche, emporte une utilisation optimale et efficiente des ressources
disponibles, par une affectation directe vers les politiques publiques
qu’elles doivent supporter.
420
LA CONDITION JURIDIQUE DU COMPTABLE PUBLIC EN DROIT
CAMEROUNAIS
Par
Josué NGONO NOAH
Doctorant en Droit public
Université de Douala (Cameroun).
RESUME
Au Cameroun la condition juridique du comptable public est régie par des
normes provenant des registres différents. En raison de la diversité des agrégats à la fois
généraux et spécifiques auxquels il est soumis, le constat qui émerge impose l’hypothèse
selon laquelle cet agent public a une condition juridique particulière. Pour le démontrer,
il sera question dans cette réflexion, d’analyser les deux paramètres qui structurent son
déploiement : la condition juridique dans le domaine financier et la condition
administrative du comptable public en droit camerounais. De ce fait, cette posture du
point de vue juridique est fluctuante. Elle varie entre les règles générales la soumettant
au régime de droit administratif et les règles financières ou les règles spécifiques régissant
la comptabilité publique.
ABSTRACT
In Cameroon the legal condition of the public accountant is governed by
standards from different registers. Thus due to the diversity of both general and specific
aggregates to which it is subject, the finding that emerges imposes the hypothesis according
to which this public official has a particular legal condition. To demonstrate this, this
reflection will analyze the two parameters that structure its deployment: the legal
condition in the financial field and the administrative condition of the public accountant
under Cameroonian law. As a result, this posture from a legal point of view is
fluctuating. It thus varies between the general rules subjecting it to the administrative law
regime and the financial rules governing public accounting.
421
Introduction
L’exécution du budget de l’Etat et ses entités met aux prises deux
acteurs importants : il s’agit d’une part de l’ordonnateur et, d’autre part,
du comptable public. L’ordonnateur qui n’est pas visé par le présent
énoncé, détient le pouvoir de décision en matière budgétaire. Le
comptable public quant à lui possède la compétence exclusive pour manier
les fonds et tenir les comptes des personnes morales de droit public.
Attendu que ce dernier acteur est un maillon essentiel de la chaîne
d’exécution des opérations financières publiques, il ne sera pas vain
d’asseoir une réflexion sur sa « condition juridique ». La présente étude
n’émerge pas d’un terrain en jachère ; au contraire, elle comporte un
élément déclencheur : le comptable public est simultanément soumis à des
normes d’ordre générales1 et spécifiques2. Il est donc un « agent public
exceptionnel »3. En cela, la condition juridique est le sens donné à la situation
ou au statut juridique d’un territoire, d’une organisation internationale,
d’une personne, ou d’une collectivité4.
En raison de sa soumission aux normes générales, c’est-à-dire celles
qui régissent la fonction publique, le comptable public est un « agent
public ». Deux éléments cumulatifs justifient cette appellation. L’un est
organique et l’autre est matériel. Au plan organique, le comptable public
est un agent public parce qu’il est employé par une personne publique. De
là, c’est un agent interne à l’administration et donc soumis aux règles du
droit administratif. Au plan matériel, le comptable public est un agent
public parce que ses activités relèvent du service public. Dit autrement, ce
sont des activités d’intérêt général5.
Relativement aux normes spécifiques, celles strictement liées à la
manipulation des opérations financières, le comptable public désigne
« toute personne régulièrement habilitée à effectuer, à titre exclusif et au nom de l’Etat
ou des autres entités publiques, des opérations de recettes, de dépenses ou de maniement
de titres, soit au moyen de fonds et valeurs dont il a la garde, soit par virement interne
Publique de l’Etat du Cameroun. Il faut préciser que ce texte abroge le Décret n°2013/16
du 15 mai 2013 portant sur le même objet. Voir également la loi n°2003/005 du 21 avril
2003 portant création, fonctionnement de la Chambre des comptes de la Cour Suprême.
3 Le comptable public n’est pas qualifié d’« agent public exceptionnel » dans la présente étude
en raison de son efficacité et/ou de son inefficacité dans l’exercice de ses fonctions, mais
du fait de l’hétérogénéité des normes auxquelles il est soumis.
4 J. SALMON (Dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2014, 4e
tirage, p. 1052
5 Cf. CE Sect., 22 février 2007, Association du personnel relevant des établissements pour
6 Cf. Article 5 alinéa 1 du Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 précité. Voir également
l’article 5 alinéa 1er de la Loi n°2003/005 du 21 avril 2003 précitée et article 2 du Décret
n°78/470 du 03 novembre 1978 relatif à l'apurement des comptes et à la sanction des
responsabilités des comptables.
7 Cf. article 6 alinéa 1er de la loi n°2003/005 du 21 avril 2003 précitée.
8 C’est pour cette raison que le législateur a strictement fait du comptable public « tout agent
régulièrement habilité » par un acte administratif de nomination soit individuel soit collectif, de
manier les opérations financières de l’Etat et ses entités.
9 Cf. Article 5 al.1 du décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 précité.
423
publiques. De là, la gestion de fait par les personnes ou des agents « [non]
régulièrement habilité[s] » est inévitable d’où la consécration de l’appellation
du comptable de fait10. En conséquence, le fait que le comptable public
s’incline devant les normes de sources diverses, conduit facilement à titrer
sa condition juridique de particulière ou de le qualifier lui-même d’agent
public particulier. Néanmoins, cette qualification ne vient qu’en aval.
Encore faut-il déterminer la condition elle-même en amont.
Fort du raisonnement qui précède, l’on maintiendra que le
comptable public en droit public financier camerounais a une condition
juridique duale. Elle ondoie entre les règles générales la soumettant au
régime de droit administratif et les règles financières ou les règles
spécifiques régissant la comptabilité publique. Aussi, recourant
principalement à la démarche dogmatique, casuistique et comparative, c’est
autour de la condition juridico-administrative (I) et financière (II) que l’on
organisera cette dualité.
I. La condition juridico-administrative du comptable public
D’entrée de jeu, il est crucial de noter que la dénomination légale
« comptable public » est l’aboutissant d’un acte administratif
discrétionnaire11 : la nomination. Elle se réalise au moyen d’un arrêté
ministériel. Ce dernier constitue la carte d’accès à la condition juridico-
administrative. Il peut être soit le fait du ministre en charge des finances
uniquement ; soit un acte conjoint du ministre en charge des finances et
du ministre des Collectivités Territoriales Décentralisées.
La condition juridico-administrative renvoie simplement à la
situation juridique administrative du comptable public se traduisant par
certains « rites »12 ou par certaines procédures administratives avant son
entrée en fonction. Au-delà de ces rites (A), la condition juridico-
administrative du comptable public présente des spécificités doublement
liées aux sujétions de fonctions et à la sortie de fonction (B).
A. Une condition exigeant des rites à l’entrée en fonction
L’entrée en fonction du comptable public est conditionnée par
certains rites administratifs : il s’agit de la prestation de serment (1) et de
l’accréditation en passant par l’obligation de constitution des sûretés (2).
10 Cf. Article 6 al.1 de la loi n°2003/005 du 21 avril 2003 précitée ; aussi l’article 38 du
décret n°2020/375 précité.
11 Un acte administratif discrétionnaire est un acte unilatéral pris par une personne publique
comptabilité publique
16 Cf. Article 14 al. 4, Décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 précité.
17 Cf. Article 38 al. 1 de la constitution du 18 janvier 1996 modifiée et complétée par la loi
janvier 2018 : « La Cours des comptes est chargée du contrôle des finances publiques » ; article 24 du
décret n°817/PM/MFB/2015 portant Règlement Général de la comptabilité de la
République du Tchadienne : « Les comptables publics sont avant leur installation, astreints à la
constitution de garanties et à la prestation de serment devant la Chambre des comptes ».
425
par la constitution. Elle est compétente pour « contrôler et statuer sur les
comptes et ceux des entreprises publiques et parapubliques. Elle statue souverainement
sur les décisions rendues en dernier ressort par les juridictions inférieures des comptes.
Elle connait de tout autre litige qui lui est expressément attribuée par la loi »19. Or, la
loi n°2003/005 du 21 avril 2003 fixant les attributions, l’organisation et le
fonctionnement de la Chambre des comptes a réduit les attributions de la
juridiction des comptes aux comptes des comptables publics et de fait20.
Cette compréhension restrictive, voire en recul ou en contradiction avec
la constitution a conduit THEUMOUBE Philippe à proposer « soit une
nouvelle écriture de la loi de 2003 qui intégrerait toutes les compétences y compris le
contrôle de gestion, soit l’internalisation des Directives CEMAC, par la création d’une
Cour des comptes de pleine juridiction au Cameroun »21. A l’évidence, de ces deux
solutions, seule la seconde répond aux exigences communautaires.
En attendant la mise en place de la Cour des comptes, la Chambre
des comptes continu d’exercer des compétences assez proches des
Directives CEMAC. Certainement, c’est pour cette raison qu’elle reste la
juridiction des comptes devant laquelle les comptables publics prêtent
serment.
b. Une prestation de serment effectuée devant la Chambre des
comptes
Dans les faits, le contrôle juridictionnel de l’exécution du budget au
Cameroun a été confié à la Chambre des comptes de la Cour suprême22.
Cela dit, c’est devant ce juge des comptes23 que les comptables publics
prêtent serment. Avant toute progression, il faut relever quelques
incohérences relatives à la nomination du comptable public issues du
nouveau RGCP. Ce texte n’est pas en conformité avec le Code des
Collectivités Territoriales Décentralisées (CCTD) duquel il tire son
fondement24. Relativement aux Receveurs régionaux et municipaux, le
Code est clair : « le recouvrement des recettes et le paiement des dépenses locales sont
effectués par le comptable public de la collectivité territoriale dénommé « Receveur
Chambre des comptes à l’intérieur de la Cour des comptes du Cameroun : intérêt et enjeu », p. 7. Cet
exposé est disponible sur bibilothèque.pssfp.net (consulté le 23/06/2021)
22 Il convient de relever que dans la tradition anglo-saxonne la Chambre des comptes est
plutôt rattachée au Parlement. Par illustration, c’est le cas du « National Audit Office » au
Royaume-Uni et du « Governement Accounting Office » aux États-Unis.
23 Cf. Article 5 al.7 du décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 précité.
24 Au niveau des visas du nouveau RGCP, on peut simple lire « Vue loi n°2019/024 du 24
décembre 2019 portant Code général des Collectivités Territoriales Décentralisées ». En d’autres termes,
le RGCP tire son fondement du Code. Le RGCP est un décret et le Code une loi. Il est
clair, à notre avis, que le RGCP est inférieur au Code selon la hiérarchie des normes de H.
KELSEN.
426
Régional » ou « Receveur Municipal »25. Par ailleurs, le « Receveur Régional et
Receveur Municipal auprès d’une Communauté Urbaine [sont] nommés par arrêté
conjoint du Ministre chargé des Collectivités Territoriales et du ministre chargé des
finances »26. Le Code fait de la nomination des Receveurs régionaux et
municipaux une compétence partagée entre le Ministre chargé des
Collectivités Territoriales Décentralisées et le Ministre chargé des
finances27. Certes dans la pratique cela est effectif28, mais le nouveau
RGCP fait de la nomination de ces deux types de comptables une
compétence exclusive du Ministre chargé des finances29. Cette incohérence
normative laisse simplement remarquer que le RGCP est perfectible.
Le serment est un appel à l’honneur, un « engagement solennel de
comportement d’une personne, lors de la prise de ses fonctions »30. Lorsque ce rituel
est réalisé « selon les formes et devant l’autorité qualifiée, de remplir au mieux sa
mission »31 comme cela en est le cas avec les comptables publics, l’on parle
de « serment promissoire ». Ce dernier se distingue des autres types de
serments rencontrés en procédure ou en droit civil, notamment le « serment
décisoire »32, le « serment déféré d’office »33, le « serment probatoire »34 et le « serment
supplétoire »35. De là, le juge des comptes étant la Chambre des comptes,
l’on est simplement tenté de conclure qu’elle est « la juridiction des comptes
25 Cf. Article 438 de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code Général des
Collectivités Territoriales Décentralisées.
26 Ibidem. Article 439 al.1.
27 Il faut relever que l’acte de nomination collectif (ministre en charge des finances et le
03 septembre 2020 portant nomination des Receveurs municipaux dans les Communautés
Urbaines et Communes.
29 Cf. Article 5 al.5 du décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 précité : « les comptables placés
auprès des Régions, des communautés Urbaines, des Communes d’Arrondissement, dans les communautés
Urbaines, ainsi que leurs collaborateurs (…) sont nommés par le Ministre chargé des finances ».
30 Cf. P. AVRIL, J. GICQUEL, Lexique de droit constitutionnel, Paris, PUF, Que sais-je ?,
à son adversaire, sur des évidences personnelles à ce dernier afin d’en faire dépendre la
solution du litige. Le serment décisoire constitue une preuve légale. La partie à laquelle il est
demandé de prêter serment a trois possibilités : soit elle prête serment et gagne son procès,
soit elle refuse et perd son procès, soit elle réfère le serment à la partie adverse et met ainsi
son sort entre les mains de l’autre partie (Cf. C. civ., art. 1385).
33 En procédure civile, le serment déféré d’office est celui laissé à l’initiative du juge qui ne
peut le déférer que si la demande ou l’exception sur laquelle il porte n’est pas pleinement
justifiée ou totalement dénuée de preuves. Ce serment en peut être référé à l’autre parti (Cf.
C. civ. art. 1386, 1386-1).
34 Le serment probatoire est une Procédure d’instruction par laquelle une partie demande à
428
2. De la constitution des sûretés à l’accréditation
A cette étape d’analyse, seront examinées d’une part la constitution
des sûretés (a) et de l’autre, l’accréditation (b) du comptable public.
a. De la constitution des sûretés
Les comptables publics sont tenus de constituer des sûretés avant
leur entrée en fonction42. En droit civil, on oppose les sûretés personnelles
aux sûretés réelles. Si seules les premières ciblées par la présente analyse
concernent les « biens mobiliers et immobiliers »43 des comptables publics, les
secondes prennent en compte « les privilèges et les hypothèques »44.
Les sûretés sont des garanties. Ainsi, pour l’exécution de ses
obligations, les garanties qui doivent être constituées par le comptable
public avant son entrée en fonction, sont légales puisque prévues par le
législateur. Elles varient d’une catégorie de comptables à l’autre et elles ne
sont pas identiques pour les comptables d’une même catégorie. Une telle
absence d’harmonisation de garanties traduit l’inégalité entre les
comptables publics. Par exemple, les Directeurs Généraux et les
Directeurs Adjoints du Trésor considérés comme les comptables du
Trésor sont astreints respectivement au versement d’un fonctionnement
en garantie de leur gestion d’un montant de cinq (05) et trois (03)
millions45. Ce montant représente le cautionnement. En effet, la règle
applicable au cautionnement trouve ses fondements dans l’article 4 de la
Convention de Rome du 19 juin 1980. L’on constate simplement que le
législateur n’a pas mis en place les mécanismes d’accompagnement relatifs
à la constitution du cautionnement. Lorsque le Directeur Général du
Trésor par exemple, est astreint au versement d’un cautionnement de cinq
(05) millions avant son entrée en fonction, une interrogation émerge : où
prend-il cette somme ? La réponse à cette question parait simple : le
comptable prend dans ses deniers personnels. Jusque-là l’ambiguïté
demeure. Le législateur ne s’est véritablement pas intéressé à l’hypothèse
où un comptable public serait incapable de réunir une telle somme avant
son entrée en fonction. Un prélèvement progressif sur le salaire du
comptable public participerait d’une ébauche de solution. Le
cautionnement devrait être exclu des conditions sine qua non d’entrée en
fonction.
Les valeurs immobilières peuvent également être des sûretés. Donc,
« en garantie de tous les faits de gestion dont les comptables du Trésor sont reconnus
responsables ; il est procédé à l’inscription de l’hypothèque légale sur tous leurs biens
immobiliers »46. Cette seconde catégorie de sûretés se particularise par une
429
injustice à l’égard du conjoint ou de la conjointe du comptable public.
Lorsque les deux conjoints sont mariés sous le régime de la communauté
des biens, cela signifie que les biens acquis dans le mariage, appartiennent
aussi bien au conjoint qu’à la conjointe. Sans doute, les fonctions du
comptable affectent les biens de sa conjointe ou de son conjoint si ces
derniers sont constitués en sûretés avant l’entrée en fonction. Cela dit, les
sûretés ne sont pas les seules exigences administratives définissant la
condition juridico-administrative du comptable public. Ainsi,
l’accréditation du comptable tel un agent public vient étendre le répertoire.
On le sait, les comptables publics sont responsables des deniers
publics qu’ils manipulent. Leur patrimoine personnel est mis en jeu en cas
de défaillance. Le cautionnement auquel est tenu le comptable public est
une assurance personnelle. La seule hypothèse pour laquelle ce mécanisme
est prévu est celle du déficit des caisses. L’obligation de constitution des
garanties constitue un moyen de réparation pécuniaire. Telle une condition
sine qua non à l’installation du comptable public à ses fonctions, voilà à quoi
s’assimile le cautionnement exigé47. Les comptables publics sont astreints
au paiement ou au versement d’un cautionnement dont les modalités sont
fixées par le ministre en charge des finances. Une démocratisation
significative de la fonction de comptable au Cameroun est observée. Pour
couvrir sa responsabilité personnelle et pécuniaire, le comptable public a
donc la possibilité de « contracter une assurance pour couvrir sa responsabilité
personnelle et pécuniaire ». Néanmoins, « la couverture ne peut excéder les neuf
dixième des sommes demeurant effectivement à sa charge, sauf dispositions contraires
résultant des agréments des compagnies d’assurances »48. Si une irrégularité est
constatée, le débet peut être payé par le biais d’un cautionnement mutuel.
Ce dernier s’érige à cet effet en intermédiaire entre l’administration
publique et le comptable. Il revient alors au comptable de payer ses
cotisations sociales.
Après la phase de la constitution des sûretés, intervient
l’accréditation du comptable public.
b. De l’accréditation
L’accréditation au sens du nouveau RGCP du Cameroun, à tout
agent « intervenant dans les opérations financières des entités publiques de notifier à
d’autres agents désignés (…) son acte de nomination (…), sont spécimen de
signature »49. Contrairement à certains Etats50, l’accréditation des
comptables publics au Cameroun est une obligation constituée de deux
« Les ordonnateurs ainsi que leurs délégués et leurs suppléants doivent être accrédités auprès des comptables
assignataires des opérations de recettes et de dépenses inscrites au budget dont ils prescrivent l’exécution ».
430
(02) éléments dont l’accumulation n’est pas obligatoire51. Le législateur a
ainsi fait usage d’un raisonnement alternatif en laissant l’exclusivité du
choix de l’élément souhaité au le comptable.
L’obligation dont il s’agit « s’effectue à la diligence de l’agent lui-même dès
son installation et sous sa responsabilité »52 auprès d’un ou de plusieurs
ordonnateurs. Comme déjà indiqué, l’acte de nomination du comptable
public est un arrêté individuel ou collectif. Celui-ci est donc un acte
exécutoire à portée individuelle. Le spécimen de signature quant à lui
représente l’échantillon ou le model de signature du comptable public.
C’est le signe par lequel le comptable public, signataire s’affirme comme
l’auteur de tout acte qu’il signe53. La présentation de l’acte de nomination
permet de constater et de certifier qu’il s’agit bel et bien du comptable
public formellement désigné, donc accrédité. Le choix du moment de
présentation de ces deux éléments incombe entièrement l’agent public
nommé ; en d’autres termes, le moment de la présentation du spécimen de
signature et de l’acte de nomination ont été laissés à la diligence du
comptable public.
Cependant, il est important de noter que ces exigences ne sont pas
les seuls critères qui définissent la condition juridico-administrative du
comptable public. Au mieux, la condition juridico-administrative est en
outre attachée à sa personnalité juridique du comptable public pendant sa
carrière et à certains rites à sa sortie de fonction.
B. Une condition liée à la personnalité juridique pendant la
carrière et aux rites à la sortie de fonction
La condition juridico-administrative du comptable public est
également jointe à sa personnalité juridique pendant sa carrière (1) et aux
rites de sa sortie de fonction (2).
1. Une condition attachée à la personnalité juridique du comptable
pendant sa carrière
La personnalité juridique du comptable public évoquée à ce stade
n’est pas consubstantielle aux règles et normes encadrant la comptabilité
publique c’est-à-dire les normes particulières auxquelles il est soumis. Elle
est plutôt appréhendée ici comme celle dont bénéficie tout fonctionnaire
ou agent de l’administration soumis au Statut Général de la Fonction
Publique (SGFP) au Cameroun. Comme tout fonctionnaire, la capacité
juridique du comptable public se traduit par un régime de sujétions (a) et
de prérogatives (b) pendant sa carrière.
51 Ibidem. « L’accréditation est l’obligation qui est faite à un intervenant dans les opérations financières des
entités publiques de notifier à d’autres agents désignés (…) soit son acte de nomination (…), soit son
spécimen de signature ».
52 Cf. Article 9 al.2 du Décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 précité.
53 Cf. C.civ., a. 1367. al.1.
431
a. Les sujétions pendant la carrière
Relativement aux sujétions, les fonctions qui doivent être
accomplies par le comptable public au long de sa carrière, et l’attitude qu’il
doit avoir, sont définies par des facteurs plus généraux qui tournent autour
de l'idée de déontologie54. En conséquence, parce qu’il intègre les services
de l’administration publique de façon permanente et pour y faire carrière,
le comptable public comme tout agent public est de façon globale soumis
à trois types d’obligations : l’obligation de servir, de respect pour l’ordre
hiérarchique et de réserve.
Globalement, l’obligation de servir auquel est soumis le comptable
public se traduit par la tenue des comptes de l’Etat. L’exécution cette
obligation se réalise dans le respect des principes et règles de la profession
comptable. Le comptable public s’assure de la sincérité des
enregistrements comptables et du respect des procédures55. Cela implique
qu’il ait un poste de travail et soit effectivement présent dans son service ;
toute chose qui l’astreint à « l’obligation de résidence sur les lieux du service »56.
La résidence dont il est question est administrative. Elle est également
appelée logement de fonction. Toutefois avec l’avènement de la pandémie
de la Covid-19, l’on note une véritable mobilité des idées de « poste de
travail » et de « présence effective dans le service ». A l’observation, la « guerre »57 a
conduit à un bouleversement considérable du fonctionnement habituel de
l’Administration publique. Par confirmation, afin d’exclure les hypothèses
d’exécution discontinue58 des activités de l’administration publique, le 17
mars 2020, le Premier ministre dans sa déclaration relative à la stratégie
gouvernementale de riposte face à la pandémie a édicté 13 mesures59. Dans
la onzième, il reste formel sur le fait que les moyens de communications
électroniques et les outils numériques doivent être privilégiés en temps de
crise sanitaire. Cette onzième mesure de riposte a considérablement
contribué l’éclatement du lieu60 et du temps61 de travail de l’Administration
publique. Au reste, la présence physique de l’agent public à son poste de
Revue trimestrielle de droit économique, Dossier spécial La covid-19 et le droit, Avril-juin 2020, p.
145.
59 Cette déclaration a été faite par le Premier ministre, Chef du Gouvernement, Joseph
DION NGUTE.
60 M. A MOUTHIEU NJANDEU, « Covid-19 et l’exécution du travail », op., cit, p. 142.
61 Ibidem, p. 136.
432
travail est peu à peu remplacée par le « télétravail »62. Sans vouloir centrer
l’analyse sur les mutations du fonctionnement classique de l’administration
publique du fait de la pandémie, relevons que l’obligation de résidence du
comptable public est justifiée par les principes généraux du service public.
En dépit de cette justification, elle porte atteinte à la fois à la liberté de
résidence et de domicile du comptable public. Au-delà du fait que la liberté
de résidence et domicile sont de nature constitutionnelle63, elles sont
également posées comme libertés fondamentales par le droit
international64. Notons que l’astreinte est une obligation stricte, une
contrainte rigoureuse donnant lieu à une compensation financière sous
forme d’indemnité. En l’espèce, le RGCP est muet sur les modalités
d’indemnité relative à l’obligation de résidence.
Le comptable public est aussi astreint à une obligation d’obéissance
hiérarchique65. A notre sens, cette obligation trouve son fondement dans la
loi n°2008/001 du 14 avril 2008 modifiant et complétant la constitution du
18 janvier 199666. En revanche, il faut se confiner dans cette réalité
constitutionnelle avec prudence sinon, on sera flatté de déduire que le
comptable public commet toujours une faute professionnelle en refusant
d’exécuter un ordre de son supérieur hiérarchique. Il est délicat de parler
de l’obligation d’obéissance hiérarchique dans la mesure où les fonctions
des principales autorités chargées de l’exécution du budget de l’Etat
demeurent séparées et incompatibles67. Or, du fait que le ministre chargé
des finances est l’ordonnateur principal unique en termes de recettes, et
qu’il est également l’une des autorités de nomination des comptables
publics, l’on pourrait penser à un lien hiérarchique. Cet aspect des choses
l’objet d’intimidation (…) dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à
son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions
ou de telles atteintes » (art. 12). « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à
l’intérieur d’un Etat » (art. 13).
65 Cf. Article 39 al.1 du Décret n°94/199 du 07 octobre 1994 portant Statut Général de la
Fonction Publique de l’Etat (Cameroun) « Tout fonctionnaire est responsable de l’exécution des
tâches qui lui sont confiées. A ce titre, il est tenu d’obéir aux instructions individuelles ou générales données
par son supérieur hiérarchique dans le cadre du service, conformément aux lois et règlements en vigueur ».
66 Les articles 5 et 11 sont explicites sur deux éléments. D’une part, « le Président de la
République (…) définit la politique de la nation ». D’autre part, « le Gouvernement est chargé de la mise
en œuvre de la politique de la nation telle que définie par le Président de la République ».
67 Cf. Article 64 al.1 et 2 de la Loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant Régime financier
de l’Etat et des autres entités publiques (Cameroun) « Les opérations d’exécution du budget de
l’Etat incombent aux ordonnateurs, aux contrôleurs financiers et aux comptables publics » ; « les fonctions
d’ordonnateur et celles de comptables demeurent séparées et incompatible tant en ce qui concerne l’exécution
des recettes que l’exécution des dépenses »
433
se renforce encore plus avec « les comptables directs du Trésor [qui] exécutent,
sous l’autorité du ministre chargé des finances, toutes les opérations de recettes ou de
dépenses du budget général de l’Etat, des budgets annexes, des comptes spéciaux du
Trésor »68. Les comptables directs du Trésor exercent leurs fonctions dans
les administrations financières étatiques. Ils appartiennent à la catégorie
des comptables publics en deniers et en valeurs. Le législateur semble avoir
résolu cette question quand il précise clairement qu’il « n’existe pas de lien
hiérarchique entre l’ordonnateur et le comptable public »69. Que doit-on
comprendre par la formule « sous l’autorité du ministre chargé des finances » dont
fait usage ce législateur ? Autrement dit, le comptable direct du Trésor
peut-il travailler sous l’autorité du ministre en charge des finances sans
qu’il n’existe aucun lien de subordination ou de supériorité donc
hiérarchique ? Tenter de répondre à ce questionnement par l’affirmatif
constitue une entreprise vouée à l’échec et contradictoire car, cette formule
n’exclut aucunement un lien hiérarchique.
De toute façon, le problème de l’étendue de l’obligation
d’obéissance a été résolu. Elle a donc des limites. Le fonctionnaire est
épargné de cette obligation quand l’ordre est manifestement illégal et de
nature à compromettre gravement un intérêt public70. L’on peut faire trois
déductions. La première : l’illégalité doit être évidente c’est-à-dire qu’elle
ne doit pas être supposée par le comptable public. La deuxième : l’intérêt
public est compromis chaque fois que les conséquences immédiates de
l’exécution de l’ordre illégal affectent les intérêts publics et non les seuls
intérêts du comptable. La troisième : l’illégalité et l’affectation de l’intérêt
public ne sont pas des éléments alternatifs mais, cumulatifs. Toujours
comme tout fonctionnaire ou agent public, le comptable public est soumis
à des obligations en dehors de son service. Il s’agit par illustration de
l’obligation de réserve. Il faut reconnaitre que la déontologie relative aux
fonctions de comptable a une emprise sur la vie privée de ce dernier
comme tout agent public. Ces obligations vont de la réserve à la probité.
L’obligation de réserve renvoie à une retenue de la part du comptable
public dans le cadre de ses propos sur un certain nombre de sujets en
relation avec sa fonction en public. Cette obligation rime avec la discrétion
professionnelle. Le comptable public doit avoir la retenue pour les faits,
informations ou documents dont il a eu connaissance dans l’exercice ou à
l’occasion de l’exercice de ses fonctions. L’obligation de réserve ou de
discrétion professionnelle peut parfois être rattrapée par le fait social. Il est
certaines circonstances pouvant la fragiliser au cours de la carrière d’un
devoir de refuser d’exécuter un ordre manifestement illégal et de nature à compromettre gravement l’intérêt
public, sauf réquisition de l’autorité compétente établie dans les formes et procédures légales. Dans ce cas, sa
responsabilité se trouve dégagée. Il en est de même lorsqu’il a exécuté des instructions légales et/ou données
sous forme légale ». Voir également CE, 3 mai 1961, Pouzelgues, Rec., p. 280 ; TC, 10
décembre 1956, M. Randon et autres c/ sieurs Brunel et autres, Rec., p. 591.
434
agent public ou fonctionnaire. Il peut par exemple s’agir des tensions
d’ordre politique, économique ou social. L’obligation de réserve vient
également buter à celles d’activités syndicales. Tel fut le cas en France avec
l’activité syndicale de la magistrature des évènements de mai 196871. Pour
certains auteurs72, les obligations professionnelles des agents publics ne
devraient régir leur vie professionnelle que pendant les périodes de travail.
A la suite de ces considérations, il est important de relever que le
comptable public bénéficie aussi des prérogatives dans sa carrière.
b. Les prérogatives pendant la carrière
Durant son parcours professionnel, le comptable public bénéficie
des droits et libertés reconnus aux citoyens au motif qu’il en est un et, c’est
dans le cadre des lois et règlements en vigueur qu’il les exerce. Dans cette
mouvance et à titre illustratif, le comptable public en tant qu’agent public
ou fonctionnaire a droit à une rémunération73 et à une formation
permanente74. Après service fait, le comptable public a droit à une
rémunération75. Conséquemment, cette dernière est constituée des
prestations familiales obligatoires et éventuellement des indemnités et
d’autres primes. Les modalités de liquidation du salaire du comptable
public après service fait sont fixées par décret présidentiel76. Le service fait
constitue donc la condition pour un traitement. Dans la même lancée, en
l’absence de service fait pour un motif quelconque, débouche
inéluctablement à une retenue77. Le montant de cette dernière est
proportionnel au traitement indiciaire frappé d’individualité. Il existe deux
hypothèses dans lesquelles l’on note l’absence du service fait. La première
se manifeste lorsque le comptable public « s’abstient d’effectuer tout une partie
de ses heures de service »78. La seconde c’est lorsque ledit comptable « bien qu’en
effectuant ses heures de service, n’exécute pas tout ou une partie des obligations de service
qui s’attache à son poste de travail »79. De toute évidence, la notion de service
fait est un mécanisme protecteur des deniers publics. Il constitue un
événement matériel80 devant être constaté pour rendre exigible la dette de
71 La crise française de mai 1968 traduite par une double agitation sociale et estudiantine,
est le résultat du retrait de la confiance de la majorité des français au Général de Gaulle.
Pour eux, le Général de Gaulle était à dix (10) ans de pouvoir et c’était très suffisant. Ainsi,
l’on est parti de la crise de mai 1968 au référendum de 1969 sanctionné par le départ du
Général.
72 Cf. J-M AUBY, J-B AUBY, D. JEAN-PIERRE et A. TAILLEFAIT, Droit de la fonction
d’un colis tel les fournitures de fluides (électricité, gaz, abonnement téléphonique. Dans ces
hypothèses, la constatation du service fait s’appuie sur les données de la facture ou de l’avis
d’échéance émis par le fournisseur.
81 Cf. Article 3 du Décret n°2000/698/PM du 13 septembre 2000 fixant le régime de
88 Ibidem. Article 8 al.4 : « Lorsque la sélection doit être faite par le Gouvernement, le ministre chargé de
la fonction publique transmet les candidatures à la commission compétente prévue à l'Article 10 ci-
dessous ».
89 Cf. Article 127 al. 1 du Décret n°94/199 du 07 octobre 1994 précité.
90 Ibidem. Article 172 al. 3
91 Ibidem. Article 172 al. 4
92 Cf. Article 39 al. 2 du Décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 précité.
93 Ibidem. Article 39 al. 3.
94 Cf. Article 127 du Décret n°94/199 du 07 octobre 1994 précité.
95 Il s’agit de la démission, du licenciement et de la révocation. La démission est un acte
écrit par lequel le fonctionnaire marque sa volonté non équivoque de quitter définitivement
la Fonction Publique. Le licenciement est une mesure d’exclusion définitive du
fonctionnaire de la Fonction Publique pour des cas ne relevant pas d’une sanction
437
Tout comme les modes de cessation des fonctions, la remise de
service permet d’appréhender les spécificités de la condition juridico-
administrative du comptable public.
b. Les spécificités de la remise de service
La cessation des fonctions d’un comptable public donne lieu à
l’établissement d’un procès-verbal de remise de service. Le procès-verbal
dont il s’agit est administratif. Ce dernier désigne celui qu’un agent de
l’administration confectionne dans certaines circonstances ou événements
en relation avec ses fonctions. Il se démarque du procès-verbal judiciaire96.
Le procès-verbal administratif constate la remise de service au comptable
public entrant. C’est une preuve écrite à laquelle les justifications sont
jointes ou annexées. Elle est constituée de trois principales articulations.
La première est celle sur l’identification et fonction des personnes
concernées par la remise de service97. La seconde est la rubrique de la
reconnaissance des fonds et de la situation de la comptabilité au jour de la
remise de service98. Ces articulations sont accompagnées par une troisième
portant sur l’objet de la remise de service.
Le procès-verbal produit des effets juridiques après sa signature.
Une fois signé, il acquiert un caractère authentique et ne peut être contesté
par le comptable public sortant. La remise de service constate le transfert
de la responsabilité du poste de comptable entre le comptable sortant et le
comptable entrant. Ce rite s’effectue dans la pratique à la date de
l’installation du comptable entrant. Ceci nécessite la présence des deux
comptables à cette date. En revanche, ils peuvent par écrit « déléguer leurs
pouvoirs à un ou plusieurs mandataires ayant qualité pour agir en leur nom et sous leur
responsabilité. Sauf dérogation autorisée par le ministre chargé des finances, le
mandataire doit être choisi parmi les agents du poste »99. Deux analyses peuvent
être effectuées à ce niveau. La première, le législateur ne précise pas les
vu, fait ou entendu. Ce dernier ne peut être élaboré que par un agent mandaté par une
autorité judiciaire à l’instar d’un magistrat, un commissaire de police ou un officier de la
police judiciaire. Sa particularité est qu’il est destiné à faire foi jusqu’à l’administration de la
preuve contraire.
97 Plusieurs éléments entre dans cette rubrique. Il s’agit de l’identité du comptable public
438
critères que doivent réunir les mandataires afin de bénéficier d’une
délégation de pouvoirs. Tout porte donc à croire que quiconque peut
recevoir délégation de pouvoirs pour être mandataire. La deuxième, l’on
constate une extension quantitative infinie du nombre de mandataires
pouvant recevoir une délégation de pouvoirs. Le législateur ne mentionne
pas le nombre limite exact de mandataires. Le comptable public dispose
une marge de manœuvre importante dans la délégation de pouvoirs.
Si la personnalité juridique et des rites à la sortie de fonction du
comptable publique renseignent sur sa condition juridico-administrative, il
n’en va pas de même de sa condition juridico-financière.
II. La condition juridico-financiere du comptable public
D’ores et déjà, précisons que la condition juridico-financière du
comptable public n’est pas déterminée du fait que ce dernier est un agent
public ou un fonctionnaire. Elle est plutôt définie par les activités
comptables et leurs suites dans l’administration publique. La condition
juridico-financière du comptable public est strictement définie dans cette
analyse par une pluralité de rôles comptables (A) et par la mise en jeu de sa
responsabilité (B).
100 Comme comptables des administrations publiques, on peut citer les comptables des
administrations financières des Impôts et des Douanes et des Domaines. Ils sont ceux
chargés du recouvrement des impôts, taxes, droits et redevances, produits et recettes
diverses, ainsi que des pénalités fiscales et frais de poursuite justice y afférents.
101 Cf. Article 22 al.1 du Décret n°2020/375 du 7 juillet 2020 précité.
102 Ibidem.
103 Il est à noter que dans cet aspect des choses, le rôle de garant de la régularité du
440
crédits. Il s’agit des autorisations d’engagement et des crédits de paiement.
Si le premier élément renvoie à la limite supérieure des dépenses pouvant
être engagées105 et dont le paiement peut s’étendre, le cas échéant, sur
période de plusieurs années ; le deuxième désigne la limite supérieure des
dépenses pouvant être payées pendant l’année pour la couverture des
engagements contractés dans le cadre des autorisations d’engagement. En
réalité, le contrôle ne se borne pas à ces deux aspects. Il s’étire à la validité
de la créance.
Avant d’effectuer un paiement, le comptable public s’assure au
préalable de la validité de la créance. Cette action atteste l’hypothèse selon
laquelle le paiement de la dépense relève spécialement de la responsabilité
du comptable106. De là, il doit procéder à un contrôle et c’est en cela que
consiste son rôle de garant de la régularité des opérations de recettes et de
dépenses publiques. Le service fait est un élément permettant au
comptable public de vérifier la validité de la créance. En comptabilité
publique, le service fait est une « prestation exécutée par le créancier de
l’administration et qui doit être justifiée pour permettre le paiement des dépenses
publiques. La constatation du service fait est une des opérations de la procédure
d’exécution de ces dépenses »107. La validité de la créance découle de la
certification délivrée par l’ordonnateur et confirmée par le contrôleur
financier de même que des pièces justificatives. Dans la gestion des
finances publiques de tout Etat, le comptable public occupe une place non
négligeable. Dans les faits, une gestion défaillante de sa part n'est pas sans
séquelles dans la vie financière de l’Etat. A titre illustratif, la Cour des
comptes gabonaise avait été amenée à constituer un comptable public
débiteur de la somme de deux cent trente milliards six cent vingt-six
millions cinquante mille cinq cent quarante-neuf (230 626 050 549) de
francs CFA108. Selon la juridiction financière gabonaise, « les vérifications
effectuées (…) ont révélé que les opérations des restes à recouvrer, d’annulations, de
dégrèvements et d’admissions en non-valeur n’étaient pas appuyées de pièces justificatives
telles que prévues par la réglementation en vigueur »109.
Avant de procéder à tout décaissement, le comptable public
procède en amont à la vérification systématique des documents fournis par
l’ordonnateur et le contrôleur financier. Le comptable public peut partir de
cette position de garant de la régularité à celle de régulateur des opérations
de recettes et de dépenses publiques.
2. Le comptable public : régulateur des opérations de recettes et
de dépenses publiques
105 Cf. Livre blanc sur la réforme des finances publiques précité, p. 79.
106 Cf. Article 22 de la Directive n°01/11-UEAC-190-CM-22 précitée.
107 G. CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2018, 12e éd., p. 2022.
108 Cf. Rapport de la Cour des comptes gabonaise au Président de la République, 2018, p.
28
109 Ibidem.
441
En tant que l’un des acteurs principaux de l’exécution du budget de
l’Etat et de ses entités, le comptable public est un régulateur des opérations
de recettes et de dépenses. Le régulateur est celui qui a pour rôle de
régulariser le cours d’activités ou d’opérations diverses110 et complexes. Ce
rôle est reconnu au comptable public motif pris de ce qu’il est à titre
indicatif celui qui est chargé de tenir correctement la comptabilité
budgétaire (a) et de la comptabilité générale (b).
a. La tenue de la comptabilité budgétaire
Par la tenue de la comptabilité budgétaire, le comptable public est
un régulateur des opérations de recettes et de dépenses publiques. La
comptabilité budgétaire est celle qui permet de retracer la chronologie des
opérations budgétaires et d’effectuer des affinités avec les écritures des
comptables. Conséquemment, elle porte sur toutes les étapes des phases
administratives et comptables de l’exécution des opérations financières. La
comptabilité budgétaire est tenue par le comptable public en partie
simple111. Autrement dit, le comptable public enregistre les opérations
financières des recettes et dépenses dans un seul compte. En réalité, cette
comptabilité est tenue selon la nomenclature budgétaire de la loi de
finances de l’année concernée112. Son atout est qu’elle permet de piloter le
solde budgétaire. Elle obéit donc aux exigences d’annualité budgétaire
même si les « dépenses budgétaires engagées et liquidées au cours de l’exercice
budgétaire peuvent être payées après la fin de cet exercice au cours d’une période
complémentaire dont la durée ne peut excéder trente jours »113. C’est grâce à la tenue
irréprochable de cette comptabilité par l’agent comptable que l’on peut
mieux établir les responsabilités de tous les acteurs intervenus dans la
chaîne budgétaire.
