Ch3 Colonisation Edecolonisation en Afrique

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SUPPORT DE COURS | UVS | 2015 LICENCE 1 AES

LICENCE 1

Administration Economique
Et sociale
Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique

Table des matières


 1 INTRODUCTION

 2 La colonisation de l’Afrique
o 2.1 L’évolution des rapports de force
o 2.2 La constitution de grandes emprises coloniales (évolution de l’occupation
européenne de l’Afrique)

 3 L’impact de la colonisation
o 3.1 Impact politique
o 3.2 Impact économique
o 3.3 Impact social
o 3.4 Conclusion

 4 La décolonisation
o 4.1 Les facteurs à l’origine du déclenchement du processus de décolonisation
o 4.2 Les modalités de la décolonisation
o 4.3 Les étapes de la décolonisation

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Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique

1 INTRODUCTION
Le phénomène colonial débute au XVIe siècle à la suite des Grandes découvertes. Le
fait majeur est alors la colonisation de l’Amérique. Mais à partir du XVIIIe siècle, cette
colonisation s’étend au reste du monde, y compris l’Afrique. En effet, l’Europe, forte de
sa supériorité technique, militaire, économique et financière, se lance à partir de cette
époque dans des conquêtes visant à dominer de vastes territoires un peu partout dans
le monde. A partir du XIXe siècle, le mouvement de la colonisation s’accélère,
particulièrement en Afrique. Le phénomène colonial a mis en contact, avec brutalité, des
mondes largement différents, et il a eu des répercussions tant humaines que politique,
économique, sociale, culturelle. L’entre-deux-guerres voit apparaître les premières
contestations de l’ordre colonial ; mais ce n’est qu’au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale que le mouvement de décolonisation s’enclencha en Afrique, selon des
modalités tantôt pacifiques, tantôt violentes.

2 La colonisation de l’Afrique
Jamais, dans l’histoire de l’Afrique, des changements ne se sont succédé avec une aussi
grande rapidité que pendant la période qui va de 1880 à 1935. À vrai dire, les
changements les plus importants, les plus spectaculaires, les plus tragiques aussi, ont
eu lieu dans un laps de temps beaucoup plus court qui va de 1890 à 1910, période
marquée par la conquête et l’occupation de la quasi-totalité du continent africain par les
puissances impérialistes, puis par l’instauration du système colonial. La période qui suivit
1910 fut caractérisée essentiellement par la consolidation et l’exploitation du système.

2.1 L’évolution des rapports de force

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Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique
De l’avis de plusieurs historiens, c’est vers 1750 que remonte le processus d’intégration
de l’Afrique (du Nord, de l’Ouest et du Sud) dans un système historique particulier,
l’économie-monde capitaliste, et le partage du continent constitue non pas le début,
mais l’aboutissement de ce processus.

Il y eut, dans les années 1870, des transformations capitales non seulement dans la
structure interne des États africains, mais aussi dans le rôle respectif des Européens en
Afrique et dans les moyens dont ceux-ci disposaient. En 1870, les répercussions de la
révolution industrielle et de la guerre en Europe sur l’organisation des États et sur le
potentiel militaire devenaient évidentes. Entre les nations européennes et les États
africains, les rapports de force commençaient à apparaître comme de plus en plus
inégaux. Cette année-là, l’Allemagne et l’Italie devinrent des États unifiés, désormais
plus forts, dont les citoyens ne tardèrent pas à exiger une participation plus active dans
la course à l’obtention des ressources africaines.

Diverses activités que les Européens avaient apparemment poursuivies jusque-là, de


façon désintéressée ou à des fins humanitaires, commencèrent à être envisagées du
point de vue de ce qu’elles apportaient de positif aux intérêts des nationaux européens.
Le temps n’était plus où les explorateurs apparaissaient comme des gens qui agissaient
simplement par curiosité scientifique ; ils étaient désormais davantage des agents
chargés de recueillir des renseignements stratégiques et des secrets commerciaux. Les
missionnaires n’étaient pas seulement des serviteurs de Dieu obéissant à la vocation
d’évangélisation, mais les agents organisés d’un effort national d’acculturation qui avait
pour objectif d’affaiblir la position culturelle et commerciale exclusive de leurs hôtes. Les
marchands ne recherchaient pas uniquement le profit ; ils préparaient le terrain en vue
de l’installation de leur pays aux postes de commande.

Le facteur qui, en définitive, fit basculer l’équilibre des forces en Afrique dans les années
1870 fut la qualité et la quantité des armes à feu. Le dernier mot, dans la lutte pour le

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pouvoir en Afrique, devait donc appartenir à ceux qui avaient la haute main sur les
armes et les munitions. La situation était appelée à rester incertaine aussi longtemps
que les Européens poursuivraient séparément leurs intérêts nationaux, et que les chefs
d’État africains pourraient jouer les puissances les unes contre les autres. En outre, les
Européens, qui avaient absolument besoin d’alliés, devaient se résigner à fournir des
armes à feu de qualité pour obtenir des traités, des concessions, des garanties de
neutralité ou, au contraire, de participation active aux guerres qui les opposaient à des
États africains rivaux. Il devint donc essentiel pour eux de soumettre la ruée sur
l’Afrique à certaines règles fondées sur des accords internationaux, et, tout
particulièrement, de limiter les fournitures d’armes et de munitions. La rivalité la plus
intense était celle qui mettait aux prises Britanniques et Français. Les Britanniques
essayèrent, pour garantir leurs intérêts, de s’ériger en protecteurs, y compris des
intérêts portugais, ce qui fournit à Bismarck l’occasion de s’entremettre de façon
intéressée en réunissant à Berlin (1885) une conférence internationale. La voie était
désormais ouverte à l’Acte de Bruxelles (1889), qui, au nom d’une campagne anti-
esclavagiste, interdit la fourniture d’armes aux chefs d’État africains. Le fait est que, en
invoquant la limitation des armements et la campagne contre l’esclavage, les
Britanniques purent exempter les colons « autonomes » d’Afrique du Sud de l’application
des dispositions adoptées à Bruxelles. Dans le même esprit, sans cesser de combattre
tel ou tel État d’Afrique et de négocier force traités et conventions avec des souverains
africains, ils purent aussi soutenir que, du fait qu’ils possédaient des esclaves et en
faisaient commerce, les États africains n’étaient pas reconnus en droit international. Il
était donc possible de déclarer, dans l’Acte général de la Conférence de Berlin (1885) et
dans l’Acte de Bruxelles (1889), qu’en droit international l’Afrique était terra
nullius (c'est-à-dire un « territoire sans maître »), et que seules les puissances
européennes et leur colons avaient là des intérêts qu’il fallait protéger. Autrement dit,
tandis qu’en Afrique les pays européens traitaient avec tel ou tel État africain, les
reconnaissaient, s’alliaient aux uns, combattaient les autres, en Europe, au contraire, ils

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serraient les rangs en frères de race et formaient un cartel pour réglementer la
fourniture des principaux armements aux Africains. Les chefs africains n’avaient aucun
moyen de riposter à une telle stratégie. La lutte pour le pouvoir en Afrique se trouvait
ainsi mêlée à la politique internationale du concert des puissances européennes,
domaine où la diplomatie africaine souffrait d’un grave désavantage. Il est douteux que
les Africains se soient rendu compte, avant qu’il fût trop tard, de la gravité du danger
qui les menaçait. Par habitude, ils comptaient sur le fait qu’en Afrique, les Européens
étaient loin de leurs bases et qu’en tout état de cause les Africains avaient l’avantage du
nombre. Ils continuèrent de se conduire comme s’ils pouvaient jouer indéfiniment les
puissances européennes les unes contre les autres. En Afrique australe, ils crurent
même qu’ils pouvaient en appeler à la reine d’Angleterre et à ses représentants directs
pour faire respecter les obligations découlant des traités, contre la volonté des colons
anglo-boers et de certains aventuriers. À mille lieues de songer au contrepoids qu’aurait
pu être la solidarité panafricaine, chaque État africain se conduisait comme il croyait
devoir le faire isolément dans son propre intérêt. C’est l’intensité des rivalités et la
cruauté des guerres qui ont empêché les dirigeants africains de comprendre à temps que
la riposte à la menace européenne devait prendre le pas sur les oppositions entre États
africains, et qu’ils devaient s’unir pour y faire face.

2.2 La constitution des grands emprises coloniaux


(évolution de l’occupation européenne de l’Afrique)
L’expansion rapide des empires coloniaux a de quoi surprendre, car en 1880 encore,
seules quelques régions nettement circonscrites de l’Afrique étaient sous la domination
directe des Européens. Pour l’Afrique occidentale, l’ensemble se limitait aux zones
côtières et insulaires du Sénégal, à la ville de Freetown et à ses environs (qui font
aujourd’hui partie de la Sierra Leone), aux régions méridionales de la Gold Coast (actuel
Ghana), au littoral d’Abidjan en Côte-d’Ivoire et de Porto Novo au Dahomey (actuel

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Bénin), à l’île de Lagos (dans ce qui forme aujourd’hui le Nigéria). En 1880, sur une
superficie atteignant environ 80% de son territoire, l’Afrique est gouvernée par ses
propres rois, reines, chefs de clan et de lignage, dans des empires, des royaumes, des
communautés et des unités d’importance et de nature variées. En Afrique du Nord, les
Français n’avaient colonisé, en 1880, que l’Algérie. Dans toute l’Afrique orientale, pas un
seul pouce de terrain n’était tombé aux mains d’une puissance européenne, tandis que
dans toute l’Afrique centrale les Portugais n’exerçaient leur pouvoir que sur quelques
bandes côtières du Mozambique et de l’Angola. Ce n’est qu’en Afrique méridionale que la
domination étrangère était, non seulement fermement implantée, mais s’était même
considérablement étendue à l’intérieur des terres

Figure 1 - L'Afrique en 1880

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Or, dans les trente cinq années qui suivent (1880-1915), on assiste à un
bouleversement extraordinaire, pour ne pas dire radical, de cette situation. En 1914, à la
seule exception de l’Éthiopie et du Libéria, l’Afrique tout entière est soumise à la
domination des puissances européennes et divisée en colonies de dimensions variables,
mais généralement beaucoup plus étendues que les entités préexistantes et ayant

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souvent peu ou aucun rapport avec elles. Par ailleurs, à cette époque, l’Afrique n’est pas
seulement assaillie dans sa souveraineté et son indépendance, mais également dans ses
valeurs culturelles. Comme Ferhāt ˓Abbās le fait remarquer en 1930, à propos de la
colonisation en Algérie, pour les Français, « la colonisation ne constitue qu’une
entreprise militaire et économique défendue ensuite par un régime administratif
approprié ; pour les Algériens, au contraire, c’est une véritable révolution venant
bouleverser tout un vieux monde d’idées et de croyances, un mode d’existence
séculaire. Elle place un peuple devant un changement soudain. Et voilà toute une
population, sans préparation aucune, obligée de s’adapter ou de périr. Cette situation
conduit nécessairement à un déséquilibre moral et matériel dont la stérilité n’est pas loin
de la déchéance totale ».

