Ch3 Colonisation Edecolonisation en Afrique
Ch3 Colonisation Edecolonisation en Afrique
Ch3 Colonisation Edecolonisation en Afrique
LICENCE 1
Administration Economique
Et sociale
Histoire économique et sociale| colonisation et décolonisation en afrique
2 La colonisation de l’Afrique
o 2.1 L’évolution des rapports de force
o 2.2 La constitution de grandes emprises coloniales (évolution de l’occupation
européenne de l’Afrique)
3 L’impact de la colonisation
o 3.1 Impact politique
o 3.2 Impact économique
o 3.3 Impact social
o 3.4 Conclusion
4 La décolonisation
o 4.1 Les facteurs à l’origine du déclenchement du processus de décolonisation
o 4.2 Les modalités de la décolonisation
o 4.3 Les étapes de la décolonisation
1 INTRODUCTION
Le phénomène colonial débute au XVIe siècle à la suite des Grandes découvertes. Le
fait majeur est alors la colonisation de l’Amérique. Mais à partir du XVIIIe siècle, cette
colonisation s’étend au reste du monde, y compris l’Afrique. En effet, l’Europe, forte de
sa supériorité technique, militaire, économique et financière, se lance à partir de cette
époque dans des conquêtes visant à dominer de vastes territoires un peu partout dans
le monde. A partir du XIXe siècle, le mouvement de la colonisation s’accélère,
particulièrement en Afrique. Le phénomène colonial a mis en contact, avec brutalité, des
mondes largement différents, et il a eu des répercussions tant humaines que politique,
économique, sociale, culturelle. L’entre-deux-guerres voit apparaître les premières
contestations de l’ordre colonial ; mais ce n’est qu’au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale que le mouvement de décolonisation s’enclencha en Afrique, selon des
modalités tantôt pacifiques, tantôt violentes.
2 La colonisation de l’Afrique
Jamais, dans l’histoire de l’Afrique, des changements ne se sont succédé avec une aussi
grande rapidité que pendant la période qui va de 1880 à 1935. À vrai dire, les
changements les plus importants, les plus spectaculaires, les plus tragiques aussi, ont
eu lieu dans un laps de temps beaucoup plus court qui va de 1890 à 1910, période
marquée par la conquête et l’occupation de la quasi-totalité du continent africain par les
puissances impérialistes, puis par l’instauration du système colonial. La période qui suivit
1910 fut caractérisée essentiellement par la consolidation et l’exploitation du système.
Il y eut, dans les années 1870, des transformations capitales non seulement dans la
structure interne des États africains, mais aussi dans le rôle respectif des Européens en
Afrique et dans les moyens dont ceux-ci disposaient. En 1870, les répercussions de la
révolution industrielle et de la guerre en Europe sur l’organisation des États et sur le
potentiel militaire devenaient évidentes. Entre les nations européennes et les États
africains, les rapports de force commençaient à apparaître comme de plus en plus
inégaux. Cette année-là, l’Allemagne et l’Italie devinrent des États unifiés, désormais
plus forts, dont les citoyens ne tardèrent pas à exiger une participation plus active dans
la course à l’obtention des ressources africaines.
Le facteur qui, en définitive, fit basculer l’équilibre des forces en Afrique dans les années
1870 fut la qualité et la quantité des armes à feu. Le dernier mot, dans la lutte pour le
Or, dans les trente cinq années qui suivent (1880-1915), on assiste à un
bouleversement extraordinaire, pour ne pas dire radical, de cette situation. En 1914, à la
seule exception de l’Éthiopie et du Libéria, l’Afrique tout entière est soumise à la
domination des puissances européennes et divisée en colonies de dimensions variables,
mais généralement beaucoup plus étendues que les entités préexistantes et ayant
En 1902, la conquête de l’Afrique était presque achevée. L’histoire en avait été très
sanglante. La puissance de feu dévastatrice de la mitrailleuse Maxim et la relative
sophistication de la technologie européenne doivent avoir été une expérience amère
pour les Africains. Mais, bien que la conquête de l’Afrique par l’Europe ait été
relativement facile, son occupation et l’installation d’une administration européenne se
révélèrent plus délicates.
