Scènes de La Vie Non Conjugale

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L'Obs (site web)

Samedi 14 août 2021


Scènes de la vie non conjugale : « Etre la maman, la putain et
l'infirmière... A titre personnel, je ne le supporte plus »
Renée Greusard

En cette fin juillet, Stéphane Rose passe dix jours à Praz-sur-Arly, en Haute-Savoie, seul. Le
matin, l'écrivain, chroniqueur et humoriste (RTL) se lève à l'aube pour marcher. L'après-midi, il lit,
regarde des séries et glande. Le soir, enfin, quand le soleil se couche, il se pose avec son « petit
journal » au restaurant. Où il dîne, toujours seul. Il y a bien des couples, des familles, et peut-être
même des enfants qui doivent le plaindre : « Pauvre homme qui mange sans personne à ses
côtés... » Stéphane Rose le sait. Et cela le fait rire aux éclats. Il repense à Jean-Pierre Coffe qui,
dans son restaurant, offrait des repas aux clients solitaires. « Parce que c'est trop triste d'être seul,
rit-il encore avant d'ajouter : Bah non, en fait, c'est trop cool ! » A 48 ans, ce jovial barbu
misanthrope, qui dit aimer les gens « à petite dose », s'est organisé une vie amoureuse à temps
partiel. Il a « une copine principale » qu'il retrouvera après son séjour en montagne pour une
semaine de vacances avant de la quitter à nouveau pour le reste du mois. Tous deux sont heureux
de ce mode de vie. C'est simple, doux et sain, selon ce Parisien qui fabrique, depuis près de dix
ans, sa propre révolution amoureuse. C'est à ses 40 ans que l'écrivain a eu besoin d'un
changement : « La musique de l'amour ne marchait plus pour moi. Je me suis dit : "Allez, on arrête
et on essaye autre chose." Et plus j'ai pris de libertés, moins j'ai eu peur d'en prendre. » Son
objectif : apprendre à se réaliser seul et à ne plus tout attendre de ses partenaires.

A partir de cette expérience, Stéphane Rose a publié en septembre dernier « En finir avec le
couple » (La Musardine), un drôle de manifeste qui prône des solutions amoureuses « sur mesure
». Un livre qui est arrivé par hasard, à un moment où le ras-le-bol conjugal commençait aussi à
bruisser dans les milieux féministes.

Depuis quelques mois, il se dit par différents canaux militants qu'il faut en finir avec le couple tel
que nous le connaissons. Cependant, il n'est pas ici question de misanthropie, mais d'une inégalité
structurelle qui fait du couple un piège pour les femmes. En septembre, l'essayiste Mona Chollet
publiera « Réinventer l'amour » (La Découverte). Sous-titre : « Comment le patriarcat sabote les
relations hétérosexuelles ». Ce printemps, France-Culture a diffusé « (Sur) vivre sans sexe », une
série documentaire sur l'abstinence sexuelle heureuse signée par la réalisatrice Ovidie. Lauréate
du dernier prix Médicis (pour « le Coeur synthétique », publié au Seuil), Chloé Delaume écrit en ce
moment sur le rejet du couple. A « l'Obs », elle raconte : « Je me suis mariée, j'ai été pacsée, j'ai
eu des relations avec plein d'hommes et j'en arrive à la conclusion que je n'ai plus envie de vivre
avec un homme. Pas uniquement pour la question sexuelle, mais pour toutes les autres charges
qui incombent à la femme dans le cadre d'une relation hétérosexuelle. [...] La psyché masculine,
construction sociale héritée de siècles de patriarcat, fait qu'on est toujours dans la position de
devoir être à la fois la maman, la putain et l'infirmière. A titre personnel, je ne le supporte plus. »

Et voilà comment, dans le sillage de #MeToo, l'idéal romantique de la vie à deux, ou, selon
certaines féministes, le dernier boulon de l'édifice patriarcal, semble s'évanouir. Fini les princesses
endormies qui attendent le baiser libérateur (non consenti), le mariage et la charge mentale.
Bienvenue au sur-mesure et à l'insoumission romantique. « Il n'y aura pas de réinvention de
l'amour sans égalité salariale. Quand les femmes seront indépendantes financièrement, elles
n'iront plus contre leur désir profond de s'en aller. » Et ce jour-là, c'est peut-être les couples
traditionnels qu'on regardera de travers au restaurant.

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