2382 Firme Bancaire Quel Nouveau Paradigme Apr Egrave S La Crise

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 28

FIRME BANCAIRE : QUEL NOUVEAU PARADIGME APRÈS LA CRISE ?

FIRME BANCAIRE :
QUEL NOUVEAU PARADIGME
APRÈS LA CRISE ?
GEORGES PAUGET *
DHAFER SAÏDANE **

L
a vraie question sur la firme bancaire et les fausses pistes sur
la fonction sociale de la banque est : comment lutter contre
les stéréotypes et les préjugés ?
La fréquence des crises financières serait deux fois plus élevée
depuis 1973 qu’elle ne l’était après la guerre. Le coût de ces crises est très
élevé. Au début des années 1990, les secteurs bancaires de la Norvège, 223
de la Suède et de la Finlande ont traversé une crise dont le coût
s’est établi entre 4 % et 11 % de leur PIB. Les difficultés du système
bancaire japonais ont coûté aux contribuables plus de 10 % du PIB
et la crise du Mexique de 1994-1995 a imposé aux contribuables
mexicains une charge de 20 % du PIB. Ces pertes sont peu importantes
comparées à celles que les pays touchés par la crise asiatique de 1997
ont dû supporter. Selon les estimations de la Banque mondiale,
l’assainissement du secteur financier de l’Indonésie aurait coûté plus
de 50 % de son PIB. Quant à la crise des prêts immobiliers à risque
américains (subprimes) en 2007-2008, le Fonds monétaire international
(FMI) a chiffré en avril 2010 à 945 Md$ (plus de 600 Md€) le coût
de la crise financière actuelle pour le système financier mondial. Sur
ce total, 565 Md$ sont générés par l’exposition des banques au secteur
des subprimes.
Les États-Unis ont voulu trouver des parades à cette crise.
En juin 2010, la loi Dodd-Frank vise la possibilité pour le régulateur

* Président, Économie, Finance & Stratégie.


** Skema Business School, université Lille 3 ; Equippe.
Les auteurs tiennent à remercier les deux rapporteurs anonymes désignés par la Revue d’économie financière
pour leurs remarques précieuses.
Une version préliminaire de cet article est parue dans le numéro 286 (novembre 2010) de Banque &
Stratégie.

PAUGET SAIDANE 223 3/12/10, 8:25


REVUE D'ÉCONOMIE FINANCIÈRE

d’étendre son contrôle à l’ensemble de la « planète finance ». Ce qui


a été retenu des Volcker rules se résume dans la limitation des prises
de risques et des opérations spéculatives des banques qui ne doivent
plus devenir « systémiques », c’est-à-dire « trop importantes pour
faire défaut ». Ainsi, les activités de trading pour compte propre et
spéculatives des banques commerciales ne bénéficient plus de la
protection de l’État en cas de difficultés.
La crise de 2007-2008 rend plus manifeste encore le divorce qui
existait entre la théorie économique et la pratique de la banque.
Les économistes se sont-ils trop focalisés sur les business cycles et la
macroéconomie réelle au point de minimiser le rôle de la banque et
de la finance ? Cette rupture et ces choix théoriques se sont révélés
aujourd’hui préjudiciables à la compréhension de la banque comme
entité sociale structurante. Ils ne font qu’exacerber les incompré-
hensions et encourager les stéréotypes. Deux mondes se constituent
ainsi, chacun avec sa propre logique et son propre langage : celui des
théoriciens, avec ses équations synthétiques réductrices d’une réalité
complexe souvent basée sur une vision dichotomique avec, d’une part, le
monde réel et, d’autre part, le monde financier, et celui du praticien,
avec ses stratégies industrielles et commerciales complexes, un langage
confidentiel et une transparence jugée insuffisante.
224
Peut-on rêver d’une réconciliation entre la théorie et la pratique
bancaire ? Ce rêve est aujourd’hui permis. Il est même indispen-
sable à réaliser si l’on veut rétablir la confiance tant nécessaire à
l’élaboration du nouveau modèle de développement économique,
celui du XXIème siècle.
Notre ambition dans cet article est simple. Elle vise à essayer de mieux
appréhender la complexité de la firme bancaire. C’est à nos yeux
l’unique façon d’établir un nouveau contrat de confiance entre
le public et la banque et de rappeler l’utilité sociale de cette dernière et
son rôle structurant dans nos sociétés modernes. Ces éléments de
réflexion vont s’organiser autour de la question de l’évolution des
modèles de banque en Europe et aux États-Unis dans les prochaines
années. Il s’agit de montrer en particulier que le modèle de banque
du XXIème siècle devra résulter d’un nouveau paradigme bancaire centré
sur la croissance, la maîtrise des risques et la gouvernance. Mais les
mutations qui se préparent ne remettront pas en cause les principes
sur lesquels repose la firme bancaire.
Dans cet article, nous nous interrogeons tout d’abord sur la perti-
nence de la question de la convergence des modèles de banque. Ensuite,
nous mettons plus particulièrement en évidence les différences entre
le modèle de banque nord-américain et le modèle européen continental.
Puis, nous montrons que le modèle de banque du XXIème siècle est

PAUGET SAIDANE 224 3/12/10, 8:25


FIRME BANCAIRE : QUEL NOUVEAU PARADIGME APRÈS LA CRISE ?

construit sur un nouveau paradigme bancaire. Enfin, nous expliquons


pourquoi toutes ces évolutions ne remettront pas en cause les principes
fondamentaux de la firme bancaire.

Y A-T-IL UNE CONVERGENCE DES MODÈLES BANCAIRES ?


La question de la convergence mondiale des systèmes financiers
à l’échelle mondiale est récurrente dans la littérature économique.
Elle aiguise la curiosité et suscite des interrogations. Elle est favorisée
par l’enseignement de l’économie financière qui reste ancré dans
des schémas basés sur l’opposition entre « économie d’endettement » et
« économie de marché de capitaux ». Ces schémas sont certes utiles
pédagogiquement pour simplifier une réalité financière complexe.
Ils ne doivent pas pour autant s’ériger en archétypes pour expliquer une
finance internationale qui se complexifie avec des acteurs bancaires
multiproduits, multiservices et d’envergure planétaire.

Intermédiation, désintermédiation, réintermédiation :


slogans ou réalité ?
En décembre 2000, Christian Noyer, vice-président de la Banque
centrale européenne (BCE), rappelait que « plusieurs observateurs ont 225
[donc] relevé à juste titre que la zone euro est actuellement engagée
dans un processus de mutation structurelle faisant une plus large
place aux financements de marché ou, en d’autres termes, fondés sur
l’émission de titres »1. Ce constat résulte de la déréglementation finan-
cière qui a favorisé les mécanismes de marché dans l’allocation des
ressources.
Interprété par les académiques, cela revient à dire que l’intermé-
diation financière revêt deux formes : l’intermédiation bancaire et
l’intermédiation de marché. Cette simplification pédagogique ne
favorise pas l’analyse de la réalité financière contemporaine autrement
plus complexe.
Ce raccourci s’appuie sur des interprétations de Gurley et
Shaw (1960). Ces auteurs sont souvent présentés comme des pionniers
dans l’explication des mécanismes de l’intermédiation financière.
L’intermédiation est considérée comme un relais entre deux catégories
d’agents : ceux qui ont besoin de financement et ceux qui ont une
capacité de financement. Durant la première moitié des années 1970,
Hicks (1974) a prolongé l’approche en élaborant le schéma académique
traditionnel qui va faire école et qui oppose la finance directe à la finance
indirecte2. Ce schéma a été développé à un moment où les entreprises
non financières américaines avaient financé leurs investissements en
recourant massivement aux marchés financiers. Cette opposition

PAUGET SAIDANE 225 3/12/10, 8:25


REVUE D'ÉCONOMIE FINANCIÈRE

correspond-elle pour autant à l’état de la finance mondiale contem-


poraine ? Ces deux alternatives conduisant à deux cas polaires ne
sont-elles pas réductrices et, par conséquent, source de confusion ?
Intermédiation bancaire et intermédiation de marché :
vers une intermédiation globale qui transforme la firme bancaire
L’intermédiation bancaire est retracée dans le bilan des banques :
les prêts sont enregistrés à l’actif et les dépôts figurent au passif.
Ces deux opérations sont interdépendantes. Par extension, on parle
« d’intermédiation de bilan ». La banque apparaît alors comme une
alternative à la finance directe.
Mais le clivage finance directe versus finance indirecte trouve de
moins en moins sa correspondance dans les business models et dans
l’organisation des banques pour au moins trois raisons :
- le besoin de financement des banques est satisfait pour une part
croissante par le marché ;
- les gestionnaires d’épargne que sont les asset managers et les compa-
gnies d’assurances jouent un rôle croissant dans la fonction d’inter-
médiation et les banques sont devenues les principaux distributeurs
des produits conçus et gérés par ces acteurs spécialisés ; ainsi, au sein
226 des agences bancaires traditionnelles, les crédits sont accordés en même
temps qu’elles commercialisent des fonds. L’interpénétration va
jusqu’au niveau le plus fin du système de distribution ;
- les banques de financement et d’investissement (BFI) associent
financement et techniques de marché.
À côté de l’intermédiation de bilan, la banque a développé de
nouvelles activités que l’on a l’habitude de regrouper sous l’appellation
« intermédiation de marché ». Au fil des décennies, on constate en effet
un processus d’élargissement des métiers de la banque sur les métiers
du marché financier, comme en témoigne l’explosion des salles de
marché, par exemple en France, à la fin des années 1980. Le dévelop-
pement de ces structures de trading a d’ailleurs été favorisé dans
les années 1990 par les nouvelles technologies de l’information et de
la communication.
D’un point de vue agrégé, l’intermédiation de marché regroupe,
outre les opérations sur titres, les opérations de hors-bilan3 et en parti-
culier les activités sur les produits dérivés (options, swaps et futures).
Le développement de ces activités se traduit dans les comptes de
résultat bancaires. Les produits des opérations sur titres et autres
produits hors intérêt après avoir occupé une place prépondérante dans
la structure du produit net bancaire à côté de la marge traditionnelle
d’intermédiation au début des années 2000 semblent diminuer pour
l’ensemble des banques des pays de l’OCDE (Organisation de coopé-

PAUGET SAIDANE 226 3/12/10, 8:25


FIRME BANCAIRE : QUEL NOUVEAU PARADIGME APRÈS LA CRISE ?

ration et de développement économiques) vers la fin des années 2000.


