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FICHE TECHNIQUE N° 22

COMPAGNONNAGE ET COMPÉTENCES
Pourquoi ? Comment ?

En bref
Le compagnonnage est un mode d’appren- L a mise en œuvre de la professionnalisation
des agents, visant la construction de leurs
tissage peu utilisé actuellement, que ce compétences, s’appuie sur diverses modalités de
soit dans les entreprises privées ou les formation. Celles-ci se diversifient pour tenir compte
services publics. Il repose sur la réali- des évolutions internes (culture, management, évo-
sation d’activités professionnelles en lution des effectifs, ressources, besoins) et
présence d’un pair, qui transmet ses environnementales (nouvelles technologies, exi-
connaissances et ses savoir-faire, en par- gences accrues des usagers, …).
ticulier par la démonstration. De plus, Parmi les modalités mises en œuvre dans notre
en permettant l’acquisition des règles et ministère figure le compagnonnage. Peu utilisée
des valeurs de l’organisation, cette mo- actuellement, cette modalité pourrait mériter un
dalité facilite l’intégration des nouveaux meilleur sort.
arrivants. Mais le compagnonnage n’est Les pratiques et les pistes d’intérêt du compagnon-
pas toujours mis en œuvre de manière nage présentées ici ne sont certainement pas ex-
efficiente. Pour qu’il participe pleine- haustives. Elles résultent d’études documentaires
ment au développement des compétences et de quelques expériences menées dans diffé-
des agents, il doit suivre un processus rents services.
bien défini. De même que pour les autres Ce document comporte quatre parties : la première
modes d’apprentissage, le compagnon- présente les principales caractéristiques du compa-
nage s’appuie sur une clarification des gnonnage historique, la deuxième fait l’état des lieux
objectifs poursuivis et des rôles de cha- et analyse les pratiques au sein du METL, la troi-
que acteur concerné, ainsi que sur une sième décrit la mise œuvre de cette modalité en
implication forte de la hiérarchie. termes de processus, de points de vigilance, et la
quatrième met en évidence ses points forts en
matière d’intégration et de professionnalisation.

I - Le compagnonnage traditionnel ou historique

Dès son origine, le compagnonnage historique s’appuie sur la valorisation du métier. Il est reconnu socia-
lement, génère des codes, des valeurs et une culture forte. L’apprentissage était, et est toujours, vu comme
un parcours initiatique pendant lequel les ingrédients de la compétence sont mis en œuvre au sein d’une
démarche qui amène expérience et capitalisation des acquis.

Cette démarche vise principalement deux objectifs : assurer la continuité des métiers et la qualification des
ouvriers. Mais elle est également un état d’esprit... « il n’y a pas de science sans conscience ».
Dans ce type compagnonnage, l’employé est valorisé par l’obtention d’une qualification que doit prendre en
compte son employeur, et ce dernier bénéficie d’une main-d’œuvre hautement qualifiée.

Dans le compagnonnage traditionnel :


• « La main réalise ce que conçoit l’esprit ». C’est • Les apprentis compagnons acceptent d’être éva-
« l’école de l’expérience et du trait », c’est-à-dire du lués :
savoir-faire et du savoir théorique. Ces ressources - à la fin de chaque période, sur des qualités mora-
sont mobilisées par un entraînement au travers de les et des résultats professionnels,
mises en situations professionnelles. On retrouve - à la fin du parcours, sur le « chef d’œuvre » qu’ils
là les ingrédients de la construction de compéten- réalisent pour démontrer leur expertise.
ces. • La notion d’appartenance à un groupe avec sa
• Le dispositif prévoit une rotation dans le cadre culture et ses valeurs est clairement définie. Ce
d’un métier à faible éventail de compétences. Cette cadre développe sens du devoir et solidarité.
rotation dans des lieux et organismes différents • La motivation est un élément essentiel de l’enga-
implique des « maîtres » différents. gement de l’apprenant. Elle est le fruit du senti-
Il en résulte une grande diversité en matière d’ex- ment sécuritaire d’appartenance à un groupe fort,
périences qui, capitalisées, confèrent aux appren- structuré, d’une quête de professionnalisme et de
tis la capacité de transférer leurs acquis dans sens. Elle est entretenue tout au long du parcours
des situations de travail diversifiées. qui peut durer une dizaine d’années.

La Lettre du CEDIP - En lignes n° 22 - juin 2002 - page 1


II - La pratique du compagnonnage dans nos services

Cette partie propose une définition du compagnonnage tel qu’il est pratiqué au sein du METL, puis expose
rapidement l’utilisation de cette modalité, et enfin compare le compagnonnage traditionnel à celui qui est
mis en œuvre dans notre ministère en termes de différences et de similitudes.