La nouvelle carte géopolitique de l’Afrique qui apparaît à l’issue de plus de trois


décennies (1880- 1935) de découpage systématique et d’occupation militaire est très
différente de ce qu’elle était en 1880. Les puissances européennes avaient divisé le
continent en près de quarante unités politiques. Ces nouvelles frontières sont le plus
souvent arbitraires, précipitées, artificielles et établies au hasard. Elles avaient brouillé
l’ordre politique national pré-européen. Pour environ 30% de leur longueur totale, ces
frontières sont constituées par des lignes droites. Celles-ci, ainsi que d’autres tracés
frontaliers, croisent arbitrairement les frontières ethniques et linguistiques.

Figure 2 - L'Afrique en 1914

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En 1902, la conquête de l’Afrique était presque achevée. L’histoire en avait été très
sanglante. La puissance de feu dévastatrice de la mitrailleuse Maxim et la relative
sophistication de la technologie européenne doivent avoir été une expérience amère
pour les Africains. Mais, bien que la conquête de l’Afrique par l’Europe ait été
relativement facile, son occupation et l’installation d’une administration européenne se
révélèrent plus délicates.

Encadré - La mitrailleuse Maxim

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La mitrailleuse Maxim, inventée par Sir Hiram Maxim en 1884, était la première
mitrailleuse auto-alimentée.

La Maxim joua un rôle décisif dans l'expansion coloniale européenne en Afrique à la fin
du XIXe siècle. Son extraordinaire puissance de feu avait des effets dévastateurs lors
des batailles rangées lorsque les adversaires attaquaient de manière frontale. Durant les
batailles de la Shangani en 1894 et d'Omdurman en 1898, des troupes européennes
parvinrent à anéantir des forces locales très supérieures en nombre au prix de pertes
minimes. Comme l'écrivit Hilaire Belloc dans son poème The Modern Traveller : « Quoi
qu'il arrive, nous avons la mitrailleuse Maxim et eux non ». Elle rend également compte
de « l’art de vaincre sans avoir raison », dont parlait la Grande Royale dans L’Aventure
ambigüe de Cheikh Hamidou Kane.

Le mécanisme de l'arme utilisait l'énergie du recul pour éjecter chaque étui usagé et
insérer le suivant. Il était donc beaucoup plus efficace que les mitrailleuses précédentes
qui ont été construits sur un principe totalement différent, utilisant des manivelles et un
rechargement par bandes multiples.

Des essais ont révélé que la Maxim pouvait tirer 600 coups par minute, soit l'équivalent
à la puissance de feu d'environ 30 fusils contemporains à rechargement par la culasse.

Par rapport aux mitrailleuses modernes, la Maxim reste cependant lourde et


encombrante. Même si une seule personne pouvait l'actionner, elle était généralement
servie par une équipe de plusieurs hommes car le mécanisme de refroidissement de
l'arme avait besoin d'un approvisionnement constant en eau afin de produire un feu
continu, et plusieurs hommes étaient nécessaires pour la déplacer.

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3 L’impact de la colonisation
L’impact du colonialisme sur l’Afrique est un sujet controversé. Pour certains
« africanistes », son impact a été, dans l’ensemble, à la fois bénéfique et négatif. P. C.
Lloyd, par exemple, n’hésite pas à affirmer le caractère positif de l’impact colonial : « Il
est facile d’ergoter aujourd’hui, affirme-t-il, sur la lenteur du développement
économique pendant les cinquante ans de domination coloniale. Néanmoins, la
différence entre la condition de la société africaine à la fin du XIXe siècle et à la fin de la
deuxième guerre mondiale est proprement stupéfiante. Les puissances coloniales ont
fourni toute l’infrastructure dont a dépendu le progrès à l’époque de l’indépendance : un
appareil administratif plutôt efficace, atteignant les villages les plus reculés, un réseau
de routes et de voies ferrées et des services de base en matière de santé et d’éducation.
Les exportations de matières premières ont apporté une richesse considérable aux
peuples d’Afrique occidentale ». Selon Margery Perham : « Les critiques du colonialisme
s’intéressent surtout au présent et au futur, mais il faut rappeler que notre empire en
voie de disparition a laissé derrière lui un vaste héritage historique, chargé de legs
positifs, négatifs et neutres. Pas plus que ces critiques, nous ne devrions omettre cette
vérité ». Un autre historien anglais, D. K. Fieldhouse, est arrivé à la même conclusion :
« II apparaît donc que le colonialisme ne mérite ni les louanges, ni les blâmes qu’on lui a
souvent décernés ; s’il a fait relativement peu pour surmonter les causes de la pauvreté
dans les colonies, ce n’est pas lui qui a créé cette pauvreté. L’empire a eu de très
importants effets économiques, certains bons, d’autres mauvais… ». Enfin, Gann et
Duignan, qui se sont pratiquement consacrés à la défense du colonialisme en Afrique,
concluaient que « le système impérial est l’un des plus puissants agents de diffusion
culturelle de l’histoire de l’Afrique ; le crédit, ici, l’emporte de loin sur le débit ». Ils
affirment également (in Colonialism in Africa, ouvrage en cinq volumes) : « Nous ne
partageons pas le point de vue très répandu qui assimile le colonialisme à l’exploitation.
Nous interprétons en conséquence l’impérialisme européen en Afrique aussi bien comme

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un agent de transformation culturelle que comme un instrument de domination
politique ».

D’autres auteurs — essentiellement des spécialistes africains, noirs et marxistes, et tout


particulièrement les théoriciens du développement et du sous-développement — ont
soutenu que l’effet positif du colonialisme en Afrique était pratiquement nul. L’historien
guyanais noir Walter Rodney a adopté une telle position. Voici ce qu’il déclare : « On
affirme souvent que, d’un côté, il y a eu exploitation et oppression, mais que, d’un autre
côté, les autorités coloniales ont beaucoup fait pour les Africains et ont contribué au
développement de l’Afrique. Nous estimons que cela est complètement faux. Le
colonialisme n’a qu’un aspect, qu’un bras : c’est un bandit manchot ». Dans le même
ordre d’idée, Aimé Césaire déclare (dans « Discours sur le colonialisme ») : « « Entre
colonisateur et colonisé, il n'y a de place que pour la corvée, l'intimidation, la pression,
la police, l'impôt, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la
morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies. Aucun
contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui transforment
l'homme colonisateur en pion, en adjudant, en garde-chiourme, en chicote et l'homme
indigène en instrument de production. A mon tour de poser une équation : colonisation
= chosification. J'entends la tempête. On me parle de progrès, de « réalisations », de
maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d'eux-mêmes. Moi, je parle de
sociétés vidés d'elles-mêmes, de cultures piétinées, d'institutions minées, de terres
confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties,
d'extraordinaires possibilités supprimées. On me lance à la tête des faits, des
statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemins de fer. Moi, je parle de
milliers d'hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l'heure où j'écris,
sont en train de creuser à la main le port d'Abidjan. Je parle de millions d'hommes
arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la danse et à la
sagesse. »

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Tels sont les deux principaux jugements — opposés — sur le colonialisme en Afrique.
Quoiqu’il en soit, il est important de souligner que la majeure partie des effets positifs ne
l’ont pas été intentionnellement ; il s’agit plutôt de conséquences accidentelles
d’activités ou de mesures destinées à défendre les intérêts des colonisateurs ou de la
résultante de changements inhérents au système colonial lui-même ; ou encore les
effets positifs du colonialisme sont des effets par défaut, et donc des conséquences non
voulues ou non désirées.

3.1 Impact politique


Le premier impact positif du colonialisme est la création même (au niveau géopolitique)
des États indépendants modernes d’Afrique. Partition et conquête coloniales
refaçonnèrent de manière révolutionnaire le visage politique de l’Afrique. À la place des
centaines de clans, de groupes de lignage, d’États-cités, de royaumes et d’empires, sans
frontières nettement délimitées, existaient maintenant près de cinquante nouveaux
États aux tracés généralement fixes ; il est assez significatif que les frontières des États,
telles qu’elles ont été établies pendant la période coloniale, n’aient pas été modifiées
depuis l’indépendance. En second lieu, le système colonial a introduit également dans
presque toutes les parties de l’Afrique deux institutions nouvelles que l’indépendance n’a
pas entamées : un nouveau système judiciaire, une nouvelle bureaucratie (ou
administration). Il ne fait aucun doute que, dans presque tous les États indépendants
d’Afrique (excepté ceux qui sont musulmans), les hautes cours de justice introduites par
les autorités coloniales ont été maintenues et, dans les anciennes colonies britanniques,
elles l’ont été non seulement dans leurs formes (on a gardé même les perruques et les
robes, malgré le climat), mais aussi dans leur contenu et leur éthique.

Mais si les effets positifs du colonialisme sont indéniables, ses aspects négatifs sont
encore plus marqués.