En effet, alors que les revenus autres que les intérêts dans le PNB des
banques des pays de l’OCDE étaient à la veille de la crise, c’est-à-dire
en 2006, de 30 %, ils sont passés à 10 % en 2008. Cette érosion des
commissions dans le revenu des banques induite par la crise a été
manifeste, mais a davantage conduit jusqu’ici à des adaptations plutôt
qu’à des remises en cause des modèles. Ainsi, les grands acteurs, spécia-
listes de la BFI, ne devraient-ils pas remettre fondamentalement en
cause la structure de leurs activités et, plus simplement, s’adapter aux
changements dans les marchés, comme l’indique l’analyse prospective
de Nomura Financial Services (2010) ?

Tableau 1
Répartition du PNB par ligne d’activité à l’horizon de 2012
(en %)
Ligne d’activité Barclays Crédit Deutsche Goldman Morgan UBS
suisse Bank Sachs Stanley
Financement et investissement 72 51 71 88 61 37
Banque privée 0 36 4 0 0 26
Gestion de fortune aux États-Unis 0 0 0 0 36 8
Gestion d’actifs 0 7 8 12 3 9 227
Banque de détail 28 7 17 0 0 20
Total 100 100 100 100 100 100
Source : Nomura Financial Services (2010).

En France, d’après AlphaValue, les revenus de la BFI des principales


banques françaises augmenteraient de presque 33 % entre 2006 et 2011.

Tableau 2
Tendances de la banque de financement et d’investissement
dans les banques françaises
Banque 2006 2011 Taux de croissance
(en Md€) (estimation, en Md€) estimé entre 2006
et 2011
Rang européen Montant Rang européen Montant (en %)
BNP Paribas 6 8,1* 4 14,1 74,1
Société générale 9 7,0* 11 7,6 8,6
Crédit agricole SA 10 5,5* 13 4,9 –10,9
Natixis 16 1,8* 15 3,1 72,2
Total 22,4* 29,7 32,6
*Année de la création de Natixis.
Source : traitement d’après AlphaValue.

PAUGET SAIDANE 227 3/12/10, 8:25


REVUE D'ÉCONOMIE FINANCIÈRE

Les activités de marché font désormais partie de l’intermédiation


bancaire globale. La valeur du hors-bilan dépasse celle du bilan.
Par ailleurs, ces activités sont facilement liquidables grâce à la
mobiliérisation croissante de leurs supports, ce qui évite un long blocage
des ressources comme c’est le cas pour les activités traditionnelles
de crédit. Cette titrisation ou intermédiation « marchéisée » en pleine
croissance n’est l’apanage exclusif d’aucun intermédiaire financier.
Tous, qu’ils soient bancaires ou non, peuvent l’exercer. C’est dans
cette banalisation que se trouve l’une des caractéristiques du système
d’intermédiation actuel car cette banalisation favorise le processus
de transfert des risques. Ce n’est pas tant la titrisation qui pose
problème que la complexité qui résulte de la transformation des
caractéristiques qu’elle provoque et qui rend les produits financiers peu
compréhensibles et traçables.

Tableau 3
Le processus de production de la firme bancaire se complexifie
Processus de transformation
Étapes de Actifs initiaux Fonction T Nouvel actif
228 la transformation de transformation
des caractéristiques initiales
= innovation financière
Niveau de complexité Clair Faiblement complexe Très complexe
du produit financier
Processus Actif A1 F(T) = C1, C2, C3... B : actif différencié
de transformation Actif A2 avec en fonction de la tranche
des caractéristiques Actif A3 C1 = risque de risque élevé, moyen,
C2 = durée faible, usage de l’effet
C3 = performance... de levier qui peut
autoriser l’apparition
de processus
d’accélération
Niveau et champ Faible Risque élevé de contagion Risque systémique élevé
du risque
Source : d’après les auteurs.

La firme bancaire ne peut donc plus être réduite à la fonction


d’intermédiation simple entre dépôts et crédits. Il y a bien plusieurs
types d’intermédiation complémentaires les uns des autres :
à l’intermédiation simple s’ajoute la titrisation ou la gestion d’actifs

PAUGET SAIDANE 228 3/12/10, 8:25


FIRME BANCAIRE : QUEL NOUVEAU PARADIGME APRÈS LA CRISE ?

qui sont des intermédiations de marché, les trois se développent au sein


ou par l’intermédiaire de la firme bancaire. Ce sont donc les contours
et le contenu de cette firme qu’il y a lieu de redéfinir. Elle combine
des fonctions de production (intermédiation, moyens de paiement,
gestion de l’épargne), de distribution, mais aussi d’ingénierie financière
complexe, et les frontières entre ces différentes activités sont de plus
en plus perméables. Une partie de l’innovation financière tient d’ailleurs
au fait que les techniques utilisées dans un domaine ou un marché
sont transférées dans d’autres domaines ou d’autres marchés.
Même si l’on s’oriente, du fait de la globalisation, vers une vision
plus intégrée de l’intermédiation, cela ne conduit pas pour autant
à uniformiser les modèles bancaires qui restent très différenciés, liés
à l’histoire, à la culture des pays ou à des zones géographiques dont
ils sont originaires. Comme l’indiquent d’ailleurs les travaux de
La Porta et al. (1996 et 1997), le processus de convergence des systèmes
est bien plus complexe. Il existe de fortes disparités entre pays.
Entre les pays européens eux-mêmes subsistent d’importantes diffé-
rences structurelles (législation comptable, législation et organisation
du travail, fiscalité, contrôle, barrières culturelles et linguistiques...)
qui ne disparaîtront pas du jour au lendemain.
229
ÉTATS-UNIS - EUROPE :
DES MODÈLES DE BANQUE DIFFÉRENTS
L’intermédiation bancaire contemporaine est dominée par les
grands groupes bancaires multispécialisés. Des spécificités bancaires
demeurent d’un pays à l’autre et les modèles sont donc plus complexes
qu’il n’y paraît. En effet, les banques ont une histoire. Elles sont souvent
les héritières de maisons fondées au XIXème siècle et leur culture les
différencie fortement. Cette culture influence et à certains égards
aussi détermine certaines des caractéristiques des systèmes bancaires.
Celles-ci sont en effet le résultat du jeu conjugué des acteurs du système
que sont non seulement les banquiers, mais aussi leurs clients et leurs
habitudes, les superviseurs et leur plus ou moins grande rigueur,
les gouvernements et l’idée qu’ils se font du rôle de marché et donc
de ses limites.
Les banques américaines :
un business model qui ne change pas malgré la crise
L’histoire bancaire du XIXème siècle fournit une grille de lecture
intéressante et permet de comprendre et de mieux situer le compor-
tement des acteurs et, ce faisant, de mieux qualifier les différents types
de firmes bancaires et leurs comportements potentiels.

PAUGET SAIDANE 229 3/12/10, 8:25


REVUE D'ÉCONOMIE FINANCIÈRE

Deux modèles apparaissent clairement : le modèle anglo-saxon


développé, à peu près à la même période, au Royaume-Uni et aux
États-Unis et le modèle d’Europe continentale qui trouve ses racines
en France et en Allemagne.
Une chose est sûre, la mondialisation financière est à l’origine de
multiples transformations. Elle conduit à une globalisation des
marchés, mais n’efface pas les différences qui existent au niveau des
organisations et des réglementations. L’Amérique est en retard en
matière de conception et de pilotage des systèmes financiers. Le propos
peut étonner et paraître paradoxal surtout si l’on ajoute que les
annonces de Barack Obama du 21 janvier 2010 ne manquent pas de
surprendre. En effet, en matière de réglementation, on note un retard
très clair des banques américaines par rapport aux banques euro-
péennes. Contrairement à ce que l’on prétend parfois, les banques
américaines sont restées, jusqu’au déclenchement de la crise, cloisonnées
sous l’influence du Glass-Steagall Act de 1933. La banque commerciale
est restée séparée de la BFI. Le Gramm-Leach-Bliley Act, libérant
les banques et permettant une diversification salutaire, a certes été
adopté en 2000. Mais les banques américaines, à l’exception notable
de Citigroup, sont restées malgré tout enfermées dans leurs modèles
d’origine et n’ont pas adopté celui de la banque universelle. La
230
raison en est simple, ce modèle était le plus profitable dans les
circonstances du moment. Ainsi, Merrill Lynch, Morgan Stanley et
Bear Stearns, mais aussi Lehman Brothers, sont restées fidèles à leur
modèle d’origine.
Ce dernier exemple en constitue une preuve irréfutable, véritable
mastodonte monoproduit, cette maison de titres (on oublie trop
vite qu’il ne s’agissait pas d’une banque commerciale, ni d’une banque
universelle) n’a pas su diversifier ses risques. Ce géant de la finance
mondiale a, contrairement à certaines appréciations, été étouffé
par ce vieux corset de plus de soixante-dix ans, le fameux Glass-
Steagall Act ! En effet, l’hyperspécialisation dans un contexte de
liquidité surabondante et de taux d’intérêt bas a conduit à des prises
de risques anormalement élevées.
Les modèles bancaires américains ont été récusés par la crise par
manque de diversification de leurs activités et se sont trop reposés sur
la titrisation et les activités de marché. Avant la crise, la BFI pure
était considérée comme la référence. Ce modèle, importé des
États-Unis, vient d’être remis en cause par la crise... Les big five
américains ont en effet disparu (Merryll Lynch rachetée par Bank of
America ; Goldman Sachs et Morgan Stanley transformées en banque
- bank holding company ; Bear Stearns rachetée par JP Morgan avec
l’aide de l’État américain ; Lehman Brothers : faillite sous la protec-

