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IDRC-MR121f

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LA TELEVISION POUR LE DEVELOPPEMENT
L'expérience africaine

Iain McLellan

Les textes de ce rapport ont été reproduits tels qu'ils


ont été soumis, sans examen par des pairs ni révision rigoureuse
par le personnel de la Division des communications. La mention
d'une marque déposée ne constitue pas une sanction du produit;
elle ne sert qu'à informer le lecteur.

© Iain McLellan 1986


Table des matières

Préface

INTRODUCTION Le potentiel inexploité de la télévision


africaine . 1

PREMIERE PARTIE

L'amélioration de la réception du message télévisé

L'écoute collective, les téléviseurs du gouvernement


et l'énergie solaire 14

L'animation sur le terrain et la méthode multi-média 33

DEUXIEME PARTIE

L'amélioration des capacités éducatives de la télévision

Les téléromans le plus puissant outil de la


télévision pour le développement 50

La magnétoscopie et la diffusion locale


la télévision par et pour les gens ordinaires 70

Evaluation fondamentale, sondages, essais


préalables et rétroaction . 97

TROISIEME PARTIE

Les secteurs que la télévision peut aider

La femme africaine : comment la télévision


peut améliorer son sort 123

Les émissions agricoles comment communiquer


avec les africains ruraux par la télévision . 148

Un auditoire attentif aux messages sur la santé 161

La télêvision pour le développement au Cameroun


les leçons de l'expérience . 177

CONCLUSION Oui à la télévjsion, mais à quel prix ? 197


Préface

Présente en Afrique depuis 25 ans, la télévision a grandement

déçu en tant que média capable d'instruire et d'éduquer la population.

Pour l'élaboration de ce rapport, l'auteur a adopté une

attitude de critique constructive. Les lacunes du média sont

faciles à cerner. Mais plutôt que de si•plement identifier

ce qui ne va pas avec la télévision en Afrique, ce rapport propose

des façons de l'améliorer afin de mieux servir les sociétés

africaines.

Pratiquement tous les gouvernements africains ont décidé

de mettre sur pied un service de télévision d'un genre ou d'un

autre. La télévision est installée à demeure sur le continent

africain, malgré tous ses problèmes inhérents. En se fondant

sur les innovations, les expériences réussies et l'amélioration

de ses capacités d'éduquer et d'instruire, nous pensons que

le plus puissant et le plus convaincant des médias peut être

radicalement modifié dans le but de mieux promouvoir le développement

social et économique de tous les africains.

L' une de s r a i s ons qui nous ont amenés à ent r epr endr e 1a

recherche qui a donné naissance à ce rapport était de faire

bénéficier de leurs expériences respectives les différents inter-

venants engagés dans la télévision pour le développement en

Afrique. C'est pourquoi le rapport est rempli d'exemples.

De plus, le style en est hybride le rapport a été écrit

pour être lu à la fois par le profane et l'expert. Ce n'est

pas une thèse prouvant un seul point, non plus qu'un article
de magazine rallongé. Mais il présente les caractéristiques

des deux au plan de la forme.

Pour ce qui est du fond, le rapport traite du potentiel

et de l'avenir de la télévision comme instrument de développement.

Nous examinerons aussi les défauts du média et pourquoi il

a déçu en Afrique. Et finalement, la majeure partie du rapport

présente les mesures à prendre pour remettre la télévision sur

la voie de l'aide au développement et quelles sont les chances

d'y arriver.

Dans le cadre des recherches pour ce rapport, l'auteur

a visité et fait des entrevues dans 14 pays le Sénégal, la

Gambie, le Niger, la Côte-d'Ivoire, le Nigéria, la Zaire, le

Congo, la Zambie, le Zimbabwe, le Cameroun, les Etats-Unis,

la France, l'Italie et le Canada. Nous avons tenté d'entrer

en contact avec un vaste échantillon des représentants de la

société africaine, depuis les professionnels des médias et fonc-

tionnaires du gouvernement, jusqu'aux paysans et responsables

du développement sur le terrain. De plus, un grand nombre de

membres d'agences de développement internationales et d'organismes

non gouvernementaux engagés dans les communications à l'appui

du développement ont aussi été interviewés.

La plus grande partie de la recherche a été faite dans

les capitales, où vivent et travaillent la majorité des fonction-

naires. Mais les Africains ruraux n'ont pas été oubliés de

nombreuses excursions sur le terrain ont été organisées pour

rencontrer les villageois et discuter de leurs besoins en matière

de développement et de communications.

Finalement, j'aimerais remercier M. Ousseynou Diop de Radio


Canada International, M. Bob Huggan du CROI, M. Charles Morrow

de !'Agence canadienne pour le développement international et

tous ceux qui m'ont offert leur appui, et qui croient que les

communications à l'appui du développement offrent des possi-

bilités illimitées en vue d'aider ceux qui en ont besoin à s'aider

eux-mêmes.

* * *
Pour

Jeanie Orr McLellan-Speedie,

qui m'a appuyé toute sa vie


1

Introduction :
Le potentiel inexploité
de la télévision africaine
2

A N'Zikpli, un petit village sans électricité dans le centre

de la Côte-d'Ivoire, on a demandé aux anciens ce qu'ils avaient

appris du téléviseur à piles que le gouvernement a installé

dans l'école locale en 1974.

1 ls ont expliqué, au moyen d'un interprète, qu'ils avaient

beaucoup appris sur la vie à l'extérieur du village. On leur

demanda ensuite s'ils avaient des questions sur ce qu'ils avaient

vu. Le chef parla le premier : "Est-ce que c'est vrai que le blanc

peut voler sans ailes?" "Pourquoi est-ce que les blancs sont toujours

en train de se battre et de s'entre-tuer?" demanda un autre.

* * *

Il y a vingt ans, on pensait que la télévision serait le

miracle qui résoudrait une grande partie des problèmes del 'Afrique.

Ce devait être le nouveau Messie, le véhicule privilégié du

modernisme qui amènerait de plain-pied le continent africain

dans le 2oe siècle.

Qu'est-il arrivé à la télévision depuis? Est-ce. qu'on

s'en sert à pleine capacité pour favoriser le développement?

Sinon, comment peut-on la rendre plus efficace. Quel est l'avenir

de ce média puissant et captivant en Afrique?

Afin d'élucider ces questions, une enquête sur 10 pays

africains fut entreprise. La télévision en était à différentes

étapes de développement dans chacun d'eux. Cependant, pratiquement

tous les interviewés -- réalisateurs, fonctionnaires, téléspectateurs,

éducateurs et travailleurs sur le terrain -- étaient insatisfaits


3

de l'évolution du média et de l'usage qu'on en faisait.


Toutefois, avant qu'on puisse en arriver à aménager la
télévision pour le développement, on doit se poser des questions
importantes et pertinentes : quelle sorte de développement
vise-t-on? Pourquoi développer? Développer pour qui? Quel est le
lien entre une société traditionnelle et moderne?
Bien que nous reconnaissions l'importance de ces questions, ce
rapport ne tentera pas de leur apporter une réponse. On doit noter
que l'auteur est journaliste par vocation et laisse à d'autres plus
compétents le soin d'analyser ces questions.
La télévision offre un certain nombre d'avantages aux pays où
l'on doit rapidement étendre le réseau éducatif et communiquer
l'information sur le développement. La télévision a été baptisée 11
le
démultiplicateur magique l et peut s'avérer un éducateur motivant
11

lorsqu'on l •utilise pour l'éducation non magistrale des adultes.


Elle peut atteindre un grand nombre de gens et diffuser
universellement les objectifs du développement. Par la
juxtaposition de l'image et du son, elle peut servir à communiquer
des messages relativement compliqués à un auditoire analphabète.
Elle agit aussi comme catalyseur du changement lorsque tous les
intervenants dans le développement -- les gouvernements, les
donateurs, les travailleurs sur le terrain, la population rurale et
les pauvres des villes -- s'en servent interactivement pour
améliorer les communications entre eux.
Le rapport de la commission MacBride de l'UNESCO souligne le
potentiel énorme que l'omniprésence des communications dans la
société moderne a créé pour l'éducation. La nouvelle technologie
4

des communications a transformé en réalité des notions comme

"la société informatisée", "le village global", et "le droit

des peuples à l'information"2.

La télévision, grâce à son message captivant et à son aptitude

à informer les masses, fournit aux villageois africains la même

occasion qu'aux agriculteurs indiens ou aux Inuits canadiens

de faire la transition d'une société traditionnelle à une société

moderne. Thomas McPhail affirme que les pays en voie de développement

"peuvent désormais passer de l'âge de pierre à l'âge de l'information

sans avoir à passer par les étapes intermédiaires de l'industria-

lisation"3.

Les auteurs de Broadcasting in the Third World: Promise

and Performance établissent, preuve à l'appui, une relation

directe entre l'usage du média et une attitude et des pratiques

plus modernes de la part des paysans

"On peut affirmer sans risque de se tromper que les


moyens de communication de masse ont contribué à moderniser
les attitudes et pratiques des individus. On peut
démontrer que les indicateurs de la modernité économique
et politique, comme l'empathie (la capacité de se
mettre à la place de l'autre), l'innovation en agriculture
et au foyer, ou la participation aux affaires politiques
sont reliés à l'exposition aux moyens de communication
de masse."4

On a aussi avancé que le développement des médias contribue

grandement à renforcer les structures de la vie d'une collectivité

en créant une "mobilité psychique" ou en amenant le monde extérieur

aux endroits reculés: "De cette façon [les gouvernements] pourraient

mettre un frein à l'exode apparemment irréversible vers les

villes, qui finit par exiger des investissments importants en


5

capital dans l'infrastructure urbaine."5

* * *

Mais malgré ce potentiel "démontré", les états de service

de la télévision comme éducateur. et agent de changement et de

progês en Afrique ne sont pas reluisants. Le média n'a pas

répondu aux attentes qu'on en avait pour éduquer et motiver

les masses.

Le Nigéria a récemment fêté le 25e anniversaire de son

service de télévision en faisant le point sur l'évolution du

média et en débattant de ce qu'il pourrait être. De l'avis

général des fonctionnaires, des télédiffuseurs et du grand public,

la télévision n'a pas su atteindre ses objectifs d'accélérer

le processus de développement, de contribuer à l'intégration

nationale et de fournir les moyens de préserver les valeurs

culturelles traditionnelles6.

En fait, l'évidence tend à prouver que le média a eu des

effets négatifs, et a agrandi, plutôt que diminuer, l'écart

entre les riches et les pauvres dans les milieux urbains et

ruraux. Et au lieu d'alimenter les valeurs culturelles tradition-

nelles, la télévision les a érodées en offrant de grandes quantités

d'émissions importées7.

Ceux qui ont le plus besoin de la télévision comme outil

de développement, les pauvres des villes et les populations

rurales, se trouvent hors de la portée des ondes de télévision,

ne peuvent se permettre l'achat d'un poste ou n'ont pas l'électricité


6

pour l'alimenter. Et comme la télévision hérite de la part du

lion des budgets de communication souvent limités, il reste

peu d'argent à consacrer aus autres médias, pourtant plus efficaces

pour atteindre ceux qui ont le plus besoin de renseignements

sur le développement8.

La télévision a été appelée "le bijoux d'une bourgeoisie

fatiguée et périmée"9 à cause de ses coGts d'exploitation fabuleux

et de sa tendance à plaire aux goGts d'une élite bourgeoise

urbaine cultivée. Le professeur 0.A. Fadeyibi, du Département

de communication de masse de l'université de Lagos, appelle

la télévision l'anti-Robin des Bois les impôts des pauvres

servent à divertir les riches. Les gouvernements dépensent

des sommes folles pour faire parvenir les mauvais messages aux

mauvais destinataires.

Les auteurs de Broadcasting in the Third World pensent

que si la télévision en Afrique a déçu, c'est en partie parce

que l'analyse de son potentiel était fausse au départ. On a

eu tendance à sous-estimer les contraintes sociales, culturelles,

économiques et politiques qui se combinent pour limiter son

potentiellO.

Les entraves politiques ont particulièrement affecté le

développement de la télévision. Peu de gouvernements ont encouragé

le genre de liberté d'expression dans les médias qui permet

aux pauvres des villes et aux populations rurales de mieux se

comprendre et d'articuler leurs besoins. D'après Colin Fraser,

un expert-conseil en communication anciennement au service de

la FAO. les dirigeants africains ne se rendent généralement


7

pas compte de l'iaportance de la diaension huaaine dans le dévelop-

pement rural: "La plupart des pays n'utilisent pour le développeaent

rural qu'une infiae partie des aoyens de co•aunication dont

ils disposent déjà et qui, le plus souvent, conviennent parfai-

tement."11

Vu l'instabilité politique qui prévaut dans de noabreux

pays africains, il n'est pas facile pour les gouverneaents d'ea-

brasser l'idée d'accorder à leurs citoyens les aoyens d'étendre

leur conscience politique, d'explorer les différentes options

de développement et d'expriaer leur points de vue.

Selon le professeur en coaaunications El Hadj Diouf, de

l'université de Dakar, la plupart des gouverneaents africains

ont tendance à méconnaître la vraie nature du danger qu'il y

a de laisser s'exprimer ou de répriaer les doléances de la popu-

lation. Ils craignent que les canaux de communication une fois ouverts

soient utilisés pour critiquer le gouvernement en place et mêm_e

le renverser. Mais d'après le professeur Diouf, le risque est

bien plus grand d'étouffer la population en ne tenant pas coapte

de son apport et en effectuant des changeaents de surface seulement.

Le malheur, c'est que les gouvernements africains ont choisi

d'organiser des services de télévision copiés sur ceux des pays

occidentaux qui les ont aidés à les mettre sur pied. Ils sont

plutôt lourds, hautement centralisés et sont basés sur des techniques

et des installations de production dispendieuses.

Au Zaire et en Zambie, par exeaple, on a tant dépensé pour

mettre sur pied une infrastructure centralisée et cofiteuse qu'il


8

ne reste pratiquement rien pour élaborer une programmation visant

à moderniser les attitudes et les comportements. Ces deux pays

disposent d'installations de télédiffusion magnifiques, imposantes

et modernes, et aussi de producteurs et de réalisateurs compétents.

Mais talent et installations de production sont sous-exploités

parce qu'on ne dispose pas de l'argent qu'il faut pour acheter

des films et des cassettes vierges et pour payer les coûts de

productions.

De plus, en partie à cause de restrictions financières

et en partie à cause d'entraves politiques, les producteurs

de télévision ne s'aventurent que rarement à l'extérieur des

capitales pour se mêler aux habitants des campagnes, les comprendre

et les aider à communiquer entre eux et avec ceux qui veulent

les aider.

La plupart des pays africains ont décidé d'exploiter la

télévision de la même façon que les Nord-Américains et les Européens,

mais ils n'ont pas les ressources pour le faire. En conséquence,

les télédiffuseurs dépensent une grande partie de leurs budgets

à produire des versions africaines d'émissions de type. occidental,

la grille horaire est remplie de divertissement léger importé,

et dans la plupart des cas, on ne se sert pas assez de la télévision

pour instruire plutôt que pour simplement divertir.

Les efforts déployés pour communiquer des messages favorisant

le développement qui dépassent un cadre très général ont été

incomplets, irréguliers et dans la plupart des cas sans effets.

La programmation à l'appui du développement a rarement été coor-

données avec d'autres efforts de développement et a été surtout


9

à sens unique. On a très peu entrepris pour se servir du média

comme moyen d'échange d'information entre les différentes couches

de la société.

Règle générale, la télévision africaine n'explique ou ne

montre que rarement l'Afrique aux Africains: elle regarde ailleurs.

Ce qu'on y voit, ce sont des émissions comme "Dallas", "I Love

Lucy", "Stanford and Son", des films policiers français et d'autres

divertissements importés.

Le soir, le contenu africain de la plupart des télévisions

africaines est constitué de discours politiques, de comptes

rendus de la visite de dignitaires étrangers, d'exposés "d'experts"

en développement qui s'expriment dans des langues européennes

dans des termes qui échappent au téléspectateur moyen, en leur

expliquant comment ils devraient se développer, ou de téléroœans

mettant en vedettes des africains aisés au prise avec des problèmes

typiquement occidentaux.

* * *

Malgré les coûts et les difficultés, presque tous les gouver-

nements africains ont décidé de se doter d'un service de télévision.

C'est un média très séduisant quel que soit le pays; pour les

gourvernements africains, il incarne à la fois le prestige et

représente un moyen de communiquer des messages de teneur politique

à une population en majeure partie anaphalbète. Une bonne partie

de nos interlocuteurs ont convenu que pour justifier son rôle

dans les pays à faible revenu, elle doit servir d'instrument


10

de développement, ce qu'elle ne peut faire efficacement que

si elle s'intègre et se fusionne à d'autres instruments de dévelop-


12
pement.

L'avenir de la télévision en tant qu'appui au développement

s'articule à plusieurs plans l'émission de signaux télévisuels

doit couvrir par satellite à la fois les zones rurales et urbaines;

l'achat et l'entretien de récepteurs alimentés à l'énergie solaire

pour l'écoute collective doit être assuré par le gouvernement;

les campagnes multi-médias et l'animation sur le terrain doivent

être coordonnées; la communication et l'interaction entre les

diffuseurs et les téléspectateurs doit se faire dans les deux

sens; et la diffusion décentralisée ou communautaire et la vidéo

en langue locale doivent être encouragées.

Pendant notre enquête de trois mois sur la télévision en

Afrique, qui a porté sur une dizaine de pays, nous avons vu

des signes encourageants. Le Nigéria a l'intention de restructurer

complètement sa chaîne de 32 stations et sa programmation pour

mieux répondre aux besoins de développement et pour mieux s'adresser

à une plus grande partie de la population. La Nigerian Television

Authority sera en partie décentralisée en accordant aux stations

locales les ressources nécessaires pour fabriquer des émissions

destinées au réseau national ou à l'auditoire local.

La Côte-d'Ivoire commence à coordonner l'enseignement télévisé

non magistral avec une équipe d'animateurs sur le terrain munis

d'outils de communication complémentaires. Les appareils placés dans les

écoles pour l'enseignement des enfants en sont retirés pour être placés

dans des villages partout au pays, et alimentés par des panneaux


11

solaires s'il n'y a pas d'électricité.

Le Niger démontre qu'on peut accomplir beaucoup avec des

ressources limitées. Le gouvernement exploite des récepteurs

collectif alimentés à l'énergie solaire dans bon nombre de villages

et dans des centres pour jeunes dans les villes. Toute la program-

mation de Télé-Sahel est axée sur l'éducation hors classe, et

on fait plus d'enregistrements vidéo en région rurale que dans

les studios de Niamey.

La première partie de ce rapport traite des expériences

et des innovations portant sur les centres d'écoute collective,

les appareils alimentés à l'énergie solaire, l'animation et

la combinaison de la télévision avec d'autres médias d'appui

au développement.

La partie suivante examine en détails trois aspects de

la télévision pour le développement qui représentent les meilleures

perspectives pour améliorer la capacité éducative du média

les téléromans, la vidéo ou la télévision communautaire, et

l'évaluation et la recherche formatives.

La dernière partie parle des aspects de la société africaine

qui bénéficieraient le plus d'une plus grande présence de la

télévision pour le développement: la cause des femmes, l'agriculture

et la santé. On trouve aussi dans cette section un aperçu du

programme télévisuel du Cameroun en matière de développement,

un pays qui instaure son premier service de télévision.


12

Notes

1. Graham Mytton, Mass Communications in Africa, Londres,


1983, p. 27.

2. Sean MacBride, "Voix multiples, un seul monde" cité dans


Problèmes audiovisuels, n° 11, INA, Paris, janvier-février
1983, p. 13.

3. Thomas McPhail, Electronic Colonialism, Londres, 1981,


p. 20. -

4. Katz, Weedell, Pitsworth et Shiner, Broadcasting in the


Third World: Promise and Performance, Londres, 1978, p. 182.

5. Ibid., p. 609.

6. "Twenty-five years of television broadcasting in Nigeria",


Television Journal, juillet-septembre 1984, p. 21.

7. Mytton, Mass Communications in Africa, op. cit., p. 132.

8. Katz et al., Broadcasting in the Third World, p. 87.

9. Sean MacBride, Voix multiples, un seul monde, rapport de


la Commission internationale d'étude des problèmes de la
communication, UNESCO et les Nouvelles Editions Africaines,
Paris, 1980, p. 56.

10. Katz et al. Broadcasting in the Third World, op. cit.,


p. 240.

11. Jean-Claude Crépeau, "L'arJiovisuel au coeur du développement",


Actuel Développement, n° 64, janvier-février 1985, p. 40.

12. Katz et al., Broadcasting in the Third World, p. 224.


13

Première partie
l'amélioration de
la réception
du message
télévisé
14

L'écoute collective,
les téléviseurs du gouvernement
et l'énergie solaire
15

L'utilisation de la télévision comme aide au développement

en Afrique est souvent critiqué parce que le média couvre surtout

les régions urbaines électrifiées (où il s'agit souvent de la

seule chaîne) et qu'il est accessible seulement à une élite

aisée qui peut se permettre l'achat d'un téléviseur.

Il est vrai que ceux qui ont le plus besoin d'information

pour le développement soit les 80 % de la population qui

habitent les campagnes n'ont pratiquement jamais accès à

la télévisionl Toutefois, des pays comme le Nigéria, la

Côte-d'Ivoire et le Niger ont entrepris des efforts pour rendre

la télévision plus accessible aux pauvres des villes et aux

paysans au moyen de téléviseurs collectifs achetés par le gouver-

nement.

* * *

La croissance du parc de récepteurs de télévision et des

zones couvertes par les signaux télévisés a été phénoménàle

au cours des derniers 20 ans. De 1960 à 1976, le nombre de

récepteurs en Afrique a été multiplié par 202. Par exemple,

au Nigéria, 25 % du pays est couvert par des signaux télévisés,

et même si seulement 2 % de la population possède un récepteur,

les ventes d'appareils augmentent de 15 % par année3. Le système

de télédiffusion le plus avancé se trouve au Zaire. Dans ce

pays de 2,3 millions de kilomètres carrés, 13 stations satellites

au sol sont reliées à 17 transmetteurs pour atteindre en partie

toutes les régions du pays et 10 % de la population.


16

En Côte-d'Ivoire, à la suite de l'expansion massive du

service de télévision scolaire implanté dans les années 1970,

les signaux télévisés atteignent 70 % des villages, et le gouver-

nement a réparti plus de 20 000 récepteurs à travers le pays.

Les estimations du nombre de téléviseurs en Afrique (excluant


(4) (
les Etats arabes) oscillent entre 2,7 et 11 millions 5)

En fait, personne ne sait exactement combien il y a d'appareils

sur le continent. Les données démographiques fiables sur la

taille des populations sont rares, toute précision dans les

statistiques sur les récepteurs de télévision est exclue.

* * *

Toutefois, une chose est sûre contrairement aux occidentaux

qui regardent la télévision seuls ou avec leur famille immédiate,

les propriétaires de téléviseurs africains placent souvent leurs

appareils à l'extérieur, de façon à ce que les membres de la

famille étendue et les voisins puissent le regarder.

Dans une étude sur les téléspectateurs de Zambie, Graham Mytton

s'est aperçu que même si les propriétaires de téléviseurs font

partie de la population aisée, 26 % des téléspectateurs s'avéraient

provenir de la tranche à faible revenu parce que la famille

étendue avait accès aux postes6.

Une étude de la Nigerian Television Authority démontre

que la télévision au Nigéria n'est dorénavant plus l'apanage

de la classe aisée7. La moitié de l'auditoire était de classe

moyenne, 40 % était de la classe à faible revenu, et seulement


17

10 % de la classe fortunée.

Pour illustrer cette dimension de l'auditoire africain,

prenons deux exemples, l'un au Niger, l'autre au Zaïre.

Au coucher du soleil, à Yantala, un quartier pauvre de

Niamey, à l'heure où sont diffusées les nouvelles dans les dialectes

tribaux, la principale source de. lumière provient des appareils

de télévision placés dans les jardins. Devant chaque poste,

de 10 à 50 personnes, la plupart des hommes, sont regroupées,

écoutant et observant attentivement. On ne porte aucune attention

à qui entre dans les jardins pour écouter.

A Kindamba, un village au Zaïre, le chef de gare dut s'acheter

un deuxième appareil pour que sa famille puisse le regarder

en paix, à l'intérieur de sa maison, car l'auditoire atteignait

quelquefois jusqu'à 500 personnes.

Pour ce qui est de l'avenir, le directeur de la programmation

de la Zimbabwe Broadcasting Corporation, Job Jonhera, aime à

comparer le potentiel d'expansion de la télévision dans les

régions rurales à celui de la radio il y a une génération.

Il y a 20 ans, les signaux radiodiffusés se limitaient aux villes

et la grande partie de la population ne pouvait pas se permettre

un récepteur radio. A l'heure actuelle, le Zimbabwe est couvert

à 95 % par les signaux radio, et les progrès techniques, particu-

lièrement l'invention du transistor, ont rendu les radios bon

marché et abordables pour la majorité de la population.

* * *
18

A l'heure actuelle, aucun des pays étudiés n'envisageait

de réduire le prix d'achat d'un téléviseur. En fait, les appareils

seraient plutôt fortement taxés, quelquefois jusqu'à 200 % de

leur valeur. Bien que le gouvernement du Niger possède 51 %

d'une entreprise qui vend et répare des téléviseurs, le prix

moyen d'un appareil est au moins deux fois plus élevé qu'en

Europe.

Le Zaïre a étudié la possibilité de construire une usine

d'assemblage de téléviseurs en collaboration avec un fabricant

japonais, mais le projet fut jugé non rentable et abandonné.

Les gouvernements font face à un dilemme ils veulent

encourager la télévision en tant que facteur d'unité nationale,

pour atteindre le plus de gens possible, mais l'achat de récepteurs

implique des dépenses en précieuses devises, ce qui engendre

des difficultés économiques.

* * *

Toutefois, dans tous les pays étudiés, on a consacré de

l'argent à des expériences avec des groupes d'écoute collective,

surtout dans les villages sans électricité. L'électrification

par l'énergie solaire, en particulier, est pressentie comme

la solution visant à briser le monopole de la ville sur la télé-

vision.

L'écoute collective présente un certain nombre d'avantages,

hormis l'économie évidente d'atteindre le plus grand nombre

possible d'auditeurs avec chaque appareil acheté par le gouvernement.


19

D'après Katz, Wedell, Pitsworth et Shinar, dans Broadcasting

in the Third World: Promise and Performance, le message télévisé

est renforcé lorsque les habitants des régions rurales regardent

la télévision en compagnie de leurs pairs.

"En tant que lieux de rencontre [les centres d'écoute


collective] jouent dans les faits le rôle de centres
d'apprentissage collectif qui, comme en psychothérapie,
sont souvent plus efficaces que si on s'adressait
aux gens individuellement ... La présence de la télévision
[dans les lieux de rencontre traditionnels] agrandit
l'éventail des sujets de discussion et d'apprentissage
extrascolaire. Les téléviseurs seraient donc un bon
investissement dans le cadre d'un vaste effort de
modernisation."8

Toutefois, même si le phénomène de l'écoute collective

et des téléviseurs gouvernementaux semble passionnant et prometteur,

il faut se rappeler que les expériences ont été faites à petites

échelles et ont porté sur relativement peu de gens.

Il reste à voir aussi à quelle vitesse les projets décrits

dans les prochaines parties prendront leur essor compte tenu

des difficultés économiques de nombreux pays africains, et du

doute persitant sur l'efficacité de la télévision en tant que

moyen éducatif de masse.

* * *

Pour entreprendre, dans les termes d'un télé-éducateur,

un effort en vue de combler l'écart d'instruction entre les

villageois et les citadins, entre les instruits et les illettrés,

Je Nigéria a entrepris un ambitieux programme pour mettre sur

pied des centres d'écoute collective. L'expérience est basée

sur le succès du programme indien Satellite Instructional Television


20

Experiment (SITE) au cours duquel une moyenne quotidienne de

100 personnes ont regardé chaque téléviseur acheté par le gouver-

nement, ce qui totalise 2, 5 mi 11 ions de personnes dans 2 400

villages isolés9. Dans l'Etat d'Oyo, la Western Nigerian Television

(WNTV) a ouvert et exploité une centaine de centres il y a 10 ans.

WNTV décida qu'il serait plus économique d'installer les

téléviseurs dans des bâtiments publics existants plutôt que

d'en construire de nouveaux. En installant les téléviseurs

dans la place du village, dans les centres communautaires et

dans d'autres lieux "qui sont le creuset de l'opinion publique"lO,

la télévision et le message qu'elle véhicule s'implante mieux

et plus efficacement dans la vie et les discussions de la localité.

A Lalupon, une ville de 50 000 habitants dans l'Etat rural

d'Oyo, on décida d'installer le récepteur couleur de 26 pouces

fourni par la WNTV (devenue la Nigerian Television Authority-Ibadan)

dans la salle de cinéma. On acheta aussi un générateur d'électricité

pour prendre la relève pendant les fréquentes pannes de courant.

Le chef du village, Olahanloye Akinmoyede, aussi le directeur

de l'école, est très heureux de l'effet bénéfique que le téléviseur

public a eu sur ses concitoyens, particulièrement sur les enfants :

"Les enfants adorent ça, et c'est une très bonne influence.

C'est l'une des meilleures commodités. On voit les images et

on entend le son en même temps. Tout se passe ensemble. Et

on apprend tant de choses. Tout ce qui s'est passé dans des

e n d r o i t s é 1 o i g né s . On v o i t t o u t c o mm e s i o n y é t a i t . "

L'appareil fabriqué au Japon, l'antenne, le générateur

et la construction d'une salle d'entreposage de sûreté ont coûté


21

3 000 $ us. Le récepteur est nettoyé une fois par mois et révisé

une fois par an par l'un des deux techniciens à temps plein

de la NTA-Ibadan, qui s'occupent aussi de 17 autres centres.

Malheureusement, de la centaine de centres d'écoute collective

mis sur pied en 1976, il n'en reste que 17. Les appareils ont

été volés ou détruits par des groupes politiques rivaux qui

contestaient la programmation sous prétexte que c'était de la

propagande politique. La Nigerian Television Authority a offert

des subventions de 200 000 $ US au 32 stations partout au pays

pour établir des centres d'écoute collective dans les communautés

rurales.

* * *

Après l'Afrique du Sud et le Nigéria, c'est la Côte-d'Ivoire

qui compte le plus grand nombre de téléviseurs par habitant

en Afrique, soit 5 % de la populationll. Et contrairement à

ses voisins, la Côte-d'Ivoire a implanté son service de télévision

autant dans les villes que dans les campagnes.

Grâce à des investissements importants du gouvernement

ivoirien, de l'UNESCO, de la Banque mondiale et des gouvernements

de France et du Canada, des appareils de télévision furent placés

dans 70 % des écoles du pays dans le cadre de l'expérience éducative

la plus importante d'Afrique.

Après dix ans et des résultats très décevants, on a mis

un terme à l'utilisation de la télévision pour l'enseignement

aux enfants : l'expérience est considérée un échec. Mais l'ouverture


22

des écoles aux adultes le soir pour leur permettre d'assister

à des émissions éducatives extrascolaires a eu des effets marqués

sur la population rurale; on y voit la cause de l'amélioration

des soins de santé préventifs et des méthodes agricoles partout

en Côte-d'Ivoire.

Dans de nombreux villages, les adultes ont vite pris l'habitude

de se retrouver à l'école locale pour regarder "Télé pour tous",

une émission d'une demi-heure à l'intention des auditoires ruraux,

diffusée par la division d'Education extrascolaire du ministêre

de !'Education nationale ivoirien. D'après Georges Ket ta, chef

de la production de "Télé pour tous", 80 % de l'émission est

filmé à l'intérieur du pays; c'est une émission qui s'adresse

directement aux villageois, dans un langage simple. C'est l'une

des émissions les plus populaires de la télévision ivoirienne.

Lorsque les téléviseurs furent placés dans les écoles de

Kouassi Bliko, un petit village sans électricité dans le centre

de la Côte-d'Ivoire, tout le monde s'est entassé dans les 11

classes pour voir la télévision pour la première fois. Certains

habitants de villages voisins qui n'avaient pas d'école ont

marché jusqu'à 100 kilomètres pour venir voir "Télé pour tous".

D'aprês Jacques N'Ouessan, instituteur ~ l'école de Kouassi

Blikro, et membre actif de la communauté, c'est après avoir

écouté "Télé pour tous" que les villageois ont institué une

coopérative agricole et se sont efforcés d'éliminer certaines

maladies transmises par l'eau.

Même si "Télé pour tous" demeure le clou de la programmation

du mercredi soir, três peu des 20 000 appareils appartenant


23

au gouvernement fonctionnent encore, parce que l'infrastructure

mise en place pour entretenir les téléviseurs et recharger les

piles s'est effondrée en même temps que tout le projet de télévision

scolaire en 1981.

La responsabilité de remettre en état les appareils noir

et blanc du gouvernement, de les distribuer dans les villages

sans école, de les brancher à une alimentation électrique (proba-

blement des panneaux solaires) et d'implanter un réseau d'animation

coordonné avec d'autres moyens de communication échoit maintenant

au ministère du Développement rural. Bien que les 11 appareils

jadis utilisés dans les classes de Kouassi Blikro accumulent

la poussière dans un entrepôt, et que leurs piles soient mortes,

on retrouve encore une demi-douzaine de téléviseurs appartenant

à des particuliers dans le village, alimentés par des batteries

d'automobiles. "Kouassi Blikro n'est pas différent de bien d'autres

villages visités par des équipes de 'Télé pour tous' explique

Georges Ketta, qui ne peuvent plus se passer de la télévision

et qui font de gros efforts (comme voyager des centaines de

kilomètres pour recharger des batteries d'automobile) pour conserver

la télévision dans leur communauté."

* * *

Tout comme la Côte-d'Ivoire, le Niger a élaboré un système

de télévision éducative bien structuré dans les années 1970.

Au moment de la naissanse de Télé-Niger en 1972, la population

du Niger était à 95 % rurale, à 99 % anaphalbète et 94 % n'avait


24

jamais été scolarisée12. On croyait que la télévision offrirait

le plus haut rendement possible par rapport à un investissement

modeste en ressources humaines et financières.

Le gouvernement d'alors croyait que la télédiffusion aux

régions rurales ralentirait l'exode rural massif, et qu'elle

créerait un pont entre la ville et la campagne, et entre la

culture traditionnelle et le développement moderne.

Theresa Silverman écrit ceci dans Télé-Niger: Adapting an Electronic

Medium ta a Rural African Context

"Le gouvernement considérait qu'il en résulterait


des avantages économiques pour le pays tout entier
en instruisant une nouvelle génération d'agriculteurs,
une génération prête à travailler la terre et à s'adapter
à l'environnement actuel, mais ouverte aux innovations
qui pourraient un jour modifier le style de vie tradition-
nel. "13

La télévision ne sert plus à l'instruction scolaire des

élèves, mais le gouvernement n'a pas renoncé à son objectif

d'utiliser le média pour éduquer la population. Télé-Niger

est maintenant devenue Télé-Sahel et se spécialise dans l'éducation

extrascolaire des jeunes et des adultes.

Grâce à neuf transmetteurs, Télé-Sahel couvre toutes les

grandes villes du pays et une ci.rconférence d'une centaine de

kilomètres autour de chacune. On prévoit installer des téléviseurs

alimentés à l'énergie solaire pour l'écoute collective dans

10 000 villages partout au pays, au rythme de 450 par année.

Jusqu'à présent 1 050 ont été installés, 800 avec des panneaux

solaires et 250 dans des villages électrifiés.

L'éducation des jeunes, toujours en nombre croissant (taux

de croisl:!ance annuel 3,6 % ) , n'a pas été négligée. Les téléviseurs


25

utilisés dans les écoles ont été replacés dans le réseau de

"Samarias" ou centres pour les jeunes, qu'on retrouve partout

au Niger. A Niamey, il y a 46 Samarias, un dans chaque quartier,

équipés d'un téléviseur.

Il est de la responsabilité de la Société nigérienne de

télévision (SNTV) d'installer, de réparer et d'entretenir les

récepteurs appartenant au gouvernement. La SNTV est une entreprise

à propriété mixte, appartenant au gouvernement à 51 %, à des

groupes français à 49 %, et à des gens d'affaires nigériens

à 1 %.

Les récepteurs du gouvernement sont noir et blanc, bien

que Télé-Sahel diffuse en couleurs, parce qu'ils sont moins

chers à acheter, réparer et alimenter. Les premiers appareils

utilisaient des piles de 34 volts. Aujourd'hui, des piles

de 12 volts plus économiques et sans entretien (pas besoin d'eau)

sont utilisées dans les régions où on n'a pas installé de panneaux

solaires.

La SNTV emploie huit techniciens, huit chauffeurs et possède

quatre véhicules tous-terrains. Au coût de 125 $ US par an,

un technicien visite chaque centre d'écoute tous les 45 jours.

