Da C. Baudelaire, I Fiori Del Male
Da C. Baudelaire, I Fiori Del Male
Da C. Baudelaire, I Fiori Del Male
INDICE
Au Lecteur Al lettore
La sottise, l’erreur, le péché, la lésine, Stupidità e peccato, errore e lésina
Occupent nos esprits et travaillent nos corps, ci assediano la mente, sfibrano i nostri corpi,
Et nous alimentons nos aimables remords, e alimentiamo i nostri bei rimorsi
Comme les mendiants nourrissent leur vermine. come un povero nutre i propri insetti.
Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches ; Son testardi i peccati, deboli i pentimenti;
Nous nous faisons payer grassement nos aveux, vendiamo a caro prezzo le nostre confessioni,
Et nous rentrons gaîment dans le chemin bourbeux, e torniamo a pestare allegri il fango
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches. come se un vile pianto ci avesse ripuliti.
Sur l’oreiller du mal c’est Satan Trismégiste Sul cuscino del male Satana Trismegisto
Qui berce longuement notre esprit enchanté, lungamente ci culla e persuade
Et le riche métal de notre volonté e l’oro della nostra volontà,
Est tout vaporisé par ce savant chimiste. alchimista provetto, manda in fumo.
C’est le Diable qui tient les fils qui nous remuent ! È il Diavolo a tirare i nostri fili!
Aux objets répugnants nous trouvons des appas ; Dai più schifosi oggetti siamo attratti;
Chaque jour vers l’Enfer nous descendons d’un pas, e ogni giorno nell’Inferno ci addentriamo d’un passo,
Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent. tranquilli attraversando miasmi e buio.
Ainsi qu’un débauché pauvre qui baise et mange Come il vizioso in rovina che assapora
Le sein martyrisé d’une antique catin, il seno martoriato di un’antica puttana
Nous volons au passage un plaisir clandestin arraffiamo al passaggio piaceri clandestini
Que nous pressons bien fort comme une vieille orange. e li spremiamo come vecchie arance.
Serré, fourmillant, comme un million d’helminthes, Dentro il nostro cervello, come elminti a milioni,
Dans nos cerveaux ribote un peuple de Démons, formicola e si scatena un popolo di Demoni;
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Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons la Morte, se respiriamo, nei polmoni
Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes. ci scende, fiume invisibile, con sordi gemiti.
Si le viol, le poison, le poignard, l’incendie, E se stupro o veleno, lama o fuoco
N’ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins non ci hanno ancora ornato di gustosi ricami
Le canevas banal de nos piteux destins, il trito canovaccio del destino
C’est que notre âme, hélas ! n’est pas assez hardie. è solo, ahimè, che poco ardito è il cuore.
Mais parmi les chacals, les panthères, les lices, Ma in mezzo agli sciacalli, alle pantere, alle linci
Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents, alle scimmie, agli scorpioni, agli avvoltoi, ai serpenti,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants, ai mostri guaiolanti, grufolanti, striscianti
Dans la ménagerie infâme de nos vices, del nostro infame serraglio di vizi,
Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde ! uno è ancora più brutto, più cattivo, più immondo!
Quoiqu’il ne pousse ni grands gestes ni grands cris, Senza troppo agitarsi né gridare,
Il ferait volontiers de la terre un débris vorrebbe della terra non lasciar che rovine
Et dans un bâillement avalerait le monde ; e sbadigliando inghiottirebbe il mondo:
C’est l’Ennui ! — L’œil chargé d’un pleur involontaire, è la Noia! – Occhio greve d’un pianto involontario,
Il rêve d’échafauds en fumant son houka. fuma la pipa, sogna impiccagioni…
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat, Lo conosci, lettore, quel mostro delicato,
— Hypocrite lecteur, — mon semblable, — mon frère ! – Ipocrita lettore, – mio simile, – fratello!
IV IV
Correspondances Corrispondenze
La Nature est un temple où de vivants piliers È un tempio la Natura, dove a volte parole
Laissent parfois sortir de confuses paroles ; escono confuse da viventi pilastri;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles l’uomo l’attraversa tra foreste di simboli
Qui l’observent avec des regards familiers. che gli lanciano occhiate familiari.
Comme de longs échos qui de loin se confondent Come echi che a lungo e da lontano
Dans une ténébreuse et profonde unité, tendono a un’unità profonda e oscura,
Vaste comme la nuit et comme la clarté, vasta come le tenebre o la luce,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. i profumi, i colori e i suoni si rispondono.
Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants, Profumi freschi come la carne d’un bambino,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies, dolci come l’oboe, verdi come i prati,
— Et d’autres, corrompus, riches et triomphants, – e altri d’una corrotta, trionfante ricchezza,
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Ayant l’expansion des choses infinies, con tutta l’espansione delle cose infinite:
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens, l’ambra e il muschio, l’incenso e il benzoino,
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens. che cantano i trasporti della mente e dei sensi.