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Tout d’abord, les deux ou trois premières décennies de l’ère coloniale (1880 -1910
environ) se traduites en Afrique par le développement de l’instabilité, de la violence et
du désordre, ce qui provoqua de vastes et impardonnables destructions, ainsi qu’une
forte diminution de la population : le nombre des habitants du Congo belge fut réduit de
moitié pendant les quarante premières années de la domination coloniale, celui des
Herero des quatre cinquièmes, celui des Nama de moitié et celui de la Libye d’environ
750 000.

Ensuite, même si l’on admet que la structure géopolitique qui s’est créée est une
réussite (une fois de plus accidentelle), on doit convenir qu’elle pose bien plus de
problèmes qu’elle n’en résout. Il ne fait aucun doute que bon nombre des États issus de
la colonisation étaient des créations artificielles et que cette artificialité a posé un certain
nombre de problèmes qui pèsent lourdement sur le développement à venir du continent.
Le premier problème est le suivant : certaines frontières divisent des groupes ethniques
déjà existants et découpent des États et royaumes, ce qui provoque des
bouleversements sociaux et des déplacements. Par exemple, les Bakongo sont divisés
par les frontières de l’Angola, du Congo belge (actuel Zaïre), du Congo français
(aujourd’hui R. D. du Congo) et du Gabon. De nos jours, une partie des Ewe vit au
Ghana, une autre au Togo, une autre au Bénin ; les Somali sont répartis en Éthiopie, au
Kenya, en Somalie et à Djibouti ; les Senufo se retrouvent au Mali, en Côte-d’Ivoire et
au Burkina Faso. Et ces exemples pourraient être multipliés. L’une des conséquences
importantes de cette situation, ce sont les querelles frontalières chroniques qui ont
grevé les rapports entre certains États africains indépendants (Soudan/Ouganda,
Somalie/Éthiopie, Kenya/Somalie, Ghana/Togo, Nigéria/Cameroun). En second lieu,
étant donné la nature arbitraire de ces frontières, chaque État-nation est constitué d’un
mélange de peuples dont la culture, les traditions et la langue sont différents. Les
problèmes que pose un tel mélange pour l’édification d’une nation ne se sont pas avérés
facilement solubles.

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Le caractère artificiel et arbitraire des divisions coloniales a encore eu une autre
conséquence : les États qui se sont créés ont des superficies différentes, des ressources
naturelles et des possibilités économiques inégales. Alors que certaines nations issues de
la partition sont des géants, comme le Soudan, le Nigéria et l’Algérie, d’autres sont des
nains, comme la Gambie, le Lesotho, le Togo et le Burundi. Alors que le Soudan et le
Zaïre ont respectivement des superficies de 2 500 000 km et de 2 350 000 km , celles
2 2

de la Gambie, du Lesotho et du Burundi sont de 10 350 km , 29 200 km et 27 800 km .


2 2 2

Et il y a malheureusement plus d’États petits ou moyens que de grands États. D’autre


part, et c’est encore plus grave, alors que certains États ont de très larges façades
maritimes, d’autres, comme le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Tchad, la Zambie,
l’Ouganda, le Malawi, n’ont aucun accès direct à la mer. Enfin, alors que certains États
sont très riches en ressources naturelles, comme le Ghana, la Zambie, le Zaïre, la Côte-
d’Ivoire et le Nigéria, d’autres, comme le Tchad, le Niger et le Burkina Faso, sont plus
modestement pourvus. Enfin, alors que certains pays comme la Gambie n’ont qu’une
seule frontière à surveiller, d’autres en ont quatre ou davantage, comme le Zaïre, qui en
a dix. Cela crée de graves problèmes de sécurité nationale et de contrôle de la
contrebande. On peut facilement imaginer les problèmes de développement que posent
le manque ou le nombre limité de ressources naturelles, de terres fertiles et d’accès à la
mer pour les pays africains qui ont fait cet héritage malencontreux.

Un autre impact négatif du colonialisme, du point de vue politique, est la mentalité qu’il
a créée chez les Africains et par laquelle toute propriété publique n’appartenait pas au
peuple, mais aux autorités coloniales blanches. On pouvait et on devait donc en profiter
à la moindre occasion. Cette mentalité s’exprime parfaitement dans des dictons
ghanéens (et dont des variantes existent dans beaucoup de pays africains) selon
lesquels « si les biens de l’homme blanc sont endommagés, il faut simplement les jeter à
la mer » et « le gouvernement doit être tiré dans la boue, plutôt que d’être relevé ». Les
deux dictons impliquent que personne ne doit être concerné par ce qui arrive à la
propriété publique. Cette mentalité est le produit direct de la nature distante et secrète

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de l’administration coloniale et de l’élimination de l’écrasante majorité des Africains («
cultivés » ou non) des processus de prise de décision. Il est important d’observer que
cette mentalité subsiste encore chez la plupart des Africains après plusieurs décennies
d’indépendance et qu’elle explique en partie la manière insouciante dont la propriété
publique est traitée dans de nombreux pays africains indépendants.

Le dernier impact négatif du colonialisme, probablement le plus important, a été la perte


de la souveraineté et de l’indépendance et, avec elle, du droit des Africains à diriger leur
propre destinée ou à traiter directement avec le monde extérieur. Dès les XVIe et XVIIe
siècles, des États comme le Dahomey (actuel Bénin) et le Congo pouvaient envoyer les
ambassades et des missions aux cours des rois européens. Jusque dans les années
1890, certains États africains pouvaient traiter d’égal à égal avec leurs partenaires
européens. L’Asantehene, le roi du Matabeleland et la reine de Madagascar envoyèrent
des missions diplomatiques à la reine d’Angleterre à cette époque. Le colonialisme mit
fin à tout cela et priva donc les États d’Afrique de la possibilité d’acquérir de l’expérience
dans le domaine de la diplomatie et des relations internationales. Cependant, la perte de
leur indépendance et de leur souveraineté a eu pour les Africains une signification
beaucoup plus profonde. Elle s’est d’abord traduite par la perte du pouvoir de prendre en
main leur destin, de planifier leur propre développement, de gérer leur économie, de
déterminer leurs propres stratégies et priorités, d’emprunter librement au monde
extérieur les techniques les plus modernes et les mieux adaptées et, d’une manière
générale, de gérer, bien ou mal, leurs propres affaires, tout en puisant leur inspiration et
un sentiment de satisfaction dans leurs propres succès et en tirant les leçons de leurs
échecs. Bref, le colonialisme a privé les Africains de l’un des droits les plus
fondamentaux et inaliénables des peuples, le droit à la liberté.

Comme W Rodney l’a montré, les soixante-dix années de colonialisme en Afrique ont
été, pour les pays capitalistes et socialistes, une période d’évolution décisive et
fondamentale. Elles ont vu, par exemple, l’Europe entrer dans l’ère de l’énergie

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nucléaire, de l’avion et de l’automobile. Si l’Afrique avait pu maîtriser son propre destin,
elle aurait pu bénéficier de ces fabuleux changements ou même y prendre part.
Cependant, le colonialisme l’isola complètement et la maintint dans la sujétion. À
l’évidence, c’est cette perte d’indépendance et de souveraineté, cette privation du droit
fondamental à la liberté et cet isolement politique, imposés à l’Afrique par le
colonialisme, qui constituent l’un des effets les plus pernicieux du colonialisme sur le
plan politique.

3.2 Impact économique


Sur le plan économique, le premier effet positif du colonialisme — le plus évident et le
plus profond — est la constitution d’une infrastructure de routes et de voies ferrées,
l’installation du télégraphe, du téléphone, et, parfois, d’aéroports. Tout cela n’existait
évidemment pas dans l’Afrique précoloniale où presque tous les transports terrestres —
jusqu’à l’ère coloniale — s’effectuaient à dos d’homme. Cette infrastructure de base a
été complétée en Afrique vers les années 1930 et peu de kilomètres de chemins de fer,
par exemple, ont été ajoutés depuis. Elle avait une importance qui dépassait l’intérêt
purement économique, puisqu’elle facilitait le mouvement non seulement des
marchandises, des cultures d’exportation et des troupes, mais également des gens — ce
qui contribua à réduire l’« esprit de clocher », le régionalisme et l’ethnocentrisme.

L’impact du colonialisme sur le secteur primaire de l’économie est tout aussi significatif
et important. Il s’efforça de toutes les manières de développer ou d’exploiter certaines
des riches sources naturelles du continent — et dans ce domaine obtint des succès
importants. C’est pendant la période coloniale que tout le potentiel minéral de l’Afrique
fut découvert, que l’industrie minière connut un net essor et que les cultures
d’exportation comme le cacao, le café, le tabac, l’arachide, le sisal et le caoutchouc se
répandirent. C’est pendant cette période que la Gold Coast (actuel Ghana) devint le
premier producteur mondial de cacao, tandis qu’en 1950, les cultures d’exportation

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Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique
représentaient 50% du produit intérieur brut de l’Afrique-Occidentale française. Il faut
souligner qu’en Afrique occidentale ces cultures furent développées par les Africains eux-
mêmes, ce qui montre clairement leur désir et leur capacité de s’adapter et de répondre
favorablement à des incitations positives. La plupart de ces changements économiques
fondamentaux eurent lieu pendant deux décennies, du milieu des années 1890 à 1914,
époque à laquelle les infrastructures de la plupart des économies nationales
contemporaines furent créées par les autorités coloniales, et où le commerce entre
l’Afrique et le reste du monde se développa à un rythme historiquement sans précédent.

Cette révolution économique eut quelques conséquences d’une portée incalculable. La


première fut la commercialisation de la terre, qui en fit une valeur réelle. Avant l’ère
coloniale, il est incontestable que d’énormes étendues de terre, dans de nombreuses
parties de l’Afrique, étaient non seulement sous-peuplées, mais aussi sous-exploitées.
L’introduction et la diffusion des cultures d’exportation, ainsi que la création des
industries minières, mirent un terme à cette situation. De fait, le rythme de
défrichement des forêts vierges fut tel que les autorités coloniales furent obligées de
constituer des réserves un peu partout en Afrique pour en arrêter l’exploitation. En
deuxième lieu, la révolution économique a provoqué un accroissement du pouvoir
d’achat de certains Africains et donc de leur demande de biens de consommation. En
troisième lieu, le fait que les Africains eux-mêmes pratiquaient des cultures
d’exportation permit aux individus de s’enrichir, quel que fût leur statut social, en
particulier dans les régions rurales.