Pour faciliter l'entretien, les plus récents téléviseurs sont

équipés de composants montés sur châssis, qu'on peut facilement

retirer et changer. On peut ainsi réparer la plupart des récepteurs

sur place à l'aide des pièces de rechange transportées par l'équipe

technique. De toute évidence, il est beaucoup plus facile de

rapporter un composant de la grandeur d'un livre à l'atelier

de réparation qu'un récepteur tout entier, fait remarquer Robert


26

Bonnafous, le directeur technique de la SNTV.

La plus grande difficulté des techniciens, c'est que la

SNTV n'est pas décentralisée ils passent une grande partie

de leur temps en voiture, à voyager de Niamey à l'ouest jusqu'à

des endroits éloignés de 6 000 ou 10 000 kilomètres à l'est.

Le second problème est d'ordre humain les villageois

essaient souvent de réparer le téléviseur eux-mêmes, ou ils

abîment le système en rechargeant des batteries d'automobile

ou en alimentant d'autres appareils que la télévision avec les

panneaux solaires.

Le producteur de l'émission pour jeunes de Télé-Sahel,

"Magazine de jeune" nous a emmené visiter les Samarias de Niamey

pour voir les récepteurs du gouvernement à l'oeuvre. Le premier

Samaria que nous avons visité avait un appareil en état de marche,

mais il était sous clé parce que le responsable était malade.

Le deuxième avait un téléviseur avec le son, mais sans

image. Bien que les instances de la SNTV avaient été prévenues,

l'appareil était en dérangement depuis trois mois. (Au fait,

le son du téléviseur qui éclatait dans la nuit tranquille attira

rapidement une douzaine de personnes au centre pour les jeunes,

qui était vide. Ils partirent rapidement lorsqu'ils s'aperçurent

que l'appareil n'avait pas d'image.)

Nous avons finalement trouvé un Samaria avec un appareil

en état de marche. Télé-Sahel diffusait une émission agricole

pour les jeunes, mais le petit nombre qui regardaient ne pouvaient

rien entendre à cause du tapage que faisaient les 70 autres

jeunes qui jouaient dans la cour du centre.


27

Ce fut la même histoire dans deux autres centres d'écoute

collective visités dans des villages. A Libore Bangou Banda,

un petit village à une centaine de kilomètres de Niamey, les

adultes qui regardaient un film de l'UNICEF sur la construction

de maisons ont demandé à plusieurs reprises aux enfants assis

devant l'appareil alimenté à l'énergie solaire de faire moins

de chahut; finalement ils ont abandonné et ont simplement regardé

l'image. A un poste de contrôle policier, un autre appareil

du gouvernement, alimenté par le générateur du poste, était

encerclé par quelque 200 jeunes et par le nuage de poussière

qu'ils soulevaient. On avait peine à respirer l'air poussiéreux;

entendre quelque chose dans le brouhaha de la foule ou même

s'approcher d'assez près pour voir l'émission aurait tenu du

miracle.

Malick Abdoulaye, un instituteur de l'école locale, dit

que la situation à Libore Bangou Banda n'est pas toujours aussi

chaotique lorsque le téléviseur est allumé. Il est tout à fait

normal que les enfants soient attirés par la lumière la plus

brillante du village après le crépuscule même s'ils ne veulent

pas regarder l'émission. Mais en général, il croit que les

enfants et les adultes bénéficient de la présence du téléviseur :

"Un appareil suffit à informer tout le village. S'il y a une

bonne émission, ils vont tous venir. C'est aussi plus facile

d'enseigner aux enfants les choses qu'ils ont vues à la télévision.

Ils sont plus interessés et s'en souviennent mieux."

* * *
28

L'Office de Radiodiffusion Télévision du Sénégal (ORTS)

a installé un poste couleur alimenté â l'énergie solaire de

3 200 $ US dans le village de Deni Biram N'Dao, â 110 kilomètres

au nord de Dakar. Les techniciens de l'ORTS mesurent l'énergie

(engendrée par les panneaux solaires de 1,90 mètre carré) consommée

par le récepteur, et les habitudes d'écoute des résidents du

village.

Ils se sont aperçus que les panneaux pouvaient produire

146 watts. L'appareil consomme 36 watts, et les piles, une

fois rechargées par le soleil, peuvent alimenter 28 heures d'écoute.

Les villageois écoutent 80 % des émissions diffusées. Le fils

du chef du village, Djibril N'Doye, est responsable du fonctionnement

du poste, qui est gardé dans une hutte de cinq mètres carrés

munie d'un volet, anciennement utilisée pour vendre du pain

dans le centre du village.

Il dit qu'en moyenne 50 personnes par soir viennent êcouter

la TV. Les émissions les plus populaires sont celles en wolof,

la langue du village. Elles comprennent les nouvelles, des feuille-

tons, et une émission religieuse le vendredi. La plus populaire

de toutes, c'est l'émission de musique et de variétés le dimanche

soir jusqu'à 250 spectateurs, certains des villages voisins,

se ra~semblent sur la place du village, autour du puits central,

pour regarder les derniers vidéoclips rock d'Europe et d'artistes

sénégalais populaires.

Le Sénégal espère augmenter â 20 le nombre de villages

équipés d'une installation semblable d'ici cinq ans et former


29

les techniciens pour chaque région. On pense aussi créé une

division spéciale de l'ORTS, appelée Télé-Rurale, sur le même

modèle que l'émission à succès Radio-Rurale, spécialisée dans

la programmation à l'intention de la majorité de la population,

qui vit hors des grandes agglomérations.

* * *

Comme nous l'avons mentionné plus haut, à part la rentabilité

d'avoir un grand nombre de téléspectateurs regroupés autour

d'un seul téléviseur, l'écoute collective comporte l'avantage

de stimuler des discussions sur les messages diffusés et sur

les questions abordées. Mais pour que les sommes importantes

consacrées aux centres d'écoute collective et aux appareils

payés par le gouvernement rapportent, on doit s'assurer que

le message est bien reçu et compris. Sans animation, catalyseur

crucial, la télévision se trouve réduite le plus souvent au

rôle de palliatif et de divertissement coûteux, que les pauvres

des villes et les agriculteurs, ceux qui sont censés en retirer

le plus d'avantages, aiment bien, mais qu'ils ne comprennent

pas beaucoup. Les auteurs de Broadcasting in the Third World:

Promise and Performance font la remarque suivante :

"D'après notre expérience, l'éducation médiatique


extrascolaire est rarement couronnée de succès, sauf
si l'agent de changement social détache un travailleur
sur le terrain pour faire le lien avec le média ...
La télévision peut justifier son rôle dans les pays
à faible revenu seulement si on s'en sert comme outil
de développement, ce qu'elle ne peut faire que si
elle s'intègre à un effort de développement articulé
et concerté. 14 0
30

A l'heure actuelle, la mise en place de centres d'écoute

collective dans les pays étudiés a été lente, irrégulière et

très limitée· Les téléviseurs installés dans les régions rurales,

même dans les pays bien couverts par les signaux de télévision

comme la Côte-d'Ivoire et le Nigéria, touchent un faible pourcentage

de la population. Il est encourageant de voir que la télévision

est orientée de plus en plus vers les besoins des ruraux et

des pauvres des villes, mais il faut souligner que de nombreux

autres moyens existent, à meilleurs co6ts, pour communiquer

avec les masses rurales. De plus, installer des récepteurs

dans des villages sans prévoir de structure d'animation pour

coordonner et expliquer les messages risque de s'avérer une

dépense inutile si on veut utiliser le média pour appuyer le

développement.

Recommandations

1) Maintenir les co6ts d'installation des centres d'écoute

aussi bas que possible. Utiliser le plus possible de matériaux

locaux dans la construction d'un bâtiment, d'une salle d'entreposage

ou des bancs. Même si les appareils noir et blanc n'ont pas

une image aussi captivante, ils sont aussi efficaces pour communiquer

un message et coûtent moitié moins cher à acheter et à entretenir.

2) Placer le téléviseur dans un lieu public. 11 pourrait

s'agir de la place du marché, de la grand-place, mais de préférence

de l'école, d'un centre communautaire ou d'un autre bâtiment

déjà existant. Un abris permet l'écoute pendant la saison des

pluies et pendant la journée quand la lumière vive éblouit l'écran.

3) S'assurer que l'appareil est bien protégé pour réduire


31

les risques de vol ou de vandalisme. On devrait nommer un respon-

sable de l'appareil chargé de le faire fonctionner, de le surveiller

et d'avertir les autorités en cas de réparation. La construction

d'un abris de sûreté à l'épreuve de l'eau, ou la conversion

d'un abris déjà existant, muni d'une solide serrure se fermant

à clé devrait être assurée.

4) Le téléviseur doit nécessiter le moins d'entretien possible

pour que du personnel non spécialisé puisse s'en occuper.

5) Encourager les riches citadins à contribuer à l'achat

d'un poste et à la mise sur pied d'un centre d'écoute dans leurs

villages d'origine15.

6) Eliminer la taxe d'importation sur les postes de télévision

et les pièces.

7) Agences de développement, animateurs sur le terrain

et télédiffuseurs doivent travailler en concertation à l'organisation

des centre d'écoutes collective.

8) Des rencontres pour écoute collective dirigée par un

animateur doivent avoir lieu régulièrement pour permettre aux

participants de prendre l'habitude de venir16.

9) Dans la mesure du possible, fournir des documents éducatifs

d'accompagnement pour consolider l'information télédiffusée.


32

Notes

1. Graham Mytton, Mass Communication in Africa, Londres, 1983,


p. 76.

2. Sean MacBride, Voix multiples, un seul monde, rapport de la


Commission internationale d'étude des problèmes de la communi-
cation, UNESCO et les Nouvelles Editions Africaines, Paris,
1980, p. 132.

3. Diran Adegbokun, "25 Years of Television Broadcasting in Nigeria",


dans Television Journal, Lagos, Avril-juin 1984, p. 20.

4. UNESCO, Index statistique 1978-79, p. 873-874.

5. USAID and Development Communications, Summary Table, Washington,


1984, p. 2.

6. Graham Mytton, "Listening, Looking and Learning", Institute


for African Studies, Lusaka, 1971, dans Mass Communications
in Africa, op. cit., p. 76.

7. "Analysis of the viewer", Nigerian Television Authority Handbook,


Lagos, 1981, p. 70.

8. Katz, We d e 1 1 , P i t s w o r t h e t S h i ne r , B_r_o_.a...d-.c""-""a~s_.t._.i""'n=-g_....i.....n=--t--h---..e_T.....h~i""'r--=d
World: Promise and Performance, Londres, 1978, p. 187.

9. Vasant Sathe, "How Satellites will extend India's development


communications" dans Intermedia, Londres, septembre 1981, p. 37-40.

10. Katz et al., Broadcasting in the Third World, op.cit., p. 202.

11. "Côte-d'Ivoire 1971 un échec imprévu, dans Problèmes audio-


visuels, n° 9, INA, Paris, septembre-octobre 1982, p. 22.

12. Ibid.

13. Theresa Silverman, Télé-Niger: Adapting an Electric Medium


to a Rural African Context, Washington, 1976, p. 5.

14. Katz et al., Broadcasting in the Third World, op. cit., p. 188.

15. "Daily Times Opinion: Television Viewing Centres", une idée


proposée à l'origine au Nigéria par le major-général Tunde Idiagbon,
Chef de l'état-major, quartier général suprême, Daily Times,
Lagos, 6 novembre 1984.

16. Heli perrett, Using Communication Support in Projects: The


World Bank's Experience, Washington,D.C., 1982, Amer IV, p.3.
33

L'animation sur le terrain


et la méthode
multi-média
34

Quand la télévision éducative fut introduite en Afrique

il y a 20 ans, on pensait que ce serait la solution ultime.

Le média devait éclairer le continent noir; en éduquant les

masses, ils devait amener les nouvelles nations africaines au

coeur de la vie du 2oe siècle.

Aujourd'hui, on s'aperçoit que la pouvoir de la télévision

à influer seule sur les attitudes et les comportements était

grandement exagéré; les expériences éducatives en milieu scolaire

ou extrascolaire ont la plupart du temps déçu.

De nombreux spécialistes, notamment Graham Mytton, l'auteur

de Mass Communications in Africa, conviennent que la télévision

et les autres moyens de grande information sont efficaces pour

renseigner le public sur les moyens de développement; mais ils

croient aussi que la communication interpersonnelle arrive mieux

à former et à changer les attitudes face au développement.

Mytton écrit

"Lorsqu'il s'agit de persuader, on devrait surtout


se fier à la communication de bouche à oreille plutôt
qu'aux médias de masse. C'est pourquoi, dans un certain
nombre de pays, on a favorisé des campagnes de masse
combinées à de petits groupes organisés, dirigés avec
soin."1

Une émission de radio ou de télévision peut suggérer à

un agriculteur l'idée de planter une espèce de mais différent,

mais à moins qu'un agent agricole, le chef du village, un autre

agriculteur ou quelqu'un en qui il a confiance ne l'encourage

à faire le changement, il n'agira probablement pas de son propre

chef. Il sera peut-être impressionné par les progrès des autres

qu'il aura vus à la télévision, mais il ne pensera pas que cela

s'applique à son cas personnel.


35

Katz, Wedell, Pitsworth et Shiner écrivent ceci dans

Broadcasting in the Third World: Promise and Performance

"Les campagnes de modernisation visant le changement


à court terme dépendent de systèmes de communication
qui allient la diffusion efficace de l'information
à des occasions de renforcement, de discussion et
de retour d'information. Ces occasions demandent
la participation d'agents influents en qui la population
a confiance en plus des médias de masse. Le rendement
d'un média à l'appui du développement, comme dans
le domaine de l'instruction, dépend de deux facteurs :
l'importance consacrée aux problèmes de développement
par le média et la mesure dans laquelle ces efforts
de développement sont appuyés par les agents responsables
du changement sur le terrain."2

Les films, diaporamas, tableaux de feutre et affiches sont

des auxiliaires puissants pour les instructeurs sur le terrain.

Combinés à la radio, à la télévision, et dans une moindre mesure,

aux journaux, ils augmentent les chances d'influer sur les habitudes

du plus grand nombre possible de gens.

Les planificateurs de la communication à l'appui du dévelop-

pement ne mettent plus tous leurs oeufs dans le même panier,

mais examinent un vaste choix de canaux de communication pour

y insérer leur message sous toutes les formes possible.

La radio et la télévision sont vues comme les premiers

porteurs de l'information sur le développement ils représentent

le support à grande échelle qui présente le changement et prépare

le chemin aux animateurs sur le terrain équipés de moyens plus

petits pour donner les détails et orienter le progrès.

Ignacy Waniewicz, dans La Radio-Télévision au service de

l'éducation des adultes, affirme qu'il est essentiel de combiner

la radio et la télévision à d'autres médias pour faire passer

le message de développement efficacement


36

"La méthode systémique consiste essentiellement â


fixer des objectifs, â déterminer les moyens â employer
pour les atteindre ainsi que le moyens d'information
correspondants, et â assurer une action en retour.

La méthode systémique suppose généralement le recours


â plusieurs moyens d'information, la radiodiffusion
étant associée â d'autres moyens d'expression à but
éducatif dans un dispositif systématique et intégré.

[ ... ] Il est essentiel de prévoir l'interface nécessaire


entre une partie du système et l'autre, entre les
divers éléments du dispositif intégré."3

Dans ce chapitre, nous examinerons plusieurs projets de

communication à l'appui du développement qui ont intégré avec

succès l'animation sur le terrain à la télévision et à d'autres

médias lourds ou légers.

* * *

Le directeur général de la première station de télévision

nigériane, la Nigerian Television Authority-Ibadan, croit fermement

qu'il faut coordonner la programmation d'émissions "formatives"

avec le travail de différents ministères sur le terrain. Bayo

Sanda, qui est aussi un chef traditionnel, pense que beaucoup

d'argent est gaspillé à produire "de belles émissions" pour

un auditoire qui oublie vite ce qu'il a vu parce qu'aucune animation

n'accompagne le message pour le renforcer. Il dit qu'on avait

prévu de mettre sur pied un réseau d'animateurs sur le terrain

pour encadrer l'écoute collective dans les villages munis d'appareils

du gouvernement, mais le projet n'a jamais démarré.

Le chef Olahanloye Akinmoyede de Lalupon, un village avec

un centre d'écoute collective près de Ibadan, au Nigéria, se


37

plaint qu'une grande partie des émissions intéressantes et utiles

n'est pas comprise par les villageois parce que personne n'est

là pour leur expliquer "Nous aimerions que quelqu'un puisse

répondre à nos questions. Après avoir vu une émission, nous

pourrions en discuter. Même si beaucoup regardent, ils ne com-

prennent pas. Ils ne connaissent pas le sens. Je les appelle

quelquefois pour leur expliquer. Mais ce serait mieux si quelqu'un

qui connaissait les émissions pouvait nous les présenter avant

et nous en parler après."

Le Niger, la Côte d'Ivoire et le Zaire ont tous fait l'expé-

rience d'animateurs sur le terrain, pour coordonner les campagnes

des médias de masse. Des centres d'écoute ont été mis sur pied

dans un certain nombre de communautés au Niger. Ces centres

ont la responsabilité d'organiser les groupes d'écoute de radio

et de télévision, de distribuer le matériel et l'équipement

audiovisuels aux instructeurs et d'organiser des débats après

les films ou les émissions télévisées. Les centres reçoivent

aussi une fois l'an la liste des émissions diffusées à la radio

et à la télévision, indiquant les sujets traités si possible.

Les centres sont équipés de magnétophones pour enregistrer

les questions des participants, qui sont envoyées au ministère

du Dêveloppement rural à Niamey. Les renseignements servent

à orienter d'autres campagnes médiatiques et les productions

pour la radio et la télévision. Bien que les renseignements

retournés aux producteurs soient utiles, l'impact des centres

est très limité car il n'en existe qu'une vingtaine et les animateurs

sont tous volontaires.


38

L'animation était censée faire partie intégrante del 'éducation

des adultes dans le cadre du programme d'éducation télévisuelle

de la Côte-d'Ivoire. Les adultes fréquentaient les écoles le

soir pour écouter des émissions relatives au développement suivies

de débats animés par les instituteurs qui avaient reçus des

directives en ce sens. On installa 20 000 appareils de télévision

dans 70 % des écoles pour couvrir la plus grande partie du pays.

Ute Deseniss Gros, un agent de l'UNICEF à Abidjan, a travaillé

avec les Ivoiriens à la Télévision extrascolaire, une division

du ministère del 'Education responsable del' instruction télévisuelle

extrascolaire des adultes. Pendant l'expérience, des tests

ont prouvé que sans communication interpersonnel le après l'émission,

les villageois oubliaient rapidement ce qu'ils ont vu à la TV.

Les animateurs devaient remplir des fiches d'évaluation

et les renvoyer aux producteurs de Télévision extrascolaire.

Ces renseignements, d'après le chef de la production, Georges Ketta,

étaient importants pour les producteurs. Ils en déduisaient

quelles formules fonctionnaient, ce que les villageois comprenaient

et quelles émissions il valait la peine de reprendre.

Les ennuis sont survenus parce que les instituteurs voulaient

être payés pour les heures supplémentaires qu'ils faisaient

le soir avec les adultes; ils ne voulurent plus accorder leurs

services volontairement. Les instituteurs n'avaient pas le

temps de préparer leurs leçons pour le lendemain et étaient

souvent fatigués après leur journée de travail avec les enfants.

Finalement, le côté animation du projet s'est désagrégé pour

s'effondrer complètement quand toute la structure de la télévision


39

éducative fut démantelée en 1981.

L'Office national de la promotion rurale (ONPR), division

du ministêre du Développement rural responsable de l'éducation,

est en train de ramasser les miettes de l'expérience défunte

sur la télévision éducative. Luc Bra Iridjé, responsable de

la formation et de l'animation à l'ONPR, pense que la télévision

"passe au-dessus de la tête des villageois" et jouera seulement

un rôle de second plan dans la nouvelle structure. L'accent

sera mis sur les campagnes d'information multi-médias. L'ONPR

est chargé de redistribuer les 20 000 appareils du gouvernement

présentement entreposés dans les écoles dans les villages qui

ont des écoles et dans ceux qui n'en ont pas.

L'ONPR a embauché et placé 50 animateurs dans des villages

du nord de la Côte d' Ivoire. Chaque animateur s'occupe de 12

villages et est muni d'une automobile, d'un projecteur 16 mm,

d'un projecteur de diapositives et d'un petit générateur. L'objectif

est de promouvoir un thême central, comme la vaccination ou

la planification financiêre familiale, et de mener une campagne

multi-média. Des films seront réalisés et montrés à l'émission

télévisée de l'ONPR "Promo village" et à "Télé pour tous", la

seule émission du ministêre de l'Education encore diffusée.

Des émisRions radiophoniques sur les mêmes thêmes seront également

diffusées, ainsi que des dépliants et des journaux; des chanteurs

populaires feront des chansons sur des thêmes à l'appui du dévelop-

pement distribuées par l'ONPR sur des cassettes audio.

De plus, les membres des structures administratives, notamment

les sous-préfets et les chefs de village, auront à participer


40

aux campagnes, à donner leur avis et à travailler avec les anima-

teurs.

Une des principales doléances des villageois contre "Télévision

extrascolaire" était qu'ils avaient de la difficulté à comprendre

les messages parce qu'ils étaient trop denses ou qu'ils étaient

en français. Ils pensaient aussi que beaucoup de sujets traités

dans les émissions ne s'appliquaient pas à eux. L'ONPR prévoit

décentraliser ses communications afin de mieux répondre aux

nécessités de chaque village. Une cinémathèque bien garnie

sur le développement rural, fruit des 10 années du projet de

télévision éducative, est mise à la disposition des villages

par les animateurs de l'ONPR.

Les animateurs auront à découvrir de quels problèmes les

villageois veulent s'occuper, à montrer les films sur le sujet,

à animer les débats, à répondre aux questions et à orienter

les actions à prendre. En apportant aux villageois les films

qu'ils ont demandés, en le montrant deux fois au même auditoire

et en faisant présenter le sujet par l'animateur dans le dialecte

local, la communication s'en trouve grandement améliorée.

Les animateurs font aussi rapport des besoins des villageois,

et de l'efficacité des différents films et des campagnes aux

fonctionnaires de l'ONPR à Abidjan. Iridjé affirme que c'est

moins cher et dix fois plus efficace de payer un animateur et

de l'équiper d'une automobile et d'un projecteur pour se rendre

dans 15 villages que d'installer et d'entretenir 15 appareils

de télévision dans ces mêmes villages.

La première campagne multi-média organisée par l'ONPR depuis


41

que la nouvelle structure est en vigueur portait sur l'importance

de la femme dans l'économie rurale. La campagne visait à réduire

les responsabilités domestiques des femmes par l'implantation

de garderies et de coopératives de femmes.

Au début de la campagne, sept garderies furent ouvertes,

mais un manque de coordination a. grandement réduit l'efficacité

de la campagne. Par exemple, bien que le ministère de la Condition

féminine dispose de ses propres émissions télévisées et d'animateurs

sur le terrain, aucun effort de coordination entre les deux

ministères n'a été entrepris. Le ministère de l 'Education,

qui produit "Télé pour tous", n'a aucun lien avec l'ONPR et

participe aux campagnes de façon aléatoire.

Finalement, l'ONPR a éprouvé des difficultés à recruter

des animateurs capables de lire et écrire dans les villages,

parce que le salaire de départ est relativement bas. En fait,

des contraintes budgétaires ont grandement réduit l'efficacité

du projet et même si on prévoit couvrir le pays en entier d'ici

cinq ans, il en coûtera près de 900 millions de dollars (US)

pour le faire.

Pour illustrer davantage l'importance de la concertation

entre les organismes gouvernementaux et non gouvernementaux,

les instructeurs et les collectivités, examinons le projet "Santé

pour tous" du Zaire.

"Santé pour tous" est un projet portant sur les mesures

hygiéniques préventives, subventionné par le département de

la Santé publique zairois, USAID, et administré par un groupe

religieux, l'Eglise du Christ du Zaire (ECZ). "Santé pour tous"


42

chapeaute aussi SANRU 86, un service de santé rurale, un projet

de promotion de l'alimentation et de l'agriculture, une campagne

de vaccination et un projet de planification familiale.

Les concepteurs de ces différents projets sont partis du

principe que l'absence de coordination dans l'éducation extrasco-

laire des adultes dans le passé avait résulté en un dédoublement

des efforts, ce qui avait mélangé ceux que l'information était

censée aider.

Pour faciliter la coordination des communications des différents

participants, des représentants de chaque organisme siègent

au conseil de direction des autres. Les concepteurs conviennent

que la coordination à ce haut niveau est nécessaire pour en

arriver à bien fonctionner.

Le programme "Santé pour tous" est implanté dans 50 zones

de santé rurales à travers le Zaire. Chaque zone se trouve

autour d'un hôpital et d'un bureau sur le terrain. Chaque bureau

est équipé d'un projecteur de film et de diapositives à piles.

On prévoit fonctionner à l'énergie solaire dans un avenir rapproché.

L'objectif est de sensibliser les infirmières, les sages-femmes

et les travailleurs sanitaires de chacun des villages dans les

50 zones de santé rurales aux soins de santé primaires et aux

techniques de communication à l'appui du développement4. Une

fois formés, les travailleurs sanitaires de chaque village utilisent

les auxiliaires audiovisuels entreposés dans les bureaux sur

le terrain. De plus, des comités de développement communautaire

ont été mis sur pied dans de nombreux villages compris dans

les zones de santé rurales pour coordonner les campagnes et


43

les projets au niveau local.

Chaque comité décide des problèmes qu'il veut aborder et

du matériel audiovisuel qu'il veut utiliser pour communiquer

avec les villageois. Par exemple, le comité de Kindamba, un

village sur la ligne de chemin de fer à l'ouest de Kinshasa,

est le grand responsable de la construction d'un "Centre de

santé", oQ 85 % des femmes ont pu être convaincues d'y accoucher.

Après avoir vu un film et un diaporama sur les maladies transmises

par l'eau, les habitants ont aussi décidé de construire un système

de filtration de leur source d'eau, simple mais efficace.

MBenza Zuzolo, vice-président du comité, marche une fois

par mois jusqu'à 15 kilomètres pour se rendre bénévolement à

l'un des 12 villages avoisinants. Il parle du succès de son

village à réduire les vers intestinaux et la malaria, et discute

de l'alcoolisme et de la planification familiale, entre autres.

Il porte souvent avec lui des affiches et autres supports visuels.

Cette situation est reproduite dans d'autres zones de santé

rurales aussi.

Florence Galloway, coordinatrice de la formation pour le

projet, souligne que la livraison du matériel sur le terrain

se trouve grandement accélérée puisqu'il s'agit de diaporamas,

de films, de tableaux de feutre etc. qui existent déjà. On

veille à ce que le matériel soit à jour et pertinent, et tout

est vérifié à l'avance par des spécialistes en communication

pour voir dans quelle mesure le message est perçu.

On a aussi eu grandement recours aux traits culturels locaux

pour communiquer les messages de "Santé pour tous". Le théâtre,


44

la chanson et les jeux ont été intégrés au programme de formation.

Mme Galloway croit que les techniques de communication modernes

sont importantes, mais les machines tombent en panne ici alors

qu'une chanson populaire peut durer des années.

De tout le matériel distribué, les afiches et les cartes

sont les plus populaires. Quelque 60 % des infirmières de village

s'en servent. Yoluki Itoko, un préposé au projet "Santé pour

tous", dit qu'il a eu beaucoup de succès avec ses diaporamas

dans les villages. Il aime travailler avec les diapositives

à cause de leur souplesse d'utilisation. Il peut préparer chaque

présentation en fonction des besoins d'un village et discuter

des images au rythme des villageois. Au contraire, il s'est

aperçu que les films sont moins efficaces à cause du rythme

fixé d'avance de la narration; les films pour projection fixe

présente l'inconvénient de ne pas pouvoir être manipulés pour

faire en sorte que chaque image soit pertinente.

Bien que chaque bureau sur le terrain dispose d'un technicien

capable de faire des réparations mineures, les piles utilisées

pour alimenter les projecteurs ont causé des ennuis. Des piles

solaires ont été commandées avec l'espoir de redresser la situation.

Le média de masse électronique a eu un rôle a jouer. Ratelesco,

la division de la radio-télévision éducative de "La voix du

Zaire", a coproduit les deux émissions et des feuilletons avec

plusieurs organismes de "Santé pour tous", notamment CEPLANUT,

le projet alimentaire et agricole, et des groupes religieux.

Dans la plupart des cas, les organismes ont payé le matériel,

comme des vidéocassetes, le transport et l'hébergement de l'équipe


45

de production dans les villages et ont offert l'aide d'experts-con-

seils pour travailler le contenu.

CEPLANUT a mené une enquête sur une série télévisée qu'elle

avait diffusée. On s'est aperçu que même si 25 % de la population

zairoise vivait dans des régions couvertes par les signaux de

télévision, seulement deux foyers sur dix dans ces régions possé-

daient un poste de télévision, comparativement à 6 sur 10 qui

avaient une radio. On s'est aussi aperçu que bon nombre des

émissions éducatives de Ratelesco étaient diffusées à des heures

qui ne convenaient pas à l'auditoire-cible. Mais malgré ces

lacunes, la capacité de production télévisée de INANDES, un

centre de ressource éducatif subventionné par l'Eglise catholique,

et l'Eglise du Christ du Zaire, les deux principaux fabricants

du matériel éducatif utilisê pour le projet "Santé pour tous",

est améliorée grâce à du nouvel équipement.

Finalement, en faisant de la formation en communication

le volet le plus important de "Santé pour tous", les concepteurs

espêrent que la contribution du projet durera de longues années,

même quand les structures actuelles n'existeront plus.

* * *

De plus en plus de gouvernements africains se rendent compte

des lacunes de la télévision êducative; ils cherchent d'autres

moyens de favoriser le développement de leurs concitoyens et

la communication à double sens. L'intégration et le fusionnement

d'un éventail de médias avec les agents de changement est relati-


46

vement nouvelle et n'a pas été mise en oeuvre à grande échelle.

Ceux qui cherchent à promouvoir le développement par les

moyens de communication doivent s'assurer en priorité que tous

les acteurs du développement travaillent de concert, et non

chacun de son côté.

Le rôle de la télévision pour le développement doit être

examiné en détails, compte tenu qu'il s'agit, de l'avis général,

du moins efficace et du plus cher des médias pour l'éducation

extrascolaire en Afrique.

Recommandations

1) Coordonner les réseaux existants de travailleurs sur

le terrain, comme les instituteurs, les agents agricoles et

les travailleurs sanitaires, dans le cadre de campagnes médias

et del 'animation de centre d'écoute collective de façon à consolider

le message, stimuler la discussion et fournir de l'information

en retour.

2) Etendre la portée du message télévisé en faisant distribuer

des documents aux téléspectateurs par les animateurs. La TV

informe mais n'enseigne pas. Elle prépare le chemin pour la

communication interpersonnelle et un message plus précis.

3) Jusqu'à ce que la télévision soit plus répandue, investir

dans d'autres médias. Si on choisit la télévision, s'assurer

qu'elle est coordonnée avec les autres médias et que les messages

soient testés et uniformisés pour éviter toute confusion.

4) Décentraliser les communications quand c'est possible.

Quand la télévision s'adresse à tout le monde, personne ne l'entend.

Elle ne peut pas intéresser tous et chacun tout le temps. Les


47

moyens et techniques de développement, comme nous l'avons vu,

seront mieux mis en oeuvre s'ils proviennent d'une demande faite

par la base. Il faut laisser les villageois choisir quels moyens

d'action ils veulent prendre.

5) Encourager les animateurs "du terroir" à l'aide d'un

salaire intéressant ou d'un statut important dans leur village

en les identifiant avec un insigne ou un uniforme.


48

Notes

1. Graham Mytton, Mass Communication in Africa, Londres, 1983,


p. 7.

2. Katz, Wedell, Pitsworth et Shiner, Broadcasting in the


Third World: Promise and Performance, Londres, 1978, p. 184.

3. Ignacy Waniewicz, La radio-télévision au service des adultes


Les leçons de l'ex_périence mondiale, UNESCO, Paris, 1972,
p. 50.

4. Stanley Yoder, "Agents de santé communautaire", dans Santé


rurale, Kinshasa, avril-juillet 1983.
49

Deuxième partie :
l'amélioration des
capacités éducatives
de la télévision
50

Les téléromans :
le plus puissant outil
de la télévision pour le développement
51

(J) Jeune homme "Je ne suis pas sorcier, mais j'ai décidé

que je ne voulais plus d'enfant pendant les trois prochaines

années et je n'en aurai pas."

(V) Vieil homme "Pourquoi ?"

(J) Parce que j'ai du mal à nourrir les trois enfants que

j'ai et je me demande comment je vais faire pour les éduquer.

les habiller etc.

(V) - Comment ton père t'a-t-il élevé, toi ?

(J ) Les temps ont changé. Je n'ai jamais été à l'école et

je veux que mes enfants y aille.

(V) - Tu sais comment ne plus avoir d'enfants ?

(J) - Je viens d'aller voir quelqu'un qui nous a aontré coaaent

décidé du nombre d'enfants qu'on veut.

(V) Il n'y a personne sur terre qui peut décider si tu auras

ou non des enfants. C'est le travail de Dieu.

( J) Sauf votre respect. je pense que vous n'avez pas entendu

parler du programme de planification familiale du gouvernement

qui vous permet d'espacer vos enfants et de les avoir quand

vous voulezl."

Cette discussion entre un jeune adepte de la planification

des naissances et un père de 10 enfants fut diffusée au Kenya

dans le cadre d'un programme subventionné par l'UNICEF et le

ministère de la Santé du Kenya. Les deux principaux acteurs

du feuilleton "Kiroboto" suivent un scénario et improvisent

pour promouvoir le programme de planification familiale du gouver-

nement au moyen du plus puissant outil des médias l'humour

et l'émotion.
52

La dramatique, le téléroman, le téléfeuilleton ou la teleno-

vela pour les télédiffuseurs il s'agit de la meilleure formule

pour communiquer des renseignements à l'appui du développement.

En créant un cadre réaliste, grâce auquel les téléspectateurs

peuvent s'identifier aux personnages et aux situations, la commu-

nication est grandement améliorée.

En distrayant, divertissant et instruisant tout à la fois,

le téléroman permet au "diable de faire le travail du bon Dieu"2.

Un documentaire ordinaire ou un débat télévisé serait plutôt

froid, éphémère et marginalise la question en s'aliénant une

grande partie de l'auditoire. Georges Ketta, chef de la production

de "Télé pour tous", une émission hebdomadaire d'éducation rurale

en Côte-d'Ivoire, a produit des feuilletons et des documentaires.

D'après son expérience, un documentaire doit être très bien

réalisé pour transmettre un message, alors qu'un feuilleton

est si populaire que même s'il est médiocre il aura du succès.

Une émission qui "parle" aux gens n'a pas la même portée

auprès du téléspectateur qu'une autre qui le divertit et le

prend à parti. Quand un réalisateur peut tabler sur une dimension

humaine qui crée une possibilité d'identification émotive, l'au-

ditoire potentiel s'agrandit et le message a plus de chances

de passer et de s'ancrer.

Un docteur ou un travailleur sanitaire peut passer à la

télévision pour parler de la relation entre les flaques d'eau

dans un village et la malaria. Mais un feuilleton traitera

le même sujet de façon complètement différente.

Le téléspectateur verra deux familles, par exemple, qui


53

lui ressemblent. Les deux familles ont de jeunes garçons qui

jouent ensemble. L'une des famille entretien le terrain autour

de sa maison et élimine les flaques d'eau. L'autre ne le fait

pas. Le petit garçon de cette famille meurt de la malaria.

Les téléspectateurs vont probablement s'identifier aux familles

et être touchés par la mort du garçon, pour finalement, par

une réaction émotive, faire le lien entre les flaques d'eau

et la malaria.

Les téléspectateurs ruraux ne saisiront pas toujours l'objet

d'un documentaire s'il n'y a pas de vie, déclare Kintendalk

Mata, un réalisateur zairois. Mais des messages sociaux compliqués

peuvent être réduits à une forme compréhensible et assimilable

dans un feuilleton. Comme le dit un réalisateur nigérien

"Les feuilletons sont efficaces parce qu'ils mettent en scène

des gens qui s'adressent à d'autres gens."

On peut également traiter des sujets délicats ou controversés

qu'il serait impossible d'aborder d'une autre façon. Les pots-de-vin

ou la corruption du gouvernement, de même que l'inceste ou d'autres

problèmes sexuels familiaux, ne font pas facilement l'objet

de débats publics à la télévision.

Toutefois, même des sujets tabous peuvent être présentés

au grand public si on les déguise en feuilletons. Il suffit

de traiter la question avec un certain humour.

