1860 Ganiage
1860 Ganiage
1860 Ganiage
Jean Ganiage
Population (French Edition), 21e Année, No. 5. (Sep. - Oct., 1966), pp. 857-886.
Stable URL:
http://links.jstor.org/sici?sici=0032-4663%28196609%2F10%2921%3A5%3C857%3ALPDLTV%3E2.0.CO%3B2-9
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Sat Jan 5 16:50:44 2008
LA POPULATION DE LA TUNISIE
VERS 1860
LA MEJBA
(1) Le fait est surtout typique pour les grandes villes : Tunis, dont on estimait k population
en 1906 à 204.500, dont 61.500 Européens et où l'on ne recensait que 171.676 habitants en 1921,
dont 73.472 Européens; Sfax, où les chiffres passent de 69.000 à 28.000 (mais la question de
la baniieue y est pour quelque chose); Sousse enfin, où l'écart est moindre : 20.800-19.700.
( 2 ) Mohammed Bey (1855-1859), I l e prince de la dynastie husseinite. Il avait succédé à
son cousin, le bey Ahmed (1837-1855).
(31 A l'époque, le cours de k piastre oscibit entre 12 et 13 sous.
( 4 ) NOUSn'avons pu retrouver l'original du décret de 1856. La copie que nous avons eue
à notre disposition - et qui se trouve en tête d'un registre de Bgerte pour 1272 (1855-1856) -
ne signale aucune des exemptions qui apparaissent dans les dossiers. Mais les consuls y faisaient
anusion dans leur correspondance. Un décret du 25 mai 1871, consacré aux exemptions de
la mejba, devait d'ailieurs reprendre ces dispositions. Nous en donnons ici les principales
stipulations : « Est exempt de la mejba :
e 1 0 Tout individu originaire des villes suivantes : Tunis, Kairouan, Sousse et Sfax, soit
qu'il réside dans sa ville ou dans l'une des villes ci-dessus; mais s'il est établi auprès d'une
tribu ou dans une autre ville ou bourg, dont les habitants sont soumis au payement de la medjba,
il sera considéré comme les habitants de l'endroit où il s'est établi ...;
khalifas et caïds, dignitaires religieux, étudiants, soldats et vétérans. A ces
exemptions légales devaient s'ajouter des exemptions de fait. Même mensuel,
le paiement de la mejba représentait une lourde charge. Un peu partout, il
fallut accorder des dispenses aux indigents, tolérer, sur les confins, l'évasion
plus ou moins régulière de groupes de nomades, consentir des forfaits, des
abonnements aux tribus réticentes. Le bey en avait tenu compte en partie,
d'ailleurs, en prévoyant un abattement de 4 % sur la matière imposable,
que doublait un nouvel abattement de 4 0/,, destiné à rémunérer les agents
de perception du caidat. En dépit de toutes ces restrictions, la mejba allait
devenir désormais la plus grosse source de revenus du Trésor. En 1277
(1860-1861), d'après les pièces officielles du ministère des Finances, elle pro-
duisait 7.386.000 piastres, deux fois autant que tous les impôts sur la récolte,
les deux cinquièmes d'un budget de 17 millions et demi (1).
La mejba étant impopulaire, sa perception n'allait pas sans difficultés,
surtout les mauvaises années. Néanmoins, à la fin de 1861, le gouvernement en
décida le doublement, pour essayer de rétablir des finances délabrées par une
politique de dilapidation et d'emprunts onéreux. Un soulèvement général, au
printemps de 1864, contraignit le bey à renoncer à son projet; en avril, la
mejba fut ramenée à son taux ancien. La révolte matée, on n'en revint pas
au statu quo, cependant. Une série de mesures de détail amenèrent la trans-
formation de l'impôt en une taxe de taux variable, selon ies ressources des
contribuables. Transformation de courte durée, car, après la terrible crise
de 1867-1868, il fallut alléger le poids fiscal. On revint à un taux uniforme
de 40 piastres par tête (21, afin de réduire, dans la mesure du possible, les
abus d'une perception oppressive (octobre 1869).
« 20 Tout individu qui pourra justifier d'être né, élevé et constamment établi dans l'une des
viües ci-dessus indiquées ;
0 3 O Les étudiants de Tunis munis d'un décret d'exemption comme étant entièrement
consacrés à l'étude des livres religieux ...;
« 40 Les officiers... et les soldats inscrits sur les rôles de leurs régiments respectifs ...,les
invalides touchant une pension, et enfin les officiers et soldats ... de la police et de la gendar-
merie ;
« 50 Tout infirme sans moyens et ne pouvant point travailier. » (Paul ZEYS, Code annoté
de la Tunisie, 1901, no 900, p. 597. Également Arch. tun., carton 93, doss. 94 et 95).
i l 1 Exactement 7.386.984 piastres sur un total de 17.564.406 piastres (42,05 %), alors
qu'ensemble, ïachour et le canoun des oliviers et des dattiers ne produisaient que 3.948.759
piastres, les impôts indirects faisant le reste (Arch. tun., carton 92, doss. 82). L'année 1277 de
l'Hégire courait du 20 juillet 1860 au 8 juillet 1861.
( 2 ) « NOUSfixons cet impôt à quarante piastres par an, payables par chaque contribuable,
sans en excepter que les invafdes qui ne peuvent pas travailler pour subvenir aux besoins de
leur vie.
11 Cet impôt en lui-même n'est point lourd; néanmoins, prenant en considération ... ia
situation difficile dans laquelle se trouvent les contribuables ... nous avons décidé de leur
faciiiter le payement de cet impôt par une nouvelle réduction qui irait en diminuant progres-
sivement pendant quatre années. .. Ainsi, à la première année, il ne sera exigé que 25 piastres;
à la deuxième année, 30 piastres; à la troisième, 35 et à la quatrième, 40 piastres, qui sont la
limite extrême à iaquelle doit s'arrêter le montant de cet impôt )I (P. ZESS, op. cit., no 898,
décret du 4 octobre 1869, art. le', p. 595-596).
Assiette de l'impôt. Grâce aux registres des caïds, conservés pour la
plupart à Dar el Bey, nous pouvons nous faire une
idée de la façon dont l'impôt était assis. Le soin de procéder au recensement
de la population était confié aux cheikhs et aux khalifas, théoriquement
sous le contrôle des cadis. Ces documents se présentent sous la forme de
gros volumes, généralement reliés, où sont enregistrées, dans un ordre qui
parfois nous échappe, des listes d'individus désignés par un prénom, un
sobriquet, l'indication d'une filiation plus ou moins développée, parfois
celle d'un lieu d'origine.
Chez les sédentaires, on distingue aisément les différents villages, frac-
tionnés ou non en cheikl-iats; chez les nomades, ce sont des douars ou des
familles groupées sous des vocables souvent difficiles à interpréter, lors-
qu'on ignore à quelle tribu peut se rattacher tel groupe de tentes isolées.
Mais, partout, on prend bien soin d'isoler les Juifs, ainsi que les nègres,
communément désignés sous le nom de chaouachine. Nombre d'indications
ou de corrections marginales montrent que ces registres ont servi, pendant
plusieurs années, au calcul des réévaluations successives. E n fin de registre,
apparaît une récapitulation globale, suivie d'une totalisation authentifiée
par le cachet du caïd, parfois aussi ceux des cheikhs et des cadis qui ont pro-
cédé au recensement.
D'une région à l'autre, la présentation des registres peut varier.
Elle n'en présente pas moins un certain caractère d'unité. Rlais, d'une
façon générale, les registres des caïdats de l'intérieur apparaissent beau-
coup plus mal tenus que ceux des régions peuplées de sédentaires. L'écri-
ture devient peu lisible; taches et ratures se multiplient, ainsi que les
erreurs d'addition facilitées par une graphie incommode (1). Dans le Sahel,
nous avons la chance de retrouver, à côté d~ la liste des imposables, village
par village, l'énumération des militaires ou des vétérans qui jouissaient
d'exemptions légales, le décompte des individus ayant échappé à l'impôt,
indigents, émigrés, invalides ou faibles d'esprit, ainsi que les morts de l'année.
A Bizerte, la liste des enfants, celle des indigents figurent longtemps en
regard de celle des imposables, rangés quartier par quartier dans un détaii
minutieux.