1 - Proposition de définition 3 - Similitudes et différences avec le


compagnonnage traditionnel
Définir le compagnonnage nécessite de le diffé-
■ Les similitudes
rencier du tutorat, ces deux modalités étant parfois
• Le compagnon a la charge d’un seul apprenant
assimilées.
qui occupe un poste similaire dans la même orga-
Le compagnonnage est basé sur la réalisation
nisation. Le rôle du compagnon est de permettre
d’activités professionnelles en présence d’un pair
l’acquisition de savoirs d’expertise et comporte-
qui transmet ses connaissances et ses savoir-faire
mentaux.
à l’apprenant.
• Le compagnon est, dans les pratiques obser-
Dans notre contexte, le tutorat relève de l’ingénie-
vées au sein du ministère, un pair de l’apprenant.
rie de la formation : il s’agit en effet de définir un
Ces relations d’appartenance facilitent l’implication
parcours de professionnalisation qui tienne
du premier et la motivation du second.
compte des besoins de l’apprenant et des moyens
• Le compagnonnage permet à l’apprenant de
mobilisables. Parmi ceux-ci, le tuteur doit notam-
mesurer les exigences de qualité, de performance,
ment repérer les compagnons appropriés, en fonc-
les contraintes, les règles…. L’interprétation des
tion de la séquence pédagogique et des caracté-
valeurs, de la culture, la confrontation aux straté-
ristiques de l’apprenant.
gies des différents acteurs, l’apprentissage du lan-
Le tuteur a donc un rôle de conseil, de facilitateur
gage, amènent l’agent à se construire son identité
proche de la maîtrise d’œuvre d’une ou de plu-
professionnelle et sa propre représentation de son
sieurs séquences de formation, alors que le
environnement de travail.
compagnon est assimilable au formateur, interve-
• L’immersion dans le milieu professionnel déve-
nant d’une seule séquence.
loppe ses capacités d’autonomie, la prise de
conscience de sa responsabilité, au sein d’une
2 - État des lieux
chaîne d’acteurs, dans la réalisation des objectifs
de l’unité.
Cette modalité pédagogique est mise en œuvre
dans les formations :
■ Les différences
• post-concours (contrôleur des TPE, chef d’équipe
• Le compagnonnage historique comporte l’inté-
entretien, …),
gration à un groupe dont les valeurs, la culture vont
• prise de poste (qualification des agents du ré-
au-delà du métier. On est compagnon et on se re-
seau formation, ex : concevoir, mettre en œuvre, évaluer
connaît en tant que tel, y compris en dehors du mi-
une formation et formation au conseil),
lieu professionnel.
• continues (animateurs prévention et sécurité,
• Il n’y a pas au METL de cycle de compagnonnage
archivistes, …),
visant à consolider les compétences sur un même
• liées à des mutations, départs à la retraite (CETE
poste. Il peut y avoir plusieurs séquences, mais il
de Lyon),
s’agit alors d’un dispositif qui vise des domaines
et dans des actions de suivi de formation (cf.
différents. À l’issue d’un apprentissage basé sur
évaluation de la Maîtrise d’Ouvrage Locale).
cette modalité, l’apprenant sera qualifié mais un
suivi de formation sera indispensable pour lui per-
Le compagnonnage se retrouve donc dans tous
mettre de construire les compétences attendues.
les domaines de la formation du METL mais il
• Cette modalité ne fait qu’exceptionnellement l’ob-
représente, si on ne tient pas compte des forma-
jet d’une évaluation. Elle est quelquefois réalisée
tions post-concours, peu d’actions.
par les tuteurs dans le cadre de formations post-
Toutefois, il semble que cette pratique se déve-
concours, mais les pratiques constatées interro-
loppe comme le montre l’échantillon suivant des
gent sur la finalité, l’objet, l’utilité et le référentiel.
réalisations menées dans notre ministère :
• L’évaluation de la MOL a montré les difficultés
• Chartes du compagnonnage des DDE du Morbi-
des responsables hiérarchiques à s’impliquer
han et du Finistère.
dans la formation.
• Transfert de compétences et autonomie au CETE
• Cette formation de proximité peut ou non être for-
de Lyon.
malisée, ce qui n’était pas possible historique-
• Convention de compagnonnage à la DDE de
ment. 30 % à 50 % de la formation continue s’opère
Saône et Loire.
en entreprise par l’intermédiaire de pairs, de collè-
• Livret du compagnonnage en viabilité hivernale à
gues, de l’encadrement (source CEGOS) en
la DDE 05.
• Passage de relais à la DDE 44. dehors du système formation.

