Devoir de Littérature 4 Examen Oral

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MOYEN ÂGE

François Villon (1431- ?) Il est adopté à l’âge de huit ans par un prêtre
de la Sorbonne, Guillaume de Villon, dont il prend le nom. Il fait des
études de théologie et de rhétorique, devient bachelier puis docteur en
lettres. Arrêté en 1455 pour le meurtre d’un prêtre, il est pardonné. Mais
deux ans après, il est dénoncé pour un vol avec effraction et s’enfuit
après avoir écrit le Lais.
Pendant plusieurs années, il erre sur les routes de la France pour se
retrouver enfermé à Meung-sur-Loire. Libéré en octobre 1461, il rédige
son œuvre majeur, Le Testament avant de regagner Paris pour y être
emprisonné à nouveau, d’abord pour vol, puis pour s’être engagé dans
une rixe, et enfin condamné à être pendu. Dans l’attente de son
exécution, il écrit la célèbre et émouvante
Ballade des pendus (1463). En janvier 1463,
le Parlement casse la sentence et bannit Villon
pour dix ans, après quoi il disparaît sans
laisser de trace.

L’épitaphe de Villon ou la Ballade des pendus


(1463)

Frères humains, qui après nous vivez,


N'ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez, Dieu en
aura plus tôt de vous mercis. François de Montcorbier, Paris 1431 ?

Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :


Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre
De notre mal personne ne s'en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Se frères vous clamons, pas n'en devez


Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez

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Que tous hommes n'ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l'infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

La pluie nous a débués et lavés,


Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,


Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie :
A lui n'ayons que faire ne que soudre.
Hommes, ici n'a point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

La Ballade des pendus est l’un des tout derniers poèmes que nous ait
laissés Villon. Son titre exact est L’épitaphe de Villon en forme de
ballade. Et c’est bien d’une épitaphe qu’il s’agit, en effet : la sombre
vision du poète ne s’est pas réalisée, la ballade dite «des pendus» est
l’ultime message de François Villon qui va bientôt disparaître pour
toujours. Il y tient sous son regard sa vie chaotique, désordonnée,
souvent malheureuse et, du jugement porté sur elle par l’Ordre — en ses
diverses incarnations — il en appelle à la grande fraternité humaine. Car
Villon est un être du moyen âge, c’est-à-dire tout le contraire de
l’individualiste. Il ne se retranche pas de la communauté: celle de ses

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équivoques compagnons de misère ou de débauche, et, au-delà, la
grande famille humaine. Villon en appelle à ces frères humains au nom
de leur foi commune; au nom, surtout, de leur commune fragilité.

La ballade c’est une forme fixe très usitée au Moyen Âge qui s’appuie
sur trois strophes comportant les mêmes rimes et un envoi. Le même
vers revient dans chaque strophe comme un refrain « Et priez Dieu… »
Les vers en décasyllabe confèrent un rythme soutenu qui s’adapte au
sentiment d’urgence et de détresse exprimé par les condamnés. Le poète
interpelle la sensibilité du lecteur tout en dessinant une scène crue et
réelle, tout en donnant la parole à ceux qui vont mourir et qui ont
l’espoir de retrouver le pardon de Dieu à travers les prières demandées.

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LE XVI SIECLE

Louise Labé 1524 – 1566, dame intellectuelle très cultivée qui faisait
partie au XVIe siècle de l’école poétique lyonnaise. Réagissant contre
l’influence toute-puissante de Maurice Scève (1500-1560), Louise Labé,
fille des riches marchants, publie un recueil de poèmes sous le titre de
Œuvres de Louise Labé, lyonnaise (1555) scandaleux par leur
sensualisme et par leur renversement de codes poétiques : ici c’est la
femme qui aime et le motif de ses pleurs, bien souvent, elle attend au lit.
Véritable poésie féministe réclamant le droit d’exprimer une sensualité
féminine.

Baise m'encor, rebaise-moi et baise

Baise m'encor, rebaise-moi et baise ;


Donne m'en un de tes plus savoureux,
Donne m'en un de tes plus amoureux :
Je t'en rendrai quatre plus chauds que braise.

Las ! te plains-tu ? Çà, que ce mal j'apaise,


En t'en donnant dix autres doucereux.
Ainsi, mêlant nos baisers tant heureux,
Jouissons-nous l'un de l'autre à notre aise.