La comptabilité budgétaire est la base du concept « d’autorisations
d’engagement ». A travers ce dernier, « plus aucun gestionnaire ne pourra engager la
responsabilité de l’Etat en dehors de ces autorisations d’engagement dûment répertoriées
par la loi de finances »114. Plus encore, l’Etat du Cameroun tient une
comptabilité budgétaire destinée à vérifier le respect par le gouvernement
de l’autorisation parlementaire115. La comptabilité budgétaire n’est pas le
seul moyen par lequel le comptable public régule les finances publiques.
b. La tenue de la comptabilité générale
Par la tenue de la comptabilité générale, le comptable public au
Cameroun est également régulateur des opérations de recettes et de
dépenses de l’Etat et ses entités. La comptabilité générale est un système
n°2020/375 précité.
122 Cf. Article 28 du Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 précité.
444
est personnellement responsable ou a contribué à falsifier les pièces
justificatives ? Les textes et la jurisprudence camerounaise en matière de
finances publiques ne fournissent pas des éléments de réponse.
Contrairement à la discrétion observée dans le contexte camerounais, la
Cour de Discipline Budgétaire et financière en France123 a résolu cette
question.
La responsabilité du comptable public peut aussi être engagée pour
défaut de recouvrement des recettes ordonnancées124. Le recouvrement
représente une phase d’exécution comptable des recettes postérieure à
l’ordonnancement. L’ordonnancement désigne « l’acte administratif par
lequel, conformément aux résultats de la liquidation, l’ordonnateur donne l’ordre au
comptable de payer la dette de l’Etat ou des autres entités publiques »125. Dans la
phase de recouvrement, le comptable doit avant tout effectuer un contrôle
sur l’autorisation de percevoir. Si les comptables publics doivent se
rassurer que la perception de la recette résulte de l’autorité compétente126,
ils ne sont pas compétents pour apprécier le bien-fondé d’un ordre
régulièrement émis127.
Par ailleurs, la responsabilité du comptable peut être mise en œuvre
pour des paiements effectués en dépassement de crédits ouverts128.
Autrement dit, le déficit de caisse ou de manquement en deniers et valeurs
entraine également la mise en œuvre de la responsabilité du comptable
public. Tel fut le cas dans l’arrêt n°04/CSC/CDC/S1 du 05/11/2005,
NDZANA Jean, Réserve n°1 portant sur les différences en moins ou
déficits résultant des discordances entre les procès-verbaux d’encaisse et
les balances générales des comptes, pour les postes comptables de
YABASSI, EBONE et MOMBO. L’exécution des opérations financières
doit correspondre aux prévisions pour éviter tout déficit budgétaire. Le
déficit est un excédent des charges sur les recettes pour l’ensemble des
opérations budgétaire. Pour les économistes, le déficit est un solde
budgétaire négatif dont le montant provient de l’écart entre les dépenses
publiques et les recettes qui sont présentées dans la loi de finances129.
La responsabilité du comptable public n’est pas toujours mise en
jeu. S’il est certains cas où elle peut être exonérée pour force majeure.
123 Cf. CDBF 4 avr. 2011, Lycée de polyvalent, lycée professionnel, Vauvenargues, GRETA du pays
d’Aix, Rec. 155, ADJA 2011. 1319 ; Gestion et Finances Publiques, n°5-2013, p. 69.
124 Cf. Article 28 du Décret n°2020/375 du 07 juillet, précité.
125 Livre blanc sur la réforme des finances publiques du Cameroun, 2011, p. 80.
126 Cf. C. comptes, 14 et 28 oct. 1871, Casenave et Mazerolles, Service départemental de
de force majeure, ne peut obtenir décharge totale ou partielle de sa responsabilité qu’après production de tous
les justificatifs nécessaires ».
134 Cf. Article 1148 du Code civil du 21 Mars 1804 (30 ventôse an XII).
135 L’extériorité de la circonstance implique qu’il soit étranger au comptable public ou à son
l’évènement ; la force majeure résulte d’un fait que le comptable n’aurait pu prévoir ou
empêcher. En revanche, la mauvaise organisation d'un service, le non-respect de la
réglementation ou l'absence de surveillance sont des causes prévisibles, même si les locaux
se prêtent mal à l'activité de l’agent comptable.
137 L’irrésistibilité s’examine comme le caractère inévitable d’un événement que la volonté
446
un contrôle ou d’accomplir un acte auquel il était tenu140. La présomption
de responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public a un
fondement constitutionnel. Cela étant, c’est la décision du juge des
comptes qui entérine ou non la responsabilité du comptable public. A ce
propos, il faut se référer au préambule de la constitution pour le
remarquer : « tout prévenu est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit
établie (…) »141. C’est également au juge des comptes qu’il revient de
retenir un événement ou une circonstance comme une force majeure. Une
pandémie comme le Covid-19142 peut par exemple constituer une
circonstance de force majeure empêchant les comptables publics
d’accomplir leurs fonctions. D’ailleurs, cela a été constaté en France avec
l’ordonnance n°2020-326 du 25 mars 2020 prise par le ministère de
l’action et des comptes publics relative à la responsabilité personnelle et
pécuniaire des comptables publics. Ce texte français indique que les
mesures de restriction, de circulation et de confinement depuis le 12 mars
2020 impliquant l’état d’urgence sanitaire déclaré par la loi du 23 mars
2020 constituent une force majeure143.
Même si au regard du Code civil les éléments constitutifs de la force
majeure sont identifiables, le législateur dans le RGCP du 07 juillet 2020
s’est contenté simplement d’évoquer la notion comme une circonstance
d’exonération de la responsabilité du comptable public sans mentionner
des exemples.
La mise en œuvre de l’état d’urgence144 peut par ailleurs rendre
totalement ou partiellement impossible pour certains comptables la
réalisation de tous les contrôles et diligences habituels. Dans cette logique,
le régime de responsabilité des comptables publics intègre la variable de
sanctions.
responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics, les mesures de restriction de circulation et de
confinement décidées par le gouvernement à compter du 12 mars 2020 ainsi que l’état d’urgence sanitaire
déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée sont constitutifs d’une circonstance de la force
majeure ».
144 Cf. Plan d’Assistance Humanitaire d’Urgence dans les régions du Nord-ouest et Sud-
ouest de 2018-2019 (Cameroun) créé par le Président de la République Paul BIYA. En fait,
depuis 2016, le Cameroun connait une crise sociopolitique dans ses régions du Nord-Ouest
et du Sud-Ouest. Cette dernière est parti des revendications corporatistes des syndicats des
enseignants et d’avocats. Face à la crise qui paralyse l’éducation et les activités économiques
le Président de la République Paul BIYA s’est lancé dans la recherche des solutions. Il a
par exemple créé la Commission Nationale pour la Promotion du Bilinguisme et du
Multiculturalisme. Par ailleurs, un budget de 12.716. 500. 000 milliards a été consacré à la
reconstruction des deux régions.
447
2. Les sanctions de la responsabilité du comptable public
Le régime particulier de responsabilité des comptables publics a été
défini par le législateur camerounais pour inciter ces derniers à un contrôle
rigoureux des opérations qu’ils exécutent. La finalité d’une telle
consécration semble être la même ailleurs comme en France145. Ainsi, la
responsabilité du comptable public est engagée par un acte de débet de
nature duale. Il s’agit soit d’un débet administratif (a), soit d’un débet
juridictionnel (b).
145 La responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics en France trouve son
fondement dans l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 de finances pour 1963
modifié par l’article 125 de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 : « les comptables publics
sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes, du paiement des dépenses,
de la garde et de la conservation des fonds et valeurs appartenant ou confiés à l'Etat, aux collectivités locales
et aux établissements publics nationaux ou locaux, du maniement des fonds et des mouvements de comptes
de disponibilités, de la conservation des pièces justificatives des opérations et documents de comptabilité ainsi
que de la tenue de la comptabilité du poste comptable qu'ils dirigent ».
146 Cf. C. Comptes, 26 avril 2001, Rec. Trésor, 2002. 206.
147 F. WASERMAN, Les finances publiques, Paris, Découverte de la vie publique, 2016, 8e éd.,
p. 24.
148 J-M MONNIER, Finances publiques, Paris, La documentation française, 2015, 4e éd., p.
123.
149 Cf. Article 37 al.2, Décret n°2013/16 du 15 mai 2013 précité.
150 Avant 1889, tout ministre en France était juge de droit commun en 1 er ressort pour les
151 F. CHOUVEL, Finances publiques, Paris, Gualino Lextenso, 2020, 23e éd., p. 155.
152 Cf. D. n°2005-954, 29 juillet, 2005, art.3
153 Cf. Article 37 al. 3, Décret n°2013/16 du 15 mai 2013 précité.
154 Concernant la jurisprudence financière au Cameroun, lire par exemple Célestin
SIETCHOUA DJUITCHOKO, La Chambre des Comptes de la Cour Suprême du Cameroun, les
principaux arrêts, avis, rapports de certification du compte général de l’Etat et rapports d’observations à fin
de contrôle commentés, Yaoundé, EDLK, 2016, 1ère éd., 476 p.
155 Cf. Rapport annuel de la Chambre des comptes de la Cour suprême du Cameroun,
2007, p. 9.
156 Cf. Article 2 al.1, Loi n°2003/005 du 21 avril 2003 précitée
157 C. SIETCHOUA DJUITCHOKO, « La Chambre des Comptes de la Cour Suprême,
nouveau juge administratif au Cameroun », Revue Juridique et Politique des États Francophones,
n°3, juillet-septembre 2013, pp. 269-285.
158 Cf. CE, ass., 27 octobre 2000, Mme Desvigne, agent comptable de la régie des
Cameroun, les principaux arrêts, avis, rapports de certification du compte général de l’Etat et rapports
d’observations à fin de contrôle commentés, Yaoundé, EDLK, 2016, pp. 369 et s.
161 voir arrêt n°03/AD/S3/12 du 05 décembre 2012, Compte de gestion du Palais des Congrès,
Exercices 2005 et 2006 : « Attendu qu’il ressort des dispositions qui précèdent qu’aucune indemnité,
fut-ce celle du carburant n’a été prévue pour les administrateurs d’un établissement public administratif ;
qu’il résulte aux administrateurs de rembourser les indemnités indument perçues et pour ce faire, il convient
de saisir le Procureur Général près la Cour suprême par un rapport circonstancié pour qu’il puisse inviter le
ministre des finances, tutelle financière du Palais des Congrès, à procéder au recouvrement desdites sommes
auprès des administrateurs concernés », Note C. SIETCHOUA DJUITCHOKO, Juridis Périodique,
n°84, octobre-novembre-décembre 2010, pp. 73-86
162 Cf. Arrêt n°26/CSC/CDC/S1 du 17/12/2013, EDOU OLO'O Jean Louis, Injonction
n°8 portant sur la discordance entre le montant des frais de déplacement porté sur les états
et les titres de paiement d'une part et celui qui figure sur les feuilles de déplacements d'autre
part, Rôle 8. ; Arrêt n°4/CSC/CDC/S1 du 02 septembre 2005, MBARGA Jean Claude,
Réserve N° 3 portant sur la discordance entre le solde de compte courant bancaire de la
Trésorerie Générale d'Ebolowa constaté dans la balance générale des comptes et celui qui
figure sur le centralisateur, Rôle 3/13 ; Réserve n°6 portant sur la discordance entre le solde
du compte courant bancaire de la Recette des Finances de Kribi constaté dans la balance
générale des comptes et celui qui figure sur le centralisateur, Rôle 5/13 ; Injonction N°2 de
l'arrêt n°12 du 18/12/2008 portant sur la différence constatée entre le montant d'un titre
de paiement et celui des pièces justificatives y relative, Rôle 7/13 ; Arrêt n°
04/CSC/CDC/S1 du 05/11/2005, NDZANA Jean, Réserve n°1 portant sur les
différences en moins ou déficits résultant des discordances entre les procès-verbaux
d'encaisse et les balances générales des comptes, pour les postes comptables de YABASSI,
EBONE et MOMBO, Rôle 3 sur 7.
163 I. CHAABOUNI, La protection des personnes soumises à des contrôles fiscaux. Etude comparative
des contrôles de l’administration fiscale, des juridictions financières et de l’Autorité des marchés financiers,
Paris, LGDJ, Lextenso, 2010, p. 97.
450
constatations de fait et des qualifications de droit. Ce système de
« redevabilité financière »164 auquel est soumis le comptable public résulte de
l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de
1789. De l’avis de LE CLAINCHE Michel, « dans une démocratie, il est
essentiel que les citoyens disposent de la garantie d’un usage de l’argent public conforme
au droit et compte tenu des enjeux, on peut comprendre qu’un système spécifique soit
organisé à cet effet »165.
Conclusion
En définitive, l’examen sur la condition juridique du comptable
public en droit camerounais, confirme que cette dernière oscille
principalement entre deux (02) types de règles. D’abord les règles
communes ou générales applicables à tout fonctionnaire ou agent public
soumis au régime de droit administratif. Ensuite, les règles exceptionnelles
ou spécifiques applicables aux seuls comptables soumis au régime de la
comptabilité (publique). C’est à la suite de ces deux catégories de règles
qu’il revient d’indiquer que la condition juridique du comptable public en
droit camerounais est principalement duale : elle est à la fois administrative
et financière. En conséquence, ce positionnement juridique du comptable
public n’est pas tributaire de l’intitulé d’un instrument normatif.
451
FINANCES PUBLIQUES INTERNATIONALES
ET COMMUNAUTAIRES
(Sous la coordination du Prof BEGNI BAGAGNA, Maître de conférences agrégé)
452
LE BUDGET DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES
A L’AUNE DE LA PERFORMANCE : CONTRIBUTION A L’ETUDE
DU BUDGET DES ORGANISATIONS AFRICAINES
D’INTEGRATION
Par
Dr. Firmin NGOUNMEDJE
Ph.D en Droit public
Maître-Assistant CAMES
Chargé de Cours à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Yaoundé II (Cameroun).
RÉSUMÉ :
La réforme des finances publiques ne s’est pas limitée au cadre budgétaire et financier
des Etats, elle s’est répandue pour toucher celui des OAIR, montrant l’évolution du budget.
Expression chiffrée des politiques publiques ayant pour objectif la performance, la notion de
budget a été réaménagée, complétée par des exigences telles que, l’efficacité, l’efficience, l’économie
et l’impact. À la suite des États, les OAIR ont suivi la cadence en procédant à la réforme de
leurs orientations budgétaires, eu égard au virus managérial qui prévaut depuis quelques années.
Marqué par l’atteinte des objectifs fixés, les OAIR font face aux exigences de performance,
condition sine qua non de la réalisation de leurs projets. Les besoins des communautés étant
devenus nombreux, il se faisait déjà ressentir une démarcation entre lesdits besoins et le budget.
C’est ainsi que le processus budgétaire au sein des OAIR a évolué dans ces trois phases à
savoir, l’élaboration, l’exécution et le contrôle. De l’analyse de ces différentes phases, l’on note que
les élans d’arrimage à l’idée de performance dans les OAIR ne sauraient occulter quelques
relents de résistance.
Mots clés : Budget – Organisations internationales – l’aune – performance -
Organisations africaines d’intégration.
ABSTRACT :
The reform of public finances is not limited to the budgetary and financial framework of
the States, it has spread to affect that of the OAIRs, showing the evolution of the revolution the
budget. A quantified expression of public policies aimed at performance, the concept of budget has
been reorganized, supplemented by requirements such as, efficiency, efficiency, economy and
impact. Following the states, the OAIRs have kept pace by reforming their public finances, given
the managerial virus which has prevailed for several years. Marked by the achievement of the set
objectives, the OAIRs face performance requirements, a sine qua non for the realization of their
projects, and especially the flagship of regional integration. The needs of the communities having
become numerous, there was already a discrepancy between the said needs and the budget. This is
how the budgetary process within the OAIRs evolved in these three phases namely, the
development, the execution and the control. From the analysis of these different phases, it is
noticeable the impetus, which however hardly hides the hints of resistance in the budgetary
performance of the OAIRs.
Keys words: Budget - International Organization –the test or proof- performance -
African Integration Organization.
453
Introduction
La question du budget des Organisations d’intégration régionale
s’inscrit aujourd’hui dans un contexte où les enjeux de réduction de la
pauvreté et d’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement
(OMD) sont énormes. L’efficacité de ces organisations ne réside pas
seulement dans les actions qu’elles mènent sur le terrain, mais encore et
surtout dans la gestion des budgets qui sont mis en place. L'Assemblée
générale des Nations Unies a ainsi pu rappeler dans plusieurs résolutions,
que les efforts s’avèrent nécessaires pour normaliser1 au maximum les
pratiques administratives et budgétaires des organisations, pour les rendre
aussi comparables2 que possible3. Face à de nombreuses difficultés
structurelles qui annihilent leurs actions sur le terrain, les Organisations
d’intégration régionale ont été contraintes à une programmation visant
l’atteinte d’objectifs motivés par l’adoption des principes de performance.
L’exigence de performance est également une conséquence de la
transposition au niveau des organisations internationales, des principes des
finances publiques propres aux Etats4. Ces derniers, contributeurs aux
fonds des Organisations internationales (ci-après O.I), font donc pression
sur celles-ci afin qu’elles adoptent une gestion privée tournée vers la
performance. C’est ainsi que la culture de l’audit et autres contrôles va
s’intégrer dans la gestion financière desdites Organisations.
À la différence de la qualité de la gouvernance publique, plus
exactement de la gouvernance financière publique, devenue le point axial
des préoccupations des politiques et des gestionnaires5 et dont les études
sont de plus en plus nombreuses, la question du budget des O.I à l’ère de
la nouvelle gouvernance financière publique, ne fait pas l’objet d’une
attention assez particulière, et pourtant.
Les Etats africains étant pour la plupart sous les Programmes
d’Ajustement Structurel imposés par les bailleurs de fonds internationaux,
ont été contraints « d’adopter des mesures telles que les liquidations et privatisations
des entreprises publiques »6. Ainsi, pour adhérer à l’exigence de performance,
concise des méthodes employées pour formuler les prévisions budgétaires. Ibidem.
3 Parmi les résolutions les plus récentes : 41/204A, 40/25, 40/251, 39/241, 36/229,
UEMOA », Afrilex, 2ème numéro spécial finances publiques, juin 2012, pp. 10 et s.
6 Cf. NTSOGO MBILI (F.), La Chambre des Comptes à l’aune du Nouveau Régime Financier de
l’État en droit camerounais, Mémoire Master II en Droit Public, Université de Yaoundé II,
2017-2018, p. 5.
454
ces Etats ont dû procéder à la modification de leur cadre budgétaire7. Cette
réforme a également eu un impact sur le budget des Organisations
africaines d’intégration régionale (ci-après OAIR), dans la mesure où les
contributions des Etats-membres au financement de leurs activités étaient
devenues faibles, ce qui ne leur permettait plus de mener à bien les
missions qu’elles s’étaient fixées dans l’optique de consolider le processus
d’intégration, tant régionale que sous régionale. La seule alternative pour
les OAIR est restée le recours aux bailleurs de fonds internationaux8, qui,
faut-il le rappeler, financent plus de la moitié de leur budget.
À son temps, Siegfried SCHUMM indiquait déjà le caractère
évolutif du rôle du budget suite au développement des programmes et des
activités de l’Organisation. Le Professeur Alain PELLET par contre, allant
à contre-courant de l’affirmation de John STOESSINGER9, fait observer
que, l’attention portée sur les ressources des Nations Unies, résulte de la
crise qu’elle subit. Toute chose qui conduit à penser que le caractère
évolutif du budget de l’ONU est la conséquence des faits extérieurs10.
Cette situation est également perceptible dans le budget des OAIR, surtout
avec ce « virus managérial » appelé performance qui se répand à une vitesse
considérable modifiant de ce fait les pratiques budgétaires, comptables et
financières classiques. Le discours est donc porté sur la gestion par la
performance du budget desdites, laquelle peut être définie de diverses
façons, plus ou moins opérationnelles11.
La notion de budget vient de l’anglais budget, lui-même issu du vieux
français bougette signifiant petit sac12. Comme l’a si bien rappelé le
7 Le nouveau cadre les a conduit à procéder la baisse du budget public dans les secteurs
sociaux, le gel des recrutements, la réduction des effectifs dans la fonction publique,
l’abaissement de l’âge de départ à la retraite etc.
8 Ce sont des institutions internationales créées lors des accords économiques signés à
budget des Nations Unies. Voir STOESSINGER (J.), Financing the U.N. System, the
Brooking Institution, Washington, 1964, pp. 10-25.
10 Voir PELLET (A.), « Budget et programmes aux Nations Unies. Quelques tendances
cohérents les objectifs et les actions des acteurs avec les objectifs du niveau supérieur ». Pour plus
d’éclairage, lire MALTAIS (D.), « Performance et gestion de la performance », in Côté (L.)
et SAVARD (J.-F.) (dir.), Le Dictionnaire encyclopédique de l’administration publique, 2012 [en
ligne], www.dictionnaire.enap.ca. Lire également GUILLAUME (H.), DURAND (G.) et
SILVENT (F.), Gestion publique, l’État et la performance, Paris, Dalloz–Presses de Science-po,
2002, p. 27.
12 DAMAREY (S.), Finances Publiques, France, Gualino, Manuels-Fac-Universités, 2008, 2ème
édition, p. 344.
455
Professeur Gilbert ORSONI, le sens financier de la notion de budget est
apparu en 1733 lorsque le ministre des finances britannique présenta son
rapport annuel avec cette formule : to open the budget, c’est-à-dire ouvrir la
bourse pour l’année à venir13. Le budget de manière traditionnelle est
défini comme l’acte par lequel sont prévues et autorisées les recettes et les
dépenses annuelles de l'État14. Le budget constitue non seulement, un
instrument de politique publique, mais aussi et surtout, un cadre incitatif
de mise en œuvre et de traduction des politiques publiques15. Il est à la fois
un acte de prévision, d’autorisation et périodique16 mis au même titre que
l’État, au service des Organisations Internationales.
L’un des traits majeurs de l’évolution des relations internationales au
XXe siècle est certainement la multiplication et le rôle croissant des
organisations internationales qui se sont progressivement étendues à
toutes les activités humaines. L’idée d’organiser politiquement la société
internationale est née en réaction à l’anarchie qui résulte des conflits
internationaux et de l’insuffisance de la doctrine de l’équilibre17. C’est ainsi
que, tous les appels en faveur d’une organisation structurée des relations
internationales jadis restés « du domaine de la doctrine ou de la propagande »18, a
favorisé « non seulement le développement du droit international, mais aussi des
organisations internationales »19. La communauté internationale, jadis
composée des Etats souverains et « égaux » a considérablement évolué
vers l’institutionnalisation d’un nouveau groupe de sujets qualifiés
d’organisations internationales20. Les Organisations internationales sont
des sujets dérivés de droit international21 en ce sens que, leur avènement
résulte de la volonté des Etats22. Cependant, ces Organisations disposent
13 ORSONI (G.), Science et législation financières, budgets publics et lois de finances, Paris,
Economica, coll. Corpus Droit public, 2005, p. 206.
14 AKAKPO (M.-B.), Démocratie financière en Afrique Occidentale francophone, FES, Bénin, 2015,
p. 51.
15 Voir TSAFACK NANFOSSO (R.), Budget et politique économique en Afrique, Yaoundé, Clé,
internationale actuelle est défendue par Jean SALMON à travers une réflexion autour de la
nécessaire coexistence entre l’État et les Organisations Internationales.
21 Au plan théorique, la doctrine internationaliste est restée jusque-là partagée sur les
de pourparlers entre Etats membres sans véritable contraintes normatives. Nous pouvons
citer entre autres, l’ONU, l’OMS, l’UNESCO, l’OMC. D’autre part, les Organisations
d’intégration qui bénéficient des mécanismes de fonctionnement articulé autour des
principes qui laissent entrevoir un ordre juridique spécifique. Cette spécificité est relative
aux principes de primauté du droit communautaire et d’applicabilité directe.
26 Au rang de ces Organisations d’intégration, l’on peut citer l’UE, qui représente une
l’origine de la formation d’une organisation. Dans le cas de la présente étude, il s’agit d’une
Charte par laquelle les Etats décident de créer une Organisation Internationale.
28 CABRILLAC (R.) (dir.), Dictionnaire du vocabulaire juridique, Paris, Litec, Coll. Droit, 2002,
p. 199. Ce sont des organisations dont les membres sont exclusivement les gouvernements
centraux des États. Leurs caractéristiques sont similaires à certains égards et différentes à
d’autres égards de celles des États dont elles sont une émanation. Rappelons que
l’'organisation internationale est un concept qui exprime la tentative de mise en ordre des
relations internationales par l'établissement, au-dessus des frontières, des liens durables
entre gouvernements ou groupes sociaux désireux de défendre des intérêts communs, dans
le cadre d'organes permanents, distincts des institutions nationales, ayant leur propre
personnalité, capables d'exprimer une volonté propre et dont le rôle est d'assumer certaines
fonctions d'intérêt international. Pour plus de précision, Cf. GERBET (P.), « Naissance et
développement », Revue Internationale des Sciences Sociales, vol. XXIX, 1977, n°1, p. 7.
457
grand d'États membres29, de l'étendue des compétences attribuées à
l'organisation30, des objectifs et des moyens ou des modalités de
fonctionnement et de la nature des pouvoirs de l'organisation31.
Selon la théorie des organisations internationales32, une organisation
d'intégration résulte d'une démarche volontaire de deux ou plusieurs
ensembles de partenaires appartenant à des Etats différents en vue d'une
mise en commun d'une partie de leurs ressources33. Pour mieux
comprendre ce qu’on entend par organisation d’intégration, il faut
procéder à la segmentation de la notion, surtout mettre l’accent sur le
concept « intégration ». L’intégration désigne la formation d’une unité à
partir d’éléments distincts34. C’est une politique de reproduction et de
substitution35. L’intégration est un processus qui comprend plusieurs
29 Il s’agit des organisations universelles ayant vocation à réunir tous les Etats (ex : ONU,
UNESCO), mais aussi des organisations régionales, dont le champ d’application est limité à
des Etats liés par une solidarité géographique (ex : Conseil de l’Europe).
30 Il s’agit ici des organisations à compétences générales c’est-à-dire, qui peuvent étendre
leur action à des domaines nouveaux sans avoir à justifier d’un titre spécial de compétence.
L’on intègre dans cette catégorie également les organisations à compétences spécialisées,
qui interviennent dans des matières qui ne relèvent pas de leur spécialité ou ne figurent pas
dans leurs attributions. Cette étendue des compétences attribuées à l’organisation
l’internationale peut être politique, militaire, économique, technique, culturelle. Sur la
classification des organisations internationales, voir VIRALLY (M.), « De la classification
des organisations internationales », SFDI, Genève, octobre 1970, pp. 365-382.
31 Dans cette catégorie, l’on range les organisations de coopération, qui ont pour but de
favoriser la coordination des politiques des Etats-membres. L’on n’y ajoute les
organisations d'intégration qui ont pour but de rapprocher les Etats qui les composent, en
reprenant à leur compte certaines de leurs fonctions, jusqu’à les fondre en une unité
englobante dans le secteur où se développe leur activité, c’est-à-dire dans le domaine de
leur compétence. Lire VIRALLY (M.), « Définition et classification des organisations
internationales : approche juridique », in ABI-SAAB (G.) (dir.), Le concept d’organisation
internationale, UNESCO, 1990, p. 55. V. BERNARD (E.), « La distinction entre organisation
de coopération et organisation d’intégration : L’Union Européenne au carrefour des
« méthodes », in DUBIN (L.), et RUNAVOT (M.-C.) (dir.), Le phénomène institutionnel
international dans tous ses états : transformation, déformation ou reformation ?, Paris, Pedone, 2014,
pp. 2-3.
32 ROCHE (J.-M.), Théorie des organisations internationales, cité par MONZALA (W.-S.-C.), Les
de la volonté des Etats membres, cependant à un niveau plus global. La substitution quant
à elle, provient du fait que, les Etats sur la base d’un accord unilatéral les liants, s’engagent à
effectuer des transferts de compétences au profit de l’Organisation dans certains domaines
où un ordre juridique nouveau, celui de l’Organisation, vient se superposer à celui des Etats
membres. On parle d’Organisations de subordination ou d’intégration pour indiquer
qu’elles se situent dans un processus de fusion progressive des Etats membres. Cf.
458
étapes36, qui le plus souvent est régionale. Dans les relations entre Etats,
définir l’intégration régionale, « c’est expliquer comment et pourquoi ils fusionnent
volontairement avec leurs voisins et perdent ainsi les attributs de leurs souveraineté tout
en acquérant de nouveaux moyens propres à résoudre les conflits qui pourraient surgir
entre eux »37. De plus, faut-il le rappeler, parler d’intégration c’est l’envisager
dans sa double dimension38.
Pour être en phase avec la doctrine, l’on conviendrait comme le
souligne Simon DREYFUS que, les Organisations régionales sont celles
« qui n’intéressent qu’une fraction du monde dont elles ont vocation à regrouper les
Etats en raison d’affinités diverses, de leur proximité géographique et de la communauté
d’intérêts qui en résulte »39. Ce sont donc ces organisations d’intégration
droits de douanes et des restrictions quantitatives. Ensuite, l’Union Douanière qui a pour
effet d’unifier les tarifs douaniers des pays intéressés à l’égard des autres pays. Ce qui se
caractérise par l’institution d’un Tarif Extérieur Commun (TEC). En troisième lieu, le
Marché Commun dans lequel sont supprimées toutes les restrictions concernant les
multitudes de facteurs à l’intérieur de la zone. Cela veut dire que les personnes, les biens, les
capitaux et les services peuvent circuler librement à l’intérieur de la zone. Enfin, l’Union
Économique prévoit dans une certaine mesure, l’harmonisation des politiques
économiques, monétaires, fiscales et sociales. Elle peut conduire également à l’unité de
politique et à l’harmonisation des systèmes de défense. Cité par OUSMANE SARR (N.),
ibid., p. 10.
37 HAAS (E.-B.), cité par ALGER (C.-F.), « Fonctionnalisme et intégration », Revue des
459
régionale40, qui ont emboité le pas aux États, dans le vent d’arrimage de
leurs budgets, aux exigences de la nouvelle gouvernance publique. Cela
d’autant plus que, cette dernière ventile un nouveau paradigme de gestion
des finances publiques axée sur la performance.
Si les textes se contentent d’énoncer l’idée de performance, aucun
d’eux ne dit ce qu’est la performance, ni en outre ce que doit être sa
consistance. Selon Le Grand dictionnaire Larousse, la performance est un mot
anglais qui signifie « exécution, achèvement; par extension, exploit quelconque ».
Cette définition met l’accent sur ce qu’on cherche à réaliser ultimement et
correspond à la définition qu’en donne l’OCDE : « le rendement ou les
résultats d’activités effectuées dans le cadre d’objectifs poursuivis. Sa finalité est de
multiplier les cas dans lesquels les pouvoirs publics atteignent leurs objectifs »41. Selon
Jacques CHEVALIER la performance est traditionnellement liée à
l’économie de marché42. Au sein des sociétés contemporaines, la
performance est désormais accentuée sur les résultats, ce qui marque ainsi
le passage d’une logique de moyens à une logique de résultat. C’est ainsi
que, « la performance est un nouveau paradigme de gestion des finances publiques qui
influence la prise de décision et la conduite des politiques budgétaires »43. La
performance peut se définir comme un système de gestion basée sur le
triptyque référentiel efficacité, efficience et économie44 qui consiste à
40 Dans la présente étude, nous nous limiterons à l’étude du budget des Organisations
d’intégration régionale africaines.
41 OCDE, Moderniser l'État : la route à suivre, Paris, Éditions OECD Publishing, 2005, p. 65.
42 CHEVALIER (J.), « Performance et gestion publique », in Réformes des finances publiques et
buts ou aux buts qu'on lui a fixé. Être efficace consiste à produire des résultats escomptés
et réaliser des objectifs fixés en terme de qualité, de rapidité et/ou de coûts. L’efficacité
désigne aussi le rapport entre les résultats obtenus et les objectifs.
L’efficience désigne, à partir d’une situation de référence, la mesure de la quantité de
service fournie/produite à niveau de ressource inchangé. Dans le cadre particulier des
finances publiques, l’efficience met en relation les résultats atteints (nombre de salles de
classes construites, de km de routes réalisées, de tonnes de produit distribuées, de
personnes touchées,...) avec les ressources financières utilisées. La recherche d’une plus
grande efficience consiste à garantir un niveau de service équivalent au moindre coût. Elle
désigne également le rapport entre les résultats obtenus et les moyens
L’économie consiste à réduire au minimum le coût des ressources. Les moyens mis en
œuvre doivent être rendus disponibles en temps utile, dans les quantités et qualités
appropriées et au meilleur prix. Ibidem., p. 155.
460
mettre les administrations face à leur responsabilité découlant des objectifs
fixés au préalable en vue de l’atteinte des résultats escomptés45. Cependant,
TURCOTTE ne considère que la notion de performance comme source
de confusion avec les notions d’efficacité et d’efficience, du fait de la
distinction performance individuelle de performance organisationnelle. Il
considère que, « elle se différencie de l’efficacité qui est la capacité d’atteindre des
objectifs ainsi que l’efficience qui rend compte de la capacité d’être efficace au niveau de la
fabrication, peu importe si les produits se vendent bien ou non »46. Cette ambigüité
définitionnelle n’ayant pas favorisé une appréhension perceptible de la
notion de performance, a poussé M. Christian MARMUSE à dire que la
notion de performance « revêt donc des aspects multiples, sans doute convergents,
mais qui méritent d’être abordés dans une logique plus globale que la seule appréciation
de la rentabilité (…) »47.
Il faut dire que l’instauration de la performance est le résultat de
l’internationalisation des échanges et l’interdépendance des systèmes
financiers48. La réforme touchant au budget des OAIR n’est pas le fait du
hasard, elle est la résultante des multiples crises enregistrées dans les
Finances publiques49. Ces différentes crises sont à l’origine de
l’instauration du New Public Management50. Ce dernier a pour objectif de
rompre avec la bureaucratie des institutions publiques qui s’avère
inefficace. C’est ainsi que la gestion publique s’est enrichie des méthodes
de gestion du secteur privé51. C’est en cela que « le NPM représente davantage
un levier qui déplace le ‘bon ordre’ de l’administration, en s’appuyant sur la légitimité
utilitaire du savoir managérial. Il en capte la force disciplinaire au moyen d’un
étalonnage des performances, qui conjugue l’art de gouverner sur le mode impératif de la
pp. 2194-2207.
48 V. NTSOGO MBILI (F.), op. cit., p. 153.
49 Les Etats étant les principaux contributeurs financiers des OAIR, n’ont pas échappé à la
crise des finances publiques les poussant à revoir leurs interventions et à ouvrir le marché
et à libéraliser l’économie pour devenir un régulateur. Les Etats africains étant pour la
plupart sous PAS imposés par les bailleurs de fonds internationaux
50 Le New Public Management (NPM) est une innovation de gestion qui rime avec efficacité et
efficience.
51 Ainsi, à la rigidité d’une Administration bureaucratique centralisée, focalisée sur son
propre développement, le NPM oppose un secteur public reposant sur trois piliers
« Économie, Efficacité, Efficience », capable de répondre à moindre coût aux attentes des
citoyens, désormais devenus des clients (AMAR et BERTHIER, 2007) cité par VAN
HAEPEREN (B.), « Que sont les principes du New Public Management devenus ? », Reflets
et Perspectives de la Vie Économique, Tome LI, Vol 2, n°2, 2012, pp. 83-99.
461
compétitivité »52. Dès lors, comme le rappelle Yvon PESQUEUX « La
primauté accordée au pragmatisme par le NPM conduit à privilégier les modes de
résolution des problèmes par les instruments qui fondent ainsi un fonctionnalisme
rassurant. La problématique centrale tend alors à devenir celle de l’efficacité des
instruments et d’un changement lié à leur usage adéquat »53. Le New Public
Management tire sa source de la rencontre entre la nouvelle économie
institutionnelle, la prise en compte de la bonne gouvernance et la
recherche de la performance54. La réception d’un système de performance
au sein des OAIR, découlant du new public management, s’est donc
manifestée par la réforme de la conception du budget avec pour
conséquence immédiate la modification de la nomenclature budgétaire
classique par l’intégration du budget-programme55. Au même titre que les
Etats, ces Organisations ont été contraintes de procéder à la
restructuration de leur système financier jusque-là centré sur une logique
de moyens, en le recentrant sur une logique de résultats. Ce passage est né
d’abord des exigences des bailleurs de fonds, ensuite de la nécessité pour
lesdites Organisations de réaliser les missions pour lesquelles elles ont été
créées, et enfin de rompre avec le système d’administration wébérienne qui
ne produisait pas de résultats concret au regard des besoins exprimés et
surtout du retard de l’Afrique en matière d’intégration56. Toute chose qui
démontre que, « l’esprit de réforme présente un caractère quasi universel »57.
En tout état de cause, la compréhension de la présente étude est
conditionnée par la détermination du discriminant, qui n’est autre que la
locution prépositive ou prépositionnelle « à l’aune ». Cette dernière appelle
à une focalisation particulière sur la nomenclature budgétaire des OAIR
par rapport à la nouvelle gouvernance financière publique imposée par la
performance. Ainsi, il s’agit de faire un constat dans l’optique d’établir un
rapprochement ou une inadéquation, du budget de ces Organisations à la
gestion axée sur les résultats.
À l’analyse, il est un fait, celui du rayonnement de l’obligation de
performance dans le budget des Organisation sous étude. De ce fait, s’il
demeure constant que le budget de ces dernières a connu une
renforcement des liens de solidarités entre les Etats d’une même aire géographique.
57 ORSONI (G.), « De l’esprit de réforme et de quelques fondamentaux », in Réformes des
58 Rappelons que, de manière stricto sensu, l’Union Africaine est la seule organisation
d’intégration ayant une compétence élargie à l’Afrique. Cependant, l’intégration étant
également une politique économique, l’Union Africaine considère les communautés
économiques régionales comme les piliers de l’intégration économique du continent. Union
Africaine, Commission économique pour l’Afrique, État de l’intégration régionale en Afrique II :
Rationalisation des communautés économiques régionales, ARIA II, Addis-Abeba-Éthiopie, 2006, p.
xvii.
59 Il s’agit de l’Afrique Centrale, de l’Ouest, de l’Est et du Nord.
60 BELTRAME (P.), « Complexité et rationalité dans la gestion du système financier
61 Celle-ci interpelle les OAIR à mettre l’accent sur les résultats que sur les moyens, toute
chose qui démontrera le pragmatisme de ces Organisations et par conséquent la réalisation
de leurs objectifs originels.
62 Le positivisme sociologique est l’opinion développée à partir du positivisme
philosophique d’Auguste COMTE, que les sciences sociales comme les autres sciences
devraient observer des méthodes empiriques strictes.
63 L’analyse économique est importante pour la réalisation des réformes juridiques, pour
l’amélioration des actes juridiques et tout le système assurant leur mise en pratique. Cf.
TALAPINA (E.), Contribution à la théorie du droit public économique par l’analyse comparative du
droit français et du droit russe, Thèse Doctorat en Droit, Université de la Réunion, 30
septembre 2011, p. 251.
64 EBERHARD (S.-A.), « Principes de base d’une réforme du droit administratif », RFDA,
par différents acteurs, publics et parfois privés (exerçant une mission de service public),
dont les ressources, les attaches institutionnelles et les intérêts varient, en vue de résoudre
de manière ciblée un problème qui sur le plan politique a été identifié comme collectif. Cf.
NTSOGO MBILI (F), La Chambre des Comptes à l’aune du nouveau régime financier de l’État en
droit camerounais, op. cit., p. 154.
465
défini, à résoudre un problème social qui sur le plan politique a été défini.
Dès lors, une évaluation consiste en une analyse et une appréciation
systématique et transparente de la conception, de la mise en œuvre et/ou
des effets69. Elle vise à porter un jugement objectif sur la qualité de la
gestion faite par les autorités administratives70.
Cependant, elle revêt un caractère discutable, car tout en s’appuyant
sur les accomplissements prévus et réalisés, elle questionne la chaine des
résultats, les processus utilisés, les facteurs liés au contexte et les liens de
cause à effet pour saisir les réalisations ou leur absence. L’évaluation
examine les relations qui existent entre les activités et les résultats aux fins
de mettre à disposition des informations qui sont nécessaires à
l'amélioration de l'efficacité d’un projet. Elle vise à déterminer la
pertinence, l’impact, l’efficacité, l’efficience et la durabilité des
interventions et les contributions de l’intervention aux résultats obtenus.
Pour cela, elle doit fournir des informations factuelles suffisamment
crédibles et fiables.