Un autre effet révolutionnaire du colonialisme, dans presque toutes les régions du


continent, fut l’introduction de l’économie monétaire. Comme l’a signalé Walter Rodney,
toutes les communautés africaines, y compris les groupes pastoraux, caractérisés par
leur conservatisme, avaient été happées par l’économie monétaire dans les années
1920. Encore une fois, les effets de ce changement sont très significatifs. En premier
lieu, dès les années 1930, un nouvel étalon de richesse avait été introduit, qui n’était

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Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique
plus basé sur le nombre de moutons, de vaches ou d’ignames qu’on possédait, mais sur
l’argent. En second lieu, les gens pratiquaient désormais des activités non plus axées sur
la seule subsistance, mais sur l’argent, ce qui conduisit en retour à l’apparition d’une
nouvelle classe de travailleurs à gages et de salariés. En troisième lieu, l’introduction de
l’économie monétaire marque le début des activités bancaires en Afrique, qui sont
devenues une autre caractéristique importante de l’économie des États africains
indépendants.

L’introduction de la monnaie et des activités bancaires conduisit, avec l’énorme


accroissement du volume commercial entre l’Afrique coloniale et l’Europe, à ce que A. G.
Hopkins a décrit comme l’achèvement de « l’intégration de l’Afrique occidentale dans
l’économie du monde industriel », grâce à la « création de conditions donnant à la fois
aux Européens et aux Africains les moyens et les motifs de développer et de diversifier
un commerce régulier ». La situation n’était pas différente dans les autres parties de
l’Afrique et, en 1935, l’économie africaine était devenue inextricablement liée à celle du
monde en général et à celle des puissances coloniales capitalistes en particulier. Les
années postérieures à 1935 ne firent que resserrer ce lien et l’indépendance elle-même
ne l’a pas fondamentalement modifié.

L’impact colonial a-t-il donc été bénéfique pour le continent sur le plan économique ?
Absolument pas et la plupart des problèmes de développement actuels auxquels
l’Afrique est confrontée proviennent de ce legs.

En premier lieu, l’infrastructure fournie par le colonialisme n’était ni aussi utile, ni aussi
adaptée qu’elle aurait pu l’être. La plupart des routes et des voies ferrées ne furent pas
construites pour ouvrir le pays, mais seulement pour relier les zones possédant des
gisements miniers ou des possibilités de production de produits commercialisables avec
l’océan, pour relier donc les zones intérieures de production au marché mondial. Il
n’existait guère d’embranchements routiers ou ferroviaires. Le réseau n’était pas non
plus destiné à faciliter les communications interafricaines. L’infrastructure était en fait

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Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique
conçue pour faciliter l’exploitation des ressources des colonies et pour les relier aux
métropoles, non pour promouvoir le développement économique global de l’Afrique ou
les contacts entre Africains.

En deuxième lieu, la croissance économique des colonies était basée sur les ressources
naturelles des régions, ce qui signifiait que les zones dépourvues de ces ressources
étaient totalement négligées. Cela conduisait à des inégalités économiques criantes
dans une même colonie. Ces inégalités accentuaient et exacerbaient à leur tour les
différences et les sentiments régionaux, ce qui a constitué un grand obstacle pour la
constitution des nations dans l’Afrique indépendante. Comme l’a indiqué l’éminent
économiste W. A. Lewis (prix Nobel d’économie), « les différences tribales pourraient
facilement disparaître dans le monde moderne si toutes les tribus étaient
économiquement égales. Quand leur niveau reste très inégal, on fait appel aux
différences tribales pour protéger les intérêts économiques ».

En troisième lieu, l’une des caractéristiques de l’économie coloniale a consisté à négliger


ou à décourager délibérément l’industrialisation et la transformation des matières
premières et des produits agricoles dans la plupart des colonies. Il est probable qu’aucun
gouvernement colonial n’avait de département de l’industrie avant 1945. Des produits
aussi simples et aussi essentiels que les allumettes, les bougies, les cigarettes, l’huile de
cuisine et même le jus d’orange et de limette, qui auraient tous pu être fabriqués
facilement en Afrique, étaient importés. Conformément aux pratiques de l’économie
coloniale capitaliste, tous les États africains s’étaient transformés en marchés de
consommation des produits manufacturés des métropoles et en producteurs de matières
premières destinées à l’exportation.

Le fait que les puissances coloniales, les compagnies commerciales et minières aient
totalement négligé l’industrialisation peut être souligné comme l’une des accusations les
plus sévères contre le colonialisme. Il fournit également la meilleure justification du
point de vue selon lequel la période coloniale a été une période d’exploitation

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Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique
économique plutôt que de développement pour l’Afrique. L’une des conséquences
importantes de cette non-industrialisation a été que, bien plus que dans le domaine
politique, le nombre d’Africains formés pour prendre la relève des Européens reste très
réduit.

En quatrième lieu, non seulement l’industrialisation fut négligée, mais les industries et
les activités artisanales telles qu’elles ont existé en Afrique à l’époque précoloniale furent
détruites. À noter qu’à cette époque, les industries africaines produisaient tout ce dont le
pays avait besoin, notamment des matériaux de construction, du savon, des perles, des
outils de fer, de la céramique et, surtout, des vêtements. Si ces productions locales
avaient été encouragées et développées grâce à la modernisation de leurs techniques de
fabrication (comme cela a été fait en Inde, entre 1920 et 1945), l’Afrique aurait pu non
seulement accroître leur rendement, mais peu à peu améliorer leur technologie. Mais ces
industries et ces activités artisanales furent pratiquement tuées à cause de l’importation
de denrées bon marché produites en série. Le développement technologique africain fut
ainsi arrêté et ne put reprendre qu’après l’indépendance.

En cinquième lieu, même si l’agriculture intensive en vint à constituer la principale


source de revenu de la plupart des États africains, aucune tentative ne fut faite pour
diversifier l’économie rurale des colonies. Bien au contraire, la production d’une ou de
deux cultures d’exportation était devenue la règle en 1935 : cacao en Gold Coast,
arachide au Sénégal et en Gambie, coton au Soudan, café et coton en Ouganda, café et
sisal au Tanganyika, etc. La période qui suivit la deuxième guerre mondiale ne vit
aucune amélioration dans ce domaine et la plupart des États africains, au moment de
l’indépendance, découvrirent que leurs économies étaient basées sur la monoculture et,
donc, très sensibles aux fluctuations du commerce international. Le colonialisme a certes
achevé l’intégration des économies africaines à l’ordre économique mondial, mais d’une
manière fort désavantageuse et aliénante ; les choses n’ont guère changé depuis.

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Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique
Le fait de dépendre massivement des cultures d’exportation eut un autre effet
désastreux : négliger le secteur intérieur de l’économie africaine. Celle-ci avait toujours
été divisée en deux secteurs principaux : le secteur interne, qui produisait à la fois pour
la subsistance des producteurs et pour le marché interne, et le secteur de l’exportation,
qui travaillait pour le commerce lointain et les marchands caravaniers. À l’époque
précoloniale, les deux secteurs étaient considérés comme également importants et, en
conséquence, aucun aliment n’avait à être importé pour nourrir la population. Mais la
concentration sur la production des cultures d’exportation qui se produisit à l’époque
coloniale fit que le secteur intérieur se trouva pratiquement négligé et que les Africains
furent en fait poussés à abandonner la production de nourriture destinée à leur propre
consommation en faveur de la production de cultures d’exportation, et cela même quand
il était anti-économique de le faire. Les aliments durent donc être importés et le peuple
fut contraint de les acheter à des prix généralement élevés. C’est ce qui arriva par
exemple en Gambie ; les Gambiens durent abandonner la culture du riz pour produire de
l’arachide, et le riz dut désormais être importé. En Guinée, les Africains du Fouta-Djalon
furent contraints de produire du caoutchouc, ce qui provoqua une pénurie de riz en
1911. Le riz dut être importé et acheté avec l’argent que rapportait le caoutchouc.
L’Égypte, qui, pendant des siècles, avait exporté des céréales et des aliments, fut
obligée d’importer du maïs et du blé à partir du début du XXe siècle, à cause de
l’excessive concentration sur la production de coton pour l’importation. Il en fut de
même en Gold Coast, où la production du cacao fut tellement intensifiée qu’il fallut
importer des aliments. C’est ce que montrent clairement les remarques de A. W.
Cardinall, fonctionnaire colonial, qui constatait avec regret dans les années 1930 que le
pays aurait pu produire lui-même « la moitié du poisson frais, du riz, du maïs et autres
céréales, des haricots, de la viande salée et fraîche, des huiles comestibles, des épices
et des légumes frais (importés) ou, en d’autres termes, aurait pu économiser 200 000
livres ». Travail forcé et abandon de la production alimentaire provoquèrent beaucoup de
sous-alimentation, de graves famines et des épidémies dans certaines parties de

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Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique
l’Afrique au début de l’ère coloniale, particulièrement en Afrique française. Ainsi, dans le
système colonial, les Africains étaient dans la plupart des cas voués à produire ce qu’ils
ne consommaient pas et à consommer ce qu’ils ne produisaient pas, ce qui montre bien
le caractère boiteux et exploiteur de l’économie coloniale. Dans les parties de l’Afrique
où la population n’était pas autorisée à se consacrer à des cultures d’exportation,
comme au Kenya et en Rhodésie du Sud (actuel Zimbabwe), les Africains, en l’espace
d’une génération, étaient effectivement passés de la condition de paysans indépendants
produisant des cultures d’exploitation pour les nouveaux marchés à celle de paysans
dépendant d’un travail agricole rémunéré.

