L'agilite Organisationnelle Un Nouveau Defi Pour La GRH
L'agilite Organisationnelle Un Nouveau Defi Pour La GRH
L'agilite Organisationnelle Un Nouveau Defi Pour La GRH
Audrey CHARBONNIER
LIRHE CNRS & IAE Université Toulouse I
Place Anatole France
31042 TOULOUSE CEDEX
[email protected]
Résumé :
1
XVIIe Congrès de l’AGRH – Le travail au cœur de la GRH
IAE de Lille et Reims Management School, 16 et 17 novembre 2006, Reims
Les changements continuels se produisant sur les marchés, les technologies, dans les
rapports d'affaires obligent les organisations à réinterroger leurs modes de fonctionnement
afin de maintenir ou obtenir une position de leadership. Face aux défis actuels, les sources
d’un avantage concurrentiel durable ne résident plus seulement dans l’accès à d’importantes
ressources financières ou à des technologies de pointe, mais également dans les individus et
les processus capables de satisfaire les clients et d’innover rapidement [Wright et al., 1994].
Dans ce contexte, le modèle de l’entreprise agile est présenté comme une solution permettant
de faire face à des marchés volatils, à une concurrence globale et turbulente et à de continuels
progrès techniques [Goldman et al., 1995 ; Ulrich, 1996]. Il offre une combinaison de
capacités de flexibilité distinctives difficilement imitables par les concurrents, qui permettent
à l’organisation de réagir à tous les défis et saisir les meilleures opportunités se présentant sur
les marchés.
Dans ce modèle, les ressources humaines sont présentées comme un levier majeur
[Amos, 2000 ; Dyer et Shafer, 1998, 2003 ; Shafer, 1997 ; Shafer et al., 2001]. Ce sont en
effet les compétences et comportements des collaborateurs qui déterminent grandement la
réussite d’une stratégie agile. Cette dernière nécessite de mettre en œuvre des pratiques
ressources humaines renouvelées au profit des équipes et des individus.
Dans ces perspectives, ce papier a pour objectif de présenter le modèle théorique de
l’entreprise agile et de tester la solidité de ses propositions au travers de l’analyse d’une série
de 21 entretiens qualitatifs menés auprès de dirigeants et responsables des ressources
humaines d’entreprises françaises de tailles et de secteurs d’activité différents.
Nos observations permettront d’éclairer l’évolution des structures et des conditions de travail
ainsi que des outils utilisés pour mener ces transformations. Elles viseront également à
enrichir la compréhension des interactions entre les évolutions des contextes externes et
internes aux organisations et les pratiques de gestion des ressources humaines. Il s’agira
notamment de mieux comprendre la manière dont la fonction RH contribue et intègre ces
évolutions.
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efficaces sans pour autant procéder à des changements intenses et déstabilisants. Cette
capacité de reconfiguration s’entend comme la possibilité d’une part, de réagir rapidement
aux distorsions générées par l’environnement externe (concurrents, clients, Etat, etc.), et
d’autre part, comme l’aptitude d’exploiter les avantages du changement [Kidd, 1994] en
saisissant des opportunités nouvelles ou en provoquant des « ruptures » par le biais de
l’innovation [Prahalad et Hamel, 1990 ; Yusuf et al., 1999 ; Breu et al., 2001, Dyer et Shafer,
2003].
Suite à la présentation de ce rapport [Goldman et al., 1991], le forum de l’entreprise
agile, l’AMEF1 fut créé en 1992 afin de développer et disséminer cette vision originale à
travers l’industrie des Etats Unis.