A partir de 1865, la présentation des registres change. C'est que la mejba
a cessé d'être une capitation uniforme pour se muer en une sorte de taille
tarifée. A la sécheresse des listes nominatives succède l'énumération des
ressources des familles, nombre de pieds d'oliviers, de têtes de bétail, pro-
1 ) On a peine à distinguer les 2 des 3 et même des 6. Les points de séparation se confondent
parfois avec des zéros (.), ce qui engendre des erreurs de dizaines qui se répercutent alors sur
plusieurs pages à la faveur de totaux cumulatifs. Dans bien des cas également, la récapitulation
ne correspond pas exactement au détail des totaux partiels présentés par les listes nominatives.
priété bâtie, contenance des terres emblavées (1). La mejba n'avait pas fait
disparaître l'achour ni le canoun, mais elle semblait se greffer sur ces
taxes plus anciennes, pour devenir une sorte d'impôt sur le revenu.
1 Ainsi, à Kalaa Kebira, gros village di1 riord du Sahel, dans le caidat de Sousse, Abder-
razak ben hhmed Abid et son fils Ahmed qui disposaient de deux cent cinquante oliviers et
d'une terre dont la semence était d'un caffi et demi, qui possédaient en outre deux maisons,
deux jardins, quatre vaches, une jument et soixante-dix moutons étaient-ils taxés à 490 piastres,
tandis que Fredj ben Ali devait payer 20 piastres pour cinquante oliviers, une maison, une
\ache et une partie d'un jardin. Dans le village voisin de Kalaa Srira, Fredj ben Ahmed payait
300 piastres pour une maison et demie, une huilerie, quatre greniers, cent oliviers, trois jardins
arrosés, trois chameaux, six vaches, cinquante moutons, un cheval et deux ânes. llansour
Dallèche et Mansour ben Gacem Amara étaient imposés chacun à 43 piastres, l'un pour un quart
de maison, dix oliviers, un âne, l'autre pour un huitième de maison, vingt oliviers et un âne
(hrch. tun., reg. 996. Registre de 1285 pour la mejba de 1284 : mai 1867-avril 1868).
( 2 ) Reste toujours l'incertitude des âges. La puberté n'était pas prise au sens biologique du
terme. Ii s'agissait plutôt de L'âge à partir duquel un garçon était capable de gagner sa vie,
14 ou 15 ans en g$néral. Dans son étude (La mejba, impôt de capitation tunisien ..., Tunis, 19-
104 p.), M . CHERELindique l'âge de 15 ans environ, p. 50.
( 3 ) Le dossier de mejba correspond aux impositions de 1276. Il est authentifié par le sceau
beylical apposé le 28 chaoual 1277 : 9 mai 1861. Le recensement nominatif est de 1277, proba-
blement du second semestre de 1860. Les garçons de O à 14 ans représentaient 48 010 de la
population masculine, ceux de O à 1.5 ans, un peu plus de la moitié. Cette répartition apporte
une justification de plus à notre évaluation.
>si
Figure 1. - Le registre du cap Bon
Le cliché donne une idée de la présentation des registres; le nom de la localité, ici Soliman, se
détache avec netteté. Suivent les noms des individus avec les âges en regard. Ainsi trouvons-
nous successivement Mohammed ben Khalifa el Hanefi, 65 ans (lre ligne), ses fils, Maham-
med, 25 ans, Chedli, 22 ans, Ali, 15 ans, son frère El Hadj Mahmoud, 48 ans (5e ligne). Son
fils Mohammed, un an et demi.
Parmi les suivants, lignes 7 et 12, nous relevons deux noms de mamelouks. La plupart des
sobriquets indiquent une origine, Trabelsi = Tripolitain, Kourbi = originaire de Korba.
Ainsi, Hassan ben Mohammed el Amouri el Kourbi (avant-demière ligne). Comme pour la
correspondance habituelle, les secrétaires usaient de la plume de roseau, l'encre était séchée
au sable.
de Bizerte en 1860 : 2.053 imposables pour 2.269 non imposables, fonction-
naires, indigents, invalides ou enfants (1). Si la moitié des hommes étaient
ou auraient dû être des contribuables virtuels, on peut sans grand risque
d'erreur considérer que les listes d'imposition et de dispense correspondent
bien au quart de L population.
Valeur des sources. Mais, que peuvent valoir ces listes elles-mêmes? Il s'agit
là de documents fiscaux, donc de sources toujours un
peu suspectes. Caïds et cheikhs n'avaient-ils pas intérêt à minimiser le nombre
de leurs administrés vis-à-vis du pouvoir central? La tentation était évi-
dente dans un pays où les agents recenseurs étaient en même temps des
agents de perception, un pays où l'usage des quittances d'impôts demeura
longtemps inconnu.
A cet égard, les listes d'imposition elles-mêmes sont éloquentes. Entre 1856
et 1863 (années 1273 à 1279 de l'Hégire), donc pendant une période de relative
prospérité, dans la plupart des circonscriptions, nous voyons les effectifs
enregistrés se réduire d'année en année. De 3.474 en 1273, chez les Ouled
Ali des Frèchich, le nombre des imposables tombe à 3.408 en 1274, 3.371
en 1275, 3.282 en 1276, 3.271 l'année suivante. De 2.272 en 1274, il se réduit
à 1.752 en 1278 chez les Ouled Naji, autre fraction des Frèchich. En deux
ans, les Majeur semblent perdre 600 imposables, le caïdat de Sousse, près
de 4 0 ( 2 ) . Pendant la même période, le district de Monastir aurait vu sa
population diminuer du cinquième. On peut considérer comme des excep-
tions les différents caïdats des Zlass, chez qui nous voyons le nombre des
imposables s'accroître de quelques dizaines d'âmes entre 1274 et 1277 ( 3 ) .
Chaque année disparaissent quelques cotes, des morts, des indigents que ne
venait point compenser, l'inscription des adolescents parvenus à l'âge de
virilité. Le détail des registres particuliers le montre assez clairement : les
épidémies n'étaient pour rien dans la diminution des contribuables.
(1) Arch. tun., reg. 718 : iiste établie en moharrem 1277 (juillet-août 1860) pour Yimpo-
sition de 1276 (1859-1860), détail par localité et, pour Bizerte, par quartier.
Il n'est pas possible d'opposer partout adultes et enfants. Dans certains quartiers, ceux-ci
ont été décomptés à part; ailleurs, ils ont été rangés avec des adultes sous ia rubrique commune
u non imposables ».Dans la même région, les Estes pour 1272 (reg. 629) nous offrent un totd
de 4.708 noms, 1.992 jeunes, 149 indigents et 2.567 imposables, soit 54,5 O / o (47,5 O / o en 1276).
Les fonctionnaires, il est vrai, semblent avoir été classés dans cette dernière catégorie.
( 2 ) 9.801 imposables chez les Majeur en mars 1857, 9.231 en juiiiet 1859 (reg. 648), 6.324
dans le caïdat de Sousse, ville non comprise, en juin 1863; 5.942 en juin 1865 (reg. 925 et 950).
(3) Ibid. Doss. 653-656. Toutefois, dans les registres des Ouled Yacoub et ceux de Djerba,
il est fait mention d'individus désignés comme arrivant à fâge de raison ou de responsabilité
(le mot takhil ayant ce double sens). Iis sont 36 chez les Ouled Mahdi, à la fm de 1861,25 chez
les Ouled Hamda (reg. 887) [imposition de O. Yacoub] ; 119 à Djerba (reg. 647). A Bizerte, d'une
année sur l'autre, les employés procèdent à une double opération. Ils retranchent les individus
partis, décédés ou nouvellement exemptés, ils en ajoutent d'autres qui ne sont pas autrement
désignés. Mais, sauf pour la période de a juin » 1274-juin 1275, les effectifs de la circonscription
accusent une diminution continue.
Pour ces raisons, nous n'aurions souhaité retenir que les registres des
toutes premières années, ceux de 1856 ou 1857, établis à partir de dénom-
brements plus ou moins méthodiques et qui, à en juger par les ratures, les
notations marginales, étaient devenus des instruments de travail commodes
pour les secrétaires du caïd ou du khalifa. Malheureusement, la collection
des documents est passablement disparate. Les circonscriptions sur lesquelles
nous ne savons rien sont assez nombreuses (1). Par la force des choses,
nous avons été amené à élargir notre enquête. Si nous avons laissé de côté,
comme trop tardifs, les documents postérieurs à 1863, nous avons retenu
tous ceux des huit années précédentes. Il était impossible en effet de ne pas
exploiter un document de grand intérêt, le tableau général des impositions
du beylik pour 1277, liste par circonscription, qui figure dans le premier
budget régulier de la Régence, présenté pour l'année fiscale 1860-1861 ( 2 ) .