La Lettre du CEDIP - En lignes n° 22 - juin 2002 - page 2


III - La mise en oeuvre du compagnonnage

1 - Le processus de mise œuvre dépassées voire inappropriées : « Sans remettre


en cause le principe du compagnonnage qui a fait
Bien que, de prime abord, le compagnonnage pa- ses preuves sous réserve des disponibilités du
raisse facile à mettre en œuvre, il repose sur un maître de stage, ce dispositif a tendance à repro-
processus qui, non respecté, ne permettra pas duire les stéréotypes, les pratiques anciennes en
l’atteinte des résultats attendus. ne privilégiant pas suffisamment les nouveaux
Cette modalité repose sur quatre grandes phases : métiers, les nouvelles exigences de qualité … » cet
extrait du rapport Lannuzel1 va dans le même sens
Réflexion préalable : que notre analyse et montre que cette modalité ne
¤ identifier les besoins, les compétences à acquérir ;
peut être l’affaire du seul compagnon.
¤ définir les objectifs de professionnalisation ;
¤ préciser le rôle du compagnon ;
¤ choisir le(s) compagnon(s). ■ L’ingénierie pédagogique
Dans le cadre de la mise en œuvre de cette moda-
Préparation :
lité, la déclinaison en objectifs de formation et pé-
¤ décliner les objectifs en situation de travail ;
dagogiques doit être précise. Or, elle n’est souvent
¤ établir avec le compagnon le parcours pédagogique et réalisée qu’en partie, voire pas du tout. Sans expli-
les modalités ; cations, sans accompagnement, elle n’aurait qu’un
¤ réunir les acteurs (hiérarchique direct, apprenant, compa- intérêt limité pour les deux acteurs.
gnon), pour présenter le rôle de chacun ;
¤ définir le planning avec l’apprenant. ■ L’évaluation
Le compagnonnage doit être évalué, car cette mo-
Transmission de savoir-faire : dalité est une véritable formation. L’évaluation per-
¤ réaliser des activités professionnelles ; met de vérifier l’atteinte des résultats et souligne
¤ opérer des bilans partiels ; l’importance de cette modalité d’apprentissage.
¤ ajuster si nécessaire.

■ L’implication de la hiérarchie directe


Évaluation : Comme toutes les autres modalités, le compa-
¤ réaliser l’évaluation de la formation en associant le gnonnage nécessite de développer et d’entretenir
compagnon et le hiérarchique direct ; la motivation de l’apprenant. Ce rôle est dévolu
¤ faire un retour à l’apprenant et à la cellule formation dans la majorité des cas au seul compagnon. La
(ou plus largement au pôle RH). hiérarchie doit jouer à ce niveau son rôle de mana-
ger qui facilite en accordant les moyens et incite en
Ce processus met en évidence l’importance des valorisant l’acte de formation. La réussite d’une
phases préalables à la partie transmission. En formation par compagnonnage est liée à l’impor-
particulier, le choix du compagnon est déterminant : tance que lui accordent les hiérarchiques directs.
cet acteur doit être un professionnel reconnu par
■ La prise en compte de cette modalité au niveau
ses pairs et sa hiérarchie ; il possède les aptitu-
des relationnelles requises et il a de l’appétence de la direction
pour la formation. En effet, le compagnon cède ses L’adhésion du compagnon ne se décrète pas. Le
savoirs, souvent perçus comme une source de niveau politique doit reconnaître l’importance de
pouvoir, il pourrait alors craindre de créer un cet acteur ainsi que l’intérêt de cette modalité au
concurrent potentiel. sein de la sphère formation.

2 - Quelques points de vigilance ■ La reconnaissance des compagnons


Le positionnement des compagnons qui, d’une
■ L’ingénierie de formation part, ne sont pas assimilés à des formateurs (pas
Dans les dispositifs de formation complexes, le de « formations » prévues pour eux et pas de réelle
compagnon, qui est un acteur généralement mé- prise en compte) et qui, d’autre part, sont mé-
connu de la maîtrise d’œuvre de formation, n’est connus de la MOL dans le cas de dispositifs
pas toujours informé des objectifs de la séquence complexes, montre le peu de cas qui est fait de
d’apprentissage. L’apprenant a de grandes diffi- leur volontaire contribution.
cultés à articuler les acquis du terrain aux cours
théoriques « présentiels ». Il s’ensuit une perte de Mettre en œuvre, et réussir en termes de qualité,
sens qui ne peut que démotiver. une formation basée sur le compagnonnage sup-
Ce possible déficit d’encadrement peut également pose donc autant d’implication, de moyens et de
amener le compagnon à transmettre des pratiques vigilance que pour toute autre modalité.