En pratique, cette conception a été adoptée dès le milieu des années 1990 par les plus grandes
entreprises américaines. Microsoft en constitue un exemple emblématique. Depuis les années
2000, la société diffuse largement son slogan publicitaire d’ « entreprise agile » et l’ensemble
des discours est orienté vers l’adoption de ce modèle, tant pour eux que pour leurs clients. A
ce titre, le Président Directeur Général Microsoft France, Christophe Aulnette, dans une
interview datant du 15 février 2002, tient ces propos : « dans un environnement en perpétuel
changement, [les entreprises] les mieux armées seront celles qui auront su se remettre en
cause, développer leur agilité pour réagir à tous les challenges et saisir toutes les
opportunités se présentant sur leurs marchés »…« Les entreprises agiles ont une vision et une
organisation d'avance »2. Diverses grandes entreprises, essentiellement dans les secteurs de
l’informatique et de la téléphonie (IBM, Motorola) s’appuient également sur ce modèle pour
développer leur compétitivité [Dyer et Shafer, 1998], et plusieurs sociétés de conseil
proposent à leurs clients des solutions susceptibles d’améliorer leur agilité, en particulier dans
le domaine des systèmes d’informations.
1
Agile Manufacturing Enterprise Forum
2
Extraits recueillis sur le site Internet de Microsoft.
3
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Nagi, 2000]. Cette capacité de veille inclut également l’analyse des développements en
matière technologique, démographique, des évolutions des styles de vie ou des politiques
publiques [Shafer,1997].
La seconde dimension « mobiliser une réponse rapide » définit la capacité de
l’organisation agile de rapidement transformer les informations collectées en décisions
actionnables, en particulier grâce à une culture propice au changement et à la mobilité de ses
ressources (financières, physiques, humaines, et intangibles). Cette dimension réfère à la
volonté de l’entreprise agile de chercher à maîtriser le changement et l’incertitude, non
seulement en développant sa réactivité vis-à-vis du marché, mais également en adoptant une
posture proactive, en particulier par le biais de l’innovation.
La dernière dimension révèle une capacité d’apprentissage organisationnel continu
résultant et concourrant aux deux premières dimensions. Cet apprentissage doit non seulement
être adaptatif, mais également génératif, pour étendre les capacités à créer, à évaluer les
opportunités de changement et à expérimenter des approches différentes pour faire face à des
situations complexes [Dyer et Shafer, 1998].
Ces trois compétences organisationnelles inter reliées sont développées au travers d’un
ensemble de leviers fondamentaux organisés en forme de gyroscope (Figure 1) [Shafer, 1997 ;
Dyer et Shafer, 1998 ; Amos, 2000].
Structure
reconfigurable :
Design adaptable
Vision
partagée
Processus Technologie
reconfigurables : reconfigurable :
Faible routinisation Critères Fluidité de l’information
communs de Valeurs
performance partagées
Ressources
humaines agiles :
Compétences et
comportements
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Concernant les caractéristiques de ces leviers mobiles, selon Goldman et al. [1995], les
attributs essentiels de l’entreprise agile sont les suivants :
- L’agilité organisationnelle suppose de mettre en place des processus focalisés sur la
satisfaction du client et en particulier sur ses perceptions de la valeur de la solution proposée.
- Au niveau de la conception des produits et services, les auteurs insistent sur
l’importance de créer des équipes transversales et de mettre en œuvre l’ingénierie simultanée
afin de confronter au plus tôt les objectifs, intérêts et contraintes de chaque fonction, pour
réduire les délais et coûts de conception et favoriser la créativité.
- Au niveau de la production, les produits et services doivent être fabriqués rapidement
et de manière flexible selon les commandes clients, afin de faire face à la volatilité de la
demande et aux difficultés de prévision. La reconfigurabilité des processus et des
technologies, par exemple, avec l’usage de technologies de CFAO, ou l’utilisation du
potentiel offert par les NTIC permet de réduire les coûts et délais de conception et de
fabrication.