Ce tableau de 1277, qui semblait le plus propice à une évaluation globale
de la population, se révèle en définitive peu utilisable. Il réunit parfois,
des chiffres difficiles à comparer ' 3 ) ; il laisse de côté la masse des exemptions
dont l'omission pèse lourdement sur l'ensemble. Enfin, comme il corres-
pond déjà à la cinquième année de perception de l'impôt, il présente des
listes passablement réduites par rapport aux premiers recensements. En
définitive, il nous a fallu multiplier les confrontations, les recoupements,
sans parier des conversions ( 4 ) . C'est ainsi que nous avons pu évaluer la
population des principales régions du pays.
LA POPULATION DE LA RÉGENCE
(1) M. Béchir Ghailousi, le conservateur actuel, a bien voulu nous guider dans le dédale
du fonds ancien de Dar el Bey. Mais certains documents mal classés ont pu nous échapper.
( 2 ) C'était une des conséquences de la mise en vigueur de la constitution de 1861. Sur
cette question, voir notre ouvrage sur Les origines du protectorat français en Tunisie, p. 107-
110. Le tableau général des impositions à la mejba figure parmi les documents présentés en
annexe.
( 3 ) On pourrait s'attendre à ne trouver que les listes d'imposés effectifs. Mais parfois,
comme dans le Djérid, le chiffre avancé englobe aussi les indigents.
(4) En règle générale, nous avons retenu le taux de quatre habitants pour un imposé à la
mejba, toutes dispenses comprises. Nous avons marqué plus d'indécision cependant, lorsque
nous ne disposioiis pas de registres antérieurs à 1277 ou 1278.
Avec 1.100.000 habitants à peine, notre estimation se range parmi les plus
faibles pour l'époque (1).
Les Européens, hors de cette évaluation ( 2 ) étaient si peu nombreux que,
sauf à Tunis et à La Goulette, ils pouvaient être considérés comme quantité
négligeable. En fait, grâce aux registres paroissiaux, autant qu'aux statistiques
consulaires, nous les connaissons beaucoup mieux que la masse des musul-
mans ( 3 ) . Un recensement de 1856, dû aux Capucins de la mission apostolique,
nous donne leur implantation. Tous ensemble, les catholiques étaient alors
12.064 dans la Régence. Compte tenu des Grecs orthodoxes, d'une poignée
de protestants, c'est à moins de 12.500 que l'on peut évaluer le nombre des
Européens.
Nous sommes beaucoup moins bien renseignés sur la colonie israélite (4).
Dans l'état de notre information, il nous est impossible de proposer une éva-
luation satisfaisante. Les chiffres de 40 et 50.000 que l'on retrouve dans la
plupart des ouvrages de l'époque sont manifestement exagérés ( 5 ) . Mais
quel chiffre adopter? 30.000, 25.000, moins peut-être... Dans les villes de
la côte, dans le sud, même à Djerba, les listes d'imposition ne dénombrent
que des communautés insignifiantes. Ils n'étaient pas plus de 8.000 au total,
8.500 peut-être, en tenant compte des omissioiis possibles. Mais c'est à Tunis
que vivait la colonie de beaucoup la plus nombreuse. Nous l'avons estimée
naguère à 15.000 habitants. Nous ne sommes pas en mesure de préciser
autrement cette évaluation (6).
(1) Si nous admettons que la population musulmane tunisienne a, comme celle de l'Algérie,
presque doublé de 1056 à 1921 (les mêmes crises ont affecté en même temps Tunisie et Algérie
orientale), on trouverait un million d'habitants dans la Régence vers 1860. Le procédé est
simpliste, mais ses résultats ne s'éloignent guère de ceux que nous avons tirés des registres
de mejba.
( 2 ) De par le régime des Capitulations, ils étaient administrés par leurs consuls et n'étaient
assujettis à aucune des impositions locales.
( 3 ) A ce sujet, voir notre thèse complémentaire : La population européenne de Tunis au
milieu du XIXe siècle, parue aux Presses Universitaires de France en 1960.
(41 Un certain nombre d'Israélites d'origine livournaise, les Grana, étaient devenus ou
redevenus sujets italiens. Les co~suiatsde France et d'Angleterre avaient également leurs
sujets, leurs protégés. Mais, à l'époque, la masse de la population israélite n'avait pas encore
essayé de se soustraire à la juridiction beylicale.
: j ) Ainsi CUBISOL (op. cit., p. 5 et 17) fait-il état de 45.000 Juifs, dont 20.000 pour la ville
de Tunis. La population israélite de la capitale était estimée à 30.000 âmes par von M.~LTz.~N
(op. cit., vol. 1, p. 82) et JUSSERAND (Arch. M . étrang., Mém. et doc., vol. 9, Note sur la
Tunisie, l m l ) et 35.000 par DE FLAUX(La Régence de Tunis au XIXe siècle, Paris, 1865,
p. 50) et même à prBs de 40.000 par DUVANT (Notice sur la Régence de Tunis, Genève, 1858,
p. 229). Toutefois le capitaine DAUMAS ne l'évaluait qu'à 15 ou 18.000 âmes (Quatre ans à
Tunis, Alger, 1857, p. 45).
( 6 ) Les origines du protectorat français en Tunisie, p. 152. Dans l'étude sociologique de
SEBAG et ATTALsur la Hara de Tunis, parue en 1959, un chapitre est consacré à l'évolution
historique du ghetto, mais il n'apporte guère d'éléments nouveaux. En ce qui concerne le
xlxe siècle, les auteurs se bornent à reprendre, citations comprises, les développements que
nous avions consacrés à la question. Les chiffres de 1956,11.528 habitants, donnent au quartier
une densité de 900 à l'hectare; mais la hara, devenue un ghetto de la misère, voit refluer de
plus en plus des Musulmans et même des Européens pauvres. Réduits à 7.638 en 1956, les
Juifs ne formaient pius que les deux tiers de la population de la hara.
Répartition par âge. Ces ombres et ces lumières, nous les retrouverons
dans l'étude régionale. A défaut d'une véritable analyse
démographique, nous pouvons, grâce au dénombrement opéré dans le cap
Bon, nous faire une idée de la répartition des âges dans une région peuplée
de sédentaires. Ces âges sont incertains. Pour les vieillards, les gens d'âge
mûr, ils n'ont probablement qu'un rapport lointain avec la réalité (1). Ils
nous apportent néanmoins un témoignage de qualité. La pyramide des âges
souligne en effet l'extraordinaire jeunesse de cette population où les moins
de vingt ans étaient plus de 55 %, les adultes un peu plus du tiers et les
vieillards réduits à 10 % de l'ensemble ( 2 ) .
(1) Visiblement, la plupart des habitants connaissaient beaucoup moins bien leur âge que
les paysans français du X V I I I ~siècle. La constatation n'a pas lieu de nous surprendre dans un
pays où l'on continue de manifester la plus grande indifférence à ce sujet. Rien de plus typique
à cet égard que cette attraction décimale dont nous trouvons la trace dans toutes les localités
du cap Bon. Passé 20 ou 30 ans, selon les lieux, la plupart des âges s'échelonnent de 5 en 5 ans,
avec une préférence très marquée pour les dizaines. Chez les vieillards, à quelques exceptions
près, les indications se réduisent à celles de (c vieux r ou cc très vieux n, 60 et 80 ans ici, 70 et 90
ailleurs. Les trois centenaires que nous avons retrouvés ne sauraient en aucune façon nous
apporter un témoignage de longévité.
(2) Voir, en annexe, le tableau no 2.
( 3 ) L'épidémie de 1856 fut considérée comme moins grave que celle de 1850, dont le chro-
niqueur Ben Dhiaf a décrit les ravages autour de la capitale. De Djerba, elle avait cependant
La crise des années 60. Après 1860, commence la série des mauvaises
années. La répression qui suivit la révolte générale
de 1864 s'abattit brutalement sur les sédentaire;. Les populations du nord-
ouest furent durement traitées, mais, plus encore, les villageois du Sahel.