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La mitrailleuse Maxim, inventée par Sir Hiram Maxim en 1884, était la première
mitrailleuse auto-alimentée.
La Maxim joua un rôle décisif dans l'expansion coloniale européenne en Afrique à la fin
du XIXe siècle. Son extraordinaire puissance de feu avait des effets dévastateurs lors
des batailles rangées lorsque les adversaires attaquaient de manière frontale. Durant les
batailles de la Shangani en 1894 et d'Omdurman en 1898, des troupes européennes
parvinrent à anéantir des forces locales très supérieures en nombre au prix de pertes
minimes. Comme l'écrivit Hilaire Belloc dans son poème The Modern Traveller : « Quoi
qu'il arrive, nous avons la mitrailleuse Maxim et eux non ». Elle rend également compte
de « l’art de vaincre sans avoir raison », dont parlait la Grande Royale dans L’Aventure
ambigüe de Cheikh Hamidou Kane.
Le mécanisme de l'arme utilisait l'énergie du recul pour éjecter chaque étui usagé et
insérer le suivant. Il était donc beaucoup plus efficace que les mitrailleuses précédentes
qui ont été construits sur un principe totalement différent, utilisant des manivelles et un
rechargement par bandes multiples.
Des essais ont révélé que la Maxim pouvait tirer 600 coups par minute, soit l'équivalent
à la puissance de feu d'environ 30 fusils contemporains à rechargement par la culasse.
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3 L’impact de la colonisation
L’impact du colonialisme sur l’Afrique est un sujet controversé. Pour certains
« africanistes », son impact a été, dans l’ensemble, à la fois bénéfique et négatif. P. C.
Lloyd, par exemple, n’hésite pas à affirmer le caractère positif de l’impact colonial : « Il
est facile d’ergoter aujourd’hui, affirme-t-il, sur la lenteur du développement
économique pendant les cinquante ans de domination coloniale. Néanmoins, la
différence entre la condition de la société africaine à la fin du XIXe siècle et à la fin de la
deuxième guerre mondiale est proprement stupéfiante. Les puissances coloniales ont
fourni toute l’infrastructure dont a dépendu le progrès à l’époque de l’indépendance : un
appareil administratif plutôt efficace, atteignant les villages les plus reculés, un réseau
de routes et de voies ferrées et des services de base en matière de santé et d’éducation.
Les exportations de matières premières ont apporté une richesse considérable aux
peuples d’Afrique occidentale ». Selon Margery Perham : « Les critiques du colonialisme
s’intéressent surtout au présent et au futur, mais il faut rappeler que notre empire en
voie de disparition a laissé derrière lui un vaste héritage historique, chargé de legs
positifs, négatifs et neutres. Pas plus que ces critiques, nous ne devrions omettre cette
vérité ». Un autre historien anglais, D. K. Fieldhouse, est arrivé à la même conclusion :
« II apparaît donc que le colonialisme ne mérite ni les louanges, ni les blâmes qu’on lui a
souvent décernés ; s’il a fait relativement peu pour surmonter les causes de la pauvreté
dans les colonies, ce n’est pas lui qui a créé cette pauvreté. L’empire a eu de très
importants effets économiques, certains bons, d’autres mauvais… ». Enfin, Gann et
Duignan, qui se sont pratiquement consacrés à la défense du colonialisme en Afrique,
concluaient que « le système impérial est l’un des plus puissants agents de diffusion
culturelle de l’histoire de l’Afrique ; le crédit, ici, l’emporte de loin sur le débit ». Ils
affirment également (in Colonialism in Africa, ouvrage en cinq volumes) : « Nous ne
partageons pas le point de vue très répandu qui assimile le colonialisme à l’exploitation.
Nous interprétons en conséquence l’impérialisme européen en Afrique aussi bien comme
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Mais si les effets positifs du colonialisme sont indéniables, ses aspects négatifs sont
encore plus marqués.