PAUGET SAIDANE 230 3/12/10, 8:25


FIRME BANCAIRE : QUEL NOUVEAU PARADIGME APRÈS LA CRISE ?

tion du chapitre XI...). D’après Wyman (2010), dans le top 20 des


institutions financières américaines, huit ont soit fait faillite, soit été
contraintes de fusionner. C’est le cas de AIG, Bear Stearns, Wachovia
et Washnington Mutual. Or ces institutions représentent presque
25 % des actifs du système financier américain.
Cette très forte concentration n’exclut cependant pas un morcel-
lement du reste du système financier américain. En effet, aujourd’hui
encore, le marché bancaire américain demeure très éclaté et
spécialisé. La taille moyenne des banques américaines en termes
de total du bilan (1 Md€) est encore très inférieure à la moyenne des
banques européennes (5 Md€). Seules 22 banques américaines sur
presque une constellation de 9 000 ont aujourd’hui une taille
(total du bilan) supérieure à 55 Md$. À titre de comparaison,
BNP Paribas fait, à elle seule, un peu moins de 2 000 Md$. Plus
de la moitié des banques américaines, soit 5 000 environ, sont très
petites - moins de 100 M$ de bilan. Dans cette constellation de très
petites banques, la problématique de la taille et du risque systémique
n’est pas la donnée majeure. Il y a bien, d’un côté, Wall Street et,
de l’autre côté, le reste du système bancaire américain. Il y a donc
un vrai risque, du point de vue du financement de l’économie
américaine, à adopter une approche qui ne tiendrait pas compte
231
de cette double réalité. Et il serait bienvenu que les superviseurs
américains prennent en compte l’apport économique de la fonction
d’intermédiation traditionnelle.
Quel avenir dans ce contexte pour la banque universelle en Europe ?
Que vont devenir les one stop shops européens ? Vont-ils être démantelés
et subir le sort des ex-champions américains ?
Le modèle européen de banque universelle est aujourd’hui mature.
Il résulte d’un processus de construction qui s’est inscrit dans la
durée, qui est économiquement cohérent car il tente de valoriser
les économies d’échelle et d’envergure et les synergies qu’autorise la
diversification des activités.
Vers des modèles bancaires multispécialisés ?
La tendance observée sur la période récente n’est pas une
érosion du rôle des banques, mais un élargissement de la fonction
d’intermédiation financière. Les grands groupes bancaires multi-
spécialisés via leur pôle BFI continuent à être en contact avec les
grandes entreprises dans le cadre de relations traditionnelles de finan-
cement, mais leur offre intègre aussi les produits de marchés. Marchés
sur lesquels elles sont extrêmement actives et qui vont leur permettre
de trouver les ressources nécessaires au financement de leur activité
de crédit.

PAUGET SAIDANE 231 3/12/10, 8:25


REVUE D'ÉCONOMIE FINANCIÈRE

Les systèmes financiers se restructurent et se concentrent. Ils sont


de plus en plus dominés par quelques grands groupes bancaires
multispécialisés à l’échelle planétaire. Dans quasiment tous les pays
de l’OCDE, exceptés les États-Unis et l’Allemagne, l’actif des cinq
premières banques représente plus de la moitié de l’actif de
l’ensemble des banques. Dès lors, la distinction académique tradi-
tionnelle market-based versus bank-based devient quelque peu
dépassée dans la mesure où les grandes banques interviennent de
plus en plus sur les marchés. Ainsi, l’émergence de ces grands
groupes bancaires, plutôt que de conduire à une baisse de l’intermé-
diation financière, l’a au contraire maintenue. Comme le montrent
Allen et Santomero (1997), cette évolution conforte l’idée que le
développement des marchés financiers ne se fait pas au détriment
de celui des intermédiaires financiers4. Au contraire, les banquiers
sont les animateurs d’un marché de capitaux de plus en plus inter-
bancaire.
Quels sont les facteurs à l’origine de la constitution de grands groupes
bancaires multispécialisés ? On peut en évoquer au moins deux :
- la mobilité des capitaux entre les grandes places financières et la
concurrence bancaire favorise un alignement des comportements
des banques. Cette mobilité encourage la diversification, la recherche
232
d’économies d’échelle et d’économies d’envergure, ainsi qu’une meilleure
fidélisation de la clientèle ;
- les cadres législatifs qui régissent le fonctionnement des banques dans
plusieurs pays encouragent de plus en plus le « principe d’universalité ».
Ces mesures sont complétées par le renforcement des normes prudentielles
avec Bâle I et II, visant la stabilité financière des systèmes bancaires.
Ainsi, la plupart des pays ont opté pour un système de « banque à tout
faire » ouvrant la possibilité aux banques de réaliser tous les métiers de
la finance.
Aujourd’hui, les législations nationales semblent avoir unanimement
consacré le modèle de la banque universelle. Cette option est toutefois
plus ancienne dans certains pays que dans d’autres. Certains systèmes
bancaires européens se sont ralliés à ce schéma sous l’impulsion de la
seconde directive bancaire de 1993 sur les services d’investissement.
Elle a offert aux banques la possibilité d’étendre leur gamme d’activités
(cf. tableau 4 ci-après).
Depuis quasiment un siècle, le modèle de banque américain a très
peu évolué. Même avec la dernière crise, il est difficile de dire que
l’on s’oriente vers un changement de modèle. Le secteur bancaire
américain demeure dual avec de grosses entités d’envergure mondiale
et une myriade de petites banques de taille locale. Le secteur bancaire
d’Europe continentale continue à reposer, de son côté, sur la banque

PAUGET SAIDANE 232 3/12/10, 8:25


FIRME BANCAIRE : QUEL NOUVEAU PARADIGME APRÈS LA CRISE ?

universelle, même si certaines de ses caractéristiques sont appelées à


évoluer (Pauget, 2010).

Tableau 4
Cadres juridiques favorables à la banque universelle
dans les principaux pays
Pays Cadres juridiques
ème
Allemagne, Autriche Depuis le XIX siècle, chaque établissement est habilité à couvrir l’intégralité
et Suisse des opérations de banque.
Espagne L’autorisation de la diversification a débuté en 1974 et a été complétée en 1994
conformément aux exigences européennes.
France Le principe de la banque universelle est introduit par la loi bancaire
du 24 janvier 1984.
Italie La loi Amato-Carli de 1990 libéralise le secteur bancaire. La loi bancaire
du 27 août 1993 a ensuite favorisé l’émergence de la banque universelle.
Royaume-Uni La déspécialisation a été introduite par la loi bancaire de 1987.
États-Unis La loi Gramm-Leach-Bliley, ou Financial Services Modernization Act,
promulguée le 12 novembre 1999 (entrée en vigueur le 13 novembre 2000)
autorise les banques à intervenir dans les secteurs de l’investissement et 233
de l’assurance.
Source : synthèse des auteurs.

Les grandes tendances en matière de modèle bancaire :


diversification et réintermédiation
Comment, à partir du concept de firme, procéder à l’enrichissement
du concept de firme bancaire de telle sorte qu’il prenne mieux en
compte la réalité et, ce faisant, la diversité des « banques » ?
Les produits bancaires sont soit vendus et fabriqués par la banque
elle-même dans le cadre de « modèles intégrés », soit produits par
des entités extérieures au groupe et commercialisés dans le cadre d’un
modèle dit « en architecture ouverte ». On comprend dès lors que la
firme bancaire est très diverse dans ses structures et son mode de
management. On peut certes identifier, à la faveur d’une approche
analytique, un certain nombre de fonctions. Mais on perçoit bien
que celles-ci sont mises en œuvre de façon différente. Ainsi, la banque
de financement corporate qui s’adresse aux très grandes entreprises
internationales ne sera pas exercée de la même façon chez Morgan
Stanley, les BFI de type anglo-saxon, ou Santander, banque universelle,
pour laquelle le marché des grandes entreprises ne revêt pas la même
importance stratégique.

PAUGET SAIDANE 233 3/12/10, 8:25


REVUE D'ÉCONOMIE FINANCIÈRE

Deux tendances se dégagent.