En sixième lieu, la commercialisation des terres conduisit à la vente illégale des terres
communales, pratiquée par des chefs de famille sans scrupules, ou à des litiges
croissants qui provoquèrent partout une grande pauvreté, surtout parmi les familles
dirigeantes. En Afrique orientale, centrale et méridionale, cette commercialisation
conduisit également à une appropriation à grande échelle de la terre par les Européens.
En Afrique du Sud, 89% des terres furent réservées aux Blancs, qui constituaient 21%
de la population, 37% des terres en Rhodésie du Sud pour seulement 5,2% de
population blanche, toutes ces terres étant les plus fertiles dans chacun de ces pays.
Une telle appropriation ne pouvait provoquer qu’amertume, colère et frustration. Elle fut
la cause fondamentale de la grave explosion Mau Mau qui se produisit au Kenya.

La colonisation conduisit également à l’apparition en Afrique d’un nombre croissant de


compagnies bancaires, commerciales et maritimes étrangères ; à partir de 1910, ces
compagnies fusionnèrent et se consolidèrent sous forme d’oligopoles. Dans la mesure où
ces compagnies commerciales contrôlaient aussi bien les importations que les
exportations et fixaient les prix des denrées importées et ceux des produits exportés par
les Africains, les bénéfices énormes provenant de ces activités allaient à ces compagnies
et non aux Africains. De plus, il n’existait aucun impôt sur les bénéfices, aucune
réglementation obligeant ces compagnies à investir sur place une part de leurs bénéfices

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Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique
ou à payer des rentes plus élevées pour leurs concessions. Ni les administrations
coloniales locales ni les propriétaires africains ne profitèrent cependant directement de
leurs activités. L’autre conséquence de ce processus fut, bien sûr, l’élimination des
Africains des secteurs les plus importants et les plus bénéficiaires de l’économie. Les
princes-marchands africains de la seconde moitié du XIXe siècle disparurent
pratiquement de la scène, tandis que leurs descendants devenaient les employés des
firmes et des compagnies étrangères pour pouvoir survivre. Ici aussi, comme dans le
domaine industriel, on empêcha la formation d’une classe d’Africains possédant une
expérience des affaires et de la direction des entreprises.

Comme l’a indiqué W. Rodney, le colonialisme mit pratiquement un terme au commerce


interafricain. Avant l’époque coloniale, une grande partie du commerce avait lieu entre
les États africains ; de fait, les activités marchandes à longue distance et les caravanes
constituaient un trait courant de l’économie de l’Afrique traditionnelle. Mais, avec
l’apparition du colonialisme, ce commerce interafricain à petite et longue distances fut
découragé, sinon interdit, dans la mesure où, comme le dit Rodney, « les frontières
politiques arbitraires (de chaque colonie) étaient généralement tracées pour indiquer la
limite des économies » et où l’activité commerciale de chaque colonie était désormais
dirigée vers la métropole. L’élimination d’une bonne partie de cette vie marchande
interafricaine traditionnelle empêcha le renforcement des anciens liens et le
développement de nouveaux liens qui se seraient avérés bénéfiques pour les Africains.
Pour la même raison, l’Afrique ne put développer de liens commerciaux directs avec
d’autres régions du monde comme l’Inde ou la Chine.

Enfin, tous les progrès économiques réalisés pendant la période coloniale le furent à un
prix élevé et injustifiable pour les Africains : travail forcé, travail migratoire (lesquels
firent probablement plus pour démanteler les cultures et les économies précoloniales
que presque tous les autres aspects de l’expérience coloniale réunis), culture obligatoire
de certaines plantes, saisie forcée des terres, déplacement de populations (avec comme

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Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique
conséquence la dislocation de la vie familiale), système des « passes », taux de
mortalité élevé dans les mines et les plantations, brutalité avec laquelle les mouvements
de résistance et de protestation provoqués par ces mesures furent réprimés, etc. Et,
surtout, la politique monétaire suivie pour les colonies, qui consistait à lier leurs
monnaies à celles de la métropole, à introduire des tarifs, à garder tous les bénéfices
des changes dans les capitales métropolitaines, tout en assurant des monnaies stables
et pleinement convertibles, conduisit au gel des bénéfices coloniaux dans ces capitales,
qui ne purent ainsi être réalisés et investis dans les colonies. Le rapatriement des
épargnes et des dépôts africains effectués par les banques et la discrimination pratiquée
contre ceux-ci pour l’octroi de prêts contribuèrent à empêcher tout développement de
l’Afrique.

On peut donc conclure sans risque que la période coloniale a été une période
d’exploitation économique impitoyable plutôt que de développement pour l’Afrique et
que l’impact du colonialisme sur l’Afrique dans le domaine économique est de loin le plus
négatif de tous.

3.3 Impact social


Quel est, enfin, l’héritage du colonialisme sur le plan social ?

Le premier effet bénéfique important a été l’accroissement général de la population


africaine au cours de la période coloniale. J. C. Caldwell a montré qu’il atteignait 37,5 %
après les deux premières décennies ou même la troisième, de domination européenne.
Selon cet auteur, un tel accroissement est dû à l’établissement de solides bases
économiques et au développement des réseaux routiers et ferroviaires, qui permit
d’acheminer des vivres dans les régions où sévissait la famine, ainsi que de lancer des
campagnes contre des maladies comme la peste bubonique, la fièvre jaune et la maladie
du sommeil.

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Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique
Le second impact social du colonialisme est étroitement lié au premier : c’est
l’urbanisation. Certes, celle-ci n’était pas inconnue dans l’Afrique précoloniale. Les
royaumes et les empires africains possédaient des capitales et des centres politiques,
comme Kumbi Saleh, Benin, Ile-Ife, Kumasi, Gao et Zimbabwe, et des centres
commerciaux comme Kano, Djenné, Sofala et Malindi. Il existait aussi des centres
éducatifs comme Tombouctou, Le Caire et Fès. Mais il ne fait aucun doute que le
colonialisme accéléra grandement le rythme de l’urbanisation. Des villes entièrement
nouvelles surgirent : Abidjan, en Côte-Ivoire, Takoradi en Gold Coast, Port Harcourt et
Enugu au Nigéria, Nairobi au Kenya, Salisbury (actuel Harare) au Zimbabwe, Lusaka en
Rhodésie du Nord (Zambie actuelle), Luluabourg dans la province du Kasaï, au Congo
belge (actuel Zaïre). De plus, la population des villes déjà existantes et celle des cités
nouvelles augmenta à pas de géant pendant l’ère coloniale. Nairobi, fondée en 1896,
n’était alors qu’une simple gare de transit pour la construction du chemin de fer
d’Ouganda. Sa population atteignit 13 145 habitants en 1927 et plus de 250 000 en
1940. La population de Casablanca passa de 2 026 habitants en 1910 à 250 000 en
1936 ; celle d’Accra, en Gold Coast, passa de 17 892 en 1901 à 135 926 en 1948 ; celle
de Lagos atteignait 74 000 en 1914 et 230 000 en 1950 ; celle de Dakar passa de 19
800 en 1916 à 92 000 en 1936 et à 132 000 en 1945 ; enfin, celle d’Abidjan, qui
atteignait 800 habitants en 1910, en avait 10 000 en 1914 et 127 000 en 1955. Ces
chiffres montrent clairement que cette rapide croissance de la population urbaine en
Afrique eut lieu après la première guerre mondiale, et particulièrement dans la période
1913 -1945, période qu’on a décrite comme l’apogée du colonialisme en Afrique. Du
reste, ces villes grandirent rapidement pendant cette période parce qu’elles étaient soit
les nouvelles capitales ou les centres administratifs des régimes coloniaux (c’est le cas
d’Abidjan, de Niamey, de Nairobi, de Salisbury, de Lusaka), soit de nouveaux ports, des
terminus ferroviaires ou des croisements routiers (Takoradi, Port Harcourt, Bamako,
Bulawayo), soit enfin de nouveaux centres miniers ou commerciaux (Obuasi, Jos,
Luluabourg, Kimberley, Johannesburg). Il y avait sans nul doute une amélioration de la

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Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique
qualité de la vie, particulièrement pour ceux qui vivaient dans les centres urbains. Selon
certains, cela était dû aux hôpitaux, aux dispensaires, à l’eau courante, aux dispositifs
sanitaires, à de meilleurs logements, ainsi qu’à l’abolition de pratiques comme
l’esclavage domestique et à l’augmentation des possibilités de travail.

Le dernier bénéfice social apporté par le colonialisme est la nouvelle structure sociale
qu’il introduisit dans certaines parties de l’Afrique ou dont il accéléra le développement
dans d’autres parties du continent. Bien que la structure sociale traditionnelle permît la
mobilité sociale, sa composition de classe semble avoir donné un poids excessif à la
naissance. De son côté, le nouvel ordre colonial mettait moins l’accent sur la naissance.
Ce changement modifia radicalement la structure sociale traditionnelle. Ainsi, dans
années 1930, les classes sociales précoloniales, l’aristocratie régnante, les gens du
peuple, les esclaves de case et une élite éduquée relativement restreinte avaient été
remplacés par une nouvelle société encore plus divisée qu’auparavant entre ruraux et
citadins, diversement stratifiés. Les citadins se divisaient en trois sous-groupes
principaux : (i) l’élite ou, comme l’appellent certains, la bourgeoisie administrative
professionnelle (fonctionnaires, médecins, ingénieurs, professeurs, gérants de firmes et
de compagnies étrangères, marchand, hommes d’affaires) ; (ii) la non-élite ou la sous-
élite (agents de change, intermédiaires, employés, nourrices et fonctionnaires
subalternes) ; et (iii) le prolétariat urbain (travailleurs à gage, manutentionnaires,
chauffeurs, mécaniciens, commissionnaires, tailleurs, briqueteurs, etc.). Dans les
régions rurales, on vit apparaître un peu partout en Afrique, et pour la première fois, de
nouvelles classes constituées par le prolétariat rural, ou Africains sans terres (obligés de
passer leur vie à aller et venir entre les régions urbaines et rurales, principalement
comme travailleurs migrants), et les paysans. Ces derniers sont décrits par John Iliffe
comme des gens qui « vivent en petites communautés, cultivent la terre qu’ils
possèdent ou contrôlent, subsistent essentiellement grâce à la main-d’œuvre familiale et
produisent leur propre subsistance tout en approvisionnant des systèmes économiques
plus vastes qui comprennent les non-agriculteurs ». Certains parmi ces paysans sont

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Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique
devenus très riches grâce à la production de cultures d’exportation qu’ils revendaient,
donnant naissance à ce qu’on a appelé le capitalisme rural. Iliffe a parlé de cette «
ruralisation » comme d’« une transformation irréversible dont l’impact est comparable à
celui de l’industrialisation ». Etant donné que dans cette nouvelle structure, la mobilité
était plus basée sur les efforts individuels que sur l’attribution, il y avait là une
amélioration considérable par rapport à la structure sociale traditionnelle.