VI VI
Les Phares I fari
Rubens, fleuve d’oubli, jardin de la paresse, Rubens fiume d’oblio, giardino di pigrizia,
Oreiller de chair fraîche où l’on ne peut aimer, guanciale di fresche carni che non l’amore,
Mais où la vie afflue et s’agite sans cesse, ma la vita smuove e percorre infinita
Comme l’air dans le ciel et la mer dans la mer ; come aria nel cielo, onda sull’onda;
Léonard de Vinci, miroir profond et sombre, Leonardo da Vinci, specchio profondo e oscuro
Où des anges charmants, avec un doux souris dove angeli stupendi con un riso
Tout chargé de mystère, apparaissent à l’ombre di misterioso incanto affiorano da un’ombra
Des glaciers et des pins qui ferment leur pays ; di pini e di ghiacciai, loro dimora;
Rembrandt, triste hôpital tout rempli de murmures, Rembrandt, triste ospedale pieno di mormorii,
Et d’un grand crucifix décoré seulement, che solo un grande crocefisso adorna
Où la prière en pleurs s’exhale des ordures, e dove pianti e preci s’alzano dai rifiuti
Et d’un rayon d’hiver traversé brusquement ; al fioco, brusco raggio dell’inverno;
Michel-Ange, lieu vague où l’on voit des Hercules Michelangelo, spazio senza certezza dove
Se mêler à des Christs, et se lever tout droits Ercoli e Cristi si mischiano, e possenti
Des fantômes puissants qui dans les crépuscules fantasmi s’alzano in piedi nel crepuscolo
Déchirent leur suaire en étirant leurs doigts ; stracciandosi il sudario con le tortili dita;
Colères de boxeur, impudences de faune, collere di boxeur, impudenze di fauno,
Toi qui sus ramasser la beauté des goujats, cuore grande e gonfio d’orgoglio, giallo e fiacco
Grand cœur gonflé d’orgueil, homme débile et jaune, collezionista di brutali bellezze, Puget,
Puget, mélancolique empereur des forçats ; malinconico re d’un regno di forzati;
Watteau, ce carnaval où bien des cœurs illustres, Watteau, carnevale dove errano bruciando
Comme des papillons, errent en flamboyant, come farfalle tanti illustri cuori,
Décors frais et légers éclairés par des lustres lieve, fresco scenario su cui scende follia
Qui versent la folie à ce bal tournoyant ; dai lumi per un ballo che turbina senza posa;
Goya, cauchemar plein de choses inconnues, Goya, incubo d’oggetti senza nome,
De fœtus qu’on fait cuire au milieu des sabbats, di feti messi a bollire nottetempo dalle streghe,
De vieilles au miroir et d’enfants toutes nues, di vecchie allo specchio e di fanciulle nude
Pour tenter les démons ajustant bien leurs bas ; che s’aggiustano, per tentare il diavolo, le calze;
Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges, Delacroix, lago di sangue e di angeli cattivi
Ombragé par un bois de sapins toujours vert, cui un sempreverde bosco d’abeti fa corona
Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges e che strane fanfare sotto un cielo crucciato
Passent, comme un soupir étouffé de Weber ; trascorrono, di Weber soffocato sospiro;
Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes, maledizioni, bestemmie, lamenti,
Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum, pianti, grida, incantesimi, Te Deum,
Sont un écho redit par mille labyrinthes ; voi echeggiando per mille labirinti
C’est pour les cœurs mortels un divin opium ! giungete, oppio divino, sino al cuore dell’uomo,
C’est un cri répété par mille sentinelles, grido ripetuto da mille sentinelle,
Un ordre renvoyé par mille porte-voix ; ordine tramandato da mille messaggeri,
C’est un phare allumé sur mille citadelles, faro che arde su mille cittadelle,
Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois ! richiamo di cacciatori spersi nelle foreste!
Car c’est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage Perché, Signore, niente può provare
Que nous puissions donner de notre dignité la nostra dignità come questo singulto
Que cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge che da un secolo all’altro ardente si propaga
Et vient mourir au bord de votre éternité! per spegnersi alla riva della tua eternità!
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XX XX
Le Masque La Maschera
Statue allégorique dans le goût de la Renaissance Statua allegorica nel gusto del Rinascimento
À Ernest Christophe, statuaire. A Ernest Christophe, scultore
Contemplons ce trésor de grâces florentines ; Contempliamolo, questo tesoro di grazie fiorentine;
Dans l’ondulation de ce corps musculeux nel suo ondularsi, corpo muscoloso,
L’Élégance et la Force abondent, sœurs divines. abbondano, divine sorelle, la Forza e l’Eleganza.
Cette femme, morceau vraiment miraculeux, Autentico prodigio
Divinement robuste, adorablement mince, di divina robustezza, di snellezza adorabile,
Est faite pour trôner sur des lits somptueux è fatta, questa donna, per l’ozioso incanto
Et charmer les loisirs d’un pontife ou d’un prince. di principi e di papi sopra letti sontuosi.
—Aussi, vois ce souris fin et voluptueux – Guarda, ecco, quel fine, voluttuoso sorriso
Où la Fatuité promène son extase ; dove estatica vaga Fatuità,
Ce long regard sournois, langoureux et moqueur ; quel lungo sguardo sornione che languido schernisce,
Ce visage mignard, tout encadré de gaze, quel viso leggiadro, inquadrato dai veli,
Dont chaque trait nous dit avec un air vainqueur : che in ogni tratto esprime la vittoria
« La Volupté m’appelle et l’Amour me couronne ! » e sembra dire: Voluttà mi chiama, m’incorona Amore!
À cet être doué de tant de majesté Vedi quanta maestà, vedi che fascino
Vois quel charme excitant la gentillesse donne ! Eccitante le dà la gentilezza…
Approchons, et tournons autour de sa beauté. Accostiamoci a tanta bellezza, e giriamole intorno.
Ô blasphème de l’art ! ô surprise fatale ! O bestemmia dell’arte! o sorpresa fatale!
La femme au corps divin, promettant le bonheur, Quel suo corpo divino, che promette la gioia
Par le haut se termine en monstre bicéphale ! finisce in alto in un mostro a due teste!
—Mais non ! ce n’est qu’un masque, un décor suborneur, – Ma no, è solo una maschera, un inganno posticcio,
Ce visage éclairé d'une exquise grimace, quel volto illuminato da una smorfia squisita,
Et, regarde, voici, crispée atrocement, e qui, osserva, contratta atrocemente,
La véritable tête, et la sincère face la testa che non mente, e la faccia sincera
Renversée à l’abri de la face qui ment nascosta sul rovescio di quella menzognera.