- Au niveau de l’organisation dans son ensemble, l’entreprise doit être capable
d’ajuster les nouvelles capacités productives avec les ressources nécessaires, à savoir
l’expertise des individus et les moyens physiques existants à l’intérieur de l’entreprise ou
entre entités distinctes. En effet, le développement de l’entreprise agile repose également sur
le synergisme issu de la coopération externe [Goldman et al., 1995 ; Sharp et al., 1999 ;
Sanchez et Nagi, 2001] car l’exploitation de certaines opportunités ou l’accès à certains
marchés nécessitent des combinaisons de ressources et d’expertise hors d’atteinte d’une seule
compagnie [Goldman et al., 1991].
Le quatrième levier reconfigurable est représenté par les ressources humaines [Amos,
2000, Dyer et Shafer, 1998 ; Shafer, 1997]. Les salariés constituent en effet un levier essentiel
pour réaliser les trois compétences organisationnelles précitées (lecture du marché – réponse
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passera également par une communication réussie sur la nécessité du changement, un état
clair de ses besoins, et sur son déroulement [Gratton, 1999].
P3 : La fonction RH participe au développement de l’agilité organisationnelle en
facilitant la compréhension par les salariés du contexte organisationnel et environnemental
dans lequel ils agissent (communication, partage des informations et connaissances,
soutien et accompagnement au changement, etc.)
Néanmoins, bien que les contributions de plusieurs chercheurs [Amos, 2000 ; Dyer et
Shafer, 1998, 2003 ; Goldman et al., 1991, 1995 ; Shafer, 1997 ; Shafer et al.,2001]
participent à enrichir les connaissances théoriques du rôle de la fonction RH dans la recherche
d’agilité, la rareté des études empiriques3 empêche d’attester la solidité de ces propositions.
La volonté de tester leurs possibilités de mise en œuvre réelles nous a donc conduit à réaliser
des analyses complémentaires par le biais d’une étude exploratoire qualitative menée sur le
fonctionnement de 21 entreprises.
2. L’étude qualitative
2. 1 Méthodologie de la recherche
La méthodologie choisie repose sur une démarche qualitative destinée à clarifier le
construit théorique de l’agilité organisationnelle, en particulier quant à sa dimension humaine,
en confrontant son contenu aux évolutions auxquelles font face les organisations
contemporaines ainsi que les pratiques et outils qui sont mis en œuvre pour conduire et
accompagner le changement.
Les données qualitatives ont été collectées grâce à une série de 21 entretiens semi
directifs menés auprès de responsables ou d’adjoints RH, et de dirigeants d’entreprises ou de
business unit de la région Midi Pyrénées tournées vers l’innovation. Afin de cerner les
similarités et les différences de fonctionnement organisationnel, nous avons sélectionné des
sociétés de tailles différentes (start-up, PME/PMI, multinationales) intervenant dans des
secteurs d’activité divers (automobile, informatique, électronique, mécanique, téléphonie,
aéronautique), et exerçant des activités de conception, de service aux entreprises et/ou de
production.
Les entretiens ont été conduits à l’aide d’un guide d’entretien, essentiellement élaboré
à partir des apports de Goldman et al. [1991, 1995] et de l’AMEF. Ce dernier contient quatre
thèmes :
3
Seulement deux études empiriques, menées par Shafer [1997] sont consacrées à la dimension humaine de
l’entreprise agile.
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2.2 Les observations issues de l’étude qualitative : le cas du thème « valorisation des
ressources humaines »
L’agilité organisationnelle est réalisée par le biais de différents leviers, en particulier,
de pratiques RH spécifiquement articulées [Dyer et Shafer, 1998, 2003 ; Shafer, 1997 ; Shafer
et al., 2001] qui doivent permettre aux individus de développer les compétences et
comportements adéquats pour faire face à la complexité des situations de travail. Dans cette
optique, et conformément aux propositions théoriques qui ont été énoncées, les observations
issues des entretiens sont orientées vers l’enrichissement de notre connaissance sur les
pratiques et outils RH mis en œuvre dans les organisations empruntant la voie de l’agilité4.
