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Les Cahiers philosophiques de Strasbourg

43 | 2018
Proust-Schelling : Une affinité élective ?

Si d’aventure Proust avait lu Schelling…


Luc Fraisse

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/cps/426
DOI : 10.4000/cps.426
ISSN : 2648-6334

Éditeur
Presses universitaires de Strasbourg

Édition imprimée
Date de publication : 30 mai 2018
Pagination : 119-165
ISBN : 979-1-03440-015-7
ISSN : 1254-5740

Référence électronique
Luc Fraisse, « Si d’aventure Proust avait lu Schelling… », Les Cahiers philosophiques de Strasbourg [En
ligne], 43 | 2018, mis en ligne le 03 décembre 2018, consulté le 19 avril 2019. URL : http://
journals.openedition.org/cps/426 ; DOI : 10.4000/cps.426

Cahiers philosophiques de Strasbourg


Si d’aventure Proust avait lu Schelling1…
Luc Fraisse

Pourquoi À la recherche du temps perdu prend-il la forme d’un cycle


romanesque couronné d’une philosophie esthétique ? Pourquoi cette
histoire d’une vocation d’écrivain passe-t-elle par une philosophie du
sujet ? Pourquoi créer une partition entre temps perdu et temps retrouvé,
et une autre entre volontaire et involontaire ? Pourquoi susciter un héros
et narrateur sans nom ? Comment situer exactement, l’une par rapport à
l’autre, les deux instances du héros et du narrateur ? À quelles ins l’œuvre
revêt-elle une forme cyclique, les dernières pages semblant servir de
préface aux premières ? Comment toutefois expliquer qu’en fait, le livre
que s’apprête pour inir à écrire le héros ne soit pas celui que le narrateur
vient de terminer ? Pourquoi avoir conçu une œuvre longue comme la
préface à un Livre que nous ne lirons pas ?
Proust semble avoir emporté les réponses à ces questions dans la
tombe. Ses lettres désignent par bribes, et ses manuscrits (notes de régie
comprises) mettent implicitement en œuvre des principes généraux
de composition et un corps d’idées directrices qui n’ont été consignés
nulle part. Émile Mâle rêvait à l’existence d’un guide aujourd’hui perdu,
ayant expliqué aux bâtisseurs du Moyen Âge comment concevoir une
cathédrale, c’est-à-dire organiser ses symboles ; ce guide perdu est pour
nous, lecteurs de la Recherche, l’ensemble de ces lois non écrites dont la
mise en œuvre s’étale sous nos yeux.
Un philosophe ofre la caractéristique d’apporter une réponse
à chacune des questions les plus générales et les plus énigmatiques,

1 La présente étude a préalablement paru dans la revue Marcel Proust


aujourd’hui, n° 11, Amsterdam, Rodopi, 2014, p. 13-54.
Les Cahiers Philosophiques de Strasbourg, i / 2018
 

énoncées ci-dessus : Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling (1775-1854),


notamment dans son Système de l’idéalisme transcendantal (1800).
Oui, mais c’est ici que commencent les diicultés. Dans sa thèse
sur la formation intellectuelle de Proust2, Anne Henry plaide pour une
déinitive « conversion schellingienne » de l’écrivain débutant en 1895, à
la faveur de la préparation à la Sorbonne d’une licence de Lettres à option
philosophie. Mais les preuves manquent cruellement : aucun document
actuellement connu n’atteste une connaissance de Schelling par Proust,
contrairement au Monde comme volonté et comme représentation de
Schopenhauer. Du reste, la philosophie de Schelling ne donnait lieu en
France à aucun efort de vulgarisation : le seul ouvrage de présentation
paraîtra en 19123, c’est-à-dire à une date beaucoup trop tardive pour
une conversion schellingienne de Proust : la structure dogmatique de
la Recherche est déjà établie, et les documents conservés ne signalent
nulle part cette lecture par l’écrivain. Une médiation capitale il est vrai,
entre Schelling et Proust, est Gabriel Séailles (1852-1922), qui traduit,
assez idèlement mais en partie, la pensée du philosophe allemand dans
sa thèse, l’Essai sur le génie dans l’art4 que le romancier de la Recherche
a lu d’assez près pour en reproduire presque textuellement une phrase
dans la dissertation esthétique du Temps retrouvé. Les analogies s’avèrent
intéressantes, mais le lecteur reste dubitatif pour plusieurs raisons :
l’absence de preuves donc, comme aussi le fait qu’Anne Henry ne
propose pas un exposé en bonne et due forme de ce système, ni ne
développe clairement les rapprochements qui s’imposeraient avec le cycle
romanesque.
Dans notre récente enquête sur la culture philosophique de Proust5,
nous n’avons pu identiier de support iable, au sein de la sphère

2 Marcel Proust. héories pour une esthétique.


3 Émile Bréhier, Schelling, VII (314 p.). L’étude ci-dessus de Laurent Fedi
apporte beaucoup de nuances à cette diicile question. Nous ne nous
plaçons ici qu’au point de vue du champ de vision de Proust.
4 Paris : Germer Baillière, 1883.
5 L’Éclectisme philosophique de Marcel Proust : le chap. V, « L’inconvénient du
système », expose l’inconvénient de l’absence de preuves ; le chap. XIV, « Du
côté de Schopenhauer ? », propose un parallèle raisonné entre les textes du
Monde comme volonté et comme représentation et de la Recherche du temps
perdu ; le chap. XVI, « Séailles et la maîtrise esthétique », envisage ce que doit
le cycle romanesque à l’Essai sur le génie dans l’art.

120
 ’    …

intellectuelle de l’écrivain, acheminant vers celui-ci les idées de Schelling.


Elles ne sont pas présentées, dans le cours d’Alphonse Darlu (1849-
1921)6 qui exerce une telle inluence sur l’auteur de la Recherche. Il n’est
dès lors pas inintéressant d’observer en quels termes elles sont ou non
exposées, dans le manuel destiné aux étudiants de licence, composé par
deux des professeurs de Proust, Paul Janet (1823-1899) et précisément
Gabriel Séailles, sous le titre d’Histoire de la philosophie. Les problèmes et
les écoles7. La présentation en est sommaire : toutes les données en sont
esquissées, mais non sans intérêt.
Une section explique qu’au XIXe siècle, la psychologie en Allemagne
reste subordonnée à la philosophie générale (ce qui sera aussi l’optique
de Proust) : « Pour Fichte, Schelling et Hegel, la psychologie n’est ni une
étude empirique des faits de conscience, ni la science du moi et de ses
facultés : elle est l’histoire de l’esprit construite a priori dans ses moments
successifs. Elle vient à sa place dans la déduction de tout ce qui est ; c’est
de la déinition même de l’esprit qu’elle fait sortir les phases nécessaires
de son développement progressif »8. Dans le chapitre sur les théories de
la raison, est esquissé le principe d’identité, aux fondements de la pensée
de Schelling : « Schelling prend pour point de départ l’absolu, saisi par
l’intuition intellectuelle (intellectuelle Anschauung), intuition au-dessus
de la conscience, supérieure à l’entendement, dans laquelle cesse la
distinction du sujet et de l’objet, l’opposition de la connaissance et de
l’existence. L’absolu c’est l’absolue indiférence, l’identité du subjectif et
de l’objectif, le principe du conscient et de l’inconscient, de la nature
et de l’esprit » ; c’est toutefois, aux yeux de Paul Janet, « procéder à
l’aventure » que de raisonner ainsi9. Une section sur les théories de la
matière explicite ces systèmes de clivages ; on retrouve dans les derniers
mots ce qu’en pense Janet :
« Schelling commence par développer la théorie de Fichte (Iden zur
einer Philos. der Natur, 1707), il déinit la matière en partant de
la nature de l’intuition. Mais il ne tarde pas à sortir de l’idéalisme
subjectif et à substituer au moi l’absolu qui n’est pas plus sujet

6 Nous en avons retrouvé deux transcriptions : l’une, partielle, par un certain


J. Delamarre en 1884-1885 ; l’autre, complète, prise en note par Xavier
Léon (1868-1935) en 1886-1887.
7 Paris : Charles Delagrave, 1887, rééd. 1894.
8 Idem, p. 38.
9 Idem, p. 161.

121
 

qu’objet, qui comprend, enveloppe et précède ces deux termes. La


philosophie doit aller tour à tour de la pensée à la nature, et de la
nature à la pensée, pour reproduire la vie de l’absolu qui est l’identité
du sujet et de l’objet, de l’être et de la pensée. Considéré par sa face
objective, l’absolu est la nature, dont la physique spéculative doit
nous découvrir de plus en plus l’identité originelle avec ce qui nous
est donné en nous comme intelligence et conscience. La première
manifestation de l’absolu sous sa forme objective est la matière. Ici
Schelling reproduit les idées de Kant. La matière comprend une
force positive qui oppose à toute limitation un effort infini, à savoir
la force répulsive, et une force négative, opposée à la première, la
force attractive. La force répulsive, qui tend à l’infini, limitée par la
force attractive, donne un espace plein et défini, une matière. […]
La philosophie de la nature de Schelling, comme celle de Kant, est
donc un dynamisme, mais qu’il pénètre d’intelligence et de raison
jusqu’à la fantaisie »10.
Une remarque incidente sur l’âme est pour remarquer que le passage
incessant de la vie et de la pensée est ce qui rapproche Schelling de
Leibniz11. En exposant plus loin le système théologique de Schelling,
Paul Janet demande : « Qui peut comprendre des assertions aussi
contradictoires ? »12 ; voilà qui relève de « constructions ambitieuses »13.
Il oppose le pessimisme de Schopenhauer au panthéisme optimiste de
Schelling14. Voici comment est exposé pour finir (et réfuté) son idéalisme
(vient d’être exposée la théorie chez Fichte du moi et du non-moi) :
« 1° D’une part, pour Schelling, le non-moi n’existe pas moins que le
moi ; la nature doit être restituée dans sa réalité, dans sa vie propre.
On peut indifféremment partir de la pensée pour arriver à la nature,
ou partir de la nature pour arriver à la pensée (Préface de l’Idéalisme
transcendantal). Fichte, exclusivement moraliste, ne s’était occupé
que du moi ; Schelling, versé dans toutes les sciences de la nature et
dans toutes les merveilleuses découvertes de son temps (électricité,
combustion, etc.), restituait à la nature sa vie et son droit.
2° D’autre part, par là même que la nature reprend son rôle et n’est
plus que l’une des faces de l’existence, dont l’autre est l’esprit, cette
existence suprême manifestée de cette double manière ne doit pas

10 Idem, p. 740-741.
11 Idem, p. 772.
12 Idem, p. 875-876, ici p. 876.
13 Idem, p. 888.
14 Idem, p. 878.

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 ’    …

plus être le moi qu’elle ne doit être appelée la nature. Elle n’est pas
plus sujet qu’objet. Elle est l’indiférence entre l’un et l’autre. Elle est
purement et simplement l’absolu.

Telles sont les deux modifications [à la théorie de Fichte] apportées


par Schelling et qui ont fait donner à son système le nom d’idéalisme
objectif.
Cette expression d’idéalisme objectif jure dans les termes mêmes. Qui
dit objectif entend par là même quelque chose qui s’oppose et qui
s’impose au sujet, et par conséquent exclut l’idéalisme, lequel est par
définition le système qui réduit l’objet au sujet. D’un autre côté, un
idéalisme purement subjectif, qui ramène tout à l’esprit humain ou
au moi, aboutit au scepticisme »15.
Il apparaît ainsi que si Gabriel Séailles est un disciple de Schelling, Paul
Janet ne manifeste que des réticences, dans lesquelles on reconnaît entre
autres les préjugés d’époque contre la philosophie allemande, censée
émaner, dans les polémiques les plus vives, d’esprits embrumés voire
illuminés. Mais Proust avait appris à apercevoir de tels clivages, et que
la philosophie se nourrit d’incessantes controverses, dès la classe de
lycée, où il avait dû s’accommoder d’un cours professé par un adepte
de Kant, son maître Alphonse Darlu, cependant que le manuel donné à
assimiler aux élèves, et qu’il a lu de près, d’Élie Rabier16, ramène la même
philosophie de Kant à de purs galimatias17.
Car dans le sillage de Ravaisson, se recommandant de Schelling
dans sa thèse De l’habitude selon toute apparence connue de Proust18,
Gabriel Séailles de son côté adhère sans réserves à la philosophie de
Schelling. C’est la philosophie schellingienne de la nature qui lui fait
poser l’une de ses thèses principales, si fortement annonciatrices et du
sujet et de la forme de la Recherche : « Le sujet choisi, c’est l’esprit du

15 Idem, p. 1057-1058.
16 Leçons de philosophie, t. I, Psychologie.
17 Voir les éléments de cette opposition dans L’Éclectisme…, p. 126-131.
18 F. R, De l’habitude ; voir L’Éclectisme…, notamment p. 14-15,
377-380 et 662-664. Sur la filiation de Schelling à Ravaisson, voir
D. P, « Ravaisson et Schelling », Études philosophiques, p. 395-413 ;
J.-F. C, « Les relations de Ravaisson et de Schelling », dans La
Réception de la philosophie allemande en France aux XIXe et XXe siècles,
p. 111-134 ; et C. M, « Ravaisson, lecteur et interprète de Schelling »,
Romantisme, p. 65-74.

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 

poète, se découvrant, s’aimant lui-même dans le sujet qu’il attendait »19.