Lors double vie à chacun en suivra.


Chacun en soi et son ami vivra.
Permets m'Amour penser quelque folie :

Toujours suis mal, vivant discrètement,


Et ne me puis donner contentement
Si hors de moi ne fais quelque saillie.

L’œuvre de Louise Labé pratique le sonnet avec une finesse de style qui
ne semble qu’augmenter l’érotisme de son contenu. Ce sonnet, composé

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de quatre strophes, deux quatrains hétérométriques (décasyllabes et
alexandrins), et deux tercets en décasyllabes, séparés par une volte au
vers 9, obéissent à un schéma des rimes précis, rimes embrasées dans les
quatrains, plates et embrassées dans le tercet.

Dès la première strophe, nous sommes interpellés par le procédé


d’allitération dans le premier vers « Baise m’encore, rebaise-moi et
baise », le son [z] se répète tout en jouant avec la double entente du
verbe baiser. Ce vers est un préambule de ce que nous lirons par la suite
et qui est explicite au dernier vers du poème « … ne fais quelque
saillie ». Le thème, ici choisi par la poétise, c’est la fantaisie des ébats
passionnés, les pensées érotiques de l’auteure traduite en mot mais pas
en actes, car la femme par son statut social de l’époque, devait s’abstenir
de toute pensée charnelle, qui était en quelque sorte permise aux
hommes « Chacun en soi et son ami vivra » « Permets m’Amour penser
quelque folie » « Toujours suis mal, vivant discrètement ».

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LE XVIIe SIECLE

Jean de La Fontaine, 1621-1695, poète, magistrat et écrivain du


XVIIe plus connu par Les Fables que par ces contes coquins, a bénéficié
durant une longue période de la pension que le ministre Fouquet lui
versait pour ses chroniques. En 1661, après avoir organisé un bal
somptueux qui a rendu jaloux le roi Louis XIV, Fouquet est emprisonné
et accuse de corruption. Le procès commence en mars 1662 et en même
temps, commence à circuler à Paris un pamphlet signé par La Fontaine
Élégie aux Nymphes de Vaux, poème allégorique dont le but était de
défendre son ami Fouquet.

Élégie aux Nymphes de Vaux

Pour M. Fouquet

Remplissez l'air de cris en vos grottes profondes ;


Pleurez, Nymphes de Vaux, faites croître vos ondes,
Et que l'Anqueuil enflé ravage les trésors
Dont les regards de Flore ont embelli ses bords
On ne blâmera point vos larmes innocentes ;
Vous pouvez donner cours à vos douleurs pressantes :
Chacun attend de vous ce devoir généreux ;
Les Destins sont contents : Oronte est malheureux.
Vous l'avez vu naguère au bord de vos fontaines,
Qui, sans craindre du Sort les faveurs incertaines,
Plein d'éclat, plein de gloire, adoré des mortels,
Recevait des honneurs qu'on ne doit qu'aux autels.
Hélas ! qu'il est déchu de ce bonheur suprême !
Que vous le trouveriez différent de lui-même !
Pour lui les plus beaux jours sont de secondes nuits
Les soucis dévorants, les regrets, les ennuis,
Hôtes infortunés de sa triste demeure,

