Simulacres en Construction, Landowskky
Simulacres en Construction, Landowskky
Simulacres en Construction, Landowskky
Simulacres en construction
In: Langages, 18e année, n°70, 1983. pp. 73-81.
Landowski Eric. Simulacres en construction. In: Langages, 18e année, n°70, 1983. pp. 73-81.
doi : 10.3406/lgge.1983.1153
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1983_num_18_70_1153
Eric LANDOWSKI
C.N.R.S.
SIMULACRES EN CONSTRUCTION
1. Cf. A.J. Greimas, Sémantique structurale, Paris, Larousse, 1966, p. 153, où l'analyste
est invité à éliminer du texte les catégories de la personne, du temps et de la deixis, ainsi que
les éléments phatiques, « à moins que (nous soulignons) l'analyse n'ait choisi ce paramètre
(celui de la « subjectivité » (dans le discours) comme objet de description ».
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tielles du discours qu'il s'agit. N'impliquant, de part et d'autre, rien de plus
que la référence à un code mutuellement et conventionnellement accepté, la
communication est envisagée en ce cas comme un simple transfert d'objets
— encodes et décodables — entre deux espaces sémantiquement neutres,
celui de l'émetteur et celui du récepteur. En un mot, renonciation, ici, n'est
rien, le « message » (plutôt que l'énoncé) esi tout.
A l'autre extrême, si l'on franchit d'un trait la distance et les années qui
séparent un strict behaviorisme des derniers aboutissements de la philoso
phie du langage, on aura au contraire un « sujet énonçant » omniprésent,
hypertrophié, quand bien même aucun énoncé ne sortirait de sa bouche.
Car cette fois, ce n'est plus la consistance du message ni sa bonne transmis
sion qui sont en jeu, mais bien la forme et la substance d'un sujet : son
« identité ».
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par rapport à la justification de la terminologie retenue, avec plus ou moins
de bonheur, pour l'exprimer.
Le propos n'étant pas, toutefois, de s'appesantir ici sur les tenants et les
aboutissants d'ordre philosophique, qu'il suffise de relever le terme clef du
dispositif : faire. Un tel prédicat, de par sa nature purement syntaxique
(x F y), ne désigne rien de plus, au niveau le plus abstrait, qu'une fonction
en elle-même quelconque, que rien ne spécifie si ce n'est, précisément, sa
capacité de mettre en relation deux variables à déterminer {x, y). D'où la
nécessité — hors d'une démarche purement axiomatique — d'y investir un
minimum de contenu. C'est ce qu'on a déjà commencé de faire à l'instant, en
dénommant les fonctifs de la relation : x, le « sujet compétent », y, le
« sens ». Reste à opérer le même enrichissement sémantique en ce qui con
cerne la relation -fonction elle-même. Et pour ce faire, nous substituerons
simplement au verbe « faire » le verbe « énoncer ».
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même, plus techniquement, parcours génératif de la signification 3) comme
le fait la première des deux « définitions » ci-dessus, on se donne un cadre
qui reste évidemment trop large, ou insuffisamment déterminé compte tenu,
surtout, de la visée opératoire annoncée plus haut. Aussi laissera-t-on en
suspens l'approche de la relation -fonction proprement dite (qu'est-ce
qu'énoncer ?) pour revenir aux termes proposés comme ses aboutissants :
le « sujet » d'un côté, le « sens », de l'autre. Le terrain s'y trouve un peu
mieux balisé.
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tionne (influence ? détermine ?) les postures linguistiques adoptées par le
sujet énonciateur, et permet du même coup de les comprendre... en tant que
« reflets » de la structure des rapports intersubjectifs « vécus » (ceux-ci
fussent-ils déformés, ou même inversés au plan discursif). Si le bon sens
permet difficilement de s'opposer à cela — encore que les modalités précises
de tels conditionnements restent à spécifier — , en revanche toute la tradi
tion linguistique depuis Saussure invalide cette vision mécaniste, et persis
tante, qui équivaut en définitive simplement à dénier tout caractère imman
entaux faits de langage. (Et de ce point de vue, ce qui vaut ici relativ
ement à la théorie du discours et de renonciation vaudrait aussi bien, par ail
leurs, pour plusieurs « théories des idéologies » procédant de la même inspi
ration réductrice).