La création comme mise en œuvre, et pour finir en scène, d’une odyssée
de l’esprit, telle que la définit de bout en bout Séailles, est un héritage de
Schelling, dont il reprend, outre cette thèse générale, maints détails. La
phrase : « Chaque esprit est un point de vue original sur le monde ; il y a
autant de mondes qu’il y a d’esprits »20, reprise par Proust dans Le Temps
retrouvé sous cette forme : « autant qu’il y a d’artistes originaux, autant
nous avons de mondes à notre disposition »21, vient en fait du Système
de l’idéalisme transcendantal de Schelling : « autant il y a d’intelligences,
autant il y a de miroirs indestructibles du monde objectif »22. L’idée chère
à Séailles, selon laquelle l’artiste n’est pas un monstre, mais un poste
avancé de la nature humaine, s’esquisse à la fin du traité de Schelling, qui
explique que, contrairement à l’intuition intellectuelle du philosophe,
qui le distingue de la conscience commune, « l’intuition esthétique
n’étant que l’intuition générale, ou l’intellectuelle devenue objective,
peut du moins se présenter dans toute conscience »23 ; c’est, dans le
système de Schelling, le propre de « l’intuition productive » sur laquelle
nous allons revenir, par opposition à « l’intuition intellectuelle » qui n’est
évidente que pour celui qui la produit.
Le problème qui se pose à nous est le suivant. La lecture directe
par Proust de Schelling doit être tenue actuellement pour hautement
improbable24. Celle de Schopenhauer laisse malgré tout des traces
objectives dans divers documents ; en l’absence de ces preuves mêmes,
celle de Gabriel Tarde peut être induite avec sûreté par le fait que le
romancier n’eût pas pu placer ses personnages sous la loi de l’imitation
et de la contre-imitation s’il n’avait connu Les Lois de l’imitation et La
Logique sociale, ouvrages dont le contenu n’était pas enseigné à son

19 Essai sur le génie dans l’art, p. 168-169.


20 Idem, p. 57.
21 Recherche, t. IV, p. 474.
22 Système de l’idéalisme transcendantal, p. 278.
23 Idem, p. 369.
24 L’infiltration de la philosophie de Schelling en France a été étudiée par
M. R : « L’influence de Schelling en France et en Suisse romande »,
Studia philosophica, p. 91-111 ; M. W, « À propos de la réception de
Hegel et de Schelling en France pendant les années 1840 », dans De Lessing
à Heine. Un siècle de relations littéraires et intellectuelles entre la France et
l’Allemagne, p. 191-277 ; voir aussi P. D, « Schelling : construction de
l’art et récusation de l’esthétique », p. 29-41.

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 ’    …

époque25. Or, l’auteur de la Recherche pouvait se passer de la lecture de


Schelling pour structurer, comme il l’a fait, l’histoire d’une vocation
d’écrivain, sa philosophie du sujet et sa doctrine esthétique. Toutefois
l’articulation de ces mêmes points reçoit beaucoup d’éclairages de la
philosophie de Schelling. On ne doit pas exclure qu’une lettre retrouvée
un jour atteste cette lecture plus précise. Elle ne présente pas un caractère
de nécessité pour éclairer les structures, finalités et rouages du cycle
romanesque. Mais la confrontation donnant beaucoup à penser, il
convient de la présenter sur un mode hypothétique, car l’apparentement
éclairant ne relève nullement de la dépendance. Il demeurera peut-
être toujours simplement une lecture schellingienne de Proust, parmi
d’autres possibles.
Dans cette perspective non contraignante d’éclairage latéral, le
Système de l’idéalisme transcendantal, qui sera lu, car il est essentiel
d’apercevoir les termes mêmes dans lesquels une pensée a été présentée
à un écrivain, dans l’édition disponible à l’époque (la traduction de
Paul Grimblot parue en 184226), propose de possibles explications à
trois fondements structurels de la Recherche : l’itinéraire d’une odyssée
de l’esprit, la séparation de l’identité entre un héros et un narrateur, le
clivage entre temps perdu et temps retrouvé.

25 La dette de Proust à l’égard de Gabriel Tarde fut signalée par Anne Henry,
op. cit., section « Le temps de la sociologie : le kaléidoscope » (p. 344-366).
Pour une mise en situation et un parallèle raisonné entre ces deux ouvrages
et le cycle romanesque, voir L’Éclectisme…, op. cit., chap. XVII : « Gabriel
Tarde ou la sociologie faite roman ».
26 Pour accompagner la lecture directe de l’ouvrage, on pourra consulter
X. T, Une introduction à Schelling ; l’introduction par le même
auteur à S, Textes esthétiques, « L’esprit et les formes », 1978 (le
texte n° 3 est l’ultime chapitre du Système de l’idéalisme transcendantal,
annoté) ; de X. T à nouveau, dans Schelling : une philosophie en
devenir, le chap. III : « Le Système de l’idéalisme transcendantal », p. 185-233 ;
en allemand l’ouvrage de D. J, Schelling. Die Kunst in der Philosophie ;
E. B, La Création selon Schelling, chap. III, « L’univers de l’esprit »
(p. 29-45), mais aussi les chapitres environnants ; ce commentateur est
à peu près le seul à définir les concepts maniés (sans définitions) par
Schelling ; voir cependant l’utile ouvrage de P. David, Le Vocabulaire de
Schelling.

125
 

Qu’À la recherche du temps perdu propose une odyssée de l’esprit, à


l’issue de laquelle un sujet, prenant par la pensée possession de lui-même,
articule sur cette philosophie du sujet une esthétique ouvrant à la création
d’une œuvre littéraire, peut recevoir un éclairage de la philosophie de la
nature, de l’identité et de l’esprit formulée par Schelling. Encore une
fois, la philosophie de Schelling n’est pas nécessaire à l’organisation de
la Recherche telle que nous la lisons ; mais s’il y a eu influence, directe
ou indirecte, de cette philosophie, une telle influence propose des
éclaircissements éclairants.
Il s’agit en effet d’une philosophie du moi (Schelling, disciple
de Fichte, avait publié en 1895 « Du moi comme principe de la
philosophie »), pour le développement duquel le philosophe propose
un itinéraire par étapes pouvant donner à comprendre la structure si
originale du cycle romanesque, dans la mesure où il s’agit, pour Schelling
dans son Système, de reconstituer moment par moment l’histoire de la
conscience de soi, de façon à déterminer dans l’ensemble comment le
moi peu à peu s’objective pour lui-même.
Que le narrateur déroule à la première personne son analyse, en
procédant par induction, met en œuvre toute une philosophie du sujet
et précisément de l’induction, à mettre en rapport avec les courants
philosophiques contemporains de Proust27. Mais la doctrine de Schelling
propose à ce stade des facettes originales, posant, au départ de tout
mouvement philosophique, « le moi […] existant immédiatement par
son devenir pensé »28. Ce devenir pensé correspond ici au fait de partir
à la recherche du temps perdu. Le héros de façon informelle, puis le
narrateur avec méthode, déroulent une auto-analyse en raison, dirait
Schelling, de « la tendance du moi à avoir l’intuition de lui-même »29 :
« Ce quelque chose qui découvre, qui trouve, est l’effort infini du moi à
avoir l’intuition infinie de lui-même »30. Recherche jamais interrompue,
toujours reprise, en raison de « la nécessité première d’avoir conscience
de soi-même, de faire retour sur soi »31, en raison de « la tendance infinie
du moi à devenir son objet à lui-même »32. Schelling martèle ce principe

27 Voir L’Éclectisme…, op. cit., chap. XI : « La philosophie du sujet ».


28 Système de l’idéalisme transcendantal, p. 49.
29 Idem, p. 66.
30 Idem, p. 83-84.
31 Idem, p. 90.
32 Idem, p. 91.

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 ’    …

de base : il considère « le moi, comme tendance infinie à avoir intuition


de lui-même »33 ; à vrai dire, « toute la philosophie transcendantale
ne repose dans son ensemble que sur une puissanciation continue de
l’intuition de soi-même »34. La théorie de la mémoire, et même l’histoire
d’une vocation, auraient chez Proust, dans ce contexte, leur fondement
d’abord dans une philosophie du sujet, parce que l’odyssée de l’esprit
met en œuvre une « intuition, qui dans ce cas se trouve non dans l’artiste
mais dans le sujet qui a intuition »35. Ainsi, le héros se transformant en
écrivain, dans le chapitre théorie de « L’Adoration perpétuelle », accéderait
à sa vocation non en tant qu’artiste, mais d’abord en tant que sujet se
connaissant, par l’aboutissement de l’intuition du moi sur lui-même. À ce
titre, transcendantal désigne, dans le Système de Schelling, les conditions
de la connaissance humaine, à déterminer en fonction du rapport entre
l’esprit et la nature ; l’idéalisme transcendantal, défini comme « le système
qui cherche l’origine des choses dans l’activité de l’esprit »36, repose donc
sur une philosophie de l’esprit qui est une histoire de la conscience.
Son aboutissement ne s’obtient donc qu’à l’issue de plusieurs
étapes, susceptibles d’éclairer la forme générale et la structure du cycle
romanesque. Ces étapes, à la faveur desquelles le moi advient à lui-
même – ce qui constitue également le sujet général de la Recherche –,
sont l’objet même de la philosophie, laquelle étudie « la formation
par laquelle [l’intelligence] devient ce qu’elle est, et la fait naître à ses
yeux »37, et ce à la faveur d’« une détermination du moi par lui-même, ou
un acte de l’intelligence sur elle-même »38. La première étape de l’esprit
est son identité avec la nature : il y a entre l’esprit et le monde sensible
notamment « une identité primitive » qui précède la conscience39.
Mais cette unité originelle a dû faire scission pour susciter l’acte libre ;
la scission aboutira cependant à une conscience de l’identité – telles
sont les trois étapes principales de l’évolution du moi. La philosophie

33 Idem, p. 104.
34 Idem, p. 370.
35 Idem, p. 359.
36 Idem, p. 114.
37 Idem, p. 113.
38 Idem, p. 246.
39 Idem, p. 213.

127
 

transcendantale permet au moi conscient de reconstituer « l’absolument


identique, qui s’est divisé dans le moi »40.
Chez Proust, l’âge des noms et des croyances donne à voir un stade
où l’esprit ne différencie pas sa pensée du monde réel. La déception face
au réel ensuite provoque la prise de conscience d’une scission entre les
productions de la pensée et de l’imagination et le réel, qui fait obstacle,
oppose une résistance – condition de l’émergence d’une liberté. L’étape
finale consistera à comprendre que toutes les valeurs qui étaient réparties
selon un principe de clivage (le moi et le non-moi, le sujet et le monde
sensible, l’objectif et le subjectif, l’intérieur et l’extérieur) étaient les faces
d’une même médaille. « Toute connaissance repose sur l’accord d’un
objectif et d’un subjectif »41, accord donc entre la nature et le moi, entre
le représenté et celui qui représente. Si le temps perdu peut conduire au
temps retrouvé, alors qu’apparemment les deux optiques s’opposent (ce
qui détourne de la vocation ne devrait en même temps y conduire), c’est
par la découverte finale de leur identité, qui suppose aussi une identité
entre le conscient et l’inconscient (toute la philosophie de Schelling
repose, peut-on dire, sur la résolution des antinomies), grâce à quoi
sans paradoxe un acheminement à la création littéraire, tout en s’étant
longuement préparé, peut surgir au dernier moment sous l’effet d’un
hasard. Identité primitive, scission intermédiaire, résolution finale.
Il en résulte diverses caractérisations de la philosophie devant
accompagner cet itinéraire en trois étapes du moi, jusqu’à sa complète
prise de possession par lui-même, qui pourraient rendre compte de la
signification et de la forme générale – forme et signification étant ici,
selon le souhait de Jean Rousset, inséparables, « de sorte, en un mot,
que le contenu et la forme soient alternativement la condition l’un de
l’autre »42 – du cycle romanesque. Sujet et structure sont une seule et
même chose, dans la pensée de Schelling comme dans l’organisation
générale de la Recherche, en harmonie avec ce principe schellingien
selon lequel la solidité d’un principe se mesure au fait que sa forme
et son contenu se déterminent nécessairement. En outre, il appartient
à l’intelligence de produire en même temps sa matière et sa forme
parce qu’elle est, on va le voir, à la fois productivité et produit, en

40 Idem, p. 364.
41 Idem, p. 1.
42 Idem, p. 26.

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 ’    …

raison d’une identité du Moi qui produit et du Moi qui est produit.
Il serait ainsi loisible, revenant sous ce jour à Proust, de voir naître en
même temps la structure de la Recherche et, sur ce seuil, par dérivation
l’itinéraire commençant l’ère du temps perdu, quand Schelling propose
de lire en philosophe, dans l’œuvre d’art, « l’odyssée de l’esprit, qui,
miraculeusement déçu, se cherchant lui-même, se fuit lui-même »43. Et
c’est en effet heureux, car « il n’y a de philosophie que dans la question
qui n’est pas encore résolue »44, par quoi l’ère du temps perdu, l’ère des
non-réponses, est ce qui permet d’émerger à la philosophie.
Le narrateur déroulant longuement son analyse serait plus
précisément l’incarnation de l’idéalisme, si on le définit comme « le
système qui cherche l’origine des choses dans l’activité de l’esprit »45 ;
l’œuvre ainsi déroulée retracera « l’histoire de l’intelligence »46. L’histoire
d’une vocation s’enveloppe dans une plus générale philosophie du
sujet, parce que « le génie […] est ainsi à l’esthétique ce que le moi est
à la philosophie »47 ; il s’agit pour Schelling, comme pour le narrateur
de « L’Adoration perpétuelle », de « montrer le rapport qui unit la
philosophie de l’art avec tout le système de la philosophie »48. Ce faisant,
le déroulement de la pensée philosophique a besoin, chez Schelling
comme chez Proust, d’un couronnement esthétique ; si le Système de
l’idéalisme transcendantal aussi bien que la Recherche du temps perdu
se terminent par une apothéose de l’art (dernier chapitre du traité,
« Matinée chez la princesse de Guermantes » occupent, dans les deux
œuvres, la même place et remplissent la même fonction d’ultime
révélation), c’est parce que l’art est « la condition de l’intelligence de
toute la philosophie » : c’est que l’absolument identique, terme de toute
philosophie transcendantale, terme aussi de la prise de possession du moi
par lui-même, ne pouvant pas être perçu au moyen des notions, il ne lui
reste donc, pour advenir à la pleine conscience, qu’à être présenté dans

43 Idem, p. 367. X. T souligne ici qu’il s’agit d’un thème schillerien,
invoquant cette remarque de Schiller, dans Über sentimentalische Dichtung :
« Ce qu’il [le poète Kleist] fuit, est en lui ; ce qu’il cherche, est éternellement
hors de lui » (S, Textes esthétiques, p. 27, note 12).
44 Système de l’idéalisme transcendantal, p. 24.
45 Idem, p. 114.
46 Idem, p. 183.
47 Idem, p. 357.
48 Idem, p. 363.

