Capture D'écran . 2021-05-10 À 17.47.32
Capture D'écran . 2021-05-10 À 17.47.32
Capture D'écran . 2021-05-10 À 17.47.32
Présentation
Cours
I. L’animal dans la pensée grecque : le même et l’autre
A. Des animaux, des hommes et des dieux : Homère
B. Naissance de la zoologie : Aristote et Pline
C. L’homme et l’animal
II. Du scepticisme au rationalisme : l’animal mécanisé
A. Montaigne et l’intelligence des bêtes
B. Descartes et l’animal-machine
C. Malebranche et l’animal humilié
III. Les Lumières : proliférations animales
A. L’étrange origine
B. L’âme des bêtes, encore
C. Diversité et étrangeté des animaux
IV. L’évolutionnisme, des Lumières à Bergson : peut-on faire
l’histoire des animaux ?
A. Anciennes rêveries
B. De l’histoire naturelle au transformisme
C. De l’origine enfin comprise ? La révolution darwinienne et ses critiques
V. Les découvertes de l’éthologie
A. Évolutionnisme et comportement
B. Les théories
C. De l’instinct au « monde animal »
D. Une « culture » animale ?
VI. Le phénomène animal
A. Les questionnements de Husserl
B. Heidegger et l’animal « pauvre en monde »
C. Merleau-Ponty et l’ouverture à l’animalité
VII. Les approches morales de l’animal
A. La valeur pédagogique de l’animal
B. Animal et déontologie
C. Utilitarisme et libération animale
D. Animal et éthique appliquée
VIII. La question j uridique
A. Un droit d’abord hostile
B. Le droit des animaux : un extrémisme ?
C. Le droit animalier : un juste milieu ?
IX . L’animal politisé
A. Le darwinisme social
B. Animal et totalitarisme
C. Extinction et biodiversité
X . L’animal et le sacré
A. Dieux animalisés chez les pharaons
B. Créatures inférieures dans l’Ancien Testament
C. Mystère du sacrifice pour le christianisme
D. Statut de l’animal selon l’hindouisme
X I. Représentations littéraires et artistiques de l’animal : du
bestiaire au « portrait »
A. L’animal, et ses « images »
B. L’animal, « lui-même » ?
Textes commentés
1. Cicéron, De la nature de dieux, II, 48, vers 45 av. J.-C., trad. Ch. Appuhn,
2. Virgile, Géorgiques, IV, v. 149-183, vers 30 av. J.-C., trad. Desportes
modifiée.
3. Plutarque, S’il est loisible de manger chair, e siècle, trad. Amyot
4. Plotin, Ennéades 38 [VI,7], 7, e siècle, trad. M.-N. Bouillet
5. Ibn Tufayl, Le philosophe autodidacte, e siècle, trad. Gauthier
6. François d’Assise, Fioretti, chapitre 16 : « Le sermon aux oiseaux »,
e siècle, trad. Vorreux
Dissertations corrigées
1. Peut-on connaître l’animal ?
2. Regarder les animaux
3. L’homme est-il un animal dénaturé ?
4. La société animale
5. Y a-t-il une beauté animale ?
6. L’animal et Dieu
Glossaire
Bibliographie
Cours
I. L’animal dans la pensée grecque : le même et
l’autre
Considérer l’animal dans une durée aussi longue que celle de la
« pensée grecque » pourrait sembler arbitraire. Mais le découpage
chronologique prend une certaine pertinence, d’une part par rapport
à son bord extrême (le passage au christianisme), d’autre part parce
qu’à travers les siècles et des auteurs si différents, certaines
questions reviennent régulièrement. Il y a bien un « contexte grec »
de la réflexion sur l’animal. Le polythéisme multiplie les figures où se
mêlent dieux, hommes et animaux. Le cosmos est empli de vies.
Dire que l’homme n’est qu’un vivant parmi les autres serait
évidemment faux. Mais on ne peut pas, dans la pensée grecque,
partir d’une définition première de l’homme, donnant un cadre pour
toute une culture, comme la définition biblique : « être à l’image de
Dieu » « être qui est à l’image de Dieu ». Certes, nous verrons aussi
que la Bible est très loin d’avoir un discours univoque sur les
animaux. Mais on ne peut que prendre acte du fait que c’est d’abord
dans la pensée grecque que les Renaissants ou les Modernes
puiseront leur « réhabilitation » de l’animalité. Comme si, malgré les
métaphysiques, ne s’est jamais perdu l’intérêt pour une certaine
diversité de la nature, dont l’homme fait partie comme d’autres êtres,
certains étant du plus haut intérêt. On pourrait objecter qu’il ne
faudrait surtout pas tomber dans une vision nostalgique d’une
pensée grecque unanimement attentive à cette diversité, à la chaîne
qui lie tous les vivants, à l’intelligence animale etc. L’idée d’une
supériorité éminente de l’être humain est bien présente chez Platon,
Aristote ou les stoïciens. On sait comment est-elle définie. Par le
logos le plus souvent. Mais que veut dire ce logos ? La pensée ? La
raison ? Le langage ? La capacité sociale ? Comment Aristote, celui
qui définit l’homme comme « animal politique », peut-il en même
temps s’intéresser aux sociétés animales ? Pas d’angélisme donc :
on voit bien se dessiner, surtout à partir d’Aristote, l’idée d’une
opposition forte entre homme et animal, et c’est aussi en s’appuyant
sur les stoïciens, par exemple, que le christianisme pourra justifier
l’idée d’un écart insurmontable entre les deux.
Mais il est sans doute appauvrissant de ne voir la question
animale dans la pensée grecque qu’à travers le prisme d’une
opposition des « pour » et des « contre » : défenseurs d’une
« raison » ou d’une intelligence animale contre ceux qui la refusent,
au nom d’un comportement qui s’appellera plus tard « instinctif ». Il
faut d’abord insister sur le fait que c’est avec la philosophie grecque
qu’a été construit le premier effort occidental pour fonder une
zoologie. Cette vision scientifique des animaux n’a pas pour
première fonction de le situer par rapport à l’être humain, mais tout
simplement d’en ordonner la connaissance : étudier l’animal, n’est-
ce pas une des plus nobles tâches que peut justement se fixer le
logos ?
Plutôt qu’un strict point de vue chronologique, on examinera d’un
côté la vision poético-mythique de l’animal chez Homère, puis l’effort
de connaissance rationnelle et enfin le débat sur la spécificité de
l’animal par rapport à l’homme.
B. Descartes et l’animal-machine
On a souvent fait de Descartes (1596-1650) le dénégateur de
toute intelligence animale. Sa théorie est en réalité très subtile et a
pour projet de mieux comprendre la spécificité de l’homme. C’est en
effet bien plus en humaniste de la Renaissance soucieux
d’anthropologie qu’en zoologue que Descartes s’intéresse à l’animal.
Sa pensée ne propose pas une théorie générale de l’animal mais
aborde des points singuliers qui permettent de mieux comprendre,
par différenciation, ce qui distingue l’homme des autres vivants.
Retenons trois entrées possibles dans son étude de l’animalité : la
machine, « les esprits animaux » et le langage.
Dans l’œuvre de Descartes, le passage le plus célèbre consacré à
l’animal se situe dans la cinquième partie de son Discours de la
méthode (1637) dont le titre est « Ordre des questions de
physique ». La zoologie cartésienne s’insère donc dans une analyse
générale des lois de la nature. Or ces lois obéissent à un modèle,
celui de la machine, le monde lui-même étant pour Descartes une
machine. Pourquoi un tel modèle ? Parce qu’il permet à la fois de
rendre compte des mouvements les plus vastes (celui qu’étudie la
cosmologie sur laquelle Descartes s’est penchée dans son Traité du
Monde) et des mouvements les plus subtils de la Nature : ceux
internes aux vivants. En effet pour comprendre les lois de la biologie,
Descartes procède d’une part par simplification : réduire la diversité
de la matière à l’étendue et, analogiquement, le vivant au
mécanique, c’est s’en tenir à l’évidence. Ainsi, comparer le vivant à
une machine, c’est n’y voir que le certain tout en soulignant les
limites de la connaissances humaines car le corps y est appréhendé
« comme une machine qui, ayant été faite des mains de Dieu, est
incomparablement mieux ordonnée et à en soi des mouvements
plus admirables qu’aucune de celles qui peuvent être inventées par
l’homme » (Discours de la méthode, Cinquième partie). De l’animal,
on ne pourra dire que ce qui permet de l’intégrer dans le mécanisme
universel de la Nature. C’est aussi, d’autre part, procéder par
modélisation : l’intérêt du modèle mécanique est qu’il étale et rend
visible l’architecture du corps. Mais il ne s’agit que d’un modèle.
Descartes ne dit jamais que l’animal est une machine mais il
demande si en concevant l’animal comme une machine, on accède
plus facilement à une juste description de son fonctionnement. Cette
démarche lui paraît légitime parce que : « il n’y a rien de plus
conforme à la raison que de juger des choses, qui, à cause de leur
petitesse, ne peuvent être aperçues par les sens, à l’exemple et sur
le modèle de ce que nous voyons » (Lettre à Plempius, 3 octobre
1637). Avec la machine, l’intelligible devient lisible. La machine,
modèle explicatif sans portée ontologique, sera donc un médiateur
clair entre l’homme et le monde extérieur, entre l’homme et l’animal,
entre l’homme et son propre corps.
Q u’en est-il maintenant des « esprits animaux » et que désigne
cette expression ? Repartons de la machine. Parce que la machine
suffit à expliquer le mouvement de l’animal, Descartes en déduit
que, contrairement à ce qu’affirme Aristote, l’animal n’a pas besoin
d’une âme pour se mouvoir. La cause première du mouvement n’est
plus l’âme mais la chaleur. La chaleur est une espèce de feu dont
Descartes rappelle qu’il peut se produire sans lumière comme on
l’observe parfois quand le foin s’échauffe après qu’on l’ait enfermé
avant qu’il ne soit sec : « Sachez que la chair du cœur contient dans
ses pores l’un de ses feux sans lumière » (Traité de l’homme). Le
mouvement du cœur serait l’effet de ce feu qui dilate le sang dont
les cavités du cœur sont remplies. Le sang circule sous l’effet de
cette dilatation/ condensation due à la chaleur. Or c’est cette chaleur
qui génère, outre le mouvement du sang, les « esprits animaux » :
« les parties de ce sang les plus agitées et les plus vives, étant
portées au cerveau par les artères qui viennent du cœur […]
composent comme un air ou un vent très subtil qu’on nomme esprits
animaux » (La Description du corps humain). Autrement dit pour
Descartes c’est le sang qui anime. La chaleur et les esprits animaux
expliquent donc tous les mouvements du corps (apparents et
internes) et par conséquent toute l’activité de l’animal. La vie étudiée
par la biologie est un processus purement mécanique, plus
précisément thermomécanique. Dire que tout est mécanique, c’est
par exemple expliquer la digestion non pas par la chimie de la
fermentation mais par l’agitation des particules et par la filtration :
« les viandes se digèrent dans l’estomac de cette machine, par la
force de certaines liqueurs, qui, se glissant entre leurs parties, les
séparent, les agitent et les échauffent » (Traité de l’homme). ; c’est
aussi expliquer la génération par un tourbillon de sang qui s’organise
peu à peu et finit par produire des tissus. Q uant à la nature des
différentes parties du corps, elle s’explique par la vitesse du
mouvement de ses parties internes : « les parties de tous les corps
qui ont vie sont en continuel changement en sorte qu’il n’y a autre
différence entre celles qu’on nomme fluides, comme le sang, les
humeurs, les esprits, et celles qu’on nomme solides, comme les os,
la chair, les nerfs et les peaux sinon que chaque particule de celles-
ci se meut beaucoup plus lentement que celles des autres »
(Description du corps humain). Mais si Descartes mécanise les
différentes parties du corps, il ne spécule pas sur son origine comme
totalité. Autrement dit, il ne nie pas qu’il y ait une finalité dans le
vivant mais il estime que nous ne pouvons pas la connaître car cette
finalité est celle voulue par Celui qui crée le vivant : Dieu. Or nous
n’avons pas accès aux desseins de Dieu. Nous éprouvons donc
cette finalité mais nous ne saurions la concevoir.
Q uoi qu’il en soit, notre ignorance relative à l’égard de l’essence
de l’animal n’empêche pas Descartes de tirer toutes les
conséquences du mécanisme qui les anime, à savoir l’impossibilité
de leur accorder la raison et la liberté dont l’usage du langage serait
la manifestation. Premier philosophe à avoir voulu argumenter
contre la possibilité d’un langage animal, le père du rationalisme
admet certes avec Montaigne que les animaux ont des « finesses »
(Lettre à Morus, 5 février 1649), qu’ils peuvent être éduqués et qu’ils
peuvent même proférer des paroles (parce qu’ils « signifient leurs
impulsions naturelles, telles que la colère, la crainte, la faim ou
autres états semblables, par la voix ou par d’autres mouvements du
corps ») mais il affirme que pour pouvoir faire tout cela, il n’est pas
nécessaire de supposer que les animaux pensent. Car si l’on
observe les choses de près, on verra que ce qu’expriment les
animaux relève toujours des passions et seulement d’elles et que
« le plus grand de tous les préjugés de notre enfance, c’est de croire
que les bêtes pensent ». C’est que le langage est l’expression de la
substance pensante (par laquelle Descartes définit l’âme). Or
l’animal n’est fait que de substance étendue (qui caractérise le
corps). Tout en lui, on l’a vu, peut s’expliquer par des mouvements
mécaniques. Aussi l’absence de langage « ne témoigne pas
seulement que les bêtes ont moins de raison que les hommes, mais
qu’elles n’en ont point du tout » (Discours de la méthode, Cinquième
partie). C’est pourquoi, il ne faut pas se méprendre sur le pouvoir de
communiquer de certains animaux. Dans sa Lettre au marquis de
New castle du 23 novembre 1646, Descartes retourne l’exemple de
la pie proposé par Montaigne en prenant le cas d’une pie à qui « on
apprend à dire bonjour à sa maîtresse lorsqu’elle la voit arriver ». On
ne saurait douter que « la prolation de cette parole devienne le
mouvement de quelqu’une de ses passions ; à savoir, ce sera un
mouvement de l’espérance qu’elle a de manger, si l’on a toujours
accoutumé de lui donner quelque friandise, lorsqu’elle l’a dit ». Ceci
prouve que la pie ne parle pas : elle réagit mécaniquement à une
situation déterminée, de sorte qu’une fois conditionnée, il serait bien
difficile de faire taire la pie lorsque sa maîtresse se présente à elle.
Aussi, pour Descartes, comme il l’explique encore à la fin de la
cinquième partie du Discours de la méthode : il ne faut pas
confondre « les paroles avec les mouvements naturels, qui
témoignent les passions et peuvent être imités par des machines
aussi bien que par des animaux ; ni penser, comme quelques
anciens, que les bêtes parlent, bien que nous n’entendions pas leur
langage ». De ce point de vue, ce qui singularise la parole, c’est
l’impossibilité d’en expliquer les arrangements divers et presque
illimités par la seule existence des organes physiques de la machine
corporelle. Donc il y a des animaux, comme les pies ou les
perroquets qui « peuvent proférer des paroles ainsi que nous, et
toutefois ne peuvent parler ainsi que nous » et il y a des hommes
qui, privés des organes de la parole comme les muets et les sourds,
néanmoins parlent en inventant « quelques signes, par lesquels ils
se font entendre ». Bref, pour Descartes, « la parole […] ne convient
qu’à l’homme ». Autrement dit, les animaux communiquent mais ne
parlent pas. Ce que Montaigne confondait habilement, Descartes,
conformément à sa méthode, le sépare : la parole et la
communication ne sont pas synonymes. « Q ue les chiens
approuvent de la queue, explique-t-il dans la Lettre à More du 15
avril 1649, ce sont là seulement des mouvements qui accompagnent
les affections, et je pense qu’il faut soigneusement les distinguer du
langage qui seul révèle la pensée latente dans le corps ». Mais il
faut aller plus loin : ce que découvre Descartes dans cette critique
du langage animal, c’est la caractéristique essentielle du langage
humain, à savoir qu’il exprime à la fois notre raison et notre liberté.
