Identité Culturelle 2
Identité Culturelle 2
Identité Culturelle 2
de Geneviève VINSONNEAU
L’identité culturelle
Ce livre passionnera tous ceux qui veulent mieux comprendre les dynamiques
enclenchées par la migration, les transferts organisés de personnes en entreprise ou encore les
nouvelles dimensions de la communication interculturelle liées à la mondialisation. La
réflexion pousse à voir, dans cet ouvrage, la notion de culture comme une sorte de limite de la
compréhension qu’on peut tenter de décrire, mais non d’expliquer. G. VINSONNEAU
annonce d’ailleurs que d’ordinaire, l’identité culturelle a un statut idéologique, politique voire
polémique plutôt que scientifique. Quand les scientifiques se risquent à manipuler cette
notion, c’est en général avec beaucoup de précaution. Parce que c’est à l’articulation du
psychologique et du sociologique que les représentations sociales doivent trouver leur
explication, cet ouvrage sera fort utile à tous ceux qui sont en quête de réponses à une
demande croissante de connaissances et d’expériences pratiques dans le domaine du
maniement des différences culturelles.
Alors que l’interculturel est devenu un thème de plus en plus traité dans ses différents
aspects, il devenait nécessaire de pouvoir clarifier les différents courants de pensée, d’opérer
une synthèse claire des travaux sur les phénomènes d’identification dans des contextes et des
situations interculturels. Car telle est bien l’ambition première de l’ouvrage de G.
VINSONNEAU : dresser un bilan synthétique des différentes recherches portant sur la
1
Pour illustrer cette tendance, cf. Une introduction aux sciences de la culture, sous la direction de F. RASTIER
et S. BOUQUET, Puf, 2002, « Formes sémiotiques ».
2
: G. VINSONNEAU, L’identité culturelle, Armand Colin, 2002. L’auteur, G. VINSONNEAU, est Présidente
de l’Association internationale de psychologie scientifique pour l’étude des contacts de cultures (AIPSECC) et
enseigne à Paris V.
3
: G. VINSONNEAU, « Les problèmes méthodologiques liés à une recherche en psychologie interculturelle »,
Psychologie française, Tome 25, 1-2, 1980 ; C. CAMILLERI et G. VINSONNEAU, Psychologie et culture :
concepts et méthodes, A. Colin, 1996 ; G. VINSONNEAU, « Appartenances culturelles et subculturelles,
inégalités sociales et variations des expressions identitaires. Etudes expérimentales réalisées parmi quelques
populations en position sociale défavorable », Doctorat d’Etat de l’Université de Paris V, 1993 ; G.
VINSONNEAU, « La relation du couple mixte entre Noirs-Africains et Françaises », Doctorat de 3ème cycle de
l’Université de Paris V, 1978 ; G. VINSONNEAU, « Les procédés en jeu dans la dérivation des modèles
familiaux chez des partenaires de couples mixtes ».
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thématique de l’identité culturelle, forte d’un apport psychologique, s’inscrivant en cela dans
le même paradigme herméneutique que C. CAMILLERI, et dont cette dernière a été l’une des
plus proches collaboratrices4.En effet, pour G. VINSONNEAU, il importe d’insister sur la
dynamique et sur les stratégies œuvrant tant dans le mécanisme conceptuel de « la » culture
que lors des processus d’identification5.
Le livre s’articule autour de trois parties dont l’objet commun est de montrer les
multiples dimensions de ce concept protéiforme qu’est « la » culture afin d’en distinguer les
influences lors des constructions identitaires. En effet, « pour comprendre les mouvements
interculturels, il semble nécessaire de s’appuyer sur une définition claire de la culture »6
compréhension préalable donc à une aperception de ce qu’est l’identité.
4
: C. CAMILLERI et G. VINSONNEAU, « Pour une approche en psychologie culturelle : contribution à l’étude
de la dynamique identitaire du jeune immigré en France », Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence,
11-12, 1987.
5
: Idem, p. 10, où il est fait allusion au livre collectif, inspiré de C. CAMILLERI, Statégies identitaires, Paris,
PUF, 1990.
6
: Ibid, p. 10.
7
: Ibid, p. 11.
8
: Ibid, p. 12.