"Nous pouvons nous moquer du gouvernement et nous en tirer,

alors que d'autres producteurs n'oseraient jamais le faire",

déclare un producteur africain de feuilletons. Le gouvernement

de la Côte-d'Ivoire a accordé aux producteurs de Radio-Télévision


54

ivoirienne (RTI) une liberté exceptionnelle pour faire une critique

sociale dans leurs feuilletons.

Un feuilleton de la RTI racontait l'histoire d'un ministre

qui ne s'occupait pas de ses parents, menait un grand train

de vie dans une luxueuse résidence, avait cinq voitures, et

acceptait les pots-de-vin. Un documentaire n'aurait jamais

pu exposer la réalité de la corruption de cette façon.

Dans tous les pays étudiés, les feuilletons, en particulier

ceux en langues africaines, étaient les émissions locales les

plus écoutées. Ils sont même plus populaires que les téléromans

ou les séries d'action-aventure importées d'Europe ou des Etats-Unis.

C'est d'ailleurs le cas partout dans le monde, d'après les auteurs

de Broadcasting in the Third World, qui remettent en cause l'af-

firmation voulant que les émissions importées soient les plus

populaires dans tous les pays3.

Bien que la Zimbabwe Broadcasting Corporation éprouve des

difficultés à en convraincre les commanditaires, l'une de ses

dramatiques hebdomadaires improvisêes en langue shona est plus

écoutée que le télêroman américain "Dallas" produit à grands

frais.

* * *

Les téléromans, ou "telenovelas" comme on les appelle en

espagnol, sont très populaires en Amêrique latine. Les feuilletons

de 30 ou 60 minutes, souvent mélodramatiques, représentent 34 %

de la grille horaire du Brésil4.


55

Une telenovela a même été combinée à des cahiers d'exercices

en vue de l'obtention d'un certificat attestant quatre années

d'études élémentaires. Des milliers de personnnes ont participé

au programme; ils ont fait les exercices afin d'obtenir le diplôme

minimum nécessaire pour travailler en usine.

Le gouvernement du Mexique a utilisé cette formule pour

diffuser des messages sociaux positifs destinés à inciter le

public à adopter des valeurs qui lui permettrait de résoudre

des problèmes personnels et sociaux.

De 1975 à 1981, huit telenovelas, diffusées pendant plusieurs

mois, ont été réalisées sur différents sujets, comme la planification

familiale, les droits des enfants, les responsabilités parentales,

le nationalisme, le sens des valeurs, l'éducation sexuelle des

adolescents et la condition féminine.

La première telenovela avait pour objet de contribuer au

plan national d'éducation des adultes. Comme les autres, elle

était diffusée à la même heure que les telenovelas commerciales

et présentait leur déroulement classique. A la suite de cette

série, près d'un million d'illettrés se sont inscrits dans les

classes d'éducation des adultes5.

La telenovela sur la planification familiale a incité un

demi-million de Mexicaines à visiter des cliniques de santé.

Pendant la série, les ventes de contraceptifs ont augmenté

de 23 %.

* * *
56

Bien entendu, la reproduction fidèle de la réalité et le

degré d'identification des téléspectateurs aux situations jouent

un grand rôle dàns le succès d'un feuilleton à remplir ses objectifs

éducatifs.

Les auditoires africains sont très sensibles à la véracité

des situations qu'on leur présente à l'écran. El Hadj Diouf,

professeur de communication à l'université de Dakar, affirme

que si un réalisateur n'utilise pas un acteur indigène, qui,

essentiellement, joue son propre rôle, ou s'il ne fait pas toute

la recherche nécessaire sur le style de vie de son auditoire-cible

pour le reproduire fidèlement, le message ne passe pas.

"S'ils ne peuvent pas s'identifier aux personnages et aux

situations présentés, ça ne marchera pas. Les auditoires ruraux

sont particulièrement enclins à se dire 'Ca c'est un problème

de blanc ou de Camerounais. Ca n'a rien à voir avec moi.' Ils

ont de la difficulté à transposer le vécu des autres à leur

propre situation."

La Nigerian Television Authority a déployé de grands efforts

pour s'assurer que sa série dramatique "Cock's Crow at Dawn"

soit le reflet authentique de la vie à la campagne. Cette dramatique

primée, réalisée dans le but d'encourager les gens à quitter

les villes pour se lancer dans l'agriculture mécanisée, est

filmée sur place dans un village près de Jas. Les acteurs principaux

sont des professionnels, mais les figurants sont tous des paysans

jouant leur propre rôle. Peter Igho, qui a écrit, produit et

réalisé la série, mentionne que l'équipe de production a été

choisie à cause de ses antécédents ruraux. Et comme les acteurs


57

et les techniciens habitent le village pendant le tournage,

les images et le jeu des personnages sont beaucoup plus réalistes.

On consulte aussi régulièrement des agences de développement

du gouvernement travaillant sur le terrain pendant le tournage

pour orienter la production. Plusieurs trames dramatiques

ont été inspirées au réalisateur à la suite de son contact avec

le village. Par exemple, un épisode décrivant la formation

d'une coopérative a été écrit d'après l'expérience vécue du

village.

"Cock's Crow at Dawn" est financé par une banque nigériane.

Le principal message du feuilleton, c'est que les banques sont

prêtes à aider ceux qui sont prêts à travailler fort pour se

lancer dans l'agriculture mécanisée.

C'est l'histoire d'une famille qui est retournée à la campagne

après avoir vécu à la ville. Le chef de famille contracte un

prêt et achète un petit tracteur. Il commence à faire usage

de fertilisant et gagne un prix agricole. Les problèmes de

la famille découlant du conflit entre cultures urbaine et rurale

sont abordés.

Un représentant du gouvernement militaire nigérian, lors

de la remise d'un prix à Peter Igho, a fait l'éloge de la série

pour sa représentation réaliste du Nigéria rural et pour la

promotion de l'agriculture. Il a déclaré que la série "montrait

â quel point une émission dramatique pouvait influencer un peuple".

Une autre production nigériane a tenté de faire passer

un message social au moyen de la dramatique, mais n'y est pas

arrivé. Le Family Planning Council du Nigéria décida de réaliser


58

un film qui ferait la promotion de la planification familiale,

film qu'on pourrait montrer dans les villages et à la télévision.

L'histoire devait se passer dans le contexte de la culture indigène

traditionnelle.

Une enquête fut menée sur les Yorubans ruraux, l'auditoire-cible,

pour découvrir leur opinion sur les rôles sociaux féminins accep-

tables, sur la structure familiale et sur la taille des familles.

Les enquêteurs s'aperçurent que ce sont les membres aînés

des familles qui orientent l'attitude et le comportement des

autres. Les femmes sont soumises à leurs maris, et les hommes

évaluent leur statut en fonction du nombre de leurs enfants.

De plus, le déclin de la polygamie a eu un effet négatif sur

les tentatives de réduction des naissances6.

Les résultats furent à la base d'une trame dramatique et

un acteur yoruba bien connu fut chargé d'incorporer les dialogues.

Les producteurs testèrent d'abord le scénario sur un auditoire

villageois avant de commencer le tournage dans un village yoruba.

Finalement, après avoir tenu compte des commentaires de

travailleurs sur le terrain au sujet d'un premier montage, le

montage final fut réalisé. Un sociologue nigérian fut chargé

de mesurer l'impact du film et l'efficacité du média. Il mesura

le taux de mémorisation des villageois après le film, les modifi-

cations de leur comportement et leur acceptation du message.

Il en conclut que le film "My Brother's Children" eut "peu

d'influence sur le comportement des spectateurs". Il blâma

la complexité des messages transmis, et en dépit des efforts

du réalisateur, la distorsion de quelques coutumes locales.


59

Par exemple, l'ancien du village, dans le film, prodigait de

longs conseils à une nouvelle mariée le jour de ses noces, au

lieu simplement de la bénir.

* * *

En Afrique, où règne la tradition orale, le théâtre est

l'un des éléments culturels principaux des cultures indigènes.

Les artistes divertissent et renseignent par des chansons, des

histoires, des poèmes, des danses et des spectacles d'un village

à l'autre. En utilisant ces artistes indigènes pour créer des

oeuvres ayant le développement comme thème, on s'assure que

les cultures locales sont authentiquement représentées.

Martin Byram et Ross Kidd, dans le cadre de leur travail

sur l'éducation pour le développement au Botswana, se sont aperçus

que les arts dramatiques sont des outils très puissants. Les

spectacles sont divertissants et populaires; ils attirent et

captent l'attention de grandes foules et même de gens qui ne

seraient pas normalement intéressés à des renseignements sur

le développement. D'après Byram et Kidd "Cette forme de commu-

nication est une excellente façon de puiser à même le talent

créatif local, et de persuader les gens des avantages du dévelop-

pement grâce à leurs propres symboles culturels."8

Ces "forces créatives issues du peuple"9 peuvent aussi

s'appliquer à des médias plus modernes comme l'improvisation

ou les spectacles de marionnettes. Byram et Ross, ainsi que

tous les télédiffuseurs africains qui ont participé à l'enquête,


60

se sont aperçus que l'improvisation était souvent beaucoup plus

efficace qu'un scénario quelquefois gauche et maladroit. Les

acteurs, au lieu de réciter un dialogue déjà écrit, inventent

les conversations dans leurs propres mots. Comme ils partagent

la même culture que l'auditoire-cible et jouent souvent leur

propre rôle, le réalisme culturel est mieux rendu.

L'improvisation est idéale pour communiquer dans une langue

qui n'est pas écrite; d'ailleurs le résultat est souvent plein

d'esprit, coloré et présenté dans un langage "plus riche que

la langue édulcorée des livres d'école"lO, le message sur le

développement passe donc mieux.

Et même si un dialogue improvisé manque à l'occasion d'un

peu de finition, la représentation culturelle authentique compense

largement. Byram et Kidd affirment que l'expression culturelle

recherchée n'est pas nécessaire si les messages sont communiqués

avec succès, car l'objectif visé est l'éducation, non pas l'art.

"Cette méthode fonctionne bien précisément parce que


les acteurs connaissent bien les questions et les
situations qu'ils décrivent; ils créent le dialogue,
le geste et le déroulement en interaction mutuelle
[ ... ] au lieu d'avoir à mémoriser un scénario."11

Pour bien rendre le message voulu dans l'improvisation,

les acteurs indigènes rencontrent les réalisateurs de télévision

et les spécialistes du développement pour discuter des grandes

lignes à suivre. Les acteurs ébauchent un scénario, on répète,

puis, si les fonds le permettent, le feuilleton est filmé dans

le village, dans un studio, ou les deux à la fois. C'est ainsi

que procède la plupart des télédiffuseurs étudiés.

Dans la plupart des cas, les acteurs amateurs et professionnels


61

qui ont quelque expérience dans les arts dramatiques indigènes

sont considérés les plus fiables. Mais l'émission "Action et

développement" de Télé-Sahel au Niger a connu beaucoup de succès

en transformant d'ordinaires paysans en acteurs dans une dramatique

qui diffuse des messages pour le développement.

Le réalisateur Kebe Ousmane trouve que les paysans sont

des acteurs-nés. Il visite un village pour faire jouer aux résidents

les problèmes qu'ils ont eus à former une coopérative ou à construire

une clinique, par exemple. Les feuilletons ont un air véridique

parce que les acteurs ont déjà vécu la situation.

Tala Ngai i Kambiauna de la division de la télévision éducative

de la Voix du Zaire a aussi fait l'expérience du "cinéma vérité

revu et corrigé". Il fait intervenir secrètement des acteurs,

cachant quelquefois sa caméra, parmi un public évoluant dans

son environnement naturel.

La dramatique improvisée présente certains avantages pour

les télédiffuseurs des pays en voie de développement. Elle est

produite rapidement, facilement et à peu de frais. Le service

de télévision de l'Etat d'Oyo au Nigéria peut réaliser trois

feuilletons improvisés d'une heure chacun par semaine avec la

même équipe de production et le même budget que pour faire un

seul documentaire d'une demi-heure.

Bien entendu, la principale raison de la popularité des

feuilletons improvisés, c'est que non seulement ils sont un

excellent moyen de représenter la réalité sociale locale, mais

qu'ils permettent aussi de cerner un problème particulier, pour

en faire un sujet de discussion et ainsi inciter à l'action.


62

C'est cette dimension supplémentaire qui est la clé du succès

de ces émissions, d'après Byram et Ross.

"Le divertissement n'est pas tout ce qu'on en retire.


Il sert de catalyseur au changement. Les spectateurs
se voient et voient leur situation avec du recul;
ils veulent en parler aux autres. Ils partagent leurs
idées par la discussion, ce qui peut souvent les amener
à agir."12

L'improvisation présente cependant une difficulté elle

est imprévisible, ce qui la rend difficile à filmer. Job Jonheras

produit des feuilletons à base d'improvisation pour la Zimbabwe

Broadcasting Corporation. Il s'aperçoit qu'une certaine trame

s'établit pendant la répétition, mais au moment de tourner la

version finale, les acteurs font des changements importants

qui prennent les cameramen par surprise : "L'équipe de production

doit établir un bon rapport avec les acteurs et avoir de la

patience. On oublie ou on change des répliques, ou on manque

une expression du visage cruciale parce qu'elles ne se produisent

pas au même moment ou au même endroit."

A cause du caractère imprévisible de la dramatique improvisée

et du recours à des acteurs inexpérimentés, le plus grand danger

est de créer la confusion à l'écran. Une dramatique en langue

yoruba diffusée à la télévision de l'Etat de Lagos au Nigéria

racontait l'histoire d'un père qui mettait sa fille enceinte,

et de tous les conflits familiaux qui s'ensuivaient. Le réalisateur

a recréé avec fidélité l'atmosphère d'une discussion agitée

entre les membres de la famille étendue réunis dans un jardin

pour parler du problème. Malheureusement, comme la quinzaine

d'acteurs improvisaient le dialogue en parlant fort tous à la


63

fois, le téléspectateur avait peu de chance de saisir ce qui

se disait, surtout qu'on n'avait utilisé qu'un seul microphone.

* * *

De toutes façons, une improvisation gauche et chaotique

qui traite d'un sujet proche des gens dans une langue locale

a plus de chances de contribuer à l'avancement de la société

africaine qu'une dramatique bien structurée dans la langue des

colonisateurs à propos d'une histoire d'amour de gens riches.

Dans les premiers temps de la télévision africaine, on

a eu tendance à reprendre les thèmes occidentaux éculés : policiers,

histoires d'amours, et la vie des riches.

Même de nos jours, Victoria Ezeokoli, chef de la programmation

du réseau national de la Nigerian Television Authority, doit

se battre continuellement avec les producteurs pour les empêcher

de décrire les faux problèmes des citadins aisés "Les familles

qu'on nous montre sont souvent riches et sans enfants; elles

ont l'eau, le téléphone et l'électricité qui fonctionnent.

Quand ils sont en danger, ils appellent la police qui arrive

tout de sui te. Nous essayons d'arrêter tout cela. Nous sommes

très conscients de l'élitisme présent dans beaucoup de nos feuil-

letons."

Même dans les téléromans qui se passent à la campagne,

les acteurs qui parlent de la sécheresse et de la faim sont

souvent habillés comme s'ils se rendaient à un baptême ou à

une noce. Ils veulent bien paraître à la télévision, c'est


64

compréhensible, mais ça n'aide pas à communiquer avec ceux qui

n'ont pas les moyens d'être si bien mis.

Les telenovelas (téléromans) brésiliennes mettent en scène

presque exclusivement des bourgeois. Les personnages sont vêtus

de splendides manteaux de fourrures et conduisent de belles

voituresl3. Un feuilleton en particulier met en scène des habitués

des discos de Rio, qui font usage de drogues et d'aphrodisiaques.

On peut avancer que des feuilletons de cette nature peuvent

avoir une influence néfaste sur les pays en voie de développement.

Un enquêteur a découvert que le fatalisme est un thème fréquent

dans les telenovelas brésiliennes. Le message sous-jacent véhiculé,

c'est que le statut social est immuable, qu'on ne peut pas améliorer

son sort en travaillant. La violence dans les relations interperson-

nelles est aussi exagérée dans les telenovelas.

Les auteurs de Broadcasting in the Third World suggèrent

que les télédiffuseurs voulant promouvoir le développement revoient

toute leur grille horaire, pas seulement leurs émissions éducatives

"De plus en plus, ils devront faire face aux critiques de ceux

qui découvrent des valeurs véhiculées pendant les émissions

à l'heure de pointe contraires aux objectifs de la modernisation. 14 11

De nombreux pays en voie de développement tentent de se

façonner une identité nationale tout en faisant des changements

sociaux et économiques importants. Mais ces deux processus

s'affrontent souvent la culture nationale et le conservatisme

d'une part, et le développement et le modernisme d'autre part.

L'une des raisons de cette opposition, c'est le sens souvent

étroit qu'on donne au mot culture en tant qu'activité artistique,


65

alors qu'il s'agit "de la totalité de l'activité humaine dans

une société 15. 11


Les émissions de théâtre indigène contribuent

à la renaissance culturelle, réduisent l'érosion de la culture

nationale et favorise la modernisation en véhiculant del' information

sur les changements sociaux et économiques.

Certaines des plus populaires émissions de télévision du

tiers-monde tournent autour des rapports entre les forces tradi-

tionnel les et modernes dans les sociétés en développement.

Une station privée brésilienne diffuse tous les jours un feuilleton

sur le conflit entre un partisan de la modernisation et le chef

traditionnel du village.

Une série à succès de la Nigerian Television Authority,

"The Village Schoolmaster", s'est avérée à la fois populaire

et efficace pour explorer la relation entre le modernisme et

le conservatisme.

En Côte-d'Ivoire, on pouvait voir sur 80 % des appareils

du pays certains feuilletons sur des fétichistes à la fois vénérés

et remis en question quand ils donnaient de mauvais conseils.

Les téléspectateurs étaient encouragés à se rendre à l'hôpital

avant de voir un fétichiste en cas de maladie, ou à demander

l'avis d'un second fétichiste dans certains cas.

Dans l'un des épisodes, une famille rurale résiste à un

fétichiste qui blâme injustement une mère de la mort d'un de

ses enfants. Dans un autre, un fétichiste demande au chef d'un

village de sacrifier la vie de son fils ainé pour empêcher qu'on

ne déplace le village. Le fils est tué mais le village doit


66

déménager de toutes façons.

* * *

Plus il y aura de réalisateurs africains qui se serviront

de la caméra comme miroir des réalités sociales dans leurs pays,

plus la population à l'écoute aura de chances de se voir et

de se comprendre, ce qui représente un premier pas vers le chan-

gement.

Les feuilletons télévisés, particulièrement ceux qui sont

faits en langue locale et qui réflètent la culture indigène,

servent efficacement à susciter la fierté, la confiance en soi

et la prise de conscience nationale nécessaire pour stimuler

un pays en voie de se développer rapidement. Une des conséquences

de ce lien entre la culture et le développement est la renaissance

ou le réveil culturel qui se produit quand la culture indigène

est renforcée et soutenue, plutôt que dénigrée, par la télévision.

Il ne fait aucun doute que le téléroman attire un vaste

auditoire. Il ne fait aucun doute que les messages sociaux

peuvent être communiqués efficacement par le téléroman. Ce

qui fait défaut à de nombreux pays africains, c'est simplement

la volonté d'utiliser cette puissante formule pour promouvoir

des objectifs sociaux. La seule limite à la puissance de cette

formule, c'est l'imagination collective des réalisateurs de

téléromans.
67

Recommandations

1) Encourager des auteurs connus à écrire des dramatiques

télévisées plutôt que des divertissements. Ils sont plus en

mesure de recréer "la vraie vie"

2) Engager les artistes les plus talentueux et les plus

connus. Leur réputation assure un certain succès et une certaine

authenticité à un feuilleton télévisé.

3) Faire l'inventaire des médias indigènes et encourager

les artistes les plus talentueux à participer aux émissions

télévisées.

4) Cerner les thèmes et les sujets existants dans la culture

indigène qui pourraient être modifiés pour étayer des messages

de développement plus modernes.

5) Décrire les faits culturels avec précision. Une façon

de faire, c'est de tourner le plus possible sur place.

6) Ne pas sous-estimer l'importance d'un bon rapport entre

le réalisateur et les acteurs qui improvisent pour s'assurer

une compréhension mutuelle.

7) Se servir de gens ordinaires comme acteurs, ce qui peut

se faire en recréant des événements qui se sont réellement produits,

ou en introduisant un acteur dans un groupe, qui parsème la

conversation du message pour le développement.

8) Pour obtenir le plus d'effet possible d'un feuilleton,

le faire suivre par une discussion sur les ondes de ceux qui

sont touchés par le problème abordé, en compagnie ou non de

spécialistes.

9) Réutiliser des films ou des émissions existantes, ou


68

des extraits, pour présenter un sujet et stimuler le débat

dans le cadre d'émissions à discussion. (Un diffuseur canadien

fait suivre une émission d'une discussion et invite le public

à poser ses questions au téléphone pour participer au débat

qui est retransmis simultanément à la radio.)

10) Demander aux animateurs sur le terrain d'organiser

des discussions après une émission pour aider les gens à appliquer

le message romancé à leur propre cas.


69

Notes

1. "Kenya : le feuilleton des familles " dans Problèmes audio-


visuels, n° 11, INA, Paris janvier-février 1983, p. 26.

2. Katz, Wedell, Pitsworth et Shiner, Broadcasting in the


Third World: Promise and Performance, Londres, 1978, p. 187.

3. Ibid. p. 196.

4. Ibid. p. 155.

5. "Social Values Through TV Soap Operas", dans ClearingHouse


on Development Communication, avril 1983.

6. "My Brother's Children", dans Clearinghouse on Development


Communications, avril 1978.

7. Ibid.

8. Martin Byram et Ross Kidd, "The Performing Arts: Culture


as a Tool for Development in Botswana" dans Botswana
Notes and Records, V. 10, Francistown, 1978, p. 85.

9. Ibid. p. 82

10. Colin Low, "Media as a Mirror" A Resource for an Active


Community, dans ibid. p. 83.

11. Ibid. p. 88.

12. Ibid. p. 89.

13. Gérard Lefort, "Télébrasil et viva novela (3)" Libération,


30 janvier 1985.

14. Katz et al., Broadcasting in the Third World., op. cit.,


p. 180.

15. Byram et Kidd, "The Performing Arts", op. cit., p. 81


70

La magnétoscopie et la diffusion locale


la télévision par et pour
les gens ordinaires
71

Les raisons qui ont poussé à dépenser des millions de dollars

pour mettre sur pied et exploiter des services de télédiffusions

centralisés dans les pays en développement ont été d'améliorer

les communications, d'encourager la compréhension, de promouvoir

de nouvelles idées et de provoquer un changement social.

Mais la télévision très centralisée, hiérarchisée, avec

sa structure verticale, qui tente de parler à trop de gens de

trop de choses à la fois, n'a pas réussi à inspirer le changement

attendu par les planificateurs gouvernementaux. La télévision

sous sa forme actuelle en Afrique sert surtout à divertir un

auditoire passif.

Au contraire, la présentation de bandes magnétoscopiques

réalisées par de petits groupes, ou et au sujet de petits groupes,

ou la mise sur pied d'une télévision communautaire ou locale,

à cause de sa structure horizontale, est beaucoup plus proche

de ceux qui ont besoin d'aide et de renseignements pour le déve-

loppement; ils ont plus de chances d'apprendre comment mener

à bien les changements dans leurs vies qui seront significatifs

pour eux.

"Le magnétoscope rend possible la circulation horizontale

de l'information une chaîne de gens qui se parlent entre

eux", écrit Loretta Atienza dans VTR Workshop: Small Format


;......:;....:;.;;..-"'~.-..---...;;.;;...;;."'-''--~=-=-.;-.=.__;;"-=~'-=-~

Video. "Le magnétoscope facilite les échanges dans la communauté

même et entre les communautés. Et en plus, il permet à ses

membres de s'adresser aux haut placés dans l'échelle de la commu-

nication : aux chefs et aux décisionnaires."1

Le magnétoscope, la télévision communautaire, décentralisée,


72

ou locale, lorsqu'on s'en sert pour le développement, ont pour

but de stimuler la communauté qui s'en sert.

En permettant l'expression personnelle, en faisant porter

aux gens un regard critique sur leur situation et en encourageant

le dialogue entre groupes et autorités, ces médias décentralisés

permettent la mise en oeuvre de projets d'auto-prise en charge.

Parce que le magnétoscope et la télévision locale peuvent

facilement être ajustées aux nécessité locales, selon les langues

et les coutumes du lieu, qu'ils suscitent une participation

immédiate et qu'ils permettent un enregistrement sur-le-champ

des activités, ils ont plus de chances de contribuer au développement

qu'une télévision très centralisée.

Le magnétoscope petit format et la télévision communautaire,

particulièrement lorsqu'on les combine avec l'animation sociale,

renferment un potentiel énorme pour permettre aux gens d'articuler

leurs besoins, de se voir, de reprendre confiance en eux et

finalement, de travailler ensemble à résoudre leurs problèmes.

Malheureusement, la tendance en Afrique est à la centralisation

des télédiffuseurs; on a très peu entrepris afin de décentraliser

le média et d'en faire un outil de développement plus efficace.

Toutefois, certaines expériences très encourageantes ont été

menées sur le continent et ailleurs dans le monde.

*Des entrevues avec des fermiers tanzaniens furent enregistrées

sur vidéocassettes et présentées à des fonctionnaires gouvernementaux

pour rapprocher les deux groupes2.

*Au Ghana, le magnétoscope a permis de former des gestionnaires

dans les régions rurales. Les enregistrements ont suscité


73

intérêt et participation, ont servi de base aux discussions

et ont incité les gestionnaires à suivre l'exemple de leurs

homologues d'autres régions dont on leur avait montré le succès

sur bande magnétoscopique3.

* Des mineurs boliviens ont réalisé leur propres productions

magnétoscopiques pour montrer le côté positif de la vie dans

les mines et encourager la participation à leur syndicat4.

* Une collectivité des Philippines n'arrivait pas à faire

endiguer par le gouvernement une rivière qui inondait tous les

ans. On filma sur magnétoscope les 6 000 personnes qui cons-

truisaient une digue en pierre pendant huit fins de semaine.

L'enregistrement fut montré aux instances gouvernementales,

qui fournirent de ! 'équipement lourd pour terminer le projet,

et à d'autres collectivités pour leur montrer ce qu'on pouvait

réaliser par soi-même une fois organisé5.

* Les employés d'une clinique de planification familiale,

située également dans les Philippines, ont été filmés pour leur

permettre d'améliorer leur technique et leur rapport avec le

client. Les employés se virent à !'oeuvre et purent en discuter

chaque jour. On montra aussi les bandes aux clients pour les

familiariser avec les méthodes de la cl inique. Les questions

les plus communes ont aussi été enregistrées avec les réponses

et étaient présentées dans la salle d'attente. L'activité de

communication "a dissipé ! 'atmosphère impersonnelle qui règnait

auparavant"6.

* On a filmé des conducteurs de pousse-pousse dans un village

indien expliquant pourquoi ils pensaient correspondre aux critères


74

d'une banque en vue d'un prêt. Les gestionnaires de la banque

virent la bande et leur réaction fut enregistrée et montrée

dans le village. Les prêts furent accordés et tous intégralement

remboursés7.

* Le même village a aussi réalisé un enregistrement sur

la formation d'une coopérative laitière dans un autre village.

Le document montra aux villageois comment s'y prendre et déclencha

l'intérêt de la collectivité. Les villageois enregistrèrent

leurs réunions et leurs discussions sur des sujets comme le

contrôle de la qualité et les intermédiaires sans scrupules8.

* A Montréal, un groupe communautaire combattant la pauvreté

sensibilisa la population en interviewant des gens dans la rue

au sujet de leurs problèmes et en les invitant à voir la bande

magnétoscopique lors d'une réunion9. La même technique fut

utilisée dans un villags des Philippines. Pour inciter les femmes

à participer à une campagne de nutrition, on demanda à des mères

ce qu'elles donnaient à manger à leurs familles le midi. La

bande fut montrée au village et servit de base à une discussionlO.

* Des transmetteurs de télévision de faible puissance et

de petits studios dans des régions défavorisées des Philippines

furent installés pour permettre aux collectivités de prendre

davantage conscience de leur condition. Le projet leur permit

de "produire leur propre message, de leur propre point de vue"ll.

* Les habitants de Kheda, en Inde, ont produit une émission

d'une heure tous les jours pour 12 000 personnes regardant 500

appareils de télévision. L'objectif était d'amener les gens

à parler de leurs problèmes, de créer un esprit communautaire,


75

de réduire l'apathie et de s'acheminer vers l'autosuffisance12.

Ces expériences ont comme objectif commun d'encourager

des gens ordinaires à utiliser le magnétoscope et la diffusion

locale afin de parler ouvertement et franchement de leurs problèmes

et de leurs sentiments, ce qui représente le premier pas essentiel

vers une solution éventuelle.

La première utilisation du magnétoscope en vue d'aider

Une communauté à se prendre en main fut dans un village de pêcheurs

isolé sur l'île de Fogo, dans la province canadienne de Terre-Neuve.

Le gouvernement pensait déménager le village sur l'île

principale parce qu'il n'était plus économiquement viable.

De nombreux habitants étaient déjà partis, et le moral était

bas. L'Office national du film du Canada entrepris de filmer

un documentaire sur l'événement et enregistra l'opinion des

habitants de l'île. Le film fut montré aux villageois, ce qui

suscita une discussion animée.

Il s'avéra que les habitants ne tenaient pas à se faire

déraciner. Les discussions résultèrent en des plans d'action

concrets. Le film fut présenté aux instances gouvernementales

et la collectivité obtint finalement une aide financière pour

implanter une entreprise de construction navale et réactiver

l'industrie de la pêche.

Cette nouvelle utilisation du média démontre qu'une collectivité

peut créer ses propres solutions à des problèmes de développement

et qu'un média peut aider les intéressés à articuler leurs besoins

et à stimuler la discussion.

Frances Berrigan, auteur de Community Communications: The


76

Role of Community Media in Development, considère que l'événement

de l'île de Fogo est une étape importante dans la mise au point

de la méthodologie des médias communautaires

"On a montré qu'un média pouvait stimuler et même


mobiliser une collectivité. Mais on a aussi démontré
qu'un projet de développement pouvait aussi s'aborder
sans idée préconçue plutôt que d'avoir un éducateur
ou un agent de développement stimuler la participation
à un plan de développement déjà préparé, la collectivité
elle-même peut formuler ses objectifs de développement,
pourvu qu'on lui donne les moyens de prendre une décision
éclairée. Le projet Fogo a été un processus de 'conscien-
tisation' de la collectivité."13

* * *

La magnétoscopie se développe rapidement; elle met à la

disposition d'un nombre croissant d'utilisateurs un équipement

petit, léger, relativement bon marché, solide, facile à manipuler.

Elle représente un atout important en tant que communication

favorisant le développement. Le magnétoscope et la TV communau-

taire permettent aux illettrés de s'exprimer plus facilement14.

Ces nouveaus médias permettent à la majorité silencieuse de

faire valoir son point de vue.

Comme il est facile d'apprendre à utiliser le nouvel équipement

magnétoscopique, les villages et les collectivités peuvent commu-

niquer les uns avec les autres, partager leur expérience et

l'information "sans devenir la proie des distorsions faisant

partie intégrante des médias conventionnels"15.

Les illettrés peuvent s'exprimer directement devant les

caméras manipulées par leurs pairs. Ils décident du contenu


77

de leur message, de sa forme et dans la plupart des cas du desti-

nataire.

Les professionnels des médias et les recherchistes jouent

seulement un rôle secondaire, quand il en jouent un; ils ne

s'ingèrent pas dans la communication en interprétant ce que

les gens ont à dire16.

D'après Dorothy Hénault, de !'Office national du film du

Canada• la technique magnétoscopique permettra à ceux qui la

possède d'introduire "un élément de franchise et de justice

aux communications, pour que finalement les démunis puissent

se faire entendre"17.

* * *

La preuve existe que le processus de développement est

accéléré et renforcé quand le média est entre les mains des

non-spécialistes. Ils reprennent confiance en eux, développent

leur créativité et s'identifient au groupe; ils peuvent jeter

les bases des changements qu'ils désirent et en décider le momentl8.

Au lieu de se faire dire par des émissions centralisées

ce qu'elle devrait faire pour améliorer ses conditions de vie,

la population peut, grâce au magnétoscope et à la TV commun&utaire,

utiliser un média pour faire avancer sa propre cause et participer

directement à l'élaboration et à la mise en oeuvre des plans

et projets de développement.

Une fois qu'une collectivité a bien défini ce qu'elle veut

faire et ce qu'elle peut faire, et qu'elle maîtrise bien la


78

technique magnétoscopique, elle peut communiquer avec le gouvernement

et les directeurs de projets prêts à les aider. Cette communication

à deux sens est pratiquement impossible dans le cas d'une structure

de télévision centralisée.

"Le magnétoscope permet la participation au changement

puisque ceux qui sont engagés dans le processus le vivent",

écrit Martha Stuart dans un article intitulé "Village solutions

make global community".

"Le magnétoscope est capable de saisir et de transmettre

rapidement une tranche de vie; il sert de moyen de communication

direct entre le peuple et le gouvernement. 11


19

Bien entendu, quand des gens ordinaires se filment eux-mêmes

pour produire ce qu'un réalisateur appelle "des morceaux linéaires

de la réalité20", l'allure et la texture de ce qu'on voit au

petit écran est passablement modifiée. Les prises de vues sont

mal cadrées, gauches et lentes par moment, mais c'est acceptable

car l'objectif n'est pas "de séduire l'oeil et l'oreille, mais

d'accroître la portée de l'oeil, de l'oreille et de la voix"21.

Malgré le côté amateur du résultat, les productions magnéto-

scopiques maison sont souvent captivantes parce qu'elles sont

l'occasion pour ceux qui sont pratiquement exclus des médias

de masse de parler avec conviction et émotion de leurs vies.

* * *

Depuis 16 ans, Gérard Belkin, de l'Institut culturel d'action

pour le développement, utilise le magnétoscope pour aider les


79

paysans à communiquer entre eux et avec les professionnels du

développement. Son équipe enregistra plus de 200 heures de

bandes magnétoscopiques en Tanzanie pour découvrir ce que les

agriculteurs pensaient de l'expérience socialiste agraire du

gouvernement. Un autre 500 heures fut tourné dans la campagne

haitienne.

Belkin travaille à quatre niveaux. Dans un premier temps,

lui-même et son équipe internationale vivent plusieurs mois

avec les villageois, aprennent leur langue et leur montre lentement

comment utiliser le matériel magnétoscopique pour communiquer

entre eux. On parle des problèmes locaux devant la caméra et

les enregistrements sont joués pour le village.

"Dans toutes les communautés, il ya des tensions sérieuses

dont on ne veut pas parler [ ... ] Nous avons découvert ainsi

que la vidéo [ ... ] peut faciliter la communication entre gens

qui ont un intérêt commun à s'entendre et à négocier."22

Les villageois, en majeure partie illettrés, sont invités

à envoyer des bandes magnétoscopiques aux autorités sur leurs

problèmes et leurs revendications.

Dans un deuxième temps, le magnétoscope sert à communiquer

sur le plan horizontal entre villages voisins. Un paysan qui

parle de ses progrès à un voisin sera plus convaincant qu'un

citadin expliquant à un paysan ce qu'il devrait faire.

Dans un troisième temps, les enregistrements magnétoscopiques

éclairent le gouvernement, les universités, les organismes d'aide

et autres institutions sur la vie du village.

Et finalement, les renseignements peuvent être transmis


80

par les médias de masse pour en produire des émissions informatives

au bénéfice de la population en général.

Bien entendu, on ne recueille pas le matériel dans le but

unique de le diffuser à la télévision nationale. D'ailleurs,

les enregistrements sont dans un style passablement différent

de ce qu'on voit à la TV. Belkin dit qu'il fait son montage

"en fonction des gestes, du rythme et du déroulement de la conver-

sation"23.

Nous cherchons des mots et des situations émouvantes,


et présentons des séquences qui illustrent une idée
par le vécu des gens. Cette approche nous permet de
tenir compte du contexte relatif des situations et
de l'interdépendance des éléments. On communique ainsi
des impressions qu'on n'aurait pas dévoiler facilement
à des visiteurs venus pour la journée. 24 11

Le dernier enregistrement de Belkin, fait au cours des

dernières six années dans trois villages haïtiens, présente

un jeune fermier qui parle des difficultés économiques et physiques

de l'agriculture; un vieux fermier qui fait visiter sa terre

à un jeune étudiant en agriculture à l'occasion de sa première

excursion sur le terrain; un sorcier vaudou qui parle de ses

pouvoirs magiques; un fermier qui parle de son père; et des

villageoises discutant de leurs problèmes.

On en est venu à utiliser le magnétoscope pour le développement

rural quand on s'est rendu compte de l'ampleur du manque de

communication qui existait, et qui existe encore en grande partie,

entre les donateurs et les bénéficiaires del 'aide au développement.