Comme le remarque Chomsky dans La linguistique cartésienne
(1968), Descartes est le premier à voir « l’aspect créateur » du
langage, sa capacité à se « dégager de tout stimulus ». Peut-être
même convient-il de saisir la parole davantage comme le signe de
notre liberté que de notre raison car même lorsque l’homme
déraisonne, il garde le privilège refusé aux bêtes d’associer
librement les mots : « C’est une chose bien remarquable, qu’il n’y a
point d’hommes si hébétés et si stupides, sans en excepter même
les insensés, qu’ils ne soient capables d’arranger ensemble diverses
paroles, et d’en composer un discours par lequel ils fassent entendre
leurs pensées ; et qu’au contraire, il n’y a point d’autre animal, tant
parfait et tant heureusement né qu’il puisse être, qui fasse le
semblable » (Discours de la méthode, V). Encore faut-il remarquer
que cette spécificité accordée au langage humain sert
avantageusement la conception métaphysique que Descartes se fait
de l’homme car, pour lui, la raison et la liberté n’ont pas une cause
naturelle. La parole serait donc le signe grâce auquel l’homme se
découvre comme une créature à part, ainsi que l’enseigne la
religion.
La théorie dite de « l’animal-machine » sert donc la métaphysique
dualiste de Descartes et illustre sa méthode analytique fondée sur
une séparation stricte de ce qui semble uni. Mais rappelons ici que
Descartes, même s’il disséquait lui-même des bœufs pour mieux
comprendre la mécanique du vivant, n’était pas insensible aux
animaux et à leur vitalité. Comme il l’écrit dans la réponse aux
Sixièmes O bjections : « Je n’ôte la vie à aucun animal, ne la faisant
constituer que dans la chaleur du cœur. Je ne leur refuse pas même
le sentiment autant qu’il dépend des organes du cœur ». En outre
Descartes semble avouer indirectement que sa théorie s’est
construite dans le but d’échapper à un certain sentiment de
culpabilité : « Mon opinion n’est pas tant cruelle envers les animaux
qu’indulgente envers les humains […] puisqu’elle les absout du
soupçon de crime lorsqu’ils mangent ou tuent des animaux » (Lettre
à More du 5 février 1649).
A. L’étrange origine
Les grandes découvertes ont rendu familière l’image de peuples
« sauvages », vivant plus près de la nature. Les mythes anciens
fournissent des modèles de vie naturelle, où l’homme vit en
communion avec les dieux et les animaux. La philosophie grecque
s’est déjà intéressée à la question de l’origine des animaux. Mais il
ne faut justement pas confondre deux « origines » : celle de la
culture « à partir » de l’animalité, et celle des espèces animales en
général (l’homme y compris). Les aspects naturalistes et
anthropologiques peuvent certes se rencontrer (comment les
animaux sont apparus, et comment l’homme est devenu ce qu’il est),
mais il est important de commencer à les distinguer. Le choc
philosophique produit par le Discours sur l’origine et les fondements
de l’inégalité parmi les hommes (1755) fut d’abord celui de l’étrange
représentation de l’état de nature dans la première partie du texte. Il
faut cependant rappeler que, depuis un bon siècle, les esprits se
passionnent pour la question du « sauvage », selon deux grands
axes : l’homo ferus (l’enfant sauvage) et l’homo sylvestris (les
singes, comme les Orangs-outans, dont on se demandait s’ils
n’étaient pas des hommes primitifs). Une des originalités de
Rousseau est de rester très prudent par rapport à ces questions de
fait, et de construire surtout une fiction théorique de l’origine animale
de l’homme.
Certes, sur ce point il n’invente pas tout. Il peut puiser notamment
au seul texte de l’antiquité qui développe longuement une réflexion
des premiers temps de l’histoire humaine, le livre V du De natura
rerum de Lucrèce, le disciple latin d’Épicure. Selon le philosophe
poète, la nature a produit les êtres vivants par étape, d’abord
directement de la terre, puis par engendrements. Lucrèce construit
le contraire du mythe de l’âge d’or : l’évolution de l’espèce humaine
est celle d’un progrès à partir d’un état « primitif » : « Ils ne savaient
encore quel instrument est le feu, ni se servir de la peau des bêtes
sauvages, ni se vêtir de leurs dépouilles. Les bois, les cavernes des
montagnes, les forêts étaient leur demeure ; c’est dans les
broussailles qu’ils cherchaient pour leur corps malpropre un abri
contre le fouet des vents et des pluies. Le bien commun ne pouvait
les préoccuper, ni coutumes ni lois ne réglaient leurs rapports. La
proie offerte par le hasard, chacun s’en emparait ; être fort, vivre à
sa guise et pour soi, c’était la seule science. Et Vénus dans les bois
accouplait les amants. Ce qui donnait la femme à l’homme, c’était
soit un mutuel désir, soit la violence du mâle ou bien sa passion
effrénée, ou encore l’appât d’une récompense, glands, arbouses ou
poires choisies » (De la nature, Livre V, v. 951-963, traduction André
Lefèvre). L’homme paraît bien sauvage, primitif dirait-on, en ces
premiers temps. Mais c’est paradoxalement en cela que se creuse
une différence avec l’animal. Car ce dernier est certes aussi issu
d’une forme de changements : la nature commença par tâtonner, et
créa des monstres. Mais elle arriva enfin aux espèces stables. Or,
seul l’homme est d’emblée un être apte au progrès. C’est parce qu’il
a été primitif qu’il peut devenir autre, l’animal étant tout ce qu’il est
(idée très clairement reprise et développée par Rousseau).
Toute l’originalité de Rousseau est de « croiser » les mythes de
l’âge d’or (Hésiode, Ovide, le paradis terrestre de la Genèse) avec
cette vision d’un caractère primitif apte au progrès. Mais l’homme
« naturel » du Discours n’a rien de commun avec notre définition
commune de l’homme, et même de l’homme « primitif ». Cet homme
rousseauiste de l’origine ressemble plutôt à un « animal ». Comme
chez Lucrèce, il n’a pas de langage, vit seul dans les bois, et connaît
des désirs extrêmement simples : « Ses désirs ne passent pas ses
besoins physiques ; les seuls biens qu’il connaisse dans l’univers,
sont la nourriture, une femelle, et le repos ; les seuls maux qu’il
craigne sont la douleur et la faim… ». Mais, contrairement à Lucrèce
cette fois, cet état n’est pas de dureté, de violence, mais de
tranquillité et de pureté. L’homme était un animal heureux, et, en un
sens, rien d’autre, et aurait pu rester dans cet état fort longtemps. Il
ne s’agit pas de nier certaines spécificités humaines, mais celles-ci
tiennent au simple physique. Prenons la question classique de la
station debout. Les arguments que l’on peut soutenir pour son
caractère naturel à l’espèce ne doivent rien à Aristote et au
caractère divin de l’intelligence humaine, mais à de pures
considérations physiques : « Les principales sont : que la manière
dont la tête de l’homme est attachée à son corps, au lieu de diriger
sa vue horizontalement, comme l’ont tous les autres animaux, et
comme il l’a lui-même en marchant debout, lui eût tenu, marchant à
quatre pieds, les yeux directement fichés vers la terre, situation très
peu favorable à la conservation de l’individu […] ; que s’il eût posé le
pied à plat ainsi que la main, il aurait eu dans la jambe postérieure
une articulation de moins que les autres animaux, savoir celle qui
joint le canon au tibia, et qu’en ne posant que la pointe du pied,
comme il aurait sans doute été contraint de faire, le tarse, sans
parler de la pluralité des os qui le composent, paraît trop gros pour
tenir lieu de canon et ses articulations avec le métatarse et le tibia
trop rapprochées pour donner à la jambe humaine dans cette
situation la même flexibilité qu’ont celles des quadrupède »
(Discours… , note 3).
De même, cet homme primitif ne chassait pas, et c’est sur
l’examen de la conformation même du corps que l’on peut étayer
que la nature humaine n’était pas faite primitivement pour manger de
la chair : « Parmi les quadrupèdes, les deux distinctions les plus
universelles des espèces voraces se tirent, l’une de la figure des
dents, et l’autre de la conformation des intestins. Les animaux qui ne
vivent que de végétaux ont tous les dents plates, comme le cheval,
le bœuf, le mouton, le lièvre, mais les voraces les ont pointues,
comme le chat, le chien, le loup, le renard. […] Il semble donc que
l’homme, ayant les dents et les intestins comme les ont les animaux
frugivores, devrait naturellement être rangé dans cette classe »
(Ibid., note 5).
L’animalité serait donc le propre de l’homme. Mais les
considérations physiques et historiques prennent tout leur sens
quand on se penche sur les dispositions morales de notre animalité
première. Rousseau sait très bien qu’il rejoint une bonté mythique, et
il cite lui-même ces sources : « Dicéarque, dit saint Jérôme, rapporte
dans ses Livres des antiquités grecques que sous le règne de
Saturne, où la terre était encore fertile par elle-même, nul homme ne
mangeait de chair, mais que tous vivaient des fruits et des légumes
qui croissaient naturellement » (Ibid.). Mais ce clin d’œil à la tradition
du végétarisme primitif recouvre une question beaucoup plus
fondamentale, qui est celle des « passions primitives ». Cet homme-
animal éprouve en effet des « sentiments naturels », l’amour de soi
et la pitié. Or, précisément parce qu’ils sont naturels, ils ne sont pas
spécifiques à l’espèce humaine ! L’amour de soi, si l’on en suit la
définition qu’en donne Rousseau, est très proche de l’instinct de
conservation, de la classique oikéosis stoïcienne. On objectera que
la « pitié » est d’une tout autre sorte. Contre une tradition chrétienne
d’une pitié-charité comme vertu proprement humaine, Rousseau fait
fond sur la défense sceptique de l’animalité. Non, la pitié n’est pas le
propre de l’homme, elle est « si naturelle que les bêtes mêmes en
donnent quelquefois des signes sensibles. Sans parler de la
tendresse des mères pour leurs petits, et des périls qu’elles bravent
pour les en garantir, on observe tous les jours la répugnance qu’ont
les chevaux à fouler aux pieds un corps vivant ; un animal ne passe
point sans inquiétude auprès d’un animal mort de son espèce ; il y
en a même qui leur donnent une sorte de sépulture ; et les tristes
mugissements du bétail entrant dans une boucherie annoncent
l’impression qu’il reçoit de l’horrible spectacle qui le frappe ».
(Discours… , première partie).
Rarement, sans doute, un philosophe n’aura « animalisé »
l’homme à ce point. Et pourtant, ce n’est pas pour dénier à l’homme
un « propre », puisqu’il est en effet le seul animal « perfectible »,
c’est-à-dire capable par sa liberté de sortir de la fixité du
comportement instinctif. Soulignons cependant que ce « propre » est
ambigu, puisqu’il conduit l’homme à des progrès qui sont en même
temps des régressions. Et Rousseau décrit longuement ce moment
primitif pour que nous sachions qu’il est encore là en nous, par
exemple sous la forme des sentiments primitifs. S’il ne s’agit pas de
retourner vivre dans les bois, si le retour en arrière n’a aucun sens
pour une espèce qui s’est tellement éloigné de son origine, le rappel
de l’origine a une fonction morale essentielle, qui est de nous
rappeler la présence de ces sentiments naturels par-delà les
déformations de l’amour-propre, qui est la passion sociale par
excellence. On pourrait ajouter, même si Rousseau ne le dit pas, en
repensant aux débats de l’antiquité, que cet amour-propre, qui est
une forme moderne d’orgueil, est aussi ce qui nous empêche de
« voir » notre origine « animale ».
A. Anciennes rêveries
Il faut commencer par faire pièce à l’idée que l’évolutionnisme
darwinien serait isolé en son temps. L’idée d’une transformation des
espèces fait partie de la pensée des Lumières (nous l’avons
rapidement évoquée avec Diderot). Le débat entre « fixisme » issu
d’Aristote (renforcé par la Bible) et « transformisme » défendu par
des auteurs bien différents (et pas forcément « matérialistes ») est
fort actif à partir du milieu du siècle. Mais il serait tout aussi faux de
penser que la pensée occidentale ait été univoquement fixiste !
Rappelons d’abord les termes du débat. Depuis le e siècle,
A. É volutionnisme et comportement
La théorie de la sélection ne fut pas sans effet sur la réflexion sur
le comportement. Le principe de la sélection apporte certaines
réponses, notamment à travers l’étude de la sélection sexuelle, qui
occupe toute la deuxième partie de la Descendance de l’homme. Ce
qu’on appelle « instinct » est un comportement sélectionné, et
certains de ces comportements n’ont eu d’autres fins que de
conserver ce qui offre un avantage reproductif : « La sélection
sexuelle a dû provoquer le développement de beaucoup d’autres
conformations et de beaucoup d’autres instincts ; nous pourrions
citer, par exemple, les armes offensives et défensives que
possèdent les mâles pour combattre et pour repousser leurs rivaux ;
le courage et l’esprit belliqueux dont ils font preuve ; les ornements
de tous genres qu’ils aiment à étaler ; les organes qui leur
permettent de produire de la musique vocale ou instrumentale et les
glandes qui répandent des odeurs plus ou moins suaves ; en effet,
toutes ces conformations servent seulement, pour la plupart, à attirer
ou à captiver la femelle » (La descendance de l’homme, II, chapitre
VIII, traduction Edmond Barbier).
Le rapport homme/ animal se trouve aussi repensé. Pourtant, on
pourrait objecter que l’idée que l’homme ait des « ancêtres »
animaux est tout aussi présente chez Lamarck. Mais, chez ce
dernier, l’idée de supériorité de l’espèce humaine ne fait pas
problème précisément parce que l’évolution est orientée : elle va du
moins complexe au plus complexe, et l’on peut même dire du plus
dépendant au plus indépendant (plus un organisme est complexe,
plus sa structure intérieure prime sur les effets du monde
environnant). Dans le cas du darwinisme, le problème se pose en
termes de différences, de spécificités, qu’il faut étudier comme telles.
On le voit quand il étudie les émotions, dans L’expression des
émotions chez l’homme et chez les animaux (1872), ouvrage dans
lequel il commence par critiquer ceux qui ne prennent pas en
compte ce qui nous rend proches des singes : « Sir Ch. Bell soutient
que beaucoup de nos muscles de la face sont “ uniquement des
instruments de l’expression” , ou “ sont spécialement disposés pour
cet objet” . Cependant le simple fait que les singes anthropoïdes
possèdent les mêmes muscles faciaux que nous rend cette opinion
très improbable ; car personne, je présume, ne sera disposé à
admettre que les singes ont été pourvus de muscles spéciaux
uniquement pour exécuter leurs hideuses grimaces. » Il y a
incontestablement une origine « animale » à nos émotions, c’est-à-
dire que des mouvements des muscles, qui avaient une fonction
précise (pour la chasse par exemple) ont pris un sens
« psychologique ».