9
: C’est à cette conception que fait allusion E. T. HALL, dans Au-delà de la culture, notamment le chapitre 6 et
les réflexions liées à la notion de contexte : « la culture joue le rôle d’un écran extrêmement sélectif entre
l’homme [la société] et le monde extérieur [l’Autre]. Dans ses nombreux aspects, la culture définit donc les
champs d’attention et les champs d’ignorance. Elle apporte ainsi une structure du monde ». Nous soulignons.
10
: G. VINSONNEAU, L’identité culturelle, Armand Colin, 2002, p. 15.
11
: Laquelle s’inspire grandement du livre de D. CUCHE, La notion de culture dans les sciences sociales, Paris,
La Découverte, 1996. S. CHEVRIER présente également une histoire du concept de culture dans Le
management des équipes interculturelles, PUF, Paris, 2000. Cf « De l’anthropologie au management
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Ainsi, resitué, recontextualisé et resaisi, elle pourra alors mieux mettre en exergue la
notion de contact, et tous les phénomènes inhérents aux situations d’interculturation lesquelles
ne doivent jamais être interprétées par le truchement d’un « programme de lecture considéré
comme systématiquement pertinent » mais plutôt dans le cadre d’une « problématique des
appartenances ». Voilà pourquoi toute problématique des appartenances est in fine une
articulation « entre la culture du groupe et la capacité individuelle à traiter les ressources
culturelles collectives »12.
C’est cette aperception dialectique de l’identité qui est ici au cœur de la démarche de
G. VINSONNEAU, aperception rompant avec une considération monolithique de la culture,
de l’identité et des relations interpersonnelles au sein d’une communauté. Ces frictions lors
des contacts13 sont d’autant plus aiguës qu’elles touchent aux représentations les plus ancrées
culturellement.
En effet, de même que les individus au sein d’une société produisent et entretiennent
des représentations stéréotypiques de l’Autre, des représentations sociales, de même trouve-t-
on les mêmes phénomènes à l’œuvre lors de contacts inter-culturels : les représentations
culturelles. Aussi, peut-on alors comprendre l’extrapolation et la pertinence du concept de
stratégies identitaires dans un contexte interculturel, dans la mesure où les différentes identités
sont alors inquiétées par la seule présence de l’Autre et de ses valeurs. Toute stratégie apparaît
comme une élaboration où l’on va faire le choix d’aspects contre d’autres. Des tensions se
matérialisent et se concrétisent particulièrement par rapport à certains éléments déterminants
lors de la genèse identitaire tels que le corps, le territoire voire la religion, les valeurs
eschatologiques… qui deviennent alors des ressources culturelles et symboliques permettant
la cristallisation identitaire tant collective qu’individuelle : la culture informe14 donc l’homme.
D’aucuns souhaitèrent alors travailler sur ces unités culturelles minimales, comme R.
NAROLL, qui définit le concept de cult-unit15 et ce afin d’établir différentes catégories
culturelles, afin de mieux comprendre les phénomènes d’interaction entre culture et
identification.
Pour l’auteur, il n’est pas de culture en soi. L’important n’est plus de déterminer les
invariants culturels qui permettent de définir l’essence du groupe (la langue, la religion, la
interculturel ». Cette approche critique de la généalogie provient de la démarche nietzschéenne instaurée lors de
la Généalogie de la morale.
12
: G. VINSONNEAU, L’identité culturelle, Armand Colin, 2002, p. 52.
13
: Idem, p. 59.
14
Au sens étymologique d’informare : donner une forme à.
15
: G. VINSONNEAU, L’identité culturelle, Armand Colin, 2002, p. 119. Par cult unit, il convient d’entendre
« une unité de population que rassemble le partage d'une langue, d'un territoire et d'une organisation politique ».
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personnalité de base…) mais de saisir que la culture et l’identité ethnique obéissent à une
règle du « bricolage » et de la « boite à outils ». Fait capital, on comprend que l’identité
ethnique se définit à la fois par ce qui est subjectivement revendiqué par l’individu et ce qui
est socialement accordé par le milieu dans lequel il opère. Ce n’est pas la différence culturelle
qui est source d’ethnicité, mais la communication culturelle qui permet de tracer des
frontières entre les groupes à travers des symboles compréhensibles à la fois par les insiders et
les outsiders. Si l’identité est un mode de catégorisation utilisé par les groupes pour organiser
leurs échanges, on comprend aussi qu’une culture particulière ne produit pas par elle-même
une identité différenciée. Celle-ci ne peut résulter que de relations avec d’autres. En explorant
cette dimension, l’ouvrage de G. VINSONNEAU participe au renforcement du domaine
d’étude que désigne le concept d’ethnicité et qui est donc celui des processus variables par
lesquels les acteurs s’identifient et sont identifiés par les autres sur la base de traits culturels
supposés dérivés d’une origine commune et mis en relief dans les interactions sociales.