Belkin trouve que les pays donateurs, les gouvernements, les

administrateurs et les bénéficiaires se fient plus souvent qu'autre-

ment à une communication à base de "malentendus, de manque d'infor-


81

mation et d'attitudes stériles"25.

Belkin a été surpris de s'apercevoir que le Canada dépense

100 millions de dollars sur l'expérience agricole tanzanienne,

mais rien pour savoir ce que les intéressés en pensaient. Il

dit qu'il ne faut pas s'étonner si de nombreux projets de dévelop-

pement sont mal conçus et finissent par échouer, parce qu'on

n'a fait aucune recherche sur les conditions locales et aucune

évaluation de l'impact social, culturel et économique du projet.

"La connaissance et le potentiel des agriculteurs


ne sont pas mis à profit. Notre but est d'aider les
agriculteurs et les spécialistes à élargir leurs horizons
et à prendre conscience des faits qui doivent être
compris, et qui, une fois compris par ceux qu'ils
concernent directement, stimulent une adhésion plus
complète au changement."26

* * *

Le magnétoscope s'est avéré un excellent moyen de faire

parler les gens. Le microphone et la caméra fournissent l'excuse

pour s'exprimer sur des sujets dont on n'aurait pas parler autrement,
'
d'après Dorothy Hénaut, qui a enseigné la technique magnétoscopique

à plusieurs collectivités au Canada.

"Le magnétoscope est particulièrment utile quand les


gens sont désespérés, quand ils ne parlent pas beaucoup
parce qu'ils ne voient aucun espoir de changement.
Une fois qu'ils ont commencé à parler de leurs problèmes,
ils s'aperçoivent qu'ils ne sont pas les seuls dans
cette situation, ce qui est le premier pas vers la
découverte d'une solution. Une seule personne ne peut
trouver de solution, mais un groupe organisé le peut."27

Hénaut, dans son travail avec les plus démunis de la société

canadienne, s'est aperçue qu'en mettant la caméra dans les mains

des gens eux-mêmes, pour qu'ils interviewent leurs semblables,


82

en repassant les entrevues et en permettant d'effacer les enregistre-

ments qu'ils n'aiment pas, ils deviennent rapidement plus sûrs

d'eux et du média.

Les interviewés demandent rarement d'effacer un passage;

ils s'expriment facilement et prennent de l'assurance. L'un

des participants d'un projet de Dorothy Hénaut affirme que "quand

on met une caméra en face de quelqu'un, il se sent une personne

à part entière, pas juste partie de la foule"28.

Favoriser la prise de conscience individuelle facilite

la prise de conscience collective. Les médias communautaires,

notamment le magnétoscope et la TV locale, accélèrent et renforcent

cette conscientisation et cette créativité. Une fois qu'on

a ouvert la voie aux échanges interpersonnels, les possibilités

de changement sont illimitées, car ceux qui ont vécu des situations

semblables peuvent servir de guides et de conseillers29.

Pour sa part, Martha Stuart est partisan de réaliser les

changements sociaux au moyen d'échanges de bandes magnétoscopiques

entre les membres d'une collectivité. Elle est d'avis que le

média a le potentiel de mobiliser "une incroyable quantité de

force et d'énergie humaine"30.

"L'union fait la force. En échangeant des points


de vue, en relatant son expérience, on affirme la
validité de la réalité et de l'importance des liens
communs; on encourage les autres (qu'ils se trouvent
ou non dans la même situation) à l'aborder aussi ouver-
tement et avec confiance. 30 11

Grâce à l'échange démocratique d'information et à l'autodéter-

mination d'objectifs, l'amour-propre et la confiance en soi

sont accrus; les gens ont l'impression d'agir, au lieu d'être


83

passifs, et de mieux maîtriser la situation, d'après Stuart32.

* * *

Ceux qui ont mis la technique magnétoscopique au service

du développement social dans les pays avancés et moins avancés

conviennent qu'il y a danger d'y voir une panacée. Ils soulignent

que le média doit être remis en contexte; le magnétoscope est

un outil à utiliser dans le cadre du progrès social, ce n'est

pas le progrès social en soi. Dorothy Hénaut écrit ceci à ce

sujet :

"La bande magnétoscopique et le film sollicitent à


la fois le coeur et l'esprit du réalisateur et de
l'auditoire. Ils mènent à la compréhension, et éventuel-
lement à l'action. Mais ce sont les gens qui passent
à l'action, pas le média."33

D'après Frances Berrigan, l'animation est un facteur essentiel

pour s'assurer que l'action sociale stimulée par un média commu-

nautaire a bien lieu

"Le magnétoscope ne peut faire le travail de développement.


Il peut montrer les besoins, ouvrir des canaux pour
le dialogue, établir des liens de communication et
inciter à l'action. Mais ce n'est pas un média magique.
Il doit être bien encadré sur le terrain."34

Belkin doit une grande partie de son succès à Haiti au

fait qu'il a travaillé en collaboration avec un organisme de

développement rural qui avait tissé d'étroites relations avec

les paysans depuis des années. Sans la collaboration et l'appui

de l'organisme, il pense qu'il n'aurait pas été accepté aussi

rapidement ni intégré au processus de développement.


84

Dorothy Hénaut conseille de s'assurer avec soin que le

magnétoscope est bien le meilleur média à utiliser dans un contexte

donné, et si on peut compter sur un appui et sur une animation

suffisants pour veiller à ce que le média ne fasse pas plus

de tort que de bien :

"Le magnétoscope ne peut pas remplacer un bon organisateur


communautaire. Le magnétoscope ne peut pas transformer
une pensée brouillonne en une analyse sociale et politique
claire. Le magnétoscope ne peut pas assurer le succès
d'une mauvaise tactique ou stratégie. 35 11

Mettre la technique magnétoscopique et la télévision commu-

nautaire au service des gens ordinaires en tant que véhicule

de changement social implique un changement d'attitude radical

chez tous les intervenants : réalisateurs, gouvernements, travail-

leurs sur le terrain et les intéressés eux-mêmes. Cela comporte

un certains nombre de risques et d'avantages.

Les réalisateurs de cinéma et de télévision ne trouvent

pas toujours facile de former les utilisateurs d'équipement

magnétoscopique, puis de se retirer du décor et de les laisser

décider quelles questions poser, quand et comment enregistrer

et quoi faire avec les enregistrements, quitte à offrir une

aide technique quand on leur demande. Voici ce qu'en pense un

réalisateur de télévision canadien :

"Dans le passé, on a trop fait la distinction entre


les réalisateurs de cinéma et de télévision, qui jouaient
le rôle de Dieu le Père, et les sujets tout en bas.
Maintenant nous leur disons 'Laisser les gens vous
dire ce qu'ils veulent dans un film. Ecoutez-les pour
que ce film soit leur film' . 36 11

Donner aux démunis silencieux la chance de s'exprimer n'est

pas une tâche facile; cela prend "une grande sagesse sociale",
85

selon Dorothy Hénaut, qui a connu quelques difficultés de la

part des autorités, qui n'apprécient guère laisser les pauvres

du Canada exprimer leur critique à l'endroit de la politique

du gouvernement

"Le succès de la magnétoscopie à promouvoir le changement


social dépend de la volonté du gouvernement. Si un
pays ne veut pas du progrès social, qu'il refuse donner
à ses citoyens les plus démunis les moyens de se faire
entendre, alors on ne pourra rien faire."37

Frances Berrigan prétend, dans "Community Communications:

the Role of Community Media in Development", que la méthode

participative, qui demande une communication à double sens et

qui exclut l'application pure et simple des décisions prises

au sommet, n'est pas acceptée à la légère par les planificateurs

de développement, parce qu'elle menace la hiérarchie en place

"La technique du magnétoscope exige qu'on ait foi


dans l'habileté d'une collectivité à trouver ses propres
solutions; elle semble téméraire à ceux qui n'ont
pas l'habitude de demander l'avis des intéressés avant
d'entreprendre un projet de développement, ou d'écouter
au lieu de parler."38

Berrigan affirme que les autorités qui craignent que les

médias communautaires soient à l'origine de critiques embarassantes

devraient se rappeler que les gens vont critiquer de toutes

façons et qu'il vaut mieux le faire ouvertement, ce qui donne

aux autorités la chance de prendre note et de répondre.

La technique magnétoscopique communautaire nécessite un

appui complet du gouvernement et une explication claire de ses

objectifs, de ses méthodes et de son utilité pour prévenir toute

résistance dans le mesure du possible. Le clergé sur l'île

de Fogo, où l'expérience originale en média communautaire eu


86

lieu, incita les habitants à empêcher les enregistrements de

quitter l'ile parce qu'il était convaincu qu'on s'en servirait

pour se moquer de la condition arriérée des insulaires.

Dans un pays latino-américain, la technique magnétoscopique

a servi à former des agriculteurs dans le cadre d'un programme

de ré forme a gr ai r e . Le di recteur du programme dit à l ' équipe

technique qu'il comptait sur un maximum de participation de

la part des agriculteurs pour qu'ils décident quelles sortes

de programmes de formation ils désiraient39.

Dans l'une des bandes, les agriculteurs contestaient la

décision, à leur avis peu sage, de convertir à la production

d'huile de palme pour l'exportation le peu de terrain agricole

disponible dans un pays qui ne produisait pas assez de nourriture

pour lui-même. Entretemps, le directeur progressiste du programme

fut muté. Son remplaçant, plus conservateur, accusa les spécialistes

sur le terrain de miner la politique du gouvernement; "les récrimi-

nations et la chasse aux sorciêres" qui s'ensuivirent mirent

un terme aux activités magnétoscopiques.

Gérard Belkin souligne l'importance d'un appui solide du

gouvernement et la délicatesse des médias communautaires. On

lui ordonna de quitter la Tanzanie à la suite d'une petite mésentente

avec un fonctionnaire de niveau moyen; le président dut intervenir

en personne pour qu'il puisse demeurer au pays.

"On doit toujours respecter les instances locales.


Elle peuvent être três sensibles à la moindre erreur
de jugement, ce qui suffit à risquer des années de
travail."

"Par contre, on ne nous a jamais dit ce que nous avions


à faire. Nous ne sommes pas là pour dénoncer personne,
et ils le savent. Il peut y avoir des erreurs ou des
87

malentendus, mais nous ne cachons pas ce que nous


faisons et nous agissons de bonne foi. Il faut quand
même se couvrir. On doit avoir quelqu'un derrière
soi. En Tanzanie, nous avions l'autorité du Président,
et à Haiti, celle du ministre de l'Agriculture."40

D'ailleurs, ce sont souvent les autorités locales et les

instructeurs sur le terrain qui offrent le plus de résistance

aux projets de médias communautaires, d'après Paul McLeod, qui

a introduit la technique magnétoscopique dans plusieurs villages

en Inde :

"On s'est aperçu que les travailleurs sur le terrain


étaient le plus souvent contre toute technologie.
Ils se considèraient les meilleurs canaux entre le
peuple et le gouvernement; ils voyaient l'amélioration
des communications comme une usurpation de leur rôle,
plutôt que comme une aide."41

Un projet communautaire au Ghana a aussi connu des difficultés

de la part des autorités locales. Il fallait faire une demande

dans les règles chaque fois qu'on filmait; le personnel devait

faire plusieurs visites pour obtenir une permission. Une fois

que la permission était accordée, ce qui était le cas la plupart

du temps, les représentants du gouvernement étaient soit pas

très intéréssés et ne se présentaient pas à l'entrevue, soit

au contraire trop enthousiastes et demandaient qu'une douzaine

de fonctionnaires passent devant la caméra, alors qu'un seul

aurait suffit.

Il est vrai qu'une communication efficace à double sens

peut causer des ennuis à un gouvernement. Quand les gens disposent

de canaux de communication, il est normal qu'ils deviennent

plus actifs, qu'ils critiquent et qu'ils fassent connaître leur

point de vue au gouvernement.


88

Les gouverments des pays moins avancés ont déjà leur part

de difficultés; ils considèrent souvent que l'ouverture de canaux

de communication supplémentaires ne peut que causer davantage

de problèmes.

Il est en effet plus simple pour un gouvernement d'édicter

sa volonté et de planifier le développement du peuple plutôt

que de travailler de concert avec lui. Comme le mentionne un

expert en développement, construire des routes, des barrages

et élever des cultures à haut rendement, c'est "un jeu d'enfant"

comparé aux difficultés de travailler avec des gens42.

D'après Dorothy Hénaut, la communication à deux voies est

le facteur déterminant qui permettra de résoudre de nombreux

problèmes

"Les moyens de communication d'une société sont ses


plus importantes ressources. On peut sûrement considérer
la communication d'une façon plus sensée en partant
du principe qu'elle se compose de deux éléments,
l'information et la réponse, et que sans l'un des
deux, elle est incomplète."43

Les résultats des expériences avec le magnétoscope dans

les pays les moins avancés sont bons; dans la plupart des cas,

le média a été bénéfique plutôt que préjudiciable aux gouvernements.

Au lieu de renverser l'autorité établie, la magnétoscopie et

la télévision communautaire ont amélioré la communication entre

le peuple et le gouvernement, ce qui a permis aux autorités

de mieux faire leur travail.

Gérald Belkin compare le magnétoscope à la construction

d'une voie de communication, dont les gouvernements d'Haiti


89

et de Tanzanie ont vite profité

"Une fois qu'on a enregistré une bande, elle devient


une ressource à utiliser, un objet d'information,
de pouvoir et d'influence. On se la dispute et on
ne sait jamais qui va s'en servir: tous ou personne."44

Malgré le régime dictatorial en vigueur à l'époque, les

autorités haïtiennes prisaient les cassettes produites par Belkin

au sujet des problèmes ruraux d'autres régions, avec lesquels

ils étaient aux prises également.

Le magnétoscope et la télévision communautaire en sont

à leurs premiers pas en tant qu'outil pour le développement.

Mais de plus en plus de spécialistes en communication pour le

développement croient que l'importance de ces nouveaux médias

légers croîtra avec le temps.

Certains, comme le réalisateur Jean Tétrault du Bureau

des renseignements des Nations Unies, croient qu'il est temps

de former des "cameramans aux pieds nus" pour répondre aux besoins

en information de la vaste majorité de la population, mal servie

par les médias d'information existants.

Il souligne que la première génération de spécialistes

en médias africains a été formée â l'école occidentale et qu'elle

est prisonnière des capitales; ils font peu pour rétablir les

liens de communication entre les divers éléments des société

en développement. Quand ils se rendent à la campagne, en souliers

de ville et avec leur équipement magnétoscopique, il se crée

un certain fossé culturel entre eux et leurs sujets.

"Ce qu'il nous faut, c'est une nouvelle génération qui

retourne dans les villages, enregistre un message, puis se rend


90

à un autre village. En d'autres mots, il faut utiliser le média

pour servir la majorité", nous dit Tétrault45.

Quels sont les avantages de le magnétoscopie ?

1) Facilité de fonctionnement. En quelques semaines, n'importe

qui peut apprendre à manipuler l'équipement magnétoscopique.

Ainsi on n'a pas besoin d'intermédiaires professionnels, ce

qui réduit d'autant le risque de distorsion, de filtrage ou

de censure. Le médium est mis dans les mains de fermiers, de

chefs communautaires, etc. pour qu' i 1 s s'en servent comme bon

leur semble.

2) Retour d'information instantané. On voit immédiatement

ce qu'on a filmé, ce qui permet d'améliorer la technique au

fur et à mesure. Les interviewés deviennent sûr d'eux et du

média quand ils voient le résultat de leurs efforts tout de

suite. Ils ont encore plus confiance quant on leur permet d'effacer

la cassette s'ils n'aiment pas l'enregistrement.

3) Les cassettes sont facilement réutilisées et distribuées.

On n'a pas besoin de les faire développer ou monter dans une

ville, comme c'est le cas avec un film ou une télévision centralisée.

Les bandes peuvent être montées pendant le tournage et distribuées

à d'autres villages. Les cassettes reviennent moins cher que

des films puisqu'elles peuvent servir souvent.

4) La qualité de production est moins importante au plan

local qu'au plan national. Parce que l'auditoire est réduit,

une bande magnétoscopique plus ou moins bien réalisée peut tout

de même communiquer un message avec succès, même si elle est

innaceptable pour diffusion à un auditoire national. (La qualité


91

s'évalue empiriquement comme suit une image floue et instable

et un mauvais son est acceptable à la personne interviewée et

à ses proches. Pour un voisin, il faudra une image un peu meilleure,

et pour quelqu'un à l'autre bout de la ville, un image encore

meilleure. Pour montrer des bandes à des habitants d'autres

villes, on doit porter encore plus attention au cadrage, au

son, au montage, au style, sans parler du contenu. Bien entendu,

Ces critères ne s'appliquent pas si l'enregistrement présenté

dans un village est le seul spectacle en ville. Même du matériel

de pauvre qualité reste captivant à cause de sa nouveauté.)

5) On peut facilement s'adapter aux besoins du spectateur.

La bande peut être repassée plusieurs fois, arrêtée et remise

en marche facilement. L'équipement est très portatif; on peut

le transporter à peu près n'importe où pour enregistrer ou visionner.

Il est relativement fiable. On peut visionner ou enregistrer

dans un grand nombres de conditions ou visionner dans des lieux

qui n'ont pas à être obscurcis pendant le jour.

6) Sans nul doute, l'un de ses principaux avantages, c'est

l'utilisation de la langue locale, ce qui améliore grandement

la communication. On peut faire une entrevue dans la langue

de l'auditoire ou doubler l'image dans plus d'une langue. Les

médias africains utilisent en grande partie des langues européennes

que la majorité de la population ne comprend pas.

Quels sont les inconvénients de le magnétoscopie ?

1) Entretien. Même si l'équipement est très durable et

souvent à l'épreuve de la poussière, il peut se détériorer rapidement

sur des chemins bosselés et à la suite d'une manipulation trop


92

rude. Les pièces de rechange sont souvent difficile à trouver

dans les pays en développement, les ateliers de réparation sont

inexistants ou exigent des prix exorbitants. Un projet peut

être retardé des mois s'il faut attendre de l'équipement réparé

à l'étranger ou des pièces de rechange.

2) Importation d'équipement. Malgré les nobles intentions

de ceux qui utilisent le magnétoscope pour favoriser le dévelop-

pement, de nombreux gouvernements imposent des taxes d'importation

excessivement élevée sur l'équipement, ce qui en double le prix

dans bien des cas. Le vol d'équipement en cours de route a aussi

retardé de nombreux projets.

3) L'absence d'électricité ou les pannes fréquentes. Le

magnétoscope peut utiliser des piles comme source d'énergie.

Mais il est plus difficile de montrer des cassettes sur des

récepteurs témoins sans source stable d'énergie. Les piles

doivent aussi être rechargées fréquemment. Si un générateur

s'avère nécessaire, l'opération devient plus coûteuse et plus

compliquée.

4) Coût. Même si le coût de l'équipement baisse et que

la qualité s'améliore, l'équipement reste relativement onéreux

et dispendieux. D'autres médias, comme la radio communautaire,

peuvent revenir moins cher, être plus facile à utiliser, plus

résistants et tout aussi efficaces.

5) Montage difficile. Dans les réalisations maison, on

a tendance à trop filmé, ce qui peut exiger de longues heures

de montage pour réduire la bande à une longueur acceptable.

S'il n'y a qu'un seul magnétoscope et qu'on ne peut pas du tout


93

faire de montage, on risque plus d'ennuyer et de perdre l'intérêt

des spectateurs.

6) La technique est souvent dans les mains d'élites urbaines

ou d'étrangers. Parce que la conception et la réalisation des

bandes magnétoscopiques est souvent confiée à des étrangers,

il y a peu d'occasions de développer une technique rurale africaine.

Il faut mettre sur pied des programmes pour enseigner aux indigènes

comment se servir du magnétoscope.

7) Le magnétoscope peut s'avérer un gaspillage d'argent,

de temps et d'énergie. Il est prouvé que des éléments de culture

indigène comme le théâtre, les spectacles de marionnettes, les

chansons, les danses et les débats peuvent être aussi efficaces

et bien moins coûteux. "Pourquoi se contenter de discussions

et d'animation par personne interposée, quand on peut tout faire

soi-même ?" , demande un animateur social expérimenté du Botswana.


94

Notes

1. Loretta Atienza, VTR Workshop: Small Format Video, Paris,


1977, p. 12.

2. Gérald Belkin, "Comment la vidéo peut s'insérer dans une


politique de développement", dans Problèmes audiovisuels,
n° 11, INA, Paris, janvier-février 1983, p. 32.

3. Daniel Prince, "Video Enhances the Effectiveness of Management


Trainees in Ghana", dans Development Communications Report,
n° 38, Washington, juin 1982, p. 3.

4. Jacques d'Arthuys, "Bolivie Des mineurs à la caméra",


dans Actuel développement, n° 64, Paris, janvier-février
1985, p. 42.

5. Atienza, VTR Workshop, op. cit., p. 100.

6. Ibid., p. 107.

7. "India: Using video for local change", Inter Media, Londres,


mai 1983, p. 6.

8. Ibid., p. 6.

9. Dorothy Hénaut, "Powerful Catalyst", dans Challenge for


Change Newsletter, n° 7, Montréal, 1971-1972, p. 20.

10. Atienza, VTR Workshop, op. cit., p. 106.

11. Henry Ingle, Communications, Media and Technology: A look


at their role in non-forma! education programs, Washington,
1974, p. 14.

12. Frances Berrigan, Community Communications: the role of


communications media in development, Paris, 1979, p. 24.

13. Ibid., p. 16.

14. Dorothy Hénaut, "Asking the Right Questions: video in


the hands of citizens (the Challenge for Change Experience),
discours prononcé lors d'une conférence internationale
en Australie, en novembre 1975, p. 10.

15. Ibid.

16. Hénaut, "Powerful Catalyst", op. cit., p. 24.

17. Hénaut, "Asking the Right Questions", op. cit., p. 8.

18. Berrigan, Community Communications, op. cit., p. 10.


95

19. Martha Stuart, "Village Solutions Make Global Community",


dans Inter Media, Londres, septembre 1981, p. 34.

20. Hénaut, "Powerful Catalyst", op. cit., p. 4.

21. Patrick Watson, "Challenge for Change", dans Challenge


for Change Newsletter, n° 7, Montréal, hiver 1971-1972,
p. 8.

22. Gérald Belkin, Institut d'action culturelle pour le dévelop-


pement : Videocommunications objectives (plaquette), p. 1.

23. Gérald Belkin, "Peasantry ... The Bush of Silence: Video-com-


munications objectives (plaquette), p. 2.

24. Belkin, "Institut d'action culturelle pour le développement",


op. cit., p. 3.

25. Ibid., p. 4.

26. Entrevue personnelle avec Gérald Belkin, Guerchy, France,


mars 1985.

27. Hénaut, "Powerful Catalyst", op. cit., p. 21.

28. Ibid., p. 21.

29. Ibid., p. 21.

30. Stuart, "Village Solutions", op. cit., p. 35.

31. Ibid., p. 35.

32. Ibid., p. 36.

33. Hénaut. "Powerful Catalyst", op. cit., p. 22.

34. Berrigan, Community Communications, op. cit., p. 37.

35. Hénaut, "Asking the Right Questions", op. cit., p. 10.

36. Watson, "Challenge for Change", op. cit., p. 8.

37. Hénaut, "Asking the Right Question", op. cit., p. 12.

38. Berrigan, Community Communications, op. cit., p. 36.

39. Colin Fraser, "Adapting Communication Technology for Rural


Development", Ceres: FAO Review on Agriculture and Development,
n° 95, Rome, septembre-octobre 1983, p. 26.

40. Entrevue personnelle avec Gérald Belkin, Guerchy, France,


mars 1985.
96

41. Entrevue personnelle avec Paul McLeod, Montréal, Canada,


juillet 1984.

42. Fraser, "Adapting Communications", op. cit., p. 26.

43. Hénaut, "Asking the Right Questins", op. cit., p. 13.

44. Entrevue personnelle avec Gérald Belkin.

45. Entrevue personnelle avec Jean Tétrault, New York, août 1984.
97

Evaluation fondamentale,
sondages, essais préalables
et rétroaction
98

Les Européens et les Nord-Américains ont grandement influencé

l'implantation de la télévision en Afrique et la formation du

personnel. Il n'est donc pas surprenant que la programmation

africaine ait des allures occidentales.

Toutefois, on considère que c'est là une erreur. C'est

pourquoi la télévision africaine tente actuellement d'élaborer

une programmation qui s'intègre mieux au contexte africain,

qui soit mieux adaptée aux intérêts et à la psychologie des

auditoires-cibles et qui réponde mieux aux besoins réels de

la population en générall.

Le problème, c'est que la plupart des pays d'Afrique ne

possèdent aucun moyen de sonder l'auditoire, de faire des tests

préalables et d'évaluer les résulats. Les réalisateurs avancent

à l'aveuglette et, comme ils ne disposent d'aucune donnée sur

lesquelles se fonder pour adapter la programmation, ils ont

tendance à calquer ce qui se fait dans les pays occidentaux.

***

Wilbur Schramm définit la rétroaction comme un p~ocessus

de communication qui "produit une action en réponse à un apport

d'information, et qui incorpore à la nouvelle information les

résultats de sa propre action, pour ensuite modifier ses comportements

ultérieurs"2. Graham Mytton offre un exemple à l'échelle humaine :

un homme envoie des lettres à un ami qui a changé d'adresse.

Comme 11 ne reçoit aucune réponse (ou rétroaction), il continue

de fairn parvenir ses lettres à la mauvaise adresse, sans jamais


savoir si elles arrivent ou non à destination. Selon Mytt:on,

On réagit constamment à notre environnement dans la vie quotidienne.

Ainsi, lorsqu'on n'est pas compris du premier coup, on réagit

en reformulant le même message d'Hne autre façon. Les communicateurs

doivent aussi être en mesure de réagir et de rajuster leur message.

De fait , i 1 est ab s o 1 u ment es s t! nt i e 1 d ' instaurer des m(! c an j s mt~ s

qui permettront une communication efficace et réciproque entre

les réalisateurs d'émJssions télévisées et leur auditoire-cible,

surtout si le but du réalisateur est d.' informer et d'éduquer.

Dans le présent chapitre, nous explorerons les possibilités

qui s'offrent à la télévision africaine pour s'améliorer dans ce

domaine crucial.

D'après Gale Adkins, la meilleure façon de briser le moule

occidental serait de mettre au point des lechniques de recherche

et d'évaluation fondamentales. Elle définit ces dernières comme

des études préliminaires qui permettent de définir la forme,

le contenu et la présentation d'une émissic1n afin qu'elle atteigne

son objectif le plus efficacement possible.

"En termes élémentaires, c'est en se basant sur la


réaction de l'auditoire-cible qu'on parviendra à trouver
la meilleure façon de capter son attention, de combler
ses besoins et de s'assurer que le message est bien
compris et accepté. Ceci permet de cr&er des émissions
sur mesure pour une population donnée plutôt que de
copier des émissions produites ailleurs dans le monde
pour des gens de milieux, de besoins et de goGts diffé-
rents. Les hypothèses et les conjectures sont alors
remplacées par l'interprétation des données el par
des preuves empiriques."4

Le directeur général de la Nigerian Television Authority

à Ibadan avoue ignorer si ses réalisateurs atteignent réellement

leur auditoire et même s'ils répondent aux attentes du public.


100

"En l'absence d'études scientifiques, nous devons élaborer notre

programmation à partir d'estimations et d'hypothèses", déclare

Baya Sanda.

Les commentaires de Joseph Sané, directeur de la programmation

de la télévision sénégalaise, sont typiques. Selon lui, le

besoin de sonder les auditoires est très grand, mais ceux qui

tiennent les cordons de la bourse ne veulent pas en entendre

parler. Ne pouvant savoir quelle catégorie d'auditeurs regardent

quelle sorte d'émission, et quelles sont les formules d'émission

qui remportent un certain succès à communiquer telles sortes

de messages à telle tranche de la société, Sané et Sanda, comme

un grand nombre de leurs collègues africains, doivent s'en remettre

à des hypothèses pour préparer leurs émissions sans jamais pouvoir

être certains des résultats.

Dans le passé, les réalisateurs africains sont parvenus à se

passer de la recherche sans trop de difficultés parce que, dans

un certain sens, ils se parlaient à eux-mêmes, leur auditoire

étant surtout composé de l'élite in~truite des villes, d'oD

sont issus les réalisateurs. Mais devant les nouvelles pressions

exercées pour que la télévision deviennent plus accessible aux

populations rurales ainsi qu'aux populations défavorisées des

villes, l'importance de la recherche se fait sentir.

Henry lngle admet qu'on a accordé trop peu d'attention

à déterminer et à définir clairement les buts et objectifs des

projets éducatifs extrascolaires, et trop d'attention à simplement

les rendre opérationnels5.

On pourrait avancer que les essais préalables sont un luxe


101

que les télédiffuseurs africains parcimonieux peuvent difficilement

se permettre. Il est vrai que les réalisateurs sont souvent

obligés de produire rapidement du matériel conforme aux plans

de développement du gouvernement et qu'ils ont parfois de la

difficulté à payer même la pellicule et les vidéocassettes.

La recherche peut certainement être coûteuse, longue et

compliquée. Il peut même arriver qu'elle coûte aussi cher que

de produire une émission, déclare Gale Adkins, mais ce n'est

pas une nécessité.

"Heureusement, on n'a pas toujours besoin de faire


une recherche à grande échelle pour préparer une émission.
Obtenir la réponse à une seule question-clé, c'est
faire une évaluation fondamentale et réduire les conjectures. "6

Ignacy Waniewicz met en garde contre la recherche qui se

réduirait à un jonglage de chiffre, ce qui parfois "irrite les

personnes qui doivent fournir les renseignements et est, souvent

à juste titre, considérée comme une pratique bureaucratique

et paperassière"7.

Une fois qu'on a clairement déterminé l'objectif de la

recherche, on peut se concentrer sur les questions jugées les

plus importantes. Il est plus que probable que les résultats

d'une enquête s'appliqueront à des situations ultérieures. Barbara

Searle, spécialiste en techniques de l'éducation à la Banque

mondiale, croit que la meilleure façon de déterminer le genre

d'émissions à passer à la télévision, c'est de parler avec l'audi-

toire. Plus le public sera consulté, plus on a de chance que

la programmation soit comprise et bien reçue.

* * *
102

On peut diviser le processus d'évaluation en trois parties :

la définition d'un but, le choix d'un auditoire-cible et l'essai

préalable du produit; le contrôle des réactions de l'auditoire

pendant la diffusion de l'émission; l'évaluation et l'analyse

du succès de l'émission par rapport aux buts fixés.

D'après Schramm, il faudrait, avant de fabriquer une émission

en particulier, élaborer un plan d'ensemble qui tienne compte

des besoins et des buts évalués, des possibilités de modification

et des ressources disponibles8. Deuxièmement, il faut s'attacher

à comprendre le mode de vie, les croyances et les attitudes

de la population à laquelle s'adresse le message.

On peut dresser la liste des caractéristiques d'un auditoire

au moyen d'entrevues individuelles doublées d'une observation

attentive sur le terrain9. Les travailleurs sur le terrain,

en contact direct avec l'auditoire-cible, peuvent également

s'avérer très précieux quand il s'agit de définir des buts et

de concevoir des messages. Ils agissent habituellement comme

intermédiaires dans la mise en oeuvre des plans de développement.

Afin de mieux comprendre comment l'évaluation fondamentale

sert à améliorer les émissions éducatives extrascolaires, examinons

quelques exemples recueillis dans différents pays du monde.

Plusieurs provinces canadiennes financent la télévision

éducative. A l'Ontario Educational Communications Authority

(TVO), par exemple, une demi-douzaine d'employés travaillent

à plein temps au service de recherche. Olga Kuplowska, directrice

du service, explique que toutes les émissions sont testées à


103

différentes étapes de leur fabrication. En premier lieu, on

soumet l'idée d'une émission à un échantillon de personnes choisies

dans la région~cible pour découvrir s'il existe un besoin ou

un intérêt réel pour ce genre d'émission. Par la suite, les

chercheurs et les membres de l'équipe de production discutent

des différentes méthodes possibles pour atteindre l'auditoire-cible.

Puis on prépare des scénarios et diverses formules d'émissions

que l'on essaie sur un échantillon du public-cible.

Finalement, on demande au public de donner ses impressions

sur une émission-pilote, pour savoir, par exemple, si les situations

décrites sont réalistes, ou lequel des animateurs présentés

dans l'émission plait le plus. Selon Olga Kuplowska, il ne

faut jamais sous-estimer li importance du choix des acteurs,

des invités et des animateurs. Un présentateur qui déplait

à l'auditoire sape grandement le potentiel de communication

d'une émission. On utilise plusieurs méthodes pour mesurer

le niveau de satisfaction de l'auditoire face à une émission-pilote.

On demande d'abord aux téléspectateurs de remplir un questionnaire

dont les réponses sont ensuite analysées par ordinateur pour

gagner du temps. Parallèlement à cela, l'auditoire-cible est

divisé en petits groupes pour discuter de l'émission-pilote

avec les chercheurs.

Quand vient le temps pour les réalisateurs de d'esquisser

les grandes lignes d'une série, ils ont déjà une bonne idée

des besoins et des attentes du public et de la façon de l'atteindre.

Selon Olga Kulowska, il existe un rapport direct entre

la quantité de recherche préliminaire faite sur une émission


104

et le succès de cette émission à remplir ses objectifs et à

atteindre l'auditoire.

Bien entendu, le travail accompli dans un pays relativement

riche comme le Canada ne s'applique pas nécessairement à l'Afrique.

Toutefois, le projet SITE (Satellite lnstructional Television

Experiment) de l'Inde, qui a rejoint 2,5 millions de personnes

dans les villages dans des centres d'écoute collective, est

un exemple du succès de la planification et de la recherche

fondamentales dans le Tiers-Monde. L'un des objectifs du projet

était d'apprendre à tester et à évaluer l'efficacité des messages

télévisés auprès des populations rurales.

Avant de définir le contenu des émissions, on a fait un

grand nombre d'études détaillées. Ainsi, au moment de produire

les émissions, les réalisateurs connaissaient bien leur auditoire

villageois, leurs niveaux de perception ainsi que leurs goûts

et opinions au plan socio-culture1lO.

De plus, aucune émission n'a été diffusée avant qu'on n'ait

procédé à plusieurs essais dans les villages. Par exemple, pour

trouver la formule d'émission la plus populaire, on en fabriquait

plusieurs sur le même sujet sous forme d'entrevue, de documentaire,

de téléroman, de chanson folklorique etc. On a aussi testé la

structure des émissions, soit le début, la fin et la durée optimale

de chacune. Le projet SITE a contribué, entre autres, à susciter

un grand intérêt dans les communications de masse chez les chercheurs

en sciences sociales qui ont fait la grande partie des recherches.

* * *
105

Certains télédiffuseurs africains ont plus de succès que

d'autres à planifier et à tester leurs émissions. Par exemple,

!'Office de Radiodiffusion Télévision Nigérienne a commandé

une étude assez détaillée sur les attentes du grand public en

matière de télévision éducative. On a sondé une multitude de

groupes, dont les fonctionnaires, les organismes de jeunes,

les chefs de villages et les associations féminines. Ainsi,

les responsables de la programmation télévisée connaissent les

formules d'émissions préférées de différents groupes sociaux.

L'étude a démontré, par exemple, que les femmes aimaient beaucoup

suivre les progrès accomplis par d'autres femmes dans des régions

ou des pays différents, et que la dramatique était la meilleure

façon de traiter un sujet controversé.

Toutefois, le Niger ne réussit pas avec autant de brillot

à planifier ses émissions. Une fois qu'on a choisi le titre

général de l'émission, on ne fait aucun effort pour planifier

la saison. Les réalisateurs présentent leurs projets d'entrevues

et, très souvent, enregistrent la même journée. Le directeur

de production donne ou refuse son accord sur-le-champ.

La manière de procéder est beaucoup mieux structurée au

canal 10 de la Nigerian Television Authority à Lagos. La station

possède un service de recherche qui permet aux réalisateurs

de déterminer s'il existe assez de matériel pour tourner une

série. Une fois qu'on est tombé d'accord sur le sujet, la formule

et l'auditoire-cible, les recherchistes aident les réalisateurs

à préparer une tranche de trois mois d'émissions. Le canevas

est ensuite soumis au directeur de la programmation pour approbation.


106

La Zimbabwe Broadcasting Corporation teste chaque nouvelle

émission. Une fois sur deux, l'émission-pilote sert de premier

épisode sans subir de modifications.

Tester une émission consiste à présenter une ou deux émissions

à un échantillon du public-cible afin d'obtenir sa réaction.

C'est la méthode d'évaluation fondamentale traditionnelle.

Une étude menée par la Banque mondiale révêle que les cofits

des essais préalables sont amortis parce qu'ils permettent souvent

d'éviter des erreurs cofiteuses.