Au rebours, il s’agit d’étudier le comportement de l’animal en lui-
même, selon les principes de l’émotion (principes de l’association
des habitudes utiles, de l’opposition et de l’action directe sur
l’excitation), de montrer que chez l’homme elle réagit aux mêmes
lois, tout en montrant qu’il y a bien une spécificité humaine : « Dès
l’origine aussi, on a dû, sous l’influence d’une grande souffrance,
pousser des cris ou des gémissements, se tordre, et serrer les
dents. Mais les mouvements si expressifs qui accompagnent les cris
et les pleurs n’ont dû se montrer, chez nos ancêtres, qu’au moment
où les organes de la circulation et de la respiration, ainsi que les
muscles péri-oculaires, ont atteint l’état de développement qu’ils ont
actuellement. L’habitude de répandre des larmes paraît avoir été le
résultat d’une action réflexe, due à une contraction spasmodique des
paupières, et peut-être aussi à leur injection par l’afflux sanguin au
moment des cris. Il est donc probable que nos ancêtres ne
commencèrent qu’assez tard à pleurer ; et cette conclusion
s’accorde avec le fait que nos plus proches parents, les singes
anthropomorphes, ne pleurent pas […]. L’expression du chagrin et
de l’inquiétude est donc éminemment humaine » (L’expression des
émotions… chapitre X V).
Ce magnifique texte pose la question du « sens moral », qui, pour
Darwin, est bien ce qui fait de l’homme un animal incontestablement
particulier (cf. notre partie sur l’éthique). Mais, ce que lègue le
darwinisme, c’est on le voit l’idée que les comportements sont
orientés selon une logique sélective. Et l’on est alors en pleine
ambiguïté… Car, à la fin du e siècle, on se rend compte que l’on
B. Les théories
La question majeure de l’étude du comportement est de
comprendre le rapport de l’animal à son monde, à son
environnement. Or, la théorie de la sélection ne répond pas
complètement au problème, puisqu’elle se contente d’apporter un
argument particulier à l’origine de certains comportements instinctifs.
Le concept d’instinct reste lui-même un des grands sujets de débat
depuis la fin du e siècle. Il est frappant de voir que, sous des
nouveau ces camps. Mais avec une différence importante, qui est
que cette fois ces théories s’appuient sur des données scientifiques
solides (physiologie, fonctionnement du système nerveux…) et des
observations et des expériences élaborées (par exemple l’étude du
réflexe conditionnel chez Pavlov etc.).
Un passage du grand éthologue Konrad Lorenz à propos des
débats sur la nature de l’instinct montre bien quels « camps » sont
en vigueur : finalisme d’un côté, mécanisme de l’autre se divisant en
« comportementalisme » (le behaviourisme de W atson) et
« réflexologie » (issue des travaux de Pavlov) : « Du point de vue
des vitalistes, l’“ instinct” était un “ facteur directif” fondamentalement
réfractaire à toute explication causale, et, partant, le comportement
conditionné par l’instinct était nécessairement caractérisé par
l’inconstance de forme typique qui caractérise tout comportement
orienté vers une fin […]. Du côté des mécanistes, en revanche,
“ l’école” des behavioristes soutenait qu’il n’existe pas plus de
séquences de mouvements innés et complexes qu’il n’existe
“ d’objectifs” innés, et que la structure finaliste intéressant la
conservation de l’espèce et ce qu’on désigne par comportement
instinctif n’était qu’apparemment innée, qu’elle était en réalité
acquise […] par voie d’essai et d’erreur (W atson). L’école
pavlovienne des réflexologues concédait pour sa part l’existence de
séquences de mouvements innées hautement spécialisées et
relativement longues, mais les interprétait comme des
enchaînements de réflexes inconditionnés » (Konrad Lorenz, Le tout
et la partie dans la société animale et humaine, 1950, traduction C.
et P. Fredet).
D. U ne « culture » animale ?
Merleau-Ponty considère qu’il y a incontestablement un « monde
animal » et un « monde humain ». Parmi les questions qui se posent
de plus en plus sont celles qui visent à contredire, ou en tout à cas à
nuancer fortement l’idée d’un comportement qui serait
fondamentalement instinctif d’un côté, intelligent de l’autre, ou pour
le dire en termes plus classiques, naturel et culturel. Il faut
remarquer d’abord que la question d’une « culture » animale ne se
pose réellement qu’avec des espèces supérieures, les plus
« intelligentes » justement. C’est l’étude des chimpanzés qui conduit
par exemple à s’intéresser à leurs capacités à manipuler des outils,
rompant avec l’idée que l’hominisation passerait essentiellement par
l’accès à la technique : « Dans les années 1960 Jane Goodall est la
première à mettre en évidence que les chimpanzés utilisent des
branchettes cassées de façon à pouvoir « pêcher » aisément dans
leurs nids les termites dont ils sont friands […] Le doute n’est plus
permis : en milieu naturel, les chimpanzés se servent régulièrement
d’outils, fabriqués à partir de matériaux divers et utilisés dans des
tâches variées » (Dominique Lestel, L’animalité) . L’éthologie
moderne a ajouté les capacités de certains animaux à entrer dans
des rapports coopératifs, une réévaluation de la question du
langage, l’« empathie » etc. Le cas du langage est paradigmatique,
tant il est déjà un des grands marqueurs de division depuis
l’antiquité, entre Aristote qui ne prête aux animaux qu’une phonè
(une « voix ») capable d’exprimer les sentiments de plaisir et de
déplaisir (seul l’homme pouvant, par son logos, débattre du juste et
de l’injuste) et ceux qui, des sceptiques à Plutarque, ne cessent de
mettre en avant la réalité d’un langage animal que nous sommes
difficilement capables de comprendre. Or, deux données
considérables sont apparues au e siècle : des études
B. Animal et déontologie
1. Kant, une morale réservée à l’homme
D’un point de vue déontologique, peut-on imaginer que l’homme
ait vis-à-vis des animaux des devoirs inconditionnels ? Kant (1724-
1804), représentant type d’une morale fondée sur les devoirs, ne le
croit pas. Dès ses Leç ons d’éthique (cours prononcés de 1775 à
1780), il affirme que « les animaux n’ont pas conscience d’eux-
mêmes et ne sont par conséquent que des moyens en vue d’une fin.
Cette fin est l’homme. Aussi n’a-t-il aucun devoir immédiat envers
eux ». En un sens, bien qu’attaché à fonder la morale sur la seule
raison, Kant ne se départit guère de l’enseignement religieux des
Ecritures : Dans ses Conjectures sur le commencement de l’histoire
humaine (1786), cherchant à rationaliser la Genèse, il soutient que
l’homme prit progressivement « conscience d’un privilège qu’il avait
en raison de sa nature, sur tous les animaux qu’il ne considéra plus
désormais comme ses compagnons dans la création mais comme
des moyens et des instruments dont sa volonté peut disposer en vue
d’atteindre les fins qu’il se propose ». Pour que l’animal puisse être
l’objet de devoirs inconditionnels, il faudrait qu’il soit une fin pour lui-
même, c’est-à-dire qu’il acquiert le statut de personne. Or, selon
Kant, seul l’homme possède ce statut. C’est pourquoi, dans Les
fondements de la métaphysique des mœurs, la troisième et dernière
formulation de l’impératif catégorique, par quoi la conscience morale
du sujet se manifeste à elle-même, ne peut concerner que
l’humanité et non l’animalité : « Agis de telle sorte que tu traites
l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne
d’autrui toujours comme une fin et jamais comme moyen ».
Cependant Kant apporte deux nuances à cet anthropocentrisme qui
exclut l’animal de la sphère de la moralité.
D’une part, tout en affirmant que « l’homme n’a de devoirs
qu’envers l’homme ( envers soi-même ou envers un autre) » (§ 16,
Doctrine de la vertu, 1797), il concède que l’homme a aussi un
devoir indirect vis-à-vis de l’animal mais il insiste sur le fait qu’il ne
doit pas « confondre son devoir en considération ( in Ansehung von)
d’autres êtres avec un devoir envers( an sich) ces êtres » (idem).
L’argument avancé est que certaines pratiques à l’égard des
animaux peuvent nuire à la moralité que les hommes se doivent vis-
à-vis d’eux-mêmes et entre eux : « un traitement violent et en même
temps cruel des animaux est […] intimement opposé au devoir de
l’homme envers lui-même, parce qu’ainsi la sympathie à l’égard de
leurs souffrances se trouve émoussée en l’homme et que cela
affaiblit et peu à peu anéantit une disposition naturelle très profitable
à la moralité dans la relation entre les hommes » (§ 17). Torturer un
animal, c’est nuire au devoir que l’homme se doit à lui-même. Le
respect moral des bêtes a une valeur propédeutique pour l’éthique
déontologique qui reste par ailleurs anthropocentrée.
D’autre part, le dernier Kant, celui de la Critique de la faculté de
juger, modifie l’idée de finalité sur laquelle reposait jusque-là tout
l’argumentaire moral à l’encontre des animaux. Le finalisme observé
dans la nature relève en effet d’un jugement « réfléchissant » et
« subjectif » et non pas « déterminant » et « objectif ». Ceci implique
qu’on ne peut savoir « si les herbes existent pour le bœuf ou le
mouton, et si ce dernier et les autres choses naturelles existent pour
les hommes » (§ 67). Sans jamais donner explicitement à l’animal
une quelconque autonomie, sans jamais adhérer au mot de Goethe
qui voulait que « chaque animal est une fin en soi », Kant semble
ainsi avoir émis l’hypothèse que l’attitude humaine qui consiste à
instrumentaliser les animaux, sans scrupule moral, repose
davantage sur la croyance qu’ils sont destinés à notre usage que sur
la certitude qu’ils vivent réellement pour nous.
2. Schopenhauer et la « zoopathie »
Fondé exclusivement sur la raison dont l’animal est dépourvu, le
déontologisme de Kant limite la morale à la seule humanité et ne fait
donc que transposer dans la philosophie le discours religieux hostile
aux animaux. Or c’est précisément cela que lui reproche
Schopenhauer (1788-1860) qui estime que l’impératif catégorique,
par son intransigeance, est « aussi massif que les tables de pierre
de la loi de Moïse » (De la quadruple racine du principe de raison
suffisante, 1813) : « Kant est tombé dans cette faute […], celle de la
morale chrétienne qui n’a nul égard pour les bêtes » (Le Fondement
de la morale, 1841). Au nom de quoi cependant pourrait-on élargir la
sphère des devoirs humains jusqu’à y intégrer des obligations
inconditionnelles à l’égard des animaux ? La réponse de
Schopenhauer ne peut se comprendre qu’à partir de sa
métaphysique, son pessimisme ontologique et son inspiration
bouddhiste.
Pour Schopenhauer, comme il l’explique dans Le Monde comme
Volonté et comme Représentation (1819), la Nature est purement
phénoménale et animée par un principe aveugle : le Vouloir-Vivre.
L’individu n’est donc qu’une illusion et ce qui l’anime insignifiant.
Cette conviction a une double conséquence sur l’animal. D’une part,
il n’est pas ontologiquement différent de nous : « dans l’homme et la
bête c’est le principal, l’essentiel qui est identique » (Le Fondement
de la morale). D’autre part la différence gnoséologique qui nous
sépare des animaux (Schopenhauer ne nie pas que les bêtes sont
dépourvues de raison) n’est pas un motif suffisant pour les exclure
de la moralité, bien au contraire : ignorants de l’absurdité du monde
dans lequel ils vivent et qu’ils perpétuent en se reproduisant et en se
dévorant pour vivre, il en va du devoir de l’homme d’éprouver pour
eux la plus grande compassion : l’animal souffre parce qu’il ne peut
échapper au cycle infini et sans raison de la vie et de la mort :
« l’obligation pour chacun d’être tour à tour chasseur et gibier,
tumulte, privation, misère et angoisse, cris et hurlements […] tout
cela continuera ainsi, in secula seculorum » (Suppléments X X VIII-
Caractère du Vouloir-Vivre). Il s’agit là d’un devoir dans la mesure où
l’homme est le seul être à pouvoir abolir en lui le Vouloir-Vivre par le
renoncement à la perpétuation, à pouvoir s’affranchir de la
souffrance attachée à l’individualité. Schopenhauer étend la morale
à tout ce qui vit parce que l’idée de personne sur laquelle Kant fait
reposer son déontologisme peut et doit être redéfinie : « Notre vrai
moi ne réside pas dans notre seule personne ; dans le phénomène
que nous sommes, mais bien dans tout ce qui vit » (Le Monde
comme Volonté et comme Représentation, § 66). C’est par ce qu’on
pourrait nommer une « zoopathie », qui n’est qu’une figure de la
compassion universelle, que l’homme sage « ne torturera jamais un
animal ». Pourtant Schopenhauer, dans la note qui suit cette
dernière affirmation, ne va pas jusqu’à interdire au nom de sa
morale, tout usage des animaux, ni même à recommander
l’interdiction de la nourriture carnée : « la souffrance que l’animal
endure en mourant ou en travaillant n’est jamais aussi grande que le
serait celle de l’homme à être privé de la chair ou du travail des
animaux. Par suite, l’homme peut pousser l’affirmation de son
existence jusqu’à nier celle de la bête, et la Volonté de vivre souffre
moins, en somme, par là, que dans le cas contraire » (§ 66, note 1).
La douleur d’existence, si elle est universelle, est graduellement
différente entre les êtres si bien que l’homme qui la connaît mieux se
trouve autorisé à instrumentaliser les animaux pour la subir moins.
Et l’on voit ainsi que ce n’est pas tout à fait sans restriction que
Schopenhauer étend le principe moral de compassion à tous les
êtres vivants.
B. L’animal, « lui-même » ?
1. Art et science : au plus près de la nature ?
L’animal dans l’art a généralement une fonction allégorique ou
comparative. Il permet de sonder les limites de l’humanité. Mais la
représentation peut aussi avoir pour fonction de « donner à voir ».
C’est tout l’enjeu de la connaissance, et à ce titre il y a un plaisir de
la visibilité du monde animal, même sous ses formes
« monstrueuses », qui a été repéré par Aristote. Celui-ci, on s’en
souvient, définit le naturaliste comme celui qui aura du plaisir même
à connaître les formes les plus dégoûtantes de la nature. On
retrouve le même enjeu au niveau de la représentation du monde
vivant : « La preuve en est dans ce qui arrive à propos des œuvres
artistiques ; car les mêmes choses que nous voyons avec peine,
nous nous plaisons à en contempler l’exacte représentation, telles,
par exemple, que les formes des bêtes les plus viles et celles des
cadavres. Cela tient à ce que le fait d’apprendre est tout ce qu’il y a
de plus agréable non seulement pour les philosophes, mais encore
tout autant pour les autres hommes ; seulement ceux-ci ne prennent
qu’une faible part à cette jouissance » (Rhétorique, 1448b9-15,
traduction Charles Émile Ruelle). Cette correspondance entre l’étude
et la représentation n’explique pas seulement le plaisir que nous
pouvons avoir à la représentation d’animaux « monstrueux » dans
des peintures de scènes mythologiques, mais aussi le prix que l’on
peut accorder à la représentation fidèle du monde vivant.
Mais on peut distinguer une approche « réaliste » faite par un
artiste pour s’approcher de l’animal en dehors de représentations
préconçues (issues de textes, ou de l’imaginaire) de dessins ou
peintures faits dans un but explicitement scientifique. Ainsi, certaines
œuvres de la Renaissance peuvent nous frapper aujourd’hui par leur
grande précision, ou par le caractère exotique de l’animal
représenté. Q uand Pisanello (1395-1455), par exemple, nous livre
d’admirables dessins de singes, de chevaux, d’oiseaux, s’agit-il de
feuilles volantes qui sont au service d’un travail préparatoire pour
des œuvres savantes, ou d’œuvres valant pour elles-mêmes, qui
conduisent certains interprètes à évoquer un travail « scientifique » ?