La première tendance qui a été longtemps dominée par une logique
de concentration et de spécialisation correspond à la banque de gros
pure (wholesale bank) ou bulge bracket investment bank. Il s’agit de
banques d’investissement globales dont le cœur de métier est la banque
d’affaires. Elles sont très concentrées à l’échelle mondiale. On trouvait
principalement les big four américaines : Goldman Sachs, Lehman
Brothers, Morgan Stanley et Merrill Lynch. Leur produit net bancaire
était partagé entre deux activités spécialisées : la BFI et la gestion
d’actifs pour les clients institutionnels. Hormis quelques exemples
comme Crédit suisse, Deutsche Bank et UBS qui ne sont pas cependant
absents de la banque de détail, il n’y a pas véritablement d’équivalent
en Europe.
La deuxième tendance concerne les grandes banques européennes
qui ont construit progressivement un modèle diversifié en s’appuyant
sur le cœur de métier : la banque de détail. Cette catégorie de banque
joue sur deux composantes majeures : la proximité avec ses clients
et la diversité de ses activités financières. Qualifiées souvent de one stop
shoping, elles sont dotées d’un réseau d’agences tourné vers les parti-
culiers, les PME et, dans une moindre mesure, les grandes entreprises.
Leur produit net bancaire résulte pour l’essentiel de leur activité de
234
détail. La logique de ces « supermarchés de la finance » consiste à
associer des filiales spécialisées. Ces dernières exercent dans le crédit
à la consommation, la gestion d’actifs, l’assurance et les services
financiers spécialisés et, dans une moindre mesure, dans d’autres
métiers comme la banque privée (cf. annexe). Parmi ces banques, on
trouve : Citigroup, Dresdner Bank, Crédit agricole SA, Sumitomo
Mitsui Financial Group, BNP Paribas, Société générale. Au sein de
ce groupe, la bancassurance a fait l’objet de développements réussis,
notamment en France.
Au sein de ces conglomérats financiers, les synergies entre métiers
sont mises en œuvre pour créer de la valeur actionnariale. Ainsi, les
actifs des compagnies d’assurances sont gérés par les asset managers
qui eux-mêmes utilisent les brokers et les salles de marché des groupes.
Les activités de financement sont, pour les opérations de couverture,
apporteuses d’ordres aux salles de marché, notamment pour ce qui
concerne les taux et le change. Le financement de certaines entités
est assuré par la BFI qui organise, par exemple, la titrisation du
portefeuille des crédits à la consommation. Ces évolutions et ces
activités montrent que l’intermédiation financière est loin de fléchir.
Elle prend d’autres voies, mais s’appuie toujours sur les banques.
Il y a donc bien lieu d’inclure cette réalité nouvelle dans le corpus
de la théorie de la firme bancaire.

PAUGET SAIDANE 234 3/12/10, 8:25


FIRME BANCAIRE : QUEL NOUVEAU PARADIGME APRÈS LA CRISE ?

LA BANQUE DU XXI
SIÈCLE : ÈME

VERS UN NOUVEAU PARADIGME BANCAIRE ?


Les premières réflexions théoriques sur les intermédiaires financiers
trouvent leur origine au début du XVIIIème siècle. Elles s’attachent à
justifier le rôle des institutions bancaires par la contribution au bien-être
collectif (Cantillon, 1730 ; Law, 1700). Création et gestion des moyens
de paiement, intermédiation et régulation des transactions, tels sont
les arguments qui ont souvent présidé à l’identification de la fonction
bancaire.
La conception de la banque a été pendant longtemps fondée sur des
critères administratifs et institutionnels. Pouvoirs publics et système
bancaire étaient associés dans les analyses de l’offre de monnaie de
Wicksell (1898) ou de Friedman (1956). Cette vision s’inscrit dans
la vague de réglementations qui a suivi la crise de 1929.
Mais c’est la pérennité de l’approche dichotomique du monetary
view, dont les monétaristes de Chicago sont de fervents défenseurs,
qui va provoquer le plus grand tort à l’émergence d’une véritable
théorie bancaire. En effet, les modèles du cycle réel élaborés par
certains monétaristes orthodoxes (Kydland et Prescott, 1982 ; Long
et Plosser, 1983) vont jusqu’à nier l’impact de l’offre de monnaie
sur le niveau d’activité. Ils n’ont certainement pas favorisé 235
une identification pertinente du phénomène d’intermédiation
financière.
La crise est en train de recentrer la définition, les fonctions et le
périmètre de la banque. Elle a révélé beaucoup de décalages dans la
recherche académique et de retards dans l’élaboration d’une théorie
bancaire ainsi que beaucoup de méconnaissances de la banque et de
sa fonction dans la société.

Les retards accusés par la théorie de la firme bancaire


sur les pratiques bancaires
La plupart des experts sont unanimes sur ce point : il n’y aurait
pas une théorie de la firme bancaire, mais une variété d’approches
s’inscrivant dans le champ méthodologique qu’offre l’économie
industrielle5. Encore aujourd’hui, la théorie bancaire est éclatée. Sans
prétendre à l’exhaustivité, on peut noter qu’il existe au moins
sept axes qui tentent d’expliquer le rôle et le fonctionnement de la firme
bancaire (cf. tableau 5 ci-après). L’importance de ces axes est en train
de changer au vu des enseignements tirés de la crise financière
de 2007-2008.

PAUGET SAIDANE 235 3/12/10, 8:25


REVUE D'ÉCONOMIE FINANCIÈRE

Tableau 5
Problématiques de recherche sur la firme bancaire :
richesse, absence de consensus et perspectives
Paradigme Axe thématique Exemple de problématiques et de références
Concurrence La concurrence bancaire est-elle destructrice ?
Paradigme SCP monopolistique Le marché bancaire est-il pertinent ?
bancaire Jusqu’où peut aller la banque en ligne ?
Structure du marché Ali et Greenbaum (1977) ; Chiappori, Perez-Castrillo et
bancaire Verdier (1995) ; Dietsch (1993).
Pouvoir de Comment déterminer la structure du marché bancaire ?
marché bancaire Comment calculer le pouvoir de marché par l’indice de Lerner ?
Gelfand et Spiller (1987) ; Spiller et Favaro (1984).
Comportement de Comment mesurer les économies d’échelle, les économies de
Paradigme SCP la firme bancaire gamme et la surcapacité bancaire ?
Comment définir les indicateurs d’input, d’output et de coût ?
Comportement de Baltensperger (1980) ; Bell et Murphy (1968) ; Klein (1971) ;
la firme bancaire Sealey et Lindley (1977).
Intermédiation La banque est-elle en train de disparaître ?
financière Quelles sont les nouvelles formes d’intermédiation ?
Bank-based versus market-based ?
236 Y a-t-il convergence des systèmes ?
Allen et Gale (1995) ; Allen et Santomero (1997) ; La Porta
et al. (1996).
Paradigme SCP Efficience Comment mesurer les efficiences allocatives, techniques et
Performance de et productivité productives dans la banque ?
la firme bancaire bancaires Berger et Humphrey (1997) ; Ragan et al. (1988).
La banque dans Quel est l’impact de la libéralisation des taux créditeurs sur
Paradigme CRG la libéralisation l’épargne et l’investissement ?
financière Comment identifier le rôle microéconomique des banques dans
Croissance, risque le processus macroéconomique de la libéralisation financière ?
et gouvernance Comment maîtriser la volatilité des marchés ?
Impact de l’accélérateur financier ?
Bencivenga et Smith (1991) ; Fry (1995) ; King et Levine
(1993) ; Sarr (2000).
L’asymétrie Risque Comment réduire les asymétries d’information et les
d’information, et gouvernance incertitudes dans la banque ?
fondement de la bancaire Comment intégrer la volatilité des marchés dans le compor-
dynamique des tement des banques ?
marchés, est source Comment éviter les paniques bancaires ?
de leurs dérèglements. Comment favoriser la bonne gouvernance bancaire ?
Allen et Carletti (2010) ; Bloxham (2010) ; Diamond et
Dybvig (1983) ; Freixas (2010) ; Leland et Pyle (1977) ;
Walker (2009) .
Source : synthèse des auteurs.

PAUGET SAIDANE 236 3/12/10, 8:25


FIRME BANCAIRE : QUEL NOUVEAU PARADIGME APRÈS LA CRISE ?

Les cinq premiers axes relèvent de ce qu’il convient d’appeler le


paradigme SCP (structure-comportement-performance). Ce paradigme
domine la littérature portant sur la firme bancaire depuis les
années 1960. Initié par les économistes de la Federal Reserve, il a
constitué jusqu’à une époque récente l’une des références principales de
la recherche sur la banque. Cependant, l’une de ses faiblesses est qu’il
assimile la banque à une firme quelconque. L’idée est qu’une meilleure
compréhension de la structure du marché bancaire conditionne le
fonctionnement de la banque ainsi que sa performance. Les références
au paradigme SCP n’ont cessé de se développer dans le domaine
bancaire comme cadre permettant de mieux comprendre les stratégies
des banques dans le contexte réglementaire en vigueur. Qu’est-ce que le
paradigme SCP ? Les travaux pionniers de Bain (1951 et 1956) fondent
l’idée selon laquelle le taux de profit moyen des secteurs industriels est
positivement corrélé avec leur degré de concentration. Cette relation
que l’on associe à l’école de Harvard suppose que la structure du marché
influence le comportement des firmes qui agit à son tour sur leur
performance. À partir des années 1960, le SCP a servi de référence
à de nombreux travaux sur la banque. Ce paradigme a été appliqué
à la firme bancaire pour examiner la structure du marché bancaire,
la concurrence et le pouvoir de marché bancaire. Parmi les travaux
237
fondateurs, on trouve notamment ceux de Klein (1971) permettant
d’élaborer ce qu’il appelle une theory of the banking firm, suivi des
travaux de Baltensperger (1980). L’assimilation de la banque à
une firme quelconque est également très nette dans les travaux de Bell
et Murphy (1968) qui ont généralisé l’application et la mesure du
concept d’économie d’échelle à la banque. Sealey et Lindley (1977)
proposent une théorie de la production et du coût des banques et
suggèrent même une définition des inputs et des outputs dans les insti-
tutions financières. Les années 1980 et 1990 ont continué à être
marquées par une série de travaux s’appuyant sur le modèle SCP visant
à approfondir le comportement de la firme bancaire, l’intermédiation
financière, l’efficience et la productivité bancaire.
Mais la crise est en train de recentrer la recherche sur la firme bancaire
autour d’un paradigme tenant davantage compte de la spécificité de
la banque avec une meilleure prise en compte des risques, un aspect
sans doute sous-estimé dans le paradigme SCP. L’approche se réfère
principalement aux deux derniers axes (cf. tableau 5 ci-contre) qui
fondent ce que l’on appellera le paradigme CRG (croissance-risque-
gouvernance). Ce paradigme peut trouver son origine dans les contribu-
tions de Joseph Stiglitz de la fin des années 1990. Stiglitz (1998)
suggérait déjà un recentrage microéconomique permettant de préciser
la relation entre le système financier, d’une part, et les fluctuations

