Jean-Paul Sartre (1905-1980)
L'écrivain engagé par excellence critique âprement la bourgeoisie d'où il est issu et forge son
propre destin avec des livres qui modernisent la philosophie du XXe siècle en l'abaissant au niveau
de la vie quotidienne.
Jean-Paul est élevé par ses grands-parents maternels à la mort de son père. Élève indiscipliné, il
est expulsé d'un grand lycée parisien et poursuit ses études à La Rochelle après le remariage de sa
mère. Il s'inscrit à l'École normale supérieure. Il enseigne philosophie dans différents lycées
jusqu'en 1945, mais rejette les tendances spiritualistes et positivistes de la pensée française dès
1933-1934, lorsqu'il s'initie à Berlin à la phénoménologie de Husserl et assiste à la prise de pouvoir
nazie. De retour en France, il s'intéresse aux structures psychologiques et applique une nouvelle
philosophie de l'existence au roman La Nausée. Après avoir été fait prisonnier pendant la guerre, il
écrit son œuvre philosophique, L'Être et le Néant et le drame Les Mouches.
Il adhère au marxisme à partir de 1952, approuve le parti communiste, mais puis le désavoue lors
de l'invasion soviétique de la Hongrie (1956).
Après 1945, la littérature est éclipsée par la politique : il abandonne le roman mais il rédige encore
des pièces de théâtre, qui a un impact plus immédiat sur le public. Il refuse le prix Nobel de
littérature car il voulait lutter pour rapprocher la culture occidentale et la culture orientale.
Les événements de 1968 marquent une nouvelle conversion. Il récuse le jeu des grands partis
politiques et il se consacre à la critique littéraire, qu'il pratiquait déjà durant la période
existentialiste.
Quasiment aveugle à partir de 1974, il donne des conférences de presse, des interviews, des livres-
dialogues avec les contestataires ; il lance des journaux, dont Libération.
Avant de mourir en avril 1980, il définit son œuvre inclassable et son œuvre comme une œuvre
littéraire qui a un sens philosophique.
Le maître à penser
Le premier roman de Sartre, La Nausée, impressionne des jeunes que la montée des fascismes
puis l'Occupation inquiètent et désorientent. Mais ce n'est que quelques années plus tard que
Sartre devient un maître à penser capable d'influencer la culture de l'après-guerre.
Il écrit pièces de théâtre, essais, romans, et il s'interroge sur l'existence même de la littérature
dans L'Être et le Néant, dans certaines pages de la Critique de la raison dialectique et dans l'article
du 1947, « Qu'est-ce que la littérature ? ».
Sartre se pose trois grandes questions : qu'est-ce qu'écrire ? Pourquoi écrire ? Pour qui écrit-on ?
Selon lui, écrire est une manière d'agir, une action par dévoilement car un écrivain doit être le
témoin de son temps et délivrer un message à ses contemporains, il participe à la vie politique par
ses écrits. La littérature a donc une fonction sociale et Sartre ne se soucie nullement du style, des
questions de forme ou d'élégance.
Le critique littéraire
Engagement signifie des essais de toutes sortes qui sont recueillis dans les dix volumes de
Situations. Il se penche sur des personnalités exemplaires. Baudelaire va au-delà d'une simple
biographie pour se faire « psychanalyse existentielle ». Saint Genet, comédien et martyr était une
courte préface aux œuvres d'un dramaturge méconnu, qui bouleverse les formes de l'explication
de textes, place l'homme au sein de la société, en situation, selon l'existentialiste. Vient ensuite
L'Idiot de la famille, une entreprise philosophique inachevée, sur laquelle Sartre a travaillé en
faisant appel à la critique marxiste et à la psychanalyse. C'est, écrit-il, « une anthropologie
nouvelle qui rend compte de l'homme - d'un homme - dans sa totalité ».
Théâtre à thèse
La Nausée est un roman satirique, philosophique ou métaphysique car il détruit tout et dévoile
l'absurdité.
Moins complexe, le théâtre est tout aussi conceptuel que ses romans. L'auteur ne s'intéresse pas à
l'art dramatique en tant que tel, il s'en tient à la tradition, mais il développe des thèmes
existentialistes : la solitude, l'engagement, l'impossibilité de communiquer, la liberté, la relation à
autrui. Le nœud dramatique vise à représenter des situations exemplaires de la condition
humaine: dans l'optique de la littérature engagée, ce «théâtre d'idées» a pour seule mission de
toucher le plus grand nombre possible de spectateurs.
Les Mouches
Ce drame en trois actes est créé en 1943, une date importante pour le philosophe, signé par
l'atmosphère de la guerre, l'emprisonnement et son entrée dans la Résistance. Il pose le problème
de la responsabilité assumée dans l'engagement. Pour ce faire, Sartre réinterprète le mythe
d'Électre et des Atrides.
L'action
Oreste a vingt ans. Il revient dans sa ville natale, Argos, dont il a été éloigné enfant lorsque Égisthe,
l'amant de sa mère Clytemnestre, a assassiné son père, Agamemnon. Argos est envahie par les
mouches, symbole de la mauvaise conscience collective que Jupiter laisse peser sur les habitants
pour en décharger le véritable coupable, Égisthe, qui a usurpé la place d'Agamemnon et est
devenu roi. Électre, la sœur d'Oreste, une rebelle qui refuse la morale du remords, est restée au
palais où elle a été réduite à l'esclavage. Elle vit dans l'attente du geste d'un autre qui la libère et la
venge. C'est aussi pour la sauver qu'Oreste tue Égisthe et Clytemnestre, mais Électre s'abandonne
au repentir et devient aveugle à cause des mouches.
Le jour suivant, Oreste oblige Jupiter à accepter sa morale existentialiste et il découvre sa propre
liberté.
Une démonstration
Les Mouches est un cri de révolte sous l'Occupation et un exemple de la philosophie exposée dans
L'Être et le Néant. L'homme est condamné à une liberté absolue, car il n'y a rien au ciel pour
donner des ordres. Cette liberté est le fondement de toutes les valeurs et rend l'être humain
responsable de ses choix.