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Ensuite, même si l’on admet que la structure géopolitique qui s’est créée est une
réussite (une fois de plus accidentelle), on doit convenir qu’elle pose bien plus de
problèmes qu’elle n’en résout. Il ne fait aucun doute que bon nombre des États issus de
la colonisation étaient des créations artificielles et que cette artificialité a posé un certain
nombre de problèmes qui pèsent lourdement sur le développement à venir du continent.
Le premier problème est le suivant : certaines frontières divisent des groupes ethniques
déjà existants et découpent des États et royaumes, ce qui provoque des
bouleversements sociaux et des déplacements. Par exemple, les Bakongo sont divisés
par les frontières de l’Angola, du Congo belge (actuel Zaïre), du Congo français
(aujourd’hui R. D. du Congo) et du Gabon. De nos jours, une partie des Ewe vit au
Ghana, une autre au Togo, une autre au Bénin ; les Somali sont répartis en Éthiopie, au
Kenya, en Somalie et à Djibouti ; les Senufo se retrouvent au Mali, en Côte-d’Ivoire et
au Burkina Faso. Et ces exemples pourraient être multipliés. L’une des conséquences
importantes de cette situation, ce sont les querelles frontalières chroniques qui ont
grevé les rapports entre certains États africains indépendants (Soudan/Ouganda,
Somalie/Éthiopie, Kenya/Somalie, Ghana/Togo, Nigéria/Cameroun). En second lieu,
étant donné la nature arbitraire de ces frontières, chaque État-nation est constitué d’un
mélange de peuples dont la culture, les traditions et la langue sont différents. Les
problèmes que pose un tel mélange pour l’édification d’une nation ne se sont pas avérés
facilement solubles.
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Un autre impact négatif du colonialisme, du point de vue politique, est la mentalité qu’il
a créée chez les Africains et par laquelle toute propriété publique n’appartenait pas au
peuple, mais aux autorités coloniales blanches. On pouvait et on devait donc en profiter
à la moindre occasion. Cette mentalité s’exprime parfaitement dans des dictons
ghanéens (et dont des variantes existent dans beaucoup de pays africains) selon
lesquels « si les biens de l’homme blanc sont endommagés, il faut simplement les jeter à
la mer » et « le gouvernement doit être tiré dans la boue, plutôt que d’être relevé ». Les
deux dictons impliquent que personne ne doit être concerné par ce qui arrive à la
propriété publique. Cette mentalité est le produit direct de la nature distante et secrète
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Comme W Rodney l’a montré, les soixante-dix années de colonialisme en Afrique ont
été, pour les pays capitalistes et socialistes, une période d’évolution décisive et
fondamentale. Elles ont vu, par exemple, l’Europe entrer dans l’ère de l’énergie
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L’impact du colonialisme sur le secteur primaire de l’économie est tout aussi significatif
et important. Il s’efforça de toutes les manières de développer ou d’exploiter certaines
des riches sources naturelles du continent — et dans ce domaine obtint des succès
importants. C’est pendant la période coloniale que tout le potentiel minéral de l’Afrique
fut découvert, que l’industrie minière connut un net essor et que les cultures
d’exportation comme le cacao, le café, le tabac, l’arachide, le sisal et le caoutchouc se
répandirent. C’est pendant cette période que la Gold Coast (actuel Ghana) devint le
premier producteur mondial de cacao, tandis qu’en 1950, les cultures d’exportation
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L’impact colonial a-t-il donc été bénéfique pour le continent sur le plan économique ?
Absolument pas et la plupart des problèmes de développement actuels auxquels
l’Afrique est confrontée proviennent de ce legs.
