ILUNGA 2017 Article 14
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ILUNGA 2017 Article 14
Pour citer cet article : ILUNGA KAKENKE Rado, (2015), « La portée de l’article 14 bis
du Code de procédure pénale congolais tel que modifié et complété par la loi n°
06/019 du 20 juillet 2006 », in Ilunga Kakenke Rado, La complexité du droit judiciaire
congolais, Editions du Centre de Recherche Universitaire du Kivu, Bukavu, pp. 15-50.
Introduction
Par la loi n° 06/019 du 20 juillet 2006 modifiant et complétant le décret du 06 août
1959 portant Code de procédure pénale, le législateur a ajouté quelques dispositions
à ce code dont l’article 14 bis. Cet article dispose : « Conformément aux articles 48 et
49 ci-dessous, l’officier du ministère public ou le juge requiert d’office un médecin et
un psychologue, afin d’apprécier l’état de la victime des violences sexuelles et de
déterminer les soins appropriés ainsi que d’évaluer l’importance du préjudice subi
par celle-ci et son aggravation ultérieure ». Cette disposition a été ajoutée suite à la
judiciarisation de certains comportements sexuels consacrés par la loi n° 06/018 du 20
juillet 2006 modifiant et complétant le décret du 30 janvier 1940 portant Code pénal
congolais. C’est dans l’objectif de rendre effective la loi n° 06/018 que certaines
dispositions du Code de procédure pénale avaient mérité d’être modifiées et d’autres
y ont été ajoutées en vue d’assurer la célérité dans la répression, de sauvegarder la
dignité de la victime et de garantir à celle-ci une assistance judiciaire1.
Son introduction dans l’ensemble du Code de procédure pénale fait objet de
plusieurs interprétations de la part des plaideurs devant le prétoire. Ces
interprétations reposent sur l’obligation que cet article fait au magistrat saisi d’un cas
1 Ceci ressort de l’exposé des motifs de la loi n° 06/19 du 20 juillet 2006 modifiant et
complétant le Décret du 06 août 1959 portant Code de procédure pénale congolais.
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A la lecture de ces deux articles, il ressort que l’officier du ministère public ou le juge
doit requérir le médecin et le psychologue dans la forme légale ; le médecin et le
psychologue ont l’obligation de prêter leur ministère, de prêter le serment ainsi que
de faire rapport.
3 Tshomba et Muela considèrent que les devoirs 1 et 3 cadrent mieux avec la mission
d’expertise, tandis que le 2è devoir par contre relève plutôt du médecin traitant.
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conscience ». La prestation de serment peut être faite aussi entre les mains de celui
qui le désigne. Dans ce cas un procès-verbal de prestation de serment est dressé.
Selon Luzolo (2011 : 234) et même le prescrit de la procédure pénale, l’essentiel est
que le serment soit prêté avant d’accomplir la mission. C’est ainsi que la Cour
suprême de justice avait jugé que « l’expertise où la prestation de serment est faite
après son établissement viole le prescrit de l’article 49 du Code de procédure pénale
qui exige le serment préalable, elle est irrégulière en la forme » (C.S.J., RP 161, 18
mars 1975, B. A., 1976 : 90). Cependant, la même Cour précise que « si l’omission par
l’expert de prêter serment avant l’établissement de son rapport rend l’expertise
irrégulière ; ce rapport peut néanmoins servir d’indication et éclairer la religion du
juge sans devoir être nécessairement rejeté purement et simplement (Kin, 22 janvier
1970, RJC. 1971, n° 3, p. 234 note de Katwala, 2006 : 28). Toutefois, en droit belge
enseigne Michiels et Falque (2014 : 332-333), la nullité d’un élément de preuve obtenu
irrégulièrement n’est décidée que si - le respect des conditions formelles concernées
est prescrit à peine de nullité, ou ; - l’irrégularité commise a entaché la fiabilité de la
preuve, ou ; - l’usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable. Nous
estimons que sur pied du droit comparé, ces principes peuvent être mobilisés par le
juge congolais dans l’appréciation de la régularité de la preuve.
moment des faits, celui-ci pourra être déclaré responsable et jugé, ce qui n’est pas le
cas si le rapport conclut à ‘’l’abolition de son discernement’’ ».
4 Lire exposé des motifs et l’article 10 de la loi n° n°06/19 du 20 juillet 2006 modifiant et
complétant le Décret du 06 août 1959 portant Code de procédure pénale congolais.
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Cependant, quand nous nous situons dans le but social initialement poursuivi par le
législateur en légiférant sur l’article 14 bis, il n’y a aucun problème de requérir un
infirmier en cas des violences sexuelles. En exigeant aux professionnels de la justice
de requérir d’office le médecin et le psychologue en cas des violences sexuelles, le
législateur voulait que la victime soit prise en charge médicalement et
psychologiquement afin d’éviter selon le cas, la contamination ou la propagation des
infections sexuellement transmissibles et la dépression de la victime.
