Groupe K2 Gestion de Crise 04 - 04 - 22

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ACTIONNARIAT SALARIÉ TÉLÉTRAVAIL INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE TECHN

RESPONSABILITÉ SOCIALE D'ENTREPRISE NOUVELLES TECHNOLOGIES FISC


INTERNATIONALE DROITS LIBERTÉS FONDAMENTAUX GESTION DES RISQU
PROTECTION DES ACTIFS INFORMATIONNELS DANS L’ENTREPRISE FRAUDE
ENTREPRISE INTELLIGENCE STRATÉGIQUE TECHNIQUES D'ENQUÊTE EN MA
DE CRIMINALITÉ ORGANISÉE PRÉVENTION ET SÉCURITÉ PRIVÉE EFFECTIVI
EFFICACITÉ DE L'ÉTHIQUE JUSTICE PRÉDICTIVE INFLUENCE ART ET PATRIM
QUARTIERS MODE D’EMPLOIS PRÉPARATION MENTALE GESTION ACTIONN
SALARIÉ TÉLÉTRAVAIL INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE ACTIONNARIAT SALA
TÉLÉTRAVAIL INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE RESPONSABILITÉ SOCIALE NOU
D'ENTREPRISE NOUVELLES TECHNOLOGIES FISCALITÉ INTERNATIONALE D
LIBERTÉS FONDAMENTAUX GESTION DES RISQUES PROTECTION DES ACT
INFORMATIONNELS DANS L’ENTREPRISE FRAUDE ET ENTREPRISE INTELLIG
STRATÉGIQUE TECHNIQUES D'ENQUÊTE EN MATIÈRE DE CRIMINALITÉ NUM
ORGANISÉE PRÉVENTION ET SÉCURITÉ PRIVÉE EFFECTIVITÉ ET EFFICACITÉ
L'ÉTHIQUE JUSTICE PRÉDICTIVE INFLUENCE ART ET PATRIMOINE QUART
MODE D’EMPLOIS PRÉPARATION MENTALE GESTION ACTIONNARIAT SALA
TÉLÉTRAVAIL INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE ACTIONNARIAT SALARIÉ TÉLÉT
INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE
GROUPE RESPONSABILITÉ
DE RÉFLEXIONSOCIALE
K2 D'ENTREPRISE NO
TECHNOLOGIES FISCALITÉ INTERNATIONALE DROITS LIBERTÉS FONDAMEN
GESTION DES RISQUES PROTECTION DES ACTIFS INFORMATIONNELS DAN

Gestion de crise
L’ENTREPRISE FRAUDE ET ENTREPRISE INTELLIGENCE STRATÉGIQUE TECHN
D'ENQUÊTE EN MATIÈRE DE CRIMINALITÉ ORGANISÉE PRÉVENTION ET SÉCU
PRIVÉE EFFECTIVITÉ ET EFFICACITÉ DE L'ÉTHIQUE JUSTICE PRÉDICTIVE INF
ART ET PATRIMOINE QUARTIERS MODE D’EMPLOIS PRÉPARATION MENTA
ACTIONNARIAT SALARIÉ TÉLÉTRAVAIL INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE PLATE
RESPONSABILITÉ SOCIALE D'ENTREPRISE NOUVELLES TECHNOLOGIES F
INTERNATIONALE DROITS LIBERTÉS FONDAMENTAUX GESTION DES RIS
PROTECTION DES ACTIFS INFORMATIONNELS DANS L’ENTREPRISE FRAUD
ENTREPRISE INTELLIGENCE STRATÉGIQUE TECHNIQUES D'ENQUÊTE EN
DE CRIMINALITÉ ORGANISÉE PRÉVENTION ET SÉCURITÉ PRIVÉE EFFECT
ET EFFICACITÉ DE L'ÉTHIQUE JUSTICE PRÉDICTIVE INFLUENCE ART ET
PATRIMOINE QUARTIERS MODE D’EMPLOIS PRÉPARATION MENTALE G
ACTIONNARIAT SALARIÉ TÉLÉTRAVAIL Pilote INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE
RESPONSABILITÉ SOCIALE D'ENTREPRISE NOUVELLES TECHNOLOGIES F
Thierry Marchand
INTERNATIONALE DROITS LIBERTÉS FONDAMENTAUX GESTION DES RIS
PROTECTION
KamelDES ACTIFS
Adrouche, INFORMATIONNELS
Jean-Baptiste Aricat, Dominique DANS L’ENTREPRISE
Bellos, Corinne Chartrelle, FRAUD
ET ENTREPRISE INTELLIGENCE STRATÉGIQUE TECHNIQUES
Célimène Daudet, Vincent Laforge, Ange Loustalot, Marilise Miquel, D'ENQUÊTE E
MATIÈRE DE CRIMINALITÉ ORGANISÉE
Mélody Pelissier, Samson PRÉVENTION
Perthuisot, Claire ETSiguier
Pouzenc, Fabien SÉCURITÉ PRIVÉE
EFFECTIVITÉ ET EFFICACITÉ DE L'ÉTHIQUE JUSTICE PRÉDICTIVE INFLUEN
ART ET PATRIMOINE QUARTIERS MODE D’EMPLOIS PRÉPARATION MEN
GESTION ACTIONNARIAT SALARIÉ TÉLÉTRAVAIL INTELLIGENCE ÉCONOM
RESPONSABILITÉ SOCIALE D'ENTREPRISE NOUVELLES TECHNOLOGIES F
INTERNATIONALE DROITS LIBERTÉS FONDAMENTAUX GESTION DES RIS
Avant-propos

Avant-propos

Nos groupes de travail essaient de rendre compte d’une idée force du K2 : la connais- de synthèse écrite par les membres du groupe laquelle doit permettre de comprendre
sance appartient à tout le monde. Malgré les raisons qui ont trop longtemps conduit le les grandes dynamiques du sujet. Elle est suivie de contributions (articles ou entretiens)
genre humain à se séparer, et à séparer les connaissances, nous pensons que les efforts confiées à des experts, français ou étrangers, mais celles-ci ont vocation à être acces-
de réflexion et de partage de professionnels issus de tous horizons dans une démarche sibles au plus grand nombre.
pluridisciplinaire permettront de retrouver de l’unité dans la connaissance et donc une
meilleure compréhension globale des choses. Telle est la démarche qu’ont entrepris les
Parce que le monde impose une approche
membres du Groupe K2 Gestion de crise.
pluridisciplinaire.
Il nous a donc semblé que cette tentative de penser le monde de façon globale nécessitait
de modifier les perspectives habituelles de la production d’une réflexion commune. L’animation d’un groupe de travail est enfin chose difficile. Cette tâche est assumée par
un Pilote dont la mission est de conduire les énergies et faire en sorte qu’elles se réu-
Il nous est apparu que le point de vue de l’expert, auquel nous sommes habitués dans ce nissent sans pour autant écraser les différences. Son rôle est donc de relier les réflexions,
genre de rapport, ne devait plus être exclusif. Un besoin croissant du citoyen de connaître les travaux des participants, trouver des équilibres et créer entre eux le lien indispen-
par lui-même se fait sentir en tout domaine. C’est la raison pour laquelle nos groupes de sable à une œuvre commune. Que Thierry Marchand, pilote de ce groupe sur la gestion
travail sont composés de spécialistes mais aussi de nombreuses personnalités qui ne dis- de crise, soit ici remercié pour ce rôle qu’il a partaitement assumé.
posent pas, a priori, de compétences particulières sur le sujet traité mais qui souhaitent
y réfléchir. Bonne lecture…

Permettre au plus grand nombre de mieux appréhender des sujets d’actualité ou de


fond nous paraît donc plus important qu’énumérer de savantes réflexions destinées à Kevin Dumoux - Jean-Michel Icard - Général Jean-Pierre Meyer - Krys Pagani
quelques spécialistes. C’est pourquoi chacun de nos rapports commence par une note Co-créateurs du Cercle K2 et membres du Collège de la gérance

2 3
Sommaire

Sommaire
07 - Casting et discernement par temps de crise..................................................................76
par François Bert - Fondateur d’Edelweiss RH et de l’Ecole du Discernement

08 - Paysage des plans de continuité d’activité & gestion de crise au niveau des
entreprises françaises.......................................................................................................................80
Avant-propos..........................................................................................................................................2 par Eric Milton - Expert en Continuité d’Activité, Fondateur d’Amaïs France

Sommaire..................................................................................................................................................4 09 - Ce que le Coronavirus nous enseigne de la Gestion et Communication de


crise...........................................................................................................................................................86
Avertissement.........................................................................................................................................6
par Laurent Vibert - Président de Nitidis
Composition du Groupe K2..............................................................................................................8
10 - Si le mot résilience vous agace, vous n’avez pas fini d’en entendre parler et voici
01 - Note de synthèse........................................................................................................................10 pourquoi .............................................................................................................................................. 92
par Christian Sommade - Délégué général du Haut comité français pour la résilience
02 - Comment l’usage de l’information stratégique peut aider en temps de crise ?
nationale
..................................................................................................................................................................... 36
par Alexandre Lanzalavi et Michel Tsimaratos 11 - Réinventer la gestion des risques et des crises : biais cognitifs et systèmes
complexes .............................................................................................................................................. 98
03 - 1. En quoi la guerre peut-elle nous éclairer sur la crise ?..........................................42
par Raphaël de Vittoris - Group crisis manager chez Michelin
2. La simulation opérationnelle assistée par l'IA pour préparer les crises futures
......................................................................................................................................................................47 12 - Le processus décisionnel : la prise de décision d’un point de vue cognitif ...... 112
par Hervé Carresse - Directeur associé du Cabinet Nitidis par Nathalie Gourdin - Conseillère en communication chez NGM Solutions

04 - L’approche globale, solution pragmatique pour la gestion de crise......................56 13 - La prise de risque dans la guerre, aujourd’hui : illusion ou réalité ? ................... 124
par Clément Launay - Officier d'état-major chez Etat-Major de l'Armée de Terre par Frédéric Jordan - Titulaire de la Chaire de tactique générale

05 - Réflexions libres sur la gestion de crise en période Covid-19................................64 14 - Management des risques et des crises ......................................................................... 130
par Gauthier Delaforge - Officier supérieur, doctorant, Ministère des Armées par Ludovic Pinganaud - Consultant - Associé chez ATRISC

06 - La crise, un temps d’action.....................................................................................................70 15 - Pilotage de crise en terre inconnue : guide, réflexion, action 2020 .........................140
par Franck Amato - Consultant en gestion de crises, MYATO Consulting par Patrick Lagadec - Directeur de recherche honoraire à l'École Polytechnique

4 5
Avertissement

Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni

Avertissement
improbation aux opinions émises dans les rapports :
ces opinions doivent être considérées comme
propres à leurs auteurs.

6 7
Composition du Groupe K2

Thierry Marchand Kamel Adrouche


Expert en management Secrétariat, Conseil
global des risques, d'Administration
Dirigeant fondateur RATP
de Caliste SAS
Pilote du Groupe

Jean-Baptiste Aricat Dominique Bellos


Chargé de mission ; chargé CEO & Founder,
de communication à la Dominique Bellos
Direction Générale de la Consulting SAS
Gendarmerie nationale

Corinne Chartrelle
Expert Police Nationale projets
Célimène Daudet
européens - Commandant
Pianiste
divisionnaire fonctionnel
de Police. Ancien Chef
adjoint de l’Office Central
de Lutte contre le Trafic des
Biens Culturels (O.C.B.C.)

Vincent Laforge Ange Loustalot

Composition du Groupe K2
Praticien Hospitalier, Chargé de mission
Hôpital de la Conception
Marseille

Marilise Miquel Mélody Pellissier


Présidente, Vice-Présidente,
Fédération des Aveyronnais Cercle K2
d'Ici et d'Ailleurs

Samson Perthuisot Claire Pouzenc


Chargé de mission Avocate

Fabien Siguier
Vice-Président Exécutif
Ressources Humaines
et Transformation,
Groupe Adisseo

8 9
Contribution 01

Introduction générale sont très difficiles, voire impossibles


à prédire. La crise est alors la phase où
Lorsqu’on envisage le thème de la crise, l’organisation peut se retrouver frappée
quel que soit le domaine abordé (public, d’incapacité face à une situation inédite
privé, etc.), la première des questions et brutale, d’origine extérieure. Le maître
porte sur la définition même du phéno- mot est ici « imprévisibilité ».
mène. Outre qu’il est souvent galvaudé
dans son utilisation « profane », il n’est pas Notons cependant que, quelle que soit sa
rare, de confondre CRISE et URGENCE. nature, la crise met en péril la réputation
Si les deux situations partagent la notion et la stabilité de l’organisation jusqu’à po-
de criticité, l’urgence se caractérise par tentiellement causer sa perte.
un risque immédiat de préjudice grave.
On retrouve bien cette notion dans la
Toutefois, si l’organisation réagit effica-

01
définition proposée sur le site gouverne-
cement face à la menace, alors l’urgence,
ment.fr : « une crise est une rupture dans le
pour grave qu’elle soit, ne constitue pas
fonctionnement normal d’une organisation
une crise.
ou de la société, résultant d’un événement
Par conséquent, une situation constitue brutal et soudain, qui porte une menace

Note de synthèse une crise dès lors que l’organisation ne


réagit pas de façon à apporter la ou les
grave sur leur stabilité voire sur leur exis-
tence-même. En raison de son caractère
réponses permettant de mettre fin à la si- brutal et soudain, l’élément déclencheur
tuation qui la frappe et qui peut lui porter appelle une réaction urgente ».
Kamel Adrouche, Jean-Baptiste Aricat, Dominique Bellos,
un préjudice.
Corinne Chartrelle, Célimène Daudet, Vincent Laforge, Cette définition nous permet également
Ange Loustalot, Thierry Marchand, Marilise Miquel, Nous pouvons en différencier deux types : d’avancer l’hypothèse qu’une crise qui
Mélody Pelissier, Samson Perthuisot,
dure plusieurs années, et dans tous les
Claire Pouzenc, Fabien Siguier • Les situations d’origines connues
cas un temps long, ne peut plus être quali-
qui ont été anticipées ou qui auraient
fiée de crise. C’est alors un nouvel état de
dû l’être (par le Risk-Management par
gestion. Si la Covid a été une crise à l’ori-
exemple), mais dont la gestion a été
gine, un an après, c’est un nouvel élément
sinon absente du moins défaillante. La
de contexte à prendre en compte.
crise se définit alors comme la phase
ultime d’une suite de dysfonctionnements Gérer les situations dont la probabili-
internes dans l’organisation ou des consé- té était assez forte pour que l'on ait eu
quences de son impréparation. le temps d'y réfléchir préalablement et
• Les situations qui, raisonnablement, de s'y préparer sérieusement suppose
10 11
Contribution 01

d’avoir la capacité d’anticiper et ainsi : tique de la prospective est soit conduite posantes de la situation, savoir précisé- Les perturbations majeures et perma-
en interne des organisations, soit en ment le résultat que l'on veut obtenir et nentes qui impactent les entreprises
• de disposer d’une structure permet-
format expédition interentreprises pour comment l’atteindre. ne sont pas des crises mais un nouveau
tant de déceler les signaux faibles indi-
élargir les points de vue et les scénarios, contexte devenu réel, annoncé depuis
quant le passage de la probabilité à la Force est toutefois de constater que
notamment au sein du Club Open Pros- longtemps (1987 – Monde VUCA). Le
certitude ; ce n’est pas toujours le cas. La cellule
pective, ou encore au Ministère de la développement des capacités humaines
• d’avoir élaboré des plans de ré- de veille, lorsqu’elle existe, est souvent
Défense qui fait appel à la Red Team. pour gérer les crises est un axe com-
ponses structurés ; orientée « business ». Les exercices ne
plémentaire aux méthodes et moyens.
• d’être entraîné au travers d’exercices C’est tout l’inverse concernant les situa- sont pratiquement jamais réalisés pour
Dans ce domaine, la connaissance de
réguliers. tions imprévisibles : on ne peut passer des motifs divers, manque de temps, de
soi comme point d'ancrage et l'équilibre
son temps à identifier toutes les menaces moyens, etc.
corps / esprit pour réduire la tension res-
En conséquence, on constate une impré- sentie sont les deux piliers d'un dirigeant
Une crise qui dure plusieurs années ne peut plus être efficace qui décide et s'adapte en perma-
paration chronique, la défaillance des
qualifiée de crise. C’est alors un nouvel état de gestion. méthodes et moyens censés permettre la nence. L’apport des neurosciences à la
Si la COVID a été une crise à l’origine, deux ans après gestion des incidents et des situations ex- capacité humaine en gestion de crise est
c’est un nouvel élément de contexte à prendre en ceptionnelles, qui de fait se transforment fondamental.
compte.

possibles, mais il n’est pas non plus accep- La connaissance de soi comme point d'ancrage, et
Les mises en situation permettent ainsi table d’être frappé d’incapacité en cas de l'équilibre corps - esprit pour réduire la tension
d’élever le niveau de réactivité en vali- crise déclarée. ressentie sont les deux piliers d'un dirigeant efficace
dant l’efficacité des procédures de ma-
Pour faire face efficacement et rapide- qui décide et s'adapte en permanence.
nagement et en renforçant le degré de
préparation de l’organisation. ment – car le décideur doit agir sous la
surveillance parfois pesante de tierces alors en crise. On déplore ainsi souvent
Le mot « crise », en grec, signifie « décision
L’utilisation d’autres outils, tels la car- parties (actionnaires, représentants du un manque certain de culture d'antici-
», « jugement », et renvoie à l’idée d’un
tographie des risques ou l’analyse pros- personnel, clients pour les entreprises pation. Celle-ci ne devrait pourtant pas
moment charnière où « ça doit se décider
pective, peut permettre d’élargir l’iden- privées, politiques et opinion publique faire défaut car toute approximation
». Ainsi, quel que soit le concept envisagé,
tification des risques probables et donc pour les autorités, médias pour tous, etc.) dans l'évaluation des menaces prévisibles
il apparait que la différence entre une si-
se préparer à un plus grand nombre de – il faut toujours, malgré les pressions et devrait être proscrite. Il s’agit en effet
tuation bien gérée et une crise qui s’enlise
scénarios. La prospective permet de pro- le stress, prendre le recul nécessaire et d’un acte de gestion stratégique dont
réside souvent dans la capacité de l’orga-
jeter une organisation ou des individus réfléchir. Le premier réflexe est souvent l’objectif essentiel consiste à protéger
nisation à prendre des décisions cohé-
dans différents scénarios d’évolution du d'agir très vite, ce qui est une erreur. Il le cœur même du métier ou de l’activité
rentes et pertinentes, ou parfois même
monde en forte rupture avec le monde faut se donner du temps pour être certain de l’organisation, qu’elle soit publique ou
simplement de décider…
actuel, sur un horizon à 20 ans. Cette pra- d'avoir bien compris les différentes com- privée.

12 13
Contribution 01

La décision à la source de la gestion de crise qu’il faut privilégier une décision efficace autres critères.
et rapide sur 70 % de données plutôt que
Aujourd’hui, les entreprises, confron- en charge de son déploiement et l’organe Le risque de prendre en considération
d’attendre d’en connaître 100 % pour
tées à des perturbations majeures, sont de contrôle qui évalue le résultat des dé- des informations fausses, erronées, voire
commencer à agir. Cette même approche
sous tension permanente. La plupart des cisions mais également la méthode appli- simplement caduques, est effectivement
prône l’action basée sur des faits réels : «
managers doivent gérer au quotidien la quée. central. S’il est toujours possible de ne
Gen-ba / Gen-butsu / Gen-jitsu » qui si-
pression d’une situation sanitaire com- pas prendre une bonne décision en se
gnifie « lieu réel, condition réelle, fait réel
Ainsi, nous pourrions partir du principe basant sur des informations vraies, une
plexe, dans un contexte économique ». Les réactions et mesures correctives ne
qu’alimentés par de bonnes informa- résolution sera automatiquement mau-
inédit et un degré d’incertitude maximal. peuvent être efficaces que si elles sont
tions et renforcés par des analyses per- vaise dans le cas contraire. Il est donc
issues d’une observation de la réalité.
Il est pourtant essentiel que les bonnes tinentes, les dirigeants vont prendre des nécessaire de mettre en place des pro-
décisions soient prises rapidement afin décisions rationnelles qui n’auront plus Il ne faut pas prendre la recherche d’ex- cédures et méthodes de vérification des
d’apporter les réponses les plus perti- qu’à être efficacement mises en œuvre – haustivité comme l’objectif de recueillir sources.
nentes, voire rassurantes, en situation de quelle que soit la situation, « normale » ou toutes les informations existantes sur
stress. « exceptionnelle » – l’expérience démon- Dépasser les contradictions est sans
un sujet donné, mais s’assurer que les
trant que ce n’est pas toujours le cas. doute la problématique la plus compli-
informations sourcées contiennent tous
Pourtant, personne ne nait avec la capa-
cité de fonctionner efficacement sous « Le plus dur, c’est de prendre des décisions
pression. Ce n’est pas inné. Acquérir quand un tiers des informations dont vous L’industrie japonaise automobile a défini une norme
cette compétence au travers de tech- disposez sont incomplètes, un tiers sont d’efficience industrielle appelée Kaizen. Un des points
niques éprouvées et de solutions spéci- contradictoires et un tiers sont fausses ». de cette méthode rappelle qu’il faut privilégier une
fiques devient un enjeu majeur. Reconnaissons à Sir Winston Churchill décision efficace et rapide sur 70% de données plutôt
un génie certain pour la punch line, no- que d’attendre d’en connaître 100% pour commencer à
Pourtant, la gestion d’une entreprise en
situation courante et en situation ex-
tamment ici, pour définir en une phrase, agir.
l’enjeu de l’information dans le processus
ceptionnelle, voire de crise, ne paraît pas
de décision. quée depuis que nous sommes submer-
comporter au premier abord de diffé- les éléments nécessaires et pertinents
gés de flux informationnels constants.
rences sensibles. En clair, pour que l’information soit un relatifs au sujet. Aujourd’hui, force est
Pour ma part, j’ai tendance à penser que
outil d’aide à la décision solide, elle doit de constater que les outils logiques pro-
Le processus de management s’appuie les contradictions ne sont souvent qu’ap-
être à la fois exhaustive, cohérente et posés valorisent surtout le nombre de
toujours sur 4 organes d’importances parentes, soit parce que l’analyse n’est
correspondre à la réalité. sources, le nombre de mots-clés, etc.,
variables mais complémentaires : l’or- pas assez approfondie pour déceler la
d’autant plus que la multiplication des
gane assurant la collecte et l’analyse des De la même façon, l’industrie japonaise cohérence derrière des éléments appa-
informations, d’une part, rassure les dé-
informations (la veille stratégique), l’or- automobile a défini une norme d’effi- remment contradictoires, soit parce que
cideurs face à la pression et, d’autre part,
gane de décision (la gouvernance quelle cience industrielle appelée Kaizen. Un les contradictions relèvent de l’erreur
rend plus difficile de remplir les deux
que soit sa forme), l’organe opérationnel des points de cette méthode rappelle d’analyse.

14 15
Contribution 01

Nous devons donc bien nous inscrire cueillir. Nous serions étonnés de voir le formations et apporte des analyses perti- voie de conséquence, le processus dé-
dans une démarche de qualité et non de nombre d’entreprises qui n’ont dévelop- nentes (sinon, il convient de s’interroger cisionnel. Tout est enjeu et nous devons
quantité : « trop d’infos tue l’info ». Dans pé aucun système d’informations ou qui sur la compétence des responsables, ce faire le « job » du mieux possible. Mais se
tous les cas, et malgré l’évolution des ignorent en avoir. Il aurait également pu qui est un autre problème !). Le dirigeant tromper ou ne pas agir ne sont tout sim-
outils de veille, il apparait qu’en plaçant s’arrêter après seulement ces quelques / décideur doit donc créer les conditions plement pas des options. C’est là que sur-
ou replaçant l’humain au centre de l’ana- mots : « le plus dur, c’est de prendre des du recueil, de l’analyse, de la diffusion et vient la pression.
lyse et l’exploitation, on peut lutter effi- décisions », car décider ou pas dépend de l’exploitation de ces véritables actifs
Ainsi, on voit bien l'importance du com-
cacement contre les conséquences liées souvent de celui qui est en position de immatériels. C’est à la gouvernance, en
portement de celui qui décide en dernier
à l’utilisation d‘informations non ou peu le faire, de la capacité du décideur à en tant que chef d’orchestre, que revient de
ressort. Il doit au fond ne pas se laisser
pertinentes. assumer les conséquences. Pourtant, la savoir créer la synthèse pour transformer
enfermer dans une conception solitaire
ces éléments disparates en véritable ins-
de l'autorité, mais, au contraire, faire
Il apparait qu’en plaçant ou replaçant l’humain au truments décisionnels.
œuvre commune et préparer sa décision
centre de l’analyse et l’exploitation, on peut lutter En situation de gestion courante, les dé- par un travail collectif. Si la décision est
efficacement contre les conséquences liées à l’utilisation cisions prises sont très majoritairement solitaire, sa construction est solidaire.
d‘informations non ou peu pertinentes. rationnelles, à défaut d’être toujours À cet égard, la pratique est aussi impor-
justes et efficaces. Pour ce faire, la gou- tante que le tempérament.
En situation de crise, évidemment, cette vernance peut en effet s’appuyer sur sa
gestion de l’information est stratégique D’aucuns pensent que « le chef doit être
problématique est d’autant plus sensible. formation, compter sur son expérience
afin que la structure se connaisse, maî- craint » : une conception peut être obso-
Toutefois, elle n’échappe pas au fonction- et disposer d’un délai suffisant pour faire
trise son environnement et anticipe les lète pour le manager d’aujourd’hui. Res-
nement normal de l’organisation. sereinement ses choix. S’ils sont erronés,
évolutions à venir. Connaître n’est pas pecté, sûrement. Mais plus que la crainte,
c’est dans la plupart des cas, à cause d’une
La mission principale d’un dirigeant est, simplement disposer de quelques infor- c'est l'adhésion de son équipe qu'il doit
analyse défaillante bien que rationnelle.
quoi qu’on en dise, de prendre des dé- mations captées par hasard ou au travers susciter. Ceci revêt une très grande im-
cisions stratégiques efficaces. Être un « de voies non structurées. Il s’agit de créer En période de tension extrême, en si- portance dans l'action quotidienne mais
bon décideur, en somme. Bon gestion- un véritable système d’informations tuation de crise, les conditions sont to- plus encore en situation de crise. Cela
naire et bon manager également bien sûr. qui, au-delà de recueillir les données, les talement différentes (enjeux cruciaux, passe principalement par la reconnais-
Notamment pour mobiliser ses équipes, vérifie et apporte une analyse permet- examens minutieux du comportement sance et l’expression de l’importance et
les ressources nécessaires et réussir le tant d’en faire des éléments de connais- par les parties prenantes, attentes de la compétence de chacun des colla-
déploiement des actions en découlant et sance stratégiques. élevées et conséquences définitives). Dès borateurs. Ainsi reconnus, ils n’auront
en contrôler les effets ». Pour conclure, le lors, sous les effets du stress, le doute aucun frein à l’expression d'apports
Ce choix volontariste ne nécessite pas
célèbre homme d’état aurait pu ajouter s’installe, la tendance à l'indécision se souvent décisifs dans l'élaboration de la
forcément la mobilisation de ressources
une condition à sa citation, celle de la renforce et notre représentation du bonne solution.
supplémentaires. En effet, chaque
nécessité d’avoir de l’information pour monde supplante le réel, perturbant pro-
organe de l’organisation recueille des in-
décider, donc d’être en capacité d’en re- fondément la capacité d’analyse et, par

16 17
Contribution 01

Le décideur au cœur du processus décisionnel À noter que ce constat tend à disqualifier spécifique, même si elle était prévue.
toutes les techniques visant à « maîtriser
La capacité à faire face en gardant l’es- L’une d’entre elles vient du sport de Bien que la production de la pensée soit
» ses pensées.
prit clair et efficace doit relever d’une haut niveau. Elle a été mise en évidence aléatoire, elle survient généralement
préparation quasi mentale s’appuyant par l'entraîneur de rugby anglais Clive La solution ? Ne pas tenter de contrôler dans une situation influencée par nos
sur une formation et des entraînements Woodward lors de la campagne réussie les pensées mais plutôt en connaître la croyances et sur ce qui nous semble vrai
solides, au plus proche « du réel ». Tou- de la Coupe du monde 2003. nature, au travers de sa propre expé- à ce moment-là. Nos croyances, souvent
tefois, si garder sa capacité de réflexion rience, puis de mettre en lumière les « plus négatives que constructives, ont ten-
L’objectif ? favoriser une prise de déci- croyances » qui les génèrent pour les éli- dance à augmenter le stress et à biaiser
et d’action en situation de stress est né-
sion efficace et la capacité à la mettre en miner ou les transformer. notre perception du vrai. Quel que soit
cessaire à une prise de décision efficace,
œuvre au bon moment. le niveau réel d’informations dont nous
elle n’est pas suffisante. Il faut également
que le décideur évite de s’isoler et évite La méthode ? Développer les pensées
la posture de l’homme providentiel ré- Moins nous aurons de croyances (ou mieux nous
constructives.
fléchissant seul et assénant ses ordres les connaitrons), plus nous diminuerons la part
du haut de sa tour d’ivoire. Si la décision Le concept ? le T-CUP, acronyme de d’incertitude dans nos décisions.
en tant que telle est un acte individuel du « Thinking Correctly Under Pressure ».

dirigeant, elle doit découler d’un travail disposons, cela entraîne une diminution
Le principe ? Sous pression, les pensées Une pensée est une phrase écrite par le
d’analyse et d’une réflexion collective. plus ou moins grande de la capacité à
négatives ou polluantes s’imposent et cerveau proposant une fausse représen-
prendre la bonne décision. Connaître ses
Force est toutefois de constater que ce viennent limiter durablement et pro- tation de la réalité. Une croyance est le
croyances afin de les « sortir » de l’équa-
n’est pas toujours le cas et développer un fondément la capacité à faire des choix résultat du processus mental consistant
tion ou de maîtriser leur effet distordant
dispositif de management des crises est adaptés. Il est donc nécessaire de laisser à considérer comme une vérité une thèse
permettra de diminuer l’anxiété, de main-
complexe tant les contraintes sont fortes émerger des pensées plutôt construc- indépendamment des faits ou en l’ab-
tenir le potentiel d’analyse et donc ren-
(enjeux cruciaux, examen minutieux du tives. Se pose alors la question de savoir sence même de faits.
forcer la capacité de jugement.
comportement par les parties prenantes, comment favoriser leur émergence
Individuellement, un manager estimera
attentes élevées et conséquences défini- en temps utiles, alors que c’est assez En résumé, moins nous aurons de
qu’il faut être expert dans son domaine
tives). contre-intuitif puisque : croyances (ou mieux nous les connaî-
pour pouvoir s’engager. En conséquence,
trons), plus nous diminuerons la part d’in-
De nombreuses pistes ont été explorées • il n'y a pas de relation causale entre s’il ne se considère pas comme tel, il se
certitude dans nos décisions.
afin de développer ou d’acquérir cette une pensée et une décision ; sentira illégitime pour le faire. Collective-
compétence si particulière consistant à • il est impossible de contrôler ses ment, un comité de direction peut avoir Cette notion de croyance, bien connue
conserver sa pleine capacité de décision pensées, leur qualité et le moment où développé la croyance commune que du développement personnel et du coa-
en situation de crise. Mais rares sont elles surviennent ; l’entreprise est prête pour affronter telle ching, n’est pas absente dans l’entreprise
celles qui envisagent la question sous • on ne sait pas comment et pourquoi ou telle situation. Il n’aura alors aucune en tant que groupe de personnes ou dans
l’angle individuel autant que collectif. elles se forment. velléité à mettre en œuvre une mesure un comité de direction. Dans un environ-

18 19
Contribution 01

nement incertain et générateur de pres- résultats obtenus) d’évaluer les écarts et ne pense plus « correctement ». Il est donc niques permettant de se recentrer, de se
sion (telle qu’une crise), son impact peut identifier les (croyances) causes, puis de nécessaire sortir de ce cercle vicieux reconnecter à son cerveau dès que cet
être dévastateur. concevoir les pensées constructives né- pour réussir à penser clairement avant de état est identifié.
cessaires à la modification du processus. pouvoir penser correctement dans une
Par cette méthode, le T-CUP vise à La technique la plus simple est d’antici-
situation d’urgence immédiate.
réduire cette pression perçue et à amé- Si cette méthode n’apprend pas à pro- per au maximum ses propres réactions.
liorer la capacité de prise de décision des prement parler à prendre les bonnes En résumé, si vous pensez clairement L’objectif n’est pas de chercher à éviter à
individus. Cela permet également des décisions, elle permet de se mettre en si- et que votre attention est pleinement tout prix de se retrouver en situation de
performances constantes en supprimant tuation de pouvoir les prendre. Elle peut engagée, vous prendrez vos meilleures sidération (on ne peut pas maîtriser ses
les aléas provoqués par une mauvaise toutefois montrer ses limites dès lors décisions. C’est tout l'inverse lorsque pensées), mais d’avoir prévu une « action
prise de décision. que la situation en plus d’être critique se vous êtes distrait et que vous ressentez type » à appliquer dès qu’on se sent «
des pensées intrusives, qui peuvent se bloqué ». Certains joueurs vont relacer
Réagir correctement sous pression nécessite une solide manifester par du stress, de la frustration leurs souliers, d’autres s’asperger le
préparation basée sur un travail de fond appliqué et de la colère. visage d’eau, d’autres enfin fixer un point
dans le fonctionnement profond de la structure et des lointain. Une seule bonne solution : celle
C’est situation courante dans le sport de
personnes qui la compose. haut niveau, à laquelle s’ajoute également
qui fonctionne.