La récolte de 1866 ne fut pas bonne, celle de 1867 fut pire. Au début de l'été,
le choléra se répandait dans le Sahel, puis dans l'intérieur, gagnait Tunis
où, vers la mi-juillet, il enlevait 150 personnes par jour. L'épidémie s'apaisa
ensuite. En deux mois et demi, selon les rapports consulaires, elle avait fait
5.000 victimes à Tunis, 18.000 à 20.000 dans le reste de la Régence (1). Mais,
à l'automne, la disette tournait à la famine. En ville, presque chaque jour,
on ramassait plusieurs cadavres de Bédouins morts d'inanition ( 2 ) . L'hiver
paesé, c'était au tour de typhus de faire son apparition, tandis que des épizoo-
ties décimaient les troupeaux. La crise allait se prolonger jusqu'en 1869.
En trois ans, la Tunisie aurait-elle perdu le quart ou le cinquième de sa popu-
lation? On ne pourrait l'affirmer. La crise fut assez grave en tout cas pour
avoir vivement frappé les contemporains.
Après les années noires, revinrent des périodes plus heureuses, comme
celle qui marqua l'administration de Khérédine, aux alentours de 1875.
Mais ce n'est certes pas un pays prospère, une population en plein essor.
atteint successivement toutes les vilies de la côte jusqu'à Tunis où on lui attribuait 6.000 décès
(Arch. Rés. dép. comm., no 14-16,22 juillet, 19 août, 9 septembre 1856; Arch. Londres, F. O.,
102151, juillet-septembre 1856, passim). Grâce aux registres paroissiaux, nous pouvons évaluer
de façon précise k mortaiité des Européens : 119 décès à Tunis dans l'été 1850, 46 en 1856;
32 à Sousse, Monastir et Sfax en 1850, 14 seulement en 1856 (décès dus au choléra). Depuis
l'épidémie de 1836 existait un conseil sanitaire, mais pratiquement dépourvu d'autorité.
A côté des épidémies, les médecins de l'époque rangeaient la syphilis parmi les « plus graves
fléaux de la Régence ». « L e relâchement des mœurs »,écrit le docteur Cotton, a le défaut
absolu d'inspection sanitaire sur les filies publiques sont causes du développement et de l'ex-
tension effrayante des maladies vénériennes parmi les populations musulmanes » (Arch. Rés.
Annexe dép. pol. 62, Tunis, 29 novembre 1867).
(1) Arch. Résidence. Consulats, no 12. Tunis, 29 août. 1867. Nous n'avons pas les moyens
de contrôler ces chiEres. Mais, pendant la crise, la mortalité des Européens apparaît particu-
iièrement élevée. D'une moyenne de 168 par an à Tunis, entre 1862 et 1866, les décès passent
à 352 en 1867, à 531 en 1868. 114 de ces décès étaient dus au choléra de l'été 1867, 217 au
typhus de 1868 (Reg. par. Sainte-Croix).
La Régence n'était pas seule atteinte. Les mêmes fléaux s'abattaient également suri'Aigérie
voisine. L'étude d'A. N O ~ S C H I la crise économique de 1866 à 1869 dans le Constantinois
sur
(Hespéris, 1959) apporte de nombreux détails sur le développement de l'épidémie et i'aggra-
vation de la misère. Dans sa grande thèse sur la colonisation des plaines du ChéliA X . YACONO
décrit de façon saisissante la grande famine et le choléra de 1867-1868, qui enlevèrent à la région
le tiers de sa population indigène (t. 2, p. 120-122). Le Maroc n'était pas épargné, tous les témoi-
gnages contemporains concordent à ce sujet (BEAUMIER, « L e choléra au Maroc n, Bull. Soc.
Géo., 1872, p. 287-305; MIEGE,Le Maroc et l'Europe, 3, p. 145-148).
( 2 ) « Des bandes d'Arabes... parcourent [le pays], cherchant à manger pour eux et pour
leurs troupeaux ... La récolte d'huiie manque en entier, celle des grains a à peine couvert les
semailies; la sécheresse, l'épidémie ont broché sur le tout 1) (Arch. Rés. De Botmiiiau, consul
de France, au marquis de Moustier. Tunis, 6 septembre 1867). Une semaine plus tard, de Bot-
&u signalait qu'on avait trouvé dans Tunis trois Arabes morts de faim, la bouche encore
pleine d'herbe. « C'était la volonté d ' f i h ! *, se serait borné à déclarer le premier ministre
(Ibid. Du même au même, 13 septembre 1867).
LES POPULATIONS SÉDENTAIRES
(1) Comme pour la population de la Régence, les évaluations des contemporains variaient
du simple au double. PELLISSIER DE REYNAUD (op. cit., 1853, p. 50) et FINOTTI(La Reggenza
di %nisi, Malte, 1856, p. 368) avançaient le chiffre de 70.000 habitants, CUBISOL,celui de
100.000 (op. cit., 1867, p. 5). Selon le consul d'Angleterre, Wood, Tunis comptait de 100 à
120.000 âmes (Arch. M. étr. Tunis, Mém. et doc., vol. 9, nu 52 : rapport de 1875),
125.000 selon VON MALTZAN (op. cit., 1870, vol. 2, p. 413), dont 80 à 85.000 Musulmans. FALLOT
allait même jusqu'à 150.000 habitants (op. cit., 1888, p. 46).
L'administration française devait évaluer la population musulmane de Tunis à 80.000 âmes
à la fm du xlxe siècle, à 100.000 en 1906. Mais le premier recensement, celui de 1921, ne dénom-
brait que 79.200 Alusulmans dans la capitale. Les chiffres les plus faibles étaient probablement
les plus proches de la réafté. Tunis n'avait sans doute pas plus de 80 à 90.000 habitants ver5
1860. Les Européens étaient moins de 10.000. Si les Juifs étaient 15.000, les Musulmans devaient
être 60.000 environ.
A Kairouan, les recensements français de 1921 et 1926 ne devaient dénombrer que 18.000
indigènes. La stagnation de la viiie laisse à penser qu'elle pouvait avoir à peu près le même
nombre d'habitants soixante ans plus tôt. En 1829, Filippi estimait sa population à 20.000 âmes.
Pellissier, toutefois, ne lui en accordait que 12.000 en 1853.
tion ne devait guère excéder 80.000 âmes (l). La plupart des chefs-lieux,
Tebourba, Teboursouk, Mateur ou Béja, n'étaient, il est vrai, que des marchés
agricoles dépourvus de toute fonction urbaine. Mais, de la cité, ils conser-
vaient les attributs traditionnels, des mosquées, des bains publics, les ves-
tiges croulants d'une kasbah flanquée par une enceinte en ruines. Leur popu-
lation avait beau se réduire à 2.000 ou 3.000 âmes, toutes ces bourgades
demeuraient encore officiellement des villes ( 2 ) .
Au fond de sa lagune envasée, Porto-Farina n'avait pu devenir le port
de guerre rêvé par le bey Ahmed. Bizerte avait plus d'importance; mais elle
n'était qu'un port de pêche en même temps qu'un marché régional.
Sur la ville même, nous sommes bien renseignés. Les registres nous
apportent en effet le détail, quartier par quartier, de tous les hommes, rangés
par confession en trois catégories fiscales, jeunes, indigents et imposables.
Banlieue comprise, Bizerte apparaissait ainsi comme une ville de 5.000 habi-
tants (:'). L'élément israélite y était représenté par plus de 400 personnes;
mais, dans la ville, il ne semble pas y avoir eu de ghetto, car les Juifs se dis-
persaient dans plusieurs quartiers ( 4 ) .
(1) Il est difficile de comparer les circonscriptions territoriales créées par la France, après
le protectorat, aux caïdats ethniques, en grande partie, de l'ancienne administration beylicale.
Relevons cependant le iiombre des imposés à la mejba dans sept caidats de la région en 1899 :
51.306 (Béja, Bizerte, Mateur, Medjez el Bab, Tebourba, Tebourdouk et Djendouba) [ZEYS,
op. cit.].