L’infirmier étant capable de recevoir une plainte d’un patient et d’administrer les
soins primaires, le professionnel de la justice ainsi saisi d’un cas des violences
sexuelles peut le requérir dans un premier temps. Le but de recourir au professionnel
de la santé ressort dans l’article 14 bis ; lorsque le législateur dit « (…) afin
d’apprécier l’état de la victime des violences sexuelles et de déterminer les soins
appropriés (…) ». L’infirmier pourra ainsi être requis dans le but d’apprécier l’état de
la victime et d’apporter les soins appropriés. La période de l’élaboration de cette loi
sur les violences sexuelles, correspond par ailleurs à la période à laquelle notre pays
s’engageait activement dans la lutte contre le Sida. Le but social de cette disposition
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Ainsi, le rapport médico-légal établi par l’infirmier à la suite d’une réquisition lui
adressée par un professionnel de la justice doit être pris en compte dans le débat
judiciaire. Il ne doit pas être rejeté au motif d’avoir été établi par une personne qui
n’est pas médecin ou qui n’a pas qualité. C’est un élément important qui constitue un
commencement de preuve des violences sexuelles.
Cependant, Bosly (1992 : 121-128), dans son étude sur la régularité de la preuve en
matière pénale, relève les limites au principe de la liberté d’administration de la
preuve. L’auteur envisage que les preuves doivent avoir été obtenues légalement et
régulièrement. Par ailleurs, Michiels et Falque (2014 : 332-333), se fondant sur l’article
32 du Code de procédure pénale belge, envisagent que la nullité d’un élément de
preuve obtenu irrégulièrement n’est décidée que si - le respect des conditions
formelles concernées est prescrit à peine de nullité, ou ; - l’irrégularité commise a
entaché la fiabilité de la preuve, ou ; - l’usage de la preuve est contraire au droit à un
procès équitable. Nous estimons que sur pied du droit comparé, étant donné que la
position de l’auteur relève du droit belge, ces principes peuvent être mobilisés par le
juge congolais dans l’appréciation du rapport médico-légal.
Par ailleurs, d’après le Dictionnaire Littré « psychologue se dit de celui qui connaît
intuitivement et empiriquement les sentiments d’autrui. Se dit plus spécialement du
clinicien, du thérapeute spécialiste de la psychologie ».
Dans le cadre des violences sexuelles, le psychologue qui nous semble utile d’être
requis est celui dit clinicien. En effet, le psychologue clinicien est un praticien qui
étudie le fonctionnement psychique sain ou pathologique, pour en donner une
définition en termes de capacités, de caractéristiques cognitives ou affectives, ou
encore de diagnostic (dans ce dernier cas, il est assimilé à un psychopathologiste,
c'est le cas du psychologue clinicien).
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Il résulte de l’article 14 bis sous examen, que les magistrats doivent les requérir quel
que soit le temps écoulé entre la commission des faits et leur saisine. Le fait pour le
législateur d’utiliser l’expression « requiert d’office » est une imposition faite aux
magistrats de recourir au médecin et au psychologue pour que la victime soit prise
en charge. Le but social de cette obligation faite aux magistrats est, en dehors de la
prise en charge judiciaire, que les victimes des violences sexuelles soient prises en
charge médicalement et psychologiquement. Bien entendu, il sera difficile après
quelques jours du viol, par exemple, de trouver des éléments qui serviront d’établir
la culpabilité.
Les docteurs Hondo et Difunda (2011 : 25) précisent à ce sujet que les délais de
réalisation des prélèvements varient en fonction des sites. C’est ainsi que le délai de
prélèvement de sperme au vagin est de 72 à 96 heures, à l’anus il est de 72 heures,
dans bouche de 48 heures et sur la peau de 24 heures.
Mais, d’une manière générale, les magistrats ont l’obligation de requérir le médecin
et le psychologue en matière des violences sexuelles. Cependant, il convient de
signaler que les violences sexuelles constituent une mosaïque d’infractions regroupée
sous ce vocable dans le Code pénale livre deux. A partir de leur diversité, il résulte la
question de savoir si pour chacune de ces infractions l’officier du ministère public
et/ou le juge doivent requérir le médecin et le psychologue.
5. Aggravation ultérieure
Les préjudices peuvent être déterminés le jour que le médecin et le psychologue sont
requis à un niveau bien déterminé. Cependant, il peut arriver que ces préjudices ne
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soient pas statiques et peuvent avoir une aggravation dans le prochain jour. C’est
dans ce cas où il est demandé au médecin et au psychologue après qu’ils aient évalué
l’importance du dommage subi par la victime, de préciser si ce préjudice aura une
aggravation aux jours avenirs.
A titre illustratif, en dehors des lésions constatées le jour de l’agression sexuelle, la
victime peut ne pas avoir la possibilité de concevoir suite aux violences sexuelles.
C’est que les docteurs Hondo et Difunda nomment comme préjudice sexuel. Ainsi le
médecin devra préciser toutes les conséquences possibles qui peuvent résulter des
violences sexuelles sur base des préjudices subis par la victime à l’avenir. C’est
comme aussi le psychologue, il est tenu de préciser si la victime peut avoir à l’avenir
à détester les hommes ou les femmes, pas même d’envie de se marier, une nervosité
persistante.
