Le Petit Nicolas Et Les Copains by Sempe-Goscinny
Le Petit Nicolas Et Les Copains by Sempe-Goscinny
Le Petit Nicolas Et Les Copains by Sempe-Goscinny
LE PETIT NICOLAS
TOME 4
Moi, j’aime bien la pluie quand elle est très, très forte, parce
qu’alors je ne vais pas à l’école et je reste à la maison et je joue au
train électrique. Mais aujourd’hui, il ne pleuvait pas assez et j’ai dû
aller en classe.
Mais vous savez, avec la pluie, on rigole quand même ; on
s’amuse à lever la tête et à ouvrir la bouche pour avaler des gouttes
d’eau, on marche dans les flaques et on y donne des grands coups de
pied pour éclabousser les copains, on s’amuse à passer sous les
gouttières, et ça fait froid comme tout quand l’eau vous rentre dans
le col de la chemise, parce que, bien sûr, ça ne vaut pas de passer
sous les gouttières avec l’imperméable boutonné jusqu’au cou. Ce
qui est embêtant, c’est que pour la récré, on ne nous laisse pas
descendre dans la cour pour qu’on ne se mouille pas.
En classe, la lumière était allumée, et ça faisait tout drôle, et
une chose que j’aime bien, c’est de regarder sur les fenêtres les
gouttes d’eau qui font la course pour arriver jusqu’en bas. On dirait
des rivières. Et puis la cloche a sonné, et la maîtresse nous a dit :
« Bon, c’est la récréation ; vous pouvez parler entre vous, mais soyez
sages. »
Alors, on a tous commencé à parler à la fois, et ça faisait un
drôle de bruit ; il fallait crier fort pour se faire écouter et la
maîtresse a fait un soupir, elle s’est levée et elle est sortie dans le
couloir, en laissant la porte ouverte, et elle s’est mise à parler avec
les autres maîtresses, qui ne sont pas aussi chouettes que la nôtre,
et c’est pour ça qu’on essaie de ne pas trop la faire enrager.
— Allez, a dit Eudes. On joue à la balle au chasseur ?
— T’es pas un peu fou ? a dit Rufus. Ça va faire des histoires
avec la maîtresse, et puis c’est sûr, on va casser une vitre !
— Ben, a dit Joachim, on n’a qu’à ouvrir les fenêtres !
Ça, c’était une drôlement bonne idée, et nous sommes tous
allés ouvrir les fenêtres, sauf Agnan qui repassait sa leçon d’histoire
en la lisant tout haut, les mains sur les oreilles. Il est fou, Agnan. Et
puis, on a ouvert la fenêtre ; c’était chouette parce que le vent
soufflait vers la classe et on s’est amusés à recevoir l’eau sur la
figure, et puis on a entendu un grand cri : c’était la maîtresse qui
venait d’entrer.
— Mais vous êtes fous ! elle a crié, la maîtresse. Voulez-vous
fermer ces fenêtres tout de suite !
— C’est à cause de la balle au chasseur, mademoiselle, a
expliqué Joachim.
Alors, la maîtresse nous a dit qu’il n’était pas question que nous
jouions à la balle, elle nous a fait fermer les fenêtres et elle nous a
dit de nous asseoir tous. Mais ce qui était embêtant, c’est que les
bancs qui étaient près des fenêtres étaient tout mouillés, et l’eau, si
c’est chouette de la recevoir sur la figure, c’est embêtant de s’asseoir
dedans. La maîtresse a levé les bras, elle a dit que nous étions
insupportables et elle a dit qu’on s’arrange pour nous caser sur les
bancs secs. Alors, ça a fait un peu de bruit, parce que chacun
cherchait où s’asseoir, et il y avait des bancs où il y avait cinq
copains, et à plus de trois copains on est très serrés sur les bancs.
Moi, j’étais avec Rufus, Clotaire et Eudes. Et puis la maîtresse a
frappé avec sa règle sur son bureau et elle a crié : « Silence ! » Plus
personne n’a rien dit, sauf Agnan qui n’avait pas entendu et qui
continuait à repasser sa leçon d’histoire. Il faut dire qu’il était tout
seul sur son banc, parce que personne n’a envie de s’asseoir à côté
de ce sale chouchou, sauf pendant les compositions. Et puis Agnan a
levé la tête, il a vu la maîtresse et il s’est arrêté de parler.