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En des gouffres de maux le plongent à toute heure.
Voici le précipice où l'ont enfin jeté
Les attraits enchanteurs de la prospérité !
Dans les palais des rois cette plainte est commune,
On n'y connaît que trop les jeux de la Fortune,
Ses trompeuses faveurs, ses appâts inconstants ;
Mais on ne les connaît que quand il n'est plus temps.
Lorsque sur cette mer on vogue à pleines voiles,
Qu'on croit avoir pour soi les vents et les étoiles,
Il est bien malaisé de régler ses désirs ;
Le plus sage s'endort sur la foi des Zéphyrs.
Jamais un favori ne borne sa carrière ;
Il ne regarde pas ce qu'il laisse en arrière ;
Et tout ce vain amour des grandeurs et du bruit
Ne le saurait quitter qu'après l'avoir détruit.
Tant d'exemples fameux que l'histoire en raconte
Ne suffisaient-ils pas, sans la perte d'Oronte ?
Ah ! si ce faux éclat n'eût point fait ses plaisirs,
Si le séjour de Vaux eût borné ses désirs,
Qu'il pouvait doucement laisser couler son âge !
Vous n'avez pas chez vous ce brillant équipage,
Cette foule de gens qui s'en vont chaque jour
Saluer à longs flots le soleil de la Cour :
Mais la faveur du Ciel vous donne en récompense
Du repos, du loisir, de l'ombre, et du silence,
Un tranquille sommeil, d'innocents entretiens ;
Et jamais à la Cour on ne trouve ces biens.
Mais quittons ces pensers : Oronte nous appelle.
Vous, dont il a rendu la demeure si belle,
Nymphes, qui lui devez vos plus charmants appâts,
Si le long de vos bords Louis porte ses pas,
Tâchez de l'adoucir, fléchissez son courage.
Il aime ses sujets, il est juste, il est sage ;
Du titre de clément rendez-le ambitieux :
C'est par là que les rois sont semblables aux dieux.
Du magnanime Henri qu'il contemple la vie :
Dès qu'il put se venger il en perdit l'envie.

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Inspirez à Louis cette même douceur :
La plus belle victoire est de vaincre son coeur.
Oronte est à présent un objet de clémence ;
S'il a cru les conseils d'une aveugle puissance,
Il est assez puni par son sort rigoureux ;
Et c'est être innocent que d'être malheureux.

La Fontaine a voulu donner à ce poème une forme d’élégie et pourtant,


nous reconnaissons le genre élégiaque par les confidences personnelles
et amoureuses que font les auteurs à leurs êtres aimés. Regardant celle-ci
de plus près, nous pourrions dire, que l’un des aspects qui interpelle le
plus le lecteur, c’est l’approche biographique qui fait La Fontaine de son
ami Fouquet qui se ressemble plus d’un plaidoyer que d’une déclaration
de sentiments. Toutefois, on y trouve les notes élégiaques par
l’évocation d’un bonheur enfuit qui introduit une note mélancolique et
par là l’élégiaque dans les deux premiers vers, << Remplissez l'air de
cris en vos grottes profondes ; Pleurez, Nymphes de Vaux, faites croître
vos ondes>> << Tâchez>>, <<fléchissez>> v.49 les homéotéleutes des
désinences en –ez sont utilisées ici par le poète pour se mettre en retrait
et déléguer le rôle de médiateur-témoin aux Nymphes. Ce sont les
Nymphes qui supplient sans que l’auteur paraisse s’abaisser. Ainsi, La
Fontaine prend la défense de son ami avec prudence et habileté sans
chercher à mettre sa personne en péril.

La relation triangulaire factuelle, calquée sur les schèmes de l’éloquence


judiciaire (La Fontaine était avocat), confrontait l’énonciateur
(poète/avocat), un destinataire (magistrat/Roi), une tierce personne pour
qui l’on plaide (accusé / Fouquet) et des possibles témoins (les
Nymphes), nous laisse imaginer ce qui pourrait se passer pendant le
procès réel ce jour-là. En effet, La Fontaine adopter plusieurs systèmes
de défense, il plaide coupable (v.12 et v.58) avant de se consacrer à un
éloge de la clémence.

Le choix du traitement métrique du poème fait que celui-ci nous donne


l’impression d’ampleur et de lenteur : des alexandrins et les
enjambements de phrases ralentissent le déroulement de l’action,
accentué par le fractionnement de l’énoncé par des énumérations

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XVIIIE SIÈCLE
François Marie Arouet, dit Voltaire 1694 – 1778

Entre en littérature : scolarisé chez les Jésuites, il compose ses


premiers essais poétiques; en 1716 un écrit satirique contre le Régent le
fait enfermer à la Bastille. Il commence alors une carrière littéraire
oscillant entre faveur et disgrâce. En 1726, il raille un noble ( le
chevalier de Rohan), ce qui lui coûte une bastonnade et l'exil: ce sera
l'Angleterre.
L'Angleterre: il se lie avec des personnalités  progressistes comme le
philosophe Pope et Clarke ou l'écrivain Swift. Il se passionne pour la
physique de Newton, et écrit "L'Henriade", épopée en vers.
Mme du Châtelet: de retour en France (1729), Voltaire écrit et fait
jouer des pièces de théâtre; ses essais philosophiques sont jugés
sulfureux; pour éviter la censure et la justice, il s’exile à Cirey, en Suisse
chez Mme du Châtelet, passionnée de science, qui devient sa maîtresse
et son égérie. Il écrit beaucoup : des tragédies, comme "Zaïre", des
essais, comme les "Les lettres philosophiques". De retour à Paris 1739,
il commence à rédiger ses contes philosophiques ( " Le monde comme il
va" / " Micromégas" / "Zadig" ) et sa renommée le conduit
à l'Académie française en 1746.