la fatigue physique parfois extrême, voire Il en est de même en groupe. L’effet de si-
double d’une contrainte en termes d’ur-
Réagir correctement sous pression né- la douleur. Pour y faire face, le prépara- dération peut saisir toute une équipe en
gence, d’immédiateté.
cessite une solide préparation basée sur teur mental des All Blacks, Gilbert Enoka, même temps. La sidération d’un joueur
un travail de fond appliqué dans le fonc- En réduisant drastiquement le temps a complété l’approche de Woodward en clé peut aussi se transmettre à ses coé-
tionnement profond de la structure et de réaction possible, la contrainte tem- s’attachant à aider ses joueurs à garder quipiers. Là encore, il s’agira de définir
des personnes qui la compose. porelle va venir perturber le processus les idées claires pour leur permettre de ce qui peut être fait, collectivement,
de « pensée correcte » en renforçant à réfléchir correctement, quel que soit le pour réussir à se recentrer sur l’objec-
L’une des solutions est de s’appuyer sur
nouveau le niveau de stress et d’anxiété. niveau de stress : un T-cup (Clearly) pré- tif : prendre les bonnes décisions, celles
la capacité aujourd’hui démontrée du
alable au T-cup (Correctly). Pour ce faire, fondées sur l’analyse et/ou le plan prévu
cerveau à accepter de nouvelles pensées Le cerveau est composé de trois parties
il a développé un certain nombre de tech- préalablement.
et à s’adapter aux circonstances. On peut : l'instinct, l'émotion et la pensée. En cas
ainsi l’exercer à analyser son propre com- d’urgence immédiate, il arrive souvent
portement afin de développer de nou- que la pensée s’arrête ou déborde de né-
velles formes de réponse. gativité. S’installe alors un cercle vicieux
où instinct et émotion réduisent la capa-
Il est ainsi possible au travers d’un tableau
cité à saisir les indices et les informations
(intégrant les circonstances, les pensées
et donc la capacité à prendre de bonnes
générées, les émotions qui en résultent,
décisions. C’est l’effet de sidération. On
les actions qui en découlent et enfin les

20 21
Contribution 01

La communication de crise, oui, mais… sans attendre aucune réaction et réagis- menées. Il ne faut en aucun cas critiquer
sant de façon totalement imprévisible, ou dévaluer la personne qui aurait fait
Face à la crise, on retrouve constamment La troisième est de ne pas prendre en donc impossible à anticiper. part d’une inquiétude sans fondement
les mêmes mauvais réflexes de la part des compte l’évolution des canaux de diffu- au risque de « refroidir » toute volonté de
décideurs qu’ils soient publics (adminis- sion de la crise causée par la nécessité La première étape consiste à identifier les
partage.
tration, ministère) ou privés (entreprise, absolue pour les journalistes (de moins sources potentielles de crise. Cela s’ef-
personnalité) en raison d’une déstabili- en moins formés) de « garder l’antenne » fectue au travers d’une réunion dite « de En cas de survenance d’une crise, la réac-
sation émotionnelle brutale. Ce « choc » et l’explosion des vecteurs de communi- confiance » avec l’ensemble des protago- tion à avoir en priorité est « STOP AND
cause la perte de moyens malgré l’expé- cation individuels et viraux que sont les nistes. Elle vise à répondre aux questions THINK », quitte à déplacer ou annuler
rience et une habituelle maîtrise, com- réseaux sociaux et autres influenceurs. « qu’est-ce qui vous empêche de dormir ? une réunion, à mettre en suspend une dé-
promet une gestion de crise efficace mais » ou « quelle situation pourrait être la pire cision ou une action.
Face à cela, il convient d’éviter de « mourir pour vous ? ». Les réponses sont toutes
surtout favorise les erreurs et les fautes
guéri » ou de devoir capituler avant Au final, il convient également de bien
de communication. valables et peuvent même relever de l’in-
même d’avoir pu « combattre » dans un garder en tête que, si une crise mal gérée
time.
La principale faute est « le déni ». En effet, environnement international globalisé ne sera jamais sauvée par la communica-
quel que soit le niveau de compétence, où l’opinion n’aura pas la même réaction
c’est souvent la première, et souvent ici que là-bas ou qu’ailleurs encore. Il ne faut en aucun cas critiquer ou dévaluer la personne
durable, réaction face à la crise. Il est qui aurait fait part d’une inquiétude sans fondement au
majeur de lutter contre ce sentiment et
La quatrième est de négliger le dévelop-
risque de « refroidir » toute volonté de partage.
pement de la judiciarisation des situa-
de donner à une situation l’importance
tions, avec, en corollaire, le décalage de La deuxième étape doit permettre de tion, aussi bonne soit-elle, une communi-
qui est la sienne. Ni plus, ni moins.
plus en plus pénalisant entre le temps préparer les éléments de langage corres- cation mal maîtrisée peut durablement et
Trois règles d’or doivent donc être stric- médiatique et le temps judiciaire. pondant à chaque situation identifiée afin définitivement compromettre la réussite
tement appliquées : d’avoir une réelle capacité de réponse de toutes les mesures de traitement dé-
Ainsi, des propos efficaces sur le plan
car l’incident ou la révélation ne pourra ployées
• Ne pas nier la crise. de la communication peuvent se révéler
rester indéfiniment confidentielle.
• Ne jamais mentir, mais ne pas tou- dramatiques sur le plan juridique (recon- La communication de crise ne peut être
jours dire toute la vérité. naître un fait se transforme en recon- La troisième étape est de mettre en place efficace que si l’ensemble des acteurs
• Faire preuve d’empathie en cas de naître une responsabilité). une structure rapidement mobilisable concernés, directement ou indirecte-
problème. si un collaborateur ou tout membre de ment, sont formés et accompagnés avant,
Pour éviter d’arriver à cette extrémi-
l’équipe souhaite faire part d’une in- pendant et après la crise. En effet, cette
La seconde, non des moindres, est de té, la méthode à développer doit savoir
quiétude, quel que soit le sujet. L’idée, communication répond de plus en plus
considérer la communication comme s’adapter et répondre correctement aux
la plupart du temps, est de permettre à des protocoles devenus la norme dans
l’unique outil de gestion de crise valable attaques de la dictature de l’opinion qui
de vérifier le bien-fondé de la réflexion nos sociétés (communiqués de presse,
alors qu’il n’en est qu’un instrument, agit comme un tribunal populaire jugeant
et les actions qui ont peut-être déjà été interviews à la télévision, usage accru des
voire qu’un simple support. avant toute investigation, condamnant

22 23
Contribution 01

réseaux sociaux comme Twitter, etc.). • Les membres de la cellule communi- réactive en temps de crise. Il serait inté- par leur employeur. De plus, ils sont eux-
cation de la cellule de crise : les person- ressant d’ajouter à cela les influenceurs mêmes rassurés, ce qui permettra dans
Cette communication s’appuie sur des
nels constituant la cellule de communi- / associations qui, avec leurs communau- la mesure du possible d’éviter les mani-
moyens et outils de plus en plus puis-
cation ont pour rôle essentiel de suivre, tés, sont un relais efficace pour atteindre festations syndicales, démobilisations et
sants en terme d’audience, rapides en
alimenter et proposer aux cadres / di- la cible recherchée. Quant à l’interne, il pertes de confiance en l’entreprise. Les
terme de diffusion de l’information en
rigeants et à la direction de la commu- est primordial de fournir des éléments salariés doivent donc être tenus infor-
instantanée. Cela nécessite des connais-
nication des éléments communication- d’éclairage sur la crise aux salariés afin més de la vie de l’entreprise. Cela passe
sances solides sur leurs usages afin que la
nels (éléments de langage notamment). qu’ils soient informés et rassurés. Ainsi, par des newsletters, des événements
communication envers la cible soit opti-
Avant que la cellule de crise soit activée, la direction assure un maintien et un communs, etc.
male. De ce fait, les acteurs de la gestion
il convient pour ces personnes d’établir contrôle de sa communication vis-à-vis
de crise doivent se former, connaître, Il en est de même pour les autres parties
un relationnel au préalable (connais- des médias. Afin que cette direction
s’exercer, puis s’approprier l’ensemble
sance des hardskills et softskills, répar-
des outils et moyens de communication
qui les mettent en contact direct avec
tition des missions et périmètres de
La direction doit comprendre les contraintes des
travail), l’enjeu étant d’éviter des situa-
les personnes concernés par la situation journalistes, connaître les différents types de médias
tions anxiogènes – propres à la cellule
(la cible), qui peuvent le plus souvent ac- et ses interlocuteurs en « temps normal » afin d’être
de crise – pouvant compliquer les
croître les conséquences négatives de la crédible, ce qui lui permettra d’être audible et réactive
tâches déjà complexes, qui incombent
crise en cours (une sur-crise).
à chacun des personnels. Dès lors, ils
en temps de crise.
L’on peut répertorier quatre compo- doivent régulièrement suivre des for-
mations (simulations). Cela va de même soit à l’aise, les agents qui la composent prenantes. Associés, actionnaires, voire
santes amenées à s’exprimer en temps de
pour leurs remplaçants. doivent suivre des formations afin d’être les sous-traitants les plus intégrés, sont
crise :
à jour régulièrement, mais aussi être également très concernés et pourraient,
• La direction de la communication :
• Les cadres / dirigeants : premiers in- par leur actions et communication, servir
dotés de compétences spécifiques né-
la direction de la communication est en
terlocuteurs médiatiques, ils incarnent la cause ou, dans le cas contraire, la des-
cessaire à leurs missions.
première ligne car elle traite avec l’exté-
physiquement et moralement la struc- servir par des prises de parole non coor-
rieur (communication institutionnelle : • Les salariés et les autres parties pre-
ture qu’ils représentent et sont amenés données.
cible, public, médias) et en interne (com- nantes internes : premiers concernés
à prendre des décisions au quotidien.
munication interne : salariés). En ce qui lors d’une crise, les salariés véhiculent De manière globale, la gestion de la crise
Afin de les aider au mieux, il convient
concerne l’externe, elle doit répondre les valeurs de l’entreprise au quotidien. se trouve de plus en plus perturbée par
pour ces personnes de suivre des for-
aux sollicitations des médias. La direc- Ils peuvent être un relais de la commu- les fake news et la désinformation, avec
mations comme des media-training
tion doit comprendre les contraintes nication de l’entreprise auprès de leurs pour conséquence un effet déstabilisant,
dans le but de répondre « à chaud » et «
des journalistes, connaître les différents proches mais aussi des médias. En étant voire de complexification de la situation.
à froid » aux sollicitations des médias et
types de médias et ses interlocuteurs informés au quotidien de la vie de l’en- Chacune des composantes de l’organisa-
d’être en mesure d’agir en circonstance
en « temps normal » afin d’être crédible, treprise, ils sont en mesure de défendre tion touchées par la crise doit donc être
avec mesure.
ce qui lui permettra d’être audible et (si nécessaire) les actions mises en place sensibilisée et formée aux conduites à

24 25
Contribution 01

tenir dans la tempête. des signaux faibles pouvant fragiliser la Gérer la crise, c’est anticiper nécessairement les risques !
gestion de la crise en général, la commu-
Cela passe par l’acquisition des réflexes Comme l’indiquait à différentes re- tion comme étant « un mouvement de
nication en particulier.
permettant la détection et la remontée prises dans ses conférences à l’IHEDN, la pensée qui imagine ou vit d’avance un
Jean-Michel Icard, « regardez comme évènement. L’anticipation stratégique
quelque chose d’onéreux, non seulement se définit comme un idéal à atteindre,
ce qu’il vous en coute, mais ce qu’il vous un objectif dans lequel l’incertitude
en coutera pour ne pas être protégé » serait réduite et les grandes évolutions
(Demosthene), de même que le Code connues à l’avance ». Ce déficit majeur en

En France, pays de droit écrit, dont la culture est à


l’exemple du droit pénal le « flagrant délit », on attend
la réalisation de l’infraction et du dommage, puis
sa résolution alors même que, bien souvent, il était
possible de l’anticiper.

civil relatif aux contrats de société qui France de l’anticipation et donc du ren-
précise qu’une société est faite en vue seignement s’est encore révélé lors de la
de partager un bénéfice ou de profiter de crise de la Covid-19. On peut également
l’économie qui pourra en résulter. Cela si- penser, comme l’avait indiqué en son
Cette organisation, qui distingue cadre organes de gouvernance en période hors gnifie que la crise a un coût considérable temps d’autres spécialistes tel que Phi-
dirigeant et cellule de crise, est la seule crise de rappeler que la présence des di- à tous niveaux (humain, financier, répu- lippe Baumard, que la France pêche par
qui permettra une gestion profession- rigeants dans les cellules de crise inhibe tationnel, etc.) et qu’à la différence d’une un défaut majeur et structurel de pensée
nelle de la crise, protégeant la cellule de le travail de la cellule, des experts et des situation difficile, après une crise, on ne stratégique. Or, comme se plait encore
crise des interventions permanentes des sachants, déresponsabilise les véritables revient jamais au statu quo ante. une fois à le rappeler Jean-Michel Icard :
dirigeants. Cette organisation reste théo- acteurs terrain, et empêche le dirigeant de « il n’y a pas de vent favorable pour qui ne
C’est pourquoi Jean-Michel Icard insiste
rique dans de nombreuses organisations, décider à son niveau, et avec une prise de sait où aller » (Seneque).
à chaque fois sur la nécessité impérieuse
le réflexe de nombreux dirigeants étant de recul et de considération de l’environne-
d’anticiper les crises avant qu’il ne soit Au lieu d’agir au temps N-1 par le ren-
se positionner dans la cellule de crise pour ment et des parties prenantes. Il y a ici un
trop tard. Or, l’expérience prouve que seignement aux fins d’anticipation, en
répondre à leur quête de légitimité, besoin fort enjeu d’éducation et de connaissance
la fonction anticipation, et donc du ren- France notamment, pays de droit écrit,
d’en connaître sur tout et tout le temps pour les dirigeants autour de leur mission
seignement, est très largement sous dont la culture est à l’exemple du droit
pour décider, sentiment d’utilité, démons- et positionnement lors d’une crise.
développée en France malgré le Livre pénal le « flagrant délit », on attend la ré-
tration d’exemplarité. Il est du devoir des
blanc de 2008 qui avait défini l’anticipa- alisation de l’infraction et du dommage,

26 27
Contribution 01

puis sa résolution alors même que, bien missions d’enquêtes, voire comme on l’a Conclusion
souvent, il était possible de l’anticiper. vu pendant la Covid à une multiplicité de
plaintes pénales. Aujourd’hui, toute organisation doit non que soit le positionnement hiérarchique
À ce titre, on est frappé, comme l’a souvent pas se demander si elle risque de devoir de leurs membres, à leur mise en œuvre.
indiqué Jean-Michel Icard, du nombre de Nous retrouvons également cette carence faire face à une crise, mais quand elle Cette phase doit idéalement être pré-
commissions d’enquêtes qui ont pu se de l’anticipation de la crise, et souvent devra y faire face et quelle en sera la cédée par une évaluation du degré de
pencher sur toute une série invraisem- dans notre pays, dans l’anticipation de la cause. maturité de l’organisation, de l’efficacité
blable de situations « crisogènes » à la suite sortie de crise, elle-même révélatrice de des structures et du fonctionnement des
de dysfonctionnements non seulement graves dysfonctionnements. C’est aujourd’hui la principale difficulté
organes.
dans l’anticipation, mais également dans : développer la capacité de réaction au

des mesures de prévention souvent mi- La gestion de crise, un marché lucra- travers d’un dispositif de gestion de crise La clé est la planification, la préparation,

nimalistes et dans la gestion proprement tif et des schémas établis à l’avance. Les diri- l’entraînement et le débriefing continu.

dite de la crise par des mesures insensées geants des entreprises qui sont touchées En considérant diverses situations et en
Si on définit l’anticipation comme une pro-
et bureaucratiques. Ce vide intellectuel, par les crises n’ont peut-être pas porté exposant les individus à une gamme de
duction intellectuelle, difficile à matéria-
cette bureaucratie inepte dans la gestion suffisamment attention aux signaux scénarios, d'environnements et d'expé-
liser, donc à commercialiser, la gestion de
de la crise, l’absence de tout retex (retour faibles ou mis en place le dispositif de riences réalistes et solides, nous pouvons
crise, quant à elle, permet de vendre à la
d’expérience), phénomène bien français, gestion des crises idoines. élever le niveau de résistance de l’organi-
fois des formations, des prestations mais
l’absence de tout exercice préalable, un
aussi du matériel. De ce fait, anticiper la
déficit historique dans la coordination
crise revient à concurrencer la gestion de Si le dirigeant délègue et encourage, il faut que
dont la France semble s’en amuser, lors-
crise. Il suffit de renseigner le moteur de les acteurs soient également prêts à recevoir cette
qu’on emploie les vocables « une excep-
recherche d’un navigateur internet par les délégation, souvent réclamée mais rarement acceptée
tion à la française », « un pays de gaulois »
termes « gestion de crise » pour constater ensuite.
où chacun, chaque administration, chaque
une prolifération de formations : Master 2
service public n’en fait qu’à sa tête sans
en Gestion de crise, séminaire de Gestion On a l’habitude d’entendre : « à entraîne-
aucune coordination, ne peut à l’évidence sation, diminuer la sensibilité des acteurs
de crise pour RH, sensibilisation des élus ment difficile, match facile ». Il est sans
que conduire à des catastrophes. à la pression apparente et donc améliorer
par des personnels chargés de missions doute plus juste de dire : « à entrainement
la capacité de prise de décision intelli-
Tout ceci amène un grand désordre tout de sécurité (stage pour RH ou élus par solide et individualisé, match maîtrisé
gente et renforcer la qualité de la mise en
aussi bien stratégique qu’opératif. Aucune les personnels du RAID ou autres unités ». Dans cet esprit, la normalisation et la
œuvre.
pensée stratégique, aucune stratégie d’élite). Toutes ces formations génèrent formation sont impératives pour réduire

d’anticipation, et donc de renseignement, des profits et ont donc intérêt à être main- la complexité de la prise de décision et Si le dirigeant délègue et encourage,

couplée à une conduite opérationnelle tenues alors que l’anticipation n’est avant limiter l’incertitude générée par les si- il faut que les acteurs soient égale-

désordonnée, ne peut conduire qu’à une tout que fruit d’un travail intellectuel. tuations de stress. Il est ainsi important ment prêts à recevoir cette délégation,

très grande défaillance et donc à des com- d’élaborer des procédures simples mais souvent réclamée mais rarement accep-
complètes et d’exercer les équipes, quel tée ensuite. Une préparation des acteurs

28 29
Contribution 01

à cette responsabilité en gestion de crise La finalité est, en deux mots, de cultiver


semble donc complémentaire à une dé- l’agilité de l’organisation, la capacité des
marche de délégation. acteurs à exécuter leur devoir de « déso-
béiscence organisationnelle ».
Si, quel que soit le type de crise auquel
nous devons nous préparer, la formation La sociologie des organisations, et ré-
et l’entraînement forment la base de la cemment le Professeur Dupuy dans son
préparation à la gestion des situations ex- ouvrage « On ne change pas les entreprises
ceptionnelles, il convient de bien en diffé- par décret », nous rappelle que les Power-
rencier le contenu et l’objectif. point, les formations et les organigrammes

La sociologie des organisations, et récemment le


Professeur Dupuy dans son ouvrage « On ne change
pas les entreprises par décret », nous rappelle que les
powerpoint, les formations, les organigrammes, ne
suffisent pas à modifier les relations entre les acteurs.

ne suffisent pas à modifier les relations


• Dans le cas des situations « prévi-
entre les acteurs. Le sociogramme est un
sibles » : transmettre des procédures,
outil complémentaire d’organisation de la
consignes ou plans de réponses struc-
gestion de crise et permet d’influencer les
turés et apprendre à les maîtriser au
schémas de gestion de crise à anticiper.
travers d’exercices de déploiement afin
de renforcer la capacité de réaction de Ainsi, gérer une crise est plus affaire de
l’organisation face à un risque identifié. qualité managériale que de gestionnaire
• Dans le second, les crises « imprévi- (elle est nécessaire mais subséquente).
sibles » : développer le potentiel d’anti- Souvent, on estime que cette qualité est
cipation et d’adaptation des équipes sou- innée, que le management « ne s’apprend
mises à une situation imprévue et à un pas », et pourtant. Former les décideurs à
environnement incertain. Cela passe par l'exercice, difficile, de l'autorité bienveil-
le développement d’une méthode plus lante, aussi bien dans l'administration que
qu’une action. Une méthodologie fondée dans l'entreprise, est sans doute une né-
sur des processus - de veille, d’analyse, cessité devenue incontournable face aux
d’échanges, etc. - plus que sur des pro- situations complexes et à l’espace global
cédés mécaniques de mise en œuvre. d’incertitude qui est le nôtre.

30 31
Contribution 01

• Développer une culture de mesures prises préalablement pour se


Dominique Bellos transparence prémunir de tout scénario catastrophe,
CEO & Founder, Dominique Bellos Consulting SAS • Refuser le Déni faute de professionnalisme et d’anticipa-
• Ecouter les signaux faibles et ne pas tion.
tomber dans le triptyque : ne rien dire,
Le mot Crise est étymologiquement issu bâtir leurs relations avec leurs équipes La gestion de crise ne s’apprend pas en
ne rien entendre, ne rien voir.
du mot grec « Krisis » qui signifie la déci- sur la confiance. En leur donnant le « droit temps de crise. Elle ne doit pas être une
sion. L’une des principales compétences à l'erreur », ils auront invité leurs équipes option mais bien une obligation exigée de
Parmi les crises que j’ai connues et à
pour gérer une crise va être en effet l’art à prôner la libération de la parole, tou- tout Dirigeant dont dépend la gestion de
la sortie desquelles j’ai très fortement
de décider. jours dans le respect et la bienveillance l’entreprise dont il a la charge. Il faudra
contribué :
sans craindre d’être jugé, voire exclu ou donc veiller non seulement à vérifier
« C’est en période de crise que se ré-
licencié pour avoir osé dénoncer une si- • Des crises sociales en PMI comme le niveau de maîtrise que ce dirigeant
vèlent les vrais leaders » a-t-on souvent
tuation inacceptable. dans des grandes entreprises possède sur le sujet mais également à
coutume de souligner.
• Des crises conjoncturelles, dont la entretenir ce niveau et le doter en consé-
Ils auront développé une culture de l’au-
Les vrais leaders sont en effet ceux et plus forte en 2008 (50% de moins en quence d’une formation complémen-
thenticité et banni le mensonge, pour
celles qui ont la carrure et la légitimité chiffre d’affaires dans toutes les usines taire, si justifiée. L’évaluation annuelle du
éviter des situations telle que celle du «
pour décider et qui disposent générale- en moins de 3 semaines) Dirigeant devra non seulement porter
Diesel Gate » à titre d’exemple. Ils auront
ment de nombreux atouts indispensables
une belle capacité d’honnêteté, mais sans
pour une gestion optimale de la crise,
naïveté. Ils seront capables de changer le La gestion de crise ne s’apprend pas en temps de crise.
parmi lesquels :
destin d’une organisation (qui va dans le Elle ne doit pas être une option mais bien une obligation
• un excellent discernement, mur par exemple) en affrontant la vérité exigée de tout Dirigeant dont dépend la gestion de
• une belle intelligence de situations nue, en donnant la force à leurs équipes l’entreprise dont il a la charge.
de l’affronter, avant de tracer un chemin
Ils savent rassurer avec cœur et simpli- de sortie de crise.
• Des crises structurelles : rejet d’un sur ses résultats et leur niveau de perfor-
cité, avec authenticité et réalisme, mais
Mais pour cela, il leur aura fallu préalable- patron d’usine par les partenaires mance financière et opérationnelle, mais
également avec sérénité, bienveillance
ment : sociaux et les salariés, par exemple. également et surtout sur la façon dont il a
et respect. Mais ils n’en oublient pas pour
obtenu ces résultats sur le plan humain et
autant le niveau d’exigence imposé par • Savoir s’entourer
La sortie de crise, dans chacun des sur sa gestion des risques, à court, moyen
le contexte de la crise. Ils disposent par • Prôner le professionnalisme, refuser
exemples ci-dessus, n’a été possible que et long terme.
ailleurs d’un grand sens de l’Humain, car l’amateurisme
grâce aux compétences de ceux et celles
toute crise est imprégnée d’un ou plu- • Reconnaître ceux et celles qui as-
en charge de la gestion de crise et aux
sieurs facteurs humains. sument leurs responsabilités, sans les
culpabiliser aux premières secousses
Les vrais leaders auront donc pris soin de
(tout un art !)

32 33
Contribution 01

raient avec une belle assurance il y a deux Pour conclure, je voudrais citer le général
Vincent Laforge ans que le masque ne servait à rien pour Gallet, ancien commandant de la Brigade
Praticien Hospitalier, Hôpital de la Conception Marseille se protéger du covid ? « Une parfaite des sapeurs-pompiers de Paris : « Mes
droiture est la plus grande des habiletés ; quatre vertus cardinales, ma boussole,
la vérité devient un calcul et la franchise sont l’audace, l’exemplarité, le courage et
Les exercices et simulations sont indis- sions définitives, il aura au moins écouté
un moyen. » Les œuvres de Machiavel la culture générale. Car la culture géné-
pensables. Encore faut-il que les débrie- plusieurs sons de cloche.
devraient être le livre de chevet de tout rale permet de se remettre en question,
fings ne tournent pas à l’autosatisfaction
Vous pointez parfaitement l’importance manager responsable… de comprendre l’autre et de croire en
systématique. J’ai vu trop de mises en si-
qu’il y a à se donner du temps. Plus les dé- soi. » Eh oui, la gestion de crise implique
tuation polluées par la présence d’autori-
cideurs sont expérimentés, plus ce temps une vaste culture générale ! Hélas !
tés (« attention, le Préfet sera là »), non du
sera court, mais il faut se contraindre
fait de celles-ci que par l’empressement
à faire le vide dans son esprit avant de
des « petits chefs » à présenter une réalité
commencer à recevoir de multiples infor-
Je voudrais citer le général Gallet, ancien commandant
édulcorée. Un exercice est utile quand il «
mations. de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris : « Mes
merde ». Un exercice parfait n’est qu’une
quatre vertus cardinales, ma boussole, sont l’audace,
pièce de théâtre. On peut juste regretter La formation des responsables aux dif-
l’exemplarité, le courage et la culture générale. Car la
le peu d’empressement de certains hié- férents niveaux de la hiérarchie doit ap-
culture générale permet de se remettre en question, de
rarques à « soulever le tapis » pour voir ce prendre à chacun d’entre eux à suppléer
comprendre l’autre et de croire en soi. »
qu’on essaye de leur cacher. Coachés par son N+1. Il est également vital d’encou-
les responsables de la structure évaluée, rager l’autonomie de décision. Faire
monsieur le Préfet (directeur général, confiance à ses subordonnés est une des
amiral… aux choix) ne voit que ce qu’on conditions sine qua non du succès.
veut bien lui montrer et ne cherche pas à
sortir de cette confortable cécité. La réflexion sur la gestion de crise passe
nécessairement par la compréhension
Dans le même ordre d’idée, les inspec- du rôle du chef même si le terme déplait
tions, visites de site et autres sont des à certains.
évènements soigneusement préparés.
J’ai toujours admiré la naïveté de cer- En termes de communication, la langue

tains responsables pour lesquels on vient de bois est la pire des choses. Il faut avoir

de repeindre les couloirs ! Une visite l’honnêteté de reconnaître qu’en l’état

surprise peut être nettement plus pro- actuel des connaissances et en fonction

ductive surtout si ce grand chef prend la des données disponibles, on ne connait

peine de discuter avec le menu fretin ; s’il pas la réponse. Comment regarder au-

ne doit pas en tirer forcément de conclu- jourd’hui les ministres qui nous assu-

34 35
Contribution 02

Alexandre Lanzalavi
Professionnel de la communication, spécialisé
en communication d'influence et en intelligence
politique.

Michel Tsimaratos
Directeur Général Adjoint chargé des Affaires

02
Médicales et Scientifiques de l'agence de la
Biomédecine. Professeur d’Université - Praticien
Hospitalier.

La France, l’Europe et le monde, sont, comme un manque d'efficacité de nos

Comment l’usage depuis le début de la crise pandémique,


exposées à des difficultés qui hypo-
organisations, pourraient être aussi at-
tribués à un défaut d’imagination, une

de l’information thèquent l’avenir et le jour d’après. Le absence de courage et d’inventivité qui

stratégique peut aider


scepticisme et le désarroi rayonnent bride l'anticipation, et privilégie la réac-
entre désordre, contestation et émotion. tion. Il ne s'agit pas d'une chimère. Dans

en temps de crise ? Les récents évènements du Capitole, qui


se sont déroulés aux États-Unis, pre-
d'autres domaines comme les conflits
armés, nos dirigeants basent leur straté-
mière puissance économique mondiale gie sur des scénarios prédictifs grâce au
et porte-étendard de la démocratie et renseignement. C'est l’anticipation qui
du monde libre, ne font que confirmer le rend possible l’activation de solutions in-
malaise qui sillonne les pays occidentaux novantes, en phase avec les évènements.
et particulièrement les nations Euro- Anticiper c'est permettre les transfor-
péennes. Un retour à la normale après le mations nécessaires de nos ressources
Covid peut-il réellement être envisagé ? en avance sur l'agression. C'est aussi
prêter attention aux opinions éclairées
Imaginer des experts reconnus qui jouent le rôle
d'oracles.
Les impacts sociaux, économiques et po-
litiques de la grave crise sanitaire mon- Plus que des comités créés en réaction,
diale que nous vivons, souvent présentés au moment ou après l'agression, il serait

36 37
Contribution 02

pertinent de mobiliser des experts soi- autorise une lecture éclairée des boule- montrent qu’elles sont focalisées sur des l’information permet de décider, contrô-
gneusement sélectionnés, constitués en versements mondiaux et donne de l'indé- visions à court terme. Les autorités sani- ler, innover et contourner des écueils dont
réseau, et à l'abri de l'agora médiatique pendance. Dans les secteurs stratégiques taires ne semblent pas avoir tenu compte les conséquences peuvent être irréver-
pour alimenter en continu notre base de (énergie, produits de santé et industriels, du Plan pandémie et de la stratégie vacci- sibles. Une approche davantage soumise
connaissance, et ainsi ne pas être pris au composants électroniques, métaux rares, nale, publié en 2011 . 1
à l'état d’esprit qu’à une démarche pure-
dépourvu. La vertu essentielle : échapper exploitation des data, intelligence artifi- ment technique. Les décideurs, respon-
Dans ce plan, les recommandations pour
à l’improvisation ! cielle, etc.), l'indépendance c'est la survie. sables politiques, hauts fonctionnaires ou
faire face à une pandémie sont claire-
Le savoir et la connaissance protègent. chefs d’entreprise ont un intérêt direct à
ment formulées.
Connaître cultiver leurs connaissances. Adopter des
Souffrir
Sous cet angle, l'analyse froide et déta-
chée de la crise actuelle suggère que nos L'Europe souffre dans ses secteurs stra-
La direction doit comprendre les contraintes des
lacunes, en termes de vision sur l’avenir, tégiques. L’exemple des vaccins illustre journalistes, connaître les différents types de médias
proviennent d’un déficit de connais- ce point. Pour créer ses vaccins, l’Europe et ses interlocuteurs en « temps normal » afin d’être
sances stratégiques et opérationnelles. dépend d’entreprises privées. Pour les crédible, ce qui lui permettra d’être audible et réactive
Une carence qui remplace la connais- fabriquer rapidement, la plupart des res- en temps de crise.
sance par la conviction, la croyance, les sources sont à l'étranger. Le vieux conti-
Par ailleurs, en 2018, des simulations et réflexes de gestion de l’information stra-
préjugés. Des préjugés dont le défaut nent, les 27 pays de la Communauté eu-
des scénarios envisageaient un risque tégique c'est permettre la mise en place
majeur est de catalyser la fragilité et la ropéenne et ses 370 millions d’habitants
accru épidémique à l’échelle planétaire. d'une démarche d’influence. Un moyen
versatilité des annonces. La récurrence ne sont pas maîtres de leur destin. Cette
La France, comme beaucoup d'autres robuste pour partager et alimenter le
des messages versatiles est interprétée situation pose questions sur les choix
pays, n’y a pas prêté l'attention suffisante débat avec des réflexions structurées et
comme un manque de discernement. politiques et les investissements réalisés
pour se préparer. Les données existent, une vision globale. À ce sujet, les rapports
Tous les domaines sont concernés. Bou- ces dernières décennies. Quels secteurs
mais elles sont méconnues. Une sorte parlementaires pointent sans complai-
leversements géopolitiques, nouvelles ont été privilégiés ? La recherche ? La
d'inculture collective. sance l'absence de stratégie de la France2.
économies, rupture numérique et éco- santé ? Le renforcement de l’austérité
logique, etc. Le recueil d’informations économique ? Le new public manage- Il semble que l'urgence soit un peu plus
stratégiques est mis à mal. Les pseu- ment ? La dissolution progressive des po- Anticiper
perceptible au regard des effets délé-
do-experts se multiplient et se livrent litiques publiques ? Et sur quels éléments L’exploitation de l’information concerne, tères de la crise sanitaire et du risque de
des batailles d'égo, au détriment de la rationnels et informationnels ces déci- en premier lieu, les fonctions de commu- perdre la santé.
convergence de moyens. sions politiques ont été menées ? nication qui sont au cœur du processus
Sans imagination, la crise pandémique
de transformation de l’information en
Quel que soit le secteur, améliorer notre Le manque de considération des auto- isole les plus faibles et tue deux fois.
connaissance, car l’usage stratégique de
base de connaissance permet de faire rités pour des études, des décryptages 1 Document d’aide à la préparation et à la décision / plan national de prévention et de lutte "Pandémie grippale"
des choix stratégiques. Enrichir les bases portant sur des secteurs stratégiques ou [archive]. Ref doc : n° 850/SGDSN/PSE/PSN Octobre 2011. Ce plan abroge et remplace le plan national n° 150/
SGDN/PSE/PPS du 20 février 2009.
de connaissances par le renseignement l’organisation de domaines majeurs dé- 2 Nicolas Moinet : "Nous sommes en guerre économique. On ne peut pas répondre aux dynamiques de réseaux
par une simple logique de bureau".