Pauvre grande beauté ! le magnifique fleuve Bellezza immensa e misera! Il fiume del tuo pianto
De tes pleurs aboutit dans mon cœur soucieux si versa con orgoglio nel mio cuore crucciato;
Ton mensonge m’enivre, et mon âme s’abreuve la tua bugia m’inebria, la mia anima sugge
Aux flots que la Douleur fait jaillir de tes yeux ! l’acqua che dai tuoi occhi fa sgorgare il Dolore!
—Mais pourquoi pleure-t-elle ? Elle, beauté parfaite, – Ma perché piange? A lei, bellezza intera
Qui mettrait à ses pieds le genre humain vaincu, che potrebbe ai suoi piedi vedere prono il mondo,
Quel mal mystérieux ronge son flanc d’athlète ? che male misterioso rode il fianco possente?
—Elle pleure insensé, parce qu'elle a vécu ! – Povero stolto… piange che ha vissuto,
Et parce qu’elle vit ! Mais ce qu'elle déplore piange che vive! Ma ancor più l’affligge
Surtout, ce qui la fait frémir jusqu’aux genoux, e fino alle ginocchia la fa fremere
C’est que demain, hélas ! il faudra vivre encore ! dover vivere ancora –
Demain, après-demain et toujours ! — comme nous ! domani, e poi domani, e sempre: come noi?
XXXVIII XXXVIII
Un Fantôme Un fantasma
I - Les Ténèbres I – Le tenebre
Dans les caveaux d’insondable tristesse Nelle fonde segrete di tristezza
Où le Destin m’a déjà relégué ; dove il Destino ormai mi ha relegato
Où jamais n’entre un rayon rose et gai ; e mai penetra un raggio rosa e lieto
Où, seul avec la Nuit, maussade hôtesse, e io solo con la Notte, ospite ostile,
Je suis comme un peintre qu’un Dieu moqueur vivo come un pittore che un sardonico Iddio
Condamne à peindre, hélas ! sur les ténèbres ; ha dannato a dipingere su tenebre
Où, cuisinier aux appétits funèbres, e, cuoco di funebri voglie,
Je fais bouillir et je mange mon cœur, metto a bollire e mastico il mio cuore,
Par instants brille, et s’allonge, et s’étale s’accende a tratti, e s’allunga, e s’espande
Un spectre fait de grâce et de splendeur. uno spettro di grazia e di splendore.
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À sa rêveuse allure orientale, Dal suo orientale muoversi sognante
Quand il atteint sa totale grandeur, ravviso, come giunge alla misura
Je reconnais ma belle visiteuse : di se stesso, la mia Visitatrice
C’est Elle ! noire et pourtant lumineuse. soave – nera, eppure luminosa.
II - Le Parfum II – Il profumo
Lecteur, as-tu quelquefois respiré Hai tu a volte, lettore, respirato
Avec ivresse et lente gourmandise con ebbrezza, con lenta voluttà
Ce grain d’encens qui remplit une église, il granello d’incenso che una chiesa pervade
Ou d’un sachet le musc invétéré ? o d’un borsiglio il muschio inveterato?
Charme profond, magique, dont nous grise Profondo, magico incanto, onde ci inebria
Dans le présent le passé restauré ! nel presente il passato che risorge!
Ainsi l’amant sur un corps adoré Così su un corpo adorato l’amante
Du souvenir cueille la fleur exquise. coglie il fiore squisito del ricordo.
De ses cheveux élastiques et lourds, Dai suoi capelli elastici e pesanti,
Vivant sachet, encensoir de l’alcôve, vivo portaprofumi, turibolo d’alcova,
Une senteur montait, sauvage et fauve, esalava un profumo acre e selvaggio
Et des habits, mousseline ou velours, e il vestito di mussola e velluto
Tout imprégnés de sa jeunesse pure, impregnato della sua pura giovinezza
Se dégageait un parfum de fourrure. del manto d’una belva aveva odore.
III - Le Cadre III – La cornice
Comme un beau cadre ajoute à la peinture, D’una bella cornice s’avvantaggia
Bien qu’elle soit d’un pinceau très-vanté, anche il quadro più illustre, non so quale
Je ne sais quoi d’étrange et d’enchanté combinazione di stranezza e incanto
En l’isolant de l’immense nature, dall’immensa natura isolandolo – così
Ainsi bijoux, meubles, métaux, dorure, mobili e gioielli, placcature e fermagli
S’adaptaient juste à sa rare beauté ; alla sua rara bellezza s’adattavano;
Rien n’offusquait sa parfaite clarté, niente turbava la sua intatta luce
Et tout semblait lui servir de bordure. e tutto la chiudeva come dentro uno stemma.
Même on eût dit parfois qu’elle croyait Quasi sembrava a volte che a lei stessa
Que tout voulait l’aimer ; elle noyait tutto sembrasse amarla: allora ai baci
Sa nudité voluptueusement del raso e della seta abbandonava
Dans les baisers du satin et du linge, il suo esser nuda voluttuosamente
Et, lente ou brusque, à chaque mouvement e, sia lenta sia brusca muovendosi, spiegava
Montrait la grâce enfantine du singe. la grazia fanciullesca d’una scimmia.
IV - Le Portrait IV – Il ritratto
La Maladie et la Mort font des cendres Di quanto fuoco per noi fiammeggiò
De tout le feu qui pour nous flamboya. la Malattia e la Morte fanno mucchi di cenere.
De ces grands yeux si fervents et si tendres, Di quei grandi occhi teneri e ferventi,
De cette bouche où mon cœur se noya, della bocca dove annaspò il mio cuore,
De ces baisers puissants comme un dictame, dei baci come il dittamo potenti,
De ces transports plus vifs que des rayons, degli slanci più vivi della luce,
Que reste-t-il ? C’est affreux, ô mon âme ! che resta? è spaventoso, anima mia!