Cependant, la question qui revient est celle de savoir si les dommages-intérêts
alloués sur base des aggravations ultérieures relevées dans un rapport médico-légal
du fait des violences sexuelles, reposent sur le préjudice futur ? Il faut noter que pour
être réparé, le préjudice doit être actuel et certain. Ce qui exclut le préjudice futur du
droit à être réparé. Les aggravations ultérieures sont les conséquences d’une situation
préjudiciable actuelle dont la production dans l’avenir est certaine. C’est par exemple
l’examen médical fait sur une jeune mineure d’âge victime d’un viol collectif qui
atteste que la maladie sexuellement transmissible contracté par elle aura une
aggravation à tel point que la fille ne pourra pas concevoir à l’âge adulte.
Conclusion
A l’issue du commentaire des différents éléments de l’article 14 bis, il se révèle, notre
avis, que le rapport du médecin constitue un acte d’évaluation de la gravité des
violences et de l’état psychologique de la victime pour celui du psychologue ; une
preuve pouvant servir à l’allocation des dommages-intérêts et à l’aggravation de la
peine. Mais il n’est pas nécessairement une preuve du viol (une preuve qui montre
qu’il y a eu viol mais qui ne détermine pas son auteur compte tenu de la formation
technique dans notre pays du médecin et des matériels appropriés à sa disposition).
La réquisition à médecin ou au psychologue permet de prendre en charge
médicalement et psychologiquement la victime.
La prise en charge médicale consistera à apporter à la victime les soins qui
conviennent à la lumière de l’examen médical. Tandis que la prise en charge
psychologique « consistera à faire disparaître les séquelles psychologiques, les
traumas et la dépression de la victime et à proposer une réparation psychologique à
la manière d’une thérapie de nature permettre à la victime de dépasser les
conséquences psychologiques » de l’acte de violence sexuelle (Cesoni et Rechtman,
2005 : 158).
Le rapport du médecin et du psychologue est un élément important pour les juges
dans l’évaluation les dommages-intérêts à allouer à la victime. Se référant à ces
rapports, le jugement allouant les dommages-intérêts est bien motivé. Et d’ailleurs, il
a été jugé que viole les droits de la défense, le jugement qui n’est pas motivé sur un
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chef relatif à l’allocation des dommages-intérêts accordés à une partie (C.S.J., RP 72, 6
février 1974, B.A., 1975 : 26). Ainsi en tant qu’instrument probatoire, l’expertise
constitue un instrument de légitimation (Génique, 2007 : 316) de la décision de
justice. C’est pourquoi Rangeon (2007 : 335) souligne que « la qualité de l’expertise
contribue directement à la qualité de la justice, alors qu’inversement une expertise
mal conduite peut déboucher sur de tragiques erreurs judiciaires ».
En dehors de cet aspect d’intérêts civils de la victime, le rapport médical et ou du
psychologue qui démontre que le rapport sexuel imposé a causé à la victime une
altération grave de sa santé et/ou a laissé de séquelles physiques et/ou
psychologiques graves, permet au juge de doubler le minimum de la peine. Et ceci
découle des articles 171 bis, point 8 du CPL II et 170 alinéa 2 point 3 de la loi portant
protection de l’enfant.
Le rapport du médecin et du psychologue étant un élément important dans
l’appréciation de la peine à appliquer et des dommages intérêts à allouer, les
magistrats ne demeurent plus souverains pour apprécier l’opportunité de les
requérir, bien entendu que le législateur en fait un devoir. Cependant, ce n’est pas
dans tous les cas de violences sexuelles que tous seront requis.
Par ailleurs, un rapport médico-légal établi sur base des devoirs requis à l’article 14
bis n’est pas un élément pouvant servir de culpabilité dans tous les cas. Car le but
visé est que la victime d’une agression sexuelle doit faire l’objet d’une prise en charge
médico-psychologique destinée à apprécier l’importance et la nature du préjudice et
à établir si celui-ci rend nécessaires des traitements ou des soins appropriés.
Bibliographie
Textes légaux et règlementaires
Jurisprudence
5. C.S.J., (1975), Bulletin des arrêts de la Cour suprême de justice, Année 1974, Editions de
la Cour suprême de justice, Kinshasa.
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6. C.S.J., (1976), Bulletin des arrêts de la Cour suprême de justice, Année 1975, Editions de
la Cour suprême de justice, Kinshasa.
Ouvrages et articles
11. GRUA, F. et CAYROL, N., (2011), Méthode des études de droit. Conseils pour le cas
pratique, le commentaire et la dissertation, 2è édition, Paris, Dalloz, coll. Méthode du
droit.
12. LUZOLO BAMBI LESA E., et BAYONA B, N. A., (2011), Manuel de procédure
pénale, Kinshasa, Presses Universitaires du Congo.
14. RANGEON, F., (2007), « Sociologie des experts judiciaires : Nouveaux éclairages
sur un milieu mal connu », in Edwige Rude-Antoine (dir), Le procès, enjeu de droit,
enjeu de vérité, Paris, Presses Universitaire de France, pp. 323-339.