( 2 ) Sur la décadence de Testour au xlxe siècle, voir GUÉRIN(Voyage archéologique dans la
Régence de Tunss, Paris, 1862, t. 2, p. 159), et LATHAM (Towards a study of Andalusian immi-
gration and its place in Tunisian history, in Cahiers de Tunisie, 1937, p. 213). Tebourba,
Mateur, Porto-Farina avaient également été repeupl6es par des Andalous, deux siècles et demi
plus tôt.
( 3 ) Pour l'année 1272 de l'Hégire (septembre 1855-août 1856), le nombre des hommes est
le suivant : Musulmans, 2.368 (imposables, 1.354; indigents, 51; jeunes, 963); Israélites, 218
(imposables, 107; indigents, 4 ; jeunes, 107). La répartition des habitants selon les quartiers
pourrait être intéressante si le découpage des circonscriptions était resté identique d'un recen-
sement à l'autre. En 1272, en effet, on en distingue onze (reg. 629); à partir de 1276, on n'en
trouve plus que huit (reg. 718 et 805). Certains quartiers ont été seulement regroupés, mais
d'autres semblent avoir été découpés différemment. Parmi les plus peuplés, signalons seulement
le quartier des chérifs, celui du caid et celui des Andalous.
Au bord du lac, Memel Abderrahman et Ksiba, qui n'était pas encore devenue F e r r y d e ,
demeuraient de minces bourgades. Seule, avec ses 1.300 habitants, Memel D j e d avait quelque
importance.
(4) Sur 218 hommes, 100 vivaient dans le quartier de Robâa, 44 et 35 dans les quartiers
voisins de Sidi Kâaka et des menuisiers.
demeuraient le domaine de groupes de nomades ou de semi-nomades. Au total,
25.000 sédentaires concentrés dans le tiers du pays et quelque 10.000 Bédouins.
Soliman n'avait guère plus de 1.600 âmes, hameaux compris, moins
que Menzel bou Zelfa, Hammamet, 2.000, Dar Chabane, près de 2.500.
Nabeul, la ville des potiers, faisait déjà figure de petite capitale régionale
avec près de 4.000 habitants, dont un dixième de Juifs (1). En revanche, la
plupart des villages de l'intérieur demeuraient des bourgades insignifiantes.
Turki avait 200 habitants, Grombalia, le futur chef-lieu de contrôle civil,
n'en avait pas 700 (2). Ce n'était certes pas le voisinage de la piste de Tunis
à Sousse qui pouvait leur valoir quelque activité à f époque.
0 4 0 0 0 habitants
2 000 habitants
a u t r e s localités
Figure 3. - Le cap Bon. Lire : Soliman (S.), Beni Khailed (B. K.), Grombalia (G.),
Beni Khiar (près de Nabeul), Memel Temime (M. T.), et Kéiibia (K.)
(1) Recensement des habitants mâles de tous âges : Soiiman, 881, dont 77 habitant Tunis;
Menzel bou Zelfa, 971; Beni Khalled, 532; Korha, 1.008; Beni Khiar, 925, dont 89 habitant
Tunis et 68 La Manouba; Hammamet, 1.039, dont 18 habitant Tunis; Dar Chabane et Zaouiet
el Fehn, 1.251, dont 84 habitant Tunis; Nabeul, 1.938. Ces chiffres rejoignent, pour la piupart,
les évaluations de PELLISSIER, dont ils permettent d'apprécier l'information. Toutefois, l'auteur
n'attribue pas plus de 21.000 habitants à l'ensemble du cap Bon (op. cit., p. 77). Sans doute
laissait-il de côté les nomades.
( 2 ) Pour les localités de cette région, l'évaluation de la population à partir du seul nombre
des imposés à la mejba serait particulièrement trompeuse. Grombalia, où l'on recensait 347
individus du sexe masculin, ne comptait que 50 imposables; Belli, 20 seulement. C'est que les
dispenses étaient nombreuses : 152 dans un village, 20 dans l'autre. Ces exemptions étaient
liées en général à des servitudes militaires ou paramilitaires, logement des gens de guerre,
charrois, transport de courrier entre Tunis et Sousse.
A deux siècles de distance, le souvenir de la colonisation andalouse demeu-
rait encore vivace, notamment à Soliman et Grombalia. Malgré l'anonymat
des prénoms, toujours décevant en pays musulman, de loin en loin apparaît
un nom, un sobriquet qui évoque une lointaine origine espagnole (1). Mais
on ne saurait mesurer l'influence andalouse à ces maigres indices.
Le Sahel. Du cap Bon au Sahel, l'hiatus était brutal. En effet, les plaines
en bordure du golfe de Hammamet étaient le domaine de par-
cours des Ouled Saïd, une tribu peu nombreuse, mais remuante. Les oliviers
ne réapparaissaient qu'à Hergla; ils ne commençaient à former de peuple-
ments continus qu'à partir de Sidi bou Ali, 20 kilomètres au nord de Sousse.
Sur la carte, il est facile de suivre l'extension de l'olivette. Les registres de
mejba concordent avec ceux du canoun ( 2 ) . Dans les caïdats de Sousse et
Monastir, ce sont les mêmes noms que nous retrouvons, ceux de cinquante
villages serrés au milieu de leurs arbres, à peu de distance du littoral ( 3 ) ,
« la région la plus riche, la plus vivante et la plus riante de la Régence de
Tunis » (4).
Le Sahel, avait été partagé en deux, puis en trois districts (51, mais le
bey en reconstuait l'unité en confiant les deux charges au même caïd (6).
On pourrait penser que c'est dans le Sahel que l'évaluation de la popu-
lation poserait le moins de problèmes. Mais, si les registres d'impôts étaient
bien tenus, il n'est pas toujours facile d'en tirer parti. Pour le caïdat de Sousse,
nous disposons de trois séries, celles des années 1276, 1280 et 1282 de f Hégire,
de trois également pour celui de Monastir, mais mieux groupées, 1276, 1278
et 1279. Comme pour les autres circonscriptions, nous connaissons le nombre
global de contribuables par caïdat pour l'année 1277. D'un exercice budgé-
( 1 ) Le plus banal, le plus répandu aussi, était celui d'El Andleuss, l'Andalou. Turki, Beili,
Sianou, peut-être Nabeul et les deux Menzel pouvaient être considérées comme des localités
en partie andalouses.
( 2 ) Le canoun des oliviers était un impôt qui pesait sur l'arbre. D'après les registres offi-
ciels, dans les deux caïdats, on pouvait dénombrer 4.300.000 oliviers imposés (doss. 101, car-
ton 93). Comme la révision des listes n'avait lieu que tous les vingt ans, il est probable que
ce chiffre était inférieur à la réalité. Les contemporains estimaient alors l'olivette sahélienne à
5.000.000 de pieds.
( 3 ) Vingt-trois viüages dans le caïdat de Sousse, auxquels il faut ajouter ceux de Zriba,
Djeradou et Takrouna, localités sans oliviers, extérieures au Sahel, mais rattachées à ia cir-
conscription; deux viiles et vingt-neuf villages dans le caïdat de Monastir, plus le petit canton
d'Amira dont la population n'était que sédentaire.
(4' Jean DESPOIS(Tunisie orientale, p. 183), auquel il faut toujours se référer lorsqu'on
veut étudier le Sahel.
( 5 ' Le caïdat de Mahdia fut créé en 1862 aux dépens de celui tle Monastir, mais il se réduisait
à la ville et sa banlieue. L a tribu voisine des MetheHith lui était rattachée.
i e > hlamelouk d'origine grecque, né à Cos en 1810, hIohammed Khaznadar sut se maintenir
pandant cinquante ans à un poste ou un autre, au service de cinq beys. Nommé caïd de Sousse
et Monastir en 1838, il conserva ses fonctions jusqu'en février 1865, pour les recouvrer en
décembre 1869. Son administration, relativement modérée, avait laissé un bon souvenir dans
le pays.
L,E SAIIEL
1 :' W
3 .....8
O
A..
................"
Akouda
W L A A KERII<Aeee H. sousse
d e 3 à 4 000 habitants
a u t r e s localités
....... limites d e caïdat
Figure 4. - Le Sahel
taire sur l'autre, on peut suivre la chute rapide des effectifs, conséquence
de l'évasion fiscale. Mais, pour avoir une idée de la réalité, on ne peut se
contenter d'étudier les premiers registres en laissant de côté les suivants.