38 39
Contribution 02

La mise en œuvre de politiques d’intelli-


gence économique, territoriale et d’in-
fluence (et même de soft power) est l’un
des maillons faibles dans notre chaîne
de performance. Une lacune qui grève le
développement de puissance pour nos
territoires et notre tissu économique. La
recherche, la production et l’animation
d’un modèle global, efficace en matière
d’intelligence économique et d’influence,
est proposé depuis longtemps.3

3 Rapport Martre de 1994, travaux de Claude Revel, déléguée interministérielle à l’IE en 2013

40 41
Contribution 03

Hervé Carresse
Directeur associé du Cabinet Nitidis

Alors que le rapport de retour d’expé- sauvegarde des intérêts sociétaux et éco-
rience du Général Richard Lizurey (télé- nomiques en jeu est un impératif qui n’a
chargeable sur le site du gouvernement) que trop tardé à être mis en œuvre.

03
ne semble pas avoir été exploité et que le
Pourquoi affirmer cette nécessaire et
gouvernement a fait appel à des cabinets
urgente territorialisation, voire munici-
privés pour préparer la gestion des tests
palisation, de la gestion de la crise sani-
et de la vaccination, certains respon-
taire ?

1. En quoi la guerre
sables et experts s’interrogent depuis le
début sur le non-déploiement des plans
1. Pour assurer une surveillance ter-
peut-elle nous éclairer
établis (pandémie, vaccination) et la
ritorialisée et localisée de l’épidémie
non-activation de l’organisation territo-

sur la crise ? riale de crise, impliquant les maires dans


leur mission de sauvegarde des popula-
1.1. Une épidémie territorialisée

Tout d’abord parce que le virus ne circule


tions en coordination avec les préfets,
pas de manière homogène sur le sol na-
de manière à agir chirurgicalement sur
tional. Les données publiées hebdoma-
une pandémie qui touche les territoires
dairement par Santé Publique France
de manière aléatoire et ainsi mettre en
(lien) lors des points épidémiologiques
place des mesures ciblées de restriction
démontrent, malgré leur caractère syn-
propres à sauvegarder localement le plus
thétique, l’aptitude des échelons décon-
d’activité économique et de lien social
centrés du Ministère de la Santé et de
possible.
la Solidarité (ARS, délégations départe-
De ce fait, remettre le maire au centre de mentales) à informer précisément les
la gestion d’une crise relevant plus que préfets et les maires sur le niveau de cir-
jamais de la sauvegarde des populations, culation géographique et les clusters de
au sens sanitaire, mais aussi au sens de la l’épidémie.

42 43
Contribution 03

1.2. Surveiller les eaux usées 1.3. Anticiper et localiser l’épidémie 2.2. Une gestion de crise trop centralisée dans leur mission de sauvegarde des po-
pulations.
Ensuite, parce que la surveillance épidé- Cette ville de 1,6 million d’habitants De fait, si le premier confinement a indé-
miologique des eaux usées comme celle chasse donc le virus à un niveau local, niablement sauvé des vies et épargné de
2.4. Libérer l’activité partout où c’est
effectuée par l’Observatoire (Obépine) voire ultra local, et s’assure ainsi une nombreux cas dans la population fran-
possible
offre une opportunité efficace d’anticiper capacité de mise en place de mesures çaise, il a eu aussi un coût élevé aux plans
les rebonds épidémiques tout en préci- ciblées et proportionnées dans les zones humain, social et économique. La mise en Dans une optique de gestion locale, les
sant une localisation qui pourrait, comme et les établissements sensibles (Ehpad, œuvre du deuxième déconfinement, mo- modalités pratiques de réouverture des
le montre l’expérience marseillaise dans écoles, collèges), tout en anticipant d’en- nolithique, déconnecté des réalités so- activités durement touchées par les res-
ce domaine, aller jusqu’au bloc d’habita- viron 7 à 15 jours la bascule de la situa- ciodémographiques a sans aucun doute trictions actuelles, tels que la restaura-
tions. De fait, les eaux usées constituent tion épidémiologique. Cette pratique in- induit un syndrome post-traumatique tion et les spectacles, pourraient ainsi
un indicateur permettant l’anticipation novante mériterait d’être certainement sur l’économie et le lien social, alourdis- être testées et évaluées. Leur réouver-
des évolutions de l’épidémie. À cette fin, étendue aux grandes agglomérations en sant l’impact de cette crise complexe, ture dans des communes à faibles densi-
Obépine analyse deux fois par semaine impliquant de manière comparable les une crise qui demeure sans précédent au tés de population et peu touchées par le
les eaux usées de 90 stations d’épuration services de secours et les ARS territoria- regard des mesures mises en œuvre pour virus deviendrait rapidement possible.
dans l’Hexagone. lement compétentes. en contrer les effets sur le système hos-
Ces réouvertures précoces, à l’échelle de
pitalier.
Cette technique prédictive a été préco- départements, de villes et de communes
2. Pour déployer une gestion de
cement utilisée à Marseille. En marge des "pilotes" auraient l’avantage de fournir
crise territorialisée et municipalisée 2.3. Une gestion de crise à territorialiser
analyses d’Obépine, les Marins Pompiers un retour d’expérience salutaire avant
de la Cité phocéenne réalisent, depuis le Or, la stratégie de gestion de crise ac- toute extension de ces mesures libéra-
2.1. Une organisation de crise histori-
mois de septembre 2020, un dosage quo- tuelle mériterait de radicalement muter toires à d’autres départements et villes
quement territoriale
tidien de la station d’épuration de la ville pour se déployer de manière locale et plus urbanisés et problématiques sur le
Conformément à l’organisation de crise chirurgicale, au plus près des situations à
et prélèvent chaque semaine 37 points plan sanitaire.
établie en France, les départements et les risques, afin de ne pas induire des effets
d’eaux usées. Ce projet, baptisé Comete
communes doivent retrouver une posi- douteux sur l’épidémie, mais certains et
(Covid Marseille Environmental Testing 3. Pour préparer de l’avenir
tion prépondérante dans le pilotage de la néfastes sur l’économie et la société. Les
Expertise), qui relève d’une grande sim-
crise actuelle afin de planifier, conduire, enjeux des mesures de contrôle de l’épi- 3.1. Une approche volontariste
plicité opérationnelle, car basé sur la
coordonner, au mieux : les mesures de démie et leurs modalités opérationnelles
surveillance des bouches d’égout jugées Cette approche territorialisée et munici-
restrictions en cas de cluster, la vaccina- sont à tailler et à moduler au grès des
stratégiques, permet d’établir quotidien- palisée de la gestion de crise sous-entend
tion des populations à risques, la reprise spécificités locales, épidémiologiques et
nement une carte des quartiers de la une anticipation volontariste des acteurs
de l’activité économique, l’entretien du sociales. C’est pour cela que les maires
ville, classés selon les niveaux de concen- économiques avec l’appui des adminis-
lien social. et leurs cellules de crise communales
tration du virus. trations et des municipalités pour mettre
doivent être impliqués dans une gestion en œuvre les mesures d’adaptation indis-
d’une crise qui, plus que jamais, s’inscrit pensables pour protéger les citoyens et

44 45
Contribution 03

garantir la reprise durable de l’activité Il faut d’ores et déjà admettre que cette
économique. La démarche locale de pilo- crise sera sans doute suivie d’autres
tage de la crise sanitaire vise le redémar- émergences infectieuses ou d’autres
rage rapide de l’économie et progressif catastrophes majeures. C’est au prix de
de la socialisation. Pour cela, elle doit se cette décentralisation et localisation

03
concrétiser dans une vision globale et systématique de la gestion des crises
durable intégrant les paramètres propres majeures et systémiques que l’on re-
à chaque collectivité. construira un avenir économique pour le
temps long et une réelle aptitude à la ré-
3.2. Une résilience des collectivités ter- silience de nos collectivités territoriales

2. La simulation
ritoriales face aux potentielles crises futures.

opérationnelle assistée
par l'IA pour préparer
les crises futures

Convenons que la situation de crise est une organisation du commandement


un état d’exception qui bouleverse le fonctionnellement standardisée mais
fonctionnement habituel d’une organisa- aussi plastique afin de s’adapter à la spé-
tion publique ou privée, d’un État, voire cificité et aux évolutions de l’événement.
jusqu’à notre écosystème planétaire
Gérer ou plutôt piloter une crise requiert
lorsque la crise est globale et systémique
donc nombre de pratiques directement
(crise financière de 2008, COVID, etc.).
transposées des usages du monde mili-
La crise comme la guerre a ses principes. taire.
La crise comme la guerre requiert une
Essayons d’y voir plus clair au travers des
stratégie, une planification, une méthode
réponses aux questions suivantes.
d’aide à la décision, un objectif de sortie
de crise clairement défini et pertinent,

46 47
Contribution 03

Vous avez dit crise ? sion et de planification qui découle direc- maîtrise et de sortie de crise entre les le niveau ultime et irradiant de la crise.
tement de la démarche de management différents protagonistes. Comme la guerre, la crise est caractéri-
Étymologiquement, le mot crise provient
des risques de l’organisation considérée. • Communication : qui veut que la sée par un "brouillard" et des "frictions"
du grec, "Κρίσις" associant les sens de
communication de crise se déploie (Clausewitz). Les phénomènes de hasard
"jugement" et de "décision". Les chinois Cependant, il existe des situations in-
de manière cohérente en direction et de désordre, générés par la situation,
utilisent l’idéogramme "Wei-ji" qui si- certaines où les cas possibles ne sont
des parties prenantes internes et en s’ajoutent alors pour augmenter l’incer-
gnifie à la fois "danger" et "opportunité". pas connus. Il s’agit des événements dits
externe, et qu’elle investisse tous les titude.
Le vocabulaire médical qualifie la crise "chaotiques" qualifiés de "cygnes noirs"
champs possibles, affrontements com-
comme la manifestation brutale d'une par Nicolas Taleb dans son ouvrage de ré- Devant cette incertitude situationnelle,
municationnels et réputationnels (TV,
maladie ou l’aggravation brusque d'un férence. Ces situations rares surprennent contraints de décider souvent dans l’ur-
radio, presse écrite et en ligne, médias
état chronique. Toutes ces significations et ont des conséquences majeures tout gence, les responsables adoptent une
sociaux, etc.).
semblent nous pousser à voir la crise en étant rationalisées, expliquées, et "rationalité limitée", c’est-à-dire un mode
• Anticipation : il s’agit là, sans doute,
comme la déstabilisation brutale, voire prédites (les informations étaient dispo- de pensée rationnel mais limité par trois
du principe majeur. Souvent cité mais
vitale, d’une organisation. Admettons nibles mais elles n’ont pas été utilisées et contraintes :
rarement explicité, ce principe repose
que toute situation de crise est une situa- comprises) a posteriori. La crise sanitaire
sur trois axes : le recueil, l’analyse, la • l’information toujours imparfaite,
tion exceptionnelle au cours de laquelle du Covid peut être considérée comme
qualification, le classement des infor- • l’impossibilité d’envisager toutes les
les repères communément admis volent entrant dans cette catégorie.
mations ; l’imagination des scénarii de solutions,
en éclats. Ce contexte hors normes, pa-
crise les plus probables et les plus dan- • l’incapacité d’analyser ces dernières
roxystique, susceptible d’affaiblir ou de Existe-t-il des principes applicables
gereux ; la planification des actions et jusqu’au bout de leurs conséquences.
mettre en jeu la survie d’une organisa- à la gestion de crise ?
des ressources requises pour faire face
tion, entraîne, dans la plupart des cas,
La guerre en France a ses principes, ceux aux scénarii critiques (fort impact et Selon Foch, les moyens réservés sont
une déstabilisation émotionnelle, une
de Ferdinand Foch : concentration des probabilité). "l’outil par excellence de gestion de l’in-
perte de rationalité, des responsables en
efforts, liberté d’action, économie des • Simplicité : qui prône la simplicité certitude". Pour le décideur avisé, la re-
charge de la structure impactée.
forces. Toute opération militaire, pour dans l’organisation et le fonctionne- cherche systématique du renseignement
Peut-on prévoir la crise ? être viable, doit les vérifier afin de garan- ment du dispositif de gestion de crise. est une pratique vertueuse contribuant
tir son effectivité au travers de la mise La simplicité dans l’action repose es- également à la réduction de l’incertitude.
D’une manière générale, on peut prévoir
en place de moyens réservés et d’une sentiellement sur l’utilisation d’une
certaines situations, via des outils tels
recherche systématique de l’information méthode d’aide à la décision permet- Comment décider ?
que les matrices de criticité très utilisées
sur l’adversaire par exemple. tant de réfléchir collectivement une si-
dans l’industrie pour évaluer l’occurrence Les militaires, pour planifier et conduire
tuation pour déterminer un objectif de
et l’impact de certains aléas. Il s’agit des Considérons que la gestion de crise a les opérations, utilisent des méthodes
sortie de crise.
situations risquées où la distribution de aussi ses principes au nombre de quatre : d’aide à la décision de complexité va-
probabilité des cas possibles est connue. Incertitude versus décision ? riable suivant l’urgence des décisions à
• Coordination : qui s’attache à syn-
Ainsi, il existe une opportunité de prévi- prendre. Toutes ces méthodes ont pour
chroniser l’ensemble des actions de La guerre peut être considérée comme
point commun la définition d’un objec-

48 49
Contribution 03

tif (effet majeur, état final recherché) à quiert un mode de management spéci- touchant les réseaux et architectures lation opérationnelle, les utilisations
atteindre. Cet objectif, le plus souvent fique qui correspond à une transposition numériques des entreprises, des collec- avérées et envisageables de la simula-
décliné sous la forme d’un verbe à l’infi- des modes d’organisation et de manage- tivités, des institutions, tion opérationnelle seront abordées au
nitif, est circonstancié dans le temps et ment des opérations militaires. Ainsi, la • les conséquences de l’aggravation travers du triptyque suivant : la simula-
l’espace avant d’être planifié en actions cellule de crise est une civilianisation du des phénomènes climatiques violents tion des scénarios de crise envisageables,
ou missions. poste de commandement militaire. tels que les crues, les inondations, les la simulation des crises antérieures, la
feux de forêt, construction, le test et la validation des
De manière très schématique, toutes ces Généralement, la cellule de crise fait
• les accidents technologiques résul- plans d’urgences d’opérateurs et de la
méthodes procèdent d’une succession de preuve d’une plasticité qui lui permet
tant de la vétusté des installations et couverture opérationnelle des SDACR
questions : d’adresser l’ensemble des événements
d’un manque de contrôle de celles-ci, (schémas départementaux d’analyse et
pouvant se présenter. Cette agilité or-
• Pourquoi ? De quoi s’agit-il ? Pour • les mouvements sociaux violents et de couverture des risques).
ganisationnelle s’appuie sur des fonc-
cerner les enjeux à l’œuvre, les scénarii organisés développant des stratégies et
tions génériques : décision, secrétariat
envisageables. tactiques quasi militaires, Simulation opérationnelle, de quoi
/ main courante, communication. Cette
• Quoi ? En vue de définir un objectif • les actions terroristes coordon- s’agit-il ?
"colonne vertébrale" de la cellule de crise
pertinent, c’est-à-dire répondant aux nées et de grande ampleur utilisant
est utilement complétée par une fonction La simulation opérationnelle assistée par
enjeux identifiés. des moyens rustiques, conventionnels,
anticipation / coordination modulaire, l’intelligence artificielle (IA) permet de
• Comment ? Où ? Quand ? Avec qui sophistiqués, spéciaux (chimique, nu-
rassemblant les expertises nécessaires représenter la réalité. Elle est donc inti-
/ quoi ? Contre qui / quoi ? Afin d’abor- cléaire, biologique),
au traitement des spécificités de la situa- mement associée à la notion de modéli-
der la mise en œuvre dans le temps et • les paralysies partielles ou totales
tion vécue. sation de reconstruction artificielle d'un
l’espaces des actions à conduire en vue pour diverses raisons des réseaux
système réel avec ses entités, ses phéno-
d’atteindre l’objectif choisi. Alors que les phases de déconfinement d’énergie ou de transports,
mènes et ses processus.
se succèdent et que notre pays sort len- • l’enjeu de réponse, de résistance, de
L’objectivation de la sortie de crise grâce tement d’une crise sanitaire et d’un confi- résilience face à l’ensemble de ces périls Il s’agit donc d’une représentation numé-
à ces méthodes permet de ne plus subir nement unilatéral de deux mois, nous est donc majeur. rique, bonifiée par l’IA, d’un modèle exis-
la crise, de sortir du processus usant et devons nous interroger sur les autres tant en recherchant un réalisme juste et
linéaire de "l’action-réaction", en hiérar- périls qui pourraient survenir à la suite En dehors de tout modèle prédictif mais suffisant permettant une immersion, un
chisant les événements et les actions de cette catastrophe mondiale et systé- dans une logique d’évaluation opération- jeu, destiné à mettre en situation certains
tout en donnant une perspective lisible à mique. nelle, en quoi la simulation opération- des protagonistes du système.
l’ensemble des acteurs. nelle assistée par l’intelligence artificielle
En nous projetant dans une perspective à Du fait du temps et des ressources dis-
pourrait bonifier et optimiser les organi-
5 ans, nous pouvons envisager : ponibles, de l’état de l’art numérique, le
Quelle organisation de crise pour sations et les plans déjà prévus à cet effet
modèle proposé offre une représentation
quelle crise ? • l’émergence de nouveaux virus mon-
et surtout permettre d’innover en vue
réaliste mais avec des limites, des imper-
d’anticiper les situations à venir ?
À la fois insolite, disruptive, critique et dialisés agressifs, fections, des aspects qui ne sont pas exac-
déstabilisante, la situation de crise re- • la multiplication des cybercrises Après avoir défini le concept de simu- tement conformes à la réalité.
50 51
Contribution 03

La simulation opérationnelle est une In fine, il s’agit de modéliser une situation mettre en scène les scénarios de crise être combiné avec d’autres événements
construction interactive de modèles qui opérationnelle de manière réaliste. envisageables en modélisant les événe- concomitants, inondations, crues, at-
deviennent de plus en plus perfectionnés ments, les acteurs, les interactions des taques, terroristes ou autres.
De manière pratique, la finesse du ré-
et réalistes au fur et à mesure du temps acteurs avec les événements déclenchés
alisme proposé dépend des données Les différents plans (pandémie, nom-
et des ressources consacrés à leur élabo- en fonction de normes fixées à l’avance,
numériques disponibles, des systèmes breuses victimes, etc.), les acteurs à
ration. correspondant à la doctrine et aux
d’information du « client » pouvant être l’œuvre (centres de vaccination, centres
normes d’engagement, liées à l’efficaci-
Aujourd’hui, elle nécessite le recours à interfacés avec le logiciel, du temps et logistiques, flux logistiques, secours,
té de leur action ou à leurs aptitudes di-
l’intelligence artificielle pour autonomi- des moyens consacrés à cette modéli- forces de sécurité, etc.) pourraient ainsi
verses comme la vitesse de déplacement,
ser et rendre réaliste le comportement sation. Pour résumer, le duo données être joués et évalués selon des configura-
le changement d’itinéraire, la capacité de
des agents implémentés. disponibles / temps de développement tions variées.
transport, les délais de mise en œuvre
est celui qui pilote le réalisme de la si-
La simulation opérationnelle propose un de leurs actions, la propagation de gaz
mulation numérique, l’important étant Rejouer les crises antérieures
modèle réaliste. Cette représentation divers, les inondations, les incendies, la
de pouvoir obtenir un modèle de jeu
peut se substituer à la réalité si l’on a bien progression des épidémies, etc. Les situations de crise antérieures, grâce
suffisamment réaliste pour en tirer des
défini au préalable son champ d'applica- à l’historique des événements et les do-
enseignements d’ordre opérationnel à la La crise sanitaire actuelle pourrait utile-
tion et l'objectif recherché. cuments relevant du retour d’expérience,
ment inciter à modéliser, dans le cadre
peuvent être « rejouées ».
d’une démarche prospective, un scenario
La simulation opérationnelle propose un modèle de pandémie à partir d’un agent infectieux Les actions / réactions consécutives à ces
réaliste. Cette représentation peut se substituer à la aux caractéristiques fixés en matière de événements sont alors modélisées afin
réalité si l’on a bien défini au préalable son champ contamination. Cette situation pourrait de capitaliser, sous la forme d’un retour
d'application et l'objectif recherché. être implémentée et appliquée à un terri- d’expérience dynamique, en rejouant la
toire donné, à sa population, aux acteurs crise afin d’adapter la réponse ou la doc-

Les champs d'application de la simulation suite d’une mise en situation des acteurs sanitaires et des secours, pendant un trine opérationnelle.

opérationnelle sont les suivants : impliqués. temps donné qui pourrait être long mais
Cette opportunité de scénarisation de
accéléré par l’horloge de la plateforme
• en amont des crises : la prospective, La simulation opérationnelle assistée par crises antérieures récurrentes est il-
de simulation opérationnelle à l’exemple
la doctrine, la formation et l'entraîne- l’IA assure donc la retranscription des lustrée par les exercices de gestion des
des possibilités offertes par la solution
ment, la planification, la préparation le comportements des acteurs et des inte- crues majeures (crue centennale de la
SYNERGY développée par MASA. Cette
test et la validation des plans ; ractions de ces acteurs avec les événe- Seine sur Paris, du fleuve Itajai à Blu-
accélération du tempo permet ainsi de «
• pendant les crises : l’anticipation et ments et les phénomènes instrumentés menau au Brésil) conduits au moyen de
jouer » une situation épidémique de 1 à 2
l'aide à la décision ; de manière réaliste et autonome. l’outil SYNERGY de MASA en 2016 (exer-
mois en 3 ou 4 jours.
• après les crises : le « rejeu » au béné- cice SEQUANA de crue centennale de

fice du retour d’expérience. Simuler les crises envisageables De plus, afin de complexifier la situa- la Seine organisé par la zone de défense
tion (le « jeu »), un tel scénario pourrait civile de l’Ile-de-France) et en 2017 (exer-
La simulation opérationnelle permet de
52 53
Contribution 03

cice d’inondation du bassin du fleuve lations opérationnelles pour construire, de réalité virtuelle propre à assurer l’ani-
Itajai à Blumenau au profit de l’ONU). tester et valider un plan d’urgence d’opé- mation de bout en bout de toute la chaîne
rateur tel que celui du Réseau Gaz de opérationnelle de ses échelons terrains à
Construire, tester, valider des dispo- Strasbourg (tous les deux ans, un exer- son échelon stratégique via ses échelons
sitifs, des plans opérationnels et de cice de gestion de crise réalisé grâce à tactiques et opératifs.
crise l’outil de simulation de MASA) offre des
possibilités considérables dans le cadre
Jusqu’à présent, la plupart des disposi-
de l’évolution des plans de secours divers
tifs opérationnels et de crise ayant fait
tout comme dans la vérification de l’ef-
appel à l’intelligence artificielle pour leur
ficience des différentes hypothèses de
élaboration l’ont fait selon une approche
couverture opérationnelle des SDACR
probabiliste et prédictive. Le champ de la
vis-à-vis des risques courants, des risques
construction, du test et de la validation
particuliers et de plans d’urgences divers
opérationnelle via une mise en situation
(PPI/POI, NOVI, etc.). La modélisation
réaliste reste donc grand ouvert et inno-
des délais d’intervention des interactions
vant tout en étant porteur de perspec-
entre les secours et les situations assure
tives pour de nombreux secteurs d’activi-
une mise en situation des modèles pré-
té : énergie, transport, sécurité publique,
dictifs.
réseaux de télécommunication, gestion
de crise, gestion de foules, etc.
Simulation opérationnelle et im-
De fait, il s’agit de construire, tester, mersion opérationnelle
valider des plans d’opérateurs, des cou-
La simulation opérationnelle assistée par
vertures opérationnelles en partant de
l’IA œuvre à l’optimisation des disposi-
modèles prédictifs ou d’hypothèses de
tifs de gestion de crise en permettant la
réponses opérationnelles. La modéli-
configuration de situations réalistes qu'il
sation de la situation opérationnelle
serait ardu de déployer en réel par l’im-
requise avec sa géographie, ses acteurs,
possibilité de mobiliser l’intégralité des
ses risques permet d’évaluer et de vérifier
moyens tout comme par l’ampleur et la
la pertinence des hypothèses et modèles
dangerosité des événements à créer.
de couverture opérationnelle envisagés
en les déroulant sur un terrain virtualisé Dans ce cadre, lors des mises en situa-
et face aux événements modélisés par un tion des cellules de crise, il apparait éga-
outil de simulation assisté par l’IA. lement opportun de compléter l’outil
simulation opérationnelle avec un outil
L’utilisation innovante des outils de simu-
54 55
Contribution 04

Clément Launay
Ancien de la Légion Étrangère, Clément est
Lieutenant-colonel breveté de l’École de guerre.
Il sert actuellement au Bureau programmation
finances de l’État-major de l’Armée de Terre.

À bien des égards, la crise de la Covid-19 militaires, n'est pas partagé.


se rapproche des crises auxquelles sont
La définition des contours de l’approche
confrontés les militaires en opérations.

04
globale a occupé toute une génération
Notons qu’une différence demeure et
d’officiers depuis le début des années
elle est de taille : il n’y a pas d’ennemi et
2000. La production est abondante sans
personne ne reçoit l’ordre de tuer pour
parvenir toutefois à une harmonisation
remplir la mission tout en acceptant de
du concept. Quelles que soit les diffé-

L’approche globale,
subir le même sort. Mais pour ce qui
rentes définitions, l’idée principale est
concerne la gestion de la crise, des simi-
qu’il faut toujours chercher à impliquer

solution pragmatique
litudes peuvent être observées : incer-
la totalité des acteurs concernés par
titudes, vies en jeu, urgence de l’action,

pour la gestion de crise


une crise pour parvenir à en sortir. Cette
emploi massif de moyens techniques
approche repose sur la certitude qu’en
et humains... Par la force des choses,
opération, il n’y a pas de solution militaire
cette crise sanitaire fait appel à un grand
exclusive. Pour autant, aucune solution
nombre d'acteurs aux profils très diffé-
ne serait viable sans l’implication des mi-
rents dont les interactions constituent
litaires, notamment au sol.
un élément essentiel de la réponse à ap-
porter. Les officiers de l'École de Guerre,
L’approche globale : un concept gal-
déployés au printemps en renfort à dif-
vaudé et pourtant encore mal-com-
férents niveaux dans les ministères, ont
pris
pu constater ces similitudes sans pour
autant retrouver les bonnes pratiques On distingue trois grandes conceptions
développées par les armées pour y re- de l’approche globale. Elles tentent
médier, notamment celles se rapportant toutes d’apporter des méthodes de ré-
au concept d'approche globale. De toute ponses aux crises contemporaines et
évidence, ce concept, cher au cœur des s’appuient d’abord sur les théories de

56 57
Contribution 04

contre-insurrection développées dans sation et de reconstruction. La réponse nementaux. Enfin, la prise en compte du cence de cette approche.
les milieux militaires : militaire, de préférence non-cinétique, facteur humain est essentielle dans le
ne représente qu’un des aspects, si succès de l'approche globale. Un outil adapté à la résolution des
• L’approche américaine s’attache à
possible mineur, du processus. L'action crises complexes à promouvoir
développer une synergie entre tous les
armée, potentiellement génératrice de Développés dans les milieux militaires et
procédés cinétiques et non-cinétiques, En France, cette conception de la ré-
violence, peut même faire l’objet d’une stratégistes autorisés, ces concepts ne
directs et indirects, permettant d’at- solution des conflits ne rencontre que
certaine méfiance de la part des autres semblent pas avoir survécu à la disparité
teindre l’adversaire, notamment ceux peu d’écho en dehors du Ministère des
acteurs. Cette approche met l’accent des différentes conceptions nationales
permettant de couper le lien avec la po- Armées. Les raisons de ce désintérêt
sur les moyens, humains et financiers, et à la compétition interservices et inter-
pulation. Le fameux "gagner les cœurs pour l’approche globale sont multiples. La
qui doivent être dévolus au règlement ministérielles propres aux démocraties
et les esprits" du Général Petraeus en principale cause peut être à première vue
des crises. occidentales. Pourtant, les militaires ne
Irak et en Afghanistan s’inscrit dans attribuée à la compétition financière qui
• Enfin, l’approche française cherche cessent de l'invoquer pour établir une
cette logique. Faisant la part belle au se joue entre les ministères. Du point de
à trouver un équilibre entre civils et paix durable dans les multiples pays où
renseignement, aux études des réseaux vue des autres missions de l’État, notam-
militaires. Elle appelle une intégration ils sont engagés, pour ne pas dire enlisés.
et au ciblage, il s’agit d’accéder à une ment les plus régaliennes, le Ministère
Confrontés à la réalité du terrain, de la
des Armées reçoit bien assez de subsides
guerre et des souffrances des popula-
pour être capable de gérer seul les crises,
Pour les militaires, la nécessité de l’approche globale tions, les militaires ressentent plus que
d’être présent quoiqu’il arrive (crise inté-
ne fait aucun doute. Elle trouve plus que jamais sa quiconque l’impérieuse nécessité des
rieure, sanitaire, catastrophe naturelle,
pertinence dans un monde de plus en plus connecté. coopérations inter-nationales, inter-ser-
etc.) et surtout quoiqu’il en coûte. Au
vices, inter-agences, inter-ministérielles...
regard du budget consenti aux Armées
poussée de tous les acteurs. Malgré les Ils savent qu'une solution de sortie de
connaissance la plus large possible de et à la mission Défense en général, mais
difficultés rencontrées dans sa mise en crise strictement militaire n’existe pas,
l’ennemi pour pouvoir le détruire. Cette aussi du fait d'une ignorance croissante
œuvre, l’approche globale à la française quand bien même les supériorités tech-
doctrine américaine est largement dif- de la société à l'égard de la chose militaire,
se veut le reflet du fonctionnement nologique et stratégique seraient écra-
fusée au sein de l’OTAN et reprise par une telle perception n’est pas étonnante.
étatique, organisé autour du travail in- santes. Pour les militaires, la nécessité de
bon nombre des pays de l'Alliance. En outre, personne ne comprendrait que
terministériel et d’un exécutif fort. Elle l’approche globale ne fait aucun doute.
• Une seconde approche est déve- les armées se concentrent uniquement
n’est envisageable que dans le cadre Elle trouve plus que jamais sa pertinence
loppée au sein des organisations inter- sur leur "cœur de métier", au détriment
d’un processus décisionnel performant dans un monde de plus en plus connecté.
nationales (ONU, UE) qui considèrent d’autres crises qui les concerneraient
et centralisateur. La mise en place En outre, le relatif constat d’échec des
que le traitement d’une crise doit avant moins.
d'une cellule interministérielle unique opérations des dix dernières années, qui
tout être conduit sous la houlette d’or-
constitue la clef de voûte du dispositif laisse chez les principaux acteurs de cette Par ailleurs, aucun service, aucun minis-
ganismes civils, avec la participation
de réponse à la crise. Elle vise à obtenir doctrine comme "un sentiment d’inache- tère et aucune agence n’apprécie qu’un
active des agences internationales et
la convergence de l'action de tous les vé", apparaît davantage lié à un déficit de autre acteur, surtout s’il apparaît comme
des ONG dans le processus de stabili-
acteurs, étatiques comme non-gouver- coopération qu’à une véritable obsoles- plus efficace, vienne empiéter sur ses

58 59
Contribution 04

prérogatives. Il s’agit pour eux de dé- militaires en 2005 visait certainement et aux points décisifs générant autant de révélé les limites de ce système. D’aucuns
fendre leur périmètre d'action et leurs à accroître leur liberté d’expression. Or, points de décision répondent des fiches pourraient penser que le SGDSN pourrait
moyens, craignant que ceux-ci ne soient c’est au même moment, avec la profes- réflexes destinées aux fonctionnaires du tenir un rôle plus important. Mais il n'est
réaffectés ailleurs. sionnalisation et la mise en œuvre d’une corps préfectoral pour faire face à des à ce stade pas dimensionné pour piloter
nouvelle organisation budgétaire, qu’on situations limitées dans le temps et dans une cellule de crise, quand bien même
Si la tension budgétaire explique en
a invoqué le recentrage sur ce "cœur de l'espace. On ne déroule pas un plan gou- le travail de rédaction et de mise à jour
partie la méfiance des autres ministères
métier", limitant leurs implications dans
pour le concept d’approche globale, un
d’autres domaines. On ne déroule pas un plan gouvernemental comme on
autre aspect plus sociologique mérite
déroule un plan de campagne, pour la simple raison
d’être souligné. Les militaires sont bien Ainsi, il nous faut constater qu’une cer-
qu’un plan gouvernemental n’est pas linéaire mais
souvent tenus à distance par les autres taine inquiétude peut poindre quand
cadres de la nation dans un sentiment
ponctuel.
les militaires entendent développer des
mêlant la méfiance et le respect. La perte concepts qui leur feraient jouer un rôle
vernemental comme on déroule un plan des plans gouvernementaux comme la
de culture militaire dans la haute admi- fédérateur et majeur, quand bien même
de campagne, pour la simple raison qu’un préparation de l’État aux crises est de sa
nistration renforce cette mise à distance la résolution d’une crise l’exigerait, et
plan gouvernemental n’est pas linéaire responsabilité.
des militaires. Cette méfiance est aussi le qu'ils seraient les seuls à disposer des
mais ponctuel. Pour une efficacité ins-
fruit de l’Histoire française, de Napoléon outils de planification et de conduite per- En attendant une nouvelle organisation,
tantanée, la réflexion est volontairement
à De Gaulle, qui met en lumière le rôle formants et éprouvés. il faut saisir toutes les occasions pour
restreinte au suivi des actions à mener, ce
accroître la connaissance mutuelle entre
qui peut être rassurant quand on n'a pas
les officiers et les cadres de la fonction
Les militaires sont bien souvent tenus à distance par les été formé à la prise de décision sous la
publique amenés à travailler ensemble
autres cadres de la nation dans un sentiment mêlant la contrainte du temps et de l'ennemi.
dans la gestion des crises. Si, d’un côté, les
méfiance et le respect.
Remédier à ce désintérêt pour l’approche autres organismes pourraient apprendre
globale est avant tout une question de à donner une place aux militaires, les
Enfin, à la tension budgétaire et la mise à
parfois majeur joué par des militaires. volonté politique dans la mesure où la armées pourraient aussi faire un effort
distance des militaires s’ajoute une pro-
Elle est aussi la conséquence de l’isole- doctrine française repose en premier lieu pour parfaire la culture interministé-
fonde méconnaissance par les militaires
ment des militaires dans leur domaine, sur un organe décisionnel fort et unique. rielle de ses officiers. Il y a différentes
eux-mêmes des logiques ayant cours
dit à juste titre "réservé". Pourtant, en Dans la crise de la Covid-19 du printemps possibilités : en développant davantage
dans la haute administration et des mé-
1891, personne ne contestait au Maré- 2020, la multiplicité des cellules de crise les échanges et les temps de service en
canismes civils de gestion de crise. À titre
chal Lyautey de s’exprimer dans la "Revue (MEAE, MININT, MSS) a nui à la cohé- dehors du ministère des Armées ; en
d’exemple, le mot "planification" n’a pas le
des deux mondes" sur le rôle social de rence de la réponse. Si Beauvau était bien accueillant des administrateurs civils
même sens dans l’armée et dans le civil.
l’officier. Certes, la parole des militaires le coordinateur naturel des crises sur le venant d’autres ministères ; en facilitant
Pour les militaires, il s’agit d’élaborer un
a été tantôt libérée, tantôt restreinte. territoire national, la complexité de la leur intégration dans des dispositifs de
plan de campagne. Pour les civils, c’est un
La modernisation du statut général des crise sanitaire et les querelles d’ego ont réserve souples. Ces échanges permet-
plan d’urgence. À un "état final recherché"

60 61
Contribution 04

traient dans le même temps d’accroître la


culture militaire de la haute administra-
tion. Une meilleure connaissance croisée
des acteurs civils et militaires est une des
clefs de la gestion efficace des crises et
un préalable à la mise en œuvre de l'ap-
proche globale.