Les Vous et les Tu

Philis, qu’est devenu ce temps


Où, dans un fiacre promenée,
Sans laquais, sans ajustements,
De tes grâces seules ornée,
Contente d’un mauvais soupé
Que tu changeais en ambroisie,
Tu te livrais, dans ta folie,
A l’amant heureux et trompé
Qui t’avait consacré sa vie ?
Le ciel ne te donnait alors,
Pour tout rang et pour tous trésors,

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Que les agréments de ton âge,
Un cœur tendre, un esprit volage,
Un sein d’albâtre, et de beaux yeux.
Avec tant d’attraits précieux,
Hélas ! qui n’eût été friponne ?
Tu le fus, objet gracieux !
Et (que l’Amour me le pardonne !)
Tu sais que je t’en aimais mieux.

Ah ! madame ! que votre vie


D’honneurs aujourd’hui si remplie,
Diffère de ces doux instants !
Ce large suisse à cheveux blancs,
Qui ment sans cesse à votre porte,
Philis, est l’image du Temps ;
On dirait qu’il chasse l’escorte
Des tendres Amours et des Ris ;
Sous vos magnifiques lambris
Ces enfants tremblent de paraître.
Hélas ! je les ai vus jadis
Entrer chez toi par la fenêtre,
Et se jouer dans ton taudis.

Non, madame, tous ces tapis


Qu’a tissus la Savonnerie,
Ceux que les Persans ont ourdis,
Et toute votre orfèvrerie,
Et ces plats si chers que Germain
A gravés de sa main divine,
Et ces cabinets où Martin
A surpassé l’art de la Chine ;
Vos vases japonais et blancs,
Toutes ces fragiles merveilles ;
Ces deux lustres de diamants
Qui pendent à vos deux oreilles ;
Ces riches carcans, ces colliers,
Et cette pompe enchanteresse,

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Ne valent pas un des baisers
Que tu donnais dans ta jeunesse.

Dans son épitre Les« Vous» et les «Tu Voltaire s'adresse à sa bien-
aimée en alternant les deux pronoms vous et tu. II pouvait la tutoyer
quand elle était jeune et sans ambitions; cependant, maintenant qu'elle
est devenue une dame riche et distante, cette familiarité est impossible.
L'alternance des formes, examinée à la lumière de 1a théorie de la
politesse, nous invite à une réflexion sur les valeurs, parfois
contradictoires, de ces deux pronoms.

Le poème écrit en trois strophes composées de vers octosyllabiques et


des rimes croisées semble à un monologue ironique qui cible les fausses
apparences d’un société ancrée sur les titres. Il est curieux de constater
que le pronom sujet VOUS n’apparaît pas une seule fois dans le corps de
la pièce. Après l’avoir tutoyer en utilisant le pronoms tu, avec les
articles déterminant qui font allusion à la deuxième personne du
singulier et qui relatent d’une proximité lointaine entre Voltaire et
Philip, il ne parle d’elle qu’en faisant références aux titres dont elle
bénéficie dans sa nouvelle situation.

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XIXE SIÈCLE

Gérard de Nerval, né à Paris en 1808. Figure majeure du romantisme,


connu pour ses poèmes et ses nouvelles, dont : Les filles du feu.

Une allée du Luxembourg

Elle a passé, la jeune fille


Vive et preste comme un oiseau
À la main une fleur qui brille,
À la bouche un refrain nouveau.

C’est peut-être la seule au monde


Dont le cœur au mien répondrait,
Qui venant dans ma nuit profonde
D’un seul regard l’éclaircirait !