PAUGET SAIDANE 237 3/12/10, 8:25


REVUE D'ÉCONOMIE FINANCIÈRE

macroéconomiques et la croissance, d’autre part. La fragilité induite


par les crises financières dans les économies émergentes l’a conduit à
formuler le constat suivant : les travaux sur le thème de la libéralisation
financière se sont limités à traiter du système financier de manière isolée
sans prise en compte de ses spécificités. La maladresse a consisté à lier de
manière superficielle l’intermédiation financière à la macroéconomie
réelle. Le rôle et la raison d’être des banques ne semblent pas avoir été
pris en compte de manière satisfaisante. C’est pourquoi il reproche à la
théorie traditionnelle des fluctuations macroéconomiques d’inspiration
keynésienne de ne pas tenir compte des apports de la finance moderne.
Dans les modèles macroéconomiques qu’elle initie, le système financier
est résumé dans une simple équation de demande de monnaie, l’offre
de monnaie étant fondée sur une relation inverse entre le taux d’intérêt
et le niveau d’investissement. C’est durant cette décennie 1990 que
d’autres économistes, comme King et Levine (1993), ont cherché à
mieux appréhender la banque dans le processus de la libéralisation
financière. Ils s’interrogent sur la manière d’identifier le rôle
microéconomique des banques dans le processus macroéconomique de
la déréglementation. Cette approche est complétée par de nombreuses
contributions postcrise de 2008 visant à examiner les risques systé-
miques et la gouvernance bancaire. Ces travaux cherchent en particulier
238
à expliquer comment éviter les paniques bancaires en améliorant la
gestion des risques et comment favoriser une meilleure régulation et une
bonne gouvernance bancaire. C’est l’objectif fixé par de nombreux
travaux dont ceux de Freixas (2010), Walker (2009), mais aussi Allen
et Carletti (2010) et Bloxham (2010). Le rôle de la banque dans
l’économie, sa résilience face aux crises et son mode de gouvernance
deviennent ainsi des thèmes majeurs jusqu’à une date très récente et
encore sous-exploités par la recherche académique.
Dans le paradigme CRG, la question de la gouvernance est centrale.
Qu’est-ce donc qu’une bonne gouvernance bancaire ? Il s’agit d’un
système d’appréciation des seuils acceptables définis par des acteurs
libres de tout conflit d’intérêts. Ces seuils portent sur trois dimensions
bancaires fondamentales : la liquidité, l’innovation et le couple
risque/rentabilité. La maîtrise de ces seuils, qui résulterait d’un calcul de
condition du premier ordre, éviterait de basculer dans le risque systé-
mique. Ces seuils optimaux permettent d’obtenir une firme bancaire
efficiente avec des niveaux de risque acceptables et compatibles avec le
bien-être collectif. Cette définition se fonde aussi sur le point de vue
exprimé par Adair Turner6 qui se pose la question de l’utilité sociale des
banques et leur capacité à améliorer le bien-être. Il milite pour une
nouvelle politique macroprudentielle et s’interroge sur l’utilité de
certaines réformes radicales comme la réduction de la taille des banques

PAUGET SAIDANE 238 3/12/10, 8:25


FIRME BANCAIRE : QUEL NOUVEAU PARADIGME APRÈS LA CRISE ?

au nom du principe too big to fail, le retour à la séparation des activités


de marché et de détail pour éviter les banques-casino et enfin le narrow
banking pour limiter la transformation d’échéances et les effets de levier.
La crise a mis en évidence les risques extrêmes associés à des marchés
déréglementés. En situation de crise, lorsque, en raison de la montée
des incertitudes, « l’accélérateur financier » commence à jouer, les
banques comme les autorités de supervision perdent le contrôle de ces
risques qui deviennent pratiquement ingérables faute d’un marché
suffisamment liquide qui donne des prix ayant un sens. Face à des
phénomènes qui sont essentiellement de nature informationnelle, on
peut s’interroger sur le mode de production hérité de la révolution
industrielle quant à la pertinence des notions de productivité et de
croissance. De plus, l’organisation et le mode de fonctionnement
des organismes sont entachés de conflits d’intérêts. Bref, le système
économique de ce XXI ème siècle a besoin d’être revisité à la lumière
des enjeux qui menacent la stabilité et la pérennité de nos économies.
C’est pourquoi une bonne gouvernance, une meilleure maîtrise des
risques dans un contexte de forte volatilité et de spéculation entretenue
par une liquidité abondante ainsi que la recherche d’un nouveau mode
de production en ligne avec la pérennité de l’écosystème et le respect des
ressources non renouvelables, en d’autres termes un nouveau mode de
239
penser et une nouvelle vision, doivent s’accompagner d’un nouveau
paradigme dont la nouvelle finance sera l’une des dimensions.
L’urgence d’un nouveau paradigme bancaire
centré autour de la maîtrise des risques et de la gouvernance
La crise a mis en évidence les dérives de la gouvernance bancaire. C’est
ce que signale le rapport de Walker (2009) en indiquant qu’il est
nécessaire de revenir à des pratiques plus classiques pour une meilleure
traçabilité des produits financiers au service d’une croissance durable
et d’une meilleure évaluation des risques. Le rapport Walker insiste
sur le rôle des conseils d’administration et la qualification de leurs
membres, leur performance, leur indépendance ainsi que la qualité
de l’information destinée aux actionnaires. Enfin, il recommande
une meilleure cohérence des rémunérations ainsi que l’instauration de
comités de gouvernance du risque.
En somme, il s’agit de revenir à une certaine réintermédiation du
financement de l’économie réelle.
Plus qu’une nouvelle régulation, le nouveau paradigme bancaire
CRG milite pour une « finance durable » qui serait exigée de plus en
plus par les consommateurs de produits financiers. Il s’agit d’une
finance qui serait l’expression d’un acte social. Elle s’inscrit certes dans
la sphère marchande où les prix des services financiers et les taux

PAUGET SAIDANE 239 3/12/10, 8:25


REVUE D'ÉCONOMIE FINANCIÈRE

d’intérêt représentent la traduction d’un coût de production assorti


d’une marge. Mais cette finance devra en même temps être motivée
par l’acte social. La responsabilité sociale de la banque (RSB) basée
sur le solidaire, l’humain, le durable, l’éthique, l’équitable et la bonne
gouvernance devra progresser dans l’esprit des financiers de notre
planète. La banque devra s’accorder avec les projets socialement
responsables.
Il est désormais reconnu que la crise de 2007-2008 a mis en évidence
combien les instruments de mesure utilisés sous-estimaient le risque.
D’évidence, l’incidence possible des situations extrêmes n’était pas
mesurée. Un dysfonctionnement majeur des marchés pouvant conduire
à leur blocage n’était pas considéré comme entrant dans le champ des
possibles. Cette double limite de l’évaluation du risque, d’une part, et
des conditions du fonctionnement des marchés, d’autre part, doit
désormais être incluse dans l’approche que l’on peut faire de la firme
bancaire.
Il est encore difficile, à ce stade, de prétendre pouvoir dessiner
complètement le nouveau concept de cette firme bancaire plus
réaliste dans l’approche des marchés, plus consciente de ses respon-
sabilités sociales. Il semble toutefois que la finance mondialisée
contemporaine devra se référer au paradigme CRG et respecter la règle
240
des trois « p » :
- une finance de « proximité » centrée sur les individus ;
- une finance « performante » garante de sa pérennité ;
- une finance « propre » respectant une éthique.
Cette approche plus globale de la firme bancaire ne doit cependant
pas conduire à mettre au second plan les principes fondamentaux
sur lesquels reposent l’activité bancaire et donc la firme bancaire.