On voit donc ce que le sujet sémiotique n'est pas : il n'est pas une
substance, ni même l'émanation (le reflet) d'une substance première qui lui
serait extérieure et qui le déterminerait. Et, s'il n'est pas une substance,
c'est qu'il est une forme, ou le produit d'un agencement formel (discursif) :
un effet de sens que l'on prendra — à volonté — comme le présupposé ou
comme l'aboutissement du discours réalisé. Sans se bercer d'illusions sur la
possibilité de lever certains malentendus, qu'il soit tout de même précisé
(pour les matérialistes de stricte obédience) qu'il n'y a derrière tout cela
aucune préférence « idéaliste ». Bien plus, que l'affaire tout entière n'est
nullement une question de préférences, mais de pertinence. Car le sémioti-
cien, en tant que tel, n'a rien à dire sur l'être ultime des choses : son ambit
ion se limite à en décrire l'organisation et le fonctionnement, pour autant
du moins que les « choses » à prendre en considération existent aussi (ou
d'abord ? — peu importe !) « dans le langage », c'est-à-dire du moment
qu'elles signifient : le « sujet » est bien de cet ordre.
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de quoi de telles régularités ont été découvertes puis systématisées), mais
qu'elles sont en même temps à l'œuvre — et de façon tout aussi décisive
pour l'engendrement et la saisie de la signification — sur l'autre niveau de
fonctionnement du discours, c'est-à-dire sur le plan de renonciation.
Hypertrophie du « geste narratologique », dira-t-on pour le coup !
L'attribution d'un aussi haut degré de généralité et de pertinence aux struc
tures de type narratif n'a pourtant rien, ici, d'inattendu, compte tenu du
cadre précédemment esquissé. Du moment en effet où renonciation est con
çue, disions-nous, comme un acte, c'est-à-dire comme un faire parmi
d'autres (comparable, par exemple, au faire somatique du héros installé
dans la trame du conte populaire ou de la fable), tout « acte énonciatif »
devient par définition justiciable, dans cette perspective, d'une grammaire
générale du faire (ou d'une théorie de l'action) qui, entre autre choses,
implique elle-même la mise en place et la mise en branle de certains disposit
ifs actantiels. De ce point de vue, on sera donc autorisé à mettre en parall
èletout ce qui, vis-à-vis de l'acte en tant que tel, quel que soit le niveau,
énoncif ou énonciatif, de son effectuation, entretient les mêmes types de
rapports structurels — qu'il s'agisse des déterminations sémantiques et
syntaxiques que le récit doit attribuer à ses « personnages » pour les faire
agir, ou qu'il s'agisse des déterminations thématiques et modales que les
parties prenantes au discours lui-même, en train de s'effectuer, doivent
s'attribuer mutuellement en vue de garantir l'efficacité de leur faire diseur-
sif.
Tandis que la narrativité, en tant que forme d'organisation du discours
énoncé, a été largement explorée en sémiotique, la connaissance des mécanis
mes de narrativisation de Vénonciation 6, que nous posons de la sorte
comme possible, reste au contraire plus embryonnaire. On voit pourtant ce
que cette extension, et cette dynamisation du concept pourrait apporter si
son exploitation était menée systématiquement : elle ouvre, à côté de la
pragmatique (et, selon nous, à un niveau de généralité supérieur), de nouv
elles perspectives pour l'analyse des discours envisagés comme discours
« en situation ». De là son intérêt évident dans le cadre du projet socio-
sémiotique mentionné plus haut et, en général, par rapport à toute approche
des discours sociaux — et même d'un large éventail de pratiques sociales
extra-linguistiques. Car, au risque de faire apparaître l'ambition démesurée
vu la modestie des acquis, c'est en fait l'ensemble du « vécu », en tant que
sens pour des sujets inter agissants, et comme sens produit par leur interac
tion (verbale ou non), que recouvre virtuellement la problématique de
renonciation ainsi entendue.
Compte tenu des limites d'espace disponible, il n'est guère envisageable
d'entrer dans le détail des instruments conceptuels et des procédures desti
nésà « opérationnaliser » cette perspective. Nous en donnerons néanmoins
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une vue cavalière, quitte à renvoyer, pour ce qui est de leur exemplification,
aux monographies existantes 7. Les phénomènes à prendre en considération
sont de deux ordres : les uns ont trait à ce qu'on pourrait appeler, en termes
plus suggestifs que techniques, la mise en scène des actants, sujets de
renonciation ; les autres sont relatifs à la prise en charge des énoncés, objets
de la communication.