Mais non, – ma jeunesse est finie …


Adieu, doux rayon qui m’as lui, –
Parfum, jeune fille, harmonie…
Le bonheur passait, – il a fui !

Gérard de Nerval

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XXE SIÈCLE

Louis Aragon est un poète, romancier et journaliste français, né


probablement1 le 3 octobre 1897 à Paris, où il est mort
le 24 décembre 1982.
Avec André Breton, Tristan Tzara, Paul Éluard, Philippe Soupault, il est
l'un des animateurs du dadaïsme parisien et du surréalisme.

J'arrive où je suis étranger

Rien n'est précaire comme vivre


Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre pour le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger
Un jour tu passes la frontière
D'où viens-tu mais où vas-tu donc
Demain qu'importe et qu'importe hier
Le cœur change avec le chardon
Tout est sans rime ni pardon
Passe ton doigt là sur ta tempe
Touche l'enfance de tes yeux
Mieux vaut laisser basses les lampes
La nuit plus longtemps nous va mieux
C'est le grand jour qui se fait vieux
Les arbres sont beaux en automne
Mais l'enfant qu'est-il devenu
Je me regarde et je m'étonne
De ce voyageur inconnu
De son visage et ses pieds nus
Peu a peu tu te fais silence
Mais pas assez vite pourtant
Pour ne sentir ta dissemblance
Et sur le toi-même d'antan
Tomber la poussière du temps

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C'est long vieillir au bout du compte
Le sable en fuit entre nos doigts
C'est comme une eau froide qui monte
C'est comme une honte qui croît
Un cuir à crier qu'on corroie*
C'est long d'être un homme une chose
C'est long de renoncer à tout
Et sens-tu les métamorphoses
Qui se font au-dedans de nous
Lentement plier nos genoux
Ô mer amère ô mer profonde
Quelle est l'heure de tes marées
Combien faut-il d'années-secondes
À l'homme pour l'homme abjurer
Pourquoi pourquoi ces simagrées
Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre pour le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger

*corroyer: traiter et travailler le cuir (cf. corrosion)

Magnifique poésie d'Aragon sur le temps qui passe, la vieillesse, la mort.


C'est poignant. Les cinq vers du début sont repris à la fin:
commencement/fin, introduction/conclusion, tout est dit. le passage de
l'homme sur terre est concentré en cinq vers ! Pas de ponctuation mais
des rimes choc, des rimes chic...Des allitérations incroyables (en K pour
la dureté de notre destin: "C'est comme une honte qui croît Un cuir à
crier qu'on corroie", en T pour le martellement des secondes: " Et sur le
toi-même d'antan Tomber la poussière du Temps" et des anaphores en
veux-tu en voilà. ("c'est long", "c'est comme"). Si Aragon est parfois
hermétique, ici il est limpide.

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XXIE SIÈCLE

La Gravité par Abd Al Malik


D’origine congolaise, Abd Al Malik, de son vrai prénom Régis, est né à
Paris dans le 14e arrondissement en 1975. Sa famille retournera au
Congo pendant 4 ans pour s’installer définitivement en France, à
Strasbourg en 1982. Ses parents divorcent et sa vie prend un autre
tournant. Abd Al Malik est élevé par sa mère avec ses six frères et sœurs
et il commence à plonger dans la délinquance puis dans un activisme
religieux au bord de l’extrémisme. Il mène en réalité une double vie car
ses études sont brillantes en philosophie et lettres classiques à
l’université des sciences humaines de Strasbourg et sa carrière artistique
a déjà démarré à travers son groupe de rap, N.A.P., dont il est le leader.

Adepte du soufisme, il se tourne enfin vers un message de paix,


d’ouverture et de tolérance qu’il veut diffuser à la « grande famille de
l’humanité ». Il sort en 2004 son premier album solo Le face à face des
cœurs et son premier ouvrage unanimement salué par la
critique Qu’Allah bénisse la France !.