— Bien, a dit la maîtresse. Je ne veux plus vous entendre. A la
moindre incartade, je sévirai ! Compris ? Maintenant, répartissez-
vous un peu mieux sur les bancs, et en silence !
Alors, on s’est tous levés, et sans rien dire nous avons changé de
place ; ce n’était pas le moment de faire les guignols, elle avait l’air
drôlement fâchée, la maîtresse ! Je me suis assis avec Geoffroy,
Maixent, Clotaire et Alceste, et on n’était pas très bien parce
qu’Alceste prend une place terrible et il fait des miettes partout avec
ses tartines. La maîtresse nous a regardés un bon coup, elle a fait un
gros soupir et elle est sortie de nouveau parler aux autres
maîtresses.
Et puis Geoffroy s’est levé, il est allé vers le tableau noir, et avec
la craie il a dessiné un bonhomme amusant comme tout, même s’il
lui manquait le nez, et il a écrit : « Maixent est un imbécile. » Ça, ça
nous a tous fait rigoler, sauf Agnan qui s’était remis à son histoire et
Maixent qui s’est levé et qui est allé vers Geoffroy pour lui donner
une claque. Geoffroy, bien sûr, s’est défendu, mais on était à peine
tous debout en train de crier, que la maîtresse est entrée en courant,
et elle était toute rouge, avec de gros yeux ; je ne l’avais pas vue
aussi fâchée depuis au moins une semaine. Et puis, quand elle a vu
le tableau noir, ça a été pire que tout.
— Qui a fait ça ? a demandé la maîtresse.
— C’est Geoffroy, a répondu Agnan.
— Espèce de sale cafard ! a crié Geoffroy, tu vas avoir une baffe,
tu sais !
— Ouais ! a crié Maixent. Vas-y, Geoffroy !
Alors, ç’a été terrible. La maîtresse s’est mise drôlement en
colère, elle a tapé avec sa règle des tas de fois sur son bureau. Agnan
s’est mis à crier et à pleurer, il a dit que personne ne l’aimait, que
c’était injuste, que tout le monde profitait de lui, qu’il allait mourir
et se plaindre à ses parents, et tout le monde était debout, et tout le
monde criait ; on rigolait bien.
— Assis ! a crié la maîtresse. Pour la dernière fois, assis ! Je ne
veux plus vous entendre ! Assis !
Alors, on s’est assis. J’étais avec Rufus, Maixent et Joachim, et
le directeur est entré dans la classe.
— Debout ! a dit la maîtresse.
— Assis ! a dit le directeur.
Et puis il nous a regardés et il a demandé à la maîtresse :
— Que se passe-t-il ici ? On entend crier vos élèves dans toute
l’école ! C’est insupportable ! Et puis, pourquoi sont-ils assis à
quatre ou cinq par banc, alors qu’il y a des bancs vides ? Que chacun
retourne à sa place !
On s’est tous levés, mais la maîtresse a expliqué au directeur le
coup des bancs mouillés. Le directeur a eu l’air étonné et il a dit que
bon, qu’on revienne aux places que nous venions de quitter. Alors,
je me suis assis avec Alceste, Rufus, Clotaire, Joachim et Eudes ; on
était drôlement serrés. Et puis le directeur a montré le tableau noir
du doigt et il a demandé :
— Qui a fait ça ? Allons, vite !
Et Agnan n’a pas eu le temps de parler, parce que Geoffroy s’est
levé en pleurant et en disant que ce n’était pas de sa faute.
— Trop tard pour les regrets et les pleurnicheries, mon petit
ami, a dit le directeur. Vous êtes sur une mauvaise pente : celle qui
conduit au bagne ; mais moi je vais vous faire perdre l’habitude
d’utiliser un vocabulaire grossier et d’insulter vos condisciples !
Vous allez me copier cinq cents fois ce que vous avez écrit sur le
tableau. Compris ?... Quant à vous autres, et bien que la pluie ait
cessé, vous ne descendrez pas dans la cour de récréation
aujourd’hui. Ça vous apprendra un peu le respect de la discipline :
vous resterez en classe sous la surveillance de votre maîtresse !