Il nous faut en effet tenir compte des exemptions pour infirmités, pour indi-
gence ou tout autre motif, et surtout de la conscription qui enlevait dans
le Sahel toutes les recrues dell'armée régulière. Soldats du bey et vétérans
étaient également dispensés de'la mejba. Comme il y avait 1.200 à 1.300 cons-
crits par an pour chacun des caïdats, il est évidemment impossible de les
négliger. Malheureusement, faute des listes d'exemption, année par année,
en même temps que des registres d'imposition, il nous faut donc interpoler,
opération qui devient trop hasardeuse lorsqu'il s'agit de petites localités.
Pour 20.000 imposés dans les deux caïdats en 1276, il pouvait y avoir
500 ou 600 exemptions à titre civil, 2.500 à titre militaire (1). Compte tenu
de la situation particulière de Sousse et de Monastir, on arrive à une évalua-
tion légèremelit inférieure à 100.000 habitants. Même en retenant ce dernier
chiffre, nous sommes loin des 14,û.OOO âmes attribuées aux deux caïdats
par le vice-consul de France, Espina ( 2 ) .
(1) En 1899, le nombre des imposés à la mejba dans les quatre caïdats de Sousse, Monastir,
Mahdia et Djemmai était de 37.070 (P. ZEYS, op. cit.).
(2) Arch. Rés. Espina à Duchesne de Beilecourt, Sousse, le' mars 1865. Ce long rapport,
dans lequel sont consignés les nombres d'imposés à la n~ejba,vinage par village, en 1276, a
été publié par P. GRANDCHAMP en 1935, La révolution (le 1864 en Tunisie, vol. 2: p. 148-167.
Il est difficile d'évaluer la population de chaque localité. Néanmoins, une
impression d'ensemble se dégage, l'importance du peuplement rural, la
densité de quelques cantons littoraux, au nord, autour des deux Kalaa;
au centre, avec Msaken; au sud, entre Monastir et Mahdia. Ce sont bien les
gros villages qu'ont décrits les voyageurs du xlxe siècle. Moknine devait
avoir 5.000 habitants, Kalaa Kebira, 7.000, plus que Monastir ou Mahdia.
Les dimensions de Msaken étonnaient déjà les contemporains. Pellissier lui
attribuait 10.000 habitants (1); d'après nos calculs, nous pouvons en tout
cas lui en-accorder au moins 9.000.
Akouda, Hamman Sousse, Kalaa Srira et Djemmal, dans le caïdat de
Sousse, Ksour es-Saf, Bekalta, Ksar Hellal et Teboulba, dans le caïdat de
Monastir, comptaient sans doute entre 3.000 et 4.000 habitants. Les autres
villages avaient un minier d'âmes pour la plupart; bien rares ceux qui tom-
baient au-dessous de 200 ou 300. Une exception : le minuscule Menzel Harb
ne comptait que 15 imposables en 1276.
Par leurs fonctions, les trois ports du Sahel, Sousse, Monastir et Mahdia
méritaient assurément leur titre de cité. De la ville, elles avaient d'ailleurs
tous les attributs traditionnels. Mais l'exportation saisonnière des huiles ne
pouvait suffire à l'activité d'un port. Monastir et Mahdia n'avaient pas su
pallier l'insuffisance de leur arrière-pays. Malgré leur bourgeoisie locale,
elles s'assoupissaient dans la somnolence d'une existence plus qu'à demi
rurale. De son ancienne grandeur, Mahdia n'avait conservé que l'originalité
de son peuplement, la présence de familles d'origine turque dont les noms
se sont perpétués jusqu'à nos jours. Réduites à 4.000 habitants l'une et l'autre,
Monastir et Mahdia tendaient à se confondre de plus en plus avec les gros
villages du Sahel ( 2 ) .
Sousse avait plus d'allure et surtout plus d'activité. Aux ressources du
commerce, elle joignait celles d'un artisanat actif. A tous égards, elle faisait
figure de capitale régionale. Mais, garnison mise à part (31, sa population
se réduisait encore à 8.000 habitants, parmi lesquels 1.800 Juifs et 600 Euro-
péens, Maltais pour la plupart (4). Toute la population vivait à l'intérieur
de l'enceinte où plus d'un espace demeurait encore vacant. Les Juifs avaient
(1) En 1853, PELLISSIER accordait 10.000 hdbitaatc à Sfax, 13.000 avec sa banlieue de
jardins (op. cit., p. 108); Mattei, l'agent consulaire français, plus de 9.000 en 1867, dont 2.500
Israélites et Européens (hrcli. Résid. Comm. no 29 : rapport sur les agence.; consulaires, 9 d6-
cembre 1867). Ces derniers étzient évaiil6s à 500 en 1856, presque tous .Ilaltais, à 720 en 1870.
J.eç trois premières famifies chrétiennes s'&aient fixées à Sfax entre 1830 et 1835. Vers 1860,
il naissait chaque année une vingtaine d'enfants clans la colonie européenne (reg. par. Sfax).
Djerba, En revanche, pour Djerba, non seulement le détail des contri-
buables nous est donné cheikhat par cheikhat, mais nous connais-
sons même les noms des absents, ainsi que leur résidence, ce qui ouvre des
aperçus nouveaux sur l'émigration traditionnelle des insulaires.
Les listes pour 1273 aboutissent, indigents compris, à un total de 5.698 indi-
vidus. Compte tenu des absents, vers 1860 la population de l'île pouvait être
évaluée à 22.000 habitants (l), soit le tiers du chiffre actuel. Parmi eux,
encore quelques nomades, les uns qualifiés de Hachache, les autres de Nefousa.
Tous les autres étaient des sédentaires. Aucune agglomération d'importance,
pas même à Guellala, le village des potiers. Quelques familles maltaises
s'étaient fixées dans l'île, nous le savons par d'autres sources. Quant aux Juifs,
ils étaient moins de 800 dans leurs deux hara. Avaient-ils souffert des der-
nières épidémies de choléra? On peut s'étonner, en tout cas, de leur petit
nombre vu l'antiquité de leur installation ( 2 ) .
Mais l'importance de l'émigration souligne l'originalité de cette popula-
tion. Djerba était encore loin d'être surpeuplée que les Djerbiens cherchaient
à l'extérieur d'autres ressources. Selon les registres de capitation, ils étaient
585 à vivre sur le continent en 1857, ce qui représentait, peut être un millier
d'individus, près du dixième de la population musulmane. Autant d'épiciers,
nous le devinons, qui se dispersaient par trois ou quatre, pour l'exploitation,
à tour de rôle, d'une boutique familiale. Le tableau de 1273 nous permet
de suivre leur colonisation. Ils étaient 279 adultes dans le Sahel, 106 dans
le cap Bon : à Sousse, à Monastir, à Mahdia, ils formaient des groupes impor-
tants, mais ils étaient présents dans tous les gros villages. Les autres s'égail-
laient plus au nord, dans la région de Bizerte, au Kef, à Kairouan. Pas un
seul à Sfax, ce qui est logique, mais quatre seulement à Tunis ( 3 ) .
LES NOMADES
(1' Lutte entre le bey Hussein, fondateur de la dynastie, et son neveu, Ali Pacha. Dan.: les
textes du xlxe siècle étaient régulièrement employés les termes de Husseinia et de Bachia,
transcription de pluriels arabes, qui, pour le lecteur occidental, évoquent assez mal l'idée de
partisans.
( 2 ) 762 imposés en 1273 au Kef ville, dont 24 nègres et 64 Juifs; 3.363 dans la circonscrip-
tion (reg. 635); 631 et 3.219 en 1276 (reg. 712). Nous devons ces chiffres à I'amabilitC de II.Ghcll-
lousi, qui a bien voulu nous adresser la photocopie des documents.
i 3 ) 11.131 imposés chez les Drid, 1.944 chez les Arab Majour, d'après le budget de 1277
LE SUD
Sendassen. Les Ouled Iddir campaient au nord de Kairouan, les Ouled Khalifa et les Ouled
Sendassen au sud et au sud-ouest. Quant aux Kooub, ils se tenaient généralement entre la
Kessera et le djebel Ousselct.
3 ) Doss. 653-656, carton 92, doss. 82.