"(Les erreurs) peuvent sembler évidentes aprês coup,


mais elles passent souvent inaperçues pendant la réali-
sation, en partie parce que les concepteurs peuvent
avoir une culture une instruction três différentes
de l'auditoire."11

Le plus difficile dans les essais préalables, c'est de

choisir quand tester l'émission. Adkins suggêre de faire les

essais avant que la production ne soit trop avancée pour perme~tre

des changements ou des modifications.

"Il faut du temps et de la patience pour réviser les


scénarios, l'équipement et les techniques de production,
et même pour refaire les essais. A partir des résultats
de l'évaluation de l'émission-pilote, on modifie le
scénario à venir, le jeu des acteurs ainsi que la
réalisation."12

* * *

Une fois qu'une émission a été conçue, mise à l'essai et

produite, le processus d'évaluation est loin d'être terminé.

Un contrôle continu de la réaction de l'auditoire à une émission

donnée permet aux réalisateurs d'apporter en cours de série

les améliorations et les modifications qui s'avêrent nécessaires.

Dans un réseau social de communication, la rétroaction


107

est essentielle, selon Mytton, pour qui veut apporter les modifi-

cations appropriées ou agir en fonction des informations provenant

de l'environnement13. En fait, s'ils ne connaissent pas rapidement

la réaction du public afin d'apporter les modifications nécessaires,

les réalisateurs n'ont aucun moyen de savoir si leur message

a été perçu, compris, accepté et mémorisé, et qu'il inspirera

les changements de comportement désirés14.

Une campagne de promotion pour la consommation de fèves

de soja nature, en Bolivie, dans le but d'améliorer la nutrition

des pauvres des régions rurales, illustre bien comment la réaction

du public peut améliorer la communication15.

OQ mena d'abord une étude préliminaire pour recueillir

des renseignements socio-culturels auprès de la population en

matière de consommation, d'achat et de préparation des aliments.

L'échantillon était composé de 800 familles et de 4 000 personnes

vivant dans la région-cible.

Au départ, on croyait que la radio, les affiches, les vidéo-

cassettes, les films et les diapositives seraient les médias

les plus efficaces pour rejoindre la population visée. La campagne

s'est déroulée en trois étapes, chacune étant suivie d'un sondage

fait dans des foyers choisis au hasard. A mesure qu'on recevait

de nouvelles données, on apportait certains changements à la

campagne en cours.

Par exemple, à la fin de la première étape, on découvrit

que seule une infime partie de la population-cible comprenait

l'espagnol. En conséquence, on décida de remplacer la moitié

des 21 messages radiophoniques en espagnol, d'une durée de 60


108

secondes chacun, par de nouveaux messages en quechua. On réduisit

également le nombre de recettes mis en circulation étant donné

que le sondage indiquait que la plupart n'étaient pas utilisées.

Le sondage effectué à la fin de la deuxième étape a démontré

que la majorité des auditeurs étaient des hommes chefs de famille

et des adolescents, et non pas le public-cible des femmes mariées

et mères de jeunes enfants. On abandonna donc les émissions

radiophoniques portant sur les recettes et on modifia les messages

publicitaires de façon à plaire à la majorité des auditeurs.

Pour la troisième étape de la campagne, on composa des refrains

publicitaires qui véhiculaient plus énergiquement l'idée de

nutrition. On mit l'accent sur l'importance des protéines et

on qualifia le soja d'aliment "protecteur" et "fortifiant".

Les résultats sont éloquents : à la fin de la campagne,

92 % de la population-cible connaissaient le soja alors qu'auparavant

19 % seulement en avaient entendu parler. D'après un sondage

mené après la dernière étape, 80 % d'entre eux avaient mangé

du soja.

* * *

La technique la plus répandue pour obtenir des données

sur le terrain consiste à allier des questionnaires à des entrevues

individuelles menées par des chercheurs. En effet, si on n'utilise

que les questionnaires, on ne peut recueillir que l'opinion

des gens instruits. De plus, si on laisse des volontaires répondre

aux questionnaires, on risque de fausser les résultats qui seraient


109

plus positifs que si on n'avait choisi des personnes au hasardl6,

L'expérience a démontré que remplir un questionnaire mal

rédigé pouvait s'avérer une corvée et que les questions risquaient

d'être mal comprises. Des questions trop générales peuvent

inciter le répondant à donner plus d'information que nécessaire.

Les questions à choix multiples ne sont pas tellement utiles

à moins qu'elles ne soient étayées par des questions à développement.

Par contre, il s'avère très difficile de compiler les résultats

obtenus à partir d'un questionnaire composé uniquement de questions

de caractère descriptif17.

* * *

Il y a cependant une limite aux renseignements qu'un réalisateur

peut tirer des sondages. Ce n'est qu'en observant les gens

qui composent sa population-cible que le réalisateur pourra

donner aux faits et aux chiffres une dimension humaine. Avant

de rédiger un texte, l'auteur canadien Robert Guyrek passe plusieurs

semaines avec les gens du milieu qu'il veut dépeindre. Pendant

cette période, il note leurs conversations et, dans la mesure

du possible, essaie de vivre leur vie.

Ignacy Waniewicz affirme que réalisateurs et écrivains

pourraient apprendre, non seulement en visitant leurs téléspecta-

teurs, mais aussi en les observant lorsqu'ils regardent leurs

émissions18, En effet, par leurs réactions, ils expriment bien

les divers degrés d'acceptation et de compréhension d'une émission.

Pendant un certain temps au cours des dix ans qu'a duré

le projet d'éducation télévisuelle dans les écoles en Côte-d'Ivoire,


110

les réalisateurs d'émissions destinées aux paysans adultes le

soir recevaient la réaction de ce groupe par l'entremise des

professeurs qui animaient les discussions à la suite des émissions.

Les réalisateurs élaborent encore des émissions pour la

population rurale, mais aux dires de Georges Ketta, directeur

de la production pour la Télévision Extra-Scolaire, ils ne reçoivent

plus de réactions du terrain depuis que le reste du projet s'est

effondré. "Les questionnaires que les professeurs nous retournaient

avaient pour nous beaucoup de valeur, car ils nous indiquaient

tout de suite si nous étions sur la bonne voie. Les questionnaires

nous renseignaient sur tous les aspects de l'émission le rythme,

le minutage, la confusion des images, la complexité du langage,

la clarté du message, la popularité du contenu. Maintenant

nous devons à nouveau agir à partir de notre expérience et de

notre instinct. Inutile de dire que ça ne vaut pas la recherche."

Tout réseau d'animateurs ou de travailleurs sur le terrain

qui animent des discussions dans des centres d'écoute collective

aprês les émissions est un véhicule idéal pour recueillir rapidement

des réactions directes et précises. On peut donner aux animateurs

des questionnaires qu'ils remplissent une fois les discussions

terminées. Waniewicz croit que les réalisateurs et les auteurs

auraient eux aussi avantage à participer aux discussions et

à remplir les mêmes questionnaires que les animateurs19.

Les réalisateurs de Télé-Niger, un projet expérimental

de télévision éducative au Niger, ont décidé d'agir de façon

inusitée en travaillant à la production d'émissions et en faisant

une évaluation fondamentale sur le terrain en même temps.


111

"Les membres de l'équipe ont réussi à conserver un


rapport étroit entre les objectjfs et les résultats
de leur travail en orientant le projet dans le cadre
de grandes lignes djrectrices tout en fabricant le
matériel télévisuel au fur et à mesure."20

* * *

Dans les pays étudiés, on contrôle rarement les réactions

aux émissions. Les réalisateurs interrogés doivent se fier

presque exclusivement aux lettres des téléspectateurs ou à des

conversations fortuites avec des parents ou amis pour évaluer

la réaction du public à leurs émissions. C'est pourquoi le

courrier des téléspectateurs revêt une si grande importance

pour le réalisateur. Gabriel Koffi, réalisateur d'une émission

sur la' santé en Côte-d'Ivoire, reçoit de 200 à 500 lettres par

semaine (et parfois jusqu'à 2 500 si le sujet suscite de vives

réactions, comme dans le cas de l'impuissance sexuelle).

Toutes les lettres sont lues et on essaie de répondre à

autant de questions que possible durant l'émission. De plus,

chaque année, deux ou trois émissions sont directement inspirées

du courrier. Durant l'émission de Koffi, intitulée "Droit de

santé", on encourage les téléspectateurs à communiquer leurs

questions pendant ou après l'émission au numéro de téléphone

indiqué. Les réalisateurs de l'émission "Le magazine des jeunes"

ont trouvé une façon originale d'encourager les téléspectateurs

à participer. Chaque semaine, au début et à la fin de l'émission,

on montre à l'écran une photo ou une peinture dont seule une

petite partie est visible. Le public est invité à deviner de

quel objet il s'agit et à faire parvenir sa réponse par le courrier,


112

de même que des commentaires ou des questions au sujet de l'émission.

Le gagnant de ce concours hebdomadaire reçoit une radio. Grâce

à ce moyen três simple, "Le magazine des jeunes" reçoit dix

fois plus de courrier que les autres émissions de Télé-Sahel.

Evidemment, ceux qui doivent compter exclusivement sur

le courrier ou les appels téléphoniques pour prendre le pouls

du public se heurtent à un problême : tous les téléspectateurs

n'ont pas accês aux bureaux de poste ou aux téléphones et beaucoup

ne savent ni lire ni écrire.

Cependant, quand il n'y a pas d'autre moyen de s'informer

de la réaction de l'auditoire, la lecture du courrier prend

une grande importance malgré tout.

* * *

La derniêre étape de l'évaluation a pour but de mesurer

l'impact qu'a eu le projet sur l'auditoire-cible. L'émission

a-t-elle rejoint le public visé ? Le message a-t-il fait son

chemin ? A-t-il donné lieu à des changements ?

Sans la pression qui accompagne la conception ou la réalisation

d'une émission, on peut maintenant prendre plus de temps pour

évaluer soigneusement l'auditoire-cible et sa réaction face

à la télévision. Malheureusement, il ne se fait pratiquement

aucune recherche de cette nature dans les pays d'Afrique.

Partout dans le monde, on dépense plus d'argent et d'énergie

pour évaluer les cotes d'écoute que pour toute autre forme de

sondage21. Ce type de sondage sert d'abord et avant tout aux


113

publicitaires. Il ne fait que mesurer la taille de l'auditoire.

En Afrique, un certain nombre de télédiffuseurs ont accês à

des sondages qui leur indiquent le nombre de téléspectateurs

à l'écoute et leurs préférences.

Une station du Nigéria, le Television Service de l'Etat

d'Oyo (TSOS), tire 60 % de ses revenus du gouvernement de l'Etat

et 40 % de la publicité. Deux fois par année, le service de

publicité fait un sondage sur les prêfêrence d'écoute de l'auditoire,

et enquête à l'occasion sur de nouvelles idêes d'êmissions.

Le dernier sondage de ce genre visait à dêterminer l'auditoire

possible pour une êmission de lutte, les rêsultats de l'êtude

devant être soumis à d'êventuels commanditaires.

D'après Salomon Soremekun du service de publicitê, bien

que les sondages visent essentiellement à renseigner les comman-

ditaires au sujet d'un auditoire potentiel, ils fournissent

êgalement des donnêes utiles pour les rêalisateurs. Il faut

environ un mois pour distribuer et recueillir un millier de

questionnaires. Durant les deux ou trois premiers jours, les

questionnaires sont distribuês. Le rêpondant doit donner son

nom, son adresse et sa profession. S'il ne sait ni lire ni

êcrire, on l'incite à faire remplir par quelqu'un d'autre le

questionnaire.

Un mois plus tard, les membres de l'êquipe de recherche

retournent dans chaque foyer pour rêcupêrer les questionnaires

et dans certains cas, remplissent des questionnaires pour les

rêpondants. Soremekun a remarquê que certaines personnes hêsitaient

à participer aux sondages de peur qu'il ne s'agisse d'une ruse


114

de la part du ministêre du revenu. Cependant, il avoue qu'en

général, dans la mesure où les enquêteurs et les objectifs de

l'étude sont bien identifiés, les gens font preuve d'une grande

collaboration et, malgré leur manque d'instruction, de beaucoup

de subtilité.

Pour chaque sondage, on distribue des questionnaires dans

dix foyers de dix personnes chacun, dans vingt villages différents.

La préférence va aux villages électrifiés pour la bonne raison

qu'on a plus de chance d'y trouver des téléviseurs. (Il est

intéressant de noter tout le mal que les enquêteurs se donnent

pour déterminer les émissions les plus populaires en régions

rurales, à cause de l'intérêt que portent à cette population

les commanditaires de biêre, d'allumettes, de détergent et de

lait en tant que public-cible.) Les résultats des sondages

sont transmis au service de la programmation de TSOS, mais les

réalisateurs et les enquêteurs collaborent peu. Soremekun affirme

ne pas discuter avec les réalisateurs des résultats obtenus,

et Tele Opakunle, qui contrôle les émissions à TSOS, affirme

que c'est surtout grâce au courrier qu'elle réussit à connaitre

la réaction du public et que les sondages ne lui fournissent

que 30 % de ses informations. Elle attribue le manque de fiabilité

des sondages à une situation confuse au niveau de la direction,

aux restrictions budgétaires et à un roulement de personnel

fréquent.

* * *
Le service de télévision éducative du Zaire, Ratelesco,

fait un sondage annuel auprês de ses téléspectateurs. Les sondages


115

se limitent à la ville de Kinshasa, à cause des restrictions

budgétaires. Le directeur adjoint de Ratelesco, Kitenda Mata,

déclare être toujours surpris par les résultats des enquêtes

et les sondages ont permis d'élargir l'auditoire.

Tous les deux ans, la ZBC (Zimbabwe Broadcasting Corporation),

en collaboration avec une université de la région, sonde son

auditoire. Des étudiants distribuent les 1 000 questionnaires

qui ont pour but de déterminer les émissions et les vedettes

les plus populaires (animateur ou acteur). Job Jonhera, directeur

de la programmation à znc, dêclare que son service et celui

de la publicité profitent autant l'un que l'autre des résultats

des sondages.

Jusqu'ici, nous avons vu que la plupart des techniques

d'évaluation employées par les télédiffuseurs africains sont

des méthodes occidentales éprouvées. Adkins met en garde les

nations du Tiers-Monde contre les dangers qu'elles courent en

adoptant des techniques de recherche plutôt qu'en les adaptant22.

Comme il existe des diftérences fondamentales entre les

pays développés et en voie de développement au niveau des modèles

de diffusion de l'information, des critères de crédibilité,

des systèmes de valeurs sociales, des besoins et des intérêts,

il est essentiel de mettre au point des techniques et des modèles

typiquement africains.

Jusqu'à ce jour, étant donné qu'il y a très peu de collabo-

ration entre les pays en développement, ils ne peuvent partager

leur expérience ni compter sur l'aide des Occidentaux pour trans-

mettre cette expérience. Comme l'a écrit Henry Ingle


116

"L'absence d'une bonne évaluation de projets éducatifs


extrascolaires, on même scolaires, a entravé le perfec-
tionnement des systèmes d'apprentissage modernes.
Par conséquent, les mêmes erreurs se répètent et les
mêmes difficultés surgissent dans les émissions éducatives
du monde entier."23

Les tendances actuelles et les nouveautês technologiques

vont finir par transformer la planification et l'évaluation.

Les fibres optiques, les conférences têlêphoniques, la communication

à double sens avec les villages par satellite, et la transmission

électronique de textes, voilà autant de possibilitês pour révolu-

tionner la télévision interactive.

Tous ces changements rapides dans le domaine de la technologie

vont permettre d'augmenter radicalement la participation des

téléspectateurs à la conception, à l'évaluation et même à la

production des émissions. On possède déjà la technologie qui

permettrait de relier des milliers de téléviseurs à un centre

de diffusion, à un ordinateur ainsi qu'à de petites caméras.

On peut dès à présent présenter un documentaire suivi d'un test

où les téléspectateurs n'auraient qu'à effleurer leurs écrans

du doigt pour répondre aux questions à choix multjple24, Les

réalisateurs de l'émission ainsi que des spécialistes du sujet

traité pourraient ensuite répondre aux questions posées par

les téléspectateurs au moyen de leur petite caméra. Leur image

serait reçue au centre de diffusion d'où elle serait retransmise

à l'auditoire. Des discussions pourraient être organisées en

se servant du même réseau.

Parmi les autres facteurs qui pourraient avoir un effet

sur la planification et l'évaluation, on note une tendance à


117

la décentralisation, dans le domaine des communications en général,

mais plus particulièrement en télévision, dans le but d'encourager

l'accès et la participation du public.

Alan Hancock écrit dans Educational Broadcasting International

que les médias communautaires donneront naissance à de nouveaux

styles de planification et d'évaluation de l'écoute.

"Les médias communautaires opérant par définition


â une très petite échelle, sont planifiés et administrés
par le public même. En observant attentivement ces
véritables laboratoires, il est possible de comprendre
les mécanismes qui régissent une participation vraie."25

Bien sûr, le progrès des nouvelles techniques de communication

est étroitement lié à celui des médias communautaires. L'un

et l'autre remettent en question le système centralisé traditionnel.

Hancock n'est pas enthousiaste à l'idée de bouleverser la télévision

centralisée, distante et hors d'atteinte sauf pour une consultation

symbolique de l'auditoire à l'occasion. Il reste toutefois

à exploiter sur une grande échelle l'énorme potentiel des médias

communautaires pour rapprocher transmetteurs et récepteurs et

pour instaurer des canaux de communication à double sens permettant

de capter les réactions immédiates du public.

Comme nous l'avons déjà mentionné au début de ce chapitre,

les émissions calquées sur des formules occidentales n'atteignent

pas de façon satisfaisante les objectifs de la télévision africaine

en matière d'éducation.

Toutefois, pour réussir à concevoir des émissions adaptées

à la réalité africaine, nul doute qu'il faudra d'abord améliorer

les méthodes existantes d'évaluation fondamentale, de contrôle

et de recherche.
118

Si l'on ne tient pas compte de cet aspect, comme c'est

le cas pour une grande partie du continent, il sera impossible

d'utiliser au mieux la télévision pour atteindre la population

visée et pour 1 'inciter à progresser.

Recommandations

1) Lorsqu'on s'adresse à un auditoire d'illettrés dispersês

dans une vaste région, le meilleur moyen de recueillir leurs

réactions est de mettre sur pied un réseau de travailleurs sur

le terrain munis de questionnaires. Le travail sera considérablement

simplifié si, par exemple, il existe déjà un réseau d'agents

agricoles ou d'enseignants susceptibles de recueillir les données.

2) Un réalisateur devrait garder le plus grand contact

possible avec son auditoire-cible. Si l'objectif est d'informer

les femmes de la campagne au sujet des coopératives, il serait

bon de choisir un réalisateur qui a une certaine expérience

des coopératives, ou qui s'y connait un peu, qui est une femme

qui visite son village souvent, et qui est prête à tourner le

plus possible sur place, dans un village.

3) Organiser des concours ou des tirages permettant à

ceux qui remplissent des questionnaires df: gagner des prix.

De petits prix comme des macarons annonçant le thème d'une

émission, d'une campagne ou de la station peuvent aussi stimuler

la participation.

4) Encourager la participation pendant les émissions afin

de sensibiliser le public à l'importance du sondage, et d'éliminer

la peur de participer. Diffuser les r6sultats pour renforcer

la participation des téléspectateurs et pour leur démontrer


119

la nécessitê et l'utilité des enquêtes.

5) Coordonner les travaux de recherche des services de

publicité et de programmation. On réduira passablement les

coOts si au moyen d'un seul sondage on réussit à recueillir

des renseignements d'ordre démographique et des cotes d'écoute

pour les commanditaires, en même temps que des données plus

précises au sujet des goOts et des habitudes des téléspectateurs

pour les réalisateurs.

6) Faire appel aux instituts de recherche en place.

L'expérience des organismes spécialisés dans les sondages d'opinion

publique et des départements de sciences sociales des universités

peut s'avéver très utile quand vient le temps de compiler des

données.
120

Notes

1. Gale Adkins, "Formative Evaluation in Educational Radio


and Television : A Fondamental Need in Developing Countries",
Development Communications Report, n°44, Washington, D.C.,
Décembre 1983, p. 3.

2. Wilbur Schramm, Mass Media and National Development cité


par Graham Mitton dans Mass Communications in Africa, Londres,
1983, p. 11.

3. Graham Mytton, Mass Communications in Africa, op. cit., p. 11.

4. Gale Adkins, "Formative Evaluation in Educational Radio


and Television", op. cit., p. 3.

5. Henry Ingle, Communication Media and Technology: A Look


at Their Role in Non-formai Education Programs, Washington, D.C.
1974, p. 38.

6. Gale Adkins, "Formative Evaluation in Educational Radio


and Television", op. cit., p. 3.

7. Ignacy Waniewicz, La radio-télévision au service de l'éducation


des adultes : Les leçons de l'expérience mondiale, Paris,
1972, p. 97.

8. Wilbur Schramm, Médias de masse et développement national,


cité dans Problèmes Audiovisuels, n°ll, INA, Paris, 1983,
p. 8.

9. Gale Adkins, "Formative Evaluation in Educational Radio


and Television", op. cit., p. 3.

10. Vasant Sathe, "How satellites will extend India's development


communications", Intermedia, Londres, Septembre 1981, p. 3.

11. Heli Perrett, Using Communication Support in Projects:


The World Bank's Experience, Washington, D.C., 1982, p. 32.

12. Gale Adkins, "Formative Evaluation in Educational Radio


and Television", op. c;jt,, p. 14.

13. Graham Mytton, Mass Communications in Africa, op. cit., p. 12.

14. Heli Perrett, Using Communications Support in Projects,


op. cit., p. 32.

15. "Soybean Promotion Campaign", Clearinghouse on Development


Communication, Washington, D.C., 1983.

16. Bob Karam et Avi Soudack, Research Report on the Academy


with Jack Livesly, Toronto, 1983, p. 3.
121

17. Ignacy Wan.iewic:t, La radio-télévision au service de l'éducation


des adultes., op. cit., p. 95.

18. Ibid.

19. Ibid.

20. Theresét Silverman, Télé··Niger: Adapting an F.lectronic


Medium to a Rural African Context, Washington, D.C.,
1976, p. 38.

21. Sean MacBride, Voix multiples, un seul monde, rapport de


la Commission internationale d'étude des problèmes de la
communication, UNESCO et les Nouvelles Editions Africaines,
Paris, 1980, p. 196.

22. Gale Adkins, "Formative Evaluation in Educational Radio


and Television", op. cit., p. 14.

23. Henry Ingle, Communications Media and Technology, op. cit.,


p. 38.

24. B.R. Webster, Access : Technology and access ta communications


media, Paris, 1975, p. 25.

25. Alan Hancock, "Rroadcasting and national development:


A case for communication planning", Educational Broadcasting
International, Décembre 1977, p. 151.
122

Troisième partie :
les secteurs que
la télévision peut aider
123

La femme africaine :
comment la télévision
peut améliorer son statut
124

Dans les médias de masse comme dans la société en général, la

femme africaine est incomprise, sous-représentée et reléguée au

second plan. Les responsables des médias, comme l'Establishment

en général, sont des hommes qui perpétuent un certain mythe,

une certaine image de la femme, quand ils daignent en parler.

Les rares femmes que l'on peut voir â la télévision africaine

sont des êtres soumis qui dépendent des hommes, ou de jeunes

objets sexuels, ou traitent de "problèmes féminins", c'est-â-dire

d'activités qui se limitent aux tâches ménagères et â l'éducation

des enfantsl.

La télévision africaine ne fajt â peu près rien pour donner

une image honnête et juste du vécu des Africaines et pour les

aider â améliorer leur sort, ce qui ferait progresser la société

toute entière, car la femme africaine en est le pivot.

En limitant le rôJe des médias de masse pour ce qui d'éduquer

les femmes et de les inciter â participer au développement,

on néglige un outil de progrès social précieux. Dans ce chapitre,

nous verrons pourquoi il est essentiel de donner aux femmes,

surtout â celles des régions rurales, un plus grand rôle â jouer

dans la télévision â l'appui du développement. Nous tâcherons

de comprendre pourquoi on les a complètement mises de côté dans

le passé et nous verrons des façons d'améliorer leur sort par

la télévision.

La télévisicin dans les six pays que nous avons étudiés

s'adresse de moins en moins â l'élite des villes pour se tourner

vers l'Afrique rurale. A tous les niveaux de la programmation,

on accorde de plus en plus d'importance aux problèmes des paysans,


125

qui composent de 70 % à 90 % de la population africaine.

On reconnaît en général 1 'importance primordiale de l 'agricul-

ture dans le développement des pays africains. Mais bien que

les femmes passent les deux tiers de leur temps à travailler

dans ce secteur et qu'elles produisent prês de la moitié des

aliments consommés sur le continent2, elles brillent par leur

absence dans presque toutes les émissions télévisées qui traitent

du développement rural.

Dana Peebles du Programme de dfiveloppement des Nations unies

a mené une vaste enquête au sujet des répercussions du développement

économique sur les femmes du Tiers-Monde. L'étude a démontré

que grâce à leur travail, les femmes faisaient déjà partie intégrante

du processus de développement, bien que peu de gens reconnaissent

le fait. Elle affirme qu'aucun véritable développement social

ne pourra avoir lieu sans la participation des femmes.

"Par conséquent, pour être efficaces, les programmes


de développement doivent se concentrer sur les femmes
[ ... ] Aucun projet ne peut réussir à moins de s'assurer
l'apport et l'appui des participants."3

C'est à la femme qu'incombe la responsabi 1 i té de s'occuper

de la famille, surtout en l'absence de son mari. Comme le rapporte

Aissatou Cisse, chercheuse au Mali, c'est vers la femme qu'on

se tourne pour sortir la famille de la pauvreté, ce qu'elle

doit faire sans formation, instruction, aide financiêre, outil

ni équipement4.

Se 1 on 1 ' Organ i sa t ion internat i on a 1 e du t ra va i 1 , 1 es s ta t i s tiques

officielles ne font état que de la moitié des heures travaillées

par les femmes5. De fait, les statistiques concernant les femmes


126

en Afrique rurale sont rares. Le Centre de recherches pour

le développement international (Canada) explique que les enquêteurs

ont tendance à passer sous silence l'activité économique des

femmes pour la simple raison qu'il est plus facile de faire

des enquêtes au sujet des hommes. Parce qu'elles évoluent souvent

dans des mil.ieux de travail qui échappent aux définitions offi-

cielles et qu'elles sont exclues des groupes ou associations orga-

nisés, les femmes sont souvent perçues comme des êtres passifs.

Par conséquent il a été difficile d'identifier des mécanismes

positifs qui souligneraient la contribution des femmes au dévelop-

pement6.

Il est reconnu que seulement 3,4 % des Africaines ont reçu

une formation en technique agricole, même si elles sont les

principales responsables de la production agricole7.

On n'a pas réussi à produire davantage de nourriture pour

une population croissante qui dépend traditionnellement de l'agri-

culture vivrière malgré l'instauration de nouvelles techniques

plus productives, orientées vers le marché, parce que Je rôle

des femmes a été négligé.

Selon Margaret Haswell, conseillère en développement rural,

les agricultrices font face à un manque de technologie.

"Les méthodes traditionnelles et le savoir-faire des


femmes sont mal exploités. Contrairement aux hommes,
engagés dans la production de biens de consommation,
les femmes n'ont pas facilement accès à l'information
et aux nouvelles techniques, ni même au crédit. Les
programmes de formation ne tiennent pas compte de
leurs pratiques agricoles ni de leur incapacité à
accepter les nouvelles connaissances."8

Il semble également que les derniers progrès agricoles


127

constituent une pression supplémentaire pour les agricultrices.

Elles sont déjà surchargées, travaillant en moyenne 10 à 16

heures par jour; elles passent beaucoup de temps à transporter

de l'eau, à chercher du bois qui se fait de plus en plus rare

et, bien sGr, à vaquer aux tâches ménagères comme la préparation

des repas et les soins apportés aux enfants.

Dans le passé, quand il s'agissait de bâtir une clôture,

de préparer la terre, de moissoner les récoltes ou de les trans-

porter, les hommes avaient coutume d'aider leurs femmes. Mais

depuis que les maris quittent le village pour trouver du travail,

de plus en plus de femmes doivent tout faire elles-m~mes.

Non seulement les femmes sont souvent mises à l'écart des

plans de développement rural, mais il semble que certains de

ces projets défavorisent les agricultrices en augmentant leur

charge de travail, tout en leur réduisant l'accès aux emplois

rémunérés.

Prenons le cas d'un grand projet de réaménagement au Burkina

Faso. Une étude a révélé que ce sont les hommes qui ont touché

les revenus de la vente des récoltes, bien les femmes aient

été surchargées de travail dans les champs. De plus, elles

ont perdu leurs droits sur le terrain où elles faisaient pousser

la nourriture pour leurs familles, et, comme il n'y avait plus

de débouchés pour vendre les surplus de récoltes, elles ont

également perdu leur principale source de revenus. Voici ce

que Dana Peeples écrit à ce sujet

"La plupart de ces problèmes viennent d'une mauvaise


compréhension du rôle des femmes et de leur exclusion
de la planification et des avantages du projet. Ce
cas particulier illustre bien comment l'aide au dévelop-
128

pement peut, dans certains cas, avantager les hommes


participants tout en aggravant la condition des femmes. ,,9

Selon Haswell les femmes doivent dorénavant accomplir

plus de travail sur des sols plus pauvres et à l'aide de méthodes

démodées, ce qui les condamne à dépenser encore plus d'énergie

pour obtenir de moins bons résultats.

"On peut postuler dans de telles conditions que plus


les femmes dépenseront d'énergie à produire de 1 a
nourriture, plus il sera difficile de subvenir aux
besoins alimentaires de leur foyer."10

* * *

L 'Organisation des Nations unies pour l'agriculture et

l'alimentation (FAO) encourage les femmes vivant en milieu rural

à s'instruire, ce qui, à long terme, pourrait s'avérer une solution

au problème du développement rural. La FAO suggère également

d'augmenter le nombre d'instructrices sur le terrain. Dans

une de ses études, on mentionne que l'objectif de la formation,

comme dans le secteur agricole en général, est de mettre à profit

toutes les ressources humaines et matêrielles disponibles. Il

est inexcusable de négliger certaines ressources, surtout quand

elles pourraient aider la moitié de la population du globell.

Codou Bop, professeure â l'école des communications (CESTI)

de l'université de Dakar, s'intéresse particulièrement a l'image


qu'on donne de8 femmes dans les médias d'Afrique. El le est

convaincue que tous les médias, notammPnt les médias audiovisuels,

peuvent jouer un grand rôle dans l'éducation des femmes.

"Les médias permettent d'enseigner aux femmes à améliorer


leurs conditions de vie, de faire circuler l'information
scientifique et de favoriser les exclues de la soci~té,
129

c'est-à dire les femmes en milieu rural. Mais les


médias, au lieu de jouer un rôle de soutien, entretiennent
une image négative des femmes, ou font comme si elles
n'existaient pas. nl2

Dans une étude portant sur la femme africaine et les médias,

Cadou Bop a découvert que même si les femmes sont irremplaçables

dans l'économie de l'Afrique, les médias les présentent souvent

comme des êtres socialement et économiquement dépendants, au même

titre que les enfants, qui se laissent dominer par leurs sentiments

et qui n'ont d'autres statuts que ceux d'épouse ou de mêre.

Dans autre étude, faite par la journaliste camerounaise

Jacqueline Abema NLomo, les médias réduisaient la femme a deux

représentations. La premiêre est celle de l'épouse fidêle, de

la mêre de famille dévouée et travaillante; la seconde dépeint

la femme comme un symbole sexuel, infidêle ou prostituée. Dans

un cas comme dans l'autre, la femme n'a rien à dire.

A propos de la deuxiême image, NLomo écrit

"Les médias n'oublient pas les femmes. Ils les mettent


en évidence en exagérant leur côté le plus féminin,
ce qui les déshumanise et les fait paraître superficielles. n13

L'image qu'on donne de la femme dans les téléromans ou

les dramatiques revêt une importance particuliêre étant donné

l'influence qu'a cette forme de communication sur une grande

partie du public. Des études mené!es dans différents pays ont

révélé que dans bien des cas, les dramatiques télévisées décrivent

la femme de la même maniêre que les photoromans sénégalais.

"Les hommes sont au coeur de l'action. L'héroine


représente la pureté et est prête à tout sacrifier
pour le héros. Les femmes sont riches et ont un style
de vie occidental. Quand elles travaillent, elles
sont secrétaires, et on sent qu'au bureau elles sont plus
attirées par les intrigues amoureuses que par les
combines politiques.
130

Elles sont jeunes et élégantes, se changent à tout


propos, font des emplettes, s'habillent et se maquillent
à la toute dernière mode. Elles sont vues comme des
vjctimes, des enfants qui ne peuvent prendre aucune
initiative sans l'aide d'un homme; ou comme des objets
sexuels totalement jrresponsables qui se préoccupent
exclusivement de problèmes sentimentaux. 14 11

Cadou Bop conclut son étude en disant que si l'on doit

en croire les médias africains, la femme qui a réussi a adopté

un style de vie moderne el des valeurs culturelles occidentales

qui sont représentées par l'achat de biens de consommations

importés et par la promotion de l'individualisme et de la famille

nucléaire.

Et quelle image les médias africains donnent-ils de la

femme vivant en milieu rural ? Selon Cadou Bop, elles sont

décrites comme d'"éternelles vict1mes des catastrophes naturelles".

On fait souvent allusion à elles en termes paternalistes ou

encore "on les fait danser et chanter devant caméras et

microphones."15 On ne leur demande jamais leur avis.

"En Afrique, les paysannes infatigables qui s'occupent


de leur famille et administrent de petites fermes
et des entreprisPs commerciales n'existent pas pour
les médias. On les considère plutôt comme des illettrées
sans ressources qui sont incapables d'acheter les
articles annoncés par les médias."16

* * *

Afin de bien comprendre la difficulté de faire passer aux

femmes des milieux ruraux des messages sur le développement,

il est intéressant d'écouter l'opinion des femmes au sujet de

l'éducation et des médias. Pendant trois mo.is, Je Zimbabwe


131

Women's Bureau a menê une enquête auprês de 3 000 femmes vivant

en milieu rural et reprêsentant tous .les groupes d'âge et toutes

les rêgions du pays.

Les femmes interviewP.es dans le cadre du rapport intitulê

"We Carry a Heavy Load: Women in Zimbabwe Speak Out", voient

dans l'êducation un bon moyen d'amêliorer leur situation êconomique

et sociale. La majoritê d'entre elles ont dit regretter de

n'avoir pas eu la chance de s'instruire quand elles êtaient

jeunes et d'être restreinte par le manque de temps ou l'opposition

du mari maintenant. L'une d'elles a dficlarê "Nous devons

apprendre les nouvelles techniques agricoles afin de venir â

bout de nos faiblesses. Nous ne savons rien non plus de la

planification familiale, qui est une question primordiale. "17

Et une autre ajoute "Certains hommes ne permettent pas

â leurs femmes d'aller â l'êcole ou de suivre des cours. Ils

disent que c'est une perte de temps."

Les femmes disent qu'elles apprennent les nouvelles de

bouche â oreille, parce que le piêtre êtat des routes ne leur

permet pas de voyager et que, â part quelques postes de radio,

elles n'ont pratiquement jamais accês aux mêdias. Elles ont

toutefois manifestê le dêsir de s'informer des progrês accomplis

par les femmes vivant ailleurs au pays. L'une d'entre elles

a dit "Nous aimerions voir ce que d'autres femmes ont accompli

et êchanger avec elles. Nous aimerions même aller voir ce que

font les femmes dans d'autres pays." Certaines avaient des

postes de radio â la maison, mais n'avaient pas assez d'argent

pour se procurer des piles. Elles ont fait remarquer que les
132

émissions destinées aux femmes étaient souvent diffusées quand

elles travaillaient aux champs. Malgré tout, elles continuent

de croire que la radio est une bonne source de renseignements

pour elles.

"Nous avons besoin de radios dans nos cercles pour écouter

les émissions." L'idée de véhiculer de l'information sous forme

d ' af f i che s , d (~ l j vr es d' j ma!~ e s et de band e s de s s i née s q u ' e 1l e s

peuvent comprendre sans savoir lire leur plait. Une grande

partie des femmes interrogées n'avaient jamais regardé la télévision

ou vu de films. Toutefois, une de celles qui avaient vu un

fulm a reconnu qu'il était nécessaire de présenter plus de films

aux femmes. "Nous avons vu un film, mais il nous faut en voir

beaucoup d'autres, particulièrement ceux qui traitent d'hygiène

et de techniques agricoles."

* * *

S'il est si difficile de rejoindre les femmes, à la ville

comme à la campagne, c'est qu'elles travaillent du matin au

soir et n'ont que peu de temps pour "se divertir" en regardant

la télévisjon. A J,agos, au Njgér.ia, on a dû retirer une émission

destinée aux femmes à cause de sa faible cote d'écoute. L'émission

en question était diffusée à 18 h 30, heure à laquelle les femmes

préparent habituellement le repas du soir.