Et quand le directeur est parti, quand on s’est rassis, avec
Geoffroy et Maixent, à notre banc, on s’est dit que la maîtresse était
vraiment chouette, et qu’elle nous aimait bien, nous qui, pourtant,
la faisons quelquefois enrager. C’était elle qui avait l’air la plus
embêtée de nous tous quand elle a su qu’on n’aurait pas le droit de
descendre dans la cour aujourd’hui !
Les échecs
Vous avez remarqué que quand on veut parler avec les copains
en classe, c’est difficile et on est tout le temps dérangé ? Bien sûr,
vous pouvez parler avec le copain qui est assis à côté de vous ; mais
même si vous essayez de parler tout bas, la maîtresse vous entend et
elle vous dit : « Puisque vous avez tellement envie de parler, venez
au tableau, nous verrons si vous êtes toujours aussi bavard ! » et
elle vous demande les départements avec leurs chefs-lieux, et ça fait
des histoires. On peut aussi envoyer des bouts de papier où on écrit
ce qu’on a envie de dire ; mais là aussi, presque toujours, la
maîtresse voit passer le papier et il faut le lui apporter sur son
bureau, et puis après le porter chez le directeur, et comme il y a écrit
dessus « Rufus est bête, faites passer » ou « Eudes est laid, faites
passer », le directeur vous dit que vous deviendrez un ignorant, que
vous finirez au bagne, que ça fera beaucoup de peine à vos parents
qui se saignent aux quatre veines pour que vous soyez bien élevé. Et
il vous met en retenue !
C’est pour ça qu’à la première récré, ce matin, on a trouvé
terrible l’idée de Geoffroy.
— J’ai inventé un code formidable, il nous a dit Geoffroy. C’est
un code secret que nous serons seuls à comprendre, ceux de la
bande.
Et il nous a montré ; pour chaque lettre on fait un geste. Par
exemple : le doigt sur le nez, c’est la lettre « a », le doigt sur l’œil
gauche, c’est « b », le doigt sur l’œil droit, c’est « c ». Il y a des
gestes différents pour toutes les lettres : on se gratte l’oreille, on se
frotte le menton, on se donne des tapes sur la tête, comme ça
jusqu’à « z », où on louche. Terrible !
Clotaire, il n’était pas tellement d’accord ; il nous a dit que pour
lui, l’alphabet c’était déjà un code secret et que, plutôt que
d’apprendre l’orthographe pour parler avec les copains, il préférait
attendre la récré pour nous dire ce qu’il avait à nous dire. Agnan, lui,
bien sûr, il ne veut rien savoir du code secret. Comme c’est le
premier et le chouchou, en classe il préfère écouter la maîtresse et
se faire interroger. Il est fou, Agnan !
Mais tous les autres, on trouvait que le code était très bien. Et
puis, un code secret, c’est très utile quand on est en train de se
battre avec des ennemis, on peut se dire des tas de choses, et eux ils
ne comprennent pas, et les vainqueurs, c’est nous.
Alors, on a demandé à Geoffroy de nous l’apprendre, son code.
On s’est tous mis autour de Geoffroy et il nous a dit de faire comme
lui ; il a touché son nez avec son doigt et nous avons tous touché
nos nez avec nos doigts ; il s’est mis un doigt sur l’œil et nous nous
sommes tous mis un doigt sur l’œil. C’est quand nous louchions
tous que M. Mouchabière est venu. M. Mouchabière est un nouveau
surveillant, qui est un peu plus vieux que les grands, mais pas
tellement plus, et il paraît que c’est la première fois qu’il fait
surveillant dans une école.
— Écoutez, nous a dit M. Mouchabière. Je ne commettrai pas la
folie de vous demander ce que vous manigancez avec vos grimaces.
Tout ce que je vous dis, c’est que si vous continuez, je vous colle
tous en retenue jeudi. Compris ?
Et il est parti.
— Bon, a dit Geoffroy, vous vous en souviendrez, du code ?