Or, avant les grands programmes d’histoire naturelle des Lumières,
nous sommes souvent confrontés au statut indécis de la
représentation animale. L’exemple du Rhinocéros de Dü rer (1471-
1528) est célèbre. Le peintre et graveur allemand est l’auteur
d’aquarelles ou dessins d’animaux parmi les plus somptueux et les
plus « réalistes » de la Renaissance. Ainsi du lièvre, mais peut-être
se rapprochant plus d’une représentation anatomique, l’aquarelle de
l’aile d’un rollier bleu, qui pourrait aisément entrer comme planche
dans un ouvrage d’histoire naturelle sur les oiseaux. Or, la gravure
du rhinocéros, de 1515, n’a pas été faite de visu, mais d’après le
dessin d’un autre artiste qui a vu l’animal à Lisbonne, cadeau du
sultan du Gujarat au gouverneur de l’Inde portugaise. Dü rer
interprète en réalité l’animal, en s’appuyant sur le dessin, mais aussi
sur les descriptions antiques de cet animal longtemps considéré
comme fabuleux. Sa gravure, inexacte anatomiquement, eut
pourtant plus de succès que ses œuvres plus précises, sans doute
parce qu’elle est porteuse d’une puissance imaginaire qui séduisit
jusqu’à Salvador Dalí …
2. La « vérité » des planches
Cette dimension imaginaire devrait disparaître avec les planches
accompagnant les œuvres scientifiques. Une des raisons du succès
de l’Histoire naturelle de Buffon est précisément la qualité des
peintures illustrant les descriptions. Il est du reste intéressant de
mesurer ce qui du texte est aujourd’hui dépassé, comparé aux
illustrations qui gardent une fraîcheur intacte, comme on le voit avec
l’exemple des toucans, au Tome premier de l’Histoire naturelle des
oiseaux : « Et de même que la nature a doué le plus grand nombre
des êtres de tous les attributs qui doivent concourir à la beauté et à
la perfection de la forme, elle n’a guère manqué de réunir plus d’une
disproportion dans ses productions moins soignées : le bec excessif,
inutile du toucan, renferme une langue encore plus inutile, et dont la
structure est très-extraordinaire ; ce n’est point un organe charnu ou
cartilagineux comme la langue de tous les animaux ou des autres
oiseaux, c’est une véritable plume bien mal placée, comme l’on voit,
et renfermée dans le bec comme dans un étui », Buffon s’appuyant
notamment sur le sens du mot toucan en brésilien ! Les peintures
elles-mêmes ont un aspect presque naïf, et finalement moins
finement détaillée que les dessins d’un Pisanello ou les aquarelles
d’un Dü rer, mais qui permet justement de ne pas leur donner une
puissance expressive qui dépasserait le texte. Elles sont
« illustrations ».
Paradoxalement, c’est dans les planches d’œuvres bien plus
récentes que la dimension esthétique ressurgit pleinement. Ainsi du
chef-d’œuvre du grand évolutionniste allemand Ernst Haeckel (1834-
1919). Il a justement voulu faire ressortir la beauté de la vie
naturelle, non sous les formes « classiques » des mammifères ou
des oiseaux, mais des formes primitives dans son K unstformen der
Natur (« Formes artistiques de la nature », 1899-1904). Des
méduses, des mollusques, des coraux etc. prolifèrent dans cet
ouvrage qui fut d’ailleurs critiqué pour sa trop grande esthétisation
de la nature, mais qui influença d’authentiques artistes, comme ceux
de l’art nouveau, eux-mêmes grands amateurs de circonvolutions et
d’usage de formes naturelles dans les arts décoratifs (même s’il
s’agissait plutôt de formes végétales).
Q ue cherchons-nous finalement dans la représentation esthétique
ou scientifique de l’animal ? Est-ce vraiment l’animal « lui-même »,
ou sa forme rendue merveilleuse ? C’est pourquoi, en guise de
conclusion, on choisira une œuvre qui représente une rupture
discrète et profonde à la fois avec cette zoomorphie, cet allégorisme
ou cette esthétisation du vivant. Le peintre romantique Théodore
Géricault (1791-1824), célèbre pour son Radeau de la Méduse, s’est
passionné toute sa courte vie pour les chevaux, sujet fort classique
certes de l’art occidental, mais dont il a livré quelques « têtes »
étonnantes, car traités comme des portraits (notamment la Tête de
cheval blanc, 1815). Il ne s’agit plus d’animaliser l’homme, mais pas
non plus au sens strict d’humaniser l’animal. Certes, il est peint « à
la manière » de l’homme, puisque le corps n’est plus peint en entier,
ou la tête en action, mais de face, selon l’art traditionnel. Mais ces
œuvres en sont d’autant plus troublantes, que le respect du
« genre » du portrait crée une distorsion. Le cheval, si ancien
compagnon de l’homme, qui a partagé sa vie pendant des
millénaires, apparaît là dans une singularité qui nous éloigne de lui
plus qu’elle nous en rapproche. Il est, justement, comme enfermé en
lui-même, puisqu’il ne s’agit plus de jouer au jeu des ressemblances
physiognomoniques. Il est « tel qu’en lui-même », saisi par le regard
humain, mais qui avoue en même temps son impuissance à le
comprendre.
Textes commentés
Texte 1
Cicéron, De la nature de dieux, II, 48, vers 45 av. J.-C., trad. Ch. Appuhn,
Aux animaux qui se nourrissent d’animaux d’une autre espèce la nature a donné la force
ou la promptitude des mouvements. Q uelques-uns sont doués d’habileté manœuvrière,
telles les araignées : les unes tendent une sorte de filet et se saisissent de ce qui s’y
laisse prendre, les autres sont aux aguets pour surprendre la proie, se précipitent au bon
moment et l’avalent. La pinne (c’est ainsi qu’on l’appelle en grec) qui possède deux
grandes coquilles pouvant s’ouvrir largement, s’associe avec un petit animal appelé
pinotère pour se nourrir ; quand de petits poissons pénètrent en nageant dans la coquille
béante, avertie par le pinotère la pinne se referme. Ainsi des animaux très différents
cherchent en commun leur nourriture. On se demande avec étonnement si c’est l’effet
d’une rencontre ou si les deux bêtes sont associées de naissance. Étonnants aussi, on
peut le dire, sont certains animaux aquatiques dont la naissance a lieu en terrain sec :
c’est ainsi que les crocodiles, les tortues de rivière et certains serpents viennent au
monde hors de l’eau, mais sitôt qu’ils peuvent se tenir, ils vont la chercher. Bien mieux
nous faisons souvent couver les œufs de cane par des poules ; quand les canetons sont
éclos, ils se laissent d’abord nourrir par elles comme si elles étaient leurs mères et les
avaient engendrés, mais plus tard, quand ils voient l’eau qui est leur domicile naturel, ils
s’échappent pour s’y rendre tant est forte la fidélité à l’espèce mise dans les animaux par
la nature.
Commentaire
Texte 2
Virgile, Géorgiques, IV, v. 149-183, vers 30 av. J.-C., trad. Desportes
modifiée.
Je ferai connaître les inclinations que Jupiter lui-même a données aux abeilles, pour
récompense, attirées par les sons résonnants et les airains bruyants des Curètes,
d’avoir nourri le roi du ciel sous l’antre de Dicté.
Seules elles ont une progéniture en-commun, les demeures communes d’une cité, et
elles passent la vie sous de puissantes lois. Seules elles connaissent et une patrie et
des foyers constants ; et prévoyantes de l’hiver qui doit venir, elles se livrent au travail
l’été, et mettent en commun les vivres cherchés. Car les unes, par une convention
arrêtée entre elles, veillent à la nourriture, et s’exercent dans les champs ; une partie
pose dans l’intérieur de leur demeure, pour premiers fondements aux rayons, une larme
de Narcisse et la gomme visqueuse qui coule de l’écorce. Ensuite elles suspendent les
cires tenaces. Les autres élèvent les rejetons adultes, espoir de la nation. Les autres
épaississent les miels très-purs, et tapissent les cellules avec ce nectar liquide. Il en est
auxquelles incombe la garde aux portes ; et elles observent tour à tour les eaux et les
nuages du ciel ; ou elles reçoivent les fardeaux de celles qui arrivent ; ou, la troupe étant
formée en bataille elles éloignent des ruches les frelons, troupe paresseuse. On travaille
avec ardeur, et le miel odoriférant exhale une odeur de thym.
Et comme lorsque les Cyclopes se hâtent de forger les foudres avec des masses de fer
amollies, les uns reçoivent l’air dans des soufflets de peaux de taureaux, et le renvoient ;
les autres trempent dans l’eau l’airain sifflant. L’Etna gémit sous les enclumes posées
sur lui. Eux lèvent entre eux les bras en cadence avec une grande force, et ils tournent
et retournent le fer avec une pince tenace. De même s’il est permis de comparer les
petites choses avec les grandes, l’amour inné de posséder presse les abeilles
cécropiennes, chacune selon son emploi. Les ruches, et la charge de fabriquer
solidement les rayons, et de construire les maisons faites avec art, sont au soin des plus
âgées. Mais les plus jeunes, fatiguées, se retirent à la nuit avancée, pleines de thym aux
jambes ; elles butinent çà et là et les arbousiers et les saules verdâtres, et la lavande et
le safran rougissant, et le tilleul gras, et les jacinthes couleur de fer. Toutes se reposent
de leurs travaux en même temps, toutes reprennent leur travail en même temps.
Commentaire
Publius Virgilius Maro (70 av. J.-C.-19 ap. J.-C.) a été longtemps
considéré comme le plus grand poète de la latinité : il était déjà
« classique » dans l’enseignement sous l’empire romain. Ses deux
œuvres les plus connues sont le recueil de Bucoliques inspiré par la
poésie pastorale hellénistique, et bien sûr l’Énéide, le grand poème
épique dans lequel il veut, en rivalisant avec Homère, célébrer les
origines de Rome. Entre ces deux œuvres se situent les
Géorgiques, que l’on peut faire entrer dans le genre de la poésie
didactique, puisque ses quatre parties sont entièrement consacrées
aux travaux des champs (georgos signifiant laboureur en grec) : le
labourage, les arbres et la vigne, les troupeaux et les abeilles. On
peut voir dans ces poèmes une célébration de la vie rustique
contrastant avec les luttes de pouvoir qui ravagèrent la république
pendant son dernier siècle. Mais, à la différence des Bucoliques, qui
se situent plutôt dans l’univers idéal des bergers arcadiens, les
Géorgiques n’hésitent pas à entrer dans les détails techniques des
travaux des champs. Une de ses sources anciennes est Les travaux
et les jours du poète grec Hésiode ( e siècle), dont le centre est
constitué par des conseils à son frère Persès sur le travail des
champs, saison par saison. Ainsi, l’automne : « Achète deux bœufs
de neuf ans ; à cet âge leur vigueur est infatigable ; parvenus au
terme de la jeunesse, ils sont encore propres aux travaux : tu ne
craindras point qu’en se disputant ils ne brisent la charrue au milieu
d’un sillon et ne laissent l’ouvrage imparfait ». On pense d’ailleurs
qu’à l’époque de Virgile d’autres parties du poème hésiodique
étaient connues. Dans les poèmes homériques eux-mêmes sont
décrits des travaux des champs, et Ulysse séjourne chez le porcher
Eumée en arrivant à Ithaque. La poésie didactique a d’autre part pris
ses lettres de noblesse à Rome avec le De natura rerum de Lucrèce.
Mais le texte de Virgile est profondément original. Comme on le voit
dans cet extrait, plus qu’une vague célébration de la perfection de la
nature, on assiste à une description très minutieuse des mœurs des
abeilles. Celles-ci sont présentées comme les animaux travailleurs
par excellence. L’organisation des « sociétés » d’abeilles a fasciné
depuis longtemps, et Aristote les mentionne bien comme des
animaux sociaux voire politiques. Mais ici on s’intéresse surtout au
fait que la coopération sociale est entièrement au service du
« travail ». Cette dernière dimension est poussée dans une direction
nettement anthropomorphique, puisque la comparaison avec l’antre
des Cyclopes apporte une dimension « technique » qui peut paraître
surprenante. Mais il s’agit bien d’un poème, attaché à rappeler
souvent les aspects divins de la nature, ce que nous appellerions sa
« mythologie », et qui fait toute la différence avec Lucrèce. On
retrouvera cette caractéristique « ouvrière » des abeilles des siècles
plus tard dans un texte qui connaîtra une immense fortune, La Fable
des abeilles de Bernard Mandeville (1714), qui défend l’idée que la
prospérité économique ne dépend pas de la vertu des individus,
mais de leurs désirs de gain.
Texte 3
Plutarque, S’il est loisible de manger chair, e siècle, trad. Amyot
« […] Et puis, vous appelez bêtes sauvages les lions et les léopards pendant que vous
répandez le sang, et ne leur cédez en rien en cruauté : car si les autres animaux
meurtrissent, c’est pour la nécessité de leur pâture, mais vous, c’est par délice que vous
le faites, parce que nous ne mangeons pas les lions ni les loups après les avoir tués en
nous défendant contre eux, mais les laissons là : mais les bêtes qui sont innocentes,
douces et familières, qui n’ont ni dents pour mordre, ni aiguillon, sont celles que nous
prenons et tuons, alors qu’il semble que la nature les ait créées seulement pour la
beauté et le plaisir.
Ni plus ni moins que si quelqu’un, voyant le Nil débordé, emplissant tout le pays à
l’environ d’une eau courante, féconde et génératrice, ne louait avec admiration la
propriété de cette rivière qui fait naître et croître tant de beaux et bons fruits, si
nécessaires à la vie de l’homme, pour n’y voir qu’un crocodile nageant ou un aspic
rampant ou des mouches malignes, bêtes malfaisantes et mauvaises, et le blâmait pour
ce fait ».
Commentaire
Plutarque (v. 40-v. 120), le célèbre auteur des Vies parallèles, est
considéré comme l’un des tout premiers penseurs du végétarisme
en Occident. Dans S’il est loisible de manger de la chair, l’un des
trois traités qu’il consacre aux animaux, il ne se contente plus de
reprendre les arguments orphiques et pythagoriciens fondés sur la
transmigration des âmes, arguments qui font de l’alimentation
carnée une forme possible et honteuse d’anthropophagie. Sa
démonstration développe essentiellement trois idées : les fruits de la
terre suffisent à nous nourrir de sorte qu’on peut vivre très
agréablement sans « se souiller les mains » du sang des bêtes. En
outre, l’homme n’a pas les attributs naturels des prédateurs comme
les griffes ou les crocs. La nature n’a pas voulu faire de lui un animal
de proie. Enfin chaque animal, parce qu’il est sensible, poursuit une
forme de bien-être et fuit la souffrance. Aussi, l’infliger sans
nécessité en mangeant les « membres d’animaux qui peu
auparavant, bêlaient, mugissaient, marchaient et voyaient », c’est
s’aveugler par insensibilité. Dans le texte proposé ici, c’est à cette
dernière idée que Plutarque veut apporter un argument majeur : les
bêtes que nous mangeons ne sont pas celles que nous tuons par
obligation. Abattre des prédateurs qui tuent pour se nourrir comme le
font le lion ou le loup, relève de la légitime défense. On ne peut
contester le droit de les chasser pour se protéger. Mais, observe
Plutarque, une fois tués, nous ne les mangeons pas. En revanche, le
bétail qui n’a aucun moyen de se défendre, nous le massacrons
pour satisfaire nos désirs gastronomiques. Jugée gratuite, la
violence que l’homme fait subir à l’animal innocent mérite donc bien
davantage le nom de cruauté que celle dont il accuse les animaux
prédateurs. Ainsi l’homme carnivore raisonne-t-il bien mal. Il se
comporte comme celui qui, au lieu de se féliciter que les crues du Nil
permettent l’agriculture et offrent donc leur nourriture aux Égyptiens,
reprocherait à la Nature le débordement du fleuve parce qu’il
charrierait avec lui, ici où là, quelques animaux dangereux.