L’ouvrage invite ainsi à penser cette conscience dialogique qui permet à l’individu de
mettre à distance son identité entre Moi présenté et Moi réel. L’individu peut devenir objet
pour lui-même et dans cette perspective, l’une des tâches de la recherche en sciences sociales
est d’avoir accès au récit que les individus se racontent sur ce qu’ils sont.
Pour G. VINSONNEAU, les acteurs sociaux peuvent être amenés à juger les principes
de conduite et les valeurs morales en choisissant parmi différentes « socialités divergentes ».
En psychologue, G. VINSONNEAU souligne les clivages du « moi » et les logiques
identitaires dissonantes qui en résulte. Avec elle, l’individu apparaît comme une combinatoire
d’interdépendances multiples, d’arbitrages cognitifs et d’ajustements interactifs. A sa lecture,
on croit pouvoir extrapoler en disant que la culture relève en grande partie de processus
inconscients tandis que l’identité, elle, renvoie à une norme d’appartenance, nécessairement
consciente, car fondée sur des oppositions symboliques.
16
: G. VINSONNEAU, « Socialisation et identité », Sciences humaines, n°110, Novembre 2000, p. 29.
17
: G. VINSONNEAU, Inégalités sociales et procédés identitaires, A. Colin, 1999, p. 223.
18
: J. P. CODOL, Une approche cognitive du sentiment d’identité. Information sur les sciences sociales, Sage,
20, 1, 1981.
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L’un des mérites de l’ouvrage « constructiviste » de G. VINSONNEAU, pour les
sociologues, est d’offrir un large et détaillé panorama de recherches en psychologie culturelle
d’origine anglo-saxonne, souvent largement méconnues en France. Si la psychologie a
coutume d’éclairer des procédés individuels, susceptibles de présenter des régularités, la
psychologie culturelle présentée ici s’efforce, elle, d’expliquer la spécificité des productions
des acteurs sociaux dans des contextes culturels particuliers19. L’auteur souligne ainsi qu’un
nouveau courant de recherches visant à combattre les préjugés et discriminations intergroupes
s’est développé, après la Seconde Guerre mondiale, autour des figures de W. DOISE, de T.
W. ADORNO, de M. ROKEACH et de M. SHERIF.
Ces travaux vont viser à scruter les conditions d’émergence des attitudes « racistes »
chez les enfants et adultes blancs, répertorier les incidences négatives de l’oppression raciale
subie au sein des populations minoritaires, pour penser le développement de la conscience et
de l’identification ethniques et leurs liens avec l’estime de soi et les préjugés. Dans les années
soixante, J. S. BRUNER et H. V. PERLMUTTER montrèrent l’interaction existant entre la
nationalité d’hommes d’affaires et d’universitaires, les connaissances que ces sujets étudiés
possèdent sur les autres groupes étrangers et leur tendance à élaborer des impressions
stéréotypées20.
19
: G. VINSONNEAU, « Socialisation et identité », Sciences humaines, n°110, Novembre 2000, p. 29.
20
: J. S. BRUNER et H. V. PERLMUTTER, « Compatriot and Foreigner : a study of impression. Formation in
three countries », Journal of Abnormal and Social Psychology, 22, 1957.
21
: G. VINSONNEAU, Inégalités sociales et procédés identitaires, A. Colin, 1999, p. 34.
22
: G. VINSONNEAU, Inégalités sociales et procédés identitaires, A. Colin, 1999, p. 57.
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dominé ne se réduise mécaniquement a priori à la conversion culturelle et à l’assimilation,
sans que l’épreuve de la migration ne soit d’abord celle de la souffrance et d’un système
identitaire mis à mal. Une approche qui intègrerait aussi, plus fortement encore, les apports de
ceux qui comme G. DEVEREUX, ont discuté le concept d’inconscient ethnique et aide à
mieux comprendre les nouveaux mobiles planétaires (cadres en entreprise, fonctionnaires
d’organisations supra-nationales) dont les modalités de socialisation sont différentes des sans-
papiers, des réfugiés ou des immigrés de condition précaire.