Rien qu’un dessin fort pâle, aux trois crayons, Nient’altro che un pastello quasi spento
Qui, comme moi, meurt dans la solitude, che, come me, muore da solo, e il Tempo,
Et que le Temps, injurieux vieillard, ingiurioso vegliardo, un po’ ogni giorno
Chaque jour frotte avec son aile rude... con la sua ala ruvida cancella…
Noir assassin de la Vie et de l’Art, Mai, mai, nero assassino dell’Arte e della Vita,
Tu ne tueras jamais dans ma mémoire ucciderai dentro la mia memoria
Celle qui fut mon plaisir et ma gloire ! lei che fu il mio piacere e la mia gloria!
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LXII LXII
Mœsta et errabunda Mœsta et errabunda
Dis-moi, ton cœur parfois s’envole-t-il, Agathe, Dimmi, Agathe, qualche volta non ti vola via il cuore,
Loin du noir océan de l’immonde cité, via dall’oceano nero dell’immonda città,
Vers un autre océan où la splendeur éclate, verso un diverso oceano acceso di splendore,
Bleu, clair, profond, ainsi que la virginité ? più chiaro, azzurro e fondo della verginità?
Dis-moi, ton cœur parfois s’envole-t-il, Agathe ? Dimmi, Agathe, qualche volta non ti vola via il cuore?
La mer, la vaste mer, console nos labeurs ! Il mare, il vasto mare consola i nostri affanni!
Quel démon a doté la mer, rauque chanteuse Da qual demone ha avuto l’incarico sublime
Qu’accompagne l’immense orgue des vents grondeurs, di cullarci, arrochito cantante che accompagna
De cette fonction sublime de berceuse ? dei burberi venti l’organo smisurato?
La mer, la vaste mer, console nos labeurs ! Il mare, il vasto mare consola i nostri affanni!
Emporte-moi, wagon ! enlève-moi, frégate ! Treno, portami via! rapiscimi, vascello!
Loin ! loin ! ici la boue est faite de nos pleurs ! Va’ lontano! qui il fango dei nostri pianti è intriso.
– Est-il vrai que parfois le triste cœur d’Agathe – Non è vero che a volte il triste cuore
Dise : Loin des remords, des crimes, des douleurs, d’Agathe dice: Ai rimorsi, ai crimini, ai dolori,
Emporte-moi, wagon, enlève-moi, frégate ? treno, portami via, rapiscimi, vascello?
Comme vous êtes loin, paradis parfumé, Ah! come sei lontano, paradiso d’odori
Où sous un clair azur tout n’est qu’amour et joie, dove sotto l’azzurro non c’è che amore e gioia,
Où tout ce que l’on aime est digne d’être aimé, dove è degna d’amore ogni cosa che s’ama
Où dans la volupté pure le cœur se noie ! e nel puro piacere annega il cuore!
Comme vous êtes loin, paradis parfumé ! Ah! come sei lontano, paradiso d’odori!
Mais le vert paradis des amours enfantines, Ma il verde paradiso degli amori infantili,
Les courses, les chansons, les baisers, les bouquets, le corse, i baci, i fiori raccolti, le canzoni,
Les violons vibrant derrière les collines, i violini che vibrano di là dalla collina
Avec les brocs de vin, le soir, dans les bosquets, e a sera, sotto gli alberi, il vino nei boccali
– Mais le vert paradis des amours enfantines, – ma il verde paradiso degli amori infantili,
L’innocent paradis, plein de plaisirs furtifs, così innocente e colmo di piaceri furtivi,
Est-il déjà plus loin que l’Inde et que la Chine ? già è più lontano dunque dell’India e della Cina?
Peut-on le rappeler avec des cris plaintifs, Possiamo richiamarlo con i nostri lamenti,
Et l’animer encor d’une voix argentine, può dargli nuova vita una voce argentina,
L’innocent paradis plein de plaisirs furtifs ? paradiso innocente di piaceri furtivi?
LXXVI LXXVI
Spleen Spleen
J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans. Ho dentro più ricordi che se avessi mill’anni.
Un gros meuble à tiroirs encombrés de bilans, Un gran mobile ingombro di verbali e romanze,
De vers, de billets doux, de procès, de romances, letterine d’amore, bilanci, poesie
Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances, e grevi ciocche avvolte in ricevute,
Cache moins de secrets que mon triste cerveau. non nasconde i segreti che nasconde
C’est une pyramide, un immense caveau, il mio triste cervello. È una cripta, una piramide
Qui contient plus de morts que la fosse commune. immensa, con più morti della fossa comune...
– Je suis un cimetière abhorré de la lune, – Eccomi: un cimitero che la luna aborrisce
Où comme des remords se traînent de longs vers e dove lunghi vermi vanno, come rimorsi,
Qui s’acharnent toujours sur mes morts les plus chers. all’assalto dei morti che ho più cari;
Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées, un salotto decrepito, gremito
Où gît tout un fouillis de modes surannées, d’oggetti fuori moda fra le rose appassite,
Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher i pastelli lagnosi, i pallidi Boucher
Seuls, respirent l’odeur d’un flacon débouché. che profumano, soli, come boccette aperte.
Rien n’égale en longueur les boiteuses journées, Niente uguaglia in lunghezza quei giorni zoppicanti
Quand sous les lourds flocons des neigeuses années che sotto i fiocchi grevi delle annate di neve
L’ennui, fruit de la morne incuriosité la noia, triste frutto dell’incuriosità,
Prend les proportions de l’immortalité. prende misura d’immortalità.
– Désormais tu n’es plus, ô matière vivante ! – E tu ormai non sei altro, materia della vita!
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Qu’un granit entouré d’une vague épouvante, che un granito assediato da un labile terrore,
Assoupi dans le fond d’un Sahara brumeux ; immerso nella bruma d’un Sahara profondo;
Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux, vecchia sfinge obliata dal mondo indifferente
Oublié sur la carte, et dont l’humeur farouche e che le mappe ignorano e soltanto
Ne chante qu’aux rayons du soleil qui se couche. ai raggi del tramonto ferocemente canta!