LES PRINCIPES FONDAMENTAUX


DE LA FIRME BANCAIRE
La crise de 2007-2008 a le mérite de nous enseigner au moins une
chose : on a plus que jamais besoin de « vrais banquiers » plus que de
« banques ». Elle a ainsi remis à l’ordre du jour une vieille question
relative à la « raison d’être » des banques et à l’articulation entre l’art
pur de la banque et celui de la banque en tant que firme. Peut-on
d’ailleurs véritablement concilier l’art de la finance et celui de la firme
bancaire ? Dans le domaine non bancaire, les frontières sont claires : un
artiste travaille à une petite échelle et ne peut donc pas exercer son art
de manière industrielle. Mais dans le domaine bancaire, les choses sont
différentes : la société exige du banquier d’être à la fois un artiste de
précision pour faire du sur mesure et un industriel compétitif pour

PAUGET SAIDANE 240 3/12/10, 8:25


FIRME BANCAIRE : QUEL NOUVEAU PARADIGME APRÈS LA CRISE ?

réduire les coûts de financement. Telle est donc cette contradiction


qui constitue le fond du problème à résoudre si l’on veut mieux tirer
les enseignements de la crise actuelle et mieux percevoir les voies de
sortie de crise.
Il ne faut pas brûler les banquiers :
« We need bankers and not banks »
Il y a quelques décennies déjà les économistes se demandaient si la
banque s’apparentait à un établissement proche du service public ou
plutôt à une entreprise ordinaire soumise à la concurrence et aux lois
du marché. Établissement, institution, intermédiaire, entreprise et
firme ont été les termes les plus couramment utilisés pour la désigner.
Derrière cette diversité d’appellations semble se cacher un débat de
fond au sujet de son activité et de l’intermédiation financière en général.
Celle-ci peut-elle relever du mécanisme de marché ? Ou nécessite-t-elle
un dispositif réglementaire rigoureux ?
Si la banque suscite depuis toujours autant de polémiques, c’est
parce que son activité est étroitement liée à la fois aux mécanismes
de marché et à la monnaie ; or cette relation demeure ambiguë.
En outre, la mondialisation, les nouvelles technologies de la commu-
nication et de l’information accompagnées de la net finance et du 241
e-banking semblent aujourd’hui avoir modifié les asymétries
d’information ainsi que les coûts de transaction sur le marché
financier. La raison d’être de la banque, expliquée par les théoriciens
de l’intermédiation financière - incomplétude des contrats et
asymétrie d’information -, s’en trouverait ainsi changée. Les frontières
entre la banque on line et le marché financier seraient ainsi de plus
en plus floues.
À ce flou se rajoutent un rideau de fumée et quelques fausses pistes
dont celles suggérées par les autorités américaines. Quel modèle
de banque reconstruire pour l’après-crise ? Faut-il à ce point centrer
le débat sur la taille des banques ?
Plus on tarde à mettre en place des business models recueillant
la confiance du public, plus on sombre dans les effets de la crise.
La reprise devient alors plus hypothétique car les entreprises ont
du mal à trouver des banques capables de les accompagner. La prin-
cipale leçon à tirer est que les banquiers français doivent suivre
leur propre modèle, celui de la banque universelle, un modèle
diversifié, élaboré depuis plus d’un quart de siècle de manière pondérée
et réfléchie grâce à la loi bancaire de janvier 1984. Les banques françaises
n’ont pas mis leurs œufs dans le même panier. Certes, la BFI en France
a souffert, mais elle résiste mieux malgré tout grâce à ce modèle. Le
plus urgent aujourd’hui n’est pas tant de toucher au modèle des

PAUGET SAIDANE 241 3/12/10, 8:25


REVUE D'ÉCONOMIE FINANCIÈRE

banques européennes que de trouver les moyens de rétablir un nouveau


« contrat de confiance » entre la banque et ses clients. Si les États-Unis
ont un souci avec leur business model de banque, ce n’est pas à l’Europe
d’en faire les frais.
On peut être tenté de considérer que la situation actuelle résulte
des excès d’une certaine conception de la banque et non des excès des
fonctions de celle-ci. En effet, cette conception a poussé à l’extrême
la vision industrielle de la banque. Or cette dernière pouvait-elle
raisonnablement devenir une entreprise quelconque ? Cette question
mérite d’être clarifiée car des confusions persistent. Est-ce la faute des
banquiers ? Et que font-ils au juste ces banquiers ?
L’art du banquier :
la gestion des imperfections de notre monde
Dans un monde parfait, les banques n’auraient aucune utilité.
En effet, dans ce monde idéal caractérisé par la complétude des contrats
et la symétrie de l’information parmi les participants au marché,
les décisions économiques ne dépendent pas de la structure financière.
Il y aurait, au contraire, une neutralité des banques au sens du théorème
de Modigliani et Miller (1958). Dès lors, ajouter des banques à cet
242 environnement économique n’a pas de conséquences sur la valeur
des unités productives, ni sur l’activité réelle. L’intérêt de l’introduction
des banques dans ce système économique s’évanouit dans la mesure
où les agents sont considérés comme parfaitement informés dans un
monde sans frictions. Dans ces conditions, les ménages et les firmes
pourraient développer leur propre service d’intermédiation à un
coût faible ou nul. Apparaît alors une seule forme d’intermédiation
financière, celle impliquant un face-à-face direct entre prêteur et
emprunteur. Dans ce cas, on parle de finance directe ou d’intermédiation
de marché.
Les grandes mutations du monde bancaire des années 1980 ont
coïncidé avec les progrès de l’analyse économique. Ils ont permis
d’enrichir l’examen de la banque et l’explication de son rôle dans
l’économie. Ces perfectionnements ont porté aussi sur la manière
d’aborder la concurrence à travers la prise en compte des interactions
stratégiques entre banques. L’analyse économique s’intéresse aussi
aux imperfections, aux défauts de coordination et aux incertitudes
du marché financier. Ainsi, les banques émergent comme une réponse
à ces dysfonctionnements. Que fait donc le banquier ? Il produit
de la bonne information pour le public, réduit les coûts que la société
aurait à supporter, entretient la mémoire des événements et enfin
gère prudemment la liquidité de la collectivité. Ces actions peuvent
être synthétisées dans le tableau 6 (ci-après).

PAUGET SAIDANE 242 3/12/10, 8:25


FIRME BANCAIRE : QUEL NOUVEAU PARADIGME APRÈS LA CRISE ?

Tableau 6
L’art du banquier
Rôle du banquier Action qui en résulte
Le banquier produit Le banquier est un producteur d’informations car l’intermédiation qu’il
de la bonne information déploie constitue une réponse naturelle à l’asymétrie d’information que
pour le public. subit la partie la moins bien informée. Le banquier va intervenir pour
résoudre les conflits d’intérêts qui existent entre les prêteurs (outsiders)
et les emprunteurs (insiders). Sur les marchés financiers, l’asymétrie
d’information est particulièrement importante (Hayne et al., 1977).
Le banquier réduit les coûts La firme bancaire produit des services financiers que les agents écono-
que la société aurait miques trouveraient coûteux à produire eux-mêmes. Les « coûts de
à supporter. transaction » sont impliqués par le face-à-face direct sur le marché (coûts
liés à la négociation et à la surveillance).
La firme bancaire exploite des économies d’échelle dans l’écriture des
contrats, ce qui lui permet de profiter d’une réduction des coûts de
transaction (Benston et Smith, 1976). Ces auteurs précisent explicitement
que « la raison d’être de cette industrie est l’existence des coûts de
transaction ».
Le banquier entretient Les prêts directs transitent par une structure que l’on appelle « marché
la mémoire des événements. financier » qui ne stocke pas de la même manière que la banque
l’information portant sur le profil des emprunteurs. 243
La banque, avec le « capital connaissance » accumulé à travers le temps par
des contacts répétés et des pratiques relationnelles, exploite un stock
d’informations privées issues de contacts avec la clientèle.
Le banquier gère prudemment L’intermédiation consiste à structurer le portefeuille de la banque en
la liquidité de la collectivité. respectant principalement deux contraintes.
D’abord, le rendement des éléments de l’actif du bilan (revenus des prêts)
doit au moins égaliser les coûts des éléments du passif (coût des emprunts).
Ensuite, les fonds confiés par les déposants à court terme et prêtés sous
forme de crédits à terme plus long doivent être récupérables*. La banque
doit en effet, à tout moment, pouvoir faire face aux besoins des déposants.
La célèbre contribution de Diamond et Dybvig (1983) sur la panique
bancaire considère que les banques constituent la meilleure « réponse
endogène » à des choix individuels de consommation.
* On parle de transformation d’échéances.
Source : synthèse des auteurs.

Le banquier : moteur de la croissance de l’économie réelle


Le banquier est l’acteur de la croissance économique et la banque en
est le moteur. C’est ainsi que l’on pourrait résumer le point de vue
de Schumpeter (1911). Cette approche stipule que les activités
innovatrices ne peuvent avoir lieu sans l’intervention des banques
qui fournissent à l’entrepreneur les moyens financiers nécessaires.