62 63
Contribution 05

Gauthier Delaforge
Officier supérieur au sein du Ministère des
Armées, ancien Auditeur de l’École de guerre
et Doctorant en Sciences de gestion.

Dans la droite ligne de son billet "Tenir société est actuellement confrontée et le
la barre face au Covid-19 ; une boussole caractère non encore terminé - nous en

05
pour les décideurs" dans lequel Gauthier
1
sommes très loin - de la crise pandémique
Delaforge présentait la saturation et la en cours nous poussent à partager plu-
perte d’initiative comme composantes du sieurs éléments structurants à conserver
chaos, l’auteur partage ici quelques élé- à l’esprit.
ments de réflexions sur la gestion de crise

Réflexions libres sur en période de Covid-19. Humilité et résilience de la Nation

la gestion de crise en La crise pandémique que nous traversons


actuellement interroge résolument nos
Qu’il s’agisse du chef militaire ou du dé-
cideur civil, celui qui a déjà eu à décider

période Covid-19 modèles de gestion de crise et de prise dans le brouillard, c’est-à-dire sans maî-
triser l’ensemble des critères de déci-
de décision. Avec le déconfinement et la
reprise d’une partie de l’activité écono- sions, a intimement éprouvé les vertus de

mique à l’été, la littérature s’est enrichie l’humilité.

de nombreuses analyses sur la crise et


Ce brouillard de la prise de décision vécu
illustre les réflexions en cours. Ainsi, la
pousse en effet à réprimer tout mouve-
rentrée de septembre a vu la parution de
ment d’orgueil. Or, devant le flot de prises
plusieurs ouvrages allant du témoignage
de position de tout un chacun sur les
de l’afflux au sein d’une structure hospita-
réseaux sociaux, ou encore en observant
lière2 à l’analyse de la crise sous le prisme
les propos parfois hors champ de com-
de la sociologie des organisations3.
pétence des experts des plateaux de té-

Les enjeux majeurs auxquels notre lévision, rappeler à l’humilité s’avère une

1 Lien article Cercle K2


2 Claudia Chatelus, Stéphane Loignon, Ma guerre du Covid, Équateurs, 2020.
3 Henri Bergeron, Olivier Borraz, Covid-19 : une crise organisationnelle, Presses de Sc-Po, 2020.

64 65
Contribution 05

impérieuse nécessité. Non qu’il s’agisse système de systèmes. De cette singula- des échelles géographiques différentes Variabilité des critères de prise de
ici d’une posture morale, mais la gravité rité de la crise naît la complexité qui est est nécessaire. Elle permet en effet de décision
de la crise actuelle nécessite une rési- celle à laquelle le décideur est confronté. mieux appréhender le phénomène et,
Enfin, la prise de décision dans cet envi-
lience de la Nation. Or, la résilience est par conséquent, favorise la prise de déci-
Ces systèmes constituent de nom- ronnement complexe doit impérative-
aujourd’hui largement fragilisée par ce sion. De plus, cette lecture permet d’éloi-
breuses entités interdépendantes qui ont ment être effectuée à travers des critères
manque d’humilité. gner ses propres biais qui obscurcissent
chacune leurs caractéristiques propres. formellement établis qui permettront de
la réalité. Ce principe de changement
Accepter de ne pas savoir ou de laisser à De plus, ils sont eux-mêmes potentiel- pencher pour une hypothèse plutôt que
d’échelle que chaque géographe met ha-
l’autre l’analyse, se placer en expert sur lement composés de sous-ensembles pour une autre.
bituellement en oeuvre dans ses travaux
son créneau et non sur celui de son voisin, innombrables. Ainsi, une décision prise,
est valable pour tout décideur quelle que Ces critères peuvent être sanitaires
constituent une urgente mesure d’utilité comme l’interdiction de réunion au sein
soit son organisation. (préserver les ainés par exemple), éco-
publique. de l’entreprise, a des conséquences en
nomiques, sociétaux, d’ordre public, etc.
cascade touchant de nombreux sous-sys- Ainsi, la vision nationale traduite par un
Les mécanismes de prise de décision mi-
ratio malades hospitalisés / lits d’hôpi-
litaires mettent d’ailleurs clairement en
Accepter de ne pas savoir ou de laisser à l’autre l’analyse, taux dans les services de réanimation
lumière cette étape incontournable de
peut s’avérer rassurante, alors que l’ob-
se placer en expert sur son créneau et non sur celui de l’élaboration d’une décision opération-
servation à l’échelle d’un bassin de popu-
son voisin, constituent une urgente mesure d’utilité nelle.
lation ou d’un département peut montrer
publique.
une saturation déjà existante de l’offre de Or, par méconnaissance scientifique ini-
soins dédiée. C’est d’ailleurs ce qui s’est tiale de la maladie mais aussi suite aux
Complexité et système de systèmes tèmes a priori peu liés entre eux, comme passé en mars et avril 2020, une diago- influences de l’opinion publique et des
l’économie du sport, le monde aéronau- nale nord-est / sud-ouest répartissant, cercles économiques, la priorisation des
La crise du Covid-19 est globale et com-
tique ou encore le tourisme. d’un côté, des situations de très fortes critères de décision a varié au cours de
plexe. Elle touche en effet tous les pans de
saturations et, de l’autre, des structures cette crise. Si certains critères étaient
la société et son caractère éminemment Modéliser ces sous-systèmes s’avère
peu sollicitées. en effet importants au début de la crise,
multifactoriel rend les projections peu d’une très grande difficulté et la prise de
ils ont pu par la suite s’avérer plus secon-
compréhensibles pour l’esprit humain. décision est rendue d’autant plus ardue Si l’effet recherché est bien d’éviter les
daires.
À la différence d’une crise "compliquée", que le décideur ne peut mesurer fine- situations locales de saturation ou de les
c’est-à-dire pour laquelle il convient de ment les conséquences de chacun de ses circonscrire à un département, ce prisme Ainsi, en avril 2020, la poursuite de la sco-
résoudre une équation difficile mais qui choix. de l'échelle géographique s’avère fonda- larité des enfants figurait au deuxième
présente une solution, la crise actuelle mental. Il constitue également une clé de rang de ces critères : l’école pouvait se
s’avère en effet différente par sa nature. L’échelle géographique comme clé compréhension de la situation pour nos poursuivre à distance sans impact majeur
de lecture structurante concitoyens et pour les décideurs locaux sur nos enfants. Or, l’importance de ce
Gérer cette crise, c’est en effet modifier
qui habituellement sont focalisés sur leur critère a été aujourd’hui revu. Il constitue
des variables qui constituent autant de En sus de la complexité et du caractère
niveau de l’échelle géographique. en effet une des priorités de la prise de
leviers, non pas d’un système mais d’un global de la crise, la lecture de celle-ci à
66 67
Contribution 05

décision, car non seulement l’impact fort bilité peut aussi brouiller, à juste titre, la
de la déscolarisation a été observé, mais compréhension des décisions prises.
les connaissances sur la contagiosité de
Quelles perspectives pour la gestion de
la maladie par les enfants ont évolué.
crise en période Covid-19 ? Tout d’abord,
De plus, en parallèle de cette évolution,
sous forme de truisme, nous apprenons
le critère de la reprise économique est
tous chaque jour un peu plus dans cet
devenu majeure, nécessitant par consé-
environnement complexe et mouvant.
quent le retour au travail des parents.
Et cela nous permet d’affiner nos outils
Réaliser le constat de la variabilité des de réponse à la crise. Une certitude éga-
critères dans cette crise singulière, c’est, lement : seuls de solides mécanismes de
en tant que décideur, prendre du recul prise de décision accompagnés d’une
sur les choix faits. C’est aussi accep- lecture à différentes échelles permet-
ter pour le futur que les critères d’au- tront aux décideurs de garder le cap dans
jourd’hui ne seront pas ceux de demain. les mois à venir.
Et c’est enfin reconnaître que cette varia-

68 69
Contribution 06

Franck Amato
Consultant en gestion de crises
Dirigeant & Fondateur de MYATO Consulting

La crise n’est en aucun cas un temps implique une prise de décision, et par
de pause, elle est un temps d’action extension, la mise en œuvre d’une action.

Plus encore que sa nature, l’ampleur des


La clairvoyance comme impératif
décisions prises pour prévenir, contenir

06
puis sortir de la crise pandémique de la Trop souvent, les modèles de gestion de
Covid-19 a propulsé les organisations et crise ne sont bâtis que sur l’expérience,
les entreprises du monde entier dans une sur le connu. Nous avons ce besoin ins-
situation sans précédent. À différentes tinctif de comparer la situation en cours à
échelles, des ordres de confinement, de un modèle que nous connaissons, d’éclai-

La crise, un temps d’action restrictions et de contrôle des échanges rer le présent à la lumière du passé.
ont été imposés à l’ensemble de la popu-
Dans des périodes de fort stress, l’émo-
lation mondiale nous plongeant dans un
tion perturbe naturellement la raison.
monde qui a rarement été aussi incertain
Elle entraîne un phénomène de biais
et complexe. Bien que généralement ac-
cognitifs généralement lié à un excès de
célératrice de tendances préexistantes,
confiance dans la période initiale de crise,
une crise de grande ampleur représente
celui qui amène à voir ce que l’on veut
une phase de rupture car elle appelle à
voir, qui engendre une mauvaise évalua-
une remise en question profonde, à un
tion de la situation, de ses impacts immé-
changement de posture.
diats et futurs. En situation extrême, le
Il est par ailleurs intéressant de rappeler décideur peut se retrouver enfermé dans
que le mot crise est issu du grec ancien un véritable déni de réalité. Ces postures
« krisis » : décision. Longtemps cantonné l’amènent généralement à sous-réagir
dans son acceptation médicale, il désigne dans un premier temps, puis à sur-réagir
la phase décisive à laquelle un choix de désespérément pour tenter de rattraper
traitement doit être fait. Le terme crise un temps déjà perdu.

70 71
Contribution 06

Il faut pouvoir identifier les biais dont Celles-ci condamnent irrémédiablement gence et le niveau d’anxiété peuvent être elles permettent le développement de la
on est victime afin de les corriger ; c’est à la soumission face aux évènements et considérables. confiance et la capacité à déléguer. Parce
un exercice difficile mais essentiel. Il est à leurs circonstances. La sauvegarde de que la culture est commune, parce que
pour cela important de trier l’information l’organisation réside essentiellement Le sens, moteur de l’engagement les objectifs sont connus, parce que le
disponible, d’aller rechercher celle qui dans son aptitude à garder l’initiative sens de la mission est compris, la délé-
Une crise, quelle que soit sa nature, est
nous est utile, d’analyser les faits sous afin de rester maître de son avenir et, par gation permet la souplesse, l’agilité et la
révélatrice des capacités de stabilité et
différents angles (économique, social, conséquent, de réduire la dimension de réactivité nécessaires pour évoluer dans
de résilience d’une organisation, elles
politique, culturel, éthique) plutôt que de l’incertitude. des environnements risqués, complexes
sont directement proportionnelles à la
raisonner par analogie. S’entourer d’une et incertains.
solidité et à la constance de ses valeurs
équipe pluridisciplinaire permet souvent La coordination, garante d’efficaci-
profondes.
de percevoir une situation identique à té
la lueur de clés de compréhension diffé-
La décision doit rester au service de l’ac- Accepter d’être surpris pour conserver sa réactivité est
rentes, d’enrichir une faculté collective
tion car c’est elle qui permet la réalisation fondamental.
de discernement.
des objectifs et l’atteinte de l’effet re-
cherché. La synchronisation des actions
La décision au service de l’action Cette dimension est particulièrement L’humilité, nécessaire face à l’incer-
à mettre en œuvre est, quant à elle, un
présente dans le milieu militaire dont titude
L’incertitude est le brouillard dans lequel impératif absolu. La gestion des mesures
l’éclairage est intéressant en ces temps
il faut décider pour continuer d’avancer immédiates de correction, de préser- Accepter d’être surpris pour conserver
troublés. Le soldat est formé et entraîné
malgré un environnement aux contours vation, de compensation de l’activité, la sa réactivité est fondamental. La prépa-
tout au long de sa carrière pour être en
non maîtrisés. Dans ces conditions, le prise en compte des conséquences de ration à la gestion de crise et le dévelop-
capacité d’agir dans le chaos, dans ce que
rôle du leader est déterminant. Il doit chaque action nécessitent une coordina- pement de ses capacités de résilience
l’on nomme « le brouillard de la guerre ». Il
préserver sa capacité à éclairer la voie en tion effective entre les parties prenantes doivent apporter une flexibilité et une
évolue dans un groupe à la cohésion très
se détachant de l’immédiat pour conser- ainsi que l’harmonisation de la commu- dextérité permanentes pour évoluer
forte, dans laquelle un esprit de corps
ver une vision garante de cohérence et de nication entre tous les acteurs internes dans des environnements en mutation. «
est développé à partir de valeurs com-
cohésion au sein de son entité. Il a pour comme externes. L’impossible d’aujourd’hui est la surprise
munes et au sein de laquelle le sentiment
mission de préserver une coordination de demain », je me permets ici de citer le
Les circuits d’information, la définition d’appartenance garantit un engagement
continue entre la gestion de l’urgence, la Général Vincent Desportes qui souligne
des rôles et responsabilités de chacun total.
crise et le maintien du cap stratégique, l’importance d’adopter une posture réa-
doivent, par conséquent, être détermi-
l’après-crise. Ces valeurs donnent de la cohérence à liste face à la discontinuité du monde dans
nés au plus tôt. De même, les processus
la structure, au sein de laquelle chacun a lequel nous vivons. Son interconnexion
Décider n’est jamais une option ; c’est de décision et d’action doivent être clairs
sa place, chacun a une responsabilité in- exponentielle accélère l’horloge de l’his-
toujours une nécessité. Parce que, quelle et connus de tous afin de garantir l’effica-
dividuelle mise au service du succès col- toire et des crises qui l’animent et, de
que soit la situation, le risque le plus grand cité globale et d’éviter la confusion dans
lectif. La perception et la compréhension façon paradoxale, amplifie notre dange-
restera toujours la passivité et l’inaction. des circonstances où le sentiment d’ur-
mutuelle de l’organisation sont facilitées, reuse illusion de la connaissance et du

72 73
Contribution 06

contrôle. ser afin d’être en mesure de se réinventer


et de se transformer. Ayant introduit ces
Mais ne perdons pas de vue que si l’in-
propos par un rappel étymologique grec,
certitude est une source de risque, elle
je vous propose en conclusion celui du
est également une source d’opportunité
sinogramme chinois définissant la crise,
pour ceux qui ont l’audace de les saisir,
formé des caractères « danger » et « op-
pour ceux qui sont en capacité d’anticiper
portunité », il précise cette notion d’ou-
et de voir ce que les autres ne distinguent
verture constructive.
pas. L’expérience de la crise doit être en
cela l’occasion d’apprendre et de progres-

74 75
Contribution 07

François Bert
Diplômé de l’École Spéciale Militaire de Saint-Cyr,
ancien officier parachutiste à la Légion étrangère,
François Bert est Fondateur d’Edelweiss RH et de
l’Ecole du Discernement.

Alors que s’accumulent les signes d’in- ment des autres familles.
décision et d’absence de clairvoyance au
Le médecin mère Teresa cherche d’abord
sommet de l’Etat, une question rarement
la relation : c’est ce qui le rend légitime et

07
posée s’impose, d’évidence : a-t-on le bon
motivé car il excelle à créer et entretenir
personnel politique pour la fonction ?
le lien, même s’il maîtrise techniquement
Vient en effet le moment où décider ne son sujet. Le médecin expert/chercheur
s’improvise pas et peut difficilement se veut contribuer au service par la qualité
rattraper par des conseillers en com- du contenu qu’il délivre ou crée ; la re-

Casting et discernement munication. Est-ce par conséquent une lation pour lui est une condition d’accès

par temps de crise


question de savoir ou de personnalité ? aux données, pas une quête. L’urgentiste
ne cherche pas d’abord la relation ni un
Prêtres, prophètes ou roi ? contenu à produire, il se met à l’écoute
d’un contexte changeant pour le traduire
Nous avons tous des qualités relation-
en décision.
nelles, cérébrales et décisionnelles mais
elles n’ont pas chez nous, comme les Mal employé, chacun de ces médecins
boules au loto, le même ordre d’impor- va vite s’ennuyer et obtenir de mauvais
tance. résultats : ainsi de l’urgentiste ou de
Mère Teresa à l’institut Pasteur, de Mère
Si l’on prend par exemple un médecin
Teresa ou du chercheur aux urgences, du
Mère Teresa, un médecin expert/cher-
chercheur ou de l’urgentiste en dispen-
cheur et un médecin urgentiste, ils
saire à Calcutta.
peuvent sur le papier remplir les cases
de ces trois familles de qualités. Dans la Bref, si nous sommes tous, pour prendre
durée néanmoins, une tendance va net- une image biblique simple, prêtres, pro-
tement se dessiner chez chacun au détri- phètes et rois, il y a bien des prêtres,

76 77
Contribution 07

des prophètes et des rois et l’Histoire a C’est en somme faire, comme à la guerre, pensée ou des éléments de langages mais décision à prendre, d’où la nécessité de se
montré qu’ils n’étaient guère interchan- des batailles avec des règles tactiques pas du discernement. taire beaucoup pour s’en laisser saisir et
geables. simples mais sur une réalité complexe non pas communiquer à tout va.
Aussi faut-il environner les hommes poli-
et extrêmement mouvante, devenir un
tiques non pas seulement d’experts tech- Il vit avec une intelligence de la trajectoire
La politique, lieu de carence des dé- spécialiste par astuces pratiques des ri-
niques et de conseils en communication et non du point, avec le souci du rebond et
cideurs naturels gueurs de l’hiver plutôt que de « penser
mais surtout de chefs naturels capables non l’obsession de prouver sa perfection.
printemps ».
En politique nous avons depuis au moins de leur offrir les bonnes décisions et la
25 ans des prêtres et des prophètes, mais Il organise donc une permanence de
La crise est révélatrice des erreurs de conduite durable de l’action.
plus de rois. Parce que la politique est une l’écoute, un échelonnement des décisions
casting car elle demande une présence
vente, elle attire au pouvoir un binôme stratégiques et courantes pour que la
mentale au lieu de conjonction de l’action S’équiper en discernement
technico-commercial, fort de son bagout subsidiarité joue son rôle, une coordina-
qu’un souci de communication constante
A défaut, qu’au moins soient mis en place tion la plus ouverte possible des moyens
et de ses idées décalées pour créer du rend impossible.
une formation ou un accompagnement pour créer de l’impact sur chaque nou-
rêve ou du moins l’apparence d’un renou-
des décideurs au discernement. Qu’est- velle étape.
veau.
ce que le discernement ?
Comme le disait Louis XIV, donnons-nous
La première étape est de construire des équipes, en Dans sa finalité, il est l’art de donner les moyens de « laisser agir la facilité
assemblant non pas d’abord des compétences mais des aux choses la portée qu’elles méritent, du bon sens » plutôt que nous épuiser à
personnalités complémentaires. c’est-à-dire trier l’important du dérisoire, sauver les apparences.
y orienter l’action et y concentrer ses
efforts le temps nécessaire.
La réalité est que la conduite des affaires Construire des équipes complémen-
d’un pays n’est pas l’expérimentation taires Dans son fonctionnement, il est une
d’idées marginales ni la recherche d’une écoute accumulée jusqu’à l’évidence de la
En attendant, comment limiter la casse ?
image aimable en égrenant le temps
La première étape est de construire des
d’une mesurette la litanie de toutes les
équipes, en assemblant non pas d’abord
victimes diversitaires mais bien la capaci-
des compétences mais des personna-
té sans cesse mise au défi à prioriser les
lités complémentaires. Cinq pistons
dangers et à y concentrer ses efforts en y
coalisés sans bielle n’ont jamais fait un
embarquant la nation.
moteur. Napoléon a gagné des batailles
Conduire un pays c’est gérer trois choses parce qu’il avait notamment à ses côtés
: la sécurité, la prospérité et l’épanouisse- le maréchal Berthier, qui complétait ses
ment culturel et spirituel des gens. Cela intuitions tactiques par son intelligence
demande de la créativité dans l’action, pratique. Trop de cabinets regroupent
pas dans l’idéologie. des cerveaux capables de produire de la
78 79
Contribution 08

Eric Milton
Eric Milton intervient depuis 1996 dans le
domaine de la Continuité des Activités et de la
Gestion de Crise.

Nous vivons dans un monde moderne du vieillissement, la mortalité beaucoup

08
ultra-connecté, où l’information circule plus tardive pour nos seniors, nous au-
plus vite que la pensée. Monde dans raient-ils pas fait perdre de vue que nous,
lequel les moyens de transports trans- êtres humains, restons perfectibles et
continentaux et transfrontaliers ont que notre modèle de société s’est fragili-
explosé sur ces dernières années. sé au lieu de devenir résilient et robuste.

Paysage des plans de La libre circulation a favorisé les


Ne sommes-nous pas aujourd’hui face au

continuité d’activité & échanges commerciaux et humains.


« miroir aux alouettes » et confrontés à
nos propres contradictions.

gestion de crise au niveau Les frontières physiques et virtuelles ont


reculé, voire disparues dans certains cas. Les scientifiques, depuis des décennies,

des entreprises françaises Toutes ces évolutions facilitent nos


nous alertent régulièrement sur le dérè-
glement climatique, sur le réchauffement
échanges au quotidien, tout particulière- de la planète, sur les risques de pandé-
ment professionnels. Il est vrai que cette mies élevés (Ebola, H1N1, Covid-19).
mobilité professionnelle (connexion à
distance, télétravail, …) transforme de Notre modèle social vole en éclat de jour
plus en plus notre façon de travailler, en jour, ceci ayant un impact considérable
ce qui normalement devrait réduire les sur la vie économique des entreprises et
déplacements et augmenter le temps des ménages, tout particulièrement des
de présence au domicile au profit de la petites et moyennes entreprises et au
qualité du travail dû à la baisse du stress final sur les salariés.
(moins de déplacements en transports) et
Mais qu’en est-il vraiment de la prise de
de la vie de famille.
conscience de l’Etat, des entreprises et
Les progrès médicaux, le ralentissement de nous-mêmes quant à la nécessité de

80 81
Contribution 08

mettre en place une vraie résilience na- treprise et/ou que les coûts humains et • Il est à noter qu’il n’est pas toujours de PCA, de Cellule de Crise, dispositifs
tionale à tous les niveaux, pas seulement financiers restent élevés, que ce serait facile pour de nombreuses entreprises testés annuellement et ont désigné des
à celui de l’Etat qui est régulièrement anxiogène pour les salariés, que les IRP si de dédier des collaborateurs qu’à des collaborateurs au niveau PCA (dédiés à
pointé du doigt, alors que la tâche reste opposeraient, ... fonctions PCA et Gestion de Crise 100% à cette mission), ce qui est beau-
particulièrement compliquée à gérer pour des questions de coûts (salaires et coup plus rare au niveau des Cellules de
Longtemps on nous accusé de pratiquer
pour lui (Cf à l’heure à laquelle j’écris, charges salariales) Crise dû au fait que généralement on y
« la Politique de la Peur », alors que nous
la gestion de la Crise : Coronavirus « retrouve des Membres du COMEX et
étions quelques-uns et unes à essayer de
Covid19 ») « y’a qu’à ! faut qu’on ! … » Plus le temps passe, plus la profession- CODIR, exception faite au niveau cellules
sensibiliser les entreprises et leurs colla-
Phrases trop faciles lorsque l’on ne gère nalisation de certaines fonctions paraît de Crise Professionnelle ou semi-Pro-
borateurs sur l’importance et l’Urgence
pas la réponse à une crise. inévitable et la dotation d’outils du type fessionnelle pour quelques grandes en-
vitale de se doter d’une vraie Politique de
: Main courante, tableau de bord, envoi treprises comme dans l’énergie, le trans-
Il est temps de changer de paradigme, gestion de la Continuité d’Activité et de
de messages d’alerte en masse,... semble port,…
sans tomber dans la névrose, ni la dépres- Gestion de Crise.
sion aiguë et la peur du lendemain.
• Le débat reste encore entier entre Il faut intégrer et accepter dès maintenant le fait
Nous devons tous nous responsabiliser « la Politique de la Peur Versus la Poli- que nos dirigeants politiques, nos élus, les chefs des
et arrêter de jeter l’opprobre et la res- tique de l’Autruche ».
entreprises du privé comme du public et également les
ponsabilité sur l’Etat, nos employeurs, La mise en place « d’une Politique de Sé-
salariés doivent être impérativement formés, préparés
nos voisins, … Nous sommes tous ac- curité, de Résilience et de Robustesse
afin de pouvoir réagir face à la Crise.
teurs(trices) et responsables de notre » passe par la professionnalisation de
avenir. certaines fonctions (Responsable PCA,
• La motivation de certaines de ces
Coordinateur de Crise, Communicant de incontournable, tant sur des aspects aide
Constat est fait depuis de nombreuses grandes entreprises passent aussi par
Crise, Anticipateur, …) car on ne devient que consignation et traçabilité des in-
années, qu’un nombre important d’en- les réglementations ou demandent de
pas gestionnaire de Crise du jour au len- formations en tant que preuves légales,
treprises n’ont pas réellement pris l’état exigeant de leurs parts de se doter
demain. La gestion d’une Crise ne fonc- parfois à fournir à un juge post crise.
conscience de la nécessité de mettre en de dispositifs (PCA, GC) et de les tester.
tionne pas comme pas un interrupteur
place des « Plans de Continuité d’Activité Il faut intégrer et accepter dès mainte-
en mode « on/off », que l’on ferait varier • Pour beaucoup, ce sont les Diri-
», des « Cellules de Crises », de s’entraîner nant le fait que nos dirigeants politiques,
selon la situation. geants qui ont pleinement conscience
afin d’être préparées à mieux vivre des nos élus, les chefs des entreprises du
de l’importance de ce type de dispositifs
événements majeurs et hors normes. • Souvent les Gestionnaires de Crise privé comme du public et également les
et savent que la survie et la Résilience
sont à 99% des salariés employés à une salariés doivent être impérativement
• A savoir définir et appliquer « une de leurs entreprises seraient partiel-
fonction métier et à 1% sur une fonction formés, préparés afin de pouvoir réagir
Politique de Sécurité, Résilience et Ro- lement ou totalement assurée par ces
PCA et/ou Gestion de Crise, ce qui laisse face à la Crise.
bustesse » derniers.
entrevoir l’abîme lors d’une Crise réelle.
Les motifs invoqués sont parfois que La note positive à contrario, c’est que de
• Pour d’autres, la mise en place de dis-
cela ne fait pas partie des projets de l’en- nombreuses entreprises se sont dotées

82 83
Contribution 08

positif c’est faire post sinistre. que les choses évoluent, que les positions
En conclusion, le chemin à parcourir des Dirigeants et des collaborateurs
reste encore long pour beaucoup d’entre- changent et qu’il commence à y avoir une
prises, mais il est certain que les mentali- prise de conscience avérée.
tés et les choses ont commencé à bouger
La France, ses Entreprises et nous tous,
positivement depuis quelques années,
avons cette particularité d’arriver à
car ces sujets maintenant sont souvent
émerger face aux pires tempêtes, l’his-
traités en CODIR/COMEX et non plus
toire nous l’a si souvent démontrée,
mais...

« Diriger c’est prévoir » Ces deux questions restent entières :

seulement laissés au niveau d’une Direc- • Combien de Crises nous faudra-t-il

tion « ex : DSI », sans moyens financiers et vivre pour que tout le monde se mette

décisionnels. en ordre de marche ?

Je reste largement optimiste malgré mon • Combien de temps allons-nous ré-

constat alarmant sur le manque d’enga- sister si nous ne bougeons pas ?

gement de certaines entreprises sur ce


« Diriger c’est prévoir »
sujet, car en 20 ans de pratique et d’ac-
compagnement, je constate réellement

84 85
Contribution 09

Laurent Vibert
Président de Nitidis

Depuis son début, la crise sanitaire due de gestion et de communication de crise,


au Coronavirus n’a jamais fait émerger cohérente et coordonnée, se révèle être
autant les vocables « 
crise 
», « 
gestion une exigence capitale. Mais face à l’incer-

09
de crise » et « communication de crise ». titude, à la multiplicité des parties pre-
Le constat démontre également que nantes sur le plan national, européen et
les entreprises qui étaient préparées à international (acteurs directs et indirects
la gestion de crise et celles qui ont fait de la crise), comment définir alors une

Ce que le Coronavirus nous


preuve de souplesse et de réactivité ont stratégie de gestion de crise et de com-
été les moins impactées par la pandémie munication de crise cohérente, efficace

enseigne de la Gestion et
du Covid19. et partagée ?