1
Rapport sur la réforme statutaire du corps des contrôleurs des TPE – octobre 2001 - Réalisé par un groupe de travail présidé par l’Ingénieur
Général des Ponts et Chaussées Jean-Michel Lannuzel.

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IV - Les points forts du compagnonnage

Le compagnonnage n’est pas seulement une relation entre individus et doit, nous l’avons vu, faire l’objet
d’un dessein, d’une réflexion préalable afin d’en définir les finalités et de prendre en compte les points
de vigilance.
Ces indispensables précautions étant prises, il est Celles-ci constitueront son système de référence.
alors possible de tirer tous les avantages de cette • Les compétences collectives émergent d’échan-
modalité : ges sur le travail. Pouvoir confronter les représen-
• L’acquisition de savoirs et/ou de savoir-faire is- tations d’autres agents à sa vision personnelle
sus de l’expérience du terrain est plus rapide que donne du sens aux tâches réalisées.
dans le cas d’un apprentissage par « tâtonne- • L’organisation, l’apprenant et le compagnon sont
ment ». tous trois bénéficiaires :
• La mise en pratique de ces ressources en situa-
tion professionnelle est déjà un premier pas vers
la construction des compétences. Cette modalité
présente donc un intérêt évident dans la A pprenant : C om pagn on :
Intégration ; Formalisation ;
professionnalisation de chacun. Elle peut être mise Identité ; Reconnaissance.
en œuvre dans le cadre d’une gestion des compé- Culture ;
Professionnalisation.
tences.
• La construction de l’identité professionnelle de O rganisation :
l’apprenant favorise son intégration au sein d’une Intégration ;
Agents com pétents ;
culture identitaire qui dispose de ses référents, de Form ation au plus près du terrain ;
Faible coût.
ses normes. L’apprenant réalise ses tâches en
tenant compte des valeurs de son « monde »
d’appartenance.

V - Conclusion :

La diversité des expériences menées montre que les évolutions de l’environnement. Cette modalité
le compagnonnage peut s’appliquer à des domai- doit donc être cadrée et encadrée.
nes et des situations très diversifiés. Son intérêt
est évident lorsque les activités professionnelles Dans un contexte où des enjeux considérables
sont surtout basées sur des savoir-faire. Ces « tours découlent des départs massifs d’agents à la re-
de main » sont acquis par l’expérience et sa capitali- traite (ce qui renvoie, d’une part, à l’urgence des
sation. démarches de capitalisation des savoir-faire et,
Comme toutes les autres formes d’apprentissage, d’autre part, aux formations prise de poste liées
le compagnonnage doit être mis en perspective aux recrutements), l’intérêt de cette modalité sur le
avec les finalités attendues et être utilisé avec per- plan de la professionnalisation des agents et, plus
tinence au regard des contextes locaux. Il ne peut largement, en termes de GPEC, donne à penser que
être réduit à un face à face informel qui ne peut que le compagnonnage pourrait bénéficier d’un regain
conduire à une transmission figée, sans lien avec d’intérêt et se développer dans les années à venir.

■ Michel Denjean- CEDIP


([email protected])

Documents complémentaires :
Michel Denjean et Marcel Ranvier « A propos du compagnonnage » - Article En lignes N°15.
Fabienne Ellul « Quelques clés d’entrée pour manager le tutorat » - Fiche technique En lignes n° 9.
Fabienne Ellul « L’organisation apprenante » - Fiche technique En lignes n° 16.
Georges Armenoult et Gilles Aymar « Intégrer un nouvel arrivant dans une équipe » - Fiche technique En lignes n° 20.

Bibliographie pour aller plus loin :


Philippe Bernoux (1985)« La sociologie des entreprises » Seuil.
Philippe Bernoux (1996) « Les nouvelles approches sociologiques des organisations » Seuil.
Michel Crozier et Ehrard Friedberg (1977) « L’acteur et le système » Seuil.
Renaud Sainsaulieu « Sociologie de l’entreprise » (1997) Organisation, culture et développement 2ème édition. Presse des Sciences
Politiques – Dalloz.
Bernard De Castéra (1988) « Le compagnonnage » Que sais-je ?
Annie Guédez (1994) « Compagnonnage et apprentissage » Sociologie d’aujourd’hui .« Apprentissages et évaluations » Éducation
permanente N° 143.

La Lettre du CEDIP - En lignes n° 22 - juin 2002 - page 4

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