Mais, si le colonialisme eut certains effets sociaux positifs, il en eut aussi de négatifs, et
même de très négatifs.

En premier lieu, il faut mentionner la coupure grandissante entre les centres urbains et
les zones rurales qui se développèrent pendant l’époque coloniale. L’énorme
augmentation de la population urbaine observée plus haut n’était pas la conséquence
d’un accroissement naturel de cette population, mais plutôt le résultat de ce qu’on a
appelé « les forces d’attraction et de répulsion »: jeunes gens et jeunes femmes attirés
vers les centres urbains par besoin d’éducation et de travail, et repoussés des
campagnes par les famines, la pauvreté endémique et les impôts. En outre, étant donné
que les Européens avaient tendance à vivre dans les centres urbains, toutes les
commodités énumérées plus haut, et qui amélioraient la qualité de la vie, ne se
trouvaient que dans ces zones. Les régions rurales étaient donc pratiquement négligées,
ce qui accentuait le phénomène de désertion. Un fossé énorme existe aujourd’hui encore
entre les zones rurales en Afrique et il est certain que c’est le système colonial qui a créé
et agrandi ce fossé. Ces migrants ne trouvaient pas dans les centres urbains le paradis
riche et sûr qu’ils espéraient. Les Africains n’étaient considérés dans aucune ville comme
des égaux ; ils n’étaient jamais entièrement intégrés. De plus, pour la majorité, il était
impossible de trouver un emploi ou un logement décents. La plupart d’entre eux
s’entassaient dans les faubourgs et les bidonvilles dans lesquels le chômage, la
délinquance juvénile, l’alcoolisme, la prostitution, le crime et la corruption devenaient
leur lot. Le colonialisme ne fit pas qu’appauvrir la vie rurale : il corrompit également la

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Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique
vie urbaine. Il n’est donc pas surprenant que les membres de ce groupe social soient
devenus après la deuxième guerre mondiale les troupes d’assaut des mouvements
nationalistes.

De plus, même si le colonialisme introduisit certains services sociaux, il faut souligner


que non seulement ces services étaient globalement inadaptés et distribués inégalement
dans chaque colonie, mais qu’ils étaient tous destinés, en premier lieu, à la minorité des
immigrants et administrateurs blancs : d’où leur concentration dans les villes. W.
Rodney a montré qu’au Nigéria, dans les années 1930, il y avait 12 hôpitaux modernes
pour 4 000 Européens dans le pays, et 52 pour plus de 40 millions d’Africains. Dans le
cas du Tanganyika des années 1920, la proportion de lits pour la population était de 1
pour 10 à l’hôpital européen et de 1 pour 400/500 à l’hôpital africain de Dar es-Salaam.
Dans le domaine de l’éducation, ce qui fut fourni pendant l’époque coloniale s’est révélé
globalement inadéquat, inégalement distribué et mal orienté ; les résultats n’ont donc
pas été aussi positifs pour l’Afrique qu’ils auraient pu l’être. Il a existé pendant cette
période cinq types différents d’institutions éducatives : écoles primaires, secondaires,
écoles normales, techniques et universités. Mais, alors que de nombreuses écoles
primaires avaient été installées en 1860, ce ne fut qu’après la deuxième guerre
mondiale que des écoles techniques et des collèges universitaires furent fondés un peu
partout en Afrique. Et il est significatif qu’une université par pays ait été créée : en 1947
en Gold Coast, au Nigéria en 1948, en Ouganda en 1950, au Sénégal et à Madagascar
en 1950, à Salisbury en 1953, à Léopoldville en 1950, à Élizabethville en 1957. En
d’autres termes, l’éducation technique et universitaire ne fut introduite en Afrique qu’à la
fin de la période coloniale. En outre, nulle part, à aucun degré, le système éducatif ne
satisfaisait la demande ; partout, il était distribué inégalement. Dans le milieu des
années 1930 encore, les dépenses éducatives gouvernementales restaient faibles
partout, atteignant, en 1935, 4% seulement du revenu du Nigéria et des territoires
français, et 7% du revenu au Ghana. Et les écoles et les institutions n’étaient pas
correctement distribuées dans chaque colonie. La plupart des institutions

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Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique
d’enseignement primaire supérieur se trouvaient dans les grands centres et la plupart
des écoles secondaires étaient concentrées dans une seule ville. En Gold Coast par
exemple, près de 80% des écoles secondaires se trouvaient dans une seule ville, Cape
Coast.

Les possibilités éducatives restaient inadéquates et inégalement distribuées parce que


les puissances coloniales ne visaient pas à développer l’éducation pour elle-même ou
pour les Africains. Il s’agissait plutôt de produire des Africains qui seraient plus
productifs pour le système colonial. Indépendamment de son insuffisance numérique et
de sa distribution inégale, l’éducation coloniale avait un autre défaut : les programmes
fournis par toutes ces institutions étaient déterminés par les autorités et étroitement
imités — sinon carrément reproduits — des programmes de la métropole ; ils n’étaient
donc pas adaptés aux besoins du continent. L’un des plus grands drames de l’éducation
coloniale a été la suivante : enseigner aux Africains à devenir des Européens au lieu de
rester des Africains. L’impact de ce système éducatif inadéquat, bancal et mal orienté
sur les sociétés africaines a été profond et presque permanent. En premier lieu, il a
légué à l’Afrique un énorme problème d’analphabétisme, qui mettra longtemps à être
résolu. En second lieu, l’élite cultivée qu’il a créée était une élite aliénée, qui révérait la
culture et la civilisation européennes et méprisait la culture africaine. Ses goûts en
matière d’alimentation, de boisson, d’habillement, de musique, de danses et même de
jeux étaient nouveaux. Un autre fossé en vint donc à se creuser entre cette élite et les
masses, fossé qui n’a pu être encore comblé. En outre, bien que le nombre des
membres de cette élite se soit accru, dans les décennies 1940 et 1950, avec le
développement des possibilités éducatives et la création d’universités, il est néanmoins
resté très réduit pendant toute la période coloniale.

Le fait que l’éducation technique et industrielle ait été négligée au profit de la formation
libérale et religieuse a entraîné un penchant des Africains pour les travaux de « cols
blancs » ; il a également créé chez les gens cultivés un certain mépris pour le travail

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Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique
manuel et agricole, qui existe encore actuellement. Par ailleurs, bien bénéfique qu’ait
été la lingua franca promue par le système éducatif, elle a eu la regrettable conséquence
d’empêcher la transformation de certaines langues en langues nationales ou
véhiculaires. Le twi, le haoussa et le swahili auraient aisément pu devenir les langues
nationales de la Gold Coast, du Nigéria et des trois colonies britanniques d’Afrique
orientale.

Un autre impact hautement regrettable du colonialisme a été la détérioration du statut


de la femme en Afrique. C’est là un sujet nouveau, qui exige d’autres recherches, mais il
ne semble guère douteux que les femmes aient été exclues de la plupart des activités
introduites ou intensifiées par le colonialisme, comme l’éducation, les cultures
d’exportation dans certaines parties d’Afrique, de nombreuses professions comme le
droit, la médecine, les mines, etc. En conséquence de cette exclusion, on leur a à peine
concédé une place dans la nouvelle structure politique coloniale. Même dans les sociétés
matrilinéaires, en partie à cause du nouvel accent mis désormais sur la réalisation
individuelle, on assiste à un certain glissement vers le système patrilinéaire. Le monde
colonial, était en fait un monde d’hommes, où les femmes n’étaient pas encouragées à
jouer un rôle important.

De plus, du fait du colonialisme, les Africains étaient méprisés, humiliés et soumis à une
discrimination à la fois ouverte et feutrée. De fait, l’un des effets sociaux du colonialisme
a été « le rabaissement généralisé du statut des Africains ». Cet héritage d’humiliations
imposées à l’Africain peut être souligné par le triple biais de la traite des Noirs, de
l’apartheid et du colonialisme. « Les Africains n’ont pas été forcément le peuple le plus
brimé, mais il a été presque certainement le plus humilié de l’histoire moderne » (Ali
Mazrui). Ainsi, bien que l’élite cultivée ait admiré la culture européenne et ait participé
aux guerres des métropoles pour s’identifier à l’Occident, elle ne fut jamais acceptée

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Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique
comme l’égale des Européens, fut exclue de la société de ceux-ci et n’eut jamais le droit
de vivre dans les quartiers européens des villes.

La discrimination raciale a également créé chez certains Africains un sentiment profond


d’infériorité que A. E. Afigbo a défini d’une manière très succinte, comme « une
tendance à perdre confiance en soi et en son avenir — bref, un état d’esprit qui, à
certains moments, les encourageait à imiter aveuglément (et l’on pourrait ajouter à
servir) les puissances européennes ». Ce sentiment d’infériorité n’a pas entièrement
disparu, même après plus d’un demi siècle d’indépendance.

Pire encore a été l’incidence du colonialisme dans le domaine culturel.