Pour renforcer l’efficacité des actions, l’évaluation n’est plus faite
seulement pendant ou après, mais aussi avant. Avant la détermination des
programmes budgétaires, la pratique au sein des OAIR est à l’évaluation
des actions en vue d’établir leur pertinence et efficacité par rapport aux
objectifs que celles-ci se fixent. Une évaluation est ainsi faite avant
l’adoption du budget pour permettre de déterminer les chances de succès
des programmes. En d’autres termes, ce mode d’analyse évalue les
structures et procédures administratives en fonction de leur capacité à
encadrer voire à résoudre une situation jugée politiquement comme
problématique et inacceptable71. Par ailleurs, l’évaluation peut aussi
s’appuyer sur l’analyse de l’exercice budgétaire précédent, pour faire un
état des recettes et dépenses à venir en faisant un audit financier,
comptable et juridique afin d’anticiper sur les éventuels risques.
En somme, l’évaluation est prospective, centrée sur les objectifs
arrêtés, avec comme finalité, porter un jugement sur les effets qu’a
l’intervention des différents organes des OAIR, sur la résolution des
besoins de la communauté. C’est ainsi qu’elle se démarque des
orientations plus managériales qui visent principalement à s’assurer que les
ressources de l’administration sont utilisées conformément aux règles en
vigueur et que les résultats constatés sont proportionnels aux moyens
mobilisés72. Par ailleurs, l’évaluation apporte une autre plus-value, relative à
l’amélioration du fonctionnement intrinsèque des OAIR, qui à vrai dire,
69 Ibidem.
70 Elle consiste à faire une appréciation de la façon dont les responsables gèrent leurs
activités, leurs responsabilités et leurs ressources afin d’atteindre les objectifs fixés par le
législateur.
71 JOST (S.), AEBY (D.), MOINAT (G.), ANTILLE (E.), « Audit de performance ou
évaluation des politiques publiques Comment choisir ? », Expert Focus 2017 | 4, p. 217.
72 Ibid., p. 222.
466
n’est pas une fin en soi, non plus sine qua non, mais plutôt une des
conditions nécessaires, mais non suffisante, à la qualité des prestations
fournies pour assurer la satisfaction des besoins exprimés par la société.
2. La planification stratégique pluriannuelle du budget
Dans l’optique d’atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés, les
OAIR, ont instauré un nouveau système de budgétisation qui emporte
comme conséquence, le remodelage de la gestion et par ricochet du top
management73. L’objectif étant de sortir du diktat de l’immédiateté
qu’impose de fait la mécanique du principe d’annualité74. Dans ses
recherches sur le terrain, M. Abdelghani BENDRIOUCH a pu identifier
près de neuf méthodes de budgétisation dont la budgétisation par nature
ou ligne budgétaire, utilisant l’approche incrémentale (BPN)75, qui est usité
par les OAIR, ainsi que l’approche managériale. Ces approches sont à
l’origine de la planification stratégique pluriannuelle du budget.
La planification pluriannuelle permet d’établir un lien entre les
stratégies à moyen ou long terme et le budget annuel en définissant le
cheminement pour atteindre les objectifs des plans ou stratégies, et en
encadrant les adaptations du budget, nécessaires à leur mise en œuvre76. Il
ambitionne d’atteindre trois objectifs majeurs77.
73 La gestion budgétaire vise sur la base de prévisions calculées en fonction des conditions
aussi bien internes qu’externes de l’entreprise, à établir des programmes pour une période
donnée en vue de les contrôler par la confrontation avec les réalisations. La gestion
budgétaire au sens moderne du terme se veut quantifiée (traduction en chiffre des objectifs
de l’entreprise) et s’applique à l’ensemble de l’entreprise (l’entreprise étant considérée
comme un tout, toute décision aura son impact à tous les niveaux.). La budgétisation quant
à elle, peut être définit comme une expression en valeur des objectifs de l’entreprise ou tout
simplement, le budget est tableau qui comporte le résultat des prévisions. Voir « Le
contrôle de gestion par l’élaboration d’un système budgétaire » article consulté sur
d1n7iqz6ob2ad.cloudfrontnet, le 04 septembre 2020 à 09 h 29, p. 5.
74 DEGRON (R.), « Pluriannualité et performance : droit budgétaire européen et national,
(BPV) ; le budget à base zéro, utilisant l’approche modulaire (BBZ) ; la budgétisation par
fonction, utilisant l’approche fonctionnelle (BPF) ; la budgétisation par département,
utilisant l’approche bureaucratique ; la budgétisation par centre de responsabilité, utilisant
l’approche participative (BPC) ; la budgétisation par activité, utilisant l’approche activité
orientée objet (BPA) ; la budgétisation par processus, utilisant l’approche input output
(BPP) ; la budgétisation par ouvrage, utilisant l’approche projet (BPO). Ibid., p. 8
76 COLLANGE (G.), DEMANGEL (P.) POINSARD (R.), Guide méthodologique du suivi de la
2018, p. 2. C’est dire donc que le budget de l’UA est voté chaque année, mais basé sur des
objectifs à long terme.
79 Dans le cadre du Plan à moyen terme de la Commission de l’UA qui est compris entre
2018 – 2023.
80 Dans le cadre stratégique pour orienter la mise en œuvre d’un programme.
81 L’UA s’est inscrite dans une stratégie d’insertion des programmes dans une perspective
pluriannuelle, avec une planification portant sur une période de dix ans minimum, suivant
son actualisation chaque année. Les programmes au sein de l’UA quant à eux sont
quinquennaux à l’instar de du Plan d’action quinquennal de l’UA sur l’autonomisation des
jeunes en Afrique à l’horizon 2019-2024, de la mise en œuvre de la stratégie de la science,
de la technologie et de l’innovation pour l’Afrique (STISA)-2024. Ibidem., pp. 17-18.
82 Son abréviation DSIR-AC.
83 Groupe de la Banque Africaine de Développement-Afrique Centrale, Document de stratégie
d’intégration régionale pour l’Afrique centrale 2019-2025, version révisée - juin 2019, p. 11.
84 La CEMAC et la CEEAC se recoupent géographiquement, et ont des origines similaires.
organisations publiques, éd. SEFI, 2000, cité par LARHILD (A.), Ibidem.
469
B. L’adaptation de l’exécution du budget à l’exigence de
performance
Pour s’arrimer au mouvement général de modernisation des
finances publiques, les OAIR se sont approprié la bonne gouvernance
financière fondée sur la performance89 et la gestion axée sur les résultats90.
Ainsi, la gestion axée sur la régularité des actes, qui induit une obligation
de moyens, a cédé à la gestion fondée sur la performance qui débouche sur
une obligation de résultats91, par l’efficience des outils de prise de
décisions. En conséquence, l’on assiste à la construction d’une exigence de
rationalisation (1) et de contrôle en passant par l’induction de la logique de
résultat (2).
1. La rationalisation et l’optimisation des choix budgétaires
Les Organisations africaines d’intégration régionale, à l’instar des
Etats, ont inséré dans la conception budgétaire, la maitrise des éléments
couts et stratégies et des prévisions budgétaires, question d’adopter la
technique de la rationalisation des choix budgétaires.
Pour ce qui est de la rationalisation des éléments coût et stratégies.
Le coût peut être défini comme « la somme des dépenses que chaque entreprise
supporte pour se procurer des ressources et mettre en œuvre le processus de production ».
Inspirée du PPBS92 utilisé aux États-Unis, la rationalisation des choix
budgétaires a pour objectif, d’optimiser les choix budgétaires par une
meilleure prise en compte, évaluation et contrôle des résultats. La méthode
repose sur des outils d’analyse systémiques et bilans, cout-efficacité93.
Désormais au sein des OAIR, le budget est un outil de rationalisation des
éléments importants du coût, consistant à ce que ces derniers soient
attribués aux résultats clés94, aux objectifs phares dont le point de
89 La performance et la gestion axée sur les résultats sont une nouvelle orthodoxie
budgétaire qui marque une évolution substantielle dans la gestion budgétaire et dont le
crédo est « efficacité, efficience, économie ». Pour plus d’approfondissement, lire,
STECKEL (M.-C.), L’essentiel des finances publiques communautaires, Paris, Gualino, 2007, 2ème
éd., p. 11.
90 La gestion axée sur les résultats a apporté des approches nouvelles et conduit à la
interventions dans le budget 2020, rappelle que Le budget 2020 continuera de rationaliser
les éléments clés du coût pour veiller à ce que les coûts soient attribués aux résultats clés de
l’Union. Cela se fera par le processus en cours de restructuration de l’Union.
470
convergence est l’intégration du continent sur le plan régional et sous-
régional95.
L’objectif étant de procéder à une optimisation, il sera question
avant d’allouer des fonds à un programme de comparer le coût et
l’efficacité des actions à entreprendre96. Les analyses coût-bénéfice
consistent essentiellement à mettre en évidence les coûts, ou désavantages,
et les bénéfices, ou avantages, que comporte chacune des différentes
options politiques97. Les stratégies ici, font référence à la budgétisation par
secteurs clés pouvant produire des résultats à l’issue de l’évaluation du
processus de performance de l’organisation.
À l’instar des Etats, les Organisations africaines d’intégration
régionale sont ancrées dans le processus de modernisation de leur gestion
financière. Cette tendance est exprimée à travers la rationalisation des
prévisions budgétaires. C’est ainsi que, l’on constate au sein de ces
organisations, un passage du budget de moyens98 au budget programme.
La logique empirique du budget de moyens, était fondée sur des objectifs
« dont la justification tient plus du plaidoyer que de la démonstration »99. Ce système
d’établissement du budget avait l’effet néfaste de manquer de rationalité,
même au sein des OAIR. C’est la raison pour laquelle la tendance pour
une approche budgétaire par programme, a été nécessaire afin de rendre
les choix budgétaires plus rationnels.
La prévision se fonde sur des données historiques pour fournir un
plan global du budget dans le futur. Au sein des OAIR, le budget est établi
sur la base des prévisions budgétaires rationnelles, car la performance
budgétaire recherchée ici, est à la fois financière100 et technique101. Ces
PEACOCK (A-T.), ROBERTSON (D.-J.) (éds.), Public Expenditures Appraisail and Control,
Edinburgh, Olivier and Boyd, 1963, p. 18.
98 Le budget de moyens dans sa logique propre, est constitué de trois éléments : d’’abord la
valeur nette actualisée, différence entre des bénéfices et des coûts futurs, actualisés à un
taux qu'il convient de définir.
101 La performance technique se mesure par des indicateurs physiques ou économiques : le
niveau de réalisation des objectifs fixés de l’organisation, les résultats obtenus au niveau de
chaque programme par secteur financés, indicateurs de qualité, de délais… La performance
technique importe, en particulier au niveau opérationnel de l'exécution des politiques (des
objectifs) où la recherche d'une meilleure productivité des actions menées, leur efficience,
qui est un gage de la bonne utilisation des fonds alloués.
102 MEDE (N.), op. cit., p. 65.
103 L’UA a comme instrument politique de pluriannualité une prospective dont la vision est
inscrite dans son agenda politique de 2063, suivant ces aspirations. Lire dans ce sens
Document cadre budgétaire 2020 de l’Union.
104 Cette période va de 2019 à 2025.
105 MEDE (N.), op. cit., p. 67.
106 V. SARKOZY (N.) (dir.), La démarche de performance : Stratégie, objectifs, indicateurs. Guide
éléments essentiels ; la notion qu'un ou des buts sont décidés, l'idée que ce sont des
humains qui mettent en œuvre des activités pour réaliser les buts et, finalement que pour
472
Le contrôle de gestion pratiqué au sein des OAIR bien qu’étant le
résultat d’une activité interne, est une forme de gouvernance de pilotage
des projets, qui consiste à évaluer le niveau de réalisation, et faire des
ajustements en cas de besoin. Ainsi depuis les années 2000, la politique des
finances publiques n’a plus pour objectif de couvrir l’augmentation des
interventions, mais s’attache à en assurer un meilleur pilotage
d’ensemble108. Au sein de l’UEMOA, le contrôle de gestion est « un système
de pilotage mis en place par le Président de la Commission en vue d'améliorer le rapport
entre les moyens engagés, l'action développée et les résultats obtenus par un responsable
de programme »109. L’Union Africaine dans le cadre du pilotage de son projet
d’intégration, a mis en place un système de gouvernance par l’adoption
d’une nouvelle formule d’intégration qui procède au renforcement, à la
rationalisation, à la coordination et l’harmonisation des Organisations sous
régionales existantes110. Lors de la 13ème conférence des Chefs d’État et de
gouvernement de la CEEAC, les membres ont décidé d’accélérer le
processus d’harmonisation entre la CEEAC et la CEMAC. À ce titre, il a
été mis en place un Comité de pilotage de la rationalisation des
communautés économiques régionales en Afrique centrale111.
réaliser des buts, des individus doivent travailler ensemble. En conséquence, le contrôle de
gestion est composé :
- d'activités non systématiques de planification stratégique visant à définir les
orientations. Des activités que réalisent les dirigeants (leaders) habiles à mesurer
les menaces et à saisir les opportunités de l'environnement externe ; et
- d'activités systématiques de coordination et de surveillance visant pour les
dirigeants à décider des activités à mettre en œuvre, à communiquer les stratégies
et les tâches à accomplir, à assurer la combinaison optimale « tâche à
accomplir/personne », à motiver les individus, à évaluer la performance
individuelle et d'ensemble et à apporter les actions correctives au besoin. Lire
dans ce sens, BRIAND (L.), Le contrôle de gestion dans la modernité avancée : une analyse
structurationniste, Cahiers du CRISES, coll. études théoriques, février 1999, p. 4
108 ARKWRIGHT (E.), BŒUF (J.-L.), COURREGES (C.), GODEFROY (S.), MAGNAN
(M.), MAIGNE (G.) et VASQUEZ (M.), Les finances publiques et la réforme budgétaire, Paris, La
documentation Française, collection Découverte de la vie publique, 2008, 4 ème édition mise
à jour, p. 24.
109 Article 21 (11.2) du Règlement financier de l’UEMOA.
110 Pour plus d’approfondissement sur la question, lire Ousmane SARR (N.), L’Union
88.
115 Par le contrôle sur la gestion, il faut pouvoir déterminer si les résultats sont atteints, si
les ressources sont utilisées adéquatement et si l’organisation produit ce pour quoi elle a été
créée. Pour y parvenir, il faut aussi savoir si les employés travaillent bien, si les budgets sont
respectés et s’ils sont appropriés et si les résultats obtenus correspondent aux besoins de
l’usager. Lire PROUX (D.), Management des organisations publiques. Théorie et applications,
Québec, Presses de l’Université du Québec, 2008, 2ème édition, p. 156.
116 Ces standards font référence à la transparence, l’efficacité, l’efficience, la performance, la
117 On fait référence ici à l’ensemble éléments entrant dans le champ du programme, à
l’instar du budget opérationnel de programme, du responsable des programmes etc.
118 KANKEU (J.), La réforme de l’État par la performance, Bafoussam, PUP, mars 2012, p. 62.
119 Groupe de la Banque Africaine de Développement-Afrique Centrale, op. cit., p. 41.
120 Article premier du Règlement n° 01/2018/CM/UEMOA portant Règlement Financier
475
programmes, de projets comme en matière de gestion publique »124. L’objectif étant de
constater si les programmes ont été réalisés de manière efficiente,
l’efficience constitue la première dimension de la performance125. Dans le
cadre particulier des finances publiques, l’efficience met en relation les
résultats atteints avec les ressources financières utilisées .Elle désigne
également le rapport entre les résultats obtenus et les moyens utilisés126.
L’efficience des outils de prise de décision, renvoie à un ensemble de
mesures qui ayant fait l’objet d’analyse, est susceptible de produire les
effets escomptés. Ces outils de prise de décisions reflètent « directement
l'influence ou la manière dont le pouvoir se traduit en action »127, au sein des OAIR.
Le libéralisme politique et économique ayant eu un impact
considérable sur les Etats, a ouvert une nouvelle ère dans la gestion des
finances de ces dernières. Celle-ci est marquée par la recherche de la
qualité dans la gestion budgétaire128. Les standards de bonne gestion
budgétaire et financière sont élaborés, de nouveaux instruments
d’évaluation des finances publiques sont définis129; l’efficience des outils de
prise de décision s’est alors avérée importante dans la gestion des finances
des OAIR. Le constat est ainsi fait, sur la base des outils favorisant
l’érection des décisions efficientes.
Les organisation africaines d‘intégration régionale pour décider de
l’attribution des crédits, font une analyse qui sur le plan économique est un
instrument d’optimisation des dépenses, la comparaison des demandes
budgétaires sur la base de leurs avantages relatifs130, la définition des
objectifs qui déterminent les différentes politiques qu’elles pourraient
atteindre, c’est la phase du planning131. La phase programming leur permet
124 PESQUEUX (Y.), « La notion de performance globale », article de janvier 2004 en ligne
sur le site https://www.researchgate.net/publication/46478757, consulté le 8 novembre
2020 à 21h 45.
125 Il s’agit de la capacité d’une unité de produire des résultats en consommant le moins de
Certes, les décisions n'expriment pas directement le pouvoir. COX (R.-W.) JACOBSON
(H.-K.), « L’analyse de la prise de décision », Revue Internationale des Sciences Sociales, Vol
XXIX, n°1, 1997, p. 125.
128 Cf. NGOUNMEDJE (F.-M.), « Loi de règlement et contrôle de l’exécution du budget :
contribution à l’étude de la pertinence de la loi de règlement dans les Etats d’Afrique noire
francophone », RAFiP, n°3-4, 2018, p. 110.
129 Ibidem.
130 La procédure budgétaire à ce niveau permet aux OAIR de de comparer les demandes
budgétaires sur la base de leurs avantages respectifs. En effet, dans la mesure où les
ressources budgétaires sont limitées, il ne suffit pas de justifier une demande de crédits par
le fait que le résultat sera utile. Lire SOGUEL (N.-C.), « La budgétisation au service de la
performance avant et après la nouvelle gestion publique », op. cit., pp. 11-13.
131 ANDREANI (E.), « Budget de programme et rationalité de la décision publique », op.
cit., p. 646.
476
de faire des choix stratégiques qui sont traduits en termes financiers après
comparaison, elles ne retiennent pour chaque objectif que la meilleure
option. Dans cette perspective, la programmation au sein des OAIR, leur
permet de « minimiser les doubles emplois au niveau des activités dans tous les
départements et organes »132. C’est ainsi que l’introduction de la performance
au sein des OAIR constitue une déconstruction de la structuration
classique du budget « fondée sur l’approche des moyens pour instaurer la nouvelle
approche orientée vers les résultats »133.
Les Organisations africaines d’intégration régionale tout comme les
Etats, sont à la recherche de la performance budgétaire, qui est une
exigence de la nouvelle gestion publique partant du postulat selon lequel,
le budget doit produire les effets escomptés. Cette position est à l’origine
de l’adoption d’un système budgétaire fondé sur le modèle incrémental et
managérial, qui s’est enrichie d’une donnée nouvelle qu’est la
rationalisation budgétaire.
Cependant cela s’avère insuffisant puisque les finances publiques
étant en mouvement, subissent également les chocs macroéconomiques,
qui montrent à suffisance qu’au sein des OAIR, la budgétisation par la
performance est contrastée. En effet, des résistances à la mutation vers la
performance persistent.
II. Les relents de résistance à la performance du budget des OAIR
La démarche de réforme des finances publiques observée sur tous
les continents, n’a pas épargné les Organisations africaines d’intégration
régionale, qui ont adaptées les méthodes de gestion utilisées par les
entreprises privées, à leur propre gestion, prenant modèle sur le
management privé. Cependant, le processus ne s’est enclenché sans
obstacles, au regard d’un certain nombre d’actions susceptibles de
perfections émaillant le budget des OAIR. Ayant un impact négatif sur la
performance dudit budget, ces relents sont déduits des contrastes à la fois
endogènes (A) et exogènes (B).
A. Les résistances à la performance endogènes aux OAIR
La démarche de la performance au sein des Organisations africaines
d’intégration régionale n’est pas chose aisée, car malgré les différentes
mesures prises pour arrimer leur budget à la nouvelle gouvernance
financière, il demeure des imperfections. À l’origine de ces imperfections,
des contrastes endogènes aux OAIR, liés tant au déséquilibre budgétaire
permanent (1), qu’aux dysfonctionnements constatés dans l’exécution
desdits budgets (2).
132 Document cadre Budgétaire 2020 de l’Union Africaine, op. cit., p. 24.
133 CHEVALLIER (J.), « Performance et Gestion publique », in réformes des finances publiques
et modernisation de l’administration, op.cit., pp. 83 et s. V. aussi, BOUVIER (M.), « Inventer une
nouvelle gouvernance financière publique : fonder l’État du XXIe siècle », éditorial RFFP,
n°100, 2007. pp. 3 et s.
477
1. Le déséquilibre budgétaire permanent
À l’instar des Etats, les OAIR font également face à un certain
nombre de facteurs ayant un impact négatif sur la performance de leur
budget, avec pour cause principale, l’incidence des aléas financiers
multiples. Du fait de cette situation, il est prévu généralement la gestion
des risques de mise en œuvre, et les mesures d’atténuation.
Les aléas financiers mettant à mal la performance budgétaire au sein
des Organisations africaines d’intégration régionale sont multiples. Nous
pouvons citer entre autres, le non-respect du paiement des contributions
statutaires, raison pour laquelle dans le Document cadre de l’Union
Africaine, il est fait mention de ce qu’elle « continuera à encourager les États
membres à verser leurs contributions statutaires au début de l’année pour veiller à ce que
l’Union exécute ses programmes sans éprouver des problèmes de décaissement tardif des
fonds »134. Les retards dans le décaissement des fonds, du fait du non-
respect par les organes de la date de soumission de leurs différents
rapports, la fragmentation de la mobilisation des ressources domestiques
et le renforcement des partenariats public-privé135, sont autant de défis
auxquels font face les OAIR, qui impactent sur la performance de leur
budget.
L'environnement macroéconomique et socio-économique des États
membres des OAIR, a un impact potentiel sur leur capacité de respecter
leurs obligations de financement. La forte dépendance de l'Afrique sur les
produits primaires agricoles et minéraux et le faible niveau des activités de
fabrication industrielle sont autant de facteurs à l’origine du déficit
budgétaire constaté au sein de ces Organisations. Les faibles prix des
produits de base et le protectionnisme croissant n'ont pas aidé la
croissance de l'Afrique, et ce, favorisé par la chute des prix des produits
de base notamment le pétrole.
Ainsi pour que l'Afrique puisse maintenir une croissance
économique positive pour rendre plus performant son budget, une priorité
essentielle est d'accélérer la profondeur et le rythme de l'intégration
régionale afin de faciliter des échanges plus importants, d'accroître la
diversification et la croissance durable, de créer des marchés plus vastes,
de mutualiser le capital humain et les ressources naturelles et de tirer parti
des différents avantages comparatifs des pays africains136.
2. L’imprévisibilité des dépenses
En finances publiques, l’élaboration d’un budget signifie le préparer
d’une part et l’adopter d’autre part aux fins de son exécution pour qu’il
137 BESSALA (G.), Ajustement Structurel et Droit Budgétaire Camerounais : contribution à l’étude des
Droits Budgétaires des États Africains sous Ajustement Structurel, Thèse de Doctorat/Ph.D en
Droit Public, Université de Yaoundé II, 2017, p. 235.
138 Ces dépenses ont été évaluées à 2309,1 milliards FCFA. Même les dépenses
d’investissements ont augmenté de 7,9%, ainsi que de 11,7% les transferts et subventions
pour un cout de 1260,3 milliards FCFA. Il en est également de même pour du service de la
dette qui a augmenté de 20,8%. Cf. LINGE (I.), « UEMOA : les recettes fiscales
consolidées des Etats membres se sont améliorées de 14,8% au premier semestre 2019 »,
Agence Ecofin, 23 septembre 2019. Consulté le 18/03/2021 à 00h 48 sur
https://www.agenceecofin.com/finances-publiques.
139 Document Cadre Budgétaire 2020 de l’Union Africaine, op. cit., p. 7.
140 En 2018, le budget total approuvé de l’Union s’élève à 778.156.518 dollars US
141 Le budget estimé au sein de l’Union Africaine pour 2016 était de 416 867 326 $ (à
l'exclusion du budget de la Mission de l'UA en Somalie. Du montant de 416 867 326 $, 150
503 875 dollars US étaient réservés pour les coûts d'exploitation et 266 363 451 $ pour la
mise en œuvre des programmes. Un total de 169 833 340 $ devait provenir des
contributions des États membres et 247 033 986 $ proviendraient de partenaires
internationaux [Assembly/AU/Dec. 577 (XXV)], ce qui laissait un déficit de financement
de 149 266 824 $ dans le budget-programme. La CUA a été autorisée à solliciter un
montant supplémentaire de 70 552 314 $ auprès des partenaires du programme. Cf : Union
Africaine, Rapport annuel consolidé et états financiers de la commission de l’union africaine au titre de
l’exercice financier clos le 31 décembre 2016, p. 12.
142 SHARPLES (S.), TELLIER (C.), « Réformes des finances publiques en Afrique et
143 SCHUMM (S.), « L’établissement du budget dans les organisations du système des
Nations Unies », op. cit., p. 27.
144 Ibid., p. 28.
145 ELHAMMOUMI (A.), La gestion axée sur la performance : le cas de la fonction achat du ministère
rationalisation des choix budgétaires, Paris, PUF, coll. Economie d’aujourd’hui, 1978, pp. 20-45.
481
« ont investi le champ politique et se sont appropriées la responsabilité du maintien de la
paix et de la sécurité dans leur espace territorial »149. Cette situation est aussi à
l’origine, puisque le manque de coordination et surtout d’harmonisation
fait en sorte durant l’évaluation du coût de la mission, il est quasiment de
savoir à hauteur de combien pourra contribuer chaque organisation.
L’implication des hommes politiques est aussi un frein à la
performance budgétaire du point de vue de l’élaboration car, le processus
de financement se résume trop souvent à une lutte d’influence politicienne
pour favoriser tel ou tel projet150, sans forme constructive. Généralement,
les fonds alloués dans le cadre des missions de paix sont votés en fonction
des crises du moment, et une estimation est souvent faite en ce qui
concerne les éventuels conflits à venir. L’Union Africaine par exemple a
mis en place un Fonds pour la paix151, qui se trouve souvent insuffisant,
limité. Pour pallier à la carence de ce Fonds, l’Union en vertu du Protocole
du Conseil de Paix et de Sécurité, a prévu un fonds fiduciaire renouvelable
afin de constituer une réserve disponible en cas d’urgence et de priorités
imprévues152.
B. Les résistances à la performance exogènes aux OAIR
L'implémentation de la nouvelle gouvernance financière publique
démontre que l’intégration de la gestion axée sur les résultats à la gestion
financière et au processus budgétaire ne va pas de soi153. Si à l’origine,
l’intervention des bailleurs était principalement financière, elle s’est
transformée depuis les PAS des années 1980, et surtout 90, et a entrainé
un changement du modèle de gestion budgétaire et financière154, qui n’a
pas épargné les OAIR. C’est dans ce sillage que, mettant en œuvre les
149 GUEUYOU (M.), « Articulation normative des systèmes africains de maintien de la paix
et de la sécurité », In La paix et la sécurité internationales, Communication présentée lors d’un
atelier conjoint de l’Observatoire politique et stratégique pour l’Afrique (OPSA) et du
Groupe de réflexion, tenu à Paris le 13 novembre 2002.
150 SHARPLES (S.), TELLIER (C.), « Réformes des finances publiques en Afrique et
et autres activités en lien avec la paix et la sécurité. Ce fonds est alimenté est alimenté à
partir du budget normal, des contributions volontaires des Etats membres, des partenaires
et d’autres sources, telles que : le secteur privé la société civile, des particuliers, et d’autres
activités connexes de l’Union résultant de la collecte de fonds.
152 Le barème de financement du fonds fiduciaire renouvelable est déterminé par les
482
objectifs de performance, ces dernières se trouvent confrontées à certaines
difficultés, qui de manière globale, renvoient aux limites structurelles (1) et
conjoncturelles (2).
1. Les limites structurelles
Les Organisations africaines d’intégration régionale ne sont pas
exemptes de toute responsabilité issue de ce statu quo, qui annihile la
performance de leur budget. La structuration de ces organisations
renseigne à suffisance sur les imperfections ou les résultats déplorables
observés sur le plan budgétaire. À l’origine de ces bémols structurels,
l’absence de règlement des engagements financiers, et d’un contrôle
spécifique de performance budgétaire.
Ces Organisations sont victimes du vide juridique résultant du non
encadrement normatif du système de financement de leurs activités par les
différents acteurs. Toute procédure de financement d’une organisation est
normalement soumise à un règlement qui sur le plan financier, constitue la
norme encadrant l’engagement des différents contributeurs. L’engagement
est une action consistant à mettre en gage, de se lier par une convention.
Au sens strict, elle est une « manifestation de volonté par laquelle une personne
s’oblige. Il est une source de l’obligation »155. En droit financier, « Acte ou fait
juridique faisant naitre à l’encontre d’une personne publique une obligation génératrice
d’une charge budgétaire »156. C’est un acte qui doit être consigné par écrit,
manifestation d’une consolidation solennelle de la confiance servant de
base dans la collaboration financière qui sur le plan des finances publiques
internationales, doit faire l’objet d’un encadrement règlementaire.
L’absence de règlement des engagements financiers est à l’origine
des problèmes de performance du budget au sein des OAIR. Le non-
respect des délais de versement des contributions, et même le non
versement des contributions par certains Etats membres, ainsi que des
partenaires internationaux, sont autant de maux qui ralentissent le
processus d’atteinte des objectifs que se fixent ces organisations, lesquels
mettent leur budget à l’épreuve de la performance157. L’on fait ainsi le
constat déplorable selon lequel, les OAIR ont choisi comme approche
d’incitation au respect des engagements financiers, des recommandations
155 GUINCHARD (S.), DEBARD (T.) (dir.), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz,
2017-2018, 25ème éd., p. 863.
156 Ibid.
157 À titre de droit comparé, le Comité des contributions de l'ONU a établi un barème des
quotes-parts, selon plusieurs critères. Ce barème est révisé périodiquement sur le conseil du
Comité. Il sert de base au barème de nombreuses organisations, qui l'ont adapté en
fonction de leurs caractéristiques et de leur composition. À l'OACI par exemple, 75 % des
contributions sont calculés conformément au barème de l'ONU, les 25 % restants étant
basés sur l'importance de la flotte aérienne de chaque pays, déterminée d'après leurs
services aériens internationaux. À l'OMI, 90 % des contributions sont calculés en fonction
du tonnage de la marine marchande, et 10 % seulement sont basés sur le barème de l'ONU.
Cf : SCHUMM (S.), L’établissement du budget dans les organisations du système des Nations-Unies,
op.cit., p. 15.
483
qui figurent dans la plupart des cas, dans les documents cadre qui n’ont
aucune force contraignante.
Or, si les contributions faisaient l’objet d’un encadrement juridique,
le simple fait pour un État membre ou un partenaire international de
s’engager financièrement aurait produit des effets de droit. Ainsi, le non-
respect engagerait immédiatement la responsabilité de l’acteur défaillant
dans le cadre d’une procédure pour un recours en manquement devant des
instances spécifiques. En effet, en tant que mécanisme palliatif de
l’absence de réciprocité en droit de l’intégration158, le recours en
manquement se pose comme une solution à la crainte d’une inefficacité
du droit de l’intégration, du fait, notamment, de la mise « hors du jeu » de la
réciprocité159. Dans le cadre de la CEMAC, le recours en manquement
est clairement posé par le traité révisé CEMAC qui précise en son article 4
qu’en cas de manquement par un État aux obligations qui lui incombent
en vertu du droit communautaire, la Cour de Justice peut être saisie en vue
de prononcer les sanctions dont le régime sera défini par des textes
spécifiques160.
Dans le domaine de la physique, la performance est considérée
comme un effet “utile” au regard de l’objet qui est le sien, d’où la référence
possible à la définition du Larousse : « Ensemble des qualités qui caractérisent les
prestations (…) »161. De ce fait, pour qualifier une prestation de qualitative et
surtout de quantitative162 il faut qu’elle fasse l’objet d’un contrôle
spécifique de performance par des instances externes, autonomes et
indépendantes, à l’instar du Parlement et de la juridiction financière. Ce qui
n’est pas le cas au sein des OAIR où les organes en charge de l’exécution
performante des programmes, sont confondus à ceux en charge du
contrôle. Bien que l’Union africaine dispose d’un Conseil de vérificateurs
externes qui n’exerce ses compétences que sur les comptes163, il n’en
158 KAMTOH (P.), Introduction au système institutionnel de la CEMAC, Yaoundé, Afrédit, 2014,
p. 180.
159 BATIA EKASSI (S.), L’institution supérieure de contrôle des finances publiques au Cameroun,
comptes de l'UA, des comptes de la CUA y compris des fonds fiduciaires, des fonds de
projets et des fonds spéciaux, et veille à ce que ces vérifications soient conformes aux
normes et aux lignes directrices en matière d'audit internationalement reconnues. Le
Conseil fait rapport au Conseil exécutif de l'UA par le biais du Comité des représentants
permanents de l'UA (COREP). Cf : Union Africaine, Rapport annuel consolidé et états financiers
de la Commission de l’Union Africaine au titre de l’exercice financier clos le 31 décembre 2016, p. 24.
484
demeure pas moins que c’est l’organe en charge de l’exécution qui effectue
ses propres contrôles, et n’est responsable que devant un organe
politique164.
Cependant, étant donné que le souci d’une bonne administration de
la chose publique exige un éclatement du pouvoir165, il faudrait faire
intervenir dans la chaine d’exécution des opérations budgétaires166, de
nouveaux acteurs. L’éclatement de pouvoir tel que conçu sous le revers de
la séparation des pouvoirs au sein de l’État, ne constitue que l’extension du
principe de la séparation des fonctions dans les finances publiques par
l’introduction de nouveaux gestionnaires, qui apporte en matière de
gestion financière, la garantie d’une grande lisibilité et efficacité de l’action
publique, bref d’une performance de l’action publique167.
Cependant, cette centralisation ou conservation du contrôle de
performance est une épine à la performance budgétaire car, à sens unique,
interne aux administrations des OAIR, et par ricochet trop subjectif,
irrationnel. C’est dans ce sillage que le rôle de l’institution parlementaire
étant obsolète, devrait être revalorisé. Il en est de même de la juridiction
des comptes qui n’étant visible que sur le plan sous-régional, n’a pas pour
compétence d’exercer un contrôle de la performance budgétaire au sein
des OAIR. Cette absence de contrôle de performance par ces instances
spécifiques ne permet pas d’avoir une vision claire sur l’évolution
budgétaire et le niveau de réalisation des objectifs.
2. Les limites conjoncturelles
Les OAIR sont des structures qui dépendent sur le plan financier
des ressources des pays membres, qui font face depuis quelques décennies
168 Commission de l’UA, Agenda 2063, L’Afrique que nous voulons, Document-Cadre,
septembre 2015, p. 143.
169 Au cours des 50 dernières années, les pays de toutes les régions d'Afrique ont connu, à
des degrés divers, des conflits et l'insécurité. L’on peut citer l’absence de pluralisme; la
gestion inappropriée des diversités (ethniques, religieuses); une concurrence sévère pour les
ressources rares (terrestre, minière, en eau, forestière, etc.); la gestion économique
médiocre; et les catastrophes d’origine naturelle ou humaine.
170 La prolifération de la piraterie maritime en Afrique est également étroitement liée à la
fragilité des États. Aujourd'hui la piraterie maritime est effectuée principalement avec deux
régions de l'Afrique: la Corne et le Golfe de Guinée. Tout comme le trafic de drogues, le
piratage perturbe également les économies régionales. Par exemple, l'industrie touristique
du Kenya a été sérieusement affectée par les activités des pirates et le gouvernement a été
contraint de prendre des mesures extraordinaires. Les flux financiers illicites permettent le
détournement des fonds plus que nécessaires pour le développement de l’Afrique vers
d'autres régions du monde. Ibid., p. 142.
171 Une combinaison de plusieurs facteurs, y compris la situation géographique de l'Afrique,
Hill, 1991, p. 8.
486
l’instabilité, le sous-emploi, les inégalités, la monoproduction, ainsi que la
dépendance financière et politique résultant des facteurs extérieurs à
l’instar des relations de domination avec l’étranger173.
Les contributions des États membres et des partenaires au
développement demeurent la source principale de financement des
activités des OAIR. Seulement, ces dernières voient leur budget mis à
l’épreuve de la performance sur le plan financier et géostratégique au
regard de la faible participation des Etats membres sur ces pans. Le fait en
est que, les partenaires au développement sont des bailleurs de fonds qui
contribuent à près de 70% au financement des activités des OAIR174. C’est
à partir 2019 que l’Union Africaine a commencé à procéder à la réduction
des contributions des partenaires au développement. Elle s’est ainsi
décidée, lors du vote de son budget, à réduire sa dépendance financière
vis-à-vis des partenaires et renforcer son autonomie par un accroissement
des contributions internes tant des Etats membres que de la Commission
de l’Union175. Ce financement participe de l’extension du « mécanisme de la
conditionnalité »176, imposé aux Etats africains pour bénéficier de l’aide
internationale.
Au sein de la CEMAC et de la CEEAC, le programme portant sur
l’intégration régionale est financé à plus de 80% par la BAD. Les
investissements de la Banque dans les opérations régionales ont augmenté
de 15% entre 2017 et 2018, atteignant 1,1 milliard de dollars américains en
août 2018. La Banque prévoit même une augmentation considérable de ses
investissements de 2019 à 2025, de 4,4 milliards de dollars américains dont
88 % dans l’infrastructure matérielle et 12% dans la facilitation du
commerce et le renforcement des capacités177. Plus récente, la crise
sanitaire liée à la propagation de la pandémie de la Covid-19 que le monde
traverse, est un facteur qui plombe la performance budgétaire des OAIR
qui ne se sont pas préparées à un tel choc.
173 TOURE (B.-Y.), Afrique : l’Épreuve de l’indépendance, Paris, PUF, 1983, pp. 126-146.
174 Par exemple en 2017, les organes délibérants de l’Union Africaine avait adopté un
budget dans lequel Les États membres se sont engagés à fournir 26% du budget total
tandis que 74% ont été mobilisés au niveau des partenaires. En 2019, l’Union Africaine a
subdivisée son budget des opérations de maintien de la paix suivant un financement majeur
des partenaires (a) 11.328.753 dollars au titre des contributions statutaires des États
membres b) 261.940.387 dollars à solliciter des partenaires internationaux). Source,
Document Cadre, op.cit., p. 8.
175 Les États membres se sont engagés à fournir 41% du budget total et la Commission
devait mobiliser les 59% restants des partenaires au développement, ce qui indique un
accroissement des contributions des États membres de 26% en 2017 et une réduction de
15% des contributions des partenaires. Source, Document Cadre Budgétaire, op.cit., pp. 6-7.
176 La conditionnalité (Aide internationale) « la conditionnalité dans l’aide internationale est
l’ensemble des conditions exigées par les grandes organisations économiques internationales en échange des
prêts aux pays en développement ». Cf. NTSOGO MBILI (F.), La Chambre des comptes à l’aune du
nouveau régime financier de l’État en droit camerounais, op.cit., p. 4.
177 AKINWUMI AYODEJI ADESINA, « Avant-propos », in Document de Stratégie
178 Cf. CANNAC (Y.), « Quelles programmation pluriannuelle pour les dépenses
publiques ? », in BOUVIER (M.) (dir.), Innovation, Création et transformation en Finances
Publiques, Paris, LGDJ, 2006, pp. 17-20.
179 Ibidem.
180 BATONON (B.-S.), Les systèmes financiers publics des Etats de l’UEMOA à l’épreuve de la
488
contre-productive au regard de l’ensemble des mécanismes mis en œuvre
pour améliorer la gestion au sein des OAIR183.
Par ailleurs, suite à la crise du Covid-19, les OAIR sont appelées à
un changement de paradigme budgétaire, qui devrait évoluer avec le
contexte sanitaire actuel. Ces différents ajustements qui devraient avoir
« un impact sur la motivation des agents (…). Les rendre responsables de leur
performance (…). Les primes à la performance doivent être conçues par ailleurs avec
soin et incorporées dans les programmes de réforme »184. Malgré la construction de
ce grand édifice qu’est la performance, il est perceptible des relents de
résistance qui sont néanmoins perfectibles. Nonobstant les problèmes
auxquels font face ces Organisations, être dans le train de la performance
est possible s’il y’a de la volonté politique, et surtout de l’audace, de
l’affirmation des structures internes à ces organisations. Des pistes de
réflexions allant de la valorisation du contrôle parlementaire au
renforcement du contrôle juridictionnel par la mise en place d’un contrôle
de la gestion pourvu de sanction au sein des OAIR sont à explorer. En
plus, celles-ci doivent régler les problèmes de liquidité et les questions
structurelles qui, plus, compromettent la gestion budgétaire performante.