En premier lieu, l’infrastructure fournie par le colonialisme n’était ni aussi utile, ni aussi
adaptée qu’elle aurait pu l’être. La plupart des routes et des voies ferrées ne furent pas
construites pour ouvrir le pays, mais seulement pour relier les zones possédant des
gisements miniers ou des possibilités de production de produits commercialisables avec
l’océan, pour relier donc les zones intérieures de production au marché mondial. Il
n’existait guère d’embranchements routiers ou ferroviaires. Le réseau n’était pas non
plus destiné à faciliter les communications interafricaines. L’infrastructure était en fait
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En deuxième lieu, la croissance économique des colonies était basée sur les ressources
naturelles des régions, ce qui signifiait que les zones dépourvues de ces ressources
étaient totalement négligées. Cela conduisait à des inégalités économiques criantes
dans une même colonie. Ces inégalités accentuaient et exacerbaient à leur tour les
différences et les sentiments régionaux, ce qui a constitué un grand obstacle pour la
constitution des nations dans l’Afrique indépendante. Comme l’a indiqué l’éminent
économiste W. A. Lewis (prix Nobel d’économie), « les différences tribales pourraient
facilement disparaître dans le monde moderne si toutes les tribus étaient
économiquement égales. Quand leur niveau reste très inégal, on fait appel aux
différences tribales pour protéger les intérêts économiques ».
Le fait que les puissances coloniales, les compagnies commerciales et minières aient
totalement négligé l’industrialisation peut être souligné comme l’une des accusations les
plus sévères contre le colonialisme. Il fournit également la meilleure justification du
point de vue selon lequel la période coloniale a été une période d’exploitation
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En quatrième lieu, non seulement l’industrialisation fut négligée, mais les industries et
les activités artisanales telles qu’elles ont existé en Afrique à l’époque précoloniale furent
détruites. À noter qu’à cette époque, les industries africaines produisaient tout ce dont le
pays avait besoin, notamment des matériaux de construction, du savon, des perles, des
outils de fer, de la céramique et, surtout, des vêtements. Si ces productions locales
avaient été encouragées et développées grâce à la modernisation de leurs techniques de
fabrication (comme cela a été fait en Inde, entre 1920 et 1945), l’Afrique aurait pu non
seulement accroître leur rendement, mais peu à peu améliorer leur technologie. Mais ces
industries et ces activités artisanales furent pratiquement tuées à cause de l’importation
de denrées bon marché produites en série. Le développement technologique africain fut
ainsi arrêté et ne put reprendre qu’après l’indépendance.
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En sixième lieu, la commercialisation des terres conduisit à la vente illégale des terres
communales, pratiquée par des chefs de famille sans scrupules, ou à des litiges
croissants qui provoquèrent partout une grande pauvreté, surtout parmi les familles
dirigeantes. En Afrique orientale, centrale et méridionale, cette commercialisation
conduisit également à une appropriation à grande échelle de la terre par les Européens.
En Afrique du Sud, 89% des terres furent réservées aux Blancs, qui constituaient 21%
de la population, 37% des terres en Rhodésie du Sud pour seulement 5,2% de
population blanche, toutes ces terres étant les plus fertiles dans chacun de ces pays.
Une telle appropriation ne pouvait provoquer qu’amertume, colère et frustration. Elle fut
la cause fondamentale de la grave explosion Mau Mau qui se produisit au Kenya.
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Enfin, tous les progrès économiques réalisés pendant la période coloniale le furent à un
prix élevé et injustifiable pour les Africains : travail forcé, travail migratoire (lesquels
firent probablement plus pour démanteler les cultures et les économies précoloniales
que presque tous les autres aspects de l’expérience coloniale réunis), culture obligatoire
de certaines plantes, saisie forcée des terres, déplacement de populations (avec comme
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On peut donc conclure sans risque que la période coloniale a été une période
d’exploitation économique impitoyable plutôt que de développement pour l’Afrique et
que l’impact du colonialisme sur l’Afrique dans le domaine économique est de loin le plus
négatif de tous.
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Le dernier bénéfice social apporté par le colonialisme est la nouvelle structure sociale
qu’il introduisit dans certaines parties de l’Afrique ou dont il accéléra le développement
dans d’autres parties du continent. Bien que la structure sociale traditionnelle permît la
mobilité sociale, sa composition de classe semble avoir donné un poids excessif à la
naissance. De son côté, le nouvel ordre colonial mettait moins l’accent sur la naissance.