LXXVIII LXXVIII
Spleen Spleen
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle Quando, come un coperchio, il cielo basso e greve
Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis, schiaccia l’anima che geme nel suo tedio infinito,
Et que de l’horizon embrassant tout le cercle e in un unico cerchio stringendo l’orizzonte
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ; fa del giorno una tristezza più nera della notte;
Quand la terre est changée en un cachot humide, quando la terra si muta in un’umida segreta
Où l’Espérance, comme une chauve-souris, dove la Speranza, timido pipistrello,
S’en va battant les murs de son aile timide sbatte le ali nei muri e dà la testa
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ; nel soffitto marcito;
Quand la pluie étalant ses immenses traînées quando le strisce immense della pioggia
D’une vaste prison imite les barreaux, sembrano le inferriate d’una vasta prigione
Et qu’un peuple muet d’infâmes araignées e muto, ripugnante un popolo di ragni
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux, dentro i nostri cervelli dispone le sue reti,
Des cloches tout à coup sautent avec furie furiose a un tratto esplodono campane
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement, e un urlo tremendo lanciano verso il cielo
Ainsi que des esprits errants et sans patrie che fa pensare al gemere ostinato
Qui se mettent à geindre opiniâtrément. d’anime senza pace né dimora.
— Et de longs corbillards, sans tambours ni musique, – Senza tamburi, senza musica, sfilano funerali
Défilent lentement dans mon âme ; l’Espoir, a lungo, lentamente nel mio cuore: Speranza
Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique, piange disfatta e Angoscia, dispotica e sinistra,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir. va a piantarmi sul cranio la sua bandiera nera.
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LXXXIX LXXXIX
Le Cygne Il cigno
À Victor Hugo. A Victor Hugo
I I
Andromaque, je pense à vous ! — Ce petit fleuve, È a te che penso, Andromaca! Quello stento fiume,
Pauvre et triste miroir où jadis resplendit misero, opaco specchio dove un tempo
L’immense majesté de vos douleurs de veuve, rifulse, immensa, la maestà del tuo dolore,
Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit, Simoenta bugiardo gonfiato dal tuo pianto,
A fécondé soudain ma mémoire fertile, nel traversare il nuovo Carosello, d’un tratto
Comme je traversais le nouveau Carrousel. fecondò la mia fertile memoria. Parigi,
— Le vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville la vecchia Parigi è sparita (più veloce d’un cuore,
Change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel) ; ahimè, cambia la forma d’una città); soltanto
Je ne vois qu’en esprit tout ce camp de baraques, la mente adesso vede la distesa
Ces tas de chapiteaux ébauchés et de fûts, delle baracche, i mucchi di fusti e capitelli
Les herbes, les gros blocs verdis par l’eau des flaques, sbozzati, l’erba, i massi che le pozze inverdiscono,
Et, brillant aux carreaux, le bric-à-brac confus. il bric-à-brac confuso che dai vetri riluce.
Là s’étalait jadis une ménagerie ; Là sorgeva un serraglio; là un mattino,
Là je vis un matin, à l’heure où sous les cieux all’ora che sotto un alto, algido cielo
Clairs et froids le Travail s’éveille, où la voirie il Lavoro si sveglia e dalle strade
Pousse un sombre ouragan dans l’air silencieux, s’alza un cupo uragano nell’aria silenziosa,
Un cygne qui s’était évadé de sa cage, vidi un cigno, fuggito dalla sua gabbia, l’arido
Et, de ses pieds palmés frottant le pavé sec, selciato raspando con i piedi palmati,
Sur le sol raboteux traînait son blanc plumage. le bianche piume strascinare al suolo.
Près d’un ruisseau sans eau la bête ouvrant le bec Aprendo a un secco rigagnolo il becco, l’animale
Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre, bagnava convulso le ali nella polvere
Et disait, le cœur plein de son beau lac natal : e con il cuore colmo del suo lago natale,
« Eau, quand donc pleuvras-tu ? quand tonneras-tu, foudre ? » quando, pioggia, cadrai? quando, diceva,
Je vois ce malheureux, mythe étrange et fatal, tuonerai, folgore? Mito strano e fatale,
Vers le ciel quelquefois, comme l’homme d’Ovide, lo vedo, l’infelice, come l’uomo d’Ovidio,
Vers le ciel ironique et cruellement bleu, al cielo crudelmente azzurro e ironico
Sur son cou convulsif tendant sa tête avide, sul frenetico collo tender l’avida testa,
Comme s’il adressait des reproches à Dieu ! a tratti, come a rimbrottare Dio!
II II
Paris change ! mais rien dans ma mélancolie Parigi cambia! ma niente, nella mia melanconia,
N’a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs, s’è spostato: palazzi rifatti, impalcature,
Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie, case, vecchi sobborghi, tutto m’è allegoria;
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs. pesano come rocce i ricordi che amo.
Aussi devant ce Louvre une image m’opprime : Così, davanti al Louvre, m’opprime una figura:
Je pense à mon grand cygne, avec ses gestes fous, penso al mio grande cigno, ai gesti folli
Comme les exilés, ridicule et sublime, che faceva, esule comico e sublime
Et rongé d’un désir sans trêve ! et puis à vous, che un desiderio morde senza fine – e a te,
Andromaque, des bras d’un grand époux tombée, Andromaca! dall’abbraccio d’un grande sposo rotolata
Vil bétail, sous la main du superbe Pyrrhus, deprezzato agnello, nelle mani orgogliose
Auprès d’un tombeau vide en extase courbée ; di Pirro, e china in estasi su una tomba deserta;
Veuve d’Hector, hélas ! et femme d’Hélénus ! vedova d’Ettore, ahimè! e d’Eleno consorte!