A N ' Z i k pl i , en Côte -- cl ' I v o i r e , dans un v i 11 age où le gouvernement

a installé un téléviseur fonctionnant â l'énergie solaire, c'est

un auditoire d'une quarantaine d'hommes qui regardent une émissjon


133

traitant de nutrition et de soins â donner aux enfants. Pendant

ce temps, les femmes fajsaient la cuisine chez elles ou lavaient

les enfants. Quand elles prenaient quelques minutes de repos,

c'était pour s'asseoir et parler entre elles.

Selon le chef Olahanloye Akinmoyede, de Lulupon au Nigêria,

les femmes du village sont tellement occupées qu'elles ne se

sont jamais vraiment intéressées â la télévision. Il ajoute

que pour leur part, les hommes regardent fidèlement les émissions

féminines et que les filles sont devenues de ferventes téléspec-

tatrices bien qu'elles aient mis un peu plus de temps que les

garçons â prendre cette habitude.

Mais il y a d'autres problèmes. En pays musulmans, dans

les centres d'écoute collective oü on n'a pas prévu de section

réservée exclusivement aux femmes, il leur est absolument impossible

de regarder la télévision, puisqu'elles ne peuvent s'asseoir

avec les hommes. De plus, dans la plupart des communautés rurales,

les téléviseurs sont gardés sous clé et c'est le propriétaire,

presque toujours un homme, qui décide quand l'utiliser.

Les bureaux de 1 'UNICEF à Abidjan ont commandé une étude

qui révélerait les moyens de communication les plus efficaces

pour informer les femmes sur les soins de santé. L'étude a

conclu qu'aucun média de masse n'est vraiment efficace la

radio et la télévision ne rejoignent que très peu de femmes,

et vu que la majorité d'entre elles sont illettrées, la communication

écrite est impossible.

D'après l'étude, faite dans 48 villages auprès de 331 personnes,

le meilleur moyen de communiquer des messages aux femmes en


134

milieu rural consiste à fournir de l'information à des groupes

de femmes déjà existants et à organiser des groupes de discussion.

Comme nous l'avons vu, les femmes africaines ont un urgent

besoin d'apprendre à se connaître afin de pouvoir améliorer

]P11r rondition dP ViP, 1•t celle rle leur entourage. La plupart

des é mi s s i on s pro du i tes par d 1~ s femmes n ' a t te i g 11 en t pas cet

objectif, surtout pas auprès des femmes en milieu rural. Il

y a toutefois des exceptions.

Au Sénégal, vers la fin des années soixante, l'UNESCO a

commandité une expérience qui a permis d'exploiter au maximum

les possibilités offertes par les discussions de groupe et le

média audiovisuel qu'est la télévision.

A Dakar, on a mis sur pied des télé-clubs dans 13 quartiers

ouvriers de la ville. Chaque semaine, l'Office de Radiodiffusion

Télévision du Sénégal (ORTS) diffusait deux émissions suivies

d'une discussion dirigée par un animateur.

Au cours de ces émissions, on aborda une multitude de sujets

dont l'hygiêne, la nutrition, le traitement de maladies, l'organi-

sation sociale et familiale, l'instruction civique, les recettes

de cuisine et les conseils pr·atiques comme le recyclage de matérjaux

dans le but de faire des meubles. Si les sujets étaient aussi

variés, explique l'un des réalisateurs de l'émission, c'est

parce que les responsabilités des femmes sont très variées.

Plusieurs émissions ont été conçues pour plaire également aux

hommes et on les invitait à l'occasion à participer à des

discussions.

Pendant toute l'expérience, le Centre de recherches psycho-


135

sociologiques de l'université de Dakar a suivi les progrès des

télé-clubs; il a rf~cueillj des données démographiques au sujet

des participantes, les a interrogées souvent et leur a fait

passer des tests d'apprentissage.

On a évalué la réaction des femmes au sujet des émissions

et des discussions qu:i s'ensuivaient. On considère que l'expérience

a été un succès pour plusieurs raisons, entre autres parce que

les chercheurs se sont aperçus que les femmes "ont beaucoup

appris et qu'elles ont transmis une partie de leurs nouvelles

connaissances à leurs familles et à leurs amis" .18

Dans Communication Media and Technology Henry Ingle écrit

"Les études portant sur l'expérience sénégalaise télé-


visuelle sont généralement favorables. Elles révèlent
que les discussions de groupes étaient dynamiques
et que pendant un certain temps, elles étaient animées
par les femmes. Après neuf mois, l'assistance n'avait
b a i s s é q u e d f~ 1 O % . " 1 9

On espérait répéter l'expérience en milieu rural mais le

projet est retardé à cause d'un manque de financement. Il est

possible qu'on tente à nouveau l'expérinnce quand "Télé--Rurale"

aura pris de l'ampleur.

Toujours au Sénégal, on a organisé "La Quinzaine de la Femme",

une campagne multi-média de 15 jours qui porte sur un seul thème.

A cette occasion, les émisstons de radio et de télévision, les

bulletins de nouvelles, les articles de journaux, les associations

de f e mme s et 1e mi n _i s t è rf! r e s p o n s ab 1 e de 1a c ond i t _i on f é mi n i n e

coordonnent leurs efforts autour d'un même thème, qui s'adresse

aux femmes de milieu rural. Cette campagne a pour but de saturer

les médias pendant une courte période afin d'augmenter les chances

d'atteindre une grande partie de la population.


136

Emilie Senghor, réalisatrice d'émissions télévisées pour

l'ORTS, explique que les messages présentés à la télévision

auront plus d'impact s'ils sont renforcés par d'autres médias.

"On a crjtiqué notre émission f6minine dans le passé parce que

nous présentions un sujet auquel les gens s'intéressaient, mais

qu'il n'y avait pas de suite. DHns le cadre de la Quinzaine

de la Femme, les thêmes ne sont pas présentés et oubliés. Chaque

thême devient partie intégrante d'un tout à un niveau particulier

d'apprentissage. C'est un bon moyen d'éviter de se répéter

inutilement."

Au Niger, tous les quinze jours, on enregistre en région

"Le Magazine de la Femme", une émission d'une demi-heure consacrée

A la femme en milieu rural. Des organjsations non gouvernementales

ont offert une aide financiêre pour couvrir les coGts de transport.

Pendant un certain temps, le ministêre de la Condition

féminine ivoirien a produit une émission hebdomadaire qui, aux

dires de la réalisatrice Marie-Antoinette Aoulou, "présentajt

1 es femmes dt! l a camp a g ne dans 1 eu r vrai contexte e t 1 eu r permet ta i t

d'exprimer leur opjnion". L'émission n'est plus inscrite à l'horairE!

de la télévision ivoiriennA. Des animateurs travaillant pour

le ministêre parcouraient le pays pour rencontrer des groupes

de femmes et discuter avec elles du contenu de l'émission. Une

fois par an, des représentants du minist~re, les animateurs

et les réalisateurs se réunissaient pour échanger leurs idées

et mettre au point des stratégies.

* * *
137

Dans plusieurs des pays 6tudiés, notamment au Nigéria,

au Zimbabwe et au Niger, il est fr{~quent de vcdr des femmes

lire les bulletins de nouvelles ou faire des reportages. Au

Nigeria, plus que da11s tout autre pays, les femmes occupent

des postes-clês dans l'administration et elles produisent une

grande variété d'émissions dramatiques et d'affaires publiques

qui s'adressent â l'ensemble de l'auditoire.

Mais la plupart du temps, les femmes sont confinées à des

postes de soutien ou de secrétariat dans les productions télévisées.

Elles lisent en ondes l'horaire des ~miHsions quotidiennes ou

réalisent des émissions qui s'adressent uniquement aux femmes.

Selon les communicatrices interrogêes, le fajt que la presque

totalité de la haute direction, qui décide de l'orientation

et du contenu des émissions, soit composée d'hommes, influence

considérablement les émissions dites féminines. Les doléances

à ce sujet vont du simple manque de coJ laboration, au rejf~t

des thèmes tant soit peu controversés, en passant par le sabotage

du travail des femmes par les techniciens.

Marie-Antoinette Aoulou, réalisatrice de la défunte émission

"Le Magazine de la Femme" déclare "Les hommes n'aident pas;

ils nous empêchent d'avancer. Comme aucune femme en Côte-d'Ivoire

n'occupe de poste d'autorité, nos émissions n'ont jamais priorité.

Les hommes ne peuvent pas comprendre les problèmes des femmes,

c'est pourquoi on devrait faire une plus grande place aux femmes

dans les médias."

Au cours d'une récente conférence pour les femmes communica-


138

trices, qui s'est tenue à Dakar, plusieurs réalisatrices d'émissions

télévisées ont fait état d'actes de vandalisme de la part de certains

techniciens. Mécontents d'avoir entendu critiquer sur les ondes

les rôles masculins traditionnels, ils ont à plusieurs reprises

détruit ou perdu des cassettes, éteint le magnétophone ou provoqué

d6lib6r6mrnt des pannes d'équ1prment.

Pendant la même conférence, une réalisatrice de l 'ORTS

a rapporté qu'à la derni~re minute, des cadres masculins de

l'Office avaient empêché la diffusion d'un film de l'UNESCO

sur la contraception, émission qui devait être suivie d'une

table ronde, sous prétexte qu'elle aurait pu offenser le ministre

de l'information, qui était président d'une association musulmane.

Dans son étude sur la femme africaine et les médias, Codou

Bop fait mention d'une dramatique réalisée par des hommes en

dialecte local et qui a pour but de défendre les valeurs islamiques

traditionnelles. Elle écrit que dans cette émission, les femmes

sont perçues comme "des transgresseurs de l'ordre et des disciples

de Satan, et les hommes comme les défenseurs de l'autorité et

les rétablisseurs de l'ordre social"20.

Aux dires de Tele Opakunle, directrice de la programmation

du Television Service de l'Etat d'Oyo au Nigéria, les femmes

qui travaillent dans le domaine de la télévision en Afrique

en ont plein les bras. Que ce soit dans les studios ou ailleurs,

elles sont constamment aux prises avec des hommes qui croient

que "la place des femmes est dans la cuisine avec les enfants".

"Nous aimerions faire comprendre à la population que nous

ne voulons plus n?ster à la cuisine et que les femmes de la


139

ville comme celles de la campagne tiennent de plus en plus à

faire carrière."

Tele OpakunJe affirme qu'à la télévision, mjlieu où la

concurrence est grande, il est extrêmement difficile pour les

femmes d'avoir accès aux postes de décision, car pour y arriver,

elles doivent être deux fois plus compétentes que les hommes.

Au Congo, selon la chercheure Rose Toyo, les femmes qui travaillent

dans les médias évitent le secteur particulièrement exigeant

de la télévision21.

* * *

Chacun des pays étudiés diffuse actuellement, ou a déjâ

diffusé, des émissions féminines de type magazine, intitulées

par exemple "Caprices de femmes", "Bonheur au foyer" ou "La

vie de famille". Le contenu et Je style de ces émissions varient

d'un pays â l'autre, mais il porte généralement sur les activités

féminines di tes "tradition ne 11 es" Jes tâches ménagères, le

soin des enfants, la santé, l'hygiène et le budget familial.

De temps à autre, on y aborde des questions délicates et

controversées comme la polygamie, l'infanticide, la contraception

ou l'avortement. Deux des réalisatrices interrogées ont déclaré

qu'elles incorporaient au contenu de leurs émissions del' information

permettant aux femmes de s'instruire ou de faire des choix de

carrières.

Toutefois, la programmation destinée aux femmes a tendance

â s'adresser â l'élite instruite des villes. Par exemple, en

Côte-d'Ivoire, tous les midis, on présente à la télévision un


140

talk-show conçu pour les femmes, dans lequel on parle, en français,

d'événements culturels qui se déroulent exclusivement à Abidjan,

la plus grande ville du pays. Au Nigéria, dans une émission

conçue pour expliquer aux femmes le fonctionnement de la société,

on a pu voir, un jour, un journaliste interviewer des femmes

dans un salon de coiffure d'Ibadan.

La plupart des réalisatrices avouent qu'elles pourraient

mieux couvrir la situation des femmes défavorisées à la campagne

comme à la ville. Notons que, dans l'ensemble, la télévision

africaine est un phénomène urba:in. Les studios sont situés dans

les capitales, le personnel de production appartient à l'élite

urbaine et on n'a pas les moyens d'aller tourner en région.

On a toutefois reproché aux femmes journalistes et aux

réalisatrices de "fa:ire une télévision pour elles-mêmes". Elles

ont tendance à interviewer des "experts" en langue européenne,

qui emploient souvent des termes techniques dont le sens échappe

complètement au téléspectateur moyen, et elle s'intéressent

rarement à d'autres problèmes que ceux des femmes instruites

appartenant à la classe fortunée. La plupart du temps, le peu

de ressources allouées aux réalisatrices pour produire des émissions

destinéee aux femmes défavorisées est gaspillé.

"Je me demande souvent si les communicatrices s'intéressent

vraiment aux problèmes des femmes vivant à la campagne", écrit

la journaliste Béatrice Damiba du Burkina Faso. "Il est possible

de voir à la télévision une femme d'ambassadeur, mais jamais

vous n'entendrez parler des paysannPs, tout simplement parce

qu'il est plu~ facile de couvrir la vie des femmes de la ville."


141

Cadou Bop, professeure en communication au Sénégal, croit

que si la télévision africaine veut parvenir à présenter une

image exacte et honnête de la situation de la femme en Afrique,

les journalistes et les réalisatrices devront d'abord modifier

leurs propres attitudes.

Codou Bop êcrit dans "Les Femmes et les médias en Afrique"

qu'on agit comme s'il était prouvé que les femmes ne s'intéressent

pi:ls aux émissjons d'information ou qu'elles n'en comprennent

pas le contenu. En fait, les femmes sont coupées du monde extérieur,

ce qu.i les empêche de comprendre des décisions économiques et

politiques qui ont de graves répercussions sur leur vie22.

La réalisatrice de "Yeele", une émissions féminine en wolof

et dont le tjtre signifie "prise de conscience", admet que les

femmes journalistes ont tendance â sous-estimer les femmes des

milieux ruraux. Emilie Senghor déclare "Nous devons consacrer

plus de temps â essayer de comprendre les femmes. Nous sommes

aussi coupables que les hommes de penser que les paysannes ne

savent rien. En réalité, elles savent beaucoup de choses, au

sujet, par exemple, des plantes médicinales, et el les ressentent

le besoin de partager leur savoir."

* * *

Anita Anand, cinéaste indienne et féministe, croit que

dans les pays en voie de développement, les femmes qui ont pu

bénéficier d'une éducation supérieure, dont les dirigeantes,

les professjonnelles, les universitaires et les journalistes,


142

ont tendance à maintenir le statu quo au détriment des femmes

moins favorisées qu'elles. Elle dit que les femmes instruites

sont persuadées que puisque le système patriarcal s'est avéré

bon pour elles, il le sera pour toutes les femmes.

Anita Anand est convaincue que la seule façon d'améliorer

le sort des fPmmPs cl.ans les pays en déveJoppement consiste à

leur faire prendre conscience de leur situation et â les encourager

à agir. Voici ce qu'elle écrit

"Il faut que les femmes prennent conscience des structures


étouffantes qui les maintiennent dans un état d'impuis-
sance. Elles doivent comp~·endre les forces à l 'oeuvre
dans la société et qui les contraignent à avoir autant
d'enfants, à travailler sans répit pendant des heures
interm.iuables, à être battues et violées, à vivre
avec des maris alcooliques et à crèver de faim."23

Toujours selon Anand, ni les médias ni les systèmes d'éducation

en place ne font beaucoup pour aider les femmes en milieu rural.

Même quand elles sont instruites et qu'elles connaissent les

principes de nutrition et de planification familiale, il leur

manque les outils nécessaires pour comprendre et analyser "la

vraie nature des systèmes politiques, économiques et sociaux

qui gouvernent leurs vies et sont la cause de leur oppression"24.

Cependant, tant que les communicatrices ne baseront pas

le contenu de leurs émissions sur les résultats de recherches,

elles ne pourront pas inciter les femmes à faire le moindre

changement.. Certains diront que ce n'est qu'une excuse pour

ne pas agir et que les réalisatrices n'ont qu'à se rendre dans

les villa1~es avec leurs caméras pour parler avec les paysannes

et apprendre ce qu'elles veulent.

Ma :i s Er s k l n e Ch i l d e r s , d .i r f~ ct H nr de 1 ' i n f o r ma t i o n pour
143

le Programme de développement des Nations unies, souligne que

les planificateurs de l'économie et du développement, que ce

soit dans le Nord ou dans le Sud, sont surtout des hommes. Il

est convaincu que les médias et les chercheurs devront s'armer

de preuves tangibles s'ils veulent faire connaître les beso.ins

des femmes et prouver que ce sont des agents économiques importants

qui ont été mis de côté25.

L'Associatlon of African Women for Research and Development

(ARARD) admet que si l'on menait des études exhaustives sur

les femmes, on a.ide rait les réalisateurs à mieux connaître leur

auditoire-cible et on contribuerait ainsi à l'élaboration d'émissions

qui "présenteraient les femmes dans des situations réalistes

o~ elles discutent de leurs probl~mes et essaient de les régler"26.

L 'ARARD projette de faire une étude au sujet de l'image

de s f e mm e s dan s les mé d i a s , de la r é a c t .i o n des f e mme s f ace à

cette image et de son effet sur la perception que les femmes

ont d'elles-mêmes. L'association aimerait également découvrjr

dans quelle mesure les femmes (que ce soit dans l'auditoire

ou parmi les communicatrices) participent~ la création du contenu.

L'une des façons de se procurer plus de renseignements au

sujet des femmes et du développement serait de renforcer les

liens qui unissent les communicatrices africaines et d'organiser

entre les pays un échange d'articles, de recherches et d'émissions

portant sur la condition des femmes. L'ARARD croit que ces

échanges pourraient être rendus possibles grâce aux bureaux

de renseignements des Nations unies et aux organismes pan-africains,

comme la PANA et l'URTNA. L'association esp~re également obtenir


144

l'appui de groupes de femmes en pays développés.

En plus de faire prendre conscience aux journalistes des

besoins des femmes et du rôle que peuvent jouer les médias

dans l'avancement de leur cause, les Africaines travaillant

dans les médias doivent reprendre confiance en elles, et montrer

plus de détermination quand vient le temps de faire valoir le

point de vue des femmes ou de s'assurer qu'elles sont bien

représentées.

C'est là l'opinion d'un nombre sans cesse croissant de

journalistes et de réalisatrices africaines, dont Marie-Antoinette

Aoulou de la Côte-d'Ivoire "Les femmes ne sont pas libres.

Ce sont les hommes qui contrôlent 11~s mots. Nous devons nous

battre pour montrer que nous pouvo11s faire quelque chose, mais

la plupart des femmes n'ont pas le goQt de se battre."

Au cours d'une conférence de femmes journalistes à Dakar,

au Sénégal, les participantes ont convenu qu'elles ne prenaient

pas assez de risques et qu'elles s'imposaient une auto-censure.

Une sage ·femme sénégalaise s'est plainte aux journalistes que

même si le gouvernement appuyaient complètement les sages--femmes,

elles ne recevaient pas beaucoup d'appui de la part des médias.

"Vous n'avez pas de raisons de vous sentir gênée ou même

d'avoir peur", a-t-elle déclaré durant la réunion. "I1 y a

beaucoup à faire, mais vous ne pouvez pas rester assjses à attendre

que quelqu'un d'autre fasse le travail pour vous."

La journaliste congolaise Rose Toyo exhorte les femmes

qui travaillent dans les médias à se montrer "assez audacieuses

pour en imposer·", à défendrP leurs op_inions et à être solidaires.


145

"Les femmes doivent se montrer solidaires," a-t-elle déclaré

à la conférence. "Si nous restons isolées, nous perdrons la

partie. Que ce soit par la droite ou par la gauche, les femmes

sont t.:ensurées, mais en nous battant, nous obtiendrons toujours

quelque chose. Quand on a peur, on ne fait rien. Nous devons

nous exprimer malgré la menace de censure."

Il y a quelques signes encourageants pour les Africaines

qui travaillent dans les médias. Les gouvernements accordent

de plus en plus d'importance aux progrès des femmes et on

crée des ministères qui se consacrent exclusivement à la condition

féminine. Ce soutien supplémentaire aidera certainement les

femmes qui travaillent dans les médias à surmonter un bon nombre

des difficultés mentionnées dans les pages précédentes et à

créer des émissions d'information au sujet des femmes et avec

leur aide, afin que la majorité d'entre elles améliorent leurs

conditions de vie et, par le fait même, celles de la société

africaine en général.
146

Notes

1. Cadou Bop, "Les femmes et les médias en Afrique", exposé


présenté à la conférence "Femme, développement, communication :
quelles perspectives ?" (non publié), p. 12.

2. Dana Peebles, "Changing the Status of Women in Development",


dans CUSO Journal: Women in Development, Ottawa, 1984,
p. 9.

3. Ibid., p. 10.

4. Aissatou Cisse, "Les femmeH dans le processus de développement


national au Mali", exposé présenté à la conférence "Femmes,
développement, communjcation quelles perspectives ?"
(non publié), p. 5.

5. "Les femmes oubliées", dans Afrique Nouvelle, Dakar, Octobre


1984, p. 13.

6. "La recherche et les femmes", dans Le CROI explore, Ottawa,


Juillet 1984, p. 22.

7. "Les femmes oubliées", op. cit., p. 14.

8. Margaret Haswell, "Women and Food: Today's Crisis of


Subsistence", dans CUSO Journal: Women in Development,
Ottawa, 1984, p. 45.

9. Dana Peebles, "Changing the Status of Women in Development",


op. cit., p. 11.

10. Margaret Haswell, "Women and Food", op. cit., p. 45.

11. "Les femmes oubliées", op. cit., p. 15.

12. Cadou Bop, "Les femmes et les médias en Afrique", op. cit.,
p. 15.

13 . J a c que l t n e Ah e ma NL o mo , " L a H .i t u a t i o n d e l a f e mm e c am e r o un a i s e
et son image diîns les médias", exposé présenté à la conférence
"Femmes, dévldoppement, communication: quelles perspectives?",
(non publié), p. 6.

14. Cadou Bop, "Les femmes et les médias en Afrique" ,op. cit.,
p. 5.

15. Ibid., p. 7.

16. Ibid., p. 7.

17. "We carrry a Heavy Load: Rural Women jn Zimbabwe Speak Out",
Zimbabwe Women's Bureau, Harare, Décembre 1981, p. 13.
14 7

18. Henry Ing1e, Communicatjon Media and Technology: A Look


at Their Role in Non-Forma] Education Programs,
Washington, D.C., Août 1974, p. 13.

19. Ibid., p. 19.

20. Codou Bop, "Les femmes et ]es médias en Afrique", op. cit.,
p. 5.

2l . Rose Toy o , "La s i tu a t i on ù e la Congo 1 ai se " , exp usé prés t! nt é


à la conférence "Femmes, développement, communications
quelles perspectives?", (non publié), p. 4.

22. Cadou Bop, "Les femmes et les médias en Afrique", op. cit.,
p. 8.

23. Anita Anand, "Rethinking Womr~n and Development: the Case


f o r F e m i n i s m " , d a n s C.;;....;;U...:S;;...0.;;.__J::.....;::o...:u~r..;;n~a;;..;l;;;...;..:_ _..:..;W...:o'-'m=e..::.n=--..::.i..::.n=--.:;;.D...:e'-v"'"e.;;....;;;l...:o""'p""'m;;;..,;;;e..;.n;;....;;.t ,
Ottawa, 1984, p. 20.

24. Ibid., p. 21.

25. Maureen Johnson, "From the Edit or", dans cuso .Journal:
Women in Development, Ottawa, 1984, p. 2.

26. Association des Femmes Africaines pour la Recherche sur


le Développement, "Propositions de suivi", exposé présenté
à la conférence "Femmes, développement, communication
quelles perspectives?" (non publié), p. 3.
148

Les émissions agricoles


comment communiquer avec
les africains ruraux
par la télévision
149

La plupart des gouvernements africains ont donné la priorité

au développement du secteur agricole. Il est vrai que l'agriculture

offre le plus grand potentiel de développement national.

L'agriculture occupe 80 % de la force de travail et l'expor-

tation de produits agricoles est l'activité qui rapporte le

plus de devises au continent. La croissance du secteur agricole

est la meilleure façon d'assurer l'autosuffisance alimentaire

de l'Afrique, de réduire les risques de famine et l'aide étrangère

coûteusel.

La difficulté, bien entendu, consiste à instruire les populaUons

rurales des progrès agricoles et à leur faire appliquer de nouvelles

techniques pour améliorer leur productivité. La tâche est difficile

à cause de la nature conservatrice des africains ruraux, qui

sont très respectueux des traditions et sceptiques à l'égard

du changement.

D'après une étude de la Banque mondiale sur les moyens

de communication à l'appui des projets de développement, le

contact personnel entre les fermiers et les instructeurs agricoles

est la meilleure façon d'atteindre les habitants2.

L'étude souligne toutefois que malgré le succès de cette

méthode, un grand nombre de pays ont des difficultés à en assumer

les coûts périodiques et cherchent d'autres voies. La Banque

mondiale indique quel 'efficacité des moyens de grande communication

pour la diffusion de l'éducation agricole en fait un bon investis-

sement éventuel pour les pays en développement.

En fait, les efforts des médias de masse, notamment la

radio et la télévision, combinés au travail d'agents sur le


150

terrain qui complètent les émissions, se sont avérés très prometteurs.

La télévision et les autres médias de masse peuvent contribuer

à améliorer le secteur agricole de l'économie africaine de plusieurs

façons

1) les médias brisent l'isolation traditionnelle de la

société rurale en lui présentant une image de la société

moderne et en la sensibilisant à la nécessité de modifier

certaines de ses habitudes et attitudes;

2) ils réduisent l'ampleur de l'exode rural vers les

villes en agissant comme lien entre la ville et la

campagne et en présentant des spectacles divertissants

et éducatifs;

3) ils multiplient les ressources éducatives disponibles

dans les régions rurales. En l'absence d'un programme

rural d'éducation des adultes, la télévision comble

un certain besoin.

4) ils établissent un axe de communication qui tient

compte, dans la transmission de l'information, des

réactions des téléspectateurs au moyen d'une communication

à double sens, de renseignements provenant du terrain;

5) ils forment et renseignent les instructeurs sur le

terrain, les fonctionnaires du ministère de l'agriculture

dans la capitale, les chercheurs, les universités

et autres organismes participant aux politiques gouver-

nementales de leurs actjvitês respectives;

6) ils sensibilisent les citadins à l'importance du dévelop-

pement rural et. les encouragent à retourner à la terre


151

pour se lancer dans l'agriculture.

L'éducation télévisée en vue du d6veloppement rural est

grandement handicapée par le coût élevé d'un téléviseur, qui

peut atteindre Je salaire annuel moyen de la plupart des africains,

par le manque d'électrificatiou et par l'absence de signaux

télévisés sur une grande partie du continent.

Mais on doit tenir compte de deux points, d'après Georges Ketta,

le réalisateur de "Télé pour tous", une ém.iss.ion d'éducation

rurale très populaire à la télévision ivoirienne. Le premier,

c'est que presque tous les pays africains ont implanté un service

de télévision chez eux moyennant des investissements considérables.

I1 es t 1og i q ue , a f f i r me -· t ·· i 1 , q ue ces s e r vi ce s soi e nt ut i 1i s és

le plus possible pour informer la population des villes et des

campagnes des possibilités de développement agricole.

Le deuxième point, c'est que même si la télévision est

d'abord et avant tout un service urbain en Afrique, le média

a un effet direct et indirect de plus en plus important sur

les régions rurales. L'information sur l'agriculture est recueillif!

par les citadins, puis communiquée à leurs parents dans les

campagnes. Les fermiers retournent souvent chez eux après avoir

passé quelque temps à la ville, et finalement, de plus en plus

de fermiers habitent dans des Villes et SI! rendent à Jeurs fermes

chaque jour.

D'un bout à l'autre du continent. africa.in, la télévision

a oeuvré à la promotion du secteur agricole. Les résultats

ont été quelquefois impressionnants. En voici quelques exemples

* L' "Opération Riz" en Côte-d'Ivoire a permis au pays


152

de s'autosuffire en riz aprês deux ans. •Des émissions télévisées,

d'autres médias et des instructeurs sur le terrain ont sensibilisé

le public à la campagne et enseigné des techniques de riziculture.

A la fin de la campagne, deux ans plus tard, la production de

riz a chuté.

* Des millions d'arbres furent plantés au Burkina Faso

à la suite d'une campagne multi-média comportant un volet télévisé

sur l'utjlité des arbres, leur rôle à l'égard des pluies et

de la conservation des sols.

* Un instituteur dans un petit village prês de Niamey,

au Niger, considêre que c'est l'émission diffusée sur le téléviseur

solaire qui a incité les fermiers de sa région à faire pousser

des légumes. "La télévision a lancé l'idée et leur a expliqué

comment s'y prendre." I1 dit qu' i 1 s furent particuliêrement

impressionnés quand ils ont vu des tonnes de graines venues

de France déchargées de bateaux.

* La production de café en Côte-d'Ivoire a augmenté à la

suite d'une campagne télévisée qui encourageait les fermiers

à émonde!' leurs caféiers pour les regénérer. On a montré des

images d'arbustres avant et aprês l'émondage, et des fermiers

qui étaient payés par le gouvernement ap1·ès avoir manqué une

récolte pour émonder.

* Au Nigéria, un feuilleton bien réalisé, film~ enti~rement

dans un village, raconte l'histoire d'une famille de la ville

qui est revenue dans son village pour se lancer dans l'agriculture

mécanique. Le réalisateur travaille en étroite collaboration

avec des instructeurs sur le terrain pour s'assurer que les


153

scènes représentées sont fidèles à la réalité.

* Une émission tél~visée suit les progrès d'écoliers

du Zimbabwe au fur et à mesure qu'ils apprennent les techniques

agricoles pendant qu'ils travaillent dans le jardin de l'école.

* Dans plusieurs pays, dont le Zaire, on retrouve des

fermes modèles; les fermiers sont jnvités à expliquer leur technique

et la raison de leur succès. Des experts agricoles font leur

commentaire par après.

Sans nul doute, la télévisjon peut contribuer au progrès

de l'agriculture. Elle sensibilise à des campagnes et à des

programmes agricoles particuliers. Elle éveille l'intérêt de

ceux qui la regardent et de ceux à qui l'information est ensuite

communiquée. Elle renforce le travail des agents agricoles et

soulève des questions auxquelles, on l'espère, les instances

locales pourront répondre.

Mais Georges Ketta, le rialisateur de "Télé pour tous",

l'une des émissions éducativP.s rurales qui dure depuis le plus

longtemps, et l'une des plus effjcaces, admet que la télévision

n'arrive pas vraiment à enseigner aux fermiers. "La télévision

sert mieux à compléter et appuyer d'autres médias et les services

sur le terrain. La difficulté, c'est de créer le bon matériel

et d'adopter la bonne attitude pour pénétrer la mentalité rurale,

ce qui n'est pas facile étant donné l'écart grandissant entre

la ville et la campagne."

La programmation agricole à la télévision africaine souffre

de ce que la plupart des réalisateurs et des producteurs n'ont

pas le savoir-faire, la volonté ni les ressources pour "pénétrer


154

la mentalité rurale".

La plupart du temps, les émissions agricoles consistent

en une présentation ennuyante et souvent didactique, ou en des

entrevues d'experts agricoles utilisant des termes techniques

dans des langues européennes.

Une étude faite à la suite d'une série télévisée sur J 'agri-

culture en Inde conclut que la moitié de l'auditoire était composé

d'enfants, et que les fermiers regardaient rarement les émissions

parce qu'elles n'étaient pas suffisamment distrayantes pour

capter leur attention après une dure journée aux champs. Les

émissions manquaient aussi de crédibilité parce que les villageois

eux-m@mes n'étaient que rarement présentés à l'écran3.

Peu de communicateurs se rendent compte qu'il ne suffit

pas de diffuser "un bon message", mais qu'il faut absolument

réussir à communiquer. Les images et la langue doivent correspondre

à la langue et à la culture de J 'auditoire-cible, sinon le message

ne passera pas efficacement.

Bay Banda, Je directeur général du canal 10 de la Nigerian

Television Authority â Lagos, pense que le style documentaire,

rempli d'images et avec un commentaire qui peut être traduit

en plusieurs langues, est une bonne formule d'émission agricole.

"Après le téléroman, c'est la formule la moins ennuyante.

On doit donner autant de renseignements que possible sans devenir

trop technique pour Je profane."

Une autre formule d'émission agricole a été essayée avec

succès au Mexique4. La télévision était un volet important d'une

campagne multi--média qui comprenait des affiches, des émissions


155

A la radio, des chansons, des indicatifs publicitaires ainsi

que des entrevues et des documentaires dans un style plus classique.

Le but de l'émission était d'informer en divertissant, pour

capter pleinement 1 'attention du téléHpectateur.

Il reste encore des obstacles importants à surmonter en

vue de créer une programmation africaine efficace. Tout d'abord,

presque tous les producteurs, réalisateurs et experts agricoles

sont des hommes, quj, de manière générale, ne rendent pas justice

au rôle primordial que jouent les femmes dans cet important

secteur. En conséquence, on ne tient pratiquement pas compte

des femmes, qui composent la moitié de la population et près

de 80 % de la force de travail agricole africajne.

Deuxièmement, parce que l'agriculture est une a~•ivité

saisonnière, les communjcateurs ont souvent des difficultés

à trouver le matériel visuel pour illustrer de nouvelles techniques

agricoles ou sortes de culture. Un gouvernement peut décider

d'intensifier la culture du riz à l'aide de la télévision. Mais

s'il n'exjste aucune rizière arrjvée à maturité, il sera difficile

de présenter le produit à la télévision et la façon de le cultiver.

Pour connaitre un certain succès, le tournage doit se faire

toute l'année et le film doit montrer la récolte avant la saison

de croissance, ce qui peut être difficile si la politique du

gouvernement n'est pas déjà établie bien avant.

* * *

De nombreux communicateurs voudraient bien passer plus


156

de temps sur le terrain à interviewer les agriculteurs, mais

ils font face à de nombreuses difficultés. Certains ont des

véhicules mais pas d'argent pour le carburant. D'autres ont

du carburant majs pas d'argent pour acheter les films relativement

coûteux. (De nombreux réalisateurs doivent utiliser le film,

même s'j] est plus embarassant et coûteux, parce qu'ils n'ont

pas assez d'équipement magnétoscopique.

Dans certains pays, les routes sont difficiles dans des

conditions normales et absolument impraticables pendant la saison

des pluies. De plus, l'équipement portatif est souvent trop

fragile pour la poussiêre, la chaleur et les routes cahoteuses

de l'Afrique. En l'absence de service de réparation fiable

local, on doit renvoyer l'équipement en Europe pendant de longues

périodes, une autre source d'inaction pour les équipes mobiles.

Les réalisateurs eux-mêmes rechignent souvent à donner

une place aux fermiers ordinaires dans les médias de masse.

Tout d'abord, si leur émission est dans une langue européenne,

ils ont souvent des problêmes à trouver un fermier qui parle

assez bien la langue pour être interviewfi.

Ensuite, lorsqu'on demande aux fermiers ce qu'ils pensent,

il est normal d'entendre une critique des politiques gouvernemen-

tales, ma.is les employés des services de télévision, eux-·mêmes

des fonctionnaires, se sentent mal à l'aise dans une telle situation

et préfêrent l'éviter.

En cons6quence, les communicateurs se trouvent confin6s

par les circonstances et par choix délibéré à un studio dans

la capitale, où ils montrent l'exposé d'un expert agricole sans


157

autres images, ou alors avec des images importées qui ne s'appliquent

pas nécessairement au contexte local.

Et que pensent les fermiers de la télévision ?

Ceux qui ont la télévision se plaignent le plus souvent

que 1 ' i n f o t· ma t i o n q u ' o n 1 e u r pr é s ent e ne s ' a pp 1 i q u e pa s à e ux ,

ou qu'elle est transmise trop rapidement pour qu'il puisse la

comprendre. C'est là, bien sGr, la faute à la télédiffusion

centralisée en essayant de communiquer trop d'information

à trop de gens, elle ne communique plus rien à personne. Un

instituteur dans un village ivoirien dit que les fermiers dans

sa région aiment mieux les films que la télévision, parce qu'on

peut les écouter deux fois de suite, et que souvent un présentateur

est là pour parler des sujets abordés dans le film.

Le chef Olahanloye Akinmoyede de Lulupon, dans l'Etat d'Oyo

au Nigéria, dit que la programmation agricole de la télévision

nigériane est très populaire auprès des fermiers, qui regardent

ensemble le téléviseur acheté par le gouvernement dans le cinéma

du village.