Ce changement modifia radicalement la structure sociale traditionnelle. Ainsi, dans
années 1930, les classes sociales précoloniales, l’aristocratie régnante, les gens du
peuple, les esclaves de case et une élite éduquée relativement restreinte avaient été
remplacés par une nouvelle société encore plus divisée qu’auparavant entre ruraux et
citadins, diversement stratifiés. Les citadins se divisaient en trois sous-groupes
principaux : (i) l’élite ou, comme l’appellent certains, la bourgeoisie administrative
professionnelle (fonctionnaires, médecins, ingénieurs, professeurs, gérants de firmes et
de compagnies étrangères, marchand, hommes d’affaires) ; (ii) la non-élite ou la sous-
élite (agents de change, intermédiaires, employés, nourrices et fonctionnaires
subalternes) ; et (iii) le prolétariat urbain (travailleurs à gage, manutentionnaires,
chauffeurs, mécaniciens, commissionnaires, tailleurs, briqueteurs, etc.). Dans les
régions rurales, on vit apparaître un peu partout en Afrique, et pour la première fois, de
nouvelles classes constituées par le prolétariat rural, ou Africains sans terres (obligés de
passer leur vie à aller et venir entre les régions urbaines et rurales, principalement
comme travailleurs migrants), et les paysans. Ces derniers sont décrits par John Iliffe
comme des gens qui « vivent en petites communautés, cultivent la terre qu’ils
possèdent ou contrôlent, subsistent essentiellement grâce à la main-d’œuvre familiale et
produisent leur propre subsistance tout en approvisionnant des systèmes économiques
plus vastes qui comprennent les non-agriculteurs ». Certains parmi ces paysans sont
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Mais, si le colonialisme eut certains effets sociaux positifs, il en eut aussi de négatifs, et
même de très négatifs.
En premier lieu, il faut mentionner la coupure grandissante entre les centres urbains et
les zones rurales qui se développèrent pendant l’époque coloniale. L’énorme
augmentation de la population urbaine observée plus haut n’était pas la conséquence
d’un accroissement naturel de cette population, mais plutôt le résultat de ce qu’on a
appelé « les forces d’attraction et de répulsion »: jeunes gens et jeunes femmes attirés
vers les centres urbains par besoin d’éducation et de travail, et repoussés des
campagnes par les famines, la pauvreté endémique et les impôts. En outre, étant donné
que les Européens avaient tendance à vivre dans les centres urbains, toutes les
commodités énumérées plus haut, et qui amélioraient la qualité de la vie, ne se
trouvaient que dans ces zones. Les régions rurales étaient donc pratiquement négligées,
ce qui accentuait le phénomène de désertion. Un fossé énorme existe aujourd’hui encore
entre les zones rurales en Afrique et il est certain que c’est le système colonial qui a créé
et agrandi ce fossé. Ces migrants ne trouvaient pas dans les centres urbains le paradis
riche et sûr qu’ils espéraient. Les Africains n’étaient considérés dans aucune ville comme
des égaux ; ils n’étaient jamais entièrement intégrés. De plus, pour la majorité, il était
impossible de trouver un emploi ou un logement décents. La plupart d’entre eux
s’entassaient dans les faubourgs et les bidonvilles dans lesquels le chômage, la
délinquance juvénile, l’alcoolisme, la prostitution, le crime et la corruption devenaient
leur lot. Le colonialisme ne fit pas qu’appauvrir la vie rurale : il corrompit également la
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Le fait que l’éducation technique et industrielle ait été négligée au profit de la formation
libérale et religieuse a entraîné un penchant des Africains pour les travaux de « cols
blancs » ; il a également créé chez les gens cultivés un certain mépris pour le travail
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De plus, du fait du colonialisme, les Africains étaient méprisés, humiliés et soumis à une
discrimination à la fois ouverte et feutrée. De fait, l’un des effets sociaux du colonialisme
a été « le rabaissement généralisé du statut des Africains ». Cet héritage d’humiliations