4
Sur les 21 entreprises ayant participé à l’étude qualitative, 14 organisations sont identifiées comme évoluant
moyennement à fortement vers un modèle d’organisation agile (elles avaient été présélectionnées selon cette
hypothèse), 4 ont récemment pris conscience de l’importance de développer des pratiques correspondant à une
stratégie plus « agile », et 3 entreprises de production sont identifiées comme « non agiles ». Cette conclusion
tient à l’analyse de leur mode de fonctionnement au travers des quatre thèmes du guide d’entretien, et à leur
comparaison aux exigences du modèle théorique. Les entreprises retenues ont par exemple adopté une forte
réactivité vis-à-vis du marché, couplée à un comportement proactif reposant sur l’innovation et l’anticipation, la
recherche de création de valeur pour leurs clients, la constitution de partenariats et réseaux leur permettant d’être
plus compétitives et de saisir des opportunités de marchés.
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Les répondants s’accordent à dire que les salariés de tous les niveaux hiérarchiques ont
gagné en autonomie ces dernières années, afin de mieux faire face à la complexité des
situations de travail. M.E.5 explique : « comme on ne peut pas tout contrôler au niveau le plus
haut de la hiérarchie, il faut que les gens à leurs niveaux, soient capables de prendre des
décisions ». C’est pourquoi « on est en train de faire descendre le point de décision le plus
bas possible, en tout cas d’un point de vue logistique ».
Certains considèrent l’empowerment comme un élément central de la culture de leur
société « c’est vraiment la philosophie de l’entreprise d’essayer de donner des responsabilités
aux gens » (D.F.). Il s’agit généralement d’entités de petites tailles, orientées vers des activités
de conception et de services aux entreprises. D.S. explique : « ce qu’on attend de chacun de
nos ingénieurs, c’est effectivement d’apporter un service à nos clients, et de le faire en toute
autonomie ». Selon F.P., « on doit avoir l’autonomie nécessaire pour prendre les décisions
qui s’imposent chez le client, réajustements, pilotage (…). C’est là que se mesure
effectivement le niveau de compétences d’une personne quant à sa capacité à prendre cette
autonomie ou pas ». Néanmoins, « plus les gens occupent des niveaux élevés dans la
hiérarchie, plus leur niveau d’autonomie est grand » (C.C.), et ce degré d’autonomie dépend
évidement de l’autonomie personnelle de chaque salarié : « on essaie à ce que les gens soient
réellement autonomes mais cela dépend de leur autonomie personnelle puisque y en a qui
viendront vous voir tous les deux matins, et à ce moment on est là pour eux, et d’autres qui
vous remettrons le projet terminé sans que nous ayons à intervenir réellement » (S.M.).
Ce sont dans les entreprises de production et de fabrication où l’on rencontre les disparités les
plus fortes. Si certaines, identifiées comme « non agiles », conservent un mode de
fonctionnement taylorien dans lesquelles les opérateurs « travaillent à la chaîne. Ils doivent
monter ce qui arrive, donc, ils n’ont pas spécialement d’autonomie » (C.T.), d’autres ont opté
pour des pratiques de responsabilisation des salariés dans un souci de motivation et
d’efficacité. Cela peut passer par la constitution d’« une structure d’équipes autonomes, (qui)
a joué beaucoup pour la responsabilisation des salariés » (L.B.). F.L. explique pour sa part
que « les compagnons d’X ont la qualification de monteur-essayeur, et ça, c’est quelque
chose de très responsabilisant », « il y a vraiment une liberté pour nos salariés, de gérer leur
travail (…) de gérer leurs missions, d’être responsabilisé sur l’ensemble de l’intervention ».
Les salariés sont également souvent impliqués dans le processus de décision
opérationnel via la constitution de groupes de travail, de groupes d’amélioration et de
résolution de problèmes, et par la mise en place d’outils organisant l’écoute des salariés et la
remontée des informations (réunions, séminaires, enquêtes). Selon C.C. : « sur ce qui les
concerne au quotidien, ils sont forcement impliqués, et puis après, sur des choses qui sont
d’ordre plus stratégique, mais dans lesquelles ils ont un impact au quotidien, ils participent ».