Les OAIR sont ainsi invitées à prendre en main leur destin, et à
faire face aux aléas, aux contingences qui impactent sur l’efficacité de leur
budget. Ainsi, en introduisant dans leurs finances la logique de
performance, ces dernières modernisent leurs orientations budgétaires185,
pour ainsi s’arrimer à la modernité financière186 au sens de ce que le
Professeur Michel BOUVIER appelle, la « gouvernance financière publique
d’excellence »187. Seulement, faudrait que cet arrimage cadre, ou soit adapté
au contexte, aux réalités internes, à l’environnement propre à chaque
OAIR, car comme l’auteur lui-même l’a souligné, si ce n’est le cas, l’on
aboutira à « l’illusion de la réforme »188.
183 V. NIZET (J.), PICHAULT (F.), Les performances des organisations africaines. Pratique de
gestion en contexte incertain, Paris, L’Harmattan, 2007, pp. 80-105.
184 SHARPLES (S.), TELLIER (C.), « Réformes des finances publiques en Afrique et
pouvoir politique », in réformes des finances publiques et modernisation de l’administration…, op. cit.,
pp. 57 et s.
188 BOUVIER (M.), « La conduite de la réforme budgétaire dans les pays en
490
DE LA LIBERTE D’EMPRUNT LOCAL EN DROIT PUBLIC
CAMEROUNAIS
Par
Eugène NZAMBOUNG
Doctorant en Droit public
Université de Yaoundé II (Cameroun).
RESUME
ABSTRACT
491
Introduction
2289 Yann DOYEN, « L’emprunt et le besoin de financement des collectivités locales : les
leçons de l’histoire », RFFP, n°145, 2019, p. 97.
2290 Art.1 alinéa 2 de la loi n°96/06 du 18 Janvier 1996 portant révision de la Constitution
du 02 Juin 1972 modifiée et complétée par la loi n°2008/001 du 14 Avril 2008. Option
devenue irréversible, la décentralisation est d’abord implémentée par les lois dites de la
décentralisation de 2004 : loi n°2004/0117 du 22 Juillet 2004 portant orientation de la
décentralisation, loi n°2004/018 du 22 Juillet 2004 fixant les règles applicables aux
communes, loi n°2004/019 du 22 Juillet 2004 fixant les règles applicables aux régions.
Celles-ci sont renforcées par plusieurs textes dont les lois de 2009 : loi n°2009/011 du 10
Juillet 2009 portant régime financier des collectivités territoriales décentralisées, loi
n°2009/019 du 15 Décembre 2009 portant fiscalité locale. L’option de la décentralisation
est confirmée et consolidée par la promulgation de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019
portant Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées (ci-après CGCTD).
L’avènement de ce code tant souhaité marque une étape décisive dans la consolidation de
l’Etat de droit au Cameroun. Aaron LOGMO MBELECK, « Les pouvoirs financiers des
collectivités territoriales décentralisées au Cameroun : regards sur la loi n°2019/024 du 24
décembre 2019 portant Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées »,
SOLON, Revue africaine de parlementarisme et de démocratie, n°23, 2020, p. 143.
2291 Jean THOENIG, « La décentralisation, dix ans après », Pouvoirs, n°60, 1992, p. 5. Lire
aussi Roger Gabriel NLEP, L’administration publique camerounaise : contribution à l’étude des
systèmes africains d’administration publique, Paris, LGDJ, 1985, pp. 89-90 ; Suzanne NGANE,
La décentralisation au Cameroun, un enjeu de gouvernance, Yaoundé, Afredit, 2008, p. 14.
2292 BEGNI BAGAGNA, « Le principe de la libre administration des collectivités
2012, p. 152 ; John R. KEUDJEU de KEUDJEU, Recherche sur l’autonomie des collectivités
territoriales décentralisées au Cameroun, Thèse de Doctorat/Ph.D en Droit Public, Université de
Douala, 2012, p. 354. Ainsi, l’Etat doit respecter l’autonomie financière des collectivités
locales, corolaire de leur libre administration. Celle-ci suppose que ces collectivités
disposent d’un niveau de ressources suffisant leur permettant d’exercer pleinement leurs
compétences, et qu’elles conservent une marge d’appréciation dans l’utilisation de ces
ressources, autrement dit, dans la détermination des dépenses. Louis FAVOREU, Patrick
GAÏA, Richard GHEVONTHIAN, Jean-Louis MESTRE, Otto PFERSMANN, André
ROUX, Guy SCOFFONI, Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 2019, 21ème éd., p. 532.
2306 Gérard Martin PEKASSA NDAM, « La place de l’administration dans les politiques de
16.
2308 A ce sujet, il faut regretter pour l’heure une inapplication du CGCTD sur la dotation
2317 Maurice HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public, Paris, Dalloz, 2002, 12ème
éd., pp. 79-80.
2318 Antoine SIMON, Les emprunts des collectivités territoriales et la libre administration, op. cit., p.
14.
2319 Michel BOUVIER, Les finances locales, op. cit., p. 197.
2320 La ressource d’emprunt local n’est pas traditionnellement admise dans le droit positif
2326 Cette réforme est le fruit de l’ordonnance n°2006-131 du 10 Février 2016 portant
réforme du droit des contrats, du régime général de la preuve des obligations. L’article 1101
nouveau du code civil définit le contrat comme un « accord de volontés entre deux ou plusieurs
personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations ».
2327 La théorie de l’autonomie de la volonté est la conséquence de la philosophie
François TERRE (dir.), Droit civil, les obligations, op.cit., p. 34. Lire aussi Laurent
LEVENEUR, « La liberté contractuelle en droit privé. (Les notions de base autonomie de
la volonté, liberté contractuelle, capacité …) », AJDA, 1998, p. 678.
2329 Muriel FABRE-MAGNAN, Droit des obligations, Tome I, contrat et engagement unilatéral,
s’exprime à travers une triple faculté contracter ou ne contracter ; choisir librement son
cocontractant, déterminer librement le contenu du contrat. Il n’y a pas d’obligation
juridique de contracter. Quant à la forme, la liberté contractuelle postule le consensualisme.
Ainsi, en droit privé, l’objectif essentiel de la liberté contractuelle est de garantir un exercice
libre de la volonté de chacune des parties contractantes, en leur permettant de préserver
leurs propres intérêts. Muhannad AJJOUB, La notion de liberté contractuelle en droit administratif
français, op.cit., p. 19.
2332 Pour le Maître de Bordeaux, « si l’Etat est par définition une personne souveraine, il conserve ce
caractère, cette personnalité dans tous les actes qu’il accomplit, aussi bien dans les actes contractuels que
dans les actes unilatéraux. Par conséquent, l’Etat ne peut pas être lié par un contrat parce que, s’il était lié,
sa personnalité se trouverait subordonnée à une autre. Dès lors elle cesserait d’être souveraine, puisque le
500
doctrinale n’emporte pas toutefois conviction au regard du développement
sans cesse croissant du procédé contractuel en droit public2335. La doctrine
majoritaire reconnait d’ailleurs la compatibilité entre la liberté contractuelle
et la qualité des personnes publiques. Le Doyen HAURIOU par exemple
soutient que la souveraineté de l’Etat est compatible avec la volonté libre
et autonome de se lier. C’est en raison de cette souveraineté que l’Etat
peut limiter sa volonté en s’obligeant par le contrat2336. La liberté
contractuelle en droit public peut donc être conçue comme une notion
abstraite dont les éléments constitutifs sont presque similaires à ceux du
droit privé2337.
Ainsi, la consécration constitutionnelle de la libre administration des
CTD signifie la reconnaissance d’une réserve d’action aux collectivités
territoriales. Cette compétence normative reconnue par l’Etat à ces
derniers se décline comme une habilitation à leur profit de prendre les
actes administratifs unilatéraux notamment réglementaires2338 et les actes
administratifs bilatéraux ou contractuels. Autrement dit, la liberté
contractuelle des collectivités territoriales découle de leur personnalité
propre de la volonté souveraine c’est de n’être subordonnée a aucune autre volonté ». Léon DUGUIT, Les
transformations du droit public, Paris, Librairie Armand Collins, 1913, p. 161.
2333 Pour l’auteur, « en droit administratif, contrairement à ce qui existe en droit civil, il n’existe pas de
principe d’autonomie de la volonté. En droit civil, les individus sont libres de se déterminer sur la base de
n’importe quelle situation et pour les raisons qui leur conviennent. Les motifs subjectifs des individus, dès
lors qu’ils ne sont pas illicites, ni contraires à l’ordre public, justifient suffisamment l’acte (…) En revanche,
en droit administratif, il n’existe pas de principe de l’autonomie de la volonté. L’administration ne doit se
décider que pour des raisons de fait ou de droit objectivement établies », George VEDEL, Cours de droit
administratif, 1953-1954, p. 672 ; Muhannad AJJOUB, La notion de liberté contractuelle en droit
administratif français, op. cit., p. 132
2334 L’auteur rejette toute place à l’article 1134 du code civil en droit administratif. Pour lui,
si le juge administratif est gardien de la légalité administrative, il n’est pas toutefois gardien
administratif de la légalité. Jean RIVERO, « Le juge administratif, gardien de la légalité
administrative ou gardien administratif de la légalité », in Mélanges en l’honneur de Marcel
WALINE. Le juge et le droit public, Paris, LGDJ, 1974, p. 701.
2335 Conseil d’Etat, Rapport public annuel, Le contrat, mode d’action publique et de production de
normes, EDCE, n°59, 2007, 398 p. Sur les usages du contrat par les CTD au Cameroun, lire
Aurélien Michel POMBOUO TCHEUO, Recherches sur les contrats des collectivités territoriales
décentralisées au Cameroun, op. cit., 220 p.
2336 Maurice HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public, op. cit., p. 51. Le Conseil
d’Etat consacre le principe de la liberté contractuelle d’une personne publique dans l’affaire
CE 28 Janvier 1998 société BORG WARNER. De même c’est dans la décision n°92-316
DC, Prévention de la corruption, du 20 Janvier 1993 que le conseil constitutionnel a
marqué sa volonté de protéger la liberté contractuelle des collectivités locales. Louis
FAVOREU, Patrick GAÏA, Richard GHEVONTHIAN, Jean-Louis MESTRE, Otto
PFERSMANN, André ROUX, Guy SCOFFONI, Droit constitutionnel, op.cit., p. 532.
2337 Christine BRECHON-MOULENES, « La liberté contractuelle des personnes
2339 Ainsi, la liberté contractuelle dans la mesure où elle constitue un attribut de la libre
administration, s’impose au législateur. Celui-ci ne peut y porter atteinte de manière
excessive sous peine de mettre en cause par la même le principe constitutionnel de la libre
administration, Louis FAVOREU et alii, Droit constitutionnel, op. cit., p. 531.
2340 C’est pourquoi le conseil d’état estime que « la liberté contractuelle est inhérente à l’autonomie
des collectivités territoriales », Conseil d’Etat, Rapport public annuel, Le contrat, mode d’action
publique et de production de normes, op. cit., p. 176.
2341 De même, si l’expression liberté d’emprunter ne figure pas expressis verbis dans le
2344 André ROUX, « Le statut constitutionnel des CTD », RFDA, 1992, p. 445. Afin de
s’administrer librement et donc d’exercer leurs compétences, les CTD doivent pouvoir
opter librement pour le procédé contractuel, définir les obligations réciproques des
cocontractants et élaborer sans contrainte excessive, le contenu du contrat.
2345 Laurent RICHER et François LICHERE, Droit des contrats administratifs, Paris, LGDJ,
65.
2348 Art.5 alinéa 2 CGCTD. L’emprunt permet à la collectivité de développer son territoire
193. Le recours à l’emprunt est une option pour renforcer sensiblement les capacités
d’investissement, et pour permettre aux communes de faire face aux besoins financiers liés
à leur développement. Le montant important exigé par les investissements a fait de
l’emprunt une ressource complémentaire mais aussi nécessaire. Antoine SIMON, Les
emprunts des collectivités territoriales et la libre administration, op. cit., p. 65. L’emprunt local se
justifie au plan politique et économique. Il est un outil d’intervention politique en ce qu’il
503
collectivité territoriale a la possibilité de renforcer son autonomie
financière en disposant de la possibilité d’emprunter aussi bien auprès des
partenaires intérieurs et extérieurs2351.
B. La déclinaison libérale de l’initiative d’emprunt local
De la lecture de la règlementation camerounaise et spécifiquement
le CGCTD, il ressort que « Les emprunts intérieurs sont autorisés par délibération
de l’organe délibérant, soumise à l’approbation du représentant de l’Etat. Ils sont
destinés en priorité au financement des investissements. La délibération y afférente, fixe
le montant de l’emprunt. Sont interdits, les emprunts contractés auprès des personnes
physiques ou morales ayant un lien direct ou indirect avec la collectivité territoriale. Les
emprunts extérieurs, autorisés par délibération, soumisse à l’approbation du
représentant de l’Etat, sont garantis par l’Etat »2352. Il appert de cette disposition
la déclinaison libérale de l’initiative d’emprunt local par sa libre conception
(1) et la libre fixation de ses modalités (2) par les CTD.
1. La libre conception de l’emprunt local
La libéralisation par la norme situe les CTD au cœur du processus
d’emprunt local. Il n’est plus seulement question d’assurer le respect d’une
liberté individuelle mais d’instaurer et de sauvegarder l’expression des
libertés des institutions infra-étatiques à l’échelon local2353. Le premier
volet d’expression de ces libertés des CTD en matière d’emprunt local est
la libre conception de ces contrats2354. Cette libre conception se décline en
la préparation et en l’autorisation de l’emprunt local par les CTD2355. Le
projet d’emprunt local est préparé par l’exécutif local, municipal ou
régional compétent dans la préparation du budget2356. Cette préparation se
permet d’exécuter les programmes politiques des dirigeants de l’Etat et des CTD
notamment à travers la réalisation des investissements. C’est une manière plus souple que
l’impôt, pour les CTD, de trouver les fonds nécessaires à l’accomplissement de leurs
objectifs.
2351 Art. 399 du CGCTD. Lire aussi Christophe PIERUCCI, « Les collectivités territoriales,
l’article 11 du CGCTD. Ainsi, la collectivité territoriale est seule responsable dans le respect
des lois et règlements, de l’opportunité de ses décisions Arts. 13 alinéa 1 et 416 alinéa 1 du
CGCTD.
2356 Intellectuellement, le maire prépare les emprunts dans la commune, art. 206 alinéa 1. Le
maire de ville les prépare dans la communauté urbaine art. 248 al. 3. Le président du conseil
régional prépare les emprunts dans la région, art. 312 alinéa 1. Spécifiquement dans les
régions du sud-ouest et du nord-ouest, le président du conseil exécutif a compétence pour
la préparation des emprunts locaux, art. 359 alinéa 1.
504
déroule selon un calendrier rigide et des modalités spécifiques2357.
Matériellement, la préparation du projet d’emprunt des CTD indique une
soumission de ses démembrements aux principes budgétaires de l’Etat car
les finances locales font partie intégrante des finances publiques. Il s’en
suit une obligation négative de soumission des finances locales aux
principes juridiques énoncés par les finances de l’Etat. Logiquement, le
projet d’emprunt des collectivités territoriales respecte les règles de
prévision dégagées pour l’Etat. Ces principes se résument en deux axes. Le
projet d’endettement local doit tenir compte de la planification budgétaire
locale et du rythme d’endettement local.
Pour ce faire, chaque année l’organe exécutif de la collectivité
territoriale établit un cadre budgétaire à moyen terme en fonction des
hypothèses économiques réalistes2358. Ce cadre détermine l’ensemble des
recettes et des dépenses, y compris des ressources issues de l’extérieur. Il
inclut le besoin ou la capacité de financement de celle-ci, de ses
établissements publics et les éléments de financement accompagnés de
leur niveau global d’endettement financier. C’est sur la base de ce cadre
budgétaire à moyen terme que l’exécutif établit le cadre des dépenses à
moyen terme indiquant toutes les dépenses publiques de la collectivité2359.
Ces documents sont rendus publics2360. Ils sont présentés à l’organe
délibérant avant le 1er août2361 pour l’organisation d’un débat d’orientation
budgétaire mais sans vote en séance publique sur leur base2362. Le budget
de la collectivité arrêté et approuvé doit être conforme à la première année
de cadrage arrêté à l’occasion du débat d’orientation budgétaire2363. Aussi,
cette préparation doit être conforme à la stratégie d’endettement local2364.
La stratégie ou politique d’endettement local est une obligation
communautaire2365. Elle vise la rationalité et la cohérence du régime
d’endettement local2366.
croissance de la dette sont soutenables, son service (à court, moyen et long termes) régulier
et les objectifs de coûts et de risques réalisés (art. 4 alinéa 1).
2366 Seulement jusque-là, cette obligation est violée dans la pratique budgétaire locale.
des CTD aptes pour débattre des questions relatives à leurs compétences (art. 181 pour la
commune). Les régions disposent spécifiquement de quatre commissions dont une
commission des finances, des infrastructures, du plan et du développement économique
compétente en matière d’emprunt (art. 282 pour le conseil régional et art. 334 alinéa 2 pour
l’assemblé régionale). L’institution de telles commissions trahit la volonté législative de
renforcer à l’image de l’Etat la démocratie locale.
2369 André de LAUBADERE, Franck MODERNE, Pierre DELVOLVE, Traité des contrats
TCHIENO TIMENE, Recherche sur les mécanismes juridiques de financement des collectivités
territoriales décentralisées…, op. cit., pp. 30-40.
506
l’emprunt au nom de la collectivité2372. Cette compétence appartient à titre
principal au chef de l’exécutif et peut être uniquement altérée par la
suppléance. Il s’agit d’un mécanisme de remplacement qui permet à une
autorité empêchée pour plusieurs raisons, absence, maladie, congés, d’être
remplacée directement par une autre au sein de la même collectivité
publique2373. Au demeurant, la collectivité territoriale conçoit librement
l’emprunt local et fixe toujours en toute liberté ses modalités avec son
cocontractant.
2. La libre fixation des modalités d’emprunt local
La liberté contractuelle dévolue aux CTD en vertu de leur libre
administration fonde sur le plan matériel la libre fixation des modalités du
contrat d’emprunt local. Contrairement à l’initiative de l’emprunt qui
traduit la liberté contractuelle au plan formel, la détermination des
modalités de l’emprunt exprime la liberté contractuelle au plan matériel.
Intellectuellement, ces modalités sont le choix du cocontractant, la
détermination des caractéristiques du contrat et des garanties financières
rattachées au contrat.
Premièrement, il appartient à la collectivité territoriale de choisir
librement le cocontractant. La seule restriction légale vise la protection du
patrimoine local. Conformément à l’article 63 du CGCTD2374, l’article 399
alinéa 2 dispose que « sont interdits les emprunts contractés auprès des personnes
physiques ou morales ayant un lien direct ou indirect avec la collectivité territoriale ».
Cette restriction à la capacité des cocontractants vise à protéger le
patrimoine des CTD contre toutes dépendances éventuelles avec un
créancier.
2372 Art. 13 al. 2 CGCTD. Lire aussi Benoit DELAUNAY, « La compétence des
collectivités publiques pour conclure des contrats d’emprunts toxiques », in Anémone
CARTIER-BRESSON, Martin COLLET, Charles-André DUBREUIL, L’intérêt général,
Mélanges en l’honneur de Didier TRUCHET, Paris, Dalloz, 2015, pp. 143-158.
2373 Serge François SOBZE, « La suppléance du Président de la République en Afrique
membres de l’exécutif, ainsi que le receveur de la collectivité territoriale ne peuvent, sous quelque forme que ce
soit, par eux-mêmes ou par personne interposée, se rendre soumissionnaire ou adjudicataire sous peine
d’annulation par le représentant de l’Etat ».
507
Schématiquement, les collectivités locales peuvent conclure les
emprunts intérieurs2375 et extérieurs2376. Les emprunts intérieurs sont
contractés conformément aux règlements CEMAC sur la politique
d’endettement public2377 par accord de prêt ou par appel public à
l’épargne. Les emprunts sous forme d’accords de prêt sont les modalités
classiques d’émission d’emprunt public. Il s’agit des contrats signés
directement avec des personnes publiques ou privées. Les contrats
d’emprunts des CTD peuvent être passés auprès de l’Etat ou auprès de
d’autres personnes morales de droit public. Sous ce regard, il ressort du
régime financier de l’Etat et des autres entités publiques que « les prêts et
avances peuvent être accordés par le ministre chargé des finances à des collectivités ou
personnes de droit public dans la limite de l’autorisation donnée à cet effet en loi de
finances et pour une durée déterminée qui ne peut excéder cinq ans »2378. En plus de
l’Etat, d’autres personnes publiques financent les CTD par des emprunts.
En la matière, c’est le FEICOM qui est principalement chargé d’accorder
des prêts aux collectivités territoriales. Il finance notamment les activités
communales à travers le Code d’Intervention du FEICOM (ci-après CIF).
Ce texte détermine les conditions de prêt2379. Il s’agit des prêts relatifs aux
2375 Art. 399 alinéa 1. L’emprunt public intérieur est défini par le règlement CEMAC
portant cadre de référence de la politique d’endettement public comme : « un emprunt
contracté par les résidents d’une économie auprès d’autres résidents de la même économie » (Art. 2). Il
s’effectue donc dans l’économie locale. Il faut toutefois préciser que cette économie
concerne tous les Etats membres de la CEMAC puisque cet espace communautaire est
encadré par le principe de la libre circulation des personnes et des biens. Ces émissions
s’effectuent par le canal des contrats publics, contrat administratif et contrat de droit de
privé de l’administration. Agathe VAN LANG, Géneviève GONDOUIN, Véronique
INSERGUET-BRISSET, Dictionnaire de droit administratif, Paris, Sirey, 2008, 7e éd., p. 105 ;
Michel GUIBAL, « A propos d’une incertitude : la notion de personne publique
contractante » in Environnement, les mots du droit et les incertitudes de la modernité. Mélanges en
l’honneur du Professeur Jean-Philippe COLSON, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble,
2004, p. 230 cité par Guylain CLAMOUR, « Esquisse d’une théorie générale des contrats
publics », in Contrats publics, Mélanges en l’honneur du Professeur Michel GUIBAL, Volume II,
Université de Montpellier, 2006, p. 1.
2376 L’emprunt extérieur est défini par le règlement CEMAC portant cadre référence de la
politique d’endettement public comme « l’emprunt contracté par les résidents d’une économie auprès
de non-résidents. ». (Art. 2).
2377 Art. 3 alinéa 3.
2378 Art. 53 alinéa A de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de
l’Etat et des autres entités publiques. Cet article reprend mutatis mutandis l’article 40 alinéa 3
de la directive de la CEMAC relative aux lois de finances de 2011. La même disposition
précise le régime juridique de ces prêts. Ainsi, « Les prêts et avances sont assortis d’un taux
d’intérêt qui ne peut être inférieur à celui payé par l’Etat pour les emprunts et titres des marchés obligataires
de même échéance ou, à défaut, d’échéance la plus proche (…) », art. 53 alinéa 3. Mais, l’on peut
naturellement se demander quelle est la nature juridique de ces contrats de prêt entre l’Etat
et ses démembrements ? La jurisprudence apporte des réponses. Les contrats de prêts entre
personnes publiques sont des contrats administratifs soumis à la juridiction administrative.
TC 21 Mars 1923 Union des assurances de Paris, Cour de cassation, chambre civile 16 mars
1999, Chambre de Commerce et de Crédit de Valence/Crédit Local de France.
2379 Art. 5 du Code d’Intervention du FEICOM. De même le code précise clairement les
concours financiers, le plafond des financements accordés, les modalités de signature des
conventions, de gestion des fonds et remboursement des prêts. Les communes ou
groupements ne peuvent bénéficier d’un concours financier excédant 10% du budget
d’investissement du FEICOM. Les prêts sont accordés par demande motivée des maires ou
des maires représentants de groupements, appuyée d’une délibération du Conseil municipal
approuvée par l’autorité de tutelle et autorisant le maire ou chacun des maires à solliciter
ces prêts. Institutionnellement, c’est le Comité des concours financiers du FEICOM
(Décision du Conseil administratif n°00/D/FEICOM/LA du16 novembre 2007), organe
consultatif présidé par le Directeur Général qui examine les demandes de financement d’un
montant supérieur ou égal à 30 millions de FCFA. Relativement aux conditions de prêt, il
existe des prêts d’une durée inférieure à 2 ans à savoir les prêts de fonctionnement et les
avances de trésorerie avec 9% d’intérêt. Les prêts d’équipement ont une durée inférieure à
4 ans et un taux d’intérêt de 7% et les autres prêts ont un taux d’intérêt de 6% avec une
durée inférieure à 10 ans. Les prêts sont accordés après avoir analysé la capacité
d’endettement des communes sur la base des trois derniers comptes administratifs
approuvés. Barthélemy KOM TCHUENTE, Le Cameroun : La décentralisation en marche,
op.cit., pp. 370 et suivantes.
2380 A titre illustratif, la première et la seconde phase du projet d’assainissement de Yaoundé
financière. Créé par le décret n°77/140 du 13 Mai 1977, modifié et complété par le décret
n°81/236 du 17 Juin 1981, le Crédit Foncier du Cameroun représente l’instrument
financier privilégié chargé de recueillir et de distribuer les fonds nécessaires à la mise en
œuvre de la politique de l’habitat du gouvernement. Aussi, aux termes de l’accord de prêt
n°2009/CM du 25 Janvier 1989 passé entre la Banque Mondiale et le Gouvernement du
Cameroun, une ligne de crédit destinée à la création d’un système de prêt aux collectivités
locales a été rétrocédée par l’Etat au Crédit Foncier du Cameroun. Barthélemy KOM
TCHUENTE, Le Cameroun : La décentralisation en marche, op.cit., pp. 325-326.
2382 Sur l’importance de l’emprunt bancaire en France lire Michel BOUVIER, Les finances
locales, op. cit., pp. 213-219, Yann DOYEN, « L’emprunt et le besoin de financement des
collectivités locales : les leçons de l’histoire », op. cit., pp. 97-103, Christophe PIERUCCI,
« Les collectivités territoriales, l’emprunt et la dette », RFFP, n°135, 2016, pp. 60-64.
2383 Arsène TCHIENO TIMENE, « Réflexion sur le recours à l’emprunt local par les
2384 Le titre public peut être défini comme un titre de créance négociable émis par une
personne morale de droit public. Lire Guy A. NYANGOE, Le financement des budgets des
personnes publiques par les titres publics…, op. cit.,, p. 31. Il s’agit précisément des bons et des
obligations du trésor. Le règlement CEMAC portant cadre de référence de la politique
d’endettement public et de gestion de la dette publique dans les Etats membres de la
CEMAC est encore plus clair dans la définition de ces instruments financiers. Les bons du
trésor y sont définis comme « les emprunts à échéance inférieure à 2 ans émis en permanence par
l’Etat pour financer ses besoins de trésorerie ». Les obligations du trésor sont quant à eux, selon
cet instrument, « le titre de créance émis par un gouvernement et dont l’échéance est supérieure à 2 ans »
(art. 2). L’émission de ces titres s’effectue notamment par appel public à l’épargne (art. 3
alinéa 3).
2385 Art. 32 du régime général de la COSUMAF.
2386 Voir spécifiquement les articles 85, 86, 825 et 832.
2387 Guy A. NYANGOE, Le financement des budgets des personnes publiques par les titres publics…,
op.cit., p. 100.
2388 Ibid., p. 102.
2389 A titre illustratif, la Communauté Urbaine de Douala est le seul démembrement d’un
la CUD Finance S.A et la CUD prévoit que la CUD Finance S.A s’engage à prêter à la
CUD les montants correspondants aux produits des émissions réalisées. Lire utilement
Arsène TCHIENO TIMENE, Recherche sur les mécanismes juridiques de financement des collectivités
territoriales décentralisées au Cameroun, op. cit., p. 368. Seulement, cette opération s’est heurtée,
malgré l’enthousiasme qu’elle a provoqué dans le monde des affaires, à différentes
irrégularités. Celles-ci étaient substantiellement liées aux erreurs et contradictions sur le
montage de l’opération. La commission des marchés financiers du Cameroun a dû, par
décision n°07/078/CMF/06 du 18 Juillet 2006, annulé la notice d’information relative au
programme d’émission de la CUD Finance S.A et a entrepris d’ouvrir les enquêtes
nécessaires. Lire Daniel Ebénezer KEUFFI, La régulation des marchés financiers dans l’espace
OHADA, Thèse en Droit, cotutelle Universités de Strasbourg et de Dschang, mars 2010,
pp. 75 et suivantes ; Christian KUATE SOBNGWI, Les enjeux de l’émission obligataire par les
CTD : le cas de la communauté urbaine de Douala, op. cit., 110 p.
Malgré cet échec, la Communauté Urbaine de Douala a récidivé en 2018. Cette fois-ci, elle
crée la Société Métropolitaine d’Investissement de Douala. Cette société anonyme devait
être constituée par appel public à l’épargne d’un montant total de 10 milliards réalisé du 22
Mars au 22 Mai 2018. Il s’agit d’une société anonyme fondée pour le financement des
projets importants dans la ville. Le 5 Juillet 2018, date de clôture des opérations, le chef de
file EEC Investment Corporation, membre du groupe ECOBANK annonçait à la fermeture la
souscription de 541.719 actions représentant un montant de 5,14 millions de FCFA, soit un
peu plus de 50% des 10 milliards initialement visés. Voir le journal « Investir au Cameroun »
du 02 Août 2019. L’opération connait donc un succès relatif. Malgré celui-ci, la
Communauté Urbaine de Douala envisage la mise sur place de la Société d’Etude de
Douala (SEDO) grand cabinet d’étude internationale financé par appel public à l’épargne.
2390 Il s’agit du montant du capital, du taux d’intérêt et de la durée de l’emprunt.
2391 Ce sont les clauses qui protègent le statut de chaque partie. Elles sont essentielles pour
personnelles.
511
Ces emprunts sont intérieurs ou extérieurs. Seulement, cette possibilité
devient rapidement presque inenvisageable par l’encadrement restrictif de
la décision d’emprunt local.
II. La restriction conservatrice de la décision d’emprunt local
La libéralisation du recours à l’emprunt local est un mirage en droit
camerounais. Si les collectivités locales ont l’initiative de la décision
d’emprunt local, celle-ci ne peut être menée à terme à cause du mécanisme
paralysant de la tutelle. Il faut au préalable signaler que la tutelle2393 est
consubstantielle à toute décentralisation2394. Elle implique un droit de
regard de l’Etat et justifie la diversité des contrôles a priori et a posteriori
sur les collectivités décentralisées2395. Elle permet d’éviter que la liberté
accordée aux collectivités territoriales ne devienne le libertinage. Elle
préserve à juste titre le caractère unitaire de l’Etat seul souverain2396. Dans
son esprit, la tutelle vise à assurer la légalité des actes posés par la
collectivité2397. En matière d’emprunt local, cela implique la définition des
bornes à la liberté contractuelle d’emprunt. Comme le note le professeur
François LUCHAIRE, « s’administrer ce n’est pas gouverner, et encore moins
légiférer ou rendre la justice»2398. Seulement, « contrairement au cas français, où la
tutelle sur les actes consiste à saisir le juge administratif, le droit camerounais maintient
une tutelle forte2399. En matière financière et spécifiquement en matière
2393 Laurent RICHER, « La notion de tutelle sur les personnes en droit administratif »,
RDP, 1979, pp. 971-1008, Jacques BIPELE KEMFOUEDIO, « La tutelle administrative
dans le nouveau droit camerounais de la décentralisation », Annales de la FSJP de l’Université
de Dschang, 2005, pp. 83-110.
2394 Selon le Professeur Patrick E. ABANE ENGOLO, « la collectivité territoriale décentralisée est
une composante sociologique de l’Etat. Elle est libre, mais certainement pas indépendante. Ses actions
doivent être orientées dans un sens qui ne contrevient pas aux intérêts nationaux et à celui même de ses
administrés », in Traité de droit administratif du Cameroun. Théorie générale et droit administratif spécial,
Paris, L’Harmattan, 2019, p. 187.
2395 Sur cette diversité de contrôles, lire Patrick ABANE ENGOLO, Traité de droit
administratif du Cameroun. Théorie générale et droit administratif spécial, op. cit., pp. 233 et suivantes.
Lire aussi la récente thèse de Monsieur André AKONO OLINGA sur L’apport de la
performance au contrôle des finances locales au Cameroun, Thèse de Doctorat/Ph.D en Droit
Public, Université de Yaoundé II, 2020, 507 p.
2396 Idem.
2397 Patrick E. ABANE ENGOLO, Traité de droit administratif du Cameroun. Théorie générale et
droit administratif spécial, op. cit., p. 237. Le principe de légalité de l’action communale et
régionale est posé par l’article 55 alinéa 2 de la constitution et par l’article 39 du CGCTD.
En vue d’assurer cette légalité, la tutelle est instituée par l’article 55 alinéa 3 de la
constitution et par les articles 72 et suivants du CGCTD.
2398 François LUCHAIRE, « L’émergence d’un droit constitutionnel de la
décentralisation », AJDA, 1992, p. 25 Ainsi, la libre administration doit respecter le
principe de répartition des compétences.
2399 Patrick E. ABANE ENGOLO, Traité de droit administratif du Cameroun. Théorie générale et
droit administratif spécial, op.cit., p. 204. Il faut noter à la lecture des arts. 55 al. 3 de la
constitution et des articles 72 et suivants du CGCTD instituant la tutelle, que le
représentant de l’Etat est le gouverneur dans la région et le préfet dans la commune. Ils
peuvent se faire représenter.
512
d’emprunt public, elle est encore plus accentuée. La liberté d’emprunt local
est fortement encadrée voir paralysée par la neutralisation de la décision
d’accès à l’emprunt (A) et la fragilisation de la liberté de gestion de
l’emprunt (B).
A. La neutralisation de la décision d’accès a l’emprunt local
La libre administration des collectivités territoriales a pour corollaire
comme sus indiqué la liberté contractuelle en matière d’emprunt. Celle-ci
devrait impliquer la faculté pour les collectivités locales de conclure des
contrats sans être muselés. Or, le droit positif en vigueur neutralise,
paralyse l’accès à l’emprunt des collectivités territoriales. Leur capacité
d’endettement est doublement limitée par l’approbation préalable des
emprunts locaux (1) et la maitrise étatique des organismes prêteurs (2).
1. L’approbation préalable des emprunts locaux
L’approbation préalable est le premier mécanisme de restriction de
l’accès à l’emprunt local en droit camerounais. Elle s’entend en doctrine
comme : « la subordination de la formation d’une décision élaborée par un organe en
l’acceptation par un autre organe »2400. En matière d’emprunt local, le pouvoir
d’approbation est une modalité de contrôle administratif aménagé par le
législateur au profit de la tutelle sur les collectivités locales. L’approbation
apparait comme un moyen de validation de la décision d’autorisation
d’emprunt par l’organe délibérant de la collectivité locale. Cette
approbation s’effectue selon deux modalités. Elle peut être expresse ou
explicite, lorsque l’autorité de tutelle prend une décision d’approbation ou
de désapprobation du budget soumis à son examen2401. Elle est implicite si
au-delà de ce délai, l’autorité est silencieuse. Ce qui vaut approbation
tacite2402. L’approbation correspond largement à un contrôle d’opportunité
de la décision de l’autorité sous tutelle2403. Elle est une condition
2400 Joël THALINEAU, Essai sur la centralisation et la décentralisation, réflexion à partir de la théorie
de Charles EISENMANN, Thèse de Doctorat en Droit, Université de Tours, 1994, p. 71 ;
Armel Habib SANDIO KAMGA, L’établissement public en droit administratif camerounais, Thèse
pour le Doctorat/Ph.D en Droit Public, Université de Yaoundé II, 2014, p. 281.
2401 Ce délai est de 30 jours d’après l’article 76 alinéa 3 du CGCTD au Cameroun.
2402 Idem.
2403 Certes, l’article 73 alinéa 2 du CGCTD interdit toute appréciation d’opportunité par
l’autorité de tutelle. On serait tenté d’arguer que l’approbation a posteriori ou même a priori
reste essentiellement un contrôle de légalité. Le code semble sans ambiguïté. Seulement, ce
serait ne pas prendre en compte la spécificité du contrat d’emprunt local. Dans sa
vérification de la licéité de cette opération, l’autorité de tutelle a deux points essentiels à
examiner. D’une part, il vérifie la légalité formelle notamment les procédures de conception
du projet d’emprunt. D’autre part, il vérifie la légalité matérielle constituée en la matière par
plusieurs obligations qui pèsent sur les CTD dans l’opération d’emprunt. Il s’agit
notamment du respect de la soutenabilité budgétaire, du respect de l’équilibre budgétaire,
de l’examen du rapport sur la situation et les perspectives économiques et sociales de la
collectivité territoriale qui comprend entre autres les principaux documents de cadrage
budgétaire et de la situation d’endettement. Pourtant ces obligations sont essentiellement
subjectives. Leur vérification peut conduire l’autorité de tutelle à analyser le prêt sollicité
513
suspensive de l’entrée en vigueur de l’autorisation d’emprunt adoptée par
la collectivité territoriale notamment l’organe délibérant. Comme l’exprime
Charles ROIG le pouvoir d’approbation entraine une semi-
décentralisation qui « consiste à faire dépendre l’entrée en vigueur des normes d’une
double décision libre, prise l’une par l’organe central, l’autre par l’organe décentralisé de
la provoquer ou de ne pas l’empêcher »2404. Mieux, il s’agit d’une
« déconcentralisation »2405. Or, « plus le pouvoir de tutelle est fort, plus dépendante sera
la collectivité. Cet état de dépendance est porteur d’un risque d’aléa normal et il est de
nature à réduire les marges de manœuvres de la collectivité »2406. Sous ce regard, le
Professeur Célestin SIETCHOUA DJUITCHOKO opine que la liberté
d’emprunt est déniée aux collectivités décentralisées puisque la loi sur le
régime financier des collectivités territoriales décentralisées soumet la
signature des emprunts intérieurs et extérieurs à l’approbation de l’autorité
de tutelle2407. L’approbation préalable constitue donc un « véritable droit de
veto »2408. « Quelle peut être la signification du maintien de la tutelle administrative
préalable sur un acte majeur comme le budget local ? » peut-on légitimement
s’interroger avec le Professeur Célestin SIETCHOUA
DJUITCHOKO2409.
par la collectivité territoriale comme insoutenable. Ainsi, l’autorité de tutelle contrôle par là
même l’opportunité des emprunts locaux par son pouvoir d’approbation préalable.
2404 Charles ROIG, « Théorie et réalité de la décentralisation », RFSP, 1966, p. 461 ; Armel
Habib SANDIO KAMGA, L’établissement public en droit administratif camerounais, op. cit., p.
281.
2405 Néologisme consacré par la doctrine, la « déconcentralisation » exprime une
au Cameroun », op. cit., p.149. Le droit camerounais perpétue le vieux système de tutelle
conçu en France avant les reformes de 1982. Celle-ci s’entendait dans cet Etat,
514
L’on pourrait toutefois objecter à la doctrine unanime que
l’exigence d’approbation doit plutôt être analysée en matière d’emprunt
comme la nécessité de préserver la soutenabilité des finances publiques et
la souveraineté financière de l’Etat. L’autorité décentralisée insatisfaite a la
possibilité de saisir le juge2410. Il faut toutefois remarquer l’absence
d’égalité de traitement entre collectivités décentralisées et l’autorité de
tutelle devant le juge. A ce propos, le Professeur Jérôme Francis WANDJI
souligne que « devant le juge administratif, les requêtes de l’autorité de tutelle et de la
collectivité territoriale décentralisée connaissent un traitement différencié ou à double
vitesse. L’autorité de tutelle bénéficie d’une législation et de conditions de procédures
favorables à une décision rapide du juge à l’abri du déni de justice. L’égalité aurait été
dérivée si l’autorité contrôlée était logée à la même enseigne que l’autorité de contrôle
devant le juge»2411. Le juge administratif ne doit pourtant pas enfreindre le
principe constitutionnel de libre administration. Mais, il semble contraint
par le législateur qui n’a pas volontairement imposé au juge les délais pour
statuer2412. Le pouvoir d’approbation confié par le législateur à l’autorité de
tutelle compétente apparait manifestement comme une limitation de la
liberté d’endettement des collectivités territoriales. Au-delà de
l’appréciation de la légalité de l’acte, la tutelle en apprécie l’opportunité2413.
comme « une arme donnée au pouvoir central à l’encontre des autorités décentralisées dans l’intérêt de
l’unité de l’Etat » et donc la dénomination signifie bien, malgré les protestations officielles
que les collectivités locales ou départementales sont considérées comme des incapables, au
sens que le droit privé donne à ce terme. Le tuteur est partout présent avec ses pouvoirs
d’approbation, d’annulation et de substitution etc. Patrice CHRETIEN, Nicolas
CHIFFLOT, Maxime TOURBE, Droit administratif, Paris, Dalloz, 2020-2021, 17ème éd., p.
253.
Mais ce système est abandonné par la loi du 2 Mai 1982 relative aux droits et
libertés des communes, des départements et des régions modifiées par la loi du 22 Juillet
1982 modifiant et complétant la loi du 2 Mai 1982 relative aux droits et libertés des
communes, départements et régions et précisant les conditions d’exercice du contrôle
administratif sur les actes des autorités départementale, régionale et communale. Ce texte et
ses différentes reformes remplacent le contrôle de tutelle par un contrôle de légalité.