Son deuxième album Gibraltar sort en 2006 et est déjà disque d’or en


décembre de la même année. Retenu parmi les 10 artistes révélation qui
ont marqué l’année musicale, Abd Al Malik est récompensé en 2006 par
le prix Constantin ainsi que par le prix Charles Cros. L’artiste est
désormais reconnu pour son travail et remporte en 2007 la Victoire de
« l’album de musiques urbaines ». Abd Al Malik sort en 2008
l’album Dante couronné d’un disque de platine. Il est lauréat de
« l’artiste interprète masculin de l’année » 2008 aux Victoires de la
musique et il remporte l’année suivante pour la seconde fois la Victoire
de « l’album de musiques urbaines ». Cet artiste infatigable décide pour
son nouvel opus sorti en novembre 2010 de se réinventer et de marier la
musique africaine à l’électro-rock.

15
Album Gibraltar !

A l’arrière-train du bus 14 comme à la remorque de la vie,


Je suis amorphe coté fenêtre les yeux assis dans le vide
A ne surtout pas me demander si la vie me considère comme un brave.
Je viens d’un lieu où chacun se complait à être grave.

Tourner en rond dans ces ruelles de la vie que même les lampadaires
n’éclairent plus.
Être baigné dans le noir et pourtant se croire dans la lumière totalement
nue.
Sortir la tête de l’eau ou se noyer dans le fantasme…
Je viens d’un lieu où chacun se complait à être grave.

Je me blesse tout le temps avec le tranchant de l’orgueil.


Je suis de ceux qui lentement deviennent leur propre cercueil.
Je suis aveuglé par des murailles de tour, je me dis :
il ne peut rien y avoir derrière ces remparts.
Je viens d’un lieu où chacun se complait à être grave.

Avoir la prétention d’être soi, on se connaît toujours trop peu.


Donner du sens, cette pensée me rend exceptionnel en ce lieu.
Provincer mon existence, il fut un temps où Paris, j’y serais allé même à
la nage.
Je viens d’un lieu où chacun se complait à être grave.

Au volant de ma Z3 bleu ciel comme aux commandes de ma vie.


Je suis les cheveux au vent de cette vie blonde que je conduis,
A me demander si je crois à la justice, je dirais que je suis heureux d’être
à ma place.
Je viens d’un lieu où rien n’est jamais vraiment grave.

Rouler à fond sur l’autoroute de la vie, tellement éclairée qu’on en perd


la vue.
Prendre son bain debout. Un problème, des solutions, n’en parlons plus.
Voir l’argent comme un moyen et non comme une fin ça calme.
Je viens d’un lieu où rien n’est jamais vraiment grave.

16
Je ne suis pas de ceux qui considère être quelqu’un parce que je suis né
avec quelque chose.
Je suis tellement égoïste que je pense plus aux autres qu’à moi, c’est
drôle.
Mais il m’arrive d’être triste et ses joues mouillées, ce sont de vraies
larmes. Même si…
Je viens d’un lieu où rien n’est jamais vraiment grave.

Avoir mal à la bourgeoisie comme Che Guevara.


Se lever chaque matin sans réellement savoir pourquoi.
Souffrir du non-sens, une maladie qui n’épargne aucun personnage.
Je viens d’un lieu où rien n’est jamais vraiment grave.
Je viens d’un lieu où chacun se complait à être grave.

La gravité. Mesdames et Messieurs.

Proposition d’exploitation de cette chanson en classe :

1) Qui est Abd Al Malik ?


-Avant l’écoute du disque, faire appel aux connaissances des élèves
pour dresser la biographie de l’artiste(1).
-Quelques éléments à pointer : ses origines (« racines » aime-t-il
dire) congolaises, son enfance dans un quartier populaire de
Strasbourg, sa conversion à l’islam à l’âge de 15 ans puis au
soufisme, ses études en lettres et philosophie, la formation du groupe
de rap NAP (New African poets) dont l’album est sorti fin 2007 et
ses deux opus solo dont Gibraltar.

2) Découverte de Gibraltar
-A l’écoute d’extraits choisis, faire émerger de premières critiques :
-Gibraltar s’inscrit-il dans un style musical précis ?

17
-Si oui, lequel ? De quels autres albums les élèves rapprocheraient-ils
Gibraltar ?

-Mettre en évidence les caractéristiques de l’album : le slam (définir


cette notion : texte poétique déclamé, scandé), les multiples
influences musicales- jazz et blues (Saigne), semples électroniques
(reprise de Sinnerman de Nina Simone dans Gibraltar), sonorités
africaines (Le grand frère), chanson française (M’effacer).
- l’orchestration acoustique, des textes réalistes et engagés.