Communication de crise
En conséquence, les entreprises, mais De plus, dans un contexte communica-
également tous types d’organisations tionnel transformé, instantané et mon-
(secteur public et privé) doivent à présent dialisé, l’omniprésence et la puissance
mieux se préparer aux futures crises et des réseaux sociaux ainsi que le paysage
événements de grande ampleur qui pour- très concurrentiel des chaînes d’informa-
raient survenir et les fragiliser. L’objectif tion en continu, complexifient la prise de
: assurer au mieux la continuité de leurs décision et la communication associée.
activités et la protection de leurs parties
Les réseaux et médias sociaux, les blogs,
prenantes — collaborateurs, comme
le Net avec leurs effets ambivalents,
clients ainsi que leurs assets.
favorables et défavorables (j’aime / je
n’aime pas), ainsi que les chaînes d’info
Mettre en place une gestion de crise
en continu privilégiant souvent le direct
et communication de crise efficace
et l’émotion au détriment parfois de l’ex-
et adaptée
plication, changent la donne. Menace
La préparation en amont d’une stratégie ou opportunité ? Il faut trouver le juste

86 87
Contribution 09

équilibre entre l’analyse de la situation, qui doit demeurer la cible principale ! ces contenus dangereux. » crise et en communication de crise. Il
l’anticipation de son évolution, la prise de La critique doit servir la cause du plus faut alors réformer en profondeur notre
La plupart des fausses informations
décision et enfin la communication et la grand nombre de nos concitoyens. Elle approche de la gestion de crise en France
portait sur la vaccination et de pseudo
mise en œuvre des mesures prises. ne doit pas affaiblir le système actuel, et surtout y allouer des budgets et une
traitements médicaux, avec souvent des
au contraire le restaurer et le renforcer structure conséquente. L’objectif : ne pas
conséquences « 
potentiellement mor-
L’important c’est la dose pour la prise en compte des crises à venir. revivre ces situations inacceptables que
telles ».
les citoyens français vivent depuis des
Comme le disait le médecin Paracelse : Une preuve de la violence et de la sté-
La start-up fait un constat encore plus mois, notamment pour un pays du rang
« Tout est poison et rien n’est sans poison ; rilité d’échanges de points de vue sur
alarmant : « Les sites relayant de faux de la France.
la dose seule fait que quelque chose n’est les Médias et de la fièvre qui se répand
pas un poison. » traitements et faisant la promotion de
ensuite sur les Réseaux Sociaux avec La réponse opérationnelle et commu-
fausses allégations sur les dangers des
le Professeur Didier Raoult insulté par nicationnelle mise en œuvre en vue de
Une situation de crise difficile à vaccins génèrent souvent beaucoup
Daniel Cohn-Bendit en direct au sujet contrer ou limiter les effets de la crise
gérer plus de trafic que les sites globalement
du traitement contre le Covid-19. Mais et ainsi assurer le retour à une situation
fiables. »
Il faut être pragmatique, la situation aussi l’interview du Professeur Raoult stable (résilience) obéit en effet à une né-
n’est pas simple à gérer. On peut dire que par Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV.
ceux qui sont en charge au niveau gou- De l’aptitude à répondre efficacement aux événements
vernemental et dans les secteurs public Infox ou fake-News, le danger de la disruptifs et paroxystiques dépend alors l’image de
et privé ont tenté et tentent encore de manipulation robustesse, de résilience, de l’organisation et par là
faire le maximum pour gérer cette crise. Les « fake news » se sont répandues aussi même la confiance qu’elle inspire à ses partenaires et
Or, bon nombre d’experts et/ou d’inter- vite que le virus lui-même. Une start-up acteurs actuels et futurs.
venants depuis de longs mois expliquent américaine NewsGuard a enquêté sur le
avec dogmatisme ce qu’il fallait faire ou phénomène et a analysé 6 730 sites qui L’importance du niveau d’expertise
qu’il faut faire. Cependant, ont-ils déjà eu cessité de planification et de réactivité.
se présentent comme des sites d’infor- et des moyens
à analyser, décider et gérer des situations De l’aptitude à répondre efficacement
mation et « dont les articles représentent
de crise de très forte intensité, de crises, Ce que les experts de Nitidis peuvent aux événements disruptifs et paroxys-
95 % de l’engagement en ligne aux États-
de sauver des vies ? Pour la plupart la alors proposer face à ce constat, c’est de tiques dépend alors l’image de robus-
Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne, en
réponse est « Non » ! tirer des enseignements de cette crise tesse, de résilience, de l’organisation et
France et en Italie ».
sanitaire du #Covid-19, comme nous le par là même la confiance qu’elle inspire
Il faut se méfier de ces analyses à l’em- Des résultats ont été diffusés le 8 sep- faisons depuis des décennies sur des si- à ses partenaires et acteurs actuels et
porte-pièce qui n’ont de dessein souvent, tembre dernier, et relayés par le site tuations dégradées. Mais en y apportant futurs.
que de mettre en lumière leurs auteurs. 20 Minutes. Le résultat : « 519 sites ont des réponses sans délai. L’exemple de
Il faut savoir mesure garder et faire en Cependant, cette capacité à faire face
publié des infox sur le Covid-19, ce qui l’incendie de Lubrizol nous éclairait déjà
sorte que les critiques servent la cause. de manière pertinente à toute forme de
signifie que plus de 7 % de tous les sites sur le manque d’anticipation, de moyens,
Avec présent à l’esprit que c’est l’humain crise majeure repose en amont sur une
d’actualité les plus populaires publient d’experts impliqués dans la gestion de
88 89
Contribution 09

volonté politique, des moyens, la pré- à le constater et les points de progrès en


paration, l’apprentissage, de l’organisa- matière de gestion de crise sont nom-
tion, de ses cadres et dirigeants, enfin du breux !
public à l’élaboration et la mise en œuvre
Restons optimistes et continuons à
des stratégies ad hoc.
œuvrer pour préparer les entreprises et
Pour rappel, la Loi du 13 août 2004 les institutions à devenir plus efficientes
portant sur la modernisation de la Sé- en communication de crise et en gestion
curité Civile précisait déjà que « tout de crise pour que la résilience nationale
citoyen doit être le premier maillon de la soit plus forte.
chaîne des secours ». On a parfois du mal

90 91
Contribution 10

Christian Sommade
Délégué général du Haut comité
français pour la résilience nationale.

La résilience est mise à toutes les sauces La résilience individuelle se centre autant
aujourd’hui et surtout depuis la crise sur l’individu que sur la famille proche (le

10
Covid. Mais personne ne comprend vrai- ménage).
ment la même chose lorsque ce mot est
La résilience collective couvre toutes les
employé… et le mot résilience est-il vrai-
organisations qui entourent l’individu,
ment et spécifiquement utile dans le vo-
qu’elles soient d’ordre privé ou public :

Si le mot résilience vous


cabulaire de notre époque ?
la famille élargie, les affiliations (associa-
Personnellement, je pense que oui, et je tions, etc.), l’entreprise ou l’organisation

agace, vous n’avez pas vais essayer à la fois d’expliciter le sens du dans laquelle nous travaillons ou parfois

fini d’en entendre parler


mot dans ses différents usages et applica- nous vivons (maison de retraite, corps
tions, mais surtout de démontrer pour- collectif - militaire par exemple - etc.), la

et voici pourquoi
quoi il est utile et spécifique au regard commune dans laquelle nous résidons,
d’autres appellations. puis le département, la région, la nation,
l’Europe. Sans oublier qu’au final, nous
L’approche de la notion de résilience né-
sommes tous citoyens du monde, face
cessite d’en définir les champs d’applica-
à certains risques planétaires ou à cer-
tion, les différentes formes qu’elle peut
taines valeurs universelles.
prendre, et les valeurs qu’elle porte afin
d’envisager le rapport coût-bénéfice de Nous constatons ainsi l’emboitement en
la démarche, et pourquoi celle-ci se jus- poupées russes de nos affiliations et in-
tifie particulièrement dans notre monde terconnexions sociétales, qui sont mesu-
actuel et futur. rables à l’aune de nos interdépendances
locales, régionales, nationales, euro-
Le champ de la résilience s’applique
péennes et internationales. Ce qu’a dé-
autant à l’individu qu’à la collectivité,
montré la crise Covid, c’est l’hyper com-
quelle qu’elle soit.
plexité de l’interdépendance et la fragilité

92 93
Contribution 10

des liens entre nations et continents dès la préparation (test, exercice), la veille, liente" qu’il convient de développer. giques, dont certaines sont promues par
qu’une situation se tend. La mondialisa- l’alerte, la gestion de "crise", la continuité l’ONU.
Mais il existe aussi de nombreuses rési-
tion est fragile de par sa complexité et d’activité ou de services, les actions post-
liences plus "techniques" selon le champ Les valeurs humaines intrinsèques de
ses interdépendances, mais aussi par ses crise, le Retex. Tout cela est archiconnu,
d’application : la résilience psychique et la démarche de résilience sont princi-
modèles politiques, sociaux et écono- mais souvent peu réalisé ou réalisé au
psychologique, la résilience des maté- palement la conscience et la vision de la
miques. Les tensions géopolitiques des "rabais", ce qui donne des résultats "au
riaux, la résilience des systèmes écolo- société dans son environnement actuel et
blocs et des nations ne manquent pas rabais" lorsque survient la crise.
giques (écosystèmes), la résilience des futur (tel que la science peut l’approcher),
de resurgir dès que la machine écono-
La résilience structurelle prend en réseaux (d'infrastructures), la résilience les approches de robustesse (redon-
mique ou sécuritaire se grippe, rajoutant
compte l’anticipation et la prospective des systèmes d'information, la résilience dance), de durcissement, les technolo-
incertitudes et tensions à des situations
des scénarios (effets cascades et parfois de la supply-chain, la résilience urbaine, gies de solutions disruptives, l’adaptation
complexes où les égoïsmes sont souvent
systémiques), mais surtout la réduction la résilience alimentaire… pour ne citer régulière, le sens de l’intérêt général,
présents.
des vulnérabilités par de nombreuses que celles-là, mais il existe encore beau- la solidarité, l’honnêteté, l’humilité, la
Comment aborder la résilience face aux actions tant structurelles par essence coup d’autres "résiliences techniques ou transparence, la stabilité et, par-dessus
enjeux que sont l’absorption des chocs, (construction, renforcement, etc.), qu’or-
violents ou extrêmes tant aux plans ganisationnelles ou comportementales.
local, régional, national, continental que Mais c’est aussi l’adaptation dynamique Pour "faire de la résilience", il faut mettre en œuvre des
mondial ? Et comment faire en sorte que aux changements environnementaux méthodes et des techniques, mais aussi promouvoir
cette résilience soit portée sur le long (climatique, biodiversité, etc.), techno- des valeurs.
terme dans un contexte écologique, sé- logiques et sociétaux. En effet, notre
curitaire et social tendu ou inconnu ? monde change en permanence et nous sectorielles". Toutes ces résiliences ont tout, la volonté politique et sociale de la
ne pouvons penser développer pour deux objets principaux : étudier les rup- démarche dans le temps long.
La résilience se décline, tant au plan per-
demain sans penser au monde de demain, tures et fragilités avérées ou potentielles,
sonnel que collectif, via deux approches : Les valeurs objectives, stratégiques
tel qu’il sera ou risque d’être, et dimen- trouver des solutions d’évitement, de
la résilience organisationnelle et la rési- visées par la démarche sont tout d’abord
sionner nos actions de "résilience" en protection ou de recouvrement, et tou-
lience structurelle. la réduction de l’impact humain des dé-
concordance, faute de quoi nous aurons jours se préparer...
sastres, la réduction des coûts des ca-
La résilience organisationnelle est toujours une guerre de retard. Il s’agit ici
Pour "faire de la résilience", il faut tastrophes (valeurs prônées par l’ONU),
connue depuis très longtemps : ce sont de planification et résilience que je qua-
mettre en œuvre des méthodes et des mais aussi la réduction des stress sur les
toutes les mesures qu’une organisation lifierai de "dynamiques". Cela s’applique
techniques, mais aussi promouvoir des organisations et les populations, la réduc-
ou un individu peut prendre pour réduire à un nombre de décisions considérables
valeurs. Ces valeurs de la résilience sont tion des désordres sociétaux, mais aussi
l’impact d’un choc. Professionnellement, à tous les niveaux de la société, d’où la
de deux natures : des valeurs humaines une certaine garantie face à la complexité
ce sont les actions suivantes : l’analyse nécessité de prendre en compte ce mot
intrinsèques à la démarche et à la forme et aux situations extrêmes, dans la dy-
des risques et menaces auxquels on est "dès la naissance d’une idée ou d’une dé-
de décision, et des valeurs objectives de namique de progrès que va connaître le
exposé, la planification, la prévention, cision". C’est la notion de "décision rési-
retour sur investissement, dites straté- monde dans le siècle à venir. La résilience

94 95
Contribution 10

devra faire partie du modèle politique "confiance", la démarche "positivant" des vision, voire une création de politiques qui doivent mobiliser toutes les organisa-
futur pour associer sécurité, productivité valeurs ayant aussi des attraits de com- de résilience en s’attachant, d’une part, tions et toutes les couches de la société.
et préservation. munication et de marketing. aux très grands risques que j’appelle les
Bref, la résilience globale a heureuse-
"mégachocs", qui sont de la responsabili-
Une fois que nous avons cerné tous les Il faut comprendre que la résilience est un ment ou malheureusement encore de
té des États et des organisations supra-
champs de la résilience, les méthodes investissement et qu’à ce titre, en regard beaux jours devant elle…
nationales et, d’autre part, aux chocs plus
d’application et les valeurs attachées des secteurs plus ou moins "critiques"
modestes, mais parfois plus fréquents,
à ce concept, il convient d’examiner ce de la société, il doit pouvoir s’amortir
qu’amène cette démarche et quel est son sur le long terme, voire pour certaines
coût par rapport aux démarches tradi- démarches de très long terme (30 ans),
tionnelles de gestion ou de développe- et bénéficier de financements spéciaux
ment. pour certaines réalisations "marquantes"
ayant trait à des mégachocs potentiels,
La résilience a un coût. Ce coût est à deux
aux coûts économiques de 100 milliards
niveaux : un coût de gestion et un coût
ou plus. Selon les Nations-Unies, amélio-
d’investissement. Peu de recherches ont
rer la résilience des infrastructures face
été faites au niveau macro-économique
au changement climatique (le concept de
du coût d’une société globalement rési-
prévention et de préparation seulement)
liente, que certains estiment de 0,5 à 1 %
aurait un rapport financier de 6 à 1.1 €
du PIB. Au plan plus micro-économique,
investi évite de dépenser 6 € si la catas-
si les coûts de management sont rela-
trophe survient. Dans le champ global de
tivement faibles, les coûts d’investisse-
la résilience, le rapport doit être encore
ment peuvent être non négligeables. Les
plus bénéfique, mais il n’est pas assez
politiques de résilience dans les organi-
étudié. Il est certain qu’une excellente
sations augmentent les coûts d’investis-
préparation face au Covid aurait permis
sement des projets, en général dans une
de réduire la facture de l’ordre de 30 %.
tranche de 1 à 30 % suivant la criticité, les
secteurs et les contextes. Si la solution Finalement, les politiques de résilience
n’est qu’organisationnelle, le coût sera doivent s’appliquer à tous les niveaux
faible et principalement de fonctionne- pour être capables de faire face à des
ment ; si la solution est "matérielle", ce difficultés graves, passagères, parfois
qui sera souvent le cas, les coûts d’inves- chroniques, des hommes, de l’environ-
tissement seront plus importants mais nement et de la société. Car les risques
ils apporteront, tant aux investisseurs et menaces qui sont devant nous mé-
qu’aux utilisateurs, une sécurité et une ritent, compte tenu des enjeux, une ré-

96 97
Contribution 11

Raphaël de Vittoris
Group crisis manager chez Michelin,
Enseignant et chercheur en sciences de gestion
sur les problématiques de gestion de crise.

La gestion des risques comme la gestion Comment expliquer qu’inéluctable-


de crise sont des disciplines ayant fait ment la crise puisse tenir les organi-

11
l’objet de très nombreux écrits ayant sations en échec ?
conduit à l’édification de bonnes pra-
Après quatre décennies de recherches
tiques apparemment universellement
scientifiques et d’analyses ayant accou-
admises et partagées au sein d’un grand
ché de principes devenus des fonda-

Réinventer la gestion
nombre d’organisations. On ne compte
mentaux peut-être de nouvelles pistes
plus les ouvrages, articles et analyses des
offrent-elles une approche nouvelle de

des risques et des


risques et crises et, cela va sans dire, les
la gestion des risques et des crises. En
enseignements associés.
effet, la prise en compte de la théorie des

crises : biais cognitifs et Par conséquent, comment expliquer les systèmes complexes et de l’expression

systèmes complexes
échecs flamboyants lors de crise récentes des biais au niveau collectif et individuels
? Comment expliquer la gestion pour le semblent offrir une lecture renouvelée,
moins énigmatique d’une première vague moins réductrice et moins subjective. Ces
de Covid prenant visiblement de court un deux pistes, ont été largement étudiées
gouvernement français pourtant entouré dans des domaines de gestion en situa-
d’organisations expertes et de conseillers tion « stable » (gestion de projet, gestion
théoriquement aguerris dans la discipline des conflits, marketing, gestion des res-
? Comment expliquer la gestion dérou- sources humaines, etc.). Notre proposi-
tante de la FEMA lors des ouragans Hugo, tion est d’élaborer grâce à ces deux pistes
Andrew et Katrina ? Comment expliquer une grille de lecture additionnelle et sans
la sidération mondiale face à la crise des compromis des pratiques existantes de
subprimes balayant Lehman Brothers ? la gestion des risques et des crises et de
leurs limitations afin de réinventer ces
disciplines pour dépasser des partis pris
et les idées reçues.
98 99
Contribution 11

Une cartographie des risques induc- phie des risques de 2022 négligerait-elle provoque des causalités de crises comme et à mesure de l’enrichissement du savoir.
tive et exclusive le risque pandémique désormais ? Tout le Covid l’a démontré où d’une crise sani- Après tout, nos ancêtres ne firent pas
est là, l’induction nous rend réactif, pas taire, une crise de la mobilité s’est mani- différemment lorsqu’ils interprétèrent
Face à la succession de crises « jamais
proactif. festée, entraînant une crise économique les lumières scintillantes des ciels noc-
vues » ayant surpris les organisations,
(non encore totalement éprouvée), et turnes en mesure de les aider à se repérer
se pose la légitime question de notre ca- Une seconde raison réside dans cette
géopolitique précédant des crises poli- comme des figures mythologiques dont
pacité à détecter les futurs. Comment obstination des cartographes des risques
tiques et sociales. L’utilisation des heat- des narrations grandioses furent élabo-
en effet expliquer cette surprise systé- de considérer la fréquence (ou l’occur-
maps est ainsi contraire à toute approche rées afin de transmettre la connaissance.
matique de nœuds évènementiels alors rence) comme élément dimensionnant
stratégique tant ce format contraint à Dans le cas des gestions des risques et
baptisés « crises » du fait de la perte de du risque. On comprend aisément l’aide
une vision minimaliste et unidimension- des crises, quelle est la part d’imagination
repères, de l’incertitude et de l’ambiguïté décisionnelle que peut représenter une
nelle. C’est l’influence réciproque des inclue dans le raisonnement ? Ce constat
qu’ils engendrent ? Comment expliquer échelle de fréquence comparant les
risques qu’il convient de tenter d’analy- est d’ailleurs partagé par des organes
cette sidération alors que des organes risques entre eux. Le problème réside
ser, des trajectoires possibles du réel. Les publics. Pour preuve, le Ministère des
de gestion des risques existent dans la dans la légitimité des données. Qui donc
sauts qualitatifs devant nous sont les ten- Armées s’est doté d’une équipe d’auteurs
plupart des organisations ? évalue la fréquence d’un évènement
à venir ? Comment ? Cette méthode
Une des explications réside peut-être
dans l’influence de l’induction comprise
est-elle applicable de manière homo- Nous avons tendance à ne raisonner que sur les risques
comme influence du passé dans notre
gène pour tous les risques considérés ? que nous avons déjà identifiés.
Comment, avec le recul, considérer ces
conception du futur. C’est par l’accumu-
analyses de risques faites par l’immense
lation d’expériences et la représentation tatives de modélisation des cygnes noirs de science-fiction (la « Red Team ») pour
majorité des organisations du monde qui
de tendances que l’on se représente un potentiels en sommeil dans des futurs imaginer les menaces pouvant mettre en
plaçaient le risque pandémique au plus
avenir dans la droite lignée d’un passé possibles et l’analyse des trajectoires y danger la France et ses intérêts. L’imagi-
bas, en faveur des risques cyber ou terro-
considéré comme linéaire. C’est ainsi conduisant de manière à, tant que pos- nation est ainsi propulsée parmi les quali-
ristes à la mode, qui désormais le mettent
qu’on a vu les organisations se préparer sible, les éviter. tés à trouver parmi les gestionnaires des
dans le top 5 de leur liste ? Est-on vrai-
corps et âme contre le risque terroriste au risques et crises. Or, quelle organisation
ment plus soumis au risque pandémique Une quatrième raison est le manque
lendemain d’attentats meurtriers, faire base-t-elle l’imagination comme trait de
à la fin 2021 que nous l’étions au début d’imagination. Nous avons tendance à ne
de la cyberdéfense sa priorité numéro personnalité fondamental pour des po-
2019 ? ce phénomène est bien connu des raisonner que sur les risques que nous
un au lendemain de cyberattaques mon- sitions de gestionnaire des risques et des
sciences cognitives. Il s’agit du biais de re- avons déjà identifiés. Car s’il est aisé de
diales ou encore jurer aux grands dieux crises ? Quel recrutement, pour ces fonc-
présentativité. savoir ce qu’on sait, il est par définition
reconsidérer les chaînes d’approvision- tions, inclue-t-il l’imagination comme un
plus difficile de savoir ce qu’on ne sait pas.
nement au lendemain d’un canal de Suez Une troisième cause est la prise en critère déterminant ?
Le premier pas vers l’inconnu peut être
bouché. Qui donc considérait crédible un compte des risques de manière indivi-
l’imagination. On peut conceptualiser
scénario pandémique planétaire à l’aube duelle et non pas groupée. Les risques
l’inconnu et le préciser, le détailler au fur
de 2019 ? Et pourtant, quelle cartogra- s’agencent en grappes, leur agrégation

100 101
Contribution 11

Une information et une planifica- et de la naissance des crises. Pourtant, rants (avec le diesel atteignant 1,46€/L Le « syndrome de l’historien » qui pousse
tion devenus alpha et oméga la théorie des systèmes complexes et et le Super95 1,45€/L). Au lendemain des à donner un sens logique apparemment
notamment la notion de non-linéarité manifestations successives, le coût du évident a posteriori à des évènements
L’information a toujours été un enjeu
met en évidence la quasi-impossibilité litre d’essence fut alors considéré comme pourtant imprévisibles a priori, n’est
critique de la gestion des risques et des
de comprendre ce qui régit les effets indicateur très pertinent du niveau de qu’une manifestation de ce biais de nar-
crises. De tout temps l’accès à l’infor-
seuil à partir d’un certain niveau de com- mécontentement social et révélateur ration qui consiste à considérer après-
mation s’est révélé déterminant pour
plexité de l’organisation. Ceci explique d’une mobilisation à venir. À l’heure coup des éléments afin de les articuler
assurer la survie de l’organisation. Pour-
pourquoi les commentateurs des risques de ces lignes, plus de trois ans après le dans un développement qui nous semble
tant, dans la dernière décennie, cette
et les adeptes de la préparation furent début du mouvement, le litre de carbu- acceptable et cohérent.
orientation a pris une toute autre dimen-
pris par surprise par le mouvement des rant a pourtant encore augmenté de 4%
sion. À l’heure du « tout numérique », du En ce qui concerne la planification
gilets jaunes que personne n’anticipa pour le diesel et de plus de 16,6% pour
« tout data », l’algorithme est roi et l’IA de crise, de nouvelles considérations
(surtout pas les experts en monitoring), le Super95. De quoi activer la réaction
incarne le graal. Ainsi, nul étonnement de peuvent amener à faire évoluer nos
par les attentats du World Trade Center sociale en chaine d’après les nouvelles va-
voir émerger nombre d’approches analy- concepts : premièrement elle est souvent
riables. Et pourtant le mouvement gilets
basée sur l’expérience des personnes
jaunes d’origine n’a pas repris. Peut-être
À l’heure du « tout numérique », du « tout data », en charge de sa rédaction/préparation.
s’est-il en partie dilué dans d’autres mou-
l’algorithme est roi et l’IA incarne le graal. Par-là elle est un pur produit du biais du
vements contestataires liés aux problé-
survivant consistant à enregistrer les
matiques vaccinales et libertaires, peut-
méthodes et approches de situations de
qui sidéra le monde, par la victoire d’un être s’est-il en partie éteint, peut-être la
tiques de traitements de données dans crise considérées comme « bonnes » ou «
Trump battant une Hilary que l’intégrali- répression de l’époque a-t-elle inhibé les
ces disciplines. La data ouvre des pers- satisfaisantes ». Or la théorie de la com-
té des signaux donnaient gagnante. Ceci ardeurs mobilisatrices. Quoi qu’il arrive,
pectives nouvelles de traitements algo- plexité démontre que les situations ne
explique aussi pourquoi les adeptes des le prix du litre de carburant, devenu il y
rithmiques et artificiellement intelligents sont aucunement reproductibles ainsi,
signaux « faibles » considéraient, à l’aube a trois ans élément déclencheur du plus
de l’océan de données disponibles. C’est une telle approche tend à développer
2019, les risques cyber et terroristes grand mouvement social de l’histoire na-
dans ce contexte qu’a pu vraiment pros- une confiance injustifiée. Cette confiance
comme les plus conséquents à travers le tionale récente, n’était peut-être qu’un
pérer le concept de signal faible proposé peut d’ailleurs elle-même faire l’objet
monde. stigmate. Or les stigmates ne sont pas
par Ansoff dans les années 1970. Le signal d’un biais de la part des plus assidus à la
systématiques, nous devrions pourtant
dans sa clarté et son manque d’équivocité Si la théorie de la complexité bas en pratique et à la routine de cette planifi-
ne pas en être surpris dans cette hystérie
n’est plus le but, le signal « faible », celui brèche l’espérance de prédiction algo- cation. Ce biais, appelé biais de présomp-
sanitaire nous ayant bien familiarisé avec
qui annonce la crise avant même qu’elle rithmique du futur par un Oracle de tion, peut rendre les experts aveugles aux
la notion d’asymptomatique. Preuve par
n’est débutée, devient la cible. Oracle de Delphes numérique, la réalité se charge signaux contredisant l’utilité de la planifi-
neuf, l’histoire ne ressert pas les plats, les
Delphes d’une réalité considérée compa- bien de nous le démontrer avec clarté : cation dans la situation en question là où
signaux « faibles » ont souvent de « faible
rable aux situations apparemment mé- la vague des gilets jaunes s’amorça lors un novice détecterait l’inadéquation du
» d’abord leur pertinence.
ta-similaires. Le signal faible deviendrait d’une augmentation du prix des carbu- protocole de crise par rapport à la situa-
donc la porte de détection de la gestation tion.
102 103
Contribution 11

Des acteurs de crise fantasmés ainsi le leader de la cellule de crise en tralisation absolue des décisions. Or les ganisations hautement fiables » pourtant
guide ultime tractant cette dernière sciences cognitives nous montrent que contredite par un certain nombre de ca-
La gestion de crise, en tant que nœud
voire l’organisation toute entière dans les biais cognitifs (sans même parler tastrophes meurtrières, demeure selon
événementiel et concentré d’incertitude,
une vision qu’il est le seul à détenir ; des conflits d’intérêts ou des humeurs nous un paramètre à modérer. Les études
renvoie naturellement le leader à un rôle
• Hollywood où, à grand renfort de assumées) sont inévitables et qu’il est sur les experts en médecine légale sont
tout particulier du fait de ses missions de
films catastrophes, l’industrie des « vain d’espérer empêcher leur expres- sans appel sur l’influence majeure des
direction et d’arbitrage. En pleine perte
blockbusters » a forgé une image du sion. Premièrement, lors de situations biais cognitifs sur les décisions pourtant
de repères, l’incarnation du guide devient
héros charismatique portant la réus- stressantes ou anxiogènes, un phéno- supposées objectives des experts et de
essentielle pour les cellules de crise. Or
mène est observé : dans ce cas l’individu leurs conséquences parfois dramatiques.
néglige spontanément les apprentissages Une part de cette subjectivité s’explique
En pleine perte de repères, l’incarnation du guide récents et les raisonnements complexes par le rapport à l’expérience entretenu
devient essentielle pour les cellules de crise. pour revenir à ce qu’il connaît le mieux par l’expert. En effet, l’expert dispose
c’est-à-dire la connaissance la plus so- d’une expérience personnelle l’amenant
site collective dans l’adversité la plus lidement ancrée (la plus ancienne) et la à 1) considérer plus probable des situa-
notre vision du leader en situation de
incroyable et souvent la plus fantaisiste. plus simple. Il s’agit d’une phase dite de tions qu’il a déjà connues (biais de repré-
crise est largement influencée par trois
régression. De plus, la situation de crise sentativité) et à 2) copier les apparentes
facteurs principaux :
Ces trois éléments contribuent à forger est l’occasion d’un effet de ciseau cognitif « recettes » de situations plus ou moins
• la vision managériale au sens large, une image d’un leader « chef de guerre où c’est au moment où le champ cognitif similaires dont la gestion fut considérée
où le leader est un personnage central » pourtant très éloignée de bien des se réduit dramatiquement que le leader satisfaisante (biais du survivant).
si ce n’est LE personnage le plus déve- leaders de cellule de crise affrontant des nécessite pourtant le plus grand niveau
Une fois admis la présence des biais co-
loppé et conceptualisé par les sciences situations souvent inattendues, imprévi- d’attention. Dans ce cadre, et au regard
gnitifs, il convient d’admettre l’impossibi-
de gestion. Or cette conception est le sibles et incompréhensibles. La théorie de la pression à laquelle est soumis tout
lité de les annihiler tant ils font partie in-
plus souvent issue d’une considération des systèmes complexes, appliquée à spécialement le leader, comment attri-
tégrante de notre cognition. En revanche,
« en temps de paix » où la situation est l’échelle d’une entreprise et plus encore buer la plus grande autorité décisionnelle
via des mesures organisationnelles et
toute différente des temps de crise (vo- à celle d’une multinationale ou pire d’une à la subjectivité d’une seule personne ?
collectives, il est possible d’atténuer leur
latilité, incertitude, ambiguïté) et donc nation, montre que la réalité est bien trop
En parallèle du Leader, la position de l’ex- expression par une pluralité des angles
où la mission et la responsabilité sont complexe pour être saisie et comprise
pert est elle-aussi toute particulière en d’analyse (nombre de personnes dispo-
tout autres ; par un seul esprit. La multiplicité de pa-
gestion des risques ou en gestion de crise. sant de la légitimité), par une facilitation
• l’influence de personnages histo- ramètres s’influençant respectivement
Par son savoir et son expérience, l’expert adaptée (coordination des échanges et
riques charismatique, et notamment rend la lecture claire des évènements et
devient un acteur central lui aussi, car sa débats) et des constats issus d’entités
l’image gaullienne. Cette représen- la compréhension des causalités impos-
compréhension des phénomènes devient indépendantes (observateurs présents
tation collective du leader, reposant sibles à la seule cognition individuelle.
parfois LA source d’interprétation des depuis le début des évènements avec
sur un inconscient collectif influencé En outre, une vision de leader « chef de
évènements. La déférence à l’expertise, pour seul tâche l’observation).
parfois par des images d’Épinal, place guerre » est souvent associée à la cen-
promulguée dans une théorie des « or-
104 105
Contribution 11

Un retour d’expérience considéré et leurs échecs au hasard… Biais d’attri- Comme l’art subtil de se 1) sélectionner pour partie selon une notion de probabi-
comme un gage de progrès bution, biais de narration, biais d’encrage, les bonnes personnes à impliquer dans lité on ne peut plus subjective. Miser plus
biais de confirmation, conflits d’intérêt, la démarche, 2) faciliter les échanges de sur l’imagination des gestionnaires des
Il semble évident que tout évènement
sont souvent au rendez-vous dans une manières objectives en diminuant l’ex- risques que sur la beauté graphique de
doit être source d’apprentissage lorsqu’il
concrétion d’interprétations indivi- pressions des subjectivités contre-pro- heatmaps qui considérait le risque pan-
influence une organisation et d’autant
duelles arrangée en une interprétation ductives, 3) offrir des éclairages basés sur démique planétaire comme « négligeable
plus s’il menace sa pérennité. Notre force
collective. des faits collectés et analysés par des per- statistiquement » il n'y a pas plus de 30
est celle de l’accumulation de savoir. C’est
sonnes extérieures aux cellules de crise mois de cela.
selon cette optique que le retour d’expé- Ce retour d’expérience accouche d’un
et sans conflit d’intérêt ou d’autorité avec
rience demeure la finalisation logique de plan d’actions induisant des modifica- Ne plus croire en un chimérique Oracle
les acteurs en présence.
la gestion de crise, plaçant ainsi le plan tions du plan de crise, contribuant à de Delphes numérique prophétisant au
d’actions final come outcome ultime de la augmenter la confiance des acteurs en
séquence. cette version « améliorée » (cultivant le
Le retour d’expérience doit-il peut-être ne plus être
biais de présomption pour les experts),
Pourtant cette pratique a priori inatta- considéré comme un processus mais comme un art.
voire l’identification et le suivi de nou-
quable revêt des aspects bien subjectifs
veaux signaux « faibles » (selon le présup-
dans sa pratique la plus couramment
posé qu’un même signe avant-coureur gré de l’interprétation de dits signaux «
observée remettant en cause son utilité Conclusion : progresser par l’humili-
annonce les mêmes évènements dans faibles ». Ne plus se préparer à être surpris
pourtant considérée fondamentale. té et l’organisation
des situations différentes, ce qui contre- mais bien se résoudre à être dépassé et à
En effet dans nombre d’organisations,
dit la notion de non-linéarité propres aux Là où peut résider la tentation d’évoquer faire avec, surtout à survivre malgré tout.
le retour d’expérience consiste en une
systèmes multicomplexes), et d’autres la gestion de crise via la notion de bra- Être en mesure d’affronter n’importe
réunion regroupant autour de la table
actions diverses permettant de rassurer voure, nous proposons quant à nous de quoi et ce immédiatement. Une reconsi-
un nombre limité d’acteurs de la crise
l’organisation se considérant dès lors miser sur l’humilité. Celle d’admettre que dération de l’importance d’un facilitateur
vécue (sélectionné par qui ?) disposant
mieux armée et engagée dans une voie nous sommes et serons irrémédiable- assurant une dynamique de travail de
d’un résumé des évènements obtenu par
de progression. ment pris de court par les évènements, cellule de crise permettant à un leader de
concaténation des données (faite par qui,
celle de reconnaître que nos compréhen- ne pas avoir à singer une image d’Épinal
et dans quel but ?) échangeant (qui parle L’angle de la cognition et son irréductible sions et jugements sont gouvernés par et à se consacrer pleinement à sa mission
en premier ?) sur les éléments positifs et influence des biais nous amène ainsi, des filtres de lecture cognitifs. C’est dans d’établissement de cap et d’arbitrage.
négatifs (sur quelle base ?) notés durant lorsque les retours d’expériences sont ce cadre que des pistes nouvelles peuvent Une déférence au juste nécessaire d’ex-
l’évènement et aboutissant à un sa- effectués dans les conditions décrites être considérées dans les disciplines de la perts précieux. Une approche des retours
cro-saint plan d’actions. Certains acteurs plus tôt, à nous interroger s’il est vrai- gestion des risques et des crises. d’expérience limitant la subjectivité.
vont jusqu’à partager un « narratif » de ment pertinent d’y participer ou même
l’évènement. Plus triste encore, certains de les organiser. Le retour d’expérience Ne plus considérer les risques un par un, Une des réponses possibles réside dans
membres vont parfois jusqu’à attribuer doit-il peut-être ne plus être considéré sous la référence tacite d’un passé qui l’organisation. Une organisation incluant
les réussites à leurs qualités personnelles comme un processus mais comme un art. ne se répètera pas et les dimensionnant désormais les effets indésirables de