Le degré de participation des salariés au processus décisionnel dépend néanmoins de leur
niveau de qualification. « Il y a les gens qui ont un vrai savoir-faire technique, et ceux là,
effectivement, ils sont mis à contribution régulièrement. Et puis, il y a une autre tranche
d’opérateurs aujourd’hui qui ont un rôle très passif. Qui aujourd’hui, font ce qu’on leur dit
de faire (…). Après, il faut les intégrer à la vie de l’entreprise à leur niveau par rapport à des
choses simples de respect des délais ou de réactivité, mais, ça va être difficile de les impliquer
à un niveau de décision parce qu’ils n’ont pas la compétence adéquate pour ça. » (M.E.).
5
Seules les initiales des répondants apparaissent afin de respecter leur anonymat.
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La participation des salariés au processus décisionnel parait importante dans la mesure où ces
derniers sont vus comme « un réseau participatif de veille (…) ils sont là pour capitaliser,
collecter l’information et la faire remonter » (E.T.). C.T. « considère que pour s’améliorer, il
faut que les collaborateurs participent à l’amélioration de leurs conditions de travail (…).
C’est eux qui voient là où il peut y avoir des problèmes et où ils peuvent l’améliorer ».
Il est également intéressant de noter que quatre entreprises accordent la possibilité à leurs
salariés de s’exprimer sur certaines orientations stratégiques, par exemple par le biais d’une
« participation de l’équipe à l’identification des axes de développement (du pôle) » (F.P.). La
société de F.L. pratique « un management assez participatif. On fait participer un petit peu
tout le monde aux décisions de l’entreprise. On est une entreprise qui marche bien et
aujourd’hui on avance vers où veulent aller les gens ». Cette position reste néanmoins
exceptionnelle dans la mesure où la prise de décision stratégique appartient généralement au
seul comité de direction.
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Le travail d’équipe est aujourd’hui considéré comme une nécessité face aux impératifs
de réactivité et de créativité. « C’est nécessaire de faire travailler les gens en équipes (…).
Quand vous devez mettre un produit sur le marché, les intervenants ça va de la recherche en
passant par le développement, le marketing, la production. Si les gens ne savent pas travailler
ensemble, on ne sort pas le produit » (M.K.).
En principe, l’organisation est structurée pour faciliter le travail d’équipe : « La coopération
est vraiment quelque chose qui est encouragée par la direction du groupe et c’est surtout vrai
à travers un certain nombre de séminaires, d’actions, d’échange (…) on utilise beaucoup les
réseaux en ligne, etc. » (S. G.).
Néanmoins, sept répondants avouent que malgré un fonctionnement qui encourage le travail
coopératif, certains problèmes de cloisonnement persistent compte tenu de l’existence
d’intérêts divergents ou d’incompréhensions entre unités ou fonctions différentes: « Je crois
que tout est pensé dans X pour essayer de créer cette synergie. Mais néanmoins, au jour le
jour, il y a quand même les difficultés inhérentes à un grand groupe qui font que si vous
travaillez sur un très grand projet où interviennent plusieurs divisions, chaque division réagit
par rapport à ses objectifs, donc y a pas forcément coopération très active » (P.B.).
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Afin de mobiliser les salariés vers la réalisation des objectifs communs, l’organisation
doit faire en sorte qu’ils aient conscience de leurs contributions à la performance globale, et
que ces dernières soient reconnues par l’organisation. Dans cette optique, treize entreprises de
l’échantillon ont adopté un système de management par objectifs : « Par rapport aux objectifs
globaux de l’organisation, les objectifs des départements, etc., tout est décliné jusqu’au
niveau individuel. Ca permet quand même de mesurer la contribution de chacun au résultat
attendu » (M.K.). Des mécanismes de feed-back et de reporting sont généralement mis en
place pour identifier ces contributions.