Désormais, tous les actes des autorités décentralisées sont exécutoires de plein droit dès
que les formalités légales de publicité ont été accomplies, y compris la transmission au
préfet et au sous-préfet. Comme toute décision administrative, ces actes sont susceptibles
d’un recours pour excès de pouvoir formé directement par tout intéressé devant le juge
administratif, sans recours préalable au préfet. Le pouvoir de tutelle en France aujourd’hui
se réduit donc pour l’essentiel au pouvoir de déférer au tribunal administratif l’acte que
l’autorité de tutelle estime contraire à la légalité. Ibid., pp. 243-260.
2410 Art. 79 alinéa 1 et 2 de la loi précitée.
2411 Jérôme Francis WANDJI K., « La décentralisation du pouvoir au Cameroun entre
rupture et continuité. Réflexions sur les réformes engagées entre 1996 et 2009 », Janus,
Revue camerounaise de droit et de science politique, n°3, 2011, p. 153.
2412 L’article 77 alinéa 3 du CGCTD l’oblige à statuer dans un délai d’un mois lorsqu’il est
saisi par le représentant de l’Etat. Or l’article 79 al. 1 dispose que « le chef de l’exécutif
communal ou régional peut déférer à la juridiction administrative compétente, pour excès de pouvoir, la
décision du refus d’approbation du représentant de l’Etat suivant la procédure prévue par la législation en
vigueur ».
2413 Patrick E. ABANE ENGOLO, Traité de droit administratif du Cameroun. Théorie générale et
2414 Ismaïla Madior FALL, « Le contrôle de la légalité des actes des collectivités locales au
Sénégal », Afrilex, n°5, 2006, p. 86.
2415 Patrice CHRETIEN, Nicolas CHIFFLOT, Maxime TOURBE, Droit administratif, op.
cit., p. 253.
2416 Selon Madame Suzanne NGANE, l’insuffisance des ressources (et plus exactement des
par les Etats membres de la CEMAC. Nous soulignons) et l’article 2 (« Le présent règlement
régit l’émission des titres publics à souscription libre des Etats membres de la CEMAC dont les
adjudicataires sont organisées par la BEAC ». Nous soulignons encore.) indiquent clairement
que ce règlement n’est applicable qu’aux Etats membres de la CEMAC. Les
démembrements de ces Etats sont ainsi oubliés. Ce silence du législateur communautaire
sur les règles d’accès de ces démembrements au marché financier communautaire peut
interroger légitimement sur sa volonté réelle de permettre aux CTD de s’émanciper. De
même, l’absence d’un texte juridique spécifique de chaque Etat membre sur l’accès de leurs
démembrements vers ce type de financement annihile énormément cette hypothèse.
516
qui pourra garantir le remboursement. Sous ce rapport, Monsieur Martin
FINKEN opine que « les communes camerounaises et cela est également vrai pour
l’ensemble de la sous-région à des degrés divers auront besoin d’une personnalité
financière plus marquée et d’intégrer la culture du crédit. Cette situation est encore loin
d’être acquise comme en témoigne les contestations des élus locaux sur les sommes
réclamées et leurs réticences à les honorer, situation qui a amené le FEICOM en Août
2001 à annuler purement et simplement 10 milliards de FCFA de dettes des
collectivités locales »2418.
Les seules hypothèses d’emprunts intérieurs pour les collectivités
décentralisées sont donc les emprunts auprès de l’Etat ou personnes
publiques instituées par l’Etat. A ce titre, le FEICOM se présente comme
le principal prêteur des collectivités locales au Cameroun. A côté de lui, le
Crédit Foncier du Cameroun n’est pas en reste. Mais, en l’absence de
concurrence, les produits offerts par ces institutions sont non négociables.
Or, les taux et les frais fixés par ces organismes seraient d’avantage
bonifiés en cas de concurrence2419. De même, ces institutions prévues et
essentiellement financées par l’Etat ne semblent pas à même de disposer
les lignes de crédit suffisantes.
Aussi, du point de vue des emprunts extérieurs, l’Etat reste maître
des mécanismes de prêt aux collectivités décentralisées. Les emprunts
extérieurs sont notamment garantis par l’Etat2420. Il s’agit d’une garantie ou
d’une sureté personnelle. Pour Monsieur Wilfried Eric GONCALVES, «
la garantie d’emprunt octroyée par un Etat ne sert pas seulement la diplomatie de celui-
ci. Elle peut aussi servir ses intérêts économiques »2421. L’octroi de la garantie a
pour effet de faciliter les opérations d’emprunts des collectivités
décentralisées. L’interventionnisme économique des Etats occupe donc
une place importante dans la publicisation de la garantie car « l’une des
formes privilégiée de l’intervention de l’Etat dans l’économie est d’offrir sa garantie. Le
but est de permettre aux personnes de droit public ou de droit privé internes de contracter
les emprunts. Le produit en sera investi dans le financement de projets liés au
développement »2422. Le manuel de procédure relatif aux opérations
d’emprunt et de gestion de la dette publique au Cameroun fournit des
indications sur la procédure de garanties. Il s’agit pour l’Etat de vérifier la
capacité de remboursement des entités sollicitant son aval et la robustesse
de leur situation financière sur différents scenarii de chocs. Concrètement,
c’est l’Etat qui s’endette et rétrocède le prêt à la collectivité territoriale.
2418 Martin FINKEN, Commune et gestion municipale au Cameroun : institution municipale, finances
et budget, gestion locale, interventions municipales, Yaoundé, Presse du groupe Saint François,
1996, p. 8.
2419 Arsène TCHIENO TIMENE, « Réflexion sur le recours à l’emprunt local par les CTD
au Cameroun », Revue panafricaine des sciences juridiques comparées, n°012, 2019, p. 119.
2420 Art. 399 alinéa 3 du CGCTD.
2421 Wilfried Eric GONCALVES, La garantie personnelle d’emprunt des Etats au sein de la société
517
Certains documents sont exigés à la collectivité territoriale : les études de
faisabilité financière du projet, le bilan des trois dernières années de la
collectivité, les comptes prévisionnels d’exploitation des trois prochaines
années, la situation d’endettement et l’encrage du projet au plan du
développement sectoriel et national. Sur la base de ces documents, le
ministre des finances et la Caisse Autonome d’Amortissement ouvrent les
négociations avec les parties prenantes en vue de la rétrocession2423. Vis-à-
vis des prêts extérieurs, la collectivité territoriale est entièrement
dépendante de l’Etat. Elle n’est donc pas libre de recourir aux emprunts
extérieurs. Aussi, en dehors de cette neutralisation l’accès à l’emprunt local
des collectivités locales, leur libre administration est restreinte par la
fragilité de la liberté de gestion de l’emprunt.
B. La fragilisation de la liberté de gestion de l’emprunt local
La libre administration des CTD implique leur libre élaboration et
gestion des actes budgétaires notamment d’emprunt. Or, la liberté
d’emprunt accordée aux CTD sur le fondement de leur libre
administration est fragilisée dans sa gestion par l’affectation des ressources
d’emprunt (1) et la réglementation du service de la dette (2).
1. L’affectation des ressources d’emprunt local
La première cause de fragilité de la gestion de l’emprunt local est
l’obligation d’affectation des ressources d’emprunt. Comme l’indique le
Professeur Laurent RICHER, les moyens financiers de l’administration ne
proviennent pas seulement de l’impôt. Les personnes publiques peuvent
aussi, par divers contrats, se procurer des ressources affectées et non
affectées. Le contrat d’emprunt figure parmi cette typologie de « contrat
moyens »2424. L’affectation d’emprunt constitue en effet, selon le Professeur
Stéphanie DAMAREY, la première exigence du principe d’équilibre
réel2425. Il s’agit de la règle d’or des finances locales d’après laquelle
l’emprunt ne finance que les dépenses d’investissement2426. L’article 389
alinéa 1 du CGCTD indique à propos que les emprunts sont destinés en
priorité aux dépenses d’investissement2427. Cette obligation pour les
Universitaires d’Aix-Marseille, Economica, 2017, 2e éd., p. 201. Lire aussi sur le principe de
l’équilibre réel, Anne JUSIANNE, « Droit constitutionnel local », JCA, Fasc. 1442, 2005, p.
16.
2426 Michel BOUVIER, Les finances locales, op. cit., p. 211.
2427 Aux termes de l’article 407 alinéas 1, 2 et 3 du CGCTD, « les dépenses d’investissement sont
celles qui permettent la réalisation des équipements, bâtiments et infrastructures ainsi que l’acquisition du
matériel relatif à ces travaux dans les domaines économique, social, sanitaire, éducatif, culturel et sportif ».
A ce titre, les dépenses d’investissement concourent notamment :
- à la construction et à l’équipement des marchés, gares routières et abattoirs ;
518
collectivités territoriales d’affecter le produit de leurs emprunts aux
dépenses d’investissement s’explique par la volonté de doter tous les
démembrements d’un niveau de développement équilibré. Il s’agit aussi de
préserver leur capacité financière. L’objectif est l’évitement de l’effet boule
de neige, à savoir le recours à des emprunts pour payer les dettes dues par
d’autres emprunts. L’emprunt local est logiquement exclu pour les
dépenses de fonctionnement2428. Elles s’entendent des dépenses à
caractère définitif correspondant aux activités traditionnelles des
administrations2429. La nature de ces dépenses explique l’interdiction de
leur financement par les ressources d’emprunt public.
Toutefois, l’application de cette obligation est délicate. Deux séries
d’arguments permettent de la relativiser. Premièrement, la frontière entre
les dépenses de fonctionnement et celles d’investissement n’est pas claire.
Elle implique une détermination précise de ces deniers de façon à ce que la
règle ne soit pas facilement contournée. A titre illustratif, alors que les
dépenses d’éducation sont parfois considérées comme des dépenses
d’investissement sur le futur, elles restent des dépenses de fonctionnement
dans la définition de la règle d’or parce qu’elles sont récurrentes et doivent
être assumées annuellement de manière renouvelée. L’étendue de
l’exigence d’équilibre doit être précisée dans son périmètre et dans le
dépenses publiques s’appréhendent comme « les dépenses engagées selon les règles de la comptabilité
publique pour assurer les charges de l’Etat et des collectivités publiques ». E.C. LEKENE
DONFACK, Finances publiques camerounaises, op. cit., p. 436. Les dépenses publiques posent
juridiquement deux catégories de problèmes. D’une part, la question de leur accroissement
et d’autre part la question de leur classification. C’est sur ce second volet que l’on peut
extirper la notion de dépenses de fonctionnement. Parmi les classifications des dépenses
publiques présentées par la doctrine, la plus significative du point de vue de la performance
budgétaire est la distinction entre dépenses de fonctionnement et dépenses
d’investissement.
2429 Les salaires, personnels… Lire E. C. LEKENE DONFACK, Finances publiques
2430 Gilbert ORSONI (dir.), Finances publiques : Dictionnaire encyclopédique, op. cit., pp. 328-329.
2431 L’article 107 du CGCTD ne propose ni une définition limitative des dépenses
d’investissement ni des critères clairs de distinction avec celles de fonctionnement.
2432 Antoine SIMON, Les emprunts des collectivités territoriales et la libre administration, op. cit., p.
37. Ainsi l’achat d’un véhicule tel dans le cas de la commune de DEMBO précitée peut être
considéré comme l’acquisition d’un bien de fonctionnement ou d’investissement. Dans le
cas de cette commune, aucune indication n’est donnée sur la nature du véhicule pour
déceler s’il s’agit d’un bien de fonctionnement ou d’investissement.
2433 Idem.
2434 Robert HERTZOG, « L’investissement local est-il surévalué ? », BJCL, 2013, n°11/13,
pp. 735-740.
2435 Idem.
2436 Idem.
2437 Art 457 du CGCTD, art. 53 de la loi n°2018/011 du 11Juillet 2012 portant régime
financier de l’Etat et des autres entités publiques. De même, il est consacré à l’article 11 du
code d’intervention du FEICOM la possibilité des avances de trésorerie pour les CTD
notamment pour financer les arriérés de salaire et les voyages de coopération ou d’étude
des élites. L’article 5 du même code consacre parmi les concours financiers accordés par
l’organisme, les prêts au fonctionnement.
520
précédemment versé -prêté ou payé-. On parle de remboursement d’un
prêt, d’une somme indument payée2438. En matière d’emprunt public, le
remboursement signifie la restitution par la collectivité publique du capital
et des intérêts de la dette. Il s’agit d’assurer le service de la dette. Aux
termes de l’article 39 alinéa 4 de la directive CEMAC relative aux lois de
finances de 2011, « (...) les remboursements d’emprunts sont exécutés conformément
au contrat d’émission.». Le remboursement des emprunts publics dans les
Etats membres s’effectue donc selon les modalités définies par le contrat
d’émission. Mais contrairement à l’Etat libre dans le remboursement de sa
dette, phénomène d’ailleurs vecteur constant d’arriérés de paiement, les
CTD sont strictement encadrées dans le service de leur dette. La
prescription du remboursement des emprunts publics comme dépenses
obligatoires constitue une spécificité des finances locales. D’inspiration
jacobine, elle est le fruit de la philosophie globale de surveillance par l’Etat
des finances de ses démembrements. Le CGCTD est sans équivoque. Les
dépenses obligatoires y sont instituées à l’article 43. Il se lit dans cette
disposition que « les dépenses obligatoires sont celles qui sont imposées par la loi.
Elles sont nécessaires au fonctionnement optimal de la collectivité territoriale
décentralisée en raison de l’intérêt particulier qu’elles présentent. A ce titre, elles doivent
impérativement figurer au budget ». Dans une énumération limitative, le
cinquième tiret de l’alinéa 1 de l’article 104 indique parmi les dépenses
obligatoires les dettes exigibles2439. Cette règle se justifie par la nécessité de
protéger les créanciers dans un contexte d’inapplication des voies
d’exécution2440 contre les personnes publiques. Pour assurer le respect de
cette règle, l’autorité de tutelle veille. Ainsi, « le représentant de l’Etat qui
approuve le budget de la collectivité locale, après mise en demeure rester sans effet peut le
modifier d’office parce que :
- ledit budget n’est pas voté en équilibre
- les crédits inscrits pour couvrir les dépenses obligatoires sont
insuffisants (...) »2441.
représentant de l’Etat, soit par toute personne ayant intérêt qui constate la non-souscription
d’une dépense obligatoire au budget de la collectivité ou son inscription pour une somme
insuffisante. Elle constate ce manquement dans un délai d’un mois à partir de sa saisine et
met en demeure la collectivité territoriale concernée. Si dans un délai d’un mois cette mise
en demeure n’est pas suivie d’effet, la chambre régionale des comptes demande aux
représentants de l’Etat d’inscrire au budget cette dépense obligatoire et propose s’il y’a lieu
création de ressources ou diminution des dépenses facultatives destinées à couvrir la
521
Il y a lieu de souligner qu’en droit camerounais, ce sont les dettes
exigibles comme sus évoquées qui sont des dépenses obligatoires.
L’exigibilité se soumet à la fois aux conditions de droit commun et à une
condition spécifique de droit public. Les règles de recouvrement de
créance en droit commun sont fixées par le Droit OHADA notamment
par l’Acte uniforme relatif aux voies d’exécution. Il en ressort que trois
conditions cumulatives sont nécessaires pour le recouvrement de la
créance. La première est le caractère certain de la créance. Il postule que la
créance soit indubitable parce que certifiée, vérifiée, indiscutable par les
tiers2442. Le second caractère est la liquidité de la créance2443. Du latin
liquidum, la liquidité postule une créance qui est déterminée avec certitude
dans son montant, mieux une créance chiffrée2444. Le troisième critère a
trait à l’exigibilité de la créance. Est exigible, la créance dont on peut
demander le paiement immédiat. En d’autres termes, c’est le caractère
d’une dette dont le créancier est en droit de réclamer l’exécution
immédiate sans être tenu d’attendre l’accomplissement d’une condition
suspensive2445.
Au-delà de ces conditions ordinaires, le recouvrement d’une créance
implique aussi la soumission à la règle de comptabilité publique du service
fait. La règle du service fait constitue une pièce maitresse du droit public
financier. Mais les développements rares ou sommaires à elle consacrés par
la doctrine financière témoignent qu’il s’agit d’une « institution financière en
clair-obscur »2446. La règle du service fait signifie dans le droit de la
comptabilité publique que le paiement de la dépense publique est interdit
avant la réalisation par les bénéficiaires, des contre-prestations
effectives2447. Cette règle s’applique également au droit des dettes et des
créances publiques. Elle a plusieurs incidences en cette matière. D’une
part, les personnes publiques ne peuvent être tenues au paiement de leur
dette avant droit acquis ou service fait2448. Ainsi, après la signature d’une
convention, la dette publique existe mais ne devient exigible qu’après le
paiement de la contre-prestation par le créancier. L’exigibilité du service
des dettes publiques dépend donc du service fait2449. Ainsi, en matière
d’emprunt public, après la signature de la convention d’emprunt, la dette
dépense obligatoire. Art. L1612-5 du code général des CTD ; François BONNEVILLE, Le
système de la dette publique. Pour une approche organique d’un phénomène social, op. cit., p. 588.
2442 Ibid., p.159 ; Amvi DE SABBA, La protection du créancier dans le droit uniforme de recouvrement
l’honneur de Monsieur le Professeur Paul-Marie GAUDEMET, Paris, Economica, 1984, pp. 424-
427.
2447 Ibid., p. 424.
2448 Ibid., p. 429.
2449 Ibid., p. 431.
522
existe. Mais pour qu’elle soit exigible, il faut d’une part le décaissement des
fonds par le créancier et d’autre part, la réalisation des termes de
remboursement ou du capital. Seulement, cette règle ne s’applique pas à
toutes les créances d’emprunts publics. La liberté contractuelle rattachée
aux personnes publiques leur permet de soustraire certaines conventions à
ce principe. En pratique, l’institution financière de droit commun, le
FEICOM opère une rétention à la source des centimes additionnels
communaux dont il a charge de centraliser et redistribuer aux collectivités
territoriales de celles défaillantes jusqu’à remboursement total2450.
L’institution des dépenses obligatoires limite le pouvoir de décision
en matière de dépenses. Précisément comme l’indique le Professeur
Robert HERTZOG, la libre disposition des dépenses ou la liberté de
dépenser des CTD signifie que leurs ressources ne sont ni grevées de
charges, ni affectées à des objets déterminés2451. Or le pouvoir de décision
des collectivités territoriales en matière financière suppose que les
dépenses obligatoires auxquelles elles sont contraintes ne soient pas
excessives2452. En fait, ces dépenses obligatoires privent les collectivités
locales du pouvoir de les refuser, ce qui annihile leur possibilité de choix et
constitue une atteinte incontestable à leur liberté de décision en matière de
dépense2453.
Conclusion
Au terme de l’analyse, il a été questionné la réalité de la liberté
d’emprunt local au Cameroun. La démonstration a permis de relever la
liberté retenue de l’emprunt local en droit camerounais de la
décentralisation. D’une part, l’initiative d’emprunt local est libéralement
consacrée. Fondée sur la libre administration des collectivités territoriales,
elle s’exprime à travers la liberté contractuelle qui leur est reconnue en la
matière. Les CTD ont la possibilité d’autoriser les emprunts en fixant les
différentes modalités du contrat avec le futur créancier. La libre
2450 Aux termes de l’article 43 du Code d’intervention du FEICOM, « les centimes additionnels
communaux destinés à chaque commune garantissent le remboursement du concours concédé ». L’article 44
alinéa 1 ajoute que « Le principe est la trimestrialité des traites. Elles sont payées soit sur les centimes
additionnels communaux (CAC), soit payées en espèces par les communes ou leur groupements ».
2451 Robert HERTZOG, « Ambigüe constitutionnalisation des finances locales », AJDA,
2003, p. 48.
2452 Comme l’indiquent Paul-Marie GAUDEMET et Joël MOLINIER, « l’autonomie n’est
réelle (…) que si elle dispose d’une grande liberté dans ses dépenses sans être entravée par des dépenses
obligatoires ou par des dépenses interdites ou soumises à approbation », in Finances publiques, op. cit., p.
176.
2453 Loïc PHILIP, « L’autonomie financière des collectivités territoriales », op. cit., p. 154 ;
2454 La loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 Juillet 2013 autorise
la création d’une agence de financement de collectivités locales, l’agence France locale. Elle
est agréée en tant qu’établissement de crédit spécialisé le 12 Janvier 2015 et est depuis
régulée par l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Aujourd’hui ce nouvel
établissement de crédit rassemble 223 collectivités représentant 13% de la dette publique
locale et a octroyé plus de 16 milliards d’euro de crédit depuis le lancement de son activité
en 2015. Cette structure initiée en 2004, s’articule autour des impératifs de responsabilité,
de solidarité entre CTD, d’indépendance et de performance dans l’accès aux crédits et au
financement des investissements. Elle s’inspire notamment des LOCAL GOVERNMENT
FUNDING AGENCIES mises en place dans les Etats d’Europe du Nord comme en
suède avec la KOMMUNINVEST, Yann DOYEN, « L’emprunt et le besoin de
financement des collectivités locales : les leçons de l’histoire », op.cit., pp. 100-102.
524
FINANCES ET FINANCEMENT DES
ORGANISMES PUBLICS
(Sous la coordination du Prof GUESSELE ISSEME, Maître de conférences agrégé)
525
LA CONTRIBUTION DES ENTREPRISES PUBLIQUES AU
FINANCEMENT DU BUDGET DE L’ETAT EN DROIT PUBLIC
FINANCIER CAMEROUNAIS
Par
Dr. Christian Fabrice YINDJO TOUKAM
Ph.D en Droit public
Université de Douala (Cameroun).
RÉSUMÉ :
L’Etat contemporain est de plus en plus soumis à des influences qui modifient
ses logiques d’action. La nouvelle gouvernance financière, partie intégrante de celles-ci, a
permis d’instaurer la recherche de la performance qui, au plan budgétaire, exige
l’amélioration de la qualité de la dépense publique et le renforcement des ressources
budgétaires. Les entreprises publiques ont été pensées et créés pour contribuer au
renforcement de ces ressources. Leur intervention dans le secteur marchand induit la
recherche de la rentabilité au même titre que les entreprises privées. C’est sur cette
rentabilité que s’appuie la diversité des contributions fiscales auxquels elles sont
assujetties et par lesquelles elles contribuent au financement du budget de l’Etat. Cette
contribution n’est pas toujours une réalité. Les entreprises évoluent dans un contexte
structurel et conjoncturel défavorable à la performance et à la rentabilité, dévoyant ainsi
leurs potentialités de contribution au budget de l’Etat.
Mots clés : Recettes budgétaires, dividende, compensation, subvention,
performance.
ABSTRACT:
The contemporary State is more and more subject to influences which modify its
logics of action. The new financial governance that is part of these has made it possible to
establish the search for performance which, at the budgetary level, requires improving the
quality of public expenditure and strengthening budgetary resources. Public enterprises
were conceived and created to contribute to the strengthening of these resources. Their
intervention in the commercial sector induces the search for profitability in the same way
as private companies. It is on this profitability that the diversity of tax contributions to
which they are subject is based. This contribution is not always a reality. Companies
operate in a structural and economic context which is unfavorable to performance and
profitability, thus owing their potential to contribute to the State budget.
Keywords: Budgetary revenue, dividend, compensation, subsidy, performance.
526
Introduction
Le budget de l’Etat est au cœur des problématiques socio-politiques
actuelles au regard de l’accroissement des activités publiques à financer.
Cela n’est pas à proprement parler une spécificité contemporaine, car aussi
loin que l’on remonte dans l’histoire « il est reconnu qu’il n’y a pas de finances
publiques prospères sans budget »1. Le budget est le principal, voir l’unique
instrument mobilisé pour supporter le financement des politiques
publiques2. Ce budget qui est en constante progression3 subit des
contraintes énormes au regard de l’élargissement des activités à financer,
mais aussi et surtout face aux contingences sociales. L’actualité le
démontre clairement. D’abord celle, un peu plus éloignée mais toujours
ambiante, des tensions sécuritaires constituées de la lutte contre le groupe
terroriste Boko Haram dans les régions du septentrion, et de la crise dans
les régions anglophones. A côté de cela, l’on a la pandémie mondiale du
Covid-19 qui tend à asphyxier les finances publiques. Cette dernière
contrainte inattendue et aux effets dévastateurs a nécessité une riposte tout
aussi importante avec l’adoption d’une batterie de mesure nécessaires à la
survie de l’Etat et plus globalement celle de la société et de l’humanité.
Face à cette situation fortuite, la réponse ne peut être gratuite. La
mobilisation qui continue à avoir droit de citer « a certainement un coût
financier et nécessite, par voie de conséquence, une prise en charge par le budget de la
nation »4. Même en présence de ces situations de crise, l’Etat doit continuer
à assurer l’intérêt général conformément au principe de continuité
constitutionnellement consacré5.
L’Etat camerounais et les Etats Africains en général croulent sous le
poids des contraintes budgétaires. Les besoins de financements sont si
importants que l’on finit par perdre de vue que le budget est un acte
prévisionnel et que « les prévisions arrêtées peuvent donc varier au gré des
contingences »6. Le budget est présenté comme un acte descriptif7 des
ressources et des charges de l’Etat autorisé par la loi de finances sous
forme de recettes et de dépenses8. Au-delà de la technicité financière
1 JEZE (G), Traité de Sciences des Finances, Paris, Giard & Brière, 1910, p. 3.
2 De plus en plus l’on évoque l’endettement et autres appuis financiers des partenaires
extérieurs, les financements privées comme techniques alternatives de financement des
activités d’intérêt général, mais le budget contenue de constituer la source principale de
financement.
3 DAMAREY (S), Finances publiques, Paris, Gualino éditeur, 2008, p. 31.
4 BILOUNGA (S. T.), « L’incidence de la lutte contre le covid-19 sur les finances publiques
le droit au bonheur du citoyen en droit Camerounais », Revue Juridique du Bonheur, n°3, 2021,
p. 14.
7 CHOUVEL (F.), Finances publiques, Paris, Gualino éditeur, 2016, 19e édition, p. 24.
8 Article 4 al 1 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et
africains post-coloniaux : l’exemple camerounais », Revue Africaine des sciences juridiques, vol 2,
n°1, 2000, p. 89 ; OUMAROU BOUBAKARI, « La conditionnalité, vecteur juridique de
l'assistance financière du FMI », Afrilex, n°4, décembre 2004, pp. 132-148.
14 GAUTRON (J-C), ZUBER (B), « Les entreprises publiques et semi-publiques du
Sénégal », in LAVROFF (D.G) (dir.), Les entreprises publiques en Afrique noire, Paris, éditions
A. Pedone, 1978, p. 4.
15 SIMARD (C), « Les entreprises publiques : éléments d’analyse et de réflexion », Cahiers de
l’étude de l’originalité des droits africains, Thèse de Doctorat d’Etat en droit public, Université de
Yaoundé II, 1997, p. 73.
528
pérenniser le processus de création des entreprises publiques engagé
depuis l’autonomie interne élargie17. Les entreprises qui vont être créées
seront dans une instabilité du fait de l’absence d’un texte harmonisant
leurs régimes. Le premier texte en la matière est une loi de 1968 sur les
sociétés de développement. Du point de vue historique, et en considérant
le régime établi plus tard, les sociétés de développement peuvent être
considérées comme les précurseurs des entreprises publiques. Sur le plan
de leurs missions, ces sociétés « concourent, sous le contrôle de l’autorité publique,
à l’exécution des plans de développement économique et social »18. En ce qui
concerne leur régime, elles sont créées par décret du président de la
République19, contrôlées par l’Etat20, et bénéficient de la participation des
entités publiques au capital à titre principal21.
Sur le plan formel, l’harmonisation du régime des entreprises
publiques va se faire avec l’ordonnance de 199522. Telle était l’ambition.
Pourtant, les faits ne peuvent permettre de soutenir cela car cette
ordonnance a plutôt installé un désordre juridique inédit. Ce texte à lui seul
avait sonné le glas de la matière par laquelle la doctrine n’avait d’ailleurs
daigné manifester aucun intérêt23. La première limite est celle de ne pas
définir la notion d’entreprise publique. Rien de bien grave pourrait-on dire,
surtout que même ailleurs l’on parle de « l’introuvable définition » de la
notion24. L’imprécision nait de la réunion sous le vocable entreprise de
deux entités de nature différente. L’ordonnance dispose en effet que « les
entreprises du secteur public et parapublic prennent exclusivement la forme soit
d’établissement public administratif, soit de société à capital public soit de société
d’économie mixte »25. Du point de vue théorique, l’établissement public
semble être l’intrus dans cette liste, car bien que ses modalités
d'organisation soient calquées sur celles des entreprises privées26, il
17 Pendant la période de l’autonomie interne élargie qui a pratiquement durée deux ans
(1958-1960), l’Etat s’était engagé dans la création des entreprises que l’on peut qualifier de
publique aujourd’hui au regard des avancées dans la clarification des critères
d’identification. C’est le cas de la caisse de compensation des prestations familiales du
Cameroun créée par la Loi n°59-25 du 11 avril 1959.
18 Article 1 de la Loi n° 68-LF-9 du 11 juin 1968 sur les sociétés de développement.
19 Ibid.
20 Article 4.
21 Article 2.
22 Ordonnance n°95/003 du 17 août 1995 portant Statut Général des Entreprises du
entreprises publics au Cameroun. Innovations et reculades, Yaoundé, Afrédit, 2018, 196 pages.
33 Loi n°2017/011 du 12 juillet 2017 portant statut général des entreprises publiques.
34 Loi n°2017/010 du 12 juillet 2017 portant statut général des établissements publics.
35 Article 3 de la n°2017/011 du 12 juillet 2017 portant statut général des entreprises
publiques.
530
l’intérêt général36. La finalité d’intérêt général impose la soumission à un
régime de droit public même si le droit OHADA a vocation à constituer le
régime de droit commun37. Les entreprises publiques sont fondées sous la
forme de société commerciale, c’est-à-dire d’une société créée pour exercer
des activités commerciales et industrielles « dans le but de partager le bénéfice ou
de profiter de l’économie qui peut en résulter »38. Seulement, l’entreprise publique
ne profite pas des dividendes des activités commerciales comme
l’entreprise privée, c’est-à-dire à titre personnel. Elle le fait dans la
satisfaction de l’intérêt général dans lequel se range l’action des
gouvernants tel que cela est organisé par la Constitution39. La recherche de
cet intérêt général pousse l’Etat à considérer les entreprises publiques
comme un instrument de renforcement du financement de son budget.
La prospérité que le Cameroun a connue pendant les années 1960-
1970 a poussé l’Etat à s’investir dans le développement du secteur
économique. Il l’a fait par l’augmentation de la participation dans les
entreprises privées, par la création des entreprises publiques ou par la
nationalisation des entreprises coloniales, l’objectif étant « de reprendre à son
compte, les prestations jadis fournies par l’administration coloniale »40. L’embellie
économique et la bonne santé budgétaire et financière des entreprises vont
subir des chocs exogènes, lesquels auront pour effet d’essouffler leur
croissance. L’exacerbation de la guerre froide, la chute du prix du pétrole,
le développement des tensions internes avec la répression des
mouvements nationalistes sont autant d’éléments qui ont ralenti l’activité
économique et accru les charges budgétaires. Les entreprises publiques se
sont trouvées au milieu de cet engrainage, massivement sollicitées par
l’Etat pour supporter les charges budgétaires avec malheureusement une
productivité réduite voire quasi-nulle. Cette situation va se faire ressentir
sur le budget de l’Etat qui va tomber en déséquilibre jusqu’à susciter
l’intervention du FMI à travers les programmes d’ajustement structurel
dont le premier mis en œuvre en 1981 sera « essentiellement consacré à la gestion
financière et économique, aux réformes administratives et à la restructuration des
entreprises publiques »41. L’Etat va également participer à cette restructuration
en opérant d’abord une réévaluation des immobilisations des entreprises42
des droits budgétaires des États africains sous ajustement structurel, thèse de doctorat/Ph.D en droit
public, Université de Yaoundé II, 2015, pp. 46-47.
42 Voir Ordonnance n°85-1 du 29 juin 1985 relative à la réévaluation des immobilisations
des entreprises.
531
nécessaire à l’établissement de leurs situations réelles. Ensuite, la mise sur
pied d’une Mission de réhabilitation chargée de proposer au Chef de l’État
des mesures permettant l’éradication et la prévention des causes des
difficultés des entreprises du secteur public et parapublic43. La principale
solution sera l’application des privatisations devant conduire à
« l’assainissement des finances publiques »44.
Sous l’impulsion des bailleurs de fonds l’Etat va engager un vaste
mouvement de privatisation sous diverses techniques45. Ce changement de
modèle économique engendre un retrait de l’État et une montée en
puissance du secteur privé46. Un tel désengagement de l’État, « davantage
dicté par des sentiments de résignation que par une adhésion de cœur »47, va être mal
opérationnalisé en raison d’une mauvaise évaluation de la situation des
entreprises. Il va conduire à une sorte de « braderie » des entreprises lors
des privatisations, les conditions fondamentales devant permettre d’en
assurer le succès n’étant pas réunies48. Pendant plus de 20 ans on
n’observera plus de grand mouvement dans la sphère des entreprises
publiques. L’engagement de l’Etat dans la politique d’émergence va
remettre au goût du jour l’apport des entreprises publiques aux besoins
financiers de l’Etat. Dans sa stratégie, l’Etat ambitionne « faire des entreprises
publiques des instruments d’accélération de l’industrialisation par leurs performances
économiques et financières »49. C’est ainsi que plusieurs entreprises vont voir le
jour durant la décennie écoulée. On peut citer la SONATREL50 ou encore
la SONAMINES51. Elles ont pour point commun la présence de l’Etat
comme unique actionnaire malgré les recommandations d’ouverture du
capital52. Les entreprises publiques renaissent de leurs cendres, pourraient-
Mines (SONAMINES).
52 Après avoir pratiqué pendant de nombreuses années l’actionnariat unique dans les
533
entreprises publiques (1), et comme une conséquence bénéfique à la
philosophie de la valorisation de l’action publique (2).
1. Une exigence génétique à l’idéologie de la création des
entreprises publiques
L’idéologie de la création des entreprises publiques est celle de faire
le bénéfice, de rechercher la rentabilité et le profit. L’entreprise publique
en Afrique noire francophone est soumise au régime élaboré par le droit
OHADA. Celui-ci la consacre comme une société commerciale, entendue
comme une société dans laquelle les associées conviennent d’affecter à une
activité des biens en numéraire ou en nature ou de l’industrie dans le but
de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui peut en résulter56.
La recherche du profit est l’élément déterminant qui la soumet « aux
exigences du statut de commerçant au sens du droit prive »57. De plus, l’association
profit-entreprise publique ne pose pas de problème juridique car les
composantes de l’entreprise publique sont toutes des personnes morales
de droit privé58 recherchant principalement le profit dans leurs actions.
La qualification d’une entreprise de publique ne signifiant pas une
transformation de son essence, celle-ci reste attachée à ses gènes. La
rentabilité, le profit et la performance constituent ses valeurs cardinales. Il
faut toutefois relever que le droit camerounais n’a pas encore épousé
totalement ces éléments constitutifs. L’on peut le justifier avec l’attitude
indécise qui caractérise le législateur camerounais quant à l’assujettissement
de ces entreprises à contribuer au budget de l’Etat. Si le budget « apparait
comme un ensemble couvrant le bloc des besoins financiers et des moyens de
couverture »59, la contribution au financement de ce budget doit être
recherchée dans le chapitre des recettes. A ce sujet, c’est la loi de 2007
portant régime financier de l’Etat qui pour la première fois mentionne la
contribution des entreprises publiques dans les recettes budgétaires.
Aujourd’hui abrogée, cette loi rangeait « les revenus provenant des entreprises »
parmi les ressources budgétaires60. La complexité pouvait naitre des
incertitudes de la notion de revenu, lequel de toute façon ne fait pas partie
du jargon du régime de l’intéressement dans les sociétés commerciales. Le
nouveau régime financier adopté en 2018 est allé plus loin dans la
complexité en évacuant la référence directe aux entreprises publiques au
profit des expressions laconiques. Il ne fait pas la distinction, pourtant
droit des sociétés commerciales de l’espace OHADA », Uniform Law Review/Revue de Droit
Uniforme, Vol. 24, n°1, mars 2019, p. 215.
58 Article 3 de la n°2017/011 du 12 juillet 2017 portant statut général des entreprises
publiques.
59 BEN MOUSSA (C), Essai sur la normativité budgétaire, thèse de doctorat en droit,
534
classique, entre recettes fiscales et recettes non-fiscales nécessaire à la
classification des différentes sources de financement. Cependant, l’absence
de référence aux entreprises publiques ne saurait être regardée comme
l’annulation de leurs contributions. Cette contribution demeure, et son
fondement peut être justifié à travers l’interprétation des dispositions
applicables.
La loi de 2018 a consacré parmi les recettes budgétaires un titre aux
autres recettes61. C’est dans cette catégorie que l’on peut ranger la
contribution des entreprises publiques, même si cette façon de faire est
contraire à la précision et à la sincérité qui fondent la nouvelle
gouvernance financière62 et qui traduisent le souci « de faire ressortir les
rapports existant entre les acteurs du système financier public, et d’en tirer les
conséquences d’un point de vue opérationnel »63. Au-delà de ces errements, il
demeure que l’entreprise publique contribue au budget par le versement
des dividendes. Dans le droit des sociétés commerciales, un dividende est
une part de bénéfice revenant à chaque action ou chaque part sociale64.
C’est plus précisément la « part de bénéfices ; quote-part attribuée à chaque associé,
pendant la durée de la société, au prorata de ses droits dans les bénéfices et normalement
prélevée sur ceux de l’exercice »65. Ainsi, dans les entreprises publiques, « l’État
actionnaire perçoit des dividendes à raison des titres et participations financières qu’il
détient »66. Ces dividendes ne rentrent pas dans le domaine privé de l’Etat.
Ils sont directement introduits dans les recettes budgétaires. Il faut tout de
même dire que cette catégorie de dépense est spéciale dans son régime.
Elle répond particulièrement à la logique de la prévision et doit reposer sur
l’évaluation de la performance de ces entreprises.
Dans l’architecture de la loi de finances, les dividendes versés par les
entreprises publiques sont regroupées sous l’expression « produits financiers à
recevoir ». Durant les 5 derniers exercices budgétaires, les montants
prévisionnels de ces contributions ont été instables. La logique des
variations est difficilement compréhensible : après avoir atteint un pic
record de 53 milliards en 201967, les prévisions pour l’exercice 2020 ont
drastiquement baissé et n’ont curieusement pas été ajustées malgré la
61 Article 25 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et des
autres entités publiques.
62 ESCLASSAN (M-C), « Sincérité et gouvernance financière publique : y a-t-il une sincérité
GIE.
65 CORNU (G), Vocabulaire juridique, op.cit., p. 786.
66 DAMAREY (S), Finances publiques, op.cit., p. 84.
67 Voir loi n°2019/023 du 24 déc. 2019 portant loi de finances de la République du
76 L’exemple le plus récent est celui de l’augmentation du droit de timbres sur le passeport
qui passe de 75.000 à 110.000 FCFA. Voir l’ordonnance n°2021/003 du 07 juin 2021
modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n°2020/018 du 17 décembre 2020
portant loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2021.
77 Stratégie Nationale de développement 2020-2030.op.cit., p. 44.
78 Articles 5 et 6 du décret n°2019/3187/PM du 09 septembre 2019 fixant le cadre général
l’électricité.
80 LEIDERER (S), WOLFF (P), « Gestion des finances publiques : une contribution à la
bonne gouvernance financière », Annuaire suisse de politique de développement [En ligne], 26-2 |
2007, p. 177, mis en ligne le 22 juin 2009, consulté le 19 avril 2019. URL :
http://journals.openedition.org/aspd/142,
537
des sociétés (1), et bénéficient d’une flexibilité à travers les compensations
(2).
1. L’assujettissement à la fiscalité de droit commun
Les entreprises publiques sont assujetties à la fiscalité de droit
commun. Autrement dit, elles doivent payer les impôts et taxes comme
tous les autres contribuables. Au regard des dividendes qu’elles versent
déjà à l’Etat et qui rentrent dans les recettes budgétaires, l’assujettissement
à la fiscalité peut paraitre excessive. De plus, la soumission à la fiscalité de
droit commun des sociétés pour laquelle les entreprises se plaignent
toujours de subir une oppression fiscale peut s’apparenter à « une imposition
confiscatoire, contraire au respect des capacités contributives des contribuables, au
principe d'égalité ainsi qu'au droit de propriété »81. Il n’en est rien de tout cela, car
le versement des dividendes se fait après déduction de toutes les charges
de l’entreprise dans lesquelles on retrouve les impôts.