106 107
Contribution 11

l’expression des biais cognitifs comme Références • Meszaros T. (2017). Décider et agir heuristic. In T. Gilovich,D. Griffin,&D.
éléments à identifier puis à restreindre. dans le brouillard des crises majeures. Kahneman (Eds.), Heuristics and Biases:
• Ansoff I. (1970). Managing strategic
Une organisation qui, si elle ne pourra Tribune en ligne The Psychology of Intuitive Judgment
surprise by response to weak signals.
pas supprimer totalement la subjectivité • Meszaros T., Despinasse F., (2020). (pp. 397–420). New York: Cambridge
California management review, 18 (2),
intrinsèque à l’humain, pourra toutefois L’innovation de défense pour la gestion University Press
pp 21-33.
en réduire l’expression. Une organisation des crises : dispositifs Red team et Blue • Slovic et al. (2004), Risk as Analysis
• De Vittoris R. (2021). Surmonter les
où la facilitation prend toute son impor- team. Revue de défense nationale, n° and Risk as Feelings: Some Thoughts
crises, idées reçues et vraies pistes pour
tance pour permettre une interprétation 826, janvier 2020, pp. 101-105 about Affect, Reason, Risk, and Ratio-
les entreprises. Dunod Eds.
collective cohérente d’une réalité telle- • Mintzberg H. (1989). Mintzberg on nality. Risk Analysis, Vol. 24, No. 2, 2004
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ment difficile à saisir en temps de crise. management. Inside our strange world • Taleb NN. (2004). Fooled by ran-
mation renders experts vulnerable to
of organization. Hungry Minds Inc, US. domness: the hidden role of chance in
Le « tout-numérique » a rendu le monde making erroneous identifications. Fo-
• Moynihan DP. (2009). The Network life and in the markets. South Western,
plus volatile, les crises plus propices, la rensic Science International. Volume
Governance of Crisis Response: Case Thomson Learning company
probabilité plus grande, l’immédiate- 156, Issue 1, 6 January 2006, Pages
Studies of Incident Command Systems. • Taleb NN. (2010). Le Cygne noir : La
té plus terrifiante et la magnitude plus 74-78
J-PART, Vol. 19, No. 4(Oct., 2009), pp. puissance de l’imprévisible, Les Belles
extrême. Et pourtant rien ne semble in- • Dror I. & Charlon D. (2006). Why
895-915 Lettres, Paris, 2010,
diquer que nous souhaitions ralentir la Experts Make Errors. Journal of Foren-
• Murphy, P. (2000). Symmetry, • Taleb NN. (2013). Antifragile :
grande digitalisation du réel. Les organi- sic Identification. 600 / 56 (4), 2006
contingency, complexity: Accommo- Les bienfaits du désordre, Les Belles
sations alimentent ainsi la volatilité de • Gilpin DR., Murphy PJ. (2008).
dating uncertainty in public relations Lettres, Paris, 2013
leur réalité. Si le monde est bien devenu Crisis management in a complex world.
theory. Public Relations Review, 26(4), • Topper B., Lagadec P., (2013),
VUCA (volatile, incertain, complexe et Oxford University Press, Inc.,
447–62. Fractal Crises – A New Path for Crisis
ambigu) alors c’est toute la notion de • Kahneman, D., & Tversky, A. (1979).
• Pearson, C. M., & Clair, J. A. (1998). Theory and Management. Journal of
fragilité qui demande à être réexplorée. Prospect theory: An analysis of deci-
Reframing crisis management. Academy Contingencies and Crisis Management
C’est tout le paradigme de « résilience » sion under risk. Econometrica, 47(2),
of Management Review, 23(1), 59–76. Volume 21 Number 1 March 2013
qui est battu en brèche et renvoyé à la 263–92.
• Perrow, C. (1984). Normal acci- • Weick, K. E. (1988). ‘Enacted sense-
désuétude. C’est une nouvelle ère qui • Kassin S., Dror I. & Kukucka J.
dents: Living with High-Risk Techno- making in crisis situations’. Journal of
s’ouvre à la stratégie non seulement des (2013). The forensic confirmation bias:
logies. Basic Books, New York. ISBN Management Studies, 25, 305–17.
gestions des risques et des crises, mais Problems, perspectives, and proposed
978-0465051427 • Weick, K. E. (1993). The collapse
bel et bien des organisations privées et solutions. Journal of Applied Research
• Schwandt D. & Marquardt M. (2000). of sensemaking in organizations: The
publiques. C’est le moment de passer de in Memory and Cognition. Volume 2,
Organizational learning : from wor- Mann Gulch disaster. Administrative
la résilience devenue caduque à l’antifra- Issue 1, March 2013, Pages 42-52
ld-class theories to global best prac- Science Quarterly, 38(4), 628–52.
gilité, mais cela est une autre histoire… • Kersten, A. (2005). Crisis as usual:
tices. CRC press LLC. St. Lucie Press • Weick, K. E. (1995). Sensemaking
Organizational dysfunction and public
• Slovic, P., Finucane, M. L., Peters, E., in organizations. Thousand Oaks, CA:
relations. Public Relations Review,
& MacGregor, D. G. (2002). The affect Sage.
31(4), 544–49.
108 109
Contribution 11

• Weick K., Sutcliffe KM., ( 2007),


Managing the unexpected - Resilient
Performance in an Age of Uncertainty.
20172017

110 111
Contribution 12

Nathalie Gourdin
Conseillère en communication : crise,
stratégie, influence chez NGM Solutions

Depuis toujours, la prise de décision est nière minute par Eisenhower, elle surprit les
un acte fondamental qui structure les Italiens qui pensaient être à l’abri d’un assaut
choix tactiques de la manœuvre aéroter- ...au moins cette nuit-là.

12
restre.
L’opération « Iraqi Freedom », entre mars et
La guerre est composée d’éléments qui avril 2003, a bien montré que même l’arme
interagissent en fonction de l’environne- réputée infaillible du renseignement amé-
ment et de l’adversaire, la rendant ainsi ricain avait ses limites. Contrairement à ce

Le processus décisionnel :
très aléatoire dans sa forme. Elle est, en que prévoyaient les Américains, le monde
outre, souvent dominée par le hasard, entier ne s’est pas aligné sur la politique amé-

la prise de décision d’un ces frictions chères à Clausewitz et l’im-


prévisibilité de l’homme face au stress du
ricaine, les armes chimiques, qui justifiaient
cette guerre, n’ont pas été découvertes, le

point de vue cognitif champ de bataille. régime iraquien ne s’est pas effondré du jour
au lendemain et les soldats de la coalition
Le meilleur rapport de force, l’analyse la
sont loin d’avoir été accueillis comme des
plus pertinente ou encore la technologie
libérateurs.
la plus avancée n’auront que peu d’im-
pact sur ces fameux « impondérables » : L’incertitude dépend donc de facteurs
l’ennemi réagit rarement comme prévu et liés à l’environnement au sens large,
les aléas climatiques peuvent également mais également et surtout, à la nature
largement influencer l’issue du combat. humaine avec ses remarquables ressorts
mais aussi ses invariants plus sombres
Deux exemples permettent d’illustrer ces
qui conduisent à des choix irrationnels ou
points. En 1943, l’opération Husky (le dé-
inefficaces au combat.
barquement des troupes alliés en Sicile avec
pour objectif d’ouvrir un second front en Le soldat est ainsi, avant tout, un indivi-
Europe) a bien failli être annulée en raison du, avec ses faiblesses, ses imperfections
d’une météo exécrable. Maintenue en der- et ses émotions... Malgré l’obéissance
112 113
Contribution 12

exigée par son statut de militaire, le com- veaux, pouvant s’apparenter à 3 niveaux Niveau 2 : intermédiaire, le limbique - complexes d’apprentissage, des grandes
battant demeure en effet toujours un de plus en plus évolués. siège des émotions fonctions (logique, linguistique, auditive,
être libre. vision spatiale...).
Nous aborderons leurs rôles spécifiques Le cerveau limbique est le siège des émo-
Quels que soient tous les outils ou mé- ainsi que la place occupée dans le proces- tions et de notre mémoire émotionnelle Le cortex préfrontal est le centre d’in-
thodes utilisées, l’humain constitue donc sus décisionnel. associée : amour, haine, honte, sentiment tégration le plus élevé de l’intelligence
le maillon final de la décision. de ridicule... humaine. En tactique, il représente ce
que Napoléon appelait la « rémanence »,
L’appréhension des comportements
c’est-à-dire cette capacité à faire la syn-
Le soldat est ainsi, avant tout, un individu, avec ses appris en dépendent : peur de prendre
thèse de ce que l’on a appris (connais-
faiblesses, ses imperfections et ses émotions... la parole en public, sentiment de honte,
sances des batailles, réflexions person-
considérations hiérarchiques dans le
nelles, lectures, ...) pour être créatif sur le
groupe, sens de la compétition. Enfin, il
Niveau 1 : le cerveau reptilien - la vie et champ de bataille face à une situation qui
Un chef militaire doit se prévaloir d’un constitue « le centre des convictions »,
la survie rappelle un engagement précédent ou
certain nombre de qualités afin de gérer des croyances et des certitudes irration-
une approche théorique.
à la fois l’incertitude des conflits mais Rapide, il est le siège des pensées auto- nelles, qui peuvent nous pousser à mourir
également ses propres émotions, se matiques et des réflexes : son temps de pour elles. C’est grâce ou à cause de lui Après avoir sommairement décrit notre
connaître et se prémunir des « attaques réaction est quasiment instantané. que la vérité n’est pas la même partout. construction cérébrale, il pourrait être
» cognitives de son adversaire, en parti- A ce titre, évidemment, ce cerveau nous supposé que ces 3 entités fonctionnent
Autonome, il assure les grandes fonc-
culier avec le développement des actions intéresse particulièrement pour l’enga- très bien ensemble, en harmonie et sy-
tions vitales : boire, manger, dormir...
dans les champs immatériels (influence, gement militaire. nergie, suivant une hiérarchie établie :
déception, ruse, brouillage, ...). Génétiquement programmé, il n’apprend les parties plus anciennes au service des
rien et vit dans le présent : il génère des Niveau 3 : à l’opposé, le cortex - cérébral parties les plus évoluées. Ce n’est mal-
1. Se connaître – connaitre le fonc- réactions stéréotypées en réponse à des et préfrontal heureusement pas si simple.
tionnement de notre cerveau stimuli identiques, Il gère les fonctions intellectuelles com-
Le cortex préfrontal et le cerveau lim-
Bien que les recherches sur le cerveau plexes comme la créativité. Son temps de
Il met en œuvre une rapidité de déci- bique, sont tous deux dotés de leur
n’aient jamais cessé de progresser no- réaction est plus long que celui du repti-
sion nécessaire à l’instinct de survie qui propre centre de traitement des infor-
tamment depuis le début des années lien, de 3 à 4 secondes. Il est subdivisé en
le pousse à voir les choses plutôt de « mations émotionnelles et décisionnelles
2000, notre fonctionnement cérébral 2 parties : le cortex cérébral et le cortex
manière sécuritaire », celles à l’origine : ils n’ont pas d’autre choix que de « coo-
reste encore largement méconnu et ex- préfrontal.
de la peur et de la fuite. Au combat, il pérer » en douceur. Il arrive cependant
trêmement complexe à saisir. est au cœur des axes réflexes appris à parfois que ces structures cohabitent mal
Le cortex cérébral est le lieu de la sen-
l’entraînement mais peu aussi avoir des sorialité, la motricité, du langage et de la générant des conflits ouverts... Nous le
Les travaux de Paul MacLean dans les
conséquences lourdes sur la résilience mémoire, de nos principales perceptions verrons de manière plus précise en étu-
années 60 ont démontré que nous avions
du soldat ou d’une unité face à l’imprévu. et représentations, des mécanismes très diant les 2 modes mentaux décisionnels :
une structure d’empilement de 3 cer-

114 115
Contribution 12

les modes automatique et préfrontal ! tal pour trouver des solutions et passer Le mode mental limbique est donc rapide chefs, figés par la peur ou par la prise d’as-
à l’action. Les barrières peuvent aussi se et économique mais aussi rigide parfois cendant de leur adversaire, sombrent dans
2. Le mode mental automatique ou matérialiser dans le corps « physique » : incapable de reconnaître une situation l’inactivité voire le refus de décider. On peut
MMA : action du cerveau limbique certaines parties peuvent se rigidifier ou inhabituelle. citer Varus qui, à la tête de ses légions, est
carrément se bloquer (dos, genoux...). assailli par les Germains dans la forêt de
Il arrive que dans certaines situations, A noter que ce verrouillage et ce refus de
Teutoburg et s’enferre dans sa décision de
nous n’arrivions pas à prendre en compte Le cerveau limbique peut s’avérer domi- changer, proviennent de pensées induites
poursuivre sa manœuvre dans la zone boisée
la réalité : on appelle cela le mode mental nant dans de nombreuses situations car par notre amygdale limbique.
alors que ses hommes lui demandent de
automatique qui va générer l’évitement, il est à la fois plus ancien que le cortex
Bien sûr, impacter un mode de décision trouver un espace découvert pour échapper
voire le refus du problème. mais il est surtout situé sur le chemin de
automatique induit par une émotion peut au massacre.
l’information ascendante : il est donc le
Nous serons dans un mode anxiogène être utile si on souhaite toucher une per-
premier à être informé. Il peut ainsi ré-
et douloureux inhibant la recherche de sonne ou un groupe afin de pouvoir diffu- 3. Le mode de décision préfrontal :
pondre immédiatement à un stimulus. La
solutions. C’est un état rigide et limitant ser une idée ou amener vers une action intelligence et stratégie
réponse sera malheureusement souvent
dans lequel le bien-être et la performance ou un comportement recherché.
très stéréotypée : instinctive et non ré- Le préfrontal est une zone située directe-
vont vite se dégrader. Si nous considé-
fléchie. ment derrière le front qui est le siège de
Prenons l’exemple de la COVID-19 : la peur
l’intégration de toutes les intelligences.
de la maladie et de ses variants induit la né-
Bien sûr, impacter un mode de décision automatique cessité de se faire vacciner alors qu’une ma-
Il est sollicité dès qu’une situation incon-

induit par une émotion peut être utile si on souhaite jorité de la population y serait opposée...
nue et complexe se présente. Il agit telle

toucher une personne ou un groupe afin de pouvoir une tour de contrôle.


Nous pouvons également penser aux clips
diffuser une idée ou amener vers une action ou un Cette zone, dont le volume a nettement
violents de la Sécurité Routière ou encore
comportement recherché. augmenté depuis son apparition, caracté-
aux images chocs diffusées dans les journaux
rise l’être humain et constitue le dernier
télévisés dont l’objectif est de faire réagir.
rons la situation sanitaire française ac- Ce mode mental est sollicité en premier développement de notre cerveau.
tuelle, celle-ci impacte nos émotions : D’un point de vue militaire, les actes « réflexe
lorsqu’une peur, par exemple, entre en
A l’opposé des actes élémentaires qu’ac-
certaines oscillent entrent angoisse et » du combattant ou encore le « drill » peuvent
jeu. La réaction est alors, le plus souvent,
quière chaque combattant au travers de sa
anxiété, liées à de nombreuses incon- être assimilés à ce mode automatique. L’ en-
parfaitement inadaptée à la situation. En
formation puis de son entrainement régulier,
nues, à la surprise générale, l’inédit et traînement composé d'une série d’exercices
cas de fatigue ou faible concentration, le
la stratégie globale nécessite une réflexion
aussi la peur. Cela amène notre cerveau qui permet, par leur répétition acharnée,
MMA est encore plus dominant. Com-
poussée : il faudra en effet être capable de
à cet état figé et, pour certains, à bascu- de rendre les soldats, aptes à exécuter sans
prendre notre mode de fonctionnement
combiner l’ensemble des facteurs et do-
ler de plus en plus dans la déprime voire hésitation, rapidement et sans faute, les
et reconnaitre nos émotions et notre état
maines qui contribueront de plus ou moins
la dépression en raison des blocages qui manœuvres correspondantes dans des si-
de fatigue peut permettre de prendre le
loin à soutenir l’action militaire dans sa pré-
s’y opèrent rendant inopérante notre tuations extrême et généralement dégradée.
recul nécessaire pour faire appel à notre
paration, sa conduite et les conséquences
capacité à utiliser notre cortex préfron- A contrario, dans l’histoire militaire, certains
cerveau rationnel.
géopolitiques qui en découleront. C’est le
116 117
Contribution 12

lieu de la mise en œuvre de la méthode Elle va dépendre de la connaissance de soi et existe ?). 6. Des outils pour amener l’adver-
de raisonnement tactique avec la prise en de notre capacité à gérer nos émotions et à saire dans un processus de décision
L’incertitude dépend de facteurs humains
compte de tous les éléments qui impactent revenir dans la logique rationnelle : voir les court automatique et impacter son
et environnementaux : « l’information »
la manœuvre, du terrain au temps en choses telles qu’elles sont, et non meilleures comportement
se trouve au centre du problème, surtout
passant par les facteurs de succès que sont, ou pire... Se détacher de l’émotionnel et être
de la carence qui est souvent anxiogène. Face à un adversaire, un chef tactique va
par exemple, la surprise, la modularité, la focus sur le moment présent : aller chercher
chercher à obtenir le comportement ou la
recherche de la foudroyance ou encore les des ressources du passé pour préparer et Pour être efficace, un chef n’a donc décision désirée en utilisant l’histoire de
mesures de sûreté. conduire le futur (anticiper et se projeter). d’autre choix que de concevoir et de son ennemi, sa culture, des images pré-
La formation des chefs tactiques doit per- conduire son action en prenant en cises qui auront un sens pour lui : utiliser
4. Qui commande finalement ? mettre, tout au long du parcours militaire, compte cette dimension. Pour l’appré- un ancrage qui va induire une émotion
de développer cette connaissance de soi. En hender au mieux et se donner davantage
Nous avons vu que chaque « étage » de et ainsi bloquer sa capacité de raisonne-
outre, il est important qu’un chef, contraire- de chances de succès, il faut certes l’ap-
notre cerveau (limbique et préfrontal) est ment ou un comportement automatique
ment à son état-major, souvent plongé dans privoiser mais surtout s’en servir car elle
doté d’un centre de décision propre, et ou une action souhaitée. Pour cela, pré-
la conduite, puisse disposer du recul néces- touche également son ennemi ou son
que « plus évolué » ne signifie pas néces- parer sa propre action, anticiper, prendre
saire pour décider de manière plus froide. concurrent. En outre, la formation ainsi
sairement « dominant ». Joseph LeDoux de vitesse et induire en erreur. L’exemple
a démontré par exemple que l’amygdale que l’entraînement permettent de limiter de l’opération Fortitude en 1944 permet d’il-
5. Blocage dans la prise de décision :
limbique « exerçait un puissant contrôle
décider dans l’incertitude
en dérivation sur les voies afférentes
L’incertitude dépend de facteurs humains et
sensorielles, capables de court-circuiter, Comment être plus efficace dans la prise
environnementaux : « l’information » se trouve au
par ses réponses émotionnelles rapides de décisions en environnement dégradé,
centre du problème, surtout de la carence qui est
(de l’ordre du millième de seconde), les sous pression (impact émotionnel).
réponses néocorticales et préfrontales
souvent anxiogène.
Dans un contexte incertain, l’Homme
plus élaborées... ». Notre tendance spon-
est souvent assailli par l’angoisse avant l’emprise de l’inconnu. De nombreux ou-
tanée n’est donc pas de sortir du fonc- lustrer ce point : intoxication des généraux
de prendre une décision. Il est difficile vrages de tactique militaire traitent de ce
tionnement limbique. allemands qui ont été confortés dans l’illu-
d’évoquer cette notion d’incertitude, sujet comme celui du général Desportes « sion d’un débarquement Allié dans le Pas de
La bascule d’un mode à l’autre s’effectue par essence immatérielle, qui pourrait se Décider dans l’incertitude » mais aussi des Calais, hypothèse qui semblait la plus facile
de façon naturelle, aléatoire et spon- définir, de manière générale, comme le livres plus «apocryphes» comme «Napo- à mener. Plus récemment, la 2e guerre du
tanée, notamment lorsque le limbique caractère imprévisible du résultat d’une léon, de la guerre» de Bruno Colson où Golfe s’appuyant sur l’affirmation menson-
ne peut répondre à une situation qu’il action. Elle prend deux formes princi- l’auteur tente d’imaginer, au travers de la gère de la possession d’armes chimiques de
perçoit comme complexe et inconnue, pales : l’incertitude en finalité (événe- correspondance de l’Empereur, le traité destruction massive par l’Irak afin de justifier
c’est à dire lorsqu’il ne dispose d’aucun ment futur sur lequel nous n’avons pas de stratégie te de tactique qu’il aurait pu l’intervention US de l’administration Bush.
programme pouvant y répondre automa- tout pouvoir... Vais-je gagner ce match ?) écrire.
tiquement et simplement. et à l’incertitude de sens (est-ce que Dieu Une émotion est une réaction affective

118 119
Contribution 12

passagère d'intensité plus ou moins forte, Être attentif à son ressenti et mettre Notre fonctionnement s’organise selon Perception et représentation
qui survient en réaction à un événement des mots sur l'intensité de l'émotion dé- 3 modes d’activités qui s’influencent ré-
On perçoit le monde au travers de nos 5
déclencheur. veloppe la conscience émotionnelle et ciproquement
sens qui agissent comme des filtres. Les
aide à mieux se comprendre et à mieux
Le psychologue Paul Ekman distingue stimuli étant multiples, chaque personne
comprendre l'autre. Une émotion est un
ainsi six émotions fondamentales univer- filtre ce qu’elle perçoit, c’est-à-dire qu’elle
indicateur sur ce qui se passe en nous Processus Etats
selles, pour lesquelles la dimension cultu- ne prend en compte qu’une partie en
mais également chez le concurrent : les cognitifs (P.C.) internes (E.I.)
relle n’entre pas en compte, ressenti par fonction de ce qui l’intéresse consciem-
bombardements alliés sur l’Allemagne nazie
tous, quel que soit son environnement : ment et inconsciemment.
devaient briser le moral et la résistance de
• trois de haute intensité : la joie, la la population... L’effet obtenu a été tout le Chaque personne possède un système
colère et la surprise ; contraire et a renforcé l’emprise des nazis sur de représentation principal qu’elle utilise
• trois de basse intensité : la tristesse, la population mais également développé son plus facilement que les autres (VAK)
la peur et le dégoût. esprit de résistance.
Par exemple, quand je pense au bruit du
L'identifier et prendre en compte l'infor- Comportements externes et moteur de ma voiture, je me fais d’bord
Dans la vie quotidienne, nous ressentons
mation est utile pour agir par la suite : réactions physiologiques (C.E.) une image.
en permanence des émotions, agréables
prendre du recul, extérioriser sa colère,
ou non, dans diverses situations lorsque 1. Perceptions - VAKO (e)
prendre le dessus sur son adversaire.
nous sommes seuls, ou en interaction
Jeanne d’Arc parvient en 1429, par De la perception au comportement : La réalité est appréhendée grâce à nos 5
avec nos amis, notre famille ou nos collè-
exemple, à freiner l’envie d’en découdre Tout commence par un stimulus, on en sens.
gues. L'émotion est légitime, elle traduit
de ses principaux chevaliers aux abords fait une interprétation, en découle une
un ressenti et a une fonction utile. Notre système de perceptions se
d’Orléans, colère provoquée par les émotion (état interne) et finalement un
compose de la vision, de l’audition, du
Les émotions, lorsqu'elles sont source Anglais qui veulent les pousser à charger comportement.
toucher et des sensations internes, de
d'énergie, constituent un moteur puis- face à leurs archers bien installés comme
l’odorat et du goût.
sant mais elles peuvent aussi être un ils l’avaient fait à Azincourt. En ne cédant
frein, nous bloquer ou nous empêcher pas à cette « élan offensif » les Français
d'agir. Par exemple la peur de ne pas reprennent l’ascendant sur un ennemi
être à la hauteur peut nous amener à surpris et désorienté par ce choix tac-
refuser une promotion. À l'inverse, la tique non conformiste. La victoire est
réussite d'un projet procure une grande obtenue quelques jours plus tard quand
satisfaction, voire de l'enthousiasme. Elle plusieurs centaines de Français étrillent
stimule, donne envie d'aller de l'avant et 2 500 soldats anglais à Patay.
de s'améliorer. Elle constitue un élan.

120 121
Contribution 12

Il est codé <VAKO> E ; E = externe. de notre cadre de référence, notre vision, Les 3 mécanismes pour établir notre facilement en « basculant » vers le mode
notre représentation de la réalité. carte du monde automatique, c’est-à-dire en circuit de
V = Visuel A = Auditif K = Kinesthésique
décision très court, caractérisé par une
O = Olfactif et Gustatif ; Limites = notre Il existe une différence fondamentale Trois processus nous permettent d’établir
réduction de la rationalité et du raison-
code génétique entre le monde et notre modèle du et de perpétuer notre vision du monde et
nement. Ce processus est engendré par
monde : trois filtres d’activités s’inter- d’en assurer la stabilité :
2. Représentations - VAKO (i) nos émotions et la construction de notre
posent entre la « réalité » et l’expérience
• La sélection : processus de filtration propre réalité.
Notre système de représentations que nous en avons.
des stimuli externes et internes vers le
nous permet de créer mentalement des Pour prendre de bonnes décisions, en
• Filtres neurologiques : champ de la conscience.
images, des sons ou mots, des sensations particulier sur le champ de bataille, la
L’apparence de l’univers résulte de nos • La distorsion : processus par lequel
de toucher... compréhension de notre fonctionne-
sens : il est propre à chaque espèce (gé- nous modifions nos perceptions ou
ment, la déconstruction de certaines
nétique). La réalité est donc déjà une nos représentations, utilisé pour in-
Il est codé <VAKO> I ; I = interne. croyances et l’optimisation de l’utilisation
création humaine (≠ celle du poisson ou terpréter notre expérience afin qu’elle
Il existe 2 notions : système de représen- des différents filtres sont essentielles
du chat). reste cohérente avec notre cadre de
tation principal et système conducteur. pour ne pas être « abusé » par l’ennemi
référence.
mais aussi pour saisir les opportunités ou
• La généralisation : processus qui
les dangers du combat.
Il existe une différence fondamentale entre le monde consiste à étendre à une catégorie
et notre modèle du monde : trois filtres d’activités entière de situations ou de personnes Il est également indispensable de se
s’interposent entre la « réalité » et l’expérience que ce qui a été appris dans une situation. connaitre et d’essayer de se mettre
nous en avons. à la place de l’autre, c’est-à-dire, bien
En tactique, il est donc important de ne connaitre son ennemi afin de l’amener à
pas sous-estimer son adversaire mais prendre des décisions qui nous seront fa-
Ainsi, pour influer sur le processus de dé-
• Filtres culturels : surtout de le connaître (doctrine, culture,
cision d’une personne, il est nécessaire de vorables.
Par ses mythes, ses valeurs, ses croyances histoire, ...) et ce, afin d’amplifier des
connaitre son système de représentation
et son langage, le large groupe humain effets cinétiques ou non 5décpetion, ca- Le psychologue Antonio Damasio a
interne dans le but d’agir au mieux sur ses
auquel nous appartenons nous offre une mouflage, Info Ops,...) dans le but de fragi- montré que les émotions étaient indis-
perceptions externes. Si ce système ne
vision particulière du monde, la sienne liser voire de perturber sa bonne percep- pensables à la validité de nos raisonne-
peut être obtenu ou connu, il faudra alors
(≠ celle des Papous ou des esquimaux du tion de la réalité du terrain comme celle ments : sans émotion, on ne peut pas
mixer au mieux l’ensemble des canaux à
Groenland). des vrais objectifs de notre manœuvre. fonctionner correctement. Il faut donc
disposition.
faire preuve d’intelligence émotionnelle
• Filtres personnels :
Conclusion et utiliser ses émotions comme des bous-
La construction de notre réalité Éducation reçue, influence exercée par
soles : pas de bonnes émotions, pas de
nos parents, les multiples expériences Le cerveau limbique a une place prépon-
La carte n’est pas le territoire, notre bonnes décisions.
vécues (chaque histoire de vie est dérante dans le processus de décision :
modèle du monde est unique, constitué
unique). il peut en effet prendre le contrôle très

122 123
Contribution 13

Frédéric Jordan
Titulaire de la Chaire de tactique
générale et d'histoire militaire au
CDEC - Ministère des Armées

Dans ses carnets de campagne, Rommel d’un Etat parfois contraint à des décisions
témoignait déjà en 1940 que "l’expé- stratégiques timorées, se prive ainsi d’un
rience prouve que les décisions les plus outil tactique ou opératif propre à affai-

13
audacieuses assurent les plus belles pro- blir au combat son ennemi.
messes de victoire. Mais il y a lieu de bien
Fort de ce constat, nous examinerons
distinguer l’audace stratégique ou tac-
tout d’abord comment le risque a été ap-
tique du coup de dés". Il soulignait ainsi
préhendé dans l’histoire militaire avant
une vertu majeure de l’art de la guerre, à

La prise de risque dans


d’étudier son application dans le contexte
savoir la prise de risque, mesurée certes,
actuel des engagements puis de réfléchir

la guerre, aujourd’hui :
mais toujours source de liberté d’action
à la meilleure manière de réconcilier ce
pour le chef qui sait l’utiliser.
procédé avec les contraintes politico-mi-

illusion ou réalité ? Pourtant, les sociétés contemporaines


semblent se complaire dans le confort
litaires contemporaines.

rassurant du principe de précaution et 1. Le risque : un outil historique in-


les effets, à court terme, du tempo mé- contournable de la guerre
diatique. De la même façon, le politique
De Sun Tzu à Patton (« No Guts, no Glory
cherche à gérer (voire à maîtriser) les
») en passant par Alexandre le Grand et
risques, interprétés non pas comme des
Luddendorff, les penseurs ou praticiens
opportunités à saisir mais comme le ré-
militaires n’ont eu de cesse de défendre
sultat du hasard, comme des contraintes,
l’importance de la prise de risque pour
des sources d’incertitude dans un monde
obtenir la décision sur le champ de ba-
où la diffusion de l’information et le
taille. Napoléon considérait que l’audace
temps de la décision s’accélèrent.
était le catalyseur de "l’évènement", ce

Dès lors, il apparaît que le soldat en opé- moment clé de l’action qui permet de

ration, aujourd’hui plus qu’hier, bras armé défaire l’adversaire. Pour lui : "Le sort

124 125
Contribution 13

d’une bataille est le résultat d’un instant, et n’exploita pas l’effet de surprise subi 2. La perception du risque dans les réduite aux subordonnés. Ces derniers
d’une pensée : on s’approche avec des par les troupes allemandes, divisions qui engagements contemporains sont notamment prisonniers de tâches à
combinaisons diverses, on se mêle, on se disposeront de 4 jours pour contre-atta- accomplir et d’un séquencement rigide.
bat un certain temps, le moment décisif se quer. Un phénomène endémique aux Dans ce cadre, la notion d’"effet majeur"
présente, une étincelle morale prononce, armées occidentales. dans les ordres d’opération ne subsiste
En revanche, certains officiers, plus ou
et la plus petite réserve accomplit", et Les forces armées cherchent à éclaircir qu’au sein de quelques armées (française
moins connus, comprennent vite que,
seule la prise de risque réfléchie offre le "brouillard" de la guerre et à atténuer en particulier).
pour vaincre, la prise de risque est un
cette opportunité. Il mettra d’ailleurs en les "frictions" du champ de bataille par
atout majeur. C’est le cas du maréchal bri- De la même façon, certains historiens et
pratique cet axiome à Rivoli, en impo- un système de "command and control" et
stratégistes, comme le célèbre JFC Fuller,
d’exploitation du renseignement propre à
vont jusqu’à démontrer dans des études
Napoléon considérait que l'audace était le catalyseur de disposer d’une situation ennemie la plus
portant sur les grands chefs militaires,
"l'événement", ce moment clé de l'action qui permet de précise possible. Ce phénomène est ac-
que la capacité à prendre des risques est
défaire l'adversaire centué par les progrès technologiques et
liée l’âge de celui qui commande et ce,
une supériorité technique des capteurs
avec des dispositions jugées optimales
des armées modernes, permettant ainsi
tannique Slim, commandant les troupes entre 35 et 45 ans. Son analyse reste
sant une marche forcée aux troupes de de voir "derrière la colline" et d’anticiper
de sa majesté en Birmanie. Fidèle à son sujette à caution mais semble corrobo-
Davout, à Austerlitz en affaiblissant son les mouvements adverses. Ceci a pour
adage "quand il hésite entre deux modes rer des écrits de Napoléon dans lesquels
flanc droit pour attirer les Austro-russes conséquence la saisie de l’initiative par
d’action, un général devrait toujours il prône un certain "jeunisme" chez ses
dans son piège et à Wagram, au risque l’accélération du rythme de la manœuvre
choisir le plus risqué", il arrête l’offen- officiers afin de favoriser l’audace des
d’être encerclé dos au Danube. amie, considérant de fait comme inutile
sive et les infiltrations japonaises dans la manœuvres.
une prise de risque pour surprendre ou
On observe ainsi, dans l’histoire militaire, jungle d’Arakan. Pour cela, il surprend les
déstabiliser l’adversaire.
que les chefs militaires les plus frileux généraux nippons en acceptant délibéré- Un contexte sociétal qui rejette l’in-
sont souvent ceux qui mettent en péril ment d’être coupé de ses lignes de com- Dans un autre registre, la doctrine prône certitude
une opération. Il suffit d’évoquer l’at- munication tout en fixant l’ennemi sur assez peu le risque, sinon pour s’en pré- Les sociétés modernes cherchent à
tente du général nordiste Mac Clellan le des "Tactical boxes" ravitaillés par voies munir par la "sanctuarisation" d’une aplanir les contraintes et à ne s’engager
long du fleuve Hudson pendant la guerre aériennes. Au travers de ces quelques réserve ou par quelques vœux pieux. que dans des situations dont l’issue est
civile américaine. Il prétexta que son illustrations, il apparaît évident que se C’est le cas pour le manuel tactique amé- connue ou maîtrisée. La prédominance de
armée n’était pas prête et resta en défen- priver du risque, c’est offrir à l’adversaire ricain FM 100-5 dans lequel on peut lire, l’information, les stratégies de communi-
sive face à une armée confédérée mobile, une vulnérabilité critique. Alors pourquoi au détour d’une page : "Operational com- cation poussent parfois les décideurs à
conquérante et agressive. Que dire éga- cet abandon ? manders must accept risks". Quant aux choisir des solutions militaires sans coups
lement du général allié commandant procédures de planification, elles tendent d’éclat, sans surprise qui, par effet rico-
l’opération amphibie d’Anzio en 1943 à privilégier la lettre de la mission sur l’es- chet, ne peuvent souvent donner de résul-
qui ne fit que renforcer sa tête de pont prit, laissant ainsi une marge d’initiative tats que sur le long terme. Or, ce dernier