Concernant la reconnaissance des contributions collectives à la performance
organisationnelle, sept entreprises de l’échantillon ont mis en place « la participation et
l’intéressement (…) qui permet aux gens, sur des critères présélectionnés, de partager un
certain niveau de profit » (F.L.). Seize entreprises lient directement une partie de la
rémunération à l’atteinte des objectifs, ou aux contributions individuelles par des systèmes de
primes, de bonus, ou de parts variables. Néanmoins, le plus souvent, ces dispositifs ne sont
pas généralisés à l’ensemble du personnel, et ne concernent que les populations de managers
ou de commerciaux.
Une reconnaissance non monétaire est également organisée par le biais de promotions, ou
d’avantages concédés aux salariés : « On a des petits outils (remise de trophées, attribution de
places pour des événements sportifs), qui permettent de montrer, que le salarié, il s’est un peu
défoncé quelque part, et qu’il a fait quelque chose de bien » (M.D.).
Nos observations font cependant apparaître un défi majeur pour la plupart des entreprises
interrogées : la mise en place d’un système de gestion de la performance capable d’équilibrer
la tendance à l’individualisation dans la fixation des objectifs, les évaluations et les
rétributions, dans une réflexion plus globale qui intègre le travail en équipes et les efforts
collectifs.
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Compte tenu de l’ensemble de ces évolutions, les rôles des managers évoluent
nettement. Si les rôles de commandement, de supervision et de contrôle font toujours partie de
la mission des supérieurs hiérarchiques, en particulier dans les entreprises de production, ils
doivent dorénavant « faire tout ce qui est nécessaire, (on leur apporte un support par
ailleurs), pour que la délégation puisse fonctionner correctement » (B.D.). Ainsi le manager «
va avoir le rôle d’animer son équipe » (B.D.), « de soutenir l’équipe, (…) de les assister aussi
bien dans le pilotage de projets que dans les outils, méthodes, et la façon de répondre à une
demande » (F. P.).
Ils « montent en puissance de manière très nette, et ils règlent de plus en plus de problèmes »
(L.B.), de telle sorte qu’ils sont parfois considérés comme de véritables gestionnaires RH de
proximité : « on essaie de plus en plus de responsabiliser les managers et de leur transférer
du « savoir RH »» (M.K.). « On a mis en place comme dans tout le groupe X, ce qu’on
appelle manager 1er RH. 80% de la relation salarié/RH se fait au travers du manager de
proximité, le n+1 », « Alors le manager, on lui dit, sur tout ce qui est RH de proximité, il doit
être un peu comme le coach sportif. Il doit être là pour tirer vers le haut toute sa population.
Il évalue, il fait le plan de formation, il s’occupe du développement des compétences. Il gère
un plan de charges donc il affecte les ressources là où il faut qu’elles soient, il gère le temps
de travail. Voilà essentiellement les missions qu’on lui confie. Plus une veille sociale au
niveau du climat social » (M.D.).
Néanmoins, les questions de stress au travail issues de ces responsabilités multiples
ainsi que les actions à mettre en œuvre pour préparer les supérieurs hiérarchiques à l’exercice
de ces nouveaux rôles sont à l’origine de nombreuses tensions et interrogations pour plusieurs
entreprises de l’échantillon.