129
 

une intuition immédiate49 – celle que propose l’artiste selon Schelling,


celle que met en œuvre un roman dans le cas de Proust.
Ce roman prenant la forme d’une odyssée de l’esprit qui constitue son
sujet même, Schelling en éclaire le mode de composition dogmatique.
Si l’on entend ici proposer « une histoire suivie de la conscience du
moi »50, comme le font le philosophe et l’écrivain, il s’agira de procéder
par époques et enchaînements, de façon à restituer « une série de degrés
d’intuition par lesquels le moi s’élève jusqu’à la plus haute puissance,
la conscience »51. Mise en scène du récit toute dogmatique en effet,
puisque le narrateur entend dégager et dérouler à la fois, « dans l’histoire
de la conscience, les moments solides et immuables du développement
de la connaissance, moments indiqués dans l’expérience par une série
continue de degrés qui peuvent être montrés et poursuivis »52.
Le récit est un récit philosophique, les deux à la fois, parce que « la
philosophie est donc une histoire de la conscience, qui a différentes
époques et par laquelle l’unique synthèse absolue est recueillie dans
l’ordre de succession »53, succession dans laquelle il s’agit précisément
de faire apparaître selon leur ordre « les moments de l’histoire de la
conscience »54. La construction du livre progresse en même temps
que celle du moi, parce que le récit suit « la construction du moi lui-
même, […] comme sujet et objet en même temps »55. Il faut donner
au lecteur l’impression que s’il « était donné au moi de réfléchir sur
sa construction »56, c’est ce livre même qui découlerait de sa réflexion.
Et le terme de l’œuvre coïncidera avec « la construction complète du
moi »57, à l’issue d’un itinéraire ayant reproduit antérieurement « la série
de productions par lesquelles le moi arrivait successivement à avoir
l’intuition de lui-même »58.

49 Ibid..
50 Idem, Préface, p. LXVII.
51 Idem, p. LXVIII.
52 Idem, p. 374.
53 Idem, p. 75-76.
54 Idem, p. 145.
55 Idem, p. 77.
56 Idem, p. 130.
57 Idem, p. 144.
58 Idem, p. 206.

130
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Reprenons donc un instant les étapes du développement, suivi selon


Schelling, par le Moi dans la prise de conscience objective de lui-même,
car ces étapes sont susceptibles, sinon nécessairement d’avoir conditionné,
du moins d’aider à conceptualiser les étapes dogmatiques de la Recherche.
Disons schématiquement que l’esprit, né au sein de la nature (à la fois
matière et vie), émerge à la conscience, qui débouche sur la conscience
de soi, aboutissant pour finir à une pleine connaissance de l’esprit par
lui-même. Au total, l’esprit aura traversé trois époques successives, de la
sensation originaire à l’intuition productive, de l’intuition productive à
la réflexion, enfin de la réflexion à l’acte absolu de la volonté. Revenons
sur ces étapes, dans le rapport qu’elles sont susceptibles d’entretenir avec
la structure la plus générale de la Recherche du temps perdu.
Au départ, qui correspondrait à un état préphilosophique, le Moi,
l’esprit, se fond dans la nature dans une unité primitive. La conscience se
trouve donc d’abord immergée dans le devenir matériel. Ce serait, dans
la structure dogmatique de la Recherche, ce que Proust appelle l’âge des
croyances, où le monde pensé et le monde réel ne sont pas conçus séparés.
Et tout autant, à l’ouverture de la Recherche, la situation du dormeur
qui s’éveille. Le romancier en suggère une explication rétrospective, dans
une lettre de 1921 décrivant sa démarche :
« Il s’agit de tirer hors de l’inconscient pour la faire entrer dans le
domaine de l’intelligence, mais en tâchant de lui garder sa vie, de
ne pas la mutiler, de lui faire subir le moins de déperdition possible,
une réalité que la seule lumière de l’intelligence suffirait à détruire,
semble-t-il. [ ] C’est un peu le même genre d’effort prudent, docile,
hardi, nécessaire à quelqu’un qui dormant encore, voudrait examiner
son sommeil avec l’intelligence, sans que cette intervention amenât
le réveil. Il y faut des précautions, mais bien qu’enfermant en
apparence une contradiction, ce travail n’est pas impossible »59.
La description par Schelling de la démarche de l’idéalisme transcendantal
n’est pas éloignée de ce principe :
« Pour entendre la philosophie, il faut deux conditions : premièrement,
se tenir constamment dans un état d’activité intérieure, produire
constamment les actions premières de l’intelligence ; – secondement,
réfléchir constamment sur cette production. En un mot, il faut
toujours être à la fois l’objet observé (producteur) et l’observateur »60.

59 Correspondance, t. XX, p. 497.


60 Système de l’idéalisme transcendantal, p. 16.

131
 

Principe applicable dès lors aussi à la création artistique et littéraire, au


moment où le narrateur de La Prisonnière invite à méditer sur les grands
écrivains du XIX siècle qui, « se regardant travailler comme s’ils étaient
à la fois l’ouvrier et le juge, ont tiré de cette auto-contemplation une
beauté nouvelle, extérieure et supérieure à l’œuvre »61. Quand Schelling
pose : « Primitivement le moi est l’identité pure et absolue dans laquelle
il doit constamment chercher à retourner »62, on songe au dormeur à
l’ouverture de la Recherche rejoignant « le tout dont je n’étais qu’une
petite partie et à l’insensibilité duquel je retournais vite m’unir »63 –
même si la diversité des contextes et des formulations ne suffit pas à
établir ici une source convaincante.
Mais pour devenir conscience de soi, le Moi doit se poser en face de
lui-même comme objet et se confronter (héritage direct ici de Fichte) à
un non-moi – double limitation, mais l’émergence de la conscience est
à ce seul prix, limitation donc à la fois idéelle et réelle. Il en résulte une
partition, entre un moi sujet et un moi objet, partition qui annonce
déjà le fait que la pleine conscience de soi sera pour finir un acte
synthétique, résolvant car dépassant cette scission. Le fait pour le moi
de se poser lui-même fait donc apparaître des barrières, du non-moi,
des valeurs d’opposition, une nature alors considérée comme l’autre
du Moi, d’où résultent une prise de distance vis-à-vis du monde, qui
n’est plus simplement considéré comme toujours déjà là ; mais dès lors
aussi la liberté, qui ne peut se faire jour qu’en réaction à des obstacles.
Schelling signale à ce stade que la monadologie de Leibniz (qui joue un
rôle constructeur prégnant, à l’origine de la Recherche64), est une forme
d’idéalisme65.
Le moi pour se penser recourt ce faisant à l’intuition intellectuelle,
c’est-à-dire encore partielle, si l’on considère que pour Schelling, il existe
trois formes d’intuition : productive, intellectuelle et esthétique, seule la
dernière donnant accès à une réduction complète des antinomies, dans
une vivante totalité. À cette étape intermédiaire appartient l’apparition
de l’intuition productive, premier pas vers l’intelligence, au-delà de la

61 Recherche, t. III, p. 666.


62 Système de l’idéalisme transcendantal, p. 178.
63 Recherche, t. I, p. 4.
64 Voir L’Éclectisme…, chap. XIII, « L’émergence du discours dans l’univers de
la monade ».
65 Système de l’idéalisme transcendantal, p. 51, note.

132
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sensation première. On voit se dessiner, dans le concept d’intuition


productive, l’ère dogmatique chez Proust du temps perdu, comme aussi,
après l’âge primitif des noms et des croyances, l’âge intermédiaire des
mots. La période durant laquelle œuvre chez Schelling l’intuition
productive produit précisément un ensemble de déductions, et ce en
réaction aux contraires qui se partagent le moi (ayant fait scission pour
se poser en objet et prendre conscience de soi). Un double mouvement
se fait alors jour dans le Moi, d’expansion et de contraction, d’attraction
et de retardement, que figureraient les (plus ou moins fausses) péripéties
peuplant le temps perdu proustien, avec une tendance périodique à
l’activité synthétique, donnant lieu, comme chez le héros de la Recherche
non éclairé par le narrateur, à des bilans ou prises de conscience partiels
– toujours partiels. Mais ici l’activité reste globalement inconsciente et
aveugle, celle d’un moi encore enchaîné, activité au sein de laquelle se
joue intensément la recherche d’un rapport entre l’esprit et le devenir
(d’où résultent les travaux sur Schelling de Xavier Tilliette et Emilio
Brito). Il est à noter qu’alors, le sentiment du présent suscite un
sentiment du passé comme ce à quoi le moi ne peut retourner (« Mort à
jamais ? »), mais du coup le temps apparaît comme la condition même du
sentiment de soi (à cause de quoi une théorie de la mémoire involontaire
introduit chez Proust à une philosophie du sujet, qui d’ailleurs l’englobe).
L’espace manifeste, à ce stade, les objets comme ce qui est opposé au
moi (on se souvient que Georges Poulet souligne que chez Proust,
être ici se confond avec la conscience de ne pas être ailleurs66). Cet âge
intermédiaire, essentiellement déceptif chez Proust, est selon Schelling
le théâtre de l’émergence d’une conscience de l’intelligence inie, une
intelligence qui, se cherchant à travers ses états purement successifs,
subit de constantes oscillations (cependant que le héros proustien se voit
ballotté sans conclusion entre des aspirations contraires). Précisément
pour le philosophe, c’est cette oscillation qui cependant donne à voir
comment la contradiction suscite dans l’esprit une tendance, qui ne sait
pas encore être une aspiration à la synthèse absolue.
Une synthèse absolue qui est celle que réalise l’ultime étape, dans
une histoire raisonnée de l’esprit. Une synthèse qui se révèle réalisable
uniquement par le génie, et au sein de l’art. Dans ce stade final, l’esprit
s’aperçoit dans sa totalité, c’est-à-dire dans un au-delà des antinomies

66 L’Espace proustien.

133
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qui lui permet de retrouver l’identité absolue originaire ; il se reconnaît


en fait à la fois matière et esprit, finitude et infini (d’où résulte la perte
de liberté) ; beaucoup de rapprochements seront ici à établir avec la
doctrine de « L’Adoration perpétuelle », ainsi qu’avec la situation du sujet
lors de la « Matinée chez la princesse de Guermantes » du Temps retrouvé.
Ce retour à la nature, mais à un stade de conscience paroxystique, fait
que l’idéalisme rejoint le réalisme. Que de l’idéalisme sorte pour finir
un réalisme (par quoi Schelling de son côté se sépare de Fichte) pourrait
expliquer l’étrange itinéraire – étrange pour un écrivain naissant – du
héros proustien, des noms aux mots, puis surtout des mots aux choses.
À l’issue de ce premier parcours, deux observations sont à formuler.
La première est que la lecture directe du traité de Schelling, ardue
voire presque impénétrable, ne permet pas de dégager directement et à
claire-voie ces axes tels que nous les avons réordonnés. Voilà pourquoi
Schelling n’a pas pu connaître en France la même relative popularité
que Schopenhauer traduit par Auguste Burdeau, ni à plus forte raison
que Gabriel Tarde à travers ses ouvrages et son enseignement public
au Collège de France. Toutes choses rendant peu probable, jusqu’à
preuve du contraire et cette preuve manquant à ce jour, chez Proust une
connaissance de première main. Par ailleurs, la médiation de Séailles ne
s’avère pas suffisante : rappelons que l’Essai sur le génie dans l’art n’est
pas une traduction ni même une adaptation de la théorie esthétique de
Schelling ; l’ouvrage est imprégné de la pensée de Schelling, mais répond
bien évidemment à ses propres visées. Notre parallèle, qui respecte
autant que possible, y compris dans la version française citée, l’exigence
de la reconstitution historique, notre parallèle demeure donc incertain
et flottant.