L’assujettissement des entreprises publiques à la fiscalité de droit
commun est juridiquement justifié. Il tire son fondement de la
Constitution qui dispose que « chacun doit participer, en proportion de ses
capacités, aux charges publiques »82. Cet assujettissement est mis en œuvre par
les législations fiscales qui soumettent ces entreprises au payement de
l’impôt. L’impôt est le principal prélèvement attendu des contribuables. Il
est défini comme « un prélèvement pécuniaire obligatoire, effectué à titre définitif,
sans contrepartie immédiate, visant à couvrir les charges publiques »83. Son caractère
obligatoire l’amène à opérer une régulation conjoncturelle dans une société
ou l’Etat est principalement attendu dans la stabilisation sociale. L’impôt
est ainsi utilisé pour lutter contre l’inflation, stimuler l’activité, contribuer
au plein-emploi84. L’entreprise publique est soumise à des impôts bien
précis ; il s’agit principalement de l’impôt sur les sociétés et de la Taxe sur
la valeur ajoutée.
L’impôt sur les sociétés (IS) est « un impôt sur l’ensemble des bénéfices ou
revenus réalisés par les sociétés et autres personnes morales »85. Il s’applique
naturellement aux entreprises publiques qui rentrent dans son champ
d’application. C’est un impôt qui frappe les bénéfices réalisés par
l’entreprise, c’est-à-dire « le solde obtenu en faisant la somme algébrique des
produits réalisés et des charges exposées par l’entreprise au cours de l’exercice »86. Les
bénéfices imposables considérés sont ceux réalisés au cours de 1'exercice
édition, p. 7.
85 Article 2 du Code général des impôts.
86 ABENG MESSI (F), Le territoire et l’impôt en droit fiscal camerounais, thèse de doctorat/Ph.D
87 BOUVIER (M), Introduction au droit fiscal général et à la théorie de l’impôt, op.cit., p. 90.
88 Article 15 du Code général des impôts.
89 Article 21 du Code général des impôts.
90 Article 93 quater alinéa 2 du Code général des impôts.
91 Article 21 du Code général des impôts.
92 Article 17 alinéa 1 du Code général des impôts.
93 MEKONGO (J.M), Les retenues à la source dans le système fiscal au Cameroun, thèse de
ressortir qu’il existe une déférence entre un impôt et une taxe, et que la TVA rempli non
pas les critères d’une taxe, mais plutôt d’un impôt.
95 Article 1 de la Directive n°1/99/CEMAC-028-CM-03 du 17 Décembre 1999 portant
539
autres impôts et taxes auxquels les entreprises publiques sont assujetties
mais dont leurs particularités justifient des flexibilités.
2. L’aménagement de la flexibilité fiscale à travers les
compensations
La compensation est l’une des opérations fiscales les plus
controversées du droit fiscal camerounais. Son régime repose sur un
ensemble de règles et principes qui ne sont pas toujours clairs et cohérents.
La compensation est globalement définie comme l’« extinction simultanée
totale ou partielle de deux obligations réciproques entre les mêmes personnes »97. Celle
qui s’opère en matière fiscale est différente dans son régime de celle
consacrée par le Code Civil qui est une sorte d’extinction naturelle, car
celle-là « s'opère de plein droit par la seule force de la loi, même à l'insu des
débiteurs »98. La compensation en matière fiscale est différente dans son
opérationnalisation. La notion de compensation en matière fiscale peut
être utilisée pour traduire la politique de mobilisation des recettes internes
pour pallier au déficit des recettes douanières99 dû à la réduction des
barrières douanières par l’application des accords ACP-Union
Européenne100 et de l’entrée en vigueur de la zone de libre-échange
continentale africaine101. Dans le cadre de cette réflexion, l’on parle plutôt
de compensation de dettes croisées.
L’Etat et les entreprises publiques entretiennent des relations
financières marquées par l’existence de dettes et créances réciproques. Du
côté de l’Etat, les dettes résultent du non-paiement des factures des
prestations telles que l’eau, l’électricité, les services de télécommunications
et autres. La plupart des entreprises qui entretiennent des relations
d’affaires avec l’Etat sont dans des situations des factures impayées. Les
dettes de l’Etat résultent également de la politique de subvention des
activités par laquelle il administre le prix de vente au détail de certains
biens essentiels à la nation et se porte en retour « redevable d’une compensation
auprès des entreprises publiques productrices pour manque à gagner lorsque les prix de
vente administrés conduisent à pénaliser l’entreprise par rapport aux conditions de
entre les Etats de l’Afrique des Caraïbes et du pacifique et l’union Européenne. Ces accords
consacrent la suppression des barrières douanières entre les Etats membres sur certains
produits.
101 L’entrée en vigueur de cet accord avait été prévue pour un délai de trente (30) jours
102 FMI, Cameroun, Renforcer la surveillance, la gouvernance et la maîtrise des risques budgétaires dans la
gestion des entreprises publiques, Rapport technique, Mai 2021, p. 39.
103 Article L 7 bis du Code général des impôts.
104 Ibid., alinéa 2.
105 FMI, Cameroun, Renforcer la surveillance, la gouvernance et la maîtrise des risques budgétaires dans la
106 L’on pense ici à l’influence de l’Etat sur le fonctionnement des entreprises publiques.
107 MOUHOUAIN (S), « La réforme du droit camerounais des entreprises publiques et le
droit des sociétés commerciales de l’espace OHADA », op.cit., p. 226.
108 LAUFER (R), BURLAUD (A), Management public. Gestion et légitimité, Paris, Dalloz, 1980,
p. 66.
109 GRANDGUILLOT (B), GRANDGUILLOT (F), L’essentiel du Droit des sociétés, Gualino
111 Article 21 de la Loi n°99/016 du 22 décembre 1999 portant statut général des
établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic.
112 Article 78 alinéa 1 de la loi n°2017/011 du 12 juillet 2017 portant statut général des
entreprises publiques.
113 TIMSIT (G), « La régulation. La notion et le phénomène », RFAP, 2004/1 n°109, p. 9.
114 Lire PEKASSA NDAM (G.M), « Les établissements publics indépendants : une
p. 174.
116 FRISON-ROCHE (M-A), « Ambition et efficacité de la régulation économique », Revue
117 AUBY (J-M), DUCOS-ADER (R), Grands services publics et entreprises nationales, Paris, PUF,
1969, p. 83.
118 Article 24 alinéa 3 du décret n°2019/320 du 19 juin 2019 précisant les modalités
l’essentiel de ses activités et de ses plantations, a dû réduire ses effectifs de moitié en raison
de la baisse de production.
120 BEGNE (J.-M) « Relation d’agence et comportements déviants : le cas des entreprises
122 Articles 17, 27 à 30 du décret n°2019/321 du 19 juin 2019 fixant les catégories
d’entreprises publiques, la rémunération, les indemnités et les avantages de leurs dirigeants.
123 FMI, Cameroun, Renforcer la surveillance, la gouvernance et la maîtrise des risques budgétaires dans la
concurrence.
126 Article 103 du Règlement n°06/19-UEAC-639-CM-33 du 07 avril 2019 relatif à la
concurrence.
127 Il s’agit de la loi n°98/013 du 14 juillet 1998 relative à la concurrence.
128 Article 102 du Règlement n°06/19-UEAC-639-CM-33 du 07 avril 2019 relatif à la
concurrence
129 Article 3 du Décret n° 2005/493 du 31 décembre 2005 fixant les modalités de
au Cameroun.
545
techniques d’une activité justifient sa gestion par un monopole, il existe potentiellement
plusieurs entreprises susceptibles d’exercer cette activité »131. Il pourrait passer par
une mise en concurrence des entreprises intéressées afin de désigner la
plus qualifiée.
Du point de vue économique, les monopoles posent des difficultés.
D’abord, ils semblent ne pas inciter à la performance nécessaire à
l’augmentation des contributions fiscales. Dans son dernier rapport, la
Commission Technique de Réhabilitation relève que la SONATREL,
malgré le démarrage effectif de ses activités en 2019, est dans une situation
d’accroissement de dettes qui conduit à une « faible capacité de l’entreprise à
générer des ressources et à financer les investissements »132. Le monopole a une part
de malice : il permet de développer le statisme, le manque d’innovation et
de compétitivité. Les contrôles foncièrement aléatoires133 ne peuvent pas
jouer leurs rôles malgré leurs conditionnements de la bonne gestion134. La
réglementation contient aussi son lot de lourdeur.
La réglementation sur divers points induit des lourdeurs dans le
fonctionnement des entreprises publiques. Le point qui nous semble le
plus déterminant est celui des marchés passés par les entreprises publiques.
Ces dernières sont appelées à passer des marchés pour la réalisation des
travaux, la fourniture et autres services utiles à leur fonctionnement. La loi
dispose qu’elles ne sont pas assujetties aux dispositions du code des
marchés publics135 sans pour autant que cela signifie qu’elles ne peuvent
passer des marchés publics. Pourtant, ces marchés qui sont régis de façon
discutable136 par un texte particulier137 sont bel et bien des marchés
publics138. Cela a pour conséquence d’importer tout le régime tracassier de
131 MOUGEOT (M), NAEGELEN (F), « La concurrence pour le marché », Revue d'économie
politique, 2005/6 Vol. 115, p. 742.
132 CTR, Rapport sur la situation des Entreprises Publiques et des Etablissements Publics au 31
la performance. En droit camerounais le contrôle est influencé par le jeu de pouvoir et les
rapports de force entre les acteurs. Dans son rapport de la CTR précité, l’analyse de la
situation de certaines entreprises comme la CAMWATER n’existe pas. La CTR se justifie
cela par « la non disponibilité des informations financières ». Voir CTR, Rapport sur la situation des
Entreprises Publiques et des Etablissements Publics au 31 décembre 2019, op. cit., p. 227.
134 POYET (M), Le contrôle de l’entreprise publique. Essai sur le cas français, op. cit., p. 8.
135 Article 119 alinéa 1 de la loi n°2017/011 du 12 juillet 2017 portant statut général des
entreprises publiques.
136 Le non assujettissement aux dispositions du code des marchés publics consacré par la ne
devrait pas signifier élaboration d’un texte particulier. L’option choisie est source de
complexité pour le fonctionnement de l’entreprise. De plus, la même disposition est
contenue dans la loi n°2010/023 du 21 décembre 2010 fixant le statut du Groupement
d’Intérêt Public sans que cela n’ait donné lieu à l’adoption d’un régime spécial des marchés
publics.
137 Décret n°2018/355 du 12 juin 2018 fixant les règles communes applicable aux marches
139 KALFLECHE (G), « Secteur public et concurrence : la convergence des droits. A propos
des droits de la concurrence et de la commande publique », AJDA, décembre 2007, p. 2.
140 EBANGA (C.A), La passation des marchés publics au Cameroun, thèse de doctorat/Ph.D en
146 COQUELET (M-L), Entreprises en difficulté. Instruments de paiement et de crédit, Paris, Dalloz,
2017, 6ème édition, p. 5.
147 Article 2 de l’Acte Uniforme Portant Organisation Des Procédures Collectives
D'apurement Du Passif.
148 NGUIHE KANTE (P), « Réflexion sur le régime juridique de dissolution et de
liquidation des entreprises publiques et para publiques au Cameroun depuis la réforme des
procédures collectives OHADA », Afrilex n°4, déc. 2004, p. 222.
149 PONTIER (J-M), « Catégorie en miroir : subventions, délégations de service public,
marchés publics », in A propos des contrats des personnes publiques, Mélanges en l’honneur du
Professeur Laurent Richer, Paris, LGDJ, 2013, p. 265.
150 JOUVE (D), Le juge national et le droit des aides d’Etat : étude de droit comparé franco-espagnol,
299.
153 OUEDRAOGO (Y), L’influence de la démarche de performance sur le droit public financier des
finances.
155 Article 28 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat et
L’Etat.
157 Voir les différentes lois de finances adoptées depuis la réforme de 2018.
158 PONTIER (J-M), « L'obscure clarification de la politique des subventions », AJDA,
2018, p. 2172.
159 EWANE MOTTO (P.C), La gouvernance des sociétés commerciales en droit de l’OHADA, thèse
160 BEGNI BAGAGNA « Le principe de transparence dans les finances publiques des
Etats membres de la CEMAC », RAFiP, n°2, 2017, p. 200 ; GOUDEM LAMENE (B),
L’information du Parlement en droit budgétaire Camerounais, thèse de doctorat /Ph.D en droit
public, Université de Yaoundé II, 2013, 525 pages.
161 FMI, Cameroun, Renforcer la surveillance, la gouvernance et la maîtrise des risques budgétaires dans la
552
VERS UN DEVELOPPEMENT PAR L’OPTIMISATION DES
INSTITUTIONS DE PILOTAGE DES INVESTISSEMENTS
ECONOMIQUES EN AFRIQUE
Par
Dr. Ruth Carelle NGUEMDOM
Docteur en Droit en droit public
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
RESUME :
ABSTRACT:
553
Introduction
Au regard de la faiblesse des politiques mises en place en faveur des
investissements économiques, il se pose clairement une question. Cette
question serait celle de savoir, si l’une des clés du développement en
Afrique ne repose également pas sur une optimisation des institutions de
pilotage des investissements économiques ? En effet, l’optimisation des
institutions ne serait-elle pas un gage au bénéfice du développement
économique et social par le biais des investissements économique en
Afrique ?
De très nombreuses critiques sont faites aux Institutions africaines
en général et en particulier celles en charge du commerce extérieur, jugées
inadaptées et incapables de suivre l’évolution économique à l’échelle
mondiale. Ce qui a pour conséquence de freiner massivement les
ambitions internationales des investisseurs économiques.
Pourtant, au plan institutionnel de nombreux travaux ont montré
l’importance de « l’infrastructure institutionnelle » dans la croissance et le
développement économique et social. « La nature de la politique économique et
la qualité de l’infrastructure institutionnelle jouent le rôle d’un puissant déterminant de
la prospérité économique et sociale des nations »1. D’où l’importance de « la nature
des Institutions et sur la structure des règles qui contraignent le comportement des agents
économiques »2.
C’est l’une des raisons pour lesquelles l’intelligence institutionnelle
invite à s’interroger sur les Institutions en charge de la gestion, de la
promotion et de la protection des investissements économiques en
Afrique. En effet, il s’agit là d’une question fondamentale qui part du
constat selon lequel les politiques en faveur des investissements
économiques sont réputées avoir une carence en structuration mais aussi
en support d’exécution adapté. Partant de ce constat, il importe d’asseoir
et de confier dorénavant cette responsabilité (depuis leur élaboration
jusqu’à l’évaluation des résultats) à des structures, organes et autorités plus
adaptés ; c’est-à-dire l’ensemble des acteurs que cette étude désigne ici
sous le vocable d’Institutions.
Pour cela, il est indispensable que soit réorganisé le cadre
institutionnel de pilotage des investissements économiques avec d’une
part, des Institutions de gestion, de contrôle et d’évaluation des
investissements économiques (I) et d’autre part, des Institutions de
protection et de promotion des investissements économiques (II).
554
I. Des Institutions de gestion, de contrôle et d’évaluation des
investissements économiques en Afrique
L’optimisation des Institutions de pilotage des investissements
économiques en Afrique commence par la mise en place des Institutions
en charge d’une gestion optimale des investissements économiques mais
aussi, des Institutions en charge du contrôle et de l’évaluation desdits
investissements afin de garantir la réalisation de leurs missions en faveur
du développement économique et social. La démarche d’intelligence
institutionnelle impose la mise en place d’un contrôle et d’une évaluation
des investissements économiques3. L’intérêt du contrôle et de l’évaluation
est incontestable et comme le rappelait P-M. GAUDEMET, « si la fonction
de contrôle est particulièrement difficile à remplir en Afrique, elle est aussi
particulièrement nécessaire à assumer »4.
Ce contrôle et cette évaluation impliquent des fonctions qui
consisteraient à suivre étape par étape une action ou un texte de loi, depuis
son élaboration jusqu'à sa mise en œuvre définitive. Pour ce faire, un
organe national de contrôle et d’évaluation des Institutions de pilotage des
investissements économiques (ONCEIPIE) doit être mis en place sous
certaines conditions et garanties.
Dès lors, la matérialisation de cette intelligence institutionnelle passe
ici d’une part, par la mise en place d’un Guichet unique des
investissements économiques (A), d’un organe national de gestion des
investissements économiques (B), d’un office de lutte contre la
délinquance économique, financière, fiscale et douanière (C) et d’une
institution de contrôle et d’évaluation des investissements économiques
(D).
A. Un Guichet unique des investissements économiques
L’intelligence institutionnelle qu’incarne la mise en place d’un
Guichet unique des investissements économiques (GUIE), illustre certes le
fait que l’administration doit rechercher avant toute chose, une véritable
communication avec les usagers5, mais seulement. Elle illustre également,
au moins trois impératifs de performance administrative. Tout d’abord, les
administrations doivent être dotées de moyens techniques et matériels
permettant la conservation de données et documents dans de bonnes
conditions et sur du très long terme. Car certains contrats sont souvent
3 On n’évalue pas que les politiques d’investissement économique mais aussi les
investissements économiques eux-mêmes et leur cadre juridique et institutionnel afin de les
améliorer et de leur permettre de jouer pleinement leur rôle de moteur de la croissance et
du développement économique et social.
4 Préface à J-M. BRETON, Le contrôle d’Etat sur le continent africain : contribution à une théorie des
contrôles administratifs et financiers dans les pays en voie de développement, Paris, LGDJ, Nouvelles
éditions africaines, Abidjan, 1978.
5 Les contribuables pour ce qui concerne l’administration fiscale.
555
conclus avec des durées supérieures à trente années6. Ensuite, le système
administratif doit intégrer la nécessité d’établir des rapports de mi-parcours
ou d’étape, facilitant la gestion administrative des dossiers souvent d’une
complexité sans pareil. L’administration de l’impôt doit être en mesure
d’assurer le suivi permanent des avantages accordés aux investisseurs. Ce
qui suppose non seulement d’importants moyens techniques7 ou
financier8.
Enfin, au terme de ses travaux sur la modernisation des
administrations fiscales et douanières à Djibouti, Mohamed Omar Ibrahim
proposait : un recentrage dans le « cœur de métier » de ces administrations
en tenant compte des objectifs de recettes, de contrôle économique de
justice et d’équité entre les citoyens ; rendre les administrations plus
citoyennes et plus enclines à la mission de service public en renforçant la
capacité des agents nécessaires pour aider les administrés à se conformer à
la législations et à la règlementation en vigueur par une plus grande écoute
de leurs préoccupations, les aider en étudiant au cas par cas les difficultés
ou problèmes les plus importants ; et enfin, mettre la barre haute en
inculquant de nouvelles méthodes et procédures de gestion des services,
de la conception au suivi évaluation, le tout mentionné dans des contrats
d’objectifs pluriannuels servant de base pour des contrôle tels que le
contrôle de la qualité9.
Ceci dit, le GUIE incarne le besoin de cohérence et d’efficacité
recherché. A ce titre, il est non seulement une structure permanente (1), un
Comité technique d’octroi d’agrément (2) ainsi que de leur formalisation.
1. Le GUIE, structure permanente
Il convient de présenter son statut et son fonctionnement d’une
part, (a) et d’autre part, ses missions (b).
a. Le statut et le fonctionnement du GUIE
Le GUIE est une administration interlocutrice unique de
l’investisseur. Il sera composé de deux principaux pôles : un pôle d’accueil
et un pôle de gestion. Une institution d’accueil et d’orientation des
investisseurs économiques.
6 Cette ancienneté de certains dossiers peut rendre leur consultation difficile (absence
d’archives ou archives en piteux état). Ceci a pour conséquence de créer de véritables
lacunes dans l’exercice des missions administratives telles que la mission de contrôle. Cet
impératif permet également aux juristes en charge des dossiers de l’Etat devant les
tribunaux de disposer d’outils adaptés pour assurer la défense des intérêts publics face à
certains investisseurs peu scrupuleux.
7 Au plan technique, l’administration doit être dotée d’agents en nombres suffisant et en
mesure d’analyser avec beaucoup de précision la pertinence des dossiers d’investisseurs qui
lui sont soumis.
8 Au plan financier, un budget pouvant leur permettre de se doter en machines, logiciels,
réduites et sans qu’il soit besoin d’en faire une quelconque publicité.
557
Le GUIE est en charge de la gestion des demandes faites à l’accueil
de l’investisseur. Pour ce qui concerne les demandes d’agrément auxquelles
sont soumis les investisseurs étrangers (pour ce qui concerne les TPE,
PME et PMI) ainsi que l’ensemble des investisseurs étrangers et nationaux
(pour ce qui concerne les gros investissements). Le rôle du GUIE à cette
étape est assuré par son Comité technique d’octroi et de formalisation de
l’agrément. En effet, quand on va au GUIE : on récupère un dossier qu’on
lui retourne ensuite. Puis, l’équipe technique du CTOFA étudie les
dossiers accompagnés d’une demande d’agrément.
Le CTOFA est composé de neuf (9) membres qui statuent sur les
dossiers de demande d’agrément. Ces neuf membres sont composés d’un
représentant issus de la commission des investissements économiques du
Parlement, du ministère de la planification, des spécialistes du droit des
investissements économiques, du corps judiciaire public, des collectivités
territoriales décentralisées, de la doctrine juridique (du corps enseignant),
de la doctrine économique (du corps enseignant), des associations
nationales de protection de l’environnement et des membres de la société
civile12 et en particulier des associations nationales de lutte contre la
corruption
Ce statut et cette composition du Comité technique d’octroi et de
formalisation de l’agrément a pour but de limiter l’emprise de la tutelle
administrative d’une part et d’autre part de limiter la corruption et les
« magouilles » jusqu’ici observées et décriées dans le traitement des
dossiers d’agrément. Ils ont également pour but de permettre une plus
grande cohérence entre les stratégies économiques et fiscales mises en
place et la gestion des flux d’investissements secteur par secteur et région
par région.
b. Le fonctionnement et les missions du CTOFA
Dans un délai raisonnable, le CTOFA va étudier les dossiers des
investisseurs ayant fait une demande préalable d’agrément. Au regard des
dispositions légales de la Charte de développement des investissements
économiques ainsi que celles des plans stratégiques de développement des
investissements économiques, le Comité procède à l’examen des
demandes. Au terme de ses travaux d’études, lorsque la demande est
approuvée, le CTOFA délivre un avis conforme pris à la majorité des
membres et qui s’impose au ministre de l’économie et des finances.
Néanmoins, sa décision qui approuve une demande d’agrément est
transmise au ministre de l’économie et des finances accompagnée d’une
14Conseil des prélèvements obligatoires, La fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle,
Paris, La documentation française, 2007, p. 1.
560
de commerce et de l’industrie au même titre que le GUIE et l’ONAGIE.
Elle doit être très autonome et indépendante afin de pouvoir agir non
seulement plus librement mais aussi de mieux préserver son niveau
d’efficacité. Elle doit être subdivisée au moins en trois grands pôles
d’enquêtes, d’investigations et de poursuites. Ces Pôles sont des brigades
aux moyens adaptés et modernes, classés comme suit : la brigade de lutte
contre la corruption, la brigade de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale
et la brigade de lutte contre la contrefaçon, la contrebande et la fraude
douanière.
Ainsi, les brigades sont des pôles en charge de la gestion des
infractions dont elles ont la charge. Idéalement, elles devraient être
composées pour la majorité de leurs membres, des cadres issus de la
société civile, des militaires et policiers décorés (à la retraite ou non), du
personnel ecclésiastique, des représentants et dignitaires traditionnels des
diverses ethnies nationales, des magistrats (à la retraite ou non) et autres
cadres ayant fait preuve d’une moralité exemplaire.
Cet effectif est ensuite complété par les agents issus des différentes
administrations en charge de la compétitivité économique, ainsi que des
administrations en charge des secteurs : tertiaire, industriel, forestier,
minier et de l’énergie… Par ailleurs, il demeure important qu’à ce niveau,
des statisticiens puissent participer aux travaux afin de permettre une
meilleure évaluation des données.
Sur les moyens de l’office, comme moyens techniques et financier,
les brigades de l’OLCDEFFD doivent pouvoir compter sur des moyens
de communication et de logistique adaptés aux enjeux. Des moyens
financiers suffisant leur permettant de mener à bien leurs missions aussi
bien au niveau national, régional qu’international. De même que des
moyens leur permettant de former leurs équipes aux techniques
indispensables à l’efficacité de leurs missions. Elles doivent également
bénéficier d’un support technique de premier choix incarné par des
vérificateurs chevronnés et à la pointe des techniques frauduleuses
nationales et internationales. Ces enquêteurs doivent être intègres et
patriotes. Leur rémunération doit être à la hauteur des enjeux afin de les
protéger contre toute tentation de la corruption.
Ensuite, comme moyen administratif et stratégique, au plan
national, les brigades doivent pouvoir bénéficier de mesures facilitant la
coopération entre les Institutions administratives nationales, la
coopération avec les Institutions financières et bancaires et la non-
soumission au secret bancaire. Au plan international, les brigades doivent
pouvoir agir avec l’avec l’appui des conventions ouvrant droit aux mesures
telles que la coopération entre les services de détection et de répression de
la délinquance économique, financière, fiscale et douanière, l’assistance
technique et échange d’informations, l’entraide judiciaire, l’extradition, le
transfèrement des personnes condamnées, le transfert des procédures
561
pénales, des enquêtes et échanges de techniques d’enquête spéciales, les
moyens communs de recouvrement des avoirs frauduleux, etc.
Comme moyen de protection des agents, l’OLCDEFFD doit
pouvoir assurer à ses agents la sécurité15 nécessaire à l’exercice de leurs
missions ainsi que celle des différents témoins dont elle a la charge. C’est-
à-dire être qu’elle doit être dotée d’une véritable capacité à assurer la
protection des témoins, des experts et des victimes, la protection des
personnes qui communiquent des informations indispensables à la réussite
de ses missions.
2. Les missions de l’OLCDEFFD
Il est indispensable que toutes les brigades de lutte contre la
délinquance économique, financière, fiscale et douanière ne soient
composées que d’agents d’enquêtes ayant effectués au préalable une
formation adaptée et le cas échéant, d’un service militaire afin d’acquérir
les valeurs patriotiques, d’endurance, d’effort, de solidarité… Valeurs qui
forgent l’amour et l’attachement pour la patrie et la contribution aux
efforts de développement économique et social. Les enjeux colossaux de
cette lutte justifient largement un tel niveau de combat. Un effort
considéré comme l’unique prix pour redonner aux Etats, les liquidités dont
ils ont besoin pour catalyser l’économie au bénéfice du développement
économique et social.
En outre, cette lutte va contribuer à la création d’un véritable droit
pénal économique, financier, fiscal et douanier et qui s’adapte aux
mutations des sociétés et des comportements. En effet, l’aménagement
d’une telle institution doit impérativement s’accompagner d’un dispositif
pénal adapté de lutte contre les infractions combattues et réprimées par la
loi.
Quoi qu’il en soit, l’OLCDEFFD doit pouvoir travailler en étroite
collaboration avec les services des impôts, des douanes, du commerce, de
l’industrie... en bénéficiant en cas de besoin de l’appui des vérificateurs, de
la statistique disponible ainsi que des données techniques en cours ou
archivées. Elle doit également pouvoir compter sur l’appui des services de
police et gendarmerie (à l’instar des interventions éventuelles sous
protection policière) ou de la justice (mandat d’arrêt, de dépôt, ordre de
saisie, mise sous scellés etc.). Elle aura également besoin d’un soutien
administratif international (coopération administrative avec d’autres pays
dans la lutte contre la délinquance économique, financière, fiscale et
douanière).
3. Le fonctionnement de l’OLCDEFFD
L’OLCDEFFD doit avoir au moins trois départements créés en
fonction des combats à mener. Ces départements sont constitués sous la
2004, Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, Vienne, Avant-propos, p. iii.
19 CEA, CCUAC, Lutte contre la corruption, renforcement de la gouvernance en Afrique. Programme
régional pour l’Afrique en matière de lutte contre la corruption (2011-2016), citant Paul KAGAME
Président de la République du Rwanda (23 mars 2011), p. 4.
20 La corruption nationale ou internationale.
21 Nous prenons l’exemple de : la soustraction, détournement ou autre usage illicite de
22 C’est par exemple le cas en ce qui concerne les programmes obligatoires en faveur de la
bonne gouvernance.
23 Grâce à sa Commission Anti-corruption, qui s’assure du respect de l’application des Lois
corruption.
27 La Cour des comptes existe en Tunisie ; en Algérie ; en Côte d’Ivoire ; au Maroc ; en
29 NEPAD, CEA, Mobiliser les ressources financières intérieures à l’appui de la mise en œuvre des
programmes et projets nationaux et régionaux du NEPAD. – L’Afrique compte sur ses propres
ressources-. NU, 2014, p. 9.
30 M. BAH ALIOU, La fiscalité des pays de la communauté économique des Etats de l’Afrique de
31 L’irrégularité fiscale « regroupe l’ensemble des cas où le contribuable n’a pas respecté ses obligations,
qu’il ait agi de façon volontaire ou involontaire, de bonne foi ou de mauvaise foi », Conseil des
prélèvements obligatoires, La fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle, Paris, La doc.
française, 2007, p. 2.
32 La fraude « suppose un acte intentionnel de la part du contribuable, décidé à contourner la loi pour
fraude fiscale. Elle est composée d’une quarantaine d’enquêteurs dont plus de la moitié
sont issus de l’administration fiscale. Ils ont reçu au terme d’une formation et d’une
habilitation spécifique la qualité d’officiers fiscaux judiciaires. A sa tête, est affecté un
commissaire de police.
567
On l’a compris, les missions de la brigade de lutte contre la fraude
et l’évasion fiscale doivent non seulement, être préventives et répressives
mais aussi dissuasives. La brigade doit également pouvoir agir en
recouvrement grâce à un pouvoir de geler, confisquer ou saisir les avoirs
des contrevenants.
Ainsi, pour améliorer les choses, le Conseil des prélèvements
obligatoires français fait des propositions très pertinentes qui méritent
d’être relevées. En matière de prévention des irrégularités les propositions
n°1 et 2 sont les suivantes ; « procéder tous les trois ans…a une évaluation globale
de l’irrégularité et de la fraude fondée sur une méthode statistique fiable […] Mesurer le
niveau de complexité du système de prélèvement obligatoire en mettant en place des
mesures des coûts du respect des obligations fiscales et sociales, puis en construisant sur
cette base un indice synthétique de complexité des prélèvements obligatoires »35. En
matière de dissuasion et de sanction, sa proposition n°16 apporte une
véritable action concrète et est énoncée comme suit : « mener une politique de
communication plus active dans le domaine de la fraude en lançant des campagnes
nationales de sensibilisation sur les effets négatifs de ces comportements et en ayant une
présence plus soutenue dans les médias sur la politique de contrôle, les sanctions infligées
et les risques de fraude »36.
Face à ces délits, les Etats africains ne peuvent agir seuls de manière
efficace. Ils ont besoins de s’inscrire dans des logiques partenariales de
lutte. Ceci implique que soient fixés des objectifs précis à même d’établir
une véritable coordination en matière de coopération et de suivi politique
destiné à améliorer la lutte mais aussi à renforcer les responsabilités
réciproques entre Etats partenaires ; que les échanges soient rendus aisés
grâce à des outils adaptés tels que des outils informatiques ; soit enfin de
« mettre en place une structure d’alerte et d’échange de renseignements »37 entre Etats
partenaires.
En fin de compte, les missions de la BLCFEF doivent aboutir à une
action dissuasive profonde à l’encontre des comportements économiques
frauduleux dans leur ensemble, ce qui inclut l’économie souterraine. Citant
R. DODD, le Professeur M. BOUVIER rappelle que l’économie
souterraine « regroupe toutes les activités dont les revenus ne sont pas déclarés, d’une
part pour échapper à l’imposition trop élevées des revenus, d’autre part pour pouvoir
bénéficier de certains avantages »38.
35 Conseil des prélèvements obligatoires. La fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle.
Op. cit., p. 258.
36 Ibid. p. 260.
37 Eod. Loc. p. 253.
38 M. BOUVIER, Introduction au droit fiscal général et à la théorie de l’impôt, Paris, LGDJ, 2016,
43 M. BAH ALIOU, La fiscalité des pays de la communauté économique des Etats de l’Afrique de
l’ouest (CEDEAO) face à la mondialisation, Thèse doctorat en droit, Université de Paris 2,
2010, p. 110.
570
rehaussement de l’attractivité économiques de l’Etat, indispensable aux
investissements productifs et bénéfiques pour les Etats et les populations.
D. Un organe national de contrôle et d’évaluation des
investissements économiques
Dans un premier temps, il convient de présenter le statut, la
composition et le fonctionnement (1) de l’organe national de contrôle et
d’évaluation des Institutions de pilotage des investissements économiques
(ONCEIPIE), puis dans un second temps, ses missions (2).
1. Le statut, composition et fonctionnement de l’ONCEIPIE
L’ONCEIPIE est une autorité administrative indépendante c’est-à-
dire qui ne sera soumise à aucun lien hiérarchique avec une institution
administrative classique telle qu’un ministère. C’est un organe collégial et
comme toute autorité administrative indépendante, il se veut et se doit de
jouir d’une large indépendance vis-à-vis du gouvernement. Ce statut lui
permet de préserver davantage son autonomie vis-à-vis de la chambre de
commerce et de l’industrie dont dépendent les principales Institutions de
pilotage des investissements économiques que sont : le GUIE, l’ONAGIE
et l’OLCDEFFD.
Dès lors, l’organe de contrôle et d’évaluation sera une structure
externe mais de caractère administratif qui sera placée sous la tutelle
directe de la cour des comptes. Ceci visant à éviter la création d’une
institution inutile ou inerte et ainsi garantir un meilleur niveau de réussite
dans le contrôle et l’évaluation des actions administratives des IPIE44,
l’ONCEIPIE doit pouvoir jouir d’une grande autonomie, loin de la
gangrène des circuits administratifs qui abîment la crédibilité de la
structure administrative aussi bien verticale (structure hiérarchique)
qu’horizontale (relation directe avec les investisseurs). C’est la raison pour
laquelle cet organe doit être autonome et placé sous la tutelle de la Cour
des Comptes.
Donc, ce rattachement à la Cour des Comptes a un intérêt certain.
Rappelons brièvement que la Cour des comptes est une juridiction
administrative disposant d’au moins quatre fonctions qui légitiment ce
rattachement. Premièrement, c’est elle qui a la lourde charge de
l’appréciation de la régularité des comptes publics. Deuxièmement, c’est
elle qui a la charge du contrôle du bon usage des fonds publics et
parapublics. Elle clôture des travaux annuels par la publication de son
rapport. C’est la publication de ses conclusions sur la gestion des comptes
publics. Troisièmement, c’est elle qui procède à la certification de la
régularité et de la fidélité des comptes de l’Etat. Quatrièmement, elle
contribue à la vérification du respect de l’application des lois notamment
des lois de finances. Toutes ces actions participent activement à sa
45 Conseil scientifique de l’évaluation. Petit guide de l’évaluation des politiques des politiques
publiques, Paris, La documentation française, 1996, p. 11.
46 Généralement le contrôle interne peut être hiérarchique, financier ou d’un corps
sur l’action administrative et le Défenseur des droits assure pour sa part, un contrôle
administratif externe de l’action administrative.
573
rapports entre les différents acteurs juridiques des investissements (les
investisseurs, les chefs d’entreprises et l’Etat et ses Institutions de pilotage
des investissements économiques).
En outre, « l’évaluation des politiques publiques vise donc à rechercher des
liens de causalité entre des objectifs initialement poursuivis par une politique publique et
ses effets »48
L’évaluation des d’investissements économiques doit avoir trois
dimensions obligatoires.
Premièrement, une dimension dite cognitive. Ici, l’évaluation va
dans un premier temps, chercher à savoir si tous les moyens (juridiques,
administratifs, techniques, financiers…) mis en place, permettent
finalement d’atteindre l’objectif initial à savoir la réalisation effective et
totale des politiques d’investissement économique. Ainsi, « l'évaluation d'une
politique publique au sens du présent décret a pour objet de rechercher si les moyens
juridiques, administratifs ou financiers mis en œuvre permettent de produire les effets
attendus de cette politique et d'atteindre les objectifs qui lui sont assignés »49.
Deuxièmement, une dimension dite normative. C’est-à-dire qui
aboutit sur des conclusions faites sous forme d’appréciation voire de
jugement. Ainsi, dans l’un de ses rapports, P. VIVERET précisait qu’«
évaluer une politique publique et plus largement toute forme d’action publique, qu’il
s’agisse de programmes, de législations, de services, d’Institutions, c’est émettre un
jugement sur la valeur de cette action »50. Ainsi, « l’évaluation va donc se baser
principalement sur des enquêtes de terrain auprès des cibles bénéficiaires et des
partenaires de l’action pour comprendre le pourquoi des choses, déterminer les facteurs de
succès et d’échecs de l’action et in fine porter un jugement de valeur sur l’action
menée »51.
Troisièmement, une dimension dite instrumentale. A ce niveau,
« l’évaluation doit contribuer à l’amélioration des programmes et déboucher directement
sur des décisions d’amélioration de prolongation ou d’arrêt de l’intervention publique »52,
de la stratégie ou des dispositifs jusque-là en vigueur.
c. L’ONCEIE et les pouvoirs de sanction et de proposition
Dans ses missions, au moins un pouvoir et un devoir se dessinent
au profit de la réussite de ses missions. Il s’agit d’un pouvoir de sanction et
ministre. La documentation française, Paris, Collection des rapports officiels, juin 1989, p.
25.
51 E. PLOTTU, L’évaluation des politiques publiques. ADEME. Journées Planification déchets
574
d’un devoir de règlementation. Deux impératifs destinés à permettre une
meilleure réalisation des objectifs qui sont les siens.
En effet, pour permettre à l’ONCEIPIE de maximiser l’efficacité
dans la réalisation de ses objectifs, il doit voir ses missions déboucher sur
un pouvoir de sanction. Par exemple, il peut contraindre les Institutions de
pilotage des investissements à suivre leur feuille de route, c’est-à-dire
l’ensemble des procédures légales prévues et qui guident leurs décisions. Il
va procéder à la mise en œuvre de sanctions administratives en cas de non-
respect de ladite feuille de route.
Aussi, en cas de non-respect dans la gestion des dotations
budgétaires allouées dans le cadre du pilotage des investissements
économiques, l’ONCEIPIE peut procéder à la mise en place de sanctions
après une reddition des comptes et une obligation de rendre compte de
manière périodique. Une telle pratique va accroître l’efficacité des
Institutions de pilotage sous l’impulsion de l’ONCEIPIE.
Outre le devoir d’accomplir ses missions avec efficacité et célérité,
l’ONCEIPIE a une obligation de proposition. En effet, sa mission telle
que l’évaluation va permettre de se doter d’outils à même de constituer
une véritable aide à la décision publique en matière d’investissements
économiques. Des outils indispensables pour l’amélioration du cadre
juridique des investissements économiques. Elle va ainsi permettre une
optimisation d’un ensemble de ressources et de moyens notamment
financiers ou techniques.
Plus encore, elle va d’une part, permettre l’amélioration du bon
fonctionnement de la gestion administrative grâce à un accroissement de
l’efficacité des Institutions de pilotage des investissements économiques.
Une amélioration du fonctionnement et des missions des Institutions
d’accueil, de gestion de protection et de promotion des investissements
économiques peut être fait par le biais du contrôle et de l’évaluation mise
en place. Ensuite, elle va permettre l’amélioration des dispositifs juridiques
en faveur des investissements économiques et aussi permettre d’accroître
l’efficacité des mesures énoncées par la Charte de développement des
investissements économiques. Par exemple en s’assurant de la conformité
dans l’application des dispositions juridiques (prévues par la Charte de
développement des investissements ainsi que les plans stratégiques de
développement des investissements économiques) par les Institutions
compétentes.
A la fin, l’ONCEIE doit être en mesure d’apporter à l’Etat, des
réponses précises aux questions suivantes qu’il est en droit de se poser et
pour lesquels il a créé l’ONCEIE. Qu’est-ce qui est bien fait et comment
consolider les réussites ? Qu’est-ce qu’on n’a pas pu faire et pourquoi ?
Identifier les échecs et rechercher leurs causes en vue d’y apporter les
solutions adéquates. De même, grâce à son évaluation l’ONCEIE aura une
véritable opportunité pour questionner le bien fondé des objectifs en eux-
mêmes (non seulement les objectifs de ses propres missions, les objectifs
575
des outils juridiques mis en place et plus globalement, les objectifs des
investissements économiques).
Ainsi, le contrôle et l’évaluation des Institutions de pilotage des
investissements économiques auront permis d’améliorer voire d’établir une
cohérence dans l’élaboration et l’exécution des outils juridiques des
investissements économiques ; un niveau optimal de réalisation des
objectifs initialement assignés aux politiques et stratégies mises en place en
matière d’investissements économiques notamment à travers la CDIE ; un
niveau d’efficacité des effets propres des dites politiques c’est-à-dire
déterminer s’ils ont été conformément aux objectifs initialement fixés ; un
niveau d’efficience des ressources humaines et financières ; une bonne
gestion des ressources financières qui ont été mises à disposition pour
permettre l’exécution des politiques d’investissement économique ; un
impact général des dites politiques sur les investisseurs et le volume des
investissements ; une capacité des dites politiques à résoudre les problèmes
liés au développement économique et social car une « politique sera dite
pertinente si ses objectifs explicites sont adaptés à la nature de (des) problèmes qu’elle est
censée résoudre ou prendre en charge »53.