Plutarque invite ses contemporains à louer la terre (en honorant
Cérès, déesse des récoltes, et Bacchus, dieu du vin) au lieu de
l’outrager par des pratiques contre-naturelles. Le végétarisme, pour
qui médite sur la place que la Nature assigne à l’homme, est le choix
du sage.
Texte 4
Plotin, Ennéades 38 [VI,7], 7, e siècle, trad. M.-N. Bouillet
Mais, dira-t-on, si l’âme ne produit la nature d’une brute que lorsqu’elle est dépravée et
dégradée, elle n’était pas dès l’origine destinée à produire un bœuf ou un cheval ; alors
la raison séminale du cheval aussi bien que le cheval même seront contraires à la nature
[de l’âme]. – Non : ils sont inférieurs à sa nature, mais ils ne lui sont pas contraires. Dès
l’origine, l’âme était [en puissance] la raison séminale d’un cheval ou d’un chien. Q uand
cela lui est permis, l’âme qui doit engendrer un animal produit ce qui est meilleur ; sinon,
elle produit ce qu’elle est capable d’engendrer ; elle ressemble aux artistes qui, sachant
produire plusieurs figures, exécutent soit celle qu’ils ont reçu l’ordre d’exécuter, soit celle
que la matière a le plus d’aptitude à recevoir. Q ui empêche que la Puissance [naturelle
et génératrice] de l’Âme universelle, en sa qualité de Raison [séminale] universelle,
n’ébauche les contours du corps, avant que les puissances animiques [les âmes
individuelles] descendent d’elle dans la matière ? Q ui empêche que cette ébauche ne
soit une espèce d’illumination préalable de la matière ? Q ui empêche que l’âme
individuelle n’achève [de façonner le corps ébauché par l’Âme universelle] en suivant les
lignes déjà tracées, n’organise les membres dessinés par elles, et ne devienne ce dont
elle s’est approchée en se donnant à elle-même telle ou telle figure, comme dans un
chœur le danseur se conforme au rôle qui lui a été assigné ?
Commentaire
Au sens large, on peut relier ce texte à la problématique antique
de la métempsychose (ou métensomatose), mais Plotin ne se situe
pas ici sur le plan du mythe. C’est bien d’ailleurs un des aspects
majeurs de sa philosophie : réinterpréter toute l’œuvre de Platon, en
dépassant toutes les strates mythiques et allégoriques dans un
système unifié de la « procession », c’est-à-dire de la « descente »
des différents niveaux de réalité à partir du premier niveau : l’Un-
Bien. On voit ici l’influence d’un passage du sixième livre de la
République sur l’idée du Bien « au-delà de l’essence ». La
puissance de l’Un « produit » l’Intelligible, qui correspond en quelque
sorte aux Idées platoniciennes (c’est d’ailleurs Plotin qui utilisera
l’expression « monde des idées » absente chez Platon). Puis, de
l’Intelligible, sort l’Âme, dont la partie supérieure reste tournée vers
le haut, mais dont la partie inférieure est fascinée par son reflet saisi
dans la « matière », et c’est ainsi, par la descente ultime de l’Âme
dans la matière que va naître le monde sensible. Une des questions
platoniciennes classiques que retrouve Plotin consiste à savoir s’il y
a des Idées de toutes les réalités, même les plus basses. Ici, le sujet
porte précisément sur la question des animaux, c’est-à-dire d’êtres
qui n’ont pas une âme aussi élevée que l’homme (ils n’ont pas de
logos). Chez Platon, l’animal sert souvent de réceptacle à des âmes
humaines qui, à cause de leur vie immorale, se réincarnent dans des
êtres inférieurs. Il s’agit d’un jeu allégorique, et non d’une croyance
effective de Platon au mécanisme de la « réincarnation » des âmes,
d’ailleurs il présente toujours cette idée dans des « mythes »
(muthoi), c’est-à-dire des discours qui n’ont pas de valeur
argumentative rationnelle (logoi). On voit au début de l’extrait Plotin
reprendre précisément l’idée d’une punition des âmes. Mais, pour
lui, la question est beaucoup plus générale : elle concerne la
production des êtres vivants à partir des idées. Deux notions
ressortent de ce texte : celle de puissance créatrice, et celle de
raison séminale. La puissance émanée de l’Intelligible est celle de
l’Âme, qui transmet en quelque sorte les idées dans le sensible. Ce
qui va apparaître de plus en plus nettement, c’est que la question
strictement morale et mythique de la métempsychose est remplacée
par l’idée d’un ordre général du monde composé de toutes les
créatures possibles, même les plus basses. L’Âme contient toutes
les raisons séminales (les logoi) qui sont en quelque sorte des
formes issues des Idées, et susceptibles de rentrer en contact avec
la matière. Tous les animaux sont en puissance dans l’Âme, et elle
va les réaliser en fonction du degré de sa descente dans la matière :
l’homme étant supérieur aux animaux supérieurs, eux-mêmes
supérieurs aux animaux inférieurs etc. Tout est dans l’ordre, car tout
provient bien de « là-bas ».
Texte 5
Ibn Tufayl, Le philosophe autodidacte, e siècle, trad. Gauthier
« L’enfant ne cessa ainsi de vivre avec les gazelles, reproduisant leurs cris avec sa voix
à s’y méprendre. Il reproduisait de même, avec une grande exactitude, tous les chants
d’oiseaux ou les cris d’autres animaux qu’il entendait. Mais il reproduisait surtout les cris
des gazelles qui demandent du secours ou qui veulent se rapprocher l’une de l’autre, ou
qui désirent quelque chose, ou qui cherchent à éviter un danger : car les animaux, pour
ces occasions différentes, ont des cris différents. Les animaux et lui se connaissaient et
ne se traitaient pas en étrangers. Lorsque les représentations des choses dont il cessait
d’avoir une perception actuelle s’étaient fixées dans son esprit, les unes lui inspiraient du
désir, les autres de l’aversion. Entre-temps il observait tous les animaux, qu’il voyait
couverts de poils laineux ou soyeux, ou de plumes. Il remarquait leur rapidité à la
course, leur force, les armes dont ils étaient munis pour lutter contre l’adversaire, telles
les cornes, les crocs, les sabots, les ergots, les serres. Faisant retour sur lui-même, il se
voyait nu et sans arme, lent à la course, faible contre les animaux qui lui disputaient les
fruits, se les appropriaient à son détriment et les lui enlevaient sans qu’il pût les
repousser ou échapper à aucun d’entre-eux. À ses compagnons, les petits des gazelles,
il voyait pousser des cornes qu’ils n’avaient point auparavant ; il les voyait devenir agiles,
après avoir été lents à la course. Chez lui-même, il ne constatait rien de tout cela, et il
avait beau y réfléchir, il ne pouvait en découvrir la cause. Considérant les animaux
difformes ou infirmes, il n’en trouvait aucun qui lui ressemblât »
Commentaire
Le philosophe musulman arabo-andalou Ibn Tufayl (1100 -1181),
maître et protecteur d’Averroès, rédige, avec L’éveillé ou le
philosophe autodidacte, l’un des tout premiers romans
philosophiques. Il y imagine la vie d’un individu isolé, nommé Hayy
(« le veilleur ») ben Yaqzân, qui serait né par génération spontanée
dans une île de l’océan indien ou bien – autre hypothèse – qui,
abandonné dans un coffre, aurait échoué sur la plage. Une gazelle,
ayant entendu des pleurs, aurait réussi à ouvrir le coffre avec ses
sabots. Et comme elle venait de perdre son faon, elle aurait allaité
l’enfant pour le sauver. Ibn Tufayl invente ici une fiction qui fait de
son héros un enfant sauvage. Le but de l’ouvrage est de montrer
que par ses propres forces, l’homme, même coupé de ses
semblables, peut développer toute son intelligence et redécouvrir
par lui-même les vérités enseignées par le Coran. L’extrait retenu ici
décrit les premières années de Hayy. Ibn Tufayl, influencé par la
lecture d’Avicenne, qui avait longuement commenté Aristote, suit
une démarche inductive. Il montre comment en trois étapes, Hayy
découvre sa différence spécifique. Elevé par un animal, son héros
s’éveille d’abord en imitant le comportement des gazelles, espèce à
laquelle il pense appartenir. Développant sa faculté de comparer, il
s’aperçoit que les gazelles possèdent une âme désirante et qu’elles
manifestent par des cris différents leurs peurs et leurs envies. Mais
Hayy ne se contente pas d’observer ce qu’il croit être ses
congénères. Parce que, comme l’enseigne Aristote au début de la
Métaphysique : « l’homme a naturellement la passion de
connaître », il tourne sa curiosité vers les autres espèces et opère
de lui-même des regroupements, des classifications en se fiant
d’abord aux apparences, comme le pelage ou le plumage, puis en
étudiant le comportement des animaux habitants sur l’île, comme la
vélocité de leur déplacement. Bien qu’Ibn Tufayl ait pris soin de dire
au début du livre que l’île n’abrite pas de bêtes dangereuses pour
l’homme, son héros s’aperçoit que certains attributs comme les
crocs, les griffes ou les serres divisent le monde animal en
carnivores et en herbivores. Cette deuxième étape l’invite à faire
retour sur lui-même. S’apercevant qu’il n’a pas de cormes, Hayy
découvre qu’il ne peut pas appartenir à la classe des gazelles.
Mieux : dépourvu de tous les attributs qu’il observe chez les
animaux, il prend conscience de sa singularité et déplore sa nudité
qu’il cherchera à cacher avec des feuilles d’arbre, puis plus tard en
se confectionnant un vêtement avec des plumes d’aigle. Avant
même de développer son sens métaphysique lorsqu’il s’interrogera
sur la cause de la mort de la gazelle qui l’a élevé, Hayy acquiert
donc la technique, connaît la pudeur… Pour Ibn Tufayl, si l’homme
naît parmi les animaux, son destin est de s’élever infiniment au-
dessus d’eux, comme l’enseignent la philosophie et la religion.
Texte 6
François d’Assise, Fioretti, chapitre 16 : « Le sermon aux oiseaux »,
e siècle, trad. Vorreux
La substance du sermon de Saint François fut celle-ci : « Mes frères les oiseaux, vous
êtes très redevables à Dieu votre Créateur, et toujours et en tous lieux vous devez Le
louer parce qu’Il vous a donné la liberté de voler partout, et qu’Il vous a donné aussi un
double et triple vêtement ; ensuite parce qu’Il a conservé votre semence dans l’Arche de
Noé, pour que votre espèce de vînt pas à disparaître du monde ; et encore vous Lui êtes
redevables pour l’élément de l’air qu’Il vous a destiné. Outre cela, vous ne semez ni ne
moissonnez, et Dieu vous nourrit, et Il vous donne les fleuves et les fontaines pour y
boire, Il vous donne les montagnes et les vallées pour vous y réfugier, et les grands
arbres pour y faire vos nids. Et parce que vous ne savez ni filer ni coudre, Dieu vous
fournit le vêtement à vous et à vos petits. Il vous aime donc beaucoup, votre Créateur,
puisqu’Il vous accorde tant de bienfaits. Aussi, gardez-vous, mes frères, du péché
d’ingratitude, mais appliquez-vous toujours à louer Dieu ».
Commentaire
Texte 7
Dante Alighieri, La Divine Comédie, Enfer, chant I, v. 31-60, vers 1310, trad.
Félicité de Lamennais.
Et voici qu’apparut, presque au pied du mont, une panthère agile et légère couverte d’un
poil tacheté. Elle ne s’écartait pas de devant moi, et me coupait tellement le chemin que
plusieurs fois je fus près de retourner. C’était le temps où le matin commence, et le soleil
montait avec ces étoiles qui l’entouraient, quand le divin Amour mut primitivement ces
beaux astres ; de sorte qu’à bien espérer me conviaient le gai pelage de cette bête
fauve, l’heure du jour et la douce saison : non toutefois que ne m’effrayât la vue d’un lion
qui m’apparut. : il paraissait venir contre moi, la tête haute, avec une telle rage de faim
que l’air même semblait en effroi. Et une louve qui, dans sa maigreur, semblait porter en
soi toutes les avidités, et qui bien des gens a déjà fait vivre misérables. Elle me jeta en
tant d’abattement, par la frayeur qu’inspirait sa vue, que je perdis l’espérance d’atteindre
le sommet. Tel que celui qui désire gagner, lorsque le temps amène sa perte, pleure et
s’attriste en tous ses pensers ; tel me fit la bête sans paix, qui, peu à peu s’approchant
de moi, me repoussait là où le soleil se tait.
Commentaire
que ces trois bêtes sont les symboles de trois grands péchés
capitaux : luxure, orgueil et avarice. Mais, ce qui est sans doute le
plus remarquable, est le caractère extrêmement vivant de la
description elle-même. Le danger du texte allégorique est en effet
son caractère abstrait, ou son aspect « catalogue ». C’est tout le
contraire que nous avons ici, où les trois bêtes, surtout la louve, sont
rencontrées dans une scène dynamique qui leur donne une grande
« visibilité ». Si bien que l’époque romantique et moderne lit Dante
d’abord pour cette présence, plus que pour le sens symbolique.
Texte 8
Erasme, « Le scarabée à la poursuite de l’aigle », Adages, 1533, trad.
Margolin
« Kantharos aeton maietai, c’est-à-dire « Le scarabée à la poursuite de l’aigle ».
Proverbe utilisé quand un être plus faible et plus démuni machine quelque mauvais coup
et trame des embûches contre un ennemi beaucoup plus puissant. […] L’apologue nous
apprend à ne pas sous-estimer un ennemi, quel qu’il soit, même si son statut est des
plus modestes. Car il existe de petits hommes, de très basse condition, mais d’une
infinie méchanceté, qui ne sont pas moins ténébreux que les scarabées ni moins fétides
ou abjects, mais qui pourtant sont capables, par quelque perversité tenace de l’esprit, de
faire du tort à n’importe quelle créature humaine, mais aussi, très souvent, de perturber
des hommes hautement respectables. Leur noirceur les terrorise, leurs cris les
paralysent, leur odeur fétide les indispose ; ils tournent autour d’eux, s’accrochent à leur
personne, leur tendent des pièges, au point qu’il est souvent préférable d’entrer en
conflit avec des hommes puissants que d’irriter ces scarabées dont il n’est pas même
possible de triompher sans être déshonorés, que l’on ne peut écarter de soi pas plus
qu’on ne saurait se mesurer avec eux sans sortir du combat passablement souillé ».