$ 4 ) COSS.1793-1796, carton 92, doss. 82. Nous sommes loin des chiffres de PeEssier qui
accorde 50.000 têtes à l'ensemble de ces quatre tribus en comptant, note-t-il, cinq individus
pour un guerrier » (p. 128). En dehors des régions peuplées de sédentaires qu'il connaissait
fort bien, les estimations du vice-consul à Sousse apparaissent dénuées de fondement, en par.
ticulier pour le centre et le sud du pays.
( 5 ) Ils étaient engiobés dans la circonscription Riali, Testour, Zaghouan, Medjez el Bab,
sur laquene nous n'avons pas de détails.
6 ) Nos seules informations sont celles que nous avons tirées du budget de 1277.
$ 7 ) En 1899, les quatre wïdats de l'Aradh, du Nefzaoua, des Ouerghamma et des Matmata
ne comptaient ensemble que 21.000 contribuables. Mais, chez les Ouerghamma notamment,
on signalait de nombreux abonnements (P. ZEYS,op. cit.).
le bled el D~érid,le pays des palmes : 4.294 contribuables en 1860, 4.471 si
l'on y inclut les habitants de Tamerza, Midès et Chebika, minuscules oasis
de montagne traditionnellement rattachées à la circonscription de Tozeur (1).
De l'ouest à l'est, l'importance des agglomérations allait diminuant. Dans
son oasis, Nefta devait grouper 8.000 âmes ( 2 ) , autant que Tozeur, où le
caïd recensait en 1860 une population mâle de 1.818 personnes, imposables
ou non ( 3 ) . El Hamma ne comptait que 201 contribuables, Degache, Kriz,
Seddada et les petites oasis groupées sous le nom d'El Oudiane, 848 (4).
Au total, il ne devait pas y avoir plus de 20.000 à 22.000 habitants dans
tout le Djérid.
La région de Gafsa appartenait incontestablement au sud. Mais Gafsa
n'avait pas l'importance de Tozeur. La ville elle-même n'avait guère plus
de 3.000 habitants, 4.000 ou 4.500 si l'on y adjoignait le centre d'El Ksar.
El Guettar, de son côté, pouvait en compter 2.000. En tenant compte des
nomades installés dans les oasis, le caidat de Gafsa devait grouper une douzaine
de milliers d'âmes ( 5 ) .
Au sud du chott, le Nefzaoua était nettement moins peuplé. Dans le
cordon d'oasis qui, par Douz et Kébili, s'ordonnent en équ&re'dY~iFaouar
à Fatnassa, la palmeraie était plus maigre qu'au Djérid, les habitants dispersés
en une poussière de hameaux. Sur place, on distinguait deux cantons,
Outhan Cheddad et Outhan Youssef (6), 891 contribuables au total, sans
doute pas beaucoup plus de 3.500 habitants.
L'oasis de Gabès était plus importante. Porte du désert. elle com-
mandait les principales routes commerciales du sud. C'était à la fois le
chef-lieu d'une maiche frontaiière, un lieu d'échanges longtemps des plus
actifs. Cependant, les trois agglomérations entre lesquels se partageait la
population de l'oasis n'étaitnt que de gros villages. Djara devait compter plus
de 2.500 âmes; sa voisine, Menzel, 2.000; Chenini, près d'un millier. Mais
(1' Tamerza : 121 contribuables, dont 37 pauvres et 4 cheikhs; hlidès : 17, dont 15 aisés
et 2 pauvres; Chebika : 39, dont 30 aisés et 9 pauvres (reg. W, année fiscale 1277). Ces oasis
sont situées sur ia frontière algérienne, à 65 kiiomètres au nord de Tozeur.
(2) Nombre de mâles adultes : 2.040, dont 94 à Tunis et 91 à Tozeur, y compris 10 Juifs.
Exemptés 208 invdides. Restent : 1.832 (reg. 881, année 1277). A noter que ia récapitulation
générale pour i'ensembie de ia Tunisie, dans cette même année 1277, fait état de 2.041 individus
et non de 1.832. La différence d'une unité (2.041 au lieu de 2.M0) ne soulève aucune difficulté.
Eile est d'aiiieurs compensée par une différence en sens inverse en ce qui concerne ia circonscrip-
tion de Tozeur (carton 92, doss. 82 : budget de 1277).
(3) Etaient exemptés les 613 étrangers, le khalifa et 14 cheikhs, 328 individus n ayant
regagné leurs tribus j), au totai 956 personnes sur 1.818 (reg. 882, année 1277). Le budget de
1277 fait état de 1.204 contribuabies (carton 92, doss. 82).
(4) Zbid.
(5) 2.892 imposables en 1273, 2.253 ou 2.354 en 1277, selon les sources (reg. M5 et 888,
carton 92, doss. 82). Dans ces chiffres, nous avons inclus les individus coniptés à part comme
ayant versé h mejba entre ies mains des cheikhs de leur tribu d'origine, Hammama, Frèchich,
O. Yacoub et autres.
(6) NOUS ne connaissons pas i'origine de ces appeuations. Il est nécessaire de faire remarquer
cependant que, dans le sud tunisien, les noms de Youssef et de Cheddad rempiaçaient ceux
de Husseinia et de Bachia dans la ddésignation des sofs.
alentour, il était d'autres palmeraies. Methouia était plus peuplée que MenzeL
En revanche Teboulbou, Bou Chemma, Rhennouche et même Oudref n'étaient
que des hameaux (1).
S'il y avait 10.000 habitants dans les oasis voisines de l'oued Gabès, 3.500
dans le Nefzaoua, 20.000 dans le Djérid, ces 33 ou 35.000 sédentaires représen-
taient néanmoins les dernières agglomérations importantes en bordure du désert.
Au sud, il n'était plus d'habitat permanent, pas même sur les pistes
menant v p s Tripoli ou les lointaines oasis du Fezzan (a).Seule exception,
mais d'importance, la chaîne des viilages berbères des Matmata, accrochés
au revers du dahar. Pauvres villages, d'ailleurs, que ces agglomérations
de troglodytes. La plupart comptaient moins de 200 imposables, certaines
même moins de 50. Toutefois, Hachache, Tamezred et Toujane au nord,
Chenini au sud groupaient entre 1.200 et 1.800 cents habitants chacune.
Sur leurs pitons désolés, 10.000 à 11.000 montagnards vivaient ainsi dans
des conditions d'existence dont la précarité peut nousiétonner encore ( 3 ) .
Peut-être faudrait-il leur ajouter Ghoumrassen, Douiret et Beni Barka, ainsi
que d'autres groupes d'ouderna aujourd'hui sédentarisés, qui ne devaient
pas mener un genre de vie très différent de celui des villageois.
Partout ailleurs, c'est l'émiettement des fractions et des douars, des
groupes de cent à deux cents, rarement de plus de 500 personnes. On
retrouve les Accara près de Zarzis, les Ouled Yacoub au sud du chott,
quelques Neffat, des Hazem, des Hamerna dans la plaine entre Gabès et
Mareth. Mais ce sont les innombrables divisions des Ouerghamma qui
occupent la majeure partie des registres de 1'Aradh (4. On a peine à
retrouver le classement méticuleux réalisé par les officiers des Affaires
indigènes (5) dans le désordre des listes caïdales, décourageantes par la
sécheresse de leur énumération.
Plus homogènes ou mieux fixés, sans doute, les différents groupes des
Ouderna, Jlidet, Ouled Selim ou montagnards, apparaissent plus faciles à
délimiter que les autres tribus des Ouerghamma : Khzour, Touazine et
(1) Djara : 639 imposables; hlenzel et Naha1 : 517; Chenini :228; Methouia : 569; Oudref :
287; Rhennouche : 52; Teboulbou : 28; Bou Chemma : 18. On peut y joindre Zarat (80)
déjà plus éloignée. Les registres signalent 7 nègres à Chenini, esclaves ou libérés de fraîche
date probablement, 68 Juifs à Menzel et 13 à Djara, ce qui pourrait correspondre à une popu-
lation israélite de 325 à 350 personnes (reg. 694, année 1276).