Je pense à la négresse, amaigrie et phtisique, Penso alla negra tisica e smagrita
Piétinant dans la boue, et cherchant, l’œil hagard, che pestando nel fango s’affanna, stralunata,
Les cocotiers absents de la superbe Afrique dietro l’immenso muro della nebbia a vedere
Derrière la muraille immense du brouillard ; gli assenti alberi di cocco dell’Africa superba;
À quiconque a perdu ce qui ne se retrouve a chi ha perduto ciò che non si trova
Jamais ! jamais ! à ceux qui s’abreuvent de pleurs mai più, mai più! e s’abbevera di pianto
Et tètent la Douleur comme une bonne louve ! e succhia latte al Dolore come a una buona lupa!
Aux maigres orphelins séchant comme des fleurs ! ai magri orfani, secchi come fiori!
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Ainsi dans la forêt où mon esprit s’exile Nel bosco, dove il mio cuore va esule, così
Un vieux Souvenir sonne à plein souffle du cor ! risuona alto il richiamo di un Ricordo antico!
Je pense aux matelots oubliés dans une île, Penso ai marinai su un’isola obliati,
Aux captifs, aux vaincus !… à bien d’autres encor ! ai prigionieri, ai vinti... ad altri, ad altri ancora!
XCIII XCIII
À une passante A una passante
La rue assourdissante autour de moi hurlait. Ero per strada, in mezzo al suo clamore.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse, Esile e alta, in lutto, maestà di dolore,
Une femme passa, d’une main fastueuse una donna è passata. Con un gesto sovrano
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ; l’orlo della sua veste sollevò con la mano.
Agile et noble, avec sa jambe de statue. Era agile e fiera, le sue gambe eran quelle
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant, d’una scultura antica. Ossesso, istupidito,
Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan, bevevo nei suoi occhi vividi di tempesta
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue. la dolcezza che incanta e il piacere che uccide.
Un éclair… puis la nuit ! — Fugitive beauté Un lampo... e poi il buio! – Bellezza fuggitiva
Dont le regard m’a fait soudainement renaître, che con un solo sguardo m’hai chiamato da morte,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ? non ti vedrò più dunque che al di là della vita,
Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être ! che altrove, là, lontano – e tardi, e forse mai?
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais, Tu ignori dove vado, io dove sei sparita;
Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! so che t’avrei amata, e so che tu lo sai!
LA MORT – LA MORTE
CXXV CXXV
Le Rêve d’un curieux Il sogno di un curioso
Connais-tu, comme moi, la douleur savoureuse, Piace anche a te l’aroma del dolore,
Et de toi fais-tu dire : « Oh ! l’homme singulier ! » dicono anche di te: “Che uomo singolare!”.
— J’allais mourir. C’était dans mon âme amoureuse, —Ero sul punto di morire. Nel cuore appassionato
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Désir mêlé d’horreur, un mal particulier ; C’era, desiderio più orrore, un male strano:
Angoisse et vif espoir, sans humeur factieuse. era angoscia, era viva speranza; né volevo sottrarmi.
Plus allait se vidant le fatal sablier, Più la fatale clessidra si vuotava e più acre,
Plus ma torture était âpre et délicieuse ; più deliziosa era la mia tortura;
Tout mon cœur s’arrachait au monde familier. si scollava dal mondo la mia anima.
J’étais comme l’enfant avide du spectacle, Avido come un fanciullo ero in attesa
Haïssant le rideau comme on hait un obstacle... dello spettacolo, odiando del sipario la remora…
Enfin la vérité froide se révéla : Gelida, tutt’a un tratto, la verità m’appare:
J’étais mort sans surprise, et la terrible aurore senza scosse ero morto, e la tremenda aurora
M’enveloppait. - Eh quoi ! n’est-ce donc que cela ? m’avvolgeva. – Nient’altro? È mai possibile?
La toile était levée et j’attendais encore. S’era alzato il sipario, e io aspettavo ancora.
CXXVI CXXVI
Le Voyage Il viaggio
À Maxime du Camp. A Maxime du Camp
I I
Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes, Al ragazzo di mappe, di stampe appassionato,
L’univers est égal à son vaste appétit. è vasto l’universo quanto è vasta la brama.
Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes ! Ah, come è grande il mondo al lume di una lampada!
Aux yeux du souvenir que le monde est petit ! agli occhi del ricordo come è piccolo il mondo!
Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme, Un mattino partiamo col fuoco nel cervello,
Le cœur gros de rancune et de désirs amers, col cuore traboccante di rabbia e voglie amare,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame, e ci affidiamo al ritmo dell’onda che addormenta
Berçant notre infini sur le fini des mers : il nostro infinito sul finito del mare.
Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ; C’è chi fugge felice una patria obbrobriosa
D’autres, l’horreur de leurs berceaux, et quelques-uns, e chi l’orrore della propria culla;
Astrologues noyés dans les yeux d’une femme, altri, astrologhi a picco negli occhi di una donna,
La Circé tyrannique aux dangereux parfums. la tirannica Circe dai rischiosi profumi.
Pour n’être pas changés en bêtes, ils s’enivrent Per non mutarsi in bestie s’inebriano di spazio
D’espace et de lumière et de cieux embrasés ; e di luce e di cieli fiammeggianti;
La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent, il gelo che li morde, il sole che li cuoce
Effacent lentement la marque des baisers. cancellano adagio il marchio di quei baci.
Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent Ma i veri viaggiatori partono per partire
Pour partir ; cœurs légers, semblables aux ballons, e basta: cuori lievi, simili a palloncini
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent, che solo il caso muove eternamente,
Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons ! dicono sempre «Andiamo», e non sanno perché.
Ceux-là dont les désirs ont la forme des nues, I loro desideri somigliano alle nubi;
Et qui rêvent, ainsi qu’un conscrit le canon, e come il coscritto sogna il cannone, loro
De vastes voluptés, changeantes, inconnues, sognano vaste, ignote, cangianti voluttà
Et dont l’esprit humain n’a jamais su le nom ! di cui nessuno al mondo ha mai saputo il nome!