Commentaire
Texte 9
Locke, Essai sur l’entendement humain, III, 6, 27, 1689, trad.Pierre Coste
« On ne peut s’empêcher de voir que l’essence réelle de telle ou telle sorte de substance
nous est inconnue ; et de là vient que nous sommes si indéterminés à l’égard des
essences nominales que nous formons nous-mêmes […]. Q ui voudrait par exemple
entreprendre de déterminer de quelle espèce était ce monstre dont parle Licetus (De
monstris I, 3) qui avait la tête d’un homme et le corps d’un pourceau ; ou ces autres qui
sur des corps d’hommes avaient des têtes de chiens, de chevaux, etc. ? Si quelqu’une
de ces créatures eût été conservée en vie et eût pu parler, la difficulté aurait été encore
plus grande. Si le haut du corps jusqu’au milieu eût été de figure humaine, et que tout le
reste eût représenté un pourceau, aurait-ce été un meurtre de s’en défaire ? Ou bien
aurait-il fallu consulter l’évêque, pour savoir si un tel être est assez homme pour devoir
être présenté sur les fonts, ou non, comme j’ai ouï dire que cela est arrivé en France, il y
a quelques années dans un cas à peu près semblable ? Tant les bornes des espèces
sont incertaines par rapport à nous, qui n’en pouvons juger par les idées complexes que
nous rassemblons nous-mêmes ; et tant nous sommes éloignés de connaître
certainement ce que c’est qu’un homme. Ce qui n’empêchera pas qu’on ne regarde
comme une grande ignorance d’avoir aucun doute là-dessus […] je crois qu’aucune
définition qu’on ait donnée jusqu’ici du mot homme, ni aucune description qu’on ait faite
de cette espèce d’animal, ne sont assez parfaites ni assez exactes pour contenter une
personne de bon sens qui approfondirait un peu les choses […] ».
Commentaire
Texte 10
Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, Article Rorarius, 1697
Cela ne demande point de preuve à l’égard des cartésiens : il n’y a personne qui ne
connaisse qu’il est difficile d’expliquer comment de pures machines peuvent faire ce que
font les animaux. Prouvons donc seulement que le péripatétisme se trouve dans un
embarras extrême, quand il faut donner raison de leur conduite. Tout péripatéticien qui
entend dire que les bêtes ne sont pas des automates, objecte d’abord qu’un chien, battu
pour s’être jeté sur un plat de viande, n’y touche plus quand il voit son maître le
menaçant d’un bâton. Mais pour faire voir que ce phénomène ne saurait être expliqué
par celui qui le propose, il suffit de dire que si l’action de ce chien est accompagnée de
connaissance, il faut nécessairement que le chien raisonne : il faut qu’il compare le
présent avec le passé et qu’il en tire une conclusion ; il faut qu’il se souvienne et des
coups qu’on lui a donnés, et pourquoi il les a reçus ; il faut qu’il connaisse que s’il se
ruait sur le plat de viande qui frappe ses sens, il ferait la même action pour laquelle on l’a
battu ; et qu’il conclue que pour éviter de nouveaux coups de bâton, il doit s’abstenir de
cette viande. N’est-ce pas un véritable raisonnement ? Pouvez-vous expliquer ce fait par
la simple supposition d’une âme qui sent, mais sans réfléchir sur ses actes, mais sans
réminiscence, mais sans comparer deux idées, mais sans tirer nulle conclusion ?
Examinez-bien les exemples que l’on compile, et que l’on objecte aux cartésiens, vous
trouverez qu’ils prouvent trop ; car ils prouvent que les bêtes comparent la fin avec les
moyens, et qu’elles préfèrent en quelques rencontres l’honnête à l’utile ; en un mot,
qu’elles se conduisent par les règles de l’équité et de la reconnaissance.
Commentaire
Texte 11
Leibniz : La Monadologie, 1714
67 – Chaque portion de la matière peut être conçue comme un jardin plein de plantes, et
comme un étang plein de poissons. Mais chaque rameau de la plante, chaque membre
de l’animal, chaque goutte de ses humeurs et encore un tel jardin, ou un tel étang.
68 – Et quoique la terre et l’air interceptés entre les plantes du jardin, ou l’eau
interceptée entre les poissons de l’étang, ne soit point plante, ni poisson ; ils en
contiennent pourtant encore, mais le plus souvent d’une subtilité à nous imperceptible.
69 – Ainsi il n’y a rien d’inculte, de stérile, de mort dans l’univers, point de chaos, point
de confusion qu’en apparence ; à peu près comme il en paraîtrait dans un étang à une
distance dans laquelle on verrait un mouvement confus et grouillement, pour ainsi dire,
de poissons de l’étang, sans discerner les poissons mêmes.
70 – On voit par là, que chaque corps vivant a une entéléchie dominante qui est l’âme
dans l’animal ; mais les membres de ce corps vivant sont pleins d’autres vivants,
plantes, animaux, dont chacun a encore son entéléchie, ou son âme dominante.
Commentaire
Commentaire
Texte 14
Hegel, Leçons sur la philosophie de l’esthétique, Partie I, chap. 2, 3, 1835
(posth.), trad. Gibelin
« Ce que nous voyons cependant de l’organisme animal dans l’exercice de sa vitalité, ce
n’est pas ce point de concentration où s’effectue son unité, mais seulement la variété
des organes ; la créature vivante n’est pas encore assez libre pour pouvoir s’affirmer
comme sujet individuel punctiforme, malgré l’expansion de ses membres dans le monde
extérieur. Le véritable siège des activités de la vie organique nous reste caché, nous ne
voyons que les contours extérieurs de la forme qui est, à son tour, couverte de plumes,
d’écailles, de poils, de fourrures, de piquants, etc. Ces revêtements constituent des
attributs animaux, mais ce sont des productions animales d’un caractère végétal. C’est
ce qui constitue la principale cause d’infériorité de l’animal au point de vue de la beauté.
Ce que nous voyons de l’organisme, ce n’est pas l’âme ; ce qui est orienté vers le
dehors et se manifeste à chaque instant, ce n’est pas la vie intérieure, mas ce sont des
formations occupant un degré inférieur à celui de la vie proprement dite. L’animal ne
réalisant pas son en-soi sous la forme de l’intériorité, celle-ci ne s’offre pas partout et
toujours à notre observation. Comme l’intérieur reste seulement l’intérieur, l’extérieur
apparaît également comme étant seulement l’extérieur, c’est-à-dire sans aucun rapport
ni lien avec le dedans, sans être pénétré d’âme dans toutes ses parties. »
Commentaire
Texte 15
Victor Hugo, « Ce que dit la bouche d’ombre », Les Contemplations, 1856.
Pleurez sur les laideurs et les ignominies,Pleurez sur l’araignée immonde, sur le ver,Sur
la limace au dos mouillé comme l’hiver,Sur le vil puceron qu’on voit aux feuilles
pendre,Sur le crabe hideux, sur l’affreux scolopendre,Sur l’effrayant crapaud, pauvre
monstre aux doux yeux,Q ui regarde toujours le ciel mystérieux ! Plaignez l’oiseau de
crime et la bête de proie.Ce que Domitien, césar, fit avec joie,Tigre, il le continue avec
horreur. Verrès,Q ui fut loup sous la pourpre, est loup dans les forêts ;Il descend, réveillé,
l’autre côté du rêve ;Son rire, au fond des bois, en hurlement s’achève ;Pleurez sur ce
qui hurle et pleurez sur Verrès.Sur ces tombeaux vivants, masqués d’obscurs
arrêts,Penchez-vous attendri ! versez votre prière ! La pitié fait sortir des rayons de la
pierre.Plaignez le louveteau, plaignez le lionceau.La matière, affreux bloc, n’est que le
lourd monceau Des effets monstrueux, sortis des sombres causes.Ayez pitié. Voyez des
âmes dans les choses.
Commentaire
Texte 16
Herbert George Wells, L’île du Docteur Moreau, 1896, trad. Davray
« – Des monstres confectionnés ! Alors, vous voulez dire que…
– Oui. Ces créatures, que vous avez vues, sont des animaux taillés et façonnés en de
nouvelles formes. À cela – à l’étude de la plasticité des formes vivantes – ma vie a été
consacrée. J’ai étudié pendant des années, acquérant à mesure de nouvelles
connaissances. Je vois que vous avez l’air horrifié, et cependant je ne vous dis rien de
nouveau. Tout cela se trouve depuis fort longtemps à la surface de l’anatomie pratique,
mais personne n’a eu la témérité d’y toucher. Ce n’est pas seulement la forme extérieure
d’un animal que je puis changer. La physiologie, le rythme chimique de la créature,
peuvent aussi subir une modification durable dont la vaccination et autres méthodes
d’inoculation de matières vivantes ou mortes sont des exemples qui vous sont, à coup
sûr, familiers. Une opération similaire est la transfusion du sang, et c’est avec cela, à vrai
dire, que j’ai commencé. Ce sont là des cas fréquents. Moins ordinaires, mais
probablement beaucoup plus hardies, étaient les opérations de ces praticiens du Moyen
Âge qui fabriquaient des nains, des culs-de-jatte, des estropiés et des monstres de
foire ; des vestiges de cet art se retrouvent encore dans les manipulations préliminaires
que subissent les saltimbanques et les acrobates. Victor Hugo en parle longuement
dans L’Homme qui rit… Mais vous comprenez peut-être mieux ce que je veux dire. Vous
commencez à voir que c’est une chose possible de transplanter le tissu d’une partie d’un
animal à une autre, ou d’un animal à un autre animal, de modifier ses réactions
chimiques et ses méthodes de croissance, de retoucher les articulations de ses
membres, et en somme de le changer dans sa structure la plus intime. « Cependant,
cette extraordinaire branche de la connaissance n’avait jamais été cultivée comme une
fin et systématiquement par les investigateurs modernes, jusqu’à ce que je la prenne en
main. Diverses choses de ce genre ont été indiquées par quelques tentatives
chirurgicales ; la plupart des exemples analogues qui vous reviendront à l’esprit ont été
démontrés, pour ainsi dire, par accident – par des tyrans, des criminels, par les éleveurs
de chevaux et de chiens, par toute sorte d’ignorants et de maladroits travaillant pour des
résultats égoïstes et immédiats. Je fus le premier qui soulevai cette question, armé de la
chirurgie antiseptique et possédant une connaissance réellement scientifique des lois
naturelles ».
Commentaire
Texte 18
Kafka, La métamorphose, 1915, trad. Lortholary
« En se réveillant un matin après des rêves agités, Gregor Samsa se retrouva, dans son
lit, métamorphosé en un monstrueux insecte. Il était sur le dos, un dos aussi dur qu’une
carapace, et, en relevant un peu la tête, il vit, bombé, brun, cloisonné par des arceaux
plus rigides, son abdomen sur le haut duquel la couverture, prête à glisser tout à fait, ne
tenait plus qu’à peine. Ses nombreuses pattes, lamentablement grêles par comparaison
avec la corpulence qu’il avait par ailleurs, grouillaient désespérément sous ses yeux.
« Q u’est-ce qui m’est arrivé ? » pensa-t-il. Ce n’était pas un rêve. Sa chambre, une vraie
chambre humaine, juste un peu trop petite, était là tranquille entre les quatre murs qu’il
connaissait bien. […]. Le regard de Gregor se tourna ensuite vers la fenêtre, et le temps
maussade – on entendait les gouttes de pluie frapper le rebord en zinc – le rendit tout
mélancolique. « Et si je redormais un peu et oubliais toutes ces sottises ? » se dit-il ;
mais c’était absolument irréalisable, car il avait l’habitude de dormir sur le côté droit et,
dans l’état où il était à présent, il était incapable de se mettre dans cette position.
Q uelque énergie qu’il mît à se jeter sur le côté droit, il tanguait et retombait à chaque fois
sur le dos. Il dut bien essayer cent fois, fermant les yeux pour ne pas s’imposer le
spectacle de ses pattes en train de gigoter, et il ne renonça que lorsqu’il commença à
sentir sur le flanc une petite douleur sourde qu’il n’avait jamais éprouvée. »
Commentaire
Texte 19
Sigmund Freud, À partir de l’histoire d’une névrose infantile, IV, Le rêve et
la scène primitive, 1918, notre traduction.
Du fait de son contenu riche en matériau issu de contes, j’ai déjà publié ce rêve à un
autre endroit. J’en répète ici le contenu : « J’ai rêvé qu’il fait nuit et que je suis au lit (les
pieds du lit étaient contre la fenêtre, et devant cette fenêtre on pouvait voir une allée de
vieux noyers. Je sais que le rêve eut lieu en hiver et durant la nuit). Soudain, la fenêtre
s’ouvre toute seule, et je vois avec effroi des loups assis sur le grand noyer. Il y en avait
six ou sept. Les loups étaient tout blancs et ressemblaient plutôt à des renards ou à des
chiens de berger, car ils avaient de grosses queues comme des renards et leurs oreilles
étaient dressées comme celles des chiens quand ils sont à l’aguet. Pris de terreur,
sûrement d’être dévoré par les loups, je me mis à hurler et je me réveillai. Ma bonne se
précipita vers mon lit pour voir ce qui m’était arrivé. Je restai longtemps persuadé que ce
n’était pas un rêve, car l’image de la fenêtre qui s’ouvrait et des loups assis sur l’arbre
avait été tellement naturelle et vivante Finalement je réussis à me calmer, et je me
rendormis, comme délivré d’un danger […] ».
Le patient a toujours relié ce rêve au souvenir de l’effroi procuré à cette époque de son
enfance par l’image d’un loup montré dans un livre de contes. […] Dans cette image, le
loup se tenait debout, un pied en avant, les pattes tendues devant lui et les oreilles
dressées. Il pense que cette image devait appartenir à une illustration du Petit Chaperon
rouge.
Commentaire
Texte 20
Colette, Aventures quotidiennes : bêtes, 1949
Confiance des bêtes, foi imméritée, quand te détourneras-tu enfin de nous ? […]
Notre manière d’exploiter l’animal domestique révolte le bon sens. Il n’y a pas de pardon,
dit la sagesse paysanne, pour le propriétaire qui saccage son propre bien. Pourtant, on
n’ose pas dire le nombre de ruraux qui, lorsque leur vache peine pour mettre bas […]
prennent une trique, ferment les portes de l’étable et frappent la vache, si sauvagement
et si fort, qu’elle trouve la force de se lever, d’essayer de fuir, et que son sursaut
désespéré la délivre brusquement de son fruit, souvent en la blessant à mort. Il y aura
toujours des chevreaux qui gagneront le marché, pendus par leurs tendres pieds liés, la
tête en bas, aveuglés d’apoplexie ; des chevaux qui, condamnés à mourir, atteindront le
lieu de la délivrance […] sur trois pieds […]. Notre délicatesse de touristes civilisés
s’indigne, en Afrique, de voir que le bâton affûté de l’ânier fouille la plaie vive,
soigneusement entretenue, du bourricot ; mais lisez donc ce mois-ci, dans une revue
illustrée, la manière de capturer, de cloîtrer, de nourrir, puis d’étouffer, les ortolans ! […]
Une photographie nous montre un bon tueur d’ortolans, ouvrier modèle, qui écrase le
bec à deux oiseaux à la fois. […] celui-ci sourit d’un bon sourire de brave homme.
Commentaire
I. Sortir de la nature
Nous sommes convaincus depuis les travaux des évolutionnistes
que l’homme n’est pas un être à part dans l’évolution des espèces. Il
a cependant des caractéristiques « objectives » qui lui donnent une
place particulière : taille du cerveau, station debout, pouce
opposable, développement de la technique, du langage, de ce qu’on
appelle « civilisation » etc. Mais on ne voit pas pourquoi il faudrait
pour cela parler d’une dénaturation : c’est seulement une évolution
naturelle produite par ses capacités.
L’homme appartient donc pleinement à la « nature ». Le fixisme
grec rejoint de ce point de vue le darwinisme, même s’il n’attribue
pas les spécificités de l’homme à une histoire, mais, tout simplement
à son état, à sa place dans l’ordre des choses. Détenir un « logos »,
ce n’est donc pas du tout être dénaturé, c’est au contraire accomplir
sa nature d’animal. La supériorité incontestable de l’être humain,
pour Aristote, se voit dans sa structure corporelle (la station debout,
la main), et tout ce que l’on peut dire c’est que certains hommes sont
moins « hommes » que d’autres, c’est-à-dire accomplissent moins
leurs facultés « logiques » : cela n’en fait cependant pas des êtres
« dénaturés ».