De fait, comme l’a déclaré le IIe Congrès des écrivains et artistes noirs tenu à Rome en
mars-avril 1959, « parmi les péchés du colonialisme, l’un des plus pernicieux — parce
que longtemps accepté sans discussion en Occident — est d’avoir diffusé la notion de
peuples sans culture » ; cela ne devrait pas nous surprendre. Comme l’ont souligné
certains, l’entrée de l’Europe en Afrique a coïncidé avec l’apogée, aux XIXe et XXe
siècles, du racisme et du chauvinisme culturel en Europe même. Les Européens qui se
rendaient en Afrique pendant cette période, spécialement entre 1900 et 1945,
missionnaires, marchands, administrateurs, colons, ingénieurs et mineurs, étaient
généralement imbus de cet esprit et condamnaient donc tout ce qui était autochtone —
la musique africaine, l’art, la danse, les noms, la religion, le mariage, le régime
successoral, etc. Même le port du vêtement africain fut interdit ou découragé dans
certaines zones et les gens éduqués à l’européenne qui persistaient à porter des habits
africains étaient accusés de « jouer à l’indigène ». Pendant la période coloniale, donc,
l’art, la musique, la danse et même l’histoire de l’Afrique ne furent pas seulement
ignorés, mais même ouvertement niés ou méprisés. C’était l’époque où le professeur A.
P. Newton pouvait écrire : « L’Afrique n’avait pratiquement pas d’histoire avant l’arrivée
des Européens […] [car] l’histoire ne commence que quand les hommes adoptent
l’écriture » et sir Reginald Coupland pouvait lui faire écho en déclarant cinq ans plus tard

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Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique
: « Jusqu’au XIXe siècle, la majeure partie des Africains, les peuples nègres qui vivaient
dans leurs terres tropicales entre le Sahara et le Limpopo, n’avaient jamais eu […]
d’histoire. Ils étaient restés, pendant des siècles et des siècles, plongés dans la barbarie.
Tel semblait être le décret de la nature […] Ainsi stagnaient-ils, sans progresser ni
régresser. Nulle part au monde, sauf peut-être dans quelque marécage miasmatique
d’Amérique du Sud ou dans quelque île perdue du Pacifique, le genre humain n’avait été
aussi stagnant. Le cœur de l’Afrique battait à peine ». De tels points de vue ne
correspondaient pas à un « décret de la nature », mais plutôt à l’imagination fertile de
ces historiens chauvinistes européens ; le cœur de l’Afrique battait, mais les Européens
étaient rendus sourds par leurs propres préjugés, leurs idées préconçues, leur arrogance
et leur chauvinisme.

3.4 Conclusion
Bien que le colonialisme ait été sans aucun doute un simple chapitre dans une longue
histoire, un épisode ou un interlude dans les expériences multiples et diverses des
peuples d’Afrique, qui n’a duré nulle part plus d’un siècle, il s’est agi d’une phase
extrêmement importante du point de vue politique, économique et même social. Il a
marqué une nette coupure dans l’histoire de l’Afrique ; le développement ultérieur de
celle-ci, et donc de son histoire, a été et continuera à être très influencé par l’impact du
colonialisme. Il prendra un cours différent de celui qu’il aurait suivi si cet interlude
n’avait pas existé. La meilleure manière d’agir aujourd’hui, pour les dirigeants africains,
n’est donc pas d’ignorer le fait colonial, mais plutôt de bien connaître son impact, afin
d’essayer de corriger ses défauts et ses échecs.

4 La décolonisation

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Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique
Après près d’un siècle de domination coloniale, l’Afrique s’est engagée dans la voie de la
décolonisation, et donc de l’indépendance retrouvée. Nous allons successivement
aborder ici (i) les facteurs à l’origine du déclenchement du processus de décolonisation,
(ii) ses modalités et (iii) ses étapes

4.1 Les facteurs à l’origine du déclenchement du


processus de décolonisation

1. Transformation du contexte international par la Seconde


Guerre mondiale

La Seconde Guerre mondiale constitue un accélérateur dans une évolution déjà


ancienne. La Première Guerre mondiale avait contribué à ébranler les empires coloniaux
et des mouvements nationalistes luttant contre la domination coloniale s'étaient formés
dans l'entre-deux-guerres. Mais c'est véritablement la Seconde Guerre mondiale qui a
été le catalyseur du mouvement d'émancipation des peuples coloniaux. Celle-ci a
dévasté et affaibli les grands pays colonisateurs, notamment la France et le Royaume-
Uni, les rendant incapables d'affronter le coût de la répression des opposants à la
colonisation. L'information ayant évolué, les opinions publiques occidentales
comprennent progressivement que la colonisation est une impasse.

Si les deux principales puissances coloniales européennes, la France et le Royaume-Uni,


se retrouvent dans le camp des vainqueurs de l'Axe (cohabitation entre Rome, Berlin,

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Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique
Tokyo), c'est en partie parce qu'elles ont pu compter sur les forces fournies par les
peuples colonisés. Les Britanniques ont ainsi mobilisé deux millions d'Indiens ; quant à
la France libre de De Gaulle, elle a trouvé le plus gros contingent de ses soldats en
Afrique du Nord et en Afrique noire, sous domination française. Les deux puissances
coloniales s'engagent alors à reconsidérer les rapports de la métropole avec ses
colonies. Les Britanniques promettent de donner une nouvelle Constitution à l'Inde et le
général de Gaulle, dans son discours de Brazzaville en 1944, déclare vouloir associer les
peuples dépendants à la gestion de la chose publique dans leur pays, en refusant
cependant toute idée d'indépendance.

2. Épanouissement des mouvements indépendantistes

Par ailleurs, les peuples colonisés gagnent en instruction et, dans certains pays,
cherchent à s'organiser. C'est pendant l'entre-deux-guerres que l'Asie orientale, le
Moyen-Orient et l'Afrique du Nord voient l'émergence de mouvements nationalistes.
Leurs dirigeants sont issus des élites locales formées dans les écoles occidentales mais
exclues des responsabilités politiques et administratives par le système colonial. C'est au
nom des valeurs de liberté, d'égalité et de démocratie que ces mouvements recrutent et
gagnent en influence dans la paysannerie, qui constitue l'essentiel de la population des
pays dépendants. En octobre 1945, le 5 Congrès panafricain réunissant à Manchester
e

les leaders nationalistes des colonies britanniques affirme avec force le droit à
l'indépendance, y compris par la violence. En Afrique noire, c'est au lendemain de la
guerre que des partis nationalistes, réclamant l'autonomie ou la fin de la tutelle, se
constituent avec notamment, en 1946, la naissance du Rassemblement démocratique
africain de Léopold Sédar Senghor et Félix Houphouët-Boigny.

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3. Rôle des puissances dominantes et de l'ONU

La position des deux Grands – les États-Unis et l'Union soviétique qui ne sont pas
favorables à la colonisation – contribue à l'ébranlement des empires coloniaux. Pour des
raisons différentes Etats-Unis et URSS sont anticolonialistes :

 Les Etats-Unis : au nom de son histoire d’ancienne colonie mais également pour
ouvrir tous les pays au commerce. Les États-Unis sont ainsi à l'origine de la Charte
de l'Atlantiquequi affirme le droit des peuples à choisir leur gouvernement. La charte
concernait, en 1941, les peuples européens opprimés par l'Allemagne nazie mais,
avec la création de l'ONU en 1945 et la nouvelle charte des Nations unies, elle
devient un principe de droit international. En outre, pour les États-Unis, le système
colonial constitue un frein au rayonnement économique car cela limite l'accès aux
matières premières et aux marchés coloniaux. En juillet 1946, les États-Unis
proclament concrètement leur anticolonialisme en accordant l'indépendance à leur
seule véritable colonie : les Philippines.
 L’URSS estime que le colonialisme est créé par le capitalisme, de ce fait la lutte
contre le capitalisme passe par l’aide aux pays colonisés (dont certains pourraient
devenir communistes lorsqu’ils seront indépendants d’ailleurs…). Depuis la révolution
de 1917, l'Union soviétique s'était faite le défenseur des peuples coloniaux. En 1947,
lors de la constitution du Kominform, le dirigeant soviétique Jdanov rappelle que
l'Union soviétique soutenait tous les peuples en lutte pour leur émancipation. La
victoire des communistes en Chine, pays qui avait le statut de semi-colonie,
représente un encouragement et est un soutien de poids pour tous les mouvements
nationalistes, notamment lors de la guerre d'Indochine.

Le rôle de l’ONU dans le processus de décolonisation est également fondamental. Née le


28 juin 1945, l’ONU défend le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ; son audience

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Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique
croît au fur et à mesure que les pays décolonisés en deviennent membres. L'ONU leur
sert de relais : elle est de plus en plus hostile au colonialisme au fur et à mesure que
des pays nouvellement indépendants la rejoignent.

4.2 Les modalités de la décolonisation


Les puissances coloniales ont réagi différemment face à la montée des nationalismes.
Les décolonisations ont été tantôt négociées, tantôt obtenues dans le sang.

- Décolonisations imposées par l'ONU : c’est le cas par exemple des Néerlandais
sommés de quitter les Indes néerlandaises en 1949.

- Décolonisations négociées : ce sont les plus nombreuses. Elles sont le fait surtout
des Britanniques qui font preuve de pragmatisme et souhaitent garder leur influence à
travers le Commonwealth par exemple. Processus de self-government pour permettre
un transfert du pouvoir aux autorités locales.

- Décolonisations par les armes : elles sont moins nombreuses, mais beaucoup plus
traumatisantes pour les peuples (Indochine, Algérie). Elles sont surtout le fait des
Français et des Portugais qui sont très réticents à l'idée de renoncer à leur empire. Dans
le cas de la France, elles ont lieu essentiellement dans les colonies de peuplement, là où
beaucoup d'Européens sont présents et attachés à ce que la colonie reste dans le giron
de la métropole (c’est notamment le cas pour l’Algérie avec les « pieds-noirs »).