3) La gravité
- Analyser la structure de la chanson : deux histoires se répondent
dans un jeu de miroir.
-Quel rôle jouent les deux leitmotivs ?
-Comment se répondent les strophes de chaque partie ? Analyser
l’exact parallélisme de leur construction.
-Relever dans le texte les éléments (actions, lieux…) qui permettent
d’identifier les deux milieux sociaux décrits : la banlieue, la
précarité versus la bourgeoisie, l’aisance matériel.
-Montrer que ces deux mondes semblent en opposition -
immobilisme / vitesse («Tourner en rond » / «Rouler à fond »),
obscurité / lumière (« Être baigné dans le noir » / «Tellement
éclairée») mais présentent en réalité de nombreuses similitudes :
l’enfermement dans des postures sociales figées (revenir sur la
signification des leitmotivs), la souffrance que ces attitudes
engendrent, l’aveuglement (« Je suis aveuglé par des murailles de
tour »/« Tellement éclairé qu’on en perd la vue ») et la prise de recul
tentée par les personnages (martèlement du « je » contre le « on », «
Je ne fais pas partie »), la recherche de sens.

18
-Réécouter la fin de chanson : une fois juxtaposés, quel nouveau sens
prennent les leitmotivs (quelle différence entre «tout» et «rien») ?
Ces deux “voix” n’évoquent-elles pas de la
même chose ? Pointer la liberté d’interprétation laissée par le texte.
- Conclure en amenant la notion d’universalité (chacun s’interroge
sur sa condition sociale), de relativité (chacun place la gravité où il
la voit), d’ouverture contre le repli des communautés, contre les
ghettos qui, nous rappelle-t-on, n’existent pas seulement chez les plus
pauvres.

4) Un texte littéraire :
- Mettre en évidence la forme poétique de La gravité :construction
en vers des quatrains avec des rimes essentiellement plates et un
refarin qui se répète a la fin de chaque strophe.
- Identifier les nombreux procédés stylistiques utilisés, notamment :
métaphores, antithèses néologismes, etc.
- Comment Abd Al Malik déclame-t-il son texte ? Mettre en évidence
sa diction rythmée,
mais claire, et la théâtralité de son interprétation (hésitations,
interpellation en fin de texte).

5) La mise en musique
- Quel instrument accompagne la voix d’Abd Al Malik ? Insister sur
le dépouillement du morceau.
- Discuter de l’effet crée par ce texte seulement porté par la voix et le
piano. Évoquer le sentiment d’intimité, de proximité.

6) Discussion autour du rap.


- Comment les élèves définiraient-ils ce style ?

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Par exemple : quel rôle social et politique joue-t-il ?
Comment se caractérise-t-il musicalement ? Abd Al Malik dit à
propos de Gibraltar qu’il souhaitait : « Déconstruire dans la
forme la notion même de rap tout en restant hip hop ».

1) Analyser cette phrase en pensant aux thèmes abordés, à l’écriture


des textes, à l’orchestration entre rap, jazz et slam… Conclure sur
l’envie de décloisonner le rap, d’en dépasser les stéréotypes.

- Suite à cette discussion, une séquence pourra être consacrée à


l’analyse de la couverture médiatique de l’album : lecture de critiques
(magazines de rap, quotidiens…) pour en comparer le traitement,
d’interviews données par Abd Al Malik, etc.

2) Explorer les cultures musicales auxquelles fait référence Gibraltar


: le hiphop (Jay Z, Nas…) ; la chanson française avec Léo Ferré
qui en son temps déjà slammait La solitude ou Jacques Brel ; le
jazz de John Coltrane et Miles Davis.

3) Exercices de style
- Jouer avec La Gravité en inversant la place de certains vers, en
déconstruisant et reconstruisant les strophes.
Que remarque-t-on ? Le texte perd-il tout son sens ? Pourquoi ? -
Proposer aux élèves de construire un texte en utilisant la structure en
miroir de La Gravité. Ils tenteront d’évoquer deux situations qui
s’opposent tout en présentant de fortes similitudes (paysage
hiver/printemps…)

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- Joute oratoire improvisée : à partir de quelques vers donnés, les
élèves continuent le récit à l’oral en slammant tour à tour le temps de
quelques phrases.

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