La philosophie du moi qui vient d’être rappelée, outre qu’elle
présente toutefois des traits de ressemblance avec la matière et la forme de
la Recherche du temps perdu, a pu déjà laisser deviner en quoi pouvait s’y
préparer le clivage proustien entre temps perdu et temps retrouvé, clivage
qui recevrait d’abondantes justifications fort nuancées dans le Système de
l’idéalisme transcendantal relu sous l’angle à venir du romancier. Un autre
clivage cependant, jusqu’ici moins pleinement apparent, se trouve par la
même occasion grandement éclairé : celui qui sépare et relie à la fois le

134
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héros et le narrateur sans nom de la Recherche. C’est ce clivage plus secret


que nous nous proposons d’examiner.
Le héros et le narrateur de la Recherche, représentant par leur
anonymat le Moi à divers stades de son évolution, s’opposent clairement.
Un passage de La Prisonnière lève en partie le voile sur la nature de ce
clivage : « Mes paroles ne reflétaient donc nullement mes sentiments. Si
le lecteur n’en a que l’impression assez faible, c’est qu’étant narrateur
je lui expose mes sentiments en même temps que je lui répète mes
paroles ». Or, « les images qui me faisaient agir, si opposées à celles qui
se peignaient dans mes paroles, étaient à ce moment-là fort obscures :
je ne connaissais qu’imparfaitement la nature suivant laquelle j’agissais ;
aujourd’hui j’en connais clairement la vérité subjective »67. Deux faces de
la même médaille, le héros et narrateur proustien posent l’existence du
moi, et plus précisément donc, dirait Schelling, du moi comme principe
d’identité mettant en relation ses composantes opposées, et même ce qui
s’oppose à lui68 ; du moi considéré comme « le sentiment de soi-même »,
sachant que « toute conscience commence avec lui, et [que] c’est par lui
que le moi s’oppose à l’objet »69.
La philosophie de Schelling peut donner à apercevoir sous quel
angle s’opposent le héros du temps perdu et le narrateur du temps
retrouvé, incarnant l’un la vision fragmentaire, l’autre la vision totale,
l’un l’insertion dans la durée, l’autre un au-delà de la durée même. Ils
seront accolés l’un à l’autre pour incarner « la notion d’une identité
primitive dans la dualité »70. Dualité schellingienne entre passivité de
l’un et activité de l’autre, entre contact de l’un avec la finitude, accès
de l’autre à l’infini : « La conscience ne pouvant être conçue que comme
acte, elle ne saurait être expliquée par quelque chose qui ne peut faire
comprendre qu’une passivité » ; mais il est loisible de faire ainsi apercevoir
« l’intuition que le moi a de lui-même dans cette limitation »71 ; nature
dès lors duelle de ce Moi fait presque-personnage de roman par Proust,
parce que « dans l’acte qui le rend fini, le moi devient infini pour lui-
même, c’est-à-dire il s’aperçoit lui-même comme devenir infini » dans la

67 Recherche, t. III, p. 850.


68 Système de l’idéalisme transcendantal, p. 155.
69 Idem, p. 161.
70 Idem, p. 43.
71 Idem, p. 55.

135
 

mesure où « on ne saurait concevoir un devenir qu’à la condition d’une


limitation »72. Ne pensons pas trop vite que le héros incarne la limite,
et le narrateur le devenir ; le narrateur se plaçant au terme voire au-delà
du devenir, il constitue plus précisément le troisième terme où trouve à
se résoudre la dialectique de la limite et du devenir qui sert de moteur
d’évolution au héros.
Moteur d’évolution, car « l’activité qui se dirige contre la limite n’est
autre que l’activité du moi », « la seule activité du moi antérieure à la
conscience »73, ce qui définirait la sphère du moins première du héros.
Mais en allant plus loin, il s’avère, ce qui donne un rôle plus complexe au
héros, qu’une activité réelle dissimule, au-delà d’elle-même, une activité
idéale : ainsi, « il y a en moi une autre activité que celle qui est limitée
et dont elle doit être indépendante »74. Mais au moment où cette autre
activité indépendante du moi sera apparue, où le sujet apercevra qu’« être
limité et être aperçu par l’intuition » est « une seule et même chose »75, Le
Temps retrouvé sera advenu.
Dans l’époque de l’esprit où émerge la conscience de soi, l’identité
duelle du héros-narrateur pourrait rendre compte du moment où
ici le moi se scinde et se fait sujet-objet. Le héros incarnerait plus
particulièrement le moi en tant qu’il est réel, c’est-à-dire devenu objet
pour lui-même76, au prix de ce paradoxe qu’alors, le héros serait à la
fois l’origine et la résultante du narrateur. Il serait peut-être plus exact
de noter que le héros, déjà privé de nom, et si peu et si indirectement
aperçu, montre à quel point le romancier philosophe entend le
maintenir, quoique objet d’expérience et sujet à évolution, au seuil
de l’objectivation ; héros et narrateur se tiennent dans le champ du
sujet – le héros plus au bord il est vrai. Plus franchement de son côté
et face au héros, le narrateur incarnerait « le moi en tant que moi », qui
« est absolument éternel, c’est-à-dire existant en dehors du temps »77,
selon une formule déjà proustienne, mais qui désignait déjà le noumène
chez Kant. Même s’il se refuse à s’objectiver sous le regard du narrateur,
le héros séparé de lui illustrerait assez clairement « la distinction admise

72 Idem, p. 56-57.
73 Idem, p. 58.
74 Idem, p. 59.
75 Idem, p. 60.
76 Idem, p. 69.
77 Idem, p. 72.

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 ’    …

entre l’intelligence absolue et l’intelligence déterminée », entre « le


produisant » et « ce qui est produit »78.
Pour un lecteur de Proust, un aspect, si secondaire dans le
raisonnement schellingien qu’il est à peine relevé par les spécialistes,
retient l’attention au moment d’essayer de penser la partition du sujet
en héros et narrateur dans la Recherche. Tout au long de son « odyssée
de l’esprit », Schelling met en scène « le philosophe », qui suit en
surplomb « le Moi » et le regarde se développer, d’abord à son insu, puis
dans ses aperceptions fragmentaires avant son avènement final à lui-
même. L’évolution par étapes de l’esprit permet en effet de distinguer
fréquemment ce que le sujet manifeste inconsciemment (intuitivement,
mais sans la conscience de son intuition) et « ce que le philosophe voit
seul dans l’action présente »79. Il y a le « point de vue de l’observateur où
se tient le philosophe », et le « point de vue où le moi est actuellement
placé »80. Les vérités acquises, le sont « pour le philosophe, et non pour
l’intelligence », à savoir ici « l’intelligence considérée dans le mécanisme
de la représentation »81. Bref, le Moi, dans son évolution même, s’oppose
à « la conscience philosophique »82, complète et intemporelle.
Ce Moi réfléchissant et ce philosophe en surplomb qui reflète
sa réflexion, se rapprochent subtilement du héros et du narrateur
proustiens. Le narrateur incarnerait ici, si nous suivons l’analyse de
Xavier Tilliette (appliquée à Schelling, non évidemment à Proust), « ce
qu’est le Moi de l’idéalisme transcendantal. Sa signification déborde le
Moi de l’expérience individuelle ; il est l’acte de la conscience de soi en
général »83.
Faces duelles de la même médaille, le héros et le narrateur proustiens
se conçoivent donc à la fois clivés et solidaires. Loin d’être étranger au
narrateur, on l’a aperçu, le héros dans son inconscience même incarne « le
moi, comme tendance infinie à avoir intuition de lui-même »84, par quoi
les deux instances narratives s’incarnent en deux versants du personnage,

78 Idem, p. 184.
79 Idem, p. 110.
80 Idem, p. 145.
81 Idem, p. 176.
82 Idem, p. 244.
83 Schelling : une philosophie en devenir, op. cit., t. I, p. 209.
84 Système de l’idéalisme transcendantal, p. 104.

137
 

dirait Schelling, « en même temps séparés et mis en contact »85. Il


faut en effet, à l’auteur du temps retrouvé et plus particulièrement de
« L’Adoration perpétuelle », ménager « l’harmonie entre le subjectif et
l’objectif », et par là la possibilité d’« une absolue identité »86, considérant
dès l’abord que « toute connaissance repose sur l’accord d’un objectif
avec un subjectif », soit entre la nature et le moi, entre le représenté et
celui qui représente87.
Le héros et le narrateur réunis formeraient ainsi la conscience, en
ce point nodal qui les relie, « là où ce qui est représenté est en même
temps ce qui représente »88, ce qui permet à la conscience, se divisant
en sujet-objet89, de « se discerner comme objet pensé et comme sujet
pensant »90 (encore, on l’a vu, que le romancier quant à lui tende à faire
rentrer l’objet dans le sujet), on dirait peut-être donc plus exactement
de discerner la conscience empirique et la conscience pure (de soi-
même)91. Le héros et le narrateur doivent donc, en dépit de tous clivages
conceptuels, demeurer reliés l’un à l’autre comme deux êtres siamois, de
façon à réaliser, sous l’enveloppe du Moi, « la réunion absolue de l’activité
et de la passivité », comprenons alors « une activité qui suppose un état de
passivité, et réciproquement un état de passivité qui suppose l’activité »92.
Où l’on voit pourquoi le narrateur a eu besoin du héros, et en quoi le
héros annonce et contient en germe son apparent contraire le narrateur,
le héros mettant en scène « la conscience qui se crée d’avance »93, et tous
deux étant en réalité solidaires dans « cette réciprocité conditionnelle
d’activité et de passivité »94 qui décidera d’un autre clivage, celui séparant
cette fois le temps perdu et le temps retrouvé.
Ce n’est à vrai dire pas encore tout à fait cela. Le héros et le
narrateur ont été soudés l’un à l’autre pour laisser apparaître « une nature
d’activités opposées dont l’une se développe à l’infini et l’autre s’efforce

85 Idem, p. 107.
86 Idem, Préface, p. LXXI.
87 Idem, p. 1.
88 Idem, p. 33.
89 Idem, p. 63.
90 Idem, p. 34.
91 Idem, p. 36.
92 Idem, p. 99.
93 Idem, p. 374.
94 Idem, p. 100.

138
 ’    …

d’avoir l’intuition d’elle-même dans ce développement infini » ; car en


réunissant les deux faces de la médaille, on obtient « l’intelligence avec
tout le système de ses représentations »95.

Le clivage entre temps perdu et temps retrouvé demanderait à
présent, si on plaçait ces deux notions forgées par Proust à leur tour sous
l’angle de la pensée schellingienne, un développement égal à celui que
nous terminons, où culminerait le rôle de « L’Adoration perpétuelle » par
rapport au roman de la Recherche et au « temps perdu » qui précèdent.
Mais on comprend maintenant sur pièces en quoi il est loisible
d’affirmer que la structure de la Recherche n’a pas, à proprement parler,
besoin de la conception de Schelling pour se faire jour. Avons-nous
explicité une source, qui se révélera ou non par l’apport de documents
nouveaux ? Si même aucune accointance, nous voulons dire aucune
lecture directe ne peut être jamais établie, il est certain qu’une lecture
schellingienne des fondements conceptuels et structurels du cycle
romanesque en éclairent le mode d’organisation et les potentialités
de signification, que l’on peut conserver, en référence au Système de
l’idéalisme transcendantal – ou même en l’oubliant.
Nous nous sommes attaché jusqu’ici à rapprocher le Système de
l’idéalisme transcendantal de Schelling, dans sa traduction française de
1842, d’À la recherche du temps perdu, en soulignant qu’à ce jour, les
preuves font totalement défaut pour attester une lecture directe du traité
par Proust ; que la médiation de Gabriel Séailles demeure insuffisante
pour supposer chez le romancier une claire connaissance du système
schellingien, système dont la formulation requiert au demeurant
une intellection trop difficile pour pouvoir jouir d’une certaine
popularité, comme ce fut le cas de Schopenhauer traduit par Auguste
Burdeau, ou directement en France de la sociologie de Gabriel Tarde.
Reste que ce système, confronté à la Recherche, permet de proposer
diverses explications sur les structures les plus fondamentales et les
plus mystérieuses du cycle romanesque. Laissant donc la porte ouverte
à une possible source, actuellement contredite pour plusieurs raisons
par les documents qui nous sont parvenus, on est amené à proposer
pour l’instant (et peut-être pour toujours) un éclairage schellingien,

95 Idem, p. 113.

139
 

une lecture schellingienne de l’œuvre de Proust, dont les structures, il


faut le noter, peuvent se passer d’une dette à l’égard de Schelling, mais
reçoivent d’éclairantes justifications à la lumière de son système. Deux
caractéristiques majeures du cycle romanesque sont déjà apparues
justifiées sous cet angle spécifique : la mise en scène d’une odyssée de
l’esprit conditionnant une matière et une forme indissociablement
solidaires, et le lien à la fois d’opposition et de complémentarité
gouvernant l’instance jumelle et anonyme du héros et narrateur de la
Recherche. Dans un troisième et dernier temps, le système de Schelling
proposerait de nombreuses explications du lien, semblablement
d’opposition et de complémentarité, reliant à présent temps perdu et
temps retrouvé.

Le clivage entre temps perdu et temps retrouvé, création proprement
proustienne à mi-chemin du concept et de l’imagination romanesque,
auquel nous nous sommes déjà confronté96, pose plusieurs problèmes
ressortissant pour l’essentiel à la logique : pourquoi faire précéder
l’énoncé de vérités de la peinture des erreurs97, et comment deux âges par
définition opposés l’un à l’autre se situent-ils de telle manière qu’en fait,
le premier prépare le second.
Le temps perdu, Schelling le définirait comme le temps des
limites, nécessaire au développement du Moi pour parvenir au stade
transcendantal. « Arriver à la conscience et être limité, c’est une seule et
même chose. Il n’y a, pour ainsi dire, que ce qui est limité au moi qui
arrive à la conscience »98. Le moi, pour naître à lui-même, doit se poser
des obstacles, « s’opposer à quelque chose »99, à tout ce qui formera (dans

96 Voir L’Éclectisme philosophique…, chap. VII : « Le clivage du temps perdu et


du temps retrouvé ».
97 Selon la formulation de Proust, dans une importante lettre à Jacques Rivière
de janvier 1914 : « cette évolution d’une pensée, je n’ai pas voulu l’analyser
abstraitement mais la recréer, la faire revivre. Je suis donc forcé de peindre
des erreurs, sans croire devoir dire que je les tiens pour des erreurs ; tant
pis pour moi si le lecteur croit que je les tiens pour la vérité. Le second
volume accentuera ce malentendu. J’espère que le dernier le dissipera »
(Correspondance, t. XIII, p. 99-100).
98 Système de l’idéalisme transcendantal, p. 65.
99 Idem, p. 53.

140
 ’    …

le sillage de la pensée de Fichte) le non-moi100. La limitation se conçoit


donc comme productive de connaissance101. « Le moi est donc une
activité combinée »102, où du côté de Proust nous pourrions reconnaître
la superposition de l’élan du héros et de l’analyse du narrateur, qui ne
peuvent être véritablement dissociés. Le temps perdu mettra ainsi en
scène les résistances que rencontre l’activité consciente, parce que « la
résistance invisible […] sert à la détermination de moi-même »103. C’est
le temps, nécessaire et premier, de « l’intuition aveugle », en tant qu’elle
« ne poussera pas la réflexion plus loin », « l’intelligence s’arrêtera donc au
simple phénomène »104. Durant cette période première, le Moi se perd
entièrement dans l’activité productrice des objets.
Schelling pourrait donner à comprendre pourquoi cette longue
période est faite d’hésitations, d’indécision, d’oscillations. Hésitation,
parce que le temps perdu isole le moment où « le moi ne réfléchit pas
encore »105. Ballottement, parce que pris entre diverses tendances, et au
moins deux, le Moi est « celui qui oscille entre les deux »106. Oscillation
productive, car la conscience de soi émerge en résultant de la lutte entre
deux tendances, deux directions antagonistes dans le Moi : s’agissant
du héros proustien, l’alternative de l’art ou la vie, le souhait de quitter
Albertine ou de l’empêcher de partir. De cet antagonisme intérieur naît
pour commencer le mouvement ; de cette scission intérieure, l’activité
unifiante. À long terme s’amorce ici un mouvement dialectique, où
deux pôles contraires se résoudront un jour dans une synthèse, que le
philosophe voit originairement inscrit dans l’esprit107.
Par opposition anticipée avec cette synthèse, le temps perdu est rivé
à la succession. Successif est un terme favori du narrateur proustien, pour
désigner la durée fragmentée où évolue le héros108. Et Schelling propose de
penser cette succession : « cet état où l’intelligence n’est que la succession

100 Idem, p. 54.


101 Idem, p. 55.
102 Idem, p. 66.
103 Idem, p. 276.
104 Idem, p. 275.
105 Idem, p. 130.
106 Idem, p. 111.
107 Voir E. B, La Création selon Schelling, p. 34.
108 Voir L. F, Le Processus de la création chez Marcel Proust. Le fragment
expérimental, p. 10-38.