imposées à l’Africain peut être souligné par le triple biais de la traite des Noirs, de
l’apartheid et du colonialisme. « Les Africains n’ont pas été forcément le peuple le plus
brimé, mais il a été presque certainement le plus humilié de l’histoire moderne » (Ali
Mazrui). Ainsi, bien que l’élite cultivée ait admiré la culture européenne et ait participé
aux guerres des métropoles pour s’identifier à l’Occident, elle ne fut jamais acceptée
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De fait, comme l’a déclaré le IIe Congrès des écrivains et artistes noirs tenu à Rome en
mars-avril 1959, « parmi les péchés du colonialisme, l’un des plus pernicieux — parce
que longtemps accepté sans discussion en Occident — est d’avoir diffusé la notion de
peuples sans culture » ; cela ne devrait pas nous surprendre. Comme l’ont souligné
certains, l’entrée de l’Europe en Afrique a coïncidé avec l’apogée, aux XIXe et XXe
siècles, du racisme et du chauvinisme culturel en Europe même. Les Européens qui se
rendaient en Afrique pendant cette période, spécialement entre 1900 et 1945,
missionnaires, marchands, administrateurs, colons, ingénieurs et mineurs, étaient
généralement imbus de cet esprit et condamnaient donc tout ce qui était autochtone —
la musique africaine, l’art, la danse, les noms, la religion, le mariage, le régime
successoral, etc. Même le port du vêtement africain fut interdit ou découragé dans
certaines zones et les gens éduqués à l’européenne qui persistaient à porter des habits
africains étaient accusés de « jouer à l’indigène ». Pendant la période coloniale, donc,
l’art, la musique, la danse et même l’histoire de l’Afrique ne furent pas seulement
ignorés, mais même ouvertement niés ou méprisés. C’était l’époque où le professeur A.
P. Newton pouvait écrire : « L’Afrique n’avait pratiquement pas d’histoire avant l’arrivée
des Européens […] [car] l’histoire ne commence que quand les hommes adoptent
l’écriture » et sir Reginald Coupland pouvait lui faire écho en déclarant cinq ans plus tard
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3.4 Conclusion
Bien que le colonialisme ait été sans aucun doute un simple chapitre dans une longue
histoire, un épisode ou un interlude dans les expériences multiples et diverses des
peuples d’Afrique, qui n’a duré nulle part plus d’un siècle, il s’est agi d’une phase
extrêmement importante du point de vue politique, économique et même social. Il a
marqué une nette coupure dans l’histoire de l’Afrique ; le développement ultérieur de
celle-ci, et donc de son histoire, a été et continuera à être très influencé par l’impact du
colonialisme. Il prendra un cours différent de celui qu’il aurait suivi si cet interlude
n’avait pas existé. La meilleure manière d’agir aujourd’hui, pour les dirigeants africains,
n’est donc pas d’ignorer le fait colonial, mais plutôt de bien connaître son impact, afin
d’essayer de corriger ses défauts et ses échecs.
4 La décolonisation
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Par ailleurs, les peuples colonisés gagnent en instruction et, dans certains pays,
cherchent à s'organiser. C'est pendant l'entre-deux-guerres que l'Asie orientale, le
Moyen-Orient et l'Afrique du Nord voient l'émergence de mouvements nationalistes.
Leurs dirigeants sont issus des élites locales formées dans les écoles occidentales mais
exclues des responsabilités politiques et administratives par le système colonial. C'est au
nom des valeurs de liberté, d'égalité et de démocratie que ces mouvements recrutent et
gagnent en influence dans la paysannerie, qui constitue l'essentiel de la population des
pays dépendants. En octobre 1945, le 5 Congrès panafricain réunissant à Manchester
e
les leaders nationalistes des colonies britanniques affirme avec force le droit à
l'indépendance, y compris par la violence. En Afrique noire, c'est au lendemain de la
guerre que des partis nationalistes, réclamant l'autonomie ou la fin de la tutelle, se
constituent avec notamment, en 1946, la naissance du Rassemblement démocratique
africain de Léopold Sédar Senghor et Félix Houphouët-Boigny.