( 2 1 A peine est-il fait mention d'habitants de Mareth, 70 imposables à la rnejba perdus
dans la longue énumération des fractions et des douars des Hamerna (reg. 694).
i 3 ) Hachache : 439 imposés; Techine : 75, dont 7 Juifs; Beni Aissa : 170; Kalaa des Beni
h s s a : 178; Taoujout : 88, dont 1 nègre; Zeraoua : 161, dont 3 nègres; Tamezred : 401, dont
5 Juifs et 8 nègres; Beni Zelten : 183, dont 6 nègres; Toujane : 302, dont 5 habitant Tunis et
7 nègres; Zmerten de Toujane : 32 ; N'toufa : 11 ; Chenini Djebel : 291 ; Ghermessa : 122, dont
10 nègres; Meharzn : 21; soit un total de 2.574 imposables, parmi lesquels 12 juifs et 35 nègres
(reg. 695, année 1276). Dans cette énumération, nous avons suivi l'ordre du registre, dix vil-
lages, puis quatre, entre lesquels s'intercalent les Ghoumrassen et les Douiret, fractions d'Ou-
derna nommément désignées comme tribus.
(4) Reg. 693,694 (région de Gabès,) 695 (hlatmata), année 1276. Le registre 887 est consacré
aux Ouled Yacoub.
i5) Nomenclature et répartition des tribus de la Tunisie, Chalon-sur-Saône, 1901, passim.
Accara. Néanmoins, avec ses cinq miiie imposés à la mejba, la confédération
des Ouerghamma était de loin la plus importante de l'Aradh (1). Faut-il
lui attribuer 20, 22 ou 25.000 âmes, contre 4 ou 5.000 aux Ouled Yacoub,
5 ou 6.000 aux Hamerna? On sent trop ie caractère aventureux de telles
déductions dans une région où la frontière était bien proche et bien précaire
l'autorité du gouvernement (2'. Combien d'abonnements, de forfaits n'avait-il
pas fallu accorder, après maint palabre, en guise de recensement, combien
de douars n'échappaient-ils pas sans recours à la fiscalité du bey ?
(1) La tribu des Ouderna, la plus importante de la confédération des Ouerghamma, comptait,
en 1276, 1.851 imposés à la mejba. Parmi eux, les montagnards ou djebelia étaient 836 (651
Douiret, 65 Beni Barka, 77 Ouled Cedra et 43 Beni Khezra), les Ouled Hamid, 381 Ouled
Selim et autres faisant le reste. Les trois autres tribus sembiaient moins importantes puisque,
toutes ensemble, elles ne comptaient guère plus de 3.200 imposables. Les Accara n'étaient que
595. Chez les Khzour, nous avons trouvb 713 Ghoumrassen, au moins 354 Haouia, 180 Maz-
toura, 1.683 contribuables au total, avec les R'benten et les O. Aoun. Les Touazine devaient
être 837 au minimum avec les groupes qui les suivaient. Nous n'avons pas trouvé trace, il est
vrai, d'aucune fraction des Ouled bou Zid.
On peut relever également 712 imposés chez les I-lazem, 1.389 chez ies Hamerna, 934 chez
les O. Yacoub, 1.060 avec ceux qui étaient installés au Djérid et à Gafsa.
! 2 ) Nos évaluations sont bien éloignées de celles des officiers français des Affaires indigènes,
un quart de siècle plus tard. En 1884, la population des trois villages de l'oasis de Gabès était
estimée à 7.291 habitants, celle du Nefzaoua à 12 ou 15.000 âmes. Pour les Ouerghamma, c'est
un chiffre de 40.938 individus qui est avancé en 1886, presque le double de notre estimation
(André MARTEL, Les con$ns saharo-tripolitains de la Tunisie, 1966, t. 1, p. 68-98). Sans doute
faut-il faire ia part des exagérations inhérentes à ce genre d'évaluations. Von Maltzan n'accordait
que 25.000 têtes aux Ouerghamma en 1868. Mais est-il possible de conclure?
ANNEXE No l
.
ouled ~
Beit ech-Chéria
~
.
ouled ~~d~~~~~ j . . ................ 5.132
~ .~. . . . ~. . . . .~. . . .~. . 3.334
.................
ouled ~ l i f . . .l . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.000
.
51
j
0 ManAs
. Djerba
.
-
................
."
Ousseltia . . . . . . . . . . . . . . 2.6'13
.
..
. . . . . .... . 5.381
Ouied Sendassen . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.081
Arouch er Aekkak .................. 4.1C8
Ouled Aoun . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.769
ouled sidi Abid ;8i . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.500
ouled ouzzaz(0, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.774 Ouergha 1'" . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.430
ouled ~ ~. ? Jj .... .i .
. . . . . . . . . . . . . . . . 2.012 g h l n .121....................... 1.393
ANNEXE No 2
RECENSEMENT
DES HOMMES DU CAP BON
0 ........... 79 28 1 10 3 46 54
15-19 . . . . . . . 130 46 8 34 13 77 2 52
S 3 4 ....... 101 32 9 24 4 25 1 67
35-39 . . . . . . . 87 26 7 32 6 29 3 45
40-44 . . . . . . . 6'5 21 6 11 2 23 - 36
45-40 . . . . . . . 44 11 1 7 5 17 - 22
50-54 . . . . . . . 83 25 5 11 6 31 2 34
5559 . . . . . . . 33 3 - 11 4 28 - 21
60-64 . . . . . . . 107 11 5 15 6 22 1 35
65-69 . . . . . . . 66 24 1 4 4 28 1 13
7C-74 . . . . . . . 68 22 1 1 8 19 - 19
75-79 . . . . . . . 27 5 - 1 - 4 - 5
80-84 . . . . . . . 15 - - 3 - 4 1 3
85-89 . . . . . . . 7 1 - - - 2 - 2
90 + . . . . . . . . 11 - - - - 4 - 4
60 + . . . . . . . . 301 63 7 24 18 83 3 81
( a ) Quartier de Dar Chabane dont une partie des habitants seulement étaient considérés
comme a Fehri r (colonne 1) et, B ce titre, pouvaient participer aux répartitions de revenus de
la zaouia.
(Suite)
Ages
1 Meniel
IDou Zeffa/
1 Kelibia (b)
1 1
Beni
Beni Khiar
habitant
Pa-1
Soliman (c)
habitant blenzei Beni
Ternine Khalled
(1) (2) j (3) Khiar Tunis / nouba
33 5 -
96 18 3
106 22 10
62 7 4
43 5 4
60-64. 60 31 1 3 23 4 28 6 5 24 14
-11
65-69. 4 9 1 1 22 14 2 1 12 7
1
70-74. 15 7 3 2 23 - 20 1 4 34 6
75-79. 2 2 - 1 9 - - 4 - 2 19 13
80-89. 9 6 4 - 7 - - 12 3 2 17 11
90 +.. 1 - - - 2 - - 2 1 - 3 1
?..... - 1 - 2 - - - 1 - - - -
0-19.. 533 450 73 27 381 30 27 340 57 21 473 367
20-59. 337 273 35 20 301 54 36 265 49 42 259 113
60 +.. 101 58 9 7 86 5 5 80 13 14 109 52
1.. ... - 1 - 2 - - - - - - - -
(b) Kelibia centre (1); Hammam Laghzen (2); Dar 1'Aouèche (3).
(c) Écarts de Soiiman : Brij (52); Douma (20); Hammam (26); Bou Youssef (9 hab.); sans
compter 12 abid, sans doute des nègres.
ANNEXE No 2
RECENSEMENT
DES HOMMES DU CAP BON
(Fin)
Toutes localités
Effectifs
60-M .....................................
65-69 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
70-74 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
75-79
8&89 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
90 e t plus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
?.......................................
l-
0-19 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.913 (55,36 %)
.......................
A N N E X E NO 3
Bou Hajar . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 7 58
Boudher . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 5 42
Zeramdine ...................................................
Bou Merdas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
290
70
28
9
297
68
Rejiche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 16 90
Sidien-NaXja ............................................ 43 9 41
12
Mesjed Aissa . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40 8 39
Maatmeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63 7 59
. ....................................
TOTAL 7.966 (4) 1.339 7.091
En dehors de ces listes. il faut tenir compte des individus ayant « atteint
l'âge requis mais qui ne sont pas inscrits en raison de leur u incapacité » en
1278. 10 exemptés. 49 expatriés. 116 indigents et 135 morts; en 1279.
4 exemptés. 67 expatriés. 184 indigents et 114 morts Il faudrait ainsi ajouter .
17 adultes à Moknine en 1278. 22 en 1279. 13 à Ksour es-Saf en 1278. 23
l'année suivante. 24 A Mahdia. compte non tenu des morts et des émigrants
.
(Reg 852 et 905) .