141
 

des représentations n’est qu’un état intermédiaire admis en elle par le


philosophe, comme la conduisant nécessairement à l’état suivant »109.
Pourquoi le successif règne-t-il ici en maître ? Parce que « dans la conscience
empirique, le tout ne peut être formé que par la synthèse successive des
parties, et seulement donc par des représentations successives »110. Ce
n’est pas tout cependant. Il faut ici apercevoir que « la succession des
représentations » révèle a contrario « une action continue dans le temps »111 :
« Dans la succession que nous venons de décrire, ce n’est pas de cette
succession, qui est en effet entièrement involontaire, que l’intelligence
s’occupe, c’est d’elle-même. Elle s’y cherche, mais précisément pour cela
elle s’y fait elle-même : une fois lancée dans cette succession, elle ne peut
s’apercevoir que comme activité dans la succession »112.
Le temps perdu pour le héros est, on le sait, marqué par son manque
de volonté ; l’intermittence de la volonté pourrait dessiner la courbe du
cycle romanesque. Le temps perdu connaît son premier jour à Combray,
quand les parents capitulent devant la nervosité de l’enfant, le soir où
Swann est venu en visite113 ; et son dernier jour, quand trois épisodes
de mémoire involontaire rendent cependant une volonté désormais
inébranlable au héros, au seuil de l’ultime réception chez la princesse
de Guermantes. Le point le plus intéressant ici est que la doctrine de
Schelling pose que la passivité n’est qu’une activité contrariée. L’intuition
à son plus haut degré prendra la forme de l’activité se faisant passive.
Nous avons observé comment le Moi retire de ses limites une intuition
de lui-même ; il en résulte qu’il n’a pas l’intuition claire de sa propre
intuition ; partant, il « ne cherche que soi dans l’objet » qui le limite, et « y
regarde le négatif comme non posé par lui »114, alors qu’il devra découvrir
ensuite le contraire. À cause de quoi le moi, mis en présence des objets
qui lui font face, n’est pas « qu’une simple réceptivité », et ce « parce qu’on
trouve dans les choses mêmes (en tant qu’elles sont représentées) la trace
incontestable d’une activité du moi »115.

109 Système de l’idéalisme transcendantal, p. 172.


110 Idem, p. 181.
111 Idem, p. 188.
112 Idem, p. 190.
113 Recherche, t. I, p. 35-38.
114 Système de l’idéalisme transcendantal, p. 82.
115 Idem, p. 83.

142
 ’    …

Reprenons ce cheminement sous une autre forme. La passivité


caractérisant le temps perdu se révèle fausse, parce qu’elle est une
conséquence de l’intuition qui est tributaire de la limitation. « Le moi
découvre en soi quelque chose d’opposé ; c’est dire qu’il découvre
en lui une activité annihilée »116. C’est dire que l’effet de suspension
produit par le temps perdu manifeste en creux (tout comme, on l’a vu,
la successivité) le moi comme incessante activité. Dans l’ère du temps
perdu, « le moi ne sent jamais que son activité supprimée »117. Voilà
qui manifeste la « faculté d’intuition » comme « un principe actif »118.
Redisons-le encore autrement : « L’acte qui est le produit de départ de
l’histoire de l’intelligence est l’acte de conscience, en tant qu’il n’est pas
libre et que l’on n’en a pas conscience encore »119 (la conscience s’exerce
sans conscience de son acte). « Le moi, dans cet acte, [n’a] donc pas
conscience de sa propre activité par laquelle il est limité »120. Cette fausse
passivité constitue cependant le passage obligé de la conscience accédant
à la liberté (au contact de ses limites) : « Il doit y avoir primitivement
en moi une non-activité libre, bien que sans conscience, c’est-à-dire
la négation d’une activité qui serait libre si elle n’était primitivement
supprimée ; mais, puisqu’elle est supprimée, donc je ne puis en avoir
conscience comme telle »121.
Sur le plus long terme, le temps perdu et sa passivité dominante
nourrissent donc une étape dans l’éveil de la conscience par élargissements
successifs. La passivité y est en fait « une activité conforme au but, mais
inconsciente. Ce que cette intuition laisse dans la conscience, apparaîtra
donc, il est vrai, comme conforme au but, mais non comme produit
conformément au but »122. Il faudra revenir sur ce cheminement
inconscient, se dévoilant rétrospectivement. Le temps perdu manifeste
un Moi latent. Et l’on en proposera le récit, « la philosophie ayant
pour objet la naissance primitive de la conscience »123. De la passivité
et de la successivité du moi, ballotté dans l’ère du temps perdu, se

116 Idem, p. 84.


117 Idem, p. 85.
118 Idem, p. 93.
119 Idem, p. 142.
120 Idem, p. 143.
121 Idem, p. 272.
122 Idem, p. 371-372.
123 Idem, p. 74.

143
 

dégage, littérairement, un roman d’apprentissage, un roman d’éducation


d’un genre nouveau, si l’on pose avec Schelling l’éducation « comme
condition de la continuité de la conscience »124.

La notion de croyance, concept philosophique richement débattu
peu avant Proust125, et dont à nouveau l’écrivain a su faire un condensé
conceptuel et romanesque original, n’intervient pas nommément chez
Schelling. Mais ce que le philosophe dégage, de la première époque de la
conscience, est susceptible d’en éclairer la portée. On pourrait voir, dans
l’âge proustien des croyances, la mise en scène « des préjugés primitifs »
à l’origine lointaine de la connaissance126. Partie de pile ou face, encore
à son début, entre l’enfance de la pensée et la pensée philosophique :
« Il n’y a que deux voies pour sortir de la réalité commune, la poésie
qui nous jette dans un monde idéal, et la philosophie qui fait évanouir
entièrement devant nous le monde réel »127. Proust insère ici une étape
intermédiaire, montrant comment « le monde réel » semble dissoudre le
monde idéal de la poésie : ce sera l’âge des mots.
Resserrons le raisonnement. En quoi l’âge des croyances, en quoi la
pensée à l’état de croyance dessinerait une première étape, dans l’éveil
progressif de la conscience, et en quoi consisterait cette étape ? C’est le
premier moment, où la pensée ne s’est pas encore séparée de ses objets, le
stade où « tout existe en nous seuls, et sans cette séparation [de la pensée
et de ses objets] nous croirions n’avoir réellement qu’en nous-mêmes
l’intuition de tout »128, tel le héros à Combray induisant Geneviève de
Brabant, et donc la duchesse de Guermantes sa descendante, des plaques
de la lanterne magique et de ses propres rêveries : « le château et la lande
étaient jaunes et je n’avais pas attendu de les voir pour connaître leur
couleur car, avant les verres du châssis, la sonorité mordorée du nom de
Brabant me l’avait montrée avec évidence »129. Une nouvelle étape (l’âge
proustien des mots) se fera jour « après que les choses se sont séparées

124 Idem, p. 271.


125 Voir L’Éclectisme…, chap. VIII, « La croyance et la loi ».
126 Système de l’idéalisme transcendantal, p. 10.
127 Idem, p. 16.
128 Idem, p. 213.
129 Recherche, t. I, p. 9.

144
 ’    …

de nous », « c’est-à-dire le subjectif de l’objectif »130 ; mais « l’intuition


et la notion sont primitivement unies »131. L’évidence, que le narrateur,
dont l’analyse se superpose au regard du héros enfant, énonce avec un
sourire, suggère, au point de vue de Schelling, que « dans le mécanisme
primitif de l’intuition rien ne se présente réellement comme possible
ou impossible […]. Les objets n’apparaissent comme possibles, réels ou
nécessaires que par l’acte supérieur de la réflexion, qui n’a pas encore été
déduit. Jusque-là les catégories n’expriment qu’une simple relation de
l’objet à la faculté de connaître »132.
A priori, ce stade, le tout premier, est aux antipodes de l’ultime,
c’est-à-dire de « l’abstraction transcendantale », par laquelle au contraire
« l’intelligence parvient à séparer l’objet de la notion »133. Mais
« primitivement notre connaissance est complètement empirique, et
complètement a priori »134. Plusieurs conséquences sont cependant
à déduire, de ce système d’opposition apparemment simple. Car
ce premier état n’est en fait pas véritablement simple. Par exemple,
ce que nous semble déjà figurer en images la projection initiale de
lanterne magique, c’est le fait que « l’intelligence s’apparaît comme
ayant commencé à représenter »135 ; le déroulement des images projetées
suggérerait le fait que la conscience est une machine à représenter dont
le commencement de l’activité n’est pas situable. Par ailleurs, l’objet
et le concept, originairement confondus ici, seront donc séparés par
la réflexion et l’analyse. Ce qui permettrait d’induire que l’intérêt
secondaire de la croyance est d’ordre spéculatif, dans le commentaire
distancié qu’y superpose le narrateur. La superposition des deux regards,
celui des deux instances narratives, figurerait « l’acte de conscience,
dans lequel l’absolument identique se sépare pour la première fois »,
séparation qui constitue « un acte d’intuition de soi-même »136.
Un apport essentiel de la doctrine de Schelling pourrait apparaître
ici. On peut longuement hésiter, s’agissant du statut à long terme de
la croyance au sein du cycle romanesque. Bien que la croyance fasse

130 Système de l’idéalisme transcendantal, p. 214.


131 Idem, p. 219.
132 Idem, p. 224.
133 Idem, p. 225.
134 Idem, p. 240.
135 Idem, p. 187.
136 Idem, p. 370.

145
 

apparemment partie, et même la première, des erreurs du temps perdu,


quelque chose toutefois en sera conservé, retrouvé, dans la vocation.
Anne Simon y a très richement insisté, dans la section « Les croyances,
socle de la vocation » de Proust ou le réel retrouvé137. Or, si, comme le
postule Schelling, l’étape ultime dans le développement de la conscience
consiste à retrouver, mais dans la pleine lumière de l’intelligence,
l’unité originelle perdue, on comprend que la croyance, au-delà de son
apparente naïveté première, de l’ignorance conceptuelle qu’elle suppose,
puisse ressurgir au dernier moment : elle réalisait l’unité que recherche
maintenant avec succès la synthèse transcendantale.

En principe, temps perdu et temps retrouvé sont donc clivés. Et ce, au
point de vue de Schelling, parce que « la philosophie part d’une scission
infinie entre des activités opposées »138. Le clivage offrira sa structure
romanesque à « la contradiction primordiale qui existe dans l’essence
du moi », entre le sujet et l’objet au sein du moi, entre l’aspiration à
s’élancer au dehors et à revenir en soi-même ; le clivage nourrit l’effort
du moi pour entretenir son essence, c’est-à-dire pour introduire en elle
l’identité. Il y aura donc ballottement entre les tentations du temps
perdu et les aspirations du temps retrouvé, « la conscience étant une
dualité de direction »139. Temps perdu et temps retrouvé représenteront,
dans le cycle romanesque, sans doute les deux pôles de « l’analytique »
et du « synthétique »140, mais plus fortement « la lutte entre l’activité
qui a conscience et celle qui n’arrive pas à la conscience »141. Ce qui
veut dire, il faut opérer cette distinction supplémentaire, que le temps
perdu comprend deux phases opposées et complémentaires, qui seraient
l’absence d’analyse et l’analyse stérile, qui tourne à vide.
D’où émerge le rapport complexe entre héros et narrateur, déjà
évoqué. Reprenons en effet le premier raisonnement, de façon maintenant
plus complète : « La conscience étant une dualité de directions, le
moyen terme doit être une activité qui flotte entre les deux directions

137 Proust ou le réel retrouvé. Le sensible et son expression dans « À la recherche du


temps perdu », p. 131-136.
138 Système de l’idéalisme transcendantal, p. 364.
139 Idem, p. 67-68.
140 Idem, p. 211.
141 Idem, p. 335.