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La position des deux Grands – les États-Unis et l'Union soviétique qui ne sont pas
favorables à la colonisation – contribue à l'ébranlement des empires coloniaux. Pour des
raisons différentes Etats-Unis et URSS sont anticolonialistes :
Les Etats-Unis : au nom de son histoire d’ancienne colonie mais également pour
ouvrir tous les pays au commerce. Les États-Unis sont ainsi à l'origine de la Charte
de l'Atlantiquequi affirme le droit des peuples à choisir leur gouvernement. La charte
concernait, en 1941, les peuples européens opprimés par l'Allemagne nazie mais,
avec la création de l'ONU en 1945 et la nouvelle charte des Nations unies, elle
devient un principe de droit international. En outre, pour les États-Unis, le système
colonial constitue un frein au rayonnement économique car cela limite l'accès aux
matières premières et aux marchés coloniaux. En juillet 1946, les États-Unis
proclament concrètement leur anticolonialisme en accordant l'indépendance à leur
seule véritable colonie : les Philippines.
L’URSS estime que le colonialisme est créé par le capitalisme, de ce fait la lutte
contre le capitalisme passe par l’aide aux pays colonisés (dont certains pourraient
devenir communistes lorsqu’ils seront indépendants d’ailleurs…). Depuis la révolution
de 1917, l'Union soviétique s'était faite le défenseur des peuples coloniaux. En 1947,
lors de la constitution du Kominform, le dirigeant soviétique Jdanov rappelle que
l'Union soviétique soutenait tous les peuples en lutte pour leur émancipation. La
victoire des communistes en Chine, pays qui avait le statut de semi-colonie,
représente un encouragement et est un soutien de poids pour tous les mouvements
nationalistes, notamment lors de la guerre d'Indochine.
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- Décolonisations imposées par l'ONU : c’est le cas par exemple des Néerlandais
sommés de quitter les Indes néerlandaises en 1949.
- Décolonisations négociées : ce sont les plus nombreuses. Elles sont le fait surtout
des Britanniques qui font preuve de pragmatisme et souhaitent garder leur influence à
travers le Commonwealth par exemple. Processus de self-government pour permettre
un transfert du pouvoir aux autorités locales.
- Décolonisations par les armes : elles sont moins nombreuses, mais beaucoup plus
traumatisantes pour les peuples (Indochine, Algérie). Elles sont surtout le fait des
Français et des Portugais qui sont très réticents à l'idée de renoncer à leur empire. Dans
le cas de la France, elles ont lieu essentiellement dans les colonies de peuplement, là où
beaucoup d'Européens sont présents et attachés à ce que la colonie reste dans le giron
de la métropole (c’est notamment le cas pour l’Algérie avec les « pieds-noirs »).
Il faut toutefois nuancer cette dichotomie car, même dans les cas des décolonisations
négociées, celles-ci ont donné lieu à des traumatismes pour les populations. Par
exemple, la décolonisation de l'Inde britannique a engendré de vastes mouvements de
population (les musulmans rejoignant le Pakistan, et les hindous quittant cette dernière)
et une nouvelle guerre (Cachemire).
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Les événements vont également s’enchaîner dans les colonies françaises issues de
l’Afrique noire. En 1946, la constitution de la IV République accorde à ces territoires un
e
début d’autonomie et le droit d’élire leurs représentants dans les assemblées françaises.
Houphouët–Boigny (futur président de la Cote d’Ivoire) et Léopold Sédar Senghor (futur
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Grâce aux ressources en or, en cuivre et en uranium, le Congo belge est la plus riche de
toutes les colonies européennes en Afrique noire, et ce vaste territoire suscite les
convoitises des grandes compagnies. Le gouvernement belge de son côté a longtemps
pratiqué une politique paternaliste, en refusant toute évolution. En 1960, des émeutes
éclatent et la Belgique accorde brusquement l’indépendance au Congo (30 juin 1960).