PAUGET SAIDANE 243 3/12/10, 8:25


REVUE D'ÉCONOMIE FINANCIÈRE

En règle générale, l’homme d’affaires est d’abord débiteur auprès de la


banque. Il devient ensuite créditeur. Il emprunte d’abord et dépose
ensuite. La fonction de financement est une prérogative des banques
et le crédit bancaire joue un rôle essentiel. Il contribue à la mobilisation
du capital en tant que fonds financier au service des entrepreneurs.
Il rend le capital plus efficace tant qu’il permet un accroissement du
produit réel.
Schumpeter constate que l’essentiel (les trois quarts) de ce que l’on
appelle communément « banques » correspond à des institutions qui
assurent du financement par crédit en créant des moyens de paiement
ad hoc qualifiés par cet auteur de « crédit anormal »7. Il s’agit de la
création d’un pouvoir d’achat ex nihilo précédant la création de biens,
ou encore pour laquelle ne correspond aucun nouveau bien contem-
porain. C’est dans cet esprit que le crédit crée une monnaie nouvelle
permettant à la dépense d’être le moteur de l’économie. Les banques
prennent alors des risques. Selon Aglietta (1998), elles sont indis-
pensables « parce qu’elles sont les seules à pouvoir arracher les paris sur
l’avenir au carcan de l’épargne disponible ».
Pour Schumpeter, ce que nous appelons communément « création
monétaire » n’est autre que la mobilisation de ressources déjà existantes.
Or la banque fait plus que cela. Elle contribue effectivement à la création
244
« d’un pouvoir d’achat » avant la création d’un bien. L’entrepreneur
va se saisir de ce pouvoir d’achat afin d’investir et trouver sa place
dans le circuit économique. L’entrepreneur n’est donc pas le détenteur
d’un capital perçu comme une donnée indépendante de la banque ;
au contraire, l’entrepreneur est tributaire de la banque. Il a besoin du
crédit créé ex ante. Il a aussi besoin de la banque en tant qu’inter-
médiaire qui mobilise des moyens et qui organise la production.
C’est ce type de crédits bancaires qui est indispensable pour financer
l’innovation. Ainsi, la croissance générée par l’innovation est
engendrée de manière endogène par l’économie grâce à l’intervention
des banques.
Schumpeter indique également que le rôle essentiel joué par les
banques dans le développement économique consiste à choisir les
firmes qui pourront bénéficier de l’épargne publique. Le secteur
bancaire agit sur le sentier d’expansion économique par l’intermédiaire
de l’allocation de l’épargne. L’approche schumpétérienne de la finance
et du développement éclaire donc sur le rôle des banques en matière
de croissance de la productivité et de changement technologique.
L’idée de Schumpeter est que l’accumulation du capital est la clé
de la croissance économique. Dans ce cadre, les banques doivent y
contribuer par la création monétaire ainsi que par la mobilisation
et l’allocation de l’épargne.

PAUGET SAIDANE 244 3/12/10, 8:25


FIRME BANCAIRE : QUEL NOUVEAU PARADIGME APRÈS LA CRISE ?

L’implication des banques dans le monde des affaires va donc


au-delà de la simple fonction de financement par crédit. Les banques
interviennent sur le marché financier et régulent l’activité industrielle
et commerciale. Le fonctionnement du système financier montre
que ce sont les banques qui régulent simultanément la spéculation
financière ainsi que les pulsations économiques suscitées par les
mouvements industriels et commerciaux, tantôt les limitant, tantôt les
stimulant.

Les banques demeurent donc des intermédiaires méconnus. Elles


offrent des crédits et souscrivent aussi des titres. Les tendances en
cours confirment ainsi que l’intermédiation financière perdure même si
elle change de forme. Cependant, la crise a remis en cause certaines
croyances et a créé beaucoup de doutes sur ce qui était unanimement
admis. Le principe too big to fail a été touché car Lehman Brothers
après 158 ans d’existence n’est plus. Cette banque monoproduit
pesait 640 Md$ d’actifs et employait 25 000 collaborateurs.
En outre, l’amélioration de la transparence des marchés financiers est
une question désormais récurrente. Comme le rappelle Betbèze (2007)8,
après la crise des États insolvables, on a amélioré le suivi des États.
245
Après l’affaire Enron, on a introduit aux États-Unis en 2002 la loi
Sarbanes-Oxley visant l’amélioration mondiale des techniques de
contrôle des comptes. Avec la crise des subprimes de l’été 2007, il
convient de définir des règles à suivre pour les nouveaux produits
financiers, les hedge funds et les agences de notation. Ainsi, toute
crise conduit à une prise de conscience des manquements et des
erreurs. Elle permet de progresser. Cependant, la régulation va moins
vite que l’innovation et la mondialisation. Le rattrapage se fait avec
un peu de retard. La réglementation bancaire devient donc fonda-
mentale car elle permet d’amortir les ondes de choc. Elle fait référence
au respect de certaines règles prudentielles liées aux fonds propres,
à l’assurance des dépôts et à la liquidité des actifs.
Un fait est aujourd’hui admis par tous les observateurs : les banques
exercent leurs activités dans un environnement fortement réglementé.
L’examen de leur comportement est essentiel pour une meilleure
compréhension de la nature des transmissions des chocs monétaires.
Une banque se distingue d’une firme quelconque au niveau du caractère
spécifique de sa réglementation. En effet, il n’existe pas d’activité
économique aussi réglementée que l’activité bancaire. Comme le
rappelle Pollin (2006) : « Il n’existe pas de contrôle prudentiel pour les
entreprises non financières comme il en existe dans le cas des banques.
C’est donc que les établissements de crédit ont des particularités qui

PAUGET SAIDANE 245 3/12/10, 8:25


REVUE D'ÉCONOMIE FINANCIÈRE

confèrent à leur défaillance des conséquences plus graves, sinon de


nature différente. » Il est certes nécessaire de tenir compte des ensei-
gnements de la crise et d’adopter en conséquence la réglementation.
Mais il est tout aussi important de veiller à ne pas surréglementer pour
ne pas casser le dynamisme de la firme bancaire. Peut-être faut-il pour
cela déplacer aussi le débat vers la recherche d’une meilleure gouvernance
et de meilleures pratiques bancaires ?

ANNEXE

Les activités de la banque de gros

L’activité de marché de capitaux


Cette activité déployée à un niveau mondial cherche à répondre
d’abord aux besoins des clients émetteurs et des investisseurs en produits
obligataires et en actions. Elle concerne la création de produits
246 sur mesure comme les obligations, la titrisation, les crédits syndiqués
et structurés, les services de notation et de conseil sur les marchés de la
dette, les produits liés aux actions (obligations convertibles) et les
émissions d’actions. La banque distribue aussi les titres du marché
initiés par le corporate finance.
Des plates-formes - fixing incomes - sont dédiées aux besoins des
clients (entreprises, institutions financières, entités publiques) sur
trois lignes de métiers : crédit, taux et change. La banque propose à
ses clients des solutions d’optimisation de structure de bilan : levée
de fonds sur les marchés de capitaux, gestion des risques de marché
et divers produits d’investissement. La gestion des risques s’effectue
grâce aux dérivés sur taux d’intérêt.

Les financements structurés


Les financements structurés sont au croisement des activités de
crédit et de marché. Ce métier de « banque arrangeur » est souvent
pratiqué à un niveau mondial par des global players. Il correspond
au montage, à la structuration et à la distribution de financements
complexes : crédits syndiqués, financements d’acquisitions, finan-
cements avec LBO (leveraged buy-out), financements d’actifs, leasing.
Il peut porter sur des financements sectoriels spécifiques : médias,
télécommunications, projets maritimes et aéronautiques.

PAUGET SAIDANE 246 3/12/10, 8:25


FIRME BANCAIRE : QUEL NOUVEAU PARADIGME APRÈS LA CRISE ?

L’asset management et la banque privée


La banque de gestion d’actifs ou asset management intervient pour
le compte de tiers : particuliers, entreprises ou institutionnels. Il s’agit
de la gestion mobilière sous mandat d’une clientèle internationale
comme les compagnies d’assurances, les caisses de retraite, les banques
centrales, les organismes internationaux et les grandes entreprises.
Cette activité comprend aussi la création et la diffusion internationale
des OPCVM conçus par la banque via le réseau. Les véhicules créés
concernent les actifs monétaires, les obligataires et les actions.

L’activité de titres
L’activité de titres est destinée à quatre grands segments de clients :
les intermédiaires financiers, les investisseurs institutionnels, les
entreprises et les banques d’investissement. Pour les intermédiaires
financiers, l’activité de titres permet la compensation de titres et de
produits dérivés, la conservation des titres et des espèces, la sous-
traitance middle et back office. Pour les investisseurs institutionnels,
l’activité de titres vise l’administration de fonds, la sous-traitance
middle et back office, la mesure et l’attribution de performances et
l’administration de comptes de particuliers. Pour les entreprises,
247
l’activité de titres offre des services aux actionnaires, assure la gestion
des assemblées générales, la gestion des plans de stock options, le corporate
trust, la titrisation et l’ingénierie de titres. Enfin, pour les banques,
l’activité de titres vise l’activité de prêt et d’emprunt de titres,
le financement, le change, la gestion de trésorerie et la gestion du
collatéral.

NOTES
1. Discours de Christian Noyer, vice-président de la Banque centrale européenne, prononcé à
Sophia Antipolis, le 15 décembre 2000.
2. Hicks (1974) a été le premier à opposer auto-economy ou économie de marché de capitaux à
overdraft economy ou économie d’endettement ou de découvert. De ce concept est né le clivage entre
finance directe et finance indirecte.
3. Les principales opérations de hors-bilan comprennent les engagements de signature (garanties et
cautions), les engagements de financement (engagements conditionnels pour avancer des fonds ou
acquérir un actif) et les engagements sur instruments financiers à terme (activités sur les produits
dérivés : swaps, options et futures).
4. Allen et Santomero (1997) concluent d’ailleurs (p. 1483) : « However, these changes have not coincided
with a reduction in intermediation. In fact, quite the reverse has happened. Intermediaries have become

PAUGET SAIDANE 247 3/12/10, 8:25


REVUE D'ÉCONOMIE FINANCIÈRE

more important in traditional markets and account for a very large majority of the trading in new markets,
such as those for various types of derivatives. »
5. Sur ce point, voir : l’étude très complète de Degryse et Ongena (2007).
6. Président de la Financial Services Authority (FSA), conférence donnée en mars 2010 à CASS
Business School.
7. En France, les banques (banques affiliées à l’Association française des banques, banques coopératives,
Caisse des dépôts et Caisse nationale d’épargne) fournissent en général plus de 70 % du crédit à
l’économie, le reste des crédits étant fourni par les institutions financières non bancaires (institutions
et sociétés financières et autres institutions). La première catégorie de crédit correspond à la notion de
« crédit anormal » de Schumpeter.
8. Jean-Paul Betbèze est membre du Conseil d’analyse économique (CAE), chef économiste et directeur
des études économiques au Crédit agricole SA.