146
 ’    …

opposées »142. Considérons cependant ces deux pôles dans leurs rapports :
« Il faut donc qu’il y ait union entre eux, puisque, ne pouvant s’annihiler
l’un l’autre, ils ne peuvent cependant subsister ensemble »143. Voilà
pourquoi le héros, devenant narrateur, s’abolit en tant que héros, mais
se trouve à la source d’une instance où héros et narrateur formeront les
deux faces d’une même médaille.
Schelling permet ici de penser avec maîtrise le mode de passage
possible du temps perdu au temps retrouvé. Le lien entre les deux
s’opérera, comme on s’y attend, par un cheminement inconscient. Le
temps retrouvé est contenu en germe dans le temps perdu chaque fois que
le Moi, éprouvant sa liberté au contact des nécessaires limitations, produit
« un acte libre de l’intelligence, que nous ne concevons pas encore »144. Le
temps perdu est un temps retrouvé qui ne se conçoit pas encore.
Plus précisément, l’auteur du Système de l’idéalisme transcendantal
dessinerait, du temps perdu au temps retrouvé proustiens si apparemment
contradictoires, le lien secret de l’intuition, considérant en premier que
« le moi ne cesse jamais […] d’avoir intuition »145. De fait, « l’intuition »
est une ressource qui contient en elle la possibilité de dessiner une
construction invisible et qui s’ignore : c’est, au point de vue du
philosophe, « l’acte de la construction, qui est absolument intérieur » ;
ce qui habite le Moi en cours de développement, c’est « une intuition
spéciale, interne et immédiate »146. Si donc on prend en compte « la
tendance du moi à avoir l’intuition de lui-même dans le développement
indéfini » de son activité première, objective, encore limitée, on saisit
comment l’activité idéale ultérieure peut réfléchir la première147, et
que l’intuition a assuré discrètement la continuité d’activité servant
insensiblement de passerelle entre les deux pôles contradictoires.
Il faut par ailleurs prendre en compte cette fois « la tendance infinie
du moi à devenir son objet à lui-même dans l’activité réelle », parce que
« le moi peut avoir en elle l’intuition de lui-même »148. Aussi le héros et
le temps perdu sont-ils nécessaires au narrateur pour objectiver le moi

142 Idem, p. 68.


143 Idem, p. 69.
144 Idem, p. 77.
145 Idem, p. 213.
146 Idem, p. 15.
147 Idem, p. 74.
148 Idem, p. 80.

147
 

et, par leurs limites, faire émerger des intuitions du moi sur lui-même.
Or, corollairement, « le moi ne peut apercevoir dans l’intuition l’activité
réelle comme lui étant identique, sans trouver en même temps en elle
comme quelque chose d’étranger au moi, le négatif, ce qui fait qu’elle
est quelque chose de non-idéal »149. D’où résulte, chez Proust, le double
statut du temps perdu, en même temps nourricier du temps retrouvé et
nécessairement perçu comme insuffisant.
L’intuition la plus essentielle, reliant secrètement temps perdu et
temps retrouvé, serait donc que la passivité du héros cache une activité
en progrès, si « la passivité, posée immédiatement par mon individualité,
est la condition de l’activité dont j’ai l’intuition hors de moi »150. Du
temps perdu au temps retrouvé, le sujet passera, dirait Xavier Tilliette
exégète de Schelling, « de l’implicite vécu à l’explicite pensé »151.
Si le temps perdu reste sous la tutelle du successif, Schelling décrit
comment le passage du Moi à son ultime stade de développement
s’accompagne d’une abolition de la succession. Du règne de la succession
à son abolition, l’esprit a suivi la démarche générale définissant d’abord
« les conditions négatives » de son développement, ensuite les « conditions
positives » de sa recherche152. « L’intelligence et la succession étaient jusqu’à
présent une seule et même chose. Il faut maintenant que l’intelligence
s’oppose la succession pour s’apercevoir en elle »153. Pour se maîtriser elle-
même, « l’intelligence doit apercevoir la succession comme retournant
sur soi […] : elle n’y apercevra plus la succession »154, précisément à la
faveur de ce stade de « la succession revenant sur elle-même »155, qui pour
finir donne accès au héros proustien à une position extratemporelle,
en opposition à la successivité narrative qui l’a fait parvenir jusque-là.
Ce faisant, il y a eu « passage du subjectif dans l’objectif »156, puisque
« l’objectif n’est qu’un subjectif devenu objet »157. Et l’état limité de

149 Idem, p. 80-81.


150 Idem, p. 268.
151 Une introduction à Schelling, op. cit., p. 51.
152 Système de l’idéalisme transcendantal, p. 183.
153 Idem, p. 191.
154 Idem, p. 192.
155 Idem, p. 193.
156 Idem, p. 286.
157 Idem, p. 291.

148
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successivité (narrative) a été nécessaire un accès à l’intemporalité


(dogmatique), sachant qu’« aucune réflexion ne naît sans résistance »158.
Au point de vue de Schelling, il faudrait dire en dernière analyse que
le temps perdu s’absorbe dans le temps retrouvé. Principalement en vertu
de sa philosophie de l’identité, qui pose que les antinomies premières se
découvrent pour finir solidaires et complémentaires en une seule entité,
qui est l’esprit. Aussi, « ce qui est inconscient dans mon acte, doit être
identique avec ce qui a conscience »159, par quoi le cheminement aveugle
apparaîtra rétrospectivement comme l’autre face de la synthèse finale,
en raison de « l’identité de l’activité ayant conscience et de l’activité sans
conscience »160. Le mouvement de transformation est plus précisément
celui-ci, au moment où « ce qui apparaissait comme… » « se manifestera
et se développera comme… »161. Le développement s’est effectué entre une
série d’apparitions et une autre de manifestations, au sein d’une évolution
où l’élément antérieur est intégré sous un nouveau jour dans une autre
configuration.
Le rôle du temps et de la mémoire, auxquels Schelling confère
une valeur d’aboutissement de sa réflexion, alors que Proust en fera sa
prémisse, donnera chez le philosophe assez nettement à comprendre,
comment chez Proust le temps perdu peut se commuer en temps retrouvé
(non seulement des souvenirs, mais de la vocation et de la forme même
du récit). Un passage du Système de l’idéalisme transcendantal semble
remarquablement décrire par avance la situation du héros engagé dans le
temps perdu, livré à la pure successivité de ses représentations, mais avec
de loin en loin les coups d’arrêts, on le sait, des souvenirs involontaires
ou des impressions privilégiées (auxquelles peuvent être rattachées
les impressions d’art) : « Une fois lancé dans le temps, le moi est la
transition incessante d’une représentation à une autre ; il est vrai qu’il a
toujours la faculté de briser cette série par la réflexion. Toute opération
philosophique commence par la rupture absolue de cet enchaînement »,
en mettant donc en valeur « l’acte qui ne se présente dans la série de ses
représentations qu’en la rompant »162, ce qui correspondrait aux tout d’un

158 Idem, p. 285.


159 Idem, p. 340.
160 Idem, p. 347.
161 Idem, p. 339.
162 Idem, p. 72.

149
 

coup, aux mais tout à coup annonçant, dans la Recherche, les expériences
hors-série. C’est que la conscience empirique accède à des vérités
transcendantes « d’une manière accidentelle »163, il y aura lieu d’y revenir.
Selon le principe des résolutions d’antinomies cher à Schelling, les
représentations soumises à la loi de successivité dans le temps perdu, et
les illuminations ponctuelles faisant signe vers le temps retrouvé, seraient
considérées par le philosophe à nouveau comme les deux faces d’une
même médaille, et voici en quels termes : « en tant qu’elle est empirique,
l’intelligence a une tendance continue à produire, au moins suivant
l’ordre de succession dans le temps, l’univers qu’elle ne peut représenter
en une synthèse absolue. La succession dans les représentations primitives
n’est donc autre chose que l’exposition successive ou le développement
de la synthèse absolue »164. Par quoi se trouve résorbée l’antinomie
entre les âges dogmatiques de la Recherche : la successivité n’est que la
relativisation de l’absolu.
Ce que Proust appellera le souvenir involontaire ne se rencontre
nullement ébauché chez Schelling. Un lecteur de Proust s’arrête devant
la phrase : « le moi doit poser un moment passé comme fondement du
moment présent », mais hésite devant celle qui suit aussitôt : « Le passé
ne naît donc jamais que par l’action de l’intelligence »165, le romancier
tenant à distinguer mémoire involontaire et mémoire de l’intelligence,
ainsi qu’il l’annonce à Élie-Joseph Bois, la veille de la parution de Du
côté de chez Swann : « Pour moi, la mémoire volontaire, qui est surtout
une mémoire de l’intelligence et des yeux, ne nous donne du passé que
des faces sans vérité ; mais qu’une odeur, une saveur retrouvées dans des
circonstances toutes différentes, réveillent en nous, malgré nous, le passé,
nous sentons combien ce passé était différent de ce que nous croyions
nous rappeler, et que notre mémoire volontaire peignait, comme les
mauvais peintres, avec des couleurs sans vérité »166. Or, chez Proust, toutes
les antinomies ne se résolvent pas en synthèses, comme chez Schelling.
Il est vrai que le philosophe rendrait compte, par ce principe, de
l’essence commune entre deux sensations, que révèle seule la mémoire
involontaire chez Proust. La déclaration du narrateur dans Le Temps

163 Idem, p. 235.


164 Idem, p. 194.
165 Idem, p. 186.
166 Essais et articles, p. 558.

150
 ’    …

retrouvé, selon laquelle « en rapprochant une qualité commune à deux


sensations, [l’écrivain] dégagera leur essence commune en les réunissant
l’une et l’autre pour les soustraire aux contingences du temps, dans une
métaphore »167, peut être rapprochée du principe avancé par Schelling, que
le propre de l’essence est de se placer à l’origine de son objet, c’est-à-dire
antérieurement à tout clivage de notions168. Que le narrateur proustien
prescrive au nouvel écrivain de puiser ses ressources essentiellement dans
l’involontaire, entre en correspondance avec « l’insondable profondeur,
que le véritable artiste communique à son œuvre, par une spontanéité
involontaire » selon Schelling, parvenu à l’issue de son Système169.
La double temporalité à laquelle parvient le héros du Temps retrouvé,
quand « une minute affranchie de l’ordre du temps a recréé en nous
pour la sentir l’homme affranchi de l’ordre du temps »170, rejoint cette
considération de Schelling : « La conscience pure est un acte en dehors
du temps. La conscience empirique n’existe que dans le temps ; elle se
manifeste dans la succession des représentations »171. N’en concluons
pas cependant à une source prégnante : la formule de Schelling est
beaucoup moins proche de celle de Proust que la définition kantienne de
l’homme nouménal, « affranchi » des lois du monde et placé « en dehors
du temps », comme le rappellent à l’étudiant Proust Janet et Séailles, dans
leur manuel de licence172. En revanche, la psychologie dans le temps que
Proust propose par analogie différenciée avec la géométrie dans l’espace173,
trouve une théorisation anticipée chez Schelling, au moment de définir le

167 Recherche, t. IV, p. 468.


168 Système de l’idéalisme transcendantal, p. 274.
169 Idem, p. 356.
170 Recherche, t. IV, p. 451.
171 Système de l’idéalisme transcendantal, p. 46.
172 Voir P. J et G. S, Histoire de la philosophie. Les problèmes et
les écoles, p. 353. Sur ce que doit la phrase de Proust au vocabulaire de
l’époque, voir L’Éclectisme…, p. 419 et 440.
173 Voir l’entrevue avec Élie-Joseph Bois : « Vous savez qu’il y a une géométrie
plane et une géométrie dans l’espace. Eh bien, pour moi, le roman ce
n’est pas seulement de la psychologie plane, mais de la psychologie dans le
temps » (Essais et articles, p. 557) ; et ce passage de La Fugitive : « Comme
il y a une géométrie dans l’espace, il y a une psychologie dans le temps,
où les calculs d’une psychologie plane ne seraient plus exacts parce qu’on
n’y tiendrait pas compte du Temps et d’une des formes qu’il revêt, l’oubli »
(Recherche, t. IV, p. 137).

151
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moi tel que le dégage la philosophie transcendantale : « Cet objet qui se


produit soi-même, étant l’unique objet de la philosophie transcendantale,
l’intuition intellectuelle est précisément pour elle ce qu’est l’espace pour
la géométrie »174. L’analogie entre géométrie dans l’espace et psychologie
dans le temps donnerait ainsi à voir l’effort accompli par l’intuition
intellectuelle pour saisir les contours du Moi transcendantal175.

La situation du héros, dans le volet théorique de la « Matinée chez la
princesse de Guermantes » intitulé « L’Adoration perpétuelle », du héros
venant se confondre avec le narrateur, faisant découler une esthétique
littéraire d’une philosophie du sujet, et sur le point de commencer à
écrire une œuvre qui sera et ne sera pas exactement le livre qui au même
instant s’achève, cette situation finale peut avec profit être interprétée
à la lumière du Système de l’idéalisme transcendantal, en rapport avec le
dernier stade de l’évolution du moi selon Schelling, l’accès à la synthèse

174 Système de l’idéalisme transcendantal, p. 40.


175 Contrairement à Bergson bientôt, mais dans le sillage de Kant, Schelling
pose l’espace et le temps comme solidaires : « Le temps n’est défini que par
l’espace, l’espace que par le temps. Ils sont définis l’un par l’autre, c’est-à-
dire, ils se déterminent et se mesurent réciproquement, c’est pourquoi la
mesure la plus primitive du temps est l’espace que parcourt un corps mu
uniformément, et la mesure la plus primitive de l’espace, le temps que met
à parcourir un corps mu uniformément. Ils apparaissent donc tous deux
comme absolument inséparables » (idem, p. 164). Bergson au contraire
partira du paradoxe des Éléates (Achille et la tortue, le lancer de javelot)
pour critiquer les démarches de l’analyse à travers la notion, rendue par
là négative, de l’espace. Schelling en concluait bien au contraire : « Nous
pourrions définir l’espace : le temps fixé, contenu ; définir le temps : l’espace
fuyant » (idem, p. 175), ce que ne semblerait pas infirmer Proust romancier,
quand il clôt Du côté de chez Swann par ces mots : « le souvenir d’une certaine
image n’est que le regret d’un certain instant ; et les maisons, les routes, les
avenues, sont fugitives, hélas, comme les années » (Recherche, t. I, p. 420).
Par ailleurs, on sait que le narrateur dans La Fugitive compare son travail
de schématisation clarifiante à la vision du géomètre, l’écrivain cherchant à
établir des lois procédant « comme un géomètre qui dépouillant les choses
de leurs qualités sensibles ne voit que leur substratum linéaire » (idem,
t. IV, p. 296). Pour Schelling, la représentation schématique constitue
« l’intermédiaire de la notion à l’objet » (Système de l’idéalisme transcendantal,
p. 216) ; le schématisme « est aux notions ce que le symbole est aux idées »
(idem, p. 217).