Mais à peine indépendant, le Congo sombre dans une guerre civile. Progressiste et
centralisateur, le Premier ministre Patrice Lumumba s’oppose vite au fédéraliste Kasa-
Vubu, désigné comme président de la République. Et bientôt, la riche province du
Katanga, dirigée par Moïse Tschombé, fait sécession et proclame son indépendance. Ces
divisions dégénèrent rapidement en luttes sanglantes et le conflit congolais
s’internationalise avec l’intervention des Casques bleus de l’ONU. En 1961, la situation
s’empire encore avec l’arrestation et l’assassinat de Patrice Lumumba. Les troubles
prennent seulement fin en 1965, avec le coup d’État du général Mobutu, chef de l’armée
congolaise.
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La dernière puissance coloniale à refuser toute évolution est le Portugal, qui possédait la
Guinée-Bissau, les îles du Cap-Vert, l'Angola et le Mozambique. L'émancipation des
« huit provinces portugaises d'outre-mer » est tardive et chaotique. À l'époque, le
Portugal est une dictature. Dès 1955, des partis nationalistes se constituent dans les
colonies portugaises et, à partir du milieu des années 1960, ils déclenchent une guérilla
qui cause des pertes importantes à l'armée portugaise : en Guinée-Bissau et au Cap-
Vert, cette guerre de libération est conduite par le PAIGC (parti africain pour
l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert), dont Amical Cabral est l’un des
leaders. Finalement, c'est cette armée portugaise, lassée d'une guerre sans issue, qui
renverse la dictature de Salazar lors de la révolution des Œillets, en 1974. Le nouveau
régime accorde, l'année suivante, l'indépendance à tous les territoires africains sous
contrôle portugais.
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L'Inde était considérée comme le joyau de l'empire colonial britannique. Depuis l'entre-
deux-guerres, un puissant mouvement nationaliste, le parti du Congrès, dirigé par Nehru
et Gandhi, animait la lutte nationaliste. Dans les années 1920, les Britanniques n'avaient
pas hésité à réprimer violemment le mouvement. Le choix d'engager, dès 1945, des
négociations avec les nationalistes est dicté par un certain réalisme politique. Les
négociations s'engagent alors que le pays est secoué par les violences entre les
communautés hindoues et musulmanes, provoquées par le refus des nationalistes
musulmans d'envisager un État indépendant unitaire. Le 15 août 1947, deux États
indépendants naissent de l'éclatement de l'Empire britannique des Indes : l'Union
indienne à majorité hindoue et le Pakistan formé de deux territoires éloignés de près de
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Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'indépendance de l'Inde ne s'est pas déroulée
pacifiquement, mais en Indochine et dans les Indes néerlandaises, c'est par la guerre
que les nationalistes doivent arracher leur indépendance. En 1954, l'indépendance de
l'Indochine ouvre la voie de la décolonisation de l'ensemble de l'Asie. Le Royaume-Uni,
qui a mené quelques guerres coloniales comme en Malaisie, a quitté ses colonies dès
que la situation s'y dégradait trop : ainsi il abandonne l'Inde en 1947 et la Palestine en
1948 (où les sionistes proclament l'indépendance et créent l'État d'Israël). Dans les deux
cas, les Britanniques laissent les populations locales s'entre-tuer : les hindous et les
musulmans dans l'empire des Indes (qui éclate en deux pays, l'Inde et le Pakistan) ; les
Juifs et les Arabes en Palestine. En Afrique, les Britanniques font le choix de mener une
politique d'émancipation graduelle facilitée par le fait qu'ils ont formé une élite indigène
préparée à prendre la relève de l'administration coloniale. En revanche, dans leurs
colonies de peuplement (Kenya, Rhodésie du Sud), l'indépendance est plus difficile car
les colons s'y opposent farouchement.
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