En définitive, « la réalisation d’une politique de planification à moyen terme
suppose une direction et une centralisation qui resteraient illusoires sans un contrôle
étroit de l’Etat sur les services administratifs, sur les agents économiques, et en
particulier sur les organismes économiques […] Ce contrôle s’impose d’autant plus que
ceux-ci occupent le plus souvent une place de choix dans des domaines qui sont autant de
secteurs-clés de la vie économique et jouet de ce fait un rôle pilote dans la politique de
développement, dont les répercussions sur l’ensemble du secteur privé concurrentiel ne
saurait être négligé »54.
Toutefois, pour garantir davantage la réussite des missions de
contrôle et d’évaluation, les Etats doivent prendre plus au sérieux la
question du niveau d’expertise requis pour de telles fonctions. Cette
exigence impose que des moyens soient déployés dans la formation des
cadres en charge du contrôle et de l’évaluation afin que cet impératif ne
soit plus confié à des experts extérieurs et parfois étrangers.
II. Des Institutions de protection et de promotion des
investissements économiques en Afrique
Indéniablement, les Institutions de protection55 et de promotion des
investissements économiques sont deux Institutions qui participent
53 Conseil scientifique de l’évaluation. Petit guide de l’évaluation des politiques des politiques
publiques. Op. cit., pp. 13-14.
54 J-M. BRETON, Le contrôle d’Etat sur le continent africain : contribution à une théorie des contrôles
administratifs et financiers dans les pays en voie de développement, op. cit., pp. 26-27.
55 « Par règle de protection, on entend ici l’ensemble des règles, de droit interne ou de droit international, qui
577
2. Le fonctionnement de la CNAPIE
Afin de mener à bien ses missions, la CNAPIE doit pouvoir
compter sur un aménagement d’un cadre relationnel adapté unissant la
commission à toutes les Institutions en charge de la compétitivité
économique de l’Etat ainsi que les instances juridictionnelles et non
juridictionnelles (internes et internationales) en charge de la gestion des
différends en matière d’investissements économiques.
En outre, elle aura en charge la coordination générale des actions
administratives et de la diplomatie économique et participera dès lors à la
promotion des investissements économiques nationaux et internationaux
et la négociation ou renégociation des conventions, traités et accords de
promotion et de protection des investissements.
3. Les missions de la CNAPIE
Les missions de la CNAPIE sont nombreuses. Il s’agit des missions
de protection classique des investissements économiques (a) ou encore des
missions plus novatrices dans la négociation des traités et conventions
d’investissements (b).
a. Les missions de protection classique des investissements
économiques
Les missions de la CNAPIE sont nombreuses et participent toutes,
au renforcement de l’attractivité de l’Etat. Ces missions sont aussi bien
préventives que curatives.
D’une manière générale, par protection des investissements
économiques, on entend l’ensemble des dispositifs de droit interne et
international, ayant pour but de neutraliser ou de réprimer les atteintes
publiques dont serait victime un investisseur ou des investissements.
Quoi qu’il en soit, la CNAPIE aura pour mission générale de :
concevoir les principaux axes de négociation et renégociation du cadre
juridique destiné à la protection des investissements économiques ;
contribuer au renforcement de la cohérence entre les traités bilatéraux ou
multilatéraux d’investissements ; œuvrer pour la réduction des
déséquilibres créés entre investisseurs protégés par dans le cadre d’une
convention de droit international et ceux qui en sont exclus. Ceci passe par
la participation à la construction d’un cadre juridique de protection de
droit interne plus adapté à cette différence de traitement ; œuvrer pour une
parfaite concordance entre la protection des investissements économiques
en droit international et la protection des investissements en droit interne ;
participer à l’amélioration des négociations en vue d’un marché commun
africain ; participer à l’élaboration d’un véritable cadre de libre-échange
équitable (c’est-à-dire qui préserve les intérêts juridiques et économiques
des Etats africains) ; contribuer au renforcement des instruments de
578
protection contre les « aléas judiciaires »58 ; veiller au respect des règles en
vigueur en matière de transfert de fonds, d’expropriation… ; ou encore,
participer aux travaux sur le maintien de la paix. (Une paix indispensable
aux affaires économiquement et socialement rentables.
Dans tous les cas, la CNAPIE participe à l’élaboration de
partenariats qui participent à l’amélioration de la protection des
investisseurs et des investissements (étrangers et nationaux) ainsi qu’à la
sauvegarde de l’intérêt national dans les relations avec les tiers. De même,
elle aura à cœur d’œuvrer à la mise en place de normes proposant plus de
stabilité fiscale dans le droit des investissements.
b. Les missions novatrices dans la négociation des traités et
conventions d’investissements
Dans la logique d’un plus grand réalisme et d’une plus grande
sauvegarde des intérêts économiques et sociaux africains, les Etats
gagneraient à proposer des traités et conventions capables de porter de
telles aspirations tout en maintenant un haut niveau d’attractivité des
investissements économiques nationaux et étrangers. En effet, le niveau de
développement économique et social assez faible voire très faible pour
bon nombre d’Etats africains, justifie largement une prise en compte non
seulement de ce besoin ardent mais aussi de la différence réelle de
politiques économiques et fiscales mises en place par chaque Etat
signataire d’un traité ou d’une convention d’investissements (bilatérale ou
multilatérale).
Afin de permettre à chaque Etat de sauvegarder une fraction
considérable de sa liberté dans l’élaboration de politique d’admission des
investissements internationaux, la CNAPIE va œuvrer par « la recherche
d’une meilleure adéquation entre la protection des droits des investisseurs étrangers et la
préservation des droits souverains »59 de l’Etat récepteur de l’investissement.
Ceci passe par réduction du recours à certaines clauses et pour certaines
autres, à leur suppression pure et simple.
Ainsi, les missions novatrices de la CNAPIE résident dans sa
capacité à ouvrer pour la suspension du recours à la clause de la nation la
plus favorisée) ou encore la modération du recours de la clause de
traitement national. Toutefois, de nombreuses autres actions en faveur des
négociations seront abordées.
La CNAPIE et la suspension du recours à la clause de la
nation la plus favorisée. Ainsi, il serait recommandé d’éviter l’usage de la
clause de la nation la plus favorisée ou la clause de l’égalité de traitement
des investisseurs étrangers60. Car des difficultés trop importantes sont
règles de procédure arbitrale, avant d’indiquer que ‘le bénéficiaire de la clause ne devrait pas être en mesure
de faire échec à des considérations d’ordre public’. Cette limitation a fait l’objet de nombreuses critiques.
L’objection la plus radicale provient de ceux qui défendent l’idée qu’à défaut d’une stipulation expresse des
parties, la limitation serait sans fondement. Le débat reste ouvert sur cet aspect de la question, entre ceux
qui prônent une extension automatique et les partisans d’une application restrictive de la clause », C. G.
MEKPO, La clause de la nation la plus favorisée (NPF) et son impact sur l’arbitrage en matière
d’investissement : regard sur les sentences récentes. Bulletin de droit économique Vol. 2, n°1,
Automne 2011, p. 5.
62 L’une des solutions étant que la clause de la Nation la plus favorisée (NPF) ne s’étendent
pas aux avantages particuliers qu’un Etat accorde à un autre tiers à un traité ou une
convention, au regard de leur lien géographique (une même zone régionale). Une autre
solution consisterait à exclure la clause de la NPF des mécanismes de règlement des litiges
entre parties à un traité ou une convention d’investissements
63 F. OSMAN. Vers une lex mediterranea des investissements. Op. cit., p. 46.
64 Ibid. p. 46.
65 Nation la plus favorisée (NPF). « On considère généralement qu’accorder le traitement NPF dans
des accords sur l'investissement signifie qu'un investisseur d'une partie à un accord ou son investissement
seront traités par l'autre partie ‘dans des conditions non moins favorables’, à l'égard d'un objet donné,
qu'un investisseur ou un investissement d'un autre pays.1 La plupart des accords internationaux sur
l'investissement comportent une clause relative au traitement NPF. Même si le texte, le contexte et même
l'objet et le but d'une clause NPF donnée doivent être pris en compte lors de l'interprétation de cette clause,
celle-ci constitue l'instrument de ‘multilatéralisation’ par excellence des avantages accordés à des investisseurs
étrangers et à leurs investissements », OCDE, Le traitement de la nation la plus favorisée dans le droit
international des investissements. Documents de travail de sur l’investissement international
n°2004/2, p. 1 et 2.
580
institué par l’arbitrage »66. C’est pourquoi, étendre la portée de la clause de la
NPF comme l’a fait la jurisprudence arbitrale aux règles de procédure
présente au surplus d’inconvénient, d’encourager le treaty shopping,
l’investisseur pouvant alors choisir librement de soumettre sa plainte à
l’arbitrage international selon les dispositions de n’importe quel traité
conclu par l’Etat hôte de son investissement avec un Etat tiers67. Ainsi, la
clause de la NPF présente un important degré de dangerosité qu’il est
souhaitable que les Etats africains s’en écarte volontairement et
précautionneusement.
En dépit des solutions jusqu’ici proposées68 pour améliorer les
effets pervers de la clause de la NPF, il est souhaitable que les Etats
africains, grâce aux négociations effectuées par la CNAPIE, réussissent à
effacer des traités et conventions des investissements qu’ils seront amenés
à conclure. De même au regard des multiples revirements jurisprudentiels,
il devient nécessaire de supprimer cette clause, « ce choix ayant pour avantage
d’offrir une solution radicale, à l’égard des dangers que fait peser cette disposition sur la
souveraineté »69 de l’Etat d’accueil de l’investissement. Une autre solution
serait dans la rédaction des TBI et doit conduire les Etats, dans un avenir
assez proche, à écarter les droits procéduraux du champ d’application de
cette clause de la NFP70.
Certains pays ont déjà entrepris cette démarche comme l’illustre le
traité modèle canadien dans ses arts 4 (A)71, art. 5 (B)72. Dans la même
66 C. G. MEKPO, La clause de la nation la plus favorisée (NPF) et son impact sur l’arbitrage en
matière d’investissement : regard sur les sentences récentes. Op. cit., p. 7.
67 A-J. BONZON, La protection des investissements Suisses à l’étranger dans le cadre des accords de
pas aux avantages particuliers qu’un Etat accorde à un autre tiers à un traité ou une
convention, au regard de leur lien géographique (une même zone régionale). Une autre
solution consisterait à exclure la clause de la NPF des mécanismes de règlement des litiges
entre parties à un traité ou une convention d’investissements
69 S. BONOMO, Les traités bilatéraux relatifs aux investissements. Entre protection des investissements
que celui qu’elle accorde, dans des circonstances analogues, à ses propres investisseurs, en ce qui concerne la
gestion, la direction, l’exploitation, l’expansion et la vente ou autre aliénation d’investissements. Lorsqu’un
investisseur étranger peut, en vertu du droit national, établir un investissement, le présent article
s’appliquera dans la mesure où il respecte ledit droit national en matière d’établissement ou d’acquisition
d’investissements ». Art 5 (A) du Modèle d’accord international sur l’investissement pour le développement
durable (IIDD). Guide du négociateur. H. MANN, K. VON MOLTKE, L. E. PETERSON, et
alii, Avril 2005, Révisé et traduit en 2006. IIDD, Canada.
72 « Chacune des Parties accordera aux investissements effectués par les investisseurs d’une autre Partie un
traitement non moins favorable que celui qu’elle accorde, dans des circonstances analogues, aux
investissements effectués par ses propres investisseurs, en ce qui concerne la gestion, la direction,
l’exploitation, l’expansion et la vente ou autre aliénation d’investissements ». Art. 5 (B) du Modèle
d’accord international sur l’investissement pour le développement durable (IIDD). Guide du négociateur. H.
581
lancée l’accord entre la Suisse et la Colombie met en place une clause
novatrice destinée à atténuer les effets pervers de la clause de la NPF73.
La CNAPIE et la modération du recours de la clause de
traitement national. La CNAPIE aura à cœur d’œuvrer à la réduction de
l’usage de certaines clauses sans avoir pu au préalable évaluer avec
précision l’ensemble de ses conséquences ou effets. Dès lors elle veillera
au maintien d’une certaine modération dans l’usage de clauses telles que la
clause de traitement national encore appelée clause d’égalité de traitement
entre investisseurs étrangers et investisseurs nationaux. Si dans ce cas on
ne saurait craindre que soit invoqué un dispositif juridique ou procédural
provenant d’un autre traité (et plus avantageux pour l’investisseurs
étranger), une source de crainte existe bel et bien au détriment de l’Etat
africain. Cette crainte est avérée lorsque par exemple, le champ
d’application temporel de la clause n’est pas bien déterminé dans le temps.
Ainsi, « si l’obligation de traitement national s’applique dès la phase admission
de l’investissement, ceci signifie que toute opération d’investissement permise à un
investisseur national le sera aussi pour les investisseurs étrangers couverts par le traité
»74. En d’autres termes, pour des besoins de développement économique
et social, l’Etat africain pourrait difficilement réserver l’exclusivité de
certains secteurs d’activités à ses investisseurs nationaux sans qu’un ou
plusieurs investisseurs étrangers ne fassent recours à cette clause.
La CNAPIE pourrait par exemple travailler à élaborer des
mécanismes de contournement de cet handicap (même ponctuels). Elle
pourrait par exemple utiliser un procédé d’exclusion de certains champs
d’application en matière de secteurs d’activités économiques concernés ou
non par la clause.
On l’a compris, des précautions s’imposent également dans le
recours à la clause de traitement national. En effet, si un mécanisme de
contournement a réussi grâce au procédé d’exclusion de certains champs
d’application sous impulsion américaine dans le cadre de l’ALENA, il est
important de noter toutefois que, cette zone géographie incarnée par
l’ALENA ne compte que trois Etats (Etats-Unis, Canada et Mexique). La
gestion d’un tel mécanisme a donc pu être facilitée. En revanche, si
plusieurs Etats sont membres d’un traité ou d’une convention (en Afrique
par exemple on compte souvent plus de sept voire dix Etats par
traitement national et celle de la nation la plus favorisée visées audit alinéa autorisent l’octroi d’un
traitement différent en présence de situations de fait différentes. Aux fins de clarté, il est de plus entendu
que le traitement de la nation la plus favorisée visé audit alinéa ne concerne pas les mécanismes de règlement
des différends relatifs aux investissements prévus dans d’autres accords internationaux sur l’investissement
conclus par la Partie concernée ». (Protocole ad, art. 4 (2) alinéa 2 of Agreement between the
Republic of Colombia and the Swiss Confederation on the promotion and preciprocal
protection of investments. 17 mai 2006).
74 F. OSMAN, Vers une lex mediterranea des investissements. Op. cit., p. 46-47.
582
organisation), les Etats membres courent le risque certain qu’à cause de
cette clause, le mécanisme d’exclusion mis en place contribue à alourdir
davantage la lisibilité et compréhension du texte et ouvre ainsi la voie non
seulement aux abus, mais aussi et surtout découragent les investisseurs
potentiels.
De plus, la clause de traitement national a été largement modelée
voire modifiée par les tribunaux arbitraux qui lui ont donné un visage plus
extensible notamment en ce qui concerne les obligations découlant de
cette clause. Au final, cette clause « peut se révéler être particulièrement
paralysante pour les Etats ayant signé ces conventions, car ces derniers risquent de ne
plus pouvoir prendre de mesure, sans encourir le risque qu’un investisseur étranger
entame une action devant un tribunal arbitral, où il pourrait être soutenu que le
traitement qu’engendre la mesure incriminée se trouve être plus contraignant que celui
dont jouit n’importe quel investisseur local »75. Et ceci alors même que
l’investisseur à l’initiative de la procédure arbitrale ne soit obligé de mener
une activité économique comparable à celle des investisseurs nationaux.
Dès lors, la CNAPIE pourra œuvrer aux solutions pérennes telles
que la mise en place d’une clause de traitement national qui soit appliquée
seulement aux investisseurs étrangers une fois ceux-ci admis sur le
territoire de l’Etat d’accueil afin de permettre à chaque Etat de conserver
sa souveraineté en la matière et de conserver le mécanisme d’admission de
son choix76.
Autres missions novatrices de la CNAPIE. Tout d’abord, la
CNAPIE doit veiller à la réduction de l’usage des clauses systématiques
prévoyant le recours à un arbitrage international des différends d’ordre
fiscaux car d’une certaine façon, et à juste titre, « la soumission d’un litige fiscal
à un tribunal non-étatique s’apparente en effet à une double renonciation à des droits
souverains, à savoir le pouvoir fiscal et le pouvoir juridictionnel »77. Elle doit ainsi
œuvrer à l’insertion de clauses de réserves générales en matière de fiscalité
car certaines formules d’exclusion de la fiscalité peuvent représenter des
solutions pour préserver la souveraineté fiscale de l’Etat. Dans cette
logique, quelques Etats tirent leur épingle du jeu. C’est notamment le cas
avec les Etats-Unis, le Japon, le Canada ou encore Singapour78. Cette
pratique n’est pas très répandue mais les Etats africains gagneraient à s’y
75 S. BONOMO, Les traités bilatéraux relatifs aux investissements. Entre protection des investissements
étrangers et sauvegarde de la souveraineté des Etats. Op. cit., p. 157.
76 F. OSMAN, Vers une lex mediterranea des investissements. Op. cit., p. 47.
77 A. E. GILDEMEISTER, L’arbitrage des différends fiscaux en droit international des
investissements, Paris, LGDJ, 2013, p. 177 : « Mécanisme d’autorisation des investissements, simple
mécanisme d’information ou absence totale de formalité selon les cas ».
78 Il en va de même pour certaines Institutions telles que l’ALENA (art 2103 du traité), du
83 R. DUCCINI, Stratégie fiscale des contrats internationaux, Paris, LexisNexis – Litec, 2006, p.
304.
84 Ibid. p. 304.
85 Corruption, lourdeurs administratives, gestion approximative opacité, clientélisme en
différents acteurs (individuels et collectifs) se font ou retiennent de lui. Cette définition est
également adaptée dans une société mondialisée ou les frontières de l’Etat peuvent
virtuellement faire le tour de la planète. Ainsi l’image d’un Etat ou d’une région donnée
peut ainsi être perçue au quatre coins de la terre. Cette image intéresse de nombreux
acteurs de la vie économique, qui orienteront leurs comportements selon que cette image
est positive ou négative. Cette donnée se vérifie en matière de prospection des firmes
multinationales mais pas seulement. Elle explique aussi les comportements économiques
nationaux en matière d’investissements. Redorer son blason en améliorant son image à
l’international, tel est l’un des défis majeurs de l’Afrique et principalement en Afrique noire.
586
d’un pays est négative89. En effet, « l’image est chargée de force ; l’image est une
force elle-même. C’est elle qui détermine le choix ; c’est elle qui guide. Une image
négative ne saurait attirer l’investisseur. Au contraire l’investissement est hostile,
réfractaire à toute image négative. Car le message de l’image négative est clair : il alerte ;
sans le dire expressément, il met en garde, il décourage l’investissement car il présente les
risques, les dangers que constitue l’Afrique. Il s’ensuit donc un sentiment de méfiance
voire de répugnance vis-à-vis de l’Afrique »90.
Ainsi, entre l’attractivité constatée, incarnée par exemple par
l’abondance des ressources naturelles et la diversité des possibilités
d’investissement économique et l’attractivité constructive incarnée par la
construction d’une véritable image du territoire, le déséquilibre en Afrique
est malheureusement flagrant91 et doit être corrigé dans l’intérêt général.
C’est pourquoi, afin d’intéresser les investisseurs potentiels, l’Afrique doit
se présenter sous son meilleur jour, c'est-à-dire soigner sa présentation, se
construire une image attractive c’est à dire « créer une perception favorable du
pays comme site d’implantation attractif pour les investissements internationaux »92.
Cette amélioration de son image pourra être faite par des outils de
communication efficaces à très large diffusion.
Pour améliorer cette image essentielle à l’attractivité économique,
l’APIE se positionne en première ligne. Dans une logique d’intelligence
économique, elle doit ainsi tenir compte de la valeur et de la force de
l’information dans la construction de cette image. La maîtrise de l’image
passe nécessairement par la maîtrise de l’information. Il est en effet
essentiel d’informer et de maitriser cette information car « une information
fausse induit une communication faussée »93.
L’APIE doit fonctionner comme une agence de communication
publique. En effet l’un des outils à la disposition de l’APIE pour assurer
ses missions c’est à communication publique. Dans une société que
certains sociologues qualifient de société de communication, ne pas
communiquer revient à ne pas exister. Pas de savoir-faire sans faire savoir
dira-t-on. Le rôle de la communication institutionnelle est quadruple. Elle
va permettre de créer la notoriété de l'entité auprès de ses cibles94 ; de
développer son identité et son image auprès de l'ensemble des publics
89 En effet, l’attractivité territoriale d’un pays ou d’une région passe inéluctablement par ce
que l’on retient de lui ou d’elle. Il s’agit de l’image du continent, d’un pays ou d’une région.
Elle est indispensable dans la promotion des investissements, dans l’attractivité du
territoire.
90 A. E. SITTI, Investir en Afrique pour gagner. L’entreprise africaine et la mondialisation. Op. cit.,
p. 27.
91 A. CAMARA, Un Exemple De Coopération Nord-Sud : Les Incitations Fiscales Au Développement
95 L’identité d'une entreprise est forcément réductrice et peut être définie comme le
« positionnement » appliqué à une organisation. L'identité se compose des caractéristiques
saillantes de l'organisation que les cibles pourront percevoir facilement et clairement.
96 Entendu ici les autres acteurs étatiques et non étatiques de la scène internationale.
97 La communication publique est entendue comme l’ensemble des actions de
communication engagées par toute institution exerçant une mission de service public, entre
autres les Institutions étatiques et supra étatiques, les administrations publiques, les
collectivités territoriales, les entreprises et établissements publics. La communication
publique se veut au service de l’intérêt général. À ce titre, elle ne doit pas être confondue
avec la communication électorale ou la communication politique.
98 P. ZEMOR, La Communication Institutionnelle. Paris, PUF, 1995, p. 111.
99 Ibid. p. 111.
100 D. U. STIKKER, Le rôle de l’entreprise privée dans les investissements et la promotion des
exportations dans les pays en voie de développement. NU, New York, 1968, p. 49, § 247.
588
Ensuite, l’institution de promotion des investissements
économiques doit contribuer efficacement aux objectifs de développement
par le biais des investissements économiques. A ce titre, elle vient appuyer
non seulement la politique industrielle mais aussi commerciale, ou agricole
des gouvernements. Aussi, elle travaille à susciter des investissements
importants dans tous les secteurs de l'économie. Ceci suppose qu’elle
pourra bénéficier de moyens de financement adéquats tels que les bons
d’équipement sous forme d’emprunts réalisés auprès des banques et autres
établissements financiers aux fins d'appuyer la mise en œuvre de la
politique d'investissement productif du Gouvernement.
De même, elle participe à la création de nombreuses d'entreprises
devant servir de locomotives de l'économie nationale. Cette participation
se fait par la réception des dossiers d’investissement et demande
d’agrément auprès des investisseurs étrangers ; dossier qu’elle va ensuite
(dans un délai de moins d’un mois) transmettre au GUIE pour étude et
agrément.
Aussi, l’APIE doit mettre à la disposition des potentiels
investisseurs un ensemble d’outils juridiques au rang desquels, la CDIE ou
encore le livre des procédures fiscales101 car les « procédures fiscales codifient les
relations qu’entretiennent le contribuable et l’administration »102 et « forment un
ensemble de dispositions complexes, garant des droits et obligations réciproques de la
puissance et du contribuable. Cet ensemble est le reflet d’une société en évolution, dans
laquelle le curseur oscille en permanence entre contribuable et administration »103.
Enfin, il est essentiel que l’APIE se charge d’informer sur les
potentialités du continent, et sur les atouts du continent mais surtout, il est
essentiel qu’elle le fasse pour briser les clichés et les idées arrêtées qui font
pâtir les investissements économiques (et notamment les IDE) en Afrique
et particulièrement en Afrique subsaharienne.
b. Les missions de diplomatie économique de l’APIE
La diplomatie économique est un concept assez difficile à définir.
En France par exemple, le concept de diplomatie économique porte en
général voire principalement sur des domaines liés aux négociations
internationales en matière commerciale ainsi qu’au développement de la
diplomatie économique multilatérale104.
101 L’enjeu des procédures fiscales : les procédures fiscales regroupent en effet deux types
de règles : - d’une part celles qui gouvernent les prérogatives de l’administration et les
garanties du contribuable tout au long du processus d’imposition, de la délimitation de
l’assiette au recouvrement de l’impôt, en passant par sa liquidation, – et d’autre part les
techniques précontentieuses et contentieuses instituées pour résoudre les conflits qui ne
manqueront pas de survenir tout au long de ce processus, J. GROCLAUDE, P.
MARCHESSOU, Procédures fiscales. Paris,Dalloz, 2016, 8ème édition, p. 1.
102 Ibid. 8ème édition, p. 1.
103 Eod. loc. 7ème édition p. 371.
104 Est celle négociée par exemple au sein du GATT ou de l’OMC.
589
Toutefois cette étude a retenu une définition assez fédératrice de la
diplomatie économique. C’est celle qui a été donnée lors de la 2ème
conférence des Ambassadeurs tenue les 12, 13 et 14 août 2002 à Abidjan
en Côte d’Ivoire. « L’Eco-diplomatie ou la diplomatie économique confère aux
représentations diplomatiques et consulaires la mission de soutenir les efforts de relance
économique du gouvernement et des organismes publics de promotion économique en
servant d’« interface » entre les opérateurs privés nationaux et ceux des pays accrédités
afin de trouver de nouveaux débouchés pour les produits industriels ivoiriens et de
mobiliser les investissements directs étrangers. »105.
Ainsi, dans le contexte économique actuel, la diplomatie africaine
doit être une véritable alliée voire un agent à part entière du
développement économique et social. Quoi qu’il en soit, l’action des
représentations diplomatiques doit cibler aussi bien la diaspora que les
IDE des pays hôtes. C’est une des raisons pour lesquelles l’APIE doit
illustrer toute l’importance de la diplomatie économique.
Dans ce sens, la 2ème conférence des ambassadeurs d’Abidjan de
2002 propose de renforcer les activités économiques classiques des
représentations diplomatiques des Etats. Ainsi, dans chaque zone
d’intervention géographique des représentations diplomatiques doivent
être installées l’un des services déconcentrés de l’APIE (notamment à
l’international et notamment au sein des ambassades africaines à
l’étranger). Ce service de l’APIE aura désormais à cœur de privilégier des
missions telles que : la prospection des marchés internationaux ; la
participation active des représentations diplomatiques nationales aux
missions du gouvernement à caractère économique, commercial agricole et
touristique ; la facilitation de la création de partenariats entre les acteurs
économiques nationaux et ceux du pays hôte ; l’organisation des
rencontres économiques de promotion et de vulgarisation des atouts et
potentialités nationales en matières d’investissements économiques;
l’orientation de la diaspora intéressée par les affaires ; l’organisation des
rencontres ou fora présentant des opportunités d’affaires et
d’investissements ainsi que des foires permettant d’exposer les productions
nationales dans le pays hôte ; enfin, l’invitation régulière dans leur pays des
personnes (physiques ou morales) ayant dans le pays hôte une influence
avérée dans le monde des affaires.
Ensuite, de nouvelles missions diplomatiques de l’APIE sont à
vulgariser car dorénavant, la diplomatie économique va avoir pour but de
permettre de rechercher des financements et de promouvoir les activités
commerciales, industrielles, artisanales ou touristiques. Elle aura également
un rôle plus formel consistant à organiser et animer des rencontres et fora
promotionnels. Bien entendu, ces activités formelles doivent être
effectuées dans le strict respect des orientations économiques opérées par
les Etats.
106 D. CARREAU, P. JUILLARD, Droit international économique, Paris, Dalloz, 2005, 2ème
édition, pp. 486-487.
591
Aussi, les Etats africains doivent se défaire des modèles calqués sur
ceux des pays développés, conçus pour répondre et gérer des
problématiques en relation directes avec leurs stratégies et réalités
circonscrites dans le temps107. La réforme institutionnelle tant espérée doit
se construire de manière à équiper l’Etat d’outils administratifs pouvant lui
permettre d’améliorer notablement et durablement ses efforts entrepris
pour accroître le rendement des dispositifs juridiques en faveur des
investissements économiques. Le but ultime reste l’accélération de la
formation du capital108.
En outre, ces réformes doivent être l’occasion pour les Etats de
mettre en place un système juridique qui pourra efficacement réduire les
irrégularités, inégalités et incohérences passées et correspondant
strictement aux nouveaux objectifs et ambitions des Etats. De même, afin
de compléter cette évolution fonctionnelle, une nouvelle efficacité
institutionnelle doit être construite aussi bien à l’horizontale qu’à la
verticale109.
Aussi, « parce qu’elles accompagnent la démocratie politique en étant le
vecteur de la démocratie sociale, les Institutions apparaissent alors comme des instances
de représentation et d’actions ‘sociales’ susceptibles de transcender les crispations
politiques. En revalorisant leur rôle, le pouvoir politique favorise la renaissance d’un
esprit de dialogue entre tous les acteurs de la société, y compris au sein de la sphère
politique, ce qui renforce la crédibilité de son action. En même temps, ces Institutions
contribuent à restaurer le sens du droit et de l’intérêt général. Désormais confiants dans
une action politique contrôlée et évaluée, les citoyens s’engagent dans la protection de la
chose publique, de la vie commune et de la démocratie »110.
107 Car grâce au jeu démocratique, des dirigeants se succèdent et conçoivent à tour de rôle
des modèles administratifs et institutionnels devant permettre une meilleure réponse aux
problèmes posés. C’est loin d’être le cas de la plupart des Etats africains qui copient parfois
aveuglément des modèles construits sur des bases démocratiques.
108 Aussi bien privé que public par le biais des investissements économiques.
109 Premièrement, pour une efficacité à l’horizontale les nouvelles réformes doivent
permettre une meilleure cohésion et interaction entre administrations aussi bien au niveau
national, qu’au niveau régional ou international. Les Etats doivent renforcer les liaisons
entre différentes administrations. Ceci peut être réalisé par le biais d’outils informatiques
accessibles entre différentes administrations ou par le biais de comités et commissions
interministérielles ou encore d’échanges divers. Ceci afin d’assurer une fluidité dans la
gestion administrative ainsi que des recoupements plus faciles à effectuer. Les Etats doivent
donc renforcer la coordination entre les différentes administrations qui interviennent même
partiellement à un moment ou à un autre pour constater, organiser ou gérer les
investissements économiques. L’idéal étant bien entendu de limiter autant que faire se peut
le nombre d’administrations devant intervenir dans ce sens. Deuxièmement, l’Etat doit
également renforcer l’efficacité administrative à la verticale. C’est dire que les réformes
doivent améliorer les rapports et relations entre les administrations et des opérateurs
économiques présents ou potentiels. D’où la nécessité d’avoir des administrations plus à
l’écoute, plus disponibles et plus efficaces.
110 C. GAMBOTTI, « L’évaluation des politiques publiques en Côte d’Ivoire », Géoéconomie
111 B. HAMMOUDA, Les économies de l’Afrique Centrale. Pauvreté en Afrique Centrale : état des
lieux et perspectives. Op. cit., p. 50.
112 C. CABANA, M. DOUBLET, R. DRAGO, et alii, Réformer l’administration. Albatros,
594
Chambre des comptes de la Cour suprême du Cameroun, Arrêt
n°133/P, Compte de la Commune de Datcheka, Exercice 2009.
Par
Dr. Théophile NGUIMFACK VOUFO
Ph.D en Droit public
Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Dschang (Cameroun).
RÉSUMÉ :
ABSTRACT :
595
Keys words: Separation – authorizing officer - accountant - ticket operator.
Extrait de l’arrêt :
(…) Attendu que par différents mandats répertoriés dans le tableau n°5 d’un
montant total de 12.329.826 FCFA, le receveur municipal a procédé à des mises à
disposition des fonds au profit de diverses personnes ;
Que ces paiements sont faits en violation de toutes les circulaires du MINFI
portant instructions relatives à l’exécution et contrôle du budget de l’État et des
organismes subventionnés ;
Que certains de ces fonds ont été bloqués sur décision du maire au profit de
diverses personnes en particulier le billeteur ; qu’il est à noter que ce soi-disant billeteur
ne l’est en fait que de nom ; qu’il s’agit en réalité d’un personnage désigné par le maire
pour contourner le principe de séparation des fonctions entre ordonnateurs et comptables.
Car ce personnage exécute une bonne partie des dépenses budgétaires sans rapport avec le
rôle classique dévolu à un billeteur ; qu’en clair, il s’agit d’un homme aux ordres du
maire pour couvrir les opérations irrégulières ;
Qu’on s’interroge cependant sur la passivité du comptable face à ces
manœuvres qui aurait dû surseoir à ces déblocages ;
Que par conséquent, conformément aux dispositions de l’article 43 de la loi
n°2003/005 du 21 avril 2003, les Sieurs Gaoussou Martin, maire, et Toungsala
Mbatsam, billeteur, sont conjointement et solidairement responsables de ces irrégularités ;
Le maire pour avoir organisé cette gestion de fait ; le Billeteur pour avoir
matériellement manié les fonds (…)
Par ces motifs, statuant publiquement et provisoirement,
décide :
Article 1er: déclare les Sieurs Gaoussou Martin, maire de la commune de
Datcheka et Toungsala Mbatsam, billeteur de ladite commune, comptables de fait pour
un montant de 12.329.826 FCFA ;
Article 2 : les enjoint à produire dans un délai de deux mois à compter de la
date de notification du présent arrêt leur compte de gestion de cet argent ; ledit compte
devra retracer la totalité des opérations en dépenses dûment certifié par la tutelle ; y
seront annexés, les pièces justificatives ainsi qu’une déclaration du conseil municipal,
statuant sur l’utilité publique des dépenses qui auraient été faites dans l’intérêt de la
commune.
596
NOTE
1 MAGNET (J.), VALLERNAUD (L.), VUGHT (T.), La Cour des comptes, les institutions
associées et les Chambres régionales des comptes, Paris, Berger-Levrault-Les indispensables, 2007,
p. 26.
2 WALINE( J.), Droit administratif, Paris, Dalloz, 2018, 27e éd., p. 438.
3 PINTO (R.), Éléments de droit constitutionnel, le milieu social et le droit, la société politique et l’État,
les États fédéraux, histoire constitutionnelle et institutions politiques de la France, Lille, Morel et
Corduant, 2e éd., p. 88.
4 VEDEL (G.), Cours d’institutions financières rédigée d’après la sténotypie du cours de M. Georges
Vedel, Licence 2e année, 1961-1962, Paris, Les cours de droit, 1962, p. 19, cité par
AKHOUNE (F.), Le statut du comptable en droit public financier, Paris, LGDJ, 2008, p. 146.
5 GREGOIRE (L.), « Qu’est-ce qu’un administrateur ? », La Revue du Trésor, n°3, janvier
1957, p. 132.
6 RICCI (J-C.), Droit administratif, Paris, Hachette Supérieur, 2004, 4e éd., p. 18.
7 POUJADE (B.), « État des lieux de la responsabilité des ordonnateurs en droit public
12 À notre connaissance, la Chambre des comptes a initié les déclarations de gestion de fait
solidaire par deux arrêts provisoires du 14 avril 2010 : Arrêt provisoire n°02/AP/S3/10 du
14 avril 2010 relatif aux comptes de la Cameroon General Board of Education et arrêt provisoire
n°01/AP/S3-10 du 14 avril 2010 relatif aux comptes de la South West Development Authority
(SOWEDA).
13 Arrêt n°042/AP/S2 du 18 mai 2016, Compte de la commune de Bali, Exercices 2011 et
après CGCTD).
600
d’exécution du budget, lesquelles en matière de dépense consistent à
vérifier la régularité du dossier de la dépense et à procéder au paiement17.
En matière de recettes, le maire ne doit pas procéder au recouvrement des
recettes ni à leur détention parce que cette attribution est dévolue au
receveur municipal18.
Dans l’arrêt sous revue de la Chambre des comptes, le juge
indique précisément que le maire est mis en cause dans une procédure de
gestion de fait pour le motif de l’avoir organisé. Cette motivation met en
exergue une autre facette du principe de séparation des fonctions
d’ordonnateur et de comptable, en ce sens que l’application de ce principe
n’implique pas seulement que l’ordonnateur ne puisse pas s’ingérer dans
les fonctions réservées au receveur municipal. À l’analyse, le principe
implique aussi que le maire n’use pas de son influence, de son autorité ou
toute autre manœuvre pour empêcher directement ou indirectement que le
receveur municipal effectue par lui-même les opérations auxquelles il est
préposé conformément aux lois et règlements. Il est admis que sont
comptables de fait, les supérieurs qui ont organisé la gestion irrégulière ou
ont fait exécuter les opérations par leurs subordonnés, ce qui signifie que
toute personne ayant participé de près ou de loin à l’opération peut être
déclarée solidairement comptable de fait19. Cela inclut toutes personnes
ayant ordonné ou toléré l’irrégularité20.
En l’espèce, la deuxième Section de la Chambre des comptes
indique clairement que « le soit disant billeteur ne l’est que de nom », précisant au
passage « qu’il s’agit en réalité d’un personnage désigné par le Maire pour contourner
le principe de séparation des fonctions entre ordonnateurs et comptables », surtout qu’
« il s’agit d’un homme aux ordres du Maire pour couvrir les opérations irrégulières ».
Cette motivation qui n’est pas un cas isolé21 dans la jurisprudence de la
Chambre des comptes repose sur de simples présomptions faites par le
juge sans éléments probants de violation des règles de la comptabilité
publique.
602
possible de rechercher l’irrégularité dans le cadre des procédures
d’exécution de la dépense publique. D’un autre point de vue, il s’agit aussi
de démontrer que le billeteur régulièrement désigné est habilité à détenir et
manier des fonds mis à sa disposition par le comptable public.
B. Le maniement sans qualité, motif injustifié de la déclaration de
gestion de fait à l’encontre du billeteur
L’arrêt de la deuxième Section de la Chambre des comptes met en
doute aussi bien la régularité que la sincérité de la qualité du billeteur et des
dépenses qu’il a effectuées sur déblocages du receveur municipal. Plus
important, le juge des comptes s’interroge « sur la passivité du comptable face à
ces manœuvres », arguant qu’il « aurait dû surseoir à ces déblocages ». Si l’on s’en
tient à cette motivation, il semble encore que la démarche du juge des
comptes est critiquable, d’autant qu’il relève des manquements imputables
au comptable, mais ne le sanctionne pas. Or, de toute évidence, le
comptable aurait pu bloquer l’exécution des dépenses querellées en
exerçant son contrôle de régularité, quitte au maire d’user de son droit de
réquisition.
De fait, le paiement de certaines dépenses publiques par billetage
est autorisé par la circulaire du ministre des finances portant instructions
relatives à l’exécution du budget de l’État et des autres organismes
publics22. Cette circulaire du ministre des finances prévoit que seule une
catégorie de dépenses est payée par billetage23. À cet effet, les
ordonnateurs transmettent aux services en charge du contrôle budgétaire
et du paiement, les actes de désignation de leurs billeteurs et ce, avant
toute opération y relative24. De plus, les états d’émargement sont retournés
au Contrôle financier pour apurement à la fin du billetage, sous peine de
sanctions prévues par la réglementation en vigueur. Ces états sont ensuite
transmis au poste comptable de rattachement pour reddition des
comptes25.
Ce qui précède permet de relativiser la qualification de
l’irrégularité invoquée par le juge des comptes à l’encontre du billeteur. S’il
seules dépenses devant être payées par billetage sont les suivantes : les salaires des personnels domestiques ;
les indemnités pour heures supplémentaires ; les gratifications ; les émoluments et les primes ; les indemnités
forfaitaires de tournées ; les indemnités de sessions et primes pour travaux spéciaux ; les remises », p. 79.
24 Paragraphe 521 de la circulaire du ministre des finances, précitée.
25 Paragraphe 522 de la circulaire du ministre des finances, précitée.
603
s’avère que ce dernier a été désigné par le maire dans le respect de la
règlementation, en l’occurrence la circulaire du ministre des finances
relative à l’exécution des budgets publics, le juge des comptes ne saurait
valablement établir l’irrégularité du maniement des fonds sur le seul motif
que le billeteur est « un homme de main » du maire. En prouvant son
habilitation régulière, le billeteur sera déchargé de toute responsabilité
fondée sur le fait qu’il aurait manié les fonds mis à sa disposition. En
revanche, le juge aurait pu s’appuyer sur d’autres irrégularités relevées dans
sa décision telles que : « absence d’émargement », « absence de décision du maire »
et « absence de reçu de paiement » pour sanctionner la responsabilité
personnelle et pécuniaire du billeteur. Doté de la qualité de billeteur qui
habilite au maniement des deniers publics, la déclaration de gestion de fait
n’est plus opératoire. C’est dire que le juge des comptes n’a pas motivé la
qualification de l’irrégularité de manière irréfutable.