7. Voir, outre l'étude précitée de Cl. Calame, le travail inaugural de Louis Marin :
« Pouvoir du récit et récit du pouvoir », Actes de la recherche en sciences sociales, 25, 1979.
Cf. également A.J. Greimas, « De la colère », Actes Sémiotiques-Documents, III, 27, 1981 ;
E. Landowski, « Sincérité, confiance et intersubjectivité » in H. Parret éd.. On Belief. De la
croyance, Berlin-New York, de Gruyter, 1983 ; F. Marsciani, « Percorsi passionali dell' indi-
ferenza » (à par.) ; J.-M. Floch, « Communication ou manipulation », in Introduction à
l'analyse du discours en sciences sociales, Paris, Hachette, 1979 ; id., « L'iconicité, enjeu d'une
énonciation manipulatoire. Analyse sémiotique d'une photographie de Robert Doisneau »,
Actes Sémiotiques-Bulletin, V, 23, 1982.
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des traits (linguistiques ou non) pertinents pour l'attribution d'une significa
tion — quelle qu'elle soit — à l'acte d 'énonciation considéré. Si, comme
nous le savons d'expérience, un engagement « sur l'honneur » peut être
aussi contraignant (pour celui qui l'émet) et aussi sûr (pour celui qui le
reçoit) qu'une promesse en bonne et due forme (objectivement gagée par
quelque prise d'hypothèque bien réelle), c'est qu'il existe aussi — l'observa
tion paraît triviale, au moins depuis M. Mauss — , à côté des prises de gage
réelles, bien d'autres formalismes pour assurer, sur le plan symbolique et
intersubjectif, la crédibilité de nos actes quotidiens. Ce que nous appelons le
contexte sémiotique sélectionne précisément, dans le « réel » (référentiel),
ceux de ces éléments signifiants qui entrent, cas par cas, dans la mise en
place de tels formalismes efficaces : l'énoncé lui-même bien sûr, mais aussi
la manière dont l'énonciateur s'inscrit (gestuellement, proxémiquement, etc.)
dans le temps et dans l'espace de son interlocuteur, de même que toutes les
déterminations sémantiques et syntaxiques contribuant à forger l'« image de
marque » que les partenaires se renvoient l'un l'autre dans l'acte de commun
ication. Toutes ces déterminations ne sont pas lisibles au même niveau de
profondeur, toutes ne relèvent pas non plus de la même substance d'expres
sion (le verbal se combine au gestuel, etc.), mais toutes concourent à pro
duire un seul et unique effet global de mise en scène des actants du discours
et conditionnent, par là, le degré de crédibilité des énoncés échangés.
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7. Tandis qu'il revient ainsi, très schématiquement, à la grammaire narrat
ivede programmer et de régulariser le sens du spectacle que les sujets se
donnent les uns aux autres à seule fin d'interargir les uns sur les autres (ce
qui renvoie bien entendu à une problématique de la manipulation et des
passions), on ne peut, d'un autre côté, passer totalement sous silence une
seconde composante de l'« appareil formel de renonciation », c'est-à-dire
tout ce qui relève de la grammaire discursive. Par définition, on quitte alors
le niveau, dit de surface, sur lequel opère la syntaxe interactantielle et l'on
passe à un autre type de régularités : celles de la « mise en discours ». Faut-
il pour autant considérer que l'on quitte dès ce moment le champ de pert
inence proprement sémiotique (en ce cas identifié à l'univers des formes nar
ratives) ? Et que l'on entre du même coup dans le domaine (alors tenu pour
résiduel) du « linguistique » ? Il nous semble que non, dans la mesure ou
les mécanismes à décrire à ce stade — « débrayages » énonciatifs et product
ion de discours « objectivés » ou, au contraire, « embrayages » et prise en
charge de l'énoncé-texte par l'instance énonciatrice (qu'il s'agisse de l'énon-
ciateur ou de l'énonciataire) — font partie, au même titre que les effets de
mise en scène précédemment évoqués (et auxquels ils s'articulent directe
ment), des conditions de production, redéfinies sémiotlquement, cela va de
soi, du discours vrai, ou du moins tenu pour tel.
Pour que renonciation fasse sens, encore faut-il qu'elle soit énoncée :
c'est précisément le rôle de la mise en discours, que de transformer les posi
tions virtuelles que la composante narrative offre aux actants de la commun
ication, en positions « réelles », reconnues et assumées par eux. Alors, tan
dis que les simulacres trouvent preneurs, naissent les « sujets » qui les pren
nent en charge.
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