Cette vision peut cependant paraître simpliste, car elle néglige le
fait qu’il y a une forme d’arrachement de l’homme à la nature.
L’animal est pleinement dans son milieu, suit des instincts en grande
partie préfixés. Il est indéniable que l’homme est un animal, mais il
est tout aussi incontestable qu’il n’a pas le même rapport
d’immédiateté avec la nature. D’ailleurs, la formulation du sujet peut
paraître douteuse, car elle part d’un point fixe, qui serait une
« nature animale » de l’homme, pour montrer dans un deuxième
temps comment elle pourrait se « pervertir ». Mais, comme le montre
Sartre, l’homme est justement cet être qui n’a pas de « nature » : sa
liberté fait qu’il s’arrache sans cesse à un état fixe. L’homme n’est
pas un animal dénaturé parce qu’il n’est pas un animal du tout…
Pélican parce qu’on croyait alors que cet oiseau donnait sa propre
chair à ses enfants. Mais si comme le dit Paul dans la Première
épître aux Corinthiens : Dieu « ne se soucie pas des bœufs » ne
peut-on imaginer que, réciproquement, l’animal puisse se passer du
divin ?
Q ue l’animal ne soit pas une créature dont l’essence aurait été
« fixée » par une parole divine mais le produit d’une « évolution »
complexe de la matière est une hypothèse aujourd’hui largement
partagée par les zoologues depuis la parution de L’origine des
espèces de Darwin. Si celui-ci n’était pas athée et ne spéculait pas
sur l’origine de la matière elle-même, sa pensée contribua
indéniablement à séparer l’animal de Dieu notamment parce qu’elle
s’opposait au finalisme de la Philosophie zoologique de Lamarck.
L’animal évolue par adaptation à un milieu qui se transforme au gré
du hasard. Mais cela revient-il à soutenir que l’animal se crée lui-
même comme le ferait le monde dans lequel il vit ?
À l’extrême, rendre l’animal et Dieu totalement indépendants l’un
de l’autre, n’est-ce pas au fond les dissoudre dans une vision
moniste de la Nature ? Car en s’affranchissant de l’idée de création,
il devient tout aussi loisible de dire avec Spinoza dans l’avant propos
du livre IV de l’Éthique : « Deus sive natura » (ce qui mène au
panthéisme) que de croire comme le veut « l’hypothèse Gaïa » de
James Lovelock, que l’ensemble des êtres vivants font de la Terre
un « super-organisme » qui respire et s’autorégule (ce qui relève du
panvitalisme). Le monde serait alors un « grand animal » mais sans
origine métaphysique.
On voit donc que la séparation de Dieu et de l’animal finit par
reproduire une forme de fusion des deux termes par identification à
un troisième : la Nature. Pour maintenir leur différence afin de mieux
penser leur relation, ne convient-il pas alors de faire intervenir un
autre terme : l’homme ? Car n’est-ce pas lui au fond qui manifeste
un désir de soumission à Dieu et de domination des animaux ?
Bestiaire
La représentation des animaux est vieille comme l’art des grottes
pariétales. Et toute civilisation produisant des œuvres d’art donne
une place à l’art « animalier ». Mais le terme de bestiaire peut se
restreindre à la représentation antique et médiévale reposant sur un
principe strictement symbolique. L’art religieux nous a rendu
familières certaines de ces images (par exemple le pélican
symbolisant le Christ), mais la source principale de l’iconographie
animale chrétienne est un texte dont la renommée n’a pas franchi le
monde des spécialistes. Ce « Physiologos », œuvre grecque datée
du e au e siècle, d’auteur inconnu, et largement diffusée et
traduite (en latin bien sûr, mais aussi en syriaque, arménien, arabe,
etc.) est pourtant la matrice de siècles de figuration. Sa version
illustrée la plus ancienne date du e siècle (Physiologos de Berne) .
Et il connaîtra aussi de nombreuses adaptations au Moyen Âge, par
exemple sous des formes versifiées ou plus ou moins transformées.
Le terme « bestiaire » en ancien français (la plus ancienne version
française du Physiologos date de la première moitié du e siècle),
dérive directement des traductions latines qui adoptent des titres tels
De bestiis et aliis rebus (Des bêtes et autres choses). Le principe de
l’ouvrage est simple mais efficace, inspirée sans doute des fables :
pour chaque animal, une partie est consacrée à l’aspect « naturel »,
et une seconde à l’aspect symbolique, dans une perspective
strictement chrétienne. Des animaux symbolisent le Christ (le
Pélican, l’Aigle…), l’homme ou le diable. L’interprétation peut puiser
directement aux Écritures. Ainsi, la notice sur la perdrix s’appuie sur
un verset du prophète Jérémie : « Une perdrix couve ce qu’elle n’a
pas pondu. Ainsi celui qui se fait des richesses injustes : au milieu
de ses jours elles l’abandonnent et en fin de compte il n’est qu’un
insensé » (Jérémie, X VII, 11 dans la traduction de la Bible de
Jérusalem, le texte du Physiologos étant légèrement différent).
Les animaux proviennent essentiellement des textes bibliques, et
c’est ainsi que, par des erreurs de traduction, se sont popularisés
des êtres « fantastiques » comme la licorne, considérés comme bien
plus réels que la girafe en Europe jusqu’à la Renaissance… Il faut
noter que le Moyen Âge ne suivra pas aveuglément les analyses de
cette source, qui fige les significations. Des auteurs montrent par
exemple que tel ou tel animal est susceptible d’une multiplicité de
lectures, l’aigle ayant pu être par exemple considéré à la fois comme
aérien, « divin », et comme rapace, avide. Bien sûr, d’autres sources
nourriront la représentation des animaux dans le Moyen Âge latin.
Ainsi, l’art roman s’inspirera de l’iconographie orientale, notamment
dans ses décors de chapiteaux historiés. Mais qui dit « bestiaire » dit
essentiellement allégorisme, et si la littérature ou l’art se libérera
progressivement de ces contraintes, c’est aussi pour jouer souvent
avec elles. La place du taureau chez Picasso s’explique tout autant
par la tauromachie ou le symbolisme sexuel, que par l’idée de faire
porter à un animal des valeurs que la représentation humaine ne
figurerait que maladroitement. Pour échapper au bestiaire, il faut
s’efforcer de traiter l’animal comme pur objet plastique. Il s’agit peut-
être alors d’un autre bestiaire, celui des animaux familiers, ou des
planches anatomiques, ou de la splendeur visuelle (comme chez
Delacroix).
Bestialité
Le terme ne désigne pas tant un état de l’animal que de l’humain
« animalisé ». Mais avec une connotation fortement morale, qui le
différencie des états « ambigus » de la sauvagerie. Le terme bestia,
en latin classique, n’a pas d’abord un sens péjoratif, mais le prend
dans certaines expressions, comme c’est aussi le cas avec le terme
proche bellua. C’est d’ailleurs ce dernier terme qui donne les sens
de « bêtise » au sens où nous l’entendons. Mais la « bestialité »
n’est justement pas la bêtise. Elle désigne moins une déficience de
l’intelligence que du comportement, et l’un de ses sens précis est le
commerce sexuel avec les animaux. Sans aller jusque-là, la
bestialité désigne une limite inférieure. Il n’est pas étonnant de la
trouver dans un célèbre passage d’Aristote sur l’essence politique de
l’homme, qui considère que l’homme incapable de vivre en société
ne peut qu’être inférieur ou supérieur à l’humanité : « C’est une bête
(thèrion, c’est-à-dire un animal sauvage) ou un dieu ». Mais, qu’est-
ce qu’une « bête » pour Aristote précisément ? La « bestialité »
(thèriotès) n’est pas la férocité guerrière. C’est la dégradation
extrême, un comportement qu’on ne trouve guère que chez les
barbares ou chez des individus atteints de démence, ou d’autres
maladies. D’où l’aspect monstrueux des exemples donnés par
Aristote : « comme on le dit de cette femme qui ouvre le ventre des
femmes enceintes, et dévore les petits enfants avant qu’ils soient
nés ; ou de ces peuples voisins du Pont-Euxin, devenus tout-à-fait
sauvages, dont les uns se plaisent à manger de la viande crue, les
autres de la chair humaine, et d’autres ont coutume de se donner
réciproquement leurs enfants pour en faire des festins… ».
On est en deçà même de l’opposition du vice et de la vertu. On
voit que, paradoxalement, le bestial n’a guère à voir avec l’animal…
Et ce même dans les exemples les plus célèbres, telle la formule de
Plaute reprise par Hobbes : homo homini lupus. Contrairement à
Aristote, c’est un état naturel de l’homme qui est visé. Mais cet état
de nature, tout en obéissant à des lois tout à fait nécessaires, produit
une vie « invivable ». L’homme se déshumanise paradoxalement
dans la nature. Le point commun est que cette bestialité n’est pas de
l’ordre du bien et du mal, mais de l’inframoral, la morale supposant
la vie en société. Et, pas plus que chez Aristote, on a là le moindre
jugement quant au comportement même des bêtes en question, le
loup n’étant pas un prédateur de sa propre espèce. Finalement,
autant on pense parfois (chez Nietzsche par exemple) qu’il serait
bon que l’homme s’animalisât davantage, retrouve des « instincts »
perdus, autant la « bestialité » semble renvoyer à un état que même
les animaux n’ont pas en partage.
Biomimétisme
Discipline qui étudie le vivant pour l’imiter de manière artificielle, le
biomimétisme repose sur trois grands principes : le premier consiste
à reconnaître que la nature peut être un modèle dont l’observation
doit nous inspirer des solutions durables pour améliorer nos
capacités techniques ; le second est de chercher à évaluer, par
comparaison avec la structure et la dynamique des systèmes
vivants, la pertinence de nos actions et de nos innovations et le
troisième est que la nature n’est pas seulement un réservoir dans
lequel nous puisons nos ressources, mais qu’elle est aussi un
système dont nous pouvons apprendre. La démarche biomimétique
est par nature interdisciplinaire. Le point de départ est donné par la
recherche fondamentale qui observe, analyse et modélise le vivant.
Les modèles biologiques les plus intéressants sont ensuite saisis par
les sciences de l’ingénieur qui les traduisent en concepts
techniques. Les entrepreneurs enfin, s’en emparent et passent au
développement industriel. On peut à titre d’exemple mentionner la
soie d’araignée dont les propriétés mécaniques ont inspiré
l’invention du Kevlar. Le biomimétisme intéresse tout
particulièrement la philosophie de l’animal parce qu’il montre que le
progrès humain peut difficilement s’affranchir de son existence. La
vélocité du guépard, l’hydrodynamisme du dauphin atteignent des
degrés d’efficacité tels qu’il est tentant de chercher à les reproduire
par l’artifice. Le biomimetisme révèle ainsi que de tous les animaux,
l’homme est celui qui est le plus apte à observer les autres espèces
pour retenir d’elles ce qu’elles offrent de meilleur à son propre
développement. « L’homme est un animal imitateur », disait
Nietzsche. Mais si l’animal peut inspirer bien des innovations, il ne
pré-oriente pas leur usage : de l’observation du vol des insectes,
l’homme a tiré le drone (qui signifie « bourdon » en anglais) avec
lequel l’agriculteur peut optimiser l’arrosage de ses champs et le
militaire tuer son semblable.
Classification
Dans l’ensemble du vivant, les espèces animales représentent
environ les deux-tiers des espèces inventoriées. Et malgré la
disparition accélérée de certaines espèces liée à la destruction de
leur environnement, de nombreuses sont encore inconnues.
« Classer » les animaux, c’est tenter de mettre de l’ordre dans
l’immensité de la diversité des animaux. Il faut pour cela définir un
principe. Distinguer entre minéraux, végétaux et animaux est
évidemment un peu grossier… Aristote esquisse la première
classification, qui repose avant tout sur la distinction entre animaux
sanguins et non sanguins. Dans les premiers, outre l’homme et les
quadrupèdes, il place les oiseaux, les poissons et les cétacés. Le
reste est composé des animaux non sanguins : « Un autre genre est
celui des testacés, qu’on appelle huîtres ou coquillages. Puis, le
genre des animaux à coquilles molles (crustacés), pour lesquels il
n’y a pas de nom unique qui les comprenne tous, tels que les
langoustes, les cancres et les écrevisses ; puis le genre des
mollusques, comme la seiche, le grand et le petit calmar. Un autre
genre est celui des insectes » (Histoire des animaux, I, 6). Même si
ces distinctions seraient très insuffisantes aujourd’hui, on peut y lire
déjà la différence entre les vertébrés et les invertébrés. Et elles se
dégagent malgré tout d’une façon populaire de différencier les
animaux qui repose sur leur simple apparence.
Mais Aristote n’inaugure pas seulement l’idée de trouver des
principes fondamentaux de distinction, il construit aussi la première
« échelle des êtres », qui sera vouée à un grand destin, notamment
parce que l’homme y apparaît au sommet des animaux (les
mollusques étant les derniers). Jusqu’à Linné, au e siècle, aucun
Continuisme
La notion n’est pas claire d’emblée. Mais elle renvoie pourtant à
un des plus grands débats de l’histoire de la science naturelle, débat
qui n’est d’ailleurs pas terminé, et que l’on peut résumer ainsi : les
animaux occupent-ils une place fixe dans l’ordre de la nature, ou
bien y a-t-il des continuités « infimes » qui rendent impossible de
tracer des limites absolues ? Cette question n’a en réalité pris un
tour scientifique qu’avec les premières définitions rigoureuses de la
notion d’espèces au e siècle. Les camps sont alors bien fixés :
Habitat
Ce terme, issu de la botanique, désigne le territoire propre à la
reproduction d’une espèce, à son éventuelle acclimatation et à son
développement. L’habitat varie selon le genre de vie de l’espèce qui
l’occupe. Ainsi du nid au terrier, des massifs coralliens aux hautes
montagnes, les habitats des animaux semblent diviser l’espace en
une multitude de lieux d’appropriation. Mais les délimitations restent
floues en particulier pour les espèces migratrices. Où arrêter par
exemple l’habitat de la baleine grise ? Tout habitat n’implique pas la
notion de frontière. En outre l’éthologie, notamment avec les travaux
de Uexkü ll sur l’« Umwelt » de la tique, montre que l’habitat ne doit
pas être confondu avec le « monde propre » d’une espèce parce
que deux espèces peuvent partager un même environnement tout
en ayant un Umwelt distinct (c’est par exemple le cas de l’abeille et
de la chauve-souris dont la sensorialité est radicalement différente).
L’un des enjeux de la notion d’habitat est celui de l’influence
anthropique sur son évolution. Depuis 40 000 ans, l’homme ne
cesse de remodeler les paysages naturels au gré de ses besoins ou
de ses désirs. Il est pour cette raison le plus grand perturbateur de
l’habitat des animaux (notamment par la pollution sonore ou
lumineuse). Créer des réserves où l’homme ne pénètre pas,
préserver l’habitat des espèces menacées ou réintroduire certains
animaux dans leur habitat originel (comme par exemple l’ours dans
les Pyrénées) est une des manières de lutter contre la régression de
la biodiversité. On remarquera toutefois que l’habitation prend un
sens particulier pour l’homme. Dans une conférence de 1951,
intitulée : « bâtir, habiter, penser », Heidegger explique que l’homme
n’a pas à occuper son habitat comme le font les animaux : il doit
« ménager » des espaces en les habitant, un peu comme on ouvre
une clairière. Dans la nouvelle angoissante intitulée : « le terrier »,
Kafka qui affectionne la thématique du « devenir animal », montre
comment l’enfermement sous-terrain par crainte des autres est une
attitude déshumanisante. Etendre son habitat en l’ouvrant aux autres
serait ainsi une caractéristique propre à l’espèce humaine.