Ils aiment en particulier les émissions sur les méthodes

agricoles modernes, o~ ils voient des machines faire en quelques

heures le travail qui leur prend un mois.

"Ils aiment regarder, explique le chef, mais ils pensent

qu'ils ne pourront jamais faire ça. Pour eux, c'est comme une

émission de science-fiction fantaisiste."

Un ancien fonctionnaire ivoirien, qui a étudié à l'université,

cultive des ananas à Assissini. Il est très populaire auprès

des ses voisins fermiers parce qu'il enregistre sur vidéocassettes


158

des émissions agricoles pour leur montrer. Il traduit aussi

le contenu des émissions dans la langue locale pour ceux qui

ne comprennent pas le français.

La programmation télévisée agricole n'a pas eu un effet

marqué sur la vie des africains ordinaires, pas plus que la

télévision éducative en général.

Si le média n'a pas réussi à éduquer les masses comme on

s'y attendait, c'est en partie la faute du manque d'intérêt

des dirigeants. Mais cette situation évolue rapidement. La

FAO, l'UNESCO et CIRTEF, l'association des médias francophones,

ont tous reçus des demandes d'aide pour améliorer l'efficacité

des émissions agricoles de la part des gouvernements africains.

Une fois que la volonté politique est affirmée et qu'on


dispose des spécialistes, le pouvoir de la télévision à jouer

un rôle croissant en vue d'encourager l'innovation en agriculture

est grand, particuliêrement si on coordonne ses efforts avec

ceux d'organismes sur le terrain et avec des interventions

personnelles.

Mais à J 'heure actuelle, relat..ivement peu de fermiers africains

écoutent la télévision; il est três improbable quel 'électrification,

la réduction du coût d'achat d'un récepteur ou l'expansion des

zones couvertes par les signaux télévisés se produiront assez

rapidement pour modifier la situation dans un avenir rapproché.

Recommandations

1) Fusionner tous les organes de communication du m.inistêre

de l'agriculture à ceux des autres organismes travaillant dans

le secteur agricole pour éviter un dédoublement cofiteux des


159

efforts et faciliter la coordination.

2) Faire parciciper les services ministériels sur le

terrain à des campagnes multi-médias à deux niveaux fournir

de l'information aux agents sur ]es émjss.ions à partager avec

les clients, et encourager les agents à transmettre les réactions

des clients aux communicateurs.

3) Saturer la zone-cible en diffusant le message dans

autant de médias que possible. Faire passer le même message

à la radio, à la télévision, dans les journaux, dans des tracts,

sur des affiches, des T-shirts, dans des refrains publicitaires,

des annonces, etc.

5) Mettre sur pied une section de communication toute

équipée au ministère de l'agriculture. On pourra ainsi avoir

un accès assuré à l'équipement et permettre aux communicateurs

de connaître les programmes ministériels, les politiques et

les décisionnaires.

6) Décentraliser la programmation chaque fois que c'est

possible pour mieux répondre aux imp~ratifs des rfigions. Diffuser

dans la langue locale, composer une équipe de production qui

parle la langue locale, est issue d'une région rurale et est

sensibilisée aux questions agricoles.

7) Porter une attention spéciale à la formation de l'équipe

de production. Une nouvelle génération de spécialistes des

médias, connaissant la technique médiatique, l'agriculture et

la pédagogie, doit prendre la relève.


160

Notes

1. Colloque international sur la Radio-Télévision pour l'agri-


culture, 6-10 juin 1977, Montréal, Québec, Canada, commandité
par le CIRTEF (Conseil international des radios-télévisions
d'expression française), "Compte-rendu des travaux del' atelier
B-3" sur "L'apport de la radio-télévision à l'agriculture".

2. He 1 i Perret, Us i ng Communication Sll_QJ)ort in Projects, The


World Bank's ExQerience, Washington, 1982.

3. Henry Ingle, Communication Media and TechnoloE:Y: A Look


at Their Role in Non-Formai Education Programm.ing, Washington,
1974, p. 13.

4. Frances Berrigan, Community Communication: The Role of


Community Media in Development, Paris, 1979, p. 23.
161

Un auditoire
attentif aux messages
sur la santé
162

Après les téléromans, les divertissements et les nouvelles,

ce sont les émissions sur les soins de la santé qui attirent

le plus grand auditoire dans les pays étudiés dans le cadre

de ce rapport. Ces émissions portent des titres comme "Votre

santé", "Le droit à la santé", "La santé et l'hygiène", "L'éducation

sanitaire" et favorisent l'am6lioration des habitudes J1ygiéniques,

l'éducation populaire et une meilleure nutrition.

Dans son édude sur ]es communications à l'appui du dévelop-

pement, Heli Perrett, de la Banque mondiale, affirme qu'il est

essentiel d'utiliser les communications, notamment la télévision,

pour atteindre les objectifs des projets sanitaires; les résultats

passés sont là pour prouver le succès de cette méthode.

"L'expérience démontre que des activités de communication

bien conçues et bien gérées peuvent grandement contribuer à

sensibiliser la population, à lui faire connaître et comprendre

et même à lui faire adopter de nouvelles attitudes et habitudes

dans des délais relativement courts."

Dans ce chapitre, nous examinerons la raison de la popularité

des émissions sur la santé, le genre de messages diffusés et

la façon d'améliorer l'efficacité de ces messages. Nous avons

étudié neuf émissions sur la santé dans six pays africains.

Dans presque tous les cas, les émissions étaient soit des entrevues,

soit des magazines.

Le magazine comprenajt des entrevues en studios, des films

tournés dans des hôpitaux et des villages, des films importés

et à l'occasion des dramatiques produites localement.

Les objectifs varient d'un pays à l'autre, mais tous les


163

communicateurs tentent de modifier les comportements et les

attitudes en diffusant des renseignements de base touchant. les

naissances, la santé et la nutrition.

La rougeole, la diarrhée, le choléra, les vers intestinaux

l'alcoolisme, la malaria, les maladies transmises sexuellement

et la tubercuJose sont les problêmes sanitaires les plus souvent

abordés dans les émissions. La planification des naissances

et les soins des enfants sont aussi des sujets populaires, qui

englobent la contraception, les soins prénataux et l'avortement,

en passant par les sages- femmt!S et les soins des nouveaux-nés.

L'opinion générale des réalisateurs, des travailleurs sanitaires

gouvernementaux et non gouvernementaux et de plusieurs téléspec-

tateurs ruraux est que l'auditoire des émissions de santé est

vaste parce que la population est plus sensibilisée qu'avant

aux mauvaises habitudes sanitaires à changer. Le directeur

adjoint de Ratelesco, la division de télévision éducative de

la Voix du Zaire, Kintenda Mata, dit qu'il a été surpris de

s'apercevoir que les problèmes de santé étaient si populaires.

En fait, il s'agit d'après lui d'une tendance générale des Zairois

à s'intéresser de plus en plus à la santé afin de rfisoudre leur

propres problèmes.

"Il n'y a pas assez d'hôpitaux ni de personnel médical

compétent au Zaire; la population a un grand besoin de se renseigner

sur les soins de la santé pour mieux veiller à son bien-être."

Même son de cloche au ministère de la Santé publique du

Niger. Un fonction11aire a déclaré que l'éducation scolaire

étant très limitée au Niger, la télévision, par son apport à


164

la fois visuel et sonore, sert efficacement â compenser les

lacunes des non scolarisés en matière de soins de la santé.

Au Sénégal, Moustaphe Guaye, le réalisateur de l'émission

sur la santé en langue wolof "Wer gu yaram", a pour objectif

d'enseigner aux téléspectateurs â prendre soin d'eux-mêmes.

"Notre message, c'est que l'Etat ne peut pas tout faire.

Le public doit absolument participer aux soins préventifs si

on veut éliminer certaines maladies et augmenter le niveau de

santé."

D'ailleurs, l'étude des émissions sur les soins de la santé

révèle que la médecine préventive est le sujet le plus commun.

La réalisatrice Kemi Opeadu de J 'émiss.ion télévisée "Your Health"

sur les ondes de la Nigerian Television Authority, dit qu'elle

part du principe que les gens ne savent pas ce qui les rend

malades. Elle montre comment reconnaître les symptômes, quels

sont les effets d'une maladie, comment la prévenir et quand

demander une aide professionnelle.

"Your Health" est diffusée au canal 10 au Nigéria. Comme

de nombreuses autres émissions sur la santé, elle consacre beaucoup

de temps â encourager les habitants â nettoyer l'intérieur et

l'extérieur de leurs demeures et â assécher les flaques d'eau

stagnantes. Les habitudes hygiéniques appropriées pour les

enfants sont aussi un thème commun.

En Côte-d'Ivoire, l'émission éducative "Télé pour tous"

a joué un rôle importa11t dans la r~duction des maladies transmises

par l'eau. Elle a permis aux populations rurales de mieux faire

le rapport entre l'eau propre, les puits, les filtres et les


165

maladies communes comme les vers intestinaux. Les émissions

ont été coordonnées avec une eampagne gouvernementale pour construire

des puits.

La nutrition est un autre aspect des soins préventifs fré-

quemment abordé dans les émissions sur la santé. On présente

de nouveaux aliments et de nouvelles recettes, et on prône des

repas mieux équilibrés.

On peut souvent voir des nutrit.ionnistes à la télévision

africaine préparer des aliments, bien que les téléspectateurs

se plaignent souvent que les recettes sont difficiles à suivre

et à se rappeler, et que les ingrédients ne sont pas toujours

tous disponibles.

Le ministère de la Santé publique du Sénégal a fait filmer,

dans le cadre de son émission nationale, des épisodes dans des

villages où on montre des instructeurs préparant des recettes

au cours d'une campagne de nutrition. Le ministère a aussi

demandé à ses agents sur le terrain de regarder les émissions

pour prendre connaissance de la campagne et refaire les

démonstrations.

D'après les autorités sanitaires sénégalaises, la télévision

a réussi, dans les zones couvertes par ses signaux, à présenter

les recettes et à susciter un intérêt envers les dfimonstrations

sur le terrain. Mais ce furent les démonstrations sur le terrain

elles-mêmes, après laquelle les femmes ont pu poser des questions

et goûter les résultats, qui se sont avérées l'outil de communication

le plus efficace.

Un objectif important des émissions est aussi de faire


166

connaître aux téléspectateurs l'existence d'installations médicales

et de les inciter à s'y rendre. On pense que de nombreuses

personnes ont peur de la médecine moderne parce qu'ils ne la

connaissent pas. En suivant le traitement à partir du diagnostic

jusqu'à la guérison à la télévision, le public devrait faire

confiance davantage à la médecine moderne. D'ailleurs, Gabriel

Koffi, le réalisateur de "Droit de santé" à la Radio-Télévision

ivoirienne, affirme que même les spécialistes de la santé pourraient

y gagner à en apprendre davantage sur le service sanitaire pour

lequel ils travaillent en regardant son émission.

* * *

On ne sait pas dans quelle mesure on réussit à instruire

le grand public par la présentation d'émissions télévisées sur

la santé. Les réalisateurs des neuf émissions sur la santé

étudiées, comme de nombreux autres communicateurs africains,

n'ont aucun moyen de mesurer l'impact de leurs émissions, mis

à part un sondage occasionnel sur la taille de leur auditoire

et les lettres des téléspectateurs.

Toutefois, les réalisateurs sont d'accord pour dire que

les chances de produire une émission qui décrit avec exactitude

un problème de santé rural sont meilleures en tournant dans

un village.

Bien entendu, il est aussi ironique de diffuser des émissions

sur la santé que des émissions éducatives, car les personnes

qui ont le plus besoin de l'information sont celles qui ont


167

le moins de chances d'avoir des téléviseurs. A Libore Bangou

Banda, au Niger, ce n'est toutefois plus un problême le gouver-

nement a installé un récepteur noir et blanc alimenté à l'énergie

solaire dans la place du village.

Mais d'aprês Malick Abdoulaye, un instituteur dans le village,

les émissions sur la santé ont eu peu d'influence sur les villageois.

Il dit que les femmes ont pris conscience d'habitudes hygiéniques

générales, et del' importance d'avoir leurs enfants dans l'infirmerie

du village. Mais d'aprês lui les émissions sur la santé ne

sont pas efficaces parce qu'elles ne sont pas diffusées assez

souvent et qu'elles ne sont suivies d'aucune intervention sur

le terrain. En général, il dit que les villageois ne comprennent

pas le but de la télévision éducative. "Une émission intéressante

passait, où on modifiait une recette traditionnelle en y incorporant

des haricots. Les gens ont écouté mais personne n'a pensé essayer.

Les habitants ici pensent que la télévision sert seulement à

les divertir. Ils regardent mais il n'écoutent pas. On écoute

en silence lorsqu'un chanteur passe, mais on murmure quand il

s'agit d'une émission d'information."

Wilbur Schramm, dans Mass Med:ia and National Development,

illustre les difficultés de parler santé à un auditoire rural

en prenant pour exemple un film utilisé dans le cadre d'une

campagne sanitaire au Pérou pour réduire le typhus transmis

par les poux.

On s'est aperçu que les villageois ne comprenaient pas

le film. Ils reconnaissaient bien les poux qu'on leur montrait

à l'écran, agrandis pour plus de clarté, mais ils disaient qu'il


168

s'agissait d'une sorte "géante" qu'ils ne connaissaient pas.

Ils avaient aussi vu les taches pourpres sur le corps, causées

par le typhus, mais pas tout à fait la même teinte de pourpre

montrée à l'écran. Conclusion la maladie montrée à l'écran

affectait d'autres personnes, mais pas euxl.

Schramm pense que la télévision est un média efficace pour

communiquer des renseignements sur les soins de la santé. Mais,

comme nombre d'auteurs, il souligne qu'elle ne peut pas faire

tout le travail toute seule. On augmente de beaucoup les chances

d'inciter les gens à passer à l'action si on combine les émissions

sur la santé avec l'animation sur le terrain.

"Dans le cas des populations rurales, les planificateurs


des campagnes nat]onales de santé conviennent généralement
que la radio, la télévision et le film peuvent appuyer
de faço~ très efficace lf~ travail du personnel local. n2

Malgré cette potentialité démontrée, les réalisateurs ont

tendance à faire cavalier seul. On coordonne rarement les ém]ssions

sur la santé avec d'autres médias.

Et i l est encor e p 1u s rar '~ q u ' o n p r é v i e n ne les t r av a j 1 l e u r s

sanitaires sur le terrain des émissions â venir pour qu'ils

orgar1jsent une écoute collective suivie d'une discussion.

Gabriel Koffi, le réalisateur de "Droit de santé" à la

t é 1é v i s i o n i vo i r i e nne , pense q u l~ son é mi s s i o n n ' est pas a us s i

efficace qu'elle le pourrait, parce qu'il y a aucune coordination

entre ce qu'il fait et les activités des travailleurs sanitaires

sur le terrain.

"Un réseau d'infirmières, de sages-femmes, de cliniques

et d'hôpitaux est déjà en place, mais il n'y a pas d'argent


169

pour assurer l'animation du matériel audiovisuel que nous

fournissons."

Dans tous les pays étudiés, les émissions télévisées sur

la santé s'inscrivaient en certaines occasions dans le cadre

d'une campagne sa11itaire nationale, visant la vaccination ou

la planification familiale par exemple. Une telle campagne pouvait

comprendre d'autres volets, notamment la distribution d'affiches

ou de bandes dessinées, des annonces â la radio ou à la télévision,

des émjssions à la radio, et 1 'iinimation par des travaill(!urs

sur le terrain.

Dans des pays comme le Niger et le Sénégal, oQ les ministères

de la santé produisent les émissions sur la santé et décident

de leur contenu, on peut s'attendre à ce que ces émissiorrs suivent

la même orientation que les objectifs gouvernementaux. Au contraire,

les communicateurs en Côte-d'Ivoire et au Nigéria sont indépendants

du ministère de la Santé, mais dépendent de lui pour leurs sources

de renseignements. Des entrevues avec les réalisateurs et les

fonctionnaires ont révélé qu'aucune des deux structures ne satisfait

l'un ou l'autre groupe.

Si les réalisateurs travaillent seuls, disent les fonctionnaires

de la santé, on risque de diffuser une information contradictoire

et déroutante parce que le contenu ne sera pas coordonné avec

le programme du ministère sur le terrain. Les réalisateurs répliquent

que les fonctionnaires ne sont pas des experts en communication

ni en éducation, et que plus ils s'ingèrent dans la production,

plus la qualité des émissions en souffre. Un réalisateur s'est

plaint que le ministère de la santé de son pays ne démontrait


170

aucun intérêt dans ce qu'il faisait il a travaillé deux ans

sans jamais recevoir de commentaire de la part d'un fonctionnaire

ministériel.

La télévision nigériane jouit probablement de la plus grande

liberté en Afrique noire. Chris Elbie, le directeur de la program-

mation du canal 10 de la NTA à Lagos, affirme que les réalisateurs

doivent entretenir de bons rapports professionnels avec le ministère

de la Santé; la station participe activement au lancement de

campagnes sanitaires nationales.

"Mais si le ministère prend la direction d'une émission,

on nous empêche' d'aborder certaines questions et nous ne pouvons

plus exercer notre sens critique. A l'heure actuelle, nous avons

les coudées franches. S'ils veulent se plaindre, ils ont la

liberté de venir et de répliquer sur les ondes."

Idéalement, la situation la plus sensée serait que la télé-

vision, la radio, les planificateurs de l'éducation des adultes

et le ministère de la santé coordonnent leurs efforts, et que

le public ait son mot à djre, même si c'est pour critiquer.

Les fonctionnaires auraient ainsi une meilleure idée des

besoins de la population, et cela réduirait le risque d'émettre

des messages contradictoires ou déroutants, ou qu'un groupe

répète le travail d'un autre.

De toute façon, réalisées par le ministère de la santé

directement ou non, les émissions ont surtout porté sur les

problèmes de santé des élites urbaines fortunées. On a montré

des films sur les transplantations cardiaques, sur le diabète,

suivis de discussions par des spécialistes. Plusieurs réalisateurs


171

ont consacré une importante partie de leur budget à filmer des

opérations et d'autres activités médicales dans les hôpitaux

modernes des capitales.

Même si certaines émissions sont encore faites en fonction

des goûts de l'élite urbaine, la plupart s'adressent de plus

en plus aux pauvres des villes et aux populations rurales.

Plusieurs réalisateurs ont mentionné deux obstacles majeurs

à une orientation plus populaire des émissions sur la santé :

le manque de matériel audiovisuel étranger portant sur la santé

rurale, et les médecins qui fournissent une grande partie de

l'information pour les émissions.

Les rf.alisateurs se plaignent que les m{~decins sont enclins

à s'adresser directemenet à l'élite, en se servant de termes

scientifiques, ils sont peu disposés à traiter des problêmes

de santé rurale ou à essayer de se faire comprendre des télé-

spectateurs moins instruits.

"Le problême auquel nous sommes confrontés, c'est que trop

de nos experts s'expriment de façon incompréhensible pour les

téléspectateurs, nous dit Tala Ngai i Kambiauma, un réalisateur

d'émissions éducatives zairois. Les médecins n'ont pas les

mêmes objectifs que nous et restent à un niveau trop scientifique.

Avant une entrevue, nous leur disons de parler simplement, mais

ils n'y arrivent pas."

Et même si un médecin est un excellent vulgarisateur dans

une langue européenne, seule une infime partie de la population,

6 % au Niger par exemple, pourra le comprendre. Réaliser une

émission sur la santé dans plusieurs langues africaines pose


172

d'autres difficultés, d'après les réalisateurs, car peu de personnes

bien informées sur le sujet peuvent s'exprimer dans plusieurs

langues.

Toutefois, 1' innovation et la créativité peuvent suppléer

aux difficultés mentionnées. Une émission intitulée "Ilera"

du Television Service de l'Etat d'Oyo au Nigéria, réduit de

façon originale l'écart entre la médecine urbaine et rurale.

Chaque semaJne un guérisseur traditionnel, un herboriste et

un médecin moderne discutent à l'écran de la façon dont ils

traiteraient un mal particulier comme une brûlure, une migraine

ou la diarrhée. Ils parlent des symptômes, proposent leurs

propres remèdes, puis commentent leurs méthodes respectives.

Segun Ilupeju, le réalisateur, affirme que i 1


émission répond

à un besoin social, soit comparer la médecine traditionnelle

et moderne.

* * *

Peu des réalisateurs que nous avons vus avaient une formation

spécialisée dans les soins de la santé, ni même d'aptitudes

pédagogiques. Ils se plaignaient aussi des coupures budgétaires

qu'on leur imposait, ce qui limitait le tournage à l'extérieur

des studios.

En conséquence, Jes émissions sur les soins de la santé

sont souvent ennuyantes souvent il s'agit de deux ou trois

personnes quj parlent dans un studio montées à la hâte et

pas très utiles en tant qu'instrument éducatif.


173

En toute justice envers les réalisateurs, on doit mentionner

que le talent des équipes de production dans les pays visités

n'est pas à négliger, et qu'avec un complément de formation

et d'organisation, on pourrait en arriver à améliorer grandement

la qualité des émissions sur la santé. En fait, tous les éléments

sont en place pour rendre les émissions sur la santé plus conformes

aux besoins des gens afin d'améliorer leur qualité de vie.

* Tous les pays étudiés disposent du personnel qualifié,

qui doit seulement être recyclé et auquel on doit fournir les

ressources nficessaires pour faire un meilleur travail.

* Les téléspectateurs ont démontré leur intérêt à en

apprendre davantage sur les soins préventifs et primaires afin

de mieux prendre en main leur santé.

* Un réseau national de travailleurs sanitaires est

prêt à transmettre les besoins des téléspectateurs aux communicateurs

en prenant note de leurs commentaires et en animant les discussions

sur le terrain.

* Des organismes comme l'URTNA, l'Union des radios-télé-

visions nationales africaines, et la Pan African News Agency

offrent aux pays africains l'occasion d'apprendre ce que leurs

voisins réalisent dans le domaine de la santé.

* Des organismes internationaux offrent une formation

aux réalisateurs pour leur permettre d'améliorer leur talent

d'éducateurs.

Pour bien articuler la programmation des émissions sur

la santé afin de la rendre efficace, les chefs politiques doivent

absolument prendre les mesures qui s'imposent. On semble être


174

sur la bonne voie. Certains ministêres de la santé s'intéressent

davantage aux communications à l'appui du développement et tra-

vaillent à obtenir une plus grande part des budgets gouvernementaux

consacrés à la télévision.

Il pourrait s'ensuivre un changement d'orientation des

services télévisuels entraînant un accroissement de l'éducation

extrascolaire et un apport financier et moral accru aux réalisateurs

d'émissions sur l~ santé.

Recommandations

1) Coordonner le travail des réalisateurs d'émissions

sur la santé avec celui des fonctionnaires du ministêre de la

santé, des organismes d'aide sanitaire internationaux, des réali-

sateurs radio et des autres médias.

2) Utiliser le réseau des travailleurs sanitaires répandu

dans tous les pays africains pour noter comment les émissions

sont perçues et organiser 1 'écoute collective suivie de discussions.

3) Tourner davantage dans les régions rurales, montrer

plus d'entrevues avec des gens ordinaires et des guérisseurs

traditionnels et autres travailleurs sanitaires sur le terrain.

4) Réduire la fréquence des entrevues avec des médecins

de la ville et les sujets qui intéressent seulement les élites

urbaines.

5) Diffuser dans le plus de langues africaines possibles.

Le documentaire se prête bien à cet objectif parce que les mêmes

images peuvent être accompagnées d'un commentaire dans chaque

langue.

6) Faire faire à la télévision ce qu'elle réussit le


175

mieux: raconter une histoire par l'image. La radio est un meilleur

média pour les discussions de groupe et les entrevues à deux

personnes.

7) Puiser à même les cinêmathèques exhaustives de l'UNICEF,

de l'UNESCO, de l'OMS, de la Croix-Rouge de l'URTNA et des autres

organismes internationaux pour répondre aux besoins locaux.

Ces films sont souvent gratuits ou très peu coGteux et peuvent

considérablement améliorer l'aspect visuel d'une émission à

petit budget.

8} Embaucher des réalisateurs avec une formation en soins

de la santé, former les travailleurs sanitaires aux méthodes

de production télévisées ou envoyer les r6alisateurs à des séances

de formation médicales pour les sensibiliser davantage â la

question des soins de la santé.


176

Notes

1. Wilbur Shramm, "Médias de masse et développement national",


UNESCO, Paris, 1979, cité dans Problèmes audiovisuels,
n° 11, INA, Paris, janvier-février 1983, p. 10.

2. Ibid., p. 10.
177

La télévision pour le développement


au Cameroun : les leçons
de l'expérience
178

Le Cameroun avait une foule de bonnes raisons de ne pas

se doter d'un réseau de télévision jusqu'à récemment, même si

la télévision est présente chez certains de ses voisins depuis

25 ans.

L'ancien président Ahmadou Ahidjo justifia l'approche lente

et graduelle du gouvernement en 1963 en disant que l'argent

servirait à meilleur escient à d'autres projets de développement.

En retardant la télévision, on pourrait librement consacrer

à la radio les ressources et l'attention nécessaires à son expansion.

Ahidjo envisageait aussi la télévision comme un service

qui couvrirait tout le pays, serait de nature éducative, et

qui diffuserait peu d'émissions importées. Il refusa obstinément

d'implanter le média jusqu'à ce que le pays puisse compter sur

les ressources nécessaires pour remplir ses critères.

L'ancier président a déclaré

"Nous pensons attacher une importance particulière


dans les premiers temps de la télévision à son rôle
éducatif au Cameroun. Nous devons éviter de mettre
en place un service coUteux et difficile à entretenir
sans ressources financières", a déclaré l'ancien président.
Avant de commencer, nous devons bâtir une réserve
de programmation éducative adaptée aux véritables
besoins du téléspectateur, et nous assurer que le
plus grand nombre possible d'émissions sont authentiquement
camerounaises et africaines et réflètent le caractère
et le goQt de la majorité des téléspectateurs."1

Selon Emmanuel NGuiamba, responsable de la section télévision

à Radio-Cameroun, on a attendu jusqu'aux années 1980 pour mettre

sur pied un service de télévision dans l'espoir de profiter

de l'expérience des autres pays africains où le média évoluait

depuis 25 ans.

"Notre attente de 25 ans nous aura permis de commencer


179

avec la technologie des années quatre-vingts. Nous ne voulions

pas non plus que la télévision couvre seulement la capitale.

Les habitants en sont déjà privilégiés; ce ne serait pas juste

pour le reste du pays qui n'en profiterait pas", affirme Emmanuel

NGuiamba.

Au cours des dernières années, le Cameroun, avec l'aide

d'intérêts allemands et français, a installé un impressionnant

réseau de télédjffusion composé de 14 centres de transmissions,

qui, quand il sera entièrement opérationnel, atteindra 80 %

des six millions de camerounais par ses signaux.

La télévision devrait être inaugurée d'ici la fin de 1985.

On a déjà procédé à trois semaines de diffusion à l'essai qui

se sont déroulées relativement sans accroc; le gouvernement

et la population ont pu ainsi avoir un avant-goût des émissions

avec espoir de diffusion quotidienne à l'horizon.

Eric Chinje, le plus ancien anglophone de la section télévision,

croit que la télévision arrive opportunêment dans l'histoire

du Cameroun. Le pays est relativement prospère, en grande partie

à cause des revenus tirés du pétrole. Le président Paul Biya,

qui a succédé à Ahidjo il y a trois ans, a raffermi son emprise

politique sur le pays après avoir réprimé une tentative de coup

d'Etat en avril 1984.

Un nouveau parti polique, le Rassemblement démocratique

du peuple camerounais, a été formé en 1985; il promet des réformes

importantes en vue d'une démocratisation des institutions. (La

première émission télévisée au Cameroun fut la présentation

en direct de la cérémonie de fondation du parti à Bamenda.)


180

De plus, trois nouveaux ministères dynamiques ont été institués

la même année les Affaires féminines; l'Education supérieure

et la Recherche scientifique; et les Services informatiques.

Malgré l'optimisme affiché, certains problèmes structuraux

importants demeurent du côté de la programmation de la Télévision

camerounaise (TVC), problèmes qui, s'ils ne sont pas résolus

rapidement, pourraient entraîner la débacle de ce projet de

200 millions de dollars (américains).

Certaines sources, représentant les professionnels des

médias camerounais, les experts-conseils des Nations unies en

communication et certains spécialistes, craignent que le Cameroun

n'ait pas consacré assez d'argent, de temps et d'énergie à élaborer

son infrastructure de programmation.

L'approche prudente adoptée par les planificateurs face

à la programmation peut être une source de problèmes maintenant

que les installations sont opérationnelles et que le public

et le gouvernement attendent impatiemment de récolter les fruits

de cet investissement massif.

La télévision camerounaise a la chance de pouvoir compter

sur une équipe de production talentueuse formée à l'étranger

ou qui y a travaillé, et qui a l'expérience de la radio nationale.

Travaillant dans des conditions difficiles dans des studios

temporaires, ils ont réussi à fabriquer des émissions très potables

pendant les quelques semaines de diffusion à l'essai.

Toutefois, de nombreux communicateurs pensent que le succès

de cet essai a donné aux autorit~s et au public le faux espoir

que la télévision fonctionnera plus vite que prévu.


181

Les responsables de la programmation sont préoccupés par

le manque de communication entre eux et le gouvernement. Un

communicateur affirme que beaucoup de fonctionnaires ignorent

la complexité d'une production télévisée.

"J'ai le sentiment que beaucoup de gens s'attendent à des

miracles de programmation, dit un autre communicateur. Ils sont

surpris de voir qu'on ne peut pas simplement enregistrer avec

une petite caméra magnétoscopique puis diffuser le résultat

dans 1' instant qui suit."

La capacité de production de la télévision camerounaise

a été taxée à l'extrême quand les réalisateurs on eut deux mois

pour prêparer 20 heures d'émission à diffuser pendant quatre

jours. Il semble vain de penser qu'à court terme on puisse atteindre

l'ojectif de produire une programmation nationale quotidienne.

Un expert-conseil détaché par l'Union internationale des

télécomunnications confirme que la production est retardée par

le manque de personnel et par le lent développement de la structure

organisationnelle de production.

"Quelques mois avant la mise en ondes quotidienne prévue,

on n'a toujours pas de description de la programmation, de grille

horaire, ni de lignes directrices de programmation. On ne sait

pas combien d'émissions seront fabriquées ni de quoi elles

traiteront", dit-il.

Le noble objectif d'incorporer à la télévision camerounaise

un important volet éducatif semble avoir souffert du manque

d'insistance à élaborer une infrastructure de programmation.

On a sondé en profondeur l'opinion des téléspectateurs potentiels


182

pour savoir quelle sorte d'information ils voudraient voir diffuser

à la télévision. On a aussi écrit des lettres à tous les ministères

pour leur demander ce qu'ils voudraient voir à la télévision

et dans quelle mesure ils pourraient contribuer à l'élaboration

des émissions.

Mais cet effort bien intentionné reste modeste, en regard

de l'énergie qu'il faudrait déployer pour donner à la télévision

camerounaise cette importante composante éducative que le gouver-

nement avait l'intention de lui incorporer.

Le problème tient en partie au fait que le Cameroun semble

répéter certaines erreurs déjà commises par d'autres pays africains,

au lieu de les éviter.

"Les politiciens disent qu'ils veulent une télévision éducative,

mais nous ne prenons pas le chemin pour y arriver. Nous allons

nous retrouver avec de l'équipement et une structure qui ne

répondra plus à la demande initiale", affirme Jean-Vincent

Tchienehom, directeur adjoint à la programmatjon de Radio-Cameroun,

et autorité en matière de télévision éducative.

Tchienehom et d'autres pensent que l'objectif éducatif

a été grandement compromis quand on a décidé de mettre sur pied

une structure homogêne hautement centralisée.

"Ce n'est pas une coincidence si le Cameroun a deux


langues officielles et des centaines de langues nationales.
La géographie du pays fait que les problèmes agricoles,
sanitaires et éducatifs des régions sont radicalement
différents. Dans ces conditions, comment produire
des émissions pour le Nord, oü on manque d'eau et
d'arbres et oü on cultive le coton, et pour le Sud,
composé en majeure partje de forêts équatoriales,
qui seront vues dans les deux régions ? Même l'efficacité
économique d'une consommation homogénéisée de la program-
mation est douteuse. Logiquement, la télévision éducative
nécessite une structure déccntralisée."2
183

On ne prévoit pas à l'heure actuelle établir des centres

régionaux de production télévisée, même si Radio-Cameroun a

déjà implanté un certain nombre de stations radiophoniques

régionales.

Les planificateurs pensent que les régions seront suffisamment

représentées à la télévision nationale grâce aux six voitures

de reportage dont l'achat est prévu et qui circuleront partout

dans le pays. Elles transmettront des émissions à Yaoundé pour

rediffusion à l'échelle nationale.

Certains observateurs croient que le Cameroun ne tient

pas suffisamment compte des leçons des autres pays africains

en se procurant des voitures de reportage conteuses, de la taille

d'une maison mobile, pleines à craquer d'équipement électronique

sophistiqué.

Pendant le premier essai de télédiffusion, la chaleur africaine,

les pannes de courant, la poussière et un manque de soin dans

la manutention causèrent des dommages à l'équipement, qui tomba

en panne à plusieurs reprises. Les communicateurs croient aussi

que les caméras et les magnétoscopes portatifs, également victimes

de pannes, sont beaucoup trop fragiles et sophistiqués pour

leurs besoins.

Bien sfir, ce genre d'équipement, de fabrication allemande,

peut produire l'une des images les plus claires, nettes et colorées

du monde. Mais embarassant et lourd, il se brise constamment,

et les caméras à triple objectif doivent être réglées avant

chaque entrevue, comme s'en sont aperçus les opérateurs pendant


184

la période d'essai. Les avantages de la technologie moderne

sont donc perdus en partie. (Par ailleurs, on trouve sur le

marché des caméras à un seul objectif et de l'équipement d'enregis-

trement qui peuvent être portés et manipulés par une seule personne,

et qui coûtent une fraction du prix de l'équipement allemand.)

* * *

Comme nous l'avons mentionné plus haut, si le gouvernement

a décidé de retarder l'implantation de la télévision, c'était

pour mieux développer la radiodiffusion. Grâce à son réseau

de stations régionales, le pays peut compter sur un système

de radiodiffusion étendu.

L'expérience passée de Radio-Cameroun en matière d'éducation

extrascolaire est particulièrement importante, parce que les

planificateurs de la télévision espèrent transférer une partie

de son personnel spécialisé. Un sondage auprès des journalistes,

des réalisateurs et des fonctionnaires engagés dans la programmation

radiophonique éducative a révélé une grande insatisfaction face

aux émissions.

Les trois principaux griefs retenus sont que (a) les émissions

éducatives n'occupent pas assez l'antenne; (b) les émissions

sont diffusées surtout en langues européennes mal comprises

des auditeurs; (c) les programmes sont excessivement ennuyants

et démontrent une certaine maladresse au plan de la pédagogie

et de la communication.

Jean-Vincent Tchienehom, directeur adjoint à la programmation


185

de Radio-Cameroun, s'est penché pendant deux ans sur les besoins

de communication du Cameroun. Il s'est aperçu que les divers

intervenants ne se concertaient pas, ce qui nuisait à l'efficacité

de la radio éducative.

"La programmation éducative souffre d'un manque d'orien-


tation, d'un manque de créativité, du nombre trop
grand d'émissions importées et de l'absence de moyen
pour annoncer à l'avance le moment d'une bonne émission.
Toutefois, le problème le plus important est la proportion
de temps d'antenne accordée à l'éducation. Dans un
pays en développement où les trois cinquièmes de la
population ont besoin d'éducation pour mieux pouvoir
participer à la vie nationale, il n'y a pas d'excuse
pour diffuser régulièrement à la radio seulement une
demi-heure par semaine sur l'agriculture et une autre
sur les soins de la santé."3

Il souligne dans son étude commandée par le ministêre de

l'Information et de la Culture que les avis publics, les messages

personnels et la musique occupaient les trois quarts du temps

d'antenne en langues vernaculaires, ce qui laissait peu de place

aux émissions éducatives.

Le docteur Cécile Bomba-NKolo, responsable de la formation

pour le ministère de la Santé du Cameroun, convient que l'absence

de coordination réduit grandement l'efficacité des émissions

éducatives.

"Nous ne pouvons pas minimiser les effets des médias de

masse, mais la radio n'est pas à la hauteur. Les émissions diver-

tissantes occupent tellement de place qu'il reste peu de temps

pour des émissions sur la santé, qui de toute façon ne sont

pas coordonnées. I 1 n'y a pas de système. C'est chacun pour

soi. Les Affaires féminines préparent une émission sur la santé,

mais ne nous avertissent pas. Ce serait mieux si tout le côté


186

santé des communications médiatiques était coordonné."