BIBLIOGRAPHIE
AGLIETTA A. (1998), Macroéconomie financière, La Découverte.
ALI M. et GREENBAUM S. (1977), « A Spatial Model of the Banking Industry », Journal of finance,
vol. 332, n° 4, septembre.
ALLEN F. et CARLETTI E. (2010), « An Overview of the Crisis : Causes, Consequences and Solutions »,
International Review of Finance, vol. 10, n° 1, pp. 1-26.

248 ALLEN F. et GALE D. (1995), « A Welfare Comparaison of the German and US Financial System »,
European Economic Review, vol. 39, pp. 179-209.
ALLEN F. et SANTOMERO A. M. (1997), « The Theory of Financial Intermediation », Journal of Banking
and Finance, vol. 21, pp. 1461-1485.
BAIN J. S. (1951), « Relation of Profit Rate to Industry Concentration : American Manufacturing
1936-1940 », Quarterly Journal of Economics, vol. 65, pp. 293-324.
BAIN J. S. (1956), Barriers to New Competition, Harvard University Press.
BALTENSPERGER E. (1980), « Alternative Approaches to the Theory of the Banking Firm », Journal of
Monetary Economics, vol. 37, n° 2.
BELL F. W. et MURPHY N. B (1968), « Economies of Scale and the Division of Labor in Commercial
Banking », Southern Economic Journal, vol. 35, pp. 131-139.
BENCIVENGA V. R. et SMITH B. D. (1991), « Financial Intermediation and Endogenous Growth »,
Review of Economic Studies, vol. 58, pp. 195-209.
BENSTON G. J. et SMITH C. W. Jr. (1976), « A Transactions Cost Approach to the Theory of Financial
Intermediation », Journal of Finance, vol. 31, n° 2, pp. 215-231.
BERGER A. N. et HUMPHREY D. B. (1997), « Efficiency of Financial Institutions : International Survey
and Directions for Future Research », European Journal of Operational Research, vol. 98, n° 2,
pp. 175-212.
BETBÈZE J.-P. (2007), « Une crise prévisible du fait des excès commis », Challenges, 20 août.
BLOXHAM E. (2010), « Governance Lessons for All : the Federal Reserve’s Proposed Compensation
Guidance », Corporate Governance Advisor, vol. 18, n° 2, mars/avril, pp. 29-32.
CANTILLON R. (1730), Essai sur la nature du commerce en général, édité et traduit en anglais par
Henry Higgs, 1931, réédité par Frank Cass and Co., Lt (Londres), 1959.
CAPELLE-BLANCARD G. et COUPPEY-SOUBEYRAN J. (2003), « Le financement des agents non financiers
en Europe : le rôle des intermédiaires financiers demeure prépondérant », Économie et statistiques,
n° 366.

PAUGET SAIDANE 248 3/12/10, 8:25


FIRME BANCAIRE : QUEL NOUVEAU PARADIGME APRÈS LA CRISE ?

CHIAPPORI P. A., PEREZ-CASTRILLO D. et VERDIER T. (1995), « Spatial Competition in the Banking


System, Localization, Cross Subsidies and the Regulation of Deposit Rates », European Economic Review,
n° 39, pp. 889-918.
COASE R. (1937), « The Nature of the Firm », Economica, vol. 4, n° 16, novembre, pp. 386-405.
DEGRYSE H. et ONGENA S. (2007), « Competition and Regulation in the Banking Sector : a Review of
the Empirical Evidence on the Sources of Bank Rents », Center - Tilburg University, Working Paper.
Disponible sur le site : http://center.uvt.nl/staff/ongena/preprints/do.pdf.
DIAMOND D. W. et DYBVIG P. H. (1983), « Bank Runs, Deposit Insurance and Liquidity », Journal of
Political Economy, vol. 91, n° 3, pp. 401-419.
DIETSCH M. (1993), « Localisation et concurrence dans la banque », Revue économique, vol. 44, n° 4,
juillet, pp. 779-790.
FREIXAS X. (2010), « Post-Crisis Challenges to Bank Regulation », Economic Policy, vol. 25, n° 62,
pp. 375-399.
FRIEDMAN M. (1956), « The Quantity Theory of Money : a Restatement », in Studies in Quantity Theory,
Friedman (éd.).
FRY M. J. (1995), Money, Interest and Banking in Economic Development, John Hopkins University
Press, deuxième édition.
GELFAND M. D. et SPILLER T. P. (1987), « Entry Barriers and Multiproduct Oligopolies », International
Journal of Industrial Organization, novembre.
GURLEY J. et SHAW E. (1960), Money in Theory of Finance, Brookings Institution.
HAYNE E. et al. (1977), « Informational Asymmetries, Financial Structure and Financial Intermediation »,
Journal of Finance, vol. 32, n° 2, pp. 371-387.
HICKS J. (1974), The Crisis in Keynesian Economics, Oxford : Basil Blackwell.
KING R. et LEVINE R. (1993), « Finance and Growth : Schumpeter Might Be Right », Quarterly Journal
of Economics, vol. 108, n° 3, août, pp. 717-737. 249
KLEIN M. A. (1971), « A Theory of the Banking Firm », Journal of Money, Credit and Banking, mai,
pp. 205-218.
KYDLAND F. E. et PRESCOTT E. C. (1982), « Time to Build and Aggregate Fluctuations », Econometric
Society, Econometrica, vol. 50, n° 6, novembre, pp. 1345-1370.
LA PORTA R. et al. (1996), « Law and Finance », National Bureau of Economic Research, Working Paper,
n° 5661.
LA PORTA R. et al. (1997), « Legal Determinant of External Finance », Journal of Finance, vol. 52, n° 3, juillet.
LAW J. (1705), Money and Trade Considered with a Proposal for Supplying the Nation with Money,
Augustus M. Kelley, juin 1966.
LELAND H. E. et PYLE D. H. (1977), « Informational Asymmetries, Financial Structure and Financial
Intermediation », Journal of Finance, vol. 32, n° 2, pp. 371-387.
LONG J. B. Jr. et PLOSSER C. (1983), « Real Business Cycles », Journal of Political Economy, vol. 91, n° 1,
février, pp. 39-69.
MODIGLIANI F. et MILLER M. H. (1958), « The Cost of Capital, Corporation Finance and the Theory
of Investment », American Economic Review, vol. 48, n° 3, juin, pp. 261-297.
NOMURA FINANCIAL SERVICES (2010), Global Investment Bank, 13 avril.
PAUGET G. (2009), Faut-il brûler les banquiers ?, Latès.
PAUGET G. (2010), La banque de l’après-crise, Revue banque édition, 2ème édition.
POLLIN J.-P. (2006), « La régulation bancaire face au dilemme du too big to fail : mécanismes et
solutions », Laboratoire d’économie d’Orléans, document de travail, février.
RAGAN N. et al. (1988), « Technical Efficiency of US Banks », Economic Letters, vol. 28, pp. 169-175.
RAMAKRISHNAN R. T. et THAKOR A. V. (1984), « Information Reliability and a Theory of Financial
Intermediation », Review of Economic Studies, vol. 51, n° 3, juillet, pp. 415-432.

PAUGET SAIDANE 249 3/12/10, 8:25


REVUE D'ÉCONOMIE FINANCIÈRE

SAÏDANE D. (2006), La nouvelle banque : métiers et stratégies bancaires, Revue banque édition, préface de
Christian de Boissieu, deuxième édition 2009.
SAÏDANE D. (2007), L’industrie bancaire mondiale, Revue banque édition, préface de Daniel Lebègue.
SARR A. (2000), « Financial Liberalization, Bank Market Structure and Financial Deepening : an Interest
Margin Analysis », Fonds monétaire international, Working Paper, n° WP/00/38, mars.
SCHUMPETER J. (1911, traduction de 1961), The Theory of Economic Development : an Inquiry into Profits,
Capital, Credit, Interest and the Business Cycle, Harvard University Press, traduit de l’allemand par
Redvers Opie.
SEALEY C. W. et LINDLEY J. T. (1977), « Inputs, Outputs and a Theory of Production and Cost at Deposit
Financial Institutions », Journal of Finance, vol. 32, n° 4, septembre, pp. 1251-1266.
SPILLER P. T. et FAVARO E. (1984), « The Effects of Entry Regulation on Oligopolistic Interaction :
the Uruguayan Banking Sector », The Rand Journal of Economics, vol. 15, n° 2.
STIGLITZ J. (1998), « The Role of the Financial System in Development », Banque mondiale,
présentation à la quatrième conférence annuelle de la Banque sur le développement en Amérique latine
et dans les Caraïbes, juin.
WALKER D. (2009), A Review of Corporate Governance in UK Banks and other Financial Industry Entities,
rapport, 26 novembre.
WICKSELL K. (1898), Interest and Prices, Macmillan, 1936.
WYMAN O. (2010), State of the Financial Services Industry 2010, Financial Services.

250

PAUGET SAIDANE 250 3/12/10, 8:25

Vous aimerez peut-être aussi