126 127
Contribution 13

est un formidable pourvoyeur de liberté comme toujours, la crainte de perdre Tzu, Platon) entre l’art de la guerre et la engage le succès même de la mission)
d’action pour des adversaires aux modes des hommes sur des théâtres lointains gestion des risques. Benjamin Pelletier, ou critique (il engage la survie de l’unité).
d’action asymétriques et tissées par des (pour des sociétés où la mort et le sacri- écrivain et essayiste, prône ainsi le déve- Ce schéma offre donc une marge de
opérations dites d’influence. Comme le fice sont écartés du débat public), rend loppement de traits de caractère propres manœuvre pour décider de l’opportu-
rappelle le sociologue A.Giddens : "dans les militaires, comme les civils, dubitatifs à éclairer les acteurs du "risque". Ces qua- nité ou non de la prise de risque face à
la société du risque, paradoxalement, ces devant des actions potentiellement dan- lités seraient pour lui "le savoir renoncer, la situation considérée. De leur point de
risques sont engendrés par le processus gereuses. Mais cette tendance n’est pas l’intelligence de situation et l’humilité". vue également, la prise de risque raison-
de modernisation qui tente justement nouvelle car Napoléon écrivait déjà au Pour d’autres, l’action militaire doit être née passe par une bonne connaissance
de les contrôler". Dès lors, en matière de début du XIXème siècle que : "souvent davantage pensée comme une partie de l’histoire militaire et par une culture
défense, on assiste au déni de subsidiari- la troupe fait preuve d’audace dans le d’échecs (prise de risque, victoire en de l'"agressivité" au sens noble du terme
té avec un contrôle des actions tactiques temps où il s’agirait d’être prudent. Puis quelques coups) que comme une partie pour développer l’audace du chef et son
depuis les échelons stratégico-politiques les pertes ainsi encourues l’invitent à de jeu de dames (temps long, protection, imagination tactique.
les plus hauts, tout comme à l’effet dit la prudence, au moment où l’audace destruction des pions adverses systé-
Pour conclure et laisser place au débat,
de "caporal stratégique" pour lequel les devient vraiment nécessaire". matique). Enfin des officiers, comme le
ces propositions me paraissent être les
gestes des soldats sur le terrain prennent général Yakovleff, considèrent qu’une
solutions les plus raisonnables face des
bonne compréhension du risque réside
travaux menés par l’université de Sy-
Des militaires comme des civils ont ouvert des pistes dans la capacité à le hiérarchiser pour
racuse aux Etats-Unis afin de détecter,
le présenter au décideur ou pour l’adap-
de réflexion pour sortir de cette dualité entre la prise scientifiquement, chez de jeunes cadres,
ter aux circonstances. Ainsi, ils estiment
de risque recherchée par les militaires et la maîtrise civils ou militaires, l’aptitude à prendre
qu’un risque, toujours nécessaire, peut
des évènements voulue par le responsable politique. des risques dans l’exercice de leurs fonc-
être faible (il n’engage que les modalités
tions.
d’exécution de la mission), significatif (il
souvent des proportions nationales voire 3. Réconcilier risque militaire et
internationales. C’est pour cette raison, évolutions contemporaines
que lors de la reprise par les Français du
Des militaires comme des civils ont
pont de Vrbanja en 1995 à Sarajevo, la
ouvert des pistes de réflexion pour sortir
compagnie en charge de l’assaut était
de cette dualité entre la prise de risque
directement en contact avec l’Elysée. De
recherchée par les militaires et la maî-
cet excès de prudence émergent égale-
trise des évènements voulue par le res-
ment des concepts comme "les frappes
ponsable politique.
chirurgicales" ou "le zéro mort" qui ex-
cluent le mot "risque" du vocabulaire Tout d’abord, il s’agirait de faire évoluer
guerrier mais sont difficilement appli- les mentalités en renouant avec le lien
cables sur le terrain de la guerre. De plus, prôné par des penseurs anciens (Sun

128 129
Contribution 14

Ludovic Pinganaud
Consultant - Associé chez ATRISC

Notre société est de plus en plus soumise pour reprendre le contrôle de la situa-
à toutes sortes de crises, à tel point qu’il tion. L’objectif est donc de tenter de ré-
devient aujourd’hui difficile de définir pondre de la façon la plus efficiente aux
ce qu’est réellement une crise. Le sujet besoins identifiés pour revenir dans un

14
est traité de façon permanente dans les temps le plus court possible à une situa-
médias et il fait le bonheur des chaînes tion qui pourrait être considérée comme
d’informations. Toute situation excep- normale.
tionnelle devient de fait une crise…
Nous retrouvons dans de nombreux do-

Management des Il me semble utile de dissocier un évé-


nement, aussi rare et aussi grave soit-il,
cuments que le processus de réponse à
ces crises s’articule en trois temps :

risques et des crises d’une crise si celui-ci est traité de façon


efficace par les services opérationnels et 1 - L’avant crise
les différentes organisations préparées à
Cette première phase consiste à se pré-
y faire face.
parer à faire face dans les meilleures

A mon sens, la crise désigne à la fois un conditions possibles à un événement pré-

événement brutal, une rupture, un chaos, visible, ou non.

mais aussi une situation qui révèle des


Il s’agit d’abord de sensibiliser les citoyens
fragilités internes à un système. La crise
sur les risques auxquels ils peuvent être
serait donc une rupture de la stabilité
exposés à proximité de leur domicile et
d’un système, qui conduit à une rupture
de les informer sur la manière de réagir
de son processus décisionnel. Gérer une
en cas de catastrophe.
crise sous-entend d’abord de redonner
du sens à la situation rencontrée, la com- Elle consiste ensuite à préparer l’orga-
prendre, pour ensuite être en capacité de nisation à structurer sa réponse et se
coordonner la réponse la plus adaptée préparer à mettre en œuvre les outils et

130 131
Contribution 14

procédures prévus. La préparation de la elle peut aussi être celle du temps des mieux se préparer. Ceux qui disposaient changer de cap lorsque l’on s’aperçoit
gestion des crises comprend générale- rapports et des enquêtes… déjà de plans de réponse, type Plan de que les décisions prise initialement ne
ment les travaux de planification, les for- Continuité d’Activité ou Plan de gestion sont plus en phase avec la situation qui a
Cette organisation en trois temps est
mations, exercices et entraînements, et de Crise, se sont aussi aperçus que si les pu évoluer entre temps.
bien rassurante et semble répondre aux
enfin le travail d’anticipation. plans peuvent être des outils précieux
besoins, au moins sur le papier. De nom- Pourtant, dans le domaine de la prépara-
lorsque la situation rencontrée a été
breux organismes de formation ou ca- tion, les critiques sont nombreuses :
2. La réponse opérationnelle prévue, ils présentent aussi leurs limites
binets « spécialisés » en gestion de crise
lors de situations non prévues, ou tout • « Les exercices sont intéressants
Cette phase correspond à la phase aiguë la reprennent et construisent sur cette
simplement inutilisés lorsqu’ils auraient mais ils ne sont pas suffisamment réa-
de la crise. L’ensemble des services base l’organisation idéale à développer
pu l’être… listes… »
concernés sont mobilisés pour répondre chez leurs clients, qu’ils soient une or-
aux besoins et leur action doit être coor- • « Ceux qui participent aux exercices
ganisation publique (préfecture, métro- Force est de constater que cette orga-
donnée pour une réponse cohérente et ne sont pas ceux qui participent aux
pole) ou privée (grand groupe, PME…). nisation « type » ou « idéale » est loin de
complémentaire. Cette réponse est gé- situations de crise. De fait, cela génère
répondre à toutes les situations et les or-
néralement placée sous l’autorité d’un Mais puisque nous parlons de retour un fort désordre car les vrais acteurs ne
ganisations qui ont conduit des RETEX «
décideur qui construit sa réponse sur la d’expérience, quel recul avons-nous sur connaissent pas les procédures et im-
honnêtes et courageux » ont clairement
base de travaux et de réflexions conduits cette organisation ? Cette réponse est- posent en situation de crise leur propre
identifié cette fragilité.
par des cellules « situation », « anticipa- elle aussi efficace qu’elle semble l’être sur organisation qui s’avère inconnue de
tion », « communication » et « décision ». le plan théorique ? « si la certitude est rassurante, le risque tous. »
est plus noble ». Cette citation de Salamah • « Avec les congés, ceux qui étaient
La crise COVID a sans aucun doute contribué à Mussa synthétise le premier risque des prévus en cellule de crise n’étaient

sensibiliser les dirigeants sur les fragilités de leurs organisations de crise conceptualisées. pas là ce qui a désorganisé la réponse

organisations et sur la nécessité de mieux se préparer. « Nous avons tout prévu, nous avons les
prévue… ».

plans, un espace de crise, nous avons fait Cette phase d’avant-crise présente aussi
Partie 1 - La Gestion de crise aujourd'hui un exercice, donc nous sommes prêts… ». un point de fragilité important : notre ca-
Certains événements peuvent nécessiter
: un dispositif rassurant mais pas tou- Dans le domaine de la gestion des crises, pacité à anticiper efficacement un événe-
la mobilisation de cellules plus spéciali-
jours efficace le doute doit être permanent. Il nous ment.
sées comme les cellules « logistiques « ou
permet de nous questionner de façon
« cyber ». De plus en plus d’organisations font Hormis les outils de vigilance météo qui
continue et récurrente. Il oblige à évaluer
appel à des sociétés spécialisées pour se ne sont d’ailleurs pas toujours exploités à
les décisions prises et à les adapter voire
3. La phase post-crise ou phase de préparer à faire face à des crises ou des leur juste valeur (on a tendance à sous-es-
les corriger si nécessaire. Ce question-
retour à la normale situations complexes. La crise COVID a timer une vigilance météo un vendredi
nement évite l’effet de tunnellisation
sans aucun doute contribué à sensibi- soir, veille de week-end ou de se rassurer
Cette phase intègre le retour d’expé- et permet d’avoir une vision globale de
liser les dirigeants sur les fragilités de en affirmant « qu’ils ont tendance à exa-
rience, le soutien des populations mais la situation. Il doit aussi permettre de
leurs organisations et sur la nécessité de gérer… »), il existe peu d’outils permet-

132 133
Contribution 14

tant d’anticiper des scénarios. Pour aller rencontrée. » positif de gestion de crise se superpose à se souviennent de ce qui a fonctionné et
plus loin dans le raisonnement, si nous • « Nous ne maitrisions pas suffisam- l’organisation générale et devient de fait des erreurs à ne pas commettre.
pouvons parfois anticiper un scénario ment les procédures car nous ne l’avons exceptionnel, puis secondaire pour finir
Cette phase, s’étalant souvent dans le
connu, sommes-nous en capacité d’ima- jamais mise en œuvre en situation par être ignoré.
temps, mériterait à l’instar des deux pre-
giner la survenue d’un scénario qui n’au- réelle. »
Le fait que ce dispositif existe demeure mières de faire l’objet d’un vrai travail
rait pas été identifié clairement ? Il s’agit • « L’organisation a été mise en place il
cependant rassurant et il n’est pas rare d’anticipation et de planification. Ce n’est
là d’un point clé pour améliorer notre y a plusieurs années mais elle n’est plus
d’entendre « qu’il y a peu de risques qu’il malheureusement pas le cas et elle est
dispositif de crise. Les concepts de smart- adaptée et beaucoup de personnels ont
se passe quelque chose puisqu’il ne s’est confiée généralement à quelques per-
city, safe-city et autres territoires rési- changé de poste depuis… »
jamais rien passé » ou encore « nous sonnes qui ne disposent alors que de peu
serons bien capables de nous organiser de moyens pour rétablir une situation
L’une des bases de la gestion de crise est d’avoir de le moment venu, avec un peu de bon sens considérée comme normale.
l’avance sur l’événement redouté pour justement on peut régler toutes les situations… ».
Il ne s’agit pas de dresser un constat
échapper à la pression temporelle.
Là encore, si ce type de discours peut négatif de ce qui est réalisé dans le
être rassurant, il exprime à mon sens soit domaine de la gestion de crise. Il n’y a
En dissociant la gestion de crise du fonc-
lients sont des concepts novateurs mais un déni, soit un manque de clairvoyance. pas de doute sur le fait que de très nom-
tionnement normal de l’organisation, il
permettent-ils aujourd’hui de répondre à En tout état de cause, les conséquences breux progrès ont été réalisés. Toutefois,
est difficile pour les acteurs concernés
ce besoin essentiel d’anticiper n’importe peuvent s’avérer désastreuses pour l’or- ces expériences doivent nous conduire à
de rester opérationnels et efficaces.
quelle situation ? L’une des bases de la ganisation, les personnes qui la servent penser la crise différemment et à modi-
En effet, même si l’organisation mise
gestion de crise est d’avoir de l’avance et surtout toutes les parties prenantes fier notre façon de l’appréhender.
en place a été mûrement réfléchie et a
sur l’événement redouté pour justement victimes directes ou indirectes de la ca-
montré son efficacité lors d’un exercice Partie 2 - Basculer de la Gestion de crise
échapper à la pression temporelle. Inté- tastrophe.
voire d’une crise passée, il est extrême- vers la fiablité organisationnelle
grer dans le processus de gestion de crise
ment difficile de maintenir son niveau de La phase post-crise est quant à elle est
cette anticipation prédictive relève du C’est une évidence mais un dispositif
performance pour plusieurs raisons. trop souvent sous-estimée.
bon sens… de gestion de crise doit avant tout être
Tout d’abord, la mise en œuvre concrète Bien que les RETEX soient souvent ré- fiable. En dehors des organisations très
Nous retrouvons d’autres critiques
de ce dispositif n’est pas suffisamment alisés, ils sont généralement peu ou pas opérationnelles qui mettent en œuvre
et remarques pour ce qui concerne la
fréquente pour qu’elle puisse être suivi des faits. Les leçons tirées des évé- les procédures de façon permanentes
conduite en situation de crise :
connue et maîtrisée par l’ensemble des nements font l’objet d’un plan d’action ra- et qui sont donc, a priori, en capacité de
• « Les plans n’ont pas été utilisés car personnels. De plus, le turn-over impor- rement mis en œuvre dans sa totalité. La monter en puissance naturellement lors
nous n’avons pas eu le temps de les tant de ces personnels au sein d’une or- capitalisation des enseignements sur le d’un événement exceptionnel, il est diffi-
consulter ». ganisation nécessite une formation per- plan institutionnel ne fait pas l’objet d’un cile de croire qu’un dispositif exception-
• « Aucun des scénarios prévus dans manente qui reste difficile à organiser et suivi rigoureux et seules les personnes nel puisse rester efficace après un certain
le plan ne correspondait à la situation qui n’est en général pas prioritaire. Le dis- ayant participé activement à l’événement temps sans avoir été concrètement mis

134 135
Contribution 14

en œuvre, éprouvé, évalué, et amélioré. Les informations doivent être comprises l’ensemble des événements non souhai- gestion de crise. L’intérêt de cette antici-
et interprétées dans un délai très court tés. Cette méthode permet d’anticiper pation prédictive permet d’accompagner
La meilleure façon de rendre un système
pour justement anticiper la situation à un événement redouté prévu faisant les acteurs publics comme privés dans
fiable est de le mettre en œuvre de façon
venir. En s’appuyant sur les principes même l’objet d’un plan spécifique mais l’évolution de leur doctrine pour incorpo-
permanente. Un dispositif de crise ne
des HRO (High Reliability Organizing) et elle présente surtout l’énorme avantage rer de nouveau facilitateurs décisionnels.
doit donc pas être un dispositif excep-
des FOH (Facteurs Organisationnels et de pouvoir identifier aussi toute autre
tionnel mais bien un dispositif qui vient De nouveaux services à forte valeur
Humains), nous apportons à la réflexion situation qui aurait jusqu’alors échappé à
compléter l’organisation existante et ajoutée vont ainsi pouvoir voir le jour
une dimension humaine incontournable toute prévision ou imagination !
qui permet à cette dernière de monter
et surtout objective à la situation rencon-
en puissance lorsqu’elle détecte une si-
trée. Le risque de s’appuyer uniquement Il s’agit bien aujourd’hui d’apporter une nouvelle
tuation anormale qui pourrait la rendre
sur des « outils intelligents » serait de leur dynamique aux dispositifs de crise en croisant les
vulnérable ou l’impacter plus gravement.
Fiabiliser l’organisation, c’est maintenir
accorder une telle confiance qu’on pour- apports des nouvelles technologies avec une réelle
son niveau de performance lorsqu’elle
rait ne plus être capable d’identifier l’évé- expertise en gestion de crise.
nement redouté imprévu…
devient vulnérable. Sa vulnérabilité doit
donc être analysée de façon continue en Afin d’anticiper cette vulnérabilité, il En anticipant cette probabilité, les pre- tels que l’assistance à maîtrise d’ouvrage
veillant différents signaux et paramètres s’agit donc d’être en capacité d’assurer mières mesures permettent de mettre en dans le domaine du management des
pré-identifiés. une veille permanente de tous les signaux place les barrières destinées à empêcher crises. Il s’agit désormais d’accompagner
précurseurs qui pourraient l’identifier. En ou repousser cet événement redouté et l’organisation de façon globale dans la
La prise en compte efficace de ces
croisant les informations qui sortiraient de lui redonner une distance acceptable mise en place de son dispositif de veille,
signaux faibles et/ou forts (aussi appelés
du bruit de fond, nous pourrions alors à l’accident. de réponse face aux situations complexes
signaux précurseurs) peut bien entendu
mesurer que telle ou telle fonction de et de capitalisation des enseignements et
s’appuyer sur des technologies inno- Dans un deuxième temps, et toujours en
l’organisation est impactée de façon plus bonnes pratiques sur la base des retours
vantes voire de l’intelligence artificielle se basant sur l’analyse des signaux pré-
ou moins importante, grave, ou durable. d’expérience en développant le concept
(certaines sociétés commencent à en curseurs, nous pouvons aussi anticiper
Une fonction impactée peut aussi, par d’organisation apprenante. Cet accompa-
parler) mais il serait dangereux de s’af- la mobilisation de moyens humains et
effet domino, impacter une autre fonc- gnement peut être complété avec la mise
franchir d’une interprétation humaine, matériels qui permettraient d’interve-
tion. En croisant les informations et les en œuvre d’une organisation spécifique
collective et collaborative. De nombreux nir précocement s’il n’était pas possible
vulnérabilités identifiées, il devient alors et adaptée aux besoins du client comme
outils numériques dédiés à la gestion des d’empêcher la survenue de l’événement
possible de mesurer le niveau de fragili- la professionnalisation des acteurs impli-
situations complexes sont aujourd’hui redouté.
té de l’organisation dans sa globalité. En qués dans le dispositif, la mise en œuvre
proposés sur le marché mais aucune de
reprenant un terme de l’aviation civile, Il s’agit bien aujourd’hui d’apporter une d’exercices de crise et la mise en œuvre
ses solutions ne permet d’anticiper des
nous évaluons alors la réduction de la dis- nouvelle dynamique aux dispositifs de effective des mesures correctives.
situations complexes. Leur intérêt se
tance à l’événement redouté (et donc à crise en croisant les apports des nouvelles
limite à faciliter le suivi de la situation et Le dispositif de crise n’existe plus en tant
l’accident ou la catastrophe) en associant technologies avec une réelle expertise en
son traitement. que tel mais il devient un dispositif de

136 137
Contribution 14

mesure de la fiabilité globale de l’orga- des années, les organisations s’inté- ter leurs compétences techniques et seurs. L’analyse de ses signaux par des
nisation capable de réagir quasi-instan- ressent d’abord aux erreurs et à la façon permettent d’estimer si le pilote est en outils technologiques associés à une
tanément lorsqu’une vulnérabilité est de les éviter. capacité ou non d’exercer son métier ef- analyse humaine permettront de prendre
détectée. ficacement et en toute sécurité. Pour dé- de l’avance sur une situation qui pourrait
Le principe de la fiabilité est de s’inté-
velopper ces compétences, il nous semble dégénérer et de mettre en place les bar-
Bien entendu, l’organisation doit s’adap- resser au fait que l’ensemble des acteurs
indispensable de pouvoir les exercer au rières qui empêcheront l’accident d’arri-
ter à ce nouveau mode de fonctionne- soit en capacité de réagir efficacement
quotidien. En faisant l’effort d’appliquer ver ou d’en limiter ses effets.
ment et les personnels doivent être de façon permanente. Même en étant fa-
les bonnes pratiques au quotidien, il y a
pleinement impliqués dans ce dispositif. tigués, ou soumis à un stress particulier, Cette fiabilité repose avant tout sur l’hu-
de fortes chances d’appliquer le même
Il ne s’agit pas de bouleverser les organi- ces acteurs sont-ils encore capables de main et le collectif. L’intelligence colla-
comportement en situation exception-
borative est une force ou chaque acteur
nelle, complexe, ou sous l’effet du stress.
a son rôle à jouer. Mettre en œuvre ces
C’est en associant la robustesse d’une organisation
méthodes de travail, de raisonnement, de
et les relations entre les personnels qui la composent
réflexion de façon quotidienne permettra
qu’elle sera en mesure de développer de façon naturelle Conclusion à l’ensemble de l’organisation de dévelop-
sa capacité de résilience. per sa capacité à faire face à tout type de
Pour conclure, nous devons aujourd’hui
situation, prévue ou non.
professionnaliser nos dispositifs de crise
sations en place mais bien d’intégrer dans garantir le niveau de performance requis
et ne plus les dissocier de nos organi- C’est en associant la robustesse d’une or-
le processus décisionnel les différentes et de développer les compétences utiles
sations. La gestion d’une crise n’est que ganisation et les relations entre les per-
interactions qui doivent exister entre les à la gestion de la situation rencontrée
la continuité d’une situation habituelle sonnels qui la composent qu’elle sera en
différentes cellules composant un centre ? A noter que contrairement aux idées
qui s’est dégradée. Des outils et des mé- mesure de développer de façon naturelle
de crise et de bien dissocier les différents reçues, ces compétences requises sont
thodes peuvent nous permettre de les sa capacité de résilience.
niveaux décisionnels quand ils existent avant tout des compétences non tech-
anticiper de façon prédictive veillant de
(stratégique, tactique et opération- niques. Pour prendre l’exemple appliqué
façon permanente des signaux précur-
nel). Chaque acteur doit parfaitement dans le domaine de l’aviation civile, les
connaitre son rôle et ce que l’organisa- pilotes remettent en jeu leur « permis de
tion attend de lui. A l’instar d’une équipe piloter » tous les six mois. Pour conser-
de rugby ou d’un orchestre philarmo- ver leur qualification, ils sont évalués
nique, chacun doit prendre toute sa place sur la base de neuf compétences, donc
sans prendre la place de l’autre. cinq sont non techniques : la prise de dé-
cision, le leadership, la communication,
Passer de la gestion de crise à la fiabilité
la gestion de la charge de travail et la
est un véritable changement de para-
conscience de la situation.
digme. Il s’agit d’aborder le sujet sous un
angle positif plutôt que négatif. Depuis Ces compétences viennent complé-

138 139
Contribution 15

Patrick Lagadec
Directeur de recherche honoraire
à l’École Polytechnique.

En 1997, Claude Frantzen, que j’avais de repères à partir desquels questionner,


rencontré alors qu’il était en charge des penser et conduire l’action stratégique en
risques et de la sécurité à la Direction zone de forte turbulence quand, à l’acci-

15
Générale de l’Aviation Civile et qu’il était
1
dent, s’ajoute une dynamique de déstabi-
désormais Inspecteur général pour la lisation3.
Sûreté nucléaire à EDF, me dit tout l’in-
En 2020, après les grands chocs et tur-
térêt qu’il y aurait pour des dirigeants à
bulences systémiques qui envahissent
disposer d’un très court memento, direc-

Pilotage de crise en tement utilisable en situation de crise.


le champ depuis le début de ce siècle
et après, à nouveau, une série de publi-

terre inconnue : guide,


Après moult publications d’analyses,
cations prenant la mesure de ces défis
de synthèses et d’études de cas2, je me
d’envergure et de nature nouvelles4, je
réflexion, action 2020
risquai ainsi à la rédaction d’un Guide
pense qu’il est urgent de reprendre et de
de réflexion à destination des dirigeants
réactualiser ce type de proposition. Le 11
– non pour fixer une série de réponses
Septembre, AZF, la canicule de 2003, la
à graver dans l’airain d’une procédure,
crise financière de 2007- 2008, le H1N1,
mais pour indiquer un certain nombre

1 Voir : Claude Frantzen et Laurent du Boullay : “La crise du DC-10, 25 mai-13 juillet 1979”, in Patrick Lagadec
: États d’urgence – Défaillances technologiques et déstabilisation sociale, Le Seuil, collection Science ouverte,
1988, pages 175-209.
2 Notamment : – La Gestion des Crises - Outils de réflexion à l'usage des décideurs, McGraw Hill, 1991. http://
www.patricklagadec.net/fr/pdf/integral_livre1.pdf – Cellules de crise - Les conditions d'une conduite efficace,
Éditions d'Organisation, 1995. http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/cellules_crise.pdf
3 Patrick Lagadec : “Pilotage des situations de crise
– Guide de réflexion”, École Polytechnique, 1997. http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/brochure1.pdf
4 Notamment : – Le Temps de l'invention - Femmes et Hommes d'État aux prises avec les crises et ruptures en
univers chaotique, Éditions Préventique, 2019. http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/Lagadec-LeTempsdelIn-
vention.pdf
– Le Continent des imprévus – Journal de bord des temps chaotiques, Les Belles Lettres, coll. Manitoba, Paris,
2015. http://www.patricklagadec.net/fr/livres/Lagadec-Le-Continent.pdf
– "Piloter en univers inconnu", Préventique, Bordeaux, 2013. http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/KitPrev1_
Lagadec.pdf

140 141
Contribution 15

Fukushima, l’inondation de 2016, Lubri- teur général de l’Agence internationale était dans un autre monde. Chaque catas- spécifiques et isolables ;
zol, la pandémie Covid-19, Beyrouth... de l’énergie atomique lors de la catas- trophe appelle de nouvelles références • des gerbes de crises majeures conco-
n’ont cessé de montrer à quel point – et trophe de Fukushima : "le cadre actuel en termes de contrat social"8. mitantes, d’origines et de natures diffé-
quel que soit le dévouement des uns et de réponse pour des situations d’urgence rentes, toutes susceptibles de brouil-
Il nous faut reconnaître avec lucidité que
des autres – nous étions largement sur- international reflète la réalité des années lage et de coagulation, susceptibles
nos grammaires de référence, les cartes
classés dans notre lutte au milieu des 1980 – pas celle du XXIème siècle" . 7
de déclencher des vagues scélérates,
qui servent à inscrire l’action dans les si-
grondements et bouleversements du monstrueuses et imprévisibles ;
Ce qui conduit à des pièges récurrents. tuations de crise actuelles, ne sont plus
monde. Bien sûr, les enquêtes et autres • une dissolution des "fondamentaux"
Comme le notait, sur l’exemple de pertinentes. Certes, il ne faut rien oublier
retours d’expérience (dans la mesure où : socles naturels défoncés, impasses
Katrina, l’Amiral Thad Allen, nommé tar- des acquis et il faut poursuivre les prépa-
cela existe et respecte des exigences de technologiques, trous noirs scienti-
divement par le Président des États-Unis rations classiques, mais c’est bien un tout
rigueur5) peuvent montrer des lignes ou fiques, implosions économiques, dé-
comme chef d’orchestre de la réplique : autre tableau qui s’impose désormais.
des points de faiblesses et accumuler les
suggestions de corrections à introduire. "Je fus nommé Principal Federal Offi-
Il nous faut reconnaître avec lucidité que nos
Mais, au-delà de tels ou tels manques cial sept jours après le choc de Katrina.
spécifiques, il est clair que les pilotes de
grammaires de référence, les cartes qui servent à
Quand je suis arrivé, je fus consterné :
nos systèmes ne disposent pas des gram-
inscrire l’action dans les situations de crise actuelles,
nous n’avions rien compris. On pensait
maires qu’exigeraient les défis actuels qu’il s’agissait d’un cyclone, que le pro-
ne sont plus pertinentes.
et cette perspective manque le plus blème était de répondre aux demandes
Entre autres mutations :
souvent cruellement dans les diagnostics des autorités régionales. En réalité, il chirements des contrats sociaux, fuites
et préconisations. s’agissait d’une "arme de destruction • des mégachocs, hors échelle pour les compulsives devant la vérité et les exi-
massive sans dimension criminelle". Si moyens disponibles ; gences de la science, submersion de la
Le problème est celui de tous les temps
on l’avait compris, on aurait agi de façon • des coups de boutoir aux composi- scène publique par les discours com-
: "ne pas être en retard d’une guerre".
radicalement différente. On n’aurait pas tions hybrides, qui donnent aux évé- binant simplisme et radicalité, modes
Comme le notait en conclusion le rapport
déversé des moyens sur une région qui ne nements une complexité nouvelle, loin d’expression versant dans la vociféra-
d’enquête de la Chambre des Représen-
pouvait les utiliser. Le tissu sociétal a été des typologies de risques habituelles, tion pulsionnelle excluant tout débat,
tants américains sur le cyclone Katrina en
perdu ; le leadership était tétanisé, quand qui s’inscrivent communément dans le mise en question systématique des di-
2005 : "mais pourquoi apparaissons-nous
tout reposait sur sa capacité à demander singulier ; rigeants voire de toute représentation.
systématiquement en retard d’une catas-
des moyens et à piloter. Nous avons eu • des effets systémiques, qui Avec des courants de fond appelant la
trophe ?"6 ou comme le pointait de Direc-
les pires difficultés à comprendre que l’on conduisent vers des difficultés globales venue de "sauveurs" promettant tout
quand nos approches sont largement et n’importe quoi – et "quand on attend
5 Patrick Lagadec et Matthieu Langlois : “Ne pas rater le retour d’expérience”, Avril 2020. http://www.patrickla- pensées pour des champs opératoires le sauveur c’est le Führer qui arrive",
gadec.net/fr/pdf/23-04-2020.pdf
Repris en version abrégée in Emmanuel Hirsch, ed. , Pandémie 2020, Editions du Cerf, pages 793-800.
6 "A Failure of Initiative", US House of Representative, 2005. Patrick Lagadec : "Katrina : Examen des rapports
d'enquête", Tome 1 : Cahiers du Laboratoire d'Économétrie, Cahier n° 2007 - 07, Ecole Polytechnique, Mai 2007
(deuxième version, 140 pages). http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/2007-07.pdf 8 Amiral Thad Allen, lors d’une intervention le 30 10 2013 : “Sandy One Year After”, https://www.njfuture.org/
7 Yukiya Amano, 21mars 2011. events/special- events/sandy-anniversary-conference/

142 143
Contribution 15

comme l’écrit Karl Jaspers9, etc. Bien reconfiguré pour mieux aider dirigeants, d’intervention en temps réel14. • En raison du caractère encore ex-
des hypothèses fondatrices, tenues directeurs de crise et tous les acteurs • Il est tout aussi clair que, très traordinairement limité des connais-
pour données, ne tiennent plus. confrontés aux crises de notre temps. souvent, le pilotage stratégique reste sances acquises, notamment théoriques,
On mesure la profondeur des défis à globalement peu préparé et en grande en matière de pilotage stratégique de
relever, les ruptures à tolérer, les inven- Limites de l'exercice difficulté quand il faut véritablement crise, et des réticences à développer les
tions à penser et conduire. Comme le prendre le sujet à bras le corps , ce qui 15
démarches de préparation nécessaires
Les quelques points de repère proposés
notait Craig Fugate, Administrateur de traduit des difficultés de grande pro- pour le niveau dirigeants, il ne faut pas
ne sont que des amorces, partielles, pro-
la Sécurité civile américaine, après l’oura- fondeur : quand les leviers de pouvoir, exclure de devoir suivre une autre piste
visoires, loin de ce qui serait nécessaire.
gan Sandy : "nous continuons à planifier l’étayage culturel et psychique, la course : travailler à consolider les aptitudes des
Ils sont avancés alors que des "états gé-
pour ce que nous sommes capables de aux honneurs, consacrent le caractère services opérationnels en les aidant à
néraux de la gestion de crise" ont été pro-
faire ; nous continuons à nous préparer et primordial des "réponses" que l’on monter leur orbite comme pour les sa-
posés13 et qu’il nous faudrait une nouvelle
nous exercer pour ce que nous sommes possède et que l’on peut asséner, s’ex- tellites. Des opérationnels visionnaires
donne décisive en matière de pilotage de
capables de gérer". "Nous devons plani- poser aux "questions" non conformes n’ont d’ailleurs pas attendu pour faire
crise – qui n’est sans doute pas à notre
fier, nous entraîner, nous exercer, à une peut provoquer des chocs trop durs des percées tactiques et des percées en
portée aujourd’hui. Ce guide de réflexion
tout autre échelle, pour fracturer nos à encaisser. Force est donc de rester matière de coopérations-combinaisons
devra être corrigé, complété, transformé
univers mentaux traditionnels" . 10
prudent sur ce que l’on peut attendre de inter-services16 ou opératoires comme
par nombre d’acteurs, analystes, stra-
ce type de document. avec les réseaux sociaux dans lesquels
Nous quittons les simples rives du com- tèges, et intervenants de première ligne.

plexe, de l’incertitude, pour nous mesurer


• Il est clair aussi que bien des diri- 14 Me viennent par exemple à l’esprit : le pilotage de la crise du détournement de l’Airbus d’Alger (1994) par le
au défi de l’INCONNU. Président d’Air France, Christian Blanc, découvert au travers du retour d’expérience qui me fut demandé par la
geants particulièrement au fait de ces Compagnie ; le pilotage de la crise du verglas au Québec (1998) par le Président d’Hydroquébec, qui démontra
questions et forts d’une expérience une remarquable capacité d’innovation et d’implication personnelle ; le pilotage du désastre de Katrina, aussi
Cette nouvelle carte des défis et des bien par l’Amiral Thad Allen que par le Général Honoré (2005), etc.
crises – largement illisible, en expansion, et d’une inventivité exceptionnelles 15 Ce que notait Laurent Carrel, qui fut responsable de la formation à la conduite stratégique des crises à la
Chancellerie fédérale à Berne, n’est en rien dépassé et s’est même sans doute aggravé au fur et à mesure que les
et mutante – nous contraint à forger de n’auront pas attendu ces pages pour crises sortaient de leur lit, depuis le tournant du siècle : « “No time – No need – No money”. Derrière ce barrage
déployer des aptitudes remarquables. de NON, il y a le fait que les responsables ne veulent pas reconnaître ce qu’ils ne connaissent pas, et sont très
nouveaux repères de pilotage1112. inquiets sur tout ce qui pourrait porter préjudice à leur carrière. Ils viennent volontiers à un séminaire de haut
Certains n’ont d’ailleurs même pas vol, avec des exposés forts de contenus techniques. Mais la perspective de devoir s’impliquer dans un exercice
Ce qui motive l’essai de proposition d’un de pilotage est une tout autre affaire. Le NON est essentiellement d’ordre psychologique et émotionnel, et il est
besoin de ce type de document pour difficile de traiter cette difficulté ».
nouveau Guide de réflexion et d’action montrer leur capacité d’invention et Laurent Carrel, “Training Civil Servants for Crisis Management”, Journal of Contingencies and Crisis Manage-
ment, Vol. 8, n° 4, December 2000, Special issue: Crisis Preparation and Training, p. 192-196, p. 193.
16 Ainsi des avancées décisives sous la houlette de Matthieu Langlois, à l’AP-HP, avec la cellule « Dynamo » qui
a ouvert de nouvelles capacités et perspectives en matière de fluidité dans les systèmes hospitaliers lors de la
9 Karl Jaspers, La Bombe atomique et l'avenir de l'homme, Buchet Chastel, Paris, 1963, p. 646. crise Covid-19 :
10 Letter from the Administrator, Hurricane Sandy After-Action Report, FEMA, July 2013. – Matthieu Langlois, Marie Borel, Olivier Clovet, Viviane Justice, Christine Spuccia, Mathieu Raux : “Cellule de
11 Patrick Lagadec & Matthieu Langlois : “Pilotage de crise : des ruptures capitales”, France Forum, juillet 2020, coordination des flux sortants des réanimations en période de Covid-19”, SFMU, Ann. Fr Med. Urgence, Numéro
pages 46-48. spécial, Août 2020.
12 Patrick Lagadec and Emily Hough, How Covid-19 shows the critical need to transform crisis response, De même, les avancées en matière de médecine tactique lors des grands événements à caractère terroristes :
Crisis Response Journal, Blog, 13th July 2020. http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/How-Covid-19-shows- – Matthieu Langlois : “Prise de décision dans l’incertitude – Expérience des médecins tactiques du RAID”, La
the-critical-need-to-transform- crisis-response.pdfhttps://www.crisis- response.com/comment/blogpost. Lirec, Institut National des Hautes Études de la Sécurité et de la Justice, n° 58, Dossier thématique, Janvier
php?post=581#Leadership%20%23crisismanagement%20%23Covid19 2019, pages 14-17.
13 Vincent Balouet, Institut de Maîtrise des crises, https://www.maitrisedescrises.com/tag/vincent-balouet/, – Matthieu Langlois interviewed by Emily Hough: “Evolutions in terrorism: A tactical medic’s perspective”, Crisis
https://twitter.com/vbalouet/status/1243589232750452737 Response Journal, April 2017, vol:12, issue:3, pages 26-29.