— Moi, ce qui me gêne, a dit Joachim, c’est le coup de l’œil droit
et de l’œil gauche, pour « b » et « c ». Je me trompe toujours avec la
droite et la gauche ; c’est comme maman, quand elle conduit l’auto
de papa.
— Ben, ça fait rien, a dit Geoffroy.
— Comment ! ça fait rien ? a dit Joachim. Si je veux te dire
« Imbécile » et je te dis « Imcébile », c’est pas la même chose.
— A qui tu veux dire « Imbécile », imbécile ? a demandé
Geoffroy.
Mais ils n’ont pas eu le temps de se battre, parce que
M. Mouchabière a sonné la fin de la récré. Elles deviennent de plus
en plus courtes, les récrés, avec M. Mouchabière.
On s’est mis en rang et Geoffroy nous a dit :
— En classe, je vais vous faire un message, et à la prochaine
récré, on verra ceux qui ont compris. Je vous préviens : pour faire
partie de la bande, il faudra connaître le code secret.
— Ah ! bravo, a dit Clotaire ; alors Monsieur a décidé que si je
ne connais pas son code qui ne sert à rien, je ne fais plus partie de la
bande ! Bravo !
Alors, M. Mouchabière a dit à Clotaire :
— Vous me conjuguerez le verbe « Je ne dois pas parler dans les
rangs, surtout quand j’ai eu le temps pendant toute la récréation
pour raconter des histoires niaises ». A l’indicatif et au subjonctif.
— Si t’avais utilisé le code secret, t’aurais pas été puni, a dit
Alceste, et M. Mouchabière lui a donné le même verbe à conjuguer.
Alceste, il nous fera toujours rigoler !
En classe, la maîtresse nous a dit de sortir nos cahiers et de
recopier les problèmes qu’elle allait écrire au tableau, pour que nous
les fassions à la maison. Moi, ça m’a bien embêté, ça, surtout pour
Papa, parce que quand il revient du bureau, il est fatigué et il n’a pas
tellement envie de faire des devoirs d’arithmétique. Et puis, pendant
que la maîtresse écrivait sur le tableau, on s’est tous tournés vers
Geoffroy, et on a attendu qu’il commence son message. Alors,
Geoffroy s’est mis à faire des gestes ; et je dois dire que ce n’était
pas facile de le comprendre, parce qu’il allait vite, et puis il s’arrêtait
pour écrire dans son cahier, et puis comme on le regardait, il se
mettait à faire des gestes, et il était rigolo, là, à se mettre les doigts
dans les oreilles et à se donner des tapes sur la tête.
Il était drôlement long, le message de Geoffroy, et c’était
embêtant, parce qu’on ne pouvait pas recopier les problèmes, nous.
C’est vrai, on avait peur de rater des lettres du message et de ne plus
rien comprendre ; alors on était obligé de regarder tout le temps
Geoffroy, qui est assis derrière, au fond de la classe.
Et puis Geoffroy a fait « i » en se grattant la tête, « t » en tirant
la langue, il a ouvert des grands yeux, il s’est arrêté, on s’est tous
retournés et on a vu que la maîtresse n’écrivait plus et qu’elle
regardait Geoffroy.
— Oui, Geoffroy, a dit la maîtresse. Je suis comme vos
camarades : je vous regarde faire vos pitreries. Mais ça a assez duré,
n’est-ce pas ? Alors, vous allez au piquet, vous serez privé de
récréation, et pour demain, vous écrirez cent fois « Je ne dois pas
faire le clown en classe et dissiper mes camarades, en les empêchant
de travailler ».
Nous, on n’avait rien compris au message. Alors, à la sortie de
l’école, on a attendu Geoffroy, et quand il est arrivé, on a vu qu’il
était drôlement fâché.
— Qu’est-ce que tu nous disais, en classe ? j’ai demandé.
— Laissez-moi tranquille ! a crié Geoffroy. Et puis le code
secret, c’est fini ! D’ailleurs, je ne vous parle plus, alors !
C’est le lendemain que Geoffroy nous a expliqué son message.
Il nous avait dit :
« Ne me regardez pas tous comme ça ; vous allez me faire
prendre par la maîtresse. »
L’anniversaire de Marie-Edwige
Fin du tome 4