Au final, on trouvera aussi des réflexions plus générales sur des maux affectant nos
sociétés contemporaines. A propos du péril raciste, par exemple, G. VINSONNEAU
argumente que pour que la réalité des « races » (qui n’a bien entendu jamais pu être prouvée)
acquière une légitimité scientifique, il faudrait prouver que « la configuration biologique dite
raciale agit sur la totalité de l’être humain, notamment sur l’appareil psychique, la structure de
ses aptitudes, le champ de ses performances. Il faudrait prouver que cette action résulte d’un
déterminisme inexorable, les avatars psychiques de la race étant irréductibles. Il faudrait,
enfin, prouver que les configurations psychologiques se rapportent à des échelles de valeur
hiérarchisées, tout au long desquels les individus seraient définitivement rangés selon leur
race »23. L’ouvrage montre combien l’étranger est spontanément considéré comme portant
avec lui, à tout moment et en tous lieux, le tout de son système culturel.
On sera également très intéressé par les perspectives que dressent G. VINSONNEAU
autour du management interculturel. L’auteur démontre qu’étudier effets de culture et
management revient en grande partie à analyser, les processus d’interaction entre sujets
porteurs de cultures différentes aux niveaux intra-psychique (découvrant un « effet
d’acteur »), inter-personnel (un « effet de sens ») et institutionnel (un « effet de système »).
Ceci nécessite toujours le recueil de données relatives aux dimensions praxiques, affectives et
cognitives de l’activité psychologique des sujets. Dans un « jeu en triangle » bien connu des
praticiens, l’ouvrage enrichit les études sur le Soi et précise la façon dont chacun se définit
(concept de soi), se reconnaît en étant valorisé (estime de soi) et se présente tant à autrui qu’à
soi-même (présentation de soi).
Finalement, « au sein des sociétés contemporaines, pluriculturelles et pluriethniques,
le traitement de la différence est une pratique quotidienne et incontournable »24. La différence
est le moteur permettant à chaque acteur social de pouvoir catégoriser chacun des acteurs, lui-
même ainsi que les autres : « la catégorisation [est une] activité structurante : elle aboutit à
simplifier le réel, à le rendre plus compréhensible et mieux contrôlable »25. La catégorisation
sociale appelle de facto la notion de stéréotypie, et partant celle de positionnement culturel,
car « une fois reconnue, la différence ne peut qu’être prise en compte. Elle va devoir être
traitée, intégrée, dans le système cognitif nécessairement mis à l’épreuve ». Voilà pourquoi,
face à ces difficultés quotidiennement vécues, « nous développons des stratégies propres à
réduire la difficulté de la tâche que représente un tel traitement » propres à « domestiqu[er]
‘l’inquiétante étrangeté’ dont autrui est porteur » 26. Voilà pourquoi généralement, les
structures culturelles endogènes aux groupes s’inscrivent dans des logiques de valorisation
alors que celles qui sont exogènes seront plutôt inscrites dans des logiques de péjoration,
« étant donné que la fonction instrumentale de l’Autre péjoré consiste à se procurer le confort
d’une identité gratifiante aux dépens d’autrui »27.
23
: G. VINSONNEAU, Inégalités sociales et procédés identitaires, A. Colin, 1999, p. 225.
24
: Idem, p. 197.
25
: Ibid, p. 199.
26
: Ibid, p. 202.
27
: Ibid, p. 208.
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En conclusion, L’identité culturelle permet d’avoir une vision dynamique et
dialectique des phénomènes liés à la construction identitaire, laquelle se fait toujours sur le
fond de culture(s) et s’éprouve lors de contacts interculturels, lors de la découverte que je est
un autre selon la formule rimbaldienne, et de l’expérience perpétuellement inchoative de se
découvrir Soi-même comme un autre28 : car toute culture est récit, construction et transmission
de systèmes sémiotiques permettant à chacun de pouvoir se repérer dans la trame socio-
politique, et de communiquer avec l'Autre.
28
: P. RICOEUR, Soi-même comme un autre, Paris, Editions du Seuil, 1990.
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