Comme les émissions éducatives ne sont pas diffusées en

priorité, on les passe souvent après 22 heures, quand

l'auditoire-cible, habituellement des habitants des campagnes,

est endormi. La période de pointe, entre 18 et 20 heures, est

consacrée à des émissions en anglais au réseau national, bien

que 80 % des auditeurs qui comprennent une des deux langues

officielles parlent le français.

Par rapport à d'autres pays africains, l'un des inconvénients

majeurs à la diffusion en langue vernaculaire d'émissions éducatives

au Cameroun, c'est qu'on y parle 250 dialectes. En conséquence,

les émissions éducatives, diffusées au réseau national dans

la plupart des cas, sont soit en anglais, soit en français,

les deux langues officielles. Le pidgin, une sorte d'anglais

bâtard, semble être la langue la plus répandue dans le pays.

Mais on n'en entend pas un mot à la radio. (Le ministère de

l'Information et de la Culture étudie cependant la possibilité

de diffuser en pidgin à la radio pour accroître le niveau de

compréhension des auditeurs.)

Une des critiques les plus communes adressées aux réalisateurs

d'émissions radiophoniques éducatives, c'est qu'ils passent

des entrevues d'experts en développement qui utilisent des termes

techniques français ou anglais trop compliqués pour l'auditoire.

Gilbert Tsals Ekani, producteur d'émissions radiophoniques

agricoles, dit qu'il aimerait présenter davantage de fermiers

â son émission hebdomadaire. (On n'a présenté que trois fermiers

au cours d'une tranche de 52 émissions. )4 Mais il ne trouve


187

pas assez de fermiers qui parlent suffisamment bien le français

pour passer en ondes.

Une étude del' INANDES, un organisme spécialisé dans l'éducation

rurale, révèle que les auditeurs avaient des difficultés à comprendre

des émissions en anglais ou en français, des langues "qu'ils

ne maitrisent pas bien"5.

L'étude conclut : "Les habitants des campagnes sondés suggèrent

que les émissions à leur intention soient en langue vernaculaire,

diffusées à partir de la station provinciale. En diffusant dans

beaucoup de langues, on a plus de chances d'atteindre un grand

nombre d'auditeurs."

L'étude a aussi révélé que les ruraux voudraient avoir

davantage leur mot à dire relativement au contenu, que les émissions

intéressantes devraient être repassées et que la même émission

devrait être diffusée pendant plusieurs jours, à des heures

différentes, au cours d'une semaine.

Finalement, pour bien jouer son rôle, la programmation

éducative doit divertir, captiver son auditoire, en même temps

qu'elle l'instruit. Presque tous les participants à la radio

éducative au Cameroun admettent qu'elle est très ennuyante et

difficile à suivre. Dans la plupart des cas, il s'agit d'experts

dans divers domaines qui lisent leurs exposés sur les ondes.

On diffuse peu .de discussions et peu d'entrevues; les auditeurs,

ceux qui sont censés bénéficier de l'information, ne fournissent

pratiquement aucune information en retour.

De l'avis du docteur Bombo-NKolo, les émissions radiophoniques

sur la santé ne sont pas gaies à écouter "Aucun journaliste


188

n'est là pour poser des questions, et aucun sujet quotidien

n'est abordé. Rien que des conférences. Des gens qui lisent

de livres."

"Il nous faut distraire en même temps qu'on édu~ue. Incorporer

un peu de musique traditionnelle, par exemple. Les auditeurs

apprécient ça beaucoup plus qu'un cours magistral."

Plusieurs des nos interlocuteurs ont émis des réserves

sur les capacités éducatives du nouveau service de télévision,

compte tenu du peu de succès de la radio.

Un réalisateur d'émissions radiophoniques éducatives se

demande comment la télévision, dix fois plus compliquée que

la radio, peut réussir là où la radio a échoué. "Nous sommes

déjà limités financièrement et la télévision coûte beaucoup

plus cher. Nous pourrions faire beaucoup mieux si nous avions

l'argent pour préparer des émissions sur le terrain. Mais le

seul moment où on voyage, c'est pour accompagner le ministre

dans ses tournées de relations publiques."

Tchienehom admet que l'expérience de la radio n'augure

rien de bon pour la télévision éducative au Cameroun. La solution

la plus évidente, d'après lui, est d'étudier attentivement les

possibilités de la télévision éducative et de mettre en place

des structures solides pour appliquer les recommandations et

administrer le programme.

"Ils ne peuvent pas faire à la télévision ce que nous


faisons à la radio. On doit penser à de nouvelles
politiques en matière de communication pour la télévision
éducative. [Pour éviter les erreurs de la radio]
il est urgent d'entreprendre une étude par un comité
interdisciplinaire représentant [les différentes branches
du gouvernement engagées dans l'éducation pour le
développement]. Et on doit identifier, définir et
189

analyser les besoins en communication afin d'élaborer


une stratégie satisfaisante, d'évaluer les options
possibles et de choisir les mesures à prendre par
rapport aux ressources disponibles."6

* * *

Quelques ministères seulement ont répondu à la lettre de

la Télévision camerounaise sollicitant leur participation aux

émissions éducatives. Les ministères de ! 'Agriculture, des

Affaires féminines, de !'Education supérieure et de la Recherche

scientifique, et celui des Affaires sociales sont tous intéressés

à participer au nouveau service de télévision.

Le ministère de !'Agriculture est particulièrement désireux

de renforcer ses communications à 1 'appui du développement et

a demandé conseil auprès de la FAO sur la manière de procéder.

Le sous-ministre de l'agriculture, Salomon NFor Gwei affirme

"L'agriculture est la priorité des priorités. On devra y consacrer

beaucoup de temps à la télévision. Nous cherchons à étendre

et améliorer nos moyens de communication avec les fermiers avec

la venue de la télévision, parce que nos efforts dans le passé

n'ont pas été suffisants."

La ministre des Affaires féminines, Yaou Aissatou, dit

que son ministère est également très intéressé à se servir de

la télévision-pour éduquer les femmes. "Les femmes ont été

exclues des institutions traditionnelles d'éducation. Nous

espérons changer les mentalités, mettre en relief les problèmes,

trouver des solutions et convaincre les femmes qu'elles peuvent

faire tout ce que font les hommes."


190

La ministre espère que des téléviseurs seront placés dans

des centres pour femmes partout au pays. Après les émissions

réalisées par le ministère, les responsables de l'animation

dans les centres devront encadrer la discussion.

Le ministère des Affaires sociales, peu connu du public,

compte sur la télévision pour sensibiliser la population à ses

services, d'après l'administrateur Laurent Tsoungui Ayissi.

Quant au ministère del 'Education supérieure et de la Recherche

scientifique, il est aux prises avec un problème de communication :

une grande partie des résultats de ses recherches n'est jamais

appliquée sur le terrain à cause des congestions administratives.

Il éprouve des difficultés à informer les fonctionnaires des

résultats, puis à s'assurer qu'ils les transmettent à leurs

services. Manfor Festus Ambe, chercheur principal au ministère,

formule le problème comme suit "Nous faisons des découvertes

très intéressantes, mais personne ne s'en préoccupe. Nous espérons

que la télévision, par son côté captivant, stimulera l'intérêt

des téléspectateurs et permettra une plus grande mise en pratique

des résultats."

Même si ces ministères, entre autres, sont enthousiastes

à l'idée de participer à l'élaboration de la programmation éducative,

il reste à déterminer la participation de chacun de façon plus

claire. Les fonctionnaires contactés conviennent qu'il y a

un urgent besoin d'édifier une structure administrative appropriée

pour éviter la confusion.

"La section télévision doit s'organiser", affirme le sous-mi-

nistre de l'agriculture, Salomon NFor Gwei.


191

"Nous attendons que la télévision nous dise quoi faire,

qu'elle nous montre le chemin a suivre pour la programmation",

dit Madeline Koualham, responsable des services éducatifs au

ministère des Affaires féminines. Nous voulons montrer les

activités des femmes. Si la capacité de production de la Télévision

camerounaise n'est pas suffisante, nous le ferons nous-même.

Nous attendons une réponse."

Le docteur Bomba-NKolo, du ministêre de la Santé publique,

convient qu'avant de se servir de la télévision pour favoriser

le développement, "on doit définir les priorités".

A supposer que la télévision éducative soit structurée

et que les rapports entre les ministêres et la Télévision camerou·-

na i se soient mieux définis, il resterait encore un obstacle

important à franchir pour assurer l'efficacité de la programmation

éducative.

On risque de manquer de journalistes, de réalisateurs et

de producteurs formés à la production télévisuelle, sans parler

de la télévision éducative proprement dite, par rapport aux

besoins des ministères.

L'institut de télévision fondé dans le cadre du plan initial

de développement a dO s'occuper de former des techniciens pour

entretenir le matériel. Même si 26 étudiants et professeurs

européens sont prêts depuis un an à commencer les cours de formation,

le département n'est toujours pas opérationnel.

La grande partie des journalistes de la radio et de la

télévision employés par les ministères à la production d'émissions

éducatives est issue de l'ESSTI, l'école des communications


192

de masse à l'université de Yaoundé. Le contenu des cours a

tendance à être très théorique. Par exemple, les étudiants

en journalisme télévisé et radiodiffusé commencent à travailler

avec l'équipement de production seulement à la fin de leur deuxième

année, et seulement une fois par semaine pendant leur troisième

année.

Cette absence d'intérêt de l'ESSTI envers la télévision

éducative est illustrée par un document de 120 pages publié

par l'école et traitant de toutes les facettes de la télévision,

qui ne consacrait qu'une seule page à la télévision éducative7.

On parlait des satellites, des conséquences sociales et morales

de la télévision, de l'histoire de la télévision, et même, pendant

quinze pages, des ondes électriques et de la température des

couleurs de la télévision, mais le sujet de l'éducation était

à peine effleurE.

Qui plus est, l'orientation de l'école est de produire

des journalistes, et non pas des réalisateurs d'émissions éducatives.

On n'enseigne aucune notion de pédagogie. De toute façon, les

finissants de l'ESSTI n'aiment pas, règle générale, travailler

pour un ministère, parce que le salaire est plus bas que pour

un journal, la radio ou la télévision. Ils y voient un cul-de-sac

sans perspectives d'avancement.

Au bout du compte, la télévision éducative risque de souffrir

des mêmes problèmes que la radjo éducative les journaliste!::

sont formés aux méthodes journalistiques occidentales, ils manquent

d'esprit d'animation et de créativité, et finissent par mettre

en ondes des experts qui s'expriment dans une langue européenne


193

sur des sujets trop compliqués pour la moyenne des gens.

Jtrnn-V.incent Tchienehom, de Radio-Cameroun, affirme: "Personne

ne prend au sérieux l'éducation extrascolaire par les médias.

C'est une idée très importante, mais personne ne sait comment

s'y prendre. Les auditeurs reçoivent bien quelque information,

mais aucune véritable éducation."

De nombreuses personnes que nous avons interrogées pensent

que la télévision au Cameroun est à un carrefour crucial. C'est

maintenant, pendant qu'elle en est encore à l'étape préparatoire,

qu'il faut engendrer une structure et favoriser le talent qui

permettront de se servir de la télévision pour éduquer le grand

public, selon le voeu de ses instigateurs. La question qui

se pose est de savoir si la télévision au Cameroun deviendra

un coûteux instrument de prestige servant à distraire l'élite

du pays, ou si elle servira à instruire et éduquer la population

entière, contribuant ainsi au développement du pays et à son

unité nationale. Seul l'avenir nous le dira.

Recommandations

1) Donner la priorité à la télévision éducative. Affecter

les équipes de production les plus talentueuses à ces émissions;

s'assurer qu'elles ont les ressources et la latitude voulue

pour produire du travail de qualité.

2) Diffuser les émissions éducatives aux heures oa l'audi-

toire-cible est le plus susceptible d'écouter. Bien sûr, si

l'objectif premier du média est d'éduquer, ces émissions devraient

passer pendant la période de pointe. Les créneaux avant et

après les nouvelles du soir sont particulièrement indiqués.


194

3) La télévision éducative ne devrait pas être ennuyante.

Elle doit saisir la réalité mouvante. Rien n'est plus ennuyant

que de voir deux personnes assises qui se parlent. La radio

est parfaite pour ce genre d'émission, et coûte moins cher.

La télévision doit raconter par l'image, et instruire tout en

divertissant.

4) Faire participer des gens ordinaires aux émissions.

Les interviewer. Les montrer dans leur vie quotidienne. Découvrir

quels sont leurs aspirations et leurs désirs. Un expert peut

expliquer au public comment améliorer son sort, mais si le public

en question ne comprend pas, et ne se décide pas d'agir, rien

ne changera.

5) Renforcer le message de la télévision éducative par

des discussions organisées par des animateurs après l'écoute

collective d'une émission.

6) Se servir de la télévision pour former, informer et

coordonner le travail des instructeurs sur le terrain. Même

si on perd l'avantage de la réact:ion instantanée, il est quand

même moins cher de former les employés de cette façon que de

les amener tous à un endroit précis.

7) Instituer un organisme chargé de coordonner les commu-

nications à l'appui du développement de la télévis.ion, de la

radio et des petis médias. S'il s'agit d'un travail de trop

grande envergure, on peut diviser les tâches par secteur agri-

culture, santé etc.

8) Les ministères seraient bien avisés de former leur

propre personnel en techniques médiatiques, ou de s'assurer


195

que le ministère de !'Information et de la Culture et l'ESSTI

prennent les mesures pour former des spécialistes en éducation

médiatique.

9) Selon le niveau de collaboration entre les ministères

et la Télévision camerounaise par rapport à la capacité de produc-

tion, les ministères pourraient trouver avantage à se procurer

et à utiliser leur propre équipement d'enregistrement portatif.

Ceci leur permettrait une plus grande souplesse d'enregistrement.

Le montage pourrait être fait aux studios de la Télévision

camerounaise.

10) Si on ne dispose pas des ressources suffisantes pour

filmer autant qu'on le voudrait sur le terrain, on peut passer

en ondes des films éducatifs provenant d'organismes internationaux

ou de divers pays, suivis d'une discussion où on fait le lien

avec la situation au Cameroun.

11) Si une équipe de production arrive à peine à produire

une émission hebdomadaire, lui faire produire des émissions

bimensuelles, mensuelles ou simplement des émissions spéciales.

Il est plus sensé de répéter une émission bien faite plusieurs

fois, que de bâcler la production pour remplir l'horaire. On

peut commencer graduellement en produisant du matériel éducatif

à présenter lors des nouvelles ou des émissions d'affaires publiques,

sous forme d'anponce publicitaire, ou d'annonce d'intérêt général.


196

Notes

1. Jean-Vincent Tchienehom, "Les sciences de l'information


et la technologie des communications", Rapport à Monsieur
le Ministre de l' Information et de la Culture, Yaoundé,
1981, p. 18.

2. Ibid., p. 19

3. Jean-Vincent Tchienehom, "La télévision, pourquoi faire ?"


Yaoundé, 1985, non publié, p. 5

4. "Calendrier des émissions radiophoniques du ministère de


! 'Agriculture", ministère de !'Agriculture du Cameroun,
Yaoundé, 1985.

5. Patrjce ATeh NDe, "Evaluation de l'enquête radio en milieu


rural auprès des abonnés d' INADES-·Formatjon au nord Cameroun
en 1979", Yaoundé, 1985.

6. Tchienehom, "La télévision, pourquoi faire ?" op. cit.,


p. 6.

7. Hartzer, Desormeaux, Bordes, "Théorie et pratique du journalisme


de télévision", Yaoundé, 1984.
197

Conclusion :
oui à la télévision,
mais à quel prix ?
198

Tous les ingrédients nécessaires pour "réinventer" la télévision

et changer radicalement son orientation actuelle existent déjà

en Afrique. On peut compter sur des réalisateurs de télévision

et de cinéma talentueux; des réseaux de travailleurs sur le

terrain (agents agricoles, instituteurs et travailleurs sanitaires)

sont déjà à l'oeuvre; et les pauvres des villes et la population

rurale ont bien accueilli l'information sur le développement

dispensée en Côte-d'Ivoire et dans d'autres pays en partie par

des émissions éducatives et en partie par l'animation sur le

terrain.

Pour servir en tant qu'instrument pour le développement,

la télévision devra s'assortir d'une panoplie de nouvelles techniques

l'énergie solaire, les satellites, l'équipement magnétoscopique

portatif bon marché --, et se décentraliser.

L'animation sur le terrain, c'est-à-dire avoir un animateur

sur place pour expliquer ce qui passe à l'écran et répondre

aus questions, peut s'avérer le ciment nécessaire pour consolider

le message livré par la technologie. En fait, on peut avancer

que l'éducation extrascolaire télévisée ne réussit que si on

assure le lien entre les émissions et les travailleurs sur le

terrain détachés par les organismes visant le changement sociaJl.

Une population peut avancer sur la voie du progrès si on

lui présente des choix et qu'on l'encourage à s'ouvrir à de

nouvelles perspectives et à saisir de nouvelles occasions.

La télévision peut faire sa part en montrant de meilleurs soins

de santé, de nouvelles pratiques agricoles et d'autres moyens

d'atteindre une prospérité sociale et économique.


199

Mais pour ce faire, le potentiel de la télévision doit

être utilisé au maximum elle doit servir à communiquer des

idées et des points de vue variés, à faire une critique constructive,

à informer et à stimuler des débats, ou, en d'autres mots, à

favoriser un libre échange entre tous les intervenants dans

le processus de développement.

On a investi d'importantes sommes dans la construction

et l'exploitation de systêmes de diffusion dans presque tous

les pays africains. Mais avant de "réinventer" la télévision

pour qu'elle joue un rôle plus important dans la promotion du

développement, la volonté politique, dynamique et courageuse,

doit d'abord s'affirmer.

Il reste à voir dans quelle mesure les dirigeants politiques

sont prêts à faire du média la locomotive du changement et à

lui accorder la latitude voulue.

Dans les années soixante et soixante-dix, quand la majorité

des pays africains ont implanté leurs systèmes de télévision,

on ne pouvait pas prévoir la révolution technologique qui permettrait

de décentraliser les services de diffusion et des les rendre

accessibles à une grande partie de la population.

Maintenant, chaque région d'un pays peut disposer d'une

caméra de télévision à un seul objectif, facile à manipuler

et peu cofiteuse, dont la population peut se servir pour e~primer

â d'autres régions et au gouvernement son avis, ses besoins

en matiêre de développement et ses progrès.

Jean-Vincent Tchienehom, de Radio-Cameroun, pense que la

diffusion locale ou la télévision communautaire est plus prometteuse


200

que la diffusion centralisée â grande échelle pour la télêvision

en Afrique.

"Grâce â la miniaturisation et â la baisse des coûts


de l'êquipement, il est de plus en plus possible de
produire des êmissions maison sur demande. Dans un
pays comme le Cameroun, où règne une grande diversitê
culturelle et où les ressources humaines et matérielles
sont modestes, nous devons examiner d'autres possibilitês
que la télêvision centralisêe. Dans les annêes 1950,
c'était la seule technique disponible, mais maintenant,
nous pouvons voir ses lacunes."2

* * *

Un des obstacles majeurs au changement d'orientation de

la têlévision africaine en faveur de la communication pour le

dêveloppement, ce sont les communicateurs. Dans les pays étudiés,

la majoritê des auteurs, producteurs, rêalisateurs et journalistes

ont été formés â l'ouest ou utilisent la programmation occidentale

comme source d'inspiration. Parce que les communicateurs font

partie, en majorité, de l'élite urbaine instruite, leurs émissions

ont tendance â s'adresser â cette tranche de la sociêté.

Les auteurs de Broadcasting in the Third World pensent

que la première étape en vue d'axer davantage la télévision

vers le dêveloppement et de créer une têlévision vraiment africaine

consiste â expliquer aux communicateurs la notion de communication

pour le dêveloppement et â les exposer â la vie villageoise

rurale et aux bidons-villes3.

"Peut-être que le luxe d'immerger les réalisateurs


dans 11~ur propre culture et de former des groupes
créatifs de communicateurs, spécialistes et porteurs
de la tradition, qui planifieront un horaire et inventeront
des êmissions ensemble, permet le fragile espoir que
la télévision tienne sa promesse de contribuer â la
continuit(~ culturelle."4
201

Baya Sanda, le directeur général de la Nigeria Te levis ion

Authority à Ibadan, la première station africaine, convient

qu'on doit sensibiliser les réalisateurs aux besoins en dévelop-

pement, mais ajoute que l'échec de la télévision n'est pas l'entière

faute des communicateurs. Il pense que les objectifs de la

télévision n'ont jamais été bien définis en premier lieu. "PersoQne

ne nous a demandé de servir l'élite de la population. Aucune

stratégie n'a été prévue et la programmation n'a pas été coordonnée

avec d'autres efforts de développement. Les responsables doivent

décider des objectifs de la télévision, cerner les problèmes

et nous permettre de s'y attaquer."

* * *

Les deux mots les plus fréquemment entendus dans les discussions

sur l'utilisation de la télévision comme instrument de développement

sont "moyens" et "potentiel". L'opinion générale parmi les

fonctionnaires, les communicateurs et les donateurs d'aide inter-

nationaux est que l'heure de la télévision viendra sur le continent.

Mais dans l'état actuel des choses, la télévision comme appui

au d~veloppement est vue comme une ressource gaspillée; il reste

à voir à quel moment et dans quelle mesure les pays africains

disposeront des ressources nécessaires et du désir pour faire

de la télévision un média vraiment populaire.

Les donateurs d'aide internationaux vont continuer d'aider

à la formation de communicateurs et au financement de certaines

émissions et coproductions éducatives extrascolaires. Des


202

porte-parole des organismes contactés ont toutefois dit qu'on

ne pourrait compter bien longtemps encore sur eux.

Des organismes comme la Banque mondiale, l'UNESCO et l'UNICEF,

entre autres, ont beaucoup investi dans la télévision éducative

au cours des derniers vingt ans. Comme de nombreux projets

ont échoué, la plupart des organismes internationaux n'encouragent

plus la télévision, y préférant des médias moins coûteux pour

favoriser le développement.

Les sources étrangères ne sont sûrement pas prêtes, à l'heure

actuelle, à fournir l'aide financière massive qu'il faudrait

pour changer la télévision. Wilbur Schramm émet des réserves

importantes quant aux possibilités de jamais exploiter à fond

le potentiel de la télévision en Afrique

"On peut dire que la télévision n'a jamais été utilisée


à pleine capacité pour l'aide au développement économique.
On peut aussi dire qu'il ne sera peut-être jamais
financièrement possible de le faire non plus."5

* * *

La télévision est sans aucun doute un média puissant et

captivant. Elle attire facilement un auditoire. Un téléspectateur

n'a pas besoin de savoir lire et écrire pour comprendre un message.

Et il est beaucoup plus facile de réaliser une émission pour

la télévision que de faire un film. Comparativement à la radio,

la télévision est un média supérieur pour communiquer de l'infor-

mation. La télévision peut faire tout ce que fait la radio,

en mieux. Grâce à la juxtaposition du son et de l'image, la

têlévision peut communiquer un message qu'il serait difficile


203

de suivre à la radio6.

Pourquoi alors tant de professionnels du développement

et de spécialistes en communication boudent-ils la télévision

comme instrument de développement, lui préférant la radio et

de plus petits médias ? La réponse est simple la télévision,

malgré les sommes considérables qu'y ont englouties les gouvernements

africains, n'atteint encore que peu de gens et est coûteuse

à exploiter.

Même en Côte-d'Ivoire, où une tentative extraordinaire

a été faite pour couvrir le pays de signaux télévisés, seulement

12,4 % de la population de l'intérieur, d'après une étude de

l'UNICEF et du ministère de la Santé, disait être informée par

la télévision. L'étude, portant sur 331 répondants dans 48

villages disséminés dans le pays, a révélé que 65 % obtenaient

leurs renseignements sur le développement de la radio.

Le Zaire, comme de nombreux autres pays africains, fait

face à un grave dilemme. Le gouvernement consacre 90 % de son

budget de communication à payer la dette de la construction

du système de télévision et son exploitation, qui comprend une

part infime de programmation locale.

Un journaliste fait à ce sujet la remarque suivante "Il

existe une contradiction ici au Zaire. La télévision n'a pas

d'argent pour -réaliser des émissions sur le développement parce

qu'elle coûte cher. La radio coûte moins cher mais la télévision

accapare tout le budget. Le résultat, c'est que ni l'un ni

l'autre média ne peut faire beaucoup en matière d'éducation

pour le développement."
204

La radio fait figure de parent pauvre de la télévision

lorsqu'on compare les budgets. Racine Sy, l'ancien réalisateur

de la très populaire émission "Radio-Rurale", prétend qu'on

pourrait établir de petites stations de radio dans chaque ville

du Sénégal si la radio disposait du même budget que la télévision.

Il se plaint que la radio et la télévision sont censées être

développées ensemble, mais que la télévision a la priorité et

prend la part du lion du budget de l'Office de la radio-télévision

sénégalaise.

Même l'Eglise du Christ du Zaire, un organisme qui favorise

l'utilisation des petits médias comme instrument de développement,

consacre 30 % de son budget à des émjssions de télévision, campa-

rativement à 17 % pour la radio et 38 % pour des petits médias

comme les diaporamas, les affiches, les tableaux de conférence etc.

Toutefois, beaucoup de ceux qui critiquent la télévision

à cause de son coGt élevé et parce qu'elle n'atteint qu'une

petite partie de la population pensent que l'heure de la télévision

sonnera malgré ses problèmes.

Allan Kulakow de l 'Academy for Educational Development

à Washington, D. C., dans une étude sur la radio rurale dans

la région du Sahel, fut surpris de constater à quelle vitesse

l'influence de la télévision grandissait dans la région.

Il était clair pendant les visites que la télévision


joue un rôle de plus en plus important dans certains
pays, un rôle qu'on ne peut feindre d'ignorer sous
prétexte que la radio est un out i 1 de développement
plus pratique et plus réaliste [ ... ] On doit compter
avec la télévision, malgré ses problèmes, et sa croissance
sera favorisée par les gouvernements."7

La question que les gouvernements et les organismes inter-


205

nationaux doivent se poser est la suivante peut-on rendre

la télévision plus rentable pour justifier son existence dans

un avenir rapproché ? Tant qu'on n'améliore pas la capacité

de la télévision à communiquer des messages sur le développement

à un public plus vaste, en agrandissant la portée des signaux,

et par l'écoute collective combinée à l'animation sur le terrain,

la télévision restera un poids mort à la charge des trésors

publics. A l'heure actuelle de sa courte histoire, la télévision

africaine ne s'est pas avérée un éducateur efficace, et elle

accapare une grande partie des modestes budgets de communication.

Nous avons vu dans les pages précédentes que de nombreux autres

moyens de communication sont beaucoup plus efficaces et rentables

en tant qu'instruments de développement, comparés à la télévision.

Est-ce que les gouvernements devraient continuer à tout

investir dans la télévision, alors que d'autres médias sont

plus efficaces à une fraction du coût ? Assurément, il faut

tenir compte de la télévision. Mais à quel coût ?


206

Notes

1. K a t z , We d e 1 1 , P i t s w o r t h e t S h i n e r , Br o a d c a s t i n g i n t h e
Third World: Promise and Performance, Londres, ,1978, p. 224.

2. Jean-Vincent Tchienehom, "Les sciences de 1 'information


et la technologie des communications", Rapport à Monsieur
le Ministre de 1' Information et de la Culture, Cameroun,
(non publié), p. 7.

3. Katz et al., Broadcasting in the Third World, op. cit.,


p. 237.

4. Ibid., p. 206.

5. Wilbur Schramm, "Médias de masse et développement national",


cité dans Problèmes audiovisuels, n° 11, INA, Paris,
janvier-février 1983, p. 9.

6. Helo Perrett, Using Communication Support in Projects:


The World Bank's Experience, Washington, D.C., 1982.

7. Allan Kulakow, Rural Radio in the Sahel: A Survey of Six


Cou nt ries , Va 1 u me 1 : 0 ver vie w and Country Prof i les , Was hi n gt on ,
D.C., 1979.
207

Photographies
208

TELEVISEURS ALIMRNTES A L'ENERGIE SOLAIRE ET ECOUTE COLLECTIVE

Pour justifier l'investissement considérable que représente

la télévision dans les pays en développement, le média doit

desservir la vaste majorité de ]a populat:ion du continent qui

a le plus besoin d'information sur le développement: la population

rurale.

Le Niger et la Côte-d'Ivoire ont déployés d'immenses efforts

pour couvrir le pays de signaux télévisés, et ont placé dans

les villages des téléviseurs collectifs achetés et entretenus

par le gouvernement.

1. Des enfants à Libore Bangou Banda au Niger regardent

un téléviseur solaire noir et blanc placé dans une ancienne

boulangerie dans le centre du village. Le téléviseur est

entretenu par la Société nigérienne de télévision, qui

appartient en partie au gouvernement et en partie à des

intérêts privés.

2. Un technicien vérifie l'un des 450 panneaux solaires

qui seront placés dans des villages cette année. Jusqu'à

présent, 1 050 téléviseurs ont été installés dans des villages,

dont 800 sont alimentés à l'énergie solaire.

3. Un technicien répare la télévision d'un village.

La plupart des réparations sont faites sur place en remplaçant

l'élément defectueux amovible, et non pas en ramenant tout

l'appareil à l'atelier à Niamey.

4. Centre d'écoute collective construit par le chef du

village à Assisini, en Côte-d'Ivoire. Au Nigéria, le gouver-


209

nement militaire a lancé une campagne pour inciter les

citadins fortunés à mettre leurs ressources en commun pour

faire don d'une télévision et d'un centre d'éc-0ute collective

à leur village d'origine.

1
210

3
211

4
212

L'EDUCATION SCOLAIRE TELEVISEE : UN ECHEC

Des téléviseurs furent placés dans 70 % des écoles en

Côte-d'Ivoire dans le cadre de l'expérience éducative télévisuelle

la plus importante au monde. Mais dix ans après, les résultats

ont été très décevants. Les résultats des élèves scolarisés

par la télévision â des tests sont sensiblement inférieurs â

ceux d'élèves ordinaires. Le programme d'instruction télévisuelle

des enfants a été interrompu et est considéré un échec.

5. Toutefois, les télévisions placées dans les écoles

des villages, comme celle-ci, sont regardées par les adultes

le soir, qui écoutent les émissions d'éducation extrascolaire

sur le développement rural.

Le ministère du Développement rural a commencé â embaucher

des animateurs pour se rendre partout au pays et regarder les

émissions avec les villageois. Ils expliquent le message, répondent

aux questions et animent des discussions après l'émission.

Sans l'apport crucial des animateurs sur le terrain pour

stimuler la discussion qui mène â l'action, la télévision a

peu de chances de provoquer des changements.

L'une des raisons de l'échec de la télévision en Côte-d'Ivoire,

c'est l'absence de communication bidirectionnelle on ne peut

pas poser de questions â un téléviseur, et il ne voit pas si

on comprend le message on non.


213

5
214

L'une des télévisions les plus efficaces pour favoriser

le développement en Afrique se trouve dans l'un des plus pauvres

pays le Niger.

De nombreux pays africains, comme la Zambie et le Zaîre,

ont choisi de mettre sur pied des installations prestigieuses,

coOteuses et centralisées. En conséquence, il leur reste peu

de ressources pour produire beaucoup plus que des entrevues

en studio.

Par contre , l e N_i g e r a opté p on r de l ' é q u _i p e ment ma~! né t os c op i q 1u~

portatif, et tourne plus de la moitié de ses émissions en extérieur,

la plupart du temps dans des vj liages. Télé-Sahel a auss.i concentré

ses ressources sur l'éducation extrascolaire des jeunes et des

adultes,

6, Vo i c i un ex e mp l (~ cl e mo m (~ n t c apt _i va n t qu ' on pr é s ent e r a

dans le cadre du "Magazine de jeunesse" de Télé--Sahel.

Le s r é a l i s a t e li r s mé l an g c n t ùu d i v t~ r t _i s s e men t , t o li r né da n s

un centre pour jeu11es dans un quartier populaire de Niamey,

â des discussions entre des jeunes et des représentants

de la communauté au sujet des problèmes de la jeunesse.

7, La musique et la danse attirent des téléspectateurs

qui ne seraient sinon pas intéressés à la discussion.

8. La troisième imaf~t~ nous montre des paysannes de la

région d ' Ab id jan , en Côte -- d ' Ivoire , q 11 i font: une danse

tradit.ionnclle dans Jes studios de l<i télévision ivoirienne.


215
216

Malheureusement, la têlêvision ne tient pas compte

de la femme, maJgrê le rôle central qu'elle joue dans l'êconomie

rurale en Afrique, sauf pour des numêros de danse ou de chant,

ou une "êmission fêminine" occasionnelle sur la santê, les soins

des enfants ou les travaux domestiques.

En outre, on ne mentionne jamais les femmes dans les êmissions

sur le dêveloppement agricole, même si elles passent les deux

tiers de leur temps à travailler dans le secteur agricole et

qu'elles produisent prê8 de la moitiê de la nourriture consommée

sur le continent.
217

LA TELEVISION OU LA RADIO ?

La télévision a plus de potentialité que la radio. En

juxtaposant son et image, elle sert à communiquer des messages

qu'il serait difficile de suivre à la radio. Pourquoi alors

les donateurs d'aide internationaux préfèrent-ils favoriser

le développement de la radio plutôt que la télévision ? A cause

du coût et de la couverture du territoire.

Une statio de radio communautaire peut être installée dans

toutes les villes de 10 000 habitants ou plus moyennant le coût

de construction et d'exploitation d'une seule station de télévision

nationale. Une heure de télévision coûte 20 fois plus cher à

réaliser qu'une heure de radio; un téléviseur coûte 20 à 30

fois plus cher qu'un poste de radio.

En Côte-d'Ivoire, 80 % du pays est couvert par les signaux

de télévision, mais seulement 12,4 % de la population rurale

a dit dans un sondage récent qu'elle obtenait son information

de la télévision, par rapport à 65 % pour la radio.

9. Les radios, comme le montre cette photo prise au Zaire,

sont très portatives. On peut les écouter pendant qu'on

fait autre chose, comme des tâches ménagères ou des travaux

aux champs.
218

9
219
LE ROLE DES PETITS MEDIAS COMME APPUI AU DEVELOPPEMENT

Les films, les diaporamas, les films fixes, les tableaux

de feutre, les affiches, les T-shirts, les cartes, les tableaux

de conférence, les bandes dessinées et les vidéocassettes sont

des instruments puissants pour communiquer un message sur le

développement quand ils sont dans les mains des travailleurs

sur le terrain et des animateurs.

Si on les combine aux médias de masse -- la radio, la télévision

et, dans une moindre mesure, les journaux on augmente de

beaucoup les chances d'atteindre un plus vaste auditoire et

de réussir les changements sociaux et économiques.

Cette collaboration entre petit et grand média s'est avérée

le moyen le plus efficace de mobiliser les gens pour qu'ils

participent à leur propre développement.

10. On a montré aux membres du Comité de développement

du village de Kindamba dans le cadre du programme social

"Santé pour tous" à se servir d'une panoplie de petits

médias qu'ils utilisent pour présenter les possibilités

de développement au village.

11. Le Comité, à l'aide d'auxiliaires audiovisuels sur

les maladies transmises par l'eau et les avantages de l'accou-

chement en clinique, est à l'origine de la construction

12. d'un filtre sur la source d'eau du village et d'une clinique

dont le personnel se compose d'une infirmière et d'une

sage-femme.

Le Comité partage maintenant le même matériel avec d'autres

villages et présente ses succès.

13. La quatrième image nous montre une affiche à Kinshasa,

au Zaire, qui fait le rapport entre la malpropreté et la

malaria.
220

10
221

12
222

------------------------------------------------
LE COUT DES COMMUNICATIONS POUR LE DEVELOPPEMENT

Le réseau de communication par micro-ondes PANAFTEL, qui

relie certains de plus pauvres pays d'Afrique dans la région

du Sahel, est vu comme un éléphant blanc par de nombreux responsables

de l'aide canadienne, même si le Canada a beaucoup investj dans

sa construction.

Le système est loin d'être rentable et est souvent en panne

parce que certains pays ne peuvent se permettre le carburant

nécessaire au fonctionnement des générateurs des relais.

14. Le Niger a investi dans des relais du réseau PANAFTEL,

comme celui qu'on voit ici à Niamey, de même que dans des

stations de réception des signaux satellites et dans un

réseau de télévision couleur.

On pourrait avancer que si le pays n'avait pas consacré

tant d'argent à ces projets de communication prestigieux, il

n'aurait pas eu à réduire son réseau naissant d'animateurs ruraux

pour des raisons budgétaires, animateurs qui montraient des

films, des diaporamas et d'autres petits médias pour favoriser

le développement dans les villages.

Même s'ils sont moins prestigieux et plus discrets que

les grands médias, les petits médias sont beaucoup plus en mesure

de susciter le développement rural.


223

14

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