144 145
Contribution 15

s’investissent avec grande intelligence tence et ouvrir de nouvelles voies. Ainsi, sont vaines"19. Il reste toutefois l’exigence reuse les décalages qui viennent d’être
des Sdis comme des préfectures . Pour 17
parmi bien d’autres, des initiatives par- radicale de relever les défis de l’Histoire. rapidement dépeints, et les impératifs de
poursuivre dans cette veine, et en re- ticulièrement novatrices (donc déran- Et le véritable optimisme consiste à poser progrès que nous devons prendre à bras-
prenant ici une piste que me suggérait geantes) comme celle prise en juin 2018 que nous avons la détermination de les le-corps. En sachant bien que cette crise
récemment Matthieu Langlois, il serait par le Général Gallet, Commandant la relever. Le méga-choc du Covid n’a fait sanitaire n’est en réalité que le modèle
certainement intéressant de reprendre, Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris, que révéler de façon brutale et doulou- des crises qui nous attendent, sur tous les
à l’échelon tactique, la démarche de avec une journée d’étude internationale 19 Mots de Charles de Gaulle que m’a souvent rappelé le Préfet Jean-François di Chiara, repris dans Propos
recueillis par André Malraux dans Les Chênes qu'on abat (1971).

Comme le notait Charles de Gaulle, "la proportion


rompue entre le but et les moyens, les combinaisons du GUIDE DE RÉFLEXION-ACTION
génie sont vaines". Il reste toutefois l’exigence radicale POUR LE PILOTAGE DANS L’INCONNU
de relever les défis de l’Histoire.
1. PARTITION IMMÉDIATE 2. PRISE DE RECUL
Force de Réflexion Rapide singulière- (New York Singapour, Tokyo, Kennedy
Deux univers : Réflexe de sauvegarde
ment utile aussi en matière de plasticité School of Government [Harvard Univer-
et d’efficacité opérationnelle. Elle pour- sity], etc.) sur le thème : "Thinking diffe- 1°) L’urgence : traiter les hémorra- « Quels pièges fondamentaux pour-
rait même se poser en instance veillant rently"18. gies – les réponses opérationnelles à raient mettre en échec l’ensemble de la
avec constance et facilitant (imposant engager. réplique ? ».
Assurément, les défis actuels et en gesta-
?) de multiples manières la nécessaire,
tion sont formidables et aucun document 2°) Le vital : les questions à ouvrir. Difficultés :
difficile et douloureuse coopération
ne saurait venir apporter des "solutions"
inter-services. • La gravité des faits, l’excellence
assurées. Comme le notait Charles de Piège : si on n’ouvre pas d’emblée la
carte du questionnement, on sera dans les procédures opération-
Il faut continuer à investir tous azimuts Gaulle, "la proportion rompue entre le but
happé par l’action opérationnelle, la nelles tactiques, les préparations,
pour monter tous les acteurs en compé- et les moyens, les combinaisons du génie
mécanique de la mise en place des vont masquer les questions les plus
– Claire L Park, Matthieu Langlois, E Reed Smith, Matt Pepper president, Michael D Christian, Gareth E Davies,
organisations, les exigences torren- cruciales.
Gareth R Grier: “How to stop the dying, as well as the killing, in a terrorist attack”, The British Medical Journal
(BMJ), 30 January 2020. tielles de la communication, les mi- • Les visions et cartographies qui
– Matthieu Langlois: “Mass casualty management in high intensity counter-terror op.”, Crisis Response Journal,
cro-décisions à prendre… et on dé- s’imposent sont peut-être erronées.
11:3, March 2016 pages 60-63.
17 Voir le développement accéléré de l’usage des réseaux sociaux par nombre d’acteurs innovants, comme par
couvrira trop tard les impasses dans • Les visions nécessaires ne sont
la société civile – et qui transforme en profondeur le pilotage stratégique.
Voir les avancées pilotées par Benoît Ramacker en charge de la Communication au Centre national de crise lesquelles on aura laissé le système pas là.
belge : intervention le 22 octobre 2019, à l’INHESJ, https://inhesj.fr/evenements/tous-les-actualites/retour-
s’engager. • Les signaux suivre ne sont pas
sur-la- conference- du-22-octobre-la- communication-de-crise, à 26mn.
Patrick Lagadec : “Les réseaux sociaux dans les crises : le basculement”, Préventique, n° 153, Juillet 2017, p. 5. seulement les « signaux faibles »,
http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/prev153-p05-actu-lagadec-p.pdf
18 Patrick Lagadec: « Thinking differently - Forewords », Journée d’étude organisé par la Brigade des Sa- mais bien plus encore les signaux «
peurs-Pompiers de Paris, avec le concours de Nicolas Hennin, Palais de la Découverte, 12 juin 2018. http://
www.patricklagadec.net/fr/pdf/THINKING-DIFFERENTLY-June-12-2018.pdf

146 147
Contribution 15

aberrants » – ceux que l’on ne perçoit à la compétence des services, voire pouvant s’effondrer, n’est plus dans premier ministre.
pas, pour lesquels on ne dispose pas une agression inqualifiable à l’hon- la configuration de référence. • On vous parle de l’Académie des
de grille d’interprétation. neur des entités concernées ; et • Habitudes ancrées : « Ne faites Sciences... pensez à l’irruption d’ac-
• On sera aussi très attentif aux risque même d’entraver la bonne rien, les pompiers vont arriver ». Or, teurs totalement inconnus et hors
pathologies des petits groupes, marche de ce qui doit être fait dans dans certains cas, comme le 11-Sep- champ.
qui conduisent à former et geler l’ordre opérationnel. tembre dans les Tours, il fallait in- • Votre priorité : « Quelles vont
des consensus hâtifs et non discu- verser la dynamique : le 911 devait être les questions, les arbores-
tables, scellés sur des aveuglements recueillir des informations en écou- cences-pièges, les mutations et
Piège instantané :
collectifs. Dans ce registre, on se tant ceux qui étaient dans les Tours, grandes surprises ? »
souviendra que les alertes les plus car certains avaient des éléments • À votre niveau, il n’y a que de
Exemples :
essentielles sont le plus souvent pour pouvoir s’échapper, et redon- fausses évidences.
données « dans les couloirs », par les • Normes fatales : « Les habitants ner ces informations à l’ensemble • Si on vous « rassure », question-
marges, sous des formes étranges doivent se protéger à l’intérieur de des personnes présentes dans les nez cette trop belle assurance.
– masqués par des rires, des carica- leurs appartements », alors qu’en Tours : l’expertise était à l’intérieur • On s’obstine à vous rassurer par
tures, des mots prononcés en l’air, raison des nouveaux matériaux uti- des Tours, pas au 911. des arguments techniques fermés
sans en avoir l’air. lisés, ce devient une erreur fatale ? Attention : votre organisation est
• Le phasage est pris en défaut : (Grenfell Tower). déjà dans la crise.
• Vision décalée : l’alerte : « Un Gymnastique constante
le système est probablement déjà • Qu’est-ce qui va faire irruption
très en retard sur la dynamique de avion de ligne vient de percuter la en raison du passé, du contexte lui-
• On vous parle de tout de suite...
la crise. Tour » / la réplique : « Non, non, les même déséquilibré ?
pensez à demain ; on vous parle de
• Plus complexe : il y a plusieurs avions de ligne volent plus haut ! ». • Recherchez les variables dor-
demain... pensez à tout de suite et à
dynamiques de crise au même • Références pièges : « Les pompiers mantes, les déclencheurs de
après-demain.
moment, plusieurs tableaux à montent à la hâte dans les étages déstabilisation.
• On vous parle de vos services
prendre en considération, alors que pour éteindre l’incendie », alors
techniques... questionnez sur la
l’on est le plus souvent dans des lec- que l’on est hors des hypothèses
communication externe. 3. ORGANISATION
tures univoques et séquentielles. convenues : ce n’est pas un feu de
• On vous parle des médias... ques-
• Les tableaux les plus décisifs sont poubelle à un étage qui ne saurait 1°) Nommez un Secrétaire général
tionnez sur les victimes, sur l’infor-
certainement les moins identifiés. se propager au-delà de l’étage de crise
mation interne.
• Le fait même de prendre du en question, au pire à l’étage du
• On vous parle du gouverne-
dessous et l’étage du dessus ; c’est Il est en charge de la réponse aux pro-
recul, de poser question va immé-
ment... pensez au préfet et au maire.
un avion, qui vient de faire le plein blèmes d’urgence : moyens, analyse,
diatement aiguiser les inquiétudes,
• On vous parle du maire... pensez
de kérosène ; et la Tour, réputée ne coordination, communication opé-
sera souvent pris pour une atteinte
à l’association de défense et au

148 149
Contribution 15

rationnelle, anticipation des freins à Missions : pas la mettre en action ou tout de crise garde une vue sur la trajectoire
l’action. suite la dissoudre. d’ensemble, avec :
• Se projeter hors du connu et du
Pièges : convenu, en ouvrant le question- • une question de sauvegarde
nement sur de multiples lignes in- 3°) Nommez à vos côtés un « obser-
à l’esprit : « Quelle question ai-je
• Opérations : il peut se faire que vateur stratégique »
habituelles, y compris et surtout en oublié de poser ? ».
l’engagement d’un service soit
interrogeant les « fondamentaux » • une perspective primordiale :
certes héroïque mais inapproprié Il sera un appui personnel pour vous
jusqu’alors non discutables. quelle vision construire à haute
et plus guidé par les retombés en alerter sur tous les pièges, dérives,
• Penser et proposer des pistes vitesse pour redonner une quille, un
terme d’image – « un sauveteur appuis, ouvertures, qu’il vous faut
pour traiter les déchirements et cadre, une stabilisation minimale ?
mort est un sauveteur inutile ». connaître.
turbulences hors cadre qui vont ou • une attention aux chemine-
• Communication : attention au
peuvent se déclencher. Demandez-lui, de vous faire en per- ments à construire à tâtons : quel «
réflexe « tout est sous contrôle », à
• Clarifier les zones d’action opé- manence un tableau dynamique de la bricolage stratégique et tactique »
la pulsion visant à « rassurer » avant
rationnelle relativement isolées situation, des forces de la crise. Qu’il arranger – puisque, dans l’inconnu,
même de savoir.
des turbulences systémiques qui se mette du côté de la crise : comment tout ce qui serait déjà bien planifié
• Cohésion : faire savoir qu’un dis-
peuvent être traitées en appli- ferait-il s’il était au service de la crise? et ficelé, imposé du haut et com-
positif est aussi mis en place pour
quant les procédures habituelles muniqué comme l’évidence obligée,
du questionnement de fond, non Sa perspicacité, sa préparation, son
; et à l’inverse alerter sur les lo- serait par construction porteur
pour contrecarrer ou critiquer les économie de parole, seront des
giques habituelles qui ne peuvent d’échec.
actions tactiques, mais pour éclairer atouts essentiels.
plus être suivies par les services
au plus vite les responsables opéra-
d’intervention.
tionnels si des problèmes-pièges Son défi va être de réussir tout à la
• Reconstruire et apporter 4. PILOTAGE
étaient détectés, dans leur champ fois :
constamment du cadre (certes
d’action immédiat, ou de façon plus Le Directeur de crise doit pouvoir se
provisoire) pour que le hors cadre • à faire fonctionner les réponses
globale. raccrocher à une image qui soit moins
puisse être plus aisément maîtrisé d’urgence qui s’imposent dans
« Napoléon sur le pont d’Arcole », et
par les intervenants. nombre de cases spécifiques ;
davantage celle de l’Amiral, placé en
2°) Mettez en place une équipe • à faire travailler ensemble, dans
recul, veillant à l’ensemble du groupe
spécifique pour le défi de l’incon- la cohérence et la cohésion, des silos
Pièges : naval, derrière le Commandant (ici
nu plus communément formatés pour
désigné par Secrétaire général de
• Cette cellule doit avoir été en- la réponse au conventionnel ;
Ce sera l’objet du travail de la cellule crise) qui conduit le navire.
traînée à cette mission, sinon elle • à répondre aux exigences de
que nous avons nommée Force de
risque de devenir un problème sup- À proximité immédiate, mais cepen- base de communication ;
Réflexion Rapide.
plémentaire et il vaudra mieux ne dant en recul choisi, le Directeur de • à inventer des voies de sortie

150 151
Contribution 15

hors des paradigmes établis, 5. LIGNES DE QUESTIONNE- plus explosive. Et tenter de se mettre Quelles dynamiques émergentes
puisque l’on est hors paradigme ; MENT en avant des vagues, et non toujours ? Dans un monde hypercomplexe,
• à mobiliser les énergies, les faire en retard de phase. hyperconnecté, pulvérulent, les sys-
Le Directeur de crise doit avoir ces
converger, en pointant des voies tèmes, les forces sociales, ne reste-
lignes à l’esprit, et c’est la fonction de Quels pièges ? On doit partir du prin-
de sortie, quand il est plus confor- ront pas inertes. Il y aura émergences
sa Force de Réflexion Rapide d’y tra- cipe qu’on ne les voit pas, que nos
table de s’installer dans un convenu, de multiples initiatives, tensions,
vailler. écrans radars ne sont pas configurés
même s’il conduit à l’échec ; 7 recompositions dont il faudra suivre
pour les repérer, d’autant qu’ils vont
• à pouvoir absorber des critiques Quels défis ? Il s’agit certainement « la dynamique pour y inscrire l’action,
muter sur la durée.
acerbes et massives, tant internes d’autre chose », mais de quoi ? Et dans sous forme d’alliages possibles.
qu’externes, dès lors qu’on sort du quelle dynamique d’amplification, de Quelles erreurs ? Il faut porter une at-
Quelles combinaisons d’impulsions
convenu : on lui opposera les règles fragmentation, ou de mutation flash tention très active aux erreurs, pour
inventer ? Il ne va plus s’agir de dé-
convenues, marquées au coin d’un sommes-nous emportés ? les repérer, les traiter au plus vite
rouler des chaînes d’action connues,
« bon sens » certes totalement avant qu’elles n’ouvrent ou exploitent
Quelles fragilités systémiques ? Il sur mode séquentiel. Et les combinai-
dépassé, mais réconfortant ; en grand de nouvelles lignes de faille.
faut considérer l’événement initial sons à penser seront à coup sûr très
• à inventer une communication Loin de la posture usuelle consistant
comme étant d’abord un déclen- en dehors des lignes habituelles de
pour conforter l’adhésion, difficile à à vendre la perfection des réponses
cheur. Il va aller « chercher » toutes pensée et d’action. Nous avons l’ha-
obtenir en ces moments délicats où apportées, il s’agit de faire savoir au
les failles, vulnérabilités, fragilités bitude d’inscrire l’action d’urgence
les réponses du passé ne sont plus plus vite qu’il y aura nécessairement
des systèmes concernés pour les dans le réflexe, il va falloir la déplacer
opérantes, et où les esquisses de des erreurs, qu’on sera attentif à les
élargir, leur donner des voies d’érup- dans le domaine largement ouvert
sortie nouvelles sont tout à la fois détecter et à en être informé – par
tion, les recombiner. La difficulté de l’invention, de la découverte. Le
incomprises, et source d’inquiétude tous les acteurs –, pour les corriger au
pour le Directeur de crise sera, à défi est de taille puisque nos sociétés
supplémentaire ; plus vite.
tout moment, de savoir où l’on en est sont d’abord « administrées » – elles
• à esquisser, proposer, lancer,
dans cette mise en résonance géné- Quels acteurs ? Les tableaux d’ac- ont 90% des connaissances et pro-
faire converger, quelques initiatives
rale et profonde toujours possible et teurs sur lesquels sont pensés et cédures à respecter, et la conformité
hardies et multiformes, permettant
même probable, et ce que l’on peut mises en œuvre les logiques de est la sécurité de l’ensemble ; il y aussi
de changer la donne, d’ouvrir des
faire pour anticiper, freiner, traiter réponse ne sont qu’une toute petite les « gestionnaires » – ils ont 60% des
pistes, de tester les voies possible-
ces turbulences de plus en plus dés- partie, et pas la plus importante du connaissances, et sont entraînés à
ment fécondes.
tabilisantes. L’objectif à prendre en tableau sur lequel fuse la situation. naviguer dans les 40% d’incertitudes.
compte n’est pas seulement la réso- Et ces cartographies d’acteurs ne Nous voici dans l’âge des découvertes
lution de la difficulté initiale, mais le cessent de muter, de se recombiner. : 8 80% d’inconnu, qui ne se laissera
traitement des failles profondes qui pas maîtriser par ni par le convenu, ni
se manifestent de façon de plus en même par le simple « changement ».

152 153
Contribution 15

6. L’EXPERTISE en mesure de dépasser leur savoir cipale de la science n’est pas d’ouvrir fond – qu’elles se raccrochent à des
commun et les assurances réflexes une porte sur la sagesse infinie, mais conceptions dépassées, ou qu’elles
1°) Architecture :
; et se méfier des autres. Il s’agit de fixer une limite à l’erreur infinie. » se perdent et veulent entraîner l’en-
• Mobiliser une équipe d’experts moins de dialoguer avec les as de (La Vie de Galilée). semble dans un « n’importe quoi »
pour éclairer les défis immédiate- “l’énigme résiduelle” (la majorité, si dont le caractère non conventionnel
ment au centre de la difficulté. En l’on suit bien Thomas Kuhn26), que n’est pas du tout une garantie de per-
7. CARTOGRAPHIE DES INDIVI-
sachant bien que beaucoup ne sont de détecter les quelques experts tinence.
DUS
pas préparés à opérer en situation d’emblée à l’aise dans l’inconnu.
extrême, et en pleine lumière. • Discerner au plus vite les experts Discerner au plus vite les quelques
8. CARTOGRAPHIE DES ORGA-
• Ouvrir aussi des capacités d’ex- dangereux car trop sûrs d’eux- personnes sur lesquelles il va être
NISATIONS
pertise sur tous les autres domaines mêmes, assénant leur savoir plus possible de s’appuyer pour opérer les
qui vont devenir importants dans que mobilisant leur intelligence. inventions, transformations, coopé- Discerner au plus vite les organisa-
les turbulences dynamiques qui Tout expert qui invente sera hors rations nécessaires. tions qui, tout en étant indispensables
vont se déclencher. des clous, et risque de passer pour ou s’imposant de droit, de coutume,
En sachant bien qu’elles ne sont pas
• Disposer d’une instance en un fou dans les confréries ayant ou de fait, seront plus des boulets ou
légions : elles auront le plus souvent
charge d’une appréciation globale, pignon sur rue ; mais tout expert des pièges toxiques.
été éjectées des organisations
avec des lignes d’expertise qui hors des clous n’est pas ipso facto
en charge, surtout des plus hauts Faire savoir au plus vite que toutes
peuvent être critiques un jour, se- un génie de la situation (et se sou-
niveaux. les guerres intestines seront immé-
condes le lendemain, et des com- venir du proverbe selon lequel « il
diatement des motifs d’exclusion.
binaisons d’ensemble toujours faut 100 sages pour contrer un seul Elles devront dès le moment où elles
instables. fou »). Se souvenir aussi qu’une idée intègrent une telle structure avoir Ne pas s’enfermer dans une cartogra-
géniale sera fortement combattue une pensée globale et juste et rejeter phie particulière des organisations
2°) Logiques de pilotage : et ne triomphera pas, il faudra que toute forme de corporatisme visant à « leaders », « menantes », « concou-
les tenants du connu lâchent prise tirer avantage de tel ou tel arbitrage. rantes » : le tableau va nécessaire-
• Ne pas se mettre à la remorque
– très tardivement, de guerre lasse. En respectant un judicieux avertis- ment devoir évoluer. Il s’agit d’ins-
de l’expertise.
Alors que toute idée inepte, mais si sement vu à l’entrée d’une cellule de crire une dynamique pertinente, non
• Se focaliser sur les limites de l’ex-
« rassurante » sera adoptée en 10 crise aéroportuaire à Heathrow : « de figer des dispositifs à partir d’une
pertise, et plus encore ses pièges
minutes et fera consensus instan- Leave your ego here ». situation initiale particulière, ou de
profonds : « Qui peut me dire quoi,
tané, rapidement tenu pour non plans.
dans quel délai, avec quelle fiabilité Et celles qui, tout en étant indis-
discutable.
?» pensables, risquent à tout moment
• Avoir finalement à l’esprit le mot
• Privilégier l’écoute des experts d’envoyer le système dans par le
de Bertold Brecht : « La fonction prin-

154 155
Contribution 15

9. DYNAMIQUES DE CONDUITE par l’équipe Dynamo, qui a opéré à 10. INTERFACE AVEC LES AU- 11. COMMUNICATION
l’AP-HP durant les semaines les plus TORITÉS SUPERIEURES
Mobilisation flash : Les systèmes Faire la chasse instantanée aux décla-
critiques de la Covid-19 en avril-mai-
tendent à se mettre en position d’at- Leur apporter au plus vite et en rations-réflexe qui seront faites sur le
juin 2020.
tente, il faut les mettre en mode actif continu de l’intelligence stratégique thème « Tout est sous contrôle », « Il n’y
et proactif sans paralysie initiale. Inspirer : Loin de vouloir centrali- sur la situation. En leur indiquant en a pas de risque [à ce stade] ».
ser, se concentrer sur les visions et priorité absolue les erreurs magis-
Rythme : Tout de suite instaurer du Bien davantage : s’interroger sur les
repères à diffuser, sur la manière de trales qu’elles doivent éviter, surtout
feedback rapide et à boucle courte. tempêtes à affronter en raison des
libérer, conforter et faire circuler la les erreurs difficiles à rattraper, com-
Une régularité des grandes crises est bouleversements du domaine de la
confiance. La dimension critique pour mises d’entrée de jeu.
le retard constant dans les interven- communication, avec des contradic-
tirer le meilleur parti des groupes im-
tions. Il faut partir de ce constat pour Pour leur communication, qui est tions formidables, entre :
pliqués dans le pilotage et la gestion
développer au contraire une capaci- probablement leur inquiétude pre-
de la crise majeure est la confiance • ceux qui exigent la vérité due à
té de rétroaction la plus dynamique mière, faire passer le message selon
qu’inspire le dirigeant. Non la fausse des citoyens majeurs « qu’il ne faut
possible, en assurant des rythmes lequel il ne leur est pas demandé de
confiance que peut inspirer un « Chef pas traiter comme des enfants » ;
soutenus dans la boucle : observa- battre des records de vitesse. Leur
», qui en impose par ses injonctions. • ceux qui veulent d’abord être
tion-redéfinition-action. Demander à seule voie de sortie est la profon-
Mais la perception profonde que l’on rassurés ;
chacun de parler brièvement, en ban- deur de leur réflexion, l’acuité de leur
est en équipe, dirigée par quelqu’un • ceux qui sont profondément
nissant verbiage et paraphrase. écoute, la démonstration de leur luci-
qui « ne raconte des histoires », ou épuisés dans les torrents des crises
dité, la force de leurs propositions. Et
Fluidité-Plasticité. La rigidification plus encore qui « ne se raconte pas actuelles et ne veulent plus rien en-
plus encore sans doute, leur aptitude
des visions, processus et mises en d’histoire ». Cela demande une al- tendre ;
à identifier et partager les questions
œuvre – avec ce que cela déclenche chimie complexe entre confiance • ceux qui veulent du grain à
les plus difficiles.
comme terrains de conflits, de vis- partagée dans le fait que l’on va y moudre sur les plateaux et les
cosités – est une tendance normale arriver, tous ensemble ; fermeté sur Être en phase avec les enjeux, être réseaux ;
d’un système devant délivrer des des points non négociables ; ouver- porteur de voies de sortie collectives • ceux qui veulent surtout fuir dans
réponses cruciales. Le Directeur de ture sur des registres de l’invention est infiniment plus important que de le faux en sachant parfaitement que
crise va devoir songer à mettre en ; prises de risques et paris, expliqués participer à l’effervescence débridée c’est du faux, mais que c’est bien de
place un groupe d’appui ayant pour et inspirants ; et appui proactif : « et bientôt mortifère des plateaux de cela qu’ils ont vitalement besoin –
fonction de venir aider les uns et les Comment puis-je vous aider ? ». circonstance. car le faux les rassure.
autres à mieux ajuster, exprimer, ap- • ceux qui partagent selon les
pliquer des modes d’action adaptés moments un peu ou beaucoup de ces
et par construction innovants. C’est caractéristiques contradictoires.
notamment ce qui a été fait avec et • Etc.

156 157
Contribution 15

Là encore il s’agit de se dégager des tentes encore illisibles en matière de 13. MOMENTS CRUCIAUX toire « hors légitimité », avec cepen-
visions coutumières, qui s’impose- conduite des affaires collectives, une dant l’exigence de tenir les lignes de
Le Directeur de crise doit jouer de
ront d’emblée, et se refermeront sur hypervigilance qui s’instaure avec la vie essentielles, de tenir le vaisseau
toutes ces palettes, privilégiant celle-
les pilotes. sensation que l’on passe en territoire en état de flottaison dans les élé-
ci ou celle-là selon les moments et les
inconnu, ou encore une plongée col- ments déchaînés, et en mode dyna-
L’essentiel, quand on plonge dans l’in- évolutions de la crise.
lective dans une dépression et une mique alors même qu’on ne dispose
connu, est de susciter la confiance.
désespérance latentes qui peu à peu Mais il doit savoir qu’il aura des ren- plus ni de la carte, ni du GPS.
Non, les dirigeants ne sont pas dans
ou brutalement cassent les ressorts dez-vous personnels décisifs avec
le déni. Non, ils ne sont pas à la re- Le Directeur de crise n’échappera pas
de la résilience. l’événement : quand il lui faudra, et
morque des experts, des médias, des à un immense sentiment de solitude,
qu’il choisira de le faire, opérer des
forces partisanes… Oui, ils recon- Nul n’a la carte, elles se construit de prise de risque au franchissement
ruptures dans les visions partagées,
naissent la difficulté de l’inconnu. dans l’accidentel, l’effervescence, les de Rubicons – avec à l’esprit ce mot
dans les modes opératoires engagés.
Ils prennent le temps de la prise de régressions, les avancées, l’illisible et chinois « N’est-ce pas ici que, si je fais un
Ce sera du pari, certes le plus éclairé
recul. Ils embrassent le questionne- le multiple. Et toute vision simplifica- demi pas dans la mauvaise direction, je
possible. Ce sera un moment de diffi-
ment. Et ils se battent de la façon la trice sera vite vouée à l’échec. Mais la vais me retrouver à des milliers de kilo-
culté intense tant au sein de sa struc-
plus intelligente, pour trouver des clé de toute navigation sera la capa- mètres ? ».
ture qu’avec les acteurs extérieurs
voies concrètes dans cet inconnu et cité à déporter sa vision pour appré-
– dirigeants nationaux, citoyens, C’est bien à cette confrontation,
partager les informations. cier ce qui peut émerger des corps
médias. souvent terrible, qu’il aura dû s’en-
sociaux, et comment on peut aider
traîner au préalable.
dans ces émergences – qui peuvent Pour mémoire, on aura intégré l’hy-
12. AVEC LES ACTEURS
en définitive se révéler plus décisives pothèse extrême (mais non rarissime) « Non à prévoir l’imprévisible, mais
SOCIAUX
que les actions des pilotes officiels. pour le Directeur de Crise de se re- à s’entraîner à lui faire face » (Janek
Certes, le Directeur de crise est à Pareille préoccupation risque de trouver « orphelin » : « Les dirigeants Rayer).
la tête d’une cellule centrale dont il devenir cruciale dans les crises de ne répondent plus ».
doit tirer le meilleur. Mais il doit aussi très haute intensité, surtout quand « Non pas se préparer pour ne pas être
Dans une telle situation, le Directeur surpris, mais se préparer à être surpris »
ouvrir d’autres espaces de pilotage, les acteurs essentiels et convention-
de crise peut se retrouver en terri- (Todd LaPorte)
et rester en phase avec les mutations nels sont en limite de rupture, et qu’il
sociétales actuelles : l’atomisation faut désormais songer à d’abord « re-
des corps sociaux, les coagulations construire par le bas ».
explosives, les décrochages profonds
en matière de crédibilité et de légiti-
mité, les émergences de formes nou-
velles de dynamiques sociales, les at-

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Gestion de crise

Nos groupes de travail essaient de rendre compte d’une idée force du K2 : la


connaissance appartient à tout le monde.

Il nous est apparu que le point de vue de l’expert, auquel nous sommes habitué ne
devait plus être exclusif. Un besoin croissant du citoyen de connaître par lui-même
se fait sentir en tout domaine. C’est la raison pour laquelle nos groupes de travail
sont composés de spécialistes mais aussi de nombreuses personnalités qui ne dis-
posent pas, a priori, de compétences particulières sur le sujet traité mais qui sou-
haitent y réfléchir. Nous pensons ainsi que les efforts de réflexion et de partage de
professionnels issus de tous horizons dans une démarche pluridisciplinaire permet-
tront de retrouver de l’unité dans la connaissance et donc une meilleure compré-
hension globale des choses. Telle est la démarche qu’ont entrepris les membres du
Groupe K2 Gestion de crise.

Lorsqu’on envisage le thème de la crise, quel que soit le domaine abordé, public,
privé, etc. la première des questions porte sur la définition même du phénomène.
Outre qu’il est souvent galvaudé dans son utilisation « profane », il n’est pas rare, de
confondre crise et urgence. Si les deux situations partagent la notion de criticité,
l’urgence se caractérise par un risque immédiat de préjudice grave. Toutefois, si l’or-
ganisation réagit efficacement face à la menace, alors l’urgence, pour grave qu’elle
soit, ne constitue pas une crise.

ISBN : 9782493056016 Cercle K2, 10, rue des pyramides


Ce livre ne peut être vendu 75001 Paris, France
cercle-k2.fr

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