Virus
Le virus interroge l’animalité en ce que précisément il n’est pas
vraiment un animal. Caractérisés par leur petitesse et constitués
d’un seul acide nucléique, les virus se situent à la limite de la
matière inerte et de la matière vivante. Dépourvus de métabolisme
et différents en cela des autres agents infectieux comme les
bactéries, les champignons microscopiques ou les parasites, ils sont
incapables de produire de l’énergie pour synthétiser leurs
macromolécules, et ne peuvent se reproduire. Il leur faut, pour cela,
utiliser le métabolisme des cellules vivantes qu’ils infectent. C’est ce
détournement à leur profit des fonctions des cellules qui peut
provoquer une maladie dans l’organisme infecté. Cette ruse permet
au virus d’attaquer tous les organismes, animaux ou végétaux,
chaque espèce virale étant parfaitement adaptée à son hôte. Le
virus est ainsi le grand ennemi du monde animal et humain. Il est à
l’origine des épizooties (comme la maladie de la vache folle ou la
grippe aviaire) qui déciment les élevages et surtout, via l’animal
infecté (rat, chauve-souris, gorille, pangolin …) des épidémies les
plus dévastatrices (comme la variole qui bien qu’éradiquée en 1977
a fait plus de morts que toutes les guerres réunies). Mais,
paradoxalement, les virus sont aussi un facteur explicatif de
l’évolution parce qu’ils sont les vecteurs du transfert de certains
gènes. Tout animal est donc « apparenté » d’une certaine façon à un
virus.
Z oothérapie
Comme son nom l’indique, la zoothérapie est une méthode qui
consiste à soigner l’homme par les animaux. Il ne faut pas confondre
cet usage de l’animal avec celui des prélèvements biologiques
(comme pour les greffes à partir par exemple du corail ou du
cochon), des tests de produits chimiques (comme avec les cobayes)
ou bien encore des croyances chamaniques (avec les sacrifices
animaux). Dans la zoothérapie, l’animal n’est ni un médicament, ni
un thérapeute mais un médiateur. La particularité de cette méthode
est de s’appuyer sur un phénomène naturel qui est le lien entre
l’humain et l’animal. Boris Levinson est considéré comme le père
fondateur de cette méthode thérapeutique. Professeur en psychiatrie
et psychologue pour enfant, il utilise chiens et chats dès la fin des
années 50 pour soigner différentes formes d’autisme. Il est le
premier à décrire l’effet catalyseur des animaux sur les patients :
l’interaction émotionnelle avec l’animal (lapin, chat, chien, poney ou
même dauphin) naît de l’amour inconditionnel qu’il semble apporter
au malade ; corrélativement, les soins dispensés en retour à l’animal
donnent au patient le sentiment de son utilité. Pour ses partisans, la
zoothérapie procure un sentiment de sécurité, favorise le jeu, le rire
et donne une constance à la vie. Mais les fondements théoriques de
cette discipline restent cependant mal connus : est-ce la résurgence
d’un lien ancestral de l’humain avec l’animal qui explique son effet
bénéfique ? Est-ce l’animalité cachée de l’homme qui se trouve ici
comme réinvestie positivement ?
Bibliographie
Philosophie
Dumont (anthol.), Les écoles présocratiques, Folio-essais, Gallimard, 1991
Platon, Timée, coll. GF-Flammarion, 1992
Protagoras, coll. GF-Flammarion, 1997
Aristote, Parties des animaux, coll. GF-Flammarion, 2011
Histoire des animaux, coll. GF-Flammarion, 2017
Petits traités d’histoire naturelle, coll. GF-Flammarion, 2000
Épicure, Lettres, maximes et autres textes, coll. GF-Flammarion, 2011
Lucrèce, La nature des choses, Folio-essais, Gallimard, 2015
Cicéron, La nature des dieux, coll. La roue à livres, Les Belles Lettres, 2009
Plutarque, Traité sur les animaux, Rivages poche, 2018
Philippe de Thaon, Bestiaire, Honoré Champion, 2018
Pierre de Beauvais, Le Bestiaire, Honoré Champion, 2010
Richard de Fournival, Le Bestiaire d’amour, Champion Classique, 2009
Montaigne, Apologie de Raymond Sebond, coll. GF-Flammarion, 1999
Descartes, Discours de la méthode, coll. GF-Flammarion, 2000
L’homme, coll. GF-Flammarion, 2018
Malebranche, Œuvres, Tome 1, Paris, La Pléiade, 1979.
Leibniz, Système nouveau de la nature et de la communication des
substances, coll. GF-Flammarion, 1999
La Mettrie, L’homme-machine, Folio essais, 1999
Condillac, Traité des animaux, Vrin, 2004
Diderot, Pensées sur l’interprétation de la nature, coll. GF-Flammarion, 2005
Diderot et d’Alembert, Encyclopédie, I et II, coll. GF-Flammarion, 1993
Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les
hommes, coll. GF-Flammarion, 2011
Voltaire, Dictionnaire philosophique, coll. GF-Flammarion, 2010
Buffon, Histoire naturelle, Folio classique, 2007
Kant, Critique de la faculté de juger GF-Flammarion, 2000
Anthropologie d’un point de vue pragmatique, GF-Flammarion, 1997
Hegel, Encyclopédie des sciences philosophique, II, Philosophie de la nature,
tr. fr. B. Bourgeois, Paris, Vrin, 2004
Schopenhauer, Parerga et paralipomena, Éthique, droit et politique, I Éthique,
traduction A. Dietrich, Paris, Felix Alcan, 1909
Nietzsche, La Volonté de Puissance II, coll. TEL, Gallimard, 1995
Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse (1912), PUF
Q uadrige, 1998
Freud, Totem et Tabou (1913), PUF Q uadrige, 2015
Bergson, L’évolution créatrice (1907), coll. Q uadrige, PUF, 2013 ; Les deux
sources de la morale et de la religion (1932), PUF, 2003
W . Kö hler, L’Intelligence des singes supérieurs, Félix Alcan, 1931
Teilhard de Chardin, Le phénomène humain, Paris, Seuil, 2007
Merleau-Ponty, La structure du comportement (1942), PUF, 2013
Phénoménologie de la perception (1945), coll. TEL, Gallimard, 1976
La Nature, cours du Collège de France (1952-1960), Seuil, 1995
C. Lévi-Strauss, La pensée sauvage (1962), Agora Pocket, 1990
F. Tinland, Franck, La différence anthropologique : essai sur les rapports de la
nature et de l’artifice, Paris, Aubier, 1977
G. Chapouthier, Au bon vouloir de l’homme, l’animal, Paris, Denoë l, 1990
L. Ferry et C. Germé, Des animaux et des hommes, Librairie Générale
Française, 1994
J.-Y. Goffi, Le philosophe et ses animaux, Jacqueline Chambon, 1994
D. Lestel, L’Animalité. Essai sur le statut de l’humain, coll. Optiques, Hatier,
Paris, 1996,
Les origines animales de la culture, Paris, Flammarion, Poche, 2009
J. Proust, Comment l’esprit vient aux bêtes. Essai sur la représentation,
Gallimard, 1997
G. Romeyer Dherbey dir., L’Animal dans l’Antiquité, Vrin, Paris, 1997
E. de Fontenay, Le Silence des bêtes. La philosophie à l’épreuve de
l’animalité, Fayard, Paris, 1998
J. Derrida, L’Animal que donc je suis, Galilée, Paris, 2006 ;
Séminaire. La bête et le souverain. Volume I (2001-2002), Ibid., 2008
J.-M. Schaeffer, La fin de l’exception humaine, Gallimard Essais, 2007
V. Despret, Penser comme un rat, Q uae, 2009
F. W olff, Notre humanité. D’Aristote aux neurosciences, Fayard, 2010
E. Bimbenet, L’animal que je ne suis plus, Folio essais, 2011
Y. Christen, L’Animal est-il un philosophe ? Poussins kantiens et bonobos
aristotéliciens, Paris, Odile Jacob, 2013
Ch. Godin, Le grand bestiaire de la philosophie, Paris, Cerf, 2016
Epistémologie
Lamarck, Philosophie zoologique (1809), coll. GF-Flammarion, 1994
Ch. Darwin, L’origine des espèces (1859), coll. GF-Flammarion, 2008
La Descendance de l’homme et la sélection sexuelle (1871), Éditions
Complexe, 1981
C. Bernard, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale (1865), Paris,
Flammarion, 2013
I. Pavlov, Réflexes conditionnels et inhibition (1926), Gonthier, 1963
K. von Frisch, Vie et mœurs des abeilles (1927), Albin Michel, 2017
J. Von Uexkü ll, trad. C. Martin-Fréville, Milieu animal et milieu humain (1934),
Rivages poche, 2010
N. Tinbergen, La vie sociale des animaux (1953), Payot, 1967
J. Rostand, Esquisse d’une histoire de la biologie, Gallimard, Paris, 1962
K. Lorenz, Les fondements de l’éthologie (1965), Champs-Flammarion, 2009 ;
L’agressivité (1963), Champs-Flammarion, 2018
D. Morris, Le singe nu (1967), Paris, Le livre de poche, 1971
F. Jacob, La Logique du vivant, coll. TEL, Gallimard, 1970
S. J. Gould, Quand les poules auront des dents, Réflexions sur l’histoire
naturelle, Points Sciences, 1991
J. Diamond, Le Troisième Chimpanzé. Essai sur l’évolution et l’avenir de
l’animal humain (1992), Folio essais, 2011
J. Vauclair, La Cognition animale, Paris, Presses universitaires de France,
coll. « Q ue sais-je ? », 1996
F. Kaplan, Des singes et des hommes, la frontière du langage, Paris, Fayard,
2001
J.-L. Renck et V. Servais, L’éthologie : Histoire naturelle du comportement, Le
Seuil, coll. « Points Sciences », 2002
R. Dawkins, Le gène égoïste, Odile Jacob, 2003
P. Pichot, Histoire de la notion de vie, Tel-Gallimard, 2004
F. Dagognet, Le catalogue de la vie : Étude méthodologique sur la taxinomie,
Puf, 2004
G. Lecointre et H. Le Guyader, Classification phylogénétique du vivant, Paris,
Belin, 2006.
K. L. Matignon (sous la direction de), Révolutions animales –Comment les
animaux sont devenus intelligents, Paris, Arte/ Les liens qui libèrent, 2016
Frans de W aal, Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence
des animaux ?, Babel, 2018
Œ uvres littéraires
Ésope, Fables, Flammarion, 2014
Farid Al Din Attar, La conférence des oiseaux (recueil de poèmes médiévaux
en langue persane publié en 1177), Points, 2014
Anonyme, Le Roman de Renart (récits animaliers rédigés entre 1170 et
1250), Le Livre de Poche, 2005)
Claude d’Anthenaise, Livre de chasse de Gaston Phebus (dicté à un copiste
de 1387 à 1389 par Gaston Phébus, comte de Foix), BIBLIO IMAGE, 2003
Jean de la Fontaine, Fables, Les Classiques de Poche, Le Livre de Poche,
1971
Charles Perrault, Contes, collection Classiques, Le Livre de Poche, 2006
Marie-Catherine d’Aulnoy, L’oiseau bleu, in Contes – Tome I, Format Kindle,
2011
Honoré de Balzac, Une passion dans le désert, édition enrichie, Les éditions
du Cénacle, 2014
Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles, Pocket Classiques, 2019
H.G. W ells, L’île du Docteur Moreau, Folio Gallimard, 1997
Prosper Mérimée, Lokis, Le Livre de Poche, 1995
Rudyard Kipling, Le Livre de la jungle, Folio Gallimard, 1972
Victor Hugo, Les travailleurs de la mer, Folio Classique, 1980
Gustave Flaubert, « La légende de Saint Julien l’Hospitalier », in Trois contes,
Folio Classique, 2003
Jules Verne, Vingt mille lieues sous les mers, Petits Classiques Larousse,
2016
Jules Renard, Histoires naturelles, Garnier Flammarion, 1967
Edgar Allan Poe, Le Corbeau et un autre poème, Alidades, 2011
Arthur Conan Doyle, Le Chien des Baskerville, LGF Livre de Poche, 2008
Jack London, Croc Blanc, Classiques Livre de Poche, 1995
Colette : Dialogue de bêtes et La Paix chez les bêtes in : Œ uvres, Tome 2,
Bibliothèque de la Pléïade, Gallimard, 1986
Anatole France, L’île des pingouins, Theolib, 2014
Edmond Rostand, Chantecler, Garnier Flammarion, 2018
Franz Kafka, La métamorphose, Folio Classiques, 2015
David Garnett, La femme changée en renard, Les Cahiers rouges Grasset,
2004
Marcel Aymé, La jument verte, Folio Gallimard, 2016
George Orwell, La ferme des animaux, Folio Gallimard, 1984
Antoine de Saint Exupéry, Le Petit Prince, Folio, 1999
Romain Gary, Les racines du ciel et Chien blanc Folio Gallimard, 2013
Ernest Hemingway, Le Vieil Homme et la Mer, Foliothèque Gallimard, 1991
Eugène Ionesco, Rhinocéros, Folio Théâtre, 2015
Francis Ponge, Le parti pris des choses, NRF Poésie Gallimard, 1967
Jacques Prévert, Histoires, Folio Gallimard, 2002
Edouard Glissant, Le sel noir. Le sang rivé. Boises. NRF Poésie Gallimard,
1983
Haruki Murakami, La course au mouton sauvage, Belfond, 2019
Luis Sepulveda, Le vieux qui lisait des romans d’amour, Points Poche, 1995
Art Spiegelman, Maus, Flammarion, 1998
José Saramago, Le voyage de l’éléphant, Grands romans Points, 2010
Patrick Chamoiseau, Les neuf consciences du Malfini, Folio Gallimard, 2010
Éric Chevillard, Sans l’orang-outan, Les Éditions de Minuit, 2012
Jean-Christophe Ruffin, Le collier rouge, Gallimard, 2014
Joy Sorman, La peau de l’ours, Folio Gallimard, 2016
Sylvie Germain, A la table des hommes, Le Livre de Poche, 2017
John Maxwell Coetzee, L’abattoir de verre, Éditions du Seuil, 2018
Œ uvres cinématographiques
Jacques Tourneur, La féline, 1942
Jean Cocteau, La Belle et la Bête, 1946
Halas et Batchelor, La ferme des animaux, 1954
Alfred Hitchcock, Les oiseaux, 1962
Robert Bresson, Au hasard Balthazar, 1966
Franklin Schaffner, La planète des singes, 1968
Pier Paolo Pasolini, Porcherie, 1969
François Truffaut, L’enfant sauvage, 1969
Christian de Challonge, L’alliance, 1971
Valerian Borowczyk, La bête, 1975
Steven Spielberg, Les dents de la mer, 1975
Alain Resnais, Mon oncle d’Amérique, 1980
Frank Marshall, Arachnophobie, 1990
Kevin Costner, Danse avec les loups, 1990
Akira Kurosawa, Madadayo, 1993
Lasse Alströ m, Hatchi, 2010
Sylvain Estibal, Le cochon de Gaza, 2011
Jean-Jacques Annaud, Le dernier loup, 2015
Hubert Charuel, Petit paysan, 2017