152
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transcendantale, et les réflexions finales du philosophe sur la raison d’être


de l’art.
L’un des éclairages les plus convaincants, qu’apporte la lecture de
Schelling à la conception de la Recherche, est une donnée du Système
propre à expliquer pourquoi la vocation littéraire du héros, quoique se
préparant depuis si longtemps, se déclare au centre du Temps retrouvé
de la façon la plus fortuite. On se souvient de cette remarque augurale
du narrateur : « Sans que j’eusse fait aucun raisonnement nouveau,
trouvé aucun argument décisif, les difficultés, insolubles tout à l’heure,
avaient perdu toute importance »176. La première page qu’écrivit le héros,
aux abords de Combray, sur les clochers de Martinville, surgit selon
le même processus fortuit : « j’eus une pensée qui n’existait pas pour
moi l’instant avant, qui se formula en mots dans ma tête »177. Pourquoi
sembler attribuer au hasard la découverte essentielle, au sein d’une œuvre
retraçant pourtant l’acheminement vers cette découverte ?
Schelling l’explique, à la fin de son traité : « la plus haute puissance
de l’intuition de soi-même […] doit apparaître comme absolument
accidentelle ; c’est cet absolu accidentel dans la plus haute puissance de
l’intuition de soi-même qu’exprime l’idée de génie »178. Cette intuition
fortuite est fréquemment nommée : « Cela n’a pas reçu d’explication
jusqu’à présent »179, « jusqu’à présent, il nous est absolument impossible
de le savoir »180, s’agissant d’« une intuition d’une nature qui nous est
jusqu’à présent complètement inconnue »181.
Plusieurs raisons sont alors invoquées, de cette découverte à long terme
qui se fait accidentellement. D’abord, le Moi ressortissant à la nature
sans conscience aussi bien qu’à la volonté avec conscience, on trouvera
dès lors « dans le subjectif, dans la conscience elle-même, cette activité à
la fois ayant et n’ayant pas conscience »182. Dès lors, il y a surgissement
inopiné de la décision parce que « la condition de la possibilité de la
volonté doit être produite dans le moi sans sa participation », si bien
que plus précisément, « cette action de l’intelligence doit être en même

176 Recherche, t. IV, p. 445.


177 Idem, t. I, p. 178.
178 Système de l’idéalisme transcendantal, p. 373-374.
179 Idem, p. 211.
180 Idem, p. 212.
181 Idem, p. 215.
182 Idem, p. 14.

153
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temps explicable et inexplicable. La notion médiatrice de cette notion


est celle d’un postulat qui explique l’action dans le cas où elle arriverait
(comme pouvant arriver), sans qu’elle doive arriver pour cela. Elle peut se
produire aussitôt que naît pour le moi la notion de la volonté, ou aussitôt
que, réfléchie soi-même, elle se considère dans le miroir d’une autre
intelligence ; mais il n’est pas obligatoire qu’elle se produise »183. Ainsi
en est-il chez Proust, de l’objet devant susciter le souvenir involontaire
(telle ici la madeleine) : « Cet objet, il dépend du hasard que nous le
rencontrions avant de mourir, ou que nous ne le rencontrions pas »184.
Mais l’aperception transcendantale sera pour finir communicable parce
que chaque lecteur n’est « que la pleine conscience d’un autre »185. C’est
ce que la philosophie appellerait l’intersubjectivité, qu’un passage du
Système de l’idéalisme transcendantal s’attache, sinon à définir, du moins
à caractériser186.
Le moment où une décision longuement mûrie surgit de façon
fortuite répond au processus selon lequel « l’activité inconsciente agit par
l’intermédiaire de l’activité consciente jusqu’à ce qu’elle entre en identité
complète avec elle »187. Les phénomènes de mémoire involontaire,
surgissant au seuil de la « Matinée chez la princesse de Guermantes »,
ressortiraient ainsi à la philosophie de l’identité, étant rendus possibles
par la conjonction finale d’un cheminement inconscient et de la pleine
conscience. C’est cette ultime résolution dans l’identité qui adjoint in
extremis « ce qui est produit sans dessein à ce qui était engendré avec
conscience et à dessein », et telle est « la notion obscure du génie »188.
Obscure, car se faisant jour au sein de cette contradiction au regard de
la logique. Il y a eu, assez tôt dans le développement de l’esprit, nécessité
« d’une contradiction, de sorte que, la contradiction étant posée, la libre
activité est involontaire »189, ce que montrent, dans le cycle romanesque,
les épisodes de mémoire involontaire ; et ce parce que, pour se fondre
dans son identité avec la nature, l’esprit, à ce stade ultime, doit abdiquer
la liberté née des obstacles rencontrés au cours de son évolution, l’art

183 Idem, p. 260.


184 Recherche, t. I, p. 44.
185 Idem, t. IV, p. 473.
186 Système de l’idéalisme transcendantal, p. 261-263.
187 Idem, p. 350.
188 Idem, p. 353.
189 Idem, p. 354.

154
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opérant la synthèse de la nature et de la liberté : voilà pourquoi la création


artistique s’accomplit « sans que la liberté y ait part »190 ; dès lors pour
finir, « la production artistique sort du sentiment d’une contradiction
insoluble en apparence », et « s’achève dans le sentiment d’une harmonie
infinie »191. Le génie suscite ainsi « une coïncidence soudaine de l’activité
inconsciente avec l’activité consciente »192.
Le surgissement final de l’acte de volonté pure est irréductible –
irréductible à un raisonnement déductif. Parce que la conscience
absolue finale abolit la liberté qui était née de la scission du moi sujet
avec les objets ; parce que la production artistique se poursuit dans un
cheminement inconscient qui la fait apparaître pour finir comme un
don gratuit ; selon l’apparence d’un don gratuit, parce que l’œuvre d’art
replace la conscience au stade de son acte inaugural, et parce que le
principe retrouvé de l’identité fait disparaître aussi le clivage entre liberté
et nécessité.
S’il existe un point sur lequel la mise en scène du roman et les
formules de l’écrivain se rapprochent réellement de la philosophie
schellingienne, c’est au moment d’assigner une place à la découverte
fortuite de la vérité, au terme d’un long cheminement.

Considérons pour finir ce moment de « L’Adoration perpétuelle »,
où le héros, attendant dans la bibliothèque du prince de Guermantes
de pouvoir entrer au salon, reconsidère toute son évolution sous le jour
d’une toute nouvelle certitude, celle de vouloir s’atteler à une œuvre
longue. Avant même tel ou tel point de la doctrine avancée, cette
situation en elle-même mérite d’être confrontée aux idées de Schelling.
Cette situation même, c’est-à-dire le fait qu’elle constitue un
événement, peut-être le plus marquant de toute la Recherche. Nous venons
de voir pourquoi la fin du cycle romanesque doit être due à un coup
de théâtre, qu’apparemment rien ne laissait prévoir ; il est loisible de
réfléchir avec Schelling au singulier relief de cette ultime péripétie.
La philosophie de la création survient comme un avènement, parce
que philosopher est un événement : « Philosopher est aussi un acte ; c’est

190 Idem, p. 357.


191 Idem, p. 354.
192 Idem, p. 362.

155
 

en même temps une intuition constante de soi-même dans cet acte »193.
La synthèse artistique, que caractérise le philosophe tout à la fin de son
propre traité, n’est rien de moins que la révélation de l’absolu. En quoi
la vérité doit-elle prendre la forme d’une révélation, et cette révélation la
forme d’une action, en l’occurrence éclatante ? C’est que « le moi ne se
produit qu’en se connaissant »194 ; comprenons qu’il doit donc se produire
lui-même comme objet de connaissance. Aussi revient-il au philosophe
de « décrire l’action par laquelle il naît »195. Action longuement étirée
lorsqu’il s’agit de dérouler les étapes de l’avènement de l’esprit à lui-
même (son « odyssée ») ; récit précipité et saisissant lorsqu’il parvient à
l’ultime et complète prise de conscience de soi.
Le coup de théâtre accompagnant la prise de possession de l’esprit
par lui-même provient du fait qu’une telle prise de conscience constitue
une surprise pour l’intelligence. Schelling d’ailleurs fait intervenir déjà
cet événement, non comme chez Proust au moment où apparaît le
Moi transcendantal, mais au seuil, on va le voir, de l’étape précédente,
quand le Moi vient de conquérir sa liberté au contact des obstacles
qui lui ont fourni, par la limitation, la conscience de soi : « ce point où
commence pour elle la conscience, doit paraître à l’intelligence comme
complètement déterminé sans sa participation. La conscience, en effet,
naissant à ce point, et avec la conscience la liberté, ce qui se trouve
au-delà de ce point doit paraître entièrement étranger à la liberté »196. Et
de fait, l’abdication de la liberté aura lieu à la faveur de l’ultime étape,
qui est un retour à l’identité. Mais déjà ici, la conscience est devenue
conscience de soi non insensiblement, mais par ce que Proust romancier
appellerait un « coup de barre ». « C’est le caractère propre de votre
limitation particulière, que ce qui est antérieur à votre conscience vous
apparaisse comme indépendant de vous »197. L’auteur de la Recherche
concentre cet effet dans l’illumination finale.
Son enjeu, alors, n’est plus la limitation, qui est aussi conquête de
la liberté, mais, dirait ici Schelling, « la dernière action par laquelle la
conscience complète est posée dans l’intelligence »198. Conçue comme

193 Idem, p. 9.
194 Idem, p. 39.
195 Idem, p. 42.
196 Idem, p. 182-183.
197 Idem, p. 185.
198 Idem, p. 205.

156
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l’accès à l’abstraction absolue, cette ultime péripétie est décrite par le


philosophe sous un jour qui entretient plusieurs rapports avec la situation
finale du héros, à la « Matinée chez la princesse de Guermantes ». « Cette
action étant absolue, ne peut avoir sa condition dans aucune des actions
précédentes ; elle brise donc la continuité des actions dans laquelle la
subséquente est rendue nécessaire par la précédente ». Coup de théâtre
donc, volte-face, parce que « c’est une action qui n’est pas la conséquence
d’une action précédente de l’intelligence : elle n’est donc pas explicable
par l’intelligence, en tant que celle-ci est déterminée, en tant qu’elle agit
d’une manière déterminée ; mais comme elle doit être expliquée, elle ne
peut l’être que par ce qu’il y a d’absolu dans l’intelligence, que par le
principe suprême de tout acte » ; car ce dont il s’agit ici, c’est de « l’action
par laquelle l’intelligence se détermine elle-même »199.
C’est ce que met en scène le soliloque, à l’insu de tous, du sujet
proustien, qui voit, alors seulement, apparaître (réapparaître) le vouloir,
à considérer comme « détermination de l’intelligence par elle-même »,
dans la mesure où « l’intelligence ne se devient objet à elle-même,
que par l’intermédiaire de la volonté »200. Et le vouloir peut faire son
apparition parce que la conscience vient habiter « le moi tout entier,
c’est-à-dire le moi en même temps idéal et réel »201. On se souvient que
pour Proust, chaque esprit doit reconstruire son monde par lui-même, à
plus forte raison s’agissant des créateurs, « chaque artiste recommençant
pour son compte un effort individuel ne peut y être aidé ni entravé
par les efforts de tout autre »202. Au moment de caractériser, on l’a
vu, l’intersubjectivité, Schelling avance que « d’après les principes de
l’idéalisme transcendantal, une influence immédiate d’intelligences est
impossible », « toute détermination ne venant dans l’intelligence que
par la détermination de ses représentations »203. Ainsi le héros sera-t-il,
durant l’ultime épisode du Temps retrouvé, le théâtre d’un événement
ignoré de tous, lequel serait, en termes schellingiens, « l’apparition de
cette volonté absolue qui construit toute conscience », « la conscience se
devenant objet à elle-même »204, et bien plus encore à ce stade ultime de

199 Idem, p. 247.


200 Idem, p. 248.
201 Idem, p. 251.
202 Recherche, t. II, p. 194.
203 Système de l’idéalisme transcendantal, p. 260-261.
204 Idem, p. 304.

157
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la pensée, où « toute lutte doit donc disparaître et toute contradiction être


conciliée ». Et le philosophe d’ajouter : « le sentiment qui accompagnera
cette intuition sera le sentiment d’une satisfaction infinie »205, reposant
sur « une harmonie imprévue »206.
Cette harmonie, c’est l’identité retrouvée. Pareille résolution permet
à l’esprit de connaître ce qui excède l’esprit (en dépassant l’interdit
kantien attaché au noumène). L’esprit accède pour finir, dans le système
de Schelling, à un Absolu supérieur à toute opposition. L’Art sera par
excellence la forme de l’intuition totale et de l’identité absolue.
Le sujet découvrira alors qu’il existe « une harmonie préétablie » entre
« le monde idéal et le monde réel »207, donc aussi entre le subjectif et
l’objectif208 (Schelling rappelle que « tout le problème de la philosophie
transcendantale » est « l’accord du subjectif et de l’objectif »209), entre
le conscient et l’inconscient210, entre la liberté et la nécessité211, toutes
composantes de « l’identité absolue, dans laquelle il n’y a pas de dualité,
et qui, précisément parce que la dualité est la condition de toute
conscience, ne peut jamais arriver à la conscience »212. Rencontre chez
Proust du temps perdu et du temps retrouvé, du héros et du narrateur,
de l’involontaire et de la volonté, du temporel et de l’extratemporel. Si le
terme de rapport est si fréquemment employé, dans la démonstration de
« L’Adoration perpétuelle »213, on songe que, chez Schelling, la mise en
rapport ou en relation est le troisième terme, par lequel se résolvent les
antinomies214. Cette entreprise de résolution, qui donne accès à l’absolu,
par l’art, prime alors tout autre but – y compris moral, la morale se
trouvant dépassée par les finalités de l’art. Schelling pose que l’artiste

205 Idem, p. 352.


206 Idem, p. 353.
207 Idem, p. 13.
208 Idem, p. 308-309.
209 Idem, p. 347.
210 Idem, p. 333-334.
211 Idem, p. 340.
212 Idem, p. 334.
213 Notamment : « la réalité est un certain rapport entre ces sensations et ces
souvenirs qui nous entourent simultanément […] — rapport unique que
l’écrivain doit retrouver pour en enchaîner à jamais dans sa phrase les deux
termes différents », et dès lors « l’écrivain prendra deux objets différents,
posera leur rapport » (Recherche, t. IV, p. 468).
214 Système de l’idéalisme transcendantal, p. 151.