II II
Nous imitons, horreur ! la toupie et la boule Imitiamo, che orrore! la trottola e la palla,
Dans leur valse et leurs bonds; même dans nos sommeils danziamo, rimbalziamo come loro; anche in sogno,
La Curiosité nous tourmente et nous roule, Curiosità ci volge e ci assilla, crudele
Comme un Ange cruel qui fouette des soleils. Angelo che a frustate fa vorticare il sole.
Singulière fortune où le but se déplace, Sempre, in questo destino singolare,
Et, n’étant nulle part, peut être n’importe où ! cambia posto la meta: è ovunque, e non c’è mai!
Où l’Homme, dont jamais l’espérance n’est lasse, E l’Uomo – mai si stanca la speranza –
Pour trouver le repos court toujours comme un fou ! corre come un matto per trovare il riposo!
Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie ; È l’anima un veliero che cerca la sua Icaria:
Une voix retentit sur le pont : « Ouvre l’œil ! » «Occhio!» s’ode sul ponte; e dalla coffa
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Une voix de la hune, ardente et folle, crie : un’altra voce ardente e dissennata:
« Amour... gloire... bonheur ! » Enfer ! c’est un écueil «Amore... gloria... gioia!» – Dannazione, è uno scoglio!
Chaque îlot signalé par l’homme de vigie Ogni banco sperduto che la vedetta avvista
Est un Eldorado promis par le Destin ; è un Eldorado offerto dal Destino;
L’Imagination qui dresse son orgie la Fantasia, che subito si scatena, non trova
Ne trouve qu’un récif aux clartés du matin. che un frangente alla luce del mattino.
Ô le pauvre amoureux des pays chimériques ! Guai a chi s’innamora di terre di chimera!
Faut-il le mettre aux fers, le jeter à la mer, Dovranno metterti ai ferri o rotolarti in mare,
Ce matelot ivrogne, inventeur d’Amériques marinaio ubriaco, scopritore d’Americhe
Dont le mirage rend le gouffre plus amer ? il cui miraggio i gorghi fa più amari?
Tel le vieux vagabond, piétinant dans la boue, Così il vecchio barbone si trascina nel fango
Rêve, le nez en l’air, de brillants paradis ; sognando, naso all’aria, paradisi di luce;
Son œil ensorcelé découvre une Capoue e là dove un tugurio rischiara una candela
Partout où la chandelle illumine un taudis. al suo sguardo stregato una Capua si svela.
III III
Étonnants voyageurs ! quelles nobles histoires Che nobili storie, viaggiatori incredibili,
Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers ! nei vostri occhi profondi come il mare!
Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires, Su, dei vostri ricordi mostrateci gli scrigni
Ces bijoux merveilleux, faits d’astres et d’éthers. gli splendidi gioielli fatti d’etere e d’astri!
Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile ! Senza vele o vapore vogliamo navigare!
Faites, pour égayer l’ennui de nos prisons, Per alleviare il tedio delle nostre prigioni,
Passer sur nos esprits, tendus comme une toile, sui nostri spiriti, tesi come tele, esponete
Vos souvenirs avec leurs cadres d’horizons. gli squarci d’orizzonte della vostra memoria!
Dites, qu’avez-vous vu ? Che avete visto, diteci?
IV IV
« Nous avons vu des astres «Abbiamo visto astri,
Et des flots ; nous avons vu des sables aussi ; onde, sabbie di rive e di deserti; e ad onta
Et, malgré bien des chocs et d’imprévus désastres, di sorprese e disastri, molte volte
Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici. ci siamo anche annoiati, come qui.
La gloire du soleil sur la mer violette, Il sole risplendente sopra il viola del mare,
La gloire des cités dans le soleil couchant, le città risplendenti nei raggi del tramonto
Allumaient dans nos cœurs une ardeur inquiète l’ardente cuore inquieto spingevano a tuffarsi
De plonger dans un ciel au reflet alléchant. nel mutevole fascino del cielo.
Les plus riches cités, les plus grands paysages, Nelle città più ricche, nei più vasti paesaggi
Jamais ne contenaient l’attrait mystérieux non c’era mai l’incanto misterioso
De ceux que le hasard fait avec les nuages. di quelli che per caso nascono dalle nubi;
Et toujours le désir nous rendait soucieux ! e mai ci dava tregua il desiderio!
— La jouissance ajoute au désir de la force. – Più si gode e più ha forza il desiderio;
Désir, vieil arbre à qui le plaisir sert d’engrais, all’albero del desiderio il piacere è concime,
Cependant que grossit et durcit ton écorce, e mentre la sua scorza si fa più spessa e dura
Tes branches veulent voir le soleil de plus près ! si sforzano i suoi rami d’avvicinarsi al sole!
Grandiras-tu toujours, grand arbre plus vivace Crescerai senza fine, albero che hai più vita
Que le cyprès ? — Pourtant nous avons, avec soin, del cipresso? – Comunque, scrupolosi,
Cueilli quelques croquis pour votre album vorace, abbiamo colto schizzi per l’album insaziabile
Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin ! di chi trova che è bello tutto ciò che è lontano!
Nous avons salué des idoles à trompe ; Abbiamo visto idoli dal naso d’elefante,
Des trônes constellés de joyaux lumineux ; troni ornati di gemme luminose,
Des palais ouvragés dont la féerique pompe palazzi cesellati che d’un vostro banchiere
Serait pour vos banquiers un rêve ruineux ; formerebbero il sogno e la rovina,
Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse ; costumi che allo sguardo dan l’ebbrezza,
Des femmes dont les dents et les ongles sont teints, donne che si colorano le unghie e i denti,
Et des jongleurs savants que le serpent caresse. » fachiri avvezzi alle carezze dei serpenti...»