Pour preuve, la deuxième Section de la Chambre des comptes a eu
rendre des décisions contradictoires sur des faits identiques, relatifs aux
déblocages de fonds au profit du billeteur sur ordre du maire comme dans
le cas d’espèce. Dans l’arrêt Compte de la commune d’Edéa II e du 18 mai
2016, le juge engage plutôt la responsabilité du receveur municipal en ces
termes :
« (…) Attendu que les dépenses budgétaires ainsi effectuées sont sans rapport
avec le rôle classique dévolu à un billeteur ou au-delà de celui-ci, qu’en clair, il s’agit
d’un homme aux ordres du maire pour maquiller les opérations douteuses et
irrégulières ; qu’on s’interroge cependant sur la passivité du comptable qui aurait dû
surseoir à ces déblocages de fonds ; attendu qu’en procédant au paiement de telles
dépenses, le receveur municipal engage sa responsabilité personnelle et pécuniaire, en
application de l’article 48(1) de la loi n°2003/005 du 21 avril 2003 suscitée »26.
Il est frappant de constater que cette décision tire paradoxalement
une conséquence contraire sur des irrégularités identiques. Ce flottement
de la jurisprudence persiste dans un autre arrêt où la Chambre des
comptes soutient que le déblocage de fonds ordonné par le maire au profit
du billeteur a servi à déjouer la vigilance du comptable et devrait entraîner
une déclaration de gestion de fait conjointe et solidaire. Mais au final, le
juge écarte la responsabilité du maire en indiquant :
« Que toutefois, au regard de la somme en cause qui est relativement modeste
(4.650.000 FCFA) et de la complexité de la procédure de gestion de fait, il serait
souhaitable d’engager exclusivement la responsabilité personnelle et pécuniaire du
2010.
605
L’arrêt de la deuxième Section de la Chambre des comptes, sous
revue, comporte dans son dispositif cinq (05) articles qui renseignent
suffisamment sur les conséquences de la déclaration de gestion de fait à
l’encontre du maire et du billeteur de la commune de Datcheka. Ce
dispositif est repris à l’identique dans plusieurs autres arrêts comportant
des faits similaires30.
En s’intéressant à la situation des personnes déclarées comptables
de fait, l’on retient pour l’essentiel que l’ouverture de la procédure de
gestion de fait les astreint à l’obligation de production du compte de leur
gestion dans certaines conditions (A) et à la justification des dépenses
effectuées par des pièces comptables (B).
A. L’imprécision de l’obligation de production du compte unique de
la gestion de fait
L’obligation de production du compte de gestion est consacrée
par la loi du 21 avril 2003 fixant les attributions, l’organisation et le
fonctionnement de la Chambre des comptes31. Mais l’application de cette
obligation est variable, selon qu’il s’agisse du comptable public patent ou
des personnes déclarées comptables de fait32. De toute façon, le juge des
comptes ne pourrait statuer en l’absence du compte, lequel conditionne
son office contentieux33. Il est indiqué que « si après déclaration définitive de
comptabilité de fait, le comptable de fait ne produit pas son compte, la Chambre des
comptes peut le condamner à l’amende prévue au titre du retard dans la production du
compte »34. La règle selon laquelle, « le juge des comptes juge le compte et non le
comptable » renforce cette obligation. La conséquence ultime de cette règle
est que tout jugement prononcé par la juridiction des comptes en l’absence
du compte est frappé de nullité. Le législateur a même prévu que la
Chambre des comptes « peut commettre d’office un nouveau comptable pour
produire un compte en lieu et place et aux frais du comptable de fait défaillant »35.
606
Mais à l’analyse de la jurisprudence de la Chambre des comptes
camerounaise, cette nullité pour jugement en l’absence de production du
compte n’opère exceptionnellement pas lorsqu’il s’agit des décisions
d’incompétence36. Quoi qu’il en soit, la déclaration de gestion de fait
entraîne immédiatement l’injonction de production du compte par arrêt
provisoire.
Aux termes de la décision, sous revue, la deuxième Section a
déclaré le maire et le billeteur comptables de fait et les a enjoint de
produire dans un délai de deux mois à compter de la date de notification
de l’arrêt, leur compte de gestion de la somme en cause. En outre, le
compte à produire devra retracer la totalité des opérations en dépenses
dûment certifiées par la tutelle. À la différence du compte de gestion du
comptable patent, le compte de la gestion de fait est limité au montant de
la dépense querellée. Ce compte ne comporte que les opérations relatives à
ce montant ainsi que les justificatifs s’y rapportant. Mais sur le plan formel,
il ne peut s’agir que d’un état récapitulatif des opérations effectuées. L’on
ne doit pas s’attendre à ce que le format de ce compte de gestion soit
identique à celui confectionné par le comptable public patent37.
Du point de vue de la procédure, la computation du délai de
dépôt du compte de la gestion de fait s’opère à partir de la décision de la
Chambre des comptes. Ce délai est de deux (02) mois à compter de la
notification de la décision déclarative de la gestion de fait, ce qui n’est pas
le cas pour les comptables patents. De même, le délai fixé par la loi du 21
avril 2003 sur la Chambre des comptes est de « trois mois pour répondre à
l’arrêté, à compter de la notification de celui-ci »38. La réduction des délais par la
Chambre des comptes est donc une violation de la loi de 2003 et semble
s’inscrire en faux contre une garantie procédurale, sans doute justifiée par
les difficultés que le comptable de fait peut éprouver dans la confection du
compte de la gestion de fait.
Selon le juge des comptes, le compte de gestion ne devrait
contenir que les dépenses dûment certifiées par la tutelle. Il s’agit ainsi
d’une spécificité du régime financier des collectivités territoriales
décentralisées qui prévoit un pouvoir de tutelle exercé par le représentant
Cameroun. Les principaux arrêts, avis, rapports de certification du compte général de l’État et rapports
d’observations à fin de contrôle commentés, Yaoundé, Éd. Le Kilimandjaro, 2016, pp. 426-427.
38 Article 41 de la loi n°2003/005 du 21 avril 2003, précitée.
607
de l’État sur les dépenses engagées par l’ordonnateur municipal39. Le juge
des comptes devient cependant trop formaliste quant il exige que les
dépenses mises en cause doivent forcément porter la certification de
l’autorité de tutelle, car l’invocation de la tutelle peut complexifier et
freiner la production du compte par le comptable de fait40. Pour les actes
d’exécution des dépenses publiques que l’on peut classer dans les actes de
gestion quotidienne, il est prescrit une notification de l’autorité de tutelle
dont le silence est interprété comme une décision d’approbation41.
En tout état de cause, les personnes conjointement et
solidairement déclarées comptables de fait produisent un compte unique.
Si l’un d’eux est diligent et produit le compte en premier, les autres
peuvent se joindre à cette comptabilité en la signant, avec la possibilité de
rejeter les opérations qu’ils désapprouvent42. Mais dans certains arrêts, la
Chambre des comptes a été plus explicite sur les responsabilités en matière
de production du compte de la gestion de fait. Par sa décision du 08 août
2012 portant sur les comptes de la SOWEDA, la troisième Section de la
Chambre des comptes « a su se montrer plus directif, faute pour la loi de 2003
d’avoir déterminé à l’avance laquelle des personnes impliquées dans la gestion de fait
devait produire le compte commun au nom de tous »43. Car, au lieu de laisser penser
que l’une des personnes mise en cause prendra l’initiative au nom des
autres, le juge des comptes s’est appuyé sur l’implication de chaque partie
prenante pour déterminer parmi les comptables de fait celui à même de
réunir aisément les preuves de la gestion de fait. À ce propos, la Chambre
des comptes a indiqué que, « dans l’hypothèse de pluralité des comptables de fait
lorsque l’arrêt définitif des comptes distingue le comptable de fait principal des
comptables de fait secondaires, la production du compte est laissée à la charge du
comptable de fait principal »44.
Dans l’arrêt sous revue, la deuxième Section de la Chambre des
comptes n’a pas jugé utile d’établir une quelconque hiérarchie entre les
comptables de fait, ni désigné celui chargé à titre principal de produire le
compte de la gestion de fait. Pourtant, la motivation de sa décision montre
Cameroun. Les principaux arrêts, avis, rapports de certification du compte général de l’État et rapports
d’observations à fin de contrôle commentés, op cit., p. 425.
44 Idem.
608
que le maire a « organisé » la gestion de fait et que le billeteur n’était que
« son homme de main ». Ces deux indices indiquent la place que le juge
confère à chaque personne mise en cause. En s’abstenant de désigner le
comptable de fait principal, la Chambre des comptes peut avoir du mal à
imputer l’amende pour retard dans la production du compte de la gestion
de fait. Mais, l’on peut aussi comprendre la démarche du juge qui se trouve
encore au stade de la déclaration provisoire de la gestion de fait. Plus de
précisions pourront sans doute être apportées lors de la déclaration
définitive de la gestion de fait.
En tout état de cause, les mis en cause produisent conjointement
un compte comportant toutes les justifications qui permettent de certifier
la réalité et la régularité des dépenses effectuées.
B. La nature des justifications requises dans la gestion de fait en
cause
Aux termes de la loi du 21 avril 2003 sur la Chambre des comptes,
« les écritures relatives à la comptabilité de fait, transmises à la Chambre des comptes,
assorties de pièces justificatives, sont jugées suivant les règles applicables aux comptes des
comptables publics patents »45. La règle est reprise en d’autres termes par le
décret portant règlement général de la comptabilité publique : « la gestion de
fait entraîne, pour son auteur déclaré comptable de fait par la juridiction des comptes, les
mêmes obligations et responsabilités que la gestion patente pour le comptable public »46.
Il en ressort que le compte produit par les comptables de fait doit être
appuyé par les mêmes pièces justificatives règlementaires exigées dans les
gestions patentes.
En effet, dans le compte de gestion d’un comptable patent, on
distingue le compte sur pièces du compte sur chiffre dont l’agencement
répond à une nomenclature précise. Le compte du comptable de fait n’est
certes pas assujetti à ce formalisme. La juridiction des comptes peut ; pour
des raisons d’équité, suppléer à l’insuffisance des pièces justificatives,
hormis les cas de mauvaise foi et d’insincérité47. Mais il demeure que ce
dernier est tenu de produire toutes les pièces justificatives à l’appui des
opérations retracées dans sa comptabilité.
Dans l’arrêt sous revue, la deuxième Section de la Chambre des
comptes enjoint aux mis en cause d’annexer au compte de leur gestion
toutes justifications ainsi qu’une délibération du Conseil municipal statuant
609
sur l’utilité publique des dépenses qui auraient été faites dans l’intérêt de la
Commune.
D’une part, les justifications dont la production est requise
doivent se présenter sous la forme de pièces justificatives annexées au
compte de la gestion de fait. La Chambre des comptes ayant déjà identifiée
les opérations exécutées par le billeteur sur ordre de l’ordonnateur, les
pièces justificatives requises permettront de remonter le circuit de la
dépense dès son engagement jusqu’à son bénéficiaire. Les pièces
généralement demandées sont les actes d’engagement de la dépense, la
certification du service fait et sa liquidation, l’ordre ou le mandat de payer,
la quittance de paiement ou les états d’émargement, les factures en cas
d’achat de biens. Ces pièces doivent comporter des mentions qui
permettent d’établir leur authenticité et de bien identifier les parties à
l’opération de la dépense.
D’autre part, la preuve de l’utilité publique de la dépense dans
l’intérêt de la Commune est nécessaire pour exonérer le comptable de fait
de sa responsabilité lorsque les dépenses querellées n’ont pas été
autorisées. Il est généralement admis que la procédure de gestion de fait
vise à rétablir les formes budgétaires et comptables qui auraient été
méconnues48. En effet, ces formes budgétaires et comptables sont
instituées pour assurer la satisfaction de l’intérêt général. Cependant, la
reconnaissance d’utilité publique « consiste en effet à obtenir de l’autorité
budgétaire compétente, c’est-à-dire l’organe délibérant de la personne publique concernée
(Parlement pour l’État, Assemblées des collectivités territoriales), une décision…
ouvrant a posteriori les crédits correspondant aux dépenses indûment réalisées par les
comptables de fait »49. C’est dire que le comptable de fait qui passe outre les
formes budgétaires n’est pas automatiquement sanctionné s’il prouve le
caractère utile et d’intérêt général de sa gestion pour la collectivité
publique. Dans ces conditions, le juge des comptes s’abstiendra de le
mettre en débet50. Toutefois, la juridiction des comptes peut lui infliger
une amende pour gestion de fait, car il s’agit de ne pas tolérer voire
encourager l’immixtion des personnes non habilitées dans les fonctions de
comptable patent51.
610
En définitive, la décision commentée présente l’intérêt de prévenir
les exécutifs municipaux sur les manœuvres qu’ils s’emploient à utiliser
pour s’ingérer dans les fonctions des receveurs municipaux. La juridiction
des comptes démontre ainsi que de telles manœuvres peuvent être
qualifiées de gestion de fait et engager leur responsabilité pour violation du
principe de séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable
public. In fine, l’objectif est de rétablir les contrôles des receveurs
municipaux sur la gestion des maires en dépit des multiples modalités
d’exécution des dépenses publiques. Si le billeteur n’est pas désigné dans
les conditions prescrites par les lois et règlements pour s’occuper des
seules opérations prévues par la circulaire du ministre en charge des
finances, il peut être déclaré conjointement et solidairement avec le maire
comptables de fait. Mais pour que leur responsabilité soit effectivement
engagée, la juridiction des comptes doit être en mesure de prouver
l’irrégularité des déblocages de fonds et la collusion frauduleuse des
comptables de fait.
611
CHRONIQUE ANNUELLE DE JURISPRUDENCE FISCALE
EUROPEENNE 2020
Par
Dr. Franc de Paul TETANG
Docteur en droit de l’Université de Poitiers
Diplômé de Gestion Fiscale (Institut d’Administration des Entreprises de Poitiers)
Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Douala (Cameroun).
Commentaires
- D’une part, la Cour a déjà eu à rappeler que les États membres ont
la responsabilité d’assurer, dans chaque cas, une protection
effective des droits conférés par le droit de l’Union et que ce
principe exige, notamment, que les autorités fiscales de ces États
ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile
l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (arrêt
du 20 décembre 2017, Caterpillar Financial Services, C-500/16) ;
- Et d’autre part, le juge supranational a jugé dans son arrêt du 8
mars 2001, Metallgesellschaft e.a. (C-397/98 et C-410/98), que
« l’exercice des droits que les dispositions directement applicables du droit de
l’Union confèrent aux particuliers serait rendu impossible ou excessivement
difficile si leurs demandes en réparation fondées sur la violation du droit de
l’Union devaient être rejetées ou réduites au seul motif que les particuliers
n’ont pas demandé à bénéficier du droit conféré par les dispositions de l’Union,
et que la loi nationale leur refusait, en vue de contester le refus de l’État
membre par les voies de droit prévues à cet effet, en invoquant la primauté et
l’effet direct du droit de l’Union. Dans un tel cas, il n’aurait pas été
raisonnable d’exiger des personnes lésées qu’elles mettent en œuvre les voies de
614
droit à leur disposition, puisque celles-ci auraient dû de toute façon s’acquitter
de l’obligation de paiement en cause dans les affaires ayant donné lieu à cet
arrêt de manière anticipée et, même si le juge national avait jugé le caractère
anticipé de ce paiement incompatible avec le droit de l’Union les personnes en
question n’auraient pas pu obtenir le remboursement de cette somme et se
seraient exposées à une éventuelle amende ».
616
Faits et procédure
14. DONG YANG, une société de droit polonais avait conclu, le 27
octobre 2010 avec LG COREE, une société coréenne, un contrat
de fourniture de services d’assemblage de cartes de circuits
imprimés en Pologne à partir de matériaux et de composants qui
étaient la propriété de LG COREE. Les matériaux et les
composants nécessaires à la confection des cartes de circuits
imprimés étaient dédouanés, puis fournis à DONG YANG par une
filiale de LG COREE, à savoir LG Pologne, une société de droit
polonais. Ces cartes de circuits imprimés qui demeuraient la
propriété de LG COREE étaient, après assemblage, remises par
DONG YANG à LG Pologne qui en faisait usage pour produire
des modules, propriété de la société coréenne.
16. Par ailleurs, considérant que par les liens contractuels qu’elle avait
établis, LG COREE utilisait LG Pologne comme son propre
établissement ; les services fiscaux polonais ajoutaient qu’il
appartenait à la société DONG YANG non pas de s’en tenir à la
seule déclaration de LG COREE, selon laquelle celle-ci n’avait pas
d’établissement stable en Pologne, mais d’examiner, conformément
à l’article 22 du règlement d’exécution n°282/2011, quel était le
bénéficiaire réel des services qu’elle fournissait. Il ne faisait alors
l’ombre d’aucun doute aux yeux de l’Administration fiscale
polonaise qu’un tel examen aurait permis à la société DONG
YANG de conclure que ce bénéficiaire était en réalité LG Pologne.
Commentaires
17. Pour rappel, l’article 44 de la directive TVA qu’était appelé la Cour
de justice à interpréter, dispose depuis le 1er janvier 2010 que le lieu
des prestations de services fournies à un assujetti agissant en tant
617
que tel est en principe le lieu où l’assujetti a établi le siège de son
activité économique. Toutefois, par dérogation, si les services sont
fournis à un établissement stable de l’assujetti situé en un autre lieu
que celui du siège de l’activité économique, le lieu des prestations de
services est l’endroit où cet établissement stable est situé.
18. La Cour a déjà jugé que si le point de rattachement le plus utile afin
de déterminer le lieu des prestations de services, du point de vue
fiscal et, partant, prioritaire, est celui où l’assujetti a établi le siège de
son activité économique, la prise en considération d’un
établissement stable de l’assujetti constitue une dérogation à cette
règle générale, pourvu que certaines conditions soient remplies (arrêt
du 16 octobre 2014, Welmory, C-605/12). Et s’agissant du point de
savoir s’il existe un « établissement stable », au sens dudit article
44 précité, le juge de Luxembourg indique qu’il y a lieu de relever
que cette question doit être examinée en fonction de l’assujetti-
preneur auquel les services sont fournis.
618
d’exécution no 282/2011, notamment à l’article 11 de celui-ci, qui doivent être
appréciées à la lumière de la réalité économique et commerciale » (pt.32).
Faits et procédure
25. A la suite d'une plainte de l'administration fiscale, M. B., exerçant la
profession d'avocat, a été poursuivi pour s'être volontairement et
frauduleusement soustrait à l'établissement et au paiement total de
l'impôt sur le revenu et la TVA.
27. Pour déclarer M. B. coupable de fraude fiscale, les juges d’appel ont
énoncé notamment que la juridiction d’instance a à bon droit retenu
que la matérialité de l'infraction n'était pas contestée, les
déclarations de TVA et celles de revenus n'ayant été transmises que
très tardivement. Elle a en outre jugé que les droits dus au titre de
l'impôt sur le revenu n'avaient pas été payés et que, s'agissant de la
TVA, le plan de règlement produit devant la Cour n'avait pas été
honoré.
28. Enfin, elle avait souligné que, si le prévenu affirme que son
intention n'était pas de frauder, mettant en avant la caution
personnelle qu'il a donnée pour le paiement des droits dus par la
SELURL et la valeur de son bien immobilier sur lequel
l'administration fiscale avait inscrit une hypothèque, il ne pouvait
ignorer ses obligations déclaratives.
620
la nature des agissements de la personne ou des circonstances de leur
intervention. La Cour de cassation a quant à elle affirmé qu’il
appartient au prévenu de justifier qu’il a fait l’objet, à titre personnel,
de pénalités fiscales pour les mêmes faits que ceux visés par la
poursuite pénale (Cass. Crim. QPC 11-9-2020 n°18-81.067).
32. Pour mémoire, dans son arrêt du 26 février 2013 Akerberg Fransson (C-
617/10) la CJUE avait, en matière de TVA, défini la ligne que les
juridictions nationales devaient suivre afin de garantir le droit d’une
personne de ne pas être jugée deux fois pour le même manquement.
Le juge de Luxembourg déclarait à cet égard que le principe non bis
in idem « ne s’oppose pas à ce qu’un État membre impose, pour les mêmes faits
de non-respect d’obligations déclaratives dans le domaine de la TVA,
successivement une sanction fiscale et une sanction pénale dans la mesure où la
première sanction ne revêt pas un caractère pénal, ce qu’il appartient à la
juridiction nationale de vérifier » (pt. 37). Cependant la Cour de justice
avait fixé une limite au cumul des sanctions fiscales et pénales : ce
n’est que lorsque la sanction fiscale revêt un caractère pénal, au sens
de l’article 50 de la Charte, et est devenue définitive que ladite
disposition s’oppose à ce que des poursuites pénales pour les mêmes
faits soient diligentées contre une même personne.
621
34. La crainte d’une « guerre des juges » qui était implicitement
surmontée à la suite de cette décision sera explicitement écartée à la
suite de la décision Luca MENCI du 20 mars 2018, (aff. C-524/15)
dans laquelle la Cour de justice, statuant contrairement aux
conclusions de l’Avocat général, indique que : « l’article 50 de la Charte
doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale
en vertu de laquelle des poursuites pénales peuvent être engagées contre une
personne pour omission de verser la TVA due dans les délais légaux, alors que
cette personne s’est déjà vu infliger, pour les mêmes faits, une sanction
administrative définitive de nature pénale au sens de cet article 50, à condition que
cette réglementation : – vise un objectif d’intérêt général qui est de nature à justifier
un tel cumul de poursuites et de sanctions, à savoir la lutte contre les infractions en
matière de TVA, ces poursuites et ces sanctions devant avoir des buts
complémentaires ; – contienne des règles assurant une coordination limitant au
strict nécessaire la charge supplémentaire qui résulte, pour les personnes concernées,
d’un cumul de procédures ; et – prévoie des règles permettant d’assurer que la
sévérité de l’ensemble des sanctions imposées soit limitée à ce qui est strictement
nécessaire par rapport à la gravité de l’infraction concernée » (pt. 63).
3. TVA
622
membre autre que celui du Siège ; Unité de la personnalité juridique
des sociétés
Solution du juge
36. La Haute juridiction administrative française juge que : « la cour, après
avoir relevé que ces succursales sont membres de groupements de taxe sur la valeur
ajoutée et bénéficient donc de la qualité d'assujetties distinctes de la société BNP
Paribas Securities Services, a jugé que cette dernière ne fournissait aucune précision
sur les opérations réalisées par les groupements respectifs permettant de déterminer
le caractère déductible de la taxe grevant les dépenses supportées par elle selon
qu'elles sont affectées à des opérations soumises à la taxe sur la valeur ajoutée ou à
des opérations exonérées. En statuant ainsi, alors que le caractère déductible de la
taxe grevant les dépenses réalisées par la société mère dépendait de l'opération de
refacturation aux groupements auxquels appartiennent ces succursales et non pas
des opérations ultérieures réalisées par ces groupements, la cour a commis une
erreur de droit ».
Faits et procédure
37. La société BNP Paribas Securities Services, qui exerce une activité
d'intermédiation financière, a fait l'objet de trois vérifications de
comptabilité en matière de taxe sur la valeur ajoutée. À l'occasion de
ces contrôles, l'administration fiscale a estimé que la taxe sur la valeur
ajoutée ayant grevé l'acquisition des biens et services utilisés
exclusivement pour les opérations internes réalisées avec les
succursales établies dans les pays membres de l'Union européenne ne
pouvait ouvrir droit à déduction au motif que ces opérations étaient
situées hors du champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée.
42. On se souvient que dans les affaires Morgan Stanley il avait été jugé que
la TVA grevant les dépenses supportées par la succursale pour ses
besoins et ceux de son siège londonien devait être déduite par
application d’un coefficient de déduction tenant compte, au
dénominateur, des opérations avec des tiers tant par ladite
succursale que par le siège ; et au numérateur, en plus des opérations
taxées effectuées par ladite succursale, des seules opérations taxées
effectuées par le siège, qui ouvriraient également droit à déduction si
elles étaient effectuées dans l’état d’immatriculation de la succursale.
47. Pour mémoire, dans cette affaire une société dont le siège était situé
aux Etats-Unis achetait des services numériques au niveau mondial
pour l’ensemble du groupe auquel elle appartenait. Elle les
redistribuait par la suite à ses succursales parmi lesquelles sa
succursale suédoise qui était enregistrée membre d’un groupe TVA en
suède. Il s’était posé devant la Cour de justice la question de savoir si
les coûts imputés pouvaient être réputés facturés à l’assujetti unique
constitué par le groupement dont la succursale était membre, avec
une obligation corrélative d’autoliquider la TVA en suède.
51. Les autorités fiscales italiennes ont estimé que l’opération n’était pas
soumise à la TVA en ce qu’elle ne constituait pas une prestation de
service réalisée par la société mère au bénéfice de sa filiale. Elles ont
pour cette raison remis en cause la déduction de la TVA
correspondante.
626
54. Pour y parvenir, elle a, de façon classique, recherché l’existence
d’une transaction entre les parties comportant la stipulation d’un prix
ou d’une contre-valeur. A cet égard, il est de jurisprudence constante
que lorsque l’activité d’un prestataire consiste à fournir exclusivement
des prestations sans contrepartie directe, il n’existe pas de base
d’imposition et ces prestations ne sont donc pas soumises à la TVA
(arrêt du 22 juin 2016, Český rozhlas, C-11/15).
55. Au cas présent, la Cour souligne, premièrement, que c’est sur la base
d’un rapport juridique de nature contractuelle entre la société mère et
la filiale que le détachement a été effectué, et deuxièmement, que
dans le cadre de ce rapport juridique, des prestations réciproques ont
été échangées, à savoir le détachement d’un dirigeant de la société
mère vers la filiale, et le paiement, par celle-ci à celle-là, des montants
qui lui ont été facturés.
56. Il s’ensuit alors que si le paiement par la filiale des montants qui lui
ont été facturés par sa société mère était une condition pour que cette
dernière détache le dirigeant, et que la filiale n’a payé ces montants
qu’en contrepartie du détachement, l’existence d’un lien direct entre
les deux prestations est manifestement avérée (pt.27).
59. En tout état de cause, bien que l’arrêt d’espèce ne présente pas
d’originalité sur le terrain du champ d’application matériel de la TVA,
« il permet néanmoins, relèvent J.M. Moreno et R. Froment-Canivet, de
confirmer qu’une opération dont la réalisation est
contractuellement conditionnée au strict remboursement par le
bénéficiaire des frais supportés par le prestataire atteste d’un
lien direct et immédiat entre l’opération et la contrepartie » (FR
32/20, p. 10). En outre la jurisprudence San Domenico commentée
pourrait être perçue, toute proportion gardée, comme une étape vers
627
« une sécurisation progressive de la position TVA des holdings en matière de
refacturations » (Ibidem).
628
61. A la suite de l’arrêt 18 septembre 2019 (aff. 662/18, « AQ » et
672/18 « DN ») rendu par la Cour de justice de l’Union
européenne, le Conseil constitutionnel a été saisi, le 19
décembre 2019, de deux questions prioritaires de
constitutionnalité par le Conseil d’Etat.
63. Les griefs soulevés par les requérants étaient sensiblement identiques
dans les deux questions prioritaires de constitutionnalité. Ils
reprochaient aux dispositions précitées, telles qu’interprétées par le
Conseil d’État en conformité avec le droit de l’Union européenne,
d’établir une différence de traitement injustifiée dans la taxation des
plus-values tirées d’opérations d’échange de titres faisant l’objet d’un
report d’imposition, selon qu’elles sont effectuées dans le cadre de
l’Union européenne ou dans un cadre national.
Commentaires
66. Si la décision d’espèce ne présente aucune particularité de par la
qualité du raisonnement du juge constitutionnel, elle retient
cependant l’attention en ce qu’elle constitue, à la lecture du
commentaire officiel, la première validation d’une discrimination
à rebours chimiquement pure.
67. Pour rappel, saisie à titre préjudiciel par le Conseil d’Etat français, la
Cour de justice avait jugé le 18 septembre 2019 (aff.662/18 et 672/18
précitée) que « les dispositions de l’article 8 de la directive fusion « doivent être
interprétés en ce sens que, dans le cadre d’une opération d’échange de titres, ils
requièrent que soit appliqué, à la plus-value afférente aux titres échangés et placée
en report d’imposition ainsi qu’à celle issue de la cession des titres reçus en
échange, le même traitement fiscal, au regard du taux d’imposition et de
l’application d’un abattement fiscal pour tenir compte de la durée de détention des
titres, que celui que se serait vu appliquer la plus-value qui aurait été réalisée lors
de la cession des titres existant avant l’opération d’échange, si cette dernière n’avait
pas eu lieu » (pt. 47).
70. Cette vision prospective était d’autant plus concevable qu’à la lecture
des commentaires officiels des six premières décisions rendues par le
630
juge constitutionnel au sujet des discriminations à rebours, les sages
de la rue Montpensier au fil des six premières décisions rendues en la
matière, il semblait ressortir qu’en cas de « discrimination à rebours
chimiquement pures »2785 le juge constitutionnel censurait
automatiquement le dispositif fiscal litigieux pour atteinte au principe
d’égalité; et en cas de « discriminations chimiquement
impures »2786, le dispositif fiscal litigieux serait constitutionnel .
72. En somme, bien que la Cour de justice considère que les éventuelles
situations de discriminations à rebours induites ne sont pas proscrites
par le droit supranational et qu’il appartient au pays concerné d’y
remédier par voie législative (Voir en ce sens CJCE 16-6-1994 aff.
132/93 Steen), il reste tout de même que cette jurisprudence
européenne déclare parfois injustifié le refus des autorités fiscales
nationales d’appliquer la directive fusions à une restructuration
réalisée entre deux entreprises nationales (CJCE 17 juillet 1997, aff.
28/95. Leur-Bloem). De ce fait, et comme le précise avec justesse Jean-
Yves Mercier, au regard du droit de l’Union européenne, la messe
n’est sans doute pas dite : « en signant cette directive, les Etats membres ont
donc nécessairement reconnu que les prescriptions qu’elle contient pour assurer la
neutralité des fusions représentent un socle commun aux opérations internes et aux
opérations transfrontalières. En effet au nom de quelle logique le standard de la
directive, établi pour éviter la pénalisation des opérations relevant de cette dernière
catégorie, aurait constitué entre leurs mains un instrument les autorisant à
favoriser ces mêmes opérations au détriment des opérations internes ? » (FR n°
23/20, p. 42).
2785 Une discrimination à rebours chimiquement pure concerne une hypothèse dans laquelle
la situation nationale est moins ben traitée que la situation intra-européenne (N° 2015-520
QPC du 3 février 2016 Metro Holding ; N° 2016-553 QPC du 8 juillet 2016 Société Natixis ; N°
2017-660 QPC du 6 octobre 2017, SOPARFI)
2786 Une discrimination à rebours chimiquement impure concerne une hypothèse dans
laquelle la situation extra-européenne était moins bien traitée que les situations nationales
ou intra-européennes (N° 2016-615 QPC du 9 mars 2017, Époux V ; N° 2018-699 QPC du
13 avril 2018, Société Life Sciences Holdings France ; N° 2019-813 QPC du 15 novembre 2019, M.
Calogero G.)
631
73. On se saurait conclure nos observations sans souligner que les
tendances jurisprudentielles nationales françaises semblent, de façon
regrettable, s’orienter vers une sorte d’acceptation, par les juges, des
situations de discriminations à rebours créées du fait de l’application
du droit de l’Union européenne (Voir. M. Daudé et R. Lefebvre, FR
48/20).
75. La Cour de Luxembourg dit pour droit que : « l’article 49 TFUE doit
être interprété en ce sens qu’une société constituée selon le droit d’un État membre,
qui transfère son siège de direction effective dans un autre État membre sans que ce
transfert affecte sa qualité de société constituée selon le droit du premier État
membre, peut se prévaloir de cet article aux fins de contester le refus, dans l’autre
État membre, du report des pertes antérieures audit transfert. [Cependant, précise
la Cour, cet article] ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre qui
exclut la possibilité pour une société, qui a transféré son siège de direction effective
et, ce faisant, sa résidence fiscale dans cet État membre, de faire valoir une perte
fiscale subie, préalablement à ce transfert, dans un autre État membre, dans
lequel elle conserve son siège statutaire ».
Faits et procédure
76. AURES HOLDINGS, société de droit néerlandais ayant subi aux
Pays-Bas, une perte d’un montant de 2 792 187€ , a créé, en
632
République tchèque, une succursale, qui constitue, selon le droit
tchèque, un établissement stable de cette société dépourvu de
personnalité juridique propre et dont l’activité est imposable dans cet
État membre. Le 1er janvier 2009, la société AURES a transféré son
siège de direction effective des Pays-Bas vers la République tchèque,
tout en conservant son siège statutaire et son inscription au registre
de commerce aux Pays-Bas.
633
81. A titre de rappel, la juridiction supranationale a eu à juger qu’une
société constituée selon le droit d’un État membre, qui transfère son
siège de direction effective dans un autre État membre, sans que ce
transfert de siège affecte sa qualité de société du premier État
membre, peut se prévaloir de l’article 49 TFUE aux fins, notamment,
de mettre en cause les conséquences fiscales attachées à ce transfert
dans l’État membre d’origine (arrêt du 29 novembre 2011, National Grid
Indus, C-371/10).
634
85. La Cour de justice a toutefois déjà jugé qu’une telle différence de
traitement résultant de la législation fiscale d’un État membre au
détriment des sociétés qui exercent leur liberté d’établissement peut
être admise si elle concerne des situations qui ne sont pas
objectivement comparables ou si elle est justifiée par une raison
impérieuse d’intérêt général (arrêts : 17 juillet 2014, Nordea Bank
Danmark, C-48/13 ; 17 décembre 2015, Timac Agro Deutschland,
C-388/14).
635
90. Au final, et comme le précise explicitement la Cour, suivant en ce
sens Mme l’Avocate général (points 66 à 73 de ses conclusions), le
maintien du siège statutaire de AURES HOLDINGS aux Pays-Bas
met en relief le fait qu’elle conserve entièrement la possibilité d’une
reprise de ses activités dans ce pays. Dans une telle hypothèse, elle
pourrait faire usage de ses pertes antérieures, dès lors que ces
dernières peuvent, au regard des normes fiscales néerlandaises,
être reportées pendant neuf ans (Voir BF 5/2020, p. 6).
5-b. CAA Versailles, 23 juin 2020, n° 19VE01012, min. c/ Groupe
Lucien Barrière ; Les pertes d’une filiale européenne dont le
caractère définitif n’est pas établi ne sont pas imputables sur le
résultat du groupe
Pertes non définitives, Société mère, Filiale, Intégration fiscale,
Liberté d’établissement, liquidation, abus de droit.
Solution du juge
91. Le rapporteur public avait proposé à la Cour administrative d’appel
de Versailles de ne pas innover comme a tenté de le faire le Tribunal
administratif de Montreuil. Elle affirmait que « le dossier n’était pas le bon
pour déterminer si la jurisprudence récente de la Cour de justice devait conduire à
une remise en cause ou des amendements, sur ce point, de la décision “Sté Agapes“
du Conseil d’Etat (n°368135) fondée sur une jurisprudence “X Holding BV“
du 25 février 2010 de la Cour de justice mais qui ne reprend pas à son compte la
réserve de l’arrêt “Marks & Spencer“ (aff.446/03) relative au traitement des
pertes définitives » (RJF 10/20. C-768).
637
96. La Cour administrative d’appel choisit cependant de s’écarter de cette
approche au motif qu’au cas présent l’absence de caractère définitif
des pertes de la société belge fait obstacle à ce que les pertes soient
déduites du bénéfice réalisé par la société française mère du groupe.
638
100.Ainsi, et logiquement, ajoute-elle, « la liquidation d’une filiale après une
fusion ne suffit pas à démontrer qu’il n’y a aucune possibilité de prise en compte
des pertes dans l’État de résidence de ladite filiale […]. La liquidation pouvant
résulter du seul choix du contribuable de liquider plutôt que de céder. […] Quand
bien même toutes les autres impossibilités mentionnées au point 55 de l’arrêt
Marks & Spencer seraient le cas échéant établies, des pertes ne sauraient pour
autant être qualifiées de définitives s’il reste possible de faire valoir
économiquement ces pertes en les transférant à un tiers avant la clôture de la
liquidation ».
639
raison de pertes d’exploitation trop importantes, une cession de ses
titres n’était donc pas possible, l’acheteur n’ayant plus rien à
exploiter et l’objet limité de la société belge s’opposant à ce qu’elle
exploite un autre casino. Et dans ce contexte, la seule raison de la
vente de la filiale belge aurait été la vente de ses déficits. Or,
selon l’article 207 alinéa 3 du Code des impôts belge sur les revenus
1992, en cas de changement de contrôle d’une société belge, qui ne
répond pas à des besoins légitimes de caractère financier ou
économique, les déficits reportables de ladite société ne peuvent plus
être déduits des bénéfices futurs.
640
109.Faisant application de l’article 11 du code des impôts qui prévoit que
les transactions effectuées entre des personnes roumaines et des
personnes non-résidentes liées sont soumises aux règles applicables
en matière de prix de transfert, l’Administration fiscale roumaine a
déduit que le principe de pleine concurrence conduit à rehausser, en
droits et pénalités, la base imposable de la succursale à hauteur de
452 595 €.
Commentaires
113.Le litige au principal, qui concernait l’incidence d’une réglementation
nationale sur le traitement fiscal d’un transfert de fonds entre une
succursale établie dans un Etat membre et sa société mère établie
dans un autre Etat membre de l’Union européenne, reposait sur la
violation de la libre de circulation des capitaux et la liberté
d’établissement.
641
114.La Cour de justice, en application de sa jurisprudence Lidl Belgium (C-
414/06) recentre toutefois le litige sur le fondement exclusif de la
liberté d’établissement au motif qu’à « supposer que le régime fiscal en cause
au principal comporte des effets restrictifs sur la libre circulation des capitaux, de
tels effets seraient la conséquence inéluctable d’une éventuelle entrave à la liberté
d’établissement » (pt.19).
117.Il est avéré en l’espèce que les normes fiscales roumaines ne traitent
les succursales comme des personnes distinctes que lorsqu’elles sont
un établissement stable d’une personne morale non-résidente de telle
sorte que les revenus d’une succursale ne sont rectifiés,
conformément aux règles du prix de transfert, que si la société mère
est établie dans un autre État membre. En revanche, si la succursale
et la société mère sont établies en Roumanie, il n’est procédé à
aucune rectification des revenus.
6. Aide d’ETAT
6. TUE, 15 juill. 2020, aff. T-778/16 et T-892/16, Irlande e.a.
c/Commission européenne : Le principe de pleine concurrence
comme paramètre d’appréciation d’un avantage sélectif dans le
cadre des « rulings fiscaux » : à défaut d’un avantage sélectif établi,
un « ruling fiscal » n’est pas constitutif d’aide d’Etat
Aides d’État, Principe de pleine concurrence, Avantage fiscal
sélectif, Décisions fiscales anticipatives (Tax rulings), Décision
déclarant l’aide incompatible avec le marché intérieur et illégale et
ordonnant sa récupération.
Solution du juge
124. Le Tribunal juge que :
« Il y a lieu de considérer que […] la Commission a erronément apprécié, dans le
cadre du raisonnement principal, les dispositions du droit fiscal irlandais afférent à
l’imposition des bénéfices des sociétés non résidentes en Irlande, mais y exerçant
une activité commerciale par l’intermédiaire d’une succursale (pt.187).
[…] dans le cadre de son raisonnement principal, la Commission a conclu que les
licences de PI du groupe Apple détenues par ASI et AOE auraient dû être
attribuées aux succursales irlandaises du fait de l’absence de personnel et de
présence physique de ces deux sociétés, sans chercher à démontrer qu’une telle
attribution découlait des activités réellement effectuées par lesdites succursales
irlandaises. En outre, la Commission a déduit de cette conclusion que l’ensemble
des revenus commerciaux d’ASI et d’AOE auraient dû être considérés comme
découlant de l’activité des succursales irlandaises sans chercher à démontrer que ces
644
revenus représentaient la valeur des activités effectivement réalisées par les
succursales elles-mêmes (pt 228).
Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer comme étant fondés les arguments
invoqués par l’Irlande […] en ce qu’ils contestent les conclusions auxquelles sur le
fondement du principe de pleine concurrence, la Commission est parvenue dans le
cadre de son raisonnement principal (pt 229 ».
Faits et procédure.
125.Était en cause dans le présent litige une décision de la commission
européenne par laquelle elle avait considéré que les rulings fiscaux
adoptés par l’Irlande en faveur d’Apple Sales International (ASI) et
d’Apple Operations Europe (AOE), qui permettaient à ces dernières
de déterminer l’impôt dont elles sont redevables en Irlande sur une
base annuelle, constituent une aide au sens de l’article 107,
paragraphe 1, du traité.