158
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« répugne même enfin à s’allier à ce qui n’appartient qu’à la morale », ou


seulement comme à tout ce qui « doit en définitive ne servir que comme
moyen pour ce qu’il y a de plus élevé, l’art »215, cependant que pour le
narrateur du Temps retrouvé, on ne saurait demander d’abord à l’écrivain
de servir la gloire de sa patrie, car « il ne peut la servir qu’en étant artiste,
c’est-à-dire qu’à condition, au moment où il étudie ces lois, institue ces
expériences et fait ces découvertes, de ne pas penser à autre chose – fût-ce
à la patrie – qu’à la vérité qui est devant lui »216.
La société même des Guermantes se fond dans un monde d’idées, dans
l’univers du héros, lequel s’attachera à convertir toutes ses expériences en
un « équivalent spirituel »217 ; les souvenirs reconstitués lui rendent par
ailleurs les éléments de la réalité vécue « réels sans être actuels, idéaux sans
être abstraits »218. Ces formules, proches de l’Essai sur le génie dans l’art
de Gabriel Séailles219, résultent chez ce dernier lui-même d’un héritage
schellingien, le philosophe posant qu’à l’énoncé des lois générales, « les
phénomènes semblent eux-mêmes se spiritualiser davantage »220, ce qui
annonce que « dans la connaissance transcendantale l’objet disparaîtra
en tant qu’objet, et il ne restera que l’acte par lequel la connaissance
s’opère »221, et ce parce que « ce n’est qu’en s’élevant au-dessus de
tout objet, que le moi peut se connaître comme intelligence […].
L’intelligence s’élève par un acte absolu au-dessus de tout objectif »222.
Voilà qui pourrait éclairer l’optique dans laquelle la spiritualisation de la
matière illumine la « Matinée chez la princesse de Guermantes ».
« Réels sans être actuels, idéaux sans être abstraits ». L’aboutissement
du parcours schellingien se rapproche de ces formulations – sans
d’ailleurs s’y superposer. « L’acte de la conscience est en même temps
et complètement idéal et réel »223, pose le philosophe, qui explicitera
plus loin sa pensée : « L’intelligence dans la volonté idéalise et réalise en
même temps […] parce que dans toute réalisation il y a, outre l’activité

215 Idem, p. 361.


216 Recherche, t. IV, p. 467.
217 Idem, p. 457.
218 Idem, p. 451.
219 Voir L’Éclectisme…, p. 927-929.
220 Système de l’idéalisme transcendantal, p. 4.
221 Idem, p. 8-9.
222 Idem, p. 236.
223 Idem, p. 62.

159
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réelle, une activité idéale »224. Seraient ainsi à observer, dans la formule
de Proust, moins les deux nuances et distinctions que les deux adjectifs
servant d’attaque : réels, idéaux. Et là, le romancier se rapprocherait de
Schelling, en ce que l’idéalisme, chez le philosophe, aboutit à un réalisme,
propre à expliquer l’étrange mouvement, étrange car à contretemps d’un
apprentissage d’écrivain, de la tripartition dogmatique de la Recherche,
de l’âge des noms et des mots à l’âge final des choses225. L’acquisition
essentielle de l’ultime épisode romanesque n’est pas un apprentissage du
langage, mais l’accès à une conscience totale, à la faveur de laquelle toutes
les limitations nourrissant l’ère du temps perdu se trouvent dépassées.
L’activité esthétique, annonce très tôt le philosophe dans son traité,
ce sera l’activité pleinement consciente d’elle-même. Voilà pourquoi
« l’organe général de la philosophie, et la clé de voûte de tout l’édifice,
est la philosophie de l’art »226, philosophie de l’art qui est à comprendre
(ce qui expliquerait que chez Proust, elle ait pris la forme de l’histoire
d’une vocation, c’est-à-dire du récit d’une destinée individuelle, mené
à la première personne), comme « l’acte de la construction, qui est
absolument intérieur », ayant requis dès longtemps (chez Proust, dès l’ère
du temps perdu) « une intuition spéciale, interne et immédiate »227 que
l’écrivain dans ses lettres compare à l’orientation des pigeons voyageurs ;
comme il l’écrit en 1908 : « le talent choisit, le génie oriente »228.

224 Idem, p. 274.


225 Voir Correspondance, t. XII, p. 232, juillet 1913 ; Proust demande à Louis
de Robert, s’agissant des trois volumes dont se compose à cette date le cycle
romanesque : « Aimeriez-vous comme titre : […] l’Âge des noms pour le
premier. Pour le deuxième : l’Âge des mots. Pour le troisième : l’Âge des choses ».
226 Système de l’idéalisme transcendantal, p. 14.
227 Idem, p. 15.
228 Correspondance, t. XXI, p. 629. Une lettre de 1921 précise : « Cette justesse
qui élit le réel dans l’infini des possibles – avec la certitude du ramier suivant
la route invisible – est ce qui me frappe le plus » (ibid., t. XX, p. 96). Voir
aussi cette indication inachevée : « Je travaille comme un insecte dont
l’instinct (la fatigue m’empêche de continuer) » (ibid., p. 315). Ces lettres,
et d’autres approchantes, sont réunies et commentées dans notre ouvrage
Proust au miroir de sa correspondance, « Métaphores et réflexions sur la
vocation », p. 418-428.

160
 ’    …

Les considérations du Système de l’idéalisme transcendantal permettent


en dernier lieu d’interpréter une grande énigme attachée à la structure
de la Recherche, qui est qu’au moment où pour finir le héros va se
transformer en le narrateur, l’œuvre semble donc faire se rejoindre sa fin
et son début en un cycle, cependant qu’à y regarder de plus près, l’œuvre
à venir du héros ne sera pas exactement celle que le narrateur est en
train d’achever, qui avait en somme pour sujet la préparation au Livre,
lui-même rejeté dans l’absolu d’un au-delà du cycle romanesque. Qu’en
est-il et pourquoi ?
Que l’œuvre soit cyclique, que la boucle soit bouclée, peut être
à l’évidence mis en rapport avec l’itinéraire même de l’esprit dont
l’odyssée est retracée – l’esprit qui retrouve pour finir le principe
d’identité abolissant les antinomies, mais conservant de l’ère des
antinomies l’émergence de la conscience ainsi qu’un souvenir de liberté.
La troisième période, dans l’évolution de l’esprit selon Schelling,
est un retour à la première, enrichi de la pleine conscience. Aussi le
philosophe insiste-t-il sur la correspondance entre la fin et le début,
dans un tel itinéraire qui est à la fois celui de la conscience et celui,
on l’a vu, de l’exposé philosophique : « Un système est achevé s’il est
ramené à son point de départ ; c’est ce qui a lieu pour le nôtre. C’est
en effet ce principe primordial de toute harmonie entre le subjectif et
l’objectif, qui dans son identité primitive ne pouvait être exprimée que
par l’intuition intellectuelle, qui par l’œuvre d’art est tiré entièrement
du subjectif et est devenu entièrement objectif, de sorte que nous avons
conduit successivement notre objet, le moi, jusqu’au point où nous
nous trouvions, lorsque nous avons commencé notre philosophie »229.
Situation qui ne laisse pas de ressembler à la position du narrateur
proustien, par rapport au héros.
L’œuvre d’art en effet parvient à présenter l’infini comme fini, à la
faveur d’une intuition intellectuelle devenue objective ; plus précisément,
elle représente, au moi qui s’était scindé pour prendre conscience de lui-
même, l’absolument identique qui le renvoie à son origine (Schelling
amorce ici la toute proche philosophie de l’identité, qu’il commencera
à élaborer un an après le Système de l’idéalisme transcendantal, en 1801).
Il en résulte aussitôt plusieurs explications au fait que l’œuvre doive

229 Système de l’idéalisme transcendantal, p. 367.

161
 

renvoyer, à l’intérieur d’elle-même, à un au-delà d’elle-même ; au fait que


l’œuvre loge l’essentiel d’elle-même en dehors d’elle-même.
Incarnant l’infini dans le fini, l’œuvre bien évidemment désigne, à
travers son objet, un au-delà d’elle-même. Elle indique une direction
qui la dépasse ; elle produit, dans son accomplissement, « la notion d’un
objet possible, c’est-à-dire de quelque chose qui n’est pas actuellement,
mais qui peut être dans le moment suivant », « en même temps idéal et
réel »230 ; réel en ce qu’il doit être réalisé par l’activité. L’œuvre semble
confier l’essentiel d’elle-même à son propre avenir pour cette raison :
« Outre ce qu’il y a placé évidemment à dessein, l’artiste paraît avoir
en même temps exposé instinctivement dans son œuvre un infini
qu’aucune intelligence n’est capable de développer entièrement »231, ce
qui procure une nourriture « pour l’intuition qui aime à se perdre dans
les profondeurs de son sujet »232. Ici d’ailleurs, si séduisante que soit
l’idée, Proust ne saurait suivre Schelling jusqu’au bout, tenant quant à
lui à apparaître comme maîtrisant intégralement le développement et le
sens de son œuvre.
Reste que, dans une optique schellingienne, la dissertation théorique
de « L’Adoration perpétuelle », en même temps qu’elle surplombe la
création, sera appelée à être dépassée par cette dernière, par quoi une
philosophie de l’art ne saurait clore la signification des œuvres d’art, qui
demeure toujours à venir : « Si l’intuition esthétique n’est que l’intuition
transcendantale devenue objective, il est évident que l’art est le seul et
véritable organe de cette philosophie, et qu’il est en même temps le
document, qui confirme toujours et sans cesse ce que la philosophie
ne peut exposer extérieurement, je veux dire ce qu’il y a d’inconscient
dans l’activité et la productivité, et son identité primitive avec ce qui
s’y trouve de conscient. L’art est donc ce qu’il y a de plus élevé pour le
philosophe »233.

On le voit, ce n’est pas le moindre mérite de la philosophie de
Schelling, d’apporter une réponse théorique aux grandes énigmes de
signification et de structure liées à la Recherche du temps perdu : pourquoi

230 Idem, p. 259.


231 Idem, p. 357.
232 Idem, p. 358.
233 Idem, p. 266.

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 ’    …

l’apprentissage d’un écrivain se termine par l’âge des choses, pourquoi


l’instance narrative se divise en un héros et narrateur et quelle est leur
situation respective, pourquoi les croyances initiales sont si opposées aux
découvertes finales mais sans en être exclues, pourquoi une vocation dès
longtemps préparée finit par éclore fortuitement, pourquoi l’œuvre fait
pour finir retour sur son commencement, et pourquoi le livre à venir
échappe en partie cependant à cette forme cyclique (ce qu’éclairerait la
conception de l’éternel retour selon Nietzsche).
Jusqu’à preuve du contraire, nos rapprochements n’ont pas
exactement révélé une source ; nous avons parlé la structure du cycle
romanesque en termes schellingiens. Il nous a fallu du reste redisposer
entièrement, selon l’optique proustienne, une philosophie dont l’exposé,
dans la traduction de 1842, est singulièrement abstrus, avançant par
affirmations dépourvues de définitions, ce qui excluait par avance
toute popularité de cette théorie. L’Essai sur le génie dans l’art ne suffit
pas à éclaircir l’itinéraire de la conscience et la position des notions
chez Schelling, dont nous avons eu besoin toutefois pour que le
rapprochement avec Proust prenne sens. Par ailleurs, contrairement à
Gabriel Séailles et Gabriel Tarde, Schelling ne propose pas à Proust des
formulations que l’on reconnaîtrait dans le texte de la Recherche. Si un
petit nombre d’analogies dans les idées sont troublantes, le plus grand
nombre reste à l’état d’une possible application. Le romancier, licencié
de la Sorbonne, en reste en fait au point de vue de ses professeurs : il
considère d’un peu loin la façon dont la philosophie allemande fond la
psychologie dans la métaphysique ; sa pensée voisine moins avec les lois
du cosmos qu’avec ce que la philosophie française contemporaine appelle
les états de conscience. Le grand Tout ne l’intéresse guère – à cause de quoi
aussi la Volonté schopenhauerienne demeurera incommensurable à son
univers idéel et romanesque.
Rapprochement gratuit ? Laissons la porte ouverte à l’apparition
de nouveaux documents. Et quand bien même nous ne ferions que
parler l’œuvre de Proust en termes schellingiens, le Système de l’idéalisme
transcendantal nous offre un support théorique permettant de penser
(sans doute partiellement et entre autres) les principales difficultés du
roman proustien, comme si un grand théoricien occidental les revisitait
aujourd’hui pour nous.

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 

Bibliographie
N.B. : Pour les publications le plus fréquemment utilisées dans ce recueil, voir la
Bibliographie générale figurant à la fin de l’introduction.
B Émile, Schelling, Paris : Félix Alcan, « Les Grands Philosophes »,
1912.
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de Louvain, 1987.
C Jean-François, « Les relations de Ravaisson et de Schelling »,
dans La Réception de la philosophie allemande en France aux XIXe et
XXe siècles, publié sous la direction de Jean Quillien, Lille : Presses
universitaires de Lille, 1994, p. 111-134.
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de… », 2001.
F Luc, Le Processus de la création chez Marcel Proust. Le fragment
expérimental, Paris : Corti, 1988.
F Luc, Proust au miroir de sa correspondance, Paris : SEDES, « Les
livres et les hommes », 1996.
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J Paul et S Gabriel, Histoire de la philosophie. Les problèmes et
les écoles, Paris : Charles Delagrave, 1887, rééd. 1894.
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P Daniel, « Ravaisson et Schelling », Études philosophiques 3, 1988,
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1884.
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romande », Studia philosophica, vol. 14, 1954, p. 91-111.
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Alain Pernet et présentés par Xavier Tilliette, Paris : Klincksieck,
« L’esprit et les formes », 1978.
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1883.
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philosophique J. Vrin, « Bibliothèque d’histoire de la philosophie »,
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T Xavier, Une introduction à Schelling, Paris : Champion,


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