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V V
Et puis, et puis encore ? E dopo? e dopo ancora?
VI VI
« Ô cerveaux enfantins ! «O cervelli infantili!
Pour ne pas oublier la chose capitale, Abbiamo visto (e questo è il punto capitale)
Nous avons vu partout, et sans l’avoir cherché, senza bisogno di cercarlo, ovunque,
Du haut jusques en bas de l’échelle fatale, dall’alto fino al basso della scala fatale,
Le spectacle ennuyeux de l’immortel péché : il tedioso spettacolo del peccato immortale:
La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide, schiava stupida e vile e superba la donna
Sans rire s’adorant et s’aimant sans dégoût ; amarsi senza schifo, senza ironia adorarsi; l’uomo,
L’homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide, tiranno cupido, lascivo, ingordo e duro,
Esclave de l’esclave et ruisseau dans l’égout ; farsi schiavo alla schiava, sgocciolio nella fogna;
Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote ; rallegrarsi il carnefice, il martire soffrire;
La fête qu’assaisonne et parfume le sang ; il sangue ad ogni festa dar sapore e profumo;
Le poison du pouvoir énervant le despote, innamorarsi il popolo della sferza brutale
Et le peuple amoureux du fouet abrutissant ; e il despota ammalarsi del suo stesso potere;
Plusieurs religions semblables à la nôtre, più d’una religione somigliante alla nostra
Toutes escaladant le ciel ; la Sainteté, dar la scalata al cielo; cercar la Santità,
Comme en un lit de plume un délicat se vautre, come un gaudente su un letto di piume,
Dans les clous et le crin cherchant la volupté ; in mezzo ai chiodi e al crine la propria voluttà;
L’Humanité bavarde, ivre de son génie, ebbra di genio, straparlante, pazza
Et, folle maintenant comme elle était jadis, adesso come un tempo, gridar l’Umanità
Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie : dentro la furia della sua agonia:
« Ô mon semblable, ô mon maître, je te maudis ! » “Mio signore e mio simile, ti maledico, Dio!”;
Et les moins sots, hardis amants de la Démence, e i meno stolti, d’Insania intrepidi seguaci,
Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin, via dall’immenso gregge che il Destino rinserra
Et se réfugiant dans l’opium immense ! rifugiarsi nell’oppio sconfinato!
— Tel est du globe entier l’éternel bulletin. » – Questa del globo intero la cronaca immutabile».
VII VII
Amer savoir, celui qu’on tire du voyage ! Che amara conoscenza si ricava dai viaggi!
Le monde, monotone et petit, aujourd’hui, Oggi e ieri e domani e sempre il mondo monotono
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image : e meschino ci mostra quel che siamo:
Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui ! un’isola d’orrore in un mare di noia.
Faut-il partir ? rester ? Si tu peux rester, reste ; È il caso di partire? di restare? Rimani
Pars, s’il le faut. L’un court, et l’autre se tapit se puoi, parti se devi. Chi corre, chi s’appiatta
Pour tromper l’ennemi vigilant et funeste, per ingannare il Tempo, belva attenta e funesta...
Le Temps ! Il est, hélas ! des coureurs sans répit, C’è qualcuno che, ahimè, non ha riposo,
Comme le Juif errant et comme les apôtres, apostolo o Ebreo errante, e per sfuggire
À qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau, all’infame reziario non gli basta
Pour fuir ce rétiaire infâme ; il en est d’autres né treno né veliero, e chi invece lo ammazza
Qui savent le tuer sans quitter leur berceau. senza nemmeno uscire dal suo buco.
Lorsque enfin il mettra le pied sur notre échine, Quando infine col piede ci calcherà la schiena
Nous pourrons espérer et crier : En avant ! noi spereremo ancora, e grideremo «Avanti!»;
De même qu’autrefois nous partions pour la Chine, e così come un tempo partimmo per la Cina,
Les yeux fixés au large et les cheveux au vent, lo sguardo fisso al largo, il vento nei capelli,
Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres sul mare delle Tenebre ci sapremo imbarcare
Avec le cœur joyeux d’un jeune passager. col cuore di chi è giovane e lieto di viaggiare.
Entendez-vous ces voix, charmantes et funèbres, Sentite queste voci funebri e affascinanti
Qui chantent : « Par ici ! vous qui voulez manger cantare: «Svelti, entrate da questa parte, voi
Le Lotus parfumé ! c’est ici qu’on vendange che il Loto profumato volete assaporare!
Les fruits miraculeux dont votre cœur a faim ; Qui i frutti si vendemmiano che brama il vostro cuore
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Venez vous enivrer de la douceur étrange e sanno di miracolo; qui si coglie l’ebbrezza
De cette après-midi qui n’a jamais de fin ? » di questo strano, dolce pomeriggio infinito!»
À l’accent familier nous devinons le spectre ; Ravvisiamo lo spettro al tono familiare;
Nos Pylades là-bas tendent leurs bras vers nous. là ciascuno ha il suo Pilade che gli tende le braccia.
« Pour rafraîchir ton cœur nage vers ton Électre ! » «Nuota fin qui da Elettra per rinfrescarti il cuore!»
Dit celle dont jadis nous baisions les genoux. dice quella cui un tempo baciammo le ginocchia.
VIII VIII
Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l’ancre ! Su, andiamo, Morte, vecchio capitano!
Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons ! Salpiamo, è tempo, via da questa noia!
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l’encre, Son neri come inchiostro terra e mare,
Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons ! ma i nostri cuori, vedi, sono colmi di luce.
Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte ! Versaci per conforto il tuo veleno!
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau, Quel fuoco arde il cervello: giù nel gorgo profondo,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ? giù nell’Ignoto, sia l’Inferno o il Cielo,
Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ! scendiamo alla ricerca di qualcosa di nuovo!
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