Conclusion
Les observations issues de l’enquête qualitative permettent de mieux appréhender les
enjeux auxquels font face un certain nombre d’entreprises et les réponses qu’elles sont en
mesure d’y apporter, en particulier sur le plan humain. Nos analyses supportent en partie le
postulat selon lequel le modèle de l’entreprise agile offre des pratiques et outils adéquats pour
prospérer dans un environnement complexe et dynamique. Les principes d’organisation
préconisés par le modèle paraissent effectivement pouvoir répondre à plusieurs défis
rencontrés par certaines entreprises de l’échantillon. A ce titre, le renouvellement des
pratiques RH semble constituer un levier important pour la réussite des démarches
d’adaptation et de maîtrise du changement. Ce renouvellement prend notamment la forme
d'une gestion plus responsabilisante et plus participative qui mobilise l’énergie, la créativité,
et l’esprit coopératif vers les nouveaux défis concurrentiels. Conformément aux propositions
énoncées, la fonction RH semble pouvoir contribuer au développement de l’agilité
organisationnelle, en fournissant un large soutien aux membres de l’organisation (managérial,
matériel, informationnel, en terme de développement de compétences et des capacités
d’apprentissage et de prise de décision.).
Néanmoins, conformément à l’approche évolutionniste du changement [Nelson et
Winter, 1982], il apparaît que les formes organisationnelles évoluent progressivement sans
disparition totale des configurations passées. Les formes d’organisation qui apparaissent
comme « nouvelles » s’enracinent souvent dans des expériences antérieures de telle sorte
qu’il y a cohabitation entre « forme ancienne » et « nouvelle » beaucoup plus que passage de
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l’une à l’autre [Livian, 2001, p. 172]. Shafer, dans son étude de cas sur l’agilité [1997]
souligne en effet que dans les organisations étudiées, l’ancien état continu souvent d’exister.
Le modèle de l’entreprise agile apporte certes de nouvelles avancées et propositions pour faire
face aux conditions environnementales contemporaines, mais certaines sont retenues, d’autres
écartées en fonction des jugements que chaque direction porte sur l’efficacité des
configurations proposées et de son expérience passée. Ainsi assiste t-on à des juxtapositions
ou à des superpositions de structures, de systèmes de coordination et de contrôle, de décision,
et de conception du travail individuel à l’intérieur d’une même organisation [Roussel, 2006],
qui font qu’un même ensemble organisationnel peut présenter des traits caractéristiques de
plusieurs configurations ou comprendre des entités ayant un fonctionnement différent [Nizet
et Pichault, 2001].
Nos observations, conformément à l’étude empirique de Shafer [1997], ne permettent pas de
reporter un seul exemple d’organisation totalement agile. De nombreuses entreprises tentent
de mettre en œuvre une variété de changements selon les principes clés du modèle de manière
à réduire les cycles de temps et accroître leurs capacités d’innovation, mais l’agilité n’est pas
adoptée à tous les niveaux de l’entreprise. Certaines unités, telles que les pôles de conception
ou de recherche et développement, tendent effectivement à évoluer vers ce modèle
d’entreprise agile tandis que d’autres unités, au sein de ces mêmes organisations, à la
recherche de gains de productivité, continuent d’adopter des modèles rationnels (modèles
taylorien, japonais, hybride). C’est souvent le cas des unités de production et de fabrication ou
de certains métiers en contact direct avec le client (centres d’appels, restauration rapide,
grande distribution, etc.) qui font encore souvent appel à une main d’œuvre relativement peu
qualifiée et peu responsabilisée [Roussel et Charbonnier, 2006] qui ne bénéficie pas des
mêmes pratiques RH.
A ce titre, le modèle de l’entreprise agile peut être analysé comme un idéal type au
sens de Weber [1965], c'est-à-dire une forme théorique pure que le chercheur élabore à partir
d’une extrapolation des tendances les plus significatives existant dans la réalité, pour ensuite
s’en servir comme un instrument d’investigation par rapport auquel il est possible de mesurer
les écarts de cette même réalité.
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Bibliographie
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16
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IAE de Lille et Reims Management School, 16 et 17 novembre 2006, Reims
Yusuf Y.Y., Sarhadi M., Gunasekaran A. (1999), « Agile manufacturing, The drivers,
concepts and attributes », International Journal of Production Economics, n°62, p. 33-43.
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