Il faut toutefois nuancer cette dichotomie car, même dans les cas des décolonisations
négociées, celles-ci ont donné lieu à des traumatismes pour les populations. Par
exemple, la décolonisation de l'Inde britannique a engendré de vastes mouvements de
population (les musulmans rejoignant le Pakistan, et les hindous quittant cette dernière)
et une nouvelle guerre (Cachemire).

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Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique

4.3 Les étapes de la décolonisation


Les grandes étapes de la décolonisation en Afrique sont indiquées dans la carte ci-après

Figure - Les grandes étapes de la décolonisation en Afrique

4.3.1 En Afrique Noire

4.3.1.1 La décolonisation de l’Afrique anglophone

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Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique
L’émancipation de l’Afrique noire se fait progressivement. Les colonies britanniques sont
les premières à se libérer. Le 6 mars 1957, le leader Kwame Nkrumah obtient
l’indépendance de la Gold Coast sous le nom de Ghana.

Le Nigéria devient indépendant le 1 octobre 1960, la Sierra Leone le 27 avril 1961, le


er

Tanganyika le 28 décembre 1961 et l’Ouganda accède à l’indépendance le 9 décembre


1962. Le 29 septembre 1964, le Tanganyika et le Zanzibar fusionnent pour former la
Tanzanie.

La décolonisation se fait plus difficilement au Kenya, où sévit, à partir 1952, la rébellion


des Mau-Mau, un mouvement militant qui combat la loi coloniale britannique. Le leader
nationaliste Jomo Kenyatta, accusé d’être un complice des Mau-Mau, est arrêté par les
autorités britanniques. Devenu un symbole de la volonté d'unité nationale, il est relâché
en 1961. C’est seulement en septembre 1963 que le Kenya accède à l’indépendance.
Jomo Kenyatta devient le premier président de la nouvelle république.

En Afrique australe, le Nyassaland proclame son indépendance et prend le nom de


Malawi (6 juillet 1964) et la Rhodésie du Nord devient indépendante sous le nom de
Zambie (24 octobre 1964). En 1965, la minorité blanche au pouvoir en Rhodésie du Sud
proclame unilatéralement l’indépendance et y établit un régime d’apartheid. Les colons
blancs perdent le pouvoir seulement en 1979, et en 1980, les Britanniques accordent
l'indépendance à la Rhodésie du Sud sous le nom de Zimbabwe.

4.3.1.2 La décolonisation de l’Afrique noire française

Les événements vont également s’enchaîner dans les colonies françaises issues de
l’Afrique noire. En 1946, la constitution de la IV République accorde à ces territoires un
e

début d’autonomie et le droit d’élire leurs représentants dans les assemblées françaises.
Houphouët–Boigny (futur président de la Cote d’Ivoire) et Léopold Sédar Senghor (futur

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président du Sénégal) seront même ministres à Paris. La loi-cadre Defferre accorde en
1956 une large autonomie interne aux territoires africains. En 1958, le général de Gaulle
les laisse choisir entre l’indépendance dans la sécession et l’appartenance à la
Communauté française, présidée par de Gaulle. À l’exception de la Guinée, toutes les
colonies de l’Afrique noire française optent pour la seconde solution. Elles jouissent
désormais d’une large autonomie interne, seules la défense nationale et la politique
étrangère sont du ressort du gouvernement français. Peu à peu, toutes ces colonies
demandent à la France le transfert des compétences. Plusieurs nouveaux États
indépendants voient ainsi le jour en 1960: Cameroun, Congo-Brazzaville, Côte d’Ivoire,
Dahomey, Gabon, Haute-Volta, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République
centrafricaine, Sénégal, Tchad et Togo.

L’indépendance du Congo belge

Grâce aux ressources en or, en cuivre et en uranium, le Congo belge est la plus riche de
toutes les colonies européennes en Afrique noire, et ce vaste territoire suscite les
convoitises des grandes compagnies. Le gouvernement belge de son côté a longtemps
pratiqué une politique paternaliste, en refusant toute évolution. En 1960, des émeutes
éclatent et la Belgique accorde brusquement l’indépendance au Congo (30 juin 1960).
Mais à peine indépendant, le Congo sombre dans une guerre civile. Progressiste et
centralisateur, le Premier ministre Patrice Lumumba s’oppose vite au fédéraliste Kasa-
Vubu, désigné comme président de la République. Et bientôt, la riche province du
Katanga, dirigée par Moïse Tschombé, fait sécession et proclame son indépendance. Ces
divisions dégénèrent rapidement en luttes sanglantes et le conflit congolais
s’internationalise avec l’intervention des Casques bleus de l’ONU. En 1961, la situation
s’empire encore avec l’arrestation et l’assassinat de Patrice Lumumba. Les troubles
prennent seulement fin en 1965, avec le coup d’État du général Mobutu, chef de l’armée
congolaise.

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Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique
Le 1 juillet 1962, deux autres territoires sous tutelle belge, le Rwanda et l’Urundi (qui
er

devient le Burundi) accèdent à la souveraineté.

4.3.2.3 La décolonisation dans les colonies portugaises

La dernière puissance coloniale à refuser toute évolution est le Portugal, qui possédait la
Guinée-Bissau, les îles du Cap-Vert, l'Angola et le Mozambique. L'émancipation des
« huit provinces portugaises d'outre-mer » est tardive et chaotique. À l'époque, le
Portugal est une dictature. Dès 1955, des partis nationalistes se constituent dans les
colonies portugaises et, à partir du milieu des années 1960, ils déclenchent une guérilla
qui cause des pertes importantes à l'armée portugaise : en Guinée-Bissau et au Cap-
Vert, cette guerre de libération est conduite par le PAIGC (parti africain pour
l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert), dont Amical Cabral est l’un des
leaders. Finalement, c'est cette armée portugaise, lassée d'une guerre sans issue, qui
renverse la dictature de Salazar lors de la révolution des Œillets, en 1974. Le nouveau
régime accorde, l'année suivante, l'indépendance à tous les territoires africains sous
contrôle portugais.

4.3.3 Au Maghreb : l'exemple de l'Algérie

Au contraire de la classe politique britannique, la classe politique française a longtemps


refusé l'idée même d'indépendance tant il lui semble que la puissance française ne peut
se passer de ses colonies. Elle tient à tout prix à conserver son empire, quitte à mener
de cruelles et inutiles guerres coloniales. Elle livre (et perd) deux de ces guerres : en
Indochine en 1946-1954 (la guerre se solde par la défaite de Dien Bien Phu) et en
Algérie en 1954-1962.

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En Algérie, à Sétif le 8 mai 1945, le jour de la capitulation allemande, l'armée française
réprime violemment des manifestations nationalistes : le mouvement est décapité et
réduit au silence pour une dizaine d'années. C'est en novembre 1954 qu'éclate
l'insurrection algérienne, dirigée par les nationalistes du Front de libération nationale
(FLN). Dès 1956, c'est à une véritable guerre que doit faire face l'armée française
entièrement engagée dans le conflit. L'insurrection algérienne précipite l'indépendance
du Maroc et de la Tunisie. En effet, le risque est grand de voir la guerre s'étendre à ces
deux pays. Le gouvernement français engage alors des négociations qui conduisent à
l'indépendance des deux protectorats en 1956. Dès 1959, le général de Gaulle, revenu
au pouvoir à l'occasion de la crise provoquée par la guerre d'Algérie, opte pour
l'autodétermination, c'est-à-dire l'indépendance. Celle-ci est obtenue après une guerre
de sept ans qui coûte la vie à vingt mille soldats français et à au moins trois cent mille
Algériens. La guerre se termine par le départ de la minorité européenne.

4.3.2 En Asie : l'exemple de l'Inde

L'Inde était considérée comme le joyau de l'empire colonial britannique. Depuis l'entre-
deux-guerres, un puissant mouvement nationaliste, le parti du Congrès, dirigé par Nehru
et Gandhi, animait la lutte nationaliste. Dans les années 1920, les Britanniques n'avaient
pas hésité à réprimer violemment le mouvement. Le choix d'engager, dès 1945, des
négociations avec les nationalistes est dicté par un certain réalisme politique. Les
négociations s'engagent alors que le pays est secoué par les violences entre les
communautés hindoues et musulmanes, provoquées par le refus des nationalistes
musulmans d'envisager un État indépendant unitaire. Le 15 août 1947, deux États
indépendants naissent de l'éclatement de l'Empire britannique des Indes : l'Union
indienne à majorité hindoue et le Pakistan formé de deux territoires éloignés de près de

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2 000 kilomètres, à majorité musulmane. Des heurts sanglants éclatent à nouveau entre
les communautés et font deux millions de morts. Par ailleurs, douze millions de
personnes doivent être déplacées et Gandhi est assassiné par un nationaliste hindou qui
n'admet pas la partition.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'indépendance de l'Inde ne s'est pas déroulée
pacifiquement, mais en Indochine et dans les Indes néerlandaises, c'est par la guerre
que les nationalistes doivent arracher leur indépendance. En 1954, l'indépendance de
l'Indochine ouvre la voie de la décolonisation de l'ensemble de l'Asie. Le Royaume-Uni,
qui a mené quelques guerres coloniales comme en Malaisie, a quitté ses colonies dès
que la situation s'y dégradait trop : ainsi il abandonne l'Inde en 1947 et la Palestine en
1948 (où les sionistes proclament l'indépendance et créent l'État d'Israël). Dans les deux
cas, les Britanniques laissent les populations locales s'entre-tuer : les hindous et les
musulmans dans l'empire des Indes (qui éclate en deux pays, l'Inde et le Pakistan) ; les
Juifs et les Arabes en Palestine. En Afrique, les Britanniques font le choix de mener une
politique d'émancipation graduelle facilitée par le fait qu'ils ont formé une élite indigène
préparée à prendre la relève de l'administration coloniale. En revanche, dans leurs
colonies de peuplement (Kenya, Rhodésie du Sud), l'indépendance est plus difficile car
les colons s'y opposent farouchement.

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